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French Pages 522 [529] Year 1994
Le Cheval en France au Moyen Age
Brigitte Prévôt Bernard Ribémont
Le Cheval en France au Moyen Age Sa place dans le monde médiéval ; sa médecine : l'exemple d'un traité vétérinaire du XIVe siècle, la Cirurgie des chevaux
PARADIGME 122 bis, rue du Faubourg Saint-Jean 45000 ORLÉANS 1994
Medievalia Collection dirigée par Bernard Ribémont
Dans la même collection : ,- Pierre Bec, Écrits sur les troubadours et la lyrique médiévale. Guillaume Cousinot (attribuée à), La Chronique de la Pucelle. — Le Roux de Lincy et L.M. Tisserand, Le Paris de Charles V et de Charles VI vu par des écrivains contemporains. Arthur Piaget, Martin Le Franc, prévôt de Lausanne (réimpression de l'édition de la thèse présentée par Arthur Piaget à Lausanne en 1888). Bernard Ribémont (dir.), Le Temps, sa mesure et sa perception au Moyen Age. Actes du colloque d'Orléans (avril 1991 ). Pierre Demarolle, La Chronique de Philippe de Vigneulles et la mémoire de Metz. Jean-Charles Huchet, L'Étreinte des mots. Flamenca, entre poésie et roman. Bernard Ribémont (dir.), Le Corps et ses énigmes au Moyen Age. Actes du colloque d'Orléans (mai 1992). Gérard Gros, Le Poète mariai et l'art graphique. Études sur les jeux de lettres dans les poèmes pieux du Moyen Age. i
Tous droits de traduction, d'adaptation et de reproduction, par tous procédés, réservés pour tous pays. (E) PARADIGME, Orléans - Caen, 1994 ISBN 2-86-878-072-5
Introduction
INTRODUCTION
Dire que le cheval occupe une place de choix dans l'économie et la culture du Moyen Age ne peut qu'être mis au rang d'une des plus ordinaires banalités. Une des images les plus immédiates qui viendra à l'esprit de tout homme moderne devant qui le Moyen Age est évoqué est celle du chevalier, armé de pied en cap et monté sur un cheval lui aussi richement équipé. Le Moyen Age «populaire» de nos contemporains, lecteurs ou héritiers de Walter Scott, cinéphiles plus ou moins avertis, c'est aussi l'époque des tournois, de ces vastes caracolades hautes en couleur où de nombreux chevaux de parade et de combat envahissent l'écran du cinématographe ou des imaginations en de grandioses fêtes que rythme le son des trompes luisant au soleil. Ce Moyen Age, c'est celui de Perceval ou d'Excalibur, celui des héros de la Table Ronde qui ressurgissent des contes de l'enfance des plus âgés ou, pour les plus jeunes, des remakes plus ou moins heureux que proposent les cartoons américains et japonais dans lesquels le vaisseau spatial de Goldorak a remplacé le cheval de Lancelot. Qu'importe d'ailleurs, à ce niveau, la vérité visuelle de l'animal, de chair ou d'acier : le héros qui fascine l'imagination a besoin d'une monture attitrée qui, en général elle aussi, est capable de prouesse. Le conte moderne dès lors n'occulte pas le vieux monde de la Table Ronde : il le démarque. Il suffit alors de quelques translations élémentaires pour revenir au moule originel. Finalement, replacé, même au travers d'un imaginaire souvent farfelu et fabriqué, dans son contexte «historique», le héros médiéval que chacun peut faire vivre en lui combat à cheval. L'espace social
Certes, l'animal est bien évidemment le moyen de locomotion privilégié des classes aisées de la population médiévale : les documents d'archives, comme les textes littéraires, montrent les chevaliers partant au combat, au tournoi ou à la chasse sur leur destrier, les nobles dames voyageant sur leur palefroi, les clercs effectuant leurs missions et leurs visites montés sur un cheval ou une mule ; de ces chevaux, il en serait même monté sur scène au cours de ces mystères,
représentés sur les places publiques, faisant évoluer devant le peuple la geste édifiante de «héros» religieux1. C'est a priori le cheval du chevalier qui occupe le devant de la scène ; point n'est besoin de faire de l'étymologisme facile pour attacher ici l'homme à l'animal, au moins dans la fonction qui, en principe, est attribuée au noble cavalier. Cet attachement, la dénomination l'emblématise, établissant, dans ce qui se constitue en figure obligée, de véritables couples tels Gauvain et Gringalet, Renaud et Baiart. Mais la proposition élémentaire, de l'homme vers le cheval, celuilà baptisant celui-ci, s'inverse au fil des conventions sociales que le miroir de la littérature réféchit à sa manière : le cheval est aussi une véritable «pièce d'identité» pour le chevalier. D'une part, d'un point de vue technique, le chevalier monté et équipé pour le tournoi ou la bataille arbore d'autant plus aisément ses armoiries, ses «couleurs», qui permettent sa reconnaissance. A cheval, il porte l'écu, qui de circulaire devient oblong pour mieux protéger sa jambe et le flanc de sa monture ; écu qui exibe d'autant mieux sur sa surface les armoiries du cavalier. Le cheval participe directement à cet affichage, avec ses housses elles-aussi armoiriées. D'autre part, à un niveau cette fois-ci social, «idéologique», l'homme à cheval, armé, appartient à l'élite de la société. Dès le haut Moyen Age, le combattant franc se définit comme un homme à cheval, conscient de sa supériorité. On sait que H. Brunner proposait une étroite association entre les origines de la féodalité et l'équipement du chevalier, en particulier après la victoire de Charles Martel à Poitiers. Même si cette thèse est généralement rejetée aujourd'hui, du moins dans son aspect trop systématique, il est certain que les besoins en cavaliers pour les campagnes militaires augmentent prodigieusement dans les premiers temps du Moyen Age : selon K. F. Werner, Charlemagne pouvait compter sur environ 36000 hommes à cheval qui, de fait, sont étroitement liés à l'empereur2. Or ce combattant n'est pas seulement un soldat à cheval, il est bien davantage. En effet, comme le note M. Bloch, «il apparut, avec une force croissante, que, de toutes les formes de la subordination 1 - Voir à ce sujet, G. Cohen, Histoire de la mise en scène dans le théâtre religieux français du Moyen Age, Paris, Champion, 1951, p. 213. 2 - K. F. Werner, «Heeresorganisation und Kriegsfûhrung im deutschen Kônigreich des 10. und 11. Jahrhunderts», Ordimenti militari in occidente nell'alto medioevo, 2, Spolete, 1968, pp. 791843. Voir également Ph. Contamine, La guerre au Moyen Age, 3° éd. mise à jour, Paris, PUF, 1992, p. 102sq.
d'individu à individu, la plus élévée consistait à servir de l'épée, de la lance et du cheval, un maître dont on s'était solennellement déclaré le féal»3. Au XIIIe siècle, ce groupe des «hommes à cheval», les chevaliers, forme une classe bien délimitée, qui occupe une place centrale dans la société et dans le jeu des pouvoirs, une classe dont les aspirations s'expriment dans une littérature dont le corpus est bien constitué de ses chansons de geste, romans en vers et en prose. Comme G. Duby l'a montré, le terme miles, qui apparaît en 971, peu à peu s'applique pour désigner l'élite de la société et se substitue à nobilis4 ; c'est ainsi par exemple qu'à la fin du Xe siècle, Richer, dans son Historia Francorum, utilise en synonymie les termes d'ordo equestris et d'ordo militaris5. Cette hiérarchie sociale est renforcée par l'exclusion des classes inférieures de la chose militaire, marquant une frontière stricte entre les pugnatores et l'imbelle vulgus6. Cet état de chose se traduira dans la littérature courtoise par le mépris du paysan, du marchand, du bourgeois, de tous ces «vilains», dont se gaussent les héros en quête d'aventure, allant même jusqu'à identifier le paysan à l'homme sauvage, comme dans le célèbre épisode de la rencontre entre Yvain et le gardien de troupeau7.
3 - M. Bloch, La société féodale, Paris, Albin Michel, 1939, nombreuses rééditions, (1968, poche), p. 224. 4 - G. Duby s'interroge sur la manière dont le tenne miles s'est introduit dans l'usage, puisqu'au «Xme siècle, il était uniformément employé pour exprimer l'appartenance à ce groupe cohérent qu'était la chevalerie (...) : pourquoi, en France, à la fin du Xe siècle, le mot miles commença-t-il à être préféré par les scribes à d'autres termes pour définir une supériorité sociale ? (...). A la fin du Xe siècle, le mot miles apparaît incontestablement porteur d'une signification militaire. On l'utilisait pour désigner les combattants, ou plus exactement une certaine catégorie de combattants, les cavaliers (...). Une telle équivalence exprime fort clairement que le seul guerrier digne de ce nom était, aux yeux des hommes de ce temps, celui qui utilisait un cheval. (...) Ce succès traduit en vérité la prise de conscience de trois faits complémentaires : un fait technique, la supériorité du cavalier dans le combat ; un fait social, la liaison entre le genre de vie réputé noble et l'usage du cheval, liaison encore très mal étudiée, mais certainement très profonde et très ancienne (il conviendrait de pousser l'enquête jusqu'aux tombes de chevaux voisines de celles des chefs dans la préhistoire germanique et, dans l'Antiquité classique, jusqu'à la signification sociale de l'équitation) ; un fait institutionnel enfm, la limitation du service d'armes à une élite restreinte.» La société chevaleresque, Flammarion, coll. Champs, 1988, pp. 35-42, (texte publié dans Ordinamenti mililari in Occidenle nell' alto medioevo, op. cit., pp. 739-761). 5 - Ed. R. Latouche, Paris, 1937, t. 2, p. 180. 6 - «...les couches inférieures de la société furent plus ou moins systématiquement et complètement exclues de la fonction guerrière, ou bien ne jouèrent plus dans ce domaine qu'un rôle d'auxiliaires sans doute utiles ou indispensables mais méprisés», Ph. Contamine, La guerre..., op. cit., p. 110. 7 - Chrétien de Troyes, Le Chevalier au Lyon, éd. M. Roques, Paris, CFMA, 1968, vv. 286-320.
Si combattre à cheval était le signe d'une supériorité militaire, si servir à cheval était le plus noble des devoirs, posséder armes et cheval est la marque même de la noblesse. Les armes, le cheval, sont alors de véritables «pièces d'identité» sociales, ce dont, comme on le verra, la littérature rend bien compte en présentant le chevalier sans monture comme un homme humilié. Dans le contexte d'une société somme toute violente où, à toutes époques, y compris celles apparaissant comme les plus calmes, la guerre est toujours présente8, le cheval se révèle être le support indispensable de toute campagne guerrière ; il suffit d'une épizootie pour annuler une bataille : Eginhard par exemple cite le cas d'une campagne de Charlemagne interrompue en 791 à cause de la disparition de la plupart des chevaux9. La Chronique de Morée signale que les guerriers champenois ne peuvent rester sur les lieux du château de Coron, car «la contree n'estoit mie aaisié pour leurs chevaux»10. Guillaume de Machaut, au XIVe siècle, alors qu'il désire raconter les entreprises de Pierre de Lusignan, souligne le caractère indispensable des chevaux pour gagner une bataille : (Les Sarrasins) traioient si forment Et si trés mervilleusement Que tous ses chevaus ocioient Et a terre les abatoient. Li roys vit bien le grant meschief Et que d'eaus ne venroit a chief, Se longuement leur traire dure ; Car s'il perdoit sa monteüre, En peril seroit de sa vie, Et toute sa chevalerie. (Les Sarrasins tiraient avec tant d'habileté et de force qu'ils tuaient tous les chevaux et les abattaient à terre. Le roi se rendit bien compte de ses pertes et qu'il ne viendrait à bout de ses ennemis s'ils continuaient longtemps ainsi. Car s'il perdait ses chevaux, il serait en danger pour sa propre vie et pour celle de ses chevaliers)ll
8 - Ph. Contamine note à ce propos qu'en dépit d'une politique sans envergure, les rois capétiens, jusqu'au règne de Philippe-Auguste, ont passé leur temps à guerroyer eux-aussi (La guerre..., op. cil., p. 124). 9 - Eginhard raconte de plus que la campagne put reprendre après l'arrivée de chevaux d'Espagne, alors réputés (Annales, 210-13) 10 - Ed. J. Longnon, Paris, SHF, 1911, p. 37. 11 - La prise d'Alexandrie, éd. M.L. de Mas Latrie, Paris, 1877, p. 214.
Pour un ordre guerrier comme celui du Temple, le cheval est un bien particulièrement précieux : les articles 45 à 50 des Retrais de l'Ordre prévoient de lourdes sanctions pour celui qui perd sa monture, pouvant aller jusqu'au retrait de l'habit 12. A la lecture de la description de la journée de Bouvines par Guillaume le Breton, on s'aperçoit bien de l'importance du cheval, le chroniqueur tenant à noter chaque fois que possible la mort du cheval d'un personnage important vaincu, tel le duc de Bourgogne ; ou bien la prouesse du destrier, aussi vaillant que son cavalier, comme celui du comte de Saint-Pol dont le maître était percé de douze lances et qui resta debout sur ses pattes13. Si Poitiers marqua la déroute de la cavalerie lourde française, le cheval n'en demeure pas moins indispensable durant la guerre de Cent Ans. En sont le témoin ces multiples chevauchées anglaises qui ravagent le royaume. Froissart à son tour rend compte de l'importance du cheval, par quelques détails significatifs comme ceux qui émaillent son récit de la chevauchée de 1359 : Mais pour ce que le roi d'Angleterre, avant de partir de son pays, avait ouï parler de la famine et de la pauvreté de France, il y avait bien pourvu, et aussi chaque seigneur, selon son état, excepté de fourrage et d'avoine, dont les chevaux se passaient au mieux qu'ils pouvaient. Avec tout cela, le temps était si cru et si pluvieux que cela leur faisait trop de mal, ainsi qu'à leurs chevaux.14 Comme l'a montré Ph. Contamine, la cavalerie légère, décisive dans cette stratégie de la chevauchée pratiquée par les Anglais durant la guerre de Cent Ans, implique un besoin de montures appropriées et sera même facteur de développement dans le cadre d'une politique du cheval du côté français où une telle stratégie, inexistante au début des hostilités, se mettra peu à peu en place : En France comme en Angleterre, on trouvait également, plus sommairement équipés, quelques éléments de cavalerie légère. On les appelait outre-Manche les hobelars, montés sur de petits chevaux, les hobyns. Des historiens ont pensé que la présence des hobelars dans les corps expéditionnaires anglais avait été décisive. De fait, durant les premières campagnes de la guerre de Cent Ans, ils n'avaient pas leur équivalent du côté français, et c'est pour répondre à un réel besoin qu'à partir de 1350 les armées des Valois comportèrent, à côté de la cavalerie 12 - A. Pigeon, «Les écuries du Temple», Plaisirs équestres, 125, sept-oct. 1982, p. 392. 13 - Voir le récit dans G. Duby, Le dimanche de Bouvines, Paris, 1973, repris en livre de poche coll. Folio. 14 - Texte présenté par Ph. Contamine, Azincourt, Coll. Archives Julliard, Paris, 1964, p. 59.
lourde des gens d'armes, quelques «gens de cheval», plus mobiles et plus rapides15. F i n a l e m e n t , d e l ' é p o q u e c a r o l i n g i e n n e à la f i n d u M o y e n A g e , e n d é p i t d e l ' é v o l u t i o n d e l'art militaire, des p r o g r è s t e c h n o l o g i q u e s , la c a v a l e r i e c o n s t i t u e u n é l é m e n t s t r a t é g i q u e f o n d a m e n t a l d a n s la c o n d u i t e d e la guerre. I n d i s p e n s a b l e d o n c le c h e v a l de b o n n e qualité p o u r soutenir, à v i v e allure parfois, le c o m b a t t a n t et s o n é q u i p e m e n t a u p o i d s i m p o s a n t ; il e s t é l e v é , e n t r a î n é d a n s l a p e r s p e c t i v e d e c e s c o m b a t s o ù , l u i - m ê m e h a r n a c h é , il d e v r a f a i r e p r e u v e d e c o u r a g e , i g n o r a n t l e s b r u i t s e t c l a m e u r s d e l a b a t a i l l e ; il d e v r a a u s s i m o n t r e r s a p r o p r e v a i l l a n c e , se c o m p o r t a n t , à l a f a ç o n d e s o n m a î t r e , e n a g r e s s e u r de l'adversaire. T o u j o u r s d a n s le m i l i e u d e s s e i g n e u r s et d e s chevaliers, le c h e v a l est i n d i s p e n s a b l e d a n s u n e activité n o b l e p a r e x c e l l e n c e , la c h a s s e ; à tel p o i n t q u e le l e x i q u e f r a n ç a i s s ' i m p r i m e d e cette i m p o r t a n c e e n d é n o m m a n t s p é c i a l e m e n t la m o n t u r e e m p l o y é e lors d e cette activité : le « c h a c e o r » . U n e g r a n d e c h a s s e est aussi le signe de l ' a b o n d a n c e de c e l u i q u i l a c o n d u i t , t e l c e roi d ' A n g l e t e r r e qui é m e r v e i l l e F r o i s s a r t a v e c s e s t r e n t e f a u c o n n i e r s à cheval 16. I n d i s p e n s a b l e e n c o r e , l e c h e v a l a u t o u r n o i . Il e s t le s i g n e d e l a r i c h e s s e d u c h e v a l i e r q u i c o m b a t e t il e s t u n e n j e u à lui s e u l : c a p t u r e r le c h e v a l d e l ' a d v e r s a i r e e s t u n b u t essentiel, qui peut a s s u r e r l'aisance d u p a u v r e « b a c h e l i e r » v a l e u r e u x et h a b i l e au c o m b a t . G u i l l a u m e le M a r é c h a l s e v a n t a i t s u r s o n lit d e m o r t d ' a v o i r c a p t u r é a u m o i n s c i n q c e n t s c h e v a u x , c o m m e à c e t o u r n o i d ' E u o ù e n u n j o u r il p r i t d i x c h e v a l i e r s e t d o u z e c h e v a u x a v e c s e l l e s e t agrès 17. O n n e c o m p t e p l u s l e s h é r o s d e s r o m a n s d e c h e v a l e r i e , tel C l i g è s a u t o u r n o i d ' O x f o r d o u , b i e n d e s a n n é e s a p r è s , le M é l i a d o r d e F r o i s s a r t , q u i , c a p t u r a n t l e s c h e v a u x de l e u r s adversaires, révèlent l e u r force et a u g m e n t e n t l e u r gloire.
15 - La vie quotidienne pendant la guerre de cent ans, France et Angleterre, Hachette, 1976, p. 243 (in Chapitre VI : les guerres de France et d'Angleterre). 16 - Ibid., p. 58. 17 - Voir G. Duby, Guillaume le maréchal ou le meilleur chevalier du monde, Paris, Fayard, 1984, repris dans la coll. Folio, p. 136.
Dans le monde du travail, celui du paysan, les choses, on le verra, sont plus complexes : le vilain Liétart du Roman de Renart laboure avec ses huit boeufs, et fait tirer la charrette par un cheval : emblème littéraire, au demeurant plutôt rare, d'une situation mixte et très diversifiée, selon le temps et l'espace. En filigrane, toujours emblématique, se dessine le problème de la substitution du cheval au boeuf, à propos de laquelle l'historien ne peut guère déduire de véritables tendances de la masse des documents éparpillés et souvent contradic1toires. En résumé, le cheval apparaît comme le centre d'un réseau d'enjeux fondamentaux, économiques et militaires. L'analyse du monde équestre selon ces aspects est donc aussi un moyen pertinent d'envisager l'évolution de la société médiévale et d'en saisir quelques contours : cheptel et techniques agricoles18, équipement militaire, harnachement, art guerrier sont des témoignages, dans la mesure où les textes permettent de les appréhender, d'une société dont le cheval est, pour une part, un emblème socio-économique.
L'espace littéraire Cette place du cheval, telle qu'elle apparaît au coeur de la société médiévale, on la retrouve bien entendu dans là littérature du Moyen Age, comme nous avons déjà pu y faire quelque allusion. La littérature, avec les gauchissements qui lui sont propres et qui sont sa richesse, rend compte, à différents niveaux, du statut des composants d'une société, considérée ici comme la collection d'individus socialisés et des moyens de cette socialisation ; elle en exhibe, éventuellement par le biais du symbole, les rouages sociaux, tout en étant animée, selon le concept d'anima, par les courants les plus profonds de la pensée et de la cognition humaines que révèle l'anthropologie. Tout élément structurant de cette société devient, au coeur d'un réseau textuel, donc révélant, un catalyseur autour duquel va se cristalliser une dialectique de l'écriture. Il s'agit d'évaluer le rapport existant entre les realia et la fiction, au sens d'une inclusion d'ensembles. Les relations qui 18 - On pourra consulter l'ouvrage de L. White Jr., Technologie médiévale et transformations sociales, trad. Française, Paris/La Haye, 1969, pp. 1-53, qui montre bien comment l'évolution des techniques est aussi un élément de «mesure» de la société médiévale. H. Gille, Les techniques au Moyen Age en Occident (Ve s.-1350), dans Histoire générale des techniques, (dir. M. Daumas), Paris, PUF, 1962.
s'établissent entre le cheval et le cavalier, entre un Gauvain et son Gringalet par exemple, sont aussi le reflet, opacifié par diverses spirales fictionnelles certes, mais néanmoins pertinent, de la place, réelle, que le cheval occupe dans le monde féodal. Le héros arthurien certes aime à nommer son cheval ; mais n'agit-il pas comme certains seigneurs bien réels, tel ce Renaud, seigneur de Dargies, qui par testament, lègue son grand cheval Polin et son palefroi Bayard19 ; à moins que ce ne soit ici l'influence de la littérature qui prédomine, poussant le chevalier à l'imitation de ses héros, dénommant une de ses montures du nom de celle, si prestigieuse, du personnage éponyme de Renaut de Montauban. Dans tous les cas, la passerelle du texte au réel existe bien et ne peut qu'exister dans ce contexte, car elle se construit autour d'un incontournable, d'un indispensable de deux économies : celle du texte et celle de la vie. Dans une perspective identique, l'attachement du chevalier arthurien pour sa monture correspond aussi à la valeur que celle-ci possède sur le marché : pour le chevalier allant de tournoi en tournoi, il s'agit d'une valeur-capital dont la perte est très lourde : capital fixe, par la valeur même du cheval dans l'échange, capital dynamique, capable de générer un apport nouveau, de créer un enrichissement. La pratique du restor qui veut que le commanditaire d'une campagne militaire rende en argent la valeur évaluée d'une monture perdue est révélatrice de l'importance de ce «capital animalier». Résurgence des mythes anciens, du cheval de la Mort, du Pégase s'envolant vers les cieux, des Xanthos et Balios de l'Iliade, immortels, parlant et prophétisant, animal si prestigieux qu'il en devient magique, transporteur vers ces ailleurs que la mentalité médiévale s'est plu à créer, à imaginer, à mettre en écriture, le cheval «faé» du Moyen Age rend bien compte à son tour de la place centrale que cet animal occupe dans l'espace littéraire. Ce cheval procure souvent le salut à son maître, tel le célèbre Baiart de Renaut de Montauban qui alimente de son sang les assiégés ou dont la croupe s'allonge pour supporter quatre cavaliers. Comme le note F. Dubost, «le cheval faé apporte au héros des possibilités d'action qui excèdent largement les limites humaines et assurent son triomphe»20. Ce cheval, à la fois «naturel» et qui se hisse pour les circonstances au niveau de la surnature, pouvant même 19 - Sources d'histoire médiévale, sous la direction de G. Brunei et E. Lalou, Paris, Larousse, 1992, p. 364. 20 - F. Dubost, Aspects fantastiques de la littérature narrative médiévale (X¡¡e-XlI¡e siècles), Paris, Champion, 1991, p. 454.
combattre pour son maître de sa propre initiative comme le Marchegai d'Aiol, n'est-il pas finalement l'emblème surdimensionné de ce que le cavalier attend de sa monture ? Attente secrète et ambiguë, mélange d'une demande de service domestique et du constat plus ou moins implicite d'une valeur indispensable. Soucieux de didactisme et d'autorité, les poètes se plaisent souvent à donner quelques détails, à caractère savant, sur la nature qui les environne ; cette nature, qu'à travers les Specula, les De natura rerum et autres De proprietatibus rerum, les encyclopédistes, depuis le VIIe siècle et Isidore de Séville, tentent de décrire et d'exposer, en compilant les sources les plus autorisées. Ces ouvrages font une place, souvent importante, au cheval, donnant des détails sur sa qualité, ses moeurs et ses coutumes, créant et transmettant ainsi un réseau d'images que les poètes pourront intégrer dans leur texte. Si les chansons de geste par exemple vantent les chevaux de Perse ou de Numidie, on peut penser que ce n'est pas étranger totalement à la présence de ces chevaux dans l'énumération que fait Isidore de Séville. L'étude de l'encyclopédisme médiéval, large reflet d'une connaissance «moyenne» d'une époque, et écriture «carrefour», creuset dans lequel se fondent différentes traditions, différentes influences - des plus «littéraires» aux plus savantes - contribue aussi à mesurer, dans le domaine qui nous préoccupe ici, quelle fut la place du cheval et quelle fut la façon dont l'animal était considéré sous de multiples aspects. L'espace du soin Si le cheval occupe u n e place si primordiale dans la société médiévale, il est clair que le soin apporté à l'animal est lui aussi fondamental. L'auteur de la C h a n s o n de la c r o i s a d e albigeoise note par exemple la présence de m a r é c h a u x , avec tout leur é q u i p e m e n t : E cant li Frances viron que res no i faran al, Repairan a las tendas e ilh dins a l'ostal. D'entr'ambas las partidas li metge e t marescal Demandan ous e aiga e estopa e sal E enguens e empastres e bendas savenal ; (169, vv. 122-6) (Quand les Français virent qu'ils ne pourraient rien faire de plus, ils revinrent à leurs tentes, et ceux de la ville à leurs maisons. Des deux côtés,
médecins et maréchaux demandent des oeufs, de l'eau, de l'étoupe et du sel, des onguents, des emplâtres et des bandes define toile)21 On peut donc s'attendre à ce que le Moyen Age ait développé une véritable «science du cheval», tant pratique que théorique. L'emploi du terme «science» est toujours délicat pour le Moyen Age, car la science médiévale est toujours un compromis entre une tradition, placée sous l'autorité, l'auctoritas, des auteurs antiques, et une innovation qui s'établit surtout sur des bases spéculatives. La médecine vétérinaire n'échappe pas à ce processus. Toutefois, l'hippiatrie, parce qu'elle porte sur le cheval, est liée à une pratique, que l'on pourrait presque qualifier de «quotidienne». Un Jordanus Rufus, que l'on peut considérer comme un des plus grands précurseurs de l'hippiatrie moderne, est maréchal de Frédéric II. Il appartient d'ailleurs à cet exceptionnel courant innovateur qui se constitue au XIIIe siècle, la plupart du temps en dehors de la scolastique, en particulier dans l'entourage de l'empereur22. Mais la «science du cheval» hérite aussi d'une tradition antique, celle des hippiatres grecs et arabes (à compter principalement du XIIIe siècle) et celle des encyclopédistes latins, tels Pline l'Ancien. Elle çst donc un compromis, bien souvent, entre la pratique des maréchaux et un savoir purement livresque. Si Jordanus, dans son De medicina equorum rejette toute pratique magique et s'attache à une rigueur certaine dans l'analyse et la description, d'autres traités hippiatriques et hippologiques n'auront pas une démarche aussi précise que cet ouvrage qui pourtant servit bien souvent de modèle. Au XVe siècle, un traité comme celui de Guillaume de Villiers illustre bien le caractère «mixte» de l'hippiatrie du Moyen Age, au moins telle qu'elle apparaît dans les textes. Traité anonyme du XIVe siècle, inspiré de Jordanus et beaucoup du De animalibus d'Albert le Grand, la Cirurgie des chevaux offre un exemple intéressant, entre science et recette «populaire», de ce type d'écriture ; cet ouvrage, édité dans sa totalité ici pour la première fois, est sans doute un des premiers qui fut écrit directement en langue française et, à ce titre, il présente un intérêt manifeste pour l'étude du vocabulaire. 1
21 - Ed. trad. E. Martin-Chabot, t. 2, Paris, Belles-Lettres, 1957, pp. 188-9. 22 - Voir l'excellent article de G. Beaujouan, «La prise de conscience de l'aptitude à innover (le tournant du milieu du XIIIe siècle)», dans Le Moyen Age et la science. Approche de quelques disciplines et personnalités médiévales (dir. B. Ribémont), Paris, Klincksieck, 1991, pp. 5-15.
Finalement, comme le cheval est un élément central d'une société, son étude impose un cadre pluridisciplinaire. L'énoncé des différents cadres, des «espaces» dans lesquels notre étude entend se situer, le révèle. Se placer dans un contexte pluridisciplinaire impose des enjeux et des difficultés dont les auteurs sont conscients, sans qu'ils prétendent avoir su éviter les pièges inhérents à leur choix : en particulier, l'ouvrage apparaîtra composite à certains. Nous avons choisi de structurer notre travail en trois parties qui, grosso modo, ressortent respectivement de l'histoire, de la littérature, de l'histoire de la médecine vétérinaire. Il convient d'avertir le lecteur de l'importance de ce grosso modo. Il nous a en effet paru bien difficile de ne pas opérer des intersections, qui pourront peut-être paraître fâcheuses à certains. La partie «historique» comporte par exemple de nombreuses incursions dans des textes littéraires et lorsque le lecteur patient arrivera à la deuxième partie de l'ouvrage, il pourra penser que la question «littéraire» est déjà bien entamée. Cette dernière reviendra sur des textes d'archives, ce qui apparaîtra peut-être comme une redite, ou un manque de cohésion. Mais les documents d'archives éclairent souvent les textes littéraires et, tout en tenant compte le plus possible de l'«effet littéraire», les romans et chansons de geste sont aussi un témoignage, même décalé, de la place du cheval dans le monde socioéconomique. Souvent, il faut donc naviguer au loin d'un point central fixé au départ. La troisième partie, qui concerne la médecine vétérinaire du cheval eut pour prétexte (le pré-texte) l'édition de La Cirurgie des chevaux, un des rares textes hippiatriques écrits en français apportant le témoignage d'une connaissance livresque et savante du cheval. C'est donc surtout, autour de ce petit traité hippiatrique, une mise en contexte que nous nous sommes proposés de faire23. Demeure la question essentielle de la suture qui est finalement au centre de toute démarche interdisciplinaire. Nos trois parties, cela est clair, ne sont pas du tout conçues pour se répondre intégralement, ni d'un point de vue chronologique, ni dans la totalité des choix thématiques. La première partie couvre une période allant du VIlle au XVe siècle, la seconde du XIIe au XVe ; le chapitre consacré à 23 - Les deux premières parties, ainsi que les annexes 1 et II ont été écrites par B. Ribémont ; la troisième partie et l'annexe III par B. Prévot. Chaque auteur a établi la bibliographie concernant sa partie.
l'encyclopédisme, s'il en rappelle les principaux développements depuis l'Antiquité, traite essentiellement du XIIIe siècle. La troisième partie enfin fait un bref récapitulatif de l'histoire de l'art vétérinaire antique pour se centrer en dernier lieu sur les XIIIe et XIVe siècles. La première partie consacre une part importante au monde agricole, alors que la partie littéraire l'ignore quasiment, traitant presque exclusivement de l'univers des chevaliers, tel qu'il apparaît dans les chansons de geste et dans les romans arthuriens et courtois. On peut donc, a priori, se poser la question de la cohérence de notre choix. Si la deuxième partie débute au XIIe siècle, c'est tout d'abord qu'elle s'intéresse à la littérature en langue vulgaire qui, on le sait, prend véritablement naissance à cette époque. Cette littérature, comme l'a montré E. Kohler, reflète les aspirations de la classe montante des milites, et c'est pourquoi il serait bien vain d'y chercher des témoignages de l'utilisation des équidés dans le monde agricole. Or, l'usage de ces derniers se développe, certes de manière diversifiée, à partir de cette époque. Nous enregistrons donc ici un phénomène traditionnel, mais digne d'intérêt : le cheval, qui se répand en premier lieu, à haute époque, pour son emploi militaire, se banalise peu à peu et se trouve de plus en plus utilisé dans les travaux des champs et des transports de marchandises civiles. La littérature ne suit qu'avec grand retard pareille évolution et ne retient que les valeurs les plus prestigieuses de l'animal : alors même qu'il y a lieu de s'interroger sur la fonction de la chevalerie, elle en glorifie les valeurs (théoriques) essentielles, ignorant bien souvent que le bourgeois s'affirme et que le paysan est essentiel dans l'économie. La figure du cheval qu'elle donne est donc un compromis entre une réalité de l'animal contemporain et une idéalisation dont il est un signe marqueur. La mesure de l'écart entre le signe et le réel peut donc permettre une appréhension meilleure de l'idéologie véhiculée par les textes littéraires ; elle peut être également un bon témoignage de la façon dont les poètes ont pu percevoir le monde qui les entourait et le réutiliser dans leur art d'écrire. Dans ce contexte, il n'est sans doute pas totalement gratuit de s'intéresser à la fonction littéraire du cheval24. Les registres de compte révèlent, ce qui est bien naturel, que l'on soignait les chevaux et que l'on faisait appel à des maréchaux. Il paraît donc normal de tenter de connaître ce que fut la médecine vétérinaire 24 - C'est à cette question que sera consacré le chapitre 2 de la deuxième partie. Le quatrième chapitre de la première partie l'abordera également pour une part.
du cheval. On se heurte toujours dans ce domaine à l'écrit, qui seul témoigne : compromis entre expérience et compilation strictement livresque. Le départ est bien difficile à opérer, faute de documents, entre une pratique réelle et le compte rendu de recettes vétérinaires. La jonction est plus simple avec le texte littéraire, et nous avons tenté d'en donner quelques exemples. Le pivot naturel qui oriente les influences semble bien être l'encyclopédisme, foyer d'une culture médiane à caractère savant. L'écriture encyclopédique enregistre son plus fort développement au XIIIe siècle, période de «crue de l'aristotélisme» selon le mot de P. Duhem ; il semble donc justifié d'insister à ce propos sur cette période, qui voit aussi l'émergence d'une médecine vétérinaire plus «moderne» et plus rigoureuse, comme d'un développement plus systématique de l'élevage : la rencontre vient peut-être du hasard de l'histoire, mais mérite d'être notée.
Sans prétendre traiter de manière exhaustive une matière aussi riche, nous voudrions donc surtout proposer un premier parcours à travers quelques textes appartenant à des traditions différentes, qui permette de définir une approche et de cerner quelques problèmes. Nous avons limité ce travail, comme le titre de l'ouvrage l'indique, à la «France» du Moyen Age. Le concept géographique n'a bien entendu pas de sens, ramené à un parcours qui va du vile au XVe siècle. Nous entendons donc par France le territoire physique qui correspond à ce qu'est ce pays aujourd'hui ; il faut bien se donner des limites en effet, et, dans l'arbitraire, il n'y a pas de limites justement. R. Fossier, dans un compte-rendu du livre de R.H.C. Davis, The medieval warhorse, disait qu'il y avait encore place pour un gros ouvrage d'érudition sur le cheval médiéval. Cet ouvrage est toujours à faire et nous l'attendrons aussi avec impatience. Notre ambition dans le présent travail, on l'aura compris, n'est pas en effet de fournir beaucoup de nouveaux développements : notre ouvrage n'a en aucun cas la prétention de se poser en étude novatrice, mais simplement, au détour de quelques documents et de leur analyse, d'énoncer quelques hypothèses. Il s'agit surtout de proposer un panorama le plus synthétique possible. Nous nous appuierons pour cela tout particulièrement sur les travaux des historiens spécialistes, en premier lieu il va de soi sur ceux qui ont déjà bien étudié le cheval, tels A.M et R.H. Bautier,
Ph. Contamine, ainsi que sur ceux qui ont écrit sur l'économie rurale et domestique, M. Bloch, A. Chédeville, R. Dclort, G. Duby, R. Fossier, G. Fourquin entre autres. Lorsque faire se pourra, nous complèterons, pour quelques détails, leurs travaux par nos propres (et modestes) recherches. Nous aurons également un regard sur les textes littéraires, principalement les chansons de geste et les romans de chevalerie, que nous analyserons du point de vue de la fonction que le cheval et ses attributs peuvent avoir dans les récits ; ces textes seront également considérés, dans une certaine mesure, dans leur dimension «réaliste», c'est-à-dire selon les rapports qui unissent la réalité à l'écriture : lorsque le texte éclaire ou confirme une réalité, lorsque le réel s'inscrit dans le texte pour agir en son sein25. Ce travail devrait permettre au lecteur soit une première approche, soit une vue d'ensemble posant quelques problèmes que des recherches spécialisées et bien délimitées devront contribuer à éclairer.
D'un point de vue pratique, nous avons choisi de mettre des notes en bas de page, en espérant que la vue de cet apparat n'effraiera pas le lecteur. Les références aux éditions et aux études seront, pour la commodité du lecteur, régulièrement rappelées, mais non de manière systématique ; la bibliographie contiendra la liste de tous les textes médiévaux utilisés ainsi que les études essentielles. Les citations en latin et en ancien français figurant dans le texte ne sont pas systématiquement traduites : nous proposons une traduction seulement lorsque le sens nous paraît difficile à saisir. Nous avons également choisi de ne pas traduire les citations en langue vernaculaire qui ne comportent que du vocabulaire technique (la charrette et la charrue de Walter de Biblesworth par exemple), afin de ne pas trahir, par un vocabulaire trop modernisé, les mots précis de l'époque, qui d'ailleurs recouvrent des éléments technologiques fort simples.
25 - En gardant toujours à l'esprit la complexe relation unissant le texte à sa base réelle, les realia étant aussi, et peut-être surtout, un jeu de la lettre.
Nous tenons pour finir à remercier le personnel de l'IRHT d'Orléans, tout particulièrement Mesdames Lépinay et Préville, Monsieur Deguilly, directeur de la Bibliothèque Municipale d'Orléans26, Mesdames Grognet et Devinant, et, avec elles, le personnel de la Section Lettres de la Bibliothèque Universitaire, pour les facilités d'accès aux documents qu'ils nous ont accordées et pour le zèle qu'ils ont mis à nous aider dans nos recherches. Monsieur l'abbé F. Garnier a bien voulu mettre à notre disposition sa collection personnelle ; qu'il en soit vivement remercié. Madame F. Michaud-Fréjaville a eu la bonté de lire notre manuscrit et nous la remercions des subtiles et savantes suggestions qu'elle nous a faites. Enfin, que Madame G. Sodigné-Costes trouve ici l'expression de notre reconnaissance pour l'aide précieuse et constante qu'elle nous a apportée.
26 - Nous remercions également M. Deguilly pour sa lecture de notre manuscrit.
1ère Partie
Le cheval dans son contexte socio-économique
INTRODUCTION
Un simple parcours dans un texte du Moyen Age fait apparaître qu'existent plusieurs catégories de chevaux, destriers, palefrois, roncins, sommiers etc.1, dont l'appellation est liée bien souvent à la qualité du cavalier. Si la littérature utilise clairement ici une fonction identificatrice qui joue un rôle essentiel dans l'économie des personnages, elle n'en reflète pas moins une situation concrète. Bien évidemment le cheval n'est pas du même usage, de la même qualité, au combat et au labour. De manière tout aussi évidente, le seigneur ne monte pas le même animal qui sert au paysan à tirer charrette ou charrue, au marchand à conduire ses produits jusque vers les foires. La relation qualité, donc prix du cheval, par rapport à la qualité du cavalier s'impose donc. On peut considérer que le cheval possède en lui-même un double statut : animal domestique, il est utile, il est au côté des hommes, ces derniers s'occupent de son élevage ; animal prestigieux, «plus belle conquête de l'homme», il assume des fonctions particulièrement nobles, telles porter le chevalier au combat, à la chasse, à la parade, ou bien transporter les dames et demoiselles de haut rang. Cet animal, il faut, tant que faire se peut, le bien soigner et ce n'est pas un hasard si l'art vétérinaire s'invente et se développe autour du cheval, ce cheval qu'il faut ferrer, donnant ouvrage au forgeron, au maréchal ; ce n'est pas un hasard non plus si le cheval engendre au fil des siècles un souci plus minutieux de sélection de race, donc de pratique d'un élevage qui prétend à la qualité, à l'observation de plus en plus minutieuse de règles, de soins. Ce n'est pas un hasard enfin si le cheval, plus que tout autre animal, a son prix ; prix qui évolue en fonction de l'état de la société, prix qui dépend de la qualité, voire du prestige, du cheval, toujours lié à sa fonction : car c'est le propre de cet animal que d'avoir de multiples fonctions, de guerre, de tournoi, de chasse, de transport ou de trait, animal-pivot en quelque sorte autour duquel sont amenées
1 - Notons cependant que les documents d'archives ne font pas systématiquement la nuance. Comme on le verra, on trouve souvent equus, cavallus ou equitatura pour désigner le cheval en général, sans précision de sa fonction ou catégorie.
à graviter, quant à la valeur d'usage, la plupart des classes de la société. A chacune de ces fonctions, une approche différente : différence sur le marché, sur les prix donc, différences dans les documents, jusqu'au vocabulaire qui partage, série ; précision (relative) ou blanc, qui souvent signifie. L'étude du cheval d'un point de vue socio-économique doit donc être envisagée selon plusieurs axes et nous en proposerons quatre : - un axe économique au sens strict, englobant à la fois les questions de l'échange, du prix, du commerce ; - un axe fonctionnel, orienté vers le cheval au travail, le cheval au quotidien, au champ, sur le chemin ; - un axe posant les problèmes de l'élevage ; - un axe technique, prenant en compte l'évolution de l'équipement, du harnachement. Il est clair que cette sériation, comme toute tentative de ce genre, n'a de réalité que pédagogique ; les quatre axes de travail que nous venons de définir ne sont pas véritablement séparables les uns des autres. L'utilisation du cheval de trait dépend de l'évolution de la société et d'une «politique agricole», comme de la situation de l'échange portant sur les marchés de chevaux. L'élevage est aussi conditionné par ces facteurs, comme par l'évolution de l'armement et de l'art militaire ; les éleveurs médiévaux ont eu à faire face aux progrès de l'armure qui s'alourdit avec la multiplication des plaques de protection. Il faut produire des chevaux plus grands, permettant une totale domination, lors de l'assaut, des éléments d'infanterie, plus robustes, pouvant porter sans encombre et à grande vitesse un chevalier caparaçonné. Quant à la dialectique unissant harnachement, progrès technologiques, donc socio-économiques, et art de la guerre, elle est une évidence. Choisir une étude en quatre parties a donc quelque chose d'arbitraire, mais la division apparaît toutefois nécessaire et, de toute façon, les intersections, «naturellement», se feront jour. Ce type d'étude est rendu difficile par l'état lacunaire et morcelé de la documentation et, conséquence de cet état, par la relative rareté des études historiques sur ces questions. Le cheval médiéval a sans doute souffert de son trop grand prestige. On peut en effet se demander si cet animal, marqué par son rôle d'identification de la puissance, n'occupe pas une place dans les documents d'archives plus modeste
que celle que l'on pourrait attendre, justement parce qu'il est omniprésent dans une littérature romanesque et même historique mettant l'accent sur le cheval de combat, auréolé du prestige des héros qui le montent. Le cheval en effet est avant tout le support et l'identificateur du miles : souvent Froissart par exemple distingue les «hommes d'arme», c'est-à-dire les chevaliers, des «autres hommes»2. Le cheval serait en quelque sorte tiré hors de l'histoire par le caractère quasi mythique qu'il revêt parfois. Si en général les documents, donc les études, sur la triade boeuf/mouton/porc sont assez abondants, ils sont beaucoup moins fournis en ce qui concerne le cheval, tout particulièrement avant le XIVe siècle. En tout état de cause, c'est surtout à partir de cette époque qu'il est possible de mieux évaluer la place du cheval d'un point de vue socio-économique. Cela peut correspondre, on le verra, à deux éléments directeurs : d'une part, dans le monde agricole, au passage du boeuf au cheval qui tendrait à se répandre à partir du XIIIe siècle dans le monde paysan3 ; d'autre part, et c'est là sans doute l'élément le plus déterminant, car lié à la fonction guerrière, à l'émergence d'une «politique du cheval» de la part des princes et du roi.
2 - Il explicite ce rapport très clairement, par exemple lors du récit de Guillaume Helmen de son siège contre les Français : «ilz estoient bien larguement Xypn. hommes d'armes, chevaliers et escuiers, et bien XL. mille d'aultres gens» (Chroniques, éd. A. Mirot, t. 14, Paris, 1966, p. 38). 3 - On verra plus loin que l'appréciation de ce problème est très délicate ; qu'il est en tout cas difficile d'avoir un jugement global.
CHAPITRE 1 Le cheval dans l'échange
Le cheval est un bien précieux, tant pour le chevalier que pour le paysan ; Gerbert de Metz ne refuse-t-il pas d'échanger son cheval contre le paradis? Bien souvent, un cheval représente la quasi totalité du capital d'un chevalier moyen, et ce durant tout le Moyen Age. En 761, un petit propriétaire cède tous ses champs et son serf en échange d'un cheval et d'une épée. Vers 1095-1100, un cordonnier du château de Gien, dénommé Baronet, vend aux moines de Saint-Gondon une propriété viticole contre un cheval, de la laine et 20 sous (s.) En 1150, Pierre Malet vend pour un cheval toutes ses possessions de Neuilly2. Dans le monde agricole du nord de la France, le cheval départage socialement : il fait la différence entre le manouvrier et le fermier-laboureur. Comme dans le monde des seigneurs où il souligne les hiérarchies : du pauvre chevalier possédant son unique monture au prince qui les distribue généreusement. Dans un contexte économique, il apparaît que le cheval est un animal particulièrement polyfonctionnel. Pour le chevalier, il est un capital, à la fois passif et actif. Le cheval en effet impose un passif, constitué par les coûts de maintenance : entretien de l'animal luimême, auquel il faut ajouter les dépenses de l'équipement (le «harnois», les «armes»). Il possède un actif, à deux niveaux : dans un niveau de représentation (superstructurel), il contribue à exhiber la valeur d'un chevalier et lui permet ainsi de mieux récolter d'avantages auprès des grands (obtention de fiefs, de charges etc.) ; à un niveau infrastructurel, le cheval de prix permet à son propriétaire, s'il est valeureux, de gagner des tournois et ainsi d'obtenir plus de biens. On peut rapprocher cette valeur-acquisition de ce qui se passe dans le monde moderne avec les courses de chevaux : il n'est peut-être pas complètement vain d'imaginer que, de tournoi en tournoi, le cheval d'un combattant se comportant bien, vainqueur de certains prix, puisse avoir 1 - Cartulaire de Saint-Gondon, éd. P. Marchegay, Les Roches Barctaud, 1879, pp. 38-9. 2 - G. Duby, Recueil des pancartes de l'abbaye de la Ferlé sur Crosne (1113-1178), Aix-enProvence, 1953, p. 137.
une certaine «cote». Notons d'ailleurs que les courses de chevaux se pratiquaient au Moyen Age en France. On en trouve une description dans la Vita Winwalei : des courses se pratiquaient au XIe siècle en Bretagne, avec même des jockeys, puisque le texte mentionne des jeunes gens levissimi spécialement entraînés à cet effet, ad cursum bene edocti3 ; toujours au XIe siècle, se déroulaient des courses hippiques à Morlaas, le jour de la Toussaint et le vicomte de Béarn dispensait pour l'occasion les moines de leur redevance en chevaux4. La Chronique de Geoffroy de Vigeois offre également un témoignage similaire concernant des courses organisées à Martel à la fin du XIIe siècle5. Pour le paysan, en tant qu'animal de trait, le cheval est bien entendu également capital actif et passif. En outre, le cheval est parmi les animaux celui qui paraît représenter la meilleure valeur d'échange, dans une économie qui fait large place au troc ; plus que tout autre en effet, il autorise d'importants échanges, il sert de valeur et de contre-valeur. La Vita de l'abbé Gauzlin (XIe s.), de Fleury-sur-Loire, rapporte par exemple que ce dernier réussit à rétablir une situation difficile grâce à un cheval : il parvint en effet à récupérer les terres d'Aquitaine dont son monastère avait été spolié grâce à un échange de ces terres contre 100 sous et un cheval6. Cet exemple est représentatif d'une situation qui se retrouve très souvent dans les actes et les chartes, ou même dans les chroniques ; l'association d'une somme d'argent et d'un cheval est ici significative du rôle particulier que l'animal peut avoir dans l'échange pour des tractations portant sur un volume important. Si en effet les chartes mentionnent fréquemment des échanges basés sur un troc, les éléments de transfert étant le plus souvent des quantités de céréales ou de vin, le cheval y apparaît avec un statut privilégié qui met en relief la qualité de l'échange. Cette qualité est parfois soulignée par ce que nous nommerions de nos jours une «prime de risque». On sait en effet que les transports au Moyen Age étaient à la fois longs, pénibles, 3 - (bien entraînés pour la course) ; Voir R.B. et A.M. Bautier, «Contribution à l'histoire du cheval au Moyen Age», Bulletin philologique et historique du comité des travaux historiques et scientifiques, Paris, Bibliothèque Nationale, 1978 (extrait de 1976), p. 33. 4 - Cartulaire de Sainte-Foi de Morlaas, éd. L. Cadier, Pau, 1884, 2 (de cursu equorwn qui fit apud Morlas in festivitate Omnium Sanctorum). 5 - Chronicon Gaufredi Vosiensis, éd. Ph. Labbé, 11, 14, Paris, 1657, p. 336. Voir R. Fage, La propriété rurale en Limousin au Moyen Age, p. 200 ; R.II. et A.M. Bautier, art. cit., p. 34. 6 - Vita Gauzlini abbatis floriacensis monasterii, ėd, trad., R.H. Bauticr, G. Labory, Pans, 1969, p. 46.
coûteux et risqués. Cela tenait à plusieurs facteurs : le mauvais état des routes et des ouvrages d'art, le système des péages, l'insécurité de certains secteurs et la rusticité du matériel de roulage. Un messager à cheval parcourt au maximum une cinquantaine de kilomètres dans la journée ; un lourd charroi sera bien plus lent : en 1295, des agents de Philippe le Bel mettent 49 jours pour effectuer un aller-retour entre Toulouse et Paris7. En Forez, un charroi fait 220 kilomètres en neuf jours à la fin du XIVe siècle8. L'entretien des infrastructures laisse à désirer : en décembre 1384, Jean de Castelnau perd un cheval sur un pont à cause de son mauvais état ; l'homme fait réclamation auprès des consuls de Lavalette et obtient réparation pour la somme de 12 francs or9. Toute cette incertitude conduit en général à l'établissement d'un contrat de transport, nommé affretum, qui engage le charretier. Bien souvent, les charretiers paient en transport les voitures et les animaux dont ils ont besoin. A l'inverse, le cheval peut servir à acquitter un contrat : au début du XIVe siècle par exemple, Odon Bagnasque, voiturier, promet à Aubert Bagnarot de transporter avant la Noël, de Marseille à Troyes, six ballots en échange d'un roussin10. Revenons au cheval des classes nobles. Un chevalier bien équipé se devait de posséder plusieurs chevaux, pour des raisons pratiques certes, mais surtout de prestige. Lorsque Lancelot, dans La mort le roi Artu, se rend au tournoi de Winchester, l'écuyer prépare l'équipement de son maître et choisit le meilleur parmi les chevaux de celui-cill. Coût élevé, que d'avoir tel «hamois», à tel point que cet équipement représentait bien souvent la totalité du patrimoine du chevalier. Selon le témoignage de son biographe, Guillaume le Conquérant par exemple tenait à montrer bel équipage et pour cela ne possédait guère davantage que celui-ci : Tout ce qu'il possédait, il le portait sur son dos. Ce n'était pas rien en vérité, car il était fort soucieux de paraître en élégance et d'éclipser tous les concurrents, exhibant les annes les plus brillantes et du tout dernier cri. Pour prendre soin de tout ce fourniment et pour se montrer, comme les barons, en belle escorte, il s'attacha un écuyer ; à la foire de Lagny, il paya trente livres un second destrier, lequel, rappelait-il, ajoutant à la 7 - Ph. Wolff, Commerces et marchands de Toulouse (vers 1350-vers 1450), Paris, 1954, p. 451. 8 - E. Foumial, Les villes el l'économie d'échange en Forez aux XIIIe et XIVe siècles, Paris, 1967, p. 671. 9 - Cité par Ph. Wolff, Commerces et marchands..., op. cil., p. 450. 10 - Ch. Alengry, Les foires de Champagne (Elude d'histoire économique), Paris, 1915, p. 167. II - Ed. J. Frappier, Paris/Genève, Droz, 1964, p. 6.
gloire de pouvoir tant dépenser celle de mieux s'y connaître en matière de chevaux que le vendeur, en valait bien cinquante.12 U n e telle attitude p e r d u r e p e n d a n t tout le M o y e n A g e ; c h e z les T e m p l i e r s p a r e x e m p l e , les C o m m a n d e u r s des m a i s o n s entretenaient trois ou q u a t r e c h e v a u x , le s é n é c h a l d i s p o s a i t d e q u a t r e c h e v a u x et u n palefroi, d e u x écuyers, u n frère chevalier, un sergent avec d e u x m o n tures, u n t u r c o p o l e p o u r v u d ' u n c h e v a l ; le M a r é c h a l d u T e m p l e est d o t é d e q u a t r e c h e v a u x e t d e d e u x é c u y e r s e t il e s t c h a r g é d e l ' a c h a t d e s é q u i d é s , u n c h e v a l i e r p o s s è d e trois c h e v a u x et u n écuyer13. P e n d a n t la g u e r r e d e C e n t A n s , o n note m ê m e q u ' u n é c u y e r bien é q u i p é p o s s é d a i t d e u x m o n t u r e s , c o m m e le précise Ph. Contamine14 : Il fallait encore avoir des chevaux. Même l'écuyer ordinaire en possédait au moins deux; le plus précieux, ordinairement ménagé pour le combat, était le «coursier», dont le nom indique que sa qualité primordiale était la rapiditél5. Pour les déplacements habituels et le transport des bagages, on se servait de bêtes de somme, ou sommiers, confiées à la garde des valets d'armes. Toujours à cette époque, l'équipement du chevalier représente un lourd investissement, car c o m p o s é de plusieurs montures : Si les simples gentilshommes n'avaient guère, à l'époque, que deux chevaux et un seul serviteur, les chevaliers disposaient fréquemment de quatre ou cinq montures et d'autant de domestiquesl6. P h i l i p p e d e M é z i è r e s , d a n s sa S u s t a n c e de la c h e v a l e r i e d e la P a s s i o n de J h e s u Crist en françois, préconise un équipement important p o u r le c o m b a t t a n t d e D i e u : Et ainsi en la guerre et expedicions, le chevalier aura v. chevaus et iiii personnes. Et quant il sera en repos, il aura ii chevaus ou iii, selon ce que la faculté de la chevalerie se estendra. Et le frere de la sainte chevalerie aura es expedetions, c'est en la guerre, trois chevaus ou iiii, selonc qu'il
12 - G. Duby, Guillaume le Maréchal ou le meilleur chevalier du monde, coll. folio, p. 138. 13 - A. Pigeon, «Les écuries du Temple», Plaisirs équestres, 125, sept-oct. 1982, pp. 391-2. Le fait de s'attacher un écuyer est bien entendu un coût supplémentaire. Or, la présence de l'écuyer semble aller de soi, comme il apparaît par exemple chez Mathieu Paris qui note que tout chevalier est accompagné d'un armiger (Chronica Majora, éd. H.R. Luard, V, p. 398.) 14 - La vie quotidienne pendant la guerre de cent ans, France et Angleterre, op. cit., p. 243. 15 - Le cas du coursier dans la littérature sera traité plus loin. 16 - Ph. Contamine, La vie quotidienne pendant la guerre de cent ans, France et Angleterre, op. cit., p. 243.
sera vertueus, et iii personnes, dont l'une ou les deux seront combtans. Et en repos aura un cheval ou ii, selonc la possibilité de la chevalerie.17 Nos romans de chevalerie ne manquent pas de transmettre ce souci du chevalier de paraître en bel équipage. Citons pour seul exemple le témoignage du Jehan de Saintré d'Antoine de la Sale, roman tardif dans lequel se révèle un réel souci de réalisme. Quand il s'agit d'établir le jeune damoisel prometteur, la dame «pensoit que vraiement il convenoit qu'il eust ces trois chevaulz qui lui estoient ordonnés» (p. 68), montures pour lesquelles Jehan devait écrire «a son pere et a sa mere qui lui aideront de chevaulz et a le mectre en point» (p. 66)18. Les chroniques vont offrir la même appréciation du cheval : animal prestigieux et coûteux. Mais ce jugement doit être extirpé des expressions du texte. En effet, les chroniqueurs ne donnent en général pas d'évaluation chiffrée. Même Froissart, qui souvent aime bien rendre compte de la qualité d'un don par la somme qu'il représente, n'indique pas de valeur marchande du cheval. Par contre, de temps à autres, l'animal est présent pour mettre en valeur le caractère important d'une situation ou exprimer la richesse d'un don ou d'un butin. Au sacre de Louis le Pieux, rapporte Ermold le Noir, le pape distribue des chevaux, dont la qualité guerrière est soulignée par le port de tête et la fougue (ils portent fièrement la tête)19. L'Histoire anonyme de la première croisade cite un don de quinze mille besants et de XV equos magni precii que le roi de Tripoli fit aux croisés, ainsi que de nombreux chevaux, ce en quoi le chroniqueur souligne la qualité du don20. Dans la Conquête de Constantinople, Villehardoin marque très souvent la richesse d'un butin en donnant le nombre de montures ; par exemple, après le sac de Constantinople, le chroniqueur note : «Bien poez savoir que granz fu li avoirs : que, sanz celui qui fu emblez, et sanz la partie des Venitiens, en vint bien avant .CCCC..M. mars d'argent et bien .X.M. chevaucheüres, que unes que autres.»21. Pour montrer la solennité de l'entrevue entre le roi d'Angleterre et 17 - A. Hamdy, Transcription of the Ashmole Ms 813 La sustance de la chevalerie..., Part III of Philippe de Mizieres and the new order of the Passion, Rep. from the Bull, of the Fac. of Arts, Alexandria Univ., 19, 1964, p. 87. Voir J. B. Williamson, «The image of the horse in the work of Philippe de Mézières», Reinardus, 5, 1992, pp. 217-29. 18 - Ed. J. Misrahi, Genève, Droz, 1978. 19 - Donat equos varios praestantia colla ferentes,lQuorum vix poterant scandere dorsa sui (ed. E. Faral, Paris, Belles-Lettres, 1932 [1964], vv. 1126-7).
20 - Ed. L. Bréhier, p. 190. 21 - Ed. E. Faral, Paris, Belles-Lettres (CHFMA), 11. p. 60.
certains des bourgeois mécontents de sa politique fiscale, Froissart note que ceux-ci étaient à cheval : «vindrent les Londriens a bien .LX. chevaulx et ceux de Iorth bien a autant»22. Il est ici indéniable que les différentes traditions écrites, textes littéraires, historiques et d'archives, convergent ; prestigieux, coûteux, les chevaux nobles, destriers, palefrois ; pour le «bachelier», le jeune chevalier en quête d'aventures et gloire, l'équipement militaire, dont le cheval est l'élément essentiel, est un capital difficile à constituer. Acquérir un cheval, c'est l'obtenir par prouesse, par don, ou c'est l'acheter. C'est alors se placer sur un marché, dans l'échange. Les témoignages de ce marché vont confirmer la place du cheval, dont le prix, malgré le développement progressif de l'élevage et des importations, demeurera élevé dans tout le Moyen Age. Question de prix Pas de frontière, ni linguistique, ni régionale, n'impose de variation sur les prix des chevaux. Région après région, siècle après siècle, les moyennes obtenues confirment les mêmes tendances : - il y a d'une part différentes catégories de chevaux, attestées par des écarts de prix, parfois très importants : à Rouen, en 1347, un cheval est remboursé, au titre de «restor» 25 s. et un autre 25 livres tournois (l.t. ) 23 ; un certain Simosse, marchand dans le Sud-Est, vend en 1427 un cheval 20 florins et un autre 16024 ; comme on le verra, les montres de hérauts d'armes confirment cette disparité. - et d'autre part le cheval est cher, tout particulièrement celui qui doit correspondre (les documents ne sont pas toujours explicites) à la monture de combat : faut-il en conclure, selon l'adage, qu'il est rare? Disons plutôt qu'il est difficile de concevoir, au moins avant le XIVe siècle, un flux vraiment régulier de type élevage/importation /demande (foires, marchés) qui pennettrait un meilleur approvisionnement et des prix plus abordables. Et puis, ne l'oublions pas, on fait souvent la guerre en ces temps-là ; une guerre où le cheval, on l'a vu, est une nécessité fondamentale, même pendant la guerre de 22 - Chroniques, éd. A. Mirot, S.H.F., t. 14, Paris, 1966, p. 28. 23 - Documents relatifs aux comptes des galées de Rouen, cd. A. Merlin-Chazèles, Paris, 1978, n° 986-7. 24 - Ph. Malausséna, La vie en Provence orientale aux XIVe et XVe siècles, Paris, 1969, p. 135.
Cent Ans. Il est probable qu'en ce contexte, la demande soit largement supérieure à l'offre. En effet, il faut des chevaux pour la cavalerie, des roussins pour le transport du matériel et des victuailles. Le cheval de combat est souvent à renouveler, car il est blessé, tué. Tombant dans des fosses visant à arrêter la charge d'une cavalerie, ainsi qu'il se fit, selon le témoignage de Grégoire de Tours, à une bataille opposant Francs et Thuringiens25 ; atteint par les flèches des archers ; tué par les piques des fantassins, comme le remarque Jean de Wavrin dans ses chroniques26, ou comme le rapporte le chroniqueur des faits de Jehan le Maingre, dit Bouciquaut, lorsqu'il décrit une bataille opposant Turcs et Chrétiens : derriere ces gens a cheval, entr'elx et ceulx de pie. firent planter grant foison de pieux agus que ilz avoient fait aprester pour ce faire, et estoient ces pieulx plantez en biesant, les pointes tournees devers noz gens, si hault que ilz pouoient aler jusques au[x] ventres des chevaulx27. Les comptes, après le XIIIe siècle, font apparaître de très nombreux «restors» de chevaux ; citons comme exemple, parmi tant d'autres, celui, significatif par son ampleur, de ce Floton de Revel qui reçoit en juin 1347 2300 l.t. pour les restors de 92 chevaux28. Pour évaluer le coût d'un cheval, on peut faire appel à divers types de documents : comptes, actes notariés, chartes d'abbaye etc. Le cheval est partout présent dans la société médiévale ; les documents sont certes dispersés, mais finalement assez nombreux et, de la ville à la campagne, de la foire annuelle au marché local, de telle région à telle autre, se dessine la silhouette d'un animal qu'il est toujours, financièrement, difficile d'acquérir, surtout si on le veut de qualité. Du côté de la ville, tournons-nous vers les grandes foires de Champagne. A l'occasion de la seconde Croisade, les comptes des achats, faits à Provins en 1269 par Saint Louis, donnent 28 l.t. 10s. 25 - «Dans le champ où le combat devait se livrer, ils creusent des fossés dont les trous recouverts d'épaisses touffes de gazon simulent une plaine unie. Quand ils commencèrent donc à combattre dans ces fossés, beaucoup de cavaliers francs tombèrent et ce fut pour eux une grande gêne», Histoire des Francs, trad. R. Latouche, Paris, Bettes-lettres, t. 1, 1963, pp. 148-9. 26 - Jean de Wavrin, Recueil des croniques, tendres, 1864-91, 6, p. 626 («ces picques sont bastons moult convenables pour mettre une picque entre deux archiers contre le fouldroieux effort des chevaulz quy vouldroient [entrer] dedens eulz»). 27 - Le livre des fais du bon messire Jehan le Maingre dit Bouciquaut, mareschal de France et gouverneur de Jennes, éd. D. Lalande, Paris/Genève, Droz, 1985, p. 105. 28 - Documents relatifs aux comptes des galées de Rouen, ed. cit., n° 988-9.
pour un «destrier mourel bacent» ; 27 l.t. pour un «destrier brun mautaint» A la foire de Bar-sur-Aube, pour la même année, on a «por .iii. chevaus, un bais, un liart, un noir bacent», 210 1.t. ; «por un cheval noir bacent», 26 l.t. ; un cheval noir d'Espagne est vendu 26 l.t., un autre de la même origine, 45 l.t., un lorrain 60 l.t., et un cheval «sor de Puille merqué», 54 l.t.29. Passons à présent au sud de la France, plus précisément le SudOuest, que les travaux de M. Houbbaida ont contribué à faire mieux connaître dans sa pratique de l'élevage30. Les chiffres, dans les cartulaires entre le XIe et le XIIIe siècle, révèlent encore une fois le coût élevé de ces animaux, avec une différenciation suivant la qualité. Le cheval ordinaire coûte entre 30 et 60 sous morlaas. Les cartulaires des abbayes de Saint-Vincent de Lucq, de Berdoues et de Gimont donnent une estimation inférieure pour les eque , les juments, entre 20 et 30 s.m., alors que les poulains valent aux alentours de 50 s.m. Mais le bonus equus ou l'equus optimus est estimé 100 s.m. voire 200. Un acte du cartulaire de Sorde du début du XIIe siècle mentionne un cheval d'une valeur de 500 s.m., pour l'acquisition duquel le vicomte de Dax dut vendre un village entier31. Toujours pour le sud de la France, notons que les rôles gascons, dans le premier quart du XIVe siècle, donnent une moyenne de 25 marcs sterling par cheval ou, lorsque le prix est exprimé en livres, 101.32. Philippe Contamine33 a pu estimer les coûts que pouvaient représenter, pour l'individu en service d'«ost», comme pour le prince levant des troupes, une entrée en campagne. Citons quelques chiffres. En 1242, l'estimation des chevaux de cavaliers payés par Alphonse de Poitiers indique des prix allant de 5 à 60 l.t., soit une moyenne de 30 l.t. par cheval, à une époque où la solde d'un chevalier était de l'ordre de 2 s. Les comptes de dépenses de la première croisade de Saint Louis font apparaître un restor de 264 chevaux pour une somme de 6789 l.t. et pour la «voye d'Aragon», les restors payés en 1285 par Philippe III furent de 34691 l.t. pour une quantité de l'ordre de 1100 chevaux34. Le restor ou restauratio equorum qui se pratique en France 29 - F. Bourquelot, «Etude sur les foires de Champagne», Mémoires présentés par divers savants à l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, 2° série, V, 1865, p. 303. 30 - L'élevage dans le sud-ouest de la France du douzième au quinzième siècle, Thèse de 3e cycle de l'Université de Bordeaux ni, 1987. Le chapitre sur le cheval est à lire pp. 213-30. 31 - Cartulaire de Sorde, 59, pp. 48-9, cité par M. Houbbaida, op. cit. 32 - Edition de Y Renouard, sondage fait dans le t. IV (1307-17), Paris, 1962. 33 - La guerre au Moyen Age, 3° éd. mise à jour, Paris, PUF, 1992. 34 - Philippe Contamine, op. cit., pp. 200-202.
et en Angleterre aux XIIIe et XIVe siècles est un témoignage de l'importance accordée au cheval. Les chevaux en effet sont soigneusement inspectés par des maréchaux, évalués, afin d'en offrir le juste prix lors d'un éventuel remboursement35. Les comptes royaux confirment les tendances énoncées : cherté des chevaux de qualité, écart dans les prix suivant la nature du cheval ; le compte général de 1202-1203 donne une moyenne de 15 livres pour un equus, 55 sous pour un roncin et 60 sous pour un sommier. A titre de référence, notons ce que la prévôté de Sens offre à Aubert de Sens, capitaine, commandant la place de Sens : - pour quatre mois, au premier terme, 39 1. 2 s. - pour 123 jours, au second terme, 301. 15 s. - pour 122 jours, au troisième terme, 88 1. 9 s. Des arbalétriers, in [oco ] umae (= Joigny ?) touchent environ 18 1. par terme36. Si l'on analyse les sommes dépensées pour l'achat de chevaux de guerre par la maison royale entre 1285 et 1328, on arrive à une moyenne d'environ 26 livres37 par animal. Le 23 septembre 1239, une lettre du pape indique que pour l'équipement des chevaliers participant à la campagne de Sicile, il faut compter 1 destrier, 2 roncins, soit, avec les armes, 20 1. pour un entretien de 2 mois38 ; ou bien encore un destrier, un palefroi, un roncin, un roncinet par exemple, soit un capital de l'ordre de 470 I.t aux environs de 1300, en Flandre. Chiffre significatif également, la différence de salaire entre un homme à cheval et un homme à pied : vers 1300, un chevalier perçoit comme solde journalière de 10 à 15 fois plus qu'un homme à pied39. En 1302, pour l'ost de Flandre, Robert II d'Artois fit acheter un ensemble de chevaux au prix moyen de 115 l.p. pour un destrier, 50 pour un palefroi, 34 l.p. pour un roncin40, ce qui représente des 35 - Ph. Contamine, op. cit., p. 248, cite une formule traditionnelle rendant compte d'une telle pratique : «Et serront ses chivalx de guerre covenablement preisez, et solonc le dit pris restor ly serra fait si nulles de eux soient perduz en le service de nostre dit seignur» 36 - F. Lot, R. Fawtier, Le premier budget de la monarchie française, Paris, Bibl. de l'E.IlE., n° 259, 1932 (139-208). 37 - Nous avons fait ce calcul à partir des comptes édités dans les Recueils des historiens de la France par R. Fawtier (1285-1305), Paris, 1953-54 et par F. Maillard (1314-28), Paris, 1961. On remarque que les chiffres sont du même ordre pour les palefrois, alors qu'ils sont inférieurs pour les autres chevaux et très variables : de 40s. à 161. pour un roncin ou un sommier. 38 - M.G.H., epistolae saec. XIII, 734, 10. 39 - Voir les chiffres précis donné par Ph. Contamine, op. cit., p. 198. 40 - Ibid., p. 200.
sommes fort importantes. En 1386, Charles VI doit débloquer la somme de 11030 francs pour acheter chevaux et chariots pour son armée de mer41. Les actes de rôles gascons, pour le milieu du XIIIe siècle, fournissent également des renseignements sur la valeur des chevaux de prestige dans les régions du Sud-Ouest : pour ce que l'acte désigne parfois sous le terme equus melior, on atteint des sommes de 40 marcs sterling ou 70 livres bordelaises42. Il s'agit en général de chevaux dits d'Espagne, surtout de Castille et de Navarre, très recherchés pour le combat à cette époque43. En outre, il paraît, ce qui est parfaitement logique, que le cheval est en général valorisé par la fonction guerrière. En effet, les chiffres examinés pour la même époque semblent montrer qu'un cheval se paie plus cher lorsqu'il est question d'opération militaire, et ce, quelle que soit la nature du cheval, de combat ou non. Le rôle des baillages de France par exemple donne en 1298 155 1. 14 s. pour 9 chevaux et 6 1. 17 s. pour un roncin, chiffres très inférieurs à ce que donne une évaluation de la même époque pour un service d'ost. Mais ceci n'est qu'hypothèse qui, pour être confirmée, appelle un dépouillement plus large. Notons toutefois que certains auteurs paraissent avoir conscience d'une sorte de loi de l'offre et de la demande. En 1445, Olivier de La Marche note que jamais les chevaux ne s'étaient vendus aussi cher44. Les comptes donnent donc une vision très nette de l'investissement que représente, du seul point de vue de la cavalerie, une campagne militaire. Le destrier est un animal coûteux, qu'il s'agisse d'achats nécessaires, conséquence d'une politique guerrière ou d'une acquisition à caractère plus personnel, répondant au désir des puissants de posséder belle monture. Cette conscience d'une propriété de valeur, on la retrouve dans la pratique de certains dons et surtout des legs testamentaires. 41 - A. Merlin-Chazelos, Documents relatifs au clos des galées de Rouen, Paris, 1978, n° 1400. 42 - M. Houbbaida, op. cit., p. 215. 43 - Voir Y. Renouard, «Un sujet de recherches : l'exploitation des chevaux de la péninsule ibérique en France et en Angleterre au Moyen Age», Etudes d'histoire médiévale, H, 1968, pp. 1113-20 ; également dans Homenaje a Jaime Vicens Vives, Barcelone, 1965, t. 1. 44 - «Et fut en ce temps que chevaulx de parage se vendirent si chier en France, et on ne parloit de vendre un cheval de nom que de cinq cens et de mille ou douze cens reaulx, et la cause de celle chierté fut telle que l'on parloit de faire ordonnance sur les gens d'armes de France Mémoires, éd. H. Beaune et J. d'Arbaumont, Paris, 1884, n, p. 60, cité également par Ph. Contamine, op. cit., p. 249.
Si les cartulaires sont plutôt avares de renseignements détaillés sur le monde chevalin, on note un certain nombre de legs qui confirment que le cheval est un bien précieux ; nous reviendrons sur les exemples de dons et de contre-dons lorsqu'il s'agira de situer des zones d'élevage du cheval en France. Donnons toutefois ici quelques exemples. En août 1177, Guilhem Affuel offre son cheval à son évêque45. En mai 1262, Henri de Chevreuse lègue son «grant cheval» aux Hospitaliers de Saint-Jean de Jérusalcm46. A la fin du XIIIe siècle, 'Renaud de Dargies lègue également ses chevaux et solde ses comptes en demandant que soient payées ses dettes pour des chevaux : 40 l.t. pour son «cheval Ferrand» et 8 l.t. pour un palefroi47. Au XIVe siècle, Raoul de Létranges laisse, lors de son départ pour l'outremer, son cheval, estimé en 1391 à 200F, à son parent Guillaume48. Le cheval de combat, nous le retrouvons, avec plus de précision quant à son aspect cette fois, dans les actes rendant compte des montres de compagnie, telles qu'elles se pratiquaient fréquemment à la fin du Moyen Age. On y verra l'attachement porté à la race du cheval, ainsi qu'à la couleur de sa robe49. Lors d'un mandement de Pierre de la Palu, sénéchal de Toulouse, en 1339, la montre des hommes d'armes, reçue par le sergent Bernard de Betbézer50, révèle un prix moyen de 86 l.t. En 1352, le 5 avril, a lieu la montre de la compagnie de Jean de Tintre, à Uzerche. Trente-quatre chevaux sont évalués, pour une moyenne de 40 livres par cheval avec des extrêmes de 25 et de 12051. Le 24 mai 1356, une montre de «messire Guillaume de Coudray, chevalier», à Caen donne une moyenne de prix d'environ 33 livres avec des extrêmes de 25 et 55 livres52. Une montre du seigneur Bernard de 45 - Cartulaire du chapitre d'Agde, éd. 0. Terrin, Nîmes, 1969, p. 84. 46 - Cartulaire de l'abbaye de Porrois, éd. A. de Dion, Paris, 1903, t. 1, p. 273. 47 - Sources d'histoire médiévale, G. Brunel, E. talou, Paris, Larousse, 1992, pp. 362-63. 48 - M. Montfort, «Des chevaux au Moyen Age en Normandie», Plaisirs équestres, 144, 1980, p. 466. 49 - Voir à ce sujet l'article de Ph. Contamine, «"C(rine), Q(ueue), J(ambcs)". Considérations et interrogations sur les robes des chevaux d'armes en France au XIVe siècle», colloque L'homme, l'animal domestique et l'environnement du Moyen Age au XVIIIe siècle (Nantes, 22-24 oct. 1992), à paraître. 50 - Voir le texte dans J. Glénisson, J. Day, Textes et documents d'histoire du Moyen Age (XIVeXVe siècles), Paris, SEDES, 1970, pp. 112-16. 51 - Ms. BN Clair. 32, n°94. Nous remercions Ph. Contamine qui a eu l'extrême gentillesse de nous procurer ce document. 52 - Ce document, de la bibliothèque de Versailles nous a été communiqué par F. MichaudFréjaville, que nous tenons à remercier. Ph. Contamine, op. cit., pp. 248-249, cite l'exemple d'une
Durfort, fait état, dans la deuxième moitié du XIVe siècle, de chevaux valant entre 25 et 120 florins. Le 28 novembre 1352, une montre de Raimond Bernard de Fenouillet fait état de chevaux évalués entre 40 et 500 livres53. Ce type de document met en lumière plusieurs éléments. Le coût élevé des chevaux d'une part et le soin que l'on prend de les évaluer. D'autre part, on remarque la disparité des prix, avec des écarts-type assez élevés, ce qui prouve que, dans le domaine du destrier, il y a des chevaux beaucoup plus prestigieux que les autres. Les critères utilisés sont difficiles à cerner ; on ne voit pas de préférence par exemple quant à la couleur de la robe. On a le même sentiment lorsque l'on examine des comptes, dans les cas où quelques éléments descriptifs, assez sommaires en général il est vrai, sont fournis. Par exemple, les comptes de la cour de Bourgogne dans le premier quart du XVe siècle révèlent de fortes proportions de chevaux bais, gris, «morel» et noirs à longue queue54, avec une majorité de bais, sans qu'une tendance sur les prix puisse être dégagée en fonction de ce critère. Les balsanes ne semblent pas non plus influencer l'évaluation ; dans la montre de Jehan de Tintre citée précédemment, on trouve un cheval à trois balsanes pour 35 l.t., un à deux balsanes arrières pour 120 l.t. et un de la même catégorie pour 25 l.t. On a, également dans les comptes de l'Etat bourguignon, les mentions opposées de longue et courte queue ; ici encore, on ne peut noter d'influence sur le prix. Or les textes ne mentionnent que des caractères de robe du cheval, ce qui paraît, avec le nom du cavalier, suffire pour établir les distinctions nécessaires, les attributions de propriété. Hormis la couleur ou la mention du cheval «baucent», on trouve des termes comme «estcllé», «marchié », «moucheté», «royé», caractérisant la robe et certaines parties de l'animal («estelé ou front», «marchié en la destre cuisse» etc.) ; on trouve également quelques indications sur la crinière et la queue, taille, abondance, couleur de celles-ci. Mais rien n'est dit sur l'état effectif du cheval, sur son âge, sa denture, sa robustesse, sa grandeur etc., ce qui maintient le doute sur la façon dont les évaluations étaient faites. lance de Bracchio de Baglioni en 1458 où les chevaux sont également décrits, mais non évalués en prix. 53 - Documents de la maison de Durfort, n° 1359 et n° 1026, cités par M. Moubbaida, op. cit., pp. 216-7. 54 - Nous reviendrons plus longuement, dans la seconde partie, sur la question de la robe des chevaux.
L'énigme s'amplifie si l'on songe aux sommes exorbitantes que pouvaient atteindre certains chevaux. Les comptes royaux par exemple mentionnent pour 1419-1420 des achats à Jean Louvet de : 2 chevaux pour 7501.t., 2 autres pour 700 l.t., 5 coursiers pour 5500 livres, un coursier 400 l.t.55 A titre de comparaison, donnons les chiffres rapportés par H. Baude dans son Eloge de Charles VII, concernant la solde des hommes d'armes : «Les nobles, en habillement d'hommes d'armes, avoient en expedicion de guerre 10 liv. t. pour lance pour homme ; le brigandinier, 100 s.t., et le franc-archier quatre liv. t. pour moys ; et bien paiez, sans aucune diminucion»56. Faut-il alors parler en ce contexte de réputation de certains chevaux, voire de «cote»? Il est certain, et la littérature s'en fait l'écho, que certains chevaux jouissent d'une grande renommée : c'est le cas de ceux venus d'Espagne par exemple, comme en témoignent les romans de chevalerie et les chansons de geste57 Les comptes royaux de la fin du XIIIe et du XIVe siècles ne donnent en général que le prix des chevaux, sans autre mention : fait exception un equus de Espagna, preuve de sa notoriété. A partir du XIIIe siècle, les chevaux de Lombardie, puis les chevaux des Pays-Bas, robustes à porter le caparaçonnage et le cavalier en armure, vont alimenter la remonte du royaume. Il est clair qu'existe une réelle conscience de la qualité d'un cheval. On peut même sans doute parler d'un commerce du cheval de luxe. Des hippiatres, comme Jordanus, ont donné des critères de qualité d'un cheval. Sont-ce ceux-là qui servent aux acheteurs? Il est bien difficile de juger de la part réelle de mise en application de ce type de traité savant ou même d'un ouvrage d'économie rurale comme l'Opus ruralium commodorum de Pierre de Crescens. On peut simplement supposer que, d'un point de vue pratique, les maréchaux connaissent les chevaux, et les connaissent de mieux en mieux au fur et à mesure que se développe une politique du cheval, de même que les éleveurs, attentifs aux besoins du royaume, sont de plus en plus aptes à sélectionner les 55 - Chronique de Charles VII, éd. Vallet de Viriville, m, p. 301. 56 - Ibid., Ill, p. 138. 57 - Jean Frappier a fait un relevé sur 15 chansons de geste les plus célèbres : on trouve 28 mentions de chevaux d'Arabie, 9 d'Espagne en général, 11 de Castille, 1 de Catalogne, 1 de Taragone. L'origine espagnole domine très nettement ; dans ce relevé une mention à l'Allemagne, une à la Hongrie, une à la Pouille. J. Frappier, «Les destriers et leurs épithetes», La technique littéraire des chansons de geste, Paris, Belles-Lettres, 1959, pp. 85-102. Voir aussi, infra, le chapitre sur l'élevage du cheval et la question du cheval espagnol. Voir ci dessous. Le commerce du cheval ; l'élevage du cheval.
races et, parmi leurs plus belles réussites, à proposer aux grands seigneurs, à prix d'or, des chevaux prestigieux. Si de tels seigneurs ou des bourgeois, comme ce Jean Wistebrouque qui vend à Rouen un cheval morel de Boulogne, peuvent payer en numéraire, les paysans en revanche ne semblent pas pouvoir faire de même et une large part de la somme est réglée en nature. Par exemple, on trouve l'évaluation d'un cheval pour «cinq mines de blé méteil» ou deux mille oeufs (!) pour une jument ; «un muid de blé et deux queues de vin vermeil» pour un cheval, «dix livres tournois et six boisseaux de pois blancs» pour deux chevaux58. Pour le «vilain» en effet, l'achat d'un cheval de travail est souvent problématique et représente un lourd investissement. Un cheval coûte de trois à quatre fois le prix d'un boeuf selon G. Fourquin59. En 1153, un cheval du Limousin est évalué à 5 hommes, selon les termes de l'évêque de Soissons60. Aux alentours de 1250, un cheval coûte 5 à 6 livres en Europe du Nord, soit l'équivalent d'un hectare de bonne terre, prix qui rend compte d'une multiplication par trois en 70 ans environ61. Toujours en Europe du Nord, un cheval est évalué au début du XIIIe siècle environ le double d'un boeuf. Les chartes de toutes les régions confirment cette valeur du cheval : les droits de péages sont en général beaucoup plus élevés pour un cheval que pour un autre animal ; en Basse-Auvergne au XIIIe siècle, le tarif de la leydc est quatre fois plus cher pour un cheval que pour tout autre animal62. De multiples chartes de franchises stipulent l'interdiction de saisir «chevaux et harnois» sans contrepartie financière63. Les taxes révèlent aussi que la possession d'un cheval en milieu rural est signe de richesse : on paie davantage selon le nombre de chevaux possédés. Ainsi, une concession de janvier 1239 par Baudoin Buridan, seigneur de Walincourt, stipule
58 - M. Montfort, art. cit., pp. 466-7. 59 - Histoire de la France rurale, (dir. G. Duby, A. Wallon), Paris, Seuil, 1975, p. 413. ' 60 - M.M. Postan, The agrarian life of the Middle Ages, Cambridge, 1966, p. 176, cite par R.H. et A.M. Bautier, art. cit., p. 35. 61 - Voir R. Fossier, Le Moyen Age, 1. 2, L'éveil de l'Europe (950-1250), Paris, 1982, p. 279. 62 - Chartes de franchises de Basse-Auvergne, éd. M. Boudet, Clermont-Ferrand, 1914, p. 195 et p. 438, pour Vodable (1262) et Vic-le-Comte (1367). 63 - Par exemple, charte du Comte de Blois du 25 juillet 1345 (Carlulaire de la ville de Blois, éd. J. de Croy, Paris, 1907, pp. 43-44) ; charte de Thibaut IV de Champagne (Documents linguistiques de la France, Aube, Seine el Marne, Yonne, éd. D. Coq, Paris, 1988, p. 5 (Troyes), p. 27 (Bar-sur-Aube).
que «chus qui a un keval doit .ii. saus pour le corouvee, et s'il a .ii. kevaus .iii. saus ; et s'il a trois kevaus, si en paie .iiii. saus»64. Les jongleurs, les «trouveurs», les ménestrels eux aussi, comme les chevaliers, accordent prix à posséder une monture : «Nen deit aller a pei çubler qui çante», chantent-t-il souvent65. Suivant sa fortune, le ménestrel va à pied ou à cheval, comme en témoigne Rutebeuf66 ; il est d'ailleurs particulièrement récompensé lorsqu'on lui fait don d'un cheval, comme à Metz lors de la fête donnée pour Noël par l'empereur Charles IV en 1356, au cours de laquelle les princes offrent généreusement leurs montures, ainsi que le rapporte le chroniqueur Albertus Argentinensis : Electores et officiales seu ministrales imperii veniebant super equos usque ad mensam. Descendentes vero de equo coram mensa, histrionibus et mimis dabatur equus61. Le don de cheval devait se pratiquer comme récompense d'une bonne prestation ou de l'invention d'un beau poème : la chanson Doon de Nanteuil par exemple rapporte le cas, a contrario, de ce Huon de Villeneuve qui garde précieusement sa création par devers lui et «n'en volt prendre cheval ne la mule afeltree»68. Si le jongleur est assez fortuné pour posséder monture, il apprécie de recevoir des dons qui l'aident à l'entretenir. C'est ainsi qu'un mandement du duc de Bourgogne en 1378, témoigne d'un don de quatre francs pour un «menestrier de monseigneur pour les frez et missions de son cheval et le salaire du mareschaut qui l'avoit gouverné et gari de certaine maladie a Chastoillon sur Saine»69. Ce dernier devait être particulièrement aisé pour avoir également un maréchal à son service. Une ultime preuve de la valeur du cheval est la convoitise qu'il provoque. La littérature médiévale est pleine de ces scènes où un personnage admire un cheval et est prêt à tout pour le posséder, où deux héros s'affrontent au sujet d'un destrier, tels Gormont et Huëlin dans la 64 - Charles de coulume en Picardie (XIe-XIIIe siècles), (éd. R. Fossier), Paris, Bibl. Nat., Documents inédits sur l'histoire de France, section de philologie et d'histoire jusqu'à 1610, 10, 1974, p. 437. 65 - L. Gautier, Les épopées françaises, t. 2, Paris, 1894, p. 110, n. 1. 66 - Dans son fabliau Charlot le Juif, Rutebeuf scinde en deux parts les ménestrels «l'un a pié, l'autres a cheval» (éd. J. Bastin, E. Faral, H, Paris, 1977, p. 257, v. 46). 67 - (Les grands électeurs, officiers et ministres de l'empire venaient à cheval pour le festin. En descendant de monture pour passer à table, ils offraient leur cheval aux jongleurs et aux mimes) ; voir Ed. Faral, Les jongleurs en France au Moyen Age, Paris, Champion, 1964, rééd. 1987, p. 121 et n. 7 68 - Ibid., p. 124, n. 1. 69 - Archives de la Côte d'Or, B 1452, fol. 76v.
chanson de geste Gormont et Isembart10. Des chicanes autour d'un cheval, vol dans le cas le plus grave, refus de paiement de loyer etc. semblent fréquentes à la fin du XIIe siècle : la Chronique de SaintPierre le Vif rapporte la tentative de vol des chevaux de l'abbé Arnaud par le doyen de Mauriac71. Le pape Innocent IV, dans une lettre du 15 mai 1247, se plaint du vol de la monture de son envoyé, l'évêque d'Ancone. En 1251, une enquête est menée en Saintonge et Poitou contre le sénéchal accusé de vol de chevaux ; en 1266, près de Niort, est enregistré le vol de six chevaux ferrés, pour une valeur de 60 1.72. Un jugement de 1348 rend compte du différend opposant Adenet li Harigniers et Martin Delaporte à propos de loyer non payé pour un cheval73. Quant aux pratiques simoniaques ayant un cheval pour objet, elles paraissent suffisamment attestées : le cartulaire de l'abbaye de Boulogne-sur-Mer mentionne l'interdiction de recevoir un palafredum en échange d'un sacrement74. On trouve la même chose dans le cartulaire de l'abbaye d'Arrouaise75 en 1178, comme chez les Prémontrés en 117876. Pratique qui semble si répandue que le pape intervient directement pour la faire cesser, comme l'attestent un privilège d'Alexandre III pour l'abbaye de Eckhout et celle du Parc, en 1179 et un autre d'Innocent III, daté de 1198 pour l'abbaye de Saint-Nicolas des Prés. Acheter un cheval est donc en général une opération coûteuse, surtout lorsqu'il s'agit d'un coursier ou d'un destrier. Mais il reste l'équipement et l'entretien de l'animal qui, eux aussi, contribuent à faire du cheval un produit de luxe. Le soin de l'animal, son harnachement, sa nourriture, son logement sont également sources de dépenses importantes, à demeure comme en voyage : par exemple, héberger un 70 - Huëlin défie son adversaire en rappelant qu'il avait autrefois dérobé son cheval ; Isembart l'affronte et le blesse, à la suite de quoi il tente de s'emparer du destrier de Huëlin. Mais ce dernier lui échappe, ce qui le rend fou de rage : Quant Isembart le reneié vit le cheval cure estraer, d'une chose s'est afichié : s'il poeit as puins baillier, que einz se lerreit detrenchier que mes pur home le perdist. (éd. A. Bayot, Paris, CFMA, 1969, w. 302-7). 71 - Chronique dite de Clarius, éd. trad. R.H. Bautier, M. Gilles, Paris, 1979, p. 158. 72 - Enquêtes administratives d'Alfonse de Poitiers, arrêts de son Parlement tenu à Toulouse et textes annexes (1249-1271), éd. P.F. Fournier et P. Guébin, Paris, 1959, p. 8 et p. 190. 73 - Ce document d'archives nous a été fourni par J. Tricard, que nous tenons à remercier. 74 - Dans Mémoires de la Société Académique de Boulogne sur Mer, 12, 1880, p. 143. 75 - Amiens, Ms. BM. 1077, fol. 29. 76 - Soissons, Ms. BM. 7, fol. 6v et 8.
cheval dans le sud-ouest de la France au XVe siècle coûtait deux sous toulousains par nuit. Le consul Mora, en mission en Fleurance en 1475 avait dépensé six sous en trois jours «per 10 logue deu rossin qui cabalgava»77. Pour celui qui ne possède pas de cheval, ou pour un service ponctuel, toujours lors d'un voyage par exemple, il est possible de louer l'animal. Les prix des chevaux de louage indiquent eux-aussi qu'il était coûteux de s'offrir un tel service. D'après les comptes de Saint-Amand de Rouen, une telle monture coûtait aux environs de 1380 2 s. 6 d. par jour, 7 s. 6 d. avec un messager78. Soin, entretien, équipement : un coût supplémentaire Le bon cheval, l'«auferrant de pris» des chansons de geste doit être bien nourri ; «donez avainne as bons chevax de pris» ordonne Rigaut, dans Gerbert de Mez79. Et Guillaume, spolié par le roi, ne se plaint-il pas dans le Charroi de Nîmes du coût de la nourriture de son cheval? «Mon auferrant m'estuet aprovender ;/encor ne sai ou grain en doi trover»80. Les documents d'archives révèlent bien que le fourrage est un souci important pour les possesseurs de chevaux ; cette mention figure souvent dans les chartes, comme celle émise en 1248 entre Julienne de Rochefort et l'abbaye de Saint-Feuillien du Roeulx, précisant que les moines «doient vuet fourage por nos chevakeures»81. Le souci est tel qu'il peut aller jusqu'à la dispute, parfois très violente si l'on en juge d'après la rémission de Jehan de Champaigne, homme d'arme du seigneur de Montoyson, meurtrier à la suite d'une dispute au sujet du fourrage de ses chevaux82. D'après les archives de Gironde, pour l'année 1356, un cheval consomme en six mois 44 boisseaux d'avoine, 16 boisseaux de seigle et un demi boisseau de milet, sans compter le foin. D'après les comptes consulaires de Montréal pour le XVe siècle, dans le Sud-Ouest, un cheval consomme un boisseau 77 - Comptes consulaires de Montréal, E 131, p. 115. 78 - M. Montfort, «Des chevaux au Moyen Age en Normandie», Plaisirs équestres, 144, 1980, p. 467. H ne faut pas oublier que le messager joue un rôle fondamental dans le monde médiéval, surtout dans le contexte diplomatique. R. Delort signale par exemple que les courriers des papes d'Avignon parcouraient jusqu'à 90 kms par jour (La vie au Moyen Age, Lausanne 1972, repris par Seuil, Points histoire, p. 233). 79 - Ed. P. Taylor, Namur/Louvain/Paris, 1953, v. 397. 80 - Le Charroi de Nîmes, éd. J.L. Perrier, Paris, Champion, CFMA n° 66, vv. 83-4. 81 - Documents linguistiques de la Belgique romane, éd. P. Ruelle, dir. J. Monfrin, L. Fossier, Paris, 1984, p. 29. 82 - Ch. Samaran, La Gascogne dans les registres du Trésor des chartes, Paris, 1966, p. 185.
d'avoine par jour, à une époque où le «cartau» d'avoine, soit quatre boisseaux, coûte 4 sous toulousains. Il est assez délicat de se fier très précisément à ce type de chiffres pour évaluer le coût exact de la nourriture du cheval, comme sa consommation. D'une part, le quarteau est équivalent à un quart de setier et il dépend donc du nombre de boisseaux au setier, nombre pouvant varier de douze à dix-huit. D'autre part, le boyset, ration du cheval, est donné ici au quart du quarteau, alors qu'il peut représenter le septième du boisseau, soit le vingt-huitième du quarteau : les comptes consulaires donnent pour la même année (1475) le boyset à 3 deniers et le quart de quarteau à ls. 9d. Les chiffres donnés sont donc difficiles à manipuler et donnent des consommations différentes, mais il importe de noter, dans cette imprécision même, la préoccupation engendrée par la cherté de l'entretien du cheval. L'équipement du cheval nécessite l'emploi de différents ouvriers, bourreliers, forgerons, éperonniers, drapiers. Il faut fabriquer, entretenir le harnachement du cheval. Les comptes, surtout à partir du XIVe siècle, font apparaître très souvent des sommes versées aux différents corps de métier pour équiper ou entretenir les chevaux. A titre d'exemples, que l'on pourrait multiplier, citons quelques mentions des comptes de l'Etat bourguignon. En 1412, commande est faite pour 48 s.p. de quatre paires d'éperons de guerre et en 1419, la paire d'éperons coûte 15 S.t.83. En 1416, Jehan de Dijon reçoit «six vins deux livres huit solz quatre deniers tournois pour harnois de cuir, selles, brides, chevestres, comme pour esperons» (ed. cit., n° 2279). Un dénommé Jaquemart reçoit 10 s.t. par mors de brides fabriqués (n° 9795, 9804). A la même époque, la ferrure d'un cheval coûte 10 s.t. (n ° 4044). En 1419, Jaquot Chauchart, sellier à Dijon, reçoit 10 1.t. par selle fabriquée pour les haquenées de madame de Guyenne, chacune garnie de «brides, mors, estriers, estrivieres rendues prestes comme il appartient couvertes de drap noir» (n° 4042). Le drap est d'importance dans un tel équipement ; des drapiers de Dijon reçoivent salaire pour «avoir tondu huit draps noirs entiers et huit demi draps noirs» pour des harnachements (n° 4047). Guerand Fournet est lui rétribué pour la fourniture de «plusieurs goreaulx, culieres et aultres habillemens de cuir, dont lesdiz chevaulx furrent aharnesquiés et habilliés» (n° 1374). Pour conclure sur ces quelques exemples, citons le compte n° 4049 dans 83 - Comptes généraux de l'Etat bourguignon, éd. M. Mollal, Recueil des historiens de la France, 1965-69, n° 2279, 3946.
son ensemble, significatif de ce qui est nécessaire à un é q u i p e m e n t et des s o m m e s à verser à u n bourrelier : A Pierre Maillot, bourrelier, demourant a Dijon, pour trois paires d'estrivieres pour les selles des chevaulx du chariot de madite dame, 30 solz tournois ; pour desclouer lesdictes selles et reclouer, 15 solz tournois ; pour trois housses de cuir neuf servans ausdites III selles, 50 solz tournois ; pour trois sourselles de cuir neuf, 50 solz tournois ; pour deux culieres neufves, 60 solz tournois ; pour trois paires de fourreaulx de cuir neuf pour traiz gamiz de dossieres et ventrieres, 50 solz ; pour la garnison de cuir neuf, pour cinq paires de trais de chevaulx, 70 solz ; pour deux paires de malsainires (?) de cuir neuf servans a deux coliers desdiz chevaulx, 30 solz ; pour XIII paires de prenans de cuir neuf servans ausdiz coliers, 55 solz tournois ; pour cinq coussinez de cuir neuf servans a cinq desdiz coliers, 16 solz 8 deniers tournois ; pour [v°] vit coupliere de cuir pour assembler les asselles de coliers dessusdiz, 16 solz, 8 deniers tournois ; pour blonquieres d'ossieres et ventrieres et contre saingleaux pour lesdictes trois selles et coliers, 40 solz tournois, pour desclouer, nertir et couroier XVII coliers pour lesdiz chevaulx, 25 solz tournois ; pour boucles de fer appartenans ausdiz coliers, 5 solz tournois ; pour garnir et mectre a point 16 desdiz coliers, 20 solz tournois ; pour II milliers de cloz convertiz oudit ouvraige, 16 sous 8 deniers tournois ; pour lasser de cuir neuf pour foureaulx, pour courgons et autres menues choses y appartenans, 30 solz tournois ; pour mectre les pieces de cuir neuf es coliers la ou il estoie besoing, pour avoir fait teindre en noir LX toises de corde pour faire courceaux pour lesdiz chevaulx, 20 solz, qui font pour tout 30 livres tournois. C o m m e autre e x e m p l e , un peu différent et plus exceptionnel, on peut d o n n e r ce qu'indiquent p o u r le XIVe siècle les c o m p t e s du Clos des galées de Rouen, en ce qui c o n c e r n e le travail nécessaire au transport des c h e v a u x par m e r ; éléments qui n'ont rien d'anecdotique à une époque de guerres et de tensions avec l'Angleterre et les Flandres. E n 1369, Colin Guiffart reçoit de l'argent p o u r «dix sept aulnes de toille neccessaires a faire les m e n g e u r e s a certain n o m b r e de chevaulx qu'il doit m e n e r en ladicte nef» ; R o b i n le Galois, cordier, reçoit 14 1. 8 s.T. p o u r «4 0 0 livres de cordail tant gros que m e n u p o u r faire les m e n g e u r e s aux chevaulx» et G u i l l a u m e le Sesne, fèvre, fournit à raison de 25 s. le mille « 1 2 5 0 crochés de fer a atacher les m e n g e u r e s aus chevaux»84. Cet équipement, il faut l'entretenir et payer les gens qui s'occupent de cet entretien, des réparations. O n répare m ê m e les étriers lorsqu'il est nécessaire : en 1419, un certain Jaquot de Roiches 84 - Documents relatifs aux comptes des galées de Rouen, op. cil., n° 727, 730, 736.
reçoit un franc pour la restauration d'un étrier85. Chaque élément de la «chaîne» du travail est décompté, le temps mis pour déclouer et reclouer une selle en restauration, pour réparer des pièces de cuir usées. Les comptes, tels ceux de l'Etat bourguignon au XVe siècle, font revivre devant nos yeux tout un ensemble de métiers, où chaque tâche est précisée, avec un vocabulaire spécialisé. Posséder chevaux et équipages revenait donc au total fort cher, comme en témoigne ce don fait en 1418 par le duc de Bourgogne à la comtesse de Charolais, afin qu'elle puisse faire face aux dépenses de son écurie : A madame la contesse de Charroloiz, la somme de 500 escuz, de 30 gros nouvelle monnoye de Flandres l'escu, laquelle Monseigneur lui a donnée de grace especial pour lui aydier a faire remettre sus le fait et estat de son escuirie, c'est assavoir pour acheter chevaulx, haghenees, draps et thoilles pour couverture, bauldequins et autres draps pour coussins, et reparacions de chariots et de sa litiere, nouvcaulx harnois pour lesdiz chevaulx, haghenees, et chariots et autres choses a elle plus necessaires et a sa dicte escuirie (n° 7790). Et puis, il faut ajouter à toutes ces dépenses celles afférant au logement du cheval, aux bâtiments des écuries. Il y a assez peu de textes donnant des détails sur ces bâtiments, la façon dont ils sont organisés et les coûts engendrés par leur construction et leur entretien. Ici encore, un compte bourguignon, daté de 1417 (n° 7660) nous offre un bon témoignage, avec un certain nombre de détails concernant la réfection d'une écurie : A maistre Jaque le Zwertvaghere, charpentier, pour avoir refait les pissines, crebbes et rasteliers des estables de chevaulx dudit hostel qui estoient tout rompuz et trouez et grand partie d'icelles pissines avoir tout de nouvel replancquié, par marchié a lui fait en tasche, 6 livres 12 solz ; A lui, pour 600 piés de grans ais de neif employez ausdictes pissines, a 72 solz parisiz pour chascun cent, valent 21 livres 12 solz parisiz, pour 18 pieces de boiz employez tant a faire gistes du long et de travers dessus lesdictes pissines, pour les par dessus planquier, comme a faire plusieurs estanchons dessoubz lesdictes crebbes de chevaulx, 6 livres parisiz ; pour lattes employez aux rasteliers, 24 solz, et pour 16 bailles de bois a pendre entre les chevaulx ou lieu d'autres qui estoient perdues et rompues, 60 solz parisiz ; montent ces parties ensemble a 31 livres 16 solz ;(...)
S5-Ibid.,n° 5327.
A Martin le Grave, fevre, pour 300 grans clans, a 24 gros chascun cent, sont 72 solz parisis ; et pour 700 d'autre mendres claus de divers pris, 54 solz, tout employé audit ouvraige, montent ces deux parties 6 livres 6 solz. Le soin du cheval apporte encore un coût supplémentaire dont il faut tenir compte : il ne faut pas oublier dans l'ensemble des corps de métier liés au cheval celui des maréchaux, des apothicaires, des aidessoignants, tous individus rémunérés pour leur travail, comme il apparaît dans les comptes. Par exemple, les comptes royaux, comme ceux de la Maison de Bourgogne, font apparaître des paiements pour ce type de travail : soin, transport, gardiennage etc. : en 1299 par exemple un domestique touche 50 s. pour s'être occupé d'un cheval blessé, un autre 5 s. pour la garde et le soin d'un cheval86. Dans les comptes de Louis d'Evreux, une somme de 4 1. 3 s. apparaît en 1318, pendant la campagne de Flandres «a Jehan de la Forge, despens pour son venir pour .11. tonniaus a fers, apparel de chevaus malades»87 ; ce Jehan était probablement un maréchal. Il faut aussi acheter des médicaments pour soigner les bêtes malades, payer les préparateurs et ceux qui dispensent les remèdes. On trouve dans les comptes royaux, pour l'année 1420, une dépense pour achat de remèdes : «une demi livre de vert-de-gris, d'huile de Lorin, de tourmentine, de boulameny, de brun d'Auxerre, un quarteron de miel, une livre de viex oint, une demi-livre de cire et saing de verre agripé, et autres choses pour les chevaulx ; pour ce, 57 sols, 6 deniers tournois»88. Ce type de document révèle donc, ce qui est bien naturel, une pratique suivie du soin des chevaux, confié à des spécialistes qui utilisent une pharmacopée adaptée. Il est le témoignage de la place qu'occupe le maréchal et de l'autorité qu'il possède, car il agit en spécialiste. Si, comme on le verra dans notre troisième partie, une médecine vétérinaire médiévale se manifeste dans des traités théoriques, elle n'en est pas moins soutenue par une réelle pratique du soin. Si les éléments que l'on peut recueillir sont particulièrement éparpillés, on peut, en ce qui concerne la valeur du cheval, avoir une 86 - Comptes royaux (1285-1314), éd. R. Fawtier, Paris, 1953-54, n° 2479 et 3452. On rencontre aussi des formules «globales» du type pro expensis palefredi sui infirmi et famuli custodiensis eum (n° 6516 par ex., 7 1. 10 s.) 87 - Comptes royaux (1314-1328), éd. F. Maillard, Paris, 1961,n° 12815. 88 - Publiés par Vallet de Viriville, Chroniques de Charles VII, III, Paris Janct, 1858, p. 302.
opinion certaine, tous les éléments convergeant : il s'agit d'un animal coûteux, essentiellement réservé, en ce qui concerne les beaux chevaux du moins, chevaux de combats, coursiers, palefrois, aux classes de rang élevé de la société, qui peuvent en faire l'acquisition puis l'entretenir. Si dans le monde des campagnes les enjeux sont quelque peu différents, l'achat et l'entretien d'un cheval posent des problèmes aigus d'un point de vue financier, et même si l'élevage se développe, comme l'emploi du cheval à la ferme, durant tout le Moyen Age, le «vilain» doit compter rigoureusement pour avoir un cheval de trait. Dans l'échange, le cheval représente donc un capital-valeur important et sa possession est une marque évidente de richesse, marque d'autant plus forte que l'on remonte vers le haut Moyen Age où le cheval est plus rare, surtout dans le monde paysan. Qui dit prix élevé, dit flux financier important dans l'échange et implique une structure économique adéquate : le commerce du cheval, en aval de son élevage, est affaire de spécialiste, de celui qui connaît bien l'animal et de celui qui sait gérer des fonds, qui a la possibilité de les déplacer aisément. Le marchand doit être un financier, formule qui fait tourner le regard vers l'Italie. Le commerce du cheval De multiples chartes font état d'achats de chevaux auprès d'abbayes qui possédaient un cheptel, même peu étendu ; les registres de compte font apparaître de nombreux achats de chevaux ; ceux du royaume par exemple, révèlent que beaucoup de transactions commerciales se faisaient avec des négociants italiens, ce qui correspond sans doute à une tradition assez ancienne ; rappelons que dans le Couronnement de Louis, chanson de la première moitié du XIIe siècle, Guillaume affirme ramener ses destriers espagnols de Rome (vv. 2263-4). Si le commerce des équidés est fort répandu au Moyen Age, comment apparaît-il dans les documents? Le premier élément qui se dégage des textes a trait aux prix pratiqués ; si nous avons donné quelques exemples, du côté de l'acheteur, de prix de chevaux, du côté du marché, de la foire, lorsque l'on possède des informations sur des ventes de chevaux, les chiffres donnés sont conformes aux tendances déjà esquissées ; le marché du cheval implique une importante circulation financière. Comme conséquence naturelle de cette dernière, surtout à la fin du Moyen Age, apparaît
l'importance du financier, du banquier ou de l'usurier : le fait que le commerce des chevaux soit en grande partie contrôlé par les marchands italiens est peut-être lié à cette situation, au vu de l'importance de la banque italienne, lombarde en particulier. On assiste ainsi à diverses tractations avec des formules de contrats plus élaborées qu'un achat au comptant traditionnel : signalons pour exemple, à Rouen, dans la deuxième moitié du XIVe siècle, une transaction avec une formule de «paiement différé» : Huart Raingart, maquignon, vend , deux chevaux en 1364 pour cinq francs d'or, deux autres pour 80 et 97 livres, à trois semaines et deux mois. le diffèrement peut s'expliquer soit par la difficulté pour le client de payer au comptant, soit par un délai de livraison des chevaux imposé par le vendeur, pour des raisons techniques. Quoi qu'il en soit, la formule impose une «discipline financière» à caractère moderne et qui semble courante dans ce type de transaction. Dans ce contexte, existe une sorte de mainmise financière sur le commerce du cheval qui, si elle ne l'impose pas systématiquement, peut favoriser l'usure ou du moins le prêt à taux élevé et les Lombards seront très actifs dans ce domaine89. Quant à la nature de ce commerce, on dégagera trois points : un commerce privé, un commerce public à la ville, un commerce dont les courants se structurent. - Il y a tout d'abord, semble-t-il, un commerce «direct», pour les chevaux de luxe en particulier. On peut sans doute, en premier lieu, parler d'une forme de commerce, plus exactement d'échange, autour des abbayes où les chevaux sont élevés ; comme on le verra, la pratique du don et du contre-don de montures est très fréquente au Moyen Age, dès haute époque : des seigneurs offrent aux monastères des chevaux de qualité et les moines cèdent quelques montures à des puissants, soit comme tribut, soit comme cadeau marquant des occasions importantes particulières. Il s'agit là d'une forme élémentaire d'échange certes, mais qui témoigne d'un certain flux autour duquel, hors des contraintes sociales, peut se structurer un courant commercial à caractère local qui contribue à créer ou maintenir un réseau de transactions. En outre, des négociants, sans passer par le marché ou la foire, vendent des chevaux aux grands seigneurs ; de plus, les registres de comptes font apparaître des sommes versées à ce qu'il convient 89 - Voir chapitre 2 et n. 7.
d'appeler des intermédiaires, visiblement chargés de sélectionner des montures pour les présenter à la cour seigneuriale ; un certain Hanequin par exemple reçoit 20 francs en 1419 pour avoir présenté au dauphin un «courcier brun bail a longue queue»90. Ce peut être le maréchal d'un seigneur qui s'occupe de telles transactions ; nous en avons un bon témoignage dans YEscoufle de Jean Renart. Le comte, désireux d'acquérir des montures, envoie son maréchal à la ville : Se li prie k'il se travaut Itant qu'a son mareschal aut En la vile achater chevaus, Roncis, palefrois bons et biaus A lui et a ses chevaliers. (...) Il a tos les cochons mandés Ki en la vile sont et mainent, Ki tant vairs et sors les amainent Que tos en est plains li marchiés Et defoulés et demarchiés. Li mareschaus tot les conteke : Iciaus ki n'ont malvaise teche, Quant il li voit a raison vendre, Fait son oste acater et prendre : (vv. 429..44)91 (Il (le comte) lui prie de faire diligence pour trouver son maréchal afin d'aller à la ville acheter des chevaux, roussins, palefrois de bonne qualité à son usage et à celui de ses chevaliers. Il a fait quérir tous les maquignons qui se trouvaient en ville ; ceux-ci amènent des chevaux sors et vairons en telle quantité que la place du marché en est toute pleine. Le maréchal les examine tous : il fait acheter et emporter tous ceux qui n'ont pas de défaut) On remarquera ici, ce qui est plutôt rare dans les textes littéraires, l'apparition du maquignon, désigné par le terme de «cochon» ou «cosson», que signale Godefroid92. Au XIIIe siècle, Thomas de Savoie fait venir des chevaux d'Espagne et de Pouille et vers 1334, Guillaume 1er d'Avesnes achète des juments de Lombardie.
90 - Comptes généraux de l'Etat bourguignon, op. cit., n° 3922. 91 - Ed. H. Michelant et P. Meyer, Paris, SATF, 1894. 92 - Les éditeurs du texte signalent une occurrence dans le Roman de Carité du Rendus de Moliens et dans Eustache le moine (voir glossaire de l'édition, p. 284).
Par ailleurs, le commerce des chevaux semble pratiqué en maints endroits, de manière plus ou moins régulière, selon des flux qu'il paraît très difficile d'évaluer ; on vend des chevaux à Rouen, à Perpignan, à Pézenas, à Soissons, à Troyes, à Dijon etc. Une géographie éclatée, correspondant à une implantation des foires et des marchés dont on a du mal à mesurer l'importance, la qualité, le rayonnement. Deux exemples extrêmes : en 1272, la comtesse de Flandre institue une foire aux chevaux à Lille, le lundi après la quinzaine de Pentecôte. Une telle institution marque une étape commerciale importante pour la ville. Mais les conditions ne seront pas toujours réunies pour assurer le succès de cet important commerce. A la fin du Moyen Age, période où la ville, en conflit avec son duc, connaît de réelles difficultés commerciales, cette foire se révèle être très délaissée des marchands, à tel point que le duc de Bourgogne consent en 1460 à ce qu'elle soit reportée au mois d'août, en même temps que la grande foire de Lille. Ce changement de date ne suffit pas, car la ville est obligée, en 1463, d'offrir gracieusement foin, litières et étables pour les chevaux des marchands éventuels : sans doute, le mauvais état de la situation politique et le manque de sûreté commerciale ont-ils des effets désastreux que subit même ce commerce exceptionnel qu'est celui des équidés93. Par contre, en 1404, les habitants de Dijon demandent au duc de Bourgogne l'établissement d'un marché aux chevaux, preuve de l'intérêt qu'un tel commerce peut avoir pour la ville94. Mais si le marché est le point d'aboutissement d'un parcours dont le départ est la pâture, on peut se demander s'il existe des flux systématiques conduisant les chevaux à la foire. C'est surtout à partir de la deuxième moitié du XIIIe siècle que s'établissent de véritables courants commerciaux, liés à l'importation de chevaux pour le royaume de France. Ces chevaux viennent pour la plupart d'Italie, d'Espagne majoritairement, d'Allemagne et des Pays-Bas dans une mesure moindre.
93 - R. Marquant, La vie économique à Lille sous Philippe le Bon, Paris, 1940, p. 94. 94 - Chartes des communes et d'affranchissements en Bourgogne, cd. M.J. Garnier, Dijon, 1, 1867, p. 91.
F o i r e s et m a r c h é s L e p r e m i e r c a d r e qui s'offre à la lecture d e s d o c u m e n t s est celui d e l a v i l l e , a u t o u r d e l a q u e l l e s e d é v e l o p p e le c o m m e r c e , a v e c c e s foires et ces m a r c h é s qui a n i m e n t à intervalles réguliers la vie é c o n o m i q u e m é d i é v a l e ; celle-ci se c o n ç o i t en p r e m i e r lieu d a n s u n e s p a c e régional qui v a p e u à p e u s'élargir, surtout à c o m p t e r du XIIIe siècle, vers un espace plus grand, vers ce vaste «horizon du marchand» dont p a r l e J. F a v i e r 9 5 . E t c ' e s t « a v a n t t o u t l ' a t t r a c t i o n n o r m a l e d e l a v i l l e , m a r c h é d ' e m p l o i c o m m e m a r c h é d e c o n s o m m a t i o n » qui d é t e n n i n e l'aire de ces relations régionalcs96. S u r ce m a r c h é , le c h e v a l se n é g o c i e , parfois fort c h e r ; sur le m a r c h é de R o u e n , u n habitant de Coutances achète un cheval pour 50 livres e n 1373 ; G u i l l a u m e Carbonnel, seigneur de Bairent, en paie un a u t r e , b a i b r u n , 6 8 livres97. Q u e l l e s s o n t l e s p a r t i e s e n p r é s e n c e ? D u c ô t é d e l'acheteur, le p a l e f r e n i e r c h e r c h a n t des m o n t u r e s p o u r l'écurie d u s e i g n e u r , le b o u r g e o i s v o u l a n t a c q u é r i r u n cheval, le p a y s a n cherc h a n t q u e l q u e r o n c i n o u p e u t - ê t r e m ê m e le capitaine qui a c h a r g e d'une c o m p a g n i e : en 1317, sont attribuées à O g e r de M a u l é o n dix milices, à c h a r g e p o u f lui d e se m u n i r d e « c h e v a u x et d ' a r m e s p o u r la d é f e n s e d u royaume»98. D u c ô t é d u v e n d e u r , le n é g o c i a n t , le v e n d i t o r equorum, c o m m e ce Siguinus faisant c o m m e r c e à Chartres dès avant 108099, l ' e q u o r u m m e r c a t o r x m , le c o r r e t a r i u s equorum101 o u le p a y san apportant au m a r c h é le produit de son élevage, c o m m e à Etampes, a u x foires d ' a u t o m n e , o ù les p a y s a n s v e n a i e n t v e n d r e les c h e v a u x d o n t i l s a v a i e n t f a i t a c q u i s i t i o n l ' a n n é e m ê m e p o u r l e u r u s a g e agricole102. C o m m e n o u s l ' a v o n s n o t é , la g é o g r a p h i e du c o m m e r c e é q u i n est fort diversifiée ; d e la m ê m e f a ç o n q u e l'on élève des c h e v a u x u n peu partout en France, o n e n vend en de n o m b r e u x endroits, que l'on déc è l e soit p a r d e s actes et c h a r t e s r é g u l a n t ces m a r c h é s , soit p a r la pré-
95 - De l'or et des épices, Paris, Fayard, 1987, chap. 1. 96 - J. Favier, op. cit., p. 27. ' 97 - M. Montfort, «Des chevaux au Moyen Age en Nonnandie». Plaisirs équestres, 144, 1980, p. 466. 98 - Ch. Samaran, La Gascogne dans les registres du trésor des chartes, Paris, 1966, n° 121, p. 15. 99 - Cartulaire de l'abbaye de Saint-Père de Chartres, éd. B. Guérard, t. 1, Paris, 1840, p. 226. 100 - Cartulaire de l'abbaye cardinale de la Trinité de Vendôme, éd. Ch. Métais, Paris, 1894, t. l.p. 348. 101 - Arch. Dép. de Provins A. 13, Comptes de l'Hôtel-Dieu, fol. 44v et 157v. 102 - Voir G. Duby, L'économie rurale..., I, Paris, Aubier, 1962, p. 252.
sence dans les documents de ces marchands de chevaux, à Vendôme, à Marmoutier, à Chartres, à Provins par exemple. A Nogaro dans le Sud-Ouest, on négociait des montures réputées dès le XIe siècle (accipiendo unum optimum equem precii centum solidorum tempore nundinarum que apud Nogarol habentur)103. A Pézenas, à Montagnac, dans le Languedoc, comme à Perpignan dans le Roussillon, le commerce du cheval se pratique, au moins à la fin du Moyen Age ; à Pézenas par exemple, un reçu daté du 23 janvier 1448 atteste de la vente d'un roncin à un transporteur de Narbonne104. Les papes d'Avignon s'approvisionnaient en chevaux d'Espagne au XIVe siècle, période qui voyait un flux constant d'importation entre le pays d'Aragon et le Languedoc, commerce dans lequel Narbonne105 et Montpellier jouaient un rôle actif : en 1358, Innocent VI s'adresse à cet effet à un marchand de Montpellier106. Dans le Nord, on a vu que, bien qu'avec un succès très mitigé, le commerce du cheval se pratiquait à Lille. En fait, après les mesures de gratuité offertes aux marchands en 1463, le commerce du cheval semble prendre un meilleur essor : les comptes de la ville révèlent qu'en 1463 la ville acheta cent litières et loua sept étables et qu'en 1464, elle acheta deux cents litières et loua huit étables. Si, globalement, la vente ne semble guère attirer le marchand en cette ville, par contre, le louage du cheval est très développé. Ces chevaux étaient examinés et évalués par des eswardeurs, deux fois l'an, à la Saint-Jean Baptiste et à Noël. L'évaluation (esward) était payée une journée ou une demi-journée de louage. C'est à la suite de cette évaluation que le prix de louage était calculé. Malheureusement, nous ne pouvons savoir quels étaient les critères utilisés par ces eswardeurs, car leur avis était «enregistré secretement par devers eulz». Le prix donné était affiché par le loueur sur sa porte et il comprenait le cheval et son équipement («bride et sielle»). Une réglementation précise, donnée par les échevins, régissait ce louage : le prix, en 1443, était fixé à six gros la 103 - R.H. et A.M. Bautier, art. cit., p. 36. 104 - G. Romestan, «Perpignan et les foires de Pézenas et de Montagnac aux XIVe et XVe siècles», Pézenas, ville et campagne (Xllle-XXe siècles), Actes du 48° congrès de la Fédération Historique du Languedoc méditerranéen et du Roussillon, Pézenas, 10 nov. 1975, Montpellier, 1976, p. 88. 105 - J. Régné, «L'importation des chevaux d'Espagne à Narbonne au début du XIVe siècle, d'après les archives de la couronne d'Aragon», communication au 72° Congrès des Sociétés Savantes, Bordeaux, 1939. 106 - Y. Renouard, Les relations des papes d'Avignon et des compagnies commerciales et banquaires de 1316 à 1378, Paris, 1941, pp. 237-8 et p. 240.
journée et il était interdit de louer la même bête deux fois en un jourl07. A Péronne, il y avait un marché aux chevaux en 1136, comme en témoigne une charte de l'abbaye de Homblières108. A Senlis, on vendait aussi des chevaux, ainsi qu'un droit de péage du Cartulaire enchaîné le révèle : «li chevaus qu'en maine pour vendre, .iiii. deniers, se li sires et ses escuiers ne le chevauchent a sele» (n° 56). A Troyes, en Champagne, existait au XIIe siècle un emplacement réservé, le cursus equorum. En 1163, Henri le Libéral donne à l'abbaye du Moutier-la-Celle vingt sous de rente sur le percursus nundinarum equorum aux foires de Saint-Jean et de Saint-Rémi de Troyes et, en 1174, ce même Henri donna à l'abbaye de Montier-enDer la moitié du tonlieu sur les chevaux vendus aux foires de Bar-surAube109. Le commerce des foires de Champagne110 était essentiellement aux mains des marchands italiens. A.M. et R.H. Bautier signalent les achats, à des négociants de Lodi, Bologne, Parme et Plaisance, de destriers de haut prix en 1281 par le fils du seigneur de ChâteauVillain, en 1287 par le comte de Flandre, en 1322 et 1327 par le comte de Barlll. Toutefois, il n'y a pas mainmise complète des Italiens sur ce commerce puisqu'on signale des marchands normands venant vendre leurs chevaux aux foires de Champagnel12. Les Flamands sont de fidèles acheteurs d'armes et de chevaux à ces foires, à tel point que Louis le Hutin, en 1315, défend tout négoce avec eux, alléguant «qu'il est montré que les genz de ladite terre dudit duc viennent en notre royaume, achatent, blez, vins, chevaus, armures et emportent de quoy nos diz anemis sont soutenuz, confortetz...»113. Du Danemark, on vient avec des palefrois, afin de les vendre à ces foires, après passage sur les marchés flamands («dou royaume de Dennemarche viennent palefroy, cuir, oint...»114). Ce cheval, venu du Nord, semble avoir connu une bonne réputation au cours du Moyen Age, si l'on en juge 107 - Voir R. Marquant, op. cil., p. 93sq. 108 - The Cartulary and Charters of Notre Dame of Ilomblieres, par Th. Evergates et G. Constable, à partir des travaux de W. Mendel Newman, Cambridge Mass., 1990, n° 42. 109 - F. Bourquelot, «Etudes sur les foires de Champagne», art. cit., p. 303. 110- Sur les foires de Champagne, voir R.H. Bautier, «Les foires de Champagne, centre de l'économie internationale au Moyen Age», La vie en Champagne, juin, 1957, pp. 4-10. E. Chapin, Les villes de foires de Champagne des origines au début du XIVe siècle, Paris, Champion, 1937. 111 - R.H. et A.M. Bautier, art. cil., p. 65. 112 - F. Bourquelot, ibid., p. 316. 113 - Ordonnance des rois de France, 1, p. 619. 114 - F. Bourquelot, art. cit., p. 206.
par la fréquence de ces chevaux «norrois» qui figurent dans les textes littéraires. Il est difficile de déterminer ce que recouvre exactement le terme ; on sait en effet, surtout à partir du XIIIe siècle, que le cheval de Frise est utilisé pour la remonte française ; la terre de Frise est connue au XIIIe siècle pour être terroir d'élevage. «Norrois» désigne en tout cas un cheval venu du Nord qui, dans les textes, apparaît associé au palefroi, comme dans Erec et Enide, où la reine en monte un blanc (v. 4108) (on trouve dans ce roman trois palefrois norois) ; au cheval en général, comme dans le Perceval de Chrétien (v. 2648) ou comme dans la Chanson des Saisnes où il est monture d'un Turc (v. 3312) ; au destrier comme dans Raoul de Cambrai (v. 724, 2138, 2464), où l'on compte trois occurrences ou comme dans la tardive chanson de Florent et Octavien où le roi conseille au héros de «monter sur le destrier noirois» (v. 3551). On pourrait multiplier les exemples. Témoin de ce commerce équin aux foires de Champagne, la chanson de geste Hervis de Mes (début XIIIe s.) dans laquelle Hervis se rend à Provins, 3000 marcs d'argent en bourse, afin d'acheter des «destriers de pris»115. Dans le Hainaut, en 1265, on fait commerce de chevaux à la foire de Binche, commerce pour lequel le comte de Hainaut a un droit de tonlieu de 8 d. pour un cheval, de 2 d. pour une jument 116. On peut noter que Metz également fut une place où le cheval était vendu, comme en témoigne les comptes de la maison de Bar : le comte en effet, comme son voisin le duc de Lorraine, se fournissait également en montures à cet endroit117. Pour terminer sur ces exemples de marchés où les chevaux étaient vendus, nous citerons cette charte d'Arbois qui montre combien important pouvait être le commerce des chevaux lors d'une foire ; le texte, datant du XIVe siècle, montre en effet l'intérêt qu'il y a de baisser les droits de péage, afin d'augmenter les flux de vente :
115 - Ed. J. Ch. Herbin, Genève, Droz, 1992, laisse Vin. v. 278sq. Voir également, du même auteur, «L'arrière plan socio-économique de Hervis de Mes», Wodan, 12, sér. 4, 2, 1992, pp. 13749. 116 - Cartulaire des rentes et cens dus au Comte de Hainaut (1265-1286), éd. L. Devillers, Mons, I, 1873, pp. 121-4. Ce document se trouve également dans Sources d'histoire médiévale, op. cit., p. 457. 117 - Voir J. Schneider, La ville de Metz ara XIIIe et XIVe siècles, Nancy, 1950, p. 215.
Jehans, sires de Ray, gardiains du contey de Bourgoigne, façons savoir a touz present et a venir, que corne les eschevins et habitanz de la ville et communaltez d'Arbois ehussent suppliez et requis a fut nostre trés chiere et redoubtee dame, (...) que de ung chescun chevalx et autres bestes chevalenes, don l'on paihoit et avoit acostumez de paier de vente ou piaige, quant il estoit ferrez, quatre deniers, et quant il n'estoit ferrez, doux deniers, l'on fut et demorait quicte pour ung denier de vente ou de piaige, at que, se ainsi se façoit, se saroit le profit de nostre dicte dame et sa dicte ville, pour ce que plux habundamment et plus grant qauntitez de bestes seroient amenez et desduiz es foires et merchiez de ladicte ville, ou poul en venoit, pour cause de la dicte chargeI18... Il y a donc bien peu d'éléments inattendus apparaissant dans les textes. A l'image de toutes les marchandises, le cheval se commercialise aussi dans les marchés et les foires. Dans l'état actuel de nos recherches, on ne voit pas de région qui prédomine pour ce type de commerce animalier. On trouve le cheval, ce qui est logique, dans les grandes foires, comme celle de Troyes, et dans les grandes villes, lieu où la demande est nécessairement régulière. Certains marchés locaux, comme celui de Nogaro, sont sans doute conditionnés par la présence locale d'un élevage chevalin. On peut donc penser raisonnablement que l'approvisionnement en chevaux se fait selon plusieurs modalités, toutes conformes à l'état et aux structures de la société médiévale. La plupart des chevaux de prix sont probablement négociés directement, présentés aux palefreniers et aux seigneurs eux-mêmes, ce qui n'empêche pas le négoce de certaines de ces montures d'élite, comme celles que vend le marchand Sissone à Nice, sur les marchés et si c'est le cas, surtout sur les marchés importants. Les grandes foires annuelles permettent d'importantes négociations et fournissent une bonne part des montures, disons d'ordre moyen. Sur les marchés régionaux, se satisfait une demande plus locale, donc plus restreinte. Les besoins importants, pour la remonte des armées tout spécialement, sont satisfaits auprès de grands négociants, italiens surtout, s'occupant de l'importation de chevaux vers les grandes foires et vers les écuries seigneuriales.
118 - Cartulaire de la ville d'Arbois, éd. C. Stouff, OijonlParis, 1898, pp. 106-7.
Les courants commerciaux Les courants du commerce du cheval vont être conditionnés par des facteurs objectifs et des facteurs traditionnels. Ils sont en effet attachés, par définition, aux lieux de production et aux lieux d'échange. Ils s'établissent donc entre les pays producteurs et exportateurs, comme l'Espagne ou les Pays-Bas, et les grandes foires du royaume. Le facteur traditionnel est lié à une pratique et à une politique financière qui font que les marchands italiens se placent au premier rang de ce négoce. Il y a échange commercial entre l'Espagne, pays où l'élevage du cheval est très développé119, et la France120. Les registres de péage font état de passages de chevaux espagnols au XIIe siècle aux Pontsde-Cé et à Tours, ce qui semble marquer un itinéraire commercial121. Ce commerce se maintient après le XIIIe siècle, époque où les besoins des armées françaises imposent une demande importante. Si le cheval lombard ou le cheval du Nord (le «norroi») sont bien placés pour la remonte, ils ne supplantent pas le cheval espagnol dont la réputation assure une vente régulière dans les importations; en 1310 par exemple, les rôles gascons indiquent des achats de chevaux d'Espagne122. Importation parfois difficile, puisque certaines limites peuvent y être apportées : le roi d'Aragon taxe ses exportations de chevaux et, en 1437, un Perpignanais est accusé de fraude pour avoir vendu deux roncins d'Aragon à la foire de Pézenasl23. Le cheval espagnol jouit d'une réputation très élevée au Moyen Age, depuis très haute époque, comme en témoigne le passage de la Vita de saint Corbinien (c. 769) racontant cette anecdote : Corbinien était monté sur un magnifique cheval, Iberius, et l'animal provoqua la convoitise du roi, qui le fit saisir pour couvrir ses juments ; la punition de Dieu fut telle qu'il y eut épidémie, provoquant le repentir du roi et 119 - Voir P. Bonassie, La Catalogne du milieu du Xe à la fin du XIe siècle, Toulouse, 1975 ; R.H. et A.M. Bautier, art. cit., pp. 17-24. 120 - Voir Y. Renouard, «Un sujet de recherches : l'exportation de chevaux de la péninsule ibérique en France et en Angleterre au Moyen Age», art.cil. 121 - Le cheval de passage venant d'Espagne (equus de Ilispania transiens) payait 12 deniers, soit trois fois plus qu'un cheval ordinaire (lUI. et A.M. Bautier. art. cit., p. 24). 122 - Ed. Y. Renouard, t. IV, (1307-17), Paris, 1962, n° 457. 123 - G. Romestan, «Perpignan et les foires de Pézenas et de Montagnac aux XIVe et XVe siècles», Pézenas, ville el campagne (XIIIe-XXe siècles), Actes du 48° congrès de la Fédération Historique du Languedoc méditerranéen et du Roussillon, Pézenas, 10 nov. 1975, Montpellier, 1976, p. 88 et n. 63.
un don généreux pour le saint124. C'est la première allusion connue au cheval espagnol en dehors de l'Espagne. En 795, une lettre de Louis le Pieux, adressée à Charlemagne, mentionne un cheval de grande qualité (optimus equus) pris à l'ennemi 125 et Notker signale un don, probablement imaginaire, mais significatif d'un possible, de chevaux d'Espagne offerts au Calife par l'empereur. Le Roman de Rou nous rappelle que Guillaume le Conquérant était monté sur un cheval d'Espagnel26. L'élément essentiel réside sans doute dans les contacts existant avec l'Espagne chrétienne et les élevages qui jalonnent la route de Saint-Jacques. Ainsi que l'ont signalé R.H. et A.M. Bautier, cet élevage est très développé dès le début du IXe siècle, comme à San Millan de Cogolla ou à San Felix de Oca, où l'on trouve des troupeaux de plus de cinquante chevaux et juments. On peut aussi considérer, toujours avec prudence, le témoignage de la littérature, en particulier celui des chansons de geste, ces dernières faisant, on l'a déjà remarqué, une place d'honneur à ce cheval «arrabi», «alferans», «d'Espaigne» toujours prestigieux, «de grant pris». Dans le Couronnement de Louis, Gui d'Allemagne fait partir son messager sur un «destrier d'Arab[i]e», symbole ici de rapidité127 ; Guillaume se moque de Louis en proposant d'offrir des «destriers d'Espaigne» à tous les barons du roi qui n'ont que «clos chevals» et «destriers desferrez», ces chevaux prestigieux étant mis en parallèle par le généreux chevalier avec or et argent128 : le cheval est cette foisci symbole de richesse. Cette tendance se maintient d'ailleurs dans le roman arthurien. Dans la Charrete, Lancelot affronte un chevalier qui était sur «un cheval d'Espaigne sor» (v. 1651) ; on retrouve ce cheval dans Perceforest (v. 29371), dans Claris et Laris (v. 17595), dans Cligès (v. 4780) , dans Le bel inconnu (v. 5862) etc., preuve qu'il ne s'agit pas seulement d'un topos générique afférant à la seule chanson de geste. En nous référant à cette dernière, dans une progression chronologique, on peut mesurer combien peut se maintenir cette réputation du cheval espagnol. Il faut bien entendu faire la part d'une dimension générique, purement littéraire, mais qui dans ce cas, au vu de l'importance des men124 - Vita Corbiniani episcopi Baiuvariorum, 6d. B. Krusch, M.O.H., (SRM), 6, 1913, pp. 56879. 125 - Cit6 par R.H.C. Davis, The medieval Warhorse, London, Thames and Hudson, 1989, p. 51. 126 - Wace, Le Roman de Rou, éd. A.J. Holden, Paris, SATF, 1970. 127 - Le couronnement de Louis, éd. E. Langlois, v. 2363. . 128 - Ibid., vv. 2255sq.
rement littéraire, mais qui dans ce cas, au vu de l'importance des mentions, n'apparaît pas comme la dominante. Dans Gormont et Isembart, chanson de la fin du premier tiers du XIIe siècle, on trouve un cheval de Castille, la monture de Thierry de Termes ; dans la Chanson de Guillaume (2° quart du XIIe, fin XIIe), deux destriers viennent également de cette région d'Espagne, alors que le Couronnement de Louis (1131-50) indique un cheval aragonais ; le même Guillaume encourage, dans le Charroi de Nimes (1140-65), les chevaliers à le suivre pour prendre Nîmes en leur promettant des destriers d'Espagne ; dans la Prise d'Orange (c. 1165), les compagnons de Bertrand, au secours de Guillaume, «es chevaus montent d'Espaigne...» ; le roi Synagon occit un chevalier franc monté sur un «destrier aragone» dans le Moniage Guillaume, deuxième rédaction (1170-80), qui mentionne aussi un «tant destrier de Castele», ainsi que deux chevaux d'Espagne ; on trouve deux chevaux aragonais dans Aliscans (118590), un castillan dans la Chevalerie Vivien (fin XIIe) ; Guibelin, dans le Siège de Barbastre (dernier tiers XIIe), monte un «destrier de Castele», dont on trouve une occurrence dans les Enfances Guillaume (première moitié XIIIe) ; dans Aymery de Narbonne (premier quart XIIIe), deux chevaux d'Espagne et trois aragonais, comme celui que Hugues broche en déployant le «vermeil gonfanon» ; pour finir avec une chanson très tardive, Buevon de Conmarchis (dernier quart XIIIe), on y trouve un cheval dit d'Espagne, un «espaingnois», un aragonais, et deux de Castille. Mais c'est surtout le cheval de Lombardie qui va alimenter la remonte des armées royales, du moins jusqu'au deuxième quart du XIVe siècle, époque à partir de laquelle il sera supplanté par le cheval de Hollande et de Frise129 et par celui de Westphalie130. On enregistre jusqu'à cette époque des flux très réguliers, dont les points de crête correspondent aux campagnes militaires, avec des trafics importants (jusqu'à 1000 chevaux par an) par des voies commerciales bien établies, les deux principales passant par le col du Mont-Cenis et par le 129 - Une anecdote rend bien compte de ce commerce ; en 1312, un marchand de Rouen, envoyé par Enguerrand de Marigny pour acquérir «palefroiz du commandement le roy Philippe le Bel» en Allemagne, au Danemark et en Frise, est dévalisé d'une somme de 500 florins près de Duustede sur le Rhin, par des gentihommes qui seront pris en Gueldre et décapités, (voir R.H. et A.M. Bautier, art. cit., p. 68). 130 - Voir à ce sujet Ph. Contamine, Guerre, Etat et Société à la fin du Moyen Age, Paris/La Haye, 1972, p. 663.
Petit-Saint-Bernard, pour aboutir à la Bourgogne via Chambéry et Lyon. Ce commerce est en général contrôlé par des marchands italiens131. Citons enfin, au XIVe siècle, le transit des chevaux d'Angleterre, tout particulièrement les juments, par le port de Dieppe, tel que le révèle un état dressé par les comptes de l'Archevêché : 118 en 1426, 72 en 1428,409 en 1446132. On voit donc bien que le cheval, capital-valeur de prix, est un élément important dans l'échange médiéval. Sa place sur le marché est fondamentale, liée aux besoins militaires et donc fluctuant selon l'importance des campagnes ; liée aussi à l'utilisation du cheval dans le monde du travail, au champ, à la ville ; sur le champ de foire, on négocie le roncin et le sommier, le cheval de labour, le cheval de transport. Le commerce des équidés répond à ces besoins, très évolutifs et d'un caractère varié, lié à la géographie locale. Echange, dons et contre-dons, achats unitaires dans des circuits très restreints, à la ferme, à l'abbaye ou vastes ensembles commerciaux en relation avec une politique de remonte ponctuent le commerce du cheval en fonction de besoins qui se définissent en termes de fonction et de travail en aval, de qualité et d'étendue d'élevage en amont.
131 - Cette question a été étudiée de manière approfondie par R.II. et A.M. Bautier, art. cil., pp. 64-70 ; nous renvoyons à cette étude. 132 - Voir M. Montfort, art. cil., p. 467.
CHAPITRE II Le cheval au travail
Si les textes littéraires abondent de destriers valeureux conduisant les héros qui les montent à la victoire, de palefrois équipés avec munificence transportant dames et demoiselles, de roncins d'écuyers, de moines en voyage ou de chevaliers en difficulté, ils sont plutôt avares de détails sur la vraie nature des équidés, sur leur élevage et sur leurs qualités réelles. Encore plus parcimonieux sont ces textes sur le cheval à la ferme ou en route vers foires et marchés. C'est pourtant du côté du travail agricole et industriel que nous allons essayer de nous tourner, pour tenter de saisir la réalité, dans ce qu'elle a de plus banal, de la place du cheval dans le monde médiéval1. Les documents sont, ce qui est une habitude dans le cadre de ce travail, très éparpillés. Nous allons toutefois tenter de donner quelques grandes lignes. Il faut d'entrée de jeu noter les problèmes qui se posent pour l'étude du cheval dans le monde du travail. L'utilisation du cheval pour le transport des marchandises ou pour les travaux agricoles est en effet lié à trois types d'éléments : le coût du cheval, et donc le rapport capital investi/rendement net ; la technologie et la technique agricole ; la culture de l'avoine2, nourriture de base de l'animal. 1 - Nous aborderons le problème du cheval de combat à travers la littérature, en essayant de faire quelques parallèles avec une réalité militaire, déjà bien étudiée, en particulier par Ph. Contamine, aux travaux et à la bibliographie duquel nous renvoyons. 2 - On ne peut certes établir une relation extrêmement rigoureuse entre la production d'avoine et l'utilisation du cheval de trait ou l'extension de l'élevage, l'avoine étant également consommée, sous forme de bouillie, par les hommes du Moyen Age. Toutefois, il n'est pas déraisonnable de faire l'hypothèse d'une corrélation. C'est ce que note R. Fossier : «Cependant on ne conçoit guère que l'accroissement de cette culture puisse provenir uniquement de la consommation humaine, lorsqu'on constate les progrès parallèles d'autres céréales panifiables plus recherchées, comme le froment ; on peut donc admettre que c'est le gonflement du cheptel chevalin qui explique le brusque saut des redevances ou des récoltes en avoine révélé par la documentation : en effet, au dernier quart du Xlle siècle, la part d'avoine s'accroît subitement dans les cens en nature ; la montée est continue : 30 % des baux la mentionnent vers 1150, 56 % au milieu du XIIIe siècle ; la poussée est inégale, certes, mais elle suit parfaitement le développement de l'élevage du cheval.», (La terre et les hommes en Picardie jusqu'à la fin du XIIIe siècle, CRDP Amiens, 1987, p. 155).
On a vu que le cheval était généralement un animal fort coûteux. En posséder un ou plusieurs est une marque de position sociale plus élevée dans le monde du travail ; l'acquisition d'un cheval de trait est signe de progrès, d'amélioration de sa condition : c'est ce que note Gautier Map, dans le De nugis curalium, à propos de l'exemple des marchands Sceva et Ollon qui, partis de rien, tiraient les charrettes avec leur cou, puis qui purent posséder des charrettes à deux chevaux3. Pour le paysan ou le marchand, bien que le rendement journalier en ratio temps/travail d'un cheval soit meilleur que celui d'un boeuf ou d'un âne, l'investissement de départ se révélait souvent très délicat, voire impossible. Il était souvent difficile de régler l'achat d'un cheval en argent ; on a vu dans le chapitre précédent que le système du troc pouvait alors fonctionner. Mais, plus souvent, certains paysans étaient obligés de mettre leur terre en gage, comme ce Géraud de Morrencs qui acheta en 1209 à l'abbaye de Berdoues un cheval valant 60 sous morlaas et ne put verser au comptant que trente sous ; il engagea alors ses pâtures. Comme également Arsieu de Montesquiou qui engage ses terres pour un poulain estimé 50 sous morlaas en 12154. S'il réussissait à effectuer cet achat, l'acquéreur pouvait en effet avoir des problèmes pour l'entretien d'un animal qui revient 30% plus cher qu'un boeuf5. Pour le paysan peu fortuné, surtout pour celui qui ne produit pas d'avoine, l'entretien et la nourriture du cheval posent problème. Souvent, comme le note G. Duby, on craint de ne pouvoir nourrir l'animal pendant l'hiver et on s'en sépare à bas prix lors des foires d'automne6. Au XIVe par exemple, les paysans ardennais doivent emprunter aux usuriers lombards, à des taux exorbitants, de quoi acheter l'avoine de leurs chevaux. Le taux officiel pratiqué est de 50% par an, mais les Lombards augmentent ce dernier en cas de défaut de paiement régulier ; souvent, les paysans sont alors obligés, voire condamnés à céder leur cheptel. C'est ce que confirment par exemple les cas de Jehan Brouet, Jehan Nourry, Colard de Braux, condamnés en 13927 : 3 - Voir M. Perez, Contes de courtisans, traduction du De nugis curalium de Gautier Map, Lille, sd., p. 237. 4 - M. Houbbaida, op. cit., p. 225. 5 - J. Le Goff, La civilisation de l'Occident médiéval, Paris, Arthaud, 1984 (éd. de poche), p. 243. 6 - L'économie rurale..., I, Paris, Aubier, 1962, p. 252. 7 - Voir H. Manceau, «La société au Moyen Age», Les Lombards, ces usuriers, dans Témoins du passé. Textes et documents ardennais, III, pp. 34-5.
Et pour ce que lesdits obligés ne pouvaient payer et que ledit Brouet etait tenu envers lesdits Lombards en une somme de .iv. francs d'une part, et une autre somme empruntée par luy et un appelé Colard de Braux et Jehan Nourry, en la somme de .vii. francs, pour avoines achetees auxdits Lombards, et pour montes de ladite avoine firent somme a la somme de .xvii., tant pour ladite avoine que pour ladite monte (...)Et ce nonobstant, lesdits Lombards firent encore prendre a leur requete ledit Doysel, qui fut pris sur le chemin en menant son char attelé de quatre chevaux et mené en prison en la tour de Mezieres (...)Et aussi firent prendre et emprisonner ledit Colart de Braux, qui fut pris a son labeur en charmant ses terres et mené a ladite tour de Mezieres. On peut multiplier les exemples de documents qui convergent vers le même constat : pour un «vilain», l'achat et l'entretien d'un cheval sont problématiques, ce qui explique aussi, mais pas seulement, la difficulté du passage du boeuf attelé au cheval8. Tel est bien en effet un des principaux problèmes qui se pose à l'historien : est-il possible en fait de parler de passage du boeuf au cheval? Si oui, peut-on mesurer la façon dont ce passage s'est fait, selon quelles modalités, à partir de quelle date et dans quelles conditions? Cette substitution concerne deux emplois majeurs du cheval : le transport d'un côté, le labour de l'autre ; sur la route et dans le champ. La première représentation d'un cheval au travail se trouve dans un manuscrit de Trèves du début du IXe siècle, mais c'est un cas très isolé. Selon G. Duby, la substitution du cheval au boeuf dans le cadre agricole ne s'opère pas avant le XIIe siècle. On peut citer un certain nombre d'exemples révélant combien il est difficile de proposer une tendance générale. Le pape Urbain II prêchant la croisade place sous la protection divine, comme le rappelle J. le Goff, les equi arantes, equi de quibus hercant9. Dudon de Saint-Quentin note au XIe siècle
8 - «Si les ruraux se sont si longtemps refusé à faire tirer l'instrument de labour par un ou plusieurs chevaux et, donc, ont été privés d'une chance sérieuse d'augmenter les rendements et la rentabilité, cela tient à diverses causes : le cheval coûte trois ou quatre fois plus cher à nourrir que le boeuf, il est de santé moins robuste (d'où son prix très élevé, voire prohibitif pour un exploitant moyen) et il a un pas bien plus rapide (cela permettrait de labourer plus vite, mais les laboureurs étaient habitués au pas plus lent des bovins et auraient eu de la peine - pensaient-ils - à marcher aussi vite que le cheval) ; enfin, l'esprit routinier du monde rural a joué un rôle presque aussi grand que les considérations économiques dans la lenteur de la diffusion de l'attelage chevalin.» (G. Fourquin, Histoire économique de l'occident médiéval, Paris, A. Colin, 1990, p. 120). 9 - La civilisation de l'occident médiéval, Paris, Arthaud, 1977, repris en Arthaud Poche, 1984, p. 243.
que la charrue est tirée en Normandie par un boeuf, un âne ou un cheval, alors que Wace, au XIIe siècle, la fait tirer par deux boeufslO. Jean de Garlande, décrivant une charrue, donne deux cas possibles : joug ou collier, révélant une alternative entre boeuf et chevalll. A la fin du XIIIe siècle, Walter de Biblesworth écrit un traité de vocabulaire français à l'usage de lady Dyonisia de Monchensi, dans lequel il décrit une charrue où il ne considère que le boeuf12. Walter de Henley, comme beaucoup d'agronomes anglaisl3, préconise le boeuf, alors que l'élevage chevalin est particulièrement développé dans son pays. Le boeuf, dit-il, est moins coûteux que le cheval et de plus, lorsqu'il est âgé, il peut être vendu comme viande de boucherie14. Cet agronome pousse d'ailleurs sa conviction jusqu'à accuser le laboureur d'une mauvaise volonté causant la lenteur d'un attelage bovinl5. Les réponses des historiens sont d'ailleurs souvent contradictoires ; pour l'Angleterre, par exemple, L. White pense que le labour se fait avec le cheval dès la fin du XIIe siècle, alors que Titow pense
10 - Voir M. Amoux, «Paysans et seigneurs dans le duché de Nonnandie», Villages et villageois au Moyen Age, Publication de la SHMESP, Paris, Publications de la Sorbonne, 1992, p. 70. 11 - Cité par G. Fourquin, Histoire de la France rurale, op. cit., t. I, p. 412. Si l'on se réfère à l'Angleterre, comme élément de comparaison, il semble qu'encore au XIVe siècle, le mélange boeuf/cheval soit bien attesté (R. Trow-Smith, A History of British Livestock husbandry to 1700, London, 1957). 12 - The treatise of Walter de Biblesworth, éd. Th. Wright, dans A volume of vocabularies, A library of national antiquities, priv. print., 1857, p. 169. 13 - G. Duby rappelle en effet que les traités anglais d'agronomie déconseillaient l'usage du cheval et note que «la substitution du cheval au boeuf fut donc peut-être au XIIIe siècle, elle aussi, plus limitée qu'on l'a dit», op. cit., t. 1, p. 207. 14 - La viande de cheval semble peu consommée au Moyen Age, sauf peut-être en cas de nécessité. L'Histoire anonyme de la première croisade mentionne, lors d'un siège turc, une consommation de viande chevaline par les croisés : interea tanta oppressione fuimus oppressi ut equos et asinos nostros munducaremus (éd. L. Bréhier, Paris, Champion, 1924, p. 128). Villehardoin cite un cas, dans des conditions très néfastes, lors du siège de Constantinople : «et de char fresche nulle chose, se il ne l'avoient des chevaus que on leur ocioib> (Prise de Constantinople, I, p. 166). La Chronique de Saint-Pierre le Vif rapporte aussi une consommation de viande de cheval lors de conditions particulièrement difficiles. Gille li Muisit mentionne dans sa Chronique également, du cheval mangé en 1347 lors du siège de Calais. La viande était frite dans l'huile précise-t-il (frixa in oleo), éd. H. Lemaître, Paris, 1905, t. 1, p. 186. Cet événement frappa sans doute les esprits puisqu'on retrouve cette remarque sur la consommation de viande chevaline à Calais dans les Grandes Chroniques de France (éd. J. Viard, Paris, SliP, 1937, p. 311. On peut toutefois penser que dans le haut Moyen Age, la viande chevaline était consommée. Le capitulaire De villis en effet mentionne que lorsqu'un cheval est vieux ou impotent, il peut partir pour la boucherie, à condition de ne pas être galeux (De Villis, 23). 15 - Walter of Henley and other treatises on estate management and accounting, éd. D. Oschensky, Oxford, Clarendon, 1971, p. 319.
qu'un tel passage n'eut jamais lieu16. Il paraît très difficile de faire une synthèse ; on peut simplement avancer que le cheval de trait peu à peu se répand, surtout dans l'Europe du Nord, à partir du XIIIe siècle17, période qu'il ne faut considérer que comme une moyenne, avec des rythmes très diversifiés. C'est sans doute d'un point de vue social qu'il faut, de manière essentielle, considérer le problème. L'utilisation du cheval est à envisager dans le cadre des progrès d'une société, tant du point de vue de sa production agricole, de son développement urbain que de ses progrès technologiques. Comme le note F. Braudel, «le boeuf chaque fois disparaît parce que trop lent à répondre à une culture conquérante du blé, exigée le plus souvent par une progression démographique»18. Dans la période d'essor urbain des XIIe et XIIIe siècles, il est nécessaire de répondre à la demande croissante des villes, il est nécessaire de cultiver mieux. Ph. Wolff a noté l'essor de la demande urbaine tant en quantité qu'en qualité de produits de plus en plus diversifiésl9, ce qui suppose en amont une meilleure préparation des sols afin de plus et mieux produire20. D'autre part l'essor des foires du XIIe siècle, la plus grande circulation des marchandises et des marchands qu'emblématise la décision du concile de Latran de 1179 incorporant les marchands à la «paix de Dieu», entraînent également l'amélioration du réseau routier ; il faut ici aussi transporter plus et mieux. Comme le note J. Favier, «avec l'accélération de la croissance démographique et l'amélioration de la sécurité publique, l'expansion
16 - J. Z. Titow, Winchester Yields : A Study in Medieval Agricultural Produc.tivity, Cambridge, 1972. 17 - G. Duby, op. cit., t. I, p. 206, n. 1 rapporte l'exemple des dessins du Veil Rentier des seigneurs d'Audenarde datant de la fin du XIlic siècle. 18 - La Méditerranée au temps de Philippe Il, p. 298. 19 - Ph. Wolff, Automne du Moyen Age ou printemps des temps nouveaux, Paris, Aubier, 1986, p. 96sq. 20 - Comme le note G. Duby, l'apparition des traités d'agronomie à cette époque, comme l'Opus ruralium comodorum de Pietro Crescenzi ou le J/usbandry de Walter of IIcnley est un indice significatif de l'extension de l'agriculture entre le XIe et le XIIIe siècle (L'économie rurale et la vie des campagnes dans l'occident médiéval, Montaigne, 1962, Flammarion, 1974, Collection «Champs», t. 1, p. 177). Significative aussi l'apparition de l'agriculture parmi les artes mechanice : Hugues de Saint-Victor, pionnier en la matière, consacre un alinéa du Didascalicon (§ 24) à l'agriculture. Plus généralement, voir R. Delatouche, «Elites intellectuelles et agriculture au Moyen Age», Recueil d'études sociales à la mémoire de Frédéric Le Play, Paris, 1956. Pour une mise au point du statut des arts mécaniques, G. II. Allard, «Lcs arts mécaniques aux yeux de l'idéologie médiévale», Cahiers d'Etudes médiévales, 7, Montréal, 1982, pp. 13-32.
de l'homme dans l'espace naturel connaît au XIIe siècle son plus fort dynamisme»21. L'implantation du cheval au travail est difficile à cerner, car elle correspond justement à un ensemble d'éléments diversifié : dans sa diachronie, elle est liée au défrichage, à l'amélioration des cultures, au développement urbain et au progrès de l'attelage : il est certain par exemple que dans ce domaine, même s'ils ne sont pas des facteurs décisifs uniques, la ferrure, le collier d'épaules, le palonnier etc. ont eu un rôle fondamental à jouer. Elle est aussi liée à des éléments d'économie régionale : poids des habitudes et des traditions, incertitudes des temps, qualité fluctuante du réseau routier, caractères géomorphologiques des sols. Toute cette variété milite pour une cohabitation quasi permanente du boeuf et du cheval, avec seulement des lignes de crête régionales. C'est ce que confirment de nombreux documents qui laissent la place aux deux possibilités, boeuf et cheval, comme cette charte de l'abbaye d'Auberive en 1189 qui précise que les quadrige sont tirées par des boves vel equi22 ou une autre, datée de 1211, et donnant le choix entre un cheval, deux ânes ou quatre boeufs23. Il semble donc que, si l'on veut donner une réponse à la question de la substitution du boeuf au cheval, ce soit sur cet exemple qu'il convienne de s'arrêter, car il illustre, même pour la fin du Moyen Age, ce qui serait une «moyenne générale». Certaines régions, celles du nord de la France, voient un développement plus rapide du cheval de trait, sans que le boeuf soit véritablement exclu du travail agricole. D'autres, dans le midi par exemple, conservent majoritairement l'usage du boeuf, mais localement, on trouve des attestations de l'usage du cheval. Le plus souvent, ce sont les deux animaux qui se partagent les tâches de la ferme, avec l'âne, particulièrement adapté pour le transport dans certaines régions de montagnes, du Sud ou du Massif Central. Sur le chemin Dans le transport des marchandises, le cheval est un animal particulièrement utilisé, comme animal de trait ou comme animal de bât. Les péages distinguent souvent entre charge à dos et roulage. A 21 - Histoire de France. Le temps des principautés, Paris, Fayard, 1984, rccd. Le livre de Poche, p. 146. 22 - Chaumont, arch. dép. IH4, fol. 79v. 23 - Ibid., fol. 79v.
Charlieu dans le Forez par exemple, au début du XIIIe siècle, la leyde taxe différemment la charretée de la charge à dos de cheval, deux deniers pour la première, un sou pour la seconde. En 1411, on utilise trente chevaux bâtés pour transporter dix setiers de seigle et cinq d'avoine à Montbrison ; selon les évaluations d'E. Fournial, on arrive à un poids d'environ 150 kg par bête ; un char, attelé avec un ou deux animaux, transportait, selon les registres de péage, de l'ordre de 650 kg de grain24. Si l'on s'attache souvent au transport par charrette, il ne faut pas oublier pour autant que le transport par animaux bâtés était très utilisé. Par exemple, aussi bien à Marseille qu'à Troyes, le transport par charrette des matières textiles était interdit. De nombreux exemples, un peu partout en France, attestent de l'utilisation du cheval dans le transport des marchandises, tout particulièrement dans celui du bois, du vin, des grains et des foins. On se sert par exemple dans le Laonnois, à haute époque, du cheval bâté pour le transport des foins : en 949, Louis IV peut prendre la ville grâce à un stratagème rendu possible par ce moyen de transport. Les éclaireurs du roi avaient en effet observé le transport régulier des foins au moyen de chevaux : missisque exploratibus, comperit agasones civium per dies singulas exire ab urbe tempore vespertino, quinquagenos aut sexagenos farraginis fasciculos equiis in urbem deferre25. (Grâce a ses observateurs, il apprit que chaque soir des conducteurs de chevaux sortaient de la ville afin de ramener des chevaux chargés de cinquante ou soixante ballots de foin) E n 1198, les m o i n e s de l ' a b b a y e de L o n g u a y , d a n s la r é g i o n d e Chaumont, utilisent une charrette à un cheval pour transporter leur f o i n et, e n 1 2 3 3 , p o u r l e b o i s , u n e c h a r t e m e n t i o n n e l ' u t i l i s a t i o n d e u n o u d e u x c h e v a u x attelés26. L a c h a r t e d e f r a n c h i s e d e la v i l l e d e V i g n o r y , d a n s le L a n g r o i s , fait état de r é q u i s i t i o n s trois fois l'an de c h e v a u x p o u r le t r a n s p o r t des m a r c h a n d i s e s agricoles du s e i g n e u r d e V i g n o r y 2 7 . L e s c h a r t e s d e l ' a b b a y e d ' A u b e r i v e m o n t r e n t q u e le c h e v a l e s t u t i l i s é p o u r l e t r a n s p o r t d u b o i s ( a v e c l ' â n e e t le b o e u f ) a u X I I e 24 - E. Foumial, Les villes et l'économie d'échange en Forez ara XIIIe et XIVe siècles, Paris, 1967, p. 668. 25 - Richer, Historiae, M.G .//.. SS, il, 88 ; voir J. Lusse, Naissance d'une cité : Laon et le laonnois du Ve au Xe siècle. Presses universitaires de Nancy, 1992, p. 250. 26 - Arch dép. Chaumont, 6112, fol. 67v. 27 - Ed. J. d'Arbaumont, Langres, 1882, p. 76.
siècle, comme en 1169 à Soissons, pour les moines de Saint-Léger ou en 1187 pour ceux de Saint-Jean des Vignes, où deux chevaux sont attelés28. A Saint-Yved de Braine, c'est le foin qui est transporté avec charrette à deux chevaux en 121029. En 1251, dans les Vosges, on utilise le transport à cheval30. En 1256, Henri I de Vergi réquisitionne, une fois l'an, «de chascune maison qui charrete avra, la charrete doit avoir ensemble le cheval et le hernois, pour amener mon bief a Troies»31. Dans la Haute-Marne, on transporte avec des charrettes à deux chevaux aux alentours de 125932. En 1263, le seigneur de Fréteval fait don à l'abbaye de la Madeleine de Châteaudun de «charretees de buche a trois chevaus»33. La même année, un accord entre le prieur d'Ulmy et les habitants de Heiltz-le Maurupt, dans l'Aube, règle le nombre de charrois dus ; ces charrois sont tirés par des chevaux34. Au XIVe siècle, il semble que tous les transports de foin dans le Val de Saône soient faits au moyen de charrettes tirées par des chevaux. Le cheval sert pour acheminer les marchandises sur les foires, animal de trait ou de bât. A Mézières, on paie un droit de chaussée pour les marchandises arrivant sur des chevaux, ainsi que pour celles transportées par charrette, l'exemple ne permettant pas de savoir si celle-ci est tirée par un boeuf ou un cheval : «...tous chartons et voiturons forains (...) doivent pour le droit de chaussée pour chacun char .ii. deniers et pour la charette .i. denier et chascun cheval chargé, soit a somme ou a dos, .i. obole»35. On pourrait multiplier toutes sortes d'exemples attestant de ce rôle fondamental du cheval dans l'économie médiévale . Notons que l'iconographie rend elle aussi compte de la très large utilisation du cheval dans le transport. On trouve en général des charrettes tirées par 28 - Cartulaire de Saint-Léger, BN. nouv. acq. lat. 3064, fol. 24 et Saint-Jean des Vignes, BN. lat. 11004, fol. 104v. 29 - Cartulaire de Saint-Yved, Paris, arch. nat. LL 1583, fol. 69. 30 - Documents linguistiques de la France, Vosges, éd. J. Lahner, 1975, p. 19. 31 - Documents linguistiques de la France, Aube, Seine et Marne et Yonne, III, éd. D. Coq, Paris, 1988, p. 27. 32 - TI est fait mention dans une charte d'une «charrete a doubliau cheval» (Documents linguistiques de la France, Haute-Marne, éd. J.B. Gigot, 1974, p. 121). 33 - Cartulaire de l'abbaye de la Madeleine de Châteaudun, éd. 1,. Merlet, L. Jarry, Châteaudun, 1896, p. 195. 34 - Documents linguistiques de la France, Aube, Seine et Marne et Yonne, op. cit., p. 28 (Déc. 1263). 35 - M. Montfort, art. cit., p. 33.
un ou deux chevaux, parfois quatre. Souvent, un cheval est monté et conduit par un homme représenté avec un fouet en main. Comme nous l'avons déjà vu, cet emploi très fréquemment attesté du cheval dans le transport ne marque pas l'éviction du boeuf36. Quelques exemples suffisent à montrer que, même à la fin du Moyen Age, les charrois de boeufs sont encore largement utilisés. Une charte du prieuré Saint-Etienne de Vignory mentionne en 1380 des «harnoix de chevaulx ou autre harnois»37 pour le transport du bois, ce qui révèle que le boeuf est aussi utilisé pour ce type de tâche38. En 1382-83, aussi bien le cheval que le boeuf est utilisé pour des charges lourdes, lors de la construction de la chambre des comptes de Montbrison39. En 1393, les boeufs servent dans les charrois de Basse-Auvergne par exemple40. Il importe à présent de s'interroger sur les facteurs objectifs favorisant l'emploi du cheval dans le transport. En premier lieu, on peut penser à des critères inhérents à la morphologie des animaux : le cheval est plus nerveux, plus rapide que le boeuf. Selon J. Gimpel, la force de traction des deux animaux est à peu près la même, mais le cheval se déplace une fois et demie plus vite que le boeuf (1,1 m/s au lieu de 0,73 m/s) et, en conséquence, produit une puissance supérieure selon le même rapport41, ce qui lui donne un avantage incontestable pour le transport et, avec l'attelage en file, pour la charge lourde. Ce problème de la charge lourde est d'ailleurs difficile à cerner, car nous n'avons pas de documents nous 36 - Dans le Charroi de Nimes, écrit au XIIe siècle, le charroi du vilain que Guillaume rencontre est encore tiré par quatre boeufs. Il s'agit pourtant d'un véhicule pouvant tenir une lourde charge, qui, transportant des tonneaux, pourra cacher les chevaliers et leurs armes. On peut interpréter cela soit comme un anachronisme voulu par le poète soit, ce qui paraît plus probable, comme le reflet d'une pratique encore courante au XIIe siècle. Lefebvre des Nocttes (L'attelage. Le cheval de selle à travers les âges, Paris, Picard, 1931), donne des exemples de boeufs harnachés soit avec un joug de garrot, soit avec un collier d'épaules (p. 125 et fig. 153). 37 - Ed. J. d'Arbaumont, Langres, 1882, p. 9. 38 - Nous nous plaçons ici dans la seule perpective du remplacement du boeuf par le cheval. D convient bien entendu de ne pas pour autant perdre de vue que l'âne et la mule étaient très utilisés. Pour le bois par exemple, Froissart rapporte que la maison de Gaston Fébus était alimentée en bûches par convois tirés par des ânes (Voyage en Béarn, éd. A.!!. Diverres, Manchester, 1953, p. 42). 39 - E. Foumial, op. cit., p. 669. 40 - Chartes de franchises de Basse-Auvergne, éd. M. Boudet, Clermond-Ferrant, 1914, p. 474. 41 - J. Gimpel, La révolution industrielle du moyen Age, trad. dans Seuil, Points histoire, 1975, p. 56.
permettant de bien juger de l'équipement qui était utilisé. On a tendance à penser que c'est surtout le boeuf qui est utilisé pour des charrois de matériaux pondéreux, tels la pierre. Dans le Forez par exemple, les textes mentionnent de nombreux bubulci conduisant, mais sur de courtes distances, des chars pour les pierres ou la chaux. Toutefois, la charrette à quatre roues, tirées par quatre ou six chevaux, permet un bien meilleur rendement et elle est utilisée en des lieux qui le permettent. En 1379 par exemple, Etienne de Pasques, voiturier, utilise le chariot à quatre roues ferrées, avec six chevaux attelés, pour transporter des coffres contenant de l'argent42. Le problème principal de ce type d'attelage est qu'il nécessite des voies en bon état, ce qui, on le sait, était loin d'être le cas dans la plupart des régions du royaume. En second lieu, c'est vers l'équipement et l'attelage qu'il faut se tourner. Tout d'abord la ferrure à clous, importée d'Orient43, attestée en Europe dès le IXe siècle44, permet une bien meilleure utilisation du cheval qui peut supporter des charges plus lourdes et les transporter plus longtemps ; on trouve au Musée de Grenoble des fers ondulés datant de haute époque et venant du lac de Paladru45. On ne sait si la ferrure a été adoptée de manière généralisée avant le XIIe siècle ; les documents iconographiques montrent surtout des chevaux de selle et la ferrure n'est pas systématiquement figurée pour les chevaux de trait. Ici encore, il est raisonnable de penser en termes d'évolution et de penser qu'au XIIe siècle, la ferrure à clous est généralement adoptée. Les progrès de l'attelage sont également fondamentaux. Rappelons les éléments essentiels de l'attelage moderne46. Outre la ferrure à clous, il repose sur l'utilisation du collier d'épaules, qui fait porter la charge sur les épaules en prenant appui sur la base osseuse des omoplates, ce qui évite la compression de la poitrine et permet à l'animal de mieux respirer et donc de mieux travailler. A la suite des 42 - Comptes de l'état bourguignon, ed. cit., n° 2172. 43 - E. Leclainche, L'art vétérinaire du Moyen Age à la fin du XVIIIe siècle, dans Histoire de la médecine, de la pharmacie, de l'art dentaire et de l'art vétérinaire, (dir. Poulet, Sounia, Martigny), Paris, Albin Michel, Laffont, Tchou, 1978, p. 189. Pour G. Duby, la ferrure des bêtes d'attelage se répand en Europe au XIe siècle seulement (L'économie rurale et la vie des campagnes dans l'occident médiéval, Paris, 1962, rééd. Champs Flammarion, 1977,1.1, p. 205). 44 - Lefebvre des Noëttes donne l'exemple de deux manuscrits du IXe siècle, La force motrice animale à travers les âges, Nancy/Pari s/Strasbourg, 1927, fig. 144-145. Selon E. Salin et A. France-Lanord, il n'y a pas trace de fer ni d'étrier à l'époque mérovingienne (Le fer à l'époque mérovingienne. Etude technique et archéologique, Paris, 1943). 45 - Voir M. Colardelle, E. Verderl, Les habitats du lac de Paladru (Isère) dans leur environnement. La formation d'un terroir au XIe siècle, Paris, MSH, 1993. 46-Ibid., pp. 94-110.
travaux de Lefebvre des Noëttes47, on a longtemps pensé que le collier d'épaules était une invention médiévale révolutionnaire et qu'il opérait une rupture par rapport à l'Antiquité48. Des travaux plus récents vont dans le sens d'une évolution à partir de l'attelage antique qui n'avait pas tous les défauts que lui prêtait le commandant des Noëttes49. On ne peut toutefois nier l'apport du collier d'épaules à armature rigide, mieux adapté à la conformation physique du cheval dont l'encolure est relevée et ne suit pas, contrairement au boeuf, l'axe de la colonne vertébrale. Les progrès seraient aussi, dans une part fort importante, dûs aux améliorations portées aux véhicules, tels les essieux métalliques, les essieux avant mobiles, le char lourd à roues ferrées, le frein et le palonnier. Ce dernier apparaît au XIIe siècle : il oscille sur un pivot qui précède la caisse du chariot et régularise ainsi la traction. De plus, il permet l'attelage en file par l'adjonction de traits supplémentaires qui viennent en prolongement des initiaux. Ce type d'attelage est d'ailleurs assez rare avant les années 127550. Sa propriété essentielle est d'additionner les forces de traction, plutôt que de les disperser. 47 - Ibid. et L'attelage. Le cheval de selle à travers les âges, Paris, Picard, 1931. 48 - Cette opinion est reprise, entre autres, par E. Pognon qui note également que l'amélioration, vu le mauvais état des voies de communications, porte à l'emploi du cheval dans les champs : «Dans la mesure où on peut en juger, l'époque de l'an 1000 paraît marquée par le début d'un progrès décisif dans l'utilisation du cheval de trait. C'est le temps où commence à se répandre ce qu'on appelle l'attelage moderne. (...) La révolution dans l'attelage, signalée en 1931 à un large public par un ouvrage célèbre du commandant Lefebvre des Noëttes, multipliait par trois ou quatre le rendement du cheval de trait. Mais, comme le remarque Bertrand Gille dans son Histoire des Techniques, elle ne put avoir, au début, que des conséquences limitées. La traction animale implique des véhicules à roues maniables, et des voies en bon état. Or les chars à quatre roues, seuls à pouvoir recevoir une certaine charge - puisque la charrette à deux roues et à brancards semble avoir été ignorée - n'avaient pas alors d'avant train pivotant : tout virage posait donc un problème, en outre, le réseau routier était dans un état lamentable. (...) Ajoutons la rareté des ponts et leur délabrement, dont Richer nous a fourni un témoignage. Aussi n'est-ce pas sur les routes que la puissance accrue du cheval a pu être largement utilisée au XIe siècle : c'est sur les champs, où, tirant la charrue ou la herse, il apparaît désormais comme plus résistant et plus rapide que le boeuf et, sans l'éliminer, loin de là, le remplacera souvent et en maint lieu.» (La vie quotidienne en l'an mille, Paris, Hachette, 1981, p. 238). Sur la technologie de la charrue, on consultera également B. Gille, «Recherches sur les instruments du labour au Moyen Age», Bibliothèque de l'Ecole des Chartes, CXX, 1962, pp. 5-38. 49 - Voir surtout J. Spruytte, Etudes expérimentales sur l'attelage, Paris, 1977. Sur l'origine de l'attelage moderne, on consultera R. Grand et R. Delatouche qui émettent des hypothèses sur une transmission par les Scandinaves, L'agriculture au Moyen Age de la fin de l'Empire romain au XVIe siècle, Paris, 1950, pp. 447-8. 50 - TI semble que l'attelage en file n'était pas ignoré chez les Grecs, pour le transport des gros matérieux ; voir L. Bréhier, La civilisation byzantine, Paris, 1950 (2° ed. 1970, coll. l'évolution de l'humanité), p. 158.
Selon R. Fossier, quatre chevaux en file et ferrés permettent de tirer six fois plus de charge qu'un attelage de front. Par exemple, un tel attelage permettait de véhiculer quatre tonnes et demie de marchandise à cinq kilomètres à l'heures1. Les moyens de roulage se divisent essentiellement en deux catégories : à deux roues et à quatre. Les textes sont assez avares de renseignements précis, mais ils donnent souvent, les tarifs de péage étant différents, le nombre de roues et le nombre de bêtes attelées : on trouve par exemple dans les coutumes de Louplande dans le premier quart du XIIIe siècle mention d'une quadriga cum duobus equis, vel tribus, vel quatuor51. La charrette à quatre roues, qui se répand davantage à la fin du Moyen Age, est généralement peu utilisée, à cause de l'état des chemins. La situation du Forez aux XIIIe et XIVe siècles, bien étudiée par E. Fournial, est emblématique de la façon de transporter par roulage au Moyen Age. On y utilise le chariot, beaucoup plus rare que les autres véhicules, voiture à quatre roues à laquelle on attelle quatre chevaux. On se sert plus fréquemment de trois types de véhicules à deux roues : la charrette ordinaire, tirée par des boeufs ou des vaches (un transport de bois fut effectué avec quatre vaches liées) ; le char, tiré par des boeufs ou des chevaux ; le massot, de taille plus petite, équivalent aux deux tiers d'une charrette, attelé d'un animal, généralement le boeuf, le cheval étant rare en Forez. Le moyen de roulage le plus fréquemment utilisé est la charrette à deux roues, à brancards ou limons, pièces de bois dans le prolongement du plancher et garnies de ridelles. La présence de ces limons a imposé le terme de «limonier» pour désigner parfois le cheval de trait. Les descriptions de charrettes sont assez rares dans les textes. On trouve des allusions, mais en général peu de détails. Dans la branche IX du Roman de Renart (éd. Martin), le paysan Liétart est décrit s'apprêtant à partir avec sa charrette53 ; la description n'offre pas pléthore de détails, mais n'est pas sans intérêt : Letart aprés point ne sejorne, La carete afete et atome Sans noisse fere a plus que pot. Li chevaus ne va pas le trot : Aler le feit le petit pas. 51 - R. Fossier, Le Moyen Age, t. 2, op. cit., p. 293. 52 - Cartulaire de Château-du-Loir, éd. E. Vallée, Le Mans, 1905, p. 102. 53 - Pour le cheval dans le Roman de Renart, voir B. Ribémont, «Renart et le cheval», à paraître dans Reinardus, 7, 1994.
Et la charete ne bret pas, Que de seu l'avoit il bien ointe. (IX, vv. 1025-31) (Liétart ne s'attarde point à la suite ; il apprête sa charrette en faisant le moins de bruit possible. Le cheval ne va p a s au trot, il le fait aller le p a s léger. La charrette ne grince pas, car il l'avait enduite de suif). E t p l u s l o i n , il e s t p r é c i s é q u e « L i v i l a i n s e s t o i t a s i s / E n l a s e l e s o r l e cheval» (vv. 1038-39). N o u s t r o u v o n s i c i q u e l q u e s d é t a i l s s u r la f a ç o n e s s e n t i e l l e ( d'utiliser le c h e v a l d a n s le m o n d e d u travail, à s a v o i r c o m m e a n i m a l de transport. L ' i m a g e réaliste qu'offre l'auteur n o u s montre une charrette, d o n t les r o u a g e s ont été bien graissés, tirée p a r u n seul c h e v a l ; c e d e r n i e r v a a u p a s e t s e t r o u v e g u i d é p a r u n c o n d u c t e u r q u i le m o n t e . C e t t e f a ç o n d e g u i d e r p a r a î t c o u r a n t e e t o n la t r o u v e s u r c e r t a i n e s m i niatures ; p a r e x e m p l e , d a n s les H e u r e s d e la D u c h e s s e d e B o u r g o g n e ( M s . C o n d é 1 3 6 2 , fol. 9 ) , o n v o i t u n a t t e l a g e à d e u x c h e v a u x d o n t l ' u n est m o n t é , m a i s à cru. A la b r a n c h e XI, a p p a r a î t é g a l e m e n t u n é p i s o d e d a n s lequel D r o i n l e m o i n e a u a f f a m é v e u t p i l l e r u n e c h a r r e t t e ; il s e p o s t e a l o r s s u r l e c h e m i n et ...atant Un chareter qui vint corant Et ne vint pas a reculuns. Droïn au cheval des limons Saut sus la teste... (vv. 1167-71) (il attend un charretier qui venait rapidement. Il n'allait par; à reculons! Droin saute sur la tête du cheval qui était entre les limons) Il s ' a g i t b i e n ici e n c o r e d ' u n e c h a r r e t t e a t t e l é e à u n c h e v a l , q u i e s t c o n d u i t p a r u n h o m m e . Il e s t p o s s i b l e q u e c e d e r n i e r s o i t m o n t é s u r l ' a n i m a l , c a r l o r s q u e c e d e r n i e r e s t t u é p a r D r o i n , le c h a r r e t i e r «trébuche». O n notera quelques précisions techniques : une référence a u l i m o n et, p l u s l o i n , u n e r é f é r e n c e à l ' e s s i e u d e la c h a r r e t t e , q u i s e b r i s e s o u s l e p o i d s d e s t o n n e a u x d u v i n t r a n s p o r t é (v. 1 1 8 8 ) . L ' a u t e u r s e m b l e ici d é c r i r e u n e c h a r r e t t e à b r a n c a r d s e t n o n à t i m o n d o n t l ' u s a g e se p e r d à la fin d u M o y e n Age54. U n e d e s c r i p t i o n d é t a i l l é e , o n cri t r o u v e t o u t e f o i s u n e d a n s l e t r a i t é de W a l t e r de B i b l e s w o r t h , à la fin d u XIIIe siècle d o n c ; p o u r l'auteur d'ailleurs la charrette est tirée p a r des c h e v a u x et sert à t r a n s p o r t e r les céréales : 54 - Voir G. Haudricourt, M.J. Brunhes-Dclamarrc, L'homme et la charrue, Paris, 1955, p. 156.
Jo vey cy vener une charette ; Bon est ke m'entremette En Fraunceys la charette descrivere ; E pur enfaunz mettre en livere. Primer voyl nomer les roes ; Pus les bendes de les roes, Desout le qi sount de feer, Sount les jauntes cachés de fer. En les jauntes entrunt les rays ; (...) Més les rays de la charette En les moyaus untreceyte. Dit le moyal de la roef, E le moiel de un oef. Je fu fort a fesse porter, E jo fu bon, fet l'autre, a manger. En les meus est mys le essel, E par deuz hietes se tenent owel. Les esseus unt lour joigneres, Ke les eydunt cum bons freres. Sus les esseuz gist le chartil ; E pur sauver du peril, Le chartil est de braeus, Ferm lyee as asseuz. Entre le chartil e les meaus Sount hurtuers trovez deuz. Checune charette ke meyne blés Deyr aver redeles au coustés ; En les reideles vount les rolous Par les faiz, sanz nul clous. Entre les meaus sount sauneres, Si unt le charretes lour escheles. En lymouns va ly limounere, Ke porte a dos une dossere, E au ventre un venter, E a la koue un analuer. Les trays si unt braceroles, Ke enbrasunt les lymouns e acolunt. Devaunt les braceroles sount biletz, Ke de coteus sunt round deletz. Les cous de chivaus portunt esteles, Coleres de quyr et bourle boceles. En charette est le somer, La ou seet le charetter, Ke teynt en mayn la ryoite, Par unt le chival a chimyn resorte55.
55 - Ed. cit., pp. 16768.
Mais, comme on l'a vu, durant tout le Moyen Age, de lourds charrois de boeufs continuent d'être en service. Les documents d'archives révèlent en majorité les deux possibilités d'attelage qui se traduisent dans les textes par des formules du type «harnois de chevals ou aultres harnois». Si l'on voulait esquisser une tendance, on pourrait simplement noter des occurrences plus fréquentes du cheval pour le transport du bois et surtout pour le transport des grains56, ce qui correspond à son champ essentiel d'expansion dans le travail agricole57. Dans le champ L'emploi du cheval dans l'agriculture est fortement lié aux techniques d'exploitation et, tout particulièrement à la pratique de la céréaliculture et à l'extension de cette dernière. Cette extension correspond à une augmentation des besoins, qui se manifeste par un accroissement du marché, en particulier celui des blés, culminant vers les années 130058. Elle correspond aussi à l'apport de nouvelles céréales, telles le sarrasin. Elle est rendue possible par une meilleure exploitation des sols due aux progrès technologiques du labour et du hersage ainsi qu'aux pratiques de l'assolement. Le XIIe siècle est une période de grand défrichement où, comme le note J. Favier, «l'espace habité commence de l'emporter sur l'espace vierge»59. Ce mouvement voit la création d'espaces intercalaires60 qui s'organisent en marge des communautés villageoises, alors que les possédants, laïcs ou ecclésiastiques, prennent en main l'organisation et l'extension de leur domaine61. On voit ainsi apparaître deux conceptions de l'exploitation du sol : d'un côté les pratiques communautaires qui vont aboutir à l'assolement, de l'autre le système de l'appropriation
56 - Voir n. 30 ci-dessus. 57 - P. Manne, «Images du cheval à la ferme», dans Le cheval dans le monde médiéval, Sene fiance , 32, 1993, p. 353, n. 57, note après R. Grand et R. Delatouche, que la saumata, charge d'un cheval, sert d'unité de mesure pour le bois et certains produits agricoles en général transportés par cheval de bât. 58 - Voir G. Duby, L'économie rurale et la vie des campagnes dans l'occident médiéval, Montaigne, 1962, Flammarion, 1974, Collection «Champs», t. 1, pp. 238-42. 59 - Le temps des principautés, op. cit., pp. 146-7. 60 - G. Duby, L'économie rurale, t. 1, p. 167sq. 61 - Ibid., t. 2, pp. 134-68.
familiale qui favorisera les nouvelles productions et, en particulier, l'élevage du cheval. Les techniques d'assolement elles aussi évoluent de manière diversifiée : les régions à sols pauvres conservent surtout la rotation biennale62 ; dans la France des XIIIe et XIVe siècles, il y a beaucoup plus de terres à seigle qu'à froment. L'assolement triennal63 inclut en général seulement trois labours ; le quatrième labour en effet sert surtout à l'amélioration des terres dont une rotation sera consacrée au froment64. Il semble que ce quatrième labour ne se soit répandu dans les campagnes françaises que dans la deuxième moité du XIIIe siècle. L'efficacité du labour tient à la fois à la force de traction et au matériel utilisé. Au XIVe siècle des baux de métayage de la campagne toulousaine imposent six labourages et plus, en préparation aux semailles ; il s'agit en fait d'un labourage à l'araire nécessitant donc plus de passages croisés pour obtenir une certaine efficacité65. On voit donc quelques lignes de crête apparaître, passant par des éléments-clés que sont la charrue ou l'araire, l'assolement et la céréaliculture, la technique du hersage et du labour. L'évolution de ces différentes composantes au cours du Moyen Age, c'est-à-dire pour nous à partir de ce XIIe siècle qui voit un réel développement agricole conduit-il à une utilisation systématique du cheval dans les champs? Mais puisqu'il s'agit avant tout de labour, il convient en premier lieu de considérer l'instrument lui-même. L'araire, utilisée depuis la plus haute Antiquité, se maintient au Moyen Age, très longtemps dans certaines régions, du Sud en particulier. On se souvient de l'étonnement de Joinville voyant des paysans égyptiens labourer au moyen d'une charrue sans roue. La charrue montée sur roues semble d'un usage courant dans la Champagne du XIIIe siècle. La tapisserie de Bayeux présente un instrument à roues à deux mancherons, et l'Hortus deliciarum de Herrade de Landsberg (c. 1175) en montre un autre, à mancheron fourchu. Il est toutefois difficile de mesurer la qualité de l'outillage. C'est semble-t-il un outil précieux et coûteux : il 62 - Pour les régions du Sud de la France, voir Th. Sclafert, «Usages agraires dans les régions provençales avant le XVIIIe siècle. Les assolements», Revue de géographie alpine, 1941. Pour le Nord, voir R. Fossier, «L'assolement triennal autour de Saint-Quentin», Mélanges d'archéologie et d'histoire médiévales en l'honneur du Doyen Michel de Boiiard, Genève/Paris, Droz, 1982, pp. 147-54. 63 - Voir une synthèse de ces questions dans G. Duby, ibid., p. 184sq. 64 - Voir le tableau du cycle des labours que propose J. Favier, op. cit., p. 150. 65 - Voir A. G. Haudricourt et M.J. Brunhes-Delamarre, L'homme et la charrue à travers le monde, Paris, 1955, p. 330sq.
est évalué en Normandie à cinq sous et un coutumier de la fin du XIIe siècle règle le droit de charrue, l'outil étant sous tutelle ducale, ce qui en montre bien le prix66. Jusqu'à une date assez avancée, il semble que la charrue soit de bois, avec le tranchant renforcé de métal au XIIe SièCIC67 ; mais l'araire subsiste longtemps, sur les sols légers et les petites parcelles, dans des régions, telles que celles du Midi de la France, régions ou par ailleurs l'emploi du cheval de trait émerge lentement. La charrue, qui permet l'exercice de la traction plus vive offerte par le cheval, remplace donc progressivement l'araire68, mais, insistons, selon une géographie diversifiée. Il serait en effet bien hâtif de relier l'emploi de la charrue à une notion de développement économique : l'araire en effet est bien adapté à des sols légers, en pente, bien drainés et d'une profondeur moyenne ; c'est donc surtout le terroir qui détermine l'outil. Ce dernier va connaître quelques avancées technologiques, avec l'apparition au XIIIe siècle de la charrue branlante (charrue sans avant-train) et de la charrue toume-oreille. La première est plus petite, donc moins lourde et moins encombrante, la seconde facilite le charruyage, avec un versoir qui change de côté à chaque extrémité du champ69. C'est encore chez Walter de Biblesworth qu'on trouve une description de charrue à la fin du XIIIe siècle : En la charue vus troverez Diverse nounz assignez. Le chef e le penoun, Le manuel, et le tenoun ; Par desout est l'oriloun, Plus amound est l'eschuchoun ; La soke et le vomer Deyt la carue aver ; Més war ke ne thoche La soke la souche. 66 - M. Amoux fait un parallèle intéressant entre un conte, rapporté par les chroniqueurs normands, au sujet du vol de la charrue et la coutume ; ce qui est très révélateur de la place occupée par l'outil dans le monde paysan des XIe et XIIe siècles ; «Paysans et seigneurs dans le duché de Nonnandie», Villages et villageois au Moyen Age, Paris, Presses de la Sorbonne, 1992, pp. 6970. 67 - G. Duby, L'économie rurale..., t. 1, p. 204, s'interroge sur la correspondance entre la réalité et la figuration des manuscrits. Aucun document d'archivé ne paraît par exemple prouver que l'on utilisait des charrues à versoir. 68 - Pour toute la technique et les classifications araires/charmes, nous renvoyons à l'ouvrage fondamental L'homme et la charrue..., op. cit. 69 - Voir G. Cornet, Le paysan et son outil, lissai d'histoire technique des céréales (France. IXeXIIIe siècle), RomelParis, Ecole française de Rome, 1992.
En long la carue est la hay Ke vent en boys ou de hay. La charue si ad un maylet 0 le moundiloun pur fere net. Devaunt la haye sount le clavons, Ou sount atachez les tenouns. Les boufs portunt les juges (ed. cit., pp. 168-9) La charrue est particulièrement adaptée pour les parcelles très étirées et étroites. Ce type de parcelle est le plus fréquent dans toutes les terres à blé du Nord de l'Europe. Comme le note G. Fourquin «le succès de la charrue n'a été éclatant que sur les sols souvent riches, limoneux, lourds, de la partie septentrionale de la France : son emploi était une nécessité vitale si l'on voulait nourrir une population abondante, si l'on tendait au développement» 7°. A Bonnières par exemple, Thierry d'Hireçon possède 12 charrues71. De ce point de vue, technique, si l'on ne peut véritablement considérer l'emploi du cheval comme décisif en lui-même, il est toutefois légitime de le relier au passage de l'araire à la charrue ; dans le Lyonnais, terre d'araire, le cheval est rare à la fenne. Il ne faut pourtant pas en conclure que l'utilisation de la charrue à roues impose systématiquement le cheval comme animal de trait. Un certain nombre d'enluminures du XIIIe siècle montrent un cheval tirant la charrue, comme dans le Bruxelles, Bibl. Royale 1175, (fol. 156v), puis ensuite deux chevaux sont attelés de front, comme dans le BN fr. 9199 (fol. 92) ou bien même trois chevaux, l'un pilotant les deux autres, ces derniers en ligne, comme dans le Vat. lat. 1122, (fol. 26)72. Mais l'iconographie de la même époque donne aussi très souvent des attelages mixtes, le cheval entraînant alors deux boeufs en lignes73 ou encore montre la charrue tirée par des boeufs. Diversité donc. En ce qui concerne le cheval de labour, on peut donc faire des constatations analogues à ce qui vient d'être dit pour le cheval utilisé 70 - Histoire de la France rurale, op. cit., p. 409. 71 - A. Derville, «Les paysans du Nord : habitat, habitation, société», Villages et villageois au Moyen Age, op. cit., p. 89. 72 - Nous renvoyons pour cette iconographie à l'article de P.Mannc, «Images du cheval à la ferme», art. cit., pp. 339-65. 73 - P.Manne, art. cit., p. 342. On trouve également un tel attelage sur les murs peints de la Torre Aquila , ornés à la fin du XIVe siècle à la demande de Georges de Lichtenstein par un artiste de Bohème (représenté dans l'ouvrage sous la direction de J. Favier, Archives de l'Occident, Fayard, 1992, ill. 46).
dans le transport, en tenant compte ici davantage du problème délicat de sa concurrence avec le boeuf. Si en effet le cheval transporte mieux que le boeuf, il n'est pas toujours évident pour le paysan que ce dernier animal, plus résistant, travaillant plus longtemps, nettement moins coûteux, doive être remplacé par le cheval : à la fin du XIXe siècle par exemple, on préfère le boeuf de labour dans la Vendée centrale. On trouvera donc pour le Moyen Age, comme le révèle entre autres l'iconographie, des attitudes multiplement diversifiées. En 1269, dans un élevage pour le seigneur Renaud de Bar, élevage développé puisque comportant 10 chevaux, les boeufs sont mentionnés de la façon suivante, particulièrement significative : «touz les bués qui laboreront les terres arables»74. Les transactions sur la charte des franchises de 1289 de la ville de Bélime révèlent que le labour est fait exclusivement avec des boeufs75. Dans le Val de Saône, l'utilisation des équidés pour le trait est peu fréquente au XIVe siècle, et devient courante au XVe. C. Beck enregistre que sur 73 transactions intéressant le cheptel de cette région, 3 seulement concernent les chevaux entre 1364 et 1397. Au XVe siècle, il y en a davantage, mais un compte du chapitre d'Autun mentionne des charrues «de beuf ou de chevaux»76. Les études de M.T. Lorcin tendent à prouver que le cheval est peu employé aux labours dans le lyonnais, où, à la fin du Moyen Age, on utilise encore l'araire : ce sont les boves arrabiles que mentionnent le plus souvent les chartes. Une estimation de prix du bétail à la grande foire de Champigny en 1413 confirme cette importance du boeuf qui est estimé plus cher que le cheval77. Dans le Nord, l'emploi du cheval de labour est souvent attesté dès le début du XIIe siècle : dans le village d'Abscon par exemple, en Ostrevent, trois chevaux assurent le travail de labour de la communauté78. En Picardie, le phénomène semble se développer assez rapidement79. Le cartulaire d'Igny mentionne des equi carrucalesm. En 74 - Documents linguistiques de la France. J/aute Marne, cd. J.B. Gigot, Paris, 1974, p. 121. 75 - Chartes de franchises de Basse-Auvergne, op. cit. 76 - C. Beck, «Le cheptel des exploitations paysannes dans le Val de Saône», 10ge congrès national des Sociétés savantes, Dijon, 1984, Histoire médiévale, t. 2, pp. 122-23. 77 - M.T. Lorcin, Les campagnes de la région lyonnaise aux XIVe et XVe siècles, Lyon, 1974, pp. 47-51. 78 - Polyptyque de l'abbaye de Marchiennes, éd. B. Delmaire, Louvain-la-Neuve, 1985, p. 63 et p. 89. (pour l'année 1116-21). 79 - Citons pour la Picardie les conclusions de R. Fossier : «Labours et corvées à chevaux se multiplient entre 1160 et la fin du XIIe siècle, sont la règle au XIIIe. Hn même temps, les tarifs de tonlieu ne connaissent plus guère que le transport à dos d'homme ou en voitures à chevaux ; les conflits d'usage entre les paysans et leurs maîtres révèlent, dans les bois, la multiplication des
1333, dans la région de Soissons, le cheval est utilisé «pour charue ou pour charette»81. Une concession du châtelain de Cambrai à ses hommes de Marquion, d'une loi selon les usages de Cambrai révèle bien l'utilisation du cheval au labour82 ; notons toutefois que le prieuré de Solesmes emploie encore un bouvier en 1202. On peut multiplier les exemples ; les plaines de la Picardie voient très majoritairement le cheval tirant la charrue dans le champ, bien que parfois le boeuf se maintienne à cette tâche. A la fin du XIIIe siècle, l'abbaye de Vaux de Cernay, au sud-ouest de Paris, n'a pas de boeufs et possède quatre chevaux à la grange d'Orphin pour l'ensemble des tâches afférant à la céréaliculture qui y est pratiquée83. Mais à Saint-Agil, en 1280, il n'y a pas de chevaux84. Il y a dans la campagne chartraine, bien étudiée par A. Chédeville dont nous reprenons ici les conclusions85 -, comme en Picardie, tendance à la substitution, évidemment liée à la culture des blés, mais non complète disparition du boeuf. Jusque dans la première moitié du biga et des quadriga, attelées à deux, trois ou quatre chevaux. Les textes reprennent ici l'appellation antique qui désignait les attelages des jeux du cirque. Ce vocabulaire se trouve chez Isidore de Séville qui en rappelle le sens dans ses Etymologiae : quadrigae et bigae et trigae et seiugae a numéro equorum el jugo dicti (XVIII, 36). Le seuil décisif correspond aux dernières années du XIIe siècle : c'est une date qui paraîtra tardive ; mais il s'agit d'un triomphe complet : les mentions de boeufs, partout assez rares, à l'exception du Ponthieu, disparaissent presque totalement des actes. Les quelques inventaires de troupeaux qui sont parvenus jusqu'à nous soulignent la place prise par le cheval : lorsqu'en 1206, l'abbaye de Saint -Quentin-en-l'Ile passe un contrat avec son maire de Regny, elle lui cède cinq vaches et dix juments comme cheptel de départ ; la ferme du Sourd, près de Guise, compte en 1272, huit chevaux et douze vaches, celle de Saint-Lazare de Saint-Quentin quinze chevaux et seize vaches. Ces chiffres sont considérables, très supérieurs à ceux qu'offrent les relevés du XVIIIe siècle ou encore du début du XXe siècle» (La Terre et les hommes en Picardie, op. cit., pp. 154-5) 80 - BN. lat. 9904, f.20v. 81 - Cartulaire de Saint-Jean des Vignes, BM. 5, fol. 115v (ville de Rosoy). 82 - «(...) Quiconques ahennera de ung seul cheval, il poeult ahenner pour six solz jusques a douze mancaldees de terre ; et a ces XII mencaldees de terre ahenner, poeult y mettre tant de chevaulx comme il voeult pour ses six solz devant dis ; et se d'un seul cheval voeult ahenner, il ahennerea tant de terre comme il porra pour six solz. Et s'il ahenne plus de XII mencaldees de terre, jusques a XXIV mencaldees, il peut mettre tant de chevaulx qu'i voeult pour XII solz ; et s'il ahenne de deux chevauls seullement, il ahennera de terres quancques il porra pour XII solz. Et selonc ceste constitucion, le bourgois porra ahenner d'un seul cheval ou de deux, ou de trois, ou de plus au vailant, et au amps de semer pour mettre tant de chevaulx que il vorra, ne pour che ne croist ne descroist ceste assize.» (dans Charles de coutume en Picardie, éd. R. Fossier, op. cit., p 426, traduction dans Sources d'histoire médiévale, dir. G. Brunei et E. Lalou, Paris, 1992, pp. 224-6). 83 - A. Chédeville, «Une grange cistercienne à la fin du XIIIe siècle», Mélanges G. Duby, Aixen-Provence, 1992, pp. 59-69. 84 - Voir Archives dép. Eure et Loire, H4551. 85 - A. Chédeville, Chartres et ses campagnes (XIe-XIlle siècles), Paris, 1973, pp. 208-10.
XIIIesiècle, en Beauce et en Perche, c'est la bovée qui sert de mesure agraire, preuve que l'animal de labour primitif est le boeuf. En 1120, à Léthuin, comme en 1160 près d'Ablis, c'est encore lui qui effectue le labour sous la conduite du boverius. En 1186, on utilise à Broué aussi bien le cheval que le boeuf, mais, au XIIIe siècle, le cheval l'emporte nettement ; l'exemple de la grange d'Orphin n'est pas unique et on le retrouve à Adey en Bailleau-l'Evêque et à Boigasson près d'Auneau. En 1300, le petit village de Trémémont utilisait au moins dix-huit chevaux. Mais plus à l'ouest, où l'herbe est plus abondante et le sol plus lourd, le boeuf se maintient davantage au labour. Le cheval est utilisé, ce qui, on l'a vu, est courant, pour le transport du bois par roulage. On aboutit donc à deux zones : l'une dans laquelle le cheval remplace le boeuf, l'autre où ce dernier se maintient dans les champs, son compagnon équin étant plus spécialement sur les routes et chemins. En 1244, le cartulaire de l'abbaye de Bayeux mentionne un servicium equi ad araturam, ce qui prouve que le cheval de labour est courant dans cette région86. Dans le sud de la France, c'est en général plutôt le boeuf qui est employé pour le labour. Toutefois, on rencontre, au XIIIe siècle, des mentions de l'utilisation d'attelages mixtes ou d'équidés. Ainsi la coutume de Poey-Carréjelart fait mention d'attelages de boeufs ou d'«altre bestials araus»87. La coutume de Bives fait état quant à elle des labours avec paires de boeufs ou de mulets ou de juments ou de chevaux ou d'ânes. En 1430, un habitant de la région d'Auch, labourait ses terres avec une jument (cum quaquidem equa debet laborare terras)88. Hors des textes d'archives, les mentions d'un animal au labour sont assez rares ; le travail au champ cède devant le prestige des aventures, «apertises d'armes» et quêtes diverses et, en particulier, l'éventuel cheval labourant souffre de l'ombre totalement écrasante de ses collègues de renom, destriers et palefrois. Dans le Roman de Renart, texte où le milieu paysan est très souvent évoqué, on ne trouve qu'un faible nombre d'occurrences de travaux de labour ; elles rendent compte de la réalité diversifiée que nous venons d'évoquer. Liétart, dans la branche IX (éd. Martin), pos86 - Cartulaire de l'Eglise de Bayeux, éd. abbé V. Bourrienne, t. 2, 1903, p. 73. 87 - Archives historiques de la Gironde, Coutumes de Pouey-Carréjelart, t. 17, 84, p. 42, (1303). 88 - M. Houbbaida, op. cit., p. 230.
sède huit boeufs pour tirer sa charrue. Parmi eux, Roinel est son interlocuteur privilégié, car il lui reproche d'être trop lent («trop me faites demorer/A arer un sellon de terre» (vv. 68-69)) et le menace d'être changé contre un nouveau qu'il ira acheter à la foire de mai. Par contre, à la branche XIX, lorsqu'Isengrin s'adresse à la jument Rainsent, il s'insurge contre «ce vilain qui si vos tue/Et vos fait traire a la charrue» (vv. 39-40), seule allusion à un cheval de labour. Le Menasgier de Paris, à la fin du Moyen Age, porte témoignage d'une utilisation systématique du cheval au labour ; en effet, dans les conseils d'économie domestique proposés à l'intendant maître Jehan, on ne distingue que deux catégories de chevaux : de selle («a chevauchier») et de labour («de charrue»)89. De ces informations éparpillées, on retiendra qu'il est bien difficile de parler, pour le labour, de «substitution» du cheval au boeuf. Si le cheval est fortement employé pour le labour dans le nord de la France et dans les plaines de céréaliculture, le boeuf se maintient un peu partout, y compris, certes au niveau de quelques exploitations, sur ces terres du Nord. L'instrument qui paraît plus décisif pour l'implantation du cheval dans le monde agricole est, plus que la charrue, la herse. L'usage de celle-ci est attesté par la tapisserie de Bayeux ; au XIIIe siècle, la plupart des documents en montre la généralisation pour la couverture des semences d'hiver, que l'on désignait par le verbe «herser» ou l'expression «semer dessus», à la différence de l'enfouissage du semis à l'araire ou à la charrue («couvrir», «semer dessous»). La majorité des documents, en particuliers iconographiques, montrent que le hersage était effectué par le cheval ; on trouve des actes mentionnant la corvée de hersage qui se fait avec le cheval, comme cette charte datée de 1309, dans la région de Mainneville, établissant la corvée de «hersier a un cheval»90. A tel point que la langue s'en est fait l'écho en créant, en Angleterre tout d'abord, hercerius, qui donnera «herceor» en français, cheval de trait ou boeuf ou homme dirigeant le hersage. Dans de nombreuses enluminures, on assiste à une répartition de la traction ; le boeuf est encore utilisé pour le labour, alors que c'est le
89 - Ed. de la Société des Bibliophiles français, 1847, rep. Slatkine, Genève s.d., H, p. 72. 90 - Cartulaire et Actes d'Enguerran de Marigny, éd. J. Favicr, Paris, 1965, n° 12.
cheval qui tire la herse91. On ne peut toutefois conclure de manière trop certaine ; on peut noter par exemple une exception, littéraire : dans le Conte du Graal, Chrétien de Troyes mentionne des boeufs en train de herser sur les terres de la mère de Perceval, dirigés par des «hercheors» : Il pensa que veoir iroit Herceors que sa mere avoit, Qui ses avaines li semoient ; Bués doze et sis herces avoient.92 (Il pensa aller voir les herseurs qui appartenaient à sa mère et qui semaient l'avoine. Ils avaient douze boeufs et six herses) L'utilisation du cheval pour le hersage est parfaitement justifiée, davantage que pour le labour. Comme l'écrit un ouvrage spécialisé, «le cheval est supérieur au boeuf dans la conduite de la herse lorsque cet instrument est utilisé pour diviser les mottes. Celles-ci, en général, ne sont divisées ou anéanties que par le choc des dents. Or, plus la herse est traînée vite, plus le choc est efficace»93. On peut donc faire l'hypothèse, avec F. Sigaut, que c'est dans les exploitations agricoles où le hersage jouait un rôle important que le cheval s'est révélé le plus avantageux par rapport au boeuf94. Il reste à établir les conditions d'emploi du hersage. Nous suivrons ici les analyses de F. Sigaut, qui nous paraissent très convaincantes. Le hersage existe dans l'Antiquité, comme en témoigne par exemple Columelle95 ; mais sa fonction n'est pas essentiellement de briser les mottes de terre - travail qui s'effectue au maillet cassemottes -, mais d'effectuer un labour à plat pour les semailles. Cette technique vient des pays du Nord, de la Rhétie, et Pline l'Ancien en témoigne de la nouveauté (non pridem inventum96). C'est de cette technique-là que viendrait le hersage moderne, lié en fait à un semis sur labour unique. Or la céréale à qui s'adapte particulièrement ce type de pratique est l'avoine, aliment essentiel du cheval, mais aussi produit de consommation humaine - sous forme de bouillie - particulièrement dans le Nord de l'Europe. Et l'avoine prend une importance accrue au 91 - Par exemple dans le Condé 65 des Très riches heures du duc de Berry, la charrue est tirée par des boeufs au labour de mars, la herse est tractée par un cheval au semailles d'octobre. 92 - Ed. W. Roach, Paris/Genève, Minard, Droz, w . 81-4. 93 - G. Heuzé, La pratique de l'agriculture, Paris, 1889, t. 1, p. 201. 94 - F. Sigaut, «Les débuts du cheval de labour en Europe», Ethnoiootechnie, 30, 1983, p. 40. 95 - Sur l'origine du hersage, voir F. Sigaut, art. cit., pp. 42-3. 96 - Hist. nat., XVIII, 48, 172.
XIIe siècle, conséquence directe des transformations économiques et sociales ; l'avoine est bien entendu destinée en premier lieu aux milites, pour l'alimentation de leurs montures97. Un compte de la Chartreuse du Parc, au début du XVe siècle mentionne bien l'usage du cheval pour herser un champ d'avoine : «pour troys herssours aveques une jument mis a hercier les advaenes»98. Tout en restant très prudent et en plaidant pour une géographie très diversifiée, très locale même, on peut tracer la silhouette d'un réseau convergent qui aboutit à un emploi plus systématique du cheval dans le champ, dans les régions du Nord principalement et sans qu'on puisse légitimement parler de véritable substitution à une époque donnée pour l'ensemble du royaume : développement de la demande urbaine en direction des céréales, assolement triennal et extension de la culture de l'avoine, hersage systématique en labour à plat, adapté à la culture de ce type de céréale et se généralisant aux semailles. La traction du cheval, plus souple et plus rapide, autorisée par les techniques de l'attelage moderne, se révèle en harmonie avec ces différentes tendances, toutefois morcelées par les spécificités régionales et évoluant avec lenteur entre le XIe et la fin du XIIIe siècle.
97 - Par exemple, dans le Bas-Languedoc, qui n'est pas une région particulière de céréaliculture, l'avoine apparaît souvent, associée aux redevances banales qu'on appelle les albergues (A. Durand, Paysages, terroirs et peuplement dans les campagnes du Bas-Languedoc (Xe-Xlle siècle), Thèse de Doctorat, Paris I, t. 2, p. 393). Voir G. Cornet, Le paysan et son outil ; essai d'histoire technique des céréales (France, VIIIe-XVe siècles), op. cit. 98 - Archives de la Sarthe, B 1146.
Ms 107, f. 157 (E) Bibliothèque municipale, Verdun Copyright IRHT-CNRS
Livre d'heures Ms 502, milieu du XVe siècle Bibliothèque Mazarine Collection personnelle François Gamier
Charrue. XIIIe siècle "Vieil rcntier d'Audenarde" - vers 1275 Ms 1775 Collection personnelle
Pierre de Crescens, Opus ruralium commodorum Cliché Bibliothèque municipale, Orléans
Cheval à la herse Ms 514, f. 4 v Bibliothèque municipale, Lyon Copyright IRIIT-CNRS
Exemple d'attelage mixte Fresque (fragment) XVe siècle. Trente, Château du Bon Conseil Collection personnelle
Exemple d'attelage en file Livre des bonnes mœurs Ms 1363, Chantilly Collection personnelle François Gamier
Bât et charette Ms 52, f. 126 Bibliothèque municipale, Mâcon Copyright IRIIT-CNRS
CHAPITRE III L'élevage du cheval
Pour traiter de la question de l'élevage équin au Moyen Age, il paraîtrait souhaitable de se donner deux lignes d'investigation : la première est externe et concerne les motivations de l'élevage. Mesurer les facteurs poussant à l'organisation d'un cheptel chevalin, suivre la présence «administrative» du cheval pennettrait de mieux cerner la place d'un élevage structuré, d'une «volonté d'élever» dans la société médiévale. La deuxième est interne et se rapporte à l'évaluation du cheptel lui-même : masse, qualité, sélection, technique. Il faudrait dans ce cadre tenter d'élaborer une géographie diachronique du cheptel chevalin1. L'idéal serait de pouvoir fournir une étude globale, offrant un certain nombre de tendances essentielles au niveau d'un ensemble de régions, de ce que nous appelons aujourd'hui la France. Malheureusement, ici encore, la dispersion des textes, leur rareté, voire leur inexistence pour certaines époques, laissent souvent la place à la seule hypothèse. Le dépouillement progressif des documents d'archives pennettra sûrement d'améliorer la perception que l'on peut avoir de l'élevage chevalin médiéval qui demeure encore largement couvert d'ombre. Dans ce contexte de pénurie documentaire, on peut toutefois mener l'enquête selon deux critères, considérés comme une simple approche de l'ensemble de ceux qui, externes et internes, pourraient être définis pour dresser un tableau plus précis. Le premier de ces critères concerne les besoins de la société et tout particulièrement du pouvoir : il s'agit donc d'évaluer une politique de remonte, dans le cadre de l'usage militaire du cheval. C'est en effet dans ce secteur privilégié que se pose de manière cruciale la question de l'approvisionnement régulier, donc de l'élevage. On ne peut parler que d'approximation, car, par manque de détail, il est souvent délicat de mesurer la qualité d'un che1 - Nous emprunterons ici très largement aux travaux remarquables de R.B. et de A.M. Bautier, «Contribution à l'histoire du cheval au Moyen Age», Bulletin philologique et historique du comité des travaux historiques et scientifiques, Paris, Bibliothèque Nationale, 1978 (extrait de 1976). Pour plus de détails sur les terroirs d'élevage que nous mentionnons, en particulier pour la Provence et le sud de la France, nous renvoyons à cette étude fondamentale.
val passant dans une transaction, telle qu'un don, un legs ou un contredon. Le deuxième critère, le plus délicat sans doute, envisage la présence, forte, de la notion de «cheptel» que l'on est souvent obligé de considérer par ensembles compacts d'où n'émergent que peu de détails : peut-on le «voir» vivre dans les documents ; le peser, le localiser, l'analyser? Le problème est identique à celui du passage boeuf/cheval pour le trait : les inventaires révèlent des chiffres parfois contradictoires d'une région à l'autre à la même époque. Les documents plaident plutôt en faveur d'une vision locale des phénomènes tout en révélant globalement un renforcement général de l'élevage du cheval à partir du XIIIe siècle. La fin du Moyen Age produit un nombre important de textes d'archives où des chevaux sont mentionnés, preuve d'une plus grande attention envers le cheptel chevalin, mais ces documents sont bien souvent peu détaillés, ce qui empêche d'avoir un dessin précis de ce cheptel, particulièrement quant à la qualité de sa composition. On peut en outre considérer, pour étayer quelques hypothèses, un certain nombre de facteurs externes, liés à la pratique de cet élevage. Par exemple, de façon évidente, la question de l'approvi-sionnement en avoine. Il est clair qu'un rapport existe entre le fait de posséder ou d'élever des chevaux et le rendement des terres en avoine. Ces rendements sont en général faibles : pour le Cambrésis au XIVe siècle, il faut compter qu'une sole de 10 ha suffit à peine à nourrir les chevaux nécessaires au labour. On peut donc s'attendre raisonnablement à trouver un élevage chevalin plus développé dans les régions de céréaliculture, en premier lieu dans les régions du Nord de la France. Il faut ajouter à cette localisation celle due aux caractères climatiques et géologiques : des régions comme la Normandie, l'Anjou ou la Picardie ont été terres d'élevage du cheval. Mais ici encore, il est très délicat d'être trop affirmatif quant à la localisation ; il y a au XIIIe siècle des haras royaux dans le sud de la France et la proximité des régions du Sud-Ouest avec l'Espagne a encouragé l'élevage chevalin dès le XIIe siècle. En résumé, le premier constat que l'on peut faire est un peu décevant en regard d'une tentative d'analyse ; il y a, du haut au bas Moyen Age, des chevaux un peu partout, autour des abbayes en particulier, et il est souvent très difficile d'évaluer ce cheptel, en qualité, et dans son évolution à travers le temps. La présence d'écuries dans les domaines abbatiaux est un témoignage du rôle que ces dernières ont joué dans le développement de l'élevage équin. Les mentions sont
hélas peu fréquentes, mais elles existent toutefois suffisamment pour illustrer la pratique de cet élevage. Ainsi dès le début du XIe siècle par exemple, un Geoffroy de Vendôme, voyageant depuis son monastère en compagnie de douze chevaux pour aller à Saintes, s'arrête, pris par l'orage, en l'abbaye du Pin et se plaint à l'abbé Guillaume du mauvais accueil qu'il y reçut, en particulier du refus du cellérier, Garin, de s'occuper de ses chevaux, alors que l'écurie pouvait en contenir vingt2. Le rôle des pratiques de dons et contre-dons, de servicium equi apparaît comme fondamental dans la constitution de ce cheptel. Mais il en explique aussi l'éclatement. L'exemple des abbayes cisterciennes, qui ont bien développé l'élevage en général, est significatif ; B. Barrière, étudiant l'économie cistercienne dans le Sud-Ouest, note en effet que l'élevage des chevaux «n'apparaît en fait que de manière incidente, lorsque chevaux, juments ou mules constituent, par exemple, la contrepartie de certaines donations, mais la répétition fréquente de cette procédure atteste de son importance (...) On la trouve à Granselve, à Bonnefont, à Gimont et de manière encore plus flagrante à Berdoues où l'on semble s'être lancé dans cette activité délicate dès avant 1150, soit dès les débuts du monastère»3. Aux XIIe et XIIIe siècles, les Cisterciens ont joué un rôle important dans l'implantation ou le développement du cheptel chevalin ; généralement, on trouve des chevaux dans les abbayes qui obéissent à la règle de Cîteaux. Témoin ce qu'indiquent les codifications cisterciennes qui réservent un paragraphe à l'équipement du cheval qui doit rester sobre (nec sellis equorum curiosis, aut frenis ornatis laminis, vel lunulis stanneatis, neque staphis ferreis aliquatenus uti licefi) et un autre à l'écurie : Stabula equorum intra abbatiarum ambitum collocentur (...) Omnes autem porte abbatiarum sint extra terminos et conversis liceat infra abbatias equitare5.
2 - Voir la correspondance de Geoffroy de Vendôme, lettre à Guillaume de 1104-5, traduction à paraître de Mme Giordanengo, que nous remercions ici pour nous avoir communiqué son travail encore inédit. 3 - B. Barrière, «L'économie cistercienne du sud ouest de la France», L'économie cistercienne, Flarans, 3, 1981, p. 83. 4 - (Il convient dans la mesure du possible de ne pas se servir de selle autre qu'ordinaire, de frein décoré de lamelles ou de croissants étamés, ni d'étrivière incrustée) Codifications cisterciennes, de 1237 et de 1257, éd. B. Lucet, Paris, 1977, n° 11, p. 336. 5 - (Les écuries doivent être installées à l'intérieur de l'enceinte de l'abl>aye (...) Egalement, toutes les portes de l'abbaye doivent être siluées hors de la clôture et, inversement, il faut monler à cheval à l'intérier de l'abbaye) ; Ibid., n° 15, p. 212.
Les documents d'archives vont donc nous offrir, du moins dans l'état actuel de notre travail, une géographie équine très morcelée ; des témoignages, des présences, parfois à haute époque, de chevaux dans telle ou telle abbaye, telle ou telle châtellenie, sans qu'il soit possible, en général de parler de tradition. Une présence équine à une date donnée n'implique pas le maintien ou le développement du cheptel quelques décennies plus tard. Eclatement certes, mais aussi fortes différenciations, selon l'époque, selon la région : on assiste à des développements différentiels importants. La Picardie voit se développer un cheptel équin dès le XIIe siècle et la tendance se maintient, allant croissant jusqu'à la fin du Moyen Age. Mais, à la fin de cette époque, d'autres régions comme la Provence orientale, donnent des chiffres très faibles : 35 chevaux vendus en 14366 . En pays embrunais, si l'on en croit le Livre-journal de Fazy de Rame (1471-1507), le cheval reste rare : Fazy nomme en tout et pour tout quinze fois le cheval7. Autour de Toulouse, sur 19 inventaires, 9 seulement mentionnent des chevaux, pour 14 mâles, femelles et poulains confondus8 ; dans le Quercy, après 1440, on trouve dans les fermes un seul cheval ou jument, avec systématiquement une paire de boeufs ; au mieux, en 1485, un acte notarié donne huit bovins, 3 juments, un poulain, 350 ovins, 27 chèvres, des chiffres donc assez bas9. Ces chiffres, comme on le verra, sont très en deça de ceux que l'on peut donner, même pour des époques antérieures, pour la Picardie. On pourra donc penser que le cheptel équin se développe davantage dans la France du Nord que dans le Sud. Nous poserons toutefois deux conclusions, à l'appui des documents, qui paraissent de l'ordre du raisonnable. La première porte sur une tendance moyenne : on enregistre la présence plus systématique du cheval dans les campagnes à partir du XIIIe siècle, ce qui correspond à un souci accru de sélection, de soin du cheval, à une volonté d'élever pour la remonte plus ferme de la part du roi et des grands sei6 - Ph. Malaussena, La vie en Provence orientale aux XIVe el XVe siècles, Paris, 1969, p. 135. 7 - Fazy mentionne en fait huit transactions (1482, juin 1483, 28 janvier 1487, 15 août 1491, 18 février et 27 août 1493, 27 mars 1495, 8 janvier 1500), alors qu'il fait état, entre 1474 et 1503, de la vente de 42 paires de boeufs. Le prix moyen est de l'ordre de 13 florins et la robe mentionnée est essentiellement de couleur grise (Le livre-journal tenu par Fazy de Rame en langage embrunais, éd. G. de Manteyer, Gap, 1932, pp. 60-61). 8 - Ph Wolff, Regards sur le Midi médiéval, Toulouse, Privat, 1978, p. 406. 9 - J. Lartigaut, Les campagnes du Quercy après la guerre de Cent Ans (vers 1440- vers 1500), Pub. Univ. Toulouse le Mirail, 1978, pp. 345-7.
gneurs. Ainsi la fin du Moyen Age voit pour certaines régions, du Nord surtout, un cheptel bien établi, proche de celui qu'il sera encore au XVIIIe siècle. La deuxième conclusion, issue d'un regard qui se localise, montre la constitution, dès l'époque carolingienne10, de zones d'élevage chevalin favorisées par des caractéristiques géomorphologiques. Si l'éparpillement semble de rigueur, apparaissent toutefois des régions à présence équine plus forte et plus traditionnelle : tel est le cas par exemple de la Normandie, de l'Anjou, de la Picardie, du Béarn. Cette tradition repose sur trois facteurs : la pratique des abbayes, favorisée par des conditions objectives ; une tradition ancienne qui s'est plus ou moins reconduite, même dans un état très parcellaire ; une volonté de reconstruction, très manifeste à l'époque de Charlemagne, zone par zone - c'est-à-dire dans les endroits où cela peut se faire (on revient ici encore à une géographie éclatée)-, d'un élevage qui s'est considérablement délité lors des grandes invasions. La dégradation d'un héritage L'élevage du cheval existe de longue date, en particulier en Asie Centrale, mille ans avant notre ère. La pratique de l'élevage correspond en général à un certain nombre de nécessités d'une société et il est même le témoin de son degré d'avancement : pour les nomades, un troupeau restreint, facile à déplacer, pouvant se contenter des pacages que la région parcourue peut offrir. Le cheptel est ici en rapport direct avec le transport et, éventuellement la guerre. Un seul étalon pouvant couvrir plusieurs juments, l'homme possèdera un cheptel essentiellement femelle. Pour les sociétés sédentaires, la pratique du cheval est liée principalement à l'activité guerrière ; il s'agit alors de se procurer des chevaux pour fonner une cavalerie. Les progrès dans la sélection sont alors liés aux avancées de l'art militaire. Dans ce contexte, l'élevage de qualité est possible dans une société stable et organisée, dans laquelle existe une volonté politique de l'élevage. On peut distinguer trois stades d'évolution en ce domaine. Dans un premier temps, les troupeaux de chevaux sont en liberté et la reproduction se fait selon les lois de la nature. L'homme a su rassembler quelques animaux ; il s'agit pour lui, à intervalles réguliers, de les 10 - Ermold le Noir, dans son Poème sur Louis le pieux, mentionne des «chevaux comme la terre de France produit (qualia francorum gignere terra solet) (éd et trad. E. Faral, Paris, BellesLettres, 1932, [1964], vv. 1116-7, p. 87 pour la trad.
capturer dans leur espace de liberté et de les dresser. Dans un deuxième stade, les étalons sont sélectionnés, séparés des juments. La saillie est contrôlée pour améliorer la race. Panni les poulains de deux à trois ans, on sélectionne à nouveau de futurs étalons. Le dernier stade consiste en une sélection complète des mâles comme des femelles ; seules les juments jugées de qualité suffisante sont couvertes par les étalons. On voit que ces deux derniers stades nécessitent de bonnes conditions d'organisation et de stabilité de l'espace rural. Il faut en effet parquer les animaux de manière efficace afin de contrôler les saillies. Il faut des locaux corrects pour soigner au mieux les animaux sélectionnés qui, il va de soi, doivent avoir nourriture régulière, abondante et de qualité. Dans une optique militaire, le cheval que l'on recherche doit être grand et rapide : Pierre d'Anché, à la fin du Moyen Age encore, note dans son Blason du cheval que l'animal doit être «hault à la main»1 1 et Guillaume le Doyen, citant les lisses du seigneur de la Roche, en 1499, parle de ces lieux où «Tous armez y couroient la lance/O moult grands chevaulx et puissans»12. Les adjectifs «corant», «isnel», «abrivé», «alferant» «ademis» sont les plus fréquents dans les chansons de geste pour qualifier un cheval13. Comparativement, dans ces mêmes textes, l'adjectif «grant» est assez rare14. Sans prendre cette littérature comme un témoignage au sens strict, cette rareté paraît toutefois significative d'un état de fait : il semble en effet qu'il fut difficile aux cavaliers francs d'avoir des montures de grande taille. Selon R.H.C. Davis, qui s'appuie sur des documents iconographiques, les montures des guerriers du haut Moyen Age étaient effectivement de petite taille15. Il faudra attendre, après le VIlle siècle, l'introduction de nouvelles races, pour améliorer cette situation, avec les descendants des chevaux perses et chinois, héritiers du grand cheval d'Asie centrale. 11 - Edition dans A. Mary, Anthologie poétique française. Moyen Age 11, Paris, GarnierFlammarion (poche), p. 268. 12 - Annales et chroniques du pais de Laval, éd. M. Godhert, (rep. Slatkinc), Genève, 1971 ; cité par Ph. Contamine, «Les tournois en France à la fin du Moyen Age», Das ritterliche Turnier im Mittelalter (Hg. J. Fleckenstein), Gôttingen, 1985, p. 449. 13 - «Corant» et «isnel» qualifient la rapidité du cheval, «abrivé», «alferant», «ademis» sont plus délicats à traduire, désignant à la fois la robustesse, la vivacité, l'agressivité du cheval. Voir à ce sujet J. Frappier, «Les destriers et leurs épithètes», art. cil., p. 91. 14 - Dans le corpus étudié par J. Frappier, on compte 135 occurrences d'un adjectif signifiant la rapidité contre 2 occurrences de «grant». 15 - R.H.C. Davis, The medieval Warhorse, London, Thames and Hudson, 1989, p. 12.
C'est dans la région des monts de l'Altaï que l'on a découvert l'origine d'un élevage de chevaux d'assez haute taille, mille ans avant Jésus Christ ; ce sont ces chevaux, dits de Bactriane, qui vont fournir la base de l'élevage de la Chine et de l'Asie occidentale. Les Chinois en effet le découvrent au début du deuxième siècle avant Jésus-Christ, et l'utilisent pour former un cheptel «céleste», dont un représentant est coulé dans le fameux bronze de Wu-Wei. Il est difficile de savoir si c'est de cette race qu'est issu le cheval grec apparaissant aux jeux Olympiques de 648 ou si les Grecs avaient produit eux-mêmes des montures coursières à partir de croisements, peut-être avec des races venues de Libye16. La question qui se pose en effet est celle de la taille des chevaux : d'après les stèles ou les illustrations, comme le bas-relif de Xanthos (c. 470 av. J.C.), le cheval grec n'est pas très grand. Si l'on en revient aux origines, en ce qui concerne le cheval dressé originel, deux cas sont possibles, comme l'ont prouvé les travaux de 0. Antoniusl7. Il existait en effet deux groupes de chevaux sauvages proches des monts de l'Altaï ; le Bactrian, lourd et robuste, que nous avons rencontré chez les Chinois, et un autre, plus léger. Ce dernier type comporte à son tour deux groupes : le Tarpan et le Przewalski, découvert au sud de l'Altaï, en Dzoungarie. C'est le cheval des Ougriens, des habitants de l'Altaï et des Mongols et c'est sans doute celui-ci, ou le Tarpan, qui est à l'origine des chevaux de petite taille utilisés par les Barbares lors des Invasionsl8. Le témoignage des fresques et des vases de la Grèce antique, comme celui des auteurs de l'Antiquité19 montre que les Grecs pratiquaient un élevage de qualité, dont les Romains vont hériter et qu'ils vont développer20, en particulier grâce à l'engouement pour les jeux du cirque. On connaît le célèbre passage des Géorgiques où Virgile, après avoir vanté l'élevage des chevaux en vue des jeux, indique comment il est bon de procéder (Georg., III, 49 et 72sq). Pline, au livre VIII de son Histoire naturelle rapporte en souvenir des Grecs que le célèbre Bucéphale venait d'un élevage, celui de Philonicus de 16 - Voir W. Ridgeway, The origin and Influence of the Thoroughbred Horse, Cambridge, 1905 ; J.K. Anderson, Ancient Greek Horsemanship, Berkeley/Los Angeles, 1964. 17 - «Zur Abstammung des Hauspferdes», Zeit. für Züchnung, 1936. 18 - Voir E. Delbecque, «Essai sur le cheval préhomérique», Le cheval dans l'Iliade, Paris, 1951, pp. 217-8. 19 - Voir la troisième partie de cet ouvrage. 20 - Voir R.H.C. Davis, op. cit., chap. 2.
Pharsale (Hist. nat., 8, 154) et il donne divers témoignages d'élevage et de dressage à Rome. Cette situation va se dégrader à la fin de l'Empire romain, avec les invasions barbares. Comme nous l'avons vu, un bon élevage nécessite des conditions matérielles de qualité : en temps d'invasion, de guerre permanente, les clôtures sont sans cesse brisées, les locaux endommagés ou détruits ; la séparation des étalons et des juments devient difficile à réaliser en de bonnes conditions, de même que le soin des poulains. Le début du Moyen Age connaît donc une situation désastreuse quant à l'élevage, par rapport à celui qui s'était développé durant la domination romaine. Le pape Grégoire 1 par exemple se plaint à la fin du VIe siècle de l'état lamentable des troupeaux de chevaux courant sur ses terres21. Le manque de références dans les documents d'archives du haut Moyen Age est sans doute aussi significatif d'un tel état, de même que la volonté ferme de Charlemagne de rétablir la situation. Transition Il serait toutefois par trop abrupt de parler de néant : il existe certainement une phase de transition, qu'il est bien difficile de cerner, mais pour laquelle il est possible de formuler quelque hypothèse. On se souvient que Jules César avait été impressionné par la cavalerie gauloise22. Le cheval en effet semble avoir été un animal particulièrement prisé des Celtes, qui ont dû, si l'on en juge par les effectifs engagés dans leurs campagnes militaires, développer l'élevage équin23. Sur de nombreuses pièces de monnaie figurait un cheval24. Le cheval avait une telle importance qu'un culte particulier lui était voué ; selon J. Loth, on peut le considérer comme «une sorte d'ancêtre mythique» des Celtes : la lune était représentée par une jument et le soleil par un cheval25. Les fouilles archéologiques ont montré que les 21 - Cité par R.H.C. Davis, op. cil., p. 49 et n. 1. 22 - Dans son Bellum Gallicum, César rapporte qu'il ne pouvait faire face à Vercingétorix qui avait pu réunir 15000 cavaliers. Le général romain dut demander des montures aux Germains, mais, devant la médiocrité de ces dernières, il préféra s'adresser à Rome (7, 64-5). 23 - Voir E. Renardet, Vie et croyances des Gaulois avant la conquête romaine, Paris, Picard, 1975. 24 - Voir A. Grenier, Les Gaulois, Paris, Payot, 1945, p. 254sq. 25 - J. Loth, «Les noms du cheval chez les Celtes, en relation avec quelques problèmes archéologiques», Mémoire de l'Institut Nal. de France, Acad. des Inscr. et B.L., 43, 1933, pp. 147-8.
Gaulois sacrifiaient des chevaux, comme, le révèlent les sanctuaires de Gournay, de Ribemont-sur-Ancre et de Vertault. Ces ossuaires permettent de définir la taille du cheval gaulois, en fait assez petite : la stature du cheval est comprise entre 117 et 140 cm26. Selon ces différents indices, les Gaulois pratiquaient probablement un élevage qui, étant donné les étendues boisées, devait se faire largement en forêt. Quelques siècles plus tard, le compilateur Isidore de Séville rappelle la renommée du cheval gaulois. On peut donc penser que, durant l'occupation romaine, la tradition s'est maintenue et que l'on éleva en Gaule des espèces proches de celles que les Celtes connaissaient. Quant aux hordes barbares qui déferlaient sur l'Europe occidentale, elles arrivaient avec leurs chevaux et une pratique, au moins minimale, de l'élevage. On peut considérer comme un témoignage a posteriori de l'importance de l'élevage chez les peuples altaïques les comptes rendus de voyageurs médiévaux. Ces derniers en général notent la qualité des élevages de chevaux. Mais ce qui paraît déterminant est une pratique sacrificielle qui probablement remonte très loin dans l'histoire de ces peuples, pour qui l'animal sacrificiel par excellence est le cheval. Guillaume de Rubrouck rapporte que lors d'un décès, on accrochait autour de la maison du mort des peaux de chevaux tendues sur de hautes perches. Le témoignage de Jean de Plan Carpin va dans le même sens : on enterrait des hommes avec des chevaux ; parfois, après avoir mangé sa viande, on empaillait le cheval qui accompagnait le mort dans sa dernière demeure27. La stabilisation des Barbares s'est sans doute accompagnée d'une poursuite de cette pratique d'élevage, avec rencontre de plusieurs races de chevaux, fruit d'une osmose entre différentes traditions. Ne l'oublions pas, les Barbares, les Francs en particulier, attachent une grande importance au bétail et au cheval, animal de prix ; déjà dans la loi des Ripuaires, un cheval est évalué à six fois le prix d'un boeuf ; cette même loi stipule que tout cheval égaré doit être exposé dans trois marchés successifs avant d'être acquis de droit, adjugé devant le perron royal. Les lois des Francs fournissent des évaluations concernant les chevaux : les Ripuaires établissent une équivalence entre un étalon et douze juments, comme les Alamans et comme ce que stipule la Lex salica emendata (n° 41). La composition pécuniaire, 26 - Voir les travaux de P. Méniel, Les sacrifices d'animaux chez les Gaulois, Paris, éd. Errance, 1992 ; Chasse et élevage chez les Gaulois (450-52 av. l.C.), Paris, éd. Errance, 1990. 27 - Voir Guillaume de Rubrouck, Voyage dans l'Empire mongol, éd et trad. CI. et R. Kappler, Paris, 1985, p. 104 et notes des éditeurs.
ou wergeld, sorte de restaurum equi avant l'heure, donne des valeurs officielles de chevaux : l'étalon d'une race inférieure est évalué 1600 deniers, celui qui assure la monte de 7 juments au moins 2600 deniers, le cheval de combat d'un homme libre 1800, le cheval du roi 2400 (Pact. leg. Salie., 41)28. Des lois strictes régissent la propriété du cheval : tout cheval doit obligatoirement être vendu publiquement et il est interdit d'apposer une marque sur un cheval trouvé29 ; la loi salique prévoit pour cette infraction une punition identique à celle du voleur (Pact. leg. Salie., 10, 2)30. Comme l'atteste Grégoire de Tours, l'élevage se pratique de manière officielle au VIe siècle : Grégoire en effet rapporte qu'il y avait à Tours un certain Pélage qui avait grande influence sur les gardiens des haras du fisc31. Il est bien entendu fort délicat de se faire une opinion sur la qualité des élevages «officiels» de cette époque. L'admiration que suscitera la vue du cheval d'Espagne semble aller dans le sens d'une relative insatisfaction par rapport aux races produites ; les mesures que, beaucoup plus tard, prendra Charlemagne, plaident également pour une appréhension d'un élevage encore rudimentaire. L'hypothèse la plus raisonnable que l'on puisse faire est que, dans la continuité des pratiques des peuples barbares, c'est le premier stade de l'élevage qui fut alors essentiellement pratiqué, les troupeaux paissant en liberté soit dans les champs, soit en forêt. Comme le notent R. Grand et R. Delatouche, «l'entière liberté des troupeaux paraît un phénomène général de l'époque barbare»32. Dans lantiqua lex Wisigothorum (7, 2, 11), on mentionne des clochettes accrochées au cou des chevaux afin de les retrouver. Chez les Francs, le cheval est marqué et la loi des Lombards fait la différence entre chevaux dressés et chevaux sauvages. Lorsque de chevaux besoin il y avait, des battues étaient organisées au cours desquelles, on choisissait les poulains à dresser. Les étalons vaquaient donc selon leur désir et toute séparation et sélection était impossible. Cette rusticité permettait le maintien ou le développement de troupeaux totalement sauvages, comme ceux dont Venance Fortunat signale la présence dans les Vosges. Un des moyens de contrôle des chevaux, surtout des étalons, était de leur 28 - Voir R. Grand et R. Delatouche, op. cit. , p. 454. 29 - Voir R. Doehaerd, Le haut Moyen Age occidental (économies et sociétés), Paris, PUF, Nvlle Clio, pp. 78-9. 30 - Cette même loi punit un castrateur d'étalon (40,13). 31 - Hist. Franc., 8, 40, p. 173 éd. R. Latouche. 32 - Op. cil., p. 455.
entraver les pieds au moyen de ce que le Pactus legis Salicae nomme une pedica (27, 2)33. Il est bien entendu difficile, en l'absence de documents écrits, de se livrer à une évaluation de ce cheptel, tel qu'il existait entre le IVe et le VIle siècle. On peut simplement, avec prudence, raisonner sur ce que l'on connaît, pour des époques postérieures, des chevaux de l'Est en faisant l'hypothèse qu'ils sont les descendants des chevaux des Barbares. Marco Polo est impressioné par la qualité des chevaux qu'il 1rencontre. Il note qu'il y a au royaume de Perse certains destriers qu'il évalue à plus de deux cents livres34. Dans la province de Caragian, il remarque la présence de grands chevaux que l'on va vendre en Inde et à qui on enlève deux ou trois os de la queue35. Seraient-ce là des descendants des chevaux de Bactriane? Où bien est-ce l'imagination du voyageur qui grandit la taille des animaux? D'après les témoignage de Jean de Plan Carpin, les chevaux des Tartares sont de petite taille, mais d'une grande robustesse et le voyageur est fasciné à la fois par leur endurance et par la qualité des services de relais où l'on trouve des montures en abondance, preuve de la richesse de l'élevage équin36. Dans La flore des estoires de la terre d'Orient, Hayton fait la description de ce qui correspond semble-t-il au cheval de Przewalsky37. L'exemple des chevaux huns permet aussi, moyennant hypothèse (raisonnable), de confirmer a posteriori cette pratique de l'élevage chez les Barbares. On sait que dès le XIe siècle, les moines bénédictins de Pannonhalma touchaient la dîme sur des pâturages destinés aux chevaux et que cette pratique continue d'être bien attestée par la suite38 ; il s'agit sans doute de la survivance de l'élevage pratiqué par les Huns qui possédaient une race de chevaux que cite Isidore de Séville avec six autres : aetas longaeva equis Persicis, Hunnicis,
33 - R. Grand et R. Delatouche signalent la même pratique chez les Burgondes et les Wisigoths. Le délit d'enfourcher un cheval entravé est puni par la loi salique et la loi des Ripuaires (op. cil., p. 456, n. 2 et 3). 34 - La description du Monde, trad. L. Hambis, Paris, Klincksieck, 1955, p. 37. 35 - Ibid., pp. 171-2. 36 - Voir J.P. Roux, Les explorateurs au Moyen Age, Paris, 1985, p. 197. 37 - Ibid., p. 281. 38 - L. Erdelyi et P. Sôrôs, A Pannonhalmi szent-Benedrend Torlenele. X, p. 492, repris dans R.B. et A.M. Bautier, art. cil., p. 15. Voir aussi p. 16 et n. 24-26.
Epirotis ac Siculis in annis ultra quinquaginta, brevior autem Spanis ac Numidis et Gallicis frequens opinio est39 (Etym., 12, 1,44). On ne peut trop se fier à l'ouvrage d'Isidore de Séville comme témoignage de races existant réellement au VIle siècle ; l'encyclopédiste en effet reprend quasi-textuellement Vegèce40 à la liste duquel il rajoute le cheval gaulois. Si l'on se tourne vers la chanson de geste, on trouve effectivement des références à l'origine de certains chevaux. Dans le Moniage Guillaume, Landris monte un «ceval de Nubie»41 ; Guillaume chevauche, en route pour Orléans, sur un «destrier de Sulie», dans la chanson d'Aliscans42, de ces destriers, que selon Hugues de Barcelone, il est folie de ne pas monter, comme il le dit dans Aymeri de Narbonne43. Dans cette même chanson, on trouve également des chevaux de Hongrie, montés par les compagnons d'Aymeri («qu'en destre moinent les destriers de Hongrie» (v. 2708)). Et la Chevalerie Vivien cite un cheval de Perse, comme cheval de qualité. Faut-il en conclure, par une lecture «verticale» de ces textes, que ces races, vantées par les agronomes antiques, ont subsisté au Moyen Age? Il faut sans doute être extrêmement prudent ici. Il est bien davantage probable que les auteurs utilisent un fonds de savoir traditionnel, transmis par les encyclopédistes, tout particulièrement par Isidore de Séville, et qu'ils reprennent les tennes de ce savoir qui auréole leur oeuvre de davantage d'autorité, qui souligne, d'un point de vue littéraire, la qualité des barons montés sur des chevaux que les textes autorisés énumèrent44. Toutefois, en ce qui concerne le cheval hongrois, il y probablement quelques éléments de réel. Au début du dixième siècle, avant les luttes opposant Saxons et Hongrois, un commerce existait entre la Russie et la Bohème et la région de Linz sur le Danube. Le registre des douanes de Raclstatten fait état de
39 - (La vie est longue et dépasse cinquante ans chez les chevaux perses, hunniques, épirotes et siciliens, mais plus courte chez les chevaux espagnols et numides, et la réputation des chevaux gaulois est élendue) ; trad. J. André. 40 - Aetas longaeva Persis, Huniscis, Epirolicis ac Siculis, brevior llispanis ac Numidis (Mulom., 3, 7, 1).
41 - Ed. W. Cloetta, Paris, SATF, 1906, v. 3853. 42 - Ed. Ci. Régnier, Paris, CFMA, v. 2489. 43 - Ed. L. Demaison, Paris, SATF, 1887, w. 2725-6. 44 - Notons qu'une telle hypothèse plaide en faveur d'une construction savante des chansons de geste, par des lettrés et non de simples jongleurs ; voir à ce sujet A. Labbé, B. Ribémont, «Musec, metau : le langage mosaïstique du Girart de Roussillon et son origine savante», dans Bull. Soc. Fouilles Archéologiques et des monuments historiques de l'Yonne, 8, 1991, pp. 11-28.
paiements pour des étalons et des juments45. Est-ce que par ce biais des chevaux d'Asie Centrale, descendants de ceux de Bactriane, ont pu pénétrer au delà du Danube? De plus, il est probable que les Saxons ont pu s'emparer de montures de combattants hongrois ; mais, selon M. Janklovich46, ces chevaux hongrois seraient de petite taille, héritiers d'une race asiatique, celle du Tarpan. Quoi qu'il en soit, on peut penser que les chevaux du haut Moyen Age sont, en partie du moins, les descendants de ces races célébrées par les auteurs romains ; en France, ils sont probablement le fruit d'une osmose entre le cheval gaulois, les races introduites par Rome et les chevaux arrivant avec les Barbares. Ces chevaux étaient, comme on l'a vu, probablement d'assez petite taille et ne satisfaisaient pas aux exigences des cavaliers francs, car ils correspondaient davantage aux besoins d'une cavalerie légère. Les fouilles archéologiques peuvent confirmer ce fait. Par exemple, le site du lac de Paladru, dans l'Isère, a produit un mors de bride complet de dressage ou de guerre dont les mesures permettent de faire des déductions dans ce sens : ainsi les branches supérieures ont un écartement de 12 cm et les inférieures de 8,6 cm, ce qui laisse penser que le destrier qui en était harnaché avait une taille assez réduite47. D'où l'émerveillement pour le cheval d'Espagne, c'est-à-dire pour un animal probablement obtenu par croisement entre le cheval d'Afrique du Nord et/ou le cheval arabe48 et des races autochtones et qui, sans être forcément de très grande taille, devait avoir des qualités très supérieures à ces animaux que connaissaient les Francs, produits de plusieurs races mélangées en de mauvaises conditions. Les Romains avaient établi des haras dans les endroits qui fournissaient des chevaux de bonne qualité. On sait que l'Afrique du Nord, avec en particulier les chevaux dits de Numidie, était 45 - Capitularia regum Francorum, éd. A. Boretius et V. Krause, MGII, 1883-97, 2, p. 251. 46 - They rode into Europe, London, 1971, p. 94. 47 - M. Colardelle, E. Verdel, Les habitais du lac de Paladru (Isère) dans leur environnement. La formation d'un terroir au XIe siècle, Paris, MSH, 1993. 48 - Il est difficile de connaître la proportion de chevaux arabes possédés par les musulmans qui conquirent l'Espagne. Ibn Khalikan donne des chiffres, bien entendu imaginaires, cinq siècles après la conquête : sur 12000 cavaliers sous les ordres de Tarik, il n'y aurait eu que 12 possesseurs de chevaux arabes! Fantaisie certes, mais peut-être la proportion donnée marque-t-elle, dans l'imaginaire, la rareté du cheval arabe? (Cité par R.H.C. Davis, The medieval Warhorse, op. cil., p. 50.
particulièrement réputée : on a retrouvé des vestiges d'écuries d'une taille étonnante près de Constantine et les mosaïques d'Hadrumetum, près de Sousse, vantent l'élevage de la région et nomment un certain nombre de chevaux (Amor, Dominator, Adorandus, Crinitus)49. C'est dans ces régions d'Afrique du Nord que l'on trouve le cheval barbe (qui vient sans doute de «berber»), race que l'on retrouve encore au Moyen Age: un traité signale en 1350 un commerce de chevaux «barbes» avec l'Afrique5o. Le cheval barbe est d'origine mongole ou germanique et fut implanté en Afrique par les Vandales au Ve siècle ; il se distingue du cheval numide, qui était celui des peuplades nomades ancêtres des Berbères, cheval vif, résistant et de petite taille, proche du Tarpan. Il ne faut pas confondre ces deux races, que les Arabes rencontrèrent lors de leurs grandes conquêtes, avec le cheval arabe proprement dit, de bien plus haute stature, dont l'origine demeure incertaine et suscite de nombreuses controverses pour savoir s'il serait originaire de l'Arabie ou importé d'Asie Centrale51. Les Arabes, avec la conquête de l'Egypte, de l'Afrique du Nord et de l'Espagne, eux-mêmes des cavaliers, vont bénéficier d'un tel héritage et leurs chevaux jouiront d'une réputation très vite établie en France, en particulier. à travers les contacts, militaires ou non, avec l'Espagne, qui sera pour le haut Moyen Age la grande région de l'élevage du cheval52. Comme nous l'avons déjà noté, le cheval espagnol est bien connu des Francs et sa réputation est grande durant tout le Moyen Age. Bien que nous n'en ayons pas de preuves précises, on peut imaginer que les éleveurs français, tout particulièrement ceux du Sud-Ouest, ont utilisé ce cheval d'importation pour améliorer leurs propres races. On ne peut toutefois pas juger d'un éventuel résultat, sans doute peu probant puisque le commerce d'importation se développe avec l'Espagne et les Pays-Bas. Le fait que le roi d'Aragon, au XIVe siècle, taxe et limite les exportations de chevaux, est significatif à la fois de l'importance militaire de ce cheval et de la demande qu'il suscite. 49 - Cette mosaïque est en partie reproduite dans l'ouvrage de R.II.C. Davis, op. cit., p. 34 (ill. 20). 50 - M.L. de Mas Latrie, Traités de paix et de commerce et documents divers concernant les relations des Chrétiens avec les Arabes de l'Afrique septentrionale au Moyen Age, Paris, 1866. 51 - Pour ces questions voir, M. Piétrement, Les chevaux dans les lemps préhistoriques el historiques, Paris, 1883 ; E. Saurel, Histoire de l'équitation, Paris, 1971 ; Encyclopédie du cheval, Paris, Maloine, 1964 (nbreuses rééd.), p. 766 et p. 711. 52 - Voir R.H. et A.M. Bautier, art. cit., p. 17sq.
On peut donc imaginer une situation mitigée pour le très haut Moyen Age, dont la dominante est sans doute un élevage très parcellaire et déficient en France. L'héritage antique a pour une large part été détruit, des pratiques se sont perdues ; le cheval obtenu est d'une qualité médiocre en regard des chevaux arabes et des chevaux d'Espagne, prestigieux, mais très rares. La technique militaire franque impose toutefois une demande d'élevage qui verra sa meilleure concrétisation dans la volonté de Charlemagne, exprimée dans le De villis, de rebâtir, du mieux possible, un cheptel de qualité. Le Moyen Age et l'élevage Eléments internes : présence du cheptel Pour le haut Moyen Age, comme pour l'Europe carolingienne53, le cheval est un produit de luxe : Charlemagne donne un village entier de la région de Narbonne, avec toutes les terres avoisinantes contre un cheval, une tunique de fer et une épée ; au VIlle siècle, on évalue à Saint-Gall les champs de trois villages et un serf pour un cheval et une
53 - C'est ce que note R. Fossier pour la Picardie carolingienne : «Plusieurs centaines de volailles ou de porcs, à peine moins de moutons, des dizaines de bêtes laitières, c'est l'essentiel des troupeaux. Pour indispensables qu'ils nous apparaissent, les animaux de trait ou de selle sont en accablante minorité. C'est à main que se fait le labour paysan, celui de l'homme libre isolé, celui du tenancier qui travaille pour un maître ; non seulement on en a la preuve explicite sur les terres de Saint-Amand, où il est envisagé un labour à bras et un labour à boeuf, mais nous avons parlé de la situation hors pair de ces hommes de Saint-Bertin parce qu'ils pouvaient travailler le sol avec un cheval. Les chiffres des troupeaux sont étonnamment bas : à Annapes, villa de résidence royale peut-être réservée à la remonte de la cavalerie des guerriers royaux, les chiffres sont encore assez forts : 70 juments soigneusement classées par âge, 18 chevaux, mais trois étalons, ce qui surprend si l'on songe à la pratique, restée longtemps en usage, de conserver pour la guerre un grand nombre de chevaux entiers. La disproportion entre mâles et femelles n'est d'ailleurs pas moins étrange ; on trouverait des chiffres identiques pour les autres villae du fisc, 128 juments, 18 chevaux, 4 étalons ; 78 juments, 8 chevaux, 2 étalons, etc. Dès que l'on sort des terres laïques, les nombres tombent au plus bas : à Saint-Bertin, 10 tenures de service seulement sur 37 en possèdent, mais aucun des 240 manses signalés ; à Saint-Riquier, seuls les hommes d'armes peuvent monter : ils sont une centaine qui protègent le monastère ; à Steneland, 6 juments au total sur tout le domaine. Et les boeufs n'apportent aucun renfort : ils sont inexistants dans les textes sauf à Annapes, où on en compte une vingtaine par villa. On conçoit sans peine le prix énorme que pouvaient atteindre ces animaux ; on conçoit aussi le caractère arriéré de l'exploitation du sol, la modicité de la production.» (La terre el les hommes en Picardie jusqu'à la fin du XIIIe siècle, CRDP Amiens, 1987, p. 70)
épée54. On évalue l'ensemble du patrimoine zootechnique d'une exploitation royale sous Louis le Pieux comme étant de l'ordre de la valeur de l'équipement d'un chevalier (cheval et armes)55. Produit de luxe certes, mais nécessaire : les Francs, on l'a noté à plusieurs reprises, sont des combattants à cheval. Ils ont donc besoin de montures et de bonnes. Pépin le Bref par exemple convertit en 758 un tribut annuel de 500 vaches, dû par les Saxons, à une redevance de 300 chevaux, comme en témoigne la chronique d'Hermann le Contrefait. Ce sont des zones restreintes et éparpillées qui constituent le terroir d'élevage équin. Des facteurs de maintien de traditions, même en perte de vitesse, de conditions géomorphologiques, et de pratiques diplomatiques et religieuses (don, contre-don, service de cheval) conditionnent cette géographie parcellaire qui, en dépit de réels développements ultérieurs, marquera l'élevage chevalin médiéval. Il est certain que les abbayes ont joué un rôle important dans la pratique de cet élevage : nous en possédons en tout cas des témoignages fiables dans les cartulaires. Plus difficile à évaluer, faute de solide documentation, la part effective d'un élevage pratiqué par les laïques : rien ne prouve qu'il n'existât point, à un niveau équivalent de celui des établissements religieux. Toutefois, la pratique importante du don plaide pour une circulation autour des abbayes, que nous aurions tendance à considérer comme essentielle, comme élément moteur particulièrement dynamique, toutes proportions gardées étant donnée la période, dans le développement de l'élevage équin. Pour le haut Moyen Age, c'est donc autour des abbayes que nous chercherons essentiellement des chevaux ; les moines en effet pratiquent l'élevage et sont amenés, comme il apparaît à la lecture des chartes, à recevoir et à fournir des montures. D'ailleurs, l'édiction de règles et de consignes d'élevage par les puissants, désireux d'obtenir des montures pour leurs armées, vont nécessairement dans le sens du développement de l'élevage dans les abbayes : tel est le sens du capitulaire De villis. Le témoignage de l'abbé de Corbie, Adalhard, révèle que de telles instructions pouvaient être suivies dans les monastères et les chiffres du fisc d'Annapes sont également parlants. Au VIle siècle, on trouve des troupeaux de chevaux, comme l'attestent les dons de l'évêque du Mans à l'abbaye de Saint-Victeur ou 54 - Cité par R. Doehaerd, Le haut Moyen Age occidental (Economies et sociétés), PUF, Nvlle Clio, 1971. 55 - Cité par F. Cardini, La culture de la guerre, Florence 1982, Paris, Gallimard 1992, pour la traduction, p. 23.
le testament de l'évêque Leodebode d'Orléans56. Dudon de SaintQuentin note l'existence de paysans à cheval en 859 luttant contre Rollon57. Mais aucun chiffre ne permet de mesurer le pourcentage de ces cavaliers-paysans, peut-être imaginaires. Dans un diplôme du 26 septembre 832, Louis le Pieux prononce des fonnules d'exclusion contre l'abbé de Saint-Denis, lui interdisant de recevoir des palefrois en bénéfice58. Lorsque des chiffres apparaissent, ils sont peu élevés : l'abbaye de Gorze possède 5 poulains sur un domaine où il y a 48 moutons et deux autres pour 12 moutons en 76559. L'abbaye de Saint-Pierre de Rouen fournissait deux chevaux par an, selon un acte de Charles le Chauve60. De telles mentions sont très rares à l'époque et c'est surtout l'élevage du porc ou du mouton qui est mentionné. A contrario, le célèbre, et hélas unique en son genre, inventaire du fisc d'Annapes61 donne des chiffres intéressants. Dans une villa, pour 3 étalons, on trouve 51 juments adultes ; dans deux autres 79 et 44 juments pour 4 et 2 étalons. Si l'on regroupe les chiffres, on obtient une moyenne de 20 juments par étalon. Du point de vue des poulains, on arrive à un rapport d'environ un tiers du nombre de juments ; ces chiffres parlent dans le sens d'une mortalité importante. Les conditions de l'élevage paraissent donc précaires. La géographie de l'élevage du cheval dans le monde carolingien apparaît donc diversifiée, en étroite relation avec les abbayes ; c'est en effet dans ce cadre, forcément restreint, que semble se pratiquer la majeure partie de l'élevage. On en trouve d'ailleurs confirmation par la pratique du don qui se structure autour des abbayes62, comme en témoignent par exemple certains actes de Pépin 1 et Pépin II, rois d'Aquitaine, ou d'Eudes, roi de France, exigeant des dons de paraveredi63. 56 - R.H. et A.M. Bautier, art. cit., p. 25, n. 82-83. 57 - (De moribus et actis..., ed. cit., p. 171-13). 58 - Dom Félibien, Histoire de l'abbaye royale de Saint-Denis, pièces just., p. 52, LXXIH. 59 - Cartulaire de l'abbaye de Gorze, éd. A. Prost, Paris, 1898, p. 25. 60 - G. Tessier, Recueil des actes de Charles II le Chauve, roi de France, t. 2, Paris, 1952, p. 410. 61 - Brevium exempla a d describendas ecclesias et villas, dans M. G. II., Capitularia regum Francorum, I, 128, 25, pp. 254-56, cil6 par R.H. et A.M. Bautier, arl. cit. Voir dgalement supra n. 53.
62 - Voir infra, «éléments externes». 63 - Voir Recueil des actes d'Eudes, roi de France (888-898), éd. R.H. Bautier, Paris, 1967 (11, 19, 97...) et Recueil des actes de Pépin 1 et de Pépin 11, rois d'Aquitaine (814-848), éd. L. Levillain, Paris, 1926 (23, 83, 86. 106, 142 ...).
Au XIIe siècle encore, les documents mettent encore en lumière cet éclatement géographique et, bien souvent, le peu d'importance du cheptel chevalin élevé localement64. Un inventaire des profits de la seigneurie clunisienne à la mort de Pierre le Vénérable (mort le 25 décembre 1156) montre bien cet état, dans une abbaye pourtant très riche65 : un seul cheval en effet est mentionné, contre 567 moutons, 145 boeufs, 110 porcs, 68 vaches et veaux, 9 ânes. On ne saurait en conclure qu'il n'y avait effectivement qu'un seul cheval. Mais l'enquêteur ne semble que très peu s'intéresser au cheptel chevalin, qui apparaît ainsi en marge de ses préoccupations, ce qui est sans doute révélateur de sa place marginale au sein de l'exploitation par rapport au cheptel ovin, porcin ou bovin. Les documents faisant état des droits de pacage donnent des indications analogues pour les XIIe et XIIIe siècles ; c'est en général la mention globale pro animalibus qui figure dans les chartes. Lorsque détail il y a, on trouve essentiellement la triade boeuf/mouton/porc. Des documents du XIIIe siècle montrent que dans certaines régions encore le cheptel chevalin n'est pas suffisamment développé pour apparaître avec une mention particulière dans les chartes : en 1240, dans un compromis touchant la ville de Die, est établi l'amende pour infraction au ban ; les animaux sont mentionnés et les chevaux apparaissent dans une liste concernant les animalia grosse, mais seuls les porcs, les moutons et les caprins sont notés dans le détail66. 64 - C'est par exemple ce que note R. Fossier pour la Picardie : «...la faiblesse de l'équipement «chevalin» n'est pas seulement du IXe siècle ; il est aisé d'en déceler les signes trois cents ans plus tard : lorsqu'un seigneur batailleur fait main basse sur le bien d'autrui, il cherche surtout les chevaux pour équiper ses hommes, tel Oilard d'Oisy enlevant, en 1120, une douzaine de chevaux au palais de Vinchy, son descendant Hugues saisissant au bois toutes les bêtes de l'évêque de Cambrai, quelques générations plus tard. On trouverait d'autres exemples autour d'Arras, vers 1150, sur la Somme en 1138 et 1148. Le haut prix du cheval, qu'il soit de guerre ou de travail, l'amène à jouer le rôle d'une composition pécuniaire : en 1154, à Wail près d'Hesdin, un membre du lignage des Fritel n'abandonne ses prétentions qu'en échange de trois chevaux ; en 1145, à Mauregard, le sire Gerberoy se désiste contre une somme d'argent et un palefroi ; vers 1200 encore, le sire d'Oisy demande pour relief le palefroi d'un vassal défunt. Et cette rareté se paye ; dans le tarif du tonlieu d'Arras, antérieur à 1036, le cheval est taxé au double de la vache.», La terre et les hommes enPicardie..., op. cil., p. 154. 65 - Texte dans Studia Anselmiana, 40, 1956, pp. 129-259. Voir G. Duby, Seigneurs et paysans, Flammarion, coll. Champs, 1988, chap. 9 (article publié en 1979 dans Hommes et structures du Moyen Age). Selon G. Duby, ce serait un témoignage de l'utilisation du boeuf comme animal de trait : «Dans l'ensemble du domaine clunisien, l'élevage est donc essentiellement destiné à alimenter en force motrice l'exploitation de la réserve : si les chevaux et les ânes sont rares, les enquêteurs portent un intérêt tout particulier aux boeufs...» 66 - Cartulaire de la ville de Die, éd. J. Chevalier, Documents relatifs au Dauphiné, p. 95.
Ce manque de précision n'implique pas pour autant que l'élevage ne se développe pas au XIIe siècle. Même dans le sud de la France, région a priori défavorisée de ce point de vue par la difficulté d'y cultiver l'avoine, les cartulaires révèlent un souci de constituer un cheptel chevalin. Le cartulaire de l'abbaye de Silvanès par exemple précise dans la charte de pacage du domaine de Calmels que 30 juments devront être élevées!67. On retrouve sur cet exemple le rôle essentiel que les abbayes, en particulier cisterciennes, ont pu jouer dans la constitution du parc équin. Il n'est donc bien souvent possible de suivre ce cheptel que très localement, au détour des mentions qui lui sont faites dans les chartes et les différents actes. Tournons nous tout d'abord vers le nord de la France. Dès le XIVe siècle, l'Europe du Nord voit un cheptel chevalin dont l'étendue paraît assez proche de ce qu'il sera à l'époque moderne. Avec des développements plus rapides pour certaines régions : pour la Picardie, comme R. Fossier l'a montré, c'est après 1150 que les documents montrent un réel développement de l'élevage du cheval ; certains chiffres donnent même en 1272 un cheptel équivalent à celui du XVIIIe siècle68. En 1159, l'abbaye d'Igny reçoit des concessions de droit de pâture pour la pratique du haras sauvage, donc de l'élevage en forêt, élevage qui est par ailleurs attesté par un droit spécifique appelé silvagiwn69. Cet élevage se maintiendra au cours du Moyen Age : en 1304, une charte fait état des écuries nécessaires pour les chevaux (pro equitatura) de l'abbaye70 Toujours en 1159, droit est accordé à 67 - Cartulaire de l'abbaye de Silvanès, éd. P.A. Verlaguet, Rodez, 1910, p. 300. 68 - Citons R. Fossier, La terre et les hommes de Picardie, op. cit., p. 155, «On n'a de preuve certaine d'un développement de l'élevage chevalin qu'après 1150 ; certes les exploits des chevaliers pillards du Xle siècle, ou l'emploi des charrues avant 1100 laissent penser que le cheval n'est pas alors si rare en Picardie ; mais les précisions ne viennent qu'ensuite. Labours et corvées à chevaux se multiplient entre 1160 et la fin du Xlle siècle, sont la règle au XlJIe. En même temps, les tarifs de tonlieu ne connaissent plus guère que le transport à dos d'homme ou en voitures à chevaux ; les conflits d'usage entre les paysans et leurs maîtres font preuve de la multiplication, dans les bois, des bigae et des quadrigae, attelées à deux, trois ou quatre chevaux. Le seuil décisif correspond aux dernières années du XIIe siècle : c'est une date qui paraîtra tardive ; mais il s'agit d'un triomphe complet : les mentions de boeufs, partout assez rares, à l'exception du Ponthieu, disparaissent presque totalement des actes. Les quelques inventaires de troupeaux qui sont parvenus jusqu'à nous soulignent la place prise par le cheval : lorsqu'en 1206, l'abbaye de Saint-Quentin-en-l'Ile passe un contrat avec son maire de Regny, elle lui cède cinq vaches et dix juments comme cheptel de départ ; la ferme du Sourd, près de Guise, compte en 1272, huit chevaux et douze vaches, celle de Saint-Lazare de Saint-Quentin quinze chevaux et seize vaches. Ces chiffres sont considérables, très supérieurs à ceux qu'offrent les relevés du XVIIIe siècle ou encore du début du XXe siècle.» 69 - Cartulaire d'Igny, BN. lat. 9904, fol. 148. 70 - Ibid., fol. 269.
l'equiciarius de l'abbaye de la Chapelle-aux-Planches, dans le sud de la Marne, de bâtir un enclos pour les chevaux, ce qui semble attester la présence d'un haras parqué7). En 1221, l'abbaye Saint-Jean des Vignes reçoit de l'évêque de Soissons quarante chevaux72. On élève le cheval à Foigny, un acte de 1223 révélant un très important cheptel équin73 et dont une charte datée de 1243 indique qu'amende de deux sous sera donnée à qui fera paître deux chevaux n'appartenant pas au cheptel (equi impasturati)74. Dans le village de Rosay, à la fin du XIIIe siècle, un acte d'échange «entre Jehan de Cousance, escuier, d'une part et les religieux, homes, abbé et couvent de Saint-Pierre-as-Mons de Chaalons d'autre part», daté d'octobre 1296, atteste la présence d'un cheptel chevalin : Et est a savoir que li diz Jehans recongnut et afferma encore par devant nous que uns chacuns des homes devant diz doit la rante qui s'ensieut, c'est a savoir qui a cheval un sestier de fromant et deuz soulz et six deniers de petiz tournois au jour de la feste Saint Denis au moys d'octambre ; et cil qui n'a cheval un quarteron froumant et les diz deuz soulz et six deniers75. Plusieurs inventaires des possessions de l'abbaye de Froidmont montrent l'importance du cheptel chevalin dans l'Oise du XIIIe siècle ; entre 1224 et 1256 : 134 chevaux de trait, 14 de transport, 9 de selle, 36 poulains ; à Herrelle l'abbaye possède en 1256 7 chevaux ; 23 chevaux et 5 poulains à Grandmesnil, 25 chevaux et 5 poulains à Fay, 32 chevaux et 7 poulains à Cormeilles etc76. Citons une fondation de Renaud de Bar qui mentionne en 1269 un élevage à la maison Deu de Branz comportant 10 chevaux, aux côtés de 1000 brebis et 40 vaches77. L'inventaire des domaines du célèbre Thierry d'Hireçon donne des chiffres permettant de bien situer la part du cheptel chevalin dans une ferme importante. A Sailly-en-Ostrevent, 13 chevaux, une jument, 2 poulains aux côtés de 156 moutons, 155 brebis, 118
71 - Cartulaire de l'abbaye de la Chapelle-aux-Planches, éd. Ch. Lalore, Paris-Troyes, 1878, p. 22. 72 - Carlulaire de Saint-Jean des Vignes, BN. lat. 11004, fol. 19. 73 - Reims, Ms. BM. 1563, fol. 166v. 74 - Carlulaire de Foigny, BN. lat. 18374, fol. 37. 75 - Archives de la Marne, H 626. 76 - Cartulaire et Notice (Abbaye de Froidmont), Archives de l'Oise, Notice, p. 496. 77 - Documents linguistiques de la France. Haute Marne, éd. J.B. Gigot, Paris, 1974, p. 121.
agneaux, 40 porcs78. La léproserie de Saint-Quentin dispose au XIIIe siècle de 15 veaux et juments, 16 vaches, 75 porcs et 295 ovidés79. Dans la même perspective, du côté des abbayes, citons les comptes de l'abbaye du Paraclet «a la feste de saint Clement» en 1249, qui donne pour cinq fermes 26 chevaux pour 43 boeufs, 43 vaches, 49 porcs, 35 ânes80. On peut avancer que pour la France du Nord, une grosse exploitation aura un cheptel chevalin de l'ordre de 15 à 20 chevaux, une petite ferme ayant 2 à 3 chevaux, ce qui correspond à un chiffre «idéal» pour un labour de 30ha81. Bien entendu, de tels chiffres sont à manipuler, même en moyenne, avec beaucoup de précaution, car ils ne rendent pas compte des extrêmes : en 1298, le seigneur de Busigny, se livrant à des exactions contre les hommes de Saint-Géry de Cambrai, enlève à Bévilliers 55 chevaux et deux étalons, accompagnés de 51 vaches et 170 bestie, des moutons selon toute vraisemblance82. Au XIVe siècle, on pratiquait dans le Hainaut l'élevage de troupeaux de juments sauvages, dans la forêt de Mormal et dans les bois de la Louvière et de Flobecq83. L'Anjou est une région où l'élevage chevalin se pratique dès le XIe siècle. Un acte de l'abbaye de Saint-Aubin d'Angers, qui se situe entre 1082 et 1106, mentionne l'association entre Saint-Aubin et Eon le Breton de Chateaubriant pour élever un troupeau de juments84. Toujours pour le XIe siècle, on trouve dans les chartes de Saint-Aubin des règlements de partage de droit de pâture concernant les chevaux85. On relève dans le cartulaire de l'abbaye de la sainte Charité à Angers l'emploi de personnel qualifié, les equitarii, chargé du soin des chevaux86. La tradition de l'élevage angevin se maintient durant le Moyen 78 - Sources d'histoire médiévale, op. cit., p. 226. Voir J.M. Richard, «Thierry d'Hireçon, agriculteur artésien», B.E.C., LIII, 1892, pp. 383-416 et 571-604. 79 - R. Fossier, La terre et les hommes en Picardie, op. cil, p. 173. 80 - Cartulaire de l'abbaye du Paraclet, Colleclion des principaux cartulaires du diocèse de Troyes, t. 2, éd. Abbé Lalore, Paris, 1878, p. 222. 81 - Voir A. Derville, «Les paysans du Nord : habitat, habitation, société, Villages el villageois au Moyen Age, op. cit., p. 96. 82 - R. Fossier, La terre et les hommes en Picardie, op. cii., p. 173. 83 - R.H. Bautier, «Une enquête en cours...», Histoire économique el sociale, Archives et bibliothèques de Belgique, n" spécial 10, 1973, pp. 151-67. 84 - Cartulaire de l'abbaye de Saint-Aubin d'Angers, éd. A. Bertrand de Broussillon, Paris, 1903, t. l.p. 73. 85 - Ibid., 1.1, p. 206, p. 216. 86 - P. Marchegay, CarluJarium monasterii beatae Caritatis AndegavensLs, Archives d'Anjou, ill, Angers, 1854, p. 163. Voir R.H. et A.M. Bautier, art. cit., p. 33.
Age. Un acte de 1295, concernant un accord entre Gui IX et Jeanne de Brienne-Beaumont sur les droits de cette dernière à la succession de Guy VIII affinne que la dame recevra «la moitié de toutes les bêtes et haras ; et sur les chevaux cinq pour son char, un pallefroy et en outre un roussin pour André»87. La maison d'Anjou sera d'ailleurs le garant d'une politique du cheval. Charles, dès son avènement, nomme un responsable pour l'ensemble de ses haras et de ses écuries qu'il développe en Pouille et en Calabre88. Comme on le verra, l'élevage chevalin se pratique en forêt d'Orléans à la fin du Moyen Age. Le cartulaire de l'abbaye de SainteCroix, mentionne quelques dons en chevaux, comme celui de Simon de Beaugency fait au milieu du XIIe SièCle89 ; mais les données recueillies ne nous permettent pas d'évaluer un élevage orléanais avant la fin du Moyen Age. En Bretagne également, on trouve trace d'élevage de chevaux, dès la fin du XIe siècle, comme à l'abbaye Sainte-Croix de Quimperlé, celle-ci offrant de nombreux chevaux «de prix»90. En 1037 par exemple, Huelin, seigneur de Hennebont, reçoit trois chevaux et un tapetum, tapis de selle, pour le don de deux églises sur l'île de Groix ainsi que de l'île Saint-Michel (Tanguethen). A la même époque, le vicomte de Frioul rachète une terre près de Donges qu'il paie sous la forme d'un don annuel d'un poulain. Dans le nord de la Bretagne, des chartes, à l'abbaye Saint-Georges de Rennes, font état de la fourniture de chevaux pris dans la région de Lannion91. En 1213, le vicomte de Rohan ramène neuf étalons arabes, qui lui avaient été offerts par le Soudan d'Egypte et il les fit lâcher dans ses haras forestiers92. Selon R. Grand et R. Delatouche, ce serait là l'origine du cheval breton, dit cheval de Corlay, trotteur élégant et solide. La Nonnandie est également un terroir d'élevage équin, ainsi que le montrent les Actes des ducs de Normandie : en 1035, Robert le magnifique fait don à l'abbaye de Saint-Pierre de Préaux de duos
87 - A. Bertrand de Broussillon, La maison de Laval, t. 11, Paris, 1898, p. 116. 88 - Voir R.H. et A.M. Bautier, art. cit., pp. 71-2. 89 - Cartulaire de Sainte-Croix d'Orléans, éd. J. Thillier et E. Jarry, Orléans, 1906, p. 7. 90 - Carlulaire de l'abbaye de Sainte-Croix de Quimperlé, éd. L. Maitre et P. de Berthou, Rennes, 1902. 91 - R.B. et A.M. Bautier, art. cit., p. 34. 92 - Voir R. Grand et R. Delatouche, op. cit., p. 467 et n. 3.
maximi precci caballos93. Au XIe siècle, de nombreuses chartes indiquent la présence d'élevages chevalins dans les forêts normandes : dans l'Orne, le Calvados, la région de Rouen. Certains seigneurs concèdent la dîme de troupeaux de juments à des abbayes : Sigy, Saint-Wandrille, Jumièges. Dans cette dernière, il y avait probablement une écurie florissante, comme en témoigne le don qu'elle fit en 1030 de six chevaux de prix au comte d'Amiens94. Le monastère de la Trinité du Mont à Rouen possédait un maréchal au XIe siècle95 et un 1acte de Saint-Wandrille de 1086 mentionne une unité spécifique d'élevage chevalin96. On voit que l'élevage normand est bien présent dès le XIe siècle. Il fut sans doute encouragé par des traditions venant des Nonnands eux-mêmes qui étaient à la recherche de bons chevaux, encourageant l'élevage et l'importation : il est possible par exemple que Roger de Tosni (c. 1023) et Robert Crespin (1064) aient ramené des chevaux d'Espagne97. Le terme haracium apparaît en Normandie au XIIe siècle, dans une confinnation de privilèges de l'abbaye de Saint-Evroul, vers 117298. Cette pratique semble se maintenir à la fin du Moyen Age : en 1421 par exemple, on apprend que les chevaux de l'abbaye de l'IsleDieu, près de Vascoeil, étaient nourris «d'avoine et de vitaille que on dit pois et vesche a tout la cosse», preuve de la présence du cheptel en ces régions ; les élevages de l'abbaye de Bon'port près de Pont-del'Arche et de celle de Varenguebec jouissaient d'une bonne réputation99. Le sud de la Normandie, Maine et Perche ainsi que le Vendômois et la Touraine peuvent également être considérés comme zones d'élevage chevalin, comme le montrent de très nombreux exemples de contre-dons en chevaux pratiqués par les abbayes, surtout au XIe et début du XIIe siècle. Vers 1049-1066, il y a, comme en fait état un acte de Roger Malfillastre, un élevage équin près de Beaumont-les93 - Recueil des Acies des Ducs de Normandie, éd. M. Fauroux, index L. Musset, Caen, 1961, n° 89, p. 231. 94 - Charles de l'abbaye de Jumièges, Rouen-Paris, 1916, t. 1, p. 48. 95 - Cartulaire de l'abbaye de la Sainte Trinité du Mont de Rouen, éd. A. Deville, Paris-Rouen, 1840, t. ID, p. 439. 96 - Cité par R.H. et A.M. Bautier, art. cil., p. 30. 97 - Voir R.H.C. Davis, op. cil., p. 57. 98 - Recueil des acies de Henri Il, éd. L. Dclisle et E. Berger, Paris, 1920, t. II, p. 99. 99 - M. Montfort, art. cit., p. 467.
Tours100. A la fin du XIIe siècle, l'abbaye de la Trinité de Vendôme possède son equariuslOl. Les moines de Marmoutier payaient la dîme pour la pâture de leurs troupeaux de juments102. Vers 1107 l'abbé de Noyers confie le soin de ses chevaux à un dénommé Bernard, qui, d'après le texte, s'en est occupé fort longtemps, a pueritia usque ad virilem aetateml03. La Bourgogne semble avoir fourni quelques chevaux de qualité, dont des spécimens auraient été offerts en terre d'Empire pour le mariage de Marguerite du Tyrol avec le fils du roi de Bavière104. Comme le mettent en lumière les chartes de Cluny, l'élevage du cheval paraît très peu développé en Val de Saône. On a le témoignage de quelques terres rémunérées en équidés dans le Châlonnais105 ; dans l'Auxerrois, le comte de Joigny donne un droit de pâture pour 20 juments et leurs poulains à la fin du XIIe siècle 106. Les contre-dons en chevaux sont moins fréquents que dans les régions porteuses comme l'Anjou ou la Normandie. On en rencontre toutefois, comme à Paray-le Monial où il est fait état d'un cheval liard107. Les chiffres augmentent à la fin du Moyen Age, mais l'élevage du cheval demeure loin derrière celui des bovins. C. Beck note sa faible représentation dans les transactions108. L'enquête sur les baux à cheptel indique pour les XIVe et XVe siècles des chiffres analogues : pour la période 1364-1446, on compte 324 baux à cheptel à Auxonne, Longecourt, Dijon, Esbarres, Saint-Jean sur Losne, Brazey ; 204 sont pour les bovins contre 77 seulement pour les équidés109.
100 - Recueil des Actes des Ducs de Normandie, op. cil., n° 227, p. 435. 101 - Cartulaire de l'abbaye cardinale de la Trinité de Vendôme, éd. Ch. Métais, Paris, 1894, t. l,p. 238. 102 -Ibid., p. 362. 103 - C. Chevalier, Carlulaire de l'abbaye de Noyers, Tours, 1872, p. 377. 104 - Voir G. Bolling, «Le Haflinger, une race bourguignonne?», Plaisirs equestres, déc. 1984, n° spécial, p. 14. C'est sur cet exemple historique que s'appuie l'auteur de cet article pour émettre l'hypothèse que le haflinger serait un descendant du cheval bourguignon. 105 - G. Duby, Recueil de pancartes de l'abbaye de la Ferté-sur-Grosne (1113-1178), Aix-enProvence, 1953. 106 - Carlulaire général de l'Yonne, éd. M. Quantin, Auxerre, 1860, t. 2, p. 486. 107 - Cartulaire de Paray-le-Monial, reconstitué par L. Lex, Mâcon, 1907, p. 77. 108 - C. Beck, «Le cheptel des exploitations paysannes dans le Val de Saône», loge congrès national des Sociétés savantes, Dijon, 1984, Histoire médiévale, t. 2, p. 117. C. Beck compte 256 têtes, ce qui représente le tiers du nombre compté pour les bovins. Sur 148 exploitations, 52 détiennent des chevaux. 109 - C. Bossard-Beck, Villages et lerroirs d'élevage dans le val de Saône en Bourgogne médiévale, thèse de 3e cycle dactylographiée, juin 1983, p. 54.
Même si l'âne et le mulet sont très utilisés dans les régions du Massif Central, on y trouve le cheval bien présent. Le cheval d'Auvergne semble apprécié au Moyen Age : selon Guillaume de Poitiers, on offrit à Guillaume le Conquérent des chevaux de prix originaires d'AuvergnellO. Le frère du comte Adhémar perdit 60 chevaux dans une épizootiell1. Le Limousin lui aussi produit des chevaux ; dès le XIe siècle, on trouve, dans une charte d'Uzerchc, la mention d'un haras112. Ce haras est d'ailleurs ici nommé bravaria, ce qui en général, désigne une bande de bovins en liberté. On peut donc penser que la pratique de l'élevage du cheval correspond ici au premier stade de l'equus indomitus et qu'elle est probablement récente et exceptionnelle encore à cette époque. L'élevage équin est attesté dans ces régions par plusieurs documents postérieurs, comme par exemple ce droit sur les juments que l'on trouve dans une exemption de coutume fixée par Bardon de Cognac pour les moines cisterciens d'Obazine en 1164 et cette cession, datée de 1187, d'Archambaut VI : l'abbaye d'Obazine maintient sur ces pâtures un élevage équinl13. Le Languedoc et le Roussillon ont dû être terroir d'élevage, si l'on en juge par la pratique du contre-don en cheval, très répandue et la présence de cheptel dans les abbayes cisterciennes, comme celle de Silvanès. Au début du XIe siècle, l'archevêque Ermengaut de Carcassonne répartit ses biens, parmi lesquels une écurie comptant 21 juments114. Mais les documents donnent peu de chiffres concernant des élevages proprement ditsl15. On a la même appréciation pour la Provence, en notant toutefois le cas de la commanderie de Richerendes qui fonda de véritables haras au début du XIIe siècle116. Une enquête du XVe siècle dans la région de Grasse met à jour un cheptel de 465 chevaux sur cinq localités totalisant 404 feux et cent
110 - Histoire de Guillaume le Conquérant, 13, éd. R. Foreville, Paris, 1952, CIIPMA, p. 26 111 - R.H. et A.M. Bautier, art. cit., p. 35. 112 - R. Fage, La propriété rurale en Bas-Limousin au Moyen Age, Paris, 1917, p. 162, n. 2. 113 - Cartulaire de l'abbaye d'Obazine, éd. B. Barrière, Institut d'Etudes du Massif Central, 1989, n° 650. 114 - Ci. Devic et J. Vaissette, Histoire générale du Languedoc, V, Toulouse, 1875, p. 164. 115 - TI faut toutefois noter, vers la fin du Moyen Age, la présence de haras. En 1287 Philippe le Bel en possédait à Saint-Rome dans le Lauragais, comme le fait apparaître un compte des domaines de la senéchaussée de Carcassonne et Beziers (15 1. positus fuit cum harasio regis apud Sanctum Romanum) (Comptes royaux (1285-1314), éd. R. Fawtier, Paris, 1953-54, t. il. n° 14330). 116 - R.H. et A.M. Bautier, art. cil., p. 40.
chevaux à Grasse, révélant que l'élevage du cheval se pratiquait dans la région, avec une forte implantation à la fin du Moyen Age117. Le Béarn possédait une race, dite «navarraise», d'origine arabe, dès la fin du XIe siècle. Ces chevaux étaient utilisés dans les tournois, où ils jouissaient d'une certaine réputation, en particulier lors des joutes de Morlaas. Cet élevage devait être particulièrement étendu puisque les fors de Béarn légifèrent sur les troupeaux de chevaux118. Si l'on se fie, après M. Houbbaida119, aux rôles de l'armée de Gaston Fébus, qui précisent que les Béarnais avaient fourni plus de mille chevaux à leur seigneur pour la campagne de Comminges, on peut se faire une idée de l'importance de l'élevage en Béarn au XIVe siècle. La fourniture de chevaux au vicomte paraît très organisée : tout homme possédant 200 florins doit livrer un cheval, 400 florins deux chevaux etc. Chaque cheval devait valoir au moins trente florins ; les chevaux du Béarn d'ailleurs étaient de qualité et si l'on en juge d'après l'évaluation donnée par les rôles village par village (Laruns, Bielle, Louvie-Juson, Arudy etc.) on arrive à un ordre de 45 florins par cheval. D'autres, tels ceux d'Orthez, Morlaas ou Lescar, peuvent atteindre 100 florins. Les recherches de P. Tucoo-Chala120 fournissent des chiffres très parlants sur la fourniture de chaque ville : Morlaas, 317, Orthez, 274, Oloron, 368, Ossau, 105. Au XVe, la tendance se maintient et même, localement, s'approfondit ; c'est ainsi que le seigneur de Laàs élevait 60 juments et quinze poulains, possédant en 1406 un véritable haras. Cas particulier par son importance certes, mais qui reflète une tendance, de nombreux éleveurs de la région possédant à cette époque en moyennne quinze juments121. Pour la Bigorre et la Gascogne gersoise, on rencontre des tendances analogues, montrant un Sud-Ouest où l'élevage chevalin est bien implanté. En Bigorre par exemple, M. Houbbaida relève au XIIIe siècle 31 tenanciers éleveurs de jumentsl22. La Gascogne offrait 117 - J. A. Durbec, «L'élevage dans la région de Grasse avant 1610», Bulletin philologique et historique, 1967,1, pp. 84-6. 118 - Les Fors anciens de Béarn, éd. trad de P. Ourliac et M. Gilles, Paris, 1990. Voir par ( exemple dans le For général, le n° 59. 119 - L'élevage dans le sud-ouest de la France du douzième au quinzième siècle, op. cil., p. 220sq. 120 - «Le cheval et son importance dans les pays de l'Adour au Moyen Age», Les pays de l'Adour, royaume du cheval, Tarbes, 1982, p. 29. Voir également, du même auteur, «Pour une recherche sur l'élevage du cheval dans les Pyrénées occidentales», L'institution militaire et les armées dans les Pyrénées, Université de Pau, 4, 1977, pp. 21 -27. 121 - M. Houbbaida, op. cit., pp. 222-3. 122 -lbid., p. 223 et n. 5.
semble-t-il des chevaux réputés, comme en témoignent l'«auferrant gascon» qui s'est montré rapide pour le messager qu'il porte dans le Siège de Barbastre (éd. J.L. Perrier, v. 127)123, les «boins destriers corans, fors et gascons» d'Aiol (v. 2361), ou encore ce cheval gascon sur lequel Guillaume, dans Le bel inconnu, est monté (éd. G. Perrie Williams, v. 1092)124. En fait de multiples mentions littéraires, en divers genres et à différentes époques viennent à l'appui de cette réputation : trois occurrences dans Girart de Roussillon, cinq dans Raoul de Cambrai, deux dans la Chanson des Saisnes de Jehan Bodel, etc. En cette région, comme en beaucoup d'autres d'ailleurs, ce sont les établissements religieux qui constituent l'épine dorsale de l'élevage du cheval : sur 89 chartes du cartulaire de Saint-Mont (fin XIe-début XIIe siècle), 21 mentionnent des contre-dons en chevaux. Le panorama que nous avons esquissé rend compte du caractère éclaté de la «géographie du cheval» que donnent les documents. Il milite en faveur de l'approfondissement d'une étude à caractère local. Si l'on trouve, en certaines régions, des haras bien constitués dès le XIe siècle, ce n'est pas la règle générale. Il faut attendre la deuxième moitié du XIIe siècle et surtout le XIIIe pour que le cheval soit davantage présent dans les documents. Ces derniers révèlent le rôle essentiel des abbayes dans l'élevage équin. Ceci explique aussi pour une part le caractère différencié et morcelé de cet élevage, qui est originellement conditionné par des pratiques de don et de service. C'est surtout au XIVe siècle que l'on voit les tendances se marquer en profondeur, sans que la géographie équine soit pour autant fondamentalement bouleversée, les implantations traditionnelles étant généralement maintenues, voire développées. On ne saurait terminer ce paragraphe sans faire quelque allusion à l'élevage en forêt. Au détour des documents, on s'aperçoit en effet que la pratique du haras sauvage forestier est attestée un peu partout. Symbolique de cet élevage, l'appellation d'equas silvestres qu'utilise une charte de Saint-Yved de Braine pour désigner un troupeau de jumentsl25 ; mention que l'on retrouve aussi, en 1210, dans le Cartulaire 123 - On trouve d'ailleurs ce terme à plusieurs reprises dans la chanson de geste, comme dans Aliscans (éd. Cl. Régnier, I, v. 2725) ou dans les Enfances Renier (éd. C. Cremonesi, v. 619). 124 - Dans ce même roman, il est précisé qu'un «Gascont» est un «bel ceval de molt grant pris» (vv. 1714-15). 125 - Paris, arch. nat., LL 1583, fol. 149.
d'Igny : concesserunt etiam michi quod decetero non mitterent in pasturas meas nec in nemoribus gruarie mee bubales nec equas silvestresl26. Dans ce nord de la France où nous avons vu combien l'élevage du cheval se développait à partir du XIIe siècle, de nombreux troupeaux paissent dans les forêts. On les trouve à Ignyl27, à Vauclair, où l'abbaye, de nos jours encore, est sise au milieu de la forêt et où, en 1171, six chevaux étaient élevés128, dans les possessions de SaintMédard, dans le Soissonnais où, en 1259, un règlement de pacage autorise celui des chevaux dans la forêt129. Les forêts nonnandes servent également de lieu d'élevage équin ; des juments paissent en 1059 dans les bois de Roncaville dans le Calvados130 et, vers 1080, les moines de Jumièges perçoivent la dîme sur des troupeaux de chevaux élevés en forêt 131. L'abbaye de SaintWandrille touche également la dîme sur les revenus des troupeaux de chevaux de la forêt de Brotonne132. Au XIIe siècle, on élève les chevaux dans la forêt de Mayenne, comme le font par exemple les moines cisterciens de Savignyl33. Près de Rambouillet, on élève le cheval dans la forêt d'Yveline au début du XIIIe siècle, tradition qui s'établit dès le XIIe, comme le montre le cartulaire de l'abbaye des Vaux-de-Cernay134. Au XIVe siècle, la forêt de Conteville, près de Guellefontaines, est lieu d'élevage135. En Beauce, dans le Perche, il en va de même, comme l'a montré A. Chédevillel36. La forêt d'Orléans est également un lieu d'élevage, au moins au XIVe siècle, comme l'atteste un acte de rachat du roi à Hector de Bouville qui tenait un haras (...armentum equorum et jumentorum quod vulgariter haracium nuncupatur haberent et tenebent 126 - BN. lat. 9904, fol. 148. 127 - Cartulaire d'lgny, op. cil., fol. 148 : In suis tamen nemoribus poterunt mittere libere et licenter equos et equas carrucales cum pullis suis in easdem pastuTas et in omnia nemora gruarie mee libere mittere licebil.
128 -BN lat. 11073, fol. 47. 129 - Arch. dép. de l'Aisne, H477, fol. 33v. 130 - Recueil des actes des ducs de Normandie, éd. M. Fauroux, ed. cil., n° 142, p. 323. 131 - Chartes de l'abbaye de Jwnièges, éd. J.J. Vernier, t. 1, RouenlParÍs, 1916, n° 37,p. 107 :
dedil quoque Maurilius de Formilale decimam de Frontebos in omnibus, videlicet (...) in silvis et in his que de silvis exierunt, in vacas, in equis.
132 - F. Lot, Etudes criliques sur l'abbaye de Saint-Wandrille, Paris, 1913, n° 41, p. 96. 133 - Cartulaires monceaux de l'abbaye de Savigny, éd. D. Pichot, Avranches, 1976, pp. 46-8. 134 - Cartulaire de l'abbaye des Vaux-de-Cernay de l'ordre de Cileaux, au diocèse de Paris, Paris, 1857, n° 385, n° 3, n ° 786. 135 - Cartulaires et actes d'Enguerran de Marigny, éd. J. Favier, Paris, 1965, n° 34. 136 - Chartres et ses campagnes, op. cit., p. 205sq.
inforesta nostra aurelianensi...)137. Une enquête de la première moitié du XVe siècle sur le droit de haras possédé par Jchan de la Forest fait état d'un élevage en forêt de 9 juments avec 2 ou 3 chevaux mâles. Le prieuré d'Ambert élevait 14 juments avec leurs poulains dans la forêt orléanaisel38. A la fin du XIIe siècle, on trouve des haras en forêt d'Argenson, dans le Poitou, où les moines de la Grâce-Dieu ont un droit de pacage139. On en trouve au XIIIe siècle dans la forêt de Lavort, sur les bords de l'Allier140. Ici encore, on peut sans aucun doute multiplier ces exemples épars et considérer que l'élevage chevalin en forêt est d'une pratique courante durant tout le Moyen Age. Il s'agit d'un héritage de pratiques plus anciennes, correspondant au premier stade de l'élevage, conditionnées par les spécificités du paysage, donc par l'étendue importante du domaine boisé avant les grands défrichements du XIIe siècle. Le maintien de cette technique d'élevage s'explique sans doute par son caractère élémentaire. Les chevaux ont un instinct grégaire très fort et ils sont très craintifs, ce qui facilite leur maintien dans un bois, qui leur offre la nourriture nécessaire et un «cadre de protection» limité, contrairement à une large prairie. Peut-être certains chevaux sont-ils entravés. On a vu que les Francs pratiquaient cette technique à l'origine. Or, dans le traité de Pierre de Crescens, écrit au XIIIe siècle, il y a l'explication de la façon d'entraver les chevaux, afin qu'ils ne s'enfuient pas. Le Livre des prouffits champestres indique en effet que «luy lyera l'en les deux piedz de devant d'aulcun lyen de laine et sera lyé a l'ung des piedz de derriere affin que il ne puisse aller»141. Peutêtre que ce type de technique est employé dans le cas du haras sauvage, pour l'equus indomitus. Il n'est alors pas utile de construire des enclos ; quelques battues régulières suffisent à se fournir en poulains. Cette technique primitive a sans doute évolué au cours du Moyen Age pour laisser place au haras forestier parqué, qui permet d'isoler les juments, tout en utilisant la source de nourriture offerte par la forêt. 137 - R. de Mauldre, Etude sur la condition forestière de l'Orléanais au Moyen Age et à la Renaissance, Orléans, 1967, pp. 151-2, n. 4. 138 - Arch. Loiret, A816. 139 - G. Musset, Recueil de documents relatifs à l'abbaye de la Grâce-Dieu, Archives Historiques d la Saintonge et de l'Aunis, t. XX VII, 1898, p. 140. 140 - Enquêtes administralives d'Alfonse de Poiliers. Arrêls de son Parlement tenu à Toulouse et lexies annexes (1249-1271), éd. P.F. Fournier et P. Guébin, Paris, 1959, p. 41. 141 - Edition de Paris, 1521, fol. 95.
Eléments externes : facteurs de motivation Si l'on se tourne à présent du côté des «facteurs externes», concernant une volonté de favoriser et de développer l'élevage du cheval, on rencontre également ce qui apparaît non comme une charnière, terme trop fort et faux pour certaines régions, mais comme une phase moyenne de transition, le XIIIe siècle. Selon R. H. et A. Bautier, on assiste à cette époque à la mise en place d'une véritable «politique du cheval», fruit de la nécessaire constitution d'armées, royales ou princières, conditionnée à la fois par un aspect plus «global» de la guerre (croisades, rivalités franco-anglaises) et par une évolution des moyens guerriers. Cet établissement militaire provoque une augmentation des besoins, tant du point de vue de la quantité que de la qualité, en particulier la robustesse, nécessaire pour des cavaliers de plus en plus lourdement équipés. A l'occasion de la guerre de Cent Ans bien entendu, on observera un renforcement de cette tendancel42. Il convient sans doute de situer une telle politique entre deux forces contradictoires : l'une que l'on pourrait qualifier d'«individuelle» - l'armée féodale est un regroupement d'individus - l'autre de «globale» - l'armée se constitue dans un but et sous l'autorité d'un prince ou du roi. Vu selon le premier axe, il est difficile de concevoir une véritable notion de «politique du cheval». Les premières croisades avaient déjà posé des problèmes de population chevaline, mais sans doute d'un point de vue plus «atomisé» ; il s'agissait en fait, plus que du problème d'une armée, de celui d'un regroupement de croisés, devant s'équiper en vue d'une guerre longue et lointaine. L'essentiel était donc, comme on l'a vu précédemment, un problème économique, lié aux moyens d'un individu, que ce soit le chevalier lui-même, ou éventuellement le seigneur auprès de qui il servait. D'autre part, le pouvoir royal ou princier vise à profiter au maximum du droit d'ost, en dépit des oppositions, 142 - C'est ce que note Philippe Contamine : «Il fallait encore avoir des chevaux. Même l'écuyer ordinaire en possédait au moins deux ; le plus précieux, ordinairement ménagé pour le combat, était le «coursier», dont le nom indique que sa qualité primordiale était la rapidité. Pour les déplacements habituels et le transport des bagages, on se servait de bêtes de somme, ou sommiers, confiées à la garde des valets d'armes. Si les simples gentilshommes n'avaient guère, à l'époque, que deux chevaux et un seul serviteur, les chevaliers disposaient fréquemment de quatre ou cinq montures et d'autant de domestiques. Quant aux bannerets et aux barons, ils ne se déplaçaient qu'avec une véritable maison, comportant maréchal, chapelain, queux, ménestrel et trompette, pages et valets.» (La vie quotidienne pendant la guerre de Cent Ans, France et Angleterre, Paris, Hachette, 1976, p. 243).
naturelles, que cette contrainte rencontre chez les vassaux. Si, comme l'a bien noté Ph. Contaminel43, on assiste au XIIIe siècle à un effritement du service d'ost, les puissants font toutefois très largement appel aux différentes couches de la population, urbaine en particulier, moyennant éventuellement des compensations financières. En 1253 par exemple, Saint Louis convoque à Issoudun 3100 sergents venus de plusieurs communes. Citons également le cas célèbre de Philippe le Bel, convoquant non seulement le ban, mais après la défaite de Courtrai, l'arrière ban. Des nécessités de guerre plus «modcrne» entraînent donc un équipement plus ample, mieux organisé, de meilleure qualité, posant en particulier les problèmes liés au parc chevalin, sa constitution, son entretien et sa reproduction. Notons, comme point de départ, que les Francs se considèrent surtout comme des cavaliers : Eginhard ne disait-il pas que les Francs étaient sans rivaux en ce domainel449 Après les travaux de L. Whyte, on sait que l'emploi de l'étrier était ici fondamental, impliquant une meilleure force d'appui pour le guerrier en armure. Il faut toutefois moduler quelque peu cette théorie qui donne un rôle trop essentiel à l'étrier et néglige les techniques du corps145. Mais le constat d'une supériorité, militaire, de l'homme à cheval, n'implique pas pour autant une conscience précise, en tout cas au niveau du chevalier, du baron, de la nécessité d'avoir à grande échelle une politique de remonte. Chaque cavalier de l'armée impériale s'arme et s'équipe sur son propre territoire, sans qu'il y ait de souci particulier de gestion globale du cheptel chevalin en relation avec l'utilisation militaire des équidés'46. 143 - Op. cil., pp. 173-92. 144 - Le cheval joue un rôle de premier plan dans l'établissement du regnum Francorum, comme le note Ph. Contamine : «... Les Francs comptaient également des cavaliers, parmi les chefs, ce que confirment les témoignages archéologiques, mais aussi historiques. Dès la seconde moitié du VIe siècle, des raids étaient le fait de cavaliers. Ainsi le montre cet épisode raconté par Grégoire de Tours». (Il s'agit de la tentative de prise de la ville d'Arles par Sigebert en 570. Les hommes de Sigebert sont vaincus : «dépouillés de leurs affaires, démunis de leurs chevaux, ils sont rendus à leur patrie mais non sans une profonde humiliation), (J/isloire militaire de la France, sous la direction d'André Corvisier, PUF 1992, t. 1 sous la direction de Philippe Contamine : des origines à 1715). 145 - F. Cardini, La culture de la guerre, Paris, 1992, fait une intéressante mise au point. Il fait en particulier la remarque que les Parthes et les Sarmates pratiquaient sans étrier la charge à la lance lourde, le kontos (pp. 21-22). Voir également les remarques de R.I1.C. Davis, The médiéval Warhorse, London, 1989, p. 51. 146 - On pourra consulter F. Lot, L'art militaire et les armées au Moyen Age, en Europe et dans le Proche Orient, Paris, 1946, t. 1, pp. 91-118. Ph. Contamine, op. cit., pp. 97-107.
Il ne faut toutefois pas conclure, en amont de l'évolution des XIIeXIIIe siècles, qu'il n'existait aucun souci «structurel» quant à l'élevage du cheval dans les siècles antérieurs. Le célèbre capitulaire De villis s'inscrit en contre d'une telle appréciation par trop abusive et, a contrario, fait la preuve d'une volonté centralisée relative aux pratiques agricoles. On y trouve des prescriptions précises quant à l'élevage du cheval : on veillera à remplacer à temps les étalons vieux ou malades, à bien séparer le poulain de sa mère lorsque le moment en est venu, on isolera les pouliches pour constituer de nouveaux troupeaux147. Dans ce cadre nonnatif à mettre au rang d'une volonté impériale de gestion du parc chevalin, il faut citer la généralisation du don ou du prêt de paraveredi, chevaux de marche ; il s'agissait de tenir à la disposition d'agents de l'administration ou de fournir pour le service d'ost ce type de cheval. Cette pratique pennet de constater le rôle du cheval dans une structure administrative, qui pourrait donc conduire à l'appréciation d'une ébauche de «politique du cheval», mais aussi d'évaluer quantitativement les biens en monture de ceux qui étaient réquisitionnés. On compte par exemple une réquisition de paraveredi sur 12 manses de l'abbaye de Saint-Germain-des-Près et la réquisition d'un caballus sur neuf autres manses ; cela porte le total à un minimum de 21 tenanciers possédant monture148. Le service de cheval va se maintenir dans les époques suivantes, contribuant à imposer peu à peu un ensemble de règles administratives jalonnant la mise en place progressive d'une «politique du cheval», grâce à l'évaluation possible des besoins et à la prise de conscience par le pouvoir de réelles nécessités. Le service de paraveredi se maintient jusqu'à la fin du Xe siècle, avec un élargissement progressif de la qualité du cheval qui peut être un palefroi, un destrier ou un sommier. De ce service en sortira un autre, qui se maintient aux XIe et XIIe siècles : c'est celui du servitium equi qui impose au vassal le don annuel d'un cheval nommé equus servitii ou equus pro servitio. Les cartulaires de l'abbaye de la Luzerne, près de Saint-Lô, celui de la Trinité de Vendôme, celui de Saint-Pierre de la Couture, de Saint-Michel de
147 - M. G. H., Capitularia regum francorum, I, 32, 13-15, p. 84 ; 50, p. 87 ; 62, p. 89. 148 - A. Longnon, Polyptique de l'abbaye de l'abbaye de Saint-Germain-des-Prés rédigé au temps de l'abbé Irminon, II, Paris, 1886. R.H. et A.M. Bautier citent également le cas de l'abbaye de Saint-Bertin où 10 tenanciers sur 37 étaient tenus de faire un service à cheval, signe de leur place considérable (art. cit., p. 27 ; voir F. L. Ganshof, Le polyptique de l'abbaye de Saint-Bertin (844-859), Paris, 1975, pp. 85-6). «
l'Abbayette, de Saint-Vincent du Mans, de Château du Loir etc. témoignent d'une telle pratique par des formules du type dedi hominium et predictum equum servitii, petebat unum equum servicii et dimidium, monachi tenebunt ad servitium equi etc.149. Ceci confirme ce que nous avons déjà noté sur le rôle prépondérant des abbayes dans l'élevage150. En retour, on trouve dans des testaments de laïcs des dons de chevaux pour des ecclésiastiques ; nouvelle preuve de la valeur du cheval, mais preuve également d'une abondante circulation des chevaux entre le domaine seigneurial et l'abbaye ou le chapitre. Le cartulaire du chapitre d'Agde par exemple indique des souhaits de pareils dons dans le testament de Raymond de Foreville (1157) ou de Guilhem Affuel (1177)151. L'évêque Raymond d'Agde fait don de trois palefrois, d'un roncin et de deux pullos equinos : richesse de l'évêque, témoignage d'un parc chevalin attaché au chapitre152. L'examen des livres de comptes confinne cette circulation ; citons un exemple parmi tant d'autres : l'emprunt pour 101. d'un cheval à l'abbaye de Lorris par la maison royale en 1299153. Ce service de cheval intervient également entre seigneurs et vassaux, et il se maintient durant tout le Moyen Age, contribuant à tisser un réseau dans lequel le cheval occupe une place fondamentale154. Philippe de Beaumanoir, dans ses Coutumes du Beauvaisis, cite en 1283 le cas d'un service de roncin, accompagné d'un véritable rituel : Se je sui semons pour paier ronci de service, je doi au jour de la semonse mener ronci sain de tous membres et offrir loi a mon seigneur, et dire en tel manière : «Sire, semont m'avés de ronci de service ; vés ci un ronci que je vous offre sain de tous membres. Si vous requier que vous le prengiés et, s'il ne vous plest a prendre, donnés moi jour soufisant et je vous amenrai autre.»155 149 - Voir R.H. et A.M. Bautier , art. cii., pp. 27-28, n.91-2. M. Dubosc, Cartulaire de la Manche, 1878, 6, p. 5 ; Ch. Métais, Carlulaire de l'abbaye cardinale de la Trinité de Vendôme, Paris, 1894, t. H, p. 427 ; A. Bertrand de Broussillon, P. de Facy, Carlulaire de Saint-Michel de l'Abbayette, Paris, 1894, 23, p. 35 ; R. Charles et S. Menjot d'Elbenne, Cartulaire de l'abbaye de Saint-Vincent du Mans, Mamers, 1886, t. I, 733, c. 416 ; E. Vallée, Cartulaire de Château du Loir, Le Mans, 1905, 96. 150 - Dans le seul cartulaire de l'abbaye de Noyers, R.H. et A.M. Bautier comptent une trentaine de contre-dons en chevaux (art. cit., p. 32). 151 - Cartulaire du chapitre d'Agde, éd. 0. Terrin, Nîmes, 1969, p. 84, 166. 152 - Ibid., p .237. Pour d'autres exemples voir chap. 1 n. 20 et 21. 153 - Comptes royaux (1285-1314), ed. cit., n° 2688. 154 - En 1231 par exemple, Philippe d'Espagne concède une possession à Luccau contre service de cheval (Cartulaire de Châleau-du-Loir, op. cil., p. 114). 155 - Ed. A. Salmon, Paris, Picard, 1899, t. 1, n° 795, p. 407.
En Bourgogne au XIVe siècle on trouve le service du «cheval de fer» qui impose, contre le don d'un cheval et d'une parcelle de terre pour son élevage, son entretien et un service d'ostl56. A partir de la fin du XIIIe siècle, l'élevage acquiert un statut plus institutionnalisé ; de véritables écuries sont constituées et les rois de France commencent à organiser leurs harasl57. Ils importent des chevaux étrangers pouvant atteindre de grands prix. En 1270, Philippe III reçoit un cheval sicilien d'une valeur de 200 l.t., ce qui représente les gages de deux ans d'un chambellan de l'Hôtel du roi. En 1279, Philippe le Hardi ordonne aux possédants de 200 livrées de terre en tournois et à tout bourgeois possesseur d'un capital mobilier ou immobilier de 1500 l.t. minimum d'élever une jument poulinière158. En 1287, comme on l'a vu, Philippe le Bel organisa lui-même des haras royaux dans le sud de la France159. Philippe VI de Valois organise lui aussi des établissements royaux d'élevage en Normandie, près de Domfrontl60. Des comptes de dépenses, de 1324, 1325, 1338, soulignent l'activité des haras royaux de La Feuillie, de la Brace et du Breuill61. Nous reproduisons le terme de Pâques 1324 à titre d'exemple : Premièrement, pour 30 fers pour l'estalon : 17 s. p. paiés par le prevost de Lyons. Pour 32 fers pour les poulains et pour l'estalon : 21 s. 4 d. Item, pour 3 muys d'avaine 4 1. et 10 s. le muy, valent 131. 10 s. 156 - En décembre 1289, Guillaume de Bannens reconnaît avoir reçu de Jean de Châlon un cheval évalué à 40 l.t. et une rente de 10 l.t. ainsi que cent soudées de terre en échange de quoi lui et ses «hoirs» devront «tenir ledit cheval et hamois pour servir ledit nostre chier signour, quan mestier en aura, contre toutes genz, et ses hoirs (...) Et ce estoit que lidiz chevax fut perduz ou servise mondit seignour ou de ses hoirs, il le me doit rendre ou a mes hoirs tanque a la valour desdites quarante livres» (Cartulaire de Hugues de Châlons (1220-1319) éd. B. Prost et S. Bougenot, Lons-le-Saunier, 1904, pp. 322-3, n°461). On trouve cette pratique du cheval de fer dans 6 chartes (140, 184, 189, 190, 206, 461). 157 - La fonction de garde de haras aurait été créée par Clotaire 1 (comes stabuli) ; puis, comme on l'a vu, le de villis témoigne d'une volonté de l'empereur de développer une politique du cheval. Cette dernière est sans doute à considérer en termes d'évolution lente. Mais c'est effectivement à partir du XIIIe siècle que la politique royale s'avère systématique et constante. Voir M. Wettstein-Deyme, Le code des haras, Paris, 1978. 158 - H. Duplès-Agier, «Ordonnance somptuaire inédite de Philippe le Hardi», Bibl. Ec. des Chartes, 3° ser., XV, 1854, pp. 176-81. 159 - Voir infra, n. 122. 160 - J. Gendry, Le cheval, Paris, PUF, Que sais-je?, 3° éd. mise à jour, 1981, p. 10. 161 - Publiés par F. Maillard, sous la direction de R. Fawtier, op. cit. (n°8079-8104) ; reproduits dans Sources d'histoire médiévale, op. cit., pp. 232-233.
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Item, pour amener les 3 muys d'avaine a ladicte Foullie : 24 s. Pour fain pour ledit haras : 25 1. p. Item, pour ledit fain amener a la Foullie : 4 1. 10 s. Item, pour 2 muys de bren rendus a la Foullie : 6 1. 16 s. Item, pour 10 c. de fuerre rendus a la Foillie : 4 1. 10 s. p. Item, pour 8 chevestres de cuir et 4 de cordes et 16 plates longues et une chonglete, pour tout : 20 s. Item, pour Pierron le Harechier : 26 s. Item, pour 8 couvertures langes : 32 s. Pour les despens de ces garnisons querre : 30 s. p. Pour 8 frains pour les poullains achetés par le prevost de Lyons : 32 s. Pour 3 selles pour lesdis poullains : 60 s. Pour 3 cengles et 3 seurcengles : 9 s. Somme 77 1. 18 s. 4 d. On peut dès lors considérer, aussi bien du côté de la maison royale que des grands duchés, qu'une politique du cheval est bien en place à la fin du Moyen Age. Tant du côté d'un élevage régional, que de la mise en place des haras princiers, que du commerce du cheval qui s'intensifie entre la France et l'Italie, l'Espagne et les Pays-Bas, les besoins des armées peuvent être satisfaits, comme les nécessités dues aux transports commerciaux. L'élevage chevalin au Moyen Age nous présente une image complexe, à cause d'une géographie très éclatée et de rythmes d'évolution très diversifiés, évolution aboutissant en dernier lieu à la constitution d'un cheptel important et correctement organisé dans un ensemble de régions du royaume. '
CHAPITRE IV Le cheval et son équipement
L'histoire du harnachement du cheval est certes liée aux différentes utilisations de l'animal, mais elle est surtout étroitement dépendante de l'évolution des techniques de combat et de l'apparition des cavaliers dans les guerres. Nous avons déjà évoqué le grand progrès, dans le domaine de la traction animale, qui consista à remplacer le collier antique par le collier d'épaule. En dehors de cette transformation, les plus grandes étapes de l'histoire du harnachement du cheval suivent en fait l'histoire de l'art militaire. Dans l'Antiquité, le combattant à cheval appartenait à une cavalerie légère. Il était en général monté sur un cheval vif et nerveux, mais de petite taille et peu robuste. La robustesse n'était d'ailleurs pas une qualité essentielle, car l'équipement du cavalier était justement de poids faible, consistant essentiellement dans son armement et, éventuellement une protection de poitrine, en cuir principalement. C'est surtout une qualité de résistance qui importe, le cheval devant résister au climat et à des sols chaotiques. En outre l'apparition des cavaliers montés au sein des combats n'est qu'assez tardive. Pour les combattants les plus prestigieux, les chevaux pouvaient être attelés à un char. La plupart des troupes étaient constituées de fantassins, l'image par excellence de cette armée à pied étant la légion romaine. Quand donc apparurent les premiers cavaliers, et par là le premier harnachement, à l'origine du harnachement médiéval ? Il est difficile de l'affirmer avec exactitude. Il semblerait que, dans l'Iliade, Homère mette en scène une armée qui ne connaît que les chars de combat. Dans l'Odyssée, le poète raconte que les compagnons d'Ulysse, de retour de la guerre de Troie, ont été battus par les Cicones et il laisse entendre que le combat était inégal puisque les Cicones firent appel à des peuplades de l'intérieur, «habiles à lutter du haut de leur cheval» 1. Cette manière de combattre ne semblait pas connue d'Ulysse ni de ses compagnons. L'épopée rendrait compte du fait que les premiers 1 - Odyssée, IX 49-50, trad. Jacottet
cavaliers inspiraient l'effroi en transformant les règles de la guerre. En fait Homère connaissait certainement le cheval monté, comme le montre E. Delebecque dans son étude du cheval dans VIliade2, mais le poète a probablement voulu recréer une époque révolue, celle de la guerre de Troie où les chevaux devaient être seulement attelés aux chars de guerre. En fait, la cavalerie aurait commencé à se développer à la fin du XIIe siècle avant Jésus-Christ en Assyrie3. Cette substitution de l'équitation à la conduite du char fut lente, d'après J. Février4, car le char de guerre comporte des avantages indéniables : il confère à son conducteur une position privilégiée, il permet d'emporter des armes nombreuses et, s'il s'agit d'un char léger, il fatigue peu le cheval. Il est probable que ces premiers cavaliers montèrent d'abord sans selle, avec une simple couverture, et que la première fonction du cavalier fut d'encadrer le bétail. Puis naquit une véritable équitation et, malgré l'absence de l'appui des étriers, une équitation militaire. On abandonna d'abord les chars lourds, puis les chars légers, dans le maniement desquels les Bretons étaient experts. Ils furent d'ailleurs, selon P. Vigneron, les derniers à les utiliser - pour leur malheur - et cet historien précise que «la: faillite du char est consommée en 78, lorsque Agricola vient en Bretagne»5. En Gaule, César n'aura à s'opposer à aucun char de combat. C'est cette utilisation du cheval monté à la guerre qui engendrera l'usage de la selle, puis celui des étriers et de la ferrure à clous, perfectionnements qui contribueront à leur tour à rendre la cavalerie indispensable, et qui entraîneront alors une révolution dans les techniques de combat. Le Moyen Age occidental sera l'héritier direct de ces transformations. IV-1 Le harnachement : position du problème Pour le Moyen Age, l'équipement du cheval, animal central de l'espace socio-économique, est bien entendu fondamental. Nous 2 - E. Delebecque, Le cheval dans l'Iliade, Paris, KJincsieck, 1951. 3 - L. White cite toutefois M.A.F. Hood («A Mycenaen Cavalryman», Annual of British School at Alhens, 1953, pp. 84-93) qui «a fourni des preuves sûres de l'existence de cavaliers vers 1300 avant le Christ, environ» ; cf. L. White, op. cit., p. 27 n. 2. 4 - J. Février, «Le char de guerre dans l'antiquité», Revue de cavalerie, nov.-déc. 1938, pp. 638653. 5 - P. Vigneron, Le cheval dans l'antiquité gréco-romaine, des guerres Médiques aux grandes invasions - contribution à l'histoire des techniques, Thèse de la faculté de Nancy, faculté des lettres et sciences humaines, 2 vol., 1968, (Annales de l'Est, 35).
retrouvons autour de cet équipement les trois pôles qui nous préoccupent dans cet ouvrage : - sur le plan socio-économique, l'équipement ajoute, comme on l'a vu6, au coût d'entretien de l'animal ; il est aussi le travail d'un ensemble de corps de métiers, bourreliers, selliers, forgerons, éperonniers etc. ; il permet, par la richesse de son ornementation, celle de la selle, des houssures etc., d'exhiber la qualité du cavalier. - les poètes ont largement aimé faire référence à cet équipement, ici encore dans un contexte de realia. Partant d'une effective réalité et c'est sans doute un des points sur lesquels une lecture verticale des textes est la plus légitime - ils ont utilisé l'équipement pour mieux souligner telle ou telle situation dans laquelle se trouve le cavalier ou la cavalière. - l'équipement du cheval a retenu l'attention des maréchaux qui ont parfois cherché à l'améliorer ; dans les traités concernant l'hippiatrie et l'hippologie, on trouve des mentions à cet équipement, assorties de conseils. Un manuscrit du XIVe siècle, par exemple, contient la description, schémas à l'appui, de quatre-vingts mors différents7! Bien que nous nous soyons pour l'instant placés dans une perspective principalement historique, nous avons choisi, dans ce chapitre, d'évoquer ces différents pôles. Une intrusion de l'analyse littéraire dans cette partie de l'ouvrage pourra sans doute choquer certains lecteurs, car elle apparaîtra briser une logique : jusqu'à présent en effet, les exemples littéraires ont été majoritairement utilisés pour illustrer ce que révélaient par ailleurs les documents d'archives. En dépit de cet évident défaut de structure, il nous a paru utile de regrouper, dans un chapitre sur l'équipement, les différents points de vue que l'on peut avoir sur les textes, plutôt que de disperser les diverses appréhensions. L'équipement du cheval en effet est un pôle bien particulier, centralisateur de quelques tendances déjà rencontrées (coût, prestige) comme de celles (littéraires) que nous retrouverons dans la partie suivante ; en ce sens ce dernier chapitre opèrera une transition vers la suite de l'ouvrage.
6 - Voir Partie 1, chapitre 1, un coût supplémentaire. 7 - G. Gregorio, «Notizia di un trattato di mascalcia in dialetto siciliano del secolo XIV», Romania, 33, pp. 366-81 ; J. Gili.Lo cavall, tractat de manescalia del segle XV; texte, inlroduccio i glossari, Oxford, 1985.
E q u i p e r le c h e v a l C o m m e les c o m p t e s de l'Etat b o u r g u i g n o n o n t pu le révéler, o n d é p e n s e b e a u c o u p , c h e z les p r i n c e s , p o u r é q u i p e r son écurie8. B i e n s o u v e n t , les c o m p t e s détaillent les p i è c e s d e l ' é q u i p e m e n t , m a i s parfois aussi a p p a r a î t s e u l e m e n t la liste d u nécessaire, c o m m e d a n s celuici, d a t é d e 1 4 1 6 , q u i e n r e g i s t r e u n e s o m m e d e « s i x v i n s d e u x l i v r e s h u i t s o l z q u a t r e d e n i e r s » p o u r la fourniture de « h a r n o i s d e cuir, selles, b r i d e s , c h e v e s t r e s » (n° 2 2 7 9 ) . Si l'on d é p e n s e b e a u c o u p afin d ' é q u i p e r d e n o m b r e u s e s m o n t u r e s , de m a i n t e n i r e n état ce v a s t e e n s e m b l e c o m p o s é de m é t a l et de cuir q u e c o n s t i t u e n t les m u l t i p l e s h a r n a c h e m e n t s , o n d o n n e aussi d e l'argent p o u r se constituer u n é q u i p e m e n t plus personnalisé, signe ostentatoire de s a p u i s s a n c e et d e s a richesse : en 1412, la m a i s o n d e B o u r g o g n e c o m m a n d e à Jehan de Dijon des «chevestres camus a boiste cruisé d e fer» ; o n achète é g a l e m e n t b e a u c o u p de drap p o u r orn e r les selles. L a littérature, en décrivant des pièces d ' é q u i p e m e n t part i c u l i è r e m e n t riches, se fait b i e n s o u v e n t l'écho de cette pratique. P o u r f a b r i q u e r t o u t e s c e s p i è c e s d e h a r n a c h e m e n t , il y a n é c e s s i t é de plusieurs corps de métier, q u e les c o m p t e s font apparaître. L a distinction d a n s les registres n'est d'ailleurs pas toujours très claire ; on trouve effectivement des fèvres, des bourreliers, des «esperonniers». S o u v e n t toutefois, reçu est d o n n é à u n seul individu p o u r un harnois c o m p l e t i m p l i q u a n t travail du cuir et d u fer : s'agit-il alors d ' u n p a t r o n c h a r g é de la c o n f e c t i o n c o m p l è t e d u h a r n a c h e m e n t et qui e m p l o i e plus i e u r s o u v r i e r s s p é c i a l i s é s , o u b i e n y a-t-il « s o u s - t r a i t a n c e » ? A u X I V e siècle, o n t r o u v e à R o u e n u n statut spécial p o u r les éperonniers9, qui v a d a n s le s e n s d e la «spécialisation». L e s statuts des artisans parisiens sont u n b o n e x e m p l e d e c e qui d e v a i t se p r a t i q u e r u n p e u p a r t o u t au X I V e siècle, et m o n t r e n t q u e p l u s i e u r s c a s s o n t e n fait possibles, chaîne de travail ou relatif regroupement. L e m a r é c h a l est i n d é p e n d a n t et s ' o c c u p e e x c l u s i v e m e n t de la ferrure et du soin des chevaux, en tant que vétérinaire donc : u n acte d e 1 2 5 9 p o r t e t é m o i g n a g e d ' u n r e ç u d e 5 0 s. p o u r u n m a r e s c h a l l u s , qui avait s o i g n é trois palefroistO. S o n travail est d ' i m p o r t a n c e et c o m 8 - Voir supra, chapitre 1 de la première partie. 9 - Ch. Ouin-Lacroix, Histoire des anciennes corporations d'arts et métiers et des confréries religieuses de la capitale de la Normandie, Rouen, 1850, p. 641. 10 - P.F. Foumier, P. Guébin, Enquêtes administratives d'Alphonse de Poitiers. Arrêtés de son parlement tenu à Toulouse et textes annexes, 1249-1271, Paris, 1959, p. 87.
porte à ce titre une responsabilité «morale» particulière, qui le réserve au bon chrétien : selon une ordonnance de Philippe Auguste, les Juifs n'ont pas le droit de ferrer11. Jusqu'en 1357, les mors, les étriers, les éperons sont forgés par les lormiers ; lorsque le terme «esperonnier» apparaît dans un compte, on peut penser qu'il désigne un membre de cette confrérie. A partir de 1357, ce métier est rattaché à celui des selliers et se trouve alors soumis, à Paris, à l'autorité du grand Chambrier. La totalité de l'équipement, à l'exception de la ferrure, est donc confectionnée par un seul corps, certes hybride. Toutefois, cette unité ne semble guère convenir aux lormiers, qui se plaignent de la différence de lourdeur du travail entre celui du fer, plus pénible selon eux, et celui du cuir. Ils obtiennent en 1482 une nouvelle indépendancc12. Sous le règne de Charles VI, les selliers parisiens avaient leur quartier, avec la rue de la Sellerie, qui correspond à l'actuelle rue Saint-Denis ; les lormiers quant à eux logeaient dans une impasse, dite de la Lormerie, qui donnait sur la rue de la Heaumerie, aujourd'hui disparue, qui faisait communiquer la rue Saint-Denis avec celle des Ecrivains, absorbée de nos jours par la rue de Rivoli13. Même dans le cadre d'une réunification, provisoire, des corps de métier, cette localisation est emblématique du souci de spécialisation qui anime les artisans. La vision des poètes La littérature médiévale accorde bien peu de place aux métiers et corporations. Le harnachement du cheval n'est pas en général considéré dans son contexte de fabrication : ce n'est pas le travail en acte qui compte, mais le résultat, le produit ouvré, témoignage, non de l'habileté de l'artisan, mais de la richesse et de la puissance du cavalier. Ce témoignage, les auteurs le formulent en général en décrivant des pièces de harnachement richement ornées et la selle en particulier 11 - Actes de Philippe Auguste, éd. M. Morliès, IV, Paris, 1979, n° 1554, p. 189. 12 - Voir pour ces questions E. Netchine, «Les artisans du métal à Paris (XIIIe-XVe siècle)», Hommes et travail du métal dans les villes médiévales, Actes de la table Ronde «la métallurgie urbaine dans la France médiévale», 23 mars 1984, Paris, Picard, 1988, p. 36sq. Voir également G. Fagnier, Etudes sur l'industrie et la classe industrielle à Paris aux 13e et 14e siècles, Paris, 1877 ; R. de Lespinasse et F. Bonnardot, Les méliers et corporations de la ville de Paris. Le livre des métiers d'Etienne Boileau, (Histoire générale de Paris), Paris, 1879. 13 - Voir Le Paris de Charles V et de Charles VI vu par des écrivains contemporains (réed. de Le Roux de Lincy et L.M. Tisserand, Orléans/Caen, Paradigme, 1992, p. 138, 141).
est un élément privilégié dans ce contexte, comme on le verra plus loin. Si l'on veut simplement considérer l'équipement du cheval dans sa globalité, le «harnois», c'est la variété des pièces qui fait action dans l'économie de nos textes. C'est pourquoi, le plus généralement, les auteurs s'intéressent assez peu au harnachement dans sa totalité : les allusions y sont faites par le «harnois», ou par les mentions de chevaux «apareilliés», «eschevauchiés», «ahemechés» etc. Ce qui apparaît le plus souvent dans les textes littéraires est donc telle ou telle pièce d'équipement. Toutefois, la variété même de cet équipement permet de satisfaire le topos de l'énumération. On sait en effet que les écrivains du Moyen Age se plaisaient à émailler leurs textes de listes, plus ou moins longues, visant à souligner un contexte particulier : on trouve dans la littérature médiévale de multiples énumérations de plantes, d'animaux, d'instruments de musique etc. Le harnachement du cheval peut être prétexte à telle rhétorique qui vient en outre à l'appui du récit luimême, dans une écriture de contrastes, de rythmes saccadés, de soulignement, d'hyperbole. Dans le Dolopathos, le voleur, enfermé dans l'étable, se saisit du palefroi convoité : Bien a son oevre apareut Et frain et esperon et selle ; A pallefroit vient ; si l'anselle, Le poitral laice, et met le frain, Et la sambue, et le lorain (vv. 8143-7) (Le voleur sut se pourvoir du frein, des éperons et de la selle ; il vint au palefroi, lui mit la selle sur le dos, lace la bricole, met le frein en place, la couverture de selle et le lorrain) Ici, l'énumération des pièces du harnachement a pour fonction de ponctuer l'action, de cadencer le mouvement du voleur caché qui s'apprête à s'enfuir. On trouve souvent une technique analogue pour souligner le rythme et l'ampleur d'un combat, d'un tournoi ; l'énonciation est alors souvent basée sur une technique très familière au genre épique et que le roman utilise aussi : les listes sont rythmées par des «veïssiés» et/ou les composants de l'énumération sont ponctués par des «meint», comme dans Ipomédon par exemple :
E meinte cele i ad voidee, Meinte sambue dessiree (...) Meint peitral rumpu et meint frein E meinte cengle e meint lorein Meint arçun fret e meinte sele. (vv. 4832...41) (Il y eut maintes selles vidées, maintes couvertures de selle déchirées... De rompus il y eut beaucoup de sangles, de lorrains, de mors, comme d'arçons et de selles brisés) L'énumération de l'équipement procède donc bien souvent d'une scansion à caractère épique : le procédé rhétorique de l'acumulatio ainsi développé, s'il répond à une attente que l'on peut situer au niveau de la forme (topique), met également en branle un imaginaire (familier) de l'hyperbole en accord avec la situation des héros combattants autour desquels peut se développer un fantasme d'identification. Notons que la plupart du temps les poètes n'offrent pas de réelle description de l'équipement ; le terme technique, connu de tous, est suffisant : l'énonciation du signifiant est totalisante. On ne trouvera que de manière rarissime des détails sur le frein ou les éperons par exemple, distinguant pour ces derniers tige ou molette. Ce qui importe avant tout est la présence du signifiant qui opère dans le texte par un décalage de signification. Le procédé est en fait assez simple, et participe de la synecdoque : la pièce d'équipement signifie le combat, signifie la course rapide, la fuite ou la charge etc. D'autre part, il y a action symbolique du signe : pour cela, la pièce est, non précisée, mais ornée : l'éperon d'or, le lorrain d'argent, la selle d'ivoire etc. Les mentions de l'équipement du cheval ont donc une fonctionnalité littéraire conforme aux jeux des realia. Réel écrit, elles possèdent une base de réalité qui autorise une lecture verticale. Cette dernière n'offre en général qu'une présence des pièces d'équipement, un témoignage de leur existence, mais, la plupart du temps, ne permet pas une identification, une sériation, une typologie : qui peut se douter, à la lecture d'un roman de chevalerie, qu'il peut exister des dizaines de types de freins? Réel absorbé dans le texte, elles opèrent selon une dynamique réfractante qui renvoie de l'ensemble des signifiants du harnachement vers une signification qui n'importe que dans et par rapport à l'économie du texte. Si description il y a, elle n'est plus image d'un réel, mais placage descriptif, uniquement textuel, sur une réalité qui s'est engloutie dans le jeu des significations propres au texte lui-
même. Tout est alors question de niveau de description par rapport au niveau de réalité ; un mors est une pièce de métal, dont la configuration importe peu au poète ; le placage consistera à une simple ornatio, d'or et de pierres précieuses. La selle par contre offre un double niveau ; elle est pièce de bois, de cuir et de tissu. Elle peut rester à ce niveau et n'être que le témoignage d'un départ, d'un combat, d'une défaite («de sele wuidé») etc. ; mais elle est aussi élément de décor, comme la houssure du cheval, ornée de drap des Flandres coloré, de pièces de métal, de rubans etc. Le placage descriptif, significateur de puissance et de noblesse, sera alors simplement une hyperbole, de celle qui fait la place à l'or, aux gemmes, à l'ivoire et à l'ébène, aux sculptures raffinées, dont les scènes rejaillissent sur le personnage du cavalier et, dans un processus de mise en abîme de la description dans la description, sur l'art du poète lui-même, orfèvre de la connaissance. On le voit, l'ornementation est un processus totalement isomorphique dans la relation réel/texte. La réalité propose un ensemble, concret, d'éléments de décoration qui, saisis et hyper-bolisés, deviennent symboles participant eux-même, rhétoriquement, au processus de l'ornatio. La mention de l'équipement du cheval intervient selon deux fonctions : une fonction d'état et une fonction de reconnaissance. Dans le premier cas, comme on le verra pour le cheval luimême14, le signe dépend d'un temps «local», qui est celui d'une action du récit. La référence à l'équipement est une fonction d'état de cette action. Le signe représenté par le harnachement et ses pièces se situe donc selon trois positions, avant (annonciateur), pendant (cadreur), après (conclusif). Dans la première étape, la référence à l'équipement est une mise en avant : c'est le départ pour le combat, pour l'assaut ou la poursuite qui sont ainsi évoqués. Cette façon d'annoncer une action est extrêmement fréquente et l'ensemble de l'équipement est utilisé à cette fin par les poètes. Dans l'Escoufle par exemple, l'engagement pour la bataille contre les mécréants est ainsi donné : «Il on les frains as archons mis» (v. 892) ; le départ de Blancandin est marqué par l'installation de la selle et du poitrail15. On pourrait ici encore multiplier les exemples.
14 - Voir infra, chapitre I de la deuxième partie, un animal identificateur. 15 - Blancandin et l'Orgueilleuse d'amour, éd. F.P. Sweetser, Paris/Genève, 1964, vv. 145-6.
Dans la deuxième, il s'agit d'indiquer le cadre dans lequel le récit se déroule. Par l'énumération rythmée, on l'a vu, le poète évoque le halètement et l'ampleur du combat. Mais le détail intervient aussi en ce mode : souvent, il précise l'ardeur des chevaliers qui s'opposent ; dans le tournoi d'Oxford, Cligès et Gauvain se combattent avec une énergie telle que «li arçon derriers esloissent/Et ronpçnt ceingles et peitral» (vv. 4882-3). Dans la troisième, il s'agit de concevoir l'équipement afin de souligner, selon un procédé isomorphique, la situation d'un personnage, par rapport à l'action qui vient de se dérouler ; lorsque Keu est défait par Méléagant, dans le début du Chevalier de la charette, son cheval revient seul et : ...les regnes furent del frain ronpues anbedeus. Li chevax venoit trestoz seus, s'ot de sanc tainte l'estriviere, et de la sele fu derriere li arçons frez et peçoiez. (vv. 260-5) (Les rênes étaient toutes deux rompues. Le cheval revenait tout seul ; l'étrivière était tachée de sang, l'arçon arrière de la selle était brisé et en bien mauvais état) La deuxième fonction, participe du signe mais, statique, elle ne fait pas référence à l'action, car elle n'agit que dans le cadre d'une mise en statut du personnage, l'équipement devant être une mesure de puissance et de noblesse. On revient alors à l'ornementation de l'équipement qui insiste sur des pièces particulières, avec une description plus ou moins développée. De la simple allusion, comme dans Gerbert de Mez, où Morant «le destrier broche des esperons d'or fin» (v. 1058), à la selle orfévrée d'Enide. Dans ce dernier cas, il s'agit, comme on le verra, de souligner la beauté d'Enide. Cette méthode est assez fréquente et sert aussi bien pour les personnages féminins que masculins. On rencontre très souvent dans ce contexte une association entre le visage du damoiseau ou de la belle, son vêtement et la parure du cheval : le cas de Blancandin et l'Orgueilleuse d'amour est emblématique de cette combinaison : Or chevauche li filz le roi Sor le cheval a grant effroi. La lune luit, si fait molt cler Et cil pense d'esperoner.
Bien fu vestuz de dras reax Et de gamemenz principax ; Ses chauces furent de brun paile Tranchiees a menue maille ; Si esperon furent a or, N'en ot meillors en un tresor ; Chemise, braies de chainsis Plus blanche que n'est flor de lis. Onques es braies n'ot corroie, Sis braiers ert trestoz de soie. Si ert vestuz, ce m'est avis, D'un sidoine forré de gris, Sis manteax fu d'un ostorin, Li orles fu d'un sibelin ; En son chief un chapel de glesche. Les elz a vers, la coulor fresche ; Uns ganz a or avoit es mains. Diex! comme fu riches li frains, Et li poitrax et la sorsele. D'un os d'ivoire fu la sele, Et si vos di que li danzeax Ert a merveille genz et beax. (vv. 155-80) (Lefils du roi chevauche rapidement sur son cheval. La lune luit et il fait très clair ; le cavalier éperonne son cheval pour aller grande allure. Il est richement vêtu, avec des tissus ornés ; rien ne lui manque : ses chausses sont d'un tissu de grande richesse, de couleur brune, tissées avec grand soin. Ses éperons sont d'or tel que l'on ne pouvait trouver mieux en nul trésor. Sa chemise, ses braies sont de riche étoffe plus blanche que fleur de lys. Ce n'était pas une vulgaire courroie qui ceignait ses braies, mais une ceinture toute de soie. Il était vêtu, c'est mon avis, d'un manteau fourré de petit-gris : ce manteau était tout de riche étoffe et les revers étaient en précieuse fourrure. Sur sa tête, il portait un chapelet de glaïeuls. Il avait les yeux verts16, son teint était frais. Ses mains étaient recouvertes de gants ouvrés à l'or. Dieu! Comme le frein était précieux, ainsi que la bricole et le tapis de selle. Celle-ci était faite d'ivoire et je vous dis que le damoiseau était merveilleusement noble et beau) Il convient pour finir de noter que notre découpage en deux fonctions ne peut être compris dans un sens trop strict, avec une frontière parfaitement déterminée. Car si l'équipement écrit compris dans sa fonction d'état est un signe rapporté à l'action, il est en même temps signe identificateur : brocher le cheval, rompre des sangles sont des 16 - Je traduis ici «vers» par «verts», mais il pourrait tout aussi bien s'agir d'une graphie correspondant à «vair», signifiant de beaux yeux clairs, brillants.
attributs exclusifs de chevaliers. On mesure bien l'interpénétration des fonctions dans le cas, récurrent, des éperons dorés. D'un côté, l'utilisation de l'éperon indique l'action, par ailleurs la nature (dorée) de cet éperon souligne à la fois le statut (hors action) du personnage, comme sa valeur dans et par l'action : le personnage est de haut rang social, et, de plus, il est particulièrement vaillant au combat ; la lueur des éperons étant le signe de la lumière de son courage. IV-2 Les pièces du harnachement Après avoir considéré le harnachement d'un point de vue global, nous allons dans cette partie tenter de cerner ce que furent les différentes pièces de l'équipement du cheval au Moyen Age. Nous nous adresserons en particulier à la littérature, témoignage d'un vaste vocabulaire servant à désigner ces éléments du harnachement. La selle et ses sangles La selle fut, d'après L. White, introduite en Occident au premier siècle17 et elle devait être utilisée dès le VIe ou le Ve siècle avant Jésus-Christ par les peuples de l'Oural. P. Vigneron, s'appuyant surtout sur les descriptions que l'on trouve dans les oeuvres de Xénophon, pense que les Grecs employaient la selle à armature de bois ainsi que la selle faite d'étoffes superposées dès le Ve ou IVe siècle avant Jésus-Christ18. Elle devait être utilisée également à la même époque par les peuples de l'Oural. Grâce à elle, le cavalier était davantage uni à son cheval. Toutefois, sa généralisation en Occident demanda un temps relativement long et sa forme subit des transformations au cours des siècles. Cette généralisation eut pour vecteur essentiel l'art militaire et c'est la selle de guerre qui, sans doute, se développa le plus vite. La selle de promenade est distincte de celle de combat ; il est difficile de savoir si elle apparaît en parallèle de celle-ci ou si elle en est issue. Toujours est-il que les médiévaux les distinguent formellement : un compte de la maison de Bourgogne (n° 1420), établi en 1419, fait effectivement le partage entre «selle de guerre» et 17 - L. White Jr., Technologie médiévale et transformations sociales, Paris-La Haye, Mouton, 1969, p. 6. 18 - P. Vigneron, op. cil., pp. 81-4.
«selle a chevauchier». Y avait-il une selle intermédiaire pour le tournoi? Il est bien difficile de trancher cette question ; René d'Anjou précise que les selles de guerre sont également bonnes pour tournoyer, ce qui laisserait sous-entendre l'existence de selles «à tournoyef»19. Dès qu'on se servit de la lance pour charger, la selle prit la forme d'un siège à petit dossier, véritable point d'appui pour les reins. De même l'arçon antérieur fut relevé et parfois légèrement incliné vers le cavalier. C'est ce type de selle qui est reproduit sur la tapisserie de Bayeux et que sont censés utiliser les cavaliers normands, et aussi Harold : pommeau et troussequin étaient en bois, en particulier de hêtre20 souvent sculpté ou décoré, voire recouvert de tissu ou de peau. Plus la lance s'allongea, plus le troussequin devint important, jusqu'à revenir sur la cuisse du cavalier afin de l'enserrer et de la protéger le plus possible. Il se développa donc non seulement en hauteur, mais aussi en largeur, grâce à des sortes d'oreilles. Le pommeau suivit une évolution semblable si bien que le cavalier se trouvait littéralement bouclé sur sa selle, ce qui pouvait parfois présenter des inconvénients lors d'escarmouches sur des terrains accidentés ou bien lorsqu'il était nécessaire de descendre pour un combat à pied : Giraud de Barri note par exemple qu'avec ce type de selle, il est fort difficile de descendre de cheval pour se déplacer à pied21. Au XIVe siècle, les selles d'armes étaient «hourdées», c'est à dire qu'elles étaient pourvues de sortes d'oreilles ou d'ailes, fixées au pommeau, les hourds, protégeant les jambes du cavalier. Les hourds, d'abord confectionnés en osier recouvert de cuir furent peu à peu renforcés par des plaques de métal. Au début du XVe siècle, la selle comportait une bâte de devant suffisamment élevée pour protéger le ventre du cavalier. Pour ne pas gêner ce dernier dans ses mouvements, et surtout dans la charge, la bâte était alors recourbée vers l'avant, en suivant la ligne de l'encolure du cheval. Les importantes oreilles du pommeau disparaissent donc. Ces selles, en particulier leurs arçons, furent alors renforcées par des arcs-boutants de fer22, fixés à cet endroit afin qu'elles résistent mieux à la violence des chocs. D'autre part, troussequin et bâte de devant fu19 - Le livre des tournois, éd. Quatrebarbes, p. 14. Voir ci-dessous, n. 19. 20 - Comme le révèlent les fouilles archéologiques du lac de Paladru ; voir M. Colardelle, E. Verdel, Les habitais du lac Paladru (Isère) dans leur environnement. La formation d'un lerroir au XIe siècle, Paris, MSH, 1993, p. 251 sq. 21 - Expugnatio hibernica, dans Opera omnia, éd. J.S. Brewer J.F. Dimock et G.F. Wamer, t. 6, p. 397. 22 - Ch.-T. Tavard, L'habit du cheval, selle et bride, Office du livre, 1975, pp. 42-61.
r e n t , à c e t t e é p o q u e , f r é q u e m m e n t r e c o u v e r t s d e fer. O n a j o u t a à l a s e l l e d e s a n n e a u x a u x q u e l s le c a v a l i e r a c c r o c h a i t d e s a r m e s ( m a s s e , épée...). C'est u n e selle de ce type q u e R e n é d ' A n j o u décrit d a n s son Livre des T o u r n o i s ; n o t a n t q u e la selle de g u e r r e c o n v i e n t p o u r la j o u t e et, d o n n a n t c e c o n s e i l , configuration de cette selle :
il
offre
quelques
détails
sur
la
les selles de guerre aussi sont bonnes pour tournoyer, quant elles sont bien fort closes derriere, et veullent pas estre trop haultes d'arczon davant23. L a selle était p l a c é e p l u s e n a v a n t s u r le garrot q u ' a u j o u r d ' h u i p o u r m o i n s f a t i g u e r le c h e v a l p e n d a n t la c h a r g e et p o u r p e r m e t t r e au c o m b a t t a n t d'utiliser plus facilement son épée. C'est ainsi d'ailleurs qu'est représentée la façon de m o n t e r à cheval sur les i n n o m b r a b l e s s c e a u x é q u e s t r e s q u e n o u s a v o n s c o n s e r v é s . D e c e fait, l ' u s a g e d e l'étrier, c h a u s s é l o n g et c o n d u i s a n t à tenir le pied devenait indispensable.
très en avant,
S o u s la selle, o n t r o u v e u n tapis, qui p o u v a i t être o r n é , et d e s s u s u n e c o u v e r t u r e , elle aussi ouvragée24; Chrétien de Troyes, voulant d é v a l o r i s e r le r o n c i n q u e d o i t m o n t e r G a u v a i n , p r é c i s e qu'il est b i e n mal harnaché en signalant l'absence de couverture de selle : «sanz cov e r t u r e f u l a s e l e » ( P e r c e v a l v. 7 1 7 4 ) . O n t r o u v e p a r f o i s le t e r m e d e « p e n n e l » p o u r d é s i g n e r le tapis de selle, m o t attesté p a r le G a l e r a n d e B r e t a g n e : « O t tout a p r e s t é son c h e v a l / D e frain, de sengles, de poitral,/De selle et d e n o u v e a u pennel»25. C o m m e o n le v o i t d a n s le r e n f o r c e m e n t p r o g r e s s i f de la selle d e c o m b a t , l ' a r ç o n j o u e u n r ô l e p r i m o r d i a l . C e t t e i m p o r t a n c e , la l i t t é r a t u r e c h e v a l e r e s q u e s'en fait l'écho par u n p r o c é d é classique d e synecd o q u e : lorsque par e x e m p l e Girart de Roussillon est v a i n q u e u r de D r o o n le G a s c o n , l ' a u t e u r n o t e a i n s i l e c o u p d e l a n c e : « E l c o r s li m e s a t o t li g o f a n o n / E c r a b e n t e t l o ( r ) m o r t l o i n d e l ' a r c o n » ( v v . 7 0 3 8 - 9 ) . P a r ailleurs, la m i s e e n p i è c e d e l'arçon est é g a l e m e n t s y m b o l i q u e d e l'ardeur d u c o m b a t , c o m m e le m o n t r e C h r é t i e n de T r o y e s d a n s E r e c et Enide :
23 - Ed. Comte de Quatrebarbes, Paris/Angers, 1845, II, p. 14. 24 - Voir supra, les remarques sur la «sambue». 25 - Ed. L. Foulet, Paris, CFMA n° 37, vv. 593-5).
par si grant vertu s'antre fierent que li escu piercent et croissent, les lances esclicent et froissent ; depiecent li arçon derriers, guerpir lor estuet les estriés ; (vv. 868-72) (Ils se heurtent avec tant de vaillance qu'ils percent et endommagent leurs écus, brisent les lances doni le bois éclate. Les arçons arrière sont rompus ; il leurfaut bien tomber de cheval, le pied hors de l'étrier) La partie arrière de l'arçon en effet, faite de bois, pouvait sans doute être brisée par le choc de l'assaut, le cavalier n'avait alors que l'appui sur les étriers qui se révélait insuffisant ; la plupart du temps toutefois, comme le montrent aussi les occurrences littéraires, c'était les sangles qui étaient rompues en premier lieu. L'arçon, probablement dans sa partie antérieure, comporte un appui pour la lance, qui est à l'origine de l'expression «lance sor fautre» aux occurrences fort nombreuses dans les romans, comme dans Perceval où «Chascuns tint sa lance apuiee/devant son arçon sor son fautre» (vv. 2662-3). La selle est un des éléments de l'équipement du cheval qui permet de faire montre de sa puissance et de sa richesse. Si les textes littéraires décrivent souvent des selles très richement ornées, ils renvoient en cela l'image d'une certaine réalité. En 1421, la maison royale achète par exemple six selles pour le prix de 200 1.t. pièce : Achat de six selles pour le régent. Trois sont bordées de laiton, a la façon de Lombardie; trois le sont d'os. Elles sont couvertes et houssées de cordouen vermeil ; les harnois de cuir noir, a grandes pieces carrées et percées, et «sur chacun trou pendoit une piece de laiton carree, en maniere de lambeaux ; et par dessus cloué deux renges de grosses bossettes de laiton»26. Les comptes bourguignons font aussi état d'achats de tissus, de rubans, pour orner la selle, en particulier celle d'une dame. Un compte par exemple signale l'achat de «franges et rubans pour selle»27. La littérature se plaît à montrer des selles prestigieuses, richement ornées, où l'or le dispute à la pierre précieuse, comme celle dont, l'«arcon» et l'«alever» sont de «vaires gemmes» dans Girart de Roussillon (vv. 3951-2) ; celle qui fut «d'os d'ivoire» dans Blancandin et l'orgueilleuse d'amour28 ; autour de cette richesse se crée un véri26 - Chroniques de Charles VII, éd. Vallet de Viriville, III, Paris, Janet, 1858, p. 309. 27 - Comptes de l'Etat bourguignon, éd. M. Mollat, ed. cil., n° 2182. 28 - Ed. F.P. Sweetser, Genève/Paris, v. 178.
t a b l e t o p o s d o n t l e s é l é m e n t s r é c u r r e n t s s o n t l'ivoire29, l e s p i e r r e s p r é cieuses, l'ébène d o n t les selles sont faites ou ornées, supportant des étriers «d'or fin», c o m m e c'est le cas, entre tant d'autres, d e G a y d o n : Selle ot en dos, qui moult fist a loer : Li arson furent d'un yvoire planné, A esmaus d'or moult soutilement ouvré ; La couverture, d'un bon paile roé. Li estrier furent a fin or sororé30 (Sur le dos du cheval, il y avait une selle que l'on ne pouvait que fortement louer : les arçons étaient en ivoire sculpté, incrusté d'émaux et d'or très habilement travaillés. La couverture était d'un tissu très orné et les étriers d'or fin) L a selle d e s d a m e s est s o u v e n t é v o q u é e , m o t i f o r n e m e n t a l , m a i s aussi m o y e n de s o u l i g n e r la richesse et la b e a u t é de la cavalière j u c h é e s u r s o n p a l e f r o i . D a n s Y E s c o u f l e , la b e l l e I s a b e l l e e s t m o n t é e s u r u n e selle qui e m b l é m a t i s e sa beauté, à l'unisson d'ailleurs de son m a n t e a u : «Il s a m b l e q u e li a r ç o n a r d e n t / D e la s e l e , si e s t v e r m e l l e , / N o n p a s d e sanc, m a i s d ' o r et d e fuelle,/Et s'eert d'escarlate c o v e r t e » (vv. 8 0 0 8 11). O n n e s a u r a i t o m e t t r e l a c é l è b r e s e l l e d ' E n i d e , si r i c h e m e n t e t savamment ornée : la sele fu d'autre meniere, coverte d'une porpre chiere ; li arçon estoient d'ivoire, s'i fu antailliee l'estoire cornant Eneas vint de Troye, cornant a Cartaige a grant joie Dido an son leu la deçut, cornant ele por lui s'ocist, cornant Eneas puis conquist Laurente et tote Lonbardie, dom il fu rois tote sa vie. Soutix fu l'uevre et bien tailliee, tote a fin or apareilliee. Uns brez taillierres, qui la fist, au taillier plus de set anz mist (vv. 5287-5302 ) (La selle fut d'une autre façon, couverte d'un tissu de pourpre précieux. Les arçons étaient en ivoire dans lequel était ciselée l'histoire d'Enée quittant la ville de de Troie ; comment ensuite il fut chaleureusement accueilli p a r Didon à Carthage qu'il désespéra et qui pour l'amour de lui 29 - Par exemple, dans la Chanson des Saisnes, tous les arçons sont d'ivoire. 30- Cité par Viollet-le-Duc, Dictionnaire raisonné du mobilier français de l'époque carlovingienne à la Renaissance, Paris, 1874, t. VI, p. 39.
se tua ; comment après cela il conquit Laurente et toute la Lombardie dora il fut roi sa vie durant. L'oeuvre était fine et de grande qualité, bien sculptée, ornée d'or fin. Le sculpteur breton qui l'exécuta mit plus de sept ans à faire ce travail) La selle ornée est souvent désignée par «sambue», terme dont l'origine est obscure. Selle de dame ou de demoiselle, selle de promenade donc, elle est un attribut du palefroi et elle renforce la beauté de la cavalière, comme dans Cleriadus et Meliadice31, oeuvre dans laquelle le poète crée une unité esthétique entre le vêtement et la selle ; la plus jeune fille des six pucelles choisie par Clériadus est montée sur «ung palefroy tout blanc, le frain et la senbue de mesmes ladicte robbe». Le terme de «sambue» peut s'appliquer également à la selle de promenade d'un homme : par exemple dans Ipomédon, on en trouve une «de vermeil sanc envolupee»32, telle qu'on la retrouve dans le Guillaume de Dole33, où il s'agit d'une selle de preud'homme recouverte de «samit vermeil». On peut se demander si le terme «sambue» ne désigne pas originellement soit le tapetum, le tapis de selle, soit une couverture qui serait sur la selle ; il s'agirait peut-être d'un tissu précieux, du type «samit» et, par extension, le mot se serait appliqué à désigner la selle elle-même. Dans Ipomédon, le sens de tissu apparaît clairement, et le mot est bien distingué de «selle» dans une énumération d'équipement, cette fois-ci d'un cheval de combat : Perdu i ad meinte cropere E meinte bone genuillcre, Et maumise mainte armeiire E meinte bone cuverture, Meinte sambeue dessiree E meinte sele reversee (vv. 3905-10) (Il y eut maintes croupières de perdues, ainsi que maintes bonnes genouillères. Et maintes armures furent endommagées ; maintes couvertures, maintes «sambues»furent déchirées, maintes selles vidées)
31 - Ed. G. Zink, Genève, Droz, 1984, chap. 19, 85. 32 - Ed. A.J. Holden, Paris, Klincksieck, 1979, v. 4833. 33 - Ed. F. Lecoy, Paris, Champion, CFMA n° 91.
Dans un contexte moins belliqueux, on trouve le mot avec le sens de tissu dans Brun de la Montaigne : «Et si serés de dras a ma fame vestue/Et aprés son relief vous porterés sambue»34. On retrouve ce sens de tissu clairement exprimé dans les Chroniques de Froissart : ce dernier décrit en effet un «blanc coursier paré et vestis de sambue jusques ens es fellons des piés»35. Nous pouvons donc formuler l'hypothèse suivante : la «sambue», dans le sens de selle, désigne le plus souvent une selle de promenade, en général richement ornée, en référence à un tissu précieux qui pouvait la recouvrir. Pour revenir à la selle de guerre, elle devait être solidement maintenue, afin que le choc de la lance au cours d'un combat ne la déplace pas. C'est ainsi que sur la tapisserie de Bayeux nous pouvons remarquer la présence d'une seconde sangle, probablement de secours, destinée à prévenir une rupture de la principale36, accident semble-t-il courant vu la violence des heurts entre cavaliers. Le bon maintien de la selle était assuré grâce à des courroies de cuir enserrant le cheval : le «poitrail» à l'avant et la «croupière» à l'arrière, ainsi que le «lorrain». Ce dernier terme, qui revient fréquemment dans les textes littéraires, pose problème. Il est en effet difficile de savoir à quoi il correspond réellement. Selon Godefroid, il s'agit de courroies qui ornent le poitrail et la croupe et qui servent à maintenir la selle. Un inventaire de la maison d'Artois fait mention d'un «lorain garni de soie, semé de boutons dorés et de camahieus», ce qui va dans le sens d'un article richement orné. Dans la littérature, les mentions aux lorrains sont en général faites uniquement dans un contexte qui vise à souligner la richesse, comme celui qui «valoit une cité» dans Aliscans (v. 7760), soulignant l'aspect décoratif de cette pièce de harnachement. Le roman de Jean Renart, L'escoufle, en offre deux exemples significatifs : après les noces, le comte s'apprête à partir en grande pompe ; l'auteur fait quelques remarques sur sa suite : Le conte fu apareilliés Pour errer ; il s'est mervilliés Des destriers qui sont en sa route, Que, si grans conme ele estoit toute, N'avoit chevalier qui n'ellst 34 - Ed. P. Meyer, Paris, SATF, 1875, w. 1919-20. 35 - Manuscrit de Rome, éd. G.T. Diller, Genève, Droz, 1972, p. 103. 36 - Voir l'article de C.-H. Tavard, «le harnachement de l'armée française», dans Plaisirs équestres, «spécial harnachement», octobre 1973, pp. 58-63.
Remué, ains qu'il se meiist, U ce val u robe u lorain37 (Le comte était équipé pour se mettre en route. Quelle merveille que tous ces destriers qui étaient avec sa suite! A tel point, que, bien que fort nombreuse, il n'y avait pas un seul chevalier de cette suite qui n'eût obtenu, avant qu'il ne partît, ou cheval, ou manteau, ou lorrain) P l u s l o i n , la c o m t e s s e e n v o i e q u é r i r les d a m e s du r o y a u m e p o u r u n e r é c e p t i o n g r a n d i o s e ; ces d e r n i è r e s sont r i c h e m e n t équipées, grâce à la générosité de leur suzeraine : Mais en poi de terme et a court Furent eles bien a hanés. Roubes, sambues, lorains frés Eurent autel conme lour dame. (vv. 8666-9) (Mais en bien peu de temps elles furent richement équipées : robes, riches selles, lorrains précieux elles eurent comme leur dame) Dans
ces
deux
exemples,
le
lorrain
intervient
dans
une
liste
d ' é q u i p e m e n t , aussi b i e n p o u r les h o m m e s q u e p o u r les f e m m e s , qui est d a n s le texte p o u r s o u l i g n e r richesse et g é n é r o s i t é ; o n r e m a r q u e r a la p r é s e n c e c ô t e à c ô t e d u l o r r a i n et de la s a m b u e qui renforce b i e n ce t r a i t d e p r é c i o s i t é ; c e t t e a s s o c i a t i o n n ' e s t d ' a i l l e u r s p a s r a r e : o n la trouve par e x e m p l e dans le P e r c e v a l de Chrétien : « U n e s a m b u e ot sor l e d o s / E t u n l o r a i n o t e n l a t e s t e , / T e l c o m e il c o v i n t a t e l b e s t e » ( v v . 3 7 1 2 - 3 7 1 4 ) , o u e n c o r e d a n s l e D o l o p a t h o s (v. 2 9 7 0 , 8 1 4 4 ) , d a n s l a M a n e k i n e (v. 8 4 2 4 ) o u m ê m e d a n s u n c o m p t e d e 1328 issu d e l ' i n v e n t a i r e de la r e i n e C l é m e n c e qui fait état d ' « u n e s a m b u e sur v i o let» avec u n «lorrain garni d'argent». Il e s t d o n c l é g i t i m e d e p e n s e r q u e le l o r r a i n d é s i g n e l a p a r t o r n e m e n t a l e d e l ' é q u i p e m e n t d e la selle et qu'il s'agit d o n c d e p u r e o r n e m e n t a t i o n , a v e c d e u x h y p o t h è s e s p o s s i b l e s : la s a n g l e f o n c t i o n n e l l e e s t c o m p o s é e d u « p o i t r a i l » , c ' e s t - à - d i r e d e l a b r i c o l e e t d e la croupière, s u r lesquels v i e n n e n t se greffer des pièces d'ornementation q u e les auteurs n o m m e n t «lorrain» ; o u b i e n o n peut aussi p e n s e r q u e «lorrain» désigne l'ensemble, croupière plus bricole, lorsque l'accent v e u t ê t r e m i s s u r la qualité d e ces p i è c e s d ' é q u i p e m e n t . D a n s les textes d e C h r é t i e n d e T r o y e s , il s e m b l e q u e l e t e r m e p u i s s e d é s i g n e r e n c o r e autre c h o s e , à s a v o i r u n h a r n a c h e m e n t de tête, c o m m e le p r o u v e n t ces vers de Perceval, mentionnés ci-dessus. 37 - Ed. H. Michelant et P. Meyer, Paris, SATF, 1894, vv. 8335-41.
Lorsqu'il s'agit de selle de guerre et de tournoi, les sangles étaient d'une grande nécessité pour le combat et elles devaient rompre assez souvent en cas de choc violent ; la littérature en effet en porte témoignage, tant les chroniques que les romans et chansons de geste. Il s'agit même d'un topos que d'expliquer, pour souligner la violence de l'engagement, que le poitrail et la croupière sont rompus : on trouve en général quatre éléments récurrents, signe de l'ardeur du combat et de la vaillance du héros : la lance brisée, l'écu dépecé, les courroies brisées, le heaume ou le haubert endommagés. Le Roman de Cassidorus offre un exemple, entre de multiples autres, de ce type de référence : Il se sont entr'aprochic. Cassidorus ne vaut pas estre des derreniers, ainçois s'est affichiez es estriers et a l'escu embracié et tint la lance empoignie. Sodores d'autre part s'est avanchiez pour rassambler a lui. Il ont aus chevaus les frains abandonnez, et s'entreviennent de tele ravine que il onques pueent. Sodores a la glaive baissiec, et fiert Cassidorum seur l'escu un cop si grant que bien le pot on veoir. Cassidorus l'a bien empaint, et l'a feru en tele maniere que poitraus ne cengles ne le porent tenir que il n'ait tout desrout, et l'a mis du cheval a terre38. (Ils se sont approchés l'un de l'autre. Cassidorus ne veut pas être le dernier, aussi s'est-il fortement appuyé sur les étriers ; il a saisi son écu et a empoigné sa lance. Sodor d'autre part s'est avancé pour le combattre. Ils ont alors vivement lancé leurs chevaux et se heurtèrent de toute la force qu'ils purent. Sodor abaisse l'épée et frappe l'écu de Cassidorus d'un si grand coup qu'on ne peul que le constater. Cassidorus s'est bien engagé et a frappé son adversaire de telle force que ni les sangles ni la bricole ne suffirent à le maintenir en selle : il l'a jeté à bas de son cheval.) L'étrier L'apparition de l'étrier, connu en Orient peut-être dès le VIe siècle, révolutionna les techniques de combat. Il permit à la fois une meilleure assiette du cavalier et une utilisation beaucoup plus performante de ses armes, en particulier de l'épée et de la lance. En effet le combattant à cheval avait alors un point d'appui solide, l'autorisant à serrer la lance sous son bras et à augmenter le poids de cette dernière : étant véritablement soudé à son cheval et s'appuyant fortement sur les étriers jusqu'à se tenir debout, il bénéficiait de la puissance de sa monture jointe à sa propre force. 38 - Ed. J. Palermo, Paris, SATF, 1963, t. 1, p. 260.
Grâce à l'étrier et à la selle à rebord, «tout ce qui était impossible devient facile» écrit Jan Dhondt39. Il poursuit : «le cavalier sans efficacité (sauf en tant qu'archer) au combat devient effectivement un combattant offensif redoutable, et si on le suppose bien défendu par une brogne, il devient véritablement le roi du champ de bataille». L. White étudie longuement les raisons qui amenèrent Charles Martel à réorganiser son armée, et surtout à développer sa cavalerie. Il en arrive à la conclusion que c'est la découverte des étriers en Occident, au début du VIle siècle, qui fut à l'origine des brutales modifications que connut l'armée au cours de ce siècle. Ces transformations engendrèrent une utilisation plus importante de la cavalerie, et furent bénéfiques puisque Charles Martel repoussa les Sarrasins à Poitiers. En revanche, montre White, si les Anglo-Saxons connurent également l'étrier assez tôt, ils n'en tirèrent pas immédiatement profit, puisque, d'abord, ils ne changèrent en rien leur façon de faire la guerre et continuèrent même, à Hastings, à se battre à pied, alors qu'en face, les soldats de Guillaume étaient à cheval, dressés sur leurs étriers! L. White, reprenant en partie la vieille thèse de H. Brunner, va jusqu'à affirmer que l'apparition de l'étrier, en permettant le développement d'une élite de guerriers à cheval, est à l'origine d'une nouvelle société, d'une nouvelle hiérarchie, avec à son sommet une noblesse constituée de cavaliers. Comme on l'a déjà noté, il faut sans doute nuancer une telle hypothèse ; si le rôle de l'étrier est fondamental, l'entraînement du corps, avec des exercices appropriés, a également une fonction bien loin d'être négligeable dans la tenue du guerrier à cheval et dans son utilisation de la lance ou de l'épée lourde. P. Vigneron dénonce l'erreur de ceux qui ont cru que les cavaliers antiques ne pouvaient pratiquer de «charges de rupture» du fait de l'absence d'étriers et affirme qu'il existait bien des «cavaliers munis de lance dont la longueur dépasse celle du corps du cheval40». Les remarques de Philippe Contamine qui note que «même si l'on admet que l'épée longue et la lance terminée par un fer triangulaire sont devenues plus courantes au VIlle siècle, rien n'indique que seuls pouvaient s'en servir les cavaliers munis d'étriers»41, vont dans ce sens. Il apparaît de plus bien difficile de suivre précisément les étapes de la diffusion de
39 - J. Dhondt, Le haut Moyen-Age (Ville-XIe siècles), édition française revue et mise à jour par M. Rouche, Paris, 1976, p. 55. 40 - P. Vigneron, op. cit., p 240. 41 - Ph. Contamine, La guerre au Moyen Age, Paris, P.U.F.,l 980, 2e éd. 1986, p. 318.
l'étrier42. Ph. Contamine ajoute que les sources iconographiques ne sont pas d'un grand secours, car en Europe, «la plus ancienne représentation d'un étrier se trouve dans les illustrations d'un manuscrit de l'abbaye de Saint-Gall, le Psalterium aureum (Bibl. de Saint-Gall, ms. 22)»43. Il s'agit d'un manuscrit de la fin du IXe siècle qui représente aussi des cavaliers munis de lance et sans étrier. Il faudrait donc plutôt envisager une évolution lente ainsi qu'une diffusion inégale et sur une longue période de l'équitation et surtout du combat à cheval avec étriers. Il est toutefois certain que les cavaliers portaient la jambe pointée vers l'avant, pour renforcer leur appui, à tel point que les chevaux pouvaient être blessés par les éperons à l'épaule et même à l'encolure ; c'est ce que note Albert Le Grand dans son De animalibus, en proposant un remède contre les blessures d'éperons44. Quoi qu'il en soit, le rôle militaire des étricrs a dû profondément marquer les consciences45, si l'on en juge par ce que rapporte la littérature : souvent en effet est noté dans les textes qui relatent, de manière plus ou moins imagée, plus ou moins réaliste, combats et tournois, l'importance de l'appui sur les étriers. La façon dont le poète décrit le chevalier «afichié» sur ses étriers illustre clairement la façon de combattre à cheval que nous avons évoquée précédemment. Tel est le cas de Chrétien qui se plaît à noter cette position du combattant : Li cuens le fiert premièrement par tel vertu devant le piz que les estriés eüst guerpiz, se bien afichiez ne se fust ; (Erec, vv. 3592-95) (Le comte lefrappe en premier sur la poitrine avec tant deforce qu'il serait tombé de cheval s'il ne se fût pas bien maintenu sur les étriers) Et mesire Gavains l'atent, Si s'afiche si roidement Sor les estriers que il en ront Le senestre tot an roont ; 42 - L. White se livre a une recherche très précise au sujet de l'apparition et de la diffusion de l'étrier : celui-ci aurait été inventé en Chine avant le début du Ve siècle de notre ère. D'autres auteurs émettent l'hypothèse d'une apparition de l'étrier en Europe par l'intermédiaire des Arabes (op. cit., pp 2-18). Voir aussi E. Saurel, Histoire de l'équitation, Paris, Stock, 1971. 43 - Ph. Contamine, op. cit., p. 319. 44 - Si nervi aul musculi spatule ex punctura calcaris vel ex alia causa ledantur, vel etiam inflentur (...). Si autem juxta collum ex punctura spatule aut lateris inflatus fuerit, opportet... (De an., 1. XXII).
45 - L. White s'appuie par exemple sur une hypothèse de changement de vocabulaire en latin, les verbes scandere et descendere se substituant à insilire et desilire.
Et il a le destre guerpi.» (Perceval, vv. 7335-9) (Et monseigneur Gauvain l'attend ; il s'appuie si fortement sur les étriers qu'il en rompt le gauche tout d'un coup et qu'il doit quitter le droit) Jean R e n a r t à son tour fournit une explication relativement longue dans l'Escoufle : Li quens de Garanne et cil d'Eu Se sont pasmé sor lor destriers ; Se il ne fuissent as estriers Afichié, chascuns fust che Us : (vv. 320-23) (Le comte de Garanne, comme celui d'Eu, se sont pâmés sur leur destrier. S'ils n'avaient pas été fermement maintenus par les étriers, chacun serait tombé) D a n s L a p r i s e d'Alexandrie, Guillaume de M a c h a u t relate un c o m b a t à la hache, p o u r lequel l'appui sur les étriers est également souligné : Li roys seoit sus son destrier, Et tenoit le piet en l'estrier, Fort et ferme et seürement. La se combat si durement D'une hache bien enferree46 (Le roi était monté sur son destrier et il était appuyé très fermement, le pied à l'étrier. Il menait le combat durement avec une hache au fer tranchant) A l'inverse, la rupture de l'étrier ou surtout de la sangle qui le maintient, l'étrivière, p r o v o q u e en général la chute du combattant, c o m m e c'est le cas p o u r le chevalier pillard combattu par Erec : «li estrié r o n p e n t et cil chiet» (Erec, v. 3013). La forme d e s étriers fut assez simple jusqu'au XIVe siècle : il s'agissait d 'u n trapèze ou d'un demi-cylindre. La semelle de l'étrier comportait parfois u n coussinet destiné à e m p ê c h e r le pied de glisser lors de la charge et des chocs47. Au XVe siècle, on trouve des étriers e n forme de pantoufle. A la m ê m e époque, les arcades des étriers s'élargissent et s'enrichissent. Elles sont souvent de véritables oeuvres d'art, tant elles sont ornées et ciselées : on trouve par exemple dans les 46 - Ed. M.L. de Mas Latrie, Genève, 1877, p. 94, vv. 3088-92. 47 - Ch.- M. Tavard, op. cit., p. 53.
comptes du roi René des indications sur des commandes d'étriers de luxe, tels ceux-ci, «noirs a la faczon de mousque». Nous noterons pour finir le rôle identificateur de l'étricr dans une scène d'arrivée du cavalier. L'écuyer en effet doit tenir l'étrier afin d'aider son maître à descendre ; le geste est important pour un gain de stabilité, lorsque le poids, surtout celui du chevalier en armes, n'est plus réparti que sur un seul appui. Le geste, courant, devient dans la littérature, par extension, une marque de hiérarchie, de soumission ou de bon accueil : l'expression «aller à l'étrier» signifie bien souvent cette marque d'allégeance, de respect ou de courtoisie envers le cavalier ou la cavalière. On trouve par exemple dans l'Escoufle un accueil d'Aelis par une jeune fille qui s'occupe de la monture de la belle demoiselle et «par le frain l'en maine en la cort» tandis que sa mère «a l'estrier li cort» (v. 4996-7). Le fer à cheval On a cru pendant longtemps que le fer à cheval était connu dès l'Antiquité. Il paraît en effet très utile pour protéger le sabot de l'animal, plus fragile de ce point de vue que le boeuf. En fait, on sait maintenant que les Anciens ne connaissaient que des protections en forme de souliers, en jonc ou autre matière végétale, parfois garnies de plaques de métal, et fixées aux sabots des chevaux ou des mules au moyen de liens de cuir entourant le paturon. Plus tard ces protections que l'on a appelées «hipposandales» furent entièrement constituées de métal. On trouve une description de ces souliers pour chevaux dans les Hippiatrica, sous la signature de Théomnestos ; il s'agit dans ce cas d'une prescription à but thérapeutique, puisque la chaussure est destinée à protéger des sabots usés, après application d'un onguent. Voici c e q u ' e n dit Sévilla48 :
Ensuite, le sabot est protégé par une chaussure faite de sparte, sorte de genêt dont on tressait t 'écorce pour en faire des cordes, ou sorte d'herbe qui croît en Espagne et en Afrique dont on faisait aussi des cordes. La chaussure était maintenue à l'aide d'étoffes rudes et solides. Au début du siècle, on attribuait cet usage de ferrer les chevaux, non plus aux Grecs et aux Romains, mais aux peuples Celtiques et 48 - Sévilla, «Notes d histoire sur l'Art vétérinaire antique», Recueil de médecine vétérinaire, 1936, p. 36.
Gaulois49, célèbres pour l'art de leurs forgerons. Vers 1950, de nouvelles recherches, faites à la suite de celles de Lefebvre des Noëttes50, prouvèrent que le fer à cheval ne pouvait être apparu en Occident avant le Moyen-Age51. L. White pour sa part ne croit pas à une diffusion du fer à cheval avant la fin du IXe siècle. Au cours du XIe siècle, sont couramment ferrés les chevaux de guerre, mais aussi les chevaux utilisés pour le labour ou le transport. On distinguait d'ailleurs les fers selon la catégorie des chevaux à ferrer; c'est ainsi par exemple qu'en 1395, le seigneur de La Londe, Louis de Tournebu, accorde à Jehan Pecot le droit de tenir forge à Bourtheroulde, à condition qu'il verse une rente de 12 fers à roncin et 12 fers à palefroi52. On ne s'étonnera pas d'une telle contrainte, car le fer est un équipement indispensable et coûteux : à la fin du XVe siècle, dans le Sud-Ouest, M. Houbbaida note qu'un fer coûte en moyenne un sou toulousain, ce qui correspond à peu près au prix d'un boisseau d'avoine. A ce prix du fer, il convient bien entendu d'ajouter le salaire du forgeron : en 1304, année difficile au cours de laquelle les prix ont généralement augmenté, le frère Guillaume le Forestier du monastère de Sainte-Catherine-lès-Rouen se plaint des tarifs pratiqués parles maréchaux : Il convenait pour un cheval Ferrer, donner au maréchal Cinq sols tournois tout entier, Pour chaque patte douze deniers.53 Le fer à cheval suit une évolution technologique durant le Moyen Age. Les fouilles archéologiques de la région du lac de Paladru ont pu fournir des informations très intéressantes sur le fer et les clous de ferrage54. Les fers sont de petite taille (10,5 cm de long, 11 cm de large, 0,6 cm d'épaisseur) avec quelques exceptions avec une 49 - Voir P. Mégnin, Histoire du harnachement et de la ferrure du cheval, Vincennes, 2e édition 1904, pp. 247-370 : «Les druides ferraient donc aussi les chevaux ? Pourquoi pas puisqu'ils avaient le monopole de tout ce qui ressort de la métallurgie ?» (p. 272). 50 - R. Lefebvre des Noëttes, L'attelage, le cheval de selle à travers les âges, Paris, Picard, 1931. 51 - Voir G. Camat, Le fer à cheval à travers l'histoire et l'archéologie, Paris, Vigot, 1951. L'auteur pense que la ferrure moderne a été rendue nécessaire par l'utilisation du collier d'épaules, permettant un attelage du cheval à de lourdes charges mais nécessitant un appui ferme sur le sol. 52 - M. Montfort, art. cit., p. 467. 53 - Vers français sur la famine de 1304, cités dans Sources d'histoire médiévale, op. cit., p. 756. 54 - Nous renvoyons à M. Colardelle, E. Verdel, Les habitats du lac Paladru...,op. cil., Paris, MSH, 1993, p. 210.
longueur de 12,4 cm. Grâce à quelques fers très bien conservés, alors que la plupart sont très usés - preuve qu'on ne les changeait pas souvent -, il est possible de déterminer le mode de fabrication. On utilisait semble-t-il une plaque métallique d'environ 0,5 à 0,6 cm d'épaisseur plus large en son centre qu'à ses extrémités ; elle était recourbée à chaud pour obtenir une forme ovale. Sur la face inférieure du fer, on trouve deux petits ergots qui marquent l'extrémité de chaque branche sur laquelle trois trous étaient faits, dont la forme montre l'utilisation ' de clous à tête carrée. Ce sont ces trous, pratiqués depuis la face externe par étampage, qui donnent au fer sa forme ondulée. Les clous utilisés avaient une pointe rectiligne à section carrée (0,4 cm) et une tête de forme parallélépipédique se réduisant par un décrochement vers la tête. Leur longueur pouvait atteindre 4,6 cm, la longueur de la tête pouvant être de 1,8 cm. Les clous devaient s'user rapidement et être souvent changés (on a retrouvé sur le site de Paladru plus de 2000 clous). On a retrouvé de nombreux spécimens sur le champ de bataille de Crécy : le fer était léger, étroit, ondulé, à étampures longues, à clous en clé de violon. Ce n'est qu'à la fin du Moyen Age qu'apparaissent des fers plus sophistiqués avec étampures carrées, clous en tronc de pyramide, grains d'orge et crampons55. Notons que dès le XIIIe siècle on connaissait les fers pathologiques, destinés à remédier à un défaut des aplombs du cheval ou à une malformation de ses jambes ou de ses pieds, comme on peut s'en rendre compte à ce passage de la Marechaucie des chevax de Jordanus Rufus où il est question du cheval qui a les jambes «tortes» : Que les ongles dou cheval soient plus parez dehors que dedens, et les fers soient plus hauz derrieres que devant, einsi li chevaux pourra estre l e g i e r e m e n t g a r i z d e l ' a n t r e f r o t e r e t d e s j a m b e s tortes.56
Dans la littérature de fiction, les allusions au fer à cheval sont assez rares et surtout peu détaillées. Le fer en effet n'est le support d'aucun système symbolique, et, en l'absence de possibilité d'ornementation, ne peut exprimer ni même souligner richesse ou puissance. On le trouve dans les articles nécessaires ou bien il apparaît, par défaut si l'on peut dire, lorsqu'un cheval est déferré ; mais ce 55 - Voir Cmdt Lefebvre des Noëttes, «L'attelage moderne du Xe siècle à nos jours», op. cit., p. 141sq. 56 - B. Prévôt, La science du cheval au Moyen Age, le traité d'hippiatrie de Jordanus Rufus, Paris, Klincksieck, 1991, p. 45.
dernier cas est très peu fréquent. G u i l l a u m e de Machaut, lorsqu'il décrit les préparatifs d e c r o i s a d e d e Pierre de L u s i g n a n , fournit u n e liste d e n é c e s s a i r e s d a n s l a q u e l l e f i g u r e le f e r : Amenez selles et estriers Roncins, courciers et bons destriers (...) Fers, clos, panonciaus et banieres Et toute chose necessaire (vv. 1724..30) N o t o n s une apparition humoristique du cheval déferré dans une p i è c e p o l y p h o n i q u e d ' A d a m de la Halle ; le p o è t e prête au c é l è b r e et p r e s t i g i e u x B a i a r t d e u x p i e d s s a n s fer, c r é a n t c o n t r a s t e e n t r e l a v a i l l a n c e l é g e n d a i r e d u destrier et l ' i m a g e d i m i n u é e d'un c h e v a l boiteux57 :
OR EST BAIARS EN LA PASTURE, HURE DES DEUS PIES DEFFERRES DES DEUS PIES DEFFERRES Il p o r t e s o u e f l ' a m b l e u r e OR EST BAIARS EN LA PASTURE A v o i r li ferai c o u v e r t u r e , h u r e ! A u repairier des prés. A u r e p a i r ier d e s p r é s . OR EST BAIARS EN LA PASTURE, HURE DES DEUS PIES DEFFERRES DES DEUS PIES DEFFERRES
Le mors Connaître avec précision les différents mors en usage au cours du Moyen Age est assez difficile. Non seulement les formes de ceux-ci varient au cours des siècles de manière importante, mais encore changent-elles d'un lieu à l'autre, d'une utilisation à l'autre. Certains mors sont d'une conception très complexe, d'autres paraissent si cruels qu'on peut se demander s'ils ont été d'un usage courant. En tout cas 56 - J. Maillard, Adam de la Halle, perspective musicale, Paris, Champion, 1982, p. 130.
leur f o r m e a p r é o c c u p é les h o m m e s de cheval et o n trouve d e s p a g e s consacrées aux différents types de m o r s d a n s des traités d'hippiatrie et d ' h i p p o l o g i e d u M o y e n A g e t e l e s t le c a s , p a r e x e m p l e , d e J o r d a n u s :
Il est doncques une maniere de frain qui est appelé a barre, pour ce qu'elle est faite de deuz barres, une du lonc et l'autre du travers. Il est ainsi composé et fait pour ce qu'il est plus legier et plus able que les autres. Il est encores une autre maniere de frain qui est appelé a demie barre ou a demi mors. Et ainsi l'appelle l'en en vuogal por ce que la moitié du mors a une seule barre de travers, et l'autre double partie dessoubz ; lequel frain est plus fort et plus arrestant que l'autre dessus dit. Et une autre forme de frain aussin, qui a nom a demi mors en françois, de quoy les falles sont tortices ou plaines, et dedenz le mors du frain sont mis esmaux ou emmaux, lequel frain est plus fort de tous les autres dessus diz. Il est encores une autre maniéré de frain qui a nom caralde, et dedenz a beaucoup de falles dedenz le mors, lequel frein est plus fort et plus cruel de touz ceulz dessus diz. Encores il y a unes autres manieres de fourmes de freim, desquelles usent aucuns provençaux, qui sont horribles et aspres sanz raison, que je laisseray a dire pour leur cruaulté 58. C o n t r a i r e m e n t au fer à cheval et à l'étrier, l'usage du m o r s est très ancien, puisqu'il est c o n t e m p o r a i n d e la d o m e s t i c a t i o n d u c h e v a l qui, d ' a n i m a l c h a s s é p o u r sa v i a n d e , est d e v e n u a n i m a l é l e v é p o u r les services qu'il rendait. L e s cavaliers N u m i d e s dirigeaient leur m o n t u r e grâce à des colliers-freins59. L e s p r e m i e r s m o r s identifiés, qui d a t e n t d e l'âge du bronze60, sont e n b r o n z e o u e n c o r n e de cerf. O n a r e t r o u v é de très a n c i e n s m o r s à « c a n o n s articulés» o u « m o r s brisés». C e s derniers étaient e n effet connus des Celtes, des Etrusques, des Grecs et des Romains61. L e s R o m a i n s utilisaient le s i m p l e m o r s de filet à can o n droit o u à c a n o n articulé62, cette d e r n i è r e c a r a c t é r i s t i q u e é t a n t p a r t i c u l i è r e m e n t r e c o m m a n d é e p a r X é n o p h o n 6 3 . S e l o n P. V i g n e r o n , i l s u t i l i s a i e n t a u s s i le m o r s d e b r i d e , q u i s e r a c o u r a n t d u r a n t l e M o y e n
58 - Marechaucie des chevaux, ed. cit., p. 39. 59 - Cf. C.-H. Tavard, L'habit du cheval, Paris, L'office du livre, 1975, p. 14. 60 - Cf. M. de Mortillet, Origines de la Chasse, de la Pêche et de l'Agriculture, Paris, 1890. 61 - Voir P. Vigneron, op. cit., p. 296. 62 - Ibid., p. 52. L'auteur consacre les pages 52 à 76 de son ouvrage à la description des embouchures antiques. 63 - Xénophon, De l'équitation, X, trad. P. Chambry, Paris, Garnier-Flammarion, X.
Age. Les canons des mors comportaient souvent des «abaisse-langue» ainsi que des petits rouleaux ou molettes tournant sur l'axe64. Le site archéologique de Charavines fournit encore d'intéressantes précisions sur les mors employés au XIe siècle. Les recherches minutieuses des équipes de M. Colardelle et d'E. Verdel ont permis de mettre à jour trois mors de bride, dont un complet, et un mors de filet (voir illustration)65. Le mors de bride complet se compose de trois pièces distinctes dont la plus grande comporte deux branches, longues et arquées vers l'intérieur; ces branches sont terminées par des anneaux avec attaches rivetées, pour l'articulation avec des lanières de cuir. On trouve une deuxième pièce centrale, légèrement oblique, avec un anneau ménagé dans la pointe afin de fixer une sorte d'étrier, torsadé de trois tours, permettant l'écartement entre la pointe et l'une des deux branches. La troisième pièce s'articule, à l'aide de deux anneaux, sur l'axe de la première. L'objet est orné de hachures gravées remplies d'étain. Selon l'interprétation de M. Colardelle et E. Verdel, la partie la plus longue était introduite dans la bouche du cheval, les branches vers l'avant, et la troisième pièce était passée sous la mâchoire inférieure. Ce type de mors correspond probablement à un mors de dressage ou de combat tel qu'il apparaît sur la Tapisserie de Bayeux et, d'après des fouilles comme celles réalisées sur le site castrai de Frohburg, il est encore en usage au XIIIe siècle. Le mors de filet, également décoré avec des hachures étamées, est un mors à traverse, couramment employé comme le révèlent les fouilles, tout particulièrement en Europe continentale et septentrionale. Au XVe siècle apparaissent les mors de bride à très longues branches. Le mors de bride fut associé au mors de filet probablement dès la fin du XVe siècle ; on trouve des représentations médiévales très claires de cavaliers ayant quatre rênes en main (deux pour le mors de filet, deux pour le mors de bride). Un traité d'hippiatrie daté de 1368, en dialecte sicilien, décrit par Giacomo Gregorio66, comporte 80 reproductions de différentes formes de mors. Chacun d'eux possède une légende qui montre que chaque , 64 - Xénophon, Ibid., dit à leur sujet : «il se peut d'ailleurs que, méprisant sa douceur, il [le cheval] s'appuie fréquemment sur le mors; c'est pour cela que nous mettons de grandes rouelles à l'embouchure douce, afin qu'elles le forcent à ouvrir la bouche et à lâcher le mors.» 65 - Nous empruntons à leur ouvrage, Les habitants du lac Paladru..., op. cit., pp. 210-2. Pour davantage de détails techniques et d'éclaircissements, nous renvoyons à cette étude. 66 - Giacomo Gregorio, «Notizia di un trattato di mascalciadialetto siciliano del secolo XIV». Romania, art. cit.
mors est adapté à une qualité bien particulière de la bouche du cheval : «a cavallu multu spurtaturi», «a cavallu scapizzaturi », «a cavallu scaglumatu», «a cavallu ki bacti la testa a lu pectu»... On retrouve sensiblement les mêmes 80 dessins dans un traité d'hippiatrie du XVe siècle en catalan, publié en 1985 par J. Gili, sous le titre Lo Cavall, tractat de manescalia del segle XV67 et qui reproduit également les mors figurant dans le manuscrit. On ne peut, à la vue de ces deux textes, qu'être surpris par la complexité des embouchures utilisées à cette époque. Dans la littérature, le «frein» apparaît souvent, mais sans jamais guère de précision. On laisse le frein aller, pour indiquer que le cavalier se précipite à grande allure, comme Guiteclins, dans la Chanson des Saisnes, qui «le froin lasche au cheval, des esperons le tante»68. On trouve le verbe «afrener» qui signifie mettre le frein dans la bouche du cheval ; dans Partonopeu de Blois par exemple, avec un bon cheval «bien afernés et aaisiés»69. Le terme est assez répandu dans une utilisation métaphorique, comme par exemple dans le Tristan en prose, où le roi Marc exprime devant Palamidés son impuissance à contrôler son coeur en disant qu'il ne peut l'«affrener»70. Il peut aussi arriver à un être humain, en fâcheuse posture, de subir ce que cheval endure ainsi qu'il arrive à la pauvre Berte ligotée : «A fource li ouvrirent se bouche estre son gré/A guise de cheval que on a afrené/Li ont mis cele corde, ce fu grant cruauté» 71. L'éperon L'éperon fut connu très tôt. Il était, au Moyen Age, une aide assez cruelle pour le cheval72, car on utilisait alors, et ce fut le cas pendant longtemps, des éperons à la tige particulièrement longue, se terminant par une pointe ; on trouve d'ailleurs des expressions du type «chevaucher a pointe d'eperon», ou «ferir a pointe d'esperon», fré67 - Lo Cavall, tractat de manescalia del segle XV, lexi, introduccio i glossari, Oxford, The Dolphin Book Co., 1985. 68 - Ed. A. Brasseur, Genève, 1989, p. 269, v. 2936. 69 - Ed. J. Gildea, Villanova Penn., 1967, v. 9633. 70 - Le roman de Tristan en prose, t. IV, éd. J.CI. Faucon, Genève, Droz, 1991, n° 85, 5, p. 159. 71 - Adenet le roi, Berte as grans piés, éd. A. Henry, Genève, 1982, vv. 448-50. 72 - On trouve d'ailleurs souvent dans nos textes littéraires, dont les auteurs ne s'apitoient pas sur la souffrance de l'animal, des allusions au sang qui coule du flanc du cheval éperonné, comme par exemple dans Gormont et Isembart où Gautier du Mans «des espenins point J'auferantJqu'il en fist raer le sanc» (éd. A. Bayot, Paris, Champion, 1969, vv. 16-7).
quentes chez Froissart par exemple, qui marquent la rapidité d'une chevauchée73. On remarque de tels éperons à longue tige sur la tapisserie de Bayeux. Les tiges formaient souvent un angle par rapport au corps de l'éperon. Les branches étaient terminées par des attaches ou boucles de fixation. Les pointes pouvaient être de formes variées, mais elles étaient généralement très acérées : coniques, en fer de lance, pyramidales ou bipyramidales74... Ce type d'éperon était particulièrement cruel pour l'animal ; on a vu qu'Albert le Grand donnait des recettes pour guérir des blessures que la pointe pouvait provoquer. C'est d'ailleurs assez souvent que les textes se font l'écho de la douleur du cheval, notant que son flanc saigne, que ses côtés sont blessés ; ainsi dans Gui de Nanteuil, le cheval du messager de Hervis est poussé à bout : «Ainz qu'il veigne a Estampes ert sis cival lassiés ;/Amdos les esperons li a fet privez/foz en avra specié li flans e li costez»75. L'éperon est souvent vissé ou claveté sur le talon du soleret qui recouvre le pied ; le soleret est constitué de mailles que l'on dit «hesliés» lorsque l'éperon est sanglé autour du pied. Plus tard, vers le milieu du XIVe siècle probablement, apparurent les éperons à molette, c'est à dire pourvus d'une petite roulette aux dents très acérées. Lors d'une pression sur le corps du cheval, cette roulette pouvait tourner sur son axe central et entrer superficiellement dans la chair. Les tiges continuèrent à être longues, puisque le cavalier avait à cheval un talon relativement bas : ses jambes étaient toujours droites et tendues, ou dans une position proche de la verticale lorsqu'il chargeait «lance basse», ou inclinées vers l'avant lorsqu'il se trouvait «lance haute». Les premières molettes étaient assez petites, avec seulement 6 ou 7 pointes, puis elles devinrent de plus en plus grandes, avec davantage de pointes. Simultanément, le corps de l'éperon devint courbe ; il était parfois décoré. Au XVe siècle, la longueur de la tige s'accroît encore, à cause de l'utilisation des bardes pour protéger le cheval jusqu'au bas-ventre. Nous avons conservé des éperons du milieu du XVe siècle mesurant 73 - Lorsque par exemple le Bascot de Mauléon raconte les démêlés du capitaine de Sancerre avec les anglais, il note la rapidité de la chevauchée vers la ville : «et monterent sur noz chevaulx et ferirent a pointe d'esperon, et furent ainsi tost a la ville» (Voyage en Béarn, éd. A.H. Diverres, Manchester, 1953, p. 97). 74 - Cf. les reproductions contenues dans Medieval catalogue, London Museum, Her Majesty's stationery office, Londres, 1940, 4ème édition 1975. 75 - Ed. J.R. McCorrnack, Paris/Genève, 1970, p. 253, vv. 1579-81.
28,7 cm, et dont la seule tige avec sa molette atteint 20 cm76. Toutefois, les éperons plus courts sont recommandés pour permettre le combat éventuel à pied. De plus, l'éperon trop long risquait d'être facilement endommagé lors d'un affrontement ; c'est ce que note René d'Anjou dans son Livre des tournois qui préconise : «Les plus cours esperons sont plus convenables que les longs, a ce que on ne les puisse arracher ou destordre hors les pieds en la prcssc» 77. Si le chevalier porte des éperons pour le combat, il semble en revanche que celui qui monte un cheval de chasse n'a jamais d'éperons, mais il utilise une «reorte» ou une «corgiee» pour pousser l'allure de son cheval. Le mot «reorte» est issu du latin retorta, du verbe retorquere signifiant «tordre». La «reorte» est une baguette faite d'un brin d'osier tordu sur lui-même. Quant à la «corgiec», du latin populaire corrigiata ou du latin corrigea «courroie» , c'est une sorte de fouet à plusieurs lanières. Les protections Le harnais de guerre du cheval comportait aussi des protections de fer. En effet, on s'efforça en premier lieu de protéger le mieux possible les cavaliers, tout en veillant à ce qu'ils ne puissent être facilement désarçonnés, mais ces précautions devenaient inutiles, s'il suffisait de tuer le cheval pour anéantir le combattant. L'obligation se fit donc sentir de rendre le cheval moins vulnérable grâce à diverses protections. Nous pouvons en avoir une idée assez juste en consultant le Dictionnaire raisonné du mobilier de Viollct-lc-Duc qui offre de nombreux croquis et explications dont nous nous sommes servis pour la rédaction de cette partie78 : - le «chanfrein», qui couvre la face avant de la tête, depuis le milieu des oreilles jusqu'aux naseaux, apparut probablement au XIIIe siècle. Puis cette protection fut améliorée et développée jusqu'à couvrir les côtés de la tête (des trous étaient parfois préservés pour les yeux et les naseaux). Ils pouvaient alors être constitués de cuir ou de parchemin, sur lesquels on fixait des plaques de métal. La protection allait jusqu'à l'encolure, grâce à une crête de lames articulées, dont 76 - Voir Medieval catalogue, op. cit., pp. 95-112. 77 - Ed. Quatrebarbes, p. 14. 78 - Dictionnaire raisonné du mobilier français de l'époque carlovingienne à la Renaissance, Paris, Morel, 1874, Tomes 4 et 5.
l'ensemble était sanglé sous la ganache. Le sommet du chanfrein pouvait supporter un décor, souvent assorti au heaume du cavalier79. - les «housses» de tissu protégeaient le cheval des coups, à partir des premières années du XIIIe siècle. A la fin de ce siècle, les housses furent renforcées d'anneaux de métal ou même complètement constituées de mailles métalliques. Elles gagnèrent alors en efficacité, mais avaient bien sûr l'inconvénient d'être fort lourdes. La houssure du cheval permettait souvent l'ornementation de l'animal et sa reconnaissance, à l'aide des couleurs, lors des tournois. La housse pouvait alors être richement ornée et René d'Anjou signale qu'il était de coutume d'en faire cadeau aux hérauts. Dans le Roman de Jehan de Paris, on a le témoignage d'une houssure richement décorée, mais avec également des anneaux de métal (précieux) : «...et estoit fourree ladicte hosseure d'ermines moult richement (...) par dessus les croppes des chevaulx avoit grosses campanes (clochettes) d'argent qui estoient attachées a grosses chaines d'argent toutes dorees, qui menoient grant bruit»80. La littérature chevaleresque a surtout retenu cet aspect ornemental ; dans Cleriadus et Meliadice par exemple, est fait commande d'une housse précieuse : «vous lui direz qu'il face tost et hastivement ung harnois tout couvert de satin vert et la houssure de mesmes, toute brodee de fleurs de toute bonne» (XIX, 56-59). Dans ce même roman, le sire Pennet de la Carriere indique que la houssure de son cheval permettra de le reconnaître lors du tournoi : «lequel voua que, pour l'amour de sa dame, le jour des jouxtes, il seroit armé tout de vert et toute sa housseure pareille et que il feroit tant que on congnoistroit bien le Chevalier Vert» (XXVIII, 1315-19). - Les plates, peut-être importées d'Allemagne au début du XVe siècle, étaient des plaques de fer articulées, destinées à protéger la tête (têtière), puis la crinière, l'encolure et le poitrail ; elles constituaient le «harnois blanc». On ajouta enfin une croupière et même des plates recouvrant les flancs (flançois). Ces protections avaient évidemment l'inconvénient d'être très pesantes et longues à mettre en place. Le tout était ajusté au moyen de courroies de cuir. Il fallait aussi pouvoir s'offrir, puis entretenir ce coûteux matériel, qu'il fallait remettre en état après chaque combat.
79 - Voir M. Pétard, dans Le livre des tournois du roi René, adaptation par E. Pognon, Paris, 1986, p. 80. 80 - Ed. E. Wickersheimer, Paris, SATF, 1923, pp. 64-5.
Ce panorama révèle en premier lieu la diversité et la complexité de l'équipement du chevalier ; on comprend d'autant mieux le coût d'un équipage et de son entretien, qui réduit la classe des milites à une élite privilégiée. D'ailleurs, offrir équipement et chevaux harnachés est un don de valeur, comme l'exprime Guillaume de Machaut dans la Prise d'Alexandrie : le duc de Saxe, recevant Pierre de Lusignan avec générosité, «Se li donna de ses joiaus/D'or et d'argent, riches et biaus,/Hamés a jouster et destrier,/Ou ne faloit celle n'estrier» (vv. 967-70). Rappelons qu'un chevalier en campagne se devait de posséder armes et plusieurs chevaux, conditions parfois légiférées avec précision, comme dans le règlement militaire de Charles le Téméraire en 147381. La déduction qui, en second lieu, peut se faire à l'examen de l'équipement va dans le sens d'une hiérarchisation. La littérature de fiction, en puisant dans la réalité de l'art militaire, révèle d'une part l'importance du «harnois» pour le combat et d'autre part le caractère diversifié, du point de vue de la qualité et de l'ornementation, de cet équipement. Dans le miroir déformant de l'invention poétique, on retrouve la trace de l'hétérogénéité de la chevalerie que Ph. Contamine a bien soulignée : Cependant, au sein même du groupe des chevaliers, l'homogénéité n'était pas de règle. Certains étaient mieux équipés, mieux montés. Appartenant à de plus riches lignages, ils avaient des armes plus luxueuses, peut-être plus résistantes (...). Déjà visible au XIIe siècle, avec la distinction entre les milites gregari (ou milites plebei, ou mililes rustici) et les primi milites, appelés également strenui milites, cette différentiation devient en quelque sorte institutionnelle au XIIIe siècle avec l'apparition, en France sous Philippe Auguste et en Angleterre dans les premières années du règne personnel de Henri III, des chevaliers bannerets, situés au dessus des simples chevaliers, ou chevaliers bacheliers, ou chevaliers d'un écu82.
81 - Voir Ph. Contamine, La guerre au Moyen Age, op. cil., «Le temps des chevaux», p. 241 sq. 82 - La guerre au Moyen Age, op. cil., p. 161.
Dessins de mors d'après des manuscrits du XIVe et XVe siècle
Éperon du XIIIe ou XIVe siècle d'après Musée Hermès du cheval
É p e r o n s - XIe s i è c l e Cliché Musée Dauphinois - Grenoble
M o r s d e b r i d e - XIe s i è c l e Cliché Musée Dauphinois - Grenoble
Élément de selle en hêtre (arçon) Charavines (Isère) Cliché Musée Dauphinois - Grenoble
F e r s à c h e v a l - XIe s i è c l e Cliché Musée Dauphinois - Grenoble
Pierre de Crescens, Opus ruralium commodorum Cliché Bibliothèque municipale, Orléans
Reconstitution d'un cavalier armé et d'un cheval équipé d'après les objets découverts sur le site de Charavines-Colletière (Isère), XIe siècle Cliché Yves Bobin - Exposition "Chevaliers de l'An Mil" au Musée Dauphinois
CONCLUSION
Nous venons de parcourir un éventail assez large, mêlant tradition littéraire et textes d'archives, de textes offrant des témoignages sur la présence du cheval dans le monde médiéval, sur sa place dans la société, sur la façon dont il intervient dans des rapports socioéconomiques. En tant que capital, que valeur marchande, valeur d'échange ; en tant que signe de richesse et de puissance ; sur le chemin, dans les champs, en forêt, attelé, bâté, équipé pour le voyage ou pour le combat, le cheval a laissé une forte empreinte dans nos textes. On l'a noté à maintes reprises, il faudrait dépouiller, organiser, mettre sur informatique des milliers de documents pour pouvoir se faire une idée plus précise de la place du cheval au cours des siècles du Moyen Age. Dans l'état actuel de nos recherches, il est impossible de pouvoir donner des tendances bien assurées. Il n'est d'ailleurs pas certain que plus de documentation puisse permettre davantage de précision dans le cadre de cette «géographie équine éclatée» que nous avons rencontrée. Force nous est de rester à un niveau de constat : présence, régionale, locale, diversifiée, du cheval. On peut encore multiplier les exemples, accumuler les chiffres : on restera sans doute sur ce constat, l'accumulation ne faisant pas forcément preuve. Quelques chevaux au fil des chartes attestent d'une présence dans tel secteur : ils sont la marque d'un échange, ou d'un élevage. Mais l'interprétation demeure bien délicate : les mêmes chiffres en effet peuvent être vus de façon optimiste, dans le cadre d'un constat de présence, ou de façon pessimiste, dans une vision, plus dynamique, de développement. On se satisfera ici du témoignage d'un élevage, là on en déplorera la faiblesse. Demeure donc, au delà du constat de présence, le problème du rôle historique du cheval dans la société médiévale. Comme Ph. Contamine l'a montré, il y a un véritable «temps des chevaux» dans la guerre médiévale. Si l'armée franque s'est montrée une armée de cavaliers, l'amélioration des techniques de guerre a continué de donner un rôle de premier plan au combattant monté, même si les archers, une infanterie réformée, une artillerie en essor ont eu de plus en plus d'importance, dans une guerre de siège en
particulier, comme le fut beaucoup la Guerre de Cent Ans. Le rôle historique du cheval dans la guerre a été largement prouvé et analysé ; pensons aux travaux de B.S. Bachrach, Ph. Contamine, J. Flori, J.F. Verbruggen et beaucoup d'autres. Cette évidente relation entre le cheval, la guerre et le combattant a impliqué, dès les débuts du féodalisme, le prestige de l'homme à cheval, puis l'affirmation croissante de la classe des milites. Ici encore, après les travaux de M. Bloch et de G. Duby, de nombreux historiens ont clairement analysé, au niveau de l'Occident médiéval, combien l'évolution de la société dépendait du rôle de ces chevaliers et de l'appréciation que le pouvoir royal en avait, de l'utilisation qu'il pouvait en faire. Le cheval, indispensable au chevalier, pièce maîtresse de l'équipement de celui-ci, participe de ce rôle social et, au delà de l'économique, devient l'emblème d'une classe. Le chevalsigne, que la littérature va tant contribuer à promouvoir, s'établit originellement dans cette dimension socio-économique. Dès lors, le cheval a un rôle fondamental dans la représentation politique, dans l'apparât symbolique d'une classe. Le seigneur et sa suite, montés sur des chevaux de qualité, sont l'image, particulièrement forte'aux yeux de ceux qui ne caracolent pas sur des destriers et des palefrois, du pouvoir politique et militaire. Lors des entrées royales qui se développent à la fin du Moyen Agel, les grandes «ordonnances» à cheval, pour paraphraser Froissart, sont aussi l'emblème de la puissance du roi, de son autorité sur ses bonnes villes. Les dépenses importantes en matière d'écurie, que peuvent révéler par exemple les comptes de la Maison de Bourgogne, à une époque où les grands du royaume veulent chacun imposer leur puissance aux yeux de tous, sont révélatrices que derrière le seul signe se profile, plus ou moins avec conscience, des realia à caractère éminemment politique. Du côté du cheval de travail, on l'a vu, il paraît finalement hasardeux de tirer des conclusions bien fermes. Certes, il est sans doute possible de parler de développement, en moyenne, de ( l'utilisation du cheval de trait à partir du XIIe siècle, ce qui correspond 1 - Voir M. Barroux, Les fêtes royales de Saint-Denis en mai 1389, Paris, 1936 ; B. Guenée, F. Lehoux, Les entrées royales françaises de 1328 à 1515, Paris, 1968 ; B. Ribémont, «L'entrée d'Isabeau de Bavière à Paris : une fête textuelle pour Froissart», F este und Feiern im Mittelalter, Thorbecke, Sigmaringen, 1991, pp. 515-25 ; F. Autrand, «Mémoire et cérémonial : la visite de l'empereur Charles IV à Paris en 1378», De la Chrétienté à l'Europe, (dir. B. Ribémont), à paraître, éd. Paradigme.
bien à des facteurs réels de progrès économiques et techniques. Dans certaines régions, surtout du Nord, le boeuf est remplacé par le cheval pour le labour ; sur les routes, dans les contrées où leur état est le moins mauvais, le cheval tire le char ou la charrette, bâté, il transporte diverses marchandises. Mais le boeuf demeure aussi en tous lieux, employé de la même façon. L'état des chemins dans un royaume en état endémique de guerre n'est jamais très bon et bien souvent le boeuf passe mieux. Quant à la charge lourde, rien ne dit qu'elle fut mieux transportée par des chevaux, même à la fin du Moyen Age, où de lourds charrois aux attelages bovins continuaient de sillonner le pays. Il est donc délicat en ce domaine de parler de «rôle historique» : on ne peut en effet, en cherchant des tendances, relier directement le cheval, comme facteur déterminant, à des progrès de l'agriculture. Là où l'utilisation du cheval se développe de manière précoce, comme en Picardie, il est possible de parler de facteurs de motivation d'un côté, mais surtout d'éléments révélateurs, liés à des conditions géomorphologiques en premier lieu : et ce n'est pas parce que le boeuf reste majoritaire en Lyonnais que la région est, de ce fait, pauvre ou économiquement retardataire. Il en va de même dans le domaine des techniques. Il ne semble pas qu'une relative banalisation du cheval ait pu engendrer un développement technologique en rapport. La première mécanisation est effectivement issue de l'agriculture2. Le développement des moulins, roues verticales et horizontales, les progrès techniques (utilisation de la came) sont liés essentiellement à l'eau et au vent. Les moulins «à sang» n'utilisent pas de façon prioritaire le cheval, et leur emploi, leurs perfectionnements ne paraissent pas directement liés à l'expansion d'un élevage et de marchés équins. On voit donc que ce qui paraît essentiel en dernier lieu, quant à un rôle historique du cheval médiéval, est le rapport qui unit le miles à sa monture. C'est d'ailleurs quasi exclusivement ce seul aspect que la littérature va retenir, mettre en valeur et contribuer à approfondir, à enraciner dans les mentalités.
2 - Voir en particulier, M.C. Arnouraui, G. Cornet, Hommes et techniques de l'Antiquité à la Renaissance, Paris, A. Colin, 1993.
IIème Partie L e
c h e v a l q u e l q u e s
«
é c r i t
»
:
r e g a r d s
à P. M.
INTRODUCTION
Il n'est qu'à parcourir quelques textes littéraires du Moyen Age pour se persuader que le cheval y occupe une place privilégiée, ce qui, ici encore, apparaît comme bien naturel dans un univers qui met en scène des personnages allant au combat, à la chasse ou au tournoi : pour l'action comme pour le divertissement, le cheval est une pièce essentielle, au moins implicitement, de l'économie de nos textes. Le cheval est un signe identificateur de l'appartenance sociale d'un personnage. Il est le compagnon privilégié du chevalier : la dénomination des chevaux (le Vcillantif de Roland, le Bucéphale du Roman d'Alexandre, le Baiart de Renaut de Montauban, le Malmatin du Roland à Saragosse, le Tachebrun de Ganelon, le Clinevent de Gaydon etc.1), si elle est moins systématique que celle des épées, révèle l'attachement du chevalier pour sa monture, même si parfois cette dernière est traitée avec désinvolture, comme c'est le cas des multiples chevaux de Lancelot dans le Chevalier de la charrete (mais ce ne sont que montures d'emprunt). Pour le poète aussi, il est le compagnon, comme le Grisel de Froissart qui est de tous les voyages du chroniqueur-poète. Signe identificateur aussi, roncin ou palefroi des romans, mais aussi parfois revendiqué, comme la «haquenee» de Guillaume de Machaut. La tradition encyclopédique, comme celle des Bestiaires, ont également fait place au cheval, décrivant des caractères, des propriétés, plus ou moins fantaisistes, que les poètes reprennent à leur compte. Allant parfois jusqu'à inclure dans le texte une dimension à caractère scientifique, jouant sur un vocabulaire spécialisé, pour mieux souligner l'autorité de leur parole : peut-être aussi, à leur insu, pour révéler que le cheval est le seul animal, après l'homme, dont la médecine s'occupe. Il ne faut donc pas s'étonner que le poète puisse avoir un regard particulier sur l'animal, sur sa race, sur son aspect extérieur, sur sa démarche. Nos chansons de geste sont pleines de ces chevaux 1 - Sur celte question voir, A. Kitze, «Das Ross in den altfranzösischen Artus-und AbenteuerRomanen», Ausgaben und Abhandlungen aus dem Gebiete der Romanischen Philologie, LXXV, Marburg, 1888.
«arabis» qui sont le symbole de la qualité extrême en matière équestre. Inutile de comptabiliser tous ces destriers et ces palefrois qui galopent ou vont l'amble dans les romans de chevalerie. Le cheval de prestige possède crinière fournie (il est «crenus») et sa couleur est souvent le reflet de l'âme et du caractère de son cavalier. Le cheval est donc un élément fondamental du texte littéraire : l'action d'un roman de chevalerie ne saurait certes se concevoir sans lui, mais il est aussi un enjeu, tout en étant un signe privilégié, voire le support même d'une action, souvent en rapport avec l'élaboration et la réexploitation d'un bestiaire animal plus ou moins fantastique : signe, symbole et actant, il agit selon un fonctionnalisme textuel polymorphe.
CHAPITRE 1 Le vocabulaire
Le vocabulaire traduit, dans la variété et l'étendue du champ lexical, l'importance des équidés et de leur fonction identificatrice, correspondant à la fois à un statut socio-économique et à une mise en situation : on ne monte pas indifféremment un «destrier», un «palefroi», un «corsier», un «chaceor», un cheval «auferrant», un «roncin», une «haquenée», selon que l'on est chevalier ou vilain, que l'on se rende au combat ou à la fête. Le foisonnement d'un tel vocabulaire autour du cheval est bien la preuve de la place fondamentale de celui-ci : d'une part, un assez grand nombre de termes désignant l'animal lui-même : «destrier, corsicr, palefroi, roncin, sommier, chaceor, troteor» etc. ; d'autre part des adjectifs précisant la qualité du cheval, des signifiants permettant de décrire ses comportements, son équipement, des mots précisant la couleur de la robe, prenant en compte, même de façon lointaine, la race, ou plus probablement l'origine, de l'animal, comme cet «auferrant» qui peuple nos chansons de geste. Comme l'a montré J. Frappier pour ces derniers textes, ce vocabulaire évolue dans la durée et s'enrichit petit à petit'. Il constitue un vaste ensemble correspondant, en toute logique, à la place occupée par le monde des équidés dans la société médiévale. Même si le cheval écrit n'a pas toujours, dans la description, la silhouette, la précision, l'importance qu'on attend parfois, même s'il paraît, au fil de certaines chansons de geste ou romans de chevalerie, traité avec un flou relatif, voire une certaine désinvolture, le témoignage du lexique, par la composition même de celui-ci, est signifiant.
1 - J. Frappier, «Les destriers et leurs épithètes», La technique littéraire des chansons de geste, Paris, Belles-lettres, 1959, pp. 85-102. Voir aussi F. Bangert, Die Tiere im altfranzosischen Epos, Marburg, 1885, pp. 8-122 ; J. Bichon, L'animal dans la littérature française au XIIe et au XIIIe siècle, Thèse, Paris IV, 1975. A. Kitze, Das Ross in den altfranzozischen Artus-und Abenteuer-romanen, Marburg, 1888.
1-1 D'equus à «cheval» Le vocabulaire «poétique» vernaculaire hérite d'une tradition latine «technique» qui a cultivé un lexique identificateur, constitué selon deux axes : le cheval en rapport au statut social et le cheval en rapport à sa fonction. Varron avait déjà formulé ce type de différence en distinguant diverses catégories : equi quod alii sunt ad rem militarem idonei, alii ad vecturam, alii ad admissuram, alii ad cursuram, non item sunt spectandi atque habendi2 (De re rustica, II, 7, 15). A. M. Bautier a bien étudié ce vocabulaire latin et nous reprendrons ici ses conclusions3. Le terme equus désigne le cheval en général, sauf lorsqu'il est en opposition avec summarius, roncinus ou palafredus auquel cas il a le même sens que cavallus ou caballus, désignant alors un cheval de guerre. Ce dernier terme apparaît au VIe siècle dans le sens de «cheval» de selle et il se substitue à equus dans certains textes. Il désignait originellement un cheval de trait ou un cheval hongre4 Souvent, les documents d'archives précisent qu'un don de cheval de guerre est fait en mentionnant un equus ou cavallus cum armis. En 1195, le seigneur de Beaujeu remet aux Templiers son equum (...) cum inselaturis suis et ensem et clipeum5. Dans un cartulaire de SaintVincent du Mans, on trouve un caballum cum omni instrumento equitis, exceptis ocreis, scilicet lancea, scuto, spata, freno, calcaribus6 ; à Saint-Victor de Marseille, un cavallum cum capistro (licol) et freno et sella et subtus sellias et esperos1.
2 - ( On peut distinguer et obtenir diverses catégories de chevaux : ceux qui sont fait pour l'art militaire, ceux destinés au trail, les étalons pour la reproduction, les chevaux pour les courses) 3 - A. M. Bautier, «Le vocabulaire du cheval en latin médiéval», Contribution à l'histoire du cheval au Moyen Age, op. cit., pp. 212-49. Nous résumerons seulement ici cette étude fondamentale et très détaillée et nous ne retiendrons que les éléments de ce travail pouvant être mis en relation avec la littérature poétique vernaculaire. 4 - Voir J. André, édition du livre XII des Etymologiae d'Isidore de Séville, Paris, Belles-Lettres, 1986, pp. 66-7, n. 62. J.André cite une glose très explicite en ce sens: cabonem equum castratum quae nos caballum dicimus. 5 - (son cheval avec son équipement, son épée et son bouclier) ; Cartulaire de l'église collégiale Notre-Dame de Beaujeu, éd. M.C. Guigue, Lyon, 1864, p. 51. 6 - (un cheval avec tout ce qui est nécessaire pour le monter, à savoir une lance, un écu, une épée, un frein, des éperons, à l'exception des jambières) ; Cartulaire de l'abbaye de SaintVincent du Mans, éd. R. Charles et S. Menjot d'Iîlbenne, Mamers, 1886, p. 607. 7 - Cartulaire de l'abbaye de Saint-Victor de Marseille, éd. B. Guerard, 1, Paris, 1857, p. 613.
On trouve également equus souvent précisé par un qualificatif qui donne alors la nature du cheval, palefroi ou sommier : equus palefredus8 ou equus summarius9. Pour désigner le cheval de combat, on rencontre l'expression equus ad arma , comme dans les actes de Morée, où elle revient fréquemment 10. L'equus major s'oppose à l'equus minor, généralement en fonction du statut du cavalier ; dans le testament de Béranger, évêque de Saint-Sever, on trouve un don à Pierre Bernard d'un equum majorem alors que l'écuyer Pontius reçoit ' un equum minorem 11. Les allures du cheval sont également caractérisées dans le vocabulaire latin ; l'equus currens se distingue de l'equus ambulans. Ce dernier terme désigne le cheval marchant au pas et l'expression renvoie en général à la démarche du cheval de parade monté par une femme ou un prélatl2; c'est ce qui donnera l'expression «aller l'amble» ou l' «ambleilre» de nos textes vernaculaires. Par extension l'equus ambulans peut désigner l'équivalent du palefroi et devient ainsi, non une expression marquant l'allure du cheval, mais sa catégorie ; le cartulaire de l'abbaye de Saint-Père de Chartres par exemple cite un tel cheval estimé 100 sous13. Pour le trot, le latin classique avait donné le tolutarius, cheval donc menant le trot. Dès le XIe siècle, on trouve troterius ou trotarius qui donneront «trotteur» : le cartulaire de SaintVictor de Marseille fait par exemple état d'un trotarius. La littérature vemaculaire utilisera plus particulièrement une précision de l'allure comme «aller le trotton», comme on le trouve par exemple dans le Roman de Renart, ou le verbe «trotier», comme ce voleur d'Aiol qui voyait le héros sur «un ronchi trotier»14. Notons ici le terme «hobin» qui désigne un cheval qui va l'amble, comme on le rencontre dans la 8 - Comme dans cet acte (1107-1123) réglant un différend entre le monastère de Marmoutier et un certain Gaufridus Grisegonella (Cartulaire de Marmoutier pour le Dunois, éd. E. Mabille, Châteaudun, 1874,n° 163, p. 154). 9 - Dans le Vocabulariwn de l'archevêque Alfric, écrit en anglo-saxon du Xe siècle, on trouve la mention sugmarius equus (A volume of vocabularies, éd. Th. Wright, dans A library of national Antiquities, Priv. printed, 1867, p. 23. 10 - Actes relatifs à la Morée, éd. Ch. Perrat et J. Longnon, Paris, 1967, (45, 84, 86, 114, 132, 203). 11 - Cartulaire d'Agde, éd. 0. Terrin, Nîmes, 1969, n° 88, p. 93 (année 1152). 12 - Le Tractatus de Albino et Rufino rend compte d'un pape utilisant un palefroi ambulans (cité par A.M. Bautier, «Contribution à l'étude du cheval au Moyen Age. Le vocabulaire du cheval en latin médiéval», Bulletin philologique et historique du comité des travaux historiques, Paris, 1978, p. 215). 13 - Cartulaire de l'abbaye de Saint-Père de Chartres, éd. B. Guérard, il, Paris, 1840, p. 510. 14 - Aiol, éd. J. Normand et G. Raynaud, Paris, SATF, 1877, v. 1826.
chronique de Mathieu d'Escouchy ou dans les mémoires de Philippe de Commynesl5. On peut rapprocher ce mot des termes suivants : hoppe qui désigne en norvégien une jument allant l'amble ; hobben en moyen haut allemand ou hobble signifiant tous deux «clocher, boiter»16. Notons que la question de l'allure du cheval est d'importance, car elle joue également un rôle d'identification. Le «vocabulaire»17 de l'iconographie révèle que la position du cheval, en fonction de son allure, est nettement relative à la situation du cavalier. Les miniaturistes ont utilisé de manière essentielle trois représentations d'allure. La première correspond au galop et elle est réservée au combat, au tournoi et donc au chevalier monté sur un destrier. La représentation la plus courante de ce galop est hautement symbolique, car elle ne correspond à aucune réalité : il s'agit du flying galopp qui montre un animal en extension complète. Cette représentation était déjà en vigueur dans l'Antiquité18 ; les images médiévales en proposent deux variantes, avec les antérieurs tendus ou pliés 19. La deuxième représentation est celle qui correspond au trot, un des deux bipèdes diagonaux relevé : cette allure est celle du destrier dont le cavalier est désarçonné - elle marque donc la défaite. Elle peut être aussi celle des palefrois des dames ou de la monture d'un clerc. Elle alterne dans ces deux derniers cas avec la troisième représentation qui est celle de l'amble, montrant les deux membres diagonaux relevés et pliés. Dans le vocabulaire latin, on trouve également la distinction entre l'étalon et le cheval hongre. Le latin classique avait fourni pour le premier le terme admissarius ou emissarius, que l'on retrouve dans la loi salique (38, 2) ou dans le capitulaire De villis (2, 12) où equus emissarius est mis en équivalence avec waranio. Ce dernier terme est une adaptation du germanique wranjo, que l'on retrouve en espagnol dans le vocable garanon. Le latin waranio est attesté au VIle siècle 15 - Voir Godefroid. 16 - Pour des recherches étymologiques plus poussées sur ce terme, voir J. Loth, «Les noms du cheval chez les Celtes en relation avec quelques problèmes archéologiques», Mémoires de l'Inst. nat. de France, Acad. Inscr. et B.L., 43, 1, 1933, p. 123. 17 - C'est à dessein que nous faisons figurer ici cette digression sur l'iconographie. Depuis les travaux de F. Garnier, la notion de vocabulaire iconographique prend un sens très fort. Voir F. Garnier, Le langage de l'image a u Moyen Age, signification et symbolique (t. 1), grammaire • des gestes (t. 2), Paris, le Léopard d'or, 1987 et 1989. 18 - Voir G. Azzaroli, An early history of horsemanship, Lcidcn, 1985. 19 - Pour deux exemples, voir Ch. Raynaud, «Le cavalier et sa monture. Conventions iconographiques et innovations dans le roman de Tristan en prose», Le cheval dans le monde médiéval, Senefiance, 32,1992, fig. 8 et 9.
par son emploi dans le testament de Bertrand, évêque du Mans, qui oppose warranio à spadus, étalon à hongre donc20. Le terme est rare dans les documents ; toutefois, il semble se maintenir assez longtemps, puisqu'on le retrouve encore au XIIIe siècle sous la plume de Pierre de Crescens, lorsque ce dernier, dans son traité d'économie rurale, l'Opus ruralium commodorum, indique qu'il faut utiliser des étalons pour couvrir les juments : sciandum etiam quod equus debet gigni a stellione quem gnaragnum vocamus vulgariter21. Il s'agit peut-être ici d'un italianisme, qui d'ailleurs a gêné le traducteur anonyme du XIVe siècle. Ce dernier en effet emprunte au début de la phrase suivante (diligenter custodito, parum vel nihil equitato) pour traduire : «...stalion que l'en appelle en commun langaige garagnum et en françois bien diligemment garder». On remarquera le mot «stalion» calqué sur le latin stello. Le terme, sous les formes variées stalo, stalonus, stalunus, apparaît, selon A.M. Bautier, au XIIe siècle, en Angleterre où la première occurrence est attestée en 113022. A.M. Bautier cite uniquement des textes anglais et Du Cange, à stalonus, renvoie au Monastico anglicano. Nous en avons donc ici une attestation en Italie au XIIIe siècle, démarquée par le français du XIVe. A l'equus général du latin, correspond le «cheval» de la langue vulgaire. Le terme désigne alors le plus souvent, lorsqu'aucune précision n'est donnée et lorsque le contexte est chevaleresque, le cheval de combat, le destrier. C'est souvent le cas dans les chroniques par exemple où il est surtout question de chevaux supportant les chevaliers lors de la guerre ou du tournoi. Les Chroniques de Froissart en sont un bon exemple ; révélateur, l'opposition entre «sommier» et «cheval» que le chroniqueur utilise parfois. Il cite par exemple, lors de la défaite des Brabançons à Ravenstein en 1398, une fuite où les sommiers sont abandonnés : «...laissoient leurs chars et leurs sommiers et leurs pourveances et montoient sur leurs chevaulx et se mettoient a sauveté»23. On retrouve souvent ce type de dualité dans la littérature chevaleresque ou la chanson de geste où «cheval» s'oppose à «roncin» ou «sommier». Dans le Batard de Bouillon par exemple, la fuite des Sarrasins vers Babylone est marquée par le vide du champ de 20 - Cité par A.M. Bautier, art. cit., p. 231. Le terme spadus se rencontre aussi dans la loi salique (38,3). 21 - (On sait aussi que le cheval est engendré de l'étalon, que nous appelons vulgairement gnagnarus). Edition bilingue de Paris, 1492/1521, fol. 94v. Voir annexe 1. 22 - A.M. Bautier, art. cit., pp. 231-2. 23 - Chroniques, t. 15, Ed. A. Mirot, Paris, SlIP, 1975, p. 93.
fuite des Sarrasins vers Babylone est marquée par le vide du champ de bataille où il n'y avait «ne cheval ne ronchin»24. Dans les romans de Chrétien de Troyes, comme l'a montré A. Eskénazi, sur 341 occurrences de «cheval», 267 désignent un destrier25, le terme «destrier» apparaissant 61 fois. L'exemple de Gerbert de Metz confirme cette tendance à ce que les linguistes appellent l'hyperonymie : on compte 223 occurrences de «cheval» s'appliquant à la monture du chevalier, alors que l'hyponyme «destrier» est mentionné 153 fois26. Dans la Prise d'Alexandrie, Guillaume de Machaut oppose clairement le «cheval» des seigneurs aux autres catégories de monture, destinées aux «gens» : Mais partout leur admenistrerent Chevaus assez qu'il chevauchierent, Qui estoient de paremens Pour les signeurs ; et pour leurs gens, Chameux, roncins et haguenees, Bien et richement ensellees. (vv. 6386-91) (De toutes parts, ils distribuèrent aux seigneurs beaucoup de chevaux équipés à leur mesure. Pour leurs gens, il y eut des chameaux, des roussins et des ha'quennées, eux-aussi bien équipés) 1-2 La «triade équine de base» Le lexique varié que nous évoquions précédemment se construit autour d'un noyau de base dans lequel nous retrouvons les traditionnels destrier, palefroi, roncin dont on mesure aisément l'omniprésence dans nos textes littéraires, omniprésence qui se justifie par la marque sociale d'identité que constitue la monture d'un personnage. C'est bien ce qu'exprime ce poème du XIVe siècle, Des diverses especes de chevaux : Trois manieres truis de chevaulx, qui sont Pour la jouste, les uns nommés destriers, Haulz et puissans, et qui trés grant force ont. Et les moiens sont appelés coursiers ; Ceuls vont plus tost pour guerre et sont légions. 24 - Ed. R.F. Cook, Paris/Genève. 1975, v. 5749. 25 - A. Eskénazi, «Cheval et destrier dans les romans de Chrétien de Troyes», Revue de linguistique romane, 53, 1989, pp. 397-433. 26 - A. Eskénazi, «Cheval et destrier dans Gerbert de Metz», Littérales, 10, Paris X Nanterre, 1992, pp. 115-36.
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Et les devrains sont roncins, et plus bas Chevaulx communs qui trop font de debas : Aux labours vont, c'est du gendre villain27. (On trouve trois catégories de chevaux : pour le combat, on les nomme des destriers ; ils sont de haute taille, forts et très puissants. La deuxième catégorie est celle des coursiers, faits pour la guerre : on en trouve en très grand nombre. Les derniers sont les roussins et, catégorie inférieure, les chevaux communs qui ne sont pas très bons : ils servent dans le travail des champs et conviennent aux paysans.) Dans une veine plus savante, Albert le Grand avait défini quatre sortes de chevaux, dans la tradition de Varron et des agronomes antiques : destrier, palefroi, coursier et roncin (De an., 1. 22). On a donc généralement une tripartition fondamentale qui correspond aussi à une répartition sociale. Sans que le mode relationnel soit biunivoque, on a toutefois une mise en parallèle avec les ordines. Au miles le destrier (l'« au ferrant», le «corsier»), à l'orator le palefroi (ou le roncin), au laborator le roncin ou le sommier. Le destrier - l'auferrant - le coursier Le terme vulgaire de «destrier» vient du dextrarius latin, désignant le cheval de guerre monté par des gens de qualité. L'étymologie en paraît évidente, désignant le cheval que l'écuyer tient de la main droite, ce que Jean de Garlande résume ainsi : Estque manu mannus, dextrae dextrarius aptus28. Toutefois, cette étymologie a pu être remise en cause par certains auteurs, comme L. White29, sans que leurs arguments paraissent bien solides. La conduite à main droite n'est d'ailleurs pas exclusivement réservée au destrier, comme en témoigne le passage suivant du Chevalier au Lyon : «Cele li porte et si li meinne/an destre un palefroi molt buen»30 ou le Tristan de Thomas 27 - Cité par B. Lizet, Le cheval dans la vie quotidienne, Berger-Lcvralllt, Paris, 1982, p. 40. 28 - Cité dans A. M. Bautier, d'après du Cange. 29 - Lynn White Jr., dans Technologie médiévale et transformations sociales, Mouton & Co, Paris/La Haye, 1969, p. 31, note 39, doute d'une relation entre le mot «destrier» et la tenue des rênes dans la main droite (par le cavalier ou par l'écuyer?), mais sans argument convaincant. Notons encore que l'étude des romans de Chrétien de Troyes ne confinne pas non plus une autre hypothèse, selon laquelle le destrier galoperait «à droite», c'est à dire que son membre antérieur droit se porterait plus en avant que son membre antérieur gauche. Voir lIannand, Revue de philologie française, 1939, pp. 1-28. 30 - Ed. M. Roques, vv. 2972-2973.
mentionnant dans une liste d'animaux pour la chasse des «palefreis en destre» (ler fragment de Strasbourg) 31. Alexandre Neckam, dans son De naturis rerum écrit aux alentours de 1180, distingue les chevaux nobiles des ignobiles. Il note alors, dans la premiere catégorie, la force du dextrarius : Parent igitur in variis officiis dominis suis equi tam nobiles quam ignobiles. Parcitur dextrario itineranti, ut ad laborem majorem reservetur32. Le terme apparaît dans les premières chansons de geste ; ainsi le Roland mentionne par exemple le «destrer» de Ganelon au vers 347 (Tachebrun) et celui de Roland, au vers 79233. On le trouve également dans le Pelerinage de Charlemagne (v. 8134), le Charroi de Nîmes l'associe à «auferrant», pris comme adjectif («auferranz destriers», v. 242) et il se multiplie dans tous les textes épiques et courtois. Citons le cas intéressant des registres de péage de la région de Château-du-Loir, au XIIe siècle, sous Geoffroy Plantagenêt, puis Henri II et ses fils. Comme il faut s'y attendre, le destrier est le plus valorisé : il vaut quatre fois un autre cheval. Ce qui paraît symptômatique dans ce cas est la désignation française du destrier, alors que les registres sont en latin, aussi bien pour la baronnie de Château-du-Loir que pour la châtellenie d'Oizé : on a equus, roncinus, mais «destriers», seul mot français de tout le registre35. Faut-il interpréter cette désignation comme une marque sociale, en relation avec la cour, où l'on parle français? Le cheval insigne du seigneur, du prince et du chevalier se distingue alors par son appellation de qualité, française. Il convient sans doute de regrouper avec le destrier ce cheval «auferrant» sur lequel est monté le héros épique, ce que justifie d'autant plus Garin le Loherain dont l'auteur note qu'«en destre meinent les auferrans de pris». «Auferrant» est d'ailleurs souvent utilisé comme épithète de «destrier», pour en souligner la valeur exceptionnelle ; on en trouve de multiples occurrences dans nos chansons de geste36. L'origine du mot est arabe, de al faras, le cheval. On le trouve 31 - Ed. B.H. Wind, v. 31. 32 - (On distingue, selon les emplois auxquels leurs maîtres les destinent, des chevaux nobles et des chevaux vulgaires. On réserve ceux que l'on conduit à droite pour la fonction la plus noble) ; Alexandre Neckam, De naturis rerum, éd. Th. Wright, Londres, 1863, p. 260. 33 - Ed. 1. Short, Paris, Lettres gothiques, 1990. 34 - Edition A. J. Cooper ou P. Aebischer. 35 - Cartulaire de Château-du-Loir, éd. E. Vallée, Le Mans, 1905, p. 57, p. 61. 36 - Quelques exemples : Charroi de Nîmes (éd. J.L. Perrier, v. 242, 552) ; Prise d'Orange ( éd. CI. Régnier, v. 92, 1831, 1844) ; Aliscans (éd. CI. Régnier, v. 1051, 1960, 2705); Siège de
en latin sous la forme alfaraz, alfaraces, attestée dès la fin du IXe siècle, dans une lettre du pape Jean VIII, qui désigne par alfaraces des chevaux maures37 ; on trouve aussi le terme chez Gerbert d'Aurillac, dans son traité sur l'astrolabe38. Le mot français «auferrant» ou «alferrant» vient peut-être d'une contamination du latin par l'adjectif «ferrant» qui désigne une robe de couleur grise. Dans la littérature en langue vulgaire, l'«auferrant» est un hyponyme quasiment réservé à la chanson de geste. S'il apparaît encore avec peu d'occurrences dans les chansons les plus anciennes, il est beaucoup plus fréquent dans les textes épiques de la fin du XIIe siècle et de la première moitié du XIIIe, pour se faire plus rare, voire inexistant, dans les chansons tardives. En tant qu'adjectif, «auferrant», «alferant» qui valorise la monture comme fougueuse, rapide, est également très employé dans la chanson de geste39. La fréquence de ces termes, substantifs ou adjectifs, est à mettre au rang du «linotype épique», selon l'expression de M. Delbouille, qui fait que s'établit un réseau de termes, d'expressions se répétant de chanson en chanson, pivot essentiel de la technique des jongleurs40. Le signifiant «auferrant» et ses dérivés sont d'ailleurs rarissimes dans le roman courtois41. On trouve quelques occurrences dans le roman antique, comme dans le Roman de Thèbes où apparaît une occurrence de l'hyponyme (éd. G. Raynaud de Lage, v. 3488), ou bien dans le Roman de Troie avec 4 emplois, toujours comme substantif42.
Barbaslre (éd. J.L. Perrier, v. 2031, 2257 , 2272, 2933 , 3045); Enfances Renier (éd. C. Cremonesi, v. 619, 3816) etc. 37 - A.M. Bautier, art. cil., p. 227 et n. 147. L'auteur cite également l'emploi de l'adjectif farius, directement issu de l'arabe (equus farius), terme qui se trouve chez Raimond d'Aguilers dans son histoire de la croisade (n. 149). 38 - De aslrolabio, éd. N. Bubnov, dans Gerberli opera mathemalica, Berlin, 1899, p. 123. (alferaz id est caballum). 39 - Voici quelques chiffres donnés par J. Frappier, art. cil., p. 91 : Chanson de Guillaume, 2 ; Le Pèlerinage de Charlemagne, 1 ; Le couronnement de Louis, 1 ; Le charroi de Nîmes, 3 ; La prise d'Orange, 3 ; Moniage Guillaume, 1 ; Aliscans, 7 ; Enfances Guillaume, 5 ; Aymeri de Narbonne, 3 ; Raoul de Cambrai, 5. 40 - Voir par exemple R. Lejeune, «Technique formulaire et chansons de geste», Le Moyen Age, 1954, pp. 311-34; J. Rychner, La chanson de geste. Essai sur l'art épique des jongleurs, Genève/Lille, 1955. 41 - Sur une trentaine de romans consultés, nous avons trouvé le terme «auferrant» dans seulement trois textes, toujours comme substantif : Blancandin et l'orgueilleuse d'amour (éd. F.P. Sweetser, v. 5716, 6304, «auferrans gemus»), Le roman de la violette (éd. D. Labaree Buffum, v. 5951), Richards li biaus, (éd. A.J. Holden, v. 2685, 5143). 42-Ed. L. Consens. Paris, SATF, 1904, v. 10082, 11621, 19237,21149.
On ne saurait terminer ce paragraphe sur la monture du chevalier combattant sans dire un mot sur le terme «corsier» qui, comme «auferrant» apparaît dans les chansons de geste comme adjectif et comme substantif, surtout dans l'expression «linotypique» «auferrant corsier»43. Dans les quatre catégories de chevaux qu'Albert le Grand propose, il y a les curriles equi, à côté du palefroi, du destrier et du roncin. Il n'y a pas ici de substantif, mais «courant» qualifie bien une catégorie et non une qualité. Le cheval de course, le coursier, est en général désigné en latin par une périphrase. On trouve un equus currens dans un capitulaire de 79044. A partir du XIIe siècle, on trouve equus cursor, comme chez Giraud de Cambrai, et equus cursorius. Mais c'est surtout la langue vernaculaire qui va utiliser le terme de «coursier» en forgeant un substantif désignant un cheval rapide, complément indispensable de l'équipement du chevalier, comme l'a noté Ph. Contamine45. La vitesse d'un cheval est en effet une qualité fort importante et de nombreux textes qualifient les bonnes montures d'«isnel». On connaît l'anecdote rapportée par un poème anonyme, que J. Quicherat reproduit à la suite de son édition des procès de Jeanne d'Arc : la Pucelle demande en 1429 pour monture à Chinon un coursier qui avait été donné par Pierre de Beauvau à l'un des frères de Charles VII en 1417 ; ce cheval avait encore une vitesse remarquable (Est equus hic tecum, velocior unus in istis...)46. C'est donc surtout l'hyponyme «corsier» qui, dans les textes littéraires, dans la chanson de geste tout particulièrement où il est si fréquent -associé à «auferrant», a le poids le plus fort ; le coursier, qui correspond à l'equus cursor, est bien un cheval à part entière ; c'est alors «auferrant» qui, adjectif, vient souligner la qualité de l'animal. Dans la chanson tardive d'ailleurs, le terme se sépare de «auferrant», pouvant être distingué de ce dernier dans une liste de chevaux ; ainsi dans Brun de la montaigne, chanson tardive du XIVe siècle, trouve-ton en don «.IV. coursiers avec ton auferrant» (v. 2635). Si l'expression «auferrant coursier» apparaît dans cette chanson (v. 3469), le coursier
43 - Quelques occurrences typiques: Charroi de Nîmes (v. 552) ; Aliscans (v. 1051, 1960, 2705) ; Siège de Barbastre (v. 2272, 3045) ; Aymeri de Narbonne (v. 3742)... 44 - Cité par A.M. Bautier, art. cit., p. 215. 45 - Voir plus haut, chapitre le cheval dans l'échange. 46 - J. Quicherat, Procès ..., V, p. 38.
e s t s o u v e n t e m p l o y é c o m m e s e u l h y p o n y m e (v. 2 5 8 0 , 3 4 0 6 , 3 0 7 0 ... Dans Elie de Saint-Gilles, «corsier» apparaît m ê m e explicitement c o m m e s y n o n y m e d e d e s t r i e r , d a n s u n e s c è n e o ù u n v o l e u r c a l m e le cheval à coups de bâton : Prist un baston d'une ausne, si repaire au corsier, Par les costes c'ot gros .xl. cos l'en fiert, Tout le fait coi ester, ne se meut li destriers48. (// prit un gros bâton d'une aune de long, se dirigea vers le coursier et le frappa de quarante coups ; il le fit tenir tranquille, le destrier ne bougea plus.) Les d o c u m e n t s d'archives confirment d'ailleurs ce sens du mot, e m p l o y é aussi à la fin d u M o y e n A g e : u n extrait des c o m p t e s r o y a u x d u d é b u t d u X V e siècle49 m e n t i o n n e u n a c h a t d e c i n q c o u r s i e r s p o u r 5 5 0 0 l i v r e s , u n c o u r s i e r p o u r 4 0 0 1., u n a u t r e p o u r 6 0 0 , u n p o u r 8 0 0 , p r i x q u i m o n t r e n t l a q u a l i t é d e c e t y p e d e c h e v a l : le 7 m a i 1 4 2 0 , l a m a i s o n royale a c h è t e u n c o u r s i e r au s e i g n e u r d e Prie, p o u r R i c h a r d d e B r e t a g n e , p o u r l a s o m m e e x o r b i t a n t e d e 2 5 0 0 I.t.! 50. Le palefroi L e m o t latin initial est v e r e d u s , q u i d é s i g n e u n c h e v a l d e v o y a g e . I s i d o r e d e S é v i l l e t r a n s m e t l a c o n n a i s s a n c e d e c e m o t ; il n o t e e n e f f e t d a n s s e s E t y m o l o g i a e q u e l e s A n c i e n s n o m m a i e n t a i n s i le c h e v a l d e poste : veredos antiqui d i x e r u n t q u o d veherent redas, id est ducerent, vel q u o d vias p u b l i c a s c u r r a n t , p e r q u a s et r e d a ire s o l i t u m e r a t ( X I I , 1, 55)51. L e t e n n e s ' e s t c o n t a m i n é d ' u n p r é f i x e grec52. P a l a f r i d u s apparaît à l'époque carolingienne dans de n o m b r e u x actes p o u r désigner le cheval à réquisitionner, c o m m e nous l'avons déjà rencontré p l u s haut. C'est à c o m p t e r de la fin du Xe siècle qu'il p r e n d l'acception
47 - Ed. P. Meyer, Paris, SATF, 1875. 48 - Ed. W. Foerster, Heilbronn, 1876, vv. 2034-36. 49 - Extraits des comptes royaux, dans Chroniques de Charles VII, éd. Vallet de Viriville, ID, Paris, Janet, 1858, p. 301. 50 - Ibid., p. 304. 51 - «Les Anciens nommaient les veredi (chevaux de poste) de ce qu'ils menaient les voitures (veherent redas), c'est-à-dire les tiraient ou parce qu'ils parcouraient les voies (viae) publiques, que suivaient généralement aussi les voitures (redae)» (trad. J. André). 52 - D'après Bloch et Wartburg, il s'agirait du terme grec parippos. On trouve le mot latin dans les règlements de poste de la fin du IVe siècle.
de cheval de voyage. Ensuite, le terme va évoluer vers la forme palafreus, palefridus, palafridus, pour désigner le palefroi. Alexandre Neckam le cite dans cette perspective, en proposant une étymologie, qui ne semble pas venir d'Isidore de Séville : palafridus, sic dictus quasi passu leni fraenum ducens, decenti gaudet ornatu phalerarum (op. cit., p. 158). Le tenne vernaculaire apparaît dans les premières chansons de geste ; dans le Roland, le poète distingue bien le palefroi du destrier. Au moment du combat, on laisse les chevaux de voyage et les mules pour enfourcher les chevaux de bataille : «Laissent les muls e tuz les palefreiz/Es destrers muntent, si chevalchent estreiz» (vv. 1000-1001). Dans la littérature, le palefroi est par excellence le cheval de la femme ou du clerc et il est de moindre prix que le destrier ; un statut de Cîteaux précise cette différence de valeur en notant que pour un cheval de combat il faut fournir un palefroi et une mule53. De nombreux documents ecclésiatiques font mention du palefroi comme cheval d'un évêque ou d'un prélat ; dans une lettre d'Innocent IV datée du 15 mai 1247, on apprend par exemple que l'évêque d'Ancône s'est fait voler son palafredus en se rendant au concile de Lyon54. Le pape réclame en général pour ses envoyés des palefrois ainsi que des roncins ou des sommiers55. Le roncin Le mot latin, diminutif de rocus, terme rare, vient de «ross», d'origine germanique. On le trouve sous les variantes runcinus, roncinus, ronchinus, rocinus, roicinus, ronzinus. Le roncin était en quelque sorte un cheval «à tout faire», comme le note A. M. Bautier. Le terme roncinus apparaît en France dès le début du XIIe siècle, comme en témoignent un des actes de Cluny et de l'abbaye de Silvanès56. Le roncin désigne généralement un cheval de selle de médiocre qualité, comparé à un cheval de combat, c'est-à-dire surtout un 53 - J. M. Canivez, Statuta capitulorum generalium ordinis Cisterciensis, Louvain, 1933, t. I, p. 249. 54 epist. saec. XIII, 2,269, 10. 55 - Les exemples sont innombrables. Citons pour mémoire une lettre de Grégoire IX, le 22 avril 1233 : Semigalliensis episcopus a d partes Livonie legatus a sede apostolica milleretur, et per civitatem Coloniensem transitum faciens p r o duobus diebus procurationem tredecim marcarum recepisset ibidem, postmodum p e r quendam clericum suum eis p r o sua voluntate mandavil, ut in bono sibi palafrido et somario providentis...(M G . H E p i s t saec. XIII, 4 2 0 - 2 1 ) .
56 - Voir A. M. Bautier, art. cil., p. 222, n. 98.
cheval lourd et peu rapide, mais qui possède d'indéniables atouts de robustesse, qui en font aussi un animal indispensable des campagnes militaires. Il ne faut d'ailleurs pas être trop affirmatif sur le caractère déprécié de ce cheval. Ainsi, dans le Sud-Ouest, les termes «rocii», «arocii», «rossin», «arossin» peuvent désigner des chevaux de combat : les rôles de l'armée de Gaston Fébus, en date de 1376 désignent par «rocii» les montures de la cavalerie du vicomte et ils valaient entre 30 et 50 florins, pouvant même atteindre la somme de 100 florins57. R.H.C. Davis note à son tour que le terme, à partir du XIIIe siècle, ne désigne pas forcément un cheval agricole, mais la monture d'un cavalier ordinaire58. Etre monté sur un roncin a malgré tout, le plus souvent, un caractère dépréciatif ; c'est ainsi par exemple que le nain d'Erec et Enide est monté sur «un grant roncin»59. Nous ajouterons à cette partie le cas du sommier, qui est un cheval apparaissant fréquemment dans nos textes, souvent en parallèle avec le roncin. Ce qui le distingue de celui-ci est qu'en général il n'est pas monté. Le sommier Comme on le notait à propos du roncin, la distinction entre les deux chevaux est parfois difficile, surtout dans les cartulaires. Dans la littérature vernaculaire, le sommier désigne en général le cheval de bât ; il est rare qu'il soit monté par un cavalier. La forme classique latine du cheval de charge est sagmarius qui apparaît dans les textes carolingiens. Le mot se présente sous des formes dégradées telles saumarius, somarius, sommerius, summarius60. On trouve souvent une précision du type equus summarius, le terme summarius demeurant ambigu et pouvant désigner une mule. Dans les textes vernaculaires, le transport des charges est d'ailleurs très souvent le fait de mules. Lorsque Ganelon s'adresse au roi païen Marsile, il veut lui montrer le sort indigne qui l'attend s'il n'écoute pas son conseil. Il sera vaincu par Charles et honni ; c'est l'occasion de passer en revue les chevaux selon leur qualité : «Vus n'i avrez palefreid ne destrer,/Ne 57 - Voir M. Houbbaida, L'élevage dans le sud-ouest de la France du douzième au quinzième siècle, Thèse de 3° cycle, Université de Bordeaux m, 1987, p. 216. 58 - The medieval warhorse, London, 1989, p. 137, rubrique runcirtus. 59 - Ed. M. Roques, v. 145. 60 - Voir A. M. Bautier, art. cit., p. 223, n. 111-116.
mul ne mule que puissez chevalcher/Getet serez sur un malvais sumer.» (vv. 479-81). L'étude plus particulière de la place du cheval dans les textes littéraires nous conduira à retrouver fréquemment cette «triade», souvent précisée en fonction du contexte, par un certain nombre d'adjuvants. Il est toujours nécessaire toutefois de conserver en tête le rôle fondateur de ce vocabulaire originel qui, à lui seul, constitue très souvent un raccourci sémantique. Il n'exclut pas cependant la présence textuelle d'autres éléments, à mettre sur le compte d'un parcours littéraire cheminant entre des realia et une fiction qui s'alimente dans la dynamique multiforme d'un réel écrit et d'un imaginaire à la fois traditionnel et novateur. 1-3 Des autres chevaux Il convient, après ce rapide tour d'horizon concernant notre «triade équine de base», de faire une place à quelques termes, sans doute moins fondamentaux dans l'ensemble de la littérature du Moyen Age, servant à désigner le cheval dans des emplois spécialisés ou des contextes très précis, réalistes, poétiques ou symboliques. C'est ainsi que nos textes font également place à des poulains, des juments («igues»), des «chaceors», des «haquenecs»... La jument En latin, c'est equa ou jumentum qui désigne la femelle du cheval. Ce dernier terme renvoie en général en France à une bête de somme, qualifiée parfois de honifera, comme à Orléans au début du XIIe siècle61. A.M. Bautier cite le cas d'une charge quem jumentum sive roncinus fert in dorso62. Comme nous l'avons vu plus haut, la jument est dépréciée en valeur marchande par rapport au mâle, coûtant au moins deux fois moins que ce dernier. Cela tient surtout au fait que la jument apparaît avant tout comme bête de somme, ce dont rend compte, en vernaculaire, une association de type «ronci igue». La jument peut être ainsi la monture d'un clerc ou d'un marchand, d'un individu de rang social considéré comme inférieur, au même titre que le 61 - Cartulaire de l'abbaye de Sainte-Croix, éd. J. Thillier et E. Jarry, Paris, 1906, p. 98. 62 - Art.cit., p. 233.
roncin. Dans le Ci nous dit, par exemple, un Samaritain secourable porte un lépreux sur le «col de son jument»63. Dans le Charroi de Nîmes, lorsque Guillaume se déguise en marchand, il monte «une jument molt foible»64. Le latin equa a donné en ancien français «ive», «igue». Son caractère déprécié, associé à «roncin» apparaît nettement dans le Perceval de Chrétien ; la mauvaise pucelle se moque de Gauvain et de son roncin qu'elle voudrait, pour augmenter la honte du neveu ' d'Arthur, être une «ive» : Car fust ore li ronchis ive Que l'escuier tolu avez ! Ge le volroie, ce savez, Por che que plus i ariez honte (vv. 6908-6911) Dans la chanson de geste, la jument est en général attribuée aux adversaires des Francs, Sarrasins, Lombards ou Allemands ; même si elle possède quelque qualité, de rapidité par exemple, son rôle dégradant dans le portrait de l'ennemi est tout à fait clair. Ainsi, dans Aymeri de Narbonne, les Allemands, qui «vestu estoient comme gent mal senee», sont montés sur «ive a qeue recopee»65. Pire encore, la jument peut être brehaigne, comme celle de Savari qui s'en va combattre Aymeri de Losengne sur une «grant ive brehangne» (v. 1777). Dans Aliscans, le roi Margot de Bocidant, dont il est dit qu'il n'y «ot si felon deci qu'en Orient», possède une jument, à laquelle il tient particulièrement, au point de ne vouloir pas se séparer pour une forte somme de cet animal rapide et bien équipé : N'ot pas destrier, ainz chevauche jument ; Ne la donast por .M. livres d'argent, Et l'un et l'autre sont noir com arrement. Plus tost cort l'ive ne vole oisel volant Toute ert coverte d'un poile d'Oriant, Blanc comme noif, tranchié menüement ; (vv. 5925-30) (Il n'avait pas de destrier, mais chevauchait une jument. Il ne l'aurait pas donnée pour mille livres d'argent : le cavalier comme sa monture étaient noirs comme de l'encre. La jument court plus vite que n'oiseau vole. Elle est couverte d'un riche tissu d'Orient, blanc comme neige, finement tissé) 63 - Ed. G. Blangez, I, Paris, SATF, 1979, p. 112, 17. 64 - Ed. J.L. Perrier, v. 1042. 65 - Ed. L. Demaison, Paris, SATF, 1887, v. 1631.
On voit sur cet exemple que la monture du sarrasin est noire, ce qui correspond à une symbolique négative évidente. La jument noire signifie d'ailleurs, selon une croyance médiévale, une punition de péché qui associe donc la jument au diable. Une femme ayant couché avec un clerc pouvait ainsi être transformée en jument noire et vouée au diable66. Sans posséder systématiquement une valeur péjorative, la jument est aussi la marque d'une situation difficile pour un chevalier. Lorsque, dans le Roman de la violette, Girard de Nevers arrive au château dévasté pour demander asile, il rencontre «deus hommes sor deus iues» (v. 1530), qui sont l'emblème de la pauvreté qui règne dans ce château où l'on donnera foin et non avoine ni orge au cheval du héros (vv. 1560-1) et où les chevaliers portent armes rouillées67. Cet aspect déprécié de la jument, on le retrouve dans certains textes relatant d'une réalité sociale. Ainsi par exemple, Geoffroy de Vendôme, dans une lettre à l'évêque Renaud au début du XIIe siècle, s'excuse de venir le voir à dos de jument : Votre bonté aura appris, père excellent, que le serviteur de vos serviteurs est venu à Angers sur une jument. Et il n'a pas eu honte de venir à Angers sur une jument, lui qui sait que son Sauveur, qui est le Sauveur de tous, est venu à Jérusalem sur une ânesse68. Enfin, la jument, par nature, engendre des poulains ; toutefois l'apparition d'une scène de naissance est rarissime. En fait, il faut qu'elle corresponde à l'histoire d'un cheval prestigieux que l'auteur veut retracer. Tel est le cas du cheval de Capaneüs dans le Roman de Thèbes : Quant vint al terme qu'il dut nestre, lez unne roche, sor senestre se toma l'yve a quelque paine ; de lez la roche en mi l'araine sor l'erbe fresche et sor le fain se delivra de cel poulain. La chetive forment crioit car ele ert en mout grant destroit69. 66 67 68 69
- Voir G. Paris, HLF, 28, p. 191. - Ed. D. Labaree Buffum, Paris, SATF, 1928. - Texte latin dans P.L. 157, traduction de Mffie Giordanengo, à paraître. - Ed. G. Raynaud de Lage, Paris, Champion, CFMA, 1968, vv. 8973-80.
(Quand arriva son terme, la jument, avec peine, s'en alla vers un rocher, sur la gauche. Près de la roche sise sur du sable, elle délivra son poulain sur un tas d'herbe fraîche mêlée de foin. La pauvre souvent hennissait à cause de sa douleur) Le poulain Les deux termes principaux qui servent à désigner le poulain en latin médiéval sont pullus et poledrus. Ceci prête bien entendu à confusion et c'est pourquoi, on rencontre souvent des précisons, comme pullus equi, pullus equinus, pullus caballinus. Le testament de l'évêque Raimond d'Agde par exemple mentionne le don de duos pullos equinos70. Des diminutifs de ces termes se rencontrent aussi fréquemment dans les documents d'archives : pullinus, pullinus cavallinus, polinus, pultrellus, pultrinus qui donnera le «poutrain» de l'ancien français. Il est difficile de savoir ce que le terme recouvre exactement ; le plus souvent, il s'agit d'un jeune cheval âgé de un à trois ans. Mais le Cartulaire de la commanderie de Richerenches fait mention au milieu du XIIe siècle d'un equus qui tunc pullus vocabatur71. Dans le Roman de Renart, le poulain apparaît aussi comme une monture de prêtre de modeste condition. On peut se demander si le tenne ne désigne pas alors dans ce cas plutôt un petit cheval ou un cheval de basse condition. Dans un écrit moral comme le Roman de Carité, le Renclus de Molliens, note que si les anciens (et vertueux) moines se contentaient d'un âne, les nouveaux ont dans leur pâture «cras polain»72. La jeunesse du poulain peut être le symbole de celle de son cavalier ; dans ce cas, la possession d'une telle monture n'a rien de dévalorisant. Dans Jourdain de Blaye, le jeune Guincmant, qualifié de «donzel», chevauche un «poutrel»73. Quant à Eracle, qui possède la science des chevaux, on sait qu'il achète fort cher un poulain pour l'empereur. Ce dernier est vexé en voyant le choix de son protégé et considère qu'il a été roulé ; Eracle doit faire la preuve que son poulain est le plus rapide et qu'il n'est pas enchanté. Pour prouver sa bonne foi, le jeune Eracle doit faire courir le poulain contre trois destriers, en dépit de l'avertissement qu'il fournit : l'animal, trop jeune, ne résistera pas. Le poulain en effet est abattu, et l'on s'aperçoit que ses os se sont 70 71 72 73
- Cartulaire du chapitre d'Agde, éd. 0. Terrin, op. cit., p. 237. - Ed. Marquis de Ripert-Monclar, Avignon/Paris, 1907, p. 11. - Li romanz de Carité, éd. A.G. Van lIarnel, Paris, 1885, 147. - Ed. P. F. Dembowski, Paris, CFMA, 1991,1. 65, p. 54.
vidés de leur substance. Cet épisode célèbre imaginé par Gautier d'Arras porte peut-être, de façon certes lointaine, témoignage de la difficulté que rencontrait un acheteur pour acquérir un jeune cheval ; on préférait sans doute juger d'un cheval accompli : l'empereur, voyant le poulain choisi par Eracle, le qualifie a priori de roncin74. La mort du poulain, si elle obéit à une logique naturelle, liée à la jeunesse de l'animal, révèle aussi en creux une vision médicale générale appliquée ici à l'animal, preuve, certes très fluide et voilée, d'une lointaine réflexion de médecine vétérinaire. Sous l'effort surdimensionné en effet, le poulain perd sa moelle, selon un système de compensation, de «vases communicants», lié à une conception anatomique et morphologique en rapport avec la théorie des humeurs qui, on le verra, se retrouve, au moins en filigrane, dans les traités hippiatriques du Moyen Age. On a des exemples analogues sur le corps humain : le Placides et Timeo rend compte de la communication entre le sang, les larmes, le sperme. Albert le Grand cite le cas d'un moine lubrique, qui, ayant trop usé de ses forces dans le péché de chair, fut retrouvé mort et les yeux vidés. Le «chaceor» Comme son nom l'indique, il s'agit d'un cheval de chasse, monture qui doit être capable de parcourir de longues distances hors des chemins. Le terme est attesté dès la fin du XIe siècle dans les Lois de Guillaume le Conquérant. Il ne semble pas avoir d'équivalent latin à proprement parler. Citons toutefois des notes marginales d'un manuscrit du de nominibus utensilium d'Alexandre Neckam où les deux termes gradarii et succursorii sont traduits par «chacurs» et «chazurs»75. Nous n'avons pas trouvé ce terme dans des documents d'archives ; citons toutefois un compte de la maison de Bourgogne qui fait état de l'achat de six chevaux «pour aler a la chasse et courre au boys»76, preuve que l'on faisait, dans la réalité, une distinction pour les chevaux destinés à la chasse. Se pose d'ailleurs la question de sa-, voir ce qui permettait de faire la distinction : s'agissait-il d'un destrier 74 - Eracle, éd. G. Raynaud de Lage, Paris, CFMA, 1976, v. 1522. L'épisode de la connaissance du cheval occupe les vers 1245-1892. 75 - Ms. Cotton. Titus D xx, ed. Th. Wright, dans A volume of vocabularies, Privately printed 1857, p. 104. 76 - Recueil général des comptes de la Maison de Bourgogne entre 1416 et 1420, éd. M. Mollat, Paris, 1968, n° 2208.
de plus petite taille, dressé différemment, donc plus doux? Les textes malheureusement ne donnent aucune indication ; les traités de chasse sont très décevants à ce propos, car ils ne s'occupent guère des chevaux. On peut alors se tourner vers l'iconographie ; souvent en effet, le destrier est clairement présenté comme un étalon, la tapisserie de Bayeux par exemple offrant même un exemple significatif avec un dessin précis de la physiologie sexuelle de l'animal. Il y a dans de nombreux manuscrits une image assez stéréotypée qui représente le chevalier en scène de chasse : sans armure ni protection quelconque, il est monté à cheval et tient un oiseau sur son poing. Sur une trentaine de miniatures vues, sur des manuscrits allant du XIIIe au XVe siècle, jamais le sexe du cheval n'apparaît. Si par contre on se tourne vers les livres de chasse et de fauconnerie, la tendance ne se confirme pas77 : sur quarante-huit miniatures de manuscrits allant du XIe au XVe siècle, vingt-neuf montrent un cheval clairement sexué. Des étalons apparaissent en particulier dans le plus ancien manuscrit du Livres du roy Modus et de la reine Ratio (BN. fr. 12399), comme dans celui du livre de chasse de Gaston Fébus (BN. fr. 616). Dans le manuscrit de la Vaticane (Pal. lat. 1070) qui contient le De arte venandi de Frédéric II, aucun sexe de cheval n'est représenté, alors que dans la traduction française du BN fr. 12400, dont l'enlumineur copie les miniatures du Pal. lat. 1070, le sexe des chevaux est rajouté. Il paraît donc bien difficile de faire des hypothèses sur le fait que le «chaceor» serait une jument ou un cheval hongre, comme la lecture des miniatures de manuscrits contenant des textes non spécialisés pourrait le faire penser. Le «chaceor», dans la littérature, apparaît en général, ce qui est bien naturel, dans le contexte de la chasse, servant à souligner le cadre de la scène, comme dans la branche XIII du Roman de Renart, branche où la chasse occupe une part importante du récit, Renart étant la proie des chasseurs. Ce cheval paraît être attribué de façon privilégiée au «veneor», que les textes distinguent souvent des chevaliers, eux montés sur leur destrier. Le «chaceor» fait donc partie du vocabulaire descriptif de la scène de chasse, dans un contexte qui, s'il montre bien le caractère noble des protagonistes, s'il est aussi éventuellement le point de départ d'une quête vers le merveilleux, laisse souvent place pour une écriture à caractère réaliste. Didon dans l'Eneas commande le départ pour la chasse : 77 - Nous tenons ici à remercier B. Van den Abecle pour la documentation qu'il a eu la courtoisie de nous fournir.
Elle a mandé ses veneors, enseler fait ses chaceors prennent lor ars, corz et levriers chiens et viautres et liemiers (éd. J.J. Salverda de Grave, vv. 1457-60) (Elle a fait appeler ses chasseurs, fait équiper ses chevaux de chasse. Les chasseurs prennent leur arc, leur trompe et leurs lévriers, tous leurs chiens, vautres et limiers) A i n s i l ' a u t e u r d u G u i d e W a r e w i c s e p l a î t - i l lui a u s s i à d o n n e r d e s détails s u r le d é p a r t de s o n h é r o s p o u r la c h a s s e : En un grant forest entrerent, Un fier sengler i troverent, Lur chiens tuz i descolperent. Li sengler s'en va tost fuiant, Des chiens i fait damage grant, Plus de cent en a ocis, Tost ad trespassé le pais ; Venurs le siwent, qui sages sunt. Huent et crient e grant noise funt. Le sengler s'en va, qui grant esteit, Venur ne chen dunc ne cremeit, La terre trespasse e les contrees E les granz munz e les valees ; Recrurent destrer et chasçur, Remistrent chevaler et venur78 (Ils entrèrent dans une vaste forêt où ils avisèrent un sanglier puissant. Alors ils lâchèrent leurs chiens. Le sanglier s'est enfui aussitôt et, résistant, il a fait un véritable carnage parmi les chiens : il en tua plus de cent. Il eut vite fait de dépasser la zone de chasse. Les rabatteurs l'ont suivi, faisant bien leur travail ; ils mènent grand tapage. Le sanglier, si fort, continue s a course, sans crainte ni des chasseurs, ni des chiens. Il traverse de grandes étendues, et des monts et des vallées. Les destriers et les chevaux de chasse se fatiguent, les chevaliers et les rabatteurs doivent s'arrêter) C e c h e v a l doit être c a p a b l e d e p o u r s u i v r e les a n i m a u x s a u v a g e s , p r é c é d é p a r f o i s d ' u n e m e u t e d e c h i e n s , c o m m e le d é c r i v e n t l e s p r e m i e r s v e r s d ' E r e c et E n i d e (vv. 120-4), et c'est s u r sa c r o u p e q u e les c h a s s e u r s s o n t parfois a m e n é s à r a p p o r t e r le g i b i e r tué, c o m m e o n le voit dans les vers suivants : Cil venoit le hiaume lacié et a sa venison trossee, 78 - Ed. A. Ewert, Paris, CFMA, 1933, H, w. 6817-32.
tel con Dex li avoit donee, sor un grant chaceor ferrant. Erec et Enide (vv. 2018-21) (Celui-ci arriva le haume encore fermé ; il portait sur un grand cheval de chasseferrant le résultat de la chasse que Dieu lui avait offert) Dans le Bel inconnu, l'auteur décrit un «veneor» monté sur un «roncin chaceor». Le doublet «roncin»/«chaceor» est là pour dévaloriser la qualité de l'animal. L'auteur tient en fait à marquer la distinction entre le «veneor», qu'il faut sans doute comprendre comme une sorte de maître d'équipage à cheval, peut-être chevalier de moindre condition participant à la chasse seigneuriale, et le seigneur et sa suite, montés sur des destriers. On peut aussi considérer que l'auteur veut mettre l'accent sur le roncin et que «chaceor» désigne l'activité, conjoncturelle, du cheval. Dans le Lancelot en prose, par exemple, le jeune Lancelot est monté sur un roncin pour aller à la chasse. Le terme de «veneor» d'ailleurs demeure ambigu ; s'il semble toujours signifier un homme dont l'activité est moins noble que celui qui dirige la chasse, il n'en est pas moins un chevalier. C'est ce qui apparaît clairement dans l'épisode du vol du brachet dans le Bel inconnu. Il y a opposition très nette entre le héros désigné par «chevalier» et le propriétaire du chien, le «veneres» : «Li veneres se coreça/Et le chevalier apiela» (vv. 1333-4). Plus loin, l'auteur précise qu'il est chevalier de «haut parage» (v. 1367). Il s'agit donc de distinctions très nuancées dont pourrait rendre compte une différenciation «destrier»/«chaceor». Le «chaceor» est toutefois un bon cheval, peu fragile, de bonne résistance et rapide, comme en témoigne cet exemple du Conte du Graal de Chrétien de Troyes où le messager possède une monture ayant ce type de qualités : «Mais d'une chose ai grant paor : Que tu n'aies bon chaceor Qui tost t'ait porté jusques la». Et il li respont que il a Grant et isnel et fort et buen. (vv. 9135-9) («Mais une chose je crains : que tu n'aies de cheval suffisamment bon pour te conduire si loin». Et l'autre lui répond que son cheval est grand, fort et rapide) Notons que dans cet exemple, le cheval n'est pas directement associé à l'activité de la chasse ; le cavalier est ici un valet, chargé d'un message. L'auteur indique donc qu'il a certes un bon cheval, mais ce
ne saurait être un destrier, vu le statut social du cavalier. Il en est ainsi dans le Roman de la Violette, où un «cacheour ferrant» est le cheval d'un écuyer79. Remarquons ici l'indication, assez rare, de la couleur de robe, que l'on retrouve dans le Chevalier de la charette80. Perceval, avant d'être chevalier est lui-aussi monté sur un «chaceor», témoin à la fois de sa jeunesse et de son activité quasi sauvage dans les bois qui entourent le château de sa mère : au début du roman, la chasse du jeune héros, implicite, n'est pas encore un divertissement de noble, mais plutôt le jeu d'un jeune homme dont la noblesse existe, en creux, et ne s'est pas ,encore révélée pleinement. Dans la Vengeance Radiguel, on trouve l'association explicite entre le contexte de la chasse et la jeunesse de celui qui monte un «chaceor». Au retour d'une chasse fructueuse («Li veneor grant joie font/Li cerf ont torsé, si s'en vont» (vv. 1647-8)), les chasseurs envoient un valet annoncer le résultat de la chasse à la demoiselle qui est au Gaut Destroit ; celle-ci, «voit le damoisel/Venir deseur le chaceor» (vv. 1670-1) et craint que le chevalier noir n'ait pris ses compagnons. Même situation dans le Dolopathos où le «chaceor» fait partie de la description qui est faite de l'équipement d'un «damoisiax» aimant chasser : Moult amoit brachés et levriers, Et veneors et braconniers ; Brahons et et loïmiers avoit ; Des chiens et des oisiax savoit, Et si estoit ades premiers ; Ses brachés et ses loïmiers Acouplait pour aler chacier ; (...) Il sist sor .1. grant chaceor, Le cor a col, l'espee çainte (vv. 9183-91 )81 (Il aimait beaucoup les brachets et les lévriers, et tous ceux qui s'occupaient de chasser. Il avait toute sorte de chiens de chasse. Il s'y connaissait en matière de chien et d'oiseau. Toujours il était premier pour partir chasser ; pour l'occasion, il préparait sa meute de brachets et de limiers. Il montait sur un grand cheval de chasse, le cor pendu à son cou, l'épée au côté) C'est souvent l'adjectif «grant» qui qualifie ce cheval, comme on peut le constater par exemple chez Chrétien de Troyes82. Sa race n'est 79 - Ed. cil., v. 4665. 80 - Ed. M. Roques, v. 2021. 81 - Ed. Ch. Brunet et A. de Montaiglon, Paris, P. Jannet, 1856. 82 - cf. par exemple, Le chevalier au lion, éd. M. Roques v. 2021, 5060, La charette, v. 5060.
mentionnée que rarement, c o m m e dans E r e c où apparaît u n «chaceor e s p a n o i s » (v. 1 2 4 ) . Il n e s e m b l e p a s q u ' e n g é n é r a l l e s d a m e s m o n t e n t s u r ces c h e v a u x . L a j e u n e fille qui a c c o m p a g n e la reine à la c h a s s e dans Erec monte un palefroi : an la forest chacier s'an vont. Aprés aus monte la reine ; ansanble o li une meschine, pucele estoit, fille de roi, et sist sor un boen palefroi, (vv. 76-80) N o t o n s t o u t e f o i s q u e d a n s l a c o n t i n u a t i o n d e P e r c e v a l , u n e j e u n e fille v i e n t à l a c o u r s u r u n « c a c e o r ki t o s t c o u r t » 8 3 . L e « c h a c e o r » s e m b l e d o n c être u n c h e v a l intermédiaire, d o n t les c a r a c t è r e s e t l a v a l e u r s o n t m a l d é f i n i s . E n m o y e n n e , il s ' a g i t d ' u n c h e val rapide et robuste, qui peut-être se distinguerait du destrier par u n dressage m o i n s accompli. Sa polarité est g é n é r a l e m e n t positive, mais il n ' e s t e n g é n é r a l p a s m o n t u r e d e g r a n d s e i g n e u r , p l u t ô t d e j e u n e c h e v a l i e r o u d ' é c u y e r et, d a n s s o n c a d r e le p l u s s p é c i f i q u e , d e p a r t i c i p a n t à une chasse seigneuriale. Il y a d e s e x e m p l e s e x t r ê m e s , c o m m e b i e n s o u v e n t d a n s l a l i t t é rature m é d i é v a l e : le n a i n du C h e v a l i e r d e la C h a r e t t e est m o n t é s u r u n t e l c h e v a l (v. 5 0 5 9 ) , c o m m e c e l u i d e M e r a u g i s d e P o r t l e s g u e z q u i p r o p o s e s o n a i d e à M é r a u g i s si c e d e r n i e r lui r e n d s o n « c h a c e o r » 8 4 . L ' e m p e r e u r d e R o b e r t le d i a b l e c h e v a u c h e u n « v a i r d e s t r i e r c a c h e o r » 8 5 ; ici t o u t e f o i s l e « c h a c e o r » e s t v a l o r i s é p a r l e « d e s t r i e r » : p l u s q u ' u n e e s p è c e d e c h e v a l , il d e v i e n t le q u a l i f i c a t i f d ' u n a n i m a l d e prestige, e n lui d o n n a n t peut-être u n e d i m e n s i o n s u p p l é m e n t a i r e . La «haguenee» ou «haquenee» L e t e r m e e s t t a r d i f , il n e s e m b l e a p p a r a î t r e q u ' a u X I V e s i è c l e e t se r é p a n d r e a p r è s d a n s p l u s i e u r s c a t é g o r i e s d e textes86. S o n o r i g i n e e s t a n g l a i s e , d u m o y e n a n g l a i s « h a c k e n e i » . O n l e t r o u v e s o u s l a f o r m e latine
haqueneia,
en
Angleterre,
qui
vient
d'un
nom
de
village,
83 - Exemple cité par A. Kitze, Das Ross in den allfranzôzischen..., art. cil., p. 10, n. 58. 84 - Raoul de Houdenc, Meraugis de Portlesguez, éd. M. Friedwagner, dans Raoul von Houdenc sânaliche Werke, I, Halle, M. Niemayer, 1897, w. 1430-46. 85 - Ed. E. Loseth, Paris, SATF, 1903, v. 2138. 86 - Dans le Recueil général des comptes de la Maison de Bourgogne entre 14/6 et 1420 (ed. cit.) par exernple on compte 12 mentions de haqllenées.
Hackney, où l'on élevait des chevaux réputés. La haquenée est un cheval qui s'oppose au destrier ; c'est un cheval de marche pour femme ou pour clerc. Les comptes de l'Etat bourguignon font apparaître de nombreuses haquenées, qui, systématiquement, sont destinées à des dames. Ce peut être des chevaux de prix, comme en témoigne cette vente en 1419 à la duchesse de Bourgogne d'une haquenée de 200 francs87. Ce cheval peut aussi s'apparenter au roncin. Dans le Dit dou florin, Froissart se présente comme voyageur, allant de pays en pays, ayant «Mené haguenee et roncin»88. Dans le Jehan de Saintré, Antoine de la Sale donne un caractère valorisé à ce cheval en le mettant dans une liste de dons : «Et n'y eust cellui qui ne donnast a l'autre, oultre les pris gayniez, dons de bagues, de draps d'or ou de soye, chambres de tapisseries, coursiers, haguenees.»89. Mais généralement, la «haguenee» désigne dans la littérature un cheval dévalorisé lorsqu'il est monté par un homme. Froissart par exemple mentionne un tel cheval de manière très significative lors du déguisement d'un chevalier envoyé comme espion par le roi d'Angleterre et le duc d'Irlande. Le chevalier perd ainsi son identité pour revêtir celle d'un marchand : «il se departit de Brisco en abit d'ung povre marchant et monté sus une basse haguenée»90. Comme on l'a déjà vu, dans la Prise d'Alexandrie, Guillaume de Machaut, décrivant une visite de Babylone, propose une liste de chevaux en rapport avec la classe sociale de leur propriétaire91. Dans le Lay de Vaillance, Eustache Deschamps décrit l'archétype du mauvais chevalier, qui aime à rester au lit, à «enquiere du bon vin», à ripailler souventes fois. Dans la liste de ces attributs négatifs, le poète note que ces chevaliers indignes «Haquenee ont et roncin»92. Chez Guillaume de Machaut toutefois, l'allusion à ce type de cheval prend une dimension supplémentaire, comme l'a bien noté J. Cerquiglini93. La «haguence» de Machaut sert en effet d'identificateur d'un statut : celui de poète. Dans le Voir dit, on assiste à une transformation du cheval du clerc en celui du chevalier ; le poète a transgressé sa condition, car il est transcendé par l'amour d'une dame 87 - Ibid., n° 3612. 88 - Dans Dits et débats, éd. A. Fourrier, Genève, Droz, 1979, p. 182, v. 225. 89 - Ed. J. Misrahi, Genève, Droz, 1978, p. 179. 90 - Chroniques, t. 14, éd. cit., p. 52. 91 - Voir fin du paragraphe 1-1. 92 - Ed. Marquis de Queux de Saint-Hilaire, Paris, S.A.T.F., 1880, t. n, p. 221, v. 219. 93 - J. Cerquiglini, «Un engin si soutil». Guillaume de machaut et l'écriture au XIVe siècle, Paris, Champion, 1985, pp. 126-29.
noble (Voir dit, v. 3586). Lorsque l'amour est fini, le poète se retrouve à nouveau sur sa «haguenee» du départ (v. 4154). Lorsque Machaut se présente en situation d'égal au chevalier, il est monté sur un palefroi ; c'est le cas dans le Jugement dou Roy de Navarre : «Se montay seur mon palefroy/Grisart qui portoit l'ambleüre»94. On remarquera ici que le cheval est nommé. Le fait mérite d'être souligné dans la perspective où nous nous sommes placés. En effet, la dénomination du cheval va dans le sens d'une tradition chevaleresque. Toutefois, le nom donné est particulièrement courant et correspond à une appellation en rapport avec la couleur de robe du cheval. Froissart par exemple nommera son cheval Grisel. On mesure donc combien ici l'utilisation du cheval correspond à l'ambiguïté d'un statut, à cette faille dont parle J. Cerquiglini. On l'a vu, la littérature vemaculaire du Moyen Age a forgé un ensemble de termes variant le vocabulaire du cheval et qui servent à désigner un certain nombre de montures, suivant leur qualité ou leur usage : tel est le cas de «chaceor», «herceor». Dans la chanson de geste en particulier, il y a une réelle tendance à créer ce type de vocabulaire, soit à partir d'une expression, soit par la substantivisation de qualificatifs, soit par l'absorption de noms propres, rendus d'usage commun. Une des tendances les plus naturelles est celle de la substantivisation : à partir du vocabulaire le plus courant servant à décrire la robe des chevaux, se sont créés des signifiants servant à nommer le cheval lui-même, comme «baucent», «bai», «ferrant» etc. L'adjectif «baucent» qualifie en général la robe d'un cheval, pouvant désigner la présence de balsanes ou indiquant une robe noire tachée de blanc (cheval pie noir) ; dans le Couronnement de Louis95, on amène à Guillaume «le balcent en la place» (v. 409) ; dans le Siège de Barbastre96, Garin d'Anseüne monte un «baucent crenu» ; on trouve trois occurrences du substantif dans Aliscans97 (v. 5689, 1771, 1870), trois dans Girart de Roussillon98 (v. 2866, 3829, 6601) et l'on peut ici encore multiplier les citations.
94 - Ed. E. Hoepffner, Paris, S.A.T.F. dans Oeuvres complètes, 1.1, w. 488-89. 95 - Ed. E. Langlois, Paris, Champion, CFM A (2° éd., 1978). 96 - Ed. J.L. Perrier, Paris, Champion, CFMA, 1926. 97 - Ed. CI. Régnier, Paris, Champion, CFMA n° 110-11. 98 - Ed. M. Hackett, Paris, SATF, 1953.
On trouve un «bai de Cornoaille» et un «bai d'Orcanie» dans la Chanson des Saisnes (v. 3594, 4667), un bai, en compagnie d'un «bauçant» dans Raoul de Cambrai99 (v. 2783), un «bai a longes crins» dans Girart de Roussillon etc. Aliscans offre l'exemple d'un «ferant» (v. 6590), la Chanson des Saisnes d'un «ferrant de Gascoingne» (v. 3814). Ce que nous venons de voir sur des exemples de chansons de geste s'applique au roman de chevalerie. Citons le «bai de Gascoigne enselé» d'Erec et Enide100 (v. 2659), le «blançant de Comuaille» de la Vengeance Radiguel101 (v. 5717), le «fauve» que «point» Cligès102, le «ferrant» d'Amadas, dans Amadas et Idoinem, ou celui qui va à l'étable dans le Roman de la Violette104 (v. 2523) etc. On pourrait continuer cette liste avec d'autres adjectifs, noir, blanc, vair, sor, gris ; notons que la substantivisation peut aller jusqu'au nom propre : tel est le cas pour le Bauçant de Guillaume d'Orange, le Blancart d'Amadas, le Ferrant de Girart, le Morel de Cligès ou de Sagremor dans Perceval, et, beaucoup plus tard, le Grisel de Froissart. Mais il n'y a là rien de bien exceptionnel, cette manière de faire ayant toujours existé et se perpétuant de nos jours. Plus rare est la substantivisation d'un adjectif qui ne qualifie pas la robe du cheval, mais une partie de celui-ci ; citons à titre d'exemple le «crenu» de la Chanson des Saisnes (v. 6533) ou celui de Raoul de Cambrai (v. 1959). Le cas de «Gringalet» paraît assez exceptionnel ; on sait qu'il s'agit du nom du cheval de Gauvain, très largement célébré par la littérature arthurienne ; on imagine mal le neveu d'Arthur monté, du moins en temps normal, sur autre chose qu'un bon destrier et Gringalet, à diverses reprises, fait preuve de sa valeur. Il paraît donc peu probable que l'on parte d'une définition de type «petit cheval» comme le dit Godefroy, pour aller vers la dénomination du destrier. Par contre le terme «gringalet» existe pour désigner un cheval, comme l'atteste le roman de Dolopathos, qui mentionne un «guingalet norrois» sur lequel est monté un vieillard, ce cheval étant, comme il est précisé trois 99 - Ed. P. Meyer et A. Longnon, Paris, SATF, 1882. 100 - Ed. M. Roques, Paris, Champion, CFMA n° 86. 101 - Ed. M. Friedwagner, Halle, 1909. 102 - Chrétien de Troyes, Cliges, éd. A. Micha, Paris, Champion, CFMA n° 84, v. 4717. 103 - Ed. J. R. Reinhard, Paris, Champion, CFMA n° 51, v. 4466. 104 - Ed. D. Labaree Buffum, Paris, SATF, 1928.
vers plus loin, un palefroi105. On peut penser que la réputation du cheval de Gauvain est telle que son nom puisse devenir commun pour désigner une monture106. On notera également la tendance à rendre un nom propre commun et à l'utiliser pour désigner le cheval, surtout en se servant de termes dérivés du nom du pays, de la région d'origine du cheval. Inutile ici de rappeler la fréquence des «arrabis», des «auferrants», des «moreis». ces derniers termes sont surtout attachés à la chanson de geste. Citons toutefois l'«arrabi blanc» de Cligès, qui apparaît assez souvent dans le roman de Chrétien de Troyesl07. Plus étonnant (amusant) est un cheval qui apparaît assez fréquemment dans la chanson de geste qui, on le sait, aime tout particulièrement valoriser le cheval de ses héros et où bien souvent apparaît l'expression «cheval de grant pris» ; dans le seul Raoul de Cambrai, on la rencontre dix fois. Pour rendre compte de cette valeur, la langue a forgé le terme «missaudor», «misoldor», «misodor», (cheval coûtant mille sous). Dans le Moniage Guillaumem, un guetteur annonce à Louis l'arrivée d'un chevalier «trestout armé sour un boin missaudor» (II, v. 5621) ; Aymeri répond à Charles que toujours il le servira «tant com puisse monter el misodor» (Aymeri de Narbonne109, v. 1268), cheval de prix sur lequel est monté Hugues lorsqu'il part à sa rencontre, au vers 2951 de la même chanson. Dans Girart de Roussillon, le terme est utilisé comme adjectif, qualifiant le substantif «destrer» (v. 2512). La Chanson des Saisnesuo, de Jehan Bodel, utilise le substantif (v. 627, 2722, 7360, 7455 rédaction LT) et l'adjectif, toujours accolé à «destrier» (v. 2515, 7661) ; il en va de même dans Vivien de Monbrancnx (substantif v. 264, adjectif avec «destrier» v. 681) ; on peut encore multiplier les exemples. Le terme, bien que rare dans ce contexte, est également attesté dans le roman, comme le «ceval missaudor» du tournoi d'Amadas et Idoine (v. 4274), celui que monte
105 - Ed. Ch. Brunet et A. de Montaiglon, Paris, Jannet, 1856. 106 - Sur l'origine du Gringalet, voir les intéressantes remarques de R. Trachsler, «Qui a donné le Gringalet à Gauvain? A propos d'un épisode d'Escanor de Girart d'Arniens», dans Le cheval au Moyen Age, Senefiance, 32, 1992, pp. 527-42. 107 - Ed. A. Micha, v. 3575, 3668,3675, 3982, 4860. 108 - Ed. W. Cloetta, Paris, SATF, 1906. 109 - Ed. L. Demaison, Paris, SATF, 1887. 110 - Ed. A. Brasseur, Genève, Droz, 1989. 111 - Ed. W. Van Emden, Genève, Droz, 1987.
une pucelle dans le Bel inconnu1,2 (v. 2764), ou celui tué sous son cavalier dans Blancandin et l'Orgueilleuse d'amourl13 (v. 4864). Chrétien de Troyes emploie le terme «aubagu» pour désigner un cheval blanc : on trouve cette monture dans Erec et Enide, utilisée par le roi : «sor l'aubagu monta li rois/sor un blanc palefroi norrois/remonta la reïne aprés» (vv. 4107-9). Le mot vient probablement du latin albus ; ce n'est pas immédiat dans la copie de Guiot, mais une autre leçon, donnée par Godefroy, celle du manuscrit fr. 375 (fol. 289), confirme l'interprétation : «tot maintenant monta li rois/sor un blanc palefrois norrois ;/puis monta la roine aprés». Toujours à propos de cheval blanc, citons le terme «hermin» qui se trouve dans Elie de Saint-Gilles (v. 1891), accompagné de l'adjectif «montenier» (de la montagne) ; et puis «albin», dont l'étymologie est évidente, qui se rencontre dans le Roman d'Alexandre et dans la Conquête de lérusaleml14. Citons enfin ce terme rare qui apparaît dans la Chanson de Guillaume115, «sambuier» (1, v. 1548), désignant un palefroi ; le mot vient de «sambue», qui signifie une selle ornée, selle de femme en général. On voit donc, tant en latin qu'en vernaculaire, que la langue et l'écriture du Moyen Age ont tenté de serrer au plus près la réalité du cheval, dans toutes ses formes, c'est-à-dire tant du point de vue de la fonction de l'animal que de sa position rapportée à une hiérarchie sociale. On verra que, dans un ordre d'idée voisin, s'est également développé un vocabulaire hippologique et hippiatrique. Ce vocabulaire a servi, dans des textes à caractère administratif, à cerner la qualité du cheval et donc la valeur d'un capital, d'un échange, d'un «guerredon». Il a servi, dans la littérature comme un marqueur privilégié de statut, en particulier de manière essentielle quant aux rapports fondamentaux de type clergie/chevalerie ou illustrant les oppositions entre les ordres de la société.
112 - Ed. G. Perrie Williams, Paris, Champion, CFMA n° 38. 113 - Ed. F.P. Sweetser, Genève/Paris, Droz/Minard, 1964. 114 - Voir Godefroid, article «aubain». 115 - Ed. D. Mac Millan, Paris, SATF, 1949.
« Chaceor » Ms 526, f. 26 Bibliothèque municipale, Dijon Copyright IRIIT-CNRS
« Chaceor » Ms 107, f. 32 Bibliothèque municipale, Verdun Copyright IRlIT-CNRS
« Chaceor » Ms 107, f. 32 Bibliothèque municipale, Verdun Copyright IRliT-CNRS
Quelques destriers Tristan en prose Ms 527, f. 5 v Bibliothèque municipale, Dijon Copyright TRIIT-CNRS
CHAPITRE II
Le Cheval littéraire
La chanson de geste, le roman arthurien mettent en scène une série d'actions dont le pivot central est le chevalier ; en action, ce dernier combat, tournoie, poursuit ou s'enfuit ; fidèle à sa fonction, il est à cheval. Dans les phases de repos de sa quête, de ses aventures, il chemine d'un lieu à un autre, traçant du pas de son cheval, destrier ou palefroi, un itinéraire complexe, fruit de la rencontre d'une géographie imaginaire et d'un tracé réel, rencontre marquée par des toponymes dont les uns fixent le réel et les autres égarent vers les frontières d'un ailleurs. Il part à la chasse, sur son cheval habituel ou sur un «chaceor», divertissement et emblème de sa condition sociale, point de repos dans le récit ou, comme il s'agit bien souvent avec la poursuite d'animaux à caractère merveilleux comme le blanc cerf, point de départ de l'aventure, tel qu'elle advient dans Erec et Enide. Il ne reste en cela que bien peu d'espace où le héros est à pied : au repos, à la cour du roi, chez l'hôte qui l'accueille, dans le verger où il joue, se remet de ses fatigues ou courtise. Le cheval est ainsi omniprésent ; présence implicite en premier lieu. La force nécessaire de cette présence impose bien souvent une absence : celle de la description. Trop naturel, trop évident, le cheval, dans son intimité, a finalement peu de place. Il ne vit que très peu dans nos textes héroïques : rarement on le voit manger, boire, se reposer à l'étable ; encore moins dans un quelconque travail agricole : comme le vilain est évacué, sinon pour être raillé, le roncin n' a pas droit de cité dans sa dimension active, réelle. C'est davantage peut-être vers des textes qui ne se soucient pas de matière épique ou bretonne que l'on peut penser trouver une présence plus forte de ce cheval de tous les jours : dans le Roman de Renart où le monde paysan est fort présent, dans les fabliaux où le vilain devient davantage une figure centrale, même dérisoire. Mais ce sont les mêmes modes d'écriture, décalés peut-être, que l'on va retrouver. Le destrier est évacué au profit du roussin qui est ici le signe essentiel, celui du vilain ou du curé que l'on moque. Sa description, comme celle du destrier dans les chansons de geste, obéit à des critères
stéréotypés ; le roussin est en général en assez piteux état, comme celui que le fabliau «les .11. chevaus» peut nous montrer : Ainz estoit maigres et taillanz, Dos brisié, mauvés por monter ; Les costes li pot on conter ; Hauz ert derriere, et bas devant, Si aloit d'un pied sousclochant1 (Mais il était maigre et les os saillants, le dos en mauvais état, désagréable à monter. On aurait pu lui compter les côtes! Il était haut derrière et bas devant, il allait boitant d'un pied) Quelques allusions aussi à la vie des champs : ce même fabliau note qu'un autre roussin est «bons en charrue, bons en erce,/bons es trais et es limons» ; le Roman de Renart fait quelque mention du cheval tirant la charrette (du paysan Liétart) ; Rainsent se fatigue à la charrue. Mais cela reste assez peu. De manière générale, le cheval des fabliaux, lorsqu'il est mis en scène, est là pour souligner le comique d'une situation, non pour décrire un champ de réalité «quotidienne» : telle monture refuse d'avancer, met son cavalier par terre etc. Il s'agit donc, mais dans une moindre mesure, de l'inversion du destrier qui porte le chevalier au combat. On ne peut guère parler de «négatif», de renversement, car les poids sont très différents : si le cheval est central, essentiel, dans le récit qui met en scène la vie des chevaliers, il est bien loin de l'être dans le monde des paysans. Et, de toute façon, le «vrai» cheval n'apparaît pas. Si les romans de chevalerie nous parlent de l'équipement, du cheval dans la bataille avec des accents qui se rapprochent de la réalité, il est bien rare en revanche que les fabliaux ou le Roman de Renart nous décrivent avec précision une herse, une charrue, un attelage quelconque. L'enjeu est ailleurs et la mise en place de realia n'intervient pas dans ce contexte. C'est pourquoi nous choisirons délibérément pour le «cheval littéraire» un regard parcellaire certes, mais orienté par ce qui nous paraît le plus significatif, en rapport à une fonction littéraire. Dans ce chapitre, nous considérerons donc de manière essentielle le roman de chevalerie et la chanson de geste, laissant de côté les autres genres d'écriture, bien que ceux-ci laissent aussi une certaine place au cheval. Nous tenterons des sondages dans un corpus assez large, des premières chansons telles Roland ou Gormont et Isembart, à des textes 1 - Recueil général des Fabliaux, éd. A. de Montaiglon et G. Raynaud, Paris, 1872, Franklin rep., New York, t. 1, p. 82.
beaucoup plus tardifs, du XIVe siècle même, tels la chanson de Florent et Octavien ; nous parcourrons différents cycles de chansons, en particulier ceux de Guillaume d'Orange (Chanson de Guillaume, Couronnement de Louis, Charroi de Nîmes, Prise d'Orange, Aliscans...), des Narbonnais (Aymeri de Narbonne, La mort Aymeri) et certaines chansons qui s'y rattachent, comme Girart de Vienne, oncle de Guillaume, Garin de Monglane, son grand-père, Le siège de Barbastre etc. ; cycle des révoltés avec la geste de Renaut de Montauban et celle des Lorrains avec Garin le Lorrain, Gerbert de Metz et Hervis de Metz, avec les chansons de Girart de Roussillon, de Raoul de Cambrai, de la Chevalerie Ogier. Il faut y rajouter quelques textes que l'on a coutume de regrouper, comme Elie de Saint-Gilles et Aiol ou Ami et Amile et Jourdain de Blaye. Les romans «antiques» figureront dans notre corpus avec les romans de Troie, de Thèbes, l'Eneas. La «matière de Bretagne» nous fournira des exemples, avec les lais anonymes, ceux de Marie de France et les écrits de Wace, Roman de Brut et Roman de Rou. Du côté du roman arthurien, nous procèderons de même, exploitant largement en premier lieu les romans de Chrétien de Troyes et les romans en vers qui s'inscrivent au coeur de la littérature narrative des XIIe et XIIIe siècles (Eracle, Gui de Warevic, Bel inconnu, Atre périlleux, Galeran de Bretagne, Guillaume de Dôle etc.). Nous ferons également une part aux textes en prose qui se développent à compter du XIIIe siècle (continuations de Perceval, Queste del saint Graal, Mort le roi Artu, Tristan, Lancelot etc.). Dans ce contexte, quelle lecture est-il possible d'avoir de ce «cheval écrit»? On peut partir d'un axiome bien élémentaire : le cheval est nécessaire au chevalier et à tout personnage voulant se déplacer, et il est un animal bien réel, domestique et familier. Si l'on excepte les transformations à caractère fantastique qu'opèrent certains récits, l'animal textuel est identique au réel. Il y a donc une verticalité unissant le cheval réel et le cheval écrit. Qui dit verticalité, dit possibilité de lecture historique ; à certains égards, on peut, comme nous l'avons fait dans les chapitres précédents, lire dans les textes littéraires certaines informations concernant le monde du cheval ; mises en regard avec des documents d'archives, de telles informations peuvent confirmer, démontrer un certain nombre d'éléments historiques. Du point de vue qui nous intéresse ici, c'est la fonction littéraire qui importe. Il est clair que cette fonction ne se réduit pas à une élémentaire logique de
nécessité, le chevalier devant avoir un cheval. Au delà de la nécessité de vraisemblance, il y a le pouvoir textuel des realia qui agissent sur le récit. Nous définirons deux niveaux initiaux, à partir desquels l'analyse peut être conduite, construisant éventuellement des niveaux supplémentaires sous-jacents. D'un côté, l'animal est signe ; sa place dans le texte se définit alors en terme de poids, qui est celui du signe qu'il est. D'autre part, le cheval est aussi un élément littéraire autour duquel peut se construire un thème, voire un motif; il possède alors une épaisseur et sa place textuelle se mesure en densité. Celle-ci est absolue ou relative. Elle est de la première catégorie lorsque le cheval est acteur ; l'absolu est particulièrement souligné dans le cas du cheval «faé»2. Relative lorsque le cheval n'a de fonction que par rapport à un autre acteur qui le domine : c'est le cas du motif de l'animalcompagnon ou de l'animal convoité. Dans ce dernier cas l'épaisseur du motif se mesure à l'intérêt et à l'intensité du regard que l'acteur premier lui porte. On va de la simple image, comme celle du destrier que Guillaume convoite avant son combat avec le Corsolt dans Le couronnement de Louis3, au personnage à part entière, comme Broiefort qui, dans la Chevalerie Ogier, réveille son maître blessé du profond sommeil dans lequel il est tombé4. Il est délicat de considérer ces différentes catégories dans la diachronie des textes. Il semble en effet que, dans les premières chansons de geste par exemple, il n'y ait en général que peu d'intérêt pour le cheval5 ; le texte est entièrement focalisé sur le héros, dont souvent l'épée est plus valorisée que la monture. Même nommé, comme le Veillantif de Roland, le cheval possède un poids relativement faible. L'emploi littéraire du cheval, dans la construction de motif ou dans la stucturation d'une partie du récit paraît plutôt émerger vers le XIIIe siècle en ce qui concerne la chanson de geste, ce qui n'empêche pas de le trouver antérieurement, comme dans certains textes du cycle de 2 - Voir F. Dubost, «De quelques chevaux extraordinaires dans le médiéval : esquisse d'une configuration imaginaire», Senefiance, 32, 1992, pp. 187-208. 3 - Ed. E. Langlois, Paris, CFMA, vv. 677-81. 4 - La chevalerie Ogier de Danemarche, éd. M. Eusebi, Milano, 1962, vv. 5765-68. 5 - Voir la thèse de J. Bichon, Les animaux dans la littérature française aux XIIe et XIIIe siècles, Paris IV, 1975, Lille 1976, t. 1, ch. V-X. L'auteur, qui ne se limite pas au cheval, a choisi de traiter la question selon les genres et chronologiquement. Voir aussi l'article de M. de Combarieu, «Le cheval dans La chevalerie Ogier de f)anemarche», Senefiance, op. cit., pp. 13757, qui donne un bon exemple de l'évolution entre XIIe et XIIIe siècle.
Guillaume, ou d'avoir des descriptions détaillées de chevaux, comme dans Roland, même si celles-ci correspondent à des stéréotypes inspirés par des lectures encyclopédiques. De même, le roman courtois, écriture de l'errance, ne se conçoit guère sans que le cheval ait un rôle fondamental et l'on connaît par exemple l'attachement de Gauvain à son Gringalet ; ce qui n'empêche pas le Lancelot du Chevalier de la charrete de traiter ses montures avec beaucoup de désinvolture. En pareil contexte, nous nous intéresserons davantage à une étude plus globale, visant à dégager, sous forme de panorama, les principaux éléments d'une intervention littéraire du cheval. II-1 Un animal identificateur La réalité, on l'a vu à de multiples reprises, révèle bien que le cheval, dans le seul contexte du marché, est un marqueur de rang social ; Herborde de Bamberg notait au XIIe siècle que la puissance d'un noble se mesurait au nombre de ses chevaux6. Dans la littérature de cour, cette dimension est d'autant plus appuyée : le cheval se révèle être le signe identificateur, le porteur privilégié (dans tous les sens du terme) de l'identité du chevalier, du miles. Il en est aussi un marqueur de personnalité et de caractère : un bon chevalier aura en général, en situation normale, un bon cheval. Comme «chevalier» est étymologiquement lié à «cheval», le doublet héros/cheval s'apparente au nécessaire : pour Gerbert de Metz, son père fut «le millor homme qui sor cheval seïst»7. Qualité suprême qui ne se conçoit qu'énoncée par rapport au référentiel de l'ensemble des hommes sur leur monture, comme si le superlatif ne pouvait se concevoir sans que le cheval fût présent. On retrouve cet aspect dans l'iconographie : la taille du cheval, la couleur de sa robe, sa position sont un reflet du statut de son cavalier ; comme le note Ch. Raynaud, «la monture participe à la valorisation du héros»8. L'iconographie révèle d'autant mieux le rôle du cheval que, par définition, elle fonctionne quasi-uniquement par signes. Il s'agit 6 - Herbordus Barnbergensis, Dialogus de vita Ottonis episcopi Bambergensis, (2, 23), M. G. II., Scriptores, XX, 1868, p. 735.
7 - Gerbert de Mez, éd. P. Taylor, Namur/Lolivain/Lille, 1953, v. 65. 8 - Ch. Raynaud, art. cit., pp. 468-78. Dans son ouvrage sur la violence au Moyen Age (Paris, Le Léopard d'or, 1990), Ch. Raynaud note que la représentation du cheval est aussi le reflet de l'ardeur du chevalier au combat : les naseaux dilatés, les yeux écarquillés et les gueules largement ouvertes en sont des attributs (p. 64).
alors de «lire» le cheval pour mieux connaître le cavalier. Le chevalier est monté en général sur un mâle, qui, pendant le combat, montre sa propre vaillance, y compris par le truchement de ses organes génitaux : en extension, bouche ouverte, dents dehors, la tête en avant, avec parfois le «regard agressif». Dans une situation de paix, le cheval montre des signes de courtoisie : lorsque le chevalier rencontre une dame ou des moines, son cheval doit aller l'amble, il a la bouche fermée, il peut incliner ou tourner la tête en forme de salutation. Chaque décalage qui s'opère par rapport à des signes-types est signifiant et peut être interprété, comme Ch. Raynaud l'a bien montré sur le cas du Tristan en prose, dans les nuances de polarité que le texte peut offrir. En considérant, dans un premier temps, le cheval uniquement en tant que «signe global», c'est-à-dire sans se pencher sur le détail qui permet de préciser le signe, sur la qualitas de la monture, on peut constater que les poètes ont largement utilisé un tel niveau sémiotique, certes élémentaire, mais apparemment très fort quant à la résonnance qu'il pouvait avoir. Ce micro-système se construit selon deux axes : A] - le cheval est signe en lui-même, comme animal au service du chevalier ; le héros monte un destrier, qui est puissant, vaillant, agressif, perçu comme une bête de qualité. Le lâche s'enfuit sur une mule ou un roncin, ou même à pied ; le nain est en général muni d'une «courgie» dont il frappe les flancs ou la croupe d'un animal de la plus basse origine. Voici quelques archétypes de signification élémentaire. Il s'agit là, comme tout paradigme, de modèle qui peut appeler sa déviation ; mais la déviation renforce, par opposition, la validité du modèle. Le développement du signe se fait selon deux axes, l'un est statique, l'autre est dynamique. Nous parlerons de statique lorsque le signe est sans rapport avec l'action qui se déroule au moment où il apparaît et de dynamique lorsqu'il y a rapport direct. Parler de statique et de dynamique implique un rapport au temps ; c'est bien entendu de temps du récit qu'il s'agit ici. Le récit peut se concevoir comme le déroulement à une échelle de temps «large» d'une série de micro-réseaux, à chacun duquel est donc attaché un temps local, infinitésimal ; c'est en terme de différentielle qu'il faut ici considérer les choses. C'est dans ce temps différentiel que se définit la position, statique ou dynamique, du signe. Il est nécessaire de parler à ce niveau local, sinon la position du signe ne peut être clairement définie ; d'une part parce que
sa polarité est susceptible de mouvance : tel chevalier monté sur un blanc destrier peut se retrouver sur une mule noire. C'est alors l'addition des polarités, calculées chacune dans son temps différentiel, qui pourra signifier globalement. Par ailleurs, l'état en rapport avec une action n'implique jamais l'arrêt du temps actanciel ; ainsi ce qui est signe postposé peut devenir signe annonciateur dans un nouveau réseau ; tel chevalier vaincu, ayant perdu son cheval, est un acteur dont le support-signe est évidemment négatif, postérieur à l'action (le combat) qui vient de se dérouler ; mais ce même signe peut annoncer (non nécessairement) un nouveau réseau, justifié par la nécessité du gain de positivité du signe ; le chevalier doit retrouver sa monture ou vaincre un adversaire et donc lui faire subir ce qui le concernait dans l'action précédente. Ces préambules étant posés, afin d'éviter toute confusion, on peut alors poser, au niveau du temps différentiel, trois phases possibles : 1) le signe est antérieur à l'action, il en est annonciateur, voire moteur ; 2) le signe est contemporain de l'action, il la souligne ; 3) le signe est postérieur à l'action, il est conclusif. B] - le cheval est porteur de valeur, ce terme compris ici dans son acception économique, symbolique. Il est le témoin de la richesse de son propriétaire, et surtout celui de sa largesse. - Le cheval signe Un chevalier à pied n'est que l'ombre de lui-même ; si cette situation est volontaire, il déroge aux règles les plus élémentaires : lorsqu'en 1124, une partie des chevaliers avaient mis pied à terre pour combattre à la bataille de Bourg-Théroulde, ils se firent copieusement insulter, mis au rang de paysans9. Perdre son droit à chevaucher est une punition particulièrement cuisante ; significative à cet égard, une règle de tournoi : à la fin du Moyen Age, lorsque René d'Anjou écrit son Livre des tournois, il prévoit la façon de punir le mauvais combattant, celui qui a mal agi, triché ou mal parlé aux dames. Il propose de couper les sangles de la selle dudit mauvais chevalier, de le promener ainsi, juché sur une selle sans monture et de l'obliger à assister au
9 - Cité par CI. Gaier, «La cavalerie lourde en Europe occidentale du XIIe au XVIe siècle», Revue d'Histoire militaire, 1971, 3, p.387.
tournoi «à cheval» sur les barres des liceslO. Humiliant aussi est le cas du chevalier qui ne monte plus selon son rang, à qui destrier ou palefroi est refusé. Il sombre alors dans la honte et le désespoir, il est objet de railleries, tel le Gauvain de Perceval à la recherche de son Gringalet, contraint de monter un «roncin», qui est somme toute une «molt laide beste», comme l'annonce Chrétien de Troyes : Et la male pucele rist A monseignor Gavain et dist : «Vassal, vassal, que ferez vos? Or puet on bien dire de vos Que mals musars n'est mie mors. Certes, ore est buens Ii depors De vos sivrre, se Diex me gart ; Ja ne tomerez cele part Que trop volentiers ne vos sive. Car fust ore li ronchis ive Que l'escuier tolu avez! Je le volroie, ce savez, Por che que plus i ariez honte.»ll {La méchante jeune fille se met à rire et dit à monseigneur Gauvain : «Alors vassal, qu'allez vous faire? On peut bien dire à votre sujet que mauvais fou n'est point mort. Dieu me garde! il est bien plaisant de vous suivre. Où que vous alliez, c'est avec plaisir que je vous suivrai. Il conviendrait que le roussin que vous avez volé à l'écuyer soit une jument. J'aimerais qu'il en soit ainsi, car vous en auriez plus de honte encore.) Ce roncin, on le sait, est bien dégradant ; associé certes, in realitate, au travail du paysan, il est aussi, ad litteram, la monture de personnages négatifs : le nain d'Erec et Enide est monté sur un roncin ; dans le Siege de Barbastre, c'est un «cuivert de put lin» (v. 475). On pourrait multiplier les cas. C'est bien pourquoi, dans sa valeur topique, la situation du chevalier sur le roncin, est particulièrement mauvaise : elle correspond à la fois à une perturbation par rapport à la triade équine de base et à une surenchère de négativité. Etre, provisoirement, monté sur un roncin est pitoyable pour un chevalier, mais il y a plus ridicule encore ; c'est le chevalier qui ne sait pas monter sur son cheval. Cet élément est exploité par les auteurs dans une veine comique ou dérisoire, même s'il s'agit d'une ruse : tel est le cas dans la chanson de geste Simon de Pouille où les Francs font mine d'être de piètres chevaliers, ce qui provoque l'hilarité de leurs 10 - Ed. Comte de Quatrebarbes, Paris/Angers, 1845, vol. 2, p. 23. 11 - Ed. W. Roach, Paris, Genève, 1959, vv. 7145-57.
ennemis : «En travers se coucherent sor le[s] chivauz crenuz./Cant li cheval se meuvent, ec le[s] voz abatuz»12. Le signe, dans sa dimension statique, est donc très simple à concevoir dans nos textes. Il est la représentation d'une dimension du personnage, conforme à un certain nombre de principes élémentaires, à caractère idéologique, qui sont le reflet de pratiques sociales authentiques : il y a, grosso modo, ordination des chevaux, comme la société elle-même est ordonnée et le signe statique s'inscrit, ex tempore, au coeur de ce que nous avons nommé la «triade équine». Le chevalier monte un destrier, un coursier, un «chaceor» ou un palefroi, la dame un palefroi etc. Tout n'est ensuite que question de densité, donc d'ornementation du cheval lui-même ou de son équipement13 : tel ou tel cheval verra sa qualité, donc celle de son cavalier, soulignée par la qualification ; on pourra aller du destrier, simplement énoncé, au destrier de prix, d'Espagne, de Gascogne etc. et même au meilleur destrier du monde, tous somptueusement équipés. A l'inverse, il y aura le roncin ou la mule qui pourront être maigres et efflanqués ou particulièrement sales et démunis d'équipement. Il s'agit là bien entendu d'un modèle qui donc autorise les déviances, qui, si elles sont marginales, ne doivent pas pour autant être négligées : dans Aliscans par exemple, intervient un «sor baucent rossin» (v. 1777) qui désigne un cheval de combat. Dans le Batard de Bouillon, le roi Baudoin organise un tournoi pour lequel sont amenés des «auferrant ronci»14. Le roncin n'est pas ici le signe du vilain, mais il est qualifié de «sor baucent» ou d'«auferrant» pour atténuer sans doute son appellation que peut-être des nécessités de rime ont imposée. La plupart des signes construits autour du cheval dans les romans ou dans les chansons de geste sont en fait dynamiques, ce qui, en dehors de l'intime économie du récit, de ses variations, de ses métamorphoses, obéit à une évidente logique : l'action est avant tout liée au combat, au cheminement à cheval, qu'il s'agisse de guerroyer contre Sarrasins ou ennemis du royaume ou bien de partir en quête d'aventure plus ou moins merveilleuse. La perte du destrier peut être le moteur d'une action, car le chevalier doit retrouver sa monture ; ici le signe est annonciateur. La perte est alors provisoire, marquant le temps d'une reconquête 12 - Ed. J. Baroin, Paris/Genève, 1968, v. 14-5. 13 - Voir pour ces questions le chapitre IV de la première partie. 14 - Ed. R.F. Cook, Genève/Paris, 1972, v. 4226.
d'identité. On est dans le cas d'une position dynamique du signe très forte, car sa polarité, négative, doit être renversée ; le signe alors, plus qu'annonciateur, agit comme un déclencheur : Gauvain, parangon de la chevalerie, ne peut pas demeurer sans son destrier ; la phase actionnelle du récit est conditionnée par ce que le signe signifie, à savoir une perte d'identité chevaleresque qui, en dernier lieu, ne peut être. Pendant l'action, le signe souligne un état instantané : ainsi, toute perte provisoire souligne la mauvaise position du chevalier ; être mis à terre, «être de selle vidé», c'est bien entendu être défait : un chevalier qui est précipité hors de selle par un combattant qui lui, reste monté sur son cheval, a de fortes chances d'être vaincu, ce qui d'ailleurs correspond à une réalité du combat opposant des hommes en lourdes annures. Poussé à l'extrême, la façon d'être jeté à bas du cheval peut provoquer la dérision du personnage. Tel est le cas, dans le Siège de Barbastre, de Libanor, ridiculisé pour les beaux yeux de la belle Malatrie par Girart de Conmarchis : «...Girart l'enpaint outre par la croupe derrier,/La sele entre les cuises fu el chanp cnvoiez» (vv. 20334) (Girart le projeta par son coup par delà la croupe du cheval ; il fut envoyé à terre la selle entre les cuisses). Voici donc un chevalier chevauchant une selle vide : l'humiliation est de taille! Moins grave, mais rendant compte d'un moment difficile dans le combat, qui pourrait annoncer une future défaite, la situation du chevalier qui doit se maintenir à l'encolure de sa monture afin de ne pas tomber : Dans le Lai de l'espine, le jeune héros combat au gué merveilleux, pour l'amour de son amie, plusieurs chevaliers. Dans l'un des combats, l'auteur note la force des combattants qui restent bien en place sur leurs étriers ; mais celui qui va être vaincu doit son salut provisoire à l'encolure de son cheval : Pour asanbler ensanble poignent, les lances baissent et eslongent. Desor les escus a argent s'entrefierent si fierement que tous les ont frais e fendus, mais les estriers n'ont pas pierdus. E qant se sont si bien tenu, si l'a li damoisiaus feru que tous en fust venus aval, qant au col se pent del cheval.15 15 - P. M. O'Hara Tobin, Les lais anonymes des XIIe et XIIIe siècles, Genève, Droz, 1976, vv. 437-46.
(Ils piquent des deux pour s'affronter, baissent les lances et engagent le combat. Ils se frappent si durement sur leurs écus ornés d'argent qu'ils les ont fendus et brisés ; toutefois, ils sont restés bien en place sur les étriers. Après avoir tous deux si bien résisté, le damoiseau a tant frappé son adversaire qu'il en serait tombé de cheval s'il ne s'était pas retenu à l'encolure) Par contre, être bien en place sur sa selle est signe de qualité : telle est l'image du chevalier «affichié» sur ces étriers, si puissamment qu'il en arrive à détendre ou briser les étrivières, véritable topos de la puissance du cavalier ; tel Louis qui «s'aficha sur ses estrius/le fer en plie sus ses piez»16 ; tel le jeune Renaut de Montauban lorsqu'il est adoubé, tel Bruant dans La chevalerie Ogier qui «plainne palme li cuirs en estendi»17. Le topos appelle, comme souvent, l'originalité de la déviance, certains cavaliers, à la fois habiles et provocateurs, montant d'une façon peu orthodoxe (mais fière et surtout pas comique), tel ce chevalier qui vient défier Lancelot alors que les tables sont dressées : Cil des les piez jusqu'à la teste sist toz armez, sor son destrier. De l'une janbe an son estrier fu afichiez, et l'autre ot mise par contenance et par cointise sor le col del destrier crenu18. (Celui-ci était monté sur son destrier, armé de pied en cap. D'une de ses jambes, il était bien en appui sur l'étrier alors qu'il avait posé l'autre, par arrogance et de hautaine façon, sur l'encolure du cheval à l'abondante crinière) Dans le même ordre d'idée, éperonner le destrier avec vivacité («esperonner, brocher, pointer»), c'est se précipiter avec vaillance dans le combat. Comme dans Roland, où le roi de Cappadoce monte Marmoire, plus rapide qu'un oiseau, pour aller affronter Gerin : «Laschet la resne, des esperuns le brochet,/Si vait ferir Gerin par sa grant force» (vv. 1617-8 [1574-5]) ; Tristan, en colère contre le lâche Hestor, «hurte ceval des esperons» pour le forcer à la joutel9. L'ornementation peut aussi se juxtaposer à ce type de signe : dans 16 - Gormont et lsembart, éd. A. Bayot, Paris, CFMA, 1969, w. 408-9. 17 - Ed. M. Eusebi, Milano/Varese, 1963, v. 2752. 18 - Le chevalier de la charrete, éd. M. Roques, vv. 2570-5. Le roman de Tristan en prose, II, éd. M.L. Chênerie et Th. DclcollTl, Genève, Droz, 1990, p. 8743.
Gerbert de Mez par exemple, Morant «le destrier broche des esperons d'or fin» (v. 1058). La façon de brocher le cheval souligne donc l'ardeur du chevalier, ou sa colère, sa valeur en général ; la réaction du cheval n'est pas souvent notée, mais elle peut, dans sa démesure, venir renforcer la qualité de son cavalier ; ainsi, le jeune Gui de Nanteuil, à peine adoubé, fait faire un bond étonnant à son cheval : Quant Gui fu adoubé, si monta es archons, Il broche le destrier dez trenchans esperons Plus de .xiiii. piés li est sailli Veirons20. (Quand Gui fut adoubé, il monta en selle, piqua son destrier avec les éperons affûtés. Vaironfit alors un bond de plus de quatorze pieds) On a un cas analogue dans le Roland, qui marque bien que ce n'est guère le cheval qui importe, mais le cavalier ; l'épisode du saut du fossé de Baligant est en effet marqué par la souffrance du cheval et le soulignement de la prouesse du chevalier : Deus! quel vassal, s'otist chrestientet! Le cheval brochet, li sancs en ist tuz clers, Fait sun eslais, si tressait un fosset, Cinquante piez i poet hum mesurer. (vv. 3164-7) (Dieu! quel homme! si seulement il fât chrétien! Il a éperonné son cheval, si fort que le sang jaillit tout clair de sesflancs. Il a pris son élan, a franchi unfossé qui mesurait bien cinquante pieds) On le voit sur cet exemple encore, comme on l'avait déjà noté à propos de Gormont et Isembart, le cheval n'inspire guère de pitié à nos auteurs sur le traitement cruel que les éperons lui font subir ; toujours dans Gui de Nanteuil, la monture du messager est ainsi «lassiez» : Ainz qu'il veigne a Estampes ert sis cival lassiez ; Amdos les esperons li a fet privez Toz en avra specié li flans e li costez. (p. 253, vv. 1579-81). (Avant d'arriver à Etampes, son cheval était épuisé. Il lui a donné des deux éperons, à tel point que tout leflanc de l'animal en était blessé) Une fois encore, le cheval donc, plus qu'animal, est emblème ; son physique propre n'est pas essentiel ; c'est la technique du cavalier, rejaillissant sur la monture, qui, en retour, par effet de miroir, renvoie 20 - Ed. J.R. Me Cormack, Genève, Paris, 1970, p. 210, vv. 962-4.
à la lumière du héros. A contrario, et par effet de contraste, le manquement à ce type de topos souligne le négatif d'un personnage, la difficulté d'une situation. Le topos en effet est une sorte d'égalité réflexe de type «cheval broché = combat mouvementé mené par un cavalier de valeur, poursuite acharnée, galop effréné». Si l'on brise ou dévie l'égalité, le signe s'inverse, inversion qui, en creux, souligne l'efficacité du topos. Ainsi, le pauvre Gauvain, monté dans Perceval sur son misérable roncin, peut s'acharner avec les éperons : le schéma habituel ne fonctionne pas, le roncin n'est pas un destrier, il ne sait pas galoper et Gauvain a failli en perdant Gringalet : Cil s'en vait, et cele aprés lui, Que il ne set qu'il puisse faire De son ronschin, qu'il n'en puet traire Cors ne walos por nule paine. Ou weille ou non, le pas le maine, Car s'il des esperons le bat, En un trop dur chemin l'embat, Si li hoche si la coraille Qu'il ne puet soffrir que il aille Plus que le pas por nule fin. (vv. 7214-23) (Celui-ci s'en va, et elle après lui. Il ne sait guère ce qu'il peut tirer de son roussin : pour nulle peine il n'en obtiendra un pas de course ou un galop. Qu'il le veuille ou non, il doit aller au pas, car s'il le pique des éperons, le cheval lui fait bien mauvaise allure : il lui secoue tant les entrailles qu'il lui est impossible d'aller autrement qu'au pas, quel que soit son désir) L'ardeur du combat se révèle aussi par le choc que les chevaux et le harnachement subissent : dans l'Atre périlleux par exemple, lors du combat entre Espinors et Goumerés, les destriers sont renversés sous la force de l'assaut21. Le harnachement, lui, est en général mis mal en point : le poitrail, la croupière, les diverses sangles se brisent, ne résistant pas à la violence de l'engagement. Proche ici d'une réalité, la littérature de fiction rend compte de la rudesse des chocs de lance, violence sous laquelle les pièces de cuirs, souvent, ne peuvent résister. Lors du tournoi d'Edimbourg, Erec défait son adversaire selon les règles de l'art : Ansamble hurtent leur escu, 21 - Ed. B. Woledge, Paris, Champion, CFMA, 1936, v. 5544sq.
et des armes et des chevax ; cengles ne resnes ne peitrax ne porent le roi retenir : a la terre l'estut venir; endeus les resnes et le frain an porte avoec lui en sa main; (vv. 2148-2154) (Tous deux se combattent, frappant les écus, les armes et les chevaux se heurtant. Aucune sangle, ni les rênes ne servirent à retenir le roi : en tombant, il emporte avec lui, dans sa main, les rênes et le frein) L'intensité est parfois telle q u ' e n sus d e la rupture des sangles, les chevaux e u x - m ê m e s sont renversés, c o m m e dans ce combat épique e n t r e B e u v o n e t l'amiral d a n s le Siege de B a r b a s t r e : Et Bueves le fiert bien, con vassaus adurez, Que les cengles desronpent, li poitraus est cassez, Les auves estandirent, li freins est descirez. Li destriers chancela, del cop est enconbrez ; A genouz est venu, l'amirant est versez (vv. 1432-6) (Et Beuvon le frappe fort, comme un chevalier aguerri, à tel point que les sangles se rompent, comme les courroies de selle. Les étrivières sont déchirées, le frein est cassé. Le destrier chancelle sous le coup et tombe sur les genoux : l'amiral est renversé) D a n s Cligès, lors du c o m b a t entre G r e c s et Saxons, l'acharnement est s o u l i g n é p a r le d é p e ç a g e des é q u i p e m e n t s qui laisse les destriers nus s u r le c h a m p d e b a t a i l l e : As premerienes acointances, Percent escuz, et froissent lances, Ronpent cengles, tranchent estriés ; Vuiz i ont laissiez mainz destriers De cez qui gisent en la place. (vv. 3543-7) (Dès les premiers engagements, ils percent les écus, brisent les lances. Les sangles sont rompues, les étriers détachés. Beaucoup de destriers sont sans cavalier, car ceux-ci gisent sur le champ de bataille) D a n s l'hyperbole, on peut aller jusqu'au spectacle désolant du c h a m p d e b a t a i l l e o ù il n ' y a p l u s â m e q u i v i v e e t d o n t , p ê l e - m ê l e , l e s corps et les harnais, unis dans la m o r t c o m m e
ils le f u r e n t d a n s
l ' a r d e u r g u e r r i è r e , t é m o i g n e n t d e l a d é s o l a t i o n e t d e la f u r e u r m e u r t r i è r e , t o u t e é p i q u e , d e s c o m b a t s , c o m m e c'est le cas d a n s la
Chanson
des
Saisnes
après
un
terrible
affrontement
entre
C h a r l e m a g n e et H e r u p o i s et ses S a x o n s : Tuit sont jonchié li pui, li païs et li vax, De haubertz et d'escuz, de branz poitevinax, De seles de colors, de chanfroins, de poitrax ; De sanc et de cerveles i est granz li maisiax. (vv. 5160-3) (Les monts, les contrées, les vallées sont tous jonchés de hauberts et d'écus, d'épées du Poitou, de selles colorées, de chanfrains, de sangles. Il y eut beaucoup de sang et de cervelle répandus ; grand fut le malheur)
L a m o r t , la p r o f o n d e b l e s s u r e s e r o n t s o u v e n t m a r q u é e s p a r la chute d u c o r p s s u r le cheval. L o r s q u e p a r e x e m p l e Girart de R o u s s i l l o n e s t v a i n q u e u r d e D r o o n l e G a s c o n , l ' a u t e u r n o t e a i n s i le c o u p d e l a n c e : « E l c o r s li m e s a t o t li g o f a n o n / E c r a b e n t e t l o ( r ) m o r t loin de l'arcon» ( v v . 7 0 3 8 - 9 ) . N o s r o m a n s et c h a n s o n s de g e s t e s o n t r e m p l i s d e t e l l e s s c è n e s q u i m e t t e n t e n v a l e u r , a u f o r t t r a i t d e la r é c u r rence, la vaillance de leurs héros. E m b l é m a t i q u e de la c h u t e m o r a l e et guerrière d u chevalier, le retour d e la m o n t u r e seule, c o m m e ce c h e v a l de Keu, v a i n c u et e n l e v é par Méléagant : Et einsi corn il aprochoient vers la forest, issir en voient le cheval Kex, sel reconurent, et virent que les regnes furent del frain ronpues anbedeus. Li chevax venoit trestz seus, s'ot de sanc teinte l'estriviere, et de la sele fu derriere li arçonz frez et peçoiez.22 (Tandis qu'ils approchaient de la forêt, ils en virent sortir le cheval de Keu et ils le reconnurent. Ils virent que les rênes du frein étaient toutes deux rompues. Le cheval revenait tout seul ; son étrivière était tachée de sang et l'arçon arrière de la selle était brisé et en bien mauvais état) A l'orgueil démesuré du sénéchal, correspond cette scène d'humiliation impliquée par ce cheval qui revient sans cavalier, son é q u i p e m e n t e n p i t e u x é t a t . L e s i g n e e s t ici c o n c l u s i f , m a i s a n n o n c i a teur dans u n autre réseau. K e u est vaincu, voici un état définitif du p r e m i e r r é s e a u d e t y p e c o n f l i t . M a i s la c h u t e d u s é n é c h a l d ' A r t h u r e s t 22 - Chrétien de Troyes, Le chevalier de la charrete, éd. M. Roques, Paris, CFMA, w. 257-65.
aussi le signe déclencheur de la quête qui va voir Gauvain se départir de la cour et rencontrer Lancelot. Toujours dans la troisième phase du signe, le cheval supporte la fuite de ceux qui sont défaits ; lorsqu'il s'agit de montrer combien celle-ci est déshonorante, il y a renfort de montures qui, dans le jeu des permutations, souligne la panique des vaincus, comme dans Aymeri de Narbonne où Savari, même s'il réussit à attraper un destrier, doit le monter à cru : Lors corent tuit as chevax maintenant : qui roncin trueve, destrier n'i vet querant ; chascuns sessist ce qu'il trova avant, li uns roncin, li autres auferrant, li tierz somier, li carz mulet enblant. Nes Savaris n'i vait pas choisissant : sanz sele monte en un destrier corant a l'ainz qu'il pot s'en est tomez fuiant (vv. 3190-7) (Alors tous coururent aux chevaux : celui qui trouvait un roussin ne cherchait pas un destrier. Chacun saisit ce qui se présentait, l'un un roussin, l'autre un bon cheval, le troisième une bête de somme, le quatrième un mulet allant au pas. Même Savari ne choisit guère : il monta sans selle un vif destrier et s'enfuit du plus vite qu'il put) La panique qui suit la défaite au combat peut être également signalée par la fuite des chevaux eux-mêmes, que l'on imagine donc sans cavalier, partant en tout sens, eux-mêmes effrayés par la défaite. Tel est le cas par exemple du cheval de l'amulainne d'Orbrie, défait par le bâtard de Bouillon dont «li chevaus s'enfuit moult effraëmant» (v. 4663). Emblématique aussi, l'échange du cheval après une cuisante défaite ; le chevalier paie son orgueil et son arrogance en devant laisser son destrier pour un roncin. Tel est le cas de Maugis, vaincu par Ipomédon ; pire, l'échange se fait avec le roncin d'un nain, qui, lui, acquiert le destrier, pour marquer davantage la honte du vaincu23. Toujours comme signe identificateur, le cheval entre dans le cadre de la métamorphose, du déguisement. Dans le Charroi de Nîmes, lorsque Guillaume se déguise en marchand, il monte «une jument molt foible» (v. 1042). Le païen converti Galafre du Couronnement de Louis veut tromper ses anciens compagnons ; il ne 23 - Hue de Rotelande, Ipomédon, éd. A. J. Holdcn, Paris, 1979, w. 8283-8336.
veut pas être reconnu d'eux et se fait dépouiller de ses attributs : «Mais or me faites de mes dras despoillier,/si me metez sor un guaste somier» (vv. 1305-6). Lorsqu'Ipomédon, arrivé en Sicile, se déguise, il ne saurait monter un destrier si peu en harmonie avec la tenue qu'il arbore ; tout en effet est vu en négatif, et l'anonyme «cheval» convient à cette panoplie que parachève le «megre runcin» de l'écuyer : Ipomedon la se deguise, Atumez se est de estrange guise ; Tundre se fet, rere sun col, Pur ben sembler musart e fol ; Hose sei de unes oses viez (...) E pus sur un cheval munta, Ke mut fut megre e dur porta ; Leide seele, li estrui curt, Curbe chevauche vers la curt24. (Ipomédon se déguise : il s'est affublé d'une étrange façon. Il se fait tondre, raser la nuque, afin de ressembler à unfou. Il se fait des braies de vieux tissu (...) Puis il est monté sur un cheval bien maigre et bien efflanqué. La selle en était laide, les étriers trop courts. Il chevauche courbé en direction de la cour) Encore dans l'ordre du déguisement et de la ruse, il y a le cas de l'équivalence : un chevalier par exemple se déguise en un personnage qui, ennemi certes, est toutefois son égal quant à la valeur. Dans cette situation, le cheval initial est délaissé, mais sa qualité supérieure est signalée : lorsque Simon prend les attributs de l'alfage, il échange sa monture, Bondifer, en précisant qu'il vaut mieux que celle qu'il monte, par nécessité, et qu'il serait désespéré si on la lui dérobait, car tout l'or du monde ne suffirait à la racheter25. On voit donc dans ces cas que le changement de monture ne peut être que provisoire, car il n'est pas question d'inverser le signe du héros. Si en effet, le cheval de substitution est marqué comme inférieur, il implique forcément une perte, voire un renversement dans la valeur signifiée : si le gain complémentaire ou le recouvrement de la valeur initiale ne peut se faire, il y a nécessairement déchéance. Cette perte peut aussi être volontaire, signe de contrition, d'humiliation, de repentir : lorsque le comte d'Anjou s'aperçoit de sa méprise et qu'il décide de partir à la recherche de sa femme et de son enfant, il se place dans la situation du pécheur en pénitence : 24 -lbid., v. 7761 sq. 25 - Simon de Pouille, éd. J. Baroin, vv. 1759sq.
Certes, dist il, je ne bevrai De vin, ne mengerai de char, Si ne merra sommier ne char, Et a pié sanz cheval irai26 (Certes, dit-il, je ne boirai pas de vin, ni ne mangerai de viande ; aucun char ni même aucun sommier ne me mènera et j'irai à pied, sans cheval) Lorsque le changement de monture, ou sa perte, sont définitifs, c'est une transformation radicale qui s'opère : le chevalier ne peut plus être ce qu'il était. Si, comme dans l'exemple précédent - où l'état était provisoire -, il y a attitude volontaire, c'est le signe, positif, d'un changement moral du chevalier; de celui qui renonce au combat, au monde, comme c'est le cas d'Aiol : il entend alors ne plus monter, car il délaisse tous ses attributs de chevalier : Sire, che dist li moignes, por nient en plaidiés. Quant nous fumes al siecle, s'estiens chevalier : Por amor Dameldé l'avons piecha laisié. Je promis Dameldieu, quant je fu roengiés Jamais ne monteroie sor mul ne sor destrier27 (Seigneur, dit le moine, il ne sert à rien d'en parler. Quand j'étais dans le monde, j'étais chevalier. Par amour de Dieu, j'ai abandonné tout cela. J'ai promis à Dieu, quand la décision fut prise, que jamais plus je ne monterai, ni sur une mule, ni sur un destrier) Si par contre, il s'agit d'une contrainte, c'est la déchéance totale, pouvant annoncer une mort honteuse, qui est révélée dans le signe perdu ou inversé. C'est le cas de Ganelon qui, après sa trahison, ne mérite plus le nom de chevalier; après l'avoir battu, les cuisiniers auxquels Charles a livré le traître «sur un sumer l'unt mis a deshonur» (v. 1828). A l'extrême, il y a la perte ultime, au seuil et dans la mort, comme pour l'infâme Fromont, traître et infanticide qui est, dans la chanson Jourdain de Blaye, puni comme il convient : il mourra écorché vif. On pourra noter que ce personnage négatif, toujours monté sur un destrier lorsque son pouvoir est actif, va être mis en relation avec deux animaux qui, en tant que signes, ont une valeur dépréciative dans le code chevaleresque, le roncin et le boeuf. Il est écorché «conme buef escomé» après avoir été traîné par un roncin («A un roncin ont 26 - Le roman du comte d'Anjou de Jehan Maillait, éd. M. Roques, Paris, CFMA n° 67, vv. 524650. 27 - Ed. J. Normand, G. Raynaud, Paris, SATF, 1877, vv. 6639-43.
F r o m o n t a t e l é , / S i l e t r a î n e n t c o n t r e v a l la cité»28). L a c h u t e d u p e r s o n n a g e e s t c o m p l è t e , c e q u e l e c h e v a l u t i l i s é e m b l é m a t i s e ; si le c o r p s d'Hector fut traîné par c h a r et c h e v a u x guerriers, celui de F r o m o n t ne mérite qu'un cheval de vilain. N o u s v e n o n s de v o i r des cas d'inversion o u d ' a n é a n t i s s e m e n t d e la v a l e u r d u signe. M a i s l e c h e m i n e m e n t p e u t se faire d a n s l'autre s e n s , p a r gain d e polarité. L e c h e v a l de petite qualité p e u t e n effet être le s i g n e d ' u n m a n q u e d ' e x p é r i e n c e , il p e u t ê t r e a s s o c i é e n p a r t i c u l i e r à l'enfance : dans Guillaume d'Angleterre, Gonselin offre au jeune L o u v i a u s c e qu'il peut, m a i s aussi ce qu'il mérite : Cil lui done une cape buire, Dont li enfes se fist moult liés, Uns housiaux et esperons viés ; Puis li fist deu roncis ferrans Grans et isniaus et bien errans, Enseler et metre les frains ;29 (Il lui donne une cape de bure, ce dont l'enfant se réjouit fort. Il lui donne aussi un vieux vêtement, et des éperons bien usés. Il lui fait enfin seller deux roussins ferrants, grands et rapides à qui le frein est mis) D a n s u n c o n t e x t e très voisin, apparaît d a n s H u o n d e B o r d e a u x u n m a u v a i s c h e v a l , c o n f i é a u j e u n e H u o n c a c h é à la c o u r d e l ' a m i r a l s o u s un faux nom, mais soupçonné toutefois : On li fait un cheval amener ; lonc ot le col, et maigre le costé, recreans fu : set ans avoit pasé qu'il n'ot mengié d'avaine ne de blé. D'un pié cloçoit, si ot son age passé ; celui ont fait Huelin amener. L'enfes i monte, qui moult ot de fierté, des esperons a le cheval hurté ; mal soit du pas dont il l'ait remué! (p. 226). (On lui a fait amener un cheval. Celui-ci avait le cou long, il était efflanqué et bien fatigué. Cela faisait bien sept ans qu'il n'avait mangé ni blé ni avoine. Il boitait d'un pied, était bien vieux. On l'a conduit vers le jeune Huon. L'enfant, tout fier, monte sur le cheval. Il le pique des éperons : mais de quelle façon il fut secoué!)
28 - Ed. P.F. Dembowski, Paris, CFMA n* 112, w. 4123-24. 29 - Ed. M. Wilmotte, Paris, CFMA, n055. vv. 1620-25.
L'appropriation du destrier transforme le valet ou l'écuyer en chevalier. Perceval, quittant sa campagne sur son «chaceor», commencera sa carrière de chevalier après avoir pris armes et destrier au chevalier vermeil. Situation analogue dans Le bel inconnu : Lorsque le chasseur se révèle, à la suite du défi du héros, être un chevalier (l'Orgueilleux de la Lande), il échange le «chaceor» contre un destrier. Il y a ici un parallèle significatif entre gain de l'identité et changement de monture30. A la bataille de l'Archamp, le jeune Gérard, devant la lâcheté de Thiébaud, s'empare de son cheval, ce qui lui confère le statut du chevalier courageux («Gérard s'adube des armes al cemin ;/le runcin laïsset, al bon ceval s'asist»31), alors que le lâche s'enfuit sur le roncin de son ancien écuyer. Si le destrier est par excellence le signe du chevalier, le palefroi est celui de la dame ou de la demoiselle en voyage. La mort le roi Artu offre un bon exemple d'une telle «nécessité» du signe : lorsque Guenièvre a été convaincue d'adultère et qu'elle est condamnée, Lancelot et ses compagnons viennent la sauver ; ils arrivent donc sur leurs destriers et luttent contre les fidèles d'Arthur. A l'issue de la victoire, Guenièvre est immédiatement mise à l'abri ; les éléments en présence sur le champ où brûle le bûcher sont les suivants : Guenièvre à pied, Lancelot et ses compagnons sur leurs destriers, les corps des victimes, éventuellement leurs chevaux, des destriers donc. Lancelot dit alors : «Dame, vos monteroiz seur un palefroi ; si vos en vendroiz avec nos en cele forest»32. L'invraisemblance de l'arrivée soudaine de ce palefroi n'a pas d'importance ici, car seul le signe importe. Une dame en effet ne peut être montée sur un destrier pour de multiples raisons. La première, évidente, est que ce cheval est celui du combat, de la guerre, lieu que le sexe féminin ne saurait bien entendu fréquenter ; tout au plus l'héroïne participe du haut de sa tour ou de la muraille, souvent par invectives à l'ennemi. La seconde tient peut-être à une raison plus «morale» ; l'iconographie, on l'a vu, révèle bien que le destrier est un mâle dont les attributs sexuels semblent, dans l'image symbolique, en rapport avec sa vaillance et, par contre-coup avec celle du cavalier, sous-entendu lui aussi bien viril. Il n'est peut-être donc pas trop exagéré de penser qu'au travers de ce type d'association se 30 - Le bel inconnu, éd. G. Perrie Williams, Paris, CFMA, vv. 1306-80. 31 - La chanson de Guillaume, éd. D. Mac Millan, Paris, SATF, 1949, t. 1, v. 384sq. 32 - Ed. J. Frappier, Genève/Paris, Droz, 1964, p. 125.
soit établie une forme de tabou interdisant à toute dame ou pucelle de bonne condition d'être juchée sur un destrier. Le Chevalier du Papegau offre un bon exemple d'un échange de monture et d'un destrier inutilisé : le héros arrive à la ville monté sur un palefroi «blanc comme nege» que la dame lui avait offert, celle-ci chevauchant significativement une mule, alors que le destrier du chevalier est sans cavalier, mené par un écuyer à pied33. Le clerc est en général monté sur un roncin, comme également l'écuyer d'un chevalier, ainsi que les vilains des romans courtois, lorque ces derniers, rarement, ne sont ni à pieds ni sur un âne. Le roncin est, on le sait, signe d'un rang inférieur, mais il n'est pas forcément négatif. La différence de polarité se fera par le contexte ou par la qualification du cheval, permettant de différencier : dans La mort le roi Artu, lorsque Guenièvre envoie un message en Gaule, son «vallet» est monté sur un «roncin beau et fort»34. Ici encore, le modèle est souvent transgressé, surtout lorsqu'il s'agit de mettre en valeur le rôle moral du cavalier. De nombreux clercs, ce qui correspond à une réalité (au moins pour les prélats) sont montés sur des palefrois. Le terme «cheval» est également employé dans ces cas. Jean Renart par exemple décrit dans l'Escoufle l'équipement du pélerin, personnage positif : Sor .i. cheval tondu, ferrant Estoit sa sele et ses hamés, Si bons et si biax et si frés Com a tel pelerin couvient. (vv. 306-9) Dans le contexte que nous venons d'évoquer, le cheval n'apparaît pas en premier lieu par rapport à la fonction correspondant à la réalité de l'animal. Au même titre que le blason du chevalier ou que la robe du moine, il est un signe qui permet l'identification d'un personnage ou qui donne des points de repère d'une situation dans le récit. On comprend dès lors que le texte puisse paraître parfois désinvolte au regard de l'importance «pratique» du cheval : Lancelot, à la recherche de Guenièvre, épuise ses montures et les change sans cesse. Ce type de situation se retrouve en fait assez fréquemment, avec de multiples 33 - Ed. F. Heuckenkamp, Halle, Niemayer, 1897, p. 19. 34 - Ed. J. Frappier, ed. cit., p. 181.
échanges de montures, même celles qui ont un caractère exceptionnel. Un des enjeux de Renaut de Montauban est la possession de Baiart ; dans Elie de Saint-Gilles, le cheval Prinsaut change assez aisément de maître et se laisse dompter par Elie, à qui il devient aussitôt fidèle, la fidélité étant une de ses caractéristiques. Dans Huon de Bordeaux, Huon donne le cheval de Charlot à Gérard, puis monte celui de l'amiral. Dans Beuve de Hanstone, le héros est vainqueur avec le cheval offert par la belle païenne Josiane ; à la fin du combat il rend la prestigieuse monture sans sourciller (il la reprendra, il est vrai, après la conversion de la fille du roi d'Egypte). Guillaume, certes, regrette, lors d'une complainte (courte) traditionnelle, la mort de son Baucent, tué par les Sarrasins dans Aliscans, mais Folatise le remplace sans trop de problème ; déjà, lorsque Baucent était fatigué par le combat, Guillaume le déshamachait pour apprêter l'autre destrier. Même Ogier, qui, on le sait, est tant attaché à son cheval, au point de penser qu'avec lui jamais il n'aurait «mal ne nisun destorbier» (v. 5543), n'est pas accablé par la mort de Broiefort au point que l'on pourrait attendre ; Ogier finit par déclarer assez sereinement : «En la bataille ne me verrés entrer/Se n'ai ceval ou me pusse fier»35. Peu importe dans ce cas l'univocité du signe, pourvu qu'il soit remplacé par un équivalent. Le cheval valeur Dans l'échange, nous l'avons constaté, le cheval est coûteux ; il l'est d'autant plus que sa qualité apparaît élevée ; c'est pourquoi tout personnage noble, tout héros chevaleresque se doit d'être monté sur un cheval de prix. Les auteurs ne manquent pas de le dire à maintes reprises : les destriers sont de «grant pris», il n'y en a point de meilleur au monde : du Marchegai d'Aiol, il est dit qu'«il n'en a nul millor en nul resnié» ; Girart, dans le Siège de Barbastre, parle de Ferrant comme de son «bon cheval» qui lui est «plus chier que nule rien chamal» ; quant à Morel, «onques tel ne vi» ; pour le Flori de Gerbert de Mez, «il n'a millor jusqu'à la mer de Griz» etc. Cette valeur du cheval apparaît clairement dans le cadre de listes visant à souligner la richesse d'un ensemble. Deux cas principaux se présentent : celui du butin et celui du don. Dans le premier, les textes 35 - Ed. cil., vv. 1066-7.
littéraires sont proches, aux exagérations près, de ce que les chroniques révèlent. Rappelons en effet que, tout particulièrement en période de guerre, le cheval est un bien précieux que les combattants cherchent à la fois à préserver et, en tant que capital-valeur, à accroître par la prise ; cette attitude perdure durant tout le Moyen Age : Jean Molinet rapporte ainsi qu'à Vesoul, en 1477, les Ecossais «perdirent joyaux, chaines, vaisselles et .C. chevaulx de cent escus la picce»36. Lors de l'évaluation du butin, après la victoire, les chevaux, au même titre que l'or, les hanaps, les étoffes, sont appréciés pour leur prix. Dans l'Escoufle, la victoire des croisés s'accompagne de la prise du butin, signe de leur vaillante conquête : Quant il repairent a lor gens, Li cheval, li ors, li argens Et li prisonier qu'il ont pris Lor done mout honor et pris Et li hardement qu'il fait orent : (vv. 10001-5) (Quand ils s'en retournent vers les leurs, les chevaux, les joyaux d'or et d'argent et les prisonniers, tout ce butin leur donne beaucoup d'honneur et de prix et met en valeur leur action courageuse) Un des cas les plus fréquents dans les textes décrivant combats et tournois est celui de la prise du cheval de l'adversaire. Cette saisie correspond on à une pratique courante de la joute et de la guerre, au moins jusqu'à la bataille de Poitiers. Elle peut se faire de manière collective, comme dans l'Escoufle, où les Français s'alimentent en montures aux sources des vaincus : Nus des nos n'en vint vuide main : Qui vousist presons ne chevax, Par ces larris et par ces vax En vont plus de mil estraier. Cil qui n'ot ronci ou destrier Le pot et bon et bel avoir ; (vv. 1290-5) (Aucun des nôtres ne revint les mains vides : qui voulait prisonniers et chevaux, des milliers il y en avait par monts et par vaux. Celui qui ne possédait ni roussin ni destrier put en obtenir de bons et de beaux) La prise, bien souvent, est individuelle, révélant la force, le «hardement» du héros : il serait inutile ici de vouloir multiplier les 36 - Jean Molinet, Chroniques, éd. G. Doutrepont et O. Jodogne, Rmxcllcs, 1935.
e x e m p l e s , p u i s q u e c e t t e s c è n e e s t u n t o p o s d e la l i t t é r a t u r e c o u r t o i s e : C l i g è s , d a n s l e c o m b a t c o n t r e l e s s a x o n s p r e n d le c h e v a l d u d u c a d v e r s e e t le r a m è n e d a n s s o n c a m p , à la g r a n d e j o i e de ses h o m m e s (vv. 3 5 6 7 - 7 4 ) ; le m e i l l e u r c h e v a l i e r , d'ailleurs, d i s t r i b u e ses gains, tel Perceval qui offre toutes les m o n t u r e s conquises, c o m m e par e x e m p l e celle de G a u v a i n : Et tent a son cheval la main, Sel prent au frein et si le baille A un vallet et dist qu'il aille A celi por cui il tomoie, Si li die qu'il li envoie Le premier gaaing qu'il a fait (vv. 5520-25) (Il tend la main vers le cheval et le saisit au frein. Il le donne à un écuyer, lui demandant d'aller vers celle au nom de qui il combat afin de lui dire qu'il lui envoie le premier gain qu'il a obtenu) L a prise du c h e v a l du h é r o s p a r contre est perçue très négativem e n t , p r o v o q u e s a f u r e u r et est s o u v e n t l'occasion de r e l a n c e r le c o m b a t ; tel e s t l e c a s p a r e x e m p l e d a n s le S i e g e d e B a r b a s t r e o ù C l a r i o n se fait p r e n d r e sa m o n t u r e p a r les T u r c s : Clarion avironnent einsi bien de toz lez, Son cheval lui tolirent, dont il estoit irez. Clarions li gentis, qui fu crestïennez, Les aqueut a l'espee, sovent s'est escrïez : «Fill a putein, larron, mon destrier me rendez.» (vv. 1374-8) (Les Turcs entourent Clarion de toutes parts et lui enlèvent son cheval, ce qui le rend fou de rage. Clarion le noble, qui était chrétien, les reçoit à coups d'épée. Souvent il s'exclame : fils de putain, voleurs, rendez-moi mon destrier!) D a v a n t a g e e n c o r e , u n c h e v a l p e u t être r e m a r q u é a p r i o r i et e x e r c e r la c o n v o i t i s e d ' u n c o m b a t t a n t avant l ' é p r e u v e : Elie de SaintG i l l e s p o u r s u i t le s a r r a s i n M a l p r i a n t surtout parce qu'il désire s ' e m p a r e r d e s o n c h e v a l d e q u a l i t é (v. 5 3 2 s q ) . G u i l l a u m e n e s a i t g u è r e ' résister à l'attrait d ' u n e belle m o n t u r e , Folatise d a n s A l i s c a n s o u le cheval du Corsolt dans L e c o u r o n n e m e n t de Louis : lorsqu'il s'apprête
à combattre le Corsolt, il s'avise de ménager le cheval de son adversaire37, car il est si beau qu'il veut s'en emparer : «Sainte Marie, com ci a bon destrier! Tan par est bons por un prodome aidier Mei le covient des armes espargnier : (vv. 677-9) Se saisir de la monture de l'adversaire a d'ailleurs bien souvent un objectif double, dont la deuxième part participe d'un inconscient mythique ; acquérir un cheval de prix, mais aussi s'approprier une part de l'identité de celui-ci et donc, dans une perspective quasi rituelle, parachever sa victoire par un anéantissement total. Dans le second cas, on va retrouver au sein des récits mettant en jeu le monde de la chevalerie les traces des pratiques du don. Souvent en effet, le cadeau d'un ou plusieurs chevaux est la marque de la largesse, qualité première du chevalier. En exprimant sa colère devant la rebellion d'Hervis du Lion, l'empereur rappelle, dans Gui de Nanteuil, que, durant tout son règne, il a comblé ses barons : «Vous m'avez bien servi et je vous ai amés/Et vous ai les avoirs et les chevax donnés,/Et le vair et le gris, les hermins engoulez»38 (Vous m'avez bien servi et je vous en ai aimé. Je vous ai fait des dons et offert des chevaux, comme de la fourrure : du vair, du petit-gris, de l'hermine de grande qualité). Dans Berte as grans piés, le roi de Hongrie veut faire «maint riche present» aux Français qui consistent en chevaux, or et argent, que d'ailleurs la «gent françoise» refuse39. Lorsque Alexandre, dans Cligès, arrive à la cour d'Arthur, il «done a toz chevax de pris/Que de sa terre ot amenez» (v. 410-1). Les dons ne sont pas toujours le fait de seigneurs et l'on retrouve, très indirectement, trace du servicium equi, comme dans Erec et Enide, où Erec reçoit des chevaux et autres cadeaux de la part des bourgeois qui l'accueillent : Le jor ot Erec mainz presanz de chevaliers et de borjois : de l'un un palefroi norrois 37 - L'idée de ménager le cheval, bien naturelle, pour un animal de valeur, est soulignée par certains chroniqueurs, on l'a vu. Guillaume Gruel par exemple rapporte que les «Françoys plaignent moult leurs chevaulx» (Chronique d'Arthur de Richemont, éd. A. Levavasseur, Paris, 1890. 38 - Ed. J.R. Mac Cormack, Genève/Paris, 1970, vv. 316-18, p. 170. 39 - Adenet le Roi, Berle as grans piés, éd. A. Henry, Genève, Droz, 1982, vv. 245-6.
de l'un un palefroi norrois et de l'autre une cope d'or ; cil li presante un ostor sor, cil un brachet, cil un levrier, et li autres un esprevier, li autres un destrier d'Espaigne ; (vv. 2384-91) (Ce jour, Erec eut de nombreux présents de la part des chevaliers et des bourgeois : de l'un un palefroi du Nord, de l'autre une coupe en or. Qui lui offre un autour de qualité, qui un chien de chasse, qui un lévrier. D'autres donnent un épervier, d'autres encore un destrier d'Espagne) A l'inverse, le c h e v a l i e r g é n é r e u x d o n n e r a des m o n t u r e s à s o n h ô t e ; a i n s i e s t c o n s e i l l é à A r t h u r d e d i s t r i b u e r , d a n s c h a q u e v i l l e o ù il s é j o u r n e , d e s m o n t u r e s à c h a q u e « b o i n p o v r e h o m m e » qu'il t r o u v e r a : Et la ou tu verras le boin povre homme de qui li vrais tesmoins t'aura acointié, si esgarde un de tes chevaux tel que lui coviegne et monte sus, puis t'acoste dalés lui si li fai joie, et deschent de ton cheval si li fai bailler de tes deniers tant com tu quideras que boin soit. Le cheval li donras tu por sa proece et les deniers por largueche de sa despense40. (Quand lu aviseras un pauvre homme dont la bonté et la pauvreté t'auront été certifiées, prends un de tes chevaux pouvant lui convenir, monte dessus et va vers lui. Fais lui fête, descend de cheval et fais lui donner de tes deniers autant qu'il te paraîtra nécessaire. Tu lui offriras ensuite ton cheval pour sa qualité ; l'argent pour le nécessaire de sa dépense.) O n p e u t m ê m e t r o u v e r ici u n e c e r t a i n e o r i g i n a l i t é , a v e c d o n d e c h e v a l à c e p e r s o n n a g e si s o u v e n t r a i l l é e t m é p r i s é , l e v i l a i n . R a i n o u a r t , il e s t v r a i b i e n a t y p i q u e l u i - m ê m e , s e n t l ' o b l i g a t i o n , d a n s Aliscans, de chevaux :
r é p a r e r le
mal
fait à u n
paysan
en
lui o f f r a n t d e s
Renoart a ses largesces mostrees : Au vilain a ses feves restorees, Totes les armes as Sarrazins donnees Et les chevaus par les renes dorees. (vv.7516-20)
E n d é p i t d e q u e l q u e s situations originales c o m m e cette dernière, les e x e m p l e s p o u r r a i e n t être multipliés, à l'appui de la constitution d e
40 - Lancelot, cité par J. Bichon, op. cil., p. 638.
véritables invariants que l'on pourrait ainsi énumérer selon une appellation de «type motif» : - convoitise du cheval de l'adversaire. A la guerre, elle est raison d'un engagement personnel (tentative d'appropriation) ; fruit des règles de l'art, elle est motivation pour un accroissement de butin et de prestige ; au tournoi elle est dans la logique du genre, le gain pouvant souligner, par le don, l'amour pour une belle. - don du cheval lors d'un combat ; solidarité et générosité pour sauver un compagnon qui a perdu sa monture. - don des chevaux gagnés au tournoi ; largesse, amour pour une dame. - don de chevaux à l'occasion de réjouissances ; signe de la largesse du donateur. Le cheval apparaît alors souvent dans une liste, aux côtés de manteaux, vaisselle, bijoux etc. Aux documents d'archives et aux chroniques révélant la valeur du cheval, son importance et son attachement à des classes sociales élevées, correspondent des topoi littéraires qui, dans la fiction, sont aussi la détermination de la place du cheval ; compagnon privilégié du héros combattant, il le détermine dans sa fonction et dans sa qualité. Personnages figurants des multiples batailles que nos auteurs ont tant aimé décrire, les chevaux y sont, comme dans la réalité, un élément indispensable et déterminant, mais aussi un enjeu, un élément de décor, animal et harnais. Se hissant au dessus de la seule figuration, ils sont aussi l'occasion de rompre la monotonie de la narration du combat par la mise en évidence de quelques épisodes plus pittoresques : descriptions d'un harnais, chevalier vidé de selle de façon péremptoire, façon originale de monter, poursuites de montures exceptionnelles, jusqu'aux combats des chevaux eux-mêmes, ou de ces animaux exceptionnels, Broiefort, Marchegai, Papillon, bousculant, frappant, étranglant les ennemis de leur cavalier. 11-2 Qualités «morales» du cheval Nous venons de voir qu'en tant qu'identificateur de la classe, de la situation sociale de son cavalier, le cheval est vu par les poètes comme un signe, l'animal particulier étant le représentant d'un champ sémiotique. Le signe «cheval» fonctionne ici de manière vectorielle, chaque élément étant conçu comme une représentation particulière
d'un ensemble, celui de tous les équivalents du représentant choisi, qui donc ne possède pas en lui-même de stabilité propre. Peu importent les attributs particuliers du cheval, ses qualités physiques : ce qui compte est son espèce en général qui est le signe de la situation du cavalier. Il y a une typologie, grosso modo destrier/ palefroi, roncin/sommier, qui permet à la fois de marquer le rang social du cavalier, comme sa situation dans le récit. Comme nous l'avons déjà remarqué, il y a une fonction qui relie le cheval, représentant d'une classe d'équivalence, au chevalier, lui-même représentant d'une classe : la fonction n'est pas univoque, car la classe du chevalier n'est pas unique. Il y a d'une part celle, comprise dans son sens social, sens premier ; mais il y aussi une classe «de situation», dépendante du récit : victoire, défaite, humiliation etc. Le même personnage peut ainsi se voir associer diverses montures qui ne sont, en tant que signe, interchangeables qu'au sein d'une classe donnée : l'une, des destriers par exemple, marquant le rang social ; l'autre, des roncins, porteuse de la situation diégétique. Cet aspect n'est bien entendu pas le seul qui marque la présence du «cheval littéraire» ; valoriser le héros positif, marquer au contraire la négativité d'un personnage, est une fonction également essentielle du cheval dans le texte, fonction pour laquelle il est nécessaire de davantage individualiser le signe. Le cheval en ce contexte doit s'humaniser et entrer dans un système signifiant nettement anthropomorphe ; il est alourdi par le poids de qualités morales, par un pouvoir d'action qui l'apparentent de manière plus étroite à son cavalier. L'animal manifeste même parfois, au delà de l'instinct, des attitudes intelligentes ; l'auteur d'Aliscans note d'ailleurs que Baucent, le cheval de Guillaume, réagit (en général en hennissant ou, mieux, en fronçant le nez) comme «s'il fust hom senez» (v. 590). Révélatrice de cette identification, l'insulte à l'animal : s'attaquer au cheval, c'est porter atteinte au cavalier. Déprécier la monture, c'est en même temps signifier à celui qui est dessus qu'il n'a que ce qu'il peut mériter. L'insulte au cheval est un procédé courant dans nos textes qui révèle combien le cheval représente son cavalier. Turnus par exemple, dans l'Eneas, accuse Drancès de lâcheté en faisant porter l'insulte sur le cheval : Cheval avez corant si tost n'a si isnel an trestot l'ost, mais molt est bien duiz de foïr, a lui ne se puet nus tenir ;
s'un po vos tome a destrece, plus vos fiez an s'isnelece que ne fetes an vostre espee41 (Vous avez un tel coursier qu'il n'y en a nul d'aussi rapide dans toute l'armée. Mais il est bien fort pour s'enfuir, nul n'arrive à le poursuivre. Si jamais vous êtes en quelque difficulté, fiez vous, davantage qu'à votre épée, à sa rapidité à fuir) Au contraire, le bon destrier est celui qui prend coeur à la bataille, soutenant son maître dans l'épreuve, faisant parfois montre d'un courage bien épique, tel le Ferrant de Girart, blessé de trois lances et qui, malgré tout, continue le combat42. Le cheval va même souvent jusqu'à manifester son propre goût pour le combat, tel ce curieux Ferrant de Nimaie, si vaillant qu'il mérite un nom humain, qui apparaît dans le Chevalier au cygne : N'avoit si bon destrier en .LX. cités : Il portast ja .XX. liues .II. cevaliers armes ; Ja n'alast plaine lance qu'il ne fust galopés De la bataille longe u li rois fu navrés43 (Il n'y avait pas de si bon destrier en soixante cités. Il pouvait supporter deux chevaliers en armes durant plus de vingt lieues. A la rude bataille où le roi fut blessé, toujours il était au galop, avant même que son cavalier ait complètement abaissé sa lance) Ce type de qualité de vaillance apparaît sans doute d'autant plus naturel à nos auteurs qu'il est décrit par les encyclopédistes comme une vertu naturelle du bon cheval : ce dernier, disent Isidore de Séville et ses successeurs, aime le son de la trompe, la clameur des combats et même peut prédire l'issue de ceux-ci ; le pas est vite franchi de passer de cet invariant encyclopédique au motif du cheval combattant44. Le paroxysme est atteint avec des chevaux qui se transforment eux-mêmes en guerriers. Le cheval de Fierabras ne se contente pas d'être un parfait soutien de son maître guerroyant mais il se métamorphose en combattant : Mais par aus ne puet estre ne prins ne atrapés ains regibe des piés et si fronke du nés, dis chevaus lor a mors et quatorze navrés45 41 - Ed. J.J. Salverda de Grave, Paris, Champion, 1968, vv. 6735-43. 42 - Siege de Barbastre, w. 2156sq. 43 - Ed. J. A. Nelson, Alabama, 1985, vv. 1736-40. 44 - Voir infra, chapitre 3. 45 - Ed. A. Kroeber, G. Servois, Paris, 1860, p. 126.
(Par eux il ne peut être ni pris ni attrapé. Il frappe des pieds et fronce du nez ; il leur a tué dix chevaux et en a blessé quatorze) Il e n v a d e m ê m e d e P r i n s a u t , l e c h e v a l c o m b a t t a n t d e L u b i e n à qui Elie de Saint-Gilles Rosamonde :
devra
s'affronter pour
défendre
la b e l l e
c'est Prinsaus l'aragon qui fu nés d'Oriande : quant il vient en la presse, que la bataille est grande, lors saut de catre piés et brait et fiert des jambes. (vv. 1826-8) (C'est Prinsaut le bon cheval espagnol, né d'Oriande. Quand il est au coeur de la presse, il fait feu des quatre fers et donne de grandes ruades) H u o n de B o r d e a u x nous offre un épisode exemplaire dans lequel les c h e v a u x v o n t c o n t i n u e r le c o m b a t d e leurs maîtres, H u o n et l'amiral, t o m b é s à terre : Li cevax Huon vit l'amauri u pré ; cele part vient, que n'a soing d'arester. Et li cevaux amauri le dervé a moult grant friente vers le Huon mené. Mais li Huon n'i a preu aresté : des piés devant commença a grater, de ciaus derriere commence a regeter un si grant caup a l'aumeri donné, enmi le front l'a tant bien asené que il li fist andeus les iex voler, et de la teste le cervele verser. Et li cevaus ne pot plus endurer, ains caï mors a tere enmi le pré46. (Le cheval de Huon a vu l'amiral sur le champ. Il se dirige à grande allure dans cette direction. La monture de l'amiral, ce mauvais infidèle, s'est montrée très agressive envers le cheval de Huon. Cela n'a guère arrêté celui-ci qui commence à gratter le sol de ses sabots avant et à ruer de l'arrière : un si grand coup il donne au cheval de l'amiral, bien ajusté au milieu du front, qu'il lui a fait sauter les deux yeux et la cervelle éclater. Le cheval du païen n'y résiste p a s : il tombe raide mort au milieu du pré) S i l ' a m i r a l n e s u p p o r t e p a s d e v o i r s o n c h e v a l a i n s i t u é , m a l lui p r e n d d e v o u l o i r le v e n g e r e n s'attaquant à la m o n t u r e d e H u o n qui ne v a pas n o n plus l'épargner :
46 - Huon de Bordeaux, éd. F. Guessard, Paris, 1860, pp. 54-55.
L'un de ses piés a contremont levé, un si grant cop a Amauri donné, parmi l'auberc qu'il avoit endossé, que deus des costes li a el cors froué. De la dolor ciet a tere pasmé. (p. 55) (Il a levé un de ses pieds et a donné à l'amiral un si grand coup, sur le haubert qu'il avait revêtu, qu'il lui a brisé deux côtes. La douleur fut si grande qu'il en est tombé évanoui) Si les encyclopédistes ont insisté sur le goût du destrier pour le combat, ils en ont aussi noté la fidélité : en particulier, comme ce fut, disent-ils, le cas pour le cheval de César, il refuse de se laisser monter par un autre cavalier ; lorsque ce dernier meurt, il est pleuré par son animal. Tel est le cas dans le Lai de Graelent, lorsque le héros disparaît dans l'Autre Monde avec la fée : Mout lonc tans aprés l'oï on cascun an cele saison que se sire parti de li, le noise e le friente e le cri ke li bons cevaux demenot por son segnor que perdu ot. (vv. 721-6) (Bien longtemps après, à l'époque où son maître avait disparu, on entendait encore les lamentations et le vacarme que faisait le bon cheval, pour la peine qu'il avait de la perte de son seigneur) L'anthropomorphisme moral du cheval est un élément récurrent de nos textes, que les auteurs ont très largement mis à profit. On retrouve ainsi, ce qui paraît logique, une unité dans la fonction du cheval écrit, celle de l'image. Signe identificateur d'une condition sociale, il l'est aussi d'une condition morale et c'est bien la lecture essentielle que propose l'image. Ce qui, également, dans le contexte de l'écriture du Moyen Age, explique bien la récurrence. Le lecteur est amené sur un parcours jalonné de tous ces repères qui établissent sa complicité avec le texte ; ce cheval, qu'il connaît dans sa réalité d'homme, il le retrouve, auréolé du vêtement poétique qui fait de l'animal à la fois un être familier et un être d'exception, contribuant à la valorisation des héros, au soulignement des valeurs que ce lecteur aime à percevoir pour imaginer cet horizon, certes lointain, des possibles. Si le cheval est vaillant, imitant ou ajoutant à la bravoure de son cavalier, s'il est beau, orné, emblème de la richesse, il est animal vivant, comme dans la réalité : au combat, il est blessé, il meurt sous les
coups des adversaires ; en chemin, il se fatigue, il a faim, il a soif ; à l'étape, il lui faut étable et fourrage. Il est de chair et d'os ; sa beauté, son âge peuvent physiquement être évalués. Ici encore, le vêtement poétique recouvre, mais s'adapte aussi, n'occulte pas, n'anéantit pas forcément. Nous avons bien des chevaliers se lavant les mains avant le repas, se couchant, épuisés de leurs fatigues, des héros blessés, mourant et même - souvenons-nous du Gauvain repêché dans le Chevalier de la Charette - recouverts de la rouille provoquée par leur sueur. Alors il y aura le topos de l'appel de l'eau, du «mire» guérisseur, de la chemise de «chainse» blanc etc. Dans cette véritable axiomatique topique de l'absorption du réel, le cheval à n'en point douter, a lui aussi sa «quotidienneté textuelle», qui contribue à le rendre aussi attachant, à le métamorphoser, au delà de ses prouesses, en animal-compagnon. 11-3 Un cheval plus réel? Vie quotidienne, aspect extérieur. Nous allons commencer ici par quelques évidences, d'ailleurs topiques, et par une catégorie de chevaux quelque peu négligée jusqu'à présent : il s'agit des sommiers. Le sommier, cheval de charge, est très présent, tout particulièrement dans la chanson de geste. Quoi de plus naturel en effet que la nécessité du transport des impedimenta, dans des récits où la guerre est omniprésente? L'armée, réelle, ne peut se passer de chevaux de trait et surtout de charge pour apporter armes et victuailles. Le sommier et sa charge Comme le note Ph. Contamine, «le charroi (...) et aussi l'artillerie, surtout à partir du milieu du XVe siècle, nécessitaient, pour toute armée de quelque importance, des centaines de chevaux»47. Le sommier, s'il n'est pas signe en lui-même, souligne la réalité de la bataille, la richesse du «harnois», l'ampleur des butins et, dans un contexte pacifique, la qualité de la suite d'un prince. Le cheval va donc apparaître dans deux situations principales : - en compagnie d'une armée, les sommiers lourdement chargés révèlent la puissance de celle-ci ; l'auteur du Girart de Roussillon, dé47 - La guerre au Moyen Age, op. cil., p. 248.
crivant l'armée en marche de Charlemagne, note que les hommes d'armes suivent les charrettes, les domestiques, les bêtes de somme, les caisses et les vêtements48. La charge est bien souvent constituée d'objets et de métaux précieux. Ils peuvent alors exercer la convoitise des adversaires, être l'enjeu d'une bataille. Dans Girart de Vienne, le héros aperçoit chez les ennemis «li somier/qui sont chargiez et d'argent et d'or mier./Garin mon pere en avroit grant mestier/il et ma dame, qui n'ont mes que mengier»49. Mais, plus prosaïquement, la 1charge peut constituer un lot de victuailles qui met en lumière l'aisance de l'armée : c'est le cas de Guillaume dans Aliscans, qui, sur les conseils de Guibourc, doit délaisser un peu ses ennemis et se contenter de ce qu'il a : il ne craint rien avec ses «de vitaille .XV. somiers trossez» (v. 2152). Dans la Chanson des Saisnes, l'auteur montre l'armée accompagnée de ses chevaux de charge et souligne les nécessités banales : la nourriture nécessaire aux hommes, le fourrage pour les bêtes : Toute est l'oz raemplie de la gent de forain, De toutes pars aportent et le vin et le pain, As muls et as sonmiers le forrage et le grain. (vv. 2251-53) (Le campement de l'armée est tout empli de marchands qui venant de toutes parts avec des mules et des sommiers apportent le vin, le pain, le fourrage et le blé) D'ailleurs, toujours dans la même chanson, cette nécessité du charroi est bien soulignée ; il faut en effet construire un pont pour le passage des hommes et de celui-ci : Ses conduirons sor Rune por le pont conmencier. Grant le ferons et large, merveilleus et plenier, Et planches et solives par desus chevillier Si que de front i puissent passer cent chevalier. La nous porront sivir charettes et sommier. (vv. 3399-403) - pour montrer la richesse : des sommiers portent quantité de biens appartenant à un puissant seigneur ou chevalier. Dans la Mort le 48 - Ed. M. Hackett, w. 6499-501. 49 - Bertrand de Bar-sur-Aube, Girart de Vienne, éd. W. Van Emdcn, Paris, SATr, 1977, vv. 210-13.
roi Artu, la reine part de Londres avec «deus somiers chargiez d'or et d'argent»5o. Souvent la largesse s'exprime par le don d'une lourde charge que le sommier supporte ; toujours dans La mort le roi Artu, Lancelot fait don à des moines de «quatre somiers touz chargiez d'avoir, por ce que cil de l'eglise proiassent por lui»51. On tombe ici souvent dans le procédé, si cher à nos auteurs, de la liste accumulative. C'est ainsi que Chrétien souligne la générosité d'Erec : Molt li tint bien son covenant qu'il li anvea maintenant cinc somiers sejornez et gras, chargiez de robes et de dras, de boqueranz et d'escarlates, de mars d'or et d'argent en plates, de veir, de gris, de sebclins, et de porpres et d'osterins. (vv. 1803-10) (Il honora bien son engagement : il lui fit parvenir cinq sommiers robustes et de qualité, tout chargés de vêtements et de tissus, de brocart et de pourpre, de marcs d'or et de lingots d'argent, de vair, de petit-gris, de fourrures précieuses) En contraste, l'absence du sommier peut révéler la difficulté d'une situation, la pauvreté. Ainsi dans Berte as grans piés, la condition particulièrement pénible de la reine est ainsi soulignée : Cel jour ot la royne travail et paine mâle ; N'i ot sonmiers a cofres ne dras troussez en male, Maison a osteler, chambre a voute ne sale ; (vv. 734-6) (Ce jour, la reine eut beaucoup de peine et de désagrément. Il n'y avait pour elle ni sommier portant bât, ni vêtements bien rangés dans un coffre, ni maison pour s'abriter, ni salle, ni chambre voûtée) On remarquera l'expression de «sommier a coffre», désignant bien la bête de somme chargée de porter à bât. Le sommier n'est donc pas négligé et même si sa charge apparaît souvent porteuse de symbole, le cheval est vu dans sa fonction réelle. Comme c'est un animal de charge, donc dévalorisé, les auteurs ne lui accordent pas d'importance individuelle ; il n'est pas décrit et seule compte sa fonction de porteur. Tel ne sera pas le cas du destrier qui 50 - Ed. J. Frappier, Genève/Paris, 1964, p. 217 (170). 51 - Ed. cit., p. 161 (121).
offre à de nombreuses reprises l'occasion aux auteurs de se livrer à l'art de la description. La description du cheval Il paraît a priori bien naturel de trouver des descriptions de chevaux dans nos textes. Ici encore, se pose la question des realia. L'auteur en effet, tel un peintre naturaliste, présente-t-il le portrait de l'animal qu'il peut voir lors de scènes de la vie courante : à la parade, lors d'une montre, chez le maréchal, au marché etc.? Quelle est la part de la dynamique poétique, de ce recouvrement où le signe identificateur joue, comme on l'a vu, un rôle si fondamental? Pour juger de ces questions, nous allons tout d'abord donner une série d'exemples de telles descriptions, pour voir, disons-le dès à présent, se reformer, ce qui nous est bien habituel, un ensemble topique. Ces descriptions portent sur des destriers ou des palefrois, animaux essentiels des romans et chansons de geste. Nous allons tout d'abord considérer les caractères anatomiques de ces animaux, conformation, musculature, mensurations etc., en négligeant pour l'instant les questions de robes. Le roman breton ne comporte que très peu de descriptions dans ce domaine ; Chrétien de Troyes par exemple ne s'intéresse en fait qu'à la robe. Citons toutefois, comme contre-exemple de soulignement, l'«anti-topos» auquel il se livre dans Perceval en décrivant un mauvais palefroi, puis un vieux roncin : Et cil tout le sentier s'en va Toz uns esclos, tant qu'il trova Un palefroi et maigre et las Qui devant lui aloit le pas. Del palefroi li fu avis, Tant estoit maigres et chetis, Qu'il fust en males mains keiis. Bien traveilliez et mal peüs Sambloit que il eüst esté, Si come on fait cheval presté Qui le jor est bien traveilliez Et la nuit est mal aesiez. Autel del palefroi sambloit : Tant estoit maigres qu'il trembloit Einsi com s'il fust enfondu. Toz li caons li fu tondus Et les oreilles li pendoicnt ; Cuiriee et past i atendoient
Tout li mastin et li gaignon, Qu'il n'i avoit se le cuir non Tant solement desor les os. (vv. 3703-11) (Il a suivi tout le sentier les traces de sabots jusqu'à ce qu'il trouvât devant lui un palefroi maigre et épuisé, qui allait le pas. Ce palefroi lui sembla, tant il était maigre et misérable, être tombé en de bien mauvaises mains. Accablé par les travaux et mal nourri, il paraissait avoir subi le sort d'un cheval de louage : le jour, recru d'efforts ; la nuit, mal soigné. Il en allait apparemment de même de ce palefroi. Il était si maigre qu'il tremblait comme un cheval tout trempé. Il avait la crinière toute rase et les oreilles pendantes. Tous les mâtins et les chiens méchants n'attendaient plus que la curée ; il n'avait plus que la peau et les os) El ronchin ot molt laide beste : Graisle ot le col, grosse la teste, Longues oreilles et pendans ; Et de viellece ot toz les dans, Que l'une levre de la boche De plain doit a l'autre n'atoche. Les oex ot trobles et oscurs, Les piés crapeus, les costez durs, Toz depechiés as esperons. Li ronchis fu maigres et Ions, S'ot maigre crupe et torte esquine. (vv. 7161-71) (Le roussin était une bien laide bête. Il avait maigre encolure, grosse tête, oreilles longues et pendantes. Il était si vieux qu'il avait perdu toutes ses dents, à tel point qu'un bon doigt séparait une mâchoire de l'autre. Il avait les yeux troubles et ternes, les jambes pleines de tumeurs, les flancs endurcis, tout déchirés par les éperons. Le roussin était bien efflanqué ; il avait la croupe maigre et l'échine toute tordue) Il s'agit bien là, faite avec grand art, d'une contre description qui, en creux, montre que Chrétien connaît très bien ce que doit être un bon cheval, celui que les chansons de geste par exemple mettent bien en valeur, celui qui, justement, possède les attributs strictement contraires au roncin de Chrétien52. Chanson de geste Chanson de Roland
52 - Au vu des stéréotypes qui se répètent d'un texte à l'autre, nous ne traduirons pas la totalité des citations.
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Li destrers est e curanz e aates Piez ad copiez e les gambes ad plates, Curte la quisse e la crupe bien large, Lungs les costez e l'eschine ad ben halte, Blanche la eue e la crignete jalne, Petite oreille, la teste tute falve ; (vv. 1490-5 [1651-56]) (Le destrier est rapide et vif : sabots concaves, jambes plates, cuisse assez courte, croupe bien large, flancs allongés, échine bien haute, queue toute blanche, crinière jaune, petites oreilles, tête toute fauve)53 La chanson des Saisnes Li rois Lohot li done le brun baucent crenu Qu'il ot antre les autres por millor esleü : Il ot le pié vairet et le fronc bien pelu Et la cuisse reonde et le braon nervu, Si ot large la crope et le piz ancreü. (p. 161, vv. 1669-73) A merveilles esgardent le sor destrier gascon : Plus li luisoit li pois que pane de paon, Si ot la teste maigre, l'ueil plus vair d'un faucun, Et l'oreille petite, et voltis le chaon, Le pis gros et quarré, et large le crepon, Et la cuise reonde, et serré le braon, Si ot la jambe plate, le pié coupé enson. (pp. 206-8, vv. 2489-95) Le siège de B a r b a s t r e Il ot megre la teste, s'iert par leus estelez, L'ueil apert et bien cler, et si fu pommelez, Et ot base la croupe si fu haut encoëz ; (vv. 1909-11) (Il avait la tête fine, tachetée p a r endroit. L'oeil vif et clair, la robe pommelée, la croupe basse ; il était haut d'encolure) La chevalerie d'Ogier de D a n e m a r c h e De tel ceval n'oïstes mais parler : Joule polains, .1111. dens ot jetés ; Il fu tous noirs, s'ot le front estelé, La jambe ot plate, si ot le pié copé ; (vv. 2420-23)
53 - Trad. I. Short.
R o m a n antique Le r o m a n de Thèbes Li autres estoit bien aates, piez ot coupez et jambes plates ; le col ot cort, le chief bien fet, en lui n'avoit nes point de let. (vv. 2807-10) Blanchenue fu chevax genz (...) Gros ot le col, bien fet le chief, le piz espés, l'enseller brief, et large fu desouz grant masse ; la croupe avoir roonde et crasse, les piez coupez, les jambes plates ; bien ert isniaux et bien aates, de courre loing ot mout grant los, et ot un pou cambré le dos : de tant i fet meilleur seoir. (vv. 6245..6257) Le r o m a n d'Eneas L e p a l e f r o i d e C a m i l l e fait l'objet d ' u n e d e s c r i p t i o n s u r l a q u e l l e n o u s reviendrons à p r o p o s des couleurs de robes. L'auteur note toutefois q u e le c h e v a l a v a i t «lo p i é c o p é , les j a m e s plates :/molt fu b i e n faiz et b i e n aates» (vv. 4067-8). R o m a n courtois C o m m e n o u s l'avons noté, les descriptions sont assez rares dans l e r o m a n ; n o t o n s t o u t e f o i s c e l l e d e M e l i a c i n o u l e c h e v a l d e f u s t -, l e t h è m e d u r o m a n é t a n t c e l u i d u c h e v a l -, q u i o f f r e e l l e a u s s i d e traditionnelles caractéristiques, longuement développées. Li chevax de grant estature Estoit et de grande vistece, A une teste longe et seche, A uns iex gros, parfont fendus ; Et fu grans et bien estendus, Et ot forte eschine a merveilles, A unes petites oreilles Et un col gros et espé pis ; Des mustiaus ne fu pas du pis,
Kar il les ot gros et foitables, Jambes fermes et bien estables, Et fu bien par terre enjointiés ; (...) S'ot il uns piés trop bien jointis, Sains et roons et bien faitis, Et larges dehors et dedens ; Et ot grande bouche et bons dens, Et s'avoit si trés bone al aine Que pour souffrir travail ne paine N'ot onques mais nus chevaus tele ; La crupe avoit et large et bele, A une rains trop vertüeusez Que ja ne fussent dolereusez D'un chevalier armé porter. (vv. 11868-97)
Il n ' e s t g u è r e d i f f i c i l e d e r e c o n n a î t r e d a n s c e s d e s c r i p t i o n s l e s différents stéréotypes : oreilles courtes, pieds cavés, croupe large, g r a n d s y e u x etc. L e s a u t e u r s se r e p r e n n e n t les u n s les a u t r e s o u utilisent directement leurs connaissances encyclopédiques. Ces caractéristiques du cheval, en effet, correspondent, presque m o t p o u r mot, c o m m e o n le v e r r a a u c h a p i t r e s u i v a n t , à c e q u e , a p r è s I s i d o r e d e Séville, les encyclopédistes du M o y e n A g e ont pu véhiculer dans leur texte. Citons ici s e u l e m e n t la description d'Isidore : Chez les chevaux de race, d'après les Anciens, on examine quatre points : la forme, la beauté, les qualités et la couleur. La forme : il doit avoir le corps vigoureux et solide, la taille en rapport avec sa force, le flanc allongé, le ventre très déprimé, la croupe arrondie, le poitrail largement ouvert, tout le corps noueux de muscles serrés, le pied sec et affermi par une corne concave. La beauté : il doit avoir la tête petite et maigre, avec la peau presque collée aux os, les oreilles courtes et fines, les yeux grands, les naseaux larges, la nuque dressée, la crinière et la queue fournies, les sabots solides, ronds et bien arrêtés 54 . P o i n t n'est d o n c b e s o i n d'un très l o n g c o m m e n t a i r e - u n e lecture c o m p a r a t i v e s u f f i t -, p o u r d é t e r m i n e r l a s o u r c e d e s d e s c r i p t i o n s a u x q u e l l e s s e l i v r e n t n o s a u t e u r s . O n r e t r o u v e ici u n a s p e c t , q u i p e u t p a r a î t r e d é c e v a n t p o u r le m o d e r n e : c e l u i d ' u n s u r d i m e n s i o n n e m e n t livresque. E n effet, d a n s les traités d e maréchalerie, on ne trouve pas ce t y p e d e d e s c r i p t i o n , à q u e l q u e s c a r a c t è r e s p r è s . M ê m e si c e r t a i n e s d e s 54 - Traduction de J. André, éd. du livre XII des Etymologies, Paris, Belles-Lettres, 1986, p. 70. Ce passage est repris au chapitre suivant qui porte sur l'encyclopédisme lui-même.
qualités énoncées par nos auteurs sont de «bonnes» qualités, il semble que ce soit pour l'essentiel un art d'écrire qui importe avant tout ; le bon destrier est celui que l'on attend, dans son contexte épique ou romanesque, et non celui qui réellement galope sur le champ de bataille ou dans les lices des tournois. La robe des chevaux : de la couleur réelle au merveilleux Après ces considérations sur l'anatomie, il paraît naturel de considérer la robe du cheval ; les exemples que nous venons de citer d'ailleurs mentionnent aussi quelques couleurs. Comme on l'a déjà remarqué sur l'exemple des montres de chevaux, comme le révèlent aussi les documents d'archives, il est bien difficile de se faire une idée très précise dans ce domaine : dans les registres de vente, dans les états de «restor», il y a peu de détail ; tel cheval est bai, tel autre gris pommelé etc. L'enquête que nous avons menée sur les comptes bourguignons donne une liste avec des termes en nombre restreint, qui reviennent fréquemment : nous avons relevé, sur 235 actes, 103 indications de couleur, avec les mentions suivantes : cheval bai bai à longue queue : 26 bai brun à longue queue : 5 bai brun à courte queue : 1 bai à courte queue : 1 bai : 6 (dont un bai clair) bai brun : 2 rouge bai : 1 bai à longue queue avec «crigne et queue noirs» : 1 cheval gris gris à longue queue : 11 gris à courte queue : 3 gris, grisart, gris pommelé : 2 gris fauve à longue queue : 1 cheval noir noir à longue queue : 9 noir baucent à longue queue : 1 cheval morel
morel (morelet, moreau) à longue queue : 10 morel : 4 cheval fauve fauve (fauvel) à longue queue : 7 fauve : 3 gris fauve à longue queue : 1 cheval rouen rouen à longue queue : 5 rouen : 1 rouen avec crins et queue noirs : 1 Cheval liard 1 seule mention
Si l'on compare avec d'autres textes d'archives, on arrive à un lot de couleurs de robes qui sont sans cesse utilisées : bai, bai brun, morel, liart, fauve, gris pommelé, ferrant, noir, brun, blanc ; baucent, qui peut à la fois désigner un cheval noir et blanc, comme la présence de balsanes. A ces couleurs sont ajoutés quelques détails sur des parties du cheval : couleur particulière et abondance de la queue et de la crinière, front «estelé» etc. Isidore de Séville, en fonction de ses sources, avait donné 14 couleurs : aeranis (couleur bronze), dosinus (gris cendré), guaranis (cervinus)(louvet), maurus (noir), badius (bai) (ou spadix), glaucus (vairon), giluus (isabelle), guttatus (moucheté), candidus (blanc de neige, brillant), albus (blanc pâle, terne), canus (gris clair), scutulatus (pommelé), varius (couleurs mélangées), mirteus (pourpre foncé). Toutes ces couleurs ne se retrouvent pas dans les documents, qui restent fidèles à un échantillonage traditionnel, sans doute suffisamment clair et précis pour les marchands ou les palefreniers de l'époque. La littérature va elle aussi proposer une palette de couleurs de robe, qui, de façon récurrente, vont aider à souligner l'aspect d'un cheval. Mais presque toujours, il s'agit de stéréotypes, correspondant encore une fois à ce rôle essentiel du cheval littéraire qui nous est apparu : celui de signe. C'est pourquoi, le cheval du héros, la plupart du temps, est de couleur claire : il est blanc, «sor», «sor baucent» : le
cheval d'Achille, dans le Roman de Troie, est «sors et par lieus blans» (v. 12033), celui d'Erec est blanc (v. 2117) etc. Rappelons en particulier que les palefrois des nobles dames sont toujours blancs, lorqu'elles ont un rôle positif ; il suffit de se souvenir de celui de la fée de Lanval ou de ce palefroi «plus blanz en toz sens/que ne scit nule noiz neigee» du Guillaume de Dole ; il en va de même des hommes d'ailleurs, comme ce roi couronné de Renaut de Montauban juché sur «un blanc palefrei». La positivité du blanc, qui se manifeste souvent dans l'iconographie, apparaît nettement dans la transformation «nécessaire» de la robe de Baiart, dans Renaut de Montauban, qui du bai, passe au blanc. Il est inutile de se livrer à une énumération fastidieuse d'exemples, tellement le nombre d'occurrences est grand55. Il en va de même pour «ferrant», «brun», «bai», «pommelé», «baucent». Ces qualificatifs sont tellement usités (et usés) dans les romans et chansons de geste, qu'ils en arrivent fréquemment à se substantiver : le «bai de Comoaille» (v. 3594) de la chanson des Saisnes, le «sor baucent» (v. 1771) d'Aliscans, «li bauçant et li bai» (v. 2783) de Raoul de Cambrai etc. etc. Rien d'original donc dans ce domaine. Les textes littéraires se contentent de puiser dans la gamme des couleurs traditionnelles et n'apportent aucune précision, si ce n'est quelques détails, déjà connus des textes d'archives : par exemple, le cheval Broicfort d'Ogier est noir avec le «front estelé», comme celui que saisit Clarion dans le Siège de Barbastre ou celui à la «crupe estelee» de Raoul de Cambrai ; davantage, il peut y avoir des associations, faites uniquement sur le procédé de l'accumulatio, qui égarent plus qu'elles n'éclairent : dans Erec et Enide, un cheval «baucent et sor,/Falves et blans et noirs et bai», dans Fierabras un blanc ferrant etc. Bien que déroutante au vu de la réalité, la variété de la robe paraît, avec la clarté (sor) un critère d'excellence poétique, ce qui explique aussi le succès du qualificatif «vair», «vairon» «varius) : il suffit de penser au Vair palefroi, au «vair d'Espagne» (v. 1552) de Baudoin dans la Chanson des Saisnes, au «vairon» (v. 955) de Floire et Blancheflor, au «vairet mout trés gent» (v. 1891) d'Elie de SaintGilles etc.. Dans Fierabras, nous avons la description d'un cheval «moult riche» :
55 - Voir l'article d'A. Planche, «De quelques couleurs de robe» dans Le cheval au Moyen Age, Senefiance, 32, 1992, pp. 403-14.
Vair est et de riche color. La semblance de nule flor No color c'on seüst descrire Ne savroit pas nul hom eslire Qui si fust propre en grant beauté (vv. 172-6) (Ce cheval est vairon et de riche couleur. Rien ne saurait se comparer à sa beauté, quoi qu'un homme pût trouver, l'aspect d'aucune fleur, ni quelconque couleur que l'on pût décrire) Ce type de description, qui fait aussi figure de topos, apparaît souvent avec en outre un regard appuyé sur la richesse de la robe du cheval. La précision des couleurs et des formes n'a guère d'importance ; on tombe même souvent dans l'invraisemblance et dans l'impossible, mais peu importe : ce qui est essentiel est l'accumulation devant évoquer la richesse et la qualité. Encore une fois, c'est le signe qui prédomine. Dans le Roman de Troie, Benoît décrit ainsi un palefroi : Palefreiz orent genz e beaus, Soëf amblanz, forz e isneaus ; Merveilles erent bien taillié E de l'eire bien aaisié. Ne neif ne cignes n'est si blans Come il aveient toz les flans ; Ferranz e bais e pomelez Orent cous, cropes et costez. (vv. 6235-42) (Ils avaient de beaux palefrois dociles, allant l'amble, robustes et rapides. Ils avaient fière allure ; voyager sur leur dos était chose agréable. Leurs flancs étaient plus blancs que neige et que cygne. Quant à l'encolure, la croupe et les côtés, ils étaient ferrants, bais et pommelés) Cette variété s'affirme parfois dans une bipolarité qui semble séduire nos auteurs et derrière laquelle se profile peut-être une double nature qui se révélera pleinement dans le cheval faé. On a ainsi dans Perceval un palefroi «qui la teste ot/D'une pan noire et l'autre blanche» (vv. 6822-3) ; le cheval de Fabur (v. 185) dans la Chanson d'Antioche est noir et blanc et celui de Clation est fauve et blanc dans Fierabras (v. 4106). Le blanc et le noir bien entendu font penser à deux polarités à la fois opposées et complémentaires ; il y donc un appel vers le merveilleux dans cette notion même. Ce merveilleux va se concrétiser avec l'apparition de couleurs plus exceptionnelles pour les robes des chevaux : Pennevaire, le cheval de Beliant dans la Chevalerie Ogier, est inde et blanc. L'encolure de Tholomé, le cheval
d ' A l e x a n d r e d e Paris, a les é p a u l e s «yndes»56. C e t t e c o u l e u r inde est b i e n m y s t é r i e u s e et p e u t d é s i g n e r d e m u l t i p l e s nuances57. O n la retrouve dans cette robe fantastique qu'est celle du cheval de Camille de l'Eneas, d o n t la description est u n véritable m o r c e a u d'anthologie : Unques ne fu tant gente beste : come noif ot blanche la teste, 10 top ot noir, et les oroilles ot anbedos totes vermoilles, 10 col ot bai et fu bien gros, les crins indes et vers par flos ; tote ot vaire l'espalle destre et bien noire fu la senestre ; les piez devant ot lovinez et fu toz bruns par les costez ; soz le v antre fu leporins et sor la crope leonins et fu toz noirs desoz les auves ; les dos james devant ot falves, les dos desriers vermalz com sans ; les quatre piez ot trestoz blans, noire ot la coe une partie, l'altre blanche, tote crespie, (vv. 4049-66) (Jamais on n'avait vu pareille bête. Sa tête était blanche comme neige, avec un toupet de crins noirs, et ses deux oreilles étaient rouge vif. Son encolure, bien large, était baie. La crinière violette avec des reflets verts. Son épaule droite était de teint vairon et bien noire était la gauche. Il avait les antérieurs aussi fins que les pattes d'un loup. Ses flancs étaient tout bruns. Sous le ventre, il était tacheté, avait une croupe à la façon d'un lion. A l'endroit où l'on dispose la selle, il était noir. Les anlérieurs étaient de couleur fauve, les membres postérieurs rouge sang. Il avait quatre balsanes, la queue toute frisée, en partie blanche, en partie noire) O n r e m a r q u e r a d a n s cette d e s c r i p t i o n l'apparition d e la c o u l e u r v e r m e i l l e q u i s e m b l e r e h a u s s e r p o u r l e s p o è t e s le c a r a c t è r e f a n t a s t i q u e d e l ' a n i m a l . D a n s l e L a i d e l ' e s p i n e , le c a v a l i e r m y s t é r i e u x q u e le j e u n e h é r o s doit, d a n s sa g a g e u r e , a f f r o n t e r p o s s è d e u n c h e v a l d o n t les o r e i l l e s v e r m e i l l e s s o n t a s s o r t i e s a u x a r m e s ; le g a i n d u c h e v a l , o f f e r t à la demoiselle,
n'en
aura que
plus de valeur.
Pennevaire,
dans
le
C h e v a l e r i e O g i e r , a la c r o u p e vermeille. D a n s le R o m a n d e Thèbes, le
56 - Le Roman d'Alexandre, éd. F. Maurer, Darmstadt, 1961, m, v. 4180. 57 - Voir B. Ribémont, «Le Dit des V///. couleurs de Watriquct de Couvin», dans Ecrire pour dire (B. Ribémont), Paris, Klincksieck, 1991.
cheval de Capanée, faé par sa naissance (il est né d'un «noitun»58), est de quatre couleurs : il ot la destre oreille blanche et ensement la destre hanche ; bais ert devant et vers derriere ; d'un vermeil poil ert la coliere. (vv. 9023-26) A côté du vermeil, semble ici apparaître la couleur verte ; le contexte en effet permet de traduire «vers» par «vert» plutôt que par «vair». Cette couleur bien inhabituelle, qui plaira tant à Marcel Aymé, on la retrouve dans le cheval d'Enide, lui aussi très bariolé : Cil estoit noirs (...) mes la teste fu d'autre guise : partie estoit par tel devise que tote ot blanche l'une joe et l'autre noire come choe ; antre deus avoit une ligne plus vert que n'est fuelle de vingne qui departoit del blanc le noir. (vv. 5274-81) (Ce cheval était noir (...) mais sa tête était d'autre façon : elle était ainsi faite qu'une joue en était blanche et l'autre aussi noire qu'une corneille. Entre les deux, il y avait une ligne plus verte que feuille de vigne qui séparait le blanc du noir) Ces exemples nous révèlent, derrière le plaisir de l'accumulation et de l'ornementation outrée, combien la tentation est forte pour les auteurs médiévaux d'opérer des dérivations, des «extensions» à partir du cheval. Cet animal possède semble-t-il un caractère mixte dans les mentalités ; il est certes particulièrement connu, néccessaire de plus aux actions ; mais il est aussi porteur de mythes, celui de la mort, celui de l'au-delà : c'est par exemple dans les lais bretons presque toujours sur un cheval qu'un chevalier s'enfonce dans le lac, la rivière qui l'engloutissent ou l'amènent vers un ailleurs féerique. La naissance du cheval également est porteuse de pareil mystère merveilleux ; nés de croisements exceptionnels (engendrés par le vent, par des créatures de Neptune etc.), animations de mécaniques compliquées et magiques, 58 - Nous renvoyons pour cette question de naissance à l'ouvrage de F. Dubost, Aspects fantastiques de la littérature narrative.., op. cit., I, p. 449 ; à son article «de quelques chevaux extraordinaires dans le récit médiéval», Senefiance, 32, 1992, p. 204sq (le cheval marin).
tels ces fantastiques «chevaux de fust», ils opèrent une intrusion de l'autre-monde dans la réalité du chevalier, ils sont le témoignage du merveilleux de sa quête. Rien d'étonnant dès lors à ce que certaines de ces créatures, extensions du cheval normal, soient le support d'actions exceptionnelles, ayant leur place à part entière dans l'exagération épique : Baiart peut s'allonger à loisir pour porter quatre cavaliers, il peut donner son sang pour nourrir des assiégès affamés ; le cheval de Richart dans l'Histoire de Charlemagne de Jehan Bagnyon « eust porté sept chevalliers armez sur luy avant que d'une goutte d'eaue on l'eust fait suer»59. Il s'agit ici d'ailleurs d'un topos, celui du cheval qui ne sue pas, quelle que soit l'ampleur et la rapidité de sa course : tel est le cas de Baiart, de Broiefort, d'Abisme dans Beuve de Hanstone qui «ja de suour ne mouillast le crepon»60. Le cheval faé donc, à quelques exceptions près (Bucéphale ou le cheval de fust qui volent) possède donc des caractéristiques hors du commun, mais imaginables. C'est pourquoi l'on peut parler d'extension, mettant d'ailleurs encore une fois en valeur l'exceptionnalité du cavalier. Le cheval faé fait plus, beaucoup plus que le cheval normal, mais en restant dans des normes de qualité bien définies, soulignées souvent par des couleurs multiples et rares et des anatomies au caractère exagéré. Il est extension de ce cheval, déjà exceptionnel, qu'est celui du héros épique et lui-même, saisi du furor guerrier, de l'endurance à toute épreuve des chevaliers conquérants, s'adapte ainsi aux situations extraordinaires que ces guerriers ont à affronter. L'extension, plus qu'une dérivation lointaine vers un inaccessible, souligne en fait la limite, concevable, de la qualité héroïque. En focalisant le regard sur l'animal lui-même, on voit donc que les poètes l'ont effectivement décrit. Deux conclusions s'imposent à l'évidence : d'une part, puisant à la fois dans la littérature encyclopédique, puis se répétant par la stratification de l'imitatio, tout en conservant un regard, parfois lointain, voilé, sur la réalité, les poètes ont présenté des stéréotypes de chevaux. D'autre part, du stéréotype, par le jeu de l'écriture, dont la thématique est particulièrement porteuse de ce type de déviation, ils se sont livrés à des extensions, prenant en compte à la fois un imaginaire traditionnel de l'époque 59 - H. E. Keller, Genève, Droz, 1992, p. 129. 60 - Voir à ce sujet F. Dubost, op. cit., p. 437.
(symbolique des couleurs) et les grands courants mythiques qui traversent leur culture et leur imaginaire. Le cheval écrit alors, tout en demeurant inscrit dans les stéréotypes, se hisse à la hauteur du héros qu'il supporte et qu'il aide et secourt également. Cette rencontre des imaginaires va dans le sens de la création d'un véritable doublet, se lisant dans les deux sens : celui du cavalier/cheval'. Scènes quotidiennes Même si le cheval est lié au prestige, à la guerre, au tournoi, ce n'est pas pour autant, bien que cela soit assez rarement dans le détail, que certaines scènes familières ne figurent pas dans les textes. On voit ainsi apparaître des chevaux boitant, ayant perdu leurs fers, des chevaux buvant à la fontaine, établés le soir à l'étape etc. Il y a même des termes de comparaison, montrant cette familiarité avec le cheval, comme dans Berte as grans piés, où la belle était triste et devait s'appuyer car «de paine clochoit corn chevaus c'on encloe» (v. 844). Dans Perceval, Gauvain s'aperçoit par exemple que son cheval a perdu un fer : Et chaça tant que a bien pres Le retenist et arestast, Se ses chevax ne desferrast D'un des piez devant tot a net. Et mesire Gavains se met Aprés son hamas a la voie, Qu'il sent son cheval qui tendroie Soz lui, si l'en anuie trop ; Mais il ne set qui le fait clop, S'estos el pié feru ne l'a. Tantost Yvonet apela, Si li comanda a descendre Et de son cheval garde prendre, Qui molt cloche tres durement. Et cil fait son commandement, Tantost li lieve un pié en haut Et trove que uns fers li faut, Et dist : «Sire, il l'estuet ferrer ; Si n'i a mais que de l'esrer Tot souavet tant que l'en truisse Fevre qui referer le puisse.» (vv. 5682-702) (Il a si bien poursuivi la biche qu'il était tout près de la prendre si son cheval n'avait soudain perdu un fer à un sabot de devant. Monseigneur
Gauvain se remit alors en chemin après son équipage, sentant que son cheval faiblissait. Ceci le rendait soucieux, mais il ignorait ce qui pouvait faire ainsi boiter sa monture ; peut-être son cheval avait-il heurté une souche. Il appela aussitôt Yvonet, lui commanda de descendre de son cheval et de s'occuper du sien qui boitait fort. L'autre exécute l'ordre et découvre qu'il manque unfer ; il dit alors : «Seigneur, il faut le faire ferrer. Continuons le chemin très doucement jusqu'à ce que l'on trouve unforgeron qui puisse lui remettre unfer») On notera au passage l'importance du fèvre, du maréchal. Le cheval en effet doit être soigné et on doit le laisser reposer. On trouve quelquefois des allusions précises au rôle de ce maréchal, en tant que médecin vétérinaire, comme dans lescoufle par exemple61. On a vu que le cheval servait souvent de signe déclencheur d'une action. Plus simplement, on assiste souvent à la scène du départ, tôt le matin, où le cheval est sorti de l'étable et harnaché. Citons pour seul exemple le Siège de Barbastre, où apparaît le terme «marechaucie» dans le sens d'«écurie» : Aprés estoit venuz en la marechaucie, Son cheval a fet traire fors de son establie. Quant il fu enselez, s'a sa voie acoillie, (vv. 5185-7) Les textes littéraires évoquent souvent la scène classique du repos : la fatigue des bêtes est notée pour signifier le bivouac, comme dans Roland où Charlemagne ordonne la halte : Dist l'emperere : tens est dei herberger ; En Rencesvals est tart del repairer. Noz chevals sunt e las e ennuiez. Tolez lur les seles, lé freins qu'il unt es chefs, E par cez prez les laisez refreider. (vv. 2482-6) (L'empereur dit alors : il est temps de bivouaquer. Il est trop tard pour rejoindre Roncevaux. Nos montures sont lasses et épuisées. Otez-leur la selle, le frein qu'ils ont en bouche et laissez-les se rafraîchir dans ces prairies») Souvent, le chevalier errant attache sa monture à un arbre ou le laisse dans une clairière, un champ et le fait paître en toute tranquilité, tel Passelyon qui «s'embati sur une fontaine, sy descendy et la mist 61 - Voir pour cette question le chapitre quatre de cette partie.
paitre son cheval»62 ; est noté parfois la détente du cheval qui gambade librement, comme dans Girart de Roussillon où «les chevaus corre par la vareine/E li somer paiscient a la paleine» (vv. 675-6). Le cheval doit boire aussi : paroxysme, celui de Perceforest qui jette Passelyon dans la boue, car il se précipite vers un point d'eau, tant il a soif63. Le soir, il est nécessaire d'établer le cheval et de lui prodiguer les soins habituels. Le cheval est alors pris en charge par un écuyer, où, ce qui est assez fréquent, par une pucelle bien «apprise» : lorsqu'Erec arrive chez le vavasseur, sa fille s'occupe du cheval du chevalier : La pucele prant le cheval, si li deslace le peitral, le frain et la sele li oste. Or a li chevax molt boen oste ; molt bien et bel s'an antremet : au cheval un chevoistre met, bien l'estrille et torche et conroie, a la mangëoire le loie et si li met foin et aveinne devant, assez novele et seinne. (vv. 459-68) (La jeune fille emmène le cheval, lui délace les sangles et lui ôte selle et mors. Ce cheval a bon hôte! elle s'occupe très bien de lui : elle lui met une entrave, l'attache à la mangeoire que devant lui elle remplit de foin et d'avoine toutefraîche) Cette scène, il est clair, souligne la bonne éducation de la jeune fille qui deviendra l'épouse du héros, comme la qualité de l'accueil. Mais, au delà du signe, transparaît une scène parfaitement réaliste. Il est inutile de multiplier les exemples, car ici encore la littérature médiévale est marquée au sceau du topos. Non que le regard sur la quotidienneté du cheval soit systématique et, disons, performant, mais, lorsque le soin au cheval apparaît dans le contexte du récit, c'est sous fonne de stéréotype. L'ensemble de ces figures récurrentes peut être sérié aisément : - scène du départ : le cheval quitte l'étable et est harnaché. - scène de la halte : le cheval, fatigué, comme le chevalier, se repose durant le parcours ; il paît en liberté, est attaché à un arbre, boit à une fontaine. C'est souvent l'occasion pour le cavalier d'une rencontre 62 - Perceforest, IV, 2, p. 928. 63 - Ed. G. Roussineau, quatrième partie, t. II, p. 929.
(fontaine merveilleuse, gué périlleux, animal merveilleux, pucelle abandonnée ou éplorée par le deuil de son ami, ermite, chevalier belliqueux etc.) - Scène de l'accueil : le cheval est conduit à l'étable et le soin qu'on lui porte est à l'image de l'hébergement proposé au chevalier. Le bon accueil est souligné par une étable bien garnie de fourrage de qualité, le pauvre ou le mauvais accueil est marqué par la piètre quantité et qualité du fourrage, la vétusté de l'étable (à l'image du mauvais repas, de la misérable couche offerte au chevalier). Quelques détails sur l'équipement que l'on enlève sont souvent donnés à cette occasion. - cheval blessé ou fourbu qui attire l'attention du cavalier ou de l'écuyer ; la monture peut être abandonnée (Lancelot dans le Chevalier de la charette) ou soignée, ce qui peut valoir au lecteur quelques détails sur le soin porté à l'animal. On assiste donc, dans la littérature épique et romanesque, à ce qu'on pourrait nommer une sorte de «fusion», au centre de laquelle se trouve un cheval dont le rapport essentiel se définit à l'homme. L'animal est un signe identificateur, tant social que matériel et moral, de son cavalier. Mais son poids dans le texte varie entre des extrêmes : de la simple monture qui porte le héros au combat, il peut devenir combattant lui-même, aussi farouche que son cavalier. Il est animal fidèle à son maître en rejetant tout autre, mais il peut être perdu, retrouvé, reperdu, passant indifféremment à d'autres cavaliers sans pour autant refuser son rôle de monture ; dans ce cas, seul son maître en souffre et met tout en oeuvre pour le retrouver. Généralement son animalité propre n'a guère d'importance, si ce n'est en rapport avec le sentiment de son maître. A côté de cet ensemble de rapports unissant le cavalier à sa monture, on trouve, dans les récits, des allusions à la réalité qui est propre à l'animal : soin, description etc. On a vu que la plupart des situations fonctionnent comme des enchaînements de stéréotypes que les auteurs manipulent apparemment à partir d'un fonds commun. Les écarts possibles, certains extrêmes, sont le fait de choix en rapport avec tel ou tel stade de la narration. Cette «fusion» des différents niveaux topiques, sémiotique de l'identification, anthropomorphisme de l'animal, realia, dessine l'image d'un cheval, à la fois central dans le monde socio-économique et central dans une littérature, qui se conçoit en tout premier lieu comme élément d'un doublet : le couple (cavalier, monture). En ce
sens le cheval en tant que tel (par exemple vu dans sa description) n'existe que comme projection de ce couple fondateur sur un axe. Le cas le plus extrême est alors celui de l'identification, qui bien sûr n'apparaît que comme limite : tel est le cas du cheval combattant seul ou de l'attachement excessif de l'homme à sa monture, qu'il considère presque comme un égal ; le cheval est alors hissé au statut du compagnon auquel le chevalier adresse la parole dans une situation difficile, parole qui se fait l'emblème du lien supérieur unissant l'homme et l'animal64. Tel est ainsi, dans le Siège de Barbastre, le discours de Girart assiégé à Ferrant qui lui sert de confident : Ferrant, ce dit Girart, or me doi aïrier que ge vos voi einsi del tot afleboier. Hahi! quieus estiez por vo seignor aidier, por foïr a besong et por bien enchaucier! Por un jor porter armes ne l'esteUst changier. Des or me covendra mauvés plet ostroier, rendre ceste cité et le palés vuidier, ou tuit morron de fein en ce palés plenier. (vv. 4468-78). (Ferrant, dit Girart, cela mefait grand peine de le voir sifaible. Ah! Tu étais toujours vif à aider ton maître : à fuir si besoin était comme à faire de grandes poursuites! Nul autre ne te valait pour porter les armes. Désormais, je vais devoir conclure un bien mauvais marché, rendre cette cité et quitter le palais, sinon nous mourrons lous de faim en ce lieu majestueux) C'est au poète et à son maniement de l'exagération épique qu'il appartient de modeler, de remodeler sans cesse les topoi pour déplacer le cheval prestigieux sur un échiquier qui le fait passer de l'ombre à la lumière, de l'ordinaire à l'exceptionnel - voire au merveilleux -, de la monture au camarade. Avec, en point d'orgue, le sublime épique du regret dans lequel l'homme reconnaît, à l'approche de la mort de l'animal, ou bien même post mortem, que son destrier fut pour lui son plus sûr et son plus fidèle compagnon dans les épreuves. Comment alors ne pas laisser la parole à Gerbert de Metz devant son Flori qu'il croit blessé à mort, et dont la seule consolation est, à l'image de Roland brisant son épée, que sa chère monture ne tombera pas aux mains de l'ennemi. Dans le sublime de la fin du temps épique, il fait le voeu de l'union des deux compagnons dans la mort héroïque : 64 - J. Bichon a bien étudié cette question dans les chansons de geste et montré comment le topos s'établissait ; L'animal dans la littérature française, Lille, 1976, pp. 330-47.
Ha bons chevaux! Con suis por voz marri! Con soliiez et grater et hennir, d'une grant liue voz peiist on oÏT. Or voz voi ci a la terre gesir! Mais d'une chose ren ge a Dieu merci : ne voz aront mi mortel anemi ; de coste moi voz covenra morir (vv. 7446-58) (Ah! mon excellent cheval! comme votre sort me rend triste! vous qui aviez l'habitude de gratter du pied et de hennir. On aurait pu vous entendre à une bonne lieue. Et maintenant je vous vois étendu au sol! Mais il est un fait à propos duquel je rends grâce à Dieu : mes ennemis mortels ne s'empareront p a s de vous ; vous allez mourir à côté de moi!»)65
65 - Trad. B. Guidot, Gerbes. Presses universitaires de Nancy, 1988, p. 137.
CHAPITRE III Un cheval «didactique» : le cheval des encyclopédistes
Le cheval intervenant dans la littérature du Moyen Age est avant tout un marqueur de rang social. Mais il est aussi un compagnon : celui, privilégié, du chevalier. A ce titre, le poète investit l'animal d'un regard double : celui du narrateur décrivant l'animal, celui du chevalier, montrant le compagnon. La description du cheval dès lors n'obéit pas toujours à des critères objectifs visant à offrir une évaluation de l'animal ; il s'agit davantage de tracer un portrait de personnage. Portrait important, car il est aussi le reflet du caractère du cavalier1. Ce portrait n'exclut pas pour autant les éléments réalistes qui peuvent être mis à profit par les poètes pour davantage souligner la qualité de tel ou tel cheval. L'influence ici, à la fois d'un bon sens quotidien, et d'une littérature à caractère savant, se fait souvent sentir. On ne sera pas étonné par exemple de voir que la plupart des chevaux de nos héros chevaleresques ont une crinière abondante, à tel point que l'adjectif se substantivise pour donner, comme dans Raoul de Cambrai, le «crenu» (v. 1959) ; Isidore de Séville et ses successeurs encyclopédistes ont tous rapporté, après les agronomes antiques, que c'était une des qualités du bon cheval. Il existe donc, il ne faut pas l'oublier, un substrat à caractère savant derrière les descriptions proposées par les poètes. C'est pourquoi il nous a paru nécessaire, avant de s'interroger sur le rôle littéraire du cheval, sur la façon dont il est vu et décrit par les poètes, d'envisager la position qu'il a dans les encyclopédies du Moyen Age. Nous donnerons ensuite un exemple de la façon dont un contenu particulièrement «scientifique», puisqu'il s'agit en l'occurrence d'hippiatrie, peut intervenir dans un texte littéraire, ici à caractère satirique.
1 - Pour la littérature épique, M. Potter a étudié cette identification, avec en particulier l'héroïsme de Marchegai et de Baiart ; «Thé Horse as an Epie Character». Four Essays, Harvard Studies in Romance Languages, 3, 1917, pp. 109-39.
111-1 L'encyclopédisme médiéval S'intéresser à l'encyclopédisme médiéval, c'est se pencher sur un aspect important de la culture de cette époque ; le texte encyclopédique en effet se situe à un véritable carrefour. S'il est en prise avec le monde savant, s'alimentant à une ligne de force d'une connaissance reconnue, autorisée, d'un savoir assimilé dans un passé plus ou moins lointain, il débouche également sur un univers littéraire plus large, celui que l'on peut en première approximation désigner comme étant celui des lettrés. A regarder la littérature médiévale de près en effet, l'on s'aperçoit de la force d'une intertextualité qui s'inscrit au long d'un chemin de la connaissance jalonné de ces textes de compilation à caractère scientifique, de divers florilèges introducteurs des autorités de la pensée, de ces textes philosophiques dont le Moyen Age a aimé reproduire, avec plus ou moins de fidélité, les sentences. L'encyclopédisme joue un rôle moteur dans ce phénomène de diffusion et de construction des mentalités. A l'inverse, de par sa nature même, que l'on peut qualifier d'intermédiaire, l'écriture encyclopédique subit les influences d'un réseau constituant une tradition littéraire au niveau d'un savoir diffus. Si le texte encyclopédique se veut le relais de tractatus savants, s'il oeuvre pour l'accès aux autorités reconnues tels Platon, Aristote ou Isidore de Séville, il est aussi un creuset dans lequel, de loin en loin, viennent se couler personnages, légendes, mythes tout droit issus de romans ou épopées, bestiaires et autres lapidaires. Gossuin de Metz ne cite-t-il pas une fontaine merveilleuse, de celles qui marque le début de la quête d'Yvain? De nombreux chapitres sur les animaux ne sont-ils pas directement influencés par les bestiaires, comme celui que Thomas de Cantimpré consacre au pélican qui se perce le flanc pour ressusciter les enfants qu'il avait occis? L'encyclopédisme «respire» au coeur de la lettre médiévale, contribuant à lui donner vie et s'alimentant en retour au souffle de ses productions, de son imaginaire. La période qui va de la fin du XIIe siècle à celle du XIIIe voit se répandre un grand nombre d'ouvrages de type encyclopédique, au sens que leur auteur désire rendre compte d'un état plus ou moins exhaustif des connaissances de son époque, en les adaptant, voire en les vulgarisant (au sens moderne du terme), pour le public qu'il vise. La plupart de ces oeuvres sont rédigées en latin, ce qui montre que le statut de la vulgarisation scientifique (toujours au sens moderne) n'est
pas très bien délimité au Moyen Age. De fait, l'étude de l'encyclopédisme médiéval en tant que genre se révèle complexe et le classement d'une oeuvre comme encyclopédique pose de nombreux problèmes, que nous n'aborderons pas ici2. On se contentera de la définition supra qui, demeurant très vague, suffit à notre présente problématique. On englobera donc sous le terme d'encyclopédie des oeuvres assez diverses dont nous pouvons citer les principales : le De Naturis rerum d'Alexandre Neckam(l 157-1217) ainsi que celui de Thomas de Cantimpré (c. 1200-c. 1280), l'Imago mundi d'Honorius Augustodunensis, l'anonyme Compilatio de rerum natura (souvent référencé comme le Compendium philosophiae), le De Proprietatibus rerum de Barthélémi l'Anglais (fi. 1250) et ses diverses traductions vemaculaires, le Speculum naturale et le Speculum maius de Vincent de Beauvais (c.1199-c.1265), l'Image du monde de Gossouin de Metz (fl.1250), le Livre de Sydrach (fin XIIIe), le Livre dou Tresor de Brunetto Latini (c.1220-c.1294), Placides et Timéo (début XIVème), l'Ymago Mundi de Pierre d'Ailly (début XVe). Grâce à un ensemble de sources communes et du fait des multiples emprunts que les auteurs de ces encyclopédies font aux oeuvres de leurs prédécesseurs, se crée un véritable réseau d'ouvrages scientifiques conçus par la plupart comme des ouvrages d'enseignement. Les causes de ce mouvement sont de deux ordres, en apparence contradictoires, mais qui, de fait, se complètent au sein du projet encyclopédiste : tradition et nouveauté. Le Moyen Age a hérité d'une tradition encyclopédiste antique qui se manifeste dans des oeuvres comme la célèbre Histoire naturelle de Pline, le Polyhistor de Solin ou les Quaestiones naturales de Sénèque, les Nuits attiques d'Aulu-Gelle, l'oeuvre de Priscianus Lydus et le De Natura rerum de Lucrèce (cette dernière ne sera connue qu'à la fin du Moyen Age). A cette tradition latine de l'Antiquité et de la fin de l'Empire, s'en juxtapose une autre, chrétienne celle-là : il s'agit des commentaires des Pères de l'Eglise portant sur l'oeuvre du Créateur, ces Hexaemeron qui analysent la Genèse et proposent ainsi une imago mundi, dans laquelle les animaux figurent souvent en bonne part. Cette tradition demeurera vivace au XIIe siècle chez des auteurs tels Abélard, Hugues de Saint2 - Voir à ce sujet B. Ribémont, «De la définition d'un genre à son évolution. Sur la pertinence des notions d'apogée et de décadence, dans Apogée et déclin, (dir. CI. 'l'homasset et M. Zink), Paris, Presses de la Sorbonne, 1993, pp. 27-68.
Victor ou Pierre Lombard et même au delà puisque par exemple saint Bonaventure se livre aussi à un commentaire de ce type. Ces lignes de force de transmission d'un savoir scientifique traditionnel, traditions païennes de l'Antiquité et de l'Antiquité tardive, exégèse chrétienne aboutissent au VIle siècle à Isidore de Séville (c. 560-636), le «père» de l'ency-clopédisme médiéval. Isidore, avec ses Etymologies, aura une influence durable sur les encyclopédistes. Par exemple, au XIIIe siècle, des auteurs comme Barthélémi l'Anglais ou plus tard Brunetto Latini le citent à l'envi et copient souvent textuellement l'évêque de Séville. Dans l'Image du Monde de Gossouin de Metz, on trouve encore des explications de type étymologique, la plupart inspirées d'Isidore : c'est le cas du douzième chapitre de la troisième partie de l'ouvrage3; l'Afrique tient son nom de l'enfer, le septentrion de sept étoiles etc. La nouveauté, elle, apparaît dans la deuxième moitié du XIIe siècle et vient se juxtaposer à cette tradition isidorienne. Avec la poursuite de la Reconquista, l'Espagne va devenir la plaque tournante de la transmission du savoir détenu par le monde arabe ; transmission déjà commencée, mais de façon moins spectaculaire, par les traducteurs du sud de l'Italie. Grâce à des hommes comme Adélard de Bath, Dominique Gondissalinus, Gérard de Crémone, Platon de Tivoli, Robert de Chester, Michel Scot etc., l'Occident médiéval découvre Euclide, Ptolémée, l'aristotélisme, souvent teinté de néoplatonisme à travers les grandes sommes d'Avicenne, d'Ibn Gabirol et d'Averroès. Dans le domaine de la zoologie, si le Moyen Age ignore généralement les zoologues arabes, il connaîtra par contre les traités d'Aristote et leurs commentaires, celui d'Avicenne par exemple, comme en témoigne, entre autres, le De animalibus d'Albert le Grand. On comprend dès lors le désir de «bilan» qui put hanter certains esprits. Devant cette masse de connaissances anciennes et nouvelles, les clercs voulurent offrir à leur époque la possibilité d'acquérir cellesci. Malheureusement, ce ne fut pas toujours avec un souci de clarification, avec un esprit de synthèse et surtout avec une compréhension des phénomènes dont ils voulaient rendre compte. Le niveau scientifique de certains encyclopédistes laisse bien souvent à désirer. Ces ouvrages, en dépit de leur lourdeur et de leurs nombreux défauts, sont pourtant de première importance pour la compréhension 3 - Voir l'édition de O.H. Prior, Lausanne, 1913
de la mentalité médiévale. Ils offrent en premier lieu un panorama de ce que pouvait être le champ des connaissances d'un lettré. De plus, ils rendent compte de la démarche que les clercs médiévaux avaient au devant du monde et de la nature. L'immense succès d'un ouvrage comme celui de Barthélémi l'Anglais, dont témoignent les nombreux manuscrits qui nous sont parvenus ainsi que les traductions du De Proprietatibus rerum, révèle à quel point le savoir contenu dans un tel livre correspondait à une demande réelle, que de plus il semblait ' satisfaire. Il apparaît en effet de plus en plus clairement au cours du XIIIe siècle que l'aristocratie doit être cultivée. Gossouin de Metz, reprenant le thème de la translatio studii, - que l'on trouve par ailleurs chez un auteur a priori plus «scientifique», Alexandre Neckam -,note que «chevalerie suit touz jourz clergie la ou ele va adès»4. Le thème de l'illitteratus rex asinus coronatus est est un lieu commun qui se développe dans la foisonnante littérature des débats du clerc et du chevalier et qui s'affirme avec force au XIVe siècle dans la plupart des traités didactiques, dans lesquels les clercs imposent la suprématie de leur savoir. Telle est une des revendications principales du Roman de la Rose de Jean de Meun (une encyclopédie?) et plus tard d'ouvrages tels le Livre du corps de Policie de Christine de Pizan , le Songe du Vergier ou le Songe du vieil Pelerin de Philippe de Mézières. Il est donc important de mettre à la disposition d'un public de princes et de seigneurs les connaissances scientifiques disponibles. C'est bien dans ce sens que Charles V agit au XIVe siècle en encourageant un mouvement de traduction en langue française et en demandant à des savants comme Nicole Oresme la «translation» d'oeuvres d'Aristote. Le caractère universel du De Proprietatibus rerum de Barthélémi l'Anglais s'affirme encore dans ce mouvement par la traduction de 1372 de Jean Corbechon. Dans sa dédicace au roi, ce dernier affirme clairement cet idéal de «sapience» : Selon la verité des divines Escriptures et humaines, entre toutes les humaines perfections que cuer royal doit desirer, le desir de sapience doit par raison tenir le premier lieu.5
4-Ibid., p . 78. 5 - Voir l'article de M. Salvat, «Le Livre des propriétés des choses», Vu de Haut, 5, Escurollcs, 1986
Ce n'est donc pas un hasard si des ouvrages à caractère encyclopédique comme le Livre dou Trésor, Placides et Timéo, le Wâlscher Gast de Thomasin von Zerclaere comportent des conseils aux princes, se situant ainsi dans la tradition des divers Miroirs des princes. D'autre part, la connaissance de la nature s'inscrit souvent dans un processus moral, religieux et exégétique : l'Arbre des sciences de Raymond Lulle offre par exemple une place privilégiée à la morale qui vient couronner l'ensemble des sciences. Pour le lettré médiéval, il est fondamental d'essayer de comprendre cette hiérarchie universelle dont Dieu Tout-puissant occupe un sommet inaccessible duquel II préside aux destinées de l'homme, car c'est aussi par la science que l'on peut accéder à Dieu. Les premiers livres du De Proprietatibus rerum sont consacrés à Dieu et aux anges et Barthélemi annonce bien au prologue qu'il va donner quelques clés nécessaires à la compréhension des Ecritures. Quant à Gossouin de Metz, il prétend que les hommes «ja connoissance n'avroient ne de Dieu ne de sa poissance se il n'enqueroient avant en ses oeuvres tant comme il en pourroient savoir» (éd. cit., p.70). L'histoire naturelle s'inscrit dans un processus de rachat. C'est ainsi par exemple que la première version du Speculum naturale de Vincent de Beauvais comportait un livre (XVIII) s'intitulant De scientiis et artibus homini datis ob miserae remediwn6. Toute encyclopédie du Moyen Age, depuis les Etymologies d'Isidore, comporte un chapitre sur les animaux7, en général assez abondant : le livre XVIII du De proprietatibus rerum est l'un des plus volumineux de l'encyclopédie de Barthélemi l'Anglais, l'essentiel du De natura rerum de Thomas de Cantimpré est consacré aux animaux, Brunetto Latini insère dans son enseignement au prince que constitue le Livre dou Tresor un véritable bestiaire. Le monde animal des encyclopédistes est en général à l'image de l'ensemble de l'écriture de nos compilateurs. Il se trace au fil d'une information puisée dans les autorités, selon des critères de choix des informations. Un choix qui, fait avec plus ou moins de logique, distingue parfois un auteur d'un autre. 6 - voir l'article de Monique Paulmier-Foucart, «Ordre encyclopédique et organisation de la matière dans le Speculwn maius de Vincent de Beauvais», L'encyclopédisme, (dir. A. Becq), Paris, Klincksieck, 1991. 7 - Voir B. Ribémont, «Le monde animal dans \'Ymago mundi de Pierre d'Ailly», Fifleen Century Studies, 19, 1992, pp. 229-42.
Quasiment absent des bestiaires, le cheval apparaît dans la seule tradition encyclopédique. Il est important de noter que, la zoologie n'étant pas une discipline du quadrivium, elle n'est que très peu enseignée dans le cadre d'une étude de la nature. Les traités encyclopédiques du XIIIe siècle correspondent donc en ce domaine au savoir scientifique de leur époque8, intégrant l'histoire naturelle antique transmise par les compilateurs du haut Moyen Age, celle de Pline essentiellement, ainsi que celle d'Aristote, plus récemment connue. Il paraît dans ce contexte intéressant de considérer quel fut le regard des encyclopédistes sur le cheval, animal domestique9 et de plus animal prestigieux et fondamental. Tout particulièrement se pose à ce propos la question de savoir si les compilateurs sortent des textessource pour proposer une observation plus personnelle, s'ils portent témoignage d'une réalité contemporaine, ou s'ils demeurent dans la stricte obédience livresque de l'auctoritas. 111-2 Le cheval des encyclopédistes Si le foisonnement encyclopédiste est centré, pour le Moyen Age, sur le XIIIe siècle, il convient toutefois de considérer attentivement le pionnier en la matière, Isidore de Séville, qui, sous bien des aspects, sera reproduit par tous ses successeurs, ces derniers étoffant très largement leur matière par de multiples sources nouvelles. Isidore de Séville place en premier le cheval parmi les jumenta, c'est-à-dire les bêtes de somme : equus et asinus portant onera, et hominum in gradiendo laborem temperant. Unde et jumenta appelantur ab eo quod juvent homineslO (Etym., XII, 1, 7). Fidèle à l'esprit de son oeuvre, il donne l'étymologie de jumenta, qu'il reprend de Columelle et de Lactance, faisant dériver jumenta de juvare
8 - Voir B. Ribémont, «L'encyclopédisme médiéval et la notion d'instinct animal : étude de comportement ou imaginaire», à paraître dans Histoire de la connaissance du comportement animal (dir. L. Bodson), Liège, 1993. 9 - Sur la question de la domesticité, voir B. Ribémont, «Les oiseaux domestiques dans les encyclopédies médiévales : quelques exemples "à la ferme"», à paraître dans L'homme, l'animal domestique et l'environnenwni (Actes du colloque de Nantes, 22-24 oct. 1992). 10 - (Le cheval et l'âne portent les fardeaux et soulagent la fatigue de l'homme dans ses déplacements. Aussi les appelle-l-on iumenta parce qu'ils viennent en aide (iuuent) aux hommes.) (trad. J. André, édition du livre XII des Etymologies, Paris, Belles-Lettres, 1986,).
(aider) ; l'étymologie exacte est donnée par Varron (Ling., 5, 135), avec une dérivation de jungere (atteler au joug) Il. A la suite de quoi, Isidore donne l'étymologie du mot equus qui vient, selon lui, de ce qu'on les appariait lors de l'attelage et de caballus dérivé de l'empreinte du sabot du cheval: Equi dicti eo quod, quando quadrigis jugebanlur, aequabantur, paresque forma et similes cursu copulabantur. Caballus antea cabo dictus, propter quod gradiens ungula impressa terram concavet, quod reliqua animalia non h a b e n t ( X I I , 1, 41-2)
Il est clair que ces étymologies sont fantaisistes ; equus vient d'un tenne indo-européen, et caballus, d'origine discutée, viendrait de l'illyrien ou du microasiatique13. Toujours dans un contexte étymologique, Isidore cite sonipes, qui est un nom poétique du cheval attesté depuis Catulle. Pour Isidore l'étymologie en est due au son produit par l'animal en marche (quod pedibus sonat). Ce tenne garde un emploi précieux au Moyen Age et ne figure que très rarement dans les documents d'archives ; A.M. Bautier cite un cas dans un acte de l'abbaye de Molesme au début du XIIe siècle qui identifie sonipes avec dextrariusu. Isidore s'intéresse aussi au mot mannus, dont il ne donne pas l'étymologie, mais qu'il associe à brunicus : Mannus vero equus brevior est quem vulgo brunicum vocant (XII, 1, 55). Selon A.M. Bautier, ce terme désigne probablement une race d'origine celtique, petite et robuste, aujourd'hui disparue. Le mot est probablement d'origine illyrienne, bien que souvent considéré comme venant du gaulois. Le terme est assez peu fréquent dans les textes médiévaux ; on le trouve toutefois dans certaines chartes15 où il semble désigner un cheval de marche, que l'on donne volontiers aux femmes, selon le témoignage d'Orderic Vital (mannos et mulas cum sambucis mulieribus prospexit ; Hist. ecc., VIII, 17). On le trouve dans certains vocabulaires, comme celui d'Alexandre Neckam, qui dans son De nominibus utensilium, classe les manni parmi les chevaux utiles aux, 11 - Voir J. André, ed. cit., p. 41, n. 7. 12 - (Le nom des chevaux vient de ce qu'on les appariait quand on les attelait aux quadriges et qu'on réunissait des animaux de même conformation et d'égale rapidité. Caballus se disait autrefois cabo, parce qu'en marchant son sabot s'imprime en creux dans la terre, ce que ne font pas les autres animaux) (trad. J. André). 13 - Ibid., pp. 66-7, n. 61 et 62. 14 - Art. cit., p. 214. 15 - Voir quelques exemples dans A.M. Bautier, art. cil., p. 229.
armées : assint etiam manni, gradarii, palefridi, dextrarii usibus militum aptil6. Une note marginale du manuscrit Cotton. Titus D xx donne pour ce terme «palefreys», ce qui confirme qu'il s'agit bien d'un cheval de marche. Quant à Papias, il insiste sur la docilité de l'animal et, lui aussi, il associe mannus à un autre terme qui est buridis : Manni qui et burides dicti quia mansuetudinem manuum scquanturl7. On voit ainsi qu'après Isidore, Mannus n'est guère expliqué, mais seulement associé à brunitum, brunnicus ou buridis. Brunnicus ou brunitum sont probablement des formes aberrantes de l'antique buricus, attesté depuis le Ille siècle par la glose de Porphyrion à Horace (Carm., 3, 27, 7) ; burricus, écrit en général avec deux «r» désigne tardivement un âne de petite taille. La déformation lexicale viendrait du croisement de burricus avec brunus, d'origine gennanique 18. Isidore toutefois ne se contente pas d'étymologies et de vocabulaire. Il s'intéresse aussi à l'animal en tant que tel dont il va tenter de donner des typologies (sommaires). Par ailleurs, la description des chevaux (âge, couleur, qualités anatomiques etc.), leurs moeurs sont aussi mentionnées par l'encyclopédiste. On peut à ce propos d'ores et déjà dire que ces catégories d'intérêt se retrouveront, différemment classées ou non, augmentées de nouvelles informations, chez les successeurs de l'évêque de Séville. Isidore, d'entrée de jeu, place le cheval panni les jumcnta, il n'en fournit pas moins une classification selon l'emploi de l'équidé, dans un schéma tripartie qui, on le sait, se développera au Moyen Age avec l'ascension du prestige du miles franc. Pour Isidore, il y a en effet trois classes de chevaux : Equarum tria sunt genera : unum generosum proeliis et honoribus aptum ; alterum vulgare atque gregarium ad vehendum, non ad equitandum aptum ; tertium ex permixtione diversi generis hortum, quod etiam dicitur bigenerum quia ex diversis nascitur, ut mulus19 (XII, 1, 56). On n'est pas encore dans la triade destrier/palefroi/roncin, mais il y a déjà chez Isidore, le désir de classer les chevaux selon leur prestige et non uniquement selon leur emploi ; l'ordre donné n'est pas neutre, ni les quali-ficatifs, par ordre 16 - Ed. Th. Wright, dans A volume of vocabularies, Privately printed 1857, p. 104. 17 - Cité par A.M. Bautier, art. cit., p. 228. 18 - Voir J. André, op. cit., p. 78, n. 91. 19 - (// existe trois catégories de chevaux : la première est le cheval de race, propre à la guerre et aux honneurs ; la seconde, le cheval commun et ordinaire, bon pour le trait, non pour la selle ; la troisième, issue du croisement de races différentes, appelée aussi bigener (hybride) parce qu'elle naît d'animaux différents, ainsi le mulet) (trad. J. André).
décroissant de valeur : generoswn, vulgare, bigenerum. Cette dernière catégorie hybride désigne l'animal hybride, bigener, dont Isidore emprunte probablement la définition à Eugène de Tolède (Carm., 42, 1-7). Cette classification valorisante du cheval mérite d'être notée, car elle ne se trouve pas chez Pline, ni Varron. Ce dernier en effet distingue bien plusieurs catégories de chevaux (quatre) mais il ne les donne que par rapport à la fonction, sans souci de préséance : Equi quod alii sunt ad rem militarem idonei, alii ad vecturam, alii ad admissuram, alii ad cursuram, non item sunt spectandi atque habendi. Itaque peritus belli alios eligit atque alit ac docet ; aliter quadrigarius ac desultor ; neque idem qui vectorios facere vult ad ephippium aut ad raedam, quod qui a d rem militarem, quod ut ibi ad castra habere volunt acres, sic contra in viis habere malunt placidos.20 (De re. rust., II, 7, 15).
La division en trois catégories d'Isidore vient sans doute, mais ici transcrite dans un esprit médiéval qui insiste sur la hiérarchie, de la pratique romaine de diviser les animaux en fonction de l'emploi, ce qui doit se traduire, selon Columelle, par une division de l'espace21. Le cheval de combat, même si Isidore ne saurait encore connaître le destrier - rappelons que destrarius n'apparaît qu'au début du XIIe siècle - figure en bonne place dans l'ouvrage de l'évêque de Séville, qui d'ailleurs reprend un certain nombre de topoi des Anciens. Il consacre en effet un long paragraphe à la vaillance de ces chevaux qui, bien avant les chansons de geste et les romans de chevalerie, ont des qualités «chevaleresques» : Vivacitas equorum multa : exultant enim in campis ; odorantur bellum ; excitentur sono tubae ad proelium; voce accensi ad cursum provocantur ; dolent cum victi f u e r i n t ; exultant cum vencerint. Quidam hostes in bello sentiunt, adeo ut adversarios morsu p e t a n t ; aliqui etiam proprios dominos recognoscunt, obliti mansuetudinis si mutentur; aliqui praeter dominum dorso nullum recipiunt; interfectis vel morientibus dominis multi lacrimas fundunt. (...) Solent etiam ex equorum vel
20 - (Comme certains chevaux sont aptes à la chose militaire, d'autres le sont pour le trait, d'autres pour l'élevage et d'autres encore pour la course. On ne doit pas juger ces différents chevaux suivant les mêmes critères. Ainsi le soldat d'expérience choisit, nourrit, dresse ses chevaux d'une certaine manière ; le conducteur de char, le cavalier acrobate font autrement. Et celui qui veut obtenir des chevaux de selle ou pour tirer la charrette n'agit pas de même que celui qui désire des chevaux de combat. L'un préfère des animaux dociles, l'autre des chevaux vifs). 21 - Voir Columelle, De re rust., 6, 27, 1.
maestitia vel alacritate eventum futurum dimicaturi colligere.22 (XII, 1, 43-4)
Isidore, en bon compilateur, n'a pas inventé ces propriétés du cheval. Notons toutefois combien ce qu'il énonce pourra aisément s'ancrer dans la culture médiévale, car en symbiose parfaite avec la mentalité qui se constituera autour du prestige croissant du miles. C'est chez Pline et Solin que l'on trouvera l'essentiel de ces informations sur le caractère guerrier et affectueux du cheval. Pline en effet se plaît à décrire les vertus du cheval dans son Histoire naturelle, en mettant l'accent sur les chevaux des hommes célèbres, tels Alexandre, César (dont le cheval refusait tout autre cavalier), Nicomède, Denys le tyran (Hist. nat., 8, 154-57). C'est ainsi qu'il rapporte le don de prémonition des chevaux de guerre et leur particulière affectation lors de la disparition de leur maître : idem praesagiunt pugnam, et amissos lugent dominos ; lac rimas interdum desiderio fundunt (Hist. nat., 8, 157). La longévité du cheval est une question qui intéresse Isidore : c'est ainsi qu'il apprend à son lecteur que les chevaux vivent plus ou moins longtemps selon leur origine. Empruntant à Vegèce (Ars veterinaria sive mulomedicina, 3, 7, 1), il note que certains chevaux, comme ceux de Perse, dépassent les cinquante ans. Un cheval se juge selon quatre qualités, comme l'avaient énoncé les agronomes latins : forma, pulchritudo, meritum, color. Isidore reproduit alors les recommandations de ses devanciers pour juger un cheval. En ce qui concerne les trois premières qualités, Isidore est assez concis : Forma, ut sit validum corpus et solidum, robori conveniens altitudo, latus longum, substrictus maxime et rotundi clunis, pectus late patens, corpus omne musculorum densitate nodosum, pes siccus et cornu concavo solidatus. Pulchritudo, ut sit exiguum caput et siccum, pelle prope ossibus adhaerente, aures breves et argutae, oculi magni, nares patulae, erecta cervix, coma densa, et cauda, ongularum soliditatis fixa 22 - (L'ardeur des chevaux se manifeste de beaucoup de façons : ils bondissent dans les plaines, ils sentent la bataille ; le son de la trompette les anime au combat ; la voix les excite et les incite à courir ; vaincus, ils souffrent ; vainqueurs, ils exultent. Certains, à la guerre, devinent les ennemis, au point de chercher à mordre les adversaires ; certains encore, reconnaissent leurs propres maîtres et redeviennent sauvages s'ils en changent ; certains ne se laissent monter que par leur maître ; beaucoup versent des larmes quand leur maître est tué ou meurt. Le cheval est en effet le seul animal à pleurer et à éprouver du chagrin pour un homme. (...) D'après la tristesse ou l'ardeur du cheval avant le combat, on en conjecture même généralement l'issue) (trad. J. André).
rotunditas. Meritum, ut sit animo audax, pedibus alacer, trementibus membris, quod est fortitudinis indicium : quique ex summa quiete facile concicetur, vel ex citata festinatione non difficile teneatur. Motus autem equi in auribus intellegitur, virtus in membris trementibus23
La robe des chevaux en revanche fait l'objet d'un long développement. Isidore s'inspire de la liste des couleurs traditionnelles donnée, entre autres, par Palladius (De ag., 4, 13, 3). Il sélectionne pour sa part 14 couleurs, dont 9 viennent de Palladius et quatre sont ajoutées par l'évêque de Séville (aeranis (couleur bronze), dosinus (gris cendré), guaranis (cervinus)(louvet), maurus (noir)). Les neuf autres sont badius (bai) (ou spadix), glaucus (pers), giluus (isabelle), guttatus (moucheté), candidus (blanc de neige, brillant), albus (blanc pâle, terne), canus (gris clair), scutulatus (pommelé), varius (couleurs mélangées, vairon), mirteus (pourpre foncé (!)). On remarquera qu'Isidore distingue deux blancs, albus et candidus. Il donne également un certain nombre d'étymologies de ces couleurs, mais ne fait pas de lien entre la couleur et la qualité du cheval. On a affaire ici à une relation strictement livresque au monde des animaux. L'un des successeurs d'Isidore, Raban Maur, reprend à son compte les assertions étymologistes de l'évêque de Séville et, fidèle à l'intention qu'il s'est donnée dans son De universo, il moralise le savoir isidorien. Sa méthode est celle de l'exégèse la plus élémentaire : il extrait de la Bible les citations où figurent des chevaux et en donne une rapide glose. Celle-ci peut être positive ou négative, comme l'auteur l'annonce explicitement : equus vero aliquando in bonam partem vertit significationem ; aliquando in malam24 (P.L., 111, c. 213). Aucune remarque nouvelle n'apparaît dans ce texte, qui reste dans une stricte tradition livresque et ne fournit aucun détail pratique.
23 - (La forme : il doit avoir le corps vigoureux et solide, la taille en rapport avec sa force, le flanc allongé, le ventre très déprimé, la croupe arrondie, le poitrail largement ouvert, tout le corps noueux de muscles serrés, le pieds sec et affermi par une corne concave. La beauté : il doit avoir la tête petite et maigre, avec la peau presque collée aux os, les oreilles courtes et fines, les yeux grands, les naseaux larges, la nuque dressée, la crinière et la queue fournies, les sabots solides, ronds et bien arrêtés. Les qualités : il doit être hardi, avoir les pattes pleines de feu, les membres frémissants, signe de courage ; on devra pouvoir le lancer facilement au sortir d'un très grand repos ou le retenir sans difficulté après une course rapide et précipitée. L'agitation du cheval se voit aux oreilles, la valeur au frémissement des membres) (XII, 1,45-7). (trad. J. André). 24 - (Le cheval a tantôt une signification symbolique positive, tantôt négative)
A la fin du XIIe siècle, Alexandre Neckam produit une des premières encyclopédies, le De naturis rerum dont l'esprit change de celui des simples épigones d'Isidore de Séville, encyclopédie qui, en particulier est sans doute l'une des premières à tenir compte de la science naturelle d'Aristote. Si l'organisation de la matière de cet ouvrage paraît des plus confuses25, le De naturis rerum laisse place à un certain nombre de remarques nouvelles, noyées dans la masse des textes compilés. Le cheval de Neckam est vu sous quatre angles : un angle livresque et traditionnel, pour lequel l'auteur emprunte à Isidore de Séville et à Virgile principalement. D'Isidore, il tire des informations sur le caractère du cheval (impétuosité au combat, pleurs lors du décès du maître etc.) ; il emprunte à Virgile pour expliquer quelques usages traditionnels du cheval à la ferme (Georg., 3, 191) et pour décrire les poulains, à propos desquels il cite un passage des Georgiques (3, 75). Un angle anecdotique, qui lui permet de longuement conter l'histoire d'Ogier le Danois, qu'il emprunte à la littérature. Un angle moralisateur, très court ; Neckam propose le cheval comme symbole de l'orgueil (equus superbiae secularis pompam significat26. Neckam prend pour point de départ que les fils d'Israël ne pouvaient posséder de nombreux chevaux, ce en quoi il s'inspire de Deut., 17, 16. Cet élément était déjà dans la moralisation de Raban Maur, ce dernier précisant que les cavaliers (chevaliers?) étaient mauvais lorsqu'ils utilisaient leur monture comme signe de puissance (in malam autem, quando superbii homines in mundana potentia confidentes praefigurantur27 (P.L., 111, c. 216)). On notera toutefois que Neckam choisit ce seul aspect dans l'arsenal exégétique qui est à sa disposition, ce qui nous paraît significatif en cette fin de XIIe siècle d'une vision pour le moins mitigée de la chevalerie dont le prestige repose en large part sur l'équipement. C'est le quatrième aspect qui nous paraît le plus important ici, car Neckam fait quelques remarques sur l'usage du cheval, remarques qu'il tire de la vie contemporaine. Il note ainsi que le cheval est utilisé pour tirer les véhicules, les animaux étant attelés par deux ou par quatre, comme pour le labour et pour le bât : nunc 25 - Sur cette question de l'organisation du savoir encyclopédique, voir B. Ribémont, «L'encyclopédisme médiéval et la question de l'organisation du savoir», dans l'Ecriture du savoir (dir. D. Hue), Actes du colloque de Bagnoles de l'Orne, avril 1990, pp. 95-105. 26 - Ed. Th. Wright, London, 1863, p. 264. 27 - (Le cheval est un mauvais emblème des orgueilleux qui montrent hardiment leur puissance dans le siècle)
bigae, nunc quadrigae vehiculum trahit equus, laboris patiens, nunc aratri utilem sustinet laborem, nunc manticam cum assessore vehit28 (ed. cit., p. 259). Il donne ensuite l'énumération de plusieurs catégories de chevaux, en expliquant leur fonction et en se livrant au jeu de l'étymologisme ; on remarquera en particulier la non utilisation du terme dextrarius, mais l'emploi d'une périphrase étymologisante, et l'étymologie curieuse de palafridus : Parent igitur in variis officiis dominis suis equi tam nobiles quam ignobiles. Parcitur dextrario itineranti, ut ad laborem majorem reservetur. Palefridus, sic dictus quasi passu leni fraenum ducens, decenti gaudet ornatu phalerarum. Campanulis pectoralis dulce tinientibus delectatur, et docentis lupati fulgor ipsum juvat'29 (p. 260). N e c k a m d o n n e e n f i n q u e l q u e s d & a i l s sur l ' é q u i p e m e n t et s o n usage : Strepae sive scansilia assessori tergum equi prementi j u v a m e n p r a e b e n t , e t c i n g u l a s e l l a m r e g i t , m a x i m e c u m a s s e s s o r r u d i s e s t in e q u i t a n d i p e r i t i a (ibid.)30.
Les encyclopédistes du XIIIe siècle vont en général consacrer une part assez importante de leur texte au cheval, ce qui paraît normal dans une société où l'animal, en relation avec son propriétaire, jouit d'un prestige accompli. Ce n'est d'ailleurs pas pour autant que les textes encyclopédiques vont se révéler des témoins précieux de la vie réelle du cheval. Bien souvent conçus comme des accessus ad auctoritatem, ils demeurent très largement dans une tradition livresque. C'est seulement au détour du texte, à propos de détails ou dans le décryptage de l'implicite, de l'«interlindaire» que peut transpirer une réalité contemporaine. Nous mènerons notre enquête à travers des ouvrages de ce mouvement dont les plus importants sont les suivants : De natura rerum de Thomas de Cantimpré (TC.)31, Spéculum naturale de 28 - (Le cheval est employé, en attelage à deux ou à quatre pour tirer des charrettes ; il sert aussi à supporter des travaux, comme celui du labour ou pour porter le bât et ses accessoires) 29 - (Les chevaux, tant de race que communs, servent leurs maîtres pour diverses tâches. Les destriers (ceux qui sont menés par la droite) sont réservés pour les tâches les plus nobles. Le palefroi, ainsi dit parce qu'on le fait aller au pas en tenant les rênes avec légèreté, se plaît à aller avec un bel ornement de phalères. Il apprécie les clochettes tintant doucement sur son poitrail et l'éclat de son mors orné le réjouit). 30 - (Les étriers sont une aide au cavalier afin qu'il monte sur le dos du cheval, la ventrière tient la selle, surtout quand le cavalier est inexpérimenté dans l'art de l'équitation). 31 - Ed. Boese, De Gruyter, Berlin/New York, 1973, pp. 131-3.
Vincent de Beauvais (VB.)32, De animalibus d'Albert le Grand (AG.)33, De proprietatibus rerum de Barthélemi l'Anglais (BA.)34 traduit en français en 1372 par Jean Corbechon, sous le titre Livre des proprietez des choses (JC.)35, Li livre dou Tresor de Brunetto Latini (BL.)36, l'anonyme Compendium philosophie (CP.)37. De manière quasi systématique, les encyclopédistes traitent des mêmes rubriques qu'ils alimentent à des sources communes. Cela n'empêche pas, par le jeu du choix, jeu-pivot de la compilation, une diversité de regard sur certains aspects des équidés. On peut noter en premier lieu que nos auteurs se dégagent de la tradition antique et isidorienne sur au moins un point : la position générale des équidés. Ces derniers en effet sont plutôt situés, dans l'organisation du texte, dans un contexte différent de celui des jumenta. Vincent de Beauvais fait exception, en parlant du cheval parmi les pecoribus, mais Thomas de Cantimpré les situe parmi les quadrupèdes rangés par ordre alphabétique d'initiale, Albert le Grand fait de même, Barthélemi l'Anglais les range parmi les animaux terrestres (son plan est en effet organisé selon une hiérarchie universelle descendante), Brunetto Latini les classe dans son bestiaire, au milieu des «bestes» qui, grosso modo, correspondent aux animaux terrestres, aux mammifères. Quant aux rubriques traitées, elles se divisent généralement en quatre catégories : 1) moeurs, caractère, comportement ; 2) description, aspect extérieur, anatomie, longévité, âge ; 3) mode de reproduction, de naissance ; 4) matière médicale. Ces rubriques reproduisent le plus souvent deux types d'information, dont une partie possède un caractère anecdotique, voire merveilleux : des topoi qui se retrouvent d'ouvrage en ouvrage, transmis par l'intermédiaire d'Isidore et dont l'origine est en général antique ; des anecdotes puisées ailleurs que dans les Etymologiae, soit 32 - Ed. des Bénédictins de Douai, 1624, rep. Graz, Akademische Druck Ver., 1964, c. 1352-8. 33 - Ed. H. Stadler, Albertus Magnus De animalibus libri XXVI nach der Kôlner Urschrifl, Zweit. Bd., Buch 12, Chap. 26, Münster, 1920, pp. 1378-1400. (Ce qui correspond, dans l'édition Borgnet, Paris, 1890-95, à t. XII, pp. 392-408). Nous avons choisi ici, ce qui peut choquer, de placer le De animalibus dans notre corpus encyclopédique. Albert n'est bien entendu pas un encyclopédiste, mais son ouvrage sur les animaux, tout en se voulant un commentaire d'Aristote, est fait dans un esprit très encyclopédiste ; ce n'est d'ailleurs pas hasard si Albert fait de nombreux emprunts à Thomas de Cantimpré. 34 - Ms BN. lat. 16098, fol. 222v-23v. 35 - Ms. BN. fr. 22531, fol. 348v-50. 36 - Ed. F.C. Carmody, Califomia Univ. Press, 1948, pp. 163-4. 37 - Ed. M. de Boüard, Paris, 1936, pp. 178-9.
directement à une source antique, soit par le relais d'un texte médiéval, encyclopédique ou non. On aboutit ainsi, à partir de l'oeuvre d'Isidore, à un réseau duquel émergent en dernier lieu des thèmes récurrents, véritables invariants didactiques, parmi lesquels les poètes pourront éventuellement puiser pour tracer le contour de leurs animaux et, sous l'effet d'un principe d'invariance, créer des motifs littéraires. L'encyclopédisme médiéval, en effet, fonctionne aussi selon un jeu d'invariance issu du poids de l'autorité. Les ouvrages antiques et Isidore de Séville ont fourni un certain nombre d'exemples, de propriétés, d'anecdotes qui constituent un réservoir dans lequel il s'agit pour le compilateur de puiser, de choisir. Certains de ces éléments ont paru à nos auteurs particulièrement caractéristiques, soit à titre d'illustration, soit comme propriété constituante d'un phénomène donné. Deux niveaux interviennent alors dans la reproduction de ce type de thème : un choix initial, à la source autorisée ; la recopie sur d'autres ouvrages. L'invariant se crée donc dans un processus d'intertextualité, selon un schéma quasiment récursif, car son poids s'alourdit en fonction de la citation en amont et le choix qui s'opère alors, en retour, contribue à l'autoriser encore davantage en aval. Nous allons voir que la vision proposée du cheval se structure également autour d'un certain nombre d'invariants. - Moeurs, caractère, comportement On remarque les invariants suivants, dont la fréquence est plus ou moins importante : - le cheval et la guerre ; il se réjouit du son des trompettes, il manifeste sa rancoeur envers l'ennemi, il est heureux de la victoire, malheureux en cas de défaite. Cet amour du combat fait même que le cheval possède des dons prémonitoires : il prévoit l'issue de la bataille (TC., AG., VB., BA., BL., CP.). Cet invariant a pour source Pline (Hist. nat., 8, 156-7)38 et Isidore (Etym., XII, 1,43-4). - le cheval et son maître ; il le reconnaît, il le défend contre ses agresseurs, allant jusqu'à les mordre et même il pleure sa mort (TC., AG., VB., BA., BL., CP.)39.
38 - On trouve également ce type d'anecdote chez Servius (Aen., 12, 82) et chez Solin (Polihist., 45,6). 39 - Source identique à l'invariant précédant.
Certains encyclopédistes illustrent cette relation privilégiée u n i s s a n t le c h e v a l e t l ' h o m m e e n d o n n a n t d e s e x e m p l e s d e c h e v a u x célèbres. T h o m a s de Cantimpré, Vincent de Beauvais et Brunetto Latini parlent de
B u c é p h a l e et d u
cheval
de
César4°.
Citons
par
e x e m p l e ce q u ' é n o n c e Brunetto : Et teus i a ki ne portent se lor droit sire non, selonc ce ke fist li chevals Julie Cesar et Bucifalas son signor Alixandre le grant, ki premiers se laissa donter et chevauchier comme nice beste ; mais aprés ce que li rois i monta, il ne daigna puis soufrir que ame du monde l'atouchast pour monter. Et sachiés que Bucifalas avoit chief de tor et mout fier esgart, et si avoit .ii. boches autresi comme .ii. cornes'". (Et il y a des chevaux qui n'acceptent pour cavalier que leur seul maître, comme ce fui le cas du cheval de Jules César el de Bucéphale, le cheval d'Alexandre le Grand. Ce cheval-là se laissa tout d'abord dompter comme une bête docile. Mais après que le roi l'eut monté, jamais plus il ne toléra qu'autre âme qui vive tentât de le chevaucher. Sachez que Bucéphale avait un port très haulain et le regard très fier, de même qu'il avait deux bouches et deux cornes) D'autres c h e v a u x , m o i n s célèbres, s o n t é g a l e m e n t cités : le c h e v a l du d u c d e G a l a t e (que Brunetto appelle Cracarci) (d'après Pline, Hist. n a t . , 8, 1 5 8 ) , l e c h e v a l d u roi N i c o m è d e ( c i t é p a r V i n c e n t d e B e a u v a i s d ' a p r è s P l i n e ( H i s t . n a t . , 8, 1 5 7 ) ) . V i n c e n t d e B e a u v a i s f a i t p r e u v e , e n regard des autres encyclopédistes, d'une certaine originalité en citant le c a s d ' u n c h e v a l m é d i é v a l : Certissimum autem est, quod equi generosi suos dominos affectuose diligunt, quod paruit in equo Rodali, qui mortuo Carolo Magno monachus apud Melden efJectus, post multa tempora irruentibus . Paganis, equum quem ibidem deposuerat insiliil, quem gaudenter equus, licet iam grandevus suscepit, portavitque gratanter, quousque de hostibus suis triumphavit. Et hic erat de illis, qui nullum sessorcm praeter dominum proprium admiterre voluit (c. 1353).42
L'aboutissement le plus complet de cette relation est offert par le cas du centaure que certains de nos encyclopédistes reproduisent au 40 - La source est Pline (Hist. nat., 154-5). 41 - Ed. cit., p. 163. 42 - (// est cependant certain que les bons chevaux aiment leur maître affectueusement, comme en témoigne l 'aveniure du cheval de Rodatus ; ce dernier s'était fait moine à l'abbaye de Melden à la mort de Charlemagne. Longtemps après, lors d'une invasion des païens, il sauta sur le destrier qu'il avait conservé ; celui-ci, pourtant déjà âgé, le soutint avec joie et le porta volontiers, jusqu'à ce que son maître échappât à ses ennemis. Ce cheval fit tout cela car il ne voulait avoir d'autre maître que le sien).
chapitre sur le cheval. Isidore de Séville avait mentionné cet exemple mythologique, en expliquant que les natures de l'homme et du cheval étaient unies dans cette créature : unde et in Centauris equorum et hominum natura per-mixta est (Etym., 12, 1, 43). Vincent de Beauvais et Barthélemi l'Anglais reprennent l'information en recopiant Isidore. - le cheval est d'autant plus ardent qu'il enfonce davantage sa tête dans l'eau lorsqu'il boit (TC., VB., BA., BL., CP.). La source en est directement Pline (Hist. nat., 8, 165). Citons Vincent de Beauvais à ce propos : quo quis acrior fuerit, speique maioris, eo profundius nares mersitat in bibendo.43 (ed. cit., c. 1354). - le cheval aime boire dans l'eau trouble et agite l'eau claire de ses pattes (VB., BA., CP.). La source est ici Aristote (Hist. an., 8, 24). Barthélemi l'Anglais note ainsi : et potant aquam turbidam et si fuerit aqua clara, turbant eam pede, hucusque Aristoteles lib..VJ.44 (Ms. cit., fol. 223). A ce propos, Vincent de Beauvais mentionne même que l'Egypte est une terre favorable pour l'élevage des chevaux, car les eaux du Nil sont troubles! - la jument est particulièrement affectueuse pour son poulain (TC., BA., CP.) et les femelles du troupeau nourrissent les orphelins (VB., BA., CP.). La source est Pline (Hist. nat., 8, 165) et pour la dernière remarque Aristote (Hist. an., 9, 4). Ainsi Jean Corbechon rapporte : Derechief, (...) les jumens passent ensemble et se l'une est morte qui lesse son poulain, l'autre le nourrit comme le sien propre (..) La jument aime son poulain plus que autre beste et aime ses faons, et quant elle le pert, elle nourrit un estrange et le ayme comme le sien (fol. 349v). Certains encyclopédistes s'attachent en outre à quelques anecdotes qui ne sont donc pas des invariants. Ainsi Vincent de Beauvais et Barthélemi l'Anglais mentionnent que le cheval est un ennemi de l'ibis. Il est difficile de connaître la source exacte de cette remarque ; il est très probable qu'il s'agit d'une déformation faite à partir d'un exemple donné par Aristote dans son Histoire des animaux (9, 1609a), où l'oiseau en question est la bergeronette (antos) : 43 - (Le cheval le plus vif, de la meilleure espèce est celui qui plonge le plus profondément ses naseaux dans l'eau lorsqu'il boit). 44 - (ils boivent de l'eau trouble, et si l'eau est claire, ils la remuent du pied afin de la rendre trouble, comme dit Aristote au livre six).
La bergeronnette jaune est en guerre avec le cheval. En effet, le cheval la chasse du paturage, car la bergeronnette se nourrit d'herbe, mais elle a une taie sur l'oeil et voit mal. Elle imite le cri du cheval et elle l'effraie en volant sur lui et le chasse ; et lorsque le cheval l'attrape, il la tue. (trad. p. Louis). V i n c e n t r é s u m e l a s c è n e : i b i s a v i s est, q u a e o d i t e q u u m ; e t vocem ejus i m i t a n d o , s t u p e f a c i t i p s u m ; a c f u g e r e cogit, et f o r t e interficit45 ( S p e c . n a t . , c. 1 3 5 2 ) , a l o r s q u e B a r t h é l e m i l ' A n g l a i s i m i t e sa source de près : Item dicit Aristoteles lib..viii. quod ibos pugnat cum equis, quoniam equi ejiciunt eum a pasturis, quia comedunt herbas, et est ibos debilis visus, et imitatur vocem equi, et quando volat super ipsum, stupefacit ipsum et cogit ipsum jugere, et quandoque interficit ipsum (fol. 223) 6
On voit que, pour l'essentiel, ce sont des qualités nobles et guerrières qui ont suscité l'intérêt des encyclopédistes. Ce n'est pas pour autant que le cheval médiéval figure dans nos textes. Il n'y est en général question ni de tournoi, ni de guerres typiquement médiévales et la cavalerie franque est absente de toute anecdote. Citons toutefois Vincent de Beauvais qui fait ici exception en mentionnant, comme on l'a vu, un cheval carolingien. En fait, les auteurs reproduisent des qualités reconnues depuis longtemps par les Anciens, ces qualités. devant rester les mêmes pour leur époque. On verra d'ailleurs qu'ils recommande les mêmes modalités de choix du cheval que les Anciens. Il est cependant significatif de voir la place importante occupée par les qualités et moeurs nobles du cheval, ce qui correspond bien au statut de l'animal dans la société médiévale. Thomas de Cantimpré et Vincent de Beauvais sont d'ailleurs explicites à ce sujet, notant que seuls les chevaux nobles possèdent les moeurs qu'ils décrivent : verum hii mores in genere prestantissimo equorum
45 - (L'ibis est un oiseau qui déteste le cheval. Il imite son cri afin de l'effrayer. Il le pousse à s'enfuir et le lue avec violence). Le latin ici ne permet pas de savoir ce que Vincent a effectivement compris. Dans le cas de la bergeronnette, chez Aristote, c'est, logiquement d 'aibeurs, le cheval qui tue l'oiseau. Ici, il semble bien, par l'ordre des propositions, que ce soit l'oiseau qui tue le cheval. C'est cette interprétation que l'on va trouver chez Barthélemi l'Anglais. 46 - (Aristote dit au livre huit que l'ibis se bat avec le cheval parce que les chevaux les chassent de leur pâture, car ils mangent leur herbe. L'ibis a une mauvaise vue ; il imite le hennissement du cheval et quand il vole au-dessus de lui, il l'effraie, le poussant à s'enfuir ; là il le tue).
reperiunt. Hii vero qui hujus nobilitatis non fuerunt, nulla bonitatis sue documenta prebuerunt (TC, 4, 37, 11)47. - Description et caractéristiques En général, la description des chevaux n'est pas conçue selon un mode scientifique «objectif» ; il ne s'agit pas ici de zoologie, mais plutôt de relever les caractéristiques d'un bon cheval. Leur intention n'est sans doute pas de fournir un mode de sélection du cheval ; l'encyclopédisme ne se mue pas ici en traité pratique. Toutefois, par le jeu de la compilation, les auteurs sont amenés à reproduire des conseils d'agronomes antiques, tels Varron ou Palladius et se retrouvent ainsi parfois à la frontière de l'économie rurale, les qualités des chevaux en général demeurant identiques à travers le temps. Il faut cependant être très prudent car le regard encyclopédiste ne s'oriente que très peu vers l'observation contemporaine, Albert le Grand faisant à ce propos souvent exception ; si ce qui est énoncé se révèle pratique, c'est uniquement parce que cela est ainsi depuis l'Antiquité ; symptomatique à cet égard le choix d'origine des chevaux. Si ces animaux naissent partout, les meilleurs viennent de Scytie et de Cappadoce (TC., VB.). On voit donc en ce domaine que les lieux véritables d'élevage ne sont aucunement mentionnés ; on reproduit simplement les loci traditionnels, même si ces derniers ne signifient plus rien au XIIIe siècle. Albert le Grand, s'il fait aussi oeuvre de compilateur en reproduisant les mêmes origines traditionnelles (Syrie, Cappadoce), tient aussi compte, pour une part, des éléments qui lui sont contemporains, en mentionnant les chevaux d'Espagne, particulièrement prestigieux on le sait. La façon qu'il a de présenter cette situation est fort intéressante, car elle met en jeu une théorie unissant la qualité au climat (au sens cosmographique de ce terme) : Secundum autem quod videre possumus temporibus nostris majores corpore a tertio climate usque ad finem sexti climatis procreantur et praecipue in Hispania. Fortiores autem et satis magnos etiam in septimo
47 - (En fait, on ne trouve de telles moeurs que chez les chevaux de qualité très noble. En vérité, ceux qui ne possèdent pas une telle noblesse ne révèlent aucun exemple de pareille bonté).
climate procreari vidimus, et sunt plus durantes in laboribus quam hi qui a tertio climate vel quarto veniunt (p. 392)48.
Une telle démarche est habituelle chez Albert. On voit d'ailleurs ici que le maître de Cologne n'est pas seulement un encyclopédiste. En effet, il s'agit pour le savant docteur de relier un certain nombre de constituants de cette nature qui est gérée par des principes généraux s'appliquant à tous les domaines de la création ; mode de penser qui s'enracine dans une tradition savante multiple, depuis les théories du microcosme de Platon jusqu'aux correspondances hermétiques et alchimistes en passant par certains principes analogiques aristotéliciens relayés par les théories des commentateurs arabes. Albert par exemple s'est plu à étudier les relations entre les plantes et les planètes49. Ici, il applique ce type de réflexion, que l'on trouve fréquemment à propos de l'homme (Barthélemi l'Anglais par exemple explique pourquoi les hommes des pays chauds sont moins vaillants et courageux que ceux des pays froids), aux chevaux, dont la qualité dépendrait donc de la situation cosmographique de leur lieu de naissance. Albert toutefois ne développe pas cette théorie et ne donne pas de justification à caractère anatomique ou physiologique ; il constate simplement. Le cas de l'Espagne peut faire penser que, en quelque sorte, il raisonne à l'envers. Les chevaux d'Espagne sont en effet réputés, il s'agit donc de déterminer le climat de ce pays et de fournir, a poste-riori, une justification. Revenons à présent aux invariants qui sont reproduits par nos encyclopédistes à propos des qualités du cheval. - Il y a quatre critères fondamentaux pour juger un cheval : la forme (forma), la beauté (pulchritudo), les qualités, la «bonté» (BL.), le mérite (meritum) et la couleur de la robe (color) (TC., VB., AG., BA., BL.). Dans ce domaine, les auteurs recopient Isidore de Séville. Citons la translation de Brunetto Latini : «En cheval doit on garder .iiii. choses selonc l'opinion as anciens sages, ce sont forme, beauté, 48 - (Selon ce que l'on peut observer de nos jours, les chevaux les plus grands naissent dans les régions qui sont situées depuis le troisième climat jusquà la fin. du sixième, et particulièrement en Espagne. On trouve aussi des chevaux moyennement grands et très robustes dans le septième climat ; et ils sont plus résistants au travail que ceux qui viennent du troisième ou du quatrième climat). 49 - Voir à ce propos B. Ribémont, «Du verger au cosmos : plantes et planètes dans la tradition médiévale», Senefiance, 28, 1990, pp. 313-54 ; G. Sodigné-Costes, «Le coeur et le cuir, la moelle et l'écorce», Senefiance, 30, 1991, pp. 375-92.
b o n t é , et c o u l o r » (p. 163) ; C o r b e c h o n t r a d u i t ses q u a l i t é s e n « f a i ç o n , b e a u t é , h a n n i r , c o u l e u r » ( f o l . 3 4 8 v ) . L e s a u t e u r s é c r i v a n t e n l a t i n rep r e n n e n t , p o u r les trois p r e m i e r s critères, les f o n n u l e s d'Isidore, e n a b r é g e a n t é v e n t u e l l e m e n t . C o m m e o n le v e r r a , il y a q u e l q u e s d i f f é r e n c e s à p r o p o s de la c o u l e u r . C e u x qui r é d i g e n t (ou traduisent) e n français e s s a i e n t de rendre le latin e n e x p l i q u a n t ces t e r m e s «techniques». - la forme : Li livre d o u T r é s o r : Car en la forme dou cheval doit on essaier que sa char et son cors soit fort et dur et soude, et k'il soit bien haut selonc sa force ; li costé doivent estre lonc et pleniers et la croupe grandisme et reonde, lees quisses, grant pis et large et mout overs, et tout son cors tachiés d'espoisseté, piés sés et bien cavés par desour (p. 163) (En ce qui concerne la forme du cheval, on doit prendre soin que son corps soit fort et musclé, que l'animal soit bien proportionné, en rapport avec sa robustesse. Il doit avoir les flancs longs et bien remplis, une croupe large et ronde, les cuisses larges, le poitrail large et très ouvert. Le corps doit être bien plein, d'une belle épaisseur bien répartie, les pieds secs, le dessous du sabot en creux) Li livre des p r o p r i e t e z des choses : La faiçon d'un bon cheval est que il ait le corps ferme et de bonne haulteur, les costes longs et estrois, et le dos ront et (le poil comme) [la poitrine] large et lés musiau. De tout le corps gros et espés et bien noués, le pié sec et bien cave et ferme dedens et dehors (fol. 348v, corrigé avec BN fr. 16993, fol. 306). - La beauté : Li l i v r e d o u T r é s o r : En biauté dois tu garder k'il ait petit chief et sec, si ke le cuir soit bien tenant aprés les os, oreilles briés et drechiés en haut, grant oils larghe nés, la teste droite ou auques resamblable a teste de monton, crins espés et coue bien velue, ongles soudes et fermes et reondes (pp. 163-4). (Pour ce qui est de la beauté, prends garde que sa tête soit petite et sèche. La peau doit être bien près des os, les
oreilles doivent être courtes et bien dressées. Il aura de grands yeux, les naseaux larges, la tête bien droite ou de l'allure de celle du mouton, la crinière épaisse et la queue bien fournie, les sabots durs et ronds) Li livre d e s p r o p r i e t e z des c h o s e s : La beauté du cheval est quant il a petite teste et seiche et la peau prés des os en celle partie. Les oreilles courtes et agues, les yeulx grans, les narines ouvertes, les espaules haultes, les crins espés et la queue ronde et longue jusques au pré (fol. 348v-49). - Le «mérite» : Li livre d o u T r é s o r : En bonté garde k'il ait hardi corage, lié aleure, membres crollans, bien courans et tenans a ta volenté. Et sachiés que la isneleté du cheval est cogneue as oreilles, et sa force as membres crollans tram bl an s (p. 164). (Pour ce qui est de la bonté, prends garde qu'il soit courageux, qu'il ait une allure déliée, des membres nerveux. Qu'il coure bien et soit obéissant. Saches que la rapidité du cheval se voit à ses oreilles et que sa force se juge à la nervosité et au tressaillement de ses membres) Li livre des p r o p r i e t e z d e s c h o s e s : Le hanir monstre le bon cheval, car quant le bon cheval hanit, tous les membres lui tremblent et est signe de force ; et si est de legier esvoillé de son dormir et se lieve hastivement (fol. 349) (la leçon des autres manuscrits, aux variantes lexicales près, est identique). (Le hennissement révèle le bon cheval, car lorsque le cheval de qualité hennit, tous ses membres tressaillent, ce qui est signe de force. Alors, il se réveille aisément et se lève en hâte) N o u s a v o n s ici u n c a s i n t é r e s s a n t d ' u n e i n t e r p r é t a t i o n e r r o n é e , d u e à u n e erreur de lecture, m a i s qui est rétablie dans u n e évidente logique liée aux propriétés de l'animal. L e latin d o n n e en effet, suivant Isidore m o t à m o t : meritum ut sit animo audax, pedibus alacer, trementibus m e m b r i s q u o d f o r t i t u d i n i s est indicium, qui ex s u m m a q u i e t e f a c i l e
concitetur, vel ex citata festinatione non difficile teneatur50 (fol. 222v). On pourrait peut-être rapprocher la leçon de Corbechon de ce que dit Albert le Grand à propos du meritum ; Albert en effet donne bien les définitions traditionnelles, mais il ajoute que le cheval hennissant a les membres qui tremblent (hinniens membris tremens, p. 392). - La couleur : Isidore s'était livré à une simple énumération, non ordonnée, des couleurs. Nos encyclopédistes puisent chez l'auteur des Etymologiae, fournissant des listes plus ou moins longues et souvent bien abrégées, comme par exemple Latini ou Corbechon : Li livre dou Trésor : En coulour consire la bai, ou ferrant pomelé, ou noir ou blanc ou cervin ou vairon, ou d'autre maniere que tu poras eslire millor et plus avenable (p. 164). Li livre des proprietez des choses : La couleur du cheval est ou rouge ou noire ou blanche ou grise ou poumellee, et la couleur lui donne beauté ou laidure. (fol. 349)
Par contre, des auteurs accordent davantage d'importance à la couleur en proposant une hiérarchie de celles qu'ils mentionnent, hiérarchie liée à la qualité (TC., VB.). C'est en général le noir, le bai, le blanc qui sont les couleurs essentielles. Thomas de Cantimpré : color hic precipue est spectandus : niger optimus rufusque vel glaucus, albus etiam plerumque bonus, ceteri colores deteriores judicantur pre aliis (p. 132) Vincent de Beauvais : in coloribus equorum niger est optimus, rufusque vel glaucus, albus etiam plerumque bonus. Caeteri vero deterios judicantur (c. 1355). (Vincent donne également la liste d'Isidore, en rappelant une seconde fois cette hiérarchie).
50 - (Le mérite du cheval réside dans sa vaillance, la nervosité des jambes, le tressaillement des membres qui est signe de force, ce qui permet de le lancer aisément au sortir d'un grand repos et de le maintenir facilement après une course précipitée).
Albert le Grand, s'il ne fournit pas de hiérarchie, établit une relation entre couleur et qualité. De plus, il paraît vouloir être plus précis que les autres textes. Il distingue en effet le cheval sauvage51 du cheval domestique et la description qu'il fait des couleurs, en rapport avec l'anatomie de l'animal, est plus détaillée : Color aulem naturalis equi qui in sylvestribus depreanditur, est cinereus, per dorsum linea fusca a capite usque ad caudam porrecta. ln domesticis tamen boni invenientur nigri, rufi, et albi aliquando, et similiter grisei qui quasi circulis parvis irúerposilis nigros albis immixtos habent pillos (p. 392)52.
- Il existe plusieurs catégories de chevaux. Isidore en avait donné trois, qui, rappelons-le, sont : cheval de combat, cheval commun et cheval hybride. Les encyclopédistes, le plus souvent, vont intégrer une triade proche de la triade de base dcstricr/palefroi/roncin dans leur énumération, qui pourra être plus large. - Thomas de Cantimpré : tria genera equorum sunt: unum eorum est bellicosum, aliud ad vehiculum aptum et equitandum, aliud aptum aratris (p. 132).
- Vincent de Beauvais : ce dernier fait un chapitre spécial, intitulé De diversis equorum generibus et equifero et equicervo, dans lequel il reprend, mot pour mot, la triade isidorienne, à laquelle il ajoute l'âne et la mule, puis le centaure, les chevaux sauvages et l'élan (equicervus). Il s'agit donc pour lui de présenter plutôt que les catégories spécifiques du cheval, un panorama des équidés. - Albert le Grand : il énumère et décrit quant à lui, comme on l'a déjà vu, quatre catégories de chevaux domestiques, catégories qui «collent» de très près à la réalité contemporaine. Il s'agit du destrier (bellici videlicet qui dextrarii vocantur), du palefroi (palefridus), du coursier (currilis equus), et le roncin (runcini vocati). Dans les propriétés qu'il énonce pour caractériser le destrier, on retrouve les propriétés traditionnelles du cheval de combat qui aime la guerre et 51 - Isidore avait lui aussi, à propos de la couleur cinereus, évoqué le cheval sauvage (equiferus) (Etym., XII, 1,54). 52 - (La couleur naturelle du cheval capturé parmi les chevaux sauvages est cendrée, avec une ligne sombre allant depuis la tête jusqu'à la queue. Cependant, parmi les chevaux domestiques, on en trouve de bons qui sont noirs, roux, et parfois blancs ou encore gris, avec des poils noirs mêlés aux blancs comme s'ils étaient intercalés par petits cercles).
son maître etc. Albert innove dans cette catégorie en notant que ce cheval n'est pas castré, ce qui justifie son agressivité (belliquorum autem equorum est non castrari, quia ex castratione efficientur timidi). Les sources encyclopédiques s'intéressant essentiellement au cheval de combat, Albert va devoir se situer quelque peu en marge de la tradition des invariants pour parler des autres chevaux, palefroi, coursier (qui pour lui n'est pas l'équivalent du destrier) et roncin. Le palefroi pour lui est le cheval de voyage, qui doit être résistant, ce pourquoi on ne doit pas le châtrer : Palefridorum autem est vectio quae equitatio dicitur ; et horum etiam est non castrari, ne effoeminentur (p. 392). Le coursier est un cheval rapide qu'il convient de châtrer afin qu'il ne soit pas trop échauffé par la course : currilium equorum est usus ad fugas et insecutiones praecipue : et ne indurescant eis nervi ex calore cursus, castrantur, ut frigiditate et humore occurratur siccitati quae ex calore motus cursus inducitur (p. 392). Le roncin est le cheval de trait et de bât ; pour Albert, le trait se limite à la charrette, il n'est pas question de labour : runcini autem sunt qui habentur ad labores onerum vel tractus quadrigarum et rhedarum. - Barthélemi l'Anglais ne mentionne pas ces catégories et Brunetto Latini rajoute à la triade la mule, conseillant d'élire un cheval en fonction de ce que l'on attend de lui : «dois tu estre bien sovenans a eslire celui cheval a ton oés, ki ait les proprictés et les teches ki besoignables sont a ce de quoi il doit servir ; car les uns covient bien corre, les autres bien aler au pas ou ambler, et autre chose que lor nature requiert» (p. 164). - La longévité du cheval : à la suite d'Isidore, nos auteurs vont souvent faire quelque mention de l'âge et de la longévité du cheval. De manière invariante, on traite du mâle et de la femelle. Il est délicat de déterminer des sources précisément, car les chiffres avancés varient d'un auteur à l'autre. Les sources antiques sont essentiellement Aristote (Hist. an., 6, 225768) et Pline (Hist. nat., 8, 162). Les auteurs donnent soit des chiffres en absolu, soit des chiffres conditionnés par des éléments extérieurs, le lieu de naissance tout particulièrement (ce qu'avait fait Pline, puis Isidore). Pour Thomas, le mâle vit jusqu'à 35 ans, la femelle jusqu'à 40, voire, exceptionnellement, 70 ans. Ils vivent plus longtemps en Perse et en Sicile ; leur vie est en revanche plus courte en Gaule et en Espagne (p.
132). Vincent de Beauvais annonce que les mâles vivent 50 ans, les femelles un peu plus (c. 1352) et il reprend les lieux favorables d'Isidore. En ce qui concerne Barthélemi l'Anglais, la jument vit plus longtemps que le mâle et les terroirs d'élevage les plus propices à la longévité sont la Sicile et la Perse, opposés à la Gaule, la Numidie et l'Espagne (chez Corbechon la France, l'Inde et l'Espagne). Pour Brunetto Latini, c'est le mâle qui vit le plus vieux, jusqu'à 70 ans («et sachiés que cheval malle sont de longue vie, car nous lisons d'un cheval ki vesqui .1xx. ans ; més les femeles ne vivent longhement» (p. 163)). - Les dents du cheval blanchissent avec l'âge (TC., VB., BA.). Les sources sont Aristote (Hist. an., 2 , 3501b ; 6, 22576b) et Pline (Hist. nat., 19, 168-71). Thomas de Cantimpré et Vincent de Beauvais fournissent des précisions sur le nombre des dents, en fonction de l'âge. Citons l'exemple de Thomas : Prohinde omne animal quod procedit in etaie nigrescunt dentes ejus preter in equo, quia equus procedens ad etatem denles ejus albescunt. Unde etas eorum in dentibus cernitur. Equus habet dentes numero quadraginta, quorum primos amittit a nativitate mense tricesimo utrimque binos, sequenti anno totidem proximos illis qui ceciderunt amitlit. Quidam tamen dicunt, quod in nostro orbe, ut dicit Plinius, a quinto anno incipiente amittit binos, qui secto anno renascuntur; septimo habet renatos omnes dentes et immutabiles (p. 132)53.
- On reconnaît le caractère de l'animal à ses oreilles (TC., VB., BL.). Les sources sont Pline (Hist. nat., 11, 137) et Isidore (Etym., 12, 1,47). D'autres détails anatomiques sont fournis par les auteurs d'encyclopédies ; le coeur du cheval contient un «os» (TC., VB., BA.) ; les sources sont Aristote (Hist. an., 2, 15506a) et Pline (Hist. nat., 11, 183) qui ont décrit un cartilage dans le. coeur des grands mammifères. Le cheval n'a pas de vésicule biliaire (VB., AG., CP.), ainsi que Pline (Hist. nat., 11, 191) l'avait énoncé. A ce sujet, nos 53 - (Les dents des animaux qui vieillisent en général noircissent, sauf chez le cheval, parce que chez le cheval vieillissant elles blanchissent. On peut, à partir de là, définir l'âge d'un cheval, Il possède quarante dents ; il en perd deux trente mois après sa naissance. L'année suivante, il perd celles qui étaient proches de celles-ci. Certains disent cependant que dans nos pays, comme dit Pline, le cheval perd deux dents à sa cinquième année et qu elles repoussent à six ans. Il a toutes ses dents définitives à sept ans).
auteurs ne paraissent pas très assurés ; Vincent par exemple note l'absence de vésicule, puis indique qu'elle est collée près du foie, lorsqu'une autre source est utilisée. Ce même Vincent signale que le cheval a des yeux vairons : equus oculos habet diversi coloris, unius ab altero (c. 1352) et qu'il existe une grande variété de couleurs, comme chez l'homme. Le cheval, dit l'auteur du Speculum naturale, dort debout, aime nager (Aristote, Hist. an., 8, 24604b). Vincent, en suivant Pline (Hist. nat., 8, 65), relate également que les juments peuvent uriner en courant et c'est pour cela qu'elles étaient utilisées au combat par les Scytes : mas (ut dictum est) ad bella nunquam producitur apud Schytas, eo quod foeminae exonerare vesicas, et in fuga possunt (c. 1354). Cette anecdote donne lieu à une remarque de Barthélemi qui semble ne pas avoir bien compris sa source, car il mélange la façon de boire des chevaux et leur manière d'uriner. Citons la traduction, fidèle ici, de Corbechon : «les meilleurs chevalx pour bataille sont ceulx que plus perfont boutent leur musel en l'eaue quant ilz boivent, car en courant ilz ne sont point emechié de leur orine» (fol. 349). Pour finir ce petit panorama, nous examinerons le cas d'Albert le Grand qui, toujours un peu en marge des autres auteurs, souvent plus précis, plus «scientifique» et plus pratique, s'intéresse à l'allure des chevaux. On a déjà noté que le latin avait développé un vocabulaire spécialisé en fonction de l'allure du cheval et que certains de ces termes se retrouvent dans des documents d'archives, termes tels equus currens, equus ambulans, ambulatorius, troterius, trotarius etc. Ce qui est particulièrement intéressant chez Albert le Grand est qu'il décrit avec précision les allures elles-mêmes : Similiter sunt quatuor equorum motus : cursus qui ex saltibus in equo componitur, trottatio, ambulatio et peditatio. Cursus autem perficitur quando simul anteriores pedes elevantur et posteriores simul, et equus se impinguit anterius. Trottatio autem quando velocius, quam in ordinato gressu in appositis lateribus simul unum anteriorem cum uno poeteriori levat pedem. Et hoc modo sit etiam peditatio, sed est praeter equi concitationem. Ambulatio autem sit quando simul in eodem latere unum anteriorem et unum posteriorem levat pedem, sed suavius illa perficitur si juxta terram non alte levando, sed quasi trahendo ducit pedes, et aliquantulum citius anteriorem quam posteriorem figit pedem (pp. 392-3).54 54 - (De même, les chevaux possèdent quatre allures : le galop qui consiste en une série de sauts, le trot, l'amble et le pas (ou bien le petit galop). Pendant le galop, le cheval lève en même temps ses pattes antérieures et puis ses pattes postérieures et se propulse en avant. En trottant, le
- Mode de reproduction, naissance. L'information concernant la reproduction est plus dispersée que celle contenue dans les rubriques précédentes. Elle se structure toujours sous fonne d'un certain nombre d'invariants, mais l'éventail des choix est fort large en ce domaine. Il nous a paru souhaitable en ce contexte d'opérer un regroupement des invariants, des exemples, des anecdotes, sous la forme de 3 rubriques : a)comportement sexuel ; b)fécondation et gestation ; c)mise-bas, progéniture. Comportement sexuel Selon Aristote (Hist. an., 6, 18571b ; 6, 22575b), les chevaux sont d'une libido très développée, tout particulièrement les femelles. On sait que ce type de remarque remporte du succès auprès des médiévaux, pouvant aisément conduire à des gloses antiféministes. Les encyclopédistes n'exploitent pas cette veine, mais rapportent en général la thèse du Stagirite (VB., BA., CP) : «ils aiment moult le fait de luxure plus que autres bestes» (JC., fol. 349). Le désir sexuel de la jument est par contre aisément stoppé : il suffit pour cela de lui couper la crinière, comme l'avait dit Aristote (Hist. an., 6, 18572b) et, ainsi que le répètent nos auteurs à l'unanimité (TC., VB., BA., AG., BL., CP.), comme par exemple Brunetto Latini : «Et lor luxure puet on refraindre se l'en lor roegne les crins» (p. 163). Les auteurs soulignent que, dans le monde des chevaux, l'inceste ne peut avoir lieu, dans le sens qu'un poulain mâle ne peut s'accoupler avec sa mère. Thomas de Cantimpré semble être le premier encyclopédiste du Moyen Age à citer le cas de cette jument d'un roi de Scythie que l'on fit accoupler avec un de ses poulains. Thomas reproduit d'après Aristote, mais ne mentionne pas la nationalité du roi (quidam rex (4, 34, 15b)55 : cheval va plus vite qu'en marchant ; il lève simultanément une patte antérieure et la postérieure opposée. Le pas (ou bien petit galop), ressemble à celle dernière allure, à ceci près que le cheval ne fait pas de mouvement rapide. L'amble est une allure dans laquelle le cheval lève en même temps une patte antérieure et une postérieure, toules deux du même côté. Ce pas est plus agréable si le cheval ne lève pas trop le pied au dessus du sol, mais s'il donne une impression de glissement en posant le pied avant légèrement plus tôt que le pied arrière). 55 - Ed. Boese, p. 131.
Accidit ut quidam rex ex pulchra equa et pullo ejus equo pulchro vellet habere equum. Equam ergo in facie coopertam pullum ejus equum ad solvendum admisit. Quam cum saltasset et matrem revelata facie cognovisset, fugit et statim mortuus est pre dolore56.
Cette anecdote vient d'Aristote (Hist. an., 9, 47630b) qui s'intéresse aux relations incestueuses dans le monde animal. Il semble que Thomas mélange le passage consacré au chameau et celui dévolu au cheval. En effet, il mentionne que le voile tombe pendant l'accouplement alors qu'Aristote mentionne cet événement dans le cas du chameau ; pour le cheval, le Stagirite dit que le poulain découvre sa mère-partenaire alors qu'on la dévoile après le coït, à la suite de quoi il se jette au fond d'un précipice. Pline note également cette anecdote, mais chez lui, c'est le poulain qui a les yeux bandés (Hist. nat., 8, 156). Dans le Livre des proprietez des choses, les deux protagonistes de la scène ont la face couverte : Des chevaulx, dist Plinius ou .xliiie. chappitre de son .viiie. livre que les chevaux de Sirie (...) n'assaillent point leurs meres et de ce raconte Aristote au .viiie. livre des bestes que un roy de septentrion avoit une belle jument qui ot un trop beau cheval que elle avoit porté ; et pour la beauté de la mere et du filz, le roy vouloit avoir un poulain de eulx deux, et fist couvrir la teste de l'un et de l'autre tant que le filz eust sailli sa mere. Et quant ilz furent descouvers, le filz se jetta dessus une haulte montaigne a terre et se tua de courou que il ot de ce qui avoit sailli sa mere (fol. 349). Par contre, Vincent et Barthélemi signalent que l'accouplement entre frère et soeur est possible. Les préludes à l'amour se font par des caresses de museau (TC., VB.) et les mâles suivent les femelles (tempore coitus, sequuntur mares, CP., p. 179) ; le coït lui-même n'est pas décrit par nos auteurs, qui vont davantage s'intéresser à la reproduction. Fécondation et gestation Le cheval certes, note Vincent de Beauvais, est peu fertile ; il convient en tout cas de connaître les âges où il peut se reproduire. Cet 56 - (// arriva qu'un roi désira avoir un cheval né d'une belle jument et de son beau poulain. A cette fin, il accoupla la jwnent dont la face avait été cachée avec son poulain. Pendant l'accouplement, le poulain reconnut sa mère dont le voile était tombé, il s'enfuit et mourut aussitôt de douleur).
aspect est traité par Aristote (Hist. an., 5, 14545b) et Pline (Hist. nat., 8, 163) que reprennent Thomas, Vincent, Barthélemi, Albert. Voici ce que Thomas rapporte : Equus incipit coire duorum annorum et aliqui trium. Sed quicquid generat ante tres, debile fit ; quicquid vero post fortius et melius, usque ad anno viginti. Masculus autem salit usque ad .XXX. annos, equa usque ad XL. annos (p. 132)57.
A propos de fécondation, T h o m a s et Vincent, ce dernier reprenant vraisemblablement son prédécesseur, racontent une antique légende de j u m e n t s que le vent féconde. Cette légende est très ancienne puisque déjà chez H o m è r e (Il., 16, 150-1) ; elle est rapportée, avec quelques variantes p a r Aristote (Hist. an., 6, 18571b) et par Pline (Hist. nat., 8, 166)58. T h o m a s précise qu'il s'agit des j u m e n t s de Scythie, ce qui ne figure pas dans Pline. Vincent de Beauvais annonce que, c o m m e la femme, la j u m e n t accepte le coït après la fécondation et il signale que la durée de la gestation est de onze mois c o m m e l'avait noté Pline (Hist. nat., 8, 163). On remarque chez l'auteur du Speculum n a t u r a l e un intérêt particulier p o u r ces questions. Il y consacre en effet un chapitre D e generatione ipsorum, dans lequel il compare le coït du cheval à celui du taureau, signale les menstruations de la jument, note que la couleur du poil change, que la j u m e n t est stérile si elle n'est pas fécondée à la première saillie, qu'elle doit être fécondée tous les deux ans p o u r obtenir de b o n poulains mâles et avoir suffisamment de lait p o u r bien les alimenter, qu'elle accouche debout, («la femelle faonne en estant», dit JC), qu'elle avorte si l'on éteint une chandelle devant ses naseaux, ce dernier point faisant figure d'invariant, signalé par la plupart des auteurs d'après Aristote (Hist. an., 8, 24604b). Progéniture Ceux de nos auteurs qui s'intéressent le plus au poulain sont Vincent de Beauvais et Barthélemi l'Anglais, qui consacrent au petit 57 - (Le cheval commence à s'accoupler à deux ans, certains à trois. Mais celui qui engendre avant trois ans produit des petits très faibles, alors que celui qui procrée après et jusqu'à l'âge de 20 ans engendre de forts et meilleurs poulains. Le mâle peut saillir jusqu'à 30 ans et la femelle peut produire jusqu'à 40 ans). 58 - Chez Homère, c'est le vent d'ouest qui féconde les juments (//., 16, 150-1 et 20, 222sq) ; chez Varron (De re rust., 2, 1, 19), puis chez Pline, les juments viennent de Lusitanic.
de la jument un chapitre spécial. La plupart des encyclopédistes évoquent toutefois le poulain, même de façon sommaire, avec, ici encore, un invariant didactique, qui concerne l'anatomie du poulain venant au monde : - Le poulain en naissant possède une excroissance sur le front, la caruncula (hippomane) que la mère lèche et fait ainsi disparaître (TC., VB., BA., AG., BL.). Les sources sont Aristote (Hist. an., 6, 22577a ; 8, 24604b) et Pline (Hist. nat., 8, 165). Certains auteurs (TC., AG.) signalent que cette excroissance est toxique et Barthélemi l'Anglais indique qu'elle peut servir à des recettes magiques. Citons les délicieuses remarques de la traduction du De proprietatibus rerum : Derechief, il (Pline) dit que ou front du poulain il né une petite pellette noire, de la grandeur de une figue seche, laquelle la mere leiche de sa langue et la couppe aux dens et la musse et ne lui donneroit jamais la mamele jusques a tant que celle peau fut couppee. Et ceste peau est appellee de Plinius le benefice d'amours, car les sorcieres en usent quant elles veullent faire une personne amer par amour (fol. 349v). L'encyclopédiste répète d'ailleurs cette caractéristique lorsqu'il parle du poulain (JC., fol. 349v). Barthélemi et Vincent se livrent à une description du poulain ; empruntant à Aristote (Hist. an., 2, 1501a) et Pline (Hist. nat., 8, 165), nos auteurs ont été frappés par la disproportion des membres antérieurs et postérieurs du poulain, disproportion le conduisant à avoir des postures spéciales ; Vincent de Beauvais (Spec. nat., c. 1355) en particulier note que le poulain a du mal à paître, car il n'arrive pas à atteindre la terre avec sa tête (cf. Pline, Hist. nat., 8, 165). Citons la traduction de Corbechon la plus proche du latin et la plus cohérente, celle du BN fr. 16993, fol. 306v : Derechief, dit Aristote au .xive. livre des bestes, que le poulain a la partie de derriere plus grande que celle de devant. Et quant il est un pou plus fort, il croist plus par devant et pour ce est il moult de chevaux qui sont plus hauls par devant que par derriere. Et de ce vient que, tant comme il est poulain, il touche sa teste de son pié derriere, mais quant il est cheval parfait, il ne le puet faire. - Le poulain suit sa mère partout, et il l'appelle en hennissant lorsqu'il la perd.
- Le poulain ne porte pas de harnachement, ce qui est une occasion pour Barthélemi d'énumérer des pièces de cet équipement : Pullus equinus stramentis non sternitur, strigile non tergitur, phaleris non ornatur, calcaribus non percutitur, selle non subjicitur, frenis non domaJur. (...) Claviculis in pedibus non clavatur (fol. 223v).
Ce qui donne, dans la traduction de Jean C o r b e c h o n : Le poulain n'a point de littiere ne il n'est estrillé, ne paré de sale, ne feru de l'esperon et n'a ne frein, ne chevestre (...) et ne lui met on es piez ne fer ne clou (fol. 349v). De ce poulain, proche de la nature, il convient de faire un cheval utile et le dressage figure dans les remarques de ceux des encyclopédistes qui se penchent sur le cas du j e u n e cheval : - Vincent s'intéresse aux choix des j e u n e s chevaux qu'il faut dresser p o u r la guerre, en donnant quelques critères de sélection portant sur l'aspect du cheval : In martio domendi sunt pulli, nisi tempus bine aetatis excesserit. Consideranda sunt autem magna, longa, nigra, musculosa et arguta corpora, testiculi pares, exigui, etc. (c. 1355)5 .
Barthélemi reste dans une tonalité proche en indiquant les. emplois «nobles» du futur cheval : guerre, course etc. La traduction de Corbechon est ici intéressante, car ce dernier sort de son texte-source et se tourne davantage vers une réalité, en mentionnant des emplois pratiques, quotidiens du cheval dressé : En la fin, on le (le poulain) met a labour (travail), et li met on le frein ou le chevestre pour le retenir ; et li met on la sale pour seoir sus son dos, et lui aprent on a courir et a saillir par force de l'esperon. Et le met on a la charette ou en bataille ou a autre labour (fol. 349v-50). - Barthélemi enfin remarque qu'il est difficile de changer la qualité du pas d'un cheval, lorsqu'il a pris certaines habitudes dans son jeune âge : Circa autem pullum equinum hoc ultimo animadvertas,
59 - (Il y a des poulains que l'on dresse pour la guerre ; il ne faut pas qu'ils dépassent deux ans. Il faut tenir compte de leur corps qui doit être harmonieux, grand, élancé, noir, aux muscles saillants ; leurs testicules doivent être égaux et serrés).
quia passum suavem [vel durumj quem assuescit in juventute, vix potest dimittere etiam in senectute (fol. 223v)60.
- Matière médicale Le domaine est très vaste, surtout si l'on se réfère à Vincent de Beauvais. Ce dernier en effet, fidèle à sa méthode, compile toutes les sources les plus courantes et consacre un chapitre entier à cette question (De medicinis ex equo). On aboutit alors à un amas de renseignements qu'une étude spécialisée devrait contribuer à classer. Dans le cadre du présent ouvrage, nous nous contenterons de signaler la présence de telles rubriques et nous donnerons l'exemple de trois substances, celles dont parle, d'ailleurs de façon très sommaire l'auteur du De proprietatibus rerum : le fiel, le sang, la salive. 1) Le fiel Notons à propos de cette substance qu'il est délicat de parler véritablement de matière médicale, dans la mesure où Barthélemi, après Pline (Hist. nat., 28, 146), le considère comme toxique : Fel (...) equi computatur inter venena et ideo sacrato flamini equum tangere non licebat (fol. 223). La traduction de Corbechon a de quoi surprendre : Derechief, (...) le fiel de cheval est compté entre les venimeuses choses, et pour ce entre les anciens une personne sacree n'osoit toucher a un cheval fauve. (nous donnons la meilleure traduction du latin, celle de BN fr. 16993, fol. 306v) On voit qu'il s'agit chez Corbechon d'une confusion portant sur le sens du texte latin ; il ne comprend pas ce que sont les flamines, associe le terme au feu et donc à la couleur fauve de la robe du cheval. 2) Le sang
60 - Traduction de Corbechon : «Le poulein a ceste condicion que le pas que il a acoustumé en sa jeunesse, soit dur ou souef, il veult maintenir en sa vielles se et est fort de luy en estera (fol. 350).
Le sang du cheval, comme le fiel, est toxique pour Barthélemi (ejus sanguis recans et crudus malus et perniciosus est ut taurinus61). 3) La salive La salive de cheval a des vertus bénéfiques ; en effet, elle possède des propriétés vermifuges (spuma equi data cum lacté asinino, vermes interficit in ventre venenosos). On reste, on le voit, dans une tradition très livresque, selon laquelle il suffit de donner quelques sentences, quelques définitions, autorisées. L'exemple de Vincent de Beauvais est frappant car l'auteur juxtapose toutes sortes d'éléments, quelquefois contradictoires : le sang peut ainsi avoir des vertus bénéfiques. Chez un auteur comme Barthélemi, il s'agit sans doute de faire quelques remarques qui ne présentent que peu d'intérêt pour l'auteur, mais qui soulignent le genre, par des allusions, à une matière obligée, et ce en se référant à la source : pour l'auteur du De proprietatibus rerum, elle semble en la matière se limiter à Pline, ce qui explique le peu de densité de cette rubrique. Du côté des maladies des chevaux, donc de la matière hippiatrique, c'est surtout chez Albert le Grand que l'on trouvera d'intéressants développements. On le verra par la suite, Albert est par exemple une source essentielle pour la Cirurgie des chevaux, texte qui sera présenté dans la troisième partie de cet ouvrage. Barthélemi et Vincent s'intéressent aussi, de manière toujours très livresque, à l'hippiatrie ; nous mentionnerons leurs remarques dans la dernière partie de notre travail. Nous avons évoqué précédemment les relations unissant le ciel et les créatures terrestres, à propos de la théorie des climats appliquée à la qualité des chevaux. Dans un ordre différent, mais connexe, on trouve chez Barthélemi l'Anglais une mise en relation symbolique entre les chevaux et les planètes, la couleur des chevaux, les éléments et les saisons. L'encyclopédiste suit ici Isidore (Etym., 18, 36-7 ; 18, 61 - Pour la toxicité du sang de taureau se reporter à l'article d'Alain Touwaide : Le sang de taureau, L'Antiquité classique, 48, 1979, p. 5-14. Voir aussi G. Sodigné-Costes, «Les animaux vénéneux dans le Liber de venenis de Pietro d'Abano», à paraître dans Reinardus, 7, 1993.
41) qui décrit les jeux du cirque. Barthélemi a donc une démarche originale en reportant ces remarques dans le chapitre consacré aux chevaux : Les chevalx des charrios a .iv. roes furent consacrez au souleil pour les .iv. saisons de l'an qui sont ver, esté, antompne et yver, qui se font selon le cours du souleil. Les chevalx des chareltes a deux roes estoient consacrés a la lune, pour ce que on la voit au temps, c'est assavoir de jour et de nuit ; et pour ce on mettoit en painture avec la lune deux chevalx, dont l'un estoit noir et l'autre blanc. Et quant il avoit deux chevaulx a un char, ilz estoient consacrez aux dieux d'enfer, pour ce que les deables d'enfer traient a eulx les gens en .iii. ages, c'est assavoir en enfance, en jeunesse et en viellesse et ceulx cy mettoient chevaulx de diverses couleurs l'un avec l'autre. Et c'est assavoir que ilz ne osoient pas bien coupler plus de .vii. chevalx ensemble, pour ce que y n'est que .vii. planettes qui gouvernent tout le monde. Et si n'est que .vii. jours qui comprennent tout le temps. Les rouges chevaulx estoient consacrés au feu et les blans a l'air et les fauves et les noirs à la terre et les vers à l'eaue. Derechief, ilz chevauchoient en esté les chevalx rouges, pour ce que adonc toutes choses sont chaudes. Et en yver ilz avoient chevalx blans et signifioient la glace et la gelee qui est blanche. Et en ver, ilz avoient chevalx verts, pour la verdure du temps. Et en antompne, ilz chevauchoient chevalx fauves et noirs, pour ce que adonc toutes choses perdent leur beauté et leur verdure. Derechief, ilz consacroient les chevaulx rouges a Mars, le dieu de bataille, pour ce que il se delitte en sanc qui est rouge. Et les blans et d'autres couleurs ilz dedioient a diverses choses trés follement par la procuracion du deable, qui ainsi les ainsi les decevoit, si comme dist Ysidoire ou .viii". livre (fol. 350). On peut être surpris d'un tel passage chez Barthélemi dont l'ouvrage laisse très peu de place à la symbolique et même à la moralisation. Il est possible que ces remarques fassent exception parce qu'elles concernent le ciel, les planètes et les éléments. En effet, l'aspect symbolique est enserré ici dans un carcan assez étroit qui se construit sur l'histoire d'une part et la science du ciel de l'autre, ce qui le rationnalise en quelque sorte. Dans ce contexte, le choix de paraphraser Isidore devient légitime. On retiendra en général de l'écriture encyclopédique sur le cheval des éléments traditionnels ; les auteurs, en dépit de l'importance contemporaine de l'animal, ne rendent compte que de manière infinitésimale de la réalité. Il y a de quoi être déçu, car, finalement, l'encyclopédisme en ce domaine, comme en bien d'autres, s'apparente à un jeu d'écriture, avec certes des intentions précises d'éducation,
d'édification, avant tout d'accès à l'autorité, mais qui apporte bien peu de témoignage à l'historien, si ce n'est dans le domaine des mentalités. Le cheval «didactique» de nos encyclopédistes reste donc surtout un cheval écrit, un cheval littéraire, même s'il est hors du champ du cheval «courtois» des romans et chansons du Moyen Age. 111-3 Le cheval écrit et l'économie rurale (Pierre de Crescens) Pierre de Crescens (Pier' dei Crescenzi) est un lettré de Bologne qui, aux alentours de 1299, alors qu'il était à la retraite après une carrière de magistrat (gibelin), écrivit un Opus ruralium commodorum, qu'il dédia à Charles II d'Anjou. Ce traité se veut un ouvrage d'économie rurale : il est composé de douze livres traitant des principales questions de l'agriculture. Que l'on ne se méprenne toutefois pas sur le contenu de cet ouvrage ; Pierre est avant tout un universitaire (il était docteur utriusque juris), un lettré, et même s'il passe une partie de sa retraite dans sa ferme de Ca d'Olmo, il reste très tributaire d'un savoir livresque et, en particulier de sources antiques, comme l'oeuvre de Virgile62 et surtout celle de Palladius, tout en empruntant à des auteurs médiévaux, comme Albert le Grand, et en ce qui concerne l'hippiatrie, Jordanus Rufus. Dans le prologue du livre IX en effet Pierre annonce clairement qu'il utilisera «tant de la doctrine des anciens sages comme de l'experience de ceulx de maintenant» (fol. 93v). Mais les sources utilisées pour les rubriques concernant le cheval ont ceci de remarquable qu'elles ne concernent que la vie pratique ; Pierre ne semble pas emprunter ni à Aristote, ni à Pline, ni à Isidore. Seuls les agronomes, les hippiatres paraissent l'intéresser. L'ouvrage connut un vif succès (il nous est parvenu plus de 94 manuscrits latins) et fut traduit rapidement en plusieurs langues. En 1373, il est traduit à la demande de Charles V et la traduction anonyme porte le nom de Livre des proffits champestres et ruraulx ou de Rustic an63. 62 - Voir J.C. Gaulin, «Sur le vin au Moyen Age. Pietro dei Crescenzi, lecteur et utilisateur des Géorgiques traduites par Burgundio de Pise», Mélanges Ecole française de Rome, t. 96, 1984, pp. 95-127. 63 - Nous avons utilisé pour le présent travail l'exemplaire de l'ouvrage de Pierre de Crescens conservé à la Bibliothèque municipale d'Orléans ; ouvrage obtenu par inlerfoliolalion de deux éditions, l'une latine de 1492 et l'autre française de 1521 (voir annexe 1). Nous citerons le français lorsque la traduction est fidèle et correcte, sinon, nous donnerons le texte latin. En effet, le
Le Livre des proffits consacre au cheval cinquante-sept chapitres dont neuf peuvent être effectivement rapportés à l'économie rurale, alors que les quarante-huit autres démarquent Jordanus et Albert le Grand, ne s'occupant que des maladies et de l'hippiatrie. A la lecture de ces chapitres, il apparaît que, différemment des encyclopédistes de ce temps, Pierre s'intéresse plus particulièrement à des questions pratiques. On ne se méprendra pas, même en dépit de l'utilisation du terme «expérience» dans le prologue, sur cette idée de pratique : l'ouvrage reste une compilation dans laquelle Varron et Palladius ont une place de choix. Mais Pierre, par son choix des rubriques et des sources, manifeste clairement son intérêt pour la vie du cheval dans la réalité, même si la notion de «réalité» est à prendre dans un sens que l'on pourrait qualifier de théorique. Pas de trace de légende chez lui : ici pas de cheval aimant la trompette, dansant sur le champ de bataille et capable de prévoir l'issue de cette dernière, pas d'animal pleurant la mort de son maître, pas de jument fécondée par le vent... Nous nous intéresserons ici seulement aux rubriques concernant l'élevage et le dressage du cheval pour illustrer cette attitude. L'ouvrage de Pierre est de plus un représentant quasi exclusif de ce qui pouvait exister en matière d'économie rurale et domestique au Moyen Age. Les informations qu'il peut procurer, si on ne doit y voir forcément un reflet fidèle de la réalité contemporaine la plus quotidienne, n'en sont pas moins des témoignages de ce que l'on pouvait penser du cheval dans une certaine couche de la population dont l'intérêt pour cet animal est manifeste, de celle à laquelle appartient ce bourgeois aisé possédant une ferme et vivant souvent à la campagne, de celle à qui Pierre s'adresse, la noblesse à la recherche de montures prestigieuses. Significatif à cet égard, le prologue du livre IX qui mentionne le cheval en relation avec les ordines : Et pour ce que entre les bestes le cheval est plus noble et le plus nécessaire, tant a roy, a prince et seigneur, en tant de bataille et paix, comme a prelatz d'Eglise et a autres, je diray plus a plein des chevaulx (fol. 94) Pierre de Crescens organise la matière concernant l'élevage et le dressage du cheval en neuf chapitres, dont les intitulés marquent bien latin de Pierre contient un certain nombre d'italianismes qui ont paru gêner le traducteur et certaines phrases en français sont incompréhensibles.
la f a ç o n d o n t l'auteur e n t e n d f o u r n i r ses informations. N o u s d o n n o n s ici l a l i s t e d e c e s i n t i t u l é s ( p o u r l e l a t i n , é d i t i o n d e 1 4 9 2 ) , a v a n t d e c o n s i d é r e r , s u r d e s e x e m p l e s , la f a ç o n d o n t P i e r r e p r o c è d e ( e n t r e p a r e n t h è s e s , n o u s d o n n o n s l'intitulé français de l'édition de 1521). 1) De etate equorum et equarwn (De l'age des chevaulx et des jumens) ; 2) D é f o r m a bonarum equarum et admissarii et qualiter teneri debent (De la forme des bonnes jumens pour concevoir et comment on les doit tenir et ordonner) ; 3) De natura equi et natis qualiter teneri debenl (De la nativité du cheval et comment on le doit tenir quant il est né) ; 4) De captione et domatione equi (De la maniéré de prendre les poulains et de les aprivoiser) ; 5) De custodia equorum (De la garde des chevaulx) ; 6) De doctrina et morigeratione equi (De la doctrine et moriginacion des chevaulx) ; 7) De signis pulchritudinis equorum (Pour sçavoir congnoistre la beaulté du cheval) ; 8) De signis bonitatis equorum (Des signes de la bonté du cheval) ; 9) De signis malitie et utilitatis equorum et vilitatis precii ipsorum (Des signes de la maulvaistié et vice et du proffit des chevaux)
O n voit q u e ces rubriques p e u v e n t être regroupées (on dira g r o s s o m o d o , c o m m e p o u r toute opération d e r e g r o u p e m e n t ) en trois m a t i è r e s : a) c o n s e i l s p o u r s é l e c t i o n n e r u n b o n c h e v a l ; b) r e p r o d u c t i o n et s o i n s à d o n n e r a u x p o u l a i n s e t a u x c h e v a u x ( é l e v a g e ) ; c) d r e s s a g e du cheval. - Sélection du cheval L'un des p r e m i e r s é l é m e n t s qu'il faut c o n s i d é r e r lorsqu'il s'agit d e c h o i s i r u n c h e v a l est b i e n e n t e n d u s o n âge. Pierre va d o n c i n d i q u e r les s i g n e s p e r m e t t a n t d ' i d e n t i f i e r c e t â g e . E n p r e m i e r l i e u , il c o n v i e n t d e r e g a r d e r l a d e n t u r e d e l ' a n i m a l . P i e r r e r e p r e n d ici la p l u p a r t d e s informations, venant des sources antiques (il cite d'ailleurs explicitement V a r r o n et Palladius), q u e l'on trouve é g a l e m e n t chez les encyclopédistes. Par contre, toujours dans un esprit pratique, Pierre rend c o m p t e d'une p r a t i q u e c o u r a n t e c o n c e r n a n t ce q u e les latins n o m m a i e n t l e s s c a l l i o n e s , c a n i n e s o u c r o c h e t s d u c h e v a l qui g ê n e n t le p o u l a i n l o r s q u ' e l l e s s o n t t r o p l o n g u e s : « e t q u a n t le p o u l a i n n a i s t , il naist a v e c q u e s r a n c h e s et puis luy v i e n n e n t e s c a l o n g n e s et a u c u n e s f o i z c e s e s c a l o n g n e s l u y n a i s s e n t si t r é s l o n g s q u e ilz e m p e s c h c n t le
cheval a mouldre sa provende et aussi a engresser, et pour ce, les mareschaulx leur retaillent cecy» (fol. 94). Cette pratique est également rapportée par Jordanus Rufus, pour mettre le frein au cheval64. On notera encore la mise en garde, qui ne devait sans doute pas être inutile, contre la malhonnêteté de certains maquignons : «Et pour ce aulcuns rongnent les dentz au vielz chevaulx pour sembler jeune» (fol. 94). Jordanus Rufus a consacré une rubrique à la façon de juger de la beauté et de la nature d'un cheval (n° 125sq). Pierre de Crescens, à son tour, propose quelques regards sur l'aspect extérieur et sur la «bonté» de l'animal en s'inspirant visiblement du maréchal de Frédéric II. Donnons quelques exemples : le cheval doit avoir de grandes narines, des yeux gros et peu enfoncés, des petites oreilles, le cou long et grêle, une poitrine large et arrondie, le dos court, les hanches longues, les fesses longues et larges, la queue longue, la croupe large et charnue, les jarrets grands et secs etc. La nature du cheval est ensuite mise en relation avec ses qualités d'aspects : Cheval qui a grans narilles et enflees et gros yeulx non concavez est communement hardy ; cheval qui a grant bouche et maigres joues, long col et gresle vers la teste est convenable a enfermer. Cheval a grosse costes comme ung beuf et ventre large pendant bas est bon pour seustenir labour. Cheval a grans jeretz et estenduz et faultz courtes qui ayent regard aux jeretz par dedans est leger et hatif en aller. Cheval qui a coutz jeretz, lés faultz estenduz et courtes hanches doit bien aller par nature. Cheval qui a les joincture des cuysses naturellement grosses et les mâchoires courtes comme ung beuf est tenu comme fort. Cheval tenant a soy le tronc de sa queue estroit entre ses cuysses est fort et portant peine de commun cours, mais il n'est pas legier. Cheval qui a les cuysses et les joinctures des cuysses assez velues et a long poil en celle partie est de grant labour, mais il n'est pas communement legier. Cheval qui a le dos fort long et large(s) et hanches longues et estendues, et plus haut derriere que devant, est communement legier a courir, sicomme on le treuve en plusieurs [livres] (fol. 96) Des bontés du cheval, on passe ensuite naturellement à ses vices, que Pierre de Crescens décrit en suivant encore Jordanus, selon un schéma identique au précédent, donc en mettant en relation anatomie et nature. Donnons quelques exemples : 64 - Nous ferons les renvois à la version française du De medicina equorum, La marechaucie des chevax, éd. B. Prévot, Paris, Klincksieck (Coll. Sapience), 1991 ; ici nous renvoyons au n° 102 et n. 11lsq.
Cheval qui a les oreilles pendans et grandes et les yeulx cavez sera lent et pesant ; et quant le hault du nez est bien bas, il ne peult respirer par les narilles, si en vault moins (...) Se les yeulx des chevaulx sont blancz, ilz en sont moins prisez, car qui les meine a la neige ou a la froidure, ilz ne voyent goutte (...) Cheval qui lieve la queue hault et bas est de mauvais vice (...) Cheval qui a les genitilles trop grans en est plus lait et empesche a labour ; et se son membre luy est tous jours pendant, il en est plus lait et non digne d'estre chevaulchié de bonhomme...(fol. 96-96v). Un certain nombre des appréciations de Pierre sont identiques à celles que l'on peut trouver chez Jordanus ; il suffit pour s'en convaincre de comparer les deux textes. Donnons quelques exemples, toujours dans la traduction anonyme du De medecina equorum : «Li chevax qui a les costes grosses sicomme buef ont cmpliz et le dos pendent, il est bien souffisant a travail» (n° 128) ; «Le cheval qui a les oreillies pendens et les iex enfossez, il est naturclment mol et lant» (n° 132) ; «Le cheval qui a granz narilles et enflees et a les yeux gros et non enfossez, naturellement doit estre hardiz et couragieus» (n° 133) etc. Elevage du cheval On peut distinguer dans l'élevage plusieurs étapes «chronologiques» : tout d'abord, reconnaître les qualités des bons reproducteurs ; n'oublions pas qu'à l'époque où écrit Pierre de Crescens, et tout spécialement en Italie, la sélection est importante et que l'on a dépassé dans certains haras le premier stade d'élevage. Il est en ce contexte bon de savoir sélectionner un étalon (stade deux) et les juments qui doivent être montées (stade trois), et de les nourrir convenablement. Pour les mâles, Pierre préconise qu'ils soient «de plein et grant corps et beaulx et de noble forme, sans default, bonne poitrine convenable pour paistre aux prez et par especial en herbe, en estables et en cresches du foing sec» (fol. 94). Pour les juments, «elles ne doyvent point estre trop estroites ne menues par le col, et doyvent avoir les ventres larges». Quand ces juments auront mis bas, il est conseillé de leur donner de l'orge deux fois par jour (fol. 94). Pierre, comme la plupart des encyclopédistes, rapporte cette opinion ancienne qu'il faut choisir la date de la saillie afin que le poulain naisse, après une gestation d'un an, entre l'équinoxe de printemps et la mi-juin. Pierre s'intéresse à la saillie elle-même :
L'en doit mener le cheval a la jument deux fois le jour au matin et au vespre (...) Mais se il y a aucun ennuy de saillir, l'en prent le moyau de skile (le coeur d'une squille) et le broyen l'en avec eaue jusques a l'espaisseur de miel et puis l'en touche de ce la nature de la jument et puis l'en touche de ce les naches (naseaux) du cheval (fol. 94v) Pierre note ensuite qu'il faut bien garder l'étalon pour l'empêcher de se fatiguer et qu'il n'use pas sa semence inutilement ; on est bien dans le cadre du deuxième stade de l'élevage. On doit également prendre garde à ce que les juments ne soient saillies que tous les deux ans, afin qu'elles aient suffisamment de lait. Pendant la gestation, un soin particulier doit être pris des juments, qu'il est nécessaire de garder à l'étable. Toutes ces mesures conduisent Pierre, qui suit toujours Varron, à donner quelques conseils pour l'état de l'écurie, document précieux, car il est assez rare dans les textes que l'on décrive les lieux d'habitation des animaux : Et pour ce l'en doit garder les estables qu'il n'y ait humeur sur la terre et que les huys soient clos et les fenestres fermees et entre leur mengeoires on mettra longz boys pour les diviser qu'elles ne se entrebate. (fol. 94v) (Et pour cela on doit prendre garde à ce que le sol ne soit pav humide et que les portes soient bien fermées. Entre les mangeoires, on disposera des séparations de bois, afin que les bêtes ne soient pas en contact et ne se battent point) Suivent des conseils pour l'élevage du poulain. Il doit naître sur un sol pierreux et irrégulier pour fortifier ses sabots ; au bout de deux ans, il est sevré et on l'éloigné de sa mère ; sa nourriture est alors celle de la pâture et, à l'étable, on lui donne «farine d'orge molue avecques le bran». Crescens, dans son chapitre, «de la garde des chevaux», explique quels soins doivent être prodigués au cheval : comment l'étriller, comment lui faire sa litière, comment composer sa nourriture, de quelle façon le couvrir («couverture de lin en esté pour les mouches et en yver couverture de laine pour le froit») etc. Ces éléments donnés, il est possible de parler du dressage du cheval. Le dressage du cheval
Tout d'abord, reprenant quasi textuellement Jordanus, Pierre de Crescens indique qu'il faut attraper le poulain, par temps doux et humide, avec un licou «doulx et umbragé» fait de laine. Il s'agit ensuite de véritablement l'apprivoiser : Pour l'apprivoiser, on luy fera double retegnail, autrement dit chevestre, de fort cuyr, et qu'il en soit lyé a la basse mengeoire, affin que par sa cruaulté il ne se blesce aux cuysses ou en aucunes parties de son corps. Et le laissera l'en accompaigné d'aucuns chevaulx privez. Et l'aplaniera l'en doulcement de la main, et le touchera l'en souvent jusques a tant qu'il sera douté de son maistre. Ne aussi on ne luy doit faire nul grief, mais doulcement aplanoyer et aulcunesfoys laver les piedz et frapper de la main sur la plante comme se on le ferrast et luy doit on mettre deux ou trois foys le jour ung enfant dessus une heure (fol. 95). (Pour le dompter, on lui fera une double entrave, ou chevestre, de cuir robuste, avec lequel on attachera le cheval à la partie basse de la mangeoire, afin qu'il ne se blesse pas, à cause de sa fougue, aux cuisses ou en quelque partie de son corps. Onfera en sorte qu'il soit en compagnie d'un cheval domestiqué. On le flattera doucement de la main et on le caressera souvent jusqu'à ce qu'il soit habitué à son maître. On ne doit pas s'emporter contre lui, mais on doit doucement le caresser ; parfois, on lui lavera les pieds et on frappera de la main le dessous du sabot, comme si on le ferrait. Deux ou trois fois par jour, on lui mettra dessus un enfant durant une heure) Pour terminer, sur le dressage, Pierre indique la façon d'habituer le cheval au harnachement : ce dernier comprend le frein, la selle, l'étrier, la houssure, les rênes, les éperons, pièces sur lesquelles aucune précision n'est donnée. Le dressage du jeune cheval se compose de deux phases : l'accoutumance à l'équipement, puis l'apprentissage des allures. Pierre explique comment l'on passe peu à peu au galop. Il base toutes ses méthodes sur la douceur et la progression sans heurt. Il donne l'image d'un animal fragile et craintif que l'on doit endurcir par le dressage. Il note par exemple que cet endurcissement est nécessaire car l'animal sera conduit à «souvent chevauché parmy la cité et par especial parmy les rues ou il y a fevres et noises de marteaulx ; car de ce ilz perdent paour et deviennent hardis et se il a paour de passer par telz lieux, on ne le doit pas poindre trop fort, ne ferir d'esperons» (fol. 95v). La conclusion du chapitre sur le dressage est fort significative. Pierre en effet indique que tout ce qui vient d'être dit ne concerne finalement que les chevaux destinés aux chevaliers :
Et ces choses dessus dictes appartiennent a chevaulx de chevalerie, car aucuns sont deputez de traire a la charrue, les aultres a sommier, les aultres a pilliers. Et aulcuns veulent avoir leurs chevaulx doulx et debonnaires, si les convient chastrer, car ilz en sont plus paisibles. Cette précision permet peut-être, certes avec prudence, de faire une hypothèse concernant les différentes catégories de chevaux. Si l'on suit en effet Pierre de Crescens, on assistc à deux stades de sélection. La première a lieu dans le choix des saillies et des poulains ; puis vient ensuite le dressage. Le destrier ou le coursier serait alors le poulain sélectionné et dressé. Les autres chevaux, en fait de la même race, seraient les roncins et sommiers. Si cette hypothèse était valide, on pourrait considérer que le roncin est en fait un destrier «raté». Quant au palefroi du clerc et de la dame, qui doit être doux et débonnaire, peut-être est-il un cheval sélectionné, dressé et châtré? L'ouvrage de Pierre de Crescens se révèle intéressant sur bien des points, en particulier sur la conception qu'un lettré du Moyen Age peut avoir de la compilation. Mais si on lit le texte avec des yeux d'historien de la vie rurale, on est assez déçu ; par endroits, quelques indications certes, mais qui n'autorisent finalement que de fragiles hypothèses. Le texte de Pierre ne fournit aucune information concernant la façon pratique de parquer les chevaux, ni les rythmes de pacage, ni les méthodes d'élevage liées aux conditions géomorphologiques (élevage en forêt), ni les rythmes saisonniers ; le lecteur moderne reste sur sa faim et le texte garde la plupart de ses secrets : pourquoi écrire un tel ouvrage, qui regarde la vie pratique avec les yeux des livres et des autorités, qui fournit des renseignements dont la plupart sont inutilisables concrètement, surtout par des paysans illettrés, qui n'ont sans doute guère besoin des conseils de Varron ou de Palladius? Faut-il penser à un exercice de style, pour un public qui se pique de curiosité touchant à l'ensemble de la nature? Car l'ouvrage de Pierre, contrairement à ceux des encyclopédistes, ne dit pas vouloir fournir des clés de lecture des Ecritures, ni des indications pour comprendre les symboles naturels qui entourent l'homme. Dédié au roi de Sicile, l'Opus ruralium commodorum propose sans doute un regard sur une vie que l'on sait exister sans la côtoyer et que l'on préfère regarder à travers le prisme d'une écriture savante. Mais le prisme laisse toutefois passer quelque lueur, certes très diffuse, mais qu'il convient de conjoindre à celle que les autres documents projettent afin de tenter, si l'on peut dire, d'y voir plus clair.
Pierre de Crescens, Opus ruralium commodorum Cliché Bibliothèque municipale, Orléans
Pierre de Crescens, Opus ruralium commodorum Cliché Bibliothèque municipale, Orléans
Pierre de Crescens, Opus ruralium commodorum Cliché Bibliothèque municipale, Orléans
Cheval entravé Pierre de Crescens, Opus ruralium commodorum Cliché Bibliothèque municipale, Orléans
Pierre de Crescens, Opus ruralium commodorum Cliché Bibliothèque municipale, Orléans
Pierre de Crescens, Opus ruralium commodorum Cliché Bibliothèque municipale, Orléans
Figuration (rare) d'une saillie Pierre de Crescens, Opus ruralium commodorum Cliché Bibliothèque municipale, Orléans
Pierre de Crescens, Opus ruralium commodorum Cliché Bibliothèque municipale, Orléans
CHAPITRE IV
Littérature et encyclopédisme
Nous avons vu que la littérature encyclopédique donnait une part non négligeable au cheval. Elle rapporte quelques légendes antiques, donne de l'animal des propriétés plus ou moins fantaisistes, et s'intéresse aussi aux maladies et aux remèdes, ce qui sera précisé dans notre troisième partie. Cette littérature, par le fait de la tradition et de la compilation, crée des invariants qui deviennent des composantes essentielles structurant l'écriture encyclopédique. Quant on connaît le succès, lisible aussi bien par l'étude de l'intertextualité, que par le nombre des manuscrits qui nous sont parvenus, d'ouvrages comme les Etymologies d'Isidore ou le De proprietatibus rerum de Barthélemi l'Anglais, on ne sera pas surpris de trouver dans les textes littéraires de nombreuses traces de ce que les encyclopédies rapportent1. On a pu voir par exemple que l'apparition de chevaux de Numidie, de Perse ou de Syrie dans les textes correspondait sans doute à la liste des origines de chevaux de qualité et de prix qu'a pu fournir Isidore de Séville et, à sa suite, de nombreux encyclopédistes. Les auteurs de chansons de geste aiment, surtout tardivement, inclure dans leur récit des éléments exotiques, voire merveilleux ; c'est l'occasion de faire allusion à des contrées lointaines, sur les noms desquels les auditeurs peuvent rêver. Nos auteurs imaginent parfois à cet effet des noms de pays, d'îles comme la Kinkenie ou la Ténebie ; mais l'Orcanie, dont on trouve de nombreuses références, semble renvoyer à une réalité, livresque en tout cas. Selon les critiques, ce pays peut être aussi bien l'Hyrcanie, contrée de l'ancienne Perse, que les îles Orcades. Dans la chanson de geste, une tradition semble s'instaurer de 1 - A ce sujet, voir B. Ribémont, G. Sodigné-Costes, «A l'ombre de l'arbre : le poète et l'encyclopédiste», PRIS-MA, 5, 1989, pp. 71-80. B. Ribémont, «Histoires de perroquets : petit itinéraire zoologique et poétique», Reinardus, 3, 1990, pp. 155-71 ; «Le cuer del ventre li a trais. Coeur arraché, coeur mangé, coeur envolé : quelques remarques médico-théologiques sur un thème littéraire», Senefiance, 29, 1992, pp. 38-43 ; «Trembler, rêver, comprendre : quand le Moyen Age interroge les volcans (encyclopédisme et imaginaire)», Le cheval de Troie, 7, 1992, pp. 65-76 ; «Christine de Pizan et l'encyclopédisme scientifique», Actes du Colloque Christine de Pizan, Berlin, juillet 1992, (dir. M. Zimmennann), à paraître.
faire de cette région un pays d'origine de chevaux de guerre. On trouve par exemple de telles montures dans le Moniage Guillaume où le héros amène des «destriers d'Orcanie» (1, v. 695) ; dans Raoul de Cambrai, on en trouve cinq occurrences (v. 2359, 2364, 3670, 7842, 8194). La Chanson des Saisnes met en scène un «rox d'Orcane» (LT, v. 2703), un «bai d'Orcanie» (LT, v. 4667). Le roman aussi fait quelque place à ce cheval : dans Elie de Saint Gille, le héros Elie chevauche un destrier d'Orcanie, qui est tué sous lui durant un combat2. On peut se poser la question de l'origine d'un tel topos. «Orcanie» est, il est vrai, souvent commode à la rime ; mais cela n'explique pas tout : cela n'explique pas l'origine de la trouvaille du nom lui-même, ni pourquoi il est mis en relation avec les chevaux ; cela n'explique pas non plus le prestige de ce pays, dont l'auteur du Perceforest invente une étymologie3. Nous pencherons pour une explication de type livresque, c'est-à-dire pour une lecture d'ouvrage encyclopédique, en insistant toutefois sur le caractère hypothétique de celle-ci. L'Orcanie de nos chansons serait un souvenir déformé de l'Hyrcanie, terre qui figure dans toutes les parties géographiques des encyclopédies médiévales depuis Isidore ; ce pays tire son nom de la forêt hyrcanienne, nous dit l'évêque de Séville (Etym., XIV, 3, 33). Et les auteurs, comme Barthélemi l'Anglais par exemple, insistent sur la richesse de cette forêt en animaux. Nous avons vu que l'élevage du cheval en forêt était une pratique courante durant le Moyen Age ; on peut imaginer que pour les auteurs l'évocation de cette grande forêt conduise à imaginer qu'elle produit des chevaux prestigieux ; dans les textes en effet, les destriers d'Orcanie sont en général montés par des héros. On peut penser de même que les caractères donnés au cheval dans les chansons et les romans sont conformes à ceux qu'énoncent les encyclopédies. L'amour du cheval pour le combat, son attachement à son maître etc., ainsi que sa conformation physique, large, le pied sec, la crinière fournie etc. sont en tout point conformes à ce qu'Isidore et ses successeurs ont pu transmettre, comme nous avons pu le constater dans le chapitre précédent. Rappelons pour mémoire la description du cheval de Turpin dans la Chanson de Roland : 2 - W. Foerster, Aiol et Mirabel und Elie de Saint Gille, zwei altfranzösische Heldengedichte, Heilbronn, 1876, II, v. 1313.
3 - Ed. G. Roussineau, IV, t. 2, Genève, Droz, 1987, p. 1113.
Li destrers est e curanz e aates Piez ad copiez e les gambes ad plates, Curte la quisse e la crupe bien large, Lungs les costez e l'eschine ad ben halte, Blanche la eue e la crignete jalne, Petite oreille, la teste tute falve ; (vv. 1490-5 [1651-56]) On reconnaît en ce passage tous les critères donnés par Isidore et ses successeurs : l'auteur du Roland a certainement lu ou parcouru un tel ouvrage4. On peut donc raisonnablement penser que les poètes, soit directement, soit par le jeu d'une culture médiane - imprégnant les mentalités des clercs -, emprunte à l'encyclopédisme un certain nombre de critères, de qualités qui les aident, de manière autorisée qui plus est, à tracer le contour de quelques chevaux. Lorsqu'il est question d'intertextualité, outre les voies de la diffusion du savoir, se pose la question de la qualité des emprunts ; s'il paraît, dans notre cas, relativement aisé de comprendre combien des critères descriptifs, définis en premier lieu dans une culture à caractère savant, peuvent s'inscrire dans une littérature à caractère narratif ou poétique, il semble plus délicat de considérer la transmission à un niveau plus profond, plus «scientifique». Toutefois, une telle marque peut être relevée dans quelques textes, qui se réfèrent directement à un vocabulaire hippiatrique, apportant une preuve supplémentaire des relations étroites qui, au Moyen Age, unissent, à travers ce qu'il convient d'appeler une culture diffuse, le monde savant avec le monde de la lettre. Nous allons à présent considérer deux textes, dont le principal intérêt est justement ce type d'emprunt. Nous analyserons ces textes avec quelque détail, car ils offrent un point d'appui particulièrement fort - ce qui, somme toute, est assez rare - pour considérer l'inclusion d'un vocabulaire technique dans une écriture appartenant à un genre a priori très éloigné de toute science. Le Dit du hardi cheval et l'exemple de Guillaume de Machaut Décrire, comme on vient de le voir, un cheval suivant des stéréotypes encyclopédiques paraît assez naturel, si l'on tient compte de 4 - Ed. Faral avait déjà noté une telle ressemblance, en analysant une description dans le roman latin de Phillis el Flora et le Carmen de prodicione Guenonis ; voir Recherches sur les sources latines des contes et romans courlois du Moyen Age, Paris, Champion, 1967, pp. 198-201.
l'intérêt des auteurs pour d'une part marquer le prestige de certains de leurs personnages, d'autre part pour faire preuve de savoir eux-mêmes. C'est plus rarement qu'ils font montre d'une connaissance de l'hippologie ou de l'hippiatrie. Le cheval, dans la plupart des romans ou épopées, est d'ailleurs peu malade : il peut être blessé ou tué, mais son intérêt principal est d'être en bonne santé. Pourtant l'animal est fragile, «il n'est chevaux qui n'ait mehaim»5, comme le rappelle un proverbe. La maladie du cheval appartient ainsi à un univers quotidien ; sans que l'on puisse prétendre que chacun avait une connaissance précise et approfondie de l'hippiatrie, il est certain que les affections les plus ordinaires du cheval devaient être connues d'un grand nombre de personnes. Mais il n'est pas certain que le vocabulaire de l'hippiatrie désignant ces affections fût largement répandu. Lorsqu'on le rencontre dans un texte, il y a forte chance que l'auteur l'ait connu à travers un ouvrage de vulgarisation. Si rare est ce vocabulaire dans les textes littéraires, il n'en est pas totalement absent. L'auteur de l'Eneas par exemple note la satisfaction de Mesapus d'avoir des «poutrels» (poulains) exempts de «jale ne boce» (éd. Salverda de Grave, v. 3936). Jean Renart, dans l'Escoufle, montre sa connaissance de la saignée pour les chevaux : l'animal, blessé par malveillance à l'aide d'un clou est confié au maréchal qui le «fait sainnier de vaine/Et des costés et des pastures» (vv. 6670-1). Dans la très tardive chanson de Florent et Octavien, Clément vante en ces termes au soudan le destrier qu'il mène : Sire, par Mahomet, vous avez bon destrier, Galle n'a ne suros, bien le puis tesmoignier, Ne esparvains ne chose qui luy face emcombrier (vv. 5025-7)6 (Seigneur, par Mahomet, vous possédez un bon destrier : il n'a pas de gale ni de suros, je peux en témoigner. Pas d'éparvin non plus qui puisse le gêner) Dans Trubert, il est fait allusion au farsin, dont souffre un roussin ; dans l'oeuvre d'un moraliste comme Guillaume de Digulleville, on trouve une mention à l'espavain. On peut ainsi noter, certes de manière assez exceptionnelle, sinon un intérêt, du moins une connaissance hippiatrique se faisant jour dans 5 - Proverbes français antérieurs au XVe siècle, éd. J. Morawski, Paris, 1925, § 909. 6 - Ed. N. Laborderie, Paris, Champion, 1991, t. 1.
certains textes. Nous voudrions illustrer cette tendance par deux textes : l'un est anonyme, le Dit du hardi chevaP ; l'autre est un dit de Guillaume de Machaut : le Dit dou cheval8. Ces deux textes peuvent être considérés d'un même point de vue ; il s'agit de textes courts, écrits dans une veine satirique, dans le genre du «boniment de jongleur». La thématique en est identique : un homme désire vendre son cheval et, pour ce faire, il en vante tous les défauts. Le cheval que Guillaume de Machaut entend vendre est un étalon possédant, selon le boniment du vendeur, toutes les tares du monde. L'animal est en fait le prétexte à un jeu sur les mots basé sur le principe de l'accumulation, dans un registre forcé qui doit prêter à rire. Il s'agit d'une «bourde», selon le terme employé par G. Raynaud, jeu d'écriture dans lequel l'auteur semble descendre dans la rue ou sur le champ de foire pour se métamorphoser en jongleur ou marchand. Dans le même registre, on pense au Dit de l'herberie de Rutebeuf où le poète se livre également à la joie de dérouler sur un ton de farce une liste anarchique, amphigourique et surtout bien fournie de termes d'herboristerie ou de pharmacopée. A propos du Dit du hardi cheval, P. Meyer rapproche cette littérature du genre du blason, fort pratiqué à la fin du Moyen Age et à la Renaissance9. Ce n'est peut être pas tout à fait dans cette direction qu'il faut conduire l'analyse. On sait en effet que les poètes, surtout à partir du XIIIe siècle, tiennent à se démarquer d'autres catégories, d'artistes, de diseurs et de conteurs, en particulier des jongleurs. Chez des poètes tels Rutebeuf, puis plus tard Baudoin ou Jean de Condé, Watriquet de Couvin, on trouve de nombreuses diatribes contre les jongleurs. Adopter un genre d'écriture proche de la parole du champ de foire peut alors apparaître comme un mode ironique, souvent cinglant, de se gausser de la pratique et aussi de la prétendue bêtise du jongleur. Si une telle intention existe chez certains poètes, au moins à l'état de trace, elle ne paraît toutefois pas être l'élément essentiel prési7 - Ce texte avait été édité deux fois ; par P. Meyer, Romania, 41, 1912, pp. 90-94, d'après le manuscrit BN fr. 24432 ; G. Raynaud, sous le titre Dou cheval que li marcheans vendi, Romania, 24, 1895, pp. 449-51, d'après un manuscrit du musée Condé. Une édition récente a été donnée dans B. Ribémont, «Le cheval et le poète. Hippiatrie et technique d'écriture : l'exemple de Guillaume de Machaut et de Froissart», Senefrance, 30, 1992. Notre partie présente est très fortement inspirée de cet article. 8 - Dans A. Fourrier, Dits et débats de Jean Froissart, Genève, Droz, 1979, pp. 170-74. 9 - «Cest, en un certain sens, un de ces petits poèmes ayant pour objet d'exposer, parfois les mérites, souvent les défauts, d'une personne ou d'une chose, qu'on connaissait au XVe siècle et au XIVe sous le nom de blasons», art. cil., p. 90.
dant à l'écriture d'un poème tel le Dit dou cheval ou le Dit du hardi cheval. Que le poète veuille amuser son public, et celà peut-être au détriment des jongleurs, est une chose certaine. Mais la façon qu'il a de construire ce genre de petit morceau semble dépasser le seul but de l'amusement. Et le fait qu'un homme comme Guillaume de Machaut pratique, à l'occasion d'un Dit, un tel genre, suscite une interrogation plus profonde. La question paraît devoir être posée dans une perspective plus large qui est celle du statut de l'écrivain. Depuis les travaux de J. Cerquiglini, on sait en effet le rôle que l'écriture de Machaut a pu jouer, comme témoignage et comme relais, dans l'affirmation du «je» de l'écrivain 10. Cette affirmation passe par un certain nombre d'éléments identificateurs, faits de procédés littéraires et ancrés dans les structures de l'oeuvre de Machaut, parfaitement analysés par J. Cerquiglini et sur lesquels il est inutile de revenir ici. Nous avons déjà noté au chapitre II quel rôle le cheval pouvait jouer dans cette problématique de l'identification. Il est un élément qui est également fondamental dans la constitution d'une mentalité, conçue dans une perspective de socialisation de l'écriture, chez les écrivains du Moyen Age, c'est le rapport, souvent ostentatoire, au savoir. Dans ce contexte, comme nous l'avons déjà noté à plusieurs reprises, les ouvrages à caractère scientifique, tout particulièrement les encyclopédies, ont une importance fondamentale dans la constitution de la culture et de la mentalité de l'écrivain médiéval. La prégnance de l'auctoritas que ces ouvrages contribuent à affirmer et à imposer dans la conscience des lettrés fait que la référence scientifique, philosophique ou technique s'impose peu à peu dans l'écriture romanesque ou poétique. La propre autorité de l'écrivain se montre alors à son tour dans l'usage qu'il fait de ce savoir dont il parsème ses écrits. P. Meyer, à ce propos, avait noté l'intérêt du Dit du hardi cheval pour l'emploi d'un vocabulaire technique. Le grand savant n'avait pas poussé plus loin la remarque, faute d'une documentation que de récentes recherches ont permis de mettre à jour et d'analyser. Avant d'essayer de tirer quelque leçon de la façon qu'ont Machaut et l'auteur anonyme du précédent dit de manipuler un vocabulaire hippiatrique, il est nécessaire d'examiner les textes de plus près.
10 - Voir J. Cerquiglini, Un engin si soutil. Guillaume de Machaut et l'écriture au XIVe siècle, op. cil.
Les deux dits commencent par une adresse, plutôt abrupte, indiquant qu'il y a cheval à vendre : «Tu qui vues avoir mon cheval» dit Machaut ; «Un cheval ay qui est a vendre» déclare l'anonyme. A partir de cette annonce, le lecteur se voit imposer une liste de défauts du cheval à vendre. Le cheval de Machaut apparaît tout d'abord comme un animal particulièrement retors : Je te dis qu'amont et aval Sans faillir au tiers pas s'arreste S'on n'a toudis la verge preste Ou l'esperon a son costé (vv. 2-5) (Je te dis qu'en tous lieux il ne manque jamais de s'arrêter au bout de trois pas si l'on ne le menace d'une verge ou si de l'éperon l'on ne le pique sur leflanc) Le vendeur en rajoute encore et montre que ce cheval est impossible à soigner, impossible à ferrer, d'autant plus qu'il semble doué de grande force et qu'il renverse ou casse beaucoup lorqu'il s'agit de le mener chez le maréchal-ferrant : Le mareschal a defoulé Et s'a son vallet affoulé Et a la force de ses reins A rompu .ii. travaus a Reins Dont le mareschal a juré Que, foi de saint Honnouré, Jamais il ne le ferrera Ne prés de lui n'aprochera, Qu'il a paour qu'il ne le tue. (vv. 37-45) (Il a frappé le maréchal et blessé son aide. De la force de ses reins, à Reims il a brisé deux poutres. A tel point que, foi de saint Honoré, le maréchal à juré que jamais il ne lui mettra un fer, ni qu'il l'approchera, de peur que ce cheval ne le tue!) On mesure sur ces petites scènes que l'auteur entend bien amuser. Mais le cheval de Machaut est aussi affligé de tares que l'auteur énumère en utilisant un vocabulaire technique approprié. Cet animal a les «.iiii. piés nouviaus», il a «espavains, courbes et molettes», «mules traversaines» ; «.ii. seuros a en ses genous», «Frecineus est dedens le ventre». Le cheval du dit anonyme n'est pour sa part pas mieux loti. Il a «.iiij. felons reneus», il est «soz la queue tigneus/Et est pousis et est morveus» ; il a les barbes et le «lenpas», possède «derriere une
courbe» et «s'a fonne et s'a molete» ; lui aussi est «farsilleus» et a les «piez neus». Tous ces tennes correspondent à des données très précises que l'on retrouve dans les traités d'hippiatrie du Moyen Age, en particulier, du texte «fondateur» de Jordanus Rufus, le De medicina equorwn, traduit en français de manière contemporaine. Le traité de Jordanus ne mentionne pas les «piés nouviaus», expression que l'on trouve par contre dans La cirurgie des chevauxu. Lorsque l'on met les deux dits ensemble et que l'on compare avec le traité de Rufus, comme avec l'anonyme Cirurgie des chevaux, on voit que les auteurs ont répercuté dans leur texte des termes correspondant aux maladies ou malformations principales des textes hippiatriques. On retrouve par exemple dans les deux dits le farcin du cheval ou morve cutanée, qui est une maladie contagieuse. Dans le traité de Rufus, deux chapitres sont consacrés à celle-ci, les deux premiers de la partie dévolue à la médecine vétérinaire. De plus on compte trentesept références à la maladie dans l'ensemble du texte. Il serait sans doute exagéré de conclure que nos auteurs ont une connaissance approfondie de l'hippiatrie. Leur mode d'écrire est ici basé simplement sur l'énumération et, on vient de le voir, sur l'accumulation des termes les plus courants contenus dans les ouvrages à caractère hippiatrique. Toutefois, il convient de noter leur connaissance de ces termes, connaissance qu'ils exposent avec complaisance sous le couvert d'une prétendue «bourde». Machaut par exemple ne se contente pas de décrire un cheval exagérément méchant, jouant des vilains tours à ceux qui l'approchent. Il tient de plus à souligner le caractère incongru d'un animal qui possède de multiples tares. Cet aspect dépasse de beaucoup une simple intention d'écriture «à rire». Le clerc en fait investit un genre littéraire de son propre savoir, à travers lequel il affirme implicitement son autorité. Il peut faire rire, tout en manipulant un ensemble de signifiants dont le champ d'utilisation normal est fort éloigné de toute intention humoristique. On assiste peut-être là à un double processus. A partir d'une tonalité ironique doublée d'une intention d'écriture se constitue un genre dont les invariants seraient le fruit de la rencontre entre une accumulation de termes techniques ou scientifiques et l'élaboration de petites scènes proches de la farce, le tout 11 - «Heraclez qui congnut les chevaus nous enseigne que l'en doit souvent oindre cheval les piés de grasse chose, et fere uns solers de cuir, et metre gresse de burre dedens ou de sain, ou d'oint dedens, et metre le pié du cheval qui a nouvel pié dedens le souler». (H.N. fr. 2001, fol. 25).
supporté par un style déclamatoire caricatural. En retour, la technique d'accumulatio autorise le poète à faire la preuve de son propre savoir, ce qui le hisse non seulement bien au-dessus du jongleur, mais surtout au rang d'interlocuteur privilégié des puissants. Se pose alors la question de la réception. Quel est le champ des possibles permettant à ce genre de comique de fonctionner? On peut ici émettre deux hypothèses. La première est que la figure du cheval prête à rire parce que l'auditoire ou le lecteur peuvent, de façon immédiate, saisir le caractère éminemment déformé de l'animal. Les termes techniques employés correspondraient alors effectivement à un savoir moyen intégré par le public d'un Guillaume de Machaut, donc par un public de cour. Il est en effet raisonnable de penser que, sans forcément être un assidu lecteur de traités d'hippiatrie, un public chevaleresque est particulièrement bien placé pour avoir des connaissances relativement étendues sur le cheval, surtout sur le plan pratique. Dans ce contexte, le poète, dans sa revendication, se place sur le terrain de ceux à qui il s'adresse et révèle son pouvoir dans le fait même de posséder des connaissances analogues, voire supérieures. Si le chevalier dialogue avec son cheval, par la connaissance qu'il en a, le clerc établit un rapport analogue, mais cette fois-ci dans une fiction littéraire. La deuxième hypothèse repose sur la manipulation par le clerc d'une technique d'amphigourisme. Le comique naît alors de la confrontation entre des scènes grotesques et une accumulation de termes incompréhensibles pour une large part du public. Le pouvoir du clerc repose dans ce cas sur un schéma beaucoup plus simple : l'énonciation non directement assimilable. La réponse est, comme souvent, probablement dans un schéma intermédiaire. Plus exactement le comique fonctionne dans les deux modèles précédents. La prédominance de l'un ou de l'autre, comme aussi l'éventuelle juxtaposition des deux, dépendant justement du récepteur. Nous avons pu noter que l'énonciation de termes techniques dans un texte poétique pouvait correspondre à une démarche en profondeur de l'écrivain, démarche qu'il faut mettre en rapport avec une réflexion sur le statut du poète. Nous avons déjà évoqué cette question à propos du terme «haguenée» ; on peut mettre le court poème de Machaut dans une perspective littéraire plus large liée à cette question. Il n'est en effet sans doute pas totalement neutre que Machaut ait choisi cet animal pour écrire son boniment. Il est certain, bien évidemment, que le choix est aussi dicté par une situation de réalité :
animal familier, vendu sur le champ de foire. Mais le choix du poète est également à considérer selon une intention d'écriture. On l'a vu, le cheval permet à Machaut, comme à l'auteur anonyme du Dit du hardi cheval, de faire montre de savoir, donc d'autorité. Mais si le cheval de Machaut est taré, il est aussi mâle (il est question du «pissot» du cheval) et très fort. Si fort qu'on a peine à le maîtriser. Il est en cela bien différent de l'animal du dit anonyme. Ce dernier est surtout malade, et faible ; «maingres est et roides et Ions» (v. 23). Dans un cas la maladie ronge l'animal, dans l'autre elle en souligne la force. La part de la pathologie est d'ailleurs bien plus grande dans le dit anonyme que dans le texte de Machaut. On ne saurait prétendre que Machaut veut ici montrer dans son cheval un destrier et proposer implicitement une identification de type clerc/chevalier. D'une part un tel souci d'identification est éloigné de la démarche de Machaut, démarche qu'il faut plutôt considérer en terme de glissements progressifs, comme le suggère la transformation de la haquenée du Voir dit en palefroi. D'autre part, un tel contenu n'apparaît pas dans le poème, ce mâle turbulent pouvant être aussi rangé dans la catégorie du roncin. Mais le fait de présenter un cheval si exagérément fort, qu'en dernier lieu, implicitement, seul le vendeur est capable de maîtriser, établit en creux un contraste entre le clerc, en général identifié dans l'oeuvre de Machaut comme borgne12, faible et craintif, et le possesseur de la bête indomptable, résistant à l'homme et à la maladie. On peut dès lors retrouver l'idée du glissement, en parlant plutôt ici de décalage, car devant être conçu selon un schéma synchronique. Le clerc ne peut pas, par définition, être le possesseur d'un cheval de prestige. Mais il peut transcender sa condition par le jeu de l'écriture ; dans la fiction, il est aussi celui qui peut dominer la bête fantastique, plus mauvaise qu'un monstre de l'Inde, ainsi que le dit le poète. Le poète connaît, il énonce et peut en dernier lieu dénoncer et vaincre. Le cheval de Machaut, si fort et si tordu, est l'emblème, se fixant au fil de l'énonciation de termes hippiatriques, d'un combat entre la nature et la maladie, combat dont la force et la rage du cheval sont garants de l'issue. N'est ce pas là finalement, dans le moule déformant de la farce, la réapparition de la problématique du poète, dont l'écriture est le remède infaillible à la maladie endémique de sa propre situation?
12 - Voir J. Cerquiglini, «Le clerc et le louche», Poetics today, 5, 3, 1984, pp. 479-92.
CONCLUSION
Il ressort des chapitres qui précèdent que le «cheval littéraire» a une existence propre, forte, dans la littérature du Moyen Age. Celle-ci se fait en premier lieu un écho, qu'elle amplifie, du rapport existant entre le miles et sa monture. Si le cheval est quelque part le propre du chevalier, la littérature inverse aussi la proposition pour produire, dans l'osmose, une entité fondamentale, le couple (cavalier, monture). Dans un univers que le signe et le symbole marquent d'un sceau profond, où la lecture s'apparente souvent au décodage de valeurs qui se coulent dans les moules du motif, du topos -de différentes formes d'invariance donc -, impliquant un appel quasi systématique à la reconnaissance, le couple (cavalier, monture) s'organise comme support d'une sémiotique dont les composants sont aisément lisibles. Le couple (cavalier, monture) en effet signifie dans le texte à partir d'un réseau fonctionnel élémentaire qui trouve une part de sa légitimité dans l'histoire sociale du Moyen Age. Ce réseau s'établit à partir d'un système normatif défini selon des classes de correspondance (chevalier/destrier, écuyer/roussin, dame/palefroi etc.) suivant un schéma simple de respect et déviance ou écart. Chaque élément concernant le cheval, sa conformation, son caractère, son harnachement, est alors presque toujours considéré dans la perspective du couple (cavalier/monture) : plus que monture, le cheval est signe, emblème. Il est emblème physique, comme dans le réel, portant houssure, armes et couleurs ; il est emblème moral, s'identifiant par ses qualités propres à la nature de son maître auquel, dans les cas limite, il se substitue. Pour dresser le portrait de cet animal-signe, et pour en établir avec sûreté la fonction, la littérature s'est appuyée sur toutes les traditions qui pouvaient informer le couple (cavalier, monture) ; qui donc, en cela, apparaît non seulement comme pivot d'une sémiotique socio-culturelle, mais aussi comme point d'ancrage d'une intertextualité particulièrement riche. Le cheval écrit est ainsi à la fois au coeur de la problématique des realia et au centre d'une tradition écrite. Le cheval conventionnel de la geste des héros, de la quête des chevaliers n'est pas le seul produit d'une hyperbole poétique : il est aussi le fruit d'une reconnaissance de l'auctoritas et son portrait est
conforme à ce que la «zoologie» élémentaire des encyclopédies, marquées du savoir autorisé des Anciens, pouvait produire. Le cheval pleurant son maître, aimant le combat, frémissant au fracas des armes n'est pas, comme on pourrait le penser de prime abord, le seul résultat d'une création poétique originale mais il doit presque tout à Isidore de Séville et ses successeurs, transmetteurs des informations de Pline, Solin et Aristote. L'invariance didactique des encyclopédies trouve ici un reflet privilégié dans l'invariance topique de la littérature. Plus loin encore, on l'a vu, la littérature va prendre en compte la vie, au sens physiologique, du cheval. Son soin importe : le bon cheval du bon chevalier, en situation normale, est bien soigné lors des points de repos de la quête, entre les combats. De même que le «mire» intervient souvent fort à propos pour opérer les guérisons miracles des blessures des héros, le maréchal peut venir soigner le cheval blessé, malade. Même de façon anecdotique, le texte littéraire sait aussi prendre en compte la matière médicale et l'hippiatrie. En cela, il boucle un «parcours interdisciplinaire» idéal, révélant une entité littéraire, le couple (cavalier, monture), qui oriente une lecture critique vers l'histoire socio-culturelle, l'histoire des idées savantes et l'histoire de l'hippiatrie et qui s'impose aussi dans nos textes comme support d'une invention poétique marquée par la déviance, infinitésimale souvent, mais riche de sens et de créativité : après tout Baiart ne révèle-t-il pas certains codes tout en les bousculant par sa démesure?
IIIème Partie La médecine du cheval
CHAPITRE I L'hippiatrie au Moyen Age.
Nous n'avons pas l'ambition, en ce qui concerne cette partie, de dresser un inventaire des ouvrages d'hippiatrie médiévaux, manuscrits ou édités. Nous renvoyons pour cela aux ouvrages spécialisés, comme l'étude d'Y. Poulle-Drieux sur l'hippiatrie dans l'occident médiéval, ou l'histoire de la médecine vétérinaire rédigée par E. Leclainche sous la direction de Jacques Poulet2, ou encore aux publications de Léon Moulé3. Ce que nous tenterons de faire ici, c'est de décrire brièvement les sources possibles de l'hippiatrie médiévale et en particulier de la Cirurgie des chevaux, d'évoquer les textes médiévaux concernant la médecine du cheval et enfin de signaler les études récentes publiées sur le sujet. AVANT LE MOYEN AGE. Les recherches sur l'histoire de l'hippiatrie, dans le but de comprendre le développement des pratiques de médecine vétérinaire au Moyen Age, nous conduisent d'abord en direction de l'Asie et du monde arabe ainsi que de la Grèce. L'hippiatrie orientale.
1 - Y. Poulle-Drieux, L'hippiatrie dans l'Occident latin, du XIIIe au XVe siècle, dans Médecine humaine et vétérinaire à la fin du Moyen Age par G. Beaujouan, Y. Poullc-Drieux, J-M. DureauLapeyssonnie, Centre de recherche d'histoire et de philologie de la IVe section de l'Ecole Pratique des Hautes Etudes, Genève/Paris, Droz, 1966. 2 - E. Leclainche, La médecine vétérinaire dans l'Antiquité - La médecine vétérinaire du Moyen Age à la fin du XVIIIe siècle, dans Histoire de la médecine, de la pharmacie. de l'art dentaire et de l'art vétérinaire, collection dirigée par J. Poulet, J-C. Soumia et M. Martiny, Société française d'éditions professionnelles médicales et scientifiques, Paris, Albin Michel / Laffont / Tchou, 1978, tome V. 3 - L. Moulé, Histoire de la médecine vétérinaire (Dans l'Antiquité - au Moyen Age), 2 tomes, Paris, 1891/1900.
Nous avons vu que l'utilisation du cheval comme animal domestique, attelé ou monté, s'est certainement développée à partir des envahisseurs venant d'Asie Centrale et des pays baltes, aux alentours de 3000 à 2000 avant Jésus-Christ et que diverses ethnies, venant des Balkans ou des régions du sud de la Russie, pénétrèrent dans le Proche-Orient. Si ces peuples, comme les Hittites, connaissaient le fer et possédaient donc des armes efficaces, si en outre ils utilisaient le cheval comme animal attelé ou monté, s'ils avaient donc, grâce à cette maîtrise de nouvelles techniques guerrières, l'avantage sur les populations indigènes, ces peuples introduisirent-ils pour autant, avec la domestication de l'animal, une médecine spécifique le concernant? Rien ne permet de le penser, surtout que ces peuples eux-mêmes semblaient avoir davantage recours à la divinité qu'à l'hippiatre pour soigner leur cheptel. Selon E. Saurel4, les Aryens auraient laissé «des écrits spéciaux concernant les maladies des chevaux et des éléphants». D'autre part, on a retrouvé des tablettes d'argile, datant du XIVe siècle avant JésusChrist et attribuées au peuple Hittite, contenant des conseils pour dresser les chevaux à la guerre ; mais il ne s'agit pas encore d'hippiatrie. Nous savons par ailleurs, grâce à une stèle babylonienne comportant les lois du roi Hammourabi, qu'il existait dans ce royaume des vétérinaires vers 1800 avant Jésus-Christ5. Toutefois leur étude n'a apporté aucune révélation au sujet d'éventuels remèdes prescrits pour les maladies ; seules sont mentionnées quelques interventions chirurgicales concernant l'âne, le boeuf, le mouton, le porc et la chèvre. Nous avons également peu de renseignements sur la médecine vétérinaire égyptienne. Les spécialistes avancent seulement l'hypothèse qu'elle devait être calquée sur la médecine humaine, au vu des relations privilégiées que l'homme entretenait avec l'animal dans cette civilisation. Il semble que, dans l'Egypte ancienne, le cheval ait été utilisé essentiellement pour l'attelage. Mais même s'il n'était que la force qui tirait chars et chariots, il n'en était pas moins un auxiliaire très précieux. En outre, sa relative fragilité n'a pu qu'amener les hommes chargés de sa garde et de son entretien à se pencher sur les qualités à rechercher chez l'animal et les soins à lui prodiguer pour, 4 - E. Saurel, Histoire de l'équitation, Paris, Stock, 1971, p. 65. 5 - Les lois qui régissent la profession de vétérinaire y sont consignées à côté de celles qui concernent les médecins et les barbiers dentistes (C. Hressou, Histoire de la médecine vétérinaire, Paris, P.U.F., coll. «Que sais-je?», 1970, p. 10 et E. Leclainche, op. cil., tome V, pp. 141-142.).
d'une part, préserver sa bonne santé, et pour, d'autre part, le guérir lorsqu'il était blessé ou malade. On peut penser qu'une pratique vétérinaire se mit alors en place et que ces premières méthodes thérapeutiques s'adaptèrent, et perdurèrent, en Egypte bien sûr, mais ailleurs aussi et à des époques postérieures. De plus, il est certain que cette médecine vétérinaire des époques reculées, qu'elle soit babylonienne, égyptienne, mais aussi hébraïque, était très dépendante de la religion des peuples qui la pratiquaient. La maladie étant considérée comme un châtiment ou une épreuve d'origine divine, son traitement comportait par conséquent des pratiques religieuses ou des incantations, qu'il fût prescrit par des prêtres, comme chez les Hébreux, ou par des spécialistes en médecine, comme chez les Babyloniens. En Perse, en Inde, en Chine, les chevaux, animaux nobles, étaient soignés et il existait certainement des textes d'hippiatrie avant notre ère, semblables à ceux, plus récents, que nous avons conservés. Une hippiatrie gauloise exista-t-elle? Si les historiens pensent que les Gaulois possédaient un cheptel équin de grande qualité, si on peut avancer que ces derniers étaient d'excellents cavaliers et devaient pratiquer un véritable élevage6, incluant une sélection, on ne sait en revanche presque rien sur la manière dont ils soignaient les chevaux malades ou blessés. Si une telle science est probable, nous n'en avons pas conservé de traces. Les traités d'hippiatrie grecs et latins. L'hippiatrie grecque Il en est tout autrement des Grecs. L'origine grecque du mot «hippiatre» nous amène naturellement à nous tourner vers ce peuple, qui comprit assez tôt la nécessité d'avoir recours à des médecins spécialisés pour soigner son cheptel chevalin. Il est d'ailleurs logique qu'à Athènes, puis à Rome et comme plus tard à Constantinople, villes où les courses de chars étaient le divertissement favori, on se soit ap6 - Voir supra, partie 1, chap. 3.
pliqué à soigner les chevaux. Quelques textes sont heureusement parvenus jusqu'à nous. Simon d'Athènes Le premier de ces ouvrages de l'Antiquité consacrés partiellement ou totalement au cheval est celui de Simon d'Athènes, qui fut probablement hipparque en 424 avant Jésus-Christ. Le fragment de son traité conservé dans un manuscrit du Collège Emmanuel à Cambridge et publié par Oder et Rühl7 traite du choix des chevaux et de la manière d'évaluer leurs qualités. Il s'agit peut-être du Simon que cite Xénophon dans les premières ligne de son traité De l'équitation8. Xénophon En effet, parmi ces spécialistes du cheval, il faut bien sûr mentionner Xénophon (445-354 av. J-C), qui s'est intéressé à l'économie domestique, mais aussi à la chasse et au cheval. De l'équitation n'évoque ni les maladies du cheval ni les remèdes à cellesci. Il s'agit d'un traité d'hippologie qui traite longuement des soins à donner aux chevaux (nourriture, litière, pansage, méthodes pour attacher le cheval), de la meilleure manière d'obtenir l'obéissance, c'est-àdire par la douceur, et surtout des qualités qu'il faut rechercher chez un cheval. On y trouve aussi une description des mors, une méthode de dressage et des éléments d'équitation. Ce qui frappe le lecteur de ce traité est l'insistance avec laquelle Xénophon réclame au palefrenier et au cavalier patience, doigté et calme dans ses relations avec l'animal. Aristote
7 - E.Oder, C. Hoppe, Corpus hippiatricorwn graecorum, 2 vol., Leipzig, 19241927. (1. .Hippiatrica Berolinensia, Leipzig, Teubner 1924.2. Ilippiatrica Parisina, Cantabrigiensia, Lugdunensia, Appendix, Leipzig, Teubner 1927 - réimpression Stuttgart, Teubner, 1971). 8 - «TI y a déjà un traité de l'équitation de Simon, celui qui a dédié le cheval de bronze qui est à l'Eleusinium à Athènes et a représenté en relief ses faits et gestes sur le piédestal.» Xénophon, De l'équitation, traduction Pierre Chambry, Paris, Garnicr-Flammarion, 1967, p. 359.
L'Histoire des animaux d'Aristote9 (384-322 av. J-C) ne fournit pas non plus une véritable médecine vétérinaire. De plus, la partie de l'ouvrage consacrée aux chevaux n'est pas très fournie. Cet animal est, certes, fréquemment cité, mais il ne fait pas l'objet d'un développement construit et seules quelques pages sont consacrées aux maladies spécifiques des équidés (VIII, 24). Le Stagirite se livre à quelques remarques à mettre à l'ordre des généralités ; par exemple, il commence ce chapitre par l'observation suivante : les chevaux qui vivent en liberté sont moins sujets aux maladies que ceux qui restent à l'écurie. Plutôt que de thérapeutique, Aristote entend traiter essentiellement des maladies et de leurs symptômes. On trouve donc peu de remèdes recommandés mais surtout une liste de maladies plus ou moins graves pouvant affecter le cheval, assorties de leurs manifestations les plus immédiates (goutte, colique, tétanos, abcès, indigestion, délire, douleurs au coeur, déplacement de la vessie, ingestion d'un staphylin, morsures de rongeurs). La seule substance thérapeutique citée est le réalgar ou sulfure rouge d'arsenic, que les hippiatres médiévaux continueront à prescrire abondamment. Aristote conseille encore la saignée contre la colique, mais il signale que la plupart des maladies qu'il a citées sont sans remède. Si l'on considère l'ensemble de l'Histoire des animaux, on se rend compte qu'en fait le boeuf, les oiseaux ou les poissons sont plus souvent pris comme référence, peut-être parce qu'ils étaient les plus facilement disséqués. Le cheval sert toutefois d'exemple, à d'assez nombreuses reprises, lors de l'étude des différentes parties du corps des animaux. C'est ainsi qu'Aristote signale que les chevaux peuvent avoir les yeux bleus (I, 10) ou qu'ils rêvent en dormant comme l'homme et le chien (IV, 10). Il pense que le cheval peut atteindre l'âge de cinquante ans (VI, 22) et il affirme qu'on «a déjà vu un cheval vivre soixante-quinze ans» (V, 14). Cette performance sera souvent citée par les encyclopédistes de l'Antiquité et du Moyen Age 10. Aristote consacre encore quelques lignes au seul cheval dans le livre traitant de la reproduction des animaux (V, 14 - VI, 18, 22), dans celui qui décrit les dents des êtres vivants (VI, 22), et dans la partie consacrée à leur nourriture (VIII, 8). 9 - Aristote, Histoire des animaux, traduction Pierre Ix>uis, Paris, !,cs Belles Lettres, 1969, ou coll. Médiations, Denoël/Gonthier, 1974. 10 - Voir supra, partie H, chap. 3.
Les Hinniatrica L a p l u s g r a n d e partie des textes d'hippiatrie grecs o n t été rass e m b l é s d a n s d e s m a n u s c r i t s , d o n t o n p o s s è d e en E u r o p e (à Paris, Berlin, C a m b r i d g e , L o n d r e s , R o m e , Florence, Pise...) u n e d o u z a i n e de c o p i e s r é a l i s é e s a u c o u r s d u M o y e n A g e . Ils s o n t , p o u r l a p l u p a r t , d ' o r i g i n e B y z a n t i n e e t d a t e n t d u I l l e a u Ve s i è c l e d e n o t r e è r e , quoiqu'on
y
trouve
aussi
un
texte
du
Xe
siècle
(oeuvre
de
T h e o p h y l a c t o s , p a t r i a r c h e d e C o n s t a n t i n o p l e ) a i n s i q u e le t r a i t é d e S i m o n d ' A t h è n e s , q u e n o u s a v o n s m e n t i o n n é plus h a u t et qui date du Ve siècle a v a n t Jésus-Christ. C e s recueils furent publiés p o u r la prem i è r e f o i s a u X V I e s i è c l e , e t f u r e n t é g a l e m e n t t r a d u i t s e n latin11 ; u n e é d i t i o n p l u s m o d e r n e fut réalisée au d é b u t de notre siècle p a r Oder12 : le C o r p u s H i p p i a t r i c o r u m g r a e c o r w n o u H i p p i a t r i c a . C e s hippiatres, parfois a n o n y m e s , auraient utilisé des sources a n c i e n n e s , g r e c q u e s , et b a b y l o n i e n n e s . Cette o e u v r e de p r e m i è r e .i m p o r t a n c e , ou p l u t ô t cette collection de traités rassemblés sans plan v é r i t a b l e , e s t p r é s e n t é e de m a n i è r e détaillée p a r E. Lcclainche13 d a n s s o n h i s t o i r e d e l a m é d e c i n e v é t é r i n a i r e e t e l l e a fait l ' o b j e t d e n o m b r e u x a r t i c l e s o u é t u d e s l 4 . S i g n a l o n s s e u l e m e n t ici q u e p a s m o i n s de dix-sept auteurs contribuent aux Hippiatrica, qui comportent un p e u p l u s d e q u a t r e c e n t s c h a p i t r e s o u articles. P a r m i les p l u s c é l è b r e s d e ces auteurs, n o u s t r o u v o n s d ' a b o r d A p s y r t o s , à q u i n o u s d e v o n s 121 a r t i c l e s ; il é t a i t v é t é r i n a i r e e n c h e f d a n s l ' a r m é e d e C o n s t a n t i n 1er. S o n t e x t e r é v è l e u n h o m m e a s s e z savant,
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d'ailleurs
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«L'oeuvre
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i m p o s a n t e ; elle d o m i n e d e b e a u c o u p celle d e ses c o n t e m p o r a i n s » dit
11 - Cette traduction est présentée par E. Leclainche dans Histoire de la médecine vétérinaire, tome V, p. 166. Elle est l'oeuvre de Jean Rucl et a pour titre : Veterinariae medicinae libri duo Johanne Rueliio suessionensi interprele. 12 - E. Oder et C. Hoppe, Corpus hippiatricorum graecorum, op. cil. 13 - E. Leclainche, La médecine vétérinaire dans l'Antiquité, op. cit., pp. 164-172. 14 - citons le travail de H.J. Sevilla, L'art vétérinaire antique. Considérations sur l'hippiatrie grecque, Thèse, Paris-Alfort, 1924 et l'article de A.M. Doyen, «L'accouplement et la reproduction des équidés dans les textes hippiatriques grecs», dans Ann. Méd. Vét., Louvain, Fac. de Philosophie et Lettres, Université Catholique, 1981, t. 125, pp. 533-556, qui comportent une abondante bibliographie sur ce sujet.
de lui E. Leclainche15, et Senet l'appelle «le père de la médecine vétérinaire modeme»16. Hiéroclès17, auteur de 107 articles, était certainement juriste18. Son ouvrage est l'oeuvre d'un homme cultivé, qui a lu Aristote et Apsyrtos, auteurs qu'il a presque littéralement recopiés. Nous pouvons encore mentionner Pelagonius, auteur de 48 articles, qui influencera Végèce. Eumelos de Thèbes (IIIe siècle) était hippiatre et a composé 31 chapitres, ainsi que Thcomnestos (IVe siècle) qui faisait partie de la suite de Licinius. Anatolios (IVe ou ve siècle) n'est l'auteur que de dix articles, mais il a rédigé par ailleurs un ouvrage d'agriculture. Chi ron A côté des Hippiatrica, il faut citer la Mulomedicina Chironis, ouvrage de médecine du cheval, mais aussi du bétail, dont l'auteur (le nom de Chiron serait un pseudonyme) est inconnu19. Il ne s'agit pas d'un texte original puisqu'il reprend divers auteurs byzantins, mais il offre l'intérêt de présenter une synthèse des connaissances de son époque. L'hippiatrie et l'agronomie romaines Les vétérinaires romains sont moins nombreux et souvent moins spécialisés que les vétérinaires grecs. Les armées de Rome n'accordèrent pas une grande importance à la cavalerie et la relative indigence de la littérature hippiatrique en est une conséquence. Si la médecine des chevaux est abordée, c'est généralement au sein d'ouvrages plus généraux, traitant d'agronomie ou d'économie rurale.
15 - E. Leclainche, La médecine vétérinaire dans l'Antiquité, op. cit., p. 170. 16 - A. Senet, Histoire de la médecine vétérinaire, Paris, 1953. 17 - La Bibliothèque Nationale de Paris possède, de l'ouvrage de lIicroclès, une fort belle copie en grec (du XIVe siècle). Ce manuscrit comporte de très nombreuses illustrations. Il s'agit du ms. grec 2244. 18 - C'est l'opinion qu'A. M. Doyen formule dans «L'accouplement et la reproduction des équidés dans les textes hippiatriques grecs», art. cil., p. 534. Au début du siècle, Smith pensait que Hieroclès était vétérinaire (F. Smith, The early history of veterinary literature and ils British development, dans The journal of comparative pathology and therapeulics, 1913-1917). 19 - Le texte de la Mulomedicina Chironis se trouve dans un manuscrit de la Bibliothèque de Munich (Codex Monacensis latinus 243) et a été publié par H. Oder, à Leipzig, en 1901.
C'est le cas du traité de Columelle (De re rustica, 40 ap. J.C.), de celui de Varron (116-27 av. J.C.) et de celui de Palladius (IVe siècle). Ces ouvrages traitent de la conduite d'un domaine et par là des soins à donner au bétail, mais leurs auteurs sont surtout des théoriciens et non des vétérinaires. Ces oeuvres ont le mérite de prodiguer de judicieux conseils, en particulier dans le domaine de l'hygiène. Comme nous l'avons déjà vu, ces agronomes latins feront figure d'autorités pour ceux qui, comme les encyclopédistes et pour un homme tel Pierre de Crescens, voudront traiter, peu ou prou, d'économie rurale au Moyen Age20. Nous ne nous arrêterons pas plus longuement sur ces auteurs dans cette partie puisqu'ils ne traitent pas véritablement de médecine vétérinaire. Végèce Un auteur, à Rome, a cependant signé un véritable ouvrage de médecine vétérinaire ou plus exactement une compilation, un recueil de recettes. Il s'agit de Végèce, ou, sous son nom latin, de Publius Vegetius Renatus. Ce dernier aurait vécu de 450 à 510 ; il fut souvent confondu, en particulier au Moyen Age, avec Flavius Vegetius Renatus, auteur d'un ouvrage d'art militaire. Cette oeuvre s'appuie beaucoup sur les auteurs grecs et romains, même si son auteur commence par critiquer ceux qui l'ont précédé pour leur manque de méthode et la mauvaise présentation de leurs ouvrages. Végèce cite Apsyrtos et Chiron auxquels il emprunte beaucoup, ainsi que Pelagonius et Columelle21. De Végèce lui-même, on ne sait rien, sinon qu'il ne semble personnellement guère savant dans le domaine qu'il 20 - Voir plus haut, partie II, chap. 3. 21 - Le prologue de la Mulomedicina de W g e c e commence ainsi (d'après l'édition de E. Lommatzsch, P. Vegeti Renati digestorum artis mulomedicinae libri, Lcipzig, Teubner, 1905, p. 12): Mulomedicina apud Graecos Latinosque auclores non fuit cura postrema. Sicut enim animalia post hominem, ita a r s veterinaria post medicinam secunda est. Dans equis enim ac mulis et adiumenta belli et pacis ornamenta consistunt. Sed quo minus dignitatis videbatur habere professio, quae pecundum promittebat medelam, ideo a minus splendidis exercitata minusque eloquentibus collata docetur dans libros, licet proxima aetate et Pelagonio non defuerit et Columellae abundaverit dicendi facultas. Verum alter eorum cum rusticae rei praecepta conscriberet, curas animalium levi admonistione perstrinxit, alter omissis signis causisque morborum, quasi a d doctissimos scriberet, tam magnae rei fundamenta neglexit. Chiron vero et Apsyrtus diligentius cuncta rimati eloquentiae inopia ac sermonis ipsius vilitate sordescunt. Praeterea indigesta el confusa sunt omnia, ut partem aliquam curationis quaerenti necesse sit errare per titulos, cum de eisdem passionibus alia remedia dans capite alia reperiantur dans fine . ( s o u l i g n e par nous).
aborde, si bien que les chercheurs en arrivent à émettre des hypothèses contradictoires à son sujet22. Nous nous bornerons donc à présenter rapidement son Digestorum artis mulomedicinae libri. La première édition fut imprimée à Bâle en 1528. En 1905, Lommatzsch23 proposa une édition savante à partir de huit manuscrits. Au sujet de cette oeuvre, E. Leclainche24 écrit qu'elle «constitue un recueil très complet et relativement ordonné des connaissances acquises au moment de sa rédaction» et qu'il «convient donc de considérer son livre comme une «Somme» qui représente le bilan d'une époque». La Mulomedicina de Végèce comporte quatre livres qui traitent des maladies du bétail en général, sans être pour autant spécialisés dans l'étude de la médecine vétérinaire équine. Le premier livre contient 64 chapitres concernant les «signes» de diverses maladies du cheval, leur «cure» et la confection de nombreux remèdes. Le second est composé de 149 chapitres consacrés aux maladies du cheval. Le troisième comporte d'abord quelques observations sur les chevaux et leur conformation avant de proposer de nombreuses recettes médicales. Le quatrième enfin s'intéresse principalement aux boeufs et démarque en grande partie le De re rustica de Columelle. Oualités et limites de l'hippiatrie grecque et romaine Si les hippiatres et les agronomes grecs et romains se sont bien sûr intéressés à l'élevage du cheval25, ils proposent également une véritable médecine. Selon Sevilla26, les Hippiatrica montrent que «les soins médicaux et chirurgicaux étaient donnés aux chevaux malades ou blessés dans des lieux réservés, même aux années». Le cheval malade était entouré de grands soins, son écurie, que l'on réchauffait éventuellement, était tenue particulièrement propre et calme. Les maladies évoquées par ces auteurs sont assez variées et souvent correctement décrites : coliques, tétanos, luxations, fractures, maladies du 22 - Ainsi Végèce a été situé au lIe siècle (par Eichenfeld), au XII, siècle (par Sprengel) et Fraas pense que, si l'oeuvre a bien été compilée au XIIe siècle, ce ne serait pas par Végèce, qui n'aurait jamais existé. 23 - E. Lommatzsch, P. Vegeti Renali digestorum artis mulomedicinae libri, I^eipzig, Tcubner, 1905.
24 - E. Leclainche, La médecine vétérinaire dans l'Antiquité, op. cii., p. 173. 25 - Voir A.M. Doyen, L'accouplement et la reproduction des équidés..., op. cit. 26 - H.J. Sévilla, Notes d'histoire sur l'Art vétérinaire antique : L'infirmerie des hippiatres grecs, dans Recueil de médecine vétérinaire, t. 112, 1936, p 29.
pied, maladies parasitaires, maladies de l'oeil, fourbure, morve, cornage, etc. Il semble toutefois que ces premiers hippiatres, s'ils savaient déceler à peu près correctement les maladies et énumérer leurs symptômes, n'étaient guère capables d'en expliquer les causes. En conséquence, il était bien difficile pour les vétérinaires de proposer des remèdes pleinement appropriés et efficaces. C'est ce que montre Paul Vigneron, dans son étude sur le cheval dans l'Antiquité27 : «à ces maladies dont ils ne comprenaient guère les causes, les vétérinaires antiques ne pouvaient opposer que des soins empiriques28». Pourtant, certains de ces remèdes n'étaient pas sans intérêt, en particulier ceux qui font appel à la petite chirurgie, car les hippiatres étaient surtout habiles dans ce domaine. Ils savaient assez bien castrer le cheval, pratiquer des incisions ou des scarifications. Ils utilisaient diverses saignées dont les textes décrivent minutieusement la localisation et l'importance. Ils savaient poser des attelles et traiter d'une manière satisfaisante les luxations. Plusieurs de leurs instruments étaient en effet suffisamment bien conçus pour avoir traversé les siècles29. Si certains remèdes prouvent la grande expérience de l'hippiatre, d'autres, en revanche, paraissent fantaisistes. Les prescriptions de potions, décoctions, infusions, onguents et cataplasmes divers sont détaillées et les posologies ainsi que la méthode pour réaliser ces préparations sont généralement indiquées avec précision. Pourtant la complexité de ces dernières les rend bien difficiles à confectionner. Ainsi Theomnestos recommande l'usage d'une huile dont il faut frotter le cheval fatigué, huile qui ne renferme pas moins de 31 substances! La pharmacopée utilisée était relativement étendue30. Dans les traités du Moyen Age, on retrouve la quasi totalité des drogues citées dans ces ouvrages. Quant aux modes d'administration de ces remèdes, ils ont été recensés par Sévilla31 qui cite «les bains, lotions et vaporisations ; les 27 - P. Vigneron, Le cheval dans l'Antiquité (des guerres médiques aux grandes invasions ; contribution à l'histoire des techniques), Nancy, Annales de l'Est publiées par la Faculté des Lettres et des Sciences Humaines, n* 35,2 tomes, 1968. 28 - P. Vigneron, Le cheval dans l'Antiquité, op. cil., p 41. 29 - A. Senet, Histoire de la médecine vétérinaire, Paris, 1953, p. 37, cité par Vigneron, Le cheval dans l'Antiquité, p. 43. 30 - H.J. Sévilla, Notes d'histoire sur l'Art vétérinaire antique : la boutique pharmaceutique des hippiatres grecs, dans Recueil de médecine vétérinaire, t. 112, 1936, pp. 3-14. 31 - H.J. Sévilla, Noies d'histoire sur l'Art vétérinaire antique : Les formes pharmaceutiques des hippiatres grecs, dans Recueil de médecine vétérinaire, t. 112, 1936, pp. 15-27.
fumigations, sternutatoires et trochisques ; les pilules, huiles, vins et vinaigres médicinaux ; les clystères et suppositoires ; les topiques : collyres, crayons et pâtes caustiques, embrocations, cataplasmes, emplâtres, onguents et pommades». Là encore, une comparaison entre ces méthodes et celles des hippiatres médiévaux montre que ces derniers n'ont pour ainsi dire rien apporté de nouveau. LE MOYEN AGE.
Du Ve au Xe siècle en Europe. Avec la chute de l'Empire romain et l'essor du Christianisme, la médecine vétérinaire des chevaux ne connut pas, en Europe, de développement significatif au cours du haut Moyen Age. Nous n'avons pas retrouvé de signes vraiment probants de l'existence d'une hippiatrie digne de ce nom. Toutefois la civilisation byzantine comptait, autour de l'empereur Constantin, du VIle au Xe siècle32, des médecins et des spécialistes en de nombreuses disciplines scientifiques ou littéraires qui, certes, ont peu innové, mais ont appliqué et transmis les connaissances de leurs prédécesseurs. C'est même grâce à Constantin que les Hippiatrica ont été préservées d'une probable destruction. Il faut se rendre à l'évidence que, durant le Haut Moyen Age, seuls les remèdes mis au point dans l'Antiquité devaient être utilisés, on ne sait d'ailleurs dans quelle mesure. Les textes altimédiévaux qui nous sont parvenus ne permettent en effet pas, vu leur rareté et leur indigence, de définir une silhouette bien nette d'une pratique médicale vétérinaire. Pour expliquer l'absence de tels textes à cette époque, les historiens de la médecine vétérinaire soulignent généralement le mépris avec lequel les animaux étaient considérés par l'Eglise. Les saints semblent être en fait le recours principal et habituel contre les maladies du bétail33 ; à côté de la prière, de l'offrande, persistent, dans un espace où la frontière entre pratique chrétienne et supersition est bien ténue, des procédés à caractère magique et incantatoire, dont les
32 - Voir L. Bréhier, La civilisation byzantine, Paris, Albin Michel, 1950 et 1970. 33 - Voir par exemple à ce sujet l'Histoire de la médecine vétérinaire de L Moulé, op. cit., deuxième partie, pp. 14-19.
traces persistent encore dans des traités d'hippiatrie très postérieurs34. Il semble donc que, durant tout le Moyen Age, on fera appel en Occident à ces aides miraculeuses comme au savoir des maréchaux. L'apport des arabes au cours du Moyen Age. A partir du Ve ou du VIe siècle, c'est certainement chez les Arabes que la médecine vétérinaire fut la plus avancée35. Dès le VIe siècle, plusieurs vétérinaires écrivirent des traités à caractère scientifique. Il est vrai qu'ils reprenaient en partie des connaissances antérieures car ils avaient hérité du savoir de l'Antiquité, savoir qu'ils vont développer, par le commentaire des oeuvres antiques en particulier, à partir du V I I I siècle. On sait que les Arabes avaient depuis longtemps de nombreux contacts avec des savants du monde hellénique et qu'ils étudiaient les textes anciens après les avoir recopiés ou traduits. Mais, témoignant d'un véritable pouvoir d'innovation en de nombreuses sciences, ils s'intéressèrent particulièrement au domaine de la médecine. La médecine vétérinaire en particulier ne fut pas laissée de côté, et le cheval étant leur animal de prédilection, il n'est pas étonnant qu'ils se soient appliqués à en connaître défauts et maladies, et à tenter d'y remédier. Dès le VIle siècle, un Mohammed ibn Jakoub (ayant écrit un ouvrage en 695) propose un texte hippiatrique ; quelques temps plus tard, on trouve l'oeuvre de Honein ben Ishaq, qui mourut en 87336. Parmi les ouvrages arabes postérieurs au Xe siècle, citons le Livre de Kabous ou Kabous El Moali qui date d'environ 108037, encyclopédie dont le chapitre 25 est consacré au cheval. Au XIIe siècle, le traité d'agriculture Kitab al Felahah de Abou Zacaria propose une thérapeutique intéressante dans les quatre chapitres consacrés à la médecine du cheval et de quelques autres animaux. «C'est une oeuvre synthétique remarquable, pour laquelle l'auteur a fait un choix sélectif
34 - Voir à ce sujet, B. Ribémont, «Science et magie : la thérapie magique dans l'hippiatrie médiévale», Colloque Magiciens, sorciers et sorcières dans la culture du Moyen Age, SaintMalo, 5-9 juin 1992, à paraître. 35 - C'est ce que montrent les historiens de la médecine vétérinaire : Voir à ce sujet l'Histoire de la médecine vétérinaire (op. cil.) de L. Moulé ainsi que l'ouvrage de E. Leclainche (op. cil.) ou encore celui de Clément Bressou, (llistoire de la médecine vétérinaire, op. cil.). 36 - Voir E. Leclainche, La médecine vétérinaire dans l'Antiquité, op. cil. 37 - Cet ouvrage a été traduit en français par Querry en 1886.
des documents qu'il a recueillis chez les Grecs et aussi les Persans et les Hindous» écrit à son sujet C. Bressou38. A partir de la deuxième moitié du XIIe siècle, ce savoir va se transmettre à l'Occident latin. Par la grande vague des traductions arabo-latines qui, depuis Tolède et quelques autres centres, animera le monde savant latin et grâce à des personnalités comme Roger II de Sicile, puis à Frédéric II, qui invitèrent des savants arabes à leur cour, comme nous le verrons plus loin. Mais le plus célèbre des traités arabes est postérieur à cette époque ; il s'agit sans conteste du Nâcérî, oeuvre d'Abou Bekr ibn Bedr. L'ouvrage fut composé au cours du treizième ou du premier tiers du quatorzième siècle de notre ère. Ce livre, traduit en français en 185239, est encore aujourd'hui connu de tous les «hommes de cheval». Son auteur était «écuyer et médecin vétérinaire du sultan d'Egypte ElNacer» selon M. Perron. L'ouvrage traite de l'hippologie et de l'hippiatrie, mais l'éditeur, Perron, précise que pour plus de clarté il a lui-même rassemblé les questions selon leur appartenance à l'un ou l'autre domaine. Cette édition constitue ainsi deux gros volumes, avec, il est vrai, l'apport de deux autres textes médiévaux arabes que l'éditeur propose en complément : un manuscrit anonyme de 1327 (Kitâb el Akouâl) et un «manuscrit copié à Bagdad du XIIIe siècle». Une édition moderne trilingue (arabe, française et anglaise) est actuellement en préparation40. La partie du Nacérî consacrée à l'hippiatrie n'est pas très originale et reprend largement les textes des hippiatres grecs. L'ouvrage est toutefois important et envisage le traitement d'un grand nombre de maladies. En revanche, la partie consacrée à l'hippologie est vaste et particulièrement complète. L'auteur se livre à une description des chevaux de diverses races, s'intéresse à l'éducation du poulain, au dressage du jeune cheval, aux soins quotidiens (nourriture, pansage). Un long chapitre est consacré au harnachement ; les allures du cheval font aussi l'objet d'une partie, ainsi que la description des couleurs de leurs robes qui, elle, occupe dix chapitres. Vingt-deux chapitres portent sur l'appréciation des chevaux, sur leurs qualités et leurs défauts, et sur la description de chevaux célèbres.
38 - C. Bressou, Histoire de la médecine vétérinaire, op. cit. 39 - M. Perron, Le Nâcérî, la perfection des deux arts ou traité complet d'hippologie et d'hippiatrie arabes d'Abou Bekr ibn Bedr, Paris, 2 tomes, 1852/1860. 40 - C'est le Dr Abderamane Daccac qui prépare cette édition.
Si une médecine vétérinaire équine se développa très tôt dans les pays arabes et fut florissante au Moyen Age, des textes hippiatriques furent également composés en Perse, en Inde et en Orient, toutes régions où le cheval avait une place de premier ordre dans la société. Ainsi nombreux sont les ouvrages indiens en sanskrit41 et, à leur suite, des textes tibétains, basés sur les connaissances indiennes. Ils furent rédigés depuis le Ier jusqu'au XIIIe siècle et sont la preuve que, dans cette région du monde, se trouvaient de véritables experts dans le domaine de l'hippologie ainsi que dans celui de la thérapeutique appliquée aux poulains et aux chevaux, et ce, dès les premiers siècles de notre ère42. L'hippiatrie en Occident après le Xe siècle. A la fin du IXe siècle, la ferrure à clous étant importée d'Orient, les forgerons apprennent à ferrer les chevaux, et collaborent avec ceux qui les soignent. On assiste, sans qu'il soit véritablement possible d'en cerner la mesure exacte, à une osmose entre le monde du soin médical et celui de l'entretien du cheval ; le maréchal, tel que sera un Jordanus Rufus au XIIIe siècle, praticien habile et savant, prend peu à peu naissance, forme, dans ce processus de contact et de maturation. Grâce à ces praticiens habiles, l'hippiatrie va connaître un important essor dont la marque la plus certaine apparaîtra au XIIIe siècle, époque à partir de laquelle il est sans doute possible de parler d'hippiatrie moderne. Du Xe au XIIe siècle Avant d'en arriver à ce fleurissement d'une science hippiatrique, comme va le connaître la cour de Frédéric II de Hohenstaufen, les siècles précédents ont, du côté de l'écrit, enregistré les tâtonnements d'une science en cours de reconstruction et d'élaboration. Le témoignage, pour nous, se traduit par l'incomplétude, la rareté : peu de 41 - Voir la liste donnée par E. D. Kulkami, dans l'édition du Salihotra de Bhoja, Poona, 1953. 42 - Ces textes ont été récemment publiés. Voir au sujet de l'hippiatrie tibétaine : A.M. Blondeau, Matériaux pour l'étude de l'hippologie et de l'hippiatrie tibétaines, Centre de recherche d'histoire et de philologie de la IVe section de l'Ecole Pratique des ) fautes ElUdes (Hautes Etudes Orientales), Genève, Droz, 1972.
traités occidentaux de médecine vétérinaire des chevaux nous sont parvenus, en ce qui concerne la période des Xe, XIe, XIIe siècles. Citons toutefois deux manuscrits anglais de recettes concernant les animaux43, ainsi que la Physica d'Hildegarde de Bingen. Il ne s'agit d'ailleurs pas dans ce dernier cas d'oeuvre hippiatrique à proprement parler, mais d'écriture qui correspond bien à ce qu'il nous est possible de mesurer : le savoir vétérinaire passe avant tout par des textes de compilation qui reprennent une part, sélectionnée selon les vues de l'auteur, du savoir antique, souvent filtré au crible de l'oeuvre d'Isidore de Séville. Difficile donc en ce contexte de mesurer le degré progressif d'élaboration de schémas pratique/théorie, dont on possède finalement le degré dernier - l'aboutissement du XIIIe siècle - au vu duquel une raisonnable hypothèse d'évolution, telle que nous l'avons formulée plus haut, semble possible. Du XIIIe au XVe siècle En ce qui concerne les connaissances médicales des hippiatres occidentaux des siècles suivants, nous renvoyons à l'ouvrage spécialisé de Y. Poulle-Drieux44, qui comporte une présentation des principaux textes hippiatriques des XIIIe, XIVe et XVe siècles, ainsi qu'une étude des connaissances en anatomie et tératologie, en pathologie générale, médicale, chirurgicale, infectieuse et parasitaire, en thérapeutique et en pharmacologie de ces vétérinaires. Pour notre part, nous nous intéresserons essentiellement aux oeuvres dont il existe, dès le Moyen Age, une traduction en français et qui peuvent donc servir de base de comparaison pour la Cirurgie des chevaux que nous éditons. Nous présenterons aussi, rapidement, quelques textes écrits dans une autre langue, mais qui offrent un intérêt particulier, par l'influence qu'ils ont pu avoir sur les textes en français. Il s'agit en effet pour nous, dans la présente démarche, de tenter simplement de retrouver les sources possibles de la Cirurgie des chevaux, ou au moins de préciser le corpus hippiatrique existant, en France, à l'époque de la composition de ce traité.
43 - Voir Leclainche, L'Art vétérinaire du Moyen Age à la fin du XVIIIe siècle, op. cit. p. 190. Il cite en effet le Leech Book, anonyme, et YHerbarium d'Apulcius Plaionicus. 44 - Y. Poulle-Drieux, L'hippiatrie dans l'Occident latin, du XIIIe au XVe siècle, op. cit.
Au XIIIe siècle, puis au XIVe et XVe siècles, on voit se multiplier un peu partout encyclopédies (qui comportent généralement une partie consacrée à la médecine)45 et même traités de médecine vétérinaire proprement dits, dont un certain nombre ne concernent que les chevaux. C'est d'abord en Italie du Sud, en Sicile, que l'on trouve, au début du XIIIe siècle, un foyer scientifique qui s'intéresse à la médecine vétérinaire. C'est sous l'impulsion de Roger II, puis surtout de Frédéric II de Hohenstaufen que ce savoir va être développé et approfondi. Nous savons que l'empereur a rassemblé autour de lui les meilleurs savants de l'époque, qu'il a fait traduire les ouvrages grecs et arabes et s'est intéressé de très près à la médecine et à la zoologie. Lui-même composa un traité de fauconnerie, le De arte venandi cum avibus46. Jordanus Rufus Le principal représentant de la médecine vétérinaire à la cour de Frédéric II est Jordanus Rufus, auteur d'un traité d'hippiatrie qui eut une grande influence. Cette oeuvre fut probablement composée vers 1250, en latin, sous le titre de De medicina equorum. Rapidement elle connut une grande renommée et fut traduite en de nombreuses langues. Nous avons en effet conservé, outre 26 manuscrits en latin, des manuscrits en italien, sicilien, français (La mareschaucie des chevax), provençal et allemand. L'ouvrage fut édité à plusieurs reprises, dès la fin du XVe siècle47. Jordanus Rufus apporta beaucoup à l'hippiatrie dans la mesure où il a fait, pour une grande part, oeuvre originale. Certes, à la cour de Frédéric II, il dut avoir connaissance des ouvrages grecs et arabes : R. Roth48 a montré la possiblité d'une influence de la Mulomedicina de Chiron ; après lui, J. Zahlten49 s'est 45 - Voir à ce propos, B. Ribémont, «De la définition d'un genre à son évolution. Sur la pertinence des notions d'apogée et de décadence, dans Apogée et déclin, (dir. CI. Thomasset et M. Zink), Paris, Presses de la Sorbonne, 1993, pp. 27-68. 46 - Frédéric II, De arle venandi cwn avibus, éd. C.A. Willemsen, 1942. 47 - Pour les éditions les plus récentes, voir : H. Molin, Jordani Ruffi Calabriensis Hippiatria, Padoue, 1818 - L. Klein, Siudien zur "medicina equorwn", Inaugural Dissertation zur Erlangung des Grades eines Doctor Medicinae Velerinariae, Hanovre, 1969 - B. Prévot, La science du cheval au Moyen Age, Paris, Klincksieck, 1991. 48 - R. Roth, Die Pferdeheilkunde des Jordanus Ruffus, Berlin, 1928. 49 - J. Zahlten, Die Hippiatria des Jordanus Ruffus, ein Beitrag zur Naturwissenschaft am Hof Kaiser Friedrichs 11, Archiv für Kulturgeschichte, Cologne et Gratz, 1971, Lin, pp. 20-52.
attaché à prouver l'influence de Frédéric II et des médecins de l'école de Saleme. Mais dans tous les cas, si influence il y eut, elle est restée une simple base de connaissances, un point de départ pour une étude personnelle s'appuyant essentiellement sur l'expérience. La première partie de la Mareschaucie des chevax est consacrée à l'hippiatrie. Rufus commence par y évoquer la fécondation de la jument et la période de gestation pour lesquelles il prodigue conseils et mises en garde, puis il est question de l'éducation du poulain, de la manière de l'accoutumer à la présence de l'homme et aux contraintes d'un premier débourrage. Cette partie se termine par des conseils concernant la nourriture, l'hygiène, la ferrure, puis sur une méthode de dressage, qui doit se faire dans le calme et la confiance. Ce dernier point est particulièrement intéressant car il inclut une description de quelques types de mors en usage à cette époquç. Avant de clore ces chapitres consacrés à l'hippologie, Rufus rédige, sur un modèle en usage dès l'Antiquité, vingt-cinq préceptes qui permettent de juger de la valeur d'un cheval, de ses défauts ou de ses qualités, d'une tare ou d'une aptitude, et cela après une très brève observation. De plus, ce chapitre, intitulé «coment en doit connoistre la biauté et les façons des chevaus» dans les manuscrits en français, se termine par une analyse des différentes boiteries du cheval, chacune permettant de diagnostiquer une lésion du sabot, du paturon, de l'épaule, de la hanche ou une déchirure musculaire. La seconde partie de la Mareschaucie des chevax, et de loin la plus importante, est certainement encore plus originale, puisqu'on y trouve les germes d'une véritable médecine vétérinaire scientifique. Rufus y étudie les maladies et lésions du cheval par régions du corps où elles sont situées, au long de 59 chapitres. Le plan qu'il suit l'amène à traiter en premier lieu des maladies caractérisées par la présence de glandes ou de boutons, puis des coliques, des maladies internes, des lésions de la tête et de divers endroits du corps et enfin de tous les problèmes des membres et des pieds. Une grande part de l'ouvrage est consacrée à l'étude de ces lésions des membres et des pieds, origine de bien des ennuis chez le cheval. Rufus y consacre 29 chapitres. Cette organisation de l'oeuvre sera reprise ensuite par de nombreuses générations de vétérinaires. Il faut en outre attirer l'attention sur le fait que chaque chapitre est traité avec une grande rigueur et dans un ordre qui permet une thé-
rapeutique réfléchie, adaptée au mal en fonction des observations préalables : 1 - le mal est localisé 2 - les symptômes du mal sont décrits et ses causes sont déterminées 3 - le mal est nommé 4 - un traitement est proposé Le chapitre consacré aux «vives» (grave angine) constitue un exemple court de cette méthode : Des vives. Autres glandes sont qui avienent entre le col et le chef, c'est assavoir et en l'une et en l'autre partie des joes, qui einsi croissent par enfleüre de chief qui est descendue. Et en tel maniere estraint grant partie de la gorge, que le cheval ne puet menger ne boire nule chose. Et se il n'est secouruz et aidiez tantost, le pertuis de la gorge s'en estoupe et clost dou tout en tout, dont li cheval se getent a terre et tant fierent dou chief a terre, qu'a paines se puent drecier. Et ceste enfermetez est apelee vives. Medecine contre les vives. Contre laquelle enfermeté soit fete tele medecine : c'est assavoir tantost con l'an voit les vives enfler soudainemant ou croistre en maniere d'uef tant plus, soient profondement cuites dou fer roont ou soient taillees d'une lancete bien aguë. Mes la mieudre maniere de sacher les vives est si comme j'ai dit ou chapistre dou farssin. Et puis que les vives seront chaciees hors, les plaies seront curees et sanees si comme j'ai dit ou chapistre dou farsin. Dans l'ensemble, les remèdes proposés sont plus simples que ceux que l'on trouve dans les traités grecs et arabes. Si Rufus a largement recours à la cautérisation et à la saignée, il ne fait jamais appel à la magie ni à l'astrologie. Cette oeuvre eut une grande influence au cours des siècles suivants. Laurenzo Rusio, Dino di Pietro Dini, Grisone, Guillaume de Villiers la connaissaient et l'ont largement utilisée pour la rédaction de leur propre traité de médecine vétérinaire. Mais avant cela, elle fut en partie recopié par Petrus de Crescentiis. Albert Le Grand Il est inutile ici de s'apesantir sur Albert Le Grand (environ 12001280), le savant docteur, qui, maître de Thomas d'Aquin, fut un des
grands «promoteur» du péripatétisme en Occident50. Son esprit encyclopédique de vaste envergure l'a conduit à s'intéresser, entre autres, aux animaux. Bien que contemporain de Rufus, il n'a pas connu son oeuvre et son De animalibus est le fruit d'une compilation d'oeuvres savantes, d'Aristote à Thomas de Cantimpré, assortie de remarques personnelles. La Cirurgie des chevaux, que nous éditons, comporte une traduction presque complète du chapitre du De animalibus : celui intitulé De equo. Nous présentons Albert Le Grand en annexe III et nous donnons une traduction en français de ce texte. Mosé de Palerme Mosé de Palerme (XIIIe siècle), médecin juif51, traduisit de l'arabe en latin52 un traité de médecine vétérinaire composé par un certain Hippocrate qui vécut peut-être en Perse au VIe siècle. Cet ouvrage commence ainsi : CAP I. : Sapientissimus Ipocras medicus Indie fecit librum istum, ordinavit enim in hoc libro curam animalium inrationabilium, sicut sunt equi, muli, bordoni, asini, et aliorum animalium inrationabilium; et curam quam diximus invenit suo sensu, animo puro, et usu, et sua scientia, et ordinavit in hoc libro predictus sapientissimus Ipocras breviter, quia iste Ipocras erat doctior et sapientior omnibus sapientibus qui in suo tempore f u e r a n t ; docuit enim multos magistros et discipulos doctrinam, et erat in tempore Casdre regis53.
Ce traité, le Liber Ipocratis de infirmitatibus equorum et curis eorum54, comporte quarante-quatre chapitres. Les soins à donner aux lésions des membres et des pieds représentent une grande partie de l'ouvrage, puisque Hippocrate y consacre les chapitres XXII à 50 - Voir A. de Libéra, Albert le Grand et la philosophie, Paris, Vrin, 1990 et la bibliographie de cet ouvrage. 51 - Y. Poulle-Orieux, L'hippiatrie dans l'Occident latin, op. cit., p. 27. 52 - Ibid. ; Y. Poulle-Drieux situe cette traduction en 1277. 53 - (Le très savant Hippocrate, médecin de lInde, composa ce livre, dans lequel il traite du soin des animaux tels les chevaux, les mulets, les bardots, les ânes et autres bêtes. Celle matière, dont nous venons de parler, il la composa avec son sens, son âme pure, son expérience et sa sagesse, et ce savantissime Hippocrate en fil le livre que nous venons de citer. Cet Hippocrate en efei élail plus sage et plus savant que tous les sages de son temps ; en effet, il enseigna sa doctrine à de nombreux maîtres el à ses élèves. Il vécut au temps où Casdre était roi). 54 - li fut édité par Delprato : L. Delprato, Trattati di Mascalcia attribuiti ad Ippocrate, tradotti dall'arabo dans latino da Maestro Moisè da Palermo, volgarizzati nel secolo XIII, Bologne, 1865.
XXXIII. Les autres maladies du cheval sont traitées en suivant à peu près ce plan : Maladies de la tête : III Conantia (Angine) - IV Refreditura (Refroidissement) - V. Cimoira (Morve) - VI Malitia capitis (Morve nasale?) - VII - Retorquitura labiorum (Retournement des lèvres) VIII Bava que descendit ab ore equi (De la bave qui s'écoule de la bouche du cheval) - IX - X - XI Infections des yeux. Maladies internes (toux, fièvre, maladies de l'appareil digestif, ganglions...) : chapitres XII à XXI. Maladies des membres et des pieds : chapitres XXII à XXXIII. Maladies de la peau : chapitres XXXV et XXXVI. Les derniers chapitres (XXXVIII à XLIII) proposent des applications thérapeutiques de quelques plantes ou préparations à base de plantes (par exemple : XLI virtus herbe que vocatur sambucus (De la vertu de l'herbe appelée sambucus) - XLII Virtus olei laurini (De la vertu de l'huile de laurier) - XLIII Virtus cepe, que vocatur squilla, et proprietas suas, et ad quam juvat infirmitatem (De la vertu de l'oignon, que l'on appelle squille, de ses propriétés et de la façon dont il guérit une maladie». Il faut enfin noter que ce traité ne comporte presque aucune description des symptômes de la maladie envisagée. La plupart des chapitres commencent par la prescription des remèdes (par exemple : Cura istius mali est... ou Accipe...). Généralement trois ou quatre remèdes différents sont proposés pour un même mal. L'auteur conseille les habituelles saignées et cautérisations. Le chapitre XXII comporte une illustration destinée à préciser une méthode de cautérisation «à la façon d'un palmier»55. Si nous n'avons pas trouvé de traces de cette oeuvre dans La Cirurgie des chevaux, elle fut toutefois connue et utilisée durant tout le Moyen Age, comme le prouve le traité d'hippiatrie en français de Guillaume de Villiers, composé au XVe siècle, et se réclamant de cet auteur. Pour clore cette partie consacrée aux hippiatres antérieurs au XIVe siècle ou contemporains de la Cirurgie des chevaux, il nous faudrait encore citer d'une part Theodoricus Borgognoni (1205-1298), qui était médecin avant de devenir évêque de Cervia, en Espagne, et
55 - facias coqui spatulam sicut a r b o r palme, que facit dactilos, sicut habet figura infrascrip/a.
qui rédigea un ouvrage d'hippiatrie en latin intitulé Mulomedicina56, traduit en provençal dès le XIIIe siècle57 et édité en 1936-193758 ; et d'autre part Laurenzo Rusio, vétérinaire italien qui composa durant la première moitié du XIVe siècle59 un traité, le Liber marescalcie, qui doit beaucoup à l'oeuvre de Rufus mais qui s'appuie aussi sur l'expérience et sur certaines pratiques astrologiques. Cet ouvrage fut très tôt traduit en plusieurs langues, puis édité aux XVe et XVIe siècles en latin, italien et français60. XVe siècle Johan Alvares de Salamiellas Johan Alvares de Salamiellas est l'auteur du Libro de menescalcia et de albeyteria et fisica de las bestias, publié en 1990 par Patricia Onanga -Ewomba61. Il s'agit d'un traité espagnol composé à la fin du XIVe siècle ou au début du XVe siècle, qui n'est connu que par un seul manuscrit, PARIS, B.N. 214, fol. 4-75 (XVe siècle), qui a la particularité d'être richement illustré. Son auteur dit écrire ce traité à la demande de «mossen Johan de Bearn, Cavaler Senecal de Begore e cappitayne de lorde, por notre senhor lo rey d'anglaterre z de France, sober los dichos de Ypocras z de otros auctores que obrarunt de esta sciencia de mancscalcia»62. Ce manuscrit est donc enrichi de 98 illustrations aux vives couleurs, représentant des chevaux aux robes variées, des scènes de
56 - Cet ouvrage fut composé après 1266, d'après Y. Poulle-Drieux (L'hippiatrie dans l'Occident latin, op. cit., p. 22). 57 - A. Thomas, Traduction provençale abrégée de la Mulomedicina de Teodorico Borgognoni, suivie de recettes pour le vin, dans Romania, t. XL, 1911, pp. 353-370. 58 - E. Dolz, Die Pferdeheilkunde des Bischofs Theodorich von Cervia, Abhandlung 1, Dissertation 1734, Berlin, 1937. G. Klütz, Die Pferdeheilkunde des Bischofs Theodorich von Cervia, Abhandlung 2, Dissertation 1722, Berlin, 1936. W. Heinemeyer, Die Pferdeheilkunde des Bischofs Theodorich von Cervia, Abhandlung 3, Dissertation 1743, Berlin, 1936. 59 - Cet ouvrage est dédié au cardinal Napoleone Orsini, mort en 1342. Voir à ce sujet Y. PoulleDrieux, L'hippiatrie dans l'Occident latin, op. cit., p. 41. 60 - Voir Y. Poulle-Drieux, L'hippiatrie dans l'occident latin, op. cit., pp. 40-42. 61 - P. Onanga-Ewomba, El libro de menescalcia et de albeyteria, édition du traité de médecine vétérinaire médiévale de Johan Alvarez de Salamiellas, thèse de doctorat de 3èmc cycle (dactylographiée), sous la direction de Jean Roudil, Université de Paris XIII-Villetaneuse, 1990. 62 - Ms. Paris B.N. esp. 214, fol. 4.
soin (pansage, ferrure) ou des interventions à but thérapeutique comme la saignée. Il s'agit d'un véritable manuel pédagogique. Notons en outre l'existence, dans ce manuscrit, de 25 schémas représentant les instruments nécessaires dans les différents actes chirurgicaux63, dessins très utiles pour comprendre à quoi correspondent précisément les fers à cautériser de formes variées ou les divers autres ustensiles décrits dans les traités. Cet ouvrage comporte la division traditionnelle en deux parties : la première, consacrée à l'hippologie, est composée de 32 chapitres, les chapitres 19 à 32 traitant des robes des chevaux, illustrées par des vignettes colorées ; la seconde partie, l'hippiatrie, comporte 101 chapitres sans véritable plan. Manuel Diaz de Calatayud Manuel Diaz de Calatayud, espagnol également, composa entre 1443 et 1450 un traité d'hippologie et d'hippiatrie traduit en français64. Manuel Diaz faisait partie de la suite d'Alphonse V d'Aragon. Le texte en catalan porte le titre de Lo libre de la menescalia. Cet ouvrage fut traduit en français et en castillan au XVe siècle et fut largement diffusé en Espagne au XVIe siècle, dans sa version castillane. Le manuscrit français de cet ouvrage, datant du XVe siècle et conservé à la Bibliothèque Nationale (ms. fr. 2002) est l'un des rares textes hippiatriques en français que nous possédons. Il offre un plan assez classique, avec une très longue partie consacrée à l'hippologie, puis une matière médicale intéressante mais sans grande originalité, sauf en ce qui concerne les chapitres consacrés aux diverses blessures de guerre65. Notons que les remèdes contiennent une quantité non négligeable de substances aux vertus plus ou moins magiques, comme les «lizardes rousses pilées», et qu'ils sont éventuellement complétés par des charmes dont l'inévitable «charme contre le farcin», qui
63 - W. Rieck étudie ces instruments dans Das Veterinar-Instrumenlarium im Wandel der Zeiten, Berlin, 1932 64 - Deux versions de cette traduction française sont conservées, l'une à Paris, B.N. fr. 2002 (XVe siècle), fol. 1-99 et l'autre à Montpellier, Ecole de médecine 266. 65 - L'auteur consacre en effet quelques chapitres aux blessures causées par les coups de lances, d'épées, de dagues ou de couteaux, ainsi qu'à la manière de retirer un «fer qui est demorés ou corps du cheval».
consiste cette fois en une formule magique écrite sur un morceau de parchemin accroché au cou du cheval66. Le style de ce traité est toutefois un peu différent de celui des ouvrages contemporains sur le même sujet, car il a un ton assez personnel, et si ce texte paraît difficilement comparable à la Cirurgie des chevaux, c'est plus à cause de sa forme, de sa présentation, reflet probablement de la personnalité de son auteur, qu'en raison de son contenu. Alors que l'auteur de la Cirurgie reste totalement inconnu, Manuel Diez se présente et évoque son environnement au cours d'une introduction assez longue, dans laquelle il annonce son projet. Il développe d'abord l'idée de la nécessité, pour le chevalier, de posséder un cheval, et il insiste sur ce point avec une grande conviction à défaut d'une parfaite clarté, puis il explique que son ouvrage est destiné au chevalier jeune et inexpérimenté, confronté au problème d'un cheval blessé ou malade alors qu'il n'a pas de maréchal avec lui. La plupart des autres hippiatres s'adressent, au contraire, aux maréchaux67, et même si, comme Guillaume de Villiers, ils évoquent la possibilité de l'absence du maréchal, cette éventualité semble rester tout à fait exceptionnelle. Il faudrait chercher du côté du traité de Rufus et de ses nombreuses adaptations pour trouver une présentation équivalente, encore que moins développée. Ni la Cirurgie des chevaux, du XIVe siècle, ni même le traité de Guillaume de Villiers, du XVe siècle, ne manifestent de telles préoccupations. Nous transcrivons ci-dessous le premier folio de ce manuscrit de la Bibliothèque Nationale (fr. 2002). En nom de Dieu et de la Saincte Trinité Qui est pere et filz et sainct esprit tout ung Dieu. Le cheval est moult necessaire a tous chevalliers et gentilz hommez et aussy a hommes d'estat, lesquelx ont affaire les conques tes et les defensions de leur plasse, sans lequelle ne se pult exerciter en armes, car le chevalier ne pult pas aller a piedz por deffendre et conquester son propre pays. Mais plus tost vallent moins les vallains et hommes de semblabe condiccon lesqulex sont nouris on travail et painne aussy comme se nature s'adonne a traveller. Se au chevalier et gentilz 1er nourissement et nature ne s'adonne pat a soustenir telle paine et travail comme font les aultres qui sont acoustumés d'alleir a piedz. Se pour ce doncques que les chevaliers doivent aller armez depuis la teste jusques a 66 - Paris, B.N., ms. fr. 2002, fol. 35. 67 - fi est, par exemple, bien clair que le De Animalibus d'Albert Le Grand s'adresse aux maréchaux puisqu'il écrit : ...[equus] cui plurimae acciduni infirmiiates quas oportel marescalcum cognoscere, qui curare habet equos, 7. ([le cheval] est atteint d'un très grand nombre de maladies que le maréchal, à qui revient le soin de guérir les chevaux, doit connaÎtrc).
piedz, c'est por deffendre leur peuple de leurs ennemis ainsy comment ceulx qui y sont tenus de les deffendre. Et pour ce que ilz ne pouroient porter sy grant charge de harnois et d'armes, ils penssent aller a piedz. Hz convient qu'ilz allent a cheval et mesmement pour faire differance du chevalier et tiengne l'ordre (fol. lv) de chevalerie pour ce, pour les raysons qui anciennement furent trouvées, les chevaliers ainsy ont exercité les boins romans et aultres bons chevaliers anciens, et aussy aulcuns de notre temps. Et por ce, c'est bien raison qu'il y a grant differance des chevaliers aus gens populaires et que les chevaliers aillent a cheval et les aultres a piedz. Et pour ce, anciennement voians que la plus necessaire chose estoit au chevalier le roussin, voulurent et ordonnerent que ledit roussin prenist le nom du cheval, c'est assavoir que on l'apelast cheval. Car ainsy comme le fer ne se puelt ouvrer sans feu, aussy parellement le fait d'armes ne se puelt exerciter sans cheval. Pour laquelle chose ilz convient nécessairement a toz chevaliers et hommes d'armes savoir quatre chose : la premie sy est bien chevaulchier, la secondre est savoir bien cognoistre la bonne taille du cheval et les bontés et les mauvaistiez, la tierce est le savoir bien tenir le penser, la quart est savoir cognoistre leurs maladies et inframitez et de les savoir guerir. Car en la guerre ne se truvera pas tousjour le mareschal et pouroit advenir telle maladie au cheval que, s'il n'estoit bien pensé et mediciné, il se pouroit perdre. Et sy le chevalier pert son cheval en la guerre et il n'en a point d'aultres, il pert toute la plus grant partiez de l'exercité de la chev aller iez. Domt, je, Manuelz Diez, maistre d'oustel du moult hault et puissant prinse et victorieulx seigneur doint Alfons, Roy (fol. 2) d'Aragon, ici voulu faire ung livre de chevalz, por monstrer aux jeunes chevaliers et gentilzhommes, lesqulex par peu d'aage ne scievent et ne les congnoissent, aulx je monstreray grant partie de la pratique et de savoir congnoistre les bons chevalx et de leurs infirmités et grant partiez des remedez que on y doie faire, lequel livre est departy et mis en XVII chapitres.
G u i l l a u m e de Villiers G u i l l a u m e de Villiers, enfin, c o m p o s a en français au XVe siècle u n traité d'hippiatrie encore inédit68. Qui était Guillaume de Villiers? N o u s ne savons presque rien de lui. N o u s avons conservé trois manuscrits de son traité. L'un, le manuscrit fr. 1287 de la Bibliothèque Nationale (Paris) porte la date d e 1456 (date de la copie?) avec, c o m m e nom d'auteur, «Guillaume de Villiers ou boscage, prétendant de Gonneville», un autre (Valenciennes, Bibl. M u n . 336) comporte la date d'achèvement de la 68 - Les auteurs du présent ouvrage en préparent actuellement une édition critique.
copie : 1465. Le troisième enfin, conservé à Paris (B. N. fr. 9577), date du XVIe siècle. Dans son ouvrage sur l'hippiatrie médiévale, Y. Poulle-Drieux69 signale l'existence de deux fonctionnaires royaux du nom de Guillaume de Villiers à cette époque, l'un à Carentan, l'autre à SaintPierre-le-Moûtier. Rien ne permet d'avancer d'autres hypothèses au sujet de cet auteur dont le traité n'a encore jamais été publié intégralement. Guillaume de Villiers ne prétend pas faire oeuvre originale. Il indique à plusieurs reprises qu'il s'appuie sur d'autres maîtres et se livre donc à l'art de la compilation. Ainsi au début de l'ouvrage, nous pouvons lire : j'ay assemblé en cest livre tout ce qui peut appartenir au gouvernement du cheval, lequel livre a esté composé et ordonné selonch YpocraS70 ; le second livre est selonch l'intention de maistre Jourdain Ruf, chevalier et maistre gouverneur de la mareschaucee de l'empereur Frédéric ; les autres livres sont selonch les intention de pluisieurs maistres. (ms. Valenciennes 336, fol. 17v) En raison des ces sources multiples, le plan de l'oeuvre paraît parfois incohérent, puisque Villiers en arrive à traiter plusieurs fois les mêmes sujets, mais une fois en s'appuyant sur un hippiatre et la seconde fois en suivant un autre. Toutefois il semble bien que Guillaume de Villiers ait pratiqué lui-même l'hippiatrie, puisque l'on trouve parfois dans le manuscrit de Paris, B.N. fr. 1287 des petites notations, sortes de signatures ou de caution qu'il donne à la suite d'un remède ou d'un charme, comme et ego Villiers ou probatum est et qui ne semblent pas provenir du copiste. D'une manière générale, même lorsqu'il recopie un remède prescrit par un autre auteur, Rufus par exemple, Villiers apporte plus de précisions dans la description qu'il en fait. En outre il interpelle les maréchaux, dont le métier est de soigner les chevaux :
69 - Voir Y. Poulle-Drieux, L'hippiatrie dans l'Occident latin, op. cit., p. 46. 70 - Ypocras ou Hippocrate le vétérinaire (mulomedicus) ne doit pas être confondu avec le médecin grec. Son oeuvre a été traduite par Moses de Palerme à la fin du XIIIe siècle. Voir à ce sujet l édition faite par Pietro Delprato : Iratlali di mascalcia altribuiti ad Ippocrate, tradotti dall'arabo dans latino da maestro Moisè da Palermo, volgarizzati nel secolo XIII, dans Collezione di opere inedite or rare, Bologne, 1865. Voir aussi Y. Poulle-Drieux, L'hippiatrie dans l'Occident latin, op. cil., p. 27.
Maistre qui de saignier vous meslés et de vaine sevrer vous empeschiés, gardez bien et retenez la practique qui s'ensieult... (ms. Valenciennes 336, fol. 35v) M a i s son traité n e s'adresse pas qu'aux maréchaux. Villiers pense en effet au simple propriétaire d'un cheval malade, qui doit le soigner sans aide : item par aventure l'en ne peust trouver aulcun mareschal et que l'en ne sceust descharner les vives, ouvrés la bouche du cheval et soubz la langue vous verrez une vaine, laquelle soit pcrchié... (ms. Valenciennes 336, fol. 34) Il propose souvent des substances de r e m p l a c e m e n t p o u r le cas où on ne trouverait pas celles qu'il a prescrites. Toutes ces remarques font p e n s e r q u e Villiers, s'il n'est pas vétérinaire, a cependant été confronté au p r o b l è m e posé p a r des c h e v a u x malades. Il faut enfin signaler que ce traité contient plusieurs charmes, relevant de la religion ou de la magie, c o m m e remèdes à des maladies ou blessures du cheval, m ê m e si son auteur semble, à plusieurs reprises, gêné de faire appel à de telles pratiques et cherche à se justifier, voire à se disculper : de laquelle maladie accidentelle et subitainc je entens icy mettre et escripre les medecines ad ce nécessaires, tant par medecines communes que chennes en cas de necessité et sans nulle erreur de l'ame. Car, comme j'ay dit en aulcun chapitre du farssin que pour aulcune deffaulte de medecine, ung cheval peut estre en dangier de mort se il n'est prestement secouru. Mais quant a bien parler, en toutes cestes maniérés de chermes fides operatur, c'est a dire que le maistre doit avoir ferme esperance et confiance en Dieu le pere tout puissant en faisant et disant chermes, car de lui viengnent toutes les choses qui sont ne jamais seront. (...) S'ensieult la maniere de chermes, lesquels se font en l'absence et deffaulte d'aulcuns maistres mareschaulx et gouverneurs ou aultres qui qu'ilz soient, car par la deffaulte de lanchette ou instrument de ferrement, ung cheval peut morir subitainement, et pour ceste raisopn j'ay icy voulu mettre aulcunes manieres de chermes contre ceste maladie, non pourtant que je croie aux noms ou parolles, mais en Dieu tout puissant dont procede tout ce que nous avons (ms. Valenciennes 336, fol. 33v et 34v) L e s c h a r m e s sont au n o m b r e de 14 dans le traité de Villiers. Ils mêlent prières à Dieu, à la Vierge ou à Saint Eloi avec des formules magiques. Ils sont parfois a c c o m p a g n é s de pratiques diverses (mots à dire dans l'oreille g a u c h e du cheval, à écrire sur un parchemin n e u f et à accrocher sur son encolure, objets divers c o m m e une baguette
d'amandier, un morceau de tuile, du gui de chêne et de la graisse de daim mêlés à poser sur le mal). Autres auteurs L'Espagne, le Portugal, l'Italie virent encore, en cette fin du Moyen Age, plusieurs spécialistes ou compilateurs rédiger des ouvrages de médecine vétérinaire. Toutefois, bien peu d'entre eux font oeuvre originale. Il faudrait citer Uberto de Cortenova, Dino di Pietro Dini, De Cruyllis, Grisone. Mais il existe aussi des textes anonymes comme ce manuscrit en catalan, publié par Joan Gili en 198571 et comportant un traité du XVe siècle, complété par des tables astrologiques et des dessins de mors. Ces dernières figures, surtout, que nous avons évoquées dans notre présentation du harnachement du cheval, signalent ce texte à notre attention. On voit donc que le Moyen Age, disons essentiellement à partir du XIIIe siècle, offre un éventail assez large de textes traitant, de plus ou moins loin, d'hippiatrie. La plupart de ces textes se rangent dans la tradition du savoir antique, relayée bien souvent par des commentateurs arabes. Ce n'est pas pour autant que la place d'une pratique est négligée. C'est d'ailleurs là un des intérêts de l'étude de l'hippiatrie médiévale, dans la perspective de l'analyse des mentalités. C'est en effet un des rares domaines où le livresque et le «vécu» parviennent à se côtoyer, à se fondre dans une écriture unique, comme en témoigne l'oeuvre d'un Rufus. Ce n'est pas toujours dans la clarté que la rencontre se fait, tous les auteurs n'ayant pas les qualités du maréchal de Frédéric, et la confusion règne également dans certains traités. Mais la confusion, justement, ne fait-elle pas sens en ellemême, témoin des tâtonnements d'une science qui n'en est pas encore totalement une, mais qui peu à peu émerge et prend corps et indépendance vis-à-vis de ses sources? Celle-ci se marque aussi dans la langue, dans ce souci, qui s'inscrit pleinement dans les grandes options et mouvances du XIVe siècle, de traduire, voire d'écrire en vemaculaire, même dans les domaines les plus abstraits, tels ceux qu'un Nicole Oresme aborde en langue française. La Cirurgie des 71 - J. Gili, Lo cavall, tractai de manescalia del segle XV ; texte, introduccio i glossari, Oxford, The Dolphin Book Co., 1985 et Lo libre dels cavayls que compos Ypocras. Manuscrit del segle XV, Texte, introduccio i glossari, Oxford, The Dolphin Book Co., 1985.
chevaux, en dépit de ses maladresses et de ses confusions, est sans doute à placer dans cette perspective.
LA CIRURGIE DES CHEVAUX 1. Le manuscrit. Nous ne connaissons qu'un seul manuscrit de la Cirurgie des chevaux. Il s'agit du manuscrit français 2001 de la Bibliothèque Nationale de Paris, qui se présente sous la forme d'un volume de 15,5 cm sur 21,7 cm. Il est daté du XIVe siècle dans le catalogue des manuscrits de la Bibliothèque Nationale. Le texte est copié sur deux colonnes et comporte 29 lignes par page. Les titres des chapitres figurent à l'encre rouge ou sont soulignés en rouge. Le texte de la Cirurgie des chevaux occupe environ 22 folios, puisqu'il commence au folio 3v et se termine à la fin de la première colonne du folio 25. Avec cet ouvrage, sont reliés les textes suivants : - Le recto du premier folio (numéroté folio 3) comporte la fin du voyage de Frère Haitton. Ce texte est copié d'une main fort semblable et peut-être identique à celle qui écrivit la Cirurgie des chevaux et il comporte des lettres coloriées (bleues sur fond rouge et rouges sur fond noir) également de même facture. Ce folio isolé peut nous aider à dater le traité d'hippiatrie anonyme relié à sa suite, et débutant au verso de ce même folio. La relation du voyage de Frère Haitton se termine en effet de la façon suivante : Ci fine le livre des hystoires des partiez d'Orient compilées par religieus homme frere Haitton, de l'ordre de Premoustré, signeur de cort, cousin germain du roy d'Ermenie, sur le passage de la terre sainte, par le commandement du souverain pere, nostres pape Clement Quint, en la cité de Poitiers, lequel heure je ne say se il sont escrips ; premierement en françois, si comme len dit frere Haitton me disoit de sa bouche, sanz note ne exemplaire, et de rommant le translatay en latin, et celuy livre out notre pere le pape. En l'an de grace MCCC et VII, ou mois d'aoustl. Explicit liber haitonis.
1 - Le Livre des histoires des parties d'Orient fut en effet remise au pape Clément V, à Poitiers, en 1307. Le quatrième livre fut bien dicté en français par Frère Ilaylon lui-même à Nicolas Falcon.
On peut imaginer, à la lecture de ces lignes, que la Cirurgie des chevaux fut copiée peut-être dans la première moitié du XIVe siècle, mais après 1307. Les folios qui suivent le texte de la Cirurgie des chevaux, soit depuis la seconde colonne du folio 25 jusqu'au folio 59, sont occupés par Le livre du tresor de cyrurgie, en françois, qui se termine par quelques lignes en latin. L'écriture de ce texte est également très proche de celle de la Cirurgie des chevaux et elle peut provenir d'une même main. Le volume comporte ensuite, après deux folios blancs (59v à 60v), Les enseignements defisique, des folios 61 à 93. Ce texte, ainsi que les suivants, n'a pas été copié avec la même écriture que la première partie du volume. Il commence ainsi : Diex, par sa grant puissance, le mont establi qui premier fist les .1111. elemens, c'est la terre, l'eve, l'air et li feux.... - Le livre que Ypocras envoia a Cesar a été copié sur les quatre folios suivants (93v à 96v). - A partir du folio 97, il est question des épidémies et en particulier de celle qui sévit en 1345 : folio 97 : Les sages dient que la mortalité qui a présent court est causee par... folio 104 : causa epydemie etpreservatio... - Au folio 105v commence la Prophetia Mellini. Ce parcours rapide du manuscrit français B.N. 2001 ne nous renseigne pas sur la date de la copie de la Cirurgie des chevaux, mais nous apprend qu'elle ne peut être antérieure à la première moitié du XIVe siècle. Si nous ne savons pas à qui cet ouvrage était destiné, nous pouvons toutefois remarquer qu'il faisait partie d'un ensemble de textes à vocation plutôt scientifique, voire médicale, puisque un traité de chirurgie humaine est copié sur la même page que notre traité d'hippiatrie. 2. L'auteur de la Cirurgie des chevaux. Nous sommes en présence d'un manuscrit anonyme et rien ne nous permet de percer le mystère de son auteur. Ce dernier ne délivre
aucune indication permettant, sinon de deviner son identité, tout au moins d'imaginer le milieu dans lequel il vivait. Nous ne savons ni s'il s'agit d'un hippiatre, ni s'il était un compilateur, ni les raisons qui l'ont amené à rédiger cet ouvrage. Nous aurions toutefois tendance à croire que l'auteur de ce traité n'est guère expert en hippiatrie, mais qu'il a seulement recopié, traduit, noté ce qu'il a pu trouver sur le sujet, car il ne donne aucun avis personnel. Il ne laisse croire, à aucun moment, qu'il a lui-même expérimenté ce qu'il prescrit, contrairement à ce que font généralement les hippiatres. Le total silence de l'auteur sur une éventuelle familiarité avec la pratique de l'hippiatrie peut venir du fait qu'il a réalisé une compilation sur commande. Nous nous sommes même demandés, en face du désordre du traité, si nous n'étions pas là en présence de la copie de ce que nous pourrions appeler un carnet d'écurie, c'est à dire d'un recueil de recettes transcrites pour une personne à qui elles étaient nécessaires, au moment où elles étaient nécessaires. Pourquoi d'ailleurs ne pas imaginer que ce recueil soit dû à plusieurs personnes, notant l'une après l'autre, les enseignements des maîtres, ou les faisant plutôt noter - traduire à l'occasion - puisque nous avons remarqué l'absence de notations personnelles? Ces hypothèses n'enlèvent rien à l'intérêt du texte, qui reste un témoignage important de la façon dont était pratiquée la médecine vétérinaire au quatorzième siècle, témoignage qui mérite d'autant plus de retenir notre attention que les textes originaux sur le sujet sont extrêmement rares à cette époque et que les copies elles-mêmes ou les nouvelles compilations sont également fort peu nombreuses. En outre, nous sommes ici en présence de la traduction en français de la partie hippiatrique du De animalibus d'Albert Le Grand, constituant environ la moitié de l'ouvrage, ce qui prouve que cette oeuvre du XIIIe siècle était encore digne d'une grande considération au XIVe siècle. 3. Le plan de la Cirurgie des chevaux. La Cirurgie des chevaux constitue en fait un ensemble disparate. Un rapide parcours de l'oeuvre permet déjà de constater que les 84 chapitres qui la constituent ont été rédigés à partir d'au moins deux sources différentes. En effet l'étude des titres des chapitres révèle que certaines des maladies du cheval sont traitées deux fois, à deux endroits différents
du texte. C'est ainsi le cas du lampas, du farsin, du suros, de la corbe, du fi, du chancre, des mules, de l'atteinte, de la roigne, de l'enfonture, des blessures dues aux éperons ou à des épines et de quelques autres lésions de la hanche, de l'épaule ou des yeux. D'autre part, il existe un fort contraste entre, d'une part, les chapitres de la partie centrale du traité, constitués de seulement quelques lignes, et d'autre part les chapitres de début et de fin d'ouvrage, souvent longuement développés, à l'image du De animalibus d'Albert Le Grand, dont ils sont une traduction, comme nous le verrons dans notre présentation des sources de la Cirurgie. Tenter de déceler un plan qui présiderait à l'organisation de cet ouvrage n'est pas tâche aisée. En effet l'auteur de la Cirurgie des chevaux ne suit aucune des habitudes propres aux hippiatres médiévaux. Ainsi, alors que, traditionnellement, l'hippologie et tout ce qui concerne les soins à donner aux chevaux sont traités en première partie d'oeuvre, ou qu'au moins l'auteur consacre à ces problèmes un ensemble de chapitres, nous nous trouvons ici en face de quelques .courts conseils disséminés. On peut en effet classer dans cette rubrique les chapitres 8,49, 50 et 84. Les hippiatres du Moyen Age prennent souvent le soin de classer les maladies du cheval par région du corps qu'elles affectent (ils traitent d'abord, pour les plus méthodiques, des maladies de la tête, puis des affections générales et terminent par les lésions des membres), mais l'auteur de la Cirurgie des chevaux n'a pas de souci de cet ordre, même s'il est vrai que quelques chapitres consacrés à une même région du corps se suivent parfois. Pour preuve, examinons rapidement un exemple, les chapitres 49 à 53: - Les chapitres 49 et 50 évoquent des problèmes de comportement du cheval, le cheval restif, le cheval félon et le cheval trop debonnere . On peut imaginer que l'auteur a ici rassemblé tout ce qu'il veut dire sur le sujet. Certes, la localisation de ces conseils, en plein milieu de la partie médicale est étonnante, mais admettons qu'elle procède d'une certaine logique. - Ensuite, dans le chapitre 51, il est question de la maladie du cheval qui «sanc estable par derronture ou qui a chaude pisse», affection dont le principal symptôme est que le cheval urine du sang et pour laquelle une thérapeutique est proposée. L'auteur revient donc à la partie purement médicale du traité, mais pour peu de temps!
t
- Les deux chapitres suivants concernent à nouveau des problèmes de comportement : «de cheval qui tire de joe ou des châtiions ou dou piz et de cheval qui est dur aus esperons». Nous pourrions donner d'autres exemples et montrer que les lésions du pied ou des membres, généralement rassemblées par les hippiatres, sont ici dispersées dans les chapitres 9 à 14, 17, 19 à 29, 33,47, 54, 56, 78 à 83. Ces remarques nous amènent à penser que l'auteur de la Cirurgie des chevaux disposait de plusieurs sources, utilisées successivement et qu'il n'a pas jugé bon de reconstruire son ouvrage en mêlant ces sources. 4. Les sources. La Cirurgie des chevaux aurait, comme nous l'avons déjà remarqué, au moins deux sources différentes, même si l'auteur ne les cite pas. L'une d'elles est le chapitre intitulé de equo dans le De animalibus d'Albert Le Grand, que l'auteur a presque intégralement traduit dans ce traité2. Toutefois, de manière étonnante, l'oeuvre d'Albert Le Grand n'est pas utilisée comme un seul ensemble mais, scindée en deux, elle occupe les premiers et les derniers chapitres de la Cirurgie des chevaux, c'est à dire les chapitres 1 à 7 d'une part, 60 à 84 d'autre paît. Nous n'avons pas d'hypothèse à formuler pour expliquer cette partition du De animalibus et l'insertion d'une cinquantaine de chapitres d'origine inconnue au milieu de la traduction de cet ouvrage. Il ne peut s'agir d'un souci de méthode de présentation En effet, les premiers chapitres de la Cirurgie des chevaux, copiés sur Albert Le Grand, concernent des généralités et des maladies de la bouche du cheval (chapitres 1 à 7). L'auteur quitte alors cette source pour enchaîner par un chapitre évoquant l'élevage du poulain, puis il traite des lésions des pieds (chapitres 8 à 14). Il consacrera à nouveau quelques paragraphes aux maladies de la bouche, mais beaucoup plus loin, dans les chapitres 41 et 42. En outre, l'oeuvre n'est pas toujours fidèlement traduite : si certains chapitres sont une parfaite réplique du De animalibus, 2 - Manquent en effet les chapitres du De animalibus que nous avons numérotés 1, 2, 4, 5, 6, 18, 38 ainsi que quelques rares paragraphes appartenant à d'autres chapitres.
d'autres, au contraire, omettent par exemple certaines thérapeutiques. Notons aussi que bien des explications, concernant en particulier l'élaboration des remèdes, ont été supprimées. Les étymologies qu'Albert Le Grand tente de donner, pour le mot cheval lui-même au début de cette partie intitulée de equo, et pour les dénominations des maladies en ce qui concerne les chapitres 13, 14, 15, 22, 25, 29, 30, 32, 36 ne sont pas reprises dans la Cirurgie des chevaux. Enfin tout ce qui ne concerne pas exclusivement l'hippiatrie, mais se rapporte davantage ou à l'hippologie ou à l'encyclopédisme, a été supprimé par le rédacteur de la Cirurgie. Celui-ci disposait-il d'une version incomplète de l'ouvrage d'Albert Le Grand, a-t-il choisi délibérément d'écarter de sa traduction tel ou tel paragraphe lui paraissant moins intéressant, ou craignait-il de s'éloigner de son sujet principal, l'hippiatrie? La façon désordonnée dont il a conçu son ouvrage, la présence de chapitres concernant l'hippologie et les nombreuses répétitions de la Cirurgie incitent plutôt à choisir la première hypothèse. Quant aux sources possibles des chapitres 8 à 59 de la Cirurgie des chevaux, nous n'avons pas réussi à les identifier3. L'auteur aurait-il pu utiliser sa propre expérience? Nous en doutons. En effet, il rédige là de très courts chapitres, n'accordant pas de place à l'explication des thérapeutiques prescrites, ni au mode de préparation des remèdes, ce qui laisse entendre qu'il ne les a pas lui-même réalisés. Le chapitre 23 consiste en un charme contre le suros, mais l'auteur ne fait aucun commentaire personnel au sujet de cette pratique magique. 5. Sommaire comparé de la Cirurgie des chevaux et du De animalibus d'Albert Le Grand. Pour tenter de mettre en évidence le plan suivi par l'auteur de la Cirurgie des chevaux, en fonction de sa source principale, c'est à dire le De animalibus d'Albert Le Grand, nous proposons le tableau cidessous qui montre les correspondances entre les deux traités. 3 - Y. Poulle-Drieux, dans L'hippiatrie dans l'occident latin, du XIIIe au XVe siècle, op. cit., p. 45, avance l'hypothèse de sources grecques pour ce traité (Ilieroclès et les Hipiatrica). Elles sont possibles, mais elles seraient alors utilisées de façon parcellaire. Il est vrai que l'auteur de la Cirurgie des chevaux termine son ouvrage en citant «Heraclez». lin revanche nous n'avons trouvé aucun point commun entre ce texte et celui de Végèce.
Les titres des chapitres de la Cirurgie des chevaux sont en italique et transcrits dans l'ordre où ils apparaissent dans le manuscrit B.N. fr. 2001. Les titres que nous avons octroyés au De animalibus d'Albert Le Grand sont soulignés4. Nous suivons, dans cette présentation, l'organisation de la Cirurgie des chevaux. 1. Le commencement. 12. Le mal de la langue (malum in lingua equi). (second paragraphe) 2. Des signe qui aperent ou cheval en quel mauvés sanc surhabunde et comment l'en peut le cheval guérir et curer. 7. Surabondance de sang (in equis abundat san^uis). 3. Por restraindre sanc de cheval. 8. Si trop de sang coule de la blessure d'un cheval (si sanguis de vulnere equi alicuius nimis fluat). 4. Comment hom peut cheval guerir du lampas et comment l'on congnoit la maladie. 9. Le lampas (lampistus). 5. Comment hom peut cheval guerir de feanceaus et de for celez et comment la maladie vient et comment hom la connoist. 10. Les foscelles (foscellae). 6. Comment hom peut guerir cheval des barbez. 11. Les barbeles (barbulae. V 7. Comment le cheval emmende et embarnist pour le laver ou col et es espaules. 4 - Nous sommes responsable de la division du texte d'Albert Le Grand en chapitres et les références que nous donnons correspondent à notre numérotation, telle qu'elle est présentée en annexe.
13. P o u r f a i r e g r o s s i r l ' e n c o l u r e e t p o u s s e r l e s c r i n s ( c o l l u m a u t e m eiu., c r o s s e s c i t e t c r i n e s e i u s m e l i u s c r e s c u n t . si...). 8. C o m m e n t l ' e n d o i t c h e v a l n o u r r i r e t d a n t e r e n s a j e n n e s c e . 9. C o m m e n t l ' e n d o i t a i d e r c h e v a l q u i a t e n d r e z p i e z e t a q u i li p i é s estraingnent. 1 0 . C o m m e n t l ' e n d o i t a i d i e r c h e v a l q u i a le p i é e s c o t é . 11. C o m m e n t l'en d o i t c h e v a l g u e r i r d'encloeure, d e p o i n t u r e , d e fouleiire. 12. P o u r c h e v a l q u i a p a e n e o u p i é . 1 3 . D e c h e v a l q u i e s t e m b r a o n é s o u e s s a r t i l l i e z ; c o m m e n t h o n li d o i t aidier. 14. C o m m e n t h o m d o i t c h e v a l g u e r i r d e vive c r a c e . 15. D e vives. 16. C o m m e n t h o n d o i t c h e v a l g u e r i r d e c h a n c r e . 17. D e c h e v a l q u i est e r r e c h e ü s . 18. D e c h e v a l qui a l e f y : c o m m e n t h o n le d o i t guerir. 19. D e c h e v a l q u i a les mules. 20. C o m m e n t h o n p e u t g u e r i r cheval, en plusieurs manieres, qui a jales. 21. D e cheval qui a frentes. 22. C o m m e n t l'en d o i t c h e v a l g u é r i r d u j e u n e s o r o s et d u viel s o r o s et de l'espavain. 23. Le c h a r m e du souros. 24. C o m m e n t h o m p e u t g u e r i r cheval d e tainture. 2 5 . D e c h e v a l q u i v a e s t r o i t d e v a n t , c o m m e n t h o n li d o i t a i d i e r . 26. D e cheval qui est bleciez o u genoil. C o m m e n t h o n le p e u t guerir. 27. D e c h e v a l q u i a p o i n t u r e d ' e s p i n e o u pié. C o m m e n t h o n le d o i t guerir. 28. D e c h e v a l q u i a c o r b e s et q u i est deferus. C o m m e n t h o n le d o i t guerrir. 29. D e cheval qui est blecié e n la hanche. 30. P o u r g u e r i r cheval qui o u t febles rains. 3 1 . D e c h e v a l q u i a l e f a r s i n . C o m m e h o m li d o i t a i d i e r . 32. C o m m e n t h o n doit cheval g a r d e r a p r é s la marescaucie. 33. D e c h e v a l qui est refoulez o u bleciez en l'espaule o u es j a r r é s ; c o m m e n t h o n li d o i t a i m e r . 34. D e cheval qui a m a r n é s yex p a r gresse. 3 5 . D e c h e v a l q u i a l ' o n g l e e n l'uil.
36. Comment hon doit aider a cheval qui a espesse la veüe. 37. Pour le neu, comment hon l'en doit guerir. 38. Comment hon doit cheval guerir de roigne ou de boces. 39. De cheval morveus : comment hon le doit guerir. 40. Comment hon doit cheval guerir de charmoire. 41. De cheval qui a lampas ou fourceaux. 42. De cheval qui a mal en la langue. 43. De cheval qui est poussif : comment hon le doit guerir. 44. De cheval qui a meneson, a qui lessardez enflent : comment hon les doit aider. 45. De cheval qui est escorbiz par ferir : comment hon li doit aidier. 46. De cheval qui est derronz par sourfet. 47. Comment hon doit aider cheval qui est enfonduz. 48. A cheval qui est enfraniés. 49. De cheval restif : comment hon li doit aidier. 50. De cheval félon et de trop debonnere : comment hon s'en doit aidier. 51. De cheval qui sanc estable par derronture ou qui a chaude pisse : comment l'en li doit aidier. 52. De cheval qui tire de joe ou des chaillons ou dou piz : comment l'en s'en doit aider. 53. De cheval qui est dur aus esperons. 54. De cheval qui est sourbatus : comment hon li doit aidier. 55. Comment hon peut cheval guerir de grapes vives. 56. Comment hom peut plus tostfere venir sole et pié a cheval. 57. De la boce que le cheval a sous la bouche. 58. De cheval qui a les couillons enflés. 59. De cheval qui a la tous. 60. Comment l'en peut cheval guerir d'estive et comment la maladie ly vient et comment hon la connoist. 14. L'estive (stiva). 61. Comment l'en peut cheval guerir de tortez de clouz et de bocetes et comment la maladie vient et naist. 15. Les tortes (turtae). 62. Defi, comment hon en doit guerir le cheval.
16. La figue (ficus). 63. De la maladie que li cheval a en la langue : comment hon l'en peut guerir et comment la maladie vient. 12. Le mal de la langue (malum in lingua equi). 64. De nerf de cheval quant il est maumis ou poins ou trenchiez : comment hon li peut aidier. 17. Lésions qui se produisent sur des endroits pleins de nerfs (si locus nervosus fuerit...). 19. Lésion des nerfs ou des muscles de l'épaule par des éperons ou par une autre cause (si nervi aut musculi spatulae ex punctura calcaris vel alia causa laedantur) (paragraphes 1, 2). 65. De cheval qui a les costez enflés des esperons ou de fort cengler. 19. Lésion des nerfs ou des muscles de l'épaule par des éperons ou par une autre cause (si nervi aut musculi spatulae ex punctura calcaris vel alia causa laedantur) (paragraphes 3,4, 5). 66. Comment l'en peut cheval guerir d'estrangueilon et de la touz froide et seiche et comme le mal vient. 21. L'estranguillon (strançulina). 67. De diverses manierez de ranches qui naissent en pluseurs chevaux et comment l'en connoist la maladie p a r divers signez qui y aperent et de divers emplastres p a r quoy l'en les peut guerir. 20. Le rancle (radunculus). 68. Comment hom peut cheval guerir de chancre. 22. Le chancre (cancer). 69. Comment hon peut cheval guerir de seno norma.
22. Seno norma (frenes). 70. Comment hon peut cheval guerir de cor. 24. Le cor (cornu). 71. De morte char em plaie, comment hon en peut le cheval guerir et comment hon congnoit la maladie. 25. La morte chair (caro mortua). 72. Comment hon guerist cheval defarsin et comment il vient. 26. Le farsin (farcina). 73. Au cheval qui ne masche pas bien sa viande. 27. Le cheval qui ne mâche pas bien sa nourriture (si equo grana hordei vel alicuius alterius bladi dentur t ... 1 et haec ftrana nihil penitus aut parum masticaverit)' 74. Comment hon peut cheval aidier des vers qui li nessent ou ventre. 28. Les vers (vermes). 75. De cheval qui ne peut estaler, comment hom li doit aidier. 29. Rétention d'urine (si equus mingere non Dotest). 76. Comment hon peut cheval guerir de gratele et comment la maladie vient et a quoy hon la connoist. 30. La gratele (vrurigo). 77. Comment hon doit cheval guerir de roigne. 31. La roigne (scabies). 78. Comment hon doit cheval guerir de tout souros viel et nouvel.
32. Le suros (suveros). 33. L'atteinte (attactus) (dernier paragraphe). 79. Comment mules viennent et comment hon les peut guerir. 34. Les mules (mulae). 80. Comment hom peut cheval guerir d'espavain et comment il vient. 35. L'espavain (laeditur equus ligno vel lapide vel alia re dura retro in vede infra ungulam). 81. De cheval qui est enfondu : comment hon li doit aider et comment le mal vient. 36. L'enfonture (infundatura). 82. De cheval qui a corbe. Comment hon li peut aidier. 37. Courbe (curva). 83. Comment hon peut cheval guerir d'etainture et comment la maladie vient. 33. L'atteinte (attactus). 84. Comme hom peut congnoistre gentilz chevaux. 3. Oualités. Restent donc sans traduction les chapitres suivants du De animalibus : 1. Etvmologie. 2. Origine. 4. Emplois. 5. Allures. 6. Alimentation. 18. Incision des veines (venarum incisio). 38. Le cheval dans la médecine humaine (ea quae equi sunt. sunt in medicinam homini).
6. La langue. Dans l'ensemble, la langue de ce traité n'est pas excellente. La déclinaison est respectée. La graphie des mots les rend parfois difficiles à transcrire parce qu'ils ne sont pas correctement coupés et que les lettres V, N et U sont totalement interchangeables. Enfin il faut remarquer quelques différences de vocabulaire entre les chapitres centraux et les chapitres de début et de fin de traité5. Le vocabulaire spécifique de l'hippiatrie ne semble pas parfaitement maîtrisé par l'auteur, qui paraît en revanche plus à l'aise avec les noms de plantes ou de substances thérapeutiques. 7. La matière médicale. Si l'on considère l'ensemble de la Cirurgie des chevaux, on découvre que ce ne sont pas moins d'une cinquantaine de maladies ou lésions du cheval qui y sont répertoriées et pour lesquelles un traitement est proposé. On peut en effet trouver une étude des maladies suivantes : maladies générales : coup de chaleur, morve, paralysie ou rhumatisme articulaire, tétanos, variole équine. maladies de la peau : abcès, cor dorsal, démangeaison, gale, ganglion, gangrène, hématome, piqûres, émission de pus, tumeurs, tumeurs mélaniques, ulcères. maladies de la tête : angines, écoulement nasal, inflammation et ganglions de la bouche sous la langue, onglet, palatite, rhinopharyngite, maladies de l'oeil. maladies du thorax : emphysème pulmonaire, toux. maladies de l'abdomen : coliques urinaires, constipation, entérite, orchite, vers. maladies et lésions des membres et des pieds : atteinte, bleime, blessures diverses de la hanche ou des membres, boiteries, crevasses 5 - Quelques exemples : nous avons, par exemple, signalé l'alternance savon/sablon ; on relève le mot «vin aigre» ou «vinaigre» surtout dans les chapitres qui ne sont pas issus du De animalibus (22, 36, 39, 55, 56, 57, 76, 78) alors que le mot «aisil» n'apparaît que dans la traduction de cet ouvrage : chapitres 78, 79, 83 ; le mot «mie» n'est également présent que dans ces chapitres : 2, 7,64,70,71,72,73,75,78,84.
diverses, enclouure, éparvain, eaux-aux-jambes, entorse, forme, fourbure, inflammation des synoviales articulaires, jarde, javart, lésion du cheval qui se coupe ou qui forge, luxation tendineuse, suros. Les substances préconisées pour les traitements de ces maladies sont assez courantes. L'auteur ne fait guère appel qu'aux substances médicamenteuses qu'il est facile de se procurer sous nos climats. Les remèdes d'origine végétale ne sont pas très nombreux, puisqu'on n'en dénombre que 41 différents, qui sont les suivants : absinthe, ache, aigremoine, aulne, avoine, benoîte, bouleau, bryone, cerfeuil, chêne, clématite, consoude, cresson, ellébore noire, encens, fenouil, fève, fougère, froment, guimauve, hièble, iris faux-acore, joubarbe, livèche, laurier, marrube, mauve, mouron blanc, orge, ortie, pâquerette, pastel, patience, poireau, pouliot, prêle, raifort, rue, sénevé, séneçon, vesse de loup. Il faudrait y ajouter le vinaigre, la cervoise et le vin ainsi que le savon, le charbon de bois, le son et la résine. Les remèdes d'origine animale sont assez vatiés : les graisses animales (y compris de sanglier et de blaireau), le lard, la crème de lait et le beurre ; les excréments de boeuf, poule et pigeon ; l'urine, les coquilles d'huîtres, le blanc et le jaune d'oeuf ; le porc, le chien, le coq, la poule, les lombrics, les escargots ; les toiles d'araignées ; la corne de boeuf ; la cire, le suif. En ce qui concerne les remèdes d'origine minérale, nous avons relevé : l'alun, l'argile, la craie, l'encre, le laiton, le plomb, le vert de gris, Les modes d'administration de ces médicaments sont conformes à ce qui s'est pratiqué tout au long du Moyen Age (décoctions, onguents, cataplasmes...). Notons simplement un emploi assez fréquent des fumigations et des fomentations, appréciées pour leur chaleur. Enfin les pratiques thérapeutiques sont traditionnelles, avec un recours important aux cautérisations, scarifications et saignées, ainsi qu'à la pose de sétons. Quant aux instruments utilisés par l'hippiatre, ils consistent essentiellement en des fers à cautériser aux formes variées (fins, crochus, pointus, en forme de S), ainsi qu'en divers poinçons, alênes, couteaux et rasoirs.
Au total, ce traité représente un bon témoignage des connaissances dans le domaine de l'hippiatrie, en France, au XIVe siècle. Si cette dernière n'a pas fait de progrès depuis le siècle précédent, il est intéressant de constater que les avancées du XIIIe siècle n'ont pas été lettre morte et qu'elles ont influencé la pratique médicale de façon profonde et durable. 8. Le texte
LA CIRURGIE DES CHEVAUX
(fol. 3v) C i se c o m m e n c e la c i r u r g i e d e s chevaux. Premierement comment l'en peut chevaux guérir de diversez maladies et comment hon les doit nourrir et garder, et comment l'en peut connoistre quele maladie il ont, et comment il leur vient, et s'il sont ou bons ou mauvés, naturel ou gentil.6 Premierement comment et pour quoy li chevaux engendre maladie. 1. Le commencement. Au commencement, devés savoir que, quant la viande est bien cuite naturelment ou ventrel du cheval, que li foiCZ7 en trait le milleur dou jus a luy et par sa chaleur le retint dedens soy et les renvoie par
6 - Ce plan ne sera pas suivi scrupuleusement par l'auteur de la Cirurgie des chevaux. 7 - L'auteur de la Cirurgie des chevaux a traduit par «foie» le mot latin slomachus qui désigne l'estomac.
les vaines et espant par tout le corps, dont li membre sont tuit conforté et soustenu.8 Et se ce qui en vient ne s'acorde a la nature du membre ou il s'espant, si couvient que, par sueur ou autrement, soit purgiés le lieux ou il s'asemble, que la superfluités n'i remaigne, de laquele li chevaux a a la fois trop grant habundance de sanc et ves ici les signes. 2. Des signe qui aperent ou cheval en quel mauvés sanc surhabunde et comment l'en peut le cheval guerir et curer. L'en doit savoir quant sanc surhabunde en cheval, il se deffrote volentiers et mout se delite a froter; et si luy flere le pissat et la fiente ; et si a l'orine rouge et espesse et les yex troubles et sanguins et lermoians. Et tele fois est que il li nescent parmy son corps petitez bocetes par dessouz le poil, que l'en peut mielx sentir que voier pour le poil. Et si em pert la volenté de mengier. Et ves en cy la cure : quant iceulz signez (fol. 4) apperent ou cheval, fetez le seignier de la vaine mainne du col, selonc sa force et son aage. Se il est fors et il a .V. ans ou plus, fetes luy lessier du sanc auxi comme a la mesure de .111. livres9 ou de .1111.. S'il est poulains et febles, si li lessiez a mesure d'une livre et demie du sanc ou de .11. livres10 au plus. Et qui ne le fet segnier, si envienent mout de maux et trop de peril qui ont divers nons. L'une maniere des maus qui leur envient, si a non farsins. Ceste maniere pourprent le cuir et la char. L'autre maniere a non roigne qui pourprent le cuir et pourprent auxi le cuir des autres chevaus. Quer il ne corrumpent mie tant seulement le premier cheval a qui il habitent, mes maint autre en sont corrumpu qui habitent aveques eulz. Quer ly uns chevaux prent a la fois roigne de l'autre et a la fois farsins et a la fois tortes, si comme il se demainent des dens et si comme il se defrotent et corrumpent ainxi l'air de leurs alaines. Quer li air est mout fort chose quant il est corrumpus, a muer legierement le 8 - Curieusement, ces lignes semblent avoir comme source le premier paragraphe du chapitre 12 du De animalibus («le mal de la langue»). De manière plus logique, l'auteur de la Cirurgie des chevaux reprend ces explications au début du chapitre 63 («de la maladie que li cheval a en la langue : comment hon l'en peut guerir et comment la maladie vient»). 9 - Ms. «lb.» 10 - idem
corps d'ommes et de bestez, pour quoy le philosophe deffendent qu'enfant n'aprecent a homme qui gist en chaut mal, quer enfans sont si tendre et si sont corrumpu tantost. Corrumpue chose corrunt tantost autre chose que ce qui apartient et qui s'acorde a sa complection. Quer chaus maux viennent touzjours de trop sanc et li enfant atraient l'air a eulz qui est corrumpuz de l'alaine du malade. Li airs est moites et chaux par nature. Li air que li enfant atraient les menjuent et corrunt. Quer auxi comme le feu qui entent a degaster les chaudes choses et les moistes qui vient au feu, (fol. 4v) tout auxi fet ceste maladie que l'en appele roigne et pourprent les autres. Et pour ce que enfant et cheval sont de chaude complection et de moiste, sont il par peu de chose corrumpu Il. 3. Por restraindre sanc de cheval. Se trop de sanc dequeurt de plaie de cheval, poudre ars destrempee et moullie[e]l2 en jus d'orties griesches l'cstraint quant elle est .1. peu eschaufee au feu de vesse de leu destrempce en fiente de porcel qui pest herbe eschaufee. Et lessiez sus par .111. jours. Ou vous liés chaude fiente et freiche de cheval dessus la plaie, ou vous ardrés une viez affubleüre et gités la poudre dedens la plaie, et liés .1. oreillier de plume desus, et fetez ainxi souvent, siques a tant que li sanc seiche. 13 4. Comment hom peut cheval guerir du lampas et comment l'on congnoit la maladie. Lampas est une maladie en cheval qui croist ou palaiz deseure entre les dens. Ceste maladie vient d'abundance de sanc. L'en la congnoist en tele maniere : li chevaux ne peut retenir sa viande en sa bouche, ains la lesse choair toute vermeneuse14. 11 - L'analyse de la contagion est développée de manière plus cohérente et méthodique par Albert Le Grand (fin du chapitre 7), puisque ce dernier distingue et hiérarchise trois modes de contagion. 12 - Ms. «mouille». 13 - A la suite de cette prescription, Albert Le Grand ajoute le conseil d'éviter la lumière de lune, conseil que l'auteur de la Cirurgie des chevaux ne reprend pas. 14 - L auteur omet la description de la lésion, description qui se trouve pourtant dans le De animalibus.
Guerissiez le en tele maniere : eschaufez .1. fer au feu qui soit fet en la maniere d'une S et en ardés l'enfleüre des dens. D'iceluy fer premiers en acrochiez la bocete entre les dens, tant comme li fer em pourra comprendre. Més se l'enfleüre est petite et nouvele, faites-le saignier du tiers roion entre les dens devant ou trenchiez la roie parmi et fendés si que li sanc em puist issir legierement ; si sera guéris. 5. Comment hom peut cheval guerir de feanceaus et de forcelez et comment la maladie vient (fol. 5) et comment hom la connoist. Feanceaus sont enfle dedens la bouche du cheval, es levres, encontre les dens messelieres. Et si sont noir et ou milieu. Aucun les appelent forceles et sont auxi comme bocetez noiretez ensou. Icestes manieres de maladies vienent et naissent quant li chevaux menjue et pest aucune froides herbes ou aspres qui demeurent sus la levre ou sus les messelieres de la beste. L'en la connoist en tele maniere : il lessent leur viande choair ne retenir ne la peuent nen plus que se il eussent le lampas et est toute auxi fete comme s'elle fust toute morveuse. Guerissiez l'en ainxi : fetez .1. fer grele tourné en son leu apelé oncion. Fetes cest instrument en l'enfleüre du fancel, et puis le traiez hors a celuy fer; aprés trenchiez hors tout le sommeton du fancel en reant d'un coutel agu. Si guarra. 6. Comment hom peut guerir cheval des barbez. Barbeles croissent ou palais de la bouche dessous la langue du cheval en manieres de petites testes ou de petites mamelettes de bestez, et a la fois croissent en maniere de grain de fourment en lonc. Il empeschent le cheval a mengier. Guerissiez l'en ainsi : hauciez les barbes de .1. tort fer crocu, agu, et les trenchiez delés le palais prés. Aprés si garra. 7. Comment le cheval emmende et embarnist pour le laver ou col et es espaules.
Li chiez du cheval ameigrist et ensechist se hom ne15 le frote souvent et leve d'eve froide ; c'est assavoir li queuez et li crins engroissent et croissent mielx se l'en li leve souvent l'espaule de eve chaude. Més ne la lavés mie prés dou chief d'eve chaude, més de froide. (fol. 5v °) 8. Comment l'en doit cheval nourrir et danter en sa jeunesce. L'en doit savoir que poulains doit courre aprés sa mere .III. ans et puis le doit hon prendre et mestre en l'estable, et pestre de grosses viandes et pour eslargir le bouiau, si comme de herbe de la Pasque siques a la Toussains, et puis de fein et de feurre et de paille et d'avoine siques a la Pasque. Et faut bien travaillier et donques luy doit hon laver la teste et les iex de froide eve, si comme je vous ay dit devant16 ; c'est assavoir en avril, en may et le col et les espaules d'eve chaude pour engroissier et embamir. Lors le doit hon fere ferrer et galoper et poindre et demener pour aprendre les aleüres ; quer en celi an, doivent les meoules revenir es cuisses et le cheval enbarnir. 9. Comment l'en doit aider cheval qui a tendrez piez et a qui li piés estraingnent. Se chevaus a tendres les piés, si li face l'en serrer les voines des pastures dedens et dehors. Se li pié li estraignent par aucune adventure, si li paire l'en les piés tendrement, si que li sans en ysse partout ; puis si le cuise l'en entre le bloy et le caucain parfont, et puis teper tout entour le pié dessus la ralle avec .1. fer chaut. Et se doit l'en garder de touchier au noiel du pié dedens ; et se doit l'en garder des .II. maistres voinez et dedens et dehors. Et quant li pié li estraignent, si y mete l'en .1. tenue fer a .1111. clous ou a .11. denz dedens les sorges. Et puis si traie l'en le pié a la 15 - La négation semble ici une erreur : la suite du texte confirme le fait que la tête du cheval doit être lavée à l'eau froide pour rester petite (cf. De animalibus, 13). 16 - Ce conseil a été donné dans le chapitre 7, qui est une traduction du De animalibus, alors que le chapitre 8 ne tire pas son origine de cette oeuvre. Il semble que l'auteur fasse part ici d'un savoir personnel ou bien, s'il recopie les préceptes d'un autre auteur, qu'il ait un souci d organisation de son traité, puisqu'il fait référence à un chapitre venant d'une autre source.
mesure du fer, et face l'en fere .1. emplastre de sain et de bren. Si le mete l'en en une heuse de cuir, si le lie l'en .X. jours (fol. 6) dedens et chascun jour renouveler. Et puis aprés face l'en le cheval entrer en l'eve pour le pié croistre17. 10. Comment l'en doit aidier cheval qui a le pié escoté. Se cheval a le pié escoté, si soit li piez parés et lavés. Et boutés .1. lardon dedens l'asconteüre, et puis fetes fere feves piletees au sain de mouton. Et emplir le pié et chascun jour renoveler. Et se la morte char s'en saut, si y mete l'en vert de grice si que la morte char soit cheüe et assise. Et puiz y mete l'en autre entrait de pois et de cyre et de nouvel sain fondu ensemble et le mette l'en dessus tout chaut. 11. Comment l'en doit cheval guerir d'encloeüre, de pointure, de fouleüre. Se li chevaux est encloez dedens la vaine, serrés luy la vaine dedens la pasture ; et li fetes .111. tepeüres d'un fer chaut sus la ralle, la ou la boe ystra. Et puis si mete l'en sus la cuisson farine d'avoine et sain cuit ensemble o une crasse corne de lait. Et si li mete l'en .IX. jors, et chascun jour renouveler. Derechief s'il est porri en la voine et cuiture s'en saut, si face l'en autant. Item, se il est encloé d'un clou, si cerciez bien le clou. Et si le perciez dessus le clou d'un perceur, si que li sanc en ysse, si garira. Item, s'il est foulés dedens la voine, si soit parés li piés dessous et serré la voine en l'emplastre et teper la .111. fois avec .1. fer chaut. Et mette farine d'avaine et burre fraiz emsemble .IX. jours. Et chascun jour renoveler. 12. Pour cheval qui a paene ou pié.
17 - Le traitement de ce défaut, appelé aujourd'hui «encastclure», consiste encore à poser un fer pathologique et à appliquer préventivement de la graisse sur le sabot.
S'il a paene ou pié, si soit frotez de savon et de sel et d'orine et de charbon de chaisne pestri ensemble (fol. 6v) ; et puis mis arrement ars et poivre moulu chascun jour, tant que il soit guéris. Et gardés le de eve. 13. De cheval qui est embraonés ou essartilliez ; comment hon li doit aidier. Por cheval embraonez. Se li cheval est embraonés devant ou derriere ou essartilliez, si soit liés mout autemens desous. Et puis essuiés et gelés de l'eve delés les piés. Et se il est essartilliez ou esbraonés plus haut en l'argot, si soit segniez en la pasture et carree de cendre. Et séjournez le tant que il soit gueris. 14. Comment hom doit cheval guerir de vive crace. Se il a vive crace, si soit la jambe mise et frétée de savon et de sel et d'urine et de charbon de chesne pestri emsemble et fet emplastre et mis sus tieule neuve et cousu entour la jambe par .111. jours. Et chascun jour renouveler. 15. De vives. Quant cheval a vives, traiez luy et metés du sel dessus, si guarra. 16. Comment hon doit cheval guerir de chancre. Se cheval a la chancre, si soit lavés d'urine, et puis li metés sus arrement ars et poivre moulu. Et le metre sus tant que il soit gueris. Et le gardés d'eve de ce mal et demourer et de vive crace et de paenc. 17. De cheval qui est errecheüs.
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Se li cheval est errecheiiz18, prenés la raie et la cuisiez en l'eve. Si la liés en la jambe .111. jours, et chascun jour eschaufer et renouveler. Et au quart jour oster la, et traire chaiscun poil a unes pinchoures. Et oindre de burre out de miel chascun jour. 18. De cheval qui a le fy : comment hon le doit guerir. Se cheval a le fi, nouez luy .1. fil entour et y metés poudre d'arrement ars et poivre moulu entour (fol. 7) aprés le fil. Chascun jour restraindre et metre la poudre tant que il soit guéris. 19. De cheval qui a les mules. Se cheval a les muiez, traiez les cuissez aprés, ou vous le cuisiez sanz traire.
20. Comment hon peut guerir cheval, en plusieurs manieres, qui a jales. Se li cheval a jales, serrés les voinez dessus, et puis cuisiez lés sus les jales et fere cuitures. Se il est atains, le premier jour rere la jambe, et lier entrait apostolicon sus .1. drap neuf .1111. jours. Et chascun jour renouveler et deschaucier. Item, qui ce n'a, si prenge la poiz resine et cire virge fondu et metre sus .1. drap neuf et puis coutre sus la jambe tout chaut. Et par .1111. jours renouveler. Ou prendre .1. coch et fendre parmi l'eschinc, et desus lier, et sainier le en la pasture. Item, qui ce n'a, si fende le chael ou le pourcel mâle ; et lier auxi et cuire le jour meimez en estoupes de chanvre et en eve. Et metre sus tout chaut. Et qui riens n'i veult mettre de tout ice le premier jour ne lendemein, serrer la vaine et cuire de maintenant19 des .11. jambes ; 18 - Cette lésion est difficile à identifer car l'auteur n'en donne aucune description. S'agit-il d'une blessure à la suite d'une chute? On attendrait alors des soins pour les genoux et non pour les jambes. S'agit-il de l'enchevêtrure (blessure à la suite d'une prise de longe)? 19 - Ms. «maitenant»
et puis metre entrait de cire et de poiz et de sain. Et aprés metre fiente de vache, et guarder que il ne moille devant .IX. jours en eve. 21. De cheval qui afremes. Se li cheval a fremes sus les piés, cuisiez le d'un fer chaut et de cire. Et gardés le .IX. jours et de l'augue pour toutez cuisons. 22. Comment l'en doit cheval guerir du jeune soros et du viel soros et de l'espavain. Quant cheval a soros ou espavain, fetez le chantier. Si metra autant au descroistre comme il a fet au croistre. Et qui ne s[ a]it20 le cherme, si prengne senevé en gentil vin aigre (fol. 7v) et batez ensemble en .1. mortier. Et metés sus le soros jeune parmie la semele d'un viel souler percié et gardez que le souros soit rés. Et cousés l'emplastre sus .1. drap, et puis lier d'une bende neuve, siques a lendemain prime. Si garr[a]21 du jeune soros sans plaie. Le viel soros cuire en .1. oignement de pois ou de cire ou de sain d'oie et d'un pou de souffre et d'un pou d'alun et de vert de grisse fondu ensemble. Et puis rere le soros et metre l'oignement sus .1. neuf drap ; et puis tondre entour la jambe sus le soros. Et puis embevrer ens o .III. fers chaus et l'un aprés et tenir l'oig plaine paume. Qui ce n'aura, si cuise maintenant du fer chaut ou de chandele de cire sans fer, ou de rafle boulli en miel ou d'une herbe qui croist en ces mares dont les brebis meurent, ou de .1111. oes cuiz en l'eve et puiz en la brese. Item du jeune soros : batés senevé et destrempés de vin aigre, et fettes .1. pastel. Metés sus le soros et le poigniez tant que sanc en ysse. Et liez le pastel sus .1. jour et une nuit. Et puis si l'ostés et refraichissiés d'autretant que il soit tout mol. Aprés, perciez le cuir ; si le boutés hors. Et doit l'en savoir que quant soros est tant crciis que hon ne le peut oster sans feu, raés le d'un fer chaut et serrés la vaine dessus. Si garra. 20 - Ms. «soit». 21 - Ms. «garre»
23. Le charme du souros22. Au charme du souros doit hon dire premierement : In nomine patris etfilii et spiritus sancti. Amen. Et puis devés dire : Ce est voirs que Dieu fu, et que tout le monde fist, et que toute creature crea, et que toute creature commanda a nestre et toutes nasquirent. Ce est voirs que Dieu nasquit de la Virge Marie, pure virge, si comme li plout et (fol. 8) comme il vout, et comme Pere et comme Filz et comme Sainz Esprilz. Si voirement comme je ainxi le croy, cri je merci a nostre Signeur Jesus Crist qu'il cest soros vuille anientir. Si touchiez a la main en nom du Pere et du Filz et du Saint Esprist. Amen. 24. Comment hom peut guerir cheval de tainture. Se la tainture peut l'en cheval guerir sans oster le poil de la pel, esventer l'espaule [et]23 conduire le vent aval la tainture. Et puis bouter une esclice chaude aval, par dessous l'argot entre cuir et chair siques outre la tainture. 25. De cheval qui va estroit devant, comment hon li doit aidier.
22 - T. Hunt, dans Popular medecine in lhe thirteenth-eentury England, Cambridge, D. S. Brewer, 1990, p. 80, publie plusieurs charmes prescrits comme traitements pour les maladies des chevaux, et en particulier ce charme contre le suros, transcrit d'après un manuscrit du XIIe siècle : Ad super os carnem. In nomine Patris et Filii et Spiritus Sancti pone pollicem super ossa et die : «Si cist souros ci est venuz par dialbe inchantesun, toi Ici l'en Deus par sa magne resurectium ; si veirement cum Deus fut nez et ci presepie fut mis et rctrovez si veirement seit cis cavals de cest souros livrez en icez vernes» Pater Noster. 23 - Ms. «en».
S'il va estrois devant, pour quoy il s'entratcigne, si soit li piés parés dehors et dedens. Et lessiez le pié croistre, et puis ferrer d'un fer a ais et puis une roel en cire ou en miel entre les ars devant. Se il s'entrefierent derriere, si soit ly piés parés dehors et lessiez croistre dedens. Et puis ferrer d'un fer a ais. Et puis fere une cuisson entre les cuisses, si yra largez. 26. De cheval qui est bleciez ou genoil. Comment hon le peut guerir. Se li cheval est bleciez ou genoil, si soit rés et aprés fetes entret de fiente d'otor et de bren de fourment et de vin blanc pestri emsemble. Et boullir en une pouaille et lier entour le genoil .1111. jours et chascun jour renouveler. 27. De cheval qui a pointure d'espine ou pié. Comment hon le doit guerir. Se li chevaux a pointure d'espine ou pié, cerciés la plaie et le pié et cuire le genoil. De quel mal que ce soit, si garra. 28. De cheval qui a corbes et qui est deferus. Comment hon le doit guerrir. (fol. 8v) Se li chevaux a corbes, si li doit hon froter d'un baston ou d'un os, et puis si doit hon lever .V. grains o une aleme crochiez partout si gros comme .1. grain de forment. Et puis froter le bien de sel. Et qui ce ne sara fere, si le cuise d'un fer chaut et de cire et ainxi le peut l'en guerir. Et s'il est deferuz desous le coup, chevronnés le d'un fer chaut et lanciez .1. seon desous la cuisson. 29. De cheval qui est blecié en la [hanche]24. 24 - Ms. «bouche»
Se li chevaux est blechiez en la hanche, le premier jour, brochiez en crois d'un fer chaut et liez la brocheüre d'une corde d'arc, et lessiez .V. jours. Item, qui ce ne sara fere, cuise le en .11. roueles a . VIII. cuichons dedenz les roueles. 30. Pour guerir cheval qui out febles rains. Se li chevaux est febles des rains, cuire le .III. trés entre l'os [de]25 la hanche et la croupe et serrer les voines qui sunt dedens. Et metre .11. roeles qui courent .XI. jours et saignier bonne saignié de la cuisse. Se il n'est malades, si l'en frotés les crevaces de savon et de sel et d'orine et de charbon de chesne pestri ensemble. Et puis emplir les crevaces d'arrement ars et poivre moulu, et garder le d'eve tant que il soit gueris. Item, se les cordes li tendent trop, coupés les des ordes encordeüres sans sanc et puis demener le belement. Se il n'a cuer, metez .11. seons dés les esclos duqu'entre les ars et li seon courront. Demenez le chascun jour, tant qu'il soit gueris. 31. De cheval qui a lefarsin. Comme hom li doit aidier. Se cheval a le farsin devant ou derrière, enfondrés les boces d'un fer chaut, et puis prendre la lymesche et la rue et metre l'en anteper devant, entre le cuir et la char, et le piepol et la racine de la vermeille preele ou .1. petit d'arcal ou de plon atachié (fol. 9) a aucunes de ces herbes a .1. filet qui dehors pende ; et lendemain aprés prime soit osté. 32. Comment hon doit cheval garder aprés la marescaucie. Le semadi aprés la mareschaussie, l'en doit eve passer ; et si doit estre gardé de toutes viandez, fors de feurre et de fein. Et donner .1. denier pour Dieu aus mesaux. 25 - Ms. «et»
33. De cheval qui est refoulez ou bleciez en l'espaule ou es jarrés ; comment hon li doit aidier. Se li chevaux est refoulés ou eslargis, si li doit l'en metre .II. seons des les espaules, siques entre les ars. Et chascun jour pourmener le pour eschaufer. Item, se il est deboutés des espaules, brochier le, et puis lier d'une corde d'arc V. jours et .VI. nuiz. Et se vous ne le savez brochier, si le cuisiez d'un fer chaut, d'une roele tout entour et dedcns la roele .VI. cuissons ou .VIII. Se les espaules li seichent ou destraignent, ou il soit bleciez haut en l'espaule, si doit l'en venter l'espaule et metre .II. scons ou une ortion ou .111. bras. Item, se il est bleciez des jarrois, metre en .11. ortions de .11. pars et chascun a .III. bras et cure l'en sus les garrois a .1. fer chaut a menus trais. 34. De cheval qui a mauvés yex par gresse. Se li chevaux a mauvés iex pour gresse de la teste, si li traie l'en les braons de desouz les ielx d'un fer chaut et cure l'en entour les iex et serrer l'oint desus. 35. De cheval qui a l'ongle en iuil. Quant cheval a l'ongle en l'ieul, trenciez luy enseinnicr desus et fere li .1. escuel d'un fer chaut. Et se vous le voulés sainnier des temples, bessiez luy l'oreille contreval au chief de la ou vous trouverés la voine. 36. Comment hon doit aider a cheval qui a espesse la veüe. (fol. 9v) Quant li cheval a espesse veiie et trouble, fetes moudre voirre et a .1. cornet li soufflés en l'icul tant que il soit gueris. Puis prenés herbe terrestre et maracron et broiez ensemble. Et destrempés de gentil vin aigre et li metés en l'icul o une plume. Si guerira.
Item, quant il a trouble la veüe, fendés li le cuir en la fosse desous l'ieul. Si en traiez de l'oint, si sera guéris. 37. Pour le neu, comment hon l'en doit guerir. Quant li cheval a neu, ouvrés li d'un fer chaut, si guérira. 38. Comment hon doit cheval guerir de roigne ou de boces. Quant cheval est roigneuz, si soit segnié des .11. costés. Se il a devant ou derriere de la croupe, si le segniez en la queue, et le sanc retenés tout chaut, si en oigniez la roigne. Et puis prendre la racine d'aune et laver la bien ; et puis despecier en .1. mortier avec viez oint et o souffre et o vif argent et froter la roigne III. jours contre le soleil tout chaut. Se il est refroidis, metés luy une billete de cyre entre les joes et entre cuir et char o .1. seon et o .1. fer chaut. Et cuire les, et les ardés, et tenir chaut le cheval et la teste. Se li cheval a boces entre les joes pour refroideure, metre .1. seon parmi o .1. fer chaut ou une billeite de cire, et tenir chaut le cheval. 39. De cheval morveus : comment hon le doit guerir. Se il est morveuz, prenés les moieus de .1111. oez et metés en plain hanap de gentil vin aigre, et le lessiez une nuit. Lendemein li lanciez ou corps parmi la bouche o sain fondu tiede et la glere des oez aprés. 40. Comment hon doit cheval guerir de char moire. Se li chevaus a la char-(fol. 10)-moire, si li doint l'en le sanc d'un gras matin a boire. Et puis le mastin cuire tout entier et en cuilliez le sain, si li metés en la bouche tiede o une cuillier. Et puis tenés le cheval chaut. 41. De cheval qui a lampas oufourceaux.
S e l e c h e v a l a l a m p a s , o s t é s d ' u n e r o i g n e ; s e il a f o r c i a u x , t r e n c h i é s l u y a .1. f e r c h a u t , si n e li f e r a n u l m a l .
42. D e c h e v a l qui a ma[/j26 en la langue. S e c h e v a l a m a l a l a l a n g u e , si le s a i g n i e z d e s s o u s e t g r a t é s l e s c r e v a c e s a u s o n g l e s , e t p u i s li f r o t é s d ' a u x e t d e sel e t d e s u i f b a t u ensemble.
4 3 . D e c h e v a l q u i e s t p o u s s i f : c o m m e n t h o n le d o i t g u e r i r . S e li c h e v a l e s t p o u s s i f , si li d o i n t l ' e n .II. q u a r t e s d e v i n a b o i v r e q u a n t il e s t a u q u e s g r e v é s d ' a l e r . E t g a r d é s q u e il s o i t b l a n s . E t s e h o n n e li p e u t c e f e r e , si li c u i s e l ' e n l e s .II. c o s t é s e t le f l a n c e t le v e n t r e d u l o n c e n l o n c d e .11. p a r s , e t p u i s t r a v e r s e r e n t r e .11. c e n g l e s . E t t o l l i r l e f a i n e t d o n n e r l e f e u r r e d e f o u r m e n t e t t o l l i r le boivre matin.
44. D e cheval qui a meneson, a qui lessardez enflent : c o m m e n t h o n les doit a i d e r . S e li c h e v a l a m e n o i s o n d e d e n s l e c o r s , si p r e n g e l ' e n l a v o u e l e d ' u n c o c h t o u t c h a u t , e t p u i s si l e m e t é s e n m i e l e t li l a n c i e z d e d e n s le c o r p s p a r m i l a b o u c h e . E t si c h a u t l ' e n p r i m e s u s ly e t le f a c e l ' e n g e s i r l a o u l e s b r e b i z g i s e n t .1. p e t i t . S e l e s l e s a r d e s li e n f l e n t p a r a u c u n e m a l a d i e , si l e s c u i s e l ' e n deseure.
4 5 . D e c h e v a l q u i e s t e s c o r b i z p a r f e r i r : c o m m e n t h o n li d o i t aidier. S e il e s t e s c o r b i s , si l e c u i s e l ' e n d e s s o u s la t e s t e , o u li c o l li j o i n t , et sainnier des temples. 26 - Ms. «ma»
46. De cheval qui est derronz par sourfet. (fol. 10v) Se li chevaux est derrons, le premier jour li doint l'en a boivre confire et consoude menue ; et puis lier .1. pennel dessus a .11. cengles .VIII. jours et tout adés. 47. Comment hon doit aider cheval qui est enfonduz. Se il est enfondus, le premier jour getés luy .1111. oes ou corps et creuser les .1111. argos, et sainier du col en une garle plaine d'eve et getés hors plain .1. bacin de l'eve de la jarle, et sainnier le tant que la jarle soit plaine. Et fendre li .1. petit le toupet et mestre ly .1. peu de voirre et coustre ly la plaie. Se il ne s'apersoit celuy jour, sainiés le lendemein des pastures ou atennoiez les piez et essuyés et tollir luy le gesir et la prou vende et le boire. Et fere luy une jarle de pastee toute plaine de levain d'orge ou de bren qui mielx ne peut avoir. Et soit la jambe charree d'eve chaude et de cendre, et le face l'en ester en l'eve courant defferré sus la gravele dure, la croupe contre l'eve, et tenir haut la teste que il ne boive, puis li doint l'en fain et feurre en l'estable et sa pastee devant luy. 48. A cheval qui est enfraniés. Se il est enfraniés, si soient les .1111. jambes carrées de eve chaude et de cendre .111. jours et .111. nuis en eve courant et descontre les genouz, et le premier jour sainier le des pastures. 49. De cheval restif : comment hon li doit aidier. Quant li chevaux est restif, la ou il restera si soit empasturés de .11. piés derriere, et puis li copés les genetaires a .1. fer chaut. Si li genitaire se enflent, si soient estuvés de tuillez chaudes et puis bien oinz de yebles et de sain d'oie, et bien couvert en yver, et se c'est en esté, si soit mis en eve (fol. 11) siques outre le ventre.
50. De cheval felon et de trop debonnere : comment hon s'en doit aidier. Se le cheval est felon, si soit chastrés. Se il est douz, si soit sainiez des .11. pastures et de .II. petis seons sur les .11. oreilles. 51. De cheval qui sanc estable27 par derronture ou qui a chaude pisse : comment l'en li doit aidier. Quant li cheval est deronz, et il est estalé sanc, si li doint l'en a boire de la menue consoude, et la confire, et puis plaine jarle de pastee. Et se il a la caude pisse, si li coule l'en le boivre et li face l'en la pastee .III. jours, et si luy doint l'en avoine bien vanee. 52. De cheval qui tire de joe ou des chaillons ou dou piz : comment l'en s'en doit aider. Se li chevaux tire des joes, si li coupes les ners de .II. pars de la joe, et se il tyre des chaillons, si li face l'en voler ou couler d'un coignet de fer, et se il tire dou pis, si li liés une billeite grosse en travers de la joe dessous. 53. De cheval qui est dur aus esperons. Se li cheval est dur as esperons, si soit bien esperonnés es cotés, et puis si le frotés bien de pissas de vasche et de sel. Se il saine trop de sanc d'aucune plaie, si liez dessus une ortie griesche batue. 54. De cheval qui est sourbatus : comment hon li doit aidier. 27 - On attendrait ici «estale».
Se li chevaux est sorbatus, si doit estrc ferrés de chaut fer et de chaus clous deliez, et si le fetes ester en son fiens. Se il a plaie, si soit cercié, qu'il n'i ait ne fer n'cscherde, et puis si li emplés d'estoupez de lin o glaire d'euf, et cuire d'un fer chaut entour, et chascun jour emplir la plaie de forment mellé o miel. 55. Comment hon peut cheval guerir de g râpes vives. (fol. l l v ) L'en peut cheval guerir de grapes vives par laver de vin aigre et par oignement fet d'arrement et de viez oint et de vif argent fondu ensemble, puis oindre chascun jour. 56. Comment hom peut plus tostfere venir sole et pié a cheval. L'en peut fere venir sole a cheval plus tost par [...]28 bouli en vin aigre souz une chavate. Et peut l'en a cheval pié fere venir plus tost par metre une cauche plaine de lie de cervoise. 57. De la boce que le cheval a sous la bouche. A la boce que li chevaux a dessous la gueule, prenés de son fiens et de vin aigre et metés par dessus tout chaut et lessiez une nuit et .1. jour. Et se vous la sentés amolier, si la poigniez de l'autre part et amenés la boe au pertuis et le tenés chaut. Item a une autre boce qui semble .II. coillons, qui est dure comme pierre souz la bouche, fendés luy le cuir et puis la getés hors, puis l'emplés de viez oint, et la cousés, et lessiez les chics ouvers, et le tenés chaudement.
58. De cheval qui a les couillons enflés.
28 - Manuscrit effacé
Se le cheval a les couilles enflees, emplastrés les d'oez crus et de farine de fourment et de terre de fouier ars. Et l'estuvés de vermeillez tuiles et l'emplastrés d'oint de tesson et d'encens et de craime de let et d'oint et de faverole et de herbe benoite. Ou vous le sainniez de la grosse vaine entre les cuisses et l'emplastrés de son sanc tout chaut. 59. De cheval qui a la tous. Quant li cheval a la tous, donnés luy boire vin vermeil et arrement li getez en la bouche. 60. Comment l'en peut cheval guerir d'estive et comment la maladie ly (fol. 12) vient et comment hon la connoist. Estive est une maniere d'enfermeté qui croist ou col du cheval auxi comme li estive ne peut estre ploié, quer d'estive retient ceste maladie le non. Et quant li chevaux en est entechiez, il ne peut remuer son col s'a grant paine non. Et si ne peut prendre sa viande de terre se en grant haste non. Il vient de trop grant fés porter sus les espaules et de ce que li nerf retraient. Guerissiez le ainxi : hauciez amont les crins du cheval a vostre main et ardés le col en .VII. lieux d'un instrument comme greffe l'en appele fibulain, si que li nerf n'ait garde. Lessiez entre chascune cuiture une gresle cordelete de lin ou de chanvre et li lessiez .IX. jours. Aucuns font cuitures en la senestre partie, delés le cring, en sommeton du col et en lonc, et si n'i metent pas cordcles més aprés le feu, du quart jour siques au XVe, et29 levent le soumeton du col de eve tiede. 61. Comment l'en peut cheval guerir de tortez de clouz et de bocetes et comment la maladie vient et naist.
29 «et» est ici difficile à comprendre. Quelques mots semblent oubliés.
Tortes sont clouz et boces qui naissent dedens la char desouz le cuir en la maniere de pain que l'en appele tourte dont il retient le non. Il naissent de sanc porri et d'umeurs entre cuir et char et de bleceüre ou se il hinte aveques autre qui ait tourtes30. Guerissiez l'en ainxi : trenchiez le cuir enmi la torte et le despeciez et mouvés d'une esplente. Esprengniez tout hors les humeurs et emplés la plaie de cordeles ou trenchier le cuir parmi la torte devers la terre aval, siques vous vegniez au sanc et getés toute hors la char pourrie et emplés la plaie d'estoupes chascun jour tant que il soit gueris. Més se vous (fol. 12v) cuidiez que la tourte soit meure la ou vous verrés que collections est plus plettive, trenchiez le cuir et esprengniez toute hors la porreture d'ilec, a .VII. Jours le fetes seinier, et du Vlle. jour au .IXe. et du novieme au .XV .. Et guardés que il ne saine pas trop d'une et de l'autre du col. Se maladie d'umeurs vient, ainsi fetes. 62. Défi, comment hon en doit guerir le cheval. Fi est une maladie mole31 collection32 d'umeurs de merveilleuse33 couleur ou de34 bloe. Il croist dehors le cuir sus le poil en la maniere de meure figue dont il a tel non. Il nest de trop de sanc entre cuir et char. Guerissiez le ainxi : se la boce du fi apert grant en la face35 ou en autre membre, prenés i le tacon de cuir, fetes .1. pertuiz emmi et metés le bien contre le fi, prés de la boce et metés argille tenant entre le sain cuir et le tacon, que li sain cuirs n'ait garde et fetes tourtiaux de vert marubre ; petis les fetes et a la maniere de poivre bien triblé, et metés une tieule chaude desus ou .1. fer espés et quant il iert bien chaufez, metés le ainxi et espraingniez bien durement le fi, endementiers que il
30 - Cette dernière cause de la «torte», c'est à dire la contagion, n'est pas citée par Albert Le Grand. 31 - On attend un mot signifiant «mauvais» et non «mole» ici. 32 - L'auteur de la Cirurgie des chevaux semble avoir lu colleclio et non eongelalio dans le texte d'Albert Le Grand. 33 - Le De animalibus signale un mal de couleur rouge, rubicuni. 34 - Ms. «ou de ou de». Le copiste semble oublié quelques mots (mention de la «couleur noire sans poils»). 35 - Le mot «face», s'appliquant à l'anatomie du cheval, est étonnant. Nous préférons la localisation de cette maladie dans le De animalibus : «sur l'encolure» (in collo).
est chaut. Et quant il est touz frois, metés .1. autre et fetez ainxi, siques a tant que li filz ert blans. Ou vous faciez tourteaux de creson de riviere et eschaufés ainxi comme nous avons dit dessus. Aprés le metés au fi ou, se vous pouez mouvoir la boce, trenciez la fors, si que il soit ouel au cuir et lessiez bien yssir tout hors li sanc. Et quant le sanc cessera, si couvrez toute la plaie de deliee chauz et metez .1. fer chaut desus a la mesure de la boce et lessiez ilec siques atant qu'il soit a la saine char. Més se tel maladie (fol. 13) croist sur ners ou sus jointure, ardés le belement que ners ne jointure ne soit empiré. Triblez donc fiente nouvele de buef ovec sablon36 ou fiente de geline et de coulons et liés ilec par .II. jours. Aprés l'oigniez d'oignement petit environ, une fois le jour, ou de miel, siques atant que il soit sains et gueris et gardés qu'il n'entre en eve froide devant .IX. jours37. Més se la boce du fi est lez le costé en .1. sommeton, prenés .1. fil de soie et une queue de poulain qui onques ne hurtast. Cordiés les ensemblez et liés le fi estroit et quant li neu est alaciez, estraingniez le derechief, siques atant que il chiece. Et se li filz rccroist, trenciez le tout hors et fetez .1. ce[r]cle38 d'argille tenant et metez miel chaut dedens le cercle de primez ; metés le cercle dessus le fi et gardés que le miel n'adoint au lieu sain. Et quant ce est refroidié, torchiez hors et metés autres. Més se les racinez du fi sont parfont, fetez le cuire comme nous avons dit devant ; et s'il recroist, fete le sainier selonc sa force et selonc son aage. 63. De la maladie que li cheval a en la langue : comment hon l'en peut guerir et comment la maladie vient. Le mal que le cheval a en la langue vient de viandes pourriez, par quoy li sanc devient corrumpus et fleumatiquez. Quer li foiez trait a luy la gregneur force de sa viande et si le mue en sanc et 36 - Dans la Cirurgie des chevaux, «sablon» est la traduction du mot latin sapo que l'on trouve dans le De animalibus (= savon). En revanche, le copiste écrit bien «savon» dans les autres chapitres (12, 14, 30). 37 - Le De animalibus recommande, au contraire, de laver ensuite la lésion à l'cati froide et de pratiquer une fomentation. 38 - Ms. «cecle»
l'envoie par les voines ; et li sanc des voines court par touz les membres, par quoy li membre sont conforté et nourri. De quoy il avient que boces naissent quant il y a trop grant superfluité de l'umeur des pourriez viandez, par quoy li sanc devient corrumpus qui engendre sanc fleumatique pourri et corrumpu fleume39. Et si (fol. 13v) avient ceste maladie souvent quant .1. cheval est avec .1. autre cheval qui ait mal en la langue, se il est raemplis de cele humeur. Quer saciez que li chevaux ne peut pas attraire maladie d'autre cheval, ja soit ce qu'il hantent ensemble, se il ne sont raempli d'unes humeurs.40 Li signe de la maladie de la langue sont tel : la langue est escorchié et entechié de glentimeus fleume et nercissent les voinez desouz la langue. Et li chiet aucune fois la viande pourrie de la bouche et corrumpes fleumes porris, que l'en apele morve, qui li chiet de la bouche toute morveuse. Et quant ceste humeur li descent aus piés, si ne peut pas bien ester sus les piés s'a poine non. Guerissiez le en tele maniere : raés toute hors la pourreture de la langue et la torceüre de desous et puis triblez .11. cullcrees de suye et une de sel et une de chief d'aux tout ensemble et frotés bien la langue. Et trenchiez parmi .II. vainez desouz la langue. Au quart jour ou au quint le saigniez ou col, selonc sa force, de la vaine moienne. Aucune gent par diverses contrees trenchent demi poUS41 de la langue au commencement de la maladie. Et se ceste maladie descent au pié d'un cheval, au .III. jour ou au .1111., le fetez seinier les .1111 .42 delés l'ongle dehors les piés et dedens. 64. De nerf de cheval quant il est maumis ou poins ou trenchiez : comment hon li peut aidier. Nerf, pour ce qu'il est frois et ses, quant il est trenchiez ou point si le doit l'en garder d'eve froide, quer eve est froide par nature et moiste
39 - Tout ce paragraphe est une reprise du premier chapitre. Toutefois la rédaction est un peu différente. 40 - Albert Le Grand n'évoquait pas la contagion comme cause de cette maladie. 41 - Nous ne savons pas quel sens donner à ce mot. Faut-il comprendre «pons» et non «pous»? Le De animalibus précisait, à cet endroit du texte, la quantité de sang à prélever : une demi once. 42 - Albert Le Grand ne prescrivait cette saignée que sur un seul pied.
et nerf si sont froit et sec43, et pour ce pourroit44 tost li nerf se eve froide yaue noit. Et saciez bien que ce nerf est trenchiés, il ne se (fol. 14) dieut mie plus que se il fust point ou se il fust bleciés de pierre. Pour ce fetes fomentation tout avant a la douleur et la pointure dou nerf d'ieule ou de miel45. Gardés le de pointure ouverte siques atant que la pointure soit hors et que elle en soit bien issue. Se li nerf est bleciez de pierre ou d'autre chose, fetes fomentation de lessive fete de fust et d'eve et aprés frotés le nerf d'aucun chaut oignement. Et se la chair est navree, fetes .1. emplastre de farine d'orge ou de feves ou de miel et de vin tout emsemble bien espés, et metés l'emplastre sus toute la douleur du nerf fetes de racine d'iebles et de briosne et de jus de mauve et de miel et de lis, icest emplastre est bons a toutes douleurs de ners. L'en doit savoir que li ners est trenchiez en lonc ou en claim, l'en peut souder par tele cure : prenés .1. [vers]46 qui naissent que l'en apele nombris et les tri blés aveques .1. peu de miel et les chaufés au feu, et puis metés souvent en la plaie. Se ners ou souris d'espaule est pointe d'esperons ou d'autre chose, raez le poil fort en ront et oigniez le lieu de chaude oille de nois ou de sain de lart. Et fetes emplastre de fuillez d'aluyne et de racines d'yebles ou de boutons et d'oint ou de burre pestelé ensemble. Se il est enflés et il ait longuement esté sans aide, trenciez le cuir enmi l'enfleüre et metés cordelettes47 ens. 65. De cheval qui a les costez enflés des esperons ou de fort cengler.
43 - L'auteur répète ici la première ligne de ce chapitre. 44 - D faut certainement comprendre ce mot comme le conditionnel du verbe «pourrir». 45 - Le De animalibus ajoute la recette d'un emplâtre à appliquer sur la lésion. 46 - Ms. «nerf» 47 - TI est étonnant que l'auteur de la Cirurgie des chevaux traduise zona par «cordelette» alors que le mot «séton», qui désigne normalement cet objet, lui est connu. Toutefois, il faut remarquer que toutes les occurences de ce mot dans le texte (on trouve la forme «seon» dans les chapitres 28, 30, 33, 38, 50) sont situées dans la partie du traité qui n'a pas Albert Le Grand comme source. Dans le chapitre 65 en revanche, il emploie le mot «bende» et dans le chapitre 66 il parle de «ceintures». On peut donc penser que l'auteur a utilisé le mot «seon» lorsqu'il le recopiait, mais qu'il ne savait pas très bien quel instrument ce mot désignait. Notons enfin qu'on trouve, dans certains textes hippiatriques médiévaux, le mot «laz» (par exemple dans la Mareschaucie des chevax de Jordanus Rufus) pour désigner les sétons.
S'cnfleüre des costés avient et48 la pointure des esperons est souvent lavee d'eve froide ou se li chevaux se repose aprés ce que il a travaillié .11. jours ou .111.. Se enflez y vient, fetes fomentation tout (fol. 14v) avant d'yebles ou de livesche, si que l'enfleüre sue. Aprés metés bren de forment en lie de vin ou em bonne cervoise ou en jus d'ortiez griesches49, tant que il soit touz espés. Et puis le chaufés au feu et metés en l'enfleüre .11. bendes ou .111.. Liez sur les costés entre les espaules et le flanc, que la grant vaine du costé ne soit blecié. A la foiz est li costés bleciez dessous la cengle quant li chevaux est trop ferme cenglés ou quant il est point en voine. Et li sans n'en peut issir parce que la pointure est trop petite. Se li enfle vient de pointure et est droite et ronde amont, aprés .V. jours, boutés une aleme de fer chaut50 par dessous ou li enfles fouist, si que vous esprengniez hors toute la mauvese humeur. 66. Comment l'en peut cheval guerir d'estrangueilon et de la touz froide et seiche et comme le mal vient. Estraguelon est une maniere de maladie qui estoupe les voiez de la gorge, par quoy li cheval a lever par les narines, ains a la touz. Et ce vient de pourez viandes et de mauveses, par quoy fleumes et ordures remaint ou corps et ou pis. Ceste maladie vint quant il menjue seiche viande poudreuse ou de frois boivre, se il prent trop en froit temps et aprés n'est pas bien eschaufés et hon le met aprés en l'estable sans couverture ou se il a esté travailliez et aprés n'ait eu que mengier. Ne le fetes pas pour ce sainier siques atant que l'enflume soit meure et materes ne descourent mie, sans touz, de ces narilles siques atant que l'alaine soit saine. Que, se li sans fust estrois, l'umeur ne devendroit pas bien meure et pour la froidure est la deffaillance du sanc. Quer se il n'a mout de sanc ou cheval, pour ce ne le fetes pas sainier siques atant que le (fol. 15) fleume soit bien meure et siques
48 - On attendrait plutôt «Enfleüre des costés avient si la pointure...», 49 - Nous notons quelques différences avec le texte d'Albert Le Grand qui ajoute l'absinthe à l'hièble et à la livèche et qui remplace les «ortiez griesches» par du jus d'hièble et des feuilles de sureau. 50 - Albert Le Grand ne donne pas cette précision.
que la reume lesse a decourir par la bouche et par les narillez sans touz et siques l'alaine yesse comme de saine beste51. Guerissiez le ainsi : prenés escorce d'aune et emplés .1. pot tout plain et metés de l'eve ens tant que l'escorce soit toute couverte. Et quant il est presque tout esbouli, remetés une autre eve et la lessiez bien boulir, siques atant que il soit tout esbouli et puis le coulez et metés autant de sain de lart comme il y a de decoction, et fetes si qu'il y ait une esculee de tout. Et puis levés et liés la teste du cheval amont et jetés tele chose en ses narillez a une cuillier et tenés amont les nanties si que cele liqueres li descende ou chief. Fetes ainxi une fois le jour et li donnés a mengier cresson et autres herbes qui puissent attendrier les humeurs. Se il est yver, senneçon et bren et eve chaude tout mellé ensemble. Se li estrangueillons avient du froit du chief ou de seiche touz, si li donnés par .111. jours joubarbe triblee. Aprés, prenés fuilles et racines d'yebles ou de senneçon ou de mouron triblé ensemble en .1. vaissel et metés tieules chaudes ovec et escume de fer chaut. Aprés metés viez drapeles de lin mouilliez deseure d'estoupes moilliez et metés cest vaissel desous la teste du cheval et couvrés bien la teste que la fumee n'en ysse et se la fumee en saut trop tost, metés .1. peu d'eve ou vessel. Aprés triblés racine d'aune et triblés avec burre sans sel et avec sain. Donc le getés tout ou corps du cheval. Aprés si li fetes a mengier du sençon et de fuilles de mauves et d'eve tout triblé ensemble. Fetez ainxi .II. fois ou .III. le jour. Mout de gent em pluseurs (fol. 15v) contrecs y metent .II. ceintures entour et en lonc et entre les messeles la ou il soit joint au col, siques a la gargate soit bien espurgié. Ainxi le pouez fere si que il y ait .III. doie d'os passé entre .11. lieuz et lessiez illcques siques atant que ly estranguelons soit gueris. 67. De diverses manierez de ranches qui naissent en pluseurs chevaux et comment l'en connoist la maladie par divers signez qui y aperent et de divers emplastres par quoy l'en les peut guérir.
51 - Ces trois dernières lignes semblent répéter les trois premières lignes de ce chapitre. En revanche, l'auteur omet deux paragraphes du De animalibus.
Rancles est uns grans enflez de rouge couleur qui pourprent le cuir et la char et parfont avec grant chaleur et grant debatation. Ceste maladie vient a la fiee de plaie, a la fiee de pointure de nerf, a la fiee de blecheüre de dos ou de costé et a la foiz sans achoison. Guerissiez le par emplastrez que nous vous deviserons cy enprés. Qu'il facent sechier le rancle quer la maladie vicnt et nest de sanglantes humeurs qui aqueurent au lieu blecié. Et li lieuz est febles qui ne peut oster les humeurs de luy ne ne fet nient et si en avient rancles ou autres enfleüres selonc la qualité de Tumeur qui plus a signourié en la beste. Tout avient connoistre la cause de la maladie, quer quant la maladie croist, il est pariceuz quant il n'a déclin et mesmement a s'enfles. Quer enfles vient par diversez maladies en divers membres et pour ce viennent souvent griés choses et perilleusez em membres, se l'en n'i met ententive cure. Si couvient le cheval sainier par trop grant superfluité de sanc. Se la maladie est de destre partie en bas, fetes le sainier en la senestre en haut et s'il est malades en la senestre partie en bas, fetez le sainier en la destre en haut. Se la ma-(fol. 16 )-ladie est parfecte en déclin, fetes le sainier du plus procein membre de cele maladie. Se ce est en la cuisse ou en genoil, fetes le sainier si enflez est selonc le temps. Quant la douleur et la chaleur iert alee52, si le fetes sainier et fere gregnour plaie quant li chevaux est chaus et quant il est frois. Et metés cest emplastre sus toutes groisses de rancle et de toutes douleurs et sus toutes arsures de fer et sus tous chaus enfles et durs en froideur et a amolier : prenez seneçon et mouron53 et aluyne de chascun yveement et le destrempés du moiau d'euf et de [sain]54 autant de l'un comme de l'autre et y metez .1. peu de deliee farine d'orge ou d'avoine et le metés ainsi en l'enfleüre, en yver chaut, en esté froit derechief. Ves ci emplastre a oster rancle de quel achoison qu'il viegne : prenés .III. mesures55 de jus d'ache et .11. de vin et une de viez oint netoié de sel. Ostés en ainxi le sel : fondés l'oint en .1. vaissel, et puis le coulez et le lessiez froidir, si trouverés le sel au fons, et demie
52 - Albert Le Grand développe longuement cette phrase. 53 - Le De animalibus ne prescrit qu'une seule plante : l'absinthte (=aluyne). 54 - Ms. «sanc». L'auteur a lu sanguinis (= sang) et non sagiminii (= graisse) dans le De animalibus. 55 - Albert Le Grand ne prescrit que deux mesures d'ache.
mesure56 de cru miel et mellez tout ensemble et metés fleur de forment ovec tant que il soit espés et le metés chaut au rancle et froit a l'enfle. Item emplastre a perdre raancle sans plaier le cuir dehors : minciez porions bien deliez, més atournés les avant comme pour mengier, et puis les friés en suif et les liés tous chaus en l'enfle. Item emplastre pour oster enfle la ou li cuirs est entiers, et si guerist de rancle : pren[é]s57 .11. mesures de fiente de mouton qui onques ne fu lavés et .111. mesures de jus de benoite58 et oes cruz et une mesure de noir (fol. 16v) sain de mouton et une mesure de fleur de forment ou de ceigle, et mellés toutes ces choses ensemble et les cuisiez en feu et les liés et les tenés au mal. 68. Comment hom peut cheval guerir de chancre. Se chancre mengue ou milieu le cuir ovec la char, il est de bloie59 couleur, quer il vient de noir sanc et de espés. Guerissiez le ainxi : se il menjue la levre du cheval, fetez semence de chanvre chaude et seche, puis en fetes poudre bien deliee, et puis les portés sus le chancre .11. fois le jour, siques atant que i soit gueris. Et gardés que eve n'i atouche. Fetes le sainier de la senestre partie du col. 69. Comment hon peut cheval guerir de seno norma. Senos morma est dite pour ce que a trop habundance d'umeurs es rains, si que li cheval a les rains perduz et en chiet a la fois auxi comme de goute. Et ceste maladie vient au cuer ; li chenin est dedenz .11. heures de jour. Ceste maladie vient plus en chaut temps que en froit, dont venci la cure : Trenciez les grosses voines entre les cuisses et la voine qui est dessous la queue a .III. doie de la nache et en lessiez courre assés de 56 - Albert Le Grand prescrit deux mesures de miel. 57 - Ms. «prene» 58 - Les mesures sont inversées dans le De animalibus : trois mesures de fumier de mouton pour deux mesures de jus de benoîte. 59 - L'adjectif «bloie» semble désigner une couleur très sombre.
sanc courre des nachez ; et le lessiez sainier siques atant que il deffaille. Et fetes cete se il a les rains febles aprés la sainee. Fetez li .11. cuitures parmi les rains et metés cerfuil triblé avec sain60 dessus la cuiture ne pere sans poil. 70. Comment hon peut cheval guerir de cor. Cor est appelé pour ce que li cuirs endurcist en la char dessus le dos ou pour ce que la char qui fu blecié devant endurcist (fol. 17). Ceste maladie avient quant li chevaux est bleciez de trop grant fés porter et enflez et devant ce que l'enfleüre soit racise pour ce il61 aucun grief fés, et si avient a la fois quant li dos est bleciez et escorciez et il n'est mie persanez quant hon le chevauche, et il a le dos moiste et chaut par grant travail. Lors le doit hon lessier en l'estable o toute la scie sans esterdre sa sueur, siques atant que li dos soit tout frois, et le doit pourmener tout ainxi o toute la sele. Saciez que ceste maladie vient a la fois quant li poil du dos est trop lonc et il est aunés par sueur par floceaux Ions ou d'aucune dure chose se ele est entre le panel et le dos ou se li chevaux est chargiez en tele maniere que li fez pende plus d'une partie que d'autre. Més se le cor avient et draonclez porprent le dos et les costés, pour la douleur li chevaux meurt ains que la maladie soit guerie, ou il eschape a poine. Guerissiez le en tele manière : raez tout hors le poil entour l'enfleüre ou entour le col. Se l'enfleüre est sans pertuiz et sans rancle, fetes unes petites jarses et mesmement parfondes, que li mauvés sanc en puist issir. Se l'enfleüre est de grant temps, fetes fomentation d'eve chaude .11. heures en laquele rue62 ou mouron ait esté cuis, si que li espés s'en
60 - Ms. «de mouton» exponctué. 61 - On attend un verbe ici... 62 - Le De animalibus ne prescrit pas de la rue ici, mais de l'ache.
soit atennoiez, ains que l'en y fierge jarsé. Aprés pestclez huile63 et aipe et foilliez de sain64 tout ensemble et le liez65 tout chaut au mal66. Forés le cor en divers lieux d'un fer chaut delié, aprés prenés .1. gros drap de chanvre ou de lin .11. doie plus que li cors n'est grans et le metés sus et prenés petites piecetes de lart et les tenés toutes (fol. 17v) ardans dessus le cor siquez atant que il puist estre esraciez.67 Item prenés limachons ovec le coquilez et les tri blés ensemble et les metés sus le cor. Quant li cor est tout degastés, emplés tout plain d'estoupes de chanvre ou de lin hachiez .1. peu une fois, siques atant que il soit guéris. 71. De morte char em plaie, comment hon en peut le cheval guerir et comment hon congnoit la maladie. Morte char a plaie68 se elle targe trop a guerir ou se l'en y met mauveise cure. L'en connoist ainxi : la char est plus haute que li cuir et si ne resemble mie la bonne char. Et quant l'en atouche, li chevaux ne le sent pas. Guerissiez le ainxi : se la morte char sormonte le cuir ou se elle est trop dure, trenciez tout hors siques au vif, se vaine ou nerf ne le descoupe69. Aprés lardés .1. pOU70 et metés sus nouvele fiente de beuf ou estoupez moilliez en aubun d'euf. Ou vous ostés ainxi morte char de plaie sans fer : prenés .111. parties de vive chaus et .11. de coquilles d'oistres et une de sel et une de corne de beuf, et triblés tout ensemble et destrempés de forte lessive ou d'orine d'omme et formés en maniéré de pain et cuisiez ou 63 - Nous avons lu ici «huile», mais le De animalibus comporte le mot ebulo qui signifie hièble. La graphie très proche de ces deux mots peut expliquer une confusion. Toutefois le copiste de la Cirurgie des chevaux orthographie cette plante «ieule» dans le chapitre 64 et «ieble» dans le chapitre 73. 64 - Il s'agit certainement d'une mauvaise lecture de «feuilles de sureau» (cf. De animalibus). Toutefois Albert Le Grand ajoute deux ingrédients qui sont omis ici : de la graisse (= «sain») et du vin. 65 - le manuscrit ajoutait «tout ensemble», mais ces deux mots sont rayés. 66 - Albert Le Grand ajoute un autre remède. 67 - Les explications pour la préparation et l'application du remède sont ici moins développées que dans le De animalibus. 68 - On attendrait «plaie a morte char» si, comme nous le pensons, la «morte chair» désigne la gangrène, c'est à dire une complication d'une plaie. 69 - Le De animalibus ajoute une prescription : appliquer de l'ortie grecque. 70 - Le De animalibus ajoute qu'il faut y déposer de la salive.
four ou en une astre et en fetez poudre et le metez tout chaut sus la morte char une fois le jour. Et se bonne char apert en la moitié de la plaie, metés de cele part estoupes moilliez en salive. Et sus la morte char, metés la poudre siques a ce que elle soit toute degastee. Aprés y metés estoupes moilliez en sain ou em burre, siques atant que la bonne char soit toute ounie au cuir. Donc le persanés de cele poudre que je vous diray ci aprés : (fol. 18) Prenez cuir71 de cheval ou os de la cuisse du costé et corne de cerf ou de mouton et les trenceüres de sollers de chis les sueurs, et triblez tout chascun par soy et prenés de chascune poudre yveement et mellez tout ensemble et le gardés a votre usage. Mout de gent em pluseurs contrees prennent poudre de poulieul sauvage72 ou d'escorche de chene et li metent. Mes quant il couvient le cheval fere sa journee, si lavez le bleciés de vin chaut ou d'orine ou d'eve mout bien salee73. Aprés metés vos choses dessus dites. Item en autre maniere bon emplastre pour oster mauvese char : prenés aubun d'euf et vis sablon74 et destrempés tout ensemble tant qu'il soit bien espés et puis metés sus la mauvese char. 72. Comment hon guerist cheval defarsin et comment il vient. Farsins vient et nest de trop grant humectation et de replettion d'umeurs, et de trop de sanc plain de reume qui est yssus hors de vaines, et si est maladie qui est enloié et l'apelent aucun le verm pour ce qu'il fet pertuis en la char et ou cuir pour Tumeur pourrie qui s'en ist. Et si vient a la fois grans chans ou de plaie s'elle n'est pas guerie en .11. mois. Si croist en crueulz lieus, si comme enconstre les costes et encontre les espaules. Et vient a la fois quant .1. cheval hinte o .1. autre qui ait farsin, pour quoy l'en doit bien garder a la cure, quer la cure est mout grief a pourvoir quer elle croist aucune fois en lieus 71 - omis dans le De animalibus. 72 - Albert Le Grand prescrit une plante qu'il nomme origan (origanum) mais qui peut correspondre au «poulieul sauvage» (voir note 21 du De animalibus). 73 - Albert Le Grand propose encore d'autres substances. 74 - Nous avons déjà mentionné le fait que l'auteur de la Cirurgie des chevaux traduit sapo par «sablon» et non «savon». En outre il omet ici de citer la chaux vive prescrite par le De animalibus.
plains de ners et a la fois en jointure et a la fois es tuez des os et a la fois en charnel lieu. Se l'enfermetez est en la partie devant, c'est par sour-(fol. 18v)habundance de sanc, donc devés fere sainier de la vaine du col. S'elle est en la cuisse ou en la jambe, sainiez le dou pié75. Prenés .111. poigniez de galiofile et .III. de plantain et .111. d'esgremoine76, et triblez tout ensemble ovec .1. pou d'eve, et puis le fctez engloutir au cheval. Aprés prenés racine de maule et de galiofile ouelment et tri blés tout ensemble avec .1. peu de sablon ou aveques miel et metés sus touz les pertuis du farsin. Més reés avant le poil. Ou vous prenés poudre de ch[aus]17 ou arrement ars et vis sablon et .1. peu de miel et le metés es pertuis, et fetes ainxi au matin et au soir siques atant que la maladie soit toute seche. Se li pertuis sont trop estroit, eslargissiez les un peu a .1. raseur et donnés au cheval endementieres feurre d'orge ou de fourment ou fain, et le gardés d'avaine ou d'eve. Et se la ma[ladie]78 n'est mie es espaules ne es ners ne es creuz des os des musciaux, mes en charnel lieu, trenchiez le cuir en lonc d'un rasour si que li farsins soit tout descouvers siques au fons. Ce vaut mielx que metre emplastre dehors. Aprés ardés le lieu d'un chaut fer, puis fetes .1. emplastre de farine d'orge ou de seigle ou d'aubun d'euf et d'esgremoigne ou de porions et de sanemonde triblés tout ensemble, et le metés sus. Ou vous bourrez et emplés touz les pertuis de poudre de soufre vif79 siques au fons. Et puis boutés une alerne chaude parmi siques au fons du pertuiz. 73. Au cheval qui ne masche pas bien sa viande. Se li chevaux menjue orge ou aucun dur blé et il l'avale sans (fol. 19) maschier et il emple trop son ventre, sacicz que la naturel charneüre du ventre ne peut pas bien joi'r a sa volonté pour ce qu'il y 75 - Cette phrase est omise dans l'édition moderne du De animalibus. 76 - Le De animalibus ajoute une poignée de racine de raifort. 77 - Ms. «chevaus» 78 - Ms. «madie» 79 - L'auteur de la Cirurgie des chevaux a vraisemblablement mal lu le De animalibus qui prescrit de la «bouillie de son» (furfuris pulte) à la place de «poudre de soufre vif».
[en a] trop80. C'est li signe : le cheval ne peut tenir son chief amont, ains l'estent ensus luy et si couvoite mout le boivre. Et pour ce doit hon donner son cheval a mengier aucune viande par .11. eures de jour, ainciez que il le lessent boire. Aprés doit hon espandre en son auge grains de bonne avoine .VI. fois ou .VII.81 pour ce que il em prenge pou ensemble, siques atant que il ait apris a bien machier. Et se li blés est trop durs, l'en le doit amoistir bien .III. fois ou .1111.. Et ves en ci la cure : gardés le de boivre siques atant que il ait establé et alé hors quer, se il n'est gardé, il iert estains de la grant enfle double et de l'umidité de l'eve, auxi comme li jons de la pree estaint quant il a trop huile82 ou il en chiera en moison. Et se il a longuement, il est estains ou il iert enfondus. Se il ne travaille trop aprés le boivre et s'il ne va mie hors ne n'estale au premier jour ne au segont, prenés .II. partiez de tendres racines d'iebles et une de flambe et une de mauves, et les cuisiez en eve, et puis le coulés, et en donnés a boire au cheval plain henap. Et le fetes .1. peu travaillier aprés, tant que il soit eschaufés, et aprés le couvrés. Et se il n'avient hors dedens .VI. heures, si li donnez une autre henapee de cele coction. Pluseurs par diverses contrees en font traire le grain hors parmi le fondement au premier jour. 74. Comment hon peut cheval aidier des vers qui li nessent ou ventre. Vers naissent a la fois ou ventre du cheval (fol. 19v) : il se deteint tout et se demaine ses costés et si s'efforce mout de grater son ventre des piés derriere. Son poil est mout hericiez et si est plus grelez qu'il ne seut estre. Et se n'en ne le guerist devant ce qu'il ait foré les bouiaux et les entrailles, il eschapera a poines ou jamés. Il viennent par deffaute de boire et de mauveses viandes. Prenés vous en garde en icele manière : prenés toutes les entrailles d'une jeune geline et les getés toutes entieres en la gorge du
80 - Ms. «il y en n'i a trop» 81 - Le De animalibus recommandait de donner cette nourriture en deux ou trois fois. 82 - Cette comparaison, absente du De animalibus, ne paraît pas très claire.
cheva[I]83 et fetes ainxi .111. jours par chascun matin. Et si ne le lessiez mengier ne boire devant nonne de jour se peu non.84 Item metés .III. poigniés ou .1111. de seigle en eve par une heure. Aprés metés en lieu ou vent ne puisse venir, siques atant que il soit bien guemé. Aprés le sechiez a l'air et en metés chascun jour plain poig devant le cheval a geun siques a .1111. jours. 75. De cheval qui ne peut estaler, comment hom li doit aidier. Quant li chevaux ne peut estaler ne pissier, il est sechiez et s'il n'est pas si haitiez comment il seut et quant enfles apert ou flanc, il demonstre puis il demort. Et ce vient a la fois quant li cheval va trop longuement aprés ce que il a talent d'estaler ou de grant froit après chaut. Guerissiez le en tele maniere : prenés une poignié de glageus85 et une d'iebles et une d'eigremoine et une d'ache et une de cerfuil, et cuisiez tout ce en eve de fontaine. Aprés le coulés et en gités .11. henapees ou .111. en la gorge du cheval. Aprés le menés aus champs tant que il sue, puis le frotés mout bien entre les flans, puis le menés en aucun (fol. 20) lieu ou li cheval souloit estaler bien couvert. S'il n'estale mie dedens .111. eurez ou .1111. fetes si comme nous avons [dit]86 devant siques atant que il estale. Puis le fetes pestre en .1. pré ou delés une fontaine. Pluseurs gent em pluseurs lieux le font sainnier en la vaine de la cuisse87 dedens de tant comme li chevaux est plus viez88 tant s'estent il plus quant il est establé, donc il ne doit pas tost courre après que ners ne autre chose n'isse de son propre lieu. 76. Comment hon peut cheval guerir de gratele et comment la maladie vient et a quoy hon la connoist. 83 - Ms. «cheva» 84 - Albert Le Grand prescrit deux remèdes qui ne se trouvent pas dans la Cirurgie des chevaux. 85 - «glageus» désigne certainement ici l'iris faux-acore, plante souvent confondue avec l'acore vraie au Moyen Age, plante que cite Albert Le Grand (voir Tony Hunt, Plant Names of Médiéval England, op. cit., p. 6 ; Platéarius, Le livre des simples médecines, op. cit., p. 332 et 345). 86 ms. om. «dit» 87 - Cette thérapeutique n'est pas mentionnée par Albert Le Grand. 88 - Le mot «viez» semble traduire vetuslatis alors que le De animalibus comporte vaeuilalis.
Gratele est une enfermetés ; quant li cheval l'a il se delite mout de grater des dens et si veut tosjours ester. Ceste maladie vient de porri sanc brulé et mesmement quant li cheval travaille a pou de menger et a peu de viande et a peu de boire et grosist de sanc en meigrece. Et si n'est pas bien conreez aprés grant travail et grant sueur, et si vient souvent de trop grant froit aprés grant chaut. Gratele fet au commencement bocetes ou cou, delés les crins89. Et le poil chiet en divers lieus, et se n'en n'i met hastivement conseil, il meurt en roigne et vés en ci la cure : Sainniez le au commencement de la maladie, cest signe de trop grant sanc li aperent, et puis frotés toutes les grateüres du sanc90. Aprés le .111. jour de la semaine, le lavés de chaude lescive fete d'une poignié de flameichez d'orge et de vin aigre et de benoite et boutons d'yebles avec et d'un pou de sel91. Et gratés tous les lieus d'une estrille durement, et le lavés bien de celle lessive. Lendemain l'oigniez de cest (fol. 20v) oignement : prenés la racine de la rouge parele, de benoite et les cuisiez en forte cervoise ou en eve de mer siques atant que eles soient moles. Aprés getés hors le durelon dedens et sechiez le remenant, puis le pestclés oveques oint et en oigniez le cheval ou au feu ou au soleil. Item a grateüre et que li chevaux ne se menjue : triblez aluisne92 et creson et sain93 ensemble et le frotés bien d'iceu. 77. Comment hon doit cheval guerir de roigne. Roigne est une enfermetés qui naist ou cuir de la beste et si se forment auxi comme les eschardes de poisson. Y cele maladie vient d'abundance de pourri sanc ou d'autre cheval roigneus quant il menjuent ensemble, ou quant il se frotent d'une meismez chose, ou se il atrait souvent l'alaine d'un malade cheval.
89 - Le De animalibus comporte le mot carnem (= chair) et non crinem (= crins), ce qui est moins satisfaisant pour le sens.. 90 - A la lecture du De animalibus, on attend «de sain» (= graisse) et non «du sang», puisque le texte latin comporte sagimine calido. 91 - Le texte de la Cirurgie des chevaux ne reproduit pas l'intégralité des substances ni toutes les explications présentes dans le De animalibus. 92 - Le De animalibus prescrit, à la place de l'absinthe, du «marrubc rouge» (voir note 34 de la traduction de De animalibus). 93 - Nous avons lu «sain», mais Le De animalibus prescrit de la «suie» (fuligine).
Guerissiez le en tele maniere : se li cheval est fort94, si le sainniez et frotés la roigne d'une estrille, siques atant que li sans en ysse. Aprés le lavés de ceste lessive : Prenés .111. parties de cendre de fresne et .II. de feves et une de chaux et eve et en fetes lessive tant fort qu'ele port .1. euf amont en flotant o une grosse aguille95. Et garde que ceste lessive n'atouche au lieus sains. Et quant ce est bien sec, oigniez le de cest oignement. Vous prendrés de la poudre de souffre vif, alun, ellebor noir de chascun demie livre96, poudre de racine d'ortie97, pas de cheval, vif argent de chascun .III. onces, viez oint .III. livres98. Confisiez le ainxi : triblés vif argent o .1. peu d'oint siques atant que le vif argent perde sa couleur. Aprés ce, metés toutez ces poudres ovec oint et mellés tout ensemble et le gardés bien a vostre usage. Item fetes (fol. 21) ceste huile a roigne: prenés la menue escorce99 de boul et la detrenciez bien menue et en emplés .1. neuf pot et y fetes .III. pertuis petis d'une aleme ou fons. Et prends .1. neuf pot ploinne dedens, si l'enfoués en terre siques a la bouche, et puis metés le pot pertuisé par dessus celuy, si que il soit bien fermé. Et puis metés une tuille pesant dessus, et aprés prenés .II. partiez d'argille tenable et la tierce de fiente de cheval. Et puis triblez tout ensemble et engluez tout ensemble les pos si que la flambe ne puisse entrer ne fumee n'en puisse issir. Et puis fetes .1. grant feu de charbon tout entour et de seiche buche. Quant li feus iert tout ars, si ostés l'ui!e de terre et en oigniez le cheval tout chaut ou de feutre ou de drap lange. Li poil de la queue du cheval chiet100 se il a trop sanc et se il travaille trop ains que il soit sannez, et de grans debatemens de nachez dessouz la queue. Ice vient de grateüre. Et se cele chose vient, fetes la cure que nous vous avons dit devant. Et le fetes sainier de la vaine desous la queue, se la queue poile tant seulement. Si le fendés devers
94 - Dans le De animalibus, c'est la maladie qui est «forte» et non le cheval. 95 - Nous avons lu «aguille», mais le sens à donner à cette expression n'est pas clair et le De animalibus comporte in filo. 96 - «une livre et demie» dans le De animalibus. 97 - Cette plante n'est pas mentionnée dans le De animalibus. 98 - «livres» sous-entendu. 99 - Le De animalibus explique ce qu'est cette «menue escorce». 100 - L'ensemble de ce paragraphe ne fait pas partie de l'édition du De animalibus réalisée par Stadler. A la place, ce texte comporte un autre remède.
les n a c h e s e n l o n c , s i q u e s atant q u e v o u s v i e n g i e z au quarreneu101, et g e t é s t o u t e n v o i e . A p r é s le c u i s i e z .
78. C o m m e n t h o n d o i t c h e v a l g u e r i r d e tout s o u r o s viel et nouvel. [ S o r o s ] 1 0 2 c r o i s t a l a f o i s e s c u i s s e z a l a f o i s e s j o i n t u r e s , si q u e h o m n e l e p e u t r e m o u v o i r d e l a m a i n , il c r o i s t d e g r a n t b l e c e ü r e d e d o z e t a m e i g r e s m e m b r e s . S e li s o r o s v i e n t e n n e r s o u e n j o i n t u r e s , il n e p e u t f l e c h i r l e m e m b r e d o n t c o u v i e n t il q u e li c h e v a l c l o c e d e c e l e p a r t e t si j i u i s s e s o u v e n t (fol. 2 1 v ) p o u r l a f e b l e ü r e d e s j o i n t u r e s e t p o u r c e q u e li n e r f f u s t roide103. G u e r i s s i e z l ' e n e n t e l e m a n i e r e : r a e z t o u t h o r s le p o i l e t l ' o i g n i e z s o u v e n t d ' o i g n e m e n t p e n t h a m e n o n et le frotés bien s o u v e n t et m e t é s sus ; u n tablel face v e n i r l ' o i g n e m e n t au soros. F e t e s e n t e l e m a n i e r e p e n t h a m e n o n : p r e n é s .111. p a r t i e s d e v i e z o i n t d e g r e s s e d e c e n g l i e r 1 0 4 , d e s a i n d ' u e s .11. p a r t i e s . S a i n d'euls est ainxi fet : cuisiez les oes durs et triblés les m o i e u x e n u n e p o i a l l e d e fer, et les m e t é s cuire au feu et les m o v e z adés qu'il n ' e r d e n t a l a p o u a i l l e s i q u e s a t a n t q u e li s a i n q u e u r e a u n e p a r t . R e c u i l l i e z t o u t v o s t r e s a i n , e t p u i s p r e n é s .11. p a r t i e s d e m i e l e t u n e d e v i r g e c i r e e t u n e p a r t i e d e p u r e g o u t e d e p o i z r e s i n e e t .V. p a r t i e s d ' u i l e d e lorier. H u i l e d e l o r i e r e s t a i n x i f e t e : t r i b l é s b a q u e d e l o r i e r d e l i é e t le c u i s i e z l o n g u e m e n t e n e v e . A p r é s l e p r e n g n i é s fort p a r .1. d r a p e l g r o s , e t p u i s l e s s i e z r e f r o i d i r , e t q u a n t il e s t r e f r o i d i z p r e n é s l e g r a s q u i noera par dessus. P r e n é s t o u t e s c e s c h o s e s q u e j e v o s ai d i t d e v a n t e t m e t e z s u s le feu. E t q u a n t elles s e r o n t r e m i s e s , o i g n i e z ent les ners touz et le soros de cest o i g n e m e n t et m e s m e m e n t c e l u y qui est es jointures, la o u l'en ne loe m i e feu ne fer ne trop corrosist emplastre.
101 - Nous transcrivons ce que nous avons lu («quarre neu» ou «quarreneu»), mais nous n'avons pas compris avec certitude le sens de ce mot. Il pourrait s'agir d'une graphie pour «quaregnon», mesure correspondant à environ 12,5 litres, mais la quantité de sang à ponctionner paraît trop importante (le cheval actuel possède entre 30 et 40 litres de sang, dont la moitié seulement circule dans les vaisseaux). 102 - Ms. «se os» 103 - Le De animalibus développe beaucoup plus la description des symptômes du suros. 104 - Le De animalibus prescrit, à la place de cet ingrédient, de la «vieille récolte d'ache»!
Iteml05 prenés .11. parties de nete chauz et une de fort sablon106 et une de sel et triblez tout ensemble. Aprés oigniez bien .1. tacon de soller et y metés la poudre et le liés tout chaut .1. jour et une nuit au souros. Més tout avant le raés bien et jarsés em pluseurs lieuz et li metez .1. tacon de cuir a la quantité du souros, que la poudre ne puist blecier le lieu sain .1. jour et .1. nuit. (fol. 22) Aprés l'oigniez de chaut miel et souvent ou d'aucun oignement. Item, quant il sera rés et tresparciez de l'aleme, si le frotés souvent d'un baston de coudre vert dont l'escorce soit ostec. Et puis metés sus .1. chaut emplastre de moieuz d'oes cuis durs, .II. fois le jour siques a .11. jours, ou d'uille d'olive et de chaux vive107 et n'obliés pas le tacon. Ou vous y metés roue de grosse racine de rafle bien eschaufés sus tieule. Item108 prenés une honce de vert de grice et autant de blanc encens, la tierce de charbon de chesne et oint de porc ensemble triblé et qu'il ne touche au cuir sain et lessier nuit et jour et puis l'oigniez de chaut miel. Item soros emplastré de vert de grice et de fresne, et de savon, de l'un comme de l'autre et n'i soit que .1. jour et une nuit. Item soros cuit : bouilliez ensemble aisil et vert de grice et arrement et fetes emplastre et metés sus et lessiez jour et nuit et puis le lavés de bon vin aigre. Et le gardés d'evel09, que li cheval n'entre a la fois en froide eve siques au genoul et si ne le lesse l'en pas encore quant il en est hors, par quoi il pert son cors110 siques atant que il soit eschaufés, quer li nerf des cuissez et des jambes retraient par froit eve et en enroidissent, siques a ce que il soit eschaufé. Pour ce doit il pou entrer en eve en iver et nient en esté. 79. Comment mules viennent et comment hon les peut guerir.
105 - Albert Le Grand prescrit un autre remède avant celui-ci. 106 - = savon 107 - Ces deux dernières lignes ne se trouvent pas dans le De animalibus. 108 - Ce remède et le suivant ne se trouvent pas dans le De animalibus. 109 - tout ce paragraphe est placé, dans le De animalibus, à la fin du chapitre concemant l'atteinte (attactus). 110 - Ms. «corps»
Mules croissent en froit temps, prés de la jointure qui est dessous la jambe, de trop sanc fleumatique quant li cheval euvre mout par froit temps et mauvese voie, et aprés est menés en l'estable a ors piez et se met par nuit a nue terre dessus pierrez (fol. 22v) ou il a mout peu de litiere, dont avalent les humeurs es piez par la grant travail, endementieres que il est chaut. Et les humeurs avalent es jointes dessous la jambe, si que la jambe siques a l'ongle enfle ; si est le poil adés hericié. En yver apert li enfles et en esté, et en gain se ratapist se la maladie n'est mout vielle, més adonc les connoist l'en ainxi : le poil qui est entre la premiere jointeüre et l'ongle est amont et est autrexi roides comme saie de porc. Et vez ici la cure : raez tout hors le poil des jambes, et jarsés la jambe en divers lieux entre l'ongle et le genoul, si que vous trenciez seulement le cuir ; més il couvient avant que il soit jarsés et chaufer la jambe en eve tiede, si que les humeurs attendrissent. Aprés prenés une mesure111 de vive chauz et .11. de sel et .II. de farine d'orge ou de seigle deliee112. Triblez tout ce a vin ou a aisil, et metés cest emplastre tiede dessus toute la douleur. Et se les mules sont mout envielliez, dont sont elles sechiez113 dessous la jointeüre derriere le pié, et l'umeur ist hors auxi comme gomme d'arbre, guerissiez-le en tele manière : fendés luy le cuir envers le genoul et levés amont .1. nerf que vous trouverez a la mesure d'un grain d'orge d'un greffe de fust, et le traiez hors a la longueur de .11. pois, et le trenchiez tout hors. Aprés, prenés aluine ou ape et racine d'ieble et viez oint et estoupes et triblez tout ensemble, et liez l'emplastre chaut en la plaie et a l'enfleure. 80. Comment hom peut cheval guerir d'espavain et comment il vient. L'espavains vient de bleceüre d'aucune chose dure derriere le pié ou (fol. 23) talon sans enfleüre de jambe et si put, et si en ist puans humeurs, quer la douleur amaine reume et pour ce les derraines partiez 111 - deux mesures dans le De animalibus. 112 - Au lieu de farine d'orge ou de seigle, Albert Le Grand prescrit de la farine de seigle et de la suie (trois mesures). 113 - L'auteur de la Cirurgie des chevaux a lu siecari (de siccare - sécher) au lieu de secari (de secare - couper, fendre) dans le De animalibus.
qui sont plainez de reume ont mestier de froidez choses et de sechez, ou de seichez et de moites. Guerissiez le ainxi : prenés une cuilleree de miel et .111. de suie et ireingniez ou boutons d'ortiez et triblés toutes ces choses ensemble. Et puis les liez toutes chaudes a l'espavain siques atant que la reume seiche et soit sechié. Ou prenés chaude fiente d'omme ou de chien et les liés par .III. jours une foiz le jour et gardés bien endementieres que hon114 n'atouche a la maladie. Ou vous prenés une cuilleree de poudre d'arrement et .II. moiaux d'euz et .III. porions et triblez tout ensemble et puis le metés sus l'espavain1l5. 81. De cheval qui est enfondu : comment hon li doit aider et comment le mal vient. D'enfonture de cheval quant il va trop, aprés ce qu'il a mengié trop dur blé, et puis boit trop ains que sa viande soit cuite, mais saciez se il va hors et il estale, sa viande est cuite. Item il est enfondus se il menjue blé et boit devant s'autre viande, aprés grant travail, a geun, quant il a grant fain et il avale mauvesement oncquez son morsel. Pour ce, si metent aucuns aprés grant travail .1. peu de grain devant le cheval et aprés en y metent plus et plus. Item li cheval est enfondus se il boit aprés mout grant travail en tant que il a chaut, quer la grant charge eschaufe le corps et merle le sanc et les humeurs ensemble et l'eve se mesle ovec, pour ce (fol. 23v) que li cheval a grans vainnes et larges et espongieuse char. Et se ce descent es piez, il est enfondus ; se il va entre cuir et char, grateüre en vient. Pour ce couvient chascune beste eschiver que elle ne boive pas trop aprés grant travail, se il n'est reposés aprés l'espasse d'une heure. Enfonture est cogneüe en tele maniere : Le cheval va auxi comme s'il alast sus charbons ardans, et quant il est cois li pié li tremblent et il n'este selon sa coustume, més auxi comme se il fust contrais ; il veult tosjours gesir ; quant il trait avant par le frain, a poine peut il lever ses piez deriiere. 114 - On attend «eau», cf. lat. humectatio. 115 - Le De animalibus ajoute deux autres remèdes.
Vés en ci la cure : le premier jour, triblez gaude oveques .1. pou d'eve et en donnés au cheval a boire plain hanap. Se il n'est pas gueris lendemain, si le seinniez du col tant que il ne puisse par febleice ester. Endementieres que il saine, le fetez ester en eve froide siques au ventre par matin et au vespre par .111. heures. Et gardés qu'il ne menjuce de ces .111. jours de blé ne ne boive, més menjuce feure ou fain bien moillié d'eve, et metés le cheval toute nuit en froit lieu. Au quart jour meslez bren de fourment en eve chaude et en donnez au cheval a boire petit a petit. Et se il n'est pas bien aidés dedens le .111. jour ou le .1111. et le .V., fetes le sainier de .11. higues entre l'ieul et la joe en esclan. Endementieres que il saine, loier le chief prés de terre ; aprés li fetes par .111. jours ceu que nous avons dit devant. Et chascun jour, quant il vendra de l'eve, si li fcrés itele charre : prenés flameiches d'orge et en fetes feble lessive, (fol. 24) aprés mellez cendre de buche aveques, si que il soient meinement espés. Aprés fetez deliees torchez de fain moilliez en la charree et liés les piez du cheval [prés]116 l'ongle siques au genou .1. peu estroit, et metés de la charree entre les torchez et la jambe et en mouilliez bien les torches. Se l'enfonture vient en froit temps, donc le metés une fois le jour en froide eve. Quant l'enfonture est avalee par .111. jours ou par .1111., fetez le sainier des vainez dessous les ongles des piez. 82. De cheval qui [a] corbeul. Comment hon li peut aidier. Corbe est une dure enfleüre plus longue que lee en la jambe derriere prés du genoul et si croist a la fois dessous la jointure. Elle vient de hleceüre ou de coup de pierre. Vés ci la cure : raés hors le poil et jarsés toute l'enflcüre en mout de lieus et de parfondes plaies, sagement que vous ne bleciez les ners. Et les frotés bien d'un bastonnet de coudre vert, aprés levés le cuir amont d'un delié fer courbe et d'un gros fil et aprés le frotés d'un fort sablon et d'un peu de sel.
116 - Ms. «trés longle» 117 - Ms. «qui corbe»
83. Comment hon peut cheval guerir d'etainture et comment la maladie vient. Atainture est une maladie qui vient au cheval quant le pié derriere fiert a la jambe devant, dessus les ners derriere, par l'alciire du cheval et descorbee la jambe enfle a la fois entour le nerf et a la foiz noient. Vez en ci la cure : tout avant raés hors le poil et garsés toute l'enfleüre entour si que li nerf ne soit bleciez et que li sanc em puit issir. Et fendés une vielle geline parmi le dos (fol. 24v) et la liés a l'enfleure aveques toutes les entraillez et fetes ainxi par Ill. jours. Et se ce ne li vaut, prenés racines de fougiere et tri blés avec .1. peu de miel ou de burre. Et le metez au mehaig tout chaut. Ou vous cuisiez racinez de [roe mauve]l18, que elles soient moles, et triblés ovec oint, et le metés sus. Fetes petites cuiturettes en esclain entour la mauvieture, d'un instrument fet en la maniere d'une esse, si que .1. pou de la cuiture viegne sus le nerf blecié. Aprés liés une chaude corne dessus aveques espesse de lart. Se li [cuirs)119 creve ou endurcist pour les emplastrez, oigniez le d'oignement panthamiron, ou de miel ou d'uile. Se l'atainture est vielle, si prenés .11. cuillerees de sain et .11. de suie et une de miel, et une de sel et .1. hanap d'aisil et une poignié d'estoupes de chanvre et bouilliez ensemble et liés dessus tant que la douleur se departe. (fol. 25) 84. Comme hom peut congnoistre gentilz chevaux. Tele chose doit hon entendre des gentilz chevaux, c'est assavoir biauté, de fierté, et couleur, fourme de biauté : Que il ait le chief petit et sec et que la pi au joigne prés des os, oreilles petites et agues, gros iex et largez narines, haut col, espés crin, la queue mesmement longue et espesse, les ongles fermez et rondes forme. Qu'il ait vaillant corps, qu'il puit bien souffrir travail et qu'il
118 - Ms. «rouuauve» 119 - Ms. «cuiers».
soit haut ; lonc costé ; grans cuissez et rondes ; grans piés et la char dure ; sec pié, caves ongles. De fierté hardis et ignevaux ; que li membre ne li tremblent mie. Ice est demonstrance de force que l'en le puist detenir de legier quant il queurt (fol. 29). Petitez oreillez segnefient legiereté. Li membre qui ne tremble mie segnefie vertu. De couleur est entendue que li bay cheval et li pommelé et li liart et li ferrant et li rouz et li baucent valent mielx des autres. Heraclez, qui cognut les chevaux, nous enseigne que l'en doit souvent oindre cheval les piez de grasse chose et fere uns solers de cuir, et metre gresse de burre dedens, ou de sain ou d'oint dedens, et metre le pié du cheval qui a nouvel pié dedens le souler. EXPLICIT L'ENSEINGNEMENT POUR GUERIR LES CHEVAUX
GLOSSAIRE DE LA CIRURGIE DES CHEVAUX a (prép.) : avec. «tepez la .m. fois a .1. fer chaut» 11 (cf. 2, 9, 17, 25, 29, 31, 34, 36, 41,46,49, 60, 66, 69,72, 79). aage (s.m.) : âge. «fete le sainier selonc son aage» 62 (cf. 2). abundance (s.f.) : abondance, surabondance, «ceste maladie vient d'abundance de sanc» 4 (cf. 77). ache, aipe, ape (s. f.) : ache ou ache des marais, plante de la famille des ombellifères, Apium graveolens L. (67, 75). achoison (s. f.) : cause, raison, motif. «ceste maladie vient a la fiee de plaie et a la foiz sans achoison» 67. acrochier (s.f.) : saisir, toucher avec un croc (fer en forme de S), «d'iceluy fer premiers en acrochiez la bocete entre les dens» 4. adés (adv.) : sans interruption, sans cesse ; aussitôt, «les movez adés qu'il n'crdcnt a la pouaille» 78 (cf. 46, 79). adonc (adv.) : alors. «més adonc les connoist l'en ainsi» 79. affubleüre (s. f.) : vêtement, «vous ardrés une viez affubleüre» 3. agu (adj.) : pointu, pénétrant, «en reant d'un coutel agu» 5 (cf. 6, 84). ainciez que, ains que (loc. conj.) : avant que. «li chevaux meurt ains que la maladie soit guerie» 70 (cf. 73, 77, 81). ains, ainsi, ainxi, anxi (adv) : de cette façon, de même. «fetez ainxi souvent» 3 (cf. 2, 4, 5, 6, 23, 28, 60, 61, 62, 66, 67, 68, 70, 71, 72, 74, 77, 78, 79, 80, 83). aipe (s. f.) : voir «ape» 70. ais (s. m.) : planchette fixée sur le fer du cheval pour remédier à un défaut d'aplomb des membres, «ferrer d'un fer a ais» 25. aisil (s. m.) : vinaigre, «triblez tout ce a vin ou a aisil» 79 (cf. 78, 83). alacicr (v.) : lier, lacer : «quant li neu est alaciez» 62. alaine (s. f.) : haleine. «(il) corrumpent ainxi l'air de leurs alaincs» 2 (cf. 66, 77). alernc (s. f.) : poinçon de fer, destiné à percer et utilisé parfois après avoir été chauffé, «fetes Hl. pertuis petis d'une aleme ou fons» 77 (cf. 28, 65, 72, 78). aluine, aluisne, aluyne (s. f.) : absinthe, Artemisia absinthium L. (64, 67, 76, 79). alun (s. m.) : sulfate acide ou sursulfate de potassium et d'alumine, utilisé au Moyen Age contre les chancres, les gencives enflées, la gale... (cf. Le livre des simples médecines, op. cit., pp. 140-316) (77, 22). amoistir (v.) : humecter, «se li blés est trop durs, l'en le doit amoistir bien» 73. amollcr (v.) : amollir, atténuer, «se vous la (= la boce) sentés amolier, si la poigniez de l'autre part et amenés la boe au pertuis» 57 (cf. 67). amont (adv.) : en haut, vers le haut. «le cheval ne peut tenir son chief amont» 73 (cf. 60, 65, 66, 77, 79, 82). anteper : (?) (voir «teper»). «prendre la lymesche et la rue et metre l'en anteper devant» 31. ape : voir «ache» 79. aparoir (v.) : apparaître, se montrer, «se la boce du fi apert grant en la face» 62 (cf. 2, 67, 71, 75, 76, 79). apostolicon : qualifie l'emplâtre des apôtres Pierre et Paul de l'Antidotaire Nicolas, constitué de litharge, colophane, cire rouge, gui de chêne, gomme ammoniaque, mastic ... (d'après Le livre des simples médecines, op. cil., p. 355). «lier entrait apostolicon sus .1. drap neuf .nn. jours» 20. aprecer (v.) : s'approcher de. «le philosophe deffendent qu'enfant n'aprccent a homme qui gist en chaut mal» 2.
aqueure (v.) : accourir, «la maladie vient et nest de sanglantes humeurs qui aqueurent au lieu blecié» 67. arcal (s. m.) : laiton 31. ardolr, ardre (v.) : brûler, «et cuire les, et les ardés» 38 (cf. 3, 4, 12, 16, 18, 30, 33, 58, 60, 62, 70, 72, 77, 81). argot, argos (s. m.) : apophyse cornée placée à l'arrière de chaque boulet, c'est à dire à l'arrière de l'articulation de l'os du canon. «bouter une esclice chaude aval, par dessous l'argot, entre cuir et chair, siques outre la tainture» 13 (cf. 24, 47). arrement (s. m.) : encre, substances minérales servant à fabriquer l'encre, «et puis mis arrement ars et poivre moulu chascun jour» 12 (cf. 16, 18, 30, 55, 59, 72, 78, 80). ars (s. m. pl.) : poitrine du cheval, entre les jambes devant, «et puis une roel en cire ou en miel entre les ars devant» 25 (cf. 30, 33). arsure (s. f.) : brûlure, cuisson, «metés cest emplastre sus toutes grasses de rancle et de toutes douleurs et sus toutes arsures de fer» 67. asconteüre (s. f.) : voir «escoté». astre (s. f.) : âtre. «cuisiez ou four ou en une astre» 71. atainture (s. f.) : atteinte, «atainture est une maladie qui vient au cheval quant le pié derriere fiert a la jambe devant dessus les ners derrière» 83. Y. Poulle-Drieux (L'hippiatrie dans l'occident latin..., op. cit., p. 86) décrit cette lésion comme «une contusion des tendons fléchisseurs du pied antérieur par la pince du sabot postérieur correspondant pendant un déplacement à vive allure». atennoier (v.) : diminuer, amincir, «atennoiez les piez et essuyés et tollir luy le gesir et la prouvende et le boire» 47 (cf. 70). atouchier (v.) : toucher, atteindre. «et garde que ceste lessive n'atouche au lieus sains» 77 (cf. 68, 71, 80). atourner (v.) : préparer, arranger, «més atoumés les avant comme pour mengier» 67. atraire, attraire (v.) : attirer, tirer, amener, «il atrait souvent l'alaine d'un malade cheval» 77 (cf. 2, 63). attendrier (v.) : affaiblir (en parlant des humeurs). «li donnés a mengier cresson et autres herbes qui puissent attendrier les humeurs» 66 (cf. 79). aubun d'euf (s. m.) : blanc d'oeuf, «estoupez moilliez en aubun d'euf» 71 (cf. 72). augue (s. f.) : eau.«gardés le .IX. jours et de l'augue pour toutez cuisons» 21. aune (s. m.) : aulne, arbre des lieux humides, «puis prendre la racine d'aune et laver la bien» 38 (cf. 66). auner (v.) : réunir, agglomérer, amasser. «li poil du dos est trop lonc et il est aunés par sueur» 70. auques : assez, passablement, «si li doint l'en .11. quartes de vin a boivre quant il est auques grevés d'aler» 43. autretant (adv.) : autant, «refraichissiés d'autretant que il soit tout mol» 22. autrexi : ainsi, également, «est autrexi roides comme saie de porc» 79. aux (s. pl.) : aulx, ail (42, 63). avaine (s. E) : avoine (11, 72). aval (adv.) : en bas, vers le bas. «conduire le vent aval la tainlure» 24 (cf. 61). avaler (v.) : descendre, «avalent les humeurs es piez» 79. bacin (s. m.) : cuvette, bassin, récipient circulaire, «getés hors plain .1. bacin de l'eve de la jarbe» 47. baque (s. ) : baie. «triblés baque de lorier delié» 78. barbele, barbe (s. f.) : maladie de la bouche du cheval. Il s'agit peut-être de l'inflanunation des deux plis longitudinaux qui fixent la langue et des petits barbillons qui se trouvent de chaque côté et qui laissent s'écouler la salive (voir L. Moulé,
Histoire de la médecine vétérinaire, op. cit., p. 78). « barbelés croissent ou palais de la bouche dessous la langue du cheval» 6. bastonnet (s. m.) : petit bâton. «les frotés bien d'un bastonnet de coudre vert» 82. baucent (adj.) : se dit d'un cheval dont la robe n'est pas de couleur uniforme, d'où «avec des balzanes» ou «pie». «li baucent valent mielx des autres» 84. bay (adj.) : couleur brune de la robe d'un cheval, accompagnée d'une crinière noire et d'une queue noire. «li bay cheval» 84. bêtement (adv.) : doucement, gentiment, «demener le belement» 30 (cf. 62). bende (s. f.) : - bande de tissu. «lier d'une bende neuve» 22. - séton (voir «seon»). «metés en l'enfleure .II. bendes ou .111.» 65. benoite (s. f.) : benoîte, Geum urbanum L., rosacée (58, 67, 76). billeite, billete (s. f.) : petite bille. «metés luy une billete de cyre entre les joes» 38 (cf. 52). blo, bloi (adj.) : bleu. «se chancre mengue ou milieu le cuir ovec la char, il est de bloie couleur» 68 (cf. 62). bloy (s. m.) : partie du pied du cheval difficile à définir (il s'agit peut-être du coussinet plantaire). «si le cuise l'en entre le bloy et le caucain parfont» 9. boce (s. f.) : tumeur, enflure, «une autre boce qui semble .II. coillons, qui est dure comme pierre souz la bouche» 57 (cf. 31, 38, 61, 62, 63). bocete (s. f.) : petite bosse, petite twneur. «tele fois est que il li nescent parmy son corps petitez bocetes par dessouz le poil» 2 (cf. 4, 5, 61, 76). boe (s. f.) : pus, boue. «amenés la boe au pertuis» 57 (cf. 11). bout (s. m.) : bouleau, «prenés la menue escorce de boul» 77. bouter (v.) : pousser, placer, «puis bouter une esclice chaude aval» 24. braon (s. m.) : tas de graisse ou de pus (?) «si li traie l'en les braons de desouz les ielx d'un fer chaut» 34. bras (s. m.) : ceinture, bandage (?) «si doit l'en venter l'espaule et metre .11. seons ou une ortion ou .III. bras» 33. bren (s. m.) : son. «aprés metés bren de forment en lie de vin» 65 (cf. 9, 26, 47, 66, 81). briosne : bryone, Bryonia dioica Jacq., cucurbitacée (64). brocheüre (s. f.) : piqûre, ouverture, plaie. «liez la brocheüre d'une corde d'arc» 29. brochier (v.) : piquer, ouvrir en perçant, «brochiez en crois d'un fer chaut» 33 (cf. 29). bucf, beuf (s. m.) : boeuf. «triblez donc fiente nouvele de buef ovec sablon» 62 (cf. 71). burre (s. m.) : beurre, «metté farine d'avaine et burre fraiz emsemble» 11 (cf. 17, 64, 66, 83, 84). carrcer (v.) : voir «charrer». caucain (s. m.) : talon, partie arrière du sabot du cheval, «puis si le cuise l'en entre le bloy et le caucain parfont» 9. cave (adj.) : creux. «caves ongles» 84. ceinture (s. f.) : séton (voir «seon»). «Mout de gent em pluseurs (fol. 15 v°) contrees y metent .11. ceintures entour et en lonc» 66. cengle (s. f.) : sangle, «et puis lier .1. pennel dessus a .11. cengles» 46 (cf. 43, 65). cengler (v.) : sangler, serrer une sangle. «de cheval qui a les costez enflés des esperons ou de fort cengler» 65. cenglier (s. m.) : sanglier, «prenés .III. parties de viez oint de gresse de cenglier» 78.
cercler (v.) : sonder, atteindre profondément, «se li chevaux a pointure d'espine ou pié, cerciés la plaie» 27 (cf. 11, 54). cerfull (s. m.) : cerfeuil, «metés cerfuil triblé avec sain dessus la cuiture» 69 (cf. 75). chael (s. m.) : petit chien ou autre petit animal, «fendre le chael ou le pourcel male» 20. chaillon (s. m.) : dent du cheval, appelée crochet ou canine, «se il tyre des chaillons, si li face l'en voler ou couler d'un coignet de fer» 52. chaisne (s. m.) : chêne. «charbon de chaisne» 12. chancre (s. m.) : ulcère. «se chancre mengue ou milieu le cuir ovec la char, il est de bloie couleur» 68 (cf. 16). char, chair (s. f.) : chair. «entre le cuir et la char» 31 (cf. 2, 10, 24, 38, 40, 61, 62, 64, 67, 68, 70, 72, 81, 84). charme, cherme (s. m.) : formule magique, enchantement, «au charme du souros doit hon dire premierement...» 23 (cf. 22). charmer (y.) : prononcer un charme, ensorceler, «quant cheval a soros ou espavain, fetez le charmer» 22. charmoire (s. f.) : morve, grave maladie microbienne contagieuse du cheval (= farsin). «se li chevaus a la charmoire, si li doint l'en le sanc d'un gras matin a boire» 40. charneüre (s. f.) : fait d'être charnu, plein de chair. «la naturel charneüre du ventre» 73. charnel (adj.) : charnu, «se la maladie n'est mie es espaules ne es ners ne es creuz des os des musciaux, mes en charnel lieu» 72. charre (s. f.) : préparation liquide destinée à une balnéation. «si li ferés itele charre» 81. charrer, carreer (v.) : baigner ou recouvrir de cendres (?) Selon le Dictionnaire de Godefroy, la «charree» est définie comme la «cendre qui reste au fond du cuvier quand on a coulé la lessive» (cf. 13, 48). «soit la jambe charree d'eve chaude et de cendre» 47 (cf. 81). chavate (s. f.) : sorte de soulier. «l'en peut fere venir sole a cheval plus tost par [...] bouli en vin aigre souz une chavate» 56. chenin (s. m.) : nom donné à la mort(?) «ceste maladie vient au cuer ; li chenin est dedenz .II. heures de jour» 69. cheoir, choair (v.) : tomber, «si y metc l'en vert de grice, si que la morte char soit cheüe» 10 (cf. 4, 5, 62, 63, 69, 73, 76, 77). cherme (s. m.) : voir «charme». chiece : subjonctif de «cheoir», 62. chief, chiez, chies : tête. «li chiez du cheval ameigrist et ensechist» 7 (cf. 35, 57, 63, 66, 73,81). chiera : futur de «cheoir», 73. chiet : présent de l'indicatif de «cheoir», 63, 69, 76, 77. chis (prép.) : chez. «trenceüres de sollers de chis les sueurs» 71. choair : = «cheoir», 4, 5. claim (en) : en oblique, «li ners est trenchiez en lonc ou en daim» 64. clocer (v.) : boiter, «il ne peut flechir le membre dont couvient il quç li cheval cloce de cele part» 78. coch (s. m.) : coq. «prendre .1. coch et fendre parmi l'eschine» 20 (cf. 44). coction (s. f.) : cuisson ; décoction (?) «donnez une autre henapee de cele coction» 73.
codele (s. f.) : excroissance (?) «gratele fet au commencement bocetes ou codeles les tiens» 76. coignet (s. m.) : petit couteau, «se il tyre des chaillons, si li face l'en voler ou couler d'un coignet de fer» 52. coillon, couillon, couille (s. m.) : testicule, «une autre boce qui semble .11. coillons» 57 (cf. 58). coi (adj.) : en repos, tranquille, calme. «quant il est cois li pié li tremblent» 81. collection (s. f.) : amas. «fi est une maladie mole collection d'umeurs» 62 (cf. 61). confire (s. f.) : pâquerette, Bellis perennis L., ou grande consoude, Symphytwn officinale L. «le premier jour li doint l'en a boivre confire et consoude menue» 46 confire (v.) : préparer, fabriquer. «si li doint l'en a boire de la menue consoude, et la confire» 51 (cf. 77 : «confisiez le ainsi»). conforter (v.) : soutenir, renforcer «li membre sont conforté et nourri» 63 (cf. 1). conreer (v.) : arranger, mettre en état ; étriller, «si n'est pas bien conreez aprés grant travail.» 76. conseil (s. m.) : aide, secours, «se n'en n'i met hastivement conseil, il meurt» 76. consoude (s. f.) : consoude. Au Moyen Age, on donnait ce nom à plusieurs plantes réputées pour soigner les fractures et les plaies. La plus utilisée était la grande consoude, Symphyturn officinalis L., (46, 51). contrait (adj.) : paralysé, «il n'este selon sa coustume, més auxi comme se il fust contrais» 81. contreval (adv. et prép.) : vers le bas. «bessiez luy l'oreille contreval au chief» 35. cor (s. m.) : cor dorsal, callosité d'origine traumatique. «cor est appelé pour ce que li cuirs endurcist en la char dessus le dos» 70. corbe (s. f.) : jarde, hyperostose qui défonne le profil postérieur externe du jarret. C'est une «tare dure». «corbe est une dure enfleure plus longue que lee en la jambe derriere prés du genoul» 82 (cf. 28, 84). cordele (s. f.) : petite corde. «aucuns font cuitures en la senestre partie delés le cring en sommeton du col et en lonc et si n'i metent pas cordeles» 60 (cf. 61). cordelette (s. f.) : séton (voir «bende») «trenciez le cuir enmi l'enfleürc et metés cordelettes ens» 64. corne (s. f.) : 1. couenne de lard. «une chaude corne dessus aveques espesse de lart» 83 (cf. 11). 2. corne d'animal : «corne de beuf» 71. coudre (s. m.) : noisetier, coudrier, «un baston de coudre vert dont l'escorce soit ostee» 78 (cf. 82). couler (v.) : 1. filtrer, «si li coule l'en le boivre» 52 (cf. 66, 67, 73, 75). 2. glisser, tomber, «si li face l'en voler ou couler d'un coignet de fer» 52. coulon (s. m.) : pigeon, «fiente de geline et de coulons» 62. courre (v.) : courir (pour un animal), couler (pour un liquide), «poulains doit courre aprés sa mere .III. ans» 8 (cf. 69, 75). coustre, coutre (v.) : coudre, «coustre ly la plaie» 47 (cf. 14, 20, 22, 57). coutel (s. m.) : couteau, «en reant d'un coutel agu» 5. couvenir (v.) : falloir, «il ne peut flechir le membre dont couvient il que li cheval cloce de cele part» 78 (cf. 1, 67, 71, 79, 81). couvoitier (v.) : désirer ardemment, «si couvoite mout le boivre» 73. crace : voir «vive crace». craime (s. f.) : crème. «craime de let» 58. crasse (adj.) : gras. «une crasse corne de lart» 11.
creson, cresson (s. m.) : cresson. Il existe plusieurs cressons. Le texte précise une fois «creson de riviere» 62. Il s'agit alors du cresson des fontaines, Nasturtium officinale L.. C'est également ce cresson qui est prescrit dans le chapitre 76. En ce qui concerne le chapitre 66, on peut hésiter entre ce cresson, le cresson alénois, Lepidium sativum L. et le cresson des champs, Nasturtium agrestis L.. crever (v.) : s'ouvrir en éclatant, «se li cuiers creve» 83. crochié (adj.) : qui est en forme de crosse ou de crochet, «puis si doit hon lever .V. grains o une aleme crochiez» 28. crocu (adj.) : recourbé en forme de croc. «.I. tort fer crocu, agu» 6. cruculz (adj.) : creux. «si croist en crueulz lieus, si comme enconstre les costes et encontre les espaules» 72. cuer (s. m.) : 1. coeur. «ceste maladie vient au cuer» 69. 2. «n'avoir cuer» : ne pas s'inquiéter, «se il n'a cuer, metez...» 30. cuichons, cuison, cuisson (s. f.) : cautérisation, «cuisé le en .11. roueles a .VIII. cuichons dedenz les roueles» 29 (cf. I l , 2 1 , 25, 28, 33). cuidier (v.) : penser, croire, «se vous cuidiez que la tourte soit meure» 61. cuillir (v.) : récolter, recueillir, «en cuilliez le sain» 40. cuire (v.) : 1. cautériser, brûler au fer rouge. «si le cuise d'un fer chaut» 28 (cf. 1, 9, 11, 19, 20, 21, 22, 28, 29, 33, 43, 44, 45, 77, 81). 2. cuire, «mellés toutes ces choses ensemble et les cuisiez en feu» 67 (cf. 17, 70, 71, 73, 76, 78, 83). cuison, cuisson :,voir «cuichon». cuiture (s. f.) : cautérisation, «cuisiez les sus les jales et fere cuitures» 20 (cf. 11, 60, 69, 83). cuiturctte (s. f.) : petite ligne de cautérisation, «fetes petites cuiturettes» 83. d a n t e r (v.) : dresser, débourrer, «comment l'en doit cheval nourrir et danter en sa jennesce» 8. debatation (s. f.) : action de battre, pulsation, palpitation, «avec grant chaleur et grant debatation» 67. debatemens (s. m.) : battement, palpitation, «grans debatemens de nachez dessouz la queue» 77. debonnere (adj.) : doux, bon. «de cheval felon et de trop debonnere» 50. debouté (adj.) : luxé. «deboutés des espaules» 33. decoure (v.) : voir «dequeure». deferu (adj.) : contusionné, «s'il est deferuz desous le coup» 28. dcffaillance (s. f.) : manque, «pour la froidure est la deffaillance du sanc» 66. degaster (v.) : abîmer, consumer, dissiper, «quant li cor est tout degastés» 70 (cf. 2, 71). delés (prép.) : à côté de. «aucuns font cuitures en la senestre partie delés le cring» 60 (cf. 6, 13, 63, 75). délié (adj.) : fin. «metez .1. peu de deliee farine d'orge ou d'avoine» 67 (cf. 54, 62, 68, 79, 81). se delitier a (v.) : se plaire à. «il se deffrote volentiers et moût se delite a froter» 2 (cf. 76). d e m e n e r (v.) : remuer, «lors le doit hon fere ferrer et galoper et poindre et demener» 8 (cf. 2, 31, 74). d e m o r i r (?) (v.) : mourir (?) (75) d e m o n s t r e r (v.) : manifester, montrer, «il demonstre puis il demort» 75. se d e p a r t i r (v.) : se séparer de, cesser. «liés dessus tant que la douleur se departe» 83. dequeure, decoure (v.) : couler, «se trop de sanc dequeurt de plaie de cheval» 3 (cf. 66).
derechief (adv.) : de nouveau, «estraingniez le dereclùef» 62 (cf. 11, 67). derrain (adj.) : dernier, «les derraines partiez» 80. derrons, deronz (adj.) : blessé, déchiré (?) «se li chevaux est derrons, le premier jour li doint l'en a boivre confire et consoude menue» 46. d e r r o n t u r e (s. f.) : blessure (?) «de cheval qui sanc estale par derronture» 51. dés (prép.) : depuis, «metez .H. seons dés les esclos duqu'entre les ars» 30. descure (adv.) : dessus, par-dessus, «se les lesardes li enflent par aucune maladie, si les cuise l'en deseure» 44 (cf. 4, 66). despecier (v.) : mettre en pièces, «trenchiez le cuir enmi la torte et le despeciez» 61 (cf. 38). destre (adj.) : droit (opposé à «gauche»). «se la maladie est de destre partie en bas» 67. destremper (v.) : mélanger, delayer. «destrempés de gentil vin aigre» 36 (cf. 3, 22, 67,71). se deteindre (v.) : souffrir (?) «il se deteint tout et se demaine ses costés» 74. detenir (v.) : retenir, «ice est demonstrance de force que l'en le puist détenir de legier quant il queurt» 84. dieut : présent de l'indicatif de «doloir» (voir ce mot). se doloir : souffrir, «il ne se dieut mie plus que se il fust point ou se il fust bleciés» 64. draoncle (s. m.) : furoncle, «més se le cor avient et draonclez porprent le dos» 70. drapel, drapele (s. m.) : morceau de drap, de tissu. «metés viez drapeles de lin mouilliez» 66 (cf. 78). duque (prép.) : jusque, «metez .11. seons des les esclos duqu'enlre les ars» 30. durelon (s. m.) : partie dure, substance dure. «getés hors le durelon dedens et sechiez le remenant» 76. eigremoine, esgremoigne, esgremoinc : aigremoine, Agrimo/lia eupatoria L., rosacée (72, 75). ellebor noir (s. f.) : ellébore noire, Helleborus niger L. (77). embarnir, e n b a r n i r (v.) : grossir, «pour engroissiez et embamir» 8 (cf. 7). embevrer (v.) : imbiber, «et puis embevrez ens o .ni. fers chaus» 22. ernbraoné, esbraoné (adj.) : blessé par le bas-flanc (Y. Poulle-Drieux, L'hippiairie dans l'Occident latin, op. cit., p. 84). «se li cheval est embraonés devant ou derrière ou essartilliez, si soit liés mont autemens desous» 13. e m m e n d e r (v.) : s'améliorer, «comment le cheval emmende et embarnist pour le laver ou col et es espaules» 7. emmi, enmi (prép.) : au milieu, «fetes .1. pertuiz emmi» 62 (cf. 61, 64). e m p a s t u r e r (v.) : entraver, «quant li chevaux est restif. la ou il restera si soit empasturés de .n. piés derriere» 49. e m p i r e r (v.) : détériorer, abimer, gâter. «ardés le belement que ners ne jointure ne soit empiré» 62. e n b a r n i r (v.) : voir «embarnir». encens (s. m.) : encens, «autant de blanc encens» 78 (cf. 58). encloé (adj.) : atteint d'enclouure. «se il est encloé d'un clou» 11. encloeüre (s. f.) : enclouure. Il s'agit d'un abcès à l'intérieur du pied, dû à la présence d'un clou qui en infecte les parties vivantes, «comment l'en doit cheval guerir d'encloeüre» 11. cncordeüre (s. f.) : lien, attache (?) «se les cordes li tendent trop, coupés les des ordes encordeUres sans sanc» 30.
endementieres (adv.) : alors, pendant ce temps. «donnés au cheval endementieres feurre d'orge ou de fourment ou fain» 72. endementiers, endementieres que (loc. conj.) : pendant que, tant que. «espraingniez bien durement le fi endementiers que il est chaut» 62 (cf. 79, 80, 81). enfermeté (s. f.) : maladie, «gratele est une enfermetés» 76 (cf. 60, 72, 77). enflume (s. f.) : enflure, abcès, «ne le fetes pas pour ce sainier siques atant que l'enflume soit meure» 66. e n f o n d r e r (v.) : enfoncer, «enfondrés les boces d'un fer chaut» 31. enfondu (adj.) : - atteint de fourbure, fourbu, «de cheval qui est enfondu : comment hon li doit aider et comment le mal vient» 81 (cf. 47, 81). - atteint d'une affection quelconque, malade, «il est estains ou il iert enfondus» 73. enfonture (s. f.) : fourbure. Maladie du pied, très douloureuse, caractérisée par une inflammation intense du podophylle. «d'enfonture de cheval quant il va trop» 81. enfouer (v.) : enfouir, «prenés .1. neuf pot ploinne dedens, si l'enfoués en terre siques a la bouche» 77. enfranié (adj.) : atteint de fourbure (?) (voir enfonture) ou atteint de forme (exostose de développant au niveau de la couronne) (?) «se il est enfraniés, si soient les .1111. jambes carrees de eve chaude et de cendre» 48. engroisser (v.) : grossir, grandir, «Ii crins engroissent et croissent mielx» 7 (cf. 8). enmi (prép.) : voir «emmi». e n p r i m e r (v.) : presser, comprimer, «et si chaut l'enprime sus ly» 44. enroidir (v.) : devenir raide. «li nerf des cuissez et des jambes retraient par froit eve et en enroidissent» 78. ens (adv.) : à l'intérieur, dedans, «metés de l'eve ens tant que l'escorce soit toute couverte» 66 (cf. 22, 64). ensechir (v.) : sécher. «li chiez du cheval ameigrist et enscchist» 7. enseinnier : là (?) «quant cheval a l'ongle en l'ieul, trenciez luy enseinnier desus» 35. ensus (prép.) : au-dessus, à l'écart, «le cheval ne peut tenir son chief amont, ains l'estent ensus luy» 73. entechier (v.) : gâter, rendre mauvais, «quant li chevaux en est entechiez, il ne peut remuer son col» 63 (cf. 60). ententif (adj.) : appliqué, attentif, «ententive cure» 67. entrait, e n t r e t (s. m.) : cataplasme, onguent, bandes de toiles enduites de baume à l'aide desquelles on rapproche les bords d'une plaie. «puiz y mete l'en autre entrait de pois et de cyre» 10 (cf. 20, 26). s ' e n t r a t e i n d r e (v.) : s'entre-choquer, se couper, se dit d'un cheval, lorsqu'en avançant l'un des sabots antérieurs vient frapper un membre oppose, «s'il va estrois devant, pour quoy il s'entrateigne» 25. s'entreferir (v.) : s'entre-choquer, se couper, se dit d'un cheval lorsqu'en avançant l'un des sabots postérieurs vient frapper un membre opposé, «se il s'entrefierent derriere, si soit ly piés parés dehors et lessiez croistre dedens» 25. e n t r e t (s. m.) : voir «entrait». envers (prép.) : vers, du côté de. «fendés luy le cuir envers le genoul» 79. enviellir (v.) : devenir vieux. «se les mules sont mont envielliez» 79. envenir (v.) : venir. «si envienent mout de maux» 2. environ (adv.) : alentour, autour, «aprés l'oigniez d'oignement petit environ» 62. envoie (adv.) : au loin. «getés tout envoie» 77. e r d r e (v.) : attacher, adhérer, «metés cuire au feu et les movez adés qu'il n'erdent a la pouaille» 78. errecheüs (adj.) : atteint d'une lésion de la jambe bien difficile à définir, «de cheval qui est errecheüs» 17.
ert : 3ème personne du singulier du futur simple de l'indicatif du verbe être. 62 esbouli (adj.) : chauffé, bouilli, «quant il est presque tout esbouli» 66. esbraoné : voir «embraoné». escharde (s. f.) : 1. écaille. «les eschardes de poisson» 77. 2. morceau de bois. «qu'il n'i ait ne fer n'escherde» 54. eschaufer (v.) : chauffer, échauffer, «eschaufez .1. fer au feu» 4 (cf. 3, 17, 33, 62, 66, 73,78,81). eschiver (v.) : éviter, «couvient chascune beste eschiver que elle ne boive pas trop aprés grant travail» 81. esclain, esclan (en) (adj.) : voir «claim». «fetes petites culturelles en esclain» 83 (cf. 81). esclice (s. f.) : éclisse.«bouter une esclice chaude aval» 24. Selon Y. Poulle-Drieux (L'hippiatrie dans l'Occident latin, op. cit., p. 102) il s'agit de «petits morceaux de bois pointus qu'on pique dans la peau, toujours pour faire affluer les humeurs». esclot (s. m.) : sabot. «metez .11. seons dés les esclos duqu'entre les ars» 30. escorbi (adj.) : assommé (?)«de cheval qui est escorbiz par ferir» 45. escorchier, escorcicr (adj.) : écorché. «la langue est escorchié» 63 (cf.70). escoté (adj.) : atteint d'une excroissance au sabot («ascontcure»). «se cheval a le pié escoté, si soit li piez parés et lavés» 10. Y. Poulle-Drieux (L'hippiatrie dans l'Occident latin, op. cit., p. 87) précise que le «cheval escoté» souffre de kéraphyllocèle, excroissance cornée développée en forme de coin à la face profonde de la paroi du sabot. escuel (s. m.) : cautère (?) «fere li .1. escuel d'un fer chaut» 35. esculee (s. f.) : écuelle, contenu d'une écuelle. «fetes si qu'il y ait une esculee de tout» 66. escume (s. f.) : écume, impuretés qui flottent à la surface d'un métal en fusion (?) «metés tieules chaudes ovec et escume de fer chaut» 66. esgremoigne, esgremoine (s. f.) : voir «eigremoine». eslargis (adj.) : blessé à l'épaule (?) «se li chevaux est refoulés ou eslargis» 33. espavain (s. m.) : éparvin, tumeur osseuse située à la base et à la partie interne du jarret, «l'espavains vient de blecetire d'aucune chose dure derriere le pie» 80 (cf. 22). espés (adj.) : 1. trouble, mauvais, «comment hon doit aider a cheval qui a espesse la veüe» 36. 2. épais. «metés fleur de forment ovec tant que il soit espés» 67 (cf. 62, 64, 65,68, 70, 71, 81,84). esplente (s. f.) : palette de fer ou de bois. «mouvés d'une esplente» 61. espongieus (adj.) : spongieux (?) «Ii cheval a grans vainnes et larges et espongieuse char» 81. espreindre (v.) : presser, faire couler en pressant, «esprengniez toute hors la porreture d'ilec» 61 (cf. 62, 65). espurgier (v.) : purger, nettoyer, «siques a la gargate soit bien espurgié» 66. esracier (v.) : arracher, «les tenés toutes ardans dessus le cor siquel. atant que il puist estre esraciez» 70. essartillié (adj.) : blessé par le bas-flanc (voir «embraoné»). «de cheval qui est embraonés ou essartilliez» 13. establcr (v.) : uriner (voir «estaler»). «gardés le de boivre siques atant que il ait establé et alé hors» 73 (cf. 51, 75). estaindre (v.) : étouffer, «il iert estains de la grant enfle double et de l'umidité de l'eve, auxi comme li jons de la pree estaint quant il a trop huile» 73. estaler (v.) : uriner ou émettre des excréments, «s'il ne va mie hors ne n'estale au premier jour ne au segont» 73 (cf. 51, 73,75, 81).
ester (v.) : se tenir debout. «le face l'en ester en l'eve courant defferré sus la gravele dure» 47 (cf. 54, 63, 76, 81). esterdre (v.) : essuyer, nettoyer, «lors le doit hon lessier en l'estable o toute la sele sans esterdre sa sueur» 70. estive (s. f.) : tétanos (Y. Poulle-Drieux, L'Hippiatrie dans l'Occident latin, op. cit., pp. 92-93). «estive est une maniere d'enfermeté qui croist ou col du cheval» 60. estoupe (s. f.) : étoupe. «puis si li emplés d'estoupez de lin o glaire d'euf» 54 (cf. 20, 61, 70, 71, 79, 83). estouper (v.) : boucher avec de l'étoupe, clore. «estraguclon est une maniere de maladie qui estoupe les voiez de la gorge» 66. estraguelon, estrangueilon, estrangueillon, estranguelon (s. m.) : angine, «se li estrangueillons avient du froit du chief ou de seiche touz...» 66. estraindre (v.) : 1. serrer, retenir, comprimer, «se trop de sanc dequeurt de plaie de cheval, poudre ars destrempee et moullie en jus d'orties griesches l'estraint» 3 (cf. 62). 2. souffrir d'encastelure. Ce défaut est caractérisé par une forme cylindrique de la paroi du sabot, alors que celle-ci est normalement conique, à cause d'une surélévation des talons. La fourchette est alors remontée et la sole enfoncée vers les parties vivantes du pied. «comment l'en doit aider cheval qui a tendrez piez et a qui li piés estraingnent» 9. estuver (v.) : mettre dans un bain de vapeur, «si li genitaire se enflent, si soient estuvés de tuillez chaudes» 49 (cf. 58). esventer (v.) : voir «venter», 24. etainture (s. f.) : voir «atainture», 83. euf, culs, euz, oef, oez, ues (s. m.) : oeuf, oeufs. «si li emplés d'estoupez de lin o glaire d'euf» 54 (cf. 22, 39,47, 58, 67, 71,72, 77, 78, 80). cure (s. f.) : heure. «par .II. eures de jour» 73 (cf. 75). euvrer (v.) : travailler. «li cheval euvre mout par froit temps» 79. eve (s. f.) : eau. «leve d'eve froide» 7 (cf. 8, 9, 12, 13, 16, 17, 20, 22, 30, 32, 47, 48, 49, 60, 62, 64, 65, 66, 68, 70, 71, 72, 73, 74,75, 76, 77, 78, 79, 81). fain, fein (s. m.) : foin. «puis li doint l'en fain et feurre en l'estable» 47 (cf. 8, 32, 43, 72, 81). fancel, feanceaus (s. m.) : variole équine ou horsc-pox (Y. Poulle-Drieux, L'Hippiatrie dans l'Occident latin, op. cit., pp. 90-91). «feanceaus sont enfle dedens la bouche du cheval es levres» 5 (cf. 41). farsin (s. m.) : morve, grave maladie microbienne contagieuse du cheval, «farsins vient et nest de trop grant humectation et de replettion d'umcurs» 72 (cf. 2, 31). faverole (s. f.) : petite fève (?) «l'emplastrés d'oint de tesson et d'encens et de craime de let et d'oint et de faverole » 58. feanceaus (s. m. pl.) : voir «fancel» 5. fein (s. m.) : foin (voir «fain»). felon (adj.) : rétif, furieux. «se le cheval est felon, si soit chastrés» 50. fer (s. m.) : 1. fer à cheval, «ferrer d'un fer a ais» 25. 2. pointe de fer servant à cautériser, «eschaufez .1. fer au feu qui soit fet en la maniéré d'une S et en ardés l'enfleüre» 4 (cf. 5, 6, 9, 11, 21, 22, 28, 29, 31, 33, 35, 37, 38, 41, 49, 52, 54, 62, 65, 67, 70, 72, 78, 81,82). ferir (v.) : frapper, «de cheval qui est escorbiz par ferir» 45. f e r r a n t (adj.) : gris fer. «de couleur est entendue que li bay cheval et li pommelé et li liart et li ferrant valent mielx des autres» 84.
fés, fez (s. m.) : fardeau, charge, «il vient de trop grant fés porter sus les espaules» 60 (cf. 70). feurre, feure (s. m.) : fourrage, paille, «tollir le fain et donner le feurre de fourment» 43 (cf. 8, 32.47. 72, 81). fi, fy (s. m.) : tumeur, papillome, verrue, tumeur mélanique. Y. Poulle-Drieux (L'Hippiatrie dans l'Occident latin, op. cit., pp. 82-83) montre que «sous le nom de fi», l'auteur de la Cirurgie «désigne non seulement les verrues ou papillomes, mais encore toutes les autres tumeurs vraies de la peau parmi lesquelles il caractérise les tumeurs mélaniques en raison de leur coloration bleuâtre. Il précise, en outre, nettement la notion de malignité pour certaines de ces tumeurs.» «fi est une maladie mole collection d'umeurs de merveilleuse couleur ou de bloe» 62 (cf. 18). fibulain (s. m.) : alêne, fer à cautériser, «ardés le col en .VII. lieux d'un instrument comme greffe l'en appele fibulain» 60. fiee (s. f.) : fois. «ceste maladie vient a la fiee de plaie, a la fiee de pointure de nerf» 67. fiens (s. m.) : fiente, excrément, fumier, «prenés de son fiens» 57 (cf. 54). fiert : troisième personne du présent de l'indicatif du verbe «ferir» (voir ce mot). figue (s. f.) : figue (voir «fi»). «il croist dehors le cuir sus le poil en la maniere de meure figue dont il a tel non» 62. flambe : 1. flamme, «engluez tout ensemble les pos sique la flambe ne puisse entrer ne fumee n'en puisse issir» 77. 2. clématite, Clematis vitalba L. Ce nom vient du latin flamula et Le livre des simples médecines donne la justification suivante à cette appellation : «on appelle cette herbe «flamula» parce qu'elle est chaude comme le feu et qu'elle brûle. Elle est chaude et sèche au quatrième degré.» (Platéarius, Le livre des simples médecines, op. cit., p. 94) (73). flamclche (s. f.) : braise. «une poignié de flameichez d'orge» 76 (cf. 81). flcurnatiquc (adj.) : flegmatique, plein de flegme, une des quatre humeurs selon Hippocrate. «li sanc devient corrumpus et fleumatiquez» 63 (cf. 79). fleumc (s. m.) : flegme, une des quatre humeurs selon Hippocrate. «li sanc devient corrumpus qui engendre sanc fleumatique pourri et corrumpu fleumc» 63 (cf. 66). flocel (s. m.) : touffe, «il est aunés par sueur par floceaux Ions ou d'aucune dure chose» 70. foie (s. m.) : foie. «quer li foiez trait a luy la gregneur force de sa viande et si le mue en sanc et l'envoie par les voines» 63 (cf. 1). foillie, fuille (s. f.) : feuille, «fetes emplastre de fuillez d'aluyne» 64 (cf. 66, 70). fomentation (s. f.) : fomentation, application de médicaments chauds, «fetes fomentation tout avant d'yebles ou de livesche» 65 (cf. 64, 70). forcele, forciaux, fourceaux (s. m.) : variole équine ou hors-pox, voir «fancel». «aucun les appelent forceles et sont auxi comme bocetez noiretez en sou» 5. forment (s. m.) : blé, froment «si gros comme .1. grain de forment» 28 (cf. 6, 26, 43, 54, 58, 65, 67, 72, 77, 81). fors : 1. (prép.) sauf, excepté, en dehors de «si doit estre gardé de toutes viandez, fors de feurre et de fein» 32. 2. (adv.) hors, au dehors «se vous pouez mouvoir la boce, trenciez la fors» 6. 3. (adj.) = fort (cas sujet) «se il est fors et il a .V. ans ou plus...» 2. fouier (s. m.) : foyer. «emplastrés les d'oez crus et de farine de fourment et de terre de fouier ars» 58. foulés (adj.) : atteint de bleime. «s'il est foulés dedens la voinc, si soit parés li piés dessous» 11. fouleüre (s. f.) : bleime, hémorragie sous la corne du pied, compliquée parfois par un abcès, «comment l'en doit cheval guerir d'encloeilre, de pointure, de fouieure.» 11. fourceaux : voir «forcele».
f o u r m e n t (s. m.) : voir «forment». frain (s. m.) : mors, bride. «il trait avant par le frain» 81. freme (s. f.) : suros à la troisième phalange (cf. Y. Poulle-Drieux, L'llippiatrie dans l'Occident latin, op. cit., p. 85). «se li cheval a fremes sus les pics, cuisiez le d'un fer chaut» 21. fuille (s. f.) : feuille (voir «fuille»). fust (s. m.) : bois : «greffe de fust» 79 (cf. 64). fy (s. m.) : voir «fi», 18. gain (s. m.) : automne, «en gain se ratapist se la maladie n'est moût vielle» 79. galiofile (s. f.) : benoîte, Geum urbanum L., appelée ainsi à cause de l'odeur de girofle qu'elle dégage (72). g a r d e (s. f.) : crainte, peur ; sujet de crainte, «si que li nerf n'ait garde» 60, 62 g a r d e r , g u a r d e r (v.) : 1. prendre garde. «gardez que le souros soit rés» 21 (cf. 9, 16, 20, 21, 22, 43, 61, 62, 68, 71, 72, 74, 77, 80, 81). 2. protéger, «gardés le de eve» 12 (cf. 21, 30 32, 64, 72, 73, 78). 3. soigner. «comment hon les doit nourrir et garder» titre (cf. 32). gargate (s. f.) : gosier, gorge. «siques a la gargate soit bien espurgié» 66. garir, g u a r i r (v.) : guérir, «de quel mal que ce soit, si garra» 27 (cf. 5, 6, 11, 15, 22). garle (s. f.) : voir «jarle». garrois (s. m.) : voir «jarrés». g a r s e r (v.) : voir «jarser». gaude (s. f.) : pastel, Reseda luteola L., résédacée (81). getine (s. f.) : poule. «prenés toutes les entrailles d'une jeune geline» 74 (cf. 62, 83). genetaire, genitaire (s. f.) : testicules, «puis li copés les genetaires a .1. fer chaut» 49. genoil (s. m.) : genou. «de cheval qui est bleciez ou genoil» 26 (cf. 27, 67). gentil (adj.) : 1. vaillant ; de bonne race. «s'il sont ou bons ou mauvés, naturel ou gentil» titre. 2. pur. «si prengne senevé en gentil vin aigre» 22, 36, 39, 84. gesir (v.) : être couché, se coucher, «il veult tosjours gesir» 81 (cf. 2, 44, 47). geter, giter (v.) : jeter. «Ii getez en la bouche» 59 (cf. 3, 75). glageus (s. m.) : iris faux-acore, Irispseudacorus L. (75). glaire, glere (s. f.) : blanc d'oeuf cru. «si li emplés d'estoupez de lin o glaire d'cuf» 54 (cf. 39). glentirneus (adj.) : visqueux. «la langue est escorchié et entechié de glentimeus fleume» 63. goute (s. f.) : 1. ce qui tombe goutte à goutte, petite quantité de liquide, «une partie de pure goute de poiz resine» 78. 2. paralysie (?) rhumatisme articulaire (?) «et en chiet a la fois auxi comme de goûte» 69. grapes (s. f.) : eaux-aux-jambes, dermatite hypertrophiante et végétante des extrémités (Y. Poulle-Drieux, L'Hippiatrie dans l'Occident latin, op. cit., p. 84). «l'en peut cheval guerir de grapes vives par laver de vin aigre» 55. g r a t e ü r e (s. f.) : action de gratter, lésion provoquée par cette action, «frotés toutes les grateüres du sanc» 76, 77, 81. gratele (s. f.) : démangeaison, gale. «gratele est une cnfermetés ; quant li cheval l'a il se delite mont de grater des dens» 76. gravele (s. f.) : gravier, «le face l'en ester en l'eve courant defferré sus la gravele dure» 47. greffe (s. m.) : petite couteau, poinçon qui peut être en bois («un greffe de fust» 79). «un instrument comme greffe l'en appele fibulain» 60.
gregneur, gregnour (adj. comp.) : plus grand. «li foiez trait a luy la gregneur force de sa viande» 63 (cf. 67). grele, gresle (adj.) : fin, mince. «une gresle cordelete de lin ou de chanvre» 60 (cf. 5, 74). grever (v.) : accabler, «il est auques grevés d'aler» 43. grief (adj.) : grave, pénible, «pour ce viennent souvent griés choses» 67 (cf. 70, 72). griesche (adj. f.) : grecque, «orties griesches» 3, 53, 65. g u a r d e r (v.) : voir «garder» 20, 61. guarir (v.) : voir «garir» 5, 15. guerner (v.) : germer, «metés en lieu ou vent ne puisse venir, siques atant que il soit bien guerné» 74. hachier (v.) : découper, «estoupes (...) hachiez .1. peu une fois» 70. haitié (adj.) : joyeux, bien portant. «il n'est pas si haitiez comment il seut» 75. hanap, henap (s. m.) : grand gobelet, «metés en plain hanap de gentil vin aigre» 39 (cf. 73, 81, 83). hanter, hinter (v.) : fréquenter, aller avec. «il hantent ensemble» 63 (cf. 72). haucier (v.) : - extraire, «hauciez les barbes de .1. tort fer crocu» 6. - hausser, relever, «hauciez amont les crins du cheval a voslre main» 60. henap (s. m.) : voir «hanap» 73. henapee (s. f.) : contenance d'un hanap. «li donnez une autre henapee de cele coction» 73 (cf. 75). heuse (s. f.) : jambière, botte. «si le mete l'en en une heuse de cuir» 9. higue (s. f.) : (?) «fetes le sainier de .II. higues entre l'ieul et la joe» 81. hinter (v.) : voir «hanter» 72. hom, hon (pr. pers.) : on: «puis le doit hon prendre et mestre en l'estable» 8 (cf. 1, 4, 5, 6, 13, 14, 16, 18, 20, 22, 23, 24, 25, 26, 27, 28, 31, 32, 33, 36, 37, 38, 39, 40, 43, 4 4 , 4 5 , 4 7 , 4 9 , 50, 54, 55, 56, 60, 62, 63, 64, 66, 68, 69, 70, 71, 72, 73, 74, 75, 76, 77, 78, 79, 8 0 , 8 1 , 8 2 , 83,84). honce (s. f.) : voir «once», 78. humeur, u m e u r (s. f.) : humeur, substance liquide circulant dans le corps et dont la mauvaise qualité ou l'excès provoque une maladie, «boces naissent quant il y a trop grant superfluité de Tumeur des pourriez viandez» 63 (cf. 61, 62, 65, 66, 67, 69, 72, 79, 80,81). h u r t e r (v.) : la seule occurence de ce mot a le sens de «s'accoupler» 62. ice (pr. n.) : cela «qui riens n'i veult mettre de tout ice» 20 (cf. 77, 84). iceluy, iceu, icculz, ycele (adj. ou pr. démonstratif) : ce...là, ces...là, celui là, ceux-là. «quant iceulz signez apperent ou cheval...» 2 (cf. 4, 76, 77). icest, icestes (adj. ou pr. démonstratif) : ce...ci, ces...ci, ceci, ceux-ci. «icestes maniérés de maladies» 5 (cf. 64). Icble, ieule (s. f.) : hièble, Sambucus ebulus L., plante de la même famille que le sureau (64, 73, 75, 79). iert (v.) : 3e pers. du sing. du futur simple de l'indicatif du verbe «être» (62, 67, 73, 77). leul, uil, iex, ielx (s. m.) : oeil, yeux «quant cheval a l'ongle en l'ieul...» 35 (cf. 8, 34, 36,81,84). leule (s. f.) : = ieble (voir ce mot) 64. ignevaux (adj.) : plein de feu. «de fierté hardis et ignevaux» 84.
ilec, illequcs (adv.) : ici. «lessiez illeques siques atant que ly estranguclons soit gueris» 66 (cf. 61, 62). Ireingnie (s. f.) : araignée, «prenés une cuilleree de miel et .111. de suie et ireingniez» 80. issir, yssir (v.) : sortir. «l'umeur ist hors auxi comme gomme d'arbre» 79 (cf. 4, 9, 11, 22, 25, 62, 65, 66, 70, 72, 75, 77, 80, 83). iver (s. m.) : hiver. «pour ce doit il pou entrer en eve en iver» 78. j a soit ce que (loc. conj.) : bien que. «li chevaux ne peut pas attraire maladie d'autre cheval, ja soit ce qu'il hantent ensemble» 63. jale (s. f.) : inflammation des synoviales articulaires (Y. Poulle-Orieux, L'Hippiatrie dans l'Occident latin, op. cit., p. 85). «se li cheval a jales, serrés les voinez dessus» 20. jarle, garle (s. f.) : grand récipient, cruche ou grande coupe à oreilles, «et fere luy une jarle de pastee» 51 (cf. 47). j a r r é s , j a r r o i s , garrois (s. m. pl.) : jarrets, «de cheval qui est refoulez ou bleciez en l'espaule ou es jarrés» 33. j a r s e (s. f.) : scarification, «fetes unes petites jarses» 70. j a r s e r , g a r s e r (v.) : scarifier, «més tout avant le raés bien et jarsés em pluseurs lieuz» 78 (cf. 70, 79, 82). jiuisse : subj. présent du verbe «jesir» : être couché, se coucher (?) «si jiuisse souvent pour la fcbleüre des jointures» 78. joe (s. f.) : joue. «se li cheval a boces entre les joes pour refroidcUre» 38 (cf. 52, 81). jointeüre, jointe (s. f.) : jointure, articulation, «le poil qui est entre la premiere jointeüre et l'ongle...» 79. j o u b a r b e (s. f.) : joubarbe, Sempervivum tectorum L. (66). Le livre des simples médecines dit de la joubarbe : « Semper viva, j o u b a r b e - La joubarbe est froide au troisième degré et sèche au premier. Elle doit son nom de semper viva, toujours vive, au fait qu'elle est toujours verte. Elle croît sur les maisons ...» (Platéarius, Le livre des simples médecines, op. cit., p. 178). lampas (s. m.) : maladie de la bouche (congestion de la muqueuse du palais, palatite). «lampas est une maladie en cheval qui croist ou palaiz» 4 (cf. 5, 41). lancier (v.) : jeter. «li lanciez dedens le corps parmi la bouche» 44 (cf. 28, 39). lange (adj. ) : de laine : «drap lange» 77. lé (adj.) : large. «une dure enfletire plus longue que lee» 82. legierement, de legier (adv.) : facilement, «fendés si que li sanc em puist issir legierement» 4 (cf. 2, 84). lesardes, lessardez : (?) «se les lesardes li enflent par aucune maladie, si les cuise l'en deseure» 44. lescive, lessive (s. f.) : lessive. «le lavés de chaude lescive» 76 (cf. 64, 71, 76, 77, 81). lever (v.) : 1. relever, élever «levés et liés la teste du cheval amont» 66 (cf. 28, 79, 81, 82). 2. laver «leve d'eve froide» 7 (cf. 60). lez (prép.) : près de, à côté de «se la boce du fi est lez le costé» 62. liart (adj.) : gris ou gris pommelé. «li bay cheval et li pommelé et li liart (...) valent mielx des autres» 84. limachon (s. m;) : escargot, «item prenés limachons ovec le coquilez» 70. liquere (s. f.) : mixture, boisson, «tenés amont les narilles sique cele liqueres li descende ou chief» 66. livesche, lymesche (s. f.) : livèche ou ache des montagnes, Levisticum officinale Koch., ombellifère à la saveur de céleri (31, 65).
loer (v.) : appliquer, «la ou l'en ne loe mie feu ne fer» 78. 101er (v.) : lier. «loier le chief prés de terre» 81. lorier (s. m.) : laurier (78). lymesche (s. f.) : = livesche (voir ce mot) 31. mainne (adj.) : grand. «fetez le seignier de la vaine mainne du col» 2. maistre (adj.) : principal : «.II. maistres voinez» 9. mamclette (s. f.) : petite mamelle, «en manieres de petites mameleltes de bestez» 6. m a r a c r o n (s. m.) : fenouil, Foeniculum vulgare Mill. (36). marescaucie, mareschaussie (s. f.) : soin aux chevaux, «comment hon doit cheval garder aprés la marescaucie» 32. m a r u b r e (vert) (s. m.) : Marrube. Le marrube portait aussi le nom de prasium ce qui expliquerait l'expression «marrube vert». Nous pouvons citer le marrube blanc, Marrubium vulgare L., et le marrube noir ou ballote, Ballota nigra L, plantes de la famille des labiées (62). maschier (v.) : mâcher, «se li chevaux menjue orge ou aucun dur blé et il l'avale sans maschier...» 73. maule (s. f.) : (?) (72) Ce mot traduit le «raifort» prescrit dans le De animalibus. maumis (adj.) : abîmé, détérioré ; le texte n'offre qu'une seule occurence de ce mot dans l'expression «nerf maumis» qui désigne alors une luxation tendineuse (Y. PoulleDrieux, L'Hippiatrie dans l'Occident latin, op. cit., p. 85). «nerf de cheval quant il est maumis ou poins ou trenchiez» 64. mauve (s. f.) : mauve, Althaea officinalis L. (64, 66, 73, 83). mauvicture (s. f.) : mal. «fetes petites cuiturettes en esclain entour la mauvieture» 83. mehaig (s. m.) : maladie, blessure, «et le metez au mehaig tout chaut» 83. meigrecc (s. f.) : maigreur, «grosist de sanc en meigrece» 76. meinement (adv.) : moyennement, «aprés mellez cendre de bûche aveques, sique il soient meinement espés» 81. mcneson, menoison, moison (s. f.) : entérite d'origine alimentaire, «se li cheval a menoison dedens le cors...» 44. mengue, menjue, menjuce, menjuet, m e n j u e n t : formes du présent du subjonctif et de l'indicatif du verbe «manger» (2, 5, 66, 68, 73, 76, 77, 81 ). meoule (s. f.) : vigueur, «en celi an doivent les meoules revenir es cuisses et le cheval enbarnir» 8. merci (s. f.) : pitié, grâce. «cri je merci a nostre Signeur Jesus Crist» 23. merler, mesler (v.) : mêler, mélanger, «l'eve se mesle ovec» 81. mesel, mesaux (s. m.) : lépreux, «donner .1. denier pour Dieu aus mesaux» 32. messele (s. f.) : joue. «entre les messeles la ou il soit joint au col» 66. messelier (adj.) : molaire, «encontre les dens messelieres» 5. mestier (s. m.) : besoin, «les derraines partiez qui sont plaine/, de reume ont mestier de froidez choses» 80. meure (adj.) : mûr. «en la maniere de meure figue» 62 (cf. 61, 66). mielx (adv.) : mieux. «li crins engroissent et croissent miclx» 7 (cf. 2, 47, 72, 84). mincier (v.) : émincer, couper en petits morceaux, «minciez porions bien deliez» 67. moiau, moieul (s. m.) : milieu, jaune de l'oeuf. «.11. moiaux d'euz» 80 (cf. 39, 67, 78). moien (adj.) : qui se trouve au milieu. «le saigniez ou col selonc sa force de la vaine moienne» 63. moison (s. f.) : voir «meneson» 73. moiste, moite (adj.) : humide, «eve est froide par nature et moistc» 64 (cf. 2, 70, 80). m o r m a : voir «seno norma» 69.
morsel (s. m.) : bouchée, morceau de nourriture, «il avale mauvesement oncquez son morsel» 81. morte c h a r : gangrène, «morte char a plaie se elle targe trop a guerir ou se l'en y met mauveise cure» 71 (cf. 10). m o r v e (s. f.) : mucus nasal, abondant et signe de maladie, «corrumpes fleumes porris, que l'en apele morve» 63. morveus (adj.) : qui est atteint d'un écoulement nasal (et non de la maladie appelée «morve» aujourd'hui). «de cheval morveus : comment hon le doit guerir» 39 (cf. 5, 63). m o u r o n (s. m.) : mouron blanc ou mouron des oiseaux, Stellaria média L., ou mouron rouge ou mouron des champs, Anagallis arvensis L. (66, 67, 70, 71). m o u t (adv.) : beaucoup, très. «s'efforce mout de grater son ventre des piés derrière» 74 (cf. 2, 13, 66, 71, 72, 73, 74, 75, 76, 79, 81, 82). mouvoir, movoir (v.) : remuer, bouger. «les metés cuire au feu et les movez adés qu'il n'erdent a la pouaillc» 78 (cf. 61, 62) m u e r (v.) : changer ; remuer, «li foiez trait a luy la gregneur force de sa viande et si le mue en sanc» 63 (cf. 2). mules (s. f.) : crevasses du paturon, «mules croissent en froit temps prés de la jointure qui est dessous la jambe» 79 (cf. 19). musciaux (s. m) : cuisse, au-dessus du jarret, «se la maladie n'est mie es creuz des os des musciaux, mes en charnel lieu» 72. nache (s. f.) : fesse. «grans debatemens de nachez dessouz la queue» 77 (cf. 69). narilles (s. f.) : narines, naseaux, «la reume lesse a decourir par les narillez» 66. n a v r e r (v.) : blesser : «la chair est navree» 64. nercir (v.) : devenir noir. «nercissent les voinez desouz la langue» 63. nerf, ners (s. m.) : tendon, «nerf, pour ce qu'il est frois et ses quant il est trenchiez ou point» 64 (cf. 52, 60, 62, 67, 71, 72, 78, 79, 82, 83, 84). nestre (v.) : naître, provenir, «il nest de trop de sanc entre cuir et char» 62 (cf. 2, 23, 67, 72, 74). neu (s. m.) : ganglion, tumeur, «quant li neu est alaciez» 62 (cf. 37). nient, noient (adv. ou s. m.) : nullement ; rien. «pour ce doit il pou entrer en eve en iver et nient en esté» 78 (cf. 67, 83). noer (v.) : nager. «prenés le gras qui noera par dessus» 78. noiel (s. m.) : noyau. «et se doit l'en garder de touchier au noiel du pié dedens» 9. n o m b r i s (s. m.) : lombric, ver de terre. «prenés .1. vers qui naissent que l'en apele nombris» 64. nonne (s. f.) : midi. «ne le lessiez mengier ne boire devant nonne» 74. n o r m a : voir «seno norma», 69. o (prép.) : avec. «emplir la plaie de forment mellé o miel» 54 (cf. 11, 22, 28, 36, 38, 39, 40, 70, 72, 77). oes, oez (s. m. pl.) : voir «euf» (22, 39, 47, 58, 78). . oig, oint (s. m.) : graisse, «oignement fet d'arrement et de viez oint et de vif argent fondu ensemble» 55 (cf. 34, 36, 38, 55, 57, 58, 64, 67, 76, 77, 78, 79, 83, 84). oignement (s. m.) : onguent. «.I. oignement de pois ou de cire ou de sain d'oie» 22 (cf. 55, 62, 64, 76, 77, 78, 83). oindre (v.) : appliquer un onguent, oindre. «aprés l'oigniez d'oigncment petit environ» 62 (cf. 38,49, 64, 76, 77, 78, 83). oille (s. f.) : huile. «oigniez le lieu de chaude oille de nois» 64. oint (s. m.) : voir «oig».
oistre (s. f.) : huître : «coquilles d'oistres» 71. once, honce : mesure de poids correspondant à environ 30 grammes ou un peu davantage (77). oncion (s. m.) : bistouris (?) «fetez .1. fer grele tourné en son leu apelé oncion» 5. oncquez (adv.) : une fois. «il avale mauvesement oncquez son morsel» 81. ongle (s. f.) : 1. sabot «fetez le sainier des vainez dessous les ongles des piez» 81 (cf. 42, 63, 79, 84).2. maladie de l'oeil, onglet ou pterygion, c'est à dire épaississement partiel de la conjonctive (Y. Poulle-Drieux, L'Hippiatrie dans l'Occident latin, op. cil., p. 78 et L. Moulé, Glossaire vétérinaire médiéval, op. cit., p. 518). «de cheval qui a l'ongle en l'uil» 35. onques ne (adv.) : jamais ne... «prenés .11. mesures de fiente de mouton qui onques ne fu lavés» 67 (cf. 62). ord, ors (adj.) : sale. «est menés en l'estable a ors piez» 79 (cf. 30). ordure (s. f.) : saleté, «fleumes et ordures remaint ou corps et ou pis» 66. orine (s. f.) : urine. «si lavez le bleciés de vin chaut ou d'orine ou d'eve mout bien salee» 71 (cf. 2, 12, 30). ortion (s. m.) : (?) (= oncion (?)) «si doit l'en venter l'espaule et metre .11. seons ou une ortion ou .III. bras» 33. otor (s. m.) : autour, «fetes entret de fiente d'otor» 26. ouel (adj.) : égal. «trenciez la fors, si que il soit ouel au cuir» 62. ouelment (adv.) : également, «prenés racine de maule et de galiofile ouelment» 72. ouni (adj.) : égale, uniforme, «siques atant que la bonne char soit toute ounie au cuir» 71. ovec, oveques (prép., adv.) : avec. «triblez donc fiente nouvele de buef ovec sablon» 62 (cf. 66, 67, 68, 70, 72, 76, 77, 81, 83). paene ou pié : javart. Y. Poulle-Drieux identifie cette maladie comme un javart de la fourchette, c'est à dire une contusion des talons compliquée de nécrose (L'Hippiatrie dans l'Occident latin, op. cit., p. 87). «s'il a paene ou pié, si soit frotez de savon et de sel et d'orine et de charbon de chaisne» 12 (cf. 16). pairer (v.) : parer la sabot, c'est à dire en amincir la corne. «se li pié li estraignent, si li paire l'en les piés tendrement» 9. panel, pennel (s. m.) : sorte de tapis de selle. «puis lier .1. pennel dessus a .11. cengles» 46 (cf. 70). panthamiron, p e n t h a m e n o n (adj.) : qualifie un onguent, «oigniez le d'oignement panthamiron» 83 (cf. 78). parele (s. f.) : patience aux feuilles pointues, Rumex sanguineus L. Cette plante avait la réputation d'être efficace pour soigner la gale : «qu'on la mange ou qu'on la pose broyée, cette herbe est bonne contre la gale» dit Le livre des simples médecines (cf. Platéarius, Le livre des simples médecines, op. cit., p. 70 et 340) (76). parfont (adj. ou adv.) : profond ; profondément, «se les racinez du fi sont parfont» 62 (cf. 9, 67,70, 82). pariceuz (adj.) : engourdi, «il est pariceuz quant il n'a déclin» 67. parmi, parmie (adv. et prép.) : au milieu, par le milieu, «fendre parmi l'eschine» 20 (cf. 4, 22, 38, 39, 61, 63, 69, 73, 83). pas de cheval (s. m.) : cette plante est identifiée par Tony Hunt comme l'asaret, Asarum europeaum L., ou le tussilage, encore appelé «pas d'âne» aujourd'hui, Tussilago farfara L. (T. Hunt, Plant Names o f Medieval England, op. cit., p. 256 / Jean Valnet, Phytothérapie, op. cit., p. 152 et 493). pastel (s. m.) : emplâtre, «batés senevé et destrempés de vin aigre, et fettes .1. pastel» 22.
pasture (s. f.) : paturon ; lorsque le paturon est cité dans le texte de la Cirurgie des chevaux, ce n'est jamais parce qu'il est le siège d'une lésion, mais toujours pour localiser une veine à saigner, «le premier jour sainier le des pastures» 48 (cf. 9, 11, 13, 20, 47, 50). pel, piau (s. f.) : peau : «le poil de la pel» 24. pennel (s. m.) : voir «panel», 46. p e n t h a m e n o n (adj.) : voir «panthamiron», 78. p e r c e u r (s. m.) : instrument servant à percer, «si le perciez dessus le clou d'un perceur» I l . p e r s a n e r (v.) : soigner, guérir complètement, «donc le persanes de cele poudre» 71 (cf. 70). pestre (v.) : paître, «li chevaux menjue et pest aucune froides herbes ou aspres» 5 (cf. 3, 8, 75). pesteler (v.) : piler, broyer, «aprés pestelez huile et aipe et foilliez de sain tout ensemble» 70 (cf. 64, 76). pié, piez (s. m.) : pied. «se cheval a le pié escoté, si soit li piez parés et lavés» 10 (cf. 9, 11,12, 13, 21, 25, 27, 47,49, 56, 63, 72, 74, 79, 80, 81, 83, 84). piau (s. f.) : voir «pel», 84. pieccte (s. f.) : petit morceau. «prenés petites piecetes de lart» 70. piepol (s. m.) : pourpier, Portulaca oleracea L. (cf. T. Hunt, Plant Names o f Medieval England, op. cit., p. 213) (31). pileter (v.) : piler, réduire en très petits morceaux, «puis fetes fere feves piletees» 10. pinchoure (s. f.) : pince. «traire chaiscun poil a unes pinchoures» 17. pis, piz (s. m.) : poitrail, «fleumes et ordures remaint ou corps et ou pis» 66 (cf. 52). pissat (s. m.) : urine. «si luy flere le pissat et la fiente» 2 (cf. 53). plaier (v.) : meurtrir, blesser, «emplastre a perdre raancle sans plaier le cuir dehors» 67. plantain (s. m.) : plantain, Planlago major L., (72). plettif (adj.) : abondant, «collections est plus plettive» 61. plon (s. m.) : plomb : «.I. petit d'arcal ou de plon» 31. poialle, pouaille (s. f.) : poêle à frire. «cuisiez les oes durs et triblés les moieux en une poialle de fer, et les metés cuire au feu» 78 (cf. 26). poig (s. m.) : poing. «metés chascun jour plain poig devant le cheval» 74. poiler (v.) : perdre ses poils : «la queue poile» 77. poindre (v.) : piquer ; éperonner. «le poigniez tant que sanc en ysse» 22 (cf. 8, 57, 64). a poine, a poines : avec difficulté, «il eschapera a poines ou jamés» 74 (cf. 63, 70, 81). pointure (s. f.) : piqûre, blessure, «de cheval qui a pointure d'espine ou pié» 27 (cf. 11,64, 65,67). poiz résiné, pois (s. f.) : suc résineux, goudron végétal provenant de la combustion de bois résineux, «une partie de pure goute de poiz resinc» 78 (cf. 11, 20, 22). porcel, pourcel (s. m.) : petit porc. «fiente de porcel qui pest herbe eschaufee» 3 (cf. 20). porion (s. m.) : poireau, «minciez porions bien deliez» 67 (cf. 72, 80). p o r p r e n d r e , p o u r p r e n d r e (v.) : recouvrir, investir, «roigne qui pourprent le cuir» 2 (cf. 67, 70). pou (adv.) : en petite quantité, peu. «pour ce doit il pou entrer en eve en iver et nient en esté» 78 (cf. 22, 71, 72, 73, 76, 81, 83). pouaille (s. f.) : voir «poialle» 26, 78.
poulieul (s. m.) : pouliot, Mentha pulegium L. (cf. T. Hunt, PlatU Naines o f Medieval England, op. cit., p. 192) (71). p o u r p r c n d r e (v.) : voir «porprendre». poussif (adj.) : atteint d'emphyséme pulmonaire, «se li cheval est poussif, si li doint l'en .II. quartes de vin a boivre» 43. preele (s. f.) : prêle, Equisetum arvense (?) Nous pensons qu'il s'agit plutôt d'une patience Rumex sanguineus L., à cause de l'adjectif «vermeille» qui est joint à ce nom (31). prenge, prcngne : 3ème pers. du subjonctif présent de «prendre» (20, 22, 44, 73). preindre (v.) : presser, «aprés le prengniés fort par .1. drapel gros» 78. prime (s. f.) : première heure (= 6 heures). «siques a lendemain prime» 22 (cf. 31). de primez (adv.) : premièrement, tout d'abord, «metez miel chaut dedens le cercle de primez» 62. procein (adj.) : proche, «fetes le sainier du plus procein membre» 67. prouvcnde (s. f.) : nourriture, «tollir luy le gesir et la prouvende et le boire» 47. q u a r r e n c u : mesure de liquide correspondant à environ 12,5 litres (?) «si le fendés devers les naches en lonc, siques atant que vous viengiez au quarrencu» 77. q u a r t e (s. f.) : mesure de quantité environ deux litres). «si li doint l'en .11. quartes de vin a boivre» 43. qucr (conj. de coord. ou de subord.) : or ; parce que. «il est de bloie couleur, quer il vient de noir sanc et de espés» 68 (cf. 2, 8, 60, 63, 64, 66, 67, 72, 73, 78, 80, 81). queure (v.) : courir, circuler. «li sain queure a une part» 78 (cf. 81). raer (v.) : arracher, couper, raser. «raés le d'un fer chaut et serrés la vaine dessous» 22 (cf. 5, 63, 64, 70, 78, 79, 82, 83). raancie, rancie, ranche (s. m.) : abcès, «rancles est uns grans enflez de rouge couleur qui pourprent le cuir et la char» 67, 70. racis (adj.) : remis en place. «devant ce que l'enfleure soit racise» 70. rafle (s. m.) : raifort, ou plutôt radis noir Raphanus sativus L. (22, 78). raie (s. f.) : (?) S'agit-il du poisson (?) «se li cheval est errccheiiz, prenés la raie et la cuisiez en l'eve» 17. rains (s. m.) : reins. «pour guerir cheval qui out febles rains» 30 (cf. 69). ralle (s. f.) : corne du sabot. «puis teper tout entour le pié dessus la ralle» 9 (cf. 11). ranche, rancie (s. m.) : voir «raancle». raseur, r a s o u r (s. m.) : rasoir, «trenchiez le cuir en lonc d'un raSOUT» 72. se r a t a p i r (?) (v.) : se cacher, disparaître, «et en gain se ratapist se la maladie n'est mout vielle» 79. refoulez (adj.) : atteint d'une entorse, «se li chevaux est refoulés ou cslargis, si li doit l'en metre .11. seons des les espaules» 33. refroideüre (s. f.) : refroidissement, rhino-pharyngite. «se li cheval a boces entre les joes pour refroidetire» 38. refroidi (adj.) : atteint de rhino-pharyngite. «se il est refroidis, metés luy une billete de cyre entre les joes» 38. re ma noir (v.) : demeurer, rester, «que la superfluités n'i remaigne» 1 (cf. 66). r e m e n a n t (s. m.) : excédent, surplus. «sechiez le remenant» 76. remetre (v.) : fondre, «prenés toutes ces choses et metez sus le feu. Et quant elles seront remises, oigniez en les ners» 78. remouvoir (v.) : bouger, remuer, «hom ne le peut remouvoir de la main» 78. replettion (s. f.) : excès, trop-plein, «farsins vient et nest de rcpletlion d'umeurs» 72.
rere (v.) : raser, couper, «se il est atains, rere la jambe» 20 (cf. 22, 72). rester (v.) : demeurer, «quant li chevaux est restif, la ou il restera si soit empasturés» 49. r e s t r a i n d r e (v.) : arrêter, reserrer. «por restraindre sanc de c h e v a l 3 (cf. 18). r e t r a i r e (v.) : rétrécir, «il vient de ce que li nerf retraient» 60 (cf. 78). r e u m e (s. f.) : flux d'humeurs. «la reume lesse a decourir par la bouche et par les narillez» 66 (cf. 72, 80). roe mauve : guimauve, Althaea officinalis L., ou peut être la rose trémière, Althaea rosea L. (83). roele, roel, roucle (s. f.) : rondelle, «une roel en cire ou en miel entre les ars devant» 25 (cf. 29, 30, 33). roide (adj.) : raide. «dont couvient il que li cheval cloce pour ce que li nerf fust roide» 78 (cf. 79). roie (s. f.) : sillon : «trenchiez la roie parmi» 4. rolgne (s. f.) : 1. gale : «roigne est une enfermetés qui naist ou cuir de la beste et si se forment auxi comme les eschardes de poisson» 77 (cf. 2, 38, 41, 76). 2. rénette, instrument tranchant : «se le cheval a lampas, ostés d'une roigne» 41. roigneus, roigneuz (adj.) : atteint de gale. «quant cheval est roigneuz, si soit segnié des .n. costés» 38 (cf. 77). rolon (s. m.) : sillon, «faites-le saignier du tiers roion entre les dens devant» 4. rouele (s. f.) : voir «roele», 29. rue (s. f.) : rue, Ruta graveolens L. (?) (31, 70) sablon (s. m.) : savon (62, 71, 72, 78, 82). saie (s. f.) : soie. «le poil est autrexi roides comme saie de porc» 79. sain (s. m.) : graisse, «et face l'en fere .1. emplastre de sain et de bren» 9 (cf. 10, 11, 20, 22, 39, 4 0 , 4 9 , 64, 66, 67, 69, 70, 71, 76, 78, 83, 84). sain (adj.) : sain, en bon état. «le sain cuir» 62 (cf. 66, 77, 78). sainee, saignié (s. f.) : saignée, «et fetes cete se il a les rains febles aprés la sainee» 69 (cf. 30). sainier, sainnier, saignier, segnier, scignier, seinier. seinnier (v.) : 1. saigner, souffrir d'un écoulement de sang «se il saine trop de sanc d'aucune plaie» 53 (cf. 61). 2. pratiquer une saignée. «le premier jour sainier le des pastures» 48 (cf. 2, 4, 13, 20, 30, 35, 3 8 , 4 2 , 4 5 , 47, 50, 58, 61, 62, 63, 66, 67, 68, 69, 72, 75, 76, 77, 83). sanc, sans (s. m.) : sang. «quant sanc surhabunde en cheval, il se deffrote volentiers» 2 (cf. 1, 3, 4, 9, 11, 22, 30, 38, 40, 51, 53, 58, 61, 62, 63, 65, 66, 67, 68, 69, 70, 72, 76, 77, 79, 83). sanemonde (s. f.) : benoîte, Geum urbanum L. (cf. T. Hunt, Plant Names o f Medieval England, op. cit., p. 42) (72). s a n n e r (v.) : soigner, panser, «il travaille trop ains que il soit sannez» 77. segnier, scignier, seinier, seinnier (v.) : voir «sainier» 2, 13, 38, 61, 63, 81. s e j o u r n e r (v.) : donner asile, laisser à l'intérieur.«et séjournez le tant que il soit gueris» 13. semadi (s. m.) : samedi (?) «le semadi aprés la mareschaussie, l'en doit eve passer» 32. senestre (adj.) : gauche, «fetes le sainier de la senestre partie du col» 68 (cf. 60, 67). senevé (s. m.) : sénevé ou moutarde blanche, S inapis alba L., crucifère (22). senneçon (s. m.) : séneçon, Senecio vulgaris L., composée (67). Le livre des simples médecines est très clair au sujet de cette plante : «quand, dans les recettes, il est dit de prendre «senacions» au pluriel, c'est du cresson qu'il s'agit et quand on trouve
«senechon» au singulier, c'est d'une autre herbe qu'il s'agit.» (Platéarius, Le livre des simples médecines, op. cit., p. 206). seno n o r m a (s. f.) : coup de chaleur (Y. Poulle-Drieux, L'Hippiatrie dans l'Occident latin, op. cit., p. 83.). «senos morma est dite pour ce que a trop habundance d'umeurs es rains» 69. seon (s. m.) : séton, mèche de tissu, de fils ou de crins que l'on passe à travers la peau et le tissu cellulaire pour entretenir une suppuration). «metre .1. seon parmi o .1. fer chaut» 38 (cf. 28, 30,33, 50). serrer (v.) : le texte comporte 7 occurences de l'expression «serrer la vaine» = barrement de la veine. «se li cheval a jales, serrés les voinez dessus» 20 (cf. 9, 11, 20, 22, 30). ses (adj.) : sec. «nerf, pour ce qu'il est frois et ses quant il est trenchiez ou point...» 64. seut : 3ème pers. du sing. du présent de l'indicatif de «soloir» : avoir l'habitude. signouricr (v.) : régner, dominer (?) «selonc la qualité de l'umeur qui plus a signourié en la beste» 67. si que (conj. de sub.) : de telle sorte que. «fendés si que li sanc em puist issir» 4 (cf. 9 10 60 62 65, 66, 69, 70, 72, 77, 78, 79, 81, 83). siques, siques a tant que, siquez a tant que (conj. de sub.) : jusque, jusqu'à ce que. «fetez ainxi souvent, siques a tant que li sanc seiche» 3 (cf. 8, 22, 24, 33, 49, 60, 61, 62, 64, 66, 68, 69, 70, 71, 72,73, 74, 75, 76, 77, 78, 79, 80, 81). sole (s. f.) : sole, voûte concave sous le pied du cheval, «comment hom peut plus tost fere venir sole et pié a cheval» 56. soler, soller, souler (s. m.) : soulier, «metre le pié du cheval qui a nouvel pie dedens le souler» 84 (cf. 22, 71, 78, 84). sommeton (s. m.) : sommet, «trenchiez hors tout le sommeton du fancel en reant d'un coutel agu» 5 (cf. 60, 62). sorbatu, sourbatu (adj.)': atteint de fourbure (voir «cnfonture»). «se li chevaux est sorbatus, si doit estre ferrés de chaut fer» 54. sorge (s. f.) : (?) «si y mete l'en .1. tenue fer a .1111. clous ou a .11. denz dedens les sorges» 9. soros, souros (s. m.) : suros, exostose se développant tout le long des faces latérales ou postérieure du canon ; le texte distingue le «soros jeune» ou tuméfaction molle et le «viel soros», tuméfaction dure. «se li soros vient en ners ou en jointures, il ne peut flechir le membre» 78 (cf. 22, 23). souder (v.) : cicatriser. «l'en peut souder par tele cure» 64. souler (s. m.) : voir «soler». souloir (v.) : avoir l'habitude, «puis le menés en aucun lieu ou li cheval souloit estaler» 75. sounerion (s. m.) : sommet, extrémité, «levent le sounerion du col de eve tiede» 60. sourfet (s. m.): surfaix ou excès de charge (?) (d'où blessure par cette pièce de harnachement d'après Y. Poulle-Drieux, L'Hippiatrie dans l'Occident latin, op. cit., p. 84.). «de cheval qui est derronz par sourfet» 46. souris (s. f.) : muscle des membres, «se ners ou souris d'espaule est pointe d'esperons» » 64. souros (s. m.) : voir «soros». suif, suie, suye (s. m.) : suif. «et puis les friés en suif» 67 (cf. 42, 63, 80, 83). superfluité (s. f.) : surabondance, excès. «il avient que boces naissent quant il y a trop grant superfluité de l'umeur des pourriez viandez» 63 (cf. 1, 67). s u r h a b u n d e r (v.) : être en excès, surabonder, «quant sanc surhabunde en cheval, il se deffrote volentiers» 2.
suye (s. m.) : voir «suif». tablcl (s. m.) : tablette : «metés sus un tablel» 78. tacon (s. m.) : pièce, morceau, «prenés i le tacon de cuir» 62 (cf. 78). tainture (s. f.) : atteinte (voir «atainture»). «comment hom peut guerir cheval de tainture» 24. talent (s. m.) : envie : «il a talent d'estaler» 75. targier (v.) : tarder, «morte char a plaie se elle targe trop a guérir» 71. temple (s. f.) : tempe, «se vous le voulés sainnier des temples, bessiez luy l'oreille contreval au chief de la ou vous trouverés la voine» 35 (cf. 45). tenable, t e n a n t (adj.) : ferme. «prenés .11. partiez d'argille tenable» 77 (cf. 62). tenue (adj.) : mince : «si y mete l'en .1. tenue fer» 9. tepeüre (s. f.) : chaleur tiède ; fomentation. «li fetes .111. tepeUres d'un fer chaut» 11. teper (v.) : chauffer ; fomenter, «puis teper tout entour le pié» 9 (cf. 11). tesson (s. m.) : blaireau (?) «l'emplastrés d'oint de tesson» 58. ticule, tulle, tuille (s. f.) : tuile. «metés une tieule chaude desus» 62 (cf. 14, 49, 58, 66, 77, 78). tollir (v.) : supprimer, ôter : «tollir le fain» 43 (cf. 47). torceüre (s. f.) : matière molle, visqueuse (?) «raés toute hors la pourreture de la langue et la torceiire de desous» 63. torche (s. f.) : faisceau de choses tordues, bouchon, «aprés fetez deliees torchez de fain moilliez en la charree» 81. torchier (v.) : nettoyer en enlevant, «quant ce est refroidie, torchiez hors et metés autres» 62. toupet (s. m.) : sommet ; poignée de crins. «et fendre li .1. petit le toupet» 47. tort (adj.) : tordu. «hauciez les barbes de .1. tort fer crocu» 6. torte, tourte (s. f.) : 1. sorte de pain : «en la maniere de painque l'en appele turte» 61. 2. hématome : «tortes sont clouz et boces qui naissent dedens la char desouz le cuir» 61 (cf. 2). tourtel, tourteaux, t o u r t i a u x (s. m.) : gâteau, «fetes tourtiaux de vert marubre» 62. traire (v.) : tirer, retirer, «quant cheval a vives, traiez luy et metés du sel dessus» 15 (cf. 1, 5, 9, 15, 17, 19, 34, 36, 63, 73, 79, 81). trenceüre (s. f.) : rognure, morceau découpé, «trcnceÜres de sollers de chis les sueurs» 71. trenchier, trencier, t r a n c h i e r (v.) : couper, tailler, «trenchiez la roie parmi et fendés si que li sanc em puist issir» 4 (cf. 5, 6, 35,41, 61, 62, 63, 64, 69, 71, 72, 79). tresparcier (v.) : transpercer, «quant il sera rés et tresparciez de l'aleme» 78. tribler (v.) : broyer, piler. «triblez donc fiente nouvele de buef ovec sablon» 62 (cf. 63, 64, 66, 69, 71, 72, 76, 77, 78, 80, 81, 83). tuel (s. m.) : tige. «elle croist aucune fois en lieus plains de ners et a la fois en jointure et a la fois es tuez des os» 72. tuile, tuille (s. f.) : voit «tieule», 49, 58, 77. tuit (pr. ind.) : tout. «li membre sont tuit conforté et soustenu» 1. tyrer (v.) : voir «tirer», 52. ues (s. m. pl.) : voir «euf», 78. uil {s. m.) : voir «ieul», 35. ulle, uille, huile (s. f.) : huile. «uile de lorier» 78 (cf. 70, 73, 77, 78, 83). u m e u r (s. f.) : voir «humeur», 63, 66, 67, 72, 79.
vainc, vainne, voine (s. f.) : veine (1, 2, 9, 11, 20, 22, 30, 35, 58, 63, 65, 69, 71, 72, 75,77, 81). vaissel, vessel (s. m.) : récipient, «fondés l'oint en .1. vaissel» 67 (cf. 66). veüe (s. f.) : vue : «cheval qui a espesse la veüe» 36. venci : voir «vesci», 69. venter, esventer (v.) : éventer (?) Nous n'avons pas compris le sens de ce mot, utilisé deux fois dans l'expression «venter l'espaule» 33 (cf. 24). Y. Poulle-Drieux s'interroge aussi sur le sens à donner à cette expression : «...que faut-il entendre par «venter l'espaule» (?) Est-ce insuffler de l'air sous la peau (?)» (L'llippialrie dans l'Occident latin, op. cit., p. 106). ventrel (s. m.) : ventre, «quant la viande est bien cuite naturelment ou ventrel du cheval» 1. verm (s. m.) : ver ; il s'agit ici du nom de la maladie appelée aujourd'hui «morve» ; l'auteur emploie généralement le terme «farsin» pour désigner cette maladie, «si est maladie qui est enloié et l'apelent aucun le verm pour ce qu'il fet pertuis en la char et ou cuir» 72. vermeneus (adj.) : plein de vers. «li chevaux ne peut retenir sa viande en sa bouche, ains la lesse choair toute vermeneuse» 4. vert de grice, vert de grisse (s. m.) : vert de gris. «si y mete l'en vert de grice, si que la morte char soit cheüe et assise» 10 (cf. 22, 78). vesci, ves ici, ves en ci, ves en cy, venci, vez ici, vez en ci : voici, en voici «ves ici les signes» 1 (cf. 2, 67, 69, 73, 79, 83). vespre (s. m.) : soir. «le fetez estre en eve froide siques au ventre par matin et au vespre par .111. heures» 81. vesse de leu (s. f.) : vesse-de-loup, champignon, «vesse de leu destrempee en fiente de porcel» 3. vessel (s. m.) : voir «vaissel», 66. viande (s. f.) : nourriture, aliments, «li chevaux ne peut retenir sa viande en sa bouche» 4 (cf. 1, 5, 8, 32, 60, 63, 66, 73, 74, 76, 81). viel, vielle, viez (adj.) : vieux, vieille, «vous ardrés une viez affublcilre» 3 (cf. 22, 38, 55, 57, 66, 67, 75, 77, 78, 79, 83). vif, vis (adj.) : vif, vivant, «prenés poudre de chevaus ou arrement ars et vis sablon» 72 (cf. 38, 55, 71, 72, 77, 78, 79). virge (adj.) : vierge : «cire virge fondu» 20 (cf. 23, 78). vive crace (s. f.) : crevasse récente (Y. Poulle-Drieux, L'llippiatrie dans l'Occident latin, op. cit., p. 84). «se il a vive crace, si soit la jambe mise et frotee de savon et de sel...» 14 (cf. 16). vives (s. f. pl.) : angine grave (et inflammation des poches gutturales (?) voir Y. Poulle-Drieux, L'Hippiatrie dans l'Occident latin, op. cit., p. 77.). «quant cheval a vives, traiez luy et metés du sel dessus» 15. voier (v.) : voir : «l'en peut mielx sentir que voier» 2. voine (s. f.) : = «vaine», 9, 11, 20, 30, 35, 63, 65, 69. voirement (adv.) : vraiment, «si voirement comme je ainxi le croy» 23. voirre (s. m.) : verre (?) «fetes moudre voirre et a .1. cornet li soufflés en l'ieul» 36 (cf. 47). voir (adj.) : vrai : «ce est voirs que Dieu fu» 23. vouele (s. f.) : (?) «si prenge l'en la vouele d'un coch tout chaut» 44. yaue (s. f.) : eau : «se eve froide yaue noit» 64. ycele (adj. dém.) : voir «iceluy» (77). yeble (s. f.) : voir «ieble» (49, 64, 65, 66, 76).
yex (s. m. pl.) : voir «ieul» (2, 34). yssir (v.) : voir «issir» (9, 11, 22, 62, 66, 72, 77). yveement (adv.) : également, «prenez seneçon et mouron et aluyne de chascun yveement» 67 (cf. 71). yver (s. m.) : hiver (49, 66, 67, 79).
ANNEXE I OPUS RURALIUM COMMODORUM DE PIERRE DE CRESCENS (Partie consacrée au cheval, chap. 1 à 9)
Note' : L'extrait présenté ici est tiré de l'exemplaire conservé à la Bibliothèque Municipale d'Orléans, sous la cote Réserve C. 1337. Il offre l'avantage de contenir une édition incunable de l'Opus ruralium commodorum de 1492, très rare et l'une des premières. Le volume a de plus comme originalité le fait d'avoir été obtenu par interfoliotation de deux éditions, dans le but de fournir un texte bilingue. Le texte latin, en édition incunable (Spire, P. Drach, c. 1492 ; cf. Hain 5826, Polain 3099), est interfolié dans le texte français de Paris, 1521 (Vve de Michel le Noir ; cf. Moreau, 1521-1530, n° 74) et apporte ses nombreuses gravures sur bois (voir illustrations). La page de titre manque, mais le titre lui-même a été découpé et collé sur la page de titre de l'édition française. Cet amalgame a probablement été réalisé dans la deuxième moitié du XVIe siècle, comme en témoignent les fers azurés sur les plats de la reliure ; une peinture ancienne, exécutée d'une main maladroite, couvre les gravures de l'une et de l'autre édition : il s'agit sans doute du travail d'un amateur, désireux de se constituer un ouvrage d'économie rurale à sa mesure. Le latin de notre édition est assez souvent fautif et nous avons tenté au mieux de le rétablir, tout en conservant les graphies et les tournures médiévales. Nous proposons une traduction en français moderne qui se veut davantage un éclairage du texte de Pierre de Crescens et des méthodes qu'il préconise qu'une traduction «collant» au texte latin.
TEXTE LATIN (fol. 112) Dicam itaque de animalibus nutriendis que scire potui ex doctrina prudentum antiquorum quam experientia modcmorum. Et quia non omnes per omnia sed certi, et per certa peritiores vel minus pcriti inveniunt, supplementum hujus operis relinquo viris maximc expertis in talibus. Nam ut ait philosophus: experientia facit artem et plenius ea qui naluralis ratio est annexa. Verum quia inter cetera animalia equus censetur nobilior et magis necessarius, tam regibus et aliis principibus tempore bellorum et pacis, quam 1 - Nous remercions F. Deguilly, directeur de la Bibliothèque municipale d 'Orlčans, qui a eu 1'extreme gentillesse de nous communiquer ses recherches personnellcs au sujct du volume du Livre des prouffilz champestres et ruraulx sur lequel nous avons travaillc. C'est lui qui a d6couvert la vrai nature de ce volume composite.
ecclesiarum prelatis ; et per consequens ceteris dicam primo de ipsis plenius, de ceteris sub compendio quibus de genere multa cquorum dicta poterunt adaptari propter affinitatem nature ipsorum. Capitulum primum : De etate equorum et equarum Greges equorum et equarum qui habere voluerit primum, ut ait Varro, spectare optimum etatem. Vidcat ne sint minores trium annorum majores decem annorum. Etas cognoscitur equorum et fere omnium qui ungulas indivisas habent et etiam cornuta sunt, ut idem ait, et similiter Palladius, quod equus in trigenta mensibus primum dentes medios dicitur amittere, duos superiores et totidem proximos, et primi ejecti et totidem inferiores, incipientes quartum agere annum ejiciunt, et totidem proximos et primum ejecti renascuntur. Quinto anno incipiente amittunt similiter alios quattuor, scilicet duos superiores et duos inferiores predictis proximos qui renascentes sexto anno implere incipiunt. Septimo omnes habere solcnt relatos et completos. Cum autem sunt majores cuius etatis sit intelligi negant posse, preterque cum dentes sint facti brochi, id est plicati et supercilia cana, et sub eis lacus, id est concavitas quod cum aperuerit dicitur habere annos sedecim. Vir autem prudens et expertus nostris temporibus ait quod equus habet duodecim dentes, scilicet sex superiores et sex inferiores, qui omnes sunt anteriores, cum quibus cognoscuntur etates et tempora equorum ; deinde habet scalones et post illos habent molares et potest esse quod quidam equi plures habent, et tunc dentes sunt dupli, et potest esse quod equus ejiciat ex his aliquos et amplius non renascunt; et non nocet equo nisi ad pascendum, quia ipsi per dentes anteriores pascuntur, et ideo erit minoris precii. Et masticare equorum est per dentes molares, dcntes autem primi quos ibi mittant sunt duo superiores et duos inferiores qui vocantur primus morsus, et v(a)[o]catur pullus primi morsus quod quidam dicit fieri secundo anno ; et postea mutat alios quattuor dentes proximos scilicet duos superiores et duos inferiores qui vocantur medii, id est secundus morsus, et tunc vocatur pullus secundi morsus, deinde mutat alios quattuor, scilicet duos superiores et duos inferiores qui vocantur quadrati, id est tercius morsus. Et quando pullus nascitur, cum rauchis nascitur et postea nascunt scalones et quando isti scalones nascuntur nimis longi adeo quod equum impediunt annonam molere et impinguare proptcr quod marischalchi scalones resecant. Et quando pullus factus est equus dentes eius fiunt rariores et capita dentium fiunt nigra et elongantur et per aliquos annos stabunt cani ; et cum incipit senescere color dentium revertitur ad albedinem et transit ad colorem mellis et post hoc fiunt albi ut color pulveris et fiunt longiores. Sed ipsa dentium longitudo est aliquando per naturam absque senectute, propter quam causam resecantur seminibus dentes ut juvenes esse credantur.
Capitulum II : De forma bonarum equarum et admissarii, et qualiter teneri debent. (fol. 112v) Forma esse oportet, ut ait Varro, magnitudine media quia nec vallas nec munitas decet esse equas, clunibus ac ventribus latis ; equos quos propter admissuram velis habere legere oportet amplo corpore, formosos nulla parte corporis incongruos; equum pecus pascendum in pratis potissimum herba, in stabulis ac presepibus arido feno, cum peperint ordeo adjecto bis in die data aqua ; horum feture initium admissionis facere oportet ab equinoxio verno ad solsticium ut partus ydoneo tempore fiat, scilicet multarum herbarum ut mater habeat habundantiam lactis, ex hoc enim corpus et membra pullis grandiora fient. Duodecimo enim mense die decimo nasci dicuntur ; qui post ipsum tempus nascuntur inutilia existunt. Admitti oportet, cum tempus anni venerit, bis in die, scilicet mane et vespere, sed alterius diebus equa alligata celerius admittuntur neque equi frustra cupiditate impulsi, semen ejiciunt quoad satis (sic) [sit] admiui ipse significant, quod se defendunt. Si fastidium (siliendi) [saliendi] est squille medium conterunt cum aqua ad mellis spissitudinem tamen natura[m] eque cum ea re tangunt, et postea cum eadem nares equi. Sciendum etiam quod equus debet gigni a stellione quem gnaragnum vocamus vulgariter. Diligenter custodito, parum vel nihil equitato, et cum minore labore quam poterit, quia quanto magis cupiverit equam, tanto plus et completius sperma emittet, et major in ventre matris gignet pullus amplius. Mater, cum fuerit pregnans, non nimis pinguis nec nimis macra existat, sed medium teneat, quia ex nimia pinguedine intrinseca locus pulli artatur, ut corpus et membra pulli sufficienter dilatari non possint; nimis autem macra non potest sufficiens nutrimentum filio ministrare, quia propter macilentus et debilis nascitur. Iterum, ut ait Palladius equa pregnans non urgeatur, nec famem frigusque tollerat, nec inter se locis comprimatur angustiis. Item equas generosas et que masculos nutriunt alternis annis submittere debemus, ut pullis copiam puri lactis infundant, cetere passim replendo sunt. Item dicit quod admissarius quinque annorum ad minimum esse dcbct, sed semina recte binia concipiet, qui si decennium excedat iners ex ea nascetur soboles. Item scribit Varro quod equas pregantes cavere oportet ne laborent plusculum neque frigidis [locis] sint, eo quod algor maxime pregantibus obstet. Ideo in stabulis humum aut ab humore prohibcri oportet; clausasquc habeat hostia ac fenestras, et in presepibus inter singulas ponantur longarii, id est longa ligna qui eas discernant, ne inter se pugnare possint. Item dicit pregnantes neque impleri cibo neque esurire oportet. Capitulum I I I : De natura equi et natis qualiter teneri debent. Cum pullus nascitur, utile est quod nascatur in loco petroso et duro et montuoso, eo quod ex loco petroso et duro fiunt ungulc duriores, ex loco montuoso fiunt crura meliora propter exercitum eundi supcrius, et deorsum
natus pullus per bona pascua matrem sequatur duobus annis non amplius ; eo quod tunc naturaliter incipit se habere ad coitum et volens matrem vel aliam equam ascendere et ascendens deterioraretur et de facili possit in aliqua parte ledi. Verum si sine matre ac ceteris equabus stare usque ad trienium posset in pascuis plurimum sibi confortet ad crurium et totius persone salutem. Quinque mensium pullis factis cum revertuntur ad stabulum dandam farinam ordeaceam mollitam cum furfuribus, et siquidem aliud terra natum libenter edent; ut ait Varro anniculis jam factis dandum ordeum et furfures donec erunt lactantes ; nec prius biennio sunt removendi a lacte, donecque stant cum matribus interdum tangendi sunt manibus, ne, cum sejuncti erunt exterreantur ; eademque causa ibi frenos suspendcntes ut equuli consuescant hominum videre facies et frenorum audire stipitus. (fol. 113) Capitulum //// : De captione et domatione equi. Cum pullus est duorum annorum laqueari debet suaviter, causa laqueo grosso et forti de lana composito, eo quod lana propter suam molliciem ad hoc habilior est lino vel canapo. Debet autem laqueari recenti vel nubilo tempore, nam si tempore calido insueta captione nimium labor est, possent facile ledi. Ipso autem capto et laqueato ad societatem cuiusdam equi domiti conducatur. Cum eum salubrius conducetur, quia similia similibus gaudent. Varro autem dicit meliorem fieri equum qui triennio completo domatur, a quo tempore dari farago, id est farina solet, qui propter purgationem equino pecori maxime necessaria est quod diebus decem fieri debet, nec pati ullum aliud cibum gustare. Ab undecimo vero die usque ad quartum decimum diem et decem diebus ultra dandum ordeum quotidie adjicicntem minutatim, deinde mediocriter extergendum et extrahendum, et cum sudarit oleo pungendum. Si frigus erit faciendus in stabulo ignis erit, ad domandum binis retinis de forti corio, et humili presepio alligetur, ne propter suam seviciam fractis retinis ledant in cruribus vel alia sui parte, et donec in sua preseveraverit sevicia semper sui similis domiti societatem obtineat, et cum manu sepe tangatur leniter et suave, nec unquam cum eo graviter indignetur domans, ne ob indignationem vicium aliquod sibi assumat, sed eum cum magna perseverantia levitatis mansuescat, donec mansuetus efficiat ut decet, et pedes lavari et percuti patiatur ad modum ferrandi, imponendus est etiam super eum bis in die puer aut ter vel pluries, interdum parvus cum ventre postea sedens. Capitulum V : De custodia equorum. Equo talis prebeatur custodia, capistrum factum de corio forti et humili primo in equi capite imponatur, et binis retinis alligctur presepio ut superius est expressum, et eius pedes anteriores pedica de lana facta vinculentur, et uni pedum posteriorum alligetur ne animal ire aliquo modo possit.
Inde quidem fit pro sanitate crurium conservanda, locus preterea ubi equus moratur bene mundus existat, in die nocte vero fiat eidem lectus de palea vel grossiori feno usque ad genua pro quiete summo, mane inde tollatur, et tergatur eius dorsum et crura et omnia membra equi decenti tersorio. Deinde pro potu ducatur ad aquam parvo passu, tcneatur autcm equus tam in mane quam in sero usque ad genua vel paulo supcr spacio trium horarum in aqua dulci frigida vel ma(fol. 113v)rina, eo quod dulces aque naturaliter equi eum dessicant, vel propter frigiditatem dulcis vel siccitatem marine coartando humores descendentes ad crura qui sunt egritudinum cause. Postea vero, cum equus redit ad stabulum non intret ullo modo doncc eius crura tergantur et desiccentur ab aqua, quia fumositas stabuli ex sua calitate solet adducere gallas et malos humores cruribus madefactis. Est etiam utile valde quod equus assidue comedat in terra juxta pedes antcriores, ut vix possit prebendam et fenum ore capere, ita quod collum cogatur extendere pro cibo sumendo, quia ex hoc collum efficitur gracilius et pulcrius est. Comedat equus juvenis fenum, herbam, ordcum, avenam, speltam et similia ; nam fenum et herba propter humiditatem ipsorum, ventrem ct corpus totum dilatant et augent. Cum vero fiunt in completa etate, comedat etiam paleas ordei ex quibus non superflue impinguant sed in competentibus carnibus retinent, et sic potest securius fatigari. Nam equus esse debet nec nimis pinguis, nec nimis macer, sed medius inter ea. Si cnim fucrit nimis pinguis humores superflui facile ad crura descendunt et cgritudines creant, qui solent in equorum cruribus evenire. Et precipue accidit eis facile cum subito aliquibus laboribus vexantur ; ex nimia vero macie deficiunt vires eius et redditur turpior ad videndum. Equus preterea perfecte etatis, in veris tempore circa messem herbas solum comedat ad purgandum. Non foris sed sub tecto permanens, grosso tegmine laneo coopertus, ne ex frigiditate herbarum infrigidctur vel morbos graviores incurrat. Aqua preterea pro potu equi aliquantulum salita sit suaviter, currens vel parum turbata. Eo quod tales aque sunt calide et grosse ideoque nutribiliores et magis congrue sunt equorum corporibus. Nota quanta aqua frigidior et velocior est in motu tanto minus equus nutrit et reficit. Ferrari debet equus ferris sibi convenientibus, rotundis ad modum ungule, lenibus, et ungulis in circuitu strictis, et bene adherentibus. Nam levitas ferri reddit equum agilem ad levandum pedcs, ct ipsius strictura ungulas majores et fortiores facit. Equus preterea sudatus vel fortiter calefactus non debet aliquid comedere vel po(r)tare donec coopertus vel paulisper ductus a sudore et calore fuerit liberatus. Et sciendum quod insueta cquitatio serotina nocet equo, sed matutina plurimum comendatur. Oportet preterea equum habere continue cooperturam lineam tempere calido propter muscas, et laneam tempore frigido propter frigus. Et nota quod proptcr sanitatem equi servandam de vena colli consueta quater est fleubotomandus in anno : scilicet vere, estate, autumno et hyeme. Notandum est etiam quod cquus bene et
diligenter custoditur et moderate ut convenit equitatus ut in pluribus circa spacium, .xx. annorum validus perseverat. Capitulum VI : De doctrina et morigeratione equi. In equi morigeratione primum adhibeatur ei frenum levissimum et valde debile cuius morsus sit melle vel alio dulci liquore perunctus. Nam tale frenum facilius et acceptabilius sustinebit et propter dulcedinem ipsum libentius iterato recipiet. Et postquam frenum sine difficultate recipiet, aliquibus diebus mane et sero ducatur ad manum donec optime ductorem sequatur. Deinde absque strepitu sine sella (quam) suavius et levius potum equitetur paulisper; et parvo passu et a dextris et sinistris sepe volvatur, et si oportuerit pedester cum aliquibus antecedat; et omni die per loca plana non saxosa de mane tempestive usque ad mediam terciam equitetur. Cum vero spacio unius mensis sine sella fuerit equitatus, eidem sella suaviter et sine strepitu imponatur; et cum ea ducatur leviter donec tempus venerit hyemale. Cum autem equitator equum ascenderit eum non moveat donec sibi pannos aptaverit; nam equus ex hoc quietum usum assumit ad commodum equitatis. Post hoc autem frigido tempore accedente modus instruendi equum talis sequatur vicem quod equitator faciat ipsum per agros aratos summo mane moderate trotare tam a dextris quam a sinistris se(fol. 114)pe volvando habena freni dextera per unum pollicem ex transverso curtiore alia existere, quia equus naturaliter est pronior ad sinistram, et si expedierit mutet sibi frenum fortius, adeo quod pro velle facile teneatur. Trotari dico equum per terram aratam et non aratam et per equalem et inequalem, ut assuescat pedes et crura levius elevare ; et idem fiat per loca arenosa eadem ratione. Et cum bene trotare sciverit per eadem loca et eadem hora breviori saltu que poterit calopetur. Hoc autem non fiat nisi semel in die, nam ex superfluitate calopandi sepe retrogradi fiunt. Observet etiam equitator in principio cursus et in trotando et calopando, ut manibus teneat freni habenas : inferius juxta dorsum itaque equus paulatim curvando collum caput inclinet in tantum quod os semper deferat juxta pectus, ex hoc enim clarius videt gressus suos et melius ad utraque partem volvitur, et facilius retinetur ad libitum equitantis. Pretera considerari et cognosci debet duricies et mollicies oris equi, et secundum ejus duriciem et molliciem imponatur eidem frenum quorum multa sunt genera; nam sunt valde levia et quedam minus et quedam sunt asperrima et durissima, quedam minus quedam media inter predicta. Sed ipsorum formas scribere obmitto quia nota sunt apud frenorum artifices ; nec possunt sic apte scribi quemadmodum possunt oculata fide videri. Est etiam plurimum utile ipsum civitates equitare frequenter et precipue ubi ars exercetur fabrilis vel sit strepitus vel tumultus. Ex hoc eum desinit esse pavidus et securitatem atque audaciam sumit, quod si prcdicta loca transire trepidat non cogatur acriter calcaribus aut verge verberibus, sed leve verbere blandiendo ducatur. Oportet etiam sepe ascendere equum et de ipso
descendere leviter, ut assuescat in ascensum et descensum, stare pacifice et quiete. Et predicta omnia servanda sunt donec dentes equi perfecte fuerint immutatti, quod sit per spacium quinque completorum annorum. Mutatis dentibus, quam salubrius poterit sibi de maxilla inferi ori quattuor extirpentur dentes, duo vicem ex parte una et totidem ex altera qui scaliones et plane nuncupantur a pluribus. Freni morsus continue adversantes et antequam frenum imponatur eidem permittantur vulnera solidari paulisper, et tunc frenum bene sibi adhibeatur. Et nota quod os equi dcbet esse nec nimis durum nec nimis molle sed medium inter ea. Item nota quod cquus propter dictam dentium extirpatitionem fit pinguior, eo quod ex hoc amittit ferociam et furorem. Post extirpationem dentium equitetur ut dixire movendo eum ad saltus parvulos et sepe obviando ut assuescat intrare in eos et disccdere ab eisdem. Cum frenum inventum est conveniens equo non mutetur ne ipsa mutatione os devascetur equi. Cum equus se habuerit convenienter ad frenum assuesci debebit et curatur summo mane semel qualibet hebdomana per viam bene planam circa spacium quarte partis miliarii unius in principio et deinde usque ad unum miliare cursus poterit augmentari et amplius si placebit. Et est sciendum quod quanto frequentius moderate curatur tanto fit celerior et agilior propter usum. Est tamen contrarium frequentato usui currcndi quod equus ex hoc sit flagrantior de facili et impatiens si nimis festinatur ad cursum, et sue assuete affrenationis maximam partem pcrdit. Sciendum est etiam quod postquam equus perfecte doctus et consuetus fuerit affrenandi equitator frequenter ipsum debet facere calopare, currere et salire, moderate tamen quia longa quies desidiam parit equo, et ea in quibus fucrat instructus facile obliviscetur. Que dicta sunt de instructione cquorum locum habent in equis ad rem militarem pertinentibus, tantum nam alii deputantur ad vecturam, alii ad [ad]missuram, alii ad cursuram, ut qui ad predicta parant. Alii ad quadrigam qui diversi mode sunt ad sua officia instruendi. Item quidam equos habere volunt placidos et quietos et tales castrandi sunt, quia deemptis testiculis quietores sunt. Capitulum VII: De cognitione pulchretudino equorum. (fol. 114v) Equus pulcer habet corpus magnum et longum et sue longitudini proportionaliter omnia membra respondent. Caput eius sit gracile siccum et convenienter longum et [os] magnum et laceratum habeat. Nares inflatas et magnas, oculos grossos, vel non occultos, auriculas parvas et aspideas deferat. Collum habeat longum et gracile (velut) [versus] caput, crines paucos et planos, pectus grossum et quasi rotundum, dorsum curlum et quasi planum, lumbos rotundos, grossos, costas grossas et bovinas, ventrem longum, anchas longas et tensas, (crinem) [clunem) longum et amplum. Caudam habeat longam cum paucis et planis crinibus. Cropas latas et bene , carnosas, gareta satis ampla et sicca, falces habeat curvas ut ccrvus. Crura
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bene ampla et pilosa, juncturas crurium grossas et curtas ut bos, ungulas pedum amplas, duras et concavas prout decet. Sit etiam equus altior aliquantulum in parte posteriori quam in anteriori ut cervus. Collum deferat elevatum et sit in eo grossicies (circa) [juxta] pectus. De pilo diversi diversa sentiunt sed pluribus videtur quod (bovinis sturus) [bajus scurus] super omnibus est laudandus. Sciendum est denique quod pulchritudo equi melius potest cognosci in [m]acie quam pinguedine equi existente. Capitulum VIII: De signis bonitatis equorum. Melior equorum est ille qui habet visum amplum et videre suum est longinquum et fortem habet guardaturam et fortes aures et longas comas [et forte pectus et amplum et curtum schinale, et longas coxas et gambas anteriores] et curtas gambas de retro, et subtile muscllum, et caput nasi et suaves pilos et amplas (grappas) [croppas] et collum grossum et comedit bene. Equus habens nares magnas et inflatas et oculos grossos non concavos audax naturaliter reperitur. Equus habens os magnum, maxillas graciles et macras et collum longum et gracile versus caput, ad frenandum est abilis. Equus habens costas grossas ut bovinas et ventrem amplum [et deorsum] pendentem, laboriosus et sufferens indicatur. Equus habens garecta ampla et extensa et falces extensas et curtas quod garecta interius respiciant in gressu celer et agilis debet esse. Equus habens garecta curta et falces extensas et anchas curbas debet naturaliter ambulare. Equus habens juncturas crurium naturaliter grossas et pasturalia curta velut bovina fortis esse censetur. Equus tenens ad se truncum caude stricte inter coxas fortis et sufferens est, ut in pluribus, sed non celer. Equus habens crura et juncturas crurium satis pilosas et pilos in eisdem longos, laboriosus existit, sed agilis non de facili reperitur. Equus habens clunem longam et amplam et anchas longas et extensas qui sit altior posterius quam anterius velox in longo cursu, ut in pluribus reperitur. Capitulum IX: De signis malitie et utilitatis equorum et vilitatis precii ipsorum. Equus habens maxillas grossas et collum curtum non de facili affrenatur decenter. Equus habens albas ungulas universas vix vel nunquam duros pedes habebit. Equus habens auriculas pendentes et magnas, occulos concavos lentus et remissus existit. Quando supremum nasi equi est multum bassum non potest respirare per nares, et ideo minus valet. Quando equus videt in die et non in nocte dimidiatur precii eius, hoc autem cognoscitur si ducis equum in nocte ad rem quam timet in die, et tunc non timet, et quando non movet pedes in die sicut in nocte. Si oculi equi sunt albi, minoratur valde precium eius, quia ductus ad nivem vel locum frigidum non videt, sed in loco non lucido, et tempore calido bene videt. Equus jactans aures suas retrorsum in omni tempore minoris est precium, quia surdus est. Quando equus non hinnit neque clamat neque aliquem sonum cum ore facit, (surdus) [mutus] est.
Equus habens durum collum et ipsum est super extensum, et cum ambulat non levat caput et non movet (ad) collum ad dexteram vel ad sinistram est pessimi vicii, et est magnum periculum equantibus, quia non potest volvi ad sensum eius, ideoque pro milite non est bonus. Equus cui vadunt (reuma) [genua] intra ut arcus parvi est precii quia pessime vadit. Equus cuius anteriora crura torquentur ut arcus teneri non debet, cum sit pauci valoris. Equus cui anteriora crura movere videntur semper malorum est morum. Equus levans caudam superius et inferius mali est vicii. Equus cui semper est inflatio super genu in proximo tempore suum iter amittit. Si equus videtur inflatio dura in pedibus anterioribus vel postremis in sua operatione non nocet, et dicunt quod si in pedibus anterioribus est inflatio dura securus est, quod aliud malum non descendit ad ea. Equus habens in omnibus pedibus (rapas) [crepacias?] et non potest curari minoris est precii, quia turpioris aperitionis existit. Equus cuius pili de juncturis reversantur et in sursum in sua operatione et non leditur, et ungule eius fortiores existunt. Si equus movet pedes alio modo quam alii equi leditur in sua operatione, idcoquc minuitur precium eius. Si unus pedum de retro eundo alium tangit, multum in sua operatione nocet eidem. Si testiculi equi sunt multum magni turpior est, et in operatione nocent. Et si eius virga semper est pendcns turpior est, ct non est ab honesto homine equitandus. Morphea, id est albcdo, in collo, in mustellino vel supra oculos turpiorem facit equum, sed in operatione non ledit. Movere de flanchis equi non est bonum.
TRADUCTION Je parlerai de l'élevage des animaux à partir de ce que j'ai pu apprendre, tant de la méthode des anciens que de l'expérience des modernes ; et parce que tout ce que l'on trouve n'est pas certain, je prendrai un supplément d'information chez des hommes de grande expérience en ces matières. En effet, comme dit le Philosophe, l'expérience fait l'art, spécialement celle qui est jointe à la raison naturelle. Il est vrai que, parmi d'autres animaux, on considère le cheval comme le plus noble et le plus nécessaire, tant aux rois et aux autres princes - en temps de guerre et en temps de paix -, qu'aux hommes d'église. Par conséquent, je parlerai d'abord plus complètement des montures des premiers, plus brièvement des autres ; les nombreuses choses énoncées à propos de ces chevaux-là pourront être adaptées aux autres, selon le principe de l'affinité de leur nature. Chapitre 1 : De l'âge des chevaux et des juments. Celui qui veut acquérir un troupeau de chevaux doit d'abord, comme dit Varron, considérer leur âge. Qu'il prenne soin de les prendre au dessus de
trois ans et en dessous de dix. On connaît à leurs dents l'âge des chevaux et de presque toutes les bêtes qui ont le sabot entier comme de celles qui ont des cornes. Comme disent Varron et Palladius, à ce que l'on prétend, le cheval de trente mois perd d'abord ses dents du milieu : deux à la mâchoire supérieure les premières qui tombent -, et tout autant à la mâchoire inférieure. Au début de la quatrième année, il en tombe encore autant et celles qui étaient tombées les premières commencent à repousser. Au début de la cinquième année il en tombe quatre autres de même, c'est-à-dire deux inférieures et deux supérieures, proches des précédentes ; la sixième année, elles commencent à repousser. A sept ans, elles sont repoussées et la dentition est complète. Cependant, quand les chevaux sont plus vieux, il est plus difficile de déterminer leur âge : on peut toutefois savoir en les regardant que, lorsque les dents deviennent proéminentes, que les sourcils blanchissent avec des creux se formant en dessous, ils ont alors seize ans. Un homme de notre temps, sage et expert en cette matière, prétend qu'il est possible de connaître l'âge du cheval lorsqu'il a douze dents, c'est-à-dire six supérieures et six inférieures, qui sont toutes des dents antérieures. Viennent à la suite les crochets2 et après les molaires. Il peut arriver que quelques chevaux en aient plus, c'est-à-dire qu'ils possèdent des dents doubles ; l'animal peut perdre quelques-unes de celles-ci, qui alors ne repoussent plus. Cela ne nuit pas à l'animal, si ce n'est pour paître, car les chevaux paissent avec les dents antérieures. C'est pourquoi un tel cheval sera de moindre valeur. Le cheval mastique avec ses molaires ; les premières de ces dents qui apparaissent sont deux supérieures et deux inférieures qui sont appelées «premier mors», ce pourquoi le cheval est nommé «poulain de premier mors» ; on dit que cela arrive la deuxième année. Ensuite, le cheval change quatre autres dents voisines, c'est-à-dire deux supérieures et deux inférieures, qui sont appelées moyennes : ceci est le «second mors», et le cheval est alors dit «poulain de second mors» ; ensuite il en change quatre autres, deux supérieures et deux inférieures qui sont appelées carrées, ceci est le «troisième mors». Quand le poulain vient au monde, il naît avec des rauchisQY ; puis viennent les crochets ; et quand ceux-ci sont trop longs et qu'ils empêchent le cheval de manger normalement et de grossir, les maréchaux les enlèvent. Et quand le poulain est devenu adulte, ses dents deviennent moins nombreuses et leur tête devient noire ; elles s'allongent et en quelques années elles deviennent grises. Quand le cheval commence à vieillir, la couleur de ses dents tend vers le blanc en passant par la couleur du miel, pour devenir 2 - scaliones désigne en latin les canines. Il s'agit ici de «crochets» du cheval qui souvent doivent être extirpés, car ils sont une gêne pour la mastication et le passage du mors. 3 - Il paraît bien difficile de traduire ce terme. Si l'on suit Albert le Grand ou la Cirurgie des chevaux, il faudrait le rapprocher de ranches («raancle») qui désigne un abcès, ce qui ne fait guère sens ici.
finalement blanches comme la poussière ; elles sont également plus longues, c'est pourquoi on rogne les dents des chevaux âgés afin de les faire paraître jeunes. Mais quelquefois, c'est naturellement que le cheval a des dents longues, et ce n'est pas le fait de son âge avancé. Chapitre Il : De la forme des bonnes juments et des étalons, et comment on doit s'en occuper. Les juments, comme dit Varron, doivent être de taille moyenne (nec vallas,nec munita ?), et avoir la croupe et le ventre larges. Les chevaux sélectionnés pour être des étalons doivent avoir le corps ample, beau et n'avoir nulle partie disgracieuse. Le troupeau de chevaux doit, de préférence, paître de l'herbe dans les prés et du foin sec à l'étable et dans les stalles. Lorsque les juments ont mis bas, on ajoute de l'orge à leur nourriture et il convient de leur donner de l'eau deux fois par jour. Pour la fécondation, le commencement de la saillie doit se passer entre l'équinoxe de printemps et le solstice, pour que la mise-bas se produise en une période convenable, c'est-àdire lorsqu'il y aura abondance d'herbe pour que la mère ait beaucoup de lait : le corps et les membres du poulain en seront plus grands. On dit que les poulains naissent le dixième jour du douzième mois après la conception. Ceux qui viennent au monde après ce temps ne sont d'aucune utilité. Quand la saison convenable est arrivée, l'étalon doit être amené à la jument deux fois par jour, le matin et le soir. Les jours où la jument est attachée, l'accouplement est plus rapide, et les mâles, poussés par le désir, n'expulsent pas leur semence inutilement. Quand la jument a conçu, elle le manifeste en se défendant. Si le cheval répugne à s'accoupler, on écrase le centre d'une scille dans de l'eau jusqu'à consistance de miel et on en touche les parties génitales de la jument, puis les narines du cheval. On sait aussi que le cheval est engendré de l'étalon, que nous appelons vulgairement gnagnarus. On doit en prendre grand soin, ne pas ou très peu le chevaucher, lui rendre la tâche la plus légère possible. Plus il désire la jument, plus il émet de sperme en grande quantité, et plus grand et meilleur est le poulain conçu dans le ventre de la mère. Lorsque la mère porte, elle ne doit être ni trop grasse ni trop maigre, mais de corpulence moyenne, car la place du poulain serait trop étroite s'il y avait trop de graisse, et son corps et ses membres ne pourraient pas s'étaler suffisamment. En revanche, une jument trop maigre ne pourrait, à cause de sa maigreur, donner assez de nourriture à son petit et celui-ci naîtrait faible. De même, comme dit Palladius, une jument pleine ne doit pas être fatiguée, et ne doit pas souffrir de la faim ni du froid, ni être serrée dans des lieux exigus. Les juments de race qui nourrissent des poulains mâles ne doivent être fécondées que tous les deux ans afin de fournir en abondance du lait à leurs petits ; les autres peuvent être fécondées sans attendre aussi longtemps. L'étalon doit avoir au moins cinq ans, mais une reproductrice de deux ans peut concevoir ; si elle a plus de dix ans, ses petits naîtront sans énergie.
Varron écrit aussi qu'il faut se garder de trop faire travailler les juments pleines et qu'il faut veiller à ce qu'elles ne soient pas dans des lieux froids, car un très grand froid est nuisible à ces femelles. Il faut donc proscrire la terre et l'humidité dans les étables. Il faut que les ouvertures et les fenêtres soient fermées ; entre les bêtes, dans les stalles, on posera des madriers, c'està-dire de longs morceaux de bois, qui les séparent, pour qu'elles ne puissent se battre entre elles. Varron dit encore que les juments pleines ne doivent pas être trop nourries ni avoir faim. Chapitre III : De la nature du cheval et comment on doit s'en occuper quand il est né. Quand le poulain naît, il est bon que ce soit dans un endroit pierreux, dur et montagneux ; sur un sol pierreux et dur en effet, les sabots se font plus solides, et dans un endroit montagneux les jambes sont plus fortes à cause de l'exercice dû aux montées et descentes. Quand il est né, le poulain suit sa mère par les pâturages pendant deux ans, pas plus. C'est alors qu'il commence en effet à avoir le désir de s'accoupler et, voulant saillir sa mère ou une autre jument, il pourrait se faire mal ou abîmer quelque partie de son corps. En vérité, s'il pouvait rester sans sa mère ou quelqu'autre jument dans les prés jusquà trois ans, cela profiterait beaucoup à ses jambes et à tout son corps. Quand les poulains ont cinq mois et qu'ils reviennent à l'étable, il faut leur donner de la farine d'orge moulue et du son, et tout autre produit de la terre qu'ils aiment bien. Comme dit Varron, on doit donner au poulain d'un an, alors qu'il tête encore - les poulains ne sont en effet pas sevrés avant deux ans -, de l'orge et du son. Et pendant qu'ils sont avec leur mère, on doit les toucher avec les mains, afin qu'ils ne soient pas apeurés quand on les séparera. Pour une raison identique, on suspendra des freins à leur proximité, afin qu'ils s'habituent en même temps à voir les visages des hommes et à entendre le bruit des freins. Chapitre IV : De la capture et du domptage du cheval. Quand le poulain a deux ans, on doit l'attacher doucement avec de gros et forts liens faits de laine ; la laine en effet, de par sa douceur, est plus adaptée que le lin ou le chanvre. On choisira pour cela un temps frais et brumeux, car par temps chaud, la capture serait trop pénible et le poulain pourrait être blessé. Une fois attrapé et attaché le poulain doit être mis en compagnie de chevaux déjà apprivoisés : sa conduite est en effet plus calme, car il se plaît avec ses semblables. Varron dit aussi que le cheval se comporte mieux s'il est apprivoisé à trois ans accomplis. A cette époque, on lui donnera du farago, c'est-à-dire une farine qui est nécessaire aux chevaux comme purge, et qui doit lui être donnée pendant dix jours, durant lesquels il ne faut pas lui prodiguer d'autre
nourriture. Du onzième au quatorzième jour, puis durant dix jours encore, on lui donnera de l'orge tous les jours en augmentant la ration petit à petit. On doit ensuite le nettoyer, puis le sortir avec précaution ; quand il transpire, il faut l'oindre d'huile. S'il fait froid, il est conseillé de faire du feu dans l'étable. Pour apprivoiser le cheval, il faut faire deux rênes de cuir solide attachées à la partie basse de la mangeoire, pour que, si elles étaient rompues à cause de sa violence, il ne se blesse pas les jambes ou une autre partie du corps. Et tant qu'il sera violent, on le laissera en compagnie de chevaux apprivoisés ; on le caressera souvent de la main, doucement et légèrement. Jusqu'à ce qu'il soit dominé, il ne faut pas mal se comporter avec lui, de peur qu'à cause de tels traitements, il ne prenne de mauvaises habitudes. C'est avec une grande persévérance et beaucoup de douceur qu'il faut donc l'apprivoiser. Quant il est suffisamment apprivoisé, il faut lui laver les pieds, et les lui frapper comme si on le ferrait. On lui mettra aussi un enfant sur le dos, deux ou trois fois par jour, ou même plus souvent, d'abord à plat ventre, et ensuite assis. Chapitre V : De la garde du cheval. Pour garder le cheval, on aura un licol de cuir solide et doux que l'on mettra d'abord sur la tête de l'animal ; par deux rênes on l'attachera à la mangeoire comme il a été dit plus haut. Ses deux pieds antérieurs seront attachés par un lien de laine et liés à un de ses pieds postérieurs, de telle sorte qu'il ne puisse bouger d'aucune façon. Afin de préserver ses jambes, le lieu où il séjourne sera tenu bien propre, de nuit comme de jour, et sa litière, que l'on enlèvera au matin, sera faite de paille ou de gros foin montant jusqu'au genou. On lui essuiera le dos, les jambes et tous les membres avec un linge adéquat. Ensuite on l'amènera à petits pas vers un point d'eau pour qu'il s'abreuve. Le cheval se tiendra, tant le matin que le soir, pendant un peu plus de trois heures dans de l'eau froide, douce ou salée qui lui montera jusqu'au genou. Car de telles eaux sèchent naturellement les jambes du cheval, soit par la froideur de l'eau douce, soit par la sécheresse de l'eau salée, éliminant ainsi les humeurs descendant vers les jambes, humeurs qui sont cause de maladie. Ensuite, lorsque le cheval revient à l'étable, il ne devra pas y entrer avant que ses jambes ne soient essuyées et séchées, car la vapeur de l'étable, venant de la propre chaleur de l'animal, ferait venir sur des jambes mal essuyées des gales et des mauvaises humeurs. Il est utile également que la nourriture du cheval soit disposée sur le sol à proximité de ses pattes antérieures, de telle sorte que ce soit avec difficulté qu'il saisisse le foin ; on force ainsi le cheval à tendre le cou pour se nourrir ce qui rend ce dernier gracile et beau. Le jeune cheval doit manger du foin, de l'herbe, de l'avoine, de l'épeautre et des choses semblables. En effet, le foin et l'herbe, à cause de leur humidité, dilatent le ventre et tout le corps et font grandir l'animal. Quand il
sera adulte, il mangera aussi de la paille d'orge dont il sera engraissé, suffisamment pour qu'il soit bien en chair, mais avec modération ; ainsi on pourra le fatiguer sans qu'il en souffre. En effet, un cheval ne doit être ni trop gros ni trop maigre, mais de corpulence moyenne. S'il est trop gros, les humeurs superflues descendent dans les jambes et génèrent des maladies - de celles qui affectent les jambes des chevaux -, ce qui arrive en particulier quand on les fatigue trop soudainement à quelques travaux. Par trop de maigreur, le cheval n'a plus de forces et devient laid à voir. Quand il sera en âge accompli, vers le temps de la moisson, il faut qu'il mange seulement de l'herbe pour se purger, non au dehors, mais dans l'étable, couvert d'une grosse couverture de laine, afin qu'il ne se refroidisse pas à cause de la froideur de l'herbe ; sinon, il pourrait attraper de graves maladies. L'eau que l'on donne à boire au cheval doit être un peu salée ; elle est meilleure courante et un peu trouble, parce que de telles eaux sont chaudes et lourdes, par conséquent plus nourrissantes et convenant mieux au corps des chevaux. Plus l'eau est froide et plus vite elle court, moins elle nourrit le cheval. On doit ferrer le cheval de fers ronds, lui convenant, de la forme de son sabot, bien ajustés et l'entourant bien. En effet la légèreté du fer rend le cheval agile pour lever les pieds, et le bon ajustement rend les sabots meilleurs et plus forts. Un cheval qui transpire ou qui a très chaud ne doit ni manger ni boire avant d'être couvert ou avant d'être remis de sa transpiration et de la chaleur. Il faut savoir qu'une chevauchée inhabituelle dans la soirée nuit au cheval, alors que le matin cela est tout à fait recommandé. Il faut que le cheval soit continuellement couvert d'une couverture de lin par temps chaud, à cause des mouches, et d'une couverture de laine par temps froid à cause de la froidure. Il faut noter que, pour conserver sa santé, le cheval doit être saigné à la veine du cou quatre fois par an, c'est-à-dire au printemps, en été, en automne, en hiver. Il faut aussi noter qu'un cheval, bien et diligemment gardé et chevauché modérément comme il se doit, peut être gardé valide pendant vingt ans. Chapitre VI : Du dressage du cheval. Pour dresser le cheval, on doit d'abord lui mettre un frein très léger et doux, dont le mors sera enduit de miel ou de liqueur douce. Un tel frein en effet sera accepté et supporté plus facilement et, à cause de sa douceur, l'animal le recevra à nouveau plus volontiers. Lorsque par la suite le frein sera accepté sans difficulté, on conduira le cheval à la main pendant quelques jours, matin et soir, jusqu'à ce qu'il suive très bien son guide. Puis, sans bruit et sans lui mettre de selle, aussi doucement et légèrement que possible, on montera sur son dos un petit moment, et, à petits pas, on le fera souvent tourner à droite et à gauche ; si cela est nécessaire, on le fera précéder de quelques personnes à pied. On le chevauchera tous les jours, dans des
endroits plats et non pierreux, depuis le matin jusqu'au milieu de la troisième heure. Pendant un mois, il sera chevauché sans selle ; on l'habituera ensuite à la selle, qui sera posée sans bruit. On le conduira ainsi doucement jusqu'au temps d'hiver. Quand le cavalier monte sur le cheval, il doit veiller à ce que sa monture ne remue pas, jusqu'à ce qu'il soit bien en place ; de cette façon, le cheval prend une habitude de calme, ce qui est commode pour le monter. Lorsque le temps froid est arrivé, on instruit le cheval de la façon suivante : le cavalier le fera trotter, le matin de préférence, à travers les champs cultivés, en le faisant tourner tant à droite qu'à gauche, avec la rêne droite du frein plus courte d'une largeur de pouce que l'autre, car le cheval incline naturellement plus vers la gauche. Et si cela est utile, que l'on mette un frein plus fort, de manière à le mieux tenir. Je dis qu'il faut faire trotter le cheval, dans la terre labourée et non labourée, sur un sol plan et inégal pour qu'il s'habitue à lever ses pieds et ses jambes légèrement ; il faut faire de même dans des terrains sableux. Quand il saura bien trotter, sur ces mêmes terrains et aux mêmes heures, s'il le peut, on le fera galoper, en accroissant ainsi légèrement la difficulté. Cependant il ne faut le faire qu'une fois par jour, car si on le fait trop galoper, il arrive souvent que l'on revienne en arrière dans les progrès accomplis. Il faut aussi que le cavalier, au début de la course, en trottant ou en galopant, prenne garde à tenir dans sa main les rênes du frein bas sur le dos du cheval, de telle sorte qu'en courbant le cou insensiblement, celui-ci puisse incliner la tête, sa bouche se trouvant alors près du poitrail. Il verra ainsi plus clairement ses pas, se rendra mieux compte du côté où il doit aller et sera donc conduit plus facilement selon la volonté du cavalier. On doit ensuite considérer et connaître la dureté et la mollesse de la bouche du cheval, et, suivant que cette dernière apparaisse dure ou molle, on doit choisir le frein dont il existe de multiples catégories. Certains en effet sont très légers, d'autres moins, certains sont très rugueux et très durs, d'autres encore sont intermédiaires entre tous ceux-là. Je ne parlerai pas de leurs formes parce qu'elles sont bien connues des artisans qui fabriquent les freins ; comme on peut leur faire confiance, il est inutile de les décrire avec précision. Il est aussi utile de chevaucher souvent dans les villes, particulièrement là où exercent les forgerons ou dans les lieux bruyants et tumultueux : le cheval perdra ainsi sa peur et prendra de l'assurance et de la hardiesse. Et s'il craint de passer dans de tels endroits, on ne devra pas le forcer avec les éperons ou le fouet, mais le conduire doucement en le caressant. Il faut aussi monter sur le cheval et en descendre avec douceur pour l'habituer à se tenir paisible et tranquille. Toutes ces choses, il faut les faire jusqu'à ce que les dents du cheval soient complétement changées, ce qui a lieu en l'espace de cinq ans. A ce moment là on pourra lui enlever plus utilement quatre dents de la mâchoire inférieure, deux de chaque côté qui sont appelées «crochets» par beaucoup de
gens, car elles gênent le port du mors. Avant de poser le frein, il convient que la cicatrisation soit faite ; alors le frein s'adapte bien. Il faut noter que la bouche du cheval doit n'être ni trop dure ni trop molle, mais intermédiaire entre les deux. Il faut aussi noter que, à cause de l'ablation de ces dents, le cheval devient plus gras et perd sa sauvagerie et sa férocité. Après l'ablation de ces dents, on le chevauchera comme on l'a dit, en lui faisant faire des petits sauts et en lui faisant souvent faire des écarts pour l'habituer à aller et venir. Lorsqu'on aura trouvé un frein convenable, on ne devra pas en changer, pour ne pas abimer la bouche du cheval. Quand le cheval se sera bien adapté au frein, on l'habituera à courir, le matin, une fois par semaine, sur un chemin bien plat, pendant un quart de mille au début et ensuite augmenter jusqu'à un mille ou plus si cela lui plaît. Il faut savoir que plus un cheval court de façon modérée, et plus souvent, plus il est rapide et agile à l'usage ; si au contraire on le fait courir trop souvent, il devient facilement nerveux et impatient, et si on le fait courir trop vite, il perd en grande partie son habitude du frein. Il faut aussi savoir, une fois que le cheval est parfaitement instruit et habitué au frein, que le cavalier doit fréquemment le faire galoper et courir et sauter, modérément cependant, parce qu'un long repos engendre de la paresse qui lui fait oublier les choses qu'il a apprises. Les instructions sus-dites sont destinées aux chevaux utilisés pour la guerre. En effet il y a d'autres catégories de chevaux : ceux qui sont destinés à tirer des véhicules, à devenir étalons, à être coursiers comme ceux qui sont préparés ci-dessus ; les autres sont destinés à tirer des charrettes et sont dressés de diverses manières adaptées à leur travail. Certaines personnes veulent avoir des chevaux placides et tranquilles : de tels chevaux sont castrés, car ainsi ils sont plus paisibles. Chapitre VII : Comment connaître la beauté des chevaux. Le beau cheval a le corps grand et long et ses membres sont proportionnels à sa taille. Sa tête est gracile, sèche et convenablement longue. Il doit avoir [la bouche] grande et fendue, les narines grandes et enflées, les yeux gros et non enfoncés ; il doit porter les oreilles petites et fines. Il doit avoir le cou long et gracile du côté de la tête, le crin rare et plat, le poitrail gros et presque rond, le dos court et plat, les reins amples, les côtes grosses comme celles d'un boeuf, le ventre long, les hanches longues et tendues, les fesses longues et larges. Il doit avoir la queue longue avec des poils peu abondants et plats, la croupe large et bien charnue, les jarrets grands et secs, les plis du jarret bien courbes à la façon de ceux du cerf. Les jambes doivent être amples et velues, les jointures des jambes grosses et courtes comme celles d'un boeuf, les sabots amples, durs et concaves comme il convient. Il faut aussi que le cheval soit un peu plus haut derrière que devant ; comme le cerf, il doit porter le cou dressé avec une partie plus renflée près de la poitrine. On considère différemment ses diverses couleurs mais il apparaît
que le cheval bai est le plus prisé de tous. Il faut savoir enfin que la beauté du cheval peut mieux être connue quand il est maigre que lorsqu'il est gros. Chapitre VIII : De la bonté du cheval. Le meilleur cheval est celui qui a la vue perçante et qui voit loin, qui a une forte garde de frein, des oreilles fortes, une longue crinière, une forte et ample poitrine et une longue échine ; les jambes antérieures longues, les jambes de derrière courtes, un museau et le bout du nez déliés, le poil doux, la croupe large, le cou gros, et il doit bien manger. Le cheval aux narines grandes et renflées, aux gros yeux non concaves, sera naturellement hardi. Un cheval à la bouche grande, aux mâchoires sèches et maigres, au cou long et gracile vers la tête, est apte à recevoir le frein. Un cheval aux grosses côtes comme un boeuf, au ventre large pendant vers le bas est adapté aux travaux pénibles. Un cheval aux jarrets amples et tendus et aux plis de jarrets tendus et courts de telle sorte que les jarrets se regardent vers l'intérieur, sera rapide et agile. Le cheval aux jarrets courts, les plis de jarret étendus et les hanches courbes devra naturellement bien aller. Le cheval aux jointures des jambes naturellement épaisses et les pâturons courts comme le boeuf est censé être fort. Le cheval qui tient le départ de sa queue étroitement entre ses cuisses est fort et endurant, comme il est dit chez plusieurs auteurs, mais il n'est pas rapide. Le cheval ayant les jambes et les jointures des jambes velues, avec des poils longs, est bon pour le travail, mais ne sera pas facilement agile. Le cheval aux fesses longues et larges et avec les hanches longues et étendues, qui est plus haut dans sa partie postérieure, sera rapide dans les longues courses, ainsi que nous le trouvons énoncé chez plusieurs auteurs. Chapitre IX : Des signes permettant de reconnaître les vices des chevaux et de leur prix. Un cheval ayant des mâchoires fortes et le cou court ne peut recevoir le frein convenablement. Le cheval ayant les sabots blancs aura rarement ou même jamais les sabots durs. Celui qui a les oreilles grandes et pendantes et des yeux enfoncés sera lent et mou. Quand le bout du nez du cheval est trop gros, il ne peut respirer par les narines et donc il est de moindre valeur. Lorsque le cheval voit de jour et non la nuit, il en vaut moins ; on s'aperçoit de cela si, en conduisant le cheval la nuit vers des choses dont il a peur, il ne les craint plus ; quand, également il bouge ses pieds différemment le jour et la nuit. S'il a les yeux blancs, son prix sera moindre parce que, lorsqu'on le conduit sur la neige ou dans des endroits froids, il ne voit pas ; par contre, dans des lieux sombres et par temps chaud, il voit bien. Le cheval qui tient tout le temps ses oreilles en arrière est d'un prix moindre car il est sourd. Quand le cheval ne hennit pas, ne crie pas et n'émet aucun son de sa bouche, il est muet. Le cheval ayant un cou dur, toujours en extension, qui ne lève pas la tête lorsqu'il marche, et qui ne bouge pas son cou à droite et à gauche est
celui qui vaut le moins. Il est en effet dangereux pour ses cavaliers car il ne peut tourner au commandement et par conséquent il ne vaut rien pour la guerre. Le cheval qui a les genoux tournés vers l'intérieur comme un arc est de petit prix car il marche mal. Le cheval dont les jambes antérieures sont tordues comme un arc, ne doit pas être gardé car il est de petit prix. Le cheval dont on voit bouger continuellement les jambes antérieures est de mauvaise nature. Le cheval agitant la queue en haut et en bas est vicieux. Celui qui a toujours une enflure au dessus du genou perdra bientôt son chemin. Une enflure dure sur les pieds antérieurs ou postérieurs d'un cheval ne nuit pas à son travail ; et l'on dit même que si cette protubérance se trouve sur les pieds antérieurs, on est sûr qu'un autre mal n'y descendra pas. Et le cheval qui a sur les pieds des crevasses que l'on ne peut guérir est d'un moindre prix, car il n'est pas de belle apparence. Celui qui a les poils sur les jointures renversés en sens contraire n'est pas gêné dans son travail et ses sabots sont plus forts. Si un cheval bouge les pieds d'une manière différente des autres chevaux, cela peut lui porter tort dans ce qu'il doit faire, et par conséquent cela diminue son prix. Le cheval qui se cogne les pieds postérieurs lorqu'il marche se blesse. Le cheval dont les testicules sont trop grands est laid et gêné dans son travail, et si sa verge est toujours pendante, il est laid et il n'est pas convenable qu'un honnête homme le monte. Les morphées, c'est-à-dire des taches blanches sur le cou, le museau ou au dessus des yeux le rendent laid mais ne le gênent pas pour son emploi. Il n'est pas bon que le cheval bouge les flancs.
ANNEXE II LE CHEVAL DANS L'ENCYCLOPEDIE DE JEAN CORBECHON, LE LIVRE DES PROPRIETEZ DES CHOSES (traduction de 1372 du De proprietatibus rerum de Barthélemi l'Anglais) Manuscrit BN. fr. 22531
(fol. 348va) Le .xxxviie. chapitre parle du cheval Cheval est en latin appellé equs et pour ce est il cy mis entre les bestes dont les noms se commencent par .e. Les chevaulx sont appeliez equi pour ce que [ilz sont couplez et egaument joins l'un a l'autre a la charrue ou pour ce que]1 ilz sont egauls en faiçon et en (fol. 348vb) maniere de courir. Ilz sont aussi appelez chevaulx pour ce que ilz ont les piés cavés et cavent la terre quant ilz passent sus ; laquelle chose ne font pas les autres bestes, si comme dit Ysidoire au xl]C. livre. Le cheval est une beste moult vive qui se esjoïst aux champs et sent la bataille par son odeur. Et a desir de soy combatre quant il ot la trompe, et se esmeut a courir quant il ot crier les gens. Et est doulent quant il est vaincu et, quant il a vitoire, il est moult lié. Il est aucuns chevaux qui en bataille sentent leur ennemis et les cognoissent et les assaillent et des dens et des piés. Les autres sont qui congnoissent leur maistre et ne lessent chevauchier fors que a lui. Les autres sont qui pleurent la mort de leur maistre. Aucunes gens sont qui jugent des choses a venir selon la tristesce ou la liesce des chevalx. Les chevalx de Perse et de Secile sont de longue vie et vivent bien .1. ans et plus, mais ceulx de France et de Ynde et d'Espaigne sont de plus brieve vie. Derechief, dit Ysidoire que .iiii. choses sont a considerer en un bon et noble cheval : c'est assavoir la faiçon, la beauté, le hainnir et la couleur. La faiçon d'un bon cheval est que il ait le corps ferme et de bonne haulteur, les costés longs et estrois et le dos ront et (le poil) [la poitrine] comme large et le musiau, de tout le corps gros et espés et bien noués, le pic sec et bien cavé et ferme dedens et dehors. La beauté du cheval est quant il a petite teste et seiche et la peau prés des os en celle partie. Les (fol 349a) oroilles courtes et agües, les yeulx grans, les narines ouvertes, les espaules haultes, les crins espés et la queue ronde et longue jusques au pié.
1 - Les corrections du manuscrit BN. fr. 22531 sont faites avec le BN. fr. 16993.
L e h a n i r m o n s t r e le b o n cheval, c a r q u a n t le b o n cheval hanit, tous les m e m b r e s lui t r e m b l e n t , et est s i g n e d e force [et si est de legier esveillié de son dormir] et se lieve h a s t i v e m e n t . L a c o u l e u r du c h e v a l e s t o u r o u g e o u noire o u b l a n c h e o u grise ou poum e l l e e ; et la c o u l e u r lui d o n n e b e a u t é o u laidure et s e m o n s t r e sa force et sa hardiesse2. D e s c h e v a u l x dist P l i n i u s a u .xliie. c h a p p i t r e de son .viiie. livre q u e les c h e v a u x de Sirie se c o m b a t e n t voulentiers p o u r leurs maistres et n'asaillent p o i n t leurs meres. E t de c e r a c o n t e Aristote au .viiic. livre des bestes q u e un roy d e septentrion a v o i t u n e belle j u m e n t qui ot un trop beau cheval q u e elle a v o i t p o r t é ; et p o u r la b e a u t é d e la m e r e et d u filz, le roy vouloit a v o i r un p o u l a i n d e eulx d e u x , et fist c o u v r i r la teste de l'un et de l'autre, tant q u e le filz e u s t sailli sa mere. E t q u a n t ilz furent d e s c o u v e r s , le filz se jetta dessus u n e haulte m o n t a i g n e a terre et s e tua d e c o u r o u q u e il o t de ce qui avoit sailli s a mere. L e c h e v a l v a p l u s volontiers a v e c sa s u e u r que a v e c sa m e r e et ce esjoïst a u son des i n s t r u m e n s et au son d e la trompe. Il assault ses e n n e m i s e t sent la bataille a v a n t qu'elle soit ; et p l e u r e son s e i g n e u r q u a n t il a perdu. L e s meilleurs c h e v a l x p o u r bataille (fol. 3 4 9 b ) s o n t ceulx que plus p e r f o n t b o u t e n t leur m u s e l en l'eaue q u a n t ilz b o i v e n t , car en c o u r a n t ilz ne sont point e m p e c h i é d e lor orine. D e r e c h i e f , il dit ou .ixe. c h a p p i t r e d e son .xviiie. livre q u e le fiel d u cheval est (contre) [ c o m p t é entre] les c h o s e s v e n i m e u s e s et p o u r ce entre les a n c i e n s , [une] p e r s o n n e s a c r é ne o s é touchier un cheval fauve. L e sanc du c h e v a l c h a u t et cru e s t m a u v a i s et perilleux ainsi c o m m e le sanc du tourel. L ' e s c u m e d u c h e v a l d o n n é e a v e c lait de a n n e s s e tue les vers e n v e n i m é s qui s o n t ou ventre. D e r e c h i e f , le c h e v a l gette ses dens, et tant c o m m e il est plus viel, tant a il les d e n s p l u s b l a n c h e s , c e dist Aristote. Derechief, il dit ou v e . livre des b e s t e s q u e le c h e v a l vit .xxxv. ans. Et e n g e n d r e du tiers an j u s q u e s au .xxxe, E t la j u m e n t vit p l u s l o n g u e m e n t et porte j u s q u e s a .xl. ans. Et q u a n t ilz c o m m e n c e n t a e n g e n d r e r , ilz o n t p l u s grosse voix q u e d e v a n t et a i m e n t m o u l t le fait d e l u x u r e p l u s q u e autres bestes. D e r e c h i e f , il dit o u v i i e . livre des bestes q u e les c h e v a u x ont le p o d a g r e a u c u n e fois et q u a n t ilz s o n t en pasture, ilz gettent les soliers d e leur piés et f o n t piés n o u v e a u x . E t les c h e v a l x qui sont en l'estable ont a u c u n e fois la d o u l e u r des rains ; e t se voit o n par ce que les m e m b r e s lui d e v i e n n e n t estroit p a r d e r r i e r e et lesse le m e n g i e r : et se on le fait scignicr, il en a m e n d e . L e s c h e v a l x aussi o n t a u c u n e fois les nerfs retrais et adonc les vaines leur t e n d e n t p a r le col e t par la teste, ainsi c o m m e cordes, et leur grieve m o u l t a aler. Il 2 - Cette partie se tennine par une leçon corrompue que les autres manuscrits ne permettent pas de corriger : «Mais pour finir, toutes ces choses seroit trop long. tout ce chapittre jusques y a est dedis Ysidoire au .xiie. livre».
ont aussi moult (fol. 349va) de maladies en la bouche qui leur eschaufe si que ilz ne peuent mangier. Les chevaulx aussi enragent aucune fois et adonc les oreilles leur pendent vers le col et de ce mal on ne les peut guerir. Ilz ont aussi le mal de la vessie, si que ilz ne peuent pisser et ce leur nuit moult fort et aux mules auss ;i et en meurent aucune fois pour le venin qui s'i assemble. Derechief, le cheval cognoit le hanir de l'autre qui se veult combatre et se delite en estre es prés et a nagier en l'eaue, et boit voulentiers eaue trouble [et se elle est clere il la trouble] au pié, si comme dist Aristote. Le .xxxviiie. chapitre de la jument La jument est en latin appellee equa et pour ce est elle cy mise entre les bestes dont les noms se commencent par .e. La jument est la femelle du cheval, de laquelle dist Aristote ou .viie. livre des bestes que se elle sent la fumee de chandeille estainte quant elle est prins, elle avortit. Derechief, il dist que les jumens pa[i]ssent ensemble ; et se l'une est morte qui laisse son poulain, l'autre le nourrit comme le sien propre. La jument faonne en estant, et aime son poulain plus que autre beste. Et aime ses faons et quant elle le pert, elle nourrit un estrange et le ayme comme le sien, si comme dit Plinius ou ,xliiie. chappitre de son .viiie. livre. Derechief, il dit que ou front du poulain, il né une petite pellette noire de la grandeur de une figue seche, laquelle la mere leiche de sa langue et la couppe aux dens et la musse ; et ne lui donneroit jamais la mamelle jusques a tant que celle peau fut couppee. Et ceste peau est appellee de Plinius le benefice d'amours, car (fol 349vb) les sorcieres en usent quant elles veullent faire une personne amer par amours. Derechief, la jument se glorifie en ces crins et est courroucee quant on les couppe ; et est estainte sa luxure quant elle voit ses crins couppés, ainsi comme se la feüst sa force de leur amour. Le .xxxix?. chapitre du faon de la jument Le faon de la jument est appellé poulein, tant comme il succe les mamelles sa mere. Et en son front on treuve une petite peau quant il est né, laquelle Aristote ou livre des bestes appelle le benefice d'amour. La jument leiche la peau et la musse ou la mengüet, et quant les sorcieres la peulent avoir, elles en font les gens amer par amours. Derechief, dit Aristote ou xive. des bestes que le poulain a la partie derriere plus grande que celle de devant. Et quant il est un pou plus fort, il croist plus que par devant et pour ce est il moult de chevalx qui sont hault par devant plus que par derriere. Et de ce vient tant comme il est poulain, il touche sa teste de son pié derriere, mais quant il est cheval parfait, il ne puet faire.
[Le poulain aimme moult sa mere et la suit] partout ou elle va ; et se il la pert, il la quiert en henissant. Le poulain n'a point de litiere, ne il n'est estrié, ne paré de sale, ne feru de l'esperon, et n'a ne frein ne chevestre, mais suit sa mere franchement et se pest d'erbes ou il lui plait. Et ne lui met on es piez ne fer ne clou, mais en la fin on le met a labour et li met on le frein ou le chevestre pour le retenir ; et li met on la sale pour seoir (fol. 350a) sus son dos. Et lui aprent on a courir et a saillir par force de l'esperon. Et le met on a la charette ou en bataille ou a autre labour. Et pour ce dist Ysidoire que jadiz les chevalx estoient consacrés a Dieu en divers usages. Et les chevaulx des charios a .iiii. roes furent consacrez au souleil pour les .iiii. saisons de l'an qui sont : ver, esté, antompne et yver qui se font selon le cours du souleil. Les chevalx des charettes a deux roes estoient consacrés a la lune, pour ce que on la voit au temps, c'est assavoir de jour et de nuit ; et pour ce on mettoit en painture avec la lune deux chevalx, dont l'une estoit noir et l'autre blanc. Et quant il avoit (deux) [.iii.] chevaulx a un char, ilz estoient consacrez aux Dieux d'enfer, pour ce que les deables d'enfer traient a eulx les gens en .iii. ages, c'est assavoir en enfance, en jeunesse et en viellesse. Et ceulx cy mettoient chevaulx de diverses couleurs l'un avec l'autre et est assavoir que ilz ne osoient pas bien coupler plus de .vii. chevaulx ensemble, pour ce que y n'est que .vii. planettes qui gouvernent tout le monde, et si n'est que .vii. jours qui comprennent tout le temps. Les rouges chevaulx estoient consacrés au feu et les blans a l'air et les jaunes et les noirs a la terre et les vers a l'eaue. Derccheif, ilz chevauchoient en esté les chevalx rouges pour ce que adonc toutes choses sont chaudes. Et en yver ilz avoient chevalx blans et signifioient la glaice et la gelee qui est blanche, et en ver ilz avoient chevalx verts pour la (fol. 350b) verdure du temps. Et en antompne ilz chevauchoient chevalx fauves et noirs pour ce que adonc toutes choses perdent leur beauté et leur verdure. Derechief, ilz consacroient les chevaulx rouges a Mars, le dieu de bataille, pour ce que il se delitte en sanc qui est rouge. Et les blans et d'autres couleurs ilz dedioient a diverses choses trés follement par la procuration du deable qui ainsi les decevoit, si comme dist Ysidoire ou .viiie. livre. Le poulein a ceste condicion que le pas que il a acoustumé en sa jeunesse soit dur ou souef il veult maintenir en sa viellesse, et est fort de lui en oster.
ANNEXE 3 Traduction en français de la partie de equo du De animalibus d'Albert Le Grand, d'après 1édition réalisée par H. Sladlcrl. Albert Le Grand Albert Le Grand (né vers 1200 - mort en 1280) appartenait à l'ordre des frères prêcheurs, appelé ordre dominicain. Il voyagea beaucoup (Italie, Allemagne, France), mais passa toutefois la plus grande partie de sa vie à Cologne, où il naquit. Nommé évêque de Ratisbonne en 1260, il refusa rapidement cette charge pour se consacrer à l'étude et à l'enseignement (il eut Thomas d'Aquin comme élève). Son oeuvre, immense, est presque autant vouée aux sciences, et en particulier aux sciences naturelles, qu'à la théologie. Albert Le Grand portait d'ailleurs le titre de Doctor universalis. Le De animalibus L'oeuvre qui nous intéresse ici, intitulée De animalibus, est consacrée aux animaux et, pour certains de ceux-ci, à leurs maladies. Un des chapitres de cet ouvrage2 traite du cheval. Albert Le Grand écrivit probablement ce livre vers 1260 ou 1261, c'est à dire à l'époque où il était évêque. C'est ce que pense
J.A.
Weisheipl
qui,
dans
sa
biographie
d'Albert
Le
Grand3,
cite
à
l'appui de sa thèse le livre VII du De animalibus, dans lequel l'auteur évoque son habitation sur le Danube, qui ne pourrait être que la demeure épiscopale de Donaustauff4. Albert Le Grand, après une introduction générale sur le cheval, sur les qualités qu'il doit avoir et sur son alimentation, développe, en trente chapitres, les principales maladies et lésions qui peuvent l'affecter et prescrit des remèdes pour les guérir. S'il fait là oeuvre de compilateur, il réalise pourtant un ouvrage de grand intérêt car il ne prescrit que des remèdes justifiés par l'étude des symptômes du mal. Loin de transcrire des recettes fantaisistes, il propose une médecine vétérinaire réfléchie. Sa pharmacopée est assez simple, les préparations à réaliser sont clairement expliquées et la thérapeutique fait, bien sûr, largement appel à la petite chirurgie.
1 - Albertus Magnus de animalibus libri XXVI, nach Cölner Urschrift. cd. Hermann Stadlcr) Münster, 1920, Zweiter Band, pp. 1378-1400.
2 - il s'agit du chapitre 22. 3 - dans Albertus Magnus and the Sciences, Commemorative Essays, Toronto, 1980, p. 38. 4 - Idem autem observant piscus movende de loco a d locum aut quaerendo loca cavernosa versus hyemem, ita quod expertus sum in villa mea super Danubium. Albcrt Lc Grand, De animalibus VII, tract. 1, cap. 6, ed. Stadler, op. cit., I. p. 523.
La traduction. En ce qui concerne notre traduction, nous avons jugé bon de diviser le vingt-deuxième livre du De animalibus en chapitres et d'ajouter des titres à ces derniers. Cette présentation a pour but de rendre plus aisée une éventuelle comparaison avec d'autres textes, et en particulier avec la Cirurgie des chevaux. Nous avons toutefois ajouté entre parenthèses la numérotation des paragraphes telle qu'elle a été réalisée par Stadler dans son édition. Pour rédiger les titres, nous avons, en ce qui concerne les chapitres 7 à 32 consacrés aux maladies du cheval, choisi de donner d'abord le titre de la maladie tel qu'il apparaît généralement dans les textes en ancien ou en moyen français, et en particulier dans la Cirurgie des chevaux5, puis un extrait du texte latin du De animalibus (il suffit de consulter le glossaire de la Cirurgie des chevaux pour trouver l'équivalent moderne de la lésion). Les titres des autres chapitres sont de notre seule responsabilité. Nous avons, d'autre part, essayé d'utiliser au maximum, dans notre traduction, un vocabulaire proche de celui des hippiatres du Moyen Age, tel qu'il nous est parvenu dans les textes en français. Nous avons en outre suivi le rythme du texte latin de très près, sans chercher l'élégance. En fait, nous avons voulu réaliser une transcription en français du De animalibus plus qu'une traduction. Ce choix nuit, certes, à la facilité de lecture, mais il a été guidé par notre souci de rendre le texte proche des autres traités d'hippiatrie de la même époque, et par là d'en faciliter d'éventuelles comparaisons. Nous avons bien sûr pensé avant tout à la Cirurgie des chevaux.
5 - Nous avons suivi cette règle, sauf dans le cas où le nom de la maladie dans la Cirurgie des chevaux lui faisait perdre la justification étymologique donnée par Albert Le Grand.
DU C H E V A L
1. Etymologie. (52) Le nom des chevaux vient de leur égalité ou de leur ressemblance, vu que, dans l'antiquité, on attelait aux chars des chevaux semblables6. 2. Origine. C'est un animal connu presque partout sur terre où son espèce existe, mais on dit que les meilleurs proviennent de Syrie et de Cappadoce. D'après ce que nous pouvons voir à notre époque, les chevaux de plus grande stature sont produits depuis la troisième climat7 jusqu'à la frontière de la sixième climat, et en particulier en Espagne. Nous en voyons naître de plus forts et même de passablement grands dans la septième climat ; ils sont plus endurants au travail que ceux qui viennent de la troisième ou de la quatrième climat. 3. Qualités8. Dans les chevaux, on examine quatre éléments, qui sont l'apparence physique, la beauté, les qualités et la couleur. 6 - Cette étymologie est voisine de celle d'Isidore de Séville : equi dicti eo quod, quando quadrigis iungebantur, aequabantur. paresque forma et similes cursu copulabantur : «le nom des chevaux vient de ce qu'on les appariait quand on les attelait aux quadriges et qu'on réunissait des animaux de même conformation et d'égale rapidité». (Isidorus lIispalcnsis, Etymologiae XII, édition et traduction par J. André, Paris, Les Belles Lettres, 1986.) 7 - Albert fait ici référence à la division de la terre en «climats», généralement adoptée, à la suite des auteurs anciens, par le Moyen Age. On a deux divisions, en sept (adoptée par Albert) ou en cinq, popularisée par le De sphera de Jean de Sacrobosco. 8 - Tout ce chapitre est un large emprunt ou à Isidore de Séville ou directement à Palladius, qu'Isidore a presque intégralement recopié (voir Isidorus Hispalensis, Etymologiae XII, op. cit., p. 70-71, ainsi que les notes de J. André à ces mêmes pages). Toutefois les qualités requises pour le pied, les yeux ou les oreilles du cheval sont davantage développées par Albert Le Grand qu'elles ne le sont par Isidore de Séville, Palladius, Varron et Columelle. Le paragraphe consacré aux couleurs des robes des chevaux est bien différent des textes des autres auteurs que nous avons cités. Quant à la description de l'excroissance située sur le front des poulains, souvent appelée «hippomane», elle est ici très différente de celle que proposent la plupart des auteurs (voir note 9).
La belle apparence se caractérise par un corps vigoureux et robuste, une taille correspondant à la force, des flancs longs et une croupe ronde. Tout le corps doit être comme noueux par la fermeté et la grosseur des muscles. Il faut des jambes robustes, sèches, étendues d'une manière égale depuis le genou jusqu'au pied, sans nodosité ni tumeur, ni aucune excroissance molle. Quant au pied, il doit avoir une surface égale et plane, c'est à dire sans aspérités, être rond avec une corne concave et toucher la terre de toutes parts. La beauté, c'est que la tête soit petite en considération du corps et très sèche, de sorte que la peau semble recouvrir les os. Le cheval doit avoir de grands yeux, semblant posés devant la tête, de petites et fines oreilles, comme tendues en avant, des naseaux ouverts qu'il plonge profondément dans l'eau lorsqu'il boit. Il faut que l'encolure soit dressée, la crinière épaisse, la queue grande et longue, la rondeur fixée avec solidité à tout le corps. (53) En ce qui concerne ses qualités, on estime aussi le fait qu'il soit hardi, qu'il creuse et frotte la terre de ses pieds et qu'il tremble des membres en hennissant. C'est en effet un signe de courage. Il faut aussi qu'on le lance facilement en avant alors qu'il est totalement en repos et qu'à partir d'un état de très grande excitation, il soit facilement arrêté et se tienne tranquille. La couleur naturelle du cheval capturé parmi les chevaux sauvages est cendrée, avec une ligne sombre allant depuis la tête jusqu'à la queue. Cependant, parmi les chevaux domestiques, on en trouve de bons qui sont noirs, roux, et parfois blancs ou encore gris, avec des poils noirs mêlés aux blancs comme s'ils étaient intercalés par petits cercles. On dit que lorsque le petit du cheval naît, il porte sur le front une petite excroissance de chair9 qui est un poison si efficace qu'il tue sur le champ ; mais la jument, sa mère, la détruit aussitôt en la léchant et la détache du poulain. 4. Emplois. Parmi les chevaux dressés que nous possédons, on en distingue quatre sortes, qui sont les chevaux de guerre, nommés destriers, les palefrois, les chevaux de course et ceux que l'on appelle roncinslo.
9 - Cette particularité, déjà évoquée par Aristote (Ilistoire des animaux, VI, 22 et VIII, 24 605a), par les hippiatres grecs et par Pline (Ilistoires Naturelles, VIII, 66, 165) comme un philtre amoureux, est présentée ici comme un poison (voir à ce sujet A.M. Doyen, L'accouplement et la reproduction des équidés dans les textes hippiatriques grecs, Atin. Mcd. Vét. 125, Louvain, 1981, p. 550). Voir partie II, chap. 3. 10 - Cette division des chevaux en quatre catégories n'est pas originale. Elle appartient à la tradition de l'Antiquité et on la trouve également dans les textes arabes. Toutefois, Varron, par exemple, distingue les chevaux «aptes à la guerre, au transport, à la reproduction et à la course» (11,7, 15).
Il ne faut pas castrer les chevaux de guerre, parce que cela les rend craintifs. Ces chevaux se réjouissent du son de la musique, ils sont excités par le bruit des armes et ils se battent avec les autres destriers. Ce qui les caractérise, c'est qu'ils sautent, qu'ils forcent les lignes de bataille en mordant et en frappant des sabots. Parfois ils aiment tant leurs maîtres et leurs palefreniers que, les ayant perdus, ils jeûnent et s'attristent jusqu'à en mourir. Parfois aussi ils pleurent de tristesse. Et cette attitude permet à certains de faire des pronostics au sujet de la victoire future ou sur le fait qu'ils doivent céder devant les ennemisll. (54) Les palefrois servent au transport des personnes, ce que l'on appelle équitation. Il ne faut pas non plus castrer ces chevaux, afin qu'ils ne s'amollissent pas. Quant aux chevaux de courses, on les utilise surtout pour les courses de char et les poursuites. Pour que leurs nerfs ne soient pas trop durcis par la chaleur de la course, ils sont castrés, ce qui permet de parer, par le froid et l'humidité, à la sécheresse qui est amenée par la chaleur du mouvement et de la course. On possède enfin les roncins pour les transports de charges et pour tirer les chars à quatre roues et les chariots. On peut même parfois utiliser les autres chevaux pour ces travaux. 5. Allures. De même, les chevaux possèdent quatre allures : le galop12 qui résulte de sauts que fait le cheval, le trot, l'amble et le pas. Le galop s'obtient lorsque le cheval se jette vers l'avant, en levant simultanément les antérieurs en même temps que les postérieurs 13. Le trot est une allure plus rapide que le pas réglé. Le cheval l'effectue en levant simultanément un antérieur et un postérieur du côté opposé. Le pas se fait de la même manière, mais sans mouvement rapide de la part du cheval. L'amble s'obtient quand le cheval lève en même temps un pied antérieur et un pied postérieur situés du même côté. Le cheval peut accomplir cette allure de manière plus douce s'il n'a pas levé haut son pied avant de le poser à terre, mais l'a en quelque sorte glissé, et s'il pose le pied antérieur un peu plus rapidement que le pied postérieur. C'est toutefois d'autant plus difficile que, 11 - Albert Le Grand écrit dans ce paragraphe à peu près la même chose qu'Isidore de Séville (Etymologiarum liber XII, 43 , 44, op. cit., p. 68-69) mais avec son style et son vocabulaire propres. D ne s'agit pas ici d'un emprunt mot à mot. 12 - Le mot latin est ici cursus. Nous avons choisi de le traduire par «galop», puisqu'il s'agit de répertorier les allures du cheval. 13 - Dans une édition du XVIIe siècle du De animalibus, on peut lire une définition du galop un peu différente ; «le cheval lève les pieds antérieurs en même temps, puis les postérieurs en même temps».
d'une telle manière, le mouvement est décalé, d'où il se révèle tout à fait inévitable que les chevaux qui vont l'amble trébuchent assez fréquemment, surtout sur les chemins raboteux. 6. Alimentation. (55) Le fourrage dur, qui ne renferme pas d'air, convient mieux aux chevaux : il s'agit de l'avoine ou du blé, et quelquefois de l'épeautre. L'orge ne lui convient guère, ni le seigle, à cause des flatuosités. Ceux qui désirent engraisser des chevaux rapidement font cuire des tourteaux avec du fourrage mou, car, par ce moyen, les chevaux acquièrent une graisse trompeuse et importante. 7. Surabondance de sang (in equis abundat sanguis). Cet animal est atteint d'un très grand nombre de maladies que le maréchal, à qui revient le soin de guérir les chevaux, doit connaître. Parfois en effet les chevaux souffrent d'une surabondance de sang, que ce dernier soit ou non corrompu. Les signes de cette maladie sont les suivants : Le cheval aime beaucoup se frotter, ses déjections sentent plus mauvais qu'à l'ordinaire, il émet une urine rougeâtre et épaisse, ses yeux sont quelquefois rouges et larmoyants. Parfois aussi poussent sur son corps des pustules que l'on peut plus facilement sentir avec les doigts que voir, à cause des poils. (56) Il lui arrive également de perdre l'envie de manger : il laisse sa mangeoire pleine. Dans ce cas, il faut saigner le cheval de la veine qui descend au milieu de l'encolure et pratiquer une saignée abondante et sans lenteur, en fonction de la force et de l'âge du cheval. En effet, s'il est de forte constitution et âgé de cinq ans ou plus, on peut lui prélever trois ou quatre livres de sang. S'il est faible ou s'il s'agit d'un poulain, il ne faut lui en ôter qu'une livre et demie ou au plus deux livres. Si cette saignée est négligée, surviennent alors beaucoup de problèmes qui portent des noms différents selon leurs diverses manifestations. Tantôt apparaissent des sortes d'ulcères qui se répandent dans la chair et percent la peau en divers endroits, tantôt les chevaux attrapent une démangeaison ou une éruption cutanée, ou des boutons, et tantôt ils ont la roigne. Un seul cheval malade contamine alors ceux qui demeurent avec lui, comme dans un troupeau. La première façon dont cela peur arriver vient de ce que parfois les chevaux se grattent l'un l'autre de leurs dents : et lorsque l'un d'eux est malade, il en contamine un autre par son haleine et sa salive.
La seconde façon, c'est lorsqu'un cheval se frotte à l'endroit où un autre s'est déjà frotté : en effet l'humeur corrompue est répandue en ce lieu, qui contamine l'autre cheval qui y touche. La troisième et principale manière de contagion vient du fait que l'air est corrompu par l'haleine et que cet air vicié de l'écurie corrompt facilement tous les autres chevaux, vu que ces animaux sont chauds et humides et que de tels corps sont aisément atteints de maladie. La preuve en est que l'on défend aux enfants, qui sont chauds et humides, de s'approcher des malades, pour qu'ils ne soient pas contaminés par le sang mauvais. 8. Si trop de sang coule de la blessure d'un cheval (si sanguis de vulnere equi alicuius nimis fluat). (57) Si trop de sang coule de la blessure d'un cheval, il est salutaire d'appliquer sur celle-ci un peu de feutre complètement brûlé ou à demi consumé, mouillé dans du jus d'ortie, ou de prendre un champignon que certains appellent vesse de loup, et de mêler de la poudre de ce champignon à de l'excrément de porc nourri de chiendent ou d'herbes des plaines. Il faut appliquer ces substances, bien broyées et très chaudes, comme un emplâtre sur la blessure et les laisser bien liées pendant trois jours. L'excrément de cheval broyé est également bon pour ce mal, ainsi que la poudre d'une vieille guimpe ou d'un vieux vêtement, si on place un oreiller dessus et qu'on l'applique souvent sur la plaie jusqu'à ce que le sang cesse de couler. En ce qui concerne tous les abcès et les plaies du cheval, il faut veiller à ce que la lumière de la lune ne tombe pas, de nuit, sur le cheval et en particulier sur l'endroit lésé, parce que la lumière de la lune sur un cheval blessé lui apporte très souvent la mort. 9. Le lampas (lampistus). (58) La maladie du lampas dont souffre le cheval provient d'une surabondance de sang. Une enflure allongée apparaît dans la partie supérieure de la bouche, derrière les dents et entre les dents, si bien que les sillons qui sont entre les dents sont saillants et que le cheval laisse retomber la nourriture de sa bouche. Si ces enflures sont importantes, il faut les brûler légèrement, jusqu'à ce qu'elles deviennent blanches, à l'aide d'un fer fabriqué à cet effet, fin à son extrémité et courbe, en forme de S. Mais si ces enflures sont petites, il faut, au moyen d'un fer, saigner l'une de celles-ci, assez éloignée du milieu, jusqu'à ce que le sang coule, ou même inciser le sillon lui-même en son milieu.
10. Les foscelles (foscellae). Les foscelles sont des inflammations situées à l'intérieur de la bouche du cheval, sur les lèvres, contre les dents du fond, et ces inflammations noircissent au milieu. Elles viennent de la consommation d'herbes gelées et coupantes, demeurant longtemps sur les lèvres et les mâchoires. Et comme dans le cas du lampas, les chevaux ne laissent pas leur nourriture aller dans leur bouche à l'endroit où elle doit être. Cette maladie doit être soignée de la façon suivante : Il faut confectionner un fer fin à l'extrémité, à la manière d'un poinçon, l'incurver en forme de crochet et le rendre bien pointu. Avec ce fer, percer la foscelle au milieu de la peau et l'arracher. Lorsque l'endroit sera sec, arracher la peau ayant recouvert la foscelle, en rond, avec des ciseaux bien pointus ou avec un petit couteau. De cette manière elle guérit. 11. Les barbeles (barbulae). Des barbeles se produisent parfois au palais du cheval. Elles sont sèches à la manière des cônes des mamelles de quelque petit animal ; et quand elles s'élèvent en longueur au delà de la taille d'un petit grain de froment, elles gênent le cheval lorsqu'il mange. Pour guérir cette maladie, il faut extraire les barbeles du palais avec un crochet confectionné à cet effet, comme nous l'avons déjà dit, et ainsi les arracher avec des ciseaux ou avec des pinces, tout près du palais. 12. Le mal de la langue (malum in lingua equi). (59) Parfois naît sur la langue du cheval un mal qui provient d'une nourriture corrompue, engendrant du sang pourri et flegmatique. En effet, lorsque la nourriture a été digérée par l'estomac, il tire à lui de sa chaleur le meilleur du suc, le change en sang dans les veines et le cheval est réchauffé et nourri de cette chaleur et de cette humeur. Quand le sang est mauvais, il est parfois détourné de la chaleur de la poitrine du cheval vers la gorge et vers la langue, à cause du mouvement de la langue et du mors qui la comprime, et alors il corrompt la langue. Les signes de ce mal de la langue sont les suivants : la peau de la langue est écorchée14 par un flegme visqueux qui coule alors de la bouche du cheval et les veines qui se trouvent sous la langue noircissent.
14 - Le texte de la Cirurgie ajoute ici un autre participe, «entcchic», ce qui se comprend mieux.
Il arrive même parfois que ce mal descende aux pieds. Le cheval peut alors à peine se tenir debout. Pour guérir ce mal, il faut d'abord racler l'ulcération et la viscosité qui sont sous la langue, puis mêler deux cuillers de suie et une de sel, bien les malaxer, les mélanger avec une tête d'ail et en frotter la lésion. On doit ensuite inciser les deux veines qui se trouvent sous la langue puis, au quatrième ou au cinquième jour, saigner le cheval de la veine de l'encolure, proportionnellement à sa force. Certains disent que, dès le commencement de cette maladie, on doit prélever environ une demi-once de sang. Si ce mal est descendu aux pieds, il faut alors qu'avant le troisième ou le quatrième jour, le cheval soit saigné au dessus du sabot, sur n'importe quel pied, à l'intérieur et à l'extérieur de ce dernier. 13. Pour faire grossir l'encolure et faire pousser les crins (collum autem eius grossescit et crines eius melius crescunt, si...). On sait aussi que la tête du cheval maigrit et se dessèche si, avant qu'il ait sept ans, il est souvent lavé et frotté d'eau froide. Son encolure grossit et ses crins poussent mieux s'il est fréquemment et correctement mouillé d'eau chaude tout près des épaules, et si on lui masse les crins avec les doigts. On peut le faire aussi près de la tête, mais non avec de l'eau chaude : avec de l'eau froide, car la tête doit rester mince. 14. L'estive (stiva15). (60) L'estive est une maladie qui arrive à l'encolure du cheval. En effet le manche de la charrue (stiva) est une sorte d'instrument qu'on ne peut ployer et par métaphore on appelle cette maladie estive (stiva), lorsque l'encolure du cheval ne peut être ployée de côté et d'autre sans douleur. Il ne peut prendre la nourriture, si ce n'est par intermittence, et il la prend à terre comme s'il la volait, tant il la prend à la hâte. Ce mal naît d'un poids sur les épaules et d'une contraction des nerfs de l'encolure ; il vient d'une réplétion. Son traitement consiste à soulever fortement les crins du cheval de la main et à percer, au moyen d'une alêne brûlante, de chaque côté de l'encolure, tout près de la bosse du cou. Il faut brûler légèrement la chair à côté de l'encolure, sans toucher aux nerfs. On doit le faire en cinq endroits dans la longueur de l'encolure, puis appliquer une compresse de chanvre, de lin ou de 15 - L'édition du De animalibus réalisée par Stadler comporte ici le mot slina. D'autres éditeurs antérieurs avaient lu stiva. Nous avons choisi de corriger la leçon de Stadier puisqu'Albert Le Grand explique que le nom de la maladie vient du fait que le cheval ne peut pas ployer l'encolure, comme s'il s'agissait d'un manche de charrue (stiva).
poils de queue de cheval le long des plaies. Le tissu doit être laissé ainsi pendant quinze jours et être massé afin de faire sortir l'humeur. Toutefois, pour guérir cette maladie, certains font de nombreuses cautérisations dans la partie gauche de l'encolure, près de son sommet, et ne mettent pas de compresses. Mais qu'on applique la première ou la seconde méthode, il faut pendant les quinze jours entiers, laver quotidiennement jour l'encolure et les épaules du cheval avec de l'eau tiède et y faire des fomentations. 15. Les tortes (turtae). (61) Les tortes sont des sortes d'abcès situés à la surface de la chair et qui sortent sous le cuir, en forme d'un pain qui est appelé turta. Cette maladie arrive principalement à cause d'une abondance de sang et d'humeur souscutanée pourrie. Elle survient aussi parfois quand la chair est blessée par quelque coup. Pour soigner cette lésion, il faut entailler le cuir sur le milieu de la torte, puis masser et bien frotter par dessous l'endroit où l'enflure s'est logée, avec l'humeur à l'intérieur, et ainsi faire sortir toute l'humeur en pressant. Puis, après avoir enfoncé un séton, on doit fendre la lésion de sorte que la fente s'étende depuis la peau jusqu'au cuir sain. Il faut alors extraire tout ce qu'on trouve comme putréfaction ou chair putride et emplir la blessure d'étoupe. Qu'on fasse de la sorte tous les jours, jusqu'à ce que la blessure soit complètement guérie. Mais si on constate qu'un tel rassemblement d'abcès se produit pour la seconde fois, on doit fendre le cuir à nouveau, faire sortir la putréfaction en pressant avec les doigts et saigner le cheval, de chaque côté de l'encolure, le premier jour, ainsi que le septième, le neuvième et le quinzième. Mais il faut le faire après une observation prudente de la proportion de l'humeur qui produit l'abcès et des autres accidents par lesquels cette maladie arrive. 16. La figue (ficus). (62) La figue est une mauvaise coagulation de l'humeur, de couleur rouge ou bleuâtre, ou encore de couleur noire ; elle est sans poils et croît à l'extérieur du cuir à la manière d'une figue mûre, d'où son nom. Elle provient d'une trop grande quantité de sang sous-cutané. Traitement de cette maladie : si la bosse de la figue apparaît largement sur l'encolure ou sur un autre partie du corps, fendre sur une surface de cuir d'autant plus importante qu'elle doit entourer la surface de la figue ; ouvrir convenablement, de sorte qu'un trou apparaisse au milieu. Entre la figue et le cuir sain, appliquer soit une pâte bien collante faite avec de là farine tamisée, soit de l'argile, si on n'a pas de pâte sous la main, pour que le cuir sain ne soit
pas lésé malencontreusement. Confectionner ensuite un petit paté avec du marrube vert bien broyé et chauffé sur une pierre chaude ou un large fer chaud. Appliquer ce petit paté bien chaud sur la figue et l'y laisser bien serré tant qu'il est chaùd. Lorsqu'il sera refroidi, appliquer un autre petit paté chaud et procéder ainsi jusqu'à ce que la figue commence à blanchir. Confectionner ensuite des petits tourteaux de cresson de fontaines ou de cresson vert et de coquille de noix d'arbre, les chauffer chacun à leur tour et les presser sur la figue jusqu'à ce que la bosse devienne égale au cuir sain et que l'humeur putride puisse bien sortir. Remplir alors la figue de poudre de chaux vive ou de poudre de craie avec laquelle sont faits les parchemins, et la brûler entièrement jusqu'à la chair vive et au cuir sain, avec un fer d'une largeur égale à celle de la figue, en faisant bien attention qu'un des nerfs se trouvant peut-être à cet endroit, un muscle, un membre ou encore une articulation quelconque ne soient pas touchés par le fer. Appliquer sur la figue pendant deux jours de l'excrément récent de boeuf ou de la fiente de coq ou de pigeon bien broyée et mélangée avec du savon, puis l'enduire une fois par jour de quelque onguent chaud, comme le pentamyron ou un autre semblable, jusqu'à ce qu'elle soit guérie. Laver alors le lieu de la lésion assez longtemps avec de l'eau froide, puis lui faire une fomentation. (63) Si la bosse de la figue est importante à son sommet, en longueur comme en largeur, mais qu'elle est étroite près du cuir sain, il faut prendre un fil de soie et une soie ou un poil de la queue d'un poulain qui n'aura jamais copulé et, après les avoir brûlés et enroulés ensemble, en faire une corde pour lier la peau de la figue de manière très serrée. Et si le lien se détend, on doit. le refaire, jusqu'à ce que ce qui a été saisi dans la ligature tombe de soimême. Si la figue renaît une seconde fois, alors il faut mettre autour, entre le lieu sain et le lieu lésé, commp nous l'avons dit plus haut, un cercle de pâte ou d'argile qui tienne très fort, et il faut fendre la figue et y faire pénétrer du miel chaud, parce que cette substance est détergente, en veillant attentivement à ce que le miel chaud ne coule pas sur la peau saine. Après un petit moment, il faut essuyer le miel ainsi que le cercle et soigner l'endroit lésé comme il a été dit plus haut. Si beaucoup de telles excroissances se développent sur le corps du cheval, il faut qu'il soit saigné en proportion de sa force. 17. Lésions qui se produisent sur des endroits pleins de nerfs (si locus nervosus fuerit...). (64) S'il arrive que l'endroit ainsi lésé soit plein de nerfs, il faut prendre garde que l'un d'eux ne soit pas lavé à l'eau froide, parce que le nerf lui-même est froid par nature et, à cause de l'eau, il tombe en paralysie et se putréfie. S'il est nécessaire que le nerf lui-même soit entaillé, il est préférable de le trancher que de le piquer ou de le frotter avec une pierre, parce qu'une
douleur excessive due à une piqûre nuit plus à la santé qu'une coupure, sauf en ce qui concerne les grands nerfs qui ne peuvent être tranchés. Le nerf ainsi lésé doit être soigné avec des substances chaudes et pénétrantes, comme par exemple de l'huile, de la graisse, et du miel bien cuits, matières avec lesquelles le lieu doit être fomenté. Faire un emplâtre de poudre de baies de laurier et de cumin, y mêler du miel et l'appliquer en maintenant le trou de l'ouverture ouvert jusqu'à ce que tout le pus sorte. Si le nerf est frappé d'un coup porté par une pierre, un cheval ou toute autre cause et qu'il s'engourdit, il faut d'abord le frotter fortement avec de l'eau et des cendres de bois chaudes, pratiquer une fomentation et le comprimer. Ensuite on doit l'enduire de l'onguent chaud dont on dispose et le frotter avec énergie. Si la chair est endommagée et si le nerf a été heurté et rendu pourri, il est utile de préparer un emplâtre de farine de fèves ou d'orge cuite avec du miel et du vin jusqu'à ce qu'il soit épaissi et d'appliquer cela sur la douleur. Un emplâtre, fait de miel, de racines d'hièble, de guimauve, de bryone et de lis, appliqué sur les nerfs douloureux est également très efficace. Il faut aussi remarquer que si le nerf est incisé dans le sens de la longueur ou en oblique, il n'est pas facile à cicatriser et il pourra même être impossible de le cicatriser. Si une telle incision se produit, qu'on prenne de longs vers de terre qui sont appelés lombrics et qu'on les fasse chauffer sur un feu, après les avoir bien broyés et mélangés avec du miel. Lorsqu'ils sont un peu chauffés, qu'ils soient appliqués à l'exclusion de tout autre remède : cette méthode est, en effet, efficace. 18. Incision des veines16 (venarum incisio). (65) Il arrive parfois qu'on fasse au cheval une incision des veines, comme on coupe du bois avec une scie, et que celles-ci soient entaillées dans leur milieu. Pour que le sang, ou l'écoulement, n'afflue alors pas vers les parties faibles comme le sont les yeux, les pieds et les autres membres, cette incision doit être pratiquée de la manière suivante : Baigner d'abord le cuir avec de l'eau chaude, sur le lieu de l'incision et, après l'avoir d'abord rasé de ses poils17, le frotter longtemps avec les mains, de sorte qu'il soit mis légèrement à découvert. Fendre alors la peau qui est plus élevée que l'ensemble, en fonction de la longueur de la veine qui est à fendre. Séparer la veine de la peau et la fendre. Si la veine est grosse et remplie, extraire de la fente autant de sang que nécessaire et la soulever avec une 16 - n s'agit en fait de l'intervention que les hippiatres appellent «barrement de la veine». 17 - Pour notre traduction, nous avons suivi l'édition du De animalibus réalisée par Stadler, qui comporte a pilis primo rasum. Dans une édition beaucoup plus ancienne on trouve une autre leçon (a pellis primo rasum), que l'on peut comprendre comme «rasé à fleur de peau» et qui évite la répétition primum / primo (primum aqua calida fomentatum et a pilis primo...).
aiguille de bois flexible, sur la longueur de deux doigts. La lier à ce momentlà d'un fil souple, de part et d'autre de l'endroit qui est à ouvrir. Lorsque la coupure sera effectuée, brûler un petit peu en surface les extrémités des veines, de part et d'autre, et laisser pendre le fil ainsi que les extrémités des veines à l'extérieur de la blessure, de sorte que la veine, qui est pourrie entre les ligatures, puisse facilement être tirée, tant par les fils que par les parties coupées de la veine. Mais si le sang s'est rassemblé dans un membre, et en particulier dans un pied, avant de l'extraire, lier la veine dans sa partie inférieure et non dans la partie qui se dirige vers le coeur. L'ouvrir alors et le sang sortira. 19. Lésion des nerfs ou des muscles de l'épaule par des éperons ou par une autre cause (si nervi aut musculi spatulae ex punctura calcaris vel alia causa laedantur). (66) Si les nerfs ou les muscles de l'épaule sont blessés par la piqûre d'un éperon ou par une autre cause, ou même s'ils enflent, qu'on rase d'abord les poils tout autour, et qu'on enduise souvent le lieu blessé d'huile chaude ou de lard. Ensuite, qu'on pile bien des feuilles d'absinthe ou des petites branches tendres de cette même plante ou encore des feuilles d'hièble ; qu'elles soient mêlées avec du beurre, et que l'emplâtre ainsi obtenu soit appliqué par dessus. Il faut que le trou de la piqûre soit maintenu ouvert pendant assez longtemps et ainsi il sera guéri. Si une enflure de cette espèce, restée longtemps sans l'aide de remèdes, est devenue vieille, qu'on finisse par ouvrir le cuir avec précaution aux deux extrémités, là où l'enflure s'arrête. Qu'on mette un séton en prenant soin des nerfs et des veines et que ce séton soit remué jusqu'à ce que ce le pus rassemblé soit sorti. Si le cheval est enflé près de l'encolure, à cause d'une piqûre survenue à l'épaule ou sur les flancs, il convient de poser des sétons sur la poitrine. Il faut alors veiller à ne pas faire cette pose de sétons trop près de l'épaule. Une enflure se produit fréquemment lorsque de l'eau froide pénètre par des piqûres dans le cuir du cheval, lorsque celui-ci a été échauffé par le mouvement puis s'est reposé pendant deux ou trois jours, sans travailler ni suer. Le traitement en est le suivant : pratiquer d'abord sur le lieu enflé une bonne fumigation d'hièble, de livèche ou d'absinthe, pour que les endroits blessés suent bien, puis mêler du son de froment avec de la lie de vin ou de la bonne cervoise, du jus d'hièble ou des feuilles de sureau, jusqu'à ce que le mélange devienne épais et l'appliquer ainsi sur l'endroit blessé. Poser alors deux ou trois sétons, s'il est besoin, entre les épaules et les flancs du cheval, mais avec précaution pour que les nerfs ne soient pas endommagés, parce que si ce n'est pas fait prudemment, le nerf qui descend depuis la verge jusqu'à la poitrine et qui se trouve au milieu du ventre, ou encore la grande veine du côté seront endommagés.
(67) Si le cheval est blessé au passage des sangles parce qu'il marche longtemps en étant trop sanglé, ou parce qu'il est piqué dans la veine du côté et que, à cause de la compression, le sang ne peut couler, s'il lui arrive d'enfler pour ces raisons, il faut qu'après cinq jours, quand le pus est mûr, il soit extrait en ouvrant le cuir de sorte que l'humeur nuisible soit forcée de sortir par une compression exercée par les doigts. 20. Le rancie (radunculus). Il existe une maladie du cheval que certains appellent rancle : c'est une enflure étendue, de couleur rougeâtre, qui s'empare de la peau et de la chair jusqu'en profondeur, avec une forte chaleur continuelle et une palpitation de la peau à cet endroit. Cette maladie survient après des blessures et des piqûres des nerfs et des muscles, ainsi qu'à la suite de grandes lésions du dos et des flancs de l'animal. Ce mal arrive parfois aussi sans qu'aucune lésion ne soit venue de l'extérieur, de même qu'elle survient quelquefois chez l'homme dans un endroit où les humeurs se rassemblent, aussi longtemps que ces dernières, affluant, sont en mouvement et restent chaudes. Pour un membre dans un tel état, il ne convient pas de faire autre chose que de le toucher par des choses froides, pour que des douleurs plus grandes .n'arrivent pas à ce membre ou aux voisins, ou pour que des humeurs n'affluent pas éventuellement à l'intérieur, en amenant la mort de l'animal. C'est ce qui se produirait si des substances chaudes étaient appliquées, substances auxquelles on reconnaît la propriété d'attirer les humeurs. Il faut donc repousser les humeurs qui affluent au moyen d'emplâtres répulsifs, et les faire sortir, les comprimer ou les dessécher grâce à des emplâtres qui produisent l'évaporation. Cette maladie survient aussi à cause d'une trop grande quantité d'humeurs sanglantes qui s'écoulent vers l'endroit de la lésion ; celui-ci est en effet incapable de les refouler, de les faire évaporer ou les changer en pus, à cause de sa faiblesse. Les rancles sont aussi différents en fonction de la diversité de qualité et de nature de l'humeur qui domine dans le corps. (68) Pour le traitement, il faut avant tout connaître l'origine de toutes les causes, pour employer les remèdes en fonction de ce que la cause demande. Il faut donc savoir ce qu'il conviendrait d'appliquer, pour chaque cause en particulier, au début du mal, lorsque celui-ci augmente, quand il est stabilisé et au cours de son déclin, et principalement dans le cas des enflures, parce que les enflures arrivent dans les différents membres pour diverses causes. Pour cette raison, elles provoquent de graves dangers et souvent une fragilité du corps, si le cheval n'est pas soigné scrupuleusement, avec les remèdes appropriés. Si donc il convient de pratiquer une saignée à cause d'une trop grande abondance de sang, il faut la faire dans la partie opposée à la douleur, c'est à dire que si la partie inférieure de droite est souffrante, le sang doit être extrait
de la partie supérieure gauche, mais si c'est la partie supérieure droite qui est malade, la saignée doit être effectuée en bas à gauche. Il faut savoir si c'est le début de l'écoulement ou s'il augmente. S'il est en diminution ou s'il est stable, la ponction doit être pratiquée sur le membre le plus proche de cette région. Pour prendre un exemple, si l'enflure est descendue dans la cuisse ou au genou, il faut faire la saignée dans le pied. Mais si, à la suite du départ de la chaleur et du mouvement de la douleur, l'enflure est diminuée depuis déjà longtemps et la couleur modifiée, mais que cependant l'humeur accumulée reste attachée à cet endroit à cause de sa viscosité, comme s'il s'agissait d'une substance visqueuse et impossible à entraîner autrement, qu'on scarifie l'endroit du rancle assez peu profondément, quand le cheval est chaud, et qu'on extraie alors l'humeur accumulée, ainsi que le sang, par l'application d'une ventouse. Ces plaies de scarification doivent être soignées de la même manière que les blessures. (69) Qu'on fasse aussi le remède de l'emplâtre général, qui est excellent pour réduire toutes les enflures, scarifications, rancles, douleurs et brûlures faites par le fer et dures, ainsi que pour refroidir et amollir les tumeurs chaudes : prendre une bonne quantité d'absinthe avec un jaune d'oeuf, la mêler avec autant de graisse pure, y ajouter un peu de farine d'orge ou d'avoine très fine, et appliquer cela à l'endroit de la douleur, chaud en hiver, mais froid en été. Il existe un autre emplâtre qui soigne le rancle et guérit les enflures et les blessures : mélanger deux mesures de jus d'ache et deux de vin avec une de vieille graisse de porc nettoyée par du sel, de telle sorte que la graisse se liquéfie ; la filtrer dans des pots (ainsi en effet le sel descend au fond) ; lorsqu'elle sera refroidie, y mêler deux mesures de miel cru, ajouter à tous ces ingrédients de la fleur de farine de froment jusqu'à épaississement, et appliquer cette préparation chaude sur le rancle ; elle sera efficace. Voici encore un emplâtre pour résorber l'enflure, lorsque la peau paraît intacte : découper des poireaux très finement, après en avoir jeté les fines racines, les frire dans de la graisse et les lier chauds sur l'enflure. Il existe encore un autre emplâtre pour repousser l'enflure et la comprimer, là où la peau du rancle est intacte : prendre trois mesures de fumier de mouton qui n'aura jamais été mouillé d'eau, deux mesures de jus d'herbe benoîte ou de gariofilata18, autant de jaunes d'oeufs crus, une mesure de suif de mouton et une de fleur de farine de froment ou de blé. Bien mélanger tous ces ingrédients, les cuire un peu et appliquer le tout bien chaud.
18 - Il s'agit des deux noms de la plante appelée aujourd'hui «benoîte», Geum urbanum L.. L'appellation de gariofilata provient de l'odeur de girofle qu'elle dégage. Cette plante possède effectivement des vertus cicatrisantes pour les plaies rebelles et ulcéreuses (cf. Platearius, Le livre des simples médecines d'après le ms.fr. 12322 de la Bibliothèque Nationale de Paris, traduction et adaptation de Ghislaine Malandin, Paris, éd. Ozalid et Textes Cardinaux / Bibliothèque Nationale, 1986, p. 319).
21. L'estranguillon (strangulina). (70) Une maladie est appelée estranguillon parce qu'elle resserre tous les passages de la gorge du cheval, par lesquels l'haleine est dirigée du fond de la poitrine jusqu'aux narines ; elle est accompagnée d'une mauvaise toux. La cause en est l'ingestion d'aliments avariés et mauvais et d'une eau croupie. En effet le flegme se rassemble dans la poitrine et dans le corps du cheval suite à un manque d'activité. Cette maladie arrive parfois à cause de l'absorption d'une nourriture sèche avec de la poussière, ou à cause d'un breuvage trop froid, ou encore lorsqu'en saison froide le cheval en absorbe trop, puis se tient sans être réchauffé ou sans couverture dans un endroit froid, surtout si, auparavant, il est fatigué et sans nourriture. Il ne faut en aucune manière saigner le cheval avant que le flegme soit mûr, que le flux cesse par la bouche et les narines sans qu'il tousse, et que l'haleine sorte selon la manière habituelle de l'animal bien portant. Or, si le sang coulait, il serait difficile de faire sortir l'humeur à cause du froid qui arrive par suite du manque de sang, s'il n'avait pas une grande quantité de sang. Cette maladie entraîne vite le cheval à sa perte ; dans sa forme rapide, elle le met en danger en moins de huit jours. Il faut être prévenu que le cheval souffrant de cette maladie est souvent sauvé en moins de douze jours ou alors il attrapera la morvella19 et sa vie sera en danger. Ainsi donc l'estranguillon se produit pour les causes énoncées. Il arrive aussi parfois à la suite d'une fréquentation excessive d'un autre cheval souffrant de l'estranguillon, à cause de son haleine, comme je l'ai déjà dit auparavant. (71) Le traitement de cette maladie est le suivant : prendre des écorces d'aunes qui poussent sur les rives des eaux, les nettoyer de toutes les excroissances extérieures, les placer dans un pot neuf et verser dessus de l'eau claire, et faire bouillir presque jusqu'à évaporation. Verser une autre eau une seconde fois, puis en faire bouillir une troisième jusqu'à ce qu'elle soit presque entièrement évaporée et la verser dedans de la même manière. Ajouter alors une quantité d'eau égale à ce qui reste, reliquat auquel on aura mêlé de la graisse de lard ; filtrer bien le tout, l'épurer, le déposer dans un plat ou dans un autre pot et l'introduire dans les narines du cheval avec un instrument quelconque. Il faut que la tête du cheval soit liée fortement vers le haut avec un licol ou un frein jusqu'à ce que la liqueur descende des narines vers la tête. Il doit alors être nourri de quelques herbes chaudes, qui peuvent échauffer et faire diminuer les humeurs. Le son, notamment, est excellent pour cela. Si c'est l'hiver, le cheval doit manger une herbe appelée séneçons et de la bouillie fine de son de froment avec de l'eau chaude. 19 - La morvella est certainement une maladie caractérisée par un jetage important.
Mais si l'estranguillon secoue la poitrine du cheval à cause du froid de la tête ou d'une toux sèche, qu'on lui donne à avaler pendant trois jours une herbe qui est dite semper viva, toujours vive20, broyée avec de l'eau. Il faut aussi placer près de lui des plantes odoriférantes chaudes, pour faire sortir la chaleur et humecter l'intérieur. Contre cette maladie, on peut aussi appliquer des feuilles d'hièble et des séneçons broyés, car ces plantes sont efficaces. On peut également poser sur le cheval des tuiles ou d'autres choses chaudes et l'entourer de l'herbe que j'ai citée avant ainsi que de morceaux d'étoffe de lin humide, dans lesquels les tuiles sont enroulées ; l'herbe doit être placée dans un pot pour que les naseaux du cheval soient exposés à la fumée. Il faut que la tête du cheval soit couverte entièrement, de sorte que la fumée ne puisse s'évaporer nulle part ailleurs que dans les narines, et qu'il soit ainsi fumigé pendant longtemps. Et s'il arrive que la vapeur fasse trop vite défaut, qu'on applique de l'eau chaude sur le nez. Ensuite, avant un autre aliment, que soit posé sur le cou du cheval, lorsqu'il avale, de la racine de mauve cuite et broyée, mélangée avec du beurre non salé ou avec de la graisse, et qu'on donne au cheval une bouillie préparée avec des feuilles de mauve et de séneçons. Dans ce cas, il est bon également de placer des sétons de lin ou de chanvre bien nettoyé le long de l'encolure du cheval, de part et d'autre du canal de la gorge, de sorte qu'un séton soit éloigné de trois doigts d'un autre séton. Ceux-ci doivent être laissés jusqu'à ce qu'ils tombent d'eux-mêmes ou jusqu'à ce que le cheval soit guéri de l'estranguillon. 22. Le chancre (cancer). (72) Le chancre est une maladie du cheval qui mange le cuir avec la chair sur une large étendue, et il est de couleur noire parce qu'il est produit par du sang noir et épais. Si cette maladie mange la lèvre du cheval, il faut bien faire sécher de la semence de chanvre, en faire une poudre très fine et la répandre sur le chancre deux fois par jour, jusqu'à ce qu'il soit guéri. Pendant ce temps aussi que le cheval soit préservé de toute humidification avec de l'eau, et si c'est nécessaire, qu'il soit saigné de la partie gauche de l'encolure. 23. Seno norma (frenes). Une maladie est appelée seno norma (frenes), parce qu'un très grand mouvement des humeurs déchire les reins (renes) du cheval et le rend immobile : la bête elle-même, il est vrai, tombe à terre, comme abattue par suite 20 - Il s agit de la joubarbe, comme le traduit d'ailleurs la Cirurgie des chevaux (voir Glossaire).
d'une goutte, et ainsi les humeurs accourent vers le coeur. Pour cette raison, il lui arrive de mourir vite, en moins de deux heures. Cette affection arrive plus souvent par temps chaud que par temps froid à cause de réchauffement des humeurs. Il existe un traitement pour cette maladie : Il faut inciser la grosse veine qui se trouve à l'intérieur des deux cuisses et la veine qui est sous la queue, sur la longueur de quatre doigts depuis les fesses, de sorte que le sang soit tiré des fesses. Cela doit être fait rapidement, parce que, dans une telle affection, il y a risque à différer l'évacuation. Il faut qu'on laisse le sang couler presque jusqu'à défaillance, parce qu'un remplissage excessif a besoin d'une évacuation excessive. Si les reins paralysés n'ont pas la force de se rétablir après quelques jours, qu'on fasse au cheval deux cautérisations au milieu des reins et qu'on y applique à plusieurs reprises du cerfeuil cuit malaxé avec de la graisse, afin que n'apparaissent pas des endroits brûlés sans poils. 24. Le cor (cornu). (73) Une maladie est appelée cor parce que la peau sur la chair du dos, ou la chair seule, auparavant blessée, semble durcie comme de la corne. Elle survient en fait habituellement lorsque le cheval est blessé et lorsqu'il est enflé par suite d'une trop lourde charge qu'il porte sur son dos avant que l'enflure ne soit guérie. Elle arrive aussi quelquefois lorsque le dos a été blessé, enflé ou écorché et que le cheval a été chevauché avant d'être tout à fait guéri, et quand, à cause d'un grand travail, le dos transpire beaucoup d'une sueur chaude et humide. Lorsque cela se produit, il faut laisser le cheval au calme durant trois ou quatre heures, sans lui avoir ôté la selle, jusqu'à ce que son dos soit devenu froid ; il faut alors le chevaucher une seconde fois ainsi en lui laissant la selle. On sait que parfois le cor arrive lorsque les poils du dos sont trop longs, parce qu'ils sont alors réunis par la sueur et des touffes se forment ; il peut aussi apparaître lorsque quelque chose de dur, comme de la pierre, du bois ou un morceau de tissu enroulé, se trouve entre la selle et le dos, et encore lorsque une charge chancelle ; le cheval est alors blessé. (74) Mais si le rancle arrive sur le cor et s'installe sur les flancs et sur le dos avant que le cor soit enlevé entièrement ou au moins dans sa plus grande partie, l'animal meurt ou s'en sort difficilement et avec grand peine. Le traitement de ce mal consiste à raser d'abord les poils tout autour du cor et, s'il n'a ni perforation ni rancle, à le scarifier entièrement par de nombreuses et profondes scarifications, pour que le mauvais sang puisse sortir. Si l'enflure a vieilli pendant longtemps, il faut, avant la scarification, pratiquer pendant deux heures à cet endroit une fomentation d'eau chaude,
dans laquelle on ait fait bouillir de l'ache et de l'ellébore ou du mouron21 qu'on appelle aussi par l'autre nom de morsure de poule - pour que le sang soit affaibli. Ensuite on doit lier par dessus un emplâtre chaud fait d'hièble, d'ache et de feuilles de sureau bien broyées avec un peu de graisse ou de vin chauffés, ou appliquer un emplâtre chaud fait avec du jus de morsure de poule ou de séneçons ou de farine très fine de seigle ou de froment avec quatre ou cinq oeufs. Il faut ensuite percer la peau du cor en divers endroits au moyen d'une alène rougie au feu, puis le recouvrir d'une grosse pièce d'étoffe de chanvre ou de lin, de telle manière que le tissu dépasse le cor de tous côtés de la largeur de quatre doigts ; puis brûler un morceau de lard, fixé à un bâton de coudrier ou à une baguette d'osier, au dessus d'une flamme, de sorte que la graisse, coulant le long du bâton, soit versée goutte à goutte sur le cor par l'intermédiaire du morceau d'étoffe qui le recouvre, afin qu'elle pénètre à l'intérieur. Enfin, après avoir posé un autre morceau de tissu propre au dessus du précédent tissu, faire galoper le cheval jusqu'à ce qu'il sue bien, puis, si nécessaire, qu'on l'enduise à l'endroit du cor, au moyen d'une plume, de cette même graisse recueillie dans un pot, jusqu'à ce qu'elle parvienne à enlever entièrement le cor. Ensuite que des escargots avec leurs coquilles broyées soient appliqués comme emplâtre sur le cor, jusqu'à ce qu'il soit désagrégé. Et s'il est nécessaire de chevaucher le cheval, il faut ôter l'emplâtre pendant ce temps. Une fois le cor enlevé, que la plaie soit emplie une fois par jour d'étoupe peu découpée mais bien nettoyée : en effet l'étoupe de lin ou de chanvre a une grande efficacité pour nettoyer et guérir les plaies et les blessures et pour éviter l'apparition de chair morte ; mais qu'on fasse bien attention à ce que l'étoupe ne soit pas humide. 25. La morte chair (caro mortua). (75) La morte chair naît dans une blessure du cheval lorsque son traitement est prolongé ou que cette dernière est soignée avec des remèdes qui ne conviennent pas. Le signe de cette maladie est que cette chair passe quelquefois par dessus la peau, qu'elle ne ressemble pas à l'autre chair et qu'elle n'est pas très sensible au toucher. Si donc elle passe par dessus la peau et qu'elle est dure, qu'on l'incise jusqu'à la bonne chair avec un rasoir très coupant, à moins que des veines ou 21 - Nous pensons que le mot latin mir correspond au français «mouron», bien que cette forme ne soit pas attestée dans les ouvrages spécialisés que nous avons consultes. l'a Cirurgie des chevaux comporte ici «rue ou mouron» en omettant les plantes précédentes. Albert Le Grand donne ensuite un nom équivalent pour cette plante : morsus gallinae. Il s'agit du «mouron des oiseaux» ou du «mouron rouge», Stellaria media L. ou Anagallis arvensis L. (d'après T. Hunt, Plant Names of Medieval England, Cambridge, D.S. Brewer, p. 182).
des nerfs ne gênent, ou qu'on y mette de l'ortie grecque22 qui ronge en effet la morte chair. Qu'on applique ensuite du fumier nouveau de boeuf ou qu'on lie, pendant trois jours, de l'étoupe mouillée avec du jaune d'oeuf. Cependant, avant cela, on doit un peu brûler la blessure avec un fer rougi et ensuite y déposer de la salive. La morte chair est encore retirée sans fer de cette manière : prendre trois parties de chaux vive, deux de coquilles d'huîtres, une de sel et une de corne de cerf ; les broyer très finement et les mélanger avec de la lessive ou de l'urine d'homme (cependant pour ce remède l'urine d'un enfant vierge est meilleure) ; après les avoir mélangés, donner à ces ingrédients la forme d'un pain et les cuire dans un four ; les réduire ensuite en poudre et appliquer cette poudre une fois par jour sur la morte chair. (76) Si la chair vivante apparaît plus vite dans une partie de la blessure que dans une autre, il faut que cette partie dans laquelle la chair vivante est visible soit emplie d'étoupe un peu mouillée de salive et que de la poudre soit mise sur l'autre partie, jusqu'à ce que de la chair vivante apparaisse partout. On doit ensuite y appliquer de l'étoupe un peu mouillée dans du beurre ou de la graisse, jusqu'à ce que la chair vivante soit égalisée avec la peau ou le cuir. Il faut enfin la soigner comme je l'ai expliqué plus haut au sujet du soin des blessures. Certains disent qu'ils prennent des os des cuisses ou du flanc d'un cheval, de la corne de cerf ou de bélier et des vieilles rognures de souliers de cuir, qu'ils broient ces substances chacune à leur tour, en font de la poudre, prennent de chaque poudre en quantité égale et les mélangent bien. Mais ce remède doit être réservé aux cas utiles, parce qu'il dessèche beaucoup les blessures et ronge la morte chair. Certains aussi appliquent sur ces lésions de l'origan23 et de l'écorce de chêne. Mais s'il faut que l'animal porte une charge dans l'intervalle, il faut enlever l'étoupe ou l'emplâtre pendant ce temps-là. Lorsque le travail est terminé, on doit laver l'endroit blessé avec du vin chaud ou de l'urine, ou de l'eau de mer ou salée, ou de l'eau chaude dans laquelle on aura fait cuire de l'origan ou de l'ache ou du marrube ou de l'hièble, puis appliquer telle ou telle des substances citées plus haut. Il existe encore un emplâtre pour enlever la mauvaise chair, qui consiste à liquéfier du blanc d'oeufs et du vieux savon, à les appliquer sur le mal à son début en les mélangeant bien à de la poudre de chaux vive, et à étendre cette préparation moyennement épaisse très rapidement ; ce remède sera efficace. 22 - Selon T. Hunt (Plant Names of Medieval England, op. cit., p. 257) il s'agirait de la plante que les botanistes nomment Urtica urens L., vulgairement appelée «petite ortie». 23 - De quelle plante s'agit-il ? Selon J. André, «l'identité des espèces que recouvre origanum est difficile à reconnaître par suite des confusions des textes anciens» (J. André, Isidorus Hispalensis, Etymologiae XVII, Paris, Les Belles Lettres, 1981, p. 206). T. Hunt propose trois identifications différentes, dont l'une nous paraît convenir ici. Il s'agirait de Menlha pulegium L., ou pouliot, ce qui correspond au texte de la Cirurgie des chevaux «poulicul sauvage» (T. Hunt, Plant Names of Medieval England, op. cit., p. 192).
26. Le farsin (farcina). (77) Le farsin est une maladie dont le nom vient de gonflement (farciendo), et elle tire son nom de trop d'humidité de la chair et d'un excès d'humeur ; certains l'appellent «ver» parce que l'humeur superflue provoque dans la chair et dans la peau des trous comme des trous de vers. Le farsin naît d'une fluxion de sang trop fréquente en dehors des veines. Parfois encore il vient d'un grand coup ou d'un choc et d'un bleu, si ces derniers n'ont pas été guéris en moins de deux mois et s'ils se trouvent dans des endroits creux, entre les épaules et sur les flancs. Il est quelquefois provoqué par la morsure d'un autre cheval souffrant du farsin. Le traitement de ce mal doit alors être organisé avec soin et aussi rapidement que possible, parce que s'il arrive dans des endroits pleins de muscles et pleins de nerfs, dans les articulations des os et dans des creux, il est difficilement traité. Qu'il soit donc soigné ainsi : qu'on regarde si la maladie atteint le devant du corps par abondance de sang, qu'en opposition, on saigne alors le cheval de la veine de l'encolure. Ensuite qu'on mouille légèrement trois poignées de gariofilata24, trois de plantain, trois d'aigremoine et une de racine de raifort avec de l'eau de puits ou de fosse et qu'on les donne à avaler au cheval. On peut aussi lier sur les trous, après avoir rasé les poils, un emplâtre fait de gariofilata et de racine de raifort prises en quantité égale, avec un peu de vieux savon ou de miel broyé. Ou bien on peut fabriquer une mixture avec de la poudre d'encre brûlée, de la chaux vive, du savon et un peu de miel et l'appliquer à l'intérieur des trous. Il faut le faire deux fois par jour, le matin et le soir, jusqu'à ce que la maladie soit desséchée. S'il y a trop de trous serrés, qu'ils soient un tout petit peu élargis avec un rasoir et que, pendant ce temps, le cheval mange de la paille d'orge ou de blé, ou du foin, et qu'on l'empêche de manger de l'avoine et de boire de l'eau. Si l'endroit du mal ne se trouve pas dans les creux des os ou des muscles, mais dans un endroit charnu, il vaut mieux alors, plutôt que poser un emplâtre à l'extérieur, inciser avec un rasoir et mettre à nu, jusqu'au fond du farsin, toute la partie charnue invisible. Qu'on brûle ensuite légèrement cet endroit avec un fer chaud et qu'on applique enfin un emplâtre bien préparé avec de la farine d'orge et de seigle, des jaunes d'oeufs, de l'aigremoine ou des poireaux pilés ensemble. Certains aussi remplissent tous les trous de bouillie de son et ensuite brûlent légèrement jusqu'au fond du trou avec une alène chauffée.
24 - Voir note 18.
27. Cheval qui ne mâche pas bien sa nourriture (si equo grana hordei vel alicuius alterius bladi dentur (...] et haec grana nihil penitus aut parum masticaverit...). (78) Si des grains d'orge ou de quelque autre céréale sont donnés au cheval, ou si des graines de quelque légumineuse sont servis comme nourriture et qu'il ne mâche pas ces graines entièrement, ou pas assez, et qu'il remplisse ainsi son ventre, la chaleur naturelle de l'estomac ne peut pas digérer à cause de ce remplissage excessif. Le cheval ne parvient pas à tenir sa tête droite, mais il l'allonge trop loin de lui et, ayant soif, il désire boire plus que nécessaire. Pour cette raison, après un grand travail, beaucoup de ceux qui ont l'expérience des chevaux leur donnent d'abord à manger, avant qu'ils boivent, une quantité modérée de paille ou de foin et ensuite ils leur jettent peu à peu des graines éparses devant eux, en deux ou trois fois. Les chevaux ne peuvent en prendre une grande quantité à la fois, jusqu'à ce que, la faim étant un peu calmée, ils s'habituent à bien mâcher. Si les grains sont trop durs, il faut bien les mouiller trois ou quatre fois. Si, comme il a été dit auparavant, le cheval est trop rempli, le traitement consiste à l'empêcher de boire jusqu'à ce qu'il évacue et émette de l'urine ; car si on ne lui interdit pas la boisson, comme il a été dit, il sera étouffé par un gonflement excessif des grains et par la trop grande humidité de l'eau ; ou encore il souffrira d'un écoulement de ventre et il en sera fort incommodé. Si le cheval n'émet pas d'excrément ni d'urine durant un ou deux jours, prendre deux parties de racines d'hièble ou de sureau et une de racines de flamula25 et une de mauves et bien les cuire dans de l'eau. Après l'avoir filtré entièrement, donner la quantité d'un gobelet de ce breuvage au cheval. Faire ensuite travailler un peu le cheval pour le réchauffer, puis bien le couvrir. Si en six heures il n'a pas fait, lui donner un autre gobelet de la décoction décrite ci-dessus. Il y a toutefois des personnes qui, le jour même, introduisant la main par le postérieur du cheval, tirent les graines et ainsi ouvrent une voie, mais le premier remède est plus salutaire et plus raisonnable. 28. Les vers (vermes). (79) Parfois aussi des vers prolifèrent dans les ventres des chevaux. Le signe de cette maladie est que le cheval se roule fréquemment sur les flancs, s'efforce de gratter son ventre avec ses pieds arrière, ses poils se tiennent dressés sur lui comme s'ils étaient hérissés et il devient plus mince que d'habitude. Si on ne lui porte pas rapidement secours, avant que les vers ne
25 - Cette plante est aujourd'hui connue sous le nom de «clématite», Clematis vitalba L.
perforent les intestins, il ne s'en sortira que rarement, voire jamais. Ces vers viennent d'une mauvaise nourriture jointe à une privation de boisson. Le traitement de cette maladie est le suivant : prendre tous les intestins d'une jeune poule et les jeter entiers et chauds dans la gorge du cheval, en tenant la tête du cheval vers le haut jusqu'à ce qu'il les ait avalés. Faire ainsi tous les matins pendant trois jours et interdire au cheval de manger quelque chose entre temps, sinon presque rien, jusqu'à la neuvième heure. De même, cuire longuement dans de l'eau une poignée de sureau et une de petites branches de mirica26 et jeter l'eau, filtrée à travers un morceau de tissu, sous le corps du cheval, s'il ne veut pas boire. Certaines personnes, expérimentées en maréchalerie, mélangent aux aliments des chevaux des extrémités de sabine27, d'aurone28 et de genêt découpées en petits morceaux, pour qu'ils les mangent, et leur donnent à boire de l'eau salée. En outre, qu'on laisse pendant une heure dans de l'eau trois ou quatre poignées de seigle, et ensuite qu'on dépose ces mêmes poignées sur la terre nue, dans un lieu dans lequel le vent ne puisse pénétrer, jusqu'à ce qu'elles paraissent avoir des rejetons et germer. Qu'on les découpe ensuite en petits morceaux et qu'on le fasse successivement pendant trois jours, de sorte qu'on puisse en jeter, à l'occasion, une poignée à manger au cheval qui a le ventre vide. 29. Rétention d'urine (si equus mingere non potest). (80) Si le cheval ne peut uriner, s'il devient moins joyeux que d'habitude et qu'un gonflement apparaît dans son ventre, c'est le pronostic certain d'un danger de mort. Cette maladie arrive parfois lorsque le cheval continue de marcher longtemps après avoir eu le désir d'uriner et lorsqu'on ne lui a pas laissé la liberté de le faire. Parfois aussi elle arrive par un refroidissement brutal après une chaleur excessive, et parfois à la suite de quelque autre accident.
26 - T. Hunt a identifié le mirica comme étant le genêt, Sarothamnus scoparius L. (T. Hunt, Plant Names of Medieval England, op. cit., p. 179). 27 - La sabine, ou le genévrier-sabine, Jupinerus sabina L., est une plante dangereuse, considérée comme un poison à cause de l'essence toxique sur les fibres musculaires lisses qu'elle contient. Elle a été longtemps utilisée pour provoquer les avortements (cf. T. Hunt, Plant Names of Medieval England, op. cit., p. 230 ; Platearius, Le livre des simples médecines, op. cit., p. 234 et 329 ; Jean Valnet, Phytothérapie, Paris, Maloine/Le Livre de Poche, 1986, p. 453). 28 - Nous avons traduit par «aurone» le mot latin abrotanus. Cette plante est aussi appelée «annoise-aurone», Artemisia abrotanum L., et elle est connue pour ses propriétés vermifuges (voir T. Hunt, Plant Names of Medieval England, op. cit., p. 1 ; Plalearius, Le livre des simples médecines, op. cit., p. 317).
Il est alors soigné de cette manière : prendre une poignée de racines d'acore29, une d'hièble, une d'aigremoine et une d'ache ou de cerfeuil, bien les cuire dans de l'eau de source, puis jeter deux ou trois gobelets de cette eau dans le gosier du cheval pour qu'il les avale. Ensuite le conduire par la campagne à une allure modérée jusqu'à ce qu'il commence à suer ; le frotter rapidement et énergiquement sous le ventre et autour des flancs avec la paume de la main et l'emmener à l'endroit où les chevaux ont l'habitude d'uriner ; faire ceci assez souvent jusqu'à ce qu'il urine ; puis le mener paître près des ruisseaux de sources ou dans des prairies. Il faut remarquer aussi que le cheval s'étend d'autant plus pour uriner qu'il se vide davantage. Et pour cette raison, il faut prendre garde de ne pas le faire courir rapidement après une telle extension, parce que quelque nerf pourrait sauter de sa place ou être paralysé si les membres ne revenaient pas d'abord à leur position, grâce à un mouvement doux, après une telle extension. 30. La gratele (prurigo). (81) La gratele (prurigo) tire son nom du fait d'éprouver une démangeaison (pruriendo) ou de brûler (ardendo), et dans cette maladie, le cheval désire se gratter en se mordant avec les dents et se plaît à rester debout continuellement. Elle est produite par du sang pourri et brûlé mêlé avec une humeur sanguine, en particulier lorsque le cheval, en automne, est forcé à travailler trop avec peu de nourriture et de boisson, et qu'ensuite il se repose vite ; elle arrive encore quand, après avoir été maigre, le cheval grossit rapidement sans saignée ; également quand il n'est pas couvert rapidement après un travail ou après avoir transpiré pendant la nuit, et encore lorsqu'il n'est pas bien essuyé, enfin après avoir été nettoyé. Parfois aussi elle vient d'un brusque refroidissement lorsque, après avoir travaillé et sué, le cheval est abandonné debout, non couvert, dans un endroit à l'air froid. Mais la gratele commence d'abord par de petits ulcères à l'encolure, tout près de la chair, et elle s'étend à travers tout le cuir et le corps, le cheval ayant perdu ses poils. Si elle n'est pas traitée rapidement, elle se transfonne en scabies. Si l'abondance du sang est en cause, le traitement de cette sorte de maladie consiste à saigner le cheval, à frotter de graisse chaude où se produit la démangeaison, et à bien le laver avec de la lessive au troisième jour. Il faut
29 - Le nom latin de cette plante, employé par Albert Le Grand, est achorus. Il s'agit probablement de l'acore vrai, Acorus calamus L., ou roseau aromatique, traduit par l'auteur de La Cirurgie des chevaux par le mot «glageus» qui évoque plutôt l'iris faux-acore, plante souvent confondue avec l'acore vraie au Moyen Age (voir T. Ilunt, Plant Nantes of Medieval England, op. cit., p. 6 ; Platearius, Le livre des simples médecines, op. cit., p. 332 et 345).
préparer la lessive avec de la cendre froide ou chaude d'une poignée d'orge brûlé et d'eau. On peut aussi faire un lavage avec de la cervoise ou de l'eau dans laquelle on a préparé une bonne décoction de marrube ou de mirica30 ou d'herbe benoîte, appelée parfois ciguë31, ou de grains d'orge32 ou de petites branches d'hièble ainsi que des sommités de cette plante dans lesquelles la valeur naturelle a davantage de force. Il faut ensuite bien laver les emplacements des démangeaisons et les frotter avec l'ustensile de nettoyage qu'on appelle étrille. Lorsque les endroits lésés auront été séchés, qu'ils soient bien oints, le jour suivant, d'un onguent qui est préparé de cette manière : prendre des racines de rouge parelle33 et des racines de ciguë, les cuire avec le liquide cité plus haut jusqu'à ce qu'elles s'amollissent ; jeter ensuite la partie dure des racines, bien mélanger ce qui est tendre avec de la vieille graisse de porc et enduire entièrement le cheval, près du soleil ou du feu, aux endroits de la démangeaison. Un autre remède pour soigner cette même démangeaison : prendre du cresson des fontaines et du marrube rouge34 parce que celui-ci est de plus grande efficacité ; mélanger ces substances bien broyées avec de la suie, et en frotter convenablement le cheval à l'endroit des lésions. 31. La roigne (scabies). (82) La roigne est une maladie de la peau des chevaux. Elle est appelée scabies parce que la peau produit des squames comme des écailles de poissons ou de fer. Cette maladie vient aussi d'un sang trop abondant ou pourri. Ces accidents engendrent d'ordinaire une démangeaison.
30 - = genêt, voir note 26. 31 - On donnait en effet fréquemment le nom d'«hcrbe benoîte» à la cigiie, Conium maculalum L. (cf. T. Hunt, Plant Names of Medieval England, op. cit., p. 133). 32 - L'édition du De animalibus que nous utilisons comporte ici grana ederae, soit des «grains de lierre», nous préférons la leçon grana hordei qui se trouve dans une édition ancienne du texte et qui correspond à la traduction de la Cirurgie des chevaux. 33 Le nom latin de cette plante, dans le texte d'Albert Le Grand, est rubea campester. Nous avons traduit par «rouge parelle», comme l'auteur de la Cirurgie des chevaux. Cette plante était généralement appelée rubea parella. Il s'agit de la «patience aux feuilles pointues», Rumex sanguineus L. (cf. Platearius, Le livre des simples médecines, op. cit., p. 70 et 340 ; T. Hunt, Plant Names of Medieval England, op. cit., p. 224). 34 - La plante citée ici, marubium rubeum, n'est vraisemblablement pas le «marrubc», Marrubium vulgare L., qui est aussi appelé «marrube blanc». Il existe aussi, le «mamlbc noir» ou «ballote fétide», Ballota foelida L., qui ne convient pas non plus. T. Hunt propose une autre identification, avec toutefois une interrogation : il s'agirait de la garance, Rubia tinctorium L. (T. Hunt, Plant Names of Medieval England, op. cil., p. 170). Notons que la Cirurgie des chevaux a traduit ce mot par «aluisnc», ou absinthe.
Cette maladie arrive parfois à la suite de contacts avec un autre cheval souffrant de la roigne, lorsque les deux animaux se sont grattés mutuellement avec leurs dents. Parfois aussi elle provient de ce que les chevaux reçoivent ensemble la nourriture et que l'un d'eux va manger à l'endroit où un cheval atteint de la roigne a déjà pris du fourrage. Elle se produit encore s'il arrive que le cheval malade et le cheval sain se frottent successivement au même endroit ou s'ils sont nettoyés l'un après l'autre avec le même morceau de tissu ou avec la même étrille. Il faut soigner cette maladie de la façon suivante : si c'est bien une forte roigne, saigner d'abord le cheval. Ensuite nettoyer les parties atteintes de la roigne avec une étrille jusqu'à ce qu'elles saignent un peu, puis les laver à plusieurs reprises avec un forte lessive. Cette lessive est confectionnée ainsi : prendre trois parts de cendres de frêne, deux de cendres chaudes de paille de fèves et une de chaux vive. Bien les mélanger. Ensuite les placer dans le fond d'un pot ayant un trou, les écraser soigneusement et les remuer ensemble. Recueillir alors dans un pot propre le liquide sorti par le petit trou et filtré à travers la cendre. Pour vérifier si la préparation est convenable, laisser pénétrer au milieu un oeuf de poule lié doucement dans un fil : si l'oeuf est retenu, la lessive est bonne, mais si, au contraire, l'oeuf se répand, elle n'est pas valable et ce qui a été confectionné est mauvais. Certains appellent cette lessive capitellum. Il faut bien prendre garde qu'une aussi forte lessive ne tombe pas sur des endroits sains, parce qu'elle les épilerait rapidement. Une fois que la lésion aura été séchée par un tel lavage, il faut l'enduire, au soleil ou près du feu, d'un onguent contenant de la poudre de soufre, d'alun, d'ellébore noire, à raison d'une livre et demie de chacune de ces substances, et contenant aussi trois onces de poudre de l'herbe qui est appelée pied de cheval ou sabot de cheval, ainsi que trois onces de vif argent et trois livres de vieux saindoux. Il faut élaborer cet onguent de la façon suivante : piler le vif argent avec un peu de graisse de porc, jusqu'à ce qu'il perde sa couleur. Ajouter ensuite les poudres citées à la graisse de porc qui reste, les piler ensemble en mélangeant bien. Garder pour cet usage tout ce qui a été confectionné de la sorte. (83) On prépare aussi de l'huile pour guérir la roigne de la façon suivante : prendre l'écorce intérieure de l'arbre (celle qui se trouve entre le bois et l'écorce extérieure) que certains appellent bu135, écorce qui est dite mirica36 en latin par certaines personnes ou encore fibex par d'autres, et qui est, en termes appropriés, appelée liber37 ; on en fait parfois des chandelles pour
35 - = bouleau ? 36 - = genêt, voir note 26. 37 - Albert Le Grand reprend ici ce que dit Isidore de Séville : «Le liber est la partie intérieure de l'écorce, ainsi nommée de l'écorce qu'on a libérée, c'est à dire ôtée. C'est en effet une substance
éclairer. Diviser en petits morceaux l'écorce dépurée et les déposer dans un pot neuf possédant au fond trois ou quatre ouvertures et bien couvert sur le dessus. Poser le tout sur un feu doux. Placer sous le foyer un autre pot bien vitrifié neuf possédant une ouverture et, pour qu'il recueille le liquide qui coule goutte à goutte à l'intérieur, sans brûler. Il faut que l'ouverture de ce pot se trouve directement sous les trous de l'autre pot. Broyer ensuite soigneusement deux parties d'argile très épaisse avec une quatrième partie38 d'excrément de cheval. Recouvrir parfaitement les ouvertures du pot de cet argile-là, à l'endroit où les pots se joignent, de sorte que la flamme ne puisse y entrer, ni que de la fumée ou de la vapeur puissent sortir. Si la fumée sort par quelque endroit, boucher à nouveau le pot avec de l'argile. Faire ensuite autour du pot supérieur un feu de charbon ou de bois sec. Lorsque ce feu sera terminé, retirer alors le pot inférieur de la terre et enduire entièrement les endroits chauds du cheval, atteints par la roigne, de ce qui est dans ce pot, avec un morceau d'étoffe trempé dans cette huile. Faire aussi de l'huile avec de la corne de cerf broyée, du résidu de filtrage de jus de bois de frêne, de la moelle sèche de sureau, de jus de pommier sylvestre et d'écorce d'épine noire39. Avec ces substances, préparer une encaustique extraite avec deux pots, de la manière expliquée ci-dessus. Cette huile-là est très efficace contre toute roigne de cheval et contre toute maladie de peau. Lorsqu'on traite le cheval, il faut l'oindre trois fois par jour ou plus si c'est nécessaire. Il faut veiller à ce que, du jour de la friction jusqu'au sixième ou au neuvième jour, l'onguent ne soit ni lavé ni enlevé par le frottement du corps. 32. Le suros (superos). (84) Une autre maladie du cheval, appelée suros, arrive lorsqu'un dépôt d'humeur se rassemble dans les membres secs et qu'il se durcit à la manière d'un os, à cause de la chaleur naturelle et de celle que provoque le mouvement du cheval. Le suros se produit surtout sur les membres secs qui exercent un mouvement énergique, ainsi que sur les articulations, parce que trop d'humeur mélancolique est attirée vers les os par la chaleur du mouvement. Il y en a alors tant que les articulations en rejettent à l'extérieur. La puissance de la chaleur la dessèche et la durcit tout près des articulations. A la suite de cela, les nerfs se durcissent, le mouvement de l'articulation est rendu difficile parce que cette dernière perd sa souplesse et se resserre à cause du suros, et le cheval commence à boiter. placée entre le bois et l'écorce.» (Isidorus Hispalensis, Etymologiae XVII, édition et traduction par J. André, Paris, Les Belles Lettres, 1981, p. 72). 38 - D s'agit d'une troisième et non d'une quatrième partie... 39 - Il s'agit de l'écorce de prunellier, Prunus spinosa L. (cf. T. Hunt, Plant Natnes of Medieval England, op. cil., p. 186).
Dès que le suros commence à se constituer, il faut veiller à laver assez rapidement les jambes du cheval parce qu'alors, tout près des articulations encore souples, un dépôt d'humeurs est visible sous forme d'une tumeur, quand les poils sont rabaissés et couchés par l'eau. Il y a encore un autre signe précédent celui-là : la jambe est manifestement plus chaude tout près de l'articulation qu'aux autres endroits du corps. C'est en effet le signe qu'un suros commence à faire éruption ici, en attirant la chaleur. Le cheval ainsi prédisposé au suros ou l'ayant lui-même trébuche souvent de la jambe et heurte les aspérités du terrain, à cause de sa difficulté à fléchir cette jambe. (85) Il est soigné de la manière suivante : raser d'abord les poils qui se trouvent sur le suros ; appliquer ensuite à plusieurs reprises de l'onguent pentamyron, en frottant bien ; poser dessus une tablette chaude de corne de cerf avec du buis afin que l'onguent atteigne bien le suros grâce à la chaleur de cette tablette ; répéter l'opération. L'onguent pentamyron prescrit est confectionné de la manière suivante : prendre deux parties de vieille récolte d'ache et deux de graisse d'oeufs qui est faite ainsi : Prendre, au dessous des blancs, des jaunes d'oeufs cuits durs et les broyer ; les faire cuire dans un plat de fer sur un feu doux et ne cesser de les remuer avec une cuiller pour qu'ils n'attachent pas au plat, jusqu'à ce que le résidu soit à la fois bien séparé de la graisse et rassemblé. Prendre alors cette graisse, deux parties de goutte de miel, une de cire vierge et pure, une de goutte de poix résine et cinq parties d'huile de laurier. L'huile de laurier se prépare ainsi : piler finement des baies et les cuire longtemps dans de l'eau. Ensuite les filtrer à travers un fort morceau de tissu de lin serré et les presser fortement avec deux bâtons. Lorsque l'eau sera refroidie, recueillir avec une plume cette graisse qui surnage et la conserver pour servir en cas de besoin. Donc, placer simultanément les cinq ingrédients cités sur le feu, jusqu'à ce qu'ils se liquéfient. Lorsqu'ils seront devenus liquides les filtrer ensemble à travers un morceau de tissu. Enduire ensuite les nerfs raides du cheval, et surtout le suros, avec cet onguent. Toutefois, si le suros se développe sur les articulations elles-mêmes, il n'est pas bon d'y appliquer le feu ou un emplâtre très corrosif, mais il faut utiliser l'onguent que nous avons préconisé. On a vu en effet certaines personnes inexpérimentées endommager des nerfs pour avoir appliqué un fer sur des articulations. (86) En outre, si le suros est sur une articulation, il peut être convenablement enlevé de la manière suivante : après avoir rasé les poils, percer la peau du suros en plusieurs endroits avec une alêne fine, de sorte que la perforation aille jusqu'au milieu du suros. Fendre ensuite un bâton par le milieu et placer un morceau de solide tissu de lin ou de chanvre dans la fente, tissu dans lequel sera enveloppé, dans un noeud, du fumier de moùton avec un peu de sel. Le chauffer dans une quantité égale de miel chaud ou de beurre et de
graisse, et presser à plusieurs reprises le noeud de tissu chaud avec le bâton fendu sur le suros jusqu'à ce que la peau commence à blanchir. Il faut préserver d'eau l'endroit du suros pendant sept jours, afin qu'elle ne coule pas sur le suros. Pour soigner le suros, on peut aussi piler soigneusement deux parties40 de chaux nettoyée, une de fort savon et une de sel, et les disposer dans un pot de terre, sur des charbons jusqu'à ce qu'ils soient bien brûlés. Mettre ensuite cette poudre sur la peau, en la liant chaude sur le suros, et la laisser appliquée pendant un jour et une nuit. Il faut alors scarifier la peau du suros en plusieurs endroits, après avoir auparavant rasé les poils ; mais on doit mettre, avec précaution, un morceau de vieux soulier dans le milieu du trou pour que la poudre ne touche pas à la peau saine et ne l'endommage pas. Lorsque les poudres citées ci-dessus auront été enlevées, oindre le suros, d'une manière égale, avec du miel ou avec quelque autre onguent. (87) En outre certaines personnes, après avoir percé le suros avec une alêne chaude et en avoir rasé les poils, le frottent fortement et pendant longtemps sur toute son étendue avcc une baguette de coudrier verte moyennement grosse dont l'écorce a été enlevée. Ensuite elles lient pendant trois jours, n'importe quand, un emplâtre très chaud fait de jaunes d'oeufs cuits durs et appliquent tout autour du suros41 un morceau de soulier, comme recommandé. Faire aussi cinq ou neuf rondelles de racines de raifort42, les placer sur une tuile chaude et les appliquer chacune à leur tour sur le suros jusqu'à ce qu'elles soient refroidies. Lorsqu'elles seront retirées, employer des substances émollientes pour réparer la peau. On détermine de la façon suivante si de la chaux est vive ou non : il suffit de placer de la chaux bien agglomérée, de la taille d'un oeuf, dans de l'eau, de façon à ce qu'elle soit couverte. Si en moins d'une heure, elle se répand d'elle-même, qu'elle chauffe en sortant de cette eau et qu'elle fume, elle est appelée vive. Mais si ce n'est pas le cas, elle n'est pas appelée vive. 33. L'atteinte (attactus).
40 - Nous ajoutons ici, pour le sens, le mot partes, omis dans l'édition Stadlcr du De animalibus, mais bien présent dans une édition plus ancienne de cet ouvrage. 41 - Plus haut, il était question de mettre le morceau de cuir «au milieu du trou» (in medio foraminis), ce qui était moins facile à comprendre. 42 - Nous traduisons le mot raphanus par «raifort», Armoracia rusticana Gaertn., Mey, et Scherb. (= «rafle» dans la Cirurgie des chevaux), mais il peut aussi s'agir de radis noir. En effet, comme l'écrit Cannélia Opsomer dans sa présentation du Tacuinum Sanilatis : «le vocabulaire botanique médiéval ne distingue pas clairement les plantes appelées raphanus, rapa, rapislrum, radix.» (Carmélia Opsomer, L'art de vivre en santé, Images et recettes du moyen âge, Le Tacuinum Sanilatis (ms. 1041) de la Bibliothèque de l'Université de Liège, Liège, cd. du Perron 1991, p. 71).
(88) L'atteinte (attactus) est une maladie dont le nom vient de toucher (a tangendo) ; elle se produit donc quand le pied postérieur touche le nerf du pied antérieur, celui qui est plus à l'intérieur de la jambe. Parfois la jambe est enflée autour du nerf, parfois non, et cela engendre pour le cheval une difficulté à marcher pour le cheval. Qu'on le soigne donc ainsi : raser d'abord les poils qui se trouvent autour de la lésion, puis scarifier cet endroit pour que le sang coagulé en sorte, en veillant à ce que le nerf de la jambe ne soit pas endommagé par la scarification. Si l'atteinte est nouvelle, après la scarification, lier par dessus un coq fendu vivant par le milieu du dos, chaud, palpitant, avec toutes ses entrailles. Mais si l'atteinte dure depuis assez longtemps sans être soignée, prendre des racines de fougère et les appliquer, après les avoir bien broyées avec un peu de miel ou de beurre chauffé. On peut aussi appliquer une sorte d'emplâtre confectionné avec des racines de guimauve43 cuites d'abord dans de l'eau jusqu'à ce qu'elles s'adoucissent et malaxées avec un peu d'onguent ou de matière grasse. Ou encore prendre deux cuillerées de graisse, trois de suie et de miel, une de sel, un peu de vinaigre ou de lie de vieille cervoise et une poignée d'étoupe de chanvre ou de lin, piler soigneusement toutes ces substances et les lier une fois par jour sur le mal, après les avoir chauffées à la manière d'un emplâtre, jusqu'à ce que la douleur s'en aille. Faire aussi de petites et longues cautérisations autour de l'atteinte, en utilisant un fer fin et courbe et sans endommager le nerf. Soigner ensuite la peau lésée en appliquant dessus du lard épais pas très chaud. Si le cuir a été rompu à cause d'un emplâtre trop chaud, il faut le soigner avec l'onguent dit pentamyron, dont nous avons enseigné la fabrication auparavant. (89) Parfois aussi le cheval se refroidit à cause d'une eau très froide et glaciale passant, au-dessus des genoux, sur les nerfs du jarret et des jambes. S'il se refroidit immédiatement après être sorti de l'eau, à cause de leur contraction et de leur rigidité, les nerfs deviennent plus raides et le cheval perd sa rapidité habituelle jusqu'à ce que, grâce à la chaleur, les nerfs se relâchent à nouveau. Voilà pourquoi on doit rarement conduire les chevaux à l'eau pour boire en hiver et beaucoup en été. 34. Les mules (mulae). Il existe aussi des lésions des jambes et des pieds postérieurs que certains appellent mules. Elles arrivent par temps froid, quand le cheval, marchant pendant longtemps sur des chemins difficiles et des routes cou43 - Nous traduisons par «guimauve», le mot altea, Althaea officinalis L.. Voir T. Hunt, Plant Names of Medieval England, op. cit., p. 18.
vertes de boue, travaille beaucoup, puis qu'il reste pendant toute la nuit, alors que ses pieds sont couverts de boue, mouillés, et qu'il fait froid, dans un lieu où il y a peu de litière, voire pas du tout ou encore dans une écurie, sur la terre nue ou la pierre. Dans ce cas, si le cheval est jeune c'est à dire âgé de moins de six ans, les humeurs descendent d'abord vers les pieds postérieurs, à cause de la chaleur du mouvement, et elles se figent à cet endroit à cause du froid qui suit. Parfois elles produisent des enflures depuis le pied jusqu'au genou. Parfois aussi des coupures apparaissent, comme si la jambe était scarifiée. Parfois encore, cette maladie, tant qu'elle ne fait que commencer, ne provoque pas d'enflure, mais on la reconnaît au hérissement du poil : les poils du pied et de la jambe se dressent en effet comme des soies de porc. Ce mal arrive principalement en hiver et parfois au printemps, surtout à son commencement, mais rarement en été. Quelquefois aussi il se produit en automne, surtout vers la fin. Le traitement de cette maladie consiste à raser les poils puis à scarifier la surface qui se trouve entre le sabot et le genou44, de façon à ce que la peau seulement soit incisée et que les nerfs ou les artères ne soient pas blessés. Avant la scarification, il faut réchauffer pendant longtemps les jambes et les pieds avec de l'eau tiède, pour que les humeurs décroissent. On doit prendre ensuite deux mesures de chaux vive, deux de sel, deux de farine de seigle très fine et trois de suie, les malaxer avec du vinaigre ou avec du vin et appliquer à l'endroit de la douleur un emplâtre à peine chaud confectionné avec ces ingrédients. (90) Mais si on a laissé vieillir cette maladie pendant quelque temps, alors il faut fendre le pied par derrière, au-dessus de l'articulation, pour que l'humeur sorte, comme sort d'un arbre la gomme visqueuse et épaisse. La peau du côté du genou doit également être fendue de manière à ce que le nerf qui se trouve à cet endroit et qui a la forme d'un grain d'orge puisse être soulevé vers le haut et tiré un peu à l'extérieur, à l'aide d'un fin bâton taillé comme une alêne. Une fois qu'il sera tiré, qu'on applique dessus et sur les enflures un emplâtre déposé sur de l'étoupe très fine de chanvre ou de lin et constitué d'absinthe ou d'ache ou de racines d'ache45 avec de la vieille axonge, ces substances devant être bien broyées, nettoyées et mélangées. Enfin il faut ouvrir les enflures et toutes les veines des jambes sous la cuisse et à l'extérieur, comme lorsqu'on fait une saignée.
44 - Nous avons ajouté, pour le sens, «et le genou», qui n'apparaît pas dans notre édition du De animalibus (celle-ci comporte seulement inter ungulam), sur le modèle de la Cirurgie des chevaux : «entre le sabot et le genoul». 45 - Il est étonnant que cette plante apparaisse sous deux formes différentes («ache» et «racines d'ache»). Il peut s'agir d'une erreur du copiste, d'autant plus que la Cirurgie des chevaux a traduit «ape et racine d'ièble».
35. L'espavain (laeditur equus ligno vel lapide vel alia re dura retro in pede infra ungulam). Parfois le cheval est blessé par du bois, une pierre ou quelque chose de dur remontant dans le pied sous le sabot ou le soulier, sans que la jambe soit enflée. Le pied se fend en craquant et une humeur qui sent mauvais en coule, vu que toute douleur provoque un écoulement. C'est pour cette raison que les parties plus faibles, comme celles qui sont atteintes d'écoulement, ont besoin et d'une aide froide et d'une aide chaude. Cette maladie doit être soignée de la façon suivante : Prendre une cuiller de miel, trois de suie, une assez grande quantité de toiles d'araignées et des sommités d'orties qui sont autour d'un tronc. Broyer soigneusement ces substances, en faire un emplâtre et l'appliquer chaud jusqu'à ce que l'écoulement d'humeur s'interrompe. Autre remède pour cette maladie : broyer ensemble de la poudre d'encre, deux jaunes d'oeufs et deux poireaux avec leurs feuilles. Ou faire fondre ensemble quatre parties de nitre très fin et quatre d'encre mélangées avec de la vieille axonge et appliquer cette préparation chaude sur le pied. Ou lier pendant trois jours, en protégeant la blessure de l'humidité, des excréments chauds d'homme ou de chien alimenté pendant un ou plusieurs jours auparavant avec une nourriture sèche, comme du pain de froment ou de l'orge et des os une fois par jour. Pour soigner cette lésion, certains fendent rapidement le sabot et le cuir de part et d'autre, sous l'échancrure du sabot46, pour que l'humeur nuisible puisse sortir. 36. L'enfonture (infundatura). (91) Le cheval souffre de la maladie appelée enfonture (infundatura) à la suite d'une consommation excessive de nourriture, ou lorsqu'il est mené trop précipitamment et qu'aussitôt après il boit avec une trop grande soif ou un trop grande envie de boire, alors que sa nourriture n'est pas encore bien digérée. On sait que la nourriture est digérée si le cheval a uriné et évacué. Cette maladie arrive également si, après un grand travail, avant de boire et alors qu'il a très faim et qu'il a le ventre vide, le cheval avale de la paille ou une grande quantité de grains avec leur écorce, en les écrasant rapidement avec les dents, que cette paille et ces grains proviennent d'une bonne nourriture pure ou d'autres aliments.
46 - L'hippiatre recommande probablement une incision de la fourchette du pied.
C'est pourquoi, comme nous l'avons dit plus haut47, certaines personnes, après avoir demandé un grand travail à leurs chevaux, répandent peu à peu la nourriture devant eux, en trois ou quatre fois et en la jetant loin devant, et elles en ajoutent progressivement une plus grande quantité. De même, si le cheval a chaud après un dur travail, ces personnes ne lui permettent pas de boire beaucoup tout de suite, mais elles le couvrent pour qu'il ne se refroidisse pas brutalement, parce que les chevaux sont souvent mouillés après toutes ces fatigues. En effet, après de telles activités, la nourriture et la boisson rapidement absorbées sont mélangées avec les humeurs, et principalement avec le sang, parce que la chaleur du mouvement les attire. Cela se produit surtout chez le cheval car il possède de grosses veines et une chair spongieuse. Les humeurs descendent aux pieds et provoquent un épanchement, mais si elles coulent entre le cuir et la chair, elles provoquent une démangeaison. C'est pour cette raison qu'il faut faire attention à ce que les chevaux ne boivent pas aussitôt après de grands exercices s'ils ne se sont pas d'abord reposés durant une heure. (92) Les signes de l'engorgement ou de l'enfonture sont les suivants : Quand le cheval marche, il avance en chancelant, comme s'il cheminait sur des charbons ardents ; lorsqu'il se tient debout, ses pieds tremblent, ses membres ne sont pas étendus mais paraissent contractés ; il désire être continuellement couché ; il ne peut pas relever ses membres postérieurs de terre, à cause de leur lourdeur, même s'il est tiré en avant par le frein et il tombe sur les genoux ou sur les postérieurs. Traiter cette maladie de la façon suivante : si l'engorgement date du jour-même, broyer convenablement de l'herbe gaude48 utilisée par les teinturiers et donner à avaler au cheval une pleine coupelle de cette plante avec un peu d'eau. L'herbe tormentille49 a le même effet chez tout animal malade, si elle lui est donnée à avaler, broyée avec un peu d'eau. Si le cheval n'est pas guéri le lendemain, qu'on le saigne à l'encolure jusqu'à ce qu'il ne puisse plus se tenir debout en raison de sa faiblesse. Pendant que le sang coule, il faut qu'on le maintienne dans de l'eau froide jusqu'aux genoux pendant une heure, et ensuite, pendant deux jours, qu'on le fasse rester dans l'eau froide jusqu'au ventre, matin et soir, durant trois heures. Durant ces jours-là, on ne doit pas le laisser boire ni manger de blé, mais seulement de la paille ou du foin bien humectés. Il faut aussi qu'il se tienne dans un lieu froid. Au quatrième jour, mélanger du son de froment avec de l'eau tiède et le donner à avaler au cheval ; lorsqu'il l'aura mangé, lui donner à boire peu à peu. 47 - D s'agit du chapitre 27. 48 - Notre édition comporte le mot ganda, mais il s'agit en fait, comme le prouve la traduction de la Cirurgie des chevaux, d'une résédacée nommée «gaude», Reseda luteola L., plante tinctoriale (elle teint en jaune) (cf. Platearius, Le livre des simples médecines, op. cit., p. 340). 49 - rosacée encore appelée tormentille, Potentilla erecta L. (cf. Platearius, Le livre des simples médecines, op. cit., p. 343).
Si, après trois ou quatre jours de ce remède, il n'est pas guéri, il faut lui tirer du sang des deux tempes, entre les yeux et les mâchoires, en attachant sa tête avec un licol pendant que le sang coule, puis faire comme il a été prescrit pendant les jours suivants. Un autre traitement de cette maladie consiste à prendre de la cendre de paille d'orge et de fèves, à en confectionner une lessive pas trop forte et à y mêler de la cendre de bois ou des braises jusqu'à ce que le mélange devienne moyennement épais. Faire ensuite de petits liens de foin ou de paille et, après les avoir trempés dans la lessive préparée auparavant, les lier étroitement en cercle autour de la jambe, d'une façon continue depuis le sabot jusqu'au genou, de sorte qu'un cercle touche l'autre et que toute la jambe soit enveloppée en spirale. Tout en entourant les jambes, y appliquer une partie de la lessive décrite ci-dessus. Lorsque l'enfonture ou l'engorgement seront descendus, qu'on amincisse la corne du sabot, qu'on ouvre les veines et qu'on laisse sortir le sang. 37. La courbe (curva). (93) Il existe une maladie du cheval que certaines personnes appellent courbe (curvam), parce qu'elle plie la jambe de manière courbe et empêche sa flexibilité. La jambe est en outre enflée par derrière, à côté de l'articulation, ou par devant, au dessus du genou. Cette enflure provient d'un coup ou du choc de quelque chose de dur. Il faut la soigner de la façon suivante : raser les poils et scarifier toute l'enflure à coups profonds et nombreux, en procédant avec précaution pour que ni le nerf ni l'articulation ne soient blessés. Puis frotter énergiquement avec un bâton de coudrier vert et soulever avec force, au moyen d'un fer recourbé, le cuir qui recouvre la courbe, en insérant un fil fin et solide depuis le milieu de l'enflure jusqu'à l'endroit où elle cesse, en-dessous. Faire un ou plusieurs trous ronds avec un fer très pointu, pour permettre à l'humeur accumulée de sortir. Frotter enfin avec du savon fort additionné d'un peu de sel. Le cheval sera alors guéri. Nous avons dit tout ce qui concerne la médecine du cheval. 38. Le cheval dans la médecine humaine (ea quae equi sunt, sunt iii medicinam homini). (94) On trouve dans la médecine de l'homme des substances venant du cheval, puisque la sueur de cheval mêlée de vin et bue par une femme enceinte, expulse le foetus.
Le poil de l'encolure du cheval, qui est appelé crinière du cheval, s'il est arraché, lui ôte le désir de coït. De plus, la sueur du cheval gonfle le visage, apporte l'angine et une sueur fétide. La jument avortera si elle sent la fumée de chandelle ou de lampe éteinte. La même chose arrive à certaines femmes enceintes. Le fumier de cheval, brûlé ou non, mis comme emplâtre avec du vinaigre tiède étanche l'écoulement de sang. Si l'écoulement est récent, le fumier odorant de cheval l'étanche aussi. Des petits couteaux ou des épées chauffés, placés dans de la sueur de cheval et imbibés de cette humeur, sont empoisonnés de sorte que, quel que soit celui qu'ils blessent, il saigne continuellement jusqu'à ce qu'il meure. Si une femme n'a pas réussi à être enceinte, qu'on lui a donné à boire du lait de jument sans qu'elle le sache et qu'aussitôt après son mari s'est uni à elle, souvent elle conçoit un enfant. On dit même que si un poil de cheval est posé près de la porte de la maison, il empêche que des moucherons ne rentrent dans cette maison par la porte. Des dents de cheval mâle posées sur la tête ou sous la tête d'un ronfleur pendant son sommeil l'empêchent de ronfler. Les dents d'un jeune poulain d'un an, suspendues au dessus d'un enfant dont les dents tombent, rendent la poussée des nouvelles rapide et indolore. Si une jument pleine marche sur les traces de pas d'un loup, elle s'énerve. On dit aussi que si un cheval suit pendant longtemps les traces de pas d'un loup ou d'un lion, ses pieds s'endorment et s'engourdissent, si bien qu'on ne peut plus le faire marcher.
Destrier et selle Ms 28, f. 111 v Bibliothèque municipale, Troyes Copyright IRHT-CNRS
« Destrier » Ms 659, f. 215 Bibliothèque municipale, Avignon Copyright TRIIT-CNRS
Le « cheval bourreau » Ms 677, f. 77 v Bibliothèque municipale, Besançon Copyright IRIIT-CNRS
Ms 512, f. 52 v Bibliothèque municipale, Toulouse Copyright TRHT-CNRS
Le cheval à la fontaine Tristan en prose Ms 527, f. 45 v Bibliothèque municipale, Dijon Copyright IRliT-CNRS
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Ms 127, f. 9 Bibliothèque municipale, Besançon Copyright IRIIT-CNRS
Ms 1, f. 231 Bibliothèque municipale, Mâcon Copyright IRHT-CNRS
Ms 127, f. 4 Bibliothèque municipale, Besançon Copyright IRHT-CNRS
Gravure sur bois Paris, 1492 Collection personnelle François Gamier
Ms 677, f. 95 (3) Bibliothèque municipale, Besançon Copyright TRJIT-CNRS
Tristan en prose Ms 527, f. 104 Bibliothèque municipale, Dijon Copyright TRIIT-CNRS
Tristan en prose Ms 527, f. 5 v Bibliothèque municipale, Dijon Copyright IRIIT-CNRS
Sceau de la dame de Dampierre, scellant une charte en faveur de l'abbaye de Saint-Dizier Saint-Dizier - septembre 1240 Arch. dép. Marne, 71 H 16 Cliché : A.D. Marne
Sceau de Jean 1er, comte de Grandpré, scellant une charte d'accord entre l'abbaye Saint-Denis de Reims et les habitants de Rémonville (Ardennes) - mai 1313 Arch. dép. Marne, 54 H 205/1 Cliché : A.D. Marne
D'après le Livre des Tournois de René d'Anjou
« Renart et l'anguille » Roman de Renart Ms Douce 360, f. 33 Oxford Collection personnelle
Fauvel Ms 525, f. 158 bis Bibliothèque municipale, Dijon Copyright IRIIT-CNRS
.
Jeu de la quintaine Ms 551, f. 2 v Bibliothèque municipale, Besançon CopyrightIRHT-CNRS
Ms 551, f. 20 v Bibliothèque municipale, Besançon Copyright IRHT-CNRS
.
Ms 218, f. 197 Bibliothèque municipale, Tours Copyright IRIIT-CNRS
Table des Illustrations
TABLE DES ILLUSTRATIONS
Ms 107, f. 157 (E), B.M. Verdun Livre d'heures, Ms 502, Bibliothèque Mazarine Charrue-XIIIe siècle, Ms 1775, "Vieil rentier d'Audenarde"
87 87 88
Pierre de Crescens, Opus ruralium commodorum, B.M. Orléans
88
Cheval à la herse, Ms 514, f. 4 v, B.M. Lyon Exemple d'attelage mixte, fresque, château du Bon Conseil, Trente Exemple d'attelage en file, Livre des bonnes mœurs, Ms 1363, Chantilly Bât et charette, Ms 52, f. 126, B.M. Mâcon Dessins de mors d'après des mss du XIve et XVe siècle • • •• Éperon - XIIIe ou XIVe siècle, d'après Musée Hermès . . . Éperons - XIe siècle, Musée Dauphinois - Grenoble . . . . Mors de bride - XIe siècle, Musée Dauphinois - Grenoble Élément de selle en hêtre, Charavines (Isère) Fers à cheval - XIe siècle, Musée Dauphinois - Grenoble Pierre de Crescens, Op. rur. commodorum, B.M. Orléans . Reconstitution d'un cavalier armé et d'un cheval équipé, d'après les objets retrouvés sur le site de Charavines (Isère) « Chaceor », Ms 526, f. 26, B.M. Dijon « Chaceor », Ms 107, f. 32, B.M. Verdun . . . . . . . . . . . . . . « Chaceor », Ms 107, f. 32, B.M. Verdun . . . . . . . . . . . . .
89 89 90 90 160 161 161 162 162 163 163 164 201 201 202
Quelques destriers, Tristan en prose, Ms 527, f. 5 v, B.M. Dijon Pierre de Crescens, Op. rur. commodorum, B.M. Orléans . Pierre de Crescens, Op. rur. commodorum, B.M. Orléans . Pierre de Crescens, Op. rur. commodorum, B.M. Orléans . Pierre de Crescens, Op. rur. commodorum, B.M. Orléans . Pierre de Crescens, Op. rur. commodorum, B.M. Orléans . Pierre de Crescens, Op. rur. commodorum, B.M. Orléans . Pierre de Crescens, Op. rur. commodorum, B.M. Orléans . Pierre de Crescens, Op. rur. commodorum, B.M. Orléans . Destrier et selle, Ms 28, f. 111 v, B.M. Troyes « Destrier », Ms 659, f. 215, B.M. Avignon Le « cheval bourreau », Ms 677, f. 77 v, B.M. Besançon Ms 512, f. 52 v, B.M. Toulouse Le cheval à la fontaine, Tristan en prose, Ms 527, f. 45 v, B.M. Dijon
202 299 300 301 302 303 304 305 306 486 486 487 487 488
Ms 127, f. 9, B.M. Besançon, Ms 1, f. 231, B.M. Maçon Ms 127, f. 4, B.M. Besançon Gravure sur bois, Paris, 1492 Ms 677, f. 95 (3), B.M. Besançon Tristan en prose, Ms 527, f. 104, B.M. Dijon Tristan en prose, Ms 527, f. 5 v, B.M. Dijon Sceau de la dame de Dampierre, A. D. Marne, 71 H 16 .. Sceau de Jean Ier, comte de Grand pré, A.D. Marne, 54 H 205/1
506 506 507 507 508 508 509 509
D'après le Livre des Tournois de René d'Anjou « Renart et l'anguille », Roman de Renart, Ms Douce 360, f. 33, Oxford
510
Fauvel, Ms 525, f. 158 bis, B.M. Dijon Jeu de la quintaine, Ms 551, f. 2 v, B.M. Besançon . . . . . Ms 551, f. 20 v, B.M. Besançon . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Ms 218, f. 197, B.M. Tours . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
511 512 512 513
509
511
Table des Matières
TABLE DES MATIÈRES
INTRODUCTION
7
I. LE CHEVAL DANS SON CONTEXTE SOCIO-ÉCONOMIQUE Introduction
25
Le cheval dans l'échange Le cheval au travail
29 63
L'élevage du cheval Le cheval et son équipement Conclusion
91 127 165
Il. LE CHEVAL « ÉCRIT » : QUELQUES REGARDS Introduction Le vocabulaire Le Cheval littéraire
171 173 203
Un cheval « didactique » : le cheval des encyclopédistes . Littérature et encyclopédisme Conclusion
255 307 317
III. LA MÉDECINE DU CHEVAL. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . L'hippiatrie au Moyen Age . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
321
Édition du ms B.N., fr. 2001 la Cirurgie des chevaux . . . .
349
Glossaire de la Cirurgie des chevaux
405
ANNEXES Annexe 1 : Partie consacrée au cheval dans l'Opus ruralium commodorum de Pierre de Crescens (texte latin et traduction) Annexe 2 : Partie consacrée au cheval dans la traduction de Jean Corbechon du De proprietatibus rerum de Barthélemi l'Anglais
429
447
Annexe 3 : Traduction en français de la partie de equo du De animalibus d' Albert le Grand
451
REPÈRES BIBLIOGRAPHIQUES TABLE DES ILLUSTRATIONS . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
489 515
TABLE DES MATIÈRES . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
519
Imprimé pour PARADIGME par LETTR'IM 13, bd du Maréchal Juin 14000 CAEN Imprimé en France - Dépôt légal janvier 1994
Cet ouvrage se propose d'offrir un panorama de ce que le cheval a pu représenter dans la société et dans les mentalités du Moyen Age. Les auteurs proposent un parcours à travers différents textes et documents à partir desquels seront évoqués trois domaines essentiels : le cheval dans le monde socio-économique (échange, valeur, utilisation dans le monde rural, etc.) ; le cheval dans la littérature (vocabulaire, fonction littéraire, etc.); la médecine vétérinaire, autour de l'édition d'un manuscrit du XIVe siècle : la Cirurgie des chevaux.
Couverture : Vie du Christ. Gravure du xve siècle. Incunable d'origine bretonne. Collection personnelle François Garnier
La collection Medievalia est consacrée aux études médiévales. Tout particulièrement, elle se propose de diffuser, sous forme de reprint des ouvrages disparus ou devenus rares. En outre, la collection accueille des ouvrages inédits de teneurs diverses : recueils d'articles, monographies, textes... Collection dirigée par Bernard Ribémont