Le cercle d'Abbeville: paléontologie et préhistoire dans la France romantique 2503525761


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Table of contents :
01. page de titre.pdf
02. préface
03. avant-propos
04. introduction
05. titre 1
06. chapitre 1
07. titre 2
08. chap2 partie1
09. chap2 partie2
10. chap2 partie3
11. chap2 partie4
12. chap2 partie5
13. titre 3
14. chap3 partie1
15. chap3 partie2
16. titre 4
17. annexe 1
18. annexe 2
19. annexe 3
20. annexe 4
21. annexe 5
22. table ill 2
23. tdm
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Le cercle d'Abbeville: paléontologie et préhistoire dans la France romantique
 2503525761

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LE CERCLE D’ABBEVILLE

DE DIVERSIS ARTIBUS COLLECTION DE TRAVAUX

COLLECTION OF STUDIES

DE L’ACADÉMIE INTERNATIONALE

FROM THE INTERNATIONAL ACADEMY

D’HISTOIRE DES SCIENCES

OF THE HISTORY OF SCIENCE

DIRECTION EDITORS

EMMANUEL

POULLE

ROBERT

HALLEUX

TOME 77 (N.S. 40)

H F

LE CERCLE D’ABBEVILLE Paléontologie et préhistoire dans la France romantique

Léon AUFRÈRE

Edition établie par Marie-Françoise AUFRÈRE Préface de Philippe TAQUET

H F

Publié avec le soutien de la Région Wallonne, de l’Université de Picardie Jules Verne et du Conseil Régional

© 2007 Brepols Publishers n.v., Turnhout, Belgium All rights reserved. No part of this publication may be reproduced, stored in a retrieval system, or transmitted, in any form or by any means, electronic, mechanical, photocopying, recording, or otherwise, without the prior permission of the publisher. D/2007/0095/51 ISBN 2-503-52576-1 Printed in the E.U. on acid-free paper

Portrait de Léon Aufrère (1889-1977) en 1939

“ C’étaient ceux qui se trompaient qui avaient raison ”. Léon Aufrère

PRÉFACE

Ce livre d’histoire est un roman vrai. Un roman vrai dont les pages ont été écrites entre 1946 et 1963, par un passionné de préhistoire et d’histoire des sciences de la Terre, Léon Aufrère, géographe et géologue de talent, spécialiste du Quaternaire. Un roman vrai, inédit, dont le manuscrit a été arraché à l’oubli ou à la destruction par sa fille Marie-Françoise Aufrère, professeur de philosophie, devenue à son tour spécialiste de l’histoire de la préhistoire. Cet ouvrage est en effet singulier à plus d’un titre. Ses chapitres rassemblent une somme de documents que l’on croyait définitivement perdus ; ils nous livrent des informations exceptionnelles sur les précurseurs de la préhistoire en Picardie entre 1778 et 1844, ils témoignent enfin de la personnalité et des qualités d’un historien des sciences injustement plagié et oublié. Léon Aufrère, né en 1889, avait été nommé professeur d’histoire au collège d’Abbeville. Il s’est très tôt intéressé à la géologie et a publié en 1929 une étude sur les rideaux, talus raides de 1 à 3 mètres de hauteur, parallèles aux courbes de niveau, que l’on trouve sur les versants crayeux couverts de lœss des vallées picardes. On pensait alors que ces rideaux étaient dûs soit à la solifluxion, soit à l’action de l’homme. Léon Aufrère démontrera que ces rideaux étaient des limites de culture, ce que les travaux ultérieurs faisant appel en particulier à la photographie aérienne confirmeront. En 1931, il entre au Centre national de la Recherche scientifique ; en 1932, il commence le reclassement des collections du célèbre Jacques Boucher de Perthes au Musée d’Abbeville et se plonge dans l’histoire des inventeurs de la préhistoire avec un premier ouvrage qui paraît en 1936 et qu’il intitule Essai sur les premières découvertes de Boucher de Perthes et les origines de l’Archéologie Primitive (1838-1844). Dans cet essai très documenté et malheureusement épuisé depuis longtemps, Léon Aufrère posait la question de savoir à quel moment Boucher de Perthes avait admis l’idée de la coexistence de l’homme et des animaux appartenant à des espèces disparues. Poursuivant ses travaux, Léon Aufrère mène en 1938 et 1939 avec l’abbé Henri Breuil et avec Alice Bowler-Kelly, des fouilles dans la carrière Carpentier près d’Abbeville ; il se lie d’amitié avec le célèbre préhistorien, spécialiste de l’art rupestre, qui accepte d’être le parrain de sa fille Marie-Françoise. Léon Aufrère est promu maître de recherches et avec l’appui d’Henri Breuil, il

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devient en 1946 le directeur de la première circonscription des Antiquités préhistoriques, et donc chargé des sites de la vallée de la Somme. Il avait publié en 1940 une remarquable biographie de 134 pages sous le titre Figures de Préhistoriens. I. Boucher de Perthes. Tous ceux qui ont écrit depuis cette date sur Boucher de Perthes ont puisé, parfois sans vergogne, dans les pages de Léon Aufrère. Par une ironie cruelle du sort, comme l’a écrit Micheline Agache-Lecat en 1978 dans une excellente notice sur Léon Aufrère, publiée dans le Bulletin de la Société d’Émulation Historique et Littéraire d’Abbeville, “ cet ouvrage véritablement remarquable dont la forme littéraire équilibre la densité scientifique, est édité au moment où le Musée Boucher de Perthes et les trésors qu’il contenait sont anéantis par les bombardements de mai 1940 ”. Les manuscrits et les collections de Boucher de Perthes, les archives de la préhistoire sont détruits et disparaissent à jamais. Léon Aufrère ne peut continuer les recherches entreprises ; il ne publiera jamais le tome II de ses figures de préhistoriens qui devait être consacré au Cercle d’Abbeville c’est-à-dire aux précurseurs moins connus de Boucher de Perthes. Eh bien ce tome qui ne devait jamais être publié, vous l’avez aujourd’hui entre les mains et Marie-Françoise Aufrère nous relate dans son Avant-Propos les circonstances de sa découverte. Les pages qui suivent ont donc une très grande valeur puisque Léon Aufrère avait passé des heures et des jours à noter, à recopier dans ces archives, textes manuscrits et correspondances, sans imaginer un seul instant qu’ils allaient disparaître. L’ouvrage de Léon Aufrère est passionnant ; l’auteur nous plonge dans l’histoire des premières découvertes préhistoriques effectuées dans la vallée de la Somme : l’avocat Emmanuel Baillon adresse vers 1778 les éléments du crâne d’un bœuf antique, l’urus d’Hangest, à Buffon au Jardin du Roi. Puis, le procureur du roi à Abbeville, Laurent Traullé, qui sera membre correspondant de l’Institut, “ antiquaire ” et préhistorien éclairé, envoie au célèbre Georges Cuvier des matériaux inédits et précieux à un moment décisif, c’est-à-dire lorsque ce dernier rédige ses articles sur les ossements fossiles ; grâce à Traullé, le daim et le rhinocéros à narines cloisonnées des sables de Menchecourt prennent le chemin du Muséum à Paris. C’est également Laurent Traullé qui joue un rôle déterminant dans la découverte de restes récoltés à Coquerel, restes qui indiquent la présence de l’homme dans les temps très anciens. Traullé envoie à Mongez, président de l’Académie des Inscriptions et Belles Lettres, une hache dans sa gaine de bois de cerf. Puis Léon Aufrère nous montre le rôle important joué par un autre habitant d’Abbeville, le chirurgien Casimir Picard, qui est en relation avec Boucher de Perthes, et qui publie des travaux consacrés aux instruments “ celtiques ” en bois de cerf ; Picard finit par admettre que l’homme était contemporain des éléphants de Menchecourt. Léon Aufrère apporte également un éclairage nouveau sur le rôle et sur les trouvailles du père de Jacques Boucher de Perthes, Jules Armand Guillaume Boucher.

PRÉFACE

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Mais l’intérêt de ce texte va bien au delà de ces informations inédites sur les premiers préhistoriens picards. Léon Aufrère, en effet, connaît parfaitement les carrières, la stratigraphie de tous les gisements de la Somme, de sorte que les premières recherches préhistoriques sont analysées par un connaisseur qui apporte d’utiles précisions sur le contexte géologique des découvertes. Léon Aufrère maitrise par ailleurs les données relatives à l’histoire de la géologie et de la paléontologie en France, en Angleterre et en Allemagne ; il connaît les enjeux, les débats et les disputes sur le catastrophisme, l’actualisme, la contemporanéité de l’homme avec les espèces disparues et il montre que toutes ces découvertes picardes viennent alimenter les controverses et bouleverser les idées reçues. Sous sa plume, nous voyons aussi vivre et parfois s’agiter les scientifiques parisiens : Daubenton, Etienne Geoffroy-Saint-Hilaire, Lamarck, Cuvier, Alexandre Brongniart, Achille Valenciennes, Faujas de Saint-Fond, Cordier etc… L’auteur nous présente aussi de belles personnalités picardes telles celle du médecin Ravin avec sa description de la pirogue gauloise d’Estreboeuf ou celle d’Alfred Tillette de Mautort, propriétaire de tourbières, l’homme le plus gros du département de la Somme. Léon Aufrère nous introduit également dans la vie des sociétés savantes qui furent si dynamiques au début du XIXe siècle, avec la naissance et l’essor de la célèbre Société d’Émulation d’Abbeville, et avec l’activité de sa rivale la Société linnéenne du Nord de la France. L’auteur nous montre le rôle joué par tous ces collectionneurs d’antiquités “ celtiques ” et “ antédiluviennes ” ; il souligne les rivalités qui existent parfois entre les hommes, entre Cuvier et Faujas de Saint-Fond à Paris, entre Traullé et Devérité à Abbeville ; il montre enfin les étapes de la création du Musée de Préhistoire d’Abbeville, installé dans un superbe bâtiment du XVIIIe siècle jusqu’à sa destruction en 1940, puis sa reconstruction après guerre. Léon Aufrère a porté un regard fraternel sur ces pionniers de la préhistoire, séduit par la personnalité de ceux-ci, notamment par la belle figure de Boucher de Perthes, par sa vitalité et par la multiplicité de ses talents, mais il a su aussi juger très lucidement les accommodements que ce dernier prenait avec la vérité. Ajoutons que Léon Aufrère aimait l’écriture et prenait grand soin de la rédaction de ses articles et de ses monographies. Dans sa conclusion, Léon Aufrère évoque l’émotion qui fut la sienne lorsque, dans un réduit du Musée d’Abbeville, il découvrit, entassés sur des étagères poussiéreuses, plus de cinquante volumes des manuscrits des Antiquités celtiques et antédiluviennes de Jacques Boucher de Perthes. Nous l’imaginons “ parmi les plats décrochés et sur une vieille chaise désarticulée ”, déchiffrer et lire avec impatience “ l’écriture gladiolée, montante, légère et comme frôlante sur un papier rugueux et grisâtre ” de Boucher de Perthes. Nous pouvons imaginer aussi l’émotion qu’a dû ressentir dans la maison paternelle, près de cinquante ans après cet épisode, Marie-Françoise Aufrère,

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en découvrant une trentaine de manuscrits inédits de Léon Aufrère, dont celui qu’elle nous propose aujourdhui. En choisissant de consacrer l’essentiel de son temps à la reconstitution des débuts de l’histoire de la paléontologie du quaternaire et de la préhistoire en Picardie, à une époque où les instances chargées de la recherche scientifique se préoccupaient peu de l’histoire des sciences, Léon Aufrère a, sans aucun doute, choisi une voie qui ne lui permettait alors pas de briller sur le devant de la scène ou de recevoir en son temps les hommages de ses collègues, mais, comme il l’a si bien écrit à la fin de la belle biographie qu’il a consacrée en 1952 à Giraud Soulavie, l’un des savants méconnus qu’il chérissait : “ le risque est le sel de la destinée et son acceptation départage les humains ”. Ainsi, grâce à ses choix et au-delà de toutes les vicissitudes de la vie, Léon Aufrère et Marie-Françoise Aufrère se retrouvent unis aujourd'hui dans une même aventure éditoriale et scientifique et nous offrent pour notre plus grand bonheur ces pages passionnantes et irremplaçables sur les origines de la paléontologie, de la préhistoire et de l’archéologie. Philippe Taquet Professeur au Muséum national d’Histoire naturelle Membre de l’Institut

AVANT-PROPOS1

Découvertes des manuscrits de Léon Aufrère (1889-1977) Un jour, un jour pas comme les autres, j’ai ouvert une boîte noire dont le contenu m’apparut singulier : des feuilles de papier pelure, écrites à la main ou tapées à la machine, à l’encre délavée, chiffonnées, parfois déchirées, sans ordre. Pourquoi mon père n’avait-il pas jeté ces papiers ? Je lus une page de cet ensemble. Ce fut une révélation. J’étais en présence d’un enjeu. J’entrais dans une histoire. Cette page était le brouillon d’une lettre datée de 1952. Mon père y évoquait ses publications et ses projets de publication. Il disait avoir rédigé “ plusieurs milliers de pages ”. Je lisais avec surprise et émotion : “ trente ans d’observations qui ne devraient pas être perdues ” … “ donner les résultats de trente ans de recherches ” … “ sauver mon patrimoine scientifique ”. Dix-sept ans après sa mort, j’apprenais qu’une grande partie de ses travaux avait été rédigée mais non publiée. J’étais tout à coup à la tête d’un héritage imprévu. Mais où étaient ces milliers de pages ? Existaient-elles encore ? J’étais en présence d’une d’interrogation comme il s’en présente peu dans une vie. Des boîtes occupaient les rayonnages de sa bibliothèque, boîtes que je n’avais jamais ouvertes. Mes mains sont passées d’une boîte à une autre. Ces précieux écrits, en fait, je les avais toujours vus, sans que j’en connaisse le contenu. Ils faisaient partie de ce que je me proposais d’archiver, croyant qu’il s’agissait d’articles ou d’ouvrages déjà publiés.

1. Abréviations : Ant. celt. antédiluv. : Antiquités celtiques et antédiluviennes (J. Boucher de Perthes) Rech. oss. foss. : Recherches sur les ossemens fossiles de quadrupèdes (G. Cuvier) Bull. Muséum Hist. nat. : Bulletin du Muséum d’Histoire naturelle Ann. Mus. Hist. Nat : Annales du Muséum d’Histoire naturelle Bull. Soc. Émul. Abbeville : Bulletins de la Société d’Émulation d’Abbeville Mém. Soc. roy. Émul. Abbeville : Mémoires de la Société royale d’Émulation d’Abbeville Mém. Soc. imp. Émul. Abbeville : Mémoires de la Société impériale d’Émulation d’Abbeville Mag. encycl. : Magasin encyclopédique Mém. Acad. Sci, Sci math. Phys. : Mémoires de l’Académie des Sciences, Sciences mathématiques et physiques Bibl. centr. Mus. His. Nat : Bibliothèque centrale du Muséum d’Histoire naturelle.

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Je me suis trouvée ainsi devant trente volumes manuscrits sans titres. Trente pièces d’un puzzle sans modèle. Pour chacun d’eux, je me demandais : s’agitil d’un texte publié ou inédit, est-ce une rédaction isolée ou venant à la suite d’une autre, voire de plusieurs autres ? S’agit-il de paléontologie, de préhistoire, de géographie, de géomorphologie, de géologie, ou d’une autre discipline ? Peu à peu le puzzle s’est assemblé. Une feuille de papier pelure, faiblement imprimée, à peine lisible, portant des traces de gommages transformés en bavures m’empêchant de lire des mots que je supposais importants, m’a fourni le fil conducteur pour ordonner trente manuscrits consacrés à une histoire des sciences de la Terre dans les domaines de la préhistoire, de la paléontologie et de la géomorphologie. Comment exploiter ces manuscrits ? J’ai obtenu un rendez-vous avec M. Ellenberger alors président du Comité français d’Histoire de la Géologie (COFRHIGÉO) pour lui faire part de mes découvertes. Il a réagi tranquillement : “ Vous allez les publier ”. Il m’a incitée à m’engager sur un chemin que ma formation de professeur de philosophie ne m’avait jamais conduite à emprunter. Sur ses conseils, j’ai assisté aux séances du COFRHIGÉO. Que je publie les manuscrits de mon père était une évidence pour lui. Pas pour moi. Sa conviction est devenue peu à peu mienne. J’ai relu avec une attention toute particulière l’un de ces manuscrits : Figures de préhistoriens II, Le Cercle d’Abbeville. Le texte m’a emballée. Je l’ai lu comme un roman. J’ai pris la décision de le publier en premier. Du temps a passé depuis que j’ai découvert ces manuscrits jaunis, du temps bien rempli. Il m’a fallu d’abord lire les travaux publiés et non publiés de mon père sur Boucher de Perthes. Je suis entrée ensuite dans l’œuvre de Boucher de Perthes lui-même. Le texte paternel a progressivement pris forme, ce texte tiré de l’oubli et sauvé d’une probable destruction. J’ai fait de mon mieux, dans cette édition, pour que le lecteur, à son tour, puisse découvrir ces pionniers de la paléontologie et de l’archéologie primitive et s’instruire de leurs questionnements et de leurs découvertes. Présentation Léon Aufrère. Ses travaux. Dates de la rédaction du “ Cercle d’Abbeville ” Léon Aufrère fut instituteur à Bonneval (Eure), puis professeur d’histoire et de géographie à Abbeville (Somme), puis attaché de recherches, et enfin maître de recherches au C.N.R.S. de 1937 à 1952. Il publia quatre-vingt articles de géographie, géomorphologie, paléontologie, préhistoire et histoire de la préhistoire, ainsi que cinq ouvrages dont deux d’histoire des sciences, Figures de préhistoriens I, Boucher de Perthes (1940) et Soulavie et son secret (1952). Il a travaillé en collaboration avec Emmanuel de Martonne à l’étude des régions arides et avec l’abbé Breuil à des recherches en préhistoire dans la vallée de la Somme.

AVANT-PROPOS

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De 1946 à 1963, l’auteur exerça les fonctions de directeur des antiquités préhistoriques de la circonscription de Lille. Il contribua pendant cette période à l’aménagement du nouveau musée Boucher-de-Perthes à Abbeville, inauguré le 11 juillet 1954, et à l’achat et au classement de gisements éponymes dans la région (Carpentier à Abbeville, Saint-Acheul et Cagny-la-Garenne à Amiens). D’après sa correspondance et ce qu’il a écrit dans la préface de Soulavie et son secret, l’auteur a commençé de préparer une documentation en vue du présent ouvrage avant la guerre et il l’a composé pendant qu’il exerçait les fonctions de directeur des antiquités préhistoriques, c’est-à-dire à partir de 1946. Restituer l’histoire des origines de la préhistoire à Abbeville Restituer l’histoire des origines de la préhistoire à Abbeville fut l’une des grandes affaires de sa vie. Il voulait faire du musée d’Abbeville, non seulement un musée de préhistoire, mais un ou le musée des origines de la préhistoire, en accordant une place centrale à la naissance de la préhistoire dans la vallée de la Somme, et en y présentant les découvertes de ceux qui y contribuèrent, dûton les considérer comme des erreurs voire comme des supercheries2. L’auteur notait sur une feuille isolée : “ Je suis donc allé, ou plutôt retourné, à Abbeville3 en 1932 ou 1933 dans le but de reprendre les objets préhistoriques comme repères chronologiques dans ce que j’appelais la Paléomorphologie. J’ai mis quelques temps à me familiariser avec le contenu des vitrines présenté stratigraphiquement. Au commencement venaient les silex jaunes de Moulin-Quignon : j’ai vu devant moi le commencement de notre monde humain. Je revoyais cette révélation faite au monde scientifique un siècle auparavant, là même où elle avait été faite. Je revoyais la révélation en même temps que la chose révélée ”. “ J’ai alors repris le premier volume des Antiquités celtiques et antédiluviennes4. J’ai identifié les pièces décrites avec celles que j’avais devant les yeux. Boucher de Perthes avait gardé chez lui ses premières trouvailles, les pièces décisives. J’en ai retrouvé d’autres qui m’ont permis de suivre cette histoire jusqu’à sa mort. J’ai exploré les vitrines, les tiroirs, l’intérieur des meubles, des salles jamais ouvertes et telles que Boucher de Perthes les avait laissées, et les caves et les greniers, comme des mines inépuisables. Des pièces 2. Cf. L. Aufrère, “ Le mouvement scientifique à Abbeville dans la première moitié du siècle et les origines de la préhistoire, 1795-1840 ”, Sciences, 4 (juillet-août 1936), 175-195. L. Aufrère, “ Le musée des origines de la préhistoire. Conférence radiodiffusée sous les auspices de l’Association française pour l’Avancement des Sciences, 28 avril 1938 ”, Sciences, 23 (juillet 1838), 119-133. L. Aufrère, Boucher de Perthes : Figures de préhistoriens I, P.U.F, 1940, Kraus reprints, 1976. 3. Dans l’ancien musée Boucher-de-Perthes. L’auteur vécut à Abbeville de 1918 à 1931 avant de s’installer à Paris. 4. Les Antiquités celtiques et antédiluviennes (imprimé en 1847, publié en 1849), l’un des textes fondateurs de la préhistoire : Boucher de Perthes y défend l’idée de “ l’homme antédiluvien ”. XIX

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partout, des vraies et des fausses, la grande bibliothèque du père, des brochures, des tirés à part, des livres neufs, des masses de manuscrits, des brouillons, des mises au net, tout ce qu’avait pu laisser un homme qui conservait tout, qui écrivait tous les jours, qui a laissé une cinquantaine de volumes et qui a fait connaître au monde les origines de l’humanité ”. “ Il y avait eu plusieurs triages. Le meilleur avait été donné aux Antiquités nationales. Boucher de Perthes avait gardé soigneusement ses premières trouvailles. Mais dans les greniers, il y avait des centaines de pièces fausses, en silex et en os, où les artistes néochelléens des carrières avaient exercé leur imagination. Il y avait des éclats naturels étiquetés comme outils. Mais surtout des quantités de pièces, taillées ou non ou retouchées après leur découverte et versées dans les “ figures ” et “ symboles celtiques ”, “ diluviens ” et “ antédiluviens ” ou encore dans les “ hiéroglyphes antédiluviens ” avec l’espoir qu’ils trouveraient un jour un nouveau Champollion. En tout cela il voyait des figures d’animaux, comme dans l’écriture égyptienne […]. Dans le local où il avait placé sa collection, au milieu, il y avait des vitrines basses pour l’industrie et tout le long des murs des vitrines hautes pour les pierresfigures. J’y ai vu les étiquettes où les animaux étaient classés suivant leur espèce. On pouvait avoir l’impression que cette collection avait été réunie par un visionnaire ”. “ J’étais en face d’un événement majeur dans l’histoire de la pensée. C’était irrésistible. Je me jetais dans l’histoire des sciences à un moment où j’ignorais à peu près qu’il y eût une histoire des sciences. J’y suis revenu plusieurs mois par an jusqu’à la guerre. En 1938 et en 1939 j’y suis venu avec Breuil […]. Pendant ces années-là, j’ai inventorié, identifié. Toute la vie du héros m’est passée entre les mains. J’ai tout rangé et exposé l’essentiel pour faire connaître ce qui s’était passé autrefois. C’est en 1939 que Lantier5 m’a demandé le travail qui s’est imprimé en 1940 ”. L’intention de restituer l’histoire des origines de la préhistoire à Abbeville était toute aussi présente pour la conservation et le classement des gisements éponymes6 : “ … j’ai pris la direction des Antiquités préhistoriques [en 1946] dans un triple but : 1° sauver les gisements qui restent de la stratigraphie du paléolithique inférieur, 2° réunir un matériel caractéristique de ces mêmes gisements ; 5. Raymond Lantier, alors conservateur du musée des Antiquités nationales de Saint-Germainen-Laye. 6. Cf. L. Aufrère, “ 1849-1949, le centenaire des Antiquités celtiques et antédiluviennes ”, Bull. Soc. préhist. française, 1-2 (Janvier-février 1950), 47-56. L. Aufrère, “ Le nouveau musée Boucher-de-Perthes et les gisements préhistoriques de la vallée de la Somme ”, Amiens-Abbeville Préhistoire, 1 (juin 1956), 16. L. Aufrère, “ Allocution sur l’aménagement des sites paléolithiques d’Abbeville et d’Amiens, prononcée après la remise par Max Lejeune des insignes de la Légion d’honneur à la Mairie d’Abbeville le 23 janvier 1960 ”, Amiens-Abbeville Préhistoire, 2 (1960), 6.

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3° enfin réunir ce qui est possible pour refaire l’histoire de cette découverte capitale dans l’histoire du monde. J’y ai consacré les meilleures de mes dernières années ”. Genèse dramatique du Cercle d’Abbeville Des documents inédits ou détruits Figures de préhistoriens I, Boucher de Perthes sortit de presse en avril 1940. Le mois suivant, l’ancienne demeure de Boucher de Perthes, l’Hôtel de Chépy à Abbeville, transformée en musée, fut bombardée et intégralement détruite (20 mai 1940). Les archives de la municipalité et celles de la Société d’Émulation d’Abbeville subirent le même sort, le même jour. Le second ouvrage, Figures de préhistoriens II, Le cercle d’Abbeville, celui que nous publions, avait été annoncé sur la 2e page de couverture du premier mais n’était pas encore rédigé quand toute la documentation dont pensait profiter son auteur disparut en fumée. Le désespoir de mon père fut grand : “ La guerre est venue. Avec elle les jours sombres […]. Du berceau de la préhistoire, il ne restait qu’un tas de pierres et quelques pans de murs. C’étaient des années de travail anéanties, une documentation unique intégralement détruite ”. (Notes manuscrites) Le cercle d’Abbeville fut donc composé à partir des notes prises par l’auteur dans l’ancien musée avant sa destruction : “ Jusqu’ici, on a manqué de documents inédits […]. Par extraordinaire, j’avais apporté mes fiches à Paris ” (Notes manuscrites). On relève de même dans l’introduction du Cercle d’Abbeville : “ J’avais, avant 1940, copié des textes qui peuvent être utilisés aujourd’hui comme des originaux ”. Et dans la 3e partie : “ Ce Registre [des procès-verbaux] a été détruit avec tout ce qui se trouvait au musée Boucher-de-Perthes. J’avais pris quelques notes et copié quelques textes que j’utiliserai et qui représentent tout ce qui reste de nos archives. C’est plus que pauvre à côté de ce que nous avons perdu ”. Cette relative pauvreté est enfermée dans six volumes, écrits à la main et reliés, que j’ai découverts en même temps que le manuscrit du Cercle d’Abbeville. Je les avais souvent vus dans les mains de mon père. Ils contiennent ses notes prises dans le musée aujourd’hui détruit. Le destin de ces volumes est de retourner à un moment ou à un autre en Picardie. Dans une lettre du 19 avril 1952 à M. Dupuy, directeur du C.N.R.S., l’abbé Breuil écrit : “ La guerre a interrompu [les recherches de Léon Aufrère sur les précurseurs et les successeurs de Boucher de Perthes], mais durant ce temps il s’employa très utilement à protéger de l’envahisseur ces précieux gisements dont il avait fait acquérir plusieurs parcelles par l’État […]. Il s’emploie maintenant, d’un côté, à réorganiser à Abbeville et à Amiens, la section des Musées

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qui touche à ce glorieux avènement de la préhistoire dû à Boucher de Perthes, à Rigollot et Commont, dont la destruction du Musée Boucher-de-Perthes a malheureusement détruit les très précieux et touchants souvenirs d’une époque héroïque ; par sa publication de nombreux textes originaux, M. Aufrère en a heureusement sauvé quelque chose ”. Et cinquante ans plus tard, Claude Blanckaert note à propos de Boucher de Perthes : “ Boucher de Perthes modifiait les correspondances, télescopait et transfigurait à son avantage les faits, les dates, les lieux. Aufrère en fit une démonstration définitive alors que certains documents originaux et les brouillons de ses écrits permettaient une confrontation des plus instructives. Malheureusement, ces manuscrits précieux furent partiellement détruits pendant la Seconde guerre mondiale. Le travail d’Aufrère est devenu, par la force des choses, par sa qualité d’érudition, et par ses nombreuses citations, une archive irremplaçable ”7. Vers une histoire des sciences Léon Aufrère explique pourquoi en tant que géomorphologue il s’est intéressé à l’histoire des sciences de la Terre dans la préface de Soulavie et son secret (1952), intitulée : “ Vers la paléomorphologie et l’histoire des sciences de la Terre ”. Dans les années 30, certaines de ses observations sur le terrain s’étaient présentées comme autant de difficultés inextricables. Les concepts de la géomorphologie lui apparurent comme inopérants ou insuffisamment précis. Il se résolut à aller voir comment ses prédécesseurs avaient affronté ces difficultés et quelles solutions ils avaient proposées pour les surmonter. Voici ce qu’il écrit au bout de trente années de travail : “ J’ai été amené à l’Histoire des disciplines auxquelles la Géomorphologie doit faire appel. L’Histoire a ici la valeur d’une critique et d’un examen de conscience en considérant la discipline envisagée comme une chose dans sa totalité existentielle, actuelle et passée. La naissance d’une notion est parfois d’une tout autre époque que sa rationalité de sorte qu’une discipline peut être considérée comme une réunion d’idées de divers âges et de diverses valeurs. Cette considération apporte donc avec elle des conditions de critique particulières ”8. L’obstacle du fondateur Qu’en était-il dans les années 30 de l’histoire de la préhistoire et comment l’auteur a-t-il fait de l’histoire de la préhistoire ? 7. C. Blanckaert, “ Actualité de Boucher de Perthes ”, Gradhiva, (1990), 84. 8. L. Aufrère, Soulavie et son secret, Paris, Hermann, 11.

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Entre 1934 et 1936, l’auteur a publié une série d’articles dans le Bulletin de la Société préhistorique française à propos de la question de savoir qui, de Boucher de Perthes ou de Picard, peut être considéré comme le fondateur de la préhistoire. C’est ce qu’à la suite des travaux de Koyré9 et de Canguilhem10, Claude Blanckaert a appelé “ le mythe du fondateur ”11 : “ L’enjeu des discussions suscitées par Aufrère [entre 1934 et 1936] n’était […] rien d’autre que le double statut de précurseur/fondateur de Boucher de Perthes. […] Les divers travaux et les discussions qui suivaient leur présentation tiraient de l’oubli de nombreux chercheurs […], tentant de définir clairement qui étaient les précurseurs et les continuateurs et avant tout, qui était LE Fondateur ”12. Or dans L’objet de l’histoire des sciences (1968), Canguilhem cite Alexandre Koyré : “ La notion de précurseur est pour l’historien une notion très dangereuse ”, et commente : “ Le précurseur c’est l’homme de savoir dont on sait seulement bien après lui qu’il a couru devant ses contemporains et avant celui qu’on tient pour vainqueur de la course […] c’est accepter comme réelle sa condition de possibilité ”13. “ Le précurseur est donc un penseur que l’historien croit pouvoir extraire de son encadrement culturel pour l’insérer dans un autre, ce qui revient à considérer des concepts […] comme pouvant être déplacés et replacés dans un espace intellectuel où la réversibilité des relations a été obtenue par l’oubli de l’aspect historique de l’objet dont il est traité ”14. La recherche du fondateur comme celle du ou des précurseurs implique l’anachronisme, elle ignore ou méconnaît la chronologie et le temps de l’histoire, l’objet même du travail de l’historien. Ce dernier s’efforce de restituer le passé dans son étrangeté c’est-à-dire ce par quoi il diffère radicalement de notre présent. De nos jours on ne se pose plus la question du fondateur, notre savoir est autre : multiples furent ceux qui participèrent à la fondation de la préhistoire, dirions-nous plutôt. Au “ mythe du fondateur ” nous préférons l’expression d’“ obstacle du fondateur ”, les mythes ont la vie dure, les obstacles, eux, sont destinés à être franchis. Aussi, en conséquence, cet obstacle a pu contribuer à produire du nouveau. En effet Noël Coye écrit : “ Dès 1934, Léon Aufrère porte un rude coup à la légende [de Boucher de Perthes se posant lui-même en 9. Cf. A. Koyré, La révolution astronomique, 79. 10. Cf. G. Canguilhem, “ Objet de l’histoire des sciences ”, Études d’histoire et de philosophie des sciences, Paris, Vrin, 1968, 20-23. 11. C. Blanckaert, “ Actualité de Boucher de Perthes ”, Gradhiva, 1990, 93. 12. N. Coye, Des mythes originels à la recherche archéologique, 147. 13. Cité par G. Canguilhem, “ Objet de l’histoire des sciences ”, op. cit., 22-23. 14. G. Canguilhem, “ Objet de l’histoire des sciences ”, op. cit., 21.

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précurseur et fondateur de la préhistoire] ”15. Léon Aufrère “ en portant ce rude coup ” participait indéniablement à la légende, et ce “ coup ” était, en même temps, une critique de cette légende. Faire de Picard le fondateur de la préhistoire à la place de Boucher de Perthes eut pour résultat de tirer Picard de l’oubli, de contribuer à la reconnaissance de ses travaux, et, au-delà, de porter un rude coup au mythe forgé par Boucher de Perthes en personne. Si, en effet, dans ses articles de 1934-1936, Léon Aufrère n’a pas échappé au mythe du fondateur, ses travaux ultérieurs laissent penser qu’il est parvenu à s’en libérer. Il mit en question lui-même sa première appréciation de Boucher de Perthes, le considérant désormais comme l’un des fondateurs de la préhistoire, le pluriel étant l’indice d’une vision élargie. En 1936, dans Essai sur les premières découvertes de Boucher de Perthes et les origines de l’archéologie primitive, il écrit, et ceci nous paraît essentiel pour Le Cercle d’Abbeville : “ Toute création scientifique demande une fécondation collective ”16. Le texte d’où est tiré cette citation envisage ce que l’auteur appelle la “ perspective [d’] une archéologie primitive ”17, situant Boucher de Perthes dans une lignée. Dans l’introduction, Léon Aufrère se propose explicitement de faire de l’histoire des sciences et non une apologie. Même si l’apologétique est présente dans certaines tournures, comme s’il hésitait encore entre deux formulations ou deux démarches, comme s’il ne s’était pas encore définitivement libéré, le texte est une critique des récits que Boucher de Perthes avait donné lui-même de ses premières découvertes. Nouveau point de vue : “ toute création scientifique demande une fécondation collective ” : “ Auteurs, textes, doctrines, ambiances ” Quelle a été la démarche de l’auteur en histoire des sciences à partir de 1936 pour mettre en œuvre cette “ fécondation collective ” ? Quelle est la démarche suivie dans Le cercle d’Abbeville ? Elle repose sur les quatre concepts contenus dans le sous-titre de Soulavie et son secret : “ Auteurs, textes, doctrines, ambiances ”. 1) Auteurs (auteurs connus et inconnus, groupes). Pour apporter du nouveau en histoire des sciences, Léon Aufrère a choisi des auteurs peu ou mal connus. Parmi ses ouvrages publiés se trouvent deux 15. N. Coye, ibid. 16. L. Aufrère, Épreuves et synthèses N° 1, Essai sur les premières découvertes de Boucher de Perthes et les origines de l'archéologie primitive, 1838-1844, Paris, L. Staude, 1936, 46. 17. L. Aufrère, Ibid., 47.

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monographies, celle de Boucher de Perthes et celle de Soulavie. Le cercle d’Abbeville restitue les œuvres et les activités de la Société d’émulation d’Abbeville dans la première moitié du XIXe siècle, et plus particulièrement de trois personnages : Boucher (de Crèvecoeur, le père de Boucher de Perthes), Traullé et Picard. Un manuscrit non publié restitue celles d’un autre groupe, les premiers paléontologues auvergnats (1820-1850) avec Bravard et Pomel. Deux de ses ouvrages publiés sont des monographies. Et deux de ses manuscrits étudient des cercles, avec plusieurs personnages, il s’agit bien d’une “ fécondation collective ”. On peut se demander : pourquoi des monographies ? Pourquoi des travaux sur des groupes ? L’auteur s’en explique dans une note non datée : “ On peut mettre l’accent sur l’histoire des sciences ou l’histoire des doctrines et laisser l’histoire des hommes. Je me place à un autre point de vue, celui de la production scientifique ”. Ce qu’il entend par “ production scientifique ” désigne à la fois l’histoire des sciences et l’histoire des hommes. À ce sujet il écrit de Boucher de Perthes : “ Nous nous étions surtout occupé en quelque sorte de l’histoire intérieure du livre [Antiquités celtiques et antédiluviennes], de sa place dans la vie et la pensée de Boucher de Perthes ” (Note non datée). Il écrit dans la préface de Soulavie et son secret : “ Pour rappeler une formule de Zola, je me suis efforcé ici de mettre debout des créatures vivantes ”18, et dans la conclusion du Cercle d’Abbeville : “ J’ai essayé de rendre à ceux dont on fait l’histoire quelque chose qui ressemble à la vie ”. En un sens, ce dernier ouvrage se lit comme une œuvre littéraire, avec des personnages, des intérêts communs et une action qui les réunit : la naissance de la préhistoire. Il apparaît alors logique que le sous-titre soit “ figures ” : Figures de préhistoriens. L’expression “ histoire des hommes ” ainsi que les notions de “ vie ” et de “ créatures vivantes ” expriment l’exigence de ne pas s’en tenir qu’à l’histoire des concepts mais de tenir compte aussi de la dynamique qui la sous-tend. 2) Textes (textes novateurs et non novateurs, revues, correspondances) On peut admettre que l’objet de l’histoire des sciences est une idée, “ l’idée novatrice, l’idée créatrice ”, produit de la “ fécondation collective ”, comme l’écrit l’auteur dans Soulavie et son secret : “ Ce qui doit être mis avant toutes choses : l’idée novatrice, l’idée créatrice […] ”19. Pour apporter du nouveau, Léon Aufrère s’est donné pour but de faire connaître des textes novateurs peu ou mal connus et des textes non novateurs, il 18. L. Aufrère, Soulavie…, op. cit., 13. 19. L. Aufrère, Soulavie…, op. cit., 190.

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se propose de restituer les tâtonnements de l’activité scientifique, comme il l’annonce en exergue du Cercle d’Abbeville : “ Ce sont ceux qui se trompaient qui avaient raison ”. Les textes non novateurs mettent en place certains éléments mais l’idée novatrice n’y est pas perçue dans sa totalité ; en tant que tels, ils ont une place dans l’histoire des sciences, si l’on admet que celle-ci soit une histoire collective. La lecture du Bulletin de la Société d’Émulation (de 1797 à 1809) et des Mémoires de la Société d’Émulation d’Abbeville (à partir de 1833) permet à l’auteur d’écrire le scénario du Cercle d’Abbeville, avec les œuvres des membres de la Société mais également avec leurs activités, faisant apparaître un lien entre leurs activités et leurs oeuvres. Par ailleurs, Léon Aufrère accordait une importance extrême aux lettres, rarement publiées. Elles ne sont pas, elles non plus, toujours originales ou novatrices. Mais elles dévoilent, parfois mieux que les textes publiés, la “ fécondation collective ”, les auteurs en livrant une part de leur intimité révèlent leur participation à la dynamique de “ l’idée novatrice ”. Or, si nous admettons avec Canguilhem que “ L’histoire des sciences ne peut être que précaire, appelée à sa rectification ”20, nous pouvons voir que la méthode choisie par l’auteur impliquait que l’histoire d’une science, tout autant que cette science elle-même, est en devenir. Même s’il recherchait, en rédigeant, à faire du définitif, Léon Aufrère admettait que ce qu’il avait écrit à un moment donné était destiné à perdre de sa pertinence au cours du temps : “ Les textes resteront la partie essentielle de cet Ouvrage. Mon ambition serait qu’il détermine une activité qui le rende inutile. S’il doit être périmé, les textes resteront. […] Systématiquement, je laisse parler les textes au lieu de parler moi-même afin d’éviter le plus possible les résumés ou les paraphrases où il est difficile de ne pas tomber dans des anachronismes de forme ou de sens ”21. L’auteur accordant une grande attention aux textes, les citations sont, dans Le cercle d’Abbeville, nombreuses et parfois longues. 3) Doctrines. Quelle est la relation entre Figures de préhistoriens I, Boucher de Perthes et Figures de préhistoriens II, Le cercle d’Abbeville ? L’étude des auteurs et des textes a pour but de préciser “ l’idée novatrice ” et de faire apparaître des enjeux doctrinaux. Quelle est l’idée novatrice étudiée dans Le cercle d’Abbeville ? Si l’on regarde la similitude des titres de l’ouvrage publié en 1940 et du présent ouvrage, on peut se demander si l’idée

20. G. Canguilhem, “ Objet de l’histoire des sciences ”, op. cit., 20. 21. L. Aufrère, Soulavie…, op. cit., 13.

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novatrice est la même. Il nous semble nécessaire de préciser la relation entre les deux pour un lecteur n’ayant pas lu le premier ouvrage. Il faut noter que l’ordre de publication est l’inverse de l’ordre chronologique. Chronologiquement Figures de préhistoriens II précède Figures de préhistoriens I, Le Cercle d’Abbeville précède Boucher de Perthes. Il semble que dans les deux textes, l’auteur se soit posé une même question qui peut être formulée ainsi : quelles sont les conditions de possibilité de la découverte par Boucher de Perthes de la très haute antiquité de l’homme ? Il propose dans chaque volume une approche différente. Dans Le Cercle d’Abbeville, il restitue l’ambiance intellectuelle et sociale entre 1778 et 1844 à la Société d’Émulation d’Abbeville, dont Boucher de Perthes fut le président pendant trente ans, de 1830 à 1866. Dans Boucher de Perthes, il s’est intéressé à Boucher de Perthes lui-même, essentiellement de 1841 à sa mort en 1868. Ma thèse est que, s’il y a continuité entre les deux ouvrages, l’idée novatrice n’est pas la même. Dans Le cercle d’Abbeville, l’auteur s’est demandé comment l’idée de la contemporanéité de l’homme et des espèces disparues s’était imposée dans un premier temps à la Société d’Emulation d’Abbeville. Dans Boucher de Perthes, il s’est posé la question de savoir comment l’idée de la contemporanéité de l’homme et des espèces disparues s’était imposée à Boucher de Perthes lui-même et comment cette idée l’avait conduit à l’idée de la très haute antiquité de l’homme. La question de l’antiquité de l’homme La question peut être posée en ces termes : pourquoi l’idée de la très haute antiquité de l’homme fut-elle dans un premier temps impensable ou inacceptable ? Quelles certitudes ou quelles convictions s’opposèrent à sa formulation ? L’expression même de “ très haute antiquité de l’homme ” porte la trace de ce à quoi elle s’est opposée : l’antiquité, coïncidant avec les débuts supposés de l’histoire humaine. Or, depuis la fin du XVIIe siècle jusque dans la première moitié du XIXe siècle, d’après les chronologies admises, telle celle d’Ussher22, cette antiquité était évaluée à quelque six mille ans. Dieu créa le monde le 23 octobre 4004 avant Jésus-Christ, et l’homme cinq jours plus tard, le 28 octobre, si bien que, à six jours près, l’on pouvait confondre ces deux créations et croire que l’homme était apparu sensiblement en même temps que le monde. En 2469 avant Jésus-Christ eut lieu le déluge23, un homme “ antédiluvien ” aurait donc vécu sur la terre pendant un millénaire et demi. Ces chronologies étaient admises, elles étaient l’évidence même, elles s’imposaient. Elles admettaient que l’homme était ancien, mais “ l’antiquité de l’homme ” n’est pas sa 22. J. Ussher, Annales veteris et novi testamenti, A prima mundi origine deducti usque ad extremum templi et reipublicæ judaicae excidium, Lutetiae Parisiorum, Sumptibus Lud. Billaine et Joannis du Puis (1654-1660), 1. 23. J. Ussher, Ibid., 2.

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“ très haute antiquité ” : en tant que ces chronologies servaient de références, elles s’opposaient ou elles empêchaient ne serait-ce que d’imaginer que l’homme existe depuis des millions d’années.

Fig. 1. Chronologie d’Ussher, création du monde et création de l’homme en 4004 avant J.C.

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Fig. 2. Almanach de 1820 fondé sur la chronologie d’Ussher En 1812, ces chronologies s’imposaient pour l’antiquité de l’homme bien que la géologie naissante ait conduit à séparer la création du monde, extrêmement ancienne, et la création récente de l’homme. Dans le Discours préliminaire des Recherches sur les ossemens fossiles de quadrupèdes, Cuvier distinguait deux sortes de terrains : les terrains diluviens24, antérieurs à la dernière grande catastrophe et à la dernière retraite subite des eaux, dans lesquels on trouvait des ossements d’animaux d’espèces disparues, et les terrains alluviens “ à compter de cette retraite ” dans lesquels on trouvait des ossements d’animaux appartenant aux espèces actuelles. Si l’on acceptait cette distinction, la question de l’ancienneté de l’homme se posait alors de la manière suivante : “ Les premières traces de l’homme se rencontrent-elles dans les terrains alluviens déposés après le déluge au cours des temps dits historiques, ou dans les terrains diluviens remontant aux derniers temps géologiques et antérieurs au dernier déluge dont le récit se trouve dans l’Écriture ? ”25. D’une part, rien ne prouvait l’existence d’un homme antédiluvien, parce que “ […] parmi les anciennes races, parmi les paléothériums, parmi les éléphants et les

24. Nous dirions aujourd’hui, après les travaux d’Agassiz : le pléistocène, terrains déposés lors d’une période glaciaire. 25. L. Aufrère, Boucher de Perthes, op. cit., 56.

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rhinocéros mêmes, on n’a jamais26 découvert le moindre ossement d’homme ”27, et “ Tout porte […] à croire28 que l’espèce humaine n’existait point dans les pays où se découvrent les os fossiles, à l’époque des révolutions qui ont enfoui ces os, car il n’y aurait eu aucune raison pour qu’elle échappât toute entière à des catastrophes aussi générales, et pour que ses restes ne se retrouvassent pas aujourd’hui comme ceux des autres animaux […] ”29. Mais d’autre part, parce qu’on n’avait “ pas encore30 trouvé [l’espèce humaine] parmi les fossiles ”31, on ne pouvait pas “ conclure que l’homme n’existoit point du tout avant cette époque ”32, cette formulation montre que Cuvier posait clairement le problème : il acceptait l’idée que l’homme existât avant le déluge, mais ses connaissances l’ont porté à “ croire ” qu’il n’était pas possible d’en retrouver les traces dans le diluvium. En effet, on pouvait se poser la question au début du XIXe siècle : pourquoi trouvait-on autant d’ossements d’animaux dans les terrains “ diluviens ” et pourquoi n’y trouvait-on pas d’ossements humains ? Les premières traces de l’homme semblaient ne pouvoir se rencontrer que dans les terrains alluviens postérieurs au déluge. Il paraissait alors impossible ou impensable de remonter “ au-delà ” de l’histoire humaine, c’est-à-dire “ au-delà de cinq ou six mille ans, au-delà de la grande et subite révolution ”33. Il paraît essentiel de distinguer sur ce point le texte de Cuvier de différentes lectures qu’on en a pu faire. Dans la première moitié du XIXe siècle l’une d’elles s’est imposée, induite par la chronologie ambiante, éludant les difficultés formulées par Cuvier : l’on ne trouvait pas d’ossements humains dans le diluvium parce que l’homme n’existait pas avant le déluge. Il semblait en conséquence acquis que les terrains diluviens étaient antérieurs à l’apparition de l’homme et qu’on ne pouvait donc pas trouver d’“ homme antédiluvien ” dans les couches “ diluviennes ”. Cette lecture était aussi acceptable qu’une autre, puisqu’on croyait n’avoir jamais rencontré de traces de l’homme antédiluvien. Elle ne paraît discutable ou fausse que par rapport aux connaissances actuelles, et par rapport à ce que nous pouvons appeler la prudence de Cuvier qui laissait sa place à une éventuelle découverte de restes humains antédiluviens. En 1834, dans Opinion de Monsieur Cristophe vigneron, sur les prohibitions et la liberté du commerce, Boucher de Perthes lui-même était acquis à cette dernière lecture : “ L’être est né d’hier et le squelette du premier homme 26. Souligné par nous. 27. G. Cuvier, Recherches sur les ossemens fossiles de quadrupèdes, Où l’on établit les caractères de plusieurs espèces d’animaux que les révolutions du globe paraissent avoir détruites. Discours préliminaire, Paris, Déterville, 1812, 83. 28. Souligné par nous. 29. G. Cuvier, Ibid., 84. 30. Souligné par nous. 31. G. Cuvier, Ibid., 82. 32. G. Cuvier, Ibid., 84. 33. G. Cuvier, Recherches sur les ossemens fossiles de quadrupèdes, op. cit., 110.

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gît peut-être encore dans quelque coin du globe […]. Les événements qui nous semblent l’antiquité se sont passés la veille : il n’y a que dix-huit hommes entre nous et N.S., et 70 depuis la création du monde ”34. Il développait ce point de vue en 1841 dans De la création : “ […] si on ne voit pas parmi eux [les amas d’ossements et de corps fossiles trouvés dans le diluvium] des restes d’hommes ou d’autres classes élevées, c’est qu’elles n’existaient pas encore ”35. C’est après 1841 qu’il viendra à la possibilité de trouver des hommes antédiluviens. La lecture partielle de Cuvier fut partagée par certains adversaires de Boucher de Perthes dont Léonce Élie de Beaumont qui écrivit en 1863 : “ Je ne crois pas que l’espèce humaine ait été contemporaine de l’Elephas primigenius. Je continue à partager à cet égard l’opinion de M. Cuvier. L’opinion de Cuvier est une création de génie ; elle n’est pas détruite ”36. Le choix de cette citation n’exprime pas un jugement malveillant porté sur Élie de Beaumont, elle met en évidence la force des résistances rencontrées chez tous, à ce moment-là, dans le conflit entre deux évidences ou deux croyances, la référence habituelle et “ l’idée novatrice ”, non seulement pour ceux qui s’y opposaient ouvertement, mais aussi pour ceux qui la défendaient, à supposer que le conflit entre des personnes exprime aussi des difficultés de conception. La coexistence de l’homme et des animaux d’espèces disparues Cette lecture partielle de Cuvier proposait ou imposait une réponse, exclusive de toute autre. Cependant sa formulation “ parmi les anciennes races, parmi les paléothériums, parmi les éléphants et les rhinocéros mêmes, on n’a jamais découvert le moindre ossement d’homme ”, posait la question de l’ancienneté de l’homme, donnant prise à la critique. Dès 1828, Tournal, Christol, Marcel de Serres et Schmerling37 furent parmi ceux qui formulèrent l’idée de la “ coexistence ” de l’homme avec les grands mammifères disparus de l’époque diluvienne. Ce point nous paraît à la fois bien connu et en même temps encore fort énigmatique. Toujours est-il que l’idée de coexistence fut l’un des maillons nécessaires pour parvenir à l’idée de la très haute antiquité 34. J. Boucher de Perthes, Opinion de Monsieur Cristophe vigneron, sur les prohibitions et la liberté du commerce, 1834, Quatrième partie, 181-183. 35. J. Boucher de Perthes, De la Création, Essai sur la progression des êtres, 5 vol., Paris, Treuttel et Wurtz, 1841, t. I, p. 349. 36. L. Élie de Beaumont, C. R. hebd. séances Acad. Sci, t. 56, Janvier-juin 1863, Paris, MalletBachelier, séance du 18 mai 1863, 937. 37. P. Tournal, Notes sur la caverne de Bize près de Narbonne, 1828. Lettre, Procès verbaux Acad. Sci., t. 9, séance du 9 février 1829, 191. J. de Christol, “ Notice sur les ossemens fossiles des cavernes du département du Gard ”, Procès verbaux Acad. Sci,, séance du 29 juin 1829. M. de Serres, Géognosie des terrains tertiaires ou Tableau des principaux animaux invertébrés des terrains marins tertiaires du midi de la France, 1829. P. Schmerling, Recherches sur les ossemens fossiles découverts dans la province de Liège, 1833-1834.

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de l’homme. La géologie et la paléontologie apportaient alors des éléments décisifs pour dater d’une manière nouvelle l’ancienneté de l’homme : “ La géologie seule peut désormais nous donner quelques notions précises de la première apparition de l’homme sur le globe terrestre ”38. Si l’on trouve dans les mêmes couches géologiques, dans le “ diluvium ”, des ossements d’animaux d’espèces disparues et des traces de l’homme, ossements ou outils, force nous sera d’admettre que des hommes “ antédiluviens ” ont “ coexisté ” avec des animaux “ antédiluviens ”. S’il fut disciple de Cuvier, Boucher de Perthes fut cependant parmi les premiers à avoir cru à la coexistence de l’homme et des mammifères antédiluviens, essentiellement des éléphants et des rhinocéros39, car : “ […] la tradition reconnaît qu’avant le déluge existaient des hommes. Pourquoi ne découvririons-nous pas des traces de ces hommes ou des fragmens de leurs œuvres ? ”40, écrit-il hardiment en 1849. Ce sont précisément de tels témoins que Boucher de Perthes a trouvé dans des terrains considérés comme “ diluviens ”, à Menchecourt, au banc de l’Hôpital et à Moulin-Quignon à Abbeville, des outils de silex parmi des ossements de mammouths et de rhinocéros. L’idée de la coexistence de l’homme et des animaux d’espèces disparues à la Société d’Émulation d’Abbeville de 1778 à 1844 Dans Le cercle d’Abbeville, l’auteur a étudié comment la question de la coexistence de l’homme et des mammifères “ antédiluviens ” s’était précisée, à Abbeville, à partir de 1778 jusqu’aux premières découvertes de Boucher de Perthes en 1844, sans qu’il soit question de la très haute antiquité de l’homme, puisque que, historiquement, les deux idées existèrent indépendamment l’une de l’autre. Des membres parmi les plus érudits de la Société d’Émulation d’Abbeville, comme Jules-Armand-Guillaume Boucher de Crèvecœur (le propre père de Boucher de Perthes, membre correspondant de l’Institut), Emmanuel et François Baillon, Laurent Traullé (également membre correspondant de l’Institut) et Casimir Picard accomplissaient, dans la vallée de la Somme, au moins depuis 1778, des découvertes paléontologiques et archéologiques qui se révélèrent par la suite essentielles pour prouver la très haute antiquité de l’homme : des ossements d’animaux gigantesques d’espèces inconnues, d’animaux de

38. P. Tournal, “ Note sur la caverne de Bize près de Narbonne ”, Annales des sciences naturelles, XV (1828), 348-350. 39. Dans cet ouvrage lorsqu’il sera écrit “ éléphant ”, Elephas primigenius, il faudra toujours lire “ mammouth ”, Mammuthus primigenius dans la terminologie actuelle. Par ailleurs, Boucher de Perthes appellait Rhinoceros tichorhinus ce que nous nommons Coelodonta antiquitatis, rhinocéros laineux à narines cloisonnées. 40. J. Boucher de Perthes, Antiquités celtiques et antédiluviennes, t. I, ch. II, Treuttel et Wurtz, 1849, 27-29.

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l’Afrique et des climats glaciaires, ainsi que des outils de pierre considérés alors comme “ gaulois ” ou “ celtiques ”. Ces découvertes n’étaient pas très étonnantes pour eux. Elles entraient dans le cadre d’une histoire de quelque six mille ans, qu’il s’agisse de l’ histoire humaine, de l’histoire du monde et de l’histoire des espèces d’animaux disparus, bien qu’ils aient eu connaissance des travaux de Cuvier. Ces découvertes étaient nommées : celtiques ou gauloises, même les objets paraissant les plus anciens étaient historiques, l’homme “ avant ” l’histoire étant alors absolument impensable. Elles leur permettaient même de préciser la chronologie d’Ussher. À partir de la fin du XVIIIe siècle, le procureur Laurent Traullé avait constitué une importante collection de ce qui avait été trouvé dans la terre dans la région, dans les tourbières et les sablières. Des objets en pierre, très anciens ou antiques, avaient été fabriqués par les peuples “ les plus anciens ” de l’univers, les “ premiers Gaulois ”, avant la colonisation romaine, n’ayant pas encore la connaissance des métaux. Et des ossements témoignaient que des animaux inconnus et d’espèces perdues, des éléphants, des Cervus somonensis et des rhinocéros coexistaient sur les bords de la Somme avec les premiers Gaulois. L’ouvrage d’Arcisse de Caumont, Cours d’antiquités monumentales, tome 1, L’Ère celtique41, contribua à vulgariser dans la Société d’Émulation le terme de “ celtique ”, qui s’appliquait “ aux temps les plus reculés ”, c’est-à-dire “ antérieurs à l’occupation romaine ”, l’occupation romaine demeurant la référence. Mais les temps les plus anciens étant historiques étaient, somme toute proches de nous. Dans les années 1830-1840, deux personnages, le géologue François-Prosper Ravin et le chirurgien Casimir Picard, apportèrent des éléments d’une importance décisive. Ravin conduisit la Société à s’accoutumer, avec les termes de “ diluvien ” et d’“ antédiluvien ”, à l’immensité des temps géologiques, sur le terrain même, dans la région d’Abbeville, et à réunir, dans ses recherches historiques, géologie et archéologie. Et durant les mêmes années, Picard intéressa la Société aux haches polies et aux haches taillées d’un point de vue morphologique et stratigraphique. Il lui fit également admettre que la géologie et la paléontologie peuvent éclairer l’archéologie, admettant visiblement la coexistence : “ Les instruments trouvés dans les tourbes diluviennes étaient en usage au moment où vivaient, dans notre pays, des espèces d’animaux ou perdues ou éloignées ”42. Coexistence et contemporanéité Cependant la coexistence de l’homme et des animaux d’espèces disparues a-t-elle suffi à conduire à la préhistoire ? Il ne le semble pas. Ce point nous 41. A. de Caumont, Cours d'antiquités monumentales, tome 1, L'Ère celtique, 1830. 42. C. Picard, “ Notice sur des instruments celtiques en corne de cerf ”, Mémoires de la Société royale d’Émulation d’Abbeville, t. 2 (1834-1835), 19-20.

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semble, pour le moment, contenir des difficultés redoutables. Marcel de Serres admit cette coexistence en restant dans le cadre de la chronologie peu modifiée d’Ussher. À l’issue de calculs complexes, il hésitait et proposait : “ De la date de l’apparition de l’homme appréciée par les faits physiques : 7.261 ans ”43, puis 7.705 ans44, voire 8.822 ans45. Pris dans la contradiction entre le temps supposé de la Bible et celui de la géologie, il arrivait à accorder entre un et deux millénaires de plus à l’espèce humaine. Ce qui semble peu, peut-être, mais ces hésitations sont significatives : elles modifiaient la chronologie d’Ussher, et, en l’occurrence, on peut dire qu’elles la modifiaient dangereusement. Or quelle est l’originalité de Boucher de Perthes par rapport à Marcel de Serres ? Boucher de Perthes a perçu l’insuffisance du concept de coexistence tel qu’il avait été formulé jusque là, il l’a complété par celui de “ très haute antiquité de l’homme ”. Ainsi : “ […] l’ancienneté46 de l’homme et […] sa contemporanéité probable avec ces mammifères gigantesques dont les espèces, anéanties lors de la grande catastrophe diluvienne, n’ont pas reparu sur la terre ”47, peut être acceptée comme l’une des premières définitions de la préhistoire. La contemporanéité n’est pas la coexistence. La coexistence désigne un espace, affirmer que haches de pierre et ossements d’animaux d’espèces disparues “ coexistent ” dans les mêmes couches géologiques peut ne pas remettre en cause une chronologie restreinte. En revanche, dans la terminologie de Boucher de Perthes, la contemporanéité pose un problème de temps, celui d’un temps humain d’un nouvel ordre de grandeur : “ Nous parlons d’un temps au-delà des temps, au-delà de toutes les traditions ”48, un temps “ audelà de ” l’histoire. Cet “ au-delà ” exprime une mise en cause des limites de l’histoire, c’était la possibilité d’une histoire autre, d’une histoire “ géologique ” de l’homme. Dans sa notion d’homme antédiluvien, Boucher de Perthes a fait apparaître le lien nécessaire entre l’ancienneté, ou la très haute antiquité de l’homme, et la contemporanéité entre l’homme et les grands mammifères antédiluviens. L’homme antédiluvien n’a pas seulement existé pendant 1535 ans, entre 4004 et 2469, entre la création du monde et le déluge. S’il a vécu à l’époque des mammifères “ antédiluviens ”, il est apparu sur la terre il y a plus de 6000 ans, il y a “ des milliers de siècles ”, soit, au minimum cent mille ans, voire deux cent mille, trois cent mille, voire des millions d’années, comme il l’a écrit dans ses manuscrits. Même si l’évaluation paraît aujourd’hui approximative, l’expression incertaine “ des milliers de siècles ” utilisée par

43. 7.261 ans avant 1838. M. de Serres, De la cosmogonie de Moïse, Paris, Lagny, 1838, 242. 44. M. de Serres, Ibid., 244, note (1). 45. M. de Serres, Ibid., 243, note (1). 46. Souligné par nous. 47. J. Boucher de Perthes, Antiquités celtiques et antédiluviennes, t. III, De l’homme antédiluvien et de ses œuvres, op. cit., 1. 48. J. Boucher de Perthes, Antiquités celtiques et antédiluviennes, t. I, ch. IX, op. cit., 164.

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Boucher de Perthes est libératrice et novatrice. La géologie permettait de concevoir un temps long, y compris pour l’espèce humaine. Ce qui ne pouvait être pensé est formulé, un cadre temporel établi était brisé ; volèrent en éclats les dates butoirs, fatidiques, des 23 et 28 octobre 4004, ainsi qu’une lecture partielle de Cuvier. Une “ très haute antiquité ” de l’homme ne serait-ce que de cent mille ans, c’était inouï, c’était une révolution dans les reconstitutions chronologiques, sans commune mesure avec une “ antiquité ” de six mille ans. Historiquement on peut affirmer que l’idée de “ dernière catastrophe ” formulée par Cuvier a dans un premier temps, empêché de penser un “ au-delà ” de cinq ou six mille ans pour l’espèce humaine, puis ouvert la possibilité de concevoir l’homme avant l’histoire, l’homme antédiluvien, “ antédiluvien ” ne signifiant plus seulement “ antérieur au déluge ”, mais aussi “ extrêmement ancien ”. Cette notion d’“ homme antédiluvien ”, aujourd’hui périmée, a permis de sortir de l’archéologie historique. D’après ce qu’il exprimait en 1860, on peut deviner le cheminement de Boucher de Perthes s’opposant à une lecture de Cuvier faite par ses contemporains : “ M. Alex Brongniart […] avec Cuvier […] avaient établi comme principe que l’homme nouveau sur la terre, n’était pas contemporain des grands pachydermes antédiluviens […]. Néanmoins Alex Brongniart, bien loin de me décourager, m’engagea fort à continuer ”49, et : “ Si les haches ne sont pas diluviennes, ces races éteintes ne le sont pas non plus. Cuvier, revenant au monde, serait bien étonné d’apprendre que son éléphant primigenius, son rhinocéros tichorhinus sont devenus modernes [contemporains de l’homme] ”50. Il fallut en effet qu’il admette que des espèces animales avaient “ disparu ” après la “ création ” de l’homme et qu’il s’était donc produit des événements importants après le sixième jour de la création. Ainsi les terrains “ diluviens ” s’étaient “ formés ” au moins en partie après cette création. Il n’en est pas moins resté fidèle à certains points de vue de Cuvier. Boucher de Perthes admit les révolutions du globe ajoutant l’homme au nombre des genres touchés par ces révolutions. Quel fut l’apport spécifique de Boucher de Perthes ? Le cercle d’Abbeville propose une lecture nouvelle des Antiquités celtiques et antédiluviennes. Connaissant mieux les auteurs, les textes, les doctrines, à supposer que “ la création scientifique soit une fécondation collective ”, il est possible de voir plus nettement l’originalité de l’apport de Boucher de Perthes, “ On appréciera d’autant mieux Boucher de Perthes qu’on connaîtra mieux ceux qui sont venus avant lui ” écrit Léon Aufrère dans la conclusion. Les œuvres et les activités des membres de la Société d’Émulation d’Abbeville 49. J. Boucher de Perthes, “ De l'homme antédiluvien et de ses œuvres ”, Mémoire de la Société impériale d’Émulation d’Abbeville, 2e série, t. 9 (1857, 1858, 1859 et 1860), 471. 50. J. Boucher de Perthes, Ibid., 494.

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apparaissent comme ce qui servit de référence dans un premier temps à Boucher de Perthes. Quand ce dernier fut élu président de cette Société en 1830, l’archéologie primitive et la paléontologie étaient entrées pour les membres de cette Société dans les habitudes depuis trois ou quatre décennies. Si l’on retrouve leur terminologie à chaque page des Antiquités celtiques et antédiluviennes, on cerne mieux le travail que Boucher de Perthes a opéré sur luimême, autant pour acquérir les connaissances nécessaires que pour les problématiser et les organiser. Il est donc possible de préciser l’apport spécifique de Boucher de Perthes : 1) D’un point de vue théorique, Boucher de Perthes a précisé l’idée de “ l’homme antédiluvien ”, l’idée de l’existence de l’homme “ avant l’histoire ”. Les outils de pierre n’ont pas été fabriqués par les Gaulois ou par les Celtes, mais par des “ hommes antédiluviens ” vivant en même temps que les éléphants et les rhinocéros. Boucher de Perthes a refait les mêmes trouvailles, dans les mêmes couches géologiques et dans les mêmes gisements que ses prédécesseurs, mais il les a réinterprétées. Ces outils n’ont pas 3 ou 4.000 mille ans, ils ont cent mille ans, un million d’années peut-être. Boucher de Perthes a conçu l’objet “ antédiluvien ” en le distinguant de l’objet naturel, de l’objet gaulois ou de l’objet celtique. L’un de ses talents est là : ce collectionneur de tableaux et d’objets anciens, d’objets d’art, a su accorder de l’attention à ces pierres taillées, jusque-là insignifiantes, qui ne retenaient pas l’attention de quiconque. Il a fait apparaître l’objet “ antédiluvien ” comme objet scientifique. Dans notre terminologie, le même objet qui était perçu comme “ historique ” est vu désormais comme “ pré-historique ”. 2) Boucher de Perthes a mis en œuvre les éléments d’une méthode pour prouver l’existence de l’homme antédiluvien. Vivian de Buffrénil a précisé ce point dans son mémoire L’œuvre scientifique de Boucher de Perthes51. Boucher de Perthes a porté la plus grande attention aux sédiments dans lesquels ont été trouvés les ossements d’animaux disparus et les haches de pierre. Jusquelà, on collectionnait, ou on analysait ce qui était trouvé par hasard, sans rapporter l’objet à un gisement déterminé et reconnu. La certitude que ces sédiments étaient bien en place, non remaniés, lui permit d’en déduire qu’un objet lithique travaillé par l’homme et trouvé en son sein était antérieur au dépôt de ce sédiment : c’est ce qu’il a appelé, dans sa “ profession de foi ”, “ l’archéogéologie ”52. Les gisements étant “ diluviens ”, des silex taillés extraits de ces gisements étaient donc “ antédiluviens ”. La découverte d’une hache taillée antédiluvienne le 23 juillet 1844 dans des terrains diluviens au banc de l’Hôpital à Abbeville a été inaugurale pour la connaissance de l’antiquité de l’homme parce que l’idée était à l’origine des recherches. C’est à par51. Vivian de Buffrénil, mémoire sous la direction de Jacques Roger, Université de Paris I, UER d’Histoire, 1973. 52. J. Boucher de Perthes, Antiquités celtiques et antédiluviennes, t. I, ch. III, op. cit., 33-34.

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tir de cette découverte que Boucher de Perthes entreprit la constitution de la première collection d’objets paléolithiques. 4) Ambiances. Dans l’introduction du Cercle d’Abbeville, l’auteur écrit que dans l’histoire des sciences, “ il y a des rapports complexes de personnes et d’idées ”. Les personnages se font les messagers des idées, leurs porte-parole. Ils sont en relation avec d’autres, ils constituent des groupes, ils dépendent les uns des autres. Le but est le même dans Soulavie et son secret : “ restituer l’ambiance particulièrement dramatique où l’ouvrage a été élaboré ”53 et dans le présent ouvrage “ Les circonstances m’ont permis de placer Boucher de Perthes dans une lignée et j’ai fait ce que j’ai pu pour remettre ces gens-là dans une ambiance ”. “ Les ambiances ” précisent la “ fécondation collective ” en la complétant : les ambiances s’opposent à la création et elles la rendent possible, elles rendent certaines idées impensables et permettent à d’autres idées, en fermentation, d’éclore : “ Je ne suis pas de ceux qui pensent que la violence ne peut rien contre l’esprit. Les ambiances pèsent sur la pensée si elles ne la déterminent pas toute entière et les insoumis sont ceux qui obéissent à une ambiance particulière à la faveur des contradictions sociales ”54. Précisons dans un premier temps comment l’auteur a “ placé Boucher de Perthes dans une lignée ”, comment une ambiance permet à certaines idées d’éclore. Comment Boucher de Perthes en est-il venu à s’intéresser à l’ancienneté de l’homme ? Le 23 juillet 1844, lors de la découverte qu’il fit d’une hache taillée dans une couche dite “ diluvienne ”, au banc de l’Hôpital à Abbeville, il avait presque 56 ans. Il n’est pas question d’archéologie dans ses publications avant la publication du premier tome des Antiquités celtiques et antédiluviennes. Jusque-là, sa vie semblait tournée vers tout autre chose : les douanes, les lettres, les romances, l’économie politique, la métaphysique. Il rêvait de fonder une religion nouvelle, d’entrer à l’Académie, d’aller vivre à Paris et d’y faire jouer l’une de ses pièces de théâtre. Comment, sans être ni archéologue, ni géologue, a-t-il pu inaugurer une histoire géologique de l’homme ? Comment le douanier dramaturge a-t-il pu devenir l’un des inventeurs de la préhistoire ? Voyons d’abord ce que Boucher de Perthes a écrit lui-même sur sa manière d’apprendre. À ses dires, il a toujours été incapable de s’astreindre à écouter longtemps, il n’a jamais pu entendre d’un bout à l’autre ni un sermon, ni une lecture, ni une démonstration quelconque55. Voici comment il dit avoir rédigé 53. L. Aufrère, Boucher de Perthes, op. cit., 15-16. 54. L. Aufrère, Boucher de Perthes, op. cit., 128. 55. Cf. J. Boucher de Perthes, Sous dix rois, t. 1, 1863-1868, 59.

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les cinq volumes de métaphysique de De la création : “ Ce qu’on va lire dans cet essai est peut-être la répétition de ce qu’on avait dit, car je suis complètement ignorant de ce qui a été publié sur cette matière ; aucun savant ne m’en a parlé et je n’ai pas lu les livres qui en traitent ”56. N’ayant pas pu suivre une classe de quatrième, il fut pris pour un âne et il se prit lui-même pour un âne toute sa vie, pour reprendre ses propres termes. Il nous faudrait donc admettre que l’un des inventeurs de la préhistoire fut un âne. Cette proposition ne peut être que partiellement vraie. Ou bien nous avons affaire apparemment à un âne particulièrement brillant, vivant parmi des érudits, un âne qui serait parvenu à donner vie à l’idée de la très haute antiquité de l’homme et à l’imposer. Une lettre du 20 avril 1846 au baron de Hammer-Purgstall montre comment cet homme apparemment superficiel gagnait en profondeur : “ Je vous dirais que depuis la dernière pluie, je me suis fait savant ; oui, je fais de la science à l’aide de celle des autres. Mon procédé le voici : j’ai remarqué que les savants aiment beaucoup les ânes ; l’amitié que vous me portez en est la preuve. Dans cette conviction, je m’adresse un peu à l’un, un peu à l’autre ; chacun m’offre une bouchée de foin, et quand j’en ai assez, j’en fais une botte et je l’envoie à l’imprimeur ”57. Ce passage donne des indications pour imaginer comment le président a écouté pendant 36 ans les communications présentées à la Société d’Émulation et les acquisitions qu’il a pu en tirer. Sa place lui donnait accès à une vaste information, il était au courant de ce qui se qui se faisait dans le monde des arts et des sciences, non seulement en France mais dans le monde, sa correspondance et ses voyages relatés entre 1853 et 1859 en témoignent. Dans Le cercle d’Abbeville, on peut suivre comment Boucher de Perthes s’est instruit à la Société d’Émulation d’Abbeville. Pendant les 36 ans où il fut son président, il s’est familiarisé avec l’archéologie, la paléontologie et la géologie de son temps et de sa région. Mais une ambiance peut également s’opposer ou résister à une “ idée novatrice ”. Comment l’histoire des sciences peut-elle être la restitution d’une violence ? De quelle violence s’agit-il ? Pour nous aujourd’hui l’idée de la contemporanéité de l’homme et des animaux d’espèces disparues semble acquise pour toujours, elle est devenue tellement familière que nous avons oublié son acquisition. L’auteur s’est proposé de “ restituer ” ce qui a disparu de notre mémoire collective. La restitution d’un environnement culturel, essentiellement différent du nôtre, étranger à nous, implique la mise en évidence de ce qui faisait obstacle à cette idée, ce qui la rendait inacceptable ou impensable, à ce moment-là. Si on suit littéralement le récit de la création dans La Genèse, comment admettre que des espèces d’animaux seraient apparues après l’apparition de l’homme ? Et si l’on croit qu’ils ont été créés les uns après les autres, les cinquième et sixième jours, comment admettre que hommes et ani56. J. Boucher de Perthes, De la création, t. 1, 1841, 1. 57. J. Boucher de Perthes, Sous dix rois, t.5, 1863-1868, 558.

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maux d’espèces disparues aient été contemporains ? Les rapports complexes de doctrines considérées comme incompatibles sont véhiculés par des personnes qui les représentent en les défendant ou en s’opposant. Si la création scientifique demande une fécondation collective, elle implique rapports de forces et conflits. Boucher de Perthes s’est fait le défenseur persévérant de l’homme antédiluvien, pendant quinze ans, de 1844 à 1859, jusqu’au deux communications à l’Académie des Sciences par Albert Gaudry les 26 septembre58 et 3 octobre 185959, où celui-ci put annoncer : “ La détermination précise du gisement des haches prouve définitivement que l’homme a été contemporain de plusieurs des grands animaux fossiles détruits de nos jours ”60. Peu après ces deux communications, des objets “ antédiluviens ”, on en trouvait partout. L’idée de la très haute antiquité de l’homme s’était imposée ou s’imposait. Boucher de Perthes serait donc celui qui a promu cette idée novatrice de très haute ancienneté de l’homme : “ après une lutte méritoire ”61, écrivait Lionel Balout. Arrêtons-nous sur cette “ lutte méritoire ”, l’expression est quasi guerrière, une idée nouvelle ne parvenant à s’imposer que dans la violence, fut-elle toute verbale. Un exemple parmi tant d’autres peut suffire pour faire apparaître l’hostilité née du refus d’admettre l’homme antédiluvien, hostilité que Boucher de Perthes ne rencontra pas systématiquement mais fréquemment, et à laquelle il réagit ici par l’humour. Il date de 1860, au congrès de Dunkerque. Boucher de Perthes tentait de convaincre son auditoire de l’existence de l’homme antédiluvien. Il fit circuler deux haches “ diluviennes ”. Dans un premier temps il cru avoir réussi. Lui succéda une épreuve redoutable : “ Un grognement sourd, mêlé de rires étouffés et quelques haussements d’épaules, m’annonça la fin de mon triomphe ”62. À la sortie, il entendit des propos qui se voulaient de bon sens, mais qui n’en étaient pas moins cinglants, tels celui-ci : “ Toujours ces questions font un grand mal, s’écriait un orateur ; elles détournent de l’étude des choses sérieuses. En admettant même que ces silex soient travaillés, à quoi voulez-vous qu’ils servent ? Irez-vous prendre ces haches-là pour fendre votre bois ? Ma cuisinière n’en voudrait pas même pour hacher ses épinards. En vérité on nous prend pour des enfants ! ”63. Boucher de Perthes commente : “ Un quart de siècle de combats et de désappointements m’avait accoutumé à ces revers de fortune : aussi je m’en consolais vite ”. Cette histoire est exem58. Cf. A. Gaudry, “ Os de cheval et de bœuf appartenant à des espèces perdues trouvées dans la même couche de diluvium d'où l'on a tiré des haches en pierre ; Extrait d'une lettre de M. A. Gaudry à M. Flourens ”, C. R. Acad. Sci., t. 49, séance du 26 septembre 1859, 453-454. 59. Cf. A. Gaudry, “ Sur les résultats des fouilles géologiques entreprises aux environs d'Amiens ”, C. R. Acad. Sci., t. 49, séance du 3 octobre 1859, 465-467. 60. A. Gaudry, C. R. Acad. Sci., t. 49, séance du 26 septembre 1859, 454. 61. L. Balout, La préhistoire française, 1976. 62. J. Boucher de Perthes, Voyage en Angleterre, Irlande et Écosse en 1860, 1868, 17. 63. J. Boucher de Perthes, Ibid.

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plaire, elle en dit long sur les résistances que Boucher de Perthes a rencontré en lui-même, elle en dit long sur la série de “ combats et de désappointements ” que fut sa vie, elle en dit long sur sa ténacité, sur la foi qui déplace les montagnes, elle en dit long sur les résistances dans le public à l’homme antédiluvien, voire sur les difficultés rencontrées encore aujourd’hui pour concevoir et concevoir avec précision la très haute antiquité de l’homme. Il s’agit bien d’une “ lutte méritoire ” ou de quelque chose comme un drame. La formulation suivante de Buteux semble en regard assez éclairante : “ Les Antiquités celtiques et antédiluviennes qui a changé les idées sur l’histoire de l’homme par la révélation de son antiquité, eut un immense retentissement ”64. Le terme de “ retentissement ” révèle les affects liés au refus et à l’acceptation par le public et par l’Académie de l’idée de la très haute antiquité de l’homme. Précisions Dans Boucher de Perthes l’auteur n’avait consacré que quelques lignes ou quelques pages aux personnages du Cercle d’Abbeville : à Jules-ArmandGuillaume Boucher, Emmanuel Baillon, Laurent Traullé et Casimir Picard. Ici, chacun d’eux est l’objet d’un chapitre. Le premier chapitre du Cercle d’Abbeville est consacré à Jules-ArmandGuillaume Boucher, le père de Jacques Boucher de Perthes. Il reproduit un manuscrit isolé qui éclaire non seulement le contexte culturel des chapitres suivants, mais aussi les intérêts, les activités et les œuvres de Jacques Boucher de Perthes. Je l’ai inséré dans ce volume en le mettant à part, en première partie. Le second chapitre reproduit 3 manuscrits. J’ai appelé le premier “ La question de la préhistoire ”. L’auteur a réuni des éléments pour préciser le créationnisme et l’actualisme de Traullé et de Picard. Les deux autres manuscrits sont centrés sur deux personnages, Emmanuel Baillon et Laurent Traullé. Le troisième chapitre approfondit les travaux de Casimir Picard. Les sous-titres. L’auteur avait ébauché des bribes de plan, les textes auxquels il s’est référé m’ont suggéré les sous-titres manquants. Orthographe, textes en latin. L’auteur reproduisait ne varietur les textes dont il proposait une lecture. Dans Le cercle d’Abbeville, bien que l’orthographe et la ponctuation de Traullé rendent parfois difficile la compréhension des passages cités, l’auteur n’y a rien modifié. Pour les mêmes raisons il n’a pas traduit en français les textes étrangers, accordant à la traduction le statut fugace du commentaire. Un passage du Specimen de Blumenbach est en latin. Je propose cependant, à côté du texte, une traduction que je sais destinée à devenir désuète. Je me suis aidée de deux traductions aimablement réalisées l’une par M. Michel Perrin, l’autre par Mme Geneviève Bouillet. 64. Buteux, Mémoires de la Société linnéenne du Nord de la France, 1868, 217.

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Notes. Quelques notes sont de l’auteur. Je les ai distinguées des miennes en les faisant suivre des initiales : L. A. Illustrations. Il s’agissait de rendre une présence à ces chercheurs en joignant la reproduction de leurs portraits ou de leurs bustes, animant ainsi la Société d’Émulation d’Abbeville. Manque Casimir Picard, pour lequel je regrette vivement de n’avoir rien trouvé, lui qui occupe une place importante dans ce récit. En ce qui concerne Boucher (de Crèvecœur), le père de Boucher de Perthes, sa demeure est représentative de l’univers de collectionneurs de la fin du XVIIIe siècle et de la première moitié du XIXe siècle, dans lequel a vécu son fils. Voici ce qu’a écrit Léon Aufrère sur une feuille retrouvée dans un tiroir du musée de l’Homme : “ Fils d’un savant naturaliste et d’un amateur d’art, Boucher de Perthes passa les premières années de sa vie parmi les collections accumulées dans la maison paternelle qui devait devenir le musée Boucher de Perthes, après qu’il y eut ajouté les silex avec lesquels il avait fondé la préhistoire ”. J’ai aussi cherché à montrer les premiers ossements fossiles et les premiers produits de l’industrie humaine découverts dans la vallée de la Somme par les reproductions dont nous disposons. Pour que puissent se superposer sur eux deux regards : celui des membres de la Société d’Émulation d’Abbeville dans la première moitié du XIXe siècle qui les voyaient en tant qu’objets historiques, et le nôtre qui les perçoit en tant qu’objets préhistoriques. Annexes. En m’aidant de notes de l’auteur, j’ai restitué, pour donner vie à ces figures, une bibliographie aussi exhaustive que possible des œuvres de Traullé et de Picard. J’indique les ouvrages que l’on pourra consulter si l’on désire connaître les bibliographies de Boucher et de Ravin. Remerciements Je remercie vivement François Ellenberger (1915-2000), professeur honoraire à l’Université Paris Sud, président-fondateur du Comité français d’Histoire de la Géologie (COFRHIGÉO), et Roger Agache, ancien directeur des Antiquités préhistoriques de Lille, pour m’avoir encouragée à publier ce manuscrit. Je tiens à exprimer ma gratitude à Jean Gaudant, maître de conférences à l’Université Paris 7-Denis Diderot, secrétaire du COFRHIGÉO, pour son dévouement, pour ses multiples conseils, et pour avoir accepté de relire et de corriger le manuscrit. Je tiens également à exprimer ma gratitude à Philippe Taquet, professeur au Muséum national d’Histoire naturelle, membre de l’Institut, pour avoir rédigé la préface. Je remercie pour ses conseils Dominique Lecourt, professeur à l’Université Paris 7- Denis Diderot, président de l’Association Diderot.

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Je remercie vivement pour son soutien et sa constance, François Delaporte, responsable du Centre d’épistémologie, histoire des sciences biologiques et médicales, de l’Université de Picardie-Jules Verne. Je remercie vivement le professeur Robert Halleux pour sa compréhension. Je remercie pour leur accueil et pour leur aide à Abbeville, Pantxika de Paepe, conservateur du musée Boucher-de-Perthes, Prisca Hazebrouck, conservateur de la bibliothèque municipale, Sylvie Gilliard et Marie-Noëlle Hue, ainsi que Micheline Sgard, secrétaire de la Société d’Émulation. Je remercie Mademoiselle Wadier pour avoir relu et corrigé le manuscrit. Enfin je remercie tous ceux qui m’ont soutenue d’une manière ou d’une autre dans cette entreprise assez imprévisible. Marie-Françoise Aufrère

INTRODUCTION1

En 1940, j’ai donné, sous le titre de Figures de Préhistoriens, I, Boucher de Perthes, l’histoire de la vie et de l’œuvre de celui que l’on s’accorde à considérer comme le fondateur de la préhistoire. Le titre de la série avait été proposé par Raymond Lantier2 et la couverture du fascicule annonçait un second mémoire Figures de Préhistoriens II, Le groupe d’Abbeville (avant Boucher de Perthes)3. Les événements sont venus contrarier nos projets. J’avais entrepris un travail d’historien en reclassant les collections de nos musées4. En mai 1940 le musée Boucher-de-Perthes était incendié avec les collections préhistoriques et les manuscrits qu’il contenait. Les archives de la Société d’Émulation d’Abbeville ont subi le même sort. La continuation de notre entreprise semblait alors bien difficile. Les années ont passé. Les maisons se rebâtissent et l’Administration municipale n’a pas voulu que la renaissance spirituelle de la cité attendît que la reconstruction fût terminée. Le nouveau musée s’achève5 près des ruines de l’ancien. On lui a conservé son nom et l’on tient à ce qu’il soit réellement un musée Boucher-de-Perthes, c’est-à-dire qu’il évoque avec dignité les origines de la préhistoire. La chose est devenue possible avec le concours de l’Administration du Musée des Antiquités nationales et de l’Administration du Muséum national d’Histoire naturelle. Avec MM. Lantier et Arambourg6, nous avons recherché les pièces qui avaient été envoyées à ces établissements par nos compatriotes7 et qui pouvaient quitter leurs vitrines sans affaiblir leurs collections. Le prêt de ces pièces a été autorisé par un arrêté de M. le Ministre de l’Éducation nationale et par une décision du Conseil des Professeurs du

1. Nous rappelons que la rédaction de cet ouvrage remonte à l’époque où l’auteur était directeur des Antiquités préhistoriques de la circonscription de Lille, entre 1946 et 1963. 2. Raymond Lantier était alors le conservateur du musée des Antiquités nationales à Saint-Germain-en-Laye. 3. C’est ce mémoire que nous publions aujourd’hui, sous le titre Le Cercle d’Abbeville. 4. Entre 1930 et 1940, au musée Boucher-de-Perthes et au musée du Ponthieu à Abbeville. 5. Le nouveau musée Boucher-de-Perthes à Abbeville, inauguré le 11 juillet 1954. 6. Camille Arambourg, alors directeur du laboratoire de paléontologie du Muséum national d’Histoire naturelle. 7. L’auteur se situe dans l’histoire locale, “ nos compatriotes ” désigne les Abbevillois.

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Muséum. D’Ault du Mesnil avait réparti entre les deux musées les objets recueillis par nos Abbevillois. Il avait mis les objets de pierre, de corne et d’os au musée Boucher-de-Perthes où je les avais identifiés. Nous avions pu retrouver les objets recueillis dans les tourbes et dans les croupes par les premiers chercheurs. Il faudra s’en passer. Par contre, nous avons retrouvé les poteries, des bronzes préhistoriques et protohistoriques, et des objets en fer qui ont échappé au désastre parce qu’ils étaient conservés au musée du Ponthieu à Abbeville. Nous pouvons présenter aujourd’hui des vitrines avec les trouvailles de Laurent Traullé, François Baillon et Hecquet d’Orval. Le nouveau musée pourra ainsi être le Musée des origines de la Préhistoire avec des pièces recueillies par Boucher de Perthes, par ses précurseurs et par ses continuateurs. C’était d’ailleurs à peu près la pensée de Boucher de Perthes lui-même. Il avait en effet gardé à Abbeville à peu près tout ce qui lui avait permis d’écrire son Industrie primitive, c’est-à-dire le premier volume des Antiquités celtiques et antédiluviennes et c’est en examinant ces pièces que j’ai été amené à refaire cette histoire. J’ai composé mon premier mémoire exclusivement avec ces pièces et ces documents qui étaient restés à Abbeville. J’avais d’autre part copié un certain nombre de textes qui ont été détruits par la suite. Ceux qui étaient à la bibliothèque municipale ont échappé au désastre. On peut se remettre à l’histoire comme à la muséographie que les événements semblaient avoir condamnée. Dans ce que Boucher de Perthes avait gardé, il y avait du bon et du mauvais, du vrai et du faux. Du temps de d’Ault du Mesnil, ce mélange donna lieu à des appréciations parfois disgracieuses. Cartailhac se montra sévère8. On divisa la collection en trois parties. On mit au salon un premier choix qui fut présenté suivant la classification que d’Ault du Mesnil avait établie avec G. de Mortillet pour les industries de la vallée de la Somme. Dans la petite galerie que Boucher de Perthes avait fait construire pour mettre ses trouvailles et que j’ai appelée “ la galerie du saint des saints de la Préhistoire ”, on respecta l’édifice des pierres-figures antédiluviennes, et on laissa de côté des vitrines où se trouvaient les pièces d’origine étrangère et un deuxième choix, celles qui provenaient de la vallée de la Somme et qui n’avaient pas eu les honneurs du salon. Enfin, on mit dans les greniers, bien et dûment étiquetés par Boucher de Perthes, les objets les moins spectaculaires, les faux de toute nature et de toute provenance avec l’industrie néolithique non polie de la Portelette qu’il avait fait passer presque en totalité dans les pierres-figures celtiques. On ne voyait guère que la collection du salon, c’est-à-dire une exposition d’Ault du Mesnil – de Mortillet qui devait n’avoir que la valeur d’une étape dans l’histoire de la

8. “ Quel singulier mélange de divagations et de vérités ! […] C’est merveille que les égarements de sa raison n’aient pas discrédité ses idées justes et ses observations fécondes ” écrivait Cartailhac à propos des Antiquités celtiques et antédiluviennes. La France préhistorique d’après les sépultures et les monuments, Paris, Alcan, 1889, 19.

INTRODUCTION

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stratigraphie de notre vallée et que le déménagement de 1918 avait malencontreusement et irrémédiablement embrouillée. Devant cette situation, le Conservateur M. Richard et moi-même, nous avons pensé pouvoir revenir à une présentation historique. Je me suis chargé de cette restitution en l’éclairant. C’est de là qu’est sorti mon mémoire de 1940. Aujourd’hui9, les circonstances nous conduisent à une nouvelle tentative de restitution et à la rédaction de ce fascicule. Avec les pièces du Musée des Antiquités nationales et celles du Muséum, nous pouvons largement donner une présentation des trouvailles de Boucher de Perthes et de ceux qui sont venus avant lui, et apporter pour la vallée de la Somme un complément historique aux vitrines que les Antiquités nationales ont consacrées au paléolithique inférieur. J’avais, avant 1940, copié des textes qui peuvent être utilisés aujourd’hui comme des originaux. C’est de cette nouvelle tentative de restitution et en somme d’une troisième présentation historique qu’est sorti ce second mémoire. Le premier est épuisé. Cette circonstance semble avoir justifié notre entreprise, tant au point de vue historique que muséographique. Ce fascicule diffère sensiblement de celui qui le précède. D’abord, moimême, j’ai quinze ans de plus qu’en 1940 et, sans sortir de l’histoire de la préhistoire, on ne s’étonnera pas que je m’étende largement sur les ambiances explicatives, qu’une entreprise étendue sur l’histoire des Sciences de la Terre me permet aujourd’hui d’invoquer10. D’autre part, le sujet est lui-même différent. Il s’agit ici surtout de personnages qui étaient pratiquement inconnus il y a vingt-cinq ans11 et d’événements non sans importance mais sans éclat et dont le récit serait languissant et terne si on ne leur rendait leur vie effective. Dans l’histoire des sciences comme dans toute autre histoire, l’histoire locale et particulière tient à l’histoire générale et l’histoire de ce qui se passe à Abbeville tient par tant de rapports avec ce qui se passe ailleurs, qu’il est impossible de la suivre en dehors de l’histoire générale de la paléontologie et de l’archéologie des dépôts les plus récents de notre sol. Or cette histoire n’était pas faite. J’ai essayé de la faire. Pour donner aux recherches qui se font à Abbeville toute leur signification, j’ai mené ce récit sur deux plans, un plan local et un plan plus étendu, dont le centre est Paris, à l’Institut et au Muséum. Entre ces deux plans il y a des rapports complexes de personnes et d’idées, où l’influence des idées se sépare parfois de l’influence des individus. J’ai dû suivre Traullé derrière Pallas sur les bords du Villioui, comme j’ai suivi Picard sur les traces de Marcel de Serres dans le compromis que celui-ci demandait aux cavernes du Midi de la France. J’ai dû surtout suivre nos chercheurs derrière

9. En 1954, pour l’inauguration du nouveau musée Boucher-de-Perthes. 10. L. Aufrère, De Thalès à Davis, Le Relief et la Sculpture de la Terre, (Auteurs, Textes, Doctrines, Ambiances), Tome IV, La fin du XVIIIe siècle. Soulavie et son secret. Un conflit entre l’actualisme et le créationnisme, Le temps géomorphologique, Paris, Hermann, 1952. 11. “ Il y a 25 ans ” : c’est-à-dire vers 1930.

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leurs guides dans les idéologies en opposition, même quand nos Abbevillois ne s’y intéressent pas. Car c’est entre le catastrophisme et l’actualisme, c’est entre ces deux termes que se placent les origines de la préhistoire. Mais nos Abbevillois ne pensent pas de la même manière qu’eux. Ils sont sur leur terrain et sur le terrain. Les voyages sont longs. Si les provinciaux vont quelquefois à Paris, les Parisiens ne vont guère en province. Les contacts ne sont pas en ce temps-là ce qu’ils sont aujourd’hui. Les doctrines sont à Abbeville, un peu lointaines, moins autoritaires, moins obéies et moins respectées qu’à Paris. On en fabrique quelquefois comme des fantaisies sans portée et sans écho. Avant tout, c’est le terrain qui s’impose. Les doctrines y sont éprouvées par l’expérience courante. Par la force des choses les esprits vont aux réalités. Si, dans la faune des tourbières, Cuvier voit, en professeur, des espèces actuelles qui trouvent leur place dans une systématique ou dans un système, Traullé y voit, en amateur, un ensemble réel, concret, qui se complète peu à peu avec les trouvailles et qui n’est absolument pas semblable à celui qui existe aujourd’hui. Ce ne sont pas davantage les dépouilles d’un chasseur de son temps que son équipement qu’il voit dans sa galerie. Pour lui, c’est une faune ou un gibier périmé comme les armes ou les industries qui lui sont associées. Picard verra les choses comme Traullé. Boucher de Perthes les verra comme eux. Il fera comme eux, par les mêmes voies, par les mêmes moyens. Il ira dans les mêmes tourbières, dans les mêmes sablières. Du premier au dernier, c’est la même continuité, le même mouvement, le même comportement. C’est la même ligne. Chacun d’eux la reprendra au point où le précédent l’avait laissée. Il n’y a pas de coupure en histoire ; il n’y a que des hommes qui meurent. Il n’y a pas de période creuse. Je pense pouvoir montrer l’importance de celle dont je vais m’occuper dans ce mémoire. Elle est plus importante que je ne le croyais tout d’abord. Je crois aussi pouvoir mieux expliquer celle qui la suit. Je tiens à remercier MM. Lantier et Arambourg de l’accueil qu’ils ont réservé à mon entreprise et de l’aide bienveillante qu’ils ont bien voulu m’apporter.

CHAPITRE I COLLECTIONNER

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Fig. 3. Boucher de Crèvecoeur en 1786

I. JULES-ARMAND-GUILLAUME LE PÈRE DE

BOUCHER (DE CRÈVECŒUR),

BOUCHER DE PERTHES1, (1757-1844)

C’est une de ces figures qui inspirent à leur époque une certaine considération, mais qui ont de la peine à entrer dans l’histoire. Il faut une circonstance exceptionnelle qui s’oppose à leur oubli. Cela s’est produit pour notre personnage : il est le père de Boucher de Perthes. La Muse de l’histoire est bienveillante pour ceux qui s’occupent d’elle. Ce n’était guère le cas de Jules-Armand-Guillaume Boucher. Ce riche amateur de belles choses a bien laissé quelques écrits dispersés dans les périodiques de son temps. Il en a laissé davantage encore dans ses tiroirs. Il a surtout joui de ses collections et de ses livres. Son cabinet eût été dispersé que son souvenir se serait perdu avec sa génération. Mais il est devenu le musée Boucher-de-Perthes et c’est de là qu’est sortie la préhistoire. Or, étant donné Boucher de Perthes, elle ne pouvait sortir que de là. Il n’aurait certainement jamais songé à “ l’homme antédiluvien ” s’il n’avait passé la plus grande partie de sa vie dans le cabinet de son père qui était pour lui “ le sanctuaire de la science et de l’art ”, et pour nous la biographie de Jules-Armand-Guillaume Boucher est surtout une introduction à la biographie de Boucher de Perthes. De ce cabinet, il reste aujourd’hui fort peu de choses. L’immeuble a été détruit en 1940, les collections brûlées, et quelques pièces mises en sécurité pour elles-mêmes ne sauraient nous donner une idée de l’ensemble dont elles faisaient partie. On a publié quelques descriptions incomplètes sans se préoccuper des apports du fils et de ceux du père. Les deux collections n’étaient pas identiques. Avec Boucher de Perthes, il y eut des augmentations et des diminutions. Familier avec cette maison, je puis, avec quelques documents aimablement communiqués par Mlle Berthe Boucher de Crèvecœur2 utiliser mes souvenirs et mes recherches antérieures pour reconstituer “ le sanctuaire de la

1. Boucher de Crèvecœur, père de Jacques Boucher de Perthes, a abandonné le titre “ de Crèvecœur ” en 1792 et ne l’a repris qu’en 1835 : “ mon père […] cachait avec un soin extrême sa qualité de noble […], ne signant et ne se faisant jamais appeler que du nom de Boucher ” (J. Boucher de Perthes, Sous dix Rois, Paris, Jung-Treuttel, 8 vol., t. I, 1863, 68). L’auteur l’appelle “ Boucher ” et rarement “ Boucher de Crèvecœur ” pour le distinguer de son fils Jacques “ Boucher de Perthes ”. 2. Petite-nièce de Boucher de Perthes, petite-fille de son frère Etienne.

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science et de l’art ” et dégager la personnalité de celui qui l’avait organisé en même temps que l’ambiance où vécut le fondateur de la Préhistoire. Généalogie des Boucher La généalogie des Boucher est intéressante. On la trouve dans le Nobiliaire de Champagne de Caumartin3, dans les Archives généalogiques et historiques de la Noblesse de France de Laîné4, dans le Panthéon biographique universel5 et dans l’Annuaire historique, généalogique et héraldique de la Noblesse de France de Saint-Allais6. Un acte de notoriété du 22 octobre 1659 constate “ la perte des titres primordiaux de cette famille dans les guerres dont la Champagne fut le théâtre et particu1ièrement lors de l’invasion du Rethelois par les Espagnols ” en 1649, de sorte que “ la filiation ne peut être établie d’une manière suivie qu’à partir du commencement du XVIe siècle ”. C’est plus qu’il nous en faut pour cette notice. Voici cette filiation : 1° Jean Boucher, écuyer ; 2° Colin Boucher, seigneur de l’Eschelle, né vers 1450 ; 3° Guiot Boucher ; 4° Jean Boucher, seigneur de Crèvecœur et de Sorbon, receveur des aides et tailles en l’élection de Rethelois, né à Crèvecœur près Rethel en 1533 marié à Anne Watelet puis à Marguerite Simonnet ; 5° Philippe Boucher, seigneur de Crèvecœur, de Perthes et autres lieux, né de Marguerite Simonnet à Rethel vers 1571, mort vers 1640 ; 6° Innocent Boucher, seigneur de Perthes, etc., né le 27 décembre 1600 ; 7° Ponce Boucher, seigneur de Sorbon et de Cuény, né à Rethel le 7 juillet 1625, mort en laissant à ses enfants une fortune “ très considérable ” ; 8° Rémi-Louis Boucher, conseiller du Roi, gouverneur de Rethel, grand prévôt de la maréchaussée, né à Rethel le 24 juin 1677, mort en 1721. Il épousa, lui aussi, une Watelet, Jeanne-Catherine, dont le père était receveur des deniers patrimoniaux de la ville de Rethel ;

3. Cf. L.-F. Le Fève de Caumartin, Nobiliaire de Champagne, Paris, Didot, 1868, xxxii, 128. 4. Cf. P.-L. Laîné, Archives généalogiques et historique de la Noblesse de France ou Recueil de preuves, mémoires et notices générales servant à constater la filiation, l’origine, les alliances et les illustrations religieuses, civiles et militaires des diverses maisons et familles nobles du royaume, Paris, Béthune, 11 vol., t. III, 1828-1850, 4. 5. Cf. N. Viton de Saint-Allais, Nobiliaire universel de France ou Recueil général des généalogies historiques des maisons nobles de ce royaume par M. de la Chabeaussière, Paris, au Nobiliaire universel de France, 21 vol., 1814-1843. 6. Cf. N. Viton de Saint-Allais, Annuaire historique, généalogique et héraldique de la Noblesse de France, 2 vol., Paris, 1835.

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9° Pierre-Joseph Boucher, seigneur de Sorbon et de Monflambert, contrôleur général au département de Chalon-sur-Saône, né le 14 novembre 1713, mort le 25 août 1757. Il fut élevé sous la tutelle de son oncle Nicolas-Robert Watelet. Il épousa sa cousine germaine, Madeleine-Henriette Roze, fille de Jean-Louis Roze, avocat au Parlement et receveur des fermes à Paray-leMonial, et de Marie-Anne Watelet. Claude-Henri Watelet était le cousin-germain de l’un et de l’autre, et le grand homme de la famille ; 10° Jules-Armand-Guillaume Boucher qui fait l’objet de cette notice. Tous ces gens-là sont des Champenois et Boucher de Perthes et son père ne sont picards que d’adoption. Leur ascendance appartient à la classe des officiers du Roi et, surtout vers la fin, à la catégorie des financiers. Cela nous explique la fortune assez considérable de la famille. Il n’est pas indifférent de trouver, dans la parenté, Claude-Henri Watelet. Entre Watelet, Boucher de Crèvecœur et Boucher de Perthes, il y a une filiation spirituelle et, plus ou moins, ces trois hommes appartiennent au XVIIIe siècle. Cela est surtout vrai de Claude-Henri Watelet. Il naquit à Paris en 1718. Il était fils d’un receveur général des finances. Il visita l’Allemagne et l’Italie. Il fréquenta l’Ecole de Rome. A vingt-deux ans, il hérita de l’office de son père. Les grands salons lui étaient ouverts. Il se créa ainsi de nombreuses relations dans le monde des Philosophes. Il fit des chansons, des fables, des opéras, des comédies. Il a condamné une partie de ses ouvrages en brûlant les manuscrits. En gravure, il voulut imiter Rembrandt et ses essais ne paraissent pas dépasser le niveau moyen du pastiche. Il voulut aussi être le Boileau de la peinture, et il fit, comme pendant à l’Art poétique, un Art de peindre (1760) en vers, illustré par l’auteur. Le poème a été jugé par la critique littéraire et les illustrations par la critique d’art, avec une égale sévérité, mais il est suivi de considérations en prose qui furent appréciées par certains. Watelet écrivit aussi un roman, Silvie (1743) Il commença un Dictionnaire des Arts de peinture, gravure et sculpture qui fut terminé par Levesque. Il était membre de l’Académie française et associé de l’Académie de peinture. Les financiers n’avaient pas les charges des grands, et il leur arrivait parfois de vivre mieux qu’eux. Watelet en parle avec une certaine liberté, en homme qui n’a pas à envier leur sort. Il alla revoir l’Italie où il avait passé une partie de sa jeunesse et fait son éducation d’artiste. Il fit ce pélerinage esthétique et sentimental avec une disciple, Madame Lecomte. Il passait pour l’un des hommes qui avait le mieux su organiser sa vie pour être heureux, en un siècle qui connut la “ douceur de vivre ”. Il avait arrangé sa campagne du Moulin-Joli suivant le genre libre qu’on appelait le jardin anglais et qu’il contribua à répandre dans notre pays par l’exemple et par son Essai sur les Jardins (1764). Le Moulin-Joli était le Sanctuaire des Beaux-Arts. Il s’y installait avec Madame Lecomte et il y recevait une société choisie d’artistes, de littérateurs et de savants. M. Lecomte vint rejoindre le faux-ménage et tout y fut pour le mieux dans le meilleur des mondes jusqu’à ce que Watelet perdît une grande partie

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de sa fortune. Il le fit avec sérénité et mourut le 12 janvier 1786 en laissant ce qui en restait à Madame Lecomte. Le contenu de cette vie présente certainement beaucoup de différences avec ce qu’on trouve dans celle de Boucher de Crèvecœur et dans celle de Boucher de Perthes, mais il y a aussi assez de ressemblances pour qu’on puisse supposer l’influence du premier sur le second comme le second en eut sur le troisième, sans pour cela supprimer ou même réduire l’importance de la personnalité et l’influence du siècle qui marche et qui entre dans celui qui suit. 1777. Contrôleur général à Chalon puis à Cette7 Jules-Armand-Guillaume Boucher naquit à Paray-le-Monial le 26 juillet 1757. Ces noms étaient les seuls qui fussent indiqués sur l’acte de naissance. Crèvecœur fut ajouté en 1835. L’enfant perdit son père un mois après sa naissance. Il fut placé sous la tutelle de sa mère qui se retira à Rethel. Il fit ses études au collège de Juilly et à l’Université de Reims. Le 17 décembre 1777, Jules-Armand-Guillaume Boucher fut nommé contrôleur général surnuméraire au département de Chalon, un peu plus tard, contrôleur général au département de Cette. C’est là, semble-t-il, qu’il se mit à la gravure à l’eau forte, qui fut sa grande préoccupation entre les années 1785 et 1793. J’ai retrouvé dans un coffre, au musée Boucher-de-Perthes, deux cartons contenant l’un, l’œuvre gravé de Watelet, l’autre l’œuvre de J.-A.-G. Boucher. Les gravures avaient été rognées pour être assemblées sur des feuilles d’un format uniforme. Cette association n’était pas le fait du hasard. C’était évidemment J.-A.-G. Boucher qui avait pris ces dispositions en réunissant ses gravures à celle de son parent dont il avait au moins suivi l’exemple. Les deux collections ont été brûlées. Mais je possède une vingtaine d’épreuves qui me viennent de Mlle Boucher de Crèvecœur et qui permettent de se faire une idée de l’ensemble. Il débutait dans les pays du soleil comme Watelet dans cette Italie où il était devenu un artiste. Mais le siècle avait marché. Les lettres, les arts et même les sciences prenaient alors un bain de nature. Le Moulin-Joli restait une composition d’art. Ce qu’on recherchait alors, ce n’était plus l’innocente beauté des jardins et du jour, mais la vraie nature souriante ou sauvage, rude et sombre, pour l’étudier ou la peindre. Je ne connais de lui qu’une pastorale et qu’une escarpolette. Tout le reste se rapporte à l’école moderne où le paysage observé remplace le paysage composé et conventionnel des époques antérieures. J.-A.-G. Boucher est un paysagiste, mais sur les bords ensoleillés de la Méditerranée, il retrouvait de fortes

7. Orthographe ancienne de Sète (Hérault).

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oppositions d’ombres et de lumières qu’il pouvait traiter en rymbranesques8, comme les pastiches de Watelet. C’est bien ce qu’on observe dans trois gravures qu’il exécuta pendant son séjour à Cette et qui portent les légendes suivantes : - J.-A.-G. Bouchier inv. & fecit 1785. Vue des environs de Cette. - J.-A.-G. Bouchier fecit 1785. - J.-A.-G. Bouchier sc. 1785. Aqueduc près de Frescati. J. Asselyn in. On voit, d’après ces légendes, que la première a été dessinée et gravée par Boucher tandis que pour les deux suivantes, il a utilisé le dessin d’un autre. Il n’a pas dû s’en tenir à ses essais de gravure. A peine arrivé à Abbeville, Boucher était déjà un botaniste assez exercé pour publier des notes dans les périodiques scientifiques de son temps. Il a dû commencer ou continuer son éducation de naturaliste dans un monde qui devait piquer sa curiosité parce qu’il était nouveau pour lui qui ne connaissait ni la Méditerranée ni la mer et il dut rapporter de ce séjour des plantes et des coquilles. 1787. Son mariage. Naissance de ses enfants. Contrôleur général à Soissons En 1787, il épousa Etienne-Jean-Marie de Perthes. C’était la fille de JeanCharles de Perthes, avocat au barreau des finances de Soissons. L’aïeul et le bisaïeul, du côté paternel, avaient été successivement procureurs au siège royal et présidial de Reims. Sa mère était Marie-Elisabeth-Victoire Delahante. Sur ces Delahante, il y a presque une littérature9. C’est une famille de financiers dont le dernier fut le banquier de Louis-Philippe. Quand J.-A.-G. Boucher épousa Etienne-Jean-Marie de Perthes, ce furent deux familles de financiers qui s’unirent et ce n’était sans doute pas la première fois. Il est curieux de voir un ancêtre de Boucher qui ait été seigneur de Perthes. Dans les papiers de Mlle Boucher de Crèvecœur il est question d’une dame Boucher, épouse d’un sieur de Perthes. Les Boucher se mariaient avec les de Perthes comme avec les Watelet. C’était toujours dans les offices et la finance. Le mariage eut lieu à Paris. J.-A.-G. Boucher se trouvait alors à la tête d’une fortune assez considérable. Nous ne savons pas ce qu’elle était avant son mariage et nous ne pouvons l’évaluer qu’avec celle de Boucher de Perthes. Celui-ci aurait eu sous la Restauration, environ quarante mille francs de rente. Comme il restait alors cinq enfants, cela représente environ deux cents mille francs de revenu annuel. Si

8. À la manière de Rembrandt. 9. Cf. A. Delahante, Une famille de finance au XVIIIe siècle, mémoires, correspondances et papiers de famille réunis et mis en ordre, 2 vol., Paris, J. Hetzel, 1881.

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l’on tient compte des donations que Boucher de Perthes fit avant sa mort, la masse active de sa succession dépassait le million et l’on arrive au moins à six millions pour la fortune du père et de la mère. Il faut ajouter que sa charge lui apportait un appoint qui n’était pas négligeable et J.-A.-G. Boucher pouvait satisfaire ses goûts de collectionneur et d’amateur d’art. Après son mariage, nous le trouvons contrôleur général à Soissons. Ses préoccupations dépassaient les exigences de sa charge. Comme beaucoup d’autres à cette époque-là, il s’intéressait à la réorganisation des finances de l’Etat. Il composa, avant la Révolution, à Soissons ou à Cette, un long mémoire sur la ferme des tabacs que j’ai retrouvé au musée Boucher-de-Perthes, avec un volumineux dossier composé surtout de pièces officielles imprimées. Ce travail n’a pas été publié et il a partagé le sort de tout ce qui se trouvait au musée au mois de mai 1940, de sorte que nous ne connaîtrons peut-être jamais ses idées en matière financière. Ces graves occupations ne l’empêchaient pas de faire de la gravure. Voici une série de légendes prises sur quelques épreuves qui remontent à cette époque-là : - J.-A.-G. Boucher sc. 1788. J. Pillement inv. - Vue des environs de Lodève 1789. J.-A.-G. Bouchier (sic) inv. scu1. - J.-A.-G. Boucher inv. sc. 1789. Ancien château des Ducs de Va1ois à Crépy, servant aujourd’huy de prison et de chambre d’audience. - J.-A.-G. Boucher inv. sc. 1789. Vue de l’église & du faubourg Sainte-Agathe à Crépy en Valois. - J.-A.-G. Boucher sc. 1789. D. Teniers inv. et dans la gravure : J.-A.-G. Boucher inv. sc. 1789 aq. forti. - J.-A.-G. Boucher inv. sc. 1789. L. Bruandet pin. 1791. - J.-A.-G. Boucher inv. sc. 1790. L. Bruandet pin. 1791. Une autre gravure reproduit une variante de l’escarpolette avec cette légende : J.-A.-G. Boucher inv. sc. 1790. Ce sont toujours des paysages et Jules-Armand-Guillaume n’a guère fait autre chose. J’ai cependant vu, dans son œuvre et dans ses calques, quelques figures. Sa femme lui avait déjà donné trois enfants, Jacques, notre Boucher de Perthes, né le 10 septembre 1788, Aglaé, née le 15 mars 1790 et Etienne, le 21 février 1791. Pour la famille, Jacques devenait Jacquot et surtout Coco. 1791, Directeur des douanes à Saint-Valéry. 1803, Achat de l’Hôtel de Chépy. Sa collection de gravures. Les graves événements qui se produisaient alors en France vinrent bouleverser la plupart des positions acquises. La corporation à laquelle appartenait

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J.-A.-G. Boucher disparut sans retour. Sa situation a sans doute subi quelques atteintes. Mais quoi qu’on en ait dit, je ne crois pas qu’il en ait beaucoup souffert et qu’il ait été inquiété pour sa personne. Au contraire, il fut compris dans la première organisation des douanes et appelé, en 1791, à l’inspection principale de Saint-Valéry, avec faculté de résider à Abbeville. Il s’installa d’abord dans une maison de la chaussée Saint-Gilles où naquit, le 21 novembre 1793, un quatrième enfant, Jules qui mourut le 28 décembre de la même année. Un autre naquit le 24 novembre 1796, auquel on donna également le nom de Jules. Boucher quitta la chaussée Saint-Gilles pour aller rue des Minimes dans l’hôtel de Chépy qui devint, par la suite, le musée Boucher-de-Perthes. Il continue à faire de la gravure. J’ai trois épreuves qui portent respectivement comme légende : - Gravé par J.-A.-B. Boucher à Abbeville 1792. Desfriches inv. - Gravé par J.-A.-G. Boucher 1792. Dessiné par Des Friches (sic). - Gravé par J.-A.-G. Boucher d’après le tableau de Sarrazin 1793.

Fig. 4. Gravure d’Abbeville en 1792 par Boucher filleul du peintre Watelet Ce sont trois paysages. Sa collection complète qui était au musée nous eût permis de mieux jalonner sa vie entre trente et quarante ans. Ces gravures sont moins intéressantes pour l’histoire de l’art que pour la biographie de l’auteur. Cet amateur est moins un artiste qu’un érudit. Il réunit plus de vingt mille gravures. Il appréciait certainement la qualité, mais il recherchait surtout, sans doute, la quantité. Ce qu’on demandait alors aux collections d’estampes, c’était moins une valeur peu encombrante et faci-

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lement réalisable qu’un matériel de travail aussi abondant et complet que possible. J.-A.-G. Boucher demandait sans doute à sa collection d’estampes de représenter l’histoire de la gravure et je pense qu’il devait avoir dans sa bibliothèque à peu près tous les ouvrages importants qu’on pouvait réunir sur ce sujet. On trouve en effet de nombreux renvois bibliographiques dans un mémoire qui n’a pas été publié et qui a pour titre : Recherches sur les noms propres, abréviations et monogrammes. C’est un manuscrit in-folio de 47 pages, non daté, mais où les dernières références sont de 1801. La composition est assez décousue. Après quelques considérations sur l’origine des noms propres, l’auteur passe sans transition aux signes abréviatifs, aux écritures et langages figurés, aux hiéroglyphes, à ce que nous appelons la sténographie et à d’autres choses encore. Viennent ensuite une histoire de la gravure et une dissertation sur les indications écrites au bas des estampes. Tout cela est fait de souvenirs et de références plutôt qu’avec les idées personnelles de l’auteur, qui se présente cependant comme un homme savant et même très savant. La partie vraiment originale du mémoire est une Suite de tableaux des annonces, indications et souscriptions qui se trouvent sur les estampes et qu’il a établis à l’aide des dix ou douze mille estampes qui composaient alors sa collection. La pratique de la gravure lui permettait d’en parler en connaissance de cause, mais en lisant son mémoire, on ne se douterait pas qu’on ait affaire à un homme de l’art. Il ne parle qu’en érudit et en collectionneur. J’ignore ce que cette collection est devenue. Les tableaux de Boucher et ceux de Boucher de Perthes10 Mais pour lui l’estampe n’est que de l’art à bon marché. “ Leur prix étant modique par comparaison avec celui des tableaux et des statues, écrit-il, elles sont plus généralement répandues ”, mais elles ne sauraient rivaliser avec la peinture et les tableaux qui formaient la parure de son hôtel et l’essentiel de ses collections d’art. Il avait d’abord des portraits de famille, la dame Simonnet qui faisait peur à Coco, Rémi Boucher dont une copie se trouve aujourd’hui chez Mlle Boucher de Crèvecœur, et d’autres encore sans doute. Il fit faire les portraits de tous ses enfants. En 1797, il acheta les quatre grands Lemoine qui étaient dans le vestibule du musée Boucher-de-Perthes. Il se servait de ses tableaux pour faire ses gravures à l’eau forte quand il ne dessinait pas lui-même. L’Inventaire11 fait après

10. Certains objets ont été sauvés de l’incendie de mai 1940 dont des tableaux, des sculptures et des céramiques. Ils se trouvent dans le nouveau musée Boucher-de-Perthes à Abbeville. 11. Une copie de cet inventaire fut communiquée à l’auteur par Melle Berthe de Crèvecœur en 1940. L’original se trouvait alors dans l’étude de Maître Elluin, notaire à Abbeville, dont les archives ont brûlé en mai 1940.

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sa mort mentionne 273 tableaux distribués dans toutes les pièces de la maison. Mais l’amoncellement pittoresque que l’on pouvait voir au musée est l’œuvre de Boucher de Perthes. “ Mon père, écrit-il à Geffroy en 1859, avait commencé à placer des collections diverses notamment des tableaux dont il y a 7 à 8 cents ”. Il raconte comment il a augmenté la collection : “ Isaac est un bon vieux juif qui me vend des tableaux […]. Il y a bientôt vingt ans qu’il a ma pratique […]. lI m’a vendu plus de cinq cents tableaux, dont quatre cents croûtes ; mais dans les cent autres, il y en a une douzaine qui valent bien les trente à quarante mille francs que je lui ai comptés […]. Depuis que je n’achète plus de tableaux, je n’en vois pas moins mon vieil Isaac qui, de temps en temps […] vient essayer de me tenter […]. Je lui réponds que […] non seulement mes murs sont entièrement garnis mais qu’une centaine au moins reposent encore dans mon grenier faute de place ”12. Ils y étaient encore en 1940. Boucher de Perthes avait le marchand qui lui convenait. Passant leur vie parmi les tableaux, ils n’étaient pas meilleurs connaisseurs l’un que l’autre et le client s’en remettait au hasard qui devait, suivant le calcul des probabilités, lui assurer une proportion déterminée de bonnes peintures. Son but était de garnir ses murs. Il s’est arrêté quand il n’eut plus de place. Il prend la responsabilité de “ quatre cents croûtes ”. Cela nous dispose à une certaine bienveillance à l’égard des trois cents tableaux réunis par son père et dont une quarantaine des meilleurs ont quitté l’hôtel après sa mort pour être dispersés à Paris dans une vente publique. Les quatre Lemoine s’y trouvaient et furent rachetés par Boucher de Perthes. Quelques autres passèrent chez ses frères et sœurs. La collection de Boucher a donc été sérieusement écrémée. La lecture de l’Inventaire permet de penser que la disposition de cette collection n’a pas été sensiblement modifiée après sa mort. Il semble que Boucher de Perthes se soit contenté de combler les trous avec la marchandise du vieil Isaac. Dans la chambre de Madame Boucher, il y avait trente tableaux dont une “ belle et grande composition représentant la Vierge et l’Enfant Jésus ”, attribuée à Van Dyck, et deux Vernet. Dans la chambre de Boucher Père, il y en avait douze dont une “ belle et grande composition représentant le levé de l’Aurore ” attribuée à Le Guide. Dans la bibliothèque, il y en avait quatrevingt-deux, plus seize médaillons représentant divers paysages. Dans le cabinet et le corridor derrière la chambre de Madame Boucher de Crèvecœur, il y en avait seize ; c’est ce cabinet qui est devenu plus tard la chambre de Boucher de Perthes. Dans le grand escalier, il y avait “ deux grands tableaux ” représentant un “ paysage flamand ” et “ un paysage italien ”. Dans la salle près du salon, il y en avait vingt-cinq, dans le salon, sept, dans la salle à manger, quatorze. Cette énumération se rapporte au bâtiment principal. 12. J. Boucher de Perthes, Sous dix Rois, Paris, Jung-Treuttel, 8 vol., 1863-1868, t. II, 284-287.

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À l’aile droite, en entrant, il y en avait 24 dans la salle de billard, 24 dans la chambre de M. Boucher de Perthes, 10 dans le corridor de la chambre de Mr. Boucher de Perthes, 7 dans la chambre dite de Madame Jules Boucher de Crèvecœur, et 2 dans le salon de Monsieur Jules Boucher de Crèvecœur. Il y avait aussi des dessins, des gravures et des lithographies encadrées au nombre de 76, et réparties dans la chambre de M. Jules Boucher de Crèvecœur, dans la chambre sur l’écurie, à l’aile droite, dans le cabinet à côté de ladite chambre, dans l’ancienne chambre de M. Armand de Crèvecœur, dans le cabinet de la chambre de M. Boucher de Perthes, dans le corridor de 1a chambre de Mademoiselle Boucher de Crèvecœur et dans la chambre du domestique. En somme, les peintures se trouvaient dans les parties les plus nobles de l’hôtel et les gravures occupaient le reste sans que la répartition changeât de caractère lorsqu’une chambre ou un appartement était attribué à l’un ou l’autre des membres de la famille. À l’aile gauche, en regardant l’hôtel, et au deuxième étage, sous les combles, Boucher de Perthes avait aménagé une immense galerie avec la camelote que lui passait le vieil Isaac. 0n aurait pu l’appeler “ la galerie Isaac et Boucher de Perthes ”, car si la matière venait du premier la manière revenait au second. Les murs étaient entièrement recouverts. C’était une tapisserie de toiles et de cadres autant qu’une galerie de tableaux, la partie la plus pittoresque et la plus personnelle du musée et l’une de celles que je regrette le plus car, si dans les autres salles je me croyais avec son père, là je croyais vivre avec le fondateur de la préhistoire. Si J.-A.-G. Boucher a laissé à son fils 279 tableaux, il faut reconnaître qu’il n’y avait pas 279 chefs-d’œuvre dans les “ 7 ou 8 cents ” tableaux du musée Boucher-de-Perthes et la masse de la collection a été parfois jugée avec beaucoup de sévérité. Cette rigueur était excessive. Il s’agit ici d’un cabinet et non pas d’un musée. Cette, Soissons, Abbeville n’étaient peut-être pas très favorables pour la constitution d’une collection. Un amateur achète ce qu’il peut et ce qu’il trouve. Il demandait sans doute aussi à ses tableaux ce qu’il demandait à ses estampes. Il collectionnait en érudit et en amateur, pour son instruction autant que pour son agrément. Ce n’était pas seulement pour garnir son hôtel car il n’eût pas été jusqu’à mettre des lithographies dans la chambre de ses domestiques. Avec des moyens forcément limités, il cherchait à réunir une collection assez importante pour être instructive. Les sculptures Dans son Mémoire sur les signes abréviatifs, il n’oublie pas de mentionner la sculpture. Effectivement il avait quelques belles statues antiques qui ont été sauvées. Les circonstances lui permirent d’étendre considérablement sa collection. La fermeture et la destruction de nombreuses églises, la dispersion des

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communautés mirent un mobilier considérable à la disposition des amateurs. “ En 1794, écrit Boucher de Perthes, l’esplanade plantée de tilleuls, attenante à la Grutuse, avait servi de lieu de dépôt pour les saints de bois et autres sculptures tirés des églises […]. Quand on me menait promener de ce côté, les gardiens m’offraient souvent, pour jouets, des fragments de ces boiseries. Aussi c’était ma promenade favorite ”13. En rentrant avec son butin, Coco n’était sans doute pas mal reçu et son père ne s’est certainement pas privé de sauver du bûcher réel ou imaginaire qui attendait quelques-uns des saints de bois entassés dans l’esplanade de la Grutuse, d’autant plus que les gardiens, disait-on, étaient volontiers disposés à en tirer parti pour eux-mêmes. Ces dépouilles sont venues échouer un peu partout pour rentrer de temps en temps dans le commerce. Au musée Boucher-de-Perthes, les bois sculptés garnissaient la cage du grand escalier. Des statues et des statuettes en bois se trouvaient un peu partout surtout dans le cabinet du Directeur. Au moment où l’on fermait les églises, Boucher avait su apprécier notre art religieux du Moyen Age.

Fig. 5. Hôtel de Chépy, demeure familiale des Boucher, devenu musée Boucher-de-Perthes en 1868

13. J. Boucher de Perthes, Sous dix Rois, op. cit., t. I, 23.

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Fig. 6. Hôtel de Chépy, l’escalier

Fig. 7. Hôtel de Chépy, la salle à manger

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Fig. 8. Hôtel de Chépy, la bibliothèque

Fig. 9. Hôtel de Chépy, le bureau de Jacques Boucher de Perthes

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Fig. 10. Hôtel de Chépy, le salon devenu La salle des origines de la préhistoire à Abbeville Les meubles Boucher de Perthes a souvent parlé de la collection de coffres et de bahuts qu’il tenait de son père. Elle était en effet particulièrement imposante. Ce n’étaient pas des meubles d’art, mais ils étaient abondamment sculptés et représentatifs d’une région et d’une époque. Boucher de Perthes les avait offerts au musée de Cluny et, d’après une tradition de famille, ils provenaient des communautés sécularisées sous la Révolution. Il est possible que beaucoup de tableaux aient eu la même origine. Il y avait aussi beaucoup de meubles curieux des écoles française, flamande, hollandaise et italienne. C’était peut-être ce qui retenait le plus l’attention des visiteurs du musée. Encore cet ensemble avait-il été sérieusement réduit par des prélèvements destinés aux frères et à la sœur de Boucher de Perthes. Les céramiques La céramique y était restée largement représentée. Il y avait des pièces de choix. Elle a été décrite par Ris-Paquot, historien de la faïence de Rouen : “ La richesse et la rareté des produits qu’elle renferme feraient fort envie à plus

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d’un grand Musée ”14. Après la mort de Boucher de Perthes, elle fut exposée provisoirement, sans être classée, dans la cuisine de l’hôtel et ce provisoire a duré aussi longtemps que le musée. Il y avait toute une série de poteries grecques, étrusques et campaniennes. “ Du rithon à la tête d’animal, passant au calix, au crathère, au cantare, au scyphus, au guttus, etc., etc., écrivait Ris-Paquot, nous trouvons là réunis tous les types de poteries grecques antiques ”15. “ Trois des tablettes de l’exposition étaient occupées par les œuvres de Bernard Palissy et de son école ”. Il y avait d’ailleurs des attributions contestées. La série la plus intéressante et l’une des plus complètes se rapportait à la faïence de Rouen où toutes les périodes distinguées par les auteurs se trouvaient représentées et parfois magnifiquement. Venaient ensuite, pour l’importance des spécimens, la fabrique de Nevers, celle de Moustiers, des fabriques du Nord de la France et une fabrique locale, celle de Vron. Dans le Delft et en quantité assez considérable, on y signalait également des pièces de choix. Il y avait aussi des plats hispano-mauresques et d’assez nombreuses pièces chinoises. Là encore, il s’agit d’une collection d’amateur instruit, par son étendue et sa variété car il y avait de belles choses à côté de pièces ne présentant guère qu’un intérêt documentaire. Je ne puis donner des précisions sur l’époque où elle a été constituée. Boucher y a sans doute passé toute sa vie, mais il a dû profiter de l’époque révolutionnaire et impériale qui mit sur le marché non seulement le mobilier des églises et des communautés mais aussi celui de beaucoup de particuliers dont la situation de fortune avait été gravement compromise. C’était le moment où l’on constituait assez facilement les premières collections publiques. Le mouvement était général. C’étaient les temps héroïques de l’archéologie. Quel était l’érudit qui ne collectionnait pas à la fin du XVIIIe siècle et au commencement du XIXe ? Qui ne recherchait pas les poteries de l’Antiquité classique à une époque où l’art était avant tout une reconstitution archéologique ? En même temps, le panceltisme révolutionnaire portait les curieux vers nos premières antiquités nationales. On s’en rend compte surtout quand on considère la collection de médailles réunie par Jules-ArmandGuillaume Boucher. Les médailles Elles étaient rangées dans quatre meubles qui se trouvaient dans sa chambre à coucher, près de la bibliothèque. Dans le petit médaillier de l’Inventaire qui 14. O.E. Ris-Paquot, Une visite au musée Boucher de Perthes à Abbeville, Paris, R. Simon, 1881. 15. O.E. Ris-Paquot, Ibid.

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comprenait 18 tiroirs, était ce qu’il y avait de plus précieux, notamment 96 pièces en or. Le deuxième médaillier contenait des pièces d’argent et de bronze rangées dans 26 tiroirs. Le médaillier numéro trois contenait 1645 pièces, plus quelques lots de monnaies de cuivre réparties dans 20 tiroirs et le grand médaillier qui comprenait 100 tiroirs contenait 5178 pièces, argent et bronze, avec quelques lots non détaillés dans l’Inventaire. La plus grande partie de la collection fut vendue à Paris. Le Catalogue est une brochure de 31 pages qui se présente de la manière suivante : “ Catalogue / d’une collection / de / Médailles / grecques, romaines, du Moyen-âge et modernes, / en Or, en Argent et en Bronze, / livres numismatiques /et Tableaux, / dont la vente aura lieu, / après le décès de M. Boucher de Crèvecœur d’Abbeville / les mercredi 18, jeudi 19, vendredi 20, et samedi / 21 février 1846, heure de midi. / Par le ministère de M Bonnefons de Lavialle, Commissaire-priseur / […]. Assisté de M. Roussel, Expert, […] / et de M. Defer, Expert / […] Paris / Imprimerie et lithographie de Maulde et Renoux / […] 1846 ”. Voici à peu près le contenu de ce catalogue : “ Gauloises : or, 5 ; argent, 10 ; bronze, 28. Grecques ; 1061. 6 Romaines, Impériales : or, 9 ; Consulaires : argent, 130 ; Impériales : argent, 1020 ; petit bronze : 1129 ; grand bronze : 739 ; 47 deniers de la seconde race, 385 monnaies de la troisième race, 184 monnaies françaises modernes, 199 féodales françaises, 73 des villes françaises, 30 des villes étrangères, 1532 des états étrangers, 436 médailles françaises, 609 d’hommes célèbres ; 31 monnaies françaises, 49 étrangères, 54 poids variés, des méreaux, des jetons, etc. ”. “ Ouvrages de Mionnet, Sestini, Dumersan, Gérard, H. Salt, Tobiesen, Duby, Leblanc, Millingen, Bonneville, Schœnvimer, du Molinet, Damoreau, Dumersan, de Garnier, Lelewel, baron Marchand, Rigollot, Leipsius, etc. ”. À cette vente, passèrent les trois grands médailliers. Boucher de Perthes garda le petit avec les rogatons sur lesquels il lui arrivait de faire des prélèvements pour faire des cadeaux à ses neveux. Cette collection frappe par ses tendances œcuméniques, sa variété et son étendue. Il semble qu’il y ait peu de répétitions. Ainsi, dans les 130 consulaires, 78 familles sont représentées. C’est moins une collection d’art qu’une collection de savant, commencée probablement de bonne heure et accrue sans cesse au cours de sa longue existence mais, par analogie avec sa collection d’estampes, je serais porté à croire qu’elle date surtout de l’époque révolutionnaire et impériale. C’était un résumé de l’histoire de la numismatique et presque un résumé de l’histoire universelle, remontant à l’Antiquité classique et à nos premières antiquités nationales. Il y avait des “ antiquités celtiques ” et “ antédiluviennes ” dans la maison bien avant que Boucher de Perthes s’en soit occupé. Boucher reviendra aux études archéologiques vers la fin sa vie. Dans les années qui suivirent son arrivée à Abbeville, tout en constituant ses collec-

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tions, c’est l’histoire naturelle et surtout la botanique qui occupent la plus grande partie de son activité. Il y avait là une succession à recueillir. L’histoire naturelle et la botanique Dans l’Almanach historique et géographique pour l’Année 1757, on lit qu’il y avait dans le cabinet de M. Thuison de “ curieux morceaux d’Histoire naturelle ”. Plus tard, il y eut Emmanuel Baillon qui fut un collaborateur de Buffon et que la chasse aux oiseaux de mer conduisit à l’ornithologie. Il envoyait au Muséum des oiseaux et des ossements recueillis dans les tourbières. Il herborisait avec Dumaisniel de Belleval et Charles-Blaise Buteux. Il y avait aussi un archéologue, Laurent Traullé, qui fut à Abbeville le premier ancêtre de la préhistoire, et qui sut réunir l’étude des industries et des ossements qu’on trouvait dans les tourbières et qui accompagnait volontiers les naturalistes dans leurs excursions. Dumaisniel de Belleval était mort en 1790, quelques mois avant l’arrivée de Boucher à Abbeville. Sa famille confia à ce dernier ses manuscrits qui étaient toujours au musée Boucher-de-Perthes en mai 1940. En reconnaissance, Boucher fit une notice qui fut insérée dans le Magasin encyclopédique (1798), pp. 479-492. Ce Dumaisniel ressemblait un peu à son biographe. D’une constitution délicate, il s’était adonné, dans sa jeunesse, aux arts agréables et surtout à la musique pour se livrer ensuite à l’histoire naturelle et surtout à la botanique. Un autre Picard, le grand Lamarck, avait obtenu de lui quelques descriptions, qu’il inséra dans son Dictionnaire de Botanique. Dumaisniel avait également laissé des notes sur les coquilles et les “ lithophytes ” et il avait eu le projet de donner un essai sur l’histoire naturelle de la Picardie. Boucher a beaucoup d’admiration et de respect pour la vie douloureuse et laborieuse de son devancier. Le jeune biographe se montre plein d’ardeur pour la science à laquelle il voudrait pouvoir consacrer sa vie, même en suivant la voie douloureuse. 0n sent qu’il pense à lui-même autant qu’à celui dont il fait l’éloge, dans les lignes suivantes : “ Pourquoi faut-il que l’étude et la santé ne puissent aller ensemble sans se nuire ? […] Le savant fatigue ses organes par une aplication [sic] continuelle, tandis que le corps est dans un état d’inertie qui suspend le cours des humeurs, rallentit [sic] la transpiration, rend la digestion laborieuse et détruit la souplesse des mouvements. A la fin du jour les facultés morales se trouvent épuisées, lorsque les forces vitales ne sont qu’engourdies et comme emprisonnées ”. “ Les heures consacrées au repos ne lui procurent qu’un faible délassement car souvent absorbé dans ses méditations et trop occupé de son objet, il oublie que la nuit est déjà fort avancée. Si le sommeil s’empare de lui, il ne tarde pas à s’éveiller ; alors les idées l’assiègent en foule et l’empêchent de goutter [sic]

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plus longtemps les douceurs du repos […] ”. “ L’homme de cabinet […] est ordinairement maigre et sans couleur. Les rides de son front ont devancé l’âge où la vieillesse les imprime. La beauté des formes s’est altérée comme si les loix [sic] de l’équilibre exigeoient que le physique perdit à l’extérieur ce que le moral gagne en intelligence […] ”. “ Mais le regard d’un savant est plein d’expression et de sensibilité. On y trouve quelque chose qui annonce l’être bienveillant et l’ami de l’humanité ”16. Ces lignes sont transparentes. Elles ont un accent personnel où l’on peut voir un portrait intérieur. En parlant de son devancier, le biographe parle de luimême. Elles s’accordent avec le portrait que Boucher de Perthes a laissé de son père, en le complétant par quelque chose de moins littéraire et de plus vibrant. Boucher se mit au travail avec les manuscrits de Dumaisniel : “ Ces matériaux, écrit-il, pouvoient […] devenir très utiles entre les mains d’un homme disposé à entreprendre l’énumération des richesses végétales de cette contrée. C’est lorsqu’ils m’ont été communiqués que j’ai songé sérieusement à donner une flore d’Abbevile. Les notes que j’avois sous les yeux ont singulièrement facilité mes recherches. J’ai reconnu l’exactitude de tout ce qui y a rapport à la localité. Il est peu de plantes que je n’ai rencontrées aux endroits où il les indiquoit, même après un laps de temps de quinze à vingt ans ”17. 1797. Fondation de la Société d’Émulation d’Abbeville Le 13 vendémiaire an VI (11 octobre 1797), vingt-quatre Abbevillois se réunirent pour fonder la Société d’Émulation18. Ses réunions suscitèrent des communications et des mémoires qui, sans elles, n’auraient peut-être jamais été écrits ni même conçus. Boucher fut le secrétaire-fondateur de la classe des sciences et le troisième président de la Société. Son activité fut considérable et son nom se trouve à l’ordre du jour de presque toutes les séances. Voici la liste de ses communications, d’après Armand Boucher de Crèvecœur :

16. J.-A.-G. Boucher, “ Notice sur Ch.-F. du Maisniel de Belleval, naturaliste d’Abbeville, lue à la Société d’Émulation d’Abbeville par le citoyen B***, (15 pluviose an 6) ”, Mag. encycl., e 4 année, t. 3, n° 12, 1798, brumaire an VII, 486-487. 17. J.-A.-G. Boucher, “ Flore d’Abbeville ”, Mém. Soc. roy. Emul. Abbeville, 2e série, t. I, 1833, 355. 18. Dans quel but ces Abbevillois se sont-ils réunis ? Qu’est-ce qu’une Société d’Émulation ? Cette réponse de E. Prarond me paraît claire et concise : “ Depuis sa fondation, la Société d’émulation a poursuivi constamment le but qui avait présidé à son institution (20 vendémiaire an VI, 11 octobre 1797), en concourant au progrès des sciences, des lettres et des arts par ses encouragements de toute nature, par ses publications et par ses relations suivies avec des nombreuses sociétés savantes de France et de l’étranger ”, Aperçu sommaire sur l’origine de la Société d’Émulation d’Abbeville. Son but et ses publications, Mém. Soc. imp. Émul. Abbeville, 2e série, t. 12, 1867 et 1868, 1.

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“ An VI : Observations sur le Silene amœna (Lin.) et le Cucubalus maritimus (Lam.). – Dissertation sur les matières glauques et la propriété qu’elles ont de résister à l’humidité. – Observation sur le Plantain maritime. – Notice sur Charles-François du Maisniel de Belleval. – Description d’un canard monstrueux né à Saint-Valéry-sur-Somme le 11 floréal an VI. – Observations sur le Gordius aquaticus. – Comparaison des os avec les coquilles, formation des perles. – Examen sur quelques matières tirées du règne végétal, propres à remplacer les chiffons dans la fabrication du papier. – Observations sur les terrains inclinés. – Observations sur un squelette d’aurochs (urus) découvert dans 1a tourbe à Picquigny. – Observations sur un ver intestinal qui se nourrit dans l’abdomen des coléoptères ”. “ An VII. – Réflexions sur une maladie pléthorique des ormes, en collaboration avec MM. Gatte et Morel de Campennelle. – Essai sur l’agriculture des terrains de sable. – Remarques sur le pois à bouquet. – Observations sur deux espèces de berles. – Découverte d’une nouvelle espèce de riccia. – Observations sur la conferve gélatineuse, en collaboration avec MM. Goret et Bellot. – Difficulté de l’étude des plantes marines. – Plan d’une géographie botanique. – Observations sur le lombric marin. – Voyage d’une décade dans le département du Pas-de-Calais. – Notice sur un manuscrit intitulé : “ Voyage maritime du P. Minet, capucin, attaché à l’ambassade de Constantinople ”. – Révolution au Parnasse. – Le chant de mon coq. – Traduction de l’ouvrage d’Hedwig intitulé : Fundamentum historiae naturalis muscorum frunducorum. – Expériences et recherches sur les ormes, en collaboration avec M. Morel de Campennelle. – Remarques sur les champignons. – Analyse de l’ouvrage de Bridet intitulé Muscologia recentiorum ad norman Hedwigii. – Abrégé de la philosophie entomologique de M. de Saint-Amans, d’Agen. – Réflexions sur la douleur. – Critique des nosologies. – Plan d’une topographie de l’arrondissement d’Abbeville. – Observations sur le froid et les inondations de l’an VII, en collaboration avec MM. L. Traullé, Denoyelle et Dumont de Courset ”. “ An VIII. – Observations sur le dégât occasionné aux blés par la larve d’un scarabée. – Observations sur la chenille des groseilliers (Phalœna grossulariata Lin.). – Introduction à la flore d’Abbeville, contenant la description des plantes qui croissent dans le département de la Somme. – Nouvelle espèce de Nidularia. – Observations sur une cigogne qui a vécu chez l’auteur. – Observations sur la bernache. – Traité des plantes comestibles du département de la Somme. – Recherche sur les noms propres, abréviations et monogrammes. – Discours sur l’étude de la Botanique. – Rapport sur le froid de l’an VIII, sur les oiseaux de passage dans les marais, sur les effets du froid relativement à la végétation des plantes céréales et sur le prix des grains. – L’officieux maladroit. – Traduction de l’ouvrage d’Hedwig sur les mousses fronduleuses ”. “ An IX. – Description d’un veau marin (Phoca vitulinus Lin.) tué près de Saint-Valéry. – Sur une grue de cinq pieds d’envergure tuée dans les marais de Saint-Gilles. – Tableau des plantes céréales et graminées du département de la

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Somme, extrait de la flore d’Abbeville. – Réflexions sur la croissance des ongles. – Effets de la tempête du 18 brumaire an IX, en collaboration avec M. Denoyelle. – Nouvelle méthode pour établir les bornes des terrains, traduit de l’italien de V. Cheminelli ”. “ An X. – Sur la culture et l’emploi du chardon à foulon. – Mémoire sur le natron oriental, traduit de l’italien. Lettre de L. Bonvicini à M. Girardi sur les yeux des limaçons, traduite de l’italien. – Observations sur la finesse du sens du toucher de certains vers marins, traduites de l’italien de Jos. Ulivi ”. “ An XI. – Mémoires sur les méduses phosphoriques, trad. de l’italien de L. Spallanzani. – Idée du commerce extérieur du département de la Somme ”. “ An XII. – Traduction en prose de l’italien, de l’apologue de Casti, La chatte et le rat ”. “ Ans X, XI et XII. – Traduction en prose du poème italien de Casti, Les animaux parlants ”19 en 26 chants. À tout cela, il faudrait ajouter ces notes qui ne sont peut-être jamais sorties de ses tiroirs ; elles ont été entre les mains de Armand Boucher de Crèvecœur : “ 1797. – Sur la larve du Phalœna collux et du tort qu’elle fait aux plantations d’ormes (Magasin encyclopédique, 2e année, t. 6) ”. “ 1798. – Examen de l’ouvrage de Whithering intitulé : On arrangement of British plants. – Sur une espèce de cuir végétal produit par l’Auricularia phylocteris de Bulliard. – Préparation des plantes marines. – Remarque sur la protubérance qui distingue le saumon bécard. – Dissertation sur les anguilles ; examen de la question si elles sont ovipares ou vivipares ”. “ l799. – L’école de filles au XVIIIe siècle. – Question sur l’année séculaire ”. “ 1800. – Remarques sur les Vicia amphicarpos et Lathyrus amphicarpos décrits par M. Gouan ”. “ 1801. – Observations sur le grand Fou nourri chez l’auteur ”. “ l802. – Recherches sur les Chenopodium album. – Description d’un Cétacé. – Expérience sur la reproduction de la tête des limaçons, trad. de l’italien de L. Spallanzani ”20. On voit, d’après cette liste, que les premières années de la Société d’Émulation furent pour Boucher les années fécondes de sa vie scientifique. Les travaux dont il est question ne sont souvent que des notes ou des sujets de causeries qui n’ont laissé comme traces qu’un bref rapport ou une simple mention aux procès-verbaux de la séance. Mais ces notes étaient toujours rédigées avec soin. L’ambiance était grave et confiante et l’on attendait de la science qu’elle préside à la reconstruction de la société et qu’elle lui assure son bonheur.

19. A. Boucher de Crèvecœur, Notices sur les membres résidants de la Société d’Émulation d’Abbeville, Abbeville, Impr. C. Paillart, 1892, 336-342 20. A. Boucher de Crèvecœur, Ibid., 342-344.

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Fig. 11. Premier Bulletin de la Société d’émulation d’Abbeville (1797) Le secrétaire de la classe des Sciences devait se croire obligé de payer de sa personne pour étoffer l’ordre du jour des séances. Mais il fallait qu’il fût capable de le faire et la liste qui précède nous donne l’idée d’une très grande activité scientifique. Tous ces travaux n’étaient pas perdus et il lui arrivait de communiquer à ses confrères parisiens des rédactions plus étendues pour être transmises à l’Institut national et aux périodiques de la capitale. Une production aussi dispersée et aussi étendue est l’expression de sa personnalité intellectuelle et morale. Il y a de tout dans ses productions. Il s’en justifie pour ainsi dire dans sa Révolution au Parnasse21, allégorie dans laquelle une brouille entre les Muses détermine une séparation parmi leurs fidèles entre les lettrés et les savants. Mais les premiers sans les seconds cessent d’être raisonnables tandis que ceux-ci n’arrivent plus à exprimer leurs idées. Il faut donc réunir les deux cultures et cette fantaisie n’est qu’un plaidoyer où l’on reconnaît le portrait intellectuel de l’auteur. 21. J.-A.-G. Boucher, “ La Révolution au Parnasse ”, Rapport Soc. Émul. Abbeville, vendémiaire an VII-1798, 33.

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1791-1800. Rédaction de la “ Flore d’Abbeville ”. 1800, Boucher, membre associé de l’Institut Dans cette production, c’est l’histoire naturelle et surtout la botanique qui dominent. Il y avait, pas très loin d’Abbeville, un exemple à suivre. Dumont de Courset avait organisé, dans sa campagne, un jardin botanique où Boucher allait s’instruire. À ce sujet, il composa son Voyage d’une décade dans le département du Pas-de-Calais22, du 17 au 27 messidor an 6 où il décrit, avec l’emphase de l’époque, le parc que son collègue avait consacré à la science. Son activité s’étendait bien au-delà d’Abbeville et de la Picardie ; c’est ce que montre la lettre suivante : “ Au citoyen Lhéritier, Membre de l’Institut National, Ruë des Amandiers n° 28 faubourg Antoine à Paris. Abbeville 29 ventôse an 7 ” “ Croiriez-vous, mon cher citoyen, qu’il y a six semaines que je veux vous écrire et que je diffère parce que je dois vous envoyer un commencement de Catalogue des plantes d’Abbeville. J’ai pris le parti d’en copier une partie pour ne pas vous faire plus longtemps languir. Le reste viendra une autre fois, mais je ne ferai la cryptogamie que quand j’aurai l’ouvrage de Onivet intitulé Muscologia recentrorum. Le connoissez-vous ” ? “ La Société d’Emulation se soutient : voici la notice des travaux jusqu’au ler nivôse. Nous avons pris le parti d’imprimer un raport [sic] de trimestre. Cela vaudra mieux qu’un bulletin et n’annoncera aucune prétention ”. “ On m’a dit qu’on avoit lu à l’institut un mémoire de moi sur la culture des terrains de sable. Je ne lui destinois pas cet honneur. Il avoit été envoyé à Deleuze pour le Journal de physique. Il l’a communiqué au Cn23 Desfontaines qui l’a porté à l’une de vos séances. Je n’en ai pas gardé de copie ”. “ J’ai reçu deux envois de plantes assez intéressantes, l’un des Pyrénées, l’autre des Alpes. Un de mes anciens préposés qui habite Briançon a pris du goût pour la Botanique, et sans y rien connoître, ramasse et dessèche assez bien les plantes. Au moyen d’un numéro et des doubles qu’il garde je lui en fait connoître les noms ”. “ Si j’en crois un autre amateur qui vient d’être transplanté à Ajaccio, j’aurai bientôt un herbier de la Corse ; mais je n’y compte pas. Nous avons eu ici des inondations qui ont enrhumé toute la ville. Ma femme ne s’en dispose

22. J.-A.-G. Boucher, “ Voyage d’une décade dans la Pas-de-Calais, Rapport de M. Lecat ”, Rapport Soc. Émul. Abbeville, vendémiaire an VII, 32. 23. “ Cn ” : Citoyen

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pas moins à me donner à la fin de l’été un cinquième enfant24. C’est une belle chose que la fécondité ; mais c’est quand on en parle ”. “ Vous m’avez je crois mis à part une suite de vos livres doubles. Quand vous voudrez les expédier, je les recevrai volontiers ”. Salut et attachement “ Boucher ”. Après neuf années d’études, Boucher aboutit à une Flore d’Abbeville25 qu’il soumit à l’Institut national en brumaire an 8. Le manuscrit fit l’objet d’un rapport où se trouvent indiqués les mérites de l’ouvrage en même temps que ses tendances et ses sources d’inspiration :

Fig. 12. Extrait de la Flore d’Abbeville et du département de la Somme par Boucher (1803) “ Cet ouvrage renferme les descriptions de plus de quinze cents espèces de plantes, que le C. Boucher a observés dans le département de la Somme. Il les a disposées suivant le système sexuel de Linnœus, parce qu’il lui a paru le plus

24. Ce cinquième enfant fut Armand qui naquit le 11 juillet 1799. L. A. 25. J.-A.-G. Boucher, Extrait de la flore d’Abbeville et du département de la Somme, Paris, J. J. Fuchs, an XI-1803, xvi, 108.

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commode pour le genre de travail auquel il s’est livré, et que ce système est encore généralement suivi […] les descriptions des espèces nous ont parues faites avec autant d’élégance que de précision […] ”. “ Le lieu natal de chaque plante, sa durée, l’époque de sa floraison, ainsi que ses usages économiques et médicinaux sont indiqués avec beaucoup de soin ; et afin de rendre l’usage de son livre plus universel, il l’a écrit en latin et en français […] ”. “ La classe que les botanistes connoissent sous le nom de Cryptogamie […] est traitée avec beaucoup de détail […]. Hedwig lui a servi de modèle pour l’arrangement et la description des mousses, et il a suivi la méthode de Bulliard pour les champignons […] ”. “ Nous pensons que cet ouvrage, qui est écrit avec méthode, clarté et précision […] mérite d’être accueilli favorablement par la classe des sciences physiques et mathématiques de l’Institut national ”26. Si le système de Linné était encore le plus généralement suivi, il ne l’était pas universellement. Dans le parc de Dumont de Courset, “ six cents plantes vivaces, écrivait Boucher, sont rangées dans les plates bandes en volute suivant le système sexuel ; mais le C. Courset se propose de les rétablir suivant la méthode de Jussieu, plus convenable en effet à un jardin botanique, en ce qu’elle réunit par familles tous les végétaux qui ont entr’eux de la ressemblance et de l’analogie ”. Dans sa Flore, Boucher avait conservé la méthode de Linné. Il lui eût sans doute été difficile de changer ses habitudes et il avait conservé une méthode qui était encore généralement suivie mais qui n’avait pas l’avenir pour elle. Mais son travail eut un résultat : une lettre du 5 pluviôse an VIII (25 janvier 1800) l’informait qu’il était élu associé non résidant de la section de botanique et de physique végétale de la 1ère classe de l’Institut national (Sciences physiques et Mathématiques). Cela ne lui donnait pas pour autant un éditeur pour sa Flore qui aurait formé “ deux volumes assez gros de format in-8° ”. Sa famille était nombreuse et les temps devenaient durs. “ Ne sachant pas quand les circonstances me permettront de livrer ma Flore à l’impression, écrit-il un peu plus tard, j’ai accédé à la proposition qui m’a été faite par le C. Dumont de Courset, d’en extraire un Catalogue pour faire suite à son Botaniste cultivateur ”27. Ce fut un volume de format in-l2° et de XVI + 108 pages où l’on trouve, après l’Avertissement de l’Auteur, le rapport présenté par Desfontaines à l’Institut national en brumaire an 8. Il se présente de la manière suivante : Extrait de la Flore d’Abbeville et

26. J.-A.-G. Boucher, “ Flore d’Abbeville et des environs, Rapport présenté à l’Institut national le 24 brumaire an VIII (15 novembre 1799) signé par Lhéritier Ch.-L. , Desfontaines R. L. et G. Cuvier ”, Mém. Soc. roy. Émul. Abbeville, 2e série, t. 1, 1834 et 1835, 360-361. 27. Cf. G.L.M. Dumont de Courset, Le botaniste cultivateur ou Description de la culture et des usages de la plus grande partie des plantes étrangères, naturalisées et indigènes, cultivées en France et en Angleterre, rangées suivant la méthode de Jussieu, Paris, J.-J. Fuchs, 1798.

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du département de la Somme […], à Paris, chez J.-J. Fuchs, an XI-1803. L’ouvrage complet n’a jamais été imprimé. 1798. Observations sur un squelette d’aurochs découvert à Picquigny La zoologie le conduisit à publier, dans le Magasin encyclopédique, des Observations sur un squelette d’aurochs trouvé à Picquigny28. On y trouve une description précise comme celles que Daubenton avait introduites dans l’ouvrage de Buffon. Mais d’après Cuvier, l’auteur aurait commis une erreur de détermination et l’animal décrit par Boucher ne serait qu’un bœuf de grande taille. Pour la gloire de l’auteur, aucun de ses essais littéraires n’a connu l’impression. Aurait-il voulu suivre ici l’exemple de Watelet ? Ou subi son influence ? Ce n’est pas impossible. Il fit lui aussi des chansons, de la poésie, des nouvelles, c’est-à-dire de petits romans qui pourraient faire penser à Silvie. Il fit même le plan d’une pièce de théâtre. Il s’en tint là et il fit bien. Son genre est parfois assez libre et cela ne saurait nous étonner de cet homme qui naquit au milieu du XVIIIe siècle. Il ne dédaigne même pas la littérature poissarde. Mais il n’en a pas abusé, même dans ses manuscrits. Ce qu’il a écrit de plus considérable est une traduction de l’italien du poème en vingt-quatre chants Les Animaux parlants de Casti. Il aurait songé à le faire imprimer, mais les bêtes qui parlent peuvent dire des choses désagréables et Boucher aurait pu avoir, avant son fils, des difficultés avec la censure. Il n’y tenait d’ailleurs pas. Il tenait à sa situation et à l’avenir d’une famille qui s’accroissait toujours. Il appartenait à une lignée qui entendait se maintenir par le travail. Il acceptait loyalement les temps nouveaux. Il veillait à sa carrière et il suivait avec beaucoup d’attention les promesses de ses enfants.

28. J.-A.-G. Boucher, “ Observations sur un squelette d’aurochs découvert à Picquigny près d’Amiens ”, Mag. encycl., 4e année, tome 4, n° 13, 1er frimaire an VII (21 novembre 1798), 24-28.

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Fig. 13. Observations sur les bœufs sauvages par Boucher (1797), copie de l’écriture de Léon Aufrère

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Ses fils Jacques et Etienne L’aîné lui causait beaucoup de déceptions. Coco était en retard sur son âge et ne devait jamais réussir là où il fallait de la discipline. Il était pourtant laborieux, mais il lui arrivait toujours quelque histoire et sur ce point, il ne changera jamais. Il ne savait pas faire comme les autres et les autres n’aiment pas cela. Il a manqué sa vie scolaire comme sa carrière administrative. “ L’école, écrira-t-il un jour, est un laminoire ” et il était d’une matière pas assez malléable pour y passer. Les maîtres sont quelquefois durs quand ils sentent de la résistance, surtout quand des insuccès paraissent justifier leur sévérité et les écoliers se solidarisent volontiers avec eux quand il s’agit d’un des leurs qui ne ressemble à aucun d’entre eux. Coco était alors le paria de l’école et ses petits malheurs faisaient la joie de tous. Le professeur était un savant oratorien qui avait la confiance du père et qui sut lui faire partager ses sentiments. Etienne était alors dans la même classe et bien qu’il eût deux ans de moins, tous les succès étaient pour lui, tous les compliments et toutes les faveurs. Aglaé travaillait également très bien. Coco paraissait inférieur à tous et le père prit une décision bien grave pour les deux frères. Il retira Coco de la pension pour le mettre, à quatorze ans dans un bureau à côté de lui comme un écolier sans espoir, alors qu’Etienne fut envoyé au collège de Reims. Coco trouva la chose toute naturelle car il avait fini par croire à sa propre incapacité. Mais il en fut profondément attristé, et pour comprendre sa jeunesse, il faut toujours se le représenter avec une blessure qui ne cicatrisait pas. Boucher et Bonaparte Administrativement, Boucher prenait de l’importance. Il avait accepté l’Empire comme il avait accepté la Révolution. Il fut nommé Directeur sur place quand la Direction d’Abbeville fut constituée. La guerre avec l’Angleterre n’en faisait pas toujours une sinécure. La douane devait participer à la surveillance militaire des côtes et les circonstances amenaient la visite de l’Empereur qui faisait parfois appeler le Directeur. Du moins, Boucher de Perthes nous l’assure. Il nous dit aussi que son père était dans une espèce de faveur, qu’on avait voulu le faire préfet, conseiller d’Etat, que le Ministre d’Empire, Colin de Sussy, l’avait demandé comme adjoint ou administrateur des douanes. En 1803, Boucher accompagne l’Empereur dans sa tournée, Coco caresse le chien de Joséphine et lui donne le bras, “ le premier consul avait mis leur nom dans la gamme des sons qui flattaient son oreille ”29. Un an auparavant, car Boucher de Perthes fait de l’histoire régressive, Napoléon soumit à son père un projet qui était quelque chose comme le pré-

29. J. Boucher de Perthes, Sous dix Rois, op. cit., t. I, 132.

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lude du blocus continental. Celui-ci prit l’attitude de M. Cristophe30 devant le Ministre et désapprouva la mesure proposée. Mais Napoléon oublia les avis de son père et c’est ce qui amena la catastrophe de 1814 et la ruine de l’Empire. Comme on ne peut pas avaler tout cela et qu’il est difficile de dire où le rêve se sépare du réel, nous préférons à ces fantaisies inspirées par la vanité le récit précis et simple qui a été conservé dans les manuscrits du père et qui a le mérite de la clarté et de la sincérité : “ Bonaparte […] a fait son entrée à Abbeville le 28 juin l803 […]. Il fut le 29 à S. Valéry et en revint le même jour. Le 30, il reçut les autorités d’Abbeville et a pris ensuite la route de Boulogne ”. “ Le conseil municipal lui aiant été présenté, M. Boucher qui en étoit membre saisit cette occasion pour l’entretenir de la retenue arbitraire de plusieurs navires anglais qui venoit d’avoir lieu à Dieppe ”. “ La rareté de certaines marchandises étrangères et surtout des denrées coloniales, avoit déterminé le gouvernement à se relacher de la rigueur des lois sur le blocus continental, en accordant des permissions spéciales. Elles étoient subordonnées à certaines conditions expliquées dans une instruction ministérielle, envoyée par le chef de l’administration des Douanes. Une circulaire expédiée aux directeurs […] étoit suivie d’un postscriptum, d’après lequel on pouvoit saisir à l’exception les batimens chargés d’objets provenant du commerce anglais. Cette annotation qui n’était qu’un avertissement provisoire parut suffisante aux autorités de Dieppe pour motiver la saisie des navires qui venoient d’entrer dans le port […] ”. “ M. Boucher ne dissimula pas que cette retenue lui paraissoit prématurée et illégale en ce qu’il est reçu en principe qu’aucune loi ne peut avoir d’effet rétroactif et qu’il auroit fallu que les intéressés fussent avertis de la prohibition avant de s’exposer à la saisie ”. “ Cette explication frappa le premier consul qui promit d’y avoir égard. Il dit même à M. Boucher qu’il paroîtroit bientôt un règlement qui lèverait les difficultés occasionnées par les permis d’exception. Effectivement la loi sur les licences fut rendue peu de temps après. Elle a permis l’admission de certaines marchandises en exportant en échange la contrevaleur en denrées et productions du commerce françois ”. “ Les navires arrêtés à Dieppe furent relâchés à cette condition ”. Napoléon Bonaparte devenu Empereur a fait une seconde apparition à Abbeville le 26 mai 1810. On croyait qu’il s’y arrêterait et des préparatifs furent faits pour le recevoir : mais il ne fit que traverser la ville et fut complimenté dans la voiture par le maire tandis qu’il relayait. Il prit la route de Dieppe. 30. Allusion à J. Boucher de Perthes, Opinion de M. Cristophe, vigneron, sur les prohibitions et la liberté du commerce, Paris, Treuttel et Würtz, 1831-1834.

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Boucher exerça les fonctions de conseiller municipal pendant quarante-trois ans. Dans la ville, il avait non seulement le prestige que donne toujours la fortune, mais aussi celle que donne le savoir dans un milieu qui l’apprécie encore. A cela, il ajoutait la situation d’un fonctionnaire influent. Mais autour de lui, dans cette vieille ville, tout le monde ne s’était pas tiré d’affaires de la même manière. Il y avait bien des irréconciliables et il semble que la considération dont il jouissait n’était pas sans quelque réticence. Il laissait ignorer, paraît-il, qu’il y avait eu des titres dans la famille. Boucher de Perthes dit que ses compagnons étaient tout fiers de leurs noms sonores et féodaux et ils paraissent avoir eu peu de considération pour celui des Boucher qui n’avaient jamais encore accolé aucun de leurs titres à leur nom patronymique31. Les manifestations de son activité scientifique sont de moins en moins nombreuses. Les réunions de la Société d’Émulation deviennent plus rares. Ses bulletins pourtant bien laconiques cessent même de paraître. Elle mènera une existence crépusculaire jusqu’à ce qu’elle soit reconstituée vingt ans plus tard par des hommes nouveaux. On dirait que quelques années de production ont suffi pour épuiser la génération des fondateurs. Boucher et Lamarck Boucher avait été sollicité par son administration qui lui avait demandé une Statistique de la direction d’Abbeville. Il demanda des directives au grand Lamarck qu’il avait reçu à Abbeville. Celui-ci répondit par une lettre qui a déjà été publiée par Joubin et par Landrieux32, et qui nous apprend que l’Administration centrale avait demandé aux Directeurs d’“ ajouter à l’histoire générale des douanes de l’empire, le tableau des productions de la nature dans les différents règnes ”. Le travail fut présenté à la Société d’Émulation le 19 février 1810. Nous savons que Lamarck était un Picard et il était certainement venu voir les collections de son compatriote. On a dit qu’il y avait au musée Boucher-dePerthes des coquilles provenant de la collection de Lamarck. Landrieux ne les a point retrouvées. J’ai vu dans un grenier plusieurs boîtes de gastéropodes marins déterminés et étiquetés par Boucher. C’était visiblement ce qui restait d’une collection étendue. Boucher de Perthes en avait donné au musée de l’Arrondissement où elles furent rangées parmi les objets qu’on distribuait aux enfants ou qu’on jetait dans la Somme “ d’où ils n’auraient jamais dû sortir ”. Il est fort possible que Boucher ait fait des échanges avec Lamarck. Mais depuis sa mort, qui peut dire ce que tout cela est devenu ? Ce qui est certain, 31. J. Boucher de Perthes, Sous dix Rois, op. cit., t. I, 68. 32. Lettre de Boucher à Lamarck reproduite dans M. Landrieux, Lamarck, le fondateur du transformisme, sa vie, son œuvre, Paris, au siège de la Société zoologique de France, 1809 ; et Bull. Mus. Hist. nat., 1907, 302.

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c’est que Lamarck fut pour Boucher ce qu’il avait été pour Dumaisniel de Belleval et je crois que son souvenir est demeuré dans cette maison car on peut se demander si son influence ne se retrouverait pas dans le singulier transformisme que Boucher de Perthes a exposé dans les cinq volumes de De la Création ou Essai sur l’origine et la progression des êtres (1841). Boucher vu par ses fils Jacques et Étienne En 1805, Boucher de Perthes quitta son père pour le retrouver vingt ans plus tard. Il en a parlé deux fois assez longuement, la première fois à propos de ses souvenirs d’enfance, la seconde à propos de sa mort. Ce qu’il en dit est sans doute un peu romancé. Les pages qu’il y consacre dans ses Souvenirs nous le présentent plus particulièrement tel qu’il était à peu près au moment où nous en sommes : “ Dans sa petite taille, écrit-il, cinq pieds deux pouces, mon père était d’une agilité extrême. Il montait bien à cheval et courait encore mieux à pied : il faisait pédestrement, soit en herborisant, soit en chassant, des courses de douze à quinze lieues. Il m’a rendu fourbu plus d’une fois dans mon enfance, et plus tard, quand je voulus l’imiter dans les sauts presque incroyables qu’il faisait en franchissant des fossés et des haies, il m’est arrivé souvent de m’embourber ou de tomber sur le ventre ”33. Il l’oppose à Napoléon qui “ n’était jamais ce qu’on appelle un homme distingué ” et au monde de cette époque qui n’arrivait pas à quelque chose de mieux qu’à “ un laisser-aller bourgeois et à une gentillesse de fournisseur, près desquels le sans-façon militaire, un peu moins roturier, semblait le bon ton ”. “ Quant à mon père, il ne s’y trompait pas. Ayant, dès son enfance, vu la très-bonne compagnie, il en avait conservé les traditions et les habitudes. Parce qu’il était d’une vivacité extrême, ses gestes, quoiqu’un peu brusques, n’étaient jamais familiers. Homme comme il faut et gardant toujours les formes, il était à la fois digne et respectueux ”34. Un mot d’Etienne confirma un trait que nous trouvons dans ces lignes : “ J’ai donc fait ma confidence, que mon père a prise avec toute la chaleur et la vivacité que tu lui connais ” (20 janvier 1822). Plus tard Boucher de Perthes dira : “ On était sûr, en ayant peur et en le lui laissant voir, de lui donner des mouvements d’impatience. Malgré sa bonté, dans ces moments où il n’était plus maître de lui et, comme le cavalier dont le cheval hésite, il vous aurait frappé, et je le fus une fois par lui, étant enfant, pour une raison semblable […] ”.

33. J. Boucher de Perthes, Sous dix Rois, t. I, op. cit., 149. 34. J. Boucher de Perthes, Ibid., t. V, 484

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“ D’ailleurs, quand il se mettait en colère, ce qui lui arrivait souvent, c’était l’explosion d’un éclair : cela passait vite, et il était si fâché de s’être emporté, que c’était le moment d’obtenir de lui ce qu’on voulait ”35. Nous avions un portrait de ce petit homme, maigre, avec une petite figure fine, vive et décidée qui paraît presque mesquine sous son grand chapeau et cette figure altérée et ridée avant l’âge qui était certainement la sienne quand il parle de Dumaisniel de Belleval (Voir Fig. 3). 1812-1815, Jacques Boucher à Paris, officier supérieur des douanes et homme de lettres En mars 1805, Jacques était parti pour Marseille comme surnuméraire. Il venait d’avoir seize ans et il était bien disposé à se faire une carrière. “ Les avancements administratifs ne sont pas difficiles à obtenir, écrit-il un peu plus tard, quand on est disposé à aller partout, vu qu’il y a une foule de gens qui sont prêts à aller nulle part ”. Il suit la ligne des douanes qui s’avançait avec les conquêtes françaises. On le trouve successivement à Gênes, à Livourne, à Foligno. Il est au mieux avec Pauline Bonaparte qui veut en faire un officier d’ordonnance dans la garde du roi de Naples. Il danse avec sa sœur, Elisa, grande-duchesse de Toscane. Il valse d’altesse en altesse comme il vole d’étapes en étapes. Le voilà successivement surnuméraire vérificateur, sous-inspecteur, officier supérieur des douanes en mission avec le titre d’officier d’ordonnance. Il a vingt-deux ans. Le paria de l’école se tirait tout de même d’affaires. Il réservait d’autres surprises à son père. On rimait à la douane de Gênes. Jacques Boucher veut rimer comme les autres. Il étudie sa grammaire, pioche ses classiques, traduit les poètes latins, fait des vers français, italiens, compose des chansons, des comédies, des opéras. Le voilà qui fait l’admiration de son frère Etienne encore au lycée de Reims : “ Tandis que sur le sommet de l’Hélicon, tu puises à ton gré dans les sources d’Hypocrène, que les vers et les comédies coulent de ta plume, moi, chétif poète, je m’amuse à assembler quelques rimes ” (16 décembre 1806). Les rôles paraissaient renversés. Mais Etienne annonce qu’il va quitter le lycée et retourner à Abbeville. Alors, “ Dieu sait comme chez moi les vers s’en vont couler. On ne peut pas être inspiré au Lycée, et des grilles et des verrous n’ont pas de quoi échauffer l’imagination d’un amateur de la belle nature ” (20 mars 1807). Pourtant, un an après, il écrit : “ Depuis que j’ai quitté le lycée, j’ai renoncé à la poésie ” (14 mai 1808).

35. J. Boucher de Perthes, Ibid., t. V, 484.

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Par contre, Coco était devenu un homme de lettres et il ne s’arrêtera plus. J’ai entre les mains une fantaisie inédite, datée de 1809, en prose et en vers, sur la grotte de Paolo. Elle n’est pas plus mauvaise que les essais littéraires du père. Que devait-il penser de cette métamorphose ? Dès 1811, Jacques Boucher réussit à faire publier quelques-unes de ses poésies et de ses romances. Il l’annonce à son père comme un triomphe. Mais il signe ses travaux littéraires Boucher de Perthes, en ajoutant à son nom celui de sa mère qui prenait ainsi la figure d’un titre placé à la suite du nom patronymique. Pourquoi n’avait-il pas choisi dans les titres de la famille de son père ? Il est difficile de ne pas voir dans cet acte l’expression d’une préférence. Son père s’était montré sévère. Il avait pris à son égard des dispositions dont il a toujours gardé un douloureux souvenir. Il en parle avec beaucoup de respect, mais quand il s’agit de sa mère, à l’éloge s’ajoute toujours l’attendrissement. Il revient en France après avoir rempli une mission délicate et périlleuse. A Paris, on le reçoit assez mal et on l’envoie dans une inspection de province. Une nouvelle mission le ramène à Paris en 1812. Il est sous-chef de la division du personnel avec le grade d’inspecteur. Il a vingt-quatre ans. Il est près des théâtres, des éditeurs. Il écrit un opéra qui est refusé mais qui “ réussit parfaitement dans une représentation de société ”. Il commence à inonder les almanachs et les chansonniers. Son père éprouvait d’autres satisfactions avec son dernier, Félix, né le 19 mars 1805. On a conservé de lui le souvenir d’un jeune prodige. “ À peine âgé de treize ans, il s’était fait connaître des savants par un génie précoce et par son aptitude aux sciences. Un nouveau genre de plante a reçu son nom : Ceramium felicii ”. Cette amplification qu’on retrouve dans toutes les généalogies des familles est comme l’expression d’une légende de famille autour d’une figure qui avait donné lieu aux plus grands espoirs. Le père voyait dans sa famille un écrivain et un savant. 1815. Disgrâce de Boucher de Perthes, La Ciotat et Morlaix D’après les histoires que raconte Boucher de Perthes, on pourrait avoir l’impression que la situation de la famille était liée au sort de l’Administration impériale et que le cap de 1814-1815 n’aurait pas été doublé sans quelques difficultés. Dans les manuscrits de J.-A.-G. Boucher, on trouve écrit de sa main et certainement rédigé par lui, un récit impersonnel qui nous fixe sur son attitude après Waterloo :

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Fig. 14. Lettre de Alexandre de Lameth à Boucher (1815) “ Les Abbevillois qui avoient prouvé leur fidélité aux Bourbons en 1814 ne furent pas les derniers à se déclarer à cette seconde époque ”. “ M. Eloy de Vicq, gendre de M. Boucher, directeur des Douanes et membre du conseil municipal revenoit d’Amiens le 27 avril. Ce jour-là même, on s’y étoit déclaré pour la cause Royale. MM. Boucher, de Vicq et Senermont (commandant de la place), quoique le jour tirât vers sa fin, ne perdirent pas un moment pour prévenir le maire et le commandant de la garde nationale de ce qui s’étoit passé dans la ville principale du département et les déterminèrent à faire suivre son exemple. Aussitôt les notables, les principaux fonctionnaires,

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les membres du conseil municipal furent convoqués à l’Hôtel de Ville dans la matinée du 28 ”. “ A midi, une réunion nombreuse remplissoit les salles de la mairie […]. Une adresse fut rédigée et couverte de signatures. L’adhésion au gouvernement royal fut proclamée à trois heures au son des cloches et au bruit du canon. Des cocardes blanches furent distribuées et les drapeaux blancs arborés dans les maisons remplacèrent les emblèmes du gouvernement impérial ”. Boucher de Perthes était plus compromis. Il dut quitter Paris. Ce fut l’effondrement de tous ses rêves. Il fut envoyé à La Ciotat, puis à Morlaix36. Là, au moins, il put travailler, écrire, composer des tragédies, des comédies. Elles furent prises en compte à la Comédie-Française, parfois acceptées par le comité de lecture mais arrêtées par la censure. Le comédien Pottier voulait le diriger vers la comédie de caractère. Il en obtint Le Mystérieux qu’il joua à la Porte-Saint-Martin. La pièce fut “ sifflée, archisifflée ”, mais la critique s’en prit au public et au théâtre en regrettant que la tentative n’ait pas été réalisée sur une grande scène. Ce n’était pas décourageant et l’auteur ne se découragea pas. C’est le côté politique de ses pièces qui les arrêta. En 1820, il publia La Marquise de Montalle37. C’est du théâtre rosse, avec de l’esprit et des pointes où l’auteur s’inspire à la fois du Tartuffe et du Mariage de Figaro. En 1817, Félix mourut dans sa quatorzième année. Boucher perdait un continuateur. Jacques restait le seul dépositaire de l’avenir intellectuel de la famille. 1818. Jacques Boucher “ de Perthes ” Le père avait accepté la Restauration comme il avait accepté la Révolution et l’Empire. Son libéralisme était conciliant et modéré. Il semble avoir été surtout préoccupé de l’avenir de sa nombreuse famille. Il avait placé trois de ses garçons dans les Douanes. En 1810, il avait marié sa fille à Bonaventure Charles-Henri Eloy de Vicq. Il avait encore tous ses garçons à établir. C’était une chose assez difficile. Sous l’Empire, les titres avaient reparu à côté des noms patronymiques et cette tendance s’était accusée après le retour des Bourbons. Etienne s’en préoccupe dans une lettre à son frère : “ J’ai écrit à papa pour que nous prenions définitivement un second nom qui nous distingue les uns des autres. Il m’a dit qu’il attendait ton voyage à Abbeville pour régler cela avec toi qui est l’héritier présomptif ”. “ Si tu as des idées à ce sujet, donne les moi ” (21 février 1815). Or, à ce sujet, les idées de Jacques Boucher étaient déjà arrêtées. Par ordon-

36. A Morlaix pendant 9 ans, de 1816 à 1825. 37. J. Boucher de Perthes, La Marquise de Montalle, Comédie en 5 actes, Paris, Au magasin général des pièces de théâtre, J. N. Barna, 133 p.

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nance du Roi du 16 septembre 1818, il était autorisé à ajouter à son nom celui de de Perthes38. Etienne lui écrivit à ce propos39 : “ Mon père me mande que tu as obtenu l’autorisation de prendre le nom de Deperthes, mais il ne me dit pas si c’est pour toi seul ou pour toute la famille. Pour m’en éclaircir, je lui ai demandé copie de l’article du Bulletin des lois qui en fait mention40. Etant à Abbeville, je me suis amusé à fouiller dans nos papiers de famille et j’ai vu que nous aurions droit à prendre aussi le nom de Crèvecœur que portoit notre bisaïeul Jean Boucher41 et que personne n’a reporté depuis. J’ai trouvé aussi la piste de plusieurs pièces importantes qui [sont égarées depuis longtemps] nous manquent tel que le Brevet de nos armoieries etc. [Mais il faudrait pour cela du temps]. J’avois dessein de voir en passant à Paris quelle démarche il y auroit à faire à ce sujet mais j’y reste trop peu de temps pour m’en occuper. Ce sera pour la prochaine fois. En attendant, si tu allois à Paris avant moi, préviens m’en d’avance et je pourrai te donner là-dessus quelques documens qui pourront te servir à faire quelques recherches […] ”. “ Je reçois à l’instant une lettre de papa qui me mande qu’il s’occupe de ravoir une partie de nos papiers de famille qui doivent être restés à la chambre des comptes dans ceux de M. Watelet depuis 1785. Il a écrit à ce sujet à Aug. St. Didier ” (14 novembre 1818). “ As-tu pensé à demander à Aug. S. Didier à voir toutes nos paperasses de famille qu’il a déterrées à la Cour des comptes, et à prendre des extraits de toutes celles qui peuvent nous aider à débrouiller le cahos [sic] de notre illustre origine. Si tu n’y trouves rien de nouveau, j’ai un autre moyen à t’indiquer pour parvenir audit débrouillement. C’est d’aller rue de la Sourdière N° 29, chez le président d’Hozier, ancien juge d’armes de France qui possède la collection des armoriaux où furent inscrites les armoiries des personnes d’après l’édit de 179642 (ainsi que les brevets de réglemens d’armoiries délivrés depuis cette époque […]. Il est possible qu’il ait entre les mains le brevet de nos armoiries qui devait nous être délivré en 179743 d’après le reçu qui en avait été donné à Nicole-Godinot notre arrière grand-mère dont je t’ai envoyé copie dans le tems et dont l’original est à Abbeville ” (10 septembre 1819). Mais J.-A.-G. Boucher ne se décidait pas à demander une rectification d’état civil. D’après Boucher de Perthes, il prétendait que la noblesse sans privilèges n’était qu’une ombre sans corps et presque un ridicule. Mais Etienne aurait

38. Etat civil de Rethel, registre des baptêmes et mariages de la paroisse de Rethel pour l’année 1788. L. A. 39. Je transcris les ratures entre crochets. L. A. 40. Bulletin des Lois, n° 234, p. 474 et n° 324, 11 9bre 1829. L. A. 41. D’après les généalogies, le bisaïeul est Rémi-Louis et Jean Boucher est le bisaïeul de RémiLouis. L. A. 42. Lapsus : lire 1696. L. A. 43. Idem : lire 1697. L. A.

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volontiers pris le nom de sa mère. Il le prit effectivement. Les deux frères publièrent quelques romances qui sont présentées de la manière suivante : Paroles de M. J. Boucher Deperthes, Musique de M. E. Boucher Deperthes.

Jules-Armand-Guillaume

Jacques

Etienne

Armand

Jules

Eloy de Vicq

Fig. 15. Boucher, ses quatre fils et son gendre en 1835 Divisée en six, la fortune des Boucher ne permettait pas aux enfants de compter sur un établissement de même niveau que celui du père. En 1821, Boucher de Perthes aurait voulu épouser la fille d’un général, Etienne pensait à Melle de Norville, Jules à Mlle de Chateaubourg, Armand à une cousine qui devait être Mlle Morin. Tous ces projets ratèrent. Etienne et Jacques pensèrent alors aux deux sœurs R***, et cette combinaison ne réussit pas mieux que les autres. Il fallait en rabattre sur la question fortune. 1825. Boucher directeur des douanes en retraite, Jacques directeur des douanes à Abbeville En 1825, Boucher de Perthes fut nommé à la place de son père. Il eut son appartement dans l’aile droite de l’hôtel. Une lettre du 1er juillet 1826 adressée

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à Achille Valenciennes et conservée à la Bibliothèque du Muséum nous montre comment le père occupait sa retraite : “ M. Baillon m’a rapporté de Paris quelques fossiles que vous avez bien voulu lui remettre pour moi ”. “ Je n’ai différé mes remerciements que parce que je me suis aperçu que les coquilles de votre envoi étaient celles que vous aviez acceptées chez moi après avoir jeté un coup d’œil sur mes tiroirs ”. “ Je me persuade que c’est une méprise et qu’en faisant plusieurs expéditions vous avez confondu les destinataires ”. “ Je vous retourne au surplus les coquilles qui vous étaient destinées en y ajoutant quelques autres venant d’Angleterre et des environs de Bordeaux. Je ne crois pas vous offrir rien de nouveau, vous y trouverez du moins la preuve de mon désir d’ajouter quelque chose aux riches collections du Muséum. Je ne vous rappelle mon désir d’obtenir quelques doubles que parce que c’est vous même qui m’avez offert de me les procurer ”. “ Je viens de faire le classement de mes fossiles et je vous assure que ce n’est pas un petit travail malgré les ouvrages de Lamarck, Deshayes, Sowerby, etc., il reste encore bien des incertitudes et des espèces non dénommées ”. “ Pourriez-vous me dire si M. Defrance, si souvent cité dans la Malacologie de M. de Blainville, a publié d’autres ouvrages que son Tableau des corps organisés fossiles et me dire comment je pourrais me les procurer ”. “ Je vous prie, Monsieur, d’agréer l’assurance de la considération la plus distinguée de votre serviteur ” “ Boucher ” “ Directeur des douanes en retraite ”44. 1830. Jacques Boucher de Perthes, Président de la Société royale d’Émulation d’Abbeville Madame Boucher mourut le 31 juillet 1827. L’événement rapprocha sans doute plus encore le père et le fils. C’est peut-être à cette époque que Boucher de Perthes s’installa dans le cabinet situé près de la “ chambre de Madame Boucher ” et qu’on montrait aux visiteurs sous le nom de chambre de Boucher de Perthes. Il semble qu’il y ait eu d’assez sérieuses difficultés avec Aglaé, Madame de Vicq, qui occupa dans la maison, à un moment donné, une situation privilégiée qu’elle perdit après l’arrivée de son frère. Le père Boucher songeait déjà sans doute à ses collections et à un continuateur qui ne pouvait être que son fils aîné. Depuis longtemps le jugement qui avait condamné Coco 44. Bibl. centr. Mus. nat. Hist. nat., ms 1997-53.

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avait été révisé. A peine arrivé à Abbeville, Boucher de Perthes réorganise la Société d’Émulation. En 1828, il n’est que vice-président. Il est président en 1830. Pendant quarante ans il en fut l’animateur. Coco n’était pas devenu un savant. Il était mieux que cela, président d’une société savante. Mais il voulait aller à Paris. Il essaya de permuter avec un collègue. L’administration centrale ne voulait pas de lui. Son père était ou avait été conseiller municipal. Boucher de Perthes pensait à une carrière politique. Le douanier se fit économiste et représentant du libre-échange. Il annonça dès 1828 à l’un de ses collègues de l’Administration centrale, son intention de préparer un ouvrage sur ce sujet. En 1830 c’était chose faite et c’était un chef-d’œuvre, l’Opinion de M. Cristophe, vigneron, sur la liberté du commerce et les prohibitions. Boucher de Perthes donnait à son père un exemple et lui rendait un public en réorganisant la Société d’Émulation devant laquelle il semblait retrouver son ardeur et sa jeunesse. Coco était devenu un entraîneur et son père se trouvait parmi ceux qu’il entraînait. Le 3 janvier 1829, celui-ci envoyait une lettre à la Société contenant une dissertation sur le port où César s’est embarqué pour la conquête de la Grande-Bretagne. Le 23 octobre suivant, M. Boucher père adressait à la Société un manuscrit ayant pour titre : Recherches sur les routes du nord de la France. En 1831, il publie, dans les Mélanges d’Archéologie45 de Sébastien Bottin, ses Recherches sur l’ancien port de Quentovic. Il se remet à sa flore et publie une nouvelle édition notablement augmentée du volume de 1803, dans les Mémoires de la Société d’Emulation de 1833 (pp. 355-468). L’Avertissement de l’auteur se terminait de la manière suivante : “ Si cet abrégé de mon manuscrit n’ajoute pas beaucoup à la masse des connaissance et au progrès de l’histoire naturelle, il concourra du moins au travail général de la Flore française. Elle avancerait beaucoup vers sa perfection, si l’on obtenait un catalogue exact des richesses végétales de chaque département, ou du moins de chaque région de la France. L’idée d’une géographie botanique m’occupe depuis longtemps, et je ne désespère pas lorsque j’aurai rassemblé les nombreux matériaux qu’elle exige, de pouvoir un jour l’offrir au public ”46. L’auteur avait alors soixante-seize ans et il annonçait presque une science nouvelle. De son côté, Boucher de Perthes avait ramassé les très nombreuses pièces qu’il avait éparpillées depuis plus de vingt ans dans les innombrables recueils lyriques de l’époque et il publiait, presque sans intervalle, les Romances, Ballades et Légendes (1829), les Chants armoricains (1830), les Nouvelles (1832),

45. S. Bottin, Mélanges d’Archéologie, précédé d’une notice historique sur la Société royale des Antiquaires de France et du cinquième rapport de ses travaux, Paris, Delaunay, xcii, 306 p., pl. 46. Flore d’Abbeville et de ses environs par J.-A.-G. Boucher, membre correspondant de l’Institut de France, de la Société philomatique de Paris, de celles d’Agriculture et Linnéenne, de celle de Botanique de Londres, d’Agriculture de la même ville, etc…, Mém. Soc. roy. Émul. Abbeville, 2e série, t. 1, (1834 et 1835), 356-357.

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et les Satires, Contes et Cansonnettes (1833). Puis il se mettait à une rédaction, De la Création (1841), qui devait lui prendre une dizaine d’années pour échafauder une métaphysique et une religion nouvelles. Jamais le sanctuaire de la science et de l’art n’avait vu autant de travail, d’enthousiasme et d’ardeur. 1835. Jules-Armand-Guillaume Boucher “ de Crèvecœur ” C’est à cette époque que J.-A.-G. Boucher voulut reprendre le titre de l’ancêtre, Jean Boucher, seigneur de Crèvecœur. A la suite d’une requête adressée au tribunal de Charolles, un jugement du 4 décembre 1835 lui accorda une rectification d’état civil. À peu près en même temps, les enfants adressèrent la même requête au tribunal de leur lieu de naissance, excepté Boucher de Perthes qui attendit jusqu’en 1852. C’est à ce moment que Boucher de Perthes fit faire son buste et celui de son père par l’Abbevillois Pierre Sauvage, l’inventeur du physionotype. J’ai retrouvé des bustes, des masques, des médaillons de plâtre et de bronze dans les réduits les plus obscurs du musée et dans des tiroirs qui n’avaient pas été ouverts depuis trois quarts de siècle. Boucher de Crèvecœur avait alors près de quatre-vingts ans. Il y a beaucoup de finesse, de noblesse et de distinction dans cette vieille figure toute sereine (Voir Fig. 15 p. 78 et Fig. 34 p. 267). Boucher de Perthes et la préhistoire Boucher de Perthes approchait de la cinquantaine. D’abord poète un peu libre et léger, puis troubadour, il s’était fait successivement dramaturge, économiste, métaphysicien. Il avait commencé à se faire savant en devenant philosophe. Sa Création est un Essai sur la progression des êtres. Il avait passé son enfance chez un naturaliste et dans un cabinet d’Histoire naturelle. Il y était revenu en 1825 et il ne le quitta plus. À ses yeux, toute la science était là, dans les tiroirs et dans la bibliothèque de son père qui avait chez lui les œuvres de Bonnet, reçu Lamarck et traduit Spallanzani. Isidore Geoffroy Saint-Hilaire paraît avoir été fortement ému devant cinq volumes d’un transformisme encore plus radical que celui de Lamarck puisqu’il ramenait à l’unité l’animal et la plante. Boucher de Perthes avait écrit De la Création sous l’influence de la science qui était à côté de lui et autour de lui. Il évoluait en se rapprochant de son père. C’était l’esprit du père qui inspirait la maison. Boucher de Perthes entraînait ceux qui travaillaient autour de lui. Les volumes de la Société royale d’Émulation paraissaient régulièrement. Amiens suivait l’exemple d’Abbeville et l’année 1838 vit le premier volume de la Société archéologique du département de la Somme. Le sanctuaire était comme un centre de rayonnement, et l’on ne se doutait pas encore de ce qui allait se produire.

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La rédaction de De la Création se terminait à peine que Boucher de Perthes allait prendre la succession de Laurent Traullé et de Casimir Picard. À partir de 1837, il suit les travaux de terrassement effectués dans la vallée de la Somme où il recueille les industries et les ossements associés dans les mêmes couches. C’était ce que J.-A.-G. Boucher avait vu dans les excursions qu’il avait faites autrefois avec Traullé quand il se chargeait de décrire les os d’un bovidé trouvé dans les tourbières. Il avait dans sa bibliothèque tout ce qu’il fallait pour cela et notamment la collection des Mémoires du Muséum où Cuvier avait publié ses travaux sur les Ossemens fossiles. Il avait successivement entendu Laurent Traullé et Casimir Picard soutenir que les produits de l’industrie humaine se trouvaient associés à des restes d’animaux qu’il lui était arrivé de déterminer et qui différaient des espèces actuellement existantes. Il avait assez vécu pour voir se présenter autour de lui pour la troisième fois47 la question la plus importante que la géologie ait posée au XIXe siècle. Cette fois, c’était par son fils. Il ne s’agissait encore que de la coexistence, dans la vallée de la Somme, de l’homme avec le castor et les grands bovidés48. Le problème n’était pas nouveau et la solution n’inquiétait personne ; mais elle pouvait mener plus loin. Et le père Boucher voyait de nouveau les ossements des tourbières affluer dans son cabinet d’Histoire naturelle, comme au temps de sa jeunesse, mais accompagnés cette fois par des débris de l’industrie primitive. Il a alors quatre-vingt-quatre ans. Le déclin se fait sérieusement sentir. 1840-1844. Des haches “ celtiques ” à Menchecourt. Mort de Boucher “ La santé de mon vieux père est toujours bonne, écrivait alors Boucher de Perthes, seulement il perd de plus en plus la mémoire : il n’a plus l’idée du temps ni de la marche des heures, et dix minutes après avoir dîné, il ne se rappelle même pas qu’il s’est mis à table, et ainsi du reste ”. “ Cette absence de souvenir ne se fait sentir que pour les faits nouveaux. Parlez-lui du passé, et sa mémoire est parfaite. Il nous demande des nouvelles de personnes mortes depuis trente ans, qu’il croit avoir vu la veille ”. “ S’agit-il de science, d’histoire, de numismatique, et mieux encore, de botanique, son étude favorite, il en raisonne en professeur, cite les auteurs textuellement en latin ou en français, avec indication du volume et de la page ”. “ Quant à son âge, il ne croit jamais avoir dépassé soixante ans […] ”. “ Bien portant et d’appétit excellent, sans regret du passé, sans souci de

47. Le problème de la coexistence se serait posé une première fois avec Traullé, puis avec Picard, enfin une troisième fois avec Boucher de Perthes. 48. Dans la terminologie de Boucher de Perthes “ l’homme antédiluvien ” a coexisté avec les animaux “ antédiluviens ”, éléphants et rhinocéros.

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l’avenir, ayant toujours les idées riantes, mon père n’annonce aucune souffrance ”49. C’est bien l’expression de la figure tranquille et sereine du buste de Pierre Sauvage. Cette même année 1844, Boucher de Perthes s’occupe des ossements fossiles qu’on recueille dans les sablières de Menchecourt et il se préoccupe de la présence de l’industrie primitive. La question de la coexistence de l’homme et des grands mammifères éteints se pose alors en vraie grandeur. D’abord la solution parut incertaine, ne reposant que sur des rapports d’ouvriers où il pouvait y avoir du vrai et du faux. Les premiers objets présentés à Boucher de Perthes avec l’assurance qu’ils provenaient des sables ossifères étaient des débris de poterie, comme dans le néolithique de la Portelette. Alexandre Brongniart fut consulté. Avec son père, c’était deux vieilles connaissances que la céramique avait rapprochées. Il semble qu’il avait évolué depuis sa collaboration avec Georges Cuvier. Ami Boué raconte qu’en 1840, il lui avait “ avoué que les restes humains fossiles approchaient d’être un fait patent ”. Pourtant, il n’admet pas les conclusions de Boucher de Perthes : “ Ces fragments […] de ces poteries noires grossières que l’on trouve avec des animaux antédiluviens, répondit-il, ce qui ferait croire que les potiers étaient antérieurs aux éléphants européens, ce que je ne puis admettre malgré le mélange qui n’est probablement pas contemporain des choses mélangées ” (30 décembre 1841). Et l’affaire traîna ainsi pendant quatre ans. En février 1844, Boucher de Perthes voulut poser la question à l’Académie. Il s’adressa à son compatriote Cordier qui “ lui rit au nez ”, et il n’insista pas. Mais en juillet de la même année, il recueille lui-même une hache dans les terrains du banc diluvien de l’Hôpital. Cette fois, il avait la certitude. Il s’adresse à de Blainville qui “ rit encore plus fort ”. Et pourtant les trouvailles se multipliaient comme par enchantement. Il allait en éclaireur dans le passé vertigineux de notre humanité et le paria de l’école laissait à son vieux père qui descendait tout doucement vers la tombe de hautes promesses de gloire. Il s’adressa une seconde fois à Brongniart qui résiste par habitude mais qui répond en homme qui ne demande pas mieux que d’être convaincu et qui donne des conseils pour que “ le fait qui approchait d’être patent ” devînt, grâce à son correspondant, un fait positif et bien établi : “ Nous avons besoin de preuves bien évidentes pour être convaincus de la présence de l’espèce humaine sur la Terre en même temps que les animaux antédiluviens. Les observations faites par vous-même, appuyées de descriptions claires et détaillées des terrains, de figures et d’échantillons, seront peutêtre de nature à détruire une loi géologique qui n’est fondée que sur des observations négatives, bien nombreuses il est vrai, bien débattues ; mais enfin, il ne faut qu’un fait positif évidemment établi, qu’on ne puisse attribuer à une 49. J. Boucher de Perthes, Sous dix Rois, op. cit., t. V, 1863, 252.

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exception locale, pour détruire cette loi. Attendons votre livre, vos figures et vos échantillons. Au reste, j’ai présenté des exemples de ces réunions, je les ai discutés à l’occasion des débris de poterie qu’on trouve dans les mêmes circonstances que les haches celtiques. Vous trouverez ces discussions dans le premier volume ” (31 octobre 1844). Or, ces débris de poterie étaient ceux-là mêmes que Boucher de Perthes lui avait envoyés et que les ouvriers de Menchecourt lui avaient affirmé avoir recueilli “ au-dessous ” de la couche contenant des ossements d’éléphant et de rhinocéros. Brongniart ne nous fait pas connaître ses conclusions. Il semble attendre l’ouvrage de son correspondant pour prendre parti. Le père Boucher mourut le 24 novembre. Voici le récit de sa mort que nous a laissé Boucher de Perthes dans Sous dix Rois : “ […] il accueillit de la meilleure humeur notre vicaire, l’abbé Dergny, lorsqu’il lui apportait les derniers sacrements. Après s’être informé de sa santé, il se mit à badiner avec lui comme d’habitude, car l’abbé était de nos amis. Quand celui-ci rappela le sujet de sa visite, il commença sa confession, puis bientôt l’interrompit pour lui parler art et peinture, en lui demandant à voir un tableau que le digne prêtre avait mis sous son bras, comme motif d’introduction, dans la crainte de l’inquiéter. Mais avec une tête si fortement organisée et une âme de cette trempe, c’était chose superflue. En causant ainsi gaîment, il ne s’abusait pas sur sa position : il savait bien qu’il allait mourir ”. “ En effet, sans quitter son fauteuil, il s’endormit en regardant ce tableau et ne se réveilla plus ”. “ Nul, ni le curé, ni le médecin, ni moi-même, qui étions à ses côtés, n’aperçûmes aucun mouvement qui annonçât la mort, et il avait cessé de vivre depuis plusieurs heures, que le docteur lui-même croyait qu’il sommeillait encore ”50. Sous dix Rois a été composé avec des lettres réelles ou imaginées dans lesquelles il a fait passer ses souvenirs. Il y a, dans ce récit des contradictions et des invraisemblances. Si les témoins croyaient que le vieux Boucher sommeillait encore, comment aurait-on pu savoir qu’il avait cessé de vivre depuis plusieurs heures ? Il est fort possible que cette lettre ait été arrangée ou imaginée une vingtaine d’années après la mort de son père et que les événements aient été largement transformés par son imagination pendant cet intervalle. Il peut cependant y avoir un fond de vérité qui s’accorde avec ce que lui écrivait Brongniart quelques jours après : “ Je suis fâché d’être à jamais privé de revoir ici bas, mon ancien ami, mais j’admire une si belle vie et une si douce fin ” (25 janvier 1845). Voici le portrait moral que Boucher de Perthes trace de son père à cette occasion et où l’on peut supposer que l’arrangement littéraire ne transforme pas trop la réalité :

50. J. Boucher de Perthes, Sous dix Rois, op. cit., t. V, 485-486.

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“ Ce qui est excessivement rare, c’est le caractère […] de l’homme qui, souffrant, ne veut pas croire à sa souffrance, qui prétend n’être pas malade, même quand il l’est, enfin qui ne veut pas l’être et finit par se persuader qu’il ne l’est pas ”. “ Mon père était ainsi fait, et avec une complexion délicate, il a vécu quatrevingt-huit ans. Je n’ai jamais vu de corps plus dur pour lui-même ”. “ Sans avoir jamais eu de maladies caractérisées, il était sujet à des rhumes, des fluxions, des douleurs d’entrailles. Eh bien ! Quand la souffrance était peinte sur ses traits, lorsque son indisposition était évidente, il soutenait toujours qu’il n’avait rien, ne voulait rien faire, se fâchait très fort quand on insistait, et guérissait toujours plus vite qu’un autre ”. “ Indifférent pour toutes les jouissances de luxe, insensible au froid, au chaud, à la pluie, il dormait également bien à l’air, dans un lit, dans un fauteuil, sur un matelas ou sur une planche. Mangeant son dîner quand il était bon, et le mangeant de même quand il était mauvais, sans se plaindre, peut-être même sans s’en apercevoir. Au total, c’était la sobriété même ”. “ Dans les dernières années de sa vie, il devint goutteux des deux pieds. La goutte ne put jamais l’arrêter. Il boîtait, il se traînait, mais il allait toujours, soutenant qu’il n’avait rien qu’un peu de sensibilité aux orteils, et qu’il ne la sentait plus quand il marchait […] ”. “ Il en était de même des peines morales : il les supportait avec une résignation admirable ; cependant, il était sensible. Je ne l’ai vu pleurer qu’une seule fois : c’était à la mort de ma mère. Il était dans son cabinet et se croyait seul […] ”. “ Les raisonnements par lesquels il imposait silence à son chagrin ou combattait celui des autres, étaient brefs, mais d’un effet infaillible. C’est le seul homme que j’aie vu appliquer la consolation avec un ascendant aussi presqu’invincible. En peu de minutes, il rassérénait des gens fous de désespoir, faisant, par sa seule influence, changer en simples larmes des sanglots convulsifs de la douleur. Cet effet presque subit avait quelque chose de prodigieux, et j’ai entendu des personnes qui en avaient été témoins, ou l’avaient éprouvé elles-mêmes, en parler encore avec étonnement bien des années après ”. “ Il avait la même faculté, car c’en était une plutôt qu’un talent, d’arrêter la peur ou du moins de la modifier. La peur était chez lui un sentiment inconnu, ou si bien caché, qu’on ne l’y pouvait découvrir. On aurait cru qu’il n’en avait pas le sens, et qu’il ne le comprenait pas chez les autres. Il croyait toujours qu’on la simulait, que c’était un jeu, une grimace, et il ne perdait pas cette idée même lorsque le danger était le plus imminent, le plus palpable […] ”. “ Optimiste, et c’est le seul homme que j’aie rencontré qui le fût réellement, il prenait tout du bon côté. A un malheur, quel qu’il fût, il voyait une compensation, et il en faisait surgir une espérance ”. “ Aux maux désespérés, si toutefois il en admettait, il trouvait un palliatif, à défaut d’un remède. Dans les douleurs les plus vives, il voyait une crise favo-

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rable, un signe de guérison, un acheminement à la santé. Enfin, les plus grands chagrins avaient, selon lui, un revirement égal à eux-mêmes, et devinaient une cause de bonheur. C’était avec conviction qu’il vous le disait, et presque toujours il vous le persuadait. J’ai donc eu raison de vous citer son infaillibilité comme consolateur ”51.

Fig. 16. Acte de décès de Boucher de Crévecoeur (24 novembre 1844)

51. J. Boucher de Perthes, Ibid., t. V, 482-484.

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Jacques Boucher de Perthes et Alexandre Brongniart Il laissait à son fils un vieil ami pour le conseiller et même pour le défendre. En s’engageant dans la voie suivie par son père, Boucher de Perthes avait son idée. Il s’agissait de le remplacer à l’Institut. Peu de temps après la mort de son père il s’en ouvrit à Brongniart qui ne pouvait tout de même pas présenter à l’Académie des sciences un candidat qui n’avait à son bilan que des titres littéraires et l’annonce d’un manuscrit dont les conclusions étaient en désaccord avec la science de son temps et qui aurait fait l’unité de l’Académie contre le candidat et contre son parrain. Ancien collaborateur de Cuvier, Brongniart ne pouvait aller jusque là. Il aurait trouvé à l’Académie d’autres disciples qui seraient devenus des adversaires. Mais il avait évolué : dans la Description du Musée de Céramique de la Manufacture royale de Sèvres qu’il publia en 1845 avec Riocreux, il laissa passer sans formuler aucune réserve les indications suivantes que Boucher de Perthes lui avait communiquées et dont il partageait ainsi la responsabilité au sujet des débris de poterie dont il avait été question dans sa lettre du 31 octobre 1844 : “ N° 246. Débris d’un vase […] trouvés dans la sablière de Manchecourt [sic] […] au-dessous des os d’éléphants et de rhinocéros que cette carrière renferme ” (D’envoi de Monsieur Boucher de Perthes, 1841) ”52. Il acceptait les résultats admis par Boucher de Perthes sans pouvoir séparer le vrai du faux. Celui-ci rédigeait son livre53 en suivant ses conseils. Vers le milieu de l’année 1846, l’impression était presque terminée et l’auteur fit brocher quelques exemplaires incomplets qu’il alla distribuer à Paris dans la première quinzaine d’août. Il avait manqué Brongniart à la fin du mois de juin. La seconde fois, Brongniart lui écrivit la lettre suivante : “ À Monsieur Boucher de Perthes Directeur des Douanes, Hôtel de Bruxelles rue du Mail n° 35 à Paris ”. Béru St Eloy près Gisors, 14 août 1846. “ Je voudrais bien, Monsieur, qu’il n’en arrive pas de ce voyage ci comme du dernier que vous avez fait à Paris, où vous êtes resté plus de 10 jours sans qu’il m’ait été possible de vous rencontrer et de jouir ainsi de votre court séjour ”. “ Je reviens Samedi soir. Je reste chez moi à Paris Dimanche 16. Si vous êtes libre à l’heure du dîner, acceptez le vrai dîner de famille, car j’ai seulement un de mes enfants qui est encore à Paris et je n’y ai qu’un demi ménage. Mais c’est le seul moyen de vous voir et de causer un peu ”. 52. A. Brongniart et D. Riocreux, Description méthodique du Musée céramique de la Manufacture royale de Sèvres, Paris, A. Leleux, 2 vol., t. I, 1845, 31. 53. Son livre : De l’industrie primitive.

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“ Si vous ne le pouvez pas, je serai chez moi dimanche matin jusqu’à 2h. J’irais bien vous chercher à votre hôtel de Bruxelles ; mais il est probable que vous y restez peu. Cependant si je ne vous vois dimanche ni le matin ni à dîner, je le risquerai lundi, car je veux absolument vous voir dans le voyage. Je retourne à Sèvres lundi, je ne sais à quelle heure. J’y serai Mardi jusqu’à 4h., et mercredi, au jardin du roi de 11 h. à 2 h. ”. “ Mais tâchez de venir dîner avec nous rue St Dominique à 6 h. précises, même avant, dès 5 h. Je serai rentré. C’est le meilleur de tous ces arrangements ”. “ Si vous pouvez me faire trouver un mot d’acceptation à mon arrivée, je serai heureux d’être assuré d’avance de cette acceptation ”. “ Agréez, Monsieur, la nouvelle assurance de mes sentiments très distingués ”. “ Alex. Brongniart ” Boucher de Perthes avait fait des envois considérables au musée de Sèvres et on pourrait considérer l’empressement de Brongniart comme une politesse à l’égard d’un généreux donateur. Mais la grosse affaire était celle De l’Industrie primitive que Boucher de Perthes dut lui remettre ce jour-là. Si l’on se rappelle les lignes précitées sur les débris d’un vase trouvés au-dessous des os d’éléphants et de rhinocéros, tous les menus détails de cette lettre prennent une signification singulière et permettent de croire que Boucher de Perthes avait à peu près obtenu l’adhésion de Brongniart. L’accord a dû être bien près de se faire dans ce dîner de famille au sujet de l’homme antédiluvien. Mais la présence du père pendant l’élaboration de l’ouvrage était une garantie pour Brongniart et Boucher de Perthes dut peut-être cette adhésion au souvenir de son père autant qu’au contenu de son livre. Mais Brongniart était bien vieux pour s’occuper lui-même de l’affaire et la faire triompher devant l’opposition de ses collègues géologues à l’Institut, lui qui avait depuis longtemps abandonné la géologie pour la céramique. Il mourut d’ailleurs peu de temps après, le 7 octobre 1847. Il fallait attendre pour que le livre de Boucher de Perthes s’impose à la science. Boucher de Perthes était maintenant chez lui dans le “ sanctuaire de la science et de l’art ”. Il l’avait bien mérité et le père avait su récompenser le redressement du fils. Il fallut tout de même faire quelques sacrifices. On ne vit pas avec des collections. Il fallut faire des partages pour la famille. Les médailles furent vendues avec les meilleurs tableaux de la collection. Les meubles les plus beaux allèrent ou étaient allés aux autres enfants. Boucher de Perthes joignit les coquilles et les fossiles aux collections d’Histoire naturelle du musée de l’Arrondissement où on devrait pouvoir les retrouver aujourd’hui. Il

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donna l’herbier qui contenait vingt-cinq mille plantes à la Société linnéenne du Nord de la France. Mais il respecta la disposition des autres collections et demanda qu’on la respectât après lui. En exceptant la galerie des silex et la galerie Isaac qu’il avait fait aménager ou construire, la cuisine, la salle à manger et le salon que d’Ault du Mesnil avait transformés, le musée que nous avons connu était le cabinet Boucher de Crèvecœur qu’un mauvais écolier devait conduire à de hautes destinées, en abandonnant les sentiers du caprice et du rêve qui lui étaient si chers pour les voies âpres et sévères de la science que le père avait suivies. En 1852, Boucher de Perthes prit à son tour le titre de l’ancêtre paternel auquel il semblait avoir renoncé. Son nom devint alors : Boucher de Crèvecœur de Perthes. Cet hommage posthume au nom et à la mémoire de son père était encore un acte de justice car c’est l’esprit de Jules-ArmandGuillaume Boucher de Crèvecœur qui le conduisit à l’homme antédiluvien.

CHAPITRE II EXPLORER (LA VALLÉE DE LA SOMME)

I.

LA QUESTION DE L’ORIGINE DE L’HOMME1

Le concept de préhistoire Ce qui fait la grandeur historique et philosophique de la préhistoire, c’est d’avoir restitué le passé de l’humanité dans des temps qu’on s’était figurés comme antérieurs à toutes les choses existantes. La préhistoire achève l’histoire des sciences de la Terre pour écrire une histoire qui est antérieure à toutes les histoires et qui se déroule là où les croyances supposaient un vide matériel absolu. Le siècle des Lumières a commencé à remplir le néant qu’on étendait dans l’infini des âges et qu’on terminait si près de nous. 1. Cette partie présente comme en un tableau les doctrines relatives à l’histoire de la terre et des espèces à la fin du XVIIIe siècle, au moment où ce récit commence, dans le but de préciser le créationnisme et l’actualisme de Traullé et Picard, et en arrière plan celui de Boucher de Perthes. Pour un lecteur peu familier avec ces termes, on peut présenter l’actualisme organique et le créationnisme comme deux solutions à la question de l’histoire des êtres vivants, y compris de l’espèce humaine : comment les espèces sont-elles apparues ? Et s’il y a des espèces disparues, comment ont-elles disparu ? Le créationnisme postulait que tous les phénomènes sont apparus sous l’action de forces transcendantes ou surnaturelles plus puissantes que les forces actuelles. L’actualisme géologique (Lyell : actual causes, causes réelles, par opposition à causes surnaturelles) postulait la permanence des lois de la nature : “ Les causes qui ont agi au long de l’histoire de la Terre ne diffèrent point essentiellement des causes géologiques actuelles (érosion, transport, sédimentation, métamorphisme, volcanisme, plissement et soulèvement des montagnes) ” (G. Gohau, Naissance de la méthode actualiste en géologie, De la géologie à son histoire, CTHS, 1997, 140). Précisé par le mathématicien Playfair, il impliquait des changements lents et progressifs : “ L’action continue de petites causes pendant de très longues durées produit des effets considérables ”. L’actualisme organique se propose de concevoir une histoire des êtres vivants selon le modèle de l’histoire de la Terre. Ces doctrines reposent sur des postulats contraires, en tant que telles elles s’imbriquent. Ce sont deux hypothèses de travail parmi d’autres, chacune d’elle pouvant aboutir “ à des visions du passé totalement divergentes ” (F. Ellenberger, “ Le présent, clef du passé ”, Travaux du COFHIGÉO, 3e série, t. X, (1996), 66), elles donnent des éclairages limités sur l’histoire des êtres vivants et des éclairages qui peuvent se compléter. Elles peuvent donc coexister chez le même auteur et dans un même ouvrage, ainsi l’article de Gohau se propose de démontrer que dans l’actualisme “ il est difficile d’exclure toute cause violente ” chez Ami Boué par exemple (Gohau, opus cit., 139) ; et Cuvier considéré comme catastrophiste admet “ des causes qui agissent encore aujourd’hui ” (Discours préliminaire des Recherches sur les ossements fossiles de quadrupèdes de 1812). Dans ce texte nos personnages sont essentiellement créationnistes. Pour préciser l’ambiance, les livres étudiés par l’auteur dans ce deuxième chapitre étaient dans la bibliothèque de Traullé (Cf. Catalogue des livres de la bibliothèque de feu M. Traullé, ancien procureur du roi à Abbeville, membre correspondant de l’Institut, et d’autres sociétés savantes, Paris, Silvestre, 1830, 31), ou dans celle de Boucher de Perthes.

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Conyers et John Frere Vers 1700, Conyers situait dans les temps historiques un silex paléolithique acheuléen trouvé à côté d’une molaire d’éléphant parce qu’il ne connaissait que les temps historiques2. En 1791, John Frere3 plaçait les mêmes silex et les ossements de Hoxne dans un monde différent du nôtre parce qu’il avait la connaissance d’un monde antérieur au nôtre. Le même fait était interprété par Conyers en historien et par John Frere en préhistorien. Le premier était enfermé dans le temps accordé par la théologie et l’histoire. Le second se servait déjà des temps géologiques. Dans l’intervalle qui les sépare, l’état des idées avait changé. Le vide s’était rempli. Mais pas pour tout le monde et si les conceptions de John Frere étaient devenues possibles à la fin du XVIIIe siècle, elles ne s’imposèrent qu’une soixantaine d’années plus tard, quand les silex prendront leur place au musée de Saint-Germain4. Le triomphe termine un siècle au cours duquel se constituent et se développent des conceptions favorables ou relatives à la préhistoire, alors que les conceptions qui sont ou seront contre elles se raidissent avant de céder devant les faits observés. Nous suivrons cette opposition en accordant une attention particulière aux Abbevillois qui prépareront au dernier d’entre eux la route de Saint-Germain. Au créationnisme et au catastrophisme traditionnels nous verrons s’opposer l’actualisme physique et organique où viendra prendre place une anthropogenèse, que nous suivrons depuis Maupertuis jusqu’à Marcel de Serres, selon laquelle l’homme tel que nous le connaissons, a été produit avec du temps. Mais ce temps, qui était surtout conceptuel, est devenu de plus en plus concret grâce à la paléontologie et à l’archéologie de ce qu’on continuait à appeler les “ terrains meubles ”, qui contenaient les vestiges des hautes époques de l’histoire. Mais il faudra multiplier les preuves et tentatives pour ruiner les derniers avatars du créationnisme et du catastrophisme traditionnels. Ussher et Bossuet Les temps qui précèdent ceux dont nous écrivons l’histoire se terminent sur des positions créationnistes où la Genèse est considérée comme un texte ne 2. Conyers trouva une hache associée à des ossements d’éléphant à Gray’s inn Lane, London. Il crut que l’éléphant, amené par l’empereur Claude, avait été tué par un Celte avec un silex. Découverte relatée par Leland, De rebus britannicis collectanae , Osconi, e theatro sheldoniano, 6 vol., 1715, vol. I, p. LXIII. 3. John Frere découvrit à Hoxne, dans le Suffolk, des silex acheuléens associés à des ossements d’animaux gigantesques et inconnus, Archæologia, vol. XIII, 1800, 204 (Lettre de John Frere lue le 22 juin 1797 devant la Society of Antiquaries). Prestwich reproduisit cette lettre sur la dernière page de : “ On the occurrence of flint-implements, associated with the remains of animals of extinct species in beds of a late geological period ” (Philos. Trans., part. II, London, Taylor and Francis, 1860, 318). 4. L’entrée des collections de Boucher de Perthes au Musée des Antiquités nationales, inauguré le 12 mai 1867, peut être considérée comme la reconnaissance officielle de la préhistoire en France.

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varietur, mais en principe plutôt qu’en fait. Les interprétations les mieux intentionnées elles-mêmes n’étaient pas sans apporter à un récit dont on voulait démontrer la valeur, des innovations ou des altérations pour répondre à des préoccupations qui se présentaient couramment. On ne pouvait pas demander au texte des informations qu’il ne contenait pas. Les historiens ne pouvaient pas ne pas chercher des précisions chronologiques dans un texte considéré comme historique et comme inspiré et qui, pour ces deux raisons, et surtout pour la dernière, devait être le fondement de toute chronologie des nations ou même du monde. Dans les Annales Veteris et Novi Testamenti (1650-1654), James Ussher avait fixé la création du monde en l’an 4004 avant Jésus-Christ. Bossuet avait accepté la chronologie du prélat anglican et l’avait suivie avec tous ses détails dans son Discours sur l’Histoire Universelle (1681). Il ne s’écartait d’ailleurs pas considérablement de ceux qui l’avaient précédé. Dans un ouvrage écrit pour l’éducation du Roi de France, une telle conception de l’origine et de la durée du monde était comme une loi de l’ordre moral, de l’ordre de l’Etat, sinon de l’ordre européen. D’autre part, à moins de faire violence au texte ou de se livrer à une exégèse à laquelle on ne pensait pas encore, on ne pouvait voir à la fin du sixième jour qu’un monde tel qu’il paraît dans la suite. Après le déluge, Noé retrouve ce monde tel qu’il était avant son entrée dans l’arche. Sans doute, sait-on aujourd’hui qu’il y a dans notre texte un écho de très anciennes cosmogonies mais on peut lire la Bible sans y voir aucune allusion à l’histoire des changements de la physique de la Terre et du monde et c’est ainsi que l’on a fait pendant des siècles et qu’on le pensait habituellement à la fin du XVIIIe siècle. Mais il y avait dans la littérature des textes qui invoquaient des phénomènes qui se passaient sous nos yeux et par lesquels on expliquait une partie des formes de la Terre. Des interventions transcendantes s’imposaient alors aux sciences de la Terre : la création et le déluge. En fait, elles n’étaient pas sans être concurrencées par certaines données de la science antique. Les sages de l’Ionie avaient déjà dit que la mer avait été là où est aujourd’hui la terre, Philon nous dit que Théophraste croyait que les eaux auraient aplani la Terre sans la formation de montagnes nouvelles et, dans un texte d’Avicenne assez répandu dès le Moyen Age, on lit que les montagnes et les vallées sont l’œuvre des eaux courantes. Mais les conceptions actualistes étaient alors loin de faire concurrence au créationnisme. Leibniz et la loi de continuité Les métaphysiciens et les physiciens nous présentaient un monde organisé d’une façon assez différente du monde biblique et les abstractions des uns et des autres éloignaient d’Ussher et de Bossuet. Descartes avait présenté une explication du monde qui reposait sur des considérations purement physiques, sans interventions transcendantes et sans chronologies historiques. Spinoza

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réunissait l’ordre de l’intelligence et l’ordre de la nature dans l’unité divine du monde. Leibniz jetait un pont entre ces deux ordres qu’il appelait “ l’harmonie préétablie ” et la Monadologie nous donne la structure d’un monde que régit la loi de continuité qu’exprime l’adage : Natura non facit saltus qui sera largement utilisée par les transformistes du XVIIIe siècle et même du XIXe et qui s’accorde aussi bien avec une durée indéfinie qu’avec une durée infinie et qu’avec la chronologie d’Ussher. Il admettait que la forme de la Terre était due au refroidissement d’une masse fluide. Les théologiens avaient sans doute différents reproches à lui faire et son fidèle secrétaire Eckhart fut le seul qui ait osé l’accompagner à sa dernière demeure. Sténon Sténon admettait qu’une couche recouverte par une autre avait été forcément déposée et consolidée avant celle qui la recouvre. Et qu’une couche inclinée avait été déposée horizontalement avant d’avoir été dérangée. Il posait ainsi les bases de la stratigraphie physique et de la tectonique. Il admettait ainsi que la Terre n’avait pas été créée telle que nous la connaissons. Il semble avoir été effrayé par les conséquences de ces propositions à tel point qu’il ne voulut plus entendre parler d’histoire naturelle. Linné : l’homme, une espèce parmi d’autres. Le XVIIIe siècle allait être plus hardi. C’est en 1735 que paraît le Systema naturae de Linné. Appliqué à la nature, le mot “ système ” était très significatif. Peut-être Linné systématisait-il ce qui l’était déjà, mais il le faisait plus explicitement. Dans ce système l’homme avait sa place parmi les êtres vivants et les êtres inanimés. Parmi les êtres vivants l’homme est une espèce comme une autre. Tous ces êtres devaient être classés par familles, par genres, c’est-àdire que leurs ressemblances étaient exprimées par des termes où se trouvait l’idée de génération. Sans doute, Linné ne croyait pas que plusieurs espèces et plusieurs genres puissent avoir une origine commune mais son vocabulaire convient tout à fait pour exprimer l’opinion contraire et Buffon le lui reprochera. Linné avait exprimé des ressemblances en des termes qui dépassaient sa pensée, comme si son sens de naturaliste avait dépassé les conceptions où d’autres considérations l’avaient enfermé. Il donnait par cela même à son ouvrage un caractère moderne et plus moderne que l’Histoire naturelle de Buffon. Que l’homme entrât dans un système tout à côté des singes n’est certes pas de l’anthropogénétique5, mais c’était nécessaire à l’anthropogénétique.

5. Anthropogénétique : branche de la biologie traitant de l’origine de l’espèce humaine.

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Actualismes physique et organique de Benoît de Maillet Le Telliamed ou Entretien d’un philosophe indien avec un missionnaire françois sur la diminution de la Mer, la formation de la Terre, l’origine de l’Homme de Benoît de Maillet parut en 1748, dix ans après sa mort. L’auteur y a travaillé trente ans, emportant son manuscrit dans ses nombreux voyages. Il refuse de voir des traces laissées par le déluge sur nos continents et en cela il ne dépassait pas Léonard de Vinci, Fracastoro et Bernard Palissy. Mais il admettait la diminution graduelle et continue des eaux de la mer qui découvraient peu à peu les continents, alors que les animaux marins devenaient des animaux terrestres et que cette transformation s’étendait à l’homme lui-même. L’auteur voit sur nos terres de multiples preuves de la présence de la mer. Il importe peu que toutes n’aient pas la même valeur. Le fait est assez gênant pour n’être pas contesté. Aujourd’hui la mer n’est plus là où elle était autrefois. Elle couvrit la Terre entière. Puis elle diminua lentement au cours des âges. L’eau est passée dans les espaces qui entourent la terre et le phénomène se poursuit sous nos yeux. Tous les animaux vivaient initialement dans la mer. Quand les continents sont apparus, il en est qui ont quitté la mer pour la terre, et pour cela ils se sont transformés. L’homme est un de ceux-là. Son anthropogénétique n’apporte rien de nouveau ou rien de sérieux. Ce n’est sur ce point qu’une reprise des idées d’Anaximandre et les changements invoqués par de Maillet tiennent le milieu entre les métamorphoses de la mythologie et les transformations que l’on attribue aujourd’hui aux êtres vivants. On peut voir dans l’ensemble de l’ouvrage un actualisme à la fois physique et organique expliquant le présent de la Terre et le développement de la vie par l’action dans le passé de causes toujours agissantes. Il en arrive presque à une anthropogénétique. Ou du moins, plus ou moins confusément, il en entrevoit la nécessité et si cette formule est du domaine de la fantaisie, la nécessité à laquelle elle répondait est en dehors de la fantaisie. Fontenelle lui-même avait encouragé l’auteur à composer les chapitres qui se rapportent à l’origine des êtres vivants et qui sont les plus risqués de tout l’ouvrage qui eut en son temps trois éditions (1748, 1749 et 1755). Maupertuis et l’idée d’une transformation des espèces En 1744, Maupertuis avait publié à Berlin où l’on philosophait en toute liberté, la Dissertation physique à l’occasion du Nègre blanc. L’année suivante, en 1745, il publia la Vénus physique. C’est le même sujet traité avec des développements nouveaux. C’est sans doute à Berlin qu’il était devenu un ardent admirateur de Leibniz. “ Quelques pensées de Leibniz, écrira-t-il un peu plus tard, ont produit des volumes immenses & des Systèmes éternels. Les Anglois dans la Métaphysique ne voyent que ténèbres : les François ont entrevû quelque lumière : Les Disciples voyent à découvert la nature des

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choses ”6. Mais il y a dans le système de Maupertuis, quelque chose qui lui est personnel et il semble que ses ouvrages soient parmi les plus importants du siècle. On trouve dans la Dissertation et dans la Vénus, l’application de cette loi de continuité : Natura non facit saltus, qui conduira Charles Bonnet7 à la célèbre “ échelle des êtres ” et qui jouera un si grand rôle dans les conceptions transformistes du XVIIIe siècle. Voici l’essentiel de la Dissertation physique : l’instinct des animaux appartiendrait aux “ plus petites parties ” dont l’animal est constitué. Celles-ci correspondent à peu près aux monades leibniziennes. L’instinct peut, dans les semences, faire les unions nécessaires entre les parties, comme il fait mouvoir les membres des animaux tout formés, ou du moins se trouve d’accord avec ses mouvements par quelque harmonie préétablie. Il peut aussi n’appartenir qu’à quelque partie indivisible constituant l’essence de l’animal, survivant au corps, susceptible de se retrouver dans la semence de l’animal qu’elle devrait reproduire et de ne reproduire jamais qu’un animal de la même espèce ou bien, au contraire, de produire toutes les espèces possibles, par la seule diversité des combinaisons des parties auxquelles elle s’unirait (ch. XXIII). La Vénus physique apporte de nouvelles réflexions dont voici le résumé. On peut penser que chaque partie de l’animal fournit ses germes à la semence. Les parties analogues à celles du père et de la mère seront celles qui s’uniront le plus ordinairement et elles formeront d’ordinaire des animaux semblables à ceux dont ils sont sortis. Le hasard ou la disette des traits de famille feront quelquefois d’autres assemblages. Ces unions extraordinaires de parties qui ne sont pas les parties analogues à celles des parents, engendrent véritablement des monstres. De telles productions ne sont d’abord qu’accidentelles. Après quelques générations ou dès la génération suivante, l’espèce originaire reprendra le dessus. Pour faire des espèces des races qui se perpétuent, il faut vraisemblablement que ces générations soient répétées plusieurs fois, que les parties propres à faire les traits originaires, moins nombreuses à chaque génération, se dissipent, ou restent en si petit nombre qu’il faudrait un nouveau hasard pour reproduire l’espèce originaire. L’auteur n’exclut d’ailleurs pas l’influence du climat et des aliments et reconnaît ne pas savoir jusqu’où cette influence peut aller après une longue suite de siècles. Ce qui veut dire que les espèces peuvent être d’autant plus différentes des espèces actuelles qu’on remonte davantage dans le passé en même temps que la diversité est de moins en moins accusée et que le nombre des espèces est plus réduit. Maupertuis n’ignorait pas qu’on trouve dans la terre des formes qui n’existent plus dans la 6. P.-L. Maupertuis, Lettres, Lettre VII, Dresde, 1752, 54 ; Œuvres, t. II, Lettre VII, Lyon, J.M. Bruyet, nouv. éd., 261. 7. Cf. Ch. Bonnet, Palingénésie philosophique ou Idées sur l’état passé et sur l’état futur des êtres vivans : ouvrage destiné à servir de supplément aux derniers écrits de l’auteur et qui contient principalement le précis de ses recherches sur le Christianisme, Amsterdam, Marc Michel Rey, 1769.

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nature actuelle. Il en donnait une explication naturelle. Dans l’Essai de Cosmologie (1750), dans le Système de la Nature, (1751), Essai sur la Formation des Corps organisés (texte latin, 1751) et dans des Lettres (1752) qui sont citées par Buffon (Histoire naturelle, t. IV, 387, 1753), Maupertuis revint sur la question qu’il avait examinée précédemment dans la Dissertation et dans la Vénus physique, sur la conservation et la transformation des espèces. Dans les métis, les “ éléments ” conservent l’habitude de l’arrangement qu’ils avaient dans le père et dans la mère, comme c’est le cas pour l’âne et la jument. C’est pourquoi ils ne peuvent s’unir et le métis est stérile. Mais : “ Il peut au contraire y avoir des arrangemens si tenaces, que dès la première génération ils l’emportent sur tous les arrangemens précédens, et en effacent l’habitude ”. “ Ne pourroit-on pas expliquer par là comment de deux seuls individus, la multiplication des espèces les plus dissemblables auroit pû s’ensuivre ? Elles n’auroient dû leur première origine qu’à quelques productions fortuites dans lesquelles les parties élémentaires n’auroient pas retenu l’ordre qu’elles tenoient dans les animaux pères et mères : chaque degré d’erreur auroit fait une nouvelle espèce : et à force d’écarts répétés seroit venue la diversité infinie des animaux que nous voyons aujourd’hui, qui s’accroîtra peut-être encore avec le temps, mais à laquelle peut-être la suite des siècles n’apporte que des accroissemens imperceptibles ”8. Des nuances insensibles se produisent le long de la durée et arrivent ainsi avec le temps à la diversité infinie des êtres actuels. Par ailleurs, pour Maupertuis comme pour Leibniz, “ la perception ” est la propriété essentielle des parties élémentaires (Système de la Nature, Essai sur la Formation des Corps organisés, LI, et Leibniz : Monadologie, § 14). Chez l’homme, il semble que de toutes les perceptions des éléments rassemblés, il résulte une perception unique9. Mais ce n’est pas propre à notre espèce : “ Dans les animaux dont les corps ont le plus de rapport avec le nôtre, il est vraisemblable qu’il se passe quelque chose, je ne dis pas de pareil, mais d’analogue : cette analogie en diminuant toujours, peut s’étendre jusqu’aux zoophytes, aux plantes ; jusqu’aux minéraux, aux métaux ; et je ne sais pas où elle doit s’arrêter ”10. C’est donc la “ perception ” qui fait l’unité de toutes ces parties élémentaires et par conséquent de tous les êtres : “ Mon corps est animé d’un Esprit qui s’aperçoit lui-même ; je juge de là que d’autres Corps semblables au mien le sont aussi. Je serois ridicule si une

8. P.-L. Maupertuis, Œuvres, t. II, Système de la nature, § nouv. éd.,1768, 164. 9. P.-L. Maupertuis, Ibid., § LII, 171. 10. P.-L. Maupertuis, Ibid., § LV, 174.

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et

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Lyon, J.-M. Bruyet,

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Taille un peu plus haute ou un peu plus basse, si des Traits un peu différens, me faisoient refuser une âme aux autres Hommes de mon Espèce : des Traits plus différens encore, une peau noire, ne m’autoriseront pas plus à priver d’âme des Habitants de l’Afrique. J’aperçois encore de plus grandes variétés ; je vois des Espèces d’hommes plus difformes et plus velus : leur voix ne forme plus des sons articulés comme les miens : je puis peut-être conclure qu’ils ne sont pas faits pour vivre en Société avec moi ; mais je n’en dois pas conclure qu’ils n’aient pas d’âme ; ni qu’il y ait dans la Nature un saut aussi énorme que le seroit celui qu’il faudrait supposer, si d’un Nègre ou d’un Lappon animé d’un Esprit qui s’apperçoit, et qui est capable de bien d’autres Connoissances, on passoit tout-à-coup à une espèce assés semblable à lui, mais brute et incapable de sentimens ; & qu’y ayant ensuite une infinité d’espèces telles que celles-ci, il ne s’en trouvât aucune autre telle que l’homme. Tout ce que je puis penser, et peut-être même sans grande raison, c’est que ces Espèces ont moins d’idées ou moins de facilité que je n’en ai. Je passe du Singe au Chien, au Renard, et par des degrés imperceptibles je descends jusqu’à l’Huître, et peutêtre jusqu’à la plante, qui n’est qu’une espèce d’animal plus immobile encore que l’Huître, sans avoir aucune raison pour m’arrêter nulle part ”11. Il faut distinguer deux idées qui se réuniront plus tard mais qui sont ici bien distinctes : 1° L’une est l’application de la loi de continuité formulée par Leibniz : la nature ne fait pas de saut. Ici “ les changements dans la nature ne sont jamais subits ”, et “ d’une espèce à l’autre les analogies ne changent que par des nuances insensibles ”, elles correspondent aux indiscernables. En préparant la génétique des espèces, la loi de continuité nous amène à l’aube de l’anthropogénétique. Nous la retrouvons chez Buffon et Bonnet. 2° L’autre idée s’oppose à Leibniz : la transformation des espèces. L’essence de l’animal est susceptible de produire toutes les espèces possibles. Cette éventualité n’est sans doute qu’une possibilité. C’est sans doute une idée plutôt qu’un système. Mais un système commence toujours par une idée. C’est dire ici la formule d’une génétique des espèces et de toutes les espèces possibles, y compris de l’espèce humaine. Ainsi d’une part, des nuances insensibles nous permettent de passer dans la nature actuelle d’un bout à l’autre de la série des êtres, dans ce que Bonnet nommera l’échelle des êtres, et on peut d’autre part passer, dans la durée, d’une espèce à l’autre insensiblement pour arriver à la diversité des espèces actuelles. Lamarck réunira les deux séries en une seule pour montrer que la diversité des êtres actuels forme une série ascendante qui n’est autre chose que l’ordre qui a été suivi par la nature dans ses productions le long de la durée.

11. P.-L. Maupertuis, Lettres, Lettre VII, Dresde, 1752, 38-39-40 ; Œuvres, t. II, Lettre Lyon, J.-M. Bruyet, nouv. éd., 1768, 250-251.

VII,

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D’après ce qui précède on voit que Maupertuis n’en était pas là, si même il n’allait pas un peu trop loin. Mais pour dépasser le but il faut d’abord l’atteindre et d’autres diront où il faut s’arrêter. Si nous ne trouvons pas aujourd’hui d’analogies qui descendent insensiblement jusqu’au métal, nous le suivons volontiers quand il monte d’une espèce à une autre, jusqu’à l’humanité. On a déjà fait remarquer qu’il y a dans Maupertuis des éléments du transformisme moderne. Il y a une anthropogénétique implicite et non développée, pas même dans l’abstrait, et il ne peut y avoir chez lui aucune idée sur l’étendue ou le contenu de la durée de l’humanité. Pour cette idée il faut une suite d’événements et il n’avait rien à mettre dans le passé que ses propres conceptions. Actualisme physique de Buffon Buffon répondra aux préoccupations de Sténon : la Terre n’a pas toujours été telle que nous la connaissons. Daté de 1744, publié en 1749, Le Discours de la Théorie de la Terre est un manifeste actualiste. Il apporte une définition de l’actualisme comme nous n’en avons pas encore trouvé de meilleure : “ Pour juger de ce qui est arrivé […], nous n’avons qu’à examiner ce qui arrive […] ”12. “ Il faut prendre notre globe tel qu’il est, en bien observer les parties et par des inductions conclure du présent au passé […]. Des effets qui arrivent tous les jours, des mouvements qui se succèdent et se renouvellent sans interruption, des opérations constantes et toujours réitérées, ce sont là nos causes et nos raisons ”13. Voici maintenant ces causes et leurs effets. Par le mouvement continuel du flux et du reflux, les eaux des mers ont produit les montagnes, les vallées et autres inégalités de la Terre. Les courants de la mer ont creusé les vallons et élevé les collines. En transportant les terres, les eaux de la mer les ont disposées les unes sur les autres par lits horizontaux. Les eaux du ciel détruisent peu à peu l’ouvrage de la mer, rabaissent continuellement la hauteur des montagnes, comblent les vallées, les bouches des fleuves et des golfes et, ramenant tout à niveau, rendront un jour cette terre à la mer, qui s’en emparera successivement, en laissant à découvert de nouveaux continents entrecoupés de vallons et de montagnes en tout semblables à ceux que nous habitons aujourd’hui (I, p. 124). Il ne faut que du temps pour que la mer prenne successivement la place de la terre (I, p. 98). Il a fallu des années pour produire l’épaisseur de terre ou de pierre dans laquelle on trouve les productions de la mer (I, p. 78).

12. G.-L. Leclerc de Buffon, Histoire naturelle générale et particulière, avec la description du cabinet du Roi, Paris, impr. royale, 1749-1778, 44 vol. + 7 vol. de Supplément, t. I, Discours de la Théorie de la Terre, 96. 13. G.-L. Leclerc de Buffon, Ibid., t. I, 99.

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L’auteur aurait évidemment parlé de siècles sans la crainte de la Sorbonne. Le changement de terre en mer et de mer en terre est attribué surtout au mouvement de l’océan d’orient en occident qui fait gagner du terrain à la mer sur les côtes orientales et lui en fait perdre sur les côtes occidentales (I, p. 97). L’auteur s’inspire de Leibniz pour la solidification et le refroidissement de la Terre. Il emprunte à Varenius le mouvement d’ouest en est des eaux de la mer. Il suit Bourguet dans l’explication du relief terrestre par le mouvement des vagues. Il y a dans ce système un ensemble de conceptions d’inégale valeur. Il reste aujourd’hui fort peu de choses du système de Buffon. Pourtant il y a un élément personnel appréciable. En somme, c’est un système historique, mais une histoire purement physique, mettant en jeu seulement des causes actuellement agissantes, en dehors de toute intervention transcendante, et dans lequel il abandonne la question du temps. D’après Cuvier, le système de Buffon “ excita un enthousiasme général et produisit […] des observateurs […] dans chaque coin de la terre ”14. Son influence sur l’actualisme physique s’étendra tout le long du XVIIIe siècle et même au delà. Buffon : Actualisme organique, créationnisme et transformisme L’actualisme de Buffon dans la Théorie de la Terre est purement physique. Quant à l’actualisme organique, c’est-à-dire l’intervention des causes actuelles dans l’histoire des êtres vivants, la position de Buffon est beaucoup moins nette et surtout moins accusée, au moins dans les premiers volumes de l’Histoire naturelle. Sans doute admet-il les espèces perdues, mais il prend également position contre ce que nous appelons aujourd’hui les conceptions transformistes et il le fait avec une telle netteté qu’il me paraît impossible d’y voir une manœuvre ou une feinte. Plus tard, il fera nettement intervenir les causes agissantes pour expliquer l’histoire du monde organique. Il reprendra à son propre compte et parfois dans les mêmes termes les conceptions qu’il semblait avoir repoussées tout d’abord avec énergie, de sorte qu’on s’est demandé s’il n’avait pas combattu des opinions que pour les exposer et les répandre. Cette opposition dans la pensée de Buffon a déjà été discutée en donnant lieu à des interprétations divergentes, notamment entre Marcel de Serres et Etienne Geoffroy-Saint-Hilaire. Il est souvent arrivé à Buffon d’exprimer des idées de son temps et de les propager mieux que ceux qui les avaient conçues. Cela ne veut pas dire qu’il les ait toujours dépassées, mais qu’il peut parfois tenir compte largement de ceux qui l’ont inspiré. Je crois qu’il s’agit d’un point

14. G. Cuvier, Rapport historique sur les progrès des sciences naturelles depuis 1789 ; et sur leur état actuel. Présenté à sa Majesté l’Empereur et Roi en son Conseil d’État le 6 février 1808 par la classe des sciences physiques et mathématiques de l’Institut conformément à l’arrêté du 13 vendémiaire an X, Paris, Impr impériale, 1810, vol. 5 et 6, 206.

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important d’histoire sur les origines de la génétique des espèces et sur l’anthropogénétique au XVIIIe siècle. Dans son système, Buffon s’écarte sans doute souvent de celui de Maupertuis, mais souvent aussi, il le côtoie ou le suit littéralement. On trouve notamment dans la Dissertation et dans la Vénus physique, l’application de la loi de continuité. Buffon apporte ainsi des développements nouveaux au Natura non facit saltus : “ L’homme doit se ranger lui-même dans la classe des animaux […]. Parcourant successivement et par ordre les différens objets qui composent l’Univers, et se mettant à la tête de tous les êtres créés, il verra avec étonnement qu’on peut descendre par des degrés presqu’insensibles, de la créature la plus parfaite jusqu’à la matière la plus informe, de l’animal le mieux organisé jusqu’au minéral le plus brut ; il reconnoîtra que ces nuances imperceptibles sont le grand œuvre de la Nature ; il les trouvera dans ces nuances, non seulement dans les grandeurs et les formes, mais dans les mouvements, les générations, dans les successions de toute espèce […]. La Nature passe d’une espèce à une autre espèce, et souvent d’un genre à un autre genre, par des nuances imperceptibles ”15. Si l’on tient compte de la violence qu’il montre dans les mêmes pages à l’égard du système de Linné, on pourrait dire, en considérant les lignes précédentes que les dispositions de Buffon sont ici absolument opposées à cet aphorisme fondamental de la Philosophica botanica : “ Il y a autant d’espèces que l’Etre suprême a produit dès le début de formes différentes. Ces formes se sont multipliées et produisent […] des formes toujours semblables à elles-mêmes ”16. Le créationnisme linnéen fait des différentes espèces des conceptions de la puissance créatrice qu’il n’y a qu’à reconnaître et que rien ne saurait modifier. Mais comment reconnaître aux espèces de Buffon de tels caractères et une telle solidité si l’on passe de l’une à l’autre par des nuances “ imperceptibles ” ? Comment conçoit-il l’espèce ? Il admet que les êtres organisés sont formés de “ molécules organiques ”. Il reprend les petites parties de Maupertuis. Et Buffon croit observer ces molécules organiques. Maupertuis s’était demandé s’il n’y avait pas des animalcules spermatiques chez la femme bien qu’il n’en ait pas trouvé. Buffon reprend ces observations. En 1844, Buffon nous dit qu’il réfléchit pendant un an. Needham vint à Paris. Buffon qui n’avait pas l’habitude des observations microscopiques, expose ses idées et celles de Maupertuis à Needham. En diluant ses préparations dans de l’eau de pluie, il semble y avoir introduit une microfaune

15. G.-L. Leclerc de Buffon, Histoire naturelle, t. I, Discours de la Théorie de la Terre, 13. 16. É. Guyénot, Les sciences de la vie aux XVIIe et XVIIIe siècles, Paris, Albin Michel, 1957, 362.

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dans laquelle il crut voir des molécules organiques. Le même procédé lui permit d’en retrouver un peu partout chez les animaux et les végétaux. On peut voir ici une reprise des petites parties de Maupertuis. L’assemblage des parties organiques communes aux animaux et aux végétaux forme les êtres organisés. Une matière commune à tous les êtres aboutit à des espèces et l’on passe de l’une à l’autre par des nuances insensibles. Or ces molécules organiques forment les êtres organisés en se conformant à un moule “ intérieur ” qui n’est pas sans quelque métaphysique aristotélicienne et qui paraît propre à chaque espèce (Histoire naturelle, II, ch. 1, 2 et 3) : “ Il y a une matière organique toujours active, toujours prête à se mouler, à s’assimiler et à produire des êtres semblables à ceux qui la reçoivent : les espèces d’animaux ou de végétaux ne peuvent donc jamais s’épuiser d’ellesmêmes, tant qu’il subsistera des individus l’espèce sera toujours toute neuve, elle l’est autant aujourd’hui qu’elle l’étoit il y a trois mille ans ; toutes subsisteront d’elles-mêmes, tant qu’elles ne seront pas anéanties par la volonté du Créateur ”17. On peut soupçonner que l’invocation au Créateur vienne ici pour donner satisfaction aux théologiens, on ne peut certainement pas en dire autant des “ moules intérieurs ” qui ne peuvent que nous ramener à des espèces aussi nettement définies que les espèces linnéennes, et où réapparaissait le créationnisme dans une forme qui n’était pas absolument nouvelle. L’espèce comme “ unité toujours subsistante et qui paraît éternelle ”18 paraît plus près du fond de la pensée de Buffon que le Natura non facit saltus. Dans son Histoire naturelle, Buffon voyait des unités spécifiques que son art de peindre lui permettait de bien caractériser, de bien individualiser, de différencier plutôt que de les rapprocher dans un système. Il y a dans la pensée de Buffon des éléments qui peuvent aboutir à des conceptions opposées. Ces discontinuités l’opposent au système de Linné pour lequel les unités spécifiques se rangent dans un ensemble qui les subordonne et plus encore au système de Maupertuis sur l’organisation commune de toutes les espèces. Bien que son auteur croit en la fixité des espèces, le Système de la Nature de Linné, avec ses familles et ses genres composés avec les mêmes ancêtres, est plus favorable au transformisme que l’Histoire Naturelle, en dépit de quelques passages qui s’y trouvent favorables.

17. G. Buffon, Histoire naturelle, t. II, 426. 18. G. Buffon, Ibid., t. II, 3.

II.

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Fig. 17. L’urus d’Hangest, première pièce paléontologique de la vallée de la Somme envoyée au Muséum

Faujas, Essai de géologie (1803), I, pl. XVII (à gauche) Cuvier, Annales du Muséum, t. XII (1808), pl. 34, fig. 3 et 8 (à droite) Des objets archéologiques dans les tourbières La préhistoire a été préparée par l’exploration des tourbières. La tourbe fut autrefois très activement exploitée dans la vallée de la Somme et tous les

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étangs qu’on voit aujourd’hui dans le fond de la vallée sont d’anciennes tourbières. Celles-ci sont citées par L. Guichardin dans son Histoire de Hollande (1630) et en 1663, par Ch. Patin, dans son Traité des tourbes combustibles. On avait déjà remarqué dans les tourbières, “ beaucoup de choses qui sont produites par artifice : […] des Médailles, des Pierres gravées, des Inscriptions antiques, des morceaux d’armures & d’autres choses semblables ”1, Patin croit que la mer les y a poussées avec force limons, dont ils ont été couverts ou que ces lieux ont été remplis d’eau et desséchés lorsque les fleuves ont quitté leur lit. On y avait aussi remarqué des restes de corps organisés avec des objets où l’imagination fait voir des figures d’êtres vivants, sans que les indications de notre auteur permettent toujours de les distinguer. Patin d’ailleurs est porté à y voir des corps qui se forment avec la tourbe, même quand il s’agit des arbres et des ossements. Certains de ces objets passaient dans les collections et Patin rappelle qu’on avait ainsi recueilli une grande quantité de médailles des Antonins dans les tourbes des environs d’Utrecht. L’Almanach historique et géographique de la Picardie pour l’année 1757 signalait à Abbeville la collection de médailles de l’Abbé Dunodent, demeurant près le Pont-Neuf. Son cabinet était un des plus riches qu’il y eût en France. Il y avait aussi “ quelques bons Tableaux, des Bustes en marbre et en bronze, et plusieurs Pagodes de la Chine ”, Dans le même quartier, le cabinet de M. de Thuison offrait “ une très belle suite de médailles en argent ” et “ quelques morceaux d’histoire naturelle ”2. Il est plus que probable qu’il y a eu des objets de provenance locale dans ces premières collections dont l’existence nous est connue. On savait alors que nos tourbières étaient dans des couches archéologiques. Voici l’idée qu’on avait, du temps de Devérité, de notre vallée à l’époque romaine : “ Le flux de la mer qui est à peine sensible au pont de Rémy, se faisoit sentir plus de trois lieues au loin. La tradition porte que l’eau se répandoit jusqu’à un village voisin, dit Bouchon. Elle inondoit une prairie d’une lieue entre Angest & l’Etoile. On assure même qu’il s’y est trouvé des ancres […]. On lit, dans une dissertation sur la tourbe, qu’on a trouvé plus haut encore, aux environs du camp de César, des bateaux chargés de briques, des ferrements, une chaussée pavée & couverte de tourbes. Sans recourir aux preuves du système de M. de Buffon, il est facile d’apercevoir ici, que toute la vallée fut couverte d’eau, & qu’elle étoit navigable. On voit aussi combien elle s’est prodigieusement élevée dans certains endroits ”3. Il y avait alors à Abbeville Charles-François du Maisniel de Belleval. C’est le premier des naturalistes abbevillois qui ait eu une certaine influence sur ses 1. Ch. Patin, Traité des tourbes combustibles, Paris, J. du Bray et P. Variquet, 1663, 62. 2. Almanach historique et géographique de la Picardie, 1757, 91. 3. L.-A. Devérité, Histoire du Comté de Ponthieu, de Montreuil et d’Abbeville, sa capitale. Avec la notice de leurs hommes dignes de mémoire, Londres, J. Nourse, 2 vol., 1765, t. I, 10.

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compatriotes et dont le nom nous soit parvenu. Né en 1733, il mourut en 1790. J’ai le texte d’une notice que lui a consacrée J.-A.-G. Boucher, le père de notre Boucher de Perthes et qui a été lue à la Société d’Emulation le 15 pluviose an 6 [3 février 1798]. Elle a été communiquée au Magasin encyclopédique, 4e année, t. 3, n° 12, brumaire an VI-1795, p. 479-492. Après s’être consacré aux arts agréables et surtout à la musique, il se mit à trente-huit ans à l’histoire naturelle. Le Dictionnaire de Botanique de l’Encyclopédie méthodique (1789) par ordre de matières a donné des articles extraits de sa correspondance avec Lamarck qui était lui-même d’origine picarde. J.-A.-G. Boucher recueillit ses manuscrits et il les utilisa pour ses recherches sur la flore des environs d’Abbeville. Ils étaient encore au musée Boucher-de-Perthes en 1940. Emmanuel Baillon (1744-1801), correspondant du Jardin du Roi On voyait alors parfois à Abbeville un personnage qui se place en tête de ligne de cette histoire. C’était Emmanuel Baillon. Sur lui et sur son fils, nous avons une notice de Prarond faite surtout avec des renseignements et des lettres communiquées par la famille et venant surtout des professeurs du Jardin du Roi4. Il naquit en 1744 à Montreuil où il passa la partie la plus heureuse de sa vie. Il était avocat et bailli de Waben. Le Muséum conserve des lettres adressées de Montreuil à André Thouin du 21 janvier 1779 au 31 juillet 1791. Il devint correspondant de cet établissement en droit ou en fait vers 1779 et peut-être avant. Les nombreuses lettres qui viennent de lui ou qui lui sont adressées nous mettent en présence d’un de ces correspondants du Jardin des Plantes au moment de son organisation, quand tout était à faire. Son zèle fut celui d’un collaborateur qui fait les frais de son propre travail, en dehors de quelques subventions qui semblent lui avoir été obtenues assez difficilement par l’administration. Nous le voyons mis à contribution à peu près par tous les naturalistes de l’Etablissement, envoyant des oiseaux empaillés ou vivants, des poissons, des invertébrés, des plantes et dissimulant dans ses envois, du “ fin tabac du Brésil ”, pour André Thouin. On le voit parcourant le Marquenterre, le littoral, les dunes, les marais, la vallée d’Authie, la vallée de Somme, ramassant des plantes, capturant des bêtes, examinant les prises faites par les pêcheurs et joignant aux émotions matinales de la hutte les préoccupations du naturaliste et l’application de l’empailleur. Il établit un jardin botanique dans les fossés des fortifications de Montreuil et le Jardin du Roi peut ne pas lui ménager les graines, plus faciles à obtenir que les gratifications. On lui demande à peu près tout

4. E. Prarond, Baillon (Louis-Antoine-François), Mém. Soc. imp. Émul. Abbeville, 2e série, t. 8, (1852, 1853, 1854, 1855, 1856 et 1857), 621-651.

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ce qu’on pouvait lui demander alors qu’on avait besoin de tout, jusqu’à Bernardin de Saint-Pierre qui voudrait qu’il demandât aux marins de jeter à la mer des bouteilles, des planches ou des coques de noix de coco. “ […] personne, écrit-il à Cuvier, ne saurait aimer plus sincèrement que moi le cabinet […]. J’ai du plaisir à l’orner, comme un amant à parer sa maîtresse ”5. Tant de zèle finit par un nom conservé ou perdu sur quelques étiquettes, dans des notes infrapaginales et dans quelques lignes de Cuvier fort élogieuses pour Baillon et un peu dures pour l’auteur de l’Histoire naturelle : “ L’histoire des oiseaux de Buffon est son chef-d’œuvre […]. Mais il faut bien en distinguer les différentes parties, parce qu’elles n’ont pas été écrites par les mêmes collaborateurs […] ”. “ Vers la fin de son travail […], il eut […] un excellent collaborateur en M. Baillon d’Abbeville […], grand amateur de chasse, qui, dans cette vallée de la Somme, au bord de la mer, avait eu des occasions infinies d’observer les oiseaux d’eau. Cette partie de l’histoire de Buffon est plus originale, pour les faits relatifs aux mœurs de ces animaux que tout le reste de l’ouvrage […]. C’est en partie par des observations de Baillon et des naturalistes allemands, qui ont donné une très grande attention aux mutations de plumage, que nous sommes arrivés dans le XIXe siècle à avoir une histoire exacte des oiseaux de l’Europe ”6. Effectivement, dans les derniers volumes, le nom de Baillon figure constamment dans les notes infrapaginales et, souvent, dans le texte. Buffon reproduit des informations, parfois des pages entières, représentant un travail énorme, fragmenté, dépersonnalisé, pulvérisé dans ces in-quarto. Buffon n’avait qu’à prendre. L’urus d’Hangest : première pièce paléontologique de la Somme envoyée au Jardin du Roi7 Emmanuel Baillon envoya au Cabinet du Jardin du Roi la première pièce paléontologique de la vallée de la Somme qui soit entrée dans les collections de cet Etablissement.

5. E. Prarond, Ibid., lettre du 3 pluviose an V, 630. 6. G. Cuvier, Histoire des sciences naturelles depuis leur origine jusqu’à nos jours chez tous les peuples connus commencé au Collège de France, Paris, Masson, 1845, t. V, 237-239. 7. Quel est l’intérêt de l’urus quant à l’invention de la préhistoire? Dans le tome 1 des Ant. celt. antédiluv., on lit que des ossements d’urus ont été trouvés dans les terrains alluviens de la Portelette (ch. X, 197), de la porte de Rouen (ch. XI, 211) et dans les terrains diluviens de Menchecourt et du banc de l’Hôpital, parmi des éléphants et des rhinocéros d’espèces disparues (ch. XII, 220, coupe de Ravin, couche XV). Il fut alors possible d’imaginer que ce qui vaut pour l’urus vaut pour l’homme : si l’urus est présent dans les terrains alluviens et dans les terrains diluviens, il n’est pas impossible de trouver des traces de l’industrie humaine dans les terrains diluviens.

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À tout seigneur, tout honneur. Le seigneur, dans cette histoire, c’est l’urus. Les souvenirs littéraires lui conféraient une dignité classique. Il soutenait d’ailleurs cette dignité par des cornes impressionnantes. Il obsède nos chercheurs depuis Emmanuel Baillon jusqu’à Boucher de Perthes. Il paraît comme le symbole des temps ensevelis dans “ les noires profondeurs de la tourbe ”. Il fut le roi de nos animaux et de nos temps archéologiques. Les éléphants et les rhinocéros étaient des inconnus. Quand ils paraissent, ils font l’effet d’étrangers et il a été difficile de réaliser l’idée qu’ils aient été, parmi les éléments du monde, de ceux qui ont occupé notre sol avant nous. C’est l’urus qui a facilité le passage entre ce monde étrange et le nôtre, et permis de penser qu’il n’y eut qu’un seul monde. Il a fait la liaison et l’unité des faunes successives où il devait paraître logique qu’il eût l’homme avec lui. Pourquoi, en effet, cet indomptable compagnon de nos aïeux aurait-il été sans eux du temps des éléphants ? Dans la vallée de la Somme, on a été plus sensible à ce qui faisait l’unité des faunes qu’à ce qui faisait leur distinction. C’est l’urus qui a facilité l’allongement des temps archéologiques qui répond à la conception de la préhistoire. Mais qu’est-ce que l’urus ? Cela est une assez longue histoire et si elle aboutit à une conclusion, c’est surtout sur le crâne recueilli par Emmanuel Baillon donné comme exemple. Après des hésitations, Cuvier admit que l’urus des Anciens représente notre bœuf commun à l’état sauvage, tandis que l’aurochs des Allemands serait le même animal que le bison des auteurs latins. urus et aurochs seraient ainsi deux mots différents désignant deux animaux différents dans deux langues différentes. D’après Macrobe, en effet, urus serait un mot celtique. C’est aussi l’opinion des lexicographes modernes (Holder, Dottin). Par contre, aurochs serait un mot germanique et signifierait le bœuf des plaines (Aue-r-Ochs). Le vieux haut-allemand avait le mot Auer avec le sens de taureau sauvage. D’après Goldfuss (in Cuvier, Rech. Oss. foss., 1823, t. IV, p. 117), le taureau s’appelle encore Ur dans certaines parties de la Suisse. Selon l’auteur du Martyre de Sainte-Geneviève, les Germains se servent du mot urus (in Cuvier, Ibid.) et César lui-même n’emploie le mot urus qu’à propos des bœufs sauvages de la forêt hercynienne. En somme, si urus est un mot celtique, il a été aussi utilisé anciennement en pays germanique et pour désigner un animal vivant à l’état sauvage dans les landes ou les forêts de Germanie, de sorte qu’on peut se demander s’il est réellement différent du mot Auer, pris dans le sens de taureau sauvage. On peut même se demander si, pour aurochs, il faut comprendre Aue-r-Ochs, bœuf des plaines, ou Aue serait le complément déterminatif avec le sens de plaine, réuni au déterminé par le r du génitif, ou bien Auer-Ochs où Auer aurait le sens de taureau sauvage et servirait d’épithète au mot Ochs. Holder, qui fait de urus un mot celtique, le rend par l’allemand Aurochs, sans dire s’il traduit par un mot différent ou par un simple doublet (Alt-Celt. Sprach.). Quoi qu’il en soit, la distinction linguistique entre urus et aurochs ne paraît pas de première évidence et les naturalistes

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des siècles précédents avaient le droit de se laisser influencer au moins par une paronymie pour voir, dans ces deux termes, le même mot transcrit dans deux langues différentes. Ce fut l’idée de Buffon et de beaucoup d’autres : “ Le bœuf sans bosse se nommoit vrochs & turochs dans la langue des Germains, & le bœuf sauvage à bosse se nommoit visen dans cette même langue. Les Romains qui ne connoissoient ni l’un ni l’autre de ces bœufs sauvages avant de les avoir vus en Germanie, ont adopté ces noms ; de vrochs, ils ont fait vrus, & de visen bison ”8. Plus loin Buffon ajoutera encore : “ L’urus ou l’aurochs est le même animal que notre taureau commun dans son état naturel ”9. “ Le bison est le même que le bonasus d’Aristote ”10. “ Il ne diffère de l’aurochs que par des variétés accidentelles, et par conséquent ils sont tous deux de la même espèce que le bœuf domestique ”11. Que les caractères différentiels ne semblent pas suffisants à Buffon pour établir une distinction spécifique entre le bison ou bisonus et l’aurochs ou urus, il n’en est pas moins vrai qu’il fait une distinction entre les deux animaux. Il ne doute pas que l’urus soit le même animal que l’aurochs. Dans le même volume, p. 418, Daubenton décrit un squelette d’aurochs et il indique quelques dispositions ostéologiques un peu différentes de celles du taureau ordinaire. C’est, je crois, de Haller que vinrent les premières réserves sur les conceptions de Buffon. Dans une note insérée dans la seconde édition du Dictionnaire raisonné universel d’Histoire naturelle de Valmont de Bomare (1768), au mot aurochs, Haller déclare qu’il est très douteux que l’aurochs soit notre taureau domestique dans son état naturel. L’aurochs a son crin, certains poils, une excellente odeur de musc et d’autres attributs différents de nos bœufs. Par contre, en 1777, Pallas écrit que le bonasus d’Aristote est “ exactement le même animal que J. César décrivait sous le nom Germain d’Ur-us et qui n’existe plus aujourd’hui que dans les vastes forêts de la Lithuanie et dans les Monts Karpathes ”12. Mais il lui semble que les deux variétés adoptées par Buffon, l’urus et le bison “ ne sont pas plus réelles que les espèces des nomenclateurs, que ce Naturaliste célèbre a eu raison d’anéantir ”. L’odeur musquée qu’on trouve aux vieux mâles de l’urus et que les Allemands expriment par le mot de Bisem aurait produit le mot bison dans les langues étrangères, de sorte que les noms d’urus et de bison auraient originairement désigné, non pas deux variétés, mais l’état différent de l’animal selon l’âge et le sexe. D’autre part, 8. G.-L. Buffon, Histoire naturelle générale et particulière avec la description du cabinet du Roy, t. XI, Paris, impr. roy., 1754, 291. 9. G. Buffon, Ibid., 307. 10. G. Buffon, Ibid., 303. 11. G. Buffon, Ibid., 307. 12. P.-S. Pallas, “ Description du buffle à queue de cheval, précédée d’observations sur les espèces sauvages du gros bétail ”, Act. Acad. Scient. Petrop., 2 (1777), 232-257.

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s’il fait d’ur-us un mot germanique, c’est évidemment qu’il le considère comme la transcription de l’allemand Aurochs et la graphie qu’il en donne fait penser qu’il croyait à l’équivalence littérale de deux composés Ur-us et Aurochs (Aur=Ur, Ochs=Us). Sur la recommandation de Haller, le Lyonnais J.- Emm. Gilibert avait été appelé à enseigner à l’Université de Grodno, en Biélorussie, puis à celle de Vilnius, en Lituanie. En 1781, il publia les Indagatores naturae in Lithuania et un peu plus tard Opuscula phytologico-zoologica prima (aux faux titre) ou Exercitum botanicum in schola principa universitatis Vilnensis peractum die 15 mensis Julii anno 1780 (au titre). Le dernier chiffre au seul exemplaire que je connaisse (Bibl. centr. Muséum, Rés. 8° 188, A3 / 111) a été gratté et se trouve d’une lecture douteuse. Mais dans le texte sur le loup, on trouve la mention d’un événement qui s’est produit le 13 décembre 1782, de sorte que l’ouvrage ne peut guère avoir été publié avant 1783. Dans ces deux volumes, on trouve à peu près la même dissertation, intitulée Observationes de Bisone lithuanico dans les Indagatores, pp. 30-49, et Observatio prima, De Bove, Uro, seu de Bisone lithuanico, dans les Opuscula (ou Exercitum), pp. 109 sqq. Dans l’une et l’autre, l’auteur ne se sert qu’une fois du mot urus alors qu’il utilise partout ailleurs le mot bison pour l’animal que les autres naturalistes désignaient habituellement sous le nom d’urus ou d’aurochs. L’auteur avait évidemment ses raisons et lorsque Cuvier dira que Gilibert a été bien servi par le hasard, c’est pour refuser à un confrère le mérite d’une solution qu’il lui a empruntée. Gilibert éleva une jeune bisonne qui avait été capturée dans la forêt de Bieliezka. Il la conserva pendant trois ans et il nous a laissé sur cet animal un mémoire à la fois pittoresque et précis. Ses caractères morphologiques étaient assez distincts de ceux de nos bœufs domestiques. Sa langue était bleue, sa robe brune et marron, sa crinière particulièrement abondante. Mais sur le terrain où l’avait placé Buffon, la question se ramenait à savoir si les unions entre les bœufs sauvages de Lithuanie et nos bœufs domestiques étaient possibles et fécondes. Gilibert était au mieux avec sa bisonne. Elle mangeait de l’avoine dans son chapeau et elle exprimait sa reconnaissance en caressant avec son museau la poitrine de son bienfaiteur. Elle obéissait docilement au petit garçon qui s’occupait d’elle et qui la calmait quand elle était en colère. C’était pourtant une terrible femelle, capable de renverser la cohorte de vingt hommes qu’on avait formée pour la conduire au roi de Pologne, bien qu’on lui eût attaché les pattes d’assez près et n’admettant pas qu’on mît à côté d’elle, pour lui faire la cour, un vulgaire taureau domestique, à tel point que l’épreuve faillit tourner au tragique pour le malheureux qui avait plus de peur que de désir et qui ne dut son salut qu’à une fuite précipitée. C’est ainsi que la bisonne de Gilibert convainquit les naturalistes qu’elle n’était pas de la même espèce que le taureau ordinaire. L’historien n’a pas à savoir si la démonstration était péremp-

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toire. Mais, historiquement, les positions de Buffon et de Pallas étaient ruinées. Venant d’une bisonne de la forêt de Bieliezka, la décision était sans appel. Gilibert pouvait, avec “ l’immortel Haller ” considérer le bœuf de Lithuanie comme une espèce aussi différente du bœuf domestique que le loup l’est du chien et le lièvre du lapin. D’autre part, en lui donnant le nom de bison, l’auteur libérait le mot urus qui pouvait alors être appliqué à un autre animal. Nos Abbevillois l’avaient déjà fait, d’ailleurs sans le savoir, et même beaucoup d’autres. Voici ce que nous dit Faujas au sujet des “ cornes fossiles d’un très grand animal du genre des bœufs, qu’on trouve en France, en Allemagne et en Italie ” : “ L’on était dans la croyance générale que les crânes et les cornes fossiles de ce bœuf étaient ceux de l’urus de Jules César, et l’on se doutait si peu du contraire, qu’on ne se donnait pas la peine d’y regarder de si près ; aussi trouve-t-on ces cornes fossiles dans les cabinets d’histoire naturelle, avec le titre de cornes d’urus ”13. Voici ce texte de César auquel les souvenirs de collège donnaient un avantage irrésistible : “ Ce sont des animaux dont la taille est un peu au-dessous de celle de l’éléphant, et qui ont l’aspect général, la couleur et la forme du taureau. Ils sont très vigoureux, très agiles, et n’épargnent ni l’homme ni l’animal qu’ils ont aperçu. On s’applique à les prendre à l’aide de pièges à fosse, et on les tue ; cette chasse fatigante est pour les jeunes gens un moyen de s’endurcir, et ils s’y entraînent : ceux qui ont tué le plus grand nombre de ces animaux en rapportent les cornes pour les produire publiquement à titre de preuve, et cela leur vaut de grands éloges. Quant à habituer l’urus à l’homme et à l’apprivoiser, on n’y peut parvenir, même en le prenant tout petit. Ses cornes, par leur ampleur, leur forme, leur aspect, sont très différentes de celles de nos bœufs. Elles sont fort recherchées : on en garnit les bords d’un cercle d’argent, et on s’en sert comme de coupes dans les grands festins ”14. Sans doute, César ne parle-t-il que des urus qui vivent dans la forêt hercynienne15, en pleine Germanie, mais le témoignage de Servius et de Macrobe nous assure qu’il y avait alors des urus dans les Pyrénées et qu’il y en avait ou qu’il y en avait eu dans d’autres parties de la Gaule. Cela suffisait pour qu’on s’en tînt à la description qui se trouvait dans le livre classique de nos Antiquités nationales et pour que l’urus fût considéré comme le roi redoutable et indomptable des forêts de la Gaule antique et qu’il fût identifié avec les grands bœufs des tourbières. Dans la littérature qui nous vient d’Abbeville, 13. B. Faujas de Saint-Fons, Essai de Géologie ou Mémoire pour servir à l’histoire naturelle du globe, 2 vol., Paris, C.-F. Patris, 1803, t. I, ch. XI, 340. 14. César, Commentaires de la guerre des Gaules, Traduction L.A. Constans, Coll. Budé, 1926, VI, § 28. 15. Il s’agit de la forêt du Harz (Allemagne).

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l’urus a toujours été l’équivalent du bœuf fossile. Les naturalistes finiront par être d’accord pour désigner ainsi le crâne que Baillon avait envoyé au Muséum. Mais cette pièce perdit malencontreusement son étiquette et elle reçut son appellation spécifique après avoir perdu à peu près toute indication d’origine. Elle est d’abord mentionnée dans les Époques de la Nature de Buffon : “ Nous avons au Cabinet du Roi […] deux os de l’intérieur des cornes d’un bœuf réunis par un morceau du crâne, qui ont été trouvés à 25 pieds [8 m. 10] de profondeur, dans les couches de tourbe, entre Amiens et Abbeville, & qui m’ont été envoyés pour le Cabinet du Roi […] Chaque os de la corne […] a […] 27 pouces de longueur sur 13 de circonférence [à la base] ”. Ces indications permettent de l’identifier avec la pièce décrite et figurée par Faujas dans son Essai de Géologie, t. I, 1803, pl. XVII, fig. 2 et dans les Annales du Muséum, 1808, t. 12, pl. 34, pl. III des ruminans fossiles, fig. 3 et 8. L’auteur donne pour les mêmes dimensions 27 p. [0,729 m] et 12 p., 81. [0,342 m]. Si la circonférence peut varier de quelques millimètres suivant l’endroit précis où on la mesure, la longueur est identique chez les deux auteurs. “ Cette espèce, écrit Faujas, avait été envoyée à Daubenton, postérieurement à la publication de la partie anatomique de l’histoire naturelle de Buffon : voilà pourquoi il n’en est pas fait mention. Comme elle était sans étiquette, j’ignore le lieu où elle a été trouvée. Je crois cependant avoir entendu dire à M. Daubenton qu’elle avait été envoyée du côté d’Abbeville ou des environs d’Amiens ”16. On voit que Faujas n’a pas consulté les Additions aux Époques de la Nature où se trouvent les indications que nous avons rapportées. La pièce aurait donc été envoyée au Cabinet du Roi entre la publication de la partie anatomique de l’Histoire naturelle et les Époques de la Nature, c’est-à-dire entre 1754 et 1778, mais en réalité, peu de temps avant cette année-là. La même pièce fut décrite et figurée par Cuvier (Ann. Mus. Hist. nat., 1808, t. 12, pl. III, fig. 3 et 8 ; Rech. Oss. foss. 1812, t. IV, pl. III, fig. 3 et 8 ; 1823, t. IV, pl. XII, fig. 3 et 8, p. 150). Dans l’édition de 1823, il précise que la pièce décrite par Buffon dans les Époques de la Nature a été trouvée entre Amiens et Abbeville et envoyée par feu M. Baillon (Ibid., 2e éd., t. IV, p. 151). Enfin, d’après Traullé, les cornes dont Buffon a parlé au tome X du Supplément (éd. in-12°) des Époques de la Nature, proviennent d’Hangest (Mag. encycl., 2e année, an V, 1797, t. 5, p. 34). Ainsi se complètent les indications sur la première pièce paléontologique de la vallée de la Somme qui ait été envoyée au Muséum. On lui donnera une place dans la science. Mais cela ne se fera pas tout seul, car c’est un document dans une science qui se constitue. Après deux siècles où 16. B. Faujas de Saint-Fons, Essai de Géologie, t. I, 1803, 346.

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la lumière se fait, lente et incertaine, le dix-huitième siècle est comme le point du jour de la paléontologie. Les changements économiques demandent l’exploration des terres et des mers connues et inconnues. Les découvertes sont parfois saisissantes. Par endroits, ce n’est pas sous la forme de “ pétrifications ” que les animaux fossiles se présentent. En Sibérie, “ on les a vus ”, vus avec leur chair, leur peau, leurs poils. On retrouve leurs restes ailleurs, un peu partout. On les remarque dans le faste des publications académiques. En consultant ces in-quarto, on a vraiment la sensation de l’histoire de la science. Il faut faire aux animaux dont on retrouve ainsi les dépouilles une place dans des idéologies qui se sont faites sans eux. Le bœuf d’Hangest ne sera pas plus facile à placer que le rhinocéros et l’éléphant de Sibérie ou l’animal de l’Ohio17. Gmelin et Pallas invoqueront une inondation venue des régions équatoriales. Ce n’est qu’un avatar des déluges hébraïque et hellénique, d’ailleurs fort peu différents puisqu’ils ont la même origine. Mais c’est un avatar qui doit faire entrer le catastrophisme dans l’ordre naturel et qui présente les animaux dont les cadavres auraient été ainsi transportés comme des “ analogues ” des espèces actuellement existantes des régions équatoriales. Buffon invoque une diminution graduelle de température déterminée par le refroidissement de la terre. Les animaux fossiles peuvent encore, selon cette théorie, avoir leurs “ analogues ” dans les régions chaudes. Mais ils peuvent aussi appartenir à des “ espèces perdues ”. S’il arrive parfois à Buffon d’envisager des modifications plus importantes, c’est moins souvent dans le sens d’une adaptation et surtout d’une progression que dans le sens d’une dégénération et particulièrement d’une diminution de grandeur : “ […] à mesure que les Terres septentrionales se refroidissoient, [les éléphans] se retiroient vers les contrées des zones tempérées où la chaleur du Soleil & la plus grande épaisseur du globe compensoient la perte de la chaleur intérieure de la terre ; & qu’enfin ces zones s’étant aussi trop refroidies avec le temps, ils ont successivement gagné les climats de la zone torride, qui sont ceux où la chaleur intérieure s’est conservée le plus longtemps par la plus grande épaisseur du sphéroïde de la Terre, & les seules où cette chaleur, réunie avec celle du Soleil, soit encore assez forte aujourd’hui pour maintenir leur nature, & soutenir leur propagation […] ”. “ Lorsque l’on compare ces anciens monumens du premier âge de la Nature vivante avec ses productions actuelles, on voit évidemment que la forme constitutive de chaque animal s’est conservée la même & sans altération dans ses principales parties : le type de chaque espèce n’a point changé ; le moule intérieur a conservé la même forme & n’a point varié. Quelque longue qu’on voulût imaginer la succession des temps ; quelque nombre de générations qu’on 17. “ L’animal de l’Ohio ”, mastodonte trouvé en 1739 par un officier français, le baron de Longueille (Cf. Cuvier, t. II, 1812, 4. Sur le grand mastodonte). Voir plus loin.

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admette ou qu’on suppose, les individus de chaque genre représentent aujourd’hui les formes de ceux des premiers siècles, sur-tout dans les espèces majeures, dont l’empreinte est plus ferme & la nature plus fixe ; car les espèces inférieures ont […] éprouvé d’une manière sensible tous les effets des différentes causes de dégénération. Seulement, il est à remarquer au sujet de ces espèces majeures, telles que l’éléphant & l’hippopotame, qu’en comparant leurs dépouilles antiques avec celles de notre temps, on voit qu’en général ces animaux étoient alors plus grands qu’ils ne le sont aujourd’hui : la Nature étoit dans sa première vigueur ; la chaleur intérieure de la Terre donnoit à ses productions toute la force & toute l’étendue dont elles étoient susceptibles. Il y a eu dans ce premier âge des géans en tout genre : les nains & les pigmées sont arrivés depuis, c’est-à-dire après le refroidissement ; & si (comme d’autres monumens semblent le démontrer) il y a eu des espèces perdues, c’est-à-dire, des animaux qui ont autrefois existé & qui n’existent plus, ce ne peut être que ceux dont la nature exigeoit une chaleur plus grande que la chaleur actuelle de la zone torride ”18. Et ici, il renvoie aux Notes justificatives des faits où se trouvent mentionnés, entre autres, les “ deux os de l’intérieur des cornes d’un bœuf réunis par un morceau de crâne ”19 que nous savons venir d’Hangest-sur-Somme. Il a comparé les dimensions de ces os. Celui du plus gros bœuf qu’on a pu trouver à la boucherie de Paris, n’avait que 13 pouces de longueur sur 7 pouces de circonférence à la base tandis que l’autre, tiré du sein de la terre a 27 pouces de longueur sur 13 de circonférence. Des comparaisons énumérées il conclut : “ En voilà plus qu’il n’en faut pour démontrer que, dans l’espèce du bœuf, comme dans celles de l’hippopotame & de l’éléphant, il y a eu de prodigieux géans ”20. Dans la Théorie de la Terre, il disait qu’il se pourrait que certaines espèces dont on n’a pas encore trouvé les analogues aient péri et que les os fossiles extraordinaires qu’on trouve en Sibérie, au Canada, en Irlande et dans plusieurs autres endroits, semblent confirmer cette conjecture ; car jusqu’ici on ne connaît pas d’animal à qui on puisse attribuer ces os qui, pour la plupart, sont d’une grandeur et d’une grosseur démesurée. Mais dans le Supplément, (1778), il est revenu en partie sur cette opinion : “ […] quelques-uns de ces ossemens énormes, que je croyais appartenir à des animaux inconnus, et dont je supposois les espèces perdues, nous ont paru néanmoins, après les avoir scrupuleusement examinés, appartenir à l’espèce de l’éléphant & à celle de l’hippopotame, mais à la vérité, à des éléphans & à des hippopotames plus grands que ceux du temps présent. Je ne connois dans les

18. G.-L. Buffon, Histoire naturelle, Supplément, t. V, Époques de la Nature, 1778, 26-27. 19. G.-L. Buffon, Ibid., 547. 20. G.-L. Buffon, Ibid., 547.

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animaux terrestres qu’une seule espèce perdue, c’est celle de l’animal dont j’ai fait dessiner les dents molaires avec leurs dimensions ”21. S’il faisait de ce dernier animal, qui est un mastodonte, une espèce perdue, il n’en était donc pas de même de l’éléphant et de l’hippopotame. Buffon pensait alors que ces deux grandes espèces de nos temps préhistoriques n’étaient pas des espèces distinctes de celles qui existent aujourd’hui, qu’elles étaient seulement plus grandes que dans la nature actuelle et qu’il en était de même du grand bœuf de nos tourbières et qu’il fallait demander les caractères distinctifs des espèces fossiles non pas aux différences de grandeur mais à la diversité des dispositions morphologiques. Dominé par le refroidissement intérieur de la Terre comme cause toujours agissante, l’actualisme de Buffon conduit, en Géologie organique, aux migrations vers les régions chaudes, à la dégénération des espèces et, à la limite, à leur extinction. On n’y voit pas une évolution qui élève le niveau des êtres. Les puissances de la vie sont dans le passé de la Terre et non dans son avenir et le bœuf de nos tourbières se trouve rangé parmi les “ prodigieux géans ” des anciennes époques de la nature à côté de l’éléphant de Sibérie, en attendant qu’on les retrouve l’un et l’autre dans les sables de Menchecourt. 1779. Jean-André et Antoine de Luc et la question de l’homme fossile Jean-André et Antoine de Luc passèrent leur vie à construire un système pour concilier la Géologie et les Écritures. Leurs travaux ont eu de l’importance dans l’histoire, surtout ceux qui portent la signature de Jean-André. En 1779, parurent ses Lettres physiques et morales sur l’histoire de la Terre et de l’homme adressées à la reine de Grande-Bretagne, en 6 volumes in 8°. L’auteur était physicien. Il se fit géologue, théologien, moraliste, historien. L’ouvrage est chargé, bourré, prolixe, touffu, diffus. Il apporte une foule d’observations faites au cours de nombreux voyages. On y trouve un exposé des différents systèmes élaborés au cours du XVIIIe siècle et il lui arrive de renouveler heureusement, surtout par des considérations physiques, les critiques qu’on leur a opposées. Il s’efforce d’établir une “ chronologie physique ” en accord avec la Genèse. C’est un travail considérable qui s’accorde parfois avec les observations de de Saussure et qui a convaincu, sur des points importants, Dolomieu, Blumenbach et Cuvier. Il revint à plusieurs reprises sur le même sujet et il fut pendant plus de vingt ans “ le champion de la Révolution ”. Ses Lettres physiques et morales furent commencées avant et terminées après la publication des Époques de la Nature qui l’amenèrent à examiner l’ensemble du système de Buffon et à lui opposer le sien. Adversaire des

21. G.-L. Buffon, Ibid., 300. Il s’agit du fameux animal de l’Ohio.

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actions lentes, il consacrera plus d’un volume à combattre la théorie de Hutton. Voici ce qui, dans son système, se rapporte à notre histoire : “ Le Soleil n’exista qu’au quatrième des jours mentionnés dans le récit de Moïse. Les trois jours précédents n’étaient donc pas semblables à nos jours et il est évident aussi que ce quatrième et les deux suivants sont semblables aux trois premiers. Il suit de là que cette succession de jours n’exprime qu’une succession de périodes sans détermination de longueur, dans lesquelles des parties distinctes de l’Univers sensible eurent leur commencement. La Mer, renfermée dans un lit, commença de charrier des matières terrestres sur son fond, de creuser des vallées et de former des accumulations étendues et plus ou moins hautes. Les animaux marins, les plantes et les animaux des continents commencèrent aussi d’exister à certaines époques. Les premiers laissèrent leurs dépouilles sur le fond de la Mer, les fleuves y portèrent souvent celles des autres et la Mer mêla toutes ces dépouilles à ses accumulations. Cette période fut probablement très longue à en juger par tout ce que nous voyons du travail que cette mer a fait sur nos continents tandis qu’ils étaient son lit. La plus grande partie de ces opérations paraissent avoir précédé l’existence de l’Homme qui ne paraît, dans le récit de Moïse que le dernier “ jour ”. Effectivement, on ne trouve aucun os humain parmi les fossiles, tout ce qu’on nommait autrefois des Antropolites ayant été reconnu pour appartenir à des animaux ”22. Dès que l’homme existe, Moïse devient historien. Il parle de mariages, de naissances, de morts, d’années, de jours, de pays, d’événements. Là où Lucrèce imagine une vie primitive, de Luc passe d’emblée de la création à la civilisation. Quant au déluge, il faut traduire le texte hébreu de la sentence divine non par : Delebo hominem a facie terrae, mais : “ Je détruirai les hommes, et la Terre avec eux ”23, ce qui doit se comprendre ainsi : “ La Mer changeant de lit, alla couvrir les anciens continens abaissés, et découvrit ainsi son ancien lit ”. L’ancienne terre était détruite et la mer couvrait les cadavres des hommes et des animaux qui avaient péri dans cette Révolution. Il y a fort peu de chances pour qu’on trouve des os humains parmi nos fossiles puisque nos continents représentent le fond de l’ancienne mer. Les hommes pratiquèrent d’abord la sépulture, ce qui mit leurs cadavres à l’abri des accidents qui livraient ceux des animaux aux fleuves et ensuite à la mer. De plus, il n’y eut des hommes que dix-sept siècles avant le déluge tandis que nos continents renferment des restes d’animaux qui sont bien plus anciens (Lettre CLXVII). “ Peut-être les lieux où l’homme se tenoit ont-ils été entièrement abîmés, et ses os ensevelis 22. J.-A. de Luc, Lettres physiques et morales sur les montagnes et sur l’histoire de la Terre et de l’homme adressées à la Reine de Grande-Bretagne, La Haye, chez de Thune, 5 t. en 6 vol., 1779, t. V, Lettre CLXVI, 11. 23. Genèse VI, 7.

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au fond des mers actuelles, à l’exception du petit nombre d’individus qui ont continué son espèce ” : en s’exprimant ainsi, Cuvier ne fit que reprendre presque littéralement l’opinion d’un auteur qui lui était familier24. C’est au fond des mers actuelles que le système de de Luc place les restes de l’homme fossile, du moins ceux que dix-sept siècles avaient pu laisser. 1787. De la Métherie : l’homme doit être regardé comme la première espèce de singe Depuis 1785, Jean-Claude de la Métherie dirigeait le Journal de Physique qui fut, en France, la publication scientifique la plus importante de la fin du XVIIIe siècle et du commencement du siècle suivant. En, 1787, il publia les Principes de la Philosophie naturelle en deux volumes in 8°. L’auteur semble vouloir se tenir entre le matérialisme et le spiritualisme mais plus près du matérialisme, malgré de fréquents emprunts à la philosophie de Leibniz. Il doit aussi beaucoup à Locke, peut-être un peu à Démocrite, plus encore à Charles Bonnet. Son atomisme a passé par la Monadologie (1714) et surtout par la Palingénésie (1769). Pour notre affaire, il importe peu que ces diverses influences s’accordent bien ou mal. Pour de la Métherie, il n’y a point eu de création. La matière existe par ellemême. Elle s’est combinée, elle a cristallisé pour produire tous les êtres que nous voyons (II, p. 153), depuis les minéraux jusqu’aux êtres supérieurs à l’homme qui vivent dans notre monde ou dans un autre. Sur notre Terre, les êtres organisés se sont constitués d’abord par des générations spontanées, comme il s’en produit encore aujourd’hui parmi les êtres inférieurs. Les différentes espèces ont pu ainsi prendre naissance successivement. Mais il se peut aussi qu’à l’origine, les êtres produits aient été d’une grandeur très limitée mais qu’ils aient pris de l’accroissement par la succession des temps. Ils ont passé par différents états pour arriver au point où nous les voyons (II, p. 317). Les espèces connues subissent journellement les plus grandes variétés, à raison du climat, du sol, de la nourriture, et de mille autres influences locales. Tous ces changements ne se font ou ne se feront que successivement (II, p. 319). Le mélange et le croisement des races peuvent aussi avoir apporté beaucoup de variétés. Par contre : “ [D’autres] espèces auront pu […] se détruire, si la nature ne leur a pas fourni tous les organes nécessaires pour pourvoir à leurs besoins et à leurs reproductions […]. Il y en a peut-être un grand nombre, qui, par cette raison, ont disparu peu à peu de dessus la surface de la terre. Les ossemens qui sont

24. G. Cuvier, Recherches sur les Ossements fossiles de quadrupèdes où l’on établit les caractères de plusieurs espèces d’animaux que les révolutions du globe paroissent avoir détruites, 4 vol., t. I, Paris, Déterville, 1812, 85, 110.

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épars dans le sein du globe, et dont on ne trouve plus les analogues, l’ont déjà fait soupçonner à beaucoup de naturaliste[s] ”25. Les êtres formaient dès l’origine, une série graduée : “ Il n’y a pas un animal, pas une plante, pas un grain de sable qui ressemble à un autre animal, à une autre plante, à un autre grain de sable : c’est ce que Leibnitz appeloit le principe des indiscernables […] Mais quoique tous les êtres diffèrent entr’eux, c’est toujours par des nuances insensibles. On s’aperçoit des gradations des uns aux autres : c’est ce que le même Leibnitz appeloit loi de continuité ”26. Ainsi, “ […] en prenant l’homme pour premier terme de comparaison, on lui trouve une telle ressemblance avec les singes, que la nuance est insensible. Il y a plus de différence de tel homme à tel homme, que de tel homme à tel singe. Descartes ou Newton étoient plus éloignés d’un Hottentot, que cet Hottentot l’est du Pungos. L’homme doit être regardé comme la première espèce de singe ”27. “ Si les animaux ne se perfectionnent pas autant que l’homme, c’est que l’organisation de celui-ci est beaucoup plus parfaite que la leur ”28. “ [Son] premier séjour aura été dans les pays chauds ; c’est le lieu de l’habitation des singes, sur-tout de l’espèce qui approche le plus de lui. Le jocko, l’orang-outang [chimpanzé ?] ne se trouvent aujourd’hui qu’entre les tropiques : l’analogie doit nous faire présumer qu’ils ont été aussi le pays natal de l’homme, si dans ce moment ils étoient le climat le plus chaud ”29. “ Il marchoit à quatre pattes […] comme le font presque tous les singes ; pour lors il s’appuyoit sur les orteils, qui […] étoient beaucoup plus allongés ; sa tête étoit oblique à l’épine, & sa face toujours à peu près perpendiculaire à l’horizon, parce que le corps des vertèbres cervicales & leurs substances intervertébrales avoient plus d’épaisseur que leur arrière train ; il s’éleva ensuite quelquefois sur ses pieds, pour atteindre à une plus grande hauteur & prendre quelques fruits : cette attitude répétée souvent lui devint familière, & il ne se tint plus autrement ; elle causa un léger changement dans toute sa constitution ; le tarse & et le métatarse portèrent sur terre, & le pied se trouva une large assise ; la face articulaire de l’astragale s’augmenta ; les muscles de la jambe, le triceps t[r]ibial […] s’allongèrent ; leur action continuelle & celle des cruraux & des fessiers leur donna plus de volume ; ce qui lui forma la jambe, les 25. [J.-C. de la Metterie], anonyme, Principes de la philosophie naturelle, dans lesquels on cherche à déterminer les degrés de certitude ou de probabilité des connaissances humaines, 2 vol., t. II, Genève, 1787, 316. 26. [J.-C. de la Metterie], Ibid., t. II, 50. 27. [J.-C. de la Metterie], Ibid., t. II, 86. 28. [J.-C. de la Metterie], Ibid., t. II, 319. 29. [J.-C. de la Metterie], Ibid., t. II, 365.

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cuisses & les fesses : la tête fut ramenée sur une ligne parallèle à l’épine, parce que le corps des vertèbres s’amincit, tous les viscères en furent affectés, car dans cette position ils sont portés sur leurs ligaments suspensoirs ; au lieu qu’auparavant ils reposoient sur le thorax & les muscles du bas-ventre : la circulation en a encore souffert ”30. En somme, le comportement et les habitudes pourraient modifier l’organisation. Avec le temps, le premier des singes serait devenu un homme31.

Fig. 18. Sites paléontologiques et archéologiques de la vallée de la Somme, 1778-1844

30. [ J.-C. de la Metterie], Ibid., t. II, 361. 31. Ce manuscrit se termine ici, peu avant la Révolution.

III.

LAURENT TRAULLÉ, L’ÉLÉPHANT DE MENCHECOURT ET LE BŒUF DE

PICQUIGNY1

Fig. 19. Portrait de Laurent Traullé (1758-1829) Emmanuel Baillon (1744-1801), J.-A.-G. Boucher (1757-1844), Laurent Traullé (1758-1829) Laurent Traullé, cet Abbevillois de vieille race sera pendant quarante ans le personnage principal de notre histoire. D’après les registres de la paroisse Saint-Georges, il naquit le “ vingttroisième [sic] 7bre 1758 sur les deux heures après mydy […] d’honorable homme Adrien François Traullé, échevin en

1. Cette partie s’étend de la Révolution, avec la réorganisation scientifique de la France, jusqu’au début de l’Empire.

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charge et receveur de cette paroisse, et de damoiselle Antoinette Elisabeth Scolastique Turpin ”. L’honorable homme était, comme Monsieur Jourdain, “ marchand en toutes sortes de draps ”, rue des Lingères, connue aujourd’hui sous le nom de rue Alfred Cendré, la rue principale d’Abbeville. Il était aussi changeur pour le Roy, fils de changeur et consul des marchands. Des lettres datant de 1773 à 1775 le nomment “ Traullé de Bonnelle, changeur pour le Roy et Marchand de draps ” et parfois “ changeur pour le Roy et ancien Marchand ”, ce qui faisait mieux avec le “ de Bonnelle ”. Il mourut le 13 décembre 1775, en laissant à sa veuve, avec son aîné Laurent-Joseph, déclaré majeur à dix-sept ans, huit autres enfants mineurs. Le second, Pierre-Alexandre, prit le négoce de son père sous la tutelle de sa mère qui demanda l’autorisation d’exercer la charge de changeur en attendant la majorité du jeune homme. Quant à Laurent-Joseph, il alla à Paris pour faire son droit. Il soutint sa thèse de licence en 1779 pour être avocat au parlement en la Sénéchaussée de Ponthieu et au Présidial d’Abbeville. Après la Révolution, Devérité qui était devenu son ennemi implacable rappela qu’il avait été “ de Bonnelle ” et marguillier de sa paroisse2. Laurent Traullé fit de la botanique avec de Maisniel de Belleval. En 1786 ou 1787, il fit des fouilles à Crécy dans une ancienne tombe. Il est inscrit pour la somme de 500 livres sur le Tableau des déclarations pour la contribution patriotique d’Abbeville, in-folio imprimé par Devérité et daté du 3 mai 1790. Le 18 février 1791, il est désigné comme “ cy-devant Procureur de la Commune ”, dans un extrait des délibérations du Conseil municipal qui lui fut délivré pour avoir démontré, par rapport et pièces justificatives, que la Commune avait des droits incontestables sur la propriété des fortifications extérieures3. Il avait déjà abandonné le “ de Bonnelle ” et il semble bien qu’il ne le reprit jamais. Ce personnage se dessinera au cours de notre histoire. Au physique, d’après un passeport datant de 1823, il avait alors soixante-six ans, des cheveux grisaillés, des sourcils châtain, une barbe châtain, des yeux bleus, un teint clair, le front haut, le nez ordinaire, la bouche moyenne, le menton rond, le visage ovale et 1, 68 m. de taille. Avec de telles indications, on peut compléter la lithographie expressive et vivante que nous reproduisons. Souriant, désinvolte, bizarre, pas très distingué, ce bonhomme est à Abbeville le plus ancien des ancêtres. Ce fouilleur de tombes et ce ramasseur d’os aimait tout ce qu’on trouve dans la terre. Ce collectionneur infatigable est le premier explorateur de nos sablières et de nos tourbières et l’initiateur de l’archéologie de nos terrains meubles. Il dit ce qu’il trouve et où il le trouve comme il pouvait le dire au moment où la stratigraphie allait se constituer. C’est un empirique à peu près

2. Manuscrit 372, Bibliothèque d’Abbeville. 3. Manuscrit 374, Bibliothèque d’Abbeville.

LAURENT TRAULLÉ, L’ÉLÉPHANT DE MENCHECOURT

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indifférent au mouvement des idées qu’il suit ou qu’il ne suit pas et il en revient toujours à une formule simple d’où les autres sortiront la préhistoire. En 1791, nous le voyons avec Hermant de Norville, faire des fouilles dans une très ancienne tombe à Port-le-Grand. Cet Hermant de Norville, né en 1748, mort en 1828, avait été mousquetaire dans la garde du roi, président en l’élection de Ponthieu, conseiller du roi et premier échevin d’Abbeville. On le verra conservateur des collections d’histoire naturelle de la Société d’Émulation de 1801 à 1813 mais faisant de l’archéologie à l’occasion. D’après Armand Boucher de Crèvecœur4, ce serait vers 1791 que J.-A.-G. Boucher vint s’installer à Abbeville. Dans l’Avertissement à sa Flore d’Abbeville qu’il soumit à l’Institut national en brumaire an 8 [octobre-novembre 1799], il nous dit qu’elle lui a demandé neuf ans d’observations, ce qui reporterait précisément son arrivée en 1791. Sous la Restauration et avant les conversions, Boucher de Perthes aurait eu dans les quarante mille francs de rente. Il y avait cinq enfants, ce qui représente pour la famille à ce moment-là dans les deux cents mille francs de revenu annuel. Avec la Révolution, J.-A.-G. Boucher avait perdu sa charge de contrôleur des fermes et sans doute d’autres sources de revenus. Sa femme, Mlle de Perthes, était la fille d’une Delahante. Deux familles de financiers se trouvaient unies par cette alliance. Dans des actes du XVIIIe siècle, J.-A.-G. Boucher est dit écuyer. Dans une lettre adressée à Boucher de Perthes, son frère Etienne se préoccupe de leurs armoiries. Je n’ai jamais vu sur ces actes le “ de Crèvecœur ” et il fallut une instance de rectification d’état civil pour en reprendre le titre. Il le fit, je crois, pour faire plaisir à ses enfants. Lui-même avait laissé tomber le “ de Crèvecœur ”, comme Traullé le “ de Bonnelle ”. Il avait perdu son père un mois après sa naissance. Il eut comme tuteur le financier Watelet qui a laissé un Art de peindre et un Essai sur les Jardins. C’est sous cette influence qu’il prit des goûts de collectionneur. Comme Watelet, il fit de la gravure. J’ai une partie de son œuvre. Les pièces sont datées et elles permettent de le suivre à Cette5 et à Soissons où il fut successivement contrôleur des fermes. J’ai vu de lui un volumineux manuscrit sur la ferme des tabacs. Né en 1757, il avait environ trente-quatre ans lorsqu’il fut nommé inspecteur des douanes à Saint-Valéry, avec faculté de résider à Abbeville. Il s’installa, je crois, rue Saint-Gilles, avant d’acheter l’hôtel de la rue des Minimes. Une de ses gravures est datée d’“ Abbeville 1792 ”. Une partie de ses collections a été vendue ou partagée entre ses enfants. La grande masse est restée à Boucher de Perthes et elle constituait l’essentiel des

4. A. de Crèvecœur, Notices sur les membres résidants de la Société d’Emulation d’Abbeville, Abbeville, impr. Paillart, 1892, 333. 5. Orthographe ancienne de Sète.

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collections que nous avons connues. Sa collection de médailles était assez importante pour justifier l’impression d’un catalogue lorsqu’elle passa en vente publique. J’ai de lui la copie d’un manuscrit sur les marques et monogrammes. Une note manuscrite sur le Scarus6, une autre sur le Cucubalus maritimus7, nous le montrent faisant des observations sur les poissons et sur les plantes quand il était à Cette, vers 1786. Il nous a laissé un certain nombre de dissertations traduites de l’italien sur divers sujets d’histoire naturelle. Il a rédigé ou publié lui-même des notes aussi brèves que nombreuses sur cette matière. C’était sa préoccupation principale, sans qu’il s’interdît des sujets d’archéologie et d’histoire et même des poésies et de vagues nouvelles qui veulent être amusantes et qui ont pu donner à son fils aîné le désir de mieux faire. En 1791 ou 1792, notre groupe se complète par l’installation dans notre ville d’Emmanuel Baillon. Peut-être exerçait-il alors les fonctions d’inspecteur des douanes et bois du comté de Ponthieu, en attendant la réorganisation de l’Administration des forêts. C’est en 1791 qu’il publia précisément son Rapport sur les causes du dépérissement des bois et les moyens d’y remédier. C’est un mémoire clair et bien écrit qui valut à son auteur le prix décerné par la commune de Paris et qui aurait eu une seconde édition que je n’ai d’ailleurs jamais pu consulter. 1793. Traullé, “ Du charbon de terre ” C’est des presses du conventionnel Devérité que sortit en 1793 la première publication de Traullé, Du charbon de terre, où l’auteur ajoutait quelques fantaisies à celles que le sujet avait déjà inspirées : “ Nous sommes d’opinion que le charbon de terre est une production volcanique, qu’il sort des cratères avec ces immenses gerbes de feu, qui pendant les violentes éructations des volcans parviennent jusqu’à 10,000 pieds de hauteur, qu’il s’élève à la même station qu’elles, qu’il les accompagne sous la forme d’un nuage noir qui se compose de toutes les bouffées de fumée qui s’échappent du cratère, en se succédant avec beaucoup de rapidité, que ces masses de fumées forment au-dessus du volcan, par leur réunion, des colonnes de plus de 10,000 pieds de haut sur plusieurs mille de largeur ; que ces colonnes chassées par les vents, se portent à de très-grandes distances des cratères ; qu’elles laissent échapper par tout où elles passent une grande partie des atomes qui les composent ; que quand ces atomes tombent dans l’eau, ils s’y réunissent & y forment des couches de charbon de terre ; que ces atomes aggrégés [sic] sous l’eau, forment derrière les colonnes, après leur passage des traînées d’une largeur égale à ces mêmes colonnes ; qu’enfin, quand ces colonnes se portent 6. Poisson perroquet. 7. Plante de la famille des Caryophyllacées.

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jusqu’à 800 lieues de distance des cratères, les traînées de charbon de terre, ont 300 lieues de longueur ”. “ Ces traînées se disposent inégalement, dans des vallées sous-marines et lorsque les couches qui étaient, dans le principe, horizontales se montrent redressées, c’est que les cavernes creusées par le feu des volcans se sont affaissées, entraînant dans leur chute, avec les volcans eux-mêmes, le charbon et les autres terres qui servaient de voûte et qui ont pris, dans le fond et sur les bords des cavernes, toutes les positions depuis l’horizontale jusqu’à la verticale ”8. Pour l’époque, ces belles histoires n’étaient pas plus déraisonnables que beaucoup d’autres et Traullé ne manquait pas de lectures. Il est probable que ses affaires se sont gâtées pendant la Terreur. Son frère Marie-Joseph, alors qu’il avait à peine vingt ans, ce qui nous amène en 1794, fut accusé d’avoir participé à un complot royaliste et condamné à mort. L’ordre d’exécution fut rapporté, mais ses cheveux avaient blanchi en une nuit et il est possible que Laurent Traullé ait été quelque peu inquiet pour lui-même. Thermidor dut arranger ses affaires. Au titre de sa dissertation Sur les tombes du District d’Abbeville qui est datée du 17 vendémiaire an 3 [8 octobre 1794], on voit qu’il était alors juge de paix. Baillon lui-même avait eu des difficultés. Dumont paraît lui avoir évité le pire. En citant une lettre de reconnaissance du 19 frimaire an 3 [9 décembre 1794], qui lui est adressée par Baillon, il dit que “ c’était un homme précieux à conserver par ses connaissances ”9. Sous le Directoire, Traullé et Baillon entrèrent dans l’administration du district qui fut modifiée à la suite de Thermidor, et Traullé en fut le Président. Il put reprendre ses publications et il commença par les anciennes tombes de son district. 1795. Traullé : à quelle époque vécurent les “ premiers peuples de l’univers ” ? Traullé avait adressé sa dissertation Sur les tombes du District d’Abbeville à Grégoire qui l’avait remise à Millin, rédacteur du Magasin encyclopédique. Celui-ci avait publié sa Minéralogie homérique (1790), commencé ses Antiquités nationales (1790-1798) et donné ses Eléments d’Histoire naturelle pour ne plus s’occuper que d’antiquités et d’art et céder à Cuvier ses fonctions de secrétaire de la Société linnéenne. Il pouvait suivre Traullé dans ses diverses préoccupations et c’est effectivement dans le Magasin encyclopédique10 que

8. L. Traullé, “ Du charbon de terre et vues nouvelles sur la théorie de la terre ”, Mag. encycl,. 1ère année, t. 5, (an IV-1795), 478. 9. Dumont, Compte rendu à ses commettans, 1794, 325. 10. Dans le n° 2, 1er prairial an V, un Avis des éditeurs précise : “ Ce journal, auquel la plupart des hommes qui ont un nom distingué, une réputation justement acquise dans quelque partie des arts ou des sciences, contribuent […] ”. Suit une liste où le nom de Traullé côtoit, entre autres, ceux de Cuvier et Dolomieu.

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Traullé écoula la plus grande partie de ses productions. La dissertation précitée parut dans le tome IV de la 1ère année, pp. 329-342 : “ Les tombes ou tombelles, espèces de pyramides en terre, sont en nombre de plus de quarante dans le district d’Abbeville […]. Des fouilles faites, il y a peu de temps, dans une de celles qui avoisinent Abbeville, ont appris que dans le nombre, il s’en trouvoit quelques-unes qui étoient l’ouvrage des plus anciens peuples de l’univers ”11. C’est notamment l’une de celles qu’on voit entre Port et Noyelle. Traullé et Hermant de Norville y “ […] trouvèrent des objets qui indiquèrent que les peuples qui les avoient élevé [sic] n’avoient pas encore la connoissance des métaux ; les armes qu’on y voit étoient des silex, taillés à facettes très-aiguisées, tels que Montfaucon les a gravés dans son antiquité expliquée ; ces armes étoient toujours placées à côté des urnes qui contenoient les ossemens brûlés et les cendres des hommes qu’ils avoient consummés [sic] sur les bûchers ; on remarque le crâne d’un enfant dans une de ces urnes ; quelquefois les cendres et les ossemens avoient été placés dans une de ces boëtes quarrées, comme le démontrèrent plusieurs vides observés dans ce massif des terres au fond desquels ces cendres se trouvoient toujours, mais surmontées d’une poussière de bois pourri ; enfin, on trouvoit un silex qui imitoit assez bien une tête de coq, ce qui parut d’autant plus digne d’attention que le coq étoit l’oiseau du dieu Mars, et que cette tombe étoit sûrement consacrée à cette divinité, puisque, suivant la charte de la commune de Noyelle, du treizième siècle, elle se nomme Martimont ”12. Il est assez difficile de faire la distinction entre les fantaisies et les observations. Historiquement, elles auront d’ailleurs à peu près autant d’importance les unes que les autres et le silex “ imitoit assez bien une tête de coq ” pourrait avoir conduit un autre Abbevillois qui ne le cédait pas en imagination à ses aînés, aux fameuses pierres-figures qui rendent si désagréable la lecture des Antiquités celtiques et antédiluviennes13. Dans la tombe de Crécy, Traullé recueillit un “ anneau de cuivre ”, une “ agrafe de ce métal ornée de verroteries ” et un “ anneau de bronze ”. Aussi, “ Les Abbevillois croient que ces tombes sont de plusieurs âges ; que les premières appartenoient aux peuples primitifs de l’Europe, les autres aux Francs et aux Gaulois et les dernières aux Romains ”14. Ce sont les premières qui retiennent leur attention : “ À quelle époque peut-on assigner la formation de ces anciennes sépultures ? ”15. 11. L. Traullé, “ Sur les tombes du district d’Abbeville par le cn Traullé, juge de paix à Abbeville“ , Mag. encycl., 1ère année, t. 4, (an IV-1795), 329. 12. L. Traullé, Ibid., 330-331. 13. Cf. J. Boucher de Perthes, Ant. celt. antédiluv., t. I, Aperçu général, ch. VII, XXI, XXII, XXIII. 14. L. Traullé, Sur les tombes du district d’Abbeville, 331. 15. L. Traullé, Ibid., 333.

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Pour répondre à cette question, l’auteur fait une longue revue à travers la littérature. Il rappelle les collines élevées de main d’homme en Laconie pour servir de tombeaux à des chefs et signalées par Barthélémy, d’après Athénée, dans le Voyage du jeune Anacharsis en Grèce16. Il rappelle également la manière dont les Scythes ensevelissaient leurs chefs sous un tertre aussi élevé qu’il leur était possible, et le récit d’Hérodote se trouverait confirmé par les découvertes de Pallas17 en Tartarie et en Russie d’Asie où ce voyageur a vu des tombes en terre souvent très élevées et d’autres entourées de pierres plus ou moins grandes que Traullé rapproche des faits cités dans le livre de Josué (22, 10) et rappelés par Spon, Cimeteria sacra, (p. 52). Il y en a qui sont composées de grosses pierres comme celle de Cocherel-sur-Eure18 qu’il rapproche des pierres levées du Poitou, de la Bretagne, de la Picardie, de l’Angleterre, des saxa grandia de la Bible et de celles que Caylus a signalées autour de la Méditerranée19. Des analogies ont conduit le docteur Borlase à attribuer celles qu’on trouve en Angleterre à des Tartares. Notre auteur rappelle les tombes du Brandebourg, de l’Ecosse, de l’Irlande et de l’Angleterre. Il rappelle les indications de Cook dans ses Voyages20, de Forster sur les Groenlandais21, de Middleton sur les Chinois, de Sparrman sur les Cafres22. “ D’après tous ces renseignements, écrit-il, on peut assurer que l’usage des tombes est aussi ancien que les premiers peuples de l’univers et que les plus anciennes ont au moins quatre mille ans de date ”23. Si ce chiffre est présenté comme un minimum, cela ne veut pas dire que l’auteur soit disposé à aller beaucoup au-delà. Mais il évoque le passé des peuples primitifs, antérieurs pour nos contrées aux Gaulois eux-mêmes, de peuples qui parfois ne connaissaient pas les métaux et ne se servaient que d’outils de pierre. Plus tard, il y aura régression quand on

16. Abbé Barthélémy, Voyage du jeune Anacharsis en Grèce dans le milieu du quatrième siècle avant l’ère vulgaire, t. IV, Paris, de Bure aîné, 1786, 90. 17. P.S. Pallas, Voyages de M. P.-S. Pallas en différentes provinces de l’empire de Russie et dans l’Asie septentrionale, traduit de l’allemand par M. Gauthier de la Peyronie, Paris, Lagrange, 1788-1793. 18. La découverte, en 1685, d’un tombeau dolménique à Cocherel-sur-Eure avait contribué à répandre l’idée de l’existence d’une population antérieure à l’usage des métaux. Cf. “ Relation et dissertation touchant l’origine et l’antiquité de quelques corps trouvés dans un ancien tombeau au village de Cocherel entre Evreux et Vernon, l’an 1685 ”, in Le Brasseur, Histoire civile et ecclésiastique du Comté d’Évreux où l’on peut voir tout ce qui s’est passé depuis la fondation de la monarchie, tant par rapport aux rois de France qu’aux anciens ducs de Normandie, et aux rois d’Angleterre, Paris, François Barois, 1722, 172-185. 19. A.C.P. Caylus, Recueil d’antiquités égyptiennes, étrusques, grecques et romaines, Paris, Desaint et Saillant, 1752-1767. 20. J. Cook, An account of the voyages undertaken by the order of the present Majesty for discoveries in the southern hemisphere, London, W. Strahan, 1773. 21. M.J.R. Forster, Histoire des découvertes et des voyages faits dans le Nord, Paris, Cuchet, 1788, mis en français par M. Broussonet. 22. A. Sparrman, Voyage au cap de Bonne-Espérance et autour du monde avec le capitaine Cook, et principalement dans les pays des Hottentots et des Caffres de 1772 à 1776, Paris, Buisson, 1787. 23. L. Traullé, Sur les tombes du district d’Abbeville, 341.

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attribuera cette industrie à l’époque celtique. Avec les plus anciennes tombes, Traullé et Hermant de Norville nous conduisent dans des temps anté-historiques. Au titre de cette dissertation, Millin avait mis, en note infrapaginale : “ Nous engageons son auteur, qui paraît doué d’un excellent esprit d’observation, à continuer ses recherches et à nous les communiquer ”24. C’était plus qu’il n’en fallait pour encourager notre Abbevillois. Le Magasin encyclopédique, 1ère année, t. V, 1795, contient un compte-rendu signé T***, c’est-à-dire Traullé, qui se présente ainsi : Du Charbon de Terre et vues nouvelles sur la théorie de la Terre, seconde édition, à Abbeville, chez Devérité, in-12, an III, (1795). Je n’ai pas vu cette seconde édition, mais dans le Magasin encyclopédique l’auteur donne précisément ses Vues nouvelles sur la théorie de la Terre. L’idée est que les volcans qui se forment sous la mer élèvent son niveau, mais que le fond des mers se découvre quand ils s’affaissent : “ Lorsque les premiers volcans se sont formés, le fond des mers étoit au point où se trouve aujourd’hui son niveau de surface. C’est de là qu’ils sont partis ; par le déluge qu’ils ont occasionné, ils ont tenu les eaux suspendues assez haut, pour que les terres calcaires les plus élevées aient pu se cristalliser, se maçonner dans leur sein ; lors de l’affaissement des premiers volcans, les premières terres se sont découvertes, les mers ont descendu d’un degré ; lors de l’affaissement des seconds, les secondes terres se sont montrées ; les seconds volcans sont partis du fond des antres creusés par les premiers, ainsi de suite […] ”25. On aurait donc trois périodes de formation des volcans et autant de déluges, alternant avec trois périodes d’affaissement des volcans et autant de retraites de la mer. Tout cela n’est pas très original, mais notre Abbevillois apportait son tribut à la Théorie de la Terre. C’était alors comme une épreuve qui le mettait au rang des initiés, et qui lui permettait d’en parler avec autorité. 1795. Le crâne de Menchecourt Cuvier : Le mammouth est-il une espèce distincte de l’éléphant ? En l’an III, Traullé adressa à Daubenton un fragment de crâne d’un “ trèsgros quadrupède ” qui avait été “ trouvé dans les sables qui bordent la vallée de la Somme ”. C’est l’entrée de Menchecourt dans l’histoire26. 24. L. Traullé, Ibid., 329. 25. L.T *** [Traullé, anonyme], Vues nouvelles sur la théorie de la Terre, Mag. encycl., 1ère année, t. V, (an V-1795), 475. 26. Cinquante ans plus tard, Boucher de Perthes trouvera, dans cette même carrière, des outils de pierre dans les couches diluviennes contenant des ossements d’urus, d’éléphants et de rhinocéros d’espèces disparues, il commencera alors à admettre l’existence d’un homme antédiluvien. Certains des ossements trouvés dans la vallée de la Somme par Traullé et Baillon ont échappé à l’incendie de mai 1940 et se trouvent au musée Boucher-de-Perthes à Abbeville.

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Évidemment, c’était Baillon qui lui avait ouvert la voie. Le crâne de Menchecourt avait pris le même chemin que le crâne d’Hangest. Mais le Daubenton de l’an III était bien loin du Daubenton de l’Histoire naturelle dont le souvenir n’était peut-être pas pour lui sans amertume. Au Collège de France, il avait réduit son cours à la minéralogie. Le crâne de Menchecourt resta dans la maison où Traullé l’avait envoyé sans que Daubenton s’en soit préoccupé. Il fallait chercher un autre patron. À la fin de l’année 1795, vol. VI, pp. 34-38, le Magasin encyclopédique publiait bien une lettre de Millin sur une tête pétrifiée conservée au Muséum d’Histoire naturelle. Il s’agissait du Mosasaurus giganteus. Mais nous savons que Millin abandonnait l’histoire naturelle. Traullé pensait alors à Faujas. Au Muséum, Daubenton avait pris la chaire de Minéralogie. Faujas eut la chaire de Géologie. Bien qu’il ne se soit guère occupé jusqu’ici que de minéralogie, il eut à parler des fossiles dans son cours. Mais “ la voix de quelques naturalistes instruits s’éleva contre l’opinion qu’il émit dans cette enceinte ”, c’est-à-dire dans la salle où il faisait ses cours, “ que loin de considérer tous les fossiles sans analogues connus, il les regardait au contraire, du moins en partie, comme ayant encore leurs semblables, soit sur la terre soit dans les mers ”27. Il faut sans doute chercher les débuts de l’opposition à laquelle il fait allusion dans une note du Bulletin de la Société philomatique, Sur les espèces d’éléphans par les CC. Cuvier et Geoffroy. Les deux auteurs étaient professeurs au Muséum ; l’un avait vingt-six ans, l’autre vingtdeux. En voici l’essentiel : “ Ces citoyens ont découvert que le Mammouth […], qu’on avoit toujours regardé comme un Éléphant, est bien du même genre, mais que, quoique trèsvoisin de l’Eléphant d’Asie, il en diffère assez pour être considéré comme une espèce distincte. Le Muséum en possède une mâchoire inférieure fossile, entière ; l’angle que forme ses branches est plus ouvert ; le bec qui la termine moins aigu ; son canal plus large, et ses molaires composées de lames plus minces et plus nombreuses ”28. Les auteurs avaient trouvé dans les dispositions morphologiques des caractères susceptibles d’établir une distinction spécifique et de faire du plus grand animal de nos temps préhistoriques une espèce différente de celles actuellement existantes. L’événement en lui-même avait sans doute son importance historique, mais le principe était plus important encore. Les progrès de l’anatomie comparée permettaient et permettront de pousser de plus en plus loin l’analyse des formes en même temps que les distinctions spécifiques ellesmême et je crois qu’on peut considérer cette note comme le début de la paléontologie moderne. 27. B. Faujas de Saint-Fons, Eléments de Géologie, t. I, 1803, 5. 28. G. Cuvier et É. Geoffroy-Saint-Hilaire, “ Sur les espèces d’éléphans ”, Bull. Soc. Philom., t. I, Floréal-Messidor an III, avril-juillet 1795, 30.

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La collaboration des deux anatomistes fut éphémère. Présentée à un moment où ils mettaient “ tout en commun ”, cette note vient évidemment de Cuvier. On y reconnaît ses préoccupations ultérieures et surtout sa manière, alors que dans les travaux de Geoffroy, on n’y retrouverait rien de semblable. Peu de temps après, d’ailleurs, Cuvier prenait officiellement possession du sujet. La séance d’installation de l’Institut national eut lieu le 6 nivôse an 4 [27 décembre 1795]. Le premier pluviôse suivant [21 janvier 1796], Cuvier lut un Mémoire sur les espèces d’éléphans vivantes et fossiles (Mém. Acad. Sci., t. II ; 1-22 p., 6 pl.). C’est un mémoire historique entre tous et d’ailleurs un mémoire à effets, que les circonstances devaient encore accuser. Ces premières séances n’étaient pas sans une impressionnante solennité. Il y a, dans ce mémoire, un effort d’éloquence, comme pour ouvrir un procès et gagner une cause. Cuvier prend position contre des conceptions qui remontaient à Robinet, Maupertuis et Buffon. Aujourd’hui, ce mémoire paraît heurter la philosophie d’un siècle qui semblait finir avec Thermidor. L’auteur rappelle que quelques naturalistes avaient remarqué, dans les dents des éléphants vivants et fossiles, des différences assez considérables pour faire soupçonner des différences spécifiques. “ Nous nous étions, écrit-il, occupé longtemps sans succès […] d’ajouter à ces premiers indices lorsque la conquête […] de la collection du prince d’Orange […] est venue les compléter ”29. Le “ sans succès ” vient un peu rudement effacer le souvenir de la note présentée avec Geoffroy-Saint-Hilaire. Cuvier a évidemment, ajouté un caractère distinctif particulièrement important et, à ce sujet, il donnera un peu plus tard des indications qui peuvent avoir une valeur historique mais qui lui permettront aussi de reprendre, pour son compte personnel, des observations qu’il avait partagées avec son collègue : “ […] le meilleur [des crânes fossiles qui appartiennent à l’Académie de Pétersbourg] a été trouvé sur les bords du fleuve Indigirska […] par le savant et courageux dantzickois Messerschmidt qui en donna un dessin à son compatriote Breynius. Ce dernier le fit graver à la suite d’un Mémoire qu’il inséra dans les Transactions philosophiques (Vol. 40, p. 446, pl. I et II) ; et c’est jusqu’à présent le seul document public que l’on ait sur cette partie du squelette de l’éléphant fossile […] ”. “ Le premier coup d’œil montre que l’éléphant fossile ressemble par le crâne, ainsi que par les dents, à l’espèce des Indes beaucoup plus qu’à l’autre […] ”. “ Cependant, on y voit nettement une différence frappante de proportion, celle de l’extrême longueur des alvéoles des défenses. Elle est triple de ce qu’elle seroit dans un crâne de l’Inde ou d’Afrique de mêmes dimensions que

29. G. Cuvier, “ Mémoire sur les différentes espèces d’éléphans vivans et fossiles ”, Mém. Acad. Sci., Sciences mathématiques et physiques, t. II, 6.

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celui-ci ; et la face triturante des molaires prolongée, au lieu de rencontrer le bord alvéolaire, couperoit le tube de l’alvéole au tiers de sa longueur ”. “ Cette différence est d’autant plus importante qu’elle s’accorde avec la forme de la mâchoire inférieure […] ; elle nécessitoit une autre conformation dans la trompe ”30. “ […] Dès que je connus ce dessin de Messerschmidt, et que je joignis aux différences qu’il m’offroit celles que j’avois observées moi-même sur les mâchoires inférieures et sur les molaires isolées, je ne doutai plus que les éléphans fossiles n’eussent été d’une espèce différente des éléphans des Indes. Cette idée que j’annonçai à l’Institut, le premier pluviose an IV [Mémoires de l’Institut, 1ère classe, tome II, p. 21 et 22], m’ouvrit des vues toutes nouvelles sur la théorie de la terre ; un coup d’œil rapide me fit présumer tout ce que j’ai découvert depuis, et me détermina à me consacrer aux longues recherches et aux travaux assidus qui m’ont occupé depuis dix ans ”. “ Je dois donc reconnoître ici que c’est à ce dessin, resté pour ainsi dire oublié dans les Transactions philosophiques depuis soixante-dix ans, que je devrai celui de tous mes ouvrages auxquels j’attache le plus de prix ”31. Il faudrait donc chercher l’origine de ces vues toutes nouvelles sur la théorie de la terre spécialement dans la différence des alvéoles observées par Cuvier sur le dessin de Messerchmidt et non pas dans les différences présentées en son nom et au nom de Geoffroy dans le Bulletin de la Société philomatique, bien qu’on eût pu leur demander exactement la même signification. Dans ce récit, il y a peut-être autant d’élégie que d’histoire. Quoi qu’il en soit, l’auteur conclut : “ Quelle que puisse être l’influence du climat pour faire varier les animaux, elle ne va pas sûrement aussi loin et dire qu’elle peut changer toutes les proportions de la charpente osseuse et la contexture intime des dents, ce seroit avancer que tous les quadrupèdes peuvent ne dériver que d’une seule espèce, que les différences qu’ils présentent ne sont que des dégénérations successives : en un mot, ce seroit réduire à rien toute l’histoire naturelle, puisque son objet ne consisteroit qu’en des formes variables et des types fugaces ”32. Cuvier prend ici position à la fois contre les transformistes et probablement contre les vues que Faujas exposait dans ses cours sur des variations étendues des espèces. Par ailleurs : “ […] les savants qui s’occupent de la théorie de la terre, regardent comme constant qu’il y a eu une époque où les éléphans, qui ne se trouvent que dans 30. G. Cuvier, “ Sur les Éléphans vivans et fossiles ”, Ann. Mus., t. VIII (1806), 149-150 ; Rech. Oss. foss., t. II (1812), 114-115. 31. G. Cuvier, Ibid., Ann. Mus., t. VIII (1806), 153 ; Rech. Oss. foss., t. II (1812), 118. 32. G. Cuvier, “ Mémoire sur les espèces différentes d’éléphans ”, Mém. Acad. Sci., Sci. Math. Phys., t. second (1797), 12.

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la zone torride de l’ancien hémisphère, habitoient les contrées septentrionales des deux continens ”. “ Je me crois pourtant en état de prouver qu’au moins une grande partie des dépouilles fossiles en question a appartenu à des animaux qui différoient bien évidemment pour l’espèce d’avec nos éléphans d’aujourd’hui, quoiqu’ils leur ressemblassent assez pour être du même genre ”33. Ce qui veut dire que les espèces fossiles pouvaient vivre dans les régions septentrionales puisqu’elles étaient différentes de celles qui vivent dans la zone torride et qu’il n’y a pas lieu de faire appel, comme le faisait Buffon, à un refroidissement de la terre qui eût déterminé les animaux à se réfugier dans les régions chaudes. L’auteur en arrive à la conclusion suivante : “ Qu’on se demande maintenant pourquoi on trouve tant de dépouilles d’animaux inconnus, tandis qu’on n’en trouve presque aucune dont on puisse dire qu’elles appartiennent à des espèces que nous connaissons, et l’on verra combien il est probable qu’elles ont appartenu à des êtres d’un monde antérieur au nôtre, à des êtres détruits par quelque révolution de ce globe ; êtres dont ceux qui existent aujourd’hui ont rempli la place, pour se voir peut-être un jour également détruits et remplacés par d’autres ”34. 1796. Traullé membre associé de l’Institut. “ Sur quelques pétrifications dans les sables qui bordent la vallée de la Somme ” Il est fort possible que les échos de cette lecture académique ne soient pas arrivés jusqu’aux milieux abbevillois ou qu’elle y ait produit peu d’impression. Pour le moment, cela n’avait guère d’importance. Nos amis suivaient les débuts de l’Institut national avec plus d’attention que le fond même des doctrines qui pouvaient s’y opposer35. C’était à l’Institut national que les gens instruits de notre pays plaçaient volontiers l’avenir scientifique de celui-ci. Là devait être le centre des informations venues des divers points du territoire. De là devaient partir des instructions et des encouragements et tout le monde devait y trouver des moyens d’expression. La liaison allait être assurée par des membres associés non résidants. L’Académie s’occupa de leur nomination. Le 24 ventôse an 4 [13 février 1796], Traullé est nommé associé pour la troisième classe, dans la section des Antiquités et des Monuments. Le 1er ventôse an 4

33. G. Cuvier, Ibid., t. second (1797), 4. 34. G. Cuvier, Ibid., t. second (1797), 21. 35. Toutes les Académies furent supprimées en 1793. En 1795, fut créé l’Institut national. La réforme de 1976 précise ses missions qui ont, semble-t-il, peu changé depuis 1795 : “ [L’Institut] rassemble les savants français les plus éminents et s’associe les savants étrangers les plus réputés. [Il] encourage et protège l’esprit de recherche, contribue aux progrès des sciences et de leur application […] ”.

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[20 février 1796], J.-A.-G. Boucher est placé sur la liste des candidats présentés par la section de Botanique et de Physique végétale. S’il ne figure pas parmi les élus, il en revient avec un demi-succès pour le présent et une promesse pour l’avenir. Nos trois Abbevillois rivaliseront de zèle. La place de Baillon eût été dans la classe des sciences et il y posera effectivement sa candidature. Traullé était en rapport tantôt avec une classe tantôt avec l’autre. Le 2 floréal an 4 [21 avril 1796], il annonce à Millin un mémoire dans une lettre que celui-ci juge utile de publier dans le Magasin encyclopédique, sous la rubrique : Pétrifications. Lettre du citoyen Traullé, président du tribunal criminel du département de la Somme à A. L. Millin, sur quelques pétrifications dans les sables qui bordent les vallées de la Somme (an IV, 2e année, t. 1, n° 2, p. 182-184). Traullé envoie à son correspondant une pierre gravée représentant un Hercule trouvé dans le district d’Abbeville. Il lui adressera sous peu les autres articles. Il lui fait mille remerciements pour les ouvrages qu’il lui a envoyés : “ J’ai lu avec une attention particulière la dissertation dans laquelle il est question de la tête pétrifiée trouvée à Maëstricht, et me suis promis de vous faire part à ce sujet des découvertes que je fais journellement dans les sables qui bordent la vallée de la Somme, lesquelles ont rapport à votre mémoire ”. “ J’y ai trouvé un fragment de crâne d’un demi-pouce d’épaisseur ; une cloison de deux pouces entroit dans le cerveau de l’animal, et le divisoit en deux lobes ; c’étoit la tête d’un très gros quadrupède. – Un bois de cerf ordinaire et une foule d’ossemens infiniment gros ; ces sables ont été apportés dans la vallée qu’ils ont rétréci, et la flanquent dans une foule d’endroits. Il n’en est pas dans tout le cours de la Somme où il ne s’en rencontre ; j’en traite dans le court mémoire que je vous destine ”. “ On a trouvé aussi dans les sables de la baye de Somme, au pied d’un ancien banc de sable aujourd’hui découvert par la mer (et depuis des siècles), un fragment de la tête d’un bœuf énorme, semblable à celui dont a parlé Buffon dans les époques de la nature. Les deux cornes sont assemblées ; elles sont, dit-on, pétrifiées : je n’ai pas vu le morceau, mais on va me l’envoyer. Dans les tourbes du village de l’Etoile, on a trouvé hier matin un fragment d’un bois de cerf ou élan monstrueux pour la grosseur, deux fois comme ceux que nous connaissons. Rien de vivant ne peut lui être comparé ”. “ J’ai envoyé le premier article à M. Daubenton l’année dernière. Il est resté à Paris chez le citoyen Moreau, maison de Strasbourg, rue Neuve SaintEustache ; si le citoyen Faujas veut joindre ces articles à ceux dont il parlera dans l’ouvrage qu’il destine au public, je les lui ferai dessiner ou je les lui enverrai ”36.

36. L. Traullé. Pétrifications. Lettre du citoyen Traullé, président du tribunal criminel du département de la Somme à A. L. Millin, Sur quelques pétrifications dans les sables qui bordent les vallées de la Somme, Mag. encycl., seconde année, t. 1, n° 2 (an IV-1796), 183-184.

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Millin publiait alors ses Antiquités nationales et c’est évidemment pour illustrer cet ouvrage que Traullé lui envoie une pierre gravée de l’Hercule trouvée dans le district. Il fait une offre semblable à Faujas qui préparait alors son Essai de Géologie. Il est lancé dans l’exploration des tourbières et des sablières. Les sables ossifères qui ont rétréci la vallée sont ceux de Menchecourt. Un “ très gros quadrupède ”, une foule “ d’ossemens infiniment gros ”, un bœuf “ énorme ”, un cerf ou un élan “ monstrueux ”, des débris auxquels “ rien de vivant ne peut être comparé ”, ces expressions se ressentent de La Théorie de la Terre et des Epoques de la Nature, où Buffon attribue des animaux gigantesques aux anciens âges du monde. 1797. Traullé, “ Sur la vallée de la Somme ”. Le mémoire annoncé dans la lettre à Millin se présente ainsi : Le Citoyen Traullé l’aîné au Citoyen Millin, […] sur la vallée de la Somme (Magasin encyclopédique, seconde année, an V-1797, t. V, pp. 7-46). Il est daté du 1er vendémiaire an V [22 septembre 1796] et il comprend : [1°] “ un essai sur les diverses révolutions qu’ont éprouvé [sic] la Vallée de la Somme et le Golfe, aujourd’hui comblé, que cette rivière traverse avant de joindre ses eaux à celles de la mer ; [2°] quelques observations sur les tourbières de cette vallée ; [3°] “ un détail des monumens de l’Histoire naturelle et de l’Art qu’on y a rencontré [sic] depuis quelques années ”37. Comme la formation des tourbes résulte elle-même des “ révolutions éprouvées par la Vallée de la Somme ” et que la découverte des “ monumens de l’Histoire naturelle et de l’Art ” se fait par l’exploitation des tourbières et permet de suivre ces “ révolutions ”, on voit qu’il y a, dans ce mémoire, un enchaînement qui lui donne une certaine unité. Sans doute, il est parfois des plus pénibles et n’est pas toujours original, mais on y voit les éléments du paysage s’organiser suivant un ordre assez voisin du nôtre, bien qu’obéissant à d’autres lois : “ Avant leur comblement, les vallées des basses plaines présentaient une immense quantité de lacs et parfois de véritables bras de mer. Elles ont été bientôt attéries [sic] soit par les sables amenés par des flux soit par ceux descendus du haut des plaines soit par la superapposition du limon tourbeux ”38. Les révolutions éprouvées par la vallée et le golfe ont donc eu plusieurs causes, mais l’action des vagues a été la plus importante. C’est ainsi qu’il explique l’alternance des couches du fond de notre vallée qui se trouvent décrites pour la première fois : “ Dans notre lac […], l’alternative du flux et du reflux a souvent porté le limon tourbeux d’un point à un autre : de là viennent les lits de tourbe alternant 37. L. Traullé, Le Citoyen Traullé l’aîné au Citoyen Millin, […] Sur la vallée de la Somme. Mag. encycl., seconde année, t. V, n° 17 (an V-1797), 7. 38. L. Traullé, Sur la vallée de la Somme, 8.

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avec des couches de sables et d’argiles […]. On le [sic] trouve à l’embouchure de la rivière dans le point qui a été autrefois baye, sous le sol de la partie de la ville d’Abbeville bâtie dans la vallée, dans le voisinage de ces bancs de coquilles de mer qui courent sous la ville à dix pieds de profondeur environ où ils alternent avec le sable de mer ”39. Il signale les différentes espèces de tourbe à la fois suivant leur valeur pratique et leur position verticale : “ Les tourbes de la vallée de Somme […] sont formées de ce limon déplacé et trituré […] ; cette espèce occupe les plus grandes profondeurs ; il en est qui ne sont composées que de feuilles d’arbres, et ce sont les plus rares ; et le plus grand nombre, celles qui constituent le banc qui vient au jour, montrant des racines, des portions divisées plus ou moins de plantes entières ; cette dernière espèce moins ancienne que la première, acquiert, en se séchant, moins de dureté qu’elle, et son feu dure moins long-temps ”40. Il a également observé “ sous la tourbe, […] un sable gris ” et “ sous ce sable, un banc de galets que la sonde ne peut entamer qu’avec peine ; à Picquigny, ce banc s’est trouvé à vingt pieds au-dessous de la superficie des marais ”41. D’autres observations parfois assez délicates se rapportent à des couches attribuées à des inondations venues du haut des “ plaines ”. Ce sont des couches qui relient les tourbes du fond de la vallée aux formations des versants et des “ plaines ” et s’il est parfois difficile de reconnaître les termes indiqués par notre auteur, on a l’impression qu’il observe convenablement le contact des couches inclinées des versants sur les couches horizontales du fond de la vallée. Voici, je crois, “ la terre noire tourbeuse récente ”42 de Commont (t. n., terre noire) qui descend de la basse terrasse pour former le sol du marais43. C’est : “ Cette terre, plus ou moins mêlée de limon tourbeux, qu’on exploite en certains endroits de la vallée, quand on a épuisé les vrais bancs de tourbe […] ; sa présence s’annonce par des buttes confusément dispersées, et toujours on la trouve au pied des côtes du haut desquelles est descendue cette terre qui, lorsque la vallée étoit encore en état de lac, est venue se mêler avec le limon tourbeux ”44. Voici maintenant des termes plus anciens qui plongent en biseau sous les 39. L. Traullé, Ibid., 9. 40. L. Traullé, Ibid., 10. 41. L. Traullé, Ibid., 12. 42. V. Commont, “ Notes sur les tufs et les tourbes de divers âges de la Vallée de la Somme. Mode de formation et chronologie d’après la faune et l’industrie que renferment ces dépôts ”, Ann. Soc. géol. du Nord, t. XXXIX (1910), 216. 43. V. Commont, “ Note sur les tufs et les tourbes de divers âges de la vallée de la Somme. Mode de formation et chronologie d’après la faune et l’industrie que renferment ces dépôts ”, Ann. Soc. géol. Nord France, t. XXXIX (1910), 216-254 ; 216. 44. L. Traullé, Sur la vallée de la Somme, 12-13.

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couches plus élevées de la tourbe. Ce doivent être les sables de Menchecourt, avec les lœss qui les surmontent et qu’on retrouve le long de notre vallée : “ Dans les temps plus reculés, la vallée a été rétrécie de presque de moitié en certains endroits, par des sables et des argiles ; ces sables et ces argiles ont été chariés par le lac lui-même, ou sont descendues du sommet des plaines à l’aide de grandes inondations ; ces sables ont été déposés avant la formation de la tourbe sous laquelle ils continuent, ce sont eux qui ont formé la basse plaine qui se trouve entre Amiens et Dreuil, route d’Abbeville, celle qui se trouve entre Abbeville et Cambron, route de Dieppe, et une foule d’autres ”45. Voici maintenant une observation qui paraît locale et d’après laquelle des terres jaunes couvriraient la tourbe ou s’y intercaleraient : “ Dans les temps plus voisins de notre âge, d’autres argiles encore descendues du haut des plaines […] ont trouvé la tourbe déjà consolidée, elles l’ont couverte sans s’y mêler ; ces accidens dans la vallée-mère de la Somme et dans ses rameaux, les ont encore rétréci [sic] dans beaucoup d’endroits ; c’est ainsi que la vallée d’Avre […] a été rétrécie entre Renaucourt et le pont de Metz, côté de l’Ouest, par une grande masse de terres jaunes descendues de la côte, et qui sont venues se superposer à la tourbe qui depuis long-temps, s’étoit formée ; depuis cet accident, la tourbe du marais s’est encore accrue en hauteur, et le niveau de ces tourbes recouvertes est de trois pieds plus bas que celui des marais ”46. On voit que Traullé avait le souci et le sens des “ superpositions ”. L’auteur retourne ensuite à l’action des vagues. Il voit dans les “ falaises considérables qui bordent la vallée, […] des témoins apparents qui indiquent que la vallée de la Somme était primitivement un lac. Ces falaises ainsi que celles qui bordent la mer […] se sont établies parce que des vagues puissantes ont attaqué, pendant les tempêtes, les massifs qui leur faisoient résistance ”47. Notre auteur voit en outre des témoins cachés de cette action des vagues dans les bateaux de toutes espèces et de toutes les grandeurs qu’on trouve dans tous les points de la vallée et dans les immenses quantités d’arbres qu’on trouve journellement dans la tourbe. Tout cela se serait produit à peu près au niveau du flux et du reflux, si je saisis bien la pensée de l’auteur. Il suit en effet cette action des vagues en s’élevant au-dessus de la Somme et de la mer, comme nous suivons la succession des terrasses qui s’étagent au-dessus de la rivière. Il passe ainsi aux “ traces des hauteurs moyennes des marées ”. Elles “ se voient dans des couches horizontales de limon tourbeux ”, plus ou moins “ mêlées de sable gris ”, qui “ dominent le niveau actuel de la rivière de vingtcinq pieds ”. Ce qui “ fait preuve de deux grandes vérités, l’une, que les marées de moyenne hauteur sont montées jusqu’à vingt-cinq pieds au-dessus

45. L. Traullé, Ibid., 13. 46. L. Traullé, Ibid., 13-14. 47. L. Traullé, Ibid., 14.

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du niveau actuel de la rivière ; l’autre, que quand elles se sont élevées jusqueslà, le limon de la tourbe commençoit déjà à se former ”48. Cette couche horizontale qui “ borde toute la vallée ” ressemble d’ailleurs beaucoup à la couche de terre noire qu’il attribuait tout à l’heure à une autre cause. Aux “ hauteurs moyennes des marées ”, il attribue également les “ levées ” et les “ amas de tuf ”49. Les “ levées ” sont ce qu’il appellera plus tard et ce que nous appelons encore aujourd’hui des “ croupes ”. Ce sont des masses de tuf qui dominent le fond de la vallée. On les avait sans doute désignées avant lui sous le nom de “ levées ” parce qu’on les avait confondues avec les constructions de terre auxquelles on donnait ce nom. Il eut le mérite de leur attribuer une origine naturelle et d’en faire l’exploration archéologique et paléontologique. Ce fut une des grandes affaires de sa vie et cela leur vaudra une place importante dans notre histoire, même après lui : “ Elles ressemblent absolument à des retranchements faits de mains d’hommes ; leur largeur est de quinze à vingt pieds, plus ou moins ; leur hauteur est de dix à vingt-cinq ; en certains endroits, elles courent parallèlement à la colline ; ailleurs elles tiennent le centre de la vallée ou [sic] elles serpentent, entre Fontaine et Long. On en voit une qui barre la vallée dans la diagonale, vis-à-vis le camp de César, de Tirencourt […] ; une autre qui la barre en ligne directe, entre le Pont-de-Remy et Coquerel […]. Elles sont composées en général, à leur base, de gros fragments, [de blocs de craie], [de galets], [de tuf trèsgros], [dont les couches sont concentriques] ; […], d’autres tufs en bloc et de forme indéterminée, d’ostéicoles de toute grandeur, […] de galets lenticulaires, de coquilles fluviatiles, de terre d’étang, de couches de tourbe et de nids de terre jaune amenée par les orages. Quelquefois ces levées reposent sur la tourbe ; […] quelquefois aussi […] sur le sable sur lequel le lac rouloit autrefois ”50. Les “ amas de tuf ” décrits par l’auteur sont peut-être ceux qui “ reposent sur les galets de la basse terrasse ” : “ Les amas de tuf diffèrent des levées en ce qu’ils occupent toute la largeur de la vallée dans les points où ils se trouvent, et qu’ils reposent sur les galets, étant antérieurs à la formation de la tourbe ; […] le plus considérable […] est celui de Pont-de Remy, il occupe toute la vallée, dans une longueur de trois quarts de lieue. Son élévation au-dessus des marais environnans est de quinze à vingt pieds, […] plusieurs levées en partent comme d’un foyer commun […]. Vers Abbeville, […] le grain du tuf est très grossier, tous les blocs sont friables et les ostéicoles dépourvus de solidité […], les tufs […] se seront cristallisés […] au moment où il […] montoit […] trente pieds d’eau ou environ ”51.

48. 49. 50. 51.

L. L. L. L.

Traullé, Traullé, Traullé, Traullé,

Ibid., Ibid., Ibid., Ibid.,

14. 16. 16-17. 18-19.

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L’auteur passe maintenant aux “ témoins des plus grandes hauteurs des marais ” avec les sables et les “ galets lenticulaires de craie ” qui sont les versants avec les galets de silex qui sont sur les “ côtes ” et sur les “ plaines ” : “ Les dépôts de sable s’élèvent à quatre-vingts pieds et plus au-dessus des marais ; ces sables sont mêlés de galets lenticulaires de craie, qui leur communiquent une couleur blanchâtre ; ils composent des monticules mamelonnées [sic] ; ces monticules dans l’origine, étoient séparées [sic] les uns des autres ; mais d’autres sables non mêlés de craie, et de couleur jaune, descendus du haut des plaines, sont venus remplir les intervalles qui séparoient ces monticules, réunir leurs sommets, et former par-là, de la cime des plaines jusqu’aux marais, un talus plus ou moins rapide ”52. Bien que tout ne soit pas clair, il s’agit évidemment des lœss. Les “ galets lenticulaires de craie ” qui flanquent certaines falaises jusqu’à près de cent pieds de hauteur et que Traullé signale notamment contre la falaise primitivement taillée à pic d’Hangest, paraissent correspondre à des éboulis de pente. Quant aux galets de silex signalés par l’auteur, d’après les indications topographiques qu’il nous donne, ce sont des galets tertiaires. Il n’y a rien dans ce mémoire qui se rapporte à nos hautes et moyennes terrasses dont les graviers n’étaient pas encore exploités pour l’empierrement des routes alors que les lœss et les lœhms étaient largement utilisés pour la fabrication des briques et pour la construction des plafonds et des murs et que la tourbe faisait l’objet d’une extraction très active. Traullé nous apporte ainsi, sur ce que découvraient alors les exploitations, une masse d’observations, non pas en vrac, mais qu’il rangeait suivant des altitudes croissantes par rapport au niveau de la rivière et de la mer, et dans lesquelles sa fantaisie brodait sur des thèmes répandus par Buffon. Traullé voit les mêmes indications sur les hauteurs des marées dans le golfe du Marquenterre qui, dans l’origine, ne faisait qu’ “ un même bras de mer avec le lac de la Somme ”. Un banc de sable et de galets courant de la pointe d’Ault à celle d’Etaples enfermait entre le continent et ce banc de sable un vaste étang qui a été comblé comme la vallée de la Somme par de la tourbe sous laquelle on trouve le sable de mer. Sur ce banc de sable des dunes se sont constituées par une opération de la nature dont nous sommes témoins tous les jours : “ Tous les jours, nous voyons qu’aussitôt que la mer s’éloigne, aussitôt le vent assèche le sable ; que le sable asséché court et voyage sous la forme d’une multitude de petits nuages rasant le sol ; que ce sable finit par établir une petite butte ; que, sur cette butte, il se ménage une pente qui regarde le vent ; qu’à l’aide de cette pente, il gagne toujours le haut de la butte ; que, plus la pente

52. L. Traullé, Ibid., 19-20.

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s’étend et plus la butte s’élève, sa pente regarde le vent et le côté opposé se coupe à pic ”53. Traullé n’a peut-être jamais exprimé ses observations d’une manière plus vivante, inspiré et comme séduit par les paysages du Marquenterre où il faisait de la botanique avec du Maisniel de Belleval, Ch.- Bl. Buteux, J.-A.-G. Boucher et où il avait passé : “ avec ces amateurs et ces maîtres de l’art ” des moments qu’il “ se rappellerait toujours avec plaisir ”54. Il n’a pas de peine à retrouver “ les témoins des hauteurs moyennes des marées ” dans les “ îles ” ou “ foraines ” qui sont “ entièrement composées de sable de mer et de gros galets ” et “ qui se montrent au-dessus du marais ”. Il voit même les traces de l’élévation des plus hautes marées dans les sables qui sont apportés par le vent et qui se mélangent à la terre des plaines qui dominent le Marquenterre. Après cet essai sur l’Histoire physique de la vallée et du golfe, il en vient aux Monuments de l’Histoire naturelle et de l’Art : “ Dans la tourbe et dans les sables, sur lesquels elle repose, on trouve des restes souvent entiers, mais plus souvent divisés, d’une foule d’animaux de toute espèce : la plupart de ces animaux subsistent encore dans nos forêts, et leurs ossemens gissent dans les premiers pieds de la tourbe ; d’autres sont perdus pour la France, et leurs ossemens ne se rencontrent que plus bas ”55. C’est la distinction cardinale sur laquelle tourne toute notre histoire. En premier lieu vient le roi de nos forêts antiques : “ Parmi les ossemens que nous avons dû trouver au plus bas de la tourbe, nous avons singulièrement distingué ceux du taureau-éléphant, dont César parle dans ses Commentaires sous le nom d’urus […] ”. “ Telle est l’espèce dont nous venons de trouver la dépouille dans les tourbes et dans les sables de la Somme […]. La dépouille de Beaucourt étoit entière ; il ne manquoit point un des os de l’animal ; mais ceux qui l’ont trouvé n’ont conservé que les cornes, qu’on peut voir dans le cabinet du citoyen Beaucousin. Ces cornes […] sont plus considérables que celles d’Hangest, dont Buffon a parlé au tome X du Supplément, page 281. Celles de Fortmannoir trouvées il y a quatre ans environ, ont été achetées par un particulier d’Amiens, dont les tourbiers ignorent le nom ; celles de Routianville [trouvées sous le sable de la dune], plus curieuses que les autres, étoient absolument pétrifiées, ainsi que l’ont bien constaté les officiers de l’amirauté du port d’Abbeville, présens à la découverte. Ces cornes étoient encore assemblées par un morceau de crâne, le surplus manquoit. Quelques recherches que nous ayons faites, nous n’avons pu nous procurer cette pétrification, qui n’a point 53. L. Traullé, Ibid., 25. 54. L. Traullé, Ibid., 45. 55. L. Traullé, Ibid., 33.

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été soignée par ceux qui l’ont trouvée, et a été égarée. Nous croyons que cette espèce de bœuf est certainement très-différente de l’espèce ordinaire, et tout le monde peut se convaincre qu’on ne voit point, dans la corne de nos bœufs, les sillons qui, dans les cornes de l’urus, partent de la racine des cornes et gagnent leur extrémité ”56. Là est l’alpha de la paléontologie abbevilloise. Il fut établi en l’an V et il prévaudra chez nos amis sur toutes les observations de Georges Cuvier. Traullé continue : “ Dans toute la vallée, dans les six premiers pieds de la tourbe, une multitude de bois de cerfs de taille ordinaire ; plus bas, d’autres bois de cerfs plus forts que de coutume ; à Hangest, il y a plusieurs années, un bois d’élan entier ; à l’Etoile, il y a deux mois, un fragment de bois d’élan ; au même lieu, des cornes d’un animal inconnu ; dans nos parages, un bois de cerf décrit par Buffon, sous le nom de Cerf de Corse ; à Ailly-sur-Somme, des griffes d’animaux qu’on a regardé [sic] comme des griffes d’ours ”57. Il y a sans doute ici des observations stratigraphiques douteuses. Il y a aussi des déterminations inexactes. Mais il y a aussi des observations et des déterminations qui tiendront. Il y a d’abord un principe général : les espèces disparues apparaissent quand on s’éloigne de la superficie. D’autre part, il s’agit d’espèces perdues “ pour la France ”, c’est dire qu’on peut encore les trouver dans d’autres contrées parmi les espèces actuellement existantes, de sorte que le déterminatif régional dispense au moins implicitement d’un cataclysme universel. L’empirisme du vieux chercheur le tenait loin des grands systèmes. Voici maintenant pour les sables de Menchecourt, qui sont de ceux qui rétrécissent la vallée, c’est-à-dire de ceux qui sont plus anciens que les tourbes et où il semble qu’il puisse exister quelque chose qu’on ne trouve pas dans les tourbes : “ Dans les sables qui rétrécissent la vallée, au niveau de l’eau, beaucoup d’ossemens d’animaux de toute grandeur. Des fouilles qu’on fait chaque année dans ces sables, au faubourg de Menchecourt, à Abbeville, à quarante pieds de profondeur, rapportent des cornes d’animaux inconnus, des fragmens de crâne énorme, des côtes [sic] de [sic] vertèbres [sic] fémurs, etc. Les ouvriers qui exploitent ces fosses depuis long-temps, prétendent y avoir vu des ossemens gigantesques, et qui peuvent appartenir, par conséquent soit à l’éléphant, soit à l’hippopotame : c’étoit peut-être un de ces géans de l’espèce quadrupède, que celui qui nous a été apporté, il y a quelque temps, et que nous avons fait passer au citoyen Daubenton. Nous avons regretté que ce morceau soit perdu, car il nous eût servi à constater que, sur les bords de la Somme comme sur ceux de l’Arno, comme aussi dans les environs de Meaux, dans les eaux de la Seine, l’éléphant ou l’hippopotame avoit existé (Valmont de Bomare, V Ostéolithes). 56. L. Traullé, Ibid., 34-35. 57. L. Traullé, Ibid., 35.

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Cependant, nous venons de découvrir que le taureau-éléphant a vécu dans nos parages, et que ses ossemens doivent être presqu’aussi gros que ceux de l’éléphant, nous sommes forcés, jusques à ce que nous obtenions de nouvelles convictions, de suspendre tout jugement ”58. En attendant, les tourbières de la Somme exploitent des couches archéologiques où les objets laissés par l’homme présentent une stratigraphie comme les débris laissés par les animaux : “ Les monumens des arts qui se trouvent dans la tourbe appartiennent soit aux Romains, soit aux peuples qui se sont établis après eux dans les Gaules, et peut-être même à ceux qui les ont précédés ”59. Traullé va moins loin dans le passé et avec plus de réserves que pour les tombes. Il n’a pas encore recueilli d’objets de pierre dans les tourbes. Il mentionne d’abord des bateaux : un fort beau, trouvé vers 1775, dans la tourbe près d’Abbeville, fait de planches tenues par des clous et des fiches de cuivre, un autre chargé de briques, trouvé près du camp de César de Tirencourt, vers 1750 ; dans le même endroit, un autre chargé de tuiles épaisses, trouvé vers 1795. “ La quantité de bateaux qu’on trouve dans tous les autres points de la vallée […] est très-considérable ; il en est de tous les âges et de toutes les grandeurs : on en a même vu dans les tourbages de Long, qui étoient formés d’un seul tronc d’arbre comme le canot des sauvages […]. Les plus anciens reposent sur le sable qui faisoit le fond du lac ”60, ce qui veut dire qu’ils sont “ sous ” la tourbe61 et plus anciens qu’elle, et au moins aussi anciens que les animaux “ perdus pour la France ” que ces tourbes ont ensevelis. Traullé mentionne ensuite des armes de cuivre qu’il attribue aux Romains : un casque d’airain, des lances que l’on trouve presque tous les ans. Il signale également des lances en fer et d’autres armes “ des derniers siècles ”. Il parle assez longuement des vases en terre et en bronze. Il énumère des objets divers de différents âges, des monnaies et un “ ossement façonné ”62, qu’il a pris pour un instrument de pêche et qui a été trouvé à Long, à sept ou huit pieds de profondeur et qu’il mentionne sans y accorder un intérêt particulier. Il nous a dit que depuis l’époque romaine, les tourbes s’étaient relevées de six pieds, ce qui devrait remonter au-delà des tourbes sous-jacentes et les “ monuments de l’art ” qu’elles ont livrés et parmi lesquels les pirogues et l’os trouvés à Long sont les plus anciens. L’archéologie pénètre dans la stratigraphie en même temps que la paléontologie. Ce mémoire et sa dissertation sur les tombes nous montrent un observateur qui a le sens des superpositions et des successions, même quand la surface de la couche recouverte est inclinée et

58. 59. 60. 61. 62.

L. Traullé, Ibid., 35-36. L. Traullé, Ibid., 36. L. Traullé, Ibid., 37. Antédiluviens, selon la terminologie de Boucher de Perthes. L. Traullé, Ibid., 42.

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qu’elle s’élève au-dessus de la couche recouvrante. C’est un empirique qui ne s’intéresse aux corrélations que lorsqu’il les voit. Mais dans les faits que l’auteur accumule, on voit se dégager un ensemble qui s’ordonne et qui monte vers un passé lointain avec des lignes qui ne sont pas sans netteté. Il y a moins de confusion dans les idées que dans l’élocution. Si l’on fait la part des fantaisies surannées, si l’on fait abstraction d’une construction et d’une syntaxe comme on n’en voit guère, si l’on corrige une ponctuation qu’il faut refaire pour comprendre, on se rend compte que la matière est riche et non sans clarté. C’est l’aube de l’archéologie abbevilloise. 1797. Le bœuf de Picquigny.

Fig. 20. Le bœuf de Picquigny (1797) Le 15 floréal an V [4 mai 1797], Cuvier communiquait à l’Institut national un Mémoire sur les différentes espèces de Rhinocéros dont un résumé parut dans le Bulletin de la Société philomathique de prairial an V [juin 1797], p. 17. L’auteur y montrait que les rhinocéros fossiles différaient essentiellement des quatre espèces qui vivent aujourd’hui. Après le mammouth, le second en notoriété de nos animaux préhistoriques entrait dans la science parmi les espèces perdues. Pour le moment, c’était l’urus qui appelait l’attention des Abbevillois. On venait d’en déterrer un squelette dans une tourbière, près de Picquigny. Le 2 messidor an V [20 juin 1797] Traullé emmenait Boucher voir la dépouille. Le crâne fut ensuite transporté dans la galerie de Traullé où Boucher calcula que l’animal avait dû peser 2.025 livres. Traullé avait enfin un urus et un beau. Ses cornes avaient 25 pouces de longueur [0, 675 m]63. 63. Cf. J.-A.-G. Boucher, “ Observations sur un squelette d’aurochs trouvé à Picquigny ”, Mag. encycl., (an VII-1798), 4e année, t. IV, n° 13, 1er frimaire an 7 (21 novembre 1798), 24-28.

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Précisément, les bœufs de la Somme allaient être à l’honneur. En l’an VI, Cuvier lut à la Société d’Histoire naturelle, un mémoire qui marque une nouvelle étape dans ses publications sur les ossements fossiles et qui reçut une large diffusion sous la forme suivante : Extrait d’un Mémoire sur les ossemens fossiles de quadrupèdes, lu à la société d’histoire naturelle64. L’auteur annonce ici ce qui fut la grande entreprise de sa vie : “ rassembler […] tous les os fossiles qui ont appartenu à chaque espèce soit qu’il les ait vus par luimême ou qu’il en ait seulement trouvé la description dans les auteurs, […] reformer les squelettes de ces espèces, et les comparer avec celles qui existent à la surface du globe, pour en déterminer les rapports et les différences ”65. Il a pu ainsi réunir une quinzaine d’espèces. En ce qui concerne les animaux de nos temps préhistoriques et dont il peut être question dans cette histoire, nous ne voyons rien sur le mammouth qu’il n’ait déjà dit. Pour le rhinocéros de Sibérie, d’Allemagne et autres lieux, l’auteur le définit par son crâne allongé et il le caractérise par sa cloison osseuse du nez. Pour l’hippopotame, Cuvier n’a rien vu dans les dents et les fragments de mâchoires dont il dispose qui diffère des hippopotames ordinaires, mais comme il n’a pas encore vu d’os entiers, il ne peut rien affirmer. L’animal des cavernes de Gaylenreuth et de Muggendorf diffère de tous les ours connus par la saillie du front et c’est cependant des ours qu’il se rapproche le plus. Le grand cerf d’Irlande que nos Abbevillois ont cru si souvent rencontrer dans les tourbières paraît à Cuvier suffisamment distinct de tous les cerfs connus par la “ grandeur énorme de ses bois, par l’aplatissement de sa partie supérieure et par les branches qui naissent de sa base ”66. Quant aux bœufs : “ L’auteur décrit […] deux sortes de crânes qui ont été trouvés dans les tourbières du département de la Somme, et qui ressemblent beaucoup à ceux de notre bœuf commun, et à ceux de l’aurochs, mais qui les surpassent en grandeur de plus d’un quart ”67. Cuvier suivait évidemment Gilibert qui avait fait de l’aurochs, sous le nom d’urus et surtout de bison, une espèce distincte du bœuf ordinaire. Il retrouvait l’aurochs et le bœuf commun dans deux crânes de forme différente qu’il croyait avoir été recueillis dans nos tourbières. Toutefois, dans ses travaux ultérieurs, nous ne retrouvons pas de mentions relatives à l’aurochs de la Somme. Il s’aperçut qu’il avait suivi de mauvaises indications. Quant au crâne rapproché de celui du bœuf commun, c’est celui d’Hangest. 64. G. Cuvier, “ Extrait d’un Mémoire sur les ossemens fossiles de quadrupèdes, lu à la société d’histoire naturelle ”, Bull. Soc. Philom., fructidor an VI [août-septembre 1798], 137-139 ; Mag. Encycl., 4e année, t. III, 1er vendémiaire an VII [22 septembre 1798], 145-150 ; Journ. Phys., t. IV, vendémiaire an VII, 315-318. 65. G. Cuvier, “ Extrait d’un Mémoire sur les ossemens fossiles de quadrupèdes ”, Mag. Encycl., 4e année, an VII-1798, t. III, 1er vendémiaire an 7 [22 septembre 1798], 145. 66. G. Cuvier, Ibid., 149. 67. G. Cuvier, Ibid., 149-150.

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En ce qui concerne les conséquences que ces observations pourraient entraîner sur la théorie de la Terre, Cuvier paraît un peu moins agressif que dans son mémoire de pluviose an IV. Il conclut seulement : “ 1° […] qu’il n’est pas vrai de dire que les animaux du midi ont autrefois vécu dans le nord, leurs espèces n’étant pas parfaitement identiques. 2°. qu’il a vécu dans toutes sortes de pays, des animaux qui n’y vivent plus aujourd’hui et qui ne se retrouvent même nulle part dans les pays connus. Il laisse d’après cela aux géologues à faire à leurs systèmes, les changemens ou les additions qu’ils croiront convenables pour expliquer les faits qu’il a ainsi constatés ”68. La première conclusion est dirigée contre l’auteur de l’Histoire naturelle dont les mânes ne viendront pas intervenir dans le débat et auquel l’avenir ne donnera d’ailleurs pas tous les torts. La seconde paraît s’arrêter aux conséquences litigieuses comme si le mémoire de pluviôse an IV avait provoqué des réactions dont l’auteur voudrait éviter le retour, bien qu’il semble mettre les “ géologistes ” en demeure de modifier leurs systèmes conformément à ses observations, et sur un ton où il y a plus d’assurance que de charité. Nos amis abbevillois n’ont pas dû voir dans ce mémoire autre chose qu’une liste d’animaux qu’ils pouvaient trouver ou qu’ils avaient déjà trouvés dans notre vallée. Ce mémoire pouvait éclairer leurs recherches et l’importance accordée aux bœufs de la Somme ne pouvait que stimuler leur zèle. Le milieu scientifique d’Abbeville se donnait une organisation. 1797. Fondation de la Société d’Émulation d’Abbeville Le 13 vendémiaire an 6 [4 octobre 1797], vingt-quatre Abbevillois se réunirent sous la présidence d’Eugène de Pioger pour fonder la Société d’Émulation d’Abbeville69. Il y avait quatre médecins, un chirurgien, deux pharmaciens, trois professeurs, des hommes de loi, des fonctionnaires et d’autres qui n’avaient pas de fonction ou qui n’en avaient plus. Il y avait surtout nos anciennes connaissances, Baillon, Traullé et Boucher. Il y avait aussi Théodoric-Nilamon Lerminier qui deviendra médecin de l’Empereur. Aux vingt-quatre s’ajoutèrent bientôt Morel de Campennelle et, en l’an X, Hermant de Norville. Comme l’Institut national, la Société d’Émulation se divisa en classes : il y eut la classe des Sciences et la classe de Littérature. Ceux qu’on vient de nommer étaient de la classe des Sciences, sauf Morel de Campenelle et de Pioger, président-fondateur. Les deux classes ne s’entendaient pas toujours bien. La vogue était aux Sciences. Pris dans la classe de Littérature, le président-fonda-

68. G. Cuvier, Ibid., 150. 69. Cf. A. Boucher de Crèvecœur, “ Notices sur les membres résidants de la Société d’Émulation d’Abbeville ”, Mém. Soc. Émul. Abbeville, 1892, 309-320.

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teur n’avait peut-être pas l’autorité dont il avait besoin. Il semble avoir voulu en avoir. Je crois qu’on lui a reproché sa “ fermeté de caractère ”. On s’arrangea pour que la fonction soit annuelle. Il fut remplacé par le Docteur Gatte, de la classe des Sciences. Il semble qu’il y ait eu, derrière de Pioger et Morel de Campenelle, comme une tentative d’insurrection de la part des Lettrés qui venaient de perdre la présidence. A la fois naturaliste et littérateur, J.-A.-G. Boucher pouvait se situer au-dessus de la mêlée. Il fit prendre la chose en plaisanterie en donnant lecture de sa Révolution au Parnasse, le 16 frimaire an VII [6 décembre 1798]. J’ai une copie de cette composition dont Prarond connaissait l’histoire70. Je résume et j’interprète. Il y eut une grande dispute au Parnasse, c’est-àdire à la Société d’Émulation. Celles des neuf sœurs qui protègent les sciences et les arts prétendaient avoir la préséance (la présidence) sur celles qui protègent les belles-lettres et celles-ci ne voulaient pas la leur céder. Les habitants prirent fait et cause dans cette querelle et les domaines d’Apollon, de SaintGilles à Menchecourt, se partagèrent en deux factions. Momus, pris pour arbitre, divisa la Phocide ou le district d’Abbeville en deux contrées, plaça les savants au Midi et les lettrés au Nord. Les affaires allèrent aussi mal d’un côté que de l’autre. Les savants s’échauffèrent. Ils firent des tas de projets, la plupart extravagants. Si quelques-uns étaient fort bons, leurs auteurs étaient incapables de les exprimer. Les lettrés étaient plus malheureux encore. Privés du secours des arts, ils grelottaient sous la rudesse du climat. Ils se disputaient pour n’arriver à rien avec des histoires de mots ou de rimes, etc., etc. je peux en passer. Ce n’est pas du Voltaire. Le public était complaisant. Le rire rétablit la paix. Mais la suprématie resta à la classe des sciences et les savants gardèrent la présidence. Boucher remplaça Gatte. Traullé remplaça Boucher. Tillette de Mautort remplaça Traullé pour céder la place à Hermant de Norville qui devint une sorte de président perpétuel. La compagnie fut le support et l’ambiance des naturalistes et des antiquaires dont nous faisons l’histoire. Les informations eurent ainsi un premier public avant d’atteindre l’Institut national ou les périodiques parisiens. Les moins importantes n’allaient pas au-delà. Son bulletin était des plus modestes. Souvent les informations tiennent en quelques lignes, rarement en plus d’une ou deux pages. C’est dans les publications parisiennes qu’il faut chercher les événements marquants de son activité. Elle est inscrite parmi les Sociétés correspondantes du Magasin encyclopédique qui reproduit son compte-rendu annuel71. Boucher communiqua ses statuts à l’Institut national. Nos Abbevillois allaient participer en corps à la vie scientifique de notre pays qui reprenait dans les cadres de la nouvelle organisation administrative. Sur le plan local, elle était l’image de l’Institut. Dans les premières années de son exis70. Cf. E. Prarond, Mém. Soc. Émul. Abbeville, 2e série, t. 8, 1852, 657. 71. Magasin encyclopédique, t. 4, n° 15 (An 7 [1798]), 376-383.

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tence, elle allait jouer son rôle, en conscience et en confiance, pour prendre part au renouveau et réaliser les espoirs qu’on plaçait dans l’avenir. Les associés non résidants devaient réaliser la liaison entre l’Institut national et les Sociétés locales. Le 26 floréal an 6 [15 mai 1798] Baillon était proposé par la Section d’Anatomie et de Physiologie sur une liste de six candidats pour trois places vacantes. Il arriva, il est vrai, le sixième. Il prenait tout de même rang parmi les associés possibles. Il est bien probable que ce sont les indications données par Cuvier sur les bœufs de la Somme qui ont déterminé nos amis à publier, sous la signature de Boucher, des Observations sur un squelette d’aurochs trouvé à Picquigny72. Comme Daubenton dans l’Histoire naturelle, l’auteur donne un tableau comparatif des mesures prises sur le crâne de Picquigny et sur le crâne d’une vache ordinaire. Il l’attribue à un animal semblable au bœuf, mais beaucoup plus gros, à un urus ou aurochs, suivant la synonymie admise par Buffon. Il l’avait rapproché d’un urus figuré par Conrad Gesner, plus ramassé que le bœuf commun et muni d’une touffe de poils entre les cornes, ce qui correspond bien à l’aurochs de Lithuanie. Il en évalue le poids et déclare que c’est avec raison que l’urus a été appelé par les anciens naturalistes, taureau-éléphant. Il estime alors que la race primitive a beaucoup dégénéré. On sent ici le souvenir de Buffon. Nous verrons que Boucher s’était trompé. L’animal de Picquigny avait les cornes tournées en-dedans comme l’aurochs représenté par Gesner, mais ce n’était pas suffisant pour en faire un aurochs. C’était un bœuf de très grande taille, auquel reviendra d’ailleurs le nom d’urus mais non celui d’aurochs. Quoi qu’il en soit, Boucher savait décrire des pièces ostéologiques comme il savait décrire les plantes. Il soumit à l’Institut national, sur la Flore des environs d’Abbeville, un manuscrit qui était assez important pour demander deux volumes in 8° et qui fut l’objet d’un rapport favorable de L’Héritier et de Desfontaines (16 brumaire an 8-7 novembre 1798). C’est évidemment ce qui lui valut d’être nommé associé de l’Institut en 1801. 1798-1801. Le renouvellement de l’actualisme : qu’est-ce qu’une espèce ? La position prise par Cuvier allait déterminer des mouvements divers parmi les naturalistes et surtout parmi ses collègues du Muséum. Lacépède était l’héritier testamentaire de Buffon et le continuateur de l’Histoire naturelle. En l’an 6 [1798], avant septembre 1798, parut le premier volume de l’Histoire naturelle des Poissons où il annonce, p. cxxxvij, un Discours qui sera inséré au tome second et dont l’objet devait être de voir ce qu’ont été les espèces et 72. Cf. J.-A.-G. Boucher, “ Observations sur un squelette d’aurochs trouvé à Picquigny ”, Mag. encycl., an VII-1798, t. IV, n° 13, 1er frimaire an 7 [21 novembre 1798], 24-28.

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les familles de ces animaux dans les âges antérieurs, “ de montrer les changemens successifs par lesquels ont passé toutes les formes, tous les organes, toutes les forces ”73 dont il devait parler dans son ouvrage. “ L’observation nous indiquera les espèces qui ont disparu de dessus le globe, celles qui ont été reléguées d’une plage dans une autre, celles qui ont été légèrement ou profondément modifiées, et celles qui ont résisté sans altération aux siècles, et aux combats des éléments ”74. Cette annonce est déjà une position différente de celle de Cuvier. Les développements furent prévenus par des observations de Faujas. En l’an 7, celui-ci publia l’Histoire naturelle de la montagne Saint-Pierre de Maestricht, in-4° de 263 pages avec 52 planches, où il pouvait largement exposer et défendre des points de vue qui se trouvaient contestés. En ce qui concerne le temps géologique, il partage la position de Maupertuis, de Buffon, de Soulavie et de beaucoup d’autres : “ Mille […] circonstances qui supposent toutes et des tems infinis et des vicissitudes de toute espèce, ont concouru à réunir dans les mêmes lieux une foule d’objets et de corps disparates, dont les uns ont appartenu à la végétation, et d’autres à l’animalité […]. La nature […] a tracé en caractères difficiles à déchiffrer mais lisibles pour ceux qui veulent s’en donner la peine, cette suite de périodes qui lui retracent de grands évènemens, placés dans des tems incommensurables ”75. Sur la question des espèces fossiles, il s’oppose nettement à Cuvier : “ Il s’est élevé, depuis quelques tems, au sujet des coquilles fossiles, une opinion singulière […] ”. “ Quelques naturalistes, mais ils sont en petit nombre à la vérité, prétendent que toutes […], sans exception, malgré leur ressemblance avec quelques espèces analogues connues et vivantes actuellement dans telle ou telle mer, ont néanmoins quelques différences constantes, qui ne permettent pas d’affirmer avec certitude que ce sont les mêmes coquilles ”. “ D’autres, [à qui l’anatomie comparée n’est pas étrangère (p. 124)], ont porté cette opinion plus loin encore, en assurant que cette différence s’étend même jusque sur les […] grands quadrupèdes fossiles dont on trouve tant de restes, non-seulement sous les zones méridionales, mais encore dans le nord de l’Amérique et sur les vastes plateaux de la Tartarie. Ceux qui ont adopté ce sentiment ne peuvent s’empêcher néanmoins de convenir que les dépouilles remarquables de ces grands animaux […] appartiennent incontestablement à

73. G. Buffon, Histoire naturelle, E. de Lacépède, Histoire naturelle des Poissons, Paris, Plassan, an 6-1798, p. vj. 74. E. de Lacépède, Ibid., p. cxxxviij. 75. B. Faujas de Saint-Fons, Histoire naturelle de la montagne Saint-Pierre de Maestricht, Paris, H. J. Jansen, an 7, 13-14.

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des éléphans, à des rhinocéros et à des hippopotames très-ressemblans à ceux que nous connoissons […] ”. “ Non que je prétende nier qu’il n’y ait des espèces perdues ou dont les analogues nous sont encore inconnues, mais je suis convaincu que la plupart des dents, des défenses ou des crânes fossiles, d’hippopotames, de rhinocéros et d’éléphans, soit d’Asie, soit d’Afrique […] sont les mêmes que celles qui caractérisent l’espèce de ces animaux qui vivent à présent en Afrique et en Asie, et que les différences qu’on peut y remarquer ne tiennent qu’à des caractères variables ou de ce qu’on a mal saisi les caractères généraux de l’espèce ”76. D’autre part, ses voyages, l’examen des plus célèbres collections, les entretiens qu’il a eus avec des spécialistes, l’ont mis à portée d’affirmer que : “ [s]’il y a beaucoup de coquilles dont les analogues nous sont inconnus, soit que ces coquilles vivent dans les abymes des mers ou sur des plages qui n’ont pas encore été visitées, ou qu’il y ait en effet un grand nombre d’espèces détruites, il n’en est pas moins véritable qu’il existe sur les parties sèches de nos continens, et dans des lieux très-éloignés de la mer, et souvent même sur de très-hautes montagnes, des coquilles bien conservées, bien caractérisées, dont les analogues sont connus ”77. La présence, parmi les fossiles, d’analogues aux êtres actuels, s’opposait à une intervention transcendante qui eût détruit la vie pour la refaire, et remettait à la seule physique la cause de tous les changements qui se sont produits dans l’histoire de la vie et de la Terre. Lamarck allait se placer sur ce terrain et consacrer le reste de sa vie à renouveler l’actualisme physique et l’actualisme organique en opposition avec le renouvellement du catastrophisme par Georges Cuvier. Sa première manifestation est un mémoire lu à l’Institut national le 21 pluviôse an 7 [9 février 1799] : Sur les fossiles et l’influence du mouvement des eaux, considérés comme indices du déplacement continuel du bassin des mers et de son transport sur différens points de la surface du globe. Ce mémoire n’a pas été publié, mais il a servi de base aux Chapitres I, II, III et IV de l’Hydrogéologie78. L’auteur invoquait un mouvement d’est en ouest des eaux des mers qui détruisait ainsi les continents par leurs côtes orientales en construisant sur leurs côtes occidentales, de sorte qu’avec une extrême lenteur, le bassin des mers tournait autour de la Terre alors que les eaux courantes modelaient la sur76. B. Faujas de Saint-Fons, Histoire naturelle de la montagne Saint-Pierre de Maestricht, Paris, H. J. Jansen, an 7, 123-125. 77. B. Faujas de Saint-Fons, Ibid., 125. 78. J.-B. Lamarck, Hydrogéologie ou Recherches sur l’influence qu’ont les eaux sur la surface du globe terrestre ; sur les causes de l’existence du bassin des mers, de son déplacement et de son transport successif sur les différens points de la surface de ce globe ; enfin sur les changemens que les corps vivans exercent sur la nature et l’état de cette surface, Paris, chez l’auteur, an X1802, 172.

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face des continents. Ainsi se trouvait déterminée l’unité historique et physique de la Terre par des causes toujours agissantes dans un procès où l’auteur ne fait guère que reprendre les faits invoqués par Buffon et par Soulavie pour écarter le catastrophisme de Deluc et de Cuvier. Autrement importante est sa prise de position en faveur de l’actualisme organique. On la trouve dans son Discours d’ouverture du 21 floréal an 8 [11 mai 1800] et publiée avec le Système des Animaux sans vertèbres, en 1801, an 9: “ [Les animaux sans vertèbres] nous conduisent insensiblement au terme inconcevable de l’animalisation, c’est-à-dire à celui où sont placés les animaux les plus imparfaits, les plus simplement organisés, ceux en un mot qu’on soupçonne à peine doués de l’animalité, ceux peut-être par lesquels la nature a commencé, lorsqu’à l’aide de beaucoup de temps et des circonstances favorables, elle a formé tous les autres […] ”. “ On sait que le temps n’a point de limite pour elle, et qu’en conséquence elle l’a toujours eu a sa disposition ”. “ Quant aux circonstances dont elle a eu besoin et dont elle se sert encore chaque jour pour varier ses productions, on peut dire qu’elles sont en quelque sorte inépuisables ”. “ Les principales naissent de l’influence des climats, des variations de température de l’atmosphère et tous les milieux environnans, de la diversité des lieux, de celle des habitudes, des mouvemens, des actions, enfin de celle des moyens de vivre, de se conserver, se défendre, se multiplier, &c., &c. Or par suite de ces influences diverses, les facultés s’étendent et se fortifient par l’usage, se diversifient par les nouvelles habitudes long-temps conservées ; et insensiblement la conformation, la consistance, en un mot la nature et l’état des parties ainsi que des organes, participent des suites de toutes ces influences, se conservent et se propagent par la génération ”79. Telle est la première expression de cet actualisme radical en géologie organique que Lamarck allait opposer inlassablement au catastrophisme formulé par Cuvier. Pour Maupertuis, la transformation des espèces était due à des monstruosités et des erreurs. Le milieu venait en second lieu. Ici le milieu vient en premier lieu. Dans le tome second de l’Histoire naturelle des Poissons, publié en l’an 8, après floréal (p. XIV, n. 1), Lacépède donne le Discours annoncé Sur la durée des espèces. On y retrouve l’inspiration de Buffon avec une liberté d’expression dont le maître ne disposait pas. Ce discours paraît provoqué par les mémoires de Cuvier de l’an IV et de l’an VI. Il admet l’existence d’espèces per-

79. J.-B. Lamarck, Système des Animaux sans vertèbres ou Tableau général des classes, des ordres et des genres de ces animaux, Paris, Deterville, an IX. Discours d’ouverture du 21 floréal an 8 [11 mai 1800], 11-13.

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dues. Il s’agit de savoir ce que c’est et d’en rapporter l’explication. Une question préalable se pose : qu’est-ce qu’une espèce ? Ici, il faut que “ la lumière du métaphysicien conduise l’ami de la Nature ” : “ [L’espèce] n’est […] qu’une abstraction de l’esprit, […] une idée collective, nécessaire pour concevoir, pour comparer, pour connoître, pour instruire. La Nature n’a créé que des êtres qui se ressemblent, et des êtres qui diffèrent […]. […] les produits de la même portée ou de la même ponte sont évidemment de la même espèce ; et cependant combien de différences au moins superficielles ne présentent-ils pas très fréquemment! Dès l’instant que nous sommes obligés d’appliquer ce mot “ espèce ” à des individus qui ne se ressemblent pas dans toutes leurs parties, nous ne nous arrêtons à un certain nombre de dissemblances plutôt qu’à un autre que par une vue de l’esprit fondée sur des probabilités plus ou moins grandes ”80. Ainsi définie, “ Une espèce peut s’éteindre de deux manières ”. “ [1°.] Elle peut périr toute entière, et dans un temps très-court, lorsqu’une catastrophe violente bouleverse la portion de la surface du globe sur laquelle elle vivoit […]. [2°.] […] indépendamment de ces grands coups que la Nature frappe rarement et avec éclat, une espèce disparoît par une longue suite de nuances insensibles et d’altérations successives. Trois causes principales peuvent l’entraîner ainsi de dégradation en dégradation ”81. “ Premièrement, les organes qu’elle présente, peuvent perdre de leur figure, de leur volume, de leur souplesse, de leur élasticité, de leur irritabilité, au point de ne pouvoir plus produire, transmettre ou faciliter les mouvemens nécessaires à l’existence ”. “ Secondement, l’activité de ces mêmes organes peut s’accroître à un si haut degré, que tous les ressorts tendus avec trop de force, ou mis en jeu avec trop de rapidité, et ne pouvant pas résister à une action trop vive ni à des efforts trop fréquens, soient dérangés, déformés et brisés ”. “ Troisièmement, l’espèce peut subir un si grand nombre de modifications dans ses formes et dans ses qualités, que, sans rien perdre de son aptitude au mouvement vital, elle se trouve, par sa dernière conformation et par ses dernières propriétés, plus éloignée de son premier état que d’une espèce étrangère : elle est alors métamorphosée en une espèce nouvelle ”82. Et l’auteur parle d’une “ seconde espèce ”, d’une “ nouvelle époque ”, d’une “ seconde existence ”83. Mais pour en arriver là, il lui faut parcourir une “ série

80. [G. Buffon, Histoire naturelle] E. de Lacépède, Histoire naturelle des Poissons, Paris, Plassan, an VIII-1799, t. second, Discours sur la durée des espèces. p. xxxij-xxxiij. 81. E. de Lacépède, Ibid., p. xxxiv. 82. E. de Lacépède, Ibid., p. xxxiv-xxxv. 83. E. de Lacépède, Ibid., p. xxxv.

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naturelle d’altérations ” dont l’échelle est composée de “ douze degrés principaux ” : 1-. Changements dans la couleur des téguments, 2-. Dans leur nature, 3-. Dans la grandeur, 4-. Dans les proportions, 5-. Dans la forme, 6-. Dans les organes intérieurs, 7-. Affaiblissement ou exaltation de la sensibilité, 8-. Changements dans les qualités, 9-. Dans la force et dans la puissance, 10-. Dans les habitudes, 11-. Dans les mœurs, 12-. Dans l’étendue et la nature de son séjour sur le globe. Parmi les poissons actuels qui sont comparables aux espèces fossiles, il cite : 1) Des espèces altérées dans leurs formes et repoussées loin de leur ancien séjour 2) Des espèces non altérées mais reléguées 3) Des espèces altérées non reléguées 4) Des espèces ni altérées ni reléguées. Quant aux espèces “ entièrement éteintes ” ou “ anéanties ”, qui, je crois, sont celles qui, “ de dégradation en dégradation ”, sont allées “ jusqu’à la perte totale de leurs caractères distinctifs, de leur essence et, par conséquent, de leur existence proprement dite ”84, il concède à leur sujet : “ […] nous ne connoissons pas assez la surface du globe, ni les mers qui l’environnent, pour prononcer formellement qu’on ne trouve dans aucune eau douce, ni dans aucun parage, des analogues très-ressemblans des individus fossiles que nous n’avons pu encore inscrire dans aucune espèce décrite et vivante ”85. L’auteur suggère de rapporter les modifications par lesquelles les espèces tombent jusqu’à la non-existence et que l’espèce humaine, trop récente sur le globe pour l’avoir observée, à des époques en rapport avec trois révolutions du globe, la plus ancienne étant la dernière de celles qui aient éprouvé “ l’universalité de la surface de la Terre ”, la seconde ayant déterminé des “ bouleversements moins étendus ”, la troisième étant caractérisée particulièrement “ par l’action terrible et destructrice des volcans et des ébranlements électriques à l’intérieur du globe ”86. Il voit l’état primitif des espèces en plus petit nombre que dans l’âge actuel, avec des grandeurs plus rapprochées, des traits plus différents, des habitudes plus dissemblables, des alliances plus difficiles, des durées plus longues, tout cela très confusément, mais confiant en la science de l’avenir pour nous apporter d’ “ admirables résultats ”, des “ vérités sublimes ” et “ d’immenses tableaux ” sur “ ces âges si éloignés du nôtre ”87. Voilà donc un système mixte plus avancé dans l’actualisme que celui de Faujas. Moins radical que celui de Lamarck, il n’est pas sans valeur ni sans mérite et il a été annoncé dans ses grandes lignes avant celui de Lamarck.

84. 85. 86. 87.

E. E. E. E.

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Lacépède, Lacépède, Lacépède, Lacépède,

Ibid., Ibid., Ibid., Ibid.,

p. p. p. p.

lvij. lviij. lxj-lxij. lxiij.

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1800. Les 23 espèces disparues et le renouvellement du catastrophisme avec Cuvier Peu de temps après, Cuvier fit imprimer, “ par ordre de la Classe des Sciences physiques et mathématiques de l’Institut national ”, l’Extrait d’un ouvrage sur les espèces de quadrupèdes dont on a trouvé les ossemens dans l’intérieur de la terre, adressé aux savans et aux amateurs des sciences, en 8 pages in 4°, daté du 10 frimaire an 9 [1er décembre 1800]. Cette brochure vient après les victoires d’Italie et de Hohenlinden et se présente comme un appel à une collaboration universelle où l’auteur ne paraît pas douter qu’il sera entendu. Il rappelle les solutions qui ont déjà été envisagées. La façon dont il pose la question ne laisse aucune solution en dehors du catastrophisme : “ […] le globe que nous habitons présente presque par-tout des traces irrécusables des plus grandes révolutions : les productions variées de la nature vivante […] ne couvrent que des débris qui attestent la destruction d’une nature antérieure […]. […] autant la nature a embelli la demeure actuelle des espèces vivantes, autant elle a pris soin d’assurer leur bonheur et leur conservation ; autant elle semble s’être plue à leur laisser des monumens de sa puissance dans ce désordre et cette apparente confusion, preuves évidentes des bouleversemens qui doivent avoir précédé l’ordre présent de l’univers ”88. Il est toutefois des opinions que l’auteur ne croit pas qu’on doive prendre en considération : “ […] les traditions de déluges, conservées chez presque tous les peuples, sont dues à ces corps marins répandus sur toute la terre. Celles non moins universelles de géans viennent de ces ossemens supérieurs à ceux de tous les animaux des climats où on en a découvert de temps en temps ”. “ Mais ce ne sont là que des idées populaires […] ”89. En mettant sur le même plan les traditions de déluges et celles des géants, Cuvier se montre ici très peu respectueux des “ traditions ” qu’il défendra plus tard. Il met aussi sur le même plan et parmi les vieilleries, dans l’âge de la poésie où passent les sciences à leurs débuts, Woodward, Whiston, Leibniz et Buffon, ce qui n’est peut-être pas très heureux comme association. Une appréciation particulièrement flatteuse à l’égard de Saussure et Dolomieu pourrait nous donner des indications sur son orientation à venir si l’on n’y trouvait le nom de Deluc à la place de celui de Pallas. On retrouve celui-ci avec d’autres à l’égard desquels Cuvier est assez complaisant, un peu réservé et surtout peutêtre indécis. On dirait qu’il veut se placer parmi eux en faisant mieux. Les uns 88. G. Cuvier. Extrait d’un ouvrage sur les espèces de quadrupèdes dont on a retrouvé les ossemens dans l’intérieur de la terre, adressé aux savans et aux amis des sciences, 10 frimaire an 9 (1er décembre 1800), 1. 89. G. Cuvier. Ibid., 2.

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“ ont fait naître l’idée assez généralement répandue, que les animaux du midi ont habité autrefois le nord, ou qu’ils y ont été portés par quelque inondation qui suivoit cette direction ”. Les autres “ se sont bien aperçus qu’une telle cause ne suffisoit pas pour expliquer tous les phénomènes, et que la distribution des ossemens n’est pas, à beaucoup près, aussi régulière qu’on l’imaginoit ”90. Toutefois, ceux-là “ n’ont pas épuisé la matière ”. En somme, il n’y a qu’à mieux faire en observant certains ménagements. Il n’est franchement hostile qu’envers certaines explications, comme les “ suppositions d’un printemps perpétuel, d’une inclinaison de l’axe du globe, d’un déplacement du bassin des mers, d’un refroidissement graduel de la terre et […] d’autres causes encore tout aussi insuffisantes ”. S’“ étant aperçu des causes de ces inexactitudes ”, il croit devoir s’“ occuper de les détruire ”91. Le principal résultat auquel il soit arrivé est que les “ os fossiles sont presque toujours différens de ceux des animaux qui vivent sur le sol qui les recèle ”92, qu’il peut presque dire qu’aucun des quadrupèdes véritablement fossiles qu’il lui a été possible de comparer exactement, ne s’est trouvé semblable à aucun de ceux aujourd’hui vivants et que, plus les couches dans lesquelles on les trouve sont anciennes, plus ils sont différents de ceux des animaux que nous connaissons aujourd’hui. Il est ainsi parvenu à rétablir “ vingt-trois espèces, […] qui paraissent toutes avoir été détruites ”93. Pour d’autres, il connaît des morceaux fossiles ressemblant assez aux pareils d’espèces vivantes, mais qui viennent peut-être d’espèces qui différaient par d’autres endroits. Enfin, il est des os incertains qui ressemblent complètement aux espèces vivantes, mais qui, ayant été trouvés dans les tourbières, peuvent y avoir été enfoncés par diverses causes, sans devoir être regardés pour cela comme de véritables fossiles. Tels sont en particulier les os de bœufs, de buffles, d’aurochs et d’arnis, si fréquents dans les marais et les fonds tourbeux de l’Europe et de l’Asie et dont toute la Sibérie, l’Allemagne, la Hollande, l’Ecosse et surtout la vallée de la Somme, en ont fourni un grand nombre94. Les “ véritables fossiles ” évoquent “ une terre, une nature primitives qui n’étoient point soumises à l’empire de l’homme, et dont il ne nous reste que des ossemens à demi décomposés95 ”. Il reste le grand problème : “ Comment ces êtres antiques furent-ils détruits ? Comment ceux qui leur ont succédé furent-ils formés ? La métaphysique même n’est-elle pas plus embarrassée encore par ces faits que la simple physique ; et cette nouvelle pro90. 91. 92. 93. 94. 95.

G. G. G. G. G. G.

Cuvier. Cuvier. Cuvier. Cuvier. Cuvier. Cuvier.

Ibid., Ibid., Ibid., Ibid., Ibid., Ibid.,

2. 3. 4-5. 5. 7. 8.

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duction d’êtres organisés n’est-elle pas peut-être plus inconcevable que toutes les autres parties du phénomène ? ”96. Si la simple physique paraît plutôt mieux en mesure de répondre que la métaphysique, au moins pour la partie qui concerne la destruction des êtres antiques, l’auteur serait conduit à demander l’explication à un catastrophisme qui rentrerait dans l’ordre de la nature, plutôt qu’à une intervention transcendante que, de toutes façons, il ne paraît pas disposé à demander aux Livres Saints ou aux autres traditions relatives aux déluges. Quoi qu’il en soit, il apportait des résultats qui demandaient encore de nouvelles recherches et de nouveaux concours de la part des amis des sciences. Il sollicite ce qu’il est impossible d’obtenir autrement que de leur amitié : des notices, des dessins ou la communication des objets eux-mêmes. Il a déjà trouvé les concours des naturalistes étrangers les plus célèbres, de ses confrères, des possesseurs des plus belles collections, des dépositaires de plusieurs cabinets publics en France et à l’étranger. L’impression de son programme par ordre de la Classe des Sciences de l’Institut national est un sûr garant de l’accueil qu’il obtiendra des savants de l’Europe. Il a déjà trois cents dessins, cinquante planches sont gravées entièrement, plusieurs autres sont commencées. Il n’attend plus, pour faire paraître son livre, que les renseignements que l’écrit actuel pourra lui procurer. Tel est l’essentiel d’un document qui est sans doute unique dans l’histoire des sciences et dont le succès dépendait peut-être autant des victoires de Bonaparte que de l’autorité de Georges Cuvier. C’est évidemment une réponse à ce mémoire qu’il faut voir dans une note de Lamarck sur les fossiles ajoutée à son Système des animaux sans vertèbres : “ Il est bon de remarquer que parmi les coquilles fossiles dont les analogues ne sont pas connus, il en est beaucoup qui ont une forme très rapprochée de coquilles des mêmes genres que l’on connaît dans l’état marin. Cependant elles diffèrent plus ou moins, et ne peuvent rigoureusement être regardées comme les espèces de celles que l’on connoît vivantes, puisqu’elles ne leur ressemblent pas parfaitement : ce sont là, nous dit-on, des espèces perdues ”. “ Je conviens qu’il est possible qu’on ne trouve jamais parmi les coquilles fraîches ou marines des coquilles parfaitement semblables aux coquilles fossiles dont je viens de parler. Je crois en savoir la raison […] ”. “ Si […] la diversité des circonstances amène, pour les êtres vivans, une diversité d’habitudes, un mode différent d’exister, et par suite, des modifications ou des développemens dans leurs organes et dans la forme de leurs parties, on doit sentir qu’insensiblement tout être vivant doit varier dans son organisation et dans ses formes, par suite des circonstances qui auront influé sur cet être, se propageront par la génération, et qu’après une longue suite de 96. G. Cuvier. Ibid., 8.

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siècles, non-seulement il aura pu se former de nouvelles espèces, de nouveaux genres et même de nouveaux ordres, mais que chaque espèce aura même varié nécessairement dans son organisation et dans ses formes […] ”. “ On doit donc s’attendre à ne jamais retrouver parmi les espèces vivantes la totalité de celles que l’on rencontre dans l’état fossile, et cependant on n’en peut pas conclure qu’aucune espèce soit réellement perdue ou anéantie ”97. Aujourd’hui, on admet généralement que les espèces actuelles dérivent d’espèces qui ont suffisamment changé de caractères pour qu’on les considère comme des espèces différentes, même si la paléontologie ne nous permet pas de suivre le passage d’une espèce à l’autre. Mais d’autre part, il est prouvé, historiquement et paléontologiquement, que des espèces ont disparu sans laisser de postérité, soit qu’elles n’aient pas pu soutenir la concurrence d’espèces mieux organisées, soit qu’elles n’aient pas été en mesure d’adapter leur organisation à des conditions nouvelles, et sans qu’on soit obligé de recourir à des destructions cataclysmiques universelles. Leur extinction est un corollaire de l’évolution, de sorte que les faits niés par Lamarck et reconnus par Cuvier peuvent être expliqués par la théorie que Lamarck a formulée. Les deux conceptions se sont constituées en s’opposant. Elles se sont conciliées en se réunissant.

97. J.-B. Lamarck, J.-B. Lamarck, Système des Animaux sans vertèbres ou Tableau général des classes, des ordres et des genres de ces animaux, Paris, Déterville, an 9, an XIII-1801, 411-412.

IV.

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MENCHECOURT1

Fig. 21. Le Cervus somonensis de Menchecourt (1801) ; Cuvier, Annales du Muséum (1808) 1800. Boucher membre associé de l’Institut. Visite de Traullé à Cuvier Alors que ces graves questions s’agitaient parmi les professeurs du Muséum, nos amis d’Abbeville n’étaient pas inactifs. Boucher continuait ses recherches sur la flore des environs d’Abbeville, s’occupant parfois de la flore des tourbières. En germinal an VII, il présenta 1. Cette quatrième partie recouvre à peu près l’Empire, du début à la fin.

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avec Morel de Campennelle des Observations sur les Ormes2 où les auteurs déclarent que l’étude des Anciens leur a montré que ces arbres existaient en France de toute antiquité et qu’on en a trouvé des restes reconnaissables dans d’anciennes tourbières. Boucher soumit à l’Institut national, sur la flore des environs d’Abbeville, un manuscrit qui était assez important pour demander deux volumes in-8° et qui fut l’objet d’un rapport favorable de l’Héritier et de Desfontaines en date du 16 brumaire an 8 [7 novembre 1799]. C’est évidemment ce qui valut à l’auteur d’être nommé associé de l’Institut à la séance du 5 pluviose an 8 [25 janvier 1800]. À la séance du 16 prairial an 8 [16 juin 1800], une vacance s’étant produite parmi les associés, Baillon arriva second sur cinq candidats. L’échec était des plus honorables. Entre temps, Millin avait dédié le numéro du premier pluviôse an 8 [21 janvier 1800] du Magasin encyclopédique, c’est-à-dire le tome 5 de la cinquième année, à la Société d’Émulation d’Abbeville, “ l’une des sociétés les plus actives de France ”. Peu de temps après se produisit un événement qui devait être gros de conséquences. Traullé vint faire une visite à Cuvier. C’était peut-être la réponse à l’appel adressé quelques mois auparavant aux “ savants et aux amateurs des sciences ”. Traullé garda de son interlocuteur l’impression d’un “ savant que son amabilité fait rechercher ”. Évidemment, il parla de son urus et des cerfs de grande taille et de tous les animaux “ perdus pour la France ” dont on rencontrait les débris dans les tourbières. Il dut parler surtout de Menchecourt, et des ossements gigantesques dont l’entretenaient les ouvriers qui travaillaient depuis longtemps dans ces fosses. Évidemment, Cuvier ne put pas ne pas dire qu’il utiliserait volontiers ces trouvailles et qu’elles figureraient avantageusement dans la collection du Muséum. Mais Traullé n’était pas la générosité personnifiée. Il proposa des échanges. Il aimait les belles choses. Il avait du goût. Ces os à demi décomposés étaient sans doute intéressants. Mais il les échangerait volontiers contre de beaux papillons des pays lointains, s’ils étaient en bon état. Il fallait qu’on le séduise. On parla aussi des amis d’Abbeville, de Baillon, et de la jeune Société d’Émulation dont Traullé venait d’être nommé Président. Cuvier se laissa ou se fit enrôler parmi les membres associés. C’était une belle recrue. Traullé put se présenter devant ses collègues comme un triomphateur. Les deux interlocuteurs étaient certainement très contents l’un de l’autre. Mais les os allaient prendre le chemin du laboratoire d’Anatomie comparée du Muséum. Sans doute, sans ce voyage, le Cervus somonensis eût pu être perdu pour la science. Mais ces débris échappaient plus ou moins aux réflexions de notre Abbevillois qui renonçait à la place qu’il aurait pu leur donner dans le Magasin encyclopédique. Il descendait au rôle d’un subrogé-chercheur ou d’un auxiliaire à peu 2. J.-A.-G. Boucher, “ Observations sur les Ormes ”, Bull. Soc. Philom., pluviôse an 8.

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près au même titre que les ouvriers des tourbières et les terrassiers de Menchecourt. Il enverra, comme le faisait Emmanuel Baillon pour l’Histoire naturelle, des notes qui se retrouveront ou ne se retrouveront pas, dans les Recherches sur les Ossemens fossiles ou dans les publications de Mongez. Ses observations ne sont pas toujours utilisables par ses correspondants parisiens parce qu’ils sont étrangers au terrain, qu’elles sont pour eux une matière inconnue ou qu’elles ne s’accordent pas avec leurs préventions. Nous en retrouverons quelques-unes, parfois mal comprises et défigurées par eux, parfois dans des lettres que le hasard a conservées, parfois aussi dans une tradition restée vivante et féconde parmi nos Abbevillois et il arrive qu’elles prennent pour nous un intérêt que les Révolutions du Globe ont perdu. D’ailleurs, l’empirisme de Traullé reste indifférent aux théories de ceux qui le patronnent et qui l’utilisent. Il a dit qu’il y avait dans les tourbières des espèces perdues. Il n’en démordra pas. Peu importe que l’urus soit un bœuf ou un bison. Il restera parmi les géants disparus d’un passé révolu. Sous son effacement, l’archéo-géologie abbevilloise garde son indépendance et sauve sa destinée. 1801. Cuvier membre associé de la Société d’Émulation d’Abbeville. Les sablières de Menchecourt3 Le 17 messidor an 9 [6 juillet 1801], d’après le rapport lu par son Président, la Société d’Émulation admit Cuvier au nombre de ses associés. On lui envoya 3. L’auteur accordait une place décisive aux carrières de Menchecourt quant à l’invention de la préhistoire. Cf. - L. Aufrère, “ Le Cervus somonensis Desm. et les éléments d’une faune chaude à Menchecourt ”, C.R. somm. Soc.géol. France, 3 (séance du 3 février 1936), 35-37. - L. Aufrère, “ Stratigraphie, Le Cervus somonensis du Muséum national d’histoire naturelle ”, Extrait des C.R. séances Acad. Sci., 202 (16 mars 1936), 960. - L. Aufrère, “ Les sablières de Menchecourt ”, Bulletin de la Société préhistorique française, 2 (février 1936), avec un plan du cadastre, 1-12. Dans une lettre, à la fin du Mémoire géologique sur le Bassin d’Amiens et en particulier sur les Cantons Littoraux de la Somme, par F.-P. Ravin, F. Baillon donne la liste des ossements fossiles d’animaux d’espèces disparues trouvés à Menchecourt, dont Cervus somonensis, Elephas primigenius, Rhinoceros tichorhinus, chevaux, etc,… Mém. Soc. roy. Émul. Abbeville, (1834 et 1835), 199-200. Liste reprise par Boucher de Perthes, Ant. celt. antédiluv., t. I, ch. XII, 225. Principales découvertes paléontologiques et archéologiques faites à Menchecourt entre 1795 et 1842 : 1795, un crâne (peut-être un crâne de mammouth). 1797, des os de rhinocéros. 1801, le Cervus somonensis, un tibia de mammouth. 1806, une dent de mammouth. 1822, un Rhinoceros thichorinus. 1839, des coquilles “ antédiluviennes ”. 1840-1841, des haches en pierre “ éclatée ”, des poteries, un pic campignyen, une hache polie. On a assuré à Boucher de Perthes qu’ils provenaient des sables “ diluviens ”. C’était une supercherie, ces objets étaient néolithiques. 1841, débris d’un vase trouvé “ au-dessous ” des os d’éléphant et de rhinocéros. 1842, Boucher de Perthes trouve peut-être la première hache paléolithique dans un échantillon de sable devant servir d’échantillon, hache qu’il qualifie encore de “ celtique ”.

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son diplôme dans une boîte avec deux fragments d’un bois qui fut plus tard complété avec du plâtre et qui est devenu le type du Cervus somonensis. Il se trouve aujourd’hui à la galerie de Paléontologie du Muséum. C’est le fossile le plus important qu’on ait trouvé à Menchecourt. Traullé envoya une longue lettre à Cuvier avec un schéma. On a longtemps méconnu le gisement de cet animal dont Commont a voulu faire un “ vieux cerf pliocène ”. Les indications de Traullé ont, en dehors de leur intérêt historique, un intérêt stratigraphique. Nous savons par Charles-Joseph Buteux qu’au début du siècle dernier, les extractions se trouvaient à gauche du chemin d’Abbeville au Crotoy4. Ces extractions, d’après le cadastre, étaient de part et d’autre du chemin rouge. Il y en avait aussi à droite du chemin d’Abbeville au Crotoy ou de la rue du Haut, à côté de la rue des Argilières. Les unes et les autres se trouvaient à côté du saillant que présentaient les fortifications et que le plan de de Fer appelle la Corne de Marcadet. Les meilleures coupes de Menchecourt sont celles de Prestwich5, qui fit faire des fouilles assez profondément au-dessous du sol des carrières. Celle de Ravin6 ne descend pas aussi bas mais elle est plus détaillée pour les termes qu’il a observés et qui peuvent parfois ne pas s’étendre à l’ensemble du gisement. Les observations de Prestwich ont été faites à l’ouest du faubourg, dans la carrière Lareillé, d’après une correction du tiré à part qui est à la Société géologique de France, et au centre dans la carrière Dufour. M. Chireux7 m’a donné les résultats d’un sondage, à l’ouest du Chemin Rouge, qui concorde avec les coupes de Prestwich. Voici les termes dont nous aurons à nous occuper dans ce mémoire. Les lettres correspondent aux coupes de Prestwich (Fig. 24). Je lui emprunte quelques indications que je complète avec celles de Ravin et avec des observations ou des renseignements personnels : c. Lœss (Pr.). Lœhm au sommet. La masse du lœss est l’“ argile marneuse, VI ”, et le “ sable marneux, VII ”, de Ravin, ce “ sable marneux ” étant parfois stratifié (sable soufflé ?). La partie inférieure, plutôt limoneuse que lœssique, grise ocreuse, sableuse et argileuse, me paraît correspondre aux couches de la ballastière de Mautort (basse-terrasse) qui se trouvent entre le lœss et les graviers (= g, de Menchecourt ?). Cet ensemble formait la partie la plus importante des exploitations anciennes, utilisées pour les murs en torchis et les plafonds (sable gras ou sable à plafonner). d. Fine white sharp siliceous sand. Sable aigre (Pr) ou sable maigre, sable à plaquer. Formation d’estuaire où il semble que se soient parfois enlisés les ani-

4. C.-J. Buteux, Esquisse géologique du département de la Somme, 1864, 136. (Fig. 23). 5. J. Prestwich, “ On the occurrence of flint implements, associated with remains of animals of extinct species in beds of the late geological period in France at Amiens and Abbeville ”, Philosophical Transactions of the Royal Society of London, (1861), 284. 6. Cf, J. Boucher de Perthes, Ant. celt. antédiluv., t. I, ch. XII, 1849, 234-235. (Fig. 25). 7. Propriétaire de carrières à Menchecourt.

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maux, au moins quand les os sont en connexion anatomique. Le cas échéant, les os seraient plus récents que le sable qui les enveloppe. Ce sable semble avoir été plus activement exploité quand on a abandonné le torchis. e. Graviers subanguleux de silex et gros silex peu usés (Pr) où s’arrêtaient les extractions. f. Marne finement sableuse, parfois consolidée et très dure (Pr), comme du marbre, me disait M. Chireux. g. Graviers subanguleux. Si la basse terrasse de Mautort correspond à Menchecourt, ces graviers pourraient être ceux de la basse terrasse de Mautort où ils montent un peu plus haut. Le cas échéant, à Mautort, ils auraient été repris au moins au sommet par les marées. Je les ai vus avec M. l’abbé Breuil qui attribue leur forme et leur aspect à cette cause. Il se pourrait que le roulis de ces galets soit contemporain du dépôt des sables d.

Fig. 22. Les gisements ossifères et archéologiques d’Abbeville. Plan de Prestwich (1860)

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Fig. 23. Les carrières de Menchecourt, d’après le cadastre et une photographie aérienne, par l’auteur (1936)

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Fig. 24. Coupe de Menchecourt par Prestwich (1861)

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Fig. 25. Coupe de Menchecourt par Ravin (Antiquités celtiques et antédiluviennes, tome I, 1849)

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Fig. 25. Coupe de Menchecourt par Ravin (1849)

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1801. Le “ Cervus somonensis ” de Menchecourt, la 24e espèce d’animaux disparus.

Fig. 26. Coupe de Menchecourt par Traullé (1801) Voici maintenant la lettre de Traullé : “ Abbeville le 25 Messidor an 9 [14 juillet 1801] ”. “ Le citoyen Traullé membre et président actuel de la Société d’Émulation ” “ Au Citoyen Cuvier membre de l’Institut ”. “ Citoyen ”, “ Il vous sera remis une petite boëte contenant divers ossemens trouvés dans un des faubourgs d’Abbeville celui de Menchecourt, les plus petits, ceux qui sont de couleur blanche ont été trouvés il y a un an. Ils sont restés exposés au soleil pendant plusieurs mois. Le plus considérable qui est encore de couleur rougeâtre, a été trouvé moi présent il y a cinq semaines. On a extrait les premiers d’un point a beaucoup au-dessus du niveau des eaux de la vallée. On a extrait le plus fort d’un point b qui est au niveau des eaux de la vallée. Ils sont tous sous des sables que la mer elle-même a charriés b c a et sous des terres sableuses et argilieuses que les eaux de la Somme, lorsqu’elle étoit en état de lac, aidées du flux de la mer, ont déposées sur les flancs des colines [sic]. Il est constant que les eaux qui ont apporté les terres sabloneuses [sic] et les sables F c e d et qui les ont portées à d’aussi grandes hauteurs, ont déposés [sic] sur le roc qui sert de base à ces mêmes sables, des animaux qu’elles charrioient. Celui de ces animaux auquel appartenoient les moindres ossemens

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étoient [sic] sans doute un cerf ou quadrupède de cette famille ; il est gissant [sic] sur le roc tout à fait au-dessous du banc de terre sableuse. La boëte qui vous est adressé [sic] contient les extrémités de ses andouillers. Il pourroit se faire cependant que ce fut [sic] un daim ou un rhene. On va sous peu de temps parvenir au point où repose le surplus de l’animal. Les ouvriers m’ont promis d’y apporter le plus grand soin. Une portion de son bois, la portion inférieure est dans la boëte. J’observerai qu’on a vu des dents tellement amolies qu’elles cédoient sous les doigts, toute cette côte est pleine d’ossemens de tous les genres. Ce qui fait qu’ils ne sont pas entiers, c’est qu’ils sont placés souvent dans un lit de gros silex qui couvre le roc, dont les angles sur lesquels ils ont roulé les ont singulièrement fatigués ”. “ Je dois vous envoyer encore un fragment d’un ossement énorme qui paroît être un tibia et qui a toutes les proportions d’un tibia d’éléphant ; il est un peu brisé. Il n’en existe qu’une face. Il étoit tellement amolli qu’il n’a pu se conserver entier, mais il est très reconnoissable, il sera joint au premier envoi ”. “ Cet envoi que j’ai l’honneur de vous annoncer portera les cornes de l’“ urus ” et celles d’un “ daim ” plus fort que d’ordinaire à ce qu’il me semble, trouvés dans le centre de la vallée dans les tufs de la tourbe. Ce dernier animal appartient à une révolution bien postérieure à celle qui a porté si haut le cerf dont je vous envoye les restes. Il en est de même de l’“ urus ” ou “ aurochs ”, les cornes de ce dernier ont été décrites par le Cn Boucher ”. “ Les sables c e F d sont mêlés de sable de mer. Il est des points où le sable de mer, absolument pur et très blanc occupe la base b a c. Il en est d’autres où il se mêle avec la terre sableuse F b a c. Cette dernière terre est absolument pareille à celle que charient [sic] les grandes inondations de notre rivière, et n’a pu être amené [sic] que par elles. En certains endroits, elle forme un banc de quinze à vingt pieds d’épaisseur. Au par-dessus sont des fragmens de craie amenées [sic] par les eaux descendues des plaines et des terres végétales, descendues des mêmes plaines, occupent la partie qui gagne le jour ”. “ En montrant il y a quelques [sic] tems à MM. Boulon médecin et à M. Goret membre de notre société d’émulation d’Abbeville les divers lits de ces terres sabloneuses [sic], le premier, en goutant une cristallisation très apparente formée sur de petits fragmens de silex qui font lit dans ces mêmes terres, y a reconnu la présence du sel marin le plus pur ; une foule de petits galets lenticulaires de craie en sont imprégnés. Je n’avois pas encore fait cette observation, quoiqu’il y ait longtems que j’ai [sic] soutenu, dans mon mémoire sur la Somme (Magazin encyclopédique) que ces mêmes sables avoient été apportés par les marées lorsqu’elles montoient à de grandes hauteurs ”. “ Si vous pouvez me donner de jolis papillons, des oiseaux étrangers, des insectes idem et des minéraux, de tout un peu, je me dépouillerai de mon bois en votre faveur et nous ferons trocs comme j’ai eu l’honneur de vous le promettre dans mon dernier voyage de Paris, mais donnez moi quelque chose qui me tente ”.

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“ Il y a dans la petite boëte une petite corne noire trouvée dans la tourbe. Je vous prie de me dire à quel animal elle appartient. Elle ressemble un peu aux cornes de chevreuil ”. “ J’ai inclus également dans la boëte, le DIPLÔME D’ASSOCIÉ CORRESPONDANT de notre société. Mes collègues ont voté sur ma présentation avec le plus grand empressement pour l’Association d’un SAVANT que ses lumières distinguent et que son amabilité fait rechercher ”. “ J’ai l’honneur de vous saluer ” “ Traullé ” “ P.S. J’ai l’honneur de vous prier en répondant à la présente, de me dire à quel animal appartient le plus gros des ossemens de la 1ère petite boëte. Je désirerois en rendre compte dans la séance du premier fructidor ”. “ Il existe très près d’Abbeville, près du village d’Yocourt [Eaucourt ?] un banc des sables cy dessus décrits qui ne domine la vallée que de 4 à 5 pieds et qui est par conséquent très facile à fouiller. Si j’obtiens du premier consul ce qu’un des membres du corps législatif, le citoyen Delattre d’Abbeville lui a demandé, une compagnie de mineurs pour faire fouiller, je vous promets des hippopotames, elephans, etc. Les ossemens, dans notre vallée, comme dans la vallée de la Seine, sont si communs qu’il n’y a qu’à se baisser et prendre ”8. Nous n’avons rien de plus précis sur les trouvailles ostéologiques qui ont été faites à Menchecourt. La seule faute possible est peut-être dans la pente qu’il donne au sommet ab des sables de mer et qu’il figure presque parallèlement à la surface topographique. Ces “ sables de mer ” abc correspondent à la couche d de Prestwich ; les “ terres argileuses et sableuses ” comprennent tout ce qui est au-dessus et que Prestwich désigne par les lettres c b a ; le “ lit de gros silex ” correspond à la couche e. D’après le schéma et le texte lui-même, les os envoyés à Cuvier étaient tous “ sous ” les “ sables de mer ” et, semble-t-il, tout près des gros silex. Les plus petits viennent d’un point a, le plus éloigné de la rivière, ce qui le place dans la terrière Mathurel, près de la rue des Argilières. Traullé pense qu’ils ont appartenu à un cerf, ou bien à un daim ou un renne. C’étaient les extrémités des andouillers et la portion inférieure du bois, ce qui se rapporte bien au Cervus somonensis du Muséum, les extrémités des andouillers correspondant à l’empaumure. Ils sont restés exposés au soleil pendant plusieurs mois. C’est donc qu’ils ont été extraits et recueillis en même temps. Il n’y a guère de raison acceptable pour qu’ils n’appartiennent au même animal, comme l’ont fait Lartet et Falconer. Il serait tout de même difficile que deux fragments d’un bois de daim, du même côté, appartenant à deux indivi8. Bibl. centrale Mus. Hist. nat. Paris, manus. fonds Cuvier, n° 634, 25 messidor, an

IX.

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dus ou à deux espèces différentes, se soient trouvées réunis dans des circonstances identiques alors qu’on n’en a plus jamais signalé dans nos sablières. Par contre, si la restitution de la partie médiane a paru fâcheuse à nos deux paléontologistes, il faut reconnaître que les restaurateurs auraient eu beaucoup de chance s’ils étaient tombés juste dans une interpolation où ils n’étaient guidés que par la pièce à compléter. Mais la position stratigraphique des deux fragments de la pièce conservée au Muséum me paraît ne laisser aucun doute et l’on n’en aurait certainement jamais eu si Cuvier avait reproduit les indications de provenance qui lui avaient été communiquées par notre Abbevillois. Cuvier répondit d’abord à la Société d’Émulation par une lettre adressée à Emmanuel Baillon qui m’a été communiquée par M. Cabannes, arrière-petitfils de François Baillon, où il annonce un rapport destiné à la Société pour être lu à sa séance publique du 16 thermidor mais où il est surtout question de ce qu’il a reçu et de ce qu’il attend du correspondant du Muséum. Il s’agit de poissons préparés par Baillon. Cuvier est honteux de ne l’avoir point encore remercié pour toutes les belles choses qu’il lui avait envoyées : “ Ce sont surtout vos présents qui embellissent notre collection […]. Croyez à l’éternelle durée de mon dévouement, de ma reconnaisance pour toute vos bontés ”. Emmanuel Baillon s’autorisa de cette lettre “ charmante ” pour répondre avec la “ franchise de l’amitié ”. Si le zèle du correspondant ne s’était pas refroidi depuis vingt-cinq ans, les temps n’étaient plus les mêmes. Le Muséum avait fait une “ démarche en corps ” près du Ministre pour lui obtenir une place dans la nouvelle administration des forêts. Ce fut sans résultat. On demanda pour lui, une subvention annuelle. Il reçut 1.200 francs à titre de gratification nationale. Il avait dépensé beaucoup plus en envois de poissons. Il pense à l’administration des poids et des mesures. “ Dites beaucoup de bien de moi dans toutes les occasions à l’Institut, surtout lorsque le Ministre et les Consuls y seront. Parlés [sic] du courage, du désintéressement étonnant avec lesquels je ne cesse de rechercher et d’envoier continuellement tout ce qui peut compléter et faciliter les moïens d’étendre les découvertes […]. Vous serez étonné de ce que je ferai, si j’obtiens une place. Vous n’aurés [sic] pas le tems de désirer et je serai le plus heureux de la terre, parce que je pourrai faire pour l’histoire naturelle tout ce que je voudrai. Je vous prie, rendés [sic] moi service. Fatigués [sic] le Ministre et les puissances à force de dire du bien de moi, en leur parlant d’autre chose ” (1er thermidor an IX) ”. Le lendemain, il dit les mêmes choses au “ cher et ancien ami ” Thouin. Il est aux aguets, le long des côtes, pour veiller à se procurer tout ce qu’il y a d’intéressant. Il se ruine. S’il obtenait une place, il dépenserait en envois la plus grande partie de son traitement : “ M. de Buffon m’avoit tant promis. Il m’a tant engagé à continuer mes envois. Je n’ai jamais cessé. Je veux continuer. Mais ne dois-je rien obtenir ? Je vous fatigue, je le sais. L’intérêt des col-

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lections me commande d’être importun ”. Sans connaître une seule plante, il fait un herbier pour de Jussieu, pour Thouin à l’occasion. Il nourrit depuis neuf ou dix mois pour la ménagerie, une loutre qui devient superbe. Rejeté obstinément par l’administration nouvelle qui accueillait complaisamment ses deux collègues d’Abbeville9, Baillon s’exprime sur leurs découvertes avec des réticences qui paraissent inspirées par le sentiment de ses déconvenues. Il a parcouru différentes carrières des environs. Il n’y a jamais trouvé aucun os fossile. Il a promis aux carriers six livres pour le premier os et on ne le lui a pas encore apporté. Dans les Observations sur la Géologie des environs d’Abbeville qu’il joint à sa lettre, il paraît penser que les os n’auraient pas l’origine que ses collègues leur attribuent : “ Le propriétaire qui a besoin de sable […] fait ouvrir la sablière qu’il a dans son champ […]. Puis il fait remplir l’excavation avec des déblais et la terre des bords. Il est possible qu’on y jette des ossemens d’animaux comme des silex et tout ce qui se trouve auprès ou à portée ”. Quant aux découvertes de Picquigny, on aurait dit et même imprimé que les tourbiers auraient trouvé le squelette d’un chasseur. Il n’en croit rien. Il lui paraît douteux que ces os soient de l’époque des Gaulois et qu’ils aient appartenu à l’urus, car celui qui a été trouvé en 1595 par Sigismond de Brandebourg avait les cornes courtes quoiqu’il fût vieux. Il est possible que Baillon ait été influencé par Cuvier, mais il connaissait certainement mieux les animaux que ses deux collègues et s’il ne suivait pas l’imagination de Traullé, il n’avait pas tous les torts. Pourtant son scepticisme était loin d’être toujours justifié. L’heureuse confiance de Traullé sera plus féconde que la science de Baillon, que des habitudes de subordination ont rendue à peu près improductive en lui laissant surtout des déceptions pour terminer sa vie. Cuvier répondit à Traullé avant même que le second envoi lui fût parvenu et cette réponse détermina une seconde lettre de Traullé qui porte le chiffre 10 au timbre de la poste, ce qui date son expédition du 10 fructidor an 9 [28 août 1801]. “ Traullé d’Abbeville au citoyen Cuvier ” “ Citoyen ”, “ J’ai vu avec un plaisir infini que mes recherches venoient de vous procurer la 24ème espèce d’animaux que les deux continens ont perdus et que nous pouvions fournir à l’ouvrage intéressant dont vous vous occupez, des matériaux qui vous feroient plaisir. C’est une raison pour moi pour redoubler de zèle et de goût ”. “ J’ai des avis sur de [sic] par témoins oculaires et dignes de foi qu’à quatre pas de la fosse où se sont trouvés des ossemens de grands animaux que je vous

9. Traullé et Boucher.

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ai envoié [sic], il s’en étoit rencontré d’autres trois fois plus gros il y a quinze ans environ ”. “ Aidez-moi donc auprès du consul pour obtenir un détachement de pioniers [sic] et 15 jours après leur arrivée, je vous adresse des ossemens de Mammouth, &c ”. “ Tous ces ossemens sont déposés très près de la baye de notre rivière et je tiens pour certains [sic] qu’ils viennent d’un autre continent. Je vais lire sous peu mes idées nouvelles sur la théorie des marées, et j’ose croire que vous leur trouverez une apparence de vraisemblance ”. “ On me fait savoir qu’on avoit trouvé dans la tourbe un squelette de rhene. On le croit à l’inspection du bois. Le squelette n’a pas été conservé. Le bois seul est tombé entre les mains d’un curieux. Je le verrai sous huit jours et vous en rendrai compte ”. “ J’ai envoyé dans le tems à M. d’Aubenton une partie du crâne de l’animal dont vous avez un tibia. Il avoit un pouce d’épaisseur ”. “ Je vous enverrai par la première occasion un fragment [,] trouvé dans le trou où a été trouvé le tibia [,] de l’espèce inconnue qui me paroît être celui d’un bois pareil au bois d’élan, ce qui me feroit conjecturer que cette espèce inconnue est de ce genre ”. “ Le panier qui doit vous être parvenu contenoit une petite boëte où étoit un autre ossement fort gros raccomodé [sic] avec de la colle forte, trouvé dans le même trou qui paroît appartenir au même animal ”. “ Il se passera des années avant que le massif de terre où existent ces os, qui n’a pas dix toises quarrées de surface soit exploité à fond. L’entrepreneur à qui ce coin de terre appartient est hors d’état de beaucoup travailler et je ne pourroi plus rien vous fournir de longtems ”. “ Un autre entrepreneur qui exploite l’autre fosse plus haut nous fournira quelque autre chose. C’est là que j’ai trouvé le reste de l’espèce du Cerf dont je tiens une portion du bois et que je vais vous envoyer. Elle a été trouvée hier ”. “ J’ai manqué et j’en suis désespéré, l’occasion d’être associé correspondant de l’Institut. M. Mongez qui s’intéresse à moi me mande que j’ai été du nombre des six que sa classe a choisi [sic] mais que je n’ai pas été du nombre 3 qu’elle a présenté [sic]. Cela me fait peine quoique M. Mongez me fasse entendre qu’il y ait encore un peu d’espérance. Cependant je ne manquerai pas, quoique privé de ce titre, de correspondre avec tous les membres de l’Institut en particulier auxquels mes peines peuvent être utiles ”. “ J’ai l’honneur de vous saluer ” “ Traullé. Prt de la Sté d’Em ”. “ Je vous prie d’accepter l’ossement de l’animal inconnu que j’ay eu le plaisir de vous envoyer et les autres ossemens de cerf. Ces objets sont trop inté-

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ressans pour ne pas devenir vôtres. Je serois bien aise d’avoir avant le 15 du courant votre réponse au dernier envoi ”. C’est ainsi qu’est entré dans les collections du Muséum, le daim de la Somme, Cervus (Dama) somonensis Desm., “ la 24e espèce des animaux que les deux continens ont perdus ” que Cuvier avait pu se procurer ou dont il avait eu connaissance. Cette lettre nous montre l’aspect de ces exploitations alors minuscules, réduites comme étendue mais profondes et présentées par notre explorateur comme des “ fosses ”. Elle nous montre aussi un homme heureux, malgré une demi-déconvenue. Son “ désespoir ” est moins triste que l’enthousiasme de Baillon. Il a fait une belle découverte : un animal inconnu. Il voit Menchecourt à travers les Voyages de Pallas et il se voit lui-même comme Pallas devant des animaux entiers. Il croit tenir un mammouth et, en effet, il semble bien que, depuis quinze ans, on en ait tiré des morceaux de la petite exploitation du Chemin rouge. C’est certainement un fragment de crâne d’éléphant qu’il avait envoyé à Daubenton et il pense bien que le tibia qu’il a envoyé à Cuvier et qui vient de la même fosse, appartient au même animal. D’après le Rapport des Travaux de la Classe des Sciences et des Arts de la Société d’Emulation pendant l’an IX, “ un fragment d’os fossile, dont la grosseur est considérable a été présenté par le citoyen Traullé, qui l’a trouvé dans les sablières de Menchecourt, au-dessous du niveau actuel des marais. Cet ossement est une portion de tibia, appartenant à un quadrupède aussi grand que l’éléphant rangé par votre correspondant Cuvier, dans la classe des animaux que l’on ne trouve plus dans l’univers ”. Cuvier lui-même attendit la 2e édition de son ouvrage pour dire que “ M. Traullé lui avait envoyé des parties considérables du tibia d’un très-jeune éléphant ”10. Traullé voudrait faire agir Cuvier, comme le député d’Abbeville, pour avoir une compagnie de mineurs et déterrer son mammouth. Il trouve que Cuvier n’agit pas ou ne répond pas assez vite. Une occasion se présente pour le relancer : “ Je profite de l’occasion du citoyen Choquet de notre ville, pour vous adresser trois dents fossiles trouvées dans les sablières de notre ville ; de ces dents, celle qui porte des angles saillants et rentrants m’a paru intéressante. Elle n’était pas éloignée de fragmens brisés de corne de cerf et autres. Nous marcherons de découvertes en découvertes et nous pourrons vous procurer les choses les plus rares. Les dents cy dessus annoncées n’appartiennent ni au bœuf ni au cheval. Elles sont, je crois, du genre des cerfs G… T11, bien que le dromadaire pourroit en avoir de semblables. 10. G. Cuvier, Rech. oss. foss., t. I, Paris, Dufour et d’Ocagne, 1821-1824, 110. 11. Terme illisible sur le manuscrit.

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“ J’ai été privé de vos nouvelles depuis que le panier contenant les cornes de l’aurochs vous est parvenu. Je charge M. Choquet de vous demander comment vous trouvez le morceau ” (19 fructidor an 9) [6 septembre1801]. 1801. Mort d’Emmanuel Baillon. François Baillon correspondant du Muséum Un grand vide allait se produire à la Société d’Émulation. Emmanuel Baillon mourut le 2 brumaire an X [24 octobre 1801]. Il n’avait que cinquante sept ans. Son collègue C.-A. Goret, pharmacien à Abbeville, naturaliste lui aussi, alors secrétaire de la classe des Sciences et Arts de la Société d’Émulation, lui consacra une notice : “ On doit à Mr. Baillon la connoissance particulière des mœurs, des habitudes, des lieux qu’habitent le plus ordinairement la plupart des oiseaux de mer et de rivage, qui fréquentent accidentellement nos côtes : quelques-uns y étoient peu connus, d’autres ne l’étoient nullement, avant lui. Il possédoit le talent de préparer les oiseaux, avec cette grâce qui rend ce genre de collection si agréable. Celle du Muséum d’histoire naturelle, lui doit la plus grande partie des oiseaux de mer et de rivage qu’on y voit ; il ne comptoit pour rien ses soins pour se procurer les espèces les plus rares : il faisoit tous les ans, de nombreux envois d’oiseaux vivants, destinés à orner les bassins du jardin National des plantes. Il y avoit trouvé les moyens d’habituer à la captivité, des oiseaux, que des mœurs sauvages retenoient presque toujours au milieu du vaste océan, ou sur les rochers les plus solitaires, et que la tempête seule forçoit d’approcher des endroits habités. C’étoit au milieu des soins qu’exigeoient ces hôtes farouches, que notre collègue observoit ce qui pouvoit intéresser le naturaliste ”. “ Ce qui pourroit rendre sa perte moins sensible aux naturalistes, ajoute Goret, c’est qu’il laisse un fils qui, quoique jeune encore, suit avec succès la carrière si savamment parcourue par son père ”12. François Baillon revint alors à Abbeville pour ne plus retourner au Muséum, tout en prenant la succession de son père comme correspondant et en envoyant lui aussi des poissons et des oiseaux. Il se mit également à l’exploration des sablières et des tourbières et, le plus souvent, les ossements recueillis prenaient le chemin du laboratoire d’Anatomie comparée. Il a fort peu écrit, mais nous lui devons les lignes les plus claires qui nous soient parvenues sur les deux niveaux paléontologiques de Menchecourt13. Ses envois furent utilisés par Cuvier puis par de Blainville. À Abbeville, il joua son rôle non sans créer quel-

12. C.-A. Goret, Rapport des travaux de l’an X de la Société d’Émulation d’Abbeville, Classe des Sciences et des Arts, 26. 13. Cf. Lettre de Fr. Baillon citée à la fin de F.-P. Ravin, “ Mémoire géologique sur le bassin d’Amiens ”, Mém. Soc. roy. Émul. Abbeville, 2e sér, t. II (1834 et 1835), 197-198.

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ques difficultés à Boucher de Perthes. C’est une figure qui entre dans notre histoire. 1801. Hostilités entre Traullé et Devérité Alors, la guerre s’alluma entre Traullé et Devérité. Les hostilités gagnèrent une partie de la ville et du département, mirent aux prises les juridictions d’Abbeville et d’Amiens et s’étendirent au Magasin encyclopédique, à la Cour de Cassation et peut-être même essaya-t-on d’y intéresser l’Institut national. Nommé administrateur du district grâce à Devérité, Traullé lui avait fait perdre une adjudication. Comme juge, il lui fit perdre deux procès, l’un en dernier ressort. Quant à l’autre, le fils de Devérité avait été accusé d’avoir volé du bois. Traullé condamna le père à la place du fils, comme “ maraudeur de bois ”. Mais le jeune homme avait 23 ans. Au tribunal d’appel, le jugement fut annulé. Un certain Adrien Sombret s’était trouvé fort jeune à la tête d’une importante corderie, puis d’une manufacture de tabac. Il fit faillite en messidor an 9 [juin-juillet 1801]. Devérité était juge suppléant. Il fut nommé second syndic de la faillite Sombret. On insinua que Sombret occupait une fonction que Traullé aurait voulu obtenir pour l’un des siens, parent ou ami. Sombret s’arrangeait avec ses créanciers. Traullé était alors magistrat de sûreté. Il lança contre Sombret un mandat de dépôt. Il l’accusa de banqueroute frauduleuse, ce qui relevait d’abord du jury d’accusation, et d’escroquerie, ce qui relevait directement du tribunal de police correctionnelle. Il accusa Devérité de complicité dans la soustraction de pièces inventoriées et lança contre lui un mandat d’arrêt (16 pluviose an X) [5 février 1802] et présenta l’acte d’accusation le 22 ventôse [13 mars]. Les jurés prononcèrent la non-culpabilité de Devérité. Sombret fut déclaré innocent du premier chef par le jury d’accusation. Sur le second chef, et par jugement du 15 thermidor an X, il fut condamné par le tribunal d’Abbeville. Par jugement du 26 ventôse an 11 [17 mars 1803], le tribunal d’Amiens annula le jugement du tribunal d’Abbeville. En six mois, Traullé avait lancé soixante-dix-sept mandats. Ses collègues d’Amiens disaient qu’il ne trouvait jamais d’innocents. On lui enleva ses fonctions de magistrat de sûreté pour le nommer commissaire civil. Il se trouvait ainsi ménagé, selon Dévérité par “ l’une de ces heureuses permutations à tems, qui préviennent les désagrémens qu’amènent, tôt ou tard, les actes arbitraires, les mesures oppressives trop multipliées ”. L’administration de Brumaire n’était pas de celles qui gardent rancune à un magistrat trop répressif. Les juges d’Abbeville qui avaient frappé Sombret se trouvaient atteints par le jugement d’Amiens. Ils furent prévenus que Devérité allait présenter une prise à partie devant le tribunal de cassation. Dubellay et Cordier se joignirent

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à Traullé pour adresser, au tribunal suprême, le 25 frimaire an XII, des Observations que je n’ai pas pu retrouver. Devérité répondit par un Mémoire en 76 pages in-quarto qui est daté du 1er vendémiaire an 13 [23 septembre 1804]14 dans lequel j’ai trouvé la plupart des renseignements que je viens de donner. Il restera dorénavant le fidèle imprimeur de tous les ennemis de Traullé. 1801. Blumenbach : espèces actuelles et espèces disparues Le 14 novembre 1801, au cinquantenaire de la Société royale des Sciences de Goettingue15, comme pour opposer un programme à celui que Cuvier avait présenté dans son Mémoire du 1er décembre 1800, Blumenbach lut son Specimen Archaeologiae Telluris terrarumque inprimis Hannoveranarum [Essai d’archéologie de la Terre et principalement des terres de Hanovre], publié en 1803 à Goettingue en 28 pages in-4°. L’auteur y présentait les fossiles par ordre chronologique, en rapport avec les différentes révolutions du globe. Il établissait les quatre classes suivantes, en allant des plus récentes aux plus anciennes : 1°. Les fossiles dont les types vivent encore dans les mêmes contrées : “ fossiles les plus récents de corps organiques survivants et vraiment indigènes ” [fossilia nuperiora corporum et organicorum superstitorum et quidem indigenorum16]. 2°. Les fossiles dont les analogues n’existent plus dans nos contrées et qui ont dû être apportés par des déluges ou de violentes inondations, comme ceux des brèches osseuses des bords de la Méditerranée où l’on a recueilli des os de lion : “ fossiles les plus récents de corps étrangers survivants apportés par des déluges ” [fossilia nuperiora superstitorum extraneorum diluviis advectorum17]. 3°. Les fossiles plus anciens dont les prototypes ne se trouvent que dans la zone torride, éléphants, rhinocéros, lions, tigres, ours et dont les restes retrouvés dans nos contrées témoigneraient en faveur d’un changement de climat : “ fossiles plus anciens qui semblent attester un changement universel des climats de la Terre ” [fossilia antiquiora quae climatum telluris mutationem universalem testari videntur18]. Ils diffèrent si peu de leurs prototypes actuels que

14. Cf. L.-A. Devérité, Mémoire pour Louis-Alexandre Devérité, ex-législateur, premier juge suppléant au tribunal d’Abbeville, demandeur en autorisation de prise-à-partie. Contre le citoyen Traullé, ex-substitut criminel près le même tribunal, 1er vendémiaire an XIII, Abbeville, Devérité, 1804. 15. Göttingen. 16. J.-F. Blumenbach, Specimen Archaeologiæ Telluris terrarumque inprimis Hannoveranarum, Goettingue, H. Dieterich, 1803, § 3, p. 7. 17. J.-F. Blumenbach, Ibid., § 4, p. 9. 18. J.-F. Blumenbach, Ibid., § 6, p. 11.

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l’auteur se demande si ce sont des espèces différentes ou de simples variétés et qu’il propose de les nommer douteux par rapport aux précédents et aux suivants. Il convient de considérer que Cuvier avait déjà apporté une solution de fait sinon de principe en faisant de la plupart des animaux fossiles de cette catégorie des espèces distinctes de celles qui existent aujourd’hui. 4°. Enfin les fossiles qui attestent que la plus grande partie de la surface de la terre a été l’objet d’une subversion à une époque ancienne : “ fossiles qui attestent que la surface même de la terre primitive a vraiment été en très grande partie subvertie ” [fossilia quae ipsam superficiem primaevi telluris maximam partem plane subversam testantur19] : Complectur enim haec ultima classis innumera plane documenta oryctologica, quae planetem nostrum ab eo quo conditus erat tempore non modo climatum generalem mutationem, sed diu ante eam jam ejusmodi superficei suae seu corticis universam conversionem ita subiisse testantur, ut, quaecunque demum ejus caussae fuerint, imus pristini maris fundus jam alta montium hodierna juga vestiat, primaevae contra sylvae passim sub oceano qui nunc est submersae delitescant20. L’auteur place les deux classes les plus récentes dans les temps historiques, celle qui les précède, dans les temps héroïques, et la plus ancienne, dans les temps mythiques. Il incline à croire qu’une catastrophe a détruit la totalité des espèces existantes et que la nature créatrice a reproduit, parmi les corps organiques nouveaux qu’elle a animés, quelques espèces semblables à celles qu’elle avait détruites. Il y a sans doute dans ce Specimen des idées qui eussent pu être fécondes si elles eussent été développées et auxquelles Cuvier ne s’est pas arrêté, comme la question du changement de climat soulevée à propos des fossiles de la troisième classe. Mais les circonstances où se trouvèrent le Hanovre et la malheureuse Université de Goettingue21 ne permirent pas à Blumenbach de poursuivre ses travaux alors que Cuvier avait à sa disposition des moyens qui ne lui laissaient rien à envier à Aristote lui-même (Anatomie Comparée I, p. IX)

19. J.-F. Blumenbach, Ibid., § 9, p. 19. Cf. H.-M. de Blainville, Cuvier et Geoffroy-St-Hilaire, biographies scientifiques, Paris, J.-B. Baillère et fils, 1890, 392 : de Blainville paraphrase en écrivant “ submergée ”, comme s’il fallait lire “ submersam ” au lieu de “ subversam ” La citation suivante montre qu’il n’y a pas de correction à faire au texte. Son analyse du Specimen doit être utilisée avec quelque précaution. L. A. 20. J.-F. Blumenbach, Ibid., § 9, p. 19-20 : “ En effet cette ultime classe [de fossiles] embrasse d’innombrables témoignages oryctologiques [paléontologiques ? minéralogiques ?] qui attestent que notre planète, depuis l’époque où elle a été fondée, a subi non seulement un changement général des climats, mais encore aussi, déjà longtemps avant celui-ci, une conversion [un bouleversement] universelle de sa surface ou de son écorce, d’une manière telle que quelles qu’en furent les causes, le fond de l’abîme de la mer primitive recouvre désormais les hautes chaînes de montagnes actuelles, et qu’en revanche les forêts primitives restent partout cachées, submergées au fond de l’océan qui existe maintenant ”. 21. En raison de l’occupation du Hanovre par les troupes françaises (1803-1813).

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1801. Les bœufs d’Hangest et de Picquigny : urus, aurochs, bisons, bœufs ? C’est à ce moment-là, 1801, an X, c’est-à-dire à la fin de l’année 1801, que parut l’une des plus somptueuses publications qu’ait éditées le Muséum : La Ménagerie du Muséum national d’Histoire naturelle ou Description et histoire des animaux qui y vivent ou qui y ont vécu ; par les Citoyens Lacépède et Cuvier, un volume in-folio. Cuvier a revendiqué plus tard le bénéfice et la responsabilité de l’article sur le zébu (Ann. Mus. Hist. nat.). On y trouve comme une étape dans ses recherches et dans ses variations sur les bœufs vivants et fossiles. Il donne les caractères distinctifs du bœuf et de l’aurochs, établis d’après les dispositions que présentent les crânes : “ Le front du Bœuf […] est plat et même un peu concave ; celui de l’Aurochs est bombé […]. Ce même front est carré dans le [premier], sa hauteur étant à peu près égale à sa largeur, en prenant sa base entre les orbites ; dans l’Aurochs, en le mesurant de même, il est beaucoup plus large que haut, comme 9 à 6. Les cornes sont attachées dans le Bœuf […], aux extrémités de la ligne saillante la plus élevée de la tête, celle qui sépare l’occiput du front ; dans l’Aurochs, cette ligne est deux pouces plus en arrière que la racine des cornes ; le plan de l’occiput fait un angle aigu avec le front, dans le Bœuf […] ; cet angle est obtus dans l’Aurochs ; enfin, ce plan de l’occiput, quadrangulaire dans le [Bœuf] […], représente un demi-cercle dans l’Aurochs. Si on ajoute à ces détails que l’Aurochs a quatorze paires de côtes, tandis que les autres Bœufs et la plupart des ruminants, n’en ont que treize, on trouvera sans doute plus de caractères qu’il n’en faut pour distinguer une espèce. Et il ne faut pas croire que ce soient là de petits caractères sujets à varier par la suite des temps, ou par les effets de la domesticité ; on a des monuments très-anciens qui prouvent que ces différences existent depuis bien des siècles ; on a trouvé des dépouilles fossiles d’Aurochs en France, où il n’y en a certainement plus depuis les temps historiques ; on y a trouvé aussi des dépouilles de Bœufs, à peu près dans les même terrains, et les unes et les autres ne diffèrent des parties analogues des animaux d’aujourd’hui que par une taille supérieure ”22. L’auteur essaie ensuite de s’y reconnaître dans les bœufs de la littérature ancienne et moderne. Il lui paraît que la description que donne Aristote du bonasus ne contient rien d’essentiel qui ne s’accorde avec l’aurochs. Pline et Sénèque distinguent le bison de l’urus. Martial distingue le bison du bubalus, mais il paraît que le bubalus de Martial n’est autre que l’urus, car Pline ajoute que le peuple ignorant donnait à l’urus le nom de “ bubalus ”. D’autre part, Cuvier 22. E. de Lacépède et G. Cuvier, La Ménagerie du Muséum national d’Histoire naturelle ou Description des animaux qui y vivent ou qui y ont vécu par les citoyens Lacépède et Cuvier, avec des figures peintes d’après nature, par le c. Maréchal, peintre du Muséum, gravées, avec l’agrément de l’administration, par le c. Miger, membre de la ci-devant Académie royale de peinture, an e X (1801), Paris, Miger, article Le zébu, 16 illustration, 13-14.

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nous dit que César décrit assez bien l’aurochs sous le nom d’“ urus ”. On ne verrait donc, dans les textes de l’Antiquité, en dehors du bœuf domestique, que deux animaux distincts : d’une part, le bison, d’autre part, l’urus ou bonasus correspondant à l’aurochs. Les Modernes, toujours d’après Cuvier, ont voulu retrouver ces deux animaux. Ils ont d’abord confondu le bison et l’urus. C’est Conrad Gessner qui le premier aurait essayé de les distinguer. Il donne deux gravures, l’une de Wied, l’autre de Sigismond de Herberstein. Mais l’une et l’autre représentent le même animal et cet animal serait l’aurochs. Le bison de Buffon est le bison d’Amérique et Cuvier croit que les bœufs d’Amérique sont appelés improprement “ bisons ”. Il ne voit pas non plus, sur notre continent, de race particulière qu’on puisse distinguer sous le nom de “ bison ”. Il ne resterait donc que le bœuf commun et l’urus des Anciens représenté aujourd’hui par l’aurochs de Lithuanie. Ce sont eux qu’on retrouverait à l’état fossile. D’après ces considérations, le bœuf d’Hangest et le bœuf de Picquigny seraient appelés à perdre le titre historique d’urus et le nom même “ d’aurochs ” pour ne plus être que des bœufs communs de plus grande taille que ceux qui vivent aujourd’hui. Cuvier ne tenait pas compte de la terminologie de Gilibert. Celui-ci publia en 1802, an X, un Abrégé du Système de Linné. On y trouve une Monographie du Bison de Lithuanie qui n’est que la traduction des Observations que nous avons signalées mais où le mot “ urus ” a complètement disparu du langage de l’auteur pour désigner l’animal de Lithuanie. D’autre part, dans sa classification des bœufs sauvages, il distingue, surtout d’après Gessner : l’urus, le bonasus et le bison. Cela veut dire qu’il considère lui aussi, comme Gessner, que l’urus est un animal différent de son bison de Lithuanie que les Allemands désignent sous le nom “ d’aurochs ”, de sorte que “ urus ” et “ aurochs ” pourraient être des mots différents et désigner des animaux différents. 1802. Une dent de castor à Menchecourt “ Abbeville le 24 pluviôse an dix de la République française, une et indivisible [13 février 1802] ”, “ Le Substitut du Commissaire du gouvernement près le tribunal criminel de la Somme, pour l’arrondissement d’Abbeville, Au Cn Cuvier Il vous parvient et un de mes cousins vous porte un petit envoi […] [auquel] j’ai joint une […] dent qui paroît appartenir à la classe des quadrupèdes rongeurs. Seroit-elle une dent de Castor [?]. J’en ai déjà des dépouilles, et il y en a beaucoup dans notre vallée ”. Il s’agit de dépouilles recueillies dans la terre et non d’animaux vivants comme Cuvier semble l’avoir compris. D’ailleurs Traullé ne s’était pas trompé. Cette dent était tout ce que le Muséum possédait alors comme restes de castor.

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“ Si le cabinet garde tous les objets que j’ai envoyé [sic] et je ne demande pas mieux que de trocquer [sic], je demande, en retour, des papillons et je vous prierai d’être médiateur entre l’administration et moi. Voici comment je dois établir mon compte : pour avoir fourni une corne du grand Cerf d’Irlande dont le bois a de l’une à l’autre pointe 13 à 14 pieds d’envergure, un Ménélas ; pour avoir donné une tête d’aurochs et de bœuf sauvage, un Ulysse ; pour avoir enrichi l’histoire naturelle de la république d’un ossement appartenant à une 24e espèce de quadrupède et autres animaux perdus, un Priam ”. “ Si je demande Priam, c’est pour me souvenir [sic], un Ménélas, pour me souvenir d’Hélène, un Ulisse, c’est pour conserver Pénélope en mémoire ”. “ Je désire beaucoup que les papillons que j’ai l’honneur de vous demander soient encore en assez bon état. Car quelque [sic] soient les tuteurs de votre Monsieur Dufresne qui va jusques à fondre et refondre, coudre et recoudre les papillons les plus malades, quoiqu’ils passent pour neufs. Les priams qu’il habille, quoique j’en aie sous les yeux de sa façon auquel [sic] il a mis plusieurs pièces, je ne voudrois pas cependant qu’ils soient trop décousus [sic] les héros que je demande ”. “ Si vous voulez que je vous fournisse, encouragez-moi. Mettez dans mes intérêts le Cn de la Marck que j’ai eu l’honneur de voir quelquefois à Paris avec feu M. Debelleval, auquel je suis infiniment attaché et dont la mémoire m’est chère. Le Cn de la Marck me gratifiera de son suffrage, je me rappelle à son souvenir ”. “ Il vous parviendra également une coquille dont on trouve un grand nombre mêlé aux sables argileux dans lequel la fouille annuelle fait découvrir toutes les dépouilles d’animaux qui vous parviennent ”. Le sable argileux dont il parle est à rapprocher d’une mince couche d’argile sableuse, d’, indiquée par Prestwich vers la base du sable aigre, un peu au-dessus des graviers subanguleux, e. Le témoignage de Traullé s’accorde avec tous les renseignements qui viendront plus tard pour placer la plupart des os précisément au voisinage de ces graviers. Par ailleurs, cette lettre est parfois bien étrange. Les histoires qu’il raconte sont à peine convenables. Les phrases sont parfois incohérentes et ne sont pas toujours des phrases. Je me demande si ce collectionneur de vieilles bouteilles avait mis un intervalle suffisant entre un déjeuner trop copieux et la rédaction d’une lettre comme on n’en adressait guère à Cuvier. 1802. Cabanis : actualisme organique et catastrophisme, l’antiquité étendue de l’homme En 1802, paraissait l’ouvrage de Cabanis, Rapport du physique et du moral où les Mémoires VII à XII étaient livrés au public pour la première fois. Le dixième contenait des Considérations sur la vie animale où l’auteur prenait

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position à propos des controverses que nous venons de rappeler. Sans doute admet-il des générations spontanées dans la nature actuelle, mais, par ailleurs, il accueille et il explique des faits qui n’avaient pas leur place dans les conceptions de Lamarck. Ainsi, “ les débris des animaux que la terre recèle dans ses entrailles, et dont les analogues vivants n’existent plus, doivent faire penser que plusieurs espèces se sont éteintes, soit par l’effet des bouleversements dont le globe offre partout des traces ”, ce qui s’accorde avec les conceptions de Lacépède et même de Cuvier, soit “ par les usurpations lentes de la race humaine ”, ce qui paraît possible bien que douteux à Lamarck, “ soit par les imperfections relatives d’une organisation qui ne garantissait que faiblement leur durée ”23, ce qui paraît être l’opinion personnelle de Cabanis. Par ailleurs, il paraît s’inspirer de Lamarck et de Faujas. “ [La découverte de débris d’animaux dont les analogues vivants n’existent plus] pourrait aussi faire soupçonner que plusieurs de ces races ont pu, lors de leur première apparition, être fort différentes de ce qu’elles sont aujourd’hui ”. “ L’homme, comme les autres animaux, peut avoir subi de nombreuses modifications, peut-être même des transformations importantes, durant le long cours des siècles dont le passage est marqué sur le sein de la terre par d’irrécusables souvenirs ” : “ Si l’on ne voulait accorder pour la durée totale du genre humain que l’espace de temps écoulé depuis la dernière grande révolution du globe, laquelle semble en effet ne pas remonter très haut dans l’antiquité, il serait encore possible de noter pour ce court intervalle plusieurs changements essentiels survenus dans l’organisation primitive de l’homme, changements dont l’empreinte, rendue ineffaçable chez les différentes races, caractérise toutes leurs variétés. Mais cette hypothèse, qui tend à établir la nouveauté de l’espèce humaine, paraît entièrement inadmissible ; on ne peut du moins l’appuyer de preuves valables, et il s’élève contre elle de grandes difficultés ”24. Parmi ces difficultés, Cabanis invoque, en s’inspirant de Boulanger25, des convulsions plus anciennes rapportées par diverses traditions. Il est plus intéressant de le voir signaler que : “ […] la difficulté de concevoir la première formation de l’homme et des autres animaux les plus parfaits est d’autant plus grande qu’on la place dans des temps plus voisins de nous, qu’on suppose l’état de la terre plus semblable alors à celui qu’elle présente de nos jours, et qu’enfin l’on ne veut tenir aucun compte des variations que peuvent avoir subies les races qui paraissent maintenant les plus fixes ”26. 23. P.-J.-G. Cabanis, Rapports du physique et du moral, 1830, Paris, au bureau de la bibliothèque choisie : Dixième mémoire : Considérations touchant la vie animale, première section, § 2, p. 261. 24. P.-J.-G. Cabanis, Ibid., 261-262. 25. Ou de Pallas ? L.A. 26. P.-J.-G. Cabanis, Rapports du physique et du moral, 262-263.

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On est forcé d’admettre l’antiquité des animaux dont on recueille les débris ainsi que l’antiquité des convulsions que la terre a éprouvées : “ Or, si l’on se fait une juste idée de cette suite de circonstances auxquelles les races vivantes échappées à la destruction ont dû successivement se plier et se conformer, et d’où vraisemblablement, dans chaque circonstance particulière, sont nées d’autres races toutes nouvelles, mieux appropriées à l’ordre nouveau des choses ; si l’on part de ces données, les unes certaines, les autres infiniment probables, il ne paraît plus si rigoureusement impossible de rapprocher la première production des grands animaux de celle des animalcules microscopiques, […] productions ultérieures et singulières […] qu’on peut tirer du sein du néant, en changeant les simples dispositions physiques ou chimiques des matières qui doivent les former ”27. Cabanis pouvait penser qu’il était possible de produire artificiellement des êtres microscopiques. Pasteur dissipera cette illusion. Pour le moment, Cabanis voit, en conséquence des convulsions du globe, des races qui sont “ détruites ”, d’autres qui “ se plient ” et “ se conforment ” aux conditions nouvelles, d’autres enfin qui “ naissent ” appropriées à l’ordre nouveau, comme les animalcules que l’art peut faire sortir du néant, sans intervention surnaturelle, comme des productions de la nature et non comme des créations transcendantes. Dans le monde organique, l’auteur ne connaît que des lois physiques, c’est-à-dire des lois qui ne changent jamais et qui régissent des causes toujours agissantes dans l’actualisme organique du passé de la terre. Mais à cet actualisme il joint un catastrophisme physique qui déroule une suite de situations différentes en conséquence des révolutions du globe. Or, ces convulsions ne reposent que sur des récits ou des traditions qui les présentent essentiellement comme des manifestations d’un monde surnaturel agissant sans égard aux lois de la nature, de sorte que l’auteur fait entrer dans son système ce qu’il veut précisément éviter. En dépit de ces contradictions, ou de ces inadvertances, Cabanis accueille l’extinction des espèces en en donnant une explication naturelle et il met l’homme tout entier dans l’ordre de la nature en lui accordant une antiquité étendue avec des transformations importantes dans son passé et pleines d’espérance dans son avenir. Comme Lamarck, ses attaches sont avec le siècle des Lumières. 1802. Lamarck : actualisme physique et actualisme organique, l’antiquité indéfinie de l’homme Lamarck et Faujas développaient leurs positions. Cuvier et Traullé s’accommodaient mieux du régime de Brumaire que Lamarck et Devérité. En l’an X, Lamarck publie son Hydrogéologie où il développe et complète le mémoire 27. P.-J.-G. Cabanis, Ibid., 263.

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resté inédit du 21 pluviose an 7. Il se situe sans équivoque en parlant “ [des] guerres, [des] régimes vandales, [de] l’intérêt des tyrans et de ceux qui dirigent les opinions religieuses, qui portent toujours sur l’ignorance de l’espèce humaine et s’en font un appui ”28. Peu respectueux du Concordat, ce jacobin de l’an X ne compte pas trop sur la faveur de son temps. Il écrit “ pour le petit nombre de ceux […] qui sont capables de sacrifier, même leur propre intérêt, pour la connaissance d’une vérité nouvelle ”29. Son Hydrogéologie est un exposé d’actualisme physique qui complète l’actualisme organique et fait l’unité de l’œuvre de Lamarck. Il reprend surtout les thèmes du XVIIIe siècle qui sont plutôt exposés et rattachés les uns aux autres que repensés et enchaînés. Il reprend les conceptions de Soulavie selon lesquelles les rivières sculptent les continents et comblent les mers. Il ajoute que ce double phénomène change de place le centre de gravité du globe et le sépare du centre réel ou “ centre de forme ”, ce qui reproduit les conceptions d’Albert de Saxe. D’autre part, sous l’influence de la lune, les eaux des mers se déplacent de l’Est à l’Ouest et déterminent le déplacement du bassin des mers autour de la Terre en même temps qu’un déplacement des pôles et des climats, un tour complet demandant 9 millions de siècles et pouvant se renouveler indéfiniment, sans qu’il y ait d’interruption dans la vie sur la terre : “ Combien cette antiquité du globe terrestre s’agrandira encore aux yeux de l’homme, lorsqu’il se sera formé une juste idée de l’origine des corps vivans ainsi que des causes du développement et du perfectionnenment graduels de l’organisation de ces corps, et surtout lorsqu’il concevra que, le tems et les circonstances ayant été nécessaires pour donner l’existence à toutes les espèces vivantes telles que nous les voyons actuellement, il est lui-même le dernier résultat et le maximum actuel de ce perfectionnement, dont le terme, s’il en existe ne peut être connu ”30. C’est dire que l’homme ou les êtres dont il provient peuvent exister depuis une antiquité indéfinie. Si l’histoire physique que l’auteur nous propose contient des parties périmées, elle sert de cadre ou de support à la haute antiquité de la vie, à son unité historique et à sa progression le long de la durée. L’actualisme physique de l’Hydrogéologie préparait ainsi l’actualisme organique des Recherches sur l’organisation des corps vivans, et particulièrement sur son origine, sur la cause de ses développemens et des progrès de sa composition. L’ouvrage était précédé du Discours d’ouverture prononcé le 27 floréal an 10 [17 mai 1802] et consacré aux mêmes questions. 28. J.-B. Lamarck, Hydrogéologie ou Recherches sur l’influence qu’ont les eaux sur la surface du globe terrestre ; sur les causes de l’existence du bassin des mers, de son déplacement et de son transport successif sur les différens points de la surface de ce globe ; enfin sur les changemens que les corps vivans exercent sur la nature et l’état de cette surface, Paris, chez l’auteur, an X1802, 89. 29. J.-B. Lamarck, Ibid., 2. 30. J.-B. Lamarck, Ibid., 89-90.

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La nature crée elle-même les premiers traits de l’organisation dans des masses où il n’en existait pas, en formant des générations spontanées à l’extrémité de chaque règne des corps vivants, là où se trouvent les corps organisés les plus simples. Ensuite l’usage de la vie développe les organes. Il existe pour chacun de ces règnes, une série unique et graduée dans la disposition des masses, conformément à la composition croissante de l’organisation. Là est l’ordre même qu’a suivi la nature. “ Partez de l’animalcule le plus imparfait, et élevez-vous le long de l’échelle jusqu’à l’animal le plus riche en organisation et en facultés ; conservez par-tout l’ordre de rapport de masses ; alors vous tiendrez le véritable fil qui lie toutes les productions de la nature, vous aurez une juste idée de sa marche, et vous serez convaincus que les plus simples de ses productions vivantes ont successivement donné l’existence à toutes les autres ”31. Le propre du mouvement organique est de développer l’organisation et de multiplier les organes et les fonctions à remplir. Ce sont les habitudes de l’animal, sa manière de vivre et les circonstances dans lesquelles se sont rencontrés les individus dont il provient, qui ont constitué la forme de son corps, le nombre et l’état de ses organes, ainsi que les facultés dont il jouit. L’homme est un bimane. Il diffère en outre des quadrumanes, et en plus de sa raison et de la supériorité de son intelligence, par une disposition différente du trou occipital, par la mobilité de ses doigts, par la station et la marche debout. “ Cependant si l’on considère que tout ce que l’on vient de citer réside uniquement dans les différences d’état d’organisation, ne pourroit-on pas penser que cet état particulier de l’organisation de l’homme a été acquis peu à peu à la suite de beaucoup de temps, à l’aide des circonstances qui s’y sont trouvées favorables ? ”32. D’après Cuvier des vues d’ensemble comme celles qui viennent d’être exposées devaient annuler la notion d’espèce. Or, c’était une notion à laquelle un systématicien comme Lamarck ne pouvait renoncer. Il avait été membre de la Commission chargée d’examiner les collections d’histoire naturelle qui avaient été rapportées d’Egypte et qui avaient permis de constater que les momies d’animaux remontant à plusieurs milliers d’années montraient des êtres absolument semblables à ceux d’aujourd’hui. Il invoque alors, dans l’histoire de la Terre des “ états stationnaires ” qui se traduiraient par des “ espèces ” dans l’histoire de la vie mais qui feraient de l’évolution un phéno-

31. J.-B. Lamarck, Recherches sur l’organisation des corps vivans, et particulièrement sur son origine, sur la cause de ses développemens et des progrès de sa composition, précédé du Discours d’ouverture du cours de zoologie donné au Muséum d’histoire naturelle de Paris, 27 floréal an 10 de la république (17 mai 1802), Paris, chez l’auteur, 134. 32. J.-B. Lamarck, Ibid., 134. Souligné par l’auteur.

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mène intermittent et discontinu assez différent, semble-t-il, des perspectives qui viennent d’être présentées : “ Parmi les corps vivans, la nature […] ne m’offre d’une manière absolue que des individus qui se succèdent les uns aux autres par la génération […]. Ainsi les espèces parmi eux ne sont que relatives et ne [le] sont que temporairement. Néanmoins pour faciliter l’étude et la connoissance de tant de corps différens, il est utile de donner le nom d’espèce à toute collection d’individus semblables, que la génération perpétue dans le même état tant que les circonstances de leur situation ne change pas assez pour faire varier leurs habitudes, leur caractère et leur forme ”33. 1803. Faujas : les espèces disparues sont des analogues des espèces actuelles En l’an XI, 1803, parut le tome premier de l’Essai de Géologie de Faujas, qui, à plusieurs titres mérite de retenir notre attention. L’auteur y revient sur “ cette grande question relative à l’existence des analogues, une des plus remarquables et importantes pour la Géologie ”34. “ Depuis que l’éveil a été donné à ce sujet, […] nous voyons la liste de ces analogues s’accroître, pour ainsi dire, de jour en jour. Nous devons dire aussi […] qu’il existe des dépouilles d’animaux terrestres et d’animaux marins, fossiles, qui nous sont absolument inconnus ; cela peut tenir à ce que nos recherches sur ces animaux sont encore trop peu avancées ; à ce que plusieurs habitent des contrées qui n’ont pas été visitées, ou que certaines familles de Coquilles et de Madrépores, se plaisent dans les abîmes les plus profonds de la mer […]. Mais c’est un grand pas que celui qui nous met à portée d’établir qu’il existe des analogues qu’on ne saurait plus contester ”35. Cela lui permet d’affirmer à nouveau qu’il n’y a pas eu deux créations ou deux zoologies distinctes : “ J’ai osé soutenir […] depuis longtemps […] que nulle analogie ne pouvait nous faire présumer que la nature, qui semblait avoir épuisé toutes les formes dans l’organisation et la structure de ces brillantes habitations des mollusques, en eût détruit les premiers types, pour se copier ensuite elle-même d’une manière inexacte, en négligeant quelques-unes de ces formes qu’elle ne faisait plus apparaître ”36. Aussi, se prononce-t-il contre Deluc et quelques autres qui “ s’efforcent avec tant de peine, et une sorte d’obstination, à trouver dans les livres de 33. J. B. Lamarck, Discours d’Ouverture, prairial an XI, 148. 34. B. Faujas de Saint-Fons, Essai de Géologie ou Mémoire pour servir à l’histoire naturelle du globe, t. I, Paris, Dufour, 1803, 6. 35. B. Faujas de Saint-Fons, Ibid., 7. 36. B. Faujas de Saint-Fons, Ibid., 55.

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Moïse, les phénomènes de la création et l’histoire naturelle d’une des plus grandes catastrophes du globe37 ”. Pourtant il admet l’existence du déluge mosaïque et même de plusieurs autres, mais comme des phénomènes naturels et non providentiels : “ La mission toute divine du législateur du peuple juif […] paraît exclusivement consacrée à diriger un peuple dont la conduite difficile lui était confiée, et qu’il était utile de frapper par de grands exemples. Ce but était sans doute bien au-dessus de celui d’apprendre à un peuple ignorant et avide de superstition, l’histoire de l’origine d’un monde physique, et les phénomènes exacts d’une inondation diluvienne qui submergea toute la terre, qui n’a pas été l’unique, […] et dont les phénomènes sont dans l’ordre de la nature, et tiennent peut-être à ce que notre petite planette, se trouvant dans un système où des globes errants traversent son orbite, doit éprouver avec le temps, et à l’approche de ces grands corps, des dérangements de plus d’un genre, suivis d’une grande perturbation dans le système des mers ”38. Faujas faisait d’ailleurs alterner les périodes de bouleversements de catastrophes qu’il empruntait à Pallas avec des périodes de “ calmes et de reproductions ” qu’il empruntait à Lamarck, là où : “ […] tout caractérise des alluvions calmes et lentes, qui semblent annoncer que dans certaines circonstances les eaux de tous les océans connus, se dirigent dans un même sens, mettent à découvert et livrent à la végétation de nouvelles contrées, et en inondent d’autres dans des points opposés ”39. Il demande alors à la détermination des espèces fossiles, des indications sur les bouleversements qui ont amené les animaux sur les lieux où l’on découvre leurs restes : si les éléphants et les rhinocéros qu’on trouve ensevelis en Sibérie et en Tartarie étaient d’espèces bien caractérisées, de manière à dire que “ leurs analogues vivent et existent à présent dans telle ou telle partie du monde40 ”, ne serait-on pas sur la voie de pouvoir tracer : “ […] la route qu’ont dû suivre les flots accélérés qui ont arraché les animaux de leur terre natale, pour les transporter à d’immenses distances, et sous des latitudes entièrement opposées à celles sous lesquelles ils avaient autrefois vécu ? ”41. De là, les efforts de l’auteur pour retrouver, à la suite de Pallas, les éléphants, les rhinocéros et les bœufs ensevelis dans le sol de la Sibérie, ainsi que les bœufs des tourbières de la Somme, parmi les espèces vivant actuellement dans l’Asie méridionale.

37. 38. 39. 40. 41.

B. B. B. B. B.

Faujas Faujas Faujas Faujas Faujas

de de de de de

Saint-Fons, Saint-Fons, Saint-Fons, Saint-Fons, Saint-Fons,

Ibid., Ibid., Ibid., Ibid., Ibid.,

20. 21. 3. 220. 220.

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Le crâne d’Hangest avait eu les honneurs d’une reproduction (planche XVII) et du chapitre XI D’un animal inconnu de la famille des bœufs, ainsi que dans un mémoire des Annales du Muséum, an XI, 1803, t. II, pp. 188-200, Sur deux espèces de bœufs dont on trouve les crânes fossiles en Allemagne, en Angleterre, dans le nord de l’Amérique et dans d’autres contrées, où l’on apprend que le crâne à front bombé a été trouvé sur les bords du Rhin du côté de Bonn. Il s’agissait des deux types de crânes qui avaient été attribués par Cuvier au bœuf commun et à l’urus de Lithuanie. Faujas rappelle que Sigismond de Herberstein avait indiqué, à côté de l’urus, un bœuf sauvage sans bosse appelé “ thour ” dans la région. Il suggère que S. de Herberstein pourrait bien avoir raison “ si les cornes fossiles qu’on croit être de l’urus lui appartiennent en effet, puisqu’on trouve deux têtes bien distinctes [d’urus] dans l’état fossile ”42. Mais dans la suite de ce chapitre et dans les Annales, il ne parle plus des deux types de bœufs cités par S. de Herberstein, et il prend le contrepied des suggestions de Cuvier. C’est que Pallas avait signalé des cornes qui provenaient de Bereso sur l’Ob, et qu’il avait pensé qu’on pouvait les attribuer à un bison hypothétique des Indes qui aurait été amené par la même inondation que le mammouth et le rhinocéros. De là l’odyssée que Faujas attribue au bœuf des tourbières d’Hangest que nos Abbevillois faisaient vivre et mourir sur les bords de la Somme. Cet animal représente l’espèce à front plat qui “ se trouve en général plus fréquemment ” que l’espèce à front bombé. “ M. de Rennepont, M. Traullé d’Abbeville, et quelques autres naturalistes, en ont envoyé au Muséum […]. On vient, depuis quelques mois, de découvrir l’os d’une corne séparée du crâne, dans la commune de Bruire, près de Péronne, […] dans le vallon où coule la Caniselle. M. Pimepré en a fait présent au Muséum. Elle n’est pas d’un gros volume, mais elle appartient certainement à cette espèce ”43. Faujas attribue encore à la même espèce les fragments de crâne signalés par Traullé dans la baie de Somme44. Tout cela s’ajoutait au crâne d’Hangest pour donner aux envois de la Somme la plus forte participation au conflit qui opposait Cuvier et Faujas. Si leurs trouvailles alimentaient les querelles académiques, nos amis d’Abbeville ne recevaient pas toujours de Paris des idées claires. Mais les hypothèses qui nous paraissent étranges aujourd’hui étaient alors loin de produire la même impression, surtout près de notre Procureur impérial qui rêvait de refaire sur les bords de la Somme les découvertes de Pallas sur les bords de l’Indighirka. Faujas apportait un manuel relativement accessible, popularisant

42. B. Faujas de Saint-Fons, Ibid., 333 43. B. Faujas de Saint-Fons, “ Sur deux espèces de bœufs dont on trouve les crânes fossiles en Allemagne, en Angleterre, dans le nord de l’Amérique et dans d’autres contrées ”, Ann. Mus. Hist. nat., t. II (an XI-1803), 194. 44. B. Faujas de Saint-Fons, Essai de Géologie, I, 346 ; Mag. Encycl., 1ère année, I, 182.

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les idées de Pallas et bénéficiant de l’autorité de ce grand découvreur. Nos Abbevillois garderont l’urus de Jules César, mais hors de là, et presque tous, ils resteront fidèles à Pallas et à Faujas, à Traullé tant qu’il vivra et ses amis après lui. Pourtant l’intervention de Faujas dans l’étude des êtres fossiles n’est guère plus qu’un épisode dans une histoire. Prenons les Annales du Muséum. Faujas paraît d’abord tenir très convenablement son rôle. Dans le tome 1er, 1802, un mémoire de Faujas sur un poisson fossile ; Cuvier, rien. Dans le tome II, 1803, un mémoire de Faujas sur une défense fossile, un mémoire sur une dent de requin et sur un écusson de tortue, un mémoire sur les bœufs, un mémoire sur des plantes trouvées dans des schistes ; Cuvier, rien. Dans le tome III, 1804, un mémoire de Faujas sur quelques fossiles de Vestena Nova ; six mémoires de Cuvier, un sur l’ostéologie du rhinocéros unicorne, un autre sur celle du tapir, un troisième sur celle du daman et trois mémoires sur les os des plâtrières de Paris. Dans le tome IV, 1804, Faujas, rien ; Cuvier, un nouveau mémoire sur les os des plâtrières, un mémoire sur l’ostéologie des hippopotames. Dans le tome V, 1805, Faujas, rien, etc. : Faujas est éclipsé comme personne ne le fut jamais. Une salve de mémoires et le règne de Cuvier commence. Sans doute, un règne où l’apparence dépasse la réalité. Le sujet est spectaculaire. Dans le public, on le suit ou on l’approuve. Les naturalistes aussi, en grande partie. D’autres suivent leur chemin, en toute indépendance et parfois avec hostilité. Dans les Annales du Muséum, si l’on voit, sur les Quadrupèdes, les mémoires de Cuvier, on voit aussi, sur les coquilles fossiles, les mémoires de Lamarck, avec une introduction où reparaissent sur un mouvement ample et grave, les thèmes actualistes qu’il a déjà exposés et auxquels il reviendra inlassablement, sans se laisser décourager ou émouvoir. À l’étranger, le fils de Petrus Camper essaya, sans insister, de soutenir et de continuer la mémoire de son père. Blumenbach donna en 1803, le Specimen archaeologiae telluris imprimis Hannoveranarum dont nous avons parlé au moment où l’auteur en fit l’exposé. Dans la suite, il “ ne publia qu’un second specimen moins important que le premier ; après quoi il cessa. Faujas ne pouvait ni ne devait lutter, et dès lors M. G. Cuvier se trouva seul dans cette carrière ”45.

45. H.M. Ducrotay de Blainville, Cuvier et Geoffroy-Saint-Hilaire, Biographies scientifiques, 394.

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1802. Traullé : “ la primitive histoire ”. 1803, membre correspondant de l’Institut

Fig. 27. Traullé membre associé de l’Institut (1803) A la séance publique de thermidor an X [juillet-août 1802], Traullé fit à la Société d’Émulation un exposé sur les Tombes et Tombelles de Noyelles et de Port que nous ne connaissons que par des citations, une Réfutation de Devérité, par une rédaction publiée vingt ans plus tard, avec beaucoup de remaniements et quelques citations du texte de l’an X. Lue dans une “ société littéraire ”, la publication de la Réfutation aurait elle-même été retardée par “ des considérations toutes fraternelles et toutes pacifiques ”. Quand elle parut, le 8 pluviôse an 11 [28 janvier 1803], Traullé venait d’être nommé correspondant de la Classe d’Histoire et de Littérature ancienne de l’Institut. “ Une provocation publique nous étant adressée par ce savant associé, dans certaines observations imprimées, qui viennent de se répandre, nous avons cru pouvoir nous abandonner à la passion qui nous tourmente, écrit-il, d’occuper le public de notre personne, et de faire parler de nous, depuis la mer glaciale, jusqu’à la terre de feu ”. Il s’agit des Observations publiées par Dubellay, Cordier et Traullé et datées du 25 frimaire an XII [17 décembre 1803]. D’après la Réfutation, Traullé admet comme Pelloutier, Plutarque et Procope, que la GrandeBretagne est l’Ile des Bienheureux des Anciens et il en tire toutes les conséquences possibles et impossibles :

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“ Les Francs, après les Gaulois, trouvèrent ce Dogme de l’Isle bienheureuse, près la Grande-Bretagne, fort accrédité, et conservèrent à tous les pêcheurs de nos plages l’exemption de tous les impôts, qu’ils réclamoient, comme chargés de ce triste passage ”. “ Nos côtes étaient donc le sombre rivage, c’étoient les sombres bords, que les noires falaises du Boulonnois, &c., et c’étoit le fleuve du Styx, que le bras de mer qui nous sépare de l’Angleterre ”. “ Il y a lieu de croire que les noms de Scale, ou Calais, Escale, Fran-cale, dont on a fait Franc-zèle, […] qui signifient port et passage, […] ne tirent que de là leur origine ”. “ Enfin, cette foule de monumens funéraires, ces vastes sépultures gazonnées, les Tombes de Port et de Noyelles, n’ont sans doute été élevées par les Celtes que pour se rendre favorables les Dieux des enfers, dont le royaume étoit si voisin et les hommes, dont ils enfermoient les dépouilles, n’étoient que les victimes que les prêtres du tems ont égorgées dans leurs abominables sacrifices ”46. Que le nautonier Caron assure le service de Calais à Douvres pour les Bienheureux, cela et le reste n’excèdent guère les fantaisies de ce temps-là sur les origines et c’est à peu près inoffensif à l’égard des recherches archéologiques de notre Abbevillois car, si le dogme de l’Isle Bienheureuse vient des Gaulois, les plus anciennes tombes peuvent être attribuées à ce peuple qui touche aux “ peuples les plus anciens de l’univers ”. Comme la publication qui eut lieu beaucoup plus tard, l’exposé de l’an X nous eût sans doute appris que “ quelque tems après ” les fouilles de Port, qui eurent lieu en 1791, Traullé avait fait faire des fouilles à Drucat, et que, à peu près en même temps, il s’était associé avec Hermant de Norville pour reprendre la tombe de Vron qui avait été signalée par de Caylus et qui donna à nos Abbevillois des objets en fer, tandis que celle de Drucat, comme celle de Port, leur parut antérieure à l’usage des métaux : “ Les cendres n’étoient ni dans des urnes ni dans des boites, probablement parce que ces sauvages n’en savoient pas encore faire ; mais placés [sic] sur des lits de silex plats et disposés en planches comme dans nos carrières, le tout couvert d’écorces d’arbre bien reconnaissables, et accompagnés [sic] de petits silex taillés en pointe de flêches […]. Tels [sic] étoient les prémices de l’art de nos indigènes ”. Ce n’était pas sans émotion que nos Abbevillois violaient ces tombes où se trouvaient les souvenirs des primitifs qui avaient occupé notre sol : “ Ce n’a jamais été qu’avec le respect que nous devons tous à la cendre des morts, que nous nous sommes permis de troubler, pour un instant, un repos 46. L.-A. Devérité, Réfutation de l’opinion de M. Traullé d’Abbeville sur les tombes et tombelles de Noyelles et de Port, Abbeville, impr. Devérité, 1803, 3-4.

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qu’un silence de près de trois mille ans sembloit promettre devoir être éternel ; que si nous avons osé nous permettre de pénétrer dans les derniers asiles de ces hommes infortunés, victimes d’un sort cruel et froidement égorgés sur les autels de leurs dieux ; que si nous avons interogé [sic] rapidement leur froide dépouille, nous ne l’avons fait que pour ajouter quelques pages à celles de la primitive histoire ”47. Traullé attendit la mort de son adversaire pour publier sa dissertation et encore s’associa-t-il avec Hermant de Norville. Les années écoulées valurent au mémoire d’importants changements et l’on n’y trouve plus grand chose de ce qui avait excité la verve de l’implacable Devérité. Il paraîtra quinze ans après, pour une génération nouvelle et qui saura s’en servir, pour ajouter aussi de nouvelles pages à la “ primitive histoire ”. En 1802, Traullé avait acquis une statuette de bronze trouvée dans la vallée de la Somme près de Coquerel et représentant un lutteur. L’année suivante, Morel de Campennelle acquit à son tour une statuette de même matière, représentant aussi un lutteur et trouvée sur le bord de la Somme, à Long, à une demi-lieue de Coquerel48. Les deux amateurs rapprochèrent les deux statuettes et s’aperçurent qu’elles faisaient partie du même groupe. Les bras d’un des lutteurs avaient été brisés et étaient restés attachés au corps de l’autre. Morel de Campennelle supposa qu’il s’agissait du combat d’Hercule et d’Antée. Il commença une notice dont l’achèvement eût exigé l’examen de la partie qui lui manquait. Il y eut alors des négociations qui paraissent avoir été aussi compliquées qu’une procédure : “ J’avais, écrit Morel, vainement essayé pendant plusieurs années d’obtenir de M. Traullé, qu’il me vendît ou me prêtât pour quelques jours, son bronze et le socle, lorsque j’appris, en 1808, qu’il venoit de vendre son cabinet et ces objets qui en faisaient partie à M. Ch. Beaucousin d’Amiens ” 49. Nouvelles tractations aussi laborieuses que les précédentes : “ Enfin, après plus de deux ans de négociations infructueuses, je parvins à échanger des médailles d’or et de bronze contre la portion de groupe qui me manquait. Cette nouvelle acquisition si long-temps désirée et si chèrement terminée, m’a donné les moyens de rectifier et de compléter mon travail ”50. Ces lignes nous montrent que Traullé n’était pas tellement attaché à son cabinet, qu’à l’occasion, il se refusa d’en faire une affaire, et qu’en outre il était dur en affaires, ni plus ni moins que l’Amiénois Beaucousin.

47. L.-A. Devérité, Ibid. 48. “ An douze […] M. de Campenelle, Notice sur une petite statue de bronze trouvée à Long. ”, Société d’Émulation d’Abbeville, Règlement, Bulletins, Rapport I, partie manuscrite. 49. Morel de Campenelle, “ Notice sur un groupe statue de bronze composé de deux lutteurs qui ont été trouvés, l’un à Coquerel (Somme) en 1802, l’autre à Long en 1803 ”, Mém. Soc. Émul. Abbeville, 2e série, 2 (1834 et 1835), 74. 50. Morel de Campenelle, Ibid., 74.

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1804. Chevaux, cerfs et castors de la vallée de la Somme. Revenons à Paris pour nous occuper d’événements qui sont parmi les plus importants dans l’histoire de la paléontologie de nos grands mammifères. C’est en 1804 que commence la série des mémoires de Cuvier sur l’ostéologie comparée des quadrupèdes fossiles. Il s’y était préparé par ses cours au Muséum, au Collège de France et à l’Ecole centrale du Panthéon, par son Tableau élémentaire de l’Histoire naturelle des Animaux (an VI), par ses Leçons d’Anatomie comparée (an VIII). Il dispose maintenant des Annales du Muséum d’Histoire naturelle. Ce ne sont plus des notes brèves, parfois hésitantes, parfois écrites en style d’annonce. Il s’exprime maintenant dans de larges mémoires, copieusement illustrés et susceptibles de devenir classiques aussitôt après leur publication. Le premier est consacré à la Description ostéologique du rhinocéros unicorne (Ann., Mus. Hist. nat., an XIII-1804, t. III, pp. 32-52 et Rech. Oss. foss., 1812, t. II, p. 21). Incidemment, il y est question des dents de rhinocéros fossiles, à propos des aspects successifs que l’usure donne aux dents de ces animaux et sur lesquels Merck et Faujas avaient fait des espèces différentes de ce qui correspondait à des âges différents du même animal. Vient ensuite, pour ne citer que ce qui se rapporte à notre histoire, un mémoire Sur l’Hippopotame et son ostéologie (Ann. Mus. Hist. nat., an XII1804, t. IV, pp. 299-328 et Rech. Oss. foss., t. II, 30 p.) où le squelette est restitué avec le crâne d’un individu adulte et, pour le reste, avec le squelette d’un fœtus, en rétablissant, ou plutôt en essayant de rétablir les proportions, ce qui est une des pires inspirations que Cuvier ait eues au cours de sa carrière. Peu après, parut son mémoire Sur les ossemens fossiles d’hippopotame, dont les conclusions semblaient atteindre celles qu’il avait formulées pour l’ensemble des ossements fossiles et suivant lesquelles ces os auraient dû être différents de ceux des espèces actuellement existantes (Ann. Mus. Hist. nat., an XIII-1804, p. 92-122 et Rech. Oss. foss., 1812, t. II, 24 p.). Il est vrai qu’il avait établi son mémoire avec très peu de pièces. “ Ce n’est que lorsqu’on en aura obtenu un certain nombre qu’on pourra prononcer si l’animal dont ils proviennent étoit entièrement semblable à celui d’aujourd’hui, ou s’il présentoit quelque différence spécifique, comme les circonstances remarquées au fragment de défense pourroient le faire croire ”51. Avant ce mémoire, il n’y avait guère que de Jussieu qui semble avoir déterminé correctement ces restes d’hippopotame (Mémoires de l’Académie royale des Sciences, 1724). Daubenton avait attribué à cet animal des dents provenant les unes de mastodontes, les autres réellement d’hippopotames, celles-ci étant probablement celles qui avaient été déterminées par de Jussieu (Histoire natu51. Cuvier, “ Sur les ossemens fossiles d’hippopotame ”, Ann. Mus. Hist. nat , t. 1804), 111 ; Rech. oss. foss., t. II (1812), 13.

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relle, XII, n° xcii et xciv). Faujas qui avait attribué toutes ces dents à l’éléphant d’Amérique, c’est-à-dire au mastodonte, dit par ailleurs qu’il n’avait rien vu dans les collections qui pût être rapporté à l’hippopotame. Après le mémoire de Cuvier, l’existence de l’hippopotame fossile cessa d’être contestée. Deux niveaux ossifères à Menchecourt Voici maintenant un peu de nouveau sur Menchecourt, dans une lettre de Traullé à Cuvier, timbrée du 29 germinal an 12 [19 avril 1804], contredisant en apparence des indications antérieures mais les complétant en réalité : “ On vient de trouver un ossement fossile dans les terres de nos environs, au pied de la côte Nord de la Somme à Abbeville. Il a appartenu à un quadrupède et probablement à un cheval. Il était placé dans un lit de terres qui couvrent immédiatement un sable de mer pur, ce sable et ces terres qui le couvrent ont en ce point rétréci la vallée. Ces sables garnissent le pied du roc ; ils ont été sûrement apportés en ce point par le vent qui en a fait de petites dunes, comme on le voit en former d’autres plus grandes sur les bords de la mer à Berk, Etaples, Boulogne, &c. Ces sables ainsi disposés ont été couverts par des terres jaunes descendues des plaines dans les inondations. Les ossemens se trouvent dans les terres et jamais dans les sables, qui sont arrivés, en petits nuages, comme nous voyons tous les jours sur les bords de la mer et ne s’y voit aussi que des fragmens de coquillages. Je n’ai encore trouvé dans ces terres que des chevaux et cerfs. Ce qui me porte à croire que ces terres sont descendues des forêts et qu’elles ont entraîné avec elles les dépouilles d’animaux qui avoient péri sur leurs bords sous la dent des bêtes féroces ”. Il semble que ce sable de mer qui garnit le pied du roc nous amène dans la terrière la plus élevée, c’est-à-dire près de la rue des Argilières, comme dans la lettre timbrée du 10 fructidor an 9. Ici, l’auteur distingue très nettement le “ sable de mer ” pur [sable fluvio-marin] des terres jaunes [lœss et limon de débordement ?] qui les recouvrent. Il n’invoque plus les marées. Le sable inférieur est apporté par le vent et les terres jaunes par les inondations venues du haut des plaines. Les deux termes se trouvent ainsi distingués et par leurs caractères et par l’agent qui les aurait mis en place. Or, Traullé dit maintenant que “ les ossements se trouvent dans les terres et jamais dans les sables ”. Il paraît oublier ses observations relatives au Cervus somonensis et aux ossements qu’il avait envoyés en même temps à Cuvier et qui provenaient au contraire des “ sables de mer ”. Avec Traullé, on peut s’attendre à des inconséquences. Il rapporte des renseignements d’ouvriers. Les dernières indications peuvent lui faire oublier les premières. Il est possible que, localement et temporairement, la présence des ossements dans les terres et leur absence dans les sables correspondent à des observations réelles, sans qu’on soit tenu de renoncer aux observations antérieures.

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François Baillon distingue deux niveaux ossifères52, le plus important dans les sables, un autre qu’il place au-dessus et que Ravin met dans le sable marneux, (couche VII)53, c’est-à-dire dans le lœss plus ou moins sableux. Si la plus grande partie de la collection du Muséum répond aux caractères donnés aux ossements recueillis dans les sables, il y a cependant un certain nombre de pièces qui viennent visiblement du lœss et qui montrent encore leur gangue. D’autre part, dans la collection qui était au Musée Boucher-de-Perthes, le nombre des pièces qu’on pouvait attribuer au lœss, d’après leur gangue ou leurs caractères physiques, était relativement considérable. Le plus grand nombre des pièces avait été réuni par O. Dimpre vers 1870-1880. Il y avait aussi une demi-mandibule de Rhinoceros tichorhinus conservée dans son lœss et trouvée par d’Ault du Mesnil peu de temps après. Les terrières exploitées à ce moment-là se trouvaient dans le centre-est du faubourg, pas très loin des anciennes exploitations de la rue des Argilières. Il est fort possible que le niveau ossifère supérieur se montrât, dans cette région, particulièrement riche. Traullé nous dit qu’il n’a jamais trouvé, dans ces terres, que des chevaux et des cerfs, ce qui prouve, semble-t-il, que dans sa pensée, les autres animaux venaient d’ailleurs, c’est-à-dire des sables. En somme, cette lettre nous apporte des renseignements sur le niveau ossifère supérieur alors que, dans ses premières lettres, il s’agissait du niveau inférieur. Une autre lettre nous fait connaître une découverte intéressante sur la faune des tourbières et nous apprend en même temps que Traullé montait dans la hiérarchie impériale : “ Abbeville le 6 frimaire an XIII [27 novembre 1804] ”. “ Le Procureur impérial pour le tribunal de première instance d’Abbeville, Correspondant de l’Institut ”. “ à Monsieur Cuvier Membre de l’Institut ”. “ Monsieur, J’ai l’honneur de vous adresser une tête d’un amphibie que je crois être un castor ou un individu de son genre qui a été trouvé entier en squelette dans les tourbes de la Somme à 20 pieds de profondeur, les ouvriers ont détruit le squelette, et n’ont conservé que la tête, qui a eu le bonheur d’échapper parce qu’un de mes correspondans se trouvoit présent. J’ose vous prier de me le renvoyer quand vous l’aurez suffisamment examiné et de le montrer à la première classe si vous trouvez que ce morceau en soit digne. Il y a longtemps que je soupçonnois l’existence du castor dans notre vallée et que j’avois les indices qui établissoient qu’ils avoient baraqué chez nous ”54. 52. Lettre de Fr. Baillon citée à la fin de F.-P. Ravin, “ Mémoire géologique sur le bassin d’Amiens ”, Mém. Soc. roy. Émul. Abbeville, 2e sér, t. II (1834 et 1835), 197-198. 53. Cf. Ant. celt. antédiluv., t. I, ch. XII, coupe de Ravin, 234. 54. Bibliothèque de l’Institut, J 227.15

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Cuvier ne se pressait guère et Traullé était obligé de chercher des biais pour avoir une réponse. Après avoir attendu plus de deux mois, il s’adresse à Mongez et nous apprend en même temps qu’il était au mieux avec un questeur du Corps législatif : “ J’ai envoyé à M. Cuvier la tête d’un quadrupède trouvé dans nos tourbières à 20 pieds de profondeur. Je l’ai prise pour celle d’un Castor. M. Delattre membre et questeur du Corps législatif s’est chargé de le lui remettre. Il y a plus de deux mois qu’il doit l’avoir reçue. Je prends la liberté de vous prier de demander à M. Cuvier quel est le nom de cette espèce, si j’ai bien rencontré ou si je me suis trompé ”. Traullé ne s’était pas trompé. Cuvier avait alors à sa disposition une incisive et une tête de castor. Mais Traullé était très ennuyé avec Devérité : “ Je prends […] la confiance de vous demander (et j’ose attendre ce service de votre amitié), si un particulier de notre ville (qui a imprimé contre moi près de 20 Mémoires […], qui a publié par humeur deux diatribes qui me regardent, l’une au sujet d’une notte [sic] de moi sur les médailles du Tronchoy, l’autre au sujet d’une notte que j’ai inséré [sic] il y a dix ans dans un magazin encyclopédique et qui fait partie d’un mémoire sur la vallée de la Somme), si ce particulier n’auroit pas envoyé ces mémoires à l’Institut. Il vient de les envoyer à la Société d’Emulation d’Amiens. Il se nomme Devérité. Il s’est trouvé engagé dans l’affaire de banqueroute frauduleuse qui m’a valu le procès que j’ai gagné. Il me persécutera tant qu’il aura un souffle de vie. Ce sera me rendre un service intéressant que de me mettre au courant de ce qu’il pourra faire. Je m’attends bien que s’il ne l’a pas encore envoyé, il ne manquera pas de la faire. Je n’ai pas répondu à ses provocations et ne le ferai pas sans y être contraint par des raisons majeures. Je sçai [sic] qu’il cherche à m’attirer dans la lice pour pouvoir dire au Tribunal de Cassation que s’il a été mis en mandat d’arrêt ça était parce que nous avions eu ensemble des querelles littéraires et jamais je n’en ai eu l’envie. Jamais il n’a été rien imprimé de ma part en fait de littérature. Tel est l’homme qui m’attaque ”. “ Daignez agréer l’expression de mes sentimens éternels d’attachement et de reconnaissance ”. 1806. Une molaire d’éléphant à Menchecourt Voici maintenant une très grande trouvaille. Traullé pensait bien, savait bien qu’il y avait des éléphants à Menchecourt. Cette fois, il ne restait aucun doute. En octobre 1806, il écrivait à Mongez : “ Monsieur et Cher Confrère ”, “ Une dent d’éléphant portant le caractère de celles de l’éléphant d’Asie vient d’être trouvée dans un des faubourgs à 30 pas de la fortification dans des

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terres descendues des reins d’une antique forêt qui, dans les siècles passés, arrivait jusqu’à la rivière de Somme, jusqu’à Abbeville et qui s’en trouve aujourd’hui reculée de deux lieues à la suite de divers essartements dont les derniers datent du 10°, 11° et 12° siècles. Elle a été trouvée le 6 du mois. Près de cette dent se trouvaient des ossements frustes fort gros, entre autres un qui paraît un fragment de la côte d’un grand quadrupède plus des fragments de bois de cerf, plus des os de chevaux, des dents de chevaux, d’autres de cerf, etc […]. Cette découverte mérite d’être connue de l’Institut. J’ai l’honneur de vous prier de la communiquer à la classe des sciences et à la classe d’histoire et de littérature anciennes et notamment à M. Cuvier à qui je me propose d’en écrire […] ”. “ La dent pèse 11 L 1/2 ; il en manque une portion dans les racines, une autre sur le côté. Elle ressemble au n° 1 des trois dont M. Faujas a donné la gravure où le n° 1 était une molaire de l’éléphant d’Asie, le n° 2 était une molaire de l’éléphant d’Afrique et le n° 3 une molaire de mastodonte rapporté alors au genre Eléphant ”. “ Elle ressemble au N°155 des trois dont M. Faujas a donné la gravure ou le dessin, dans la planche 14 du Tome I de ses essais de géologie, sauf une différence dans les sillons. Cette différence, je ne l’établis que sur la gravure donnée par Faujas, si toutefois elle est exacte et si cette différence étoit réelle, l’éléphant d’Abbeville formeroit une quatrième espèce ”. “ Je sais que plus bas que le point où on a trouvé ma dent, on a rencontré il y a 25 à 30 ans, de très gros ossemens et probablement de l’yvoire fossile, si les détails que j’ai recueillis sont vrais ”. “ On y a vu, également des mâchoires d’animaux carnassiers qui doivent appartenir au lion ou au tigre, si la description qu’on m’a donnée est exacte : ces mâchoires auroient été celles des animaux carnassiers qui ont mis à mort les honnêtes herbivores, dont j’ai trouvé les dépouilles, le lion et le tigre suivent l’éléphant de près, et là où vit l’éléphant, là vit la gazelle et tout ce qui sert de pâture au lion. Je pourrois donc vous donner une tête de lion si je suis bien servi avant peu. Il en est un sur les pas duquel je suis à coup sûr mais il y a si longtemps qu’il a passé sur la lisière de notre forêt qu’il faudroit avoir le nez bien fin pour éventer sa trace ”. “ La rive de la Vallée de la Somme n’est qu’à 3 ou 400 pas de la fosse d’où l’on a extrait cette pièce. Le niveau de son gisement est ou peut être de 30 à 40 pieds au-dessus de celui des marais, plus ou moins. La terre est jaunâtre et ne contient aucun fragment de corps marin. Elle [n’]est venue là que par suite du déplacement que les dégels, les pluies, les inondations ont fait éprouver aux masses des plaines et à celles des côtes de la vallée de proche en proche. Cette terre sert à faire des briques […] ”. 55. Molaire d’éléphant d’Asie. L. A.

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“ Maintenant parlons d’autres objets et confidentiellement. L’Institut seroitil disposé à faire l’acquisition d’un manuscrit original du 15e siècle, dictionnaire latin et françois, composé de 1420 à 1440, avec datte [sic] sur vélin enrichi d’une grammaire du tems. Il est à moi. Je veux m’en défaire, mais au profit d’un établissement public. Il est à Paris chez M. Bridoux, au guet du palais du tribunal, boutique de moyenne bijouterie contre le café des mille colonnes, où je l’ai fait déposer pour la commodité de quelques amateurs. Je vous serois obligé de ménager cette vente et, si nos collègues veulent en traiter pour la bibliothèque, de me faire l’amitié de m’écrire […] ”. Nous savons déjà que Traullé avait du goût pour le troc et le commerce et l’on pouvait y associer Mongez, plus accessible que Monsieur Cuvier. Venons-en à la partie de la lettre qui n’était pas confidentielle et dont le contenu devait être utilisé pour une séance des deux Académies. Car, en 1806, la découverte d’une molaire d’éléphant était un événement assez considérable pour justifier sa présentation à la Classe des Sciences et à la Classe d’Histoire et de Littérature anciennes. Traullé avait consulté son Faujas. Les trois molaires figurées dans l’Essai de Géologie étaient celles de l’éléphant d’Asie, de l’éléphant d’Afrique et de l’animal de l’Ohio considéré comme une “ espèce particulière d’éléphant ”. Traullé ne pouvait guère ignorer que Cuvier avait fait de l’“ éléphant fossile ” une espèce distincte et il ne fait que reproduire l’opinion de son correspondant. Il apporte des précisions sur le gisement et sur la topographie. Nous sommes toujours dans la terrière de la rue des Argilières, à 30 pas de la fortification, c’est-à-dire de la corne Marcadet, dans une terre jaunâtre qui sert à faire des briques, c’est-à-dire dans un lœss, et d’après les indications données à Cuvier, à quinze pieds de profondeur56. Il se confirme d’ailleurs qu’on aurait trouvé de l’éléphant plus bas, c’est-à-dire du côté du Chemin Rouge, puisqu’on y aurait recueilli de l’ivoire avec de très gros ossements et là, on était dans des sables blancs comme ceux de la mer. Les deux niveaux fossilifères se suivent toujours et se précisent. En même temps, la faune se complète. Quelqu’un a donné à Traullé la description d’une mâchoire de lion ou de tigre. C’était quelqu’un qui connaissait l’ostéologie. Ce ne peut être que François Baillon. Effectivement, celui-ci remit à Cuvier une canine qui provenait d’un grand Felis et qui est mentionnée dans la deuxième édition des Recherches sur les Ossemens fossiles57. Mais tout cela ne remontait pas très loin dans le passé. Depuis le temps des éléphants, le monde n’avait guère changé. La forêt de Crécy existait comme aujourd’hui. Elle a seulement reculé devant les essartements. Ici, Traullé aban-

56. G. Cuvier, Rech. Oss. foss., t. I (1812), Additions, 8. 57. G. Cuvier, Ibid., t. I (1823), 456.

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donnait Faujas à l’immensité des siècles. Le procureur impérial parlait comme ceux qui faisaient commencer les temps historiques avec le commencement du monde et le temps des éléphants regardait la Classe de Littérature et d’Histoire anciennes aussi bien que la Classe des Sciences. Le Concordat avait remis le déluge à la mode. L’immense succession des temps était réservée aux attardés du dernier siècle songeant à l’avenir devant un présent qui n’était pas fait pour eux. 1806. Cuvier : les espèces fossiles d’éléphants et de rhinocéros ne sont pas des variétés des espèces actuelles C’est à ce moment-là que paraissent les grands mémoires de Cuvier sur nos deux principaux animaux des temps préhistoriques, le rhinocéros et l’éléphant, que le XVIIIe siècle avait révélés d’une manière sensationnelle. Dans le tome VII des Annales du Muséum, 1806, pp. 19-52, se trouve son mémoire Sur les ossemens fossiles de Rhinocéros. La plus grande partie de la documentation se rapporte au rhinocéros de Sibérie que Faujas avait essayé de ramener à l’une des espèces actuellement existantes. Cuvier démontre surabondamment que ce rhinocéros fossile diffère plus des rhinocéros vivants que ceux-ci ne diffèrent entre eux. Il conclut, contre Faujas, que “ cette grande espèce de quadrupède inconnue [qui] se trouve ensevelie dans une infinité d’endroits de l’Europe et de l’Asie […] n’y a pas été apportée de très loin ”58 et, contre Lamarck, que “ ce n’est pas par des changements lents et insensibles mais par une révolution subite, qu’elle a cessé d’y vivre59 ”. D’autre part, Pallas avait signalé que le pelage de l’animal pouvait indiquer un climat plus tempéré que celui sous lequel vivent les rhinocéros ordinaires, “ mais, comme ce n’était pas une simple variété, mais une espèce à part, cette conclusion [selon Cuvier] ne reposait plus sur rien de positif ”60. Cuvier défendait la fixité de l’ordre établi, dans les espèces et dans les climats. Il développera considérablement ces conclusions à la suite de ses mémoires Sur les Eléphans vivans et fossiles (Ann. Mus. Hist. nat., 1806, t. 8, pp. 1-58, 93-155, 249-269) et dans un Résumé général de l’histoire des ossemens fossiles de Pachydermes des terrains meubles et d’alluvion, pp. 420-424. On les suit beaucoup mieux si l’on tient compte des opinions auxquelles Cuvier les opposait : “ […] tous ceux de ces os qu’il a été possible d’examiner et de comparer à ceux de l’éléphant vivant de l’Inde ont offert des différences sensibles et plus grandes, par exemple, que celles des os du cheval et de l’âne. Nous en avons 58. G. Cuvier, “ Sur les ossemens fossiles de Rhinocéros ”, Ann. Mus. Hist. nat , t. VIII (1806), 50 ; Rech. Oss. foss., t. IV (1812), 32. 59. G. Cuvier, Ibid.. 60. G. Cuvier, Ibid., Ann. Mus. Hist. nat., 52 ; Rech. Oss. foss., t. IV (1812), 33.

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conclu que ces deux éléphans ne sont pas entièrement de la même espèce ”. “ Cette conclusion, qui pourroit ne pas paroître complètement démontrée, si elle ne concernoit que ce seul animal fossile, attendu que les différences remarquées ne sont pas en effet d’une très-grande importance, prend de la force lorsque l’on voit que les espèces dont les os accompagnent ordinairement les siens, telles que les rhinocéros et les tapirs diffèrent encore plus que lui de leurs congénères vivants, et que même quelques-unes, telles que les divers mastodontes, n’ont aujourd’hui aucun congénère existant connu […] ”. “ […] les os fossiles d’éléphans se trouvent pour l’ordinaire dans les couches meubles et superficielles de la terre, et le plus souvent dans les terrains d’alluvion qui remplissent le fond des vallées ou qui bordent le lit des rivières ”. “ Ils n’y sont presque jamais seuls, mais pêle-mêle avec les os d’autres quadrupèdes de genres connus, comme rhinocéros, bœufs, antilopes, chevaux ; et souvent avec des débris d’animaux marins […] ”. “ Les couches qui [les] recouvrent ne sont donc pas d’une très-grande épaisseur ; presque jamais elles ne sont d’une nature pierreuse. Ils sont rarement pétrifiés […]. Tout paroît annoncer que la cause qui les a enfouis est l’une des plus récentes qui aient contribué à changer la surface du globe ”. “ C’est néanmoins une cause physique et générale […]. Les couches qui les contiennent et celles qui sont au-dessus montrent que cette cause étoit aqueuse, ou que ce sont les eaux qui les ont recouverts, et que dans beaucoup d’endroits ces eaux étoient à peu près les mêmes que celles de la mer d’aujourd’hui […] ”. “ Les os d’éléphant étoient […] déjà dans les lieux où on les trouve, lorsque le liquide est venu le recouvrir. Ils y étoient épars comme peuvent l’être dans notre pays les os […] des animaux qui l’habitent ”. “ Tout rend donc extrêmement probable que les éléphans […] vivoient dans les pays où l’on trouve aujourd’hui leurs ossemens ”. “ Ils n’ont donc pu y disparoître que par une révolution qui a fait périr tous les individus existans alors, ou par un changement de climat qui les a empêchés de s’y propager. Mais quelle qu’ait été cette cause, elle a dû être subite […] ”. “ Si […] le froid n’étoit arrivé dans les plaines de la Sibérie que par degrés et avec lenteur, ces ossemens, et à plus forte raison les parties molles dont ils sont encore quelquefois enveloppés, […] auroient eu le temps de se décomposer […] ”. “ Ainsi toutes les hypothèses d’un refroidissement graduel de la terre ou d’une variation lente, soit dans l’inclinaison soit dans la position de l’axe du globe, tombent d’elles-même ”61.

61. G. Cuvier, “ Sur les Eléphans vivans et fossiles ”, Ann. Mus. Hist. nat., t. 268 ; Rech. Oss. foss., t. II (1812), 136-138.

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“ […] Il n’y a pas […] de preuve rigoureuse que la température des climats du Nord ait changé depuis cette époque. Les espèces fossiles ne diffèrent pas moins des espèces vivantes que certains animaux du Nord ne diffèrent de leurs congénères du Midi […]. Elles ont donc pu appartenir à des climats beaucoup plus froids ”62. 1808. Cuvier : y-a-t-il des espèces disparues dans les terrains meubles ? Les Annales du Muséum nous apportent avec l’année 1808, au tome XII, un mémoire de Cuvier Sur les os fossiles de Ruminans trouvés dans les terreins meubles, pp. 333-398 et Rech. Oss. foss., 1812, t. IV, 66 p. C’est celui où l’apport des chercheurs d’Abbeville est le plus considérable. C’est aussi un de ceux qui s’accordent le moins avec les conceptions habituelles de l’auteur. “ […] parmi les ruminans, écrit-il, presque toutes les espèces que nous trouvons fossiles, soit dans les terrains meubles, soit dans les fentes de rochers remplis de stalactites, ne paroissent différer en rien d’essentiel de celles de notre pays et de notre temps ”63. L’élan d’Irlande, “ qui paroît véritablement perdu, fait bien exception à cette règle ”, peut-être aussi quelques espèces de cerf, mais Cuvier avoue qu’il lui “ a été impossible de ne pas reconnoître des crânes d’aurochs, de bœufs et de certains buffles, pour ce qu’ils sont véritablement ”64, qu’ils proviennent des alluvions les plus récentes et des tourbières ou bien des terrains où ils se trouvent mêlés à des os d’éléphants et de rhinocéros. L’auteur se demande alors si ces os appartiennent à des races qui ont échappé à la catastrophe, ou si les terrains où ils se trouvent mêlés à des os d’éléphant ou de rhinocéros ont été remués postérieurement à la destruction des races perdues, ou si les espèces considérées se distinguaient de celles d’aujourd’hui par des caractères extérieurs, ou si l’on n’a recueilli que des parties non caractéristiques pour les espèces mêlées aux éléphants et aux rhinocéros et les parties caractéristiques semblables à celles des races vivantes dans les terrains modernes. En somme, l’examen des Ruminants fossiles est une épreuve d’où les conceptions cuviéristes sortent fortement ébranlées pour ne pas dire davantage. Il s’étend longuement sur le daim de Menchecourt qu’en 1801, Cuvier considérait comme la 24e espèce d’animaux perdus qu’il avait pu se procurer : “ L’analogie de ce bois avec celui du daim se manifeste par les deux andouillers coniques, qui ont la même direction, et par l’empaumure de la sommité ; mais il s’y montre aussi quelques différences ” : 62. G. Cuvier, “ Résumé général de l’histoire des ossemens fossiles de Pachydermes des terrains meubles et d’alluvion ”, Ann. Mus. Hist. Nat., t. VIII (1806), 424. 63. G. Cuvier, “ Sur les Os fossiles de ruminans trouvés dans les terreins meubles ”, Ann. Mus. Hist. nat., t. XII (1808), 334 ; Rech. Oss. Foss., t. IV (1812), 2. 64. G. Cuvier, Ibid.

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“ 1°. Dans la grandeur, qui surpasse de plus d’un tiers celle du bois de daim ordinaire […] ” ; “ 2°. Par l’aplatissement que prend le merrain dès le milieu de l’intervalle des deux andouillers, partie qui reste ordinairement ronde dans les plus vieux daims. J’en ai cependant vu un où l’on commençoit de voir une apparence d’aplatissement ” ; “ 3°. Par la régularité des andouillers de l’empaumure qui est plus marquée que dans le daim ” ; “ 4°. Par la connexion immédiate de la meule au frontal, sans aucune proéminence ou pédicule intermédiaire qui la porte, comme il y en a dans le daim ”. “ Mais cette proéminence diminuant en général avec l’âge, tant dans le daim que dans le cerf, il seroit possible qu’elle se réduisît à rien dans les très-vieux individus […] ”. “ […] comme les bois de daim que j’ai rassemblés en assez grand nombre pour les comparer à celui-ci n’ont offert entre eux des différences, qui, pour n’être pas les mêmes que celles que je viens d’indiquer, n’en doivent pas moins être considérées comme aussi fortes, je ne crois pas qu’on puisse établir une nouvelle espèce sur ce que je viens de rapporter : la grandeur seule pourroit m’y engager ; mais les restes fossiles d’aurochs et de bœufs, que je ne sépare point non plus des espèces vivantes, nous montrent la même supériorité de taille ”65. On voit que, depuis 1801, Cuvier avait à peu près renoncé à faire du daim de Menchecourt une espèce distincte. Toutefois Desmarest n’a pas suivi ses réserves et il a donné à cet animal le nom de Cervus (Dama) somonensis. Sous ce nom, il figure dans la liste des mammifères que François Baillon a communiquée à Ravin66. Influencé par Falconer et Lartet, Prestwich ne l’a pas conservé. Aujourd’hui on considère habituellement cet animal comme une espèce distincte. Un bois de chevreuil des tourbières de la Somme, singulier par la présence d’un andouiller basilaire est, au moins pour Cuvier, une occasion de se rappeler qu’il le doit “ comme tant d’autres fossiles du même canton, à l’attention de M. Traullé pour tout ce qui peut être utile aux sciences et à l’archéologie67 ”. Quant aux bois semblables à ceux du cerf ordinaire, “ rien n’est plus abondant, les alluvions récentes en ont toutes fourni ” :

65. G. Cuvier, Ibid., Ann. Mus. Hist. nat., 359-360 ; Rech. Oss. foss., t. IV (1812), 27-28. 66. Cf. F. Ravin, “ Mémoire géologique sur le bassin d’Amiens et en particulier sur les cantons littoraux de la Somme ”, Mém. Soc. roy. Émul. Abbeville, (1834 et 1835), 199-200. 67. G. Cuvier, Ibid., Ann. Mus. Hist. nat., 370 ; Rech. Oss. foss., t. IV (1812), 38.

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“ En France, la vallée de la Somme en est surtout plus riche qu’aucune autre ; les bois de cerf s’y trouvent par centaines, dans les premiers pieds de profondeur, soit de la tourbe, soit du sable. M. Traullé en parle dans le Magasin encyclopédique, 2e année, t. I, p. 183 et t. V, p. 35. Ce savant zélé en a adressé au Muséum des échantillons fort bien conservés, accompagnés de quelques os des membres, très-reconnoissables ; et l’établissement en doit aussi quelques-uns aux soins de M. Baillon, son correspondant à Abbeville, qui lui a procuré tant d’autres objets intéressans ”68. Cuvier déclare que l’identité de ces bois avec ceux de nos cerfs communs est frappante. Cela n’empêchait pas toujours nos Abbevillois d’y voir des espèces perdues et parfois même des élans, des rennes, ou le grand cerf d’Irlande. On se rappelait surtout les plus belles ramures, comme on n’en voyait pas dans les forêts du pays et que leur taille autorisait à considérer comme des êtres différents. Le nombre de ces animaux et l’abondance relative des grands spécimens évoquaient un autre monde, un autre milieu, une autre nature. L’amourpropre local voulait y trouver son compte dans ce passé inespéré où, dans la pensée de nos chercheurs, gracieux ou majestueux, les innombrables cerfs animaient notre paysage antique. Ils étaient moins impressionnants toutefois que les grands bœufs qui sont mentionnés dans nos premiers livres d’histoire et qu’on ne retrouve plus dans les forêts de notre pays. Cuvier consacre un article à chacun des deux types dont nous avons déjà plusieurs fois parlé. Le langage de Cuvier est parfois dépourvu d’aménité à l’égard de ses confrères. Ici, il touche à la violence : “ L’écrivain qui veut approfondir un sujet quelconque, ne se voit que trop souvent exposé au malheur d’être obligé d’examiner et de remettre en ordre tout ce qui a été confondu et embrouillé par ses prédécesseurs ; et j’éprouve plus que personne cet inconvénient, parce que les faits relatifs aux os fossiles ayant presque toujours été transmis par des minéralogistes qui n’avoient pas des connoissances suffisantes en anatomie, il s’y est glissé plus de méprises que dans aucune autre matière ”. “ Ainsi dans ce chapitre, pour expliquer les os fossiles de bœufs qui devroient être si faciles à reconnoître, je me vois obligé de reprendre une foule de questions relatives aux bœufs vivans et à leurs caractères, que j’aurois pu supposer connus, si je ne voyois qu’ils n’ont pas toujours été saisis, même par des savants très-célèbres ”. “ Par exemple, mon illustre confrère, M. Faujas, qui semble s’être proposé de n’admettre parmi les fossiles, aucun animal inconnu, qui m’a combattu sur les plus évidentes de mes propositions en ce genre, puisqu’il n’a voulu regarder ni l’éléphant à longs alvéoles, ni le rhinocéros à museau prolongé, ni le 68. G. Cuvier, Ibid., Ann. Mus. Hist. nat., 370-371 ; Rech. Oss. foss., t.

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crocodile de Honfleur, comme des espèces nouvelles, a fini par donner pour telles, deux crânes fossiles du genre des bœufs, […] affirmant à plusieurs reprises que ni l’un ni l’autre n’est un crâne d’aurochs, et disant que s’il reste quelque espoir d’en trouver les espèces vivantes, ce sera apparemment dans les parties intérieures si peu connues des Indes ”. “ Il n’étoit pas nécessaire d’aller si loin ; la vérité est que le premier de ces crânes est celui d’un aurochs, sans aucune différence qui puisse raisonnablement être regardée comme spécifique ; et (chose bien plus singulière encore), que le second appartient à l’espèce de notre bœuf domestique et en a tous les caractères. La grandeur de l’un et de l’autre comparée aux squelettes ordinaires de nos cabinets, et la direction des cornes ont seules fait illusion ; mais les naturalistes savent bien que ce ne sont pas là des caractères constans ni propres à distinguer les espèces ”69. Le second de ces crânes est celui d’Hangest. “ Ces sortes de crânes, ajoute Cuvier, ne sont pas rares dans les tourbières de la Somme. Le Muséum en possède deux qui viennent des environs d’Abbeville, et qui lui ont été envoyés par M. Traullé et par M. Emmanuel Baillon […]. C’est aussi un pareil crâne qui a été trouvé près de Picquigny, et annoncé comme celui d’un aurochs par M. Boucher70 ”. Mais nous savons que ce dernier crâne est précisément celui qui a été recueilli et envoyé au Muséum par Traullé. Il y a là un double emploi qui disparaîtra d’ailleurs dans la deuxième édition des Recherches sur les Ossemens fossiles : “ […] si l’on se rappelle maintenant que les anciens distinguaient en Gaule et en Germanie deux sortes de bœufs sauvages, l’urus et le bison, ne sera-t-on pas tenté de croire que l’une des deux étoit celle de cet article, qui, après avoir fourni nos bœufs domestiques, aura été extirpée dans son état sauvage ; tandis que l’autre, qui n’a pu être domptée, subsiste encore, en très-petit nombre, dans les seules forêts de Lithuanie ”71. Ainsi, Cuvier croirait maintenant volontiers que l’urus est la souche de nos bœufs domestiques et qu’il est représenté par le crâne d’Hangest tandis que l’aurochs de Lithuanie ne serait plus l’urus mais le bison des Anciens et qu’il serait représenté par le crâne de Bonn. C’est admettre que “ urus ” et “ aurochs ” sont des mots différents puisqu’ils désignent des animaux différents. En somme, Cuvier finit par adopter les points de vue de Gilibert qui faisait de l’animal des forêts de Lithuanie un bison et, de l’urus, un autre animal. Du même coup, il rendait aux bœufs de nos tourbières le titre et la dignité d’urus qui avaient été établis par Jules César et qui avaient été adoptés sans façon par nos Abbevillois et par beaucoup d’autres et sans aller plus loin que le texte des Commentaires. 69. G. Cuvier, Ibid., Ann. Mus. Hist. nat., 374-375 ; Rech. Oss. foss., t. IV (1812), 42-43. 70. G. Cuvier, Ibid., Ann. Mus. Hist. nat., 384-385 ; Rech. Oss. foss., t. IV (1812), 52-53. 71. G. Cuvier, Ibid., Ann. Mus. Hist. nat., 386 ; Rech. Oss. foss., t. IV (1812), 54.

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La question de l’urus n’était d’ailleurs pas encore réglée et celle des ruminants en général beaucoup moins. Cuvier range ceux dont il a examiné les débris en espèces inconnues comme l’élan d’Irlande, le grand buffle de Sibérie, et en espèces connues, le cerf et le chevreuil ordinaires, l’aurochs et le bœuf qui serait la souche de nos bœufs domestiques, celles-ci se trouvant toujours dans des terrains qui paraissent plus récents que ceux où se trouvent les autres. Cela est certain pour les cerfs, les chevreuils et les bœufs de la vallée de la Somme, qui sont dans des sables mobiles et superficiels, ou dans les tourbières, le grand daim de la Somme étant une espèce douteuse. Quant aux espèces inconnues, l’élan d’Irlande n’est pas dans la tourbe mais dans les lits de marne ou de craie située au-dessous et le buffle de Sibérie doit être de même âge et enveloppé dans les mêmes couches que les éléphants et les rhinocéros qu’il accompagne. Ce résultat qui paraît “ chancelant ” à Cuvier lui-même n’est présenté que comme “ une indication digne d’être examinée par les naturalistes qui en auront les occasions72 ”. Ce qui lui paraît avoir plus de certitude, c’est que les ruminants d’espèce fossile connue sont des animaux du climat où on les trouve tandis que les autres, “ si on voulait à toute force les rapporter à des analogues existans ”73, ne trouveraient leurs analogues que dans les pays chauds. Les uns auraient été ensevelis et le sont encore journellement dans la période où nous vivons, tandis que les autres auraient été victimes de la même révolution qui a détruit les autres fossiles des terrains meubles, tels que les mammouths, les mastodontes et tous les pachydermes dont les genres ne vivent plus aujourd’hui que dans la zone torride. Si l’éléphant d’Irlande peut être comparé à des animaux des pays froids, il ne s’en rapproche point assez pour que ce raisonnement soit infirmé, ce qui est loin d’être péremptoire. Cuvier sent et exprime la fragilité de la plupart de ces conclusions. Elles s’accréditeront moins à Abbeville que partout ailleurs quand le classique des classiques de l’histoire naturelle avait mis les bœufs de nos tourbières parmi les géants des anciens âges et qu’on rencontrait ces mêmes bœufs et les mêmes cerfs dans nos sablières avec des restes d’éléphants. 1809. Traullé : un bateau “ gaulois ” associé à des animaux “ perdus pour la France ” En juin 1808, Traullé lut devant l’Institut un Mémoire sur les levées ou croupes de la vallée de la Somme. Ce manuscrit est resté inédit mais il est passé à la postérité dans une lettre à Mongez qui a été publiée dans le Magasin encyclopédique, 1809, pp. 5-17. Il se rapportait à un sujet dont Traullé s’était déjà occupé en 1796. Mais il apportait une explication nouvelle que nous retrouverons jusque dans les Antiquités celtiques et antédiluviennes. 72. G. Cuvier, Ibid., Ann. Mus. Hist. nat., 397 ; Rech. Oss. foss., t. 73. G. Cuvier, Ibid., Ann. Mus. Hist. nat., 398 ; Rech. Oss. foss., t.

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(1812), 65. (1812), 66.

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“ En juin dernier, écrit-il […] j’établissois que ces monumens extraordinaires […] n’avoient point été élevés par la main des hommes et n’étoient autre chose que les anciens lits de la rivière ; que ces lits abandonnés depuis dix à douze siècles, après avoir été gravés en creux sur la surface de la vallée, s’y trouvoient aujourd’hui sculptés en relief ”74. Ce n’étaient plus les marées qui avaient édifié les croupes, c’était la rivière. Quoi qu’il en soit, peu de jours après la lecture de son mémoire, on trouva dans le tourbage de Jean Gavois, à Fontaine-sur-Somme, et dans l’une de ces levées, les débris d’un bateau que Traullé fit déterrer. L’auteur indique les dispositions de ces accidents de terrain conformes à sa nouvelle théorie et, en quelques lignes, qui sont parmi les plus importantes de notre histoire, les divers objets qu’on y recueille : “ Les levées se présentent partout comme des chemins bombés ; elles s’élèvent au-dessus du sol, depuis un décimètre jusqu’à deux ou trois mètres ; elles se comportent comme des canaux de rivière, louvoyent et serpentent, se divisent, se réunissent, forment des îles ; on les suit depuis Saint-Quentin jusqu’à Laviers, c’est-à-dire, depuis la source jusqu’à la baie ; le sable de rivière y alterne avec le tuf, ou le carbonate calcaire, tantôt en poussière et tantôt en bloc [sic] […]. Ce sable et ce tuf renferment tous les objets que peut charier [sic] une rivière, tels que des coquilles fluviatiles, des ossemens détachés et des squelettes entiers d’animaux, dont quelques-uns, les urus, grand cerf d’Irlande, castors, etc., sont aujourd’hui perdus et rares pour la France ; des squelettes d’hommes, des antiques gauloises et romaines, le plus grand nombre de ces dernières ; des sabres en bronze et en fer, des javelots, des casques, des colliers en or, des médailles romaines et gauloises, des vases en bronze et d’autres en terre, de petites statues, enfin des bateaux ”75. En 1796, il avait décrit séparément les monuments de l’histoire naturelle et les monuments de l’art qui se retrouvent dans le sol de notre vallée. Ici, il les réunit. Les objets de l’industrie humaine, comme les squelettes humains se trouvent associés à des restes d’animaux perdus, dont l’urus. Ainsi se complète et se précise l’archéo-géologie abbevilloise, en associant la géologie organique à la géologie physique et à l’archéologie, en observant que les débris des anciens hommes et les objets qu’ils ont utilisés se retrouvent dans les mêmes terrains que les débris des animaux dont certains sont aujourd’hui rares ou même perdus pour la France et avec lesquels ces hommes avaient vécu. Toutefois, si les observations de Traullé nous mettent parfois en présence de superpositions, on n’y voit pas de stratigraphie proprement dite tendant à caractériser chaque couche définie physiquement par un contenu 74. Lettre adressée à M. Mongez, membre de l’Institut, par M. Traullé procureur impérial à Abbeville, Correspondant de la 3e classe de l’Institut ; “ Sur les débris d’un bateau deterré dans les levées de la Somme près d’Abbeville ”, Mag. encycl., t. II (mars 1809), 5. 75. L. Traullé, Ibid., 7.

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archéologique et organique susceptible d’établir une succession et une chronologie valable pour des coupes analogues sur des points plus ou moins éloignés les uns des autres. Dans ces observations nous reconnaissons toutefois les niveaux supérieurs du fond de notre vallée, appartenant spécialement à l’époque gallo-romaine. Le bateau était à deux mètres au-dessous du sol des marais. Il était fait de planches fixées par des clous de fer. A 100 mètres du bateau, à un mètre plus bas, toujours sur le bord de la levée, on trouva deux à trois cents médailles de grand bronze, depuis Néron jusqu’à Septime-Sévère. Dans les terres et sables de rivière sur lesquels reposaient le bateau, on rencontra une quantité prodigieuse de vases antiques, la majeure partie en fragments, quelques-uns cependant assez bien conservés, en “ terre rouge de Bavay, couverts d’ornements relatifs à la chasse ”76, Diane sous la voûte d’un temple, caressant un chien. On y rencontre aussi beaucoup d’ossements de divers animaux, des coquilles fluviatiles sans nombre, quelques coquillages de mer, de ceux “ qui vivent en famille dans la baie de la Somme, entre autre [sic] le Cardium edule […] apportés par les marées qui, sous les Romains arrivoient jusqu’à la hauteur de Fontaine, et la dépassaient encore. Dans la fosse qui avait livré les médailles, on trouva cinq mâchoires inférieures de sanglier, réunies en tas […] comme une offrande faite à Diane pour obtenir une chasse heureuse ”77. Si son imagination l’entraîne sur son thème favori, il est assez bon observateur pour que nous puissions reconnaître, semble-t-il, que ses remarques se rapportaient aux couches gallo-romaines. 1809. Cuvier : chevaux, sangliers, castors et rongeurs de la vallée de la Somme L’année 1809 nous apporte un mémoire de Cuvier traitant Des os fossiles de Chevaux et de Sangliers. Pour ce qui est des chevaux, Cuvier cite, parmi ceux qui les ont reconnus, Aldrovandi, Bourguet et Romé de l’Isle, mais il rappelle que Faujas n’en a point parlé, “ quoiqu’il eût pu en tirer grand parti, pour soutenir son opinion favorite de l’identité des animaux fossiles avec ceux de nos jours ”78. Cuvier distingue ceux que l’on trouve dans les mêmes couches que les animaux inconnus et ceux qui se rencontrent dans les “ alluvions récentes ” : “ […] c’est dans les alluvions récentes qu’on en trouve le plus […] ”. “ La vallée de la Seine, celle de la Somme, et bien d’autres en fourmillent ”.

76. L. Traullé, Ibid., 15. 77. L. Traullé, Ibid., 15. 78. G. Cuvier, “ Des os fossiles de Chevaux et de Sangliers ”, Ann. Mus. Hist. nat., t. (1809), 34 ; Rech. Oss. foss., t. IV (1812), 2.

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“ Monsieur Traullé m’en a envoyé beaucoup des bords de la Somme […] ”. “ Ceux-là nous intéressent peu, puisqu’ils ont été déposés depuis que nos continens ont pris leur forme actuelle ; mais les premiers, ceux qui accompagnent les éléphans et les tigres, sont d’un ordre de choses antérieur. Les chevaux qui les ont fournis ressembloient-ils en tout aux chevaux d’aujourd’hui ” ? “ J’avoue que l’Anatomie comparée est hors d’état de répondre à cette question ”. “ J’ai comparé avec soin les squelettes de plusieurs variétés de chevaux, ceux de mulet, d’âne, de zèbre et de couagga, sans pouvoir leur trouver de caractère assez fixe pour que j’osasse me prononcer sur aucune de ces espèces d’après un os isolé […] ”. “ On peut […] assurer qu’une espèce du genre du cheval servoit de compagnon fidèle aux éléphans ou mammouths, et autres animaux de la même époque […] ; mais il est impossible de dire jusqu’à quel point elle ressembloit à l’une ou à l’autre des espèces aujourd’hui vivantes ”79. Les ossements de chevaux envoyés par Traullé provenaient, les uns, des tourbières, les autres, des sablières où ils se trouvaient dans les mêmes couches que ceux d’éléphant, avec les ossements de bœufs et de cerfs. Pour ce qui est des os fossiles de sangliers, “ tous ceux que j’ai vus, écrit Cuvier, venoient des tourbières ou d’autres terrains récens, et je ne sache pas qu’ils aient jamais accompagné les éléphans ”80. On n’en avait pas encore recueilli ou remarqué à Menchecourt, mais on en trouvera et ils s’ajouteront à ceux de bœufs, de cerfs et de chevaux pour grossir ce que la faune des sablières avait de commun avec celle des tourbières et rendre difficile à faire accepter l’existence de deux zoologies séparées par une destruction totale de la plus ancienne. La même année un autre mémoire, qui traite De quelques rongeurs fossiles, Ann. Mus. Hist. nat., t. XIV, 1809, pp. 33-42 est fait en grande partie à l’aide des envois de Traullé : “ Nous parlerons d’abord d’une tête et d’une dent incisive de castor retirées des tourbes de la vallée de la Somme, par M. Traullé, à qui nous devons tant d’autres fossiles de ce canton-là. Trouvées dans un terrain tout récent, avec des bois de cerfs, des têtes de bœufs et autres ossemens d’animaux connus, et dans un pays où il y a eu autrefois beaucoup de castors, et où il en reste encore quelques-uns, on devoit bien s’attendre qu’elles ressembleroient au castor ou bièvre ordinaire ; et c’est en effet ce que l’examen a confirmé ”81.

79. G. Cuvier, Ibid., Ann. Mus. Hist. nat., 36-37 ; Rech. Oss. foss., t. IV (1812), 4-5. 80. G. Cuvier, Ibid., Ann. Mus. Hist. nat., 39 ; Rech. Oss. foss., t. IV (1812), 7. 81. G. Cuvier, “ De quelques rongeurs fossiles principalement du genre des castors qui se sont trouvés dans des tourbes ou dans des alluvions, et quelques autres rongeurs enfermés dans des schistes ”, Ann. Mus. Hist. nat., t. XIV (1808), 47-48 ; Rech. Oss. foss., t. IV (1812), 1-2.

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Il est tout de même singulier que l’auteur dise qu’il restait encore des castors dans notre vallée alors que Traullé considérait cette espèce comme perdue. Comme pour les chevaux de Menchecourt, on peut remarquer que Cuvier n’accordait pas toujours une attention suffisante aux indications qu’il recevait de son correspondant. Les erreurs qui devaient en résulter ne passaient certainement pas inaperçues de nos Abbevillois et il n’est pas interdit de penser que son autorité pouvait en être quelque peu affectée. 1809. Lamarck et Boucher Lamarck naquit en Picardie. Peut-être y revenait-il de temps à autre. J.-A.G. Boucher savait qu’il avait accueilli les travaux de du Maisniel de Belleval et qu’il en avait publié quelques-uns. L’auteur de la Flore française avait été forcément le guide d’une génération de botanistes et Boucher s’en était évidemment servi pour sa Flore des environs d’Abbeville. Il avait aussi fait une collection de coquilles. Landrieu écrit que l’on croyait qu’un certain nombre d’animaux déterminés par Lamarck existait au musée Boucher-de-Perthes mais que l’examen des collections n’a révélé aucune étiquette de Lamarck82. Toutefois, Boucher de Perthes a donné toutes les collections d’histoire naturelle réunies par son père, soit au Musée du Ponthieu, soit à la Société linnéenne du Nord de la France. J’ai cependant trouvé dans les greniers plusieurs tiroirs plein de coquilles marines sous d’autres tiroirs pleins de silex. Quoi qu’il en soit, il n’y avait pas d’animaux dans les vitrines du musée. Ce n’est pas là qu’il fallait les chercher. Il n’y a donc pas de raison de douter du renseignement que Landrieu n’a pas pu vérifier. Lamarck connut la maison que Boucher de Perthes appellera plus tard “ le Sanctuaire de la science et de l’art ”. Il garda même un bon souvenir de l’“ aimable famille ”, bien que l’aîné, qui n’était encore que Jacques Boucher, était en Italie depuis plusieurs années. On avait alors demandé “ aux Directeurs des douanes d’ajouter à l’histoire générale de l’Empire, les productions de la nature dans les différents règnes ”. J.-A.-G. Boucher demanda conseil à Lamarck qui lui répondit longuement et complaisamment. Communiquée à Joubin par un Abbevillois, Lennel de la Farelle, petit-neveu de Lamarck, cette lettre a été publiée dans le Bulletin du Muséum d’Histoire naturelle83 et reproduite par Landrieu dans son ouvrage sur Lamarck84. Cette lettre n’est pas datée, mais dans une liste des travaux de J.A.-G. Boucher que m’avait communiquée Mlle Boucher de Crèvecœur, j’ai

82. M. Landrieu, Lamarck, le fondateur du transformisme, sa vie, son œuvre, Paris, au siège de la Société zoologique de France, 1909, 108, note 2. 83. Bulletin du Muséum d’Histoire naturelle, 1807, 302. 84. M. Landrieu, Ibid., 90.

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noté l’indication suivante : 19 février 1810. Statistique de la Direction d’Abbeville déposée à la Direction générale des douanes. Indépendamment des descriptions locales, elle comprend divers tableaux des productions animales et végétales du pays. Du temps de Napoléon, on ne mettait pas des années pour répondre à une circulaire. Cette lettre doit être de 1809. Il serait logique que l’auteur de la Flore française et du Système des animaux sans vertèbres ait eu de l’influence dans cette famille. Certes, l’auteur de La Création, essai sur l’Origine et la Progression des êtres, n’a sans doute jamais lu la Philosophie zoologique, mais il connaissait bien la Palingénésie qui était dans la bibliothèque de son père avec les œuvres complètes de Bonnet. Boucher de Perthes a la figure d’un transformiste du XVIIIe siècle, entre Lamarck et Darwin et il se place comme Lamarck parmi ceux que Cuvier appelait “ les sectateurs de Bonnet ”. D’autre part, le libéralisme de Boucher lui avait fait accepter la Révolution. Il avait ici, semble-t-il, une position peu différente de celle de Lamarck, bien qu’un peu moins poussée. Il avait traduit Les Animaux parlants de Casti. En 1804, la censure en aurait empêché la publication, de même que Boucher de Perthes devra interrompre la circulation de son Petit Glossaire. Le frère de Boucher de Perthes eut aussi, pour sa part, des difficultés avec son administration. Les Boucher semblent avoir été plus ou moins frondeurs. Lamarck n’était pas non plus très bien en cour. Sans aller trop loin, il y avait probablement plus que de la courtoisie dans l’accueil que lui réserva l’“ aimable famille ”. Cette lettre et cette visite furent sans doute plus agréables à J.-A.-G. Boucher que le coup de dent qu’il reçut de Cuvier au sujet de sa Notice sur le crâne de Picquigny. Déjà, à ce moment-là, dans la maison du fondateur de la préhistoire, on était plus près de Lamarck que de Cuvier. 1809. Lamarck : si la nature est créatrice, y-a-t-il des espèces perdues ? En 1809, parurent les deux volumes de la Philosophie zoologique. Ce n’est autre chose, nous dit l’auteur, qu’une nouvelle édition refondue, corrigée et fort augmentée des Recherches sur les Corps Vivans. C’est toutefois davantage. L’édifice est plus complet, plus régulier et d’un autre ordre de grandeur et l’auteur y présente de longs développements sur des ordres de choses auxquels il avait jusqu’ici accordé une attention beaucoup plus limitée et auxquels on n’a peut-être pas encore accordé une importance suffisante dans l’exposé des conceptions lamarckiennes. Un préhistorien a ses raisons pour apprécier particulièrement ce qui couronne un des livres les plus importants qu’on ait écrits car on n’avait encore jamais dit des choses aussi importantes sur les origines antiques et lointaines de la lignée humaine, alors qu’on n’avait pas encore de preuves matérielles indiscutables et qu’on donnait à cette absence de preuves la valeur d’une preuve négative. La considération du degré de perfectionnement où est parvenue l’organisation des animaux les plus parfaits concourt de son côté à mettre en évidence la

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prodigieuse antiquité du globe terrestre, au même titre que la considération des couches diverses et nombreuses qui composent la croûte extérieure du globe et la considération du déplacement très lent mais continuel du bassin des mers. Par analogie avec ce que j’ai appelé autre part le “ temps géomorphologique ”85, j’appellerais volontiers “ temps zoologique ” le temps qu’il a fallu à la nature pour arriver à constituer la zoologie actuelle depuis ses premières productions animales. Avec des conceptions comme celles de Lamarck, l’histoire de l’homme se place dans le “ temps zoologique ” et indépendamment de toute donnée paléontologique. C’est au cours de ce “ temps zoologique ” que la nature : “ […] a créé l’organisation, la vie, le sentiment même ; qu’elle a multiplié et diversifié, […] les organes et les facultés des corps organisés dont elle soutient ou propage l’existence ; qu’elle a créé dans les animaux, par la seule voie du besoin, qui établit et dirige les habitudes, la source de toutes les actions, de toutes les facultés, depuis les plus simples jusqu’à celles qui constituent l’instinct, l’industrie, enfin le raisonnement ”86. La première partie de l’ouvrage conduit aux différents degrés d’organisation observés dans la zoologie actuelle et correspondant à des organisations successivement réalisées par la nature. Elle se termine par Quelques Observations relatives à l’Homme d’après lesquelles, “ si l’homme n’étoit distingué des animaux que relativement à son organisation, il seroit aisé de montrer que les caractères d’organisation dont on se sert pour en former […] une famille à part, sont tous le produit d’anciens changemens dans ses actions, et des habitudes qu’il a prises et qui sont devenues particulières aux individus de son espèce ”87. La seconde est consacrée aux causes physiques de la vie et aux facultés qu’elle donne aux corps qui la possèdent, les unes n’exigeant aucun organe spécial quelconque, les autres au contraire, n’ayant lieu que lorsque des organes particuliers capables de les produire existent dans les animaux qui jouissent de ces facultés. Celles-ci sont la digestion, la respiration, la faculté d’exécuter des actions et des locomotions, sentiment ou faculté de sentir, la multiplication par génération, la circulation et, en dernier lieu, l’intelligence qui peut être regardée comme le chef-d’œuvre de tout ce qu’a pu exécuter la nature à l’aide de l’organisation. La troisième partie est alors consacrée aux “ causes physiques du Sentiment, [à] celles qui constituent la force productrice des actions ; enfin [à] celles qui 85. Référence à l’ouvrage de l’auteur, Soulavie et son secret, 1952, dont l’un des sous-titres est “ Le temps géomorphologique ”. 86. J.-B. Lamarck, Philosophie zoologique ou Exposition des Considérations relatives à l’histoire naturelle des Animaux ; à la diversité de leur organisation et des facultés qu’ils en obtiennent ; aux causes physiques qui maintiennent en eux la vie et donnent lieu aux mouvements qu’ils exécutent ; enfin à celles qui produisent les uns le sentiment, et les autres l’intelligence de ceux qui en sont doués, 2 vol., t. I, Paris, Dentu, 1809, 69. 87. J.-B. Lamarck, Ibid., 349.

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donnent lieu aux actes d’intelligence qui s’observent dans différens Animaux ”88. Ces fonctions sont exécutées par le système nerveux et selon les états de composition et de perfectionnement de ce système. Dans sa plus grande simplicité, il ne comprend qu’une masse médullaire principale et des filets nerveux qui viennent se réunir à cette masse ; il ne produit alors que le mouvement musculaire. Plus avancé dans sa composition, il offre une moelle longitudinale noueuse terminée par un ganglion subbilobé qui est un cerveau imparfait et il ajoute le sentiment au mouvement musculaire. Complet dans toutes ces parties, il offre en plus deux hémisphères plicatiles et il donne lieu aux mouvements musculaires, au sentiment, aux émotions intérieures et à l’intelligence. Or, la nature, pour créer ou faire exister ses productions n’a rien fait subitement ou d’un seul jet ; elle a tout fait progressivement, c’est-à-dire par des compositions et des développements graduels et insensibles ; tous les produits, tous les changements qu’elle opère sont assujettis de toutes parts à cette loi de progression qui régit ses actes. Pour produire toutes les facultés qu’on observe dans les animaux les plus parfaits, il lui a fallu créer successivement tous les organes qui peuvent donner lieu à ces facultés ; et c’est, en effet, ce qu’elle a exécuté avec beaucoup de temps, et à l’aide de circonstances qui y ont été favorables. C’est ainsi que, longtemps avant d’avoir créé l’“ hypocéphale ”89, c’est-à-dire les deux hémisphères, organe spécial pour la formation des idées et de toutes les opérations qui s’exécutent à leur égard, la nature avait établi, dans un grand nombre d’animaux, un système nerveux qui leur donnait la faculté d’exciter l’action des muscles, et ensuite celle de sentir, et d’agir par les émotions de leur sentiment intérieur. Pour y parvenir, elle concentra le foyer des sensations dans une petite masse médullaire à laquelle on a donné le nom de “ cerveau ”. Elle s’occupa longtemps encore du développement particulier de cet organe avant de mettre la dernière main à son ouvrage en créant les hémisphères plissés et “ développables ” où s’exécutent toutes les opérations qui constituent l’intelligence. C’est ainsi que l’on passe, dans cette troisième partie, du système nerveux du radiaire et de son activité musculaire à l’organisation nerveuse de l’homme et aux fonctions que cette organisation peut remplir et qui vont jusqu’à l’imagination et au génie dans les lettres, et à l’imagination dans les sciences avec la raison éminente et éclairée qui la domine. Tout cela graduellement, sans faire de sauts, dans l’immensité du “ temps zoologique ”, où viendront prendre place et le “ temps paléontologique ” et le “ temps préhistorique ” et le “ temps historique ”. Cette large perspective n’était pas nouvelle sur tous les points et elle était loin de s’opposer à la science et à l’idéologie de son temps, considérées dans leur totalité. Lamarck se disait sans doute parfois isolé. Cela ne veut pas dire qu’il le fût absolument. Il n’était pas très éloigné de Faujas. Il était peut-être plus près encore de Lacépède et de 88. J.-B. Lamarck, Ibid., 169. 89. Cf. J.-B. Lamarck, Ibid., t. II, 3e partie, ch.

VII.

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Latreille. Il était très proche de Gall et de Cabanis, mais aussi de Naigeon, comme il était près de Locke et de Condillac, pour ne pas nommer Bonnet et Buffon et d’autres qui n’étaient pas oubliés. Idéologiquement, le premier Empire est moins dans le tableau du sacre et dans un Concordat fort peu observé que dans les dispositions d’un personnel issu du dix-huitième siècle et de la Révolution, plus favorable encore aux libres affirmations de la philosophie et de la science qu’à l’influence ou au contrôle que le dogme aurait pu exercer sur elles. Sans doute, Lamarck n’acceptait-il pas l’éternité de la nature mais s’il parle de création, c’est pour y voir l’établissement d’un ordre de choses qui n’est autre que l’ordre de la nature et pour la reporter dans un lointain antérieur à tout ce qui est vivant, de sorte que la vie est l’œuvre lente et graduelle de la nature. Il n’a pas plus de considération pour l’“ esprit ”, “ être singulier ” et “ factice dont la nature n’offre aucun modèle ”, que pour les “ catastrophes universelles ” qu’on “ invoque pour répondre à certaines questions géologiques qui nous embarrassent ” et qui viendraient “ tout culbuter et détruire une grande partie des opérations mêmes de la nature ”90. Ces catastrophes se trouvaient liées par Cuvier et par d’autres à l’existence des espèces perdues. Lamarck est porté à rejeter les unes, en même temps que les autres. Il ne croit guère que “ les moyens qu’a pris la nature pour assurer la conservation des espèces ou des races, aient été tellement insuffisants, que des races entières soient maintenant anéanties ou perdues ”. Si la nature est une chose créée, elle est aussi créatrice. Ces restes de créationnisme et de providentialisme ne s’accordaient pas avec une nature qui eût anéanti ses propres créations. Nous touchons encore au siècle où la fraternité humaine avait une tendance à s’étendre à tout ce qui est vivant. L’optimisme ne pouvait guère accepter l’anéantissement des espèces. Logiquement, il conduisait à leur progression jusqu’à la production de l’homme et des plus hautes facultés intellectuelles, comme l’œuvre et le chef-d’œuvre de la nature, accompli avec le temps et les circonstances. Lamarck est le grand logicien des précurseurs de la préhistoire. 1810. Traullé : une forêt immense d’arbres sacrés dans la tourbe Dans une Lettre à Mongez, datée du 11 décembre 1810, lue le 15 février 1811 devant la Classe d’Histoire et de Littérature anciennes, Traullé, “ Substitut du Procureur impérial ”, donne un compte-rendu de ses nouvelles trouvailles dans les tourbières de Fontaine, Mag. encycl., t. II, mars 1811, pp. 82-106. On y trouve pour la première fois le mot “ croupe ” à la place de “ levée ” pour désigner “ des élévations calcaires, qui représentent quoique élevées le fond des anciens bras de la Somme. Les couches argileuses et maréca-

90. J.-B. Lamarck, Ibid.

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geuses qui leur étoient appuyées de chaque côté se sont affaissées ”91. Les exploitations descendraient beaucoup plus bas qu’autrefois : “ Il y a peu de temps qu’on peut fouiller notre vallée à cette profondeur ; les fouilles les plus anciennes ne passoient pas deux mètres ; plus bas la tourbe étoit sans consistance, son écorce étoit consolidée ; les eaux étoient alors trèsabondantes et gênoient partout. De nos jours l’écorce consolidée forme un massif de neuf à dix mètres ; plus bas, la tourbe est tellement imprégnée d’eau qu’elle forme une fange incohérente, et qu’on ne peut exploiter qu’à la houdrague ”92. On a ainsi trouvé un casque de fer à cinq mètres de profondeur, dans une tourbe vierge, près du village de Fontaine, à égale distance des deux camps romains de Liercourt et de l’Etoile, à environ six kilomètres de l’un et de l’autre. Les Romains multiplièrent leurs camps pour protéger la navigation et surveiller les canaux que découvre l’imagination de Traullé et qui ont donné leurs noms aux villages de l’Etoile, d’Etouilly, d’Etiole, de Fournaux, de Lucey, de Lurs, etc. On a trouvé une amphore, dans le tuf, une espèce de “ lagena ” en terre grise, au-dessous, dans une vase de rivière, deux coupes ou patères en “ terre rouge de Bavay ”. Ce sont des ex-voto présentés par les Romains ou les Gaulois à Diane et aux nymphes des eaux. On a trouvé “ des ossements d’animaux qu’on y rencontre en nombre inconcevable mais qu’il ne faut pas confondre avec ceux qu’on trouve le long des côtes de la vallée ; tels que ceux des éléphans et autres ”93 que notre Substitut vient de découvrir et qui datent d’un temps plus reculé. Enfin, à trois ou quatre mètres de profondeur, beaucoup d’arbres, et d’une grosseur considérable. On n’en trouve pas de tels dans toute l’étendue de la vallée de la Somme. C’est une forêt immense qui, depuis des siècles, se couche dans les noirs abîmes de la tourbe. On en trouve une semblable, le long de l’Authie, de la Canche et dans toutes les vallées de l’Europe. Traullé en a longtemps cherché la cause : “ Au milieu de ces incertitudes, je voyois découvrir tous les ans autour de ces arbres des milliers de bois de cerf, d’urus, de chevreuil, de renne, des têtes de sanglier, de loup, de castors, quelquefois des instrumens de chasse, javelots, cors, etc., quelquefois enfin de petites statues ”94. Là est l’explication : les arbres étaient des arbres sacrés auxquels on suspendait toutes ces offrandes. Nés sous une religion, ils ont péri sous une autre. 91. L. Traullé, “ Lettre à M. Mongez, membre de l’Institut, par M. Traullée [sic], Correspondant de l’Institut, Substitut du Procureur impérial d’Abbeville, lue le 15 février 1811 à la classe d’Histoire et de littérature ancienne ”, Mag. encycl., t. II (mars 1811), 84, note 1. 92. L. Traullé, Ibid., 84. 93. L. Traullé, Ibid., 95. 94. L. Traullé, Ibid., 96.

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C’est un même arrêt qui les a proscrits. C’est une même main qui les a abattus. Ce sont les premiers apôtres du christianisme dans les Gaules qui en ont fait déraciner la majeure partie et nous devons à la religion chrétienne l’anéantissement de toutes les pratiques horribles dont ils furent les témoins. Depuis les histoires qui avaient surexcité Devérité, M. le Substitut est devenu concordataire. Mais c’est le même Traullé vivant et rêvant parmi les dépouilles recueillies dans les tourbières, évoquant les Romains et les Gaulois, et les animaux qui vivaient en même temps qu’eux, et que dominait l’urus dont il souligne le nom. Un autre viendra un jour rêver sur ces mêmes tourbières, d’une façon assez peu différente et là où le prosaïsme de Traullé voit une antique religion de chasseurs, l’idéalisme de Boucher de Perthes verra le culte des morts. 1812. Cuvier : l’homme a-t-il coexisté avec des espèces disparues ? En 1812, parurent les quatre volumes in 4° de Georges Cuvier : Recherches sur les Ossemens fossiles de Quadrupèdes où l’on rétablit les caractères de plusieurs espèces d’animaux que les révolutions du globe paroissent avoir détruites. De Blainville nous dit comment ces volumes furent constitués : “ Dans l’ancien arrangement pour la composition des Annales du Muséum, les auteurs des mémoires étoient payés à tant la feuille pour ceux qu’ils fournissoient à l’éditeur, contre un petit nombre d’exemplaires tirés à part de leurs mémoires. M. Cuvier, au lieu d’argent, fit un arrangement particulier pour que le nombre d’exemplaires tirés à part fût augmenté proportionnellement à la somme qui lui revenait. C’est là ce qui constitue la très grande partie de l’ouvrage mis en vente en 1812 ”95. C’est ainsi que, pour les animaux dont nous nous occupons dans cette histoire, l’ouvrage est fait d’anciennes feuilles des Annales du Muséum, avec une vingtaine de pages additionnelles mises à la fin du tome premier et surtout, le Discours préliminaire : “ […] la mer a envahi toutes nos plaines […] pour y former des dépôts horizontaux […] sur une très grande profondeur. Avant de former ces couches, elles en avaient formé d’autres qu’une cause quelconque avait brisées, redressées, bouleversées de mille manières ”96. “ La variété dans la nature de ses dépôts indique que […] les grandes catastrophes qui produisoient des révolutions dans le bassin des mers étoient précédées, accompagnées et suivies de changements dans la nature du liquide et des matières qu’il tenait en dissolution […] ”.

95. H. M. Ducrotay de Blainville, Cuvier et Geoffroy-Saint-Hilaire, biographies scientifiques, Paris, Baillères et fils, 233. 96. G. Cuvier, Rech. Oss. foss., 1812, t. I, Discours préliminaire, 6.

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“ Dans de pareils changements du liquide général, il était bien difficile que les mêmes animaux continuassent à y vivre. Aussi ne le firent-ils point. Leurs espèces, leurs genres même, changent avec les couches […]. […] les coquilles des couches anciennes ont des formes qui leur sont propres ; […] elles disparaissent graduellement, pour ne plus se montrer dans les couches récentes, encore moins dans les mers actuelles […]. […] les coquilles des couches récentes au contraire ressemblent, pour le genre, à celles qui vivent dans les mers, et […] dans les dernières […] de ces couches, il y a quelques espèces que l’œil le plus exercé ne pourrait distinguer de celles que nourrit l’Océan ”. “ Il y a donc eu dans la nature animale une succession de variations correspondantes à celles de la nature chimique du liquide […] ”. “ La présence de productions de la terre et de l’eau douce au milieu des couches marines atteste qu’il n’y a pas eu une retraite graduelle générale des eaux de la mer, mais de diverses irruptions et de retraites successives dont le résultat définitif a été une diminution universelle de niveau ”. “ Ces irruptions, ces retraites répétées, n’ont point été lentes, ne se sont point faites par degrés ”. “ […] dans les pays du Nord, [la dernière de toutes ces catastrophes a laissé] des cadavres de grands quadrupèdes […] dans une gelée éternelle qui n’a pu s’emparer des lieux où ces animaux vivoient que par la même cause qui les a détruits : cette cause a donc été subite comme son effet. Les déchiremens, les bouleversemens de couches arrivés dans les catastrophes antérieures, montrent […] qu’elles étoient subites et violentes comme la dernière ; et les amas de débris et de cailloux roulés, placés en plusieurs endroits entre les couches solides, attestent la force des mouvemens que ces bouleversemens excitoient dans la masse des eaux. La vie a donc souvent été troublée sur cette terre par des événemens terribles ; calamités qui, dans les commencemens, ont peut-être remué dans une grande épaisseur l’enveloppe entière de la planète, mais qui depuis sont toujours devenues moins profondes et moins générales. Des êtres vivans sans nombre ont été les victimes de ces catastrophes ; les uns ont été détruits par des déluges, les autres ont été mis à sec avec le fond des mers subitement relevé ; leurs races même ont fini pour jamais ”97. “ […] on a cru longtemps pouvoir expliquer les révolutions antérieures par les causes actuelles qui agissent encore […] ”98. “ [Mais] on chercheroit en vain dans les forces qui agissent maintenant sur la surface de la terre, des causes suffisantes pour produire les révolutions et les catastrophes dont son enveloppe nous montre les traces ; et, si l’on veut recourir aux causes extérieures constantes connues jusqu’à présent, l’on n’a pas plus de succès. Parmi les naturalistes qui ont cherché à expliquer l’état actuel du 97. G. Cuvier, Ibid., 8-12. 98. G. Cuvier, Ibid., 16.

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globe, il n’en est presque aucun qui l’ait attribué en entier à des causes lentes, encore moins à des causes agissant sous nos yeux ”99. Pendant longtemps on n’admit que deux événements, deux époques de mutations sur le globe : la création et le déluge. Les naturalistes se trouvèrent bientôt à l’étroit dans les limites fixées par la Genèse et quand ils eurent réussi à faire envisager les six jours de la création comme autant de périodes indéfinies, les siècles ne leur coûtant plus rien, leurs systèmes prirent un essor proportionné aux espaces dont ils purent disposer. Et l’auteur les suit jusqu’à Werner qui a fixé les lois de la succession des couches et de qui datera la géologie positive, mais qui n’a pas donné à la détermination des espèces organisées fossiles, dans chaque genre de couche, la rigueur devenue nécessaire. Avec les recherches de l’auteur, comme il est raisonnable de croire que les coquilles et les poissons n’existaient pas à l’époque de la formation des terrains primordiaux, l’on doit croire que les quadrupèdes ovipares paraissent beaucoup plus tôt que les vivipares, qu’ils ont commencé avec les poissons, mais que les quadrupèdes terrestres ne sont venus que longtemps après, en même temps que la plupart de nos genres de coquilles et pendant l’état de choses qui a précédé la dernière irruption de la mer. Dans cet ancien monde, on trouve des genres inconnus et quelques espèces perdues de genres connus. Les plus célèbres des espèces inconnues qui appartiennent à des genres connus, ou à des genres très voisins, comme les éléphants, les rhinocéros, les hippopotames, les mastodontes, ne se trouvent point avec ces genres plus anciens. Enfin, les os d’espèces qui paraissent les mêmes que les nôtres ne se trouvent que dans les derniers dépôts et dans une position superficielle. Les espèces perdues ne sont pas des variétés des espèces vivantes. Mais, lorsque l’auteur soutient que les bancs pierreux contiennent les os de plusieurs genres, et les couches meubles des os de plusieurs espèces qui n’existent plus, il ne prétend pas qu’il ait fallu une création nouvelle pour produire les espèces existantes, il dit seulement qu’elles n’existaient pas dans les mêmes lieux, et qu’elles ont dû venir d’ailleurs. Il applique cette manière de voir à l’espèce humaine : “ On n’a jamais trouvé d’os humain parmi les fossiles, bien entendu parmi les fossiles proprement dits ; car dans les tourbières, dans les alluvions, comme dans les cimetières, on pourroit aussi bien déterrer des os humains, que des os de chevaux ou d’autres espèces vulgaires ; mais parmi les anciennes races, parmi les paléothériums, parmi les éléphans et les rhinocéros mêmes, on n’a jamais découvert le moindre ossement d’homme […]. On voit parmi les os trouvés à Canstadt, un fragment de mâchoire et quelques ouvrages humains, mais on sait que le terrain fut remué sans précaution, et que l’on ne tint point note des diverses hauteurs où chaque chose fut découverte. Partout ailleurs les 99. G. Cuvier, Ibid., 24

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morceaux donnés pour humains se sont trouvés, à l’examen, de quelque animal […]. Les véritables os d’hommes étoient des cadavres tombés dans des fentes ou restés en d’anciennes galeries de mines, et recouverts d’incrustation. Il en est de même des objets de fabrication humaine […] ”. “ Tout porte donc à croire que l’espèce humaine n’existoit point dans les pays où se découvrent les os fossiles, à l’époque des révolutions qui ont enfoui ces os, […] mais je n’en veux pas conclure que l’homme n’existoit point du tout avant cette époque. Il pouvoit habiter quelques contrées peu étendues, d’où il a repeuplé la terre après ces événements terribles ; peut-être aussi les lieux où il se tenoit ont-ils été entièrement abîmés, et ses os ensevelis au fond des mers actuelles, à l’exception du petit nombre d’individus qui ont continué son espèce100 ”. “ Un des résultats à la fois les mieux prouvés et les moins attendus de la saine géologie [est que la dernière des révolutions du globe, et par conséquent] l’établissement de nos sociétés actuelles ne peuvent pas être très anciens. [C’est ce à quoi l’on arrive] en mesurant les effets produits dans un temps donné par les causes aujourd’hui agissantes, et en les comparant avec ceux qu’elles ont produits depuis qu’elles ont commencé d’agir, […] c’est-à-dire depuis que nos continents ont pris leur forme actuelle […] et que les eaux de la mer se sont subitement retirées pour la dernière fois, 101[qu’il s’agisse des atterrissements du Nil ou du Pô, de ceux de la mer d’Azov ou de la mer du Nord aussi bien que de la marche des dunes ou des progrès des tourbières102] ”. “ […] partout l’homme nous parle comme la nature103 ”. “ […] Moïse établit une catastrophe générale, une irruption des eaux, une régénération presque totale du genre humain, et il n’en fait remonter l’époque qu’à quinze ou seize siècles avant lui, selon les textes qui allongent le plus cet intervalle, par conséquent à moins de cinq mille ans avant nous ”. “ Les mêmes idées paroissent avoir régné en Chaldée, puisque Bérose […] parloit du déluge à peu près comme Moïse, et qu’il le plaçoit immédiatement avant Belus, père de Ninus […] ”. “ S’il arriva, sous quelqu’un de leurs princes, une inondation un peu violente […] [les Grecs] la décrivirent dans la suite avec toutes les circonstances vaguement restées dans leur mémoire du grand cataclysme […]104 ”. “ Les Indiens n’ont point totalement oublié les révolutions du globe ; […] ce n’est qu’à un peu moins de cinq mille ans qu’ils font remonter la dernière.

100. 101. 102. 103. 104.

G. G. G. G. G.

Cuvier, Cuvier, Cuvier, Cuvier, Cuvier,

Ibid., Ibid., Ibid., Ibid., Ibid.,

82-85. 85-86. 86-94. 94. 95-97.

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L’une de ces révolutions est même décrite dans des termes presque correspondans à ceux de Moïse […] ”. “ Pour retrouver des traces vraiment historiques du dernier cataclysme, il faut aller jusqu’au-delà des grands déserts de la Tartarie. Vers l’Orient et vers le Nord habite une autre race […] si différente de nous, qu’on est tenté de croire que ses ancêtres et les nôtres ont échappé à la grande catastrophe par deux côtés différens ; mais quoi qu’il en soit ils datent leur déluge à peu près de la même époque que nous. Le Chouking […], le livre le plus authentique de la Chine, commence l’histoire de ce pays par un empereur nommé Yao, qu’il nous représente occupé à faire écouler les eaux, qui, s’étant élevées jusqu’au ciel, baignoient encore le pied des plus hautes montagnes, couvroient les collines les moins élevées, et rendoient les plaines impraticables. Ce Yao date, selon les uns, de quatre mille cent cinquante, selon les autres de trois mille neuf cent trente ans avant le temps actuel […] ”. “ La plus dégradée des races humaines, celles des nègres, […] n’a conservé nulle part d’annales ni de tradition. Elle ne peut donc nous instruire sur ce que nous cherchons, quoique tous ses caractères nous montrent clairement qu’elle a échappé à la grande catastrophe, sur un autre point que les races caucasique et altaïque, dont elle étoit peut-être séparée depuis long-temps quand cette catastrophe arriva ”. “ Ainsi toutes les nations qui peuvent nous parler nous attestent qu’elles ont été récemment renouvelées, après une grande révolution de la nature ”105. Et pour conclure sur cette ultime catastrophe et sur le peuplement de nos contrées : “ Je pense donc, avec MM. Deluc et Dolomieu, que, s’il y a quelque chose de constaté en géologie, c’est que la surface de notre globe a été victime d’une grande et subite révolution, dont la date ne peut remonter beaucoup au-delà de cinq à six mille ans ; que cette révolution a enfoncé et fait disparoître les pays qu’habitoient auparavant les hommes et les espèces d’animaux aujourd’hui les plus connus ; qu’elle a, au contraire, mis à sec le fond de la dernière mer, et en a formé les pays aujourd’hui habités ; que c’est depuis cette révolution que le petit nombre des individus épargnés par elle se sont répandus et propagés sur les terrains nouvellement mis à sec, et par conséquent que c’est depuis cette époque seulement que nos sociétés ont repris une marche progressive, qu’elles ont formé des établissemens, élevé des monumens, recueilli des faits naturels, et combiné des systèmes scientifiques ”106. Ainsi, l’auteur est parti des révolutions du globe pour arriver aux sociétés humaines d’aujourd’hui. Des changements se sont manifestés au cours de ces révolutions dans la composition de l’eau des mers et en correspondance avec ces changements, les anciennes espèces de coquilles dont les formes se rappro105. G. Cuvier, Ibid., 102-106. 106. G. Cuvier, Ibid., 110.

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chent de plus en plus des coquilles actuelles. De même après les anciennes coquilles et les poissons apparurent successivement les quadrupèdes ovipares puis les quadrupèdes vivipares et parmi ceux-ci paraissent d’abord des genres inconnus, puis des espèces inconnues de genre connus et enfin les espèces actuelles, parmi lesquelles se trouve l’homme lui-même. Mais ici l’auteur estime qu’une création nouvelle n’était pas nécessaire et que l’homme et les espèces actuelles pouvaient venir d’ailleurs. Il se met évidemment d’accord avec la Genèse où l’on conserve soigneusement les espèces créées avant le cataclysme et s’il ne cite pas l’Ecriture, c’est pour que cette explication n’ait pas l’air d’être prise en dehors de la géologie. Il est possible que depuis le sacre, son mosaïsme se soit attiédi ou tout simplement qu’il soit devenu plus réservé. Il est assez sévère à l’égard des systèmes qu’on a essayé de construire avec la Genèse. Il s’appuie sur le récit du déluge mosaïque et en en considérant seulement le côté historique et s’il accorde autant de considération au texte de Confucius qu’à celui de Moïse, la dernière catastrophe du globe paraît se trouver établie en dehors du texte le plus contesté au cours du siècle de Buffon et de Voltaire. Sans doute, de Blainville et l’abbé Maupied déclarent-ils que “ si d’une part Cuvier, par quelques phrases, semble favoriser le récit de Moïse sur le déluge universel, de l’autre, tout son système est impossible à accorder avec tout le reste du récit de Moïse, à moins de faire au texte la violence la plus grande, de renverser toutes les lois du langage, de la philologie et de la logique ”107. Ils peuvent avoir raison, mais je crois qu’il a tout de même été parfois amené à se rapprocher de la Genèse et notamment lorsqu’il évite une nouvelle création après le dernier cataclysme, ce qui est d’ailleurs assez grave. Car, pourquoi ne pas admettre de la même manière que les éléphants vivaient en même temps que les paléotheriums mais en dehors des régions où ceux-ci ont livré leurs restes ? Si une migration peut remplacer une création, on peut arriver à admettre que tous les êtres vivants ont fait leur apparition en même temps et que ce sont des migrations qui les ont amenés successivement là où on retrouve leurs restes. L’idée est d’autant plus grave qu’en dehors de l’homme et des espèces actuelles, Cuvier n’a dit nulle part quelle était la cause qui avait produit ou amené les espèces successives dans les mers ou sur les continents où elles ont laissé leurs dépouilles et qu’il n’a même jamais dit si elles avaient été créées ou si elles étaient venues d’ailleurs. En pénétrant dans cette lacune, l’idée de migration détruirait la succession qu’il s’agit d’expliquer. C’est dire que la pensée logique de Cuvier manquait de résistance à l’égard des influences extra scientifiques et que cette circonstance a fait, de sa géologie de l’homme, le point le plus critique du système. Telles sont les dispositions essentielles de l’ouvrage qui s’est opposé pendant un demi-siècle à la géologie nouvelle et à la préhistoire naissante. 107. É. Guyénot, Histoire des Sciences de l’organisation,

III,

404.

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Dans le milieu dont nous nous occupons spécialement, il n’eut qu’une influence limitée. Sans doute, François Baillon ne voyait et ne verra que par Cuvier. Il fut peut-être le seul Abbevillois qui ait montré une opposition tenace envers Boucher de Perthes au sujet de ses découvertes mais je doute qu’il ait eu beaucoup d’influence autour de lui. Traullé avait 54 ans quand parurent les Recherches sur les Ossemens fossiles. Il eût peut-être été un peu tard pour se renouveler s’il eût été de ceux qui en sentissent l’utilité. Il resta fidèle à Buffon, à Pallas et à Faujas. Picard, comme beaucoup d’autres, mettait Cuvier audessus de tous les naturalistes de son temps, mais il paraît avoir été pris par la géologie nouvelle pour suivre Marcel de Serres. De tous nos Abbevillois, Boucher de Perthes est peut-être celui sur lequel Cuvier eut le plus d’influence. Mais là, il ne faut rien exagérer.

V.

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MENCHECOURT1

1814. Une hache gauloise dans sa gaine de bois de cerf 2

Fig. 28. Hache “ gauloise ” dans sa gaine de cerf décrite par Traullé (1814) Nous sommes partis des tombes de Port en 1791 où Traullé et Hermant de Norville avaient recueilli des objets qui indiquaient que les peuples qui les avaient produits n’avaient pas encore la connaissance des métaux. C’étaient des silex taillés à facettes très aiguisées tels que Montfaucon les a gravés dans son Antiquité expliquée et représentée en figures (1719). Plus de vingt ans s’étaient écoulés. Ici les deux amateurs cherchaient eux-mêmes. Dans les tourbières, c’étaient les ouvriers ou les entrepreneurs qui remettaient ou signalaient à l’antiquaire parmi les objets qu’ils rencontraient ceux qu’ils croyaient devoir

1. Cette cinquième partie s’étend de 1814 jusqu’à la veille de la très importante séance du 25 novembre 1835 de la Société d’Emulation d’Abbeville. 2. Cf. J. Boucher de Perthes, Ant. celt. antédiluv., t. I, ch. X, 191-195 ; XI, 211-212 ; XIV.

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l’intéresser : des poteries, des objets de bronze ou de fer, des ossements, des bateaux. En somme des choses faciles à reconnaître. Mais des haches en silex personne ne semblait y avoir pensé. Elles pouvaient être considérées comme des cailloux et passer inaperçues. Pourtant un jour, on rencontra une hache dans sa gaine de bois de cerf. Traullé nous le dit dans une lettre dont nous allons parler. Mais on ne sait quand, ni par qui, ni ce que cette hache est devenue. Ce fut sans doute un peu avant 1814. Averti par cette trouvaille, Traullé dirigea de ce côté-là l’attention de ses fournisseurs. Peu de temps après, le Magasin encyclopédique publiait cet Extrait d’une lettre de M. Traullé, correspondant de la troisième classe de l’Institut, à M. Mongez, Président de la même classe. “ Abbeville, 1er août 1814 ” “ Monsieur et Cher Confrère ”, “ J’ai l’honneur de vous adresser l’arme antique qui a été trouvée dans le fond d’une de nos croupes qui, vous le savez, représentent les anciens lits de notre rivière (la Somme) (1). Elle étoit placée non loin du squelette d’un fort cheval. S’il y avoit un homme dans le voisinage, je n’en puis répondre encore. Je pourrai le savoir plus tard quand on continuera la fouille dans le surplus de la croupe. Je vous prie de remarquer qu’il existe un mastic jaunâtre dans la partie de la corne de cerf, dans laquelle le silex, taillé en pointe, étoit logé ; un manche de bois étoit placé dans cette corne : vous en connaîtrez la position. A l’opposite du silex, il y a un bouton de corne, qui me paroît avoir servi à fixer le manche de bois ”. “ C’est la seconde pièce de ce genre que j’ai vue dans ces croupes. La mienne a été trouvée à Coquerel près d’Abbeville (deux lieues et demie), par un homme qui m’est dévoué et qui met en réserve tout ce qu’il rencontre. S’il tombe dans ses mains quelque chose de précieux, je me ferai un plaisir de vous l’envoyer pour que vous veuillez bien le communiquer à la classe […] ”. “ (1) Voici la description de cette arme : un silex aigu vers les extrémités, long et large de deux pouces environ et fortement encastré dans un gros tronçon de bois de cerf d’un demi pied de longueur. Au tiers à peu près de ce tronçon, est une ouverture carrée où l’on enfonçait probablement un manche de bois. C’était donc une hache ou casse-tête assez semblable à l’arme de même espèce dont se servent les sauvages des îles du Sud ”3. La pièce fit son apparition à l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres à la séance du 5 septembre 1814, “ M. Mongez présente une arme antique trou-

3. L. Traullé, Extrait d’une lettre de M. Traullé, correspondant de la troisième classe de l’Institut, à M. Mongez, Président de la même classe, Mag. encycl., t. V (1814), 165-166.

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vée dans les levées de la Somme par M. Traullé, et qui est formée d’un silex enchassé dans un manche en bois de cerf ” 4. Le 27 janvier 1815, Mongez lut un long Mémoire sur les pierres tranchantes trouvées dans les sépultures anciennes. Le manuscrit est conservé dans les archives de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres. Je l’ai publié in extenso5. Il est probable que Mongez ait demandé des renseignements complémentaires à notre Abbevillois. Quoi qu’il en soit, s’il nous donne des indications que nous avons déjà rencontrées, il en apporte qui sont nouvelles pour nous : “ L’ancien lit de la Somme, aux environs d’Abbeville, est représenté aujourd’hui par des élévations solides, qui en suivent les sinuosités et que les habitants appellent croupes, parce qu’elles sont plus hautes que les anciens bords. M. Traullé, procureur du Roi au Tribunal d’Abbeville, un de nos plus zélés correspondants, a très bien expliqué cette conformation singulière en montrant que l’ancien lit de la Somme s’était élevé successivement par les atterrissements, les dépôts, tandis que ses bords, d’une terre molle et légère, ont été rongés et enlevés par les eaux qui en ont fait des tourbières. C’est là que l’on fouille journellement pour en extraire la tourbe. On doit à ces travaux habituels la découverte d’un grand nombre d’antiquités, d’armes, de petites statues, d’ossements d’hommes et d’animaux, etc […]. M. Traullé, qui en a communiqué la plus grande partie à la classe, a observé constamment que les antiquités qui paraissaient gauloises se trouvent dans les fouilles les plus profondes ; que les romaines sont au-dessus de celles-là ; et qu’enfin les antiquités françaises, ou plutôt franciques, se présentent les premières aux travailleurs ”6. Ainsi commence la stratigraphie archéologique de la vallée de la Somme. Mais Mongez dit ensuite que la hache “ a été déterrée […] dans le fond d’une de ces croupes de la Somme ”, “ dans le fond ” c’est-à-dire, d’après ce qu’on vient de lire, là où se trouvent les antiquités qui paraissent gauloises. Elle devrait donc être gauloise. Eh bien, non : “ Les Antiquités françoises ou plutôt franciques, se présentent les premières aux travailleurs […]. Dans ce nombre doit être comprise […] la hache de Coquerel ”7. La hache de Coquerel doit donc être francique, à moins qu’elle n’ait appartenu à des Normands. “ Je ne nomme point l’un de ces deux peuples à l’exclusion de l’autre ” (Teutons ou Scandinaves), étant donné “ la conformité des mœurs et des coutumes que l’on aperçoit entre ces deux peuples ”8. Mongez préférerait cependant que ce fussent les Francs et il va prouver que ceux-ci se servaient de haches de pierre : 4. Procès-verbaux Acad. Inscr. Belles-Lettres, t. V (5 septembre 1814), 396. 5. Cf. L. Aufrère, “ Les premières découvertes préhistoriques dans la vallée de la Somme (avec un mémoire de Mongez sur les pierres tranchantes) ”, Bull. Soc. préhist. fr., XXXIV, 3 (octobre 1936), 585-592. 6. L. Aufrère, Ibid., 586. 7. L. Aufrère, Ibid., 586. 8. L. Aufrère, Ibid., 589.

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“ M. Gley, à qui nous devons les recherches les plus étendues et les mieux dirigées sur les monuments de la langue des Francs et sur la grammaire et la syntaxe de cette langue, m’a fourni la preuve que je cherchais depuis longtemps. Il a rapporté et traduit le poème francique qui célèbre le combat de Hildebrand et de Halibran. On lit ainsi le 58e vers (Langue et Littérature des anciens Francs, p. 150) : Do stoptum tosamene, Staimbort Chludun, que M. Gley traduit de cette manière : “ Alors combattirent ensemble, haches de pierre sonnoient ” […]. “ Comme j’attache un grand prix à ce texte francique, relativement à l’opinion que je me suis formée, j’ai écrit au savant traducteur et je lui ai demandé s’il avait rendu le mot staimbort dans son acception la plus ordinaire, ou s’il n’en avait exprimé le sens que d’une manière vague. Voici sa réponse : “ Je crois que le mot staimbort, dans le 58e vers du combat entre Hildebrand et Halibran, ne signifie autre chose que hache de pierre. C’est un composé de Staim, aujourd’hui steim, qui signifie pierre ; bort, bart et bard signifient une hache, bipennis […] ”. “ Tacite dit des Germains en général (Mœurs des Germains, chap. 6) qu’ils employaient peu le fer pour leurs armes : ne ferrum quidem superept, sicut ex genere telorum colligetur ; ou que leurs chefs seuls en faisaient usage. Il dit expressément des Fenni, habitants des frontières de la Germanie et de la Sarmatie (ibid. cap. 46) : sola in sagittis spes, quas, inopia ferri, ossibus, asperant. Plus tard encore Ammien Marcellin raconte que les Huns en usaient de même : acutis ossibus pro spiculorum acumine mira certe coagmentatis (lib. 31 ; c. 2). Si à ces textes précis, on réunit le vers du poème francique de Hildebrand, on trouvera très vraisemblable ma conjecture qui fait attribuer la hache de la Somme aux Normands, lors de leurs premières incursions ; ou à ce que j’aimerais mieux, aux premiers Francs qui traversèrent le Rhin, pour s’établir dans nos provinces septentrionales, et pour en chasser, de concert avec les Gaulois, leurs avides oppresseurs : les Romains ”9. Ce n’est pas fini. Le mémoire était beaucoup trop long pour une hache de pierre dans les publications de l’Académie. On le réduisit à deux pages avec une planche et sous une forme impersonnelle comme dans un procès-verbal de séance. On y voit sans doute que la hache a été trouvée “ dans l’ancien lit de la Somme, en 1814, à Coquerel près d’Abbeville ”, mais toute autre indication de gisement a disparu ainsi que le nom de Traullé lui-même (Histoire des ouvrages de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, pp. 70-71, Hist. et Mém., t. V, 1821) et j’ignorerais certainement cette histoire si le plus obligeant des collectionneurs, Henri Macqueron d’Abbeville, ne m’avait communiqué le catalogue de vente de la collection Traullé10 où cette pièce figure au n° 131 9. L. Aufrère, Ibid., 589-590. 10. Catalogue d’une très belle collection de tableaux, d’objets d’art, curiosités et d’un très beau télescope provenant du cabinet de M. T… Membre correspondant de l’Institut de France, Paris, Hue, Genevois et Watteau, 1832.

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avec l’indication suivante : “ une [hache] en silex montée dans un morceau de Corne de Cerf. Cette pièce curieuse a été l’objet d’un mémoire lu à l’Institut, mémoire qui met sur la voie de l’usage de ces haches, qui était resté ignoré jusqu’à ce jour ”. Le souvenir de cette découverte s’était conservé à Abbeville et, vingt ans après, Hecquet d’Orval et Casimir Picard pouvaient encore le rappeler à la Société d’Émulation11. C’est sur ce souvenir que Casimir Picard allait reprendre les conceptions de Laurent Traullé. 1819-1820. Traullé : des armes des “ premiers Gaulois ” associées à des animaux d’espèces disparues En 1819, paraît l’Abrégé des Annales du Commerce d’Abbeville, par M. Traullé, ancien procureur du Roi, membre du Conseil municipal. Dans cette brochure dont l’objet principal se situe en dehors de nos préoccupations, l’auteur revient cependant aux idées qu’il a déjà exprimées sur les croupes de la Somme, sur des restes d’animaux perdus et les divers objets provenant des premiers Gaulois ou des Romains : “ La navigation de la Somme et de toutes les rivières de France, était au temps des Romains, beaucoup plus aisée qu’aujourd’hui ; il y avait dans ces rivières dix fois plus d’eau que de nos jours ; ces faits sont attestés par des témoins irrécusables, par les anciens lits que la Somme a laissé [sic] à sec, qui sont connus dans la basse Somme, sous le nom de croupes, et dans lesquels on trouve tout ce que peut charrier une rivière : des bateaux submergés, des squelettes d’hommes et d’animaux noyés (ces animaux perdus pour nos pays)12, les armes des premiers Gaulois, celles des Romains, les monnaies et les médailles des uns et des autres, de petites statues et figurines, des ex-voto en bronze et en terre cuite, des fragments de poterie sans nombre. L’auteur du présent mémoire a conçu le premier l’origine de ces monuments qui dominent majestueusement le sol de nos prairies, y dessines [sic] tous les différents bras de ces rivières, leurs contours, leurs îles figurant un plan en relief et a fait connaître leur théorie dans un mémoire présenté à l’Institut ”13. Peut-être n’a-t-il jamais exprimé aussi clairement les résultats de toutes ses recherches. Pour lui, les armes des premiers Gaulois, celles des Romains, les médailles des uns et des autres, etc… sont associées à des débris de castors, de rennes et d’urus, “ animaux perdus pour nos pays ”. En ajoutant le renne, sa conception n’en est que plus nette. 11. Cf. C. Picard, “ Notice sur des instrumens celtiques en corne de cerf ”, Mém. Soc. roy. Émul. Abbeville, t. II (1834-1835), 96. 12. Castors, rangiers, urus. L. A. 13. Abrégé des Annales du Commerce d’Abbeville, par M. Traullé, ancien procureur du Roi, membre du Conseil municipal, Abbeville, de l’Impr. Boulanger-Vion, 1819, 3.

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1822. Le Rhinocéros tichorhinus de Menchecourt Dans son cahier d’avril 1822, la Revue encyclopédique rappelait les trouvailles de Traullé d’une manière quelque peu confuse : “ Abbeville […]. On vient de trouver, dans plusieurs sablières des environs de cette ville, des ossements d’éléphants et de rhinocéros, un bois de cerf étranger et des dents de carnivores que M. Traullé, savant recommandable d’Abbeville, regarde comme des dents de lion. C’est à 25 pieds de profondeur que l’on a trouvé ces débris épars et mutilés ; ils consistent en une défense d’éléphant, un atlas et un os du métatarse de rhinocéros. M. Traullé […] a déjà trouvé de semblables morceaux au pied des coteaux d’Amiens […]. Le gisement de ces fossiles est quelquefois une couche de silex anguleux : c’est dans une couche de cette nature qu’on a trouvé le bois de cerf. B… G. ”14. L’auteur de la note paraît avoir résumé des renseignements qui lui avaient été communiqués, évidemment par Traullé lui-même. Celui-ci devait indiquer non seulement les découvertes qu’il avait faites au début de l’année 1822, mais encore les découvertes les plus importantes qu’il avait faites jusqu’ici dans les sablières. On y rappelle notamment que le cerf, qui doit être le Cervus somonensis, avait été trouvé dans un lit de silex anguleux comme celui qui se trouvait sous les os de rhinocéros, de sorte que les conditions de gisement sont très sensiblement les mêmes pour le Cervus somonensis et le Rhinoceros tichorhinus, dans l’esprit de l’inventeur, à plus de vingt ans d’intervalle.

Fig. 29. Le Rhinoceros tichorhinus de Menchecourt (1822), Cuvier, Rech. Oss. foss. (1823) Nous arrivons maintenant à l’événement le plus sensationnel de l’histoire de Menchecourt, la découverte d’un squelette entier de Rhinoceros tichorhinus. Ce serait encore le seul qu’il y aurait au Muséum et dans les collections fran-

14. Revue encyclopédique, t.

XIV

(avril 1822), 203.

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çaises sans les découvertes de Sibérie. Les conditions défectueuses de l’extraction laissée au hasard des travaux de la sablière, la friabilité des os d’autre part, ont fait que le squelette est parvenu incomplet et pour certaines parties dans un mauvais état de conservation. Comparé aux rhinocéros de Sibérie, notre squelette s’est trouvé quelque peu discrédité à tel point que Commont n’a pas su dans son ouvrage sur les Tufs et tourbes […] de la vallée de la Somme (1910), retrouver le crâne qui n’a cependant jamais quitté la Galerie de Paléontologie du Muséum. Nous avons pu réunir des renseignements relativement complets sur cette trouvaille et dissiper quelques erreurs assez sérieuses qui se sont glissées dans la littérature. Nous trouvons d’abord dans les Additions aux trois premiers volumes de la 2e édition des Recherches sur les ossemens fossiles les indications suivantes : “ Cet infatigable observateur, qui m’a déjà fourni tant de matériaux pour mon ouvrage, M. Traullé, correspondant de l’Institut à Abbeville, vient de me communiquer une nouvelle découverte d’os de rhinocéros faite dans les environs de cette ville ”. “ Les premiers os que l’on trouva, au mois de janvier 1822, consistent en un atlas un peu mutilé, un cubitus tronqué dans le bas et au bord de la facette sigmoïde, et trois os d’un métatarse parfaitement conservés […] ”. “ Le cubitus […] est trop altéré pour que l’on puisse en tirer des caractères […] ”. “ On a déterré ces os au faubourg de Menchecourt d’Abbeville ; ils reposaient sur un lit de silex en fragments anguleux mêlés de sable argileux, et étaient recouverts de sable pareil à celui de la mer ”. “ Il y avait tout auprès un fragment de bois de cerf, une phalange de cheval et un astragale de buffle ”15. C’est intéressant mais il n’y a rien de particulièrement sensationnel. Les conditions de gisement sont conformes à ce que nous savons déjà. Le mois suivant, ce n’est plus du tout la même chose. “ […] au mois de février suivant, l’on a trouvé à peu près au même lieu, un humérus [cubitus] et un radius bien complets et les deux extrémités d’un humérus. Ces trois os sont du même bras et paroissent avoir appartenu au même individu. Ils ressemblent pour les détails à ceux du Rhinocéros bicorne d’Afrique plus qu’à tout autre, mais ils sont plus gros et plus courts à proportion, ce qui doit faire soupçonner qu’ils appartiennent à l’espèce à narines cloisonnées ”16. L’ancien catalogue des fossiles de l’Anatomie comparée qui est maintenant au Laboratoire de Paléontologie donne les indications suivantes :

15. G. Cuvier, Additions aux trois premiers volumes de la 2e édition des Rech. oss. foss., 7 vol., Paris, G. Dufour et E. d’Ocagne, 1821-1824, t. III, 1822, 392. 16. G. Cuvier, Ibid., 393.

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“ 2709. Atlas à peu près complet donné par M. Traullé ”. “ 2720. Moitié supérieure de cubitus (côté gauche) par M. Traullé en janvier 1822 ”. Viennent en outre : “ 2718. Portion inférieure d’humérus (côté droit), par M. Traullé ”. “ 2721. Radius complet (côté droit) en deux portions, par M. Traullé. De Blainville, Ostéographie, pl. X ”. “ 2719. Cubitus complet (côté droit), par M. Traullé. De Blainville, Ostéographie, pl. X ”. Il s’agit évidemment des pièces recueillies par Traullé en février 1822. Cette fois ce ne sont plus seulement des os. C’est un membre complet qui s’ajoute aux pièces précédentes. C’est un animal entier qu’on avait rencontré dans la sablière de Menchecourt. “ M. Traullé, continue Cuvier, qui a observé par lui-même le gisement de ces os, rapporte que la terre qui les renfermait était très noire, et qu’il s’en exhalait une odeur si fétide que les travailleurs furent obligés de sortir précipitamment de la fosse. Il croit trouver dans ce fait la preuve que l’animal avait été enfoui en entier et que les chairs s’étaient décomposées dans le lieu même ”17. Traullé n’a pas vu, ni senti, cette terre noire qui faillit asphyxier les terrassiers. Dans son Essai de Géologie, Faujas avait donné une traduction du récit de Pallas émerveillé devant les morceaux du rhinocéros découvert sur les bords du Vilioui : “ Au moment où je reçus la tête et les pieds, dit Pallas, le cuir et les tendons avaient encore une certaine mollesse produite sans doute par l’humidité de la terre. Il s’en exhalait une odeur fétide, non telle que la puanteur des chairs récemment corrompues, mais absolument analogue à celle des latrines et comme ammoniacale ”18. “ […] J’ordonnai de les faire soigneusement sécher dans un four. […] ”. “ Les parties molles qui avaient conservé une grande quantité de substances grasses […] ont changé leur odeur en une puanteur infecte de chairs desséchées par l’ardeur du soleil, après quelque putréfaction, et la conservent encore ”19. “ […] la cavité orbiculaire des yeux est remplie d’une boue argileuse, et d’un humus animal tel que ce qui s’était insinué dans une partie de la cavité du crâne ”20.

17. G. Cuvier, Ibid., 393. 18. B. Faujas de Saint-Fons, Essai de géologie ou Mémoires pour servir à l’histoire naturelle du globe, t. I, Paris, 1809, 210. 19. B. Faujas de Saint-Fons, Ibid., t. I, 211. 20. B. Faujas de Saint-Fons, Ibid., t. I, 213.

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Les ouvriers ont dit à Traullé que la terre noire sentait si mauvais qu’ils avaient quitté précipitamment la fosse comme s’ils avaient eu peur d’être asphyxiés. Le départ entre l’histoire et la légende est sans doute une opération malaisée. Mais il est probable que Traullé est allé à Menchecourt après avoir relu Pallas, pour s’informer près des ouvriers si les mêmes conditions de la découverte se retrouvaient sur les bords de la Somme. Qu’il y ait eu chez eux complaisance et mystification avec suggestion ou sans suggestion de la part de Traullé, il y aurait là un dosage qui nous échappe. Ce qui est certain c’est que les résultats de l’enquête se sont conformés à ses présomptions et que, dans son rapport à Cuvier, il reproduit les circonstances indiquées par Pallas avec les mêmes mots ou avec des termes équivalents. L’“ odeur fétide ” et la “ terre noire ” de Traullé rappellent singulièrement la “ boue argileuse ” et “ l’humus animal ” de Pallas. L’hyperbole qui s’y ajoute sur les bords de la Somme provient seulement de la crédulité et de l’enthousiasme de l’inventeur. Là, Traullé comprit qu’il renouvelait à Menchecourt la découverte de Pallas. C’est dans ces conditions plus que suspectes que la “ terre noire ” entrera dans la stratigraphie de Menchecourt, avec les plus belles pièces qu’on avait trouvées ou qu’on allait trouver dans les sablières. Les plus belles pièces échappèrent à Traullé pour entrer dans la galerie de François Baillon. Elles parvinrent au Muséum où de Blainville les a utilisées avec les os déjà signalés par Cuvier. Baillon nous donne sur cette découverte les indications suivantes : “ L’animal refit plus ou moins son unité dans les armoires de l’Anatomie comparée, les pièces réunies furent utilisées par de Blainville dans son Ostéographie ”. Il les a réunies aux os déjà signalés par Cuvier. De Blainville rappelle d’abord les pièces recueillies par Traullé : “ Dans la vallée de Somme, nous avons à citer […] : un atlas un peu mutilé ; un cubitus tronqué inférieurement ; un radius ; les deux extrémités d’un humérus, ces trois os provenant d’un même bras ; trois os métatarsiens entiers trouvés, d’après Traullé, correspondant de l’Institut et cité par M. G. Cuvier (II, p. 392) dans un faubourg d’Abbeville nommé Machecourt, entre un lit de fragments anguleux de silex et d’argile au-dessus21 et des sables analogues à ceux de la mer en-dessous22, dans une terre noire extrêmement fétide, que M. Traullé pensait pouvoir être le résultat de la décomposition des parties molles de l’animal ”23. Il est clair que de Blainville a écrit ces lignes en suivant le texte de Cuvier. Mais il écrit Machecourt pour Menchecourt. Mais surtout, il a renversé cette

21. Souligné par l’auteur. 22. Souligné par l’auteur. 23. H.-M. Ducrotay de Blainville, Ostéographie ou Description iconographique comparée du squelette et du système dentaire des mammifères récens et fossiles, t. III, 1803, Paris, Baillères et fils, 190.

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partie de la stratigraphie de Menchecourt. Il a mis au-dessus le lit de fragments anguleux de silex et de sables argileux sur lequel se trouvaient les os et en-dessous les sables pareils à ceux de la mer qui se trouvaient au-dessus d’après Cuvier, c’est-à-dire d’après Traullé. Commont a utilisé de Blainville sans recourir à Cuvier et il a ainsi répandu le renversement des deux termes commis par une distraction de l’auteur de l’Ostéographie. Il l’a même aggravé. D’abord il a écrit : “ Dans un limon noir extrêmement fétide ” au lieu “ d’une terre noire extrêmement fétide ”. “ Ce limon noir, ajoute Commont, est un limon tourbeux qui est noté dans les sondages de la sucrerie de Menchecourt (terre noire, terre brune sableuse, terre grise) ”24. Il s’agit certainement ici d’une autre série que celle de Menchecourt, la sucrerie étant d’ailleurs en grande partie construite sur la partie la plus basse et la plus récente de la vallée. Ce limon noir n’a été jamais signalé dans les coupes des sablières, associé ou subordonné aux sables fluvio-marins ou aux sables argileux qu’on a vus parfois à leur base. Quant à la terre noire, il semble bien qu’elle n’ait jamais été vue que dans l’imagination des ouvriers autour des os de la patte antérieure droite du rhinocéros. Elle n’a pas non plus été signalée autour du cubitus gauche ni de l’atlas ni des métatarsiens qui auraient été recueillis par Traullé en janvier 1822. Elle n’a pas non plus été signalée autour du crâne et des os de la patte postérieure envoyée au Muséum par François Baillon. Le limon noir est l’avatar ultime de la terre noire qu’on est allé chercher en Sibérie pour ajouter à la stratigraphie de Menchecourt. Cuvier supposait que les os envoyés par Traullé devaient appartenir à l’espèce à narines cloisonnées. Les pièces envoyées par Baillon en apportaient la confirmation. Celui-ci écrivait à Valenciennes, le 3 septembre 1825 : “ Ma collection d’ossements fossiles des sablières de Menchecourt augmente de plus en plus. J’en porterai un bon nombre à M. Cuvier quand j’irai à Paris. Je n’en ai jamais eu autant ”25. Louandre nous dit qu’“ une grande partie du squelette et la tête entière, avec ses vingt-huit dents, ont été envoyés au Muséum d’Histoire Naturelle de Paris par M. Baillon, en 1826 ”26. De Blainville nous en donne le détail : “ Une vertèbre dorsale ; une portion d’omoplate du côté droit ; un os semilunaire de la main droite ; une rotule du même côté ; un péroné gauche ; une seconde phalange ; tous ces os d’une grande blancheur, friables, légers, poreux comme non fossiles et pourris en place et surtout une grande partie de crâne et de sa mandibule pourvue de toutes les dents des deux côtés, trouvés avec des 24. V. Commont, “ Gisements paléolithiques d’Abbeville ”, Ann. Soc. géol. Nord France, 278. 25. Bibl. Mus. Hist. nat., Ms. 1884, pièce n° 49. 26. Louandre, Histoire d’Abbeville et du comté de Ponthieu jusqu’en 1789, Librairie Devérité, 1835, 4.

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os de Cheval, de Cerf et de grands Bœufs, dans la même localité que ceux donnés par M. Traullé ; d’après M. Baillon, correspondant du Muséum, qui les lui a donnés ”27. Dans le même ouvrage, on trouve une autre énumération de tous ces os envoyés par Traullé et Baillon au Muséum, avec quelques indications qu’il tenait évidemment de Baillon et d’après lesquelles tous ces os paraissaient appartenir au même animal. “ Nous possédons dans la collection du Muséum, et certainement provenant de cette espèce de Rhinocéros de Sibérie, trois crânes […] ”. “ Le second, plus intéressant encore parce qu’il est pourvu de presque toutes ses dents, et qu’il a été trouvé à Abbeville avec un certain nombre d’os provenant évidemment du même animal […] ”. “ En mandibules, nous possédons celle de la tête trouvée à Abbeville, mais assez peu complète, surtout dans la partie incisive, la plus importante ”. “ Pour les autres os, nous en avons surtout d’Abbeville et du même squelette, sans doute, d’où proviennent la tête et la mandibule ”. “ Des membres antérieurs, nous pouvons citer […] une moitié inférieure d’humérus d’Abbeville ; un radius et un cubitus du même lieu et du même individu ; un os semi-lunaire du même […] ”. “ Des membres postérieurs, nous avons pu examiner un fémur complet d’Abbeville […] avec la partie articulaire d’un os innominé gauche du même lieu ; une rotule, un tibia, un péroné, un astragale, un calcanéum, et trois métacarpiens du même endroit et du même individu […] ”28. Baillon nous apporte lui-même de précieux renseignements sur la position de ces os et sur les niveaux fossilifères de Menchecourt : “ On commence à trouver des ossements à dix ou douze pieds de profondeur dans les sables de Menchecourt ; mais on en trouve une bien plus grande quantité à dix-huit et vingt pieds. Il y a de ces ossements qui furent brisés avant d’être enfouis et d’autres dont les angles sont arrondis, sans doute parce qu’ils ont été roulés par les eaux ; mais ils ne sont pas enterrés aussi profondément que ceux qui sont demeurés intacts. Ceux-là seuls sont déposés au fond de la sablière : ils y sont entiers, sans brisure ni frottement et il est probable qu’ils étaient encore articulés quand ils ont été recouverts. J’y ai trouvé tout un membre postérieur de rhinocéros dont les os étaient encore dans leur situation relative ordinaire : ils ont dû être joints par des ligaments et même entourés de muscles à l’époque de leur enfouissement. Le squelette entier du même animal gisait à peu de distance ”29.

27. De Blainville, Ostéographie ou Description iconographique comparée du squelette et du système dentaire des mammifères récens et fossiles, t. III, 1803, Paris, Baillères et fils, 190. 28. De Blainville, Ibid., 101-102. Cf. Atlas des planches, t. troisième, Quaternates, III, fig. 97. 29. F. Ravin, “ Mém. géol. sur le bassin d’Amiens ”, Mém. Soc. roy. Émul. Abbeville, 2e série, t. II (1834 et 1835), 197-198.

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De tout ce qui précède, il résulte donc : 1) que les os des membres recueillis par Traullé en janvier-février 1822 proviennent du même animal que la tête, la mandibule et les os d’un des membres postérieurs qui ont été envoyés par Baillon en 1826 ; 2) que cet animal était un Rhinoceros tichorhinus ; 3) qu’il se trouvait au fond de la carrière dans les sables aigres ou dans les sables argileux, au-dessus d’un lit de silex anguleux et au-dessous, c’est-à-dire à la partie inférieure des sables pareils à ceux de la mer et plus ou moins argileux à leur base. Cuvier avait été profondément intéressé par les nouvelles trouvailles et l’empressement de Traullé à les lui communiquer. Le remerciement ne se fit pas attendre. C’est ce que nous indique une lettre de Traullé datée du 1er août 1822 : “ C’est avec une profonde reconnaissance que je reçois le magnifique ouvrage dont vous venez d’enrichir les sciences. Vous me comblez d’honneur en me l’accordant mais il manque quelque chose à ma gloire, c’est une note de votre main qui peut se mettre sur le dernier volume, qui constate que c’est de vous que je le tiens. L’édition l’importe sur la première sous tous les rapports entre autres sous celui des matériaux. Je crois que de toutes parts ils abondent sous vos mains et que chacun s’empresse de vous en fournir. Ce tribut qui de toutes parts vous sera payé ne fera qu’augmenter chaque année et ceux que vous honorez du titre de vos collaborateurs le verront avec un plaisir extrême qui doublera leur émulation. C’est dans ces sentiments que fortifie le respect que j’aime à me dire ” “ Monsieur et savant ami, Votre très humble et très obéissant serviteur ”, “ Traullé ” “ P.S. J’ai du nouveau à vous présenter, sangliers, cerfs, castors ”. “ Monsieur Cuvier, conseiller d’Etat ”30. Avant que l’année ne s’achève il y eut encore du nouveau : Abbeville, 20 décembre 1822 “ Monsieur et savant collègue ”, “ J’ai l’honneur de vous prévenir qu’il doit vous arriver par la messagerie une petite boîte contenant des dents fossiles dont […] plus fortes que moyennes. Ces dernières présentent des pointes, on a trouvé des fragments de bois de cerf à côté des plus grandes […] ”.

30. Bibl. Inst. Ms. Cuvier, 244, 69.

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“ Une tête trouvée dans les croupes doit m’être envoyée incessamment. On la dit curieuse. Un gros fragment de tête d’éléphant, mâchoire supérieure encore garnie d’une dent dans son alvéole, vient de me tomber en partage. Cette pièce était gisante dans un banc de beau sable blanc que son contact avait coloré en brun rougeâtre qui environnait cet objet comme d’une auréole. Ce morceau ne peut être transporté et se brise au moindre contact et il a déjà beaucoup souffert et s’est divisé en plusieurs petits tant il est altéré par le long séjour qu’il a fait dans l’humidité de plusieurs siècles. La défense qu’on a trouvé [sic] il y a un an tout près du gîte de ce fragment appartenait sans doute à ce sujet. Les dents portent le caractère des défenses d’Asie. La tête de l’éléphant a glissé sur des terres boueuses. Les cavités en sont remplies. Rien n’annonce que la mer ait fait rentrer ces débris dans la vallée de la Somme ”. “ Si le morceau va toujours en se détériorant, je serais obligé de vous en envoyer un dessin. Le froid et la gelée lui feront beaucoup de mal quoiqu’il soit empaqueté actuellement comme un lapin […] ”. “ Etant dépourvu d’objets de comparaison et désirant bien fort en avoir, j’ai l’honneur de vous demander quelques plâtres de dents de mammouth, hienne [sic], crocodiles, lions et autres objets. Ce seroit ajouter à mon émulation et doubler mes connaissances et me favoriser dans mes recherches, me rendre enfin un service signalé. Quelque tête de rebut d’ours, tigre, loup, feroient bien mon affaire. M. Dufrenne a dû vous donner et vous prier de nommer quelques objets qu’il a trouvés et que j’ai trouvés avec lui sur les bords d’une fosse de sable en septembre dernier. Ils avoient été abandonnés et cachés par les ouvriers. Il y en a un très curieux en apparence que je l’ai engagé à vous donner. Je l’avois trouvé particulièrement. J’ai fait voir à M. Dufrenne nos croupes, nous y avons fouillé quelques moments et trouvé des coquilles fluviatiles sans nombre, ce qui prouve bien, comme je l’ai toujours soutenu, que ces monumens curieux sont des lits de rivière, qu’ils se sont formé [sic] sous elle. Les bateaux submergés qu’ils contiennent, les animaux, les antiques curieuses dont ils sont pleins en sont une preuve complette. Quand ferez-vous la partie de les venir visiter, je ne dis pas en Xbre du froid qui nous glace, mais au beau tems et dans la saison où les tièdes zéphyrs auront l’herbe rajeunie ”31. Traullé n’avait jamais été plus actif et les recherches n’avaient jamais été plus fructueuses. Il explore les croupes comme il explore les sablières. Le beau sable blanc où gisait le fragment de crâne était évidemment le sable aigre du fond de la carrière et si les cavités étaient remplies de “ terres boueuses ”, c’est que le sable aigre était à sa base argileux. Les os qui en proviennent montrent parfois dans leurs parties creuses une gangue très fine argilo-sableuse. Le crâne a les caractères physiques des os des niveaux inférieurs. Ils sont légers et friables comme ceux du rhinocéros. 31. Bibl. Inst. Ms. Cuvier, 244, 70.

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1823. Haches et pointes de flèche “ gauloises ” trouvées en 1791 Baillon et Traullé se faisaient sans doute une âpre concurrence mais l’œuvre commune ne pouvait manquer de les réunir. Dans la lettre suivante, Traullé écrit pour Baillon et pour lui-même : “ J’ai l’honneur de vous prévenir que M. Baillon vous portera une empreinte trouvée dans un grais à Abbeville […]. Je désirerais savoir le nom de l’arbre. Est-il de l’ancien monde ? M. Baillon est prié de vous demander le nom de l’espèce à laquelle appartient le sternum que je vous ai envoyé dans une des dernières caisses. Cela nous fera grand plaisir. Nous vous remercions beaucoup d’avoir déterminé l’ossement de l’axis. J’en ai trouvé un pareil ”. “ Ayez la bonté de recevoir les assurances d’une considération respectueuse ”. M. Traullé “ Abbeville, 22 mai 1823 ”. “ Monsieur le Baron Cuvier, Conseiller d’Etat à Paris ”. Sans doute les temps étaient loin où le citoyen Traullé écrivait un peu librement au citoyen Cuvier mais le respect ne diminuait pas la cordialité des rapports. D’ailleurs Traullé demeurait un homme heureux. Il avait obtenu de ses recherches toutes les satisfactions qu’un Abbevillois pouvait espérer. La mort de Devérité lui avait rendu la paix dans sa ville natale. On se rappelle que la Réfutation avait empêché la publication d’une notice qu’il avait lue à la Société d’Émulation. En 1823, il sortit la notice de ses cartons et la publia avec Hermant de Norville sous la forme suivante : Notice sur les tombes et tombelles de l’arrondissement d’Abbeville, in 8°, 8 pages, sans nom d’auteur. On y trouve un rappel des fouilles faites par l’un des auteurs dans la tombe de Crécy. Vers 1786-1787, un fermier avait découvert deux sarcophages et dans l’un deux un squelette avec quelques boucles en bronze, la principale ornée de verroteries. “ M. Dargnies de Fresne […] qui composa une bonne dissertation sur cette découverte […] l’ayant communiquée à l’auteur, il enflamma tellement son imagination que, seul et sans témoin, il se rendit à Crécy pour reprendre la suite de la découverte ”32. 32. [L. Traullé et N. de Norville], Notice sur les tombes et tombelles de l’arrondissement d’Abbeville, 1823, 4.

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Encouragés par ce succès, MM. N. [de Norville] et T. [Traullé] se mirent en société et résolurent de fouiller les tombes de Port. Nous savons que c’était en 1791. Les deux amateurs “ […] jugèrent que les individus qu’elles renfermoient […]. avaient été brûlés en même temps, sacrifiés en même temps au Dieu Mars […] et comme on n’y vit pas un atome de métal, il est probable que ces tombes remontoient à la plus haute antiquité, au tems où l’usage du fer était encore inconnu ”33. S’il n’y avait que des silex taillés en armes offensives, cela ne dépassait pas l’antiquité d’un Mars gaulois. Quelque temps après, Traullé fit fouiller la tombe de Drucat. On ne trouva, parmi les cendres funéraires, que de “ petits silex taillés en pointes de flèches ”. Pas plus de métal qu’à Port. Traullé retrouve son émotion d’il y a vingt ans devant les pauvres tombelles : “ […] tout est pauvreté, tout est misère, elles sont si anciennes qu’on y a encore rencontré ni les métaux de la guerre ni ceux du luxe, et toujours pour armes, celles de l’enfance du monde, des pierres plus ou moins travaillées, les unes en hache, les autres en pointe de flèches. Quelles antiquités ! ”34. Et il rappelle les phrases solennelles que l’implacable Devérité avait condamnées à l’ombre et au silence et que nous avons déjà citées. Elles n’ont pas trop vieilli. La brochure de 1823 est plus sobre que celles de l’an III et de l’an X. Il y a du sérieux et de la gravité. En la lisant on ne peut pas ne pas penser aux premiers chapitres de De l’Industrie primitive. À la séance de l’Académie des Sciences du 28 mars 1825, “ M. Traullé lit un mémoire intitulé “ Aperçu sur le déluge, sur la cause qui l’a produit et sur la présence dans le Nord des deux continents des ossements des animaux du Midi ” 35. Nous n’avons pas trouvé d’autres indications sur ce mémoire. Mais une lettre à Cuvier de l’année suivante nous donnera tout de même quelques précisions sur les idées de Traullé. 1825. Retour de Jacques Boucher de Perthes à Abbeville La même année, un homme qui approchait davantage de la quarantaine que la trentaine et qui n’en était pas très fier, réintégrait Abbeville qu’il avait quittée depuis vingt ans. Il revit, “ debout sur deux grandes jambes les petits enfants qu’il avait vus marcher à quatre pattes ” et il eut ainsi l’impression qu’il avait vieilli. Il avait publié pas mal de poésies et même une pièce de théâtre. Il était parti sous le nom de Jacques Boucher. Il revenait M. Boucher de

33. [L. Traullé et N. de Norville], Ibid. 34. [L. Traullé et N. de Norville], Ibid. 35. Extrait des procès-verbaux de l’Acad. Sci., t. 8, 203.

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Perthes, Directeur des Douanes. Il s’installait dans le bel hôtel de la rue des Minimes parmi les collections qui ne lui avaient pas dit grand-chose quand il était Jacques Boucher. Mais il s’y installa bien. Il n’y avait pas retrouvé sa mère. Sa sœur avait épousé Eloy de Vicq et remplaçait la défunte dans le gouvernement de l’hôtel. Les deux époux durent quitter Abbeville et l’on se sépara très froidement. Boucher de Perthes resta avec son père, comme maître réel et virtuel du “ sanctuaire de la Science et de l’Art ”. Traullé était toujours actif. L’ancien camarade de Jacques Boucher, François Baillon était depuis longtemps Correspondant du Muséum. Il y avait à Abbeville quelques lettrés mais rien chez eux n’approchait du poète si recherché des almanachs et du parolier si en faveur chez les chansonniers : “ Il n’y avait si fier chanteur, si superbe harpiste ou pianiste, voire même haut et puissant compositeur qui ne me demandât des paroles ; j’aurais pu en ouvrir boutique ”36. Au moment où il arrive à Abbeville, il est déjà depuis plusieurs années beaucoup plus ambitieux. Ce qu’il veut, c’est faire jouer ses pièces dans un grand théâtre parisien et l’accueil qu’il recevait n’était pas toujours décourageant. Mlle Le Verd l’accueillait gentiment. Potier aurait voulu s’en servir pour se lancer dans la comédie de caractère. De telles ambitions et de tels antécédents devaient lui tourner les yeux vers l’Académie française et non vers l’Académie des sciences, si l’on voulait conserver, dans la famille, un académicien. La Société d’Émulation était tombée en léthargie. Ses membres vieillissaient. Cela ne veut pas dire qu’ils dormaient eux-mêmes. Mais Boucher, Traullé, François Baillon s’intéressaient davantage aux Académies parisiennes et aux périodiques parisiens qu’aux parlotes de la Société d’Émulation et à son bulletin qui était devenu si squelettique qu’on ignore même quand il a fini d’exister37. Notre revenant qui n’avait pas réussi à faire sa quatrième était quelque peu intimidé par des savants comme Baillon, Traullé, comme son propre père. Mais en somme, il réussissait à se faire apprécier et rechercher dans une autre voie et pouvait par là traiter d’égal à égal avec eux, sinon mieux. Sans doute, il était venu à Abbeville pour en sortir et aller un jour à Paris. Mais enfin, il fallait au moins attendre à Abbeville et, nécessairement, y faire quelque chose. Il venait de Morlaix, ville très bretonne et même très bretonnante. Il s’était acclimaté à cette chouannerie qu’il avait commencé par maudire de tout son cœur. Il y avait fondé un théâtre de société dont il était le chef d’orchestre et sans doute bien autre chose. À Abbeville, il pouvait certainement faire plus encore. M. le Directeur des Douanes n’était pas surmené par ses fonctions administratives. C’était une ancienne inspection qu’on avait éri36. Jacques Boucher de Perthes à Jules Janin, 2 février 1842. 37. Le dernier bulletin publié date de 1806. Suivent à la bibliothèque municipale d’Abbeville quelques rares notes manuscrites en 1807, 1808 et 1809.

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gée en direction pour que son père devînt directeur sur place et qu’on supprima quand Boucher de Perthes lui-même fut mis à la retraite. Laissons-le donc reprendre contact avec Abbeville. Nous le retrouverons bientôt. 1826. Traullé : animaux disparus et déluge. Achille Valenciennes à Abbeville 1826. Jamais les collections d’ossements fossiles n’avaient été aussi importantes à Abbeville. Traullé ramassait toujours et pensait à ses déluges qui ressemblaient davantage à ceux de Pallas qu’à ceux de Cuvier. Cuvier n’avait pas encore détrôné ce grand voyageur. Traullé lui écrivait alors : “ Monsieur et savant confrère ”, “ On vient de trouver dans une de nos fosses de gros ossemens encore mêlés de dents de chevaux ou chameaux et congénères ; il y a un fragment d’omoplate, un de vertèbre, le contact de l’air suffit pour les diviser. Je vais vous les envoyer. Les fragmens de mâchoire vous sont-ils parvenus ? Ils sont tombés en pièces au moment où ils ont vu le jour, comme tous ceux qui sortent de cette fosse là. J’espère y trouver du curieux. Nous passerons en revue tous les animaux de l’Afrique qui nous ont été amenés par un des derniers déluges et sont tombés de la surface de ses eaux dans le fond de la mer que nous faisions alors. Ce sont des cadavres qui, après avoir été longtemps suspendus par l’effet de l’eau enfermée dans leurs intestins, sont tombé [sic] en pluie tant ils étaient nombreux. J’excepte les grands mastodontes de l’Amérique du Nord, etc […]. Accordez-moi la grâce de me nommer les dents de carnassier du dernier envoi ”. “ J’ai l’honneur de vous prier de me croire, avec la plus haute considération, Monsieur, votre très humble et obéissant serviteur ” “ Traullé ”. “ Abbeville, 11 février 1826 ”. On ne le vieillira pas. Son enthousiasme ne faiblit pas. Il change sans doute d’hypothèses. Mais il leur demande des os, beaucoup d’os, une pluie de cadavres ! Menchecourt était tout de même un gisement privilégié pour déterminer des hypothèses pareilles ! Cuvier n’est pas venu à Abbeville ni même dans les sablières de Menchecourt pour faire des fouilles et chercher des os, quoi qu’en ait dit Boucher de Perthes dont l’imagination dépassait alors toute mesure. C’est Valenciennes qui vint à Abbeville. Il vit évidemment la collection de Baillon. Ensemble, ils allèrent voir celle de Traullé.

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Le Rhinoceros tichorhinus de Menchecourt vint au Muséum. Les pièces recueillies par Baillon rejoignirent celles qui avaient été envoyées par Traullé à l’Anatomie comparée où l’animal refit à peu près son unité. 1828. Boucher de Perthes, vice-président de la Société d’Émulation d’Abbeville. Casimir Picard à Abbeville Après avoir nommé Morel de Campennelle Président et Boucher de Perthes Vice-Président pour avoir à sa tête un représentant de l’ancienne et de la nouvelle génération, la Société d’Émulation reprit ses séances à partir du 1er février 1828 pour ne plus les interrompre que dans les grandes épreuves nationales. De ceux de l’an V, il en restait à peine le tiers, et pas pour longtemps. D’autres allaient venir. Ses procès-verbaux étaient assez copieux, parfois très copieux, et le Registre manuscrit contenait beaucoup de renseignements qui n’ont pas passé dans les courts Extraits imprimés à la fin de chaque volume des Mémoires. Ce Registre a été détruit avec tout ce qui se trouvait au Musée Boucher-de-Perthes. J’avais pris quelques notes et copié quelques textes que j’utiliserai et qui représentent tout ce qui reste de nos archives. C’est plus que pauvre à côté de ce que nous avons perdu. L’année même où se reformait la Société, s’installait à Abbeville, rue des Grandes Ecoles, un jeune chirurgien. C’était Casimir Picard. Il était né à Amiens le 17 décembre 1805. Son père était graveur sur bois et vivait dans l’une de ces petites maisons qui se trouvaient alors sur la chaussée de Noyon. Voici son acte de naissance : “ Le vingt-sept frimaire an quatorze dix heures du matin, il m’a été présenté un garçon qui a été nommé Casimir, fils légitime de Louis François Picard, graveur et de Marie Geneviève Langle, demeurant à Amiens, rue et chaussée de Noyon de la porte de Noyon. Premier témoin : Germain Lefèbvre, sergent de la mairie d’Amiens y demeurant, second témoin : Louis Leloir, sergent de la mairie d’Amiens y demeurant, sur la déclaration et réquisition à nous faite par le Sr. Dubois, docteur en chirurgie qui a fait l’accouchement, le père absent, et a ledit Dubois signé après lecture. Les témoins ont déclaré ne savoir signer. Dubois ”. “ Constaté par moi, adjoint au Maire de la ville d’Amiens, officier public de l’Etat civil, Grenier père, adjoint ”. Sur ce que fut sa vie avant qu’il s’installât à Abbeville, nous n’avons que les extraits d’une Notice biographique, faite il est vrai, avec émotion et sympathie par T. Morgand, quelques mois après la mort de Casimir Picard, c’està-dire dans des circonstances où l’expression elle-même a une valeur historique :

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“ Vous savez combien eut à souffrir, dès ses premières années, le jeune Casimir, soumis par un père difficile à un genre d’éducation systématique et sévère ; avec quel zèle et quel succès, quoique seul et constamment contrarié par son goût précoce pour les sciences naturelles, il s’occupait déjà de cet objet de la prédilection de toute sa vie, puisqu’à l’âge de huit ans, il avait deviné le sommeil des plantes et quelques-uns des principes qu’il développa depuis ”38. Sans doute ici la légende se mêle à l’histoire mais elle exprime à sa manière les sentiments inspirés par une nature qui paraissait supérieure : “ Il se décida de bonne heure pour la profession de médecin […]. Cependant il eut à lutter contre une vive opposition de la part de son père et le consentement si ardemment désiré ne fut, pour ainsi dire, arraché qu’après de longs délais. Les portes du collège s’ouvrirent enfin pour celui qui devait en être un des meilleurs élèves. Sa passion pour la botanique et l’histoire naturelle l’y avait suivi. Les jours de récréation étaient consacrés à des promenades scientifiques ; l’herbier se remplissait, le nombre des coquilles croissait […] ”. “ […] Ses peines n’étaient pas finies. Sa famille quitta Amiens. Abandonné à ses propres ressources, il se vit exposé à bien des privations […]. Tout en suivant les classes, l’actif collégien était, dès l’âge de treize ans, un des auditeurs les plus assidus du cours de botanique de M. Barbier. A seize ans, en 1822, il quittait le collège pour devenir élève habitué à l’école de médecine d’Amiens. Il fut reçu la même année externe à l’Hôtel-Dieu, puis interne en 1824 ”39. C’est là qu’il fut l’élève de Rigollot. J’ai un tiré à part de sa Notice sur quelques instruments celtiques avec cette dédicace : “ À mon ancien Maître M. Rigollot ”. “ Pour subvenir à son entretien, il s’était fait le répétiteur de quelques condisciples et il avait pris sur son sommeil pour tenir les écritures d’un marchand. Il se rendit ensuite à Paris pour achever ses études en médecine et en histoire naturelle […] ”. “ La promesse du secours d’une influence puissante et d’une clientèle presque assurée le décida à venir se fixer à Abbeville où les probabilités de succès étaient grandes. Il vint plein d’espoir habiter parmi nous en 1828 ”40. 1829. Picard, membre de la Société royale d’Émulation d’Abbeville Sur son admission à la Société d’Émulation, j’ai relevé sur le Registre des procès-verbaux, à la date du 20 février 1829, les indications suivantes :

38. T. Morgand, “ Notice biographique de M. C. Picard ”, Mém. Soc. Émul. Abbeville, 5 (1841), (1842) et (1843), 450. 39. T. Morgand, Ibid., 450-451. 40. T. Morgand, Ibid., 451.

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“ Le Président propose d’admettre au nombre des membres résidans de la Société, M. Picard, chirurgien. Il sera statué sur cette proposition dans la séance du second vendredi du mois de mars prochain […]. M. Gaillon lit un mémoire de M. Picard dans lequel l’auteur traitant les questions les plus abstruses cherche à pénétrer dans les abîmes sans fond de la physiologie ”. Pour une fois, les procès-verbaux sortent de leur sécheresse habituelle. C’est tout ce que nous savons sur ce mémoire. Mais nous en connaissons l’effet et sa lecture semble avoir ébloui l’aréopage qui se sent comme dépassé par des accents jusque-là inconnus. Le 20 mars suivant il est procédé par voie de scrutin à l’élection de M. Picard, chirurgien. Cette épreuve lui est favorable et il est admis comme membre-résidant. Il venait d’avoir vingt-trois ans. Il déploie dès lors une activité qui ne cessera de croître qu’à ses tous derniers jours. J’ai relevé sur un cahier qui portait comme titre Société d’Emulation : Lectures depuis février 1828 jusqu’en octobre 1831, les indications suivantes : “ 17 avril 1829, M. Picard. Discours sur la botanique. - 15 mai, M. Picard. Rapport sur un ouvrage de M. Desmazières précédé d’une introduction sur l’étude des champignons. - 2 octobre, M. Picard communique de curieux détails sur une hydrocéphalie externe partielle observée dans le faubourg du Bois sur un enfant de sexe féminin. - 18 décembre, M. Picard. Observation sur la structure des graines [sic] de pollen. Rapport de cette structure avec celle de la fleur et des parties qui la composent. - 21 mai 1830. Mémoire sur un fait de monomanie homicide observé à Amiens. - Juin 1831, M. Picard. Rapport sur l’ouvrage intitulé Tableau de l’Egypte, de la Nubie, etc, par M. Rifaud, de Marseille ”. Nous verrons que pendant ces deux années, toutes ses préoccupations ne se reflètent pas dans les notes précédentes. Il fut un naturaliste au sens large du mot. Il vécut à Paris au moment où Cuvier était dans toute sa gloire. À Abbeville, il retrouvait son influence dans les recherches qui avaient conduit Traullé à travers un passé où l’on voyait les produits de l’industrie humaine mêlés à des restes d’espèces éteintes ou émigrées et où le vieux chercheur ne songeait guère aux formules cuviéristes. Depuis plus de trente ans, les monuments de l’histoire naturelle se trouvaient associés, dans notre vallée, aux monuments de l’art. L’histoire de l’homme se lisait en même temps que l’histoire de la nature dans les mêmes couches superposées des croupes et des tourbes comme dans les feuillets successifs d’un même livre et l’on y retrouvait avec les animaux qui n’étaient plus dans la contrée, les mêmes hommes que dans les plus anciennes tombes. Tel était le bilan que la génération qui s’en allait laissait aux nouveaux venus. Il ne semblait pas possible de faire de l’histoire naturelle dans la vallée de la Somme sans faire l’histoire de l’homme et cette situation avait été amenée par les recherches de Traullé. Il avait mis à l’épreuve les théories de Cuvier et de Mongez qui l’avaient encouragé et qui l’avaient instruit suffisamment pour savoir au besoin ne pas penser comme eux parce qu’il voyait ce qu’on ne peut pas voir à Abbeville quand on est à Paris. Telle était la situation

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de fait qui s’offrait à un naturaliste venant s’installer à Abbeville à ce momentlà. Il n’y avait qu’à faire la relève. Il était opportun qu’on la fît. 1829. Mort de Traullé Il vint au moment où un grand vide allait se produire. Vers la fin de l’année 1829, Cuvier reçut une lettre d’Abbeville. Elle était d’Alexandre Traullé et datée du 6 novembre : “ Monsieur le Baron ”, “ J’ai l’honneur de vous faire part que vous venez de perdre un ami et l’Académie un de ses membres correspondants en la personne de notre frère Laurent Joseph Traullé, ancien magistrat. Depuis plusieurs mois, notre frère s’affaiblissait à vue d’œil. Il s’est éteint le 8 du mois dernier après avoir parcouru une vie honorable et digne des regrets de sa famille et des savants avec lesquels ses connaissances étendues l’avaient mis en rapport. Je l’ai souvent entendu se glorifier de ceux qui vous touchaient particulièrement. Vos regrets lui sont acquis ”41. Laurent Traullé était mort le 10 octobre 182942. Il avait légué son cabinet à son frère, “ lieutenant du roi en retraite ” et habitant à Sedan. Dans un post-scriptum à la lettre précédente, il offrait à Cuvier, sur les indications de Baillon, un fragment de la mâchoire d’un carnivore. Baillon fit l’état de la collection des ossements fossiles dans une lettre à Valenciennes datée du 5 novembre 1829. “ Il y en a beaucoup moins, écrit-il, que quand nous les avions vus ensemble il y a trois ans ”. Ce qui reste est en effet peu de choses : Des sables de Menchecourt : - 3 ou 4 astragales, 2 calcanéum, un os du tarse, 3 os des doigts, un canon d’une jambe de derrière d’un grand bœuf de la sablière ; - un astragale, une portion inférieure de tibia et plusieurs dents de cheval ; - un fragment d’omoplate de bœuf ou de cheval ; - la base d’un merrain et d’un canon de cerf ou peut-être du Daim d’Abbeville ; - un calcanéum et une dent de la mâchoire inférieure d’un rhinocéros ; - une molaire d’éléphant en assez mauvais état ;

41. Bibl. Inst. Ms. Cuvier, 251 (65). 42. De Franqueville, Le premier siècle de l’Institut de France, 1896, 148.

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- enfin, ce qui est selon Baillon le plus précieux, un fragment de la mâchoire inférieure portant encore 2 dents, la carnassière et une autre, d’une grande espèce de Canis qui lui parut être celle décrite par Cuvier : “ C’est la première fois, écrit-il, que je vois un ossement du genre Canis dans nos sablières ”43. Des tourbes et des croupes de la Somme, il n’en reste pas davantage : - 2 têtes et 3 ou 4 mâchoires inférieures de castor ; - 3 mâchoires inférieures de sanglier et un morceau d’une quatrième ; - 3 cornes séparées du grand bœuf des tourbières (Cuvier, IV, pl. 12, fig. 3) - un astragale et 2 mâchoires inférieures de cheval ; - 2 portions de tête d’un bœuf plus petit, probablement l’espèce ordinaire - et une grande quantité de bois de cerf, la plupart cassés, mais un qui est entier est remarquable par la grosseur du merrain et par la largeur de la meule. C’est en somme un reste de collection et Baillon ne juge pas que ce soit assez important pour être acheté par le Muséum. J’ignore absolument ce que ces pièces sont devenues. Peut-être n’avait-on pas attendu la mort de Traullé pour diminuer et sans doute écrémer la collection et n’y guère laisser que des pièces banales ou en mauvais état de conservation. Il n’est guère facile de savoir ce que les morceaux les plus intéressants sont devenus. Le reste du cabinet de Traullé, les antiquités et les objets d’art, n’eut pas un meilleur sort, du moins dans son ensemble. Il existait au musée de l’Arrondissement un certain nombre de poteries qui avaient été données “ par M. Traullé ”, c’est-à-dire par Alexandre Traullé puisque le musée n’existait pas avant la mort du collectionneur. Ces pièces sont maintenant au nouveau musée Boucher-de-Perthes. Mais le légataire du cabinet habitait Sedan, la plupart des pièces ayant une valeur marchande et susceptibles d’être transportées furent vendues à Paris. Un catalogue44 fut dressé, qui se trouvait autrefois dans la bibliothèque d’Henri Macqueron et qui m’a été communiqué par cet érudit. J’ignore ce que ce document est devenu. On en trouve un résumé dans le Bulletin de la Société d’Émulation. Mais, et sans savoir à ce moment là ce que je pourrais en faire un jour, j’ai pris quelques notes où doit se trouver au moins la mention globale de ce qu’il y avait de particulièrement remarquable : Des figurines en bronze antique (n° 85 à n° 96) dont : “ (85) le dieu Mars ou Mansis, bronze phénicien trouvé dans les mollières du Marquenterre ; (86) un Jupiter Gaulois, trouvé à Tours (Somme) ”. Des vases et objets divers en bronze antique (n° 97 à n° 110) dont “ un vase d’une forme étrusque, trouvé en 1816 dans la vallée de la Somme plein de

43. G. Cuvier, Rech. Oss. foss., t. IV, pl. 37, fig. 2, 3, 4 et 7. 44. Catalogue d’une très belle collection de tableaux, d’objets d’art, curiosités et d’un très beau télescope provenant du cabinet de M. T… Membre correspondant de l’Institut de France, Paris, Hue, Genevois et Watteau, 1832.

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médailles ; un scrinium garni de ses stiles trouvé près d’un squelette à Fontaine, Somme ”. Armes et fers antiques (n° 111 à n° 123) dont : “ un casque gaulois ou franc tiré de la tourbe à Fontaine ; trois haches dont une romaine, trouvées à Vron ; sept autres haches en bronze antique de différentes formes ; cinq fers de lance et javelot, trouvés dans les croupes de la Somme ; un crochet en fer pour le combat sur l’eau trouvé dans les croupes de la Somme ; fragments de lances, de sabres et d’épées trouvés à Vron ”. Objets divers antiques (n° 124 à n° 136) dont : “ Six haches en silex ; une autre en silex montée dans un morceau de corne de cerf. Cette pièce curieuse a été l’objet d’un mémoire lu à l’Institut, mémoire qui met sur la voie de l’usage de ces haches, qui était resté ignoré jusqu’à ce jour ; quatre autres haches, très belles, en pierre de touche. Une dent de cheval agatisée, montée dans un os ; modèle en petit d’un bac antique, dont l’original a été trouvé dans une croupe de la Somme, au village de Fontaine et décrit par M. Traullé dans un mémoire lu à l’Institut. Près de ce bac, on trouva des médailles d’Alexandre Sévère, ce qui fait penser que sa submersion date de cette époque. Cette petite copie avait été faite avec une planche de l’original ”. Vases antiques, étrusques et autres (n° 137 à n° 155) dont : “ Un vase rouge à goulot, servant à recevoir du lait, trouvé à Fontaine-surSomme ; deux autres petits trouvés dans un tombeau ; autre vase plus petit trouvé à Tours (Somme) ; un autre trouvé plein d’encens dans une croupe de la Somme à Fontaine ”. Vases antiques (n° 156 à n° 161). Vitraux anciens colorés (n° 162 à n° 175). Fayences de Bernard Palissy (n° 176 à n° 182). Des terres cuites (n° 183 à n° 186). Des ivoires sculptés ( n° 187 à n° 190). Des porcelaines (n° 191 à n° 196). Des objets divers (n° 197 à n° 203) dont : “ (201) Un superbe télescope newtonien de Simon Caroché, opticien du roi ; (203) 1300 bouteilles de vin de Malaga et de l’Hermitage, première qualité ”. Tel était sans doute l’essentiel de cette collection. Quelques poteries sans grande valeur marchande et d’un transport difficile furent données par les héritiers à la Société d’Émulation. Elles sont passées au musée de l’Arrondissement. Elles sont aujourd’hui45 au nouveau musée Boucher-de-Perthes. Au Muséum il y a beaucoup d’os provenant des sablières et des tourbières. Mais parmi les pièces importantes qui figurent sur l’ancien catalogue des fossiles de l’Anatomie comparée, je n’ai guère retrouvé que la partie restaurée du Cervus somonensis. Avec ce qui nous reste et ce que le Muséum a pu nous communi45. En 1954 ou un peu après.

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quer nous avons pu faire une vitrine plutôt commémorative de l’activité dont nous avons reconstitué l’histoire46. L’essentiel de la collection fut perdu pour Abbeville pour n’y laisser que des souvenirs et des regrets dans quelques mémoires. Il restait aussi de rares brochures dans quelques bibliothèques et surtout un exemple qui allait être suivi. L’occasion ne se fit pas attendre. 1830. Fouilles à la Portelette et à Saint-Jean-des-Prés. Cours d’Antiquités monumentales d’Arcisse de Caumont. “ En 1830, écrivait Casimir Picard, pendant les travaux de creusement pour le canal de dérivation, après avoir enlevé les couches superficielles de la tourbe et avoir atteint celles que l’on nomme tourbes bocageuses, sous l’emplacement de l’ancien couvent de St-Jean-des-Prés et aussi vers la Portelette, les ouvriers rencontrèrent un grand nombre d’ossements appartenant aux espèces d’animaux reconnues précédemment dans les tourbières de notre vallée, tels que ceux d’urus, de castor, de cerf, etc. Parmi ces débris d’animaux plus ou moins bien conservés, se trouvèrent cinq morceaux de corne de cerf, remarquables par les traces évidentes d’un travail particulier. Quatre se rattachent à la même espèce d’instrument, c’est-à-dire aux gaines de haches celtiques ; le cinquième s’en éloigne beaucoup par sa forme et surtout par l’usage auquel il a dû être employé ”. “ De ces quatre gaines, une seule est parfaitement conservée, elle m’appartient, deux autres, un peu endommagées sont à M. Baillon ; la quatrième est tronquée et présente une légère différence avec les autres. Elle m’appartient aussi ”47. C’étaient les trouvailles de Traullé qui se renouvelaient, avec les mêmes associations archéologiques et paléontologiques. Picard reprend les mêmes idées avec la même logique. La même année paraissait le tome 1er du Cours d’Antiquités monumentales professé à Caen par M. de Caumont, Histoire de l’Art dans l’Ouest de la France depuis les temps les plus reculés jusqu’au XVIIe siècle. Le volume était consacré à la Période celtique avec onze planches. Il y avait presque autant d’histoire que d’archéologie et l’auteur avait pris pour guide Augustin Thierry. Par ailleurs, il insistait sur les monuments mégalithiques, les allées couvertes, plus que sur les objets en silex et en bronze pour lesquels il donnait tout de

46. L’auteur avait réalisé une vitrine sur les précurseurs de Boucher de Perthes pour la comémoration du centenaire de la publication des Ant. celt. antédiluv. à Abbeville les 15 et 16 octobre 1949 [(vitrines V, VI, VII et XXVIII). Cf. L. Aufrère, “ Le centenaire des Antiquités celtiques et antédiluviennes ”, Bull. Soc. préhist. France, 1-2 (janvier-février 1950), 47-56], puis pour l’inauguration du nouveau musée Boucher-de-Perthes. 47. C. Picard, “ Notice sur des instruments celtiques en corne de cerf ”, Mém. Soc. roy. Émul. Abbeville, 2e série, t. II (1834) et (1835), 97.

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même trois planches. “ Un cadre aussi vaste, écrivait-il, pour l’ensemble de l’ouvrage, me mettait dans la nécessité de traiter très-rapidement toutes les questions que soulèvent ces débris de vingt siècles, entassés confusément sur notre sol ”48. Il ajoute que le “ résumé [qu’il] présente n’est que l’esquisse d’un ouvrage plus complet ”49. C’est bien en effet une esquisse, au moins pour l’ère celtique. Tout de même, sans qu’on n’y trouvât rien de réellement nouveau, ni même une vue complète et précise sur l’ensemble des questions déjà résolues, ce volume pouvait attirer l’attention sur les industries de la pierre et du bronze de l’ouest de la France. Gaillon, qui était en avril 1832 vice-président de la Société d’Émulation, se chargea de faire, sur ce volume, un rapport qui fut publié dans les Procès-verbaux de la séance publique de la Société d’Agriculture, du Commerce et des Arts de Boulogne-sur-Mer, tenue le 19 septembre 1832 (pp. 161-176). C’est dire que le vice-président ou l’ex-vice-président de la Société d’Émulation d’Abbeville s’intéressait à “ la période celtique ” et qu’il répandait volontiers l’ouvrage de son compatriote. Que devait-on penser à Abbeville des considérations d’Arcisse de Caumont sur la manière dont avaient pu être emmanchées les haches de pierre ? “ Il n’est pas facile de concevoir comment les Gaulois se servaient des instruments dont nous venons de parler. Plusieurs antiquaires croient qu’on fixait l’extrémité dans une espèce de maillet, et que ce maillet muni d’un manche pouvait servir en guise de hache ; ou bien que les haches les plus longues et les moins convexes étaient engagées par le milieu au bout d’un bâton fendu auquel on les attachait solidement au moyen de ligatures ”. “ D’autres ont pensé que les haches de pierre se tenaient dans la main quand on se battait corps à corps ”50. C’était possible, mais ce qui était sûr et ce que savaient Boucher, François Baillon, Hecquet d’Orval et beaucoup d’autres Abbevillois, c’est qu’on avait trouvé des haches de pierre emmanchées dans une gaine de corne de cerf et que les informations qu’Arcisse de Caumont étaient prises en défaut. Il est des découvertes qu’il faut faire plusieurs fois. 1828-1830. Cuvier et Tournal D’autre part, de Caumont ne se préoccupait pas des conditions de gisement lorsque ces objets se trouvaient en profondeur et dans des dépôts naturels. Mais à Abbeville, les conditions de gisement étaient dans la tradition et direc-

48. A. de Caumont, Cours d’Antiquités monumentales professé à Caen par M. de Caumont, Histoire de l’Art dans l’Ouest de la France depuis les temps les plus reculés jusqu’au XVIIe siècle. Paris, Lance, 1830, Première partie, Ère celtique, V. 49. A. de Caumont, Ibid., VI. 50. A. de Caumont, Ibid., 219-220.

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tement observables pour Casimir Picard en 1830, comme cela avait été le cas pour Laurent Traullé en 1815. Or, à ce moment là, elles prenaient, dans les cavernes du Midi de la France, une portée que l’exploration de nos tourbières n’avait pu leur donner. En 182951, Tournal avait troublé l’opinion plus qu’on ne l’avait fait jusqu’alors. Il avait retourné Marcel de Serres et acquis à ses vues Jules de Christol52 et Emilien Dumas de Sommières, dont les observations vinrent confirmer les siennes. Certes, chez les uns et les autres, il y avait eu un peu de confusion, puisqu’ils avaient signalé la présence de poteries et d’ossements humains avec les restes d’un chevreuil et de cerfs inconnus, d’un rhinocéros, d’une hyène et d’un ours, et de l’aurochs ou Bos urus, selon nos auteurs, toutes espèces perdues au moins pour nos contrées. 1829. Marcel de Serres, Géognosie des terrains tertiaires Quoi qu’il en soit, Marcel de Serres avait pris parti pour les conclusions de Tournal dans un ouvrage qui dut être assez répandu, la Géognosie des terrains tertiaires ou Tableau des principaux animaux invertébrés des terrains marins tertiaires du Midi de la France. L’ouvrage commençait par une Introduction et une Dissertation au sujet “ Des ossemens humains et des objets de fabrication humaine, découverts dans des couches solides ou dans des terrains d’alluvion, et sur l’époque de leurs dépôts ”53 où, sans apporter d’observations personnelles, il défendait, dans un style qui avait de l’aisance, les observations de Paul Tournal, de Jules de Christol et de Dumas, en amortissant quelque peu les conclusions de Tournal comme il convenait à l’auteur qui allait écrire la Cosmogonie de Moïse comparée aux faits géologiques en 1838. Après l’apparition du 51. “ M. Cordier lit une lettre de M. Tournal sur la découverte d’une grotte dans le département de l’Aude, située près de la petite ville de Bise, et contenant des ossements fossiles. On annonce qu’il s’est trouvé des ossements humains dans cette caverne ”. Procès-verbaux Acad. Sci, Paris, t. IX, 1828-1831, Séances des 9 février 1829, 191 ; 16 mars 1829, 207 ; 17 août 1829, 291 ; 28 septembre 1829, 322 ; et 30 juin 1830, 465. Cf. Extrait d’une lettre de Tournal à Cuvier (timbre de la poste : 13 juin 1830) : “ Monsieur le baron, Il m’a été impossible de me présenter chez vous, pour vous remercier de toutes les bontés que vous avez eues pour moi pendant mon séjour à Paris. Les marques d’estime que vous avez bien voulu m’accorder, en même temps qu’elles sont la récompense que j’ambitionne le plus, m’encouragent à vous rappeler que vous m’avez promis de faire prochainement un rapport sur les fossiles des cavernes de Bize si remarquables : 1 ° par la quantité prodigieuse d’ossements qu’elles renferment ; 2° par la différence de population comparée à celles de toutes les autres cavernes connues ; 3° par le mélange des ossements humains, des poteries et des ossements d’animaux appartenant à des espèces perdues ”. 52. J. de Christol, Notice sur les ossements fossiles des cavernes du département du Gard, présentée à l’Académie des Sciences le 29 juin 1829, Montpellier, J. Martel, 1829, 25. 53. M. de Serres, Géognosie des terrains tertiaires ou Tableau des principaux animaux invertébrés des terrains marins tertiaires du Midi de la France, Montpellier et Paris, Pomathio-Durville, 1829, vij-xcij.

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premier volume des Principles of Geology de Lyell, son catastrophisme s’était à peu près dissous dans les causes actuellement agissantes jusqu’à y soumettre le “ diluvium ” lui-même, à ne plus pouvoir le distinguer de l’“ alluvium ” et à être incapable de reconnaître “ si un corps organisé appartient à la période que l’on est convenu d’appeler géologique pour la distinguer de celle à laquelle on a donné le nom d’historique, cette dernière se rapportant aux temps depuis lesquels l’homme s’est propagé sur la terre ”54. Nos Abbevillois n’iront pas aussi loin. Ils ont ouvert à la géologie des voies nouvelles et des horizons nouveaux. Ils n’étaient pas beaucoup plus géologues les uns que les autres, ni Traullé, ni Boucher de Perthes, ni Casimir Picard. Ou si l’on veut établir des nuances, ce ne peut être qu’entre un peu et pas du tout. Le meilleur naturaliste des trois, on peut dire le seul : Casimir Picard, écrivit un peu plus tard : “ Qui n’est pas un peu géologue en 1840 ? ”55. Je crois que cela veut dire qu’il se considérait, en 1840, comme un peu géologue, et qu’en 1830, il pouvait l’avoir été un peu moins. Ce qui se manifestait chez les trois devant leur terrain, c’était un empirisme géologique, accusé chez Traullé, naissant chez Boucher de Perthes avec une culture scientifique des plus réduites, alors que Picard avait une solide culture scientifique de naturaliste. Je crois que Casimir Picard connaissait un peu l’ouvrage de Marcel de Serres mais superficiellement et peut-être même indirectement. Aussi, il suffit, semble-t-il, d’en dégager ce que Picard et plus tard Ravin pourront utiliser. Voici d’abord ce qui résulte, selon Marcel de Serres, des observations qu’on vient de faire dans les cavernes du Midi : “ Depuis les temps historiques, des alluvions auraient donc rempli en partie les fentes de nos rochers, de limons, de cailloux roulés, de débris de mammifères terrestres, d’ossements humains, ainsi que d’objets de fabrication humaine, en sorte que depuis l’époque où l’homme a paru sur la Terre, et même probablement longtemps après, certaines espèces animales ont été détruites et l’homme a été contemporain des causes qui les ont fait périr ”56. “ […] Les débris de notre espèce ont été observés dans certains terrains déplacés, associés et confondus avec des mammifères terrestres d’espèces perdues ou avec des mammifères dont les analogues ne vivent plus aujourd’hui dans les lieux où l’on découvre leurs débris ”57. En somme, l’homme aurait été contemporain des causes qui les auraient fait disparaître de la surface de la Terre ou qui les auraient fait périr seulement dans les lieux où l’on ne trouve que leurs débris, ces deux faits se plaçant dans la période à laquelle on a donné le nom d’“ historique ” parce qu’elle se rapporte 54. M. de Serres, Ibid., lv. 55. C. Picard, “ Histoire des mollusques terrestres et fluviatiles de la Somme ”, Bull. Soc. linn. nord France, 1 (juin 1840), 153. 56. M. de Serres, Géognosie des terrains tertiaires, ou Tableau des principaux animaux invertébrés des terrains tertiaires du midi de la France, Montpellier, 1829, xvi. 57. M. de Serres, Ibid., lij.

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aux temps où l’homme s’est propagé sur la Terre. Les observations de Traullé se seraient parfaitement accommodées des formules de Marcel de Serres. 1833. Projet d’un musée de la Société d’Émulation d’Abbeville La collection de Traullé quittait alors Abbeville où ne devaient rester que quelques pièces difficiles à vendre ou à transporter. On sait qu’elle fut vendue à Paris en 1832. Un de ses compagnons de fouilles, Estancelin, député d’Abbeville, le rappelait à la Société d’Émulation dans une lettre adressée au Ministre du Commerce, le 16 mai 1833, pour appeler son attention sur l’intérêt archéologique de l’Arrondissement d’Abbeville et pour obtenir son aide pour des recherches éventuelles (Mém. Soc. roy. Émul. Abbeville, t. 2, 1834 et 1835, p. 327-338). À cette occasion, il évoquait ainsi l’œuvre de Traullé : “ Les antiquaires, qui ont entrepris des collections à diverses époques, ont fait dans l’Amiénois et le Ponthieu d’abondantes récoltes. On peut citer, à Amiens, le cabinet de M. de Beaucousin, acquis depuis par M. Boucher, celui de M. Traullé, correspondant de l’Académie des Inscriptions, qui avait réuni une nombreuse et précieuse collection en armes celtiques et romaines, en meubles et ustensiles de tout genre, trouvés dans l’arrondissement d’Abbeville et provenus particulièrement des tourbières en exploitation dans la vallée de la Somme. Chaque année on exhume de ces tourbières des objets qui y gisent depuis un temps bien antérieur à celui de l’occupation romaine. Si le fer s’y trouve oxydé, le bronze y apparaît sous l’enveloppe conservatrice de sa patine, avec toute la pureté de ses formes […]. Mais ce qui est particulier aux tourbières, c’est la conservation du bois enseveli depuis plus de trente siècles, c’est celle des animaux et des débris d’animaux, parmi lesquels on a reconnu des urus, des élans, disparus depuis du Nord de la Gaule, des cerfs, des chevreuils et autres bêtes fauves. M. Traullé avait rassemblé aussi des ossements fossiles d’animaux anté-diluviens, ou des régions équatoriales ”. “ Les marais de la Somme, comme on le voit, contiennent d’importantes richesses naturelles de tous les âges. Mais il est dans le voisinage d’autres monuments encore inexplorés, qui datent d’une époque que l’historien ne peut fixer, ce sont les tombes ou tombelles de forme conique, à larges bases élevées sur le plateau qui domine la partie inférieure (dite les bas-champs) du Marquenterre […]. Si l’on conjecture que, comme celles de Cocherel (Eure), où l’on trouva une si grande quantité de squelettes et d’armures, elles couvrent les corps des guerriers celtes et gaulois, les découvertes que l’on y ferait ne seraient pas sans intérêt ”58.

58. Estancelin, “ Lecture d’un rapport de M. Estancelin, député de la Somme […], Sur l’importance de l’arrondissement d’Abbeville considéré sous le rapport archéologique : et la réponse du Ministre qui accorde une somme de 1.000 fr. pour concourir à ses recherches d’antiquités ”, Mém. Soc. roy. Émul. Abbeville, 2e sér., t. II (1834) et (1835), 329-330.

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Cette lettre valut à la Société une subvention de 1000 F pour concourir à ses recherches d’antiquités. Il semblait que la vie et l’œuvre de Traullé étaient les meilleurs arguments pour justifier les recherches futures et que le rappel de ses recherches avait la valeur d’un programme59. Des recherches se poursuivaient en divers points. L’un des plus actifs était alors le Docteur F.-P. Ravin, de Saint-Valéry-sur-Somme. Il avait des rapports particuliers avec Boucher de Perthes car il était médecin de l’administration des douanes et Boucher de Perthes essaya même de le décider à quitter StValéry pour Abbeville. On sait l’aide que Ravin lui apporta sur les questions géologiques dans le premier volume des Antiquités celtiques et antédiluviennes60. A la séance du 18 mars 1831, il avait lu un rapport sur la géologie et l’archéologie du Marquenterre où Traullé d’ailleurs l’avait précédé. Adrien Huguet m’avait remis des manuscrits concernant la géologie. Je les avais déposés au Musée Boucher-de-Perthes en sorte qu’il n’en reste plus rien. J’avais eu la surprise d’y trouver un croquis des digitations des cordons de galets qui sont au sud de la Somme. Il avait été contacté par la Société pour apporter sa collaboration au volume de 1833. Mais ses travaux n’étaient pas prêts pour l’impression. Une lettre de Ravin à Boucher de Perthes, datée du 27 mai 1833 et détruite en 1940, nous avait appris que Picard avait été chargé de la direction et de la composition du premier volume des Mémoires de la Société, il y avait alors au moins une demi-année, ce qui nous reportait vers la fin de l’année 1832. Le benjamin des membres résidants se chargeait volontiers de toutes les corvées. Au sujet de ce volume, une lettre adressée au secrétaire de la Société, aujourd’hui perdue, nous montre qu’il savait au besoin se juger sans indulgence : “ Abbeville, le 16 mai 1833 ” “ Monsieur ”, “ Après avoir examiné avec attention la note que j’ai lue à la Société d’Emulation et qui a pour titre Observations sur un cas de monomanie homicide, je me suis rendu la justice qu’elle ne pourrait supporter l’impression ”. “ Je n’ai rien en ce moment qui puisse être inséré dans le recueil de la Société ; les notices que je pourrais donner exigeant des planches, je me vois dans la nécessité d’attendre jusqu’à la prochaine publication ”. “ Je suis, Monsieur, votre très dévoué serviteur ”. “ Picard-Jourdain ”. 59. Extraits des procès-verbaux, séance du 26 juillet 1833, Mém. Soc. roy. Émul. Abbeville, 2e sér., t. II (1834 et 1835), 587. 60. Cf. les coupes de Ravin dans les Ant. celt. antédiluv., t. I : La Portelette (p. 188), Menchecourt (p. 234) et le banc de l’Hôpital (p. 253 et 254).

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Sur le premier point, Boucher de Perthes s’est montré beaucoup moins difficile que Casimir Picard. Se donnant, dans ses romans, dans ses mémoires, un rôle de “ bel indifférent ”, il se complaît à inspirer des amours homicides et à attirer des balles perdues. Par ailleurs, on apprend dans cette lettre que Picard pourrait donner des “ notices exigeant des planches ” et qu’il faut attendre le second volume des Mémoires où nous trouverons précisément une notice, avec des planches, consacrée surtout aux gaines en corne de Saint-Jean-des-Prés. Toutefois, avant que l’année ne s’achève, la Société prit une décision importante pour notre histoire et pour celle d’Abbeville et susceptible d’ailleurs de favoriser les travaux de ses membres en réunissant, dans un local approprié, les objets les plus intéressants de l’Antiquité et de l’Histoire naturelle de la région. La fondation d’un musée fut l’une de ses premières préoccupations. Une première délibération avait eu lieu à ce sujet à la séance du 5 février 1830. La question fut reprise le 6 décembre 1833 et le règlement du futur musée fut arrêté à une séance extraordinaire qui eut lieu le 13 du même mois. J’ai noté dans le Registre des procès-verbaux un préambule qui n’avait pas passé dans les Extraits imprimés à la fin du volume et qui nous fait connaître le nom du rédacteur : “ Cette réunion, ayant principalement pour objet la fondation d’un musée dont il a paru intéressant de s’occuper sans retard, le Président invite M. Picard, l’un des administrateurs nommés à la dernière séance, à communiquer à la Société un projet de règlement qui, après avoir été discuté article par article est adopté ainsi qu’il suit ”. Viennent ensuite les articles du règlement dont on peut retenir les suivants : “ 1 - D’après les délibérations prises dans ses séances du 5 février 1830 et 6 décembre 1833, la Société royale d’Émulation arrête qu’il sera créé un Muséum à Abbeville ”. “ 2 - Cette institution a pour but principal de réunir tous les objets d’art, d’histoire naturelle et d’antiquité recueillis dans le département ”. “ 6 - Les membres du Comité d’administration sont nommés par la Société d’Émulation ”61. Telle est l’origine du musée d’Abbeville qui fut d’abord le musée de la Société avant d’être le musée de la Ville. Les résultats ne se firent pas attendre. Les dons affluèrent et le volume de 1833 n’était pas encore imprimé qu’on pouvait y mettre le nom d’une vingtaine de bienfaiteurs. C’est alors qu’Alexandre et François Traullé remirent au musée des vases que leur frère avait recueillis au cours de ses longues recherches, notamment deux amphores romaines de quatre pieds de hauteur provenant de Fontaine-sur-Somme, dans l’un des anciens lits de la Somme.

61. Extraits des procès-verbaux, séance du 13 décembre 1833, Mém. Soc. roy. Émul. Abbeville, 2e sér., t. I, 1833, 589.

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D’autres donations sont significatives : le Registre des procès-verbaux notait qu’à la séance du 27 décembre 1833, plusieurs objets étaient offerts par M. Picard, parmi lesquels deux coquilles antédiluviennes trouvées au Mont de Caubert, près d’Abbeville et un fragment de vertèbre de baleine trouvé dans l’une des sablières de Menchecourt. Cela montre au moins que Picard faisait de la géologie et qu’il s’occupait lui aussi des célèbres sablières. 1833. Mémoires de la Société royale d’Émulation d’Abbeville, tome premier. Picard, Le genre Sonchus

Fig. 30. Premiers Mémoires de la Société d’émulation d’Abbeville (1833) Le premier volume des Mémoires de la Société royale d’Émulation d’Abbeville parut avec le millésime 1833. Il comprenait 608 pages in 8° et représentait l’ensemble de l’activité de la Société depuis son renouvellement qui s’était produit en 1828. A côté des travaux personnels de ses membres, il y avait l’action d’ensemble de la Société dans la ville. On y voit ainsi à peu près deux

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cents pages de dispositions, de rapports, de discours sur l’exposition des produits de l’industrie dont la Société, et en particulier Boucher de Perthes, avait pris l’initiative. Pour les travaux des membres de la Société, le partage était à peu près égal entre la partie réservée à l’histoire et à la littérature et se rapportant à l’histoire naturelle. Il y avait le Catalogue des mammifères, oiseaux, reptiles, poissons et mollusques testacés marin, observés dans l’arrondissement d’Abbeville, par L.A.F. Baillon, qui s’arrêtait aux reptiles (pp. 50-80), la Flore d’Abbeville et des environs, par J.A.G. Boucher, pp. 355-468 et les Tableaux synoptiques et méthodiques des genres des Némazoaires, par B. Gaillon, pp. 469-484. Le Catalogue de Baillon annonçait bien la suite pour les prochains volumes. Mais les Mémoires de la Société ne renouvelleront plus ces dispositions accueillantes à l’égard de l’histoire naturelle. Cette attitude déterminera de sérieuses complications dans la Société et, semble-t-il, une opposition assez grave entre Boucher de Perthes et Casimir Picard. La Société reculait devant les frais causés par les planches qu’eussent demandé des articles d’histoire naturelle, mais il y avait certainement d’autres raisons dans les préférences personnelles du Président et de la majorité de ses collègues. Aussi Casimir Picard se préoccupe-t-il constamment et dès ce moment-là d’écouler sa production scientifique en dehors des Mémoires de la Société d’Émulation. Ses relations personnelles avec Gaillon lui permirent d’utiliser, aussi longtemps que celui-ci vivra, les publications de la Société d’Agriculture, du Commerce, des Arts et des Sciences de Boulogne-sur-Mer. A la séance publique du 24 septembre 1834, il présente ses Observations botaniques sur le genre Sonchus (pp. 85-98, 1 pl. h.-t.) et il annonce une série de notices similaires destinées à être publiées successivement et à servir de complément à la Flore du département de la Somme de Ch. Pauquy. S’il distingue les deux espèces par leurs fruits et s’il modifie les variétés proposées par Lamarck, il conserve toutefois les dénominations spécifiques que celui-ci avait proposées. “ J’ai cru devoir laisser à ces plantes les noms imposés par Lamarck, en ce qu’ils me paraissent bons et que la séparation est vraie à une petite différence près. Ce botaniste avait bien vu et bien observé ; peut-être mérite-t-il d’être cité plus souvent qu’on ne le fait et non seulement je n’ai point cru devoir créer de nouveaux mots qui n’eussent eu d’autre avantage que d’embarrasser la synonymie de deux noms de plus, mais j’ai aussi préféré la nomenclature de Lamarck, comme celle qui me paraît la meilleure ”62. Lamarck était d’origine picarde. Il connaissait bien Abbeville et les collections de J.A.G. Boucher. Il avait été l’objet de la part de Cuvier d’un éloge où se mêlaient des critiques. L’éditeur Baillière avait recueilli les feuilles de la Philosophie zoologique pour les mettre en volume sous le titre d’une deuxième édition. Bien qu’il fût un compatriote, Picard n’était pas sans mérite en rendant 62. C. Picard, “ Observations botaniques sur le genre Sonchus ”, Bull. Soc. Agr, Comm, Arts et Sci., Boulogne-sur-Mer, séance du 24 septembre 1834, 91.

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quelque peu justice à Lamarck dont la Flore française se trouvait dépréciée par la refonte qu’en avait donné de Candolle et nous verrons par ailleurs qu’il a certainement apprécié les travaux philosophiques de Lamarck dans les publications de la Société d’Agriculture, du Commerce, des Sciences et des Arts de Boulogne-sur-Mer. À la fin de cette première notice, il nous annonce des préoccupations d’un autre ordre et que la phytosociologie d’aujourd’hui serait loin de désavouer. Picard annonce une autre notice où il “ se propose de montrer de quelle importance il est de noter dans quelle sorte de moisson on a trouvé certaines plantes ” car “ il est, en effet, un assez grand nombre qui reviennent périodiquement avec les mêmes assolements ”63. Cette notice n’a jamais paru. Sans doute, la Société d’Émulation ne rompait pas avec l’histoire naturelle, bien au contraire. Sans doute, ses colonnes ne s’ouvriront plus aux observations de botanique. Elles n’accueilleront désormais que des notices sur la géologie de la région. Traullé avait habitué nos amateurs d’antiquités à chercher en même temps et dans les mêmes couches les objets de l’Art et de l’Histoire naturelle et à l’idée qu’il fallait être géologue pour être archéologue. 1834. Pirogue, ossements, vases “ celtiques ” Cette année là, une pirogue64 trouvée sous la tourbe mit en émoi tous les archéologues et les deux sociétés savantes du département. J’utiliserai, pour cette histoire, les notes que j’ai prises à la Société d’Émulation dans un dossier aujourd’hui perdu. La découverte fut faite en mai 1834 dans une tourbière voisine du village d’Estrebœuf, près de St-Valéry-sur-Somme. Boucher de Perthes en fut avisé et pria Baudry de Breteuil et Jouly, qui faisaient partie de l’administration des douanes, d’aller aux informations. L’Académie d’Amiens s’en était déjà occupée. Rigollot y avait lu à ce sujet un mémoire. Dans une lettre non datée, Baudry de Breteuil dit qu’on avait offert, dans le principe, aux propriétaires 24 francs pour la leur acheter mais qu’ils n’ont pas voulu la donner à ce prix et que, depuis qu’elle a été sortie de terre, l’air et le soleil l’ont mise en fort mauvais état. Elle s’était fendue, des parties avaient été enlevées et les parties restantes étaient déformées. Baudry de Breteuil en donne une description et dit qu’elle a été trouvée à “ cinq pieds en terre ”. D’après le Registre des procès verbaux, à la séance du 4 juillet 1834, on pouvait lire que le Président avait déposé sur le bureau un fragment de la pirogue et donné quelques indications

63. C. Picard, Ibid., 98. 64. Cf. La première phrase des Ant. celt. Antédiluv., t. 1, relate la découverte de la pirogue d’Estrebœuf.

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reproduisant les termes de la lettre de Baudry de Breteuil. Boucher de Perthes avait demandé également des informations à M. Jouly qui répondit par une longue lettre datée du 27 juin 1834 confirmant les indications de Baudry de Breteuil mais donnant 10 pieds de profondeur au gisement de la pirogue. Cette lettre fut communiquée à la Société le 12 juillet. Enfin, à la date du 25 juillet le Registre des procès-verbaux nous apprenait que la pirogue avait été acquise pour la somme de six francs par les soins de Ravin pour le compte de la Société d’Émulation. Son transfert mettait nos Abbevillois en présence d’un monument des temps où l’on creusait son embarcation dans un énorme chêne. Le morceau conservé avait à peu près la même longueur que l’objet entier. C’était tout de même imposant mais difficile à loger. J’ai trouvé, dans le Registre des procès-verbaux de la Société, la note suivante : “ La pirogue dont il a été question dans la séance du 4 juillet 1834 a été acquise par la Société et déposée dans la salle destinée au Musée ”.

Fig. 31. Pirogue “ gauloise ” d’Estrebœuf décrite par Ravin (1834) “ Ce précieux reste d’une haute antiquité a été trouvé à 12 pieds de profondeur dans une des berges d’un trou à tourbe au marais d’Estrebœuf près de StValéry-sur-Somme ”. “ Cette embarcation est formée d’une seule pièce de chêne de 28 pieds de long sur 20 pouces de large65. Sa forme est celle du bachot en usage dans les petites rivières. L’avant se trouve un peu plus étroit que l’arrière et l’on remarquera vers le milieu plus d’épaisseur dans le bois. A peu près à cinq pieds de

65. Soit 9, 07 m de long sur 50,8 cm de large.

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l’une des extrémités, il existe dans le fond un trou carré qui semble avoir été creusé pour recevoir le pied d’un mât ; on n’y reconnaît point de place où des rames eussent pu être adaptées ”. “ La Société connaissant toute l’importance de ce curieux morceau fera insérer dans ses prochains mémoires une notice où il sera décrit. Pour le Secrétaire, C. Picard ”. Ce ne peut être que lui qui ait demandé la translation de ce précieux reste d’une haute antiquité. À la séance du 24 octobre 1834, les Extraits des procès-verbaux 66 donnent l’information suivante : “ M. Alfred de Mautort envoie une caisse d’ossemens provenant des tourbières d’Angers-sur-Somme [Hangest] ”67. Cet Alfred de Mautort, que nous retrouverons dans la suite de ce récit, était officier sous l’Empire et il avait eut les pieds gelés pendant la Retraite de Russie. Il vivait alors à Bichecourt où il était devenu l’homme le plus gros du département de la Somme. Il possédait des tourbières et il fit à la Société le premier envoi d’ossements que l’extraction de la tourbe faisait découvrir. Ce fut le commencement d’une très importante collection qui trouvera plus tard sa place au musée. Toutes ces pièces réunies au musée de l’Arrondissement furent transportées au musée Boucher-de-Perthes par d’Ault du Mesnil. La collection était considérable. On y voyait des bœufs, tous élevés à la dignité d’urus, des cerfs, des chevaux, des ours, des castors, de petits carnassiers. Il y avait un cerf entier ou à peu près. En ne tenant compte que des têtes, il y en avait presque trois grandes sans compter les crânes d’urus qui dominaient la salle. J’avais reclassé cette collection. Il y en avait près de trois grandes armoires. Sur un certain nombre de pièces et des plus belles, j’ai vu le nom d’Alfred de Mautort. Il fut le principal fournisseur du musée pour la faune des tourbières. À la séance du 7 novembre suivant, M. Hecquet d’Orval fait connaître qu’en faisant défricher un bois dans sa propriété de Port-le-Grand, il a trouvé un grand nombre de vases en terre encore entiers, parfois réunis par groupes, placés à une petite profondeur et paraissant gaulois68. Cette découverte était importante par elle-même. Nous verrons qu’elle eut une très grande influence sur l’imagination de Boucher de Perthes et qu’elle semble d’ailleurs l’avoir entraîné à des conceptions assez fâcheuses dans le premier volume des Antiquités celtiques et antédiluviennes. Hecquet d’Orval avait averti Baillon et Picard. Celui-ci ayant été averti trop tard, Baillon y alla seul. Hecquet d’Orval les invita de nouveau avec Boucher de Perthes. Picard donna une notice sur les trouvailles de vases celtiques qui fut insérée dans les Extraits des procès-verbaux. En voici le résumé : 66. Les Extraits des procès-verbaux étaient publiés à la fin de chaque volume des Mémoires de la Société royale d’Émulation. 67. Extraits des procès-verbaux, Mém. Soc. roy. Émul. Abbeville, t. II (1834 et 1835), 370. 68. Cf. Ant. celt. antédiluv., t. I, ch. VII, 127.

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Le nombre de vases était d’environ quarante, généralement groupés, parfois placés les uns sur les autres. Tous ne contenaient que de la terre. On rencontra près d’eux quelques fragments d’os ayant parfois subi l’action du feu. La pâte était généralement noire, extrêmement friable. Les uns n’auraient pas subi l’action du feu, les autres auraient été cuits par des procédés fort imparfaits. Aucun d’eux n’avait d’anse. “ Toutes ces circonstances font penser que ces vases d’une haute antiquité et remontant à l’époque celtique, ont été placés dans ce lieu comme offrande en ex voto ”69. On sent l’influence de Traullé, transmise par Hecquet d’Orval.

Fig. 32. Vases “ celtiques ” de Port-le-Grand décrits par Hecquet d’Orval (1834) 1835. “ Petit glossaire ” : l’idée d’un musée des Antiquités nationales70 Après 1834 qui fut une année heureuse, féconde et calme, 1835 fut une année glorieuse et troublée. On alla jusqu’à l’exaltation pour finir devant l’évidence d’une supercherie71. Ce fut assez dur. Mais ce n’était qu’un ballon qui 69. Extraits des procès-verbaux, Mém. Soc. roy. Émul. Abbeville, t. II (1834 et 1835), 375. 70. Cf. Ant. celt. antédiluv., t. I, ch. VI, 114-116. 71. L’affaire de Noyelles, l’une des premières supercheries. Voir plus loin.

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avait crevé dans le ciel d’argent du Marquenterre sans en assombrir la douce lumière. Cette année là est la grande année de notre histoire. Et elle se continuera jusqu’au Moulin-Quignon72. Il est fort possible que Boucher de Perthes n’ait pas eu beaucoup de rapports personnels avec Traullé. Cela est sans importance. Traullé était, comme son père, Boucher, une grande figure abbevilloise. On peut dire que Traullé et Boucher étaient alors inséparables dans la vie intellectuelle de la cité. L’un et l’autre étaient deux grands collectionneurs et l’on sait ce qu’était devenue la collection de Traullé. On peut deviner les réactions de Boucher de Perthes devant une circonstance qui expatriait ces trésors de la Picardie pour les disperser au vent des enchères. Il suffit de se reporter au tome premier du Petit Glossaire, qui fut présenté aux membres de la Société à la séance du 12 juin 1835, et au tome 2 du même ouvrage, qui le fut à la séance du 26 septembre de la même année. On y verra les sentiments qui pouvaient inspirer Boucher de Perthes à la Société d’Émulation et qui se traduiront plus tard par des projets qu’il sera donné à d’autres de réaliser. Prenons d’abord, dans le premier volume, l’article Démolisseurs, bande noire, antiquaires que Boucher de Perthes considère comme des termes équivalents et inséparables : “ Les uns brisent pour vendre, les autres pour entasser. Au total, races funestes aux arts et à l’histoire, et qui, pour avoir le coq d’un clocher, démoliraient une église ”. “ Hélas, les monuments des siècles, ces derniers témoins qui disent ce que furent nos pères, s’écroulent et disparaissent sous cette double cause de ruine ; la spéculation affamée d’une part, et la science égoïste de l’autre, corrodent et pulvérisent l’antiquité plus activement que la main des temps […] ”. “ Encore si les dévastations de nos vandales académiques avaient un but d’utilité générale, peut-être leur pardonnerait-on ; mais la plupart n’ont voulu que meubler leur mansarde à Paris, ou renouveler la provision du marchand de bric-à-brac, leur commettant ”. “ Autant les musées publics peuvent faciliter les progrès des sciences et de l’histoire, quand les objets qui les composent, clairement classés et décrits viennent à l’appui de quelque fait, ou bien quand, appartenant au pays et faisant partie de ses traditions, leur origine est authentiquement constatée ; autant sont nuisibles les collections particulières, vrais cimetières où, sans ordre, sans discernement, s’engouffrent pour ne plus reparaître, les souvenirs des générations passées, les dépouilles de vingt édifices, de vingt temples et peut-être le

72. “ Moulin-Quignon ”, c’est l’évocation de quoi ? Je vois deux possibilités, il y en a peut-être d’autres. Ou bien l’auteur fait référence à une autre supercherie (La mâchoire du Moulin-Quignon) dont fut victime Boucher de Perthes en 1863, supercherie qui contribua à le rendre célèbre et à faire admettre, dans l’opinion, l’existence d’un homme antédiluvien. Ou bien l’auteur évoque les industries les plus anciennes découvertes par Boucher de Perthes fin 1844 à Moulin-Quignon (Notre paléolithique). 1835 serait “ la grande année de notre histoire ” avec les industries “ celtiques ” des basses terrasses de la vallée de la Somme (Notre néolithique).

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dernier fragment d’une nation […]. Votre cabinet, ainsi composé, quelque riche qu’il soit, quelque somme énorme qu’il vous ait coûté, n’est qu’un magasin de vieilleries, qu’une boutique de fripier, abîme de l’art […]. En spoliant le sol, en expatriant des faits, vous en avez détruit l’authenticité car le plus mince tesson antique est un monument sur la place où on le trouve, et il peut conduire à d’importantes découvertes ; mais transplanté et confondu dans un gardemeubles avec des pantoufles chinoises ou des braques d’iroquois, il n’est plus qu’un objet ridicule et inutile à vous et aux autres ”. “ Les villes, les bourgs, les villages devraient veiller à la conservation de leurs antiquités. Témoignages de leurs pères, ce sont leurs titres, leur généalogie, leur bien, leur héritage, nul n’a le droit de les leur enlever. Qu’ils établissent donc un dépôt pour tout ce qui, issu du sol, peut aider à mesurer les temps passés et présents ; tôt ou tard ils en tireront profit et la patrie avec eux. Qu’ils ne laissent rien dilapider ; ce qui touche à l’histoire locale est la propriété de cette localité et du domaine public ”. “ Si toute commune avait le droit ou plutôt usait de celui qu’elle a de poursuivre quiconque détériore ses archives ou s’en empare, plus d’un antiquaire ou soi-disant tel pourrait figurer au greffe avec son cabinet ; et en bonne justice, si le dilapideur n’était pas puni, il devrait au moins être condamné à restituer, car je ne vois pas à quel titre il serait l’héritier de César ou de Pompée, et pourquoi la médaille, le vase confiés au tombeau seraient à celui qui le viole. En achetant le champ, vous n’avez pas acheté les os de ceux qui l’ont possédé avant vous […]. Et bien, où l’héritier manque, l’Etat, c’est-à-dire la Nation, doit succéder ”. “ Je pense qu’une loi qui déterminerait ici les droits publics et particuliers, et qui, surtout, empêcherait que ce qui tient à l’histoire du pays et à ses souvenirs passât dans le commerce des brocanteurs, ou sous l’éteignoir de l’amateur, serait une loi utile ; car au train où ils y vont, aidés comme ils le sont, de la pioche de la bande noire, avant dix ans, ils auront fait table rase de la terre classique, et tous les monuments des Gaules et de la vieille France seront sur les étagères de leur buffet ”. “ Si les musées héritaient de ces richesses mal acquises, le tort serait moins grand ; mais du cabinet des amateurs, elles vont ordinairement dans leur grenier, et de là aux mains des enfants qui les brisent, ou des laquais qui les vendent aux chaudronniers pour la fonte. Le peu qui revient au pays, gâté ou sans origine connue, a perdu son mérite comme modèle d’art ou comme annales. Hâtons-nous donc de remédier au mal et de vaincre la répugnance des conseils municipaux et même généraux, plus disposés encore, dans nos provinces, à démolir qu’à édifier ”73.

73. J. Boucher de Perthes, Petit glossaire. Traduction de quelques mots financiers. Esquisse de mœurs administratives, 2 vol., Paris, Treuttel et Würtz, 1835, t. I, Article Démolisseurs, bande noire, antiquaires, 218-222.

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En clair, cela veut sans doute dire que le mal est général, mais surtout qu’à Abbeville, au moins, il faut réduire l’hostilité des collectionneurs comme Baillon et vaincre la répugnance du Conseil municipal d’Abbeville à entrer dans les vues de la Société d’Émulation pour la réalisation d’un musée. Sans doute, s’il condamne les collections privées, il a, avec son père, l’un des plus riches cabinets de France. Mais cela pourra s’arranger et effectivement, cela s’est arrangé, ce qui laisse supposer qu’il y pensait déjà. Dans le tome 2 du Petit Glossaire, dans le bel article Souvenirs historiques, musée français, s’il ne dévoile pas de telles intentions, avec une sorte de mise au point où l’on reconnaît l’œuvre de Traullé, il formule le projet d’un Musée des Antiquités nationales, trente ans avant sa réalisation, et dans des pages qui sont parfois d’une incontestable beauté : “ Après les monuments qui tiennent au sol et sur lesquels s’appuient nos annales, d’autres moins apparents, ou moins essentiels au premier aspect, font cependant également partie de l’histoire d’un pays, et comme les premiers, servent à évoquer les temps anciens. Je parle ici de ces débris, témoignages de nos pères, que la charrue ou la pioche découvre si fréquemment dans nos campagnes et autour de nos cités, de ces armures, de ces vases, meubles et ustensiles dédaignés par le laboureur qui n’y voit qu’une matière grossière, et aussi par l’amateur qui, n’y trouvant ni Rome, ni Athènes, les rejette en disant : “ c’est français, c’est moderne ”. “ De ces préventions ou de cet oubli, il résulte que nous avons de riches collections égyptiennes, grecques, romaines et pas un seul musée français. Tout ce qu’on trouve encore des vestiges de notre vie de famille et même de notre existence politique, gâté, brisé, pulvérisé, sert de matériaux pour nos routes ou va finir chez le fondeur, dont le creuset est mille fois plus destructeur que le temps ”. “ Depuis peu, il est vrai, on a attaché plus d’intérêt à ces reliques de la patrie : l’appât du gain les a révélées à l’industrie. Des brocanteurs israélites, allemands ou belges, ont ajouté cette branche à leur commerce ; ils parcourent les départements, battent les campagnes, y font des fouilles et s’emparent de tout ce qu’ils trouvent ou peuvent acheter à vil prix. Cette exploration marchande est pire que l’insouciance même, elle dépayse les objets, en falsifie l’origine, en altère le principe et jusqu’à la forme : alors quel mérite leur restet-il ? A quoi peuvent-ils servir dès qu’on ne sait plus à quels lieux, à quel temps ils appartiennent ? Bien loin de venir à l’appui de l’histoire et de l’éclairer, ils l’obscurcissent, ils la troublent, ils en effacent un trait ou en faussent un son ”. “ Je crois que l’Institut peut jusqu’à un certain point remédier au mal en fondant une exposition annuelle, ou plutôt encore un musée permanent vraiment français, c’est-à-dire un dépôt où l’on n’admette que des sujets tenant à la France, ou provenant de son sol ”.

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“ Cette collection comprendrait, avec les antiquités françaises proprement dites, celles gallo-romaines, gauloises, celtiques, enfin les restes de tous les peuples vainqueurs ou vaincus qui furent avant nous habitants du pays […] ”. “ Afin de donner à ces mesures de conservation toute l’extension possible, le principal musée, celui de Paris, instituerait des succursales dans toutes les villes qui voudraient s’adjoindre à cette œuvre utile […] ”. “ Les collections particulières pourraient aussi obtenir le titre d’annexes […] ”. “ Ceux à qui ne conviendrait pas cette affiliation à l’Institut, seraient priés d’y envoyer leur catalogue ou au moins l’indication des morceaux principaux ”. “ Pour alimenter les musées et résoudre en même temps des questions douteuses d’archéologie et de géographie ancienne, l’Institut indiquerait des vérifications de terrain et des fouilles où elles pourraient être fructueuses […] ”. “ Les tourbières, dans les départements où on les exploite, ne sont pas moins dignes d’attention. La tourbe a la propriété de conserver les corps osseux, ligneux et métalliques. Les marais de la Somme ont produit, outre une immense quantité d’ossements d’aurochs, d’urus, de daims, de cerfs gigantesques, de castors, etc…, des traces du passage de diverses races d’hommes. L’auteur possède une tête trouvée sous une masse de tourbe dont l’épaisseur annonçait une haute antiquité ”. “ Le squelette entier d’un cavalier romain avec son cheval, ses armes et tout ce qu’il portait, même sa bourse en filigrane, a été découvert dans un étang entre Abbeville et Amiens ”. “ Une pirogue celtique de trente pieds de long, creusée dans un seul chêne, a été extraite de la tourbe à Estrebœuf, près de St-Valéry ; elle est en ce moment à Abbeville, dans le musée de la Société d’Emulation ”. “ Sur plusieurs points de la même vallée, notamment près de Bouflers, à dix ou douze pieds, la sonde des ouvriers a atteint un terrain pavé qui annonce une chaussée souterraine ”. “ Des arbres entiers, d’espèces aujourd’hui étrangères à ce climat, sont fréquemment aperçus dans les marais ; plusieurs portent les traces de la hache celtique. Ces armes de pierre et même leur monture en bois de cerf ne sont pas plus rares ”. “ On a ouvert près de l’Etoile, arrondissement d’Amiens, des tombeaux où six têtes tranchées reposaient au pied d’un squelette entier, probablement celui d’un chef ”. “ Quelques-unes de ces sépultures ne présentaient autour du corps principal que des têtes d’enfants ”. “ D’autres débris humains étaient remarquables par une fracture au crâne ; l’uniformité de ces blessures prouvait qu’elles avaient été faites de sang-froid, et après le combat ”.

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“ Un corps rencontré isolément laissait voir une aiguille introduite par l’oreille, indication d’un meurtre occulte, d’un assassinat ”. “ A côté de ces violences antiques, apparaissent la féodalité et sa tyrannie légale. En ce lieu même a été exhumé dernièrement un cadavre avec un anneau de fer soudé au cou. Cet anneau est dans le cabinet de l’auteur ”. “ Que ces restes appartiennent aux siècles romains, au Moyen Age ou à des temps plus modernes, ne sont-ils pas pour nous des sujets d’études ou de méditations ? Ne se rattachent-ils pas au peuple dont nous sommes ? Ne sontils pas de notre famille ? Car, latins, gaulois ou francs, ces victimes, ces bourreaux, c’étaient nos pères ; et qui de nous peut dire qu’il ne descend pas du cercueil retrouvé au lieu d’où sortirent ses ayeux ” ? “ Chose étrange, c’est que ces débris du sacrifice, ces traces de combat, de croyances, de crimes, enfouies depuis tant de siècles sous le sillon du champ, sous l’éboulement de la colline, ou l’alluvion du fleuve, lui sont quelquefois révélés par le récit du hameau […] ”. “ […] Où il y a une superstition, il y a un fait : ouvrez la terre, vous l’y trouverez […] ”. “ […] Il n’est pas en France, un seul champ, un seul vallon qui convenablement exploré, ne puisse fournir sa révélation et sa page d’histoire. Chaque jour, les feuilles des départements rapportent des faits, qui sans doute auraient besoin d’être vérifiés et approfondis, pour que la science pût les adopter, mais tels qu’ils sont, ils démontrent qu’il y a chez nous beaucoup à voir, beaucoup à apprendre et que sous nos pieds est une France souterraine encore inconnue ”. “ Si le géologue a étudié soigneusement le sol primitif, le sol vierge, il ne s’est nullement occupé de celui où apparaît la main de l’homme ; il l’a même fui avec dédain, comme si l’histoire de l’être était moins importante que celle de la matière. Elle l’est davantage. Un ciron est plus qu’une montagne, car il vit et il pense. En demandant à cette terre les annales de la nature, ne négligeons donc pas celles de l’humanité ”74. Ces deux articles me paraissent significatifs. Boucher de Perthes a un passé de parolier dans la romance c’est-à-dire d’un genre déjà démodé en 1835, comme son ossianisme et son troubadourisme. Il écoule des poésies déjà parues et déjà vieillies. Il comptait sur Lamartine qui le malmène. Il serait étonnant que l’Académie française fût la seule Académie à laquelle il eût pensé. En 1835, il en rêvait peut-être encore. Il semble avoir tourné. Les deux volumes du Petit Glossaire nous disent de quel côté. Il a tourné et il est bien à sa place comme Président d’une Société où dominent les préoccupations archéologiques. En ces pages parfois vibrantes, Boucher de Perthes ne fait guère que mettre en beau langage les acquisitions de

74. J. Boucher de Perthes, Ibid, t. II, Article Souvenirs historiques, musée français, 424-432.

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Traullé. On y retrouve l’urus et l’ancienneté des animaux perdus pour nous. La formule n’est pas exprimée, mais elle y est sous-entendue. Et il y a tout de même la mention d’“ arbres étrangers à nos climats ” qui “ portent la trace de la hache celtique ”, et il s’agit de haches de pierre. En dix ans, il a pu s’instruire avec son père. On se rend compte de l’influence qu’il pouvait exercer comme animateur du petit cénacle d’Abbeville. Mais ses préoccupations dépassent singulièrement les murs de la ville. Entre le fouriérisme75 et les saint-simoniens, il n’est pas arrêté ni limité dans ses projets par une soumission sans réserve à la législation existante. Il met les droits de la nation avant ceux de l’individu et la propriété d’un champ n’est guère pour lui que le droit de le mettre en culture. Le reste relève du droit éminent de la nation. Ses idées sur le contenu archéologique de la terre sont celles qui tendent à prévaloir dans la législation actuelle. Il veut une organisation sociale et nationale du capital archéologique contenue dans le sol et dans les collections. Il voit l’archéologie en sociologue. Il faut que ce patrimoine soit au service et à la disposition de la société ou de la nation, soit dans sa protection, soit dans son exploitation. Il imagine ainsi, sous la direction de l’Institut, une organisation de la recherche archéologique. Il est plus loin de son temps que du nôtre. Il se rendait lui-même bien compte qu’il était plutôt dans l’avenir que dans le présent. Il a mis en épigraphe à De la Création : “ Nous ne parlons qu’à l’avenir. La génération présente dira : c’est un insensé. La génération future dira : peut-être ”. C’est une nature riche et une personnalité qu’on n’épuise guère. Peu d’hommes ont plus que lui vécu dans l’avenir. En 1835, il avait passé dix ans dans l’ambiance de ses jeunes années. Il avait été pris par cette ambiance Il n’avait pas la culture d’un archéologue. Il ne l’aura jamais. Mais il s’était adapté en constituant les collections que nous avons connues. Il les offrit à l’État pour fonder le Musée de Cluny et jouer le rôle de Directeur-Fondateur. Il ouvrit son cabinet aux visiteurs dès 1859. En 1835, il pense à un musée des Antiquités nationales. Il fait des démarches officielles pour réhabiliter l’Histoire. Il pensait consacrer à cette idée et ses collections et sa personne. À cette date c’est déjà le Boucher de Perthes que nous connaissons. C’est l’antiquaire qui cherche à rendre hommage aux Antiquités nationales. Il y ajoutera sans doute la Préhistoire, mais ce fut imprévu et imprévisible. Picard, que Boucher nous a dit si impressionnable et si sensible, a dû lire ces lignes avant de présenter son premier mémoire sur des instruments celtiques. Il a dû être fouetté par cette prose humaine et entraînante où l’œuvre du vieux Traullé prenait de la vie et de l’ampleur. Les pages qui précèdent nous permettent de retrouver le ton élevé des discussions qui se tenaient autour du tapis vert. Les deux volumes avaient paru au cours des fouilles de Noyelles. 75. Cf. La Solidarité de Ch. Fauvety, 1er décembre 1867, 7-12 et 156-157.

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1835. L’affaire de Noyelles Sur cette histoire qui commence si bien et qui finit si mal, il y avait dans nos archives un volumineux dossier dont il ne reste plus rien. Il y avait notamment des rapports interminables de Lefils, aussi verbeux que ses livres. Il n’est plus guère possible de tirer tout cela au clair. On peut seulement en donner un aperçu en suivant les Extraits, assez copieux, des procès-verbaux : 17 avril 1835. Communication d’une lettre invitant la Société à faire des fouilles à Noyelles, au lieu-dit la Briqueterie, où existent de nombreuses ruines antiques76. Journellement, on y trouve des médailles, des débris de poteries, parfois des statuettes, dont un Isis de bronze, recueilli il y a plus de trente ans par M. Hecquet d’Orval père, et maintenant en la possession de son fils. 2 mai 1835. La Société charge Hecquet d’Orval de diriger les fouilles et de s’adjoindre M. Lefils77. 15 mai 1835. Des détails sont donnés sur les fouilles. On annonce l’envoi d’objets qui y ont été trouvés78. 12 juin 1835. On annonce la continuation des fouilles. 27 juin 1835. Grand rapport adressé par M. Lefils sur l’ouverture de la tombelle de St-Ouen, près de Noyelles. On a découvert un cône formé de plusieurs centaines de têtes humaines. Au centre étaient quelques squelettes entiers79. Présentation des objets : médailles romaines, débris de vases, instruments de fer et de cuivre, bagues, sceaux, figurines, objets en verre, en émail bleu et rouge. Quelques-uns de ces objets portent des empreintes hiéroglyphiques et des caractères qui semblent égyptiens ou phéniciens. Certains croient qu’une colonie égyptienne est passée par là. Quelques sceptiques, à l’examen de la pâte, pensent que ce sont des imitations remontant au temps des Romains ou peutêtre à une époque plus moderne. La Société décide que ces objets seront dessinés et lithographiés, pour être soumis à l’examen des savants. 25 juillet 1835. Présentation d’une des têtes humaines retrouvées dans la tombelle de Noyelles. On lui trouve les caractères de la race nubienne80. 9 octobre 1835. Présentation de la lithographie des objets présumés égyptiens. L’affaire se révélera comme une supercherie à la Société deux mois plus tard. Dans l’intervalle se place la grande séance du 20 novembre 183581. 76. 77. 78. 79. 80. 81.

Extraits des procès-verbaux, Mém. Soc. roy. Émul. Abbeville, t. Ibid., 379. Ibid., 380. Ibid., 381. Ibid., 382. Ibid., 383.

II

(1834 et 1835), 379.

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Fig. 33. Objets “ égyptiens ” de Noyelles (1834)

CHAPITRE III DÉCOUVRIR (LA COEXISTENCE DE L’HOMME ET DES ANIMAUX DISPARUS À ABBEVILLE)

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LE CERCLE D’ABBEVILLE EN 1835

Fig. 34. Buste de Jules-Armand-Guillaume Boucher (1757-1844) par Pierre Sauvage

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Fig. 35. Buste de François Baillon (1778-1853)

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Fig. 36. Buste de Pierre Hecquet d’Orval (1783-1859)

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Fig. 37. Portrait de Jacques Boucher de Perthes (1788-1868)

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Fig. 38. Portrait d’Alfred de Mautort (1792-1857)

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Fig. 39. Portrait du docteur Ravin (1795-1849)

I.

LA QUESTION DE LA PRÉHISTOIRE LORS DES SÉANCES DE LA SOCIÉTÉ D’ÉMULATION D’ABBEVILLE DE 18351

Ravin, “ Notice sur une pirogue gauloise trouvée “ sous ” les tourbes alluviennes ” On avait demandé à Ravin d’écrire une notice sur la pirogue. Il fut relancé par Boucher de Perthes et, à la date du 6 avril 1835, il répondit qu’il n’avait “ ni oublié ni mis à l’écart la notice sur la pirogue d’Estrebœuf ”, mais qu’il n’avait rien achevé parce qu’il s’était laissé entraîner à des lectures variées et nombreuses. Le 21 octobre de la même année, il écrit à Boucher de Perthes pour lui dire qu’il avait été informé du rapport de Rigollot à l’Académie d’Amiens et qu’il avait interrompu le travail commencé. Dans une lettre au secrétaire de la Société, il dit à peu près la même chose, mais, ajoute-t-il, “ je ne nie pas qu’il ne soit opportun, en cette circonstance, pour la Société d’Abbeville, de publier quelque notice sur cet objet ”, c’est-à-dire que, finalement, il se décidera ou on le décidera à faire une notice consciencieuse et plutôt brève sur la pirogue d’Estrebœuf. Elle fut présentée à la séance du 20 novembre 1835 sous la forme suivante : Notice sur une pirogue gauloise, trouvée à Estrebœuf, près de St-Valéry-sur-Somme, en mai 1834, avec une lithographie2. L’auteur reproduit la description qu’on trouve à peu près dans tous les documents précités. Longue de trente pieds3, d’une largeur moyenne de vingt pouces, elle avait été creusée dans un tronc de chêne. Ses bords étaient droits, coupés verticalement en dedans et en dehors. Le fond était plat au-dessus et au-dessous. Vers l’avant, une partie était restée en relief, formant comme une plate-forme au milieu de laquelle un trou indiquait l’emplacement d’un mât. Dans cette partie, l’épaisseur des bords avait été doublée. Quant à la profondeur du gisement, après les contradictions des informa1. Cf L. Aufrère, “ Le mouvement scientifique à Abbeville dans la première moitié du XIXe siècle et les origines de la préhistoire, communication du 2 août 1934 ”, Bull. Soc. Émul. Abbeville, (1934-1935), 368-370. 2. F.-P. Ravin, “ Notice sur une Pirogue gauloise, trouvée à Estrebœuf, près de Saint-Valérysur-Somme, en mai 1834, avec une lithographie ”, Mém. Soc. roy. Émul. Abbeville, t. II (1834 et 1835), 81-87. (Fig. 31 p. 254). 3. Soit 9m, 7 de long sur 50cm, 8 de large.

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teurs précités, Ravin écrit qu’elle “ gisait sur le gravier, au-dessous du banc de tourbe4 ” et que la tourbe avait ici six pieds d’épaisseur. Il termine en estimant qu’elle était d’un temps “ qui vraisemblablement appartenait à un siècle fort reculé ”5. Après les multiples trouvailles similaires que Traullé avait signalées, Ravin avait noté “ la position stratigraphique ” de la pirogue d’Estrebœuf. C’était un progrès et si ce progrès avait été possible, c’est que pendant les quarante années qui s’étaient écoulées depuis les premières observations de Traullé, la géologie s’était constituée, et que Ravin voyait la chose en géologue6. Ravin, “ Mémoire géologique sur le bassin d’Amiens ” Ravin fut en effet le géologue de la Société d’Émulation et il remit à la séance du 20 novembre, son Mémoire géologique sur le Bassin d’Amiens, et en particulier sur les cantons littoraux de la Somme7. La Société recula devant les dépenses qu’aurait demandé une illustration : “ Il n’y a pas lieu d’espérer, écrivait-il dans une lettre du 21 octobre 1835, aujourd’hui perdue8, que la Société fasse des dépenses pour des lithographies : autrement je réclamerais la préférence pour mes coupes de terrains. Je regrette beaucoup de publier mon travail géologique sans cet accompagnement qui est à peu près indispensable pour l’intelligence du texte ”. On dut lui promettre qu’elle serait publiée dans un autre volume car le “ Tableau des terrains du bassin d’Amiens ” porte cette note : “ La carte et les coupes de terrain paraîtront avec la seconde partie du mémoire ”9. Cette seconde partie devait être consacrée aux “ Terrains modernes, alluviens et autres ”. Elle ne parut jamais. Ravin connaissait et il avait à sa disposition des ouvrages généraux de géologie (de la Beche, d’Aubuisson, Brongniart, Cuvier), ainsi que des travaux sur les régions voisines de France et même d’Angleterre (Graves, Passy, Garnier, Rozet, d’Omalius d’Halloy, Élie de Beaumont, Constant Prévost, etc.). À ses observations personnelles, il ajoutait celles qui lui avaient été communiquées par Baillon, Picard et d’autres. Sans être bien nouveau, ni bien complet, il pré4. F.-P. Ravin, Ibid., 82. 5. F.-P. Ravin, Ibid., 87. 6. Notice décisive. Traullé indiquait des superpositions ou des classifications par périodes “ historiques ”. En revanche, en géologue de la Société d’Émulation, Ravin indique ici la position “ stratigraphique ” d’un objet archéologique, comme il l’indiquait dans chacune de ses notices archéologiques (Notice sur l’ancienne abbaye de Mayoc, près du Crotoy, Mémoire sur les établissements romains de l’embouchure de la Somme, à Saint-Valéry et au Crotoy). Boucher de Perthes en fera sa “ profession de foi ” (Antiquités celt. antédiluv., t. I, ch. 3). 7. F.-P. Ravin, “ Mémoire géologique sur le Bassin d’Amiens, et en particulier sur les cantons littoraux de la Somme ”, Mém. Soc. roy. Émul. Abbeville, t. II (1834 et 1835), 143-210 + tableau. 8. Cette lettre faisait partie des archives de la Société d’Émulation. 9. F.-P. Ravin, Ibid., 210.

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sentait une description à peu près conforme à la géologie de son temps et il apportait pour notre région, une sorte de mise au point en ce qui concernait les derniers dépôts qui précédaient les terrains modernes. Ce sont les pages consacrées aux “ Alluvions anciennes ” (Werner) ou “ Terrains diluviens ” (Buckland) et aux “ Terrains alluviens ” (Brongniart) ou “ Terrains modernes ” (d’Omalius). Dans les alluvions anciennes ou terrains diluviens, il distingue d’abord six couches où il est assez difficile de se reconnaître10 (Fig. 40, p. 277). Il les retrouve ou croit les retrouver à Menchecourt dont il donne la coupe et où apparaît un septième terme qui ne figure pas dans l’énumération qui précède et qu’il a oublié de numéroter, c’est le “ sable blanc de rivage ” qui repose au fond de la carrière sur un lit de silex roulés, ce qui nous reporte aux indications données par Traullé à Cuvier. Enfin portant le n° 8, un dernier terme était représenté par les “ tourbes diluviennes ”11. En somme, il y a 10 pages sur Menchecourt et sur ses tourbes, c’est-à-dire 1/6 du mémoire. L’importance accordée à ces deux formations répondait évidemment aux préoccupations des archéologues de la Société. Venait ensuite une lettre de François Baillon avec des indications sur la position des ossements fossiles et la liste des espèces qu’on y avait reconnues : Elephas primigenius Blum. ; Rhinoceros tichorinus [sic] Cuv. ; Cervus giganteus Cuv. ; C. somonensis Cuv. ; Bos bombifrons Harlan ; urus ; Aurochs fossile Cuv. ; Ursus spelaeus Blum. ; Canis spelaeus, Goldf. ; Felis, une dent appartenant à une grande espèce voisine du tigre royal ; Equus, espèce plus petite que le cheval ordinaire12. Venait ensuite la liste des Mollusques communiquée par Picard : I. Espèces marines : Buccinum undatum, Purpura lapillus, Cardium edule, Tellina solidula. II. Espèces fluviatiles : Valvata piscinalis, V. planorbis, Paludina impura, Planorbis carinatus, Pl. marginatus, Limnea auricularia, L. ovata, L. peregra, L. stagnalis, L. palustris, L. minuta, Cyclas palustris. III. Espèces terrestres : Helix rotundata, H. pulchella, H. arbustorum, H. nemoralis, H. hispida, H. striata, H. carthusiana (Baillon), H. crystallina, Pupa marginata, Succinea amphibia (deux variétés), Cyclostoma elegans13. Ravin terminait par cette note de Baillon : “ […] Les coquilles marines sont en très-petit nombre et en petite proportion, relativement aux autres, […] et il est évident que ce dépôt est le produit d’une ancienne alluvion d’eau douce. À l’époque où la Somme entraînait ici des cadavres ou des ossemens de rhinocéros et d’éléphans, Menchecourt était

10. F.-P. Ravin, Ibid., 197. 11. F.-P. Ravin, Ibid., 202. 12. F.-P. Ravin, Ibid., 199. 13. F.-P. Ravin, Ibid., 199-200.

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situé au fond de la baie, au point où les eaux de la rivière se rencontraient avec celles de la mer ; de telle sorte que les coquilles marines ont dû rester sur la grève mêlées à des coquilles fluviatiles et terrestres comme on le voyait encore dernièrement à Laviers et à Port ”14. Voilà donc un ensemble d’informations importantes et précises sur les sablières. Venaient ensuite quatre pages sur les tourbes diluviennes. Ravin mettait ces tourbes précisément dans les terrains diluviens et non dans les terrains alluviens et il introduisait une coupure dans les formations tourbeuses elles-mêmes en distinguant “ tourbes alluviennes et tourbes diluviennes ”15. J’y relève les indications suivantes : “ Les tourbes diluviennes occupent le fond des vallées et le bord des plages maritimes. Elles y reposent en général sur une couche de glaise ou de vase marneuse, bleue, grise ou noirâtre. Sur nos plages, elles sont recouvertes par du sable d’alluvion ; dans nos marais, elles le sont par d’autres couches de tourbe plus récentes avec lesquelles elles se confondent. Des feuilles, des branches, des écorces, des racines, des troncs d’arbres et d’arbrisseaux mêlés à différentes sortes de plantes aquatiques, composent ces tourbes anciennes. Les troncs d’arbres qu’elles renferment […] sont des bouleaux, des ifs, des sapins, des chênes, des coudriers […] ”. “ Les ossemens d’oiseaux et de mammifères qui existent dans les tourbières sous-marines sont ceux qui caractérisent les terrains diluviens. M. Traullé a recueilli dans les tourbes inférieures de la vallée de Somme, aux environs d’Abbeville, des bois et des ossemens de cerfs, de daims et de chevreuils. Notre savant M. Baillon, à qui nous sommes redevables de tant de découvertes de ce genre, y a trouvé, de plus, ceux de l’urus des anciens, de l’aurochs, du castor, du loup, du chien, du renard puis ceux de la cigogne et de la grue […] ”. “ Ceux de l’urus exceptés, les ossemens de mammifères enfouis dans nos tourbières, proviennent d’espèces moins anciennes que celles de nos sables marneux. Cependant il faut reconnaître que la formation tourbeuse a dû suivre de très-près16 le dépôt des marnes, et rapporter à la même époque que le terrain diluvien le renversement extraordinaire des grands arbres dont les troncs ont couvert nos rivages et nos vallées ”17.

14. F.-P. Ravin, Ibid., 201. 15. Distinction capitale : dix ans plus tard, dans les Antiquités celtiques et antédiluviennes, tome I, Boucher de Perthes admettra la distinction de Ravin entre tourbes et sables alluviens et diluviens : les objets “ celtiques ” proviendraient des terrains “ alluviens ”, et les objets “ antédiluviens ” des tourbes et des sables “ diluviens ”. 16. Soulignés par l’auteur, parce que si l’on admet que la formation des tourbes a suivi de “ très près ” celle des marnes, on peut croire que le gisement (néolithique) de la Portelette fut à peu près contemporain de celui de Menchecourt (néolithique et paléolithique). Effectivement, Boucher de Perthes, au début des années 1840, a cherché à Menchecourt les mêmes types d’objets que ceux qui avaient été trouvés à la Portelette. Jusqu’au jour où il en trouva un “ d’une forme différente ”. 17. F.-P. Ravin, Mémoire géologique sur le Bassin d’Amiens, 205-206.

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Fig. 40. Tableau des terrains alluviens et diluviens du bassin d’Amiens par Ravin (1835) Il s’agit des arbres qui avaient été rencontrés dans la tourbe et qui avaient particulièrement excité l’imagination de Traullé. Or, pour Ravin, les “ espèces des sables marneux ” sont les espèces qu’on a trouvées à Menchecourt. Si les espèces de nos tourbières sont moins anciennes, “ sauf l’urus ” les tourbes elles-mêmes ont suivi de très près la formation des marnes et les unes et les

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autres sont placées dans les terrains diluviens. Quant aux terrains alluviens ou modernes, les restes qu’on y trouve appartiennent aux espèces actuellement vivantes. La pirogue était “ sous ” les tourbes alluviennes. Il ne parlait pas des objets de l’art recueillis dans les tourbes diluviennes, mais d’autres l’avaient fait et d’autres le feront. Avec ce mémoire Ravin apportait un cadre géologique qui servira aux observations de ses collègues sur les produits de l’industrie humaine, jusqu’au dernier volume des Antiquités celtiques et antédiluviennes. Picard, “ Notice sur des instrumens celtiques en corne de cerf ”18 Nous pouvons maintenant terminer l’ordre du jour de cette séance du 20 novembre 1835 en examinant ce qui en fait pour nous l’importance exceptionnelle dans cette histoire, la Notice sur des instrumens celtiques en corne de cerf, par Casimir Picard. Il s’agit des gaines de haches en corne de cerf qui ont été recueillies par Baillon et Picard en 1830 pendant le creusement du canal de transit de SaintJean-des-Prés à la Portelette. L’auteur prend le sujet de très haut. Il convient sans doute d’examiner très attentivement le travail et la destination de quelques objets anciens. Il s’agit surtout de définir les temps éloignés et l’état social dont ils sont parmi les rares témoignages. Ce sont ces préoccupations qui commandent le mouvement du mémoire : “ La civilisation, pendant les premiers âges de la Gaule, nous apparaît dans un lointain si obscur, et les débris des arts, dans ces temps reculés, sont arrivés jusqu’à nous en si petit nombre et sont si peu connus, qu’il doit être permis de s’occuper avec quelque détail de tout ce qui a rapport à cette époque. Il n’est aucun fait, quelque peu important qu’il nous paraisse, qui ne devienne intéressant, s’il se rattache à un état social que nous ne connaissons encore que trèsimparfaitement ”19. Il convient de considérer et d’apprécier le vague de ces expressions. Dans le principe, l’histoire fut l’étude du passé des peuples avec tout ce qu’ils avaient laissé et dont on pouvait disposer. C’est en créant le mot “ préhistoire ” qu’on a restreint le mot “ histoire ” à l’étude du passé par les documents écrits et des peuples connaissant l’écriture. Au sens large, “ les temps historiques ”

18. Cf. - L. Aufrère, “ Note préliminaire sur les origines de la préhistoire ”, Bull. Soc. préhist. fr., 4 (1934), 173-175. - L. Aufrère, “ L’industrie primitive et la géologie du quaternaire à la séance du 20 novembre 1835 à la Société d’émulation d’Abbeville ”, Bull. Soc. préhist. fr., 11 (1935), 7. 19. C. Picard, “ Notice sur des instrumens celtiques en corne de cerf ”, Mém. Soc. roy. Émul. Abbeville, t. II (1834 et 1835), 94.

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étaient, en 1835, les temps où l’homme vivait sur la Terre alors qu’on avait reconnu que l’homme n’occupait pas la totalité des temps du monde. C’est dans ce sens que Picard parle, dans cette notice, de “ temps historiques ” qui, pour nous, sont au-delà des limites de l’histoire. Or, ajoute-t-il : “ Tout le monde sait que c’est avec des silex que les Gaulois fabriquaient des haches, des couteaux et autres instrumens tranchans, dont les formes et les dimensions étaient extrêmement diversifiées ”20. Par l’introduction du mot “ couteau ” cette énumération évoque déjà un ensemble largement représentatif. Au cours de la notice, l’auteur, il est vrai, admet que les “ Gaulois ” se servaient aussi de métaux et notamment d’épées de bronze en même temps que d’outils de corne et de pierre. Jouannet21 n’avait pas non plus fait cette distinction pourtant claire dans Montfaucon22 et dans Eckhart23. Picard ne paraît pas au courant d’une succession déjà établie. Il reconnaît d’ailleurs qu’il “ a fort peu de savoir en antiquité ”24. Mais cela n’a aucune importance à Abbeville où toute notre histoire prouve qu’on peut transformer une discipline sans la connaître. Ce qui domine dans cette notice, c’est son mouvement logique qui lui donne la valeur, la forme et la force d’une démonstration rigoureuse, convaincante, entraînante. L’auteur part des haches de pierres. Il s’agit d’abord de savoir comment on devait s’en servir. Or la question a été résolue. Il suffit de le rappeler. Les premières pages nous présentent une évocation des recherches de Traullé où l’imagination semble se mêler à l’histoire pour apporter au vieux chercheur le tribut d’éloges qui lui est dû : “ Tandis que des hommes exercés aux études archéologiques cherchaient les moyens employés chez ces peuples antiques pour emmancher les morceaux de pierre dure ; un homme, qui a honoré la science, faisait de son côté de longs et impuissans efforts pour deviner l’emploi de fragmens de bois de cerf évidemment travaillés et dont l’origine d’une haute antiquité lui paraissait d’ailleurs démontrée ; il ne put arriver, par le raisonnement, à la connaissance du véritable usage de ces fragmens ”. “ Un heureux hasard devait donner enfin la solution de ces deux problèmes et lever un coin du voile qui couvre encore l’histoire des arts chez les premiers habitans de notre sol ”. 20. C. Picard, Ibid., 94. 21. En décrivant en 1824 l’industrie solutréenne de Baguedoule, Jouannet distinguait haches taillées et haches polies. Il hésitait cependant à les placer dans des périodes distinctes et il attribuait toutes ces industries aux Gaulois. 22. B. de Montfaucon, Antiquité expliquée et représentée en figures, 1716. 23. J.G. Eckhart, in De origine Germanorum eorumque vetustissimis coloniis, migrationibus ac rebus gestis, 1750, distingue nettement les trois âges, pierre, bronze et fer, qu’il étend à toutes les nations. 24. C. Picard, Notice sur des instrumens celtiques en corne de cerf, 95.

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“ L’un de ces morceaux de corne de cerf travaillé, fut un jour trouvé joint à une hache en pierre, laquelle était solidement fixée dans l’ouverture creusée à l’une des extrémités de la corne ”. “ Dès lors tout fut expliqué pour M. Traullé, et il communiqua verbalement cette découverte à plusieurs personnes ; mais une longue maladie terminée par la mort l’empêcha de publier une notice sur cet objet ; ses connaissances étendues en archéologie eussent rendu ce travail beaucoup plus intéressant que je ne le puis faire ”25. Picard semble ignorer le Mémoire de Mongez et il en parle comme s’il était inconnu à Abbeville. Ce n’est pas impossible. Par ailleurs, Traullé “ faisant de longs et impuissans efforts pour deviner l’emploi de fragmens de bois de cerf évidemment travaillé ” ne nous paraît guère dans les attitudes de notre collectionneur. Traullé ne cherchait pas des solutions. Il cherchait des os, des armes, des vases, des objets pouvant entrer dans ses vitrines. Picard reconstitue le cerveau de Traullé par analogie avec le sien. Des dessins de cette hache dans sa gaine furent communiqués à Picard par Hecquet d’Orval qui continuait quelque peu l’œuvre de Traullé et qui semble avoir aidé Picard à faire la relève. Suit la description des gaines recueillies en 1830 et la démonstration de leur destination, avec la planche que nous reproduisons. Il ne croit d’ailleurs pas que les Gaulois aient pu se servir de gaines semblables pour les haches de grande dimension, ni même que les haches plus petites ainsi emmanchées aient pu être d’un usage très fréquent et très répandu, “ si l’on considère combien devait être faible un instrument ainsi construit, avec quelle facilité la gaine contenant la hache devait se dégrader, se fendre ou se briser sous les efforts imprimés à cette partie pendant qu’on s’en servait ”26. Aussi croit-il qu’“ on est autorisé à penser que cet instrument a dû servir à l’exécution de certains actes religieux, c’est-à-dire à l’immolation des victimes offertes en sacrifice ”27, ce qui pourrait bien être du Traullé retransmis. On en retrouvera à chaque page des Antiquités celtiques et antédiluviennes.

25. C. Picard, Ibid., 95. 26. C. Picard, Ibid., 101. 27. C. Picard, Ibid., 102.

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Fig. 41. Instrument “ celtique ” en corne de cerf étudiés par Picard (1835) Picard signale quelques autres instruments de même matière. Certains lui paraissent moins anciens et cela le conduit à se poser la question des conditions de gisement qui va lui permettre de passer à la partie la plus importante de sa notice et aux pages les plus importantes qui seront écrites à Abbeville avant les Antiquités celtiques et antédiluviennes. “ Je crois que par la suite, on découvrira un plus grand nombre d’objets en corne de cerf. Mais pour les admettre comme appartenant à l’époque celtique, il sera nécessaire d’apporter quelque soin dans leur recherche et dans leur examen ”. “ D’abord je ne sache pas qu’on en ait trouvé ailleurs que dans la tourbe, et toujours dans les couches inférieures de tourbes dites bocageuses, c’est-à-dire formées de rameaux et souvent de troncs d’arbres ”. “ Il ne faut cependant point conclure de là qu’il ne soit point possible d’en rencontrer autre part. Il est fort probable, au contraire, que des fouilles exécutées avec soin dans d’autres terrains pourront en faire découvrir dans des gisemens différens. Les circonstances de gisemens doivent toujours être prises en grande considération dans la détermination de l’époque à laquelle se rattachent les antiquités recueillies dans les fouilles ; les caractères du travail complètent la certitude ”28. Ce sont des règles qu’on reverra dans les Antiquités celtiques et antédiluviennes29, qu’on suivra dans la suite et qu’on suit encore aujourd’hui. Ce sont

28. C. Picard, Ibid., 108-109. 29. Cf. Dans sa “ profession de foi ”( Ant. celt. antédiluv., t. I, ch. III, p. 34 et ch. IX) Boucher de Perthes se propose d’introduire la géologie dans l’archéologie, “ l’archéogéologie ” : “ La preuve d’ancienneté à peu près irrécusable est le gisement, c’est-à-dire la profondeur à laquelle un objet a été trouvé ” (Ibid., 181).

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ces règles qui ont permis d’établir une stratigraphie dans la vallée de la Somme depuis 1835 jusqu’à nos jours. Le langage de Picard ressemble d’ailleurs davantage au nôtre qu’à celui de Traullé qui représente l’ère des constatations empiriques. Ce n’est pas que Picard suggère ici de remonter au-delà des tourbes bocageuses. Au contraire, il pense ici à des instruments qui lui ont été remis par Boucher de Perthes et qui lui paraissent d’une époque plus rapprochée de nous. Les haches de pierre et leurs gaines de corne sont les objets les plus anciens qu’il connaisse dans notre vallée. C’est sur leurs conditions de gisement qu’il va établir les considérations qui terminent son mémoire. “ Si les instrumens qui viennent d’être décrits, sont intéressans par euxmêmes, ils le deviennent plus encore si l’on considère leur gisement ”. “ Une question de géologie fort importante est soulevée par la question archéologique ; toutes les deux se tiennent étroitement et peuvent mutuellement s’éclairer ”30. Il est clair que cette “ question de géologie ” n’a pas été posée pour la première fois par Picard. Elle l’a été par Tournal, puis par Marcel de Serres, et aussi par Schmerling31. Mais elle a été introduite par Picard à Abbeville et c’est ce qui fait l’importance de toute cette histoire. Elle a cependant un caractère abbevillois très marqué : c’est la question archéologique qui soulève ici la question géologique. C’est l’œuvre de l’Antiquaire Traullé qui la pose. Picard la formule. C’est le passé et l’avenir de l’histoire de la Somme. “ Jusqu’à présent, continue Picard, nous l’avons déjà dit, ces restes gisaient à une assez grande profondeur au-dessous du sol, c’est-à-dire dans les couches inférieures de la tourbe ”. “ On peut a priori conclure de là que ce fossile commençait à se former dans le temps même où ces instrumens étaient en usage ”. “ Voici, au reste, les motifs qui m’ont paru devoir rendre cette opinion, sinon certaine, au moins probable ”. “ Il n’est pas possible de préciser avec une grande exactitude l’épaisseur des couches de tourbe qui recouvraient les gaines découvertes à St-Jean-des-Prés et dans d’autres lieux […]. Cependant, on a toujours rencontré ces instrumens dans les couches les plus inférieures, parmi les troncs d’arbres transformés en tourbe et mêlés à des ossemens de cerf, de castor, de chevreuil, d’urus, etc., si communs dans cette formation ”32. Et le botaniste voit le moyen de prévenir une objection et c’est probablement ce qui a valu à l’auteur sa conviction et à la notice sa force de persuasion : 30. C. Picard, Notice sur des instrumens celtiques en corne de cerf, 109-110. 31. P.C. Schmerling, Recherches sur les ossements fossiles découverts dans les cavernes de la province de Liège. Liège, 1833. 32. C. Picard, Notice sur des instrumens celtiques en corne de cerf, 110.

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“ Sans doute, on objectera que la place occupée dans la tourbe par ces objets peut bien n’être pas celle où ils ont été déposés primitivement ; on pourra peutêtre avancer que, tombés au fond de l’eau sur une masse vaseuse et à demiliquide, ils ont dû s’enfoncer peu à peu en vertu de leur propre poids, jusqu’à ce qu’enfin, arrêtés par des couches plus denses, ils se soient fixés à une certaine hauteur […] ”. “ Mais si l’on examine avec un peu de soin de quelle manière la tourbe se forme encore de nos jours, on verra qu’il eût été difficile que des corps, présentant une certaine surface, pussent s’enfoncer même de quelques pouces ”. “ Dans aucun temps la tourbe n’est assez liquide pour se laisser pénétrer même à une petite profondeur. Formée en grande partie par l’enchevêtrement des racines de scirpus, de carex, d’arundo, etc., et à une époque plus reculée, par ces diverses racines auxquelles se joignaient des branches et des troncs d’arbres, il est impossible de concevoir comment un objet, même assez pesant, eût pu traverser une masse de cette nature. “ Il est facile, d’ailleurs, de s’assurer qu’une pierre jetée avec force au milieu de ces herbes aquatiques reste suspendue parmi leurs racines et ne pénètre pas au-delà ”33. L’auteur poursuit alors en supposant : “ 1° que la formation de la tourbe s’est opérée lentement et dans des eaux tranquilles […] ” ; “ 2° que ce fossile est le résultat d’une décomposition lente et successive des racines et des diverses autres parties de plantes aquatiques, on sera facilement convaincu qu’il n’a jamais pu être d’une consistance assez liquide pour que les objets déposés à sa surface pussent s’y enfoncer ”. “ D’après ces motifs, on peut conclure ainsi : 1° que les gaines de haches celtiques en corne de cerf et d’autres morceaux de même matière diversement travaillés étaient en usage à l’époque34 où vivaient, dans notre pays, des espèces d’animaux, ou perdues ou éloignées, tels que l’urus, le castor, etc. ” ; “ 2° que par conséquent, les haches en silex sont contemporaines35 de ces mêmes animaux ” ; “ 3° que la formation de la tourbe, au moins en grande partie, est contemporaine de ces deux faits historiques ” ; “ 4°. Que dans notre vallée du moins, la formation d’une partie de la tourbe date des temps historiques ”36. D’autre part, dans le volume de la Société d’Émulation, les mémoires de Ravin et de Picard se suivent. Ils forment un ensemble. Il n’y a aucune contra-

33. 34. 35. 36.

C. Picard, Ibid., 110-112. Souligné par l’auteur. Souligné par l’auteur. C. Picard, Ibid., 112.

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diction entre eux. Ils se présentent comme une œuvre commune et, en un certain sens, comme une œuvre collective. Dans le mémoire de Ravin, on retrouve le nom de Picard, de Baillon, de Boucher. Dans la notice de Picard, on trouve ceux de Hecquet d’Orval, de Boucher de Perthes, de Baillon. Dans les lettres de Breteuil, de Jouly, dans le résumé de Picard, on retrouve les mêmes choses sur la pirogue que dans la notice de Ravin. C’est par une note de Picard que l’on connaît les premières fouilles d’Hecquet d’Orval. Traullé les inspire tous, son nom est cité par Estancelin, par Ravin et par Picard. C’est son œuvre qui continue mais dans une autre ambiance. Or, Ravin avait réduit l’intervalle entre les sables de Menchecourt et les tourbes bocageuses et placé les deux formations dans les terrains diluviens. Sans doute était-ce une initiative personnelle et comme tous ces mémoires ont été remis le même jour, il n’y avait pas de raisons pour que Picard s’exprimât sur ce point37. Cela n’empêche pas que l’attribution des tourbes bocageuses aux terrains diluviens est comme la position de la géologie abbevilloise et du géologue de la Société d’Emulation. Littéralement donc, les objets de l’industrie humaine se trouvaient dans les terrains diluviens. Certes, ils ne sont pas encore dans les sablières avec les éléphants et les rhinocéros, mais les formules de 1835 peuvent évoluer et, en rapprochant les sablières des tourbières, en mettant les unes et les autres dans les terrains diluviens, Ravin devait faciliter et préparer cette opération, comme les formules de Picard. Lui aussi, rapprochait ou rapprochera les sablières des tourbières. On le verra dans ses observations écrites pendant ses derniers jours. Pour le moment, je crois qu’on peut relever dans l’idée et même dans le mouvement, un certain parallélisme entre les formules précédentes et celles de Marcel de Serres, parallélisme qui suggère l’influence de celles-ci sur celles-là et dont nous aurons bientôt la preuve incontestable : “ Il semble résulter, écrit Marcel de Serres, des faits que nous venons de rapporter, et de la réunion dans les mêmes limons, des ossemens humains, des poteries et des débris de mammifères terrestres d’espèces perdues, ou d’espèces considérées jusqu’à présent comme antédiluviennes ” : “ 1° Que depuis l’apparition de l’homme sur la Terre, certaines espèces de Mammifères terrestres ont été complètement détruites, ou du moins ont cessé d’exister dans les différentes parties du globe qui ont été explorées jusqu’à présent ” ; “ 2° Que les débris de notre espèce sont incontestablement mêlés, et se trouvent dans les mêmes circonstances géologiques que certaines espèces de mammifères terrestres, considérées jusqu’à présent comme antédiluviennes, telles

37. Picard qualifie de “ celtiques ” des outils trouvés dans des tourbes “ diluviennes ” selon la classification de Ravin. Il employait le terme de “ diluvien ” pour des terrains et pour des coquilles, pas pour les produits de l’industrie humaine semble-t-il.

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que les ours des cavernes de Miremont et de Bize, les rhinocéros et les hyènes des cavernes de Pondres et de Sauvignargues ”38. À Abbeville, nous n’en sommes pas encore là. Les formules de Picard ne contiennent pas de matières nouvelles. La forme n’est pas nouvelle non plus. Elle est seulement nouvelle pour Abbeville. Les formules de 1835 sont entre le passé et l’avenir. Elles clarifient et modernisent les vues empiriques de Traullé. Elles préparent la voie qui conduira Boucher de Perthes à Menchecourt. Nous en sommes bien près. Nous n’y sommes pas encore. Fin de l’affaire de Noyelles 18 décembre 1835. Le Président parle. Les nouvelles sont inquiétantes. L’extrait du procès-verbal39 essaie de sauver les apparences. Le bruit des trouvailles de Noyelles était parvenu jusqu’à Francfort. Là se trouvait Eduard Rüppell qui avait rapporté de nombreux objets recueillis dans un voyage en Abyssinie et en haute Égypte. Il avait confié des caisses à un navire russe, l’Akimsi Demidoff. Le navire avait sombré au large du Hourdel au début de 1834. Ses bagages avaient été jetés à la côte et pillés par les habitants, et les objets venus d’Egypte avaient été ajoutés au mobilier funéraire des tombelles de Noyelles explorées par la Société d’Émulation. Boucher de Perthes informait ses collègues qu’il avait envoyé à Eduard Rüppell la lithographie des objets présumés égyptiens ou phéniciens ainsi que la description des objets trouvés au cours des fouilles ultérieures. On attendait sa réponse. Mais on avait toutes les raisons pour voir dans l’affaire de Noyelles une supercherie au préjudice des fouilleurs et de la Société d’Émulation. Des frais assez considérables avaient été engagés. L’affaire pouvait discréditer les fouilleurs, l’administration de la Société et la Société toute entière. L’épreuve était dure. Picard, “ Note supplémentaire ” à la notice du 20 novembre 1835. Tout n’est pas perdu. Alfred de Mautort montre de fort belles choses. Cela vient de ses tourbières. Il ne vient à l’idée de personne qu’il puisse y avoir une supercherie. Voilà d’abord une gaine en corne de cerf et une hache en silex trouvée à peu de distance et dans des terrains semblables, dans les marais qui avoisinent Condé-Folie. Il pense même que la gaine et la hache allaient ensem-

38. M. de Serres, Géognosie des terrains tertiaire ou Tableau des principaux animaux invertébrés des terrains tertiaires du midi de la France, Montpellier et Paris, Pomathio-Durville, 1829, lxxxvj. 39. Extrait des Procès-Verbaux, Mém. Soc. Émul. Abbeville, t. 2 (1834 et 1835), 385.

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ble. Les pièces sont soumises à Picard qui en fait une Note supplémentaire à sa notice du 20 novembre 1835. Pour ces deux pièces, comme pour celles qu’il avait examinées à la séance précédente, l’important était de connaître les conditions de gisement. De Mautort pensait qu’elles venaient de la tourbe. En réalité, elles avaient été trouvées au cours des extractions où les tourbes passaient parfois latéralement au calcaire qui formait les croupes. “ Dans une portion de notre vallée, on rencontre des restes de l’ancien lit de la Somme (croupe de la Somme) ; c’est dans une de ces croupes et dans la partie la plus inférieure de ses couches que cette gaine paraît avoir été trouvée. Nous souhaiterions que le gisement de cette pièce eût été plus complètement établi, mais à son aspect blanchâtre et à la facilité avec laquelle on détache la couche corticale de la corne, il est aisé de reconnaître que celle-ci n’a point été rencontrée dans la tourbe ”40. Nous reconnaissons ici les notions acquises par Traullé, qui revint si souvent sur la question des croupes, et il est remarquable que le gisement plutôt présumé qu’observé de cette gaine rappelle tout à fait les conditions que Traullé avait indiquées à Mongez pour la hache trouvée avec sa gaine en 1814. Et le fait que le gisement soit plutôt présumé qu’observé nous met en réalité devant une opinion qui remontait à Traullé et selon laquelle ces objets se rencontraient dans les tourbes comme dans les croupes, dans les couches les plus profondes, c’est-à-dire les plus anciennes, avec les débris d’animaux aujourd’hui perdus, au moins pour nos contrées. Nous restons dans le thème traditionnel d’une archéo-géologie abbevilloise. 1835. Alfred de Mautort, “ Notice sur des défenses de sanglier trouvées dans la tourbe ” Alfred de Mautort apportait quelque chose de plus curieux encore. Il s’en réservait la description. Elle est dans le volume sous le titre suivant : Notice sur des défenses de sanglier trouvées dans la tourbe, par un membre de la Société d’Emulation. Le nom de l’auteur se trouve indiqué dans l’Extrait des Procès-Verbaux41 où Prarond n’a pas pensé qu’on pût le retrouver. “ Ces objets et les réflexions que j’y ai jointes auront, je l’espère, dit l’auteur, au moins l’avantage de faciliter les recherches de nos collègues de la Société d’Emulation et de toutes les personnes qui se livrent à l’étude de cette

40. C. Picard, “ Notice supplémentaire ”, Mém. Soc. roy. Émul. Abbeville, 2e série, t. II (1834 et 1835), 115. 41. Procès verbaux des séances, Mém. Soc. roy. Émul. Abbeville, 2e série, t. II (1834 et 1835), 385.

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branche d’érudition : tels sont les motifs qui m’ont déterminé à vous les soumettre et à vous inviter à vouloir bien vous en occuper ”42. Il apporte donc sa contribution à l’œuvre collective et il faut s’attendre à ce que la notice ne nous apporte pas autre chose que les notions communes à la Société et traditionnelles pour nos Abbevillois. Cette notice allait prendre place parmi celles qui avaient été présentées le 20 novembre, en s’accordant avec elles, en les complétant ou en les renforçant. “ En juillet 1834, des ouvriers extracteurs, occupés à déblayer un terrain situé dans la prairie de Crouy […] découvrirent, à environ huit pieds de profondeur, au moment où ils atteignaient la tourbe blanche, quelques défenses de sanglier ; bientôt un plus grand nombre s’offrit à leurs regards, et ils en recueillirent jusqu’à vingt-six […] ”. “ Il a fallu un travail spécial et long pour parvenir à réduire ces défenses au point qu’elles n’aient plus qu’une épaisseur de deux ou trois lignes ; l’émail et la partie osseuse ont seuls été conservés ; arrondies à l’extrêmité adhérente aux alvéoles, elles ont nécessairement été diminuées de longueur par cette opération : elles portent huit, sept et six pouces et demi de long (cette dernière mesure est la plus commune), leur extrêmité est percée d’un trou d’environ deux lignes, assez grand pour y introduire une ficelle double. Deux seulement étaient percées de deux trous à chaque extrêmité ”43. L’auteur ne voit pas trop à quoi ces lames pouvaient servir. Il pense à l’idée d’un ex-voto pour l’écarter. L’explication léguée par Traullé n’eût sans doute pas demandé qu’on se livrât à un travail aussi compliqué. Il paraît penser à la parure d’un vêtement de guerre, etc. Ce qui l’intéresse surtout et il fallait s’y attendre, c’est le gisement : “ Il résulte des observations faites sur les lieux, à l’endroit où ces défenses ont été trouvées, que le site se compose de : 1° une couche de terre végétale ; 2° une seconde d’un tuf gras blanchâtre ; 3° une autre de gravier fin entremêlé de très-petites coquilles fluviales ; 4° une couche moins épaisse d’un tuf blanc composé de détritus de craie et enfin 5° de cinq à six pointes de tourbe blanche sulfureuse, d’une qualité inférieure, et que l’on brûle pour en retirer la cendre ”44.

42. A. de Mautort, “ Notice sur des défenses de sanglier trouvées dans la tourbe, par un membre de la Société d’Emulation ”, Mém. Soc. roy. Émul. Abbeville, 2e série, t. II (1834 et 1835), 9293. 43. A. de Mautort, Ibid., 88-89. 44. A. de Mautort, Ibid., 89.

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Fig. 42. Défenses de sangliers “ d’avant les Romains ” décrites par Alfred de Mautort (1834)

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C’est en atteignant la “ tourbe blanche ” que les ouvriers rencontrèrent les objets considérés, donc sous des tufs et des graviers fins, à une profondeur sur laquelle l’auteur ne manque pas d’insister. En considérant : “ […] la profondeur à laquelle ils ont été trouvés, le temps qui a dû s’écouler pour qu’ils se recouvrissent d’une couche aussi épaisse, surtout quand on considère que le terrain qui les renfermait était, comme tout l’indique, un ancien lit de rivière, où les débris des végétaux qui ont concouru à la formation de la tourbe, n’ont pu s’amasser aussi promptement qu’ailleurs à cause des courans qui les entraînent, on jugera que ces fossiles remontent à une époque bien reculée ”. “ […] la multiplicité d’objets d’origine romaine que l’on a trouvés dans ces contrées ne présentent aucune analogie avec ces morceaux-ci […] ”. “ Tout porte à croire que c’est à un peuple plus ancien et moins civilisé que les Romains qu’il faut en reporter la collection et l’usage. Cette dernière opinion est basée sur plusieurs considérations difficiles à repousser mais surtout sur les suivantes : 1° la profondeur à laquelle ces défenses ont été trouvées ; 2° la nature du terrain qui les renfermait ; 3° la manière dont elles ont été polies et amincies, ce qui présente une grande similitude avec les moyens employés pour opérer la taille des haches en silex, dites celtiques, […] ; 4° enfin, la découverte de plusieurs de ces mêmes haches, qui a eu lieu dans les environs du terrain renfermant les défenses dont nous parlons ”45. Comme les notices du 20 novembre, les notes ou notices du 18 décembre conduisent à une haute antiquité, déterminée sans doute par le caractère du travail, mais surtout par “ les conditions de gisement ”. Elles complètent les notices de la séance précédente sur les objets trouvés dans les tourbes profondes et sur des objets trouvés dans d’autres formations également profondes mais d’un autre caractère. Déjà Ravin avait placé la pirogue d’Estrebœuf entre la tourbe alluvienne et le gravier sous-jacent. D’après Picard, la gaine recueillie par A. de Mautort avait un aspect blanchâtre qui indiquait une autre formation que la tourbe, et la pièce aurait été trouvée dans une croupe, c’est-à-dire dans ce que Traullé considérait comme un ancien lit de la Somme et dans les couches les plus inférieures. De même les ornements en défense de sanglier décrits par A. de Mautort se trouvaient à la base ou vers la base d’une série de tufs et de graviers représentant également un ancien lit de rivière et où la tourbe ne jouait qu’un rôle tout à fait secondaire. Les notes du 18 décembre reviennent en somme aux croupes définies et si souvent invoquées par Traullé, mais avec des préoccupations stratigraphiques plus modernes où l’observation analytique et rationnelle transforme les données empiriques, sommaires et frustes du Procureur impérial. Les trois volumes des Principles of Geology46 viennent de paraî-

45. A. de Mautort, Ibid., 91-92. 46. Cf. Ch. Lyell, Principles of Geology, London, J. Murray, 1830-1833.

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tre. Depuis trente ans, l’ambiance a bien changé pour les chercheurs qui s’occupent de la vallée de la Somme. La géologie nouvelle inspire la nouvelle Société d’Émulation. Mais l’originalité demeure et les couches ou les formations minérales sont aussi bien caractérisées par les produits de l’industrie humaine que par les restes des corps organisés. La méthode se précise en même temps que les trouvailles se multiplient : la géologie et l’archéologie se tiennent et s’éclairent. C’est, en la contractant un peu, la formule de Picard. C’est elle qui domine l’histoire de Boucher de Perthes, l’histoire de ceux qui l’ont précédé et de ceux qui l’ont suivi. Certes, il y eut une pénible déconvenue. Il fallut liquider l’affaire de Noyelles. Cela se fit à la séance suivante, le 8 janvier 1836. Eduard Rüppell avait reconnu les objets qu’il avait perdus. Trois de ses caisses avaient été brisées par les vagues et les objets jetés à la côte. Cela se terminait aussi mal pour les fouilleurs que pour la Société d’Émulation. Il y avait bien quelque chose à Noyelles. Mais à qui désormais se fier ? Et quelle main-d’œuvre employer ? Hecquet d’Orval renonça pour toujours à Noyelles, à ses tombes et à ses fouilleurs, sans se décourager mais préférant fouiller dans son champ ou dans son village.

II.

LES TRAVAUX DE CASIMIR PICARD ET LES PREMIÈRES DÉCOUVERTES DE JACQUES BOUCHER DE PERTHES

1836. Projet de travaux aux remparts d’Abbeville. 3 février 1837 : fondation du musée d’Abbeville Prenons le volume suivant des Mémoires de la Société royale d’Émulation, 2e série, t. III, 1836 et 1837, Extraits des procès-verbaux. Séance du 19 mars 1836. “ M. de Mautort communique à la Société divers objets qui paraissent gaulois ou celtiques, découverts dans les tourbières de la Somme ”1. 22 avril. Encore la pirogue sur laquelle M. Ravin donne quelques nouveaux détails, ainsi que sur “ d’autres débris de même nature ”2 retirés de la tourbe. 18 novembre. “ Une Commission composée de MM. Picard, de Belleval et Louandre, est autorisée à faire l’acquisition pour le musée de la Société d’une collection de coquilles, de minéraux, de fossiles et d’antiquités ”3. 3 décembre. La Société décide que cette commission proposera à M. le Maire d’Abbeville et au Conseil municipal de réunir les objets dont elle est propriétaire et ceux qui existent déjà dans la Mairie, pour former un musée commun. 16 décembre. “ M. de Mautort produit un instrument celtique, d’une forme inconnue jusqu’à ce jour, trouvé récemment dans la tourbe. M. Picard est chargé de se concerter avec M. de Mautort pour présenter un rapport sur cette découverte ”4. Dans le courant de l’année, Picard avait fait une Lecture sur l’Histoire naturelle (10 juin), un Rapport sur l’ouvrage de M. Riquier relatif à la culture du mûrier (4 novembre), une note biographique sur Manzoni et la traduction d’un fragment des Fiancés (16 décembre). Membre de la commission pour établir

1. 415. 2. 3. 4.

Extraits des procès-verbaux, Mém. Soc. roy. Émul. Abbeville, 2e série, t. Ibid., 416. Ibid., 421. Ibid., 423.

III

(1836 et 1837),

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un jardin botanique et une exposition d’horticulture, membre d’une commission pour l’achat d’une collection de coquilles, de minéraux, de fossiles et d’antiquités, membre de la commission des Mémoires, Picard fut nommé archiviste de la Société pour l’année 1837 et il y resta jusqu’à sa mort. Il avait, par ses fonctions, la responsabilité des collections, de la bibliothèque et des archives. On se rappelle que l’aménagement du canal de transit en 1830 sur l’emplacement des anciens fossés de la Porte d’Hocquet à la Portelette avait donné lieu à des trouvailles qui déterminèrent la première notice de Picard. Une annonce dans le Mémorial d’Abbeville du 14 janvier 1837 ouvrait des perspectives semblables mais beaucoup plus étendues. Ce sont des événements graves qui se préparent : “ Le Commandant de la Place faisant fonction de sous-intendant militaire fait savoir que le lundi 13 février prochain, à onze heures du matin, il sera procédé par lui […] à l’adjudication […] des travaux militaires à exécuter dans la place d’Abbeville et dépendances pendant les années 1837, 1838, 1839, 1840, 1841 et 1842 ”. Dans l’atmosphère préparée par les trouvailles et les travaux des années précédentes, ce programme devait donner lieu à beaucoup d’espoirs. L’année 1837 est effectivement la plus chargée d’événements et on peut dire une année décisive. Le 3 février 1837, la Société est informée que le Conseil municipal a accepté de réunir la collection d’objets antiques et autres qu’elle possède à ceux qui existent à la commune pour en former un musée public et d’employer provisoirement à cet effet le pavillon du Champ-de-Foire. Picard, de Belleval et de Mautort sont chargés de suivre l’exécution de cette décision. 1837. Picard, “ Notice sur quelques instrumens celtiques ” Le 17 mars, Picard lit une Dissertation sur l’Archéologie et le 2 juin il présente une Notice sur un instrument celtique formé d’une corne de cerf et d’une défense de sanglier. Il s’agit de l’objet apporté par A. de Mautort à la séance du 16 décembre 1836. Le volume des Mémoires de 1836 et de 1837 contient une Notice sur quelques instrumens celtiques de 51 pages (pp. 221-272) dans laquelle se trouve avec beaucoup d’autres choses la Dissertation annoncée sur un fragment de corne de cerf muni d’une dent de sanglier. C’est le grand effort de Picard et ce que les Mémoires de la Société d’Émulation nous offre de plus important avant les travaux de Boucher de Perthes. Ce n’est pas que Picard ait fait beaucoup de progrès en antiquités. Il n’est cependant pas impossible qu’il ait entendu parler plus ou moins vaguement de certains manuels d’antiquités. Il y a, vers le début de sa notice, quelques lignes qui laisseraient croire qu’il n’a pas la conscience absolument tranquille :

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“ Emprisonné dans une ville de province, les matériaux m’ont manqué ; c’est le sort de tous ceux qui se trouvent dans une position analogue à la mienne ; les livres leur font défaut, et quand ils se décident à publier les résultats de leur travail, ils s’exposent à donner comme nouveau ce qui ne l’est plus et à recevoir du public le titre de plagiaire ”5. Quoiqu’il en soit, ce mémoire est une description des divers objets qui lui ont été communiqués par ses collègues ou qui se trouvaient dans les collections de la Société. En aucun cas, il ne semble en connaître les conditions de gisement d’une façon précise, ce qui fait qu’il ne dit rien sur une question qui était présentée comme essentielle dans les notices du volume précédent. Je relève seulement quelques indications inspirées par Traullé sur les croupes : “ On appelle croupe de la Somme, écrit-il, l’ancien lit de cette rivière abandonné sur divers points, à une époque qu’il n’est pas facile de préciser. Cependant il est certain que cet évènement géologique est postérieur à la conquête des Gaules par César ”. “ Dans les strates inférieures on trouve des antiquités celtiques, telles que des haches en pierres, des fragmens d’armes, tandis qu’à la superficie on découvre souvent des objets qui ne remontent qu’au temps de la domination romaine. Les plus intéressantes parmi ces antiquités sont deux belles amphores dont M. François Traullé a fait don au Musée d’Abbeville, des armes de diverses espèces, etc. Les croupes se présentent souvent à une distance considérable du lit actuel de la Somme ; elles ont l’aspect d’élévations sinueuses et ondulées, leur largeur est considérable et varie beaucoup ; elles s’élèvent souvent de cinq à six pieds au-dessus des terrains environnans. Elles sont entièrement composées de gravier et d’une incroyable quantité de mollusques terrestres et fluviatiles. Je n’y ai jamais rencontré que les espèces qui vivent encore dans notre pays. L’on y trouve aussi des matières végétales, telles que des tiges de Typha, d’Iris pseudo-acorus qui se sont transformées en concrétions calcaires ”. “ Les travaux de déblaiement pour extraire la tourbe détruisent peu-à-peu ces laisses de la Somme. Il serait à désirer qu’une carte de cet ancien lit fût dressée ; ce serait un curieux document géologique au moyen duquel il deviendrait possible sans doute d’apprécier la cause qui fit déverser les eaux de la rivière dans une autre partie de la vallée ”6. Picard voit donc dans les croupes un ancien lit de la Somme, un lit unique. Il simplifie les idées de Traullé sans les améliorer. C’est la seule indication géologique qu’on trouve dans ce long mémoire qui est consacré soit à des types d’instruments très répandus, soit à des formes exceptionnelles ou inconnues. 5. C. Picard, “ Notice sur quelques instrumens celtiques ”, Mém. Soc. roy. Émul. Abbeville, 2e série, t. III (1836 et 1837), 224. 6. C. Picard, Ibid., 225-226, note 1.

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Pour les haches en pierre, il distingue d’abord les “ haches polies de petite dimension ” qu’il suppose avoir été emmanchées dans une gaine de corne de cerf et non pas précisément pour immoler des victimes offertes en sacrifices comme il l’avait pensé dans sa première notice. Viennent les “ haches polies de grande dimension ” qu’il ne croyait pas susceptibles d’être emmanchées. Plus intéressantes sont ses considérations “ sur les haches dites alors ébauchées ” : “ M. Jouannot [Jouannet], dans son mémoire7, lorsqu’il cherche à expliquer la fabrication des haches polies, semble considérer toutes celles qui ne le sont point, comme les rebus d’un premier travail ; ce sont à ses yeux de simples ébauches, qu’un coup maladroit, qu’un éclat mal enlevé a fait rejeter comme impropres à quelque usage que ce fût ”. “ Quoique cette opinion ait prévalu, et qu’elle paraisse généralement admise, je suis loin de la partager, je crois au contraire que les grandes haches, dites ébauchées, sont complètement terminées, et parfaitement propres à l’usage auquel elles furent affectées ”8. Et il appuie cette assertion sur des raisons d’inégale valeur parmi lesquelles on peut retenir cette observation : “ la proportion des haches polies à celles dites ébauchées est comparativement très-petite. Je ne crois rien hasarder en affirmant que pour une hache terminée on en rencontre cinquante qui ne le sont point ”9. Mais, “ ces haches, toutes grossières qu’elles paraissent sont cependant travaillées avec une sorte de soin, […] elles sont finies, et aussi propres à remplir leur destination que celles qui présentent le poli le plus parfait ”10. L’auteur consacre ensuite un peu plus de quinze pages à l’instrument qui avait été apporté par H. de Mautort et qui était fait d’une dent de sanglier fixée dans une gaine de corne de cerf11. Cette gaine s’est fendue sur quelques centimètres près du trou recevant la dent de sanglier. Elle porte l’empreinte d’une ligature que Picard suppose avoir été faite de fils métalliques. Dans les pages qui précèdent et qui sont consacrées aux haches polies, il dit que l’usage des métaux devait être fort restreint et que le fer était presque ignoré. Jouannet utilise des formules semblables bien que notre Picard pousse un peu loin la confusion des âges.

7. F. de Jouannet, Notice sur des armes et autres instrumens en bronze, Bordeaux, Brossier, 1826, 4, 9-10. 8. C. Picard, Ibid., 235. Cf. Léon Aufrère, “ Une controverse entre François Jouannet et Casimir Picard sur les “ haches ébauchées ” ”, Bull. Soc. préhist. fr., t. XXXII, 5 (1935), 300-302. 9. C. Picard, Notice sur quelques instrumens celtiques, 235-236. 10. C. Picard, Ibid., 237. 11. Fig. 42 (cf. fig. 1 à 5).

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Fig. 43. Défense de sanglier dans une gaine en bois de cerf, haches, couteaux et masses “ celtiques ” étudiés par Picard (1837)

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Fig. 43. Défense de sanglier “ celtique ” étudiée par Picard (1837)

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Fig. 43. Défense de sanglier dans une gaine en bois de cerf, haches, couteaux et masses “ celtiques ” étudiés par Picard (1837)

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Fig. 43. Couteaux “ celtiques ” étudiés par Picard (1837) L’intérêt du chapitre consacré à cet instrument est surtout dans les conclusions suivantes : “ 1° Pendant l’époque celtique, la corne de cerf était fréquement employée à la fabrication d’objets d’art ou d’instrumens servant aux besoins de la vie […] ”. “ 2° Si l’on considère qu’une série nombreuse de défenses de sanglier a été trouvée dans un gisement qui ne peut laisser aucun doute sur leur antiquité, si l’on rapproche ce fait de celui de la défense emmanchée dans la corne ; on doit conclure que l’usage de cette substance dans les arts celtiques, a pu être assez fréquent ”12. Il n’était pas sans intérêt à ce moment-là de signaler que l’usage du bois de cerf ou des dents de sanglier pouvait être contemporain de l’usage de la pierre. Plus importantes encore sont les considérations sur ce que Picard nomme les “ masses ” et sur leurs rapports avec ce qu’on appelait alors les “ couteaux ”13. On connaissait depuis longtemps les premiers objets. Ici la tradition remonte très loin même si elle n’est pas ininterrompue depuis les premiers âges de la pierre. On a détaché des éclats de silex d’une masse de silex, d’abord avec un marteau de pierre, puis avec un marteau de bois, et enfin avec un marteau de fer. Il y avait des tailleries de pierre à fusil dans les environs d’Abbeville et Boucher de Perthes demandait des leçons aux ouvriers-tailleurs. Cette technique a été signalée par Desmarest. “ Leur forme représente en général un cône prismatique allongé, mais dont il est impossible de donner les véritables dimensions ; tous les morceaux que l’on a trouvés jusqu’alors étant tronqués ”. “ Leur surface est marquée longitudinalement par des lignes ou crètes parallèles, qui sont les lignes de rencontre de facettes longues, étroites et légèrement

12. C. Picard, Ibid., 251-252. 13. Fig. 42 (cf. fig. 10 à 18).

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excavées de manière à former une sorte de rigolle [sic] superficielle. Ces facettes représentent des bandelettes parallèles entr’elles qui se rétrécissent ordinairement vers l’une des extrémités de la pierre […] ”. “ […] je démontrerai avec la dernière évidence, je le crois, que les pierres auxquelles je donne le nom de masses, ont été produites par l’enlèvement de languettes ou couteaux […] ”. “ Le plus grand des couteaux, fig. 17, est un silex blond, parfaitement homogène […] ; on y distingue deux faces, l’une prismatique, convexe, formée par la réunion de trois facettes. La face opposée est concave, plane et ne présente rien de remarquable […]. L’autre couteau, plus petit que le précédent fig. 18, présente une légère courbure dont la convexité répond aussi à la face prismatique […] ; le dos, prismatique dans toute son étendue, offre trois facettes ; la face concave est plane[…] ”14. “ Cette description […] ne saurait donner une idée de ces instrumens, ni de la singulière impression qu’ils produisent sur ceux qui les voient pour la première fois ”. “ […] Lorsqu’on cherche à se rendre compte de leur mode de fabrication, il semble que la pierre, au moment où elle n’avait qu’une consistance pâteuse, ait été coupée par une lame bien aiguisée, absolument de la même manière, avec la même facilité et la même netteté que l’est un morceau de fromage par nos couteaux de cuisine ”. “ Quoi qu’il en soit, nos instrumens paraissent avoir été détachés tout d’une pièce, la netteté et la continuité de la section ne laissent aucun doute à cet égard ; on voit par la fig. 14, et par les fig. 15 et 16, qu’ils présentent deux faces, l’une plane, sans aucune arête, et l’autre face convexe et prismatique qui est le résultat de sections faites antérieurement et semblables les unes aux autres ; les arêtes sont formées par la rencontre du plan de chacune de ces facettes, et suivent comme elles la direction de l’instrument ”. “ Il faut observer que toutes ses facettes, sans en excepter aucune, ne sont point parfaitement planes ; en effet, les facettes qui forment le côté prismatique sont légèrement concaves dans le sens transversal ; c’est ce qu’on peut apercevoir en B, fig. 14, tandis que l’autre face de la lame est au contraire légèrement convexe, voy. A, fig. 14 ”. “ Il y a entre les deux courbures des facettes un rapport tellement évident qu’on ne peut mettre en doute que les unes et les autres ont été produites par les mêmes moyens ; enfin en examinant l’instrument avec attention, on aperçoit aisément des ondulations légères dans le sens transversal comme on peut le remarquer en C, fig. 17 ”. “ Si l’on rapproche ces caractères de ceux qui ont été précédemment observés sur les masses en silex, on sera facilement convaincu que les unes ont

14. C. Picard, Ibid., 253-259.

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donné naissance aux autres. Toutes les facettes des masses sont concaves, et légèrement creusées en goutières dans le sens longitudinal, et les unes présentent des ondulations tandis que d’autres en sont presque dépourvues ”. “ Si maintenant l’on suppose, ce qui n’aurait pu avoir lieu qu’avec un instrument semblable à une gouge légèrement évidée, qu’on entame une masse de silex par un bout, de manière à comprendre une ou plusieurs arêtes dans la section, et qu’on prolonge cette section étroite et effilée, on aura sans nul doute un couteau exactement semblable à ceux qui sont ici figurés fig. 14, 15 et 16 ”. “ Pour rendre ceci plus clair et la démonstration plus rigoureuse, supposons une section transversale de la masse en silex (fig. 13), dont tous les angles seront formés par la rencontre de lignes courbes, dont la convexité regardera le centre de la figure. On devine aisément que ces lignes représentent les facettes de la masse et les points d’intersection, les crêtes qui séparent les facettes ”. “ Si l’on inscrit dans le polygone d’autres lignes également courbes dont la convexité regarde aussi le centre de la figure, et si on les trace de manière à comprendre dans leur concavité un ou plusieurs des angles du polygone comme cela est représenté par les lignes d e, e g et h i, on obtiendra de petites surfaces angulaires a d e, e b g, i c h ”. “ Si d’un côté on représente la section transversale des couteaux faite en différens endroits, on aura les fig. 14, 15 et 16 ”. “ Or, en comparant les surfaces détachées du polygone et celles des fig. 14, 15 et 16, on reste frappé non-seulement de leur ressemblance mais encore de leur complète identité ”. “ Rien n’y manque, ni les angles et leurs dispositions corrélatives, ni les lignes avec leur courbure, ni enfin les dimensions qui sont les mêmes : a d e représente évidemment la fig. 16, comme les fig. 14 et 15 semblent être le calque des fig. e b g, i c h du polygone ”. “ Cette démonstration, je le pense, ne laisse aucun doute sur la commune origine et des masses et des couteaux ; c’est en débitant les uns que l’on produit les autres ”. “ Il me reste maintenant à examiner comment on a pu enlever des portions si minces, si effilées d’une substance qui, dans l’état où elle se présente ordinairement ne peut être entamée par aucune matière connue, et qui par la percussion ne donne que des cassures courtes et conchoïdes ”15. Sur ce point, après quelques observations, Picard conclut : “ Toutes ces remarques conduisent évidemment à penser que les couteaux ont été enlevés des masses siliceuses d’un seul coup, que l’on n’a pu les faire en éclatant la pierre, et qu’ils ont été détachés par un procédé semblable à celui que l’on emploie pour la fabrication des pierres à fusil ; c’est-à-dire par le clivage […] ”. 15. C. Picard, Ibid., 260-263.

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“ Quant à expliquer quelle était précisément la manière de travailler la pierre, nous ne l’essaierons pas, nous ferons seulement observer que les roches les plus dures et les plus propres à recevoir un beau poli se laissent presque toujours tailler et débiter avec une grande facilité au moment de leur extraction ; elles sont alors dans un état de mollesse qui disparaît bientôt lorsqu’on les expose à l’air. C’est précisément ce qui arrive pour les silex blonds silex pyromaques, cailloux francs des ouvriers ”. “ Et comme d’un autre côté les pierres à fusil présentent des facettes identiquement semblables à celles des couteaux celtiques, il est permis de penser que la manière de fabriquer les unes offre de grands rapports avec celle que l’on mit jadis pour fabriquer les autres ”16. La “ mollesse ” et la “ plasticité ” des terrains étaient des notions utilisées dans les ouvrages du temps pour expliquer certaines déformations des couches et même le creusement des cavernes (Marcel de Serres). Elles ne laissaient pas de difficultés lorsqu’elles définissaient un état originel et, d’autre part, il était d’opinion courante que certaines pierres modifiaient leur état physique et prenaient de la dureté par une exposition à l’air. Mais un silex “ mou ”, de consistance “ pâteuse ”, semblant avoir été coupé comme un “ morceau de fromage ”, nous laisse une impression franchement désagréable. On aimerait mieux la comparaison avec la fabrication des pierres à fusil par “ clivage ” si on pouvait l’accorder avec ce qui précède. Mais Picard savait-il bien ce qu’était le clivage des cristaux ? Savait-il bien comment on fabriquait les pierres à fusil ? Le cas échéant, il semble qu’il eût été plus net, plus précis et surtout plus explicite. Ce n’est pas que le mot “ clivage ” soit précisément mauvais pour désigner le débitage de lames et, d’autre part, on sait bien qu’il a fallu attendre jusqu’à ces dernières années pour savoir comment se faisait l’opération. En somme, on peut retenir que Picard se rend compte qu’il y a ici une technique très spéciale et même très remarquable et s’il n’a été ni heureux ni clair, ceux qui sont venus après lui se sont heurtés pendant longtemps aux mêmes difficultés sans plus de bonheur. Par contre, il a su poser le problème avec une remarquable clarté et la démonstration qui précède est belle par son relief, par son élégance et par la netteté et la vigueur du mouvement. Picard est un logicien qui sait décrire pour démontrer et qui apporte autant de précisions dans ses descriptions que de rigueur dans ses démonstrations. Traullé ramasse et la lumière se fait comme elle peut. Avec quelques objets, Picard pose de grands problèmes. Le débitage des lames en partant d’une “ masse ” de silex était une notion fondamentale. Aux couteaux longs qu’il vient de décrire, il oppose un couteau large, oblong ovalaire, représenté par la figure 9 : “ L’une des faces est prismatique ; elle a été obtenue par éclat ; celle qui lui est opposée peut avoir été produite par le clivage, mais je n’oserais l’affirmer, 16. C. Picard, Ibid., 264-265.

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car elle ne présente pas tous les caractères que je crois indispensables pour amener la conviction à cet égard. Il pourrait bien arriver que cette face, toute large qu’elle est, fût aussi le produit d’un simple éclat ”17. Picard oppose donc “ éclat ” et “ clivage ” : “ […] ces éclats, dit-il, présentent des caractères auxquels il est impossible de se tromper, ce sont toujours des écailles affectant des formes plus ou moins circulaires (conchoïdes), et contenant des stries concentriques semi-circulaires, qui ont l’apparence des stries de coquilles bivalves ”18. Sans doute, le conchoïde existe aussi dans les lames quand l’extrémité conchoïdale n’a pas été abattue. Il n’en est pas moins vrai que Picard a observé des particularités de technique qui ont leur importance sur des pièces différentes des lames allongées et jouant un rôle considérable dans la typologie. Il y a donc, dans ce mémoire, non seulement des problèmes et des solutions d’une importance capitale, mais aussi une typologie étendue et comprenant des formes parmi lesquelles il en était qui n’avaient guère retenu l’attention ou qui étaient encore inconnues. Ce mémoire dépassait en ampleur et en rigueur ce qui, jusqu’alors, avait été publié dans notre pays. S’il n’a pas les apparences de richesse des mémoires de Thomsen et de Nilson, c’est que ceux-ci ont pu mettre dans leurs travaux la variété et la beauté du néolithique terminal du Nord alors que Picard avait une matière plus fruste et plus apparentée aux hautes époques et qu’il présentait moins un ensemble d’objets ou une suite d’images qu’un groupe de problèmes. Et cependant, ce sont à peu près les derniers mots de Picard en archéologie. Si brève que fût sa vie, elle n’est pas terminée, et il lui reste encore trois années d’une production plus abondante que toutes celles qui ont précédé. Mais Picard s’est tourné d’un autre côté ou plutôt, il est rentré dans un domaine qui était le sien pour ne plus le quitter. L’archéologie fut pour lui comme une échappée que toute discipline ouvre normalement vers les disciplines voisines et qui résulte en somme de l’unité des choses. Il ne pouvait être naturaliste sans être géologue et devant les tourbes de Saint-Jean-des-Prés, le naturaliste, comme le géologue voyait l’homme à travers une biologie en partie périmée, l’homme antique dans un vieux monde. Voilà, je crois l’explication de la “ sortie ” de Casimir Picard hors de l’archéologie. Mais dans ce domaine, il semble n’avoir fait aucune lecture en dehors du Cours d’Antiquités monumentales. En somme, il semble que Picard n’ait guère consacré à l’archéologie que le temps matériellement nécessaire pour la rédaction de ses deux mémoires. Cela pourrait être évalué, comme ordre de grandeur, à deux ou trois mois de sa vie. Il faudrait seulement y ajouter le temps qui lui a été pris par les diverses sollicitations dont il fut l’objet à la Société d’Émulation et les charges diverses dont il se trouvait investi. Il faut considérer aussi que le temps consa17. C. Picard, Ibid., 267-268. 18. C. Picard, Ibid., 264.

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cré à l’archéologie et à l’histoire naturelle était pris sur les loisirs que pouvait lui laisser une profession particulièrement absorbante. Il restait sans doute sollicité par l’archéologie dans une ambiance où elle se trouvait en liaison avec l’histoire naturelle. Mais ces échappées dans une autre discipline ne pouvaient pas avoir pour lui le même intérêt que l’histoire naturelle pure où il était maître de ses moyens19. Boucher de Perthes et la préhistoire à partir de 1837 Nous abordons ici la partie la plus délicate et dramatique de l’ensemble de nos deux mémoires. Nous verrons d’abord se réaliser le programme des travaux prévus par le Mémorial d’Abbeville de 1837 jusqu’en 1842 et se découvrir comme jamais, le long des murs d’Abbeville, les restes de ce passé lointain qu’un demi-siècle d’observations avait lentement révélé dans notre vallée. Et en même temps, nous verrons Picard, avant de mourir, tourner le dos à l’archéologie et même à la Société d’Émulation, et Boucher de Perthes prendre la relève, d’abord timidement, modestement, puis de plus en plus largement, jusqu’à attirer sur notre ville l’attention de tous. Les textes sont parfois sobres sur les moments décisifs, quand ils ne sont pas muets. Mais si je laisse quelques lacunes, j’espère dissiper sur l’essentiel ce qui pouvait encore paraître quelque peu énigmatique dans cette histoire et remplacer formellement l’extraordinaire et l’inacceptable par ce qui est humain, non sans distinction, mais normalement humain. Je crois devoir et pouvoir au préalable dissiper une indécision qui m’a jusque-là beaucoup embarrassé. Les étiquettes des objets trouvés à la Portelette : 1837 ou 1838 ? Altération ou rectification ?20 Boucher de Perthes, dont les indications chronologiques ne sont pas toujours sûres quand elles ne sont pas nettement tendancieuses nous donne, dans les Antiquités celtiques et antédiluviennes, un récit, plus ou moins copieux selon les années, des fouilles qu’il a faites en suivant les travaux annoncés par

19. Cf. Lettre du 14 avril 1835 de Casimir Picard à Charles Desmoulins : “ Je suis heureux, Monsieur, de trouver en vous un correspondant pour la botanique. C’est mon étude de prédilection et la partie de l’histoire naturelle que j’aime depuis mon enfance et je ne me retrouve jamais avec une plante sans un sentiment de bien-être et de paix indéfinissable ”. 20. L’auteur a noté à cet endroit du manuscrit : “ à déplacer ”. Le brouillon de la lettre à Challays est daté du 13 août 1838. Chronologiquement ce passage prend place après la constitution de la Société linnéenne du Nord de la France, en juin 1838, où l’auteur a noté : “ Ici la lettre à Challays ”. Finalement, j’ai renoncé à modifier l’ordre du manuscrit parce que les passages suivants, jusqu’à juin 1838, se réfèrent à cette lettre.

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le Mémorial. La chronologie de son récit s’accorde avec le programme prévu par le journal. Mais cet accord n’existe pas avec les premières rédactions que j’ai pu consulter ni avec les indications portées sur les étiquettes des pièces recueillies. Jusque vers 1848, les pièces ainsi recueillies ont été étiquetées d’une façon uniforme. Les étiquettes sont de petits carrés de papier avec un cadre tracé à la règle et des inscriptions calligraphiées en écriture droite. Ce travail avait été fait par l’un de ses employés, toujours le même. Le tracé et l’écriture ne changent pour ainsi dire jamais. Après sa mise à la retraite il fera ses étiquettes lui même, il mettra des indications plus copieuses mais sans calligraphie et sans cadre. Or, les pièces indiquées dans les Antiquités comme ayant été recueillies en 1837 et en 1839 portaient toutes, sur leurs étiquettes, les millésimes 1838 et 1839. De même, dans les premières rédactions, on trouvait toujours 1838 alors que dans les rédactions postérieures, on trouve 1837 et quand les anciennes feuilles ont été conservées pour être utilisées, 1838 a été raturé pour être remplacé en surcharge par 1837. Etant donné les libertés que Boucher de Perthes prend parfois avec la chronologie, je me suis longtemps demandé s’il s’agissait d’une rectification ou d’une altération. Comme parmi les rédactions les plus anciennes, il en est qui portent des indications qui sont antérieures à la mort de Picard (mars 1841), il me paraissait difficile d’admettre qu’en 1840 ou au début de 1841, Boucher de Perthes ait pu se tromper d’un an sur des événements qui se plaçaient en 1837 ou 1838 et qu’il ait regroupé dans la seule année 1838 des événements qui se seraient répartis sur les deux années 1837 et 1838. Pourtant, aujourd’hui, il me semble que cette solution s’impose en examinant attentivement un document auquel je ne crois pas avoir demandé tout ce qu’il pouvait donner. C’est le brouillon d’une lettre destinée à M. Challays, officier du Génie chargé de la direction des travaux, auquel Boucher de Perthes envoyait le troisième volume des Mémoires de la Société qui contenait la seconde notice de Picard et qui venait évidemment de paraître. Je mets entre crochets un passage dans la marge duquel se trouvait un trait au crayon avec le mot “ non ” : “ Abbeville, 13 Août 1838 ” “ Bien qu’en dise Mr Baillon, Monsieur Challays verra par ces lithographies exécutées sous mes yeux et le volume ci-joint que j’ai l’honneur de lui offrir, que ce n’est pas pour les enfouir dans les collections particulières, mais au contraire pour leur donner toute la publicité possible que nous recherchons les souvenirs historiques ; ce n’est qu’ainsi qu’on peut donner de la valeur aux objets qui n’en ont aucune par eux-mêmes et en faire profiter la Science et le Public. [De tous les égoïsmes, le plus absurde est celui de la science et des collectionneurs qui cachent leurs trésors comme le chien enfouit son os. Grâce à Dieu, nous ne pensons pas ainsi et nous l’avons prouvé en concevant le pre-

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mier l’idée d’un musée qui serait riche et prospère sans les obstacles qu’on lui suscite et Mr. Baillon21, plus que tout le monde, avec de bonnes intentions peut-être en principe, mais funestes en résultats en ce qu’elles découragent les ouvriers qui ne sont pas suffisamment rémunérés] ”. “ Jusqu’à présent, l’examen des terrains de la Portelette n’a donné que de très minimes résultats, néanmoins, ils paraîtront dans le 4e volume de la Société. Si Mr. Challays obtenoit quelques renseignements géologiques qu’il désirât y faire insérer, ils seroient reçus avec reconnaissance. Nous avons besoin d’aide et surtout du secours d’hommes qui comme Mr. Challays, ont une instruction positive ”. “ Il m’obligeroit de communiquer cette petite note à M. Gouache ”. “ Boucher de Perthes ” Or, si l’on considère que dans la chronologie rectifiée comme dans la chronologie non rectifiée, les premières recherches de Boucher de Perthes commencent en août, qu’il fit ses premières trouvailles le 8 du même mois, on se rend compte que Baillon ne pouvait pas avoir reproché à Boucher de Perthes, avant le 13 de ce même mois d’août d’avoir “ enfoui ” les objets recueillis dans une “ collection particulière ”. Cette lettre n’est donc intelligible que si les recherches commencées en août se rapportent à l’année 1837. La solution qui me paraît s’imposer aujourd’hui implique, de la part de Boucher de Perthes, une distraction qui n’est pas en dehors de la vraisemblance et dont il n’a pas pu se dégager avant d’avoir embrouillé la chronologie au point de réunir deux années en une seule. Il a tout de même fini par s’en apercevoir et par corriger ses rédactions. D’autre part, l’étiquetage des pièces recueillies n’a certainement pas été fait au fur et à mesure des récoltes. J’ai vu une pièce qui avait été étiquetée sur ses deux faces et datée d’un côté de 1838 et de l’autre de 1839. Cela suggère que l’étiquetage a été fait pour les deux années en même temps. Boucher de Perthes ne se souvenait pas toujours très bien de la provenance de ses pièces. A propos d’une hache qu’il pensait provenir de Menchecourt, il crut nécessaire de la montrer à l’ouvrier qui la lui avait donnée pour dissiper ses doutes. Elle eût été étiquetée aussitôt après lui avoir été remise qu’il n’eût pas eu besoin de cette confirmation. Cette hache, que j’ai retrouvée bien et dûment étiquetée ne le fut donc que deux ou trois ans après sa découverte. L’étiquetage des pièces de la Portelette aura été fait en même temps que les premières rédactions et il reproduit les mêmes erreurs. La fin de la lettre n’infirme pas l’importance accordée aux résultats archéologiques de ces premières recherches. Quand Boucher de Perthes dit que “ l’examen des terrains ” n’a donné que de “ très minimes résultats ”, cela veut 21. François Baillon défendait les collectionneurs et s’opposait à l’idée d’un musée.

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dire que les observations géologiques faites au cours des travaux avaient été extrêmement réduites, du fait évidemment que Boucher de Perthes ne se sentait pas qualifié pour ce genre d’observations et qu’il supposait qu’un officier du Génie pouvait apporter sur les conditions de gisement des indications auxquelles on accordait la plus grande importance depuis Traullé et surtout depuis Casimir Picard. Boucher de Perthes sentait d’autant plus son insuffisance que les récoltes archéologiques étaient plus importantes. Pour s’en convaincre, il faut aujourd’hui se reporter aux Antiquités celtiques et antédiluviennes. Avant la guerre, j’avais retrouvé dans le grenier du musée, des quantités d’éclats de silex noirs, de grattoirs, classés par Boucher de Perthes parmi les pierres-figures, fixés sur des cartons dans un cadre rouge et noir. J’en avais fait des vitrines inaugurales de la carrière de Boucher de Perthes et si elles n’étaient pas les plus importantes, elles n’étaient pas les moins impressionnantes. Ainsi, cette lettre confirme la chronologie rectifiée de Boucher de Perthes, chronologie conforme au programme annoncé par le Mémorial : c’est en 1837 que commencent les travaux du génie et les recherches de Boucher de Perthes. Pourquoi Boucher de Perthes a-t-il suivi les fouilles de la Portelette ? Les Antiquités celtiques et antédiluviennes nous apportent, sur les circonstances et les dispositions qui ont conduit Boucher de Perthes à suivre ces travaux, des indications qui peuvent être complétées avec ce que j’ai relevé dans le brouillon de De l’industrie primitive et notamment dans le chapitre X du tome premier qui est précisément consacré aux fouilles effectuées en 1837 à la Portelette ou Porte de Rouen. Ce chapitre était essentiellement constitué par une notice consacrée à ces fouilles et antérieure de quelques années à la conception de l’ouvrage. Elle était écrite sur un papier jaunâtre assez épais et quelques pages avaient été refaites ou ajoutées sur un papier blanc un peu grisâtre et beaucoup plus mince, comme l’ensemble de l’ouvrage. Cette première notice avait d’ailleurs subi des transformations et voici une des plus anciennes rédactions que j’aie retrouvée, les deux premiers feuillets d’un premier état. Je place entre crochets les mots raturés : “ 1 ”22

FOUILLES ARCHÉOLOGIQUES : RÉCIT “ En 18..23, des [travaux] une tranchée ayant été exécutée sous les remparts d’Abbeville, de la porte d’Hocquet à la Portelette, pour

22. “ -1- ” Lire : premier feuillet du brouillon. 23. Date incomplète, il faut sans doute lire : 1830. L.A. Cf. C. Picard, “ Notice sur des instrumens celtiques en corne de cerf ”, Mém. Soc. roy. Émul. Abbeville, t. II (1834 et 1835), 97.

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“2”

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établir le canal de transit [quelques] deux haches celtiques furent trouvées [et notamment des] avec leurs montures [de ces haches] en corne de cerf. L’une fut vendue par les ouvriers à Mr. Baillon, elle est maintenant au Musée d’Abbeville. L’autre fut acquise par Mr. Picard, qui l’a encore en sa possession. Les savantes recherches faites par ce dr. et qui sont insérées dans les volumes de 1835 et 1836 et 37 parus de la Société royale d’Emulation m’ont donné l’idée de suivre attentivement les travaux entrepris à la Portelette en juillet 183824 pour y établir une porte de ville et pour faire communiquer avec le nouveau pont placé sur le canal de transit, la route de Neufchâtel et faciliter ainsi l’entrée de la ville ”. “ L’excavation des travaux entrepris à quelques toises de la Somme [devoit] s’étendoit dans un espace de 540 mètres quarrés […] ”.

Cette rédaction est antérieure à la mort de Picard (mars 1841). Si l’on considère que la date de “ juillet 1838 ” doit être remplacée par “ juillet 1837 ”, il faut placer cette rédaction, semble-t-il, aussi près que possible de mars 1841 pour permettre à Boucher de Perthes de se tromper d’un an sur des événements qui se sont produits en 1837 et qu’il situe en 1838. Il semble qu’on ne puisse guère s’écarter de la vérité en la plaçant en 1840. Dans cette rédaction, les recherches de Boucher de Perthes sont présentées comme une entreprise inspirée sans doute par les mémoires de Casimir Picard, mais comme une entreprise personnelle, paraissant tout de même assez brusquement, d’une façon inattendue et comme inopinée, dans une vie qui jusquelà avait été consacrée à tout autre chose qu’à l’archéologie. Il y avait, dans le brouillon de l’Industrie primitive, un autre état des pages 1 et 3 de cette même notice, postérieur à l’état dont on vient d’examiner les restes, mais toujours antérieur à la mort de Picard. Ces pages ont passé, avec les suivantes dans la rédaction définitive de ce chapitre X, mais après quelques pages d’introduction surajoutées, de sorte que la page 1 est devenue la page 8. Les pages suivantes ont été refaites sur un papier différent pour être modifiées ou dans le fond ou dans la forme. D’autre part, entre les pages 1 et 3, Boucher de Perthes a inséré plusieurs feuilles sur papier gris, de sorte que la page 3 est devenue la page 14. Or, les pages nouvelles ont été écrites plusieurs années plus tard, probablement à partir de 1843, bien après la mort de Picard et les pages 9, 10 et 11 nous apportent des indications assez importantes sur les circonstances et les dispositions qui ont conduit Boucher de Perthes à suivre les travaux du génie. Je reproduis les pages 8 [-1-], 9, 10, 11, 12, 13 et le début de 14 [-3-]. Je reproduis en italique le texte du papier jaune ; en romaine le texte

24. Lire 1837, supra. L.A.

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du papier gris ainsi qu’une correction faite sur le papier jaune après la mort de Picard (8 [-1-]) et la pagination nouvelle à laquelle les feuilles jaunes ont été soumises ; enfin, en petites capitales, un état de la page 11 sur papier gris, mais antérieur au texte définitif25 : [-.1-] -8“ ARCHÉOLOGIE ”

[-2-]-9-

-10-

[-11-]

“ [Exposé] Relation d’une fouille faite à la Portelette près d’Abbeville en Août et Septembre 1837 ”. “ En 183226, une tranchée ayant été exécutée sous les remparts d’Abbeville de la porte d’Hocquet à la Portelette aujourd’hui Porte de Rouen pour y établir le canal de transit, deux haches celtiques avec leurs [montures] gaines en corne de cerf furent trouvées par les ouvriers et vendues, l’une à Mr. Baillon, elle est maintenant au Musée d’Abbeville, l’autre fut acquise par [notre collègue] Mr. Picard qui [l’a], à l’époque de sa maladie l’avoit encore en sa possession et vendues par les ouvriers et depuis déposées au Musée de l’arrondissement où elles sont encore. Mais le hasard seul les avoit [sauvées de la destruction, les fouilles n’avoient pas été suivies [et j’en exprimai le regret à la] [par quelqu’un qui put diriger les ouvriers. J’en] exprimai le regret à la Société d’Emulation et] sauvée. Les fouilles n’avoient pas été suivies. J’en exprimai le regret à la Société [d’Emulation] en lui proposant de désigner [nommer] un [de ses membres] ou une commission pour s’occuper de [celle qui alloit] s sondages qui alloient recommencer près de la Porte de Rouen ”. “ L’absence de plusieurs de nos collègues et les [travaux dont les autres étoient accablés] occupations des autres ne permit pas de donner [suite] une suite immédiate à cette proposition. Ce fut cette circonstance qui [m’engagea] me détermina malgré mon insuffisance ”. “ CE FUT ALORS QUE [BIEN] QUOI QUE [FORT IGNORANT DANS] DE CES MATIÈRES, MAIS FAVORISÉ PAR UNE CIRCONSTANCE QUI ME RAMENOIT CHAQUE MATIN SUR LES LIEUX OÙ S’OPÉROIENT CES REMUEMENS DE TERRE, J’EN COMMENÇAIS L’EXPLORATION NON

25. Ce paragraphe est à première vue difficile à suivre, en revanche le commentaire à la suite de ces pages de brouillon est clair. Est en italique (papier jaune), ce qui fut écrit avant la mort de Picard (1841) ; en romaine (papier gris), ce qui fut écrit après la mort de Picard et à partir de 1843 ; en petites capitales (papier gris), la feuille ajoutée avant 1847. 26. Nous n’avions pas pu déchiffrer correctement la surcharge mise en romaine dans nos Epreuves et synthèses n° 1, nous l’avons rectifiée dans Boucher de Perthes, Paris, 1940. L.A.

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SANS QUELQUES HÉSITATION [ET] MÊME QUELQUE DÉGOÛT [MAIS QUELQUES] DES REMARQUES QUI SE TROUVÈRENT JUSTES, ET PUIS LA DÉCOUVERTE DE QUELQUES OBJETS M’ENGAGÈRENT À CONTINUER PUIS M’ATTACHÈRENT FORTEMENT À CE GENRE D’EXPLORATION PARCE QUE, DÈS CE MOMENT, J’Y VOYAIS UNE NOUVELLE PAGE D’HISTOIRE.

-11-

[Ce fut cette circonstance et aussi cette […] à m’en charger et] [et] mon peu d’habitude de ce genre d’exploration [qui m’engagea à m’en] me charger [mais pourtant] de celle-ci, mais ce ne fut pas sans hésitation et même sans quelque dégoût ”. “ Il en est ainsi au début de toutes les études [mais] bientôt quelques découvertes heureuses me donnèrent courage -12[mais [quelques] [des] quelques découvertes heureuses me donnèrent courage [puis] la confirmation de quelque prévision ou idée [théorique] que je croyais purement théorique augmenta […] et me porta à] continu[er] ai et je finis par m’attacher [fortement à ce genre d’occupation] à mon travail parce que, dès ce moment, j’y entrevis une nouvelle page d’histoire ”. -13“ [Les] Nous étions alors en août 1837 et le but des travaux était [de creuser de nouveaux fossés à l’endroit dit Portelette et aujourd’hui porte de Rouen] le creusement recreusement par le génie militaire de fossés de défense de la place [de placer, d’établir les] et l’établissement des fondations de la nouvelle porte [et de son pont aujourd’hui la porte de] dite de Rouen et de son pont. [-3-] -14- porte de ville en remplacement de celle dite de la Portelette l’excavation commencée à environ [2] 30 mètres du canal de transit et à une égale distance de la Somme se [trouvoit] dessinoit ainsi dans l’angle formé par ces deux cours d’eau. Elle devoit s’étendre dans un espace de 540 mètres [quarrés] carrés […] ”. Le texte sur papier jaune (en italique) se présente avec les dispositions habituelles des notices insérées dans les Mémoires de la Société d’Émulation, avec le nom de la spécialité scientifique en capitales et le titre en minuscules. Il a certainement été écrit dans cette intention. Il a dû suivre de très près l’état précédent. Par contre, les feuilles grises ont été écrites plusieurs années après les précédentes, plus longtemps encore après les événements eux-mêmes, pour instruire le public auquel était destinée De l’Industrie primitive, des circonstances qui s’étaient produites à la Société d’Émulation et qu’il avait été inutile de rappeler dans une notice destinée à la Société. Nous pouvons retenir les détails que nous venons de retrouver pour nous rendre compte des circonstances qui ont engagé Boucher de Perthes à suivre les travaux du génie en août 1837. On y voit des rédactions et des reprises successives et des faits nouveaux. Ainsi dans les deux feuillets ses découvertes

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heureuses lui donnèrent du courage, puis, dans la dernière feuille la confirmation d’une idée purement théorique, c’est-à-dire la coexistence de l’homme avec les éléphants et les rhinocéros augmente l’intérêt qu’il portait à ces recherches. Cette idée l’a sans doute porté à “ continuer ” ses recherches, mais pas à la Portelette et pas avant 1839 ou 1840. Retenons qu’en 1837, il propose de désigner un des membres de la Société, c’est-à-dire Casimir Picard, ou une commission, ce qui eût été à peu près la même chose. L’absence de plusieurs et les occupations des autres ou les travaux dont ils étaient accablés visent essentiellement Casimir Picard. Or, il suffit de se reporter au Petit Glossaire et à tout ce que nous avons raconté pour se rendre compte que Boucher de Perthes ne pouvait pas laisser passer l’occasion qui se présentait avec les travaux entrepris par l’autorité militaire. Il avait pris à cœur l’affaire de Noyelles. Il ne voulait pas rester sur un échec et il n’était pas seul à espérer contre tout espoir. À la séance du 6 juillet 1837, les Extraits des Procès-Verbaux signalent une intervention pressante et presque péremptoire : “ M. Boucher de Perthes rappelle qu’il est urgent de reprendre les fouilles archéologiques commencées sur le territoire de Noyellessur-Mer ”27. Ici, c’était Hecquet d’Orval, le fils, qui s’occupait des fouilles. Mais à Abbeville, les exécutants faisant défaut, il fallait que Boucher de Perthes suive et surveille les fouilles lui-même. Ce qui le faisait hésiter, c’était son manque d’habitude, l’ignorance qu’il avait de ces matières et qu’il confesse dans un aveu dépouillé d’artifice. Seulement, le bain matinal qu’il prenait au Pâtis, sur l’autre rive de la Somme, l’obligeait à passer et à repasser chaque jour sur le pont de Rouen à 30 mètres de l’endroit où se faisaient les travaux (feuille 11, en petites capitales). Comment Boucher de Perthes ne se serait-il pas arrêté pour voir ce qui s’y passait et s’informer de ce qu’on y rencontrait ? Ailleurs, l’affaire se serait peut-être engagée plus difficilement. Là, elle s’engageait toute seule. Boucher de Perthes continuateur de Picard. Quels furent leurs apports respectifs ? Maintenant, une question assez importante se pose. À qui, à quoi, étaient destinés les objets recueillis à la Portelette ? Qui devait rédiger la notice annoncée à M. Challays et destinée au quatrième volume des Mémoires de la Société d’Émulation ? Boucher de Perthes ou Casimir Picard ? À cette question, Boucher de Perthes répond sans ambiguïté au début des Antiquités celtiques et antédiluviennes : “ M. le docteur Picard a donné dans le […] volume de 1835 des Mémoires de la Société d’Emulation […] une notice sur un ornement en dents de san27. Extraits des Procès-Verbaux, Mém. Soc. Émul. Abbeville, 2e série, t. 431.

III

(1836 et 1837),

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glier28 découvert près de Picquigny, et sur quelques gaines de haches appartenant également à l’époque celtique. J’avais vivement engagé M. Picard à finir son travail et, pour lui en faciliter les moyens, j’avais fait quelques fouilles qui n’avaient pas été improductives, quand une mort, hélas trop précoce, l’enleva à la science et à ses amis ”. “ Les matériaux que j’avais réunis, je n’ai pas voulu les laisser sans emploi. M. Picard ne pouvant plus les mettre en œuvre, j’ai tenté de le faire ; j’ai continué les recherches commencées ; j’ai exploré tous les terrains que le redressement du lit de la Somme, le desséchement des anciens fossés et le creusement des nouveaux mettaient à découvert, et, depuis 1837 jusqu’aujourd’hui, il n’y a eu autour d’Abbeville, aucun remuement de terre de quelqu’importance auquel je n’aie assisté ”29. Si nettes qu’elles soient, ces lignes ont besoin d’explication. Elles nous disent seulement que Boucher de Perthes est le continuateur de Casimir Picard. Elles ne nous disent pas ce qui revient à l’un et à l’autre. Elles ne nous disent guère ce qui s’est passé depuis 1837 jusqu’au moment de leur rédaction, ni plus particulièrement ce qui s’est passé de 1837 à la mort de Picard. J’ai établi qu’elles étaient au début d’un état de De l’industrie primitive qui était bien loin d’avoir l’étendue et la portée de celui que nous connaissons et où la question essentielle était sans doute posée mais fort loin d’être considérée comme résolue. Ce mémoire se terminait alors au moment où Boucher de Perthes avait dans ses tiroirs des objets qu’on lui avait apportés ou qu’il avait apportés de Menchecourt, qu’il considérait comme “ celtiques ” et qu’on lui avait remis avec l’assurance qu’ils provenaient des sables ossifères, bien qu’il n’y en eût aucun qui eût cette origine. C’étaient des fragments de poterie, une hache polie, un pic campignyen, une hache éclatée mais néolithique et enfin un biface à technique acheuléenne évoluée et à patine blanche provenant visiblement du lœss. En 1940, j’étais enclin à admettre que la question avait été posée en deux temps et en des temps à la fois distincts et similaires : un temps initial, de portée chronologique limitée, par Casimir Picard ; un deuxième temps de portée chronologique d’un tout autre ordre de grandeur, par Boucher de Perthes. Aujourd’hui, je crois pouvoir montrer que cette démarcation est beaucoup moins simple, que Picard est allé beaucoup plus loin que je ne l’ai écrit en 1940, mais qu’il faut faire une part très large à “ l’ambiance ”, ce qui change sensiblement l’aspect des choses et le caractère des “ parts ”. Tout cela doit ressortir de ce que nous allons rapporter maintenant, c’est-àdire des événements qui se sont produits entre 1837 et 1841 et de la manière dont s’est effectuée la relève.

28. C’est la notice anonyme que nous avons restituée à Alfred de Mautort. L.A. 29. J. Boucher de Perthes, Ant. celt. antédiluv., t. I, 2.

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1837. Picard, “ Etudes sur les Géraniées ” Au moment où Boucher de Perthes s’engageait dans cette archéologie qui était dans la tradition abbevilloise depuis Traullé, Picard reprenait la publication des notes qu’il avait annoncées sur la flore du département de la Somme, à titre de complément de la flore de Pauquy. En réalité, en 1837, il présentait à la séance publique de la Société d’Agriculture, du Commerce, des Sciences et des Arts de Boulogne-sur-Mer ses Etudes sur les Géraniées qui croissent spontanément dans les départements de la Somme et du Pas-de-Calais (pp. 93138) qui parurent en tiré à part avec le millésime 1838. Il a fallu ajouter et du Pas-de-Calais pour justifier l’impression de la notice dans les publications d’une Société de ce département. Le Casimir Picard des Etudes sur les Géraniées est assez différent du Casimir Picard de la Notice sur des instruments celtiques. On sent que sa culture scientifique le met ici sur un autre plan et avec de tout autres moyens que lorsqu’il fait de l’archéologie. Il est au courant de la botanique de son temps. Il cite et il utilise une abondante littérature alors que dans ses mémoires d’archéologie la littérature est inexistante. C’est évidemment plus intéressant pour lui. Il faisait de l’histoire naturelle en faisant de l’archéologie. Nous n’avons pas à examiner ici le contenu de cette brochure sur les géraniées, mais il y a, dans l’introduction, quelques lignes qui nous font connaître ses tendances et sa position vis-à-vis des idéologies du temps qui pesaient de tout leur poids sur les questions relatives à l’antiquité de l’homme. C’est peut-être là que se trouve ce qu’il y eut de décisif dans l’influence qu’il eut à Abbeville. L’auteur rappelle que la meilleure méthode de classement pour les plantes est celle qui s’appuie sur les caractères présentés par les organes les plus nécessaires à la reproduction. Aussi “ les divisions Génériques sont fondées sur les Formes30 que certains organes affectent constamment, et sur les différences que l’on peut remarquer dans la Fonction de dissémination ”31 : “ Les groupes que j’ai formés, écrit-il, dans le Genre Geranium sont basés sur la fonction de la dispersion des graines et par une coïncidence remarquable, sur une organisation propre à chaque mode de dissémination […]. La fonction est modifiée parallèlement aux différences organiques du fruit ”32. Cette “ coïncidence remarquable ” entre la fonction et l’organisation est vue par Casimir Picard comme une harmonie et un acte de prévoyance ou de transcendance. C’est une profession de foi de finalisme qu’il nous apporte. “ Quelques personnes reprocheront peut-être […] à cette notice une tendance bien prononcée vers la causalité. Ce reproche, je l’encours sciemment, 30. Souligné par l’auteur. 31. C. Picard, “ Étude sur les géraniées qui croissent spontanément dans les départements de la Somme et du Pas-de-calais ”, Bull. Soc. Agr., Com., Sci. Arts Boulogne-sur-Mer, Boulogne, 1838, 99. 32. C. Picard, Ibid., 100.

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et je déclare d’avance et bien nettement que sans la recherche incessante des causes, je ne comprends point la science ; elle est pour moi vide de sens et dénuée d’intérêt ”. “ Qui oserait nier que le soleil a été fait pour la production des grands phénomènes de physique dont nous le voyons être la source ? Si la science arrive à une conclusion aussi absolue, comment se soustraire à la causalité pour les petits êtres et pour les petites choses ? Quelle différence existe-t-il du plus grand au plus petit, puisque rien n’est ni petit ni grand en soi […] ”. “ J’ajouterai que je ne puis croire à l’existence d’un être sans croire en même temps à sa nécessité […] ”. “ Il est vrai que souvent cette nécessité échappe à notre intelligence ; mais […] de ce que nous n’apercevons pas aussi clairement l’utilité de la souris que celle de la vache, et par conséquent la nécessité de l’existence de l’une aussi bien que celle de l’autre, pouvons-nous raisonnablement nier cette nécessité pour toutes les deux, et trancher une difficulté par une dénégation ” ? “ Ce qu’on ne savait point hier on peut le découvrir demain. Qui se fût douté en Angleterre qu’après avoir accordé une prime pour la destruction des moineaux francs, il deviendrait urgent d’en accorder une pour en favoriser la propagation. Après avoir tué la dernière taupe dans une plantation de rosiers, on vit périr tous les arbres, rongés qu’ils étaient par le ver blanc. Ainsi va se rétrécissant tous les jours le cercle de faits exceptionnels qui semble contredire le système que nous soutenons ”. “ La croyance que ce qui est a été fait avec intelligence et dans un but déterminé, doit planer sur les Sciences naturelles ; c’est ainsi qu’elles auront de l’intérêt et un véritable avenir ”. “ C’est à découvrir les traces de l’intelligence, sublime créatrice de l’univers que doivent tendre toutes les études ; c’est agrandir la science que lui donner une pareille tendance ; c’est ennoblir l’homme qui étudie que d’offrir à ses travaux un but aussi élevé ”33. Nous sommes ici bien près du finalisme de Bernardin de Saint-Pierre. 1837-1844. La Société royale d’Émulation d’Abbeville et l’archéologie Les fouilles de la Portelette avaient duré deux mois, août et septembre 1837. Nous savons que les résultats étaient magnifiques. J’ai vainement cherché sur le Registre des Procès-Verbaux34 une indication relative aux trouvailles faites en 1837 et les années suivantes, je n’y ai trouvé aucune allusion avant le 7 33. C. Picard, Ibid., 104-105. 34. Ne pas confondre les Extraits des procès-verbaux, publiés à la fin de chaque volume des Mémoires de la Société royale d’Émulation, et le Registre des procès-verbaux, manuscrit détruit lors de l’incendie de mai 1940.

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novembre 1844 pour la lecture de De l’Industrie primitive. On y voyait sans doute des indications comme celles-ci : “ ont pris la parole, M. de Perthes, M. […] etc. ”, sans que rien ne fît succéder le contenu de l’exposé ou l’objet de la discussion. Ce silence des Procès-Verbaux est difficile à expliquer, mais c’est un fait. Le prospectus qui a été inséré dans le premier volume des Antiquités sous le titre d’Avant-propos de l’Éditeur dit bien que “ des instrumens et des signes très-anciens […] ont fait l’objet de plusieurs Mémoires de M. Boucher de Perthes qui ont été lus par l’auteur à la Société d’Emulation […] en 1840, 1841, 1842, 1843, 1844, 1845 et 1846 ”35. Cette indication concorde avec ce que j’ai vu sur le Registre pour 1844 et 1845 et, pour 1840, avec la date que j’attribue aux premières rédactions dont j’ai retrouvé les restes ou les traces. Pour la séance du 8 décembre 1837, les Extraits des Procès-Verbaux donnent les indications suivantes : “ M. Picard communique ce qui a été fait à Noyelles-sur-Mer, au lieu dit la Briqueterie, pour préparer une nouvelle fouille ; mais l’état du terrain et la saison avancée n’ont pas permis de pousser les recherches qui sont ajournées jusqu’à une époque plus favorable ”. “ Cet essai de fouille n’a produit que quelques débris de poteries romaines et gauloises, un petit nombre de médailles romaines, dont un grand bronze, et un morceau de granit vert antique, dont l’origine est évidemment égyptienne ”. “ Dissertation archéologique ”36. On ne sait pas quel fut l’objet de cette Dissertation archéologique. Prenons le volume suivant. À la séance du 6 avril 1838, on lit : “ Diverses communications relatives au musée communal d’Abbeville ”37. Pour le reste de l’année, l’archéologie ne reparaît qu’à la séance du 16 novembre : “ M. Picard fait un rapport sur une tombe antique découverte à Noyelles-surMer et qui a été signalée par M. Dupont ”38. Le nom de Picard reparaît deux fois au 19 octobre 1838, comme chargé d’un rapport sur un dictionnaire de médecine, de chirurgie et d’hygiène vétérinaire et comme membre d’une commission chargée d’obtenir communication du Livre Rouge qui est à la Mairie d’Abbeville. Le 21 décembre, il présente pour candidat à l’une des places vacantes de membre résidant, M. Lefranc, professeur au collège. En somme, sur les Extraits des Procès-Verbaux, 1838 est presque une année blanche pour l’archéologie et le rôle de Casimir Picard n’a jamais été moins apparrent. De son côté, Boucher de Perthes dit, en sept lignes, que les travaux ont recommencé à la Portelette le 1er mars 1838, qu’il a trouvé à un mètre environ 35. J. Boucher de Perthes, Ant. celt. antédiluv., t. I, p. I. 36. Extraits des Procès-Verbaux, Mém. Soc. roy. Émul. Abbeville, 2e série, t. III (1836 et 1837), 434-435. 37. Extraits des Procès-Verbaux, Mém. Soc. roy. Émul. Abbeville, 2e série, t. IV (1838, 1839 et 1840), 560. 38. Ibid., 563.

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de la superficie, des pièces romaines et, à la profondeur ordinaire, les vases celtiques, les silex, les charbons, mais point de haches polies, ni aucun morceau digne de remarque. Mai 1838. Picard, “ Rapport de la commission archéologique ”. Installation du musée d’Abbeville Le 18 avril 1838, Casimir Picard ajoute à son second mémoire Sur quelques Instruments celtiques, une note très brève sur deux “ couteaux ” dont l’un lui a été communiqué par A. de Mautort et l’autre par de Boubers. Enfin, le 4e volume des Mémoires (1838, 1839 et 1840) donne, daté du 25 mai 1838 et signé de C. Picard, un Rapport de la commission archéologique pour l’arrondissement d’Abbeville, à Monsieur le Préfet du département de la Somme ; en réponse à la circulaire de Monsieur le Ministre de l’Intérieur en date du 13 mars 1838 (pp. 271-284), circulaire ayant pour objet la recherche et la conservation des antiquités dans l’arrondissement d’Abbeville. C’est dire qu’officiellement, Picard représente plus qu’aucun autre l’archéologie à la Société d’Émulation. Ce rapport est à la fois une revue rétrospective et un programme pour l’avenir. On y apprend que les collections de la Société d’Émulation et celles de l’administration municipale ont été réunies dans un local de la Ville et que l’administration du musée est confiée à cinq membres nommés par la Ville et cinq membres nommés par la Société. Le Rapport nous informe qu’il y avait alors, avec la pirogue d’Estrebœuf, les gaines de hache en bois de cerf et des instruments encore inconnus décrits dans les deux notices rédigées par le rapporteur. J’avais effectivement retrouvé ces morceaux au musée Boucherde-Perthes où ils avaient été placés par d’Ault du Mesnil. Le rapporteur examine successivement les époques celtique et romaine, le Moyen Âge, et une “ Localité renfermant des antiquités de différentes époques ”. Cette dernière dénomination se rapporte aux croupes de la Somme : “ Les croupes sont en quelque sorte un musée d’antiquités de différens âges. Ainsi, à la partie inférieure, on rencontre des haches en pierre, des couteaux et autres objets celtiques ; dans les strates supérieures, on trouve des antiquités romaines, et si l’on en croit quelques personnes, on aurait découvert à la superficie divers ustensiles appartenant au moyen âge ”. “ Il résulte de ces données que des fouilles exécutées avec intelligence sur plusieurs points des croupes de la Somme, auraient sans doute des résultats très-intéressans sous plusieurs rapports […] ”39.

39. C. Picard, “ Rapport de la commission archéologique pour l’arrondissement d’Abbeville, à Monsieur le Préfet du département de la Somme ; en réponse à la circulaire de Monsieur le Ministre de l’Intérieur en date du 13 mars 1838 ”, Mém. Soc. Émul. Abbeville, t. IV (1838, 1839 et 1840), 282.

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C’est la stratigraphie indiquée par Traullé dès 1814, transmise sans doute par les amis de Traullé et quelque peu complétée par Picard. Il n’est pas du tout question de ce qui s’est passé à la Portelette en août et septembre 1837, ainsi qu’en mars 1838, ni du programme des travaux annoncés pour les années suivantes. Procès-Verbaux et publications de la Société ignorent de la même manière les fouilles suivies par son président. Par ailleurs, l’ensemble de ce Rapport est un programme, impersonnel sans doute, mais ce ne devait être qu’un rapport provisoire, sommaire, en attendant un “ second rapport beaucoup plus détaillé ”, établi “ après avoir rassemblé tous les documens nécessaires […] et tel que Monsieur le Ministre le désire ”40. Le rapport annoncé n’est jamais venu. En archéologie, le rapporteur avait dit son dernier mot. Nous n’en avons cependant pas fini avec Picard. On se rappelle que, pour lui, la question archéologique et la question géologique “ se tiennent et s’éclairent ” de sorte que, si vraiment il abandonne l’archéologie pour l’histoire naturelle, nous pourrons retrouver dans ses travaux l’idée qui éclaire l’archéologie et qui pourra au besoin guider ses collègues, même quand il ne sera plus parmi eux. Si les publications et les archives de la Société sont restées silencieuses sur les fouilles exécutées par Boucher de Perthes, nous savons que Baillon faisait des réflexions très désagréables pour le Président. Boucher de Perthes nous dit que le “ musée serait riche et prospère sans les obstacles qu’on lui suscite et Mr Baillon plus que tout le monde ” et voilà que Baillon lui reproche d’enfouir dans une collection particulière les souvenirs historiques qu’il cherche à la Portelette ou ailleurs ! Aussi donne-t-il à M. Challays, qui facilitait son travail, l’assurance que les résultats paraîtraient dans le 4e volume de la Société. Mais qui s’en chargerait ? 10 juin 1838. Fondation de la Société linnéenne du Nord de la France Un jour, Boucher de Perthes reçut une lettre qui ne dut pas lui avoir fait grand plaisir. La voici : “ Société linnéenne du Nord de la France ” “ Abbeville, le 5 juin 1838 ” “ Le Secrétaire général de la Société linnéenne du Nord de la France ” “ À Monsieur de Perthes, Président de la Société royale d’Emulation d’Abbeville ”

40. C. Picard, Ibid., 271.

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“ Monsieur ”, “ J’ai l’honneur de vous informer que la Société linnéenne du Nord de la France ouvrira sa première session le 10 juin 1838 à 6 heures très précises du soir ”. “ Les séances auront lieu à la Mairie en la Salle du Conseil ”. “ Des courses scientifiques seront indiquées pour les jours suivants ”. “ Veuillez, Monsieur, communiquer cette lettre à MMrs les Membres de la Société d’Emulation et leur annoncer qu’ils sont invités à assister aux séances et aux excursions ”. “ Si parmi les membres de la Société quelques-uns désiraient faire partie du Congrès, veuillez m’adresser leurs demandes ”. “ J’ai l’honneur d’être, Monsieur, votre très-humble et très-obéissant serviteur ”. “ C. Picard ” “ Monsieur de Perthes, Président de la Société d’Emulation, en Ville ”. Le congrès se tint du 10 au 15 juin. Il fut inauguré par un Discours d’Ouverture du Secrétaire général où Casimir Picard essayait de situer le rôle de la nouvelle Société dans le développement des sciences naturelles et passait, un peu brusquement, pour terminer sur leur fonction moralisatrice et salvatrice dans une société qui ne respectait plus rien : “ On ne peut, sans douleur, jeter les regards sur la société présente et sur la génération qui s’élève ; un mal affreux la dévore : c’est le doute et par suite l’indifférentisme et la négation de toute croyance ; de là cette plaie de l’âme qui décime tant de jeunes gens, de là ce découragement profond, ce dégoût de la vie et ces incroyables désordres que nos pères eussent à peine oser soupçonner ”41. Il prend la position d’un Augustin Thierry, mystique et insurrectionnel. Il voudrait que “ les sciences naturelles ramènent la société à son état normal ” et qu’on apprenne aux jeunes gens “ quelles saintes et douces consolations elles apportent aux maux dont ils se plaignent ”. Et il revient au thème déjà exprimé dans ses Etudes sur les Géraniées : “ Il est pour le savant, pour l’observateur véritable, une source infinie de jouissance qu’il voudrait faire partager à tous ; c’est de rencontrer partout et à chaque pas, sur l’aile du papillon, sur l’étamine de la fleur des champs, comme dans l’ensemble des êtres, le doigt tout puissant de Dieu. Celui qui entre et

41. C. Picard, “ Discours d’Ouverture du Secrétaire Général ”, Société linnéenne du Nord de la France, Compte-rendu de la 1ère Session tenue à Abbeville en juin 1838, Abbeville, C. Paillart.

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s’avance dans l’étude de la nature, reste anéanti devant la grandeur et la sagesse du Créateur ; il sent à chaque instant la présence d’un être infini, et l’admiration devient une prière ”42. Pratiquement ce passage exprime une consécration totale à l’œuvre de recherche, une plénitude totale dans le dévouement à la science. Sa maladie et son travail avaient brisé son corps et lui avaient laissé une impressionnabilité maladive. Nous savons par son biographe qu’il mourut de longue et cruelle maladie. C’était une tuberculose à forme lente, affectant profondément son organisme. Il fut évidemment le premier fixé sur son état et sur sa destinée. Dans la recherche, il est scrupuleux comme un saint, dans l’interprétation il voit comme un apôtre. Devant une Société naissante, il présente une profession de foi qui pourrait paraître insolite. C’était une manière de se préparer à mourir. Ce n’est pas un nouveau Picard qui apparaît, c’est notre Picard qui se fait connaître et qui faisait du prosélytisme pour se mettre en règle devant l’échéance prochaine. La Société linnéenne du Nord de la France était fondée. Picard s’occupait activement du recrutement. Sur ce point sans doute le Congrès lui avait laissé quelque chose à faire. Il allait mettre sous presse le compte rendu, il voulait y ajouter la liste des membres fondateurs. Pour qu’elle soit plus longue, il distribua un appel imprimé à ceux qui étaient susceptibles de l’être. J’ai retrouvé l’exemplaire qui avait été adressé à Boucher de Perthes. Il a été détruit en 1940. J’en avais pris une copie. Je distingue en italique les mots ajoutés par Picard à la main : “ Abbeville, le 5 juillet 1838 ” “ Le Secrétaire-général de la Société linnéenne du Nord de la France, 1ère Session ”. “ À Monsieur de Perthes ” “ Monsieur ”, “ J’ai l’honneur de vous annoncer qu’une société pour l’avancement des sciences naturelles s’est constituée sous le nom de Société linnéenne du Nord de la France ”. “ La première session, que l’on peut en quelque sorte appeler préparatoire a eu lieu du 10 au 15 juin 1838 ; elle a été consacrée en grande partie à arrêter les bases de la société et à déterminer les mesures qui doivent être prises pour donner à l’association toute l’extension désirable ”. “ Le compte-rendu de cette session, le règlement, divers catalogues d’histoire naturelle et la liste des membres fondateurs formeront un volume qui est 42. C. Picard, Ibid.

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sous presse et qui sera adressé à toutes les personnes qui auront adhéré aux statuts d’ici au 15 Décembre prochain ”. “ Il est aisé d’apercevoir, dans le règlement et dans l’exposé des motifs qui le précède, le but que la nouvelle société se propose d’atteindre ”. “ Vous comprendrez facilement, Monsieur, tout le bien que doit opérer la réunion des hommes qui s’occupent des mêmes études, vous connaissez les beaux résultats que les congrès ont produit en Allemagne : ils sont garants de l’avenir qui nous est promis ”. “ La nature de vos études et de vos travaux vous appelle à faire partie de la Société linnéenne du Nord de la France, et votre adhésion est vivement désirée par elle ”. “ Veuillez, Monsieur, avoir la bonté de me faire savoir si nous pouvons compter en vous un collègue de plus, et si nous devons en conséquence vous porter sur la liste des fondateurs ”. “ A la distance où je me trouve, il est impossible que je connaisse tous les hommes qui, dans votre ville et dans les environs, peuvent faire partie de la Société ; vous m’obligeriez donc beaucoup, Monsieur, si vous vouliez bien m’envoyer une liste des personnes que nous pouvons admettre parmi nous, m’instruire en même temps de la nature de leurs études, ainsi que de leur titre et qualités et enfin de leur demeure ”. “ Veuillez, Monsieur, recevoir l’assurance des sentiments avec lesquels j’ai l’honneur d’être, Votre très-humble et très-obéissant serviteur ”. “ Le Secrétaire-général, Casimir Picard ”. “ (N.) Vous êtes prié de répondre soit au Directeur-Président M. le comte Tillette de Clermont-Tonnerre, à Cambron-lès-Abbeville, soit au Secrétaire général M. Casimir Picard, médecin à Abbeville (Somme) ”. Le volume annoncé parut sous la forme suivante : Société linnéenne du Nord de la France, Compte-rendu de la 1ère Session tenue à Abbeville en juin 1838, Abbeville, […] C. Paillart, […] in-8°, 42 pages. La jeune société comptait soixante membres fondateurs d’Abbeville, Amiens, Arras, Beauvais, Boulogne, Calais, Compiègne, Douai, Doullens, Lille, Montdidier, Senlis, etc. Il y avait six membres honoraires dont Boucher de Crèvecœur père, deux membres correspondants, dont de Christol et quatre sociétés correspondantes dont la Société d’Émulation d’Abbeville. Le nom de Boucher de Perthes ne figure pas parmi les membres. Casimir Picard n’était peut-être pas très content. Boucher de Perthes non plus. Seulement, il y avait la Société d’Émulation. L’un était président. L’autre, archiviste. Il fallait bien s’arranger. Justement, il y avait alors beaucoup à faire. En août parut le tome 3 des Mémoires de la Société.

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10 septembre 1838. Longue lettre de l’archiviste au Président. L’enlèvement des meubles et collections du musée ayant commencé ce jour-là, Picard profite de la partie de la pièce rendue disponible pour commencer le classement des archives et le rangement de la bibliothèque. Il constate qu’il manque beaucoup de volumes dans la bibliothèque qui est, depuis longtemps, dans un grand désordre. Il demande au Président d’envoyer une circulaire à chacun des membres pour faire rentrer les volumes empruntés. Il trouve indispensable de mettre sur chaque ouvrage, le cachet de la Société et il n’en a pas à sa disposition. 13 septembre. Seconde lettre de l’archiviste au Président. Il s’est attaché d’abord à mettre en ordre les mémoires des Sociétés savantes. Il n’y a guère que le tiers des sociétés correspondantes qui aient envoyé leurs mémoires. Par contre, il en est qui les envoient et qui ne sont pas inscrites comme il en est qui sont inscrites et qui n’existent plus. Il faut aussi envoyer une circulaire. 4 avril 1839. Picard, “ Mémoire sur l’Histoire naturelle ” L’année se termine. On arrive à 1839. 18 janvier : “ M. de Perthes offre, au nom de M. Lefils, […] un Mémoire sur la découverte d’une forêt sous-marine, avec un échantillon à l’appui. Rapporteur, M. Picard ”43. Il s’agit des tourbes bocageuses que découvrent les marées et qui ont été déjà signalées par Ravin et d’autres avant lui. 15 mars et 4 avril. A l’occasion d’un manuscrit de Mareuse sur la domestication des insectes, M. Picard lit un mémoire étendu Sur l’étude de l’histoire naturelle. Les Mémoires de la Société d’Émulation en donnent quelques fragments où ce lyrique de la science exprime le fond de sa vie et de son âme. Picard range les Naturalistes, à leur tour, en classes et même en espèces : les collecteurs [collectionneurs], les nomenclateurs, les observateurs et parmi eux, comme une sous-classe, les naturalistes philosophes, les métaphysiciens de la nature, puis les naturalistes poètes, enfin les utilitaires qui viennent là parce que Picard a pu loger sa classification dans une soixantaine de pages consacrées à la culture de l’indigo et à la domestication des Insectes (Mém. Soc. Émul. Abbeville, t. 3, 1838, 1839 et 1840, 2e série, pp. 193-250). Il ne s’agit pas ici de l’intérêt d’une classification d’ailleurs banale. Il s’agit de Casimir Picard qui est collecteur, nomenclateur, observateur et philosophe, qui parle de lui-même quand il parle des autres et qu’on reconnaît plus ou moins sous des noms divers, sinon tel qu’il est, du moins tel qu’il voudrait être. La classe des collecteurs, “ La classe la plus nombreuse, modeste en ses travaux, insoucieuse de se

43. Extraits des Procès-Verbaux, Mém. Soc. roy. Émul. Abbeville, 2e série, t. 1840), 565.

IV

(1838, 1839 et

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faire un nom, n’aspire point à agrandir le cercle des connaissances humaines ; elle n’attend de l’étude qu’un plaisir, elle ne lui demande qu’une distraction ”. “ […] Les collecteurs recherchent avec un zèle infatigable les êtres qui font le sujet de leurs études, j’ai presque dit de leur culte […]. Cette classe est celle qui, répandue sur toutes les parties du globe, va fouiller au fond de la terre de Van Diemen ou dans les coins les plus reculés des îles les plus ignorées, pour en rapporter quelque pierre, trésor inconnu que nul n’a encore rencontré ”. “ Le collecteur devance la civilisation ; il en est presque toujours le hardi précurseur et les premiers pas de l’homme civilisé imprimés sur le sable des déserts, dans les savanes du nouveau monde ou dans les forêts vierges des tropiques, sont incontestablement les siens ”. “ C’est ce goût passionné pour les collections qui porte le naturaliste emprisonné dans la province qu’il habite, à recueillir toutes les productions naturelles qui l’entourent […] ”. “ Jeune, il tressaille de joie en comblant un vide devenu son idée fixe ; vieillard, il retrouve dans ses collections chacun des jours de sa jeunesse, et des souvenirs qu’il croyait effacés reviennent comme s’ils étaient d’hier. Cette espèce lui rappelle une course joyeuse où entouré d’amis, il volait à l’étude comme on vole au plaisir ; à l’aspect de celle-là, il revoit les champs, les bois qu’il a parcourus, il entend les oiseaux qui chantaient ce jour-là, il respire de nouveau l’air pur d’un printemps qui depuis n’a pas eu de pareil ; les douces émotions qu’il éprouvait alors renaissent avec leur fraîcheur d’autrefois, et les scènes variées d’une nature qui paraît monotone aux yeux du vulgaire lui apparaissent avec toute leur actualité ”44. Viennent ensuite “ les nomenclateurs, […] les de Candolle, les Lamarck, les Dejean, et toute l’innombrable multitude […] dont Linnœus peut être regardé comme le père et le maître ”. Ils n’étaient d’ailleurs pas que des nomenclateurs et “ tout le monde sait que les travaux d’une haute portée philosophique sont les titres les plus glorieux de Lamarck, de de Candolle et de Linnœus ”45. Maintenant la classe des observateurs : “ […] planant dans les hauteurs de la science, elle essaie d’arracher à la nature quelques-uns de ses secrets […] ”. “ […] les uns, […] le scalpel à la main, poursuivent leurs découvertes à travers les fibres mortes des animaux et des plantes ; les autres étudient patiemment la vie, ses modifications, ses fonctions diverses et s’emparant de tous les faits connus en déduisent les lois qui président à l’organisation ”. “ Quelques-uns parmi eux, poussant jusqu’à leurs dernières limites les inductions philosophiques, remontent jusqu’aux forces créatrices ; ils cher44. C. Picard, “ Mémoire sur l’histoire naturelle ”, Mém. Soc. roy. Émul. Abbeville, 2e série, t. III (1838, 1839 et 1840), 231-233. 45. C. Picard, Ibid., 234 + note 1.

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chent à deviner comment dans les premiers âges de la Terre, dans ces temps géologiques qui touchaient au chaos, la vie s’est progressivement établie ; comment en passant de l’être rudimentaire, de la molécule animée, par tous les degrés intermédiaires de l’organisme, elle est arrivée jusqu’à l’homme, dernier terme de la création ”46. Il s’agit ici de Lamarck dont il vient de dire que les travaux d’une haute portée philosophique sont les textes les plus glorieux et il semble bien qu’il considère la perspective présentée dans la Philosophie zoologique et dans le Système des animaux sans vertèbres comme une possibilité digne de la plus haute considération. Comme botaniste et comme archéologue, il avait assez utilisé ses travaux de nomenclature pour retenir ses recherches philosophiques et si les naturalistes auxquels il pense ne paraissent pas absolument identiques à Lamarck, c’est qu’il transforme son modèle pour le moderniser et le rapprocher de lui-même. Ce Lamarck ressemble bien à un Casimir Picard. Par contre, il fait une grande différence entre Geoffroy-Saint-Hilaire et Georges Cuvier. Il les oppose et ne les apprécie pas de la même manière : “ L’un procède par synthèse ; tel Geoffroy-St-Hilaire, proclamant a priori l’unité de composition et du haut de ce principe universel, descendant aux faits qu’il essaie d’expliquer en les méprisant un peu, il les ajuste à son système avec plus ou moins de bonheur ”. “ L’autre procède par analyse ; c’est notre illustre et immortel Cuvier, que nous avons vu remonter lentement et laborieusement le fleuve immense des faits, les prenant un à un, les étudiant, les comparant, les coordonnant en un tout admirable pour arriver enfin aux lois éternelles du monde créé ”47. Ces lignes nous disent que, dans le conflit qui avait opposé Geoffroy SaintHilaire et Cuvier, Picard avait fait son choix en faveur de Cuvier. Il avait aussi une tendresse particulière pour Bernardin de Saint-Pierre qui, “ révélant les lois mystérieuses qui unissent tous les êtres par des liens invisibles et harmoniques, doit être placé à […] [la] tête ”48 des “ naturalistes poètes ”. Mais il semble placer au-dessus de lui “ le géologue philosophe ” qui, “ dans la superposition des couches de l’écorce du globe, et dans la succession des débris organisés qu’elle renferme, voit se dérouler l’histoire du monde sublunaire, histoire que déjà le livre sublime de Moïse lui avait apprise ”49. Il s’agit certainement ici de Buckland et de Marcel de Serres, mais d’un Buckland et d’un Marcel de Serres selon Casimir Picard, à l’image de Casimir Picard. Ainsi, “ […] depuis la simple distraction, l’amusement des loisirs de la vie sociale, jusqu’aux spéculations les plus élevées que l’esprit humain puisse atteindre, les

46. 47. 48. 49.

C. C. C. C.

Picard, Picard, Picard, Picard,

Ibid., Ibid., Ibid., Ibid.,

234-235. 235. 236. 237.

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sciences naturelles savent contenter tous les goûts, satisfaire tous les besoins et mettre en jeu les plus hautes qualités de l’intelligence ”50. Réciproquement : “ Les prédispositions natives, les tendances de l’éducation, les affections de l’âme les plus intimes, se révèlent […] par le choix que chacun fait de sa tâche ”51. Et l’on peut ainsi pénétrer avec l’auteur dans la psychologie de Rousseau, de Bernardin, de Cuvier et de Picard. Le premier d’entre eux, Jean-Jacques Rousseau, “ […] était un collecteur avec toutes les sensualités de l’espèce ”52. L’expression est puissante. Elle nous met devant “ toutes les sensualités spécifiques du collectionneur ” et même devant les autres, qu’il s’agisse de Rousseau ou de Picard. Picard est ici Rousseau comme il est Bernardin : “ Qui ne s’est quelquefois oublié dans les prairies et les bois décrits par le poète de la science ? […] Bernardin, si dédaigné maintenant, remontait aux causes premières par l’étude ; analysant avec amour un brin d’herbe, il y voyait l’œuvre de Dieu, et pour cette âme tendre et religieuse, étudier c’était adorer ”53. Il a réservé l’auteur des Recherches sur les ossemens fossiles pour la fin : “ Mais voici Georges Cuvier ; il vient de ramasser un frêle débris d’ossement ; c’est le reste mutilé d’une race morte depuis des temps incalculés ; avec ce peu de poussière, qui conserve à peine une forme, le puissant archéologue de la nature va recréer un être tout entier ; il le reconstruit pièce à pièce, il lui a donné le mouvement, il lui a redonné la vie, il va le replacer au milieu des mers ; dans ces îles, dans ces lacs, auprès de ces forêts sans bornes, dans ces solitudes infinies dont le silence ne fut jamais troublé par la voix de l’homme, et vous avez vu passer devant vous un monde à jamais éteint, vous l’avez vu se dérouler à vos yeux avec toutes ses horreurs et toutes ses beautés, le magicien vous a révélé une des pages de la création ”54. Dans la sonorité des éloges, la mémoire de Cuvier n’a jamais été honorée par des paroles si gracieuses et si vibrantes. Mais son admiration est loin d’être exclusive. La poésie dans laquelle il s’exprime est ici désir d’action contenue, frémissante, multiforme : collection, observation, méditation et, bien entendu, publication. Il a passé en revue les Naturalistes. Il se retrouve en eux. Il vit en eux, même s’ils s’opposent. Et quand il ne les nomme pas, il semble que ce soit parce qu’il les modifie suivant le type idéal qu’il portait en lui-même. 50. 51. 52. 53. 54.

C. C. C. C. C.

Picard, Picard, Picard, Picard, Picard,

Ibid., Ibid., Ibid., Ibid., Ibid.,

238. 238. 238. 238. 239.

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19 avril 1839. Picard, “ Note sur la reproduction anormale des plantes ” À la séance de la société d’Émulation du 19 avril 1839 : “ M. Picard lit, sous le titre de Multiplication des Plantes, des observations d’une haute portée philosophique, et qui d’ailleurs s’appuient sur une étude approfondie de la nature et sur des expériences toutes récentes que lui-même a exécutées ”55. En note infrapaginale, on déclare que “ la première partie de ce travail n’a pas été imprimée ”. Je crois qu’elle a été seulement réduite dans la Note sur la reproduction anormale des plantes et principalement sur celle du cresson, par les feuilles séparées de la plante-mère (Bull. Soc. linn. Nord Fr., pp. 125-158, 3 pl. h. t.). Une note envoyée à Turpin fut résumée ou transcrite par celui-ci à la séance du 7 octobre 1839 de l’Académie des Sciences : “ Déjà observée sur des Monocotylédones, en particulier par Turpin, Picard découvrit la reproduction foliaire sur le Cresson de fontaine et observa qu’elle était déterminée par l’intervention des larves de frigane qui coupent les feuilles avec leurs mâchoires pour utiliser le pétiole et libérer ainsi les folioles de la plante. Ce sont ces folioles qui, abandonnées à elles-mêmes, produisent de nouvelles plantes, celles-ci s’accrochant dans les masses de conferves ou dans les mousses ou dans des herbes qui les soutiennent et assurent leur développement en évitant leur submersion ”56. Là-dessus vient l’interprétation finaliste : “ Tout a été prévu, tout a été admirablement combiné pour que des fragmens de feuilles isolées de la plante-mère, si souvent détruite par des friganes, deviennent un moyen de multiplication, et ce qui devait en apparence détruire la plante en fait naître une multitude ”57. “ Nous avons acquis la certitude que […] ce mode de reproduction par des feuilles séparées de la plante-mère entre dans le plan universel, et que c’est un moyen de plus à ajouter à ceux que la nature possède pour perpétuer indéfiniment les espèces sur la terre ”58. Tel est certainement le thème “ des observations d’une haute portée philosophique ” qui avaient frappé le secrétaire de la Société d’Émulation et dont le développement ne nous est pas parvenu.

55. Extraits des Procès-Verbaux, Mém. Soc. roy. Émul. Abbeville, 2e série, t. IV (1838, 1839 et 1840), 569 et Bull. Soc. linn. Nord Fr., vol. 1, 125. 56. C.R. Acad. Sci., IX, 438. 57. C. Picard, “ Note sur la reproduction anormale des plantes et principalement sur celle du cresson, par les feuilles séparées de la plante-mère ”, Bull. Soc. linn. Nord Fr., vol. 1er, 1 (juin 1840), 137. 58. C. Picard, Ibid., 132.

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5 juillet 1839. Arcisse de Caumont à la Société royale d’Émulation d’Abbeville À la date du 5 juillet 1839, les Extraits des Procès-Verbaux donnent les indications suivantes : “ M. de Caumont, Secrétaire général de la Société linnéenne du Calvados et de la société des antiquaires de Normandie assiste à cette Séance […] ”. “ Un membre propose d’offrir à M. de Caumont, le titre de Membre correspondant, en souvenir de l’honneur qu’il a fait à la Société en assistant à cette Séance. Cette motion est adoptée à l’unanimité ”59. On sait que la seconde notice de Picard sur des instruments celtiques ne parut qu’au mois d’août 1838. Je crois alors pouvoir rapprocher de cet Extrait des Procès-Verbaux, une indication que j’ai relevée dans le brouillon de De l’Industrie primitive : “ J’avois fortement engagé Mr. Picard à continuer ses recherches et finir son travail dont il avoit donné une nouvelle suite. Notre savant collègue, Mr. de Caumont, membre de l’Institut, connu par son cours d’Antiquités monumentales et d’autres grands et beaux travaux, l’y avoit également encouragé. Nos efforts n’avoient pas été inutiles et malgré ses occupations nombreuses et sa spécialité d’étude, l’Histoire naturelle, Mr. Picard paroissoit [étoit] décidé à compléter ses deux premiers mémoires. Déjà pour lui en faciliter […] les moyens et lui en procurer les éléments ou les matériaux nécessaires, […] j’avois fait exécuter plusieurs fouilles qui n’avoient pas été improductives quand une maladie de langueur puis une mort hélas trop précoce l’enleva à la Société et à ses amis mais [la mort] une maladie douloureuse puis la mort venue, à la fleur de la jeunesse, priver la Société d’un de ses membres les plus distingués et la France d’un homme savant dont les […] travaux (consciencieux) à la fois consciencieux et profonds ne pouvoient manquer […] d’avoir un grand retentissement ”. Les encouragements apportés par de Caumont à Casimir Picard et les événements rappelés ici par Boucher de Perthes après la publication du second mémoire de Picard (août 1838) peuvent se placer à la séance dont nous venons de parler et même s’ils se situaient en dehors de cette séance, ils devaient se trouver à une date assez voisine pour ne pas changer leur signification, c’està-dire à la fin de l’année 1838 ou dans le cours de l’année suivante. Picard n’avait pas encore explicitement renoncé à l’archéologie, et les pièces recueillies par Boucher de Perthes pouvaient encore être à sa disposition. Car d’après l’Avant-propos des Antiquités celtiques et antédiluviennes et d’après ce que j’ai vu dans les manuscrits, Boucher de Perthes n’a rien ou pres59. Extraits des Procès-Verbaux, Mém. Soc. roy. Émul. Abbeville, 2e série, t. 1840), 572.

IV

(1838, 1839 et

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que rien rédigé avant 1840 et il a dit et redit qu’il ne continua l’œuvre de Picard qu’avec beaucoup d’hésitation et de dégoût. Juillet 1839. Picard, “ Histoire des Mollusques terrestres et fluviatiles de la Somme ” De Caumont était venu dans la Somme pour participer, quelques jours après, à la deuxième session de la Société linnéenne du Nord de la France qui se tint à Amiens du 12 au 15 juillet 1839. On sait que, d’après les dispositions prises en 1838, Barbier et Garnier devaient être l’un Directeur-Président, l’autre Secrétaire général pour la session allant du 15 décembre 1838 au 14 décembre 1839. Le Secrétaire général prononça l’éloge funèbre de deux membres de la Société, Macquet d’Abbeville et Benjamin Gaillon. Le reste de la première séance fut consacré à la discussion du règlement et la Société décida la création d’un comité permanent de trois membres élus pour cinq ans. Avant de se séparer, la Société nomma comme membres du comité permanent, de Clermont, Directeur-Président, Casimir Picard, Secrétaire général et Brunet, Trésorier. En conséquence, le comité fut établi à Abbeville pour cinq années. Au cours du congrès, Casimir Picard présenta un Mémoire sur la reproduction foliaire du cresson de fontaine, l’Histoire des mollusques terrestres et fluviatiles qui vivent dans le département de la Somme et une Notice sur le genre Robertium (géraniées). On connaît le premier, le troisième nous est inconnu, le second était inachevé. Picard ne finira pas son Histoire des Mollusques. C’est Garnier qui l’achèvera et qui la publiera. L’Histoire des Mollusques occupe 130 pages du Bulletin de la Société linnéenne du Nord de la France, pp. 149-328. C’est l’ouvrage le plus considérable que Picard nous ait laissé. Il est encore recherché aujourd’hui. Picard avait fait une première rédaction en 1839. Mais celle que nous connaissons contient çà et là quelques indications relatives à l’année 1840. Cela paraît un ensemble de retouches et de compléments faits cette année-là sur un texte remontant au moins à l’année précédente. Nous retrouvons des indications chronologiques similaires sur le Catalogue de la collection de mollusques qu’il avait donnée au musée d’Abbeville, écrit de la main de Picard et daté de 1840. La constitution de cette collection et la rédaction du Catalogue ont pu être l’occasion de compléments à l’ouvrage inachevé. Il s’est évidemment servi de son manuscrit et il est probable qu’il fut amené à faire quelques recherches pour combler des lacunes. Il semble qu’il ait été aidé par Baillon puisque le nom de ce dernier figure parmi les indications chronologiques de l’année 1840. En dehors de cela nous pouvons penser que le texte est de l’année précédente. Nous examinerons cependant une autre éventualité un peu plus loin. Le fond idéologique est celui que nous avons signalé partout ailleurs. Il y a cependant des aperçus qui ne contrarient pas d’autres interprétations. On verra en outre la grâce avec laquelle il parle des êtres qu’il a si bien observés.

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“ Nous verrons dans l’ordre suivant [les Trachélipodes], que la coquille prend une place importante dans l’organisme, qu’elle devient un toit protecteur contre une multitude d’accidens, tandis que dans les Gastéropodes, où elle est nulle ou rudimentaire, il semble que le but soit manqué et que la nature les ait laissés sans protection. Mais il ne faut point accuser légèrement cette mère commune de tous les êtres et les Gastéropodes sont aussi bien protégés que les Trachélipodes ”. “ Les Arions et les Limax ont une peau dure, épaisse et souple tout à la fois ; un mucus abondant et d’une grande viscosité, enveloppe tout leur corps. Ce sont là des moyens protecteurs faibles en apparence, mais plus puissans peut-être qu’une coquille ; la limace placée sous le pied s’aplatit, glisse, échappe à la pression […]. Aussi, nos limaces ne craignent point les lieux habités ; […] elles ont tant de moyens d’échapper, que l’homme et son industrie ne peuvent que très-peu contre elles […] ”. “ Il n’en est point de même de notre jolie Vitrine ; petite, faible, à peine contenue dans une coquille plus mince et bien autrement fragile que le papier le plus fin, la pauvre mignonne s’est réfugiée dans les bois ; c’est là que la nature l’a placée pour qu’elle vécût inaperçue au milieu de tapis de mousse épais et moelleux […] ”. “ Nous aurons plus d’une fois l’occasion de remarquer, avec un indéfinissable sentiment d’admiration, l’ordre providentiel qui préside à la conservation et à la perpétuation indéfinie des espèces animales et végétales ”. “ Mais tout en observant ces lois providentielles mal étudiées et fort peu comprises, il faut remarquer que la nature n’en suit pas moins et d’une manière invariable une progression organisatrice si bien démontrée qu’elle est devenue maintenant la base de toutes les classifications des êtres organisés […] ”. “ Depuis les Arions jusqu’aux Helix, la coquille ou ce qui en tient lieu, prend une importance plus grande à mesure que l’on passe d’un genre à un autre et même d’une espèce à une autre espèce. C’est la considération du développement de l’organe crétacé qui nous a complètement guidé dans l’arrangement des espèces ”60. Sans doute, il s’agit d’une progression dans la nature actuelle, mais c’est, au détail et à l’intérieur d’une classe, quelque chose comme l’échelle des êtres que Bonnet avait introduite dans l’ensemble de la nature et qui pouvait conduire aux mêmes conséquences. L’expression “ progression organisatrice ” pourrait s’entendre aussi bien de l’histoire des êtres que de leur anatomie comparée et, si elle ne peut avoir ici que cette dernière affectation, elle n’a cependant rien d’univoque et elle présente tous les caractères des formules lamarckiennes. Il est difficile d’autre part de ne pas penser en même temps à

60. C. Picard, “ Histoire des mollusques terrestres et fluviatiles qui vivent dans le département de la Somme ”, Bull. Soc. linn. Nord France, n° 1, 167-169.

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la formule employée par Boucher de Perthes dans le titre même de son ouvrage sur La Création ou la progression des êtres (1841). Dans ses spéculations et ses fantaisies Boucher de Perthes s’ouvrait complaisamment à toutes les idées et il serait bien étonnant qu’il n’y eût aucun échange des uns aux autres. Dans son Histoire des mollusques terrestres et fluviatiles de la Somme, Picard devait s’occuper des sablières de Menchecourt et tenir compte de la signification que pouvait leur donner la présence des mammifères. Nous savons qu’il avait autrefois communiqué à Ravin la liste des coquilles qu’on y recueillait61. Les sablières étaient au premier plan des préoccupations des naturalistes abbevillois et il leur était aussi impossible de ne pas penser aux carrières de Menchecourt que les archéologues aux tours de Saint-Vulfran. Picard connaissait très bien les célèbres sablières. Il en parle. Il en parle très peu. Sans doute ne trouve-t-on rien dans l’ouvrage de Picard sur les coquilles marines puisqu’il est consacré aux coquilles terrestres et fluviatiles, ni rien non plus sur les genres qui ont été décrits par Garnier avec d’autres préoccupations. Voici ce que l’on trouve sur les coquilles des sablières et des tourbières de Menchecourt dans le texte de Picard. C’est peut-être ce qui en fait le principal intérêt pour nous au moment où nous nous approchons des pages les plus importantes de cette histoire. “ Succinea amphibia. J’ai rencontré à l’état humatile (semi-fossile, espèce contemporaine des éléphans et des rhinocéros), les variétés Elongatula et Linmoïda ; probablement qu’en remuant avec soin les sables quartzeux de Menchecourt (sables aigres des ouvriers), on rencontrerait les autres formes ”62. “ Helix arbustorum. On la rencontre quelquefois à l’état humatile dans les sables quartzeux de Menchecourt ; elle y est mêlée avec H. nemoralis ”63. “ Helix carthusianella. À l’état humatile dans les sables quartzeux ”64. “ H. crystallina. À l’état de demi-fossile dans les sables quartzeux de Menchecourt ”65. “ H. hispida. Se trouve à l’état humatile dans les sables quartzeux de Menchecourt et empâtée dans nos tourbes ”66. “ H. striata. A l’état humatile dans les sables quartzeux ; elle y est rare ”67.

61. Cf. Ravin, “ Mémoire géologique sur le bassin d’Amiens et en particulier sur les cantons littoraux de la Somme ”, Mém. Soc. roy. Émul. Abbeville, t. II (1834) et (1835), 199-200. 62. C. Picard, Ibid., 173. 63. C. Picard, Ibid., 221. 64. C. Picard, Ibid., 224. 65. C. Picard, Ibid., 226. 66. C. Picard, Ibid., 228. 67. C. Picard, Ibid., 230.

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“ H. rotundata. Elle est abondante à l’état humatile dans nos tourbes et nos sables quartzeux ”68. “ H. pulchella. On la rencontre dans nos sables quartzeux, à l’état humatile ”69. “ Achatina lubrica. Humatile, elle est très-abondante dans la tourbe, se trouve aussi dans les sables quartzeux ”70. “ Clausilia parvula. On la trouve à l’état humatile, dans la tourbe et les sables quartzeux ”71. “ Pupa marginata. À l’état humatile, dans les sables quartzeux et surtout dans les tourbes où elle est fort abondante ”72. “ Planorbis corneus. À l’état humatile, dans la tourbe et les sables quartzeux ”73. “ P. marginatus. À l’état humatile dans la tourbe ”74. Si l’on se rappelle que Ravin avait dit qu’il avait classé les tourbes inférieures dans les terrains diluviens et au voisinage des marnes, c’est-à-dire des lœss de Menchecourt qu’il ne séparait pas des sables quartzeux, on voit que Picard mettait à peu près les mêmes coquilles dans les sables et dans les tourbes et qu’il faisait en somme pour les mollusques ce que Ravin avait fait pour les mammifères. Mais ce qui donne à ces observations une signification particulièrement importante c’est qu’il emploie le mot “ humatile ” pour la faune des tourbières et pour celle des sablières. Or ce néologisme ne peut avoir que la signification que Marcel de Serres lui a donnée. Dire que les faunes de Menchecourt sont à l’état humatile c’est dire qu’elles appartiennent à l’époque historique ou plus exactement à l’époque où l’homme s’était répandu sur la Terre. Marcel de Serres avait créé le mot “ humatile ” pour éviter le mot “ historique ” qu’il employait encore en 1834 ou 1835. Les espèces à l’état humatile ou semi-fossile étaient alors considérées comme contemporaines de l’homme et associées à des débris de l’espèce humaine. En 1839, Picard remplaçait lui-même le mot “ historique ” par “ humatile ”. C’était en somme une adhésion explicite et littérale aux doctrines de Marcel de Serres. Picard avait adopté ses vues et il changeait son langage en suivant Marcel de Serres. Ainsi, pour Picard, l’homme était contemporain des éléphants et des rhinocéros à Menchecourt de même que les plus anciennes tourbes archéologiques appartenaient aux terrains diluviens. En effet, Ravin avait qualifié précédem68. 69. 70. 71. 72. 73. 74.

C. C. C. C. C. C. C.

Picard, Ibid., Picard, Ibid., Picard, Ibid., Picard, Ibid., Picard, Ibid., Picard, Ibid., Picard, Ibid.,

240. 241. 243. 249. 251. 263. 269.

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ment les plus anciennes tourbes de “ tourbes diluviennes ”. Picard et Boucher de Perthes appelèrent ces couches “ archéologiques ”. Implicitement, Picard faisait remonter les couches archéologiques jusqu’aux sables ossifères de Menchecourt. Si tous ces gens là se trouvaient d’accord pour accepter ce qui causait ailleurs tant de résistances, c’est que les coupures faites par Cuvier n’avaient pas pénétré réellement parmi eux et que l’empirisme de Traullé avait eu le premier et le dernier mot sur le dogmatisme de Cuvier. Dans l’Histoire des mollusques, un souffle venu de l’extérieur agrandit la perspective que Traullé voyait dans les tourbières et dans les vieilles tombes. Mais cette extension s’était faite pas à pas, pour ainsi dire, à partir des publications de Traullé et dans les Mémoires de la Société d’Émulation d’Abbeville. 10 août 1839. Lettre de Cordier à Boucher de Perthes D’après les Antiquités celtiques et antédiluviennes, les travaux du génie avaient repris au moins à la fin de juillet 1839 et, au mois d’août suivant, nous avons des nouvelles des trouvailles de Boucher de Perthes par l’intermédiaire de Casimir Picard et du Muséum d’Histoire naturelle. Cordier, alors Directeur du Muséum, était un Abbevillois. A la date du 10 août 1839, il écrivait à Boucher de Perthes : “ Je me suis empressé de communiquer à mes collègues l’offre que vous avez bien voulu me transmettre dans la dépêche de M. Picard. Nous acceptons avec reconnaissance l’envoi que vous projetez, y compris les débris de poterie celtique pour M. Brongniart, et je suis chargé de vous en exprimer nos remerciements ”. Sur cette lettre, une annotation de Boucher de Perthes nous indique le contenu de l’offre faite au Muséum : “ Envoyé un ballot. Ossemens d’animaux trouvés à Mareuil et à la Portelette ”. Ce document nous assure qu’il ne restait sans doute plus rien du nuage que la fondation de la Société linnéenne avait pu faire passer sur les rapports entre Boucher de Perthes et Casimir Picard et que, d’autre part, ni l’un ni l’autre ne voyaient d’inconvénient à ce que les poteries et les ossements recueillis à Mareuil et à la Portelette allassent à Sèvres et au Muséum. Toutefois, les haches, les silex, les outils en os ou en corne de cerf restaient à Abbeville dans le cabinet de Boucher de Perthes, où ils pouvaient être à la disposition de Picard si celui-ci se décidait à les décrire et trouvait le temps de s’en occuper. 1840. Picard et les premières découvertes de Boucher de Perthes à Menchecourt Peut-être Picard espérait-il encore des délais devant l’échéance fatale. En 1840, on sent qu’elle est proche. Dans l’année qui commence, Picard se pré-

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pare à mourir. Il devait déjà être fixé sur son sort ; Boucher de Perthes parle d’une “ maladie de langueur ”. Il s’agissait évidemment d’une forme lente. L’Abbevillois du 17 mars 1841 parle d’ “ une longue maladie ”. L’auteur anonyme de la Notice nécrologique nous apporte cette précision : “ Quelques mois avant de descendre dans la tombe, M. C. Picard a jeté un regard vers le ciel : il a demandé à la religion ses divines consolations, et il a clos en chrétien sa carrière utile, toute de dévouement et malheureusement si courte ”. Cela voudrait peut-être dire qu’au cours de l’année 1840 et sentant sa fin prochaine, il laissa le Dieu un peu vague de Bernardin de Saint-Pierre, de Sturm et de Despréaux, pour se rapprocher, plus qu’il ne l’avait fait jusqu’alors, du Dieu de son Église. Nous saisirons bientôt les réactions caractérielles du malade qui se rend compte de son état et qui sent venir ses derniers jours. J’en verrais déjà, d’ailleurs, des manifestations dans cette attitude que j’ai appelée “ insurrectionnelle ” à propos de son Discours d’Ouverture à la première session de la Société linnéenne. Ces diverses réactions ont été notées par ses collègues. T. Morgand parle “ d’une humeur un peu vive et rendue irritable par de longues souffrances nerveuses ”75. Les expressions de Boucher de Perthes se rapportent sans doute à un état moins grave mais cependant symptomatique : “ notre collègue si vif, si impressionnable, si sensible ”. Il y a d’autres indications qui se rapportent à cette fièvre avec laquelle il travaillait dans ses dernières années. “ Ses travaux opiniâtres furent le germe de la maladie à laquelle il a succombé ” (L’Abbevillois). T. Morgand dit à peu près la même chose. Picard avait observé toute sa vie. Il avait fait de multiples projets, commencé plusieurs ouvrages. Nous avons relevé ces préoccupations à diverses reprises. “ Cette pensée ne l’a jamais quitté, écrit T. Morgand, et c’est ainsi qu’il méditait une refonte des ouvrages si éminemment moraux et religieux de l’Allemand Sturm et de Cousin-Despréaux, les Leçons de la Nature, en rectifiant, d’après les progrès que la science a faits depuis, les erreurs échappées à ces estimables auteurs […]. Sa mort prématurée ne lui a pas permis de réaliser ce travail, que nous pouvons regretter, ainsi que de tant d’autres projets dont l’impossibilité d’exécution, faute de temps, le tourmentait et hâta sans doute ses derniers jours ”76. Je serais porté à croire qu’il vaudrait mieux dire “ tourmenter ses derniers jours ” que “ hâter ses derniers jours ” et qu’il conviendrait de considérer cette “ fièvre de travail ” et ces “ tourments ”, en partie au moins, comme une manifestation pathologique et un effet plutôt qu’une cause. À la séance du 17 janvier 1840, Picard fait un rapport détaillé sur l’essai en grand que vient de tenter M. Mettez-Michaut, industriel à Abbeville, pour rem75. T. Morgand, 1843, “ Extrait de la notice biographique de M. Casimir Picard, médecin, Archiviste de la Société royale d’Emulation, etc. lue à la même Société dans sa séance du 8 juillet 1842 ”, Mém. Soc. Émul. Abbeville, 2e série, t. V (1841, 1842 et 1843), 456 76. T. Morgand, Ibid., 451-452.

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placer l’indigo indien par la culture et l’extraction du Polygonum tinctorium (Mém. Soc. Émul. Abbeville, t. 4, 1838, 1839 et 1840, 2e série, pp. 193-204, 205-230). Le 8 mai, il propose d’organiser une exposition d’horticulture pour l’arrondissement d’Abbeville. Il intervient à ce sujet aux séances des 22 mai, 5 juin, 17 juillet et à la séance extraordinaire du 2 août où avaient été distribuées les récompenses. L’exposition avait eu lieu les 23, 24 et 25 juillet. Entre-temps Boucher de Perthes avait offert à Cordier, comme l’année précédente, des ossements venant de Menchecourt. Cordier lui répondit sans doute immédiatement. Sa lettre est du 12 juillet 1840 : “ […] je pense que les ossements doivent avoir de l’intérêt. Quoiqu’il en soit, si vous devez les envoyer au Muséum, je désire beaucoup que vous ayez la bonté d’y joindre, dans une boîte bien fermée ou dans un sac de toile très serré deux ou trois kilogrammes de sable qui sert de gangue aux ossements, en y joignant quelques-uns des galets que le sable pourrait renfermer ”. Dans le récit que Boucher de Perthes donne dans les Antiquités celtiques et antédiluviennes77, il dit que de 1840 à 1841 il avait fait extraire beaucoup d’ossements de la sablière et qu’il avait eu souvent l’occasion de la visiter. Les ouvriers lui remirent des fragments de poterie qu’ils avaient trouvés “ au-dessous des os d’éléphants et de rhinocéros ”. Par de Blainville nous savons qu’un envoi fut fait par Boucher de Perthes le 4 septembre 1841 à Brongniart au musée de Sèvres. C’est après que se produisit l’incident raconté par Boucher de Perthes. Il fit faire une caisse contenant du sable avec des galets pour Cordier dans laquelle il trouva une hache. Cet incident est assez difficile à évaluer avec précision. J’ai retrouvé la hache, elle est néolithique, mais elle ne portait pas d’indication chronologique. Toutefois Boucher de Perthes nous dit que peu de temps après les ouvriers lui apportèrent une belle hache en silex. Je l’ai retrouvée et c’est encore une hache néolithique. Elle avait encore son étiquette où j’ai pu lire “ trouvée dans la sablière de Menchecourt près d’Abbeville à 8 m. de profondeur en janvier 1841 ”. Cette date se trouve comprise entre la lettre de Cordier du 12 juillet 1840 et janvier 1841. Quand Boucher de Perthes dit “ de 1840 à 1841 ”, cela veut dire pendant l’hiver de 1840 à 1841. En effet, l’exploitation des sablières était suspendue pendant l’été. Les ouvriers quittaient les sablières pour se livrer aux travaux agricoles et ils y revenaient avec l’hiver. On peut donc situer l’histoire des premières trouvailles sans doute à la fin de l’année 1840. Or nous savons par le Bulletin de la Société linnéenne qu’en 1840 Picard constituait une collection de coquilles qu’il a donnée à Abbeville et qu’il faisait le catalogue de cette collection. Nous avons supposé que cette circonstance l’avait conduit à apporter quelques compléments à son manuscrit sur l’Histoire des Mollusques terrestres et fluviatiles, avec des indications chronologiques

77. J. Boucher de Perthes, Ant. celt. antédiluv., t. I, 236.

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relatives à l’année 1840. Dès lors, deux éventualités sont possibles : ou bien Picard a connu l’histoire des fragments de poterie et celle de la première hache et il a pu considérer comme “ humatiles ” les coquilles et les mammifères de Menchecourt sous l’influence de ces pseudo-trouvailles. Il aurait alors fait cette rédaction dans les derniers mois de 1840 et il aurait alors introduit le mot “ humatile ” et “ demi-fossile ”. Ou bien il nous faut admettre que la rédaction est antérieure à la 3e session de la Société linnéenne qui devait s’ouvrir à Arras le 24 août 1840. Il aurait alors introduit quelques indications chronologiques en 1840 se rapportant à des trouvailles faites à ce moment-là. Le compte rendu de cette session devait paraître dans le bulletin n° 2, en octobre de la même année. Mais les Procès-Verbaux de la séance et les notes recueillies par le secrétaire furent égarées au moment de leur envoi au comité directeur. C’est dans ce bulletin que se trouve la note que Picard avait présentée à la session de 1839 : Sur la reproduction anormale des plantes et principalement sur celle du cresson par les feuilles séparées de la plante-mère (pp. 125-138, 3 pl. h.t.). Nous n’en savons pas davantage sur cette ultime séance. 9 octobre 1840. Picard, “ Mémoire sur les Déviations du genre Unio ” À la date du 9 octobre 1840, le Registre des Procès-Verbaux de la Société d’Émulation d’Abbeville donnait les indications suivantes : “ Mr. Picard lit un travail sur le genre Unio. Mr. Picard offre à la Société de tenir ce travail prêt pour la publication du prochain volume ”. Ce mémoire parut dans le Bulletin n° 3 de la Société linnéenne, Mémoire sur les Déviations du genre Unio, pour servir à en rendre la détermination plus facile, pp. 339-377, 8 pl. h. t. Des travaux exécutés et achevés par Casimir Picard, c’est de beaucoup le plus important. On sent qu’il lui a fallu des années de recherches et des quantités d’exemplaires. Le point de départ est : “ […] qu’il existe des individualités spécifiques qui, loin d’être des conceptions métaphysiques, peuvent se réaliser et se démontrer par l’observation, […] [c’est-à-dire] des êtres qui, bien que variables souvent à un degré fort étendu, n’en sont pas moins, pour ces variations, renfermés dans un cercle qu’ils ne peuvent franchir ; […] qu’ils tendent sans cesse à retourner dans leur forme typique et qu’ils la reprennent aussitôt que les circonstances le permettent ”78. Au cours de ces quarante pages et à l’aide de huit lithographies, l’auteur élimine les différentes causes qui peuvent amener des différenciations qui n’ont rien de spécifique ; ce sont, notamment, les différences d’âge, les maladies et, ce qui est sans doute plus délicat, les déviations soumises “ à des règles fixes et précises ”, qu’il s’agit de déterminer. 78. C. Picard, “ Mémoire sur les Déviations du genre Unio, pour servir à en rendre la détermination plus facile ”, Bull. Soc. linn. Nord France, n° 3, 344.

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“ Ce que nous entendons par déviation […], c’est une déformation qui passe par tous les degrés sans que la coquille ni l’animal paraissent malades […] ”. “ Il y a une telle corrélation entre toutes les parties de la coquille, que l’on peut déduire, sur l’inspection d’une seule partie, la déformation de toutes les autres ”79. Cela me paraît une application de la loi de corrélation de Georges Cuvier. C’est en somme une théorie de l’espèce : “ Les Unios, comme tous les êtres vivans de la nature, ont une tendance continuelle à se développer selon un plan unique pour chaque espèce. Ce plan resterait éternellement invariable, si aucune circonstance ne s’opposait jamais au développement. Placée dans les conditions les plus favorables à sa nature, chaque espèce devra donc affecter une forme autour de laquelle viendront se grouper toutes celles qui auront été produites par des circonstances plus ou moins différentes ”80. Nous serions sans doute loin aujourd’hui, en conservant le langage de Picard, de ramener l’histoire des êtres à des “ déviations ” autour des formes typiques. Nous le sentons tenu par une idéologie, comme beaucoup d’autres, mais pas comme tous les autres, à Abbeville même. Il ne faut pas trop simplifier les perspectives historiques dans le développement des sciences et il faut faire attention aux exclus, même quand ils ne sont pas très raisonnables. On fait état des fantaisies des prétransformistes du XVIIIe siècle. En fantaisies, Boucher de Perthes les dépasse. Il est tout disposé à croire que l’homme peut devenir un ange avant, peut-être, de devenir quelque chose comme un Dieu. Comme un souverain antique, il comptait sur une apothéose. Nous ne poussons pas si loin le transformisme. Boucher de Perthes le continuait quand nous l’arrêtons. Ce mémoire fut achevé bien peu de temps avant la mort de son auteur. Casimir Picard admet en somme la variabilité de l’espèce et non le passage d’une espèce à l’autre. C’est le mémoire qu’il a le plus soigné. Épilogue Ce mémoire Sur le genre Unio contient huit grandes planches lithographiées. Cela représentait de gros frais que le fondateur de la Société linnéenne avait demandés à la Société d’Émulation pour un mémoire qui rentrait dans les préoccupations de la Société linnéenne et qui n’intéressait que quelques membres de la Société d’Émulation. Il semble que l’accueil de la Société d’Émulation n’ait pas répondu à ses espoirs. “ Si vif, si impressionnable, si sensible ”, “ rendu irritable par de longues souffrances nerveuses ”, il semble avoir changé 79. C. Picard, Ibid., 351. 80. C. Picard, Ibid.

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dans son comportement à l’égard de la Société d’Émulation après la présentation de son mémoire. Il y a là certainement plus qu’une coïncidence. Moralement, il n’est plus le même. Cela se sent à ses réactions. Il semble que ce soit une douloureuse agonie que l’on suive dans ces Procès-verbaux laconiques et ternes, parfois obscurs, comme pour voiler un conflit avec Picard qui se meurt. Picard, habituellement si assidu aux séances, ne paraît pas à celle du 24 octobre 1840. Il vient à celle du 6 novembre. Il n’est pas à celle du 20 novembre. Il reparaît le 4 décembre. Il donna sa démission de la Commission des Mémoires, verbalement sans doute. Le Registre des Procès-verbaux portait cette seule indication : Discussion sur la publication des Mémoires. Le 13, il vint à la Commission chargée du programme de l’exposition d’Horticulture pour 1841. Il fut chargé de sa rédaction. J’ai trouvé dans les archives de la Société d’Émulation une lettre qui avait été évidemment adressée au Secrétaire : “ Monsieur et Ami ”, “ J’ai l’honneur de vous adresser ci-joint ” : “ 1° le programme de la 2e exposition d’horticulture à Abbeville tel qu’il a été rédigé par la Commission dans la deuxième séance du 13 de ce mois, veuillez le soumettre à la Société ” ; “ 2° une lettre de M. Poulain contenant sa démission de membre de la commission ”. “ La commission d’horticulture réduite à six membres désire que la Société lui en adjoigne un septième. Elle vous adresse à cet effet une liste par ordre alphabétique des personnes qui pourraient remplacer Mr. Poulain : MMrs. Billard Amédée, Lefèbvre Paul, Manessier-Quevauvilles, Mellier-Ribeaucourt, Wattebled Henry ”. “ Veuillez enfin faire connaître à la Société que la Commission par l’organe de Mr. le Maire avait demandé une subvention pour aider la Société à faire l’exposition de 1841. Le conseil municipal n’a point délibéré sur cette demande, se fondant sur ce que la Société n’a point fait une demande écrite ”. “ J’ai l’honneur de vous prévenir que j’ai prié le lithographe de Rouen d’entrer en relations avec vous pour ce qui concerne le tirage des planches du volume qui est sous presse ”. “ Enfin, obligez-moi, en veillant à ce que mon nom ne figure point dans sa délibération des mémoires d’il y a quinze jours car j’ai positivement donné ma démission de membre de la commission avant cette délibération ”. “ Votre bien dévoué et affectueux ” “ C. Picard ”

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“ Le vendredi 17 Xbre 1840 ”. Tels sont les derniers mots de Casimir Picard. Il avait donné ses instructions pour la séance du 18 novembre. Le Registre porte cette indication : “ Mr. Picard écrit à la Société pour lui annoncer qu’il donne sa démission de membre de la commission des Mémoires ”. À la date du 8 janvier 1841, le Registre donne l’indication suivante : “ Mr. Picard écrit à la Société pour lui annoncer qu’il donne sa démission de Membre Résidant. La mauvaise santé dont se plaint Mr. Picard ne paraissant pas à la Société un motif suffisant pour qu’elle accepte la démission d’un membre dont la coopération lui a déjà été et peut lui être encore si utile, la Société déclare qu’elle n’accepte pas cette démission et charge le Secrétaire d’écrire à Mr. Picard en conséquence ”. Picard ne reparut plus à la Société d’Émulation. En octobre, novembre, décembre même, Picard travaillait toujours. C’est à ce moment-là qu’il acheva son mémoire Sur le genre Unio et il l’acheva évidemment pour la Société d’Émulation. Il ne pouvait pas ignorer les histoires de Menchecourt et l’on imagine l’émotion qu’elles ont dû provoquer à la Société d’Émulation et les réactions opposées de Baillon et de Picard. À la séance du 5 mars, M. Brion est désigné pour s’entendre, pendant la maladie de Mr. Picard, avec la commission d’horticulture et pour tenir la Société au courant de ses décisions. Mr. Brion est également désigné pour remplir provisoirement les fonctions d’archiviste. Casimir Picard mourut le 13 mars 1841. Voici son acte de décès détruit avec l’état civil d’Abbeville : “ L’an mil huit cent quarante et un, le treize mars à quatre heures du soir, devant nous Benjamin Victor Mathieu Morel, adjoint à la Mairie de la ville d’Abbeville, faisant fonction d’officier public de l’Etat Civil, par délégation de Monsieur le maire de cette ville, sont comparus en l’hôtel de ville, le sieur Achille Paillart, agé de trente-cinq ans, Vicaire à la paroisse St. Vulfran à Abbeville, demeurant en cette ville, rue de Locques, et Jacques Marie Auguste Bucquet âgé de vingt-deux ans, Bedeau à la même paroisse demeurant à Abbeville, rue de l’Hôtel Dieu, amis du décédé ci-après nommé, lesquels nous ont déclaré que ce jourd’hui à dix heures quinze minutes du matin, est décédé le sieur Casimir Picard, âgé de trente-cinq ans deux mois vingt-six jours, chirurgien, demeurant à Abbeville, rue des Grandes Ecoles, né à Amiens, le vingt six frimaire an quatorze (dix sept décembre mil huit cent cinq), fils de feu Sieur Louis François Picard, Graveur sur bois, et époux de Alexandrine Claire Jourdain et nous avons rédigé le présent acte que nous avons signé avec les comparans, après qu’il leur en a été donné lecture ”. “ Paillart, vic. ”, “ A. Bucquet ”, “ V. Morel, adj. ”.

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À la séance du 18 mars 1841, “ Mr. Boucher de Perthes, Président, entretient la Société sur la perte récente qu’elle vient de faire dans la personne de Mr. Picard ”. “ Mr. le Président expose à la Société qu’il se trouve dans les papiers laissés par Mr. Picard un certain nombre de mémoires spéciaux sur différentes parties de l’histoire naturelle dont la plupart ont déjà été lus à la Société et renvoyés à la Commission des mémoires ; Mme Picard met à la disposition de la Société ceux des travaux manuscrits qui pourront lui convenir pour sa publication prochaine ”. “ Mr. Perrier lit un éloge biographique sur Mr. Picard […] ”. “ La société procède à l’élection d’un archiviste. M. Brion est à l’instant proclamé archiviste de la société ”. À la séance du 16 avril 1841, “ Mr. Brion propose au nom de la Société linnéenne du Nord de la France à la Société d’Émulation d’Abbeville de publier en commun avec elle, suivant des conditions qui seraient ultérieurement stipulées, le manuscrit de Mr. Picard sur le genre Unio des mollusques fluviatiles, manuscrit dont la propriété échapperait par là à une contestation probable entre les deux sociétés ”. “ La Société royale d’Émulation, vu qu’il ne lui est adressé aucune proposition directe et précise, émet l’opinion qu’il serait possible de tomber d’accord sur ce point, mais ne prend aucune décision qui l’engage ”. À la séance du 15 avril 1842, “ Mr. Morgand informe la Société que Mme Picard a remis à Mr. Perrier des notes pour servir à la notice biographique de Mr. Picard et que la maladie de Mr. Perrier ne lui permettant pas de s’en occuper, il y a lieu de désigner quelqu’un pour rédiger cette notice […]. La rédaction de la notice biographique de Mr. Picard est confiée à Mr. Morgand qui déclare qu’il s’en charge volontiers ”. Sur le procès-verbal de la séance du 8 juillet 1842, on lisait : “ Mr. Morgand lit une notice biographique sur Mr. Picard ”. “ Renvoyé à la commission des Mémoires ”. Morgand avait fait de son mieux, mais à la séance du 24 septembre 1843, “ La Société décide qu’elle ne publiera que par extraits les biographies de MM. Perrier et Picard ”.

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À la séance du 8 décembre 1843, “ La Société s’occupe des diverses questions relatives à l’achèvement des notices biographiques sur Mr. Picard et sur Mr. Perrier ”. Cette notice nous apporte presque tout ce que nous savons de la vie de Picard et des points de suspension indiquent quatre malheureuses coupures81. La Société linnéenne fit mieux les choses. Une quatrième session se tint à Lille en septembre 1841. Ce fut la dernière. “ La mort de Picard, qui n’eut point d’héritier de son zèle et de sa confiance dans l’avenir de l’institution, fut un coup mortel pour la société dont il avait été l’âme ” (Garnier). La Société imprima les principaux mémoires qui avaient été communiqués dans ses différentes sessions. Son dernier bulletin parut en 1845. Elle prononça sa dissolution en 1847. C’est ainsi que fut sauvée une partie de l’œuvre de Picard. Non sans abnégation, Garnier acheva l’Histoire des Mollusques terrestres et fluviatiles en indiquant seulement, dans une note infrapaginale, que la mort n’avait pas permis à Picard de terminer l’ouvrage et qu’il avait décrit le genre Limnea et les suivants. C’est à Garnier que nous devons de connaître parmi les dernières pensées de Picard, celles qui dominent ce mémoire. Longtemps après, il reprit le dessein du fondateur et en 1865, il reconstitua la Société linnéenne du Nord de la France. Eprouvée sans doute par les guerres, elle est toujours vivante. Le bulletin de 1882 donne une Notice sur la Société linnéenne du Nord de la France rédigée en réponse à la Circulaire de M. le Ministre de l’Instruction publique du 11 juin 1881, par M. J. Garnier Président, pp. 161-171. Ecrite quarante ans après sa mort, cette notice est pleine du souvenir de Picard. Son mémoire Sur le genre Unio y est apprécié et, point sur lequel Picard était très sensible, sa priorité sur la reproduction foliaire du cresson y est de nouveau affirmée. Par ailleurs, l’oubli a passé sur son souvenir. Les ruines se sont acharnées sur ce qui restait de lui. Sa tombe a disparu avec son cimetière. Son acte de décès a été détruit avec l’état civil de notre cité. Il avait pris soin de mettre au musée de la Ville les pièces qui lui avaient servi à préparer ses mémoires de 1835 et de 1837. D’Ault du Mesnil les avait transportées au musée Boucher-de-Perthes. Je les y ai retrouvées. On les devine dans la première vitrine sur la photographie que j’en ai donnée. Elles ont partagé le sort de la collection Boucher de Perthes. J’en avais fait une des-

81. Notice biographique de M. Casimir Picard, médecin archiviste de la Société royale d’Émulation d’Abbeville lue à la même Société dans sa séance du 8 juillet 1843 par M.T. Morgand, Mém. Soc. Émul. Abbeville, t. 5 (1841, 1842 et 1843), 449-456.

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cription et mon manuscrit a été brûlé avec beaucoup d’autres. Nous avons retrouvé le catalogue de la collection de coquilles qu’il avait faite pour le musée d’Abbeville. Je n’ai jamais pu retrouver la collection elle-même. Sa collection personnelle a été utilisée par Garnier pour achever L’Histoire des mollusques. Elle est aujourd’hui à la Société linnéenne du Nord de la France. À Abbeville il reste trois ou quatre minéraux donnés par lui au musée de la Société et au musée de l’arrondissement. Au congrès de Stockholm, Prarond a essayé de rappeler que Boucher de Perthes avait eu à Abbeville des précurseurs82. Il n’a guère réussi. Les derniers écrits de Boucher de Perthes l’avaient fait oublier. En les tirant de l’oubli, on le connaîtra mieux. On appréciera d’autant mieux Boucher de Perthes qu’on connaîtra mieux ceux qui sont venus avant lui. Entre membres résidants de la Société d’Émulation, on finit toujours par s’arranger et il serait de mauvais goût que l’on pût dire qu’il y eût des dispositions contraires. J’ai vu une notice manuscrite de Boucher de Perthes des plus aimables sur Baillon qui en plus de son opposition à la fondation du Musée avait longtemps ajouté une opposition à la notion d’homme antédiluvien. D’ailleurs, Baillon qui gardait ses collections “ comme un chien enfouit son os ”, laissait Casimir Picard pêcher dans ses coquilles comme si elles eussent appartenu à la communauté. L’année qui suivit la fondation de la Société linnéenne, peut-être avant, les nuages que l’initiative de Picard avaient pu faire passer sur ses rapports avec son Président étaient dissipés et, d’ailleurs, la Société d’Émulation se trouvait soulagée d’un secteur beaucoup trop technique pour la plupart de ses membres. Avant la fin de 1838, en accord avec le Président, Picard, met de l’ordre dans la bibliothèque, range les archives et fait le ménage de la Société avec le plus grand zèle. En août 1839, Boucher de Perthes et Picard sont d’accord pour envoyer des ossements d’animaux de la Portelette au Muséum d’Histoire naturelle et des poteries “ celtiques ”, évidemment de même provenance, au Musée de Sèvres, bien qu’à cette époque-là il semble que Picard était encore disposé à donner une suite à ses deux mémoires. En 1840, il semble bien y avoir renoncé ou qu’il se voit dans l’incapacité de continuer. Il était plus qu’absorbé par ses rédactions d’histoire naturelle et par ses souffrances. Incidemment, il emploie des formules qui impliquent et qui indiquent clairement qu’il considérait que les éléphants et les rhinocéros de Menchecourt étaient contemporains de l’Homme, alors que Boucher de Perthes qui poursuivait avec le Muséum et avec Sèvres des rapports qui s’étaient engagés par l’intermédiaire de Picard, se livrait timidement et avec beaucoup d’embarras à une rédaction plus que modeste sur trois haches polies trouvées à la Portelette en 1837 et explorait les carrières de Menchecourt pour garnir les armoires du Muséum et du musée de 82. Prarond, Sur la date des premières recherches préhistoriques à Abbeville, Mém. Soc. Emul. Abbeville, t. II, 3e série (1873-1876), 424.

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Sèvres et nouer avec quelques académiciens de bonnes relations en vue de recueillir la succession de son père à l’Académie des sciences. Sans doute, l’Histoire des Mollusques terrestres et fluviatiles ne paraîtra-telle que plus tard. L’ouvrage se trouve dans le Bulletin n° 3 de la Société linnéenne et, dans sa notice, Garnier nous dit que les trois bulletins parurent de 1840 à 1845. Il se peut donc que l’ouvrage de Picard n’ait paru qu’en 1845, c’est-à-dire après la rédaction de De l’Industrie primitive. De toutes façons, il ne semble pas que Boucher de Perthes ait pu en avoir connaissance en faisant ses recherches et sa rédaction. Mais que, la même année, en 1840, Picard emploie une formule qui admette implicitement mais consciemment la coexistence de l’homme, des éléphants et des rhinocéros dans les sables de Menchecourt et que Boucher de Perthes rapporte des mêmes carrières des produits de l’industrie humaine comme provenant de la couche qui livrait des débris d’éléphants et de rhinocéros dans les sables de Menchecourt, il y a là certainement autre chose qu’une coïncidence si l’on considère les relations de Boucher de Perthes et de Picard, et si l’on tient compte des rencontres bimensuelles autour du tapis vert et des conversations qui pouvaient s’établir avant, pendant et après les séances. Mon impression est que les positions de Casimir Picard n’étaient pas un secret pour les habitués des séances de la Société d’Émulation. J’ai assez vécu autour de ce tapis vert pour en connaître les coutumes que trois quarts de siècle n’avaient guère changées. On est bien content de se rencontrer, on est bien content de communiquer ses idées, surtout lorsque la question est d’importance. Dans une coïncidence, s’il pouvait y en avoir une, il y avait tout de même une différence. Picard employait une notion scientifique. Et cette notion, utilisée en toute connaissance de cause, était tout de même, pour l’époque, une prise de position d’une singulière importance, alors que Boucher de Perthes, suivant son expression, “ se faisait savant ” et cela, pour décrocher éventuellement une dignité de Correspondant de l’Institut, sans autre titre de gloire que d’être le fils de son père. Il s’est fait rouler pour tout ce qu’on lui a rapporté de Menchecourt, au moins avant la rédaction de De l’Industrie primitive. Cette circonstance fera hésiter à voir en lui, à ce moment-là, plus qu’un imitateur ou un disciple passablement gauche, s’il n’avait pris le soin de nous le dire luimême dans les pages émues et gracieuses qui sont parmi les plus émouvantes que sa plume fine et légère nous ait laissées. D’après le brouillon de De l’Industrie primitive les supercheries viendraient des terrassiers. Pourtant l’un d’eux lui remit un biface provenant certainement des lœss. Ce terrassier mériterait de prendre place aux côtés de Conyers et John Frere. Tout est possible. Il est possible que Boucher de Perthes, Picard et d’autres considéraient que les éléphants vivaient en même temps que l’homme et qu’ils se soient informés si l’on ne trouverait pas à Menchecourt des objets de l’industrie humaine comme à la Portelette. Boucher de Perthes a demandé aux terrassiers de Menchecourt ce qu’il avait trouvé à la Portelette. Nous devons accueillir ses pseudo-trou-

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vailles comme de véritables trouvailles parce qu’il les considérait comme telles. Il est possible qu’il ait fourni aux fraudeurs la matière des supercheries dont il fut victime parce qu’il y croyait. En disant ce qu’il cherchait, il a pu induire des fraudes.

CONCLUSION Maintenant, supposons qu’ici même commence mon premier mémoire83, qu’il y prenne sa place chronologique et qu’il forme la deuxième partie d’un ensemble. Je n’aurais que quelques lignes à ajouter. Les circonstances m’ont permis de placer Boucher de Perthes dans une lignée et j’ai fait ce que j’ai pu pour replacer ces figures dans leur ambiance. J’ai essayé de rendre à ceux dont on fait l’histoire quelque chose qui ressemble à la vie en réduisant l’action du temps qui ronge ce qui tombe dans le passé. J’ai l’impression que, dans cette perspective, Traullé doit être considéré comme une figure importante, que Picard en a transmis le sel de ses observations en les mettant sur un plan supérieur et qu’il est allé plus loin encore à la recherche des hautes antiquités que je ne l’avais pensé au cours de mon premier mémoire. Si Picard a admis le compromis de Marcel de Serres, il a admis que l’homme vivait au temps des éléphants de Menchecourt et Boucher de Perthes a été le chercher. Lui revient cette marche triomphale qui, de Menchecourt au Moulin Quignon, l’a conduit aux plus vieilles civilisations alors imaginables. Il a pris cette initiative. Chacun d’eux eut son rôle. En archéologie, en géologie, ils sont tous les trois des écoliers ou pas beaucoup plus forts que des écoliers. Mais ils ont suivi tous les trois la même idée en l’amplifiant progressivement et si le dernier dépasse si ostensiblement les deux autres, c’est peutêtre surtout parce qu’il ne pouvait pas faire un pas de plus sans aller jusqu’au bout et, qu’en partant de Menchecourt, on se trouvait sur une voie qui allait, par-delà Schmerling, Tournal et John Frere, jusqu’aux premières traces alors perceptibles de l’industrie humaine dans notre Occident. Je n’oublierai jamais le jour où je fus introduit par un nouveau conservateur des musées d’Abbeville, M. Robert Richard, dans un réduit du musée Boucherde-Perthes où les manuscrits de plus de cinquante volumes étaient entassés sur des étagères poussiéreuses. Je me revois cherchant quelque peu fébrilement dans cette masse le manuscrit du premier volume des Antiquités celtiques et antédiluviennes et rencontrant successivement deux états de cet ouvrage sous le titre De l’Industrie primitive. Je me revois, parmi les plats décrochés et, sur une chaise désarticulée, lisant avec impatience, sur une vieille table brune, ces

83. Boucher de Perthes,

PUF,

Paris, 1940.

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vingt cinq pages inaugurales d’une écriture gladiolée, montante, légère et comme frôlante sur un papier rugueux et grisâtre, où Boucher de Perthes évoquait avec une émotion communicative le souvenir du jeune collègue qui l’avait conduit à l’archéologie primitive. Parmi ces feuillets raturés, surchargés, parfois annulés et refaits pour être ensuite repris par les mêmes opérations, on pouvait voir toute une suite d’évocations rappelant la figure de Picard et l’aisance claire de sa parole, et toutes les hésitations, toutes les timidités d’un homme qui avait vécu jusque-là dans les fantaisies de la romance et dans les libertés de la critique sociale et qui se faisait écolier après la cinquantaine pour s’astreindre à décrire des cailloux et des coupes de terrain et pour sauver une succession que la mort de Picard exposait à l’abandon. Et si la photographie ne rend pas la légèreté de l’écriture, si la typographie ne traduit pas le mouvement de la pensée, je ne crois cependant pas pouvoir donner une expression plus fidèle qu’en reproduisant ainsi les souvenirs que j’ai sauvés et qui nous placent devant la prise en charge d’un héritage où se trouvait établie la coexistence des éléphants et des rhinocéros de Menchecourt avec l’espèce humaine.

ANNEXES

ANNEXE N° 1 NOTE INÉDITE DE LÉON AUFRÈRE : ALFRED DE MAUTORT1

En voici un qui n’a pas écrit pour qu’on parle de lui. Il a pourtant joué son rôle, discrètement, dans cette académie de province quelques années avant les découvertes de Menchecourt et du Moulin-Quignon. Alfred-Louis Tillette de Mautort est né à Abbeville le 15 novembre 1792. Il était le fils de J. B. Adrien, comte de Mautort, dernier mayeur d’Abbeville en 1789 et de Louise Adélaïde de Clermont Tonnerre. Il accompagna en Russie son oncle F. de Clermont Tonnerre. Il devint élève de l’École des Cadets et officier dans la Marine russe. Rentré en France, il fit les campagnes de 1812 et de 1813 comme officier interprète pour la langue russe et à ce titre attaché au cabinet de l’Empereur. Il eut les pieds gelés pendant la campagne de Russie. À la chute de Napoléon, il se retira dans sa propriété de Bichecourt, de la commune d’Hangest-sur-Somme, entre Amiens et Abbeville. Il devint maire de Hangest et conseiller général de la Somme. Il avait épousé Henriette de Cailly. Il mourut le 24 juillet 1857, sa femme le suivit le 14 août de la même année. C’était le frère de Prosper Tillette de Mautort, Clermont Tonnerre par adoption, député de la Somme et savant botaniste, grand ami d’un autre botaniste avec lequel il fonda la Société linnéenne du Nord de la France, Casimir Picard. Membre de la Société d’émulation au moment où Picard s’occupait des haches néolithiques trouvées dans les tourbes bocageuses, il s’intéressa luimême aux tourbières alors activement exploitées dans le voisinage d’Hangestsur-Somme, de Crouy et de Condé-Folie. De son côté, Ravin s’occupait des tourbières de la Basse-Somme et des anciennes tourbes que la mer découvrait à marée basse. Tous suivaient la voie inaugurée par le vieux Traullé, l’infatigable explorateur des tourbières. Il ne faut pas oublier que c’est par les tourbières que commencèrent les découvertes de presque tous les chercheurs Abbevillois.

1. Il s’agit d’une communication en présence d’un descendant d’Alfred de Mautort. J’ignore à quel moment elle a été rédigée. Avant 1940 ? Quelques années avant ?

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A. de Mautort apporte une contribution discrète et désintéressée. Il s’efface sous l’anonymat. C’est le hasard qui nous l’a fait connaître. On trouve, en effet, dans le premier volume des Mémoires de la Société d’émulation une “ Notice sur des défenses de sanglier trouvées dans la tourbe, par un membre de la Société d’émulation d’Abbeville ”2. Il faut se reporter aux Extraits des procès-verbaux des séances publiés à la fin du même volume pour trouver le nom de l’auteur : “ M. Tillette de Mautort (Alfred) […] communique une hache en silex avec une gaine en corne qui a été découverte dans la tourbe. Il donne lecture d’une notice sur des défenses de sanglier formant un instrument trouvé également dans la tourbe à Hangest sur Somme ”3. Ceci se passait à la séance du 18 décembre 1835. C’était le 20 novembre que Ravin4 et Picard5 avaient décrit, l’un une pirogue, l’autre des gaines en bois de cerf trouvées dans les anciennes tourbières de la Somme. Picard avait longuement parlé des haches celtiques emmanchées dans des gaines, mais il n’en avait jamais vues. Un mois après, A. de Mautort apportait une hache emmanchée dans sa gaine. On se rend compte du succès qui dut accueillir Alfred de Mautort et Casimir Picard à la présentation d’une hache emmanchée au lieu d’un furtif souvenir remontant à la collection dispersée de Laurent Traullé. Le compte-rendu les place en première ligne et C. Picard ajoute à son article une note supplémentaire6. En 1836, il pouvait écrire “ Ainsi en 1835, lorsque j’écrivais ma notice, on ne connaissait dans les collections que des gaines dépourvues de leur pierre ; maintenant, on connait quatre instruments complets ; l’emmanchement des petites haches au moyen de la corne de cerf est donc un fait acquis à la science, et je ne pense pas qu’il puisse désormais rencontrer d’incrédules ”7. C’était A. de Mautort qui avait apporté la première confirmation et pour ainsi dire sans délai. La collaboration ne s’est pas arrêtée là. Il n’avait d’ailleurs pas attendu ses collègues pour porter son attention sur les tourbières. On lit, en effet, dans les extraits des procès-verbaux, à la séance du 24 octobre 1834 : “ M. Alfred de Mautort envoie une caisse d’ossements provenant d’Angers sur Somme [Hangest-sur-Somme] ”8. Il avait devancé Ravin et Picard sur la voie ouverte par l’ancêtre, Laurent Traullé.

2. [A. de Mautort] Mém. Soc. roy. Émul. Abbeville, 2e série, t. 1 (1833), 89-93. 3. [A. de Mautort], Ibid. 4. F. P. Ravin, “ Notice sur une pirogue gauloise trouvée à Estrebœuf ”, Mém. Soc. roy. Émul. Abbeville, 2e série, t. 2 (1834-1835), 81-89. 5. C. Picard, “ Notice sur des instruments celtiques en corne de cerf ”, Mém. Soc. roy. Émul. Abbeville, 2e série, t. 2 (1834-1835), 94-115. 6. C. Picard, “ Notice sur des instruments celtiques en corne de cerf. Notice supplémentaire ”, Mém. Soc. roy. Émul. Abbeville, 2e série, t. 2 (1834-1835), 116. 7. C. Picard, “ Notice sur quelques instruments celtiques ”, Mém. Soc. roy. Émul. Abbeville, 2e série, t. 3 (1836-1837.) 8. Mém. Soc. roy. Émul. Abbeville, 2e série, t. 2 (1834-1835), 370.

NOTE INÉDITE DE LÉON AUFRÈRE

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Observateur consciencieux, il a donné une coupe précise et méticuleuse des tourbières de Crouy où il avait recueilli son instrument en défenses de sanglier. C’est la seule chose que nous trouvions dans les Mémoires de la Société d’émulation. Mais on peut dire que cette coupe avait été provoquée par la notice de Picard. Un an après, A. de Mautort allait rendre le même service à son collègue. On lit, en effet, dans les extraits des procès-verbaux, la note suivante : “ M. de Mautort produit un instrument celtique d’une forme inconnue jusqu’à ce jour, et trouvé récemment dans la tourbe. M. Picard est chargé de se concerter avec M. de Mautort, pour présenter un rapport sur cette découverte ”9. On lit alors dans les procès-verbaux manuscrits de la Société10, la note suivante, dissertation destinée aux Mémoires de la Société à la date du 2 juin 1837 : “ M. Picard lit une notice sur un instrument celtique formé d’une corne de cerf et d’une défense de sanglier, qui a été trouvée dans les tourbières de Hangest (Somme). Il se livre à d’intéressantes recherches sur l’usage de cet instrument et son travail doit servir de continuation à un article précédemment inséré aux Mémoires sur des instruments de même nature ”. M. de Mautort avait finalement laissé à son collègue le soin de faire le rapport dont ils avaient été chargés. Mais la notice de Picard11 donne beaucoup plus qu’elle ne promet. C’est un long mémoire où il est question de haches, de lames et de nucléus, plus de cinquante pages de préhistoire écrites à Abbeville en 1836, dix ans avant les Antiquités celtiques et antédiluviennes. Ce n’est pas le plus important mémoire de recherches qu’on ait écrit à Abbeville, mais c’est certainement le plus beau, le plus sûr et incontestablement le mieux. Il n’a pour ainsi dire jamais été cité et c’est la découverte d’A. de Mautort qui l’a déterminé. Cet excellent collègue d’ailleurs continuait à apporter des pièces à C. Picard. En avril 1838, il lui apportait une lame de 16 cm de longueur qu’il avait trouvée près de Hangest et que Picard décrivit dans une note additionnelle12. C’est le dernier écrit de préhistoire qu’il ait écrit ou qui nous soit parvenu. Collègue dévoué et désintéressé, nous lui devons d’avoir apporté une partie importante des matériaux qui permirent à Picard de composer ses mémoires. Il mérite qu’on remette son nom sur la petite notice qu’il n’a pas voulu signer. Nous sommes heureux d’avoir retrouvé le souvenir et le rôle d’un homme déli-

9. Mém. Soc. roy. Émul. Abbeville, 2e série, t. 3 (1836-1837), 238, (16 décembre 1836). 10. Les procés-verbaux manuscrits ont été détruits en 1940. C’est, entre autres, ce terme qui me laisse croire que la rédaction date d’avant 1940. 11. C. Picard, “ Notice sur quelques instruments celtiques ”, Mém. Soc. roy. Émul. Abbeville, 2e série, t. 3 (1836-1837). 12. C. Picard, “ Note supplémentaire ”, Mém. Soc. roy. Émul. Abbeville, 2e série, t. 3 (18361837).

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cat et nous exprimons à M. de Mautort, tous nos remerciements pour le portrait si vivant qu’il a bien voulu nous communiquer13.

13. Voir p. 271 Fig. 37.

ANNEXE N° 2 DOCUMENTS ET SOURCES IMPRIMÉES

I. Documents (lettres, ossements, outils) consultés à : -

Bibliothèque municipale d’Abbeville. Bibliothèque de l’Institut de France à Paris. Bibliothèque centrale du Muséum national d’Histoire naturelle. Galerie de Paléontologie du Muséum national d’Histoire naturelle. Institut de Paléontologie humaine. Musée Boucher-de-Perthes d’Abbeville. Société linnéenne du Nord de la France. Archives de la municipalité de Rethel.

II. Périodiques (entre 1778 et 1844) : - Bulletins et Rapports de la Société d’Émulation d’Abbeville (de 1797 à 1809) ; - Mémoires de la Société d’Émulation d’Abbeville (à partir de 1833) ; - Mémoires de la Société archéologique du département de la Somme ; - Mémoires de l’Académie des Sciences et Comptes rendus des séances ; - Journal de Physique, Chimie et Histoire naturelle ; - Magasin encyclopédique ; - Annales du Muséum national d’Histoire naturelle ; - Procès verbaux de la Société d’Agriculture, du Commerce et des Arts de Boulogne-sur-Mer ; - Bulletin de la Société des Antiquaires de Picardie ; - Bulletin de La Société d’Anthropologie de Paris ; - Bulletin de La Société linnéenne du Nord de la France ; - Bulletin de la Société philomatique ; - Le Mémorial d’Abbeville ; - L’Abbevillois ; - Le Moniteur universel ; - Le Courrier de la Somme.

ANNEXE N° 3 BIBLIOGRAPHIES DE LAURENT TRAULLÉ ET CASIMIR PICARD

On trouvera une bibliographie de Boucher dans A. Boucher de Crèvecœur, Notices sur les membres résidants de la Société d’Émulation d’Abbeville, Abbeville, Paillart, 1892, 336-344. On consultera la liste des travaux de Ravin dans : Le docteur Ravin, membre correspondant de la Société d’Emulation par Charles Louandre, Mém. Soc. roy. Émul. Abbeville., t. 6 (1844, 1845, 1846, 1847, 1848 et 1849), 689-690, et la liste de ses publications de médecine dans Notice sur Ravin, Mém. Soc. roy. Émul. Abbeville, t. 2 (1834 et 1835), 388. Pour les membres de la Société d’Émulation d’Abbeville, on consultera : Les Bulletins et Rapports de la Société d’Émulation d’Abbeville (1797-1809) Les Mémoires de la Société royale d’Émulation d’Abbeville (1833-1927) Les Extraits des procès verbaux des séances à la fin de chaque volume des Mémoires. Les Bulletins, Rapports et Extraits contiennent la liste des travaux publiés, non publiés ou résumés ayant fait l’objet d’une communication, ainsi que décisions, initiatives et projets de la Société. Notice sur la Société d’Émulation d’Abbeville suivie d’une table générale des travaux depuis sa fondation par Em. Delignière, Mém. Soc. Émul. Abbeville, 3e série, t. 1 (1869-1872). Notice sur les membres résidents de la Société d’Émulation d’Abbeville par Armand Boucher de Crèvecoeur, Abbeville, 1892. Table générale des publications de la Société d’Émulation d’Abbeville depuis sa fondation (1797-1904), suivie de la liste des membres de la Société depuis sa fondation, Mém. Soc. Émul. Abbeville, 3e série, 1905. LAURENT TRAULLÉ Bulletins de la Société d’Émulation d’Abbeville : an VII. “ Observations sur les inondations de l’an VII ”, [Publié avec Boucher et Denoyelle].

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an VIII. “ Mémoire sur les monuments antiques de l’arrondissement d’Abbeville ”. an IX. “ Observations sur un os fossile trouvé dans la vallée de Menchecourt ”, 16 prairial an IX. an IX. “ Lettre au citoyen Millin sur un trésor numismatique trouvé à Hornoy ”, fructidor an IX. an XI. “ Fragment d’os fossile, de grandeur considérable, présenté par M. Traullé qui l’a trouvé dans les sablières de Menchecourt ; portion de tibia appartenant à une espèce disparue, aussi grand que l’éléphant ”, Rapport de M. Bellot, voir aussi Mémoires Soc. Émul. Abbeville, 1ère série, t. 1 (1869-1872), XXXII. Magasin encyclopédique : 1795 (an IV). “ Sur les tombes du district d’Abbeville par le citoyen Traullé, juge de paix à Abbeville, [datée du 17 vendémiaire an troisième] ”, Mag. encycl., 1ère année, t. 4, 329-342. 1795 (an IV). “ Du charbon de terre et vues nouvelles sur la théorie de la Terre ”, Mag. encycl., 1ère année, t. 5, 472-476 [anonyme : signée T***] 1796 (an V). “ Lettre du citoyen Traullé, Président du tribunal criminel du département de la Somme à A. L. Millin, sur quelques pétrifications trouvées dans les sables qui bordent les vallées de la Somme ”, Mag. encycl., 2e année, t. 1, n° 2, floréal (21 avril 1796), 103-109. 1796 (an V). “ Mémoire historique sur la bataille de Crécy ”, Mag. encycl., 2e année, t. 2, 483. 1797 (an V). “ Le citoyen Traullé l’aîné au Citoyen Millin, Conservateur du Muséum des Antiques à la Bibliothèque Nationale à Paris, Sur la vallée de la Somme ”, Mag. encycl., 2e année, t. 5, n° 17, 4-46 [datée du 5 vendémiaire an V]. 1797 (an V). “ Un soldat romain avec presque toutes ses armes trouvé dans le 18e siècle sous le levée du tuf à Picquigny ”, Mag. encycl., 2e année, t. 5, n° 18, 242-245. an IX. “ Mémoire sur les monnaies anciennes trouvées près du village de Tronchoy, département de la Somme ”, Rapports Soc. Émul. Abbeville, p. 1, rapport de M. Pioger ; Mag. encycl., 6e année et Le Moniteur. 1801. “ M. Traullée [sic] à M. Millin. Sur le trésor numismatique trouvé dans le canton d’Hornoy en Picardie ”, Mag. encycl., 7e année, t. 3, 451. 1802 an IX. “ Mémoire sur les monnaies anciennes trouvées près du village du Tronchoy, département de la Somme ”, Mag. encycl., 8e année.

BIBLIOGRAPHIES DE TRAULLÉ ET PICARD

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1802, an X. “ Extrait d’un mémoire du C. Mongez sur une épée de fer trouvée près d’Abbeville et envoyée par le C. Traullé ”, Mag. encycl., 8e année, t. 2, n° 6, thermidor, 217-220. 1802, an X. “ Observations lues à la Société d’Émulation d’Abbeville, sur la lettre du C. Traullé, substitut du commissaire du gouvernement, au C. Millin, conservateur du muséum des antiques à Paris ; à l’occasion du trésor romain trouvé près de Hornoy, au département de la Somme, par L.A. Devérité, ex législateur de la Convention et du Conseil des anciens ”, Mag. encycl., 8e année, t. 2, n° 7, fructidor, 289-302. 1802. “ Dessin d’un buste de Jupiter trouvé dans les environs de SaintJosse ”, Mag. encycl., 8e année, t. 2, 379. 1808. “ Mémoire sur les levées de la vallée de la Somme, lu à l’Institut de France, en juin 1808 ”, Mag. encycl., 13e année, t. 4, 433. 1809. “ Lettre adressée à M. Mongez, sur les débris d’un bateau déterré dans les levées de la Somme, près Abbeville ”, Mag. encycl., 14e année, t. 2, mars 1809, 5-17. 1811. “ Lettre à M. Mongez, membre de l’Institut, par M. Traullée [sic], correspondant de l’Institut, Substitut du Procureur impérial d’Abbeville, lue le 15 février 1811 à la classe d’Histoire et de littérature ancienne [datée du 12 décembre 1810] ”, Mag. encycl., 16e année, mars 1811, t. 2, 82-106. 1811. “ Mémoire sur les découvertes faites dans les tourbières de la Somme ”, Mag. encycl., 16e année, t. 4, 380. 1813. “ Tête pétrifiée d’un petit cétacé, trouvé dans les fouilles du bassin d’Anvers ”, Mag. encycl., 18e année, t. 1, 263. 1813. “ Mâchoire de Rhinocéros trouvé dans les sablonnières de la vallée de la Somme ”, Mag. encycl., 18e année, t. 1, 264 : “ M. Traullé a présenté à l’Institut une portion de mâchoire inférieure trouvée dans la vallée de la Somme ”. 1814. “ Extrait d’une lettre de M. Traullé, correspondant de la 3e classe de l’Institut à M. Mongez, membre de la même classe ”, Mag. encycl., 19e année, t. 5, 165-166 et Revue encyclopédique, t. 3, 431, datée du 1er août 1814 [d’une arme antique (silex taillé en hache) près d’un fort cheval]. 1815. “ Sur les Antiquités trouvées auprès d’Abbeville ”, Mag. encycl., 20e année, t. 4, 376-379 [haches néolithiques]. Revue encyclopédique, tables 1819-1829 : Abrégé du commerce de mer d’Abbeville, III, p. 431. Restes d’une cité romaine découverte dans le département de la Seine inférieure, VIII, p. 426.

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Découverte de fossiles auprès d’Amiens et d’Abbeville, XIV, p. 202. De polypiers fossiles dans les Ardennes, XXI, p. 482. Extraits des procès-verbaux de l’Académie des Inscriptions et Belleslettres : de la IIIe classe. Le Magasin encyclopédique de Millin contient 14 opuscules de Traullé qui sont pour la plupart les lectures ci-dessous ou publiées sous forme de Lettres à Mongez : S. 25 germinal XI : Traullé fait présenter par Mongez un bout de foureau d’épée en bronze, trouvé dans les atterrissements de la Somme. SS. 3 et 17 thermidor XI : lecture faite par Traullé correspondant : A) Vallée de la Somme B) Les levées de la Somme. S. 12 août 1808 : lettre lue par Mongez sur la découverte d’un bateau antique dans la levée de la Somme à Fontaine près d’Abbeville. S. 2 mars 1809 : lettre à Mongez donnant des éclaircissements sur la découverte du bateau, et en envoyant un modèle. S. 15 février 1811 : Mongez lit un mémoire de Traullé sur les découvertes faites dans les tourbières de la Somme depuis deux ans. S. 2 septembre 1814 : envoi par Traullé à Mongez président d’une hache antique des anciens lits de la Somme, qui se compose d’un silex tranchant ajusté dans le tronc d’un bois de cerf percé pour recevoir le manche. S. 19 septembre 1817 : Traullé fait un rapport verbal sur la découverte d’un vase antique qui contenait des médailles du temps de Gordien et sur les antiquités de Lillebonne et des environs du Havre. S. 1er septembre 1820 : lettre à Mongez sur les fouilles à Eu. S. 16 novembre 1821 : lettre à Mongez sur la découverte d’une corne de cerf en bronze faite près de Montreuil. S. 24 septembre 1824 : lettre à Mongez sur des antiquités romaines trouvées à Abbeville. S. 17 décembre 1824 : envoi double : 1° deux antiquités trouvées, il y a vingt ans, à Amiens, dans le faubourg Saint-Maurice, sabre court et entrave de prisonnier, encore aux pieds d’un squelette (dont il y avait 20 ou 30), 2° mémoire sur une hache en bronze. Extrait des procès-verbaux de l’Académie des sciences : 1825.

Aperçu sur le déluge, sur la cause qui l’a produit et sur la présence dans le nord des deux continents des animaux du midi, 28 mars 1825.

BIBLIOGRAPHIES DE TRAULLÉ ET PICARD

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Et : 1793.

Du charbon de terre et vues nouvelles sur la théorie de la Terre, Devérité, Abbeville, 32 p. + 2 pl. [Seconde édition, 1795 (an IV)]. an XII. Observations de Dubellay, Cordier, et Traullé, 25 frimaire an XII [texte non retrouvé par l’auteur]. 1809. Notice sur le commerce d’Abbeville, sur ses forces navales au XVIe siècle, sur le combat naval de l’Ecluse, et comparaison des forces navales de la France et de l’Angleterre à la même époque, Abbeville, Boulanger-Vion. 1819. Abrégé des Annales du commerce de mer d’Abbeville, par M. Traullé, ancien Procureur du Roi, membre du conseil municipal. Abbeville, Boulanger-Vion. 1823. Notice sur les tombes ou tombelles de l’arrondissement d’Abbeville. [Sans nom d’auteur, en collaboration avec Hermant de Norville, lecture faite à la Société d’Émulation, thermidor an X]. Affaire Traullé-Devérité (1800-1803) : Devérité L.-A. (an XI). Dissertation tendant à prouver contre l’opinion vulgaire des historiens que César lors de sa première invasion dans l’île de la Grande-Bretagne, ne s’embarqua point à Calais ou à Boulogne, mais dans les ports placés à l’embouchure de la Somme, présentée au général premier Consul Bonaparte lors de son passage à Abbeville le 10 messidor an XI. Abbeville, rue Saint-Gilles, 25. Devérité L.-A. (1803). Réfutation de l’opinion de M. Traullé d’Abbeville sur les tombes et tombelles de Noyelles et de Port [réfutation d’un exposé de Traullé à la Société d’Émulation d’Abbeville, thermidor an X ( juillet-août 1802)] Devérité L.-A. ( janvier-février 1803). Mémoire à consulter, pour L.-A. Devérité, ex-législateur, premier suppléant du tribunal de première instance, à Abbeville, contre le Citoyen Traullé, Substitut du commissaire du gouvernement, audit Abbeville, Abbeville, Devérité, 44. Sombret-Guillebert. (juin-juillet 1803). Au tribunal de cassation, 2 thermidor 1803, Paris, Dant. Bailleul, 88. Deboileau et Clément. (1803). Pour Marie-Louis-Joseph Deboileau, ancien Lieutenant-de-Mairie de la ville d’Abbeville, ancien accusateur public en l’arrondissement d’Abbeville, ancien Jurisconsulte, exerçant depuis quarante ans, prévenu et inculpé dans l’affaire correctionnelle, d’entre le citoyen Chabaille et le citoyen Foulon. Contre le citoyen Substitut d’Abbeville, son unique accusateur, messidor an XI, Abbeville, impr. rue Saint-Gilles, 49.

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- Devérité L.-A. (1804). Mémoire pour Louis-Alexandre Devérité, ex-législateur, premier juge suppléant au tribunal d’Abbeville, demandeur en autorisation de prise-à-partie. Contre le citoyen Traullé, ex-substitut criminel près le même tribunal, 1er vendémiaire an XIII [23 septembre 1804], Abbeville, Devérité, 76. - Botton, Thuriot, Gérardin. (non daté). Mémoire pour le sieur Marie-François-Antoine-Nicolas Dubellay, Président du tribunal d’Abbeville, défendeur ; contre le S. Marie-Louis-Joseph Deboileau, avocat demandeur, Paris, Leblanc, 44. CASIMIR PICARD 1°. Communications à la Société royale d’Émulation d’Abbeville, mentionnées sur un cahier de lectures, ayant pour titre : Société d’Émulation. Lectures depuis février 1828 jusqu’en octobre 1831 [document détruit en 1940] 17 avril 1829. Discours sur la Botanique. 15 mai 1829. Rapport sur un ouvrage de M. Desmazières précédé d’une introduction sur l’étude des Champignons. 2 octobre 1829. Curieux détails sur une hydrocéphalie externe partielle observée dans le faubourg du Bois sur un enfant du sexe féminin. 18 décembre 1829. Observations sur la structure des graines de pollen. Rapport de cette structure avec celle de la fleur et des parties qui la composent. 21 mai 1830. Mémoire sur un fait de monomanie homicide observé à Amiens. Juin 1831. Rapport sur l’ouvrage intitulé : Tableau de l’Egypte, de la Nubie, etc., par M. Rifaud, de Marseille. 2°. Communications publiées dans les Mémoires de la Société royale d’Émulation d’Abbeville : Mémoires de la Société d’Émulation d’Abbeville, t. 2 (1834 et 1835) : Notice sur des instruments celtiques en corne de cerf, 94-115, 1 pl. Note supplémentaire [à la Notice du 20 novembre 1835], 115-116. Note sur les fouilles de Hecquet d’Orval à Port-le-Grand, Extraits des procèsverbaux, 371-375. Rapport sur un tableau de M. l’Abbé Frère ayant pour titre “ Philosophie de l’histoire ”, Extraits des procès verbaux, 333-355. Mémoires de la Société d’Émulation d’Abbeville, t. 3 (1836 et 1837) :

BIBLIOGRAPHIES DE TRAULLÉ ET PICARD

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Notice sur quelques instruments celtiques, 221-272, 1 pl. Extraits des Procès-verbaux du tome 2 : 19 février 1836. Note sur la maladie noire des poiriers et sur l’insecte qui l’a produite, 414. 10 juin 1836. Lecture sur l’Histoire naturelle, 417. 4 novembre 1836. Rapport sur l’ouvrage de M.Riquier relatif à la culture du mûrier, 420. 16 décembre 1836. Note biographique sur Manzoni et la traduction d’un fragment des Fiancés, 423. 17 mars 1837. Lecture d’une Dissertation sur l’Archéologie, 426. 2 juin 1837. Dissertation sur un instrument celtique formé d’une corne de cerf et d’une défense de sanglier, 429. 18 avril 1838. Note sur deux instruments celtiques. 8 décembre 1837. Dissertation archéologique, 435. Mémoires de la Société d’Émulation d’Abbeville, t. 4 (1838, 1839 et 1840) : Du “ Polygonum Tinctorium ”, 193-204. Rapport sur la culture du “ Polygonum Tinctorium ” et l’extraction de l’indigo, 205-230. Fragmens d’un rapport sur un manuscrit de M. V. Mareuse ayant pour titre : “ De l’Acclimatement et de la Domestication des espèces d’Insectes utiles à l’homme ”, 231-250. Origines picardes, 264-270. Rapport de la commission archéologique pour l’arrondissement d’Abbeville, à Monsieur le préfet du département de la Somme, en réponse à la circulaire de Monsieur le Ministre de l’Intérieur, en date du 13 mars 1838, 271-283. [Sur le but et l’utilité locale d’une exposition d’horticulture à Abbeville], 586587. Extraits des procès-verbaux du tome 4 : 16 novembre 1838. Rapport sur une tombe antique découverte à Noyelles-surmer, 563. 21 décembre 1838. Lecture d’une dissertation manuscrite sur le Liber etymologiarum de Saint-Isidore de Séville, 565. 18 janvier 1839. Rapport sur un mémoire sur la découverte d’une forêt sousmarine de Lefils, 565. 1er février 1839. Lecture d’un morceau de critique philosophique intitulé Constantin et le christianisme, 566.

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15 mars 1839. Rapport d’une lettre de Victor Mareuse sur l’éducation des insectes, 568. 4 avril 1839. Lecture d’un mémoire étendu sur l’étude de l’histoire naturelle, 568. 19 avril 1839. Lecture d’un mémoire sur la multiplication des plantes, et spécialement sur la reproduction du cresson de fontaine par les feuilles détachées de la plante-mère, 569. 24 mai 1839. Présentation d’un catalogue détaillé des insectes de l’arrondissement d’Abbeville par Félix Marcotte. 5 juillet 1839. Lecture d’un mémoire détaillé sur la culture du Polygonum tinctorium, et historique de divers essais tentés par M. Mettez-Michault d’Abbeville, 576. 25 octobre 1839. Rapport sur la récolte du Polygonum tinctorium et les procédés d’extraction employés par M. Mettez-Michault, 576. 8 novembre 1839. Lecture d’un travail envoyé par M. Mallet sur les os fossiles trouvés sur la côte de Beauval près Doullens, 577. 17 janvier 1840. Rapport détaillé sur l’essai en grand de M. Mettez-Michault, industriel à Abbeville pour remplacer l’indigo indien par la culture et l’extraction de la matière colorante du Polygonum tinctorum, 579. 17 mars. Rapport sur l’ouvrage de l’Abbé Bourlet, intitulé Podorus, 581. 8 mai 1840. Proposition de provoquer une exposition publique d’horticulture pour l’arrondissement d’Abbeville, 583. 22 mai 1840. Développement de cette proposition, 584. 5 juin 1840. C. R. de la première réunion d’une commission pour l’exposition d’horticulture fixée du 23 au 26 juin 1840, 584. 31 juillet 1840. Communication du discours préparé pour la distribution de médailles aux horticulteurs, 586-587. 9 octobre 1840. C. R. du mémoire de M. J. Chérest et Ch. Bouvaist sur les fibres animales élémentaires, 589. 9 octobre 1840. Lecture d’un travail sur le genre Unio de la famille des mollusques, 589. Mémoires de la Société d’Émulation d’Abbeville, t. 4 (1841) : [Programme de la 2e exposition d’horticulture à Abbeville], sans signature, 549-552. 3°. Communications publiées dans les Mémoires de la Société d’Agriculture, du Commerce et des Arts de Boulogne-sur-Mer :

BIBLIOGRAPHIES DE TRAULLÉ ET PICARD

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1834. Observations botaniques sur le genre Sonchus, Mémoires et notices de la Société d’Agriculture, du Commerce et des Arts de Boulogne-surMer, 87-98, 1 pl. h. t. 1837. Etudes sur les Géraniées qui croissent spontanément dans les départements de la Somme et du Pas-de-Calais, Communication faite devant la Société d’Agriculture, du Commerce, des Sciences et des Arts de Boulogne-sur-Mer, 95-138. 4°. Communications publiées dans le Bulletin de la Société linnéenne du Nord de la France, vol. 1er (juin 1840) : 1838. Compte-rendu de la 1ère session, 1-6. 1838. Discours d’ouverture, 7-15. 1838. Règlement de la Société, Exposé des motifs, 29-36. 1840. Compte rendu de la 2e session (12 au 15 juillet 1839), bull. n° 1, 5-11. 1839. Mémoire sur l’étude de l’Histoire naturelle, 4 avril 1839. 1840. Note sur la reproduction anormale des plantes et spécialement sur celle du cresson de fontaine par les feuilles détachées de la plante-mère, bull. n° 2, 125-139. 1840. Mémoire sur les déviations du genre Unio pour servir à en rendre la détermination plus facile, vol 1er, juin 1840, bull. n° 3, 339-377 1840. Histoire des mollusques terrestres et fluviatiles du département de la Somme, achevé et publié par Garnier, bull. n° 3, 149-329 5° Comptes rendus de l’Académie des Sciences : N° 15. Séance du 7 août 1839. Sur un moyen de reproduction foliaire, 438-439. Rééditions - 1999. Notice sur des instruments celtiques en corne de cerf in : 1859, Naissance de la préhistoire, Paléo, 40-55. - 1999. Notice sur quelques instruments celtiques in : 1859, Naissance de la préhistoire, Paléo, 56-88. - 1999. Rapport de la commission archéologique in : 1859, Naissance de la préhistoire, Paléo, 90-94.

ANNEXE N° 4 ARTICLES DE PRÉHISTOIRE DE LÉON AUFRÈRE NOTES ANALYTIQUES

Ann. Géog. : Annales de Géographie C.R. somm. Soc. géol. France : Comptes rendus de la Société géologique de France Bull. Soc. préhist. française : Bulletin de la Société préhistorique française C-R Acad. Sci. : Comptes rendus de l’Académie des Sciences Bull. Soc. Emul. Abbeville : Bulletin de la Société d’Emulation d’Abbeville 1929.

“ Les rideaux, étude topographique ”, Ann. Géog., séance du 15 novembre 1929, t. 38, 529-560, 2 pl. [Etude d’archéologie agraire]. 1932. “ Note préliminaire sur l’Éocène de la Somme inférieure ”, C.R. somm. Soc. géol. France, séance du 18 janvier 1932, n° 2, 15-17. 1934 a). “ Note préliminaire sur les origines de la préhistoire ”, Bull. Soc. préhist. française, t. 31, 173-175 [Dans ses mémoires de 1835 et 1837 Picard admettait la coexistence de l’homme, de l’urus et du castor. Article qui fut l’objet d’une “ levée en masse ”, Aufrère tirant Picard de l’oubli, et lui accordant trop, comme il le reconnut lui-même par la suite]. 1934 b). “ Le mouvement scientifique à Abbeville dans la première moitié du XIXe siècle et les origines de la préhistoire ”, Bull. Soc. Emul. Abbeville, séance du 2 août 1934, 368-370 [À la séance du 20 novembre 1835, communications du géologue Ravin, d’Alfred de Mautort et de Casimir Picard : l’archéologie tient compte pour la première fois à Abbeville, systématiquement, des conditions de gisement]. 1934 c). “ Notes sur l’archéologie agraire en Grande-Bretagne ”, Bull. Soc. préhist. française, t. 31, 5 (mai 1934), 234-235 [Les rideaux ne seraient pas des formations naturelles, leur grandeur dépendraient d’anciennes unités de mesure. L’étude sur le terrain est complétée par l’analyse du cadastre. La distinction nature-liberté était empruntée à Bergson, un exemplaire lui fut envoyé].

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LE CERCLE D’ABBEVILLE

1934 d) “ Communication sur Picard et Boucher de Perthes ”, Bull. Soc. préhist. française, t. 31, 271-273 et 334. 1935 a). Bull. Soc. préhist. française, t. 32 [Compte-rendu d’une note non publiée de l’auteur : contrairement à ce que Boucher de Perthes a affirmé lui-même, il ne serait pas à l’origine de l’idée de la coexistence de l’homme et des espèces éteintes mais, en revanche, il a contribué à faire triompher cette idée] 1935 b). “ Une controverse entre François Jouannet et Casimir Picard sur les haches ébauchées ”, Bull. Soc. préhist. française, t. 32, 5 (mai 1935), 300-302 [Les haches taillées étaient selon Jouannet des “ haches ébauchées ”, selon Picard, haches taillées et haches polies étaient également achevées, elles supposaient des techniques et des usages différents]. 1935 c). “ L’industrie primitive et la géologie du Quaternaire à la séance du 20 novembre 1835 à la Société royale d’émulation d’Abbeville ”, Bull. Soc. préhist. française, t. 32 (novembre 1935), 540-544 [Comment Picard a-t-il eu connaissance de l’idée de la coexistence de l’homme et des espèces disparues ?]. 1936 a). “ Le Cervus somonensis Desm. et les éléments d’une faune chaude à Menchecourt ”, C-R somm. Soc. géol. France, 1936, 3 (3 février 1936), 35-37. 1936 b). “ Les sablières de Menchecourt ”, Bull. Soc. préhist. française, t. 33, 2 (février 1936), 139-149 [Description des sablières de Menchecourt d’après le plan cadastral et une photographie aérienne]. 1936 c). “ Le Cervus somonensis du Muséum d’Histoire naturelle ”, C-R Acad. Sci, t. 202, 960-961, séance du 16 mars 1936 [Menchecourt : site où a été découvert le Cervus somonensis du Muséum d’après une coupe de Traullé]. 1936 d). “ Deux lettres de Tournal à Cuvier ”, Bull. Soc. préhist. française, t. 33, 167-168. 1936 e). “ Le mouvement scientifique à Abbeville dans la première moitié du XIXe siècle et les origines de la préhistoire, 1795-1840 ”. Extrait de la revue Sciences publié par l’Association française pour l’avancement des sciences, n° 4 (juillet-août 1936), 175-195 [Exposé sur les précurseurs ou les prédécesseurs de Boucher de Perthes à la Société d’Emulation d’Abbeville]. 1936 f). Essai sur les premières découvertes de Boucher de Perthes et les origines de l’archéologie primitive, 1838-1844, Épreuves et synthèses, n°1, Librairie documentaire L. Staude, Paris [À quel moment Boucher de Perthes a-t-il “ cru ” à l’existence de “ l’homme antédiluvien ” ? La croyance à la coexistence de l’homme et des espèces disparues aurait émergé au fur et à mesure des trouvailles, entre 1838 et 1844].

ARTICLES DE PRÉHISTOIRE DE LÉON AUFRÈRE

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1936 g). “ Communication sur un renversement et un rétablissement stratigraphiques efféctués à propos des premières découvertes préhistoriques dans la vallée de la Somme ”, Bull. Soc. préhist. française, t. 33, 247248. 1936 h). “ Les premières découvertes préhistoriques dans la vallée de la Somme [découverte d’une hache polie emmanchée dans une gaine en corne de cerf] ”, Bull. Soc. préhist. française, t. 33, 585-592. 1937 a). “ Introduction à l’étude industrielle de la silice en Archéologie primitive ”, Bull. Soc. préhist. française, t. 34, 3 (mars 1937), 160167. 1937 b). “ Bassin de Paris et Massif Central. L’industrie abbevillienne et les alluvions à Elephas meridionalis de la Porte du Bois ”, Épreuves et synthèses, n°2, Librairie documentaire L. Staude, Paris, avril 1937. 1937 c). “ Boucher de Perthes, Le Télégramme, 29 et 30 avril 1937 ”, Boulogne-sur-Mer. 1938. “ Le musée des origines de la Préhistoire, conférence radiodiffusée le 28 avril 1938 sous les auspices de l’Association française pour l’Avancement des Sciences et publiée par la revue Sciences, n°23, juillet 1938 ” [L’auteur a donné cette conférence pour réhabiliter l’hôtel particulier de Boucher de Perthes à Abbeville transformé en musée, qui tombait en désuétude. Il y expose son idée d’un musée Boucher-de-Perthes, en faire non pas un musée de préhistoire, mais un musée des origines de la préhistoire à Abbeville, un musée “ Boucher de Perthes ”, en personnalisant ses découvertes, fussentelles des erreurs]. 1939 a). “ Boucher de Perthes et ses précurseurs ”, Cahiers de Radio-Paris, 3 (15 mars 1939), 330-334 1939 b) “ Les alluvions à Elephas meridionalis de la carrière Carpentier près d’Abbeville ”, Note de MM. Henri Breuil, Léon Aufrère et Mme Alice Kelley, C-R Acad. Sci., t. 208, séance du 27 mars 1939, 1037. 1939 c) “ Les phénomènes de solifluxion au-dessus des alluvions anciennes au voisinage du Moulin-Quignon, près d’Abbeville ”, Note de MM. Henri Breuil, Léon Aufrère et Mme Alice Kelley, C-R Acad. Sci., t. 208, séance du 15 mai 1939, 1598. 1939 d) “ Les premières industries paléolithiques et les alluvions à Elephas meridionalis du faubourg du Bois près d’Abbeville ”, Note de MM. Henri Breuil, Léon Aufrère et Mme Alice Kelley, C-R Acad. Sci., t. 209, séance du 3 juillet 1939, 56. 1940. Figures de préhistoriens I : Boucher de Perthes, Paris, PUF [Abbeville 20 mai 1940 : bombardement et incendie du musée Boucher de Perthes, intégralement détruit], Kraus reprints, 1976.

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1947.

1950.

1956.

1958. 1960.

LE CERCLE D’ABBEVILLE

“ La structure du Quaternaire du Moulin-Quignon ”, Note de MM. Henri Breuil, Léon Aufrère et Mme Alice Kelley, C-R Acad. Sci, t. 224, séance du 24 mars 1947, 942-944. “ 1849-1949, Le centenaire des Antiquités celtiques et antédiluviennes ”, Bull. Soc. préhist. française, 1-2 (janvier-février 1950), 47-56 [L’auteur nommé directeur des Antiquités préhistoriques de Lille décrit les 28 vitrines de l’exposition du centenaire et formule ses objectifs : retracer dans un nouveau musée Boucher de Perthes la naissance de la préhistoire à Abbeville, conserver les gisements éponymes et reconstituer les collections de façon à ce qu’elles représentent la stratigraphie de chaque gisement]. “ Le nouveau musée Boucher de Perthes et les gisements préhistoriques de la vallée de la Somme ”, Amiens-Abbeville-Préhistoire, 1 (juin 1956) [Lors de l’inauguration du nouveau musée Boucher de Perthes le 11 juillet 1954, l’auteur précise son idée d’un musée des origines de la préhistoire]. “ Antiquités préhistoriques, Informations archéologiques ”, Gallia Préhistoire, Paris, t. 1, 93-104. “ Allocution sur l’aménagement des sites paléolithiques d’Abbeville et d’Amiens, prononcé après la remise par Max Lejeune des insignes de la Légion d’Honneur à la mairie d’Abbeville le 23 janvier 1960 ”, Amiens-Abbeville Préhistoire, n° 2.

ANNEXE N° 5 INDEX DES NOMS DE PERSONNES

Les noms précédés d’un astérisque désignent les Picards de souche ou les personnes ayant vécu à Abbeville. *AGACHE-LECAT Micheline (1928-1988), nommée à la bibliothèque d’Abbeville en 1954 puis conservateur du musée Boucher-de-Perthes à Abbeville en 1962, 8. ALDROVANDI Ulysse (1522-1605), naturaliste italien, 205. ANAXIMANDRE, (né à Milet vers 610 av. J.-C., mort vers 547), philosophe ionien, 97. ARAMBOURG Camille (1885-1969), paléontologiste français, 37. ARISTOTE (384-322 av. JC), philosophe grec, 110, 176-177. AUBUISSON DE VOISINS Jean-François d’, (1769-1841), géologue et minéralogiste français, 274. *AULT DU MESNIL Geoffroy d’ (1842-1921), géologue et cristallographe, 38, 319, 342. AVICENNE (980-1037), philosophe et médecin iranien, 95. *BAILLON Emmanuel (1744-1801), avocat puis inspecteur des domaines et bois du comté du Ponthieu, naturaliste, correspondant du Jardin du Roi puis du Muséum, membre fondateur de la Société d’Émulation d’Abbeville, 59, 79, 107-108, 124-125, 144, 146, 158-159, 169-170, 173, 202. *BAILLON Louis-Antoine François (1778-1853), fils du précédent, correspondant du Muséum national d’Histoire naturelle (où il suivit pendant 3 ans, de 1799 à 1801 les cours de Lamarck), membre du Conseil municipal d’Abbeville, 169, 173, 193, 196, 200-201, 219, 229-234, 236-238, 241-242, 244245, 252, 255, 259, 274, Fig. 35 (268), 276, 278, 287, 308-309, 320, 330, 343. *BARBIER, botaniste, Directeur-Président fondateur de la Société linnéenne du Nord de la France, 239, 330?. *BEAUCOUSIN Christophe Jean-François (1730-1799), avocat né à Noyon, collectionneur, 139, 190, 248. *BAUDRY DE BRETEUIL, administrateur des douanes, 253-254, 287.

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LE CERCLE D’ABBEVILLE

BÈCHE Henry Thomas de la (Sir) (1796-1855), géologue anglais, 274. *BELLOT Florent-Joseph (Né en 1768), médecin, 358. BERNARDIN DE SAINT-PIERRE Jacques Henri (1737-1814), écrivain français et intendant du Jardin du Roi, 108, 317, 326-327, 335. BEROSE (330-260 av. J.-C), historien, astronome et prêtre babylonien, 216. BLAINVILLE Henri-Marie DUCROTAY de (1777-1850), zoologiste et anatomiste français, 79, 83, 173, 187, 213, 218, 228-230, 336. BLANCKAERT Claude, historien français, 16-17. BLUMENBACH Johann-Friedrich (1752-1840), fondateur de l’anthropologie physique et naturaliste allemand, 34, 116, 175-176, 187. BOILEAU Nicolas (1636-1711), homme de lettres français, 45. BONAPARTE Élisa (1773-1820), soeur de Napoléon, 73. BONAPARTE Napoléon (1769-1821), général français, premier Consul, puis Empereur de 1804 à 1815, 69-70, 72, 208, 351, 361. BONAPARTE Pauline (1780-1825), soeur de Napoléon, 73. BONNET Charles (1720-1793), philosophe et naturaliste suisse, 81, 100, 118, 208, 211. BORLASE Guillaume (1696-1772), naturaliste anglais, 127. BOSSUET Jacques Bénigme (1627-1704), orateur et théologien français, évêque de Meaux, 94-95. BOTTIN Sébastien, membre de la Société centrale et royale d’agriculture de Paris, 80. *BOUCHER DE CRÈVECŒUR Armand (né le 11 juillet 1799), quatrième frère de Jacques Boucher de Perthes, directeur des douanes à Boulogne-sur-Mer, 52, 65, 78. *BOUCHER DE CRÈVECŒUR Armand (décédé en 1919), neveu de Jacques Boucher de Perthes, fils d’Armand, 60, 123. *BOUCHER DE CRÈVECŒUR Berthe (décédée en 1948), fille d’Armand, le neveu de Boucher de Perthes, et arrière-petite-nièce de Jacques Boucher de Perthes, 43, 50, 207. *BOUCHER (DE CRÈVECŒUR) Étienne-Marie-Élisabeth appelée Stéphanie (1767-1827), née de Perthes, épouse de Jules-Armand-Guillaume Boucher et mère de Jacques Boucher de Perthes, 45, 65, 79. *BOUCHER DE CRÈVECŒUR Félix (1805-1817), cinquième et dernier frère de Boucher de Perthes, 74, 76. *BOUCHER (DE CRÈVECŒUR) Jules-Armand-Guillaume (27 juillet 1757-1844), père de 7 enfants dont Jacques Boucher de Perthes était l’aîné, directeur des douanes, membre fondateur de la Société d’Émulation d’Abbeville, membre correspondant de l’Institut, de la Société d’Agriculture et de la Société linnéenne de Paris, et de la Société de Botanique de Londres, Fig. 3 (42), 42-

INDEX DES NOMS DE PERSONNES

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89, Fig. 15 (78), 123-124, 133, 139, 142, 144, 146, 157, 167, 202, 207-208, 236, 245, 248, 252, 257, Fig. 34 (267), 287, 357. *BOUCHER DE CRÈVECŒUR DE PERTHES Jacques (10 septembre 1788-août 1868), fils aîné de Jules-Armand-Guillaume Boucher, directeur des douanes à Abbeville, président de la Société d’Émulation d’Abbeville de 1830 à 1866, 17, 24, 28-33, 38, 42-89, Fig. 15 (78), 219, 235, 238, 247, 249, 252, 254, 257-262, Fig. 37 (270), 273-348. *BOUCHER DE CRÈVECŒUR Jules (21 novembre 1793-28 décembre 1793), deuxième frère de Boucher de Perthes, 49. *BOUCHER DE CRÈVECŒUR Jules (24 novembre 1796-1842), troisième frère de Boucher de Perthes, chef de bureau des douanes, 49, 52, Fig. 15 (78), 78. *BOUCHER DEPERTHES Étienne (21 février 1791-1871), premier frère de Jacques Boucher de Perthes, directeur des douanes de Corse, 48, 69, 72-73, 76Fig. 15 (78), 78, 123. BOUÉ Ami (1794-1881), géologue, membre fondateur de la Société géologique de France, 83, 93. BOULANGER Nicolas Antoine (1722-1759), ingénieur des Ponts et Chaussées et philosophe français, 180. *BOULLON Jean-Baptiste (1773-1828), médecin à Abbeville, membre fondateur de la Société d’Émulation d’Abbeville, 167. BOURGUET Louis (1678-1742), naturaliste et mathématicien français émigré en Suisse, 102, 205. BRAVARD Pierre-Joseph (1803-1861) paléontologue français, 19. BREUIL Henri-Edouard-Prosper (1877-1961), préhistorien et paléontologiste français, directeur de L’Institut de Paléontologie humaine à partir de 1910, professeur d’Ethnographie préhistorique au Collège de France de 1928 à 1946, membre de l’Académie des Inscriptions et belles-Lettres en 1938, 7, 12, 14, 15, 161. BREYNIUS (BREYN) (1690-1764), médecin et naturaliste allemand, 130. *BRION Louis, professeur de mathématiques et de physique au collège d’Abbeville de 1836 à 1844, 340-341. BRONGNIART Alexandre (1770-1847), fils de l’architecte Alexandre-Théodore Brongniart, minéralogiste et géologue, l’un des fondateurs de la biostratigraphie, fondateur et directeur de la manufacture royale de porcelaine de Sèvres, 9, 83, 87-88, 274, 334, 336. BUCKLAND William (1784-1856), clergyman, géologue et paléontologiste anglais, 326. BUFFON Georges-Louis LECLERC de (1707-1788), naturaliste français, 59, 96, 99-104, 106, 108, 110, 112-116, 130, 132-134, 138-139, 147, 149, 152, 169, 178, 211, 218-219. BULLIARD Pierre (1752-1793), botaniste français, 62, 66.

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LE CERCLE D’ABBEVILLE

*BUTEUX Charles-Blaise (1743-1831), maire de Bernay-en-Ponthieu, botaniste, membre fondateur de la Société d’Émulation d’Abbeville, 59, 139. *BUTEUX Charles-Joseph (1794-1876), avocat, fils du précédent, botaniste et géologue, maire de Fransart et membre du conseil général de la Somme, 160. CABANIS Pierre-Jean-Georges (1757-1808), médecin et physiologiste français, 179-181, 211. *CABANNES, arrière petit-fils de François Baillon, 169. CAMPER Petrus (1722-1789), médecin et naturaliste hollandais, 187. CANDOLLE Augustin Pyramus de (1778-1841), botaniste suisse et membre du Conseil souverain de Genève, a publié, sur la demande de Lamarck, la 3e édition de la Flore de la France, 253, 325. CANGUILHEM Georges (1908-1996), philosophe et historien des sciences français, 17, 20. CASTI J.-B. (Abbé) (1721-1803), poète italien, 62, 67, 208. *CAUMONT Arcisse de (1802-1873), antiquaire et géologue, secrétaire général de la Société des Antiquaires de Normandie, 27, 244-245, 329. CAYLUS DE THUBIÈRES DE GRIMOARD DE PESTELS DE LEUB Anne Claude Philippe comte de (1692-1765), archéologue français, 127, 189. CÉSAR Jules (101-44 avant J.-C.), chef militaire, Empereur et mémorialiste romain, 110, 178, 202, 258, 297. *CHALLAYS, officier du Génie chargé de la direction des travaux aux remparts d’Abbeville en 1837-1842, 308-309, 320. *CHIREUX, propriétaire de carrières à Menchecourt près d’Abbeville dans les années 1930, 160-161. CHRISTOL Jules de (1802-1861), paléontologiste français, 246. *CHOQUET Pierre-Adrien (1743-1813), peintre abbevillois, 172?, est-ce le même? COLLIN DE SUSSY, ministre d’Empire, directeur général des douanes, 69. *COMMONT Victor (1866-1918), directeur de l’École annexe de l’École normale d’Amiens et archéologue, fondateur de l’archéologie scientifique de la vallée de la Somme, 135, 160, 227, 230. CONDILLAC Étienne BONNOT de (1714-1780), philosophe français, 211. CONFUCIUS (né vers 551 av. J.-C.), philosophe chinois, 218. CONYERS (1683-1750), pharmacien et antiquaire anglais, 94, 344. COOK James (1728-1779), navigateur et ethnographe anglais, 127. *CORDIER Pierre-Louis (1777-1861), géologue et minéralogiste français, conseiller d’État et membre de l’Institut, 9, 83, 334, 336. COUSIN-DESPREAUX Louis (1743-1818], historien français, 335.

INDEX DES NOMS DE PERSONNES

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COYE Noël, historien français, 17. CUVIER Georges (1769-1832), professeur d’anatomie comparée et fondateur de la paléontologie, conseiller d’État, 8-9, 23-26, 40, 83, 93, 108-109, 111, 113, 116, 125, 129-132, 140, 143-144, 146, 148-149, 152-155, 157-160, 169-170, 172-173, 175-180, 227-228, 234, 237, 240-242, 245, 252, 274275, 326-327, 334, 338. DARWIN Charles-Robert (1809-1882), naturaliste anglais, 208. DAUBENTON Louis Jean Marie (1716-1800), naturaliste français, 110, 133, 140, 146, 171, 191. DEJEAN Auguste (1780-1845), entomologiste français, 325. DELAHANTE Marie-Elisabeth-Victoire, grand-mère maternelle de Jacques Boucher de Perthes, 47. DELEUZE J. Ph.-Fr.(1753-1835), botaniste et bibliothécaire au Jardin des Plantes à Paris, 64. DELUC Antoine (1729-1812), voyageur et naturaliste français, 116. DELUC Jean-André (1727-1817), frère du précédent, voyageur et naturaliste français, l’un des fondateurs de la stratigraphie paléontologique, 116-118, 149, 152, 184, 217. DÉMOCRITE (460 ou 490-370 av. JC), philosophe grec, 118. *DENOYELLE Jean-Louis (1767-1841), pharmacien, chimiste, botaniste, membre fondateur de la Société d’Émulation d’Abbeville, 61-62, 357. DESCARTES René (1596-1650), philosophe, mathématicien et physicien français, 95, 119. DESFONTAINES René Louiche (1750-1833), botaniste français, 64, 146, 158. DESHAYES Gérard-Paul (1795-1875), naturaliste français, 79. DESMAREST Nicolas (1725-1815), inspecteur des manufactures, géologue français, 200, 302. *DEVÉRITÉ Louis Alexandre (1743-1818), juge, imprimeur et député de la Somme, 106, 122, 124, 174-175, 181, 188-190, 194, 213, 234. *DIMPRE Oswald (1819-1906), antiquaire, 193. DOLOMIEU Déodat-Gratet de (1750-1801), minéralogiste et pétrographe français, professeur à l’École des Mines et au Muséum d’Histoire naturelle, 116, 152, 217. DUFRESNE Louis (1752-1832), taxidermiste français, 233. DUMAS Émilien (1804-1870), géologue et paléontologiste français, 246. *DUMONT DE COURSET, botaniste, directeur de la Société d’Agriculture et des Arts de Boulogne-sur-mer, 61, 64, 66, 125. *DUNODENT l’abbé, collectionneur, 106. ECKHART [ECCARD] Jean-Georges (1674-1730), historien allemand, 279.

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LE CERCLE D’ABBEVILLE

ÉLIE DE BEAUMONT Léonce (1798-1874), géologue français, 274. ELLENBERGER François (1915-2000), géologue historien de la géologie français, 12, 93. *ELOY DE VICQ Aglaé (15 mars 1790-30 septembre 1866), la sœur de Jacques Boucher de Perthes, épouse de Charles Éloy de Vicq, 48, 52, 69, 76, 79, 236. *ELOY DE VICQ Charles-Henri-Bonnaventure (1777-1856), beau-frère de Jacques Boucher de Perthes, propriétaire à Abbeville, violoniste, 75-76. *ESTANCELIN Louis (1777-1858), député de la Somme, membre de la Société d’Émulation d’Abbeville, 248, 287. FALCONER Hugh (1808-1865), physicien et paléontologue anglais, 168, 200. FAUJAS DE SAINT-FOND Barthélémy (1741-1819), géologue et paléontologiste français, administrateur et professeur au Muséum d’Histoire naturelle, 9, 112, 134, 147, 151, 180-181, 184-186, 191-192, 195-197, 201, 205, 210, 219, 228. FOSTER Henry (1797-1831), géophysicien et navigateur anglais, 127. FRERE John (1740-1807), antiquaire anglais, membre de la Royal Society, 93, 344, 347. *GAILLON François-Benjamin (1782-1839), receveur des douanes, naturaliste, président de la Société d’agriculture, du commerce et des arts de Boulognesur-Mer, 240, 245, 252, 330. GALL François-Joseph (1758-1828), médecin autrichien puis français, 211. *GARNIER Jacques (1808-1888), conservateur de la bibliothèque d’Amiens, secrétaire perpétuel de la Société des Antiquaires de Picardie, 330, 332, 274, 342-344. *GATTE Paul-Augustin (1735-1801), médecin, membre fondateur de la Société d’Émulation d’Abbeville, 61, 145. *GAVOIS Jean, propriétaire de tourbières à Fontaine-sur-Somme, 204. GAUDRY Albert (1829-1908), professeur de paléontologie au Muséum, 33. GEOFFROY-SAINT-HILAIRE Étienne (1772-1844), naturaliste français, 326. GEOFFROY-SAINT-HILAIRE Isidore, (1805-1861), naturaliste français, 81. GESSNER [GESNER] Conrad (1516-1587), naturaliste suisse, 146, 178. GILIBERT Jean-Emmanuel (1741-1814), naturaliste français, 111, 143, 178, 202. GLEY Gérard (1761-1830), linguiste et historien français, 224. GMELIN Johann Georg (1709-1755), naturaliste et explorateur allemand, 114. GOHAU Gabriel, géologue et historien de la géologie français, 93. GOUAN Antoine (1733-1821), naturaliste français, 62

INDEX DES NOMS DE PERSONNES

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GOLDFUSS Georg August (1782-1848), minéralogiste et zoologiste allemand, 109. *GORET Charles-Alexandre (1763-1839), pharmacien, membre fondateur de la Société d’Émulation d’Abbeville, 61, 167, 173. GRAVES Louis (1791-1857), géologue français, 274. HALLER Albert DE (1708-1777), médecin, naturaliste et poète suisse, 110. *HECQUET D’ORVAL Pierre (1743-1827), directeur de la manufacture de moquettes d’Abbeville, membre du conseil général de la Somme, 225, 255256, 263. *HECQUET D’ORVAL Jean-Pierre (1783-1859), maire de Port-le-Grand, propriétaire de tourbières, 245, 280, 287, Fig. 36 (269), 314. HEDWIG Jean (1730-1799), médecin et botaniste, né à Cronstadt en Transylvanie, 61, 66. HERBERSTEIN Sigismond de (1486-1566), diplomate et historien allemand, 178, 186. *HERMANT DE NORVILLE (1748-1828), mousquetaire de la garde du Roi, conseiller du Roi, premier échevin d’Abbeville, naturaliste, président de la Société d’Émulation d’Abbeville de 1818 à 1828, 123, 128, 144-145, 190, 221, 234-235. HÉRODOTE (484-406 avant J.-C.), historien grec, 127. *HOZIER D’, juge d’armes à Abbeville, 77. *HUGUET Adrien (1869-1940), historien originaire de Saint-Valéry-surSomme, membre fondateur de la Société d’Histoire et d’Archéologie du Vimeu en 1905, 249. HUTTON (1726- 1797), géologue anglais, 117. JOUANNET François-René-Benit Valar Sieur de (1765-1845), archéologue, professeur de Belles-Lettres, conservateur de la bibliothèque et du cabinet d’antiquités de Bordeaux, correspondant de l’Académie des inscriptions et belles-lettres, 298. *JOULY, administrateur des douanes, 253-254, 287. JUSSIEU Antoine de (1686-1758), naturaliste français, 66, 170, 191. KOYRÉ Alexandre (1892-1964), philosophe et historien des sciences français, 17. LACÉPÈDE Étienne de (1756-1825), naturaliste français, 146, 149-151, 177, 180, 210. *LAMARCK Jean-Baptiste Pierre Antoine de MONET, Chevalier de (17441829), naturaliste français, 9, 59, 71, 79, 81, 100, 107, 148-149, 151, 154, 179-185, 187, 197, 207-211, 252, 325-328. LAMARTINE Alphonse de (1790-1869), poète et homme politique français, 261.

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LE CERCLE D’ABBEVILLE

LAMETH Alexandre de (1750-1829), député en 1789, 1819 et 1828, et préfet sous l’Empire et la Restauration, 75. LANTIER Raymond (1886-1980), conservateur du musée des Antiquités nationales de Saint-Germain-en-Laye de 1932 à 1956, 14, 37, 40. LARTET Édouard Armand Isidore (1801-1871), paléontologue français, 168, 200. LATREILLE P.-André (1762-1833), naturaliste, entomologiste français, 211. *LEFILS Florentin, homme de lettres, 263, 324. LE GUIDE René, dit IL GUIDO (1575-1642), peintre italien, 51. LEIBNIZ Gottfried-Wilhelm (1646-1716), philosophe et mathématicien allemand, 95, 100, 102, 118, 152. LEMOYNE François (1688-1737), peintre français, 50. LENNEL DE LA FARELLE, petit-neveu de Lamarck, 207. *LERMINIER Théodoric Nilamon (1770-1836), médecin de Napoléon, membre fondateur de la Société d’Émulation d’Abbeville, 144. LE VERD, comédienne, 236. LEVESQUE Pierre-Charles (1736-1812), historien français (histoire de Russie et histoire ancienne), 45. L’HÉRITIER Ch.-L. (1746-1800), botaniste français, 64, 146, 158. LINNÉ Carl Von (1707-1778), naturaliste suédois, 65-66, 96, 104, 325. LOCKE John (1632-1704), philosophe anglais, 118, 211. *LOUANDRE François-César, (1787-1862), historien et homme de lettres, bibliothécaire et archiviste d’Abbeville, 230, 295. LUCRÈCE (98 av. JC-54 ?), poète latin, 117. LYELL Charles, (1797-1875), géologue anglais, auteur des Principes de géologie (1833), 247. *MACQUERON Henri, historien, conservateur des musées d’Abbeville, président de la Société d’Émulation d’Abbeville de 1916 à 1936, 224, 242. *MACQUET, membre de la Société linnéenne du Nord de la France, 330. MACROBE Ambrosius Theodosius (né à la fin du IVe siècle après J.-C.), écrivain latin, 109, 112. MAILLET Benoît DE (1656-1738), consul général de France en Egypte puis à Livourne, 97. *MAISNIEL DE BELLEVAL du (1733-1790), botaniste, 59, 106, 122, 139, 179, 207. MANZONI Alexandre (1784-1873), poète italien, 295. MARTIAL (43-103), poète latin, 177. MARTONNE de Emmanuel (1873-1955), géographe français, 12.

INDEX DES NOMS DE PERSONNES

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MAUPERTUIS Pierre-Louis Moreau de (1698-1759), géomètre et philosophe français, 97-101, 103-104, 130, 147, 149. MAUPIED François-Louis-Michel (né en 1814), chargé du cours de physique sacrée et de cosmogonie mosaïque à la Sorbonne de 1845 à 1848, 218. *MAUTORT Jean-Baptiste Adrien Tillette de (1749-1835), premier maire d’Abbeville en 1789, membre fondateur de la Société d’Émulation d’Abbeville, 145. *MAUTORT Alfred-Louis Tillette de (1792-1857), officier d’Empire, propriétaire de tourbières, maire de Hangest-sur-Somme, membre du Conseil général de la Somme, membre fondateur de la Société linnéenne du Nord de la France, 255, Fig. 38 (271), 288-298, 319, 351-354. *MAUTORT Prosper-Abbeville Tillette de, Clermont-Tonnerre par adoption, (1789-1859), frère du précédent, homme politique, maire de Cambron (Somme), botaniste, 253. MESSERSCHMIDT Daniel-Théophile (1685-1735), voyageur allemand, 130. MÉTHERIE Jean-Claude de la (1743-1817), naturaliste, physicien et philosophe français, directeur du Journal de Physique, de Chimie, d’Histoire naturelle et des Arts, suppléant de Cuvier au Collège de France, 118-120. *METTEZ-MICHAUT (1779-1864), teinturier, 335. MIDDLETON Henry (1570-1615), navigateur anglais, 127. MILLIN Aubin-Louis (1759-1818), membre de l’Institut, naturaliste et archéologue, directeur du Magasin encyclopédique, conservateur des médailles, membre de l’Académie celtique, 125, 128, 133-134, 158. MOÏSE (né en Égypte vers 1705 av. J.-C.), chef hébreu, 216-218, 326. MONGEZ Antoine (1747-1835), archéologue français, administrateur des monnaies à Paris, 171, 194, 196, 211, 222-223, 240, 289. MONTFAUCON Bernard de (1655-1741), savant bénédictin, 126, 221, 279. *MOREL DE CAMPENNELLE Marie-Mathieu (1768-1856), négociant, écrivain et latiniste, premier adjoint au maire d’Abbeville de 1799 à 1830, membre du Conseil général de la Somme, 61, 144, 158, 190, 238. *MORGAND François-Théophile (1802-1870), professeur de langues, 238, 335, 341. MORTILLET Louis-Laurent Gabriel de (1821-1898), paléontologiste et préhistorien français, 38. NAIGEON Jean-André (1738-1810), écrivain et philosophe français, 211. NEEDHAM Jean TUBERVILLE (1713-1781), naturaliste anglais, 103. NÉRON (37-66), Empereur romain, 205. NEWTON Isaac (1642-1727), mathématicien et physicien anglais, 118. NILSSON Sven (1787-1883), paléontologue suédois, 306. NORVILLE, 235.

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LE CERCLE D’ABBEVILLE

OMALIUS D’HALLOY Jean-Baptiste Julien d’ (1783-1875), géologue belge, vice-président du Sénat, 274. ONIVET, botaniste, 64. PALISSY Bernard (v. 1510-1590 ?), physicien et céramiste français, 57. PALLAS Pierre-Simon (1741-1811), naturaliste, géologue, voyageur et ethnologue allemand, 110, 112, 114, 127, 152, 172, 185-186, 197, 219, 228-229, 237. PASSY Antoine (1792-1873), préfet de l’Eure et géologue français, 274. PASTEUR Louis (1822-1895), chimiste français, 181. PATIN Ch. (1633-1693), médecin et antiquaire, 106. *PAUQUY Charles Louis Constant (né en 1800), docteur en médecine de la faculté de Paris et botaniste (Statistique botanique du département de la Somme, 1831), membre correspondant de la Société d’Émulation d’Abbeville, 252, 316. PELLOUTIER Simon (1694-1757), historien français, 188. PERRIER Jean-Baptiste (1767-1842), professeur de philologie et de grammaire, 341-342. *PICARD Casimir (1805-1841), chirurgien et botaniste, membre fondateur de la Société linnéenne du Nord de la France, 82, 219, 225, 238-264, 274-275, 278-348, 352. *PIOGER Eugène-François-André de (1750-1820), maïeur commandant pour le Roi, linguiste et traducteur, conservateur de la bibliothèque d’Abbeville, président fondateur de la Société d’Émulation d’Abbeville, 144. PLINE (23-79), historien et naturaliste romain, 177. PLUTARQUE (50-138 ou 140), moraliste grec, 188. POMEL (1821-1898), paléontologue français, 19. POMPÉE (106 ou 107 av. JC- 4$ av. JC), Consul romain, 258. POTTIER, musicien, directeur de théâtre à Paris, 76, 236. *PRAROND Ernest (1821-1909), homme de lettres et historien, voyageur, successeur de Boucher de Perthes à la présidence de la Société d’Émulation d’Abbeville de 1866 à 1879, 145, 249, 343. PRÉVOST Constant (1787-1856), géologue français, 274. PRESTWICH Joseph (1812-1896), géologue anglais, 94, 160-161, 200. PROCOPE (500-565), historien grec, 188. *RAVIN François-Prosper (1795-1849), médecin à l’hôpital de Saint-Valérysur-Somme et médecin des douanes, géologue, membre correspondant de l’Académie de médecine, 160, 193, 200, 247, 249, Fig. 39 (272), 272-278, 286-287, 292, 332-333, 352.

INDEX DES NOMS DE PERSONNES

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*RICHARD Robert (1910-1981), conservateur des musées d’Abbeville, successeur d’Henri Macqueron, puis conservateur du musée d’Amiens de 1944 à 1978, 39, 347. RIFAUD Jean-Charles, naturaliste, 240, 362. *RIGOLLOT Marcel-Jérôme (1769-1854), médecin et archéologue amiénois, membre de l’Académie de Médecine de Paris, président de la Société des Antiquaires de Picardie, 58, 239, 253, 273. *RIS-PAQUOT, historien abbevillois, 56-57. ROBINET René (1735-1820), philosophe français, 130. ROMÉ DE L’ISLE Jean-Baptiste (1736-1790), physicien, minéralogiste et cristallographe français, 205. ROUSSEAU Jean-Jacques (1712-1778), philosophe et écrivain français, 327. *ROZET Antoine (1798-1858), géologue militaire français, 274. RÜPPELL Edward (1794-1884), naturaliste et archéologue allemand, 288, 293. SAINT-ALLAIS Nicolas VITON, dit de SAINT-ALLAIS (1773-1842), généalogiste français, 44. SAINT-DIDIER Augustin, généalogiste à la Cour des comptes, 77. SAUSSURE Horace-Bénédict de Saussure (1740-1799), naturaliste suisse, 152. *SAUVAGE Pierre, sculpteur abbevillois, 83, 267. SAXE (-TESCHEN) Albert de (1316-1390), philosophe, mathématicien et géologue allemand, 182. SCHMERLING Philippe Charles (1791-1836), paléontologiste belge, 285, 347. SÉNÈQUE (3-65), philosophe et orateur romain, 177. SEPTIME-SÉVÈRE (mort en 211), Empereur romain, 205. SERVIUS TULLIUS (578 avant Jésus-Christ), sixième roi de Rome, 112. SERRES Marcel de (1783-1862), minéralogiste et de géologue, 28, 39, 94, 102, 219, 285, 287, 305, 326, 333, 347. *SENERMONT Paul-Adrien-François Thomas de (1746-1820), ingénieur d’artillerie, commandant de la place d’Abbeville, membre fondateur de la Société d’Émulation d’Abbeville, 75. SOULAVIE Jean-Louis, dit GIRAUD-SOULAVIE (1752-1813), géologue et historien français, 10, 147, 149, 182. SPALLANZANI Lazare (1729-1799), naturaliste et physiologiste italien, 62, 81. SPARRMAN Anders, (1748-1820), zoologiste suédois, 127. SPINOZA Baruch (1632-1677), philosophe hollandais, 95. SPON Jacob (1647-1685), antiquaire, archéologue et voyageur français, 127. STÉNON Nicolas (1638-1687), naturaliste puis évêque danois, 96, 101. STURM Christophe Chrétien (1740-1786), théologien et moraliste allemand, 335.

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LE CERCLE D’ABBEVILLE

TACITE C. Cornelius (54-117 ou 120 après J.-C.), historien latin, 224. THÉOPHRASTE, (né en 371 avant J.-C.), philosophe grec, 95. THIERRY Augustin (1795-1856), historien et écrivain français, 244, 321. THOMSEN Christian-Jurgensen (1788-1865), archéologue et préhistorien danois, 306. THOUIN André (1747-1823), professeur de culture au Jardin des Plantes, 107, 169. *THUISON, collectionneur, 59, 106. *TILLETTE DE CLERMONT-TONNERRE, voir Mautort Prosper-Abbeville, adopté par son oncle maternel, il a perdu son nom de Mautort, 323. TOURNAL Paul (1805-1872), spéléologue, paléontologiste et préhistorien français, 245-246, 285, 347. *TRAULLÉ Alexandre, frère de Laurent Traullé, commandant de place à Sedan et à Mézières, 250. *TRAULLÉ François, frère de Laurent Traullé, 250. *TRAULLÉ Laurent (1758-1829), procureur à Abbeville, membre du conseil municipal, historiographe, correspondant de l’Institut, membre fondateur de la Société d’Émulation d’Abbeville, 59, 61, 82, 93, 113, Fig. 19 (121), 121262, 275-280, 285, 289, 297, 305, 320, 347, 351-352. *TRAULLÉ Marie-Joseph-François (1774-1848), frère de Laurent Traullé, président du tribunal de commerce d’Abbeville, 125, 250. TURPIN Jean-François (1775-1840), botaniste, 328. USSHER James (1581-1656), prélat anglican irlandais, historien et chronologiste, 21, 94. VALENCIENNES Achille (1794-1865), naturaliste français, 9, 79, 230, 237, 241. VALMONT DE BOMARE Jacques Christophe (1731-1807), géologue et minéralogiste français, auteur du Dictionnaire raisonné universel d’histoire naturelle (1764), 110, 140. VAN DYCK Antoine (1599-1641), peintre flamand, 51. VARENIUS Bernard (1622-1650), géographe et médecin hollandais, 102. VERNET Antoine Charles Horace (1758-1836), peintre français, fils de ClaudeJoseph Vernet, 51. VERNET Claude-Joseph (1712-1789), peintre français, 51. VOLTAIRE François-Marie AROUET de (1694-1778), philosophe et écrivain français, 145, 218. WATELET Claude-Henri (1718-1786), peintre et écrivain français, 45, 77, 123. WERNER Abraham-Gottlob (1750-1817), minéralogiste allemand, 215. WHISTON, 1667-1752, théologien et mathématicien anglais, 152. WOODWARD Samuel (1790-1838), paléontologiste anglais, 152.

LISTE COMMENTÉE DES ILLUSTRATIONS

Portrait de Léon Aufrère (1889-1977) .............................................................. 5 Portrait de Léon Aufrère (1889-1977) en 1939 par R. Fenet. (Collection privée). Fig. 1. Chronologie d’Ussher .......................................................................... 22 Chronologie d’Ussher : le monde fut créé le 23 octobre 4004 avant JésusChrist et l’homme cinq jours plus tard, le 28 octobre, le déluge eut lieu en 2448 avant Jésus-Christ (Annales veteris et novi testamenti, 1650-1654). Cette chronologie était dans la première moitié du XIXe siècle l’évidence même. Elle sera celle de Baillon, Traullé et Picard. Elle embarrassera fort Boucher de Perthes. (Collection privée) Fig. 2. Almanach de 1820 ............................................................................... 23 Cet Almanach des dames de 1820, où Boucher de Perthes publiait des romances, ne connaissait, comme toutes les publications de l’époque, que la chronologie d’Ussher. (Collection privée) Fig. 3. Boucher de Crèvecoeur en 1786 ......................................................... 42 Boucher de Crèvecoeur en 1786, alors contrôleur général des fermes à Sète, puis directeur des douanes de la Somme à partir de 1791, “ L’un des hommes les plus remarquables d’Abbeville par la variété et l’étendue de ses connaissances ”, Mém. Soc. Émul. Abbeville, t. 1, 1833, p. 329. (Collection privée) Fig. 4. Gravure d’Abbeville en 1792 par Boucher ......................................... 49 Gravure d’Abbeville en 1792 par Boucher (qui supprima le “ de Crèvecoeur ” à partir de la Révolution). Filleul du peintre Watelet, il s’adonnait à la gravure depuis son séjour à Sète et possédait une collection de 20.000 gravures. (Collection privée) Fig. 5. Hôtel de Chépy, demeure familiale des Boucher................................ 53 L’Hôtel de Chépy, un lieu mythique. Acheté en 1803 par Boucher, l’Hôtel pouvait convenir à son rang et contenir ses collections exceptionnelles d’objets d’art. Pour Boucher de Perthes ce fut “ le sanctuaire de la science et de l’art ”. Là prit corps l’idée de la très haute antiquité de l’homme. En 1932, l’auteur retrouvait les objets à la place où Boucher de Perthes les avait laissés à sa mort en 1868. Il voulait en faire le musée des origines de la préhistoire. Hôtel d’autant plus mythique aujourd’hui, parce que entièrement

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détruit lors d’un bombardement en 1940. (Photo Bibliothèque municipale d’Abbeville) Fig. 6. Hôtel de Chépy, l’escalier.................................................................... 54 Les murs étaient entièrement couverts de bois sculptés acquis pendant la Révolution. On aperçoit en bas de l’escalier l’entrée du salon transformé par Boucher de Perthes lui-même en musée de préhistoire. (Photo Bibliothèque municipale d’Abbeville) Fig. 7. Hôtel de Chépy, la salle à manger....................................................... 54 La salle à manger contient les collections du père, meubles et faïences, proposées par Boucher de Perthes au musée de Cluny. (Photo Bibliothèque municipale d’Abbeville) Fig. 8. Hôtel de Chépy, la bibliothèque .......................................................... 55 “ C’est le cabinet de travail du père. Trois murs sont garnis de livres en pleine reliure. C’est une imposante bibliothèque de naturaliste et d’archéologue du début du siècle dernier, très représentative par son aspect et par son contenu [...] ”. L. Aufrère, 1938. (Photo Bibliothèque municipale d’Abbeville) Fig. 9. Hôtel de Chépy, le bureau de Jacques Boucher de Perthes................ 55 Jacques Boucher de Perthes a fait de ce bric-à-brac son bureau à partir de 1825, rêvant d’aller s’installer un jour ou l’autre à Paris et d’y faire jouer ses pièces de théâtre. Il y écrivit une cinquantaine de volumes dont les Antiquités celtiques et antédiluviennes. (Photo Bibliothèque municipale d’Abbeville) Fig. 10. Hôtel de Chépy, le salon devenu La salle des origines de la préhistoire à Abbeville....................................................................... 56 Boucher de Perthes, malgré ou grâce à son appartenance à la noblesse, eut l’idée de renoncer à son salon et de le métamorphoser en musée de préhistoire, il fît ôter le canapé, les bergères, les 22 fauteuils, les 24 chaises et les tables de jeu. Ici classement des pièces par Léon Aufrère, selon l’ordre des découvertes, vraies et fausses. Les haches décrites dans la notice de 1835 de Picard sont au premier plan. Les œuvres de Boucher de Perthes et les ossements d’animaux disparus figurent dans les vitrines verticales. Si le buste de Napoléon domine la salle, on peut voir ou apercevoir les bustes réalisés par Pierre Sauvage en 1835, celui de Boucher en haut à gauche et celui de Boucher de Perthes à droite, les deux âmes de la maison. (Photo Bibliothèque municipale d’Abbeville) Fig. 11. Premier Bulletin de la Société d’émulation d’Abbeville (1797) ....... 63 La Société d’émulation d’Abbeville fut fondée en 1797. Boucher en fut l’un des membres fondateurs. (Bibliothèque municipale d’Abbeville) Fig. 12. Extrait de la Flore d’Abbeville et du département de la Somme par Boucher (1803) ..................................................................................... 65

LISTE COMMENTÉE DES ILLUSTRATIONS

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“ L’histoire naturelle le captiva ; il s’y livra entièrement et prit rang parmi les botanistes les plus distingués […]. Fils unique et maître d’une fortune considérable, il l’employa toute entière à satisfaire cette avidité de connaissance […]. Lié avec Arthur Young, Joseph Banks, Cuvier, Lamarck, Courset, A. Brogniart [sic], Deleuze, l’infortuné Lhéritier, etc., il entreprit et exécuta notamment avec ce dernier, de vastes herborisations. Le 25 janvier 1800, M. Boucher fut nommé membre associé de l’Institut […]. Il laisse un herbier de 25.000 plantes ”. Prarond, Mém. Soc. imp. Émul. Abbeville, 1852, p. 1013-1019. (Bibliothèque municipale d’Abbeville) Fig. 13. Observations sur les bœufs sauvages par Boucher (1797) ............... 68 Il s’agit du bœuf de Picquigny trouvé en 1797. En homme du XVIIIe siècle, Boucher était également sensible aux sciences et aux arts. Cette page est de l’écriture de Léon Aufrère, spécimen de ses notes prises au musée Boucherde-Perthes avant sa destruction en 1940. (Collection privée) Fig. 14. Lettre de Alexandre de Lameth à Boucher (1815) ........................... 75 Lettre de Alexandre de Lameth, député et préfet de la Somme, à Boucher (1815), un exemple du courrier quotidiennement reçu par Boucher, directeur des douanes à Abbeville. (Collection privée) Fig. 15. Boucher, ses quatre fils et son gendre en 1835 ................................ 78 Médaillon de Boucher par Pierre Sauvage en 1835 avec ses quatre fils et son gendre Eloy de Vicq. Boucher eut six fils et une fille. Deux de ses fils moururent jeunes, l’un à un mois et l’autre à 12 ans. Ses quatre fils travaillèrent aux douanes. (Collection privée) Fig. 16. Acte de décès de Boucher de Crévecoeur (24 novembre 1844) ...... 86 Le faire-part de décès de Boucher de Crévecoeur le 24 novembre 1844 témoigne de la composition de sa famille. (Collection privée) Fig. 17. L’urus d’Hangest (trouvé avant 1778) ; Faujas, Essai de géologie (1803), I, pl. XVII ; Cuvier, Annales du Muséum, t. XII (1808), pl. 34, fig. 3 et 8........................................................................................ 105 a. L’urus d’Hangest, bœuf de très grande taille, premier animal antédiluvien découvert dans la vallée de la Somme, à notre connaissance. Envoyé à Buffon, par Emmanuel Baillon, un peu avant 1778. Chaque corne mesure 72 cm de long sur 35 cm de diamètre à sa base. b. L’urus d’Hangest dans l’Essai de géologie de Faujas de Saint-Fond, 1803, t. I, planche XVII. c. Cuvier, Annales du Muséum, t. XII, 1808, pl. 34, fig. 3 et 8. (Photos MNHN et collection privée) Fig. 18. Sites paléontologiques et archéologiques de la vallée de la Somme, 1778-1844........................................................................... 120 (Photo Bibliothèque municipale d’Abbeville) Fig. 19. Portrait de Laurent Traullé (1758-1829) ......................................... 121

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Laurent Traullé (1758-1829), procureur, ne voyant jamais d’innocents, emprisonnait les juges avec les inculpés. Il constitua l’une des premières collections d’ossements d’animaux d’espèces disparues et d’objets archéologiques à Abbeville, dont des instruments de pierre. (Collection privée) Fig. 20. Le bœuf de Picquigny (1797).......................................................... 142 “ […] nous venons de découvrir que le Taureau-Éléphant a vécu dans nos parages et que ses ossements doivent être presque aussi gros que ceux de l’Éléphant ”, Traullé (1797). (Photo MNHN) Fig. 21. Le Cervus somonensis de Menchecourt (1801) ; Cuvier, Annales du Muséum (1808)..................................................................................... 157 a. Cervus somonensis de Menchecourt (1801). Selon Traullé, cet animal gigantesque existait avant le déluge, il y a 4000 ou 5000 ans. b. Cuvier, Sur les os fossiles de ruminans trouvés dans les terrains meubles, Annales du Muséum, 1808, tome 12, pl. 32, fig. 19, (A et B). (Photos MNHN et collection privée) Fig. 22. Les gisements ossifères et archéologiques d’Abbeville. Plan de Prestwich (1860)........................................................................................ 161 Prestwich, On the occurrence of flint-implements, p. 284 (1861). (Collection privée) Fig. 23. Les carrières de Menchecourt, d’après le cadastre et une photographie aérienne, par l’auteur (1936) ....................................... 162 L. Aufrère, “ Les sablières de Menchecourt ”, Bull. Soc. préhist. fr., n° 2, 1936. (Collection privée) Fig. 24. Coupe de Menchecourt par Prestwich (1861)................................. 163 Prestwich, On the occurrence of flint-implements, 1861, p. 284. (Collection privée) Fig. 25. Coupe de Menchecourt par Ravin (1849) ................................ 164-165 Dans le diluvium on trouvait en abondance depuis 1795 des ossements d’animaux disparus, cerfs gigantesques, mammouths, urus, rhinocéros et, à partir de 1842 quelques silex taillés par l’homme. (couche XV). J. Boucher de Perthes, Antiquités celtiques et antédiluviennes, 1849, ch. XII, p. 234. (Photo Bibliothèque municipale d’Abbeville) Fig. 26. Coupe de Menchecourt par Traullé (1801) ..................................... 166 Coupe de la vallée de la Somme (25 messidor an 9, 14 juillet 1801) par Laurent Traullé, l’inventeur du gisement de Menchecourt. Commentaire de Traullé : fe : pente de la côte opposée à la falaise. a : point où a été trouvé le cerf. b : point où sont trouvés les plus gros ossements. cba : sable de mer. Fcde : sables argileux, salés.

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ac : pente faite par la vallée. Gg : emplacement d’Abbeville. bc : largeur primitive de la vallée. I : camp de César. bI : falaise. Commentaire de la coupe de Traullé par l’auteur : Sur la rive droite se trouvent les premières sablières de Menchecourt, au commencement du faubourg, à droite et à gauche de la rue du Haut. cba’ : le pointillé indique les sables fluviaux-marins ; au-dessus Fdea : le lœss. Les tourbes reposent sur le lœss à leur sommet seulement. (Collection privée) Fig. 27. Traullé membre associé de l’Institut (1803) ................................... 188 Courrier émouvant dans la vie du procureur Traullé : membre associé de l’Institut (1803) ! (Collection privée) Fig. 28. Hache “ gauloise ” dans sa gaine de cerf décrite par Traullé (1814)......................................................................................................... 221 Hache “ gauloise ” dans sa gaine de cerf décrite par Traullé (1814). D - E : ouverture carrée où l’on enfonçait probablement un manche de bois. (Collection privée) Fig. 29. Le Rhinoceros tichorhinus de Menchecourt (1822), Cuvier, Rech. Oss. foss. (1822)........................................................................................ 226 Cuvier, Recherches sur les ossements fossiles, 1822, t. 2, 1ère partie, pl. IX, fig. 2, p. 94. (Photo MNHN) Fig. 30. Premiers Mémoires de la Société d’émulation d’Abbeville (1833)......................................................................................................... 251 La Société d’émulation d’Abbeville fut animée les premières années après sa fondation et elle perdit de sa vigueur vers 1810. 36 ans après sa fondation, l’un des fils de Boucher, Jacques Boucher de Perthes, à son tour l’anima ou la réanima. Les Mémoires parurent sur son initiative à partir de 1833. (Bibliothèque municipale d’Abbeville) Fig. 31. Pirogue “ gauloise ” d’Estrebœuf décrite par Ravin (1834) ........... 254 La découverte de cette pirogue, sous des tourbes alluviennes fit entrevoir une civilisation primitive : longue de 10 m et large de 54 cm, elle était taillée dans un seul arbre. Picard formula l’idée qu’elle avait été taillée avec des haches de pierre. F.-P. Ravin, “ Notice sur une pirogue gauloise, trouvée à Estrebœuf, près de Saint-Valéry-sur-Mer, en mai 1834 ”, Mém. Soc. émul. Abbeville, 1834 et 1835, t. 2, p. 81-87. (Collection privée) Fig. 32. Vases “ celtiques ” de Port-le-Grand décrits par Hecquet d’Orval (1834)........................................................................................... 256 Vases “ bien antérieurs aux Celtes ” découverts à Port-le-Grand en 1834. J.P. Hecquet d’Orval, “ Mémoire sur les fouilles de Port-le-Grand et sur la

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découverte de vases celtiques ”, Mém. Soc. émul. Abbeville, 1838, 1839 et 1840, t. 4, p. 285-295. (Photo Bibliothèque municipale d’Abbeville) Fig. 33. Objets “ égyptiens ” de Noyelles (1834) ......................................... 264 L’affaire de Noyelles fut l’une des premières supercheries. Des objets ramenés d’Égypte par bateau par Eduard Rüppell se sont échoués lors d’un naufrage sur le rivage picard mais furent présentés comme provenant des tombes celtiques de Noyelles lors de fouilles entreprises pour la Société d’Émulation d’Abbeville. Le président de la Société, avec ou sans méfiance, s’est porté garant de ces pseudo-découvertes. Mém. Soc. émul. Abbeville, 1835 et 1836, t. 3, p. 386-387. (Collection privée) Fig. 34. Buste de Jules-Armand-Guillaume Boucher (1757-1844).............. 267 Oeuvre de Pierre Sauvage en 1835. (Collection privée) Fig. 35. Buste de François Baillon (1778-1853) .......................................... 268 Le père, Emmanuel Baillon (1744-1801), puis le fils, François Baillon, l’un et l’autre correspondants du Muséum national d’histoire naturelle, établirent des liens entre le Muséum et Abbeville. Ils y envoyèrent animaux morts ou vivants et ossements fossiles. (Photo Musée Boucher-de-Perthes Abbeville) Fig. 36. Buste de Pierre Hecquet d’Orval (1783-1859) ............................... 269 Jean-Pierre Hecquet d’Orval (1783-1859), maire de Port-le-Grand, fit la découverte dans les tourbières de vases celtiques contenant des ossements humains et entourés d’ossements d’animaux. (Photo Musée Boucher-dePerthes Abbeville) Fig. 37. Portrait de Jacques Boucher de Perthes (1788-1868) par Grèvedon (1831)........................................................................................ 270 Directeur des douanes à Abbeville, poète, troubadour, dramaturge, romancier, philanthrope, économiste, métaphysicien, rêvant de renouveler le christianisme, et défenseur de l’idée de la très haute antiquité de l’homme, Boucher de Perthes a constitué la première collection d’objets paléolithiques. (Collection privée) Fig. 38. Portrait d’Alfred de Mautort (1792-1857)....................................... 271 Alfred de Mautort (1792-1857), propriétaire de tourbières, fut le principal fournisseur du musée d’Abbeville pour la faune des tourbières. (Collection privée) Fig. 39. Portrait du docteur Ravin (1795-1849) ........................................... 272 Le Docteur Ravin (1795-1849), fut le géologue de la Société d’Émulation : “ […] médecin dévoué, administrateur habile, naturaliste et archéologue distingué […], il devait trouver dans sa vie et dans sa mort tout ce qu’on peut souhaiter en ce monde : dans sa vie, l’estime universelle, dans sa mort, les larmes des pauvres et celles de tous les gens de bien […]. M. Ravin était partout où il y avait quelque bien à réaliser, quelqu’idée juste à défendre, quelque progrès à réaliser ”. Louandre, Mém. Soc. Émul. Abbeville, vol. 6,

LISTE COMMENTÉE DES ILLUSTRATIONS

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1844-1848, p. 687-691. Manque, dans cette galerie de portraits celui, introuvable ou inexistant, de Casimir Picard (1805-1841). (Collection privée) Fig. 40. Tableau des terrains alluviens et diluviens du bassin d’Amiens par Ravin (1835) ....................................................................................... 277 Traullé distinguait des tourbes inférieures et des tourbes supérieures. Ravin substitua à une superposition dans l’espace une chronologie. Dans ce tableau il admettait, en-dessous des sables et des tourbes alluviens, l’existence de sables et de tourbes diluviens. Les haches de pierre trouvées dans les terrains diluviens pourront alors être considérées comme diluviennes et non plus comme gauloises ou celtiques. F.P. Ravin, “ Mémoire géologique sur le bassin d’Amiens ”, Mém. Soc. Émul. Abbeville, 1834 et 1835, t. 2, p. 210. (Collection privée) Fig. 41. Instruments “ celtiques ” en corne de cerf étudiés par Picard (1835).................................................................................................. 281-284 Ces haches “ celtiques ” de Saint-Jean-des-Près (1830), parmi les premiers objets déposés dans l’ancien musée d’Abbeville, rappellaient à Picard la hache “ gauloise ” décrite par Traullé en 1814. C. Picard, “ Sur des instruments celtiques en corne de cerf ”, Mém. Soc. Émul. Abbeville, 1834 et 1835, t. 2, p. 115. (Collection privée) Fig. 42. Défenses de sangliers “ d’avant les Romains ” décrites par Alfred de Mautort (1834).......................................................................... 291 Ces défenses de sangliers furent trouvées près de Picquigny. “ Je ferai remarquer que la multiplicité d’objets d’origine romaine que l’on a trouvés dans ces contrées ne présente aucune analogie avec ces morceaux-ci, qui appellent l’attention spéciale des antiquaires. Tout porte à croire que c’est à un peuple plus ancien et moins civilisé que les Romains qu’il faut en reporter la collection et l’usage ”. [Alfred de Mautort], “ Sur des Défenses de sangliers trouvées dans la tourbe ”, Mém. Soc. Émul. Abbeville, 1834-1835, t. 2, p. 92-93. (Collection privée) Fig. 43. Défense de sanglier dans une gaine en bois de cerf , haches, couteaux et masses “ celtiques ” étudiés par Picard (1837).............. 299-302 Picard présente avec rigueur la théorie du débitage des lames à partir d’un nucléus, théorie d’abord exposée par les archéologues scandinaves et formulée ici peut-être pour la première fois en France. C. Picard, “ Sur quelques instruments celtiques ”, Mém. Soc. Émul. Abbeville, 1836 et 1837, t. 3, p. 271. (Collection privée)

TABLE DES MATIÈRES

Préface.............................................................................................................. 7 Avant-propos .................................................................................................. 11 Introduction .................................................................................................... 37 CHAPITRE I. COLLECTIONNER I. J.-A.-G. Boucher (de Crèvecœur), le père de Boucher de Perthes, (1757-1844).................................................................................................... 43 Généalogie des Boucher............................................................................ 44 1777. Contrôleur général à Chalon puis à Cette ...................................... 46 1787. Son mariage. Naissance de ses enfants. Contrôleur général à Soissons.............................................................................................. 47 1791, Directeur des douanes à Saint-Valéry 1803, Achat de l’Hôtel de Chépy. Sa collection de gravures.............. 48 Les tableaux de Boucher et ceux de Boucher de Perthes ........................ 50 Les sculptures ............................................................................................ 52 Les meubles............................................................................................... 56 Les céramiques .......................................................................................... 56 Les médailles............................................................................................. 57 L’histoire naturelle et la botanique ........................................................... 59 1797. Fondation de la Société d’Émulation d’Abbeville ......................... 60 1791-1800. Rédaction de la “ Flore d’Abbeville ”. 1800, Boucher, membre associé de l’Institut....................................... 64 1798. Observations sur un squelette d’aurochs découvert à Picquigny .. 67 Ses fils Jacques et Etienne ........................................................................ 69 Boucher et Bonaparte................................................................................ 69 Boucher et Lamarck .................................................................................. 71 Boucher vu par ses fils Jacques et Étienne .............................................. 72 1812-1815, Jacques Boucher à Paris, officier supérieur des douanes et homme de lettres.......................................................... 73

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1815. Disgrâce de Boucher de Perthes, La Ciotat et Morlaix ................. 74 1818. Jacques Boucher “ de Perthes ” ...................................................... 76 1825. Boucher directeur des douanes en retraite, Jacques directeur des douanes à Abbeville ....................................................................... 78 1830. Jacques Boucher de Perthes, Président de la Société royale d’Émulation d’Abbeville ...................................................................... 79 1835. Jules-Armand-Guillaume Boucher “ de Crèvecœur ” .................... 81 Boucher de Perthes et la préhistoire ......................................................... 81 1840-1844. Des haches “ celtiques ” à Menchecourt. Mort de Boucher................................................................................... 82 Jacques Boucher de Perthes et Alexandre Brongniart ............................. 87 CHAPITRE II. EXPLORER (LA VALLÉE DE LA SOMME) I.

La question de l’origine de l’homme......................................................... 93 Le concept de préhistoire .......................................................................... 93 Conyers et John Frere ............................................................................... 94 Ussher et Bossuet ...................................................................................... 94 Leibniz et la loi de continuité ................................................................... 95 Sténon ........................................................................................................ 96 Linné : l’homme, une espèce parmi d’autres ........................................... 96 Actualismes physique et organique de Benoît de Maillet........................ 97 Maupertuis et l’idée d’une transformation des espèces ........................... 97 Actualisme physique de Buffon.............................................................. 101 Buffon : actualisme organique, créationnisme et transformisme ........... 102 II. Emmanuel Baillon et l’urus d’Hangest................................................... 105 Des objets archéologiques dans les tourbières ....................................... 105 Emmanuel Baillon (1744-1801), correspondant du Jardin du Roi ........ 107 L’urus d’Hangest : première pièce paléontologique de la Somme envoyée au Jardin du Roi ................................................................... 108 1779. Jean-André et Antoine de Luc et la question de l’homme fossile .................................................................................................. 116 1787. De la Métherie : l’homme doit être regardé comme la première espèce de singe................................................................ 118 III. Laurent Traullé, l’éléphant de Menchecourt et le bœuf de Picquigny................................................................................................. 121 Emmanuel Baillon (1744-1801), J.-A.-G. Boucher (1757-1844) et Laurent Traullé (1758-1829) .............................................................. 121

TABLE DES MATIÈRES

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1793. Traullé, Du charbon de terre ........................................................ 124 1795. Traullé : A quelle époque vécurent les premiers peuples de l’univers ?....................................................................................... 125 1795. Le crâne de Menchecourt Cuvier : Le mammouth est-il une espèce distincte de l’éléphant ?... 128 1796. Traullé membre associé de l’Institut Sur quelques pétrifications dans les sables qui bordent la Somme............................................................................................. 132 1797. Sur la vallée de la Somme ............................................................ 134 1797. Le bœuf de Picquigny................................................................... 142 1797. Fondation de la Société d’Émulation d’Abbeville ....................... 144 1798-1801. Le renouvellement de l’actualisme : qu’est-ce qu’une espèce ? ................................................................... 146 1800. Les 23 espèces disparues et le renouvellement du catastrophisme avec Cuvier ................................................................ 152 IV. Laurent Traullé et le Cervus Somonensis de Menchecourt ................... 157 1800. Boucher membre associé de l’Institut Visite de Traullé à Cuvier................................................................... 157 1801, Cuvier membre associé de la Société d’Émulation d’Abbeville. Les sablières de Menchecourt ....................................... 159 1801. Le Cervus somonensis de Menchecourt, la 24e espèce d’animaux disparus ............................................................................. 166 1801. Mort d’Emmanuel Baillon. François Baillon correspondant du Muséum ......................................................................................... 173 1801. Hostilités entre Traullé et Devérité............................................... 174 1801. Blumenbach : espèces actuelles et espèces disparues .................. 175 1801. Les bœufs d’Hangest et de Picquigny : urus, aurochs, bisons, bœufs ?.................................................................................... 177 1802. Une dent de castor à Menchecourt ............................................... 178 1802. Cabanis : actualisme organique et catastrophisme, l’antiquité étendue de l’homme............................................................................ 179 1802. Lamarck : actualisme physique et actualisme organique, l’antiquité indéfinie de l’homme ........................................................ 181 1803. Faujas : les espèces disparues sont des analogues des espèces actuelles............................................................................................... 184 1802. Traullé : “ la primitive histoire ” 1803. membre correspondant de l’Institut ......................................... 188 1804. Chevaux, cerfs et castors de la vallée de la Somme.................... 191 Deux niveaux ossifères à Menchecourt .................................................. 192

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LE CERCLE D’ABBEVILLE

1806. Une molaire d’éléphant à Menchecourt ....................................... 194 1806. Cuvier : les espèces fossiles d’éléphants et de rhinocéros ne sont pas des variétés des espèces actuelles................................... 197 1808. Cuvier : y-a-t-il des espèces disparues dans les terrains meubles ?............................................................................................. 199 1809. Traullé : un bateau “ gaulois ” associé à “ des animaux perdus pour la France ” .................................................................................. 203 1809. Cuvier : chevaux, sangliers, castors et rongeurs de la vallée de la Somme ....................................................................................... 205 1809. Lamarck et Boucher...................................................................... 207 1809. Lamarck : si la nature est créatrice, y-a-t-il des espèces perdues ? ............................................................................................. 208 1810. Traullé : une forêt immense d’arbres sacrés dans la tourbe ........ 211 1812. Cuvier : l’homme a-t-il coexisté avec des espèces disparues ?........................................................................................... 213 V. Laurent Traullé et le Rhinoceros Tichorhinus DE MencheCOURT .......... 221 1814. Une hache “ gauloise ” dans sa gaine de bois de cerf ................. 221 1819-1820. Traullé : des armes des “ premiers Gaulois ” associées à des animaux d’espèces disparues .................................................... 225 1822. Le Rhinoceros tichorhinus de Menchecourt................................. 226 1823. Haches et pointes de flèche “ gauloises ” trouvées en 1791 ....... 234 1825. Retour de Jacques Boucher de Perthes à Abbeville .................... 235 1826. Traullé : animaux disparus et déluge Achille Valenciennes à Abbeville....................................................... 237 1828. Boucher de Perthes, vice-président de la Société d’Émulation d’Abbeville. Casimir Picard à Abbeville................................................................. 238 1829. Picard, membre de la Société royale d’Émulation d’Abbeville.......................................................................................... 239 1829. Mort de Traullé ............................................................................. 241 1830. Fouilles à la Portelette et à Saint-Jean-des-Prés Cours d’Antiquités monumentales d’Arcisse de Caumont ................ 244 1828-1830. Cuvier et Tournal ................................................................. 245 1829. Marcel de Serres, Géognosie des terrains tertiaires.................... 246 1833. Projet d’un musée de la Société d’Émulation d’Abbeville.......... 248 1833. Mémoires de la Société royale d’Émulation d’Abbeville, tome premier Picard, Le genre Sonchus ................................................................... 251 1834. Pirogue, ossements, vases “ celtiques ” ........................................ 253

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1835. Petit glossaire : l’idée d’un musée des Antiquités nationales ..... 256 1835. L’affaire de Noyelles..................................................................... 263 CHAPITRE III DÉCOUVRIR (LA COEXISTENCE DE L’HOMME ET DES ANIMAUX DISPARUS À ABBEVILLE) I.

La question de la préhistoire lors des séances de la Société d’émulation d’Abbeville de 1835................................................................ 273 Ravin, Notice sur une pirogue gauloise trouvée sous les tourbes alluviennes .......................................................................................... 273 Ravin, Mémoire géologique sur le bassin d’Amiens.............................. 274 Picard, Notice sur des instrumens celtiques en corne de cerf ............... 278 Fin de l’affaire de Noyelles .................................................................... 288 Picard, Note supplémentaire à la notice du 20 novembre 1835 ............ 288 Alfred de Mautort, Notice sur des défenses de sanglier trouvées dans la tourbe ...................................................................... 289 II. Les travaux de Casimir Picard et les premières découvertes de Jacques Boucher de Perthes ................................................................... 295 1836. Projet de travaux aux remparts d’Abbeville 3 février 1837 : fondation du musée d’Abbeville.............................. 295 1837. Picard, Notice sur quelques instruments celtiques....................... 296 Boucher de Perthes et la préhistoire à partir de 1837............................ 307 Les étiquettes des objets trouvés à la Portelette : 1837 ou 1838 ? Altération ou rectification ?................................................................ 307 Pourquoi Boucher de Perthes a-t-il suivi les fouilles de la Portelette ? ................................................................................. 310 Boucher de Perthes continuateur de Picard. Quels furent leurs apports respectifs ?..................................................................... 314 1837. Picard, Etudes sur les Géraniées.................................................. 316 1837-1844. La Société royale d’Émulation d’Abbeville et l’archéologie ................................................................................... 317 Mai 1838. Picard, Rapport de la commission archéologique Installation du musée d’Abbeville...................................................... 319 10 juin 1838. Fondation de la Société linnéenne du Nord de la France......................................................................................... 320 4 avril 1839. Picard, Mémoire sur l’Histoire naturelle.......................... 324 19 avril 1839. Picard, Note sur la reproduction anormale des plantes........................................................................................... 328 5 juillet 1839. Arcisse de Caumont à la Société royale d’Émulation d’Abbeville.......................................................................................... 329

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Juillet 1839. Picard, Histoire des Mollusques terrestres et fluviatiles de la Somme................................................................... 330 10 août 1839. Lettre de Cordier à Boucher de Perthes.......................... 334 1840. Picard et les premières découvertes de Boucher de Perthes à Menchecourt..................................................................................... 334 9 octobre 1840. Picard, Sur les Déviations du genre Unio ................... 337 Épilogue................................................................................................... 338 Conclusion.................................................................................................... 347 ANNEXES Annexe n° 1 Note inédite de Léon Aufrère : Alfred de Mautort ............... 351 Annexe n° 2 Documents et sources imprimées .......................................... 355 I. Documents (lettres, ossements, outils) ................................................ 355 II. Périodiques (entre 1778 et 1844) ....................................................... 355 Annexe n° 3 Bibliographies de Laurent Traullé et Casimir Picard............ 357 Annexe n° 4 Articles de préhistoire de Léon Aufrère Notes analytiques .................................................................................... 367 Annexe n° 5 Index des noms propres ......................................................... 371 Liste commentée des illustrations ............................................................... 383