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French Pages [124] Year 2020
L’art de l’édi,ng La clé d’une pratique épanouie de la photo.
— Nicolas Croce —
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Table des matières Introduction
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Partie 1 : Pourquoi l'éditing est-il important ?
12
Qu’est-ce que l’éditing ?
13
Vous deviendrez photographe lorsque vous aurez terminé un projet
15
L’éditing pour montrer votre talent
16
L’éditing pour progresser et améliorer vos photos
17
Partie 2 : Les étapes d’un éditing réussi
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Les étapes d’un éditing réussi
21
Étape 1 : première sélection
23
Agissez vite
24
Ne triez jamais vos photos sur votre appareil photo
24
Ne supprimez jamais aucune de vos photos
25
La peur de jeter une bonne photo
26
Vos gouts évoluent, vos choix aussi
26
Si vous avez plusieurs photos d’un même sujet
27
Les photos qui collent aux doigts
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Étape 2 : incubation
29
Le photographe est un iceberg
30
Quand retoucher vos photos ?
31
Un seul dossier d’incubation ?
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Étape 3 : impression de vos photos
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Tirage de lecture
35
Imprimer à la maison
35
Quel matériel ?
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3
Étape 4 : maturation
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Votre projet évolue en parallèle de votre éditing
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Chaque image contient plus d’informations que ce qui est immédiatement visible 38
Étape 5 : finalisation
42
L’importance du contexte d’un projet
42
Imprimer en taille réelle
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Demander l’avis d’autres personnes
45
Ordonner votre sélection
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Le processus d’éditing
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Partie 3 : Mettre en place un flux de travail efficace
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Mettre en place un flux de travail efficace
53
Flux de travail général
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Importation des photos
56
Première sélection
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Retouches de sécurité
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Archivage
60
Incubation
61
Impression
63
On fait le point
63
Gestion des projets
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Partie 4 : Réussir votre éditing et évoluer en tant qu'artiste
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L’éditing est un travail créatif
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Prenez beaucoup de photos, jetez beaucoup de photos
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Définir et clarifier un projet
76
Comment naissent les projets ?
76
Définir votre projet
77
Avancer dès que possible
80
Redéfinir et clarifier votre projet
80
Restez ouvert
82
4
Soyez courageux
83
Votre projet est-il terminé ?
83
Pour résumer
84
Faire les bons choix
86
Combien de photos devez-vous garder ?
86
Critères de choix
87
Vous devez être à la fois objectif et subjectif
89
Ayez confiance en votre intuition
89
Gardez une cohérence dans votre travail
90
Le choix des autres
93
Choisissez bien vos influences
93
Ne montrez pas votre travail trop tôt
94
Comment tenir compte des critiques
95
De combien de temps avez-vous besoin ? Combien de temps dure un projet ?
98 98
La loi des 50 ans
100
L’effet Lindy
100
Comment savoir que votre projet est terminé ?
102
Comment devenir un meilleur photographe
104
Progresser étape par étape
104
Chaque création a un rôle à jouer dans votre évolution artistique
106
Apprendre des autres
106
Apprendre de vous-même
111
Un chemin sans fin
113
Trouver votre style
114
Conclusion
122
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Introduction
J’ai toujours pris beaucoup de photos. Même avant de m’y intéresser sérieusement, j’avais toujours un appareil avec moi et l’utilisais à la moindre occasion : un voyage, une soirée entre amis, une balade à la montagne, etc. Pourtant, en 2018, je n’ai pris que 1081 photos dans l’année. Je n’ai jamais pris aussi peu de photos. Jamais. Et ce n’est pas faute d’avoir des sujets puisque, cette année-là, j’ai déménagé en Espagne — j’avais donc un nouveau pays à découvrir — ma fille Alix est née, et mon fils Aksel faisait sa première rentrée à l’école. J’ai donc logiquement commencé à me poser des questions : « Pourquoi n’ai-je plus envie de prendre des photos ? La passion m’a-t-elle quitté ? » En réalité, et il m’a fallu pas mal de temps pour le comprendre, le problème était tout autre : mes photos ne me ressemblaient plus. La plupart des photos que je prenais étaient destinées à être publiées — sur les réseaux sociaux, sur mon blog, ou utilisées dans les formations que je propose à mes élèves. Du coup, lorsque je déclenchais, je le faisais soit dans le but d’obtenir une photo techniquement parfaite, soit dans le but d’obtenir des likes et de créer des images qui plaisent au public, mais jamais réellement pour moi. Lorsque j’ai compris cela, j’ai arrêté de publier sur les réseaux sociaux et ai complètement revu ma façon d’aborder la photo. Les résultats ne se sont pas fait attendre, puisqu’en 2019 j’ai pris plus de 7
dix mille photos. Dix fois plus que l’année précédente. Mais ces chiffres, bien que positifs, ne sont pas ce qu’il y a de plus important. Oui, j’ai pris plus de photos ; oui, j’ai retrouvé le gout de déclencher ; mais il y a eu d’autres changements. Des changements bien plus importants que le simple fait de prendre plus de photos. Aujourd’hui, la photo me permet d’explorer le monde, de découvrir de nouvelles choses, de voir le beau dans les scènes banales du quotidien, de m’exprimer. Mais c’est surtout un moyen de découvrir et de comprendre qui je suis, et un formidable support d’épanouissement personnel. En d’autres termes, changer ma façon d’aborder la photo a changé la personne que je suis, et c’est ce que je veux vous transmettre à travers cet ouvrage. Je vais vous aider à aller vers une pratique de la photo plus intéressante, plus créative, et surtout plus personnelle que celle que vous connaissez aujourd’hui. Je vais vous donner la clé d’une pratique plus épanouie de la photo, et par la même occasion d’une vie plus épanouie également. Le secret de ces changements réside dans une idée toute simple : travailler sur des projets créatifs personnels et laisser vos propres photos vous guider vers la personne que vous devez devenir pour vous épanouir. Dans les prochains chapitres, nous allons commencer par découvrir ce qu’est l’éditing — la sélection des photos que vous prenez dans le cadre d’un projet créatif — puis mettre en place un flux de travail efficace pour organiser et sélectionner vos photos.
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Ces étapes techniques représentent les bases d’un système qui, si vous l’utilisez régulièrement, vous permettra de changer la façon dont vous pratiquez la photo. Une fois ceci fait, nous verrons ensemble comment l’éditing et les projets photo vous permettront de devenir de meilleurs photographes, de meilleurs artistes, et de meilleurs humains.
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Partie 1 : Pourquoi l'éditing est-il important ?
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Qu’est-ce que l’éditing ?
Un projet photo n’est un projet que s’il débouche sur quelque chose de concret — qu’il s’agisse d’un livre, d’une exposition, ou encore d’une série de photos pour votre site Internet, peu importe. Amasser des centaines de photos sur un certain sujet n’est pas un projet. C’est un sujet, un intérêt, une curiosité — appelez ça comme vous voulez — mais pas un projet. Un projet ne devient un projet que si une sélection est faite. Vous partez d’un nombre important de photos et vous en faites une sélection précise et ordonnée. Ordonnée car vous comprenez bien que créer un livre par exemple ne se résume pas à coller au hasard cinquante photos les unes à côté des autres. Chaque photo doit être sélectionnée avec soin, puis l’ensemble de ces photos doit être organisé pour former un tout cohérent, un enchainement logique, une histoire. Cette sélection sera le résultat de votre projet. C’est elle que vous montrerez au public — et pas les centaines ou milliers de photos que vous aurez prises au cours de la construction de votre projet. C’est ce processus de sélection qu’on appelle éditing. L’éditing est donc au cœur de tout projet photo. Sans lui, il n’y aurait tout simplement pas de projet photo. C’est un processus d’élimination — on élimine une grande partie de notre travail pour ne garder que le meilleur. C’est un processus créatif — en partant d’une 13
même base de photos, deux éditings différents donneront naissance à deux projets complètement différents. Et c’est également un processus au cours duquel vous apprenez à connaitre votre travail et à vous connaitre vous-même — vous découvrirez, parfois avec étonnement, ce qui éveille votre curiosité ainsi que la façon dont vous vous représentez le monde qui vous entoure. Tout au long de ce processus d’éditing, vous devrez utiliser votre cerveau mais aussi votre instinct et vos émotions pour prendre des décisions. Ce processus vous guidera vers votre meilleur travail : les quelques photos qui représenteront au mieux votre vision de photographe. L’éditing n’est pas un travail qui se fait en quelques minutes. C’est un processus qui prend du temps et qui se poursuit généralement tout au long de votre projet. Au cours de sa vie, un projet évolue, se clarifie, parfois même change complètement. Et c’est toujours l’éditing de vos photos qui est la source de ces transformations. Vous pouvez par exemple vous apercevoir qu’un certain sujet vous intéresse tout particulièrement et réorienter votre projet initial vers son exploration. L’éditing peut également vous faire prendre conscience d’intérêts personnels jusque-là insoupçonnés, et ainsi donner naissance à de nouveaux projets ou sujets de recherche. En bref, l’éditing est quelque chose de passionnant. C’est ce qui donne tout son intérêt à la pratique de la photo. C’est ce qui fait la différence entre un touriste et un artiste. C’est un excellent moyen d’évoluer, de vous améliorer et de découvrir qui vous êtes réellement. Parce qu’après tout, l’art c’est cela : une constante recherche de soi-même. Une soif de découvrir qui l’on est réellement et le courage de l’exprimer librement.
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Vous deviendrez photographe lorsque vous aurez terminé un projet
Certaines personnes prennent des photos depuis des années, pourtant ça ne fait pas d’elles des photographes. Pourquoi ? Tout simplement parce que le travail du photographe ne s’arrête pas à la prise de vue. Amasser des dizaines de milliers de photos sur votre disque dur ne fait pas de vous un photographe. Tout le monde est capable de faire cela. Pour preuve, empruntez le smartphone de n’importe lequel de vos amis et vous y découvrirez des milliers de photos. Est-ce que ça fait de lui un photographe ? Non, bien sûr. Être photographe, c’est prendre des photos, bien sûr, mais c’est aussi aller plus loin : trier ses photos, les sélectionner, puis les organiser dans le but de créer quelque chose de concret — un livre, une exposition, une galerie web, ou même une simple série de photos. Le travail du photographe repose sur la réalisation de projets. Et c’est l’éditing qui différencie une personne qui prend des photos d’un véritable photographe. Aujourd’hui, les meilleurs photographes ne sont pas ceux qui prennent les meilleures photos, mais ceux qui font les meilleures sélections. Ils savent choisir les photos les mieux adaptées aux projets qu’ils ont en tête. 15
L’éditing pour montrer votre talent
Aujourd’hui, tout le monde peut réussir techniquement une photo. La technologie a fait tellement de progrès que c’est devenu facile. Le critère financier n’est plus un problème non plus. Même un appareil bas de gamme est capable de prendre de bonnes photos. Tout le monde ou presque dispose d’un appareil photo — ne seraitce que celui de son smartphone, capable d’un résultat plus que correct. Résultat de cette démocratisation : des millions de photos circulent chaque jour sur Internet et, de plus en plus, la différence entre deux photographes se fait sur la sélection qu’ils font de leurs photos plus que sur la prise de vue elle-même. D’ailleurs, comme le dit Jean-Christophe Béchet : « En processus numérique, les photographes débutants ont davantage besoin de professeurs d’éditing que de conseils techniques. » Si vous ne savez pas faire un bon éditing, vous risquez de publier des images moyennes et alors d’être considéré comme un mauvais photographe. Lors de l’éditing, votre objectif est de convaincre le public. De lui montrer que vous êtes quelqu’un d’intéressant. Que vous êtes un photographe qui a quelque chose d’intéressant à dire. Et pour y arriver, la méthode est simple : ne montrez que vos meilleures photos.
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L’éditing pour progresser et améliorer vos photos
Lorsque vous êtes sur le terrain, et particulièrement si vous faites de la photo de rue, vous n’avez pas le temps de penser à tout. Lorsqu’un sujet se présente, vous n’avez que quelques secondes pour réagir. Si à ce moment-là vous vous posez des questions à propos de la composition de vos photos ou de vos réglages, votre sujet sera déjà loin quand vous déclencherez. Sur le terrain, vous devez donc fonctionner le plus possible à l’instinct. Photographiez tout ce qui attire votre œil, sans vous poser de questions. Comme Daido Moriyama l’explique : « Forget everything you’ve learned on the subject of photography for the moment, and just shoot. Take photographs — of anything and everything, whatever catches your eyes. Don’t pause to think. » (Traduction : Oubliez tout ce que vous avez appris au sujet de la photo pour le moment, et déclenchez. Photographiez tout et n’importe quoi qui attire vos yeux. Ne vous arrêtez pas pour réfléchir.) C’est seulement lors de l’éditing que vous utiliserez votre cerveau et vous poserez des questions. Vous pourrez alors analyser la composition de vos photos, leur construction, leurs éventuels problèmes techniques. Ces critères vous aideront à faire des choix. Si deux photos sont proches, un détail de composition pourra vous faire choisir telle photo plutôt que telle autre. Mais ce n’est en aucun 17
cas sur le terrain que vous devez faire ce choix. Ces questions de composition ne doivent jamais vous faire hésiter à appuyer sur le déclencheur lorsque vous êtes face à un sujet intéressant. La phase d’éditing est donc cruciale pour améliorer la qualité de vos photos de par la sélection que vous en faites, mais également de par l’attention que vous leur porterez. En effet, c’est lors de l’éditing, et en analysant avec attention vos photos, que vous détecterez certains problèmes. Vous pourrez alors en comprendre la cause, leur trouver des solutions, et vous assurer de les corriger sur le terrain. Sans éditing, vous risquez de faire toujours les mêmes erreurs.
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Partie 2 : Les étapes d’un éditing réussi
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Les étapes d’un éditing réussi
Le processus d’éditing commence au moment où vous enregistrez une photo sur la carte mémoire de votre appareil photo et se termine lorsque votre projet prend fin et donne naissance à quelque chose de tangible — un livre, une exposition, une série de tirages… Pour que votre éditing soit efficace, vos photos doivent suivre un cheminement en six étapes : 1.
La première sélection, qui vous permet d’écarter les photos ratées ou sans intérêt ;
2.
La phase d’incubation, pendant laquelle vous laissez reposer votre travail pour qu’il se détache de vos émotions ;
3.
L’impression de tirages de lecture, qui transformeront vos photos en quelque chose de réel ;
4.
La maturation du projet, phase pendant laquelle vous apprendrez à connaitre votre travail, mais aussi le photographe. Puis, enfi n,
5.
La finalisation vous permettra de donner vie à votre projet.
À chaque étape, votre sélection s’affinera, votre projet prendra forme et votre vision évoluera. Dans les prochaines pages, je vais vous expliquer en détail chacune de ces six étapes puis, une fois leur intérêt compris, nous met21
trons en place un flux de travail dans Lightroom qui vous permettra de travailler efficacement et de suivre ce cheminement sans même avoir à y penser.
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Étape 1 : première sélection
Lorsque vous revenez d’un voyage, il se peut que vous ayez pris certaines de vos photos il y a plusieurs jours et que vous ne vous rappeliez pas de toutes vos images. La première étape de l’éditing est donc simple : passez en revue toutes vos photos, sans n’y apporter aucun changement ni faire aucune sélection. Cette vue d’ensemble vous permet de vous remémorer ce qui a attiré votre œil pendant votre voyage ou votre séance photo, mais aussi de vous remémorer la personne que vous étiez à ce moment-là. A cette étape, vous en apprenez autant sur vous que sur vos photos. Il ne s’agit pas de passer rapidement et machinalement en revue vos photos, mais plutôt de les observer et de vous dire : « Tiens, je suis souvent attiré par ce type de lumière douce qui crée des couleurs pastels », ou encore, « Je me rappelle comme j’étais heureux et épanoui dans cet endroit… » Une fois que vous aurez passé en revue toutes vos photos, il sera temps d’en faire une première sélection. Parcourez-les à nouveau et, dès que l’une d’entre elles attire votre attention, dès que vous vous dites : « J’aime quelque chose dans cette photo », mettez-la de côté. Cette sélection doit être rapide. Ne vous posez pas trente-six questions. Si une photo vous plait, si elle provoque une émotion en vous, si vous vous arrêtez sur elle pour la contempler, pour en apprécier les détails, le sujet : mettez-la de côté et passez à la suivante. 23
Agissez vite La première sélection doit être faite dès que possible. Si vous prenez des photos chaque jour, faites votre première sélection chaque soir. Si vous partez en voyage, faites-la dès votre retour. Le risque, si vous laissez vos photos s’accumuler, c’est de vous retrouver noyé sous une masse importante d’images non triées, qui vous rendrait la tâche plus ardue — difficile en effet de s’attaquer à un « tas » de deux mille photos alors que si vous n’avez que trente photos à trier, ça peut être fait en moins de cinq minutes. Gardez à l’esprit que cette première sélection doit être rapide. L’objectif est simplement d’écarter les photos ratées ou sans intérêt. À l’issue de ce premier tri, vous ne garderez que 30% de votre travail, peut-être moins. N’ayez pas peur d’éliminer.
Ne triez jamais vos photos sur votre appareil photo Vous pourriez être tenté, pour gagner du temps, de commencer cette première sélection directement sur votre appareil photo. Je vous le déconseille fortement. Déjà, lorsque vous supprimez une photo de votre carte mémoire, vous courrez le risque d’une corruption de données — et donc de perdre toutes vos photos. Les appareils photos sont bons pour écrire, mais pas tellement pour supprimer des données d’une carte mémoire. J’ai entendu assez d’histoires à ce sujet pour ne pas tenter le diable. De plus, c’est souvent compliqué d’apprécier les qualités d’une photo sur un écran aussi petit que celui de votre appareil photo. 24
Mieux vaut attendre d’être chez vous, devant un grand écran qui vous permet de voir chaque détail de votre image.
Ne supprimez jamais aucune de vos photos Que ce soit sur le terrain ou à n’importe quelle étape de votre éditing, ne supprimez jamais aucune de vos photos. Jamais. Aujourd’hui, avec le numérique, il est devenu facile de stocker des dizaines de milliers de photos. Vous n’avez plus besoin d’une armoire entière pour les stocker, ni de dépenser des sommes folles. Pour quelques centaines d’euros, vous pouvez acheter un disque dur qui contiendra plusieurs millions de photos. Le principe de l’éditing est de trier vos photos, de repérer les meilleures, celles qui sont le mieux adaptées au projet sur lequel vous travaillez. Mais ça ne veut pas dire qu’une photo que vous écartez aujourd’hui ne sera pas intéressante pour un autre projet. Si vous la supprimez, vous ne pourrez plus jamais l’utiliser. L’idée est donc d’écarter les photos ratées ou celles qui ne correspondent pas à votre projet actuel, mais pas de les supprimer. Si une photo ne vous intéresse pas, sortez-la de votre flux de travail. Mettez-la à un endroit où elle ne vous gêne pas. Un endroit où vous pouvez toujours aller la chercher, mais où vous devez aller intentionnellement pour la retrouver. Une sorte de corbeille, mais que vous ne videz jamais. J’ai longtemps fait l’erreur de supprimer les photos qui ne m’intéressaient pas et aujourd’hui je le regrette. Il m’arrive par exemple d’avoir besoin de photos ratées pour illustrer mes livres et formations. Je sais aussi que lorsque j’étais débutant, j’avais tendance à considérer chaque photo floue comme ratée — et donc je la suppri25
mais. Aujourd’hui, le flou m’intéresse et je suis certain que parmi les photos que j’ai jetées à l’époque, j’aurais trouvé quelques trésors.
La peur de jeter une bonne photo Certains photographes ont du mal à faire leur choix car, à ce stade, ils ont peur de jeter une bonne photo. Rappelez-vous que vous ne supprimez jamais aucune photo. Vous les conservez toutes. Lorsque vous mettez une photo de côté, tout ce que vous faites c’est l’enlever de votre sélection. Le fichier reste accessible sur le disque dur de votre ordinateur. Vous ne supprimez aucune photo, aussi, lors des phases suivantes de l’éditing, si vous vous rappelez d’une photo ou si vous voulez voir d’autres versions d’une photo que vous avez sélectionnée, vous pouvez toujours le faire. Alors, pas la peine de vous mettre la pression. Faites vos choix rapidement, avancez dans votre éditing et, si vous avez fait une erreur, vous aurez tout le loisir de revenir en arrière.
Vos gouts évoluent, vos choix aussi Vous pouvez hésiter à jeter une photo en vous disant que peutêtre, dans le futur, vous préfèrerez une autre version de votre image que celle sélectionnée aujourd’hui. C’est probable. Vous évoluerez, vos gouts changeront et dans dix ans vous ne serez certainement plus la personne que vous êtes aujourd’hui. Mais vous ne devez pas en tenir compte. Faites votre éditing en écoutant la personne que vous êtes aujourd’hui. Ne vous souciez 26
pas du futur et oubliez autant que possible le passé. Vos anciens projets ou vos anciennes idées ne devraient pas influencer votre projet actuel. Vous avez le droit de changer. Et vous changerez encore très certainement.
Si vous avez plusieurs photos d’un même sujet Si vous avez plusieurs photos d’un même sujet, vous devez les départager. L’idée est de trouver celle qui résume le mieux l’expérience dans son intégralité, celle qui montre le point culminant de l’action, ou celle qui retransmet au mieux ce que vous avez ressenti sur le terrain. Il n’y a pas vraiment de règle ni de technique pour départager plusieurs photos. Affichez-les les unes à côté des autres, prenez le temps de les observer et, généralement, l’une d’entre elles se détachera du lot — parfois sans que vous ne sachiez exactement expliquer pourquoi. Ça peut être à cause d’un geste de votre sujet, d’une expression, d’une lumière, d’un cadrage, d’un point de vue différent ou n’importe quoi d’autre qui vous fait préférer telle ou telle version de ce sujet. Parfois, vous vous retrouverez avec plusieurs images qui, bien que différentes, partagent des propriétés assez semblables — en d’autres termes, elles expriment la même chose, bien qu’elles soient différentes. Dans ce cas-là, n’hésitez pas à conserver ces deux images et à les soumettre aux phases suivantes de votre éditing. C’est souvent quand deux photos se retrouvent imprimées côte à côte sur votre bureau que vos choix se clarifient.
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Les photos qui collent aux doigts Cette image de photo qui colle au doigt me vient de Joel Meyerowitz que j’ai vu expliquer cette idée ainsi : parfois, pendant votre éditing, il y a une photo que vous mettez de côté. Puis, quelques instants après, vous repensez à cette photo, vous voulez la revoir, vous n’arrivez pas à vous en détacher. C’est un peu comme si vous aviez un sparadrap collé au bout d’un doigt. Vous secouez la main, mais il ne veut pas se détacher. Vous le décollez avec votre autre main, mais il se colle à un autre doigt. Si vous ressentez ceci, c’est que quelque chose vous empêche de jeter cette photo. Faites confiance à cette intuition. Gardez cette image. Ou gardez les deux versions d’une image s’il s’agit de deux images que vous devez départager. Vous avez simplement besoin d’un peu de temps pour faire votre choix.
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Étape 2 : incubation
Quand vous venez de prendre une photo, il vous est difficile de la voir objectivement. Les sentiments que vous avez éprouvés au moment de la prise de vue sont encore trop présents dans votre esprit et, lorsque vous la regardez, ce sont souvent ces sentiments qui vous la font apprécier, plus que ses qualités intrinsèques. Un exemple pour mieux comprendre ce problème : imaginezvous assis à la terrasse d’un café. Vous avez appris une bonne nouvelle ce matin, vous sentez la chaleur du soleil qui se lève réchauffer votre corps tout entier, votre café est excellent, vous êtes bien, heureux et vous prenez une photo de ce moment-là. Le soir, devant votre ordinateur, en regardant cette photo, vous ressentirez les mêmes sentiments que ceux que vous ressentiez le matin — vous êtes heureux rien qu’en la voyant. Oui, vous aimez cette photo. Mais pas pour ce qu’elle est. Vous l’aimez pour ce qu’elle vous fait ressentir. Maintenant, si vous laissez passer quelques mois, les sentiments que vous avez ressentis lors de la prise de vue auront disparu. Vous les aurez en grande partie oubliés. Vous pourrez alors juger votre photo avec plus d’objectivité. Vous ne serez jamais totalement objectif, mais le temps vous aidera à l’être un peu plus. Faire une sélection définitive peu de temps après une prise de 29
vue est le meilleur moyen de prendre de mauvaises décisions. Parfois, on ne peut pas faire autrement mais, autant que possible, mieux vaut éviter. Il est donc important de laisser s’écouler un peu de temps entre le moment où vous prenez une photo et le moment où vous la jugez. C’est ce que vous allez faire pendant la phase d’incubation. Une fois votre première sélection — dont le but était simplement d’écarter les photos ratées — terminée, chaque photo conservée passe alors en phase d’incubation : vous la placez dans un endroit qui regroupe toutes les photos qui ont quelque chose d’intéressant en elles, puis la laissez reposer ici pendant quelques jours. Pendant la phase d’incubation, vous passerez régulièrement — tous les 2 ou 3 jours par exemple — revoir vos photos. A chaque passage, si une photo continue à vous plaire, à provoquer un sentiment, conservez-la dans votre dossier. Si au contraire une photo ne vous plait plus, sortez-la de votre sélection. Vous vous apercevrez après quelques jours que certaines photos auront totalement perdu de leur intérêt alors que d’autres, au contraire, continueront à vous plaire. Après quelques passages il ne restera plus que vos meilleures photos dans votre boite d’incubation. Ces photos pourront alors passer à la phase suivante de votre éditing.
Le photographe est un iceberg Dans son livre Petite philosophie pratique de la prise de vue photographique, Jean-Christophe BECHET compare le photographe à un iceberg : « Le photographe est un iceberg, dans le sens où quelle que soit la personne à qui il présente ses photos, aussi bien dans un cadre familial que dans un cadre élargi, il ne montrera qu’une infime partie de sa production globale d’images. Les 99% de cette production resteront la partie immergée de l’iceberg, que personne ne verra. D’où l’importance de ne pas montrer trop vite des photos sélectionnées à chaud… Seul le temps donne le recul nécessaire à un 30
bon éditing. » La phase d’incubation est importante. Elle vous permet de vous détacher des sentiments que vous avez ressentis au moment de la prise de vue et ainsi de faire des choix plus objectifs : de sélectionner les meilleures photos plutôt que celles qui vous rappellent des sentiments plus intenses. Chaque photo que vous prenez est rattachée à une histoire — vous avez parfois fait des efforts pour préparer et réussir une prise de vue, vous avez parfois ressenti des sentiments forts, partagé un moment particulier avec votre sujet, etc. — mais ceci, le spectateur ne le voit pas. Lui, tout ce qu’il voit, c’est l’image qui en résulte. Le temps vous permet de vous détacher sentimentalement de vos images. Après quelques mois, vous aurez oublié la sensation que vous avez ressentie au moment de prendre cette photo. Alors, et seulement alors, vous serez capable de la juger objectivement. De voir cette image comme un spectateur la découvrira.
Quand retoucher vos photos ? Il m’arrive de retoucher une photo à tous les stades de l’éditing. Lors de la première sélection, je peux retravailler une photo pour m’assurer qu’elle soit exploitable ou pour m’assurer de pouvoir lui enlever certains défauts. Je peux, par exemple, recadrer une photo pour sortir du cadre un élément gênant, ou modifier son exposition (localement ou globalement) pour m’assurer que certaines zones ne soient pas dégradées, etc. Ce sont des ajustements que je pourrais qualifier de « sécurité ». Mon but à ce stade-là n’est pas d’obtenir une image prête à être exploitée, mais je veux tout de même être à peu près certain de pouvoir le faire dans le futur. De ne pas me retrouver bloqué avec une photo inexploitable. 31
Une fois la phase d’incubation terminée, j’ai alors une vision plus objective de mon image et c’est généralement le moment que je choisis pour la retravailler. Enfin, je ferai également des ajustements pendant la phase de maturation — certaines images peuvent nécessiter des modifications pour « coller » avec l’esprit du projet — mais aussi au moment de la finalisation du projet, notamment pour adapter mes photos au support choisi — je peux par exemple faire des ajustements en fonction du papier sur lequel une photo va être imprimée, ou recadrer une image pour qu’elle s’ajuste parfaitement à l’espace qui lui est réservé dans un livre. Une image vit et change au même rythme que votre projet et votre vision. N’hésitez pas à revenir dessus aussi souvent que nécessaire. Vous pouvez même faire exister une œuvre en plusieurs versions si vous le souhaitez : plusieurs cadrages différents, plusieurs supports de diffusion, une version couleur et une version noir et blanc. Ce sont vos photos, c’est votre projet, vous avez le droit de faire ce que vous voulez.
Un seul dossier d’incubation ? Même si je travaille souvent sur plusieurs projets en parallèle, je n’ai qu’un seul dossier d’incubation. Certaines des photos que je prends sont clairement destinées à un projet en particulier, mais beaucoup d’autres ne le sont pas. Ces photos suivent le même flux de travail que les autres et, une fois imprimées, elles dorment dans une boite en attente, un jour peut-être, d’être incluses dans un projet. Je n’ai donc pas un dossier d’incubation par projet, mais un seul dossier d’incubation pour tous mes projets. J’ai par contre plusieurs boites pour ranger mes photos impri32
mées. Une boite par projet, et une boite « fourre-tout ». Lorsque cette dernière est pleine, j’y inscris la plage de date des photos qu’elle contient (par exemple « janvier à juin 2019 ») puis j’en crée une autre. C’est à partir de ces photos imprimées que mon projet prend forme, pas à partir du dossier d’incubation. La phase d’incubation est simplement là pour me permettre de me détacher sentimentalement d’une photo, pour me permettre de la juger sur des critères objectifs, de la voir comme un spectateur la verrait.
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Étape 3 : impression de vos photos
Une photo affichée sur un écran d’ordinateur ou de smartphone n’a rien à voir avec une photo imprimée. Sur un écran, la lumière passe à travers votre photo et la rend lumineuse. Elle est belle, les couleurs sont éclatantes, mais il n’y a qu’en l’imprimant que vous vous apercevrez de ce qu’elle donnera dans la réalité. Une photo ne devient une photo que quand elle est imprimée. Avant, ce n’est qu’un fichier sur un ordinateur. Vous devez avoir quelque chose à tenir entre les mains. Il n’y a qu’ainsi qu’une photo deviendra réelle, qu’elle commencera à vous parler. Chaque photo qui passe avec succès la phase d’incubation doit être imprimée sur du papier photo, comme une « vraie photo ». À cette étape j’aime imprimer mes photos au format A5. Plus grandes, elles seraient difficiles à ranger, à manipuler et ça compliquerait les étapes suivantes de mon éditing. Plus petites, elles seraient difficiles à lire et moins chères à imprimer. Oui, il est important qu’à cette étape chaque impression vous coute de l’argent. Ce cout vous obligera à être plus attentif lors des premières étapes de votre éditing. Il vous obligera à être plus sélectif. À ne retenir que les meilleures photos pour limiter le cout de vos impressions.
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Tirage de lecture Imprimer vos photos est extrêmement important. D’une part parce qu’une photo imprimée est complètement différente d’une photo que vous visualisez sur un écran d’ordinateur. Et d’autre part parce que cette impression a un cout, et ce cout fera que vous deviendrez naturellement plus sélectif. À ce stade du projet, il s’agit simplement de réaliser un tirage de lecture. Vous n’avez pas besoin de chercher à atteindre la qualité d’impression que vous viserez à la fin de votre projet. L’important est d’avoir quelque chose à tenir entre vos mains, d’une qualité suffisante pour en apprécier les détails, et avec un cout minimum pour vous obliger à faire des choix.
Imprimer à la maison Personnellement, j’imprime mes photos moi-même et c’est ce que je vous recommande de faire également. Je prends des photos quasiment tous les jours, et j’en imprime aussi régulièrement. Par exemple, si je planifie une sortie photo à la journée et que je reviens avec quatre cents ou cinq cents photos, j’en imprimerai deux ou trois — parfois plus, parfois moins. J’ai toujours des photos dans mon dossier d’incubation et, à n’importe quel moment de la journée, je peux les passer en revue et me dire : « Tiens, celle-là je l’imprime. » J’aime pouvoir le faire dès que j’en ai envie, pourvoir toucher ma photo deux minutes après avoir décidé de la garder, ne pas dépendre d’un labo pour ce travail-là et contrôler toute la chaine.
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Quel matériel ? Les imprimantes photo de bonne qualité sont devenues aujourd’hui relativement abordables. J’utilise une Canon Pro 100 S qui m’a couté environ 400€ et me permet de faire des impressions très correctes jusqu’au format A3. Pour le papier, j’utilise du papier A5 de la marque Marrutt. Le prix est abordable et la qualité largement suffisante pour des tirages de lecture. Il est livré dans des boites en carton résistantes, qui sont pratiques pour ranger vos photos et les organiser en projets. Mon écran est calibré régulièrement, et j’utilise des profils d’impression adaptés à l’imprimante, l’encre et le papier que j’utilise. (Si vous ne maitrisez pas le sujet, j’explique tout ceci dans mon livre Apprendre Lightroom Classic CC). Et pour répondre à l’inquiétude de certains lecteurs, je n’ai jamais eu de problèmes avec les buses de l’imprimante qui se boucheraient malgré une période de non utilisation de mon imprimante de près de trois mois au moment où j’ai déménagé en Espagne — et il faisait suffisamment chaud et sec pour faire sécher n’importe quoi en quelques minutes.
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Étape 4 : maturation
Vous avez maintenant entre les mains un certain nombre de photos imprimées. Faites-en une pile, posez-les sur un coin de votre bureau ou dans une boite de rangement qui reste à portée de main. À chaque nouvelle sortie photo, à chaque nouveau voyage, à chaque fois que vous prenez des photos qui peuvent coller avec le projet sur lequel vous travaillez, suivez toutes les étapes précédentes, imprimez vos meilleures photos et ajoutez-les à votre pile. Cette pile est la base de votre projet. Prenez régulièrement vos photos dans les mains, parcourez-les, observez-les. Voyez comment chaque photo fonctionne avec les autres. Classez-les. Changez d’ordre. Petit à petit, vous apprendrez à connaitre vos photos, à connaitre votre travail. En regardant ainsi régulièrement vos photos, vous ferez évoluer votre projet — parfois sans même vous en apercevoir. Vous remarquerez par exemple que telle et telle photo marchent bien ensemble, ou qu’il vous manque des photos de tel ou tel sujet pour compléter votre projet. Parfois, vous vous apercevrez également que le sujet de votre projet lui-même devrait être clarifié ou modifié par rapport à votre idée initiale. En bref, c’est à cette étape que votre projet prend vie. Vous passez d’un tas de photos à quelque chose de plus cohérent. Votre projet s’affine, vous commencez à visualiser le produit fini. 37
Votre projet évolue en parallèle de votre éditing Chaque photo que vous imprimez rejoint le tas des photos précédemment imprimées et pouvant potentiellement intégrer votre projet. Cette collection de photos grossit petit à petit. Et vous, régulièrement, vous devez les parcourir. Pas seulement pour les départager, mais aussi pour réfléchir à votre projet, le faire évoluer. Vous devez vous poser des questions : mes photos sont-elles intéressantes ? Si non, comment les rendre plus intéressantes ? Si oui, que vais-je faire de ces photos ? Est-ce qu’elles collent à mon idée de départ ? Est-ce que mon projet tient la route ? Comment l’améliorer ? Doit-il évoluer ? Si oui, comment ? Etc. La phase de maturation est cruciale. Elle joue un rôle majeur dans la réussite de tout projet photo.
Chaque image contient plus d’informations que ce qui est immédiatement visible Il vous est certainement déjà arrivé de lire plusieurs fois un bon livre — ou de regarder plusieurs fois un bon film. À chaque nouvelle lecture vous découvrez de nouvelles choses. Un peu comme si vous aviez sauté des passages lors de vos précédentes lectures. En réalité, bien qu’un livre vous paraisse différent à chaque lecture, ce n’est pas lui qui a changé, mais vous, le lecteur. Entre chaque relecture, votre interprétation du livre change, votre expérience et votre vision du monde change, votre compréhension du sujet et du médium change également. Bien souvent, c’est la lecture du livre elle-même qui vous fera évoluer et vous permettra d’en faire une seconde lecture avec une vision différente. C’est une sorte de boucle : chaque 38
lecture vous fait évoluer et vous permet de relire le livre pour y trouver de nouvelles informations qui vous feront à nouveau évoluer, etc. Si un livre est vraiment bon, il vous faudra du temps pour l’apprécier à sa juste valeur, pour le comprendre et pour en tirer tous les bénéfices. C’est exactement la même chose avec les photos que vous prenez. Une bonne photo contient plus d’informations que ce qui est immédiatement visible, et il vous faudra du temps pour bien la comprendre. Sur le terrain, c’est comme une révélation : d’un seul coup, sans trop pouvoir décrire cette sensation, quelque chose vous dit qu’une photo se cache, là, quelque part autour de vous. Vous capturez une image, mais vous n’avez pas le temps de l’analyser réellement. En la regardant pour la première fois sur l’écran de votre ordinateur, vous découvrez des éléments que vous n’aviez pas remarqués lors de la prise de vue — un geste, une lumière, une couleur, un objet à l’arrière-plan, etc. C’est d’ailleurs probablement à cause de l’un de ces éléments que vous avez pris cette photo même si, sur le terrain, vous n’en aviez pas conscience. Votre œil perçoit bien plus d’informations que ce que votre cerveau n’est capable d’analyser consciemment. Mais ce n’est pas tout. Votre photo recèle encore bien des secrets : des informations moins évidentes à déceler ; un message caché ou suggéré ; une révélation à propos de vous, le photographe qui a pris cette photo… Et pour découvrir tout cela, vous avez besoin de temps. C’est pour cette raison que l’éditing — et particulièrement la phase de maturation — est aussi importante pour la réussite de vos projets, mais aussi pour votre évolution en tant qu’artiste. Après avoir sélectionné et imprimé vos meilleurs clichés, accrochez-les à un endroit où vous pourrez les observer régulièrement. Étudiez-les 39
avec attention. Particulièrement les images que vous ne comprenez pas — ces photos qui vous plaisent sans que vous n’arriviez à expliquer pourquoi. Ces images sont importantes. Elles n’ont pas été créées par hasard. Elles sont là pour vous montrer le chemin. Ce sont ces images qui vous permettront de trouver de nouvelles voies à explorer. Ce sont elles qui vous permettront d’évoluer dans votre pratique artistique. Comme un bon livre, le jour où vous les comprendrez, elles vous permettront d’avancer. Elles débloqueront quelque chose en vous, ou vous fourniront de nouvelles pistes à explorer.
« The studio si where understanding of the work is born, where the real ideas come from. All new images are pinned to the wall and studied over a period of months until they are ultimately understood. I am especially drawn to new works that I don’t really understand. Being in unfamiliar territory is essential to me as an artist, to the extent that I actually believe that any artist who knows what he or she is doing is a fraud. […] This is all part of the uncharted territory called life. If I knew what I was doing, I wouldn’t be doing it. The art is always better than the artist. » — Ralph Gibson (Traduction : Le studio est le lieu de compréhension du travail, c’est de là que proviennent les vraies idées. Toutes les nouvelles images sont épinglées au mur et étudiées sur une période de plusieurs mois, jusqu’à ce qu’elles soient finalement comprises. Je suis particulièrement attiré par les nouvelles œuvres que je ne comprends pas vraiment. Être en territoire inconnu est essentiel pour moi en tant qu’artiste, dans la mesure où je crois réellement que tout artiste qui sait ce qu’il fait est un imposteur […] Tout ceci fait partie du territoire inexploré appelé la vie. Si je savais ce que je faisais, je ne le ferais pas. L’art est toujours meilleur que l’artiste.)
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Je ne dirais pas que l’art est toujours meilleur que l’artiste, mais plutôt que l’art est toujours en avance sur l’artiste.
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Étape 5 : finalisation
Une fois que vous aurez suffisamment de photos imprimées dans votre pioche, une fois que vous aurez parfaitement défini votre projet, une fois que vous saurez à quoi vous le destinez (exposition, livre, etc.), il sera temps de le finaliser. À ce stade-là, votre objectif sera double : 1.
Faire une sélection définitive des photos que vous inclurez dans votre projet,
2.
Ordonner cette sélection telle qu’elle le sera lorsque votre projet sera dévoilé au public.
L’importance du contexte d’un projet Au cours du processus d’éditing d’un projet, mon objectif évolue : •
Lors de la première sélection et de l’incubation, je cherche à sélectionner les meilleures photos.
•
Dans la phase de maturation, je m’efforce de comprendre ce qu’inconsciemment je cherche à exprimer à travers mes photos. J’essaye de clarifier ma pensée et de mieux définir mon projet.
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•
Dans la phase de finalisation, je ne cherche plus à sélectionner les meilleures photos, mais plutôt celles qui sont le mieux adaptées au projet sur lequel je travaille. Je cherche également à les ordonner d’une manière efficace, qui aille dans le sens de la globalité de mon projet.
Vous devez comprendre qu’un projet photo n’est pas un best-of. Votre objectif n’est pas de présenter une sélection de vos meilleures photos, mais plutôt de créer un ensemble cohérent. Une photo pourra par exemple être préférée à une autre simplement parce qu’elle s’accorde mieux avec la photo placée sur la page opposée du livre sur lequel vous travaillez — même si, dans l’absolu, elle est moins bonne que l’autre. Le contexte est important. C’est lui qui vous permet de sélectionner les photos lors des phases finales de votre éditing. Vous devez toujours l’avoir en tête. C’est d’ailleurs pour cela que j’évite de donner des avis sur les photos que parfois des lecteurs m’envoient. Mon opinion n’a pas d’importance. Vous êtes la seule personne à pouvoir juger vos photos. Et ce jugement ne peut être fait qu’en fonction du contexte. Lors de la finalisation de votre projet, ne vous demandez pas si une image est bonne ou mauvaise. Demandez-vous si elle fonctionne dans le cadre de votre projet. Demandez-vous si elle colle avec les autres photos de ce projet. Demandez-vous si elle est adaptée au support auquel vous la destinez. Demandez-vous si, associée aux autres photos, elle exprimera le message que vous voulez transmettre et retranscrira l’ambiance que vous avez en tête. Vous devez choisir un support de présentation avant d’entrer dans la phase de finalisation. Chaque support a ses particularités et une photo n’aura pas le même rendu selon qu’elle soit vue sur un 43
écran d’ordinateur, imprimée sur du papier, mise sous verre, présentée dans un livre, imprimée dans un journal, une revue, etc. Et même pour une impression, la taille que vous choisirez changera la façon dont le public percevra votre photo. Certaines photos révèleront leurs qualités imprimées en grands formats, alors que d’autres seront mieux adaptées à de petits formats. Vous devez donc choisir vos photos en fonction de leurs qualités, de ce que vous voulez exprimer, mais aussi en fonction du support auquel vous les destinez.
Imprimer en taille réelle Nous en avons déjà parlé, une photo sera perçue différemment selon la façon dont vous la présentez au public. Le support de présentation choisi influence le rendu de vos photos, tout comme la taille de vos impressions, le papier que vous utilisez, la distance à laquelle se trouvera un spectateur lorsqu’il découvrira votre photo, ou encore le fait qu’il soit seul, dans un endroit familier, ou entouré d’autres personnes, dans un endroit public. En phase de finalisation de votre projet, vous devez vous mettre à la place de votre public. Vous devez imaginer la façon dont un spectateur découvrira votre œuvre, et faire de votre mieux pour recréer le plus fidèlement possible cette expérience. Si vos photos sont destinées à une exposition, imprimez-les en qualité optimale et en taille réelle — si possible, la même qualité et la même taille qu’elles auront lorsqu’elles seront affichées dans la galerie. Si vos photos sont destinées à un livre, imprimez-les également de manière optimale et à la taille exacte qu’elles auront dans votre 44
livre. Commandez ensuite un livre vierge, qui vous servira de maquette — on parle souvent de « mockup » — et placez-y vos photos. Voyez ce qu’elles donnent dans cet environnement au plus proche du réel. N’hésitez pas à les réordonner, à essayer plusieurs tailles d’impression, à ajuster vos couleurs, etc. Il n’y a qu’ainsi, en vous mettant à la place de votre public, en recréant aussi fidèlement que possible les conditions dans lesquelles il se trouvera au moment de découvrir votre œuvre, en ayant entre les mains des objets aussi proches que possible du produit fini, que vous pourrez finaliser votre sélection et votre projet.
Demander l’avis d’autres personnes Quand vous aborderez les dernières étapes de votre éditing, vous pourrez demander l’avis d’autres personnes : des proches, des représentants de votre public, mais aussi, si vous le pouvez, des personnes qui ont un œil plus aguerri comme des photographes, des éditeurs, des artistes qui pratiquent d’autres spécialités, etc. Ces avis doivent vous guider, mais jamais vous détourner de votre vision. Si par exemple plusieurs personnes ont du mal à comprendre une photo incluse dans votre projet, vous pouvez y réfléchir et éventuellement prendre la décision de la remplacer. Mais en aucun cas vous ne devez vous laisser influencer au point qu’au final votre projet ne vous ressemble plus. Soyez ouvert, écoutez ce qu’on vous dit mais, à côté de ça, ayez confiance en vous, en votre vision et en tout le travail déjà effectué. Ce partage de votre projet en « version bêta » doit se faire alors que votre éditing est quasiment terminé. Trop tôt, il n’aurait aucun intérêt et deviendrait même contre-productif. Il ferait naitre en vous plus de doutes qu’il ne vous apporterait de solutions et, pour la per45
sonne qui donne son avis, la tâche serait extrêmement pénible : regarder des dizaines de photos non triées et de qualité parfois médiocre, sans être directement concerné par ce projet, et sans être formé à l’éditing, n’est pas une partie de plaisir, je peux vous l’assurer.
Ordonner votre sélection « An individual photograph is like a single call, or a single voice ; I think that a body of work comes into being when those individual elements constellate and resonate with one another. » — Rinko Kawauchi (Traduction : une photo observée individuellement est comme une voix ou un cri isolé ; je crois qu’une œuvre prend naissance quand ces éléments isolés se rassemblent et résonnent les uns avec les autres) Pour ordonner votre sélection, il n’y a pas vraiment de méthode. À ce stade, à force de regarder vos photos, vous connaissez déjà votre travail par cœur. Ayez-le toujours à portée de main (par exemple, Joel Meyerowitz utilise des tirages de lecture de seulement quelques centimètres. Lorsqu’il travaille sur un projet, il peut ainsi les avoir toujours avec lui, dans sa poche) et, régulièrement, prenez toutes vos photos et étalez-les sur une table. Regardez-les attentivement et déplacez-les. Placez une photo à côté de l’autre, voyez si elles « fonctionnent bien » ensemble. Parfois ce sont deux sujets qui sont complémentaires, parfois ce sont des couleurs qui s’accordent, parfois encore l’enchainement de deux photos crée une mini-histoire qui s’intègre à l’histoire plus large que raconte votre projet.
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Ordonner vos photos est, au même titre que l’éditing, une activité créative qui ne dépend que de vous, le photographe. C’est à vous de faire des choix basés sur vos gouts, vos sentiments, votre œil et ce que vous voulez raconter. Une fois que vous aurez trouvé un arrangement qui vous convient, numérotez les photos dans cet ordre puis rangez-les. Quelques jours après, étalez-les à nouveau, dans le même ordre, et voyez si vous trouvez des modifications à faire. Quelques jours encore après, mélangez toutes vos photos au hasard et repartez de zéro. Et quelques jours encore après, revoyez à nouveau ce classement… Pour pouvoir revenir en arrière et me souvenir de mes différents arrangements, je numérote mes photos en écrivant au dos et au crayon deux chiffres. Le premier correspond à la série et le second numéro à la place de la photo dans cette série. Lors de mon premier arrangement, les photos sont numérotées 1-1, 1-2, 1-3, 1-4, 1-5, etc. Lors d’un second arrangement, elles seront numérotées 2-1, 2-2, 2-3, 2-4, etc. Je ne fais cet exercice que lorsque j’obtiens un arrangement qui me satisfait vraiment, pas à chaque fois que je ressors mes photos. Si votre projet ne comporte pas un trop grand nombre de photos, vous pouvez aussi photographier la table avec vos photos ordonnées disposées dessus. Je sais que d’autres photographes ne font jamais cet exercice, ils préfèrent être plus spontanés. Chacun ses méthodes. À vous d’expérimenter et de voir ce qui vous convient. Répétez ceci encore et encore. Jusqu’à, un jour, trouver un arrangement qui vous satisfasse pleinement. Votre projet sera alors terminé et pourra entrer en phase de production, phase qui consiste à transformer cet arrangement ordonné de tirages de lecture en un résultat concret et conforme à votre vision.
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Le processus d’éditing
Au cours du processus d’éditing, les différentes phases que nous avons décrites précédemment ne s’enchainent pas toujours linéairement. Vous ne devez pas obligatoirement attendre de terminer la phase 1 pour passer à la phase 2 de votre projet. Chaque photo incluse dans votre projet final sera obligatoirement passée par les différentes phases de l’éditing mais, à tout moment au cours de votre projet, vous aurez des photos à différents stades du processus. Par exemple, pendant votre phase de maturation, chaque nouvelle sortie sera l’occasion d’ajouter des photos à votre flux de travail. Ces photos passeront par la première sélection, l’incubation puis l’impression avant de rejoindre vos autres photos en phase de maturation. Il n’est pas rare non plus de faire des régressions, surtout lorsque vous approchez les dernières phases de votre éditing. Vous pensiez que votre projet était passé en phase de finalisation mais vous vous rendez compte qu’il vous reste du travail, que votre projet n’est pas parfait. Vous devez alors revenir en arrière, en phase de maturation, pour approfondir votre sujet ou peut-être redéfinir votre projet tout entier.
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Cette organisation peut vous paraître complexe à mettre en œuvre. Vous vous demandez peut-être comment organiser vos photos sur le disque dur de votre ordinateur. Mais ne vous inquiétez pas, dans le prochain chapitre je vais vous aider à mettre en place un flux de travail pour gérer tout ceci. Une fois configuré, ce flux de travail vous permettra d’organiser vos photos sans aucun problème. Vous saurez exactement quoi faire pour passer une photo d’une phase à une autre et, à tout moment, vous serez capable de retrouver vos photos, regroupées selon leur stade de maturation.
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Partie 3 : Mettre en place un flux de travail efficace
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Mettre en place un flux de travail efficace
Un projet peut durer plusieurs années et contenir des milliers, voire des dizaines de milliers de photos. Il est donc primordial d’utiliser un logiciel pour gérer toutes vos photos et mettre en place un flux de travail qui vous permette de rester organisé. Dans les prochains paragraphes, je vais vous expliquer le flux de travail que j’utilise tous les jours pour travailler. Vous pourrez le copier et l’utiliser tel quel, ou vous en inspirer pour créer un flux de travail mieux adapté à vos besoins. Tous mes exemples se baseront sur Lightroom Classic car c’est le logiciel que j’utilise pour gérer mes photos mais vous pouvez sans problème répliquer ce fonctionnement avec d’autres logiciels — ou même en utilisant des dossiers sur votre ordinateur. Avant d’entrer dans le vif du sujet, quelques points importants à garder en tête : 1.
Le flux de travail que je vais vous expliquer est celui que j’utilise tous les jours. Il est parfaitement adapté à ma pratique de la photo mais il se peut qu’il ne soit pas parfait pour vous. N’hésitez donc pas à l’adapter à vos besoins et à votre façon de travailler.
2.
Si vous n’avez jamais mis en place de flux de travail pour gérer vos photos, je vous conseille de copier point par point celui que je vais
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vous donner. Ce sera une bonne base de départ. Vous pourrez ensuite l’adapter à vos besoins, mais vous avez besoin d’expérience pour cela. 3.
Mon flux de travail évolue régulièrement. Ce n’est pas parce que je travaille ainsi aujourd’hui que je travaillerai encore de la même manière dans quelques mois. Et vous devriez faire la même chose : n’hésitez pas à optimiser régulièrement votre façon de travailler. Si vous prenez plusieurs centaines de photos chaque mois, gagner quelques secondes à chaque étape de votre éditing peut représenter, à long terme, un gain de temps important.
4.
Je ne vais pas vous décrire les moindres détails du fonctionnement de Lightroom. Je pars du principe que vous savez par exemple ce qu’est une collection, que vous savez en créer une, la renommer, y ajouter ou supprimer des photos, etc. Si ce n’est pas le cas, si vous n’avez jamais utilisé Lightroom Classic, je vous conseille de lire mon livre Apprendre Lightroom Classic CC. Vous y apprendrez les bases essentielles de l’utilisation de ce logiciel.
Ceci étant dit, passons aux choses sérieuses : la mise en place d’un flux de travail efficace qui vous permette de réussir l’éditing de vos photos.
Flux de travail général Pour organiser votre flux de travail, commencez par créer un ensemble de collections que vous appellerez « @Workflow ». Cet ensemble de collections (voyez ceci comme un dossier) contiendra ensuite les différentes collections (les sous-dossiers) qui constitueront votre flux de travail. Son nom commence par un « @ » car Lightroom classe les collections par ordre alphabétique et ainsi vous vous assurez que votre flux de travail sera toujours affiché avant vos autres collections — ce qui le rend plus facile d’accès. 54
Dans l’ensemble de collections @Workflow, créez maintenant les cinq collections suivantes : •
1 - Import
•
2 - En cours
•
3 - Incubation
•
4 - Imprimées
•
5 - Archives
Vous remarquerez que les noms de ces collections commencent par un chiffre, ce qui vous permet de les afficher dans cet ordre-là. Ces collections représentent les différentes phases de votre éditing. Chacune de vos photos va donc parcourir le même chemin : •
1 - Import contient toutes les photos que vous importez,
•
2 - En cours contient les photos sur lesquelles vous travaillez en ce moment
•
3 - Incubation contient les photos en phase d’incubation
•
4 - Imprimées contient les photos que vous avez utilisées pour des tirages de lecture. Ces photos sont donc en phase de maturation ou de finalisation.
•
5 - Archives contient toutes les photos qui ont passé le stade de la première sélection. C’est dans ce dossier que vous chercherez si vous vous apercevez qu’une photo préalablement écartée vous intéresse.
Voyons maintenant en détail ce que vous devez faire de vos photos à chaque étape de votre éditing.
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Importation des photos Quand je rentre chez moi, je respecte toujours la même routine : j’enlève la batterie de mon appareil photo pour la mettre à charger et je prends quelques secondes pour importer mes photos dans Lightroom. Je place mon appareil sur la tranche, ce qui signifie qu’il lui manque la batterie ou la carte mémoire. Quand la batterie est rechargée et la carte mémoire vidée, je les insère dans l’appareil que je replace horizontalement — ce qui signifie qu’il est prêt à prendre des photos. L’importation est très rapide : •
J’ajoute un ou deux mots clés à mes photos — en général pour indiquer l’endroit où elles ont été prises.
•
Je coche la case « Ajouter à la collection » puis je choisis la collection intitulée « 1 – Import ».
•
Je clique sur le bouton Importer et laisse faire Lightroom. Il travaille tout seul pendant que je fais autre chose. Pas la peine de perdre du temps à admirer l’importation de vos photos.
La collection « 1 – Import » est la première étape de mon flux de travail. Toutes les photos que j’importe sur mon ordinateur y atterrissent. Cette collection — ainsi que les autres faisant partie de mon flux de travail — est synchronisée avec l’environnement Lightroom CC. Ainsi, au fur et à mesure que mes photos sont importées, elles sont synchronisées sur le cloud d’Adobe et apparaissent sur mon smartphone dans l’application Lightroom Mobile. J’ai également configuré Lightroom Mobile pour qu’il importe automatiquement, et dans cette même collection, toutes les photos que je prends avec mon iPhone. Je retrouve ainsi au même endroit toutes les photos que j’ai prises récemment. 56
Première sélection Lorsque je reviens à mon ordinateur, je retrouve les photos importées dans la collection « 1 - Import ». Il est alors temps de faire ma première sélection. Je commence par sélectionner les photos dont je veux m’occuper, je les ajoute à la collection « 2 - En cours » et les supprime de la collection « 1 - Import ». Cette étape est optionnelle mais elle me permet de travailler sur un groupe précis de photos sans être gêné par d’autres qui seraient également en attente de traitement. Si je n’ai pas de retard dans mon éditing, je saute cette étape et fait ma première sélection directement dans la collection « 1 - Import ».
Passer en revue les photos Avant toute sélection, je commence par passer en revue mes photos pour me les remémorer — surtout si elles ont été prises il y a plusieurs jours. Pour cela : 1.
Je sélectionne la première photo de la collection,
2.
Je l’affiche en plein écran (touche F du clavier), et
3.
Je passe de photo en photo en utilisant les flèches droite et gauche de mon clavier.
Sélection Il est maintenant temps de passer à la première sélection. Tout comme à l’étape précédente, je passe en revue mes photos en mode plein écran sauf que j’utilise les marqueurs pour sélectionner mes photos : •
Lorsqu’une photo m’intéresse, je la marque comme retenue (touche P du clavier).
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•
Si une photo ne m’intéresse pas, je la marque comme rejetée (touche X du clavier).
•
Les photos qui ne sont pas encore départagées sont marquées comme neutres (touche U du clavier si vous avez besoin de repasser une photo comme neutre).
Si j’ai une série de photos d’un même sujet et que je veux n’en garder qu’une — par exemple si j’ai pris plusieurs photos d’une scène pour travailler ma composition, ou plusieurs photos d’un sujet pour obtenir la meilleure expression — je sélectionne ces différentes photos et passe en mode ensemble (touche N du clavier). Le mode ensemble de Lightroom est pratique pour comparer des photos. En mode ensemble, je fonctionne par élimination : je compare les photos et sélectionne celle qui me plait le moins. J’utilise alors la touche X du clavier pour la marquer comme rejetée et je la supprime du mode ensemble en cliquant sur la croix qui se trouve en bas à droite de la photo. Les photos restantes occupent alors l’espace laissé libre par la photo supprimée. Je répète l’opération jusqu’à ne conserver que la photo — ou parfois les photos — qui me plaisent le plus. Je marque ces photos comme retenues (touche P) avant de revenir en affichage classique (le mode grille, accessible via la touche G de votre clavier). En bref, je passe rapidement en revue toutes mes photos, en alternant le mode grille (touche G du clavier), le mode ensemble (touche N) et le mode plein écran (touche F) et j’élimine (touche X) ou sélectionne (touche P) chaque photo. Ce processus ne me prend que quelques secondes par photo.
Valider la première sélection À la fin de cette première sélection, j’utilise le filtre de bibliothèque Attribut > Marqueur > Photos rejetées seulement pour n’affi58
cher que les photos rejetées. Je sélectionne toutes ces photos (Cmd+A), puis clic droit > Supprimer de la collection. Dans la collection « 2 - En cours », il ne me reste maintenant plus que les photos que je pense conserver. Les autres photos sont marquées comme rejetées et supprimées des collections du flux de travail. Rappelez-vous que ces photos rejetées ne sont pas supprimées de Lightroom, mais seulement de la collection « 2 - En cours ». Elles restent accessibles en sélectionnant l’ensemble intitulé « Toutes les photos » du panneau « Catalogue » de Lightroom. Tout ce que vous avez fait c’est les écarter de votre flux de travail pour ne pas qu’elles gênent votre organisation.
Retouches de sécurité C’est une estimation mais, si j’ai importé cent photos dans Lightroom, il ne me reste maintenant plus que dix à vingt photos dans ma collection « 2 – En cours ». Les autres photos sont soit ratées soit inintéressantes, et je ne m’en occuperai donc plus. Pour les photos restantes, il est temps de passer à l’étape des retouches de sécurité. L’idée est de passer en revue les photos sélectionnées et, si besoin, d’y appliquer de rapides retouches pour être certain de ne pas me retrouver plus tard avec une photo dont un défaut n’est pas récupérable — un détail gênant qui ne peut pas être enlevé, une zone importante de la photo mal exposée, etc. La touche D de mon clavier me permet de passer une photo dans le module Développement de Lightroom puis de lui appliquer de rapides retouches. Je dis rapides parce que je fais toujours en sorte de réussir au mieux mes photos sur le terrain et de passer le 59
moins de temps possible sur Lightroom. En moyenne une à deux minutes par photo. Parfois plus, mais c’est rare. À ce stade, les retouches que vous apportez à vos photos ne sont pas définitives. Vous en apporterez probablement d’autres au cours des étapes suivantes de votre éditing. N’y passez donc pas trop de temps. Il se peut aussi que la photo sur laquelle vous travaillez ne passe pas l’étape d’incubation. Le temps passé à la retoucher maintenant sera alors du temps perdu. Pendant vos retouches, si vous vous apercevez qu’une photo n’est finalement pas terrible, il vous suffit de la supprimer de la collection (Clic droit > Supprimer de la collection).
Archivage Après avoir retouché une photo, j’en profite pour lui ajouter des mots-clés et, éventuellement, un titre et une description. Une fois ceci fait, je fais glisser toutes les photos qui se trouvent dans la collection « 2 - En cours » (c’est-à-dire les photos qui ont passé la première sélection et les retouches de sécurité) vers la collection « 5 Archives ». La collection « 5 - Archives » regroupe donc toutes les photos qui ne sont pas complètement ratées et qui ont un minimum d’intérêt. Si une photo sort de mon éditing aux étapes suivantes et n’est donc pas retenue pour un projet, je peux toujours la retrouver facilement dans mes archives, sans être noyé dans le volume considérable des photos ratées qui se trouvent dans l’ensemble « Toutes les photos » de mon catalogue Lightroom.
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À quoi va me servir cette photo ? À ce stade, toutes les photos qui ont passé le stade de la première sélection sont donc à deux endroits différents : •
Dans la collection « 2 - En cours », et
•
Dans la collection « 5 - Archives ».
Il est alors temps de vous poser une question toute simple : à quoi va me servir cette photo ? Si votre photo doit simplement être partagée dans un cadre familial ou amical, la sélection et les retouches que vous lui avez apportées sont certainement suffisantes. Dans ce cas, exportez votre photo pour la partager puis supprimez-la de la collection « 2 - En cours ». Elle sera toujours disponible dans vos archives, ou accessible via les mots-clés que vous lui avez attribués, mais sortira de votre éditing. Si par contre vous sentez que cette photo peut potentiellement être incluse dans un projet, qu’elle est plus intéressante qu’une simple photo de famille, vous pouvez alors la faire glisser dans la collection « 3 - Incubation » et la supprimer de la collection « 2 - En cours ». Elle continuera son chemin à travers les étapes suivantes de votre éditing.
Incubation La collection « 3 - Incubation » contient maintenant toutes les photos qui ont passé le filtre de la première sélection. Ces photos ont quelque chose d’intéressant, mais vous avez besoin de temps pour vous assurer que cet intérêt n’est pas simplement lié aux sentiments que vous avez éprouvés sur le terrain, lors de la prise de vue. 61
Vous allez donc revenir régulièrement — tous les deux ou trois jours par exemple — voir ces photos, les parcourir, les afficher en plein écran, y apporter quelques modifications, tester une conversion en noir et blanc, etc. À chaque nouveau passage, vous aurez deux possibilités : •
La conserver si elle continue à vous paraitre intéressante,
•
La sortir de votre sélection si au fi nal vous vous apercevez qu’elle n’est pas si bonne que cela.
Pour sortir une photo de votre sélection, il vous suffit de la supprimer de la collection (Clic droit > Supprimer de la collection). Elle sera alors exclue de votre flux de travail mais vous pourrez toujours la retrouver dans la collection « 5 - Archives ». Pour conserver une photo dans votre sélection, utilisez les étoiles de classement que propose Lightroom de la manière suivante : •
La première fois que vous revenez sur une photo récemment ajoutée à la collection « 3 - Incubation », si elle vous plait toujours, attribuezlui une étoile (touche 1 de votre clavier).
•
Au second passage, quelques jours après, si la photo continue à vous plaire, attribuez-lui une seconde étoile (touche 2 de votre clavier).
•
Ajoutez ainsi une étoile à chaque nouveau passage et tant qu’une photo continue à vous plaire.
Si une photo atteint cinq étoiles (la note maximum disponible sous Lightroom), c’est à dire qu’elle continue à vous plaire après cinq passages — soit une quinzaine de jours si vous révisez vos photos tous les trois jours — il sera alors temps de l’imprimer.
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Impression Lorsqu’une photo passe la phase d’incubation, c’est à dire qu’elle obtient cinq étoiles et qu’elle me plait toujours, il est alors temps de l’imprimer. Comme je vous l’ai dit, j’imprime chaque photo que je souhaite conserver sur du papier photo A5. Cette impression se fait directement depuis Lightroom. Il s’agit de tirages de lecture. On veut donc obtenir une qualité suffisamment bonne pour pouvoir apprécier nos photos, mais elle n’a pas besoin d’être parfaite non plus. Les derniers ajustements auront lieu en phase de finalisation et de production du projet. C’est à ce moment-là qu’il faudra obtenir la meilleure qualité d’impression possible. Chaque photo imprimée est déplacée dans la collection « 4 Imprimées » puis supprimée de la collection « 3 - Incubation ».
On fait le point À ce stade, une photo se trouve donc dans l’un de ces trois cas de figure : •
Les photos ratées ou inintéressantes sont supprimées de toutes mes collections pour ne pas encombrer inutilement mon flux de travail. Elles restent accessibles en passant par l’ensemble « Toutes les photos » du catalogue de Lightroom.
•
Les photos qui ne sont pas assez intéressantes pour être imprimées sont regroupées dans la collection « 5 - Archives ». Je peux toujours en repêcher une si besoin.
•
Les photos les plus intéressantes ont été imprimées et sont accrochées au mur où elles me permettront de faire murir mon projet. Elles sont également regroupées dans la collection « 4 - Imprimées »
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de mon flux de travail Lightroom.
Et concernant le flux de travail : •
Les collections « 1 - Import » et « 2 - En cours » sont vides le plus souvent possible. Idéalement, les photos que vous prenez sont importées le jour même et la première sélection est faite rapidement.
•
La collection « 3 - Incubation » contient temporairement quelques photos. Leur nombre peut varier et dépend de votre rythme de prise de vue mais il devrait toujours être plus ou moins constant.
•
Les collections « 4 - Imprimées » et « 5 - Archives » grossissent au fur et à mesure des prises de vues. La seconde grossissant plus rapidement que la première, puisqu’elle contient toutes les photos qui ont passé la première sélection.
La suite de votre éditing se fera maintenant en utilisant les photos que vous avez imprimées, comme nous en avons parlé dans les chapitres précédents.
Gestion des projets Dans les paragraphes précédents, nous avons mis en place un flux de travail efficace pour gérer au jour le jour l’éditing de vos photos, mais il reste une question en suspens : comment gérer vos projets ? Et, si vous travaillez simultanément sur deux ou trois projets, comment organiser vos photos ? Le plus simple est d’utiliser un mot-clé spécifique pour chacun de vos projets, que vous attribuerez aux photos qui en font partie. Ce mot-clé doit être choisi de manière à ce que vous soyez certain de ne l’utiliser que pour un seul projet. Pour cela, j’ai une méthode très simple : j’ajoute le mot « project » à la fin de chaque mot-clé que 64
je choisi pour désigner un projet. Par exemple, je travaille en ce moment sur un projet dont le thème est l’Espagne, et le mot-clé que j’utilise pour regrouper mes photos est « SpainProject ». Chaque projet se voit donc attribuer un mot-clé spécifique. Je peux ainsi travailler sur plusieurs projets simultanément sans aucun problème — il suffit qu’ils aient des mots-clés différents. Et une même photo peut apparaitre dans plusieurs projets — il suffit de lui attribuer les mots-clés de plusieurs projets.
Ajouter une photo à un projet C’est généralement au moment où j’imprime une photo — c’està-dire en phase 3 de mon éditing — que je décide si elle peut convenir à un projet ou non. Si c’est le cas, je lui ajoute simplement le mot-clé correspondant au projet. Si une photo peut potentiellement correspondre à plusieurs projets, je lui ajoute donc plusieurs mots-clés, un pour chaque projet. Une fois le mot-clé ajouté, ma photo apparait automatiquement dans une collection dynamique de Lightroom, collection qui regroupe toutes les photos appartenant à ce même projet. Voici comment mettre cela en place :
Organiser les photos d’un projet Pour organiser les photos de vos projets, commencez par créer un ensemble de collections intitulé « Projets ». Ce dossier contiendra tous les projets sur lesquels vous travaillerez. Ensuite, à chaque fois que vous commencerez à travailler sur un nouveau projet, vous créerez un nouvel ensemble de collections à l’intérieur de « Projets ». Par exemple, pour mon projet sur l’Espagne, j’ai créé l’ensemble de collections « Spain Project » à l’intérieur de 65
« Projets ». Lorsque vous créez un ensemble de collections spécifique à un projet, je vous conseille de l’intituler comme le mot-clé que vous utilisez pour ce projet. Dans mon exemple, le mot-clé est « SpainProject », j’intitule donc l’ensemble de collections « Spain Project ». Ça me permet ainsi de retenir plus facilement le mot-clé à utiliser pour ajouter une photo à un projet. Enfin, à l’intérieur de l’ensemble de collections spécifique à votre projet (donc, dans mon exemple, à l’intérieur de « Spain Project »), vous devez créer deux collections : 1.
Une collection dynamique intitulée « Spain Project Candidate » et dont la règle de sélection est « Mots-Clés > Contient > SpainProject ».
2.
Une collection intitulée « Spain Project Sélection ».
La collection dynamique regroupera automatiquement toutes les photos auxquelles vous aurez ajouté le mot-clé spécifique de votre projet. Ces photos sont les candidats de votre projet. Elles ne seront pas toutes utilisées, mais toutes ont le potentiel d’intégrer votre projet. À ce sujet, il est important de comprendre que vous ne devez jamais enlever le mot-clé spécifique que vous avez ajouté à une photo. Que vous utilisiez cette photo ou non dans votre sélection finale, elle doit garder ce mot-clé pour que vous puissiez la retrouver dans la collection dynamique que vous venez de créer. Lorsque votre projet avance et que vos tirages de lecture vous permettent de sélectionner certaines photos, il vous suffit alors de les faire glisser de la collection dynamique « Candidate » vers la collection « Sélection ». Ainsi, cette dernière collection reflète la sélection que vous avez faite pour votre projet.
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Autres collections utiles A l’intérieur de l’ensemble de collections d’un projet, vous pouvez créer autant de collections que vous le voulez. Je commence toujours par créer les deux collections dont nous venons de parler — « Candidate » et « Sélection » — mais il m’arrive d’en créer d’autres. Par exemple, si plusieurs thèmes se dessinent à l’intérieur de mon projet, je peux décider de créer une collection pour chaque thème et ainsi séparer les photos qui s’y rapportent. Dans « Spain Project », je peux par exemple créer le thème « Enfants » ou « Vie nocturne ». Une autre fonction utile est la duplication de la collection « Sélection ». Si à un moment donné vous arrivez à une étape importante de votre projet et que vous voulez garder une trace de la sélection actuelle, il vous suffit de dupliquer la collection (Clic droit > Duplication Collection). Vous obtiendrez ainsi une seconde collection dans laquelle vous pourrez continuer à travailler, tout en gardant de côté votre sélection originale. Cette fonction est également utile si vous prévoyez de montrer vos photos sur différents supports — par exemple, si vous prévoyez d’utiliser les photos d’un projet pour publier un livre et, en parallèle, réaliser une exposition. Vous faites votre sélection pour votre livre et, une fois que celui-ci est prêt, vous dupliquez la collection « Sélection » et intitulez la nouvelle collection « Exposition ». Vous pourrez alors gérer côte à côte vos deux sélections : celle de votre livre et celle de votre exposition. L’avantage des collections de Lightroom c’est qu’une photo peut appartenir à plusieurs collections sans créer de fichiers en doublon ni occuper plus de place sur votre disque dur.
Archiver les projets terminés Un dernier point concernant la gestion de mes projets : à l’intérieur de mon ensemble de collections « Projets », j’ai créé un en67
semble de collections intitulé « Archives ». Lorsque j’ai terminé de travailler sur un projet, je le déplace (glisser/déposer) dans « Archives ». Ainsi, je garde précieusement tous mes anciens dossiers de travail, mais sans qu’ils n’encombrent mon flux de travail actuel.
Pour résumer Au final, voici ce que vous devez obtenir : •
L’ensemble de collections « Projets » contient tout ce qui concerne les projets sur lesquels vous travaillez actuellement ou sur lesquels vous avez travaillé par le passé.
•
Dans « Projets », l’ensemble de collections « Archives » contient vos anciens projets.
•
Toujours dans « Projets », vous devez avoir un ensemble de collections pour chaque projet sur lequel vous travaillez actuellement.
•
Et enfin, dans chaque projet, vous devez avoir au minimum deux collections : une collection « Candidate » qui regroupe les photos potentiellement intéressantes pour un projet, et une collection « Sélection » qui reflète votre sélection actuelle. D’autres collections peuvent être ajoutées selon vos besoins.
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Partie 4 : Réussir votre éditing et évoluer en tant qu'artiste
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L’éditing est un travail créatif
L’éditing fait partie du processus créatif au même titre que la prise de vue. Son rôle est primordial dans la réussite d’un projet. Les meilleurs photographes ne sont pas ceux qui prennent les meilleures photos sur le terrain, mais ceux qui font une meilleure sélection de leurs photos en fonction du projet sur lequel ils travaillent. Vous devez donc apprendre à faire votre éditing, passer du temps à l’améliorer, être patient et, surtout, le gérer de bout en bout. Ne déléguez jamais votre éditing. C’est vrai, certaines agences ont des personnes dont le métier est de sélectionner les meilleures photos prises par les photographes qui y travaillent. Mais ces choix sont faits en fonction du client, pas en fonction du photographe. Si vous vous inscrivez dans une démarche professionnelle, vos choix lors de l’éditing seront en grande partie dictés par vos clients — c’est d’ailleurs pour cette raison que je me suis très vite éloigné d’une pratique professionnelle de la photo, parce que j’aime faire ce que je veux, et pas ce que les autres veulent que je fasse. Mais si vous vous inscrivez dans une démarche artistique, c’est à vous de faire vos choix et de faire votre éditing. Vous seul savez ce que vous voulez montrer. Vous n’avez personne à contenter. Même en donnant exactement les mêmes photos de départ à deux photographes, ils produiraient deux projets différents car leur vision et leurs interprétations lors de l’éditing seraient différentes. Et 71
même si la sélection des photos était déjà faite, ils ordonneraient ces photos différemment, produisant ainsi deux histoires différentes. Imaginez par exemple que sur la page de droite d’un livre je place la photo d’un cheval mort. Si sur la page de gauche je choisis la photo d’un lion, vous interpréterez cette double page en vous disant que la vie sauvage est cruelle. Si par contre je choisis d’y placer un toréador montant un cheval et affrontant un taureau, vous associerez le cheval mort à la corrida — et dans ce cas-là je dénonce la pratique des corridas. Vous comprenez donc à quel point l’éditing fait partie intégrante du travail créatif du photographe. Vous êtes la seule personne à pouvoir éditer ou critiquer votre travail car vous êtes la seule personne à savoir ce que vous essayez de faire. Et de ceci découle une autre notion importante : il y a autant de manières de réussir un éditing qu’il y a de photographes. Lorsque le public regarde votre travail, ce n’est pas seulement votre sujet qu’il veut découvrir, mais surtout la relation qui existe entre vous et ce sujet. C’est cette relation qui donne une signification à votre travail. Le plus important donc n’est pas de chercher à faire le meilleur éditing qui soit, mais plutôt de faire un éditing qui vous ressemble, qui montre ce que vous pensez, qui vous permet de transmettre au public les émotions que vous ressentez face à votre sujet.
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Prenez beaucoup de photos, jetez beaucoup de photos
Beaucoup de débutants pensent que les meilleurs photographes réussissent toutes leurs photos, mais c’est une erreur. Ce n’est absolument pas vrai. Ils ratent eux aussi beaucoup de photos. Probablement plus que vous d’ailleurs, car ils en prennent surement bien plus. Si vous voulez progresser et produire des projets intéressants, vous ne devez pas essayer de réussir toutes vos photos. Au contraire, vous devez prendre autant de photos que possible — parmi lesquelles beaucoup de mauvaises — puis faire confiance à votre éditing pour sélectionner les quelques perles qui intègreront votre projet une fois celui-ci finalisé. En essayant de ne prendre que de bonnes photos, vous aurez tendance à prendre moins de photos. Vous ne déclencherez que lorsque les conditions seront parfaites et que vous contrôlerez tous les paramètres de la prise de vue — ce qui n’est jamais le cas, sauf peut-être si vous travaillez en studio. Au contraire, en vous libérant de cette contrainte, en acceptant de rater la plupart de vos photos, vous permettrez au hasard de vous aider à créer des photos auxquelles vous n’auriez jamais pensé en temps normal. 73
Souvent, grâce au hasard ou suite à un accident, vous obtiendrez des photos qui vous plaisent mais auxquelles vous ne vous attendiez pas. Parfois, vous-même ne saurez pas les expliquer ni les comprendre — elles vous plaisent, mais vous ne savez pas pourquoi. Ces photos sont importantes. Ne les laissez pas passer. Une photo floue par accident pourra par exemple vous faire prendre conscience que vous aimez les images abstraites. Vous pourrez alors explorer cette idée, chercher à reproduire volontairement ce que vous avez obtenu par hasard, faire évoluer votre travail dans cette direction. Votre inconscient est la source de votre créativité. Bien souvent, ce que vous considérez comme un accident est en réalité un message qu’il vous envoie. Apprenez à repérer ces messages. Creusez les idées qu’ils font naitre dans votre esprit. Essayez de comprendre ce vers quoi votre inconscient veut vous orienter. Tout comme un grain de sable qui entre par accident dans une huitre peut devenir une magnifique perle, le hasard a beaucoup à vous apporter. En tant qu’artiste, vous devez provoquer le hasard. N’ayez pas peur des accidents. Déclenchez plus souvent, plus instinctivement. Ne faites pas n’importe quoi, mais n’essayez pas de tout contrôler non plus. Apprenez à exploiter l’espace qui existe entre le contrôle et l’improvisation. C’est là que naissent les meilleures idées. En prenant plus de photos, vous augmenterez vos chances d’obtenir de bonnes photos, c’est mathématique. Mais plus vous prendrez de photos, plus votre éditing deviendra important. En d’autres termes, vous devez prendre beaucoup de photos et en jeter beaucoup également. Ou comme le dit Gueorgui Pinkhassov, « Be very generous when you shoot and very stingy when you select. » (Soyez 74
très généreux lorsque vous photographiez et très radin lorsque vous choisissez). Combien de photos garder et combien de photos jeter ? Il n’y a pas vraiment de règle. Mais pour vous donner un ordre de grandeur, entre 1955 et 1957, alors qu’il travaillait sur son projet « The Americans », Robert Frank a pris environ 28 000 photos. Seulement 83 apparaissent dans son livre, ce qui veut dire qu’au cours de son éditing il retenait 1 photo pour 335 qu’il écartait. Aujourd’hui, avec le numérique, il aurait probablement pris bien plus de photos.
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Définir et clarifier un projet
Beaucoup croient qu’un projet se construit sur le terrain mais c’est loin d’être la réalité. Un photographe ne passe en réalité qu’une infime partie de son temps à prendre des photos — peut-être 10 à 20% du temps total qu’il consacrera à un projet. Pour réussir un projet, vous devez prendre des photos, mais vous devez aussi analyser votre travail, réfléchir à votre projet, prendre des notes, faire des recherches, découvrir la vision d’autres artistes — pas obligatoirement des photographes, mais aussi des peintres, des sculpteurs, des écrivains, des musiciens… Ce sont toutes ces réflexions, ces influences, ces expériences qui vous permettront de créer un projet intéressant — bien plus que la qualité technique de vos photos. Une bonne photo l’est davantage grâce à son contenu qu’à sa technique ; et un bon projet l’est davantage grâce aux choix cohérents faits par l’artiste que par la qualité individuelle de chaque photo.
Comment naissent les projets ? Il n’y a pas vraiment de règle concernant la naissance d’un projet. Chaque projet a sa propre histoire. Le sujet de votre projet peut 76
être quelque chose qui vous passionne, qui vous choque, qui vous intrigue, que vous trouvez beau, que vous voulez partager… En réalité, n’importe quoi qui puisse avoir de l’intérêt à la fois pour vous et pour le spectateur. Une idée de projet peut naitre de l’analyse de votre propre travail. En observant vos anciennes photos, vous pouvez par exemple vous rendre compte d’un intérêt persistant pour un sujet et vous en servir de base pour un projet. Une idée peut également naitre d’une expérience vécue, ou d’une opportunité qui se présente à vous — par exemple obtenir l’autorisation exclusive de photographier un évènement ou un endroit, comme ce fut le cas de Joel Meyerowitz pour son projet Aftermath. Il a été le seul photographe à pouvoir s’aventurer sur le chantier de reconstruction de Ground Zero à New-York après les attentats du 11 septembre 2001. Elle peut aussi naitre de l’étude ou de la découverte du travail d’un autre artiste — encore une fois, pas obligatoirement un photographe — et, dans ce cas-là, votre objectif ne sera pas de copier ce travail, mais de vous en servir de base pour apporter quelque chose de nouveau à la discussion.
Définir votre projet Lorsqu’une idée de projet germe dans votre esprit, elle est souvent floue. Vous sentez un intérêt naitre, vous ressentez le besoin d’explorer un sujet mais, avant de vous lancer tête baissée dans votre projet, vous devez tenter de mieux le définir. •
À quel sujet vous intéressez-vous ?
•
Que voulez-vous transmettre ou dire ?
77
•
Quelles limites ou contraintes avez-vous ou voulez-vous vous fixer ?
•
Avez-vous des photos qui peuvent déjà intégrer ce projet ?
•
Quels travaux produits par d’autres artistes peuvent vous servir d’inspiration ?
Prenez une feuille de papier et écrivez tout ce qui vous passe par la tête à propos de ce projet. N’essayez pas d’ordonner vos idées ou de les orienter, écrivez simplement tout ce qui vous passe par la tête. Comme si vous vouliez vidanger votre cerveau. Continuez cet exercice tant que vous aurez de nouvelles idées qui émergent. Écrivez une page, dix pages, trente pages… peu importe. Écrivez encore, jusqu’à ce que vous ayez la sensation d’avoir vidé votre cerveau.
Maintenant, prenez toutes ces feuilles et rangez-les dans un tiroir. Laissez-les là pendant une quinzaine de jours. Sans les toucher, sans les relire, sans y apporter aucune modification. C’est une période d’incubation, qui a le même objectif que la période d’incubation que nous respectons lors de notre travail d’éditing. Seulement après une quinzaine de jours, reprenez vos notes et relisez-les calmement : •
Est-ce que ce projet vous excite toujours autant ?
•
Y-a-t-il des choses complètement inutiles ou bêtes dans ce que vous avez écrit ?
•
Au contraire, avez-vous des choses à ajouter ou de nouvelles idées ?
Parfois, une fois l’excitation de départ retombée, vous vous apercevrez que votre projet n’est finalement pas si intéressant que cela. Dans ce cas, inutile d’aller plus loin. 78
Ne vous accrochez surtout pas aux mauvaises idées et, ne vous inquiétez pas, des idées vous en aurez d’autres. Plein d’autres. Pour produire des projets intéressants, vous devez prendre l’habitude de noter toutes vos idées. Dès qu’une idée traverse votre esprit, notezla car vous risquez de l’oublier aussitôt (c’est pour cette raison que j’ai créé le Journal Idéal. Il me permet de noter mes idées dès que j’en ai une). Notez toutes vos idées, même celles qui vous paraissent insignifiantes — car vous ne savez jamais à l’avance quand une bonne idée naitra dans votre esprit. Ensuite, laissez-les reposer sans y penser avant d’y revenir quelques semaines plus tard. C’est le même principe que l’éditing de vos photos mais appliqué à vos idées : notez-en autant que possible, puis laissez faire le temps avant de décider lesquelles explorer plus en profondeur. Si après quelques jours le projet vous semble toujours intéressant, prenez alors une nouvelle feuille de papier — ou encore mieux un carnet vierge qui vous suivra tout au long de votre projet — et écrivez : 1.
Un titre pour votre projet ou, si aucun ne vous vient à l’esprit — ce qui est fort probable — trouvez-lui un nom de code. Ce nom vous permettra de désigner facilement votre projet, de créer votre arborescence d’éditing dans Lightroom, etc.
2.
Une description de votre projet, aussi précise que vous le pouvez.
Définir votre projet ainsi est extrêmement important. Que vous travaillez sur une simple série de photos, un projet de livre, d’exposition, de galerie web, peu importe. Vous devez avoir un objectif, ne serait-ce que pour être capable de sélectionner vos photos en accord avec le résultat attendu. Vous ne pouvez aller nulle part si vous ne savez pas dans quelle direction avancer.
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Avancer dès que possible La première définition que vous ferez de votre projet ne peut pas être parfaite. C’est impossible. Elle est juste là pour vous donner une direction. Une fois que vous aurez la direction de départ, vous devrez commencer à avancer : prendre des photos en rapport avec votre idée, analyser vos photos, passer du temps avec elles, vous approprier votre travail, essayer de comprendre ce qui vous intéresse réellement dans ce projet, ce que votre inconscient vous pousse à faire, ce que vous voulez partager. Au fur et à mesure que vous avancerez dans votre projet, vous pourrez le clarifier, le redéfinir. Mais vous ne pouvez le faire que si vous commencez à avancer. C’est votre travail qui vous permettra de comprendre votre propre travail. En avançant, vous aurez de nouvelles idées, de nouvelles pistes à explorer, de nouvelles difficultés à surmonter, de nouvelles révélations. C’est de cette expérience dont se nourrira votre projet pour évoluer. La première définition de votre projet n’est qu’un cadre assez large. Il se resserre au fur et à mesure que vous avancez. Vous en avez absolument besoin pour commencer, mais ne faites pas l’erreur de perdre trop de temps à le définir précisément. Vous avez besoin de temps pour y arriver. Commencez à avancer dès que possible.
Redéfinir et clarifier votre projet Régulièrement au cours de votre projet, prenez un peu de recul et posez-vous la question : « Qu’est-ce que j’essaye de créer ? Qu’est-ce qu’il faut que je change pour y arriver ? Vers quoi mon projet doit-il évoluer ? En quoi doit-il changer ? ». 80
Pour cela, essayez de compléter la phrase suivante : « Mon projet est _________ qui montre _________. Il permettra à _________ de _________ ». Par exemple : •
Mon projet est [un livre photo] qui montre [la beauté des côtes françaises]. Il permettra [au public] de [se rendre compte qu’il s’agit d’un patrimoine inestimable qu’il faut préserver à tout prix].
•
Mon projet est une [série photo que je publierai sur mon site internet] qui montre [ma vision du portrait féminin]. Elle permettra [aux agences de publicité à qui je propose mes services] de [découvrir mon travail et de comprendre que je suis le mieux placé pour réaliser les campagnes de leurs clients].
Dans son livre « Perennial Seller », Ryan Holiday conseille de réaliser cet exercice : •
En une phrase,
•
En un paragraphe, puis
•
En une page.
Quand je réalise cet exercice, je m’imagine :
•
Expliquer mon projet à un inconnu dans un ascenseur — je n’ai que quelques secondes pour le faire et dois être clair et précis,
•
Expliquer mon projet à un ami, assis à un bar — je peux lui donner plus de détails, mais je ne veux pas l’ennuyer non plus,
•
Expliquer mon projet à un éditeur, qui connait le métier et qui est intéressé par le projet car il aimerait peut-être le publier.
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Il vous faudra probablement refaire cet exercice plusieurs fois avant que le résultat ne vous convienne parfaitement — surtout pour la version en une page. C’est tout-à-fait normal et c’est d’ailleurs tout l’intérêt de cet exercice. Si vous n’arrivez pas à réaliser cet exercice, à expliquer clairement votre projet, à le résumer en une seule phrase, c’est simplement que votre projet n’est pas encore assez mûr dans votre esprit. Laissez-vous un peu de temps. Continuez à travailler dessus, continuez à explorer votre sujet, continuez à vous poser des questions. Vous reviendrez à cet exercice dans quelque temps. Si vous sentez que votre projet est bon mais que vous n’arrivez pas à mettre de mots dessus et à réaliser cet exercice, il se peut que vous ayez besoin d’un peu d’aide extérieure. Pourquoi ne pas demander à une autre personne ce qu’elle en pense ? Une simple discussion vous permettra souvent de clarifier votre vision. Si vous réussissez l’exercice, il vous faut maintenant comparer votre projet à la description que vous en faites : est-ce qu’il correspond parfaitement à ce que vous voulez créer ? Est-ce que dans l’état actuel des choses il remplit son objectif ? Et, si ce n’est pas le cas, que devez-vous changer ?
Restez ouvert Au début d’un projet, il est tout-à-fait normal que vous n’arriviez pas à le décrire avec exactitude. Vous avez une idée un peu vague d’un centre d’intérêt que vous voulez explorer, mais rien de bien précis. C’est ensuite en travaillant sur votre projet que votre vision se précisera et que vous réussirez à le définir plus clairement. 82
Contrairement à ce que l’on pourrait croire, ce n’est pas votre projet qui change, mais vous et la vision que vous avez de votre sujet. Acceptez ces changements. Ne soyez pas borné ou trop attaché à votre idée de départ. Acceptez qu’elle évolue.
Soyez courageux À chaque étape de votre projet, vous douterez — de vous, de vos capacités, de vos idées, de votre projet lui-même. C’est tout-à-fait normal. Vous nagez dans l’incertitude et l’incertitude nous fait peur. Mais c’est toujours ainsi que ça se passe. Tous les artistes passent par des périodes de doute, de peur même, lorsqu’ils travaillent sur un projet. Si c’est la première fois que vous ressentez ceci, bienvenue dans le monde des créatifs ! Tous les créatifs ressentent cette peur, même les meilleurs. Elle sera toujours là, à essayer de vous dissuader de terminer vos projets. Vous ne pourrez jamais la vaincre, jamais la faire disparaitre. Tout ce que vous pouvez faire, c’est apprendre à faire avec. Avoir le courage de continuer malgré tout.
Votre projet est-il terminé ? Vous imaginez peut-être que le jour où vous arriverez à définir clairement votre projet il touchera à sa fin. Mais en général, c’est à ce moment-là que vous vous apercevrez qu’il vous reste au contraire beaucoup de travail à accomplir : prendre plus de photos, changer la façon dont vous abordez votre sujet, modifier votre éditing…
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Pour que votre projet soit terminé, deux conditions doivent absolument être remplies : 1.
Vous devez être capable de décrire clairement et simplement votre projet, et
2.
Vous devez vous assurer que votre projet corresponde à la description que vous en faites.
En d’autres termes, vous devez avoir un objectif précis, et votre projet doit parfaitement correspondre à cet objectif. Si l’une de ces deux conditions n’est pas remplie, il vous reste du travail. Vous êtes la seule personne à pouvoir juger de ces deux conditions. C’est à la fois un avantage — c’est vous qui pilotez et êtes libre de vos choix — mais c’est aussi un inconvénient — car on a vite fait d’être complaisant. Entre perfectionnisme et laxisme, il y a un équilibre qui n’est pas toujours facile à trouver.
Pour résumer 1.
Les idées de projets sont partout : vos expériences, vos découvertes, votre curiosité, votre propre travail, le travail d’autres artistes — et pas uniquement celui des photographes.
2.
Dès que vous avez une idée de projet, notez-la.
3.
Laissez toujours reposer vos idées une quinzaine de jours avant d’y revenir.
4.
Si après une période d’incubation une idée ne vous intéresse plus, laissez-la tomber. Ne perdez pas votre temps inutilement.
5.
Si vous décidez de vous lancer dans un projet, décrivez-le succinctement par écrit — à ce stade, le but est simplement d’avoir une
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direction à suivre. 6.
Puis, mettez-vous au travail dès que possible, car ce n’est que par le travail que votre projet pourra évoluer.
7.
Prenez régulièrement du recul pour analyser votre travail et clarifier votre projet.
8.
Votre projet sera terminé le jour où deux conditions seront remplies : ⁃
Vous serez capable de décrire clairement et simplement votre projet (en vous aidant du modèle suivant : « Mon projet est [un livre photo] qui montre [la beauté des côtes françaises]. Il permettra [au public] de [se rendre compte qu’il s’agit d’un patrimoine inestimable qu’il faut préserver à tout prix]. »)
⁃
Vous serez certain que votre création corresponde parfaitement à la description que vous en faites.
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Faire les bons choix
Un éditing, c’est avant tout faire des choix. Tout au long de l’évolution d’un projet, vous devrez faire des choix et, plus vous avancerez dans votre projet, plus ces choix seront difficiles. Ça n’a rien d’étonnant puisque vous accumulez de plus en plus de photos, alors que votre sélection doit toujours se restreindre. Immanquablement, vous devrez écarter des photos que vous aimez. Certains choix seront douloureux et c’est ce qui rend le travail d’éditing aussi difficile — et aussi passionnant.
Combien de photos devez-vous garder ? Le nombre de photos que vous devez garder à la fin de votre éditing dépend de votre projet et de la façon dont vous les utiliserez. Si vous prévoyez de faire une exposition par exemple, vous conserverez quelque chose comme 30 photos ou moins. Si c’est pour un portfolio, moins de 10. Si c’est pour les réseaux sociaux, 200 ou 300. Pour un livre ? Tout dépend de sa taille, de son format, de la volonté de l’éditeur s’il y en a un, etc. En clair, le nombre de photos que vous conserverez à la fin de votre éditing peut être extrêmement variable. Vous seul — en fonction de vos aspirations et en tenant compte d’éventuelles contraintes externes — pouvez savoir de 86
combien de photos vous aurez besoin pour concrétiser votre projet. C’est pour cette raison que vous devez absolument définir clairement votre projet pour être capable de réaliser un bon éditing. Selon le support de présentation, l’objectif de votre projet ou encore la cible que vous visez, le nombre de photos que vous garderez sera différent. Si vous rentrez d’un voyage avec disons 600 photos, après votre première sélection et la phase d’incubation vous imprimerez peutêtre une vingtaine de tirages de lecture. À chaque nouveau voyage, à chaque nouvelle séance photo, vous imprimerez de nouvelles images qui viendront grossir votre pioche. Au bout d’un moment, vous aurez quelque chose comme 500 photos imprimées. C’est parmi ces 500 photos que vous devrez extraire les quelques photos qui constitueront votre projet final. Dans cet exemple, si votre objectif est de construire un projet contenant 50 photos, elles devront être les meilleures parmi les 15 000 (500/20×600) que vous aurez prises au cours de ce projet. Ce qui veut dire que votre mission au cours de votre éditing est de ne sélectionner que 0,3% de votre travail. Les 0,3% qui correspondent le mieux au projet que vous avez en tête. Vous comprenez pourquoi la tâche est tellement compliquée.
Critères de choix Votre éditing ne doit surtout pas être uniquement basé sur des critères techniques ou esthétiques. Le jeu n’est pas de trouver les 50 photos les plus réussies techniquement, ni de trouver les 50 photos les plus belles, mais plutôt de trouver les 50 photos qui collent le mieux avec le sujet de votre projet, celles qui retranscrivent au mieux votre vision, celles qui feront ressentir aux spectateurs ce que 87
vous voulez qu’ils ressentent. Vous devez trouver les photos qui fonctionnent et écarter celles qui ne fonctionnent pas, selon le contexte final de votre projet. Vous serez donc amené à mettre de côté de très bonnes photos — réussies sur le plan technique et dont la composition est parfaite —, tout simplement parce qu’elles ne correspondent pas à ce que vous voulez montrer. Encore une fois, on revient à l’importance d’avoir une définition claire de votre projet : si vous ne savez pas ce que vous voulez montrer, vous ne pouvez pas savoir quoi éliminer. Plus votre vision sera claire, plus vos choix pourront être tranchés. Le but d’un projet photo n’est pas non plus de faire le résumé d’un voyage en gardant une photo de chaque lieu visité ou évènement vécu. Vous ne devez garder que les meilleures images, même si pour cela des pans entiers de vos aventures restent secrets.
Au final, les deux questions les plus importantes à vous poser lorsque vous décidez du sort d’une photo sont les suivantes : 1.
Est-ce que cette photo apporte quelque chose à mon projet ?
2.
Cette photo correspond-elle à l’objectif que je vise avec ce projet ?
Plutôt que les meilleures photos, cherchez celles qui sont les plus pertinentes — avec votre vision, avec votre projet. N’oubliez jamais que votre travail de photographe, c’est de montrer que vous êtes quelqu’un d’intéressant, et que vous avez quelque chose à dire qui mérite d’être entendu.
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Vous devez être à la fois objectif et subjectif Un photographe ne devrait jamais essayer de retranscrire une image objective de la réalité — ça lui serait de toute façon impossible. Votre objectif à travers vos photos et vos projets est de communiquer votre vision personnelle du monde. Votre éditing est donc un travail subjectif. Il doit donner naissance à quelque chose qui, pour marquer les esprits, provoque des émotions, des réactions, ou pousse le spectateur à se poser des questions. Mais votre sélection doit aussi se baser sur des critères objectifs, notamment en jugeant la qualité de vos images et la façon dont elles seront perçues par votre public, et surtout pas sur les sentiments ou les souvenirs qui persistent de vos prises de vues. Le photographe est finalement confronté au même problème que l’écrivain. Comme l’a écrit Flannery O’Connor, « The writer has to judge himself with a stranger's eye and a stranger's scrutiny ». Il doit juger son travail avec l’œil et la minutie d’un étranger.
Ayez confiance en votre intuition Lorsque vous faites des choix, et surtout aux premières étapes de votre éditing, apprenez à faire confiance à votre intuition. Si vous ressentez qu’une image fonctionne bien, qu’elle colle avec votre projet, conservez-la — même si vous ne savez pas expliquer clairement votre choix. Alec Soth expliquait ceci en parlant d’une image qu’il avait choisie parmi plusieurs photos assez proches : « It’s impossible to explain why I chose the final frame. It’s like asking a painter why did you choose that stroke ? It just felt right. It’s incredible how subtle and intuitive the decisions can be. » (C’est impossible d’expliquer 89
pourquoi j’ai choisi cette image. C’est comme demander à un peintre : « pourquoi as-tu ajouté cette touche de peinture ? » Ça me semblait juste, c’est tout. C’est incroyable de voir à quel point les décisions peuvent être subtiles et intuitives.) C’est ensuite, avec le temps qui passe, lorsque vous aurez évolué, que vous arriverez à mettre des mots sur vos choix — parfois avec l’aide d’observateurs extérieurs, dont le recul et les analyses mettront en lumière des choix inconscients que vous avez faits. Dans son livre « Self-Exposure », Ralph Gibson explique ce phénomène quand il parle de sa signature visuelle. Dès 1961, ses images contenaient des diagonales fortes. Son œil était attiré par ces lignes mais lui n’en avait pas conscience. En 1972, dans son livre « Déjà-vu », on retrouve de telles lignes. Mais ce n’est qu’en 2012 qu’il prendra conscience de cela. « This is how one learn from their work over time. The eye harbors the real intelligence. In order to have a visual signature, it is important to listen to the eye. » (C’est ainsi qu’on apprend de son propre travail au fil du temps. L’œil abrite la vraie intelligence. Pour avoir une signature visuelle, il est important d’écouter votre œil.)
Gardez une cohérence dans votre travail Même si vos choix sont souvent intuitifs, vous devez toujours avoir en tête une vision plus globale de votre travail — à l’échelle de votre projet, voire même encore plus large, à l’échelle de votre carrière de photographe — qui lui doit garder une certaine cohérence. Mettre n’importe quoi dans un projet sous prétexte que c’est votre intuition qui vous guide produirait un travail incohérent, sans grand intérêt et que le public ne comprendrait certainement pas. Thomas Hammoudi propose une méthode intéressante pour 90
vous aider à trouver cet équilibre entre intuition et cohérence : la méthode IRECO, un acronyme d’Intention, Réalisation, Expérimentation, Cohérence et Originalité. Pour qu’un travail soit jugé intéressant, il doit répondre à ces cinq critères : •
Intention : le photographe doit avoir une idée de départ, un projet bien défini, une certaine logique derrière son travail. Prendre des photos au hasard ne vous aidera pas à créer un travail intéressant. Vous devez avoir une certaine intention. C’est ce dont nous avons parlé dans le chapitre Définir et clarifier un projet.
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Réalisation : pour être réussi, votre projet — ou votre photo — doit correspondre à votre intention. Si vous voulez décrire avec précision les détails d’un sujet architectural par exemple, vous devrez adapter votre technique de manière à obtenir une photo parfaitement nette, bien définie, sur laquelle on distingue le moindre détail de votre sujet. Si votre photo est floue ou mal exposée, votre réalisation ne correspondra pas à votre intention — elle sera donc ratée.
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Expérimentation : pour être intéressant, un projet doit comporter une part d’expérimentation. « Tiens, et si j’essayais de faire ça, qu’estce que ça donnerait ? » C’est souvent de ces expérimentations que naissent de grandes idées ou des concepts novateurs. Vos expérimentations peuvent toucher la technique de prise de vue, le matériel utilisé, le choix du papier, la façon de tirer vos photos, la façon de traiter le sujet, etc.
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Cohérence : la cohérence c’est la place d’une image dans la production globale du photographe — une photo au sein d’un projet, mais aussi un projet au sein de la carrière de l’artiste. Vous devez garder une certaine cohérence dans votre travail, même si cela signifie écarter des photos qui pourtant vous plaisent et sont réussies. La cohérence peut être obtenue par la façon dont vous photographiez vos sujets, mais aussi par les sujets que vous traitez eux-mêmes. Si vous êtes un photographe de rue par exemple, une photo animalière n’a pas grand-chose à faire dans votre portfolio — même si elle vous
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plait beaucoup. •
Originalité : l’originalité est ce qui fait une grande partie de l’intérêt de votre projet. Si vous vous contentez de copier ce qui a déjà été fait, votre travail n’aura pas beaucoup de valeur, vous vous en doutez. Mais ne vous inquiétez pas trop pour cela, vous êtes en vous-même original : personne n’a la même vision que vous, la même expérience, les mêmes rêves, les mêmes ressentis… Plus que de chercher à être original, cherchez à être vous-même — votre travail deviendra ainsi automatiquement original, sans que vous n’ayez d’efforts conscients à faire de ce côté-là.
Si vous avez une intention de départ, que vos connaissances techniques vous permettent de la réaliser correctement, qu’il y a une part d’expérimentation dans votre travail, que le choix de vos photos est cohérent, et que vous cherchez avant tout à être vous-même, votre projet aura de l’intérêt. Ayez donc confiance en votre intuition au moment de départager des photos mais, au cours de votre projet, pensez à prendre régulièrement du recul pour vous assurer que votre projet ne part pas dans tous les sens.
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Le choix des autres
Que vos choix soient clairement justifiés et argumentés ou plus intuitifs, peu importe. Ce qui est important, c’est que vos choix restent vos choix. Jamais ceux des autres. À de nombreuses étapes de votre éditing, vous risquez d’être influencé par des personnes extérieures. Faites très attention à cela.
Choisissez bien vos influences Vous ne pouvez pas vous couper de toute influence, c’est impossible. Le simple fait de vous promener dans une rue vous influence : les affiches que vous voyez, la façon dont les passants sont habillés et se comportent, le design des voitures et des immeubles… Tout ceci fait partie de la culture et vous êtes obligatoirement sous son influence. Mais, même si vous ne pouvez pas vous couper de toute influence, vous pouvez assez facilement choisir ce qui vous influence. Vous pouvez par exemple arrêter de regarder les actualités — que ce soit à la télé ou dans les journaux — pour éviter d’être influencé par la négativité et le catastrophisme des journalistes. Vous pouvez passer plus de temps dans les musées pour admirer des œuvres d’art. Vous pouvez acheter des livres et découvrir les grands maitres de la 93
photo plutôt que de perdre votre temps sur des sites de partage photo comme 500px et Flickr où toutes les photos se ressemblent et où la majorité des photographes n’ont jamais ne serait-ce que pensé à travailler sur un projet important et personnel. Vous pouvez vous entourer de personnes positives, cultivées, motivantes, qui aiment l’art et débordent d’enthousiasme. Rappelez-vous que tout ce qui entre dans votre esprit le modifie. Chaque information qui y pénètre peut avoir un effet positif ou négatif. C’est un travail à long terme mais, en choisissant avec soin vos influences, en faisant en sorte, chaque jour, d’enlever un peu de négatif et d’ajouter un peu de positif, vous arriverez à reprogrammer votre cerveau, à modifier votre vision du monde. Plus de positif et moins de négatif, plus d’œuvres d’art et moins de réseaux sociaux, plus de culture et moins de sensationnel, plus de grands maitres et moins de people, plus de discussions constructives et moins de ragots… Ces changements vous permettront de développer votre créativité, d’être curieux, d’avoir un état d’esprit positif et optimiste — des qualités essentielles à tout créatif.
Ne montrez pas votre travail trop tôt Les autres influences auxquelles vous serez soumis sont celles des critiques. Par critique, je n’entends pas seulement les personnes dont c’est le métier — les critiques d’art — mais toutes les personnes qui pourront un jour ou l’autre émettre un commentaire à propos de votre travail. Ce qui inclut donc vos proches, les personnes avec qui vous partagez des photos sur les réseaux sociaux, le public qui découvrira votre projet, d’autres photographes éventuellement concurrents, etc. Une critique peut être négative ou positive, fondée ou pas, ar94
gumentée ou pas, bien intentionnée ou pas… Toujours est-il qu’elle aura une influence sur vous et votre travail. Et c’est pour cette raison, pour éviter cette influence, qu’il faut tout faire pour ne pas y être exposé — en tout cas dans un premier temps. Pendant que vous travaillez sur votre projet, votre objectif est de créer quelque chose d’aussi personnel que possible. C’est ce qui permettra à votre travail d’être original et percutant — le public ne veut pas simplement voir votre sujet, il veut découvrir ce que vous en pensez, la relation que vous entretenez avec lui, votre vision personnelle. Aussi, évitez le plus possible de montrer votre travail. Travaillez en secret. Ne montrez pas vos photos. Ne les partagez pas sur les réseaux sociaux. Coupez-vous le plus possible de toute critique à propos de votre travail. Tant que votre projet n’est pas suffisamment avancé, gardez-le secret. Comme le conseille Stephen King : « Travaillez la porte fermée, corrigez la porte ouverte ». Ce n’est que lorsque votre projet sera quasiment terminé que vous pourrez le montrer et demander à des personnes de confiance de le critiquer. À partir de quel moment pouvez-vous le montrer ? Personnellement, je dévoile mes projets quand je pense qu’ils sont terminés. Les critiques se chargent alors de me faire comprendre qu’en réalité je ne suis qu’à 75% de l’aboutissement de mon projet. Il me reste du travail mais je n’en avais pas conscience avant d’avoir leurs retours.
Comment tenir compte des critiques Avant de montrer votre travail à qui que ce soit, vous devez avoir une opinion tranchée à son sujet. Vous devez être conscient de ce que vous voulez faire, de ce que vous voulez provoquer chez le spectateur, de la façon dont le public risque de réagir. Si vous voulez dénoncer les atrocités de la guerre en montrant 95
des images dures par exemple, il est normal que vous ayez des réactions de dégout de la part des spectateurs. Mais à partir du moment où vous vous attendez à ces réactions — voir même que vous les espérez — vous pouvez les interpréter positivement. Si par contre vous n’avez aucune opinion à propos de votre travail, si vous n’anticipez pas les réactions du public, si vous n’avez aucune idée de ce que vous cherchez à provoquer, la moindre réaction ou critique vous fera douter de la réussite de votre projet. Tant que votre projet n’est pas finalisé, vous pouvez tenir compte des critiques qu’on fait à l’encontre de votre travail — qu’elles soient positives ou négatives. Mais rappelez-vous qu’une critique ne doit jamais vous pousser à transformer votre projet. Il doit rester personnel. Vous pouvez l’adapter, lui apporter quelques modifications, mais pas tout remettre en cause simplement à cause d’une critique négative. Soyez courageux et toujours fidèle à votre idée de départ. Quand vous recevez une critique, avant de réagir, demandezvous qui l’a émise. Si c’est un inconnu sans aucune culture artistique et qui a survolé votre projet en quelques secondes, sa critique aura certainement moins de valeur que celle émise par un grand maître de la photo que vous admirez. Rappelez-vous également que lorsque quelqu’un émet une critique, c’est votre travail qu’il critique, pas vous. Votre projet ne peut pas plaire à tout le monde. Il y aura obligatoirement des personnes à qui il ne plaira pas. Mais ce n’est pas parce que ce projet ne leur plait pas qu’elles ne vous apprécient pas. Ne vous vexez pas si on critique votre travail. Acceptez la critique. Prenez-la éventuellement en compte si vous pensez qu’elle est fondée. Remerciez — toujours, toujours dire merci — la personne d’avoir pris le temps et eu le courage de vous faire ce retour à propos de votre travail. Enfin, une fois votre projet terminé, n’attachez plus aucune im96
portance aux réactions du public. Vous ne contrôlez pas la façon dont les gens accueilleront votre projet. Tout ce que vous contrôlez, c’est la façon dont vous travaillez sur votre projet : l’énergie, le temps, les efforts, la réflexion que vous lui accordez. Si vous avez mis le meilleur de vous-même dans votre projet, vous pouvez être fier de vous et de votre travail — quelle que soit la façon dont il est accueilli par le public. Ne soyez pas démoralisé si votre projet ne rencontre pas le succès escompté, et ne prenez pas la grosse tête si son succès dépasse vos espérances. La seule façon intelligente de réagir est de dire merci, puis de vous remettre aussitôt au travail. Merci pour les critiques négatives, car elles vous aideront à améliorer votre prochain projet. Merci pour les critiques positives, car elles vous donneront de l’énergie pour mener à bien votre prochain projet. Et rappelez-vous : vous n’échouez jamais. Soit vous réussissez, soit vous apprenez. Ce n’est pas parce qu’un projet est jugé mauvais que vous êtes mauvais. Vos créations ne vous définissent pas. Ce qui vous définit, c’est la façon dont vous travaillez. Faites toujours de votre mieux. Donnez le meilleur de vous-même. Puis, une fois votre projet terminé, attaquez aussitôt le suivant.
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De combien de temps avez-vous besoin ?
L’erreur que font beaucoup de débutants c’est d’essayer de créer un projet important en cherchant à griller les étapes intermédiaires. Si vous travaillez sur un projet, sa réalisation prendra du temps. Probablement plusieurs années. Et à plus grande échelle, votre évolution de photographe prendra elle aussi beaucoup de temps.
Combien de temps dure un projet ? La durée d’un projet peut être extrêmement variable. Les photos qui apparaissent dans le livre Valencia 1952 de Robert Frank par exemple ont toutes été prises en quelques mois, pendant l’été 1952, mais ce livre a été édité en 2012. Est-ce qu’on peut dire que le projet n’a duré que quelques mois ? Ou au contraire qu’il a duré soixante ans ? Probablement ni l’un ni l’autre. C’est plus compliqué que cela. Les photos ont été prises en quelques mois, mais Robert Frank n’aurait probablement pas effectué le même éditing s’il avait sorti son livre rapidement après la prise de vue. En soixante ans de car98
rière, sa vision a eu le temps d’évoluer et ce livre reflète ces changements. D’un autre côté, il n’a pas non plus travaillé pendant soixante ans sur ce projet. Il a pris les photos, les a oubliées, puis les a réutilisées pour créer ce livre. Certains projets peuvent être très courts, d’autres beaucoup plus longs. Le livre Nude de Ralph Gibson par exemple regroupe plusieurs centaines de photos prises tout au long de ses plus de cinquante ans de carrière. Ralph Gibson revenait toujours au nu, un peu comme un musicien pratique inlassablement ses gammes. Ses photos se sont accumulées, jusqu’à ce qu’il décide de les regrouper et de créer un livre. Bien entendu, à côté de ça, il travaillait sur d’autres projets et a publié de nombreux autres livres. Certaines des photos qui apparaissent dans Nude ont d’ailleurs déjà été utilisées dans d’autres ouvrages plus anciens. Il n’y a pas vraiment de règle donc concernant le temps que vous devez passer sur un projet, mais vous devez garder à l’esprit qu’un photographe évolue toujours à deux échelles : 1.
Au cours d’un projet, la vision du photographe change et évolue. Le projet se précise, le photographe comprend ou découvre de nouvelles choses à son sujet, mais cette évolution doit être volontairement bornée, sinon le risque est de ne jamais terminer aucun projet.
2.
À une échelle plus large, le photographe évolue mais cette fois-ci sans réellement avoir de limite — à part sa propre mort, bien entendu. Il évoluera toute sa vie et chaque projet représentera une nouvelle marche qui lui permettra d’avancer. Chaque projet se construit sur les connaissances ou les expériences qu’il aura acquises en travaillant sur le précédent.
Mieux vaut donc vous fixer des objectifs à court ou moyen terme pour chaque projet — un à trois ans par exemple — et faire en sorte que chaque projet soit différent et plus ambitieux que le précédent 99
— pour continuellement évoluer et progresser au cours de votre carrière. Vous pouvez également avoir des projets sur lesquels vous travaillez à plus long terme. Un sujet qui vous passionne et auquel vous vous consacrez régulièrement convient parfaitement pour ce genre de projet. Une sorte de fil rouge qui vous accompagne à long terme et dans lequel vous ajoutez régulièrement des photos. Ce projet n’est pas votre priorité, mais vous savez qu’il est là et que quand vous en avez l’opportunité — ou le besoin — vous pouvez y revenir.
La loi des 50 ans Dans son livre Self-Exposure, Ralph Gibson remarquait qu’Helmut Newton et beaucoup d’autres grands photographes ayant commencé tôt leur carrière — entre 20 et 30 ans — ne devenaient réellement bons qu’à l’âge de 50 ans. Il vous faudra probablement beaucoup de temps avant d’atteindre l’apogée de votre carrière artistique. Certainement plus que ce que vous n’imaginiez. Mais ceci ne doit pas vous empêcher de travailler sur des projets intermédiaires et de les publier, car vous avez besoin de ces projets pour évoluer.
L’effet Lindy Vous avez besoin de temps pour apprécier et comprendre votre propre travail. Nous l’avons vu, au cours de votre éditing vous laissez volontairement reposer vos photos pour qu’elles puissent se détacher des émotions que vous avez ressenties lors de la prise de vue.
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Une fois vos photos imprimées, n’hésitez pas à laisser s’écouler plusieurs mois — voire plusieurs années — avant de les utiliser dans vos projets. De nombreux photographes reconnus disent avoir besoin de trois à cinq ans pour réellement comprendre et apprécier à sa juste valeur leur propre travail. En règle générale, plus le temps passe et plus vos choix seront assurés. Dans son livre Antifragile, Nassim Nicholas Taleb parle de « l’effet Lindy ». Voici de quoi il s’agit : si une entreprise existe depuis quarante ans, on peut s’attendre à ce qu’elle existe toujours dans quarante ans. Mais si elle survit une décennie de plus, elle devrait toujours être là dans cinquante ans. Les choses qui existent depuis longtemps ne vieillissent pas comme les personnes, mais vieillissent à l’inverse : chaque année qui passe sans extinction augmente leur espérance de vie. Ceci est un indicateur de robustesse. La robustesse d’une entité ou d’un objet qui répond à cette loi est proportionnelle à sa durée de vie. En d’autres termes, les choses qui ne sont pas vivantes — les religions, les technologies, les entreprises, etc. — et qui existent depuis longtemps peuvent être considérées comme plus robustes — ou antifragiles, pour reprendre le terme de Taleb — et sont donc susceptibles de continuer à exister plus longtemps que les nouvelles choses qui n’ont pas encore passé l’épreuve du temps. Plus quelque chose est ancien, plus il y a de chances pour qu’il soit résistant, et chaque année qui passe augmente de la même durée ses probabilités de survie dans l’avenir. L’effet Lindy n’est pas une règle scientifiquement prouvée, mais un modèle qui nous permet d’apprécier la robustesse d’une entité en s’affranchissant de calculs de probabilités complexes. Si je vous parle de l’effet Lindy, c’est qu’il s’applique aussi à vos photos : si une photo prise il y a dix ans vous plait toujours aujourd’hui, il y a de fortes chances qu’elle continue à vous plaire dans dix 101
ans. Et chaque mois ou année qui passe augmente les probabilités que votre choix soit pérenne. Gardez ceci à l’esprit quand vous travaillez sur vos projets. Prenez votre temps. Ne vous précipitez pas.
Comment savoir que votre projet est terminé ? Cette question est importante. Mais vous seul pouvez y répondre. Un grand chef sait quand un plat est prêt. Il sait qu’ajouter des épices ou prolonger le temps de cuisson ne ferait que dégrader le résultat. De la même manière, un grand photographe sait quand un projet est terminé. Il le ressent. Il a acquis cette faculté de jugement de son expérience et des projets qu’il a déjà terminés. La décision de finaliser un projet relève de deux facteurs importants : 1.
La clarté de votre vision, car votre projet doit être parfaitement défini dans votre esprit pour que vous soyez capable de savoir qu’il est terminé. (Si un chef n’a pas une parfaite idée du plat qu’il veut obtenir, comment peut-il savoir à quel moment arrêter la cuisson ?)
2.
Vos standards, car c’est en fonction de vos propres standards que vous déciderez qu’un projet est suffisamment abouti pour être finalisé. (Un chef peut préparer un excellent repas dans une marmite et vous laisser vous servir. Mais il peut aussi décider d’avoir des standards de qualité supérieurs et présenter son plat dans une assiette
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en porcelaine fine, d’y placer chaque aliment de manière à créer une composition harmonieuse, d’ajouter une petite touche de décoration esthétique, et surtout de jeter toutes les assiettes qui ne correspondraient pas à ses standards).
Jusqu’où serez-vous prêt à aller pour chercher la perfection ? Combien d’efforts supplémentaires serez-vous prêt à fournir pour porter votre projet alors que vous êtes déjà épuisé suite à des mois d’efforts ? Que serez-vous prêt à sacrifier pour votre projet ? Que serez-vous prêt à ajouter pour le rendre exceptionnel ?
Le pire que vous puissiez faire est de vous dire : « Bon, je n’ai plus assez de temps, j’en ai assez de ce projet, alors on va dire qu’il est terminé. »
Faites toujours en sorte d’être fier de votre projet au moment où vous déciderez qu’il est terminé. Sinon, jetez-le à la poubelle et attaquez-en un nouveau. Peu importe le temps que cela prendra.
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Comment devenir un meilleur photographe
Au début de votre apprentissage de la photo, vous devez faire deux choses par-dessus tout : prendre beaucoup de photos, et vous concentrer sur l’acquisition des bases techniques de la photographie. Mais très rapidement — probablement après moins d’un an si vous pratiquez régulièrement —, ce n’est plus de technique dont vous aurez besoin pour progresser, mais d’évoluer vers une pratique plus artistique, plus créative et donc plus épanouissante de la photo. Progresser en éditing et travailler sur vos propres projets sera alors votre meilleure chance d’atteindre votre objectif : devenir un meilleur photographe.
Progresser étape par étape Quand je leur demande ce qu’ils souhaitent apprendre, beaucoup de mes lecteurs me répondent qu’ils veulent découvrir comment s’exprimer à travers leurs photos, ou encore qu’ils veulent trouver leur style. 104
Ces objectifs sont honorables, mais ils ne vous servent à rien. Que devez-vous faire pour trouver votre style ? Quelle est la première tâche à accomplir pour y arriver ? Comment savoir concrètement si vous avez atteint cet objectif ? Vous ne pouvez pas répondre à ces questions, tout simplement parce qu’un objectif comme trouver son style est trop vague. Pour progresser, vous devez avoir la discipline de vous fixer des objectifs plus facilement atteignables. Ces objectifs, ce sont les projets sur lesquels vous travaillez. Enchainer les projets c’est mettre en place un système qui se chargera pour vous de vous transformer en un meilleur photographe. Un projet est quelque chose de concret. S’il est bien défini, il devient un objectif atteignable. Vous savez ce que vous devez faire pour terminer un projet ; vous savez exactement par où commencer ; et vous saurez quand vous l’aurez terminé. Chaque projet est une étape. Chaque étape vous permet d’envisager des projets plus ambitieux. Et l’enchainement de ces projets vous permet de toujours progresser — comme si chaque projet était une nouvelle marche à gravir sur le chemin qui vous mène à votre rêve : devenir un meilleur photographe. Ainsi, vous ne courez plus après un objectif vague et inaccessible mais travaillez sur un projet concret. Projet que vous pouvez subdiviser en tâches quotidiennes ou hebdomadaires, pour toujours savoir précisément quoi faire pour avancer. Faites en sorte de bien définir vos projets. Limitez-les. Ajoutezleur des contraintes s’il le faut. Surtout au début de votre carrière, choisissez des petits projets simples à réaliser plutôt que de chercher à tout faire trop vite. Ça parait contre-intuitif, mais c’est pourtant comme cela que vous progresserez. La meilleure façon de progres105
ser rapidement est d’avancer lentement. Ce n’est pas pour rien que les meilleurs photographes ont des dizaines de livres à leur actif. Toute leur carrière, ils la passent à travailler sur des projets.
Chaque création a un rôle à jouer dans votre évolution artistique La photo que vous avez prise hier, l’article que vous avez écrit le mois dernier, le livre que vous avez publié il y a quelques années… Si vous les aviez créés aujourd’hui, ils seraient différents. À l’époque, vous étiez une autre personne et viviez dans un autre monde. Mais ce n’est pas une raison pour en avoir honte, car ces créations avaient un rôle à jouer. Vous aviez besoin de terminer ces projets pour évoluer. Et c’est la même chose pour le projet sur lequel vous travaillez aujourd’hui. Non, il n’est pas parfait. Oui, vous serez capable de faire mieux dans quelques années… Mais seulement si vous le terminez aujourd’hui. Chaque création est une nouvelle marche que vous gravissez sur le chemin de votre évolution artistique. Pour grandir, tout ce que vous avez à faire c’est de vous concentrer sur votre projet actuel. Faire de votre mieux. Et, dès qu’il sera terminé, attaquer le suivant.
Apprendre des autres Vous ne pouvez pas apprendre à éditer correctement, vous ne 106
pouvez pas progresser rapidement en regardant uniquement votre propre travail. Vous devez absolument étudier celui d’autres photographes. En plus d’être une source inépuisable d’inspiration, le travail d’autres photographes vous permettra d’étendre le champ des possibles de vos créations : vous comprendrez jusqu’où d’autres sont déjà allés et, par la même occasion, jusqu’où vous pouvez — ou devez — aller. Votre monde s’agrandira, votre vision s’élargira et vos projets deviendront plus intéressants. Les images que vous découvrirez ainsi constitueront bientôt une sorte de bibliothèque d’images mentales dans laquelle vous pourrez puiser — souvent instinctivement — lorsque vous serez sur le terrain en train de travailler un sujet. Elles vous permettront de voir des choses que vous ne voyiez pas avant, de trouver des solutions créatives à des problèmes auxquels vous êtes confronté, ou encore de prendre des photos intéressantes même dans des endroits familiers et sans intérêt particulier pour le commun des mortels. Enfin, étudier le travail d’autres photographes vous permettra de comprendre comment améliorer votre éditing — en étudiant les choix faits par d’autres artistes par exemple, je vais y revenir dans quelques instants — mais aussi en vous permettant de mieux vous comprendre vous-même. Déjà, vous apprendrez vite à différencier ce qui vous plait de ce qui ne vous plait pas — les sujets traités, les techniques utilisées, les projets créés, ou encore les styles de certains photographes vous plairont, d’autres beaucoup moins. Mais vous arriverez également à mieux comprendre certaines choses que vous ressentez ou que vous essayez d’exprimer à travers votre travail, tout simplement parce que d’autres artistes se sont posés les mêmes questions que vous, ont eu les mêmes problèmes, ont voulu exprimer les mêmes choses. C’est souvent en découvrant leurs réponses à une question que vous vous posez que vous comprendrez comment y répondre vous-même. 107
Avant de discuter de la façon d’étudier le travail d’autres photographes, un point important à garder en tête : dans tous les restaurants il y a des habitués. Ils entrent dans la salle comme s’ils étaient chez eux, ils étreignent chaleureusement le patron, ils tutoient les serveurs et se permettent de les héler par leurs prénoms. Si vous les imitez sans être préalablement devenu un habitué, vos manières seront mal perçues. Pour devenir habitué, un habitué a travaillé dur. Il est venu régulièrement, a sympathisé avec l’équipe, a dépensé de l’argent à chaque repas. Vous ne pouvez pas arriver, ignorer toutes les étapes intermédiaires et espérer obtenir le même résultat qu’un habitué. C’est exactement la même chose pour votre apprentissage de la photo. C’est important de prendre en exemple les grands maitres. Mais ne faites pas l’erreur de copier ce qu’ils font aujourd’hui, après des dizaines d’années de pratique, alors que vous n’êtes qu’au début de votre carrière. Ce qui doit vous intéresser, c’est le chemin qu’ils ont parcouru pour arriver là où ils sont aujourd’hui. C’est ce chemin qui doit vous servir d’exemple. En vous inspirant des grands maitres, vous trouverez certainement quelques raccourcis, mais en aucun cas vous ne pouvez ignorer toutes les étapes intermédiaires. Si vous n’avez jamais étudié l’œuvre d’autres photographes, commencez par être assez éclectique : intéressez-vous à de nombreux artistes, dont les spécialités, les sujets et les styles sont variés. Cette première étape est là pour vous permettre d’avoir un large panel de photographes parmi lesquels piocher. Ensuite, quand vous en aurez trouvé un qui vous intéresse réellement, dont le travail vous touche, et qui est assez proche de ce que vous aimeriez faire, il vous faudra alors passer plus de temps avec lui, faire en sorte qu’il devienne un mentor, le laisser influencer votre travail. Étudiez-le, essayez de copier ce qu’il fait, de comprendre comment il pense jusqu’à ce que vous soyez capable, à un moment donné, de vous poser la question suivante : « Que ferait xxx s’il était à ma place ? » Vous aurez alors internalisé le travail de ce maitre, et pourrez utiliser ses 108
enseignements et son travail pour construire votre propre œuvre. Pour être complète, votre étude d’un artiste doit se faire à trois niveaux : l’analyse d’une photo en particulier, d’un projet — ou groupe de projets similaires — et, plus largement, la vie de l’artiste dans sa globalité. Analyser la vie et l’œuvre globale d’un artiste vous permettra de comprendre son évolution, ses influences, sa philosophie mais aussi le contexte dans lequel il a travaillé sur ses projets. Pour cette analyse, concentrez-vous sur les biographies, les livres écrits par d’autres auteurs au sujet de l’artiste, mais aussi à l’histoire : que se passait-il dans le monde à cette époque ? Sur quoi travaillaient les autres artistes de l’époque ? Par qui cet artiste pouvait-il être influencé ? Etc. Tout ceci vous aidera à comprendre le contexte et la culture. En bref, tout ce qui a pu influencer l’artiste au cours de sa vie. Concernant un projet créé par cet artiste — un livre par exemple — vous devez l’analyser en étant particulièrement attentif au travail de sélection et de présentation effectué. Pourquoi a-t-il choisi ces photos ? Pourquoi les a-t-il classées dans cet ordre là ? Quel était le concept de ce projet ? Qu’a-t-il voulu dire ? Est-ce que ça marche ? Est-ce que ça vous plait ? Pouvez-vous vous en inspirer pour vos travaux ? Etc. Enfin, analysez chaque photo — celles qui vous plaisent réellement, qui vous touchent ou que vous aimeriez pouvoir reproduire —, passez du temps avec elles, essayez de les comprendre. À ce stade, avoir une vue globale de la vie de l’artiste et du projet dont fait partie cette photo vous sera très utile. Le contexte explique beaucoup de choses. Par exemple, une photo comportant beaucoup de grain peut être un choix délibéré de l’artiste ou, si la photo est ancienne, une contrainte technique que l’artiste n’a pas pu éviter à son époque. 109
Un exercice que j’aime réaliser lorsque je regarde une photo qui me plait est de me mettre à la place : •
D’un spectateur : qu’est-ce qui fait que cette photo vous plait ? Qu’est-ce qui ne vous plait pas ? Que ressentez-vous en la regardant ? Pensez-vous que vous êtes la seule personne à ressentir ceci ? Etc.
•
D’un photographe : comment est construite cette photo ? Qu’est ce qui la rend unique ? Quelle technique a-t-il utilisée ? Quels réglages ? Quel matériel ? Comment puis-je la reproduire ?
•
De l’auteur de la photo : imaginez-vous à sa place en train de prendre cette photo. Essayez de reconstruire la scène, étape par étape, avec autant de détails que possible. Que faites-vous ? Que voyezvous ? À quoi pensez-vous ? Etc. Cet exercice devient vraiment intéressant si vous connaissez la vie de l’artiste.
•
De son sujet — s’il s’agit d’un être vivant : à quoi pensez-vous au moment où vous êtes photographié ? Que ressentez-vous ? Vous apercevez-vous que vous avez été photographié ? Si oui, comment réagissez-vous ? Après coup, êtes-vous content de découvrir cette photo de vous ?
Cet exercice est intéressant car il vous permet de découvrir une photo sous de nouveaux angles, et ainsi comprendre ce qui fait qu’on l’admire et qu’on prend le temps de la contempler. Par exemple, en vous mettant à la place du sujet de la photo, vous pouvez vous apercevoir qu’il déborde de bonheur au moment où il a été photographié. En vous mettant à la place du spectateur, vous comprendrez alors que ce bonheur est communicatif, que vous le ressentez en regardant cette photo. Et en vous mettant à la place de l’auteur de la photo, vous comprendrez que c’est ce bonheur également qui a attiré son œil. Vous comprendrez alors que le sujet de la photo n’est pas la personne qui y est représentée, mais le bonheur en lui-même. Et la force du photographe, c’est d’avoir repéré 110
cette scène, d’avoir été capable de retranscrire ce sentiment, puis de le transmettre au spectateur. Au lieu d’être un bonheur qui ne dure que quelques instants et ne touche qu’une seule personne, ce bonheur réapparait à chaque fois que quelqu’un regarde cette photo. Il peut maintenant toucher des milliers de personnes et pendant de nombreuses années. C’est ça le pouvoir de l’artiste : capter un sentiment ou une idée et se servir de son art pour le diffuser aussi largement que possible. Enfin, un dernier point : ne vous limitez pas à la photo. Vous pouvez étudier et trouver l’inspiration dans d’autres domaines comme la sculpture, la peinture, l’architecture, l’écriture, la poésie, le cinéma, etc.
Apprendre de vous-même Apprendre des autres est important mais la personne dont vous avez le plus à apprendre est très certainement vous-même. Vous avez en vous la clé de votre propre évolution artistique, mais encore faut-il savoir — et vouloir — aller la chercher. Tout commence par l’exploration de votre propre travail. Prenez le temps de le comprendre, de l’analyser et de l’apprivoiser. Votre travail actuel, mais aussi votre travail passé. En passant du temps avec vos propres photos, vous découvrirez des thèmes ou des sujets qui reviennent fréquemment, des sentiments ou des ambiances qui vous touchent, des éléments qui vous parlent. Repérez toutes ces choses et analysez-les en vous posant des questions : Qu’est-ce que cela signifie pour moi ? Qu’est-ce qui me touche ou me plait ? Pourquoi ? Une fois quelque chose repéré, continuez votre exploration, 111
creusez le sujet, retournez sur le terrain pour prendre de nouvelles photos, parcourez vos archives à la recherche de cet élément. Bien souvent, c’est le fait de photographier un sujet qui vous permettra de comprendre la relation que vous entretenez inconsciemment avec lui. Par exemple, vous pouvez remarquer en analysant votre travail que vous êtes attiré par la solitude — vous photographiez souvent des gens isolés, des paysages désertiques que vous explorez seul, etc. Demandez-vous alors à quoi ressemble la solitude pour vous. Explorez cette solitude. Cherchez-la. Provoquez-la. Accentuez-la. Prenez-la en photo sous toutes ses coutures. Pourquoi en avez-vous besoin ? Ou, au contraire, pourquoi la fuyez-vous et vous fait-elle peur ? Cette démarche vous permettra de nourrir vos propres instincts. Lorsque plusieurs photos semblent définir un nouveau thème ou un nouvel intérêt, mettez-les côte à côte et cherchez à comprendre ce qui fait la connexion entre elles. C’est cette connexion que vous devez explorer. Plus vous prendrez de photos sur ce thème, plus vous serez concentré sur votre sujet d’étude, et plus votre travail deviendra intéressant et profond. Lorsqu’un nouveau thème se dessine, plongez la tête la première et commencez à nager. Chaque nouvelle brasse vous permettra d’en repousser les limites. Deux cas de figure seront alors possibles : 1.
Soit ce thème continuera à vous intéresser. Ce sera alors un thème que vous continuerez à explorer et qui donnera probablement naissance à un projet.
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Soit il s’épuisera rapidement. Il ne s’agira alors que d’une étape dont vous aviez besoin pour évoluer et trouver le thème suivant.
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C’est cette exploration sans fin qui rendra votre travail intéressant — aussi bien pour vous que pour les spectateurs. Votre appareil photo deviendra alors votre compagnon de route. Il vous permettra de découvrir qui vous êtes vraiment. De prendre conscience du chemin que vous avez parcouru, et de celui qu’il vous reste à parcourir. C’est également un allié, qui vous donnera le courage d’explorer en profondeur ce que vous auriez laissé enfoui en vous si vous n’étiez pas un artiste.
Un chemin sans fin Quand vous aurez commencé votre exploration, que vous aurez commencé à apprendre des autres et de vous-même, vous vous apercevrez que votre évolution est sans fin. À chaque fois que vous comprendrez quelque chose, vous découvrirez d’autres sujets ou d’autres intérêts à creuser. Cette exploration sans fin est ce qui caractérise l’évolution des artistes. On entend souvent l’expression « vous devez tomber amoureux du chemin, pas de la destination », à tel point qu’elle en devient un cliché. Pourtant, elle est tout à fait juste et extrêmement importante. C’est le chemin qui est important, pas le résultat. Votre travail de tous les jours, votre évolution, vos découvertes, ce que vous apprenez, le plaisir que vous y trouvez… C’est tout cela qui est important. Si vous vous lancez dans la photographie dans l’espoir d’atteindre un certain résultat, vous serez frustré tant que vous ne l’aurez pas atteint. Et si vous l’atteignez, vous vous apercevrez qu’en réalité rien ne change. Vous n’êtes ni plus heureux ni plus malheureux qu’avant. Il n’y a pas de finalité à votre pratique artistique. Vous n’avez pas d’objectif précis à atteindre. Vous devez juste pratiquer. Chaque jour. 113
Ne jamais arrêter de créer. Ne jamais arrêter d’apprendre. Ne jamais arrêter de vous améliorer et de vous dépasser. La pratique devient alors votre seul objectif. Vous pratiquez pour pratiquer, et c’est libérateur. Créez chaque jour et ne vous préoccupez que d’une chose : prendre du plaisir dans une pratique personnelle de votre art.
Trouver votre style Trop de photographes gaspillent une énergie folle à vouloir trouver leur style. Ils veulent que leurs photos sortent du lot, que leur travail soit reconnaissable, qu’il y ait une harmonie dans leurs créations. Le risque, en faisant trop d’efforts conscients pour vous créer un style, c’est de tomber dans le cliché, la caricature. C’est l’erreur que font d’ailleurs beaucoup de photographes actuels : à force de « travailler leur style », ils finissent par utiliser un filtre Instagram ou un preset Lightroom qui fait que toutes leurs photos se ressemblent et photographient toujours la même chose : des variations d’un sujet qui plait au public (des couchers de soleil, des portraits posés de modèles féminins à contre-jour ou avec un effet bokeh, des animaux mignons, etc.) Bien que leur travail soit cohérent, il ne dévoile absolument rien de leur auteur. Il n’y a aucune recherche artistique réelle. Seulement le désir de plaire au public. Leurs photos sont inintéressantes et, au final, en voulant se démarquer à tout prix des autres photographes, ils finissent par obtenir l’inverse. Bien que la signature visuelle de leurs photos soit différente, leur travail ressemble comme deux gouttes d’eau à celui de milliers d’autres photographes : ennuyeux, sans âme, artificiel, impersonnel. En faisant la même erreur que les 114
autres, vous obtiendrez le même résultat que les autres. C’est certain. Ne vous croyez pas différent. Maintenant, et j’en suis tout à fait conscient, les grands photographes ont tous une signature. Leurs photos sont reconnaissables. Un connaisseur est capable de différencier une photo prise par Henri Cartier-Bresson d’une autre prise par Joel Meyerowitz car ces deux photographes n’ont pas le même style. Comment alors trouver votre style sans tomber dans la caricature ? Comment produire un travail original qui se différencie de celui des autres photographes ? La réponse tient en trois mots : soyez vous-même. Personne n’est comme vous. Vous avez vos propres gouts, vos propres opinions, vos propres expériences, vos propres croyances, vos propres espérances, vos propres histoires, vos propres rêves, votre propre vision de la vie… Tout ceci fait que vous êtes unique. Et si votre travail reflète la personne que vous êtes, il sera unique lui aussi. Votre seul souci en tant qu’artiste est donc d’être vous-même. La meilleure version de vous-même. Si vous y arrivez — et ce n’est pas facile — votre style émergera de lui-même. Il apparaitra dans vos créations sans que vous n’ayez à faire d’efforts conscients pour l’y faire figurer.
Ne vous collez pas d’étiquettes Beaucoup de photographes se définissent comme des photographes de rue, des photographes de paysage, des spécialistes du portrait… Mais à quoi servent ces étiquettes ? Vous êtes photographe et c’est largement suffisant. Ne vous limitez pas à une discipline, surtout au début de votre carrière. Ne vous sentez pas obligé de faire la même chose que les autres photographes de rue sous prétexte qu’un jour vous vous êtes mis dans la tête que vous étiez un photographe de rue. Ces étiquettes vous limitent. Elles bloquent votre créativité. 115
Même si la rue est votre terrain de prédilection, certaines techniques utilisées en studio pourraient peut-être vous être utiles. Ou pourquoi ne pas faire appel aux services de modèles photo mais les photographier dans un contexte de photo de rue ? « Oui mais ce n’est pas ça la photo de rue. — Mais on s’en fiche, justement ! » Vous avez le droit de faire tout ce que vous voulez. Ne vous limitez pas en vous collant une étiquette inutile. Même l’étiquette de photographe est limitante. Vous pouvez par exemple travailler sur des projets qui mélangent peinture et photographie (ce qu’a fait Saul Leiter par exemple : Saul Leiter Painted Photos) ou encore musique et photographie (ce qu’a fait Ralf Gibson : Music for Lens and Guitar Live). Peut-être que vous déclarer artiste ou créatif plutôt que photographe est suffisant. Et même cette étiquette-là est limitante, car vous pouvez être artiste et entrepreneur, artiste et sportif, artiste et investisseur, artiste et (grand) père ou (grand) mère… Au final, nous sommes tous pareils : humains avant tout. Et cette étiquette là est la seule qui soit valable. Oubliez les étiquettes et soyez vous-même avant tout. C’est le plus important. C’est ce qui vous rend original et ce qui fait que vos créations nous intéressent.
Soyez vous-même Être soi-même n’est pas aussi facile qu’il n’y parait. C’est même très difficile en réalité. Pour y arriver, vous aurez besoin de courage : le courage de découvrir qui vous êtes, le courage de faire des choix, le courage de les assumer, le courage de créer ce que vous voulez malgré les critiques et les avis négatifs, le courage de continuer malgré les personnes qui essayent de vous dissuader de faire ce que vous avez en tête… Depuis des années j’essaye d’être moi-même. De créer ce que je 116
veux et pas ce que les autres attendent de moi. Ça se ressent dans mes études : j’ai commencé par médecine avant d’aller dans l’informatique puis dans la communication et n’ai jamais terminé aucun cursus. Ça se ressent dans ma vie : j’ai créé une boite d’informatique, j’ai fait de la photo et aujourd’hui je passe plus de temps à écrire qu’à prendre des photos. Et ça se ressent dans mes créations : certains de mes livres abordent la photo, mais d’autres le développement personnel et dernièrement la philosophie et notamment le stoïcisme. Être vous-même est difficile car les gens autour de vous ne vous comprennent pas — normal, ils ne sont pas à votre place. Lorsque je parle d’un nouveau sujet sur mon blog par exemple, je reçois souvent des critiques de lecteurs qui me conseillent de rester dans ma thématique, la photo. Ça serait plus simple en effet de les écouter. Mais alors, mon travail ne reflèterait plus la personne que je suis et, à long terme, il perdrait de l’intérêt et me plairait de moins en moins. Faire comme tous ces autres blogs qui parlent de photo et dont la majorité des articles concernent la technique ou le matériel, ce n’est pas pour moi, ce n’est pas moi, et tant pis si mes choix ne plaisent pas à tout le monde. Être vous-même sera donc difficile, vous pouvez en être certain. Vous aurez besoin de courage, d’être engagé, d’avoir une vision à long terme, d’affronter la réalité, de dévoiler ce que vous cachez enfoui au plus profond de vous. Ce n’est pas facile — si ça l’était, tout le monde le ferait — mais intéressant et instructif. Être vous-même est le meilleur moyen de vous épanouir, dans votre pratique artistique, mais aussi dans votre vie personnelle. Vous êtes unique et votre travail doit le refléter. Soyez courageux. Avec le temps, ça sera de plus en plus facile, 117
vous verrez.
Vous êtes un oignon Vous êtes comme un oignon. Le cœur de cet oignon, c’est la personne que vous êtes vraiment. Mais autour d’elle, il y a une multitude de couches. À la naissance, vous étiez vous-même. Mais vos parents, votre entourage, la société et toutes les expériences de votre enfance ont ajouté des couches successives qui aujourd’hui vous empêchent de voir — et de montrer — la personne que vous êtes vraiment. Plus il y a de couches, plus vous ressentez un déséquilibre — normal, vous ne vivez pas selon vos valeurs mais selon celles d’autres personnes. Si vous voulez vous épanouir, vous devez enlever ces couches successives jusqu’à ce qu’on puisse à nouveau voir le cœur de cet oignon. Chaque couche enlevée vous rapproche de la personne que vous êtes vraiment. Comment enlever ces couches ? En ayant le courage d’écouter vos sentiments. Car même si le cœur est caché, il arrive parfois à se faire entendre. Très faiblement s’il y a beaucoup de couches, et de plus en plus clairement au fur et à mesure qu’elles disparaissent. Si un projet, une activité ou une situation de votre vie vous ennuie ou vous rend malheureux, c’est probablement que vous êtes prêt à enlever une couche de votre oignon. Si un projet vous passionne, vous fait rêver et vous excite, c’est probablement qu’il représente une couche plus profonde de l’oignon que vous épluchez. Votre job est donc d’écouter vos sentiments, de remarquer quand il est temps de passer à autre chose, et d’avoir le courage de vous lancer dans l’inconnu. Si à chaque nouveau projet, à chaque nouveau boulot, à chaque 118
nouvelle relation, à chaque nouvelle expérience vous avez le courage d’être un peu plus vous-même, vous vivrez heureux, épanoui et déborderez d’énergie créative. Dans le cas contraire, si vous choisissez la facilité à court terme, si vous n’avez jamais le courage d’explorer ce que vous cachez au plus profond de vous, vous ressentirez un déséquilibre toujours plus important. Cette quête d’authenticité doit devenir votre raison de photographier, votre raison de vivre même, car il n’y a qu’en vous rapprochant de votre propre cœur que vous pourrez accomplir la tâche pour laquelle vous êtes ici sur terre. L’acte le plus généreux que vous puissiez réaliser est d’avoir le courage de devenir vous-même. De créer ce que vous avez envie de créer, et non pas ce que vous pensez que le monde attend de vous. De cette authenticité naitront vos plus grandes créations. Alors, soyez courageux : soyez vous-même.
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Conclusion
Le flux de travail que j’ai conçu et que nous avons mis en place dans cet ouvrage est pensé comme un système qui, si vous l’utilisez comme il se doit, vous aidera à vous diriger vers une pratique de la photo plus personnelle, plus enrichissante et plus épanouissante. Les changements engendrés par ce système ne seront pas visibles dès les premiers jours, mais faites-lui confiance : ce système fonctionne. Bientôt vous vous apercevrez que vous prenez plus de photos qu’avant, et surtout que ces photos vous ressemblent davantage. De votre côté, tout ce que vous avez à faire est de vous concentrer sur le processus. Sur le terrain, prenez des photos sans hésiter, simplement en faisant confiance à votre instinct, et dès que quelque chose attire votre œil, photographiez-le. Mettez-vous aussi souvent que possible dans des situations où quelque chose d’intéressant risque de vous arriver. Vous n’avez pas besoin de partir à l’autre bout du monde pour cela, mais simplement de sortir de chez vous. Soyez vous-même. Soyez curieux. Ayez toujours votre appareil avec vous. Bougez. Vivez. Adaptez la photo à votre vie, et pas votre vie à la photo. 122
Laissez ensuite murir votre travail à travers les différentes phases d’éditing que nous avons décrites dans cet ouvrage. Observez et analysez votre travail, et posez-vous des questions. Essayez notamment de comprendre ce qui vous a poussé à prendre telle ou telle photo, de comprendre ce que vous aimez photographier, pourquoi, etc. Je vous conseille, au moins dans un premier temps, de vous couper de toute influence extérieure qui pourrait vous pousser à changer les photos que vous prenez. Dans un second temps, lorsque vous aurez confiance en vous et en votre travail, vous pourrez à nouveau partager votre travail. Mais pour l’instant, mieux vaut rester isolé. En répétant ce processus encore et encore, vous découvrirez une personne qu’aujourd’hui vous ne connaissez pas, ou en tout cas une personne que vous ne laissez pas assez s’exprimer : vousmême. Lorsque vous aurez le courage d’être vous-même, de vous exprimer librement dans votre travail sans chercher à plaire à qui que ce soit, votre identité visuelle se révèlera d’elle-même. Votre style s’affirmera sans que vous n’ayez d’efforts conscients à produire. Bientôt, n’importe quelle personne qui regardera vos photos saura que vous en êtes l’auteur, car elle verra tout de suite la façon que vous avez de voir le monde et de le photographier. Ainsi, lorsque vous montrerez vos photos, vous déclarerez avec confiance : « Voici la façon dont je vois le monde, voici ce que je trouve intéressant artistiquement, et voici ce que je pense. » Votre travail vous permettra de vous épanouir. Une dernière chose avant de vous quitter : rappelez-vous tou123
jours que ce n’est pas l’idée de départ qui fait le succès d’un projet, mais ce que vous y investissez. Si vous mettez assez d’énergie, assez de conviction, assez de passion dans vos projets, vous obtiendrez des résultats intéressants. Et plus ces investissements seront personnels, plus vos projets seront intéressants.
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