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French Pages [936] Year 1994
L'ÂGE DE L'ÉLOQUENCE
Rhétorique et « res literaria » de la Renaissance au seuil de l'époque classique
«
Bibliothèque de L'Évolution de l'Humanité»
DU MÊME AUTEUR L'État culturel: une religion moderne, Paris, Bernard de Fallois, 1991. Héros et orateurs : rhétorique et dramaturgie cornéliennes, Genève, Droz, 1990.
MARC FUMAROLI
L'ÂGE DE L'ÉLOQUENCE Rhétorique et « res literaria » de la Renaissance au seuil de l'époque classique
Albin Michel
Bibliothèque de
«
L'Évolution de l'H:tmanité »
Première édition:
© 1980 by Librairie Droz S.A., Genève Préface et édition au format de poche:
© Éditions Albin Michel, S.A., 1994 22, rue Huyghens, 75014 Paris ISBN 2-22606951-8 ISSN 0755-1770
Je dédie ce /ivre à la mémoir~ du KP. François de Dainville.
Michel DORIGNY, Polymnie, muse de l'Éloquence (1650?), Paris, Louvre. Ce table;m, longtemps attribué à Simon Vouet, représente Polymnie, muse de l'Eloquence. Selon Jacques Thuillier, il faut l'attribuer au gendre et élève de Vouet, Michel Dorigny, et le dater des années 1650. Polymnie est représentée assise en majesté sur le seuil d'un temple, dont les colonnes cannelées, rythmées par couples, anticipent sur la conception très originale de la façade du Louvre par les frères Perrault. Son bras gauche est appuyé sur un socle de marbre. De son bras droit, la muse donne un échantillon de l'Actio rhetoricu : l'index dressé vers le haut, les autres doigts artistement disposés, font de la main une entité oratoire, une invitation douce mais ferme pour l'œil à écouter l'enseignement de la muse. La muse parle en effet, son éloquence est orale, et son discours est noté par écrit par un putto-secrétaire installé sur sa gauche. Son regard, les plis délicats de sa tunique blanche, son geste et son attitude tranquilles, tout annonce que sa parole est Douceur. Mais la vaste et majestueuse cape de style « toge» dont elle est enveloppée, sa coiffure de reine tressée par un ~éseau de perles, annoncent aussi la Dignité et la Majesté de son discours. A ses pieds, un lion, plus héraldique que réaliste, symbolise la Force, dont la parole de la muse est capable, mais dont elle dédaigne de se servir inutilement. Au second plan, on entrevoit un consul ou un imperator romain, couronné de lauriers, et haranguant ses troupes, à qui il tend une couronne en récompense de leur future victoire. La s.::ène lointaine se déroule devant la façade d'un autre temple (assez semblable à la Maison carrée de Nîmes) qui est très probablement le temple de la Gloire. Au pied de la Muse, un putto ailé soutient une plaque de marbre sur laquelle on peut lire le verbe SUADERE. Toutes les facettes d'idéal oratoire sont ainsi concentrées par le peintre dans une vigoureuse image de rilémoire. La Douceur est mise en avant, la Force et la Véhémence à l'arrière-plan et en repos. Le rythme musical et la douce majesté périodique, symbolisés par le chant des colonnes, sont placés au-dessus de la brièveté âpre et de la rapidité véhémente O'ugudezu de l'ennemi héréditaire, l'Espagne) comme symboles du meilleur style français. L'art de persuader est ici lié à l'exercice d'une haute magistrature responsable et civile, son exercice est récompensé par la Gloire. On a là un traité de rhétorique proprement française par l'image, parfaitement accordé au classicisme académique et royal qui prévaut à la fin de la Fronde, et après la victoire de la France consacrée par les traités de Westphalie, au seuil du règne personnel de Louis XIV.
PRÉFACE Pour Alain Michel, l'ami de toujours. Ce livre, que la IV' section des Hautes Études, alors présidée par M. Michel Fleury, m'avait fait l'honneur en 1980 d'accueillir dans sa collection publiée aux éditions Droz, à Genève, a connu la fortune internationale d'une sorte de samizdat savant, en dépit de son poids, de son prix et de son tirage relativement faible. Conçu à une époque (les années 70) où le structuralisme se posait à la fois en rival et en héritier du marxisme dans les sciences humaines, ce livre échappe à ces ambiguïtés, mais son inspiration est « structurale D. Cela n'était pas visible au moment où il a été publié et je suis très heureux d'avoir bénéficié de cette discrétion. Je tenais beaucoup alors à manifester ma dette et ma solidarité envers l'histoire littéraire classique, qui m'a formé et que l'on maltraitait fort dans ces temps-là. Maintenant que, quatprze ans plus tard, les éditions Albin Michel veulent bien donner de L'Age de réloquence une réédition intégrale dans la collection « Bibliothèque de L'Evolution de l'Humanité D, le recul du temps et le calme revenu dans les esprits m'invitent à expliciter davantage la méthode que j'ai suivie, que je tiens plus que jamais pour féconde, et qui a valu à ce livre l'intérêt aussi bien des historiens çlassiques de la littérature. que de structuralistes bienveillants et attentifs. A l'époque où j'écrivais L'Age de l'éloquence, les maîtres des sciences humaines cherchaient des structures d'intelligibilité pour leurs diverses disciplines dans la linguistique moderne d'ascendance saussurienne. Ce livre d'apparence toute classique s'était proposé à rebours de comprendre l'histoire des formes littéraires à la lumière de la plus ancienne structure générative de discours : la rhétorique, l'ars bene dicendi. On ne l'appelait alors que « l'ancienne rhétorique» et on la rangeait dans la colonne profits et pertes de la comptabilité en partie double du progrès des Lumières. Une des questions d'école les plus ardemment disputées était le rapport entre « structure », notion platonicienne, et « histoire " notion héraclitéenne, entre « phénomènes de longue durée» relativement stables, et événements successifs et accidentels.
Historien de la littérature, je voyais bien dans la rhétorique une structure d'intelligibilité, mais contrairement à celles qui étaient alors à la mode au Quartier Latin, c'était une structure vivante, susceptible d'une
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tradition évolutive dans le temps. Depuis toujours, elle avait concilié spontanément et pour ainsi dire en marchant la structure et l'histoire. Elle s'imposait donc à moi comme un phénomène de très longue durée, mais capable, du fait de son profond ancrage dans la nature humaine, de surprenantes métamorphoses de génération en génération, de lieu en lieu, d'individu à individu. On pourrait qualifier cet oxymore, qui avait toute sa vie fasciné Jean Paulhan, de « structure mère ", réunissant dans ses traits constitutifs à la fois la transcendance d'une forme quasi pythagoricienne et l'immanence quasi biologique d'un organisme vivant capable de s'adapter aux changements de décor, de moment et de partenaires. Cette structure mère m'apparaissait aussi comme la souche mère de la civilisation littéraire de l'Europe. Ce n'était pas son moindre attrait. Vivante dans le temps, cette structure mère présente l'avantage pour l'historien de rendre compte des phénomènes de tradition, de récurrence, de réemploi, que l'on a volontiers aujourd'hui tendance à tenir pour des formes de conservatisme paresseux ou de distinction de caste, alors que la moindre expérience littéraire atteste aussi le principe de variabilité qui les rend inventifs et fertiles. La rhétorique n'a pas de ces préjugés d'intellectuel moderniste: elle prend acte du fait que l'on parle et l'on écrit dans le cadre de ce qui a été déjà dit et écrit, et elle donne les moyens de dire du neuf dans le cadre de ce qui a été bien dit et bien écrit. Mais elle a encore bien d'autres mérites aux yeux de l'historien. Elle lui permet de saisir d'un même mouvement et d'une même vue synthétique les différents étagements de l'acte de parole, que la technicité et l'extrême spécialisation des modernes disciplines du langage tendent à perdre de vue et à émietter, et que l'histoire positiviste, de son côté, est toujours portée à réduire ou même à sousestimer au profit d'une juxtaposition de faits alignés sur le même plan. Or l'histoire des hommes est faite au moins autant d'actes de parole que de faits. La rhétorique donne accès à cet ordre symbolique qui a son autonomie et sa puissance explicative, même s'il fraye son chemin parmi les fait bruts, si tant est que des faits vraiment humains puissent être bruts. Enfin, et c'était peut-être pour moi à ce moment-là l'essentiel, la rhétorique était vivante pour les Européens du XVI' et du XVII' siècle dont il m'importait de comprendre les témoignages littéraires. Elle donnait forme à leur langage et à leur conduite, et elle leur donnait de surcroît les instruments qu'il leur fallait pour se rendre compte à eux-mêmes de leurs représentations. Le recours à la rhétorique comme instrument de compréhension de leur univers symbolique avait le mérite d'éviter toute projection arbitraire de nos propres schèmes modernes sur un passé qui en savait plus long sur lui-même que nous. Elle ouvrait la voie à une redécouverte de l'intérieur des institutions symboliques qui donnaient sens à leur parole, et déterminaient celui que ses destinataires lui prêtaient. L'homo rhetoricus est tout simplement l'homo symbolicus en action. J'ai insisté sur la vie, le métamorphisme, la puissance de variation de l'art traditionnel de bien parler. J'ai suggéré l'importance de ses enjeux pour l'homme en société et pour la société elle-même auquel il appartient. Je dois aussi mettre l'accent sur ses constantes, et sur son architectonique qui donne forme et fécondité intérieure à cet être inachevé et si volontiers informe: l'homme. On trouve en effet dans la rhétorique, surtout lorsqu'on
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la ressaisit dans sa version classique - cette synthèse romaine qu'en proposent Cicéron et Quintilien - une simple et forte architecture au fronton de laquelle on est tenté de lire la devise placée par Platon à l'entrée de son Académie: « Que nul n'entre ici s'il n'est géomètre. » Ce temple invisible de la Parole est régi en effet par le dénombrement. La génération du discours persuasif type obéit à cinq étapes: invention, disposition, mémoire, élocution, action. La disposition du discours type s'organise elle-même en cinq parties ": exorde, narration, confirmation, réfutation, péroraison. Ces cinq parties renvoient à trois partenaires: l'orateur qui veut persuader, l'interlocuteur qu'il doit persuader, et son contradicteur qu'il doit réfuter. Le temple est aussi un théâtre. Cette parole dont il abrite et régit l'exercice est aussi un dialogue et un acte. Les conventions auxquelles elle est soumise sont connues et communes pour les différents protagonistes, les personae, du drame. On compte trois sources de la réussite du discours: la nature de l'orateur, l'art qui parachève ses dons naturels, et l'exercice qui fait de l'art une seconde nature (la facilitas). On dénombre trois facultés de l'âme qu'il importe de développer par l'art et l'exercice: le feu du talent (ingenium), le bon sens et le goût (judicium) et la mémoire (memoria). On classe les discours en trois genres: le judiciaire, au tribunal, le délibératif, dans les conseils politiques, le démonstratif, dans les cérémonies et les fêtes. Le temple et le théâtre contiennent donc la Cité. Ils donnent forme aux différents moments et instances de dialogue où intervient un discours public. Toute rhétorique implique une sociologie des rôles sociaux et des institutions où ils prennent sens. On compte trois finalités du bien dire: convaincre (docere), plaire (de/ectare), émouvoir (movere), qui répondent à trois saveurs majeures du discours: la vigueur rationnelle, la douceur émotive, la véhémence pathétique. La rhétorique ne peut être ni un rationalisme, ni un irrationalisme. Elle suppose une théorie de l'entendement et des passions qui veut leur synthèse: la raison, le désir et les passions (que la rhétorique s'efforce de classer et de décrire en passions-modèles) sont inséparablement nécessaires à l'orateur, et celui-ci sait qu'il s'adresse au même composé humain que lui-même. Cette idée d'une nature humaine composée est elle-même inséparable d'une épistémologie pratique. L'art de persuader, on l'a assez reproché aux sophistes, doit tenir compte de l'opinion. Mais s'il se propose toujours de la convaincre, il ne se ravale pas nécessairement à lui complaire. Il ne peut se passer d'une critique de l'opinion, des passions et des émotions dont elle se soutient, ni d'un appel au sens commun que l'opinion, les passions et les émotions oblitèrent. On trouve à cet étage de l'art une autre triade, qui gouverne son rapport au vrai: l'opinion (les lieux communs du moment), ,.le senscommun (les lieux communs fondés en nature et en expérience) et " l'éloque'nêè de l'orateur, qui critique l'une pour la convertir à l'autre. Nous sommes en effet avec la rhétorique dans l'ordre de ce que La Fontaine appelle « les choses de la vie », où le vrai, le beau et le bien sont hors de portée en ce qu'ils ont d'absolu, et où l'idéalisme platonicien doit composer avec le scepticisme et l'empirisme. Comme la littérature, elle fait son miel des systèmes philosophiques, elle ne s'enferme dans aucun. On range les styles de discours en trois degrés: le simple, le grand et le
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moyen, dont le choix est déterminé selon plusieurs critères (la matière, les circonstances, la nature ou le tempérament de l'orateur), tous pondérés par le jugement, qui se détermine en fonction d'un sentiment harmonique, le decorum, la convenientia. C'est ce sentiment harmonique qui gouverne tout l'organisme oratoire. Dans la Cité antique, dans ses institutions, ce sentiment est constitutif et facteur de l'équilibre politique de toute la communau té. On pourrait encore énumérer d'autres triangles ou pentaèdres qui tendent à ajuster en un corps idéal (et facile à fixer dans la mémoire) les principes du bien dire, simples et à l'épreuve du temps comme de la diversité humaine. Ce corps idéal structure et coordonne à la fois la puissance individuelle de génération du discours persuasif, et les conditions de son exercice social en présence, en fonction ou à la place d'autrui. Rien de moins autiste, rien de plus sociable que l'art romain de persuader. Bene dicere : bien dire, cela équivaut en latin à bien montrer, à bien se montrer, selon la racine *deik, *dik, que l'on retrouve dans le grec deik»luni. Bien montrer, bien se montrer, cela suppose au moins un partenaire à qui la démonstration et la mise en scène de la persona sont destinées, et qui est toujours libre de ne pas être persuadé par cette performance ou de l'approuver. Et cependant, même à s'en tenir à ses traits les plus élémentaires, ct' corps idéal n'est pas figé dans une perfection abstraite, immobile et néoclassique comme dans le marbre d'une statue de Thorwaldsen. Ce n'est pas non plus une prothèse mécanique ou un « grand mannequin }) (Diderot) apposés sur l'homo loquens. C'est un corps artiste et vivant, une sorte de système nerveux sympathique de la parole: il comporte des variahles qui lui permettent, sous les optiques les plus différentes, de prendre, et même avec grâce, des formes et des attitudes accordées aux situations les plus opposées. Ses trièdres et ses pentaèdres se plient à une combinatoire qui leur donne une marge très souple de jeu. C'est ainsi que l'invention suppose à la fois de l'ingenium, de la memoria et du judicium. Or l'ingenium (degigno, engendrer: c'est la puissance générative de l'esprit) varie du tout en tout, en quantité comme en qualité, d'un être humain à un autre. Il peut être chez l'un talent, chez l'autre génie, chez d'autres encore belle mécanique de surdoué, selon une gamme de lumière et d'obscurité inventives et cognitives qui varient à l'infini. Il en va de même du judicium, plus ou moins développé selon les sujets, d'autant qu'il met en jeu à la fois le rationnel, l'émotionnel et l'appétit. La memoria, Dame Frances Yates l'a montré dans un livre qui a rait date, The Art of Memory (L'Art de la mémoire, Paris, Gallimard, 1975) n'est pas seulement une faculté plus ou moins naturellement développée: c'est aussi un art dont le poète grec Simonide (l'auteur de la sentence fameuse: « La peinture est une poésie muette, la poésie est une peinture parlanie ») passe pour avoir été l'inventeur. Cet art qui vainc l'oubli (en associant notamment la parole et l'imagination) ne permet pas seulement il l'orateur de prononcer son discours de mémoire comme s'il l'improvisait dans l'instant (c'est un des secrets de la facilitas, du « naturel ») . il construit une tradition, un dialogue avec les morts; tradition littéraire et art rhétorique de la mémoire sont synonymes. La mémoire de l'orateur emmagasine: des
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textes classiques, elle les range par « lieux» et elle offre ainsI a son invention les ressources de savoir et de parole accumulées par l'expérience de nombreuses générations. Ce sont les « précédents» d'une jurisprudence de la parole tout à fait analogue à la jurisprudence du légiste, un « droit naturel » qu'il est toujours loisible d'opposer à l'opinion artificieuse du moment. L'art de la mémoire ne se contente donc pas de suppléer à la mémoire naturelle, il élargit et approfondit aux dimensions de toute une communauté, coprésente dans ses textes classiques, les capacités de pensée et de parole du sujet oratoire. Cette structure trine du bien dire, inséparable d'une sociologie, d'une théorie de l'entendement et des passions et d'une épistémologie pratique, suppose aussi bien une anthropologie ou typologie des tempéraments, des caractères, des humeurs, des goûts, des âges de la vie qui complète sa typologie des passions, et cet ensemble de prénotions pourvoit l'orateur d'une science expérimentale de la nature humaine, définie avanltout par la vaste variété de ses aptitudes à la parole et à l'intelligence de la parole. La mobilité et l'adaptabilité de cette structure, éminemment propice à l'éducation des enfants, sont surprenante;" même si on la saisit, comme je le fais ici, sous l'angle le moins favorable, parce que simple et simplirié. Sur la trame des ci1lq parties du discours type, pour s'en tenir à cct exemple, on peut en effet se livrer, en fonction de critères que le jwliciulI1 est maître d'apprécier, à des permutations, des retranchements, des adjonctions qui laissent intacte la norme, tout en l'assouplissant aux fin, et aux intentions les plus diverses. Ce pentaèdre rhétoril/uc, bien qu'il apparaisse assez t~rd dans la théorie antique du discours, est si heureusement construit qu'il permet même de comprendre rétrospectivcment des formes antérieures à la rhétorique. Le genre narratif par excellence, l'épopée homérique, ignore ces cinq parties, et pour cause. Or la narration homérique contient les quatre autres parties du discours que définira la rhétorique et ne les ignore pas. Elle les contient en germe et dans un autre ordre. Commencer in medias res est une forme saisissante d'exorde, qui rend nécessaire des retours en arrière complétant la narration; celle-ci s'achève dans le poème par une péroraison qui referme le cycle narratif. La mémoire est partout dans l'Iliade: répétitions formulaires, qualitatifs « homériques », métrique: tout y est fait pour facili ter le travail de gravure de la parole, dans l'esprit du récitant comme dans celui de l'écoutant. Pour autant, l'argumentation dialogique (la confirmation et la réfutation) n'est pas absente de ce chef-d'œuvre pré-rhétorique. On a hientôt aperçu, dès l'Antiquité hellénistique, que la narration homérique est allégorique, et qu'elle enveloppe, sous son integumel1fWIl, des disputes particulières autour d'une question générale : la colère d'Achille. La narration est bien hypertrophiée dans l'lliade, si on la mesure à la place qu'elle tiendra dans le discours de l'orateur de l'agora. Elle n'est déjà parfaite et exemplaire que parce qu'elle enveloppe les quatre autres parties du discours type, comme si elle était son anamorphose prophétique. Loin d'être étrangère au chef-d'œuvre originel de toute littérature, la rhétorique est en quelque sorte son héritière. Au XVIIe siècle, on cite souvent les trois héros de l'Wade, Agamemnon, Nestor et Ulysse, comme les prototypes d'orateurs et même les emblèmes des trois degrés de style. L'lliade était
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comprise comme un formidable agôn, à la fois tribunal et théâtre, autour d'Achille, héros, victime et coupable, dispute où la parole et l'acte échan· gent leurs pouvoirs et font avancer le procès du héros, qui est aussi S('II drame. Il est significatif que la crise de la rhétorique, à la fin du XVII' siècle, ait coïncidé avec une Querelle d'Homère. La notion clé qui gouverne tout le corps de l'art de bien dire, son plexus solaire, c'est, je l'ai dit, le prepon grec, le decorum, la decentia, la cOl/venie/llia des Romains. C'est une notion d'essence harmonique, que Nicolas POllssin au XVII' siècle, « antique» dans l'âme, faisait comprendre à ses correspondants en invoquant la théorie des modes musicaux. Le decorum peut être ritualisé, objectivé, institutionnalisé, ne laissant place à aucune variation et exigeant même une discipline exacte définie en relation avec un ordre ab~olu et sacré. Mais il peut faire preuve à l'autre extrême de l'adaptabilité la plus souple et sensible aux modifications impalpables de l'heure, du lieu, du moment, de l'humeur, bref de la conjoncture Ulle harmonie heureuse et improvisée qui se modifie sans cesse, mais san;: cesser pour autant d'être harmonie. C'est la tendance romaine, qui sv dérobe par là à la tendance byzantine et orientale. Ni decomm, ni cO/lveIlielltia, ni Jecentia ne sont dans la tradition romaine, même liturgique, des codifications figées. Ils changent de sens et de style selon les époques, les régimes, les milieux, les individus, tout en maintenant intacte cette exigence d'acco"c! entre la parole, le geste, et la nature du drame qui les postule. On peut [aire à bon droit de cet accord fuyant, mais toujours à retrouver, l'essence forte et vivante de l'art romain de bien parler. Les trois stvles que distingue Cicéron, et dont chacun convient à un contexte instItutionnel ou circonstanciel ditlérent, sont si peu figés dans leur définition que le Père de l'éloquence romaine a pu les associer à trois écoles oratoires: le style simple, à l'école des Vieux-Romains lesquels, comme les :1tticistes grecs, se refusaient aux ornements de la Grèce décadente; le style grand ou magnifique, à l'école asiatique, luxueuse cl ornée; et le style moyen à sa propre école, où l'on apprenait à n'avoir pas un style mOilocorde, mais à doser son propre style de façon vivante dans le fllême discours, simple quand il le faut, grand et véhément quand il le faut, grand é:( magnifique quand il le faut, moyen enfin quand cela s'impose, à mi-chemin de la grandeur ct de la simplicité. Ce trièdre atticisme! asianisme/naturel est certainement celui qui ajoué le rôle le plus détermi· nant dans la conscience historiqc:e aussi bien que littéraire de l'Europe, ~l1ciel1nc et moderne, Chacune de ses facettes ne suppose pas seulemeni un parti pris stylistique (donlles d~[inili(Jns peuvent beaucoup varier d'un auteur à j'autre, d'une génération à l'autre, d'un lieu à un autre), mais un sentiment du temps. Tragiquc chl'~ les attilistes, ce ,entiment est lié il hl hantise de la « décadence » et de la corruption; optimiste, chez les asianis I('s, Il est lié J l'euphorie du " progrès » des arts et des lettres, ct au bonheur de célébrer des princes mécènes. Le « naturel » (notion essentiel· lement française au XVII' siècle, quoique d'origine cicéronienne) ne veut ni renoncer à la sévérité tragique de l'attici,mc ni à la bonne humeur historique Je l'asianisme, et il y réussit dans l'enjouement supériem d'un Pascal, dans l'ironie généreuse d'un Molière, dans la terrible lucidité di? Racine voilée par le chant.
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L'attjcisme du XVI' et du xvn' siècles a ses maîtres chez Sénèque et che; Tacite. L'asianisme trouve les siens chez Ovide et chez l'héritier le plus « fleuri )} de Cicéron: Pline le Jeune. Le «naturel », d'essence ciCérDnienne, cherche de divers côtés (Virgile, mais surtout Horace) à concilier simplicité et profondeur, gravité et sourire. Ici encore nous trouvons dan~ cette trinité mobile, liée à une subtile jurisprudence d'auteurs divers. llIl' structure d'intelligibilité parfaitement présente à l'esprit des contelTl)w rains lettrés. Mais il est impossible de l'appliquer mécaniquemc'nt Eil,; suppose, chez le savant qui s'en sert pour comprendre les conîli!s Je gOÎlt et de style, un tact et un goût exercés, un sens aigu des couleui5 ct dcs nuances littéraires, et une sorte d'antenne pour discerner les a!fil!l1é:i ,l les répugnances si délicates et pourtant si décidée, lorsqu'il es[ qllC~tj01i de style. L'historien moderne ne saurait être moins averti ct moins iniuitii que ses hôtes d'autrefois à qui il rend visite. Les théoriciens grecs, avant Cicéron, avaient opéré d'autres découpa!,-c' et pris d'autres exemples dans leurs propres classiques: Thucydide l vigueur), Isocrate (ornement), Platon (simplicité). La souplesse vivan\(> recommandée par Cicéron est clle-même à l'origine de la doctrine tardive d'Hermogène, qui introduit une pensée du style à facettes, admirable combinatoire de ce qu'il nomme" idées)}: pureté, noblessc, rudesse, éclôt, vigueur, complication, beauté, vivacité, naïveté, saveur, piquant, modération, sincérité, sévérité, habileté. JI a été difficile depuis il la crilique littéraire d'aIJer plus loin dans !'analy~e des effets d'un disc:ours, même s; l'on peut - et 0n n'y a pas manqué ajouter de nouvelles nuances et dissociations à ce\ « idées)) primitives, et découvrir entre elles de llouvelics allianccs, On n'insistera jamais assez sur le sentillH'nl. q;]C ia rhétnri que aiguise, dc ces « idées " qui sont en réalité des saveur;;, Llnnt Je pouvoir de décrire et surtout d'affronter les nfrinités cl les inimitiés, non seule· men! entre un autt'ur et sun Jecteur. mais f'ntr(' locuteurs et nuditeurs dans la vie de société, échappe à l'nnalysc rationaliste des faits de langage. Ce sentiment des saveurs, la rhétnrique l'aiguise par unc théorie des styles, de leurs étages et de leur variabilIté. Les tr()i~ styles :ielon Cicéron deviennent même, pour un rhéteur alexandrin qui est son contempcirain, le PseudoLongin, l'étage inlérieur de ce qn'il appclle le sublime, « idée " du style d'une tclle concentration ou'elic transcende toutes les aulr'~s : "bol!:i'J, ,in
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Literarischen Rhetorik, de la profusion libérale des figures du discours chez les théoriciens des diverses époques, et dans les textes eux-mêmes. l.es anciens rhéteurs ont rangé les figures du discours dans la catégorie de l'ornement, orna tus. L'appauvrissement sémantique du mot ({ ornement" dans les langues modernes a favorisé un pli que même les plus grands esprits ont pu prendre, et selon lequel le ({ fond" compte plus que la ({ forme ", dont le caractère ornemental est à la limite superflu. Mais l'orna/us antique n'a rien de commun dans son principe avec cette " forme» prétendue que les esprits forts, aujourd'hui plus que jamais, se targuent de dédaigner: ce serait un luxe et une perte de temps. L'ama/us antique, comme le teint, le pouls, Je regard, la voix et la respiration, symptômes d'après lesquels le médecin du premier coup d'œil jauge la santé ou la maladie, c'est le discours lui-même, dans l'éclat qui manifeste à autrui sa vigueur, sa jeunesse, son pouvoir d'attirer une réponse. Les figures de l'arnatus, que l'on traile volontiers aujourd'hui de littéraires avec une moue dédaigneuse, ont un lien organique avec la force de l'argumentation, la capacité de plaire et celle d'émouvoir. Bien mieux, c'est par elles que le discours respire et emprunte ses énergies à la nature, entendue au sens antique de cosmos. Bon nombre de ces figures relèvent en effet de la mimésis, de l'imitatia Naturae. Si le discours est un ({ corps", par lequel l'urateur se montre à autrui, ce corps est d'autant plus actif, désirable, contagieux qu'il y a, comme on le dit dans les ateliers de peintre, de l'espace autour de lui, el de la vie dans cet espace. L'orateur classique, quoique citoyen d'une Cité, participe d'un univers naturel qu'il partage avec son auditoire, ct il tient beaucoup à cc que son discours vive avec et de la Nature, car celle-ci parle à tout être humain, même le plus fruste, un langage qu'il comprend d'instinct. Les figures du discours peuvent être des miroirs de la Nature. Les figures de mots imitent les rythmes ct les sonorités des phénomènes naturels. Cicéron parle à cet égard du style comme J'une pluie bienfaisante, de sa véhémence comme d'un orage, et le Pseudo-Longin compare le trait vif et sublime à un éclair. La distribution du discours et ses parties relèvent de l'arborescence et de la biologie beaucoup plus que de la géométrie. La correspondance macrocosme-microcosme est déjà implicite d,ms la langue des critiques antiques, llui parlent du sang et des muscles d'un discours, ou de sa force comme celle d'un athlète. Pour que cet athlète soit à son avantage, il faut le montrer dans un paysage ou sur une scène animée. Les hypotyposes, c'est-à-dire tableaux, portraits, descriptions, font voir à l'auditeur des ciellx, des contrées, des villes, des campagnes, des personnages lointains ou disparus. Il y a du vrai dans l'idée que ces figures mimétiques renvoient en dernière analyse à la métaphore, pour peu que l'on ne durcisse pas cet aperçu en un « codage ", qui fige et mécanise les ressources du langage. Une puissance générative prodigieuse est investie, et non pas « codée ", dans cette figure majeure de l'ornatus capable de transporter l'esprit du propre au figuré, d'un ordre du réel, à un autre, de l'inconnaissable au connu, de l'invisible au visible, découvrant des rapports et ouvrant des perspectives inconnues. C'est bien là, avec la syntaxe, qui articule autour
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du verbe un réseau de relations nerveuses et mobiles, une des énergies primordiales du langage. On le voit encore dans la métonymie, cette métaphore oubliée et devenue invisible (la« voile au loin », les « armes qui cèdent à la toge»), et qu'il revient à l'orateur et au poète de ressusciter comme d'entre les morts. L'étymologie soutient ces miracles de la parole: le travail redevienl ce qu'il menace toujours d'être, torture, si l'éclairage du mot révèle le latin tripalium qui dormait dans ses entrailles; l'humilité recouvre son pouvoir d'émotion et redevient un geste visuel chargé de sens si le latin humus se réveille dans son sarcophage français: la terre à même laquelle on s'agenouille et on se prosterne. L'enfance cesse d'être une catégorie de consomma leurs si ce mot français s'entrouvre pour laisser paraître l'infans latin, le petit être encore privé de parole. La fée retrouve son pouvoir d'enchanter si le conteur réussit à réveiller le verbe latin fari - parler, prononcer des paroles magiques - qui seul peut lui rendre son être propre. Les historiens de la littérature - et les écrivains parfois - se défendent de la rhétorique, même au sens généreux où je l'entends, en l'opposant au roman: la fiction narrative serait l'essence pure et indépendante de la littérature. Cette autre résistance à la rhétorique entraîne pour la littérature contemporaine un principe de rétrécissement et d'anémie, et pour la littérature d'Ancien Régime, une méconnaissance de sa véritable fonction. Coupé de l'arbre rhétorique, le roman se retrouve pur sans doute, mais bien fragile et bien exposé, surtout aujourd'hui où les torrents du livre et de la communication l'emportent. Dans ses ressorts et dans sa genèse, le roman est une branche vigoureuse de l'art de bien dire, et il n'y a rien de déshonorant pour lui, au contraire, à avouer le tronc commun qu'il partage avec les autres genres littéraires du discours: on résiste mieux en famille que seul. Le premier trait commun entre le roman et l'art de bien dire, c'est la narration, la seconde facette du pentaèdre générateur du discours type. On sait, ou on devrait savoir, que dès le 1er siècle de notre ère, les « déclamations » dont Sénèque le Père s'est fait le sténographe dans ses Controverses et Suasoires sont en réalité des plaidoyers d'école où la narration hypertrophiée de « cas » imaginaires porte déjà en germe le roman, qui va apparaître peu après, en latin, avec le Satyricon de Pétrone et les Métamorphoses d'Apulée, en grec avec Daphnis et Chloé, Théagène et Chariclée. Ce qui manque encore, à l'époque de Sénèque, pour que le roman soit au complet, c'est la conjonction de la narration avec une des figures majeures de l' ornatus rhétorique, l'allégorie, ou métaphore continuée. Grâce à l'allégorie, qui feuillette le sens, la narration - d'un « cas» au sens judiciaire (ce qui jusqu'à nos jours est resté, Stendhal en est bon témoin, une des « sources » favorites de l'invention romanesque) ou de tout autre fait divers, serait-il autobiographique - peut prendre un sens second qui élève le particulier au général, l'anecdote au mythe, la prose narrative à la poésie. C'est la grandeur du roman. Il est vrai que nous sommes loin du plaidoyer cicéronien. Mais puisque l'Wade elle-même n'a pas dédaigné dans la Grèce hellénistique d'être célébrée comme la mère de l'art du bien dire, on ne voit pas pourquoi le roman moderne refuserait d'avouer qu'il est le fils de cet art généreux et générateur. L'avantage que je vois, et pas seulement pour l'historien cette fois, à un
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retour à la rhétorique, c'est ce que cet art a de synthétique et de central, dans une époque où l'analyse a disséminé non seulement les savoirs, mais le sujet même de ces savoirs et sa capacité de se montrer à autrui. Je viens d'évoquer, dans cette rapide et allusive anatomie du corps de 1'« oraison " la culture générale qui lui est inhérente. Au cours de ces réflexions, nous avons dû traverser la sociologie, la psychologie, l'épistémologie, l'anthropologie, la médecine, la critique littéraire, la religion, le droit, la politique, la grammaire étymologique, la poétique. La rhétorique les recoupe et les éclaire, tout en faisant son miel de leurs ressources propres, au point où chacun de ces savoirs, quoi qu'il en pense, est lui-même expérience de la langue naturelle, et ne peut se passer de bien dire, sous peine de s'exiler sur cette île de Laputa si bien décrite par Jonathan Swift. Ce caractère à la fois central et transversal de l'art de bien dire est déconcertant et irritant pour nos habitudes modernes de travail : le compartimentage entre sciences, sciences humaines, et parmi celles-ci, entre sciences du langage très spécialisées, ne nous laisse d'espoir de synthèse que dans une utopie de plus en plus improbable de pluridisciplinarité. Dans les faits, celle-ci se réduit le plus souvent à la juxtaposition hasardeuse de savoirs essentiellement autistes. L'acte de bien parler, autrement dit de s'adresser à autrui et de lui dire quelque chose qu'il prenne vraiment pour lui, c'est en réalité l'humanitas même dont faisaient grand cas les Anciens. Il n'est plus possible aujourd'hui de faire passer l'art qui y prépare comme un luxe de riches oisifs et d'héritiers. La souffrance moderne, le mal du siècle, est d'abord dans la perte de cette humanitas, dans l'aphasie et l'amnésie qui nous gagnent, au beau milieu de la surabondance des informations et des communications. L'art de bien parler à autrui et pour autrui se soucie peu des spécialisations qui divisent. Il vise à créer les conditions favorables à ce « parler ouvert - dont Montaigne dit qu'il« ouvre un autre parler, comme fait le vin et l'amour ». L'idée maîtresse de la rhétorique, celle de se montrer à autrui de telle sorte qu'autrui se montre à nous, n'est aujourd'hui si mal vue que pour être inconsciemment et ardemment souhaitée. Rien n'a plus dispersé et vaporisé le « je - et sa capacité de se construire en vue du dialogue avec autrui que l'extrême spécialisation moderne des savoirs, réfléchie dans la multitude abstraite des canaux d'information assiégeant cet « on » indifférencié que l'on appelle encore, avec une noire condescendance, 1'« individu -.
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En adoptant la rhétorique ainsi entendue comme méthode de compréhension du phénomène litttéraire, retrouvé dans son extension véritable, je me suis découvert tout naturellement « pluridisciplinaire -, sans avoir à me livrer à des exercices arbitraires. Art de persuader, la rhétorique traverse le social, le politique, le religieux, elle embrasse et comprend d'une seule saisie tout le phénomène humain, sans rompre ses attaches avec la philosophie, le droit, la morale, la théologie. Elle gouverne aussi bien les gestes de la conversation civile
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que ceux du comédien le pJus savant, les passions et les émotions les plus contrôlées de l'homme d'Etat que les plus violemment ostentatoires du tribun. Elle est à elle seule une expérience complète d'humanités partagées. Art de la mémoire, elle relie les mots aux images, elle emmagasine les précédents, enregistre les textes classiques et organise l'expérience, bref elle met en route et fait durer des traditions, et notamment des traditions littéraires. Paulhan a parlé de la rhétorique comme d'un « Paradis ». Il veut dire par là que, du point de vue de la rhétorique, on peut isoler l'ordre symbolique et l'observer dans son libre jeu, enfoui ou voilé d'ordinaire dans le fouillis de la vie empirique. Un savant, de la stature d'un Brian Vickers, a pu écrire un livre entier In Defense of Rhetoric. Dois-je avouer que le détachement gourmand de Paulhan et l'attitude défensive de mon ami Vickers ne me satisfont pas? Je préfère déceler dans la modernité un déficit cruel de la parole et un péril d'inhumanité qui demandent et qui finiront bien par obtenir, comme dans l'Europe du xv' siècle, la renaissance dans l'école et dans les études littéraires de l'art de bien dire. A plus forte raison devons-nous refuser le sentiment confortable de supériorité envers les hommes d'autrefois qui savaient et qui avaient sans doute moins que nous, mais qui étaient peut-être plus « avancés» que nous le sommes dans l'art de consoler, de converser, et de donner sens, forme et profondeur à tous les actes de parole, depuis les plus conventionnels et les plus humbles jusqu'aux plus éclatants. La loyauté envers eux m'imposait d'aller à rebours de la mode: tout le monde se jetait vers 1970 sur le passé pour en faire le terrain d'expérience de schèmes et de méthodes modernes qui le labouraient comme le savent faire aujourd'hui les machines, au désespoir des archéologues et des écologistes. J'ai donc demandé aux formes du passé elles-mêmes leur principe vital et générateur, et j'ai tenté de les comprendre, sans leur faire violence, comme elles souhaitaient elles-mêmes d'être comprises. C'était une tentative solitaire et risquée, à bien des égards prématurée. L'étude des traités et des querelles de rhétorique au xv' et au XVII' siècle était alors dans les limbes. Je ne pouvais m'appuyer ni sur des bibliographies, ni sur des travaux antérieurs, qui étaient alors rares et épars (CrolI. Williamson, Mornet, le Mornet de l'Histoire de la clarté française, un chef-d'œuvre, il est vrai). J'ai dû nager dans l'océan de la Bibliothèque nationale, et me reconnaître à vue. Si j'avais aujourd'hui à refaire ce livre, je le referais autrement de bout en bout, le purifiant sans doute de ses défauts et de ses naïvetés, mais le privant aussi de cette énergie que donne la découverte d'un continent neuf, et dont on prend possession d'une seule vue féconde. Jean Molino a bien voulu, dans une recension, comparer L'Âge de l'éloquence au magnifique ouvrage que l'ethnologue Geneviève Calame-Griaule a consacré à La Parole chez les Dogons. C'est le plus grand honneur que l'on pouvait faire à mon livre et à ses intentions. L'époque que j'avais choisie, il est vrai, se prêtait presque idéalement à l'aventure. Elle suit la victoire de la Renaissance et les soubresauts consécutifs à la Réforme protestante; elle n'est pas indemne de guerres ni de révoltes, et elle est parcourue à la fois par une profonde aspiration à l'unité religieuse et par de fortes tentations de rétraction politique. Elle com-
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mence à la paix de Vervins, qui rétablit la paix entre l'Espagne et la France de Henri IV, et elle s'achève à la mort de Richelieu, quand les jeux sont déjà faits: la guerre de Trente Ans,est à demi gagnée contre l'Espagne par la France. Elle précède donc cet Age classique, au cours duquel l'hégémonie française, acquise par les traités de Westphalie en 1648, est exercée avec une autorité hautaine par« le plus Grand Roi du monde " Louis XIV. Pendant cet « Âge de l'éloquence " Rome, au moins dans l'aire catholique de l'Europe (France, Espagne, Flandres, Italie, Autriche et Allemagne du Sud), est pour la dernière fois, et avec des difficultés de plus en plus visibles, le pouvoir spirituel central et arbitral d'une Chrétienté européenne amputée par le Schisme. Appuyée sur les ordres réguliers par définition supranationaux, anciens ou récents, notamment les efficaces jésuites, le Saint-Siège travaille à maintenir l'unité dans ce qui subsiste de catholicité (Paul V en 1606 interdit toute polémique sur les questions touchant à la grâce). C'est l'heure ou jamais pour Rome de la diplomatie et de la rhétorique. Car les Interdits et les Excommunications n'opèrent plus, comme la résistance de Venise à Paul V l'a prouvé dès le début du siècle. Les monarchies catholiques, et notamment la française, après l'arrivée de Richelieu au ministère en 1624, jouent de plus en plus ouvertement leur propre jeu sans tenir compte des objurgations romaines; la légation du cardinal Francesco Barberini, neveu du pape Urbain VIII, à Paris puis à Madrid, en 1627-1628, pour empêcher l'entrée en guerre des deux principaux royaumes catholiques, est un retentissant échec. Le déclin d.e l'unité romaine en Europe est contemporain de l'enhardissement des Etats nationaux. La France de Richelieu imite Rome contre Rome, et pour sceller autour d'elle un autre ordre européen, la monarchie Très-Chrétienne veut maintenant établir une unité et un dessein nationaux à l'intérieur d'un royaume où les divisions et les forces centrifuges l'ont si longtemps emporté au XVIe siècle. La Cour de France découvre pour ses propres fins les vertus de la rhétorique romaine, et l'un des actes les plus intelligents de Henri IV est de ménager, pour lui-même et pour sa dynastie, la fidélité inviolable des jésuites, si efficaces partout au service du SaintSiège. Des cardinaux, Du Perron, d'Ossat, en attendant Mazarin, jouent un rôle essentiel dans cette trans/atio studii de la Curie romaine à la Cour des Bourbons. Diplomatie de l'esprit, dont la Rome de Cicéron et d'Urbain VIII a l'expérience millénaire, la rhétorique devient aussi au cours des deux premiers règnes du XVIIe siècle français un auxiliaire de la Cour de France. Ses cadres de dialogue atténuent les conflits internes de la société française. En leur donnant forme de querelles de style, elle sauvegarde son unité sans obérer sa multiplicité. Jamais la rhétorique, dans son sens romain et plénier, n'a été aussi déterminante qu'en ce moment de suspens. Elle l'est à l'étage européen, où le Saint-Siège s'emploie à préserver une unité latine de plus en plus improbable. Elle l'est à l'étage national, en France, où le modèle romain est détourné et réemployé au service d'une unité française de plus en plus probable. En 1643, année de la mort de Louis XIII, paraît La Fréquente Communion d'Antoine Arnauld. La France gallicane est désormais travaillée par la semi-hérésie janséniste, après l'avoir été au xvI' siècle par l'hérésie calviniste. En 1637, Descartes avait publié en français, avant toute traduction
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latine, le Discours de la Méthode. Ces deux ouvrages préparent l'hégémonie intellectuelle de la France, selon une orientation qui se sépare cette fois radicalement du magistère de Rome. C'est un tournant essentiel dans l'histoire de la rhétorique et dans celle de l'Europe. Dès le début du règne de Louis XIV, et cette fois en flèche par rapport à la politique de la Cour, Arnauld et Nicole, dans la Grammaire générale et raisonnée ou art de parler (1660), puis dans la Logique ou l'art de penser (1662), relayés par l'oratorien Bernard Lamy, dans sa Rhétorique ou art de parler (1670, rééd. augmentées jusqu'en 1701), dessinent dans une audacieuse et originale synthèse un cadre nouveau pour l'intelligence française. Ils l'affranchissent de l'humanisme catholique et romain. En réalité, ce cadre nouveau renoue, par-delà la Renaissance italienne, avec le Trivium de l'Université de Paris et le modus parisiensis des régents de la Faculté des Arts : la rhétorique est de nouveau prise en étau entre grammaire et logique, et comme le souhaitait déjà le calviniste Pierre de la Ramée au XVI' siècle, les médiations rhétoriques sont sacrifiées au profit d'une division entre « fond. et « forme " entre invention logique et élocution grammaticale. L'ornement et la variation, ces deux principes générateurs de l'abondance rhétorique, sont désormais sur la défensive. La mémoire et les lieux communs sont dévalués. Les figures sont tenues en lisière dans la grammaire et par le raisonnement. Un clinamen est ainsi introduit en France dans la tradition de cette Renaissance italienne qui était devenue européenne au cours du XVI' siècle. Il ira s'amplifiant au XVIII' siècle, sous l'hégémonie successive des Encyclopédistes et des Idéologues. Mon livre s'arrête là où commence le clinamen français propre aux Lumières. La période qui s'étend de Du Vair à Balzac en France, de Muret à Strada à Rome, de Lipse à Quevedo à Madrid, est l'avant-dernière phase, et non la moins éclatante, de cette Antiquité tardive qui, selon Joubert, s'est poursuivie jusqu'en 1715. Choisir la rhétorique comme principe d'intelligibilité de l'histoire des formes en Europe avant 1715, c'est en effet admettre la continuité ininterrompue, en dépit des bouleversements religieux, politiques, économiques, d'une tradition qui va du v' siècle avant Jésus-Christ - où l'art de bien dire émerge dans le débl.lt entre les Sophistes, Platon, Aristote, Isocrate - à ce que j'ai appelé l'Age de l'éloquence, en gros la période de la Réforme catholique militante. Les acteurs changent, la pièce et les dimensions du théâtre aussi, mais les règles du jeu sont transmises de génération en génération, et s'approprient avec une étonnante vitalité les situations nouvelles les plus imprévues, leur donnant forme et sens. La permanence d'un art de persuader, et des questions toujours reprises et toujours ouvertes qui s'y rattachent depuis ses origines, permet de comprendre pourquoi il y a en Occident une institution littéraire, et pourquoi elle échappe dans une certaine mesure aux effets du temps. Rome en est la corne d'abondance et le principe central. Curti~s, dans son admirable somme La Littérature européenne et le Moyen Age latin, m'a donné le sentiment de cette continuité et de son secret. Panofsky, dans son livre sur Les Renaissances dans l'Art occidental, m'a fait comprendre le rythme de cette continuité, ses « cours et recours» pour le dire dans les mots de Giambattista Vico: « décadences» suivies d'un retour aux sources, diastoles et systoles. Après Henri Marrou, Alain Michel, dans son livre Rhétori-
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que et philosophie chez Cicéron, m'a donné une autre clef: la synthèse cicéronienne, en dépit du passage de la République à l'Empire, est le vecteur central de cette tradition romaine; elle a fait la force et la durée du Caput mundi, elle a contrôlé les oscillations d.! la parole romaine entre brièveté et abondance, nudité et ornement, obscurité et lumière, elle a retenu ou ramené les extrêmes vers un équilibre central toujours fuyant, mais toujours recherché. La résistance de la rhétorique ou plutôt ses renaissances successives, ses corsi e ricorsi, dépendent pour l'essentiel de l'école, de la schôlé des Grecs, de l'otium studiosum de l'enfance et de la jeunesse pour les Romains. Elle peut disparaître, comme c'est le cas pendant des siècles pour toute une partie de l'Europe, du vu' au xl' siècle. Elle peut prendre, comme c'est le cas à Paris au XlII' siècle, et de nouveau après la disparition des jésuites en 1763, un tour vivement anti-rhétorique. L'empire de la logique et l'espèce d'étau qu'elle forme avec la gr~mmaire étaient aussi sévères dans le Çollège de Montaigu que maudit Erasme qu'elles le redeviennent dans les Ecoles centrales de l'Empire dont Stendhal travaillera toute sa vie à secouer le carcan rationaliste. La pédagogie des humanistes avait restauré celle de Quintilien, elle avait rétabli la rhétorique cicéronienne comme discipline littéraire de formation de l'honnête homme européen. C'est cette pédagogie que les jésuites ont largement et générel!sement répandue dans toute l'Europe catholique et en Amérique latine. L'Age de l'éloquence montre dans la Réforme catholique le dernier chapitre, et non le moins glorieux, de la Renaissance italienne, avant l'hégémonie du rationalisme français et de l'empirisme aIlglaissur l'Europe du XVlll' siècle. Mais pour comprendre l'Age de l'éloquence, il faut faire intervenir un autre principe générateur de sa parole. Le passage du monde païen au monde chrétien est la révolution la plus profonde, avant la révolution démocratique, que l'Europe ait connue. Elle avait donné lieu cependant à une véritable renaissance de la rhétorique, dont l'éloquence des Pères latins et grecs est l'extraordinaire témoin. L'art d'argumenter dans les questions de doctrine, l'art de persuader les fidèles et les païens, officia de l'évêque chrétien, reprennent et approfondissent les formes oratoires inventées dans la cité antique pour les consuls, les sénateurs et les empereurs. Mais l'art de s'adresser à soi-même en présence de Dieu, ou de s'adresser à Dieu lui-même, représente un défi extraordinaire pour un art de bien dire inventé pour le Forum et pour l'Agora, par les citoyens de la Cité antique. Désormais, il y a deux Cités, deux humanités (le vieil homme et l'homme en route vers la grâce), deux ordres de réalités, le naturel et le surnaturel. Le « corps idéal. du discours approprié à la Cité antique est pourvu maintenant d'un double, « l'homme intérieur., dont le discours est approprié à la Cité de Dieu. Les deux ordres et les deux corps restent cependant sinon symétriques, du moins analogues et eml;lOîtés. Entre la Cité terrestre et la Cité de Dieu, une grande médiatrice, l'Eglise, pourvoit à cet emboîtement. La prière obéit aux principes d'une « rhétorique divine ». Les gestes, les actes, la liturgie, les discours publics de la vie proprement religieuse sont soumis à un decorum d'essence rhétorique. Loin de somgrer avec le christianisme, la rhétorique romaine a donc trouvé dans l'Eglise de Rome un second souffle et y a développé de
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nouvelles virtualités, des formes inédites mais toujours capables de ~auve garder la multiplicité dans l'unité. Transporté et transposé dans l'Eglise, l'art de Cicéron et de Quintilien s'approfondit mais demeure: son De Doctrina christiana fait de saint Augustin, le Docteur de la Grâce, un Cicéron chrétien, dont l'autorité est aussi vive à la fin du XVIIe siècle, même pour le Grand Arnauld, qu'elle avait pu l'être au V' siècle après JésusChrist. Les historiens aujourd'hui récusent la thèse du Déclin et Chute imposée par les Lumières et par Gibbon. Ils préfèrent parler, après Henri Marrou, Arnaldo Momigliano et Peter Brown, d'une Antiquité tardive au cours de laquelle la civilisation romaine, loin de disparaître, s'est métamorphosée et perpétuée dans ceux des royaumes barbares qui l'ont adoptée et adaptée. De cette continuité inventive de la Romanité (je dois cette notion à Alphonse Dupront), la rhétorique est l'un des principes les plus efficaces. Elle survit à l'Empire, au paganisme, elle survivra même à l'essor des langues romanes et des langues germaniques, qui n'accèdent à l'écriture et à la littérature que sous son tutorat. Elle tend à une véritable restauration à l'époque de la Renaissance. Pourquoi cette extraordinaire persistance, pour ne pas dire cette transcendance, de Rome aux accidents historiques? La première réponse est d'ordre politique. La Cité terrestre, dans l'Europe postérieure à l'Empire romain, a besoin d'une discipline régulatrice des discours. Comme le droit romain, avec lequel elle a de nombreuses affinités, la rhétorique est génératrice d'ordre civil. Elle renaît et s'impose dès que la violence et la guerre retombent. L'ordre romain, la loi et l'~loquence, retrouve alors ses droits dans la vita activa de la Cité et de l'Etat. Ces barbares qui, en se convertissant au christianisme s'étaient mis à l'école de Rome, avaient une fois pour toutes montré la voie et donné l'exemple. La rhétorique, épaulant le droit, définit l'autorité de la parole, règle ses convenances et ses conventions, elle crée les conditions d'une communauté politique partageant des habitudes stables, et avec elle, d'une économie symbolique qui transforme ces habitudes en coutumes sans les immobiliser ni les figer. Telle est la nésessité élémentaire de l'art de bien dire qui, même au cours du Moyen Age chrétien, la fait réapparaître obstinément de renaissance en renaissance. Mais si, la rhétorique « à l'antique» est nécessaire en Europe à, toute fo~me d'Etat, son destin est epcore plus brillant et fécond dans l'Eglise. L'Eglise est seule au Moyen Age à hériter de la schôlé antique dans ses monastères, dans ses écoles. Elle élève l'otium studiosum au rang de vita contemplativa. Si le grand débat antique entre rhéteurs et philosophes a pris fin, un autre débat s'élève dans la schôlé chrétienne, entre rhétorique et théqlogie. C'est un des aspects les plus féconds et novateurs du Moyen Age, dont nous avons encore aujourd'hui à prendre toute la mesure. La rhetorica divina des moines donne naissance à la théologie mystique, qui invente la lutte ascensionnelle ùe la parole et de l'ineffable. Et la rhétorique argumentative des stoïciens donne naissance à cette prodigieuse discipline: la théologie dogmatique des Universités. La spiritualité mystique réconcilie Platon, Plotin et la rhétorique. La seconde fait la synthèse, pour aiguiser l'énoncé du dogme révélé, entre la logique stoïcienne et la révélation. Ce sont les
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deux grandes sciences sacrées que l'Église médiévale a inventées, avec le Droit canoniql!e. Mais le Moyen Age,ne se résume pas à ces hautes spécialités contemplatives et savantes. L'Ecole de Chartres au XIIe siècle, la chaire chrétienne illustlée par l'éloquence de saint Bernard de Clairvaux, attestent le souci de l'Eglise de ne pas enfermer la foi dans les cénacles de clercs. Rome, le principe d'unité de l'Europe latine, n'a jamais séparé la théologie, qui énonce le dogme, de la rhétorique, qui en fait un principe de vie religieuse et d'humanité. C'est ce souci romain qui l'emporte chez les humanistes italiens et qui leur a valu la faveur des papes. Ils cherchent dans le renouveau de l'art romain de bien dire une extension de la civilisation chr~tienne, et un sentiment plus affiné du dialogue. Nul n'a mieux formulé qu'Erasme, leur disciple, cette volonté de corriger par la rhétorique l'autisme et le dogmatisme des spécialistes parisiens: « Jusqu'ici, écrit-il, de la liste des doctes étaient exclus ceux qui parlaient avec un peu plus de politesse; et les professeurs ne tenaient dignes de leur tableau que celui qui était capable de jargonner avec eux. Et la première parole qui venait spontanément à la bouche était la suivante: il est grammairien donc non pas philosophe; il est rhétoricien, donc non pas juris,consulte; il est orateur, donc non pas théologien. » (Lettre 862). L'Age de l'éloquence rassemble donc les énergies de la rhétorique antique retrouvées par la Renaissance italienne, les énergies de la rhétorique des Pères retrouvées par la Réforme catholique, et le fonds médiéval de spiritualité monastique maintenant « démocratisé» auprès des laïcs par les Exercices spirituels de saint Ignace, par les méthodes d'oraison de Louis de Grenade et de Philippe Neri. C'est le siècle d'or de la pédagogie des jésuites et de l'éloquence sacrée. Dans une sorte de feu d'artifice ultime de l'antique ars bene dicendi, la Romanité déploie toutes ses ressources pour sauver l'unité menacée, de l'intérieur comme de l'extérieur, de la Chrétienté européenne. « Il est beau de tenter des choses inouïes », fait dire Corneille à l'une de ses héroïnes, Ildione, dans Sertorius. Même si ce combat a été perdu, il a offert pendant près d'un siècle un des plus superbes spectacles que puisse offrir le théâtre de la Parole. Il y a du roman de chevalerie, très sensible chez les disciples de l'hidalgo Ignace de Loyola, au fond de cette foi ardente dans le pouvoir du style et des symboles de réunir, de recréer une large communauté vivante et humaine englobant ces innombrables sodalités spirituelles, nationales, municipales qui font la vie diverse de l'Europe catholique. Même la France, celle que l'Abbé Bremond et son Histoire littéraire du sentiment religieux nous ont révélée, est pour queIqu~s décennies, entre 1600 et 1630, tentée de se ranger, en fille aînée de l'Eglise, dans cette communauté européenne que Rome, depuis le Concile de Trente, s'efforce par les pouvoirs de la parole de maintenir vivante et contagieuse en dépit de la déchirure du schisme. Après les traités de Westphalie, la déchirure est consommée, même dans l'aire catholique. La France de Louis XIV prend alors la lourde responsabilité d'arbitrer elle-même par les armes cette Europe travaillée par des divisions irréparables. Une des vertus du point de vue rhétorique, c'est qu'il fait apparaître, sous la confusion des accidents historiques, de grandes nervures qui
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articulent à leur)nsu les phénomènes de discours et donc les phénomènes de civilisation. Etant à la fois élémentaire et susceptible de raffinements singuliers, la discipline oratoire relie en effet des ordres de faits que d'ordinaire on perçoit isolément: elle fait voir ce qui rend inséparables les institutions (politiques, religieuses, enseignantes), les sodalités diversement étagées et emboîtées, et le style qui symbolise et caractérise chacune d'elles. Dans ces styles institutionnels convergent et se résument une mémoire, un art d'argumenter, un art de figurer dont la composition moule une forma mentis qui doit rivaliser avec d'autres, s'aiguiser contre elles ou disparaître. Et cependant le régime rhétorique de la parole crée un fonds commun qui permet à cette diversité et à cette variété de ne pas perdre de vue le sens de son appartenance à un ensemble de civilisation plus vaste1 et de s'y référer pour éviter les ruptures irréparables. Dans L'Age de l'éloquence, j'ai fait apparaître, sur fond de la souche mère antique, ravivée par la Renaissance et par la Réforme catholique, une série contemporaine de ces « forums symboliques» : la France gallicane, celle des légistes et celle des ecclésiastiques; la Rome pontificale, et l'une de ses alliées les plus vigoureuses, quoique récente: la Compagnie de Jésus. J'ai laissé entrevoir un autre forum symbolique: l'Espagne catholique, avec sa bipolarJté Flandres-Castille, rivale de la France Très-Chrétienne à la fois dans l'Eglise et dans l'Europe. Attachées à ces lieux de discours, on voit se lever de grandes configurations dessinées par des modèles rhétoriques différents. Ces constellations peuvent avoir pour répondant tel « génie du lieu», elles entrent en rivalité et se modifient souvent réciproquement en un même lieu. C'est ainsi que Cicéron et le cicéronisme dominent à Rome, et les jésuites se font leur vecteur de diffusion international dans la langue latine. Mais Rome et les jésuites ont aussi une forte emprise sur Paris, sur le Paris de Guillaume du Vair et de Guez de Balzac. En revanche, Sénèque, Tacite et l'atticisme qui s'en réclame l'emportent en Espagne et en Flandres. Ils exercent leur empire sur l'Italie hispanophile. Mais il s'agit d'un cicéronisme et d'un sénéquisme tridentins, c'est-à-dire des variantes rhétoriques de l'augustinisme théologique. On trouve ainsi un augustinisme cicéronien, franco-romain, lié à une théologie équilibrant la grâce et la liberté, et un augustinisme sénéquiste, plus sombre et sévère, hispano-flamand. En Espagne, comme dans l'Italie hispanophile, le sénéquisme augustinien s'accorde volontiers avec la théologie mystique franciscaine. En Flandres, il sert d'arrière-fond, dans les débats de la Faculté de théologie de Louvain, à une théologie de la prédestination baianiste, puis janséniste. Fort peu mystique, accordé au génie gallican, le jansénisme de Louvain trouve à Port-Royal un développement français tout à fait singulier, à la fois doctrinal et littéraire, purifié du sénéquisme de ses origines flamandes, fer de lance de 1'« exception française ». Sans rompre l'unité de foi ni l'obédience à Rome, on voit ainsi rivaliser des sodalités et des forums rhétoriques dont on peut décrire autrement et plus complètement, sans doute, la géographie et les étagements, mais dont on ne peut contester ni la présence ni la configuration à la fois une et multiple. Ni le Zeitgeist baroque, ni cette sociologie qui présuppose derrière toutes les représentations un pouvoir ordonnateur et ordinateur, ne
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peuvent rendre compte, aussi équitablement que ne le font les catégories de la rhétorique, de cette conjonction de styles et de goûts opposés. Dans la rivalité et dans le dialogue, nations et cités, familles spirituelles et institution~ rivales de l'Europe catholique sont demeurées malgré tout, au cours de l'Age de l'éloquence, à l'intérieur du Forum universel que Rome s'attachait à leur proposer. Si le seul résultat que j'ai obtenu est de montrer que l'histoire littéraire peut êtr:e harmonisée à l'histoire générale, et qu'elle contribue à com'prendre 1'« Evolution de l'humanité ", je me résigne volontiers à voir L'Age de l'éloquence révisé et même bouleversé par des recherches ultérieures auxquelles se livrent et se sont livrés déjà mes élèves et ceux d'Alain Michel, à qui j'ai voulu, et c'est justice, dédier la réédition de cet ouvrage. Marc FUMAROLI avril 1994.
INTRODUCTION
Cet ouvrage s~ veut une contribution au développement d'une discipline qui demeure en France peu assurée de sa légitimité et de sa possibilité même: l'histoire de la rhétorique dans l'Europe moderne. Cette discipline ne manque pas cependant de quartiers de noblesse, puisqu'elle est aussi ancienne que l'histoire littéraire elle-même. Au XVI" et au XVII' siècles, il n'est pas de bibliographie ni de traité de bibliothèque - forme nouvelle de la mnémotechnique oratoire - qui ne comporte un panorama critique et historique des auteurs de rhétorique. En 1593, dans le chapitre Cicero qui couronne sa Bibliotheca se/ecta, le Jésuite Possevin dresse un inventaire des ouvrages de rhétorique antique propres à former une culture d'orateur. Pour lui, toutes les disciplines particulières dont il a successivement traité, de la théologie à la médecine et à l'histoire naturelle, n'ont de sens que comme « sources» d'un art oratoire, promu par l'humanisme au sommet de l'arbor scientiarum. L'encyclopédie humaniste, en dépit de sa diversité menacée déjà par la spécialisation, retrouve son unité dans un art de la parole. Et l'histoire-bibliographie de la rhétorique est elle-même un chapitre de celui-ci, propre à desserrer ce que peut avoir de «géométrique» la rhétorique scolaire. Dès 1620, le Jésuite français Louis de Cressolles, dans son Theatrum Veterum Rhetorum, consacre un ouvrage séparé à l'histoire de la sophistique antique: il s'agit, pour le plus grand bénéfice de la culture oratoire, de faire un bilan de ce qui, chez les sophistes, doit être condamné, et de ce qui, dans leur vaste expérience de l'art de persuader, peut être mis à profit. Si Naudé, en 1627, dans son Advis pour dresser une bibliothèque, ignore les auteurs de rhétorique et ne fait de place, en pur érudit, qu'aux c Répertoires» de lieux-communs (p. 64), il n'en va pas ainsi de Charles Sorel, qui se souvient de Possevin pour composer sa Bibliothèque Flançoise, en 1664. Toutefois, le chapitre Des livres qui apprennent à parler avec éloquence intervient cette fois en tête de l'ouvrage, après celui qui est consacré à la «pureté de la langue ». Mais, exorde ou péroraison, la bibliographie critique et historique des ouvrages d'art oratoire occupe toujours la place éminente, comme propédeutique à toute littérature. Et en 1670, dans De la collnaissance des bons livres, c'pst en fin de volume, à la manière de Possevin, que Sorel traite de la « Rhétorique de la conversation », de la « Rhétorique de l'écriture », du «bon style et de la vraye eloquence », avec un sens plus libre et plus
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critique de ce qui sépare la «rhétorique antique:. de la «rhétorique moderne :.. Mais quels que soient leurs mérites, aucun des ouvrages que nous avons cités et que nous citerons comme des «primitifs,. d'une histoire de la rhétorique ne peut entrer en concurrence avec la Nouvelle all~go nque (\658) de l'ennemi de Sorel, Antoine Furetière. Là nous avons non seulement une bibliographie plus complète que pactout ailleurs, mais nous avons aussi et surtout une histoire, le récit d'une action: observant de l'intérieur la « vie littéraire:. de son temps, Furetière ne la voit pas s'articuler autour de « chefs-d'œuvre », mais autour de partis pris rhétoriques rivaux, engagés dans une sorte de querelle oratoire sans cesse ravivée, et où les chefs-d'œuvre servent d'arguments au «parti" dont ils épousent les positions. Le caractère à la fois englobant et agonistique de la culture rhétorique du XVII" siècle ne sera jamais mieux décrit que dans la NlJuvelle all~gorique ou Histoire des derniers troubles arriv~s au Royaume cI'Eloquence qui narra l'agôn rhétorique dans le langage même de ce qu'elle évoque. En 1688, un savant professeur de Rostock et de Kiel, Georges Morhof. dans un traité latin intitulé Polyhistor et publié à Lübeck, se livre, à l'intention du public de l'Europe du Nord, à un travail analogue à celui que Possevin avait effectué dès 1593 à l'usage de l'Europe catholique. L'ordre de ses matières est celui d'un traité de rhétorique, dont chaque case serait remplie par la bibliographie critique correspondante. Il s'agit donc d'un bilan de la recherche rhétorique antique et humaniste, où la France du XVII" siècle tient une place de choix. Morhof - auteur par ailleurs d'essais rhétoriques fort remarquables - a l'intelligence de l·onsacrer aux institutions chargées de fixer une norme rhétorique - Académies italiennes, Académie française - des monographies historiques et critiques. L'érudition historique et bibliographique se met une fois encore au service de l'art oratoire, clef de voûte de la culture humaniste, dans les /ugemerzs des sçavans sur les auteurs qui ont traité de rhétorique, publiés par Balthazar Gibert en 1713-1719, et réédités en 1725 1 dans l'édition hollandaise des /ugemens des sçavans de Baillet. Gibert, qui fut recteur de l'Université de Paris, avait été un des principaux protagonistes de la 1 La même année le P. Gabriel-françois Le Jay publie sa Bibliotheca Rhetorum praeeepta et exempla eomplectens, quae tam ad oratoriam facultatem quam ad poetieam pertinent, discipulis pariter et magistris peratilis, Paris, G. Dupin, 1725. Cet ouvrage est à usage interne de la «Province pédago-
gique» jésuite, et dans la préface, le P. Le Jay donne le sentiment de défendre la dernière place forte de Cicéron et du stylus ciceronianus assiégée et même contaminée par «Gallici idiomatis indoles et formulae et par exile quoddarrr
ae jejllnllm scribendi genus, cujus tota Laus antithetis et aeuminibus continetu,-
(p. XII). Le conflit des rhétoriques se poursuit au XVIII· siècle. L'intérêt de l'om'rage du P. Le Jay est, du point de vue qui nous occupe ici, dans sa conception même, exactement antithétique de celle de Gibert. Au lieu de suggérer une rhétorique à travers une bibliographie critique et historique, le régent jésuite prétend résumer l'histoire de la rhétorique en une doctrine complète et cohérente qui abolit cette histoire autant qu'elle s'en nourrit.
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grande Querelle rhétorique de la fin du règne de Louis XIV et où intervinrent Goibaud Du Bois, Antoine Arnauld, le Bénédictin François Lamy et l'évêque Brûlart de Sillery. Basil Munteano et Peter France ont fait l'historique de cette Querelle qui résume les débats rhétoriques du XVII" siècle et prépare ceux des Lumières. Saint Augustin, l'auteur du De Docfrina Christiana, interprété dans leur sens par les tenants des deux camps, sert de référence centrale: la rhétorique païenne peut-elle servir à l'éloquence chrétienne? Celle-ci a-t-elle le droit de prêcher la vérité en faisant appel à l'imagination. et aux passions de l'auditoire? On saisit ici sur le vif le rôle de ferment que le préjugé chrétien contre l'éloquence «païenne» a joué dans l'histoire de la rhétorique depuis la Renaissance. Gibert est du côté des Anciens, qui en l'occurence défendent la cause de l'imagination, des passions, contre un puritanisme à la fois rationaliste, chrétien et moderne. Ses Jugemens des sçavans sur les auteurs qui ont traité de la rhétorique sont une pièce maitresse de son infatigable polémique contre les iconoclastes de la rhétorique. Comme Possevin, comme Morhof, mais face à d'autres résistances et à d'autres ignorances, il fait le bilan du trésor accumulé par les siècles et que l'on voudrait dédaigner. Cet inventaire de bibliographie critique ne se borne pas en effet à l'Antiquité classique, ni même aux auteurs de traités de rhétorique humanistes; il tente de dessiner la tradition ininterrompue qui, de l'Athènes de P(>riclès au Paris de Louis XIV, en passant par les Pères de l'Eglise et les auteurs médiévaux d'artes dictaminis ou de Rheioricae divinae, ont identifié le sort de la civilisation à celui de l'art oratoire. La discontinuité des monographies consacrées à chaque auteur est compensée par un sens très sûr d'une problématique rhétorique permanente d'âge en âge. Le côté normatif de cette entreprise est sans doute voilé: il reste très perceptible. Il s'agit de présenter les titres de noblesse de l'art oratoire pour les opposer à ses détracteurs et il s'agit de plaider la cause du bon goût en ces matières, fruit du travail de tant de générations et de leurs recherches. Moins vaste dans ses perspectives historiques et géographiques, l'ambition de l'Abbé Goujet, dans sa Bibliothèque françoise ou histoire de la littérature françoise (1740-1756), se limite à la France, et reprend le projet de Sorel. Comme celui-ci, Goujet ouvre son édifice de bibliographie chronologique et critique par un péristyle consacré aux ouvrages français sur la langue et sur la rhétorique. Il va de soi pour lui que, si ajustée qu'elle soit aux besoins de la langue et de la civilisation du Royaume, la «rhétorique françoise », fille de la rhétorique antique, demeure le principe générateur et unifiant de l'éloquence et de la littérature. On pourrait croire que cette tradition, qui fait de l'histoire de la littérature une science auxiliaire de la rhétorique, et de la rhétorique la cause finale de l'histoire de la littérature, a disparu avec l'érudition du XVIII" siècle. En fait on n'aurait aucune peine à montrer que chez un Marmontel et un La Harpe, l'histoire de la littérature et de l'éloquence demeure une des voies privilégiées de l'enseignement rhétorique. Bien qu'elle s'en défende, c'est à travers un vaste panorama de l'histoire
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Iittèraire européenne que Mme de Staël, dans De la Littérature (1800), esquisse une nouvelle rhétorique, ajustée aux bouleversements institutionnels et sociaux qui ont substitué en France la République à la Monarchie d'Ancien Régime. Et le Génie du Christianisme (1802), à sa manière une histoire de la littérature, rivale de cene de Mme de Stal!l, est lui aussi une nouvelle rhétorique, qui pour des raisons exactement inverses de cenes de Mme de Stal!l, propose de rompre avec la rhétorique néoclassique. Le mot c: rhétorique:. surprendra, appliqué à ce genre d'ouvrages que l'on range d'ordinaire sous l'étiquette d'esthétique littéraire. On serait plus surpris encore de voir associer la Préface de Cromwell (1828), que l'on qualifiera volontiers de c: poétique:., ou le Port-Royal de Sainte-Beuve (1840-1859), où l'on verra un chef-d'œuvre de la c: critique littéraire» 2, au nom infamant de rhétorique. Pourtant, avec plus ou moins de détours par l'histoire ou par la philosophie, chacun de ces ouvrages propose des modèles et un programme de discours, une morale et une norme du style. Mais cette fois il ne s'agissait plus d'une norme applicable indistinctement à l'éloquence professionnelle et à l'œuvre littéraire. Une littérature consciente de son autonomie et de son magistère propre s'est développée et libérée définitivement du cocon de l'éloquence. Elle se forge elle-même des rhétoriques à son usage et à l'usage des écrivains professionnels. Le traité de rhétorique profondément métamorphosé s'est mué en œuvre littéraire, qui cherch~ dans l'histoire des littératures - et non plus dans le recueil canonique des poètes et orateurs antiques - les autorités propres à justifier des normes moins précises, moins techniques, moins contraignantes, mais encore tout de même des normes. Cette nouvelle méthode - dont les Jésuites avaient eu quelque pressentiment au XVII" siècle en composant des traités de rhétorique en forme de discours orné - était agréable, et apparemment plus convaincante que les préceptes «scolastiques:. d'autrefois. Elle ne pouvait que jeter par contraste sur l'enseignement juridique et ouvertement normatif de la rhétorique à l'ancienne - grevée au surplus d'une technicité pédante qui heurtait les âmes délicates - le discrédit de l'ennui et de la tyrannie. Il s'agissait bien pourtant, pour Mme de Stal!1, pour Chateaubriand, pour Hugo, pour Sainte-Beuve, de substituer aux traités de rhétorique marqués par l'Ecole, le Barreau, la Chaire, une rhétorique proprement littéraire, qu'on baptise esthétique ou poétique ou critique pour mieux faire ressortir sa nouveauté, mais au prix de faire oublier sa filiation. Il ne pouvait plus s'agir de continuer la tradition du De Oratore ou de l'lnstitutio oraloria, ni à plus forte raison de la très juridique Rhétorique d'Aristote, ouvrages destinés avant tout aux avocats professionnels. Mais pour peu que l'on veuille bien ranger aussi parmi les traités de rhétorique le Traité du Sublime du Pseudo-Longin, qui «programme:. pour ainsi 2 Les éléments d'une évaluation du Port Royal comme «rhétorique:. se trouvent dans les derniers chapitres de la thèse de R. Molho, L'Ordre et les ténèbres ou la naissance d'un mythe du XVII' siècle chez Sainte-Beuve, Paris, A. Colin, 1972.
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dire des chefs-d'œuvre littéraires à venir en tirant des conclusions de l'éloquence et de la poésie non seulement grecques et latines, mais aussi hiobralques, on verra que la filiation avec les ouvrages cités plus haut, ou avec le William Shakespeare de Hugo (1864) est directe. L'apparence philosophique que Mme de Stat!l donne à De la Littérature, grâce à la notion de rapports et d'influence entre littérature et société, n'est nouvelle que dans les mots. Tacite le premier avait analysé les causes de la décadence de l'éloquence, c'est-à-dire le passage d'une rhétorique républicaine à une rhétorique impériale, dans le Dialogue des Orateurs. Marc Antoine Muret, nous le montrerons, avait justifié sa réforme rhétorique par une analyse historique et politique de l'Europe de son temps, régie par des Cours et non plus, comme à l'aube de la Renaissance italienne, par des Cités-Etats républicains. Et l'élaboration progressive d'une rhétorique française ail XVII" siècle avait été fonction de la prise de conscience par les écrivains et par les auteurs de rhétorique eux-mêmes des différences entre le Forum antique et la Cour de France. La critique romantique de la rhétorique classique toujours enseignée dans une Université restaurée par M. de Fontanes .- ne marque nullement la fin de «la rhétorique:., mais le retard d'une rhétorique académique et universitaire sur les nouvelles rhétoriques, mieux en accord avec les nouveaux publics et les nouvelles institutions, dont se réclament les écrivains les plus gontés. Cette disparité entre la théorie et la pratique aboutit à la suppression, du moins dans les lycées d'Etat, en 1885. de l'enseignement de «la rhétorique» et à son remplacement par l'histoire des littératures classiques, grecque, latine et française. Préparée par les savants travaux de H.E. Lantoine 8 et de G. Compayré 4 sur l'histoire de la pédagogie, la réforme de 1885 n'alla pas sans protestations à l'intérieur même de l'Université. En 1888, A.E. Chaignet, qui fut recteur de l'Académie de Poitiers, publie un ouvrage intitulé La Rhétorique et son histoire, qui dut souverainement irriter les maîtres de la nouvelle Sorbonne. Il s'agit d'un traité de rhétorique clair et .:omplet, fondé sur Cicéron, Quintilien et Aristote, précédé d'une brève histoire de la rhétorique en Grèce et à Rome. L'un et l'autre forment les deux volets d'une apologie de l'art oratoire, allié de la philosophie, et fondement de la paideïa européenne à toutes ses grandes époques. La préface polémique de l'ouvrage pourrait s'intituler Contre Sainte-Beuve: l'helléniste Chaignet rend l'auteur des Lundis, plus encore que Taine, qu'il n'épargne pas, responsable de la récente réforme et de la disparition dans l'enseignement d'une norme du Beau. «M. Guizot, écrit-il, avait confondu la critique avec l'histoire, M. Sainte-Beuve l'identifie avec la biographie d'un caractère tout physiologique et plus qu'indiscret.,. A une esthétique normative, fondée sur une tradition éprouvée, on a pris le risque de substituer un relativisme du goGt, à la fois historiciste et scien3 H. Lantoine,. Histoire de l'enseignement secondaire en France au XVI/' siècle, Paris, Thorin, 1874. 4 G. Compayré, Histoire critique des doctrines de l'éducation en France depuis le XVI' siècle, Paris, Hachette, 1879.
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tlste. A l'étude des chefs-d'œuvre, selon les principes mêmes qui les ont rendus possibles, on a substitué «l'abondance intarissable autant que stérile» des études de milieu, de moment et de tempérament. On peut penser que cette critique - qui recoupe en bien des passagl's le Contre Sainte-Beuve de Proust - n'a pas échappé à Gustave Lanson, qui en 1895, avec son Histoire de la littérature française, apparut comme le maître et le théoricien des études littéraires dans la nouvelle Université. Dans un chapitre de l'Université et la vie moderne (1902) il flétrit sans ambages c la rhétorique et les mauvaises humanités », qu'il abandonne aux « vaudevillistes, romanciers, poètes, critiques, journalistes et homml's du monde sans profession» G. Pour la rempla(:er, il fait confiance à « l'étude historique des œuvres littéraires », capable de communiquer à la jeunesse moderne « le sens profond et bienfaisant du relatif, c'est-àdire de l'effort toujours nécessaire dans un monde qui toujours change ». De fait, l'auteur de l'Histoire de la littérature française se montrait dès lors l'infatigable maître d'œuvre d'un édifice à la fois scientifique et pédagogique qui prenait modèle non plus sur la Ratio discendi et dncendi de Jouvancy ou le Traité des Etudes de Rollin, mais plutôt sur la Bibliothèque françoise de l'Abbé Goujet. A deux siècles de distance, l'érudition du XVIIIe siècle l'emportait sur la rhétorique jésuite et universitaire, l'histoire de la littérature devenait le mode d'exposition privilégié de la culture littéraire et l'instrument d'éducation d'un « goût» relativisé. Aux pages de Goujet sur l'histoire de la langue se. substituait dès 1905 la majestueuse Histoire de la langue française de Ferdinand Brunot. Aux pages sur l'éloquence, se substituaient les premières grandes thèses de doctorat sur les écrivains-orateurs du XVIIe siècle, celle de Radouant sur Du Vair en 1908, celle de Guillaumie sur Balzac en 1927. Aux pages sur la poétique se substituait en 1927 la thèse de René Bray sur La Formation de la doctrine classique en France. A la bibliographie critique des érudits du XVIII" siècle, Lanson lui-même avait substitué le ManI/el de biblIOgraphie (1910-1912), «lieu des lieux» de l'histoire littéraire française, programme offert à ses futurs historiens. Seul le chapitre « rhétoriqul' » des anciennes «bibliothèques» érudites restait vide. Deux ouvrages s'efforcèrent d'y remédier. Dans L'Art de la prose (1909) 6 Gustave Lanson s'employait à montrer que l'histoire littéraire, telle qu'il la comprenait, n'était nullement incomG Gustave Lanson, Essais de méthode, de critique et d'histoire, présentés pat H. Peyre, Paris, Hachette, 1965, p. 57. 6 Cet Art de la prose doit beaucoup à un curieux homme de lettres, Antoine Albalat. qui avait commencé sa carrière comme romancier (L'Inassouvie, 1882, Une Fleur des tombes, 1896) avant de devenir une sorte de Puget de la Serre fin-de-sièc1e et de se consacrer à l'art d'écrire pour gens du monde. En 1896, il publie L'Art d'écrire, ouvriers et procédés. Puis viennent en 1899 L'Art d'écrire enseigné en vingt leçons, en 1901 La formation du style par l'assimilation des auteurs, en 1903 Le travail du style enseigné par les corrections manuscrites des grands écrivains, en 1905 Les ennemis de 1art d'écrire, réponse aux objections de Brunetière, Faguet et Brisson, en 1921 Comment il ne faut pas écrire et en 1929, pour couronner le tout, L'Art poétique de Boileau.
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patible avec l'étude directe des textes, contrairement à ce que supposait le recteur Chaignet en 1888. Le titre même, élégamment ambigu, révélait 1.1 double intention de l'auteur: historique et normative, mais normative par le biais libéral d'une stylistique historique. 11 ne s'agit plus en effet de former un orateur, avocat, prédicateur, bel esprit, ni même un écrivain, mais de donner une culture stylistique à des jeunes gens c modernes:li qui s'orientent vers toutes sortes de professions. Il ne s'agit plus d'apprendre à parler éloquemment sur tout sujet, grâce à une convention commode et à la méthode des c lieux communs :Ii, mais d'apprendre à se former un style propre à bien exprimer ce que l'on connaît bien. A la philosophie, aux sciences, de former l'intellectuel moderne: à l'explication de textes, éclairée par l'histoire littéraire, de lui fournir des modèles de belle prose française. Pour la première fois, depuis la réforme avortée de Ramus au XVI' siècle, la distinction entre art de penser et art d'écrire est rendue officielle par un maître de l'Université. Mais Lanson, sensible bien avant Roland Barthes au c plaisir du texte:li, n'a point recours, .comme les ramistes, aux instruments techniques de l'elocutio rhétorique, même scindés de la dispositio et de l'inventio. Il ne pratique pas une pédagogie de l'imitation, mais de l'admiration et de l'émulation raisonnées. Le lecteur, placé devant la riche diversité d'âge en âge de la prose des grands écrivains, est invité à former lui-même son propre style, d'après son tempérament, sa forme de culture, ses besoins, avec le sens d'une relativité du Beau. Au fond, dans L'Art de la Prose, Gustave Lanson rattache lui aussi sa pédagogie du style à celle du Traité du Sublime, qui n'a pas cessé, depuis le XVII" siècle, d'être le point d'appui, implicite ou explicite, de tous ceux qui souhaitent desserrer le juridisme de la rhétorique scolaire et mettre l'accent sur les variables plus que sur les /lormes invariantes de l'art de parler et de l'art d'écrire. En 1929, Daniel Mornet publiait une Histoire de la Clarté française, son origine, son évolution, sa valeur, qui devait tenir lieu, en somme, des chapitres sur les « auteurs ayant traité de la rhétorique:li qui figuraient dans les « Histoires de la littérature française :Ii du XVIII" siècle. Comme Morhof, dans son Polyhistor, Daniel Mornet bâtit son ouvrage selon les divisions de l'art oratoire antique, invention, disposition, élocution. Chacun de ces chapitres se veut un bilan critique de la rhétorique scolaire du XVII" et du XVIII· et de ses effets sur les œuvres contemporaines. Bilan sévère. Lecteur des poètes et écrivains romantiques et symbolistes, disciple de l'historicisme libéral de Lanson, Daniel Mornet est scandalisé par le juridisme rigoureux et la tadeur docile qui sont l'avers et le revers des Belles-lettres classiques. Il critique tout ce que suppose de doxa conventionnelle la technique des lieux. Il dénonce ce qu'avait de monotone et de mécanique la dispositio oratoire. Il condamne tout ce qui, dans l'elocutio oratoire, asservit l'élève et l'écrivain à l'élégance pédante telle que la conçoit un régent, au lieu de le guider vers les grands modèles. Il n'est pas loin parfois de faire partager une sorte de dégoOt pour ce qu'il peut y avoir de bourre et de fabrication même chez les plus grands classiques. Les invectives de Hugo contre c la rhétorique:t, de Verlaine contre l'éloquence, le guident à travers le c fatras:t rhétorique
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de l'Ancien Régime. Il ne veut en sauver qu'une valeur, parce qu'elle s'accorde au génie de la langue et de la nation française: la clarté. Mais, s'il est prêt à défendre cette clarté contre les obscurantistes modernes, il juge qu'elle a été conquise au prix d'une discipline bien cruelle et à trop d'égards stérile. En dépit des mérites de l'ouvrage, on ne peut pas dire qu'il augurait bien de l'avenir d'une histoire de la rhétorique en France. En identifiant « la rhétorique» à un petit nombre de traités scolaires ou marqués par l'esprit cartésien, Daniel Mornet se donne la partie belle pour justifier, a posteriori, la suppression de l'enseignement de la rhétorique dans l'Université. Il oublie que cette même rhétorique humaniste, durcie par le rationalisme cartésien, avait été redécouverte à la Renaissance comme une véritable libération qui secouait le joug de la logique scolastique. 1\ ne veut pas voir que l'enthousiasme, l'imagination et les passions, dont se réclament les théoriciens du préromantisme et du romantisme, sont empruntés par eux à des secteurs de la rhétorique antique négligés ou affadis par les rhétoriciens du classicisme et des Lumières, et qu'elles fondent de nouvelles rhétoriques avec de nouveaux « lieux », de nouvelles conventions stylistiques. Trop attaché à mettre en évidence la «néosl:olastique » rhétorique de la France classique, il perd de vue les correctifs que les écrivains eux-mêmes, et les plus intelligents parmi les critiques, avaient su lui apporter. Il passe sous silence la richesse des motifs qui s'entrecroisent dans les querelles de rhétorique du Grand Siècle et qui compensent déjà la « géométrie» ou le caractère normatif de certains traités. Il faudra qu'un professeur de Princeton, E.B.O. Borgerhoff, dans un ouvrage intitulé Freedom of French classicism (1950) réponde, à vingt ans de distance, à la vision sévère que ie iivre de Mornet entendait imposer de la rhétorique classique. Borgerhoff, à juste titre, insistait sur les variables, « esprit et cœur », «nature », «je ne sais quoi », «sublime », qui ont empêché celle-ci de se figer en un code juridique et en un système étouffant. L'identification hâtive et impatientée faite par Daniel Mornet de « la rhétorique », une et indivisible, à telle de ses manifestations, la rhétorique simplifiée à usage scolaire, ou la rhétorique géométrisée des cartésiens, a pour cause et conséquence, surprenante chez ce grand travailleur, un mépris hautain pour la bibliographie de son sujet. Il est vrai que Gustave Lanson, dans son Manuel de bibliographie, n'accorde luimême aux traités de rhétorique ou aux pièces de polémique rhétorique, néo-latins ou français, qu'une portion congrue. Sorel, Gibert et Goujet, sur ce point, étaient plus généreux. C'est que, pour Daniel Mornet comme pour Gustave Lanson, deux ou trois traités de rhétorique devraient suffire à donner une idée complète d'un art aussi figé et répétitif. Ils sont aussi injustes pour le «Moyen-Age» rhétorique qui a précédé l'Université de Jules Ferry que les humanilltes de la Renaissance avaient pu l'être pour le Moyen-Age scolastique dont ils voulaient libérer leurs contemporains. Pour eux, qui avaient subi encore un enseignement de rhétorique et qui aimaient la littérature romantique et symboliste, tirer un trait sur l'art oratoire était un acte de libération et de progrès.
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En dépit de son influence - le cours de Jean Cousin sur RMtorique et classicisme (1933) et la thèse du P. de Dainville sur la pédagogie des Jésuites (1939) - , l'Histoire de la clarU française bloquait plus qu'elle ne favorisait l'essor d'une histoire objective de la rhétorique en France. On le voit bien dans la thèse de Louis Rivaille Les D~buts de Pierre Corneille (1936). Plutôt que de reconstituer la culture oratoire du jeune dramaturge, où les querelles de rhétorique parisiennes jouent autant de rôle que la rhétorique apprise chez ses maitres jésuites, l'auteur s'attache cruellement à expliquer l'art de M~lite et de La Suivante par la Logique d'Aristote et la scolastique thomiste, à quoi il réduit l'enseignement des RR.PP. Caricaturant encore l'idée scolastique de «la rhétorique:. que donnait l'ouvrage de Daniel Mornet, Rivaille croit que celle-ci se résume à la disposition logique du discours et à la claire définition de notions abstraites. L'apparition en 1935 du chef-d'œuvre de Paul Hazard, La crise de la conscience europ~erine, en détournant le meilleur de la recherche universitaire vers l'histoire des idées, mit le ~ceau sur l'histoire de la rhétorique. Il fallut plusieurs séries d'événements convergents pour que se modifiât la situation créée par la dévolution à l'histoire de la littérature des tâches assignées autrefois par l'enseignement normatif d'une rhétorique. La première série a curieusement pour origine les écrivains et critiques professionnels qui, au XIX' siècle, avaient tant fait pour porter « la rhétorique» au tombeau. En 1937, un poète est appelé à occuper une chaire au Collège de France. La leçon inaugurale de Paul Valéry et la préface qu'il écrivit pour elle, lorsque Gallimard la publia peu après T, méritent qu'on s'y arrête, car leurs conséquences se font encore sentir aujourd'hui. Dans sa préface, Intitulée De renseignement de la po~tique au Collège de France, Paul Valéry écrivait: «L'histoire de la Littérature s'est grandement développée de nos jours et dispose de nombreuses chaires. Il est remarquable par contraste que la forme d'activité intellectuelle qui engendre les œuvres mêmes soit fort peu étudiée, ou ne le soit qu'accidentellement et avec une précision insuffisante. Il est non moins remarquable que la rigueur qui s'applique à la critique des textes et à leur interprétation philologique se rencontre rarement dans l'analyse des phénomènes positifs de la production et de la consommation des œuvres.» Et après avoir repris les arguments d'un Chaignet ou d'un Proust contre l'histoire littéraire, Valéry poursuivait: «Une Histoire approfondie de la Littérature devrait donc être comprise non tant comme une histoire des auteurs et des accidents de leur carrière ou de celle de leurs ouvrages, que comme une Histoire de l'esprit en tant qu'il produit et consomme de la «littérature:. et cette histoire pourrait même se faire sans que le nom d'un écrivain y fût prononcé. » L'illustre poète, non sans précautions oratoires, se hasarde à prononcer le nom malsonnant de «l'antique Rhétorique ", qu'il réduit d'ailleurs,
T Paul Valéry, Introduction d la Poétique, Paris, Gallimard, 1938. La leçon inaugurale du poète au Collège de France avait eu lieu le 10 décembre 1937.
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ramiste sans le savoir comme tous les modernes, au «domaine des figures », c'est-à-dire à l'Elocutio, voire à l'un des aspects de celle-ci. Il tourne néanmoins autour d'une définition de ce qui fut pendant tant de siècles, la réalité de l'Ars rhetorica : « Ceux-là qui ont cru ne devoir leurs ouvrages qu'à leur désir et à leurs vertus immédiatement exercées, s'étaient fait sans qu'ils s'en doutassent tout un système d'habitudes et d'idées qui étaient les fruits de leurs expériences et s'imposaient à Irur production. Ils avaient beau ne pas soupçonner toutes les définitions, toutes les conventions, toute la logique et la «combinatoire» que la composition suppose et croire ne rien devoir qu'à l'instant même, leur travail mettait en jeu tous ces procédés et ces modes inévitables du fonctionnement de l'esprit ». Ces «modes inévitables" Valéry préfère les nommer poétique ou poïètique, et sous ce nom plus noble, proposer un véritable programme de recherche qui prenne pour point de départ une « importante distinction» : « Celle des œuvres qui sont comme créées par leur public [ ... ] et des œuvres qui tendent à créer leur public. Toutes les questions et querelles nées des conflits entre le nouveau et la tradition, les débats sur les conventions, les contrastes entre «petit public, et «grand public », les variations de la critique, le sort des œuvres dans la durée, [ ... ] peuvent être exposés à partir de cette distinction. » Et dans son Cours de Poétique, Valéry se livrait en fait à de brillantes variations sur le très classique «je ne sais quoi », qui est au principe de la réception de l'œuvre par le public, saisissant en un instant le résultat d'une longue et complexe genèse, mais aussi au cœur de cette genèse même, où « l'action vient au contact de l'indéfinissable ». Parallèlement à Valéry, Jean Paulhan poursuivait une réflexion sur le domaine autrefois occupé par la rhétorique, et, en 1941, un recueil d'études intitulé Les Fleurs de Tarbes étendit à un plus vaste public les fruits d'une méditation commencée dès 1924. Jean Paulhan le faisait remarquer avec l'humour qui n'est qu'à lui: «l'antique rhétorique », tel le Diable, ne s'était jamais si bien portée, n'avait jamais été si souveraine, que depuis qu'elle était parvenue à se faire oublier. La littérature, à la lumière de ces analyses, n'apparaissait plus comme une entité victorieuse d'un art oratoire mensonger et heureusement défunt, mais dans le meilleur des cas, comme une sorte de conquête difficile et rusée sur l'emprise retorse d'une rhétorique vulgaire, de ses idées reçues, de ses conventions inconscientes, de ses formules toutes faites. En observant à l'œuvre cette rhétorique cachée, Paulhan se prenait à réhabiliter quelque peu le vieil art des rhéteurs qui avait le mérite d'être explicite, et qui en somme facilitait le travail de l'écrivain authentique en filtrant une première fois les évidences paresseuses de la doxa et les habitudes d'expression du langage commun. La même année, Valéry publiait chez le même éditeur son Tel Quel, qui sous une forme discontinue et aphoristique, décrivait la stratégie de l'intellect « poétique» aux prises avec « l'indéfinissable ». Chacun à sa manière, Valéry et Paulhan ramenaient l'attention du public lettré sur la «vieille rhétorique ». Mais sous un biais qJli chez ces deux héritiers de «l'honnêteté» classique était souverainement anti-
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historique. Il s'agissait moins de retrouver, par un effort à la fois d'érudition et de sympathie, ce Gu'avait pu être cette rhétorique et pourquoi elle s'était défaite et occultée, que d'inventer, sous le nom de poétique dans le cas de Valéry, sous celui de c: pensée critique» dans le cas de Paulhan, une sorte de méta-rhétorique moderne, propre à aider l'écrivain dans sa tâche d'hygiène et d'invention. L'identification postériellre de la rhétorique implicite à c: l'idéologie bourgeoise », et l'apparition d'une science linguistique, acheva de persuader le «monde littéraire» que c: poétique », c: pensée critique », c: science du langage» pouvaient se conjuguer pour faire surgir une sorte d'Hérodiade révolutionnaire, vierge de toute souillure d'idéologie bourgeoise et capable de formuler un discours rendant compte de tous les discours possibles, celui de la c: modt'rnité ». Sans entrer dans le détail de cette nouvelle quête du Graal, signalons-en deux ou trois moments importants. En 1964-1965, dans son séminaire des Hautes Etudes, VIe Section, Roland Barthes fit un inventaire cursif de l'ancienne rhétorique, pour y faire le tri de ce qui pouvait encore servir de «lieux» de l'invention au «discours de notre modernité» 8. En 1966 et 1969, Gérard Genette publiait les deux premiers volumes de FIgures, où il faisait usage, au profit d'une stylistique de la c: modernité », de quelques définitions empruntées à la vieille elocutio. En 1970, dans un article publié dans la revue Communications 8, Pierre Kuentz avertissait ses amis de ne pas vendre la peau de l'ours: la rhétorique ancienne avait plus d'un tour dans son vieux sac. Pour ne pas demeurer sans qu'il y partit sous son inVisible emprise, il ne suffisait pas de la traiter en c: lieux de l'invention» critique, ni de la réduire à quelques figures de l'elocutio: il fallait percevoir son organicité apparemment brisée, mais toujours latente et puissante, il fallait surtout faire son histoire, dont la «modernité» elle-même n'était après tout qu'une des conséquences. Pendant ce temps, en Allemagne et dans les pays de langue anglaise, un intérêt plus serein pour l'histoire de la rhétorique stimulait des travaux de plus en plus nombreux. On ne peut sous-estimer, en Allemagn~, le souci des philologues d'opposer après la guerre, une sorte de conjuration a posteriori aux démons de la propagande nazie: celle-ci avait eu des théoriciens et même sa rhétorique. Il s'agissait donc d'opposer à cette rhétorique au service de la barbarie, une histoire de la rhétorique au service de la sagesse et de l'humanisme. C'est le but avoué du grand livre d'Ernest-Robert Curtius, La littérature européenne et le moyen-âge latin, publié en 1947 à Bonn 10, où la rhétorique (envisagée surtout sous l'angle de la topique) est reconnue comme le principe vital de la culture humaniste et comme le point de vue unifiant pour l'étude de ses formes et de son développement. Ami et disciple de Curtius à
8
Un condensé de ce séminaire a été publié par la revue Communications,
n° 16, 1970, pp. 172-225. 8 Ibid., pp. 143-157, «La rhétorique ou la mise à l'écart >. 10
Traduit et publié en français aux P.U.F. en 1956.
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Bonn, Heinrich Lausberg publia en 1960 son Handbuch der literùrischell Rhetorik qui pourvoit l'Université allemande du manuel qui manque si cruellement en France. Il ne s'agit pas en effet, comme le Dictiollllaire de rhétorique et de poétique de Morier, ou comme la Rhétorique générale publiée par un groupe de chercheurs belges, d'ignorer l'histoire de la rhétorique pour en inventer une nouvelle, inutile pour l'historien et le critique, prématurée pour le linguiste. L'ouvrage de Heinrich Lausberg se veut une Rhétorique des rhétoriques historiques, englobant dans sa problématique et dans son riche répertoire d'exemples empruntés à toute la tradition européenne, de l'Antiquité à l'époque contemporaine, toutes les variantes connues de Protée. Une version abrégée de cette encyclopédie rhétorique a été traduite en italien 11. Un autre grand maître de la philologie allemande, Erich Auerbach, dans plusieurs de ses ouvrages, fait le plus heureux usage de sa culture rhétorique. Dans Mimesis 11, le seul traduit en français, il se sert de la théorie rhétorique des niveaux de style pour établir entre littérature et société un rapport qui ne soit pas d'« influence '> vague, ou de « reflet» mécanique, mais qui suppose une médiation rhétorique. Ce livre pose les prémisses d'une harmonisation plus méditée entre histoire, histoire de la rhétorique et histoire de la littérature. Comment expliquer l'essor des études sur la rhétorique dans les pays de langue anglaise? Par la vitalité de leurs institutions judiciaires et parlementaires? Par le développement plus rapide d'une société industrielle où l'art de persuader, sous ses formes commerciales et publicitaires, journalistes et informationnelles, retrouve une place aussi considérable, mutatis mutandis, qu'à l'âge dit «baroque », où l'Eglise de la Contre Réforme avait mis en place un prodigieux appareil de persuasion collective? Ou encore par la survivance, dans l'enseignement, d'une rhétorique au sens ramiste, limitée à l'élocution et à 1'« action », mais plus tenace, sur ce terrain réduit, que la rhétorique aristotélico-cicéronienne bannie en France par la réforme de 1885? Ou bien faut-il faire jouer une certaine fascination pour l'humanisme rhétorique des pays latins, dont ceux-ci, quelque peu rassasiés, sont las? Le fait est que de divers côtés le XX' siècle a vu naître aux Etats-Unis et en Angleterre de véritables écoles d'historiens de la rhétorique, dont les points de départ étaient différents, mais qui ont fini par interférer et par constituer un des courants les plus vivants de la recherche philologique dans les universités de langue anglaise. Une des premières initiatives semble avoir été ceIle de Morris W. Croll, professeur à Harvard. Celui-ci a certainement bénéficié des travaux de Charles Dejob, vite oubliés en France, sauf d'Emile Mâle qui a pris appui sur eux pour bâtir son magnifique volume sur l'Art en Europe après le Concile de Trente. En 1881, Dejob publiait une étude
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E/ementi di retorica, Bologne, II Mulino, 1969.
1'" éd. Berne, 1945. Traduit et publié par Gallimard, Bibliothèque des Idées, 1969. II ne nous a pas été possible de consulter un autre ouvrage d'Erich Auerbach, Liferatursprache und Publikum in der /aleinischen Spéitantike und im Mitte/alter, Berne, 1958. 12
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sur la biographie et l'œuvre de Marc Antoine Muret 18 en qui il voyait une des articulations essentielles entre l'humanisme du XVI" et celui du XVII" siècle, entre l'humanisme italien et le français. En 1884, il publiait une étude pionnière sur l'influence du Concile de Trente sur la littérature et les arts- en Europe 14. Une autre source française de Morris W. Croll fut certainement l'Art de la prose de Lanson, où celui-ci esquis!'ait une sorte de stylistique historique. Mais tandis que Lanson s'efforçait de faire l'économie de la rhétorique, Croll, dans une série d'articles qui s'échelonnent entre 1914 et 1929 1G, asseyait la stylistique historique sur la seule base qui pût l'étayer, l'histoire de la rhétorique. Peut-être passa-t-i1 trop rapidement des définitions, trouvées dans les traités et les polémiques du temps, à l'analyse du style singulier de chaque auteur: du moins montrait-il que le style au XVIe et au XVII" siècles est toujours une affiliation ou une réponse polémique aux characteres clicendi qui font l'objet des polémiques rhétoriques contemporaines,. Ses élèves, et en particulier George WiIIiamson, professeur à Oxford (The senecan amble, 1951) poursuivirent ses recherches et affinèrent ses méthodes. Le très grand mérite de cette école est d'avoir surmonté le dilemme littérature-rhétorique, sans doute fécond pour comprendre les auteurs modernes qui ont vécu ou vivent de lui, mais qui, reporté sur le passé, stérilise la perception historique des styles. A lire les études de George WiIliamson sur la prose anglaise du XVII', on éprouve la même joie intellectuelle et sensible qu'à lire les travaux des musicologues reconstituant, à la lumière des traités de théorie musicale du temps, la manière dont était jouée et perçue la musique d'autrefois. On ne voit pas pourquoi les œuvres littéraires ne bénéficieraient pas des mêmes soins: il est au fond aussi étrange de lire - et d'interpréter - des tragédies comme celles de Corneille à la lumière d'une esthétique non-critique, post-romantique ou brechtienne, que d'interpréter des pièces de François Couperin sur un piano et selon une technique apprise pour jouer du Chopin ou du Ravel. L'école de Morris W. Croll s'était surtout attachée à fonder une stylistique historique. L'école de Chicago, à partir d'une réévaluation du corpus aristotélicien, et donc de la Rhétorique du Stagirite, rejoignit très vite le type de recherches illustré par CroIt. Rosamund Tuve, dans un grand ouvrage sur la poésie « métaphysique» anglaise, expliqua celle-ci à partir de la rhétorique ramiste, fort répandue en Angleterre au XVI' et au XVII" siècles. Elle montrait qu'en réduisant la rhétorique à la logique
13 Marc Antoine Muret, un professeur français en Italie dans la seconde moitié du XVI' siècle, Paris, Thorin, 1881. La thèse de doctorat de Charles Dejob était consacrée à un autre régent de rhétorique, René Rapin (De Renato Rapino, Paris, Thorin, 1881). 14 De l'influence dl! Concile de Trente sur la littérature et les beaux-arts chez les peuples catholiques. Essai d'introduction à l'histoire littéraire du siècle de Louis XIV, Paris, Thorin, 1884. 15
L'ensemble de l'œuvre de Morris William CraU a été l'objet d'une
édition en un volume sous le titre: Style, Rhetoric and Rhythm, essays by Morris W. CroU, edited by J. Max Patrick and Robert O. Evans, Princeton, New Jersey, 1966.
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et à une stylistique de l'ornatus, le ramisme avait rendu possible cette conjonction, qui fascinait T.S. Eliot chez les poètes métaphysiques, entre l'intellectualisme des structures logiques et le sensualisme flamboyant des images. Dès 1924 et 1928, Charles Baldwin offrait au monde anglo-américain des manuels de rhétorique médiévale et humaniste. Dès 1949-1950, H. CapIan et H. King, dans diverses revues savantes, publiaient cinq bibliographies (latin, espagnol, italien, anglais, français) des traités de rhétorique ecclésiastique du XVI· et du XVII" siècles 18. Les conséquences de ces diverses recherches, dont on ne donne ici qu'un aperçu très cursif, se firent surtout sentir à la fin des années 50. En 1958, dans la voie ouverte par E.B.O. Borgerhoff, Jules Brody publiait son Boileau and Longinus. L'étude de A.D. Sellstrom, c Rhetorics and poetics of french c1assicism:. (French Review, 1960-1961), remettait à l'ordre du jour de la recherche les problémes traités par Momet et Bray 'dans les années 30. Les travaux de Hugh M. Davidson aux U.S.A. (Audience, words and art, studies in seventeenth century french rhetoric. 1968), ceux de Peter France en Angleterre (Racine's Rhetoric, 1965 et Rhetoric and truth in France, 1972) ouvraient une véritable c tête de pont» dans le XVII" siècle français des études anglo-américaines sur l'histoire de la rhétorique. Depuis cette c: tête de pont:. n'a fait que s'élargir. Peter Bayley, dans un ouvrage intitulé Themes and styles in french pulpit oratory 1580-1640 17 relit à la lumière des traités de rhétorique révélés par la bibliographie de CapIan et King un domaine peu exploré depuis Jacquinet et Bremond. Margaret Mc Gowan, dans une étude intitulée Montaigne's deceits, the art of persuasion in Les Essais (1974) analysait chez le contempteur par excellence de c la rhétorique» el de Cicéron, les méthodes, dérivées à ses propres fins, de l'art oratoire que Montaigne a mis en usage pour tenir son lecteur en haleine et le prendre au piège de sa sagesse. Et c'est en 1972 que paraissait le grand ouvrage d'Aldo Scaglione, The classical theory of composition from the origin to the present, a historical survey 18, qui fondait véritablement une stylistique historique sur l'étude, depuis l'antiquité jusqu'à nos jours, des théoriciens de l'ordre des mots dans la phrase. Ce livre place dans une vaste perspective historique les t:avaux de Morris W. Croll et de George Williamson.
18 H. Capian et H. King, '" Latin tractates on preaching: a book Iist », Harvard Theological Review, XLII (1949), pp. 185-206. Pour la bibliographie
établie par ces auteurs pour le domaine italien, espagnol, anglais et français, voir notre Bibliographie générale en fin de volume. 17 Cet ouvrage est une «Dissertation for the degree of Doctor of Philosophy of the University of Cambridge:., que nous avons lue sous sa forme dactylographiée. Nous remercions vivement M. Bayley d'avoir eu la gentillesse de nous la communiquer avant édition. 18 University of North Carolina Studies in Comparative Literature. n° 53, Chapel Hill N,C. 1972.
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En France, il faut rendre hommage à Basil Munteano qui, dans une série d'articles publiés en 1957-1958, et réunis en volume en 1967 19, appelait à surmonter le double obstacle dressé sur le chemin d'une histoire objective de la rhétorique: le préjugé anti-rhétorique que l'histoire littéraire avait hérité du XIX· siècle romantique d le mythe d'une métarhétorique dont se nourrissait la c nouvelle critique ~. Il montrait que c la rhétorique» n'est pas un système scolastique figé, mais une problématique à la fois durable et évolutive dont les c constantes dialectiques» ont fécondé aussi bien les diverses écoles morales et esthétiques que la critique littéraire et la critique d'art. B. Munteano donnait, à l'intérieur de ses articles-programmes ou dans d'autres, assez d'exemples sur la fécondité thématique de la rhétorique et sur la survie des rhéteurs anciens, jusque chez les théoriciens du romantisme, pour faire germer en France l'idée d'une histoire de la rhétorique. Les propositions de Basil Munteano, fondées sur une solide culture de comparatiste et un dévouement sans réserve à la cause de la philologie, ne laissèrent pas indifférents les historiens de la littérature du XVII' siècle. L'histoire de l'éloquence sacrée, illustrée en 1960 par la thèse de J. Truch et sur La Prédication de Bossuet, n'avait d'ailleurs cessé de les tenir en éveil sur l'importance de la culture rhétorique au XVII' siècle. En 1968, Jacques Truchet dirigeait un cycle de conférences de la Société d'Etude du XVII" siècle intitulé c Points de vue sur la rhétorique ~ où deux de ses disciples, J. Hennequin sur la rhétorique de l'oraison funèbre sous Henri IV, et J. Descrains sur la rhétorique de J.P. Camus, montraient que la recherche universitaire française s'orientait à son tour dans cette direction. Ce que confirmait la publication cette même année 1968 de la thèse de Roger Zuber, Les Belles Infidèles et la jormation du goût classique. Cette tendance s'est affirmée avec éclat en 1974 par le succès du Colloque de la Société d'Etude du xvII" siècle (sous les auspices du C.N.R.S.), où intervinrent plusieurs des auteurs que nous avons cités 20. Dans cette évolution, on ne saurait négliger le rôle joué par les historiens de la littérature latine. En 1910, pour définir la méthode de la jeune histoire littéraire, Lanson s'appuyait sur l'exemple de Gaston Boissier, l'auteur de Cicéron et ses amis. Il est heureux que l'amorce d'une histoire de la rhétorique en France puisse à son tour s'appuyer sur l'exemple, l'expérience et la sympathie des héritiers de Gaston Boissier. L'étude de la rhétorique latine, païenne et chrétienne, dans sa diversité, son évdutioJ1. ses qU'èrelles, est arrivée aujourd'hui à l'âge des synthèses. Les travaux d'Henri Marrou sur l'éducation oratoire à Rome et sur la culture de saint Augustin, nous font percevoir la rhétorique latine comme le principe vital de la culture romaine, et nous aident à comprendre pourquoi chacune des Renaissances qui rythment l'histoire de la culture européenne est d'abord une renaissance de la rhétorique, à la fois paideia 19 Basil Munteano, Con~tantes dialectiques en littérature et en histoire, problèmes, recherches, perspectives, Paris, Didier, 1967. 20 Les Actes de ce colloque ont été publiés sous le titre Critique et création littéraires en France au XVII' siècle, Paris, C.N.R.S., 1977.
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et litterae humaniores. Les travaux de Christine Mohrmann et de Jacques Fontaine, prolongeant ceux d'Henri Marrou, nous aident à comprendre les problèmes spécifiques d'une rhétorique chrétienne, posés dès les premiers siècles de l'Eglise et ravivés au XVI' siècle par le réveil d'une culture profane. Les grandes synthèses de A.E. Leeman et de G. Kennedy, venant après le grand article Rhetorik de l'Encyclopédie Pauly-Wissowa (Supplément VII, 1940, par W. Kroll) achèvent, s'il en était besoin, de détruire le mythe de « la rhétorique », si commode au goût romantique de l'antithèse: la plus grande partie des textes sur lesquels ces ouvrages sont fondés ont été redécouverts à la Renaissance, publiés au XVI' et au XVII' siècles, et ils donnaient aux érudits, aux orateurs, aux écrivains du XVII" siècle une culture rhétorique riche en contradictions, en tendances et en méthodes diverses. II faut accorder une importance particulière aux thèses d'Alain Michel sur Rhétorique et philosophie chez Cicéron et sur le Dialogue des orateurs de Tacite (1960). Dans sa thèse principale Alain Michel s'attache à réfuter le préjugé philosophique qui pèse sur la rhétorique en général et sur Cicéron en particulier: en restaurant l'unité de la pensée cicéronienne et l'image de l'Orator, médiateur entre la sagesse et la Cité, il nous aide à comprendre une des fondations les plus solides de ce que Burckhardt avait appelé l'individualisme de la Renaissance, et ce que les hommes du XVII" siècle entendaient par « héroïsme ». Dans sa thèse sur Tacite, ce que Basil Munteano appelle « constantes dialectiques» de la littérature est mis en évidence à propos de la lutte des rhétoriques à Rome sous l'Empire. La forme du dialogue donnée par Tacite - après Cicéron - à un traité de rhétorique suffirait il montrer ce qu'a de libéral et d'adaptable à la diversité des hommes et des circonstances l'art oratoire antique. Le fait que ce libéralisme, invoqué par Borgerhoff pour la critique rhétorique du XVIIe siècle, ait eu tendance à se durcir à certaines époques ou à se schématiser pour des besoins pédagogiques ou politiques est une autre question. Même - et dirons-nous, surtout - si l'on veut tenir l'histoire de la rhétorique pour l'ombre de la littérature et de son histoire, un inventaire des machinesoutils qui ne saurait aspirer à la dignité de l'étude des chefs-d'œuvre, il ïaut admettre la nécessité de cette histoire et de cet inventaire sans gloire, mais combien révélateurs sur la fonction et l'évolution de la chose littéraire dans les sociétés européennes. Au moment où les diverses disciplines de l'histoire de la littérature, de plus en plus cloisonnées par époque et par méthode, cherchent un forum du côté de la littérature néo-latine, trésor commun de la culture européenne, l'histoire de la rhétorique peut offrir un autre forum, très voisin du premier. L'essor d'une telle discipline en France au moment où d'autres grandes nations s'y attachent, aurait le mérite de fournir aux chercheurs des différents pays une problématique commune, un terrain de comparaison, voire un langage commun 21. 21 C'est à cet idéal que voudrait contribuer la Société internationale pour l'histoire de la rhétorique, fondée en 1977, qui a déjà organisé trois colloques
internationaux (Zürich, 1977, Bressanone, 1978, Amsterdam, 1979) et qui publie un précieux bulletin d'information, Rhetoric News/etier.
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II Ainsi, l'histoire de la rhétorique a été le plus souvent en France, jusqu'ici, un point aveugle de l'histoire littéraire. Cette discipline, née A la fin du XIX" siècle, a constitué son objet sur le modèle que lui offrait la c littérature» romantique, et ses méthodes sur le modèle que lui proposait la Oeistesgeschichle allemande, d'inspiration nationaliste. Double séparation: la c littérature» est un secteur A part de l'ensemble de la culture; et son ét.ude se confond avec celle de l'esprit national, par opposition A celui des autres nations européennes, tel qu'il se manifeste sous les espèces des chefs-d'œuvre, prose et poésie. Refluant sur les siècles antérieurs, cette double séparation y fut transportée, quelque violence qu'elle fît A des réalités de culture qui s'y prêtaient beaucoup moins qu'au XIX" siècle. Osons poser des questions naïves: quel est le statut de la c littérature», au sens où l'entend l'histoire littéraire, au XVII" siècle? Peut-on même parler, en ce sens, de «littérature du XVII" siècle français » ? C'est une évidence pour nous, tant les découpages de l'histoire littéraire ont acquis droit de cité parmi nous. Cette évidence n'est d'ailleurs pas sans avantages. Elle soutient une certitude raisonnable, celle de la perpétuité, de siècle en siècle, d'une tradition des « Lettres », même si elle la lie exagérèment A l'histoire séparée d'une langue et d'une conscience nationales. A ce point de vue, et sans qu'il remît en cause le concept romantique de c littérature :0, l'ouvrage de Curtius, La Littérature européenne et le Moyen Age latin, a fait naître des inquiétudes salutaires. La présence, A l'arrière-plan des c littératures» vernaculaires, d'un fonds commun néo-latin, renvoyait sans doute, dans l'esprit généreux de l'auteur, A la conscience occultée d'une patrie commune, l'Europe, sous les nationalismes qui l'avait trahie et crucifiée. Mais la continuité même de ce fonds commun de topol de siècle en siècle apparaissait dans ce livre, et lA était son mérite essentiel, comme inséparable de son extension universelle dans une aire «romane» indifférente aux frontières tracées par le Congrès de Vienne et les deux traités de Versailles. Indirectement, éclatait le paradoxe d'une histoire littéraire qui historicise tout, sauf le concept d'où elle tire son nom et sa légitimité. Chez Curtius, l'essence apologétique de ce concept était tiré ad majorem Europae gloriam. Il n'était pas remis en cause. Ce mérite en revient A Paul Bénichou, dans son livre Le sacre de l'écrivain. Etudiant l'époque qui précède immédiatement celle qui a vu naître l'histoire littéraire, il y établit en effet que la ~ littérature », dans son acception moderne et contemporaine, n'a fait son apparition qu'au XVIII·, et n'a été c sacrée» qu'au XIX". Sacrée, c'est-A-dire séparée et nommée. Cela suppose des « écrivains» hautement conscients de détenir un pouvoir spirituel autonome, et reconnus dans ce magistère non seulement par la jeune société civile, mais même par les détenteurs traditionnels du pouvoir spirituel, le clergé et l'Eglise. Il est regrettable que Paul Bénichou n'ait pas poursuivi son étude jusqu'à la période symboliste, lorsque l'écrivain renonçant aux alibis romantiques - mission nationale, sociale, politique, voire religieuse du pouvoir littéraire - justifie sa royauté sur une gnose du langage. Se voulant alors
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détentrice à elle seule du pouvoir spirituel, face à toutes les autres instances de la culture, compromises avec ce qui pour elle est le «monde », politique, science, religion, la littérature tend à se retirer sur un sublime Aventin. Grâce aux conquêtes de l'âge romantique, elle n'en dispose pas moins d'assises concrètes, revues, éditeurs, «monde littéraire », qui lui permettent de se nourrir d'elle-même, et de rayonner sur un public cultivé et révérent. Littérature de « mages », guides de la nation, ou littérature de «voyants» en marge de celle-ci, la littérature du XIX' siècle, au sommet de son prestige, a dû sacrifier pour prendre une conscience d'elle-même aussi héroïque et tenter de la faire partager par la société moderne, l'encyclopédisme du savoir et de l'action qu'elle avait d'abord tenté d'assumer, en prenant sur elle l'héritage du prédicateur du XVII", du philosophe du XVIII', de l'orateur révolutionnaire, tout en conservant « toute la lyre» des Belles-Lettres d'Ancien Régime, poésie, histoire, roman, essai. Même au cours de son Age d'or, la littérature a changé de frontières et de statut: après avoir cherché son « sacre» dans le gigantisme, son orgueil a cru le trouver dans l'angélisme. Pour monter si haut, elle a dû lâcher du lest: des pans entiers du savoir et du pouvoir lui échappent, et désormais, en dépit de l'effort des écrivains N.R.F. pour faire machine arrière, se méfient d'elle, tandis que le journalisme, encyclopédique par nature, s'empare de ses dépouilles. Elle a donc gagné sa suprême indépendance, mais au sommet d'une «tour d'ivoire» d'où elle ne redescend plus sans courir le risque de se voir confondue avec le savoir spécialisé ou avec la vulgarisation et 1'« engagement» journalistiques. Etablie par le XIX' siècle dans un statut d'exceptionnel prestige, dant le XX' nous a démontré l'extrême fragilité, il est tout naturel que la Littérature ait voulu projeter sur le passé une autonomie tardivement acquise, et se donner une généalogie proportionnelle à sa taille adulte. Contemporaine de la génération symboliste, mais lectrice des héros du Romantisme, l'Université de Jules Ferry, nationaliste et démocratique, fit de l'histoire littéraire la généalogie de ses héros, et de la « littérature» que ceux-ci illustraient une constante de l'histoire nationale. Un glissement de sens fit passer «l'histoire littéraire », telle que l'avaient entendue les auteurs, avec Dom Rivet, de l'Histoire littéraire de la France, traduction française de la res litera ria et de la literatura humanistes, à une « histoire de la littérature» faisant de celle-ci le symbole et le dépositaire de l'esprit de la nation. Pour Dom Rivet et ses ::ollaborateurs, « l'histoire littéraire» avait un sens encyclopédique: tout ce qui avait été écrit en France, quels qu'en fussent le sujet, la forme, entrait dans leur inventaire. Le champ couvert par cette version originelle de «l'histoire littéraire» était celui-là même que cultivait, depuis le XVI" siècle, la République des Lettres, très différente, en dépit de l'équivoque possible, et fréquente, de ce que nous appelons le « mondé littéraire ». République de philologues, mais aussi de savants, de savants parce que philologues: toute science, de la médecine à la géographie, des mathématiques à l'histoire, est alors fondée sur l'étude des textes antiques qui lui servent de point de départ. La res literaria englobe Strabon et Hippocrate, Euclide et Thucydide, 3U
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même titre que Virgile et Horace, Homère et Longus. L'imitation en lanque vulgaire, pour le plaisir des « ignorants " de la poésie et du roman antiques n'est qu'une dérivation seconde, et dans une certaine mesure secondaire, à partir de ce fonds commun dont le plus noble usage est de l'ordre du savoir et non du plaisir. Les géants des «Lettres" sous Henri IV et Louis XIII, sont des érudits tels que Casaubon, Scaliger, Saumaise, Sirmond, Petau. Le catalogue des héros de l'épos national, dressé par l'histoire littéraire lansonienne pour le XVII" siècle, élimine les ~ latineurs » et privilégie les « créateurs» au dépens des savants. Pourtant y figurent un philosophe tel que Descartes, un mathématicien et polémiste religieux tel que Pascal, un théologien et prédicateur tel que Bossuet. Tous trois se sont montrés fort réservés vis-à-vis de la poésie, du théâtre et du roman de leur temps, aux côtés desquels leur œuvre se trouvait désormais classée. Cet œcuménisme relatif est moins une survivance appauvrie de celui des Mauristes qu'une réflexion, au miroir universitaire et critique, de l'ambition de l'écrivain-héros du romantisme, à la fois prédicateur, philosophe, pOlémiste, voire à l'occasion théologien et savant: héroïsme encyclopédique qui a trouvé son ultime expression dans les Cahiers de Paul Valéry. La «littérature» au sens romantique est le suprême effort des Belles-Lettres d'Ancien Régime pour s'attribuer un magistère sur l'ensemble des disciplines dont elles n'étaient encore, au XVII", qu'un appendice. Car si l'histoire littéraire, fidèle à l'ambition romantique, annexe à la «littérature» tel théologien, tel philosophe, tel savant éloquents du XVII', l'Encyclopédie humaniste du XVII" ne consentait, en marge de ses «sciences solides », qu'une place et un rang très modestes aux Belles-Lettres, qui étaient alors, poésie et roman, de l'ordre du divertissement de Cour. En revanche, si modeste que fût cette place, elle devait le peu de légitimité dont elle jouissait au fait qu'elle se donnait pour dérivée de modèles antiques appartenant à la res literaria el.cyclopédique de l'humanisme, fondement de tout savoir, mais d'un savoir qui honorait en toutes ses branches l'expression éloquente. Cette universalité de l'éloquence, en facteur commun de l'ensemble de la culture humaniste, savante ou mondaine, explique le malentendu, au demeurant fécond au point de vue pédagogique, qui a permis à la «littérature" devenue triomphante et autonome, de prendre sa revanche en inscrivant dans son histoire des œuvres de théologiens, d'apologistes, de philosophes, de savants. Annexion timide d'ailleurs, à y regarder de plus près, et limitée par les nécessités' de programmes scolaires et universitaires: n'y figurent point les traités de spiritualité et d'apologétique révélés par l'abbé Bremond, la Recherche de la vérité de Malebranche, moins heureuse que le Dèscours de la Méthode, les Mémoires autres que ceux du cardinal de Retz ou du duc de Saint-Simon, les récits des voyageurs et de missionnaires, les autobiographies spirituelles, comme celles du P. Surin ou de Mme Guyon, les correspondances autres que celles de Voiture et de Mme de Sévigné, les traités d'artisans lettrés tels que Les Instructions pour les jardins fruitiers et potagers de Jean de la Quintinie. Partout cependant se révèle cette conscience et ce bonheur d'expression que nous réservons aujourd'hui aux « écrivains " et que toute une élite alors, dédai-
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gnant OU redoutant le nom d'« auteur ~, plaçait plus haut que ne le font la plupart des «auteurs ~ actuels. Entre l'optique de l'histoire littéraire, concentrée sur les «grands écrivains ~ dont l'éminence doit plus au XIX" siècle qu'à leur propre temps, et celle que nous proposons ici, la différence pourra apparaître mineure: elle déplace seulement le regard d'une « littérature-catalogue de héros nationaux », isolée non sans arbitraire dans un ensemble qui distribuait autrement les valeurs, à cet ensemble qui, se connaissant sous le nom d'Eloquence, n'attribuait à une bonne part de ce que nous appelons chefs-d'œuvre qu'un rang modeste, y voyant tantôt une simple dérivation, pour le plaisir des « ignorans» des chefs-d'œuvre de l'Antiquité classique, tantôt un divertissement, non dépourvu de nocivité, accordé à des « mondains» incapables d'une contention chrétienne trop soutenue. Il s'agit en somme de voir la culture rhétorique du XVII" siècle non plus à travers un concept de « Iittératur~ » élaboré tardivement, mais à l'aide de ses propres critères, et des débats dont ils étaient l'objet en leur temps. Cet effort pour se déplacer à l'intérieur d'une culture disparue exclut tout sentiment de supériorité du présent sur le passé, que ce sentiment soit naïf et inconscient, comme ce ful le cas de l'histoire littéraire post-romantique, qui croyait exalter le passé national en le remodelant à des fins apologétiques, ou qu'il soit polémique et surchargé d'alibis scientifiques, comme c'est le cas de l'idéologie critique de la « modernité ». Il n'est pas question ici de contester la présence au XVII" siècle de «chefs-d'œuvre », ni de «grands écrivains », ni d'esquiver la question posée par cette présence, perçue autrement que nous par les contemporains. Il vaut la peine quelquefois d'0Ublier momentanément les arbres pour voir enfin la forêt. Héritier de la Renaissance, le XVII" siècle est, en Europe, l'Age de l'Eloquence. Pourquoi l'est-il, plus qu'ailleurs, en France? Les conditions y sont réunies pour prendre le relais, à une échelle infiniment plus vaste, des deux Renaissances romaines, celle de Léon X et celle d'Urbain VIII Barberini, et pour conférer aux rois Bourbons cette gloire des Lettres que les Valois n'avaient pas su associer à la réussite politique et à la paix religieuse. La France est alors le pays d'Europe où le prestige et les travaux de la Respublica Iiteraria savante sont le plus fortement soutenus par une magistrature puissante, dans les rangs de laquelle le pouvoir royal recrute ses meilleurs serviteurs; c'est aussi le pays d'Europe où la Cour, démantelée par la fin des Valois, passée aux mains d'une dynastie nouvelle, désorientée une seconde fois par la mort d'Henri IV, trouve avec Richelieu la volonté et les moyens de rattraper son retard, renouant avec la tradition d'une monarchie qui avait dés avant la Renaissance imposé la supériorité du français d'Ile-de-France sur les patois, avec François 1er, imposé l'usage de cette langue commune dans les actes publics, de préférence au latin, et au cours du XVI· siécle allié son prestige à celui d'une Académie de Poésie et d'Eloquence françaises. Sous la vigoureuse impulsion de Richelieu, la Cour de France devient sous Louis XIII la tête d'une société civile à qui elle impose, selon un decorum royal dont l'Académie française est chargée de définir les normes, des modèles de langage et de comportement, l'organe d'une ambition dynas-
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tique qui veut s'imposer à l'Europe par la réussite des Lettres et des Arts français autant que par la victoire des armes. C'est en France Que la résistance docte et dévote à l'essor de Belles-Lettres mondaines et profanes était la plus vive: c'est là aussi que, grâce au mécénat impérieux de la Cour, dans une polémique stimulante avec l'idéal docte d'eruditio et avec l'idéal clérical d'éloquence sacrée, fleurit avec le plus de vitalité un idéal civil d'Eloquence française, accordé à la majesté lOyale et au «bon usage» de la Cour, éloquence fertile en «chefsd'œuvre », mais destinée d'abord à servir de dénominateur commun à l'élite du savoir et du pouvoir. Elle se cristallise, sans doute, pour le prestige et la délectation de ce que Corneille appelle « les illustres suffrages », dans des poésies, des romans, des pièces de théâtre: elle trouve sa véritable certitude et sa vraie gravité comme mode d'expression de l'homme d'Etat, du chef de guerre, du gentilhomme, du magistrat, dont eHe manifeste l'autorité, la « grandeur d'âme », 1'« honnêteté », en somme l'appartenance au «théâtre des illustres» qui exerce le pouvoir, autant par l'admiration que par la force, sur le parterre du royaume. Cette éloquence française est-elle une déchirure dans le tissu de la "cs liferaria humaniste et européenne? Oui, si J'on y voit l'amorce de ce que deviendra plus tard la littérature française. Non, si l'on considère qu'elle s'est passionnément voulue l'héritière de l'Eloquence romaine, dont elle reconnaît l'exemplarité, dont eUe veut réincarner l'universalité. Sa mémoire est la même que celle de l'Eloquentia néo-latine, la discipline rhétorique et poétique à laquelle elle se plie est celle-là même que la philologie humaniste européenne a restaurée dans sa richesse et ses nuances. Son essor repose sur l'expansion du réseau des Collèges jésuites et oratoriens, expression de la volonté de la Réforme catholique, commune à toute l'Eglise, d'ordonner pédagogie et homilétique chrétiennes à l'apprentissage préalable des lifterae humaniores et de la rhétorique latine. Cet enracinement de l'éloquence française dans la culture humaniste et chrétienne commune à toute l'Europe est au principe de son succès européen, car elle n'apparut pas comme une rupture avec les ressources et les idéaux de l'humanisme latin de la Renaissance, mais comme un corps glorieux émanant de l'antique tombeau, rajeunissant ses trésors par la grâce de la présence actuelle et vivante. Cette transfiguration - qui fut pour une large part une traduction - n'aurait pas été possible, contre le poids du tombeau lui-même et de ses austères gardiens, ~ans la volonté politique de la Cour de la France, sans le besoin qu'eut celle-ci d'affirmer la suprématie de la dynastie nouvelle, héritière de la plus vieille monarchie chrétienne d'Europe, face aux autres Cours, et entre autres la Cour latine des Pontifes romains. Transposée en français d'Ile-de-France, mise au service du Louvre, l'antique alliance de la sagesse et de l'éloquence conserve sa vocation universelle, dans un mythe romain qui soutient l'action et la parole des héros de la monarchie, autant sinon plus que l'invention de ses écrivains. De ses assises savantes et sacrées, l'éloquence française hérite le culte de la forme d'expression, indissociable d'une réflexion approfondie, philosophique, morale, politique, religieuse, bref rhétorique, sur l'art de parler. On attache au style un
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tel prix, en français comme on l'avait fait en latin, il est jugé chose si grave, qu'il n'est pas encore abandonné aux seuls auteurs de profession. Même après avoir cessé d'être un privilège de caste savante ou de caste cléricale, l'Eloquence, devenue c françoise », est un superflu que les diverses c professions nobles et publiques :t tiennent à ajouter à leur nécessaire, sachant que sans elle leur autorité personnelle, celle de leur c profession» seraient nécessairement endommagées. c L'Eloquence françoise» qui prend conscience d'elle-même sous l'autorité de Richelieu ne S~ confond nullement avec ce que nous entendons aujourd'hui par « littérature du règne de Louis XII1 » : l'Académie française qui est chargée d'en fixer les normes accueille aussi bien des grands seigneurs, des diplomates, des dignitaires de la Cour, des hommes d'Eglise, des magistrats, des médecins, des avocats, que des poètes ou des écrivains professionnels. Elle se veut la résultante d'un immense effort collectif, patronné par le pouvoir civil, des diverses composantes de l'élite du royaume, gens de Cour et gens de Robe, c sçavans et honnestes gens », clercs et laïcs, pour accorder leur style de caste à une éloquence commune consonante à la majesté du roi de France. Poètes et écrivains participent de cet immense effort, mais à leur place, et autant comme bénéficiaires de ses résultats que comme guides et garants. Leurs œuvres sont l'occasion de débats dont l'objet ultime est le c meilleur style" de l'éloquence française, et le goût qui permet de le discerner. Ces débats ne sont pas l'arcane d'un c monde littéraire» autonome, comme ce sera le cas au XIX· siècle. Ils engagent tous les secteurs de l'élite du savoir et de la responsabilité. Ils supposent une vaste diffusion, dans l'outillage mental de l'élite française, à des degrés divers de précision, par éducation, imprégnation ou contagion, des techniques et des questions de la rhétorique gréco-latine, restaurées au cours du XVIe siècle par les philologues humanistes. Une des catégories essentielles de la rhétorique est l'imifafio : c'est par référence à une gamme de styles illustrée par les modèles exemplaires de l'Antiquité que procède l'invention de l'écrivain ou de l'orateur du XVll"; une autre de ses catégories est la convenientia, l'adaptation du discours à toutes les variables du problème concret auquel il répond: c'est par référence à cette valeur à la fois esthétique et morale que l'homme de Cour se conduit et converse. Ces notions sont communes à toute l'Europe humaniste. Mais c'est justement parce que la bonne société, autant que la prose et la poésie françaises, se sont pénétrées de ses valeurs, au point de faire apparaître l'éloquence française comme l'héritière moderne de l'éloquence grecque et latine, que l'Europe lettrée se mit à imiter la langue, le tour et les manières françaises. L'ars dicendi, dont les humanistes avaient attendu qu'il restaurât l'Age d'or de la foi et des Lettres au sortir de l'Age de fer scolastique, avait fait le prestige de l'Italie et de sa langue; il fait au XVII· le prestige de la France où sembla s'être transportée, plus pleinement encore, la moderne version de l'alliance entre sagesse et éloquence qui avait fait la grandeur de Rome. S'il y a une unité de dessein dans la multitude de formes que revêt alors la culture française, eUe est dans cette volonté tacite de conquérir dans sa plénitude ce principe d'universalité. Les
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débats sur le «meilleur style» auxquels se livrent érudits, magistrats, théologiens, prédicateurs, gens de Cour et dont les œuvres d'auteurs professionnels ne sont que l'occasion, suscitent une langue, un goût, un art de vivre et de parler qui actualisent, à l'échelle d'une société nombreuse, active, puissante, moderne, 100 raffinements de l'antique EloIluentia que l'Europe humaniste révérait depuis le XVIe siècle sous les traits allégoriques et associés de Mercure, de Minerve, et de l'Hercule gaulois. Le statut de ce que nous nommons « littérature », au XVII" siècle, est plus royal qu'il sera jamais, puisqu'elle est, sous la notion extensive d'EIrquepce. l'affaire de teus les «porte-parole» du royaume, gentilshommes et gens de loi, ecclésiastiques et magistrats, «sçavans» et «ignorans », et pas seulement des spécialistes de 1'« écriture ». Mais il est aussi plus humble et modeste que nous ne voulons l'admettre, dans la mesure où les «auteurs» écrivant à l'usage d'un public «ignorant» et « laïc », pour son divertissement, apparaissent encore comme des «sophistes» parmi les orateurs, opérant dans une sphère de jeu inutile au salut, ajoutant peu au savoir, et n'offrant au pouvoir qu'un ornement. On attribue le plus souvent, lorsqu'on veut bien l'apercevoir, ce statut éqUivoque de la « littérature du XVII" siècle» au préjugé nobiliaire contre l'artisanat servile des « auteurs », ou au préjugé clérical contre le plaisir profane. Il faut aller plus loin, et voir que ce « soupçon» est inhérent à la nature même de la culture humaniste et chrétienne, à la définition même de l'Eloquentia, qui n'est tant honorée que comme organe de la Sapientia, savoir et sagesse, science et vertu, responsabilité et exercice des responsabilités, « choses» que les « mots» n'honoreront jamais assez, à condition de ne point s'émanciper de ce service d'honneur. Le « soupçon» des dévots et la désinvolture nobiliaire vis-à-vis des « auteurs" ne sont pas plus redoutables que la méfiance des « sçavans », dont le culte pour l'Eloquentia antique, alliance de la sagesse et de l'art de persuader, a pour revers l'exécration de la sophistique, et tout est sophistique lorsque l'on s'éloigne des lumières directes de l'Antiquité. Les chefs-d'œuvre que nous admirons n'avaient pas leur place marquée au Temple de la Gloire humaniste, et s'il s'est trouvé un public pour les goûter, pour des raisons fort étrangères aux nôtres, il s'en est trouvé un autre, le plus nombreux p~ut-être, pour les ignorer, les redouter, les tenir pour «bagatelles ». Si l'Eloquence était un luxe de la forme légitimé par le sérieux de son objet, les « chefs-d'œuvre» qui, selon notre terminologie, apparurent en son sein étaient un luxe de ce luxe, et donc un excès le plus souvent ressenti comme tel. Il est vrai, en revanche, que leur hubris même, ou si l'on préfère. la transgression qu'ils constituent, crée insensiblement un « espace littéraire» imperceptible à la plupart des contemporains, et que l'évolution ultérieure des Belles-Lettres surévaluera. Mais les « Modernes» ? objectera-t-on: ils ont vu, les premiers, comme nous les voyons, grands écrivains et chefs-d'œuvre « littéraires », hors de l'ombre où les maintenait la lumière désespérante de l'Antiquité. Reportons-nous donc aux Hommes illustres de Charles Perrault: sur cent éloges, ceux que nous appelons «écrivains» ne figurent qu'au nombre
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de dix. Le classement par conditions (nouveauté mondaine par rapport au classement traditionnel par discipline du savoir) indique une hiérarchie où les c Lettres,. ont une place modeste, après l'état ecclésiastique, la profession des armes, les ministres d'Etat, les grands magistrats, Où l'Eloquence française et moderne trouve ses plus solides cautions. Encore ne faut-il pas se laisser prendre au piège des mots: les c Hommes de Lettres» qui apparaissent ici avant les' Philosophes, Historiens, Orateurs et Poètes, n'ont rien de commun avec les nôtres. Perrault prend soin, dirait-on, de prévenir l'équivoque en indiquant, dans sa préface, qu'il fera une place, dans son bilan du siècle, aux c admirables découvertes que nos gens de lettres ont faites dans toutes les sciences ». Il s'agit donc plutôt de Pascal que de Scudéry, de Ménage que de Gomberville. Les érudits et les ({ sçavans » figu.rent en meilleure place et en plus grand nombre dans cette galerie que les c écrivains,. au sens moderne. L'un de ceux-ci figu're d'ailleurs dans les Hommes Illustres dans le chapitre consacré aux gens d'épée, au titre de chevalier de Malte: il s'agit d'Honoré d'Urfé! c Orateurs» et « Poètes », ces derniers seuls entrant à peu près dans le cadre offert par notre notion d'i: écrivain », sont installés au bas bout de la table du Festin des Dieux de l'Eloquence française. Dans les recueils de ce genre parus antérieurement, depuis les Elogia de Scévole de Sainte-Marthe à l'Académie des Sciences et des Arts d'Isaac Bullart, la proportion de ce que nous appelons «écrivains» est encore moindre. Les érudits l'emportent de façon exorbitante chez SainteMarthe, pour qui les «Lettres », plus encore que pour Perrault, s'identifient à la res literaria humaniste, encyclopédi~ de tout savoir que Perrault ne renie pas, mais qu'il crOIt pouvoir désormais tenir pour socle où se dresse la statue de l'Eloquence française et moderne. Chez Bullart, les doctes (Théologiens, Philosophes, Mathématiciens, Astrologues, Médecins, Diverses Sciences, Inventeurs des Arts) écrasent par leur nombre et leur prestige la petite cohorte des poètes. Les mots «Lettres », «Littérature» au XVII" siècle, que nous tirons sans scrupule à nous, sont en fait des traductions du latin humaniste Litterae humaniores, Literatura, res litera ria et sont chargés du même f'lens : connaissance érudite de ces fondements de la sagesse et du savoir que sont les textes légués par l'Antiquité, tous les textes, ceux de Varron au même titre que ceux d'Horace, ceux de Galien et d'Euclide au même titre que ceux de Sénèque. On n'en veut pour preuve que le Dictionnaire de Furetière, témoin fidèle de la doxa généralement acceptée au-delà du règne de Louis XIV. Littérature: «Doctrine, érudition, connaissance profonde des Lettres: Scaliger, Saumaise, Upse, Bochart, Casaubon, Grotius, Bayle et autres critiques modernes ont été des gens de grande littérature, d'une profonde littérature. Un ouvrage plein de littérature. Ces amas d'écrits qui ne multiplient que les mots et non pas les choses, sont l'opprobre de la littérature (La Motte). Je veille à deffendre le patrimoine des Sçavans et la gloire de toute la littérature.» Dans cet article lapidaire, point de Théophile, point de Corneille, point de Racine: leurs œuvres, épiphénomènes du vrai savoir littéraire, ne bénéficient pas de la même révérence que celles où le fonds antique est directement géré.
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Lettres: « Lettres se dit aussi des Sciences. C'est un homme de Lettres, il a été élevé dans les Lettres [ ... ] On appelle Lettres humaines ou BellesLettres la connoissance des Poètes et des Orateurs. Les vrayes BellesLettres sont la Physique, la Géométrie, et les sciences solides. La connoissance des BeIles-Lettres devient en plusieurs sçavans une érudition fort ennuyeuse (Saint-Evremond). :. Même dans cet article, où pointe l'attitude moderne et mondaine, c Lettres », c Lettres humaines» et «BeIles Lettres l> désignent non pas l'activité productrice de l'écrivain, mais la possession d'un savoir critique sur les œuvres léguées par l'Antiquité, dont l'ensemble fonde l'Encyclopédie des connaissances humaines. Les Belles-Lettres elles-mêmes, avant d'être «création littéraire ", sont d'abord un commerce assidu et intime avec les poètes et orateurs de l'Antiquité. Tirer parti de ce commerce pour mettre au jour des œuvres nouveIles n'est pas tenu, loin de là, pour le meilleur hommage aux chefsd'œuvre fondateurs. Si nous nous reportons ensuite à l'article Escrivain, nous sommes frappés par sa brièveté et sa sécheresse. Après avoir insisté sur le sens premier, servile et artisanal, de ce mot (. Quelques pages encore, et nous rencontrons l'article Prédicateur: «Ecclésiastique qui prêche dans l'Eglise pour annoncer l'Evangile, pour enseigner la vérité. Le prédicateur chrétien ne doit pas affecter les manières brillantes et impérieuses de l'éloquence mondaine (CI.).» En dépit de la gloire, conquise dans le sillage de Ronsard, par Corneille, Racine, Malherbe, Boileau, les «Belles-Lettres» françaises et modernes sont prises en étau entre les «sciences solides» laïques et sacrées, et les deux éloquences qui les publient. Sur les «mots» dont elles jouent dangereusement pèsent non seulement le soupçon moral du savant, du philosophe, du clerc, mais aussi le dédain dicté par leur situation subordonnée et dérivée dans la hiérarchie des langues et celle du savoir. L'analyse du contenu des bibliothèques du XVII" siècle à laquelle s'est livré Henri-Jean Martin confirme cette situation. Et l'étude d'ouvrages comme L'advis pour dresser une bibliothèque de Naudé (1627) ou, plus tard, le Syntagma bibliothecae Parisiensis Societatis Jesu (1678), en dépit de la différence de dates et d'orientation intellectuelle, conduit à la même conclusion. Conseillant de classer les livres suivant la hiérarchie universitaire du savoir, «Théologie, Médecine, Jurisprudence, Histoire, Philosophie, Mathématiques, Humanités et autres », Naudé remarque que « maintenant », la Morale et la Politique « occupent la plupart des meilleurs et plus forts esprits, cependant que les plus foibles s'amusent après les fictions et Romans desquels je ne dirai rien autre chose sinon ce qui fit dire autrefois par Symmaque: Sine argumento rerum loquacitas morosa displicet. » Point de place donc pour les Belles-Lettres françaises et modernes dans une bibliothèque aussi exigeante sur la qualité que celle du Président de Mesmes. Dans ses Considérations politiques sur les
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coups d'Etat, Naudé restera fidèle à lui-même en n'accordant à l'éloquence des modernes qu'une utilité qui la légitime, celle de rendre acceptables au grand nombre, sous les fleurs du bien dire, les arcana imperii qui inspirent les décisions des hommes d'Etat. Un dédain aussi tranchant n'apparaît certes pas dans le Syntagma de la bibliothèque de la Maison Professe des jésuites rédigé en 1678 par l'un d'entre eux, le P. jean Granger : on sait tout le soin que sa Société a apporté à cultiver les Belles-Lettres modernes, et à leur faire reconnaître une légitimité dans la culture tridentine. Pourtant, même chez les jésuites, il s'agit de nuances, plutôt que d'un désaccord de fond avec un érudit laïc et gallican tel que Naudé. Les Oratores et les Poetae, dans ce Syntagma, bien qu'à l'étroit entre les Philol.ogi et les Grammatici, occupent sans doute une place respectable, mais somme toute dans les lointains du vaste paysage occupé au premier plan par le puissant massif des sciences érudites, sacrées et profanes. Le P. Granger croit nécessaire de justifier la place réservée aux II: Lettres humaines », et il le fait en termes prudents: elles parachèvent l'homme, en tant que celui-ci participe à la vie de société (quatenus in societate existit), en lui enseignant «comment il faut parler purement, éloquemment et agréablement ». Pédagogie de l'humanitas, politesse et sociabilité, les Belles-Lettres sont l'apanage de tous les hommes cultivés, et de tous les chrétiens dans la mesure où ils appartienn'.!nt à une société civilisée. Elles ne se suffisent pas à elles-mêmes. Leur ordre est en dernière analyse inférieur à celui des sciences sacrées, qui préparent au salut, et des sciences profanes, qui préparent à la sagesse, prémisse du salut. Le classement des Oratores auquel se livre le P. Granger t'xclut toute forme de littérature qui ne se rattache pas à une institution, à une profession, à des valeurs directement utiles à la société civile et religieuse: genre judiciaire, genre délibératif, genre de l'éloge, ce dernier rangé par sujets: éloges des personnes, des vertus, des II: choses », genre épistolaire enfin, instrument par excellence de la communication sociale. Le classement des Poetae (Drammatici, Epici, Elegiaci, Lyrici, Epigrammatisfae, Sylvae) semble plus proche, ici comme dans l'article Poète de Furetière, des vues modernes sur la littérature: l'ordre chronologique (Antiquité, Moyen Age, Age moderne ou Postrema aelas), la diversité géographique et linguistique des auteurs cités dessinent même une ébauche d'histoire littéraire eomparée. Mais quelle place étroite, malgré tout, au fond de la Bibliothèque, et quelle pauvreté d'étiquetage pour des casiers où la plus grande partie de la II: littérature classique» brille par son absence! Le rayon « poésie» est ici conçu à l'image de la production néo-latine des Jésuites, elle-même étroitement liée aux besoins de leur Société: fêtes religieuses, hommages rendus à de puissants protecteurs, modèles pour les exercices de la classe d'humanités.
• •• La situation et le statut de la «Littérature », du XVII" siècle à nos jours, se sont retournés de fond en comble. Au départ, sous le nom d'Eloquence et de Poésie préparant à l'Eloquence, elle est le bien commun
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d'une culture religieuse, morale et politique qui redoute de la voir autrement que comme l'huile dans ses rouages. A l'arrivée, elle n'est plus que le Kamtchatka d'une culture technique et scientifique, immense et fragmentée, qui l'a spécialisée et isolée, tout en lui rendant des hommages de principe. Entre ces deux extrêmes, le XIX' siècle a été un moment d'équilibre, car en dépit du « sacre,» de l'écrivain, qui peut aller jusqu'à la sécession dans la «voyance ", ce que 'Chaïm Perelman a nommé t l'Empire rhétorique ~ continuait par l'école, l'Université, la Magistrature, les Chambres, les Académies, à répandre dans les diverses professions et conditions de l'élite un sens exigeant de la forme d'expression, un « art de bien dire et de bien écrire» préservant les conditions d'un dialogue, fût-il polémique, et donc celIes de la vitalité et de l'unité de la culture. Ce dénominateur commun, qui subsiste en dépit des imprécations de l'écrivain romantique, contre les «bourgeois », et de la scission naissante entre culture « littéraire» et culture « scientifique », s'était établi en France au cours du XVII' siècle. Il disparaît inexorabiement sous nos yeux. La France du XVI' siècle était compartimentée en institutions, conditions, professions, provinces, chacune caractérisée par une forme de culture (on disait un « Stile ») et un langage particuliers. ElIe subissait en outre la fascination du «stile» et du langage de l'Italie et de l'Espagne. soutenues l'une par le prestige des Lettres, l'autre par celui des Armes. Du moins était-elIe travaillée par un idéal d'Eloquentia dont l'ambition d'universalité donnait mauvaise conscience à cet émiettement. La Cour, Forum du royaume, tendait déjà en tâtonnant à filtrer ces divers « stiles » ct «langages» pour en extraire une éloquence française et royale, rêve fracassé d'Henri III, mais rêve d'avenir. Les cercles savants qui essaiment autour des Parlements évitent la confusion des langues par le recours au néo-latin international de la République des Lettres. Les magistrats des Cours souveraines, s'efforçant d'élever leur propre « stile» à la hauteur d'une grande éloquence civique, rêvent eux aussi de restaurer en France la parole du Forum antique. Situation instable, complexe, où les principes agonistiques en présence, n'ayant en commun qu'une aspiration à l'universalité du langage que chacun tire à soi, sont malgré tout préparés, par la logique d'une culture rhétorique, à accepter le « compromis classique» que la Cour de Richelieu imposera sous Louis XIII, et dont celle de Louis XIV étendra le succès au delà de nos frontières. La première moitié du XVII" siècle voit s'instaurer en France, au sommet de la société, une nouvelIe distribution du langage, facilitant les échanges, le progrès du savoir, l'exercice du pouvoir. Les chefs-d'œuvre que nous qualifions de « littéraires ~ illustrent cet anoblissement de la langue vulgaire enfin devenue capable, à l'exemple du latin classique, de la « pleine éloquence ». Mais ils sont le symptôme plus que la cause d'une réussite analogue à celle que Castiglione avait souhaitée pour l'Italie au début du XVI' siècle, réussite de toute une société d'élite où les « grand écrivains» tiennent leur place, mais plus modeste que celle des seigneurs et dames de la Cour, des hauts dignitaires de l'administration et de la diplomatie royales, des pédagogues et publicistes jésuites, des érudits du Cabinet Dupuy formés aux studia humanitatis.
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Dans l'établissement de ce nouvel ordre du langage, la part de l'échange oral est aussi importante, peut-être plus importante que celle du texte écrit qui en fixe la trace et pour ainsi dire la résultante. Dans le Cortegiano, Castiglione avait fortement marqué la filiation entre son c courtisan:t et l'orateur antique, et le rapport d'interdépendance entre l'art de parler et l'art d'écrire. Si le mythe de l'Eloquentia a soutenu l'éclosion de la langue et de la c Iittérature:t classiques en France, le mythe de l'Orator n'a pas été un catalyseur moins efficace. Toutes les conditions et professions dont le prestige est traditionnel, Princes, gentilshommes, ecclésiastiques, magistrats, cherchent à le rajeunir en ajustant leur c stile:t propre sur la forme idéale de l'Orateur. Toutes les conditions et professions qui ont à conquérir leur légitimité et leur prestige, femmes et poètes, peintres et musiciens, comédiens et architectes, cherchent à greffer à leur tour leurs différents «stiles:t sur cette forme prestigieuse qui résume, à elle seule, la Renovatio bonarum artium née en Italie avec Pétrarque: l'uomo universale. Et cette forme se manifeste d'abord, avant de se diffracter en écriture, peinture, sculpture, musique, architecture, actes héroïques, par la parole. C'est elle qui est la mesure de l'altitude de la pensée, de la grandeur de l'âme. Notre concept de « littérature :t, trop exclusivement lié à l'imprimé, au texte, laisse hors de son champ ce que l'idéal compréhensif de l'orateur et de son éloquence englobait généreusement: l'art de la harangue, l'art de la conversation, sans compter la ta cita significatiu de l'art du geste, et des arts plastiques. La perception du texte imprimé lui-même, au XVII" siécle, suppose'cette précellence d'un art de la parole, ce réseau de correspondances qu'il suscite autour de lui, où tout parle éloquemment, depuis le corps du gentilhomme de Cour formé par le Collège à l'actio oratoria, par l'Académie à la danse, à l'escrime, au jeu de paume, jusqu'aux tableaux d'un Poussin où silencieusement parlent la Poésie, l'Histoire, les Passions du discours, tous les modes de l'Eloquentia. Furetière laisse à juste titre dans l'ambiguïté le terme d'Orateur, vaste nébuleuse où entrent aussi bien les « escrivains» éloquents par écrit, que les auteurs de harangues destinées à être prononcées en public. Ce n'est point un hasard si la période 1630-1640 voit un tel essor du théâtre à la Cour de France: miroir d'un art de vivre en société où l'art de parler est au cœur d'une rhétorique générale dont l'art d'écrire et l'art de peindre sont les principaux réflecteurs. C'est en France que la translatio studii de la culture rhétorique grecque et latine, restaurée par l'humanisme, à la langue vulgaire, eut le plus de difficulté à s'opérer, et s'opéra avec le plus d'ampleur. Ce paradoxe s'explique par la conjonction, dans le pays le plus peuplé et le plus riche d'Europe, d'une puissante aristocratie de juristes doctes, jalouse de se réserver le privilège de l'alliance entre philosophie et éloquence, et d'une non moins puissante aristocratie d'épée, dont Castiglione disait qu'elle méprisait les Lettres, et qui en fait ne s'en souciait que dans les limites de ses besoins propres: la gloire que l'histoire (ou plus sûrement les Mémoires) assurent à ses hauts faits, l'amour et la courtoisie que, dans l'intervalle des campagnes, roman et poésie amoureuse en langue vulgaire
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célèbrent et raffinent. Entre la culture savante - qui se défie de la vulgarisation de son propre savoir - et la culture courtoise des gentilshommes et des dames de la noblesse d'épée, les ponts qui avaient été lancés au cours du XVI· siècle étaient encore fragiles: ils s'écroulèrent avec la Cour d'Henri III. L'expansion du réseau des collèges jésuites à partir de 1604, et la volonté de Richelieu à partir de 1624 de faire concourir les ressources de la Cour et de la Ville à la majesté sans partage de la royauté, rapprochèrent les deux cultures, organisèrent leur dialogue. Le conflit inhérent à la coexistence de deux aristocraties laïques, chacune dotée de son « stile » propre, ne pouvait être résolu que par la médiation conjuguée d'une pédagogie conciliatrice et d'un arbitrage politique. Il en allait de même dans cet autre conflit, qui recoupe le premier sans se confondre avec lui, entre morale ecclésiastique, particulièrement sévére dans la France gallicane, et BeBes-Lettres profanes, qu'elles fussent de tradition courtoise ou d'imitation des chefs-d'œuvre de l'Antiquité païenne. Là encore, la position conciliatrice de la Société de Jésus, favorable à des Belles-Lettres françaises et chrétiennes illustrant la majesté de la Couronne, permirent un compromis et légitimèrent, sous condition, les Muses françaises. Muses doublement prudentes: vis-à-vis des détenteurs de l'orthodoxie savante, elles eurent à se prouver filles légitimes de l'Antiquité ; vis-à-vis des détenteurs de l'orthodoxie chrétienne, elles eurent à se prouver filles dociles de la foi et de la morale tridentines, voire dans l'interprétation augustinienne de celles-ci. La vocation médiatrice de la rhétorique entre le passé exemplaire qui légitime et le présent qui ose imiter, entre l'utilité morale et sociale et la délectation d'un luxe du langage, entre l'invention savante et l'élocution douce aux oreilles mondaines, était propice à guider les Belles-Lettres françaises naissantes dans un labyrinthe de postulations contradictoires. L'expérience de la « littérature» néo-latine éclose dans les marges de la République des Lettres érudites fut également précieuse et orienta le tact d'écrivains s'aventurant sur un territoire abondant en chausse-trapes. Age de l'Eloquence, âge de la rhétorique, le XVII" siècle voit naître les Belles-Lettres: il n'est pas encore l'àge de la littérature. Si elle pointe dans teBe œuvre exceptionnelle, c'est à l'insu des contemporains, et contre leur gré. Et cette percée ne deviendra perceptible qu'après coup, à la lumière à la fois déformante et révélatrice d'un état ultérieur de la culture. Les Belles-Lettres naissantes sont tenues à une prudente stratégie: s'appuyant tour à tour sur la volonté royale de créer une «société civile» qui ait ses propres assises, indépendantes à certains égards de la société religieuse; sur la politique des Jésuites qui, justifiant les arts de délectation, leur demandent en échange de servir une morale et une foi moyennes; plus encore sur la part de luxe, de divertissement et de plaisir qui est indispensable à la vie de Cour, sommet et résumé de la société civile, théâtre du decorum monarchique, elles font valoir leurs atouts sans défier inutilement leurs adversaires. En se donnant pour iltiles à la société civile, à ses bonnes mœurs, à sa bonne humeur, à sa politesse, les Belles-Lettres françaises se sont ménagé un espace de survie, voire de relative légitimité. En leur sein apparaissent, protégées cu même masquées par ces prudents alibis, des œuvres qui franchissent
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insensiblement les limites du gentleman's agreement qui les garantit. Mais les chefs-d'œuvre d'une c littérature ~ qui ne dit pas encore son nom, et les «grands écrivains» dont le prestige encore très ambigu prépare sourdement la royauté littéraire du «philosophe» des Lumières et du poète romantique, demeureront à l'horizon de notre paysage. Notre objet est ici de décrire l'âge de l'Eloquence dans son ordre propre, à l'intérieur des puissantes institutions qui l'articulent, et qui, n'ayant rien de « littéraire », occupent néanmoins une grande partie du terrain de ce que nous appelons «littérature» par les débats sur le «meilleur style» qui les agitent. L'interprétation des «chefs-d'œuvre », en regard de cet univers jusqu'ici mal perçu et mal connu, est une tâche ultérieure et pour l'heure prématurée. li n'était pas question d'entreprendre une description exhaustive de cet univers. Au mieux, notre but a été d'en faire percevoir l'ensemble, son importance, et quelques-uns de ses principaux linéaments. Un dessin, une esquisse, et non pas un grand tableau d'histoire achevé. Cela ne va pas sans quelques inégalités de traitement: notre première partie, consacrée à l'exemple italien, remonte jusqu'à Pétrarque; notre seconde partie, consacrée à la Société de jésus en France, ne pouvait guère remonter audelà de l'installation des jésuites en France; notre troisième partie, consacrée au Parlement et à la République des Lettres érudites, remonte à Erasme et à Budé. Ces «durées» inégales ne manifestent pas seulement une répugnance pour la «périodisation », et un goOt certain pour les continuités: elles sont inévitables en matière généalogique, et il importait à notre étude de tenir compte de cette considération généalogique, si décisive dans l'histoire de la culture humaniste, fondée sur le critère de l'antiquité: ta tradition de t'humanisme italien, ta plus ancienne, se réclamant de l'héritage direct de Rome, est la plus orgueilleuse de sa noblesse, et en tire un immense prestige; la tradition de l'humanisme français, plus récente, après avoir été tentée au xv,· siècle de se prévaloir de ses racines médiévales et « gauloises », se réclame de plus en plus au XVII" siècle de l'héritage gréco-romain, et le dispute à l'Italie; face à ces traditions nationales sur lesquelles ils s'efforcent de se greffer, les Jésuites apparaissent, en France, comme les homines novi, voire des novatores, tant dans l'ordre de la doctrine que dans celui du style. C'est également, à plus forte raison, le cas des auteurs en langue vulgaire, pratiquant des genres modernes et mondains dont la filiation antique est incertaine. Cela ne va pas non plus sans sacrifices. Nous n'avons abordé que de biais les problèmes pédagogiques posés par ce que nous appelons « l'Age de l'éloquence» : ce sont du reste les mieux étudiés et les plus connus. Et nous avons dO choisir, parmi toutes les institutions dont l'histoire rhétorique est à faire, celles qui nous ont paru les plus significatives. Si nous avons choisi la Compagnie de jésus et le Parlement de Paris, avec à l'arrière-plan de l'une et de l'autre, la Cour de France, c'est que l'intensité même du débat idéologique entre jésuites et Gallicans, prolongé en options rhétoriques rivales, est un des traits fondamentaux de la culture française du XVII· siècle, et révèle mieux que tout autre la
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situation qui y est faite à l'Eloquence. Pédagogues, casuistes, prédicateurs, missionnaires, érudits, théologiens, écrivains à l'usage du monde, les jésuites incarnent mieux que tout autre famille religieuse l'alliance de la théologie et de l'éloquence humaniste qui a permis à l'Eglise tridentine de conserver un ascendant sur la société civile. Emanation de celle-ci, mais non moins soucieuse de la régenter, la Robe parlementaire française, magistrats, conseillers, procureurs, avocats, vivier de la haute administration royale, constitue le milieu par excellence où s'est développé l'humanisme érudit gallican. Là aussi, l'alliance d'un savoir en dernière analyse moral et religieux avec l'Eloquence est un principe sacré: mais il est en conflit permanent avec celui des jésuites, c chevaux de Troie» de la Cour romaine dans le royaume Très-Chrétien. Bénéficiaire du conflit, la Cour de France l'arbitre: entre l'Eloquence ad majorem Dei gloriam des jésuites, et l'Eloquence ad majorem Antiquitatis gloriam des doctes gallicans, la Cour, tirant parti de l'une et de l'autre, développe le sens d'une Eloquence française et royale accordée au decorum de la monarchie. A son équilibre et à son prestige, le divertissement, le luxe, le plaisir, et donc les arts et les Belles-Lettres, sont indispensables. C'est 1::' qu'ils trouvent leur justification ultime, et leur public privilégié. Mais l'Eloquence jésuite, modelée au service de la morale et de la foi tridentines, et l'Eloquence des doctes gallicans, confinée sévèrement au service d'une quête érudite de l'Antiquité, montent la garde, et ne laissent qu'une voie étroite à l'éclosion d'une « littérature» et d'un art proprement français et modernes, à l'usage de la Cour. On s'étonnera de voir précédée notre étude des c stiles jésuites» et du stile de Parlement» d'une longue première partie consacrée à la Querelle du cicéronianisme, dont les développements nous retiennent le plus souvent hors de France, en Italie, en Espagne, en Flandres. Cet ex cursus inaugural était indispensable pour faire pénétrer le lecteur dans un univers rhétorique qui est alors [e patrimoine commun de [a Respublica litteraria européenne, mais qui est déjà aussi une géographie spirituelle, où chaque genius loci tend, dès [e XVIe siècle, à se condenser en une interprétation spécifique de [a rhétorique latine commune. La France d'Henri IV et de Louis XIII, d'abord en retard, après [es guerres civiles, sur ses voisins du Nord et du Midi, bénéficie ensuite de ce retard même. Elle peut en effet se déterminer dans l'ordre rhétorique non seulement en fonction du c Ciel des idées» antique des divers styles, mais aussi des diverses interprétations que les «provinces» modernes de la Romania ont adoptées avant elle, et qui lui servent de référence ou de repoussoir pour élaborer enfin une Idée proprement française du style, ['atticisme classique. Ce style, qui commence à prendre conscience de soi sous Richelieu, sera pour une large part un compromis entre la tentation italienne, orientée vers l'asianisme fleuri, et la tentation hispano-f1amande, orientée vers l'atticisme épigrammatique de Lipse. L'hésitation initiale des jésuites français elltre ces deux tentations, ne prend tout son sens que sur fond du classicisme néo-latin que leurs confrères romains, soucieux de maintenir une norme centrale du style, cultivent dans la capitale de l'Eglise et de lE:ur «
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Société, offrant ainsi un modèle néo-Iatin à la norme française que le règne de Louis XIV imposera à toutes les Cours d'Europe. Nous avons appuyé nos analyses sur une bibliographie jusqu'ici peu utilisée, en grande partie néo-latine, celle des traités de rhétorique, des pièces de polémique autour du meilleur styie, des préfaces, dédicaces, et autres textes programmatiques où l'Eloquence se prend elie-même pour objet de débat. L'ampleur des citations latines, que nous donnons en traduction, nous a retenu de donner le texte original en note, pour ne pas alourdir encore un gros ouvrage. Les références permettront au lecteur de se reporter aisément à l'original. De même que nous avons laissé de côté la pédagogie de l'éloquence, nous n'avons abordé que de biais les querelles de poétique, elles aussi mieux connues. Le grand débat de l'époque Henri IV - Louis XIII, n'est plus d'ailleurs la poésie, mais la prose, plus utile aux tâches pratiques qu'impose la restauration, après les guerres civiles, de la société française. Ce qui survit du iegs de la Pléiade est de plus en plus canalisé vers la louange du Prince, des vertus, des héros, des saints, ou vers le théâtre, genre social par excellence, et dont l'apologétique se réclame de l'honnêteté des plaisirs qu'il dispense, favorable à la paix publique. Poésie encomiastique et théâtre sont en fait des facettes de l'universelle Eloquence, ciment de la société civile et de la société religieuse. Un des principaux motifs pour regretter l'éloquence, écrit Mme de Sta!!1 dans De la littérature, c'est qu'une telle perte isoleroit les hommes entre eux, en les livrant à leurs impressions personnelles. " faut opprimer lorsqu'on ne sait pas convaincre; dans toutes les. relations politiques des gouvernants et des gouvernés, une qualité de moins exige une usurpation de plus. Nous n'avons fait Ici qu'une première tentative pour laisser entrevoir l'ensemble de ce que nous avons nommé l'Age de l'éloquence, contemporain de la naissance de l'Etat français moderne et d'une première prise de conscience nationale française. Nous avons tenté de montrer qu'à une époque où, pour citer encore Mme de Stael, les _ hommes de lettres étoient relégués loin des intérêts actifs de la vie :t, la res literaria savante, méditant sur l'histoire de la culture romaine, et utilisant les concepts de la rhétorique, a traduit en français et fait partager à toute une société son mythe central, civilisateur et régénérateur, celui de l'Eloquentia.
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ROME ET LA QUERELLE DU ClCÉRONIANISME
AETAS CICERONIANA
Inaugurant dans un Collège parisien son cours annuel sur la Rhétorique d'Aristote, en 1621, l'humaniste hollandais Pierre Bertius prononce une Oratio solennelle, en présence de ses futurs élèves, mais aussi d'hôtes de marque, où figurent le Recteur Magnifique de l'Université et Henri de Bourbon, marquis de Verneuil, évêque de Metz, demi-frère du roi Louis XII1. Pierre Bertius a pris pour thème: c La puissance et la grandeur de l'Eloquence :.. Le propos apparemment banal, l'empesage c cicéronien:. du style latin de notre régent, loin de nuire à l'intérêt de cette Oratio, en font justement tout le prix, et d'abord aux yeux de ses hôtes illustres, qui ont dû encourager Bertius a publier son texte, paru peu après en brochure chez Mathurin Henault, avec une dédicace à Henri de Verneuil. Il y a une majesté, une sorte de poids révérentiel du temps et de l'évidence dans certains lieux communs, lorsqu'ils sont devenus les assises implicites d'une culture. En célébrant l'union de l'Eloquence et de la Sagesse, Pierre Bertius sait qu'il prend texte d'un de ces lieux communs vénérables, dont il rappelle la généalogie: fonnulée d'abord par Platon, Aristote et Cicéron, cette union de l'Eloquence et de la Sagesse a été replacée par l'humanisme de la Renaissance aux fondations de l'Encyclopédie, et réaffirmée dans cette fonction fondatrice par les Budé, les Muret, les Lipse. Pourtant, en dépit de ces autorités augustes, en dépit de cette généalogie qui lui confère une noblesse à la fois imposante et convenue, ce lieu commun central de la culture humaniste n'a pas encore tout à faIt perdu, au temps de Louis XIII, la portée polémique qui avait fait de lui, aux xv· et XVI" siècles, le boutoir de la Renaissance. Pierre Bertius construit son éloge de l'Eloquentia cum Sapientia conjuncta comme une réponse à des adversaires, qu'il ne nomme point, de la saine doctrine. On voudrait, nous dit Pierre Bertius, rejeter l'Eloquence au rang de simple exercice scolaire et préparatoire, réservé à la jeunesse, et la reléguer tout au bas de la hiérarchie des sciences. Résumant l'apologétique de l'humanisme italien et français, l'enrichissant du fruit des querelles du XVI" siècle, le docte batave, fort de la présence du Recteur Magnifique de l'Université, réaffirme contre ces calomnies tenaces l'universalité de l'Eloquence, et l'éminence de son rang au-dessus des sciences particulières, clef de voûte de l'Encyclopédie. Principe de la culture, l'Eloquence est aussi principe de la civilisation: sur ce point encore, Pierre Bertius réaffinne une des convictions essentielles de l'humanisme, une des lignes de partage les plus nettes qui la sépare de l'inspiration contemplative qui animait la culture scolastique et monastique. C'est de l'Eloquence, comme l'enseigne le mythe d'Orphée, que la société humaine
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a pris son départ. C'est par elle que cette société primitive s'est constituée en corps politique, en foyer d'échanges économiques et commerciaux, en Eglise. Sous le signe humaniste de l'Eloquentia, la vie religieuse ellemême n'est plus un ordre à part, mais un réseau d'échanges étroitement imbriqué dans le tissu de la société civile, et contribuant au même titre que les liens politiques, juridiques et commerciaux à resserrer celui-ci. Sans cesse, dans la bouche de Pierre Bertius, reviennent les mots communicare; transmittere, inséparables des mots Res publica et societas : origine de la société civile, l'Eloquence fait circuler dans ses rangs l'énergie de la communication et de la transmission qui la vitalise et la recrée sans cesse. Qu'elle disparaisse, ou qu'elle soit humiliée, comme le veulent ses adversaires, et aussitôt, nous dit Pierre Bertius, le COl:lmerce s'évanouirait, les échanges techniques et intellectuels seraient anéantis, avec les cultes divins, les lois, les traités, les réunions où l'on débat des affaires publiques et privées, les assemblées où l'on célèbre Dieu; chacun pour soi, réduit à la méditation solitaire, découvrirait son inassouvissement, triste, séparé, misérable, semblable plutôt à un être endormi qu'éveillé, à un mort qu'à un vivant [... ] Car le discours (oralio) est le lien de la société, et s'il est retiré, celle-ci ne peut que se défaire, au point de rendre inévitable la disparition du genre humain 1. Société religieuse à l'intérieur de la société civile, l'Eglise, œuvre humaine, n'échappe pas au principe de la communication: elle vit d'homélies et de sermons (conciones), de conciles, de synodes, de débats doctrinaux, de polémiques contre les hérétiques et les païens. Sans l'Eloquence, va jusqu'à dire Pierre Bertius, il n'y aurait plus aujourd'hui sur la terre de Religion chrétienne, nOliS n'aurions plus d'Eglise. Car il a plu à Dieu de susciter la foi parmi les hommes par la prédication du Verbe, et d'instituer des assemblées louant et célébrant dans le monde entier le nom de son Fils Jésus-Christ 2.
Ciment de la cohésion sociale, instrument de la durée et de la vitalité des sociétés civile et religieuse, l'Eloquence est perçue par Pierre Bertius comme une énergie utile, circulant dans les canaux d'institutions qui sont autant d'organes du corps politique. Dans la liste qu'il établit des illustrations françaises et modernes de l'Eloquence, nul de ces écrivains canonisés depuis par l'histoire littéraire, et qui nous semblent aujourd'hui résumer le Zeitgeist de l'époque: mais une série de «sçavans» représentant la République des Lettres, L'Hospital, Budé, Pibrac, Cujas, Le
l Petri Bertii de Eloquentiae vi atque amplitudine oratio, habita Lutetiae Parisiorum in Collegio Becodiano, quum l?hetoricae Aristotelis explicationem agrederetur, Parisiis, apud Mathurinum Henault, 1621, dédié à Henri de Bourbon, évêque de Metz, in_8°, 81 p., p. 18-19. Sur la biographie de Bertius, hollandais arminien réfugié en France, voir Petri Bertii oratio in qua suae Galliam migrationis consiliorumque rationem exponit, habita Lutetiae Parisiorum in Collegio Becodiano, Paris, C. Morel, 1620, 4°, 52 p. 2 Ibid., p. 27.
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Fèvre, Scaliger j une série de hauts magistrats représentant l'institution parlementaire: Du Vair, Jeannin, Verdun, Boissise, Nicolaï, Servin, Bignon j une série de théologiens « humanistes ~, représentant une Université accordée à l'esprit de la Renaissance: Garnache, Grangier, Petau j des orateurs, représentant l'Eglise post-tridentine: Col!ffeteau et le P. Athanase. Cette Eloquence solidement arrimée aux institutions est le reflet, dans le concret social, de l'idéal d'union entre Eloquentia et Sapientia qui est la clef de la culture humaniste, mais qui est aussi un verrou retenant l'Eloquence à l'intérieur de limites précises, loin des tentations de la littérature: De même, proclame Pierre Bertius, que l'Eloquence n'est rien sans la Sagesse, de même la Sagesse est inutile lorsqu'elle est privée de l'appui et du secours de notre discipline 3. Nécessaires l'un à l'autre, réduits à néant l'un sans l'autre, Raison
et Oraison, Cœur et Bouche ne peuvent que s'attacher l'un à l'autre. Mais dans cette alliance, si l'Eloquence selon Bertius a le beau rôle, c'est au prix du sacrifice d'une autonomie « littéraire» à laquelle notre régent ne songe nullement, sauf à écarter en quelques mots le péril de la «vaine volubilité verbale» loin de l'Eloquence «érudite et prudente ~ '. Inscrite dans une société, administrée par des institutions, l'Eloquence est de surcroît mise au service d'un savoir dont elle tire sa « grandeur» et auquel elle communique sa puissance. Les genres à l'intérieur desquels elle s'exerce sont les seuls genres graves que l'érudition et la piété humanistes ont cultivés: disputes philosophiques et philologiques, Histoire, Lettres, sermons et œuvres édifiantes. La poésie - qui est l'enfance et l'origine de l'éloquence - ne figure dans le paysage de cette culture qu'au titre de propédeutique à la gravité du discours professionnel des doctes, des magistrats, des théologiens, des prédicateurs. Et c'est justement parce qu'il se fait une si haute idée de l'utilité politique, sociale, religieuse et scientifique du discours, que Pierre Bertius distingue avec soin l'Eloquence de la Rhétorique. Non qu'il condamne celle-ci: il s'apprête à commenter une année durant la Rhétorique d'Aristote. Mais il est trop soucieux de lier l'Eloquence à la Sagesse pour compromettre la première avec une technique qui se tiendrait elle-même pour sa propre fin: On croit que la tâche de l'Orateur parfait consiste à savoir à fond ce qu'à l'école on enseigne de préceptes du discours [ ... ] On dispute minutieusement de la nature de l'art, de son pouvoir, de sa finalité, on examine scrupuleusement sa définition, et l'un après l'autre, on enseigne les espèces, les nombres, les noms, les formes, les descriptions, les exemples, des choses qui relèvent du discours. On inculque les catégories et les marques des tropes et des figures, avec tout ce qui s'ensuit; et cela fait, on croit avoir enseigné et transmis tout ce qui est propre à rendre éloquent 6. 3
4 6
Ibid., p. 10. Ibid., p. 38. Ibid., p. 31-32.
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Cette pédagogie est manifestement, aux yeux de Pierre Bertius, une survivance du formalisme et du technicisme des grammatici médiévaux, qui ont perdu l'Eloquence 8. C'est de la c cuisine» (culina). L'éloquence suppose d'abord une vaste culture, philosophique, oratoire, poétique et historique: elle exige que l'on ait fait des extraits de ces lectures, et s'il est vrai qu'il faut connaître les préceptes de l'art, ceux-ci n'ont de sens que dans l'exercice, dans la pratique, à l'imitation des meilleurs auteurs. Il faut écrire chaque jour, il faut traduire abondamment du Grec en Latin, du Latin en Grec, il faut s'essayer en vernaculaire à rivaliser avec les maîtres de l'Antiquité. Il faut enfin se livrer à l'exercice antique de la déclamation, qui prépare sur le mode fictif à l'éloquence professionnelle, soit sous la forme orale de la con cio, soit sous la forme écrite du fragment d'histoire, du dialogue, de la lettre, de la critique, sur des sujets païens et mieux encore chrétiens. Ainsi la rhétorique, évitant le double péril du pédantisme myope et de la sophistique, prendra-t-elle place dans un vaste procès d'acquisition à la fois du savoir et de son expression, dans un programme d'éducation vraiment libérale. Pierre Bertius tire ainsi les leçons des débats du XVI" siècle sur la rhétorique et l'éloquence. Il propose une pédagogie humaniste de l'expression cultivée à l'usage de futurs professionnels de la parole et de l'écriture, membres de l'élite savante, politique, juridique et religieuse d'une civitas française dont il célèbre la vocation à l'éloquence, reconnue dès l'Antiquité à nos ancêtres les Gaulois. Pour autant, il se tient soigneusement, sans même y prendre garde, hors du domaine de ce que nous appelons aujourd'hui littérature. Il n'y a pas à ses yeux de statut légitime pour un mode d'écriture qui n'aurait d'autre fin que la délectation de ses lecteurs, et qui, puisant lui aussi dans le réservoir de pensée et de formes légué par l'Antiquité, en tirerait des œuvres qui n'auraient d'utilité sociale, politique et religieuse qu'indirecte et médiate. Cette cécité ne lui est évidemment pas particulière. C'est celle de toute la culture officielle Louis XIII. I! va de soi qu'un Pierre Bertius, justement parce qu'il représente si bien l'opinion de son milieu et de son temps, ne saurait nous introduire à autre chose qu'une version déjà quelque peu figée, établie, pharisaïque, de l'humanisme. Néanmoins, si nous remontons aux origines de la trame sur laquelle notre régent brode ses figures raides et pompeuses, nous retrouvons, à un tout autre niveau d'invention, d'audace, et de vigueur philosophique, le même parti pris de rupture avec le modus scholasticus de la culture médiévale, et d'appel à un modus oratorius perdu depuis l'Antiquité païenne et chrétienne, pour féconder ce que l'humanisme florentin a nommé vita civile, une civilisation de la communication et de l'échange où la société ecclésiastique n'est plus, en dernière analyse, qu'un organe parmi d'autres, le plus noble peut-être, d'un corps social, d'une civitas, d'une Res publica à travers lequel se réalise le destin de l'uomo universale, dans le langage et par le langage rendu à sa pleine puissance et à son entière variété. Le mythe de l'Eloquentia et de l'Orator,
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Ibid., p. 33.
AETAS CICERONIANA
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que Bertius répète à Paris. en 1621 après qu'il a été célébré en Italie par les chanceliers humanistes de Florence, par les Lorenzo Valla et les Ange Politien, vise A offrir un dénominateur commun à toutes les formes d'aristocratie, y compris et entre autres à l'aristocratie sacerdotale, à permettre leur dialogue et leur collaboration pour le bien commun. 1\ s'agit bien d'une mutation décisive, même si aucune date précise ne peut lui être assignée, même si ses conséquences à long terme dans l'ordre spéculatif comme dans l'ordre concret n'ont pas fini, aujourd'hui encore, d'en être tirées. Quelles qu'aient pu être les 4: racines» de la Renaissance dans' la culture médiévale, on ne peut plus guère douter aujourd'hui, après les travaux de P.O. Kristeller, d'Eugenio Garin, de Hans Baron, de Franco Simone, qu'il y eut en Italie et en Europe, du XIV' au XVII" siècles, apparition d'un nouveau style de culture, même si celui-ci, à travers guerres, ruines, souffrances et nostalgies, ne s'imposa que lentement et de façon discontinue, même si d'énormes fragments de civilisation médiévale survécurent longtemps au style de culture qui lui correspondait et qui s'était déjà en grande partie épuisé. Quel est le trait essentiel par lequel le nouveau style ! désir du repentir. Leur voix alors s'étouffe, leurs larmes coulent. Briser l'endurcissement des cœurs est le Grand Œuvre de l'éloquence chrétienne. Né de la charité, le sublime chrétien la fait naître: évitant le détour calculé par la science des rhéteurs, elle parle du cœur au cœur, et la c grande ardeur» du prédicateur chrétien réveille les pécheurs de leur endurcissement. En tout état de cause, il faut savoir garder la juste mesure afin d'être toujours écouté avec clarté (intelligenter), avec plaisir, (libenter), avec docilité (obedienter). Le style simple se prête avant tout à la clarté, mais il doit aussi apporter à sa façon docilité et joie. Le style moyen se prête avant tout au plaisir, mais il ne doit pas être orné indécemment. Le style sublime doit ébranler les cœurs, mais il ne doit pas renoncer à la clarté ni au plaisir. La juste mesure objective observée par le prédicateur corrige sévèrement toute tentation d'excès subjectif, contenue d'ailleurs par l'humilité du chrétien. Cette dernière note achéve de nous montrer que saint Augustin mérite autant que Jérôme, le titre de Cicéron chrétien. Après l'/nstitutio oratoria de Quintilien, après la tentative de réforme archaïsante d'un Fronton, le De Doctrina christiana nous apparaît comme le suprême effort de l'éloquence romaine, s'adressant en désespoir de cause au christianisme, pour échapper à cette « corruption» que dénonçaient déjà Caton l'Ancien, et les adversaires néo-attiques de Cicéron, et Sénèque. Contre les déclamateurs païens de la Seconde sophistique, saint Augustin, et avant lui Lactance, et avec lui saint Ambroise et saint Jérôme, sont les initiateurs d'une ultime « Renaissance », d'un ultime « classicisme» oratoire romain avant la chute de l'Empire. Chez saint Augustin, la résurrection de l'Orator cicéronien sous les vêtements du Docfor christianus, la sauvegarde des qualités esthétiques de la prose oratoire c classique », perspicuitas du style simple, suavitas du style moyen, vehementia du style sublime, l'art de varier et d'opposer ces qualités, l'art de les doser et de les déployer à bon escient, préservent l'essentiel de la juste mesure cicéronienne au service d'une foi religieuse qui, dans le même temps, enveloppe et absorbe l'essentiel des philosophies païennes.
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SAINT AUGUSTIN
Mais cette prise en charge par l'Eglise de l'art oratoire cicéronien, dans une version allégée où la réussite plastique du discours comptait moins que sa transparence, n'allait pas sans ambiguïté. Les L. 1 A 111 du De Doctrina Christiana préparent sans doute au L. IV: ils révèlent aussi le malaise de l'intériorité chrétienne, face aux nécessités de la prédication publique, qui obligent à recourir aux techniques des orateurs. La pente de la parole chrétienne, née de la prière et de la méditation silencieuse des Ecritures, allait à l'échange, dialogué ou épistolaire, entre spirituels et candidats à la spiritualité personnelle. Echange proche de celui qui caractérisait les cénacles philosophiques païens. Les exigences d'une prédication de masse créaient un curieux porte-A-faux. Elles maintenaient dans les rangs chrétiens les germes d'une reviviscence de la déclamation tout extérieure. Elles ne compensaient pas l'introduction dans l'édifice oratoire antique d'un corrosif soupçon. Nul mieux qu'Augustin n'a exploré les conséquences de ce paradoxe. Théoricien de la prédication dans le Docfrina christiana, il est aussi l'inventeur de la littérature autobiographique dans les Confessions, long dialogue lyrique avec Dieu. Sauvant dans un cas l'objectivité «classique» du De Oratore, il faisait dans le second une étonnante démonstration d'expressionnisme subjectif. Mais il ne sauvait le «classicisme) cicéronien qu'en le soumettant A des scrupules religieux et moraux plus qu'esthétiques. Et il ne créait la prose de la subjectivité moderne qu'en l'offrant en sacrifice au Dieu chrétien, lieu d'une beauté jalouse de toutes les beautés humaines. Interprété par l'esprit de lourdeur, l'effort du De Doctrina christiana pour dépasser la rhétorique et fonder une éloquence du cœur peut paraitre encourager une sorte de misérabilisme oratoire. Autre péril, que certaines formules de Sénèque, prises au pied de la lettre, pourraient aussi suggérer: saint Augustin met à ce point l'accent sur le docere, il réduit A ce point le rôle de l'art dans le movere, et ramène le delecfare à une portion si congrue, il s'accommode si facilement du sacrifice de la latinitas, qu'il semble patronner toutes les concessions à un public inculte. /! envisage, au moins à titre d'hypothèse, un tel appauvrissement de la pédagogie rhétorique, un tel renoncement à tous les genres littéraires qui ne se réduisent pas au moule de l'éloquence sacrée, que lui, héritier et bénéficiaire de toute la tradition païenne, semble préparer les esprits au déclin de la culture antique et à la venue des temps barbares. /! va jusqu'à suggérer l'hypothèse de prédicateurs si peu doués ou si peu préparés intellectuellement qu'ils se contenteraient de réciter par cœur des homélies écrites par d'autres, moins déchus. Avec quelle sombre satisfaction tel ou tel moine espagnol du XVI' siècle, avant l'ineffable Goibaud Du Bois à la fin du XVII', dut approuver comme un idéal ce programme de détresse et s'y tenir pour combattre l'impie Renaissance des studia humanitatis, à qui il devait pourtant de pouvoir lire, dans des èditions correctes, le De Doctrina christiana 1
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LE «CIEL DES IDÉES» RHÉTORIQUE
Ce fut le bonheur de la France de Louis XIII et de Louis XIV d'être le théâtre en même temps d'une Renaissance cicéronienne-tacitéenne, et d'une Renaissance augustinienne. La traduction par l'académicien Colletet en 1637 du De Doclrina Christiana est contemporaine de la réédition, chez le même éditeur de l'Académie française, J. Camusat, d'une traduction du Dialogue des Orateurs 66 et de l'édition d'une traduction de Huit Oraisons de Cicéron. Les Jésuites c cicéronienS:t firent contrepoids aux jansénistes augustiniens. Les aspects c cicéroniens» de De Doclrina Christiafla purent ainsi être privilégiés et inversement son idéal du style sévère chrétien contribua à c châtier:t l'atticisme cicéronien en langue française, et à le c libérer» de toute allégeance avouée à l'art des déclamateurs.
66 Des causes de la corruption de l'éloquence, dialogue attribué par quelques-uns à Tacite, et par autres à Quintilien, Paris, Claude Chappelain, 1630, 4°. Réédité sous le titre Dialogue des causes de la corruption de l'éloquence, Paris, j. Camusat, 1636, toujours sans nom s'auteur. Celui-ci n'était autre que l'Académicien Louis Giry.
CHAPITRE II
ESSOR ET DESASTRE DE LA PREMIERE RENAISSANCE CICERONIENNE
DE PÉTRARQUE
A BEMBO
Le trait distinctif de l'humanisme italien, c'est la reprise du thème cher à Quintilien et à Tacite de la c corruption de l'éloquence:.. Mais cette fois il est étendu à toute l'immense période qui sépare la Rome de Cicéron, d'Auguste et de Trajan de l'Europe gothique, à tout le processus historique et linguistique qui avait abouti au développement des langues romanes, du latin liturgique et scolastique, de la primauté intellectuelle de l'Université de Paris. La décadence de la langue latine devient le symbole de l'exil de l'Italie, héritière légitime de Rome, dans une Europe barbare qu'elle ne contrôle plus. Et le style des moines est jugé avec le même mépris que Tacite et Quintilien réservaient à celui des déclamateurs, ou les Romains c puristes» au parler corrompu des lointaines provinces. Retrouver l'or pur de la latini/as enfoui dans le plomb de la décadence et de la barbarie, devient à partir de Pétrarque le Grand Œuvre autour duquel se déploient tous les aspects d'une Renaissance stimulée par l'orgueil et la nostalgie de la patrie italienne perdue. Retrouver le texte original des auteurs latins, du temps où Rome était la maîtresse du monde, et imiter la prose du plus grand d'entre eux, Cicéron, telle apparaît à l'humanisme italien la tâche régénératrice par excellence, la leçon que la c Renaissance» administre à l'Europe barbare. Tout le travail philologique sur les textes, tout le travail grammatical sur la langue, trouvent à la fois leur conclusion et leur garantie dans la mise au point du Tullianus stylus, du style cicéronien, destiné à supplanter le style, et donc la culture, du monachisme médiéval 67. Cette extraordinaire
6i Sur le travail des humanistes italiens sur l'optimus stylus cicéronien, et sur la Querelle qu'il fit naître à la fin du XV' siècle, voir Remigio Sabbadini, Storia dei ciceronianismo e di altre questione litterarie, nell' età della Rinascenza, Torino. Ermanno Loescher, 1886, et ·Izora Scott, Controversies over the imitation of Cicero, New York, 1910. Voir également les analyses d'E. Garin dans Educazione in Europa, Bari, Laterza, tr. fr. L'Education de l'Homme moderne, Paris, Fayard, 1968, p. 105-107. Voir aussi Hermann Gmelin, «Das Prinzip der Imitatio in der romanischen Literaturen der Renaissance:., dans Romanische Forschungen, 1932, p. 85-360.
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PREMIÈRE RENAISSANCE CICÉRONIENNE
refonte d'une langue ecclésiastique en une langue savante et en une langue d'art, c ramenée à sa pureté première:., entrait en conflit non seulement avec le prestigieux c style parisien », dont l'Université de Paris avait fait le dépositaire de la science théologique, mais aussi avec les préceptes augustiniens, qui subordonnaient les c signes» aux c choses divines », et la perfection de la forme à la perfection chrétienne. La Renaissance italienne ne pouvait manquer d'être hantée par le rêve de saint Jérôme, qui avait entendu le Christ lui dire sévèrement: Non es
Christianus, sed Ciceronianus
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Le fondateur de l'humanisme italien, l'inventeur de Cicéron 89, Pétrarque, vécut comme un débat intérieur ce qui déjà avait troublé saint Jérôme, et ce qui deviendra plus tard l'objet essentiel de la Querelle du cicéronianisme. Dans une lettre à Boccace, l'auteur du Canzoniere se montrait fort attentif à préserver une juste mesure dans l'imitation des Anciens, nécessaire pédagogie de l'humanitas, et à sauver l'identité personnelle et chrétienne de l'imitateur: L'imitateur doit éviter que la ressemblance de son texte à celui de son modèle ne soit une identité, du même ordre que la ressemblance de l'objet à son image dans le miroir, au point que le mérite de l'artiste dépende du degré de reproduction dont il est capable; la ressemblance doit être analogue à celle d'un fils à son père, qui s'accommode souvent d'une grande différence physique, et qui tient à rien, à un air, comme disent les peintres d'aujourd'hui: aussitôt qu'on voit le fils, le père revient en mémoire, la comparaison entre les deux les montre alors tout différents, et pourtant un mystérieux je ne sais quoi maintient le rapprochement. Dans tout ce que nous écrivons à la ressemblance d'un modèle il faut introduire beaucoup de différences, et laisser voilé ce qui subsiste de ressemblance, si bien qu'on ne puisse le remarquer sinon à tête reposée et plutôt comme un soupçon que comme une certitude. Il faut donc s'ins-
68 Voir Mario Fois, Il pensiere cristiano di Lorenzo Valla net quadro storico-culturale dei suo ambiente, Analecta Gregoriana (174), 1969, ch. V, «II
problema di coscienza dell'Umanesimo e la soluzione valliana », p. 195-260. L'A. fait une revue complète des différentes apologétiques mises en œuvre par les humanistes italiens, de Pétrarque à Valla, contre le soupçon monastique et rigoriste pesant sur les studia humanitatis. Dans la préface du L. IV des Elegantiae, Valla fait allusion à ceux qui sanctiores et religiosores videntur, ennemis des libri saeculares, ainsi que de la restauration de la langue latine: ils citent le songe de saint Jérôme pour prouver que l'on ne peut à la fois être tullianus et fidelis. Valla soutient que le reproche fait par le Christ à Jérôme s'adresse à la philosophie païenne, et non pas à l'ars dicendi, à la recherche de l'élégance et de l'ornatus. Ceux-ci sont neutres, comme la peinture et la musiql!e, et compatibles avec la foi. Il s'appuie sur l'exemple des Pères et de saint Paul, théologiens éloquents, pour condamner les théologiens sans préparation littéraire. L'éloquence, «arche dorée de l'Alliance », «Temple de Salomon :1>, et la splendeur de la langue latine ramenée à sa pureté première, sont les meilleurs ornements et auxiliaires de la foi. Cette préface contient l'essentiel des arguments que les «cicéroniens dévots:. de la fin du xv,· siècle, et en particulier les Jésuites, déploieront en faveur de l'Eloquentia. 69 Voir note suivante.
PÉTRARQUE
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pirer d'une nature créatrice et des Qualités de son style, et ne pas reprendre ses propres termes: dans le premier cas, la ressemblance reste cachée, dans le second elle ressort; dans le premier cas, on a affaire à un poète, dans le second à un singe 10. Et Pétrarque de citer Horace et Valerius Flaccus à l'appui de la métaphore qui, dans la lettre 65 de 'Sénèque, définit la bonne imitation: celle de l'abeille tirant des sucs empruntés à diverses fleurs un miel qui n'appartient qu'à elle. Mais cette métaphore aimable est moins signifiante que celle de la ressemblance du fils au père. Celle-ci maintient le procès de formation du meilleur style latin dans la sphère c naturelle :. de la filiation, qui préserve l'identité du fils chrétien de la fascination du père païen sans lui ôter les bénéfices de la ressemblance. Le nescio quid occultum qui révèle la différence, l'appel à l'intuition du lecteur (nec deprehendi possif nisi tacita mentis indagine, ut intelligi possif) écartent la tentation de la copie ou du pastiche. L'imitation créatrice, avant de renvoyer aux Verba du texte imité, renvoie à l'ingenium de l'imitateur. Elle est conçue par Pétrarque comme une confrontation de deux Ingenia humains, l'un en acte, l'autre en puissance, et d'où jaillit pour l'imitateur la révélation de sa propre identité singulière d'artiste et de chrétien. L'esthétique de Pétrarque, ne choisissant pas entre Cicéron et Sénèque, liait étroitement, dans le paradoxe de la création, l'imitation éclectique des modèles à la découverte d'un style personnel, chemin de la connaissance de soi. L'inquiétude religieuse du poète, lecteur attentif de saint Augustin autant que des classiques païens 11, ne lui aurait pas permis de sacrifier l'intériorité à une convention formelle. Mais bien vite, le travail des grammairiens humanistes fit apparaître le style latin de Pétrarque comme bigarré, incorrect 12 : le souci de se démarquer toujours
10 Pétrarque, Letfere di Francesco Petrarca delle cose familiari libri lIentiquaUro, letfere varie libro unico, ora la prima volta raccolte, volgarizzate e dichiarate con note da Giuseppe Fracassetti, Firenze, F. Le Monnier, 18631865. 5 voL, t. 111, p. 239-241. Sur Pétrarque, voir Pierre de Nolhac, Pétrarque et l'humanisme, Paris, Champion, 1907, 2 vol. Et, en particulier, t. 1, ch. V, p. 213-268, Pétrarque et Cicéron; p. 215, Pétrarque initiateur du culte de Cicéron; p. 219. initiateur de la chasse aux manuscrits de Cicéron; p. 226, célébré au Quattrocento comme «ritrovatore dell'opera di Tullio >. Sur la bibliographie récente, voir H. Baron, The evolution of Petrarch's thought, reflection on the state of Petrarch Studies, dans From Petrarch, ouvr. cit., p. 7-10. 11 Sur Pétrarque, lecteur de saint Augustin, voir Pierre de Nolhac, ouvr. cit., t. Il, ch. IX, «Les Pères de l'Eglise et les auteurs modernes chez Pétrarque»; p. 191 : saint Augustin le plus souvent cité par Pétrarque; p. 194: influence des Confessions sur le Secretum de P. Voir également Jerrold E. Siegel, ouvr. cit., ch .IX, «Ideals of eloquence and silence in Petrarch >, p. 31 à 62, où l'influence de saint Augustin sur l'art oratoire de Pétrarque est remarquablement définie. 12 Voir chez Remigio Sabbadini, ouvr. cit., p. 9-10, les critiques d'humanistes florentins de la première moitié du xv· siècle contre le style latin de Pétrarque, Bruni, Niccoli, Flavio Biondo; même attitude ~hez Lorenzo Valla à la fin du xv· ; le jugement de Paolo Cortesi est plus nuancé.
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davantage du style c barbare» des scolastiques rendit les humanistes plus soucieux de s'en tenir plus étroitement au bon usage de la latinité dorée, et de son représentant le plus prestigieux, Cicéron. Dans cet effort de purification, soutenu par une connaissance de plus en plus fine des divers états de la langue latine, le nescio quid occultum cher à Pétrarque était plutôt un obstacle, un principe de variation subjective. La quête de la latinitas faisait du style le fruit d'une conquête critique, et savante, à partir du texte canonique de Cicéron olt semblaient se résumer le meilleur vocabulaire, les meilleures tournures, et la plus exacte syntaxe du latin classique. La rhétorique savante de l'imitation cicéronienne est avant tout un travail sur l'eloculio, et sur les qualités minimales que Cicéron exige de celle-ci dans le genus humile. Or on s'en souvient, celui-ci, dans la hiérarchie cicéronienne des styles, est très proche du style attique. Les genres majeurs dans lesquels s'exerce ce travail du style sont la lettre (relevant par essence du genus humile) et la poésie, dont les modèles augustéens allaient aussi dans le sens de l'atticisme. Le premier humanisme, d'inspiration fortement érudite, fut peu fécond en traités de rhétorique. Son chef-d'œuvre est un traité d'élocution grammaticale latine, les Elegmltiae lingual! latinae de Lorenzo Valla. Les traits subjectifs du style comptent moins que l'objet littéraire, prose ou poésie, taillé dans une matière latine parfaitement purifiée de toutes les scories impériales et médiévales, victorieuse des effets corrupteurs du temps. Déjà langue sacrée par la volonté de l'Eglise romaine, la langue latine ramenée à sa pureté originelle par la philologie humaniste devenait la langue de l'immortalité glorieuse. Ce supplément de sacralité ne pouvait que convenir au Saint-Siège, et ce n'est pas par hasard si Rome devint le haut lieu du Tullianus stylus 78. Pétrarque à Avignon, Valla à Rome, avaient été reçus avec honneur. La secrétairerie aux Brefs pontificaux ne pouvait qu'accueillir avec faveur tout ce qui lui permettait de conférer au style latin des mandements du Saint-Siège un éclat et un prestige supplémentaires 74. Le Saint-Siège ayant la prétention d'hériter à la fois de la légitimité palenne de la Rome des Empereurs, et de la légitimité chrétienne de la Rome des apôtres, a mis un point d'honneur à s'exprimer officiellement dans le latin le plus pur. Celui-ci devenait le symbole de la
73 Sur le Rinascimento romano, voir Storia letteraria d'Italia, t. VI, Il Cino quecento, a cura di Giuseppe Toffanin, Milano, Vallardi, 1935, p. 1 à 36. « L'identificazione dei vanto ciceroniano et dell'orgoglio italiano avvenne principalmente a Roma J> (p. 9). Le déclin du prestige florentin permet à la Papauté d'identifier sa cause à celle d'une Renaissance politique italienne, non sans un chauvinisme hostile aux Barbares du Nord, et non sans un repli sur des positions exclusivement latines, aux dépens de la Renaissance « grecque ». Toffanin appelle fort justement le cicéronianisme romain «secondo ciceronianismo », par opposition au cicéronianisme civique de Florence. Celui-ci, comme le cicéronianisme français du XVI' siècle reniait le latin des «goths» pour régénérer à la fois l'élocution et l'invention. Le cicéronianisme aulique, tel qu'il triomphe à Rome, est avant tout soucieux de la pureté d'élocution. Ti Sur l'histoire de la Chancellerie pontificale et la fonction normative de son style latin, voir R.L. Poole, Lectures on the history of Papal Chancery, Cambridge, 1915.
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prééminence du Siège romain sur le reste de l'Europe chrétienne, plus ou moins provinciale ou barbare. Valla, dans la préface des Elegantiae, s'était réjoui de la Renaissance de la Romana lingua, et de son prestige sur l'Europe TI : mais c'était au nom de l'Italie tout entière. L'humaniste romain éprouvait une tenace prévention contre la puissance temporelle des Papes, et c'est lui qui, grâce à la critique stylistique, établit le premier que la fameuse Donation de Constantin au Pape Damase, titre essentiel de la franslafio imperii de la Rome politique à la Rome pontificale, était une c forgerie» médiévale T6. L'affaiblissement de Florence à la fin du xV" siècle ne permit pas à celle-ci d'assumer plus longtemps la direction de l'humanisme italien ni de réaliser le rêve d'être la Rome nouvelle d'une Italie régénérée. C'est Rome qui s'empare du Tullianus stylus, ce trésor lentement reconstitué par l'humanisme florentin depuis Pétrarque. Elle en fait le style pontifical officiel, alors qu'un Valla pouvait espérer qu'il serait le style docte d'une Italie retrouvant, SOllS l'égide florentine, l'unité et le prestige de la Rome des Scipions et d'Auguste. Ironie de l'histoire qui nourrira la méditation amère de Machiavel. L'officialisation par Rome du purisme cicéronien provoqua les premières résistances à ce qui jusqu'alors avait passé pour un progrès des litterae humaniores. A l'humaniste Paolo Cortesi, au service de la Curie romaine, et qui lui avait adressé un recueil de Lettres rédigées dans le style c canonique », le florentin Ange Politien répondit avec une vigueur dont la pointe polémique est à peine mouchetée d'urbanité; l'importance historique de cette lettre de Politien apparaîtra dans l'hommage qu'Erasme lui rendra, dans son Ciceronianus. Tu as pour principe, écrit Politien, de ne tenir pour écrivains que les portraits de Cicéron. Pour moi, la tête d'un taureau, ou d'un lion me paraît préférable à celle d'un singe, quoique celui-ci ressemble davantage à l'homme. Ceux qui passent pour avoir été les Princes de l'éloquence ne se ressemblaient pas, au témoignage de Sénèque. Quintilien tourne en
75 « Nous avons perdu Rome, nous avons perdu la puissance, nous avons perdu la domination. non par notre faute, mais par la faute des temps et, toutefois, il nous reste, grâce à la langue latine, une domination spirituelle plus éclatante encore et grâce à elle nous régnons aujourd'hui encore sur la majeure partie du monde. L'Italie est à nous, et la France, et l'Espagne, et l'Allemagne, et la Pannonie, et la Dalmatie, et l'Illyrie, et de nombreuses autres nations. Car l'Empire romain est toujours debout, partout où règne la langue romaine» (Laurenti. Vallae Latinae linguae elegantiarum libri sex. Anvers, 1526, Praefatio.) La première édition figurant au catalogue de la B.N. date de 1471. Valla séjourna longtemps à Rome, où il enseigna la rhétorique à la Sapienza. Mais cet humaniste supérieurement indépendant ne se laissa pas assoupir par la servilité aulique. Comme à Erasme, et avant lui. les siudia lzumanitatis lui apparaissent le chemin le plus sûr vers une réforme de l'Eglise, et un renouveau de la piété par la réhabilitation des «anciens théologiens:>, les Pères de l'Eglise. Comme à Gassendi. et avant lui. l'épicurisme lui apparaît plus ajustable à un christianisme réformé que le stoïcisme. Voir E. Garin, in Sioria ... éd. Garzanti, t. III, ouvr. cit .• p. 198-237, et L·Education ...• ouvr. cit., p. 198-199. 76 Voir Mario Fois, Il pensiero cristiano di L. Valla ...• ouvr. cit., p. 323 et suiv.
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PREMIÈRE RENAISSANCE CICÉRONIENNE
dérision les orateurs qui se croyaient les cousins de Cicéron, sous prétexte qu'ils achevaient leurs périodes par Esse videatur. Horace invective les imitateurs, et encore les imitateurs. Pour ma part, je ne vois dans les spécialistes de l'imitation que des perroquets ou des pies, puisqu'ils répètent ce qu'ils ne comprennent même pas. Ces écrivailleurs manquent d'énergie et de vie, ils sont incapables d'agir ni de sentir, ils n'ont aucun tempérament. Chez eux rien de vrai, rien de solide, rien de fécond 77.
Comme l'avait fait Pétrarque, Politien recourt à Sénèque 77 pour résister à la perfection formelle de l'atticisme cicéronien. Comme Pétrarque encore, il fait appel à la métaphore de l'abeille pour laisser à l'imitateur le choix entre différents modèles 79 et la liberté de se créer un style qui lui appartienne en propre. Il laisse entendre que le culte pédant et affecté de Cicéron est au fond l'équivalent stylistique du culte que l'humaniste courtisan, nouveau sophiste, doit rendre au Souverain Pontife pour appartenir au cercle de ses élus: la méticuleuse étiquette de l'imitation cicéronienne reflète dans l'ordre du langage la soumission à l'ordre de la Cour. L'énergie d'une âme libre, sa iidélité savante à une «dignitas hominis» originelle, plus qu'à la coutume de Cour, telle est à ses yeux la source ultime du véritable optimus stylus. Ainsi, c'est un débat central pour l'humanisme que Molière posera dans le dialogue Alceste-Philinte, dont nous avons ici, à un siècle et demi de distance, une première et lointaine esquisse. L'« imitation simiesque»
77 Angeli Politiani et aliorum virorum illustrium, Epistolarum libri XII, Hanoviae, 1604, in-12·, p. 307-309. La réponse de Paolo Cortesi figure p. 309314. La première édition des Opera omnia d'Ange Politien parut chez Alde à Venise en 1498. Sur Politien, voir Ida Maïer, Anlre Politien, la formation d'un poète humaniste (1469-1480), Genève, Droz, 1966. 78 On saisit ici, dans son germe, l'alternance Sénèque-Cicéron qui est un des rythmes profonds de la Renaissance. Pour Politien, comme pour Pétrarque, Sénèque sert de recours à l'intériorité contre la tentation du cicéronianisme, du conformisme social. Inversement, Cicéron servira aux humanistes français de la première moitié du XVII' siècle à retrouver le sens de la sociabilité après une ère marquée profondément par la retraite et l'intériorité sénéquiennes. Sénèque avait été un des maîtres, sinon le maître préféré, parmi les païens, du christianisme médiéval. Voir AM.M. Smit, Contribution à l'étude et à la connaissance de /' Antiquité au Moyen Age, Leyde, Sythoff, 1934, L.D. Reynolds, The medieval tradition of Seneca's letters. Oxford, Univ. Press, 1965, K.L. NothdL1ff~ Studien zum Einfluss Senecas auf die Philosophie und Theologie des ZW6l,ten Jahrhunderts, Leyde, Brill, 1963, et E. Gilson, Les idées et les lettres, Paris, Vrin, 2' éd. 1955, p. 171-196. 79 Les idées de Politien sur l'imitation doivent beaucoup à Quintilien. Voir l'Oratio super Fabio Quintiliano et Statii Sylvis, dans Opera, ouvr. cit. Politien, tont en admettant la valeur paradigmatique de Cicéron et de Virgile, se justifie de donner cours cette année-là sur Quintilien et Stace, justement pour desserrer l'étau d'une imitation trop exclusive des deux grands classiques. Il se réclame d'ailleurs de l'exemple de Cicéron, que Quintilien avait réhabilité contre Sénèque, puisque le Princeps eloquentiae latinae s'était ouvert tour à tom à des influences atticistes et asianistes (p. 495). Un seul regret dans la péroraison: que Quintilien, parfait maître d'éloquence, ait si sévèrement condamné le style de Sénèque (p. 496).
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et courtisane que Politien décèle dans l'élégance cicéronienne des Lettres que lui adresse Paolo Cortesi révèle chez leurs auteurs une abdication morale: ces épistoliers se cachent derrière la convention cicéronienne pour ne pas avoir à chercher la vérité ni leur vérité; à travers un style qui soit « l'homme même ». Quid tum? proteste Politien. NON ENIM SUM CICERO, ME TAMEN (UT OPINOR) EXPRIMO 80. La négation voile à peine l'orgueil de cette première personne affirmant ses droits de sujet philosophique. L'impetus i1:genii exigé de l'écrivain digne de ce nom par Politien est directement sen9ible ici, et c'est lui que l'humaniste florentin oppose à la faiblesse, pour ne pas dire à la maladie morale des cicéroniens romains (aratia temula, vetillans, infirma). En réaction contre cette déchéance, l'éloquence est ici, plus encore que chez Pétrarque, arrimée à la vertu de l'homme intérieur: si celui-ci est pleinement fidèle, l'imitation docile du seul Cicéron doit lui apparaître comme une entrave intolérable à sa liberté de connaître et d'exprimer la vérité.
• •• En dépit du prestige de Politien, sa querelle avec Cortesi restait pour une large part dans le domaine de la dispute académique: à titre de querelle portant sur l'aptlmus stylu!> latin, el1e posait la question des sources de l'éloquence dans le cercle étroit des lettres néo-latines; à titre de querelle entre humanistes italiens elle se renfermait implicitement à l'intérieur de l'élite péninsulaire, ayant seule, par droit historique, privilège de légiférer sur la langue et la littérature latines. Ces traits restent encore ceux de la querelle qui, dans la génération suivante, oppose une nouvelle fois l'humanisme florentin à l'humanisme d'obédience romaine. Dans une lettre adressée par Giovanni Francesco Pico del1a Mirandola, neveu du grand Pico, à Pietro Bembo, humaniste vénitien devenu secrétaire des brefs de Léon X, et à ce titre coryphée du cicéronianisme romain, le problème de aptima styla, et ses implications morales, furent de nouveau évoqués 81. Chez Pétrarque, comme chez Politien, les concepts de
80 « Eh ! quoi? Je ne suis pas Cicéron, c'est moi, me semble-t-il, que mon discours représente », ouvr. dt., p. 308. 81 La lettre de Giovanni Francesco Pico della Mirandola (datée d'octobre 1512) paraît en 1532 à Lyon, chez Gryphius, dans les Petri Bembi opuscu/a aliquot. Sa première édition avait eu lieu dans J.F. Pici Mirandu/ae domini,
Physici libri duo. 1. De appetitll primae materiae, li. De e/ementis, et Rhetorici duo, de imitatione ad Petrllm Bembum, Petri Bembi de imitatione liber unus,
BasiIeae, 1518, 4°, 124 p. Cette polémique de G.F. Pico avec Bembo apparaît comme une suite et conséquence de la polémique du grand Pico, oncle et maître de G.r., avec un autre humaniste vénitien, Ermolao Barbaro. Pico reprochait à celui-ci son humanisme trop exch.. sivement rhétorique et plaidait en faveur de la philosophie et de la théologie, où les choses comptent plus que les mots, la vérité plus que la beauté. Voir Storia della /etieratura italiana, t. 1\1, ch. «La letteratura degli umanisti », de Eugenio Garin, p. 305-307.
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natura et d'ingenium, utilisés pour désigner la source ultime du style, au-delà des c mots », n'étaient pas autrement explicités. La contribution de a.F. Pico au débat consiste à donner à ces concepts un contenu philosophique précis, inspiré de cet aristotélisme platonisant dont il avait reçu la tradition de son oncle. Le médecin florentin prend en effet pour point de départ Aristote, pour qui tout homme reçoit de la nature une c pente» qui lui est propre, « proprium et congenitum instinctum et propensionem animi » 82. Il complète les indications d'Aristote par la doctrine platonicienne des idées innées; l'inégalité entre les hommes sur le terrain de la création s'explique par leur capacité naturelle plus ou moins grande de remonter vers l'Idée du Beau, pourtant présente en chacun dès la naissance, comme la cause finale de son activité. Les règles ni les préceptes de la rhétorique ne sont d'aucun secours dans l'acte créateur, qui ne relève pas d'une technique apprise et transmissible, mais de la capacité de l'écrivain à l'éveil spirituel. L'imitation ne saurait donc prendre pour modèle le texte de Cicéron, mais l'Idée du Beau vers laquelle ce texte n'est qu'un chemin. Aucune œuvre, aussi parfaite soit-elle, pas même celle de Cicéron, de son propre aveu, ne peut prétendre se substituer à l'Idée dont elle n'est qu'une des actualisations possibles. Il est donc indispensable de se proposer plusieurs modèles, et à partir des fragments de l'Idée que chacun recèle, tenter de reconstituer selon nos propres capacités l'Idée originelle. Et Pico d'emprunter à Cicéron 83 - sans le citer - l'exemple de Zeuxis, composant l'image parfaite d'Hélène avec des grâces empruntées aux cinq plus belles jeunes filles de Crotone. Aucun style ne peut donc s'identifier à l'ldea : celle-ci est une norme à la fois exigeante et généreuse, puisqu'elle laisse à chaque tempérament, à chaque ingenium, le soin de l'incarner hic et nunc. La création oratoire devient l'exercice de la réminiscence et non, comme chez les cicéroniens pontificaux, un acte d'allégeance à une convention formelle. Cette analyse du statut philosophique de la création littéraire amène a.F. Pico à renverser la hiérarchie des étapes de la méthode rhétorique; alors que les cicéroniens mettent l'accent sur l'elocutio, et lui subordonnent la dispositio et l'inventio, l'humaniste florentin place au premier rang l'inl/entio, qui met en œuvre les trois puissances de l'âme, mémoire, imagination et jugement, à la conquête de l'Idea, d'où se déduisent dispositio et eLocutio .
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«Un instinct et une pente d'âme propres et innés ». Cicéron, De Inventione, II, l, § l, éd. Teubner, Scripta Omnia, t. l, p. 174.
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A Giovanni Francesco Pico "' qui avait été l'élève de Politien, Pietro Bembo 8G fit une réponse qui donnait du cicéronianisme romain une définition beaucoup plus compréhensive que cel1e de Paolo Cortesi. D'une correspondance à l'autre, le dialogue s'est approfondi, au point d'apparaître dès 1513 comme l'amorce du débat fondamental qui va agiter l'art italien au XVI' siècle, et dont Erwin Panofsky a étudié les méandres dans son Idea. Le médecin Pico donnait en effet le pas à l'ingenium individuel, ct faisait de celui-ci un filtre légitime de l'Idée du Beau. Il préconisait au fond une esthétique subjectiviste, fondée sur l'éclectisme des modèles et le pluralisme des styles. Bembo, dans sa réponse, commence par poser en principe que l'imitation et l'émulation sont inhérentes à toute activité humaine. Une œuvre doit sa naissance à d'autres œuvres qui lui préexistent, et non à un modèle que son auteur porterait de naissance en luimême. Invoquant sa ,propre expérience il écrit: Je n'ai découvert en moi aucllne forme du style, aucune image de la diction, avant de l'avoir créée par moi-même à force de réflexion, à force de lire pendant un long espace d'années les livres des Anciens, à force de travail, d'expérience, et d'exercice 86. S'il avait dû se fier à une image innée de son style personnel, qu'il n'a d'ailleurs jamais observée, il ne serait pas allé où il voulait, dans la libre obéissance à la loi de perfection qu'il s'était choisie, dans l'exercice de son jugement Uudicium) ; il aurait erré au hasard et sans conduite fixe, aucune étoile intérieure ne l'aurait guidé. Loin d'être un esclavage, l'imitation est donc l'essence même de la liberté artistique; en l'insérant dans une tradition, elle préserve l'artiste du déterminisme aveugle de sa propre subjectivité. Autre argument contre la rhétorique de l'ingenium personnel: les hommes naissent inégaux. La théorie d'une idée innée que chacun n'aurait qu'à retrouver au fond de lui-même, et incarner par l'imitation éclectique de divers modèles, supprime toute notion de perfection artistique, et donc de hiérarchie entre les grands artistes et les médiocres. Or l'imitation, qui est un élan vers la perfection, fait le tri entre les vrais artistes et ceux qui ne le sont pas. Si par surcroît on dispense ceux-ci de se référer à une norme de beauté objective, leur médiocrité ne connaîtra plus de bornes. De toutes façons, 1'« idée innée» que les médiocres portent en eux, si seulement ils en portent une, n'intéresse guère Bembo:
84 Sur l'échange de lettres Pico-Bembo, voir G. Santangelo, Epistole de Imitalione di G.P. Pico della Mirandola e di Pietro Bembo, Firenze, 1954. Voir également du même auteur Bembo critico e il principio di imitazione, Firenze, 1950, et un C.R. important de R. Spongiano dans le Giornale Storico della leUera/ura italiana (CXXXI, 1954, p. 427-437). 85 Sur Pietro Bembo, voir, outre L. von Pastor, t. IV, éd. cit., p. 402 et suiv., La Storia della letieratura italiana, t. IV, ch. l, II classicismo dal Bembo al Guarini, d'Ettore Bonora, en particulier p. 151-153 (sur le cicéronianisme). 86 G. Santangelo, Epistole de Imitatione ... , ouvr. cit., p. 42,
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PREMIÈRE RENAISSANCE CICÈRONIENNE
Qu'ils écrivent des livres, qu'ils veillent, qu'ils dorment, je ne m'en soucie nullement 81. Si l'on admet une idée du Beau, elle n'est pas en puissance dans telle ou telle subjectivité, elle existe en acte et en Dieu: Pour moi, je pense que, de même qu'il y a en Dieu auteur et créateur du monde et de toutes choses une certaine forme divine de la justice, de la Tempérance et des autres vertus, il s'y trouve aussi comme une certaine sorte de bien écrire, à laquelle il ne manque rien, une forme absolument belle, qu'avaient en vue autant qu'ils pouvaient le faire par la pensée et Xénophon et Démosthène et Platon lui-même surtout, et Crassus et Antoine et jules César et plus que tout autre Cicéron, quand ils composaient et écrivaient quelque chose. Et cette image qu'ils avaient conçue dans leur esprit, c'est à elle qu'ils rapportaient leur style et leur intelligence. je pense que nous devons faire de même et qu'il nous faut, dans nos écrits, employer tous nos efforts à nous rapprocher le mieux et le plus près possible de cette beauté 88. Pour rejoindre celle-ci, il faut non seulement un artiste d'exception, mais une médiation qui serve de point d'appui à son élan généreux. Cette Beauté objective du bien écrire suppose d'abord, pour être rejointe l'ascèse d'une imitation et d'une émulation qui se soutiennent d'un modèle en acte. Faut-il comme le veut Pico, se tourner vers plusieurs modèles? De même que les vrais artistes sont très rares, il est peu probable'qu'i1 y ait beaucoup de bons modèles. Si tel était le cas, on aurait le choix entre deux solutions. Ou bien l'on réduirait à l'unité la variété inhérente à cette multitude, opération impossible, tant les contradictions dE la multitude sont nombreuses. Ou bien on ferait coexister les traits caractéristiques de chaque modèle dans un style par définition bigarré. Il y a là une tentation séduisante. Mais, à force de s'éparpiller de l'un à l'autre modèle, l'esprit se disperse, et devient incapable de rien achever. Et l'on devient l'esclave de la mode (novitas). Mais la mode est par essence changeante et mobile et nous ne lui aurons pas plutôt cMé qu'elle nous attendra plus loin. Autre source d'épuisement et de déchéance spirituelle. Enfin comment peut-on imaginer une œuvre faite de pièces et de morceaux empruntés ici et là? Chaque style a ses traits propres qu'on ne saurait mêler à d'autres sans un effet monstrueux. Le peintre qui doit peindre un portrait ne cherche pas en lui-même ses propres idiosyncrasies ; il fait appel à ce qUI fait de lui un artiste, les principes de son art, et il les met au service de son modèle. Se fier à sa propre subjectivité, emprunter à un grand nombre de modèles pour s'exprimer, c'est faire de son style un Protée 89. Les vrais artistes n'ont aucun goût pour Protée. Ils sont en quête de l'Idée divine du Beau, et de l'art (ratio) qui leur permettra de se rappro-
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Ibid., p. 44. Ibid., p. 42-43. Ibid., p. 49.
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cher d'elle au plus près. C'est pourquoi ils ne prendront pas en exemple tous les bons prosateurs, mais un seul, le plus parfait, celui qui réunit en lui toutes les qualités ailleurs dispersées, Cicéron. S'ils sont poètes, ils se confieront à l'exemple de Virgile. On aura remarqué que pour Bembo, la Beauté vers laquelle s'élancent, oublieux de leur «moi », les artistes cicéroniens, est un ars scribendi, non un ars dicendi. Le secrétaire aux Brefs de Léon X, dévot d'une Beauté dont Cicéron est le médiateur, interprète en effet à sa manière la doctrine oratoire de son patron. La notion de varietas, centrale dans l'esthétique cicéronienne, et que repreliait à son compte G.F. Pico, est autant que possible exclue par Bembo. La Beauté, selon lui est Une, comme Dieu est Un. D'autre part, citant les écrivains antiques autres que Cicéron qui ont visé comme lui à l'Idée intemporelle de Beauté, c'est Xénophon, c'est Démosthène, c'est Platon qu'il cite parmi les Grecs, Crassus, Antoine et Jules César parmi les Latins 90. Si Démosthène est invoqué par Cicéron, si Crassus et Antoine étaient les interlocuteurs principaux du De Oratore, ni Platon ni Xénophon n'étaient des orateurs, et Jules César était avant tout un écrivain épris de latinitas. Xénophon était aussi un des écrivains dont se réclamaient les « atticistes » dans leur critique de la théorie et de la pratique oratoires de Cicéron. Le Cicéron dont se réclame Bembo n'est pas celui de la tripertita varietas; c'est celui qui, intégrant dans son esthétique conciliatrice le style de ses adversaires atticistes, définissait dans rOrator un genus humile. Ce Cicéron attique n'est pas l'orateur, mais le prosateur des Lettres. Il a quelques traits communs avec celui dont se réclame Marcus Aper dans le Dialogue des Orateurs, plus dense, plus «littéraire» que le Cicéron aux larges effets oratoires des plaidoyers et des discours devant le Sénat. De fait, comme Marcus Aper, un des rares reproches que Bembo consente à adresser à Cicéron est d'être « trop abondant» : verbosior 91. Aper expliquait cette abondance par la nature du public auquel devait s'adapter Cicéron, public moins éclairé et moins raffiné que celui des tribunaux impériaux. Bembo justifie son patron au nom du caractère oral et public de son éloquence, mais admet implicitement qu'un style cicéronien écrit doit tenir compte de l'optique différente du lecteur (aliquibus supervacua in legendo visentur, ea (quae) in agendo necessaria !uerunt) 92. A la même cause, on peut attribuer l'origine de ce manque de judicium qui a fait dire à Cicéron des choses qu'il aurait dû garder pour lui. Cela n'ôte rien à la perfection de son « écriture» (scribendi ratio) partout égale à elle-même, lumineuse et majestueuse. 11 n'en reste pas moins que Bembo, avec une grande perspicacité, introduit probablement sous l'influence du Dialogue des Orateurs 93 un point de vue historique sur le style de Cicé-
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Ibid., p. 43. ibid., p. 55. Ibid.
93 Autre trace de l'influence du Dialogue: Bembo ne sépare pas l'éloquence de la poésie, Cicéron de Virgile: v. en part. 49 et 57.
PREMIÈRE RENAISSANCE CICÈRONIENNE
ron : celui-ci, conçu pour le Forum d'un Etat républicain, ne peut être imité sans une transposition judicieuse par un épistolier travaillant à l'intérieur d'une Cour et se conduisant avec la prudente réserve que Castiglione recommande dans Il Cortegiano. Dès lors, le germe d'une évolution de la rhétorique cicéronianiste est posé. Loin de rompre avec l'esprit de Bembo, Marc Antoine Muret se contentera de l'expliciter intelligemment en faisant de Tacite, aux côtés du Cicéron des EpUres familières, le maître d'un classicisme littéraire moderne. En somme dans l'Epistola de Imitntione, le c meilleur style» cicéronien, fruit de plusieurs générations de grammairiens humanistes,apparaît comme un atticisme d'inspiration hellénique (Platon, Xénophon), cicéronienne (le genus humile de l'Orator) et tacitéenne (la prose littéraire selon Marcus Aper, accordée au goût virgilien par Maternus). Prose unie et élégante, économe de figures et d'effets, renonçant à la tripertita varietas du discours oral. Pour Bembo, il n'y a qu'une Idée du Beau, un seul modèle à imiter,et par conséquent un seul style, conquis par émulation à force de travail et d'exercice, à fmce de purification et de choix. Les maîtres-mots employés par Bembo sont ceux-là même qui reviendront sans cesse scus la plume de la critique classique en France au XVII" siècle: jugement UUdicium), sens des bienséances (prudentia), pureté et exactitude du vocabulaire (eligere, deligere), justesse de l'expression qui dit le plus avec le moins de moyens possibles (de/ere). L'atticisme cicéronien, qui seul mérite le qualificatif de «classique », allie chez Bembo, son premier théoricien, l'enthousiasme pour le Beau à l'exercice du jugement critique. Bembo estime - et il y insiste - que cette conquête d'une Beauté objective ne se fait pas aux dépens de l'identité personnelle de l'écrivain. L'imitation cicéronianiste n'est pas seulement libération des déterminismes subjectifs, elle est dépassement de soi, élan généreux qui vise non seulement à rejoindre, sur la voie royale du Beau, le point suprême atteint par Cicéron, mais même à le dépasser. Quête du Graal classique. Paul Manuce n'aura pas à forcer la leçon de Bembo en la rattachant à celle du Traité du Sublime. Le classicisme français, qui voudra faire du siècle de Louis XIV une " répétition» (à la fois imitatio et aemulatio) du siècle d'Auguste et du siècle de Léon X, retrouvera pour l'essentiel la doctrine esthétique de l'Epistola de Imitatione. Nous verrons par quels cheminements l'idea bembiste parviendra à Paris et y triomphera une seconde fois. Au surplus, Bembo, arbitre des élégances néo-latines, secrétaire des Brefs de Léon X, est aussi l'auteur italien des Asolani et des Prose della volgar lingua. Et de ce point de vue il fravait la voie à un classicisme en langue vulgaire 94, fondé sur l'imitatio~-émulation des chefs-d'œuvre antiques.
94 Sur Bembo théoricien du style classique en langue vull{aire. voir Sioria della letleralura italiana, t. IV ch. 2, qui cite les Prose della volgar lingua : «Et nous ferons beaucoup mieux d'écrire en notre langue dans le style de Pétrarque et de Boccace, que dans le nôtre, parce Que, sans aucun doute pos-
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Sur ce terrain, il trouvait un allié en son ami Balthazar Castiglione. Le Cortegiano 95 est en effet un des plus beaux exemples, avec les Asolani, de prose italienne «classique» ; chez Castiglione, l'imitationémulation de la prose cicéronienne en langue toscane est, selon les conseils de Pétrarque, décelable à l'examen attentif seulement 96. La lleglegentia diligens recommandée par Cicéron pour le genus humile de la prose du dialogue rencontre, dans le Cortegiano, la sprezzatura du gentilhomme, humaniste sans doute, mais sans pédantisme. L'humour, l'enjouement, le sens du decorum, mais aussi la tension à la fois philosophique et morale vers l'Idée de Beauté, toutes ces valeurs profondément cicéroniennes inspirent la conversation des nobles interlocuteurs du Cortegiano comme elles régnaient sur le dialogue du De Oratore. Une analogie profonde réunit ainsi l'art de la prose épistolaire tel que l'a défini Bembo, et l'art du dialogue «cicéronien» tel que l'illustre Castiglione. Bembo lui-même figure d'ailleurs parmi les hôtes réunis autour d'elle, au Palais ducal d'Urbin, par Elisabeth de Gonzague. C'est à lui que Castiglione confie le soin d'élever le petit groupe d'élus jusqu'à la contemplation de la Beauté qui inspire le langage et les matières de leur cénacle d'élus. La contribution de Castiglione au cicéronianisme de l'Académie Romaine ne se borne pas, cependant, à lui donner un chef-d'œuvre en prose vulgaire. Nous le verrons: à chaque option rhétorique de quelque envergure, correspond au XVI" et au XVII' siècles une définition différente de l'Orator capable de l'assumer. A la rhétorique sénéquienne-augustinienne de Juste Upse, correspondra la définition chez Malvezzi, chez Quevedo et Gracian, d'un homme de Cour à la fois politique et chrétien, dont le style de conduite est en consonance avec le style d'éloquence. A la rhétorique cicéronienne-tacitéenne en langue française que l'entourage de Richelieu commence à élaborer à partir de 1624, correspondra le type de « l'honneste homme », dont Faret donnera la premiére ébauche. Le type du «Courtisan" 97 selon Castiglione - qu'imitera d'ailleurs s:ble, ils écrivaient mieux que nous ne faisons.» La différence entre Bembo et les théoriciens français du XVII' siècle est évidente: Bembo admet une tradition de la langue toscane, où Pétrarque et Boccace, imitateurs de Cicéron, jouent le rôle que Cicéron joue dans la rhétorique latine. Les Français, rejetant en bloc leur passé littéraire, créent directement sur le modèle latin une langue d'art et une norme d'éloquence françaises. 95 Voir l'édition critique de li libro deI Corlegiano, par Bruno Maier, U.T.E.T., Turin. 1964. On ne saurait oublier, pour expliquer l'immense influence de ce livre en France au XVI' et au XVII" siècles, que Castiglione, ambassadeur du duc d'Urbin en France en 1507, s'y lia avec le duc d'Angoulême, futur François 1er , et prit tout au long de sa carrière une attitude favorable à la France contre l'Espagne. Le Corlegiano contient d'ailleurs un éloge de François 1er et un chapitre analysant les différences entre la «liberté" française et la «gravité» espagnole, qui est nettement favorable à la première (p. 247249, éd. cit.). 96 Voir Bruno Maier, éd. cit., p. 21 et suiv. 97 L'édition critique de Bruno Maier met bien en évidence l'extraordinaire dépendance de Castiglione par rapport au De Oralore, source majeure du Corlegiano. Le courtisan est avant tout défini comme vir bonus dicendi peritus et l'art de la parole tient une place immense dans le dialogue. Voir p. 130-131,
90 Faret -
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né sous le signe du cicéronianisme, est une variante de
l'Orator cicéronien. Au contraire de ce que sera c l'homme de Cour :t ingénieux à l'espagnole, né sous le signe du style c lipsien », il ne vit pas dans une tension mélancolique entre l'intériorité contemplative et le «monde» corrompu: il cherche une conciliation harmonieuse entre l'Idée et la société des hommes, où il s'efforce de l'incarner. Sa noble c humanité »98, «belle nature» cultivée par les litterae humaniores, ne compte pas sur l'éloquence publique pour se diffuser: élevé ùans les Cours, Castiglione, comme Bembo, comme le Maternus du Dialogue des Orateurs, a le sens du decorum propre aux régimes monarchiques, mais de Cicéron il garde confiance dans la possibilité de répandre la sagesse - quoique par des moyens plus détournés, moins voyants et oruyanrs, que ceux de l'orateur romain - dans un monde plus aveuglé que foncièrement mauvais. Idéal de diplomate autant que de courtisan, qui servira en France, mieux encore qu'en Italie, de terrain de rencontre et oe conciliation entre l'humanisme docte et le service du Pnnce. Le héros de Malvezzi, de Quevedo et de Gracian, comme Upse luimême, et comme en général l'érudit de la République des Lettres, est franchement misogyne. Le courtisan-diplomate de Castiglione, adepte de la suavitas cicéronienne, mais aussi héritier de la poésie courtoise et de Pétrarque, fait à ses côtés une place généreuse à la femme. Les Cours italiennes comme la Cour de France, seront non seulement le terrain d'élection du style de la «douceur », allant parfois jusqu'au «doucereux », mais le théâtre d'une sorte de royauté féminine, protégeant le luxe, la musique, la poésie, le romanesque que condamnent la mélancolie savante et la sévérité ecclésiastique. JI Cortegiano propose le modèle idéal de ce cicéronianisme des Cours: dans le cercle d'élus réunis par l'ami de Raphaël et de Bembo au Palais d'Urbin, figure une Diotime, la Duchesse Elisabeth. Bembo célèbre l'Idée de Beauté; la Duchesse incarne celle-ci. Donna di palazzo, eHe crée autour d'elle un univers de bienséance et de grâce, elle fait descendre dans la société des hommes et dans leur un passage fort intéressant où l'un des interlocuteurs identifie écrire et parler, la parole vive étant première. Voir p. 140-150 les réflexions sur «le meilleur style» du courtisan, calquées sur les comparaisons. entre orateurs chères à Cicéron et Quintilien (surtout p. 148). 98 Sur le sens du mot humanitas, que la Renaissance emprunte à Cicéron, voir A. Michel, ouvr. cit., p. 250: «Il est bon, il est juste de souffrir devant le mal. Cette acceptation de l'inquiétude et du souci fait partie du bonheur du sage ... Il est doux de souffrir pour ses amis ... » Et Cicéron poursuit: «Il ne faut pas écouter ceux qui veulent la vertu dure comme le fer; elle est au contraire en bien des choses. et surtout dans l'amitié, tendre et malléable :t (tenera atque tractabilis). Cet aspect de l'humanitas cicéronienne, s'ajustant fort bien à la caritas chrétienne, est pour beaucoup, chez des hommes qui savaient par cœur l'essentiel de Cicéron, dans la polémique contre l'inhumanité des stoïciens au XVII' siècle. Voir aussi p. 282. douceur, mesure, p. 380 mais aussi grandeur d'âme, capacité du sublime, p. 399, équité, p. 419, refus de tous excès. de tout «ubris ». Sur le sens d'humanitas à la Renaissance. v. M.M. de La Garanderie, Christianisme et lettres profanes (1515-1535), th. dactyl. Sorbo 1975, t. l, p. 37-38: idéal d'épanouisseme:"t de la nature humaine par la culture, par les bonae litterae.
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L'ACADÉMIE ROMAINE
conversation quelque chose de la Beauté céleste, point de fuite et de convergence de toutes les belles âmes. L'esprit de l'Hôtel de Rambouillet, et le règne de Catherine de Vivonne, de gente Sabella, sont déjà idéalement présents dans cette petite société choisie, élite de l'esprit à l'écart du gros de la Cour, mais à l'écart pour le mieux civiliser.
••• L'Epistola de lmitatione de Bembo était le manifeste de la Renaissance romaine 99, le programme esthétique de la Cour ecclésiastique et humaniste de Jules II et de Léon X. Autour de l'humaniste vénitien, favori de deux pontifes, l'Académie romaine de Pomponius Laetus se reconstitue; ~on mécène, Angelo Colocci, se passionne pour les questions de rhétorique et rassemble une collection de manuscrits de Cicéron. Fra Giocondo édite Vitruve. Vida écrit une Christiade sur le modèle de l'Enéide. Sannazaro imite les Bucoliques. Le cardinal Riario patronne dans son palais, œuvre de Bramante, des représentations de la Phèdre de Sénèque. La poésie du siècle d'Auguste semble renaître en sa propre langue, et sur les lieux mêmes où elle avait fleuri un millénaire et demi plus tôt. Mais les chefs-d'œuvre des arts plastiques nous parlent aujourd'hui encore, quand toute cette littérature néo-latine est devenue lettre morte. La coupole de Saint-Pierre projetée par Bramante rend toujours visible et sensible l'Idée du Beau célébrée par le De lmitatione et ses nervures donnent à comprendre ce que Bembo entendait par cet «élan» (conatus) qui emporte, des divers points de la circonférence terrestre, les belles âmes dissemblables vers la Beauté centrale et une qui siège en Dieu même. Les fresques de Raphaël, ami de Bembo, dans la Chambre de la Signature, réconcilient, mais face à face, dans le respect de leur inspiration respective, l'Ecole d'Athènes et la Dispute du Saint Sacrement. En 1516, Christophe de Longueil arrive à Rome 100, chevalier nordique du «Graal» cicéronien : Bembo et Sadolet veulent bien témoigner qu'il a surmonté dans son style toute trace de barbarie et, pour la pureté latine de celui-ci, il
Voir note 73. Christophe de Longueil (1488-1522), né à Malines, bâtard d'Antoine de Longueil. fit ses études à Paris où il publia en 1502 une Oralio de Laudibus divi Ludovici atque Francorum. Passé à Rome, où il fut accueilli avec honneur par Bembo, Sad ole t, et les cicéroniens romains qu'il aspirait à égaler, il se vit contester le titre de Civis romanus qui lui avait été attribué, et dut le défendre par deux éloquents discoms. Ses amis romains l'encouragèrent à mettre son talent au service de la polémique religieuse et il rédigea en style cicéronien une Oralio ad Llltheranos dont Erasme ridiculisa la vaine éloquence apprêtée. Son odyssée de «barbare du Nord l> ayant réussi à s'imposer à Rome lui valut en France un durable prestige. Jusqu'à l'édition de ses Lettres en 1581 par H. Estienne, les éditions de ses œuvres se ml11tiplièrent à Paris et à Lyon: 1526, 1530, 1533, 1542, 1563 ... V. Th. Simar, Chrisfoohe de Lonf{ueil, L01lvain, 1911 ; Ph.A. Becker, Chr. de Lonuueil, Bonnet Leipzig, 1924; H. Kopf, Chrisfophorus Longolius, Stuttgart, 1938, et La Garanderie, ouvr. dt., t. l, p. 116. 99
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reçoit non sans résistance de la part des plus ombrageux héritiers des Quirites, le titre de civis roman us. L'Europe chrétienne ressemble alors à ce château féodal où Gœthe nous montre Faust évoquant de l'abîme la beauté d'Hélène, devant un Empereur et une Cour gothiques. Pour le christianisme néophyte du Nord de l'Europe, il y avait quelque chose de démoniaque à voir ainsi réapparaître, au milieu des ruines de la Rome païenne, la Beauté antique évoquée par le Vicaire du Christ, ses Cardinaux et leurs artistes 101. Et le Saint Empire romain germanique, qui payait en partie le spectacle, était au surplus, dans son lointain parterre, considéré avec dédain par l'aristocratie latine trônant aux loges, insolente patronne d'un art trop raffiné et délectable pour être chrétien. Du Nord de l'Europe ne tardèrent pas à s'abattre sur cette scène trop brillante les foudres de Luther, les troupes de Charles Quint, et l'ironie d'Erasme. Les malédictions florentines de Savonarole et la maniera tourmentée et rebelle du florentin Michel-Ange en avaient été, en Italie même, les signes avant-coureurs. LA FIN DU «SIÈCLE DE LÉON X» : LE «CICERONIANUS» D'ERASME (1528)
En mai 1527, les lansquenets luthériens de Charles Quint, sous la conduite du Connétable de Bourbon, donnaient assaut à Rome et mettaient la ville à sac. L'humiliation de Llément VII concluait piteusement le « siècle de Léon X » et achevait de révéler à l'Europe ce que dissimulaient de faiblesse politique et militaire les beaux dehors de la Renaissance italienne. En mars 1528, Erasme publiait à Bâle chez Frobenius le Dialogus ciceronianus sive de optimo genere dicendi 102, une critique acerbe de ce Tullianus stylus qui avait passé, au moins à Rome, pour le symbole et la plus haute conquête de la Renaissance. Etait-ce le coup de pied de l'âne 101 Sur la Rome de Jules II et Léon X, voir, outre les ouvrages toujours excellents d'E. Rodocanachi, Ludwig von Pastor, Storia dei Papi, Roma, Desdée, 1942-1951, 15 vol. in_4°, t. IV à VI. La traduction française (Paris, Plon, 8°) est inachevée. La partie concernant la première Renaissance romaine s'y trouve dans les t. VI et IX, publiés entre 1898 et 1913. L'éd. italienne, plus récente, est aussi la meilleu re. 102 La première édition du Ciceronianus paraît à Bâle, chez Frobenius, en mars 1528. La meilleure édition moderne est li Ciceroniano, 0 della stilo migliore, testo latino critico, traduzione italiana, prefazione, introduzione et note a cura di Angiolo Gambaro, La Scuola editrice, Brescia, 1965. Dans le même volume, Erasme publiait son De recta latini graecique sermonis pronuntiatione, dialogus, où l'on trouve formulée autrement la même doctrine que dans le Ciceronianus: «A Cicerone nemo negat optimum loquendi exemplar peti ... Non ramen ab unD Cicerone petam omnia, nec statim quicquid illi placuit pro optimo duxerim ... Tum si quid desiderabitur in suppellectile Romani sermonis quod apud Ciceronem non reperiatur, haud verebor ex Catone, Varrone, Pliniis, Quintiliano, Seneca, Suetonis, Quinto Curtio, Columella sumere mutuo ... (Opera Omnia, édition de Leyde, 1703, dite L.B. col. 965.B.D.)
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à l'humanisme italien? E,rasme, ennemi de la violence, n'approuvait pas plus le coup de force contre la Rome des Pontifes, que ses maîtres en humanisme chrétien, saint Jérôme et saint Augustin, n'avaient approuvé le sac de Rome par Alaric, un millénaire plus tôt, en 410. Mais saint Augustin, dans la Cité de Dieu, n'avait pu s'empêcher de voir dans la tragédie de la Majestas imperii romaine un juste châtiment de son ambition toute terrestre. Et il était difficile à l'apôtre humaniste de la Philosophia Christi d'interpréter autrement, par devers lui, les coups portés fi la puissance temporelle des Pontifes romains et à l'humanisme esthétisant qu'ils avaient patronné. En 1509, au temps de jules Il, Erasme avait séjourné dans la Rome de Michel Ange, de Raphaël et de Bembo. Indifférent au prestige des chefs-d'œuvre, il en avait rapporté l'Eloge de la Folie. Et dans le Ciceronianus, il fait un long retour en arrière sur ce séjour, pour n'en retenir que la déclamation «Sur la mort du Christ ~ qu'il avait entendu prononcer en présence de jules Il par Tommaso « Fedra» lnghirammi, un humaniste qui devait son sumom à l'art avec lequel il avait interprété le rôle de Phèdre dans une représentation de l'Hippolytus de Sénéque, patronnée par le Cardinal Riario. Déclamation histrionique : Erasme a vu manifestement en Tommaso Inghirammi et à travers lui, dans l'humanisme de la Cour pontificale, une réapparition de la sophistique de la Rome impériale d'autant plus inexcusable qu'elle se couvrait de prétextes chrétiens. Le Ciceronianus, fruit de vingt années de réflexions sur la rhétorique antique et moderne, vise à prévenir l'humanisme d'un péril qui le suit comme une ombre: celui de dissocier la renovatio litterarum et artium d'une rellovatio spiritus, en d'autres termes celui de réveiller aussi bien la sophistique des déclamateurs que la sagesse pré-chrétienne des écrivains et poètes païens .
••• Avant l'Eloge de la Folie (\511) et le Ciceronianus (1528) Erasme n'avait pas manqué d'esquisser sa propre doctrine en matière d'art oratoire: pour lui, comme pour les humanistes italiens, le modus oratorius devait se substituer au modus scholasticus de la théologie médiévale. Dès 1509, le petit volume d'Adages, publié à Paris 103 nous fait pressentir dans quel sens s'orientera Erasme pour éviter que le recours à la rhétorique ne dégénère en sophistique. Il ne faudrait pas croire toutefois que ce souci ait été le privilège d'Erasme, et de l'humanisme du Nord. Un 103 Desyderii Erasmi Roterodami veterum maximeque insignium paroemiarum id est adagiorum colleetanea ... opus eum novum tum ad omnem vel seripturae veZ sermonis gCnllS venustandllm insigniendumque mimm in modum conducibile. Id quod ita demum intelligetis, adolescentes optimi, si hujus modi deliciis et lifteras vestras et orationem quotidianllm assuescetis aspergere. Off. ]ohannis Philippi, Lut. Paris. 1505. Le titre de l'ouvrage, avant même la préface, insiste sur la valeur d'ornement des «adages 7> (venustandum, delieiis). La citation est traitée par Erasme de figure de style en même temps que d'ornement par excelIence. (Sur les Adages, et leurs éditions successives, v. Margaret M. Philips, The Adages of Erasmus, a stlldy with translations, Cambridge Univ. Press, 1964.)
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Pétrarque, un Politien, un Pico, s'étaient les premiers, nous l'avons vu, dressés contre une imitation histrionique des Anciens. Et l'Epistola De Imitatione de Bembo est elle-même un effort, dans la lignée du De Oratore et du Dialogue des Orateurs, pour conférer à la quête du Beau oratoire un statut philosophique, et relier le «meilleur style:. humaniste à une ascèse platonicienne. En Italie comme dans le Nord de l'Europe l'histoire de la rhétorique humaniste est marquée, comme l'histoire de la rhétorique grecque et latine, par une perpétuelle tension entre la tentation sophistique, et les efforts de redressement, fondés sur un retour aux orateurs attiques, à Cicéron, aux orateurs archaïques, aux poètes et qui tous cherchent à resserrer l'alliance entre l'éloquence et la sagesse. Tension qui rarement s'éclaircit jusqu'à l'antithèse: dans le domaine louvoyant de la rhétorique, où l'on est toujours le sophiste de quelqu'un, ce n'est qu'au prix d'une simplification polémique, et risquée, que l'on peut diviser l'éloquence en deux camps; l'un des justes et l'autre des coupables. Erasme et Bembo, chacun à sa manière, ont voulu donner une assise philosophique au modus oratorius des humanistes. Mais leurs points de vue et leurs références antiques sont fort différents. Soucieux avant tout d'une renovatio litterarum, Bembo renoue avec le purisme de la sophistique grecque du Ile et du Ille siècles, substituant aux orateurs attiques Cicéron comme modèle achevé d'une prose d'art. Moins artiste que moraliste, soucieux avant tout d'une renol'atio spiritus, Erasme s'appuie sur les auteurs qui, sous l'Empire, ont combattu l'art des sophistes au nom d'une morale philosophique, tels Sénèque et Lucien. Pour lui, la renovatio lifterarum est avant tout une païdeïa préparant à la lecture et à la méditation des Pères. L'art érasmien de la prose est d'abord un art chrétien, avec toutes les ambiguïtés que cette formule suppose chez les Pères eux-mêmes, adversaires, mais élèves des sophistes. Cette ambiguïté est particulièrement sensible chez le jeune Erasme, auteur de la première préface des Adages. S'il est vrai que les Adages sont d'abord un recueil" à méditer:., on aurait tort de ne pas y voir aussi un recueil de "lieux ", un «aidemémoire" relevant de cette tradition qui, des Mémorables de Xénophon aux Entretiens d'Epictète d'Arrien, du florilège de Stobée aux Flores d'Apulée, faisait de la citation, ou de la mise en gcène de la citation, une véritable méthode d'invention oratoire 104. Celle-ci fut tout particulière-
lM Sur cette question voir, outre L. Mercklin, Die Citiermethode und Quellensbernützunf! der Aulu Gellius in den Noctes Atticae, Fleckeisens ]ahrburch, Suppl. III, 1860, p. 632-710, l'éd. Marache des Noctes Atticae, Paris, Belles Lettres, 1967, t. l, introd., et la thèse du même: La critique littéraire de langue latine et le développement du goat archaisant au /1' siècle de notre ère. Rennes, 1952. Nous n'avons pu consulter T. Cave, The Cornucopian text, problems of writing in the French Renaissance, Oxford, Clarendon Press, 1979, qui part d'une analyse profonde du De Copia d'Erasme pour poser une problématique de «l'écriture:. chez Rabelais, Ronsard et Montai~ne. Voir également B. Beugnot dans l'art. dt. dans Bibliogr. p. 801, n' 1086.
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ment en honneur chez les philosophes et érudits de la latinité d'argent, et les Pères de l'Eglise en firent à leur tour un des aspects les plus caractéristiques du style chrétien. En se rattachant à cette tradition philosophique, érudite et patristique, Erasme fait un choix rhétorique fort significatif de ses intentions et de ses goûts. La préface de la première édition parisienne des Adages achève d'en faire un petit traité d'art oratoire érasmien. Erasme y formule une véritable théorie de l'ornalus qui se présente comme un commentaire stylistique des adages. Ceux-ci, extraits de bons auteurs ou de la sagesse des nations, s'ornent en effet de gemmulae lra/lslalionum 105, de lumina senlenliarum (scintillement de traits), de flosculi allegoriarum el allusionum (fleurettes d'allégories et d'allusions) qui font de la prose un miroir de la Nature, de ses champs fleuris 106. La figure essentielle est la senlenlia (trait ou pointe), qui plaît par une brièveté piquante (acllla brevitale) ou par une brève saillie (brevi acumine). Ses allusions spirituelles chatouillent (titillai) qui s'efforce de les deviner, ses obscurités même raniment (expergeficial) le lecteur intrigué. Mais la forme brillante de la senlenlia ne fait qu'un avec sa substance. Citant Quintilien, Erasme affirme que ces richesses et délices du discours ~ont aussi des éléments de preuve (argumenlum). Tropes, figures de pensée et de mots sont en somme autant de syllogismes 101 dont la vigueur philosophique s'enveloppe de brio et séduit en même temps qu'ils persuadent, épargnant à la sagesse l'ennuyeuse sécheresse du modus scholaslicus. Les citations empruntées aux Anciens, destinées à être incrustées dans le discours, deviennent ainsi les éléments constitutifs d'un style philosophique proprement humaniste, à la fois probalio et ornalus. Elles écartent du modus oralorius la tentation sophistique, elles font du discours l'enchâssement de « choses» à la fois solides et plaisantes, alliant le do cere
105 Préf. non pag. Translationum gemmulae signifie littéralement «petites pierres précieuses de métaphores ». Sur le sens de lranslatio, voir Quintilien, Inst. Or., VIII, 2, 41, et IX, 2. Ce dernier livre de l'Institution est présent à l'esprit d'Erasme lorsqu'il rédige cette préface. Mais il le lit à la lumière d'un goût formé par les auteurs de la latinité tardive et par les Pères. 106 Erasme emploie la métaphore du jardin (hortulos) et à plusieurs reprises celles des fleurs et des fleurettes (/Iosculos). Il emploie aussi la métaphore de l'assaisonnement culinaire (urbanitatis sale condiendam). La variété (varios, variegandam) est chez lui le principe même du plaisir de la lecture. Ce langage sera celui des humanistes dévots en France au début du XVII' siècle. 107 Outre Quintilien, qui au début du L. IX cit. insiste sur le poids de « pensée» qu'enveloppent même les «figures de mots ». voir un «commentaire» d'Aulu Gelle, dans Noctes Atticae, éd. cit., t. l, p. 95 : il justifie Epicure d'avoir fait usage d'un syllogisme tronqué (id est un enthythème) contre Plutarque qui le lui reprochait comme indigne d'un philosophe. Cette manière brillante, allusive, s'adressant à des lecteurs intelligents, semble à Aulu Gelle préférable à la manière de l'Ecole. C'est là au fond l'essentiel du débat entre « théologiens scolastiques» et «humanistes ». L'humanisme, soucieux de plaire autant que d'instruire, d'urbanité autant que de sagesse, préfère présenter les syllogismes sous une forme allusive, et habillés en c figures:t de rhétorique.
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au delectare. Les Evangiles, ajoute Erasme, donnent l'exemple de cette méthode en multipliant les sententiae, les paraboles, allégories, apophtegmes, riches de sens mystérieux. Erasme tient pourtant à affirmer qu'il n'a pas fait dans les Adages œuvre de rhéteur (sermo rhetoricus). Entre autres preuves, il fait remarquer qu'il n'y a pas plus d'ordre dans son livre que dans les Nuits Attiques d'Aulu Gelle 108. La référence à Quintilien, « réformateur» de l'éloquence sous Vespasien, et à Aulu Gelle, disciple d'un autre «réformateur", Fronton, qui fut aussi le maître de rhétorique de Marc Aurèle 109, nous éclairent sur le goût du jeune Erasme. Comme le cicéronianisme de Quintilien, l'atticisme archaïsant et érudit d'Aulu Gelle, quoique par des chemins fort différents de ceux du maître de Pline le Jeune, est, ou se veut, un acte de résistance à la « rhétorique» des déclamateurs « asiatiques ». Mais même la volonté de classicisme dont témoigne l'Institution oratoire de Quintilien ne réussit pas à faire oublier le côté «démonstratif» et outrancièrement «littéraire" de l'éloquence qu'elle enseigne: tout en le regrettant, le « cicéronien » Quintilien doit faire minutieusement place aux curiosités formelles chères aux déclamateurs, aux dépens des sources philosophiques et des finalités civiques de l'éloquence selon Cicéron. La passion archaïsante d'un Fronton et d'un Aulu Gelle qui, insatisfaits d'un retour à Cicéron, remontent vers Plaute, Ennius, et Caton pour retrouver la vigueur perdue, relève du maniérisme décadent tout autant que le goût « moderne» des sophistes qu'ils dénoncent. La « maladie» de la Seconde Sophistique, qui règne sur la littérature impériale, appelle une sorte de médecine homéopathique qui donne aux diverses réactions classicisantes ou archaïsantes qu'elle suscite une couleur analogue souvent à s'y tromper, à celle de la « maladie» elle-même. Où commence et où finit chez un Lucien, chez un Philostrate, chez un Apulée, le goût expressionniste de l'effet, et le dégoût
lOS Erasme ajoute que la brièveté même des «adages» et de l'ouvrage dans son ensemble est une autre preuve de son éloignement pour la «rhétorique ». Celle-ci, comme le montrera le De Copia a pour signe distinctif l'abondance, l'ubertas. Erasme ne tient pas à abandonner au modus scholasticus des logiciens d'Ecole le privilège d'un style philosophique bref et dense, lourd de « choses» et dédaigneux des «mots ». 109 Voir R. Marache, ouvr. cit. Voir aussi H. Piot, Les procédés littéraires de la Seconde Sophistique chez Lucien, Paris, 1914 (on sait l'importance de Lucien comme source de l'ironie érasmienne), L. Méridier, L'influence de la Seconde Sophistique sur l'œuvre de Grégoire de Nysse, Paris, 1906 (Erasme a édité G. de N.), Jean-Claude Fredouille, Tertullien et la conversion de la culture antique, Paris, 1972 (Erasme a édité Tertullien). L'ouvrage d'André Boulanger, Aelius Aristide et la sophistique dans la province d'Asie au 1/' siècle de notre ère, Paris, Boccard, 1923, trace un tableau suggestif de cette éloquence «asiatique» qui triompha sous l'Empire romain. J. Fontaine, dans Aspects et problèmes de la prose latine ... (ouvr. cit., p. 49-52) montre l'influence de la Seconde Sophistique (et de la réaction archaïsante d'un Fronton de Cirta, qui en procède) sur l'éloquence chrétienne naissante. A travers la Renaissance des Pères de l'Eglise, c'est à une Renaissance de la Seconde Sophistique qu'on assiste au cours du XVI' siècle et au début du XVII'.
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de la parade sophistique? La nostalgie de la simplicité, de l'innocence primitive n'est-elle pas le suprême raffinement de la décadence? Telle. est l'ambiguïté de la latinité d'argent, et elle pèse sur plus d'un Père de l'Eglise. Tel était le danger de se tourner vers la culture oratoire de la Rome tardive. Erasme, lançant l'anathème sur le Cicéron aux bras étroits de Pietro Bembo, avait oublié qu'il avait lui-même introduit un redoutable Prptée.
••• Ses intentions en tous cas étaient pures. La méthode d'invention impliquée par un recueil doxographique tel que les Adages est analogue à celle que mettent en œuvre les Nuits Attiques. Erasme traite les œuvres des auteurs antiques, au même titre que la « sagesse des nations» comme autant de réservoirs de « choses» d'ou il extrait des fragments: ceux-ci, comme les éclats de marbre de diverses couleurs et provenances dont se sert le mosaïste, sont livrés au lecteur dans un capricieux désordre; libre à l'écrivain orateur d'y faire son choix et de redistribuer les fragments selon son dessein pour composer son tableau. Cette méthode des antiquaires et doxographes antiques prend chez Erasme, disciple des Pères, une valeur chrétienne: les idoles païennes une fois brisées, œuvres et systèmes, il subsiste d'elles des fragments dont l'orateur chrétien peut faire usage, irisant son discours selon la variété des situations auxquelles il doit faire face. Ce syncrétisme souple et vivant -- aux antipodes du dogmatisme dialectique de l'Ecole - n'est pourtant pas une sophistique: ces fragments de «pierres vives» renvoient tous à une sorte de philosophia perennis dont la source ultime est la première Révélation, efUs sont en consonance avec l'enseignement de la seconde, qu'ils aident à adapter aux situations humaines de l'écrivain et de son public. La « solidité» philosophique du discours, garantie par l'antiquité de ses sources, n'est plus incompatible avec la fluidité du monde où l'humanité incarnée se trouve «embarquée». Les deux bouts de la chaîne - unité du Logos deux fois révélé et diversité des hommes, des temps, et des lieux - peuvent fort bien être tenus ensemble. Enraciné dans sa foi, l'écrivain sera d'autant libre et souple dans son maniement des « sententiae » qui toutes, dans la diversité même de leurs couleurs, reflètent la lumière unique de la Philosophia Christi. Il s'agit là d'une manière de philosopher conforme à la tradition oratoire latine, qui rompt avec la manière d'Aristote et des théologiens médiévaux. Les philosophies « humaines» sont traitées en « topique» de la philosophie chrétienne. Elles sont amenées à dialoguer entre elles au sein du discours chrétien, où elles trouvent leur sens ultime, et auquel elles confèrent la mobilité irisée que postule la multiplicité métamorphique de l'holî1!ile il'carné et pécheur. Il est donc fort compréhensible qu'Erasme ait tenu à éloigner de lui l'adjectif rhetoriclls. Si, du point de vue d'un sophiste à l'italienne, il peut se réclamer sans crainte de l'autorité philosophique,. du point de vue du
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théologien universitaire de style parisien, il peut redouter de passer pour un «rhéteur:., moins soucieux de vérité que d'adaptation à la subjectivité humaine. A distance égale de la sophistique et du dogmatisme, l'éloquence érasmienne doit se gar~er à la fois sur sa gauche et sur sa droite, soucieuse de l'unité du Vrai, mais respectueuse de la réalité diverse et mouvante de l'homme et de son histoire. Soit dit en passant, la préface des Adages pourrait servir d'introduction aux Essais de Montaigne. Le goût sénéquiste d'Erasme pour les sententiae, pour la variété des tropes et des figures illustrant un style coupé et dense, est fort analogue à celui de Mantaigne. Et la méthode philosophique de ce dernier est fille de celle d'Erasme. Il est un peu vain de se demander si Montaigne est sceptique, stoïcien, épicurien, platonicien, péripatéticien, augustinien: il est l'homme du dosage des sententiae tirées de ses recueils et de ses lectures. Et ce dosage des «choses ~ - qui toutes renvoient à une sagesse de Nature originellement compatible avec la Révélation - lui permet de composer en fonction des temps, des circonstances, et de ses humeurs la médecine la mieux ajustée à chaque cas: fidélité à la Sagesse, mais aussi au métamorphisme de l'homme dans le monde, dont chaque sagesse humaine épouse un des aspects. Philosophie supérieure à toutes les philosophies, parce qu'elle est le lieu de leur dialogue, le forum des grandes voix qui ont révélé l'humanité à elle-même.
••• La méthode d'Erasme, telle qu'elle nous apparaît dans la préface des Adages a toutefois un aspect inquiétant: pour peu qu'ils concourent à exprimer avec une vigueur brève et brillante une «pensée ", tous les procédés de style semblent bons à Erasme. C'est là que se manifeste le plus nettement l'écart entre l'humaniste du Nord et un humaniste italien tel que Bembo. L'avantage de l'atticisme tel que le préconise celui-ci est d'offrir au lecteur une surface lisse et sans arêtes, d'une seule et élégante venue qui voile en quelque sorte la présence des «sources" sous le tissu serré d'une forme parfaite. Cet avantage, un Balzac, un Descartes, sauront en tirer le plus habile parti en France, au XVII" siècle, pour affirmer avec plus d'aplomb la nouveauté l'un de sa littérature, l'autre de sa philosophie. Mais auparavant il aura fallu longuement livrer bataille contre la «rhétorique des citations ", d'ascendance érasmienne, qui fait de tout discours un carrefour visible de discours antérieurs, un « montage" qui se donne pour tel. Or cette « rhétorique des citations" a, sur le plan du style, des implications vivement anti-cicéroniennes. Le choix des sententiae, au dire d'Erasme lui-même, obéit aussi à des critères expressifs. Et le parti pris de surprendre, d'intriguer, voire d'éblouir nous renvoie à un choix de tropes et de figures caractéristiques des goûts de la Seconde Sophistique. En se référant au L. IX de l'Institution Oratoire, plutôt qu'au L. III du De Oratore, consacré à l'élocution, Erasme croyait sans doute s'aligner
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::,ur la polémique de Quintilien contre les « déclamateurs» : il entre aussi, et il fait entrer ses lecteurs dans le combat douteux qui caractérise l'histoire de la rhétorique impériale romaine. Les auteurs qu'Erasme cite dans sa préface comme ses «sources» privilégiées, Plaute, Varron, Perse, Martial, Ausone, Pline, Aulu Gelle, Macrobe, Donat, saint Jérôme, achèvent de nous montrer sa dépendance vis-à-vis de la latinité tardive. Plaute et Varron sont les auteurs favoris de Fronton et d'Aulu Gelle l'un pour son style et son vocabulaire antérieurs à l'hellénisation de l'éloquence romaine, l'autre pour sa science d'antiquaire. Perse et Martial pour leur brièveté, Macrobe et Donat pour leur érudition de glossateurs, relèvent du même princ~pe de choix. Erasme s'intéresse de préférence à la littérature antique la moins « classique ", la plus proche de la littérature chrétienne. Erudition et poésie gnomique, deux «contre-poisons» païens de la sophistique, font ici bon ménage avec l'humanisme chrétien d'un Jérôme et d'un Ausone. Il n'est pas sans intérêt d'observer que, dans son édition de Sénèque, qui fera foi jusqu'à celle de Muret et Le Fevre à la fin du siècle, Erasme attribue au philosophe les Sententiae divisiones et colores de son père, le Rhéteur. Les plus avisés philologues se doutaient pourtant déjà de la véritable attribution 110. Mais pour Erasme, il n'y avait rien de surprenant à voir le plus chrétien des philosophes païens se faire le patient secrétaire des déclamateurs: en guise d'introduction 111 il n'hésite pas à recommander en eux une «école d'éloquence », qu'il souhaite voir remplacer dans les collèges les études abusivement prolongées de Dialectique. C'est que pour lui les acumina, le jeu serré des tropes et des figures, ne sont de l'ornement que par surcroît: ce sont avant tout des instruments de pensée, et une méthode d'exposition et de persuasion plus souple, plus vive, plus «incarnée» que la méthode dérivée de la Logique d'Aristote, même réformée par Rodolphe Agricola. Pour exprimer avec relief et vigueur (l'enargeïa et l'energeïa des rhéteurs) les paradoxes de l'existence humaine - non sans bénéfice pour une sorte d'humour métaphysique l'école de rhétorique d'où sont sortis sous l'Empire un Juvénal et un Martial, un Lucien et un Apulée, semble à Erasme, comme d'ailleurs c'était déjà le cas pour un Tertullien, un modus oratorius plus proche du vrai style chrétien que la prose et la poésie classiques. Et, par une sorte de prestidigitation dont il a reçu l'exemple aussi bien de Sénèque que des Pères, voilà que pour Erasme la virtuosité rhétorique la plus brillante, et même la plus voyante, le feu d'artifice des figures les plus ouvrées, se trouvent échapper à « la rhétorique» ! Tout est lumière aux enfants de lumière. Pour l'Erasme des Adages la venustas, le cultus, et l'ornatus les plus vivement coloriés sont absous du seul fait qu'ils sont les instruments d'expression de la pensée préfé-
110 Voir par exemple Raphaël Maffei de Volterra, Commentariorum urbanorum ... Libri, Basileae, off. Froben., 1530, fo 223 vo. 111 Erasme, L.A. Senecae Opera, Bâle, Frobenius, 1529, L. IV, p. 483.
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rables aux procédures rebutantes et abstraites de la logique scolastique. Ces c lumières :t et ces c f1eurs:t sont de ce fait de l'ordre des c choses :t et lion plus des c mots :t. Malheureusement toute rhétorique, même étroitement arrimée à une philosophie, est suivie comme d'une ombre par sa c décadence,. sophistique. Il suffira que les «scintillements de pierreries» et les c parterres de fleurettes », où Erasme en 1500 ne veut voir que des ornements d'une pensée sensible au cœur, deviennent une mode littéraire, inspirée de la sophistique impériale, et un nouvel asianisme apparaîtra sous l'autorité, certes lointaine et involontaire, du grand érudit. Pour saisir l'étrange retournement de la c rhétorique des citations» en maniérisme à la fois archaïsant et fleuri, il suffit d'ouvrir l'Essay des Merveilles de Nature du P. Etienne Binet, publié en 1624. On y retrouve toutes les formules de la préface des Adages - moins leur correctif philosophique - versées au compte d'une rhétorique de la « bigarrure ", par un brillant sophiste de Cour, disciple chrétien de Philostrate, et d'Apulée, de Juste Lipse et de Vigenère .
••• En 1514, Erasme dédie à John Colet son De duplici copia verborum et rerum. Ici encore, tout l'accent est placé sur l'invention. Imitant Quintilien, Erasme expose des techniques destinées à empêcher l'écrivain de tourner court et de rester sec, faute de savoir mettre en œuvre les semina dicendi. Mais, luttant contre sécheresse et stérilité, le De Copia n'est pas pour autant une apologie de l'ubertas cicéronienne 112. Erasme y prône une brièveté qui soit une conquête sur l'invention copieuse, et n(ln une conséquence de ia pauvreté d'invention. Une allusion approbative aux critiques antiques qui reprochèrent à Cicéron son abondance redondante et luxuriante (redundantem nimia luxuriantemque copia) laisse percer le vif préjugé anti-cicéronien. On peut même se demander si Cicéron ne figure pas ici en posture d'accusé, comme le bouc émissaire prestigieux, .et donc d'autant plus efficace, qui délivre du soupçon de «rhétorique» l'auteur et ses lecteurs. Le De Copia nous apparaît comme une rhétorique de l'invention philosophique et chrétienne, où les figures, et même les tigures de mots n'ont d'autre rôle que d'offrir à la pensée (sentenlia) une formulation brève, dense et forte.
112 Erasme, De Duplici copia verborum et rerum. dans Opera Omnia. L.B .• l, col. 5, A-B : accusations d'asianisme, redondant et luxuriant, portées par les Anciens contre Cicéron. L'idéal est de «dire à la fois brièvement et abondamment» (breviter et copiose dicere). Pour cela il faut choisir (deligere) ce qui est le mieux propre à la brièveté. Le plus de «choses l> avec le moins de « mots ». Mais il ne s'agit pas de tomber dans l'affectation de brièveté, sous prétexte d'éviter l'affectation d'abondance. Deux sources d'abondance dans la densité: les figures (synonymes, métaphores, enallages, etc.) et l'accumulation, dilatation, amplification des arguments, à l'aide d'exemples, de comparaisons, d'antithèses ... Voir encore ibid., col. 6, C, un éloge de la varie tas. qui fait du discours un miroir de la nature en sa riche diversité.
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En 1511, c'est l'Eloge de la folie. Erasme, rentré d'Italie, déploie toutes les ressources d'une ironie lucianesque pour accabler, entre autres, les « hommes de lettres, de même farine que les rhéteurs », qui le pillent, ou qui attendent de leur art d'écrire, fruit d'une pénible ascèse parmi les vains « mots », de non moins vaines louanges des mondains et de la postérité 113. C'est à cette folie littéraire que le Ciceronianus sera consacré en 1528. Entre temps, Erasme aura édité plusieurs des Pères de l'Eglise, et entre autres, saint Augustin; il aura publié son édition de Sénèque et un recueil de Flores Senecae. Contre la tentation d'une nouvelle sophistique garantie par Cicéron, Erasme se détourne de plus en plus des techniques de l'ornatus, auxquelles il accordait une place non négligeable dans la première préface des Adages, pour mettre l'accent sur les « choses» (res), les pensées (sentcntiae), et sur les conditions spirituelles d'une parole de vérité.
••• Le Ciceronianus est un dialogue. Choix fort habile, et ironique: Erasme retourne contre les «cicéroniens» un genre illustré par leur idole, Cicéron, et que celui-ci avait emprunté à Platon. C'est à la dialectique socratique qu'Erasme confie le soin de débusquer les erreurs de nouveaux Gorgias et de nouveaux Protagoras. Ceux-ci sont représentés dans le Ciceronianus par un certain Nosopon ( d'Henri Estienne refuse d'aliéner l'invention oratoire à l'élégance appliquée des cicéroniens italiens. 134 Emile V. Telle, L'Erasmianus sive Ciceronianus d'Etienne Dolet (1535), Introduction, fac-similé de l'édition originale du De Imifafione ciceronianacommentaires et appendices, Genève, Droz, 1974. Sur la vie et l'œuvre de Dolet, v. R.C. Christie, Etienne Dolet. The Martyr of the Renaissance 1508/546, a Biography., Londres, Macmillan, 1899. 135 Emile V. Telle montre le bon usage, pour les historiens de l'humanisme, des travaux d'historiens de la littérature antique. V. p. 468, son renvoi à la conclusion de la thèse d'Alain Michel (ouvr. cit., p. 653-654, c Histoire d'une recherche de la perfection»). 136 L'expression est de E.V. Telle, ouvr. cil., p. 361.
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PREMIÉRE RENAISSANCE CICÉRONIENNE
raissait enfermer la parole humaniste. La violence de la réaction est à la mesure de l'interdit à surmonter. Dolet va beaucoup plus loin que le maître dont il se réclame, Cicéron. Afin' de dégager l'éloquence de la tutelle sacerdotale qui subsiste à ses yeux, sous une forme subtile et insinuante, chez Erasme, Dolet va jusqu'à l'apologie de la sophistique, dont l'excès même est seul à pouvoir contrebalancer le préjugé platonicochrétien contre la délectation des « mots» goûtés !l0ur eux-mêmes, contre un art profane qui trouverait en sa propre beauté sa seule légitimation. Dans une certaine mesure, la tactique de Dolet est analogue à celle, que nous étudierons plus loin, de Blaise de Vigenère dans la préface de sa traduction de Philo strate. Mais avec Vigenère, le problème se sera déjà déplacé dans le domaine de la langue vernaculaire. Pour Dolet, qui demeure à ce stade de sa réflexion à l'intérieur du domaine latin, l'élocution, ce quatrième chapitre de la rhétorique, a son ordre propre, relativement autonome par rapport au sens qu'il véhicule et à la valeur morale ou religieuse de ce sens. Elle est le lieu d'une ascèse de la forme qui, dans son ordre, n'a rien à envier à l'ascèse philosophique ou spirituelle, et la rèussite du style, gagée sur l'exemple classique de Cicèron, est en soi une épreuve de la grandeur d'âme qui suffit à attester celle-ci et à lui valoir la gloire. Contre l'augustinisme rhétorique d'Erasme, Dolet, sous couvert de Cicéron, refuse de subordonner l'élocution à l'invention, et fait de l'élocution elle-même un des lieux privilégiés de l'invention. Du même coup, il introduit la distinction entre un ordre profane et laïc du langage et un ordre philosophique et religieux, là où Erasme et la tradition platonico-augustinienne ne voyaient qu'unité. L'ancien étudiant de l'Université de Padoue (qui prend pour porteparole Neufville, professeur d'éloquence dans cette Université où il succéda à Longueil, avant de laisser place à Muret) reproche à Erasme de mélanger les ordres: sacris prophana miscuit 137. L'éloquence philosophique et religieuse se sert de la beauté; l'éloquence profane la sert, en l'incarnant dans le style. Ce service exige de l'écrivain-orateur non seulement des dons naturels, mais une longue préparation, et un travail difficile et précis sur l'élocution: choix des mots, disposition des mots dans la phrase, I1cmbre, musique. symphonie d'ensemble 138. Cette ascèse de la beauté ne saurait aboutir sans référence à la beauté en acte du style le plus parfait, celui de Cicéron. La prose d'Erasme, qui prétend parler au nom du Christ, qui a sans cesse le nom du Christ à la bouche, se veut utilitaire, et n'est rien de plus 139. Elle n'est l'objet d'aucun soin, elle se
137 Telle, ouvr. cit., p. 19, note 308. Sur l'arrière-fo!1ds padouan du cicéronianisme, voir E.V. Telle, p. 41. Le dialogue a pour cadre Padoue. Neufville y remplaça Longueil en 1522. 11 y fut le professeur de Dolet. Voir aussi ibid., p. 297 (pierre Bunel et Emile Perrot, anciens élèves de l'Université de Padoue, comptent parmi les «cicéroniens,. français). V. aussi ibid., p. 430-431, citations du Traité des Scandales de Calvin où celui-. (Voir R. de Mattei, «Il problema della Ragione di Stato nel Seicento », 1\1, «La positione deI Botero », dans Rivista internazionale di tilosotia dei diritto, janv.-mars
1950, p. 25-38.)
JEAN BOTERO
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la manifestation la plus parfaite du sublime 214 bIs. En lisant ces pages, on ne peut s'empêcher de songer à la Conversion de saint Matthieu du Caravage, à Saint-Louis des Français à Rome, où l'effet de la brève parole du Christ, «Viens, et suis-moi », a tous les caractères du sublime selon saint Augustin: le bouleversement du pécheur rappelé à lui-même. Il n'est pas jusqu'aux contrastes entre la c scène de genre» que compose le publicain Matthieu entouré de ses compagnons de débauche, et la haute figure à la Raphaël de jésus-Christ, entre l'ombre où sont plongés les pécheurs, et la lumière que projette sur eux l'entrée du Seigneur, qui ne renvoient au dramatisme chrétien recommandé par Augustin dans le De Doctrina Christiana : rapprochement brusque du genus humile et du genus sublime. Avec ce style à la fois «humble» dans sa forme et «sublime» dans son inspiration et ses effets, le Christ a su faire alterner une grande éloquence, tantôt douce, tantôt véhémente. Mais toujours pure d'ornements superflus: naturelle, simple et sincère 21D. Pour atteindre à cette grandeur simple et bouleversante par sa simplicité même, jean Botero, comme Louis de Grenade, fait le plus grand cas des conseils de Cicéron 216, qui à ses yeux concordent pleinement avec ceux de saint Augustin. Il cite 217 l'Orator, où Cicéron dénonce les sophistes Gorgias et Isocrate, leur quête d'une vaine élégance, leur appel à la délectation sensible, leur abus des couleurs variées et des figures de mots. La gravité de l'orateur chrétien lui impose de partager ces vues sévères. Il trouvera chez saint Augustin la définition positive de la véritable éloquence, que les critiques de l'Orator dessinaient seulement en creux 218 : l'éloquence est la servante de la sagesse. Mais n'est-ce pas aussi, conclut jean Botero, ce que dit Cicéron dans le De Orafore? Pour notre auteur, comme pour Louis de Grenade, la concordance entre la doctrine oratoire de Cicéron et celle de saint Augustin est la pierre angulaire de l'esthétique oratoire chrétienne. Nous avons affaire, au moins en puissance, à un atticisme chrétien. La chose apparaît avec
214 bis De Praedicatore Verbi Dei libri quinque, Parisiis, G. Chaudière, 1585, f. 39 et suiv. 21D Ibid., p. 49. Une série d'antithèses précise la définition de ce style sévère: «lfa de gratia formaque dicendi existimandum est, eam fuisse non ad multitudinis aures blande oblectandas, artificiose compositam atque ornata m, sed plenam gravitatis atque dignitatis; onn mollem, quasi delicatam, sed firmam ac tanquam virilem; quaeque non inaniter aures pervolaret, sed in intimo~ senSus penetraret atque persuaderet:> (ibid., p. 50). Une pointe vigoureuse d'anti-cicéronianisme est sensible chez Botero comme chez Louis de Grenade. Antoine, l'interlocuteur de Crassus dans le De Oratore, parce qu'il est le moins soucieux de l'elegantia dictionis, est préféré à Cicéron lui-même et à Démosthène (ibid., p. 51). 216 Il n'y a là nulle contradiction avec le reproche adressé à Cicéron de pécher par excès d' « élégance:>. L'humanisme, chrétien ou non, ne cesse d'en appeler à Cicéron lui-même contre Cicéron. 217 Ibid., 40 v·. 218 Ibid., 44 v·.
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LA RÉfORME TRIDE.", Affi della società lif(ure di storia patria, vol. XLII, Gênes, 1908. V. aussi Bayle, Dict. 3" éd., 1720, t. 3, p. 1953. 375 Famiani Stradae s.j. De Bello Belgico Decas prima, Rome, Corbelletti, 1632. Sur cet ouvrage, voir Sergio Bertelli, Ribelli, libertini e ortodossi nella storiografia baroeca, Florence, 1973, p. 21-25. L'A. met en évidence les rapports entre la théorie de l'histoire des Prolusiones Âcademicae et sa pratique dans le De Bello belgico. On peut s'étonner toutefois de lire que «Lo Strada fu uno dei padri deI concettismo barocco :) 1
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SECONDE RENAISSANCE CICÉRONIENNE
Dans [a ligne de son maître et ami, Mascardi fait de ['histoire [a pierre angulaire d'un art oratoire destiné à corriger [es «vices du temps» 376. Au L. [V, dans une digression bien conforme à cette intention, il en vient à traiter du style en général. Le problème revient à traiter sur de nouveaux frais de cet ingenium que [e P. Strada, délJ1s [es Prolusiones de [617, avait eu tant de peine à contenir dans de justes limites, et qui depuis, n'avait fait que s'émanciper. Mascardi propose d'abord une théorie cohérente de ['élocution, tirée de diverses sources antiques, et au premier chef de Cicéron. [[ distingue [es principales qualités a priori de [a meilleure élocution : clarté, pureté, propriété, naturel, ordre. [[ récuse vivement toute tentation d'obsCLIra brevitas à [a Juste Upse. Puis il distingue [es characteres dicendi qui, par amplification et ornementation progressives à partir de ces qualités minimales du style « bas », accroissent celui-ci en style « moyen» et en « grand style ». Toutefois, il nie que ces «caractères» soient déterminés mécaniquement par la nature du sujet traité 377. Le choix revient librement non à l'ingenium, mais au judicium qui apprécie en chaque circonstance les exigences du decorunz. Comme le P. Strada, Mascardi attend du judiciunz, instance critique intériorisée, le soin de surveiller l'ingenium, empêchant ses écarts, mais en revanche le libérant du poids le plus humiliant de la réglementation scolaire. Sous cette réserve, un auteur peut traiter toutes sortes de sujets sans changer de « caractère », s'il le juge plus à propos. C'était la thèse de l'lnstitutio Epistolica de Upse, encore vivement combattue par les Prolusiones Academicae, mais qui obtient ici droit de cité cicéronienne. Inversement, Mascardi admet qu'un auteur puisse traiter le même sujet en recourant à divers «caractères ». Pour desserrer davantage le carcan de [a tripertita varietas, Mascardi formule une idée un peu trop ingénieuse: il suggère que chacun des trois « caractères» canoniques a lui-même trois degrés: cette diversification
376 Agostino Mascardi, Dell'Arte Historiea, Rome, 1636. Mascardi avait eu avec G.B. Manzini une retentissante querelle (voir F.L. Manucci, ouvr. ci!., p. 254 et suiv.). Dans le Delle'Arle His/oriea, Mascardi oppose le style de la responsabilité à quel/a ven/osa e enorme loquacità de'sofisti (p. 452), et il s'insurge contre une formule de Cicéron (De Oratore, 11, 62) qui avoisinerait le style de l'Histoire au style sophistique. Occasion de se livrer à une attaque en règle contre la prose des sophistes modernes, et son eecessÏt'o ornamento dû à la confusion entre prose et poésie (p. 553-554). L'Histoire est aux yeux de Mascardi comme du P. Strada un bastion de résistance au marinisme. 377 Dell'Arte Historica, éd. cit., p. 374-383. Contre les théories de l'évêque Aresi, qui concordent avec celles de Vossius (Ars historica, Leyde, 1633), Mascardi s'appuie sur Lucien (Sur la manière d'écrire /' histoire) pour ne pas faire dépendre le choix du « caractère» du sujet seul. Ce qui compte c'est l'attituqe de l'auteur, son point de vue sur le sujet traité. lei Mascardi retrouve sans le dire le point de vue philosophique et chrétien d'Erasme sur le style, tel qu'il apparaissait dans le Ciceronianus. 11 s'insurge contre une scolastique rhétorique qui va dans le sens d'une nouvelle sophistique, boursouflée et insincère.
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LE CLASSICISME ROMAIN: MASCARDI
de la gamme stylistique en neuf « caractères» lui semble offrir plus de souplesse et de liberté à l'écrivain. Pour caractériser cette nouvelIe gamme, Mascardi emprunte à Hermogène la définition des «Idées» de l'élocution, qu'il est possible de doser: clarté, grandeur, beauté, rapidité, vérité, force, etc. 378. Ces «Idées» ne concernent pas les mots dans la phrase, à la manière des qualités cicéroniennes: elles embrassent l'ensemble du discours, sa texture. Ayant épuisé toutes les possibilités que lui offrait l'approche a priori des rhéteurs antiques, le légiste romain du langage en vient à ce qu'il appelIe le style, et qu'il distingue avec soin de l'élocution traditionnelle 379 : il admet que l'on puisse le percevoir intuitivement, mais non l'enfermer dans des catégories préétablies. Il dépend tout entier de l'ingenium singulier. Les qualités, les « caractères», les Idées de l'élocution sont un bien public, le style est une propriété privée. Il en va de la prose comme du visage: par ses traits génériques, il renvoie à l'homme en général, et aux différentes catégories d'hommes; mais par son accent, son teint, son air propres, il révèle une individualité qui n'est identique à nulle autre. Mascardi, comme le P. Strada, propose donc une rhétorique de la juste mesure. Mais il doit tenir compte d'une revendication plus affirmée, plus générale, de l'ingenium. C'est à quoi lui sert la distinction entre « caractère» et « style », qui par une autre voie, retrouve la distinction de Giraldi et de Lipse, entre imitation scolaire et imitation adulte. La connaissance et la maîtrise de la gamme des characferes dicendi donne à l'écrivain-orateur la maîtrise d'un art objectif; à lui d'en jouer pour faire de cet art le moyen d'expression objective de l'intériorité morale .
• •• 378 Dell'Arte Historiea, éd. cit., p. 392. Les œuvres d'Hermogène avaient été d'abord éditées par Alde l'Ancien (Rhetores graeci, ouvr. cit.). Ses Prog)'mnasmata avaient été publiés, dans la traduction latine de Priscien, à Paris (S. Colinaeus) en 1540. Son De Dieendi generibus sive de formis orationis libri duo, traduits par Jean Sturm, avaient été publiés à Strasbourg en 1571. Leur traduction italienne, par Oiulio Camillo Delminio (Le Idee, ovvero forme della oratione da Hermogene ... ) avait été publiée à Udine en 1599. 379 Ibid., p. 390-407. Voir, Setr le problème du style au XVII' siècle, l'étude de j. Molino, sous ce titre, dans les Actes du Colloque Critique et création littéraires au XVII' siècle, ouvr. cit., p. 337-359. La réplique de O.B. Manzini à la Digressione .mUo stile de Mascardi vint en 1652. dans ses Meteore rettoriche dédiées au cardinal Mazarin. Ouvrage capital, qui fait le point, avec
l'ne fonle de précieuses références, sur les principaux problèmes de la rhétorique du xv,,' siècle. Essais sm l'érudition. sur l'imitation (à Sforza Pallavicino), sur les lumi, spiriti, vivezze (à G.F. Loredano), sur l'art de concettare, s::r 1" "lime», ou de la précision, Sl!r l'ornement, sur l'Invention (Sclva ou Zidaldone), sm la noblesse du sujet, ou du caractère sublime. Entre le Dell' Arte Historica, et cette apologie appuyée de la nouvelle sophistique, avait paru en 1647, l'Arte della Stile, ove nel cercarsi della scrivere insegnativo, du P. Sforza Pallavicino, un Jésuite ami du P. Strada, et parent de Virgilio Malvezzi.
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SECONDE RENAISSANCE CICÉRONIENNE
Cette doctrine était à la fois une critique de la rhétorique scolaire (unanime chez les bons auteurs depuis Paul Manuce) et de l'expressionnisme sophistique, sacré ou profane. Mascardi a fort bien vu que ce dernier, tel qu'il se manifeste chez un Panigarola ou un Aresi du côté des prédicateurs, chez un Manzini ou un Minozzi du côté des «essayistes» profanes, n'était qu'un grossissement des progymnasmata scolaires. Sa théorie du style suppose une découverte philosophique de l'intériorité, un c Connais-toi toi-même» transfigurant à son image les techniques rhétoriques qui lui servent à se manifester. C'est dans un sens analogue que se prononce, à la même époque, Léon Allacci, dans un essai sur le Traité du Sublime intitulé De Erroribus magnorum virorum in dicendo 380 : le critère du Beau n'est pas dans la convenance entre le style et le sujet traité, mais l'écho qu'une grande âme réussit à faire entendre d'elle-même dans sa parole, même si celle-ci déroute ou heurte, par son « irrégularité ", l'attente convenue des grammairiens et des rhéteurs. Mascardi illustrera lui-même ce classicisme de la grandeur - que l'on confond trop souvent, dans le manteau trop ample du «baroque ", avec l'asianisme - dans ses Ethicae Prolusiones et ses Romanae dissertaliones, publiées à Paris chez Cramoisy en 1636 381 . Œuvre de moraliste, inspirée à la fois par Sénèque et par Montaigne: son éloquence tendue, méditative, à travers une réflexion sur les passions, la maladie, la mort, mais ausi sur les vertus qui font du corps un « théâtre de l'âme ", se veut l'expression suprême de la conscience de soi dans sa quête d'une sagesse, un exercice spirituel où le moi incarné et singulier s'élève de la mélancolie à la contemplation sereine. Toute l'expérience de la prose néo-latine, de Bembo à Lipse, se résume ici en un style à la fois très personnel et moiré de toutes les irisations d'une culture antique, humaniste et chrétienne. C'est sans doute le chef-d'œuvre de la littérature «barbérinienne" : sa contrepartie française n'apparaîtra qu'avec les dernières œuvres de Guez de Balzac, l'Aristippe et le Socrate chrétien, ou beaucoup plus tard, dans les Caractères de La Bruyère.
380 Leonis Aliatii De Erroribus magnorum virorum in dieendo, dissertatio rhetoriea, Rome, Mascardi, 1635. Voir notre communication «Crépuscule de l'enthousiasme au XVII" siècle », à paraître dans les Actes du Colloque de la Société Internationale d'études néo-latines, Tours, 1974. 381 Augustini Mascardi Romanae dissertationes de affectibus perturbationibusque animi earumque eharacteribus. Paris, Cramoisy, 1639 (dédié au cardinal Francesco Barberini) et Augustini Mascardi Ethicae prolusiones, Paris,
Cramoisy, 1639 (dédié au cardinal Antonio).
CONCLUSION Au cours de cette traversée de plus de deux siècles d'humanisme, on aura pu observer le caractère central et durable de la Querelle du cicéronianisme, que l'on a le plus souvent tendance à considérer comme marginale et à restreindre à sa première phase, de Politien à Erasme. La complexité des enjeux de la Querelle sera également apparue: dès sa première phase, elle portait en germe toutes les questions qui ont commandé l'évolution de la rhétorique dans les deux siècles qui suivirent. Telle que l'attaque Erasme, l'imitatio ciceroniana pose la question morale qui, au fur et à mesure de l'expansion des Belles-Lettres vernaculaires, s'approfondira en Querelle de légitimité chrétienne de l'imitation des formes païennes. Telle que l'attaquait Politien, l'imitatio ciceroniana posait la question, à la fois morale et esthétique, de l'expressivité personnelle, et de la légitimité de l'écart entre celle-ci et les modèles canoniques transmis par la tradition et garantis par leur antiquité. L'Ego non sum Cicero de Politien est le point de départ des rhétoriques que l'on peut qualifier, pour aller vite, de « maniéristes» et de « baroques », et qui vont méditer sur l'imitatio multiplex, sur l'Idea, et sur le sublime. Enfin, l'assaut livré par Politien et Erasme, du point de vue de l'identité personnelle de l'orateur, et de la modernité chrétienne, ouvrait la voie à une légitimation des «belles infidèles », et par extension, à celle d'œuvres «littéraires» en langue vulgaire dérivant de plus en plus loin des modèles antiques dont elles partaient. Pour autant, on ne peut se hâter de conclure que ces phénomènes ont réduit rapidement à l'obsolescence l'imitatio ciceroniana : celle-ci demeure, jusqu'au cœur du XVII' siècle, le terme de référence indispensable du débat rhétorique. C'est par rapport à elle que les écarts sont ressentis comme tels, goûtés et condamnés. C'est autour de cette valeur centrale que la Renaissance classique en langue française, sous Louis XIll et Louis XIV, après la Renaissance romaine du « siècle d'Urbain V1I1 », élaborera ses critères de goût. Si l'imitatio ciceroniana a été et demeurera si longtemps au cœur de la culture rhétorique, en latin puis en français, c'est qu'elle symbolisait la Renaissance des bonnes lettres, le retour à une pédagogie classique de l'éloquence, la victoire sur le latin « barbare» des siècles de ténèbres. Par la simplicité de son principe, par sa référence à la norme du «meilleur style» offerte par le « Prince de l'Eloquence latine », cette technique de la prose d'art résume l'essence du classicisme: l'adhésion à un âge d'or de l'éloquence, le refus de consentir à son âge de fer. Même les plus ardents anti-cicéroniens, tels Lipse, admettent qu'il ne saurait y avoir de pédagogie possible du meilleur style qui ne commence par l'imitatio ciceroniana, qui ne s'appuie sur cette conquête fondamentale de la Renaissance. Même au plus fort de l'anti-cicéronianisme, à la fin du XVI' et au début du XVII', l'école demeurait le conservatoire du culte de Cicéron, c'est-à-dire de l'alliance entre l'éloquence et la sagesse, entre la beauté
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ROME ET LA QUERELLE CICÉRONIENNE
de l'expression et la vérité, entre la c belle Antiquité» et le christianisme. La simplicité du principe assurait son pouvoir d'unité, d'universalité: c'est autour de l'imitalio ciceroniana que la cour de Rome espéra par deux fois devenir le foyer d'un style catholique international; c'est autour d'une version française de l'imitatio ciceroniana que la cour de France, au XVII" siècle, réussit à imposer à l'Europe l'autorité d'un style classique. A Paris, la singularité française réussit à se donner une forme à vocation universelle. Ailleurs, en Espagne, aux Pays-Bas espagnols, par exemple, le sentiment national s'est affirmé non pas comme en France, dans la volonté de battre Rome sur son propre terrain, mais dans une volonté d'écart par rapport à la norme cicéronienne, symbole de la romanité à son apogée. Un des ressorts de la Querelle fut en fait l'éclatement de la chrétienté en royaumes ombrageusement conscients de leur identité, et en quête d'un style qui l'affirme avec le plus d'éclat. En dépit du Sac de Rome qui avait mis fin au « siècle» cicéronianiste de Jules II et de Léon X, en dépit de l'écho que l'événement donna au Ciceronianus d'Erasme, la survivance du cicéronianisme au cours du XVI" siècle se démontre par la capacité dont il fait preuve de tenir compte des critiques, sans renier son principe essentiel: la référence à un Age d'or de la beauté. C'est en Italie surtout, comme il était naturel, que cette évolution du cicéronianisme est perceptible. La redécouverte du Traité du Sublime permet d'approfondir la notion d'imitalio ciceroniana, de lui ôter le caflctère étroit et scolaire que Politien et Erasme lui reprochaient. L'imitation se fait émulation généreuse, avec de grands modèles qui soutiennent la réminiscence de l'Idée de beauté. Cicéron demeure le médiateur privilégié, mais au centre d'une constellation d'auteurs classiques qui ouvrent un champ plus vaste à l'invention. L'autre objection majeure contre l'imitalio ciceroniana se réclamait de la supériorité des « choses» chrétiennes sur les «mots» païens, si beaux qu'ils fussent. La Renaissance de l'éloquence sacrée, stimulée par le Concile de Trente, allait dans ce sens. Mais la médiation du De Doctrina Christian a, le De Oralore de la chaire chrétienne, pouvait aussi conduire à un classicisme chrétien: la beauté antique, saisie à son heure de plus haute exigence, châtiée encore par le sentiment chrétien du service de Dieu, ne serait pas trahie mais transfigurée par cette purification. Chez Marc Antoine Muret, ces deux voies de la réforme du cicéronianisme trouvent un avocat éloquent, et leur synthèse s'opère chez les jésuites du Collège romain. Sur elle s'édifiera la dernière Renaissance latine, celle du siècle d'Urbain VIII. Mais le XVI" siècle dans son ensemble est plutôt celui de l'anti-cicéronianisme, mieux accordé à l'essor de l'individualisme, des littératures nationales, de l'encyclopédisme érudit, et à la réforme de la piété, tant catholique que protestante. Les lettres en langue vulgaire, comme énivrées de leur neuve liberté, sont sollicitées par la tentation asianiste : le champ de fouilles érudit, étendu à l'antiquité tardive, met à leur disposition toutes les ressources de la Seconde Sophistique. Et la prédication en langue vulgaire, libérée elle aussi de ses contraintes médiévales, recourt volontiers aux moyens les plus voyants et théâtraux.
DE L'ÉCLECTlS!\Œ ITALIEN
A L'ATIICISME FRANÇAIS
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Contre la «décadence de l'éloquence », la réaction s'esquisse dès (a fin du XVI' siècle, avec juste Upse. Mais le laconisme de Upse est un maniérisme de la brièveté, qui justifie par son parti-pris l'autre extrême qu'il veut combattre, ('abondance et les effets tout extérieurs de l'asianisme. Ovide a suscité un Sénèque, Sénèque suscite à son tour des Ovides. Le temps est revenu pour l'arbitrage de Cicéron. Celui que proposent à Rome les jésuites du Collège Romain est assez libéral pour autoriser une gamme stylistique très variée, qu'il s'agit seulement de rappeler à la juste mesure et à la décence chrétienne. La foisonnante variété des goûts et des styles, les puissantes influences italiennes et espagnoles, pouvaient sembler appeler en France un arbitrage conciliateur analogue. Nous allons le voir, c'est à quoi s'employèrent, dans un premier temps, les Jésuites français. Ils y eurent moins de bonheur que leurs confrères italiens. Cet échec est dû pour l'essentiel à la résistance de la haute érudition gallicane, dépositaire de la tradition du royaume, et cherchant à la rattacher à ce que l'Antiquité profane et sacrée avait de plus pur: la «corruption de l'éloquence» dont s'accommodent les rhétoriques conciliatrices des jésuites ne saurait convenir à cette volonté érudite de restaurer en France un Age d'or de la forme et du savoir. Cette volonté rencontre en 1624 celle que manifeste Richelieu d'affirmer la suprématie de la Couronne sur les forces centrifuges du royaume et sur les autres Cours européennes. La conscience nationale française, et la vigueur de l'expression individuelle, se cherchent dès lors dans la réactualisation de la Rome classique, de ses formes pures que l'imitation en langue française, langue chrétienne, purifiera encore de ses scories païennes. Les Jésuites français avaient cru pouvoir miser sur la variété des styles et sur un style de variété qu'ils s'imaginaient, avec une apparence de bon sens, accordé à une société française vaste et bigarrée, à la mosaïque de ses goûts. Ils seront eux-mêmes contraints de renoncer il leur éclectisme, et à voler au secours de l'attici~lllc chrétien en langue française dont le mécénat de Richelieu fait un style national, symbole de l'ingenium français, de sa vigueur et de son unité, en même temps que solution élégante aux problèmes posés depuis le début du XVI' siècle par la Querelle du cicéronianisme. Cicéron, d'Italien qu'il était, devient Français: mais en passant la frontière, il s'est dépouillé de sa générosité baroque, tout en parlant une langue moderne à l'Europe moderne. 1\ allie en France l'élégance attique à la simplicité et à (a décence chrétiennes, il fait fusionner sa propre leçon à celle de saint Augustin, dans une langue «vulgaire» qui, sur le patron du latin cicéronien, devient éloquente. Le choix des mots de cette troisième langue classique prend pour critère, comme l'avait souhaité Bembo pour l'Italie, l'usage de la sanior pars de la France, la Cour, vérifié par celui des meilleurs écrivains postérieurs à la Renaissance. Le «bel usage» de la conversation du «grand monde» devient, dans cette étrange élaboration d'un autre « siècle d'Auguste» chrétien, le vivier d'une langue où vont se reproduire dans un esprit moderne et chrétien, les formes de ('Age d'or de (a latinité. Tout cela se passe hors des Collèges jésuites, et suppose de la part des
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ROME ET LA QUERELLE CICÉRONIENNE
érudits gallicans un sens de l'adaptation et des concessions nécessD.ires qui ne va pas sans déchirements. Avant d'étudier les étapes de la conversion de la res literaria gallicane en Belles-Lettres françaises, il convc:ni'it de montrer comment la rhétorique éclectique des Jésuites avait dû renon,,'_~ à une première et méritoire synthèse pour se rallier à l'essor d'un idéal classique français.
DEUXIÈME PARTIE
DU MULTIPLE
A L'UN:
LES « STYLES JÉSUITES»
CHAPITRE 1
JÉSUITES ET GALLICANS, UNE RIVALITÉ D'ORATEURS
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PREMIERS DÉBATS (1550-1604)
Lorsque les Jésuites se présentent en France 1 où leur fondateur a fait des études tardives et leur Société ses premiers pas, ils ne jouent pas sur du velours. En Italie, l'absence d'unité politique, en dépit des rêves nourris au xv- siècle, fait des ordres religieux et du clergé en général le réseau unifiant la péninsule et de Rome, centre actif de la catholicité, la meilleure voie d'accès des Italiens, Vénitiens exceptés, aux grandes affaires européennes. La Compagnie de jésus bénéficie de cette situation. En Espagne et dans les terres d'Empire, la solidarité entre les Princes catholiques et Rome favorise également l'implantation d'une Société dévouée au Saint-Siège. En France, les Jésuites ont affaire à une monarchie qui avait fait l'admiration et l'envie de Machiavel, et à des institutions dont la conscience de soi, depuis Philippe le Bel, s'est développée dans une polémique incessante avec le Saint-Siège.
1 Sur l'histoire de la Compagnie de Jésus en France au XVI' et au XVII' siècles, voir Henri Fouqueray, Histoire dl' la Compagnie dl' Jésus en France des origines à la suppression, Paris, Picard, 1910-1913, Caravon, Documents inédits concernant la Compagnie de Jésus, Paris 1863-1874-1886, et J.M. Prat, Recherches sur la Compagnie dl' Jésus en France au temps du P. Coton, 15661626, Lyon, Briday, 1876, 5 vol. Pour connaître le point de vue des «Politiques,. et «Bons Français », voir lA. De Thou, Historia slli temporis, Paris, Mamert Patisson, 1604, et le {ournal de l'Estoile pour le règne de Henri /1/, 1575-1589, Paris, Gallimard, 1943, Journal dl' L'Estoile pour le règne de H. IV, t. 1, /589-1600, ibid., 1948, et t. 11, 1601-1609, ibid., 1958. 2 Sur la biographie d'Ignace de Loyola, voir Hugo Rahner, s.j., Ignace de Loyola, Paris, Desclée, 1956. Sur la « légende noire» créée par Antoine Arnauld et Etienne Pasquier, voir Le Plaidoyé de M. Antoine Arnauld... , Paris, 1594: «L'an 1521, les François voulurent rendre l'héritage à celuy qui l'avoit perdtr à leur occasion; ils assiégèrent Pampelune, et la battirent si furieusement qu'ils l'emportèrent. Ignace de Loyola commandant à l'une des compagnies de la garnison castillane opiniastra le plus la défense, et y eut les jamlws rompues. Cela le tira de son mestier de la guerre, mais ayant voué une haine irreconciliable contre les François, non moindre que celle d'Annibal contre les Romains, avec l'aide du malin esprit, il couva cette maudite conjuration de Jésuites qui a causé tant de maux à la France» (f. 7). Arnauld affirme ail-
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LES STYLES JÉSUITES
Agents du Pontife romain, liés à lui par un vœu spécial de fidélité, les Jésuites heurtent les doctrines gallicanes 3 dont le Parlement de Paris et l'Université se veulent les dépositaires jaloux. Le conflit entre catholiques et protestants, le drame de conscience créé par l'héritier d'Henri 1Il, légitime par le sang, illégitime par la foi, pourront obscurcir temporairement le débat: l'élite des magistrats et des docteurs parisiens ne perdra jamais de vue que, dans la crise religieuse dont il est pour une bonne part responsable, le Saint-Siège tient un prétexte providentiel pour développer son emprise sur les Eglises nationales, au besoin avec l'aide du Roi Catholique, rival déclaré du Roi Très-Chrétien. L'intrusion des Jésuites en France est donc ressentie par la sensibilité gallicane, une des plus chatouilleuses qui soient, comme une nouvelle étape de « l'impérialisme» religieux du Saint-Siège, fourrier de l'impérialisme politique de l'Espagne. Au soupçon né du «vœu spécial au Pape », s'ajoutait celui que faisaient naître la nationalité espagnole du fondateur de la Compagnie (blessé à Pampelune dans un combat contre les soldats français), et celle des Généraux ses successeurs, Lainez, Mercurian, Borgia, Acquaviva, tous fidèles sujets de Sa Majesté Catholique. Offrant leurs services de pédagogues humanistes, les Jésuites crurent adoucir les soupçons politiques pesant sur eux: ils aggravèrent leur cas. Les racines de l'humanisme qu'ils venaient enseigner en France étaient de toute évidence italiennes et espagnoles. La Compagnie avait surtout recruté dans ces deux pays, où elle avait trouvé le meilleur accueil et qui étaient les deux bastions de la Réforme catholique. Et c'était en Espagne et en Italie qu'elle avait découvert sa vocation d'enseignement. En prétendant ouvrir un collège à Paris, elle offensait l'orgueil et les privilèges de la plus célèbre Université d'Europe 4, dont la Faculté de théologie était depuis le XIII' siècle la plus haute autorité doctrinale de l'Eglise, et depuis
leurs que les jést;ites sont en qudque sorte la «cinquième colonne» du Roi d'Espagne, et tous ses Généraux, espagnols, ont été créés par celui-ci pour le servir (f. 5 v'). Dans son Franc et véritable Discours, Paris, 1602, il écrit: «Ils (les jésuites) pratiquent si souvent les estrangers et se sont tellement formez au patron de leur fondateur, Espagnol de nation, qu'ils retiennent (au moins la plupart d'entre eux) trop grande sévérité en leur visage, en leur port, en le~lr maintien. Encore si faut-il accommoder à l'humeur du malade, et luy choisir des médecins agréables, qui veut le bien guerir (sic)>> (p. 37). 3 Sur le gallicanisme religieux et politique, voir V. MartinI Le Gallicanisme politique et le clergé de France, Paris, Picard, 1929; Les ongines du gallicanisme, Paris, Bloud et Gay, 1939 (2 vol.) ; le Gallicanisme et la réforme catholique, Paris, Picard, 1919, et A.-G. Martimort, Le Gallicanisme de Bossuet, Paris, Cerf. 1953. 4 Sur l'histoire de l'Université de Paris au XVI' et au XVII' siècles, voir outre Charles jourdain, Histoire de l'Université de Paris au XVII' et au XVIII' siècle, Didot-Hachette, Paris, 1888, et le volume Les Universités européennes du XV/' au XVIII' siècle, Genève, 1967, les pages suggestives de M.M. de la Garanclerie dans sa thèse dactylographiée, Christianisme et lettres profanes (15151535), essai sur les mentalités des milieux intellectuels parisiens et sur la pensée de Guillaume Budé, t. l, ch. V, p. 205 et suiv., «Les théologastres », où l'A. fait le portrait intellectuel de deux docteurs de Sorbonne au début du XVI' siècle, jean d'Hangest et Noël Beda.
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le XIV', la citadelle du gallicanisme fi contre l'envahissante monarchie temporelle et spirituelle des Pontifes. En prétendant ouvrir un collège où l'humanisme serait à l'honneur autant que la théologie, elle s'immisçait dans une querelle douloureuse entre réformateurs humanistes et docteurs scolastiques, dont l'un des épisodes avait été la fondation, imposée à grand peine à l'Université par François 1er , du COllège Royal. Querelle féroce, mais querelle de famille. La prétention des Jésuites à se poser en rivaux, au nom du Pape, à la fois du COllège Royal et de la Sorbonne, à la fois des humanistes et des théologiens français, était propre à réconcilier contre eux tous les camps, y compris naturellement le camp protestant. On n'exagèrera point en soutenant que, dès leur première tentative d'installation à Paris, en 1551, jusqu'à leur expulsion définitive du royaume en 1763, les Jésuites y firent l'objet d'un procès ininterrompu devant la Grand' Chambre du Parlement, procès attisé par l'Université 6, et dont l'écho était amplifié par une inlassable guerre de pamphlets 7. Les pièces de cet interminable procès, les réquisitoires d'Etienne Pasquier et d'Antoine Arnauld, les libelles qui y trouvaient leur source, fournirent il l'an ti-jésuitisme européen les arguments dont il avait besoin pour affaiblir, puis abattre la Compagnie. Ailleurs il arriva aux Jésuites d'être persécutés et de compter des martyrs. En France, ils furent soumis à une critique corrosive de la part de juristes, de moralistes, et de théologiens qui ne leur passèrent aucune erreur, et qui découvrirent toutes les failles de leur armure. Sur le terrain de la rhétorique elle-même, on le verra, les Jésuites français ne furent pas épargnés. Les combats des universitaires et des robins gallicans contre les Jésuites prit tout naturellement une forme oratoire: avocats et théologiens contre régents de rhétorique et prédicateurs. L'histoire de l'anti-jésuitisme français est ponctuée par une série de discours, prononcés ou imprimés, qui sont autant de dates importantes dans l'histoire de l'éloquence française du XVI' et du XVII' siècles. Rappelons-en rapidement les plus saillantes. Longtemps repoussé par le refus du Parlement d'enregistrer les lettres patentes accordées aux Jésuites par Henri II et confirmées par François Il et Charles IX, devenu inévitable par une décision, d'ailleurs fort défiante, rendue en leur faveur par le Concile de l'Eglise gallicane réuni à Poissy, le procès des Jésuites s'ouvrit enfin en 1555 devant la Grand' Chambre du Parlement. Le jeune Etienne Pasquier prononce alors
Voir V. Martin, Les origines du gallicanisme, ouvr. cit. \'oir H. Fouqueray, Histoire de la Compagnie ... , ouvr. cit., et surtout A. DOl1arche, L'université de Paris et les jésuites au XVI' et au XVII' siècles, Paris, Hachette, 1888. 7 L'étude de cette guerre de pamphlets reste à faire. Signalons que la Bibliothèql!e Mazarine en possède une riche collection répertoriée (fichier « Matières », S.v. «jésuites»). Voir joseph Brucker, «Les griefs contre les jésuites anciens et modernes >, Etudes, 88, 1901, 764-783. 5 6
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LES STYLES
JÉSUITE~
un plaidoyer au nom de l'Université 8, principale plaignante: ce disC()urs restera jusqu'au XVIIIe siècle la charte de l'anti-jésuitisme gallican. JI montre dans la Société de Jésus un rassemblement de «sophistes» qui, sous prétexte de religion, jouent des artifices du langage pour voiler leurs desseins véritables : le triomphe de l'hégémonie pontificale sur l'Eglise de France, le triomphe du Roi Catholique sur le Royaume TrèsChrétien, et le triomphe du machiavélisme sur la traditionnelle franchise et naïveté française. En dépit de cette Philippique, qui « lança» Pasquier et fit sa carrière, la cause fut « appointée », c'est-à-dire renvoyée sine die pour plus ample examen. La Cour et les cardinaux « guisards» avaient sauvé la Compagnie. Le procès ne put se rouvrir qu'après la victoire d'Henri IV et des « Politiques» sur la Ligue, en 1594. L'attentat de Barrière en fournit
l'occasion, bientôt ravivée par celui de Châtel. C'est le jeune Antoine Arnauld, inaugurant à la fois une brillante carrière et la tradition an tijésuitique de sa famille, qui est l'avocat de l'Université 9. Cette fois, aux arguments de Pasquier, s'ajoutait celui du tyrannicide, dont les Jésuites se faisaient les apologistes, selon la double tradition des théologiens médiévaux 10 et des déclamateurs antiques qui tirèrent tant d'effets pathétiques du destin de Brutus et Cassius 11. Pour les gallicans qui, par souci po lé-
8 Le plaidoyé de M. Pasquier pour l'Université de Paris défenderesse contre les Jésuites, demandeurs en requeste, Paris, Abel l'Angelier, 1594. Réédité dans les Recherches de la France, Paris, L. Sonnius, 1607 et 1624. En 1602, Pasquier publie à « Villefranche» (lieu fictif) son Catéchisme des Jésuites ou examen de lel1r doctrine, qui est une vaste amplification des thèmes du PlaidoJ'é. Il étudie la biographie dïgnace et de François-Xavier comme s'il s'agissait de la Vie d'Apollonius de Tyane par Philostrate (p. 196 et suiv.). Ce sont des imposteurs. Quant à leurs biographes, Ribadaneira, Sacchini, ils ont écrit leur vie et raconté l'histoire de leur Ordre comme s'il s'agissait de », sur un canevas à peine esquissé par saint Ignace, devait se nourrir de la culture et plus généralement de la « mémoire» bien meublée du retraitant, et prendre peu à peu «à la veue des sens intérieurs» un relief sensible qui repoussât dans leur néant les images et les reflets du monde profane.
67 Adnotationes et Meditationes in Evangelia quae in saerosancto missae saerificio toto anno [eguntur ... , auetore Hieronymo Natali, s.j., Anvers, Martinus Nutius, 1594. Sur la notion d'adnolatio (remarque, annotation, chez Aulu Gelle et Pline) voir Frances Yates, L'Art de [a Mémoire, Paris, Gallimard, 1975 (éd. angl. 1966), p. 55, 63, 330 et 407. Les notae étaient des points de repère mnémotechniques qui prenaient souvent la forme d'un symbole. L'Adnotafio, dans le titre du livre de P. Nadal, désigne les remarques qui attirent l'attention sur les points esseiltiels du texte évangélique, et qui permettent de le mémoriser, en même temps que de le mieux méditer. Dans l'appareil visuel ajouté par l'éditeur, adnolatio prend un autre sens: les gravures sont un autre aide-mémoire, pourvu de notae alphabétiques qui renvoient aux points essentiels du texte évangélique. Le processus, ici tout préparé, de la meditatio, épouse donc les différents moments du procès de création oratoire: inventio (ce sont les synoptiques, et les citations scripturaires), dispositio (esquissée dans le court modèle de méditation proposé), memoria. Sur le sens du mot meditatio au XVI' siècle, voir Louis Martz, The Poetry of Meditation, Yale Univ. Press, 2' éd. 1962, Part. 1. «The Art of Meditation », p. 1 à 39, tout spécialement attentif à la «méditation» ignatienne, à ses sources, à sa structure. La notion cartésienne de « méditation» est bien évidemment une dérivation philosophique (la première à notre connaissance) de l'oraison méthodique dévote. L. Martz étudie les dérivations poétiques de celle-ci en Angleterre, de Donne à Eliot.
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LA SOPHISTIQUE SACRI::E
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Cette opération complexe de « renversement des apparences'b au profit des « images sacrées" d'origine biblique ne pouvait être exigée que d'une élite, et pour un bref laps de temps. Le P. Nadal, et surtout les éditeurs de ses Méditations, ont facilité les choses, et même ils les ont édulcorées. La plus dramatique des compositions de lieu ignatiennes, la Méditation des Deux Etendards (qui d'ailleurs a ses sources dans l'Apocalypse, et non dans les Evangiles synoptiques) est épargnée au lecteur dévot, ou plutôt elle est diluée tout au long des antithèses qui rythment cette « Année ch rétienne ». Les Tableaux sacrez du P. Richeome font plusieurs pas de plus vers lé'. vulgarisation et vers l'accommodation à un public plus vaste. La référence aux Tableaux de Philostrate nous explique comment le P. Richeome s'y est pris. Cet ouvrage du sophiste grec du Ile siècle 68, dans la traduction qu'en 2\iait donnée Blaise de Vigenère en 1578, était un des grands succès de librairie de l'époque. Il est possible d'ailleurs que l'inspiration qu'y trouvèrent les prédicateurs jésuites ait réchauffé l'intérêt du public, car il connut en 1614 une somptueuse réédition illustrée, format in-folio 69, qui épousait la formule des Méditations du P. Nadal : d'étourdissantes planches gravées, dont les plus belles ont pour auteur Antoine Caron, le peintre de la Cour d'Henri III, aident le lecteur à se représenter les « peintures parlantes» ouvrées par le sophiste, et donnaient du même coup aux gloses allégoriques de Vigenère une fonction analogue aux citations et méditations qui accompagnaient chez Nadal le texte des synoptiques. La rhétorique de l'imagination mythologique relayait, en une belle fugue, la rhétorique de l'imagination sacrée.
68 Sur les deux Philostrate et leur œuvre, voir Albin Lesky, A History of greek literature, trad. angl. Londres, Methuen and Co, 1966, p. 836-838, avec bibliogr. p. 844. 69 Les Images ou Tableaux de Platte Peinture des deux Philostrates sophistes mis en français par Blaise de Vigenere bourbonnois enrichis d'arguments et d'annotations ... et representez en taille douce en cette nouvelle édition avec des épigrammes sur chacun d'iceux par Thomas Arius sieur d'Embry, Paris, Guillemot, 1614, in-fol. Le mot d'annotation est à prendre ici à la fois au sens érudit (remarque, glose) et au sens mnémotechnique (marque permettant de retrouver un passage important), les deux sens étant d'ailleurs fort proches. Sous l'influence probable du livre de Nadal, Thomas Artus a ajouté à cette 4: voie sèche l> de la mémoire une dimension visuelle (les tailles douces représentant les tableaux fictifs décrits par Philostrate), elle-même «annotée 'b par une épigramme (forme particulièrement «mémorable,,) qui en résume le sens moral. Ainsi le pouvoir de persuasion du texte de Philostrate, sa capacité de s'imprimer dans la mémoire-imagination du lecteur est «amplifiée" par trois moyens: 1) les gloses de Vigenère, auxquelles des chiffres renvoient dans le texte; 2) par les tailles douces; 3) par les épigrammes. L'ouvrage, sous sa forme dernière, a donc la fonction d'une sylva locorllm (matériaux pour l'invention) particulièrement propice à être emmagasinée par l'esprit; le livre de Philostrate-Vigenère est prêt à engendrer, selon le procès de création rhétorique, d'autres livres, à nourrir d'autres discours.
LES PRÉDICATEURS DE COUR
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La préface donnée par Vigenère à la première édition 70 de sa traduction (dépourvue de gravures comme les autres éditions antérieures à 1614) était parfaitement explicite sur le registre sophistique et asianiste de l'ouvrage. Dans les Tableaux, expliquait Vigenère, «tout y est plein de prosopopées, hypotyposes et ecphrases 71 : fictions de personnes, représentations au naturel et descriptions très naïves qui nous introduisent les choses le plus distinctement en l'apprehension ». Quant à l'auteur: « Philostrate est un autheur grec, sophiste de profession, c'est-à-dire du nombre de ceux qui s'estudioient à bien dire, mais plus mignardement assez que ne porte la commune forme de l'oraison solue, jusques à se montrer un peu affetez.» Avec un sens trés juste de l'esprit de la Seconde Sophistique, le savant traducteur faisait remarquer que 1'« élégance de (ce) style» était « élabouré à parangon de celuy des Poêtes, si d'aventure il ne l'est plus ». Cette «afféterie» embarrassait Vigenère, qui avoue avoir entrepris cette traduction pour plaire à Henri III et à Barnabé Brisson, un des rares orateurs du Parlement de Paris au XVI" siècle à avoir pratiqué un style « asianiste ». Il avoue en effet que, quant à lui, il préfère se « restreindre, et si j'ose le dire ainsi, thucydidiser davantage, esmonder, esbrancher, esseper tout ce vain et oisif drageon ». 11 sait fort bien que son auteur a pratiqué « une manière de langage ... qui tient beaucoup de l'Asiatique, l'ayant chargé de tant de synonymes et dictons ne signifians qu'une mesme chose, qu'il en redonde ». 11 seiustifie pourtant, au nom de l'exactitude de la traduction, d'avoir été fidèle à la manière de l'original, laissant au lecteur le soin de trier et « retrencher» lui-même dans cette abondance excessive. « Icy, ajoute-t-i1, plus scrupuleux que ne seront les auteurs de « belles infidèles", je n'ay peu moins que de me rendre un peu affecté ou plus tost floride à la manière des Sophistes. :0 Il est vrai qu'à ses yeux cet excès d'ornafus n'est peut-être pas un contrepoids inutile à la «vieille routine» qui empêche les Français d'élever leur prose à la dignité de prose d'art, comparable à la prose 70 Blaise de Vigenère, Les Images ou Tableaux de Platte peinture de Phi/ost rate Lemnien, Sophiste {!.fee ... avec des arF(uments et annotations sur chacun d'eux. Paris, N. Chesneau, 1578, avec Epitre dédicatoire à Barnabé Brisson. Voir Denyse MetraI. Blaise de Vigen ère, archéologue, et critique d'art, 1523-1596; Paris, Droz, 1939. Selon l'A., la traduction attrait été commandée par Henri III (ol/vr. cit., p. 69). Vigenère, attaché à la Maison de Nevers, fit de nombreux séjours à Rome et en Italie, au service des Clèves-Nevers, puis à la mort du duc. François (1562) des Gonzague-Nevers et de Charles d'Angennes. Signalons une édition des Images ou Tableaux ... en 2 vol. à Tournon en 1611, chez G. Linocier. avec le sigle JHS flammé des Jésuites. Une traduction latine par Frédéric Morel et une pléiade d'érudits (Andreas Schott, Palll Petau, Etienne Turnèbe, Casallbon, Florent et Claude Chrestien, Charles Labbe) fut publiée à Paris, chez Cl. Morel, en 1608 (dédiée à Brûlart de Sillery). 71 Sur la notion d'ekphrasis, et sur la place envahissante que cette figure descriptive tient dans la Seconde Sophistique, v. L. Méridier, L'influence de la Seconde Sophistique sur l'œuvre de Grégoire de Nysse. ouvr. cit., ch. IX, p. 139-152. Sur la polémique de Vigen ère contre la «vieille routine» qui a maintenu la prose française hors de l'élégance à l'antique, voir plus haut, p. 81, note 75, la polémique de Valla contre le préjugé médiéval hostile à l'omatus.
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grecque et latine. Il suggère que l'excès même de l'art sophistique de Philostrate, fidèlement transporté en prose française, balancera heureusement la misère où celle-ci est maintenue. Cette mèdication semble avoir eu les effets escomptés: l'œuvre de Vigenère ne cessera plus d'être rééditée jusqu'en 1657. Ces Tableaux de Platte peinture peuvent être considérés comme une véritable « rhétorique asianiste» dont l'influence sur le public et les auteurs de la fin du XVI" et du début du XVII' siècle ne saurait être surestimée, aussi bien à titre de modèle pour les uns que de repoussoir pour les autres. Le succès de l'œuvre auprès des mondains a certainement encouragé les prédicateurs et apologistes jésuites, de Richeome à Le Moyne, à composer des ouvrages qui tournent ad majorem Dei gloriam la rhétorique de l'imagination rr.ythologique et profane qui avait fait ses preuves avec les Tableaux .
• •• Avec ses Tableaux sacrez, Richeome n'avait d'ailleurs pas épuisé cette riche veine. En 1611, il publie La peinture spirituelle, ou l'art d'f/dmirer, aimer et louer Dieu en toutes ses œuvres 72. Sa méthode s'est encore approïondie. En un certain sens, elles est plus proche encore que dans le livre prècèdent des Tableaux de Philostrate. Le P. Richeome décrit en effet les peintures ornant le Séminaire des Jésuites de Rome, à Sant' Andrea deI Quirinale. Et il tire de ces descriptions des «gloses» morales et mystiques. Ces tableaux ne représentent pas des scènes de la vie du Christ, comme les Méditations du P. Nadal, mais des scènes de la vie des saints, des confesseurs, des martyrs et des vierges, imitateurs de la Vita Christi. La rhétorique de l'ekphrasis sophistique s'allie à la procession platonicienne des images, sans renoncer au relief dévot des « compositions de lieu» ignatiennes. Le P. Richeome a composé un véritable palais de miroirs où, de réflexion en réflexion, de variation en variation, l'Exemple du Christ se répète sous des couleurs différentes, dans des circonstances et des paysages différents, invitant le lecteur-spectateur à la répéter à son lour, dans le style et les circonstances qui 1ui sont propres. Pour toucher un public nourri de romans, Richeome croit utile de coordonner ses descriptions avec une sorte d'intrigue assez lâche, mais non dépourvue d'une sorte de suspens 73. Mais celui-ci, emprunté à la sophistique païenne et profane, se charge d'un sens nouveau: c'est la surprise
72 Louis Richeome, La peinture spirituelle, ou l'art d'admirer, aimer, et louer Dieu en toutes ses œuvres, et tirer de toutes profit salutère, au trèsrévérend Père Claude Acquaviva ... , Lyon, Pierre Rigaud, 1611, épître dédica-
toire non pa(;(inée. 73 Voir Bremond, Histoire littéraire ... , t. l, p. 39-4l. A propos du Pélerin de 'orete (Bordeaux, Millanges, 1604), Bremond parle à juste titre du « roman de Lazare ». Il y a en effet dans ce livre de méditations pieuses articulées à un « itinéraire », tous les germes du «roman édifiant» selon J.P. Camus, voire du Bildungsroman à l'allemande. Le héros de ce pélerinage s'appelle Lazare.
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LES PREDICATEURS DE COUR
de voir surgir des «apparences" du tableau une figure que celles-ci voilaient et révélaient tout ensemble, et de l'apparent désordre du parcours une révélation progressive de sa logique cachée .
• •• Ces livres de piété sont liés à la pratique orale de la prédication. Ils s'enracinent le plus souvent dans des séries de sermons effectivement prononcés et remaniés pour la publication. Leur style redondant et fleuri garde la trace d'effets proprement oraux. Dans la Préface du P. Coton à ses Sermons sur les principales matieres de la foy H cette différence cl'optiqùe entre l'oral et l'écrit fait l'objet de judicieuses réflexions: Il Y a beaucoup ,!e choses, écrit-il, qui plaisent estant dictes, et desplaisent escrites. Il distingue le « bon style» pour la lecture, et le « bien dire» oratoire. Le «bon style» part du «jugement", le «bien dire" de la mémoire. L'un vient du "sec », et il engendre une «escriture limitée et serrée" ; l'autre vient de « l'humide », et donne « carrière libre" à l'élocution. On peut voir ici une tension caractéristique de la rhétorique des Jésuites du Nord, entre la « brièveté» de l'atticisme selon Upse, et l'abondance féconde en amplifications et en cascades périodiques de l'asianisme oral. On peut aussi y voir la trace de deux types de public et de culture auxquels les écrivains prédicateurs ont affaire: public de sermon, où dominent les gentilshommes, les femmes et le peuple illettrés, ou lecteurs de romans dont la longueur est un des charmes; public des libraires, cultivé au sens humaniste de ce terme, sensible au goût « Iipsien », et plus spécialement public robin, que les disciplines juridiques et érudites inclinent à l'atticisme. Le P. Coton préfère insister sur les différences que l'écrit et l'oral comportent par eux-mêmes. L'oral dispose en effet d'un registre expressif qui manque à l'écrit: les techniques de l'acfio rhetorica, soutenant la présence réelle de l'orateur. Je me suis efforcé, écrit-il, de trouver le moyen qui suppleast au défaut de l'action et de l'énergie de la voix, et qui rendist aussi nettement les conceptions et encore plus distinctement la substance du discours. Çà esté en gardant le mesme ordre que j'av ois tenu ès Meditations sur la vie et la mort de Nostre Seigneur, savoir est en divisant le Sermon en Points, Profits et Colloques. Les Points contiennent l'Exorde et la Narration; les Profits la confirmation et amplification; le Colloque la conclu-
74 Pierre Coton, Sermons sur les principales et plus difficiles matières de la {oy faictes par le RP. Coton ... et reduicts par luy-mesme en forme de méditations, Paris, S. Huré, 1617. On remarquera la réversibilité du sermon (oratio au sens «forensique») et de la «méditation" (oraison au sens intérieur) ; la traduction, de l'oral à l'écrit, de l'audition à la lecture, exige une « réduction ».
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sion qu'ils appellent vulgairement peroration. D'où aussi peut revenir une grande commodité, qui est que par ce moyen, les plus difficiles matières se rendent intelligibles, estant estalées en sections, et articulées en paragraphes.
Ainsi la traduction de l'oral en l'écrit consiste en un émondage de l'aspect imaginatif et sensible du discours, pour insister sur ses articulations logiques. Le P. Coton se place ici à l'intérieur de la rhétorique des Exercices Spirituels qui comportent en effet ce double versant 75. L'oral insiste sur le premier, l'écrit met en évidence le second. Du même coup, on passe des effets asianistes les plus expressionnistes à une relative économie de moyens, que la pesanteur scolastique du procédé cotonien nous interdit toutefois de nommer « atticisme », et encore moins attique .
••• Le P. Richeome et le P. Coton étaient restés dans le domaine de la « peinture spirituelle ». Avec le P. Binet, la technique de la «peinture»
est tentée d'oublier le spirituel, c'est-à-dire l'art de toucher les cœurs, pour se faire admirer elle-même, et se poser en principe de fabrication rhétorique. En 1621, ce Jésuite considérable 76 publie son Essay des Merveilles de Nature et des plus nobles artifices qu'à juste titre l'abbé Bremond arracha à l'oubli, en le rattachant à la tradition de François de Sales et de son Introduction à la vie dévote. De fait, dans un désordre qu'annonce et justifie le titre d'essay, qui renvoie à Montaigne, ce recueil contient une anthologie encyclopédique de «peintures », dont la variété peut égaIement se justifier de la préface de l'Introduction: La bouquetière Glycera savait si proprement diversifier le disposition et le mélange des fleurs, qu'avec les mêmes fleurs elle faisait une grande
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La méditation ignatienne est au confluent de nombreuses traditions de rhetorica divina médiévales. V. A. Codina, s.j., Los origines de los Ejercicios espirituales de San Ignacio de Loyola, Barcelona, 1926, et H. Watrigant, s.j., « La méditation méthodique et l'école des Frères de la Vie commune », R.A.M. 3 (1922), 135-155, 4 (1923), 13-29. Elle réussit à combiner la méthode logique (sans image) d'un Jean Mombaer, dans son Roselum (1494), qu'analyse Louis Martz (The Poelry of Meditation, 1962, p. 5 et suiv.) et la méthode imaginative d'un Ludolphe le Chartreux, dans sa Vita Christi, qui fut déterminante pour la conversion d'Ignace à Manrèse. Il nous semble que la technique de la « composition de lieu avec application des sens» doit beaucoup à la mnémotechnique fondée sur l'imagination dont la tradition dominicaine est analysée par Frances Yates (ouvr. cil., p. 68 et suiv.). Comparer par exemple la «Méditation de l'Enfer» des Exercices (éd. Desclée, coll. Christus, Paris, 1960, p. 53) et le «lieu» des régions infernales dans la Rizelorica novissima de B:loncompagno (Yates, p. 71). L'ouvrage de F. Yates prouve surabondamment que le XVI' siècle s'est passionné pour toutes les formes d'ars memoriae, chapitre capital de l'ars rhelorica. 76 Sur le P. Etienne Bin~t, voir, outre Bremond, ol/vr. cit., Southwell, Bibliolheca Scriptorrzm, ouvr. cit., p. 747-748.
LES PRÉDICATEURS DE COUR
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variété de bouquets; de sorte que le peintre Pausias demeura court, voulant contrefaire à l'envi cette diversité d'ouvrage, car il ne sut pas changer sa peinture en tant de façons comme G1ycera faisait de ses bouquets: ainsi le Saint-Esprit dispose et arrange avec tant de variété les enseignements de dévotion qu'il donne par les langues et les plumes de ses serviteurs, que la doctrine étant toujours une même, les discours néanmoins Qui s'en font sont bien différents selon les diverses façons dont ils sont composés 77. 'François de Sales était du côté de G1ycéra, et du Saint Esprit dont la psychagogie spirituelle obéit avec tact au principe de l'aplum. Le P. Binet est manifestement du côté de Pausias. Comme l'a noté Gérard Genette 78, et ainsi que l'atteste d'ailleurs le sous-titre de l'ouvrage: «Pièce tresnecessaire à tous ceux qui font profession d'eloquence~, l'Essay est un traité de rhétorique dont le bouquet de «peintures» s'offre au remploi, pourvoyant chemin faisant l'orateur paresseux d'une ample moisson de termes rares et techniques 79, de « riches» épithètes dans la tradition du manuel de La Porte 80, et même d'une doctrine des figures propres à l'éloquence sacrée énoncée sous le titre d'Enrichissemens de l'eloquence. Le livre peut être aussi goûté comme une récréation instructive, à michemin entre les Essais de Montaigne et l'Astrée, sans l'intensité philosophique des premiers, ni l'imagination amoureuse du second. C'est ce qui fit sans doute, autant que son utilité pour les prédicateurs, une part de son succès, qui ne se démentit pas, de réédition en réédition, jusqu'au tègne de Louis XIV. La coquetterie de se vouloir à la mode, et donc de plaire aux gens du monde, n'est pas étrangère au P. Binet. C'est sa manière d'obéir au précepte salésien selon lequel la dévotion n'est pas «purement contemplative, monastique et religieuse », mais doit aussi « perfectionner ceux qui vivent ès-états séculiers». Cette modernité mondaine, le P. Binet s'en flatterait volontiers: il avoue sans peine êfre incapable de «cette piece d'eloquence qui à vray dire est le cœur et l'âme de l'eloquence>> et qui réunirait, selon un idéal à l'antique, « la verve de Ciceron, les foudres de Demosthene, et l'esmail d'Isocrate ». Quels modèles s'interposent donc pour lui entre les maîtres classiques et son désir de plaire aux gens du monde? Ceux qu'il cite, et il en cite deux: Callistrate, un des sophistes traduits par Vigenère dans ses Images ou Tableaux de platte peinture, dont le succès est attesté par les rééditions,
77 Introduc/iorz à la vie dévote, Préface, in François de Sales, Œuvres, Paris, Gallimard, 1969, p. 23. 78 G. Genette, Figures, Paris, Seuil, 1966, p. 172: «la principale justificahon de son livre est d'ordre rhétorique ». 79 H. Bremond, Histoire littéraire dl! sentiment religieux en France, nouv. éd. préfacée par R. Taveneaux, Paris, Colin, 1967, t. l, analyse admirablement l'art de la description chez le P. Richeome, et la richesse de vocabulaire que ces « peintures» exigent. Voir p. 65 une cit. de Richeome tirée de l'Académie d'honneur et Qui recommande à l'orateur de connaître « les mots propres» des arts, des sciences, ceux du « labourem », du « vigneron », du «marinier », du «veneur », etc. 80 Maurice de La Porte, Les Epithètes ... , Paris, G. Buon, 1571, in-S", S24 fI.
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LA SOPHISTIQUE SACRÉE (1601-1624)
entre autres celle, in-folio et illustrée, de 1614 ; et Du Bartas, dont les œuvres, commentées par Simon Goulart, sont un grand succès de librairie jusqu'en 1616. Le long passage de la Semaine du poète calviniste, cité avec admiration la fin de l'essay « Du chéval », étonne dans cet ouvrage jésuite. Mais manifestement, pour le P. Binet, il n'est pas plus scandaleux d'imiter un poète hérétique que des poètes païens, et il est plus opportun, pour suivre le goût du monde, d'imiter un poète connu et apprécié que des poètes ou orateurs ignorés. La préface Au Lecteur de Simon Goulart, telle qu'elle figure dans l'édition de 1611 des Œuvres de Du Bartas, révèle d'ailleurs une parenté profonde entre la rhétorique apologétique telle que la conçoit l'humaniste protestant, et telle que la voit le P. Binet: Entrant, écrit Goulart, dans ce riche et grand cabine! des sainc!es Muses, certainement l'abondance des biens qui s'y rencontrent fait que je ne sçay à quoy me prendre, et je me trouve convoitteux lorsque je tire le pied arriere. Y sejournant, je m'estonne de tant de merveilles que j'y contemple estallées ... Voulez-vous voir les louanges des vertus, les vituperes et descrits des vices, les vives descriptions de toutes choses, les tableaux de Nature, vous les avez icy. La vie contemplative et active, les devoirs des Princes et Magistrats, des serviteurs de l'Eglise, des peres et des meres de famille, des grands et petits, riches et pauvres, jeunes et vieux, hommes et femmes, y sont richement representez en termes propres, signifians, enrichis de tout ce qu'un poëme semblable requiert. Infinis beaux traits de toutes les parties de la Philosophie rationnelle, naturelle, surnaturelle, de la medecine, Jurisprudence, de la science politique, militaire et oeconomique, tant ès-villes qu'ès-champs, s'y rencontrent avec un million d'épithetes hardis, de mots heureusement treuvez et apropriez au sujet de ses vers, d'inventions agreables et exquises, et d'une suite de discours agreable au possible 81. Et Simon Goulart d'affirmer la supériorité de Du Bartas sur Homère et Virgile, puisqu'il « précelle » les Anciens « en ce qui touche la science du salut et la vraye Philosophie naturelle». Cette profession de foi « moderne» n'est pas aussi polémique ni franche chez le P. Binet, mais au fond celui-ci la partage. Pour tout le reste, sa rhétorique, et même les termes techniques dont elle se sert (s versistant et de l'ouvrage, et du style fleuri dont il se
320 Parterre de la rhetorique françoise emaillé des plus belles fleurs de /' éloquence qui se rencontrent dans les œuvres des orateurs tant anciens que modernes, ensemble le verger de poésie, ouvrage très-utile à ceux qui veulent exceller en l'un et l'autre art, Lyon, C. de la Rivière, 1659. (B.N. X. 18.758.)
« LE PARTERRE DE LA RHÉTORIQUE FRANÇOISE»
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voulait le manuel. Le Parterre de 1659 est en fait une amplification et une systématisation de la rhétorique esquissée par le P. Binet dall~ l'essai intitulé Enrichissemens de l'éloquence que notre auteur anonyme suit de près 321. Cet anonymat, et le lieu provincial de publication, à une date où les rhéteurs du Collège de Clermont, qu'il s'agisse du mondain Le Moyne ou du docte Vavasseur, se sont mis au goüt « cla~sique », font du livre un acte de résistance aux tendances nouvelles, et de fidélité aux ateliers provinciaux d'éloquençe sacrée, en retard de trente ans sur la capitale. Il est probable que l'auteur est un Jésuite, en désaccord sur le meilleur style avec ses puissants confrères parisiens. Outre la dette contractée envers le P. Binet, qui est capitale, un trait de moindi·e importance, mais aussi significatif, rattache l'ouvrage aux idées reçues à Paris vers 1610-1620, c'est sa manière de trancher le débat, sur les traces du P. Coton, entre éloquence orale et éloquence imprimée en faveur de la première. Notre auteur ignore superbement les progrès d'une prose française conciliant l'héritage d'un «art de dire» avec l'expansIOn d'un art de lire, même dans le domaine de l'éloquence sacrée.
* ** « Moderne» avec trente ans de retard, le Padi'ri e révèl~ dans sa conception comme dans ses principes une désinvolture confinant au dé dain pour la tradition antique ft humaniste des traités de rhétoriclue. Comme le P. Binet, dont il est le disciple attardé et fervent, notre anonyme t'st en quelque sorte l'Anti-Quintilien. La plupart de ses vingt ·cinq chapitres sont consacrés à la seule élocution, et au jeu des figures de pensée, confondu avec l'art d'argumenter. L'invention et la disposition sont traités rapidement en fin d'ouvrage. Chacun des vingt-cinq chapitres reçoit un nom de fleur: ch. X: Les Pensées, modèles de la prosopopée, ch. XII : Les Roses de Gueldre, façon de proposer et de desoudre (sic) les objcc·· tians; ch. XIV: les Bassinets, qui représentent l'indulgence d le choix que l'on donne quelque fois à l'auditeur; ch. XIX. : les Passevelours, hiéroglyphes des Execrations; ch. XX : les Roses cent feuilles, qui représen· tent les amplifications; ch. XXI: l'Impériale, modèle de l'épilogue; ch. XXII: les Peonnes, qui expriment les mouvements doux et vélzémens qui doivent estre dans la peroraison; ch. XXIV: les Pavots, qui repré·· sentent la feinte du silence ... Il faut avoue. que la table des matières de ce petit traité ne manque pas de charme: bouquet de fleurs séchées qui exhale le parfum expirant de l'humanisme dévot du début du siècle, pieusement conservé dans les armoires de sacristies provinciales.
Dès «l'Entrée» du Parterre adressée à «Philanthe ». l'auteur ne cache pas son dédain pour « ces grands attirails de preceptes qui sont couchez bien au long dans les rhétoriques d'Aristote, de Cicéron, d'lier··
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Voir plus haut (p. 268).
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RHÉTORIQUE ET EXERCICES SPIRITUELS
mogene et de Quintilien ». Dédain qui rejoint celui qu'exprimait plus discrètement le P. Binet dans son Essay. Mais aussi fidélité tardive au goût du tour de force cher aux contemporains de Juste Upse: «Je renferme dans la petitesse de ce livre toutes les richesses, les pompes et les magnificences d'un Art qui semble estre sans limites [... ] Quant à mon style, tu le trouveras plus fort et plus hardy que doux et affété, aussi n'est-il pas pour enseigner à flatter les oreilles, mais à gaigner les cœurs. » Etrange affirmation, pour qui vient de lire la table des matières florale. Elle rejoint en tous cas celles que nous avons trouvées en tête des éditions de 1624 et de 1627 de la Cour Sainte. Et ce rapprochement nous éclaire. Pour l'auteur, comme pour le « Chrysostome français », le style « doux et affété» est celui de Balzac et des écrivains profanes qui accordent une importance extrême au choix des mots, à la « suavité de liaison », à l'harmonie des périodes, bref à la perfection musicale du style écrit. A en croire notre auteur, le style écrit « flatte les oreilles », alors que le style oral qu'il préconise, moins attentif aux minuties d'élocution, « gaigne les cœurs », et il les gagne par les yeux intérieurs de l'imagination. Ce qui ~uppose une hiérarchie morale: la vue est moins sensuelle que l'ouïe, surtout lorsqu'elle s'applique aux «peintures» parlantes ou muettes de l'éloquence sacrée. Reprenant donc la distinction faite par le P. Coton entre l'éloquence orale et imprimée, notre auteur justifie son style: «trop vaste dans la lecture, assez juste dans la déclamation ». II est fait, ajoute-t-iI, pour dire et non pas pour lire seulement: pour la Chaire et non pour la Cour; pour estre prononcé avec les gestes dans la chaleur de la prédication, et non pas pour estre leu à voix basse dans un cercle. II a force redites, repetitions, qui sembleront ineptes au lecteur, mais celuy qui declame les trouvera pleines d'emphase et d'énergie. II est tout plein d'interjections, comme sont ah! hé! ô! hélas! etc. qui d'ordinaire ne se rencontrent pas dans les livres du temps. Mais ... quand elles sont elancées par un certain ton de voix qui est accompagné du mouvement des yeux, elles foM plus d'impression sur un cœur qu'une grande fusée de paroles bien peignées 322.
322 Parterre ... , «L'entrée », non pagmee. A rapprocher de Binet, «essay» intitulé «Des enrichissements de l'Eloquence» (Ire éd., cit p. 448) : «La verve de Cicéron, les foudres de Demosthène et l'esmaii d'Isocrate» sont sans doute «de fort belles choses », mais «je vous diray avec rondeur que je ne suis pas assez fort pour vous façonner ceste pièce d'éloquence qui a vray dire est le cœur et l'âme de l'éloquence, aussi n'est-ce qu'un essay pour les apprentifs ». Et de dérouler la liste des figures propres à cette éloquence pratique, liste toute semblable à celle du Parterre: Prosopopée, hypotypose, suspension des esprits, interrogation «pleine d'énergie », apostrophes «bien embrassées" qui sont «tout puissantes », éthopées «qui parent le corps et l'âme de ses parures et façons de faire », feinte de silence, indulgence et choix que l'on feint de laisser à l'auditeur, «authoritez », ironie, exclamation, exécration, excuse, souhait...
c LE PARTERRE DE LA RHÉTORIQUE FRANÇOISE :.
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Les mouvements passionnés, que la prose c bien peignée:. des écrivains évite, sont donc d'abord des mouvements visuels, interprétés par l'orateur-acteur dans le feu de l'actio et parlant au cœur à travers l'imagination. Le Parterre nous offre ainsi l'occasion d'insister sur ce débat entre « la plume» et la c chaire », entre le style c plus ardent et estendu » de la seconde, c plus ajusté, plus froid, plus resserré. de la première, qui est au cœur de l'évolution de la prose au XVII" siècle. Débat feutré, on dirait même quasi clandestin, et qui n'a jamais fait l'objet d'une Querelle particulière, bien qu'il soit à l'arrière-plan de toutes les Querelles rhétoriques du siècle de Louis XIII. Son enjeu n'allait à rien de moins qu'à déterminer le prestige respectif du prédicateur et de l'écrivain profane, de l'aristocratie ecclésiastique et d'une nouvelle c aristocratie de plume ». Comme nous allons le voir en étudiant divers ouvrages d'apologétique jésuite SOUs Louis XIII, même les écrivains en langue française de la Compagnie pratiquent, sur la page imprimée, un équivalent de l'éloquence orale. Leurs livres même, reflets de leur prédication, déclament, s'adressant au «cœur 1) par les « peintures» qu'ils offrent à l'œil de chair et à l'œil intérieur.
• •• A partir de ce principe, la rhétorique du Parterre se déploie avec une cohérence sans faille. El!e tend tout entière à projeter les mouvements du langage dans l'espace, à exalter leur relief, leur dynamisme, leur visibilité. Les périodes? Qu'elles soient « carrées », divisées en trois ou en deux membres, il faut qu'elles soient articulées par des particules très voyantes ( qui sont en même temps des « Characteres :1>, où la Nature de chaque Passion est exprimée par les marques qui luy sont propres. L'Autheur de la Rhétorique à Herennius, poursuit le P. Le Moyne, appelle Notation ce que j'appelle Charactere avec Theophraste et la définit une description qui se fait de quelque Nature, par de certaines figures qui sont comme les proprietez et attributs. Avec un détail tout à fait analogue à celui qu'affectionne le P. Pelletier, le P. Le Moyne énumère les différentes catégories de c characteres :1> 400 : 1) par la disposition extérieure, par la mine et l'humeur; 2) par les actions et par les mœurs qui leur sont propres; 4) par la description de « régions nouvellement découvertes », telle l'allégorie du «Pays des passions chaudes et malfaisantes» ; 5) par la description de personnages allégoriques «avec un appareil extérieur et des visages conformes à la complexion et aux effets des passions », telles la Vertu et la Volupté, l'Amitié et la Flatterie, la Crainte et la Tristesse; 6) par des «Histoires », où l'on représente la Vertu modératrice des passions. Ces «Histoires:l>, qui font réagir les uns sur les autres plusieurs «caractères », n'en sont pas moins un genre contenu dans cette «espèce» rhétorique: le «Charactere est une Image détachée et un Exemple abstrait », tandis que l' « Histoire est un Exemple personnel, et une Image appliquée à une Matière ». Ce goût de la définition et de la classification est évidemment le fruit d'un habitus intellectuel contracté en classe de philosophie, où le P. Le Moyne a d'ailleurs enseigné 401. Mais cet esprit logique se réfracte dans une culture rhétorique dont le P. Le Moyne est pénétré, et dont il fait état, avec une bonne conscience inhabituelle chez les rhéteurs jésuites en langue française. Les c secrets» confiés au latin, et que les prédicateurs auraient aimé se réserver, se sont répandus dans le beau monde, et notre Jésuite en prend allègrement son parti.
400 Sur ce problème de terminologie, voir B. Boyce, ouvr. cit., p. 31. Il est significatif que le P. Le Moyne rejette la terminologie de la Rhétorique à Hérennius, notatio et effictio (le premier terme étant encore employé par Casaubon en 1599) pour se rallier au mot «Caractère », lié à une mode que vient d'illustrer le livre de Cureau de la Chambre, que le P. Caussin avait adopté dans les Parallela, et dont l'initiateur semble avoir été l'évêque Joseph Hall, dans son livre Cfraracters of Vertues and Vices, traduit en français dès 1610, sous le titre Caracteres des Vertus et des vices. 401 V. Chérot, ouvr. cit., p. 12. V. ses plaintes dans Le Poète philosophe à M. le Prince, 1632, repris dans Poésies, 1650, p. 272.
« LES PEINTURES MORALES»
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La variété n'apparaît pas seulement dans les divers types de «peintures» distingués par le P. LeMoyne. Celles-ci se dédoublent pour ainsi dire; J'ay ajo:lsté, écrit-il fièrement, la Poésie à la Peinture, ce que personne n'avoit entrepris avant moy. Affirmation à première vue excessive, puisque le sieur d'Embry avait entremêlé de poésies la traduction des" Tableaux» de Philostrate. Mais il s'agissait de poésie gnomique, tirant une moralité des fables dépeintes. La nouveauté introduite par le P. Le Moyne est d'avoir juxtaposé «en miroir» une «peinture» en prose à une «peinture» en vers, toutes deux renvoyant souvent à une gravure représentant le même sujet "en peinture muette ». «Elles s'embellissent par contagion », commente joliment l'écrivain. Nouveautés aussI, plusieurs des «genres» de «Characteres» mis en scène par le P. Le Moyne; La lecture, affirme-t-il, en sera divertissante et instructive, I"Antiquité s'y verra renouvelée et habillée à nostre mode: il s'y verra des veritez utiles et solides parées de tous les agremens des Fables. Et sans perdre de temps dont les moindres minutes nous devraient estre precieuses, on y trouvera tout ce qu'on cherche dans les Romans. Ce « dialogisme », ces « Histoires », ces « Peintures" mettent en effet toutes les techniques du roman hellénistique au service de la théologie morale. Le P. Filère avait emprunté à la physique moderne le décor d'un roman spirituel. Le P. Le Moyne, plus consciemment, et avec infiniment plus de culture littéraire et d'imagination poétique, a écrit le roman de la théologie morale. Le genre avait d'ailleurs un grand avenir devant lui, et il est loin d'être resté le privilège des Jésuites ses inventeurs. Son chef-d'œuvre sera sans nul doute le Télémaque de Fénelon. Un peu inquiet peut-être d'introduire une si profane nouveauté, le P. Le Moyne achève son étude en insistant sur les «parties» et sur la « fin» de son œuvre. Les "parties» obéissent à «toutes les règles de l'Escole, tous les points de l'Analysie » 402 : les passions seront étudiées 1) par leur nature,
402 Le mot «Analysie» est un hellénisme que l'on trouve en latin dans le traité du P. Jean Voellus, Exercitium ana/yticum discursivi judicii, litterariae juventuti, Fribourg-en-Brisgau, typis J. Meyeri, 1630. Le même J. Voellus avait publié à Tournon en 1606 des Exp/anationes artificiosae aliquot epistu/arum M. Tullii Ciceronis familiarium, et en 1630, à Fribourg-en-Brisgau, un Exercitium syntacticum discursivi judicii sive genera/e artificium orationis aut con cionis constifuendae. Ce sont des traités de dispositio oratoria, que veulent remplir la même fonction que la «dialectique» de Ramus. Mais tandis que celle-ci se veut anti-aristotélicienne et anti-scolastique, l'ana/ysis jésuite s'efforce de faire coïncider la logique oratoire et la méthode scolastique. Avec le P. Fonseca (v. ch. l, note 199) le P. Voellus cQmpte parmi les auteurs jésuites qui ont cherché une parade au ramisme.
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RHÉTORIQUE ET EXERCICES SPIRITUELS
2) par leur sujet, 3) par leur principe, 4) par les formes qui lui sont adjointes. La « Dureté stoïque:.> sera dénoncée en un livre spécial. Enfin la « Modération des passions:.> couronnera le travail. Quant à la fin de l'ouvrage, elle est d'instruire en divertissant, et d'accommoder les dogmes si « crus et indigestes:.> de la théologie morale habituelle «à l'usage de toutes sortes d'esprits ": et en particulier pour « le Grand Monde". Là aussi, le P. Le Moyne s'en est tenu à une « modération" qui fait pendant, dans l'ordre esthétique, à la modération éthique qu'il préconise. Il ne s'agit pas de faire de la Religion « un personnage de comédie:.> ou une « Courtisane :.>. Mais il y a «un estat moyen entre la dissolution et l'extrême sévérité, un Milieu où l'agréable se rencontre avec l'utile:.>. Là le P. Le Moyne se retrouve cicéronien, à la manière dévote du P. Reggio et des Jésuites italiens: le dosage judicieux de l'omatus est compatible avec I:J. vérité et avec la vertu chrétiennes. Le chemin uniformément «doux:.> est plus profitable que celui qui fait place aux passages «véhéments et sévères :1>. En France du moins, et même dans la Compagnie de Jésus, il s'agissait à coup sûr d'une «nouveauté:.>. On l'a vu, aussi tard qu'en 1659, l'auteur anonyme, et probablement jésuite, du Parterre de l'Eloquence, maintiendra la leçon du P. Caussin qui fait une part considérable aux c mouvements véhéments:l>. Même un Etienne Binet, si «fleuri» dans son Essay des Merveilles, n'avait pas érigé en norme la «douceur ». Le précepte de saint Augustin dans le De Doctrina christiana, et selon lequel il faut faire alterner la véhémence sublime avec le style moyen de l'éloge des grandeurs divines, et le style simple de l'explication des Ecritures, n'avait jamais été violé à ce point. Ce renoncement à toute trace de style sévère, cet alignement sur la « douceur» à la mode chez les jeunes écri\"ains profanes, dut valoir au P. Le Moyne d'acerbes reproches .
• •• Dans la préface du tome Il des Peintures Morales (1643), consacré entièrement à la passion amoureuse et à la manière de la «modérer" chrétiennement, notre Jésuite apparaît nettement sur la défensive. Il reprend l'analogie de sa rhétorique avec la « Poésie dramatique:.> et le roman" Mais il prend soin de souligner que cette dramaturgie pédagogique est composée cette fois d'c exemples authentiques et tirés de l'Histoire. : la part de la fiction est éliminée. D'autre part, cette «représentation muette» est une c Pièce sans masque» et sans « Théâtre ». On sent qu'il
« LES PEINJ1JRES MORALES »
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a essuyé des critiques s'appuyant sur le De Spectaculis de Tertullien et en général sur la critique du masque histrionique chez les Pères. Par ailleurs, il insiste sur la nécessité de respecter «les yeux accoutumez à la Délicatesse»; il se défend d'avoir trahi la «bienséance» de son sujet, « l'Amour divin », et d'avoir sacrifié la «générosité» à la « douceur », son pouvoir de «vaincre» à celui de «plaire ». D'ailleurs au L. IV, il a repris le « stile dogmatique» (sans adopter toutefois ses « duretez et secheresses») pour traiter de la Beauté après avoir traité de l'Amour. Il a plaidé la cause de celle-ci, mais non sans lui représenter «les obligations qu'elle a à la Chasteté, à l'Humilité, à la Modestie », et l'arracher à l'Amour charnel pour la donner à l'Amour spirituel. La cohérence de sa pensée est donc entière, sa théorie de la Pulchritudo chrétienne rejoint sa théorie de l'Ornatus rhétorique chrétien. Et il cite saint Augustin pour achever de réfuter des adversaires anonymes contre lesquels, manifestement, il ne cesse de polémiquer ici. Appuyé sur cette autorité, il repiend en terminant son argument essentiel: Si j'eusse à traiter des Gens du désert, si j'eusse cherché le goust des Personnes Religieuses, j'eusse pu leur faire grande chère à petit frais et une collation de Cassian toute seche et crue [ ... ) leur eust esté un festin magnifique. Ces gens-là qui ont l'âme saine et la raison forte et vidie ne doivent estre traitez en Desgoustez ny en Enfans [... ) [Mais) mon dessein est d'écrire pour ceux du Monde, qui ont mesme goust pour les livres de pure dévotion que pour les Medecines mal préparées. [En conséquence 1 les Austeres indiscrets et mal instruits qui se scandalisent de tout ce qui n'est pas sauvage, pourront chercher ailleurs des viandes plus sèches et une amertume plus pure. Ils se souviendront seulement des paroles de l'Apostre qui avertit les Abstinens de ne condamner point ceux qui mangent et nous permettront de condescendre chrestiennement aux infirmitez de leurs Frères malades ». Le P. Caussin, le P. de Cressolles, le P. Binet polémiquaient contre les gens de Robe et leur puritanisme stylistique. Avec le P. Le Moyne et les Peintures Morales, l'adversaire semble s'être déplacé. Ce livre fleuri peut être dédié à deux Présidents au Parlement, qui l'accueillirent selon toute vraisemblance avec faveur. Les milieux de Grande Robe se sont ouverts aux «Muses Françoises» et goûtent les blandices d'une prose d'art ornée avec «juste mesure ». Mais la cause du style sévère, qui perd du terrain dans l'humanisme de Robe, a été reprise en charge entre-temps par Saint-Cyran, Arnauld et les Solitaires de Port-Royal, soutenus par des prélats gallicans comme Oodeau. 1643 marque donc un tournant décisif: ce n'est pas seulement la date de la mort de Louis XIII, mais avec la publication de La Fréquente communion d'Antoine Arnauld, d'un véritable reclassement des forces en présence. Les cloisonnements hérités du XVI' siècle sont rompus; le front de la Réforme catholique française l'est aussi. Les Jésuites ont conquis de nouveaux alliés, mais ils ont acquis de nouveaux ennemis. La préface du second volume des Peintures Morales, paru en 1643, nous
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RHÉTORIQUE ET EXERCICES SPIRITUELS
révèle que les attaques de Pascal dans les Provinciales contre ce livre du P. Le Moyne avaient été affûtées dès 1642 par les Solitaires de PortRoyal 4os •
• •• Mais le style severe, d'inspiration augustinienne et borroméenne, que préconisait Saint-Cyran, ne résume pas le classicisme, qui n'est pas une doctrine, mais un compromis entre diverses instances qui se font contrepoids. Celle que représente le P. Le Moyne, affinée et contenue par la polémique janséniste, a un brillant avenir dans la seconde moitié du siècle. Dès 1645, avec ses Entretiens et Lettres poétiques, le P. Le Moyne (qui se rapprochera de la « sévérité» du P. Caussin et de sa Cour sainte, en 1648, dans la Oallerie des femmes fortes), resserre la gamme de son imitation et atténue la saveur de ses" viandes pour délicats ». Il déclare, dans sa Préface, prendre Horace pour modèle. Mais il l'interprétera librement. Il n'imitera point le « peu de modestie» des EpUres, ni leur aspect .. satyrique» qui n'a pas de répugnance pour l'", ordure >l. JI n'imitera pas non plus la «raillerie », peu conforme à la charité chrétienne, du poète latin. JI ne se contentera pas non plus de la '" prose simple et pédestre », versifiée, dont usa Horace. Sa matière sera toute chrétienne et morale. Il recourra non à la raillerie, mais à une .. gayeté l) chaste, comme la «Musique et la symphonie dont la dévotion des fidèles est egayée l). Enfin, il s'exprimera en poète '" dans les termes, dans les images, dans les fictions, dans les figures », « avec l'élévation, le feu» qui font les Poètes, et qui haussent le style «au-dessus du commun et du vulgaire ». Soumis à la critique augustinienne, l'héritage du XVI' siècle «asianiste », celui de Blaise de Vigenère dans les Peintures Morales, celui de Ronsard et de Desportes dans les Entretiens et Lettres poétiques, est contraint pour ainsi dire à se rétracter, et à chercher des autorités du
403 Voir la IX· Lettre d'un Provincial. V. aussi, chez Fénelon, Dialogues sur l'éloquence, dans Œuvres, Lyon-Paris. 1843. t. III. p. 372. la critique. d'un point de vue sévèrement platonicien et augustinien. du principe même des « Peintures morales », id est des éthopées chrétiennes: «Les peintures morales n'ont point d'autorité pour convertir. quand elles ne sont soutenues ni de principes ni de bons exemples. Qui voulez-vous convertir par là? On s'accoutume à entendre cette description; ce n'est qu'une belle image qui passe devant les yeux. on écoute ces discours comme on liroit une satire, on regarde celuy qui parle comme un homme qui joue bien une espèce de comédie, on croit bien plus ce qu'il fait que ce qu'il dit. Il est intéressé, ambitieux. vain ...• il ne quitte aucune des choses qu'il dit qu'il faut quitter ... Ce qu'il y a de pire, c'est qu'on s'accoutume par là à croire que cette sorte de gens ne parle pas de bonne foi; cela decrie leur ministère; et quand d'autres parlent après eux avec un zèle sincère. on ne peut se persuader que cela soit vrai. l)
« LES PEINTURES MORALES »
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côté des classiques augustéens. Admirateur de Marino 404, du Tasse 40&, attentif à la peinture de la Rome barbérinienne, le P. Le Moyne est tenu de se maintenir sur les positions du cicéronianisme dévot italien, dont il offre une version française. Cet idéal de «juste mesure» et de .. modération» chrétienne, en dépit de ses efforts pour raJlier le goût du « monde », n'échappera pas à l'incisive polémique d'un puritanisme augustinien, d'autant plus efficace qu'il trouvera en Pascal un écrivain capable de concilier élégance, véhémence et ironie.
404 Il n'existe pas d'étude sur Le Moyne imitateur de Marino, bien que Je sujet s'impose à J'esprit de qui a pratiqué les deux auteurs. Pascal (XI' Lettre) cite un poème des Peintures Morales (t. Il, 1. 7) qui, à travers la technique métaphoriste de l'auteur jésuite, attaque en fait l'art «asianiste" né avec Panigarola, porté à ses sommets par Marino. 405 Sur Le Moyne admirateur et imitateur du Tasse, voir Chérot, ouvr. cit., passim, et Joyce G. Simpson, Le Tasse et la Littérature et l'Art baroques en France, Paris, Nizet, 1962.
CHAPITRE IV
LES ADVERSAIRES JÉSUITES DE LA «CORRUPTION DE L'ÉLOQUENCE»
Si le P. Le Moyne, en 1645, se donne pour modèle Horace, ce n'est certes pas pour plaire aux Solitaires de Port-Royal. Ceux-ci, par leur âpreté dévote, ont bien pu amener le poète jésuite à accentuer la portée morale et chrétienne de ses Entretiens, ils n'ont pas pu l'inciter à s'inspirer d'un modèle augustèen, lui qui en 1641 se tournait d'une naturel mouvement vers Sénèque et vers Philostrate. Sur la sophistique sacrée, dont Les Peintures Morales sont la version modernisée, s'est exercée une influence correctrice d'une autre nature et d'une autre origine. Au Collège de Clermont, au moment où le P. Le Moyne publie ses Peintures, puis ses Entretiens, il pouvait rencontrer deux redoutables collègues, dont l'un, l'aîné, Denis Petau, est un érudit de stature et de renommée européennes, et l'autre, son disciple, François Vavasseur, s'ètait signalé par des discours, en un latin superbe, où ètait fustigée la «corruption de l'éloquence» des Jésuites eux-mêmes. Les idées du P. Vavasseur avaient leur source dans l'enseignement du P. Petau. La petite troupe des érudits jésuites, longtemps en retrait derrière les trop voyants prédicateurs et déclamateurs de la Compagnie, ?vait trouvé en lui un orateur. C'est donc au P. Petau son maître qu'il faut remonter pour comprendre la genèse de la réforme oratoire latine dont le P. Vavasseur se voulut l'initiateur. l. L'ATIICISME CICÉRONIEN DU P. DENIS PETAU
Le P. Petau avait l'immense avantage sur la plupart de ses collègues d'appartenir par sa famille à l'aristocratie de Robe française, 011 depuis le dèbut du XVI' siècle se recrutait l'élite de la République des Lettres gal\icane. Son parent, Paul Petau, était Conseiller au Parlement de Paris, et comme beaucoup d'hommes de son rang et de sa caste, con~acrait ses loisirs aux seules Muses dignes d'un magistrat, celles de l'érudition. Entre autres ouvrages, il avait publié en 1604 un De Epocha annorum incarnationis Christi, de Indiciionibus, consacré à cette discipline difficile entre toutes, et hérissée de chausse-trapes pour l'apologétique chrétienne, la
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chronologie. Le P. Petau, avec son fameux Rationum temporum, poursuivra en somme une tradition familiale. C'est à Paul Petau que le jeune savant jésuite devra la communication du manuscrit Petavianus des œuvres de Synésius de Cyrène, à partir duquel il établira une édition plus correcte de l'évêque-rhéteur du Ive siècle 408. Il disposait ainsi de lettres d'introduction exceptionnelles dans un milieu d'ordinaire on ne peut plus mal disposé envers les homilles novi de l'humanisme qu'étaient aux yeux des magistrats érudits, les Jésuites. Et il fut à même, mieux que personne dans sa Société, de préparer une symbiose entre les traditions déjà séculaires de l'humanisme gallican, et la tradition qui se cherchait encore du Collège de Clermont.
• •• Très jeune, le P. Petau donna des preuves éclatantes que bon sang ne saurait mentir, même sou!> la robe jésuite. Il pourra sembler surprenant que nous nous arrêtions sur les éditions savantes qu'il publia entre 1612 et 1635. Mais il se trouve que les auteurs édités par le P. Petau sont justement des rhéteurs, qui appartiennent tous trois à la période qui fut peut-être la plus brillante, en même temps que la dernière, de la Seconde Sophistique: Synésius de Cyrène 407, Thémistius 408, et l'Empereur Julien 409. Le choix de ces trois auteurs du IV· siècle montre que les réflexions du P. Petau, dès 1612 (date de son édition de Synésius), tournaient autour du même problème qui hante le P. de Cressolies dans son Theatrum Veterum rhetorum : la Renaissance des litterae humaniores étant devenue aussi la Renaissance de la Seconde Sophistique, comment, sans remettre en cause la première, c purifier:. la rhétorique chrétienne de la seconde? Le P. de Cressolles, qui ne distinguait guère entre tradition atticiste et tradition asianiste de la Seconde Sophistique, avait en quelque sorte traité le problème en bloc, et conclu à une adoption «modérée» et judideuse des techniques des sophistes. En se concentrant sur les philosophesrhéteurs du IV· siècle, témoins et acteurs de l'ultime Renaisance de l'hellé-
443. Cet éclectisme, ce culte de la variété virtuose passent pour des mérites glorieux. C'est que les nouveaux sophistes, qui connaissent la vérité, croient lui rendre hommage alors même qu'ils la trahissent. Ils savent le prix de la santé du discours: ils la confondent avec une enflure qui l'imite, et qui pourtant la nie. La force? Ils la confondent avec les pointes, qui l'imitent et qui pourtant la ruinent. La beauté? Ils s'imaginent la servir avec de belles descriptions. La convenance? Avec l'inégalité du style, et la variété. On pourrait pardonner à des enfants cette perversion inconsciente de la vérité. Elle est révoltante autant que grotesque chez des maîtres, et qui plus est des maîtres d'éloquence latine, il qui revient le devoir de montrer l'exemple, de dicter le droit. Loin de remplir cette haute tâche, ils se sont mis à la remorque des jeunes écrivains en langue vernaculaire, elegantorum et politorum secta ae natio 444. Et au lieu de ramener vers l'origine latine ces écrivains modernes, en leur montrant l'exemple d'une imitation féconde des Anciens de haute époque, ils ont mis leur éloquence latine à l'école de ces novatores ! Ceux-ci sont excusables. Les régents d'éloquence latine ne le sont pas. Si les clercs trahissent, d'où couleront vers les modernes les « sources grecques et latines» ? Les jeunes écrivains français ont cru bien faire en nourrissant leur langue de mots trop riches, de traits trop brillants, de descriptions trop fleuries. Mais comment cette langue atteindra-t-elle son aemê (fastigium) - ce que de l'avis général, elle n'a pas fait encore - si ces erreurs de jeunesse sont partagées par cCI:x-Ià mêlile qui d~vraient avoir pour tâche de les corriger? Et comment les corriger, comment conduire à son terme l'élan généreux des jeunes Français, et le progrès de la langue nationale, sans l'imitation des vertus latines chez les auteurs qui, à la fin de la République et sous Auguste, les ont pleinement illustrées? C'est dans le retour à l'Age d'Or de la latinité que les lettres françaises connaîtront leur Age d'Or et non dans l'imitation des essais et erreurs de la génération présente et des générations antérieures.
Ibid., p. 117. Ibid., p. 121. Par son maître Denis Petau, le P. Vavasseur était informé de première main sur les origines du mouvement en faveur d'un atticisme cicéronien en langue française (v. infra, p. 534-535). L'Elegantorum et politorum 443
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secla ac natio désigne les écrivains laïcs en langue française qui, n'ayant pas reçu de leurs maîtres une solide norme latine, errent dans leur langue maternelle.
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FRANÇOIS
VAVASSEU~
La réforme de l'éloquence latine, le retour à sa pureté de haute époque (et ici le P. Vavasseur fait coïncider l'Age augustéen et la Haute Renaissance) est donc le meilleur gage de l'apparition d'un c meilleur style:. français et d'un état enfin pur et mûr de la langue française .
••• Cette Ol'atio, prononcée à La Flèche en novembre 1636, est sans aucun doute le temps fort du recueil. L'Oratio quarta, intitulée Eloquentiae sfudium poeticis et araecis egere, soutient une thèse que le P. Petau avait tenacement illustrée par ses éditions de rhéteurs grecs et par ses poésies latines: point de Tullianus stylus - et donc point de prose française digne de l'Antique - sans l'étude et la pratique assidues de la poésie latine et des lettres grecques. Le laxisme des régents qui, pour complaire à la paresse des enfants et à l'indulgence coupable des parents, dispensent leurs élèves de ces disciplines, est sévèrement fustigé 44G. Lorsque parut en 1683 le recueil posthume intitulé F. Vavassoris multiplex et varia poesis, on put mesurer non seulement que le P. Vavasseur avait joint la théorie à la pratique, et assidûment composé des poésies en latin et en grec, mais aussi, par le nom des dédicataires, que le savant jésuite avait l'estime de l'élite de l'humanisme français. C'est dans les termes d'une amitié souvent étroite, et qui va jusqu'à la tendresse, que l'on s'adresse à lui, et qu'il s'adresse à ces lettrés étrangers à sa Compagnie. Nicolas Bourbon et son cercle, le comte d'Avaux, et les deux Ogier, Charles et François, le comptent parmi leurs intimes 446. Pierre et Jacques Dupuy ont étendu à lui l'estime qu'ils faisaient de Denis Petau. Balzac l'admire. Pierre Bourdelot, Guillaume Lamoignon sont en excellents termes avec lui. Et les poèmes qu'il consacre à Molière ne sont pas de ceux qui lui font le moins honneur 441. Tout s'est passé comme si, avec le P. Petau, et plus encore avec le P. Vavasseur, après trois décennies de tâtonnements, la rhétorique jésuite avait été naturalisée française, épousant les préjugés et les traditions de ce qui, dans l'humanisme érudit de la Robe gallicane, restait fidèle au cicéronianisme des Bunel, des Dolet, des Scaliger, à l'hellénisme de Dorat, et voyait dans la Renaissance des litterae humar.iores le meilleur gage d'une Renaissance des lettres françaises aussi bien que d'une chrétienté française plus éclairée. Tournant décisif: le ralliement de personnalités
"1 Ibid., p. 144-145. 446 L'élégie V dédiée à N. Bourbon, optima et poetae et arnica; la VI' et VII' à Claude d'Avaux; la IX' à J. Sirmond; la X' à Jacques Dupuy; la XI' à Denys Petau; la XII' à François et Charles Ogier. 447 V. Multiplex et varia poesis, p. 120-121. L'un de ces poèmes a été adapté en français par le P. Bouhours. V. notes 270 et 394, sur la vertu d'eutrapélie et le "rire des honnestes gens:) chez les Jésuites.
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aussi fortes de la puissante Compagnie de jésus, dès l'époque Louis XIII, à la cause d'un classicisme français, promettait à celui-ci des assises pédagogiques que les disciples des PP. Petau et Vavasseur, les Cos~art 448, les Commire 469, les Lucas 4~O, les Charles de la Rue 45 s'emploient il fortifier sous Louis XIV; la critique «mondaine» des jésuites, ce1\e d'un Rapin et d'un Bouhours, soutint, hors du Collège, une doctrine parente de celle de Boileau. Cette conjonction entre le goût d'une élite de Robe et celle des jésuites parisiens, réunis par un même zèle pour le Roi, par un même amour pour « la belle Antiquité », une même discipline rhétorique et poétIque, par delà les quere1\es théologico-morales, créait une puissante clef de voûte à l'édifice du classicisme français, fondé pour une large part sur l'éducation dispensée dans le vaste réseau des Co1\èges de la Société de jésus en France. On constate ainsi, dans l'ordre du goût littéraire, un phénomène analogue à celui que le P. Blet a étudié dans l'ordre des loyautés politiques 4~2 : le sens de leur identité française a balancé chez les jésuites parisiens celui de leur appartenance à une Société internationale dont le siège central est à Rome. Dans l'ordre des Belles-Lettres, une certaine convergence entre le classicisme du Collège romain sous Urbain VIII, et celui du P. Petau à Paris sous Louis XIII, a favorisé la conciliation de ces deux loyalismes. Mais en dernière analyse la force d'attraction d'un gallicanisme politique trouvant, dès le premier tiers du XVIIe siècle, son expression esthétique dans un idéal «augustéen >, a été plus puissante que l'exemple romain, plus éclectique, plus disponible aux diverses tentations du «baroque» international.
448 Jean Cossart (1615-1674): l'édition de ses Orationes et Carmina fut publiée (Paris, Mabre-Cramoisy, 1675) par le P. Charles de la Rue. 449 Jean Commire (1625-1702) publia en 1678 ses Carminum libri tres. 450 Jean Lucas (1638-1696) publia en 1683 la Multiplex et varia poesis de Vavasseur; il est lui-même l'auteur d'un poème pédagogique intitulé Actio oratoria seu de Gestu et voce libri duo, Paris, S. Benard, 1675, qui condense les leçons du P. de Cressolles dans les Vacation es alltllmnales (1620). 451 Charles de la Rue (1643-1725) est l'auteur de Carminum libri quaituor (paris, S. Benard, 1670), d'une édition de Virgile ad usum Delphini (1675) qui connut d'innombrables rééditions, d'une tragédie Sylla et d'une œuvre importante d'orateur sacré: Oraisons funèbres, Sermons, Panégyriques de saints. 452 Pierre Blet, «Jésuites gallicans au XVII' siècle, à propos de l'ouvrage du P. Guitton sur le P. de La Chaize », Archivum historicum S.j., t. XXIX, p. 55-8\
CONCLUSION Les positions rhétoriques des jésuites français sous Henri IV et Louis XIII étaient donc loin d'obéir à une doctrine commune. La ligne de partage la plus nette est celle qui sépare les Jésuites érudits, représentés par le plus illustre d'entre eux, Denis Petau, et les jésuites rhéteurs. Les deux groupes sont d'importance numérique fort inégale. Pourtant le prestige du premier compense son petit nombre, et son audience auprès de l'humanisme érudit de la Robe française lui vaut à l'intérieur de la Compagnie elle-même une autorité qui finira par triompher. Si l'Assistance de France n'éprouva pas le besoin de réduire les contradicitons, voire les polémiques feutrées qui se font jour entre ses membres, c'est que cette diversité même pouvait la servir: elle reflétait la diversité des publics et des tâches que les Jésuites français avaient à accomplir. Les jésuites érudits ont affaire à un public d'élite humaniste, de haute culture, mal disposé envers la Société de jésus: plus que d'autres ils sont à même de jauger la puissance grandissante, surtout sous le ministériat de Richelieu, des robins cultivés, prenant leurs distances avec la vieille institution parlementaire, se vouant au service de l'Etat royal. Ceux-ci, plus accueillants à la délectation esthétique, moins ancrés dans les préjugés traditionnels du Palais, étaient aussi mieux disposés envers ceux des jésuites qui pouvaient les aider à faire naître une éloquence et un art royaux. La doctrine stylistique d'un Petau, d'un Vavasseur va au devant des vœux et du goût de ces « bons français », hommes de savoir, d'intelligence et de jugement, plus que d'imagination et de passion, mais conscients, au nom de la Majesté royale, et de son rayonnement, de la nécessité d'une norme esthétique française. Leur doctrine cicéronianiste vise d'autre part à maintenir intact le prestige pédagogique de l'enseignement jésuite, que seul le nom de Cicéron, identifié dès l'origine à la Renaissance des bonnes lettres, pouvait garantir contre le soupçon de sophistique nourri dès longtemps par les robins, et maintenant ravivé par le jansénisme. Les jésuites rhéteurs, jeunes régents ou prédicateurs chevronnés, ont affaire à un public moins soupçonneux. Les seconds- et souvent les premiers - ont à rivaliser avec la mode littéraire profane, et en particulier avec la littérature romanesque. Ils sont «modernes» soit par goût de jeunesse, soit par la nécessité de plaire. Les prédicateurs en langue française ne résistent pas à la tentation du style oral, moins attentif aux «minuties» du style, qu'à l'efficacité des effets sur l'imagination et les passions, moins soucieux de l'oreille que de la vue. Pour le P. Caussin, la préférence pour l'oral va dans le même sens que le préjugé chrétien contre la «vanité» des mots: sa rhétorique ignore le travail délicat et judicieux qu'exige une prose d'art écrite. Sa préoccupation principale est de mettre en œuvre des schemata, enthymèmes et exemples soutenus de figures visuelles, descriptions, portraits, prosopo-
LES STYLES JÉSUITES
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pées, mouvements passionnés, propres à s'imprimer dans l'imagination et à déclencher des réactions émotionnelles. La nouveauté que représentent les Peilltures Morales du P. Le Moyne, c'est que celui-ci concilie le souci d'une prose d'art en français, qu'il reprend à Balzac, avec les techniques imaginatives et pathétiques de ses prédécesseurs. Toutefois, il adapte celles-ci pour la lecture, en les articulant à un développement logique qui fait de l'ouvrage un tout organique, en les harmonisant à une unité de ton uniformément « doux ». La part que le P. Le Moyne fait à l'imagination mythologique, et aux exemples empruntés à l'histoire et à la culture païennes, marque également une évolution de l'écriture jésuite hors de la sphère orale de la prédication. Evolution, mais non rupture avec une tentation invétérée. En dépit de leurs divergences de caractère et de doctrine, on peut rapprocher le P. Le Moyne du P. Vavasseur, et les considérer, chacun dans sa langue et dans son ordre, comme les deux visages d'un premier classicisme jésuite. Tous deux ont un point commun: ils admettcnt implicitement que l'éloquence sacrée n'est pas le genre propre à donner l'exemple en matière de c meilleur style ». L'un se rallie à la prose d'art française de Balzac, qu'ont fini par admirer même les humanistes érudits gallicans; l'autre se rallie à l'exemple de jules-César Scaliger, et à la tradition du style « tullien », admirée par l'érudition gallicane, pour fixer une norme à la prose latine des jésuites. Leur réccmpense, c'est d'être accueillis avec faveur dans les milieux de Robe les plus favorables aux Belles-Lettres françaises et latines; le prix à payer, c'est le renoncement au magistère rhétorique sans partage dont jouissent leurs confrères italiens, l'acceptation de l'autorité de laïcs, mondains ou savants, en matière d'eloquentia. Cette évolution importante n'en était pas moins perçue autrement par les plus fines oreilles françaises. Dans les Huetiarlll, on trouve sous le titre «Stile du P. Petau ct des autres jésuites» un jugement d'une remarquable profondeur sur la persistance des habitudes orales jusque dans la prose, pourtant châtiée, du maître de François Vavasseur: Les Jésuite~, aurait dit Pierre-Daniel Huet, communément écrivent et parlent bien latin, mais leur latinité pèche presque toujours en ce qu'elle est trop oratoire. Cela vient de ce que dès leur première jeunesse, on les fait régenter. Ces régences les engagent à parler incessamment en public; ils s'accoutument insensiblement à le faire d'un stile soutenu et arrangé, et à s'élever au dessus du genre médiocre. Cela se voit clairement dans les Lettres du P. Petau ; il va toujours par courbettes et jamais au pas; ses périodes nombreuses, par figures étudiées, et jamais par cette admirable simplicité des Epistres de Ciceron, qui tout grand orateur qu'il étoit, savoit bien cesser de l'être quand il le falloit. Quand les Lettres du P. Petau parurent, on en fit comparaison avec celles de Scaliger. Cette question donna lieu à une grande dispute chez Messieurs Dupuy, où étoit le réduit ordinaire des Savans de Paris. Les gens de Collège se déclarèrent pour le P. Petau, mais M. Guyet, homme d'un goût raffiné, mais avec des manières dures, leur dit pour toute réponse qu'ils meriteroient qu'on leur presentât du foin. M. Guyet avoit raison. Les Epistres de Sc aliger sont d'un stile naturel, libre, aisé, et pour parler à la mode, d'un stile léger, qui a ql!c1que chose de vif et d'aigu. Celles du P. Petau sont
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LES EXERCICES, «RHETORICA DlVINA
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d'un stile arrondi, compassé, mesuré. C'est un tissu de phrases, un cnchaÎr.emcnt de périodes, ce sont des lambeaux de declamation ... Le P. Sirmond, tout jésuite qu'il étoit, a bien sçû eviter ce defaut, peut-être pour avoir quitté de bonne heure les emplois de la scolarité, et avoir passé la plus grande partie de sa longue vie dans les Cours de Rome et de France, et y avoir poli son langage pour l'usage au monde ... 453. Il est difficile de trouver un texte qui définisse avec plus de précision et de justesse les deux sources de l'atticisme classique français, le style épistolaire cicéronien, et la conversation du grand monde, et qui nous éclaire mieux sur les difficultés qu'éprouvèrent les jésuites, même les mieux intentionnés, à trouver en France le ton juste, et qui porte .
• •• Ce malentendu subtil entre les jésuites français, pédagogues, prédicateurs, hommes de la persuasion orale et théâtrale, et les deux élites laïques françaises, les juristes érudits, homme de l'écriture, et les gens de Cour, hommes de la conversation, n'exclut pas, à l'intérieur même de la Société de jésus, une profonde divergence entre une tradition propre aux jésuitesrhéteurs en langue française, et la tradition des jésuites latinistes et érudits. Nous avons insisté sur les données sociologiques qui expliquent cette divergence, et sur les influences étrangères qui l'ont accusée: l'Espagne et les Flandres espagnoles sur les jésuites-rhéteurs, Rome sur le P. Petau et le P. Vavasseur. Mais plus intimement, cette divergence se révèle, au cœur mère de l'institution jésuite, entre deux textes fondamentaux qui la régissent, les Exercices Spirituels, fleur ultime de la spiritualité médiévale, et la Ratio Studiorum, fleur ultime de la Renovatio literarum du XVI" siècle. Deux styles de persuasion sont ici en présence : l'une fondée sur l'imagination fiévreuse et le pathétisme, l'autre sur l'imi, tation des modèles classiques. 1\ n'était pas facile de les concilier. Cette conciliation se fit de deux façons. La plus économique, celle qu'adoptent, après les Romains Benci et Strada, un Petau, un Vavasseur, s'appuie sur l'analogie éthique entre le zèle qui actualise, dans chaque cas individuel, l'fmitatio Christi des « Exercices », et l'élan généreux qui soutient l'émulation de l'imitateur en quête de l'Idée cicéronienne de Beauté. La plus syncrétique, celle qui l'emporte dans ce que nous avons appelé «sophistique sacrée », trouve dans les Exercices le principe formel d'une rhétorique du pathétisme et de la fièvre imaginative. Dans The Poetry of Meditation 454, Louis Martz a montré ce que doivent les Exercices à la rhetorica divina médiévale, c'est-à-dire à l'oraison méthodique, la scala meditatoria vel meditationis. Le P. Coton emprunte à cette « disposition» de l'oraison ignatienne les « points, profits et colloques» de ses sermons; et le P. Le Moyne, soucieux de nouveauté, offre Huetiana (1713 et 1722), ch. XXVII, p. 70-71. Louis Martz, The Poetry of Meditation, ouvr. cit., Part. l, ch. [: The Method of Meditation, p. 25-39. 453
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avec l' c Analysie:. qui sert d'architecture logique aux Peintures Morales une version adoucie de la méthode ignatienne. Dans The Art of Memory, Miss Frances Yates qui ne s'occupe pas des Exercices, nous fournit cependant une clef indispensable pour en comprendre les arcanes. Elle rappelle que pour saint Thomas: Nihil potest homo intelligere sine phantasmate 455. L'image est donc une voie de connaissance proprement humaine. Cette justification chrétienne de l'imagination fonde la légitimité d'un art de mémoire, qui associe les notions et les mots même d'un savoir transmis par tradition à des images, permettant ainsi à l'esprit de les retrouver facilement, après les avoir rangées et associées dans les «mansions,» d'un théâtre intérieur. Cet art de la mémoire implique une spiritualité; parcourir ces «lieux », retrouver les images chargées d'un sens « mystique », c'est remonter vers les vérités originelles, c'est à la limite, si l'itinéraire est conduit selon une méthode bien conçue, retrouver Dieu. Les apparences empruntées au monde des sens, mais appliquées aux realia de la vérité divine, auront ainsi servi à détourner l'âme du leurre mondain, et à la ramener vers le centre de sa vraie patrie. Mais cet art de la mémoire, que saint Ignace a si méthodiquement mis en œuvre avec les « compositions de lieux, avec application des sens », de ses Exercices spirituels implique aussi une rhétorique. La fréquence des «livres-galeries », chez les Jésuites de la première moitié du XVI l' siècle, tient au fait qu'ils offrent à leur lecteur un «Palais ou Temple» de la mémoire chrétienne tout constitué, avec ses lieux remplis d'images chargées d'un sens «mystique », et dont le parcours tout tracé conduit l'âme, méthodiquement, de la perception de ses erreurs terrestres à la contemplation amoureuse des plus hautes vérités de la foi. Itinéraire initiatique et dramatique qui fait passer l'âme, de vision en vision, d'émotion en émotion, par une purification progressive de ses attachements sensibles, jusqu'à la pureté parfaite de la contemplation ad amorem. Les techniques de l'ekphrasis sophistique, la quête de l'énargéïa, du relief visuel des images, empruntées à la rhétorique antique tardive, s'ajustaient parfaitement à cette objectivation des « sceaux» intérieurs de la mémoire chrétienne. La maîtrise de ces «sceaux », le sentiment d'appartenir à une élite sacerdotale d'initiés-initiateurs, semble avoir compté beaucoup dans l'orgueil tant reproché aux Jésuites d'alors. Dans le Mystagogus, écrit à Rome et publié à Paris en 1629 456 , le P. de Cressolles qualifie le prêtre Yate", L'Art de la Mémoire, ouvr. ci!., p. 83. Mystagogus de sacrorum hominum disciplina opus varium e stromatis 55. Patrum et aliomm eruditione contextum quo 5criptura explicatur, Patres il/lls/rantur, Scriptores emendantur, Antiquitas lucem capU, mores instruuntur, l'ietas commendatur, Lut. Paris., Seb. Cramoisy, 1629. L'ouvrage est dédié à Bérulle à l'occasion de son accession au cardinalat. La dédicace (Rome, 15 mai 1628) rappelle à B. que Cressolles l'a connu trente-quatre ans plus tôt à Paris, quand lui-même était au Collège de Clermont, et Bérulle in Theologiae Schola. L'étude du Mystagogus (qui doit beaucoup au 1. 1 de l'Ecc/esiastes d'Erasme) serait du plus haut intérêt pour comprendre non seulement la « Stimmung» jésuite au XVII' siècle, mais celle de l'aristocratie sacerdotale de la Réforme catholique. ·\55 Fr~nl'cs 456
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LES EXERCICES, «RHETORlCA DIVINA»
d'initiatus, de gnosticus, il lui réserve l'accès aux arcana, aux occulta nzysteria, il fait de lui, au-dessus de toutes les puissances terrestres, le Prince d'un Regnum SlQcerdotale. Mais au Duc de Savoie, il le mena «en son parlement », «comme dans le plus auguste sénat de l'Europe », et y fit plaider devant lui «un bel cause », après avoir demandé à M. Robert et à M. Arnauld «de s'y préparer» 31. Enfin, même s'il est de règle que l'éloquence politique soit hors de portée du causidicus d'Ancien Régime, les circonstances exceptionnelles ne lui manquèrent pas pour enfreindre cette obligation de réserve. Le Parlement réfugié à Tours sous Henri III et Henri IV fut trop heureux de trouver en Antoine Arnauld un pamphlétaire de talent. Et aussi bien le fondateur de la «famille éloquente» de Port-Royal que son beau-père l'avocat Simon Marion, ou son vieux collègue Estienne Pasquier, durent leur titre de «Cicérons» français aux philippiques à caractère autant politique que judiciaire déchaînées par eux contre les jésuites. En attendant la Fronde, la Révolution, et l'apothéose de l'avocat sous la lII e République, les guerres civiles et religieuses de la fin du XVIe siècle furent une étape importante dans la lente ascension du causidicus médiéval vers la plénitude de l'Orator à l'antique. Mais l'éclaircie offerte aux avocats du Palais par les luttes religieuses et civiles, si elle fut l'occasion pour plusieurs d'entre eux de se donner carrière dans l'éloquence délihérative, ne dura point. Tenu en lisière par le Conseil du Roi, le Parlement sous Henri IV est réduit au judiciaire, ou au démonstratif. Et les avocats, tenus en lisière par les magistrats, doivent plus que jamais attendre de ceux-ci les normes d'une éloquence propre à un Parlement «chrétien et français ».
80 Arnauld d'Andilly, Mémoires, éd. Michaud et Poujoulat, t. IX, deuxième série, p. 408.
31
Ibid.
APORIES DE LA RHÉTORIQUE DES MAGISTRATS
443
C'est aux magistrats que nous devons demander de préférence la définition humaniste de la rhétorique institutionnelle du Palais .
• •• En effet, la majesté de la magistrature, ses prétentions à ne point se cantonner dans la chicane, mais à «vérifier» tous les actes de la Couronne, à veiller sur les «Lois fondamentales », sur l'orthodoxie gallicane, sur les mœurs, semble correspondre à l'idéal antique de l'Orateur, que Cicéron dans le De Dratore incarne justement dans la personne de riches et influents «Pères conscrits ». Le Parquet du Parlement de Paris, aspirant à regagner les antiques prérogatives de la Curia regis, voire de se poser en Etats-Généraux permanents, aimait à se qualifier et à s'entendre qualifier de Senatus 82. Les magistrats de c Grande Robe» ne pouvaient hésiter à s'attribuer le privilége d'unir, selon le mot d'ordre humaniste, la «philosophie et l'éloquence ». C'est bien à cette prétention que La Roche-Flavin fait écho dans un passage fort suggestif de ses Treize Livres de Parlement: Or bien que l'éloquence ne soit autre chose qu'un déguisement de la vérité, et un artifice de faire trouver bon ce qui est mauvais, et droit ce qui est tort et bossu, et faire chose grande de rien et d'une fourmy faire un Elephant, c'est-à-dire pratiquer le bien mentir, toutesfois elle est fort requise aux Magistrats chefs de Compagnies, comme aux Presidens, mesmes aux Premiers des Parlements. Car l'éloquence en la bouche d'un homme de bien et de créance donne de fort grands effets: un seul mot d'un homme digne de foy, dit Polybe, peut destourner les hommes des mauvaises entreprises et les porter aux bonnes. Et il n'y a rien qui plus aye 'de force sur les âmes que la grâce de bien dire, comme nos pères anciens figuroient Hercules Celtique en un vieillard qui traÎnoit après soy les peuples enchaisnés et pendus par les oreilles avec chaisnes qui sortoient de sa bouche pour montrer que les armes et puissances des Roys et Monarques ne sont pas si forts que la véhémence et ardeur d'un homme éloquent... A cause de quoy. à tous les chefs de Justice et Gouverneurs des Villes et Républiques, l'éloquence est fort requise par l'advis encore de ce grand Orateur Conseiller d'Estat et Sénateur romain, Cicéron ... 11 est vray que le bien dire est requis au Magistrat, mais sans affeterie, son éloquence doit plus paroistre en la facilité du naturel propre à cela qu'une trop curieuse recherche d'art... 83. Dans sa maladresse même, ce texte met bien en évidence le dilemme des magistrats humanistes. Leur autorité morale et religieuse, voire 32 Voir, outre la note l, Philibert Boyer, Le sti/e de la Cour de Parlement et forme de procéder en toutes les Cours souveraines ... , Paris, P. Pautonnirr. 1606; dans sa dédicace à L. Servin l'auteur attribue à 84, Cicéron a confondu le facetum comique de l'urbanitas, la dicacitas populaire et l'elegantia. Si Turnèbe approuve l'humour de Sénèque dans l'Apocolokyntose, d'Erasme dans l'Eloge de la folie, ou de Lucien dans son Eloge de la mouche, c'est à leur place, dans des genres satiriques et moraux qui n'ont rien à voir avec le judiciaire. 79 M. Fab. Quintiliani Declamationes, Dia/ogus de Oratoribl/s, Paris, Mamert Patisson, 1580, dédié à Christophe de Thou. Pithou se plaint que l'éloquence des Gaulois, tant vantée des Romains, ait été négligée par les Français leurs héritiers, et approuve l'usage des déclamations à titre d'exercice. Mais il précise que quant à lui: natura bene sentiendi judieandiql/e potil/S qI/am dicendi teneor. La déclamation doit être «autant que possible, accordée à la \'érité, et non composée en vue du seul plaisir ». 80 Commentarii ... , éd. cit., p. 141. Voir Montaigne, III, 5, éd. cit., p. 977, citant Quintilien: «Peetus est ql/od disertum [aeit.» 81 Ibid., f. 145. 82 Ibid., f. 142 v·. Voir Montaigne, I, 9, «Des Menteurs », surtout p. 56, éd. cit. 83 Ibid., f. 57 v·. Voir sur le respect de la condido temporum, f. 148. 84 Ibid., f. 87. Voir Montaigne, Essais, I, 26, éd. cit., p. 205.
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ÉLOQUENCE PARLEMENTAIRE ET RÉPUBLIQUE DES LETTRES
Adrien Turnèbe admire chez Quintilien son sens judicieux du decorum et de la condido temporum. La prudence que Caton attend du vir bonus ciicendi peritus implique qu'il parle à sa place, et selon les temps où il vit: aujourd'hui, en chrétien. Ce double souci à la fois de philosophie et d'insertion sociale amène Turnèbe à revenir à plusieurs reprises sur le problème de l'atticisme. Il repousse l'interprétation qu'en donnent les cicéroniens pour deux motifs majeurs: l'atticisme du plus grand des orateurs, Démosthène, embrasse les trois genera dicendi, le sublime, le moyen et le bas; les cicéroniens, eux, ne tiennent pour atticisme qu'un seul style, grêle et limé (tenuis et limatus). D'autre part seul le grec est capable de cette élocution élégante et gracile: les Latins ne peuvent l'imiter 81. Dans un pamphlet publié en 1559, et applaudi par l'ensemble de la République des Lettres 88, Turnèbe s'appuiera sur cette idèe pour condamner le « cicéronianiste" Pierre Paschal, «padouan» comme Dolet, auteur de belles Lettres à la Longueil et à la Bembo. Turnèbe accusait son style élégant et stérile de n'être que l'instrument mondain d'une ambition toute courtisane. A quoi bon vaincre les Grecs sur ce terrain peu glorieux? Il vaut mieux rivaliser avec eux dans l'ordre de l'invention, et accorder la priorité à la science et l'érudition. La hiérarchie des styles dépend de la profondeur du savoir que chacun met en œuvre. Elle dépend aussi de la hiérarchie des rangs: Turnèbe met en relief la distinction entre causidicus (l'avocat) et l'Orator (le magistrat aux vastes responsabilités morales et politiques) 87. Le grand style, dans ces conditions, sera le plus philosophique, donc le plus érudit. Et il sera le privilège de ceux dont les responsabilités sont les plus grandes .
• •• Quintilien, tel que le commentait Turnèbe, fournissait aux magistrats érudits les ressources nécessaires pour rajeunir, sans en modifier l'esprit, les règles traditionnelles des avocats. Mais par sa forme même, gloses d'érudit en marge des citations de l'antique rhéteur, l'ouvrage de Turnèbe
8G Ibid., f. 147. Le modèle de l'éloquence attique est Démosthène, qui se servit des trois dicendi genera: itaque faUuntur qui Atticos oratores tenues semper et limatos putant. Voir aussi f. 147 V·. 86 De nova captandae utilitatis e literis ratione, epistola ad Leoquercum, Paris, Attaignant, 1559. V. Clément, ouvr. cit .• p. 60. Sur Pierre Paschal, voir P. Bonnefon. Pierre de Paschal, historiographe du Roy (1522-1565), Paris, 1883. La satire de Turnèbe contre le «sophiste de Cour» fut traduite par Du Bellay. qui écrivit en outre «Le poète courtisan". contre les poètes de Cour. VOIr Pauline M. Smith, The anticourtier trend in sixteenth century french literature, Genève, Droz, 1966, p. 113-116. Turnèbe et Du Bellay s'inspiraient tous deux du «Maître de Rhétorique" de Lucien, une des sources du Ciceronianus d'Erasme. 87 Ibid., p. 142.
UNE RHÉTORIQUE DES CITATIONS
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offrait le modèle d'une éloquence savante supérieure à celle des avocats. Même leçon dans les ouvrages, qui paraissent à la même époque, entre 1550 et 1570, de Pietro Vettori, commentarii, citation après citation, des monuments de la rhétorique grecque et latine, d'Aristote et Démétrius de Phalère à Cicéron. Et le mot commentarii, on le sait, est celui qui servira souvent pour traduire en latin le sens du titre des Essais de Montaigne, dont le point de départ rhétorique est du même ordre: gloses en marge de citations dans le texte. Il s'agissait là en effet d'un mode du discours éminemment conforme à l'idéal de l'humanisme érudit, à la fois philologique et philosophique. S'il devait advenir une grande éloquence française des magistrats, elle ne pourrait être qu'une dérivation des commentarii savants, remontant vers les sources mêmes de l'Antiquité païenne et chrétienne pour en signifier la substance à un monde corrompu qu'il faut réformer, en lui rappelant les richesses de l'Origine. Ni Budé, ni Turnèbe n'étaient favorables à la traduction qui affaiblit la vigueur des sentences antiques, et trouble la pureté des sources que la philologie a justement pour tâche de retrouver. La magistrature érudite, fière de sa philologie, ne pouvait que partager ces vues. Encore fallait-il, ne fût-ce que pour illustrer l'Edit de Villers-Cotterêts, «illustrer» la langue vulgaire, celle du Roi. Celle-ci, dans l'éloquence humaniste du Palais, sera donc affectée aux gloses dont s'accompagnent les sentences grecques et latines, parfois même hébraïques, citées dans leur langue auguste. Le contrepoint entre les voix parlant les langues héritières directes de l'Origine, et la voix de l'orateur qui les commente en langue vulgaire fait du discours des magistrats un dialogue 88, écho oral du dialogue silencieux et écrit entre le philologue et les textes qu'il restaure et dont il explicite le sens dans l'intimité de sa «librairie ». Ce dialogue entre l'Antiquité et ses témoins dans un âge de fer restera au principe de l'essai montaignien ; mais Montaigne, assumant à la première personne, de plus en plus assurée, la voix française, rétablit l'équilibre, et se faisant « Ancien» parmi les modernes, s'aventure à leur exemple, à parler en son nom. Le magistrat du Palais, haranguant en robe rouge, parle au nom de l'institution. Dans sa bouche, le contrepoint entre voix antiques, oracles de l'Origine, et voix vulgaire les glosant pour le public moderne, est une rencontre entre la sacralité du Verbe originel et celle du Parlement, l'un demandant inspiration à l'autre pour l'incarner dans le présent déchu. Le spectacle de ces «oraisons» devait avoir quelque chose de biblique: c'est Moïse interprétant par la voix d'Aaron la Parole divine pour le peuple infidèle. Prise par son grand côté, cette éloquence des magistrats n'était pas sans «sublime », au sens même de Philon d'Alexandrie et de Longin. Le P. Caussin, nous l'avons vu, n'y était pas insensible, et le peuple de 88 Sur le prIncipe de dialogue que comporte la citation, avec toutes les possibilités du dialogue entre l'orateur et ses autorités, voir «Dialogue, entretien et citation à l'époque classique », de B. Beugnot, Revue canadienne de litt. comparée, Hiver 1976, pp. 39-50.
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ÉLOQUENCE PARLEMENTAIRE ET RÉPUBLIQUE DES LETTRES
Paris, admis aux audiences du Palais, en demeura longtemps ébloui. C'était le mythe même de l'humanisme érudit gallican qui se donnait là en spectacle; par la philologie éloquente, retrouver et diffuser le sens plus pur du Logos originel, et sur cette pierre, rebâtir le Royaume-Eglise de France, corrompu trop longtemps par la barbarie des moines et les ruses de Rome. Mais cette célébration d'un Logos sans image, scintillant de mystérieuses sentences, n'était qu'un idéal. Chez les magistrats eux-mêmes, obligés de parler deux fois l'an sur le même thème, le recours à des recueils tout préparés de citations antiques était inévitable. Pour se faire éloquente, la philologie devait s'abaisser à la vulgarisation d'innombrables volumes de Polyantheae, Cornucopiae, Florilegii, où le legs de l'Antiquité profane et sacrée est «exploité» comme une «minière ~ productive de discours. Les prédicateurs, qui avaient pourtant d'impérieuses raisons de respecter leurs «sources », l'Evangile, la Bible, et les Pères, n'en recouraient pas moins à ces recueils de loci communes, et à d'autres qui leur étaient spécialement destinés, tels la Sylva locorum de Louis de Grenade ou le Thesaurus concionatorum de Thomas a Trujillo. A plus forte raison, les avocats, qui se croyaient tenus pour plaire aux Juges d'entremêler chicane et érudition puisée à haute dose dans les Polyanthées. Les magistrats-prêtres du Temple gallican de la Justice réussirent pourtant, forts du prestige de leur institution, et de leur foi dans l'humanisme érudit, à maintenir près d'un siècle une grande éloquence qui, née du style érudit, garantissait à son tour une véritable «rhétorique des citations ». 3. Naissance d'une grande éloquence des magistrats Au chapitre Jurisprudence de son traité Desseins des professions nobles et publiques 88, Antoine de Laval, que nous avons vu pester contre les sophistes de la Chaire, décrit à son fils, en termes admiratifs, la rhétorique institutionnelle du Palais telle qu'elle est établie, en ce début du XVIIe siècle: Chez les Anciens, n'étoit point Orateur qui n'étoit preud'homme: vir bonus dicendi peritus. Il n'en va pas ainsi aux autres arts, on n'y requiert
que la suffisance, un méchant homme peut être bon Pilote, bon Peintre, mais de cet art cy ôtez en la probité, vous n'y laissés que le brigand; et au lieu de persuader par son vain babil, tout le monde se tient en garde, aussi tost qu'il ouvre la bouche, on croit toujours le contraire de ce qu'il dit, tant les méchantes actions désautorisent (sic) les belles paroles 89. Et après avoir rappelé qu'un Avocat au Parlement fut dégradé parce qu'il «avait plaidé faux », Antoine de Laval marque la distance qui
89
Ouvr. cit., éd. cit., p. 97.
MAGISTRATS ET AVOCATS
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sépare les simples causidici des Avocats du Roi, que les jurés consultés appellent
Os, linguam et mentem cognitorem Regis, comme les autres Avocats le sont des procureurs des parties et donc élevés en un étage au dessus de ceux-ci, d'où leur voix peut être mieux résonnante, plus avidement écoutée, plus clairement antandue (sic), et plus reveramment receue. L'éloquence semble être inséparable de leurs charges, d'autant que toutes les actions publiques les regardent, ils ne manient jamais autres sujets que specieux, grans, eminans, Royaux, publics, qui rendent leurs plaidoyés plus relevés, ce sont autant d'oraisons accomplies, où tout l'artifice de l'oratoire peut être étalé: on y peut garder toutes les parties de l'oraison 90. A l'avocat, dont la vocation sophistique est liée à la cause particulière qu'il défend, l'éloquence est mesurée. Elle peut se déployer plus librement dans la bouche de l'Avocat du Roi dont l'autorité est celle de la Loi, du Roi, et donc de Dieu et de la Vérité. Nous avons ouy de nôtre âge, poursuit-il, de grands hommes en cette charge au Parlement de Paris, et aux autres Parlemens de France en bon nombre. II y en a encor es de vivants qui jouyssent de la gloire acquise par l'éloquence. Les feux sieurs de Pybrac, Brisson, Mangot, d'Epesses (pour ne parler des vivans), ont élevé bien hautement l'éloquence Françoise, et se sont rendus si recommandables à la Postérité qu'il sera bien difficile de les suivre 91. Quel est donc le secret de cette éloquence française? « Il faut estre sçavant ». Et Laval de commenter ainsi cette sentence: Il sera malaisé qu'après avoir beaucoup acquis de quoy dire, un homme de jugement n'explique bien nettement et par ordre ses conceptions, ne s'éclaircisse purement et facilement de ce qu'il aura une fois bien sceu. Eadem enim est ratio et percipiendi quae proferas et proferendi quae perceperis, disent les Maîtres. Si ce n'est avec tous ces fards et ornements oratoires que l'éloquence parfaite pourroit peut-être désirer, à l'aventure ne l'en estimera-t-on guere moins. Quant à moy, je ne puis croire qu'il y ait aujourd'huy Juge entendu en France qui n'ecoutast plus patiemment une des Remonstrances de ces grandes lumières de leurs sieges, Du Mesnil, Pybrac, Marion, et autres, qu'il ne feroit l'Oraison pro Dejotaro ou pro Mi/one, en notre langue ... Je demande l'éloquence à notre mode qui est bien poser un fait, l'eclaircir purement, le soutenir de bonnes, fortes et solides raisons; sans perdre le tans à des digressions vaines, à des images, à des peintures, à des parergons, qui vous emportent au delà du sujet principal. C'est aujourd'hui ce que les sçavans prisent le moins. Le tans est trop court et trop cher pour l'employer à ouir du vent 92.
110 91
82
Ibid., p. 97 v·. Ibid. Ibid., p. 98.
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ÉLOQUENCE PARLEMENTAIRE ET RÉPUBLIQUE DES LETTRES
Citant Quintilien, qui conseille de s'adapter à la condido temporum, Laval conclut ainsi sa " Remonstrance » : Le parler ampoullé était bon en Athenes, à Rome, où le peuple souverain se laissait mener par le nés, et se mouvait au moindre vent du premier causeur qui venait pleurer en chaire comme une garse ... On le sifflerait maintenant au Palais. Je vous laisse à penser comme il y ferait ses affaires de contrefaire le pleureux pour faire pleurer ses Juges, comme fit ce mocqueur Pro en. Plan cio, tout à la fin de son plaicloyer 93.
La bonhomie d'Antoine de Laval ne doit nous masquer ni la sûreté de son information, ni sa qualité représentative. Ses Desseins marquent sans doute une influence du ramisme, dont nous aurons l'occasion d'observer un certain réveil en milieu de Robe au début du XVII" siècle. Le rôle que Laval attribue à la Logique et aux Mathématiques dans son programme pédagogique en porte la trace, de même que l'insistance, dans le texte qui précède sur les «bonnes, fortes et solides raisons », le refus des « digressions et parergons », toutes remarques qui vont dans le sens d'un atticisme au sens ramiste, où la probatio l'emporte sur l'ornatus. L'ascendance II: budéenne» du "style de Parlement », tel qu'il le décrit, n'est sensible que sur un point, mais il est capital: le privilège accordé au «sçavoir» comme source et garantie du discours, et aux « sçavans» comme à ses destinataires et juges en dernier ressort. L'éloquence est au service de l'érudition chrétienne, dont elle manifeste et célèbre l'autorité. Les maîtres de l'éloquence du Palais ne sont pas des rhéteurs, mais des philologues, dont la parole communique un savoir puisé aux sources même de l'antique vérité. Dans la mesure où l'avocat est plus rhéteur qu'érudit, et où l'Avocat du Roi, un magistrat, est plus érudit que rhéteur, la hiérarchie des rangs se reflète aussi dans la la hiérarchie des discours, l'un puisé à des sources plus nombreuses, plus authentiques, et mieux comprises, l'autre orné, peut-être, de « belles sentences », mais au service d'une fin suspecte et particulière. A cette gravité des «choses» philosophiques, tirées de textes inconnus du vulgaire, le rire, le jeu comique, l'histrionisme ne sauraient se mêler sans crime . L'éloquence « sans rhétorique» des savants à l'usage des savants relève du registre sublime. L'ascendance érasmienne vient se conjuguer chez Laval avec l'héritage budéen: il condamne comme Erasme toute rhétorique d'amplification épidictique, surtout lorsque celle-ci fait appel aux figures d'imagination. En 1621, il étendra ce goût sévère à l'éloquence sacrée elle-même, qui chez l'auteur de l'Ecclesiastes était plus accueillante à l'ekphrasis. Même accent érasmien dans le respect de la condicio temporum moderne, chrétienne et française, qui n'est pas propice à une réviviscence de l'éloquence cicéronienne.
93
Ibid.
LE PARLEMENT, ACADÉMIE D'ÉLOQUENCE
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Le ramisme un peu dilué d'Antoine de Laval est un motif récent: les autres aspects de sa doctrine oratoire, où fusionnent des éléments venus de Budé et d'Erasme, sont le fidèle reflet de la rhétorique institutionnellE définie par les magistrats humanistes du Palais au XVIe siècle .
••• La confirmation nous en est apportée par Etienne Pasquier, qui est à peu près de la même génération que Laval. Nous avons déjà vu quelle il opère entre l'Orator à distinction typiquement érasmienne l'antique et l'avocat « né chrétien et français ». Ailleurs, il s'attarde lui aussi sur ces « Resmonstrances}) des Avocats du Roi, auxquelles Laval accorde tant de prix. Il parle des «harangues que les Avocats du Roy font deux fois l'an aux ouvertures générales des plaidoyers, en la Cour de Parlement ». Il s'agit d'un genre nouveau, dont il a vu «de son temps », c'est-à-dire dans les années 60-70 du XVIe siècle, la « naissance et l'accroissement" 94. Ces «harangues", que Pasquier qualifie comme Laval de « Remonstrances », nom qui se rattache à celui du «droit de remontrance », privilège des magistrats du Palais vis-à-vis de la Couronne, ne s'adressent pas au Roi, qui préside quelquefois les cérémonies d'ouverture, mais aux avocats du Parlement. Elles n'ont pas pour but, comme la vieille institution des Mercuriales 96, de rappeler, dans la bouche des Premiers Présidents, les termes des Ordonnances réglant la discipline du Palais. Genre épidictique, elles sont l'occasion pour les Gens du Roi de revêtir le nouveau rôle d'Orateur dont l'humanisme les pare et de fixer aux causidici une norme rhétorique fidèle à la tradition du Stilus Curie Parlamenti, mais adaptée aux tentations nouvelles que recèle la rhétorique humaniste. Au nom du Parquet, l'Avocat Général, parfois le Procureur Général, donnant de leur personne, font deux fois l'an l'apologie de la Parole de Justice, et stigmatisent ses déviations. Institution nouvelle, qui donna lieu à de véritables tournois d'éloquence entre les divers Avocats Généraux. Selon Pasquier, après de modestes débuts, l'art des «Remons-
Etienne Pasquier, Les Recherches ... , éd. cit., p. 408. Sur le sens des termes Remonstrances et Mercuriale, Furetière est tout il fait clair. Remonstrance : «humble supplication que l'on fait au Roy» ; mais aussi «advis, conseil, légère et honnête correction» : Les presidens font des remonstrances aux gens du Barreau. Mercuriale: «assemblée qui se fait dans les Cours souveraines les premiers Mercredis après l'ouverture de la SaintMartin et de Pâques, dans laquelle le Premier Président ou le Procureur Général ou l'un des Avocats généraux exhorte les conseillers à rendre exactement la justice, à observer les règlements, et fait quelquefois des remonstrances ou corrections à ceux qui ont manqué à leur devoir: le Président fit une belle mercuriale. » Remonstrance d'ouverture et mercuriale sont donc deux genres bien distincts, qui ont leurs jours séparés, l'une ayant pour principal objet les avocats et leur éloquence, l'autre ayant pour objet la discipline des conseillers, avocats et procureurs. 94
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ELOQUENCE PARLEMENTAIRE ET REPUBLIQUE DES LETTRES
trances d'ouverture» prit un grand essor grâce à l'émulation qui s'établit entre Baptiste Du Mesnil, qui se réservait la rentrée de la Saint Martin, et Guy Du Faur de Pibrac, qui se réservait celle de Pâques; Brisson succéda à Pibrac, Faye d'Espeisses à Brisson, Mangot à d'Espeisses. Tous ces braves esprits, écrit Pasquier, furent diversement conviés à cette nouvelle éloquence par Messire Christophe de Thou, Premier Président, qui prenoit infiniment plaisir à les escouter et à leur répondre 9& bla. Pasquier est beaucoup moins favorable qu'Antoine de Laval à cette pratique nouvelle des «beaux discours» G6. A travers ses lettres à Loisel et à d'Espeisses, on le sent irrité par la contradiction dont font preuve les Gens du Roi de la Grand'Chambre, qui tout en combattant les tentations d'éloquence « à l'antique» chez les avocats, donnent euxmêmes l'exemple de l'ostentation oratoire. Cette contradiction n'est pas sans l'effleurer lui-même. Auprès de l'avocat Thomas Sébilet 97, qui lui vantait les fastes du Forum, il proteste contre cette fascination et nie la supériorité de Rome sur la France. II exalte, après Budé, après Ramus, les dons des anciens Gaulois, et par-dessus tout leur c faconde» qui étonnait les Romains. II n'est donc pas question d'abandonner à Rome et à l'Italie le prestige et le privilège de l'éloquence. Mais Pasquier remarque, à la louange des Gaulois, que ceux-ci n'ont pas exploité leur don naturel, pour le monnayer et en tirer gloire, dans des écrits travaillés avec trop de soin. Le Stilus Curie Par/amenti, tel que le définissent les vieilles Ordonnances, induit Pasquier à une défiance très vive envers toute tentation Pasquier, ibid., p. 409. Voir Œuvres, éd. cit., 1. XI, lettre 1 à jacques de la Guesle: «Vous autres, messieurs, qui estes destinez à donner la loy à autruy, apprenez à la vous donner à vous mesme.» Et de faire l'éloge de Caton le Censeur. Voir aussi 1. VII, lettre 12 à Antoine Loisel: «Pendant que vous faites de si beaux discours il faut que je me taise ... :. Voir enfin Recherches, éd. cit., p. 407, où Pasquier rappelle que les «longues harangues» ont été «de tout tems defendues ès Cours souveraines, comme jadis en la ville d'Athènes:.. Une pratique médiévale trouve donc à se justifier et à se conforter dans l'atticisme humaniste. Il est probable que la tentation de l'ubertas cicéronienne, de la copia verborum excessive condamnée par Erasme aussi bien que par les atticistes romains, accompagna chez les avocats la diffusion de l'humanisme et du culte de Cicéron. La brièveté que réclament des avocats les longues Remonstrances des Avocats généraux, au nom du Parquet, répondait à une exigence pratique, celle des «Parlemens de France », différents du Forum antique. Dans le Brutus, Cicéron opposait déjà son éloquence, propre à émouvoir le public du Forum, et celle de ses rivaux atticistes, brève et sèche, inefficace sur le Forum, tout juste bonne pour les seuls délicats, ou pour les audiences restreintes du «comitium:. (Brutus, 289-291). Si les avocats ont la tentation du Forum, les magistrats les ramènent à la notion du Parlement comme «comitium », où l'éloquence ne concerne qu'un petit nombre, celui des officiers de justice. 97 Œuvres, éd. cit., 1. " lettre 12 à M. Sébilet, avocat au Parlement. Sur Pasquier historien des Antiquités nationales, et ardent apôtre d'un humanisme spécifiquement français, fidèle aux traditions du Royaume, voir D.R. Kelley, Foundations ..., ouvr. cit. 9& bl.
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DYNASTIES DE GRANDE ROBE
sophistique, y compris ceBe qui prend la forme détournée de la « gloire ~ et qui ferait des discours du Palais l'objet d'un travail «cicéronien:) sur l'élocution. Pourtant, il ne se satisfait pas de la solution trouvée par les Avocats du Roi, surchargée de citations érudites, et qui garde une allure «gothique» : Nous seuls, se plaint-il, entre toutes les nations, faisons profession de rapiecer, ou pour mieux dire, rapetasser nostre éloquence de divers passages 98. Recourant à une métaphore médicale, il parle d'une véritable indigestion d'érudition gréco-latine, «l'estomac» français s'étant chargé de « morceaux» trop crus de grec et de latin et les rendant tels quels l1li. C'est que Pasquier est avant tout avocat. 11 ressent l'éloquence érudite comme une manifestation de l'orgueil des magistrats de la Grand' Chambre, et une humiliation infligée à ses collègues du Barreau. Ce sentiment, allié à un sentiment plus vif de la technique oratoire chez les avocats que chez les impérieux auteurs de «Remonstrances» et d'« Arrêts en robe rouge », sera, nous le verrons, un des plus puissants agents du déclin de la «rhétorique des citations:) .
• •• Tous les noms cités par Antoine de Laval, et par Pasquier, comme liés à la naissance de l'art parlementaire des «Remonstrances d'ouverture» : le Premier Président Christophe de Thou 100, les Avocats Généraux Du Mesnil, Pibrac 101, Faye d'Espeisses 102, sont ceux d'amis de
Etienne Pasquier, Lettre à Loisel, cit. Ibid. 100 Sur Christophe de Thou, voir Papire Masson, Christophori et Augustini Thuanorum Elogia, Paris, 1595 (rédigés en 1582). Masson insiste sur l'eloquentia des deux frères. Christophe (auteur de centons de Virgile, Lucain, Ausone) était memoria {oecundus et judicio rectus et integer. Quant à Augustin, sa brevitas rappelait ceBe de Caton et de Phocion. Lui aussi était insignis memoria rerum. Cette richesse dans l'ordre de l'invention l'autorisait à une pauvreté judicieuse et voulue dans l'ordre de l'élocution: solebat ... paucissimis verbis multa complecti, id praestantius judicans quam /liadem canere. Voir René Filhol, Le Premier Président Christofle de Thou et la Réformation des coutumes, Paris, Sirey, 1937. 101 Voir E. Dupré-Lasale, Michel de fHospital, Paris, Thorin, 1875, t. l, ch. IX (sur Arnaud, père de Guy, ami de l'Hospital), et surtout A. Cabos, Guy du Faur de Pibrac, un magIstrat-poète (1529-1584), Auch, 1922. 102 Sur Jacques Faye d'Espeisses, voir notice par Eugène Halphen, Lettres inédites de J. Faye et de Charles Faye, Paris, Champion, 1880. Fils de Barthélémy Faye et de Marie Viole, il eut pour parrain Jacques d'Angennes, Sgr. de Rambouillet. Elève de Turnèbe et de Ramus, il succéda à B. Brisson comme Avocat général en 1580. II fut le Président du Parlement de Tours, fidèle à Henri III et partisan d'Henri IV. Sur son père, Barthélémy, ami de Michel de L'Hospital, voir E. Dupré-Lasale, M. de L'Hospital, ouvr. cit., et A. Buisson, Michel de L'Hospital, Paris, Hachette, 1950. 98
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Michel de L'Hospital 103, et désignent ft la fois des magistrats et des dynasties de Grande Robe qui furent les «patrons» de l'humanisme français de la seconde moitié du XVIe siècle. Cette génération a fait le voya~e de Padoue, elle a protégé Pierre Bunel, le premier « cicéronien» français, qui fut le précepteur de Guy Du Faur de Pibrac 104. Elle a aussi suivi l'enseignement de Cujas à Toulouse, Cahors et Bourges. Elle co1labore étroitement avec les professeurs du Co1lège Royal. Un Turnébe dédie ses œuvres à Henri de Mesmes, ami de L'Hospital. Elle se retrouve dans le premier «salon littéraire» parisien, qui est tout de «Robe », celui de Jean de MÇlrel et de ses trois filles 105 .. Par Jean de Morel, disciple d'Erasme, ce milieu de Grande Robe humaniste hérite de l'esprit du sage de Rotterdam. C'est encore cette génération qui soutient les débuts de Ronsard et de la Pléiade, et impose ces poètes humanistes à la Cour. La richesse des motifs et des traditions qui s'entrecroisent dans cette élite de la responsabilité et du savoir fait d'e1le, avant son héritiére du Cabinet Dupuy au XVIIe siècle, le carrefour des débats de la République des Lettres. Par leurs études à Padoue, par Pierre Bunel, le maître de Paul Manuce, par Emile Perrot, leur collègue du Parlement de Paris, les magistrats érudits de cette génération sont initiés au cicéronianisme de Venise. Mais ils se sont rangés aux côtés de Turnèbe lorsque celui-ci a lancé son pamphlet contre le cicéronien Pierre Paschal en 1559. Dans les Epistolae de Michel de L'Hospital, qu'éditera en 1585 une véritable « Pléiade» érudite, j.A. de Thou, Guy Du Faur, Pierre Pithou, Nicolas Le Fèvre et Scévole de Sainte Marthe 106, le Chancelier de France donne la note juste du «meilleur style» latin à la française: la correction et l'élégance sans doute, mais au service des « choses », morales, religieuses et civiques. Par leurs études de droit auprès de Cujas, ils héritent de la méthode historique et critique de Guillaume Budé. Par leurs liens avec les pro-
103 Voir Dupré-Lasale et Buisson, ouvr. cit. Il y aurait une étude '" prosopographique» à faire sur l'Hospital, ses compagnons d'études, leur carrière, leurs alliances familiales; ils constituent dans la seconde moitié du XVI' siècle, une série de dynasties étroitement liées entre elles et qui forment l'armature de ce que l'on a appelé tantôt «les Politiques », tantôt «le parti des Parlementaires ». On ne saurait surestimer l'importance de cette «élite de l'élite» de Robe dans l'Etat et dans la culture française entre 1550 et 1650. La fille de l'Hospital épouse le frère du Chancelier Hurault de Cheverny, qui avait luimême épousé Anne de Thou, fille de Christophe. Une autre fille de Christophe épousa Achille de Harlay, Premier Président. 104 Sur Pierre Bunel, ami d'Emile Perrot, comme lui élève de Lazare Buonamico à Padoue et hôte de Lazare de Baïf à Venise, voir A. Samouillan, DI' Petro Bunello t%sano l'jusque amicis 1499-1546, Paris, Thorin, 1891. Il fut le protégé de la famille Du Faur, et le précepteur de Guy du Faur de Pibrac. 105 Sur Jean de Morel, son érasmisme, et le «salon» docte qui était à Paris le rendez-vous de l'élite de la Robe savante, v. E. Dupré-Lasale, ouvr. cit., t. l, p. 97-103, et t. Il, p. 27. 106 Epis/olarum seu sermonum libri sex, Paris, Mamert Patisson, 1585. Trad. N. Rapin, Discours à ses amis, Poitiers, 1601.
LES c INCRUSTATIONS EMPRUNT~ES»
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fesseurs du Collège Royal, tel Turnèbe, par le rôle que joue parmi eux Jean de Morel, ils héritent de la c philosophie chrétienne» d'Erasme, de son souci de tenir la balance égale entre ultramontains et protestants. Leur gallicanisme leur fournit sur ce point des bases historiques et institutionnelles solides. Leur double appartenance à la République des lettres savantes, et aux institutions politico-judiciaires du royaume Très-Chrétien, explique leur attitude sur le problème de la langue. Tenant de leur érudition humaniste leur prestige auprès de l'Epée et du peuple, ils identifient à leur magistère le privilège des langues classiques qui, au surplus, sont plus proches de la Parole originelle et divine. Soucieux par ailleurs d'exercer pleinement une magistrature civique, ils sont prêts à utiliser la langue vulgaire et à favoriser son illustration. L'enthousiasme et l'érudition d'un Ronsard, celui des Hymnes et des Odes, avaient tout pour leur plaire. Le poète était pour l'humanisme érudit un ambassadeur précieux auprès des «ignorans» de la Cour. Et dans une grande mesure, l'invention par les magistrats érudits du genre des « Remonstrances d'ouverture» créait l'équivalent en prose des Hymnes de Ronsard. Mais si la poésie philosophique de Ronsard pouvait se permettre d'imiter, sans les citer, les Anciens, l'éloquence philosophique du Palais, expression directe d'une élite savante, à l'intérieur d'une institution qui, par opposition à la Cour, est avec l'Université le haut lieu du savoir, devait mettre en évidence ses sources. Titres de noblesse d'une élite docte, ces c incrustations empruntées» ont cet autre mérite d'écarter tout soupçon de sophistique. La citation est à la fois preuve et ornement, elle atteste sur la majesté d'une fonction, l'autorité des Sages, des Prophètes, des Apôtres et de Dieu même. La valeur normative de la c rhétorique des citations» est attestée jusque chez un Charron, qui pourtant, après Montaigne, distingue entre sagesse naturelle et perfection religieuse, et situe son discours dans un ordre purement séculier. Dans la préface de la Sagesse, le disciple de Montaigne écrit: La Sagesse, écrit-il, n'a que faire de toutes ces façons pour sa recommandation; elle est trop noble et glorieuse: les veritez et propositions y sont espesses mais souvent toutes seches et crues, comme aphorismes, ouvertures et semences de discours. J'y ai parsemé de sentences latines, mais courtes, fortes et poétiques tirées de tres bonne part et qui n'interrompent ny troublent le fil du texte François. Car je n'ay peu encores estre induitt à trouver meilleur de tourner toutes telles allegations en François comme aucuns veulent, avec tel dechet et perte de la grace et energie qu'elles ont en leur naturel et original, qui ne se peut bien représenter en un autre langage 107. La densité du discours philosophique repose donc sur la juxtaposition de sentences françaises (c Sçavoir se taire est un grand advantage à
107
P. Charron, La Sagesse, Leyde, Elzevier, s.d., préface.
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ÉLOQUENCE PARLEMENTAIRE ET RÉPUBLIQUE DES LETIRES
bien parler,,) et de « semences de discours" (semina dicendl) extraites des sources pures de la sagesse antique. Cette mosaïque é1iminl~ toute « bourre" et tout ornement oratoire, el1e est tout entière «choses" et non point mots. Toutefois, l'art des citations chez Charron ne suppose pas la même hiérarchie, reflet d'un privilège érudit, que chez les magistrats du Parlement. Il bénéficie en effet de l'exemple de Montaigne, pour qui le recours aux Anciens philosophes est de l'ordre du dialogue d'égal à égal et non plus, comme chez les col1ègues du Parlement, de l'ordre de l'écoute prophétique. Il bénéficie aussi des leçons de Guillaume Du Vair, qui a combattu la discontinuité du discours «incrusté" de citations: il s'y montre attentif dans le dernier chapitre de la Sagesse, intitulé De la tempérance au parler et de l'éloquence 108. L'effort déployé, chacun à sa manière, par un Montaigne et un Du Vair pour modifier la « rhétorique des citations" révèle le prestige que les magistrats du XVIe siècle lui avaient conféré, comme le seul mode légitime du discours philosophique en français. C'est encore en son nom que le Frère André de Saint Denis attaquera la prose «sophistique» de Balzac en 1626. El1e mérite mieux qu'une mention dédaigneuse.
108 Ibid., 1. III, ch. XLIII. Voici les points principaux: «Que le parler soit sobre et rare [ ... ] Veritablement l'usage de la parole est d'aider à la vérité et luy porter le flambeau pour faire voir; et au contraire descouvrir et rejetter le mensonge [ ... ] Naïf, modeste et chaste, non accompagné de vehemence et contention ... non artificiel ny affecté, non desbauché et desrei~lé ny licencieux [ ... ] Serieux et utile, non vain et inutile, il ne faut s'amuser a compter ce qui se fait en la place ou au theatre, ny à dire sornettes et risées, cela tient trop du bouffon et monstre un trop grand et inutile loisir [ ... ] Facile et doux, non espineux, difficile ennuyeux [... ] Ferme, nerveux et genereux, non mol, lasche ct languissant ~ (618-619). Considérations sur l'aclio (620). Enfin: «On peut dire contre l'eloquence que la verité s. Si l'inspiration budéenne l'emportait à l'étage supérieur des magistrats, la leçon érasmienne de dacta pietas elaquens et sapiens l'emporte à l'étage inférieur, celui des avocats. Sur les fleurs de lys, les éclairs d'enthousiasme dévoilent la vérité; derrière le barreau, la simplicité du cœur y prépare. Celle-ci serait menacée par une imitation curieuse et ambitieuse la rhétorique judiciaire antique:
d~
Ne vous trompez pas, s'écrie Pibrac, sur l'exemple des Oraisons grecques et latines esquelles il semble que l'on dise tout d'un coup, et quasi d'une halenée, ce qui servoit à la cause 127. Ailleurs, il s'en prend à ces «antiquaires qui ne veulent rien aujourd'huy recevoir pour bon et loyal s'il n'est frappé au coin Attique ou Romain» 128. On recol1l~aît dans cette insistance sur la candicia temparum propre aux institutions modernes et chrétiennes un des thèmes majeurs du Ciceranianus d'Erasme, mis au service du Stilus Curie Parlamenti. Celui-ci, on s'en souvient, contenait des thèmes stoïciens, et se référait indirectement au De Ira de Sénèque. La transition entre l'héritage
126 Sur ce renvoi à la tradition propre aux Parlements français, voir le recueil cité p. 26, 28, 37, 88, 91, 144. 127 Ibid., p. 37. D'Espeisses développe le même thème, en y ajoutant que le public de l'éloquence judiciaire moderne n'est pas le même que celui des Anciens: «Ils parloient devant le peuple, icy nous plaidons devant des personnes doctes, qui habent aures acri totas aceto, ils traitoient des choses d'opinion, nous traitons des sciences solides" (ibid., p. 144). La différence entre l'ordre judiciaire français et l'ordre judiciaire des Anciens est l'objet de l'ouvrage de Pierre Ayrault, De l'ordre et instruction judiciaire dont les anciens grecs et romains ont usé ès accusations publiques conféré avec l'usage de nostre France, Paris, J. du Puys, 1576. 128 Ibid., p. 85.
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LA MAGISTRATURE ORATOIRE DU PALAIS
médiéval du Palais et les premiers signes de la Renaissance stoïcienne est déjà sensible chez Pibrac., Celui-ci prononça d'ailleurs à l'Académie du Palais un Discours de l'Ire, et comment il faut la modérer 129. Encore s'agit-il, chez Pibrac, d'un stoïcisme ennemi de la rhétorique, celui de Sénèque, de Marc Aurèle et d'Epictète, et non celui de Panaetius, le maître de Cicéron : La différence, dit Pibrac à l'assemblée du Parlement de Paris, que Cicéron a voulu mettre entre le Juge et l'Advocat. encores qu'il se fortifie de l'opinion de Panétius stoïcien, en ce qu'il dit que le Juge cst obligé par le dû de son office, de rechercher et embrasser ce qui est vray, et ~e qui est de droit, et à l'Advocat il donne licence de s'arrester au vraysemblable, et à la seule apparence de vérité et de droicture, m'a toujours semblé indigne d'un philosophe. mais encore plus d'un Chrestien. qui a cognoissance de Dieu, et qui ne peut ignorer qu'il seroit coupable devant son jugement s'il en usoit de ceste sorte 130. Le regard du Dieu qui sonde les reins et les cœurs interdit le recours aux vraisemblances oratoires. Et l'oreille des Juges du Parlement n'a pas besoin des accommodements auxquels étaient contraints les orateurs païens: Ils (les avocats antiques) parloient devant le peuple, dit Faye d'Espeisses. icy nous plaidons devant des personnes doctes, qui habent aures acri tatas aceto, ils traitoient de choses d'opinion, nous traitons des sciences solides 131. Cette éloquence chrétienne, à l'usage des seuls eruditi, est parfaitement conforme à l'esprit du Ciceronianus. Et c'est encore à Erasme que renvoie de façon implicite le contraste constamment évoqué entre la brièveté chrétienne, et l'abondance vaine de Cicéron. Dans une Remonstrance anonyme, un orateur déclare que pour parler en avocat loyal. prudent et généreux... il n'est besoin de vous enseigner les preceptes qui furent baillez par les Grecs et les Romains et qui n'apprennent qu'à beaucoup parler 132.
Voir Biblio. p. 711. Anc. Fr. 2585, f.8 101-155 v·. Ouvr. cit. p. 30. Les magistrats tels que Pibrac et d'Espeisses, moins altiers qu'un La Guesle. cité plus loin, s'efforcent d'élever jusqu'à eux les avocats. Voir aussi d'Espeisses. p. 122. 131 Harangues ... , éd. 1609. cit., p. 144. 132 Le Thresor des Harangues .... Paris. 1660 (Priv. accordé au sieur Gibault, avocat, le 19 juin 1654), p. 3. Ces harangues. qui datent manifestement du XVI' siècle, sont anonymes; l'effort de les rééditer marque. en plein essor de la prose et de l'éloquence classiques. la persistante fidélité de certains robins à la langue et aux habitudes anciennes du Palais. 129
130
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L'EXEMPLE DANGEREUX DE CICÉRON
S'il faut chercher des modèles antiques pour l'éloquence chrétienne du Palais, ce n'est pas chez Démosthène ni Cicéron, mais chez d'autres héros de Plutarque, moins rhéteurs: Caton le Censeur, et surtout Phocion. Sans cesse invoqué par les Avoc'!ts du Roi, le général athénien auquel Nicolas Poussin consacrera en 1648 deux magnifiques élégies funèbres était dès 1564 érigé par Pibrac en patron de la Parole du Palais: Son siècle, déclare (Plutarque) à propos de Démosthène, produisit plusieurs autres excellents et grands orateurs [ ... ] de lesquels il faisoit fort peu de compte, mais il redoutoit Phocion, duquel dès lors qu'il se levoit pour parler en public, il avoit accoutumé de dire tout bas à l'oreille de ses amis: voicy la hache qui retranche mes parolles. Et toutefois la verité est que Phocion n'estoit point en estime de grand Orateur, mais seulement d'un prud'homme, lequel par sa prudhomie persuadoit plus fortement que par un autre moyen, comme aussi le mesme autheur en un autre lieu dit que les parolles de Demosthène se rapportoient aux mœurs de Phocion, parce que non seulement une parolle mais un seul signe de teste d'un homme de bien a bien plus de poids et plus de force de persuader, que n'auroient une infinité d'Arguments et d'artifices de Rhetorique 133.
Parler ici d'une « influence» de Plutarque serait insuffisant. Ce qui est demandé à Plutarque, c'est d'offrir en Phocion un modèle d'éloquence «sans rhétorique» sage, dense et brève, qui illustre et amplifie les thèmes traditionnels du Stilus et des Ordonnances appliqués aux avocats. La philosophie morale des magistrats humanistes, leur intérêt privilégié pour Platon, Plutarque, Sénèque et le Portique sont commandés par le souci de maintenir vivante la tradition religieuse de la Parole que le Palais humaniste a dérobée à la Faculté de Théologie et dont il se veut désormais, devant la société civile, comptable et dépositaire .
• •• La rhétorique officielle à l'usage des avocats s'emploie à réduire ce décalage entre l'idéal et la pratique. Elle est avant tout une éthique de la parole, ajustée à des fins professionnelles plus modestes, allégée de l'épistémologie à la fois érudite et mystique réservée aux Juges. La topique de l'éloge du bon avocat va tout entière en ce sens. L'un des lieux communs les plus fréquents est l'antithèse entre l'orateurphilosophe et le sophiste, prévaricateur des mots 134. Celui-ci veut persuader et vaincre à tout prix: le bon avocat fait, comme le philosophe, son devoir d'éclaircissement, et s'estime assez récompensé, que sa cause l'ait emporté ou non m. Le sophiste travaille pour satisfaire son ambition et sa cupidité: l'orateur philosophe, parlant par devoir, est au-dessus de ces satisfactions mondaines. La question des honoraires revient
133 134 135
Ibid., p. 7. Voir dans le recueil de 1609, p. 150, 183, 423, 533, 534. Voir ibid., p. 26, 133, 149, 549, 550.
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LA MAGISTRATURE ORATOIRE DU PALAIS
dans toutes les Remonstrances 188; cel1e des épices, non plus que cel1e de la vénalité des charges, n'y affleurent jamais. Il est vrai que les épices pouvaient passer pour des dons gracieux, et la vénalité des charges pour une cruelle nécessité imposée par le Roi. La notion infâmante de ccmmerce ne lui était pas liée. Du fait même que la charge d'avocat n'était pas vénale, le paiement des honoraires, prévu par les Ordonnances, mais dans des limites peu respectées, risquait de la faire glisser vers la condition de sophiste intéressé. Cette corruption subtile et durable est une des menaces qui hantent des Avocats Généraux. Ils exhortent les avocats à se forger une âme inaccessible aux séductions de l'argent, de peur que celui-ci, devenu monnaie d'échange du langage, ne souille le Temple de la Justice: Gardez vous, s'écrie Philippe Canaye, de rendre sordide ou vénale, ou mechanique ou mercenaire vostre profession, qui est des plus nobles et libérales qui soient en la République, que vostre principal but ne soit jamais de gagner, d'amasser, de serrer. Et Jacques Mangot de résumer cette lancinante objurgation en une brève maxime: Estre plus fort que l'argent. Vrai philosophe, l'avocat au Parlement est cousin du médecin 137 puisqu'il aide à guérir les plaies et maladies du corps social; il ne peut être comme le cuisinier 138 ou le comédien 189 un serviteur vénal des plaisirs. Toutefois, comme si ces thèmes platoniciens pouvaient susciter des vocations contemplatives 140, les Avocats du Roi invitent à repousser cette noble tentation, pour servir et agir par la parole: C'est à vous, déclare Jacques Mangot, qu'appartient l'honneur du tiltre (de pédagogues du genre humain) et non point aux sages imaginaires et contemplatifs des Stoïciens. Vous estes les vrais sages ... De vostre conduite et discipline dépend toute la santé de ce barreau, et non seulement de ce barreau, mais j'ose dire de tout le peuple 141.
Voir ibid., p. 8, 21, 241,340,419,483-484,543,554. Sur l'équivalence platonicienne philosophie-médecine, voir Recueil de 1609. p 68, 69 et surtout p. 270. 138 Sur le sophiste-cuisinier des mots à l'usage des sens grossiers, voir ibid., p. 270. Sur le sophiste-comédien, voir ibid., p. 192, et Thrésor de 1660, p. 4 et 109. 139 Voir recueil de 1609, p. 76-77. 140 Ibid., p. 556. 141 La «briefveté" revient de façon lancinante, dans le recueil de 1609. Voir p. 33-34, 133, 151, 191,240,338. On ne saurait oublier que cette brièveté, recommandée par Erasme, « rencontre l> les prescriptions inlassablement réitérées par les Ordonnances royales qui fixent la discipline intérieure des Parlements. Voir Gal1dry, Histoire du Barreau de Paris. Paris, Durand, 1864, t. l, p. 215 : les ordonnances de 1363 à 1528, que cite Gaudry, reviennent sans cesse sur la brièveté. 138
187
L'AVOCAT : NI SOPHISTE VÉNAL, NI CONTEMPLATIF
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Si l'avocat ne doit pas être avare, il lui faut du moins être économe de ses mots. Les Ordonnances royales, périodiquement, venaient rappeler aux bavards du Barreau le devoir de faire court. Les Avocats généraux, sans faire allusion aux nécessités pratiques qui rendaient souhaitable la brièveté (grand nombre de procès, surmenage des juges), préfèrent insister sur la philosophie du laconisme: Il ne se trouveroit pas, dit Pibrac, un seul homme raisonnable qui ne préfère le ~çavoir peu disert au babil vain et dénué de science 142. Donc, point d'exorde ni de captatio benevolentiae, à la manière cicéronienne, qui viseraient à flatter les Juges, et qui leur feraient perdre un temps précieux. Point de recherche de style ni d'ornement 148: un plaidoyer doit être plus proche de l'information que de l'éloquence; point d'effets d'audience où les passions de l'orateur feraient appel à ceIles des juges 144; point de «miel et douceur li> d'élocution 146, cherchant à amollir les sens du juge et à assoupir son entendement; point d'étalage superflu d'érudition, ni d'aIlégations hors du sujet. Un idéal en somme fonctionnel, dont la sobriété austère, nourrie seulement de science juridique, se soutienne auprès du tribunal de l'autorité morale et professionnelle de l'avocat. L'exemple de Caton et de Phocion donne un air antique au Stilus Curie Parla171cnti. Il en maintient intactes les exigences essentielles. Tout se passe comme si les magistrats attendaient des avocats un « mèmoire », plutôt qu'un discours: l'essentiel est en effet la décision prise en dernier ressort et en connaissance de cause par le juge. Aussi les Avocats Gènéïaux redoutent-ils l'improvisation, dont les orateurs antiques faisaient si grand cas 146: celle-ci ferait trop de part à la
lU
Ibid., p. 36.
143
Contre la «battologie et verve », les «allegations superflues », p. 131,
ibid. 144 Contre le «fard >l, le «vent >l, 1'« ostentation », ibid., p. 192, la «forccnerie », p. 476. 145 Contre le «miel» et la « douceur », p. 482, contre l' « affeterie », p. 492. 146 Contre l'improvisation, le brio, la «négligence diligente» chère à Cicéron, p. 241. On peut d'ailleurs remarquer que l'idéal d'atticisme ascétique professé officiellement par le Parlement n'a rien de «sénéquiste ». Il y a en effet dans l'atticisme sénéquien un élément profondément «singulier» et individualiste qui répugne à l'impersonnalité majestueuse du magistrat. Moins paradoxalement qu'il peut paraître au premier abord, l'atticisme ascétique dont rêvent les Avocats généraux est un compromis, un moyen terme entre deux excès, une «médiocrité ». Entre l'aridité excessive, jusqu'à l'obscurité, des « lacédémoniens », et l'abondance flatteuse des asianistes, il faut savoir trouver la juste mesure: être «serré », sans doute, mais aussi «plein de nerfs et de veines », ni trop long ni trop court. La balance de la Justice peut servir d'emblème à un tel idéal. Voir d'Espeisses, dans le recueil de 1609, contre l'excès d'aridité, p. 153. A rapprocher de Pasquier, Recherches ... , éd. cit., 1. IX, p. 849, qui félicite De Thou de sa diction «nette et cicéronienne », «rien de Lipsian ». Mais à la date où De Thou parle (1595) la définition d'un atticisme cicéronien a été précisée par Du Vair. Voir aussi dans le recueil de 1609, dans une Remonslrance de G. Ranchin, en 1595, la définition du style de J'avo-
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c bourre» du discours, et à l'échauffement de l'orateur. Le plaidoyer - ou plutôt le « mémoire» soumis au juge - doit être un texte à lire, aprés avoir été médité et émondé à loisir. Rien d'imprévisible ou d'inutile, rien qui puisse offenser, choquer ou éblouir, ne doit devenir prétexte à créer un incident d'audience ou à offusquer l'attention du Juge. Nous sommes évidemment aux antipodes de l'éloquence sacrée telle qu'elle est déjà pratiquée par les prédicateurs, multipliant les tableaux, les caractères, les dialogismes, les prosopopées, les apostrophes, et autres figures d'imagination. Mais l'atticisme ascétique recommandé aux avocats bannit aussi impitoyablement que les plus «borroméens» parmi les rhéteurs ecclésiastiques, le recours au rire, au sourire. En compensation de la sévérité quotidienne, les avocats médiévaux avaient inventé, pour le temps de Carnaval, les « causes grasses ». Pour les Avocats Généraux du XVIe siècle et du XVIIe siècle, le «sel» dont Cicéron savait si bien assaisonner ses oraisons est à bannir de l'enceinte du Palais. Le comique, voire la simple ironie sont à leurs yeux des indécences qui offensent la gravité des Juges, et corrompent les mœurs du Palais en y introduisant un style de théâtre, de «comédiens mercenaires », d'« histrions» 147. Les magistrats du Parlement ont plus d'affinités avec le législateur tridentin de Milan, ennemi du rire et de la comédie, qu'avec les Binet et les Garasse, moins soucieux d'inspirer le respect que de s'insinuer à tout prix dans les âmes. On ne saurait donc imaginer offensive anti-cicéronienne plus résolue, plus persévérante que celle des magistrats du Parlement. Offensive d'autant plus efficace qu'elle n'est pas le fait d'adversaires de l'humanisme, et d'ignorants de la rhétorique antique. C'est au contraire à la lumière de celle-ci qu'ils peuvent en connaissance de cause rajeunir et maintenir les traditions du Palais .. Le sublime d'enthousiasme, réservé aux Juges, l'atticisme de pure information, réservé aux avocats, sont l'un et l'autre, désormais, un choix conscient parmi la riche gamme des styles que les studia humanitatis ont révélée chez les Anciens. Dans l'un et l'autre cas, sur un registre élevé ou sur un registre bas, l'invention cat français, fort proche des formules de Du Vair: «Aujourd'huy, ... vous avez affaire à des Juges qui n'aiment point ces vains discours (ceux des rhéteurs antiques) ny tous ces beaux artifices qui ne leur sont que trop cogneus. Qni prennent plaisir d'ouyr un parler serré, moëllenx, plein de nerfs, plein de veines.» Plus de «force », moins de «longueur» (ibid., p. 426). 147 D'Espeisses déclare que dans l'enceinte du Parlement, «il ne faut pas moins porter de respect qu'aux lieux où se faisoient les anciens vœux publics: il n'estoit pas permis d'y rire» (Recueil de 1609, p. 186). A plus forte raison tonte offense à la pudeur serait un véritable sacrilège: «Je n'ay point encore on y, dit un antre auteur, en cette Audience, aucune chose qui offense la pudeur et je ne pense pas qu'il se trouve personne qui se voulût tant oublier que venir à cette insolence: mais j'ay apperçeu un autre mal assez frequent et tres malseant, sçavoir est qu'en plaidant vous ne pouvez vous empescher quelque parole qui excite la risée, ce qui serait supportable au theatre, quand on joue une Comedie, mais qui ne l'est nullement au temple de la Justice souveraine. Tacite appelle cette façon de plaider histrionales modos exercere» (Thresor de 1660, p. 109). Voir dans La Roche-Flavin (ouvr. cit., 1. III, p. 263) le chapitre contre les rieurs.
ANTI-CICÉRONIANISME DES MAGISTRATS
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est privilégiée par rapport à l'élocution, le docere par rapport au movere et au delectare, le jugement par rapport à l'imagination, les c choses» par rapport aux c mots ». Et dans le capital d'autorité que peut conquérir l'orateur, la science et la morale comptent plus que la forme élégante ou brillante. Cet «atticisme» sévère, garanti par la Bible, Platon, Plutarque et le Portique, fait moins de part à l'imagination et à l'affectivité que le plu~ sévère atticisme augustinien, celui d'un Louis de Grenade ou d'un Botero. La médiation vers la Vérité n'est pas pour lui l'image, mais le texte, et l'illumination dont il est le lieu. La « rhétorique des citations :>, aux antipodes de la « rhétorique des peintures» s'articule à une spiritualité de philologues et de juristes, non de visionnaires et de romanciers dévots. La Révélation n'est pas pour elle un récit historié auquel le monde visible est une incessante allusion, mais un immense Digeste de sentences dont les lumières s'allument les unes les autres, renvoient toutes à la même Lumière abstraite, Loi, Raison, et Oraison divines .
••• Cellule-mère de l'éloquence philosophique des magistrats érudits, la citation est une ({ sentence» extraite d'une autorité poétique ou philosophique antique, ou des Ecritures Saintes. Dans l'un et l'autre cas, en vertu de la doctrine de la prisca the%gia, il s'agit d'autorités religieuses. dépositaires de la vérité divine, soit pressentie, soit révélée. Citée en latin, en grec, voire en hébreu, langues à divers titres sacrées, le prix de la sentence s'augmente du contraste avec son sertissage en langue vulgaire, langue profane, langue utilitaire. Pierres précieuses, diamants, pépites du Logos enchâssés dans le plomb du français, après avoir été ({ trouvés» dans les savants recès de la mémoire-réminiscence, les citations SOl1t à la fois ornement et preuve, beauté et vérité confondues. La c Remonstrance d'ouverture ~ - et Pasquier en la qualifiant de « moderne », c'est-à-dire de gothique, ne s'y trompait pas - est l'équivalent dans la liturgie parlementaire de la «Monstrance~, ou du «Reliquaire» dans l'art d'église: exposition du sacrement du Verbe. La «monture» en français de ces pépites d'un Verbe plus proche de l'origine, a le statut de glose, qui célèbre et commente la c sentence» : mais c'est de celle-d et d'elle seule, de son rayonnement d'immémoriale sagesse, qu'elle attend une action sur le public. Des sceaux de la Vérité naît moins la persuasion, que l'admiration révérente. Art à la fois raffiné et barbare. Il n'est pas exclu que sa fascination ait survécu au genre des «Remonstrances» qui l'avait d'abord illustré et imposé. Même lorsque les citations auront été traduites, et fondues dans le « fil du discours », même lorsque des ({ sentences» françaises se donnant pour inventées s'y aioutent. leur sc:ntillement caché, leur aura sacrale de condensés du Logos révélé seront toujours perçus au moins sur un registre esthétique. Le sentiment qu'un Josset avait de la prose de Balzac, le sentiment qu'un Balzac avait de l'éloquence cornélienne, prolongent le sens du sublime que cherchait à faire naître l'éloquence érudite et
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chrétienne des Avocats Généraux du Palais. Dans la lumière égale et régulière des classiques, des fragments de l'or antique, témoins des Ages philosophiques et théologiques, continueront encore d'étinceler quelque temps. Montaigne est parti de la «rhétorique des citations» telle qu'elle est pratiquée au Palais. Mais la différence de plus en plus sensible, au fur et à mesure que progressent les Essais, entre la rhétorique de l'ancien conseiller au Parlement de Bordeaux et celle de ses collègues restés en charge, tient au statut de la première personne. Les magistrats dans l'exercice de leur fonction sont des porte-parole; ils font de leur perS(J1la de Juge-Prophète, ou d'Avocat-Reptésentant du Roi, le porte-voix de l'Origine, de l'Antiquité, c'est-à-dire de la Vérité. Le personnage et la personne privée se confondent au seul profit du personnage. Chez Montaigne, la persona se constitue peu à peu à partir de la personne privée, qu'elle accomplit et à laquelle elle donne forme. C'est du fond de la personne privée que jaillissent les sentences françaises, venant de la «rencontre» des sentences antiques. Un Ancien nommé Montaigne, et qui se constitue lui-même en autorité, naît peu à peu des Essais, et s'impose aux modernes. La réminiscence savante qui a permis aux magistrats humanistes d'élever la stature de leur personnage à une hauteur quasi prophétique, et de lui donner une voix prestigieuse, permet à Montaigne de donner à son moi privé la force de faire parler l'Origine, en son nom propre et non sous le masque emprunté d'un personnage quasi sacerdotal. Montaigne se glose avec autant de sérieux passionné qu'il glose les citations des Anciens, et celles-ci de plus en plus sont dans son œuvre autant de gloses à ce Je mystérieux et central, devenu pour lui, par un retournement qui fascinera Pascal, la citation divine par excellence, mère de toutes les autres.
• •• Ce n'est évidemment pas dans cette direction que pouvait évoluer la rhétoriCjue institutionnelle des Parlements. Le drame politique de la fin du XVIe siècle la forcera seulement à descendre de son empyrée philosophico-religieux pour se donner les moyens de l'éloquence civique. Avant Guillaume Du Vair, Etienne Pasquier avait tenté une première réforme en ce sens du «stile de Parlement ». Avocat de l'Université contre les Jésuites, Pasquier avait goûté par ce biais du genre délibératif, c'est-à-dire politique. Par là il s'était rapproché plus que quiconque au Palais de l'éloquence «sénatoriale» de Cicéron, dont Michel de L'Hospital avait, devant les Etats Généraux, donné une première version mesurée et chrétienne 148. Le genre délibé148 Sur Michel de L'Hospital orateur, il n'existe pas d'étude particulière. Voir sa Harangue faicte ... le treizieme de janvier 1560 devant les Etats-Généraux; son Discours de la pacification des troubles de l'an 1567 dans Œuvres complètes, éd. Dufay, Paris, 1824-1826, 5 vol.
ETIENNE PASQUIER JUGE DE L'ELOQUENCE DU PALAIS
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ratif, plus que le genre judiciaire purement informatif, ou plus que le genre démonstratif de célébration quasi religieuse, tels qu'on les entend au Palais, exigeait que l'on fît effort pour persuader. Seule la continuité logique du discours, soutenue par la vigueur de l'orateur s'engageant personnellement, pouvait permettre d'atteindre cette fin. La rhétorique des citations, lente, discontinue, solennelle, l'excluait. Avocat gallican, Etienne Pasquier regardait de loin, mais avec intérêt, les travaux de l'Académie du Palais. Là, pour tenir compte de l'ignorance des gens de Cour, les citations explicites tendaient à disparaître des discours 1 Pour atteindre les oreilles de Cour, fût-ce pour les réprimander, il était bOIl que l'éloquence du Parlement se fît moins ésotérique et moins ouvertement savante. Enfin, médiévaliste de grand savoir, historien des «Antiquités» nationales 149, Etienne Pasquier partageait avec son ami Claude Fauchet I~O l'ambition de réhabiliter la langue vulgaire en prose comme en vers 1~1, Il relate, dans ses Recherches de la France, l'irritation qu'il éprouvait contre la « routine» des auteurs de «Remollstrances d'ouverture », symbolisans tous en un point, qui estoit de remplir leurs harangues d'eschantillons de divers autheurs, chose du tout incongneue des anciens orateurs, tant Grecs que Romains, et dont me plaignant un jour à M. d'Espeisses (auquel j'estois voisin et amy) il en fit une à l'antique en l'an 1586, qui est la neuvième des siennes ID2 sur la louange et recomVoir D.R. Kelley, ouvr. cit. Sur la biographie de Fauchet, voir J. Espiner-Scott, Claude Fauchet, sa vie, son œuvre, Paris, 1938 et du même auteur, Claude Fauchet et Estienne Pasquier, Humanisme et Renaissance, t. l, 1939. Son chef-d'œuvre (une des sources du Dialogue sur la lecture des vieux romans de Chapelain) : Recueil de l'origine de la lanlJue et poésie françoise, ryme et romans, Paris, Mamert Patisson, 1581, dédié a Henri III. Fauchet cite ses autorités latines en français, ou les fait suivre de la traduction. 151 Voir dans le Choix de Letlres publié par D. Thickett (1956) la lettre sur les Essais. Pasquier a été vivement impressionné par le service que Montaigne rend à la langue française: «C'est un vrai Sénèque en notre langue. » Mais Pasquier reproche à Montaigne son égotisme et son absence d'art. Le le de Montaigne est incompatible avec l'ascèse de l'orateur du Parlement, qui parle non en son nom mais au nom de la Justice. La variété du style de Montaigne, sa pente vers l'atticisme sénéquien sont incompatibles avec la norme rhétorique officielle qui doit prévaloir au Parlement. Montaigne, maître de la prose en langue vulgaire, incite donc à honorer celle-ci. Mais il est impossible d'officialiser son style. 152 Publiée dans le recueil cit. de 1609, p. 269-290. La première édition, à laquelle fait allusion Pasquier (Recueil des Remonstrances faites en la Cour de Parlement de Paris aux ouvertures des plaidoieries par feu M. Jacques Faye, Seigneur d'Espeisses. La Rochelle, Hierosme Haultin, 1591) la reproduisait p. 93-105. Le souci de fondre le discours en un tout harmonieux et en français hantait d'Espeisses dès la 8" Remonstrance (Pâques 1585) où il condamnait les «allégations apparentes ». A la fin de sa 9", le premier discours vraiment «à l'antique» prononcé au Parlement, il exprime une humilité touchante, s'excusant de n'avoir su rejoindre l'idéal qu'il s'était proposé. Après la Ligue, une telle humilité ne sera plus de saison parmi les magistrats. 149
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mandation de l'éloquence. Il me dit après que cette seule luy avoit plus cOllsté à faire que trois autres précédentes qu'il avoit repiécées de plusieurs passages Ift3. On se souvient que Pasquier dénonçait la confusion, chez les magistrats, entre « celuy qui enseigne par les livres, et celuy qui hatangue en public ». Dans le passage que nous citons ici, il a la même distinction dans l'esprit: d'Espeisses, accoutumé à «rapiécer» des sentences extraites de ses recueils ou de Polyanthées, a du mal à concevoir une « harangue» dans un esprit d'efficacité orale, à la manière des anciens orateurs. Du même coup, Pasquier dénonce la contradiction intime qui travaille l'éloquence de grand style des magistrats humanistes:: c'est une éloquence qui se veut orale, et qui se déploie en effet dans l'espace et devant le public nombreux du Palais; mais elle est l'œuvre de gens du livre, de la lecture, de l'érudition silencieuse dans la bibliothèque, qui même dans leurs «actions publiques» ne veulent pas renoncer à leur habitus de savants compilateurs. Avocat, Pasquier a un sens plus juste de ce qu'exigerait la parole en public, telle que les Anciens l'ont pratiquée: un discours continu, organique, à l'image du corps humain. Le rapiéçage des citations, qui sent encore sa «barbarie,. gothique, offense le sens de l'humanitas que la Renaissance des Lettres a restauré. Avec finesse, Pasquier a senti la parenté de cette survivance médiévale avec le style coupé, constellé de sentences, pratiqué par Montaigne; sous l'éloge des Essais, perce une réserve d'avocat qui admire Cicéron: C'est un vray Sénèque en nostre langue ... , un vray seminaire de belles et bonnes sentences. Un recueil de semina dicendi, pas plus qu'une .. Remonstrance » tissée de « belles et bonnes sentences », ne fait un discours digne de l'Antiquité éloquente. Le mythe de la grande éloquence orale, à la Cicéron et à la Démosthène, est donc la mauvaise conscience de l'art oratoire des magistrats du XVIe siècle. C'est lui qui pousse d'Espeisses à changer son style. C'est lui qui va inspirer la réforme oratoire du Palais de Justice tentée par Guillaume Du Vair.
2. Guillaume Du Vair et le mythe d'une grande éloquence civique. La tentative de Jacques Faye d'Espeisses, en 1586, de haranguer la Grand'Chambre du Palais sans recourir aux traditionnelles citations, révélait à la fois une inflexion de l'éloquence parlementaire, et un glissement de l'institution eHe-même vers un rôle politique plus accusé, en concurrence avec les Etats-généraux réunis à plusieurs reprises par Henri III. L'éloquence délibérative, c'est-à~dire politique, s'insinuait partout dans le Royaume, et non plus sous la forme discrète, convenable à l'esprit de Cour, du «conseil au Prince », mais de harangues publiques,
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Pasquier, Recherches ..., éd. dt., 1. JI, p. 409.
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dans un style "républicain» qui pouvait se réclamer directement de Cicéron et de Démosthène. Le mal venait de loin. Ronsard lui-même, le poète lauréat, avait donné le ton de 1562 à 1578, dans ses Discours des miseres de ce temps où il posait à l'avocat du catholicisme contre les prédicants hérétiques 154. Tour à tour, le clergé et la Robe s'orientèrent. dans une situation de guerre civile rappelant la Rome de Cicéron et de César, d'Octave et d'Antoine, vers une éloquence délibérative étrangère aux mœurs et aux traditions de la monarchie française. En 1586, Gabriel Chappuys traduit les Cent sermons sur la Passion de Nostre Seigneur du Franciscain italien Panigarola, qu'avait fort apprécié Catherine de Médicis, et qui reviendra à Paris en 1592 exhorter les foules du haut de la chaire de Notre-Dame à refuser Henri de Navarre pour roi, cautionnant ainsi l'éloquence politique des moines ligueurs 16G. Louis d'Orléans, avocat au Parlement de Paris IG6, Pierre Matthieu, avocat au Présidial de Lyon 157, multiplient les harangues et les pamphlets au nom de la Ligue, tandis que l'avocat Antoine Arnauld après la mort d'Henri III, publie des philippiques au nom des partisans du roi de Navarre. Montaigne, empruntant au Dialogue des orateurs un diagnostic sévère, pouvait écrire: (L'éloquence délibérative) est un outil inventé pour manier et agiter une tourbe et commune desreiglée, et est outil qui ne s'employe qu'aux
154 Voir l'Oraison funèbre de Ronsard par Davy du Perron. qui insiste sur Ronsard orateur du catholicisme. Sur la faveur dont il jouit dans le monde de la Robe au début du XVII' siècle. voir La Roche-Flavin. ouvr. cit .• p. 370. Cet éloge de Ronsard n'empêche pas La Roche-Flavin de «chasser les poètes» de la République, à la manière de Platon. Il écrit p. 364 : « Les livres et poesies des (poètes) sont propres pour les jeunes gentilshommes et Damoiselles, ou gens de loisir non occupés ny destinez pour la Magistrature, sauf à quelques heures perdues [ ... ] Car de se servir. ny alleguer ces Poêtes françois, ny aux examens. ny aux jugemens des procez, on se rendroit ridicule aussi comme d'alléguer des poètes latins ... » 155 Sur les harangues prononcées à Paris par Panigarola pendant la Ligue. voir Tre prediche di mons. Panigarola Fatte da lui in Parigi. Asti. 1592. Sa réputation était très grande en France. Voir Cent sermons sur la Passion de N.S. prononcez à Milan par R.P.F. Panigarola. et traduicts en François par Gabriel Chappuys. Paris. Carellat. 1586. Il avait prêché à la Cour d'Henri III. 156 Sur l'activité de L. d'Orléans comme orateur et polémiste de la Ligue, voir Cantique de victoire par lequel on peut remarquer la vengeance que Dieu a prise dessus ceux qui voulaient ruyner son Ef!/ise et la France. Paris. Mangnier. 1569. et Plaidoyé des Gens du Roy (22 déc. 1592), Paris, Musson, 1593. 157 Sur P. Matthieu orateur de la Ligue. voir Discours veritable et sans passion sur la prise des armes et change mens advenus en la ville de Lyon ... sous l'obeissance de la S. Union. Lyon. 1593. et la Pompe funebre des penitens de Lyon ...• Lyon. Roussin. 1589 (B.N. Lb 34584). avec une oraison funèbre de Louis et Henry de Lorraine assassinés à Blois. Si l'exorde et la péroraison font place à d'amples périodes. si les figures du pathétique (apostrophes. interrogations. sermocinationes ... ) abondent. les «roulades» du dicere incisim. pressantes et passionnées. sont là pour les soutenir. L'œuvre de cet avocat encore jeune, qui a trouvé une «cause» exceptionnelle ( à monopoliser l'éloquence et la pédagogie de l'humanisme, usurpant les droits historiques de la République des Lettres savantes. Or Marolles et ses amis, qui sont loin d'être des muguets de Cour ignorants, doivent leur littérature à des maîtres jésuites! Marolles a fait ses études au Collège de la Marche, succursale mal déguisée du Collège de Clermont jusqu'à la réouverture de celui-ci en 1618 247 • L'un des habitués de son Académie, le poète Pierre de Marbeuf, est un ancien élève de La Flèche, fort reconnaissant à ses bons maîtres 248. Un autre ami de Marolles, l'Abbé de Crosilles est devenu en 1619 précepteur du Comte de Moret, ancien élève de Clermont., Lingendes lui succédera 249. Marolles ne cache pas, dans ses Mémoires, les liens étroits de son groupe littéraire avec le jésuite Denis Petau, professeur de rhétorique du Comte de Moret. Bref, toutes les conditions sont réunies chez Piat Maucors, l'hôte de l'Académie Marolles, pour irriter au souverain degré un magistrat
Marolles, Mémoires, éd. cit., p. 41. Marolles écrit (ouvr. cit., p. 40) que son Académie est liée à Fronton du Duc, à Petau et à Sirmond « grâce aux habitudes fréquentes qu'avoit auprès d'eux M. de Crosilles, mon bon ami '1>. Marolles lui-même avait fait ses études au Collège de la Marche, contrôlé par les Jésuites. 248 Voir dans le Recueil des vers de M. de Marbeuf, Rouen, D. du Petit Val, 1628, le poème Recherche des neuf Muses au Collège de La Flèche (p. 62 et suiv.). En 1620, Marbeuf avait publié un Epigrammafum liber (Paris, Huby, 1620) dédié au Comte de Moret, et qui porte des traces nombreuses de la pédagogie des Jésuites. 249 Marolles, Mémoires, éd. cit., p. 41. Les Mémoires de Marolles sont un document capital sur ce que Balzac appelle le «grand Monde ». Très lié à la famille des Gonzague l'Abbé nous restitue la culture de la petite «cour» de l'Hôtel de Nevers. Il faut se souvenir que Blaise de Vigenère était aussi au service des Gonzague. Il y avait une tradition littéraire propre à cette grande « maison» franco-italienne, comme il y avait une tradition littéraire propre à la famille de Guise. Sous la régence de Marie de Médicis, ce sont ces grandes familles qui dictent la «grande Mode ». Voir pour cette expression, et le mécanisme social qu'elle suppose, fort important à comprendre pour l'histoire littéraire, Michel Ange Mariani, Il più curioso e memorabile della Francia, Venise, 1673 (B.N. Lb 27 52.000) : «On distingue la Mode et la grande Mode. La grande Mode n'est rien d'autre que l'invention la plus récente mise en circulation par le Roi, dont l'exemple commande tous les courtisans. Cette grande Mode dure jusqu'à ce que le génie du Roi trouve une nouvelle invention et alors de grande Mode qu'elle était jusque-là elle devient Mode et passe de Paris aux provinces» (p. 112-114). Ce texte reflète la situation en 1660 quand Louis XIV ne laisse plus à personne d'autre le soin d'être le Cocteau de sa Cour. 246
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QUI VISE MAUSSAC?
érudit et gallican tel que Maussac: le snobisme des jeunes gens reçus dans le grand monde, et travaillant à lui plaire; l'influence des rhéteurs jésuites, dont les leçons de cicéronianisme ont préparé en latin celles du poète grammairien Malherbe. Sur ce «monstrueux» privilège accordé aux «mots », et aux agréments d'une belle élocution, Marolles nous éclaire par une anecdote, fort révélatrice des préoccupations de ses amis. En 1619, un jeune homme, Loys Masson, «fraischement venu du pais de Languedoc », est reçu chez Piat Maucors : Il ne put, écrit Marolles, s'empescher de nous marquer son etonnement, nous ayans trouvez comme nous examinions certaines façons de parler la langue, ce qu'il estimoit de peu d'importance en comparaison d'autres choses, où selon sa pensée, il auroit esté bien plus juste que nous eussions employé du temps. Peut-estre qu'il avoit raison, mais il n'y en avoit pas un d'entre nous qui ne fust persuadé que pour la perfection des sciences il ne faut rien negliger, et particulièrement en l'éloquence et en la pureté du langage ... 2~0.
Le duc de Rethelois, jeune fils du duc de Nevers, le comte de Moret, fils d'Henri IV, pouvaient fêter Marolles et ses amis. Malherbe et Racan, furieux de ce qui leur semblait une caricature de la «réforme» malherbienne, traitaient ironiquement Crosilles de «Secrétaire des Dieux ». A plus forte raison, dans les hôtels austères des magistrats parisiens, toulousains et autres, devait-on regarder avec horreur et crainte l'apparition d'un magistère langagier d'écrivains courtisans. D'autant plus dangereux qu'i! ne s'exposait plus aux sarcasmes patriotiques d'un Estienne; grâce aux leçons de Malherbe, il se posait en défenseur de la langue vulgaire; grâce aux leçons d'un Jésuite tel que le P. Petau, il s'appuyait sur les techniques rhétoriques, donc humanistes, de delectus et collocatio verborum pour porter la prose française à la dignité cicéronienne. Depuis Toulouse, Maussac ne prend pas la peine de distinguer entre les cercles d'inspiration fort différentes qui forgent la nouvelle littérature. Pour lui, l'adjectif aulicus, déjà employé en ce sens par Guillaume Budé, recouvre toutes les corruptions, plus ou moins cyniques ou hypocrites, de l'aristocratie de Cour. Il est probable que sa diatribe s'adresse indistinctement à l'Académie Piat Maucors, à la cour du duc de Montmorency, et au Louvre même, où paradent Marino et les troupes de comédiens italiens invités par Marie de Médicis. Le temps n'est pas encore venu de faire un tri, et la part du feu, dans cette éclosion désordonnée .
••• L'année suivante, en 1621, un conseiller au Parlement de Normandie,
J. Dupré, vient à la rescousse de Maussac et publie un ouvrage intitulé
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Marolles, ibid., p. 115.
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Pourtraict de l'Eloquence françoise 261. Maussac sonnait le ralliement de la République des Lettres. Dupré, moins docte, se contente d"alerter ses collègues du Palais., Son titre évoque trop celui de l'Eloquence françoise de Du Vair pour ne pas révéler les ambitions du magistrat normand: reprendre contre de nouveaux rhéteurs l'offensive que le jeune Du Vair, alors conseiller-clerc, avait lancée en 1595 contre ceux du temps de la Ligue. Le patronage de Du Vair est d'ailleurs invoqué dès le frontispice, gravé par Michel Lasne 262. Cette belle gravure de titre vise évidemment à faire pièce à celles dont les Jésuites avaient coutume de parer leurs traités de rhétorique. L'Eloquence, allégorisée sous la forme d'une jeune Vierge pudique, y apparaît sur un trône, que surmontent deux Renommées soufflant dans leur trompette. Elle tient dans ses mains deux couronnes, destinées l'une au Duc de Longueville, qui se dresse à sa gauche, l'épée au côté, et l'autre au Garde des Sceaux Du Vair, en robe longue, et tenant un livre. Chacun de ces deux portraits en pied est accompagné d'une devise. Pour Longueville: Le miel est dans sa bouche, et le fer en sa main. Pour Du Vair: Le miel est en sa bouche, et le Droit en sa main. Ne nous fions pas trop à cette belle symétrie: il s'agit d'une « Remonstrance» de magistrat à la gloire du Verbe du Palais, et à la honte de la sophistique de Cour. Reprenant un lieu commun illustré par Montaigne, Du Perron et Du Vair, le conseiller Dupré se plaint de l'ignorance de la noblesse d'épée et de son éloignement pour la véritable éloquence nourrie de sagesse et de science.. Il n'en est que plus à l'aise pour exalter le privilège de ses collègues, héritiers légitimes de l'éloquence philosophique des Anciens et des Pères. Le Longueville du frontispice n'est qu'une « fausse fenêtre », un faire valoir de la magistrature, incarnée par Du Vair. Dès les premières lignes du Pourtraict une franchise peu amène ne s'embarrasse d'aucune capiatio benevolentiae : La difference que la parolle simple met entre l'homme et la. brute, la diction eloquente l'establit entre celuy que s'en ayde et celuy qui ne
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Le pourtrakt de l'Eloquence française avec X actions oratoires par
J. Dupré, sieur de La Porte, Paris, chez J. l'Evesque, 1621, priv. du 6 octobre 1620. 252 Voir
J. Duportal, Contribution au catalogue général des livres à figures du XVII' siècle, Paris, Champion, 1914, p. 129, qui identifie les deux person-
nages comme deux portraits, l'un, le Magistrat, de Guillaume Du Vair, l'autre, le Gentilhomme, du Duc de Longueville. Sur Michel Lasne, voir du même auteur,
Etudes sur les livres à figures édités en France de 1601 à 1660, Paris, Champion, 1914, p. 160 et L'Amateur d'Estampes, 2' année, 1923, p. 43-56.
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s'en peut servir [... ] Encore y auroit-i1 plus à dire de l'ignorant à l'éloquent, que de la brute à l'idiot... Car de Dieu à l'homme tout s'y trouve tellement inesgal [... ] que qui peut se conformer à luy par un langage disert (qui est le premier attribut que luy donne Homere), il fait un plus grand saut que ne feroit la brute prenant la parolle de l'homme 253. Puisque «l'homme éloquent imite Dieu », la hiérarchie est claire. Il y a plus de distance entre un « sçavant» disert et un ignorant privé d'éloquence, qu'entre l'homme et la bête 1 Cette distance, aussi incommensurable que cel1e séparant Dieu de l'homme, éloigne les «Magistrats » ( soumis aux soupçons des dévots et des doctes. Le même désarroi se trahit dans l'étonnant recueil que publie en 1624 Puget de la Serre sous le
Ibid., p. 107. Voir Œuvres de Malherbe, éd. Adam, Paris, Gallimard, 1971, p. 149. Si vague soit-il, ce quatrain marque bien de quel côté en dernière analyse se tient Malherbe, l'ami de Du Vair et de Peiresc: il a servi la langue en se faisant le grammairien du «grand Monde l'>, et la «république:. en se faisant le poète de la majesté royale; mais il n'accepte pas qu'on se réclame de lui pour justifier une mode que d'autres que lui et les siens inspirent: jeunes seigneurs écervelés, jésuites. Par le salon de Mme des Loges, celui de Mme de Rambouillet, celui de la Vicomtesse d'Auchy, il tentera de préserver l'esprit de la «grande Mode:t royale qu'il avait lancée et illustrée. 282
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J.
DUPRÉ DE LA PORTE
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titre: Le bouquet des plus belles fleurs de l'Eloquence 284. Tentative presque comique de concilier les inconciliables, témoignage presque touchant du besoin qui se fait jour de trouver un dénominateur commun au goût des deux élites rivales, celle du Palais de Justice, et celle de la Cour. La Serre fait alterner, dans cette anthologie, des textes de Du Vair (une lettre à Sully, sa harangue de 1600 à Marie de Médicis, trois de ses Remonstrances d'Aix), des textes de Du Perron, avec des œuvres caractéristiques du «langage de Cour» (une lettre de la Reine Marguerite, des lettres amoureuses de d'Audiguier, et des lettres complimenteuses dans le style « N ervèze ») : entre ces deux extrêmes, il fait figurer des lettres de Malherbe et de Coëffeteau. Publiée l'année même où paraissent les premières Lettres de Balzac, cette anthologie est le meilleur éClairage possible pour celles-ci: La Serre pose le problème que Balzac tente brillamment de résoudre. Le Bouquet montre que le centre de gravité des lettres françaises est désormais à la Cour: les citations de Du Vair ne font pas contrepoids aux œuvres qui émanent directement de celle-ci. Mais le même recueil prouve aussi que la Cour est le lieu d'une rivalité entre « doctes» et « ignorants ", entre une élite de responsabilité et un public frivole. Des ecclésiastiques - Du Perron et Coëffeteau - un poète, Malherbe, des hommes d'Etat, comme Sully, y introduisent une note grave qui fait écho au style de Du Vair; mais une sophistique de galanterie et de flatterie y tient une grande place. Même rivalité entre les genres cités: genres nobles, harangues parlementaires, lettres d'hommes d'Etat, lettres de consolation; genres frivoles, lettres amoureuses, lettres de compliments, lettres de présentation de service. Mais le genre épistolaire l'emporte largement sur la harangue, le style épidictique l'emporte largement sur le style délibératif; l'éloquence judiciaire brille par son absence. Tout s'est passé comme si les premières lettres de Balzac avaient réussi un juste dosage, à partir de la situation évasive que reflète, sans pouvoir la dépasser, le recueil de La Serre. Synthèse entre la gravité des uns, et la frivolité des autres, entre l'épidictique et le délibératif, entre les intérêts d'Etat, les compliments et les flatteries. Amalgame entre la leçon de grammaire de Malherbe, l'art de la période à la Du Vair et les figures de l'éloge de Cour traitées sur le mode de la raillerie. Le «Discours sur la Parole» de Jérôme Bignon
L'immense succès obtenu sur-le-champ par les Lettres de Balzac n'est comparable qu'à celui, obtenu douze ans plus tard, par le Cid de Corneille. Deux étapes décisives de la légitimation des Belles-Lettres en langue française. Deux occasions d'un débat où le goût de la Cour « ignorante" impose victorieusement son choix contre les objections des doctes et des dévots. 284 Le Bouquet des plus belles fleurs de l'Eloquence cueilly dans les Jardins des Sieurs Du Perron, Du Vair, D'Urphé, Daudiguier, de Rousset, Coëffeteau, Bertaud, Malherbe, La Brosse, La Serre, Paris, Billaine, 1624. Frontispice de Crispin de Pas. La Serre avait alors vingt-quatre ans.
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Avec un coup d'œil de stratège littéraire évaluant exactement les forces en présence, Balzac avait touché juste. Descendant par sa mère d'une dynastie de robe, élève de Nicolas Bourbon, initié à la fois à l'humanisme de Leyde et à celui de Rome, il avait connu, dans l'entourage de la Reine mère et de D'Epernon les diverses nuances du goût de la Cour. Sa prose dosait savamment les recherches d'horizons fort différents. Elle pouvait plaire, et elle plut, à des humanistes comme son maître Bourbon, et avec celui-ci, à l'entourage des frères de Mesmes. Mais elle visait avant tout à séduire les diverses fractions de la Cour, hommes d'Etat, hommes d'Eglise, grands seigneurs se piquant d'élégance. Tenant compte des leçons de Malherbe, Balzac osait conférer à sa prose les qualités de douceur et de musicalité qui flattaient les oreilles des délicats. Il osait recourir, en les colorant d'ironique urbanité, à des figures d'hyperbole qui reflétaient la civilité complimenteuse de règle à la Cour. « Sophiste» en langue française, il l'était donc au sens où l'entendent un Maussac ou un Du Vair, qui réprouvaient avec horreur le culte des Il parolles bien peignées ». Mais il l'était en le sachant, avec une désinvolture sourdement satirique d'elle-même qui faisait tout le prix de son audace calculée. Encore fallait-il pour saisir cet art de l'allusion, être initié à «l'air de la Cour» : en prenant son parti de 1'« amour propre» que les dévots dénonçaient à l'envi 285, il s'en parait et il le flattait autant comme une plaie secrètement douloureuse que comme un vêtement de cérémonie; et la «vanité des paroles» était cultivée par lui avec la mélancolie ironique de qui n'ignore rien du fond du jeu. Il fallait pour sentir ce double fond être fait à la rencontre, dans les mêmes salles des Palais royaux, d'hommes d'Etat et d'hommes d'Eglise «qui savent» et de la foule des badauds titrés. Ceux-ci firent fête à Balzac, mais il obtint aussi et surtout le patronage de hauts prélats tels Richelieu et La Valette, de « saints» tels Cospeau et Bérulle, de grands seigneurs tel D'Epernon. Des amitiés si haut placées et si diverses le mettaient à l'abri des mésaventures de l'imprudent Théophile, protégé du seul clan Montmorency. Les Lettres de Balzac offraient à la Cour de Louis XIII et de Marie de Médicis un miroir à la fois flatteur et souriant en apparence, lucide et mélancolique en secret. Mais pour les non-initiés, pour les doctes du Palais et des Bibliothèques de la rive gauche de la Seine, le succès même des Lettres, les
285 Le thème augustinien de l'amour-propre n'a pas attendu Port.. Royal pour être traité par les prédicateurs et moralistes. Voir A. Levi, French moralists, the theory of the passions 1585 to 1649, Oxford Clarendon Press, 1964, p. 80-81, 134-135, 225-233. Voir l'ouvrage de J.P. Camus, Industries spirituelles contre les stratagèmes de l'amour propre, Caen, 1638. 11 est certain que le thème ne passe vraiment au premier plan, comme le montre Anthony Levi, qu'avec l'essor de la polémique jésuites-jansénistes à la fin du règne de Louis XIII. Mais toute la lutte de la «philosophie chrétienne» gallicane contre les «sophistes de Cour" (leur «narcissisme" et celui qu'ils encouragent, leur pavonis superbia, leur ambition, leur avarice, tout cela enveloppé de «paroles dorées») créait un terrain favorable pour la critique des moralistes de PortRoyal.
LE SUCCÈS DES «LETIRES» DE BAUAC
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protections qui les enveloppaient, faisaient de Balzac un second Théophile, en prose cette fois, et plus pervers. Elles conjuguaient, pour la futile délectation des ignorants, tous les faux prestiges du « langage de Cour» et de l'éloquence jésuite, l'héritage d'élégance courtisane d'origine italienne et l'héritage de démagogie histrionique de descendance sophistique. A l'Hôtel de Mesmes, où fréquentent les deux frères Ogier, où le Président et son frère d'Avaux ont reçu de leurs maîtres Passe rat et Bourbon une discipline néo-latine en poésie et en prose comparable à celle qu!à Rome dispensent les maîtres du Collège Romain, ou à Leyde les Vossius ct les Heinsius, on reconnut en Balzac ce qu'il était: un authentique fils de l'humanisme, s'efforçant de transporter dans la langue française les raffinements de l'élocution qui avaient rendu classique la langue de Cicéron, de Salluste et de Pline. L'Apologie du Prieur Ogier, appuyée sur une érudition rhétorique d'un niveau européen, apportera à Balzac le réconfort d'avoir été compris par ses pairs, et non pas seulement applaudi par les gens de Cour. En somme, par rapport à l'évolution des idées en la matière hors de France, l'humanisme érudit gallican reste sinon provincial, du moins sur ses gardes plus qu'aucun autre. A la différence de l'Hôtel de Mesmes, l'Hôtel de Thou, au moins jusqu'en 1630, regarde avec suspicion, voire hostilité, l'accueil enthousiaste réservé à la prose épistolaire de Balzac. Héritiers de la stricte observance gallicane, les frères Dupuy et leur ami Peiresc, fidèles à la mémoire de Michel de L'Hospital et de Guillaume Du Vair 286, ne pouvaient juger du succès de Balzac que comme un nouveau signe des progrès de l'italianisme et de l'influence ultramontaine en France, un nouveau coup porté à l'autorité philosophique et oratoire des magistrats du Palais de Justice et de la République des Lettres gallicans. La correspondance entre Peiresc et les Adelphes pour ces années les montre fort sévères pour les « belles lettres» de l'Unico eloquente ; en revanche, ils sont fort attentifs aux éditions de Remonstrances de hauts magistrats. C'est manifestement la seule forme d'élo-
286 Sur le cercle Dupuy, voir R. Pintard, Libertinage érudit ... , ouvr. cit., p. 92-95 et 272-295. Indications dans 1. Uri, Un cercle savant au XVII' siècle, François Guyet, 1575-1665, Paris, Hachette, 1886 et Harcourt Brown, Scientific organization in seventeenth century France (1620-1680), Baltimore, Williams and Wilkins, 1934, ch. l, «Peiresc and the Cabinet of the brothers Dupuy». La piété de Peiresc et Dupuy envers la mémoire et la politique du chancelier de L'Hospital n'a d'égale que leur hostilité à la publication en France du concile de Trente. Pour s'opposer à cette publication, Peiresc demande aux Dupuy de lui envoyer des «mémoires» manuscrits de L'Hospital, Pibrac, Bourdin, La Guesle (t. 1 des Letires de Peiresc aux Dupuy, p. 166 et 175). Il approuve entièrement la doctrine des magistrats ~alIicans du xv,' siècle visà-vis du Concile (ibid., p. 206). Il regrette que la memoire du grand chancelier ne soit pas mieux honorée (ibid., p. 245 et t. II, p. 445, 451, 684). Jacques Dupuy ne cache pas son hostilité à Michel de Marillac, et à la «cabale des zélés et des moines» (t. l, p. 797-798).
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quence française qui leur semble correspondre à leur gravité de « sçavans » 287. Aussi, dès qu'une contre-offensive se dessine contre le succès de Balzac, ils suivent avec un vif intérêt les péripéties de la Querelle. Ils prennent évidemment parti pour Phyllarque, héritier d'une dynastie de professeurs au Collège Royal, contre Narcisse, sophiste de Cour. Avec quel dédain pour la futilité des prélats de Cour romaine Peiresc apprendt-il à J. Dupuy que le cardinal Francesco étudie le français dans les Letires de Balzac! La mondanité du Quirinal va d'instinct vers celle du Louvre 288. En 1627, Jacques Dupuy mande à son ami d'Aix qu'il a fourni à Dom Goulu des « instructions» pour nourrir sa polémique contre Balzac 289. Il est difficile de savoir ce que pouvaient suggérer à Goulu les mémoires de Jacques Dupuy. Fils et petit-fils de professeurs au COllège royal, le général des Feuillants appartenait à l'aristocratie de l'humanisme français, il en avait les ressources et en connaissait les annales. On constate toutefois une profonde différence entre le premier recueil de ses Lettres, publié en 1627, et le second, publié l'année suivante et soutenu selon toute apparence par les « instructions» du docte Dupuy. Le premier recueil fait flèche de tout bois, le second pose les principes d'une critique docte, appuyée sur l'autorité d'Aristote et de Cicéron, et appliquée aux ouvrages en prose française 290. Elle étudie de façon plu,> systématique, à la manière qu'avait esquissée François Ogier dans son 287 Les goûts littéraires de Peiresc et des Dupuy vont avant tout à J'Histoire (Guerre des Flandres et Mémoires de Bentivoglio) mais surtout sur le mode du document d'archives; à la lettre de caractère politique, diplomatique (Lettres du cardinal d'Ossat, qualifiées de «tres belles », t. l, p. 628), ou littéraire, mais de tradition gallicane (lettres de Charron, t. II, p. 632, lettres de Malherbe ...); les véritables événements de l'histoire littéraire française, à leurs yeux, sont les Remonstrances des hauts magistrats (Cardin Le Bret, t. l, p. 198, Jérôme Bignon, t. l, p. 845, Ranchin, Faye d'Espeisses), les plaidoyers d'Antoine Arnauld (t. l, p. 270). Peu ou pas de traces, pas plus que dans les lettres d'information politique envoyées par Malherbe à Peiresc, de la littérature pour «ignorans '». Sur le soin avec lequel Peiresc et les Dupuy veillent sur l'édition Cramoisy 1625 des Œuvres de Du Vair, voir Lettres, t. l, p. 24-25. 288 Lettres aux frères Dupuy, t. l, p. 845. 289 Ibid., p. 669, 708 (Peiresc félicite 1. Dupuy de fournir à ]. Goulu des « instructions» dans son combat contre Balzac) et 867 (J. Dupuy se réjouit d'avoir reçu les Lettres de Phyl/arque qui rivent leur clou à Balzac et à son style « isocratique :». 290 Lettres de Phyl/arque à Ariste où il est traité de la vraye et de la bonne Eloquence contre la fausse et la mauvaise du sieur de Balsac, Paris, 1627 (nous citons d'après la 3' éd. 1628). L'influence de J. Dupuy, et la fidélité de Goulu à ses origines sont sensibles dès ce volume: voir p. 274, l'offense faite par la vanité du sophiste Balzac à « tous les grands hommes de nostre siecle, les Pybracs, les Mangots, les Despaisses, les Marions, les Du Perrons, les Des Portes et tout autant qu'il y a eu d'illustres personnages qui ont employé leurs faveurs et leurs travaux à l'ornement et à l'enrichissement de nostre langue. Il a injurié M. Du Vair, qui par son eloquence et par l'integrité de ses mœurs, « aussi severes que ceus de ces Senateurs de l'ancienne Republique romaine:> est devenu Garde des Sceaux. (Sur la Querelle Balzac-Goulu,
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Jugement et Censure du P. Garasse, la «rhétorique» de Balzac. Elle élève aussi le débat, en le replaçal·t dans une tradition historique. La Lettre XIX 291 fait un parallèle entre la polémique de Turnèbe contre Pierre Paschal, le «cicéronien» néo-latin nommé historiographe par Henri II, et la polémique de Goulu contre Balzac, le «cicéronien» en langue française. Le danger est passé de la prose latine à la prose française. Mais le combat est en substance le même. Comme Paschal, Balzac compte sur quelques tours de force tout verbaux, propres à éblouir les ignorants de Cour, pour se faire un nom et une position. Pas plus que Paschal, il n'a ce qui fait l'orateur: l'autorité morale et l'érudition. C'est un comédien du langage, dont la prose en trompe-l'œil masque à la fois le libertinage et l'ignorance. Turnèbe, on s'en souvient, était un érasmien, comme l'ensemble des érudits gallicans. La référence à sa polémique contre Paschal, en 1559, renvoie implicitement à la polémique d'Erasme, en 1527, contre les « cicéroniens» italiens, maîtres de PaschaL Dès le premier recueil, Goulu avait emprunté à Jacques de Maussac l'antonomase de Narcisse, appliquée à Balzac .. Dans un exemplaire de l'édition Maussac du Ciceron!anus, qui appartint à la bibliothèque parisienne des Feuillants, on constate que la dédicace-manifeste à Du Vair, qui forme un cahier, a été anciennement distraite du volume 292. On peut formuler l'hypothèse que Goulu l'emporta dans ses voyages pour s'en inspirer 298. Dans le second recueil, peut-être sur la suggestion de j. Dupuy, le thème de la «corruption de l'éloquence », si nettement posé par Maussac, se trouve longuement développé. Goulu paraphrase deux sources de Maussac, la dédicace de Sénèque le Père des Controverses et suasoires et le Dialogue des Orateurs de Tacite 294. Goulu reprend à voir Z. Youssef, Polémique et littérature, ouvr. cit. jean Goulu, petit-fils de j. Dorat, avait pour père un professeur d'éloquence grecque au Collège Royal, successeur de Dorat dans cette chaire. Et le grand-père maternel de jean Goulu, Henri de Monantheuil, lui aussi professeur au Collège de France, figure sous le nom de Musée parmi les interlocuteurs du traité De la Constance de Guillaume Du Vair. Voir Radouant, G. Du Vair, ouvr. cit., p. 236, A. Lefranc, Histoire du Collège de France, p. 382, et le Dictionnaire de Bayle, s.v., Goulu.) 291 Seconde partie des Lettres de Phyl/arque à Ariste où il est traicté de l'Eloquence françoise, 2' éd., Paris, Buon, 1628, p. 297-318, «Paraphrase de la lettre latine de M. Adrian Tournebu intitulée Ego tibi ». 292 Voir le volume B.N. coté Z 3413-3414. 293 Les Lettres de Goulu furent en effet écrites en voyage, et datées des diverses haltes du Général des Feuillants en tournée dans les monastères de son Ordre. Elles se donnent pour avoir été écrites vite, et sans recherche, par opposition aux lettres qui sentent l'huile et la lampe de Balzac. Voir la même affectation chez Saint-Cyran, dans ses rapports épistolaires avec Balzac, dans Sainte-Beuve, Port-Royal, t. l, éd. Gallimard, p. 539. 294 Seconde partie, Lettre XX: «De la decadence du bien dire et de la corruption de l'éloquence », paraphrase de Sénèque le Père et de Tacite. Voir p. 324-325, un «tableau» de la jeunesse dorée de Louis XIII, à joindre à l'anthologie que nous avons rassemblée, chez le P. Caussin (Cour Sainte), II; P. de Cressolles (Vacationes autumnales), j. de Maussac, j. Dupré. Le thème récurrent est la féminisation, «contrefaire les femmes », et l'offense faite à la vertu virile de force par l'excès de luxe et de «douceur» molle.
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Sénèque le Père le thème cher à Scaliger d'une apogée de l'éloquence latine au temps de Cicéron, suivi d'une irrémédiable décadence. A ses yeux, il en va de même en France: après Du Vair, Du Perron et Coj!ffeteau, Balzac annonce une nouvelle sophistique, Les jugements du « Rhéteur d'Espagne:. sur la jeunesse contemporaine d'Auguste s'appliquent aussi à la jeunesse Louis XIII : efféminée, elle ne sait que chanter et danser sur des airs lascifs; cheveux frisés, moustache retroussée, fardée, parfumée et ml'squée, elle rivalise de «galanterie:. avec les femmes. Soumise aux goOts affétés de ces jeunes débauchés, l'Eloquence est perdue. Paraphrasant Tacite. Goulu s'en prend aux «vicE's propres à notre Cour », où dès l'enfance, à l'exemple de parents indignes, les jeunes gens «ne bougent de la comédie, des théâtres, des duels, et du bal:.. Leurs maîtres, qui ne sont que des valets. les flattent, encouragent leurs vices et surtout leur paresse. Au lieu de les soumettre à la leçon des Anciens, et de leur donner une discipline de travail, ils inventel,i des «chemins abregez pour parvenir aux sciences:. 296. Aristote et Cicéron sont traités par le mépris: La rhétorique mesme. affirme Jean Goulu. ne se puise plus aux sources de ces grands orateurs ou rhéteurs qui l'ont pratiquée ou enseignée 296.
Cette insolente ignorance de la Noblesse 297 a ravalé la Reine Eloquence parmi les garçons de cuisine des Grands. Et Goulu de résumer la situation d'une phrase: La corruption des mœurs est une des causes principales de la corruption de l'éloquence 298.
On peut toutefois observer chez Dom Goulu, comme d'ailleurs nOLIs l'avons fait à propos du P. Caussin. préfacier de sa Cour Sainte, une contradiction qui affaiblit beaucoup sa polémique. Goulu écrit en français. Mais il pense de la prose française exactement comme Camus qui en 1630. dans son Voyageur lnc\mnu. écrira: Ceux qui escrivent peu et avec tant de soin en des langues vulgaires. dont la face change presque de cinquante en cinquante al s se donnent
295 L'allusion désigne probablement Scipion de Gramont (voir R. Pintard. Libertinage érudit ...• p. 225-231 et passim) spécialiste des ouvrages de type (nitor) il oppose celui, «rude et mordant" de Goulu. II est divisé entre la perfection de l'un, que, comme Ogler dans l'ApolQgie, il compare à cette Phryné acquittée par les juges de l'Aréopage, et la rudesse vertueuse de l'autre. 348 Sur le concept d'elegantia à Rome, voir A. Michel, Rhétorique et philosophie ... , ouvr. cit., p. 138, note 310. L'elegantia d'un Lélius est liée à son urbanitas et à sa lenitas. Voir également, p. 239, l'opposition elegantialvis. Un aspect essentiel du débat entre le Palais, la Chaire gallicane, et la Cour porte sur les valeurs de douceur (inséparables d'un art de l'elocutio) et de force (qui se voudraient toutes d'inventio). Sur les notions de dolcezza, morbidezza, grazia, voir Il Cortegiano de Castiglione, éd. cit. Il Y aurait à faire une histoire de cette «douceur l> de Cour: voir R. Bezzola, Origines et formation de la littérature de Cour, Paris, 1944, t. l, p. 54, la dulcedo chez Fortunat, germe de la douceur courtoise.
TÂTONNEMENTS DE LA CRITIQUE DOCTE
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lié à l'histoire de la Renaissance dans les sociétés de Cour. Dans la mesure où entre deux maux, il faut choisir le moindre, l'élégance humaniste, contrôlable par les doctes, est préférable pour la Cour de France au libertinage des petites cours féodales de la période antérieure. La tradition cicéronianiste de l'humanisme des Cours, que l'érudition gallicane et parlementaire avait jusque-là âprement combattue, apparaît dès lors comme une alliée, capable d'offrir une généalogie antique et humaniste à l'inévitable littérature de Cour., Le génie de Chapelain sera de prendre pleinement conscience de la nécessité de cette translatio en faisant de Scaliger, le théoricien de l'art augustéen, une sorte de Cujas des Belles-Lettres de la Cour de France .
• •• Chez le conseiller Critobule, en 1630, le terme d'élégance n'a pas encore perdu toute valeur péjorative. De fait, le magistère critique des doctes hésite encore sur sa doctrine. On s'en souvient, pour J. de Maussac, Erasme devait être opposé, au même titre que Scaliger, aux erreurs des écrivains de Cour. Et dans les Lettres de Phyllarque, qui expriment un point de vue fort voisin, l'oscillation était sensible entre deux doctrines critiques difficilement conciliables. Goulu reprochait à Balzac son ignorance des règles de l'art oratoire, et sa présomption de dépasser en éloquence les maîtres de l'Antiquité. Il allait même jusqu'à comparer les règles de la rhétorique aux lois des sciences exactes 849. Et par ailleurs, invoquant le Traité du Sublime, il opposait aux artifices de Balzac la doctrine de l'inspiration, qui atteint à la simplicité, au naturel et à la vérité en dédaignant les formalités techniques des rhéteurs. La Conférence Académique de Camus, comme son Voyageur inconnu, marquent le même va-et-vient entre une critique pointilleuse au nom des règles de l'art et une critique de l'art au nom de la doctrine platonicuchrétienne de l'inspiration. Chez Jean Chapelain, le plus grand critique de la période Louis XIII, ce mouvement de pendule d'un extrême à l'autre est remplacé par une doctrine à deux étages: dans sa correspondance privée, à l'usage des initiés, il invoque pour lui-même et ses amis la simplicité sans art d'une prose érudite et chrétienne 350, mais dans son œuvre critique offi-
349 Seconde Partie, éd. cit., Lettre 2 : De la Methode qu'on doit tenir pour examiner seure ment les ouvrages d'un autheur. Il y a dans cette lettre tous les éléments d'une «terreur critique» : le désaccord est la marque infaillible de l'ignorance; la rhétorique est aussi infaillible que les règles du calcul; ses règles nous ont esté enseignées «pour connoistre si un livre est bien fait ou non ». 350 Toute la critique de Chapelain repose sur «l'idée» de l'Art, qui est plus parfaite chez Aristote et Scaliger qu'aucune de ses actualisations, seraient-ce celles d'Homère et de Virgile (Lettres, t. l, p. 18). Mais ce côté scaligérien
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LE MAOISTÈRE CRITIQUE DE LA RepUBLIQUE DES LE'ITRES
cielle, il applique aux écrivains mondains un légalisme esthétique qui les maintienne en lisière. Le magistère critique des doctes est à l'image de la hiérarchie du Palais. Il se fait légaliste, il invoque les règles de la Rhétorique et de la Poétique d'Aristote, lorsqu'il est exercé par des pédants de second ordre, ou qu'il s'adresse à des écrivains peu sûrs, trop esclaves de leur public mondain. Mais en dernière analyse, la grande tradition érudite de gallicanisme, celle des magistrats, portait en elle l'idée que la source ultime de la parole, et son plus haut degré d'intensité, était de l'ordre de l'inspiration, et non de la technique oratoire ou poétique. Philon d'Alexandrie la préparait à comprendre la leçon de Longin. Ce que E.a.O. Borgerhoff a appelé «freedom of french c1assicism» trouve là ses racines profondes. Le passage de l'avocat Pierre Corneille du statut d'écrivain de comédies de Cour à celui de magistrat des Lettres françaises est dû sans doute à ses concessions à la «régularité» : il est dû aussi et surtout à son inspiration de grand poète érudit, admise et reconnue par Balzac et par l'élite de la République des Lettres latines .
• •• Dans l'évolution vers un magistère critique des doctes, correctif des choix et des goûts de la Cour, quelle fut l'attitude du Cabinet Dupuy? En marge du Parlement, celui-ci était l'institution centrale de l'humanisme érudit gallican. Avant 1630, nous avons vu ses chefs pencher vers le parti dévot, et soutenir son combat contre Balzac et les écrivains auliques. Or, dans la Vita Petri Puteani, hommage funèbre adressé à son ami, le «Pape de Paris », en 1651, par Nicolas Rigault, c'est une note beaucoup plus irénique à l'égard des Belles Lettres qui se fait entendre: \1 se servait, écrit-il, d'un genre de parler et d'écrire transparent, et sans recherche, s'appliquant surtout à exprimer avec précision et clarté ce qu'il avait dans l'esprit; les avis et les consultations des hommes sages ne souhaitent pas d'autre style; ils enseignent, ils expliquent, ils montrent par raison, exemples, facteurs déterminant les choses mêmes, pièces concernant les affaires: ils ne souffrent pas les tropes ni les figures des rhéteurs. Du reste, il ne dédaignait nullement la beauté de la langue française, et il pensait que ce n'était pas la moindre gloire de notre siècle que ce genre d'hommes capables d'élégance, d'esprit et d'éloquence 361.
coexiste chez lui avec un côté érasmien, qui apparaît dans les lettres familières: ouverture de cœur, cordialité, naïveté, candeur (v. Lellres, t. l, p. 42, p. 383). Ce dédoublement, sévère pour le «monde », amical et candide pour les intimes, s'explique par un sens très vif d'appartenir à une aristocratie intellectuelle et morale, responsable de la «vie civile». «Le raisonnement, écrit-il à Boisrobert, n'est pas un bien public» (Lettres, l, p. 36). 351 Viri eximii Petri Puteani Reg. Christ. a consiliis et bibliolhecis Vita, cura Nicolai Rigalti, Lutetiae, Cramoisy, 1652 (achevé du 15 fév. 1653), p. 46.
LES RALLIEMENTS
A RICHELIEU
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La hiérarchie des valeurs est nettement marquée. Elle reste exactement identique à celle que Denis Lambin, le maître de ].A. de Thou, avait définie dans son Oralia de 1568 352• L'atticisme « sans art:. du vrai savant est le pur miroir de sa raison érudite opérant à la lumière de la vérité. La seule excuse que Pierre Dupuy accorde à l'art de la prose mondaine est d'ordre national: il illustre la langue française. On peut formuler l'hypothèse que seul le mécénat de Richelieu, en donnant un sens royal et national à l'éclosion des «belles lettres" françaises, a permis cet hommage, d'ailleurs fort mesuré. De fait, après 1630, les frères Dupuy et leurs amis, s'ils sont loin d'être ralliés du fond du cœur au Cardinal, soutiennent sa politique extérieure de résistance aux « empiètements:. de Rome, et de lutte contre les Habsbourg. En 1639, Pierre Dupuy, selon la plus pure tradition de Charles du Moulin, Pierre Pithou et Jérôme Bignon, publie ses Traitiez des droiets et des libertez de l'Eglise gallicane, sous le patronage et avec la collaboration de Richelieu en personne 858. Nicolas Rigault n'hésite pas à quitter sa retraite studieuse de Garde de la Bibliothèque du Roi, héritage de Guillaume Budé et de ].A. de Thou, pour se mettre au service du Cardinal, dans des conditions pourtant fort ambiguës. A quel titre un simple fils de notaire comme Jean Chapelain acquiert-il le droit d'entrer à cette époque dans le sanctuaire de la rue des Poictevins? Il n'appartient certes pas à l'élite érudite. Mais la protection de Richelieu fait de lui le médiateur entre le mécénat officiel du Cardinal sur les «Belles Lettres:., et la critique savante de la vieille République des Lettres latines. Dans la bibliothèque des frères Dupuy, on ne trouve guère d'ouvrages des « beaux esprits:. modernes. En revanche toutes les grandes éditions savantes des rhéteurs antiques procurées au XVIe siècle y figurent. Les rhétoriques jésuites n'y apparaissent pas, mais les ouvrages de rhétorique d'Edmond Richer y ont leur place, aux côtés des travaux des professeurs de rhétorique hollandais, Heinsius et Vossius 8~4. Les chefs du parti
Voir plus haut, p. 460. V.R. Pinta rd, Libertinage érudit ... , p. 93. Les travaux de Pierre Dupuy portent pour la plupart sur la tradition gallicane de la monarchie: Instructions et missives des Roys de France et de leurs ambassadeurs au Concile de Trente, HiOB; Traittez des droits et des libertez de l'Eglise ~allicane, avec les preuves, 1639; Commentaire sur le traité des libertez de l'Eglise gallicane de Maistre Pierre Pithou, 1652; Histoire du différend d'entre le Pape Boniface VIII et Philippe le Bel, 1653. Ses autres travaux portent sur d'autres aspects de la tradition monarchique. Il vaudrait la peine de comparer, du point de vue de l'histoire des idées monarchiques, les choix de Pierre Dupuy et ceux de l'érudit jésuite Jacques Sirmond, qui lui aussi a publié des textes médiévaux intéressant la Monarchie Très-Chrétienne. Sur l'œuvre de Pierre Dupuy, voir D.R. Kelley, ouvr. cit., p. 218-20 et 162-264. 3~4 Voir le Catalogus Bibliothecae Thuanae a Clariss. VV. Petro et Jacobo Puteanis ordine alphabetico distributus, item secundum scientias et artes a Clariss. Viro Ismaele Bullialdo digestus ... Parisiis, Dom Levesque, 1679, t. Il, p. 209 et suiv. sub tit. Litterae humaniores. Après le De Re Grammatica (p. 219352
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gallican trouvaient en effet chez leur ami Richer, comme chez leurs correspondants de Leyde, la même réhabilitation de la Rhétorique d'Aristote, en riposte aux novateurs jésuites et auliques.
• •• On connaît la vie de luttes du syndic gallican de la Sorbonne 855. On connaît moins son œuvre rhétorique. Celle-ci était liée au grand rêve de sa vie, la réforme de l'Université de Paris, qui ferait de celle·-ci une rivale à armes égales des Collèges de jésuites. Celui que ses adversaires accusaient d'appartenir à la «secte des Parlementaires:t avait été en effet un des membres, avec j.A. de Thou, Achille de Harlay, Louis Servin, Molé et La Guesle, de la commission chargée par Henri IV de réformer l'Université, en 1595. Depuis, en liaison étroite avec l'élite gallicane du Palais, il n'avait cessé de combattre les ultramontains de la Sorbonne, et de partager les efforts de ses amis en faveur de Paolo Sarpi, ou contre les menées et doctrines jésuites. En 1629, vieilli, en butte aux cruelles persécutions du P. joseph et de Richelieu, il publie ce qui peut apparaître comme son testament, le De Arte et causis rhetoricae ac methodo ad usum vitae civilis revocandi 1118. Il mourra l'année suivante, trop tôt pour voir Richelieu jeter le masque et se révéler, à sa manière, le héros du gallicanisme politique. D'emblée, l'ami de Nicolas Le Fèvre, de De Thou et de Peiresc pose en principe l'axiome d'Aristote: «l'homme est un animal politique:t 1117. Il constate, non sans un pessimisme d'accent augustinien, la faiblesse de l'esprit humain, sa capacité d'erreur. Dès lors, il est impossible de compter sur la seule force philosophique de la vérité pour s'imposer. Un art oratoire est indispensable. Ramus, pense Richer, a eu tort de faire 235), viennent les Oratores Graeci et les Rhetores graeci (praticiens et théoriciens) ; parmi ces derniers figurent quatre éditions de Longin, y compris l'originale par Robortello ; puis les Oratores et rhetores latini (Cicéron, p. 251-253), res Epistolae (p. 255-256), les Autores varii latini (p. 257-260) et les poètes latins anciens et modernes, les poètes grecs anciens et modernes (psellos, Tzétzès), les poètes italiens, les poètes français néo-latins (p. 286) et en vernaculaire (p. 306). Les uns et les autres sont tous des auteurs du XVI' siècle, sauf Nicolas Bourbon, le recueil Palmae Relliae rassemblé par Boisrobert (latin) et Bertaut, Malherbe, Regnier (françaIs). Après lA. de Thou, cette section semble avoir été complètement négligée. En revanche, la section Recentiores lie Rhetorica est très riche (p. 357 et suiv.). Les plus grands commentaires de la Rhétorique d'Aristote, Ermolao Barbaro (1551), Alex. Piccolomini (1565), etc. y figurent, ainsi que Vossius et Richer. Pas l'ombre d'une rhétorique d'origine jésuite. Le Commentaire d'Aristote par P. Vettori, qu'étudia Guez de Balzac, (Lettres de Chapelain, éd. Tamizey, Index s.v. Victorius) figure ici dans deux éditions. 355 Adrien Baillet, La Vie d'Edmond Richer, Liège, 1714. V. p. 401, la scène effroyable que Richelieu et le P. Joseph firent à Richer pour obtenir de lui une rétractation écrite. 356 V. ibid., p. 25. 357 De Arte et causis, p. 4.
RHÉTORIQUE D'EDMOND RICHER
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fusionner dans son œuvre rhétorique dialectique et art oratoire. La Dialectique est l'art de conduire à la vérité les « opérations de l'esprit ». Mais la Grammaire et surtout la Rhétorique doivent déployer tous leurs pouvoirs au service de la vérité. A l'ésotérisme du vrai, réservé à un petit nombre, doit correspondre un exotérisme oratoire capable d'en assurer la diffusion, à la portée du plus grand nombre. Si le plus grand nombre est trompé, la vérité est menacée dans ses retraites. Elle ne peut donc se désintéresser de ses propres assises politiques. Là gît aux yeux de Richer l'erreur platonique de Ramus: en rompant avec Aristote, en se faisant l'adversaire de Cicéron et de Quintilien, qui suivent Aristote, Ramus a privé la vérité des moyens de se faire aimer et respecter, même de loin ou de biais, par le plus grand nombre. Ramus apparaît ainsi comme l'adversaire par excellence, dans la tradition savante française, du cicéronianisme bien entendu, qui unit la philosophie chrétienne à l'éloquence pour mieux la diffuser. Selon Richer, qui s'efforce de résumer honnêtement ses thèses, tout se passe pour Ramus comme si l'humanité était composée d'êtres de raison, et comme si les doctes pouvaient se borner à l'exposé apodictique de la vérité qu'ils détiennent. Joseph Juste Scaliger, dont l'admiration pour Cicéron écrivain était sans réserve, partageait l'hostilité de Richer contre Ramus, qui a dévié de la tradition majeure de l'humanisme érudit: Ramus etoit un homme docte, mais on en fait trop grand état: Ramus male scribe bat 358. En fait, explique Richer, il y a au moins trois genres d'auditoires: les savants, pour qui l'exposé apodictique peut suffire, les demi-sa'vants, et les ignorants. Pour ceux-ci, d'autres modes de discours sont nécessaires. D'autre part, si la vérité philosophique a son prix, les opinions et les agréments ont également le leur, car ce sont eux qui ont cours dans la société civile, et qui gouvernent les mœurs et les passions de la plupart des hommes 859. Il faut partir de ces opinions et de ces agréments pour rallier à la vérité les hommes, animaux politiques. L'éloquence ne saurait donc se contenter du didactisme ou de la négligence du savant: elle doit savoir user d'une gamme riche et puissante, elle doit pouvoir être «tropologique, eurythmique, éthique, pathétique », selon les cas. Scaligerana, éd. cit., p. 288-289. De Arte et causis, ouvr. cit., p. 25: Cum enim Logica ab hominum opinione non pendeat neque plausum, vel approbationem externam ambiat, de thesi nllde et analytice, et ex rei veritate tractat, nu/la habita ratione auditorum: unde omnia argumenta exactissimo methodo investigat, ei in aciem dirigit. Contra autem Rhetorica velut Dialeciicae et Politicae subalterna, ac propago, cum partim rationalis, partim sermocinalis et moralis existat, hypothesim jllxta omnes locomm, temporum, personarum circumstantias considerat, neque argumenta, et enthymemeta nude et analytice, ut Dialectica, sed oratorie, et per modum tigurae cujusdam, ac tormae persuadendi considerat ... » Richer laisse à l'orateur la plénitude d'exercice de la méthode dialectique, mais il lui demande d'articuler à la vérité qu'il veut défendre un discours ajusté aux capaéités de l'auditoire. C'était donc loin d'être une évidence pour ses lecteurs ... 358
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Aussi Richer, qui semble déceler trop d'influence de Ramus dans l'Université et chez les doctes, préconise-t-i1 une Renaissance du De Oratore de Cicéron. II le cite longuement, il appelle les jeunes gens à se pénétrer des œuvres de celui qui fut un grand homme et un grand citoyen en même temps qu'un grand artiste de la parole SGO. Il les invite à préférer sa leçon à celle de Sénèque, et de Juste Lipse, dont le style obscur est incapable de rayonnement politique. L'heure est grave, insiste Richer, qui retrouve les accents de j.. de Maussac en 1620: les passions sont déchainées dans le royaume, la «République chrétienne:t est en recul, la jeune noblesse se livre à de barbares duels. Avec une sincérité ardente, Richer martèle sa conviction: autant que la vérité en soi, l'ordre de la société civile importent; la première est menacée par la ruine de la seconde. Il faut que les « bons français» mettent en œuvre tous les prestiges del'art oratoire pour apaiser les passions, combattre les plus grossières erreurs, et recréer les conditions d'une société en ordre.
• •• Le testament d'Edmond Richer allait dans le même sens que la dédicace de Maussac à Du Vair en 1620, et que l'Oratio de Daniel Heinsius en 1624: la philosophie chrétienne, sous peine d'abandonner ignorants et demi-habiles aux erreurs captieuses de ses adversaires, ne pouvait se passer d'une rhétorique. Dès lors la République des Lettres gallicane ne devait plus se contenter de refuser en bloc toute légitimité à la littérature mondaine. II lui fallait faire un tri, entre les écrivains qui acceptaient de placer l'art littéraire français sous l'égide de Scaliger, d'Aristote, de Cicéron, de la belle Antiquité, et les autres; entre les écrivains capables de servir la philosophie chrétienne auprès du public de Cour, et les autres. A sa gamme déjà fort riche, l'Académie Dupuy après 1630 ajoute un registre de «critique littéraire» appliquée aux œuvres françaises, et s'agrège ceux des nouveaux écrivains qui consentent à reconnaitre son magistère. Ce magistère critique de la République des Lettres n'est pas sans analogie avec celui, très officiel, que Richelieu confie à l'Académie française. Il ne se confond pas avec lui, même si Chapelain sert d'agent de liaison entre l'un et l'autre. La critique telle que la conçoit l'entourage de Richelieu, Chapelain mis à part, est une critique de demi-habiles, assez bien représentée par un ancien avocat comme d'Aubignac, ou un médecin comme La Ménardière. Des deux voies entre lesquelles hésitait un Goulu, elle a choisi, pour fortifier plus commodément son magistère d'homines novi, un juridisme étroit, qui s'attache à la lettre plus qu'à l'esprit. _Au contraire, une fois admise la légitimité d'une littérature à l'usa'ge du monde, la haute érudition gallicane est plus à même de distinguer ce qui relève du sublime d'ins-
360 Sur ce point, Richer est fidèle à la traduction de Guillaume Du Vair. \' oir p. 10-11. L'hostilité à l'atticisme sénéquien, que Du Vair avait patronnée en dépit de son stoïcisme et du prestige de Juste Lipse, est réaffirmée p. 12 et 13. Cicéron doit venir au secours de la 4: Christiana respublica veterascens :t_
BALZAC ET L'HÔTEL DE
mou
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piration, et ce qui relève de la simple régularité. Le cOté Ronsard des tragédies de Corneille trouvera plus de sympathie auprès du c Grand Bignon », lecteur de Philon et de Longin 881, que chez les doctes de second rang et d'érudition courte qui entourent Richelieu. C'est en 1635 que le grand érudit Léon Allatius, relié de tant de manières à l'Académie Dupuy, publie son De erroribus magnorum virorum in dicendo 882 qui transpose dans un registre esthétique, par une belle paraphrase de Longin, la vieille doctrine des érudits de la Renaissance: l'inspiration du philologue est de même nature que celle du poète-théologien, elle est réminiscence enthousiaste de la Vérité. Et c'est à partir des positions de la haute érudition que Balzac, dans sa Lettre à Scudéry sur Le Cid, justifiera le poète au nom du sublime d'inspiration. Anobli par le Roi au nom de la Cour, Corneille était dès lors délié des règles étroites qui s'appliquent aux avocats ordinaires, et porté au rang de magistrat des Lettres françaises, reconnu par ses pairs. Entre temps il est vrai, Balzac, rebuté par Richelieu après Le Prince, s'était tourné vers l'aristocratie lettrée de l'Hôtel de Thou. Comme les avocats du XVIe siècle, l'érudition qu'il acquiert dans sa retraite de la Charente, où il vit « noblement", le lave du soupçon de sophistique qui l'avait fait jusqu'alors regarder de haut. Au surplus, il amorce une lente évolution de «philosophe chrétien» qui le conduira à son Aristippe et à son Socrate chrétien. Au cours de la décennie 1630-1640, il est en état d'être « reçu» parmi la noblesse de l'esprit.
••• Le 3 septembre 1632, l'Unico Eloquente écrit à un correspondant inconnu, manifestement à l'intention des Adelphes : Pourveu, Monsieur, que vous vous souveniez de moi et qu'il vous plaise me conserver les bonnes grâces de Messieurs Du Puy, je ne manqueray point de consolation. Ce sont des personnages qui, sans pourpre et sans magistrature, sont illustres et authorisés, pour le moins dans le monde raisonnable et parmy les gens qui jugent sainement. Il n'y a point d'employ si honneste que leur loisir, ou d'ambition qui s'occupe si noblement que leur vertu se repose. Vous me feriez une singulière faveur de leur dire que je les considère tous deux avec reverence, et que jamais homme n'entra dans la Galerie de M. de Thou mieux persuadé de leur incomparable mérite 363. 361 Voir R. Pintard, «Autour de Cinna et de Polyeucte ... », RH.L.F., 1964, 377-413. 382 Voir sur cette œuvre notre communication à paraître dans les Actes du Colloque international de la Société d'études néo-latines, Tours, 1976. 363 Balzac, Œuvres, éd. cit., 1665, t. I, 1. VIII, 9, p. 351, 3 sept. 1632. Voir dans l'exemplaire des Lettres de Balzac de la B.N. (T. du Bray, 1627, in-4°, Rés. Z 1129) la dédicace « à M. Du Puy» de la main de Balzac. Les efforts de Balzac en direction des Dupuy datent au plus tôt de l'année de cette édition.
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La date de cette lettre est peu sûre. C'est surtout à partir de 1636 que les lettres de Chapelain à Balzac font mention de relations suivies et amicales entre l'Unico Eloquente et les frères Dupuy., Plutôt que Chapelain, lui-même nouveau venu, c'est François Luillier et François La Mothe Le Vayer, deux «libertins érudits », qui semblent servir de « parrains» à Balzac. Dans une lettre à Luillier Balzac parle le 23 novembre 1636 des «bienheureux moments passez dans le cabinet de Messieurs Dupuys », et des «bonnes choses» qu'il y a ouïes. Converti à l'érudition humaniste, Balzac emprunte, toujours sous la garantie de Luillier et de La Mothe, les Episto/ae et Orationes de Pietro Vettori à la bibliothèque des Adelphes 364. Belle occasion que saisit Chapelain pour instaurer avec Balzac une sorte de Querelle Balzac-Goulu dont les Lettres latines de Vettori sont le prétexte, et qui amène l'Unico Eloquente à faire un examen de conscience littéraire assez complet 3611. Le 24 novembre 1644, Balzac écrira à Nicolas Rigault, autre Prince de l'Académie putéane: Et quand je m'imagine que c'est le cher et dernier confident du grand Président de Thou qui est aussi mon cher et parfait ami, vous ne sauriez croire quel avantage je tire de la seule imagination d'une si illustre société. Toutes les fois que je pense que c'est un Romain de la vieille Rome, et un Chrestien de l'ancienne Eglise, avec qui j'ay communication, je pense estre transporté tout d'un coup dans les premiers siecIes, et devenir compagnon tantost de Sulpices et des Scevoles, tantost des Tertulliens et des Cypriens 300.
364 Les premiers échanges épistolaires entre Balzac et Chapelain ne semblent pas remonter au-delà de 1632. L'introducteur de Balzac chez les Dupuy ne semble pas avoir été Chapelain, mais Luillier: voir Balzac, Œuvres, t. l, l. ,IX, 3, p. 401, lettre à Luillier datée du 23 nov. 1636: «Les bienheureux moments ... :» (texte cité). Voir aussi Chapelain, Lettres, t. l, p. 125 ( pour pénétrer très tôt dans la haute magistrature, et devenir Conseiller du Roi. Les guerres civiles et religieuses avaient permis à une élite d'avocats, gallicans comme Arnauld, ligueurs comme D'Orléans, de prétendre à une sorte de magistrature de la parole. Le retour sous Henri IV à des mœurs plus monarchiques fit rentrer les avocats dans le rang. Leur métier fut d'autant plus humilié qu'il avait eu l'occasion d'être exalté. Le durcissement de la hiérarchie interne du Palais alla de pair avec le sec rappel du rôle purement auxiliaire de l'éloquence judiciaire. Dans le L. III des Treize livres des Parlemells de France de La Roche-Flavin, consacré aux avocats, l'a:.tteur oppose le caractère contemplatif des offices de judicature au côté « méchanique '> et lucratif du métier d'avocat 886 • Du Vair, dans ses Remonstrances d'Aix, fait une véritable palinodie: renonçant à l'apologie de l'éloquence civique, qui définissait implicitement un cursus honorum continu du barreau à la magistrature, il revient aux vues des Remonstrances à la Pibrac, qui faisaient des avocats les humbles «diacres» des juges-prêtres 387. La Roche-Flavin s'inspire plus directement des Remonstrances du Procureur Général jacques de La Guesle, dont le thème principal est l'incompatibilité entre la gravité des Parlements français et les mœurs oratoires du Forum, qu'avaient ressuscitées les guerres civiles. Dans une Remonstrance de 1606. il opposait non sans brutalité la «cautelle '> et «pillerie,. des avocats. leur «subtilité» qui complique à dessein la procédure. au sens de la vérité qui anime les juges érudits. L'éloquence mercenaire du Barreau est. selon lui. travaillée par deux vices venus d'ltalie : la corruption du droit par les Bartole et autres Accurse 388 auxquels les avocats se raccrochent en ignorant l'effort de purification et de retour aux sources des magistrats érudits; la confusion. qui selon lui remonte à Alciat. entre «humanités» et droit. qui introduit la frivolité du «bien dire» dans les choses du Palais 389. L'avocat apparaît comme un cheval de Troie dans l'enclos sacré du Palais.
* ** Ibid .• cit. par Th. Froment. ouvr. cit., p. 303-304. Ed. Dupin cit.. Argument: «Ils disoient hautement qu'i1 etoit tout à fait indigne de leur profession de soumettre à un gain limité et mercenaire, l'honoraire qu'on leur offroit volontairement en recoignoissance de tant de vertus. et d'éminentes qualitez nécessaires à un bon advocat. et principalement de l'éloquence. » 387 Voir plus haut (p. 567). 388 Sur cette réaffirmation des grands principes de l'école française du droit. voir D.R. Kelley. Foundations ...• ouvr. cit. La Guesle. comme la plupart des grands magistrats gallicans sous Henri III et Henri IV. était un élève de Jacques Cujas. 389 Remonstrances. ouvr. cit.. p. 864. (V. p. 792-793 l'éloge de Caton le Censeur.) La Guesle cite Philippe de Commynes. 385
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UNE GRÈVE D'AVOCATS EN
1601
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Sophistes tortueux, bavards impénitents, les avocats sont cupides, comme les Gorgias de l'Athènes républicaine, ou les déclamateurs de la Rome impériale. En 1601, le Parquet se résolut à mettre fin au scandale de leur enrichissement, et à faire respecter un article oublié de l'Ordonnance de Blois, exigeant des avocats qu'ils déclarassent le montant de leurs honoraires. Cette mesure vexatoire aussi bien que les diatribes du Procureur La Guesle, révolta le Barreau de Paris. Lésés, humiliés, las d'être traités en c marchands du Temple~, les avocats se mirent en grève 890. L'écho de leurs doléances résonne dans l'apologie quelque peu nostalgique composée alors par Antoine Loisel, et intitulée Pasquier ou le Dialogue des Avocats 891. Un des fils de Pasquier y déclare: Où est l'honneur que j'ai entendu de vous, mon père, avoir esté autrefois au Palais et la faveur que Messieurs les présidents portaient aux jeunes avocats de votre temps, les ecoutant doucement, supportant et excusant leurs fautes, et leur donnant courage de mieux faire? Au lieu que maintenant il semble à quelques uns que nous soyons d'autres bois et d'autre étoffe qu'eux 392. Pasquier et Loisel, devenus Avocats Généraux, se montrent solidaires des revendications matérielles de leurs anciens collègues 898. Mais ils ne mettent nullement en cause les exigences morales que font peser sur les avocats et leur éloquence les représentants du Parquet. Pasquier rappelle avec orgueil qu'il a mis son point d'honneur à plaider gratuitement pour l'Université contre les Jésuites. Le grand historien des Antiquités nationales retrace l'histoire du Barreau depuis Philippe le Bel et fait l'apologie des grands avocats de sa génération. Mais il ne peut s'empêcher de prononcer lui aussi une sorte de Remonstrance improvisée, où il reprend à son compte la doctrine constante des magistrats: l'éloquence judiciaire doit être purement professionnelle, ajustée au Parlement français et chrétien; elle ne doit pas imiter Cicéron ni suivre les préceptes de Quintilien. Eloquence probe, digne d'un serviteur de la Justice du Royaume, et d'une sobriété tout «attique ». Conformément à ce qu'il avait recommandé à Faye d'Espeisses dès 1586, Pasquier n'est pas favorable aux citations. C'est toutefois le seul ornement qu'il tolère dans la bouche d'un avocat, à condition qu'il en soit fait sobrement usage 39••
890
Sur cette grève des avocats, voir outre l'introduction de Dupin au
Dialof{ue de Loisel, et j. Gaudry, ouvr. cit., t. l, ch. XIX, p. 315, j. Chavanon, « A travers le Palais de justice, grève des avocats sous Henri IV:., La Cité, t. V, 1910, p. 169-180. 391 Arnauld d'Andilly, Mémoires, éd. cit., p. 407, et p. 409-410. 392 Voir note 384. 393 Ibid., cit. par Th. Froment, ouvr. cit., p. 303-304. 394 Cit. par Froment, p. 302-303.
DE L'AVOCAT A L'HOMME DE LETTRES
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Cette modération était fort convenable au vieux Pasquier. Avait-elle de l'attrait pour de jeunes avocats qui, doués de talent, et de médiocre naissance, devaient écouter en silence, sur le troisième banc où on les parquait, Messieurs les Avocats Généraux leur faire la morale? La Roche-Flavin parle à leur propos de «noviciat ». Le parallèle auquel il se livre pour justifier ce terme donne la mesure du dédain des magistrats gallicans pour leurs «diacres,., et de la persistance du modèle ecclésiastique dans les mœurs et l'organisation du Palais: Comme les Jésuites se divisent en Novices, en Regens, en Profès, aussi ès barreaux des Palais nous avons trois espèces d'Advocats, les escoutans, les plaidans, et les consultans 395. Cette répartition hiérarchisée définit un cursus honorum et se traduit par une place plus ou moins avancée sur les trois bancs réservés au Barreau. Les stagiaires «escoutans» sont soumis à une discipline sévère: être assidus, être attentifs et silencieux. Les «plaidans,. selon La Roche-Flavin, fidèle à la doctrine de Pibrac, d'Espeisses. et La Guesle, «doivent estre plus curieux de science et doctrine que des parolles et de la beauté du langage ». Leurs plaidoyers doivent s'inspirer de la seule vertu, alliée à la vérité, et exprimée avec brièveté. Les «consultans », en fin de carrière, ont une fonction qui tient beaucoup de celle du magistrat, ils sont «les premiers juges ». Mais avant d'atteindre à cette sérénité et à cette indépendance lucrative il a fallu passer par deux étapes d'une «chicane» étroitement soumise aux Remonstrances et aux Mercuriales des magistrats.
Le malaise d'une génération Cet ordre des choses était supportable dans le Paris du XVIe siècle. Il ne l'est plus ou il l'est beaucoup moins au XVII" siècle. Aux quelques raisons que nous avons énumérées, il faut en ajouter une autre, qui est peut-être la plus décisive .. A la sévérité du stoïcisme chrétien des magistrats s'ajoute en milieu de Robe la piété réformée du c Siècle des Saints ». A celle-ci, à son ordre sévère, seuls peuvent se permettre d'échapper les gens de Cour. Leur liberté de mœurs, leur goût du luxe et des plaisirs, leur appétit de fête, créent un pôle de résistance à l'esprit de Carême qui règne dans la bourgeoisie. La scène de la Cour, un peu comme l'Olympe des Dieux païens tel que le décrit Rotrou dans Les Sosies, dessine au-dessus d'un monde soumis aux contraintes morales et
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La Roche-Flavin, ouvr. cit., p. 239.
JEUNESSE SAVANTE ET JEUNESSE DE COUR
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religieuses l'espace idéalisé d'une société civile réconciliée avec le plaisir. Celle-ci exerce une fascination très vive sur la frange la plus impatiente du milieu robin, la jeunesse. Le c mal du siècle:. des jeunes talents du Barreau éprouve une connivence certaine avec la manière d'être libertine, c selon la Nature:., des jeunes gens de la Cour. L'exemple de celle-ci, sur le théâtre brillamment éclairé du Louvre et des Hôtels de la grande noblesse, pousse les jeunes robins à secouer les vieilles inhibitions religieuses et morales de la bourgeoisie lettrée. En imagination au moins, sur le chemin frayé au-dessus d'elle par les gentilshommes de Cour, une élite de jeunes bourgeois destinés à des carrières de Robe osent prendre quelque goGt des plaisirs, et entre autres, du bonheur d'expression. Nous reviendrons sur le problème posé par la jeunesse de Cour. Contentons-nous ici d'un témoignage attestant l'effroi ou l'admiration qu'elle suscite. Dans un recueil de Conférences académiques émanant d'un cercle orléanais, mais publié à Paris en 1618, le doyen de Heere, du chapitre de Saint-Aignan, ouvre les débats par une harangue Des deux dges, Adolescence et Vieillesse. Hommage indirect aux bons jeunes gens qui acceptent de dialoguer avec leurs anciens et s'exercer en leur présence à l'éloquence. Mais qu'ils prennent garde au mauvais exemple: Ces jeunes chevaliers sont plustôt comme des chevaux eschappés, et des bestes farouches qui desgagez une fois de leurs liens et de leurs chai snes ne recoignoissent plus leur maistre, et comme les femmes au dire d'Herodote en despouillant leur chemise despouillent quand et quand toute honte, aussi la jeunesse en devestant la robe puerile, souvent quitte la pudeur et l'honnesteté, s'abandonne à toutes sortes de dissolutions, de vanitez, de presomptions, qui la portent à une telle opinion de soy-mesme que souventes fois oubliant le respect qu'on doit aux choses superieures, elle rapporte tout à ses propres forces, ou au moins sans se soucier de religion, à la fortune et à la destinée 896. Vigoureuse et vacante, la jeunesse que le doyen de Heere a sous les yeux est d'instinct libertine. Elle adore en sa propre image le miroir d'une Nature antérieure à la Chute: Ce qui rend l'humeur de ces gens encor plus présomptueuse, est que considerans la beauté de leur visage, la force de leur corps, la vigueur
896 Conferences academiques recueillies et mises en lumiere par le Sr de Heere, doyen de Saint-Aignan, d'Orléans, Paris, Langlois, 1618 (Ars. 8° BL 28.49), p. 17. L'origine du topos jeunesse/Vieillesse est antique: voir Cicéron, Caton l'Ancien ou de la Vieillesse et surtout Quintilien, Inst. Or., XII, 6, sur
le meilleur âge de l'orateur (voir plus haut ce thème traité par Dupré dans le Pourtraiet de l'Eloquence). Sur le problème de la lutte de générations comme moteur d'évolution de la culture, voir Anthony Esler, The aspiring mind of the Elizabethan younger generation, Durham, Duke Univ. Press, 1966 (Sorb. L 29.070 8°). Un travail analogue reste à faire sur la génération de 1620 en France.
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DE L'AVOCAT À L'HOMME DE LETTRES
de leur sens, la santé qui semble leur promettre une bien longue vie, ils deviennent amoureux d'eux-mêmes, comme un autre Narcisse 397. Ce sera exactement le diagnostic de Jacques de Maussac, deux ans plus tard. Pour lui aussi, le mythe de Narcisse servira d'emblème au paganisme hédoniste des jeunes qui se développe dangereusement à l'intérieur de la France chrétienne. Le tableau de cette génération nouvelle est donné en creux, mais avec plus de détails, dans les Vacation es Autumnales. Nous en avons donné un aperçu au chapitre précédent 398: la gestuelle dionysiaque (gestuaria dionysiaca) 899 de ces jeunes révèle leur fatuité, leur effémination, leur coquetterie, qui n'est pas incompatible avec la brutalité et la grossièreté. Le P. de Cressolles accusait les «histrions ~ et gens de théâtre de débaucher et de corrompre ces âmes en péril 400. Tout en condamnant ces excès, le rhéteur jésuite se gardait de heurter de front la jeunesse dorée. Il admettait qu'au moins en matière de style, elle a droit à une certaine indulgence et à une marge de jeu. « Il faut concéder quelque chose au sang et à la vigueur,. 401 •
• •• Ce libéralisme, d'ailleurs tout relatif, n'est pas dans les mœurs des Pères conscrits du Palais, qui se rallieront d'abord à la campagne de Garasse contre Théophile, plutôt qu'aux accommodements souhaités par un Cressolles. Les «traîtres », que dénonçait Maussac, et qui désertent les mœurs traditionnelles de la Robe, sont vertement repris par leurs aînés et leurs supérieurs, et ne trouvent guère de différence entre le Collège, où sévissait le Pédant, et le Parlement où sévissent les Censeurs. Sans épiloguer sur le Francion de Sorel qui fait du c jeune Avocat allloureux» un allié naturel du jeune gentilhomme libertin 402, retenons une autre description de ce «mal du siècle» des jeunes robins: c'est l'Apologie des jeunes Advocats avec la recommandation de la poésie et
397 Ibid., p. 20. On peut ainsi reconstituer le cheminement de l'antonomase de Narcisse appliquée aux jeunes gens 1620: 1. De Heere (1618) ; 2. Maussac (1620) ; 3. Garasse (1624) ; 4. Goulu (1627). 398 Voir Il' partie p. 323-324. 399 Vacation es Aulumnales, éd. cit., p. 340. 400 Ibid. 401 Ibid., p. 411. 402 Voir Francion, éd. A. Adam, dans Romanciers du XVII" siècle, Paris, Gallimard, p. 191-192. Il est curieux d'observer que la polémique de Sorel contre Balzac-Hortensius, attaqué par les doctes de Robe comme étant «de Cour~, adopte le point de vue exactement inverse: c'est un pédant, qui communique sa maladie au Louvre (p. 426 et 432-433). Ces deux «tirs" antithétiques définissent fort bien la position médiatrice de Balzac.
« L'APOLOGIE DES JEUNES AVOCATS:. DE L. GODET
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de la nouvelle jurisprudence, que son auteur, Louis Oodet, publie à Châlons en 1613. Toutes proportions gardées, on a affaire ici, contre l'orthodoxie fixée par les Remonstrances, à une révolte analogue à celle de O.B. Manzini, publiant à Rome ses Furori della gioventù pour fronder les leçons très officielles des Prolusiones academicae du P. Strada. Ce jeune homme a une vocation de poète, il rêve de c gloire:., il déteste le «trafic », la «marchandise », c l'avarice ». Mais son père veut qu'il devienne avocat. Il s'y résigne. Encore faudrait-il que les vieux renards lui fissent un peu de place. Mais les c anciens:. ont le monopole de la clientèle, qui se méfie d'un jeune avocat-poète, et préfère s'adresser à des experts éprouvés, jouissant d'autorité au Palais, et tout bardés de citations de Bartole. Ce sont les rois de la Chicane. Ils sont possédés d'une véritable boulimie d'argent, en dépit du serment qu'ils prêtent chaque année. Au contraire, les jeunes sont désintéressés, ils rêvent de poésie et de beau langage. Ils rêvent d'amour, que les rois de la Chicane, et pour cause, haïssent. Notre poète essaie de faire vibrer cette corde aux oreilles des belles plaideuses: Prenant quelqu'avocat âgé Qui n'a qu'une froide caillette, Vostre procès sera jugé Tant seulement sur l'étiquette. Mais choisissez quelque fringant Qui ne manque de belle pointe... Las 1 La robe noire est un remède qui gâche les provocations amoureuses, même les plus gaillardes. Faudra-t-il se plier, tant bien que mal, à la règle du Palais? Il nous faut nos Luths delaisser Et tous instrumens de Musique, Et n'apprendre rien qu'à priser L'harmonieuse harpe dorique 403. L'une des plus belles vertus Est d'amasser des escus. Après avoir essayé de se convaincre et de convaincre autrui qu'il aurait pu faire un bien meilleur avocat que tous ses vieux rivaux, si on lui avait laissé sa chance, notre poète renonce à toute mélancolie, et fait profession de foi à la fois sceptique et épicurienne: Il vaut mieux estre en santé Que de sçavoir tout le Digeste. Celuy qui ne sçait du tout rien Ne révoque aussi rien en doute, Où le sçavant ne veoit goutte, L'ignorant croit qu'il y veoit bien.
403
Voir Vacationes Autumna/es, cit. dans notre II' Partie, p. 320, n. 332.
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On gagneroit donc a brusler Ces vieux bouquins pleins de poussière, Ceux-là qui sont les plus sçavans Ne sont pas pourtant les plus sages ... Et il conclut: c Il faut que les vieux avocats cèdent aux jeunes, et qu'ils confessent ingénuement que rien n'est tel que Bene esse, vivere, bibere et laetari:.. Le témoignage de La Mothe Le Vayer, beaucoup plus tardif, mais se rapportant à l'âge et à l'époque de Louis Godet, confirme l'existence chez les plus doués des jeunes robins d'un redoutable malaise. René Pintard a retracé, avant d'analyser le c libertinage érudit:. d'Qrasius Tubero, les débauches et les voyages du jeune Le Vayer .• Celui-ci s'en justifie par une véritable phobie des mœurs du Palais: En vérité, je respecte autant que je dois les hommes de la robe, mais je vous confesse que les abus qui s'y commettent ont beaucoup fortiffié l'aversion naturelle que j'ay toujours eue de m'y attacher. L'objet des occupations d'un palais de chicane m'a toujours fait cabrer l'esprit, quelqu'honneur qui m'y paru st joint ou quelqu'utilité que j'y visse annexée [ ... ] Et je ne pense pas que celuy de personne ait jamais plus souffert que le mien, autant de fois que j'ay esté contraint d'en prendre quelque notion confuse [ ... ] L'ignorance mesme de ce que ce mestier a de plus fin m'a toujours pIeu, et l'inclination que j'avais estant jeune pour la Philosophie me faisait quelque vanité de n'entendre rien aux affaires de Thémis ... Mais, fils d'un substitut au Procureur Général, et assuré de la survivance, La Mothe, s'il méprise le Palais en général, partage toutefois, sans peut-être qu'il s'en rende tout à fait compte, les préjugés de la Grande Robe contre les avocats: Et vous n'ignorez pas, continue-t-i1, qu'on a voulu rendre un advocat d'autant plus meschant homme qu'il estoit excellent dans sa profession, toute portée à gagner l'esprit des Juges et à obtenir d'eux par son éloquence et par son artifice ce qui est advantageux à ceux dont il plaide la cause [... ] Tant y a que la plus fine chicane est toujours accompagnée de tant de tromperie qu'elle a donné lieu à ce Pentamètre d'une des vieilles épigrammes recueillies soigneusement par Pierre Pithou : Non sine fraude forum, non sine mure penus 404.
La tentation littéraire des jeunes robins Cette phobie du Palais ne pouvait pas ne pas s'étendre jusqu'à la montagne Sainte-Geneviève, dont les Collèges formaient les futurs avocats. Avec l'humanisme solide mais sans grâce des régents latineurs,
404 Voir La Mothe Le Vayer, Œuvres, Paris, Billaine, 1669, 12·, t. IX, p. 496-499, cit. par R. de Kerviler, François La Mothe Le Voyer, sa vie et ses écrits, Paris, 1879, p. 25.
L'ÉDUCATION D'UN PAGE
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rivalisait dans l'esprit des élèves la culture romanesque de tradition courtoise, dont les grandes familles nobles et la Cour était la clientèle privilégiée. Entre les deux cultures, les Jésuites avaient beau jeu d'offrir un moyen terme séduisant, avec une pédagogie et un humanisme faisant plus de part aux agréments et à l'ornement qu'à la mémoire. On peut se faire une idée de l'extraordinaire décalage entre la culture d'un jeune « chevalier» et celle d'un jeune «clerc» formé par l'Université, sous Henri IV et Louis XIII, en comparant le récit que Tristan L'Hermite fait de son enfance dans Le Page disgrâcié et celui qu'André d'Ormesson fait de ses études dans ses Mémoires. Je vous dirai, écrit Tristan, que je n'avais guère plus de quatre ans que je savais lire et que je commençai à prendre plaisir à la lecture des romans que je debitais agreablement à mon aïeule et à mon grand'pere, lorsque, pour me detourner de cette lecture inutile, ils m'envoyèrent aux écoles pour apprendre les éléments de la langue latine ... On m'avait laissé goûter avec trop de licence les choses agréables ... 405. Le latin engendre en lui une mélancolie aussi profonde que celle dont Malherbe se réjouit de voir délivré Louis XIII, sitôt qu'il est c hors latin}) 406. Aussi s'adonne-t-i1 à la peinture et à la poésie, et fréquentet-i1 des comédiens 407. Il se nourrit, pour faire bonne mesure, de romans héroïques, et fait la cour à une jolie fille en lui récitant des «contes frivoles» du Tasse et de l'Arioste 408. Page chez le jeune marquis de Verneuil, il entre en guerre contre le pédant Claude Dupont, précepteur du jeune Prince, et il raconte à celui-ci la fable du Loup et de l'Agneau 400. j'étais, poursuit-il, le vivant répertoire des romans et des contes fabuleux ... Je pouvais agréablement et facilement débiter toutes les fables qui nous sont connues, depuis celles d'Homère et d'Ovide jusqu'à celles d'Esope et de Peau d'Ane 410. Romans, fables, contes, musique, théâtre, cette culture toute courtoise n'obéit qu'aux critères de 1'« agréable» et du « frivole" ; elle est entièrement tournée vers les délectations de l'imaginaire et de la fiction qui les stimulent. Ce récit autobiographique corrobore les peintures que Sorel, robin fasciné par les jeunes d'Epée, a multipliées dans Francion. Le héros auquel Sorel, avant de se ranger aux goûts de sa caste, rend une sorte de culte ébloui, ne vit que pour les plaisirs de l'imagination et
405
Voir Tristan, Le Page disgrdcié, éd. Marcel Arland, Paris, Stock, 1946
(1 re éd. 1643), p. 54.
406 Malherbe, Œuvres, éd. Adam cit., p. 007. Malherbe dit exactement: «S.M. est hors latin et se porte fort bien.:. 407 Tristan, ibid., p. 71. 408 Ibid., p. 122. 409 Ibid., p. 61. 410 Ibid., p. 59.
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des sens; il a d'instinct le goût des beaux-arts, de la poésie, et pendant son séjour au Collège, son horreur du latin n'a d'égal que son goût des romans, et des tours à jouer à son pédant de pédagogue 411 •
• •• Avec les Mémoires d'André d'Ormesson, on a l'impression d'entrer dans un autre monde, où régnent encore Alcuin et Nicolas de Clamanges, et où n'ont jamais 'pénétré ni Chrétien de Troyes, ni l'Arioste: Je veux en cette feuille escrire les autheurs qui m'ont esté lus en classe, en ma jeunesse 1... ) sous les regens M. Jard et M. Seguin ... : Les Eglogues de Virgile La comédie de Térence l'Eunuque La comédie de Phormio, aussy de Terence. L'espitre d'Ovide Oenona Paridi L'espitre d'Ovide Medea Jasoni La satyre d'Horace Qui fit Moecenas La satyre du Juvénal Stemmata qui faciunt Quelques epistres de Cicéron entre autres celle qui commence Coram me tecum etc. Je n'ay presque rien oublié de tout ce que j'ay appris de ma jeunesse, j'ay pris aussi plaisir de relire de fois à autre mes anciennes leçons pour m'en souvenir 412. Et après avoir rappelé le programme du cours de M. Raquis, au Collège de Navarre, ses études de Logique faites aux Jésuites, ses études de Droit romain à Orléans et de Droit canon à Paris, l'honorable barbon commente ainsi en 1657, ces pages écrites en 1645 : Je puis dire que j'ay retenu par cœur, toute ma vie, tout ce que j'ay appris en ma jeunesse, m'en estant de temps en temps rafraîchi la memoire de peur de l'oublier: memoria minuitur in senibus nisi cum exerceas. Nous ne somme sçavans que de ce que nous sçavons par cœur, il faut en matiere de science, pouvoir dire avec le philosophe Bias, Omnia mea mecum porto. Autrement celui qui auroit plus grande quantité de livres se pourroit dire le plus sçavant homme du monde; ce qui n'est pas: animlls divitem facit, non arca 413. La « rhétorique des citations» est naturelle à André d'Ormesson. Elle est parfaitement accordée à une «prudhomie» de bon magistrat et de bon père de famille estimé de tous. Le « bonhomme» n'a pas même de prétention à l'érudition: il vit sur un fonds solide qui suffit à l'exercice
Ibid., p. 189. Journal d'Olivier Le Fèvre d'Ormesson, éd. Chéruel, Paris, 1860, t. l, lntrod. p. xxx. 413 Ibid., p. XXXII. 411
412
LE DÉGOÛT POUR LES PÉDANTS
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de ses charges. Il a encore moins de prétention à l'élégance. L'ouverture du cœur et de belles vertus lui suffisaient pour être unanimement respecté dans son milieu.
••• Mais aux yeux des moins dociles parmi les jeunes robins, et cela dès le début du règne de Louis XIII, un homme comme André d'Ormesson, trop fidèle à ses maîtres de l'Université, a " l'air pédant ». Dans les Conférences académiques publiées en 1618, et que nous avons déjà citées, nous trouvons, attribué à M. Fournier, Docteur en Droit, un portrait du « Pédant» qui anticipe de quatre ans sur l'Hortensius de Sorel. Nous avons eu un aperçu de la modération des débats dans cette académie orléanaise. La violence de ce portrait est d'autant plus significative: Je rencontra y chez un libraire à Paris, écrit notre Docteur (encore étudiant sans doute lorsqu'il parlait ainsi) ce personnage qui avait un visage maigre, les cheveux gras, les sourcils hérissés, les yeux battus, le teint bronzé, la barbe bourrue, la moustache emperlée d'une petite rosée, les mains crasseuses, le bout des ongles ardoizés. On jugeoit à l'air de son visage qu'il avoit la mine d'aller un peu dur à ses affaires; par sa chemise salle et ses habits crottez on recognoissoit qu'il n'estoit nullement curieux; par ses discours naïfs et ses actions peu ceremonieuses on ne voyait que trop apparemment qu'il n'etoit pas mondain 414. Cette ekphrasis, que le P. Caussin rangerait dans le genre du "caractère épidictique », sent son élève des Jésuites. Ceux-ci, fort propres de leur personne, fondaient leur propagande pédagogique sur le contraste entre le bon ordre, la jocositas, et l'urbanitas de leurs collèges, et le désordre, la morosité, et les mauvaises mœurs des écoles de l'Université. Une académie comme celle du doyen De Heere, le style orné des discours qu'on y tient, prolongent dans la vie «civile» une des institutions caractéristique des Collèges de la Compagnie 415. Les offensives officielles conduites par les Caussin, Cressolles et Binet contre le pédantisme du Palais et de l'Université s'accompagnent d'un travail de sape qui va dans le même sens que celui des « Sirènes de Cour ». Dans ses Progymnasmata lafinilatis parus en 1594, et destinés à l'usage scolaire, le P. Pontanus adressait aux pédants universitaires les mêmes reproches que Fournier 416, et il condamnait les mêmes auteurs que lui, Que trouve-
414 Conferences ... , éd. ci!., p. 301. Sur le «Dr» fournier, v. n. 299 (Camus le tient pour un grand orateur). Est-il le fils de l'érudit Guillaume fournier, ami de Pithou ? 415 Sur l'institution d'« Académies» à l'intérieur des Collèges jésuites, voir Dainville, Les Jésuites et l'éducation de la société française, Paris, 1940, p. 307. 416 Voir notre communication à paraître dans les Actes du Colloque néolatin d'Amsterdam, 1973, sur Pédagogie de la parole et de l'écrit: les Progymnasmata du P. Pontanus, W. finck, Munich, 1979, p. 410-425.
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t-on en effet dans' la bibltothèque du Pédant «au teint bronzé,.? « Calepin 411, Alexander ab Alexandro 418, Theatrum Vitae humanae 419, Apophtegmes de Lycosthène et d'Erasme 420, Epithètes de Textor 421, Dictionarium Poeticum, Phrases de Manuce, Lorent Valla, Dialogues de Vivès, Oraisons de Muret, Flores poetarum, et un gros volume '" intitulé sur le dos Loci communes,. 422. La plupart de ces « sources d'éloquence» sont condamnées nommément par le P. Ponta nus 428. L'adjonction, indirectement satirique des Oraisons de Muret, chères aux Jésuites, prouve seulement que leurs élèves, renchérissant sur leurs maîtres, abandonnaient vite le culte du latin pour se rallier à la langue vulgaire. Les assises livresques de la «rhétorique des citations» sont là dénuées du prestige de la haute érudition, ravalées à une technique psittaciste des «lieux >. Le «gros volume », que le pédant couve d'un soin jaloux, n'est autre que l'Art de la mémoire de Raymond Lulle 424, encyclopédie méthodique pleine, selon son propriétaire, de « secrets mystiques ».
417 Nous avons là une bibliographie assez complète des «sources d'éloquence:l> de la «rhétorique des citationS:l>, quand celle-ci n'est pas pratiquée par d'authentiques érudits. Calepin: Calepinus (Ambrosius). Dictionarium ex optimis quibusdam au/horibus s/udiose collec/um e/ recentius auc/um, Paris, Josse Bade, 1514 (rééd. et augmenté jusqu'en 1605; à partir de 1609 jusqu'en 1681, c'est la version revue par Jean Passe rat qui est sans cesse rééditée). 418 Alessandro Alessandri (jurisconsulte napolitain) : Genialium dierum libri sex, Paris, 1532 (rééd. jusqu'en 1616). 419 Thea/rum Vitae humanae omnium fere quae in hominum cadere possun/ bonorum e/ malorum exempla his/orica ... comprehendens a Conrado Lycos/hene jampridem inchoa/um, nunc vero Theodori Svingeri... opera ... deduc/um ... Basileae, per J. Oporinum, A. et A. Frobenios Fratres, 1565, in-fol. 420 Lycosthenes (Conrad). Apophlegma/um ex oplimis ulriusque linguae scriploribus per Conradum Lycos/henem ... , collectorum loci communes ad ordinem alphabeticum redacli, Lugduni, A. Vincentium, 1556 (rééd. jusqu'en 1633). Ce Lycosthène est aussi l'auteur d'un abrégé du Florilège de Stobée : Epitome Joannis Siobaei sen/en/iarum, sive locorum communium... nunc primum edita per C.L., Basileae, 8ryling, 1557. 421 Textor (Jean Tixier de Ravisi, dit Ravisius). Cornucopiae quo continen/ur loca diversis rebus abundantia secundum ordinem litterarum ... , Paris, 1519 (rééd. jusqu'en 1612). L'ouvrage consulté par le Pédant est ici: Epi/he/a, s/udiosis omnibus poeticae artis maxime utilia, Paris, Chaudière, 1523 (rééd. jusqu'en 1664). Cet ouvrage est le modèle dont s'est inspiré M. de la Porte, Les Epi/hèles, ouvr. cit., dont le «réservoir» est la poésie de la Pléiade. Il est frappant d'observer que cette production a son centre à Paris et que les érudits germaniques y contribuent plus encore que les érudits français. On est tenté de penser qu'il s'agit d'un mode rhétorique spécifique de l'humanisme du Nord. Il serait curieux de comparer ces dictionnaires et cornu copies parisiens à un dictionnaire comme celui de Nizolius, si typique de l'humanisme « cicéronien» italien. Au fond, Paris n'est devenu une capitale «Iatine:o et n'a échappé à l'Europe du Nord qu'au cours du XVII' siècle. 422 Conférences, éd. cit., p. 317. Voir aussi 322. C'est là évidemment la source directe de l'Hortensius de Sorel: voir, éd. cit. de Francion, p. 192 et 203, les «lieux communs:l> et «sentences> «bagoulées:o par le Pédant. 423 Voir étude cit., note 416. 424 Voir Frances Yates, L'Art de la mémoire, éd. cit., p. 188 et suiv.
COMPLICITÉS ENTRE L'ÉLÉGANCE DE COUR ET LA PÉDAGOOIE JÉSUITE
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Fournier prend soin de distinguer son «pédant» des doctes véritables, dont la coutume est de «parler un langage que tout le monde entend, comme l'ont pratiqué de leur temps en prose Cicéron, et en vers Virgile ». Mais ces doctes ne sont pas de ceux qui haïssent la Cour et le langage élégant qu'on y apprécie. Voici comment, en termes dignes de Goulu, de Maussac ou de Mlle de Gournay, le pédant stigmatise le beau langage: Quand je voy ces discours effeminez, ces longues periodes qui terminent leur cadence à la cicéronienne, ces manieres de parler populaire, je les parangonne à un banquet dont l'appareil à force de douceur est trop fade. Au contraire, ces propos masles, s'il faut ainsi parler, ces pointes serrées, et ces mots estranges qui font peur aux petits enfants me semblent estre comme les saulces de haut goust qui resveillent l'appetit de ceux qui sont desgoustez 426. Fournier, qui fait de son pédant un admirateur de Tertullien et de Politien, semble avoir été l'élève du P. de Cressolles, tant il partage le goût des interlocuteurs des Vacationes Autumnales pour la «douceur» cicéronienne.
• •• Avec le Collège de Clermont, le « Pays latin» avait son «cheval de Troie ». De là sortaient de jeunes clercs initiés à un humanisme plus esthétique qu'érudit, plus rhétorique que philosophique. Et de l'autre côté de la Seine, autour de Marie de Médicis, avant même l'arrivée de Marino et la renaissance de l'italianisme, on voit se renouer la tradition. de « douceur» italianisante et de grammaire mondaine qu'Henri Estienne avait dénoncée sous Henri III. Le secrétaire de la Reine est un avocat au Parlement, Jean-Baptiste Du Val 426, trop heureux d'échapper au Palais et de se délivrer des chaînes qui y pèsent sur le langage. En 1604, il publie un petit traité intitulé L'Eschole françoise pour apprendre à bien parler et à escrire selon l'usage du temps, et pratique des bons autheurs. Œuvre audacieuse à bien des égards: Du Val prend l'usage de Cour comme référence du meilleur style et il envisage l'éloquence sous l'angle des «mots », donc de la grammaire, que les orateurs et érudits de la rive gauche réservent aux seules langues savantes 427.
Conferences, éd. dt., p. 349. Il Y aurait une étude à faire sur le rôle à la Cour des secrétaires chargés d'apprendre le français aux princesses étrangères, et l'~spagnol ou l'italien aux princes français. Le cas le plus connu est celui d'Ambroise de Salazar, professeur d'espagnol de Louis Xlii, qui passe pour avoir été aussi un ami de Corneille. 427 Sur l'œuvre de Du Val dans l'histoire de la grammaire, voir Jean-Claude Chevallier, La notion de complément..., ouvr. dt., p. 442. 425
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DE L'AVOCAT A L'HOMME DE LElTRES
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Il a parfaitement conscience de transgresser les limites imparties aux gens de son milieu. Pourta.nt, il n'ose rompre tout à fait: adversaire des pédantes citations, il a malgré lui cédé à l'usage du Palais: Si ce n'eu st esté pour complaire à quelques-uns, je n'y eusse pas mis un seul mot [de latin), tant je trouve que nostre langue peut aller de pair avec celuy-Ià ou tout autre 428. Cette concession faite à son milieu d'origine, il adopte sans remords les préjugés des gens de Cour .. Il exècre c la mine renfrognée de nos Pédagogues" et leurs c remonstrances ». Il cite avec révérence, et en toute occasion, les «courtisans» comme des autorités en matière de langage. Et dans un étrange chapitre, intitulé Des parties muettes de l'oraison, il montre qu'il a observé, avec une curiosité d'ethnologue en voyage d'études, un «style,. de Cour dont les traités de rhétorique classique ne font pas mention. Pour le désigner, il est obligé de faire appel à la distinction que fait Cicéron entre c disert» et c éloquent,.. Il va même jusqu'à proposer de qualifier «Ioquence» et non c éloquence », cet art de parler qui semble devoir autant à la musique qu'à la grammaire, et qui est évidemment fort différent de la «science de bien dire,. telle que l'entendent les magistrats du Palais. En dépit de son effort pour ramener l'inconnu au connu, il lui échappe une analyse que seule l'observation de la conversation de Cour a rendue possible: Quelquefois un ris, un silence ou une retenue ont mieux exprimé nos intentions que n'eust peu faire nostre parole, jusque là que si nous n'y prenons garde, elles viennent insensiblement à nous trahir 429. De façon fort significative, il intitule cette longue digression c préceptes de civilité,.. Il use d'ailleurs avec son lecteur de compliments peu en usage chez les" sçavans » du Palais. Craignant d'en faire trop et d'ennuyer, il multiplie les excuses, et même feint de croire que son lecteur en sait plus que lui: «Je seray tres aise, écrit-il, d'apprendre de vous quelque chose de plus rare et ne devrès me refuser ce bien,. 480. Mais sa trahison va plus loin que ces bonnes manières un peu trop doucereuses. Sur trois points, il rompt avec les dogmes du Palais. Il accorde à l'élocution, à la «cadence des périodes », à la «douceur qui pénètre l'oreille », une importance et un soin scandaleux. Il rend aux Italiens et à leur langue un hommage propre à faire rougir de honte les héritiers de Budé et d'Estienne. Il propose d'imiter leurs auteurs au même titre que les Grecs et les Latins. Pour éviter le pédantisme des citations, odieux à la Cour, il propose une méthode bien suspecte à des yeux «sçavans» :
L'Eschale française ... Avant-propos non paginé. Ibid., p. 119. C'est le fruit de l'observation des conversations de Cour. Mais c'est aussi une rhétorique de l'amour pastoral et romanesque, de son éloquence propre (v. Il' Partie, note 187). 430 Voir p. 124, 134, 135. 428
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JEUNES AVOCATS ATI1RÉS PAR L'ÉLÉGANCE: DU VAL, FILÉRE
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L'industrie qu'i1 y faut apporter est de se glisser peu à peu dans les belles pointes des Anciens et en saillir au petit pas, l'honneur sauve: je veux dire qu'i1 ne faut pas coudre après l'esclat de leur escarlate quelque pièce de nostre brun. mais qu'i1 faut que les parolles que nous mettons devant ou après les leurs si bien choisies soient relevées par dessus le commun, autrement ce seroit un diamant dans du plomb 431. Pour Du Val, la sacro-sainte sentence de Caton, vir bonus dicendi peritus, semble demeurer lettre morte. Le beau langage est à lui-même sa suffisante justification. Le même Du Val, redoutable transfuge, avait par ailleurs réédité en 1603 les Paradoxes. ce sont propos contre la commune opinion debatfuz en forme de declamations forenses, que Charles Estienne, fils prodigue de la grande famille docte, auteur de la comédie des Abusez 432, avait traduits de l'italien en 1554 431. Beaux exercices d'école de déèlamation, contenant l'éloge de la laideur, de la sottise, de la stérilité: ancêtres lointains de la sophistique précieuse.
• •• Lorsque Du Vair, en 1595, s'était élevé contre les citations, et avait préconisé l'imitation en français de Cicéron et de Démosthène, il avait pris soin d'écarter le péril du culte des «paroIles bien peignées:t. La c force:t qu'il recommandait devait soutenir une éloquence civique, animée par une philosophie vécue. L'échec de l'éloquence civique est aussi celui de ce mâle movere. La prose «sans couture:t que préconise Du Val est plus «douce:> que « forte" ; elle tient plus de la robe de Cour que la chaste nudité de (,Eloquence-Femme-Forte selon Du Vair. C'est une tendance analogue qui se manifeste en 16\0 chez le jeune Alexandre de Filère, toulousain, qui publie un Discours contre les citations du grec et du latin. Alexandre de Filère est aussi révolté que Louis Godet par le rang subalterne où l'on relègue les avocats: Vous. écrit-il, qui estes non les membres superflus. mais les parties nobles et vitales du corps de la justice ... 434. Il renvoie à J. de La Guesle ses accusations: ce sont les juges et non les avocats qui maintiennent la routine du Palais, jetant ainsi sur Ibid., II, Du Choix des dictions ... Sur Estienne (Ch.) voir Dict. des Lettres fr .• XVI·. Il publia en 1551 un recueil de Familiares epistolae du cicéronien Bune!. 433 Paradoxes. ce sont propos contre la commune opinion debat/us en forme de dec/amations forenses pour exciter les jeunes esprits en causes difficiles ...• Paris. Ch. Estienne, 1554. Trad. paraphr. de l'italien O. Landi Paradossi cioè Sen/enlie fuori dei commune parere ...• Lyon. 1543. Dans sa réédition de 1603. Du Val omet le «paradoxe» Pour les biberons. que l'ebriélé est meilleure que la sobriété. 434 Discours ...• p. 59. 431
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le Barreau une odieuse réputation de pédantisme 43~. Car ce jeune homme ne veut pas s'enfermer dans le milieu chicanier, il y a en lui une vocation d'honnête homme, soucieux de plaire aux gens d'Epée, aux dames, et de ne pas porter trop visiblement l'empreinte professionnelle. 11 ne songe pas un instant à se vouer à l'érudition, tombant ainsi, par anticipation, sous le coup de l'anathème que lancera dix ans plus tard le conseiller Jacques de Maussac contre les «traîtres» qui se laissent séduire par les Sirènes du grand monde 486. Est-ce un élève des Jésuites? C'est probable. Son discours ressemble à une praelectio, transposée en français, d'un régent formé à l'école du P. Benci. Déplorant l'i1otisme oratoire où sont maintenus ses confrères, il leur oppose la splendeur éloquente de Cicéron, dans le Pro Milone, chefd'œuvre pourtant d'éloquence judiciaire: Voyez, dit-il, son ingénieux exorde, contemplez la narration si proprement liée, que les joints ne paraissent point, elle n'entrebaille en aucun endroit; considerez le milieu où son discours est raisonné, et où ses arguments frappent et pressent l'adversaire. lisez apres sa peroraison, remplie de mille pointes, et le regardant voler d'une aile si haute, nous confessons que sa façon de discourir polie et lissée est quelque chose de plus relevé que la nostre ... 437 • Vigueur de l'inspiration, qui lie toutes les parties en un tout organique, beauté et variété de l'élocution qui donne à l'ensemble une surface lisse et brillante, teUe est cette « ronde, pleine et divine éloquence» bannie du Palais français. La polémique de Filère contre les «incrustations empruntées» (expression qu'il tire de Montaigne) n'est donc qu'un biais pour plaider la cause d'une éloquence faisant sa juste place aux raffinements de l'élocution. Les citations du Latin et du Grec, rompant la continuité rythmique et logique du discours, étaient inconnues des orateurs classiques. Elles sont la pièce maîtresse d'une éloquence empruntant aux Anciens, mais incapable de les imiter d'une façon créatrice. Et c'est là le second point de la polémique d'Alexandre de Filère ; la perfection de l'élocution française, loin d'être une démission de l'invention, exigerait au contraire un effort créateur dont les orateurs du Palais se sont montrés incapables. Plus proche encore de Montaigne que de Du Vair, Filère montre fort habilement que le goût des citations trahit une sorte de servilité envers les Anciens, un manque de confiance dans la langue nationale, dont le tissu est pourtant capable de soutenir sans le rompre les plus hautes «conceptions ». A la rigueur, si l'on tient à emprunter aux Anciens leurs pensées, pourquoi ne pas les traduire, et les disposer invisiblement dans le flux du discours continu en français? Car, ajoute-t-il, un parler pur, simple, uny, esgal partout et coulant tout à l'aise, est mille fois plus doux plus délicat et plus ravissant que
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Ibid., p. 12.
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Sur Maussac, voir ci-dessus p. 531. Discours...• p. 53.
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celuy qui est embrouillé d'un divers langage. L'harmonie nombreuse qui naist de ceste agreable façon de parler sans citations grecques et latines flatte sans doute et chatouille avec plus de plaisir l'esprit et l'oreille d'une attentive assemblée 438. Ce jeune avocat, ennemi du «desordre confus », d'un «son divers et mal agreable », s0ucieux d'« harmonie" et de «liaison", formule mieux que personne avant lui l'idéal d'un atticisme cicéronien transposé en français. Ennemi de l'atticisme sénéquien (il cite la formule célèbre du « sable sans chaux») 439, il reste fidèle à la tradition française, mais il la convertit au plaisir littéraire. Il est possible que, comme le jeune Patru, l'initiation musicale lui soit venue de la lecture de l'Astrée. Si scandaleux que ses propos aient pu sembler aux austères mainteneurs des traditions parlementaires, ils n'en sont pas moins redevables à celles-ci: ce jeune homme a le culte de l'éloquence, et de l'éloquence française, et c'est par fidélité qu'il veut le progrès; d'autre part, il rêve d'une perfection absolue, architectonique, qui conserve, sous une surface plus polie, le culte d'une Vérité intangible dont les Parlements se sont fait les champions. Peu de textes résument aussi bien l'idéal classique que celui-ci : Comme un grand architecte qui a fait le plan et le dessein d'un édifice royal, et l'a conduit après à son comble, doit estre plus estimé que celuy de ses manœuvres qui a su enchasser à propos quelques pieces de jaspe sur Je haut de la frise, et corniche d'une croisée, ainsi croy-je que celuy qui bastit un grand et beau discours de son invention, et qui suivant les orateurs grecs et latins ne s'amuse point à ramasser de costé et d'autre des citations diverses, doit acquérir plus de gloire que celuy qui ne sçait qu'inférer et enchasser des allégations en un discours, qui soit comme certaines pièces de marbre pour donner lustre à la structure d'une oraison dénuée d'invention et d'éloquence 440. A bien des égards, Alexandre de Filère anticipe sur l'idéal d'atticisme cicéronien que défendra Patru deux décennies plus tard. Entre Du Vair et Patru, il marque l'irrésistible glissement qui entraîne la prose oratoire française de l'éloquence philosophique à la prose littéraire, en passant par la phase de l'éloquence civique. Dans cette évolution, le besoin des avocats de donner plus de dignité à leur profession joua un rôle non négligeable. La « Remonstrance» imprimée de Filère ouvre une querelle des citations, qui fraye la voie à un débat critique sur le "meilleur style» en prose française. La première phase de la Querelle Balzac-Goulu, celle qui fut ouverte par le pamphlet du Frère André de Saint-Denis, La
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Ibid., p. 25. Ibid., p. 26. Ibid., p. 17. Cette violente «remonstrance:b est dirigée contre la tra-
dition du Palais, non plus par un magistrat comme Du Vair, mais par un avocat s'adressant à des avocats, et exhortant ses confrères à «fuir la Barbarie:. et à conquérir «l'immortalité» à l'égal des grands orateurs antiques.
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conformité de l'éloquence de M. de Balzac avec celle des Anciens, est un aspect de cette querelle, que Du Vair avait cru éviter par la doctrine de son traité De l'Eloquence. En 1611, en réponse à Filère, paraissait à Paris un Discours parénétique aux Advocats pour l'usage des citations du Grec et du Latin en leurs plaidoyez, contre le Discours du Sieur Alexandre, Maistre Paul de Filère Thoulouzain, par Antoine de Rambaud, Conseiller du Roy et Referendaire en la Chancellerie de Daufiné 441. Pièce bien médiocre mais qui a le mérite de nous faire mieux connaître les adversaires contre lesquels luttaient chacun à sa manière, le Montaigne des Essais, le Du Vair du traité De l'Eloquence et le Filère du Discours contre les citations. Un des plus forts arguments de Rambaud en faveur des c: incrustations empruntées li) est d'ordre utilitaire: «On nous coupe le chemin des vivres, on veut fermer le magasin des provisions :o. Pour Rambaud, il n'est d'autre invention que puisant à pleines mains dans les recueils mnémotechniques, Trésors et Polyanthées. Autre argument sans réplique: nos parents ont dépensé trop d'argent pour nous arracher à la tourbe des ignorants, nous ne pouvons pas laisser en friche tout ce grec et ce latin acquis si chèrement. L'esprit « roturier :0 dont Montaigne et Du Vair se plaignent et qu'ils accusent d'avilir les «études» en France, se manifeste ici avec candeur. C'est dire que notre Rambaud ne se pique pas d'une « magnanimité li) capable de disputer la couronne aux grands Anciens: ceux-ci pouvaient se permettre de ne pas faire de citations, ils inventaient tout, par un génie tout divin; comment les modernes, qui leur doivent tout, pourraient-ils se montrer ingrats envers ces admirables morts en ne leur prêtant pas la parole, dans leur propre langue. C'est bien la seule forme de «générosité li) dont Rambaud s'estime capable. Ses autres arguments sont d'ordre professionnel: comment citer les lois, rédigées en latin et en grec, autrement que dans le texte original? Comment rompre avec la tradition de ces « grands Capitaines de l'éloquence française les seigneurs de Pibrac, d'Espeisses, et de Cannaie qui parmy l'effort de leur puissante batterie chargent à tous coups les canons français de basles Grecques et Latines?» 442. Cette métaphore balistique (qui reconnaît implicitement l'infériorité de la langue française, creuse, sur la plénitude des langues antiques) joue dans le même sens que la métaphore de la tapisserie ou de la mosaïque 443: les citations, qui se chargent d'elles-mêmes de nourrir,
441 On est mieux renseigné sur Rambaud que sur Filère. Voir Adolphe Rochas, Biographie du Dauphiné, Paris, Charavay, 1860, t. II, p. 324-328. 442 Discours ... , p. 67. 443 Ibid., p. 14: nous devons «marqueter nos oraisons, et les orner comme d'une belle tapisserie de diverses couleurs, en quoy nous sommes guidez par celle qui ne peut errer, nostre mere commune qui se plaist à la diversité: et rart, qui n'est autre chose que le singe de la nature, nous monstre que les incrustations de marbre, de jaspe, de porphyre, et autres pierres de noble valeur portent un embellissement majestueux en la maison des Rois, qui sans cela ne seroient point differentes de celles des particuliers: et certes, il y a
RAMBAUD PLAIDE POUR LA RHÉTORIQUE DES CITATIONS
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d'orner, et de rendre véhément le discours, tiennent lieu de toute autre « rhétorique ». et ont le mérite d'éviter à l'avocat le soupçon de sophistique. Antoine de Rambaud est une âme à la fois avisée et docile. Alors même que Pat ru, Godeau, et toute une pléiade de traducteurs auront mis au point une prose française « cicéronienne» telle que l'appelait de ses vœux Filère, si forte est la tradition du Parlement que la Querelle des citations se poursuit imperturbablement fort avant dans le siècle. Dans ses Considérations sur l'Eloquence française, en 1638, La Mothe Le Vayer ne craint pas de soutenir prudemment la cause plaidée en 1611 par Rambaud; Gabriel Guéret, sous Louis XIV, défend encore l'usage des citations 444. Pourtant La Mothe Le Vayer, qui fut avocat en 1606, avant de se distraire en voyageant et de succéder à son père dans l'office de substitut au Procureur Général, s'était rangé parmi les jeunes rebelles 445. Comme eux, il a lu avec avidité le traité De l'Eloquence de Du Vair, le seul texte de critique française qu'il cite. Il a sans doute lu aussi, en son temps, les pièces de la Querelle FilèreRambaud, bien qu'il ne les mentionne pas. Mais l'empreinte de la tradition des Remonstrances est trop forte, et il ne peut s'empêcher d'en retrouver le ton prêcheur et de prendre parti pour les citations grecques et latines: Et certes, écrit-il, on peut dire, suivant [la] comparaison [d'Horace], que comme il y a des vins qui ne sçauroient estre passez d'un vaisseau dans un autre sans que s'évapore la meilleure partie de ce qu'ils ont de spirituel et de généreux. il en est de même de certains passages des meilleurs autheurs, qui sont si aspres et si significatifs en leur langue, que quand on les pense traduire, on est tout étonné qu'ils ont perdu toute la grace et la force qu'ils possedoient auparavant. D'ailleurs c'est une chose certaine que ceste Academie des morts dont parle Lucien est merveilleusement puissante à nous persuader en nous instruisant 446. Résumant élégamment les arguments de Rambaud, élaguant ceux qui sentent par trop la roture, La Mothe, en réformateur prudent, s'efforce
pareille différence, entre les discours d'un homme docte. et les parolles d'un ignorant, que d'un Palais royal à la cabane d'un Berger:.. Au fond, Rambaud est un asianiste naïf: sa rhétorique un peu courte se limite pour toute «figure de mots» aux citations, mais il a dans l'esprit un idéal de variété et de pompe « démonstrative» qui a plus d'une analogie, sauf la «figure» centrale, avec l'idéal du P. Binet. 444 G. Guéret, Entretiens sur l'éloquence de la chaire et du Barreau. Paris, jean Guignard, 1666, dédié à Colbert, voir p. 129 Si les citations sont nécessaires dans les plaidoyers. Cet entretien, qui conclut à un usage modéré des citations. est-il une réplique au Dialogue des citations, de Claude Fleury, resté manuscrit? (Ms. Fr. 9521 à la B.N.). Sur ce Dialogue, en attendant l'édition critique que prépare Mlle Hepp, voir son article dans les Mélanges Pintard, Strasbourg. 1975. En 1705 encore. dans une lettre à un correspondant jésuite, Maucroix (in Lettres ...• éd. R. Kohn, Paris, P.U.F., 1962, p. 181) traite, en citant élogieusement Du Vair, de la question des citations. 445 V. René Pintard. ouvr. cit., p. 132-133. 446 Considérations sur l'éloquence françoise de ce temps, ouvr. cit.. p. 144.
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de sauver l'art des citations; afin d'empêcher toute rupture entre littérature et érudition. entre la tradition parlementaire finissante et la tradition académique naissante.
• "'''' Entre 16\0 et 1630. les jeunes «lions» de la noblesse de Cour. les Gaston d·Orléans. les comte de Moret. les comte de Soissons. les duc de Montmorency. les Bassompierre voient affluer à leur service des transfuges du Palais. poètes. romanciers. auteurs de ballets de Cour. qui font bon ménage avec les jeunes gentilshommes pauvres cherchant fortune par les Belles-Lettres. Ils trouvèrent un premier modèle en Théophile. dont on oublie trop souvent qu'i1 était fils d'avocat 447. En 1622. ce sont deux jeunes avocats. Guillaume Colletet et Nicolas Frenicle qui publient le Parnasse satyrique 448. où figurent des vers gaillards de leur idole Théophile. Ce recueil attira sur l'ami du duc de Montmorency et sur les imprudents jeunes gens les foudres du Palais et des Jésuites. Et c'est encore sous le signe de Théophile que l'avocat Charles Sorel publie en 1623 la première version du Francion. Dans la mouvance des Nevers. autour de Marolles, de jeunes avocats, animés des mêmes espoirs ~u'un Alexandre de Filère, viennent contribuer à fixer « l'usage de Cour. 4 9. C'est dans l'entourage du duc D'Epernon que naissent les Lettres de Balzac, dont le succès est l'aube de la littérature classique. Succès qui, au contraire de celui de Ronsard. fut imposé par la Cour aux humanistes de Robe. C'est au service de Gaston d'Orléans que fera ses débuts à Paris André Mareschal. un des écrivains les plus doués de sa génération. avec Corneille. et comme lui avocat au Parlement 450. Sa Chrysolite est indemne de la fascination pour la jeune noblesse d'épée que révélait. dix ans plus tôt. Francion : le héros n'est plus un gentilhomme qui a ses entrées à la Cour, mais la jeunesse du quartier Saint-André-des-Arts ; ses amours. son libertinage de mœurs et d·idées. sa désinvolture et s.a « civilité» n'ont plus rien à envier à la jeunesse du Louvre. Les noms de pastorale donnés aux
447 Sur la jeunesse de Théophile. voir A. Adam. ouvr. cit.. p. 9-21. Sur l'origine sociale et la condition de l'homme de lettres au XVII" siècle, voir G. Mongrédien. La vie littéraire au XVU" si~cle, Paris. Taillandier. 1947. et Michèle Nicolet, «La condition de l'homme de lettres au XV,," siècle à travers l'œuvre de deux contemporains, C. Sorel et A. Furetière:.. R.H.L.F. juillet-septembre 1963, n° 3. p. 369-393. 448 Voir Adam. ouvr. cit., ibid. H9 Outre l'entourage de Marolles. il faudrait étudier le recrutement social du cercle de l'avocat Antoine Brun (Adam. Histoire ..., t. l, p. 341). 450 Sur André Mareschal. voir L.-Ch. Durel. L'Œuvre d'A. Mareschal.... Baltimore. 1932 (John Hopkins Studies, XXIII). et l'édition du Railleur par Giovanni Dotoli. Bologne. Patron. 1971.
RUEE DES AVOCATS VERS LE THEÂTRE
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personnages favorisent l'équivoque, comme dans les comédies du jeune Corneille: le jeune public de Cour et le jeune public d'origine parlementaire pourront s'y reconnaître à la fois. La Chrysolite est à l'Astrée ce que La Veuve, La Suivante et La Galerie du Palais sont à la Sylvanire et à la Sylvie: une transposition «bourgeoise », c'est-à-dire urbaine, de genres courtois et aristocratiques. Dans cette mesure, et au même titre que les Lettres de Balzac, ce roman, ces comédies révèlent une fusion nouvelle entre culture de Cour et culture de robins, fusion qui fait de Paris le creuset d'une littérature où les deux castes dirigeantes du Royaume, la Robe et l'Epée, recommencent à collaborer, plus étroitement qu'au XVIe siècle, à l'élaboration d'un style et de normes communes. A partir de 1630, c'est une véritable ruée de jeunes avocats vers le théâtre, que l'entourage du duc de Montmorency, à l'exemple des Cours italiennes, avait mis à la mode auprès du gros de la Cour 4Gl. En 1635, dans son Parnasse ou la critique des Poètes, La Pinelière nous fait assister au printemps de ce monde littéraire éclos à l'écart du Palais, contre sa volonté et fort différent de la vieille République des Lettres latines par son recrutement social, ses mœurs, les genres qu'elle cultive. Là, les jeunes avocats s'ébrouent, s'épanouissent, ils peuvent déployer en liberté toutes les ressources d'une rhétorique comprimée par les Remonstrances du Palais, et rendue agréable par la conversation des dames et des jeunes seigneurs, Le point de mire de ce monde littéraire, c'est la scène de théâtre, heureux substitut des rostres judiciaires. Son pôle d'attraction, ce sont les loges des comédiennes, heureuse réaction après les mornes séances de la Grand'Chambre. Ses héros, ce sont les dramaturges. M. Corneille, qui n'arriva qu'hier de Rouen, m'a promis que demain nous irons voir ensemble M. Mairet 4G2.
La Pinelière semble acquis à l'idée que la prose, même celle des « belles Lettres ~ et du roman, est déjà sous contrôle de la critique docte. Il met ses espoirs dans le théâtre, où s'est réfugiée la libre inspiration chère à Théophile, Mais même là, au cœur du plus beau rêve, plane l'ombre d'une menace, celle de Scaliger et de l'autorité critique fondée sur Virgile: Je vis, écrit La Pinelière, cet ancien Romain que l'Eloquence fit l'arbitre de toute la terre et aupres de luy cinq ou six Pedans qui avoient depuis peu quitté ses enseignes pour celles de Virgile 4G3.
4Gl Voir H. Carrington-Lancaster, An History of french dramatic literature, t. 1 (2) et t. Il (1). Voir aussi le numéro spécial de XVII' siècle, 1958, n° 39, «La Vie théâtrale au XVII' siècle~, et tout spécialement J. Dubu, «La condition sociale de l'homme de théâtre », p. 149-183. 4G2 Le Parnasse ou la critique des poètes, Paris, 1635, p. 61. 4G3 Ibid., p. 44.
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Par un curieux retournement des choses, contre l'autorité critique appuyée désormais sur les règles et les modèles classiques, La Pinelière marque son goût pour Sénèque, non le moraliste cher à Du Vair, mais le styliste cher à Montaigne, à Juste Lipse, à Quevedo qu'il cite et imite 464. C'est à Sénèque, contre le principe de régularité, qu'il demande le principe d'enthousiasme et d'inspiration poétique. Le Deus infus de la Lettre 41, si proche de l'idée longinienne du sublime, lui sert à combattre les autorités classiques invoquées dès lors par la critique docte, Cicéron, Virgile, Aristote, Scaliger. Il retrouve face à ces censeurs sévères le même genre d'angoisse que les jeunes avocats du Palais éprouvent au moment de s'adresser aux Robes rouges de la Grand'Chambre. Dans son rêve qui tourne au cauchemar, les Pédants lui adressent de menaçantes « Remonstrances :. : Les nostres ont desjà appris aux Anciens à parler françois, et ceux qui ne le sçavent pas encore tiennent au pres d'eux nos traducteurs qui leur servent de truchement 466. Cicéron et Virgile ont remplacé Plutarque et Philon. Leur voix s'est faite française pour mieux rejoindre les fuyards du Palais. Poursuivi comme Oreste par ces nouvelles furies, La Pinelière lance une dernière malédiction aux Juges de l'Arèopage: Allez, Cicéron, allez à la Grand'Chambre plaider une cause ou disputer de l'Eloquence avec Jobert et Gautier, vous aurez beau presenter vos requestes à Apollon, il ne vous recevra jamais [ ... J. Le langage ordinaire de la chicane est bien esloigné de celuy qu'on parle dans les Cabinets des Grands ou dans l'Académie des Polis; le style de l'Hostel de Bourgogne n'a guere de rapport avec celuy du Barreau 468. De fait, toute l'ekphrasis interdite au Palais, dialogismes, prosopopées, peintures de caractères, toute la musique des figures de mots, tout le pathétisme des figures de pensée, toute la sophistique délicieuse de l'amour et les délectations de l'imagination, peuvent se donner libre cours dans la poésie de théâtre. Celle-ci est le revers somptueux et longtemps caché de la rhétorique du Palais, dont le spectre sévère continue de menacer le naissant bonheur d'expression littéraire, Mais sur ce point encore, en dépit de l'offensive des c Pédants :. soutenus par Richelieu, les deux tendances esthétiques qui divisent depuis
464 Le genre même du Parnasse (c songe:. en prose, inspiré par la mélancolie et découvrant la vérité sous les masques) est imité de Quevedo, cité avec admiration p. 3. Les Suenos y diseurs os ... de celui-ci, publiés à Barcelone en 1628, avaient été traduits en français: Les Visions de Don F. de Quevedo Villegas, traduites ... par le sieur de la Geneste, Paris, Billaine, 1632 (6 rééd. entre 1635 et 1649). La Pinelière a lui-même traduit (1636) La suite des Visions de Quevedo. 466 Ibid., p. 45. 468 Ibid., p. 46.
LIMITES CHRÉTIENNES DES BELLES-LETTRES
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l'origine l'humanisme érudit gallican, le sublime d'inspiration dont Budé avait donné l'exemple, et l'idéal de régularité dont Scaliger s'était fait le champion, finiront par fusionner et par s'imposer au respect, dans l'œuvre de Corneille postérieure à la Querelle du Cid .
...
•• Si la Cour s'est imposée comme le public avec lequel il faut compter, la nouvelle littérature n'est pas son œuvre, mais le plus souvent celle de robins ayant reçu de l'Université et des Jésuites une formation humaniste et du Parlement une empreinte morale et juridique. La Cour impose les genres qui relèvent de sa tradition propre, le roman, le théâtre, la poésie amoureuse; l'humanisme y ajoute ses propres genres, l'Ode panégyrique, et tous les modes du discours. L'homme de lettres qui est en train de naître se tient à la frontière entre les deux mondes, il est un médiateur et un passeur. En 1610 et 1630, il a cherché son équilibre, allant trop loin parfois dans le sens de la Cour pour mieux se détacher de sa propre famille intellectuelle et spirituelle. Les repentirs furent inévitables. L'exemple le plus frappant est celui de Charles Sorel, vite dégrisé des f1amboyances de Francion, pour revenir au point de vue critique de sa caste, et devenir le premier historien de la nouvelle littérature. Même itinéraire chez un Guillaume Colletet, qui après l'affaire du Parnasse satyrique, se souvint qu'il avait coloyé un Nicolas Richelet, un Frédéric Morel et devint un agent dévoué de l'humanisme docte, voire dévot, dans la vie littéraire parisienne 457, Il prononcera devant l'Académie un éloge du Ciceronianus d'Erasme 458 et traduira pour elle le De Doctrina Chrisliana de saint Augustin 459. Un Nicolas Frenicle, complice de Colletet au temps du Parnasse satyrique, devint avec Godeau un des coryphées de la poésie chrétienne de forme classique dans le groupe des Illustres
bergers 400. 457 Comme chez Sorel, une vocation d'érudit en français se déclara vite chez Colletet. Voir outre ses Vies, des traductions comme ceIle de La Doctrine Chrestienne de saint Augustin, Paris, Camusat, 1636, entreprise sur les exhortations de Godeau. 458 Voir G. CoIletet. Discours de l'Eloquence et de l'imitation des anciens, Paris, SommaviIle, 1658, dédiée au Comte de Servien, avec priv. de Conrart du 30 déc. 1657. C'est le texte d'une harangue prononcée devant l'Académie le 7 janvier 1636. 459 Voir N. Frenicle, L'Entretien des JIlustres Bergers, Paris, Dugast, 1634, p. 165: Vous, Reine des mortels, 0 divine Eloquence ... Vous gravez en nos coeurs l'amour de la vertu. Tout le passage est à lire. Il aura réjoui j. de Maussac: les desertores sont rentrés au bercail. 460 Sur les JIlustres Bergers, voir M. Cauchie, «Les églogues de N. Frenide et le groupe littéraire des lIIustres Bergers:., dans RH. Philo., 1942, p. 115-133 ; A. Adam, ouvr. cit., t. l, p. 343, et R. Zuber, Belles infidèles, ouvr. cit., p. 46-47. Sur le destin littéraire de Frenicle, voir A. Adam, Théophile ... , ouvr. cit., p. 242-244, et F. Lachèvre, Le libertinage au XVII' s., Paris, Cham-
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Dans cette quête 'd'un équilibre et d'un juste échange entre la culture courtoise et l'humanisme chrétien des doctes, les avocats ont joué sous Louis XIII un rôle décisif; ils ont pris souvent l'initiative dangereuse de rompre la glace entre deux mondes et deux langages qui s'étaient quelque peu refermés sur eux-mêmes aprés les guerres civiles du XVIe siècle. Un nouve,l équilibre,' l'atticisme cicéronien d'Olivier Patru
Les Grands, dont l'hédonisme avait encouragé la naissance des «belles lettres:., se virent ravir cette moderne Hélène par le double assaut de la République des Lettres et de Richelieu. L'une et l'autre se conjuguèrent dans la fondation de l'Académie Française. La République des Lettres avait pour elle le pouvoir de légitimer, moyennant la soumission aux Anciens, une jeune littérature en proie au soupçon et au remords, d'autant plus « narcissique:. qu'elle doutait d'elle-même. Richelieu avait pour lui le pouvoir de la légitimer au nom de l'orgueil monarchique qu'il s'emploie dès avant 1630 à stimuler afin de préparer les esprits au grand affrontement avec l'Espagne et la Maison d'Autriche., En 1627, Nicolas Faret publie un Recueil de Lettres où la gloire du Cardinal et de sa politique est célébrée dans le dolce stil nuovo qui a désormais les faveurs du jeune public 461. L'année suivante, paraît un Nouveau recueil de Lettres, harangues et discours differens, où il est traité de l'Eloquence françoise, et de plusieurs matieres politiques et morales. Dans sa dédicace à Nicolas Le Jay, président au Parlement de Paris, l'éditeur du recueil 462 félicite celui-ci d'un abord qui ne fait pas naître «la crainte », mais le «respect et la modestie:.. On songe à la dédicace des Lettres poétiques du P. Le Moyne au président de Mesmes. La jeune littérature, comme les Jésuites, s'efforce de faire
pion, 1914, p. 224-227, et Bibliographie des recueils collectifs, t. 1 (1597-1635), Paris, Leclerc, 1901, p. 193-194. Les libertins repentis des années 20 sont des « bergers:. des années 30. L'évolution de Frenicle, marié, devenu conseiller au Parlement prendra un tour de plus en plus dévot. Voir L'Hymne de la Vierge, Paris, Sommaville, 1641, La Paraphrase des Psaumes de David, Paris, 1661. Son Jésus crucifié (1636), publié chez J. Camusat (éditeur dont R. Zuber a montré les liens étroits avec l'Académie), est très proche des préoccupations de Godeau à cette époque. 461 Recl/eil de Lettres nouvelles, dédié à Mgr le cardinal de Richelieu, Paris, T. du Bray, 1627. Voir néanmoins la «Lettre de M. le Marquis de Breval à Monsieur de Balzac:., p. 35-50, qui admoneste Balzac de laisser croire aux courtisans que ses lettres confirment leur point de vue erroné sur l'éloquence, et l'invite à prendre plus nettement parti. Sur les vues rhétoriques de Faret, voir dans L'Honneste Homme, Paris, 1630, une critique fort adoucie des «vices» des jeunes gens de Cour (p. 81-82), éd. Magendie, p. 65 ( est ici une traduction d'ornatus. 485
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Ibid., p. 54.
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alors dans l'amour un aiguillon d'éloquence que le temps seul leur a fait renier. On n'a pas assez mis en évidence la portée de cette lettre de Pasquier, un des «primitifs» de la critique littéraire française: elle prépare le terrain à une réconciliation entre culture parlementaire et culture de Cour, au nom du progrès de la langOe nationale. Le «dolce stil nuovo» des Bergers selon d'Urfé, œuvre d'un gentilhomme humaniste à l'usage des «ignorans» de Cour, était donc perçu par Etienne Pasquier comme le bien commun de la littérature nationale renaissante, et recevait grâce à lui des « lettres de créance» auprès du monde de la Robe .. Lucidité libérale et généreuse, qui contraste avec la crispation et la révolte du conseiller Jacques de Maussac, du conseiller Dupré, de Dom Goulu et de Jacques Dupuy, qui se dresseront quelques années plus tard contre les jeunes gens à qui d'Urfé et ses bergers avaient donné le goût de la «douceur» en prose .
• •• Lorsque Olivier Patru alla, à l'imitation des fils de la Grande Robe, faire son voyage en Italie, il ne visita point, que l'on sache, les doctes ni leurs bibliothèques: il vit d'Urfé à Turin, et s'attarda trois semaines auprès de lui. Double initiation: à l'esthétique de la prose française, et aux charmes de la vie de Cour: « Il me mena aux promenades et me fict voir tout ce que je voulus voir du grand monde et de la Cour de Savoie» 469. Quelques années plus tard, ce sera chez Christine à la Cour de Suède, ou à Rome, à la Cour humaniste des Barberini, que les doctes de Robe iront chercher ce qu'ils ne pouvaient obtenir à Paris: des satisfactions de snobisme. Mais la Cour de Savoie n'est pas une Cour savante, un Collège pour adultes. Christine de Suède et les neveux d'Urbain VIII offraient aux humanistes français les plaisirs de l'amour-propre sans qu'ils eussent à trahir leur vocation érudite. Olivier Patru à Turin rompait plus audacieusement les barrières: barrière des âges, si difficile à franchir dans la société traditionnaliste de Paris; barrière des rangs, si difficile à surmonter dans une société française très compartimentée; barrière des cultures, la plus subtile mais non la moins grave, dans une société où le vêtement, la langue, l'éducation, les préjugés séparent le monde robin du monde nobiliaire. ,La joie de Patru au souvenir de l'espèce de rédemption qu'il reçut du marquis d'Urfé lui fait écrire:
469 Les Œuvres diverses de M. Patru, 4' éd., t. Il, Paris, N. Gosselin, 1732, Eclaircissements sur l'histoire de l'Astrée, p. 497. Sur Patru, voir, outre Ch. Révillout, Les maîtres de la langue française au XVII' siècle, Olivier Patru (16041681) ... , les pages de j. Munier-jolain, dans Les époques de l'éloquence judiciaire, ouvr. cit., p. 27-76, et de Gaudry, Histoire du Barreau, OliVr. cit., t. Il, p. 1 et suiv.
OLIVIER PATRU, CICÉRONIEN
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c Je le cherchais comme on cherche une maitresse:. 4TO, De fait pour ce jeune robin tout rempli de l'Astrée, d'Urfé symbolisait aussi cette source d'éloquence capable de faire c fondre:t la c dureté:t de style du Palais, et de faire fusionner en une même prose française culture humaniste et culture courtoise: l'amour que Céladon et Silvandre puisent aux beaux yeux de leurs maîtresses, et qui leur fait parler une langue digne du « doux» Platon et de l'harmonieux Cicéron. Ce n'est pas autrement qu'un autre jeune avocat, Pierre Cornei1le, explique dans l'Excuse d Ariste sa rédemption du monde robin, son initiation à la beauté littéraire et aux raffinements du grand monde: Charmé de deux beaux yeux, mon vers charma la cour. La découverte du «bel usage» par la génération de 1630 s'appuie sur le platonisme esthétisant de la culture des Cours. D'autres, tel Corneille, à partir de 1640, se feront les médiateurs entre l'humanisme des « sçavans » et le public du Louvre: Patru se fera le médiateur entre le goût de la Cour et les traditions oratoires du Palais. Il osera donner, lui, simple avocat, droit de cité à une esthétique cicéronianiste dans l'enceinte du Palais de justice. L'abbé d'Olivet écrit : Cicéron, que M. Patru se rendit de bonne heure familier et dont il traduisit une des plus belles oraisons, lui fit comprendre qu'il faut toujours avoir un but, et ne jamais le perdre de vue; qu'il faut y aller par le droit chemin ou, si l'on fait quelque détour, que ce soit pour y arriver plus sûrement, et qu'enfin si les pensées ne sont vraies, les raisonnements solides, l'élocution pure, les parties du discours bien disposées, on n'est pas orateur. Il se forma donc sur Cicéron, et le suivit d'assez près en tout, hors ce qui regarde la force et la véhémence 471. Ce dernier trait nous aide à situer exactement Patru dans l'évolution de l'éloquence parlementaire: sous le signe de Caton et de Phocion, les premiers orateurs humanistes du Parlement s'étaient efforcés de contenir l'éloquence du Palais à l'intérieur du docere, version humaniste du dic-
470 Ibid. Ces pages charmantes de Pat ru sur sa propre jeunesse (si voisines par leur style "naïf:t des pages de Tristan dans Le Page disgrâcié) sont à rapprocher de ce passage de l'Eloge de Messire Pomponne de 8ellièvre (ibid., p. 397) où le même Patru, prenant le ton des Remonstrances, s'écrie: « Licentieuse jeunesse, qui vous égarez de la voie sainte de vos Pères, jettez les yeux sur ce rejetton de tant de Héros [ ... j. Ce n'est pas aux Cours, aux Tuileries, ce n'est ni dans une lâche oisiveté, ni dans des occupations frivoles, c'est dans la retraite, c'est dans le travail, et loin des plaisirs, même permis, qu'il paSSe le commencement de sa vie ... » 4T1 D'Olivet, Histoire de l'Académie, cité par Révillout, ouvr. cit., p. 15. Voir également, ibid., note 1, la citation de Vigneul-Marville: «Le premier qui intrOduit sur le Barreau ... une manière d'éloquence copiée sur celle des Anciens ... », et p. 23: Il Il fit aimer Cicéron à Perrot d'Ablancourt.» Révillout fait remarquer que Patru s'opposa au dessein des Fables de La Fontaine, genre jugé «frivole », comme le prouve le passage de Tristan, cité supra note 410. Le Cicéron de Patru se tient soigneusement à mi-chemin des traditions du Palais et du goût des gens de Cour.
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tamen médiéval; avec Du Vair, était apparu une première tendance cicéronienne, ajoutant au docere la « force et la véhémence 'b du movere ; avec Patru, si le principe du docere n'est pas abandonné, il s'allie au deleclare, à la « douceur» du beau style, plutôt qu'au movere du grand style civique. Avec une grande précision critique Vigneul-Marville trouve Patru plus disert qu'éloquent, selon une distinction faite par Cicéron lui-même 412. Quant à Ménage, au fond très fidèle à la tradition du Palais, et aussi peu indulgent pour Patru que pour Balzac, il ne reproche pas seulement au premier de préférer les «mots)) aux li choses 'b mais de ne pas avoir «la prononciation 'b belle 473. Chez Patru, l'écrivain académique et l'homme du monde percent sous l'avocat. Introducteur de la «belle élocution» dans la citadelle de l'éthique oratoire, Patru a cn effet les yeux tournés vers le «monde» autant que vers son auditoire professionnel de juges. Tallemant 414 nous rapporte ses amours avec de belles bourgeoises fascinées par sa bonne mine, mais aussi par ses bonnes manières et son beau langage. Et ses plaidoyers peu nombreux, mais artistement écrits, devenaient l'objet d'entretiens littéraires dans les ruelles de la rive gauche, où sa conver472 Cie., De Draiore, l, 21, 94. L'orateur disertus est l'orateur ordinaire, 4ui se contente de convaincre un auditeur moyen, avec des pensées moyennes. L'orateur qui vise à l'idéal de la grande éloquence, et qui en a les ressources, mérite seul le titre d'eloquens. Voir aussi Topica, III, 2, et Drator, 5, 19. Voir les analyses d'A. Michel dans Rhétorique et philosophie .•. , ouvr. cit., p. 135, 196, 218. On peut rapprocher le jugement de Vigneul-Marville de celui de Maucroix, dans sa lettre au P. de la C. de J. (dans Lettres, éd. cit., p. 181-182) qui, à propos de Patru, écrit: «II faut se contenter de la pureté et de l'élégance du langage, sans y apporter un soin excessif, qui coûte beaucoup à l'orateur et ne plaît pas à l'auditeur [ ... ] J'aime un discours plein d'ornements, mais sans affèterie; une belle expression m'enlève, pourvu qu'elle soit juste; je conseille l'agrément du style, mais je veux que la force et l'énergie n'en souffrent pas.» Cette doctrine est très voisine de celle que La Mothe Le Vayer avait formulée dès 1638 dans son traité De l'Eloquence française, qui s'oppose aux excès de la « belle élocution» selon Patru et surtout selon Vaugelas. Maucroix justifie cette doctrine de la «négligence diligente 'b par le génie des Français, «ennemis de toute contrainte» et donc des «périodes si concertées des Grecs et des Romains », mais aussi par l'exemple du «divin Platon », dont l'éloquence «infinie» ignorait l'art périodique inventé plus tard par Isocrate. Les éloges dont Maucroix couvre ensuite Du Vair montrent bien que c'était là, encore en 1705, le goût de la Robe polie (Maucroix avait été avocat, et avait même plaidé). 4T3 Voir les bonnes pages de Révillout, ouvr. cit., p. 21 et suiv., ainsi que la lettre (cit. ci-dessus) de Maucroix qui ironise sur «ses plaid oie ries qu'il a limez cent et cent fois; car il s'en faut bien qu'il les ait donnez au public tels qu'ils les avoit dits au Barreau; et ceux que j'ai veus ou entendus, avant qu'il y eût rien changé, me paroissent d'un style plus ferme, plus aisé, plus oratoire» (Lettres, éd. cit., p. 182). Ici encore, Maucroix suit La Mothe Le Vayer qui dans De l'Eloquence française, p. 126 et 132, critique les éplucheurs de syllabes qui gâchent leurs «premières expressions» par excès de purisme éloclItoire. II faut opposer les «corrections 'b de Patru, à celle de Le Maistre qui éditant ses plaidoyers, y remplacera les citations profanes par des citations des Pères. 474 Tallemant, éd. Adam, t. 1 et II, passim. Patru, qui n'a pas son « historiette », n'en est pas moins un des personnages les plus souvent cités par Tallemant.
PATRU bŒDIATEUR ENTRE LE PALAIS ET LA COUR
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sation diserte faisait merveille. Mais cette «mondanité ~ de Patru, si elle témoigne d'un alignement de plus en plus poussé du milieu robin de Paris sur le style et les modèles de Cour, reste limitée aux demeures des belles procureuses. On ne le voit pas plus à l'Hôtel de Rambouillet qu'à l'Hôtel de Thou. S'il garde les yeux fixés sur le «grand monde ~ entrevu à Turin grâce à d'Urfé, il n'y est pas introduit. 1\ écrit à Pellisson : Le pays et la salle du Palais ne sont pas sur la carte de la Cour, et j'y serois, Monsieur, inconnu sans vostre secours 415. A bien des égards en effet, il reste un avocat de profession. Ce lecteur de l'Astrée s'est bien gardé, comme tant d'autres avocats de son temps, de se compromettre dans les genres littéraires à l'usage du «monde~. Il respecte le Logos du Palais en n'écrivant rien d'autre que les plaidoyers et les éloges liés au rituel oratoire du Parlement, ou des traductions de grands textes humanistes. Quant à sa fonction de critique et d'arbitre des élégances langagières, elle n'est rien d'autre, transposée sur un nouveau registre académique, et pour le plus grand prestige du Barreau, que l'héritage du traditionnel magistère des Remonstrances étendu au public littéraire, mais rétréci à un deLectus verborum de grammairien. Jusque dans celui-ci, fort étranger aux soucis des anciens magistrats, Patru s'efforce de ne pas trahir ses origines. Gentilhomme « ignorant », au regard des humanistes de Robe, Vaugelas se borne volontiers à observer, dans ses Remarques, l'usage de la «partie la plus saine de la Cour ». Humaniste érudit, héritier de Claude Fauchet autant que de Scaliger, Pat ru donne à la purification de la langue non le sens d'une reddition au goût changeant de la Cour, mais celui de l'étape classique de son évolution. Cette langue purifiée, comme le latin de Cicéron, mettait en évidence une «Idée:J> du français jusque là enfouie sous les scorie,; et le superflu accidentel. Comme Fauchet, Patru est un bon connaisseur de la littérature française antérieure au XVIe siècle. Mais il considère ces « enfances :J> comme Scaliger considérait Homère ou Ennius. Pour faire de la langue littéraire française le substitut du latin classique, pour faire du « meilleur style» français le substitut du Tullianus styLus, Patru transpose au français les vues de j,C. Scaliger, si cher à la magistrature érudite gallicane, dans son De causis linguae Lalinae et dans ses Poetices lib ri 476 : il y a un état idéal de la langue, et cet état Œuvres, éd. cit., t. Il, p. 912, cit. par Revillout, p. 18. Ces vues coïncident exactement avec celles de Scaliger, dans sa Poétique. Il est probable que l'idée de la «perfection ~ de la langue française qui sous-tend l'activité de Patru grammairien est une transposition au français des vues de Scaliger sur la perfection de la langue latine, Idée qui ne s'est réalisée pleinement à Rome que dans la prose augustéenne, en gestation auparavant, en décadence ensuite. Sur les conceptions de Scaliger sur la langue latine, et sa perfection, voir, outre son De causis linguae latinae (1540), les pages que lui consacre J.-Cl. Chevallier, La notion de complément chez les grammairiens (ouvr. dt.), p. 176 et suiv. Le rapport entre usus et ratio défini par Scaliger est au principe du travail de Patru (voir Révillout, ouvr. cit., p. 18 et 475
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chez les Romains a été rejoint à la fin de l'ère républicaine. Avant, tout était en germe. Après, tout est entré en décadence. Tout semblait concorder: la fin de l'ère « républicaine» en France, l'avènement d'un régime de Cour absolutiste; l'intérêt grandissant pour la pureté du vocabulaire, la douceur de l'ordre des mots et l'élégance du style. La mise au point d'une langue littéraire, pure de tout accident provincial ou populaire, conforme à la « raison» du français, faisait de celui-ci une langue à la fois classique et royale. Le Palais lui était-il reconnaissant de cette fidélité en esprit? On peut en douter. Le petit nombre de ses plaidoyers, même si les causes qu'il défend sont distinguées 477, semble indiquer que la clientèle préférait des orateurs moins diserts, mais plus à l'aise à l'audience, et surtout mieux en cour auprès des Juges. Comment un Molé, un Bignon, un Talon, comment leurs collègues du Parquet auraient-ils pu regarder cet avocat bel esprit, apprécié par l'entourage du cardinal, autrement qu'avec méfiance et dédain? On peut supposer sans risque de se tromper que bien des allusions sévères contenues dans les Remonsfrances de Bignon et de Talon visaient Pat ru et l'esthétisme paganisant dont sa vie et sa prose semblaient témoigner. Pourtant il ne fut pas un isolé comme Alexandre de Filère. Il « rencontre» le goût d'un public mondain pour une prose capable de l'instruire sans le rebuter: les Huit oraisons de Cicéron, véritable manifeste que Pat ru et ses amis publient en 1638, sont lues ailleurs que dans les cabinets savants; Tallemant rapporte que «M. de Pisani les aimoit et les Iisoit à toute heure» 478, plus pour leur langue, sans doute, que pour leur substance. Mais Patru rencontre aussi d'autres robins, à commencer par Perrot d'Ablancourt, qui partagent son ambition de créer en français une langue littéraire nationale, commune à la Robe et à l'Epée, et conciliant le « bel usage» de Cour avec la tradition humaniste. Le Palais ne voulut pas comprendre la sage prudence de ses fils. La République des Lettres, et l'Académie, furent reconnaissantes à Patru et à d'Ablancourt: leurs traductions élégantes de grands textes humanistes plaçaient l'évolution littéraire sous l'autorité «classique» des Anciens et imposaient à l'hédonisme mondain les limites d'un goût attique .
• •• suiv.), de Chapelain et de l'Académie sur la langue française. Il s'agit d'extraire de l'usage de la Cour une langue comparable par sa clarté et simplicité au latin classique, et propre comme celui-ci à la perfection d'un Tullianus stylus en français. Au latin, langue savante et langue d'art, est substitué un français purifié, dégagé des scories du français vulgaire. Voir Brunot, III, l, p. 28, qui fixe vers 1650 (soit après la crise burlesque) l'achèvement de cette iranslatio. 477 On peut remarquer que ces causes sont toutes d'ordre strictement privé. Patru respecte les bienséances monarchiques, ne se hasarde point au Palais sur le terrain politique, et n'en souffre nullement. 478 Tallemant, éd. Adam, t. l, p. 448.
RHETORIQUE DE PATRU
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Par un heureux retournement de la situation, dont un François Vavasseur sut aperc~voir à temps les conséquences pour son Institut, l'initiative d'un Patru, d'un d'Ablancourt, dans la mouvance des succès de Balzac, donnait à l'humanisme robin, converti aux Belles-Lettres, sa revanche sur les Jésuites. Mais un Petau, un Vavasseur 47& ont beau orienter la pédagogie des Collèges dans le sens d'un atticisme cicéronien plus dépouillé et plus correct, l'enseignement jésuite reste fidèle au latin. En matière de prose française, la nouveauté et l'élégance ont pour maîtres des robins. Aussi voit-on les régents jésuites s'adresser à Balzac 480, voire à Patru, comme aux Famiano Strada français, maîtres de la belle diction et pédagogues du meilleur style. Dans une Lettre au Révérend Père··· de la Compagnie de Jésus 481, Patru pose à l'arbitre des élégances «cicéroniennes» en français. Mais il médite aussi, dans la tradition «tacitiste », sur le sens du grand tournant rhétorique dont il a été un des principaux témoins. Dans cette lettre, Patru évoque d'emblée le thème tacitéen, cher à Muret 482 : les restrictions que le régime monarchique propre à l'Europe moderne apporte à l'éloquence .. Comme le Messala de Tacite, il n'en déduit pas que l'éloquence est impossible, mais qu'elle doit s'adapter aux circonstances. Patru applique à la monarchie absolue française les mêmes conclusions que Muret et ses disciples jésuites, les Benci, les Strada (ce Strada que Balzac appelait « l'esprit de Tacite») appliquaient à la monarchie pontificale: loin de souffrir de la disparition de l'éloquence civique, l'esthétique oratoire, contrôlée par la juste mesure cicéronienne, ne peut que prospérer sous un régime à la fois absolu et bienveillant 482. A son correspondant qui lui demandait conseil sur «le meilleur style» français, Patru recommande la lecture de ce Traité du Sublime dont les rhéteurs jésuites italiens faisaient si grand cas, et qui, nous ravons vu, est au cœur de la seconde Renaissance cicéronienne à Rome, sous les Barberini. Repoussant les nostalgies républicaines qui se font jour dans le Dialogue des Orateurs de Tacite, Patru affirme alors que
Voir Il' Partie, p. 392-417. Voir Balzac, Œuvres, éd. 1665, t. l, p. 527 (au R.P. Dalmé); p. 528 (au KP. Du Creux; p. 531 (au KP. jesseron); p. 532 (au KP. Adam); p. 535 (au KP. josset) ; p. 544 (au KP. Destrades); p. 606 (au KP. Maru). 481 Œuvres, éd. cit., t. Il, p. 520. Mme Dubois, dans son René Rapin, l'homme et l'œuvre (Serv. reprod. thèses, Lille, 1972), p. 233-234, désigne le P. Rapin comme le destinataire de cette lettre. La mention au cours de la lettre d'une Harangue à Christine (1656) fixe un terminus ante quem. Le ton protecteur de la lettre indique qu'elle s'adresse à un régent encore jeune, et peu connu. C'est justement en 1657 que Rapin vient à Paris diriger les études d'Alphonse Mancini et commence à nouer des relations dans le monde acadélIliql:e, par exemple avec Chapelain (v. Dubois, ouvr. cit., p. 7-10). Le spirituel jésuite s'apprête dès lors à un rôle qui jusque-là avait échappé à ses confrères, celui de docteur en matière de rhétorique française et mondaine. 482 Voir 1re Partie, p. 190-202. 479
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les causes de la corruption de l'éloquence sont moins morales (comme l'affirmait toute la tradition des Remonstrances) qu'esthétiques; c'est « la perfection », la «délicatesse» des esprits, et non la grossière vertu, qui «porte la langue à sa souveraine beauté ». Caton le Censeur, ce héros de Plutarque qui si longtemps avait été proposé en modèle aux orateurs du Parlement, avait bien toute la vertu du monde: il n'avait pas la délicatesse des grandes époques de l'art. Celles-ci pour Patru comme pour Scaliger et pour les cicéroniens italiens, du cardinal Bembo au P. Strada, trouvent leur exemple suprême dans le siècle d'Auguste, qui vit fleurir à la Cour impériale les Virgile, les Horace, les Tibulle. Siècle préparé par Cicéron, fidèle à Cicéron, mais que corrompirent après la mort d'Auguste les déclamateurs 483. Moins pessimiste que Muret, qui, nous l'avons vu, renfermait l'éloquence moderne dans l'art de la lettre et le genre démonstratif, Patru conclut en faisant un long éloge du genre judiciaire, qui à lui seul contient tous les autres et qui a trouvé récemment en Antoine Le Maistre une illustration française égale, sinon supérieure à Cicéron et Démosthène. Mais cet éloge de l'éloquence judiciaire, s'il avait pu être lu par un Du Vair, un Bignon, un Talon, leur serait apparu bien équivoque et même hérétique. Patru en fait un genre que nous dirions littéraire, dans un Parlement qu'il voit en somme comme une palestre annexe de l'Académie, un théâtre du «bien dire» où la nonne oratoire fixée par les bons esprits doit trouver des avocats et des auditeurs dignes d·elle. La Renaissance «cicéronienne », le retour du siècle d'Auguste en France - et cela Le Maistre l'a compris, aussi bien que Bignon et Saint-Cyran - supposaient non seulement la fin du magistère parlementaire sur le Logos du Royaume, mais le tarissement des sources philosophiques et chrétiennes d'une éloquence civique: le decorum de la monarchie absolutiste - dont le Parlement, réduit à un rôle judiciaire, n'était plus qu'un des rouages - exigeait une norme uniforme et une norme esthétique fixée par les serviteurs du Roi. Il n'était que justice que l'Académie française, fondée par Richelieu justement pour se substituer au magistère traditionnel des Avocats généraux et fixer une norme d'éloquence royale, accueillît en son sein Olivier Patru. Ce fut chose faite en 1640. En la personne de l'arbi/er elegantiarum de la langue royale et nationale, le Barreau pr'enait ainsi sa revanche sur la séculaire litanie des Remons/rances. Il la prenait pour le plus grand bénéfice de la politique absolutiste de Richelieu, mais aussi pour le dépit des magistrats qui, combattant l'Académie, avaient résisté, une fois de plus en vain, contre l'effritement de leur prestige et de leurs traditions.
483
Voir note 476.
2.
L'AvENTIN DE LA PAROLE GALLICANE : ANTOINE LE MAISTRE ET SAINT-CYRAN.
Une famille éloquente. Tandis que PatTU, à mi-chemin entre le Palais et la Cour, poursuivra une carrière de «cicéronien» en langue française, Le Maistre, dont les racines gentilices plongent plus profondément dans la tradition du Palais, rompt avec le cursus honorum qu'annonçait sa gloire d'orateur français, pour se retirer sur un nouvel Aventin chrétien, où l'attendent les nouvelles Eustochium, les nouvelles Paula de la Rome gallicane, sa mère, ses sœurs, ses tantes, toutes les femmes de la gens Arnauld •
• •• Les Mémoires d'Arnauld d'Andilly, comme les Vitae de Ménage, sont un monument de généalogie humaniste, où la noblesse d'une famille est attestée non par de hauts faits politiques et militaires, mais par les talents et les triomphes oratoires. Leur style est celui, orné et ampoulé, du panégyrique: il se veut digne des imagines majorum dont il dessine le portrait exemplaire à l'usage de Pomponne, héritier de la lignée et chargé de ses espoirs terrestres. Cette pompe est d'autant plus voyante chez d'Andilly qu'elle voudrait se faire oublier par de longues tirades sur la «vanité des choses de ce monde », et la «fragilité des grandeurs terrestres ». Tant de désenchantement chrétien n'est que le revers d'un orgueil personnel et gentilice déçu, reporté sur le fils, mais qui persiste à n'apercevoir rien au-dessous de lui sur cette terre. «Nulle autre fortune, écrit-il, ne peut rendre un homme véritablement heureux selon le monde que celle des souverains» 484. Et lucide sur les ressorts magnanimes de son humilité, d'Andilly ajoute: je n'ai jamais eu aucune ambition, parce que j'en avois trop, ne pouvant souffrir cette dépendance qui resserre dans des bornes si étroites les effets de l'inclination que Dieu m'a donnée pour les choses grandes, glorieuses à l'Etat, et qui peuvent procurer la félicité des peuples 485. Vocation d'Grator, au sens premier que Cicéron et Du Vair donnent à ce terme: elle appelait d'Andilly à la royauté sur les âmes, et à la plus haute magistrature civique. A l'étroit dans une monarchie, et dans une monarchie où Richelieu a usurpé avec empire cette fonction que d'Andilly juge seule digne de lui et des siens, c'est à une autre grandeur qu'il s'est en définitive rallié, celle de Solitaire à Port-Royal.
484
485
Mémoires, éd. cit., p. 466. Ibid., p. 471.
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Non content d'avoir ouvert ses Mémoires par la longue énumération des titres de noblesse de sa famille, remontant au XIIe siècle, d'Andilly les achève par l'ènumération plus glorieuse encore de ses innombrables parents et parentes, marchant dans la voie étroite, combattant le bon combat, et se mettant par l'assistance de Dieu en état d'être couronnés un jour de sa main 486. Cette transfiguration d'un destin royal impossible sur la terre en vocation à la royauté céleste, est digne d'un Polyeucte. Et la pieuse mère du mémorialiste, citée par lui, définit admirablement ce principe de «conversion» d'une magnanimité profane en héroïsme chrétien: Que Dieu renverse la fortune temporelle de [mes] enfans pour établir sur ses ruines une fortune éternelle. Admirable témoignage sur la tradition propre à la gens Arnauld, race d'avocats chrétiens de pure roche, les Mémoires d'Andilly témoignent aussi, au sens le plus fort, pour l'ensemble de l'aristocratie gallicane mise au défi par la politique absolutiste de Richelieu. On y lit clairement l'altier passage de l'humanisme civique et chrétien à l'intériorité augustinienne, le reflux de la « République des grandes âmes », monitrices de la Royauté, en « République chrétienne des derniers temps ». Mais sous ce ralliement à l'oraison chrétienne dans la solitude, la vieille ambition de l'Orator assumant publiquement ses responsabilités civiques survit: elle se concentre tout entière à la fois dans la personne de Pomponne, qui sera en effet Secrétaire d'Etat de Louis XIV, et dans le discours d'exhortation, qui lui est adressé sous forme de Mémoires, à remplir enfin l'attente, déçue pour eux-mêmes, de son père et de son grand-père. De fait, quelle autre famille française peut se targuer d'une tradition oratoire aussi brillante, aussi proche de celle des dynasties d'orateurs romains, que celle des Arnauld? Les titres alignés par Gilles Ménage font pâle figure en comparaison. Noblesse d'avocats. Pendant trois générations, le titre de «Cicéron français» s'est transmis du beau-père au gendre, du grand-père au petit-fils. Titre ambigu s'il en fut en France et au Parlement de Paris. JI révèle chez les Arnauld une sorte de porteà-faux. Quel que puisse être au Parlement le prestige d'un avocat - et celui des trois «Cicérons français» fut exceptionnel -, il ne saurait rivaliser avec celui des dynasties de magistrats érudits. Très au-dessus de la piétaille chicanière, les Arnauld tels que nous les montre sans le vouloir d'Andilly, n'appartiennent pas tout à fait à la haute aristocratie de Robe. JI leur reste quelque chose à désirer, et cet aiguillon maintient les hommes de cette famille dans une inquiétude qui les pousse à multiplier les exploits. Le premier à porter le titre de «Cicéron français» avait été le « grand» Simon Marion: il choisit Antoine Arnauld pour gendre parce
486
Ibid., p. 472.
UNE FAMILLE ÉLOQUENTE: LES ARNAULD
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qu'il vit en lui seul un dauphin. Celui-ci, par son prestige oratoire propre, aussi bien que par celui qu'il héritait, pouvait espérer, selon d'Andilly, « les plus hautes charges» du Royaume. Il mit, nous dit-on, son point d'honneur à n'en vouloir d'autre que celle d'avocat au Parlement de Paris, Mais d'Andilly prend soin de nous démontrer qu'il a porté la profession à la dignité de véritable magistrature civique à l'antique. C'était un magnanime: «Jamais homme, déclare-t-il sans ambages, n'eut tout ensemble et au plus haut degré toutes les parties pour faire un grand Chancelier de France» 487. C'était un magnifique; «II vivoit si splendidement et il étoit si libéral» 488. Et sur cette nature d'exception, une vis oraloria proprement héroïque prenait son essor, accablant de ses pamphlets les ennemis du Roi 489, galvanisant les énergies en temps de guerre 490, illustrant le Parlement en temps de paix: Nul autre de son temps n'a fait des actions publiques si éclatantes, ni fait paroistre tant de force dans ce qu'on appelle déployer les maistresses voiles de l'éloquence. Grande figure de héros «républicain », égaré dans un siècle trop petit pour lui. Et c'est sur ce patron que les héritiers du fondateur de la dynastie, avec plus ou moins de variantes, vont se mouler: le destin d'Andilly lui-même manifeste la même grandeur d'âme, quoique sous des formes plus auliques. Mais le petit-fils Pomponne, à qui les Mémoires sont dédiés, va peut-être enfin, après ces deux héroïques esquisses, porter la famille aux sommets qu'elle méritait d'atteindre dès le départ: le ministère. Etienne Pasquier s'accommodait assez bien que l'avocat en France n'eût ni le statut, ni l'autorité politique des orateurs de l'antique Forum. Mieux encore que Du Vair, un peu contraint dans le decorum du haut magistrat, Arnauld d'Andilly porte infiniment plus haut la foi dans les droits que confère l'éloquence à une vertu d'exception. Mais si Arnauld d'Andilly n'insiste pas (peut-être pour ne pas détourner Pomponne de son destin politique) sur les femmes de la tribu, celles-ci, dans leur ordre, n'ont pas démérité de leurs chefs. A l'éloquence civique d'Antoine Arnauld, à l'ambition d'Arnauld d'Andilly d'occuper une grande magistrature politique, répond l'éloquence toute chrétienne, parlée ou écrite, que les moniales, puis à leur suite, les solitaires de Port Royal vont déverser sur le siècle. Si bien que la famille éloquente, chaire collective et complète, plus prestigieuse à elle seule que le Parlement et l'Académie, voit se reproduire en son sein le dilemme auquel est soumise l'éloquence parlementaire, dont la tradition civique est frappée
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Ibid., p. 410. Ibid. Ibid., p. 407. Ibid., p. 408. Lors du siège d'Amiens, en 1597, Arnauld, Conseiller à
l'Hôtel de Ville, fait lever un corps de 1 200 hommes qui contribue au succès militaire du Roi. C'est bien un acte d'aralar, au sens de magistrature civique. D'autre part, d'Andilly souligne le caractère politique des causes plaidées pa: son père, p. 409.
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d'impuissance par l'absolutisme royal: ou bien rallier le « monde}) sous les espèces de Richelieu ou sous celles du public littéraire en formation, et c'est alors le reniement; ou bien transfigurer l'éloquence des « grandes âmes» en éloquence de l'exil et de la fidélité chrétienne, et c'est alors la retraite, retraite éloquente toutefois. A la frontière entre deux générations, au seuil du déclin de l'humanisme parlementaire, Antoine Le Maistre 491 va vivre comme un drame personnel le choix qui se pose en fait à l'ensemble de la Robe gallicane mise au défi: le compromis ou la fidélité. Il ne s'agit pas seulement de doctrine: il n'y a pas encore en France d' « intellectuels », et l'enjeu du débat n'est pas celui d'une dispute théologique ou scientifique, à plus forte raison idéologique, au sens néfaste que ce mot a pris aujourd'hui. Il s'agit sans doute de principes: mais ceux-ci sont étroitement liés aux vivantes traditions d'un milieu, à des titres de noblesse historiques qui sont ceux de la bourgeoisie de Robe parisienne, et de son élite lettrée. Ce ne sont pas les principes d'un système rapporté, mais les fondations de tout un mode d'être, de sentir, de parler aussi, d'autant plus attaché à sa forme que celle-ci croit répéter celle des chevaliers romains ou gallo-romains convertis à la foi des premiers siècles. La France qu'est en train de construire Richelieu a pour centre de décision unique la Cour, pour laquelle cette élite bourgeoise a une méfiance atavique. La monarchie absolue, qui humilie le Parlement, fait de sa Cour le théâtre exemplaire pour les mœurs, les manières, le style d'une société civile dont l'Eglise n'est plus qu'un rouage. Faute d'espérer dans le Parlement intimidé ou acheté, ou dans l'Eglise contrôlée par les Jésuites, c'est à Port-Royal qu'une élite de bourgeoisie parisienne lettrée, allant jusqu'au bout de ses traditions de christianisme austère, non seulement résiste aux séductions de la Cour répétant les vices des Aulae impériales de l'Antiquité païenne, mais devient capable d'attirer à sa propre supériorité spirituelle, morale et intellectuelle, de très grands seigneurs et de très grandes dames, convertis par l'exemple d'une société religieuse répétant les vertus et la foi de l'Eglise des premiers siècles. En se retirant du Barreau, où après son arrière-grand-père Simon Marion, après son grand-père Antoine Arnauld, il s'était acquis la gloire d'un « Cicéron français », Antoine Le Maistre rompt avec tout ce qui, au Parlement et en lui-même, est tenté de pactiser avec la Cour du Cardinal-lmperator. Jusqu'alors, le Parlement avait été l'institution par excellence où se reconnaissait la bourgeoisie parisienne: gardien de la foi gallicane, gardien des «,Lois fondamentales}) du royaume, elle l'avait fait, et il l'avait faite. C'est autour du «Sénat» de la Rome gallicane
491 Sur Le Maistre, voir, outre les pages toujours justes de Sainte-Beuve, Gaudry, Histoirç du Barreau, ouvr. cit., t. Il, p. 10 et suiv.; Ch. A. Sapey, Etudes biographiques pour servir à l'histoire de l'ancienne magistrature, G. Du Vair, Antoine Le Maistre, Paris, 1858 ; L. Monty, G. Du Vair et A. Le Maistre, da!1s Essais de critique historique, Dijon, 1877, p. 21-35 ; Th. Froment, Essai sur l'histoire de l'éloquence judiciaire en France avant 1789, ouvr. cit. ; J. Orcibal, Les Origines, ouvr. cit., t. Il, p. 535 et suiv.
ANTOINE LE MAISTRE
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qu'avaient germé au cours du XVIe siècle le Collège Royal, la République des Lettres, et le gigantesque effort d'érudition humaniste et chrétienne destiné à ramener la foi et le royaume à la pureté de leur origine. L'humiliation du « Sénat» par Richelieu, la trahison d'une partie des sénateurs, poussaient à la création d'un foyer de résistance et de témoignage privé, inaccessible aux tentations de la Cour, et où la flamme de la foi et de l'érudition gallicanes, enfin pure de tout compromis, au milieu de la corruption du siècle, soit entretenue par des vestales et des solitaires. 3alzac avait fait fête au jeune avocat à succès 492 qui était apparu comme le représentant au Parlement de cette nouvelle éloquence « polie» que combattaient au même moment un Goulu et un Dupuy. A ce fils d'une bonne famille de Robe, le Chancelier Séguier préparait un bel avenir dans l'Etat: il ne lui restait plus qu'à se marier et à accepter une charge de maître des requêtes, puis sans doute de secrétaire d'Etat, pour figurer au premier rang des robins participant de la toute-puissance du Cardinal. Il est curieux que l'échec du mariage projeté 493 ait été dû à Jérôme Bignon. tuteur de la jeune fille, et qui ne vit point en Le Maistre un prétendant assez riche pour sa filleule. Il n'est pas exclu que l'auteur du Discours sur la Parole ait trouvé suspects les succès de Le Maistre auprès du « monde », et son amitié pour l'Unico Eloquente. Cet échec révélait en tout cas au jeune homme les limites du prestige que pouvaient lui valoir, auprès des représentants les plus autorisés de la tradition gallicane, ses triomphes de « Cicéron françois ». L'admiration de Balzac ne pouvait compenser ces réserves tacites. A un double titre, les succès oratoires de Le Maistre étaient suspects; ils faisaient de lui l'ambassadeur au Palais d'un art de la prose inutile et mondain, d'un « cicéronianisme» qui n'avait plus la même justification morale que la véhémence civique prônée par Du Vair. Ils lui ouvraient un cursus honorum qui n'avait plus rien de commun avec celui auquel songeaient, sur le modèle de Michel de L'Hospital, le même Du Vair et un Arnauld d'Andi\ly. Sous Richelieu, il ne s'agissait plus que d'une carrière de haut fonctionnaire asservi à la raison d'Etat. Le protecteur du jeune homme, Séguier, n'est plus, comme ses prédécesseurs à la Chancellerie, le représentant auprès du Roi de l'autorité morale et intellectuelle de la Robe, balançant l'ambition et les intrigues des Grands et incarnant la Justice royale: «créature du cardinal », ami et allié des Jésuites, il n'est plus que le premier des grands commis de l'Etat, l'exécuteur des hautes et basses œuvres de la Cour. 492 Voir les lettres de Balzac à Le Maistre, dans Œuvres, t. I, éd. 1665, en particulier lettre 52, du 1. VI, p. 251 (II nov. 1633): «Les acclamations Que vous excitez dans le Palais résonnent partout... Mais Monsieur, je ne me contente pas de battre des mains et de louer votre bien dire comme les autres ... » Voir aussi les lettres de Chapelain à Balzac sur la retraite de Le Maistre. 493 Voir, outre Sainte-Beuve, Port-Royal, éd. Pléiade, t. l, p. 482 et suiv., J. Orcibal, Origines du jansénisme, t. Il, p. 535 et suiv. Sur le rôle de Bignon dans l'échec du mariage de Le Maistre avec Mlle de Cornouaille, voir ibid., p. 537, notes 2 et 4.
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Au même moment, les plus hauts magistrats passaient sur leurs scrupules: même Mathieu Molé, pour occuper la charge de Premier Président qui lui revient, devra accepter de signer un engagement humiliant pour lui-même, pour le Parlement 494. En 1633, Nicolas Rigault, l'ami et le confident de J.A. de Thou, le savant éditeur et commentateur de Tertullien, avait choisi entre la politique et la mystique du gallicanisme : contre une charge flatteuse, il avait accepté de servir le cardinal dans des circonstances qui faisaient de lui moins un magistrat qu'un fonctionnaire aux ordres 495. Antoine Le Maistre redoutait de servir contre sa conscience: en 1636, il avait refusé la charge, proposée par Séguier, de maître des requêtes au Parlement de Metz.
494 Voir E. Fayard, Aperçu historique sur le Parlement de Paris. Paris, Picard, 1877, t. Il. p. 127. Peu de temps avant que Molé fût nommé Premier Président, le Roi et Richelieu avaient, au cours du Lit de Justice du 21 février 1641, fait enregistrer des lettres patentes en forme d'édit, «portant défense à la cour de Parlement de Paris et autres de se mêler d'aucune affaire d'Etat, que de rendre seulement la justice ». L'édit prévenait les magistrats de «n'entreprendre sur le gouvernement de l'Etat, qui n'appartient qu'au Prince », et leur interdisait de «délibérer» sur des édits et ordonnances qui étaient soumises à leur enregistrement. L'édit se terminait par des sanctions contre le Président Barillon et d'autres magistrats. privés de leur charge. L'éloquence délibérative. et avec elle la plénitude civique du titre d'orateur si orgueilleusement revendiqué par les magistrats du Parlement de Paris, était supprimée. Même ses traces furent effacées sur les registres par ordre du Roi. 496 Voir R. Pintard, Libertinage érudit.. .• p. 274-275, et Emm. Michel. Histoire du Parlement de Metz. Paris. Techener, 1845. La création du Parlement de Metz, le 15 janvier 1633. était manifestement un aspect des mesures stratégiques prises par Richelieu se préparant à occuper la Lorraine, puis à l'administrer. II était « semestre », donc incapable de « faire corps» : la plupart de ses magistrats, étrangers à la province. n'y résidaient tour à tour qu'une partie de l'année. Le Parlement de Bretagne, puis le Parlement de Normandie, après la révolte des N us-Pieds, ont été eux aussi rendus «semestres» pour que leur docilité fût assurée. La création du Parlement de Metz fut l'occasion d'une «ruée vers la servitude ». Sublet de Noyers écrivait: «Vous ne sçauriez sçavoir queUe guerre font aux offices (créés à cette occasion) tous les enfants de bonne maison de Paris» (Michel, ouvr. cit., p. 24). Sa création lésait gravement les intérêts et les privilèges tant civils qu'ecclésiastiques des Trois Evêchés. Pourtant. même ce Parlement sans assises locales résistera. vainement d·ailleurs. 10rsqu'i1 lui sera, le 10 mai 1636, intimé l'ordre d'aller siéger à Toul pour avoir juridiction sur toute la Lorraine, occupée depuis 1634. La carrière de N. Rigault est typique: Conseiller à Metz de 1633 à 1634. il devient alors Procureur général du Conseil souverain créé à Nancy pour administrer la Lorraine occupée, et le 21 mai 1637. il est nommé Intendant de justice et police de Metz, avec de larges pouvoirs de justice et police qui amputent largement ceux du Parlement de Toul. Celui-ci, avant le Parlement de Rouen, peut donc passer pour exemplaire de l'état «d'abaissement» de la magistrature manœuvrée à sa guise par le Conseil du Roi. On comprend mieux pourquoi Antoine Le Maistre, qui appartenait avec son oncle d'Andilly à l'opposition «dévote» contre la politique de guerre de Richelieu, avait refusé en 1636 d'accepter une charge au Parlement de Metz que lui proposait Séguier. Voir. dans les Epistolae de Claude Sarrau, les scrupules de celui-ci lorsqu'il est envoyé à Rouen siéger à la place de ses collègues normands, «interdits» en 1639-1640.
LES «EXEMPLA:. DE LA PRIMITIVE ÉGLISE
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Il était tentant, pour un avocat tel que Le Maistre, de porter plus haut que les magistrats du Parlement 496 dont beaucoup faisaient assaut de servilité auprès du Cardinal - le Non possumus que la foi gallicane. trop souvent in petto, opposait au « machiavélisme:. de Richelieu. Donner une voix, incarner dans une action cette protestation ailleurs prudemment tue: c'était la dernière et la seule cause digne d'un avocat chrétien. C'était aussi prendre au mot les Remonsirances des Avocats Généraux, qui de Pibrac à Bignon, demandaient à l'avocat français, dif~érent de l'avocat antique, de se faire l'humble serviteur du Logos. La lecture des Pères de l'Eglise 497 lui révélait de celui-ci une version « héroïque:. auprès de laquelle le genre judiciaire et le genre démonstratif «à l'antique », qui lui avaient valu le renom de «Cicéron françois », faisaient pâle figure. La Raison d'Etat trop païenne de Richelieu semblait justement recréer les conditions qui avait dressé un saint Ambroise face à Théodose. un saint Jean Chrysostome face à Eudoxie, et exiger une réponse qui fût autre que l'éloquence païenne du Forum. La même année, en 1637, le P. Caussin s'identifiant à ce Chrysostome qu'i1 avait si fort exalté dans ses Parallela 498, avait mis en jeu sa carrière de Jésuite de Cour pour exhorter le Roi, dont il était confesseur, à se séparer du nouvel hérésiarque Richelieu 499. La dureté des temps, qui avait offert à l'ancêtre Arnauld de si belles occasions d'éloquence civique. offrait à son héritier une occasion plus belle encore d'éloquence chrétienne.
496 Voir la lettre de Balzac à Arnauld d'Andilly (Œuvres, éd. 1665. t. 1. 1. VI. p. 252) du 12 juin 1633: il y est fait allusion à une vérité persécutée, dont «les ennemis sont partout. et les partisans faibles et «secrets », et que les « Peres Conscripts» (alias les magistrats du Parlement de Paris) ne défendent qu'avec «flegme et froideur ». Arnauld d'Andilly et Le Maistre sont jlU contraire rangés parmi ses «partisans fervens ». De quelle vérité peut-il bien s·agir. sinon de la cause du «parti dévot ». chassé du Conseil depuis la Journée des Dupes. et pour laquelle Balzac éprouve une vive sympathie. en même temps qu'une aversion grandissante pour le «tyran» Richelieu. depuis l'échec auprès de celui-ci de son Prince. en 1632? Arnauld d'Andilly avait vu toute sa carrière politique ruinée par la victoire de Richelieu sur les Marillac. 497 Tallemant (éd. cit., t. 1. p. 514) écrit: «II avoit fait son eloquence dans les Peres.» Vigneul-Marville est moins catégorique (Mélanges .... t. III. p. 110): «J'ai ouï dire à feu M. Langlois et à quelques autres avocats qui avoient écouté l'iIIustre M. Le Maistre. qu'i1 n'avoit pas prononcé ses plaidoyers aussi chargez des citations des Peres que nous avons aujourd'huy dans le recueil imprimé. Ces messieurs disoient que ce grand homme. depuis sa retraite à Port-Royal. etant sollicité par des personnes considerables... de mettre au jour ses Actions publiques, avoit travaillé à les soutenir de l'autorité des S.S. Pères et leur donner cet air de piété qui en relève infiniment Je prix ... » Mais]. Orcibal se rallie à la version de Lancelot qui confirme celle de Tallemant, et qui n'est pas contradictoire avec la pia fraus rapportée par VigneulMarville. Le Maistre ayant fort bien pu «nourrir» après coup ses discours de textes patristiques qu'il lisait « dans le monde », sans les citer trop abondamment (voir Origines.... t. Il. p. 536, note 5). 498 V. Il' Partie (p. 324 et suiv.). 499 Sur cet épisode. voir les Mémoires de Richelieu. à la date, et l'ouvrage du P. C. de Rochemonteix. N. Caussin confesseur de Louis X/fi et le cardinal Richelieu. Paris, Picard. 1910.
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Et de fait, dans sa lettre d'adieu à Séguier, en 1637, dans sa lettre apologétique en faveur de Saint-Cyran emprisonné en 1638, Le Maistre n'est plus le «Cicéron françois ». Soutenu par l'exemple des Pères, il retrouve, contenus par la bienséance, leurs accents face aux Empereurs hérétiques et à leurs serviteurs. Même un Balzac, 'dont l'âme ondoyante avait célébré sans mesure le Cardinal, traite en secret ces années-là Richelieu de nouveau Tibère, de nouveau Néron. A la lumière des «premiers siècles de l'Eglise », la guerre « impie» menée par Richelieu contre les puissances catholiques, le style machiavélique de sa politique, le style impérial qu'il imprime à la Cour de France, semblaient ramener la Rome gallicane au temps des Confesseurs et des Martyrs, victimes des Dèces et des Dioclétiens 600.
• •• Le regroupement des derniers fidèles sur une sorte d'Aventin chrétien, face au Cardinal-Imperator et à sa Cour, ne fut pas l'œuvre d'un magistrat, mais d'un ecclésiastique, digne de saint Jérôme par l'érudition humaniste, digne de saint Augustin par la profondeur doctrinale et l'éloquence : l'abbé de Saint-Cyran. Mieux que l'éloquence savante de Jérôme Bignon, l'abbé était capable de rendre une voix aux « Pères des premiers siècles» pour tenir tête aux «satellites» des Empereurs païens. Par le .ieu de l'Histoire, magistra vitae, le drame de l'humanisme gallican prenait à Paris les couleurs épiques et héroïques que Baronius avait su donner aux Annales ecclésiastiques de la Rome chrétienne Ml. Devant SaintCyran, l'humilité d'un Bignon est de la même qualité que celle d'un Le Maistre; elle rejoint la fascination qu'éprouve Balzac devant l'abbé: tous trois croient entendre un « nouveau Saint Paul ». Balzac par sa parenté Nesmond, Bignon, par sa profonde érudition gallicane, Le Maistre par les traditions de sa dynastie d'avocats, tous
600 Sainte-Beuve a fort bien senti que, chez les dévots, les exempla de l'Antiquité chrétienne jouaient le même rôle que chez les humanistes profanes les exempla de l'Antiquité païenne (voir Port-Royal, éd. cit., t. l, p. 394-395). Le P. Caussin s'était employé, dans sa Cour Sainte (1624-1631) à vulgariser en français un grand nombre des exempla qui parsemaient les Annales Ecclesiastici de Baronius. Et ces modèles de vertu héroïque et d'éloquence chrétienne face aux persécuteurs trouvèrent des échos jusque sur le théâtre, quelques années plus tard. La mort de Cinq-Mars et De Thou sur l'échafaud est rapportée par leur ami Fontrailles dans le style des Acta Martyrum. Le Président Barillon, exilé par Richelieu, est qualifié par ses amis de «Martyr d'Etat ». 601 J. Orcibal a montré qu'après la mort de Bérulle, Saint-Cyran fait figure de « chef du parti dévot» (Origines ... , t. Il, p. 517), antithèse du «chef des machiavélistes », Richelieu. Cette opposition politique ne pouvait que se traduire aussi par un conflit dans l'ordre oratoire; c'est justement ces années-Ià que Richelieu apporte son appui le plus vigoureux à l'équipe de gens de lettres « cicéroniens» qui plaident en beau langage pour sa politique, tandis que Saint-Cyran accentue son radicalisme anti-rlrétorique, reprenant à son compte le combat de Goulu et de Camus.
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trois touchent de près aux arcanes de l'humanisme chrétien gallican. Il vivent chacun à leur manière son incessant débat autour du statut de la Parole chrétienne. Tout s'est passé comme si Bignon avait reconnu en Saint-Cyran le Verbe inspiré qu'il invoquait dans son Discours de 1627, sans être à même de le recevoir. Et tout s'est passé comme si l'avocat Le Maistre, auquel un Bignon opposait dans ses Remonstrances l'idée du Verbe inspiré, pur de toute idolâtrie païenne, l'avait rencontré chez Saint-Cyran. Sortant de l'ordre du Palais, dont le défi lancé par Richelieu révèle les insuffisances, il se rallie à un ordre supérieur où les valeurs célébrées au Palais se trouvent pleinement incarnées. Le Logos annoncé par des générations d'Avocats Généraux devient chez SaintCyran Verbe vivant, reconstituant autour de lui la vraie communauté des fidèles.
••• La rencontre avec l'abbé tient dans la vie de Le Maistre le même rôle initiatique, toutes choses égales, que la rencontre avec d'Urfé joue dans la carrière de Patru. Dans ces deux entrevues antithétiques, divergent les chemins de l'éloquence gallicane. Appelé par les sirènes courtoises de l'Astrée, Patru introduit au Palais ce que les Avocats Généraux avaient depuis toujours redouté d'y voir apparaître: l'élégance du langage de Cour. Avocat-homme de lettres, il représente le type même du robin acceptant un compromis entre les traditions de son milieu et l'influence prédominante de la Cour. Appelé par la sublime sévérité de Saint-Cyran, Le Maistre découvre à Port-Royal, comme extrait de la gangue du Palais, une nouvelle «Eglise des premiers siècles:o, dépositaire de la Parole originelle que les Avocats Généraux, de Pibrac à Bignon, convoquaient en vain le Parlement à retrouver et à servir. Il rend manifeste la sécession d'une élite de robins gallicans fidèles au plus pur de leur projet historique: l'idéal érudit de réforme chrétienne. Avec pénétration, Sainte-Beuve a senti la gravité de l'enjeu. Toutefois, il a cru bon, pour mettre ses héros à leur vraie hauteur, d'accabler son confrère en littérature, Balzac, lui reprochant de n'avoir pas, comme Le Maistre, cédé à la fascination de Saint-Cyran ~02. A chacun ses devoirs. Grand Supérieur des Lettres françaises naissantes, il est heureux que Balzac ait pu se prêter sans y céder à l'influence du grand abbé. Mieux que personne, il a su comprendre et analyser en artiste du langage la nuance de sublime chrétien que Saint-Cyran était capable de communiquer à la langue française 503. De même, et avec Voir Port-Royal, éd. ci!., t. l, p. 535 et suiv. Sur la fascination éprouvée par Balzac, les témoignages abondent dans ses lettres à Saint-Cyran (voir entre autres Œuvres, 1665, t. l, 1. IV, lettre 6 du 12 janvier 1626, p. 109). Il est peu douteux que sa rencontre avec SaintCyran, comme le montre cette longue lettre, ait été le point de départ de ses scrupules d'écrivain « mondain :0, qui ne feront que croître avec le temps. Voir ibid., 1. XII, 25, 12 avr. 1639, p. 548, à Godeau). Sur l'opinion de SaintCyran sur Balzac, voir Orcibal, Origines ..., t. Il, p. 679. 502
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une sorte d'impartialité que Sainte-Beuve ne veut pas voir, il a su comprendre et célébrer les accents véritablement impériaux que pour la première fois dans l'histoire de la langue, un Richelieu a su faire résonner en français 1104. Son rôle de témoin et d'artisan privilégié de la métamorphose d'une langue vulgaire en langue classique, capable de toute la lyre humaine, n'exigeait pas de lui davantage. Autant reprocher à Corneille d'avoir su faire de son théâtre, avec la même impartialité du véritable artiste, le carrefour de toutes les voix de son siècle, et le témoin de sa riche moisson. Les prosopopées dramatiques de Corneille ont la même fonction de célébration que les hyperboles de Balzac. SainteBeuve a joué un tour dont les écrivains sont coutumiers entre eux. Il n'en a pas moins lui-même célébré Port-Royal non seulement comme un des hauts lieux de la France chrètienne, mais aussi, et peut-être surtout, comme l'instance la plus exigeante de la conscience littéraire française. Son point de vue d'historien des lettres lutte, souvent victorieusement, avec son point de vue d'historien du sentiment religieux. Il a fort bien senti que la rencontre entre l'avocat chrétien Le Maistre, et l'apôtre Saint-Cyran mettait à feu les questions fondamentales de la rhétorique gallicane. Avec la rencontre Le Maistre - Saint-Cyran, c'est en effet la rhétorique d'ascendance augustinienne et de tradition « borroméenne", qui vient au devant de la rhétorique du Palais en crise, ècarte d'elle la tentation de renoncer, et l'accomplit en rhétorique chrétienne.
Christus Orator: l'itinéraire oratoire de Saint-Cyran Le « sublime» de Saint-Cyran n'était pas né avec lui. Il est le fruit tardif des tâtonnements de l'abbé aux prises avec les rhétoriques de son temps. Pour lui, comme pour Richelieu, l'art oratoire avait été d'abord un moyen de se faire connaître et de se porter candidat aux honneurs ecclésiastiques, puis politiques. Un brillant discours aux Etats de 16141615 avait «lancé l) Richelieu. Une non moins brillante Apologie de l'évêque de Poitiers, La Rochepozay (1615), avait « lancé» Saint-Cyran, ancien élève des Jésuites à Bayonne et à Louvain 11011. Dans les deux cas,
1104 Rapprocher les jugements de Balzac sur Richelieu orateur: «II est certain que l'Authorité des Rois n'est point si souveraine que celle que vous exercez sur l'âme de ceux qui vous escoutent» (sept. 1622). Voir aussi lettres du même mois et d'avril 1621, et ses jugements sur Saint-Cyran orateur (lettre du 12 janvier 1626 cit.): «Vous estes aujourd'huy le plus grand Tyran qui soit au monde, vostre authorité s'en va estre redoutable à toutes les âmes [ ... ]. quand vous parlez. il n'y a point moyen de conserver son opinion, si elle n'est conforme à la vostre. l) Dans les deux cas l'auctoritas de l'orateur crée à elle seule un effet de «sublime» qui défie l'analyse rhétorique. 1105 Voir dans J. Orcibal, Origines ...• 1. Il, le ch. Un chanoine bel esprit, p. 179 et suiv. Les deux œuvres mineures qui précèdent l'Apologie, la Question Royale, et le poème latin sur la mort d'Henri IV (ibid., p. 159 et 167) montrent la dette contractée par Saint-Cyran envers la logique des Jésuites (voir par ex. le Generale artificillr.1 oratiollls cujuscumque componendae. longe facil-
L'ITINÉRAI~E O~ATOIRE DE SAINT-CV~AN
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l'exemple de Du Perron. que ses triomphes d'orateur à la Cour avaient conduit à la pourpre, faisait école. Comme Du Perron et comme Richelieu, Saint-Cyran semble avoir été alors pénêtré de cet idéal d'Orator catholique, dont Muret s'était fait l'initiateur à Rome, et dont en France Du Perron s'était appliqué à forger une version d'Eglise, tandis que Du Vair s'employait à l'introduire au Palais. L'éloquence «véhémente» de l'Apologie pour La Rochepozay révèle à la fois des dons et une technique oratoires exceptionnels, appliqués avec aisance à la langue vernaculaire. Point de citations coupant le rythme des périodes, point de redondances marquant les hésitations du c latineur» traduisant à grand ahan des «lieux» empruntés aux Anciens ; la force sobre du raisonnement et la vigueur bien rythmée 608 du phrasé dêpassaient même en qualité ce qu'un Du Vair ou un Du Perron avaient tenté dans le même genre en français .. Cette version ecclésiastique de l'éloquence civique se soutenait chez Saint-Cyran, comme le voulait Muret, d'une éthique de la magnanimité. Tout en se servant de celle-ci comme « lieu» de l'éloge de l'évêque de Poitiers, l'Abbé se l'applique indirectement à lui-même et justifie par elle son autorité d'orateur sacré, tranchant du temporel comme du spirituel, très au-dessus des orateurs profanes. Pour l'auteur de l'Apologie, l'Eglise est un «corps politique ». les évêques sont ses magistrats, qui ont juridiction sur les corps comme sur les âmes. Cette toute-puissance épiscopale, reflet de celle de Dieu. échappe aux jugements moraux des «hommes communs» 1107: les préceptes évangéliques ne sauraient servir à déchiffrer cc les secrets mystérieux» de la prudence politique au service de l'Eglise. Et les «petites âmes» sont incapables de comprendre la «grandeur du courage» des «âmes généreuses" avides de gloire au service de Dieu, de l'église et du Roi. Cette éthique d'aristocratie sacerdotale était articulée à une casuistique, nécessaire pour justi-
limum du P. Voellus, Valenciennes. J. Vervliet, 1604) et envers leur rhétorique latine. Elles sentent le travail du bon élève qui veut briller avec les beaux tours de prestidigitation oratoire et d'érudition humaniste appris chez les RR.PP. J. Orcibal fait ressortir les liens entre le Saint-Cyran d'alors et la cour de Montmorency à Toulouse, où pérorent des gentilshommes rhéteurs tels que Cramail (ibid.• p. 156 et 165. note 1). L'Apologie marque déjà de plus hautes ambitions. 506 Ce problème du rythme de la prose française en germe dans le problème du rythme du vers français tel qu'iI était posé à l'Académie de musique et poésie de Baïf - est traité par un ami de Baïf. Claude Fauchet, dans des pages qui pourraient servir de point de départ à une stylistique de la prose sous Henri IV et Louis XIII. Voir le Recueil de l'origine de la poésie ...• ouvr. cit.. ch. 6. p. 49 et suiv. où Fauchet distingue rythme et harmonie. rythme et mètre. Ces pages, qui s'efforcent de définir une spécificité rythmique du français, ont dû être méditées par Malherbe et par Du Vair, Du Perron. Coëffeteau. les maîtres de la prose française dont Saint-Cyran. dans l'Apologie. se montre un disciple fort doué. 507 Apologie pour Messire Henry Louys Chaslaignier de la Rochepozay. Paris, 1615, p. 232.
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fier par l'intention des actes condamnables par la morale ordinaire, C'est exactement celle dont Richelieu soutient alors son ascension vers le pouvoir suprême, et qui ne cessera de l'exalter jusqu'à son dernier souffle.
• •• Il n'est pas nécessaire de revenir, après Jean Orcibal, sur les conversions qui feront passer Saint-Cyran de ce christianisme politique et extraverti à l'intériorité augustinienne d'un confesseur de la vraie foi. Tel qu'il apparut aux mémorialistes Lancelot et Fontaine, tel qu'il fut connu d'Antoine Le Maistre, Saint-Cyran orateur n'est plus le brillant élève de la rhétorique romaine, mais le champion d'une parole chrétienne et française contre l'art oratoire païen, le rédempteur du Verbe, ailleurs captif des illusions et des calculs des rhéteurs dévots .
• •• Que reproche en effet Lancelot, jeune prêtre de la communauté de Saint-Nicolas du Chardonnet, à son premier maître, M. Bourdoise? La foi naïve dans une rhétorique dévote, faisant fonds sur les techniques tout extérieures de la persuasion (peritia dicendi) et non sur la contagion d'une intériorité vraiment chrétienne: je vois bien, dit-il à son ami, que l'esprit de ce prêtre est un peu extérieur, et qu'il renferme tout dans sa parole. Il s'imagine qu'il n'y a qu'à bien presser un homme pour le convertir. Il fait pour ce qui regarde les mœurs comme le P. Véron pour les erreurs des hérétiques: ils croient tous qu'il n'y a qu'à beaucoup crier li08. Cette fascination pour la magie, au fond toute païenne, des «mots:., rapproche donc le pauvre Bourdoise des Jésuites abhorrés. Qui saura faire de la parole, non cet alibi ou cette idole que dénonçait Bignon en 1627, mais le rayonnement irrésistible de la vérité du Christ, telle qu'elle fut à sa source? Le nom de «M. de Saint-Cyran:. est prononcé devant Lancelot: Cette parole fut un dard qui à l'instant même me perça le cœur 1109. Fiat Lux: et lorsque l'Oracle paraît, l'effet de sa parole répond à la promesse mystérieuse dont son nom était chargé:
11 nous fit une conférence. 11 s'éleva si haut qu'il semblait transporté jusqu'au Ciel comme l'avait esté cet Apostre depuis sa conversion, et nous y fusmes enlevez avec luy [... ] Ses discours étoient si edifiants, si 508
Lancelot, Mémoires touchant la vie de M. de Saint-Cyran, Cologne,
1738, t. I, p. 7. 1109
Ibid., p. 8.
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pleins d'une onction toute divine, surtout quand il expliquoit quelques endroits des Evangiles, qu'il ne s'est jamais rien vu de pareil. M. Singlin et M. Le Maistre, qui n'estoient pas de petits esprits, étoient dans une admiration continuelle, et ils disoient quelquefois par une espèce de ravissement: Numquam sic loculus est homo 510. Pour un orateur du Palais, comme Le Maistre, pour un prêtre formé à la prédication, comme Lancelot, pour un prédicateur, comme Singlin, les effets de la parole de Saint-Cyran, incommensurables avec ceux de l'éloquence humaine, tiennent du miracle. Ils n'hésitent pas, reportés à l'Origine, à répéter à son propos la formule d'admiration que s'attirait le Christ même. Cette lumière du Logos que Bignon célébrait en son discours de 1627, qu'il appelait à féconder et purifier l'éloquence du Parlement, s'est enfin incarnée. Les hyperboles des disciples pourraient évoquer celles dont use Balzac, dans ses premiéres Lettres, pour célébrer le sublime de Richelieu orateur lill. Mais dans le cas de Richelieu il s'agit d'un miracle de Nature: si magnétique s'avère la grandeur d'âme du prélat, qu'elle abolit, pour ainsi dire, la médiation matérielle du discours dont elle se sert, elle frappe directement l'âme confondue de son auditoire 512. Dans le cas de Saint-Cyran, le discours n'est pas soutenu par la manifestation, à travers lui, d'une magnanimité héroïque: il révèle le feu rayonnant et irrésistible d'une Présence surnaturelle au fond de l'âme de l'orateur. Ce n'est plus la Nature, dans une de ses productions les plus réussies, qui fait oublier l'Art: c'est le Christ même, supérieur aux vains recours de la rhétorique païenne. Le discours de Saint-Cyran, tel que le perçoivent ses auditeurs recueillis, ne connaît qu'un seul degré: le sublime inspiré de l'Evangile et de la Bible. Le Christus Oralor que célébraient Erasme, et après lui Louis de Grenade et Jean Botero, toute la tradition des rhétoriques ecclésiastiques fidèles au De Doclrina chrisliana de saint Augustin, trouve en Saint-
Ibid., p. 44 et 46. Voir note 504. 512 Cette conception héroïque de l'éloquence reste tenace même en milieu janséniste. Dans son édition «autorisée ~ des Plaidoyers de Le Maistre, l'avocat Issali, ami intime de Bignon et de Le Maistre, s'adresse en ces termes à Pomponne de Bellièvre, dédicataire de l'ouvrage: «Nous reconnaissol's tous que vous sçavez excelle ment disposer les richesses du discours et vous rendre maistre des affections des hommes. Mais c'est par une éloquence propre aux personnes de vostre naissance et de vostre qualité, qui n'emprunte pas tanl ses ornemens des livres des Anciens Orateurs, qu'elle coule de la grandeur de vostre esprit comme de la source, et que c'est une effusion de ses lumières, un enfantement des nobles et magnifiques pensées qu'il conçoit par sa naturelle fécondité, qu'il forme par ses hautes réflexions sur la conduite du monde et l'ordre de la Justice, et qu'il achève et consomme par l'experience des grandes affaires. C'est cette éloquence qu'Homère attribue à ses héros. C'est celle que les Législateurs qui ont fondé les Republiques et les Monarchies ont si utilement pratiquée· pour le bien des Peuples, qui a autrefois desployé tous ses trésors dans le Senat de la Republique Romaine [... ], et qui a fait voir dans les Catons, les Antoines, les Pompées et les Césars, des paroles dignes des Maistres du Monde [ ... ] ~ 510
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Cyran un apôtre digne du Modèle. Et la même fulgurance de la Parole du Christ, que décrivaient avec nostalgie et dévotion l'Erasme de l'Ecclesiastes, le Grenade de l'Ecclesiastica rhetorica, le Botero de la Rhetorica est naturelle chez l'Abbé. Sa parole «transporte », «ravit », on oublie comment, et on admire pourquoi. Toutes les références à Cicéron et à Quintilien que les rhéteurs ecclésiastiques de tradition érasmienne croyaient bon de multiplier pour soutenir de moyens humains la faiblesse des prédicateurs semblent futiles dans son cas. Réveillé par la voix même de la Révélation, c'est le silence de Dieu au fond de l'âme pécheresse qui se fait tout à coup percevoir, Expérience tout augustinienne, le miracle du noverim Te, noverim me, se renouvelle à l'écoute de SaintCyran. Rien de comparable avec l'éloquence ordinaire, qui n'est qu'un calcul sur les sens et les passions. Celle de Saint-Cyran libère une voix plus secrète qui attendait au fond du cœur. Lancelot ne se lasse pas de revenir sur cette expérience, qui déroute tous les préceptes de la rhétorique scolaire: Ses discours n'étoient point étudiés, et ne venoient que de sa grande plénitude. Aussi avoit-i1 accoutumé de dire qu'il n'y avoit rien de plus dangereux que de parler de Dieu par mémoire, plutôt que par le mouvement du cœur 613. Si indécent que puisse paraître le rapprochement, on ne peut s'empêcher de voir une analogie entre le sentiment de libération qu'éprouve Lancelot à l'écoute de cette « parole du cœur », et celui qu'éprouvèrent, avec Patru, tant d'hommes du XVII" siècle à la lecture de l'Astrée. Les deux ordres sont évidemment séparés par une distance infinie. Mais qu'on nous comprenne bien: ce qui nous occupe ici est moins la qualité religieuse ou profane de l'expérience, que la part qui y entre de libération proprement langagière .. L'éloquence amoureuse des héros de l'Astrée délivrait des âmes moins religieuses du poids que le latin scolaire, les sentences apprises, leur avaient imposé: ils étaient rendus à un usage plus libre, plus heureux, de la langue maternelle, qui se révélait l'idiome même de l'amour. L'éloquence chrétienne de Saint-Cyran, sur des âmes plus religieuses, mais non moins impatientes d'e la charge que faisaient peser sur elles la mnémotechnique et la technique oratoire scolaires, ouvrait la porte à une expression plus heureuse de la foi. Aux deux pôles extrêmes de la culture française du temps, on observe le même besoin de surmonter la division des deux langages et de simplifier la rhétorique
513 Mémoires ... de Lancelot, t. l, éd. cit., p. 44. Le rapprochement auquel nous nous livrons ci-après est loin d'être forcé, si l'on ne perd pas de vue la notion très répandue à la fin du XVI' et dans la première moitié du XVII' siècle, de la langue maternelle comme « langue de la franchise et de la naïveté >. C'est le langage naturel du cœur, qu'on entende celui-ci au sens profane, ou au sens chrétien, par opposition aux langues savantes. Par l'amour pastoral, la parole est ramenée à son âge d'or, en Arcadie, comme par l'anamnèse héroïque de l'âme chrétienne, elle est ramenée à l'Origine, au temps des Apôtres et des Martyrs.
LE VERBE SE FAIT CHAIR EN FRANÇAIS
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tortueuse qu'elle engendre. On aspire à retrouver la seconde simplicité de la langue française. dont Du Vair disait en 1595 qu'elle « ne s'estoit pas encore desnouée :> GU. Par un paradoxe qui explique comment les disciples de Saint-Cyran, en dépit de la «morale étroite », pourront rencontrer si vite et si bien « l'oreille» du monde, l'éloquence du cœur de Saint-Cyran, vivifiant et rédimant la langue vernaculaire, poursuivait un travail paralléle à celui des maîtres de la littérature mondaine, un d'Urfé et un Montaigne. Dans les deux cas, chrétiens intérieurs et mondains cherchent et trouvent une rédemption du savoir emmagasiné en latin et péniblement rendu en français, les uns dans l'adhésion aux mouvements de Dieu, les autres aux mouvements de la nature et de l'amour. Ce que les gens du monde, étrangers à la bibliothèque humaniste et à ses rites, avaient le plaisir de découvrir chez Montaigne et chez d'Urfé, loin des dédales de l'érudition et des procédures trop calculées de l'art oratoire, un langage qui anoblit le leur. Lancelot le trouve avec joie, sur un autre registre, chez Saint-Cyran. «Dieu, écrit-il, vouloit faire voir en luy que sa parole n'estoit point captive.» Ce mot magnifique a certainement un sens moral et politique. Il a aussi un sens proprement rhétorique: la «captivité" d'une langue «nouée» par les scribes et les pharisiens cesse dès lors qu'elle devient, pour son anoblissement suprême, le véhicule d'une Révélation qui réaffirme. à partir de Dieu même, celle qui avait été faite à l'origine dans les langues savantes. Purifié de toutes les scories accumulées par le temps. le péché. la libido sciendi et dominandi, l'Evangile parle la langue vulgaire française, et l'éloquence de Dieu en SaintCyran fonde la possibilité d'une éloquence française vraiment chrétienne .
• •• 11 ne faut pourtant pas s'y tromper: le « naturel» et le «sublime» chrétiens atteints par le dernier Saint-Cyran ne démentent nullement la formidable préparation oratoire de celui-ci; ils la rendent invisible et s'en servent comme d'un conducteur docile et ductile aux effets de la Grâce. Lancelot ne voit d'ailleurs aucune contradiction entre l'art oratoire dont Saint-Cyran avait donné tant de preuves, et «l'abondance de cœur» qui l'abolit au cours de ses sublimes effusions; même il s'enorgueillit des succès de son maître auprès du public lettré: Cette pièce, écrit-il à propos de la dédicace à Richelieu de la Somme des fautes fulminée contre Garasse. avoit été alors regardée comme une
1114 Du Vair. De l'Eloquence françoise .... Radouant, cit., p. 133. Formule à rapprocher de celle de Lancelot, t. l, p. 46, et que nous citons au paragraphe suivant.
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des plus éloquentes qui eOt paru en notre langue; elle peut servir d'excellent modèle de louange que l'on veut donner à un grand sans le flatter 11111. Ailleurs, il montre Saint-Cyran capable de déconcerter et vaincre en éloquence l'Unico Eloquente lui-même, Guez de Balzac 116. De même, Saint-Cyran pouvait condamner avec d'autant plus d'aisance la memoria des rhéteurs comme source de l'invention chrétienne, qu'il l'avait cultivée au point de pouvoir oublier qu'il y avait recours. Dans sa retraite bayonnaise, avec Jansénius, il avait rédigé «la doctrine des Pères, par titres, et matières, tant pour ce qui regarde les sacrements, et la doctrine de l'Eglise, que pour [ ... ] les lieux les plus difficiles de l'Ecriture» 517 .• La préparation mnémotechnique et encyclopédique de l'apôtre moderne n'est donc pas différente de celle d'un érudit comme Nicolas Le Fèvre ou Jérôme Bignon. Lancelot nous le confirme en révélant que, lors de l'arrestation de l'Oracle, le chancelier Séguier, chargé de saisir sa bibliothèque et ses papiers, fut stupéfait de la masse de « recueils» écrits de la main de l'Abbé: aux travaux de la mémoire érudite, Saint-Cyran n'avait donc pas négligé d'adjoindre les longues « méditations» que Du Vair recommandait pour intérioriser le savoir, et faire de l'orateur la voix vivante d'une Tradition retrouvée à sa source et réincarnée. Sainte-Beuve dans Port-Royal indique que pour Jansénius, théologien humaniste s'il en fut, il y avait à la méthode scolastique et philosophique en théologie deux substituts: la méthode d'autorité, fort analogue à la « rhétorique des citations» des magistrats gallicans, et la méthode de charité, fort analogue au « sublime d'inspiration» que les Avocats Généraux érudits évoquaient si souvent 318. L'une et l'autre, tendant par deux voies différentes vers la même Vérité, doivent en définitive se confondre: l'érudition critique est une discipline d'invocation à la descente de l'Esprit-Saint. Ayant intériorisé ses autorités au point de faire corps avec elles, Saint-Cyran orateur pouvait leur prêter sa voix: la vérité retrouvée par les disciplines savantes dans les Ecritures et dans les Pères y était vivifiée et confirmée par l'inspiration immédiate de l'Esprit.
• •• Maître d'un immense réservoir de «lieux" qui faisait de lui une vivante Bibliotheca Patrum, maître des techniques de disposition et d'élocution françaises mises au point par la génération de Du Perron et de Du Vair, Saint-Cyran était à même de dépasser à la fois la « rhétorique Lancelot, ouvr. dt., p. 63-64. Orcibal, Origines ..., t. Il, p. 386-390, et Lancelot, ouvr. cit., p. 102 et suiv. 617 Orcibal, Origines ... , t. Il, p. 147. 618 Sainte-Beuve, Port-Royal, t. l, p. 597. GIll
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LE c NATUREL» CHRÉTIEN
des citations» de la génération de Pibrac et l'éloquence civique de la génération de Du Vair, la libido sciendi qui était l'écueil de la première et la libido dominandi qui était l'écueil de la seconde. Entre ce riche héritage de recherches rhétoriques gallicanes et 1'« éloquence du cœur» qui semble à la fois les abolir' et les accomplir, comme un Nouveau Testament oratoire, est intervenue la méditation de Saint-Cyran sur le De Doctrina Christiana de saint Augustin. Favorable au latin populaire, l'évêque d'Hippone faisait du «naturel» chrétien la version ecclésiastique du sublime, effaçant les traces de l'érudition et des techniques rhétoriques sous le souffle de l'inspiration 519. Après l'Ecclesiastes d'Erasme, les rhétoriques ecclésiastiques «borroméennes », contrairement aux rhétoriques jésuites, avaient vu dans l'inspiration divine le contrepoids indispensable aux techniques humaines d'acquisition du savoir et de fabrication du discours 520. Chez Louis de Grenade, la doctrine du « naturel chrétien », version pieuse de la neglegentia diligens cicéronienne, avait trouvé sa définition la plus vigoureuse: la culture rhétorique doit devenir habitus, seconde nature, pour devenir le support ductile de la libre inspiration d'En-Haut. Un Goulu, un Camus, interprétaient cette doctrine avec un accent primitiviste qui en faussait le profond équilibre: Saint-Cyran, érudit autant qu'orateur, était à même de lui donner son expression la plus souveraine. Le problème du naturel chrétien n'était pas étranger aux Remonstrances des hauts magistrats: on y méditait aussi sur la coïncidence entre érudition, inspiration et éloquence, et sur la possibilité d'éviter tout recours à la rhètorique païenne. Mais les Avocats Généraux supposaient le problème résolu: la notion même de «naturel chrétien» leur restait étrangère. Saint-Cyran eut le mérite d'introduire dans la tradition savante du gallicanisme une des valeurs les plus subtiles de la rhétorique ecclésiastique de tradition augustinienne, Sa réussite devait être d'autant plus impressionnante pour des gens de Robe qu'elle résolvait la quadrature du cercle de l'c éloquence qui se moque de la rhétorique », dont leur milieu poursuivait la chimère depuis le XVIe siècle.
• •• Dans une de ses Lettres chrétiennes et spirituelles, Saint-Cyran nous livre le dernier état de sa pensée sur le style chrétien:
n suffirait, à mon avis, écrit-il, que la vérité fût revêtue de paroles communes, et de celles qui coulaient de la même source de l'esprit qui Voir 1re partie p. 70-76. Voir 1re partie, p. 138-152. Il ne faut pas confondre naturel et spontanéité. Le naturel implique un sens «cultivé », mais devenu «seconde nature », du decorum, social pour les «mondains », religieux (la «majesté divine ») chez Saint-Cyran. Dans les deux cas, le naturel n'est autre que le suprême état de la civilisation. 519
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l'avait conçue, n'ayant besoin pour agréer d'autres embellissements que ceux qui naissent avec elle... Car Dieu veut que chacun éclaircisse la vérité comme il peut, et consacre ses propres dons, qui ont quelquefois plus de bénédictions étant seuls que lorsqu'ils sont joints à ceux des autres, bien que plus beaux et plus agréables ~21. Toutes ces formules pourraient laisser penser à un «primitivisme >, voire à un «spontanéisme> chrétien de Saint-Cyran. C'est ce que crut à la fin du siècle un Goibaud Du Bois 522. En fait, Saint-Cyran s'adresse à l'un des milieux I~s plus cultivés d'Europe, à la fois dans l'ordre profane et dans l'ordre religieux. Il évolue dans cette haute bourgeoisie de Robe française, dont l'usage quotidien de la langue est celui de l'I1e-de-France, filtré par la culture humaniste et par un commerce, à distance respectueuse, avec la Cour. Tel que Saint-Cyran entend le naturel chrétien, il résulte d'un sacrifice de tout le superflu, mais il suppose la possession préalable de celui-ci. le sacrifice chrétien de la rhétorique païenne implique la maîtrise de celle-ci. La véritable humilité est conquête sur un prodigieux orgueil. La véritable pauvreté est renoncement aux richesses. Pour faire le sacrifice de la rhétorique « païenne :t, il fallait un milieu qui en fût imbu de façon quasi professionnelle, au point que même les femmes de ce milieu, par imprégnation, et comme inconsciemment en fussent pénétrées: et au-delà de ce sacrifice, on ne trouve nullement l'inculture et le balbutiement, mais « ce qui reste quand
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Lettres chrétiennes et spirituelles, non encore imprimées, s.I., 1744, t. l,
p.447. ~22 Voir l'Avertissement en tête des Sermons de Saint-Augustin sur le Nouveau Testament, Paris, Coignard, 1694: (Saint Augustin) «apportoit donc à la chaire pour toute préparation un grand fonds de prière, de lecture, et de méditation des Saintes Ecritures. Il ne puisoit que dans ces divines sources... >. Quant aux prédicateurs modernes, «n'y' voit-on pas toute la Rhetorique, d'un bout à l'autre, avec tout son appareIl? Y paroit-i1 quelque trace de cette simplicité adorable des discours de J.C.? Car que veulent dire ces Métaphores... ? » Et Goibaud Du Bois d'opposer l'éloquence de l'imagination (qui n'a pas sa place dans les affaires d'Etat, de science, à plus forte raison de religion) à l'éloquence de «l'intelligence éclairée» et du «cœur touché ". Il faut donc avoir confiance dans «la force de la vérité:. (perçue par «l'intelligence éclairée»), et laisser la «disposition du dedans» (le «cœur touché») animer tout sans céder au «prétexte de s'accommoder à toutes sortes d'esprits ». Voir la réplique d'Arnauld à Goibaud Du Bois dans Reflexions sur l'éloquence des predicateurs, Paris, Delaulne, 1695, où Arnauld résume le De Docfrina Christiana en insistant sur le fait que, pour Saint Augustin, c'est «chose certaine qu'il convient à un Prédicateur de se servir de la Rhetorique », bien que cette rhétorique doive consister plutôt à «imiter les personnes éloquentes» qu'à «faire l'étude des préceptes ". La querelle rebondit bientôt avec la publication du traité de François Lamy, bénédictin, De la connaissance de soy-mesme et Eclaircissemens, Paris, Prélard, 1694-1698, 5 vol. in-12°, auquel réplique Brûlart de Sillery, évêque de Soissons, dans ses Reflexions sur l'Eloquence, Paris, Josse, 1700, qui contiennent aussi une réédition des Reflexions... d'Arnauld (p. 116-357), une Réponse ... de Fr. Lamy à l'évêque de Soissons, et une Réplique ... de celui-ci (p. 19-115). C'est sur ce fond de longue polémique qu'il faut lire les Reflexions sur la wammaire, la rhétorique ... (1716) et les Dialogues sur l'éloquence (1718) de Fénelon.
« NATUREL CHRÉTIEN» ET ATTICISME
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on a tout oublié », la disposition d'une langue « commune:. certes, mais assouplie par la pratique d'intelligences lettrées, et purifiée encore par le goût de la simplicité chrétienne. La même équivoque est possible à propos du mot «cœur» : rien n'est plus étranger, dans la bouche de Saint-Cyran, à toute notion d'affectivité geignarde ou de spontanéité instinctive. Parler à partir de la fine pointe de l'âme, s'adresser à autrui à ce point mystérieux où guette la présence divine, dans une attention qui suppose la plus parfaite maîtrise du langage, un tel échange exige des deux partenaires la plus exquise culture spirituelle, plusieurs siècles de christianisme c gothique », affinés encore par la quête de l'humanisme chrétien et par la c Conquête mystique». On peut se permettre d'être naturel à ce prix. En fait, 1'« éloquence du cœur» n'était possible qu'au sein d'une élite plus choisie encore et plus rare que ne le supposaient la sophistique sacrée des prédicateurs de Cour, l'élégance des écrivains mondains, voire l'éloquence érudite ou civique de la Grand'Chambre., Elle jouait sur les trésors spirituels et intellectuels accumulés dans un certain nombre de familles de Robe, pour lesquelles Arnauld d'Andilly n'avait pas tort de réclamer une noblesse « remontant au XIIe siècle ». Le dépouillement auquel Saint-Cyran conviait les moniales et les solitaires de Port-Royal était en fait, pour une élite de robins, la suprême éclosion après une germination séculaire. Ce dépouillement passait entre autres par le recours à l'usage «naturel» de la langue commune à ce milieu, filtrant en quelque sorte tout le contenu de la mémoire latine, de l'humanisme chrétien, et se chargeant au passage de leur plus pure essence. Par là, Saint-Beuve l'a bien senti, la conscience littéraire classique est en consonance profonde avec l'esprit de Port-Royal, quoique sur un autre registre: celui-ci, en laissant le foisonnement de l'érudition et de la rhétorique gallicanes, n'en garde en langue française que l'essence et l'atticisme classique, filtrant l'expérience rhétorique et poétique du XVIe siècle, helléniste et latiniste, n'en conservera en français que la fleur .
• •• Les deux genres auxquels Saint-Cyran se confie dans les dernières années, la «conférence» entre intimes et la «lettre spirituelle », sont parfaitement accordés à cette rhétorique de la simplicité chrétienne et française. La conférence dans le recueillement du cénacle dévot conjure les tentations de la parole publique, et des grands genres de l'éloquence sacrée. La prédication de M. Singlin dans la chapelle de Port-Royal tentera de préserver ce « style bas» qui élude toute science et toute technique voyantes pour aller du cœur au cœur. La lettre spirituelle, destinée à la méditation silencieuse, est la version écrite de la c conférence:. : aux antipodes de la lettre selon Balzac, el1e cache les mots sous les choses, et sa correction même ne tient compte des goûts et dégoûts mondains que pour ne pas leur fournir prétexte à se distraire de la vérité:
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L'AVENTIN DE LA PAROLE GALLICANE [1 ne voulait pas, écrit Lancelot, qu'on s'amusât tant à épiloguer sur les paroles et être plus lontemps à peser les mots qu'un avaricieux ne seroit à peser l'or à son trebuchet, parce que rien ne ralentit plus le mouvement de l'Esprit Saint que nous devons suivre. [1 disoit que cette grande justesse des paroles étoit plus propre aux Académiciens qu'aux défenseurs de la vérité; qu'il suffisoit presque qu'il n'y eût rien de choquant dans le style ~23.
Le chant du cygne des «Remonstrances,. Avec la plénitude rayonnante et un bonheur d'expression qu'elle n'avait jamais connus au Palais, la rhétorique gallicane, dans sa version la plus sévère, la plus proche des rhétoriques « borroméennes ,., trouvait donc en Saint-Cyran et à Port-Royal à la fois son accomplissement et son refuge. On se souvient que Pibrac, dans ses Remonstrances, allait jusqu'à détourner les avocats d'imiter les orateurs antiques, jugeant que l'éloquence chrétienne ne devait rien devoir aux blandices d'un art païen. A la lumière de cette Remonstrance du XVIe siècle antérieure à la « réforme» civique de Du Vair, il vaut la peine de relire les pages que Fontaine a consacrées à l'entrevue entre Le Maistre et Saint-Cyran après que celui-ci eût été libéré de Vincennes.
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Tout se passe comme si, devant l'ancien « Cicéron français,., l'abbé prononçait à sa manière une Remonstrance sur le thème même cher à Pibrac, avec évidemment une tout autre envolée. Le converti de Saint-Cyran lui remet la traduction du De Officiis qu'il avait entreprise sur la demande de l'abbé, et sur ses conseils. Le Directeur regrette de l'avoir égaré sur cette tâche ~2~, et pour justifier son revirement, esquisse devant Le Maistre un véritable réquisitoire contre les Lettres « humaines» 626. Avant le Christ la raison humaine, sans autre secours que sa propre vigueur naturelle, a enfanté des chefs-d'œuvre. Mais la réussite même de ceux-ci était le prix de l'ignorance où se trouvaient les Anciens de la vérité révélée. ,La beauté dont ils se montrèrent capables, la fécondité même de la nature qui l'avait engendrée, révélaient une tension inassouvie vers la vérité. Dès lors que la Révélation a donné à l'homme la possibilité de connaître Dieu et la vérité, la beauté des chefs-d'œuvre antiques n'est plus qu'une survivance: «il n'y aura plus de Cicérons ni de Virgiles ». Entre les Offiçes de Cicéron et ceux de saint Ambroise, il y a eu la Révélation. Le beau langage du moraliste païen a fait place chez l'évêque
~23
Cité par Sainte-Beuve, Port-Royat, t. l, p. 567. Voir plus haut, p. 555 et 562. 525 Fontaine, Mémoires sur M.M. de Port-Royat, Utrecht, 1736, t. l, p. 168172. Saint-Cyran eût souhaité que Le Maistre ne suivît pas sa suggestion à la lettre, et qu'il ne consacrât à cet auteur païen qu'une "demie-heure perdue, et encore de tems en tems». ~ Ibid. 524
RHÉTORIQUE ET SIMPLICITÉ DE CŒUR
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chrétien au simple langage du vrai. Sous la belle enveloppe païenne, désormais inutile, la nudité du christianisme a conquis son évidence. Car Dieu avait tracé la figure des vérités chrétiennes dans les livres des païens. Comme Erasme dans le Ciceronianus, Saint-Cyran pense qu'il n'y a de modernité que chrétienne. Et celle-ci, attachée à la seule vérité révélée, n'a que faire de la beauté et des figures qui la dissimulaient aux yeux des Anciens. Mais comme Pibrac, plus radical encore qu'Erasme, SaintCyran va jusqu'à penser que la modernité chrétienne doit se passer de toute imitation des formes antiques, et se construire à partir de la vérité nue, et d'elle seule. Emprunter les détours de la beauté antique, c'est chercher vainement à ranimer les ténèbres du paganisme dans le christianisme, c'est vouloir remonter vers l'état d'aveuglement de l'humanité avant la Révélation. Aussi il ne convient plus à l'écrivain chrétien, éclairé sur la véritable source du Logos, de se fier à un art du discours, à des techniques d'imitation, il lui faut se préparer spirituellement à cet avènement de la vérité sous sa plume, se retrancher, «se recueillir tout en soi-même, s'humilier, gémir, prier ». Ayant fait le vide en soi de tout ce qui est trop humain, il faut se considérer comme l'instrument et la plume de Dieu, ne s'élevant point si on avance, ne se décourageant pas si on ne réussit pas; car il ne faut pas moins de grâce pour éviter l'abattement que l'élèvement, puisque l'un et l'autre est l'effet de notre orgueil [ ... ] Vous avez vu dans saint Bernard 527 qu'il compare Dieu, au regard des hommes, à un écrivain ou à un peintre qui conduit la main d'un petit enfant et ne demande pas au petit enfant autre chose, sinon qu'il ne remue point la main, mais qu'il la laisse conduire: ce que fait souvent l'homme qui résiste au mouvement de Dieu. C'est donc, dit ce saint homme, l'écrivain et non l'enfant qui écrit; et il serait ridicule que l'enfant eût vanité de ce qu'il auroit fait puisque, pour écrire toujours de même, il auroit besoin d'avoir tou-
527 Entre l'Oraison funèbre de Le Fèvre par Goulu, qui cite saint Bernard avec tant d'éloges, et Saint-Cyran qui en tire inspiration, un effort considérable de traduction des œuvres de l'abbé de Clairvaux avait eu lieu. En 1620, Jean Tournet traduit les Sermons (Paris, Billaine, 2 vol. in-4°); en 1621-1622, sœur Françoise Ou de au traduit les Sermons méditatifs du dévot P. Saint Bernard sur le Cantique des Cantiques, Paris, Le Boullanger, 2 vol. in-Bo, et en 1622, Maître Philippe Le Bel publie Les Œuvres de St Bernard mises la plus grande partie en français, Paris, Soly, 2 part. en 1 vol. in-fol. En 16491654, paraîtront Les Lettres de Saint Bernard traduites par le R.P. Dom Gabriel de St Malachie, Paris, Meturas, 2 vol. in-Bo, précédées par un beau sonnet de P. Corneille. Pour une traduction moderne, voir Etienne Gilson, Saint Bernard, textes choisis et présentés, Paris, Plon, 1949. On ne saurait d'ailleurs oublier que l'abbaye de Port-Royal, réformée par Angélique Arnauld, appartenait à l'Ordre des Bénédictines de Cîteaux, et que la réforme ne pouvait que ramener ses moniales vers saint Bernard. Les Feuillants - ordre auquel appartenaient Dom Goulu, et Dom Gabriel de St Malachie - étaient aussi des cisterciens réformés.
L'AVENTIN DE LA PAROLE GALLICANE
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jours le même maître, et que sans lui il ecriroit ridiculement. Il en est ainsi de Dieu et des hommes. C'est pourquoi il n'y a rien de si raisonnable que l'humilité dans les travaux pour Dieu, de même que dans les dons naturels. Et se tenant dans ces sentiments, on croit tout ensemble en vertu et en lumière, on acquiert une force merveilleuse, et il se répand une odeur de piété dans l'ouvrage, qui frappe premièrement l'auteur, et ensuite tous ceux qui le lisent 128. Un Goulu, dans ses Lettres à Phyl/arque, se réclamait de la même doctrine de l'inspiration pieuse, mais dans le même temps il invoquait l'exemple des Anciens païens, et leur perfection formelle, pour accabler le sophiste Balzac., Un Edmond Richer, dans sa dernière œuvre, légitimait la Rhétorique d'Aristote et l'imitation de Cicéron, afin de donner des armes politiques à la vérité. Saint-Cyran ne fait aucune concession: chez lui l'idéal d'une éloquence purement chrétienne, comptant sur la vérité seule pour triompher, pure de toute imitation des auteurs paiens, trouve son plus intransigeant défE'Pseur. Dans une analyse qui précise la spiritualité de la parole du dernier Saint-Cyran, Jean Orcibal écrit du grand abbé qu'à ses yeux nos facultés sont peu de chose pour former d'elles-mêmes ce langage avec lequel on parle à Dieu. Aussi faut-il que le Saint Esprit « prie en nous par des gémissements ineffables >, «opération tout intérieure,. et par conséquent, «souvent inconnue à l'âme même >. L'aphorisme paulinien, cité par Saint Cyran près de vingt fois, ne laisse aucun doute sur ce que M. L. Cognet a appelé son pneumatisme. Celui-ci se manifeste égaIement dans le souci qu'avait l'Abbé de ne parler ou de n'écrire (selon le précepte de saint Bernard) que de son «abondance », et de tout «tirer de sa plénitude >, de sorte que ses 0[ paroles étaient des paroles de Dieu », «qui nous fait dire ce que nous n'avons jamais pensé >. Il n'hésitait pas à rattacher le charisme de la prédication à celui de la prophétie, et était confirmé dans cette croyance par la constatation que l'oubli succédait aussitôt à l'inspiration, phénomène psychologique qu'il expliquait par le principe: «ce qu'on écrit du cœur, n'est pas toujours empreint dans l'esprit et dans la mémoire:) 129 .
••• Le rapprochement avec Montaigne s'impose ici: même privilège accordé aux sources intérieures du discours, même dédain pour l'effet à produire sur l'auditeur selon un decorum fixé par la coutume sociale; même dédain d'un travail de la forme selon un canon de beauté fixé par convention et obtenu par art; et surtout même façonnement de l'auteur par l'invention de son propre discours, comme si celui-ci avait pour première fin non de convaincre autrui, mais de faire jaillir une
Fontaine, Mémoires, éd. cit., loc. cit. Orcibal, Les Origines du jansénisme, V, La spiritualité de Saint-Cyran, Paris, Vrin, 1962, p. 69. 628
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SAINT-CYRAN ET MONTAIGNE
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vérité cachée au fond de l'âme, et capable de se faire reconnaître par elle-même, pour elle-même. Pour expliquer cette curieuse analogie, on peut formuler l'hypothèse d'une source commune, ce Philon d'Alexandrie qui, avant même sa traduction par Bellier en 1570, n'a cessé d'alimenter la tradition des Avocats Généraux gallicans. Chez Montaigne, qui l'a certainement lu en traduction G30, son influence a pu se combiner avec celle de Sénèque et de Plutarque; quant à Saint-Cyran, qui l'a probablement lu G31, comme son ami Bignon, l'influence de Philon s'est tout naturellement combinée avec celle de saint Augustin, dont le De Docfrina chrisfiana est redevable aux idées de Philon sur le Logos GS2. Le propre de la « rhétorique» de Philon, c'est qu'elle met au-dessus de l'éloquence le silence de l'âme recueillie dans la contemplation du vrai; si l'éloquence «extérieure» a du prix, c'est dans la mesure où elle rend visible et perceptible la lumière de la contemplation, L'invention oratoire se confond ici avec la vision intérieure de la vérité, que Philon illustrait par le silence du prophète Moïse, auquel Aaron prête une voix Gas. Mais Montaigne identifiait la vérité philosophique à celle du moi, à la fois objet et sujet d'une sorte de "révélation» naturelle. Comme les Avocats Généraux du XVIe siècle, Saint-Cyran a fait de l'anéantissement du moi le préalable de la révélation intérieure, dont l'auteur est le Verbe et l'organe le Sacerdos. Dans les deux cas cependant, l'acte de parler et d'écrire ne se résume pas dans un art oratoire, orienté vers l'auditeur: l'essentiel, ce qui vivifie et donne sens à la parole et à l'écriture, se passe au fond de l'âme, nature pour Montaigne, « cœur» pour Saint-Cyran. La hiérarchie des genres, des langues, des styles, tout l'appareil de la persuation oratoire par les tactiques du movere, du docere, et du delecfare ne tiennent pas face à cette vérité intimement découverte, et qui trouve d'elle-même son acheminement. Non sans humour, Montaigne choisissait l'humilité de la langue vulgaire et du style « comique» pour se dire, et traiter le plus grand sujet, l'homme. Chez Saint-Cyran, l'ironie divine n'est pas moindre: la majesté du Verbe consentant à s'incarner dans la pauvreté humaine engendre la sublime monotonie d'une sorte de grégorien de la prose française: 530 Rapprocher par exemple le passage des Essais, éd. cit., p. 204, et Philon, Quod deterius ... , 126-128, dans Œuvres, éd. du Cerf, Paris, 1961, t. l, p. 97. 531 Voir Orcibal, La spiritualité ... , ouvr. cit., p. 269 et 483. 532 Sur l'influence de Philon sur les Pères de l'Eglise, voir le volume Philon d'Alexandrie, Paris, C.N.R.S., 1967; l'introd. à l'éd. cit. des Œuvres par R. Arnaldez ; et G. Verbeke, L'évolution de la doctrine du pneuma du stoïcisme à St Augustin, Paris-Louvain, 1945. Voir également d'intéressants rapprochements entre la doctrine du Logos prophorikos et endiathetos (modus inveniendi et proferendi) de Philon et son interprétation chrétienne chez saint Augustin
et saint Ignace d'Antioche (souvent cité par Saint-Cyran), dans Joseph-Anthony Mazzeo. «Saint Augustine's rhetoric of silence », Journal of the history of
ideas, XXIII, 1962. 533 Philon, Quod deterius ... , analysé par A. Michel, Quelques aspects de la rhétorique chez Philon, art. cit., p. 84-85.
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L'AVENTIN DE LA PAROLE GALLICANE
Les ouvrages, dit-il, qui sont faits avec l'esprit de Dieu, et avec une entière pureté de cœur, se font ressentir en les lisant, et ils produisent des effets ,de grâce dans les âmes de ceux qui les lisent dans tous les siècles de l'Eglise G34. De tels «effets de grâce:. supposent l'absence de tout effet voulu par l'écrivain pour plaire, émouvoir, instruire à son propre compte: ils surgissent dans un champ spirituel dont le texte écrit ne peut être que le prétexte, et non la cause, A travers la parole et l'écriture, dénudées, " logos prophorikos », c'est un cœur illuminé qui communique à l'autre son illumination.
3. LE PARNASSE DE L'ELOQUENCE ROYALE: L'ACADÉMIE FRANÇAISE SOUS RICHELIEU
La retraite d'Antoine ·Le Maistre en 1637, l'entrée d'Olivier Patru à l'Académie française en 1640, ces deux faits nous ont paru résumer à la fois le dilemme de la rhétorique gallicane et celui des avocats lettrés sous Richelieu. Face au déclin du prestige politique et oratoire du Parlement de Paris, Saint-Cyran convoque les derniers fidèles à faire de la langue française le dépositaire de la foi authentique des premiers siècles de l'Eglise, et Richelieu invite tous les «bons Français,. à servir un Etat et à orner une Cour qui fassent de la France l'héritière en Europe de la grandeur romaine. Le Maistre reconnaît dans la convocation de Saint-Cyran le vieil appel, devenu pleinement conscient de ses implications ultimes, des Catons du Palais de Justice. Patru reconnaît dans l'invitation de Richelieu le vieil espoir des avocats du Parlement enfin comblé: l'accès à une pleine dignité de l'éloquence, légitimée par le service de la majesté royale. Le vieil espoir, comme il arrive, est comblé ailleurs qu'il ne l'attendait. Les avocats du XVIe et du début du XVIIe siècle rêvaient de la gloire de Cicéron, du Cicéron «gouvernant les âmes:> d'une République. Lorsque Richelieu donne enfin sa chance à l'éloquence française, c'est dans le cadre ou dans la mouvance d'une Cour monarchique, ornement de l'Etat royal restaurr contre toute tentation féodale ou « républicaine ». La fondation de l'Académie française est le triomphe de l'Amyot du Projet d'une Eloquence royale et la défaite du Guillaume Du Vair du traité De l'Eloquence françoise. L'humanisme aulique, dont la dette envers Cicéron passait par Bembo, Castiglione, et l'idéal de la « douceur », l'emporte sur l'humanisme civique se réclamant de Cicéron et de Démosthène magistrats du bon gouvernement, et garants d'un idéal de « force ». Contrairement à l'Académie de Baïf, à celle de Pibrac, et plus encore à celle que Christophe de Thou voulait instaurer au sein même du Parlement de Paris, l'Académie Française n'a aucune finalité savante ou religieuse, elle ne vise pas à doter la monarchie d'une doctrine propre à rassembler les esprits autour de la Justice royale. Elle présuppose la majesté de l'Etat monarchique, elle laisse à ses hommes d'Etat le soin de la définir dans l'action. Son domaine propre, c'est la langue de la monarchie, qu'il s'agit d'amener à une perfection digne de la grandeur reconquise par la Couronne de France. Si elle vise à constituer un point de ralliement, c'est autour d'un optimus stylus en langue française, symbole de l'adhésion des «bons Français », quelle que soit leur appartenance religieuse ou la nuance philosophique de leur christianisme, à l'unité de la Couronne Très-Chrétienne. Comme Amyot dans son Projet, l'Académie fait porter dans le sien, rédigé par Faret, la perfection de l'éloquence sur la qualité de l'élocution, et non comme Du Vair, sur celle des sources de l'invention:
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Que nostre langue, plus parfaite desjà que pas une des autres vivantes, pourroit bien enfin succéder à la latine, comme la latine à la grecque, si on prenoit plus de soin qu'on n'avoit fait jusques ici de son élocution, qui n'estoit pas en vérité toute l'éloquence, mais qui en faisoit une fort bonne et fort considérable partie G85. Le travail des Malherbe, des Marolles, qui tendait à définir et purifier un «bel usage» de la langue, se voit donc justifié. Le mépris des « mots» affiché par les Goulu, les Camus, les Dupré, et tous les pourfendeurs de la «corruption de l'éloquence» des années 1620-1630, est refuté. Le Projet juge que la «corruption» est d'abord dans le choix des mots, et qu'il faut commencer par là à la combattre. S'agirait-il pour autant de tomber dans le pédantisme grammairien? Le Projet ajoute: Il falloit un génie particulier et une lumière naturelle capable de juger ce qu'il y a de plus fin et de plus caché dans l'éloquence Gai. La rhétorique académique n'aura donc rien de scolaire. Elle a pour tâche de fixer une Idée de l'Elocution française trancendant les modes et les caprices: elle compte pour cela sur l'ingenium de ses membres, autant que sur leur érudition. Elle ne se préoccupe en rien des semina dicendi, qui sont laissés à l'appréciation de chacun. Le problème de la vérité n'est pas de son ressort. Plus exactement, la seule vérité dont elle ait la charge est celle d'une beauté langagière proprement française, à dégager des erreurs et des fautes qui l'en fouissaient jusqu'alors. Qu'il falloit comme un meslange de toutes ces autres qualitez, en un tempérament égal, assujetties sous la loy de l'entendement et sous un jugement solide. Quant à leurs fonctions [ ... ] elles seroient de nettoyer la Langue des ordures qu'elle avoit contractées ou dans la bouche du peuple, ou dans la foule du Palais, et dans les impuretez de la chicane, ou par les mauvais usages des Courtisans ignorans, ou par l'abus de ceux qui la corrompent en l'écrivant, ou de ceux qui disent bien dans les chaires, ce qu'il faut dire, mais autrement qu'il ne faut 537. Tout est donc dans la manière et non dans la matière. Mais cette manière devra transcender l'usage des diverses castes du royaume, « peuple », «chicane », «courtisans ignorans », «chaires» pour devenir un «usage certain ». La doctrine qui inspire le rédacteur du projet est nettement scaligérienne : il s'agit de trouver une Idée de la langue sous les « ordures» que les idiomes spécialisés ont accumulées.· Aussi, lorsque Vaugelas, respectueux avant tout de l'usage de « la plus saine partie» de la Cour, aura publié ses Remarques, un La Mothe Le Vayer et un
G3S
536 537
Pellisson, Histoire de l'Académie française, Paris, 1693, in-12°, p. 19. Ibid., p. 25. Ibid.
COLOMBY REBELLE AU COMPROMIS ACADÉMIQUE
649
Chapelain - plus proches au fond de l'usage du Palais - y verront-ils une concession excessive à la «mode» fuyante des c ignorans ». Mais l'Eloquence, même réduite à l'élocution, suppose une doctrine du decorum et de l'omatus. Pour le decorum l'Académie ne prendra pas pour référence le c grand monde », mais «le plus sage de tous les hommes », son protecteur, Richelieu. Cette Idée du «grand », incarnée dans le restaurateur de la monarchie, lui fera mépriser le caprice des c foux », qui, avec Saint-Evremond, Candale, Guiche et autres gentilshommes trop «railleurs» brocardent les c académistes ». Et dans les Lettres patentes rédigées dans un style d'inscription latine, le Roi Louis XIII réclamera pour sa propre gloire politique et militaire, acquise sur les conseils de son c tres-cher et tres-amé cousin» Richelieu, cette fonction référentielle pour le decorum du « bien dire li français Ga8. Transcendant les catégories particulières, les castes, les caprices individuels, un ordre du style français doit correspondre à la transcendance de la Raison d'Etat monarchique. Restent à définir le degré et la nature de l'omatus dont est susceptible ce genus dicendi royal. C'est à quoi s'employèrent, pendant les «Conferences academiques" des années 1635-1637, les protégés de Richelieu, au cours d'une série de «harangues ". Le Cardinal, soucieux d'un compromis entre «sçavans» et « ignorans », entre robins et gens de Cour, avait veillé à doser les «académistes» : les membres de l'Académie des « puristes» qui se réunissait chez Conrart, se sont fondus avec ceux de l'Académie personnelle dont s'était entouré le Cardinal pour les besoins de sa propagande; et il y avait adjoint des écrivains susceptibles d'avoir l'oreille de la Cour, un Malleville, ancien serviteur de Bassompierre, un Gomberville, romancier à succès, un Voiture, poète à succès. Ce dosage, cet esprit de compromis, eurent le don d'irriter le parent et disciple de Malherbe, François de Cauvigny, sieur de Colomby, que le Cardinal avait cru décent d'adjoindre à la petite troupe. Dans un Discours dont R. Zuber a identifié l'auteur 539, celui-ci fit scandale en proclamant «l'inutilité de l'Académie ». Colomby résume dans sa Remonstrance le point de vue traditionnel de l'humanisme gallican. Il s'émeut de voir le privilège de censurer 539bl. les « autheurs », jusque là réservé au Parlement, tomber aux mains d'une nouvelle « Cour d'Aréopagites et d'Ephores». 11 rappelle que toutes les «gloires» de l'éloquence française ont été formées par l'Université, dans un esprit de science, et non de rhétorique. Il proteste contre tout ce que l'Académie suppose de concessions au goût de la Cour, et d'officialisation de cette terreur dans les Lettres instaurée par les «mignons»
688 G3D
Ibid., p. 38-,41. R. Zuber, Belles Infidèles, ouvr. dt., p. 92-95.
539 bl. Voir, sur ce problème de la censure, C. Delhez-Sarlet, «L'Académie française au temps de Richelieu », Marche romane, XXIX, 1979, p. 41-60.
ô50
LE PARNASSE DE L'ÉLOQUENCE ROYALE
et dénoncée par Dupré, Gournay, Goulu. Colomby célèbre les mérites autrement solides de Christophe de Thou et Achille de Harly, de Simon Marion et d'Antoine Arnauld, chez qui le cœur et la langue, la morale et l'éloquence n'avaient pas encore divorcé, et qui étaient vraiment viri bOlli dicelldi periti. Chez ces orateurs, l'invention et l'élocution n'étaient pas séparées; ils ont su «deffricher la langue françoise », tout en l'enrichissant des «dépouilles de la Grecque et de la Latine ». L'Académie, qui ne se soucie pas de la vertu de ses membres, qui ne s'intéresse ni à la réforme de l'éducation et des mœurs, ni à la religion, rompt avec la tradition philosophique chrétienne et française: en prenant l'éloquence du côté de la seule élocution, en fixant à celle-ci des règles minutieuses, elle renverse l'ordre des choses, elle attente à la liberté de l'écrivain et aux droits de la vérité MO. Le point de vue de Colomby était d'ailleurs beaucoup moins éloigné qu'on pourrait le croire de celui de La Mothe Le Vayer qui, trois ans plus tard, dans ses COllsideratiolls, fera pourtant quelques concessions à la «partie la plus saine de la Cour ». Mais à condition que la tyrannie sur les «mots» ne devienne pas telle qu'elle en vienne à enchaîner l'invention philosophique des «sçavans» et des grandes âmes. Selon Orasius Tubero, la beauté de l'éloquence est avant tout dans ses sources, et accessoirement dans sa forme. Et comme Colomby, La Mothe Le Vayer défend la liberté d'inspiration: Et certes, écrit-il, ce n'est pas le propre de ceux qui conçoivent les belles choses de se soucier si fort en quels termes ils les enfanteront. Ils les produisent au jour avec générosité, et sans souffrir tant de tranchées. Ils s'expliquent avec une facilité négligente, qui tesmoigne que leur soin s'estend bien plus sur les pensées que sur les dictons 541. Un peu plus loin, il décrit en ces termes l'acte créateur: C'est pourquoy nous dirons que ces derniers (les vrais créateurs) ressemblent à ceux qui plantent des vergers ou qui ont dessein de faire venir du bois de haute fûtaie, à quo y ils travaillent avec le plus d'ordre et de grâce qu'on y peut apporter, sans s'amuser pourtant à sasser la terre, ni à éplucher jusqu'à la plus petite pierre 542. Balzac aura beau railler Colomby, et protester contre l'entrée de La Mothe Le Vayer à l'Académie: au fond de lui-même, il est fort
540 Voir le Discours prononcé en la chambre de l'Académie françoise. B.N. X rés. 2567, attribué par R. Zuber. et daté par lui de 1635-1636. 541 La Mothe Le Vayer. Considérations ...• ouvr. cit., p. 206. La Mothe se réfère souvent à Longin, et il a certainement lu de très près le De erroribus magnorum virorum d'Allacci (1636), qui insistait sur la liberté créatrice des grandes âmes, en une longue et belle paraphrase savante du Traité du Sublime. 542 Ibid .• p. 63.
GODEAU PLAIDE POUR LA SÉVÉRITÉ BORROMÉENNE.
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conscient de cette rupture entre les c choses :t et les c mots:t qui trouble aussi bien les philosophes que les chrétiens augustiniens. Mais il a tenté de faire du seul c langage :t l'héritier de la pleine éloquence d'autrefois. Deux des harangues prononcées dans les années 1635-1636 s'attachent à restaurer la bonne conscience chrétienne de l'Académie. Le 22 février 1635, Godeau prononce une harangue Contre l'Eloquence. Est-ce seulement, dans une c Académie d'éloquence », un paradoxe de rhéteur? En fait le futur évêque de Grasse s'emploie à dénoncer devant l'Académie tout ce que d'un commun accord, depuis 1620, les Maussac, les Laval, les Goulu, reprochaient à l'éloquence sacrée c sophistique », et à la littérature de Cour enflée d'hyperboles et parée d'excessive douceur. Il fait entendre aux «académistes» que l'atticisme de la forme est la garantie élémentaire d'une piété chrétienne sobre et solide. Respectueux de l'esprit de l'institution, il aborde le problème religieux sous l'angle de l'élocution. Et par une coquetterie bien dans sa manière, il fait le portrait de 1'« éloquence coupable» dans le langage même de celle-ci, la description colorée et pathétique. Par une savante progression d'épithètes - «criminelle, débauchée, mercenaire» - Godeau prépare ses confrères à la « peinture parlante» d'une Eloquence damnée, morceau de bravoure dont il soigne, avec un talent dramatique mal contenu par les scrupules, le relief plastique. Le monstre odieux, qui résume en lui tout l'art des jésuites et des bouffons de Cour, surgit enfin, sous les apparences d'une vieille qui tascheroit de cacher sous le blanc et le rouge les rides de son visage; je lui ferois un front petit, des yeux inconstans, et qui lanceroient des regards impudiques, des chaînes sanglantes sortiroient de sa bouche, dans une main, elle tiendroit un bandeau, dans l'autre un vase d'or et deux aspics mesleroient leur venin avec le breuvage qu'elle présenteroit à une troupe d'aveugles, sa robe seroit de plusieurs couleurs, qui laisseroit voir ses pieds de terre, une Furie lui parleroit à l'oreille et une autre tiendroit un flambeau contre son estomac 643. En 1636, sur la demande de Godeau, Guillaume Colletet menait il bonne fin une traduction du De Doctrina christiana de saint Augustin et la confiait à l'éditeur de l'Académie, Jean Camusat 644. Deux ans plus tard, en 1638, les «cicéroniens» Patru et d'Ablancourt publieront chez le même éditeur la traduction des Huit oraisons de Cicéron. Un équilibre ou une conciliation se cherche entre l'atticisme cicéronien et l'atticisme augustinien.
543 Voir, pour ces harangues académiques, le Ms. Fr. 645 à la B.N. On y trouve le discours de Godeau aux fOI 66-86. Ce passage figure fo 75. 544 La préface de cette traduction fait clairement allusion à une «commande» amicale de Godeau.
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LE PARNASSE DE L'ELOQUENCE ROYALE
L'année même où il publie sa Doctrine chrétienne, G. ColIetet prononce devant l'Académie, le 7 janvier, une harangue intitulée De l'Imitatio1l des Anciens M6.
Il Y fait l'éloge du Ciceronianus d'Erasme. Il condamne avec ce dernier la «sévère et ridicule» imitation des «Martyrs de Cicéron ». Il fait appel aux lieux communs de l'anti-cicéronianisme du XVIe siècle, l'anecdote de Zeuxis et des cinq jeunes filles, la métaphore de l'abeiIIe qui butine, pour opposer, après Politien et G.F. Pico, l'imitation servile à la liberté éclectique. Ce ne sont pas les «mots », mais l'invention du modèle qu'il faut avoir en vue dans l'imitation. Par ce biais, ColIetet rappelIe donc à l'Académie que l'atticisme français n'est pas une simple reproduction de l'atticisme latin ou grec, mais une création originale. La même année, il écrivait dans son poème Contre la traduction: C'est trop m'assujettir, je suis las d'imiter M6. Et, reprenant un thème de l'Apologie pour M. de Balzac, d'Ogier, il insiste sur le progrès que marque la Renaissance chrétienne et française sur ses modèles antiques: Quelle perfection qu'ayent eu les antiques peintures, Freminet et Rubens en ont peut-être conceu de plus parfaites. L'imagination de l'homme est infinie, les siècles produisent tous les jours de nouveaux miracles. On a trouvé l'Art de l'Imprimerie et l'usage du Canon, on a veu luire de nouvelles étoiles, on a découvert de nouvelles Mers et de nouveaux Peuples, depuis que le Sage a dit qu'il n'y avoit plus rien de nouveau sous le soleil M7. La langue et les lettres françaises, éclairées par l'exemple des Anciens, sont sur la voie de nouveaux miracles, rendus possibles par le travail des poètes et des écrivains humanistes, Amyot et Du Perron, Ronsard et Malherbe. Elle doit véritablement à ces rares hommes l'avantage d'estre saine, mais c'est de vous qu'elle espère son embonpoint, son lustre, sa beauté [ ... ] Travaillez donc sérieusement à un si bel ouvrage 648.
645 Guillaume Colletet, Discours de l'Eloquence et de l'Imitation des Anciens, éd. cit., 1658. M6 Cité par R. Zuber, Belles Infidèles, ouvr. cit., p. 58. 647 Colletet, ibid., p. 48-49. M8 Ibid., p. 52. Ces mots d'embonpoint, de lustre, de beauté, renvoient chez Colletet, comme chez Du Vair, ou dans l'Apologie pour M. de Balzac, à l'allégorie de l'Eloquence personnifiée: «C'est le portrait d'une Nymphe que tous les hommes désirent, et que si peu d'hommes possèdent. Elle porte sur le front une Couronne d'estoilles éclatantes, son visage est serein, mais sévère; elle n'a pas tant d'yeux ni tant d'oreilles que la Renommée; et si, elle ne laisse pas de voir tout, et d'entendre tout aussi bien. Ses lèvres sont de roses, sa langue est de miel, et son haleine est de baume. Sa bouche ne verse que des fleurs, et que de petits chaisnons d'or [... ] De l'un de ses pieds, elle foule le Globe du Monde, et la roue de la Fortune, et de l'autre le Temps et l'Envie. Sa voix est plus puissante que le Tonnerre, puisqu'elle se fait entendre aux
POUR UNE UNITÉ TRANSCENDANT LES D1VERSI"Œ:S
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Il Y a fort à parier que les «Barbares,. dont Col\etet invite l'Académie à refuser qu'ils « ne profanent ses mystéres» ~49 sont les courtisans et leurs" beaux esprits ». C'est donc moins au nom de l'ingenium singulier que de l'ingenium national que Colletet invoque la liberté de création. C'est aussi au nom d'un christianisme qui, déjà aux yeux d'Erasme, était le gage et la preuve de la véritable modernité par rapport aux chefs-d'œuvre antiques. Le probléme de l'ingenium, qui avait été un des moteurs du mouvement anti-cicéronien, est au cœur de la harangue prononcée le 5 février 1635 par Hay du Chastel et, sous le titre: De l'Eloquence françoise 560. L'Académie est là pour forger une norme: mais comment ne pas tenir compte de cette variefas ingeniorum dor.t les maniérismes, et entre autres le jésuite, avaient eu un sens si vif? L'orateur académique bâtit tout son discours autour de la notion de diversité, et s'en sert pour montrer les difficultés de définir un canon idéal d'éloquence. Cette diversité est d'abord sensible chez les individus, que leurs humeurs et leurs passions font pencher vers des styles très différents et empêchent de goûter celui que d'autres préfèrent.. Dans tout ce passage, comme dans ce qui va suivre, Hay se souvient autant de Montaigne que du médecin Huarte, lecture appréciée de Mme de Rambouillet 551. Pour redresser ces optiques individuelles, déformées par les extrêmitez du Monde [ ... ] Elle est sage et bien disante, elle a une excellente connoissance de soy-mesme, et connoist exactement tous les autres. Elle doit l'honneur de sa naissance au travail, comme elle doit son éclat à la Mémoire [... ] C'est cette merveilleuse éloquence qui a présidé dans le Conseil d'Athènes et qui a triomphé dans le Sénat de Rome. Mais lorsqu'elle a veu que par le changement des Estats et des Empires, les Places publiques et les fréquentes Assemblées n'estoient plus le théatre de sa Gloire, qu'a-t-elle fait en cette occasion? Elle n'a point refroidy l'esprit de ses Orateurs; de leur langue elle s'est escoulée dans leur plume, et nous la voyons encore aussi pompeuse dans leurs Escrits, qu'elle parut autresfois superbe dans leur bouche» (p. 10-11). C'est un siècle d'humanisme que Colletet résume devant l'Académie: le passage du mythe de l'éloquence civique à la littérature, de la liberté de l'Orateur politique à l'art de l'écrivain, se trouve emblématisé en une "Image,. (p. 10, au sens technique d'Imago) qui symbolise aussi le consentement à l'ordre monarchique. 549 Ibid., p. 50. Il faut souligner que, pour Colletet, la «vraie éloquence> ne s'oppose pas à la fausse comme la «solidité» architectonique s'oppose à la fluidité de l'écoulement mondain, mais comme «ces petits vents qui s'amolissent dans leur course» à "ces grands fleuves qui deviennent plus profonds et plus vastes, plus ils s'éloignent de leur source ». Les deux métaphores reviennent d'ailleurs au même: le courant puissant qui inspire la «vraie éloquence », et qui a pour «source» l'anamnèse érudite, n'envahit le monde des apparences fuyantes que parce qu'il ne dépend pas de lui. 5~0 Cette harangue se trouve dans le ms. déjà cité B.N. Fr. 645, fG' 52-64 VO, Le passage cité se trouve f o 54 r O et VO. 551 Sur la notion de «diversité », liée à la variefas ingeniorum, voir Tallemant, éd. Adam, t. l, p. 484, «Mme de Rambouillet dit qu'elle a trouvé dans l'Examen des Esprits... >. Outre l'édition Chappuys, il existe de l'Examen des Esprits une traduction de Vion d'Alibrax, Paris, 1645. C'est celle-ci que Mme de Rambouillet a dû consulter. Vion d'Ahbray a également traduit deux œuvres
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LE PARNASSE DE L'ÉLOQUENCE ROYALE
vapeurs du corps, il n'est qu'un remède qui justifie l'existence de l'Académie : la « Conférence» à la fois dialogue et confrontation des esprits et des styles ~52 : Comme l'habitude du Corps pèche diversement en plusieurs, les Impressions différentes que l'esprit en reçoit s'effacent dans la Conférence, on y cognoit une erreur par une autre, et les deffauts contraires se détruisent en se descouvrant, et les maux se convertissent en remède ... Conférence montaignienne, ou conférence docte? Les deux à la fois sans doute, afin que la vé,ité sur l'éloquence puisse surgir de la comparaison des différents ingenia. Mais cette diversité d'humeurs, chère aux mondains, n'est pas la seule. La diversité des langues, leur « génie particulier », rendent la question beaucoup plus épineuse: Toutes ces beautez qui ont eu sens dans les autres langues, ont mauvaise grâce dans la nostre, ce qui ne nous empesche pas de les estimer [ ... 1 Toutes les fleurs ne sont pas semblables aux lys 552. Ainsi les beautés hébraïques de la Bible, les beautés helléniques d'Homère, peuvent être appréciées dans leur langue natale: elles passent mal en français. Un escrivain peut estre barbare et divin tout ensemble ~~3.
de Virgilio Malvezzi. Sa stylistique est délibérément éclectique (voir ses Œuvres poétiques, Paris, 1653, divisées en vers bachiques, satyriques, héroïques, amoureux, etc. et sa traduction de Bonarelli, L'amour divisé ... où il est prouvé que l'on peut aimer plusieurs personnes en même temps). Il est certain que la conception médicale de Huarte allait dans le sens d'un libéralisme éclectique et sceptique, donc de l'ingenium dans le sens de la diversité mondaine, et pouvait servir de justification à l'ingenium individuel, contre le légalisme des doctes. Hay du Chastelet est évidemment du côté de ceux-ci: s'il rend les humeurs et les passions du corps responsables des éloquences particulières, il ne renonce pas à imposer au corps la force de l'entendement, et à faire apparaître une éloquence universelle: «Les passions et les humeurs ont une si forte liaison avec la partie la plus pure de l'âme, qu'elles corrompent toutes ses actions et desguisent, sous les nuages qui lui représentent les choses, les affections qui donnent en nous l'apparence du bien à ce qui les flatte, forçant la raison par leurs charmes de complaire à leurs extravagances. De là viennent ces bizarreries du style qui ont plu sans doute à leurs autheurs, et qui tesmoignent qu'il y a de douces erreurs aussi bien que des passions agréables.» Ces «bizarreries» sont l'abondance excessive de l'asianisme, et la stérilité de l'atticisme sénéquien, l'un confondant majesté et magnificence, l'autre solidité et gravité farouche. 552 Ibid., fO' 55 et 56. «II faut donc qu'il y ait une eloquence particulière aux françois, inconnue aux anciens.» ~53 f" 58 r O. L'extrême pointe du scepticisme est atteinte lorsque Hay écrit de l'éloquence qu'elle est un art «que l'on n'a jamais entièrement conneu, et dont la pratique a toujours esté moins parfaitte que la connoissance ». C'est donc dans le domaine de l'Idée que l'Académie peut travailler, en partant d'une certitude absolue: «Les loix du bien raisonner estant les mesmes partout, et toujours, et celles du plaire estant différentes selon les tems et les lieux. »
ENTRE LA COUR ET LE c PEUPLE
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Hay paraphrase ici Scaliger, peu ami des c gemes sans art~, après avoir paraphrasé Montaigne et Huarte. Son scepticisme critique trouve de tous côtés des aliments. Et il se porte justement sur la possibilité même de concevoir un idéal d'élocution. Car en définitive, il est plus difficile encore de créer un consensus dans cet ordre que dans celui de la vérité 1 L'orateur cite Cicéron: L'art de raisonner, dit-il, est immuable: la sagesse est commune à tous les esprits bien faits de tous les peuples. Le principe de mobilité n'est pas de ce côté. Il se trouve du côté de « l'art de plaire» qu'il a faltu ajuster à la Raison pour la faire aimer. Et de quoi faut-il la faire aimer, sinon de ce qui en nous est c changeant », soumis au caprice des tempéraments, des climats, des c formes de gouvernement », des mœurs, des accidents historiques? Diversité, mutabilité: on ne peut donc faire parler la Raison partout de la même manière, il faut « proportionner» son éloquence à la nature des circonstances et du public. Qu'en est-il donc en régime monarchique, à Paris? La cour se contente bien ordinairement d'une médiocre vigueur, mais elle demande aussi beaucoup de justesse et de lustre, au lieu que le Peuple est bien satisfait d'une commune beauté, mais il veut aussi qu'un excellent embonpoint accompagne la force 11114. La Cour ne s'attache qu'aux belles apparences, qui la flattent; le Peuple - et ici Hay parle en fait des gens de Robe - s'attache à la solidité, à la fois morale et philosophique, du discours. « Embonpoint» est un mot qu'utilisait Du Vair. Comment choisir entre l'élégance des uns, et l'éloquence des autres, entre la douceur louangeuse et la force enseignante? L'exemple de Rome aidera-t-il l'orateur à imaginer une issue? 1\ ajouterait plutôt à l'embarras. Car l'éloquence varie selon la forme des gouvernements, s'il faut en croire le Dialogue des Orateurs, que Hay du Chastel et paraphrase sans plus le citer que ses autres « sources» :
Lorsque l'éloquence gouvernait les assemblées, et qu'elle estoit comme la maistresse de leurs mouvemens, elle eust perdu de sa majesté, si elle eust pris soin de se parer, mais estant devenue sujette du Prince, elle n'estudia depuis que la façon de le supplier de bonne grâce et creut que l'art de persuader estoit celuy de plaire 11115.
554 Fo 59 vo. Cette opposition entre le Peuple (de goût sain, mais grossier) et la Cour (de goût étroit, mais raffiné) se poursuit dans l'analyse des deux publics de théâtre: «De mesme le vulgaire et les honnestes gens considèrent différemment l'appareil des spectacles, l'un estant ravy de la grandeur et du nombre, de l'artifice et de la disposition des choses, ainsi la foule admire le bruit et l'abondance là où la Cour ayme l'élégance des termes et la gentillesse des pensées. » 11115 Ibid., fo, 60 r O et vO.
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LE PARNASSE DE L'ÉLOQUENCE ROYALE
Enfin, dans cette Monarchie française aussi éloignée de la liberté des Républiques que pouvait l'être l'Empire romain, les raffinements de la civilisation créent des conditions particuliéres : La délicatesse de nos entretiens, la curiosité, le luxe, veulent un langage et des sentiments qui leur ressemblent, et ce n'est pas assez que l'éloquence flatte nos degousts, il faut qu'elle s'accommode à nos vices; elle demeure sans approbation, si elle n'imagine et ne parle comme nous vivons, si elle n'esgale sa magnificence à celle du Siècle, et si elle ne garde cette bienséance des coutumes qui le plus souvent n'est qu'un prétexte spécieux de la vanité ou de la foiblesse publique ... 1156.
A la diversité des humeurs, des climats, des langues, vient donc s'ajouter la diversité des publics, moulés pour ainsi dire par les divers gouvernements. Cette dernière diversité n'est pas seulement géographique, mais historique: un même peuple peut changer et pas toujours pour le meilleur. C'est ainsi que le public français - entendez le public de Cour - n'est pas ce que l'on pourrait souhaiter de mieux. Son esthétisme d'enfant gâté s'ajoute à la barrière des langues pour le rendre incapable de sentir la vraie grandeur, celle de l'Invention poétique d'Homère: D'où vient qu'aux ouvrages des Anciens nous avons accoutumé d'accuser la bassesse, la mesme simplicité, qui nous accusent d'orgueil, et qu'Homère nous semble déroger à la qualité d'éloquent, lorsqu'Agamemnon a soin du mesnage et qu'il pense en mesme temps à des quenouilles et à des machines de guerre. [ ... ] Bien souvent la dissolution et l'affeterie nous font paroistre rustique ce qui estoit assez noble dans sa modestie, et dans la nayveté des Anciens 5a7. On peut croire que, sous le masque d'Homère, Hay songe au destin de Ronsard, que Chapelain dans une lettre à Balzac à peu près contemporaine, comparait et égalait à Homère. Est-ce l'oraison funèbre de la 886
557
Ibid., fO 61 VO. Ibid., fo 61 rD. Voir aussi 60 Vo. La nostalgie de l'invention, dédaigneuse
de l'esthétique, est très forte chez Hay, mais comme La Mothe Le Vayer et comme Chapelain, il admet que la perte de la vertu est sinon rédimée, du moins adoucie par l'essor de la beauté. La supériorité de la Cour sur le '" peuple ", c'est que celui-ci a perdu la vertu et ignore le goût, alors que la Cour, ayant perdu la vertu, a du moins vocation au goût et au patronage du progrès des arts. 11 cherche des analogies dans le passé: «Plus d'ornement et de grâce dans Philon que dans Platon, dans St Basile et St Grégoire de Nazianze que dans Isocrate et Démosthène.:. «Et certes si les critiques considéroient qu'Homère chantoit ses vers dans les marchés, et que Virgile récitoit les siens dans le Cabinet d'Auguste, ils ne trouveroient pas si estrange que l'un ayt gardé moins sOigneusement la bienséance que l'autre [... ] Que si l'éloquence parmy les Hébreux se sent mieux de la licence populaire que de la modération de la Cour, c'est qu'elle régnoit chez eux aussi bien que dans les Républiques, et que s'expliquant d'ordinaire par la bouche des prophètes, elle prenoit la liberté convenable à ceux qui commandoient aux Roys et aux Peuples:.. Le primitivisme fait place au «progrès des arts et des mœurs:., comme dans la Poétique de Scaliger.
LE c JUSTE MILIEU» ACADÉMIQUE
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«grande éloquence»? Est-ce que l'Académie, comme l'en prévenait Colomby, doit se résigner à sanctionner le goût d'une Cour tyrannique, et renoncer à faire triompher le goût philosophique des c grandes âmes» ? C'est bien la conclusion vers laquelle s'oriente cette mélancolique Harangue, sauf à mettre l'éloquence «en suretté dans la solitude» 658, comme Hay l'avait dit lui-même avec une sorte d'humour noir, dans son exorde, songeant sans doute à Colomby. Entre l'exil d'Alceste et la « bonne grâce» trop coquette de Célimène, l'orateur refuse pourtant de choisir. Il veut croire, en dépit de tout, qu'il existe une Idée éternelle de la juste éloquence, que les «gens de mérite» peuvent contempler par devers soi, tout en s'efforçant de l'adapter avec le moins de concessions possible à l'hédonisme esthétique du « grand monde» monarchique. Et quo y, s'écrie-t-il, comme sortant d'un mauvais rêve, faudroit-il que le langage des Anges fut privé d'enrichissemens, et d'attraits, et que les Idées les plus pures du Ciel ne fussent point éloquentes, à cause qu'elles sont Immortelles? Il Y a donc une façon de s'expliquer agréable partout et toujours, et qui se formant en la pensée des Intelligences les plus hautes, espand un rayon de lumière sur la plus eslevée partie de 60n âme; c'est une notion universelle qui fait la comparaison des ornemens de toutes les langues, qui juge du degoust de tous les âges et de tous les peuples, et qui fait paroistre les desreglemens de leurs différentes habitudes. Mais les impressions de la naissance ou de la coutume ne se pouvant effacer entièrement, il luy doit suffire de les modérer, et de les rappeler autant qu'il se peut à la pureté de ces maximes esternelles. C'est à vous, Messieurs, de trouver le juste Milieu entre la raison, s'il faut ainsi dire, et les passions de nostre langue, de satisfaire au jugement et à l'usage tout ensemble. Il reste donc à l'Académie le soin de concilier le «jugement », fruit de l'expérience des siècles et de la raison, avec «l'usage» dont le monde a l'initiative. La belle élocution française et l'art d'agréer ell français, quoique nés d'un peuple, d'une situation, d'un monde particuliers et accidentels, pourront gagner un statut d'universalité grâce au «filtre» (Pasquier aurait dit «l'alambic») de la vérification académique. A travers la harangue de Hay, l'ambition nationale commence à devenir vocation universelle: le «meilleur style» français moderne, et chrétien, mais héritant de l'expérience des «grands siècles» de l'Antiquité païenne, se pose en successeur du Tullianus stylus de la Renaissance, mieux adapté que lui à l'ignorance de cours raffinées, au génie d'une époque qui a inventé le canon et l'imprimerie, au subtil dosage entre le «bon goût de l'Antiquité» et la «simplicité chrétienne ».
558 Ibid., fO 58: l'éloquence est longtemps demeurée «cachée chez des particuliers », «la fureur de la guerre la contraignait de quitter les villes et chercher de la seuretté plutost que du loisir dans la solitude [... ] mais à ceste heure elle est déclarée nostre Princesse naturelle et vous estes, Messieurs, assez choisis pour faire la Cour à ceste grande Reyne, pour estre les interprètes de ses volontez et les dépositaires de ses loix ». Hay repousse la tentation de Colomby, qui est, avec la tentation de «céder au temps », l'un des deux termes du dilemme académique.
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LE PARNASSE DE L'ÉLOQUENCE ROYALE
Les harangues académiques des années 1635-1636 n'ont pas un caractère très différent de celles que l'on pouvait entendre autour du Doyen de Heere à Orléans, vers 1618, ou chez le Conseiller Critobule à Paris vers 1630. Les pédagogues de la Cour ont l'air très robin, et les harangues d'un Chapelain Contre l'Amour, ou S'il faut se marier ou non 659, avec leur côté Tiraqueau, portent jusqu'à la caricature f'antiféminisme traditionnel de la Robe savante. Il y règne toutefois un esprit de responsabilité qui est neuf. Ces hommes se savent investis d'une tâche de diplomatie rhétorique d'intérêt national, et ils cherchent une formule capable de concilier la tradition du Palais, celle de l'Eglise gallicane, et celle de la Cour. Ils la cherchent, mais ils ne la trouveront pas: la «rhétorique» que devait rédiger l'Académie n'a jamais vu le jour. Mais leur existence même, et leurs conférences régulières, témoignent d'un idéal qui, même irréalisé, et demeuré à l'état de vœu pieux, est désormais une force vivante animant les Belles-Lettres françaises. Pour trouver une formulation plus convaincante de l'idéal d'atticisme français sous Louis XIII, il faut plutôt s'adresser à Balzac, qui participa fort peu aux travaux de l'Académie, et dont les réserves envers la « tyrannie» de Richelieu sont bien connues. Nous avons insisté sur le caractère de «cénacle », réunissant une élite de clercs et de robins gallicans d'une exceptionnelle qualité, du premier groupe de « solitaires» attirés par Saint-Cyran. Ce cénacle dévot a sa contre-partie mondaine: l'Hôtel de Rambouillet. L'un et l'autre en marge de la « foule» de la Cour, et à l'écart de la politique officielle, peuvent élaborer, chacun dans son ordre, un style d'être, un mode de sensibilité et d'expression d'une pureté et d'une cohérence impossibles à une autre échelle. Balzac a fort bien senti tout le prix d'un « alambic » comme l'Hôtel de Rambouillet, où l'échange entre la meilleure part de la Cour, et la meilleure part de l'humanisme de Robe peut s'opérer avec naturel, à l'abri du regard impérieux du Cardinal et de ses calculs politico-rhétoriques. Dans la seconde de ses dissertations dédiées à Mme de Rambouillet, et intitulée De la Conversation des Romains, l'ermite de la Charente donne un brillant aperçu de son art de louer avec délicatesse: il fait le panégyrique de Rome, mais il est aisé à la Marquise de reconnaître dans ce «paysage héroïque» à la fois le miroir idéalisé et le reflet de sa propre œuvre civilisatrice. Les débuts de Rome furent frustes; les Catons n'étaient encore que des « Pédants du Portique ». Mais n'était-ce pas aussi le cas du Paris parlementaire, et de ses rudes sénateurs?
559 Voir pour la première harangue, Pellisson, Histoire ... , p. 103, et pour la seconde Ms. Fr. 645 cit., fG' 45 et suiv., sans nom d'auteur mais que nous attribuons à Chapelain, d'accord en cela avec R. Zuber (comm. verb.).
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ÉLOQUENCE ET URBANITÉ
Toutefois, sitôt que la « triste Austérité
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des origines eut fait place
à la « joye », et à « l'humanité », 1'« Urbanité» romaine a dépassé « l'Atticisme» des Grecs. Mais n'est-ce pas ce qui est en train de se passer, et ne voit-on pas les fils des Catons, sans renier leur bonne race, devenir d'honnêtes gens à la française? Et poursuivant ce jeu de va-et-vient entre Rome et Paris, Balzac n'hésite pas à définir le sens qu'est en train de prendre à Paris, et tout particulièrement chez la noble marquise, le mot nouveau d'urbanité: Ce mot exprime un certain air du grand Monde et une couleur, et teinture de la Cour, qui ne marque pas seulement les paroles, et les opinions, mais aussi le ton de la voix et les mouvements du corps. Soit qu'il signifie une impression encore moins perceptible, qui n'est reconnoissable que par hazard ; qui n'a rien que de noble et de relevé, et rien qui ne paroisse ou estudié ou appris, qui se sent et ne se voit pas et inspire un genie secret, et que l'on perd en le cherchant 560. Par analogie avec une société qui, mieux que la Cour, est la dépositaire du «meilleur style» français, Balzac évoque «Cicéron et ses amis », les sénateurs-honnêtes gens de la Rome républicaine finissante : Je ne doute point qu'après les avoir veu tonner et mesler le Ciel dans la tribune aux harangues, ce ne fut un changement de plaisir tres-agreable de les considerer sous une apparence plus humaine, estans désarmés de leurs Enthymemes et de leurs Figures, ayant quitté leurs Exclamations feintes et leurs Choleres artificielles, paroissant en un estat où l'on pouvoit vraiment dire qu'ils estoient veritablement eux-mêmes [ ... ) Ces sentimens qui partoient du cœur, estoient cachés dans les grandes assemblées, et ne se descouvroient qu'à deux ou trois amis 561. Ainsi sous le voile de l'éloge historique, Balzac évoque un idéal d'atticisme en marge de l'académisme officiel, qui sauve «la Liberté»
560 Balzac, Œuvres diverses, Amsterdam, Elzevier, 1664, p. 26. Sur la notion d'atticisme au XVII' siècle, voir R. Zuber, Actes du Colloque Critique et création littéraires, p. 375-393. Sur la notion d'urbanité, que Balzac affirme être le premier à introduire en français, voir A. Michel, Rhétorique et Philosophie ..., ouvr. cit., p. 31 : liée à la comitas et à l'amitié; p. 68: pendant romain de l'atticisme, ce que dit exactement Balzac en mettant la première au-dessus du second; en rapport avec l'elegantia, la grâce, la convenance, v. p. 138 et n. 310; sur l'urbanitas et le rire, v. p. 272 (on sait l'amour de Balzac pour Térence et, dans le texte commenté ici, il écrit, célébrant l'humour de Cicéron: «II se moquoit souvent en particulier de ce qu'il avoit adoré en public»); p. 333 : urbanitas, qualité du langage de l'urbs, mais aussi aisance de l'âme; alliance de l'art de plaisanter à l'art de l'expression. Tout le texte de Balzac implique une profonde familiarité avec la civilisation romaine classique : il est aussi une brillante paraphrase de la pensée de Cicéron, transposée (comme l'avait déjà fait Castiglione) à l'usage d'une aristocratie moderne. 561 Ibid., p. 27. Quelle vue profonde (et pourtant esquissée sans appuyer) sur l'évolution des magistrats français, passés de l'atticisme archaïque de Caton le Censeur, au dédoublement civilisé entre vie publique, professionnelle, et vie privée accordée aux arts, à la vie de société, à l'otium cum dignitate et urbanitaie.
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LE PARNASSE DE L'ÉLOQUENCE ROYALE
chère à Colomby, l'amitié et l'ouverture de cœur, chères aux héritiers d'Erasme, et qui porte la vie privée d'une élite au sommet du raffinement, devenu seconde nature, de l'art de parler, d'écrire et de vivre cn société. L'Hôtel de Rambouillet apparaît ainsi en pleine monarchie absolue, comme une République des honnêtes gens qui, ayant accompli leur devoir d'état, donne par surcroît au reste du royaume une leçon d'élégance et de haute culture libérale.
CONCLUSION DE L'ACADÉMIE DE CHRISTOPHE DE THOU À L'ACADÉMIE FRANÇAISE:
Les étapes de l'atticisme robin Dans une société traditionnelle, la valeur des noms, des êtres et des choses est mesurée au poids du temps dont ils ont supporté l'épreuve. A cette aune, les jésuites apparaissent comme des homines novi, nouveaux venus, dans un paysage coutumier, nouveaux riches de l'humanisme et de la religion .. Le Parlement de Paris et ses filiales peuvent se réclamer d'une triple et vénérable antiquité: nationale, remontant aux origines de la monarchie; religieuse, puisque ses conseillers-clercs et les prélats qui siègent sur ses bancs l'associent étroitement à l'Eglise gallicane et à ses « Iibertez », dernier témoin du statut «primitif» de l'Eglise avant les nouveautés pontificales; savante enfin, puisque ses érudits, magistrats et avocats, font de la justice le foyer d'une enquête encyclopédique remontant aux sources du Droit, de l'Histoire, des Sciences, et de la philosophie chrétienne. Les jèsuites sont et resteront longtemps, peut-être toujours, une pièce rapportée sur l'antique tissu social français. Le Parlement de Paris, tel le chêne de saint Louis, plonge dans le terroir d'I1e-de-France des racines si profondes que, serait-il humilié, ou même abattu, celles-ci peuvent d'elles-mêmes faire jaillir des pousses neuves, fidèles à l'essence du vieil arbre fOUdroyé. Même après la Révolution, on perçoit au Conseil d'Etat créé par l'Empire, et chez les Barante, les Pasquier, les Molé, les Rémusat, le grand fantôme continuant d'inspirer une élite taillée dans une tout autre étoffe que les débris de la noblesse de Cour. A plus forte raison au XVIIe siècle, au sortir du grand siècle de l'humanisme érudit qui a manifesté avec tant d'èclat les capacités de la Robe, au lendemain d'une victoire sur la Ligue qui a fait apparaître le sens politique et le sens national de l'élite de ses magistrats. Pendant longtemps Paris n'avait pratiquement pas connu d'autre Cour que celle de son Parlement. Sous les derniers Valois, la Cour de France avait commencé de conquérir sa propre splendeur, reflet pour une bonne part de la qualité de l'humanisme robin .. Mais après le mépris universel où était tombé l'entourage de Henri m, et en dépit de l'influence gagnée sur le peuple de Paris par le clergé ligueur, c'est en définitive le Parlement qui était apparu comme la haute autorité morale parisienne, c'était lui qui était sorti plus prestigieux que jamais de la crise qui avait emporté Henri III et sa Cour.
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Pendant des générations et des générations, il avait soumis à sa forma mentis une bourgeoisie qui attendait de lui l'accès à une noblesse de la culture et de la responsabilité. Il avait attiré en son sein la fleur des cours souveraines de province. 11 avait imbu de son esprit des dynasties dont les alliances ont formé de puissants réseaux, et dont les charges, étendant leur pouvoir bien au-delà du Palais, se répandaient dans la haute administration royale et dans la haute Eglise gallicane. Sous sa discipline s'est constituée au sommet du Tiers-Etat une aristocratie du savoir et de la responsabilité tandis qu'au sommet de la noblesse d'Epée se formait, mais de façon plus récente, une élite des belles manières et du beau langage, la noblesse de Cour. De ces deux élites, la plus ancienne, tous comptes faits, est incontestablement celle de Robe, attachée à d'antiques traditions et dépositaire des grands principes du gallicanisme qui, sous l'Ancien Régime, s'identifient au patriotisme et à la conscience nationale. L'autre, aux yeux de Cours comme celle d'Espagne ou de celles d'Italie du Nord, a un côté nouveau riche, dont elle commençait à se délivrer sous Henri II et Henri III quand elle dut se disperser, avant de se reconstituer autour d'Henri IV et de ses Gascons, Avide de modes et de lieux communs importés de l'étranger, prête à tout pour se distinguer du vulgaire, son sens national est des plus douteux. Elle trouvera dans les Jésuites au XVIIe siècle des pédagogues qui amélioreront ses manières et son langage, mais qui ignoreront longtemps eux-mêmes le sens d'une tradition nationale que les robins gallicans ont au plus haut degré. L'imitation des Cours humanistes italiennes donna naissance en France à une noblesse de Cour. L'humanisme érudit qui porta l'aristocratie française de Robe à la pleine maturité et conscience de soi non seulement prit d'emblée un accent spécifiquement national: il avait de profondes racines dans les traditions de l'Université de Paris et des juristes royaux. Il n'y avait pas eu en France au XV' siècle de société de Cour comparable à celle des Ducs de Bourgogne ou des Princes italiens. Avec les guerres d'Italie, et la formation d'une noblesse de Cour, l'imitation des Cours humanistes de la péninsule crée autour des Valois une tradition nouvelle qui, après une lente et difficile évolution, finira par s'épanouir à la Cour de Louis XIV. Une Cour humaniste a besoin de doctes. En Italie, secrétaires des Princes, pédagogues de la noblesse aulique, diplomates, écrivains et artistes faisaient partie intégrante de la société de Cour. Ils étaient à son service et à sa merci. Seule la République de Florence au XV' siècle, et la République de Venise au XVIe offrent l'exemple d'un humanisme patronné par une aristocratie pleinement responsable et qui peut se permettre d'être savante sans compromis. Si la noblesse de Cour française a tendance à imiter l'aulicisme italien, à recruter en Italie artistes, comédiens, secrétaires faits aux mœurs de la Cour, la haute magistrature française a inversement tendance à recueillir l'héritage des chanceliers humanistes de la République florentine, des
ANTI-CICÉRONIANISME ET ANTI-AULICISME
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Académies de Ficin et de Manuce. En polémique sourde ou ouverte contre les goûts cosmopolites et hédonistes de la Cour, les savants du Collège Royal et de la naissante République des Lettres gallicane ne sont pas condamnés à des détours serviles ou à la vulgarisation mondaine: ils disposent pour les soutenir de la puissante institution du Parlement de Paris et du public de robins qui gravite autour d'elle. Ils disposent également de thèmes de recherche juridiques, historiques, religieux, que leur offre la tradition savante du gallicanisme français, ecclésiastique ou laïc. Aussi l'humanisme érudit français est-il moins disposé au compromis que l'humanisme italien, tombé depuis la chute de la République florentine, et sauf à Venise, dans l'orbite des Cours princières et de la Cour pontificale. Il a même tendance, devenu le privilège de l'aristocratie de Robe, à durcir ses traits de gravité docte, à ne rien épointer de ses épines, pour mieux marquer sa différence avec l'humanisme aulique et intimider celuici par son autorité morale, philosophique et religieuse. L'humanisme érudit français n'a pas d'autre programme que l'humanisme italien: union de la philosophie et de l'éloquence. Mais, patronné par une aristocratie sénatoriale, il trouve dans Cicéron même des arguments pour ne pas épouser son art oratoire, et dans le mythe pédagogique aulique du cicéronianisme italien des arguments supplémentaires pour ne pas adopter l'imitatio ciceroniana. Dans le De Oratore, Scaevola insistait sur la gravitas propre au sénateur et à la brevitas qu'elle impose à son éloquence. La tradition romaine insistait sur la notion de majestas, propre à l'aristocratie de responsabilité civique, et la gravitas et dignitas qui sont ses attributs indispensables 562. C'est au nom de ces notions transmises par le mos majorum que les atticistes, tel Brutus, s'étaient opposés à la rhétorique de Cicéron, qui sentait par trop son homo novus. Ces atticistes croyaient trouver dans l'Attique républicaine, celle de Périclés et de Démosthéne, de Lysias et de Thucydide, des modéles grecs plus en consonance avec le mos majorum romain que dans les écoles de rhéteurs modernes, infectées par l'asianisme des cours hellénistiques. On peut également observer, dans le De Oratore, le soin que prennent les interlocuteurs du dialogue, appartenant tous à la classe sénatoriale, de souligner la différence entre l'art d'une élite de gouvernement, savante, sage, expérimentée, et l'art des rhéteurs. Rien n'est plus étranger à l'enfance, à la pédagogie de l'enfance, telle qu'elle apparaît dans les traités des Jésuites, héritiers des pédagogues de Cour 563, à plus forte Voir A. Michel, Rhétorique et philosophie, ouvr. cit., p. 24-25. Les pédagogies de la Renaissance sont nées en milieu aulique. La tradition de la Cour de Ferrare, illustrée par Guarino da Verona et Vittorino da Feltre, est la plus célèbre. On peut considérer que la pédagogie des jésuites telle qu'elle se formule à la fin du XVI' siècle, dans les ouvrages du jésuite espagnol juan Bonifacio (Christiani pueri institutio, Salamanque, 1575), et au début du XVII', dans ceux du jésuite italien Francesco Sacchini (Protrepticon ... , Rome, 1625; et Paraenesis ... , Rome, 1625), s'inscrit dans la tradition «douce:. de la pédagogie de Cour, tenue à respecter les enfants qu'elle doit former. La 562
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raison telle qu'on l'imagine aujourd'hui d'après Rousseau, que ce dialogue entre hommes mûrs, au caractère fortement marqué, à la conscience civique hautement affirmée. Dans les deux cas, celui de la pudeur envers le trop «bien dire» et du dédain envers l'enfance et les pédagogues, la magistrature gallicane a pu trouver chez Cicéron des arguments contre le cicéronianisme 584. La note initiale et décisive de l'humanisme érudit français avait été donnée par Guillaume Budé. «Grands esprits mélancoliques », écrira encore le jeune Racine après avoir lu la Vie de Lysandre dans la traduction d'Amyot 586. Budé, comme toute la tradition sévère et forte de sa caste, a œuvré sous le signe de la mélancolie. Ce n'est pas un orateur. Il ne compte pas sur les discours pour diffuser le savoir et la sagesse, mais sur les livres, les institutions et les récompenses d'honneur. 1\ ne s'intéresse pas non plus à la pédagogie, sinon sous la forme d'un enseignement supérieur lié à la recherche savante, comme au Collège Royal, ou sous la forme d'une «institution du Prince ». Encore que dans le De Philologia, il ne consente à aucune autre flatterie envers François Jer que de le traiter intellectuellement d'égal à égal, en latin. Dans ses traités d'érudition et de philosophie chrétienne, son style latin est si dense, si altier que Longueil peut le comparer à celui de Thucydide. Tourné vers l'origine grecque, peu attirè par les « médiateurs» romains comme Cicéron, et fort méfiant envers les «médiateurs» italiens, qu'il tient pour des histrions 685, Budé est à double titre un atticiste: par l'âpreté de ses diatribes morales contre la «corruption» de l'Eglise et du siècle, par son effort, comparable à celui des atticistes impériaux, pour racheter la «corruption de l'éloquence» en remontant vers la densité première, quasi prophétique, du verbe archaïque. C'est dans la mouvance de l'atticisme de Budé, ajusté aux besoins de l'institution parlementaire, que les Avocats Généraux inventeront leur grand style épidictique. La première Académie d'éloquence française a pour décor la Grand'Salle du Palais de Justice, sous la présidence de Christophe de Thou.
tradition universitaire parisienne est au contraire du style sévère, héritant des conceptions augustiniennes sur l'enfance, et participant de cette «âpreté ~ scolastique tant dénoncée par l'humanisme italien. Il est logique que l'humanisme érudit français, caractérisé par un atticisme archaïque et sévère, à sa manière fidèle à la tradition «gothique », ait eu tant de mal à développer une pédagogie capable de rivaliser avec celle des Jésuites. 664 C'est là un trait de tout l'humanisme: cicéroniens et anti-cicéroniens puisent dans Cicéron, qui a formé leur enfance, et qu'ils ont tous lu. Même Montaigne est pénétré de Cicéron, qu'il attaque en paraphrasant la Vie de Cicéron, par Plutarque. 6611 Voir Racine, Œuvres, éd. R. Picard, Paris, Gallimard, t. Il, p. 934. 566 Voir G. Budé, De Asse, cit. dans l'éd. 1527 (B.N. Fol. J 217 (1)). Fol. VII, v· : l'Italie n'a été que l'actrice d'un rôle écrit par la Grèce; fol. XVI v· : les Italiens ont fait de leur humanisme un commerce mercenaire; ibid., ce sont des hypocrites, ils ont tort de regarder de haut les Gallica ingenia, ils ont aujourd'hui perdu la praeteriti temporis continentia et gravitas.
TRADITION SAVANrE D'ATTICISME CICÉRONIEN
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Se glissant dans les formes traditionnelIes du Palais, elIe vise à les magnifier, et à conférer le plus impressionnant prestige à la justice, à ses magistrats, et à leur humanisme chrétien et érudit. La traduction par Amyot des Vies parallèles avait obtenu un aussi vif succès à la Cour que chez les doctes. Or Plutarque n'y est guère favorable à Cicéron ni aux orateurs; en revanche, il présente d'admirables portraits de héros et de législateurs. Le type du haut magistrat forgé par le Parlement gothique revêt tout naturelIement le masque sévère de Caton l'Ancien, de Lycurgue, ou de Phocion. S'il est éloquent, ce n'est pas en son nom, mais au nom de cette persona qui magnifie sa fonction. Et son discours n'a pas sa source dans sa personne accidentelIe et transitoire: ramené par l'érudition aux sources originales du Logos, il est une prosopopée des sages, des prophètes, des philosophes, dont les sentences brèves et denses célèbrent eIles-mêmes la Parole divine, source de toute Justice et de toute Vérité. Les œuvres de Philon d'Alexandrie, les MoraUa de Plutarque, les Nuits Attiques d'Aulu GelIe servent de justification à cet atticisme rugueux qui retrouve la tradition des philosophes et antiquaires réagissant sous l'Empire aux excès de la Seconde Sophistique. Il y avait dans cette éloquence une sorte de défi implicite de la sévérité galIicane aux tentations de la Cour. L'art de Cour du XVIe siècle est dominé par les formes éclectiques et ingènieuses, souvent sensueIles, du maniérisme italien. C'est à la Cour de France que l'initiateur italien de la prédication «asianiste », le Franciscain Panigarola, avait fait ses débuts. C'est dans l'entourage des Valois qu'un «cicéronien,. à l'italienne comme Pierre Paschal, ou un italien cicéronien, comme Giulio Camillo Delminio 1167, trouvent des oreiIles complaisantes. L'Académie du Palais a beau avoir pour modérateur un magistrat tel que Pibrac, eIle a le souci de l'élégance de la prose qui est anathème au Palais de Justice. Les traductions de romans heIlénistiques par Amyot, de sophistes grecs de l'époque impériale par Vigenère, les préceptes d'harmonie et d'euphonie énoncés par Amyot dans son Projet d'Eloquence royale, le recueil d'Epistolae cicéroniennes publié par Estienne sur la demande d'Henri III, autant de signes d'intérêt, à la cour des Valois, pour un «bien dire l> en langue française sur lequel Jacques Davy Du Perron fondera sa brillante carrière de courtisan et d'homme d'Eglise. Ces préoccupations avaient été précédées par les recherches et les objurgations de quelques doctes, et parmi eux des professeurs au Collège royaL Dès 1551, dans sa traduction des Olynthiaques de Démosthène, Louis Le Roy rappeIle l'idéal cicéronien d'union de la philosophie et de l'éloquence. Au même moment, Pierre de La Ramée, s'opposant à l'atticisme érudit tel que le conçoit un Adrien Turnèbe autant qu'à l'aristotélisme de l'Université, propose une pédagogie nouvelle de l'atticisme phi687 Voir F. Yates, L'Art de la mémoire, ouvr. dt., p. 144-147. Camillo construisit son Teatro della memoria cicéronien à la Cour de France où Gilbert Cousin le vit en 1558.
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losophique en langue française. Pour lui, c'est moins dans l'imitation des «mots» des Anciens que dans la reprise trop servile de leurs « choses» que git le danger. Aussi divise-t-il la rhétorique en deux tronçons. Il place l'invention et la disposition sous l'égide de la Dialectique, instrument d'une raison adulte libre de tout psittacisme envers les Anciens. Il ne laisse à la Rhétorique que l'élocution. Mais dans ce domaine, il admet que la prose cicéronienne puisse être une bonne école et un modéle d'élocution claire, pure, dénuée d'affectation. Il mettait en cause le culte révérentieux de la sententia, autant que l'attachement superstitieux aux formes de la logique d'Aristote. Même recherche de l'atticisme dans la Poétique de Scaliger. Par un autre biais, l'humaniste d'Agen n'est pas moins sévère pour les tendances dominantes de son temps que l'infortuné professeur au Collège Royal. Il réhabilite la grammaire, parente pauvre des litterae humaniores j il place la littérature latine au dessus de la littérature grecque, inversant la hiérarchie des valeurs posée par Budé; et dans la littérature latine, il privilégie les écrivains de l'Age d'or, celui d'Auguste, par rapport aux écrivains plus tardifs ou aux primitifs; l'Age d'or n'est plus à l'origine, mais à la maturité. Il prend pour critère du jugement critique la perfection de la forme, et la conformité à un état idéal de la langue: l'une et l'autre supposent une régularité lentement conquise par l'expérience, et parvenue à la pleine conscience critique de soi. Préférant Virgile à Homère, la réussite de midi aux trouvailles de l'aurore, il met moins l'accent sur l'inspiration du poète-théologien que sur l'admirable decorum de l'Enéide avec l'ordre politique, moral, intellectuel et spirituel de la Rome d'Auguste. A tous égards, Ramus et Scaliger sont des isolés et des pionniers. Il faudra une crise nationale majeure pour que la magistrature érudite se départe de quelques-uns de ses préjugés de caste savante. Etienne Pasquier, dans ses Lettres et ses Recherches manifeste à cet égard une remarquable clairvoyance. Il mesure le danger qu'il y a pour une aristocratie savante, qui a vocation à orienter les esprits, à laisser l'éloquence efficace aux seules mains des non-philosophes, rhéteurs de Cour, ou agitateurs démagogues. La génération de Guillaume Du Vair et de j.-A. De Thou, témoins de la ruine du royaume, héritiers de la politique de Michel de L'Hospital, est en mesure de comprendre cette inquiétude. Du Vair réhabilite Cicéron comme maître et modéle du magistratorateur. Pierre Pithou et ses amis, s'inspirant d'Erasme, et de son ironie, écrivent la Satyre Ménippée. Antoine Arnauld et Etienne Pasquier invoquent l'exemple de Cicéron et de Démosthène pour lancer leurs philippiques contre la Ligue et les Jésuites. Mais sitôt l'orage passé et l'ordre rétabli, la tentation de la rétraction sur soi l'emporte. C'est aussi sans doute une réaction de défense contre le retour des Jésuites et des Italiens à la Cour, et contre l'offensive générale de Rome et de la Maison d'Autriche en Europe. Du Vair avait cru que la vertu stoïcienne pouvait avoir le rayonnement généreux et régénérateur d'une grande éloquence civique. En fait, dés 1600, et jus-
CICÉRON, RECOURS CONTRE LA «CORRUPTION DE L'ÉLOQUENCE»
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qu'en 1630, la cause gallicane est sur la défensive: repliés sur leurs traditions, les magistrats du Parlement de Paris, les Procureurs et Avocats généraux La Guesle. Servin, Molé fulminent contre la «corruption des mœurs» dont la noblesse de Cour donne l'exemple, et contre la « corruption de l'éloquence» dont' les poètes au service des Grands, un Etienne Durand 1i68, un Théophile de Viau se rendent coupables; leur éloquence dia tri bique, amère, brusque, cherche plutôt à répandre la « terreur» dont parle le consei\ler Dupré en 1621, qu'à retrouver 1'« harmonie» dont parlait Du Vair en 1595. Dans ce contexte de résistance crispée au déferlement du mal, l'atticisme érudit, desséché en «rhétorique des citations », reste la règle de l'éloquence judiciaire dans la citadelle assiégée des Parlements de France. La génération de Du Vair avait compris que la seule force érudite de la vérité ne suffisait pas à calmer les passions et rétablir la paix civile. La génération de Jérôme Bignon et des frères Dupuy devra admettre que les seules armes de la vertu ne suffisent pas aux Catons du Palais à corriger les vices et ramener la noblesse à la raison. En 1620, dans sa dédicace à Guillaume Du Vair du Ciceronianus, Jacques de Maussac commence à rompre l'isolement où était retournée la magistrature érudite. En apparence, il ne fait que réaffirmer les idées que Du Vair avait formulées en 1594 dans son traité De l'Eloquence. Celui-ci avait considéré comme une (, corruption de l'éloquence» l'éloquence érudite de ses prédécesseurs. Il avait invité les orateurs du Palais à entrer en émulation avec Cicéron et Démosthène. Il les avait appelés à une éloquence à la première personne, nourrie d'un savoir traduit en français, médité et non plus simplement cité., Il avait attiré leur attention sur l'art de la composition et de l'élocution. Mais Du Vair restait à l'intérieur des limites du Palais, qui d'ailleurs pour lui était la seule Académie d'éloquence française. Maussac a un point de vue déjà national. Pour lui la «corruption de l'éloquence» a pour foyer la Ccur. ses humanistes (les Jésuites), ses poètes et romanciers. Mais elle ne trouve pas dans les rangs des érudits les exemples qui pourraient lui faire honte. L'analyse de Maussac implique donc que deux extrémismes se renforcent l'un l'autre, avec pour principe commun le refus d'une norme idéale et d'une référence universelle sur laquelle le jugement critique puisse s'appuyer. Dès lors, c'est toute la situation héritée du xv. e siècle, l'antithèse entre culture savante et culture courtoise, qui se trouve modifiée. Le style de Cicéron est posé en idéal médiateur, propre à s'imposer à tous comme référence commune du jugement critique et de la création oratoire et littéraire.
568 Plus net peut-être que le cas de Théophile, compliqué par l'intervention de Garasse, celui d'Etienne Durand illustre le conflit entre la vigueur du Parlement, et l'hédonisme de la Cour, dont Durand était un fournisseur attitré en livrets de ballets. Voir, outre la Vie d'Etienne Durand de Colletet, et Lachèvre, intr. aux Méditations, Paris, 1906, les remarques éclairantes de M. Mc Gowan, L'Art du ballet de Cour ..., ouvr. cit., passim. Durand fut brûlé en place de Grève en 1618.
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Pour Maussac en effet, le Ciceronianus d'Erasme, en dépit de ses excellentes intentions, est à l'origine de l'imitatio adulta, et de l'éclectisme maniériste. Ce n'est pas forcer sa pensée que de discerner deux courants engendrés par la rhétorique de l'imitatio adulta; l'un érudit, qui conduit à la mosaïque de sententiae, à la « rhétorique des citations », et à la version « ingénieuse» qu'en avait proposée Lipse ; l'autre mondain et aulique, qui conduit à la variété des figures, à la «rhétorique des peintures» et à ses diverses versions ingénieuses. Variété des modèles ou des sources, mais aussi variété des ingenia qui chacun dose son style à sa guise. C'est Babel. Et les conséquences de Babel, c'est l'a:1archie. Pour que l'ordre du langage ne nuise pas plus longtemps au rétablissement de l'ordrc politique, il faut qu'un decorum reconnu de tous, garanti par les doctes, accorde le meilleur style français à la Majesté du roi de France. Scaliger avait donc raison contre Erasme; il Y a une vérité en matière de goût, et cette vérité, qui mettra fin à la confusion des langues et des styles, c'cst à Cicéron et à l'Age d'or tomain qu'il faut la demander. En 1629, dans son De arte et causis rhetoricae, Edmond Richer invoque la vila civilis, la santé du corps politique, comme une valeur en soi, qui en définitive commande toutes les autres. La société n'étant pas composée des seuls savants, il faut persuader les ignorants et demi-savants de collaborer au bon ordre des mœurs et des lois. Seul l'art de Cicéron peut y parvenir, de préférence à la vérité rude et nue, insupportable aux ignorants et demi-savants. Dans l'ordre de la probatio, comme dans l'ordre de l'ornatus, une élite gallicane, s'élevant au point de vue national, demande donc à Cicéron d'inspirer une norme de style commune à tous les ordres du royaume, et un art de persuader capable de rayonner sur tous. En un sens, face à la diversité des castes et des goûts qui font du Royaume, et tout spécialement de la Cour, une sorte de Babel, l'élite gallicane en vient alors aux conclusions qui avaient été celles des instances romaines de la Compagnie de Jésus, face à la diversité des Assistances nationales, et aux couleurs dangereusement variées que prenait dans son expansion la Societas jesu. La norme cicéronienne cultivée avec tant de soin au Collège Romain, en latin, était en quelque sorte 1'« étalon» du langage, à la fois de la Société et de l'Eglise universelle. Aussi le rapprochement pourra-t-il bientôt s'opérer entre les jésuites français les plus attentifs au classicisme latin du Collège Romain, et les artisans d'un classicisme en langue française. Celui-ci aura pour « dessous» une pédagogie jésuite purifiée du « modernisme» de l'imitatio adulfa. Dans les années 20-30, on observe une sorte de consensus bonorum entre une élite laïque et une élite ecclésiastique pour combattre la c corruption de l'éloquence :b. En 1620, on voit un Jacques de Maussac sonner l'alarme générale. En 1621, dans son EpUre aux prédicateurs qui affectent le bien dire, Antoine de Laval dénonce une éloquence sacrée qui,
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imitant sans discernement les Pères, rejoint la pire déclamation 169. La même année, dans son Pourtraict, le conseiller Dupré s'en prend à la superstition des «mots» chez les courtisans 170. En 1623, dans son Jugement et Censure, le Prieur Ogier accable l'imitatio adulta du P. Garasse, son absence de discernement dans le choix de ses modèles, son peu de sens du decorum chrétien 171. En 1627, après l'escarmouche de F. André de Saint-Denis, c'est la grande attaque de Goulu soutenu par un Dupuy et un Peiresc contre le style « enflé» de Balzac: celui-ci manque à la fois au naturel chrétien et à la régularité des grands modèles classiques. En 1630, le Voyageur Inconnu et la Conférence académique de Camus défendent un idéal de naturel chrétien contre l'art païen des rhéteurs 172 et le Tableau de l'Eloquence de Dom Charles Vialart propose à la noblesse de Cour un idéal d'atticisme français accordé au decorum du «grand monde» 173. Le consensus bonorum existe à coup sûr contre l'adversaire: l'asianisme pathétique et imaginatif des prédicateurs à l'italienne, les « vices» du langage de Cour. Mais les principes au nom desquels le combat est mené sont quelque peu contradictoires. Tantôt on fait appel aux modèles classiques «païens », et surtout à Cicéron, pour faire honte au goût pervers des modernes. Tantôt on invoque l'idéal du «naturel chrétien" dont les sources sont érasmiennes et en dernière analyse augustiniennes. Déjà Edmond Richer fait pencher la balance en faveur de Cicéron, en mettant au premier rang de la hiérarchie des urgences, en 1629, un art de plaire et de persuader qui se fixe l'ambition modeste de faire entrer les «ignorants» et les «demi-savants» dans les limites d'une doxa acceptable par tous, et qui garantira l'ordre des moeurs et l'ordre politique. Cicéron est le maître de cette pédagogie politique. Richelieu précipitera les choses en faisant de l'ordre politique, moral et esthétique accordé à la Majesté royale la tâche nationale à laquelle il convie tous les «bons Français », sans distinction. Cette tâche suppose un art de persuader. En 1633, d'Ablancourt dans sa préface à L'Honneste Femme de Du Bosc, fait la théorie, inspirée par Balzac, mais surtout par Cicéron, de «l'enseignement par la louange ». Cet «art de desguiser le précepte sous l'habit d'une louange» donne au gemls demonstrativum une fin morale, et en dernière analyse, civique: il suppose que le style moyen (propre à la louange) reste au plus près du style simple (propre aux préceptes), à l'intérieur d'un atticisme aussi «fort» que « doux» : la juste mesure cicéronienne .. En 1638-39, paraissent tour à tour les Considérations politiques sur les coups d'Etat de Naudé, et les Considérations sur l'éloquence françoise de La Mothe Le Vayer. Deux variations brillantes Sur le thème posé par
1Im!
170
171 172 1173
Voir Voir Voir Voir Voir
II· partie, p. 300. III· partie, p. 632. II· partie, p. 366, 368 et notes 256, 257. II' partie, p. 640-641. Il' partie, p. 337.
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Edmond Richer dans son De Arte et causis rhetoricae. La vie civile, et le consensus non seulement des « bons» mais de tous, qu'elle suppose, exigent un art de persuader. Naudé fait la théorie de la propagande politique, chargée de colorer aux yeux du vulgaire les «coups de génie» de la Raison d'Etat, qui révoltent les âmes naïves. La Mothe Le Vayer propose aux « sçavans» une véritable casuistique qui leur permette de faire des concessions à la « beauté du langage », captatio benevolentiae à l'intention des ignorants, sans pour autant renier les « choses» de leur érudite sagesse. Le patron de cette casuistique est Cicéron, et sa notion essentielle la «négligence diligente». En 1638 encore, apogée de cette véritable Renaissance cicéronienne en langue française, l'éditeur de l'Académie, J. Camusat, publie la traduction des Huit oraisons de Cicéron dont Patru et d'Ablancourt sont les maîtres d'œuvre. Un cicéronianisme à la française devient la norme de l'éloquence nationale, accordée au decorum de la royauté; et l'on compte sur la sanior pars de la Cour, soumise à une véritable pédagogie cicéronienne, pour l'imposer en une mode durable. Cicéron sert donc d'étalon de l'ornatus en prose française; mais la Rhétorique d'Aristote, commentée par les Italiens du XVIe siècle, en donne le mode d'emploi et la Poétique de Scaliger sert de règle à son usage dans les genres poétiques. La grande ambition de l'humanisme gallican au XVIe siècle avait été de réconcilier les esprits et de refaire l'unité du royaume autour d'une Vérité et d'un Verbe originels, longtemps occultés, et enfin remis ell pleine lumière par l'héroïque effort de l'érudition. Vérité et Verbe antérieurs à la confusion des langues, contemporains de la Première révélation. Vérité et Verbe «de la primitive Eglise », antérieurs aux falsifications des Papes, et témoins de la Seconde Révélation. Première et Seconde Révélations étaient d'essence identique, leur message mystique sourdait chez les philosophes comme chez les prophètes, chez les poètes comme chez les apôtres. Sous la diversité des « mots », l'unité originelle des «choses» divines, redécouverte, réconcilierait la nature et la grâce, catholiques et chrétiens réformés. Comme l'a montré Frances Yates, un des grands rêves des Académies sous les Valois, celle de Baïf comme celle de Pibrac, avait été de faire du Roi de France le grand prêtre de cette «philosophie occulte », qui reconstituerait l'Age d'Or autour d'une Vérité intimement perçues par tous 574. Vers 1630, tandis que le pouvoir politique «absolu» du monarque s'affirme comme la seule clef de voûte possible d'une société française fragmentée et instable, il apparaît néc~ssaire d'imposer aux divers langages et styles qui fragmentent et divisent le royaume une clef de voûte unitaire. Clef de voûte et symbole: un ordre des « mots », garanti par l'exemple du classicisme romain, garantira à son tour la solidité des
574 Voir F. Yates, French Academies of the XV/th century, Warburg Institute, Univ. of London, 1947. V. en particulier p. 35, le caractère «encyclopédique» de ces académies.
RHÉTORIQUE ET VÉRITÉ CHRÉTIENNE
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« choses» politiques et morales qui seront désormais les «lieux communs» du royaume.
C'était là franchir une sorte de limite sacrée: la tradition platùnicienne de l'humanisme français, et plus profonde encore, la tradition augustinienne du christianisme médiéval faisaient des « mots» les médiateurs des « choses divines ». Faire des «mots» la garantie et la médiation d'un ordre tout humain, social, politique, moral, dont la fin n'était pas le salut, philosophique ou religieux, mais un bien tout terrestre, la tranquillité publique, n'était-ce pas revenir à l'idolâtrie païenne de la Cité terrestre, et introduire en France la superstition cicéronianiste qu'Erasme avait si vivement combattue dans le Ciceronianus? La «Renaissance cicéronienne» des années 30-40 fait éclater le conflit entre «sçavans », voilé dans l'équivoque au cours de la décennie 20-30. Tallemant rapporte que d'Ablancourt, après «avoir bien lû les Pères », déclarait que «pour trouver du sens commun, il faut aller au dessus de Jesus-Christ». Et à l'Académie qui examinait le sens du mot « apostoliquement », il proposait cet exemple: «On dit encore prescher apostoliquement pour dire prescher mal» ~76. Avant lui, un Laval, un Ogier, un Camus avaient mis en garde contre le style trop orné des Pères. Mais c'était au nom d'un idéal de naturel et simplicité chrétienne et d'une vérité qui n'avait plus à tenir compte des païens prisonniers des «mots ». Leur position était celle du De Doctrina Christiana, du Ciceronianus d'Erasme, et des rhétoriques ecclésiastiques comme celles de Louis de Grenade. Chez d'Ablancourt, retrouvant l'esprit de ces « cicéroniens» condamnés par Erasme, le « bon goût de l'Antiquité» est le privilège des païens, dont il reflète le «sens commun ». Sa pensée sur le style se déploie dans une sphère politicomorale dont la valeur centrale est un «jugement» qui s'identifie à celui de la romanité classique. Il était inévitable qu'en réponse à ce «cicéronianisme» moins idéaliste que celui de Bembo, les tenants de la vérité chrétienne prissent leurs distances vis-à-vis des nouveaux «académiciens ». En 1637, après avoir lu les Pères, non sous l'angle des «mots») mais des «choses:l>, Antoine Le Maistre abandonnait le Barreau, sa gloire naissante de « Cicéron français », pour se confier à la direction de Saint-Cyran. Celui-ci incarne désormais, dans toute son exigeante pureté, dégagée des demimesures où restaient encore empêtrés les Dom Goulu et les J.P. Camus, la doctrine de saint Augustin sur les signa et sur le meilleur style chrétien. Par une sorte de purification complémentaire, tandis que le gallicanisme politique fait de Cicéron le seul garant antique d'un atticisme national, accordé à la majesté du Roi de France, le gallicanisme religieux, regroupé autour de Saint-Cyran, fait de saint Augustin la référence cen-
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Voir Tallemant, éd. Adam cit., t. Il, p. 244.
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traie et déterminante à la fois de la c doctrine des Pères» et de la véritable éloquence chrétienne., Cette scission à l'intérieur de la tradition gallicane crée deux options rhétoriques trop symétriques pour ne pas avoir, ,dans leur contraste même, de secrètes affinités. L'atticisme cicéronien semble tout accorder à l'élocution, alors que c l'éloquence du cœur» de Saint-Cyran accorde tout à l'inspiration religieuse, à la fidélité à une il: dictée» divine. Mais l'une et l'autre tendance ont en commun d'être nées de la même révolte contre le style figuré, les techniques voyantes et vulgaires du pathétisme et de l'imagination oratoires. Elles supposent l'une et l'autre, pour des raisons conscientes différentes, la même réaction instinctive contre le mauvais goût. L'un traque ce mauvais goût au nom des « bons modèles» classiques, du c bon usage », d'un jugement formé par la lecture des Anciens, et en définitive, au nom d'une juste mesure proprement française. L'autre n'aborde les problèmes de style que par le biais de la rttorale ètroite: mais sa sévérité pour les ruses de l'amour-propre, pour les blandices des passions mondaines, est une impitoyable école pour la conscience proprement littéraire. Rompus, les deux tronçons de la tradition gallicane n'en sont pas moins secrètement complices pour détruire le prestige du style moyen confondu avec le style sublime, du genre démonstratif confondu avec le maniérisme du style fleuri ou du style coupé, et pour rechercher une juste mesure. La juste mesure cicéronienne s'accorde à la majesté et gravité du Roi de France, et d'une Cour digne de lui. La juste mesure augustinienne, accordée à la Majesté divine, l'est aussi à la faiblesse de l'homme, indigne canal des vérités sublimes de la foi. Entre l'une et l'autre école, les complicités tacites, les tentatives de conciliation étaient inévitables. Un Chapelain, un Godeau, si attachés à l'œuvre de Richelieu et au triomphe d'un atticisme national, n'en eurent pas moins de vives sympathies pour Port-Royal. Une corrimune hostilité aux Jésuites, et en particulier à l'art trop mondain d'un Le Moyne, révèle chez ces «académistes» comme chez les « solitaires» une sensibilité gallicane plus forte que tous les partages de circonstance. Dans l'œuvre de Godeau, l'effort est sensible de faire coïncider le De Oratore et le De Doctrina christiana, atticisme classique et morale étroite; l'ascèse de la forme est devenue pour lui le signe de l'ascèse morale et religieuse de l'âme chrétienne.
CONCLUSION GÉNÉRALE LES DEUX RHeTORIQUES
1 - LA RHÉTORIQUE JÉSUITE DES c PEINTURES:>
(1604-1644)
1. A leur retour en France, en 1604, les jésuites français bénéficient du soutien d'une Société à l'apogée de sa puissance internationale et de sa réussite intellectuelle. Elle est désormais en possession de sa propre théologie, tolérée sinon approuvée par Rome, de sa propre païdeïa, de son propre style missionnaire et apologétique, et elle dispose dans tous les ordres du savoir de maîtres remarquables: le réseau de ses Collèges, qui sont aussi des c Académies de Sçavans », se double d'un réseau de librairies à l'échelle de l'Europe catholique. Elle peut espérer, non seulement devenir l'inspiratrice et le guide d'une Eglise réformée par le Concile de Trente et les Exercices Spirituels, agrandie aux dimensions de l'univers par ses missionnaires, mais faire de sa propre organisation scientifique l'héritière de la vieille République des Lettres et de sa propre Encyclopédie le substitut victorieux de l'Encyclopédie des savants gallicans et hérétiques. La France est une ombre dans ce tableau plein de promesses. Ce pays, catholique en son immense majorité, n'en a pas moins expulsé les jésuites de 1594 à 1604. La victoire des « Politiques» sur la Sainte Ligue a conféré aux magistrats érudits un incomparable prestige auprès des « libres Républiques» de Venise et de Hollande. Maîtres des Parlements, et surtout du plus puissant et respecté d'entre eux, le Parlement de Paris, exerçant au sein de la République des Lettres, de concert avec leurs amis de Leyde et de Venise, un rôle directeur et médiateur, ils ont par tradition de solides positions dans les plus haut organes du gouvernement royal; enfin, ils sont la tête de la caste nombreuse, riche et cultivée des robins français, qui depuis le début du XVIe siècle n'a cessé de révéler ses ressources exceptionnelles d'intelligence et de talents. L'autorité conquise par les magistrats érudits gallicans fait de ceux-ci un des obstacles majeurs aux desseins de la Société de jésus et en général de la Reconquête romaine et espagnole en Europe. Les jésuites français ne vont pas épargner leurs efforts pour conquérir les enfants des robins gallicans. Le déclin de l'Université de Paris favorise leur tâche. Pour se faire respecter de la République des Lettres, ils disposent d'une petite troupe d'érudits qui ne se sont pas
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LES DEUX RHlTIORIQUES
compromis dans l'aventure de la -Ligue et dont la qualité est reconnue par leurs pairs. Mais l'estime que ceux-ci obtiennent ne s'étend pas à leur société. Ils font figure d'exception. A l'échelle de l'Europe, entre l'Encyclopédie de la République des Lettres et l'Encyclopédie jésuite qui prétend se substituer à elle se livre désormais sur tous les fronts du savoir une lutte intellectuelle qui contraste trop crOment avec l'irénisme relatif des jésuites érudits français, formés d'ailleurs aux disciplines de l'humanisme national. Cette bataille intellectuelle sera certainement un des plus puissants moteurs de la «révolution intellectuelle et philosophique" des années 20-40 du XVIIe siècle. Au fur et à mesure que les jésuites, à Rome, à Madrid, à Vienne, à Louvain, à Prague absorbent et finalisent au profit de la foi tridentine les résultats de l'Encyclopédie du XVIe siècle, celle-ci se trouve soumise de la part de leurs adversaires à une critique qui déporte rapidement la vieille République des Lettres vers des horizons qui la déconcertent elle-même. 2. Faute de pouvoir atteindre en son noyau la résistance de l'humanisme gallican, les jésuites français peuvent du moins espérer obtenir des résultats plus rapides et faciles auprès d'une autre caste de l'élite française, la noblesse de Cour. Si les magistrats érudits gallicans «disent le droit» au monde cultivé, au sens humaniste de la Robe, la noblesse de Cour dicte la mode à la foule nombreuse des « ignorans ~. Ceux-ci ne le sont d'ailleurs qu'aux yeux des «sçavans,. du Palais, de l'Université et de la République des Lettres. Mais leur culture est toute moderne, dans les trois langues vulgaires qui dominent alors: l'italien, l'espagnol et le français .. Qui sont ces «ignorans,.? Les nobles? Les femmes? Sans doute. Mais parmi celles-ci, les femmes des «sçavans» eux-mêmes, leurs fils aussi, tant qu'ils sont en âge de plaire et de chercher à plaire à des jeunes filles dont les lectures sont bornées aux romans, aux poésies, aux traductions, dans les trois langues modernes. Là se trouve, pour ainsi dire, le talon d'Achille de la caste de Robe. Les femmes et les jeunes gens de la bourgeoisie cultivée ont les yeux tournés vers la noblesse de Cour, dont «l'ignorance» est du même ordre que la leur et que son prestige social, son luxe, son oisiveté autorisent à dicter la mode, en matière de livres, de spectacles, de vêtements et autres agréments. « Monde", «Mode », «Moderne»: ces trois mots caractérisent l'air de Cour» tel que le perçoivent les « sçavans » : profane, volubile, soumis aux caprices de l'imagination et du désir, esclave de l'instant, privé de jugement politique, moral et religieux, ce «monde" qui roule de «mode» en «mode» et qui n'a aucune chance d'être autre chose que « moderne» a tous les traits redoutés et un peu démoniaques de la féminité. N'est-ce pas pourtant le Quartier-Général de la caste, virile par excellence, des guerriers? Sans doute, mais ces guerriers, lorsqu'ils le sont encore, viennent à la Cour prendre leurs quartiers d'hiver; et là, selon la vieille tradition de leu r caste, ils se plient, au moins en «
MONDANITÉ ET MODERNITÉ
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paroles, aux rites de l'amour courtois, qui accorde à la femme d'autant plus de soumission qu'on en espère d'une autre sorte, de sa part. Ces cavaliers, ces duellistes savent sous Henri IV et Louis XIll toucher du luth et chanter; pour plaire aux dames ils doivent s'efforcer de parler le «langage de Cour ", influencé depuis le début du XVIe siècle par l'italien. Marie de Médicis et son entourage n'ont fait que ranimer l'héritage de « douceur» liquide et musicale jusqu'à la fadeur, qui est la vraie tradition, féminine et amoureuse, de la Cour de France. Dans les Hôtels autour du Louvre, pendant la morte saison des combats, cette société des amours est aussi une société du spectacle. La Cour des Bourbons, héritant de celle des Valois, fait du ballet son divertissement favori, et le féérique pot-pourri de tout ce qu'elle sait et qu'elle aime: de l'Arioste à Rabelais, du conte de fées à la Fable, du merveilleux des Amadis à la satire selon Régnier. Sur la Cour de France et à travers elle sur le public romanesque des ?' ignorans », les Jésuites avaient des moyens d'agir dont ne disposaient pas les Catons de Robe gallicane. Ils avaient la confession, et l'on sait quel usage les casuistes leur permettaient d'en faire. Mais ils avaient aussi la prédication. Leur supériorité, depuis les succès remportés par le p, Coton, était bien établie. Ils avaient enfin le livre. En mettant au point un style de prédication et une parénétique calculés pour les goûts et la mode de la Cour, les jésuites se donnaient un puissant levier pour conquérir l'opinion publique française, sinon sa sanior pars, du moins la plus malléable et la plus nombreuse. Tandis qu'un petit nombre d'érudits jésuites tentent d'effacer, dans l'esprit de leurs collègues gallicans, les effets des pamphlets et traités dirigés contre eux de la Province f1andro-belge, ou d'ailleurs, à la Maison Professe de la rue Saint-Antoine, une véritable Académie d'éloquence est chargée de suivre l'exemple du P. Coton, et de recueillir les faveurs du public de Cour, garantie de succès auprès du public « ignorant ~. Les jésuites rhéteurs se font mondains et modernes. Ils ne créent pas la mode de Cour. Ils la suivent, croyant pouvoir être portés par elle. L'affaire Théophile prouvera qu'à suivre avec application la mode, on est bientôt dépassé. 3. La rhétorique des jésuites de Cour trouve sa justification dans la théorie de l'imitatio adulta élaborée en Italie par j.B. Giraldi, reprise à son compte par juste Lipse. Sous la plume des jésuites, l'imitatio adulta devient imitatio multiplex. La théorie avait été inventée pour surmonter la querelle entre cicéroniens et anticicéroniens de la Haute Renaissance. Elle répondait aussi aux besoins d'une Réforme catholique qui faisait fonds sur les Pères de l'Eglise et sur Sénèque. Cicéron, toujours encensé, est relégué dans le rôle «classique» de maître de l'enfance. Le style If adulte») libéré de ses bandelettes, peut aller butiner ses couleurs chez les auteurs de l'Age d'argent, chez les Pères, et chez les auteurs païens tardifs. Par un curieux retournement, l'anti-cicéronianisme de Politien et d'Erasme, qui combattait le formalisme littéraire des If cicéroniens ro-
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mains» a servi de prétexte à l'éclosion d'un asianisme ingénieux et coloré dont le formalisme et l'aulicisme trouvent dans l'art de bien prêcher un alibi inattaquable. Le recueil de Sententiae divisiones et colores de Sénèque le Père, les œuvres d'écrivains, orateurs, romanciers de la Seconde Sophistique dont les Pères sont souvent les disciples dans l'ordre technique, offrent leurs ressources d'ornement et d'amplification à des prédicateurs de Cour tels que Panigarola, ancêtre direct de Marino et du marinisme. L'imitatio adulta dans sa version Iipsienne veut être une réaction savante contre ce style asianiste: elle veut limiter la liberté de l'ingenium à des modèles tels que Salluste et Sénèque. Mais cet atticisme sénéquien, qui trouvera chez un Quevedo et chez un Malvezzi des disciples en langue vulgaire, n'en est pas moins un maniérisme. A la fin du XVIe siècle, seules la tradition romaine, intelligemment adaptée par Muret à l'air du temps et la tradition gallicane dont Du Vair se fait l'interprète autorisé dressent contre la modernité stylistique l'imitatio ciceroniana. L'asianisme italien d'un Panigarola, l'atticisme sénéquien du flamand juste Lipse se réclament l'un et l'autre de la liberté de l'ingenium qui est alors le signe de ralliement de tous les novatores du style contre le classicisme démodé des «cicéroniens l>. Mais alors que l'un met l'accent sur les colores (descriptions et pathétisme), le second met l'accent sur les sententiae ( rapides et formulées à l'emporte pièce). L'un est un style oral, l'autre un style écrit. 4. Il y a eu certainement un courant d'atticisme sénéquien chez les jésuites français. Le représentant le plus décisif de cette tendance ne publie pourtant sa Rhetorica versifiée qu'en 1650: c'est le P. josset, de Limoges. Le courant majeur, celui des jésuites de Cour, se rattache plus volontiers à l'asianisme italien, mieux accordé aux besoins de la prédication et qui a trouvé en Espagne et en Flandre des disciples et des théoriciens. Transposée en France, la commode doctrine de l'imitatio adulta ou multiplex permet aux jésuites de Cour d'étendre leur mimétisme aux auteurs «vulgaires l> du XVIe siècle, dont ils peuvent supposer que leur public « ignorant» est nourri. Tout naturellement, ils élisent parmi ces auteurs ceux qui déjà ont introduit à la Cour les techniques de la Seconde Sophistique. De même qu'un Garasse se cherchera chez Rabelais et Régnier l'équivalent, familier à son public « ignorant l>, des techniques d'ironie lucianesque, les imitant ad majorem Dei gloriam, un Richeome et un Binet cherchent chez Philostrate, traduit par Vigenère, chez Héliodore, traduit par Amyot, chez Du Bartas enfin, l'équivalent des techniques d'ekphrasis familières aux Seconds Sophistes et aux Pères. On imagine l'irritation des «bons Français» de race gallicane devant ce travail de « perversion» jésuitique de l'héritage national. Les Italiens de Cour, dont un Henri Estienne avait dénoncé sous Henri III l'influence corruptrice sur la langue et les mœurs, sont soutenus par le renfort de « sophistes" plus insinuants encore. Le maniérisme asianiste de Marino qui arrive à la cour en 1615 y trouve un terrain tout préparé.
IMITATION ET IMAGINATION
La doctrine de l'imitatio multiplex est complétée par celle de la varietas ingeniorum qui érige en système la revendication individuelle des « anti-cicéroniens» lalcs, de Politien à Montaigne et à Lipse. Chaque orateur dispose d'une grande latitude pour déterminer son propre style en fonction de sa propre nature. A lui de doser, concilier, moduler, parmi la foule des modèles, anciens ou modernes, ceux qui correspondent à la nuance particulière de son ingenium. Cette apparente liberté, dans le cas des milites Christi jésuites, n'est évidemment qu'un principe d'efficacité et d'adaptabilité. La c variété des tempéraments» permet à chaque jésuite de révéler sa vocation propre, et à ses supérieurs de spécialiser chacun dans la tâche et pour le public qui lui convient le mieux. La rhétorique institutionnelle de la Société s'articule à des variables qui lui permettent de faire face à la diversité des offices et des milieux. Elle est par essence éclectique, Elle l'est d'autant mieux, dans le cas des prédicateurs, que la technique de l'ekphrasis ou demonstratio est le principe générateur de leur rhétorique d'imagination et d'amplification dévotes. Leur éloquence se fait le «miroir» de la Nature dans son infinie et inépuisable variété. Celle-ci n'est pas une architecture rationnelle, mais une surface aux myriades de reflets. Selon l'ingenium de l'orateur, selon les habitudes, les goûts, l'humeur du public, il sera possible de lui faire miroiter des c merveilles» différentes, dont le «sens mystique", captive comme une énigme résolue. De Richeome à Binet, de Binet à Le Moyne, les plus doués parmi les Jésuites de Cour font de leur éloquence une sorte de cinématique en couleurs, en relief, et grâce à la prosopopée et au dialogisme, parlante: elle est admirablement accordée à la société du spectacle qu'est la Cour, à l'hypertrophie de l'imagination qui la caractérise. 5. Il y a une curieuse contiguIté, qui n'est pas fortuite, entre le Protée jésuite et le Protée montaignien. C'est dans cette contiguIté qu'il faut situer le drame de Théophile. La poétique de Théophile est le revers de la rhétorique jésuite, un effort pour ramener la jeunesse de Cour, hors de ces rets captieux, vers le sens montaignien de la Nature, qui est adhésion vitale et non fascination kaléïdoscopique. La «Nature» théophilienne refuse le «sens mystique» qui finalise et déréalise les c tableaux» jésuites; son poète se réclame de la « liberté », de la « singularité» d'un tempérament, de la modernité, toutes notions que les Jésuites se réservent pour donner à leur apologétique les couleurs de la vie et de la mode. Garasse, Ogier l'a bien compris, combat en Théophile sa propre ombre, ou plus exactement, sa propre vérité. L'affaire Théophile fut l'occasion d'une inflexion de la c rhétorique des peintures» jésuite vers la sévérité et le pathétisme. Devenu prédicateur de Cour, le P. Caussin publie en 1624 sa Cour sainte, dont les techniques, plus théâtrales, reposent toujours sur l'effet visuel, sur le tableau vivant et parlant. Mais le P. Caussin renonçait à la «douceur» italianisante qui avait fait le succès des Coton et des Richeome. Il se range aux côtés de Dom Goulu contre le style c peigné» de Balzac.
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LES DEUX RHÉTORIQUES
Or, le succès de celui-ci était dû en partie à l'influence de Malherbe sur le «langage de Cour », partie aux résultats de la pédagogie cicéronienne du P. Petau sur les élèves titrés du Collège de Clermont. Une seconde fois, les jésuites de Cour se laissent dépasser par la mode. Avec le P. Le Moyne, qui publie le premier tome de ses Peintures Morales en 1640, alors que le Poo Caussin est en disgrâce et en exil, la «rhétorique des peintures» s'inspirant de la «belle antiquité» et adoptant l'élocution «douce» dont Balzac est désormais le modèle, tente une habile synthèse entre sa propre tradition et la mode officielIe, soutenue par Richelieu et par les doctes de l'atticisme cicéronien. 6. La figure par excelIence de la rhétorique des jésuites de Cour, de Richeome àLe Moyne, c'est la description, ou ekphrasis, riche en puissance, comme le miroir, de toutes les possibilités de l'imitatio Naturae: hypotypose, éthopée, topographie, narration, "charactere»; elIe peut s'accompagner d'une sorte de bande sonore qui donne une voix aux choses ou aux personnages décrits: interrogation, dialogisme, prosopopée. Pour l'Erasme de l'Ecclesiastes, pour le Louis de Grenade de !'Ecclesiastica rhetorica, l'art de rendre présentes les choses absentes, cette puissance prestigiatrix des rhéteurs se justifiait par le souci de maintenir vivant et présent le souvenir de l'Histoire Sainte. C'est encore le cas pour saint Ignace dans les Exercices et pour le P. Nadal dans ses Méditations sur l'Evangile. Avec le P. Richeome, appliqué à la variété des spectacles de la Nature et de l'Art, cet art d'imiter, de rivaliser de présence et de relief avec les choses et les êtres sensibles tend à devenir une fin en soi, parfaitement accordée à la curiosité insatiable des « spectateurs» de Cour. Le passage au sens mystique des «merveilles» de Nature et d'Art devient un rite, voire un alibi. Restent la fascination pour le monde sensible, pour ses aspects étranges, surprenants et l'orgueil de fabriquer des simulacres qui rivalisent avec lui victorieusement. Imiter la Nature, pour les jésuites, c'est prouver que leur éloquence est cap:lble de se Sllb~litu(:r à elIe. La technique du «miroir », du « tableau », de la "peinture parlante» est empruntée aux orateurs, romanciers et apologistes de la Seconde Sophistique. La stratégie psychagogique qu'e\le est chargée d'illustrer et qui gouverne le «montage» de ces images animées, épouse en la retournant de l'intérieur vers l'extérieur, celIe des Exercices Spirituels. L'autopersuasion des Exercices s'adresse à la volonté par la médiation de l'imagination, maîtresse des passions, e\les-mêmes déterminant le vouloir. Fabriquer pour les « sens intérieurs », animer de couleur, saveur, odeur et doter de parole des spectacles sacrés dont la prégnance rivalise victorieusement avec le souvenir des spectacles naturels et mondains, attacher les passions et la volonté à ces spectacles plus vrais que nature, bien qu'ils IJi rmpruntent ses blandices: te\le est la «rhétorique des peintures)' de saint Ignace. Projetée sur l'écran intérieur. la geste du Christ-Chevalier dérobe aux vaines apparences leur pouvair de fascination et leur vraisemblance: la phantasia-memoria qui, chez l'homme naturel, attache la volonté à l'image des faux biens et aux illusions
RHÉTORIQUE ET SPIRlnJALlTÉ
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mondaines, devient le lieu d'une conversion des images au profit de l'invisible et attire à la fois les sens, les passions, la volonté à l'Imitatio Christi. Retournée en apologétique pour la foule, cette stratégie autopersuasive est ~usceptible de variations et d'amplifications qui en atténuent le goût âpre d'arrachement. La vie des saints, la vie des héros, par métaphore et raisonnement a fortiori peuvent tenir lieu de la Vita Christi. Un degré encore dans l'adoucissement, et l'exemplaire fait place à l'hymnique du Coeli enarrant gloriam Dei: l'exercice de l'ekphrasis peut alors, d'amplification en amplification, s'appliquer à la Nature entière, reflet dans ce miroir de « Vérité ou de vanité », révélant tour à tour le mensonge des merveilles et les vérités merveilleuses qu'elles dissimulent. La description en relief, en couleur, en mouvement, dialoguée, théâtralisée, n'exalte en principe le monde sensible que pour mieux le dissoudre et revêtir de ses dépouilles son Rédempteur. Elle ne fait appel à l'imagination que pour mieux rendre imaginable l'inimaginable et vraisemblable l'invraisemblable. A force pourtant de faire douter du témoignage des sens, tout en faisant appel à lui pour faire croire à ce qui lui échappe, l'ingénieuse" rhétorique des peintures» s'expose à corrompre le sens du réel aussi bien que le sens du spirituel dans une même flottante féérie. Saint Ignace, gentilhomme {( ignorant », était passé brusquement du roman de chevalerie à la Vita Christi de Ludolphe le Chartreux. La tentation de ses disciples, en milieu de Cour, fut de ramener la Vita Christi vers le roman, le conte de fées, et la magie de l'imaginaire. Le chef-d'œuvre de cette rhétorique dévote n'est pas français. Il faut le demander au grand poète jésuite anglais Richard Crashaw. Dans un poème intitulé Bulla, celui-ci évoque sur la surface irisée et changeante d'une bulle toutes les séductions luxueuses et sensuelles du Palais d'A\cine ou des Jardins d'Armide, tous les émerveillements dont l'imagination des Cours du Moyen Age et de la Renaissance a paré le monde: la pointe finale crève la bulle et révèle le nihil des choses terrestres. Réussit-elle à effacer le prodigieux éloge du monde des sens qui l'a précédée, tout lyrique de nostalgie? Courtisée pour lui faire avouer le néant de ses faux trésors et l'inviter à en vêtir le Rédempteur, l'imagination mondaine n'est-elle pas tentée de s'enivrer du pouvoir qui lui est confié d'annuler ou de vivifier à son gré le visible et l'invisible? 7. A propos de cette alliance entre la technique antique de l'ekphrasis et la psychagogie des Exercices, nous avons parlé de sophistique sacrée. De fait, la question de la vérité est étrangère à la « rhétorique des peintures ». Il ne s'agit pas de trouver Dieu, mais d'y croire, ni de connaître la vérité de la religion, par la raison ou par le cœur, mais d'y ajouter foi. Le sens du réel et de l'irréel, de la présence ou de l'absence, du visible ou de l'invisible, du vraisemblable ou de l'invraisemblable, et non le sens du vrai ou du faux, tel est l'ordre à l'intérieur duquel œuvrent les Jésuites rhéteurs. Ils font passer aux choses de la foi l'indice de réalité que les habitudes coupables ont attachées aux apparences mondaines. La «rhétorique des peintures ~ est aussi une rhétorique
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de la métaphore, de la translatio: dérobée au et par l'art d'agréer. Avec une lucidité critique à laquelle l'histoire littéraire n'a pas assez rendu justice, Balzac a suggéré, sinon dicté, à François Ogier, la théorie de cette «étoile nouvelle au Ciel de l'Eloquence» dans l'Apologie de M. de Balzac. La «belle» lettre selon Balzac, héritière de l'epistola cicéronianiste, a une généalogie proprement française: pour l'invention, elle doit beaucoup à l'essai montaignien ; pour l'élocution, elle doit beaucoup à Malherbe; mais pour l'idée que se fait de lui-même l'épistolier à l'étroit dans un genre de Cour, elle doit beaucoup à l'idéal de l'OrateurMagistrat reprise par Du Vair à Cicéron. De l'essai, elle hérite les mille facettes qui la rendent capable de capter et recomposer en sa brièveté tous les rayons épars qui, de l'Origine ou des grandes âmes qui l'actualisent, émanent du Logos occulté dans c un Monde trop vieux» : «sentences» antiques, invisibles mais secrètement actives, « conceptions» jaillies de l'ingenium, digne de l'antique, de l'écrivain lui-même; mais aussi écho, sous forme d'éloge, de tout ce
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qui à la Cour, est virtus et semen dicendi préservé de la corruption de la foule: prélats, hommes d'Etat, hauts magistrats, héros de l'Epée, Princes et grandes dames, acteurs de grands événements, soutiens de grandes affaires et de grands intérêts, éloquents de la véritable éloquence. Célébration indirecte de l'Age d'or antique, 'la lettre balzacienne trie l'or de son temps et de la société de Cour, avec un goût sévère que n'avait pas Montaigne, condamné d'ailleurs dans sa librairie à ne fréquenter que l'élite des Anciens. Il y aura peu de grandes figures du c siècle de Louis XIII » qui ne trouvent en Balzac un écho digne d'elles: Du Perron et Richelieu, Saint-Cyran et Corneille, Descartes et Schomberg, Mme des Loges et Mme de Rambouillet. Les «lieux de l'invention» de Balzac sont en parfaite bienséance avec la c gloire du langage» qu'il en extrait., Il canonise le meilleur de l'aristocratie contemporaine. Mais il le fait comme l'un des siens. Il n'a rien du sophiste servile et vénal. La lettre n'est pas un panégyrique mais un moyen d'échange intime, du moins témoignant de l'appartenance de son auteur à l'élite que composent ses correspondants, et de sa participation étroite aux préoccupations communes. Et l'art de l'hyperbole balzacienne se teinte de « raillerie '1>, signe d'une connivence supérieure, d'un desengaiïo commun à deux grandes âmes. Ce qui suppose un choix sévère parmi les correspondants admis dans ce «club» qu'est le c recueil» de lettres et un choix non moins sévère des sujets et des noms propres à y être évoqués . Ce judicium cite ses élus, il fait silence sur la foule des exclus. Mais il n'est pas dicté par le calcul de l'ambitieux vulgaire: la pierre de touche de l'élection, c'est en définitive l'élection de l'~pistolier lui-même, qui lui permet de reconnaître d'instinct ses pairs. Balzac écrira superbement: Il est necessaire d'avoir en soy le principe de sa propre grandeur 18. C'est cette c grandeur », ce sentiment intime d'indépendance morale et matérielle, cette noblesse non de naissance mais de vertu et de culture remontant par généalogie spirituelle jusqu'aux grands Anciens, qui autorise Balzac à se tenir pour l'égal de tout ce qui est grand selon la coutume, et à décider de ce qui est grand selon l'esprit. Dans la plus pure tradition gallicane, mais cette fois libérée de son esprit de caste savante, le jugement chez Balzac se transfigure en « grand goût », éclairé en dernière analyse par la certitude enthousiaste de sa propre élection au vrai, au beau. De la poésie de Malherbe, la prose de Balzac hérite de ce que François Ogier appelle un « mystère de l'art» : De ceste excellente oeconomie et parfaite distribution des mots, il se forme un son qui m'a mille fois ravi, et qui chatouille les sens, autant que le reste contente l'esprit. Il est peu probable que Balzac ait reçu directement la leçon d'élocution française consignée par Amyot dans le manuscrit du Projet de l'Elo18
Balzac, éd. cit., t. Il, p. 407.
L'ÉLOCUTION MALHERBIENNE
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quenee royale. C'est à travers l'exemple de Malherbe qu'il a pu surmonter le préjugé robin contre la « douceur », l'euphonie, et les techniques qu'elle suppose de deleetus et eolloeatio verborum. Après la poésie, c'est la prose française qui bénéficie ainsi des leçons retrouvées de l'élocution attique telles que les avaient commentées Pietro Vettori d'après Démétrius de Phalère. Mais du même mouvement, prose et poésie françaises ouvrées par d'experts humanistes allaient au devant du goût traditionnel des gens de Cour pour la «douceur », celle du pétrarquisme et celle de la conversation «civile» à la Castiglione. Ogier a fort bien senti, dans son Apologie, cette subtile alchimie qui conjugue chez Balzac l'héritage de l'érudition rhétorique en quête de l'atticisme antique, et la tradition de la conversation de Cour. Chez Balzac, explique-t-il, la prose se pare du nombre de la poésie, «la grace de la vive voix se conserve sur le papier» et communiqpe au lecteur ceste vertu secrète ... qui agit sur le corps des auditeurs [ ... ] une harmonie qui touche les passions, qui va jusques à l'esprit, qui esmeut tout l'homme intérieur, et est capable de faire les mêmes effets que l'on raconte de l'ancienne lyre, lorsque selon la difference de ses tons, elle mettoit en cholere ou appaisoit Alexandre 17. Cette musique des «mots », que ses adversaires ont tant reprochée à Balzac comme une reddition à l'hédonisme des « ignorans}) de Cour, prend en fait, dans sa rhétorique, une dignité philosophique: à l'usage d'un public dénué de vertu, prisonnier des sens et des passions, cette c vertu secrète}) qui refuse les facilités de la sophistique dèmagogique fait entendre l'harmonie et percevoir la lumière de la sagesse oubliée. De la page imprimée, cet ordre musical des «mots}) fait surgir un paysage spirituel rivalisant victorieusement avec les attraits sensibles de la «peinture» des sophistes: Ces divines pensées, et ces rayons qui sortent de chaque ligne [ ... ] nous rendent un papier où il n'y a que du blanc et du noir, mille fois plus agréables que ne sont les paysages de Flandres et d'Italie HI. On ne saurait avec plus de précision et de justesse mieux distinguer l'atticisme de Balzac de la « rhétorique des peintures» jésuite et maniériste. Comme Malherbe, Balzac n'a jamais recours à l'ekphrasis autrement que sous la forme allusive de l'hyperbole et de la métaphore. Pas plus que lui, il n'a eu de goût pour le pathétique déclamatoire. C'est que, comme Malherbe, et comme déjà Amyot, s'il s'adresse à la Cour, c'est d'abord à sa sanior pars, celle qui hérite de Castiglione et de son idéal cicéronien de courtoisie civilisée. Pour plaire à des gentilshommes et à des dames épris de poésie, de musique, de belles conversations et de l'Astrée, il peut se permettre de ne recourir qu'à ce que François Ogier appelle des «machines délicates ", évitant les gros effets de l'éloquence publique, et reposant sur une profonde connaissance du cœur humain.
17 18
Ogier, Apologie pour M. de Balzac, Paris, 1627, p. 206 et 208. Ibid., p. 44.
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Il faut lire dans l'Apologie les analyses remarquables qui définissent l'art de la métaphore et de l'hyperbole: «amener à la vérité par l'exces de la verité, c'est à dire par le mensonge ». Le détour par le « mensonge », par la Il: vraisemblance », Ogier le qualifie de « subtil» : car s'adressant à des gens de Cour à qui Balzac fait l'honneur de croire qu'ils ne sont pas les jouets de leur imagination ni de leur orgueil bien qu'ils souhaitent que l'une ct l'autre soient flattés, Balzac leur ménage des détours de pure connivence: entre eux et lui, à l'état d'allusion, la vérité n'est jamais perdue de vue. Si bien que sous la douceur des mots, et la « machine délicate» des figures, la force d'une grande âme, sa capacité de connaître le vrai, ne se renonce pas. Et elle laisse aux plus dignes parmi les lecteurs le soin de l'apercevoir, par devers soi. Par la suite, Balzac méditera sur la coupure que veulent introduire les rigoristes chrétiens entre la Lumière naturelle et la Lumiére de la Révélation. Mais dans la Relation à Menandre, il réaffirmera la doctrine qui avait tout au long du XVIe siècle soutenu l'élan de l'érudition gallicane, l'identité essentielle entre le Logos de la prisca theologia et de la philosophie gréco-latine, et le Logos de la Révélation chrétienne. Comme Corneille, il sentait bien que c'était là défendre la possibilité même d'une littérature, à la fois laïque et chrétienne, qui ne retombât point sous la coupe de l'intolérance et de l'ascètisme monastique. Dans son souci de se purifier de toute trace d'asianisme, il renoncera à l'hyperbole, il éteindra ses métaphores, il tendra à desc~ndre du style moyen au style simple. Mais cette évolution était dans la logique d'un art qui fait de l'ascèse de la forme la rédemptrice des effets corrupteurs du temps et du monde, le témoignage rendu à la dignité de l'homme-Iogophore. Inspiration et érudition, création personnelle mais dans la fidélité à la tradition: dès le départ, l'art de Balzac était du côté du P. Strada contre le P. Le Moyne, du côté d'Annibal Caro contre le Cavalier Marin: L'un estait tout imagination, l'autre tout jugement. Dans les vers d'Annibal Caro, il me semble que je voie la grandeur modeste et le bon mesnage de la République, dans ceux du Cavalier Marin, je me représente les desbauches, le luxe et la profusion de Néron 19. 10. Montaigne, Malherbe. Mais aussi, mais surtout Du Vair. Bien qu'elle prenne la forme d'une «lettre» à Costar, la dissertation de Balzac De la grande eloquence ne prend tout son sens que si on la lit à la lumière de la tradition des Remonstrances de magistrats, et en reprenant le fil là où l'avait laissé le traité De l'Eloquence de Du Vair. La magistrature de l'écrivain prend la relève de la magistrature oratoire de la Grande Robe, elle célèbre à la fois la transfiguration et le triomphe de ce que l'on pourrait nommer " l'Ecole gallicane ». La dissertation s'articule autour de l'antithèse simple et forte qui faisait des Remonstral1ces, comme du traité De l'Eloquence françois!!
19
Balzac, Œuvres, éd. cit., t. l, p. 772.
RHÉTORIQUE ET SOPHISTIQUE
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autant de Traités du sublime gallicans: la «vraie,. et la «fausse,. éloquence, l'éloquence philosophique opposée aux artifices des rhéteurs. La fausse éloquence: chaque génération a eu la sienne. Celle qu'a connue Balzac ne faisait que poindre au temps de Du Vair, c'est la « rhétorique des peintures », dérivée, sous le couvert des Pères, de la Seconde Sophistique: [ ... ] Faiseuse de bouquets [ ... ] tourneuse de périodes [... ] je ne l'ose nommer Eloquence [ ... ] toute peinte et toute dorée [ ... ]. La plupart des Sophistes, dont Philostrate et Eunapius ont escrit les Vies, estaloient cette sorte d'Eloquence au milieu des places publiques [ ... ]. Pour eviter la Pauvreté, (l'Orateur) se jetoit dans le Luxe. Toutes ses locutions estoient pompeuses et magnifiques. Mais cette magnificence estoit si esloignée de la sobriété et de la modestie du style Oratoire, que la plus temeraire Poësie et la plus prodigue des biens qu'il faut mesnager, ne sçauroit rien concevoir de plus desreglé 20. Pour autant, on ne saurait revenir à la «rhétorique des citations,. qui, depuis Du Vair, s'est dégradée un peu plus en «pedanterie de Compilateurs» et qui a perdu tout crédit, non seulement au Louvre, mais au Parlement et à l'Université. Qu'est-ce donc aujourd'hui que la véritable éloquence? Elle exige à la fois inspiration et culture. Inspiration: une « grace de Nature J>, mais aussi «les Estoilles» : Il faut que ce soit quelque chose de celeste et d'inspiré qui intervienne dans l'Eloquence pOlir exciter les transports et les admirations qu'elle cherche 21. Culture: mais non sans la «méditation» chère à Du Vair sur les « Vérités universelles» et celle, chère à Balzac et Chapelain, sur Aristote, le maître de la Rhétorique. Ce savoir doit être incarné, c'est à ce prix seulement qu'il «fleurira ». Inspirée, mais soutenue par un «grand jugement », cette Eloquence ne sera point « paroles fugitives et passageres J>, mais elle se fera c voye dans la plus secrette partie de l'homme », «jusques au fond du cœur J>. L'idée qui appellera au sublime, ce sera l'Eloquence de «la Grece lorsqu'elle vivoit en liberté », celle de Périclès et de Démosthène, régnant sur les rois ou les tenant en échec. Un orateur de l'Attique républicaine était un «Magistrat naturel », qui n'était pas le «Parasite et Flatteur du Peuple », mais son « Censeur et Pedagogue», qui « ne souffroit rien de servile dans l'esprit mesme des Artisans », bref un «Monarque spirituel» .
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21
Ibid., t. Il, p. 520. Ibid., p. 523.
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Cette Idée qui animait Du Vair et qui n'a pu résister au rétablissement de la monarchie, n'est-elle plus désormais autre chose qu'un lieu commun, un prétexte pour Balzac à déclamation? Ce n'est pas son avis. Regardant autour de lui, il constate que cette Idée anime plus que jamais une aristocratie d'hommes d'Etat, d'hommes d'Eglise et même de héros d'Epée, qui confèrent à la haute culture, soutenue de la parole, autorité sur la foule et résistance à la « corruption du temps:t. l'éloquence laconique de Henri IV 22, l'éloquence militaire de GustaveAdolphe, ont agi sur le cours des choses, ruiné « la Tyrannie., c renouvellé le Monde ». l'éloquence du cardinal Du Perron a réconcilié le roi de France avec l'Eglise. Car «la Royauté de l'Eloquence» qui, «tombant en partage à une personne privée, se doit soustenir de sa propre force, et luire de ses propres rayons », a elle-même c toujours esté visible en quelques hommes choisis du Ciel:t. Ainsi se dessine, même en régime de Cour, la vision d'une République des grandes âmes, rassemblant l'élite de l'élite des trois Ordres d'autrefois, insensible aux attraits de la sophistique fleurie, c spectacles des Oysifs et passe temps du menu peuple ». Aristocratie monarchique, par la forme extérieure du régime, mais républicaine et héroïque par son sens des responsabilités et la magnanimité intérieure; œuvrant dans un c Estat corrompu », dans un «Monde trop vieux », elle est rattachée ;\ l'Origine par élection et par la généalogie de la culture, par l'enthousiasme et le savoir: elle est en mesure de communiquer à son époque, par l'énergie de son verbe actif, quelque chose de la Raison et de la Vertu de l'Antiquité. A elle seule, par son petit nombre, elle fait contrepoids au temps et au monde corrupteurs. Cette vision, que suggérait déjà la lecture des Lettres, donne tout son sens à l'idée que Balzac se fait de lui-même et de son art. A Rome, il avait senti la splendeur spectrale du Panégyrique funèbre latin, noces à la fois sublimes et fantômales entre la Rome de la Contre-Réforme et la Rome de Cicéron. En France, dans la langue française, et en dépit des tentations de sa propre mélancolie, il a senti à la tête de la société française un frémissement créateur. Magistrat des lettres, «à titre privé », par droit des « Estoilles », il a fait de la gloire de son langage le foyer de ralliement de tous les « Porteurs de parole» de son temps, le point de rencontre aussi, à mi-chemin entre l'Antiquité et le siècle de Louis XIII, entre les héros et les sages de Rome et de l'Attique, et tous ceux qui - Princes, maréchaux, magistrats, hommes d'Etat, prélats, hommes d'Eglise, savants, écrivains - ont réincarné l'antique et jeune
22 Augustin Thierry a dit d'Henri IV : «Michel de L'Hospital armé ». C'est exactement ainsi que le voit Balzac.
NAISSANCES DES BELLES-LETl'RES CLASSIQUES
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Raison dans leur temps. Il pouvait sans vanité se ranger parmi eux: nul autre après Montaigne, et avant Corneille, n'avait autant contribué que lui à donner un langage commun, et donc conscience de soi, au dialogue qui s'est engagé enfin entre la sanior pars de la Cour et de la Ville, de la Robe, de l'Epée et de l'Eglise. Et ce langage commun, c'était, en définitive, celui de l'humanisme national s'agrégeant le meilleur de l'humanisme des Cours italiennes et le meilleur de l'humanisme ecclésiastique. Balzac voyait l'Orateur des Républiques antiques comme un « Monarque spirituel ». Inversement - comme le Corneille d'Horace - il souhaitait que les héros-orateurs de la monarchie, polis dans leur langage, fussent intérieurement «républicains », unissant en somme la douceur « d'Albe" et la force de « Rome» en une synthèse supérieure. L'aristocratie des grandes âmes n'eût point marqué une «victoire l> d'une caste sur une autre, mais eût été le fruit d'un échange entre les mérites propres au « grand Monde" de Cour et les mérites propres à la Grande Robe humaniste, échange facilité par leur commune allégeance à un catholicisme réformé. Dans une grande mesure, l'atticisme de Balzac s'est voulu le symbole et l'instrument de cette réconciliation par le haut. Une telle réconciliation, semblable à celle qui conclut l'Acte V de Cinna, est de l'ordre du vœu, de l'Idée. Elle est moins immédiatement utilitaire que celle pour laquelle a œuvré Richelieu, peu hésitant à opérer des « retranchemens» pour que la machine de la Cour, avec des organes de styles divers mais harmonisés d'une main de fer, tournât vite et bien selon ses vues. Il y a une part d'utopie généreuse chez Balzac comme chez Corneille qui les maintient en marge de la politique officielle, ou du moins en retrait. Chez eux pointe déjà la magistrature morale de l'écrivain, au sens moderne. Par là, ils créent l'espace spirituel à l'intérieur duquel s'épanouira l'atticisme classique, dans un moment « miraculeux" qui fit succéder à une guerre de Trente Ans, et à une quasi-révolution la jeunesse d'un règne, la paix intérieure et la sécurité des frontières. C'eût pu être l'ivresse du pouvoir, ce fut d'abord la splendeur des BellesLettres. Car sous l'apparente uniformité de la référence au « bon goût », une richesse de motifs, une vitalité de dialogue où se résument tous les débats de la Renaissance et de la Réforme catholique, se recouvrent d'une patine égale et lisse, d'emblée « classique ». La sévérité « républicaine» et chrétienne, qui demeure très vive, fait contrepoids à la légèreté courtisane et mondaine, brillante et railleuse. L'ironie d'Erasme, que préserve la comédie de Molière, fait équilibre à la gravité borroméenne et aux périodes cicéroniennes de Bossuet. Et le « naturel» même de l'atticisme classique, juste mesure enfin trouvée entre Erasme et Bembo, Scaliger et Lipse, Louis de Grenade et Famien Strada, Du Vair et Montaigne, est riche de tous ses possibles surmontés. A une topique morale héritière de l'expérience désormais séculaire de l'humanisme chrétien, le classicisme réunit un art du style qui hérite d'une expérience elle aussi séculaire, néo-latine, espagnole, italienne et française. Si modeste que soit encore la place des Belles-Lettres, elles témoignent, jusque dans le
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détour de l'éloge, que la monarchie, même absolue, est le principe unificateur d'une diversité, non une tyrannie écrasante. Ce pouvoir absolu s'accordait le luxe de 1'« honnêteté :., il voulait plaire et séduire, trouvant là une de ses plus sûres limites, dont les Belles-Lettres ont profité, mais qu'elles ont, sans y toucher, soigneusement veillé à maintenir.
BIBLIOGRAPHIE
Cette bibliographie ne se veut pas seulement un répertoire des ouvrages consultés. Elle n'a pas non plus la prétention d'être une bibliographie de l'histoire de la rhétorique au XVIe et au XVIIe siècle. Elle dessine un champ de recherches, elle en désigne les lieux, elle fournit quelques points de repères pour les explorer. Elle est plus encore qu'un bilan de nos recherches et lectures: une invitation à les dépasser, sur les chemins nombreux qu'elle dessine déjà. Elle est fondée pour l'essentiel sur les collections et les catalogues de la Bibliothèque nationale. Les cotes données ~ans autre précision renvoient à celle-ci. Voici la liste des quelques abréviations utilisées: B.N.: Bibliothèque nationale, Paris. Ars.: Bibliothèque de l'Arsenal, Paris. Sorbo : Bibliothèque de la Sorbonne. Ste Genev.: Bibliothèque Sainte-Geneviève, Paris. C.N.R.S. : Bibliothèque de la Maison des Sciences humaines. E.N.S. : Bibliothèque de l'Ecole Normale Supérieure, Paris. B.M. : British Museum Ubrary, Londres. Voici la liste des abréviations de titres de revues et de collections utilisées, avec s'il y a lieu, leur cote à la B.N. : A.H.S.j. : Archivum Historicum Societatis jesu ; 4° H 3439. B.H.R. : Bibliothèque d'Humanisme et Renaissance; SO Z 26830. B.S.A.M.: Bulletin de la Société des Amis de Montaigne; SO Z 25692. I.H.S.j.: Editions de l'lnstitutum Historicum Societatis jesu. j.W.C.I. : Journal of the Warburg and Courtauld Institute ; 4° Z 3489. P.M.L.A.: Publications of the Modern Languages Association; SO X 11057. R.E.L.: Revue d'études latines; SO Z 2240. R.Hist. : Revue historique; SO G 123. R.H.LF. : Revue d'Histoire littéraire de la France; SO Z 1399S. R.H.Philo. : Revue d'Histoire de la Philosophie; SO R 35149. R.S.H. : Revue des Sciences Humaines; SO R 35149. S.F.: Studi Francesi ; SO Z 25692. Mel. Arch. Hist. Ec. Fr. Rome: Mélanges d'Archéologie et d'Histoire (de l'Ecole Française de Rome) ; 4° G 184. C.A.I.E.F. : Cahiers de l'Association internationale des Etudes françaises. La mention Cior. renvoie à la Bibliographie de la littérature française du Dix-septième siècle, d'Alexandre Cioranescu, Paris, C.N.R.S., 1965-67, 3 vol. in-4°.
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BIBLIOGRAPHIE
1. SOURCES MANUSCRITES ROME
Biblioteca nazionale - Fondo gesuitico (Ce fonds est constitué des épaves d'archives du Collegio Romano saisies par l'Etat italien lors de son installation à Rome en 1870. Il contient, reliées par liasses constituées un peu au hasard, des reliques du fonds manuscrit du Collegio Romano antérieur à la dissolution de la Compagnie de Jésus en 1773, et en particulier des cours de rhétorique, des pièces d'éloquence latine, et des pièces de théâtre datant du XVII' siècle. En dépit du désordre et de la difficulté d'attrihution, la consultation de ces liasses est précieuse pour se pénétrer de l'esprit de l'humanisme jésuite à Rome sous le c: pontificat, littéraire du P. Strada et du P. Sforza Pallavicino.) Voir en part. Ges. 176. la liasse !a plus riche pour le XVJI". Entre autres, fa' 216-301, série de praelectiones dans l'esprit des Prolusiones Academicae du P. Famiano Strada. Voir aussi: Ges. 125. Bernardino Stefonio. Prose e versi latini. Ges. 140. Trajano Boccalini. Osservatione sopra la vita di Agricola da Caio Tacito. Ges. 142. Orazio Torsellini. Prose e ~ersi latini. Ges. 161. Varie carte e documenti relativi a la Corona di Francia. Ges. 202. Orazio Torsellini. Ars Rhetorica. Ges. 314. Versi latini di diversi autori (dont le P. Strada). Ges. 332. Orationi diversi in varii sOf!getti, sacri et profani, sec. XVII. G~s. 340. Baronii hortorum flores ab Annalibus desumpta.
Instilutum Historicum Societatis fesu. - Rom. 150. Ensemble de documents provenant du Collegio Romano au temps du P. Strada. En part. fa' 65-68, Lettre du P. Marcantonio Dejotaro au P. Famiano Strada, à caractère panégyrique. p. 101-111, Lettre du P. Petrucci au Général Ca ra fa dénonçant al tyrannie du P. Strada et du P. Sforza Pallavicino sur le Collège Romain, et la menace que celle-ci fait peser sur les bonnes lettres. p. 185-205, Declamatio de Gloria; adversus Gloriam. Declamatiuncula de Largitionibus. - Opp. NN. 13. RP. Famiani De Contexanda oratione (inédit). Orationes (inédites, dont un panégyrique d'Henri IV). PARIS
Bibliothèl]ue nationale 1. Manuscrits consultés relatifs à Jérôme Bignon:
Coll. Dupuy 660, fa' 349 et suiv. Relation de M. Bignon revenant de Rome. Anc. Fr. 4337, fa' 56 Vo - 67 Vo : Remonstrance d'ouverture de M. Bignon. Nouv. Acq. fr. 2431, fa' 411 et suiv.: Harangue sur le fait du cardinal de Retz; fa' 416-418: Pensées et réflexions sur l'affaire du cardinal de Retz.
BIBLIOGRAPHIE
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Nouv. Acq. fr. 2432, fo, 22 et suiv. : Remonstrance d'ouverture (dite le discours Sur la parole). Coll. Dupuy 869, fo, 105-106. Anc. Fr. 2763, fo, 177-178: diverses r.opies de la Harangue prononcée lors du Lit de Justice de 1636 et p1'Qtestant contre l'arbitraire de Richelieu. Coll. Dupuy, 663, fo, 13 et 61 : Lettres latines de Bignon à Peiresc. Coll. Dupuy, 869, fO' 172-182: Relation sur le procès Cinq Mars-De Thou. Anc. Fr. 9549, fo, 210 V O- 211. Dialogue entre M. Bignon et Louis XIII relatif à la transmission à Bignon des fonctions de Maître de la Librairie assumées par Fr.-Auguste de Thou. Anc Fr. 1361 ; fO' 168-194 et 203-218. Mémoire sur la vie de Jérôme Bignon, de Claude Pelletier. II. Harangues Académiques:
Anc. Fr. 645. - « Discours académiques de M. le Marechal de Bassompierre en forme d'epistres à M. de Balzac:. (sic). En fait: Discours sur les esprits (Desmarets de Saint-Sorlin, De l'amour des esprits, selon PeIlisson prononcé le 13 août 1635). Fo, 17-45. - Discours contre la pluralité des langues. (Bourzeis, daté par PelIisson du 12 février 1635, sous le titre: Sur le dessein de l'Academie et sur le d:fferent genie des langues.) P 45. - Discours s'il faut se marier ou non. (Chapelain? Est-ce le discours Contre l'Amour mentionné par Pellisson à la date du 6 août 1635, ou un autre de la même veine?) po. 52-64. - Discours sur l'Eloquence (Hay du Chastelet, 5.2.1635); p' 66-87. - Discours contre l'Eloquence (Godeau, 22.2.1635). Fo' 88-113 vO. - Discours contre les sciences (Racan, 9.7.1635). p' 114-135. - De l'amour des corps (Boissat, 2.9.1635). p' 1-16. -
III. Fonds Philippe de Béthune:
Ce fonds de manuscrits reliés aux armes de Ph. de Béthune, frère de Sully, a été donné à la Bibliothèque du Roi par son fils Hippolyte. 11 passe pour avoir été enrichi par Michel de Marolles. Voir L. Delisle, Le Cabinet des Manuscrits
de la Bibliothèque nationale, Paris, Impr. nat. 1881, t. l, p. 206-269, et J. Guignard, Nouvel Armoria Idu Bibliophile, Paris, E. Rondeau, 1890, s.v. Béthune. Cet ensemble reflète pour une large part non seulement l'étendue des curiosités intellectuelles de l'auteur du Conseiller d'Etat, qui fut ambassadeur à Rome, mais le mode d'acquisition et de mémorisation de cette culture: notes de lecture rédigées sous forme de sentences, recueils de maximes personnelles inspirées de l'expérience, de la conversation d'autrui, et de vastes lectures; dissertations copiées à partir de manuscrits qui circulent et qui ne sont pas publiés; réfutations et remarques. Outre la section PolitIque, d'un intérêt capital pour l'histoire de l'élite dirigeante française sous Henri IV et Louis XIII, les sections Logique et Rhétorique sont d'une extrême richesse. Nous donnons, surtout de cette dernière, un inventaire qui va à l'essentiel. Anc. Fr. 2516. De la Dialectique de Pierre de La Ramée (f O' 96-133). Anc. Fr. 2517. De l'Organon d'Aristote. Anc. Fr. 2518. Logique de M. Mareschal. Anc. Fr. 2519. P' 68-123: Responses et reparties tant pour correspondre aux reparties de courtoisie, que pour respondre aux brocardz et aux mespriz.
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BIBU OGRAPH 1E
Anc. Fr. 2520. P' 1-80: Traité des Passions. p' 83-141 : Essais politiques et moraux (Réflexions remarquables sur les rebellions, leurs causes, et leurs signes avant-coureurs). Anc. Fr. 2521. Recueil de sentences tirées de l'ensemble de l'œuvre de Philon d'Alexandrie. Anc. Fr. 2523. p' 53-57: Maximes relatives à la guerre. P 57: relatives à l'anarchie. p' 14 et suiv. : Réfl.!xions sur les Possedez de Loudun et sur le machiavélisme. Anc. Fr. 2525. Fo, 200-202. Réflexions sur le tempérament mélancolique. Anc. Fr. 2526. Traité de la Cour (fO' 53-59) Anc. Fr. 2527. Recueil de lieux communs. Anc. Fr. 2533. De l'Art d'embellir (Notes sur l'ouvrage de Flurance-Rivault), fo' 3-20. Usage. raison et parol/e (fo, 117-130). Anc. Fr. 2538. P' 33 et suiv. : Preceptes sur le discours escrits pour M. de Montmor. P 41 : Forme de discourir pertinemment, asseurement, et aisement sur toute sorte de subjet. P' 47-52 : Discours par argument oratoire. Anc. Fr. 2541. P' 40-46 VO : Du Jugement des Cinq Nations. FO' 88-93 : Remarques et deffauts au traicté des Lumieres de l'Eloquence. F" 94-116 VO : Rhetorique (sic). P' 118-45 Vo: Rhetorique: attribution des epi/hetes. p' 119-121. Harangue de Seneque. Response de Neron (disposition). F" 203-219. Oraison du genre délibératif. P' 239-240. Définitions. Oraison: «Voix signifiant quelque chose dont les parties separees ont aussy quelque signification ... Enonciation ... Affirmation ... Negation ... Anc. Fr. 2550. Fo, 68-86: De la Predication. P' 88 : De la Rhetorique: «Ne rien forcer. Laisser couler tout le court et plus aysé chemin. Nulle molle ny effeminee Iyaison et repetition de motz. Plus curieux de choses que de parolles... Grande varieté ... Qu'il n'y ait rien d'obscur, rien qui ne suyve bien. La longueur mesurée en sorte qu'elle n'excede point ce que l'haleine peut porter. .. P 89: Eloquence: «Toute sa force et excellence consiste dans les passions. Avoir une grande connaissance de la Moralle et du naturel de l'homme. La logique qui fournit la force des arguments, tres necessaire ... L'ordre, père de l'ornement et de la beauté ... (La formule est de Du Vair, dans De l'Eloquence). «L'ordre... est principalle maistresse d'eloquence ... P 90-92 : L'Oraison. Fo' 96-103 : Du Secretaire. P' 104107: Du Chancellier; Fo, 120-122: Des Adl'ocats. P' 123-143: Petit recueil de pointes, suivi de Forme de diversifier 011 adapter à divers sujets
une fleur oratoire ou pointe d'lin seul sujet. Anc. Fr. 2551. Fo 14: (Plaidoyer) Sur un sujet de crime. P 16: Bouquet gestorial (Recueil de lieux communs). F" 24-39: Science Universel/e. Fo 37: Stil. P 38 : Figures. p' 39-53 : Traité de Rhétorique. f" 54 : Sentences relatives à la rhétorique. Fo, 58-63: D'Eschines et Demosthenes pour et contre Ctésiphon. Fo 64 : De l'Eloquence. P 76 : Ciceron pour la defense
de Milon. Ordre tenu par Eschine dans son oraison contre Demosthenes. Fo 88: Lettres de Consolation. P 1 Hi: Lettre dédicatoire au Roi par M. de Montarsy. Anc. Fr. 2552. Langage et stilz. P 20: De la langue françoise. Fo 28: De la lecture des poetes. Fo 32: De l'ouïr. P 36 : De Seneque. P 38 : Langage. P 39 VO : De langues. Fo 47: Les Passions (de Coëffeteau, extraits). P' 88-92 : Des Lumieres de l'Eloquence de M. Himbert (extraits). Fo 93 : Pour discourir et examiner un sujet (M. Mareschal). Fo 94 : Preceptes de l'eloquence de M. Chevallier. p' 97-101-102: Sur le discours (Analyses de harangues). P 117: Discours (jugement critique: «Motz subtilz, doux,
BIBLIOGRAPHIE
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sententieux... quelquefois relevez. Exorde fort à propos. Narration claire... ~). Fo 121 : De la harangue de Volumnia à Coriolan us son filz. Fo 123: D'une plaidoirie de M. Reboul... P 125: lY Antenor aux Troyens. P 133 : Ordre de deux discours de M. Chevallier P 165 : Olivier de Serres: Harangue au Daulphin sur le sujet du Duc de Bourgogne. P 166: Harangues au Parlement (résumées) ... P 181: Ordre et Méthode (d'après le P. Caussin); analyse de harangues antiques: De Symmachus aux deux Empereurs etc ... FO 197: Du Panegyrique de Pline Second ... FO 206 : De la Harangue du gendre de M. Deageant (Dédicataire des Lumieres de l'Eloquence d'Himbert-Durant) faicte au Pape par M. de Créquy au nom du Roy pour sa promotion au Pontificat. P 209: Discours et pieces de M. Duplessis-Mornay ... P 249: Des Narrations. P 257: De Matthieu (extraits). Fo 261 : Harangue sur la Conjuration de Catilina. P 269: Harangue de Tibere, de Germanicus, d'Agrippine. p' 285-286 : Aux plaidoiries (préceptes: brièveté etc ... ). Fo 287 : De l'Oraison de Cicéron contre Catilina. P 297 : Plaidoiries de Reboul. Maximes de la methode du C. de Garon. P 309: Forme et maximes: sur Charron. P 313: Discours et refutation (M. du Chastelet). P 330: M. Bailly (Harangue). Fr. 2555. Les Lumieres de l'Eloquence de M. Himbert (extraits). Fr. 2559. Fo, 183-22: Rhetorique de M. de la Martelaye (1619). P 26: De Lucian (préceptes d'éloquence). p' 28-72 : Forme pour induire de tous les passages et beaux lieux que l'on trouve dans les livres. P 73: Methode d'un discours de M. Alary. FO' 81-88 : Sur l'art de discourir impromptu de M. Alary. Fr. 2560. Rhetorique et eloquence. Fr. 2565. Extraits de Ciceron, Du Vair, Seneque. Fr. 2568. Preceptes et exercices de rhetorique. Fr. 2572 à 2578. Diverses pièces sur l'art mnémotechnique de R. Lulle. Fr. 2581. De la Science de l'Eloquence, sentences diverses. Fr. 2585. Plusieurs discours tenus devant le feu Roy (Henri 1II) sur les passions de l'ame par plusieurs grands personnages. (Recueil capital pour l'étude des travaux de l'Académie du Palais. FO' 101-155: Discours de l'Ire de Pibrac.) Fr. 2586. Fo' f-22 VO : Reproches d'Ariadne à Thesee, par M. de La Brosse. Fr. 2587. P' 8-59: Rhetorique de M. le Garde des Sceaux Du Vair (?). Fr. 2597. Fo 59 VO : Stilz de Demosthene et Ciceron: «De Demosthene : n'a rien de gaieté, rien de joie ny d'embellissement. Est partout serré. Rien qui ne presse et qui ne poigne à bon escient. Ressent un grant travail. Une aigreur et austerité de nature. Sobre à se louer. Ne repete. De Ciceron. Mocqueur jusques aux approches du plaisant. Grand vaniteux. Repetoit. ~ Fo, 60-64: Rhetorique (divisions). Fo 68: De l'Art de la Memoire. P 80 : Observations sur un discours de M. Reboul. P' 100-108: Sur le second et troisieme plaidoyer de Reboul... P' 155-170: Lettre à Monsieur H., Advocat au Parlement. (Sur le pouvoir d'aveuglement des passions et de l'amour propre.)
IV. Autres ma1U1scrits consultés: Anc. Fr. 531. P' 47-70: De la rhetorique. Anc. Fr. 1673: La rhetorique expliquée par discours et par tables. Anc. Fr. 4044 (1). Traicté de la méthode et observations necessaires dans l'elo-
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BIBLIOGRAPHIE
quencl! et rhetorique ... aux fins de rendre les hommes d'esprit curieux capables d'escrire, discourir et parler en public. Lat. 11294. Ars Rhetorica ad Rhetoricas institutiones (v. fo 319, un Traité de la Poesie françoise). Lat. 11292. Compendium Rhetoricae, a Domino Becha in Collegio Lexoveo Anno Domini 1631. Lat. 11293. Institutiones oratoriae veterum recentiorumque exemplis illustralae. Nouv. Acq. Lat. 6282. Recueil de poesies latines composées dans les maisons de Jésuites à Caen, Nevers, La Fleche, et Paris dans la deuxième moitié du XVIII' siècle.
Il. SOURCES IMPRIMeES
1. RHÉTEURS, ORATEURS, SOPHISTES, PÉRES DE L'EGLISE GRECS, ÉDITIONS TRADUCTIONS DU XVI' ET DU XVII" SIÉCl.E (1500-1650) 1. Epistolae Basilii Magni, Libanii rhetoris, Chionis platonici, Aeschinis et
Isocratis oratorum, Phalaridis tyranni, Bruti romani, Apollonii Tyanensis, Juliani apostatae... - Epistolae diversorum philosophorum, oratorum, rhetorum sex et viginti... - Venetiis, ln aed. Aldi, 1499, 2 t. en 1 vol. in-4°. [Rés. Z 650.] (Ce recueil et les deux suivants sont à l'origine de la redécouverte de la seconde sophistique grecque, et d'une sensibilité nouvelle à l'art de la prose dans l'Europe moderne.)
2. Rhetores graeci, Venise, Alde, 1508-1509, 2 vol. in-fol. [Rés. X 273-274.] Aphtonii sophistae Progymnasmata. Hermogenis ars Rhetorica. Aristotelis Rhetoricorum ad Theodecten Iibri tres. Ejusdem Rhetorica ad Alexandrum. Ejusdem Ars Poetica. Sopatri Rhetoris quaestiones de componendis dec1amationibus in causis praecipue judicialibus. Cyri sophistae differentiae statuum. Dionysii Alicarnassei ars Rhetorica . Demetrii Phalerei De interpretatione. Alexandri sophistae De figuris sensus et dictionis. Adnotationes innominati De figuris Rhetoricis. Menandri Rhetoris Divisio causarum in genere demonstrativo. Aristeidis De civili oratione. Ejusdem De simplici oratione. Apsini De arte Rhetorica praecepta.
3. Rhetores graeci et latini, Venise, Alde, 1523, in-fol. [Rés. X 272.] Georgii Trapezuntii Rhetoricorllm lib ri V. Conslllti Chirii Fortllnatiani Iibri 111. Aqllilae Romani De figuris sententiarum et elocutionis liber. P. Rutillii Lupi earumdem figurarum e Gorgia liber. Aristotelis Rhetoricarum ad Theodecten. Georgio Trapezuntio interprete Iibri III. Ejusdem Rhetorices ad Alexandrum a Francesco Philelpho in latinum versae liber.
BIBLIOGRAPHIE
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Paraphrasis Rhetoricae Hermogenis ex Hilarionis monachi Veronensls traductione. Priscianus de Rhetoricae praeexercitamentis ex Hermogene. Aphtonii declamatoris rhetorica progymnasmata 10. Maria Cataneo tralatore. AELIUS ARISTIDE
·4. Orationes Aristidis. Venetiis, in aed. Aldi, in-fol. [Res. X 2S7.] 5. Aelii Aristidis... orationum tomi tres nunc primum latine versi a Oulielmo Cantero ... Huc accessit orationum tomus quartus ex veteribus graecis oratoribus concinnatus, eodem interprete. Item de ratione emendandi scriptores graecos ejusdem syntagma. Basileae, exc. P. Perna, 1566, in-fol. IX 729.] ALEXANDRE NUMÉNIOS (v. Rhetores graeci, éd. Alde cit.)
6. Alexandri sophistae de figuris sententiarum ac elocutionum Natale de Comitibus interprete. Venetiis, apud Sanctum Guerrinum, 1557, in-8° (trad. de Noël Conti). IX 16719 (2).] APHTONIUS (v. Rhetores graeci, éd. Alde cit.)
7. Aphtonii sophistae praeludia. Parisiis, ex off. C. Wecheli, 1536, in-8°. IX 20465.) S. Aphtonii sophistae praeclarissimi rheforica progymnasmata Uoanne Maria Cataneo interprete, curante Benigno Martino). Parisiis, apud S. Colinaeum, 1539, in-S o • IX 17836 (3).] 9. Aphtonii libellus progymnasmatllm id est proeparantium exercitationum in sermonem latinum conversus, Oraeco scripto et exemplis compluribus additis a Joachimo Camerario Palier. Lipsiae, s.d. in-12. IX 16752.] AalUs THÉON (v. Rhetores graeci, éd. Alde, cit.)
10. Theonis sophistae primae apud rhetorem exercitationes, innumeris qui bus scatebant antea mendis Joachimi Camerarii pabergensis opera purgatae, additis a Joachimo Camerario Pa/;er. Lipsiae, s.d. in-12. IX 16752.] ARISTOTE II. Aristotelis de Arte dicendi libri III Hermolao Barbaro inferprete. Venetiis, apud Vasco sa nu m, 1549, in-Bo, 137 ff. IX 16672.]
12. Aristotelis Rhetoricorom libri III, in latinum sermonem conversi et scholiis brevioribus explicati a Joanne Sturmio... Argentinae, exc. T. Richelius, 1570, in-Bo, 429 p. IX 16682.] 13. Aristotelis Ars rhetorica ab Antonio Riccobono ... latine conversa Ejusdem Riccoboni explicationum liber, quo Aristotelis loca obscuriora declarantur ... Aristotelis Ars poetica ab eodem in latinam linguam versa cum ejusdem de re comica disputatione. Venetiis, apud P. Meiettum, 1579, 2 t. en un vol., in-Boo (Rééd. à Lyon en 1618, à Paris en 1625 et 1645). IX 16685.]
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BIBLIOGRAPHIE
ARISTOTE
14. Commentarius in primum et secundum librum Rhetoricorum Aristotelis. Ingolstadii, 1602, in-Boo IX 16706.] (Par Marc Antoine Muret. Voir aussi P. Vett9ri, infra, n° 799.) 14blo • Les trois livres de la rhétorique d'Aristote traduits de grec en françois (par Jean Du Sin). Paris, D. Douceur, HiOB, in-Bo, 377 p. (Rééd. 1613). IX 16691.] 15. La Rhétorique d'Aristote traduicte en françois par le sieur Robert Estienne ... Paris, Impr. R. Estienne, 1624, in-8°. (Rééd. 1630.) IX 16692.] 16. Aristotelis Artis rhetoricae libri tres latina versione e regione graeci sermonis posita. Editio postrema a mendis quibus scatebat expurgata, Antonio Riccoboni interprete. Parisiis, 'lpud S. Cramoisy, 164B, in-Bo, 259 p. [R 94B3.]
17. La Rhétorique d'Aristote en françois (par François Cassandre). Paris, L. Champ hou dry, 1654, in-4°, 556 p. et table. (Rééd. 1675.) [X 11694.] (Destiné à remplacer les traductions de Du Sin et de R. Estienne.) ATHÉNÉE lB. Athenaei Dipnosophistarum sive Coenae sapientum Natale de Comitibus ... nunc primum e graeca in latinam linguam vertente... Venetiis, apud Arrivabenum, 1556, in-fol. [Z 403.] (Trad. Noël Conti.) 19. Athenaei... Deipnosophistarum libri quindecim... in latinum sermonem versi a Jacopo Delechampio ... Lugduni, apud A.de Harsy, 1583, in-fol. [Z 400.] (V. éd. critique du texte grec par Casaubon, Heidelberg, 1593 et Lyon, 1612.) 20. Les quinze livres des Deipnosophistes d'Athénée ... ouvrage traduit pour la première fois en françois (par M. de Marol/es). Paris, Langlois, 1680, in-4°. [Z 2902.] BASILE LE GRAND (Saint)
21. Epistola ad Gregorium Nazianzenum de vita in solitudine agenda per Budaeum latina facta. - Voir Budé Guillaume. Epistolarum latinarum libri V ... Parisiis, 1526, in-fol. [Z 464.] 22. Divi Basilii Magni de insituenda siudiorum ratione, et quae utilitas capi queat ex gentilium librorum lectione, oratio paraenetica ad nepotes suos... Parisiis, apud J.-L. Tiletanum, 1544, in-8°, 30 p. [C 4865.] (Autre éd. Paris, 1558.) 23. Harangue de Saint Basile le Grand à ses jeunes neveux quel prof/it ils porront recueillir de la lecture des livres grecs des autheurs profanes, ethniques, et payens, traduite de grec en nostre langue par Claude de Pontoux. Paris, J. Le Roxer et P. Hamon, 1561, in-8°. [Rés. C 4860.] 24. Basilii Magni epistola ad Gregorium sodalem suum de vita per Solitudinem transigenda, e graeco in latinum per Gulielmum Budaeum ... versa, in ea pueros ad literarum studia informandi ratio paucis expedifur. Parisiis, apud G. Morellum, 1562, in-Bo, 14 p. [C 2608 (2).]
BIBLIOGRAPHIE
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25. Les sermons de sainet Basile le Grand... traduicts du grec en françois par Christophle Hebrard de Saint Sulpice ... Paris, T. de Hinqueville, 1580, in-8·, 158 p. [C 445.]
26. Traieté ... du benoist Saint Esprit, et des dons de grlice qu'il nous départ ... Prieres des (Pères grecs) et Stances (de Bertaut) au mIme Saint Esprit. Paris, F. Morel, 1583, in-12, 23 p. [C 4548.] (Autre éd. 1608. Le traité, traduit par F. Morel, était faussement attribué à saint Basile.)
Zl. Discours de l'origine et causes des maladies, pestilences, guerres ... qui adviennent ordinairement et que Dieu n'en esl point autheur, traduict ... sur l'original grec de saint Basile ... Paris, F. Morel, 1584, in-S·, 28 p. [C 4565.]
28. Description du paradis terrestre traduicte nouvellement du grec de saint Basile le Grand... (pjlr F. Morel). Paris, F. Morel, 1586, in-8·, 12 ff. [C 3686 (2).]
29. Discours de la penitence ... Paris, F. Morel, 1587, in-8·, 24 p. [C 4596.) ~.
(Attribué faussement à saint Basile, trad. par F. Morel.) Du Vair (Guillaume). La Samcte Philosophie. Rouen, T. Daré, in-12, 1610, 300 ff. W· éd. 1580). [D 19949.) (Voir pp. 46-53, Epistre de sainct Basile le Grand à S. Gregoire le Theologien: traduction par Du Vair en français d'une lettre de saint Basile sur la vie solitaire qui avait été traduite en latin par Guillaume Budé en 1526.)
CLÉMENT D'ALEXANDRIE (Saint)
31. Clementis Alexandrini omnia quae quidem extant opera nunc primum e tenebris eruta latinitate donata, Gentiano Herveto ... interprete. Florentiae, L. Torrentinus, 1551, 3 part. en 1 vol. in-fol. (éd. parisienne 1566, chez
G. Guillard). [C S77.)
32. Clementis Alexandrini hymni in Chrislum Servalorem graece et latine, F. Morellum, 159S, in-S·, S p. [C 4570.)
33. Me/aplzrastae iambici senarii de salI/fis nostrae mysteriis et Clementis Alexandrini ad Christum tremetri. F. Morellus inlerpres... iisdem numeris latine expressif. Parisiis, apud F. Morellum, 1606, in-S·, S p. [C 4625.] 34. Clementis Alexandrini opera graece et latine quae extant. Daniel Heinsius tex/um graecum recensuit ... accedun.l diversae lectiones et emendationes... a Frederico Sylburgio collectae. Lugduni Batavorum, exc. Portius, 1616, in-fol. 580 p. [C 64.) (Autre éd. à Paris, CI. Morel ,1629.) CYRILLE D'ALEXANDRIE (Saint)
35. Du soleil de justice et de la couronne de l'an ... Paris, 1605, in-8·, F. Morel. [C 3929.) DÉMÉTRIUS DE PHALÈRE (v. Rhetores graeci éd. Alde cit.)
36. Demetri Phalerii de elocutione, Petrus Victorius in lucem edidit. Florentiae, apud ]untas, 1552, in-S·, XI-96 p. [X 16715 (1).] (Voir du même auteur les Commentarii sur Démétrius de Phalère et Aristote.)
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BIBLIOGRAPHIE
37. Demetrius Phaleril de Oratione sive de modo dicendi, Natale de Comitibus Veneto interprete, cum privilegio. Venetiis, apud Sanctum Guerrinum, 1557, in-12, 52 p. [X 16719.] (Trad. Noël Conti.)
38. Petri Victorii commentarii in librum DemetrU Phalerei de elocutione, positis ante singulas declarationes graecis vocibus auctoris ;;s denique ad verbum latine expressis. Florentiae, in off. Juntarum Bernardi fr., 1562, in-fol., 268 p. [Rés. X 272 et X 719.] DatOSTHÈNE
39. Demosthenis orationes duae et sexginta. Liban;; sophistae in eas ipsas orationes argumenta. Vita Demos!henis pel Libanillm. Ejusdem vita per Plutarchum. Ediderunt Aldus Manutius et Scipio Fortiguerra. Venetiis, in aed. Aldi, 1504, 2 part. en un vol. in-fol. [Rés. X 492.]
40. Demosthenis orationes quatuor contra Philippum a Paulo Manutio latinitate donatae. Venetiis, apud Aldi filios, 1549, in-4°. [Rés. X 1017 (1).] (Source de la traduction en français de J. Lallemant en 1549 et de L. Le Royen 1555.)
41. Les quatre Philippiques de Demosthène ... nouvellement translatées de grec en françois par Jehan Lallemant ... Paris, M. Fezandat, 1549, in-8°, 100 ff. [X 16877.] (La préface défend l'auteur contre deux sortes de critiques: ceux qui lui reprochent de n'avoir pas été '" tant curieux de langage", et de n'avoir pas cherché à rivaliser avec l'élégance et la force de l'original, mais simplement à «estre entendu". Et ceux qui lui auraient reproché, s'il avait «plus scrupuleusement translaté, et quasi mot à mot", de se montrer incompréhensible et «trop religieux translateur :1>.)
42. Trois oraisons de Demosthène ... , ûit/es Ol)mthiaques ... translatées de grec en françois par Lays Le Roy ... Paris, impr. M. de Vascosan, 1551, in-4°, 25 ff. [R 8257.] (Sur l'importante préface de cette traduction, voir notre 111° partie.)
43. Rapport des deux princes de l'éloquence grecque et latine, Demos/henes et Cicero a la traduction d'aucunes de leurs Philippiques par M. Jean Papon ... Lyon, Roy et Desnot, 1554, in-8°, XVI-266 p. [Rés. X 2179.] 44. Le Premier, second et dixieme livre de Justice 011 de la République de Platon. Quatre Philippiques de Demosthene. Sermon de Theodorite, evesque de Cyropoli... de la providence et justice divine, le tout traduit de grec en françois par Loys Le Roy, à Messire Bertrand de Comminges ... Garde des Sceaux de France. Paris, S. Nivelle, 1555, in-4°, Iv-250 p. [·E 227.] (Deux préfaces: l'une, p. 120-126, «contenant la comparaison de Demosthene et de Ciceron, de leurs styles, et fortunes ... », l'autre, p. 211, en tête du sermon de Théodorite, fait un bilan de son œuvre de traducteur d'Isocrate, de Xénophon, de Platon, et de Démosthène: «De ma part, quand j'au rois seulement proposé à la nation françoise les precepteurs du genre humain, qui ont demeuré jusques icy es-escholes mal entendus, et traittez grammaticalement, je ne penserois pas avoir peu fait, mesmement en une langue non encores dressee, ny accoutumee et disciplinee. »)
45. Orationes Aechinis et Demosthenis inter se contrariae, a Dionysio Lambino ... in latinum sermonem conversae. Lutetiae, apud Vid. G. Morelli, 1565, in-4°, 183 p. [X 3128.]
BIBLIOGRAPHIE
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46. Sept oraisons de Demosthène prince des orateurs à sçavoir les Olynthiaques et quatre Philippiques traduittes du grec en françois par Loys Le Roy dict Regius... Paris, impr. Fr. Morel, 1575, in-4", 76 ff. [Rés. X 1027 (1).]
(Outre la dédicace au duc d'Alençon, ce recueil contient une préface «contenant la perfection de l'Eloquence, et conjonction d'icelle avec la Philosophie, ensemble l'entière comparaison de Demosthene et Cicero n, les deux plus eloquens hommes qui furent jamais,.. Cette préface très importante peut être considérée comme le modèle suivi de très près par Du Vair dans son traité De l'Eloquence, qui n'est après tout qu'une préface à la traduction de discours de Cicéron et de Démosthène. Voir en particulier p. 6: «Le corps de l'orai:ion, ainsi que l'humain, est beau, où les veines ne se monstrent trop, où les os n'apparoissent pas; mais y est le sang bien tempéré, qui remplit les membres, et s'esleve es muscles: quand y a fermeté es nerfs et que le tout est revestu de chair saine, et couvert d'une peau bien colorée. Ce que l'orateur ne peut faire sans l'aide de Philosophie.,. C'est déjà toute l'esthétique de Du Vair. Le thème de la « bassesse de l'éloquence françoise .. est également fort bien posé fol. 12 v·. Relié dans le même exemplaire, figure le Recueil des points principaux de deux Remonstrances de Pibrac, publié chez R. Estienne en 1570.) 47. Du Vair (Guillaume). De l'Eloquence Françoise ... Paris, 1595 (Priv. du 22 janvier 1594), in-12, 42-283 ff. [X 18559.] (Voir ff. 3-93, trad. du Contre Ctesiphon d'Eschine, et ff. 93-198, trad. du Pour Ctesiphon de Démosthène, suivis de la trad. du Contre Milon d'Appius Clodius et du Pour Milon de Cicéron). L'ouvrage de Du Vair couronne les efforts de Le Roy, mais aussi de 1. Papon (Rapport des deux princes de l'éloquence grecque et latine, 1554), et de Denis Lambin (Orationes Demosthenis et Aeschinis il/ter se contrariae ... 1565). DENYS D'HALICARNASSE (v. Rhethores graeci, éd. Alde dt.)
48. Dionysii Halicarnassi de Compositione seu orationis partium apta inter se cOllocatione, ad Rufum ejusdem arlis rhetoricae capita quaedam, ad Echecratem, item quo genere dicendi usus sit Thucydides, ad Ammiaeum. Lutetia, ex off. R. Stephani, 1547, in-fol. 128 p. [Rés. 1177 (2).] DION DE PRUSE, dit CHRYSOSTOME.
49. Discours de la royauté et de la tyrannie traduit nouvellement du grec de Dion prusien surnommé Chrysostome ou Bouche d'Or par F. Morel. Paris, E. Prevosteau, 1589, in-8·, 8 p. [R 33833.] 50. Louange de la loy fraduicte sur l'original grec de Dion Bouche d'Or, par F. Morel... Paris, impr. F. Morel, 1598, in-8·, 14 p. [C 4710.] 51. Dionis Chrysostomi orationes LXXX ... Phofii excerptis Synesiique censura illustratae, ex interpretafione Naegeorgi accurate recognita Fed. Morelli... opera, cum Is. Casaubonis diatribn et ejusdem Morelli scholiis... Lutetiae, ex off. typo Morelli, 1604, 6 parties en un vol. in-fol. [Rés. X 504.] EUNAPE
52. Eunapius Sardianus de Vitis philosophorum et sophistarum, nunc primum graece et latine editus... Antverpiae, ex off. C. Plantini, 1568. 2 part. en un vol. in-8·. [Rés. R 2410.]
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BIBLlOORAPHIE
GRÉGOIRE DE NAZIANZE (Saint)
53. Gregorii Nazianzeni... orationes lectissimae XVI opera M. Musuri peditae. Venetiis, in aed. Aldi et Andreae soceri, 1516, in-So, 311 ff. [C 2623.] 54. Drationes XXXVIII, tractatus, sermones, et libri aliquot, latine (éd. Erasme). Paris, 1532, in-fol. [Rés. C 172.] 55. Sancti Gregorii Nazianzeni... opera nunc primum graece et latine conjunctim edita ... J. Billius Brunaeus... cmendavit, interpretatus est, una cum Nicetae Serronii... commentariis. Aucta est haec editio... Gregorii epistolis nunquam antea editis ex interpretatione F. Morelli ... Lutetiae Parisiorum, apud C. Morellum, 1609-1611, 2 vol. in-fol. [C 165.] (Rééd. 1630.) GRÉGOIRE DE NYSSE (Saint).
56. Discours spirituel touchant le sacrement du baptesme, traduit de l'original grec de saint Grégoire de Nysse par F. Morel... Paris, F. Morel, 1606, in-12, 52 p. [C 4584.] 57. Discours sur la Passion et Resurrection de N.S.f.C. translaté de l'original grec de saint Gregoire, evesque de Nysse, par F. Morel ... Paris, F. Morel, 1608, in-I2, 22 p. [C 4706.] 58. Sancti Patris nostri Gregorii episcopi Nyssenii... opera omnia quae reperiri potuerunt, graece et latine... edita... Additae sunt variae doctis virorum notae (Edidit F. Morel/us). Parisiis, apud M. Sonnium, 1615, 2 vol. in-fol. (Rééd. 1638.) [C 932.1 HERMOGÈNE (v. Rhetores graeci, éd. Alde cit.)
59. Hermogenis Tarsensis ... de Arte rhl'forica praecepta, Aphtonii item saphistae praeexercitamenta, nuper in latinum sermanem versa a Natale de Comitibus, Veneto. Basileae, apud P. Pernam, s.d., in-So, 414 p. (Trad. Noël Conti.) IX 16729·1 60. Hermagenis Tarsensis ... De Ratione inveniendi orataria libri III, latinitate danati et schaliis explicati... a Jaanne Sturmio. Argentorati, exc. J. RicheIius, 1570.2 parties en un vol., in-8°. [X 16730.] 61. Hermogenis Tarsensis ... Partitionum rhetoricarum liber unus, qui vulgo de statibus inscribitur. Argentorati, exc. J. Richelius, 1570, in-8°, 119 p. [X 16731 (1).] 62. Hermagenis Tarsensis ... de dicendi generibus sive formis arationum libri Il, latinitate donati ... a Jaanne Sturmio. Argentorati, exc. J. Richelius, 1571, in-So, 399 p. [X 16732 (1).] 63. Hermogenis Tarsensis ... de ratione tractandae gravitatis accultae liber, latinilate donatus ... a Joanne Sturmia. Argentorati, exc. J. Richelius, 1574, in-So, 79 p. [X 16732 (2).] ISOCRATE
64. Isocratis orationes; Alcidamantis contra dicendi magistras; Gorgiae de Lalldibus Helenae; Aristidis de :au:iiblls Athenarum; ejusdem de Laudibus urbis Romae. Venetiis, in aed. Aldi et Andreae soceri, 1513, in-fol., 1671, p. 1-197. [Rés. X 558.]
BIBLIOGRAPHIE
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65. Isocrates nuper accurate recognitus et auctus ... Isocrates, Alcidamas, Gorgias, Aristides, Harpocration. Venetiis, in aed. Aldi, 1534, in-fol. [Rés. X 276.] 66. Isocratis Orationes et Epistolae cum solita interpretatione I.T.A. quo accessit grammatica singularum vocum in duabus quidem prioribus orationibus explanatio cura A.P. (Ambroise Pezier) ... Parisiis, apud S. Chappelet, 1631, in-S·, 902 p. [X 26564.] (Une trad. latine des Opera omnia avait été publiée par Jérôme Wolf à Bâle en 1570, X 721.) 67. Trois livres d'Isocrates ... le tout translaté du grec en françois par Loys Le Roy, dit Regius ... Paris, M. Vasco san, 1551, in-4·, 106 ff. [R 1712.) 68. Enseignemens d'Isocrate et XenopllOn ... pour bien regner en paix et en guerre, traduitz par Loys Le Roy ... , avec la préface sur toute la politique ... Paris, Vasco san, 1568, in-4·, 95 p. [E 889 (1).] 69. Isocrate. De la louange d'Hélène et de Busire (trad. par P. Du Ryer et L. Giry). Paris, Vve J. Camusat, 1640, in-12, 126 p. [X I683S bis.] (A replacer dans la série des traductions patronnées par l'Académie.) 70. Le Prince d'Isocrate ou l'art de bien régner ... par M. Dubreton ... Paris, Sommaville et Courbé, 1642, in-S·, 284 p. [R 24247.] (Le titre de cette traduction montre que les contemporains étaient conscients des sources isocratéennes de l'idéal politique comme du style démonstratif de Balzac, auteur du Prince.)
JEAN
CHRYSOSTOME (Saint)
71. Le Dialogue de saint Jean Chrysostome sur la dignité sacerdotale, traduict en nostre langue françoise par Richard Le Blanc. Paris, R. Masselin, 1553, in-4·,2 fi. 156 p. [Rés. C 5970.)
72. Discours panégyrique de saint Jean Chrysostome sllr saint Jean l'Evangéliste translaté nouvellement sur l'original grec par F. Morel ... avec stance sur l'aigle dudit saint Jean ... Paris, F. Morel, 1591, S·, 16 p. [C 2S12.) 73. Sermons de la Providence de Dieu contre la fatale destinée et autres discours spirituels de saint Jean Chryslistome traduicts sur l'original grec par F. Morel. Paris, F. Morel, 1593, S·, 52 p. [C 2710 (1).] 74. Discours de 8aint Jean Bouche d'Or sur la creation des animaux et de la dignité de l'homme, traduit ... par F. Morel. Paris, F. Morel, 1594, in-S·, 16 p. [C 2677 (5).) 75. Discours de la verité du Saint Sacrement de l'autel traduict ... du Sermon de saint Jean Chrysostome ... sur le XXVI chapitre de saint Matthieu par F. Morel. Paris, F. Morel, 1596, in-S·, 31 p. [e 2677 (1).) 76. Discours de l'arbre de la science savoir si Adam a eu la cognoissance du bien et du mal avant que d'en goûter le fruict, et s'il l'a eue depuis. Traduict nouvellement par F. Morel sur l'original grec de saint Jean Bouche d'Or ... Paris, F. Morel, 1596, in-8·, 16 p. [e 266S (6).) 77. Discours du devoir des roys, gouverneurs, prelats, et magistrats, traduit en françois 8ur l'original grec de saint Jean Chrysostome ... Paris, imp. F. Morel, 1599, in-S·, 24 p. [e 3798.)
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BIBLlOûRAPHIE
7S. Homelies de saint Jean Chrysostome traduites en françois par François Joulet sieur de Chastillon. Paris, 1601, in-12 (Cior. n° 36773). (A rapprocher des traductions de Cicéron dont f. joulet est l'auteur.)
79. Sancti Patris nostri Joannis Chrvsostomi... opera omnia... Edidit Fronto Ducaeus. - T. \, Lutetiae Parisiorum, apud CI. Morellum, 1009, in-fol., 940 p. et 132 p. notes et index. - T. Il, ibid., apud A. Stephanum, 1614, in-fol., 1068-56 p. et index. - T. Ill, ibid. apud CI. Morellum, 1614, in-foI., IV-I055 p. et index. - T. IV, ibid., apud C. Morellum, 1614, VIII-976 p. et 7S p. notes et index. - T. V, ibid., apud A. Stephanum, 1616, in-fol. IV1011 p. et index. - T. V, ibid., apud S. Cramoisy, et A. Stephanum, 1624, in-fol., IV-H161 p. et index. [C 188.] 80. Homelies de sainct Jean Chrysostome avec les catecheses mystagogiques de S. Cyrille evesque de Jerusalem contenant plusieurs poincts et mysteres de la Foy catholique, apostolique et romaine, de tous tems creus et observez et à present indeuement controversez par les Separez, et encores un Traicté de l'Ame de saint Gregoire le Thaumaturge OU faiseur de miraeles ; le tout nouvellement traduict de grec en françois allec un discours des predicateurs qui affectent le bien dire par Antoine de Laval, sieur de Belair, geographe du Roy, capitaine de son Parc et Château de Moulins en Bourbonnois. Paris, CI. Cramoisy, 1621, in-8°, 199 p. [C 3832.] SI. Six livres de sacerdoce par sainct Jean Chrysostome (traduits par François joulet, sire de Chastillon). Paris, 1621, in-So (Cior. n° 36776). (A rapprocher de la traduction du L.1. du De Dratore par f. joulet.) JULIEN l'EMPEREUR
S2. Juliani imperatoris Misopogon et epistolae graece latineque nunc primum edita et illustrata a Petro Martinio ... addita est praefatio de vita Juliani eodem authore. Parisiis, apud A. Wechelum, 1566, in-So, 317 p. [Rés. X 2207.]
83. Juliani imperatoris de Caesaribus sermo, C. Cantoelari... opera on lucem nunc primum editus et ab eodem latinus faclus. Parisiis, apud D. Vallensem, 1577, in-8°, pièces limin. 53 ff. [X 16965.] 84. Discours de l'Empereur Julian sur les faicts et deporlemens des Caesars, traduict de grec en françois avec un abrégé de la vie dudit Julian, et annotations ... par B. Grangier. Paris, j. de Bordeaux, 1580, in-S·, 57 p. [X 16971.] 85. Juliani Caesaris Hymnus in Solem regem nunc primum in lucem editus a Theodoro Marcilio ... Parisiis, apud D. Duvallium, 1583, in_So, pièces Iimin. 56 p. [X 10062 (4).] 86. Juliani imperatoris quae extant omnia, a Petro Martinio ... et Carolo Cantoclaro ... latine facta emendata et aucta. Ejusdem Martinii praefatio de vita Juliani. Additus praeterea est Carolo Cantoclaro liber ejusdem Juliani nepl ~Cl"W:!Cl" et a Theodoro Marcilio 'TILvo, el, ~1X"tHIX '·HÂtOv. Parisiis, apud D. Duvalum, 1583, 4 part. en 1 vol., in_So. IX 16962.] 87. Epistre de l'Empereur Julien envoyée au elarissime Serapion avec un present de figues de Damas, contenant la louange des figues et du nombre centenaire. Traduit en françois sur l'original grec par F. Morel. Paris, f. Morel, 1610, in-S·, 16 p. [Yc 1322S.]
BIBLIOGRAPHIE
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88. Juliani imperatoris Caesares sive SatJ'ra in romanos imperatores, interprete Petro Cunaeo. In timine est ejusdem praefatio in Julianum. Antverpiae, ex off. Plantiniana Raphelengi, 1612, in-12, 155 p. [Z 17122.] 89. Juliani imperatoris Orationes III panegyricae ab eo cum adhuc christianus esset scriptae, quarum priores duae nondum editae, postrema fere tertia parte auctior prodit. Dionysius Pe.'avius latina interpretat;one donavit, notsi atque emendationibus illustravit. Flexiae, apud J. Rézé, 1614, in-8°, VI553 p. index. [X 16963.] 90. Juliani imperatoris opera quae quidem reperiri potuerunt omnia ... graece et latine prodeunt cum notis. Cum praefatione P. Martini et notis D. Petavii. Parisiis, sumpt. S. Cramoisy, 1630, 2 part. en 1 vol., in-4°. [Rés. X 1040.] LIBANIUS
91. Libanii sophistae graed declamatiunculae aliquot eaedemque graece, per Desider. Erasmum Roterod. cum duabus orationibus Lysiae itidem versis, incerto interprete, et alii nonllullis... Basileae, j. Froben, 1522, in-4°. [Rés. X 103S.] (Cette traduction d'Erasme ouvraIt la voie à celles de Fédéric Morel à la fin du siècle et au début du suivant. Ces pièces de prose épidictique sont une des sources des proses marinistes du XVII' siècle: Libanii dissertatio sub persona Menelai; Quae dixerit Medea suos mactatura filios; Quae dixerit Andromache interfecto Hectore ...• etc.) 92. Libanii sophistae de conscribendis epistolls. Auctoris cujusdam incerti ad Heraclidem epistolarum formulae ... ?3risiis. apud G. Morellum, 1558, 2 part. en 1 vol. in-8°. [X 16716 (2).] 93. Blason d·Ulysse. translaté de l'original grec de Libanius par Fed. Morel ... Paris. F. Morel, 1602, in_So, 24 p. (J 23249.] 94. Libanii sophistae efhopoeiae seu mO"ales fictaeque orationes nunc primum graece prodeunt e Bibliotheca regia, cum interpretatione F. Morelli ... Parisiis. apud F. Morellum, 1603, in-So, IS p. [X 19610.) (Une des sources. aux côtés des Characteres ethici de Théophraste. de la vogue des «peintures morales;, au XVII' siècle.) 95. Libanii sophistae laudatio Justitiae ... interprete Fed. Morello... Lutetiae, apud F. Morellum, 1605, 2 part. en 1 vol. in_So. [X 16957 (4).] 96. Libanii sophistae praeludia oratoria LXXII. declamationes XLV et dissertationes morales. Federicus Morel/lis ... nunc primum edidit, idem que latine vertit. Adjectae sunt notae et variae lectiones ... Praemissa est Libanii vita, Eunapio auctore ... Parisiis, apud CI. Morellum, 1606-1627, 2 vol. in-fol. [X 731-732.] 97. Libani sophistae dissertationes tres 1 de opibus, Il de amicis. III de inexplebili cupiditate. Fed. Morellus ... latine convertit... Lutetiae, apud F. Morellum, 1606, 2 part. en 1 vol. in-4°. [X 3807.] 98. Libanii sophistae laus palmae et pomi. ejusdem horti. porti. naumachiae. et leonis certantis description es ... LLltetiae, apud F. Morellum. 1612, 2 part. en 1 vol. in_So. [X 16955 (1).] (Voir également du même éditeur, X 19611 et X 16957.)
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BIBLIOGRAPHIE
99. Libanii j3"'17LÀLX6ç seu Panegyriclls Constanti et Constantio Imp. dictus .. Graeca nunc primum e Vaticana bibliotheca prodeunt Fed. Morellus recensuit, cum alëis mss. contulit, latine vertit, notis illustravit ... Lutetiae, apud F. Morellum, 1614, 2 part. en 1 vol. in-8°. [Rés. X 2198.) 100. !uj3",yloo I7O'PL ; p. 107 «La Mode est une maladie des femmes l> ; p. 108, Mode Moderne; p. 117, «le Principe le plus general de la Mode, c'est l'esprit humain qui, n'estant presque jamais en une mesme posture, se plaist à changer toutes les choses qui relevent de son Empire l>; p. 119, la France «changeante"» plus que toute autre nation; p. 131, Mode et imagination; voir aussi, p. 258 et suiv. discussion sur la conversation; p. 262, les compliments à la mode; p. 267, l'idéal, c'est «parler naïvement» ; p. 227, les habits à la mode avec une trad. du De Pallio de
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Tertullien. Enfin, p. 359-385, «Le style à la mode, où il est traité de l'Eloquence et de la Poësie du temps :..) GUÉRET (Gabriel). Entretiens sur l'éloquence de la chaire et du Barreau. Paris, Jean Guignard, 1666, in-12, X-213 p. [X 18613.] HEERE (De). Conferences academiques recueillies et mises en lumiere par le Sr De Heere, doyen de Saint-Aignan d'Orléans. Paris, Denys Langlois, 1618, in-8°, VIII-492 p. [Z 19834.] Huetiana ou pensées diverses de M. Huet, evesque d'Avranches. Paris, Jacques Estienne, 1722, 8°, 436 p. [Z 18216.] JACOB (p.), Avocat au Parlement. La Clavicule ou la Science de Raymond
Lulle, avec toutes les figures de rhétorique ... et la vie du mesme Ral'mond Lulle par M. (François) Colletet, Paris, j. Rémy, 1647, in-8·, 256 p. [R 39096.] Le Parfait secrétaire, ou la Manière d'escrire et de respondre à toutes sortes de lettres par préceptes et exemples... Paris, Sonunaville, 1646, in-8·, 420 p. [Z 13372.] (V. ch. V, «Quel est le vray style de l'Eloquence », qui se réfère entièrement à Cicéron, et ch. VI, «Des styles que l'on doit eviter », où Sénèque est curieusement condamné: «S. met un style dont la composition n'est que Musique, tant elle est douce, coulante et flatteuse: c'est le vray style de la Cour, aussi bien que du Siècle, et que les hommes ne doivent point recevoir, puisqu'elle renverse toutes les marques de l'amitié et de la société civile par ses charmes trompeurs qui en empêchent le discernement.:.) JAUNIN (Claude) et NYCOLE (Anger). Les complimens de la langue françoise, œuvre tres util et necessaire à ceux qui sont à la Cour des Grands et qui font profession de hanter les Compagnies. Paris, J. Bessin, 1630. [X 15122.] (Attribué par Barbier à Claude Jaunin et Anger Nycole. Réimpr. en 1641 avec Le Secrétaire à la Mode de La Serre, et en 1738, à usage de la «culture populaire », par «la Bibliothèque Bleue» de Troyes.) LA BOETIE (Etienne de). Discours de la servitude volontaire, intr. et notes par Paul Bonnefon. Paris, Bossard, 1922. Gr. in-16, 215 p. [8° R 31411.] LA GUESLE (Jacques de). Les Remonstrances de Messire Jacques de la Guesle, Procureur General du Roy. Paris, Chevalier, 1611, in-4°, VI-1009 p. [F 13814.] LAMBIN (Denis). Dionysii Lambini Monstroliensis, litterarum graecarum doctoris regii. De Philosophia cum arte dicendi con jung enda... Lutetiae, apud Joannem Benenatum, 1568, in_4°, 16 p. [Rz 1577. X 3431 (1).] LA MOTHE LE VAYER (François de). Considérations sur l'éloquence françoise de ce temps. Paris, Cramoisy, 1638, in-8°, 211 p. [X 18566. X 18567. Rés. G 2682 (2).] La Rhétorique du Prince. Paris, 1641, in-8°, 120 p. [X 18455.) Opuscules ou petits traités. Paris, Sommaville, 1643, in-8°, 288 p. [R 40543. Z 20068.] (Voir en particulier l'essai intitulé De la lecture de Platon et de son éloquence, p. 1-41.) L'Hexameron rustique. Paris, Th. Jolly, 1670, in-12, 253 p. [Y2 41973. Z 16624.] (Voir en particulier la Cinquième journée, où un sévère jugement sur le style de Balzac est attribué à Ménage.)
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En quoy la piété des François diffère de celle des Espagnols.
Paris, A. Courbé, 1658, in-4°. [4° Li' 4.] 564. Discours de la contrariété d'humeurs qui se trouve entre certaines nations et singulièrement en la françoise et l'espagnole ... Paris, E. Richer, 1636, in-8°. [8° Li' 1.] Œuvres, nouvelle édition ... Paris, Billaine, 1669, 15 vol. in-12. 565. [Z 20039-20053.] 566. LAMy (Bernard). De l'art de parler. Paris, A. PraIa rd, 1672, in-8°. (Nombreuses rééditions jusqu'en 1741.) [X 18461.] 567. LAMY (François). De la connaissance de soy-mesme et Eclaircissemens. Paris, Pralard, 1694-1698. 4 vol. in-12. [R 18697-18700.] 568. LANCELOT (Claude). Mémoires touchant à la vie de M. de S. Cyran ... pour servir d'esclaircissement à l'Histoire de Port-Royal... Cologne, aux dépens de la Compagnie, 1738, 2 vol. in-8°. [8° Ld3 88.] 569. LANCELOT (Nicolas). Le Parfait Ambassadeur divisé en trois parties,
composé par Don Antonio de Pera et de Cuninga, et traduit en françois par le sieur Lancelot. Paris, Sommaville, 1635, in-4°. [·E 637.]
570. 571. 572. 573.
(Dialogue. Voir p. 144: «On ne peut estre bon ambassadeur sans estre bon orateur... La Rhétorique et l'art de bien dire est necessairement requis en la personne d'un ambassadeur ... :. Sur l'idéal de l'ambassadeur-orateur, voir L. Delavaud, La diplomatie d'autrefois. Paris, Plon, 1915; Rousseau de Charmoy (L.). L'idée du parfait ambassadeur. Paris, Pedone, 1912; et surtout Mattingley (Garrett). Renaissance diplomacy. Londres, J. Cape, 1955. [Sorbo L. 14 188 in-8°.] LA PINELlÈRE (Guérin de). Suille des Visions de Quevedo. Paris, T. Du Bray, 1636, in-8°, 99 p. [y2 75748.] Le Parnasse ou la Critique des Poètes. Paris, 1635, in-8°. [Ars.; 8· BL 8647 Rés.] LA ROCHE-FLAVIN (Bernard de). Treize livres des parlemens de France ... Bordeaux, S. Millanges, 1617, in-fol., 928 p. [Fol. Lf 25 1.] LA SERRE (Jean Puget de). Le Bouquet des plus belles fleurs de l'Elo-
quence, cueilly dans les jardins des sieurs Du Perron, Coiffeteau, Du Vair, Bertaud, D'Urfé, Malerbe, Daudiguier, La Brosse, Du Rousset, La Serre. 574.
Paris, P. Billaine, 1624, in-8·, VI-607 p. [X 18757.] Le Secretaire à la mode, ou Methode facile d'escrire selon le temps -
diverses lettres de compliment amoureuses et morales... augmenté des complimens et des elegances françoises accommodées au langage du temps ... S.I., 1641, 2 part. en 1 vol. in-12. [Rés. Z 4106.] (Les «compliments" reprennent l'ouvrage de CI. Jaunin et A. Nycole de 1630. Une nouvelle éd. augmentée paraît à Rouen en 1651. [Z 13384.] 575. Le breviere des courtisans ... Bruxelles, F. Vivien, 1631, in-8°, 304 p. [·E 3438.] 576. LAVAL (Antoine de). Desseins des professions nobles et publiques conte-
nans plusieurs traitez divers et rares et... l'Histoire de la Maison de Bourbon ... Paris, Vve A. Langellier, 1612, in-4°, 461 ff., index. [4° Lm 3 118 A.] (Voir entre autres ch. Il, p. 3 et suiv.: «Qu'il est necessaire d'apprendre la logique qui n'est autre chose que parler par raison,,; éloge de la Logique, de l'Arithmétique, des Mathématiques, et de la Géométrie dans l'éducation des enfants, écoles de la vérité, correctifs d'une éloquence toute enflée de mots.) (1 re éd. Paris, 1605.)
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577.
Paraphrase des pseaumes de David tant littérale que mystique, avec annotations necessaires, le tout fidellement extraict des sai/lcts Docteurs receuz et approuvez en la saincte Eglise catholique Apostolique et Romaine, au tres-Chrestien, tres-Grand et tres-Invincible Henri IV. Paris, Langellier, 1610, in-4°, 1046 p. [A 3115.] 578. LE BRET (Cardin). Les Œuvres de Messire Cardin Le Bret, conseiller du Roy ... Paris, Du Bray, 1635, in-fol., 1240 p. [F 1322.] (Les Remonstrances qui s'échelonnent de Pâques 1605 à 1625, Y figurent p. 649-811.) 579. LE FAUCHEUR (M.). De l'action de l'orateur, ou de la prononciation et du geste. Revu, corrigé et publié par Comart. Paris, 1657, in-12, XII-243 p. et table. [X 18741. X 18742.] 580. LE ROY (Louis). Gulielmi Budaei viri clarissimi vita. Parisiis, jean Roigny, 1540, in-4°, 70 p. [4° Ln 27 3214.] (Dédié à Guillaume Poyet, Chancelier de France.) 581.
Drationes duae ... a/tera de jungenda sapienter sentiendi scientia cum ornate dicendi facultate. Lutetiae, ex off. Morelli, 1576, in-4°, 18 ff. [Rés. X 1246.]
582.
Deux oraisons françoises de Loys Le Roy, prononcees par luy à Paris avant la lecture de Demosthène, Prince des orateurs ... l'une des langues doctes et vulgaires, et de l'usage de l'eloquence, l'autre de l'Estat de l'ancienne Grece ... Lutetiae, Fed. Morellus, in-4°, 19 ff. [Rés. X 1246.] (Ce recueil, qui rassemble entre autres des cours inauguraux de Le Roy, est d'un intérêt capital pour l'histoire de la rhétorique au Collège royal au cours du XVI' siècle.) LOISEL (Antoine). Divers opuscules tirez des mémoires de M. Antoine Loisel, auxquels sont joints quelques ouvrages de M. Baptiste Du Mesnil, de M. Pierre Pithou, sieur de Savage, et de plusieurs autres, le tout recueilliz par M. Claude foly ... Paris, impr. de Vve Guillemot, 1652, in-4', LXXVII-754 p. [F 11681.] Pasquier ou le Dialogue des Advocats du Parlement de Paris, éd. par M. Dupin. Paris, Videcoq, 1844, in-18, VIII-362 p. [8° Lf49 55.] L'HOSPITAL (Michel de). Epistolarum seu sermonum libri sex. Paris, Mamert Patisson, 1585, in-fol., 11-381 p. [Yc 155.] Discours de M. le chancelier de L'Hospital à ses amis, tourné du latin (par Nicolas Rapin). Poitiers, j. Blanchet, 1601, in-4°, 18 p. [Yc 1456 (2).] (U ne des nombreuses traductions partielles du recueil précédent.) Œuvres complètes, éd. par A. Tardieu. Paris, Boulland, 18241825, 3 vol. in-8°. [l 53606-53608.] Œuvres inédites ..., éd. par j.S. Dufey. Paris, Boulland, 1825, 2 vol. in-8°. [l 53609-53610.] MALHERBE (Fr. de). Œuvres Poétiques, texte établi et présenté par R. Fromilhague et R. Lebègue ... Paris, Belles-Lettres, 1968, 2 vol. in-16, 264 p. [8' l 24786 (67, 1-11).] Œuvres, éd. par Antoine Adam. Paris, Gallimard, Pléiade, in-12, 1085 p. MARBEUF (Pierre de). Les Recueils de vers de M. de Marbeuf ... Rouen, D. du Petit Val, 1628, in-8', IV-252 p. [Ye 27209.]
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inédite du comte d'Avaux avec son père, J.J. de Mesmes, sieur de Roissy.
Plon, 1887, in-8°. 624. ORL~ANS (Louis d'). Cantique de victoire par lequel on peut remarquer
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la vengeance que Dieu a prise dessus ceux qui vouloient ruyner son Eglise et la France. Paris, Mangnier, 1569, in-8·, 39 p. [8° Ye Pièce 2485.) Plaidoyé des Gens du Roy ... Paris, Musson, 1593, in-8°, 168 p. [8° Lf 25 47.) Les Ouvertures de Parlements... auxquelles sont adjoustées cinq Remonstrances autrefois faictes par iceluy. Paris, Des Rues, 1607, in-4°, pièces Iimin., 588 p. [4· Lf 25 25.) ORMESSON (Olivier Le Fevre d'). Journal..., éd. Chéruel. Paris, Impr. Impériale, 1860-1861, 2 vol. in-4°. [4° L411 30.) OUDIN (Antoine), secrétaire interprète de S.M., Curiositez françoises, pour supplement aux Dictionnaires, ou recueil de plusieurs belles proprietez avec une infinité de Proverbes, Quolibets pour l'explication de toutes sortes de livres. Paris, Sommaville, 1640, in-8·, pièces Iimin., 616 p. [X 14017.) (A l'usage des étrangers. Oudin précise qu'il n'entend rien aux « escrits des Anciens ", mais qu'il s'attache à «quelques Modernes », reflets de « l'embellissement ~ récent de la langue, et dédaigneux de «la vieille façon d'escrire >, des « antiquailles» et des auteurs qui persistent à ignorer « l'ornement >. Il cite Malherbe, Silhon, Balzac, la conclusion de l'Astrée, Polexandre, Ariane et Polyxène.) PASQUIER (Etienne). Le plaidoyer de M. Pasquier pour l'Université de Paris, deffenderesse contre les Jésuites, demandeurs en requeste. Paris, Abel l'Angelier, 1594, in-8·, 104 p. [8· Ld39 17.) Le Catechisme des Jesuites ou examen de leur doctrine. «Villefranche », Grenier, 1602, in-8·, 358 ff. [8° Ld 39 30.) Les Recherches de la France ... Paris, L. Sonnius, 1607 et 1624, in-4°, 1 175 p. [4° L46 1.1.) Epigrammatum liber... Paris, Sonnius, 1618, in-16, 320 p. [Yc 8434.)
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De arte et causis rhetoricae ac methodo eam ad usum vitae civilis revocandae. Parisiis, Mathurin Dupuis, 1629, in-So, 477 p. [X 17S13 - R 49145.]
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Le masque des orateurs, c'est-à-dire la manière de déguiser facilement toute sorte de discours ... Paris, Acad. des orateurs, 1667, in-12, 64 p. [X 18739.] La Methode des orateurs ou l'Art de lire les autheurs, de les 661. examiner, de dresser le plan d'un discours et de faire des remarques et des collections qu'on appelle lieux-communs. Paris, Académie des Orateurs, 1668, in-8°, 108 p. [X 13357.] 662. La Rhetorique du Barreau, ou la Maniere de bien plaider ... Paris, Acad. des Orateurs, 1668, in-12, 320 p. [X 18747.] 663. RIGAULT (Nicolas). Exhortations chrestiennes imitées des anciens Pères wecs et latins. Paris, impr. de R. Estienne, 1629, in-8°, 11-160 p. [0 15535.] 664.
Viri Eximii P~tri Puteani Regis Christ, a consiliis et bibliotheca Vita ... lutl'tiae Parisiorum, ex off. Cramosiana, 1652, in-4°, 315 p. [4° ln2T 6862.] (Dédié au Premier Président Mathieu Molé.)
665. RULLMAN (Anne). Harangues prononcées... aux entrées de plusieurs princes et seigneurs, à la reception des Consuls et presentations d'avocats, avec quelques plaidoyers ... Paris, F. Huby, 1614. [Ars. 8° BL 2822.] (Ire éd. 1612. Dédié au Prince landgrave de Hesse. Harangues d'un avocat réformé nÎmois, prononcées à Nîmes.) 666. SAINT-EvREMOND. Letlres, éd. René Ternois, Paris, Didier (S.T.F.M.), 1967-1968, 2 vol. in-16. [16° Ln 2T 89101 (1-2).] (V. t. l, p. 69, Lettre à M. d'Olonne (1656): «Je sçay bien que de mon temps on ne faisoit estudier les gentilshommes que pour l'être d'Eglise; encore se contentoient-i1s le plus souvent du latin de leur bréviaire. Ceux qu'on destinoit à la Cour ou à l'armée alloient honnestement à l'Académie. On apprenoit à monter à cheval, à danser, à faire les armes, à jouer du luth, à voltiger, un peu de mathématique, et c'estoit tout. Vous aviez en France mille beaux gens d'armes, galants hommes: c'est ainsi que se formoient les Termes, les Bellegardes, les Montmorencis. Du latin de mon temps, d'homme de bien, un gentilhomme eût été deshonoré. ~) 667. SALABERT (Jean). Les fleurs de la rhetorique françoise avec une conduite pour ceux qui veulent se former à l'eloquence. Paris, C. Collet, 1638, in-8°, 127 p. [R 50012.] (V. Surtout Part. Il, ch. Il, «Qu'est-ce que le style, et combien il y en a de sortes », où le « style simple et doux» est défini par sa « naïfveté » et sa proximité, privée d'ornements, avec la « façon commune de par1er» (p. 69); ch. III, «De quelques proprietez du style excellent », le sublime défini comme « la perfection du style excellent» (= genus grande) : «c'est une belle perfection dans un discours qu'il soit clair, sans trop de simplicité, et subtil, sans trop d'obscurité»; « le style doit estre coulant, et non interrompu, et comme decousu, mais avec une telle suitte et liaison des paroUes, qu'il remplisse l'oreille d'une douceur... attrayante ... »; « Je vous prie de ne pas laisser flotter votre style au gré de vos imaginations, sans ordre, sans mesure, sans proportion avec un embarras de plusieurs pensées, où une seule suffiroit, estant bien deduite ... »)
772
BIBLIOGRAPHIE.
Les adresses du parfait raisonnement où l'on descouvre les thresors de la logique franroise et les ruses de plusieurs sophismes ... Paris, Collet, 1638, in-8', pièces Iimin., 340 p. [R 5OOII.J (D'inspiration aristotélicienne, ce traité de logique à la portée du grand public s'inscrit dans une lignée où il serait intéressant de situer le Discours de la Méthode. Voir plus haut n" 480 - 4S9 - 53S.) 668. SALAZAR (Ambrosio de). Miroir general de la grammaire en dialogues' pour sravoir la ... prononciation de la langue espagnolle (avec) ... aucunes histoires gracieuses et sentences notables. Rouen, Adrien Morront, 1614,. in-8', 52S p. [X 14682.J (Dédié à liminaire Du Grec entiere /
Louis Xlii par le 4: professeur d'espagnol à Rouen ». Un poème dit: Celuy est fol qui s'efforce / D'oster la plus dure escorce / du Latin aussi / De toute langue estrangere / S'il n'a la volonté D'enrichir la sienne aussy.)
669. SAUMAISE (Claude). Eucharisticon Jacobo Sirmondo pro adventoria de regionibus et ecclesiis suburbicariis. Paris, Drouart, 1621, in-4', XVIII720 p. [E 2043.J 670. SCALIGER (J.-C.). Oratio pro M.T. Cicerone contra D. Erasmum Roterodamum. Lutetiae, aenundatur, s.d., in-S' (dédicace et priv. de 1531). [Rés. X 2445.J 671.
Adversus Desid. Erasmi dialogum ciceronianum oratio secunda. Lutetiae, apud V. Vidovaeum, 1537, in-S'. [Rés. p. X 377.J
672.
Pro M. T. Cicerone contra D. Erasmum oratio 1 (-II). Tolosae, typo R. Colomerii, 1620, in-4'. [l 3415-3416.J (Edition procurée par j. de Maussac, dédiée aux frères Dupuy.)
673.
... Adversus vindices. Una cum Tolosae, D. et P. (Rééd. augmentée
674.
De causis linguae latinae ... Lyon, apud S. Gryphium, 1540, in-4', 356 p. [X 2031.J
675.
Poetices libri septem ... Genève, j. Crispin, 1561, in-fol., 364 p. [Rés. Y 5.J 2' éd. S.l., ap. P. Santandreanum, 15SI, in-S', 945 p. [Y 37S.J (Rééd. avec introduction par August Buck, Friedrich Friemann Verlag; Stuttgart, 1964.)
676.
-
Desid. Erasmum orationes duae eloquentiae romanae e;usdem epistolis et opusculis aliquot nondum vulgatis._ Bosc, 1621, in-4'. [X 3434.J du n' précédent.)
Epistolae et orationes ... Leyde, Plantin, 1600, in-S', IV-476 p.
[l 13960.J
677. SCALIGER (Joseph-juste). Diatriba de critica. Leyde, exc. jacobus Marci, 1619, in-12. [Y2 7294.J 67S.
-
Josephi Scaligeri Epistolae ... Leyde, Elzevier, 1627, in-8', 887 p_
[Z 14OO2.J
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Scaligerana, sive excerpta ex ore Josephi Scaligeri, per F.F.P.P. (fratres Puteanos). Genève, ap. P. Colomesium, 1666, in-S', 36S p. [l IS267.J
BIBLIOGRAPHIE
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680. Scaligerana, Thuana, Perroniana, Pithoeana, Colomiesiana, ou Remarques historiques, critiques, morales et littéraires, Amsterdam, Covens et Mortier, 1740, 2 vol. in-So. [Z IS228-1S229.] 681. SCUDÉRY (Madeleine de). Conversations sur divers sujets. Paris, Barbin, 1680, 2 vol. in_8°. [Z 20478-20479.] (Voir t. l, p. 203-250, «Du parler trop et trop peu », et t. Il, p. 540-586, «De la raillerie».) 6S2. SÉBASTIEN DE SENLIS - O.F.M. Epistres morales où toutes les dames qui pretendent au Paradis treuvent les vertus d'une Cour Sainte et celles des c/oistres réformés ... Paris, M. Soly, S.d. (1645), in_So, 478 p. [051812.] 683. Le Flambeau du Juste pour la conduite des esprits sublimes ... Paris, Buon, 1643, 2 vol. in-4°. [0 5560.] 684. SERVIN (Louis). Actions et plaidoyez de M' Louys Servin... avec les arrets intervenus sur iceuls. Paris, Heuqueville, 1613, in-8°. [Rés. F 1682.] (Rééd. augmentées, 1619, 1620, 1629, 1631, 1640... ) 685. Plaidoyez de M' Louys Servin, conseiller du Royen son Conseil d'Estat, et son Advocat General en sa Cour de Parlement. Paris, J. de Heuqueville, 1603, in-8°. [F 27603.] (T. Il, 1605; t. III, 1608; t. IV, 1613.) 686. Actions notables et plaidoyez de messire Louis Servin ..., dernière édition, ensemble les plaidoyers de M. A. Robert, Arnault et autres. Paris, G. Alliat, 1631, in-4°. [F 13877.] 687. Extrait du Plaidoyé de Monsieur Servin, Advocat General, pour Monsieur le Procureur General du Royen la cause de Messire André Valladier ... Relié à la suite de Valladier (André). Tyrannomanie estrangère, Paris, P. Chevallier, 1626, i~-4·, 750 p. [4° Ld10 3.] 688. SOREL (Charles). La bibliothèqlle françoise, de M. Charles Sorel ou le choix des livres françois qui traitent de l'Eloquence, de la Philosophie, de la Devotion et de la Conduite des mœurs et de ceux qui contiennent des Harangues, des Lettres, des Œuvres meslées, des Histoires, des Romans, des Poesies, des Traductions, et qui ont servy au progres de nostre langue, avec un traité particulier où se trouve l'ordre, le choix, et l'Examen des Histoires de France. Paris, Cie Lib. du Palais, 1664, in-12, 400 p. [Q 3423.] (2' éd. 1667, réimpr. Genève, Slatkine, 1970) (V. en particulier, ch. l, «Des livres qui traitent de la Pureté de la langue française» ; ch. Il: «Des livres qui apprennent à parler avec éloquence» ; ch. VII: «Des Lettres de M. de Balzac et des livres faits pour la Querelle sur son éloquence» ; et p. 20, précieuse bibliographie des ouvrages de logique en langue vernaculaire.) 689. TALON (Omer). Rhetorica e Petri Rami professoris praelectionibus observata. Parisiis, apud A. Wechelum, 1562, in-8°, 168 p. [X 17838.] (Rééd. Paris 1572, 1577, Bâle 1572, Francfort 1600, 1608.) 690. TALON (Omer, Avocat Général au Parlement de Paris, collègue de J. Bignon). Œuvres d'Omer et Denis Talon publiés sur les manuscrits autographes par DB. Rives•.. Paris, A. Egron, 1821, 6 vol. in-8°. [F 44930-44935.] 691. THOU (Jacques Auguste de). Préface de M. le Président de Thou sur la première partie de son histoire, mise en françois par le Sr. de V R. (Jean Villiers Hotman). Paris, Pierre Le Bret, 1604, in-So, 48 p. [SO La20 12.]
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Historiarum sui temporis pars prima libri CXXV ... (Dernière édition complète parue du vivant de l'auteur.) Lutetiae, apud A. et H. Drouart, 1609-1614, II vol. in-12. [Rés. 8° La 20 7 D.] 693. Histoire de M. de Thou, des choses arrivées de son temps, mise en françois par P. du Ryer ... Paris, A. Courbé, 1659, 3 vol. in-fol. [Fol. La 20 14.] 69-l. TRISTAN L'HERMITE (François). Le Page disgrâcié, éd. par Marcel Arland. Paris, Delamain et Boutelleau, 1946, in-16, 325 p. [16° Z 212 (7).] 695. TORY (Geoffroy). Champfleury ou l'Art et la science de la proportion des lettres ... , éd. G. Cohen. Paris, Ch. Bosse, 1931, in-4°, IV-XX-SO ff., 67 p. [4° Q 2129.] (Ed. princeps 1529, Rés. V. 515.) 692.
696. TURNÈBE (Adrien). De nova captandae utilitatis e litteris ratione epistola ad Leoquercum. Paris, Attaignant, 1559, in-8°, 3 ff. [Vc S716.] 697. URFÉ (Honoré d'). L'Astrée ... Paris, A. de Sommaville, 1633-1652, 5 vol. in-So. [V2 72257-72261.] L'Astrée ... , éd. par Hugues Vaganay. Lyon, P. Masson, 1925-1 92S, 5 vol. in_So. [SO V 70995.] (Réimpr. Genève, Slatkine, 1966.) 698. VALLADIER (André). Partitiones oratoriae seu De Oratore perfecto, opus ad sacrtlm etiam instituendum concionatorem pernecessarium... Paris, Pierre Chevalier, 1621, in_So, S5S p. [X 19999.] (Dédié à « la Cour Suprême du Parlement de Paris ». Ouvrage rédigé sous forme scolastique. Voir en part. L. l, quaestio VI, p. 71-S5: Qua
ratione Rhetorica et Sophistica inter se dissentiunt.) Les Divines Paralleles de la saincte Eucharistie, sermons pour l'octave du Sainct Sacrement presches à Saint-Meric l'an 1612 ... Paris, P. Chevallier, 1613, in_So, 473 p. [SO Z Le Senne 116S6.] 700. La Tyrannomanie estrangere ou Plaincte libellée au Roy ... Paris, P. Chevallier, 1626, in-4°, 750 p. [4° Ld10 3.] 701. VAUGELAS (Cl. Favre de). Remarques sur la langue françoise utiles à ceux qui veulent bien parler et bien escrire. Paris, Vve]. Camusat et P. Le Petit, 1647, in-4°, pièces limin., 594 p. [Rés. X 917.] (Voir l'éd. critique par J. Streicher, Paris, Droz, 1934.)
699.
702. VAUX (M. de). Tombeau de l'Orateur françois ou Discours de Tyrsis pour servir de response à la lettre de Periandre, tOl/chant à l'Apologie de M. de Balzac. Paris, A. Taupinart, 162S, in-4°, 441 p. [Z 3S932.] (Dédié à Mgr. de Sourdis, archevêque de Bordeaux. Fine critique, au demeurant mesurée, de l'éloquence de Balzac, d'un point de vue gentilhomme d'épée, ami de Cramai! et de Montmorency. Voir, dans la préface: « Une de mes intentions estant de faire voir que le naturel prevaut par dessus l'etude et les lettres, je ne me suis servy pour prouver mes propositions, que de ma raison naturelle », et p. 6: « Aussy n'ay-je pas beaucoup leu, et ne sçay de la grammaire que ce qu'il en faut pour lire et escrire, ni de la Rhetorique que ce que la nature m'en a appris ... Tous les hommes estans nez raisonnables, je puis sans le secours des arts, parler raisonnablement, et traiter, estant esclairé de la lumière naturelle, des choses que la raison a devancées, ou qu'elle a mesme produites.» L'ingenil/m naturellement éclairé du noble rejoint la foi éclairée d'En-Haut du chrétien, tel Goulu, ou Camus, dans le même dédain de « l'art» oratoire.)
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BIBLIOGRAPHIE
703. VIALART (Charles de Saint-Paul). Tableau de l'Eloquence françoise où se voit la maniere de bien escrire. Paris, 1632, in-8·, VI-350 p. [X 18564.) 704. VIAU (Théophile de). Œuvres poétiques, édition critique par Jeanne Streicher. .. Genève, Oroz, 1951-1958, 2 vol. in-16. [16 Z 783 (45 et 79).] 0
7. AU
RHÉTORIQUE, ÉLOQUENCE ET LITTÉRATURE EN ITALIE ET AU XVII' SIÉCLES (sauf S.j.) (1500-1650 circa)
XVI'
(Voir B. Weinberg, Trattati ..., Laterza, 1970, t. Il, biblio. et CapIan et King, c Italian treatises on preaching ... '", Speech Monographs, 1949, 243252.) 705. ALLACCI (Léon). Apes Urbanae, sive de viris illustribus qui ab anno 1630 per totum 1632 Romae adfuerunt ac typis aliquid evulgarunt. Romae, excudebat Grignanus, 1633, in-8°. [K 9543.) 706. De erroribus magnarum virorum in dicendo, dissertatio rhetorica Romae, apud haeredes Mascardi, 1635, in-8°. [X 17980 (1).) 707. ARESI (Paolo), évêque de Tortona. Arte di predicar bene ... con un trattato della memoria e un altro dell'imitatione ... Venetia, B. Giunta, 1611, in-4°. [0 6271.] (C'est contre ce traité de l'imitation que polémique, entre autres, Agostino Mascardi dans son Dell'Arte Historica.) 708. BAGLIONE (Fra Luca). L'arte di predicare contenuto in tre libri. Venezia, Andrea Torresano, 1562, in-8°, 119 ff. [0 24849 et Rés. 0 14850.) 709. BARBERINI (Matteo, Cardinal, puis Pape sous le nom d'Urbain VIII). In Divum Ludovicum IX regem Francorum Ode pindarica bilinguis. S.l.n.d., in_4°, 24 p. [Yc 4292.] (La dédicace à Louis XIII est signée du traducteur Frédéric Morel.)
710. 711.
Poemata ... Paris, A. Stephanus, 1620, in-4', 7-103 p. [Yc 4207.) Poe mata. Poesie toscane. Parisiis, e Typographia regia, 1642, 2 part. en 1 vol. in-fol., 318 p. (Rés. g Yc 559.] (On ne saurait surestimer l'autorité que Maffeo Barberini, Nonce à Paris, puis Pape, élève des jésuites romains, et Prince de l'Eglise, poète, conféra au cicéronianisme dévot du Collegio Romano, juste mesure entre une délectation de source «classique:. et un ethos chrétien «réformé:. selon le Concile de Trente.)
712. BARONIO (Cesare, dit Baronius). Annales ecclesiastici ... Romae, ex typo Congregationis Oratorii, 1593-1607, 12 vol. in-fol. [H 101-112.) Les Annales de l'Eglise ... trad. par André Tod, 1er vol. Paris, 713. P. Chevalier, 1614, in-fol., 913 p. [H 245.) 714.
L'Abrégé des Annales ecclésiastiques ... fait par Henri de Sponde, trad. par P. Coppin. Paris, j. Petitpas, 1636-1655, 3 vol. in-fol. [H 246-248.)
715. BEMBO (pietro). Christophori Longolii oraliones duae pro defensione sua ... Ejusdem episfolarum libri quattuor. Episfolarum Bembi et Sadoleti liber llnus. Florentiae, per haeredes Ph. juntae, 1524, in-4°, 163 ff. [Rés. X 2529.]
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BIBLIOGRAPHIE
Petri Bembi Epistolarum Leonis Decimi Pont. Max. nomine scriptarum; libri sexdecim ad Paulum Tertium Pont. Max. missi. Venetiis, P. et V. de Ruffinellis, 1535, in-fol. [Rés. Z 154.] (Le monument du cicéronianisme romain, publié sous l'invocation de deux grands Pontifes, et appuyé de tout le prestige attaché depuis le Moyen Age au style latin de la Secrétairerie aux Brefs. Rééd. augmentée de lettres à Longueil, Erasme et Budé à Lyon, 1538. [Z 15897].) 717. Leitere di messer Pietro Bembo a sommi Pontifici e a cardinali e a altri signori e personne ecc/esiastiche, scritti, divise in dodici libri. Roma, Fratelli V. e L. Dorico, 1548, in-4°, 397 p. [4° Z 78.] Epistole di Imitatione di G.F. Pico della Mirandola e di Pietro 718. Bembo (edit. Giovanni Santangelo). Firenze, L.S. Olschki, in-8°, 1954, IV-89 p. [8 Z 31673 (II).] (Voir recension de Raffaelo Spongiano dans Giornale storico della leit. italiana [8 Z 2349], t. CXXXI, 1954, p. 422-437.)
716.
0
0
719. BOCCAPADULI (Antonio). Antonii Buccapadulii de Summa Pontifiee creando, oratio ... (12 mai 1572). Rome, apud Haeredes A. Bladii, 1572, in-4°, Il p. [X 3639.] 720. BONIFACIO (Giovanni). L'arle dei cenni con la quale {ormandosi si favello visibile : si traita della muta eloquenza che non e altro che un {acondo si/enzio ... Vicenza, F. Grossi, 1616, in-4 D , 624 p. [l 5592.] 721. BOTERO (Jean). De Praedicatore Verbi Dei libri quinque iussu ... D.D. Caroli Cardo Borromaei. Parisiis, Chaudière, 1585, in-8 D • [*E 903.] 722. BRACCIOLINI (Francesco). Lo Scherno de gli Dei dei gentili, poema ... con l'aggiunta di sei canti, et altre rime piacevoli del/'istesso autore ... Roma et Bologna, C. Ferroni, 1628, in-12, 478 p. [Yd 2532.] 723. BRIGNOLE SALE (Antonio). Le instabilità dell'ingegno... divise in otto giornate ... Bologna, G. Monti e C. lenero, 1635, in-4°, 479 p. (Biblioth. Nice selon le répertoire Michel. Autre éd. 1641 à la Mazarine.)
Panegirici saeri... recitati nella chiesa di Santo Siro di Genova nei giorni de'BeaU Gaetano Tieme e Andrea Avellino. Venetia, Baba, 1662, in-12, 54 p. (Bibliothèque d'Aix, Arbaud.) Maria Maddalena peccatrice e convertit a... , panegirici saeri. Vene725. tia, Turrini, 1652, in-12, 216 p. (Biblioth. Bordeaux. Autres éditions à Aix (Ar baud) et à la Mazarine.) 726. BRUNI (Leonardo, d'Arezzo). Leonardus Aretinus de studiis et Weris, ex bibliotheca Gabrielis Naudaei. Parisiis, ap. viduam G. Pelé, 1642, in-8" , VIII-34 p. [l 10501.] (Réédition sous Richelieu d'un des textes fondateurs de la renovatio /iterarum et artium italienne du xv' siècle. Sur le Chancelier Bruni, voir les travaux cit. de H. Baron, P.-O. Kristeller et E. Garin.) 727. CARBONE DA COSTARACIO (Luigi). De Oratoria et dialectica inventione, vel de locis communibus libri quinque. Venise, D. Zenarus, 1589, in-S D , 647 p. [X 17964.] (Dédié à Fr.-Marie Duc d'Urbin, avec un éloge de l'Optimlls princeps, arbitre des passions que la liberté déchaînerait, moderator de la société humaine, protecteur des humaniores litterae.) 724.
BIBLlOORAPHIB
728.
729.
730.
'731.
732.
733. 734.
De dispositione oratoria disputationes XXX ... Venise, D. Zenarus, 1590, in-So, 397 p. [X 17976.] (Dédié au Duc d·Urbin. avec un éloge de l'éloquence, et surtout en la personne du Prince, car elte est l'auxiliaire indispensable du pouvoir royal. conciliant l'empire du Prince et la liberté raisonnable des sujet!l. la sapientia, l'auctoritas et I·eloquentia.) De Elocutione oratoria libri IV ... Venise, j.-B. Cotti. 1592. in-8°. 1058 p. [X 17977.] (Dédié au Duc François-Marie d·Urbin. avec une attaque sévère contre ceux qui. facultatis oratoriae destituti. parlent par sentences. brisent leurs phrases en brefs segments, et néanmoins, ignorant l'art de la période et de la composition. se répètent et tombent dans la prolixité. L'art de l'élocution, selon Cicéron même, est peut-être la principale partie de I·éloquence ...) Divinus Orator vel de Rhetorica divina libri septem ... Venetiis, apud Societatem Minimam, 1595, in-4°. 479 p. [0 531S.J (Dédié au R.P. Hippolyte Beccaria. Général de l'Ordre des Frères Prêcheurs.) CASA (Giovanni delta). Il Galateo ...• ovvero Traffato de·costumi. e modi che si debbono tenere 0 schifare nella commune conversatione. Fiorenza. Jacopo e Bernardo Giunti. 1561, in-8°, p. 72-120. Traffato degli uftici communi tra gli amici superiori e inferiori. Fiorenza. 1571. in-12, 120 p. (Reliés dans le même volume à la B.N. R 25956.) Le Galatee premierement composé en italien par J. de la Case, et depuis mis en Français, Latin, Allemand et Espagnol ..., Genève. Jean de Tournes, 1609, in-12, 609 p. [R 25957.] Les devoirs mutuels des Grands seigneurs et de ceux qui les servent ou l'Art de vivre à la Cour et de converser avecque les Grands,
excellent traicté de Messire Jean de la Case, archevesque de Benevent en Italie, mis de latin en françois par le Sieur Colletet, Paris. Somma ville. 735. 736.
737. 738. 739. 740.
164S, in-8°, 117 p. [R 2101.] (Dédié au Cardinal Mazarin.) CASTIGLIONE (Baltazar). Il libro dei CorteRiano, édition critique par Bruno Maier, U.T.E.T., Turin, 1964, in_So, 732 p. CASTIGLIONE (Giuseppe). Silvii Antoniani, SR E. cardinalis vita a Josepho Castalione, ejusdem orationes XIII ... Romae. Mascardi. 16\0, in-4°, VIII140 p. [H 3336.] CAVALCANTI (Bartolommeo). La Retorica di M.B.C. Vinegia, Giolito de Ferrari, 1559. in-fol.. 563 p. [Fol. X 150.J CHARLES BORROMÉE (Saint). Actae ecclesiae Mediolanensis ... Mediolani. P. Ponti us, 15S3. in-fol., 4-353 ff. [B 364.J Pastorum concionalorumque inslructiones ... Cologne. Cholin. 1587, in-16, 425 p. [0 26597.] ... Ex Mss. Codicibus Bibliothecae Ambrosianae Nocles Vaticanae
seu Sermones habiti in Academia a S. Carolo Borromeo in Palatio Vaticano instituta... Augustae Vindelicorum. 1758. 2 vo1., in-fol. [0 307S. J 74t. FleIN (Marsile). De Triplici vita libri tres ... Bononiae. 1501, in-4°. [Rés. Tc Il 14 E.J
Les Trois Livres de la vie ... traduit en français par Guy Le Fèvrc de la Boderie, .. Paris, A. L'Angelier, 1581. in-8°, .200 ft. [8° Tc Il 16.J
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(Sur l'importance de cet ouvrage dans l'histoire de la mélancolie aux XVI" et XVII", voir Klibansky, Saxi et Panovsky, Saturn and Melancholy, ouvr. cit.) 742. GEORGES DE TRÉBIZONDE. Rhetoricorum libri quinque. Parisiis, apud j. Roigny, 1538, in_So, index et 646 p. [X 16765.] 743. GIRALDI CINZIO (Giovanni-Battista). ... Poematia... Ejusdem epistola ad Coelium Calcagninum de imitatione. C. Calcagnini super imitatione commentatio ... Basileae, R. Winter, 1544, 2 part. en 1 vol. in-So. [Yc 100SI.J (La lettre à Ca1cagnini énonçant la doctrine dt! l'imitalio allulta figure p. 200-22S.) 744. GUAZZO (Stefano). La civil conversatione dei S. Stefano Guazzo, gentiluomo di Casale di Monferrato, divisa in JIll libri, ne quale dolcemente si ragiona di tutte le maniere dei conversare .... Venetia, presso Gratioso Perchaciao, 1581, in-12, 280 ff. [Z 16984.] (Avec Castiglione et DeUa Casa, un des plus importants monuments de la rhétorique de la conversation de Cour.) 745. La civile conversation du S. Etienne Guazzo, traduict en François par François de Belleforest, Paris, P. CaveUat, 1579, in_So, 624 p. [Rés. p Z 526.] 746. La Civile conversation divisée en quatre livres, traduite de fitalien par Gabriel Chappuys, Tourangeau, Lyon, jean Bérard, 1579, in-So, 556 p. [Z 16983.] 747. LANDI (Ortensio). Paradossi, cioè Sententie fuori dei commune parere novellamente venute in luce ... Lyon, Pullondarrin, 1543, in-So. [Rés. Z 3575.] 748. Paradoxes, ce sont propos contre la commune opinion de battus en forme de declamations forenses pour exciter les jeunes esprits en causes difficiles, reveus et corrigez pour la seconde fois. Paris, Ch. Estienne, 1554, in-So. [Ars so BL 2814.] 749. Les declamations paradoxales où sont contenues plusieurs questions debattues contre fopinion du vulgaire, traitté utile et recreatit, propre à eveiller la subtilité des esprits de ce temps, reveu et enrichi d'annotations fort sommaires par J. Du Val. Paris, J. Micard, 1603, in-S'. [Ars. So BL 2S15.] (Deux traductions à finalité bien différente: l'une à usage des avocats, dans l'esprit des Controverses de Sénèque le Père; l'autre à l'usage des gens de Cour qui y exerceront leurs «railleries ~ et leurs pointes.) 750. LOREDANO (Giovanni-Battista). Degli scherzi geniali... dans t. 1 des Opere, Venezia, Guerigli, 1653, in-16. [Z 31051.] (Ire éd. Venise, 1634.) 751. Les caprices héroïques (trad. François Grenaille de Chatounières). Paris, Ant. Robinot, 1644. [Y2 49474-49475.] (Cette traduction paraît la même année que le Tarquin le Superbe de Malvezzi traduit par Vion Dalibray.) 752. Bizzarie academiche ... con altre compositioni dei medesimo ... Venetia, ad istanza deU'Academia, 1643, in-12, 351 p. [Rés. Z 3593.] 753. La Dianea ... libri quattro. Venetia, ad istanza dell'Academia, 1643, in-12, 432 p. [Y2 10535.] 754. La Dianée ... à M. le Maréchal de Schomberg... Paris, SommaviIIe et Courbé, 1642, 2 vol. in-8°. [Y2 10536.]
BIBLlOORAPHIE
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755. MALVEzzI (Virgilio). Discorsi sopra Cornelio Tacito dei Conte M.V. al Serenissimo Ferdinando 1/ Gran Duca di Toscana. Venetia, M. Ginami, 1622, in-4°, 402 p. [·E 814.)· 756. Il Romolo ... Bologna, Ferroni, 1629, in-4°, 103 p. [·E 921.] 757. DQllide Perseguidato ... Bologna, Ferroni, in-4°, 154 p. [yI 410.] 758. Il Tarquinio Superbo ... di nuovo ristampato. Genova, P. Alberto, 1635, in-12, 151 p. [J 15012 (2).) 759. Tarquin le Superbe, avec des considerations politiques et morales sur les principaux événements de sa vie (traduit par Vion Dalibray). Paris, J. Le Bouc, 1644. [R 24383.] 760. Le Romulus du Marquis Malvez:zi, avec des considerations politiques et morales sur sa vie. Paris, J. Le Bouc, 1645. [·E 1187.] (II est significatif que les traductions de Malvezzi ne paraissent qu'après la mort de Richelieu, au moment où un renouveau du sénéquisme se manifeste au théâtre. Le style sénéquien italo-espagnol de Malvezzi était la cible préférée de l'Académie.) 761. MANZINI (Giambattista). 1 Furori della gioventù, esercitii retorici. Roma, F. de Rossi, 1633, in-12, 276 p. [X 28520.) 762. Les Harangues ou Discours Académiques de lB. Manzini (traduits par G. de Scudéry). Paris, Corbin, 1642, in-12. [l 19346.) 763. Il Cretideo ... Roma, Mascardi, 1642, in-12, 454 p. [y2 10532.) Delle Meteore retforiche ... Bologna, G. Minti, 1652, in-8°, VI-309 p. 764. [X 19264.) 765. MANuCE (Paul). Tre libri di Letfere volgari... Venetia, 1556, in-8°, 135 ff. et table. [Rés. Z 2406.) (Rééd. Venise, 1560, Rés. l 2409.) 766. ... Epistolae et Praefationes quae dicuntur ... Venetia, in Academia veneta, 1558, in-8°, 148 ff. [Rés. Z 2212.) (Rééd. Venise, 1560, Rés. Z 2214; ibid. 1561, Rés. Z 2215: dans cet ex. les lettres à Marc Antoine Muret figurent f. 65-82; ibid. 1569.) 767. MARIANI (Michelangelo). II più curioso e memorabile della Francia ... Venezia, Hertz, 1673, in-4°, 215 p. [4° Lb 37 5200.) (Véritable «reportage> journalistique sur la France et en particulier sur la Cour dans les premières années du règne de Louis XIV. Ce Gaudissart italien, en dépit de sa réclame, est bien informé et ses clichés ont le mérite de ne pas être les nôtres.) 768. MARINO (Giovanbattista). Epistolario ..., édité par Angelo Borzelli et Fausto Nicolini. Bari, Laterza, 1911-1912, 2 vol. in-8°. [8° Z 19447 (20) et (29).] (Voir en particulier les éblouissantes lettres-reportages sur le Paris de:; années 1615-1620.) Dicerie saere e la strage degl'lnnoeenti, a cura di Giovanni Pozzi. 769. Turin, Einaudi, 1960, in-8°, 628 p. 770. MASCARDI (Agostino). Dell'Arte historiea d'Agostino Maseardi trattati cinque. Roma, G. Facciotti, 1636, in-4°, pièces limin., 676 p. [Z 3167.] 771. ... Ethicae prolusiones ... Parisiis, apud S. Cramoisy, 1639, in-4°, pièces limin., 240 p. [R 6025.) 772. ... Romanae dissertation es de atfectibus sive perturbationibus animi earumque charaeleribus. Parisiis, apud S. Cramoisy, 1639, in-4°, 243 p. [R 6024.)
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773. MINOZZI (Pier Francesco). Delle Libidini dell'ingegno ... Milano, Ghilolfi, 1636, in-12, 383 p. [l 31038.] 774. Sfogamenti d'ingegno ... Venetia, per li Turrini, 1641, in-12, 333 p. [l 31040.] 775. MURET (Marc Antoine). Oraliones volumen secundum. Venitiis, apud F. Semensem, 1591, in-12, 288 p. [X 18050.] (Rééd. Rouen 1607, Lyon 1613.) (Le meilleur de sa carrière s'étant déroulé à Rome et son art s'inscrivant dans la tradition du cicéronianisme romain, Muret peut être rangé parmi les humanistes italiens plutôt que français.) 776.
M.A. Mureti... Hymnorum sacrorum liber ... ejusdem alia quaedam poematia. Lutetiae, ap. M. Patissonium, 1576, in-16, 24 ft. [Rés. A 6764 (2).]
Opera omnia ex mss. aucla et emendata cum brevi adnotatione Davidis Ruhnkenii, silldiose ab se recognita, emendata, aucta, selectisque aliorum et suis adnotalionibus instrucla accurate edidit Carolus Henricus Frotscher ... Lipsiae, sumpt. Serigianae librariae, 1834-1841, 3 vol. in-8°. [l 55988-55990.] 778. NATTA (Marc Antoine) .... Volumina quaedam nuper excussa, nllmero et ordine qui subjicitur ... Venetiis, Aldus, 1562. (V. fO' 76 et suiv. : De Christianorum eloquentia liber.) 779. PANIGAROLA (François). Tre prediche di mons. Panigarola fatte da lui in Parigi... Asti, Grandi, 1592, in-16, 101 p. [8° Lb3~ 256.] Cent sermons sur la Passion de N.S. prononcez à Milan par 780. RP.F. Panigarola, et traduiets en François par Gabriel Chappuys. Paris,
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Cavellat, 1586, in-4°, 642 p. [0 9107.] 781.
L'art de prescher et bien faire un sermon, avec la mémoire locale et artificielle faiet par RP.FP ... et traduit par Gabriel ChappII)'s, secretaire et interprete dll Roy, ensemble l'Art de Memoire de Hierosme Morafiote, Calabrois, Théologien. Paris, Chaudière, 1604. [0 46381.] (L'Art de la Mémoire (v. F. Yates, ouvr. cit.) renvoie à Simonide et s'attarde sur Giulio Camillo, p. 83. La technique consiste ici à répartir les « lieux» dans une ville intérieure, avec son amphithéâtre, son palais, son monastère ...} (Sur \cs traités de rhét. ecclésiastiques en italien de Panigarola, v. CapIan et King, art. cit.)
782. PELLEGRINI (Matteo). / Fonti dell'/ngegno ridolti ad arte. Bologna, 1650, in-8°, 310 p. [R 45930.] 783. PICO DELLA MIRANDOLA (Giovanni-Francesco). j.FP.M. domini, Physici
libri dllO, / : De appetitu primae materiae ; Il : De elementis et Rheforici duo; de imitatione ad Petrum Bembum, Petri Bembi de imitatione liber unlls. Basileae, apud Frobenium, 1518, in-4°, 124 p. [Rés. X 1218 (2). Rés. l 640 (4).] (Première édition de l'échange de lettres de imitatione ciceroniana entre G.F. Pico et Bembo. Voir l'éd. critique de G. Santangclo, sllpra, n° 695.) 784. PÉTRARQUE (Francesco Petrarca dit). Let/ere di Francesco Petrarca delle cose familiari libri ventiqualtro ; leltere varie libro unico ... Dra la prima volta raccolte, volgarizzate e dichiarate COll note da Giuseppe Fraca~setti Firenze, F. Le Monnier, 1864-1865, 5 vol. in-8°. [l 57608-57612.]
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785. POLITIEN (Angelo Poliziano, dit le). Omnia opera Angeli Politiani et alia quaedam lectu digna. Venetiis, in aed. Aldi, 1498, in-fol. [Rés. Z 294.) (Réimpr. Florence, 1499. Autre éd. Bâle, 1553, [Z 569).) 786. Dissertissimi viri A.P., linguae lalinae vindicatoris, epistolae lepidissimae ... Anvers, 1514, in-4°. [Rés. Z 756.) 787. Omnium Angeli Politiani operum quae quidem exsare novimus tomus prior, in quo sunt Epistolarum libri duodecim ... Paris, Josse Bade, 1519, 2 t. en 1 vol. in-fol. [Rés. Z 298.) 788. Angeli Politiani et aliorum virorum illustrium Epistolarum libri XII. Hanoviae, apud C. Antonium, in-12, 1604, 610 p. [Z 14164.) (Lettres de Politien à Cortesi de imitatione ciceroniana, p. 307-309, et réponse de Cortesi, p. 309-314.) 789. POSSEVINO (Giovan Battista). Discorsi sulla vila e allioni di Carlo 80rromeo ... Home, appresso j. Tornerii, 1581, in-8°, 283 p. [H 9230.) (Trad. fr. Bordeaux, 1611, in-8°, 368 p., [H 9231]) 790. RICCOBONI (Antoine) .... Commentarius in universam doctrinam oratoriam
Ciceronis... Simulque libri rhetoricae Aristotelis perstringuntur. Addito compendio totius Rhetoricae ex Aristotele et Cicerone junioribus ediscendo. Francofurti, apud A. Wecheli haeredes, 1596, in-8°, 308 p. [X 16711 (2).) 791. SANSOVINO (Francesco). L'arte oratoria secondo i modi della lingua volgare. Venezia, G. dal Griffo, 1546, in-8°, 80 p. [X 19723.) 792. L'Avocato, dialogo divise in cinque libri ne quali brevemente 8i contiene materia della cose dei Palazzo Veneto ... Venetia, 1554, in-8°, 48 ft. [F 24219.] (Voir également F 27080, éd. de 1559.) 793. TET! (Girolamo, Comte). Aedes Barberinae ad Quirina/em... descriptae. Romae, Mascardus, 1642, in-fol., 221-36 p. [Rés. V 388. Fol. K 274.] 794. TESAURO (Emmanuele). 11 cannochiale aristotelico osia l'ldea delle argu-
tezze heroiche, vulgarmente chiamete imprese, et di tutta l'arte simbolica e lapidaria ... esaminata in fonte co rettorici precetti deI divino Aristotele, che comprendono tutta la Retlorica et Poetica elocutione ... Torino, Sim795.
796. 797. 798.
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baldo, 1654, in-fol., 784 p. [Z 519.) (2' éd. 1663, Venise.) VALIERO (Agostino). De Rhetorica ecclesiastica ad clericos, libri tres, aucli et locupletati. Veronae, S. et J. A. Donis, 1574, in-8°. [D 15241.) (Ed. parisienne, 1575, D 15242 (1). Cologne, 1575, avec L. de Grenade; Venise, 1578, X 4932; Cologne, 1582, trad. fr. Dinouart, 1750, rééd. 1851.) VALLA (Lorenzo). Elegantiarum liber ... Parisiis, 1471, in-fol. [Rés. X 641.) Opus Elegantiarum linguae latinae ... Romae, 1471, in-fol. [Rés. X 134.) VETTORI (Piero). Epistolarum libri X, orationes Xllll et liber de [audibus !oannae Austriae. Florentiae, apud Junctas, 1586, in-fol., 227 p. [Rés. X 156 (I).J Commentarii longe doctissimi in tres libros Aristotelis, de Arte dicendi, nunc primum in Germania editi. Basileae, ex off. J. Oporini, 1549, in-fol., 871 col. [Rés. R 156.J (Rééd. Florence, 1579. Voir également les Commentarii du même auteur sur l'Art poétique (Florence, 1560), l'Ethique à Nicomaque (ibid., 1584) et la Politique (ibid., 1576) d'Aristote.)
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concionibus seu de Interpretatione Scripturarum populari Libri IV ... S.I.n.d., in-4°. [0 6482.] De recte formando studio theologico libri quattuor ac de formandis sacris concionibus libri tres ... Coloniae, Agrippinae, haered. Burckmanni, 1575, in-8°, 868 p. [0 11654.] 8\0. LOUIS DE GRENADE. Ecclesiasticae Rhetoricae sive de Ratione concionandi libri sex ... Venetiis, apud F. Zilettum, 1578, in-4°, 334 p. [X 4932.] (Rééd. Cologne, 1582 - 1594 - 1611. Edition parisienne 1635, avec le De Modo concionandi de Diego de Estrella.) 811. PUTEANUS (Erycius) (VAN DE PUTTE, Henri). Suada attica, sive orationum
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Nations, leurs advantages, et defaux, les inclinations des hommes tant
à cause de leur naturel que des conditions de leurs charges. Paris, J. Petit-Pas, 1625, in_So, 443 p. [R 19889.] 818. Euphormionis Lusinini... satyricon, pars prima. Parisiis, Huby, 1605, in-12, 126 ff. [Rés. y2 1284.] 819. Les Satyres d'Euphormion de Lusine, contenant la censure des
aclions de la plus grande partie des hommes en diverses charges et vacations... mises en françois par 1. T.P.A.EP. Paris, J. Petit-Pas, 1625, in_So, 692 p. [Y2 6156 (1).] L'oeil clairvoyant d'Euphormion, mis en nostre langue par M. Nau, avocat au Parlement. Paris, A. Estoct, 1626, in_So, 277 ff. [Y2 6157.] (V. f. 50, attaque redoublée par le traducteur contre les courtisans, flatteurs, railleurs et ignorants.) 821. La Satyre d'Euphormion mise nouvellement en françois. Paris, J. Guignard, 1640, in-8°, 648 p. [Y2 6158.] (Trad. j. Béraut. V. p. 50, une autre version de la satire du langage de Cour.) 822. BULWER (John). Chironomia or the Art of Manual rhetorique. London, T. Harper, 1644, in_So, XVl-147 p. [Rés. X 1653 (2) ..]
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studii puerilis et slili ad comparandum utriusque linguae facullatem, colleeta a Joachimo Camerario, nuncque denuo cum emendatiora, tum locis aliquot aucliora, in lucem edita ... Basileae, per j. Oporinum, 15·15. in_So, XII-402 p., index. [X 19997.] 825.
Notalio fij(urarum orationis et mutatae simplicis eloculionis in apostolicis scriplis ad perspiciendam de intellecto sermone sententiam authorum,' accessere et in libn/m 1tpO:~'wv et O:7':O",,),U ~ ")Ç simi/cs notalion es, nunc primum elaboratae studio Joachimi Camerarii. Lipsiae, edita denuo procurante. E. Wegelino, in-4°, XXXI-369 p. [D2 583.]
826. CASAUBON (Méric). A treatise concerning Enthusiasm, as it is an effect of
nature, but is mistaken by many for either divine inspiration or diabolic possession. London, T. Johnson, 1655, in_So, pièces Iimin., 22S p. [D2 3756.] 827.
De Enthusiasmo commentarius, in quo cum de enthusiasmo in genere, tum de contemp/alivo et philosophico, rhetorico, poetico, precatorio in specia luculenter agitur, cura J. F. Mayeri... per A. Fabricium ex anglico laline redditus ... Lipsiae, Strausius, 1724, in-4°, 160 p. [Ars BL 4594. B.N. Rz S37.] (1 re éd. 170S.)
(Ouvrage fondamental à rapprocher du De erroribus d'Allacci, sur le grand débat autour de l'enthousiasme et dll sublime qlli court de Pomponazzi à Burke.) 82S. CAULER (Simon). Rhetoricorum Simonis Cauleri libri quinque editio tertia,
praeceptis auctior, illustrior exemplis, et epitome praeclari luvenis P%ni Christophori de Chalecz lucu/entior. Parisiis, H. de Mamef, apud Dionisiam Cavellat, 1606. [Ars so BL 2709.] 829. ERASME (Désiré). De Duplici copia verborum et rerum commentarii duo, adjectis ad marginem Christophori Longolii... scholiis. Argentorati, ex aed. Schurerianis, 1514, 3 part. en 1 vol., in-4°. [Rés. l 761.]
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De recta latini graecique sermonis pronuntiatione... dialogus. Ejusdem dialol!us cui titulus Ciceronianus sive de optimo genere dicendi... Basileae, in off. Frobeniana, 152S, in_So, 463 p. [Rés. p. X 431.] (Ed. parisienne S. Collinet, Paris, 152S, Rés. X 1730.)
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Dialogus cui titulus Ciceronianus sive de oplimo genere dicendi... Tolosae Tectosagum, 1621, 1 vol. in-4°. [l 3413-3416. l 3434.] (Edition préfacée par j. de Maussac.)
... Ecclesiastes sive de ratione concionandi libri quattuor... Antverpiae, M. Hilenius, 1535, in_So, 231 ff. [D 15240.] 833. ... Opera omnia emendatiora ... Johannes Clericus edidit... Lugduni Batavorum, P. Van Der Aa, 1703-1706, 10 t. en 11 vol., in-fol. [l 597-607.] (L'édition de référence en attendant J'achèvement du n° suivant.) 834. ... Opera omnia ... Amsterdam, North-Holland Publ. Company, 1969. [4° l 6702.] 832.
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INDEX
ABLANCOURT (Perrot d'): 396, 617, 620, 621, 651, 669, 670, 671, 694. Abondance (voir Ubertas). Académie Française: 20, 22, 203, 622, 674-ééO, 693. Académie des humoristes: 192. Académie Romaine: 191-192. Acedia: 128. ACQUAVIVA (Claudio): 178, 252, 297, 298, 404. Actio oratoria: 12, 30-51, 315, 317, 325, 509, 540. Acumina (voir sententiae): 61, 74, 99, 125, 158, 181, 198, 290, 413. ADAM (Antoine): 327, 594, 597, 608, 611. AELIUS ARISTIDE: 214, 215, 216, 217, 255, 288, 304, 309. AELIUS THEON : 213, 214, 222, 291, 310. Aemulatio (voir imitatio): 88, 245. AGRICOLA (Rodolphe): 99, 461. AILLY (Pierre d'): 432. ALBALAT (Antoine): 6. ALCIAT (André): 175, 590. ALDOBRANDINI (Cardinal Piero): 213. AL~ANDRE (Jérôme): 192, 254, 405, 557. ALESSANDRI (Alessandro): 600. ALLACCI ou ALLATIUS (Léon): 190, 206, 209, 210, 213, 226, 299, 321, 581, 650. ALVAREZ (Baltazar): 350. AMBROISE (Saint): 124, 134, 141, 142, 145, 184, 288, 463, 642 . AMMIRATO Scipione: 217. AMYOT (Jacques): 121, 334, 353, 444, 452, 494, 495, 496, 497, 504, SIS, 647, 652, 665, 676, 700, 701. ANDRÉ DE SAINT DENIS (le Frère) : 474, 60S, 669. ANNE D'AUTRICHE: 693. ANTONIANO (Silvo): 118, 136, 162, 164. APHTONIUS: 214, 222, 288, 310. APOLLONIUS DE TYANE: 180. Aptum (Convenientia): 51, 157, 158, 161, 185, 189, 195, 265, 456, 459, 463, 689 APUL~E: 94, 96, 100, 301, 304, 375. ARETINO (Pietro): 331. ARIOSTO (Ludovico): 129, 597.
ARISTOTE: 13, 41, Ill, 116, 117, 145, 146, 168, 187, 311, 314, 333, 383, 465, 527, 528, 529, 546, 570, 575, 576, 578, 580, 644, 670. ARNAULD (Antoine): 3, 233, 235, 236, 237, 241, 369, 389, 442, 493, SOI, 552, 558, 583, 586, 587, 588, 590, 624, 625. 626, 650, 666. ARNAULD (Antoine, dit le Grand) : 640, 684. ARNAULD D'ANDILLY (Robert): 442, 552, 558, 587, 623, 625, 627, 629. ARRIEN: 94. Art 1 nature: 51, 119·120, 132, 168, 177, 202. Asianisme: 54, 58, 160, 164, 185, 188, 189. 193, 198, 199, 458, 459, 460, 676, 689, 691. Aspérité (asperitas): 189, 198, 318, 319, 322, 324. ATHANASE (Le P.); 39. Atticisme (atticistes): 33, 53, 54, 58, 67, 87, 88, 159, 171, 174, 189, 198, 199, 458, 459, 460, 464, 489, 496, 565, 577, 580, 588, 591, 60S, 651, 652, 659, 665, 666, 669, 672, 676, 678, 683, 685, 688, 690, 694. Atticisme chrétien: 149, 489, 652, 653, 657, 672. AUBESPINE (Gabriel de l'): 395. AUBIGNAC (Abbé d'): 580, 694. AUBIGNÉ (Agrippa d'): 413. AUCHY (Vicomtesse d'): 542. Auctoritas (autorité): 25, 320, 487, 489. AUDIGUIER (Vital d'): 543. AUERBACH (Erich): 12. AUGUSTE: 65, 88, 91, 471, 622, 666, 684. AUGUSTIN (Saint): 3, 57, 69, 70·76, 79, 93, lOI, 102, 106, 107, 108, 109, 110, 124, 127, 129, 134, 135, 136, 138, 141, 142, 145, 147, 149, ISO, 166, 168, 182, 186, 187, 188, 189, 194, 200, 202, 219, 229, 276, 277, 288 311, 331, 333, 364, 375, 377, 388, 403, 463, 514, 516, 517, 553, 554, 563, 611, 635, 639, 640, 645, 671. AULBEROCHE (Pierre d'): 443. AULU·GELLE: 95, 96, 99, 216, 281, 295, 296, 299, 309, 665.
INDEX
838 AUSONE: 99, 471. AVAUX (Claude de Mesmes, Comte 329, 380, 381, 405, 416, 545. AVILA (Jean d'): 135, 143. Avocats: 65, 436, 437, 438, 439, 440, 464, 466, 467, 469, 471, 482, 485-488, 540, 542, 552, 585-622, 631. AYRAULD (Pierre): 463, 483, 586, AYRAUD (Le P. René): 589.
d'): 442, 539, 589.
BACHASSON (Catherine): 558. BAGLIONE (frère Lucas): 136, 138. BAïF (Jean·Antoine de): 521, 633, 647, 670. BAILLET (Adrien): 2, 578. BAILLEUL (Président Nicolas de): 380. BALDWIN (Charles): 14, 71. BALZAC (Jean·Louis Guez de): 6, 98, 114, 115, 121, 140, 192, 196, 203, 213, 226, 273, 308, 329, 330, 333, 334, 336, 337, 338, 352, 353, 356, 384, 416, 419, 474, 510, 521, 525, 543, 544, 545, 546, 547, 556. 567,568,571,573,575,581,582,583,594, 605, 609, 613, 621, 627, 629, 630, 631. 632, 635, 638, 644, 650, 658, 659, 671, 678, 684, 690, 693, 694, 695-706. BARBARO (Daniele): 119, 167. BARBARO (Ermolao) : 83, 119, 312, 578. BARBERINI (cardinal Antonio): 204, 207, 210, 212. BARBERINI (cardinal Francesco): 204, 207, 208, 209, 210, 211 ,212, 546, 557. BARBERINI (Taddeo): 205. BARCLAY (John): 522. BARILLON (Le Président): p. 567, 628, 630. BARON (Hans): 43, 44, 79. BARON lUS (le cardinal Cesare): 249, 253, 362, 364, 395, 514, 630. BARTHES (Roland): 7, 11. BARTOLE (Bartolo di Sassoferrato, dit): 451, 590, 595. BARZIZZA (Gaspare): 47. Bas (style, voir humile genus): 167, 196, 641. BASCAPE (Carlo): 143. BASILE LE GRAND (Saint): 124, 142, 180, 216, 331. BASSOMPIERRE (François de): 571, 608, 649, 693. BATAILLON (Marcel): 132, 143. BAYLEY (Peter): 14, 135. Beauté (voir ornatus). BEDE le Vénérable: 145. BELLI ER (Pierre): 478, 479. BELLIÈVRE (Pomponne de): 443. BEMBO (Pietro): 56, 83-91, 94, 97, 98, lOS, 106, 107, 110, 115, 116, 118, 139, 153, 162, 163, 164, 166, 167, 170, l7l, 174,
175, 180, 190, 191, 193, 197, 200, 229, 287, 312, 340, 341, 397, 401, 402, 452, 500, 504, 523, 589, 614, 622, 671, 684, 685, 705. BENCI (Francesco): 153, 175, 176-179, 191, 192, 397, 398, 400, 420, 507. BENICHOU (Paul): 17. BENTIVOGLIO (le cardinal Guido): 546. BERNARD DE CLAIRVAUX (Saint): 124, 145, 147, ISO, 288, 364, 371, 554, 643. BERNIN (Lorenzo Bernini dit le): 176, 202, 205, 280, 379. BÉROALDE (Philippe): 63. BERTAUT (Jean): 381, 523, 578. BERTIUS (Pierre): 37. BÉRULLE (le cardinal Pierre de): 421, 422, 480, 516, 544, 549, 555, 563, 565, 690. BEUGNOT (Bernard): 540, 695. BIGNAMI-ODIER (Jeanne) : 210, 557. BIGNON (Jérôme): 39, 443, 479, 515, 522, 546, 551-568, 581, 588, 590, 614, 620, 630, 631, 634, 635, 667. BIGNON (Roland): 552, 553, 588, 690. BINET (le P. Etienne): 100, 140, 252, 257, 264, 265, 266, 267, 268, 270, 272, 273, 274, 282, 283, 284, 285, 297, 307, 312, 336, 337, 338, 354, 355, 356, 372, 374. 384, 388, 389, 433, 497, 539, 542, 599, 676, 6ï7. BLET (le P. Pierre): 417. BLONDO (Flavio): 79. BLOUNT (Thomas Pope): 190. BLUCHE (François): 322, 585. BLUNT (Anthony): 320, 322, 482. BOCCACE (Giovanni): 78, 89, 121. BODIN (Jean): 570. BOÈCE: 288, 385. BOILEAU (Nicolas): 106, 198, 417, 515. BOISROBERT (François Le Métel de) : 240, 520, 578. BOISSIER (Gaston): 15. BOLGAR (Ralph): 47 , BOLLAND (Jean) : 405. BOMPAIRE (Jacques): 213. BONAVENTURE (Saint): 375. BONIFACIO (Giovanni): p. 314. BONORA (Ettore): 85. BORDEAUX (Jean de): 267. BORGE RH OFF (E.B.O.): 8, 14, 16. BORGIA (le cardinal Alexandre): 192. BORROMÉE (le cardinal Frédéric): 137. BOSSUET (Jacques Bénigne): 19, 139, 566, 705. BOTERO (Jean): 139, 142, 143, 148-152, 173, 183, 202, 341, 635, 636, 680. BOUHOURS (le P. Dominique): 416, 417. BOULANGER (André): 96.
839
INDEX BOURBON (Henri de, marquis de Ver· neuil): 37, 252, 311, 322, 329, 344, 400, 404. BOURBON (Nicolas) : 400, 405, 416, 454, 523, 544, 578, 692, 699. BOURDALOUE (le P. Louis): 138. BOURDELOT (Pierre): 416. BOURDOISE (Adrien): 556, 567, 634. BOYER (Philibert): 443. BRACCIOLINI (Francesco): 211. BRAMANTE: 91. BRANTÔME: 539. BRAY (René): 6. BR~MOND (Henri): 19, 255, 257, 258, 262, 264, 350. BREUIL (GuiIIaume du): 433, 436438, 441, 463. BR~VAL (Marquis de): 612. Brièveté (brevitas, laconismus) : 54, 100, 157, 159, 160, 183, 224, 401. 470, 486, 531, 541. BRIGNOLE SALE (Antonio Giulio)' 220, 222. BRIQUET (Etienne): 567. BRISSON (Barnabé) : 260, 261, 470, 496, 497, 503, 504, 509, 687. BRODY (Jules): 14, 562. BROSSE (Salomon de): 429. 497, 503, 504, 509, 687 BRULART DE SILLERY (Fabio): 3, 640. BRUNI (Leonardo): 44, 79. BRUNO (Giordano): 114, 129. BRUNOT (Ferdinand): 6, 435. BUCCAPADULI (Antonio): 163. BUD~ (Guillaume): 38, 110, 180, 248, 430, 434, 446452, 461, 462, 465, 470, 472, 478, 535, 577, 664-686. BULLART (Isaac) : 24. BUNEL (Pierre): 110, 112, 116, 416, 472, 603. BUONAMICO (Lazare): 117, 452. BURCKHARDT (Jakob): 16. CALCAGNINI (Cello): 164. CALEPINUS (Ambrosius): 600. CALLISTRATE: 265. CALVIN (Jean): 113, 116. CAMERARIUS (Joachim): 175, 222, 310. CAMUS (Jean·Pierre) : 222, 262, 548, 54~, 551, 572-576, 630, 639, 648, 669, 671. CAMUSAT (Jean): 76, 651, 670. CANAYE (Philippe): 478, 486, 606. CANTIMORI (Delio): 44. CAPLAN (Henry): 14, 144. CARAFFA (le P. Vincenzo): 90. CARAVAGE (Polidoro Caldara, dit le): 149. CARBONE (Louis): 182-186, 303, 315. CARO Annibal): 523, 702.
CARON (Antoine): 260. CARRINGTON-LANCASTER (Henry): 609. CASA (Giovanni della): 121, 523. CASAUBON (Isaac): 19, 159, 261, 331, 381, 386, 522. CASSAGNE (Abbé Jacques): 353. CASSIODORE: 313. CASTIGLIONE (Baldassare): 29, 30, 44, 88, 89-91, 191, 312, 500, 504, 523, 574, 614, 615, 701. CASTORI (Bemadino): 362. CATON D'UTIQUE: 44, 49, 659. CATON L'ANCIEN: 96, 104, 113, 130, 146, 160, 320, 435, 444, 451, 456, 470, 471, 485, 487, 540, 552, 590, 622, 658, 665. CAUCHIE (Maurice): 611. CAUSSIN (le P. Nicolas): 161, 186, 243, 246, 250, 252, 255, 274, 279-298, 299, 322, 324, 334, 335, 336, 337, 338, 340, 345, 347, 349, 353, 354, 362-170, 371, 382, 383, 388, 389, 398, 401, 409, 418, 432, 433, 436, 445, 465, 477, 507, 539, 548, 549, 571, 599, 629, 630, 677, 680, 682, 693. CAVALCANTI (Bartolomeo): 121. CELLOT (le P. Louis): 410. CELSE: 164, 347, 403. CERTEAU (Michel de): 136. CERVANTES: 128. C~SAR: 52, 87, 164, 194, 223, 253, 288, 347. 455, 456. CESARINI (Virgilio): 204. CHAIGNET (Anthelme-Edouard): 5, 7 9. Chaire (éloquence de la) (voir éloquence sacrée). CHAMPAIGNE (Philippe de): 556. CHAPELAIN (Jean): 106, 121, 190, 192, 212, 326, 329, 353, 520, 524, 575, 580, 582,583,621,627,649,656,658,684,694. CHAPPELET (Claude): 250. CHAPPUYS (Gabriel): 127, 129, 143, 144, 493. Characteres dicendi: 13, 224, 225. Characteres ethici: 294, 381, 386, 387. CHARLES 1" STUART: 533. CHARLES IX: 494. CHARLES BORROMÉE (Saint): 70, 109, 111, 115, 122, 123, 135, 136, 138, 139, 141, 142, 143, 148, 150, 162, 163, 215, 242. CHARLES.QUINT: 92. CHARRON (Pierre): 331, 473, 506, 546. CHASTEL (André): 103. CHATEAUBRIAND (François-René de): 4.
CHEVALLIER (Jean-Claude): 601, 619. CHRISTINE DE SUt::DE: 203.
l~;)EX
ClAM POLI (Giovanni): 204. CIC:aRON: 16,41,43,44, 45, "'-57, ln, 73, 77, 82, 84, 90, 94, 100, lOI, 108, 111, m, 116, 117, 123, 127, 129, 130, 136, 139, 144, 145, 146, 149, ISO, 154, 160, 161, 164, 166, 168, m, 174, 177, 181, 182, 183, 189, 191, 192, 198, 200, 202, 211, 224, 227, 273 ,278,279,287,288,301,311,314,317, 318, 321, 333, 339, 345, 347, 349, 352, 384, 385, 405, 408, 409, 412, 418, 439, 440, 441, 443, 444, 448, 455, 456, 457, 458, 463, 484, 490, 492, 497, 500, SOI, S02, 507. 513, 514, 523, 524, 532, 546, 551, 578, 579, 580, 593, 598, 604, 610, 617, 618, 622, 642, 644, 651, 655, 668, 6tn, 670, 683, 689, ln2, ln5.
Ciceronianus Stylus (voir Tullianus Stylus, imitatio ciceroniana): 77, 81· 88, 103-106, 111, 114, 130, 154, 164, 171, 398, 401, 419, 452, 461, 525, 619, 620, 657, 667, 681, 689. CINQ-MARS: 568, 630.
CISNEROS (le cardinal): 135. Citations: 445, 473, 474, 489, SOI, 591, 603608, 681, 687, 688. Clarté (perspicuitas) : 8, 54, 73, 148, 224. CL~MENT (le P. Claude): 311. CL:aMENT (Louis) : 434, 461, 462, 464. CL:aMENT D'ALEXANDRIE: 281, 288, 320, 374, 555, 560 •
CL:aMENT VI: 92. CLÉMENT VlIl: 182. CLÉMENT IX ROSPIGLIOSI: 178. COBELUZZI (Scipion): 557. CO~FFETEAU (Nicolas): 39, 273, 337, 345, SB, 523, 543, 549.
Cœur (pectus, cor): 189, 199, 201, 645, 646. COLLETET (Guillaume): 76, 329, 608, 611, 651, 652.
Collocatio verborum (arrangement des mots dans la phrase): SO, 63, 456, 60S, 701.
.
COLOCCI (Angelo): 91. COLOMBY (François de Cauvigny, sieur de): 649'()50, 657. COLUMELLE: 164. Comédiens: 317, 486488, 594, 597. 609. COMMIRE (le P. Jean): 417. COMMYNES (Philippe de): 590. COMPAYR:a (Georges): 5.
Compunctio cordis: 147, 151. «Conceptions. (voir sententiae): 60, 691, 699.
Concetti (voir acumina): 198. COND:a (Henri II de Bourbon, Prince de): 553.
Condicio temporum: 468, 483. CONDREN (le P. Charles de): 480.
CONRART (Valentin): 312, 353. CONTI (Armand, Prince de): 343. Convenientia (voir aptum, decorum)_ Conversation (art de la): 495, 496, 612.
Copia verborum: 100, 156, 160, 470. CORNEILLE (Pierre): 9, 21, 70,
m,
185, 353, 437, 481, S02, 517, 525, 528. 556, 576, 581, 601, 609, 617, 643, 684, ln2, 700, 702, 70S.
CORREGE (Antonio Allegri, dit le): 206.
Corruptio eloquentiae (décadence de l'éloquence ,voir sophistique): 62, 66, 74, 77, 141 .160, 229, 411, 413, 415, 525, 528, 547, 548, 622, 648, 690. CORTESI (Paolo): 79, 81-83, 193, 287. CORTONA (Piero da): 200, 206. COSME 1"' DE MÉDICIS: m, 173, 570_ COSPEAU (Philippe): 544. COSSART (le P. Jean): 417. COTON (le P. Pierre): 140, 238, 241 242, 247, 249, 252, 257, 263, 264, 272, 330, 355, 356, 383, 405, 675, 677. Coupé (style): 54, 57, 61, 183, 349, 414,
500. Cour: 367, 427, 428, 616, 626, 655, 657, 674. 696, 697.
Cour de France: 20, 21, 29, 32, 33, 140, 592, 597, 601-603, 608, 611, 612, 630, 662, 675, 677, 683, lnl, ln2, 699. Cour romaine: 21, 33, 204-205. COUSIN (Jean) : 9. CRAMAIL (Adrien de Montluc, Comt" de): 524, 533, 633. CRAMOISY (Sébastien): 202, 250, 397. CRASHAW (Richard): 679. CRESSOLLES (Louis de): l, 186, 243, 252, 255, 285, 299-326, 334, 335, 346, 354, 377,383,389,393,394,417,421,423,433, 509, 539, 594, 599, 601, 681. CROLL (Morris W.): 12, 13, 14, 153, 156, 162, 169, 170, 171. CROSILLES (Jean-Baptiste de): 533, 534. 535. CUJAS (Jacques): 38, 169, 472, 589, 590.
CUREAU DE LA CHAMBRE (Marin): 381, 386.
CURTIUS (Ernst-Robert) : 11. CYPRIEN (Saint): 124, 134, 141, 142, 148, 288, 331. CYRILLE (Saint): 403, 555. DAGENS (Jean): 134, 4SO, 555, 563. DAINVILLE (le P. François de): 9, 245, 599.
DAVIDSON (Hugh M.): 14. Decentia (décence): 157, 189. Déclamateur (voir sophiste): 172.
INDEX
Decorum (convenientia, convenance): 22, SO, 54, 125, ISO, 157, 183, 190, 201, 317, 318, 323, 330, 331, 622, 639, 645, 649, 668, 688. DEJOB (Charles): 12, 13, 135, 136, 162, 169, 170. DELACHENAL (Roland): 435, 438. DELARUELLE (Louis): 446 . Delectatio (voluptas, voir plaire): SO, 52, 67, 71, 72, 73, 123, 140, 141, 319320, 511. Delectus verborum (choix des mots, pureté): 50, 63, 88, 121, 184, 224, 321, 331, 339, 357, 681, 691, 692, 701. Délibératif (genre): 49, 166, 167, 493. DELIDEL (le P. Claude): 692. DELMINIO (Giulio Camillo): 225, 665. DEL RIO (le P. Martin): 405. DEMETRIUS DE PHALÈRE: 55, 156, 272, 2n, 337, 465, 496, 701. Démonstratif (ou épidictique, genre). éloge: 49, 166, 167, 185, 189, 292, 33l, 669, 672, 677, 682, 685, 691, 697. Demonstratio (hypotypose, voir ekphrasis, description, peinture): 258, 284, 294. D:eMOSTHt!NE: 44, SO, 53, 87, 149, 167, 168, 181. 189, 278, 2tr1, 309, 314, 319, 339, 412, 439, 440, 450, 455, 464, 492, SOI, S07, 529, 689. DENYS D'HALICARNASSE: 68, 337. DENYS L'AREOPAGITE (le Pseudo-): 292, 375, 377, 379, 563, 567. DEROO (André): 136. DESCARTES (René): 19, 98, 106, 384, 517, 683, 690, 700. DESCRAINS (Jean): 15. Description (voir ekphrasis, demons· tratio): 381, 384, 415, 676. DESMARETS (Roland): 405, 589. DESPORTES (Philippe): 267, 381, 390. DES RUES (François): 266, 267, 337, 521, 541. Dialectique: 145, 151, 383-384, 578-580. Dialogisme: 360, 385. DIDEROT (Denis): 104, lB, 317. Dilectio: 71-72. DINET (le P. Pierre) : 283, 284, 363. DIOGt!NE-LA~RCE: 375. DION CHRYSOSTOME: 215,288. Disert: 602, 618. Dispositio: 7, 84, 166, 383-384, 638. Dissonance (voir dysphonia): 198. Docere (instruire, utilité): 72, 73, 75, 95, 139, 160, 166, 194, 203, 488, 504, 511, 617, 618. DOLET (Etienne) : 110-115, 116, 123, 125, 139, 329, 395, 416, 452, SOI. DONAT: 99.
841 DONATI (le P. Alessandro): 177, 178, 528. DORAT (Jean): 169, 380, 416, 463, 547, 583, 586. DOUAREN (François): 169. Douceur (voir suavitas, art du conciliare): 49, 90, 149, 189, 203, 388, 487, 496, 544, 574, 601, 602, 615, 618, 647, 677, 678, 692, 701, 702, 705. DOUSA (François): 527. DU BARTAS (Salluste): 266, 267, 272. 278, 310, 337, 522, 523, 676. DU BELLAY (Joachim): 450. 461, 464. DU BOSC (Jacques): 353. DUBU (Jean): 609. DUCHESNE (Léger): 514. DU MESNIL (Baptiste): 470, 471. DU MOULIN (Charles): 328, 436, 463, 577. DUNN (Catherine): 156. DU PERRON (Jacques Davy): 278, 334, 337, 345, 353, 381, 494, SB, 514, 518, 519, 520, 522, 524, 532, 543, 549, 553, 58!!, 633, 652, 665, 700, 704. DUPR:e DE LA PORTE (J.): 535-542, 551, 573, 587, 593, 616, 648, 6SO, 669. DUPRONT (Alphonse): 137. DUPUY (Claude): 498. DUPUY (Jacques): 416, 475, 524, 545, 546, 547, 551, 552, 581, 582, 583, 589, 616, 627, 667. DUPUY (Pierre): 416, 475, 524, 545, 552, 576, 577, 581, 582, 583, 589, 667, 686. DURAND (Etienne): 667. DU VAIR (Guillaume): 6, 39, 70, 273, 322, 334, 337, 345, 353, 405, 445, 474, 475, 476, 479, 487, 488, 490, 492·520. 524. 529, 530, 536, 538, 543, 544, 545, 549, 551, 552, 553, 554, 555, 558, 564, 570, 580, 583, 586, 603, 613, 614, 618, 627 , 633, 637, 642, 647, 666, 667, 676, 685, 687, 688-690, 695, 699, 702-705. DU VAL (Jean-Baptiste): 601-603, 614 Ecrit / oral: 30, 154, 157, 172, 197, 263 264, 272, 351, 355, 356, 409, 457, SOI, 502, 512, 676, 681, 689. Effoeminatio: 323, 324. EGGER (Emile): 439, 554. EHSES (Stephanus): 137, 140. Ekphrasis (voir demonstratio, description): p. 261, 262, 284, 294, 298, 312, 331, 377, 382, 402, 421, 468, 511, 677, 678, 679, 701. Elégance (elegantia): 149, 163, 184, 185, 463, 574, 583, 688. ELIAS (Norbert): 204. ELIOT (T.S.): 14.
842 E/ocutio (élocution): 7, 10, li, 12, 49, 59, 73, 50, 84, 108, 112, 127, 139, 147, 151, 166, 224, 495, 508, 509, 542, 566, 574, 602, 604, 618, 638, 650, 657, 666. Eloge (voir démonstratif, genre). Eloquence sacrée: 73, 137-152, 410, 634642.
E/oquentia cum sapentia con;ungenda: 37, 39-42, 51, 65, 68, 126, 149, 172, 178, 193, 443, 511, 538-539, 650, 689. Emouvoir (voir movere, f/ectere): 166. Enargeia (evidentia): 99, 108, 421. Enf/ure (inf/atio verborum): 341, 413. ENGHIEN (Louis, duc d'): 343, 344, 345. Enjouement (voir plaisanterie): 89. ENNIUS: 96. Entendement: 129, 130, 132, 134, 166. Enthousiasme: 66, 68, 304, 307. ÉPICTÈTE: 63, 136, 484. ÉPICURE: 95, 403. Epigramme: 526.
Episcopus orator: 140-142. Epistolaire (art): lOS, 155, 156, 174, 181, 572, 699. ERASME (Désiré): 56, 57, 70, 81, 92115, 125, m, 134, 135, 138, 140, 144, 145, 146, 148, 150, 153, 154, 157, 159, 161, 165, 185, 192,200,201,205,224,227, 287, 301, 308, 309, 314, 315, 333, 353, 368, 433, 447, 449, 450, 456, 461, 462, 463, 465, 468, 472, 484, 486, 524, 526, 527, 530, 531, 547, 554, 575, 600, 611, 635, 636, 643, 652, 666, 668, 671, 675, 678, 705. ESCHINE: 412. .ESTELLA (Diego de): 144. ESTHER (allégorie de l'éloquence); 184. ESTIENNE (Charles): 603. ESTIENNE (Henri): 110, 122, 159, 165, 328, 331, 393, 433, 434, 441, 456, 461. 462, 494, 528, 535, 574, 601, 676, 691. ESTIENNE (Robert): 333, 433. EUNAPE: 291. Euphonie (euphonia, symphonia verborum, voir douceur): 148, 60S, 701. Eutrapéle (voir rire, raillerie): 333, 416. E"ercices spirituels (de Saint Ignace): 170, 177, 178, 201, 259, 260, 350, 353, 362, 365, 371, 375, 377, 382, 394, 409, 420, 421, 422, 502, 678. E"ercitatio: 40, 67, 177. E"i/is (stylus): 157, 160.
Facilitas (voir naturel): 512. FAGGIOW DELL'ARCO (Maurizio): 205.
INDEX
FARET (Nicolas): 89, 90, 353, 612, 693 FAUCHET (Claude): 491, 619, 633. FAUCON DE RIS (le Président): 244. FAYE D'ESPEISSES (Jacques): 470, 471, 475, 477, 481, 483,·484, 487, 491, 492, 494, 503, 539, 546, 549, 551, 558, 564, 591, 592, 606. FÉNEWN: 387, 391, 441, 554, 640. FERRERO (Ottaviano): 165. FESTUGIÈRE (le P. A.J.): 516, 562. FICHET (Guillaume): 436. FICIN (Marsile): 128. Figures de mots: 285, 309, 441, 459. Figures de pensée: 269, 278, 358-361, 441, 511, 678, 681. FILÈRE (Alexandre de): 6034J6, 607. 620. FILÈRE (Joseph): 370-379, 383. Flectere (voir movere): 72, 73. FLEURY (Claude): 607. FLURANCE-RIVAULT (David de): 522, 523. FOIS (Mario): 78, 81. FONSECA (le P. Pedro de): 145, 387. FONTAINE (Jacques): 16, 70, 96, 148, 152. FONTAINE (Nicolas): 559, 634, 642, 695. Force (voir véhémence): 59, 60, 511, 618, 647, 669, 702, 705. FOURNIER (le docteur, d'Orléans): 549, 599, 601. FRANCE (Peter): 3, 14. FRANÇOIS le,: 89, 423, 442. FRANÇOIS (Alexis): 435. FRANÇOIS DE SALES (Saint): 144, 218, 258, 265, 277, 353, 381, 524, 556, 567 . FREDOUILLE (Jean-Claude): 96. FRENICLE (Nicolas): 274, 608, 611. FROISSART (Jean) : 427. FROMILHAGUE (René): 497, 500, 509. FRONTON DE CIRTA: 64,96. FRONTON DU DUC (le P.): 249, 253, 274, 298, 329, 330, 336, 404, 405, 534, 555. FURETIÈRE (Antoine): 2, 24, 469. GALLAND (Jean): 588. GALLAND (Pierre): 514. Gallicanisme: 32, 33, 233-246, 254, 432, 566-570, 623~, 686. GALLUZZI (le P. Tarquinio): 177, 200, 204, 399, 400, 528, 698. GAMACHE (Philippe de): 39. GARAND ERIE (M.M. de la): 90, 449, 479. GARASSE (le P. François): 254, 335, 402, 413 ,547, 594, 669, 676, 681, 692.
430178,
446, 326· 677,
M3
INDEX GARIN (Eugenio) : 43,44, 71, 81, 83, 118, 152, 506.
GASSENDI (Pierre): 81. GAULMIN (Gilbert): 526. GAULTIER (Léonard): 280, 283. GeNeBRARD (Gilbert): 331. GENETTE (Gérard): 11, 265.
GReGOIRE XIII BUONCOMPAGNI: 136, 162, 163, 170, 178, 179, 200, 203. 410.
GRENAILLE (François de): 220, 223, 369, 370.
Genius (daimdn): 405.
GERSON (Jean): 43Z, 563. GIBERT (Balthazar): 2, 3, 8, 255, 299, 354.
GILSON (Etienne): 41, 82, 138, 643. GIRALDI (Jean-Baptiste): 164, 180, 525, 675.
GODEAU (Antoine): 274, 326, 353, fiJ7,
GRONOVIUS (Johannes-Fredericus) : 254, 699. GROTIUS (Hugo) : 406, 553, 557, 567. GROULARD (Claude): 4'11. GRÜNEWALD (Mathias): 200. GUeRET (Gabriel): fiJ7. GUEVARRE (Antoine de): 333. GUIBERT (le P. Joseph de): 298, 350. GUINIGGI (le P. Vincenzo): 171, 178. GUISE (Charles de Lorraine, duc de): 571, 593.
611, 651.
GODEFROY (Théodore): 686. GODET (Louis): 595, 596, fiJ3. GOIBAUD-DUBOIS (l'abbé Philippe): 3, 75, 640.
GOMBERVILLE (Marin Le Roy de): 222, 649. GOMBRICH (E.H.): 282, 292. GONGORA (Luis de): 199. GONTERY (le P. Jean): 247. GONZAGUE (Elisabeth de) : 89, 90. GONZAGUE (François Marie de, duc d'Urbin): 183. GORGIAS: 149, 311. GOUJET (Abbé CIaude-Pierre): 3, 0, 8, 354.
GUIZOT (François): 5. GUSTAVE ADOLPHE VASA, Roi de Suède: 704. GUYON (Jeanne): 19. HALL (Joseph): 386. HARLAY (Achille de): 244, 540, 57S. 650.
HASKELL (Francis): 205. HAY DU CHASTELET (Paul): 516, 517, 653-657, 693. HAYDN (Hiram): 131. HAZARD (Paul): 9. HEERE (doyen Nicolas de): 593, 594. 599, 658.
GOULART (Simon): 266, 695. GOULU (Dom Jean de Saint-François):
HEINSIUS (Daniel): 528, 529, 571, 580.
336, 510, 514, 525, 546-551, 553, 573, 575, 587, fiJl, fiJ5, 613, 630, 639, 643, 644, 648, 650, 671. GOURNAY (Marie de): 321, 322, 451. 542, 552, 567, 568, 573, fiJl, 697. GRACIAN (Balthazar): 89, 90.
563,
Hélène de Troie (allégorie de 1'1dea) :
616, 651,
HeLIODORE: 288, 292, 301, 376, 444,
140, 567, 627, 671,
695. 84, 92. 495, 676.
324, 650.
HENNEQUIN (Jacques): 15, 556. HENRI III: 261, 282, 283, 492, 494, 495, 496, 505, 513, 522. HENRI IV: 236-238, 239, 240, 241, 275,
GRAMONT (Scipion de): 548. Grand (style, grandis stylus, sublime
442, 493, 494, 502, 512, 513, 521, 522, 556, 578. 615, 704. HERMÈS TRISMeGISTE: 292, 516, 562. HERMOGÈNE: 161, 214, 215, 222, 225, 337. HeRODE ATTICUS: 291, 294. HeRODOTE: 449.
genus): 73, 74, 149, lfiJ, 166, 178, 197, 199, 200, 340, 342, 352, 353, 402, 453. 672. 682, 685. Grandeur d'âme (magnanimité): 21,44, 61, 68, 69, 157, 161, 168, 170.
GRAN GER (Jean): 28. GRANGIER (Jean): 39, 514. Gravité (gravitas): 55, 65, 66, 184, 187, 188, 320, 322, 340, 364, 518, 663.
GREGOIRE DE NAZIANCE (Saint): 124, 142, 180, 253, 290, 302, 318, 320, 394. 403, 555. GReGOIRE DE NYSSE (Saint): 253, 288, 308, 320, 555. GReGOIRE LE GRAND (Saint): 142, 147, 288.
Héroïsme, héros (voir grandeur d'âme) .. Hiéroglyphique (philosophie): 28/-284 348.
HILAIRE DE POITIERS (Saint): 134. HOLSTENIUS (Lucas): 204, 210, 405" 406. HOMÈRE: 168, 194, 354, 422, 451, 452, 453, 480, 483, 563, 619, 656, 666.
«Honnesteté. (voir urbanitas). HORACE: 79, 82, 390, 392, 412, 598.
844
INDEX
HORAPOLLO: 281, 282, 374. HUARTE (Juan): 17:7-134, 159, 194, 653, 654, 655, 687. HUET (Pierre-Daniel): 248, 419. HUGHES DE SAINT-VICTOR: 145. HUGO (Victor): 4, 5. Humanitas: 28, 90, 492. Humile (genus, voir simple, style). HURAULT (Philippe, comte de Cheverny): 494. HURET (Grégoire): 379. HUYGHENS (Constantin): 696. Hyperbole: 701, 702 .
Idea (voir optimus stylus): 167, 168, 177, 202, 340. IGNACE DE LOYOLA (Saint) : 233, 698. « Ignorans. (rudes): 20, 23, 126, 606, 616, 674. Imagination: 129, 130, 132, 134, 347, 351, 361, 371, 407, 421, 597, 677, 678, 679, 687. Imitatio: 22, 40, 78-115, 134, 158, 272, 287, 347, 365, 408, 409, 507, 525, 531, 668, 675, 677, 682, 685, 690, 692. Improvisation (subitaria dictio): 157, 487, 5SO. Ingenium (esprit, ingenio, ingegno, wit) : 79, 84, 85, 129, 130, 155, 157, 158, 166, 194, 195, 196, 223, 224, 225, 288, 331, 351, 382, 399, 406, 414, 654, 676, 677, 680, 688, 691, 694, 699. INGHIRAMMI (Tommaso): 93, 104, ISO, 192, 201. INNOCENT X PAMPHILI: 179. Inspiration divine (impetus divini spiritus): 127, 139, 146, 151, 152, 185, 187. 201, 639. Inventio (invention): 49, 73, 84, 134, 139, 151, 166, 194, 509, 638, 645, 650, 689. IR~N~E (Saint): 134. Iris (aIIégorie de l'éloquence): 346. Ironie (voir aussi raillerie, rire): 68, 330. ISIDORE DE S~VILLE: 145 . ISOCRATE: 53, 149, 180, 197, 394, 412, 618. ISSALI (Jean): 635. JANNINI (Paolo): 533, 571. JEAN CHRYSOSTOME (Saint): 142, 171, 181, 249, 253, 298, 303, 317, 337, 364, 463, SS5, 629. JEHASSE (Jean): 154, 216, 217. JERECZEK (Bruno): 138, 143, 144, 151. J~ROME (Saint): 78, 99, 124, 134, 145, 146, 174, 194, 288, 311, 333, 370, 403.
134, 306. 147, 142, 375,
J~SUS-CHRIST: 104, lOS, 106, 107, 108.
m,
114, 124, 148, 149, 178, 541, 565, 635, 678. Jeunesse (voir corruption de l'éloquen· ce) : 547 (n. 294), 548, 593, 594, 597, 608, 612, 615, 616. Jocositas : 245, 599. JOSEPH (François du Tremblay, dit le P.): 578. JOSS ET (le P. Pierre): 295, 308, 348, 349-354, 384, 407, 676, 683, 685. JOULET (François): 513. JOUVANCY (le P. Joseph de): 6, 245. Judiciaire (genre, voir aussi avocats): 49, 68, 166, 167. Judicium: 85, 87, 88, ISO, 158, 181, 189, 194, 223, 224, 254, 276, 297, 310, 311, 331, 351, 399, 401, 406, 685, 687, 700. Judith (allégorie de l'éloquence): 181, 184. Jugement (voir ;udicium): 166, 194, 657, 703. Juges: 476-485, 517, 566, 662, 688. JULES II DELLA ROVE RE : 203. JULIEN L'APOSTAT: 180, 185, 214, 288, 310, 393, 394, 395. JUSTIN (Saint): 142, 375. JUSTINIEN: 314. JUVÉNAL: 99. 598. KELLEY (Donald R.); 429, 431, 446, 470, 577, 589, 590. KENNEDY (George): 16,46,52, 53, 57, 59, 61, 64. KIRCHER (le P. Athanase): 280, 374, 405. KLIBANSKY (Raymond): 128. KUENTZ (Pierre): 11. LABBÉ (Philippe): 249, 405. LABITTE (Charles): 138. LA BOÉTIE (Etienne de): 152, 505, 695. LA BRUYÈRE: 226. LA CERDA (le P. Melchior de): 272, 284, 314, 400. LACHÈVRE (Frédéric):' 611, 612. Laconismus (voir brièveté): 196, 487, SOI. LACTANCE: 145, 146, 288. LA GUESLE (Jacques de) : 244,470, 476, 484, 545, 578, 586, 590, 592, 603, 667. LALLEMANT (le P. Louis): 350. LAMBIN (Denis): 169, 170, 380, 460, 577. LA MESNARDIÈRE (Jules de) : 580. LAMOIGNON (Guillaume): 416. 'LA MOTHE LE VAYER (François): 326, 345, 348, 582, 584, 596, 607, 615, 618, 648, 650, 656, 669, 670, 693. LAMY (FrançOis): 3, 640.
INDEX
LANCELOT (Claude): 63M36, 637, 642. L'ANGLOIS (Pierre): 282, 284, 363 . .LANSON (Gustave): 6, 7, 8, 13. LANTOINE (Henri-Eugène): 5. LA PINELI~RE (Guérin de): 609. LA PORTE (Maurice de): 265, 600. LA QUINTINIE (Jean de): 19. LA ROCHE FLAVIN (Bernard de): 436, 438, 488, 493, 590, 592. LA ROCHEFOUCAULD: 221. LA RUE (le P. Charles de): 417. LASNE (Michel): 536. Latinitas (correction): 50, 73, 75, 80, 87, 148, 158, 457. LATOMUS (Barthélémy): 514. LAUS8ERG (Hcinrich): 12. LAVAL (Antoine de): 258, 273-279, 339, ~9. 470, 537, 549, 651, 668, 671. LA VALETTE (Louis de Nogaret, cardinal de): 544. LE BRET (Cardin) : 476, 546. LEEMAN (A.E.): 16, 46, 53, 57, 59, M. LE F~VRE (Nicolas): 39, 57, 99, 172, 252, 253, 362, 472, 498, 503, 514, 522, 533, 554, 556, 578. LErtVRE DE LA BODERIE (Guy): 563. LEIBNIZ: 122. LE JAY (le p_ Gabriel François): 2,354. LE JAY (Nicolas): 612. LE MAISTRE (Antoine): 559, 614, 622, 623-632, 634, 635, 642, 647, 671. LE MOYNE (le P. Pierre): 207,246,251, 304, 322, 353, 355, 370, 379-391, 392, 402, 404. 409, 419, 423, 496, 612, 677, 678. 682, 683, 702. L~ON X M~DICIS: 83, 87, 88, 91, 92, 191, 192, 203, 684. LE PELLETIER (Claude): 552, 557, 558, 567. LE ROY (Louis): 429, 447450, 452, 454, 501, 504, 512, 665, 686. LESCOT (Pierre): 428. LEVI (Anthony): 544. L'HERMITE (Tristan): 597, 598, 617_ L'HOPITAL (Michel de): 38, 380, 432, 462, 472, 478, 479, 490, 499, 500, 539, 540, 545, 552, 627, 666. LIBAN lUS: 180, 215, 216, 288, 291, 309, 394. Lieux communs (loci communes): 7, 10, 17, 151, 158, 510, 588, 600, 638, 681. LINGENDES (Jean de): 533, 534. LIPSE (Juste): 63, 89, 90, 100, 125, 152159, 161, 164, 174, 180, 193, 194, 196, 216, 217, 219, 227, 229, 263, 272, 285, 287, 290, 291, 307, 331, 397, 401, 402, 406, 408, 500, 501, 525, 527, 531, 553, 555, 570, 580, 688, 705_
845 Litterae humaniores: 21, 24, 28, 90, 123, 164, 169, 170, 203, 642. LOGES (Mme des): 542, 700. Logos endiathetos et logos prophorikas: 478, SIS, 516, 562, 646, 690, 697. LOISEL (Antoine): 429, 436, 470, 514, 552, 589, 591. LONGIN (pseudo-): 4,47,61,67,68, 107, 139, 165, 166 ,167, 168, m, 178, 187, 189, 197, 202, 214, 222, 277, 297, 322, 325, 335, 337, 339, 345, 346, 348, 450, 451, 465, 479, 507, 508, 549, 578, 581, 650, 682, 690. LONGUEIL (Christophe de): 91, lOI, 110, m, 116, 169, 174, 287, 449, 450, 452. LONGUEIL (Guy, Louis de): 588. LONGUEIL (Jean de): 437. LONGUEVILLE (duc de): 536_ LONGUS: 444, 495. LOREDANO (Giovan-Maria): 219, 222. LOUET (Madeleine): 588. LOUIS DE GRENADE: 143, 144-148, 182, 208, 315, 341, 466, 635, 636, 639, 671. 678, 680, 705. LOUIS XIII: 243, 244, 252, 396, 410, 411, 494, 519, 567, 597, 649. LUCAIN: 69, 413, 471. LUCAS (le P.Jcan): 417. LUCIEN: 94, 96, 102, 224, 273, 288, 291, 301, 308, 368, 463, 464, 497, 676. LUCINGE (René de): 148. LUCR~CE: 136. LUILLIER (François): 582. LULLE (Raymond): 600. LYCOSTH~NE (Conrad): 600. LYSIAS: 54, 412, 450, 588 . MAC GOWAN (Margaret): 14_ MACHIAVEL (Nicolas): 81, 528, 529. MACROBE: 99, 299. MODERNO (Carlo): 205. MAIER (Bruno): 89. MAïER (Ida): 82. MAIMBOURG (le P. Louis): 410. MAINARD (François): 533. MAIRET (Jean): 609. MAJORAGGIO (Marcantonio): 122. MALE (Emile): 12, 257. MALEBRANCHE (le P. Nicolas): 19. MALHERBE (François de): 267, 273, 285, 321, 338, 353, 413, 434, 508, 509, 523, 524, 531, 532, 533, 535, 542, 543, 544, 546, 578, 583, 597, 613, 648, 652, 678, 699, 701. MALLEVILLE (Claude de): 649. MALVEZZI (Virgilio): 89, 90, 133, 199, 217-219, 225, 285, 413, 654, 676, 691.
INDEX
846 MANGOT (Jacques): 470, 475, 486, 503, 551, 558.
MANUCE (Paul): 110, 118, 120, 122, 162, 164-168, 175, 177 ,191, 202, 225, 348, 398, 472, SUl, 600. MANZINI (Giambattista): 199, 220, 222, 225, 595. MARACHE (René): 94, 96. MARBEUF (iPerre de): 533, 534. MARC·AURÈLE: 64, 484. MARCILE (Théodore): 514. MARESCHAL (André): 608. MARGUERITE DE VALOIS (reine de Navarre): 543. MARIANI (Michel Ange): 534. MARIE DE M~DICIS: 242, 493, 502, 512, 519, 521, 522, 569, 587.
MARILLAC (Michel de): 545. MARINO (Giambattista): 198, 211, 212, 213-216, 267, 302, 310, 375, 391, 533, 535, 601, 676, 702. MARION (Simon): 237, 442, 549, 586, 624, 626, 650. MARMONTEL: 3. MAROLLES (Michel de): 329, 533, 648, 691. MARROU (Henri-Irénée): 15, 70, 517. MARTIAL: 99, 145. MARTIN (Henri-Jean): 27, 250. MARTINI (Pierre): 310, 395. MARTZ (Louis): 259, 264, 420. MASCARDI (Agostino): 176, 192, 204, 223-226. MASSON (Papire): 445, 471. MATTHIEU (Pierre): 285, 493, 691. MAU CORS (Piat): 534, 535. MAUCROIX (Abbé François de): 607, 618. MAUSSAC (Jacques de): 524-535, 537, 538, 542, 544, 547, 551, 575, 580, 594, 601, 604, 616, 651, 667, 668. MAXIME DE TYR: 304. MAZARIN (le cardinal Jules): 179, 212. MAZARINI (le P. Giulio): 218, 301. Méditation (voir (invention): 510, 703. Medium (genus, voir moyen, style). « Meilleur style» (voir optimus stylus). Mélancolie: 90, 127-134, 155, 156, 196, 319, 449, 664. Mémoires: 30, 129, 130, 166, 194, 347, 351, 421, 689. Menzoria: 49, 509, 598, 638, 681. MÉNAGE (Gilles): 248, 556, 557, 588. MÉNAGE (Guillaume): 588, 624. M~NAGE (Pierre Guillaume): 588, 589. MÉNAGE (Mathieu): 588. Ménélas (modèle d'éloquence): 196,480.
MERCŒUR (François, duc de): 556.
Mercure (dieu de l'éloquence): 23, 516, 538.
M~RIDIER (Louis): 96, 261, 285, 3O-J.
308.
MERULA (Paul): 527. MESMES (Henri de): 380,462,472,478. MESMES (le Président de, frère du comte Claude d'Avaux): 380, 381, 545, 567.
Métaphore: 279, 680, 702. MÉTRAL (Denise): 260. MICHEL (Alain): 45, 51, 52, 64, 90, 111. 117, 168, 173, 317, 439, 440, 618, 645,
659.
MICHEL-ANGE: 92, 206, 549. Minerve (déesse de la sagesse, inséparable de l'éloquence): 23, 185. MINOZZI (Pierre Francesco): 199, 220, 221.
MlRAULMONT (Pierre de): 427. MIRON (François): 324. Mode (novitas) : 68, 86, 369, 530, 691. MOHRMANN (Christine): 15, 71, 102_ Moïse (modèle du sublime inspiré): 465, 478, 479, 481, 508, 645.
MOLE (Mathieu) : 443, 568, 578, 620, 628, 667, 686.
MOLHO (Raphaël): 4. MOLIÈRE: 82, 133, 417, 70S. MOLIERE (François-Hugues, sieur de, et d'Essertine): 533. MOLINA (molinisme): 182. MOLINO (Jean): 127. MoUities (voir effoeminatio, asia· nisme): 318. MONANTHEUIL (Henri de) : 547. MONSTRE LET : 427. MONTAIGNE: 70, 98, 104, 128, 131, 153, 171, 324, 463, 500, 588, 688,
194,213,226,264,265,273,277,307, 331, 363, 368, 406, 408, 445, 451, 465, 47t, 490, 491, 492, 493, 494, SOI, SOS, 506, 508, 513, SIS, 536, 560, 604, 637, 644-645, 655, 677, 681, 686, 689, 695, 699, 700, 70S. MONTESQUIEU: 498. MONTMORENCY (Henri de): 524, 526, 533, 535, 569, 571, 608, 609, 633, 693. MOREL (Frédéric): 253, 261, 301, 393, 394, 478, 515, 554, 555, 563, 611. MOREL (Jean de): 472, 473. MORET (le comte de): 252, 322, 344, 404, 533, 534, 535, 608, 691. MORHOFF (Georg): 2, 3, 7, 354. MORIER (Henri): 12.
MORNET (Daniel): 7, 8, 9. MORPURGO-TAGLIABUE (G.): 118. MOUSNIER (Roland): 236, 585, 586.
INDEX
Movere (voir fleetere, force, véhémence): 49, 72, 75, 195, 488, 504, Sll, 603, 618. Moyen (style, medium genus, temperatus stylus): 74, 167, 196, 669, 672, 682, 697, 754, 759. MUNTEANO (Basil): 3, 15, 16. MURET (Marc-Antoine): 5, 13, 57, 88, 99, 112, 115, 116, 122, 153, 154, 161, 162, 164, 168, 175, 178, 192, 197, 206, 215, 217, 223-228, 380, 397, 398, 399, 400, 402, 406, 411, 433, 476, 500, 5fJl, 514, 516 570, 600, 622, 633, 676, 685. NADAL (le P. Jérôme): 259, 260, 262, 366, 379, 678, 680. Narcisse (modèle du sophiste): 114, 547, 594. Narratio (voir demonstratio): 331. NATTA (Marc-Antoine): 123-126, 138, 184. Naturel (voir facilitas): 149, 158, 184, 185, 224, 401, 512, 550, 556, 575, 639, 669, 688. NAUDÉ (Gabriel): 1 ;n, 28, 42, 209, 255, 520, 584, 669, 670, 680. NAVAGERO (NAUGERIUS): 191, 397. Neglegentia diligens (naturel dans l'élégance) : 54, 62, 63, 73, 89, 146, 341, 487, 556, 639, 670. NESMOND (André de): 476. Nestor (modèle d'orateur): 196. NEUFVILLE (Simon de): 112, 113, 116. NICÉPHORE CALLISTE: 253. NICOLAI (Jean de): 39, 405. NIEREMBERG (le P. Juan Eusebio): 292. NISARD (Charles) : 42, 213, 328, 333. Nitor (poli du style): 65, 125, 399, 401, 407, 574. NIZOLIO (Mario): 111, 121, 122, 170, 600. Nobilitas: 324, 325. NORDEN (Eduard): 219. Nota (notatio, adnotatio, voir mémoire): 259. Novitas (voir mode). Obscurité (obscuritas): 54, 401. OGIER (Charles): 416, 545. OGIER (François): 308, 329-334, 337, 405, 413, 416, 545, 546, 571, 652, 669, 671, 6n, 681, 699, 700, 701. OLIVET (Abbé d'): 617. ONG (le P. W.J.): 457. Optimus stylus (meilleur style, voir Idea): 23, 82, 83, 105, lB, 114, 178, 196, 340, 400, 410, 621, 647, 657, 659, 688.
847 Orator (orateur): 16, 26, 27, 28, 30, 40, 44, 65, 74, 141, 154, 440, 443, 445, 464, 469, 623, 625, 633, 689. Oratorius (modus): 40, 70, 95, 99, 122, 125, 126, 169. ORCIBAL (Jean) : 211, 334, 626, 627, 629, 630, 631, 632, 633, 638, 645. Ordre des mots (voir collocatio verborum): 50, 63, 456. ORIGÈNE: 134, 288. ORLÉANS (Gaston, duc d'): 571, 608, 693. ORLÉANS (Louis d'): 427-429, 493, 590. ORMESSON (André d'): 597, 598. Orna tus, subst. (ornement, ornate dicere, beauté oratoire): SO, 53, 55, 56, 57, 59, 71, 73, 95, 101, 125, 148, 183, 187, 188, 288, 290, 291, 297, 310, 319, 388, 389, 441, 457, S03, 649, 668, 692. Orphée (modèle d'orateur): 37, 64, 68, 318. ORS (Eugenio d'): 257. ORSINI (cardinal Alexandre): 191. ORSINI (Virginio): 191. OSSAT (le cardinal Arnaut d'): 513, 546. Ostentation (ostentatio): 188. Otium «< vivre noblement»): 65, 66. 69, 485486, 589 . OVIDE: 58, 145, 198, 229, 305, 598. Oxymore (voir acumen): 160. PALLAVICINI (le P. Sforza): 178, 225. PANAETIUS: 484. PANIGAROLA (Francesco): 142, 143, 215, 216, 275, 301, 493, 665, 676. PANOFSKY (Erwin): 85, 128. Parisiensis (stylus): 78, 458. PASCAL (Blaise): 19, 201, 327, 390, 391, 490. PASCAL (Etienne): 552. PASCHAL (Pierre): 464, 472, 547, 665. PASCHINI (Pio): 136. PASQUIER (Etienne): 233, 235, 236, 237, 241, 328, 331, 427, 429, 430, 440, 444, 445, 469471, 487, 490, 491, 492, 494, 498, 499, 523, 526, 537, 539, 552, 556, 574, 585, 586, 589, 591, 592, 615, 616, 625, 666. PASQUIER (Nicolas): 324, 434, 537. PASSERAT (Jean): 380, 454, 514. PASTOR (Ludwig von): 85, 92, 179. PATRIZZI (Francesco): 152,433,476. PATRU (Olivier): 326, 605, 607, 612-622, 631, 636, 647, 651, 670, 683, 692. PAUL DE TARSE (Saint): 124, 131, 142, 145, ISO, 181, 186, 187, 331, 375, 403, 478. PAUL III FARNESE: 172, 570.
848 PAUL V BORGHESE: 182, 246, 557. PAULHAN (Jean): 10, 11. Pédant (caricature de l'orateur): 594, 599, 602, 610. Peinture (voir description): 147, 673683. PEIRESC (Nicolas de): 275, 475, 519. 520, 526, 545, 546, 551, 552, 557, 578, 583. PELLETIER (le P. Gérard): 255, 344· 349, 354, 371, 379, 382, 402, 409, 680, 682. PELLISSON FONTAN 1ER (Paul): 619. P~RAU (Abbé Gabriel-Louis): 552, 558. PEREGRINI (Mario): 223. Périodique (style): 51, 349. P~ROUSE (Gabriel): 127. PERPINIEN (le P. Pierre Jean): 175, 178, 397, 398. PERRAULT (Charles): 23. PERROT (Emile): m, 116, 472. PERSE: 99. Persona: ISO, 490. Perspicuitas (voir clarté): 73, 148, 157, 185. PERUGIN: 206. PETAU (le P. Denis): 19, 39, 249, 253, 254, 255, 289, 326, 329, 344, 349, 380, 384, 392407, 415, 416, 532, 534, 621, 678, 681, 692. PETAU (Paul): 253, 261, 392, 393, 418, 420, 423. n.TRARQUE: 43, 44, 7UJ3, 89, 121. P~TRONE: 331. PETRUCCI (le P. Jérôme): 190, 204. Phantasia (voir imagination): 407, 678. PHILIPPE (de Macédoine): 529. PHILIPPE LE BEL: 423, 432, 438. PHILIPPE LE HARDI: 438. PHILIPPE N~RI (Saint): 136, 137, ISO, 362, 698. PHILIPS (Margaret Mann): 93, 154. PHILON d'Alexandrie: 61, 168, 214, 295, 465, 478, 479, 480, 508, 514, SIS, 516, 517, 564, 567, 576, 581, 610, 645, 665. PHILOSTRATE: 96, 100, 102, 206, 212, 213, 215, 254, 257, 260, 288, 291, 301, 372, 387, 394, 400,496, 676. Phocion (modèle d'orateur): 44, 306, 444, 471, 485, 487, 665. PIBRAC (Guy du Faur de): 38, 432, 444, 446, 470, 471, 472, 475, 4TI, 478, 482, 483, 484, 487, 494, 496, 500, 503, 504, 511, 515, 521, 545, 549, 551, 552, 558, 564, 606, 642, 643, 647, 670, 690,
696.
PICCOLOMINI (Alexandre): 578. PICO DELLA MIRANDOLA (Giovanni): 194, 312.
INDEX
PICO DELLA MIRANDOLA (Giovanni Francesco): 83-86, 105, 166, 181, 287. PIE IV M~DICIS: 122, 136, 162, 170 PINTARD (René) : 209, 255, 498, 533, 545, 548, 568, 577, 581, 596, 607, 628. PITHOU (Pierre): 253, 301, 312, 313, 463, 472, 498, 502, 503, 514, 552, 554, 557, sn, 589, 666. Plaire (delectare): 72, 73, 75, 95, 160, 166, 195, 203, 488, 504, 618. Plaisanterie (voir rire). PLATON: 48, 52, 87, 88, lOI, 102, 187,
195,304,309,320,346,375,385,403, 449,453,478,479,485,497,515,529, 615,617.
PLAUTE: 96, 99, m, 158, 456, 461. PLETHON (Gémistius): 395. PLINE L'ANCIEN: 99, 164. PLINE LE JEUNE: 69, 96, 183, 206, 456. PLOTIN: 403. PLUTARQUE: 375, 444, 463, 478, 485, SIS, 516, 517, 610, 645, 665. Pointes (sententiae): 61, 414, 501, 691, 692. Pointu (style): 57, 61, 342, 352, 414. POLITIEN (Ange): 41, 43, 81-83, 110, 165, 166, 227, 287, 399, 601, 652, 675. Politique (et rhétorique): 152, 153, 154, 669, 670, 704. Polyanthée (cornucopia): 444, 465, 600, 606, 638. POMPONAZZI (Pietro): 118, 119. POMPONIUS LAETUS: 56, 91, 191. POMPONNE (Simon Arnauld, marquis de): 624, 625. PONTANO (Giovanni): 191, 399. PONTANUS (le P. Jacob Spanmüller, dit): 180, 245, 599. POSSEVIN (le P. Antoine): 1, 2, 3, 163, 180-182, 287, 311, 326, 394, 397. POTIER (Augustin, évêque de Beauvais): 443. POUSSIN (Nicolas): 176, 320, 380, 482, 485. POZZO (Cassiano dei): 210. Prédestination: 124, 127. Prédicateur: 27, 42, 106-109. Prédication (voir éloquence sacrée): 73, 137-152. PROAERESIUS: 291. Probatio: 49, 67, 95, 147, 468, 668. Protée (antonomase de la rhétorique): 86, 346. PROUST (Marcel): 5, 6, 9. Prudentia (voir judicium): 150, 195, 399, 566. Pudeur: 488.
INDEX
PUGET DE LA SERRE (Jean): 369, 542, 543, 691. Pulchritudo (honesta): 254, 288, 291, 321, 379, 389. PUTEANUS (Erycius, alias Henri van de Putte): 159.161, 285. QUEVEDO (Francisco): 89, 90, 199, 610, 676. QUINTE·CURCE: 347. QUINTILIEN: 56, 58, 63, 69, 77, 90, 95, 96, 99, lOS, 109, 127, 141, 144, 146, 147, 311, 315, 448, 455, 456, 462-464, 4611, 498, 579, 593. RABELAIS (François): 152, 328, 330, 331, 441, 450, 676, 681 . RACAN (Honorat de Bueil, marquis de): 535. RACINE (Jean): 70, 664. RADOUANT (René): 6, 475, 494, 498, 499, 506, 508, 514, 540, 547. Raillerie (voir aussi rire, ironie): 3Z1, 330, 332, 361, 364, 381, 390, 682, 691, 700. RAIMONDI (Ezio): 190, 198, 223. Raison d'Etat: 183, 629, 630, 649, 670. RAMBAUD (Antoine de): 606-607. RAMBOUILLET (Catherine de Vivonne, marquise de): 91, 542, 658, 683, 684, 694, 700. RAMUS (Pierre de la Ramée, dit) : 310, 454461, 470, SOl, 578. 579, 580, 665, 689. RANCHIN (Guillaume): 487, 546. RANCONET (le Président): 462. RAPHA~L: 91, 145, 206, 549. RAPIN (le P. René): 13, 417, 621. REGGIO (Carlo): 186-190, 197, lOI, 286, 303, 304, 315, 317, 388, 402, 680. R~GNIER (Mathurin): 254, 328, 330, 331, 578, 676, 681. RÉMOND (Francis): 398, 399, 400. Remonstrances d'ouverture: 469, 471, 473, 475492, 489, 491, 503, 545, 559·566, 586, 590, 629, 687, 690, 702. RENAUDOT (Théophraste): 694. RENOUARD (A.A.): 164. RENOUARD (Nicolas): 518, 519, 523. Renovatio literarum: 173, 203. Renovatio spiritus: 135, 139, 161. Res literaria (voir c sçavans »): 18, 19, 21, 24, 159. Respub/ica literaria (république des lettres): 20, 32, 33, lOS, 155, 430432, 524, 5Z1, 662. Res/signa (voir le suivant): 63, 71. Res/verba: 43, 61, 63, 72, lOI, 126, 148, 170, 403, 618, 634, 651, 666, 670. RETZ (cardinal de): 19, 567.
849 RICHELET (Nicolas): 611. RICHELIEU: 20, 22, 89, 141, 142, 178, 179, 203, 252, 338, 519, 520, 521, 530, 544, 553, 555, 567, 568, 569, 570, 571, 577, 578, 580, 581, 612, 613, 614, 622, 623, 626, 627, 628, 629, 630, 632, 635, 64/, 649, 669, 683, 684, 693, 694, 700, 705. RICHEOME (le P. Louis): 237, 241, 247, 252, 254, 257, 258, 260, 262, 264, 265 ).74, 284, 321, 379, 384, 398, 402, 497, 676, 677, 678, 682. RICHER (Edmond): 530, 577, 571J.581, 583, 644, 668, 669, 670. RIGAULT (Nicolas): 297, 554, 576 577, 582, 583, 628. ' Rire: 49, ISO, 324, 381, 416, 460, 463 468 488, 519. ' , RIVAILLE (Louis): 9. RIVET DE LA GRANGE (Dom Antoine): 18. RIZZA (Cecilia): 212, 217, 557. ROBERT BELLARMIN (Saint): 378. 422, 698. ROBORTELLO (Francesco): 165, 578. ROCHEMONTEIX (Claude de): 280, 337, 629. RODOCANACHI (Emmanuel): 92. ROHDE (Erwin): 219. ROLLIN (Charles): 6. RONSARD (Pierre de): 267, Z12, 354, 390, 445, 461, 472, 473, 493, 521, 583,586, 608, 652, 656. ROQUES (René): 563. ROSSI (Paolo): 121. RUYSSCHAERT (Mgr. José): 153. SABBADINI (Rerni.no): 79. c ·47 , 63 , 70, 77 . SACCHI (Andrea): 206, 207, 210. SACCHINI (le P. Francesco): 245. SADOLET (le cardinal Jacques): 56, 91, 110, 115, 171, 174, 175, 191, 397, 589, 685. SAGOES-AZCONA (le P. Pio): 126, 144. SAINT·CYRAN (Duvergier de Hauranne, abbé de): 334, 389, 390, 547, 554, 558, 559, 568, 630-M6, 647, 671, 695, 696, 700. SAINTE-BEUVE (Charles): 4, S, 445, 547, 626, 627, 630, 631, 632, 638, 641, 642, 695. SAINTE-MARTHE (Scévole de): 24. 354, 472, 526. SAINT-EVREMOND: 649. SAINT-SIMON (Louis, duc de): 19. SALAZAR (Ambroise de): 601. SALLUSTE: 158, 160, 164, 216, 288, 347, 449, 456, 676. SALUTATI (Colluccio): 43, 44.
850 Sanitas (voir latinitas); 54, 65, 66. SANNAZARO (Jacopo); 202, 682. SANSOVINO (Francesco); 121. SAPHO; 292, 304. Sapientia; 23. SARPI (Paolo); 557, 578. SARRAU (Claude); 567, 628. SARTO (Andrea dei) ; 206. SAUMAISE (Claude); 19, 254, 255, 526, 557, 567, 588. SAVOIE (cardinal Maurice de); 213, 215. SAXL (Fritz); 128. SCAGLIONE (Aldo); 14. SCALIGER (Joseph Jules); 19, 39, 159, 169, 171, 215, 237, 331, 405, 412, 416,522,523,524,557,579. SCALIGER (Jules-César): 110,169,411, 411, 416, 419, 452-454, 461, 524, 525, 527, 529, 530, 531, 548, 551, 575, 580, 611, 619-620, 622, 655, 656, 666, 668, 670, 705. « Sçavans» (eruditi); 22, 23, 24, 125, 127, 468, 582, 6SO, 674, 687. Scholasticus (modus); 40, 70, 95, 125, 143, 146, 198. SCHOMBERG (maréchal de); 700. SCHOTT (Andreas); 287, 290, 291, 331, 404, 405, 406. SCIOPPIUS (Gaspard); 290, 328. SCRIBANIUS (le P. Charles): 527. SCUDE.RY (Georges de); 220, 222, 353, 581. SEBILLET (Thomas); 470. SEGNERI (Paolo); 139. SEGNI (Bernardino); 117. SE.GUIER (Pierre, chancelier); 381, 410. SE.GUIER (Pierre, président au Parle· ment): 405, 443, 627, 628, 630. sE.GUIER (Tanneguy); 410. SEGUIRAN (le P. Gaspard de); 330. SELLSTROM (Donald): 14. SE.NÈQUE le philosophe: 57-63, 73, 79, 82, 94, lOI, 139, 141, 158, 161, 171, 172, m, 180, 188, 189, 196, 214, 215, 216, 217, 219, 226, 229, 287, 289, 290, 317, 320,339, 351, 353, 364, 371, 372, 378, 384, 403,413,437,451,456,463,483,484,485. 500, SOI, 553, 580, 610, 645, 676, 688, 689. SE.NÈQUE le rhéteur: 57, 99, 172, 215, 221, 236, 413, 439, 547, 676, 689. Sententiae (sentences, traits, pointes): 57, 61, 95, 96, 97, 98, 100, lOI, 198, 199, 445, 463, 468, SOI, 509, 510, 668, 676, 681, 699. Serré (style ,voir brevitas); 59, 62. SERVIN (Louis); 39, 244, 328, 443, 578, 667.
INDEX
Severitas (sévérité, sérieux): 50, 90. 198, 390..1. 459, 468, 687. SE.VIGNt (Marie de Rabutin, Chantal, marquise de): 19. SHAKESPEARE (William); 128. SIGONIO (Carlo); 398. Silence; 325, 517, 690. SILHON (Jean); 353, 693. SIMONE (Franco) : 57, 145, 446, 554. Simple (style, genus humile, sermo humilis, simplicitas); 54, 59, 60. 61, 62,73, 74, 80, 89, 148, 149, 156, 157, 173, 341, 342, 352, 353, 401, 402, 575, 669. 682, 683. SINGLIN; 635, 641. SIRLETO (le cardinal); 169, 174, 175. SIRMOND (le P. Antoine); 693. SIRMOND (le P. Jacques): 19, 249, 251, 252, 253, 254, 255, 299, 312, 326, 329, 362, 405, 416, 534, 577. SIRMOND (Jean) ; 693. SIXTE-QUINT; 179. SMIT (Anne-Marie); 82. SOAREZ (Cyprien); 245. Sobriété (sobrietas); 184. SOCRATE; 49, 52, lOi, 130, 133, 449, 450, 451. SOISSONS (Louis de Bourbon, comte de): 608, 693. Sophiste (par opposition à orateur); lOi, 159, 299-310, 485488, 529, 538, 591. Sophistique (par opposition à éloquence); 23, 26, 66, 184, 185, 187, 188, 679, 701, 703. SORBIÈRE (Samuel); 693. SOREL (Charles): l, 2, 4, 8, 354, 594, 597, 600, 608, 611. SPERONI (Sperone); 118-120, 122, 136, 167, 452. Sprezzatura (voir neglegentia diligens); 54. STAËL (Germaine de); 4, 5. STANISLAVSKI (Constantin); 104. STAROBINSKI (Jean); 128. STEFONIO (le P. Bernardino); 178, 196, 200, 396. STOBE.E: 94. STRADA (le P. Famiano): 178, 190-202, 204, 206, 219, 223, 224, 268, 286, 312, 335, 340, 351, 354, 399, 402, 406, 407, 420, 595, 622, 680, 684, 698, 702, 705. STURM (Jean): 225. SUAREZ (le P. Francesco); 182, 194. Suavitas (voir style moyen); 73, 74, 90. 196, 198, 681. SUBLET (François, seigneur de Noyers); 250. Sublime (genus, voir grand style).
851
'INDEX
Sublime (degré suprême d'éloquence, ·voir grandeur d'âme): 61, 67, 68, 69, 149, 152, 161, 166, 167, 168, 181, 450, 451, 479, 489, 508, 635, 682, 690, 703. :Subtilitas (subtilité, caractéristique du style de Sénèque): 54, 351, 371. SUETONE: 291. SULLY (Maximilien de Béthune, duc de): 543. SURIN (le P. Jean-Joseph): 19. SYN~SIUS DE CYRÈNE: 214, 216, 249, 253, 288, 290, 302, 308, 393, 395, 403. TACITE: 5, 16, 47, 63-70, 77, 88, 141, 152, 153, 154, 158, 160, 171, 172, 173, 183, 196, 214, 216, 217, 219, 223, 322, 339, 456, 494, 500, 505, 506, 507, 512, 547, 548, 570, 621, 655, 690, 695, 697. TAINE (Hippolyte): 5. TALLEMANT DES R~AUX (Gédéon): 618, 620, 629, 653, 671. TALON (Omer): 315, 443, 563, 567, 620. TASSO (Torquato): 121, 391, 597, 682. TATIUS (Achille): 301, 376. TELLE (Emile V.): 11H15. Temperantia (juste mesure): 518. Temperate dicere (voir moyen ou médiocre, style): 73. Temperatus (st y/us, voir genus medium): 160. T~RENCE: 158, 456, 461, 598. TERTULLIEN: 99, 134, 145, 152, 188, 189, 288, 297, 319, 364, 370, 375, 478, 554, 583, 601, 628. TESAURO (Emmanuel): 199, 223. TETI (comte Girolamo): 205-212, 423. TEX TOR (Jean Tixier de Ravisi, dit):
600. THEMISTIUS: 216, 249, 253, 288, 304, 306, 393, 395, 396. Théologie: 126, 130, 135, 141, 143, 151, 169. TH~OPHRASTE: 384. THOMAS D'AQUIN (Saint): 146, 383, 402, 421, 563. THOU (Christophe de): 445, 463, 471, 498, 499, 586, 647, 650, 664. THOU (François Auguste de): 568, THOU (Jacques-Auguste de): 159, 233, 238, 244, 270, 354, 400, 460, 487, 498, 503, 514, 524, 552, 554, 578, 628, 666. THUCYDIDE: 53, 173, 449, 451. THUILLIER (Jacques): 482. TILLET (Jean du): 556. TITE-LIVE: 136, 164, 223, 288, 347, 456. TITIEN: 206.
291.
146, 314, 470, 630. 195, 472, 577,
449,
TOFFANIN (Giuseppe): 80, 116, 117, 121. TOMITANO (Bernardo): 119. TORY (Geoffroy): 433, 435. Traits (acute dicta): 414. TR~BIZONDE (Georges de): 116, 394. TRENTE (concile de): 69, 123, 126, 136, 137, 139, 140, 141, 142, 144, 145, 154. TRUCHET (Jacques): 15. TRUJILLO (le P. Tomas a) : 466. Tullianus stylus (voir ciceronianus stylus). TURNÈBE (Adrien): 169, 174, 299, 380, 393, 462465, 472, 478, 547, 583, 665. TURNÈBE (Odet de): 441. TURSELLIN (le P. Horace): 178, 397. TUVE (Rosamund): 13. TYARD (Pontus de): 494.
Ubertas (abondance): 100, 183, 470. ULPIEN: 438. Ulysse (modèle d'orateur): 195, 196 480. URBAIN VIII BARBERINI: 178, 179, 190, 200, 202, 203, 204, 206, 396, 397, 400. Urbanitas (" honnesteté.): 21, 89, 206, 279, 330, 463, 574, 599, 659, 660, 706. URFÉ (Honoré d'): 373, 614, 615, 616, 617, 619, 631, 637 . VALÈRE-MAXIME: 145, 290. VALERIANO (Giovanni, Pierio): 282. VALÉRY (Paul): 9, 11, 19. VALIER (Augustin): 136, 142, 144. VALLA (Lorenzo): 41, 79, 50, 81, 179,
600. VALLADIER (André): 252, 274, 275. Varietas (variété): 53, 54, 55, 62, 74, 87, 100, 197, 199, 206, 224, 318, 331, 340, 346, 353, 401, 408, 415, 653, 654, 656, 668, 677, 682, 690. VARRON: 99, 113, 347, 456. VAUGELAS (Claude Favre de): 618, 619, 648, 692. VAUQUELIN (Jean, seigneur de la Fresnaye): 497. VAUQUELIN (Jean, seigneur des Yve. taux) :556. VAUX (M. de): 533. VAVASSEUR (le P. François): 312,327, 332, 333, 348, 352, 355, 380, 381, 384, 392, 398, 405, 406, 407417, 418, 420, 423, 525, 621, 681, 683, 685, 688. V~GÈCE: 347. Véhémence (vehementia, voir movere) : 49, 74, 149, 298, 314, 317, 504, 603, 618. Vehemens (genus), voir grand, sublime (style): 54, 59.
852 Véhément (style): 167. VELASQUEZ: 199. VENDÔME (César, duc de): 556, 557, 571, 693. Venus tas (voir élégance): SO, 157, 158. VERDUN (Nicolas de) : 39, 270, 393, 394, 404. Vérité et vraisemblance rhétorique: 73, 104, 106, 118, 126, 130, 146, 187, 346, 351, 402-403, 422, 481, 483, 497, S03, 559, 566, 579, 634, 640, 643, 645, 649, 6SO, 666, 667, 671, 679, 680, 683, 689, 690,
697. VETTORI (Pietro): 120, 121, 272, 465, 496, 578, 582, 701. VIALART (Dom Charles de Saint Paul): 338-342, 572, 669. VIAU (Théophile de): 114, 115, 327, 328, 329, 332, 336, 524, 533, 571, 572, 594, 608, 667, 675, 677, 681. VIDA (Girolamo): 202, 397. VIGEN~RE (Blaise de): 100, 112, 212, 254, 260, 261, 265, 272, 273, 274, 276, 289, 320, 337, 379, 390, 396, 496, 497, 498, 522, 542, 665, 676, 687. VIGNEUL-MARVILLE: 617, 618, 629. VILlAVICENTE (Laurent de): 126-127, 129, 134, 135, 138. VILLOSLADA (le P. Ricardo): 176, 179. VINCENT DE BEAUVAIS: 333. VINCENT FERRIER (Saint): 333.
INDEX VION (Charles de, seigneur d'Alibray): 127, 129, m, 134, 653. VIRGILE: 65, 66, 168, 349, 412, 452, 453, 471, 523, 598, 609, 610, 666. Viril, virilité (voir mollities, effoeminatio): 160, 161. Vis oratoria (voir force): 66. VITELLESCHI (le P. Muzio): 179, 190, 255, 299, 344. VITRUVE: 347. VIVES (Luis): 600. VOELLUS (le P. Jean): 387. VOITURE (Vincent): 19, 649, 694. Voluptas (voir delectatio). VOSSIUS (Gérard): 224, 527, 577. VOUET (Simon): 380. WALKER (D.P.): 562, 563. WEINBERG (Bernard): 117. WILAMOWITZ-MOELLENDORF (Tycho von): 219. WILLIAMSON (George): 13, 14, 57, 156_ WITTKOWER (Rudolf): 128. X~NOPHON: 53, 87, 88, 94.
YATES (Frances): 259, 264, 282, 283, 383, 421, 600, 665, 670. ZANTA (Léontine): 555. 649, 658, 659. ZUBER (Roger): 15, 114, 396, 611, 612_ 649, 658, 659.
L'ILLUSTRATION DES TRAITÉS DE RHÉTORIQUE ET d'ÉLOQUENCE
PLANCHES
PLANCHE 1. - Portrait gravé de Marc Antoine Muret ornant les pages de titre de l'édition posthume, publiée par le p, Francesco Benci, S.J., des Opera Omnia de Sénèque le Philosophe, Rome, 1585. (Voir texte p. 170 et suiv. et biblio. n" 225.)
PLANCHE 2. - Frontispice du traité du P. Carlo Reggio, SJ., Ora/or Christian us, Rome, 1612.
(Voir texte p. 186-190 et biblio. nO 934.)
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Pl.ANCHE 3. - Frontispice du traité du P. Famiano Strada, Profusiolles academicae, Rome, 1617.
(Voir texte p. 190-202 et biblio. n" 937.)
l'LANCHE
4. - Frontispice de l'ouvrage de Georges de Scudéry, Les Harangues ou Discours académiques de Jean Baptiste Manzini, Paris, 1642. (Voir texte p. 220 et biblio. n" 762.)
PLANCHE 5. - Frontispice du traité de l'humaniste italien Agostino Mascardi, Ethic"e profusion es. publié à Paris chez l'éditeur Sébastien Cramoisy, en 1636. (Voir texte p. 226 et biblio. n" 771.)
PLANCiIF
6. - Frontispice du
traité d'Agostino Nlascardi, Romanae dissertatione.\,
Cramoisy, 1636. (Voir texte p. 226 et biblio. n" 772.)
Paris.
PLANCHE 7. -
meditutiones in Frontispice de l'ouvrage du P. Jeronimo Nadal, S.J., Adnotationes et Evangelia, Anvers, 1594. (Voir texte p. 259 et biblio. n' 952.)
PLANCHE 8. - Planche intérieure de l'ouvrage du P. Nadal, Adnotationes et meditationes in Evangelia, Anvers, 1594. (Voir texte p. 259 et biblio. n° 952.)
PLANCHE 9. -- Frontispice de l'édition Artus Thomas sieur d'Embry de la traduction par Blaise de Vigenère des Images ou Tableaux de Platte Peinture des deux Phi/ostrates sophistes grecs, Paris, 1614. (Voir texte p. 260 et biblio. n" 125.)
PLANCHE 10. - Planche intérieure de l'ouvrage de Vigenère, dans l'édition Artus Thomas, Paris, 1614. (Voir texte p. 260 et biblio. n" 125.)
PLANCHE II. - Frontispice du traité du P. Melchior de La Cerda, SJ. Usus et exercitatio
demonstrationis, Cologne, 1617. (Voir texte p. 272 et biblio. n° 944.)
PLANCHE 12. - Frontispice du traité du P. Etienne Binet, S.1., Essay des merveilles de Nature et des plus nobles artifices, Rouen, 1621.
(Voir texte p. 264-271 et biblio. n° 851.)
PLANCHE 13. - Frontispice du recueil du P. Pierre Coton, SJ., Sermons sur les principales et plus difficiles matieres de la foy, Paris, 1617 (Voir texte p. 263 et biblio. n" 862.)
PLANCHE 14. - Frontispice du recueil du P. Nicolas Caussin, S.1., Electorum Swnb%rum el
paraholarum hi.\·toricarum syntagmata, Paris, 1618.
(Voir lexle p. 280-281 el biblio. n" 860.)
EI . OQ\·"E\J S;\CR',~
r H'v'f\.t·~''\/\:J PARAI~LEL/\
PLANCHE l5. - Frontispice du traité du P. Nicolas Caus . . in. Eloquentiue parulie/a, La Flèche, 1619. (Voir texle p. 286·298 et biblio. n" 852.)
S(lcrae et hunumae
PLANCHE 16 - Frontispice du traité du P. Nicolas Caussin, S.1., La Cour minte ou l'institution chrétienne de" Grands, Paris, 1624. (Voir texte p. 362-370 et bibl iD. n" 854.)
PLANCHE
17 - Frontispice du traité du P. Francisco de Mendoça, SJ., Viridarium sacrae el profanae auditionis, Lyon, 1635 (Voir biblio. n" 949.)
PLAr-..:CHE 18.
Frontispice du traité du P. Gérard Pelletier, SJ., Palatium regil1ae e/oquef1tiae,
Paris, 1641. (Voir texte p. 343-349 ct hiblio. n" H84.)
PLANCHE
19. - Frontispice de l'ouvrage du P. Pierre Le Moyne, S.J., Les Peintures Morales, t. Paris, 1640. (Voir texte p. 379-391 et biblio. n' 874.)
l,
LE PARADIS DES FIDELES MORTS. PLANCHE 20. - Planche intérieure du t. Il de, Peintures Morales, Paris, 1643.
PLANCHE
21. - Frontispice du recueil Les Remonstrances de Messire Jacques de La Guesle. Procureur General du Roy, Paris. 1611. (Voir texte p. 476 et biblio. n" 557.)
PLANCHE 22 ~ Frontispice du recueil des Remorlstrances ouvertures de Palais et arretez prononcez en Robes rouges par Messire André de Mesmond, ... Premier Président au Parlement de Bourdeaux, Poitiers, 1617.
(Voir texte p. 476 et biblio. n" 618.)
PLANCHE 23. - Frontispice de l'ouvrage de Puget de La Serre, Le Bouquet des plus bel/es fleurs de l'Eloquence, Paris, 1624. (Voir texte p. 543 et biblio. n" 572.)
PLANCHE 24. - Frontispice de l'ouvrage de J. Dupré de La Porte, Le Pourtraict de l'Eloquence françoise, Paris, 1621. (Voir texte p. 536-543 et biblio. n" 483.)
PLANCHE 25. - Frontispice d'après un dessin de Nicolas Poussin. des Puhlii Virgilii Maronis Opera, Paris, Imprimerie royale. 1641.
L'ILLUSTRATION DES TRAITÉS DE RHÉTORIQUE ET D'ÉLOQUENCE
NOTICES DES PLANCHES
PLANCHE
1.
L'effigie gravée de Muret est ici héroïsée par l'ovale d'un camée à l'antique et par les inscriptions latines: l'ouvrage posthume est traité en tombeau fixant les traits définitifs de la gloire de l'humaniste français, liée à celle de l'Eglise romaine et à celle de Rome. PLANCHE
2.
Ce frontispice représente un retable, architecture éphémère de fête religieuse, orné de festons, de devises, de peintures et de statues de saints. li métaphorise le livre en chapelle ardente dédiée à l'Eloquence sacrée. Dans le vide ouvert par le fronton brisé, une effigie peinte du Christus Orator prêchant assis sur un trône épiscopal. Elle est encadrée par les statues de saint Pierre et de saint Paul dotés de leurs symboles accoutumés: les clefs, le livre ouvert, l'épée. Le titre de l'ouvrage est gravé à l'étage inférieur sur un linge liturgique qui voile probablement le tabernacle et le Saint Sacrement. Entre les deux paires de colonnes, deux paires de devises sont suspendues: cons onet ut sonet; ardeat ut leriat et quod sonlls hoc index; inl/ante spiritu, où s'entrecroisent les lieux métaphoriques de l'éloge de l'éloquence, douceur musicale du de/ectare, véhémence fulminante du docere et ceux de l'éloquence sacrée: appel au pécheur pour l'avertir que l'heure de la mort et du repentir cst proche, invocation à l'inspiration divine. Sur le socle du retable, deux couples de Pères de l'Eglise: saint Grégoire le Grand et saint Bernard de Clairvaux, saint Jean Chrysostome et saint Augustin, encadrent une devise: Verbo Domini. L'ensemble de l'édifice à trois étages résume la majesté sacrée de l'Eloquence ecclésiastique, dont la source est dans le Verbe divin, qui fait tourner les astres autour de la terre et qui, par la médiation de l'Eglise, ramène l'humanité pécheresse à la vérité et au salut. Les formes architectoniques empruntées au vocabulaire antique, surchargées de signes modernes et catholiques, sont au surplus investies d'une fonction symbolique: celle de représenter l'ordre et l'unité organique de l'Eglise triomphante et militante, du Ciel et de la terre, du Verbe divin et de ses interprètes dans le monde sublunaire. Version bien romaine du cicéronianisme dévot.
NOTICE DES PLANCHES
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PLANCHE
3.
Ce frontispice représente un monument allégorique, autre type d'architecture éphémère rythmant l'itinéraire d'une fête, par exemple à Rome la « prise de possession» de la ville par un nouveau pontife. Il métaphorise le livre en temple de l'Eloquence profane, soumise à l'autorité de l'Eloquence sacrée. Sur le socle central, assise sur une chaire et s'appuyant sur un gouvernail, se dresse une statue de l'Eloquence profane (Ars orataria) rectrice de la société civile (les fasces consulaires) et de la sagesse humaine (le caducée de Mercure). De son bras droit, elle montre le Ciel où elle puise elle aussi son inspiration. Sur deux socles symétriques, à ses pieds, la statue de l'Histoire, une vieille femme qui mesure au compas, dans un miroir-sorcière, la vérité, fWa temparis, et celle de la Poésie, une jeune fille qui porte les symboles du Drame (un masque tragique) et du Lyrisme contemplatif (une lunette astronomique). Cette Sacra canversazione entre les tmis pieuses Muses repose sur un socle plus large, orné de bas-reliefs. Sous la statue l'Histoire, un Imperator harangue ses troupes; sous la Poésie, une scène homérique: Zeus envoie Hermès au camp des Orecs devant Troie. Sous l'Eloquence, une devise dont l'âme est: Dacet ut de/eetat et dont le corps est un jardin artistement ordonné en horloge solaire. Le programme de classicisme qui s'énonce ici est entièrement ordonné à l'esprit de réforme chrétienne de l'Eglise tridentine. PLANCHE
4.
Ce frontispice d'esprit très italien introduit en fanfare la traduction par Georges de Scudéry des Furari della Oiaventù de Giambattista Manzini, un prosateur mariniste itaiien. Le rapprochement s'impose avec le frontispice de l'Oralar chrisfianus (Pl. 2). C'est le même parti architectonique transposé dans le registre profane, comme si l'Eloquence profane n'était que le double ludique de l'Eloquence sacrée. Même fronton brisé au sommet d'un « retable» de fête, mêmes devises en pendentif ou en bas-relief sur le socle. Les anges sonnent la Renommée, et non plus la majesté, du Verbe. PLANCHE
5.
Ce frontispice allégorique rompt avec le parti jusque-là obligé du retable ou de l'arc triomphal. Il demeure cependant lié à l'idée d'Entrée, de seuil sacré. Mais celle-ci est désormais intégrée dans un espace pictural ou théâtral et les personnages allégoriques ne sont plus des statues fixées à une architecture frontale, mais des acteurs interprétant une action dans un lieu scènique montré selon une perspective de biais. Devant une porte surmontée par le titre du livre, traité en inscription, Mercure, dieu de l'Eloquence, invite à entrer Minerve, déesse de la Sagesse, qui rengaine son épée, et Eros, dieu de l'Amour, qui brise son arc et ses
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NOTICE DES PLANCHES
flèches. L'Art oratoire est la psychagogie de la tranquillitas animi, de la paix d'une âme conquise par la sagesse. Le spectacle allégorique du frontispice métaphorise le livre en temple de cette sagesse. A rapprocher du frontispice du Palatium Reginae Eloquentiae (PI. 18). PLANCHE 6.
Même principe de représentation qu'à la planche précédente. L'idée de l'entrée, du seuil, de la porte, est maintenue, mais elle s'affaiblit au point de devenir un simple élément de décor, à l'arrière-plan. Au premier plan, un « tableau» ou une « scène» de théâtre occupe toute l'attention: Caïn sur le point d'assassiner son frére Abel. Les signes silencieux révélant les passions des personnages sont soulignés par l'allégorisme des angelots. L'un dévoile le visage, theafrum animi, de Caïn contracté par la jalousie et la haine; l'autre tend un flambeau enfumé qui allume dans le cœur du criminel le feu dévorant et noir qui lui fait soulever son épée. Un troisième tient un miroir où se reflète la pureté du cœur d'Abel, dont le visage paisible et sans méfiance est penché, tel celui d'un saint Roch, vers un chien fidéle quïl caresse, image de sa foi confiante en Dieu. Le sujet du livre est bien résumé par cette action de caractère très théâtral. La gravure des pl. 5 et 6 est signée]. Picar!. PLANCHE 7.
Retour en arrière chronologique, et retour aussi au principe du retable-arc triomphal. Le fronton brisé, sur lequel sont assis des anges porteurs de plames porte en son centre le sigle de la Compagnie de Jésus, le JHS flammé surmonté d'une croix, au dessus des trois clous. Encadrant le titre, traité en inscription à l'antique, les statues dans leurs niches des quatre évangélistes. Sur le socle, quatre lunettes peintes représentent des Pères de l'Eglise: Grégoire le Grand, Ambroise, Augustin, Jérôme. PLANCHE 8.
Cette scène de l'Evangile gravée, illustrant les Adnotafiones du P. Nadal, n'est qu'un exemple dans une série qui résume en « tableaux '> toute la Vita Christi. La liberté d'invention du dessinateur -- qui utilise des éléments du vocabulaire plastique de la Renaissance, espace en perspective, toges anoblissantes et gestes éloquents à l'antique, des personnages sacrés - est aussi étroitement soumise à un programme dicté par l'auteur ecclésiastique du livre que pouvait l'être un «ymagier» médiéval. Le programme est ici inspiré par des considérations mnémotechniques: l'espace de la représentation est orienté par un trajet et le trajet balisé par des points de repère: A, B, C. Les « points .. essentiels du texte évangélique sont ainsi soutenus dans la mémoire par le pittoresque de l'image et sa logique plastique. Ils correspondent aux « points"
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NOTICE DES PLANCI-IES
essentiels de la « méditation» sur le texte à laquelle l'image doit aider. A chacun de ces points correspond, dans la section imprimée de l'ouvrage, un recueil de «citations» bibliques et patristiques propres à nourrir cette méditation méthodique. La memoria, la copia et la dispositio du discours intérieur pieux sont ainsi soigneusement préparés pour l'utilil'ateur du livre. Chaque planche correspondant à un évangile dominical, c'est l'ensemble de l'année liturgique qui devient une retraite ininterrompue d'exercices spirituels. (Voir Frances Yates, l'Arf de la mémoire, biblio. n° 1266). PLANCHE 9.
L'étrange édifice représenté sur cette gravure de frontispice est la métaphore du livre de Vigenère, «galerie» de tableaux allégoriques et symboliques où toute une encyclopédie savante est décryptée dans le jeu de miroirs de la description et de l'image. C'est une mnémotechnique profane qui fait pendant à la mnémotechnique sacrée des Adnofationes de Nada\. De la coupole du Templum memoriae (au dessus du lanternon brille le soleil, métaphore de l'intellect et dans une des fenêtres apparaît en buste l'auteur du livre, Vigenère) partent deux galeries qui ouvrent une sorte de coin au regard et le prennent au piège (la colonnade du Bernin, devant la coupole de Michel Ange, quoique édifiée selon le principe de l'ovale brisé et non de l'angle ouvert, répond à la même finalité). Sur les murs de ces deux galeries, des «tableaux de platte peinture» que méditent de doctes personnages. Au dessus des pavillons qui rythment les galeries, des anges-amours sonnent les trompettes de la Renommée d'où sortent des phylactères gravés de devises: USQUE AD FINES ORBIS TERRARUM ; IN AETERNUM. L'ambition encyclopédique de ce Vatican du savoir humaniste enveloppe donc la totalité de l'espace et du temps. Entre les deux galeries, au pied de la coupole, au fond de l'angle, un groupe de statues: Apollon et les neufs muses. Au premier plan, le titre du livre est traité en parterre de jardin imitant une inscription à l'antique. PLANCHE
10
Dessinée par Antoine Caron, cette planche laisse supposer que l'édition Artus des Images ou Tableaux de Vigenère a été conçue dès la fin du règne d'Henri III, comme la Civitas Veri d'Alphonse d'Elbène. Interprétée dans son sens moral par deux quatrains d'Artus, sieur d'Embry, l'image d'Ajax le Locrien saisi dans les replis de la foudre, de Jupiter devient l'emblème de l'ubris humaine et de son inévitable châtiment. PLANCHE Il
Ce frontispice gravé mime la marquetterie de cuir d'une reliure lourdement ouvragée, elle-même mimant la ferronnerie d'une porte ou
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NOTICE DES PLANCHES
d'un couvercle de coffret. Au dessus du médaillon de titre, la devise Omnibus O1llnia avec pour corps le soleil, qui sera réutilisée dans l'Imago Primi SaecuU SI parmi celles propres à la Société de jésus. Dans le médaillon central, entouré de la devise ln universa terra admirabile nomen, le sigle de la Société, déjà rencontré sur le frontispice des Adnotationes (PI. 7) : le j.H.S. flammé surmonté d'une croix, au dessus des trois clous, avec ici la variante fréquente du cœur transpercé. Ce médaillon est encadré par deux anges en prière, et les « ferrures" de la reliure sont parsemées de fleurs, symboles de l'éloquence (Voir Le Parterre de la rhetorique françoise, biblio. n" 391 et le titre d'un autre traité du P. de La Cerda : Eloquentiae Campus, biblio. n" 945). PLANCHE
12
Sur ce frontispice du type retable-arc de triomphe, une statue de l'Eloquence en majesté siège au dessus de la loge centrale, encadrée par deux pots à fleurs (voir la pl. précédente) et brandissant d'une main la foudre, tandis que l'autre tient un livre ouvert. Debout devant les deux paires de colonnes ioniques qui saillent de chaque côté de la loge centrales, une statue de la Nature, tenant d'une main un soleil (symbole du judicium), de l'autre une corne d'abondance (symbole de la copia rerum), et .une statue de l'Art, tenant d'une main un compas (comme l'Histoire, sur le frontispice des Proillsiones academicae, pl. 3) et un globe. Sur le socle, sous la statue de la Nature, un bouquet de fleurs; sous la statue de l'Art, une composition rassemblant des instruments de mesure: compas, sextant, boussole, règle. La Nature est ainsi perçue sous le signe de l'abondance, l'Art sous celui de l'élagage judicieux et approprié. La gravure est signée j. Picart. PLANCHE
13
Ce frontispice de type retable (signé Mich. Faure) conjugue la représentation de la peinture Oe panneau supérieur et les deux socles) et celle de l'architecture et de la sculpture (les deux paires de colonnes corinthiennes encadrant le titre, et les deux statues allégoriques dressées devant celles-ci). Le panneau supérieur, représentant une peinture assez sommaire de chérubins en prière sur un fond de nuages, sert de décor à une statue du Christus Orator, assis en majesté et prêchant. Son trône est dressé sur un socle pourvu de deux longs manches destinés à son transport processionnel, à l'occasion d'une fête religieuse. A l'étage inférieur, de chaque côté du titre, un Père de l'Eglise grecque (probablement saint jean Chrysostome, auteur du Miroir et boëte de saincle Magdeleine, tiré du cabinet de saint Jean Bouche d'Or, traduit par Fédéric Morel et publié à Paris, en 1599 [Rés. C 2721 (6)]) et sainte MarieMadeleine en prière et le regard tourné vers le saint, médiateur de la parole divine. Sur les socles, une devise s'applique à l'éloquence de faint jean Chrysostome: Renovabor, accompagnée de l'image du Phénix; une autre s'applique à la Madeleine: un soleil se reflétant dans un
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NOTICE DES PLANCHES
bassin, avec la sentence: si quiescat, désignant l'âme pécheresse que l'éloquence peut conduire au repentir et au repos.
PLANCHE
14
Ce frontispice, signé Léonard Gaultier, emprunte ses références plastiques à un autre domaine de l'architecture éphémère des fêtes, celui des fontaines monumentales. Pyramides couvertes d'hiéroglyphes, cornes d'abondance, Dieu Nil et crocodile, ornent un édifice hydraulique qui symbolise la circulation du Verbe divin, depuis l'Agneau dressé sur le Mont Thabor et portant sur son oriflamme l'inscription latine: Fons sapientiae Verbum Dei in excelsis, jusqu'aux eaux terrestres du fleuve Nil qui écoule dans le temps humain la parole de salut (Voir Ile partie, pp. 280-283).
PLANCHE 15
Pour ce vaste traité de rhétorique, M. Tavernier a gravé, sur un programme probablement dicté par l'auteur lui-même, le P. Caussin, un retable-arc de triomphe à trois étages, analogue à celui des pl. 2, 7, 12 et 13. A l'étage supérieur, la reine Eloquence, sculptée en haut-relief, est assise sur son trône, tenant d'une main la corne d'abondance et de l'autre le caducée. Appuyés contre ses gcnoux qu'ils dissimulent, l'écusson et les armes du roi Louis Xlii, à qui l'ouvrage est dédié. De chaque côté du trône, outre les angelots qui volétent autour du trônc, deux figures allégoriques sculptées s'avancent pour rendre hommage à la reine, l'une masculine, les yeux bandés, tenant un vase clos, l'autre féminine, tenant une couronne et accompagnée d'un paon. L'étage inférieur, orné de deux paires de Colonnes corinthiennes, voit se dresser devant celle de gauche une statue masculine d'orateur à l'antique, dont le sens allégorique, en correspondance avec la figure masquée de l'étage supérieur, est indiquée par le mot grec BIA : la Force, aveugle d'abord, puis éloquente; devant la paire de droite, une statue féminine âgée, vue de profil, drapée elle aussi à l'antique, mime l'acte de plaider: elle est la transfiguration, après la rencontre de la reine Eloquence, de la figure féminine de l'étage supérieur, plus jeune et encore imbue de vanité. Elle est PEITHO, l'allégorie de la douceur persuasive, parente de la beauté; conjuguée avec la force, elle résume le pathos oratoire. A l'étage du socle, deux tableaux emblématiques répètent la signification des deux statues allégoriques: l'éclair de la foudre, métaphore de la véhémence oratoire; les sirènes, métaphores de la douceur qui touche les cœurs. L'ensemble de l'édifice - qui donne la sensation tactile de reproduire un modèle travaillé dans le bois - a l'aspect d'un portique qui résume - sous le voile des symboles - une des leçons centrales du traité qu'il inaugure.
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NOTICE DES PLANCHES
PLANCHE
16
Ce frontispice signé Briot semble représenter le tableau final d'une tragédie sacrée fictive, avec machines. A l'étage supérieur, et en toile de fond peinte, une assemblée de rois de France, auréolés et assis en majesté, entourent une gloire où apparaît le sigle jésuite réduit au j.H.S. surmonté d'une croix. A l'étage intermédiaire, comme si elle venait de descendre des cintres célestes sur la scène terrestre, une actrice joue le personnage de SANCTIT AS, dont le nom apparaît dans l'auréole hérissée de pointes lumineuses qui rayonne de son visage. Elle prêche, et au sommet de sa main droite apparaît une étoile; de sa main gauche, elle tient les insignes de la royauté, le sceptre et la couronne. A sa droite et à sa gauche, deux anges tenant chacun un phylactère, avec les inscriptions : inter spinas secur, in/el' flammas intac!a. La Sainteté a touché terre au sommet d'un rocher où flamboie un bûcher, où verdoie un buisson d'épines. Au pied du rocher, et de même taille que celui-ci, un acteur debout, les bras levés, lui rend un hommage d'admiration; une actrice debout, d'un geste éloquent, invite à lui rendre le même hommage. Tous deux sont auréolés et surmontés d'un phylactère où l'on peut lire, au dessus de l'homme: Ibo rt videbo visiunem hanc magnam ; au dessus de la femme: Hac itur in astra. Ce sont peut-être saint jean-Baptist~ et sainte Marie-Madeleine. eett composition - qui rappelle vaguement celle de l'Assunta du Titien - résume le sens de La Cour Sainte: même et surtout au milieu des périls et des épines de la Cour, la sainteté peut triompher, comme le prouvent tant d'exemples, en particulier celui de saint Louis, ancêtre éponyme et modèle de Louis XIII. PLANCHE
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Frontispice signé Grégoire Huret, dans la manière virtuose et la matière quasi picturale de ce grand graveur. Comme dans la pl. 16, le retable-arc de triomphe est infléchi ici vers le théâtre et la peinture de décors de théâtre; son personnel allégorique est infléchi de la sculpture vers l'art du comédien «vivant ». L'étage supérieur de l'édifice représente, derrière une balustrade somptueusement ornée, entre autres d'emblèmes floraux (la rose, avec la sentence biblique: Labia dolosa, Ps. 30 ; la tulipe, avec la sentence: N oluit intell1gere ut bene ageret), ct à l'arrièreplan d'une porte monumentale, un jardin. Sous l'arc de la porte, et devant la perspective d'une majestueuse allée bordée d'arbres, se dresse l'Archange saint Michel, l'épée flamboyante à la main; à ses pieds une devise: Cus/os est divitis horti, virg. Eclog. 7. C'est l'allégorie du Viridarium du titre, métaphore de la copia rerum. Voir le frontispice de l'Essay du P. Binet (pl. 12) où la Nature métaphorise la copia, corrigée par l'Art qui élague et ordonne cette copia selon la convenance. L'image du jardin fait la synthèse de la copia remm et du judicium. Mais c'est un jardin qui, comme celui d'Eden, est interdit aux
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NOTICE DES PLANCHES
profanes et aux pécheurs: franchir son seuil suppose une purification préalable. Les deux adjectifs du titre (sacra et profana) sont allégorisés par les deux actrices jouant, à l'étage intermédiaire, de chaque côté du titre, le rôle l'une de l'Eruditio sacra, reine pudique baissant les yeux, l'autre l'Eruditio profana, jeune fille plus élégante que majestueuse et regardant le spectateur: les deux actrices soulèvent un phylactère qui les unit et qui porte des mots: Utraque manu, virg. comme pour souligner leur collaboration, l'une étant la princesse et l'autre la suivante. A l'étage inférieur, le nom de l'auteur, dernière section du titre, est illustré par un portrait du P. Mendoça, représenté à mi-corps, de biais, dans la posture d'écrire, selon un modèle qui remonte à l'Erasmc d'Holbein. De chaque côté de ce portrait, deux médaillons contiennent chacun une devise: Folium ejus non defluel, qui fait allusion à la transcendance des sciences sacrées par rapport au temps humain, et Torrente voluplatis, qui renvoie à la deleelatio, à la douceur persuasive (voir l'antithèse Bia/Peithô sur le frontispice des Parallela du P. Caussin, pl. 15). L'édifice visuel du frontispice glose donc, allégoriquement et minutieusement, le programme de l'ouvrage tel que le titre le résume: une topique de l'invention tirée des auteurs de l'Antiquité païenne et chrétienne, la première destinée à l'ornement agréable, l'autre à l'édification solide.
PLANCHE 18
Autre frontispice signé Grégoire Huret. L'idée de porte, de seuil solennel et sacré, présente dans la plupart des frontispices, sinon dans tous, est modifiée ici, comme dans les frontispices contemporains de J. Briot (pl. 5 et 6) par le parti théâtral et pictural de la représentation. Le péri~tyle, de style romain, d'un palais royal, est montré ici de profil, comme pour définir un espace théâtral. Les deux paires de colonnes et l'entablement sont richement ornées de panneaux peints ou traités en bas-relief - et de devises rattachées par des festons. Panneaux et devises illustrent les divers chapitres du traité ,: Ara Eloquentiae ; Armamenlum Eloquentiae; Thealrum Eloquentiae'; Coelum Eloquentiùe; Triumphus Eloquenliae; Tribunal Eloquentiae; Thronum Eloquentiae, dont les titres métaphoriques, outre celui de l'ouvrage, énumèrent les images, mais aussi les institutions réelles, auxquelles l'éloquence est associée au XVII" siècle, Sur les marches du péristyle, le graveur a représenté la scène conclusive de ce qui pourrait être une tragédie sacrée, telle la Rodogune de Cornei\1e (1644) ou telle tragédie de Collège jésuite. Debout et dominant la scène, une actrice semble incarner la reine Eloquence qui, de la main droite, invite Mercure (debout devant la paire de colonnes symétrique de celle devant laquelle elle-même se tient, voir pl. 12, 13 et 15) à faire entrer dans son Palais le Duc d'Enghien et son frère Conti, deux portraits «au naturel» et en costume de cour Louis XIII. Aux côtés de la reine Eloquence, Minerve brandissant l'épée et Apollon, tendant son arc, achèvent d'anéantir un groupe de Vices dont les corps blessès, dans un grand déploiement de gestes de terreur et de
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NOTICE DES PLANCHES
désespoir, s'amoncellent sur les marches. Rapprocher le geste d'invitation de celui de Mercure, sur le frontispice des Prolusiones elhicae, Pl. 6. Rapprocher le groupe allégorique de Minerve terrassant les vices de celui que sculpta plus tard à Rome Duquesnoy, et qui orne l'autel de saint Ignace au Gesù de Rome: l'Eglise lerrassaill l'hérésie. Toute une culture s'évoque ici : architecture, peinture, arts décoratifs, devises, allégories, mythologie; éthique et rhétorique fusionnent harmonieusement dans un espace théâtral qu'organise l'antithèse du Bien et du Mal, de la vraie et de la fausse Eloquence, au service du Grand Œuvre de la société catholique et monarchique: l'éducation humaniste et chrétienne des Princes. PLANCHE
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Ce frontispice signé Grégoire Huret adopte le même parti spatial que le précédent, bien que la scène reste vide d'action. La gravure renonce à la perspective frontale et aux étages superposés des frontispices-retables pour adopter la perspective de biais - anticipant sur le style des Bibbiena - et l'unité de lieu propre à l'espace pictural du tableau de chevalet ou de la scène tragique. Les trois registres superposés subsistent tout de même, mais ils sont fondus harmonieusement dans un espace qu'unifient puissamment les pilastres corinthiens de l'édifice central: à la hauteur de la balustrade, en effet, volète un groupe d'angelots portant des couronnes et un écusson sur lequel se lit le titre de l'ouvrage; au dessous de la galerie qui occupe le vaste étage intermédiaire, deux grands pots à fleurs et un parterre de broderies végétales marquent la survivance du socle orné des retables de naguère (Voir par exemple le bouquet de fleurs sur le socle gauche, pl. 12). La galerie qui occupe le centre de la composition, et qui saille vigoureusement sur le fond d'une profonde perspective de biais, n'est qu'une aile d'un vaste palais dont le plan n'ensemble, qu'on peut distinguer aisément grâce à la netteté des lointains, est tout à fait analogue à celui qui, vu d'une perspective plongeante et centrale, occupait tout le frontispice des Images el Tableaux de Vigenère (pl. 9). Les {( peintures» des deux galeries étaient, dans ce parti naïf, à peine esquissées et visibles. lei, grâce au point de vue de biais ct d'en bas des marches, deux de ces peintures peuvent être montrées Iisiblemcnt. Le parti-pris de valoriser un détail ne nuit donc pas à la perception de l'ensemble et permet de mieux comprendre comment fonctionne ce Palalium Memoriae tapissé de « peintures morales », métaphore plastique de celui qu'a éloquemment édifié, dans l'espace imprimé du livre, le P. Le Moyne. PLANCHE
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Une des gravures de Grégoire Huret redoublant par l'image les descriptions morales du P. Le Moyne, au L. II de son traité. Ici, c'est l'invention poétique et allégorique du « Paradis des fidèles morts », où le P. Le Moyne s'accorde la licence théologique, au nom de la vraisemblance
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NOTICE DES PLANCHES
propre aux poètes, d'imaginer un Templum Memoriae, édifié sur une île, et où les victimes de la fidélité amoureuse trouveraient sépulture et gloire éternelles. Cette description d'un lieu mythique et imaginaire était eil puissance une ekphrasis à la manière de Philostrate. Le graveur Huret, de son côté, comme Antoine Caron pour les ekphraseis traduits par Vigenère, a conçu sa gravure comme si elle reproduisait un tableau de maître traitant le même sujet que la description du P, Le Moyne. « Peinture muette» et «peinture parlante» rivalisent donc ici à servir i'invention du poète jésuite, qui elle-même est au service d'une mnémotechnique de la séduction, destinée à imprimer dans les âmes une éthique chrétienne des passions, eile-même rendue intrinsèquement «douce» et ~éduisante par le molinisme de l'auteur. Vertige des ricochets d'images dans les miroirs. PLANCHE
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Nous passons ici du côté des parlementaires gallicans. Mais l'auteur de la gravure de ce frontispice est Léonard Gaultier, qui a aussi travaillé pour le jésuite Caussin (Voir pl. 14). Il s'est toutefois accommodé à l'esprit sévère de la Grande Robe française. L'idée de retable fait place ici à celle d'arc de triomphe, qui lui est d'ailleurs fod voisine, mais qui est plus convenable à un Prince de la noblesse de robe. L'étage supérieur est traité en dais, sous lequel siègent en majesté, sur les lys, les deux rois que servit fidèlement tour à tour Jacques de La Guesle : Henri III et Henri IV, chacun représenté comme présidant une séance du Parlement, avec tous les ornements du sacre, couronne, sceptre, main de justice, manteau fleurdelysé. Tous deux portent aussi le collier de Grand-Maître de l'ordre du Saint-Esprit fondé par Henri III. Entre eux, un globe terrestre où la France occupe tout l'espace géographique, lui-même surmonté de la couronne fermée de saint Louis. A l'étage moyen, encadré par les armes des deux rois, le médaillon portant le titre de l'ouvrage. Au pied des deux pilastres, de chaque côté de l'inscription de l'adresse ct du nom du libraire, deux statues allégoriques, l'une de la justice, tenant l'épée et la balance, l'autre de la Loi, tenant les Tables de Moïse. Deux cornes d'abondance, symbolisant la copia rerum du Droit et de la jurisprudence, répandent leurs trésors au pied des deux statues.
PLANCHE
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Dans ce frontispice, la formule retable semble adoptée, quoique pour un recueil typiquement robin. Il est vrai que le Président de Nesmond était ami des jésuites, et que le graveur provincial a peut-être négligé des convenances plus perceptibles à un Léonard Gaultier. Toutefois ce « retable» pourrait aussi bien être un cadre d'ébène pour tableau ou miroir, d'un type fréquent au XVIe siècle et archaïque en 1617. Les personnages allégoriques seraient en cette hypothèse des pièces d'une matière différente rapportées sur un cadre de bois. Sur le fronton, le graveur a
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NOTICE DES PLANCHES
posé deux anges porteurs de palmes, qui, assis, tiennent un écusson armorié. A l'étage médian, deux statues allégoriques: l'une de la Justice, lcs yeux bandés, et tenant l'épée et la balance; l'autre de la Charité, secourant des orphelins et tenant dâns l'autre main le rameau d'olivier. Devant le socle, deux pots à fleurs (voir pl. 12 et 19) encadrant un autre écusson armorié, traité en marquetlerie, semble-t-il. Les armes du fronIon sont ccux du Président de Nesmond, ceux du socle ceux du libraire. PLANCHE 23 Sur le frontispice de ce recueil anthologique, le bouquet de fleurs, qui apparaît souvent dans ce genre d'ouvrages sous forme de fleurs en pot (voir pl. 12, 17, 19 et 22) occupe tout l'espace au lieu de ne figurer qu'à une échelle réduite, à titre de détail. Le graveur s'est inspiré d'un genre rendu célèbre par la peinture hollandaise. Chaque fleur représente allégoriquement l'éloquence d'un des auteurs cités dans l'anthologie. La tulipe centrale porte le titre, qui forme une phrase nominale (( bouquet ... cueilly dans les jardins des Sieurs ») achevée par les noms figurant sur les autres fleurs. Le pot, avec scs guirlandes et sa tête de lion en relief, est d'une lourde somptuosité, inusitée dans les tableaux hollandais de ce genre. La gravure est signée Crispin de Pas. PLANCHE 24 Version gallicane et sévère, par Michel Lasne, du frontispice jésuite des Prolusiones Academicae (pl. 3). Sur un socle cylindrique se dresse le trône de la reine Eloquence, portant la couronne fermée et fleurdelysée des rois de France, l'armure de Minerve et le vaste manteau liturgique de la Vierge de Miséricorde. Au dessus d'elle, deux angelots sonnent de la trompette, avec un phylactère où l'on peut lire: « 11 fait bon la servir ». Un autre phylactère se déploie à la hautcur de la tête de la reine, avec l'inscription: « Je ne tiens mes sujets qu'aux gages de l'honneur», ce que confirment le coffret de piéces d'or et le sceptre, avarice et ambition, qu'elle foule aux pieds. Elle couronne de lauriers deux personnages debout au dessous de son trône. Le phylactère dit: « Encore celle-cy, et cette autre encore.» Les deux personnages, en habits du temps (voir pl. 18) sont l'un un gentilhomme de Cour (le Duc de Longueville, Gouverneur de Normandie, selon Jeanne Duportal), l'autre un haut dignitaire du Parlement (Guillaume Du Vair, Garde des Sceaux, selon le même auteur). Sous le socle du premier, une devise commentant l'entrelacement de l'épée et du caducée: « Le miel est en sa bouche et le fer en ses mains» ; sous le socle du second, U/1 caducée entouré de palmes est commenté en ces termes: «Le miel est en sa bouche et le droie! en ses mains.» L'ensemble de la composition est complété par un étroit bandeau qui traite le frontispice comme le «corps» d'une devise don! « l'âme» est ainsi formulée: «Donnez Illy vostre espée et prenez sa balance, vous serez l'abrégé de l'humaine prudence. » C'est bien la thèse
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NOTICE DES PLA]\;CltES
centrale du livre, qui appelle au ralliement de la noblesse d'épée à l'éloquence des Parlements, moyennant quelques concessions « ornementales» de la part de celle-ci. PLANCHE
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Gravé d'après un dessin de Nicolas Poussin pour un ouvrage publié sur les presses de la Typographie royale en 1641, ce frontispice pourrait aisément passer, grâce à son évidente parenté avec l'Inspiration du Poete du Louvre, pdur une manifestation et un symbole du « Premier classicisme» ou « Classicisme Richelieu ». Mais L'Inspiration du poète, selon j. Thuillier (Poussin, Flammarion, 1974, p. 92) a été peinte dix ans pl us tôt et le classicisme de cette planche refléte davantage à la fois une des facettes du génie personnel de Poussin, et un des versants du goû t romain, que quelque consensus parisien autour d'un classicisme plastique. Néanmoins, on peut considérer que la référence si directe à la plastique antique, si indifférente aux modes mondaines ou dévotes, telle qu'elle apparaît ici, correspond au moins au goût d'une élite docte et responsable groupée autour de Richelieu. Le parti adopté par Poussin pour ce frontispice n'est pas moins audacieux que son style: alors que la tendance de graveurs comme Grégoire Huret, maître du genre, va vers le pictural et le théâtral, au sens le plus scénique du terme, Poussin choisit de se référer à la statuaire, dépouillée, ou quasi, de tout effet d'espace scénique ou pictural. Son groupe à l'antique, d'un équilibre raffiné, résume une perception exceptionnellement juste et profonde de l'art de Virgile et du rythme serein qui transfigure chez le poète le pathos en beauté, le mouvement en grâce chorégraphique.
TABLE DES MATIÈRES
INTRODUCTION
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1. Historiens de la rhétorique aux XVI' et XVII' siècles: Possevin, Cresso Iles, Naudé, Sorel, Morhof, Gibert, 1-3 ; Passage de l'histoire de la rhétorique à l'histoire littéraire: de Marmontel à Sainte-Beuve, 3-5; La réforme universitaire de 1885 et l'œuvre de Lanson; place de l'Art de la prose dans la méthode lansonienne, 5-7 ; Histoire littéraire et histoire de la rhétorique: Radouant, Mornet, Cousin, Rivaille, Dainville, 7-9 ; Renouveau d'intérêt pour la rhétorique dans le milieu littéraire: Valéry, Paulhan. Passage du «Tel Quel» de Valéry à la revue Tel Quel: l'idéologie linguistique et la rhétorique, 9-11 ; Fécondité de la philologie romane et histoire de la rhétorique en Allemagne : Curtius, Lausberg; aux Etats-Unis: M.-W. Croll, l'Ecole de Chicago, Ch. Baldwin, H. CapIan, Borgerhoff, Brody, Davidson, Scaglione; en Angleterre: Williamson, France, Mc Gowan, 11-14; Renaissance en France de l'histoire de la rhétorique: rôle pionnier de B. Munteano; historiens de l'éloquence sacrée (Truchet), de la traduction (Zuber). Rôle stimulant joué par les historiens de la rhétorique antique: Marrou, Michel. Les synthèses déjà possibles dans ce domaine: W. Kroll, G. Kennedy, A.-D. Leeman, 14-16; Conjonction de l'histoire de la rhétorique avec une histoire de la littérature néo-latine, 16. II. Le statut de la «littérature >">. Sa définition romantique. Position de Ernst-Robert Curtius, de Paul Bénichou. Etat présent de la « littérature", 17-18; De l'Histoire littéraire de la France de Dom Rivet à celle de Gustave Lanson: privilège que celle-ci accorde aux écrivains « mondains », et à leur suprême réussite, l'écrivain romantique; effet rétroactif sur notre vue des Lettres au XV,,' siècle, 18-20; Eloquence française et res literaria savante, 20-22 ; Fonction médiatrice de la rhétorique, 22-23; Statut de la « littérature" au XVII' siècle: le témoignage de Perrault, de Sainte-Marthe, de Bullart, du Dictionnaire de Furetière, 23-27; Le témoignage de Naudé, du P. Granger, 27-28; Coexistence d'une eloquentia savante, qui a pour elle l'antériorité et l'Antiquité, et d'une éloquence mondaine qui doit imposer sa légitimité, 28-29 ; Eloquence orale et éloquence écrite, 30 ; Transfert en langue française des valeurs et des formes de la culture savante: rôle médiateur des collèges jésuites, 30-31 ; De l'Eloquence aux Belles-Lettres, 31-32; Principes inspirateurs du plan de cet ouvrage, 32-34.
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TABLE DES MATIERES
Première partie:
ROME ET LA QUERELLE DU CICÉRONIANISME
Introduction: Aetas ciceroniana
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Eloquentia cum sapientia con jung end a : thème de leçon inaugurale pour un régent à Paris en 1621,37-40; Trait essentiel, devenu alors lieu commun ,de la nouvelle culture qui trouve en Italie au XV' siècle son foyer d'élection, et dont Cicéron, par sa biographie comme par son œuvre, est le modèle et le maître, 41-45 ; Réactivation des débats de la rhétorique latine devenus « lieux de l'invention» pour les débats de la nouvelle culture, 46.
Le «ciel des Idées» rhétorique
47
Cicéron. Le De Oratore, le Brutus, l'Orator .. .. ..
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Chapitre premier. -
L'Eloquentia cicéronienne: alliance de la philosophie et de la rhétorique ; programme de culture et d'action pour une aristocratie civique; conclusion romaine du débat entre Platon et les sophistes, entre Platon et Aristote sur les conditions de légitimité de la rhétorique, 47-52 ; Le débat autour du De Oratore: atticistes et asianistes, partisans du style sévère et du style fleuri, sur les limites et la légitimité de l'ornatus ; l'esprit de conciliation qui préside à la synthèse proposée par Cicéron dans le Brutus et l'Orator, 53-57. Sénèque et Tacite. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. ..
57
Sénèque, les Letlres à Lucilius, 57-63 ; Sénèque le Rhéteur et Sénèque le Philosophe, 57-59 ; Sénèque à la fois tributaire et adversaire de la «corruption de l'éloquence» décrite par son père. Son éthidu style philosophique, sévère dans ses intentions, 59-61 ; Sénèque et Cicéron, 62-63.
Tacite, le Dialogue des Orateurs .. .. .. .. .. .. .. .. .. ..
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Tacite, le Dialogue des Orateurs, 63-70 ; Tacite est la grande révélation de l'érudition humaniste, 63 ; Régime impérial, sophistique, et salut de la véritable éloquence, 64-65; Idéal esquissé dans le Dialogue : fusion de la philosophie, de l'éloquence et de la poésie dans un art littéraire inspiré par l'exemple de Virgile, 65-68; Deux manières d'être fidèle à Cicéron dans des conditions historiques différentes des siennes: Tacite et Quintilien, 69; L'actualité de Tacite aux XVI' et XVII' siècles n'est pas seulement politique: l'humanisme fait reposer sa pédagogie sur Cicéron, et doit s'accommoder de régimes monarchiques; le passage d'un idéal d'eloquentia républicaine et scolaire à une littérature adulte, à la fois fidèle à cet idéal et consciente des réalités institutionnelles, est favorisé par l'exemple de Tacite et la leçon du Dialogue, 69-70.
Saint Augustin, le De Doctrina Christiana .. .. .. La dernière des grandes rhétoriques antiques est chrétienne. L'idéal épiscopal est l'occasion d'une reviviscence de l'idéal de l'eloquentia sénatoriale, 70-71 ; La doctrine augustinienne des signa et la critique
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TABLE DES MATlÉRES
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de la delectatio, 71-72; Cicéron et saint Augustin: de l'Ora/or au Doclor, 72-73; Les qualités du style sévère chrétien, 73-74; La doctrine augustinienne du sublime: inspiration de l'orateur et compunclio cordis de l'auditoire, 74-75; Le classicisme sévère du De Doc/rina christiana est travaillé par le soupçon contre l'art oratoire: une double tentation l'habite: le primitivisme de l'éloquence cordiale mais sans art, et la liberté de l'autobiographie, dont le pathétisme est justifié par la sincérité, 75-76.
Chapitre II. ronienne
Essor et désastre de la première Renaissance cicé-
De Pétrarque à Bembo
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L'orgueil national italien s'identifie à la res/itlliio de la pureté latine et au combat contre la barbarie du s/ylus schulaslicus. L'imitalio des classiques, instrument de cette restitulio, 77-78 ; Doctrine de l'imitation chez Pétrarque, 78 ; Progrès du cicéronianisme, et son apogée dans la Rome des Papes, où il rencontre la tradition de la Secrétairerie aux Brefs, 79-81 ; Résistance de l'humanisme florentin: querelle Politien-Cortesi, 81-83; Querelle Pico-Bembo, origine de l'Epis/ola De Imi/alione de celui-ci, 83-84; L'Epis/ola De Imilatione et la quête de la perfection idéale, 85-9\ ; Europe du Nord et Italie: un conflit plus vaste et de plus longue portée reprend et englobe ce conflit Florence-Rome, 9\-92.
La fin du «siècle de Léon X ». Le Ciceronianus d'Erasme
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Mars 1527: le Sac de Rome. Mars 1528: le Ciceronianus. Erasme et Rome, 92-93 ; La préface de la 1" éd. des Adages (1500), 93-97 ; La «rhétorique des citations », d'Erasme à Montaigne, 97-100; Le De duplici copia verboTllm e/ rerum, 100; Le CiceronianllS, \01\06 ; L'Ecclesias/es, 106-110.
Le martyr français du cicéronianisme : Etienne Dolet et le De Imitatione ciceroniana ., .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. ..
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Scaliger et Dolet - pour des raisons différentes - hostiles au Ciceronianus, 1\0 ; Dolet défend l'autonomie de la forme, qui est en ellemême une perfection digne des grandes âmes. Sources padouanes de cette séparation entre la vertu de l'orateur et la réussite de son œuvre, 111-113; Hostilité à l'éclectisme, 114; Caractère scandaleux de ces positions. Dolet, précurseur malheureux de la génération de 1630, 114-115.
Chapitre III. - Le Concile de Trente et la réforme de l'éloquence sacrée . .. . ...
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Cicéronianisme italien et anti-cicéronianisme espagnol (I5281575) . . . . . . . .
116
Venise ou 1'« été de la Saint-Martin» de la Haute-Renaissance, 116117 ; Sperone Speroni et les Infiammali: la RhétoriqJ1e d'Aristote au secours du De Ora/ore, 118-\2\ ; Mario Nizolio et le Thesaurus cice-
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TABLE DES MATIERES
ronianus, 121-122; La Rome de la Réforme catholique: l'Académie des Nuits Vaticanes de Charles Borromée, 122-123; Débats autour de la légitimité et des limites de l'ornatus chrétien: Marc Antoine Natta et le De Christianorum eloquentia, 123-126; Villavicente et le De formandis sacris concionibus, 126-127; ,L'anti-cicéronianisme espagnol: l'Examen des Esprits de Huarte, 127-130; Mélancolie et genus floridum des bavards, 131-134; La Renaissance des Pères de l'Eglise, 134-135.
Christus Orator: les rhétoriques «borroméennes» (1575-1595) .. La «seconde conversion» de Charles Borromée et
l'~volution
135
de
l'Académie des Nuits Vaticanes, 135-136; Fixation dans les années 1575-1590 de l'idéal «sévère» de l'éloquence catholique, 137-138; Inspiré du De Doctrina christiana et de l'Ecclesiastes, cet idéal fait de Cicéron, et accessoirement de Quintilien, les garants d'une «juste mesure» ornementale chrétienne, 139-140; Les rhétoriques jésuites, se départissant de cet idéal sévère, déplaceront la «juste mesure:. chrétienne vers la «douceur», mais se réclameront plus encore de Cicéron, et n'exalteront pas moins la suprématie de l'Orateur sacerdotal, maître des âmes, 140-141 ; Prestige de la chaire catholique, héritière de l'éloquence des Pères: elle contribue à répandre dans un vaste public les valeurs de la rhétorique antique, 141-142; L'atelier de rhétorique «borroméen» : l'Italie du Nord et l'Espagne, 142; le De Ecc/esiastica rhetorica de Louis de Grenade, 143-148; le De Praedicalore de Jean Botero : un idéal de sublime chrétien, 148152.
Juste Lipse et l'Institutio Epistolica .. .. .. .. .. .. .. .. ..
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Situation de l'humanisme laïc devant la consolidation des nouveaux régimes absolutistes, et le nouvel empire du clergé qui les soutient, 152-153; Muret et Lipse se disputent l'honneur d'éditer Tacite, 153-154; ils dessinent, l'un au Nord, l'autre au Midi, un nouveau type de magistrature intellectuelle, et donc d'éloquence, à l'intérieur des monarchies de la Réforme catholique, 154 ; L'Episto/ica institutio de Upse : plus qu'un traité d'art épistolaire, une définition nouvelle du style et des moyens d'expression d'une magistrature intellectuelle et morale, 155-158; L'héritier et vulgarisateur de Lipse: Erycius Puteanus et son De laconismo synlagma, 159-161.
Chapitre IV. -
La seconde Renaissance cicéronienne
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Marc Antoine Muret et Francesco Benci .. .. .. ..
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Muret à Rome, après Padoue et Venise. Malaise du cicéronianisme romain, soumis au soupçon du puritanisme dévot, 162-163; Indispensable réforme de l'éloquence catholique, qui l'accorde à la Renais-sance des Pères de l'Eglise, sans rompre la tradition italienne des /itterae humaniores. Paul Manuce, après Robortello, édite le Traité du Sublime. 11 le commente en italien, 164-167; Quête d'une éloquence "civile» qui surmonte le «soupçon» dévot contre l'éloquence, 167-168; Muret médiateur entre l'érudition du Nord et ,l'élégance académique du Midi, 169; 11 greffe le cicéronianisme
TABLE DES MATIERES
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romain sur l'encyclopédie des érudits du Nord, 170-171 ; Muret professeur à la Sapienza, 171 ; Son atticisme n'est pas une rupture avec la tradition cicéronienne de Rome et de Venise, mais la conjonction de celle-ci avec les sciences profanes et sacrées, 172 ; Son cours sur les Annales de Tacite et sur les EpUres de Cicéron, 172-175; 11 se fait prêtre, tandis que son plus cher disciple Francesco Benci, devenu jésuite, fait du Collège Romain l'héritier de l'humanisme de Muret, 176 ; La prolusio De Stylo de Benci : la conquête du meilleur style par l'émulation avec les grands modèles, analogue de l'ascèse des Exercices Spirituels, 176-179.
Les théoriciens jésuites du cicér.onianisme dévot: le P. Reggio et le P. Strada .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. ..
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L'imposante forteresse pédagogique édifiée à Rome par Grégoire XIII est confiée aux Jésuites: elle a pour donjon le Collegio Romano, 179 ; Elle a pour programme la Ratio Studiorum publiée par la Compagnie en 1599; la Bibliotheca Selecla du P. Possevin, manuel des hautes études jésuites en harmonie avec la Ratio, 179-180; La conclusion favorable à la Compagnie du débat De Auxiliis: harmonie possible entre la théologie, la morale, la pédagogie et la rhétorique institutionnelle de la Compagnie, 181-182 ; Le sacerdos-orator jésuite dispose à la fois du magistère de l'éloquence sacrée et d'un magistère érudit et critique sur l'humanisme profane: la Bibliolheca Seleela confirme ce rôle nouveau d'un Ordre de prêtres humanistes, 182; Un émule de Possevin : Louis Carbone, élève des Jésuites, et son œuvre rhétorique, 183-186; Deux grandes synthèses jésuites en matière d'éloquence sacrée (l'Oralor christianus du P. Reggio) et d'éloquence profane (les Prolusiones Academicae du P. Strada): deux volets du classicisme dévot du Collège Romain, 186-202.
Cicéron Pape: Urbain VIII Barberini et la seconde Renaissallce romaine. Un Pape cicéronien et poète, Maffeo Barberini, ancien élève du Collège romain et ancien Nonce à la Cour de France, 202-204; La Cour pontificale, gouvernement de l'Eglise, Académie néo-latine, et couvent, 204-205; Fonction de l'art de plaire et de l'éloge dans une société de Cour, 205; Un chef-d'œuvre de l'art démonstratif aulique: les Aedes Barberinae du Comte Teti, 205-206; Le Palais Barberini, chambre optique platonico-chrétienne, machine de célébration, 207-208 ; La Bibliothèque, lieu des lieux de l'invention catholique, 208-211 ; Un ouvrage francophile, dans la tradition de la famille Barberini, 212; Le marinisme du comte Teti, latent sous la surface «cicéronianiste »,212-213; L'« aile gauche» de l'humanisme littéraire italien: Marino et les Dicerie Sacre, 213-215; Marino, « second sophiste» en pleine Réforme catholique, 215; Renaissance des Pères et Renaissance de la Seconde Sophistique: l'une est l'ombre inévitable cie l'autre, 216-217; L'« aile droite» de l'humanisme littéraire italien: Virgilio Malvezzi. Atticisme sénéquien et asianisme mariniste : la synthèse du P. Strada s'efforce de dépasser le dilemme et de dégager une juste mesure chrétienne et classique, 217-219; Essor de la prose mariniste en Italie: points de contact et de fusion entre atticisme sénéquien et asianisme mari-
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TABLE DES MATIERES
nisle; Loredano, Brignole Sale, Minozzi, Manzini, 219-222; Le magistère «cicéronien» du P. Strada ; son De Bello Belgico, 223 ; Le magistère de Mascardi, ami du P. Strada, protégé de la famille Barberini: le De Arte Historica, 224-226. CONCLUSION DE LA PREMIERE PARTIE ..
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Deuxième partie: Du MULTIPLE À L'UN: LES STYLES JÉSUITES.. ..
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Introduction: Jésuites et Gallicans, une rivalité d'orateurs
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1. Premiers débats (1550-1604)
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La Compagnie de jésus à plus d'un titre intruse en terre gallicane. A ces prêtres-humanistes ultramontains, le cleTf~é, l'Université et le Parlement font un interminable procès, 233-235 ; E. Pasquier, avocat de l'Université en 1565, devant le Parlement, 235; A. Arnauld et l'expulsion des jésuites en 1594, 236-237 ; Réconciliation d'Henri IV avec Rome: en dépit des objurgations des gallicans, réhabilitation et retour des jésuites décidés par l'Edit de Rouen, 238; Les jésuites français désormais suspendus au bon plaisir royal, 239-240; Richeorne et la conversion des jésuites français à la « douceur» du style de l'éloge. Leur fonctiun de pédagogues et panégyristes royaux, 240-242.
2. La réouverture du Collège de Clermont (/618) .. .. .. .. ..
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Le Collège de Clermont, excepté de la grâce accordée aux jésuites. Opposition du Parlement, 242; Le coup d'Etat de Louis Xlii en 1617 réaffermit l'autorité du Roi et lui permet d'imposer au Parlement et à l'Université la réouverture du Collège, 243; Hymnes de reconnaissance des jésuites, 243 ; Bénéfices que la royauté peut attendre de leur pédagogie: contraste entre la «douceur» de celle-ci et la rugosité des mœurs et méthodes de l'enseignement universitaire, 244-245; Résistance de l'Université: elle garde le privilège de ne distribuer les diplômes de théologie qu'à ses seuls élèves, 245; La chance des jésuites est du côté de la Cour, 246.
3. La mise en place des institutions jésuites à Paris (/618-1643) Rhétorique jésuite et sociologie parisienne: les deux élites, noblesse de Cour et clercs du Parlement et de l'Université, exigent deux langages différents. Une spécialisation est indispensable, 247 ; La Maison Professe est tournée vers la Cour, dont le goût commande celui des «ignorans », le Collège de Clermont vers l'Ile de la Cité et le Quartier Latin, 248-249 ; jésuites rhéteurs, spécialisés dans l'apostolat du «monde» (concionatores de la Maison Professe); jésuites érudits spécialisés dans l'apostolat de la République des Lettres gallicanes (régents de haute qualité et script ores du Collège), 249-252 ; Offensive de librairie pour appuyer la réouverture du Collège, 252256.
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Chapitre premier. -
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Les Jésuites français et la sophistique sacrée
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l. Les prédicateurs de Cour, Richeome, Cotoll, Binet
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(1601-1624)
H. Bremond et l'humanisme dévot. Les prédicateurs jésuites sont des orateurs conscients de leur propre rhétorique, 257-258 ; Les «peintures» du P. Richeome ; l'ekphrasis ou demonstratio figure majeure d'un style démonstratif destiné à édifier; l'imitatio Naturae, prélude à la révélation des « sens mystiques », 258; Le P. Nadal, ses Méditations. et les Exercices Spirituels, 259-260 ; Les Tableaux de Philostrate, traduits par Vigenère, 261-262; Les Sermons du P. Coton, 262 ; Oral et écrit, 264; L'Essay du P. Binet, 264--265; Son idéal stylistique, 265-269; Ses conseils savoureux allx orateurs du Palais, l'imitatio adulla des prédicateurs de Cour, 272; Leur rhétorique de l'imagination n'échappe pas au soupçon d'asianisme, 273 ; L'Epître aux prédicateurs d'Antoine de Laval: elle prend pour cible un ex-jésuite, André Valladier, qui porte à l'extrême les tendances de l'Ordre,274-275; Diatribe contre la «corruption de l'éloquence », Primat du jugement sur l'imagination. Rapprocher le style moyen du style simple. Idéal du «naturel» chrétien, 275-279.
2. Les théoïiciens de la sophistique sacrée Le P. Nicolas Caussin
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Le P. Nicolas Caussin, 279-298; Le P. Caussin et l'hiéroglyphique chrétienne, 279-281 ; Il poursui! une tradition qui a posé de profondes racines à la Cour (les Cinq Livres ... du P. Dinet) et qui s'est répandue dans le peuple (Discours des hiéroglyphes ... de L'Anglais), 281-284; Le P. Caussin, dramaturge de Collège. Son amitié avec P. Matthieu, et son estime pour la prose de l'ancien ligueur. L'Aelius Se jan us de ce dernier, modèle pour Malvezzi, et méprisé par Mascardi, 284-285; Les Eloilucntiae ... Parallela : éloquence « humaine» (i.e. profane et «civile») èluquence héroïque (i.e. ecclésiastique). Plus proche de la « sévérité » de Possevin, que de la j liste mesure des jésuites romains, 286-287 ; Caussin et Cicérun : celui-ci est chez lui le patron de l'imitatio adulla et de l'éclectisme le plus large. Place éminente, parmi les modèles, de la Seconde Sop' 1istique. Mais contrepoids recherché chez les Pères. Double idéal d'éloquence « humaine» pour Caussin : la pompe fleurie (cicéronienne) et la densité puintue (sénéquienne), 288-293; Polemique cuntre l'atticisme des érudits, 293 ; Partisan de l'ornatus, le P. Caussin flotte entre la fascination qu'exercent sur lui les raffinements de l'art démonstratif, et la véhémence pathétique de l'éloquence sacrée, 294 ; Polémique contre l'éloquence judiciaire des robins français, 295-296 ; Célébration de l'éloquence «héroïque» de l'orateur sacré, dont le modèle est jean Chrysostome: rhétorique de l'imagination pathétique, de couleur grave et sombre. En somme, libéralisme stylistique pour les «humains », mais soumis aux foudres des «maîtres des âmes », lèS orateUrs sacrés, 296--298.
Le P. de Cresso Iles .. .. Le P. de Cressolles, 299-326; Un jésuiie de grande culture, tourné vers Rome où il finira ses jours, 299 ; Le Theatrum Veterum Rhe-
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TAillE DES MATIERES
forum, une somme sur la sophistique antique et sur le problème qu'elle pose à l'éloquence chrétienne, 300-301 ; Son tableau de la Seconde Sophistique est aussi une méditation sur les tendances comparables qui se manifestent, tant du côté «sénéquien» que « mariniste », dans l'éloquence contemporaine, à commencer par les prédicateurs de la Compagnie. Seconde Sophistique: triomphe du genre démonstratif et du style moyen très orné. Matamorisme et soif de publicité des seconds sophistes. Leur prétention à l'enthousiasme et à l'inspiration irrationnelle, 301-305; Leur avarice, leur goût du théâtre, 306; Leur stylIstique; leurs fontes oratoriae: les «pointes:> et leur habillage brillant, 307 ; Leur recherche de la douceur voluptueuse et de la délectation. A cet asianisme extrème correspond, en réaction non moins affectée, un atticisme archaïsant, 307-309; Le P. de Cressolles cunclut néanmoins à une imitation « modérée chrétiennement» de la Seconde Sophistique, 309-310 ; Le P. Clément et son Musei sive Ribliothecae lnstructio: la conscience du « péril sophistique» et la définition d'un classicisme chrétien, 311 ; Les Vacation es Autumnales du P. de Cressolles: une somme sur l'actio rhetorica, et sur l"harmonie entre bonnes mœurs et bonnes manières, sous forme de dialogue, 311-312; Effort pour conjuguer l'érudition à la française et la variété fleurie du style moyen «démonstratif », 312; Effort pour trouver un style commun aux deux Nublesses du royaullle, 312; La Bibliothèque, lieu initiatique, 314-314; Rhétorique ecclésiastique et actio rhetorica, 315; Débats esthétiques dans les Vacationes: véhémence et douceur, apreté et élégance, 316-322; Le type idéal de l'Orator : son physique, 323; Son tempérament et son style d'actio, 324 ; L'idéal de la Nobilitas et le sublime, 325-326. 3. Les maladresses du P. Garasse et du P. Caussin .. .. .. .. Le P. Garasse et la Querelle de la « raillerie» chrétienne, 326334 ; Pourquoi les jésuites, dont la pédagogie est certainement une des conditions de possibilité du classicisme français, sont-ils restés, suus Louis Xlll, en retrait et en retard sur la « génération classique» 1630-1640? 326-327; Le frontispice de la Doctrine curieuse du P. Garasse: une vignette menaçante. L'affaire de l'Amphitheatrum honoris ct l'art de l'invective jésuite. Malaise de la Compagnie dans ce domaine, qui lui réussit moins que l'art de la célébration, 327. Garasse mélange le rire « gaulois» et la gravité menaçante du Juge: imitatio adulta dépourvue de judicium, de sens du decorum, 328; La critique de la Doctrine curieuse dans le jugement et Censure de François Ogier, 32~-332; Les justifications avancées par Garasse, 332-334. Le P. Caussin ct la Querelle du «sublime» chrétien, 334-342; faible rôle des jésuites dans la Querelle Balzac-Goulu, creuset de la prose classique française. jugement d'Ogier sur cette Querelle dans la préface de ses Actions oratoires, 334-335; Belle occasion, manquée pour les Jésuites, de se poser en arbitres du débat, 335 ; Les préfaces de la Cour Sainle du P. Caussin : l'idée qu'il se fait de l'éloquence " héroïque» des prêtres-orateurs le pousse à se rallier au style sévère et au «primitivisme» de Goulu, au moment même où ceux-ci sont sur la défensive et le déclin, 335-336; Sa vocation de «Chrysostome français» le poussera, contrairement aux autorités de son Ordre, à se dresser contre Richelieu, qui l'exilera, 336; Le
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TABLE DES i\lATIEIŒS
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successeur de Goulu, Dom Charles de Saint-Paul, dans son Tableau de l'Eloqurnce, sait au contraire tirer pour son Ordre le meilleur parti de la Querelle. Il définit pour la noblesse de Cour une idée du meilleur style françai~, prochc du style simple, mais orné avec sobriété, et accordé à lin decorum dl' la «gr:JI1deur », 337-34~. Chapitre II. -
Apogée et crépuscule de la sophistique sacrée
1. Us théoriciens
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Le P. Grmrd Pelletier, 343-349; La supercherie du Palatium Rerzinae Eloqllen/iae. Flatterie à l'égard de la Maison de Condé, proche du trône, 3-\:1