Corps, image et perception de l'espace: De la Mésopotamie au monde classique 9782343021317, 2343021317

Les images ne livrent pas dès l'abord leurs secrets. Celles qui nous occupent ici ne sont pas seulement artéfacts a

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French Pages [138] Year 2014

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Table of contents :
SOMMAIRE
Introduction
L. BACHELOT : « Corps, image et perception de l’espace : l’apport de la phénoménologie »
D. NADALI : « Moveo ergo sum, Living In The Space Around Us: Distance, Perspective, And Reciprocity »
Y. LEPAPE : « Du palais au musée: l’image assyrienne à l’épreuve de sa décontextualisation »
N. GILLMANN : « Une approche de la spatialité dans l’art néoassyrien »
B. AUGRIS : « Un piège pour l’oeil : images du corps dans la peinture pompéienne
Remerciements
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Corps, image et perception de l'espace: De la Mésopotamie au monde classique
 9782343021317, 2343021317

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Sous la direction de

Nicolas Gillmann et Ann Shafer

Corps, image et perception de l’espace De la Mésopotamie au monde classique

Corps, image et perception de l’espace

Sous la direction de

Nicolas Gillmann et Ann Shafer

Corps, image et perception de l’espace De la Mésopotamie au monde classique

Actes de la conférence du 14 mai 201 Maison de l’Archéologie et de l’Ethnologie, Université Paris Ouest Nanterre La Défense, UMR 7041 ArScAn

Illustration de couverture tirée de A Second Series of the Monuments of Nineveh, A.H. Layard, John Murray, Londres, 1853.

© L’Harmattan, 2014 5-7, rue de l’Ecole-Polytechnique, 75005 Paris http://www.harmattan.fr [email protected] [email protected] ISBN : 978-2-343-02131-7 EAN : 9782343021317

SOMMAIRE

INTRODUCTION .................................................................. p. 9 L. BACHELOT : « Corps, image et perception de l’espace : l’apport de la phénoménologie » .......................................... p. 13 D. NADALI : « Moveo ergo sum, Living In The Space Around Us: Distance, Perspective, And Reciprocity » ...................... p. 33 Y. LEPAPE : « Du palais au musée: l’image assyrienne à l’épreuve de sa décontextualisation » ................................... p. 57 N. GILLMANN : « Une approche de la spatialité dans l’art néoassyrien » .............................................................................. p. 77 B. AUGRIS : « Un piège pour l’œil : images du corps dans la peinture pompéienne ............................................................ p. 99 Remerciements ................................................................... p. 129

CORPS, IMAGE ET PERCEPTION DE L’ESPACE : DE LA MESOPOTAMIE AU MONDE CLASSIQUE

Introduction

Le présent ouvrage rassemble les contributions d’une journée d’étude qui s’est déroulée le 15 mai 2012 à l’université de Paris-X Nanterre dans le cadre d’un des thèmes transversaux de l’UMR 7041-ArScAn, Images, textes et sociétés (animé par Luc Bachelot et Claude Pouzadoux). Le choix de la thématique abordée est né de la volonté de soumettre les images que nous ont livrées tant le monde mésopotamien que classique à une approche nouvelle, essentiellement fondée sur la phénoménologie. Si cette dernière discipline n’est pas une nouvelle venue en philosophie, il est néanmoins surprenant de constater que son potentiel n’a pas été pleinement exploité pour renouveler notre compréhension de ce qu’est précisément une image dans le monde antique. L’archéologie cependant, si elle entend saisir toute la richesse et toute la diversité des aspects culturels et intellectuels des civilisations qu’elle étudie ne peut faire l’économie d’un questionnement sur le statut même de l’image, faute de quoi elle risque à leur sujet le contresens ou l’anachronisme. Le contenu du présent volume vise donc à présenter quelques exemples d’approches iconographiques inspirées ou nourries par l’apport théorique de la phénoménologie. Dans l’état actuel du champ des recherches iconographiques, ce dernier pourrait, nous a-t-il semblé, s’avérer particulièrement fécond. Il abolit le dualisme qui a fondé l’ontologie occidentale entre monde intelligible et monde sensible, le second n’étant, d’après Platon, qu’une copie ontologiquement dégradée du premier. L’image se trouve être le spectre qui résulte d’une déperdition graduelle d’être d’autant plus grande que le peintre recherche

INTRODUCTION

l’illusionnisme 1. La phénoménologie au contraire permet de retrouver la continuité qu’assure l’être entre monde sensible et intelligible. Cette libération de l’être en quelque sorte, qui ne se trouve plus confiné à une transcendance introduisant un dualisme entre deux mondes, celui des Idées et celui de leurs fantômes (le visible), mais qui les unit tous deux dans une même matrice que Merleau-Ponty appellera « la chair » et qu’il définira comme un « élément » de l’être, offre avec la pensée mésopotamienne un point d’accroche qui devait être exploré. Si l’image et la perception de l’espace sont en quelque sorte des classiques de l’histoire de l’art, la problématique du corps qui apparaît dans l’intitulé de cette conférence et répond au programme du séminaire de l’UMR ArScAn, mérite d’être commentée. L’approche phénoménologique que nous avons voulu privilégier nous en fournit l’explication. Dès les principes de la phénoménologie posés par Husserl, le corps joue un rôle central car il est le siège de la perception qui constitue précisément l’objet d’étude privilégié de cette dernière. Pour Husserl, le corps est « le point de relation permanent par rapport auquel tous les rapports d’espace apparaissent », pour MerleauPonty, il est la « matrice de tout espace existant ». On ne peut donc penser l’espace sans penser le corps. Le corps n’est plus alors une chose dans l’espace, il fait espace. Il est le lieu dans lequel les choses se constituent en tant que choses par ma vision. De ce fait, on comprend que les trois termes qui forment le titre de cette conférence : corps, image et perception soient indissolublement liés. Si la phénoménologie a rappelé à quel point était déterminante l’intervention du corps dans la pratique de l’image, les contributions ici rassemblées ne sauraient revendiquer toutes une approche strictement phénoménologique. Le présent volume reflète cette diversité. La communication de Luc Bachelot examine les problèmes méthodologiques posés par l’analyse des images. L’auteur cherche donc à mettre en évidence dans quelle mesure la phénoménologie a modifié notre rapport à l’espace et comment 1

Platon, Sophiste 235 e-236 c.

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CORPS, IMAGE ET PERCEPTION DE L’ESPACE

elle a permis de repenser l’image comme le lieu du chiasme, de cette « suture » entre le voir et l’être vu. Davide Nadali, quant à lui, approche le problème de la spatialité dans l’art néo-assyrien à travers la relation réciproque qui s’établit entre l’espace bâti que représente une salle de palais assyrien, et l’espace représenté dans les reliefs qui la décore. Il montre en effet qu’il est indispensable de saisir le lien qui les unit tous deux, dans la mesure où c’est la nature de l’espace original d’exposition des images qui conditionne leurs caractéristiques et leurs propriétés. Une image doit donc être interprétée dans le rapport qu’elle entretient avec son « lieu », ce qui signifie dans une perspective archéologique, son contexte. Yannick Lepape approche le problème du rapport entre les bas-reliefs néo-assyriens et leur espace d’exposition sous l’angle de la muséologie. Il montre qu’il existe le risque d’une perte de sens de l’image causée par l’arrachement des œuvres à leur contexte d’origine, et revient plus particulièrement sur les causes de cette perte. Ces dernières tiennent aussi bien à la nature des vestiges archéologiques explorés qu’au contexte historique et scientifique dans lequel les fouilles ont eu lieu, à quoi s’ajoutent les pratiques et politiques muséales. Nicolas Gillmann cherche à déterminer comment l’artiste assyrien traite l’espace et rend compte des relations qui existe entre ce dernier et le corps. Il s’agit donc de porter l’analyse sur le terrain pictural et de montrer que l’image témoigne du rôle spécifique dévolu à la perception spatiale et à ses deux corrélats : le vu et le voyant. Ce faisant, l’auteur démontre que l’image néo-assyrienne obéit à une économie toute particulière de l’espace qui n’a rien à voir avec la naïveté ou le manque de maîtrise technique attribué aux représentations aperspectives. Enfin, Baptiste Augris nous dévoile dans son analyse de la peinture pompéienne le rapport complexe qui existe entre le corps voyant (le spectateur) et le corps vu (le personnage représenté). Ces deniers en effet s’embrayent l’un sur l’autre par l’intermédiaire de l’image, dans une interaction qui brouille 11

INTRODUCTION

les rôles, abolit la surface du mur et fait entrer le spectateur dans la peinture.

Nicolas Gillmann

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CORPS, IMAGES ET PERCEPTION DE L’ESPACE : L’APPORT DE LA PHENOMENOLOGIE

Luc BACHELOT CNRS-UMR 7041- ArScAn Nanterre

L’UNIVERS SEGMENTE Parmi les multiples classifications ou regroupements que l’on puisse faire des études consacrées à la pratique artistique et plus particulièrement à celle des images, il en est une au moins qui, pour aussi schématique et simpliste qu’elle puisse paraître, semble applicable à tous les travaux, quels que soient leur date et leur objet : celle qui se fonde sur la dichotomie entre ceux qui suivent une voie volontiers interprétative et ceux qui s’en tiennent principalement et délibérément à des opérations descriptives. Tous, ou presque, accordent bien sûr une part à la description comme à l’interprétation, mais le plus souvent, il apparaît assez clairement que l’auteur a privilégié l’une des deux démarches plutôt que l’autre. Les façons de décrire et d’interpréter sont légion malgré les apprentissages et les méthodologies mis en œuvre par les spécialistes pour parvenir à une cohérence disciplinaire. Cependant, l’entente sur les modalités de la description se fait généralement sans trop de difficulté. En effet, pour un même ensemble d’images, les modes de descriptions varient généralement fort peu. Pour l’interprétation, il en est différemment tant la palette des orientations théoriques mobilisables et mobilisées pour « expliquer » une œuvre est large. Mais sous leur apparente diversité ces études qui peuvent faire appel à des disciplines aussi différentes que l’histoire, l’histoire de l’art, l’esthétique, l’anthropologie, la sociologie, la psychanalyse, etc. se fondent plus ou moins explicitement sur l’idée que la fonction essentielle de l’image est de transmettre des significations ou

Luc BACHELOT : Corps, images et perception de l’espace

des contenus de pensée qu’il conviendrait de mettre au jour par une analyse appropriée. Même lorsque l’on prend soin d’éviter le terme de signification, pour traiter, selon l’usage terminologique de la discipline, de la « représentation » et dire ainsi que l’image est simplement là pour proposer au spectateur un double ou un reflet de la réalité : un objet, un paysage ou une personne, on en n’est pas moins confronté à la question de la signification. En effet, la réalité peut-être investie d’une valeur particulière, charriant avec elle pensées, jugements, interprétations. C’est le cas par exemple de toutes les scènes à caractère mythologique ou religieux. Pour certaines images, il est vrai, un certain nombre d’éléments permet d’avancer que leur auteur n’a, semble-t-il, eu d’autre souhait que de représenter le visible et seulement le visible. Certes, mais le choix de ce qui est présenté est significatif et confère à ce qui a été traité un statut bien particulier qui de fait ne permet guère de l’assimiler à tout objet visible. Bref, qu’elle soit convenue, immédiate, évidente et claire ou, au contraire, ouverte et laissée à l’appréciation de chacun (producteur ou spectateur), la construction ou l’émergence de la signification dans la réception de l’image semble incontournable. C’est l’analyse iconologique traditionnelle qui paraît s’imposer au plus grand nombre. Ainsi, la plupart des corpus d’images sont-ils constitués en fonction de ce qu’elles sont censées signifier ou représenter, si l’on préfère. À chacune peuvent être éventuellement reconnues des particularités, mais qui ne représenteraient jamais que des manières différentes d’exprimer, de traduire ou de transmettre des éléments d’un univers plus vaste susceptible d’être ainsi révélé. Il y aurait donc dans le mécanisme de la réception des images l’existence de deux sphères distinctes : celle de la réalité accessible à nos sens et celle de la signification dégagée par nos facultés interprétatives. Quant à la voie descriptive, elle est généralement revendiquée au nom d’une rigoureuse objectivité et justifiée par la défiance à l’endroit d’interprétations considérées comme 14

CORPS, IMAGE ET PERCEPTION DE L’ESPACE

difficilement vérifiables et donc toujours susceptibles d’être contestées. Sans porter grande attention au caractère conjoncturel de nos perceptions, on cherche alors à décrire scrupuleusement, et naturellement croit-on, les faits. Une existence propre est ainsi spontanément, mais peut-être abusivement, octroyée à ces derniers. Cette mise à distance de l’interprétation permettrait de ne pas perdre de vue la réalité. Pour faire preuve de prudence cette sorte d’empirisme, largement adoptée dans les études proche-orientales, n’en entérine pas moins, tout comme le choix de la démarche interprétative, le principe de l’existence de sphères ou de domaines clairement séparés : ceux de la description et de l’interprétation, ceux du sujet et de l’objet. Par sujet, entendons ici celui qui produit l’œuvre, l’artiste, mais aussi celui qui la reçoit, le spectateur ou le destinataire. L’objet est évidement ce qui résulte de l’activité du sujet, l’œuvre elle-même. L’univers artistique et en particulier celui des images (l’œuvre elle-même, son producteur, son récepteur, ses significations, etc.) est donc considéré comme un assemblage de domaines indépendants les uns des autres. Pour les esprits les plus soucieux de compréhension, la scène composite dans laquelle se joue le scénario de la « représentation » a son tempo, ses déplacements et sa dynamique propre, changeante selon les périodes et les contextes, mais qui jamais ne permet l’émergence d’une pensée de l’union ou simplement de la continuité des éléments impliqués dans ce jeu. Ainsi reconnaîton volontiers que la signification de certains éléments iconographiques a pu évoluer dans le temps, que le périmètre des interprétations est variable, que leur mode de réception et leur intensité changent selon les contextes culturels ou les périodes, mais aussi fluctuantes et poreuses qu’elles soient, les lignes de séparation qui opposent et définissent les acteurs de l’opération imageante (le monde, son image, ce qu’elle fait penser, celui qui la produit, celui la reçoit, etc.) ne sont traditionnellement jamais remises en cause dans leur existence même. 15

Luc BACHELOT : Corps, images et perception de l’espace

La tradition iconologique, marquée par l’influence des travaux de Panofsky qui reste très largement prégnante, et les analyses relevant des courants de la sémiologie ou du structuralisme, qui suscitèrent naguère un réel engouement d’une partie des spécialistes de l’image, participent de cette même conception. Ainsi, le rapport que nous entretenons avec les objets d’art, en les regardant simplement ou en prétendant les analyser plus finement, intègre-t-il par définition la séparation, la différenciation, la distinction des éléments divers à l’œuvre. Ces éléments participent donc à l’élaboration d’une vision du monde dont l’homogénéité est par nature offerte à tous les découpages et segmentations possibles. Les champs d’investigation, les domaines théoriques sont séparés, comme le sont les multiples corps qui composent l’espace réel. Cette définition de l’espace (dans son sens d’étendue physique ou dans son acception symbolique comme équivalent de champ disciplinaire), toujours dominante, conçue sur le mode agglutinant est un héritage ancien. On peut évoquer la res extensa de Descartes, mais elle est établie dès l’Antiquité grecque. Chez les pythagoriciens l’espace est discontinu, il comprend des vides qui permettent de distinguer les corps et les individus. Il en est de même des premières conceptions atomistes (Leucippe, Démocrite, Epicure) qui adoptent élaborent une idée de l'espace comme intervalle. À l’époque moderne, l’exemple de l’espace d’une pièce constitué de l’espace de la table, accolé à celui des autres tables, accolé à celui du sol, accolé à celui du plafond, pour illustrer cette conception, est régulièrement mobilisé. L’espace global, quelle que soit la nature des fragments d’espace qui le composent, est conçu comme un conglomérat. L’UNITE DE LA CONSCIENCE ET LA TEMPORALISATION DE L’ESPACE Cette conception se heurte pourtant à une difficulté majeure qui vient de ce que cet espace n’existe pour nous que dans la 16

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conscience que nous en avons. Or cette dernière ne saurait se décrire seulement sous la forme d’un conglomérat. C’est au contraire un flux qui ne connaît aucune solution de continuité dans la mesure où elle est appendue à la chaîne de la temporalité jamais interrompue, si ce n’est par la mort. Et dans cette circonstance même, cela ne manque pas d’être discuté y compris par ceux qui ne sont nullement enclins à adhérer à la croyance d’un quelconque au-delà. La conscience, consubstantielle au temps qui passe, est bien l’expérience la plus communément partagée. La prise en compte de la continuité de la conscience, ne laisse d’interroger la discontinuité supposée d’objets distincts et celle encore plus marquée qui les met à une distance infiniment variable des significations que nous avons coutume de leur attribuer. Une signification particulière suppose un objet particulier. La phénoménologie a ramené au premier plan cette unité de la conscience qui nous incite sans cesse à la réduction de toutes les fractures, de toutes les séparations qui délimitent les objets du monde dans lequel nous vivons. Nous devons alors reconnaître que ce dernier n’est guère aussi fragmentaire que nous avons pris l’habitude de le dire, conformément à un scientisme particulièrement vivace depuis le XIXe siècle, dont la prescription incontournable est « l’objectivité » avec tout ce que cette notion implique de détachement, de mise à distance, de séparation du sujet et de l’objet. L’efficacité pratique d’une telle option n’est guère contestable, mais ne peut perdurer et se justifier que si le lien unissant les hommes et le monde dans lequel ils vivent n’est pas rompu. À quoi, en effet, servirait ce dernier s’il était à ce point objectivé et coupé de nous ? L’objectivisme des sciences est formidablement entraînant mais n’échappe heureusement jamais tout à fait à la pensée alertée des risques qu’il fait encourir. On ne peut que rappeler ici les premières pages si belles de L’œil et l’esprit de Merleau-Ponty : « La science manipule les choses et renonce à les habiter… » 1. 1

MERLEAU-PONTY 1964b : 9 et seq.

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Pour lui, il est un domaine qui précisément peut assurer cette clairvoyance de l’adhérence vitale de tout individu à son monde, c’est l’art et plus particulièrement la peinture. Mais rappelons que cette pensée s’inscrit dans une tradition qui opportunément est ravivée régulièrement. L’une des pièces maîtresses en est évidemment la troisième critique kantienne2. On pourrait aisément évoquer d’autres maillons de cette chaîne d’œuvres théoriques (Schopenhauer, Nietzsche, Heidegger ou encore Freud notamment) reconnaissant le caractère fondamental de la production artistique en tant que liaison avec le monde 3, mais la phénoménologie et particulièrement l’œuvre de Merleau-Ponty en France a ravivé et amplifié ce courant de pensée, propice à l’équilibre des énergies productives (scientifiques, artistiques) qui traversent nos sociétés. La phénoménologie a donc replacé le « vécu » au cœur de la réflexion, comme expérience incontournable, inséparable de toute existence. La nôtre comme celle des objets qui nous entourent. Ils ne sont jamais que « pour nous ». Il en est ainsi de l’espace comme du reste. Pour la phénoménologie le vécu et la conscience sont du temps insécable. Et dans l’espace, si l’on consent à ne pas se laisser aller aux facilités de l’attitude commune qui nous fait découper la réalité en de multiples morceaux et si l’on souscrit à la nécessité de remettre en question la thèse de l’existence du monde séparé 4, force est 2

KANT 1989. Le livre récent de Charles Pépin (2013) aborde largement cette question. 4 Revendiquant comme méthode le doute cartésien, Husserl déclare : « Si l’on applique cette méthode à la certitude de l’expérience sensible, dans laquelle le monde nous est donné dans la vie courante, elle ne résiste point à la critique. Il faudra donc […] que l’existence du monde soi mise en suspens » (Méditation cartésiennes, 2008 : 20). Plus loin, il précise : « … il est clair que l’expérience sensible universelle, dans l’évidence de laquelle le monde sensible nous est perpétuellement donné ne saurait être considéré sans plus comme apodictique, c’est-à-dire comme excluant de façon absolue la possibilité … de sa (au monde) non-existence » (Méditation cartésiennes, 2008 : 41). 3

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d’abandonner l’idée qu’une œuvre puisse nous transmettre quoi que ce soit que nous ne soyons ou que nous n’ayons déjà. Nous devons reconnaître que nous sommes de la même fibre que ce que cette œuvre est censée nous apporter et que nous partageons un seul et même espace. Précisons aussi que le flux permanent qu’est la conscience, s’il pose la continuité de la conscience, n’empêche nullement la succession de continuelles transformations.

L’EXPRESSION ET LA CHAIR PARTAGEE Comment alors disposer de repaires dont la fixité est indispensable à l’organisation de la vie ? Très longtemps on a voulu croire à la constance des perceptions permettant d’assigner à tout objet une définition et une seule, quelles que soient les circonstances et les moments dans lesquels évolue celui qui perçoit. En effet, une table est une table, un arbre est un arbre aujourd’hui, comme il l’était hier et comme il le sera demain. Néanmoins, nous savons qu’un objet qui n’a pas bougé de place depuis hier et qui m’appartient, par exemple un livre ou un stylo, que je voix et que j’observe maintenant n’est pas exactement celui que j’ai vu hier et probablement pas celui que je verrai demain. À chaque occasion, à chaque moment nous appréhendons les objets de façon différente si bien qu’ils ne sont pas pour nous, à ce moment-là, précisément les mêmes. Quand nous relisons un livre ou que nous revoyons une image ce n’est jamais exactement le même livre ou la même image avec lesquels nous sommes en relation, mais ils ne sont pas non plus absolument différents. Nous sommes donc capables de le reconnaître, de l’identifier. Et cette reconnaissance ou cette identification ne se fait pas par correspondance trait pour trait, sinon nous ne ressentirions aucune différence entre les différents moments de la perception. Elle se fait de façon globale et synthétique. Cette reconnaissance, au-delà des

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différences de chacun des éléments qui constitue l’objet de la perception, relève selon Merleau-Ponty de domaine de « l’expression ». La récente analyse de l’œuvre de MerleauPonty, due à Clara Da Silva-Charrak précise : « Par ce concept, il s’agit en effet, de penser l’unité signifiante (où le tout n’exprime plus que la somme de ses parties 5) d’une certaine figure de la corporéité, mais arrachée au régime ordinaire des parties juxtaposées de la matière » 6. Quelle que soit les différences que l’on observe, il y a donc une continuité un « empiètement » dit souvent Merleau-Ponty entre le monde et moi-même. Merleau-Ponty [à l’encontre de la phénoménologie husserlienne] développe sa propre conception du partage du monde entre le sujet percevant et le perçu. Il s’agit bien de la remise en cause de la thèse naturelle du monde et du rejet de la croyance en son extériorité. Cette démarche révèle donc que je suis à l’origine de son spectacle et que je le constitue. Elle fut exposée dans Phénoménologie de la perception 7 et dans Signe, recueil d’articles notamment « Le langage indiscret et les voix du silence »8. Dans le système de Merleau-Ponty la présence du corps est l’élément essentiel. La pensée du corps est donc naturellement une exigence première. Cette problématique entre ce qui existe et ce que nous percevons est bien sûr l’une des questions philosophiques majeure, traitée depuis l’Antiquité, avec une intensité particulière au moment où les sciences connaissaient des avancées significatives dans la compréhension des phénomènes naturels, aux XVIIe et XVIIIe siècles avec la physique newtonienne notamment. Grâce à de nouveaux appareillages et 5

Souligné par moi. Certaines parties peuvent varier mais, la signification du tout demeure. 6 DA SILVA-CHARRAK 2005 : 37. 7 MERLEAU-PONTY 1945. 8 MERLEAU-PONTY 1960 : 49-104.

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de nouvelles techniques, la nature s’observe plus précisément, plus justement. On s’interrogeait alors naturellement sur les rapports existant entre ce qui venait d’être révélé et sur ce que l’on pensait être la nature profonde du monde. On prenait conscience que la vérité scientifique était tout simplement une élaboration de la pensée, une construction dotée de toutes les limites inhérentes aux productions humaines. On se rendait compte que la nature n’était peut-être pas aussi naturelle qu’on l’imaginait auparavant et qu’elle était frappée au coin de la facticité. Ainsi Descartes fait-il clairement la distinction entre la res extensa, le monde qui nous est extérieur, et la res cogitans ce que nous en pensons, et donc comment au bout du compte nous la constituons. Les deux domaines sont donc séparés 9. Pour Merleau-Ponty, ils doivent être pensés ensemble et c’est précisément au lieu (i-e à l’endroit) de la perception que doit se faire l’union des deux domaines. La perception incarne (dans son sens strict, c’est-à-dire devient chair) la rencontre d’une immanence et d’une transcendance, d’une intériorité et d’une extériorité. MerleauPonty développe donc toute une pensée de la « chair » (qui n’est évidemment pas la réalité physiologique que nous appelons chair) qui est cet entre-deux, une intériorité s’extériorisant et une extériorité s’intériorisant. « … la chair – dit-il – qui n’est pas le corps objectif qui n’est pas non plus le corps pensé par l’âme (Descartes) comme sien, qui est le sensible au double sens de ce qu’on sent et de ce qui sent » 10. Ainsi la chair caractérise-t-elle la réversibilité du sentant et du senti et donc l’entrelacement du corps et du monde. Dès lors,

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« Je distingue tout ce qui tombe sous notre connaissance en deux genres : le premier contient toutes les choses qui ont quelque existence, et l’autre toutes les vérités qui ne sont rien hors de notre pensée ». Descartes, Les principes de la philsophie, Pemière partie : 1- § 48. 10 MERLEAU-PONTY 1964 : 313, Notes de lecture : Chair – Esprit (1960).

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la réciprocité du corps et de la chose est telle que l’on ne peut plus distinguer l’en-soi et le pour-soi. « Cela veut dire que mon corps est fait de la même chair que le monde (c’est un perçu) et que de plus cette chair de mon corps est participée par le monde, il la reflète, il empiète sur elle et elle empiète sur lui… » 11 L’objectivation des œuvres d’art, des images que l’on regarde, leur mise à distance, entraînée par le souci de l’analyse scientifique, occulte donc la continuité spatiale qui existe entre nous et elle et voile également à notre conscience le fait qu’elle possède aussi une temporalité qui leur est propre. Ainsi, l’archéologie s’efforce-t-elle d’attribuer aux objets qu’elle traite une date. Elle les assigne alors à une période dont ils deviennent une marque. À s’en tenir à cette étape incontournable, elle manque souvent cette temporalité de l’œuvre qui est autre chose que le temps où elle fut exécutée, le temps de l’Histoire, autre chose également que le temps qui se déploie, par exemple, dans la scène représentée. Il s’agit au contraire de la façon dont l’œuvre génère un temps qui lui est propre et le conjoint au temps vécu de celui qui regarde. Mikel Dufrenne développe très largement tout au long de la somme que représente sa « Phénoménologie de l’expérience esthétique » en quoi l’œuvre d’art et le lieu de surgissement d’une spatialité et d’une temporalité qui la distingue des autres objets du monde. « Au vrai, s’il y a un temps propre à l’œuvre, il n’est pas facile de le distinguer du temps représenté dans l’œuvre. Et pourtant, il le faut, car le temps représenté est un temps qui est dit ou qui est montré, mais qui n’est pas vécu : à la limite c’est un temps sans temporalisation, un temps figé comme sur un tableau qui représente l’aube ou le crépuscule … temps objet qui n’est plus du temps. Tandis que le temps exprimé est un temps véritable parce qu’il est véritablement 11

MERLEAU-PONTY 1964 : 302, Notes de lecture : Chair du monde – Chair du corps – Être (1960).

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vécu, ressaisi par le spectateur, capable de s’associer à l’objet esthétique » 12. « … spatialité et temporalité deviennent les dimensions du monde intérieur à l’objet, des formes que l’objet, loin de recevoir, invente pour son propre monde » 13. L’approche la plus sûre des images du passé doit donc entériner la nécessité du pas de côté ou de l’écart par rapport à nos pratiques habituelles, soucieuses d’assumer l’héritage rationaliste, pour tenter de se rapprocher d’un mode d’appréhension du monde sans doute beaucoup plus proche des sociétés anciennes que nous étudions, celles de l’Orient notamment. Cette dernière, nous le savons suffisamment, ne concevait pas le monde comme étant aussi distant du corps qui le vivait que ne l’a cru la pensée occidentale. La conscience d’une chair partagée entre le monde et le corps des êtres vivants y est très forte. La continuité, l’union du monde extérieur et du corps qui, à l’origine comme à la fin de l’humanité, de la création des hommes par les dieux jusqu’à leur mort, se mue en une réelle consubstantialité se révèle dans de nombreuses mythologies, en tout cas dans celle du Proche-Orient ancien, transmise ensuite par la Bible en faisant naître le corps des hommes, de la terre, de l’humus, de la glaise. Le poème d’Atrahasîs conte comment l’homme fut créé avec le sang d’un dieu et de l’argile. « … Lors, on immolera un dieu, Avant que ( ?) les dieux se purifient par l’immersion. Avec sa chair et son sang, Nintu mélangera de l’argile… » 14 L’épopée de Gilgamesh montre également comment fut créée à la demande du grand dieu Anou la réplique de Gilgamesh : 12

DUFRENNE 2011 : 243. idem : 293 14 BOTTERO 1989 : 537. 13

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« C’est toi Arourou, qui a créé Gilgamesh, Crée maintenant, de lui, une réplique, Qui lui soit pour la fougue du cœur comparable ; qu’il rivalise l’un l’autre, et qu’Uruk soit en paix ! » Arourou, quand elle eut entendu ces paroles, conçut en ellemême la réplique (demandée par Anou). Arourou lava se main, Découpa un pâton d’argile, cracha dessus (et) créa dans le désert, Enkidou le héros… » 15 Créés avec de l’argile, quand ils meurent, les hommes reviennent à la terre…. Elena Cassin résume ainsi ce qu’est, pour les Mésopotamiens, la destinée de tout humain : « L’homme est une poupée d’argile qui à sa mort retourne à l’élément dont elle est sortie, la poussière » 16. Par ailleurs, très rapidement s’affirme dans l’histoire des hommes que ce qu’ils ont en propre est la parole. Dès lors, c’est la dualité du corps et de l’esprit qui fait précisément que les hommes se distinguent radicalement de ce qui les entoure. Cette distinction des individus entre eux et de ce qui les sépare du reste du monde (les deux « substances » dans les termes de Descartes) sera sans cesse réaffirmée. Si bien que la continuité entre elles passera au second plan, sans toutefois être totalement perdue de vue, c’est le cas de le dire, car c’est toujours par la vue que la communication entre le corps et la matière est rétablie. Le rayonnement, la splendeur (que les Mésopotamiens désignaient par le terme de melammu) 17, par exemple de la personne divine ou royale, le ramène à sa substance d’élément naturel, celle en l’occurrence de la lumière, du soleil. Mais, comme souvent lorsque l’on s’intéresse à la civilisation mésopotamienne, c’est dans l’iconographie de la période néo-assyrienne et particulièrement dans l’examen des 15

LABAT et al, 1970 : 150-151. CASSIN, 1986 : 66. 17 CASSIN,1968 :122. 16

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reliefs néo-assyriens (IXe-VIIe siècles av. J.-C.) que nous est offerte l’expression à la fois la plus dense et la plus claire des conceptions, valeurs ou croyances de cette culture 18. Ainsi en est-il de la continuité entre le corps et la nature. Trois sites d’Assyrie, dans la région de Mossoul dans le nord de l’Irak actuel : Nimroud (l’ancienne Kalkhu), Khorsabad (l’ancienne Dur Sharrukin) et Ninive, ont laissé des ensembles iconographiques remarquables. Le mieux conservé se trouve dans le palais nord-ouest de Nimroud du roi Assurnasirpal II 19. Il s’agit de bas-reliefs, sculptés sur des dalles de calcaire de deux à trois mètres de haut, fichées dans le sol et placées cote à cote de façon à former un décor continu qui court le longs des murs des principale pièces du palais royal. Ces longues frises représentent essentiellement les hauts-faits du roi : celui-ci apparaît d’abord comme roi puissant, guerrier chargé de faire croître son empire. Il est ensuite représenté comme vicaire du dieu tutélaire de la capitale qui porte d’ailleurs son nom, Assur, enfin montré comme bâtisseur ; cette dernière fonction symbolisant en quelque sorte les deux précédentes : le roi est à la fois bâtisseur d’empire et des grands monuments palais et temples, demeures du dieu sous l’autorité duquel il agit constamment. Parmi les scènes historiées, celles qui illustrent les batailles (où le roi y est bien sûr toujours présenté en vainqueur), sont donc les plus nombreuses, viennent ensuite les scènes à caractère cultuel et enfin celles qui illustrent le rôle de bâtisseur du souverain. C’est au centre névralgique du palais, dans « La salle du trône », que se concentre l’essentiel du programme iconographique de ce palais 20. Cette vaste pièce dans laquelle siégeait le roi lorsqu’il recevait les ambassadeurs des pays étrangers et les grands dignitaires du royaume a été opportunément interprétée comme étant une métaphore de l’ensemble de l’empire. La figure du 18

Pour la description détaillée de l'ensemble des bas-reliefs néo-assyriens, voir Julian READE, 1979 : 17- 49 et 52-110. 19 LAYARD 1853. 20 BACHELOT 2008 :11-33.

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Roi est évidemment centrale dans cette salle du trône, ellemême au centre du palais, qui se trouve au centre de l’empire. Sur l’un des petits côtés de la salle, se trouvait le podium où se dressait le trône royal. Derrière ce dernier, un relief montrait le roi, représenté sous ces deux profils, droite et gauche de part et d’autre de ce qu’il convenu d’appeler le motif de « l’arbre sacré » ou de « l’arbre de vie » (fig 1). L’intention du sculpteur ne fut sans doute pas de représenter la personne royale dans deux positions ou situations différentes (une fois tourné vers la droite et une autre fois vers la gauche) comme on a pu l’avancer. La scène évoquerait alors un rituel au cours duquel le roi tournerait autour de l’arbre sacré en l’aspergeant pour assurer sa croissance. Encore moins s’agit-il d’un souci de symétrie répondant à quelque exigence esthétique. Compte tenu de la forte charge symbolique qui caractérise l’ensemble de ce programme iconographique, on peut penser que ces deux profils opposés rappelaient au spectateur que roi disposait du pouvoir unique de voir dans toutes les directions. Le spectateur luimême, quelle qu’ait pu être sa position par rapport au souverain, se trouvait donc sous l’emprise de son regard, dans une direction comme dans l’autre. Ainsi le roi, est-il présenté comme omni-voyant. Cette iconographie fonctionnait pleinement quand le roi vivant assis sur son trône entrait dans le champ de l’image. Le roi et sa représentation, son image (ou encore ce qui représente et ce qui est représenté) font système et entrent dans un système d’équivalence absolue. Mais que restait-il quand le roi ne siégeait plus ! Cela, pourrait-on penser, n’avait pas grande importance puisqu’il s’agit de la salle du trône, le lieu de réception des dignitaires, des ambassadeurs, des grands du royaume, bref, une salle dont l’importance ne tient qu’à la présence royale dans son sein. Mais si la salle du trône était à la fois le centre et la synthèse du palais et, le centre de l’empire, métaphore de l’univers, elle ne pouvait cesser d’exister en l’absence du roi. Alors que restait-il quand le roi vivant s’est absenté ? Il restait « l’arbre sacré », bien sûr ! Mais est-ce bien un arbre ? Faisant appel au sens le 26

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plus commun, on a considéré que cet arbre, objet de tous les soins, symbolisait l’organisme vivant que devait être l’empire. Le roi devait veiller à la croissance de l’arbre comme à celle de son propre empire. C’est, en fait, bien plus cela ! L’arbre, tel qu’il est visible sur ce bas-relief, n’est pas le végétal croissant naturellement lorsqu’on lui prodigue les soins dont il a besoin. C’est un objet artificiel, composite, extrêmement élaboré, révélant toute la complexité qui a présidé à sa conception et le savoir faire de celui qui l’a sculpté. Par ailleurs, le roi est l’incarnation de cette maîtrise - au sens fort du terme - et n’en n’est pas seulement le promoteur ou l’acteur. Le monde maîtrisé, c’est lui-même, comme l’est cet arbre qui précisément n’est plus arbre, tant il est artificiellement composé. Ce n’est plus du tout un élément naturel pourvu d’une force spécifique s’imposant à l’homme, c’est un objet totalement construit. Il est, en fait, le symbole de ce principe organisateur, comme le roi lui-même en est l’incarnation. Raison pour laquelle quand le roi n’est pas, c’est l’arbre qui le remplace. Cet arbre est finalement une sorte d’idéogramme du roi en personne. Ainsi, lorsque le roi est sur son trône, il se trouve au centre de l’image, devant l’arbre qu’il occulte à la vue et quand il en est absent, l’arbre seul est visible, entre les deux profils. Cet arbre représente ou, plus exactement, rend-présent le roi de face. Ce que montre ce bas-relief est le roi en chair et en os, de face entre ses deux profils, ou le roi présent mais sous la forme de son idéogramme l’arbre. Si l’évolution de la pensée occidentale à fait que l’on a souvent privilégié dans les études iconographiques la rupture plutôt que la suture entre ce qui se voit et ce qui est vu, entre l’image et le spectateur, l’Orient ancien montre au contraire que la conscience de la continuité entre eux était toujours vivace. Pour les Mésopotamiens, il fallait se souvenir de ce lien et l’entretenir. C’est-à-dire le renforcer, en ajoutant encore et encore de la chair à la chair. Donner de la chair au monde, qui prend parfois l’allure et le nom des dieux, c’est leur faire des sacrifices, ou des libations ou fabriquer des objets. Il n’y a rien, 27

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strictement rien, à communiquer, contrairement à ce que l’on a constamment cherché à détecter dans la production des artefacts. Il n’est plus nécessaire de revenir sur la critique – désormais partagée par le plus grand nombre – des théories de la communication et a fortiori celles de la propagande appliquée aux bas-reliefs assyriens. Dans les salles des palais assyriens, on ne souhaitait délivrer aucun message au public et le roi n’en n’avait d’ailleurs aucun à transmettre. Le public d’ailleurs n’existait pas. Cela est maintenant entendu. Il en est d’ailleurs de même dans de très nombreuses sociétés traditionnelles où l’art n’est autre que l’expression d’un monde en expansion fait de la même substance que les hommes et de ce qui les entourent. Cette prise en considération peut grandement nous aider à comprendre les sociétés que nous étudions.

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2013. Quand la beauté nous sauve, Paris, Robert Laffont. READE J. 1979. «Assyrian Architectural Decoration : Techniques and Subject Matter », Baghdader Mitteilungen 10 pp. 17-49 et « Narrative Composition in Assyrian Sculpture », Baghdader Mitteilungen 10 pp. 52-110.

Fig. 1. Bas-relief de la salle du trône du Palais d’Assurnasirpal II à Nimroud (Layard, 1853, The monuments of Nineveh, pl. 25. London, John Murray.

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LUC BACHELOT Chercheur au CNRS – Unité Mixte de Recherche (UMR) 7041 – Archéologies et sciences de l’Antiquité (ArScAn) – Nanterre. Equipe « Histoire et Archéologie de l’Orient cunéiforme ». Archéologue a participé ou dirigé depuis 1975 une trentaine de campagnes de fouilles au Proche-Orient : en Iran à Tureng Tepe et Suse ; en Irak à Larsa et à Eski Mossoul (Chef de mission) ; En Syrie, à Tell Mohammed et à Tell Shiukh Fawqani (Chef de mission). L’un de ses domaines de recherche privilégié étant l’iconographie et la théorie des images, il a co-animé avec Cl. Pouzadoux (U. Paris X) de 2004 à 2012 un des « Thèmes transversaux » de l’UMR : Images, textes et sociétés. Principales publications concernant l’iconographie et la théorie des images. La plupart de ses contributions à cette thématique ont été publiées dans le « Cahier des thèmes transversaux » de l’UMR ArScAn (parution annuelle, 11 volumes parus à ce jour) et disponibles en ligne sur le site Internet de la Maison de l’Archéologie et de l’Ethnologie René Ginouvès à Nanterre. (www.mae.u-paris10.fr). - Luc BACHELOT et Claude POUZADOUX (Eds), 2008, La peur des images, Dosssier n° 23, p.11-34, Bruxellles, La part de l’œil. Autres publications. - Luc BACHELOT et Aline TENU (Eds), (2005), Entre mondes orientaux et classiques : l’incinération dans les cultures syroanatoliennes, Actes du Colloque international de Nanterre, 2628 février 2004, KTEMA n°30. - Luc BACHELOT et Frederick Mario FALES (Eds), 2005, Tell Shiukh Fawqani 1994-1998, Padova (Italie), S.A.R.G.O.N. 2 vol.

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MOVEO, ERGO SUM. LIVING IN THE SPACE AROUND US : DISTANCE, PERSPECTIVE AND RECIPROCITY

Davide NADALI

Space and place are two distinct, but unavoidably bounded aspects of the study of spatiality. It seems quite obvious when architectural analyses are taken into considerations, since each building defines a proper space within its peculiar construction and organisation, according to the projected plan of the architect. At the same time, architecture also affects the place : in fact, the presence of a building changes the characteristics of a site filling an area that was empty and thus modifying perspective, perception and fruition of the landscape. A building is an organised, multi-functional and stratified space that occupies a place that, on its own, is a multi-functional and stratified area either a natural place (landscape) or an urban environment that hosts other constructions. The architectural buildings act as bodies within a lived place among other living bodies, the people : to a certain extent, the presence of architectures changes the place into a space - introducing the artificial rules of perspective, superimposition, rotation, duplication and multiplication - and this particularly occurs, for example, in the urban context. The city is the result of a planned idea and coexistence of buildings that give birth to new forms of places : a constructed place thus becomes a space ; and in fact, open areas - such as squares - circumscribed and qualified by the presence of buildings all around are urban spaces where spatiality is given by the scenario of porticos and façades on each side. In this context, the “empty” place in the middle of the buildings is a living and sharing space belonging to each building facing the square. At the same time, in a reciprocal relationship, the square in a city qualifies the constructions on

Davide NADALI : Moveo, ergo sum. Living in the Space Around Us

their perimeter by determining their location (i.e. place) within the urban space. 1 What does indeed happen with images ? How does spatiality affect images ? As for architecture, we can deal with the concepts of both space and place : space that concerns the matter of the image and place that implies the location of images either in their original context or in their secondary arrangement (re-location for example in museums). Indeed, questions and reflexions increase when images depicting architectures are taken into consideration: the three-dimensional reality of a building or an entire city is thus reduced and transformed according to the medium that has been selected for the representation. The space of a building is thus re-located to a new place that must guarantee the basic possibility of rendering the original shape of the architectures keeping as firm the rules of legibility and comprehension of proportions and relations among the represented parts, in particular if they undergo process of deconstruction and recomposition. As a consequence, as viewers, we must be aware of those basic rules of representation that allow the possibility of getting the correct vision and ken of the depicted image of an architecture and a city. This is of course specifically important and essential when we deal with ancient images : indeed it is fundamental for the art of the Ancient Near East, where rules of perspective and representation of space on a two-dimensional medium can be different from our background knowledge of proportions based on the Western canon of perspective. 2 Within the examples of representations of architecture in ancient Near Eastern art production, the bas-reliefs of the Assyrian period significantly testify the most comprehensive 1

As for images we speak of the Place of the Images (der Ort der Bilder), we can thus speak of the Place of the Buildings. On the implications of question of the Ort der Bilder, see BELTING 1999 ; 2001 : 57-86. 2 For a consideration of the judgement of ancient Near Eastern art when seen through the lens of western-based concepts of perspective, see WINTER 1995 ; 2002 ; BAHRANI 2003 : 13-49 ; MATTHIAE 2003 : 9 ; RENFREW 2003 : 58-64.

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corpus of documentation with a rich repertory of examples and occurrences. Moreover, for what concerns the idea of spatiality and rendering of space in visual media, the case of the Assyrian bas-reliefs perfectly fits in with the double concepts of space and place, since they represent both physical spaces (architectures of cities) and places (natural landscape, regions of the Ancient Near East) and they themselves are part of the architectural space of the royal palace. As a fundamental element of the project of each Assyrian palace since the 9th century BC, bas-reliefs mark the perimeter of the rooms defining the proper space of each room (in some case even suggesting the function of the rooms of the palace) ; 3 at the same time, bas-reliefs find their own precise significance, since they belong to a precise architectural space of the palace that corresponds to their original place (Ort). I will thus analyse some Assyrian representations of architecture and the idea of spatiality in Assyrian art according to the reciprocal relationships of room/bas-reliefs and, more specifically, depicted architectural space/architectural space of the room, taking into consideration how this reciprocity affects the perception and comprehension of the architectural shape within the narrative construct. Past studies dealing with the representation of architectures in Assyrian bas-reliefs faced the rules of the Assyrian sculptors in representing single buildings, complex sets of buildings or entire cities, on the one hand ; 4 on the other, this rich corpus of representations of architectures has been used to establish a kind of catalogue of the ancient Near Eastern architecture according to types of buildings (palaces, temples, houses,

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For the bas-reliefs programme of the rooms of Assurnasirpal II’s palace at Nimrud, see the considerations by ATAÇ 2010 : 96-112, 119-124. 4 Indeed this kind of study is the minority and only recently some scholars faced the matter of question dealing with how the architecture is represented more than what is does represent. See GILLMANN 2008 ; 2009 ; READE 2008 ; MICALE 2011 : 83-119.

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defensive walls, infrastructures) and regional differences (geography). 5 These kinds of studies increased our knowledge on the shape and nature of the architecture of ancient Near Eastern regions allowing interesting identification of buildings and architectural practices from region to region, but (as the recent tendency in the study of the Assyrian bas-reliefs shows) it is how time to go beyond the antiquarian approach to the Assyrian bas-reliefs, thus with considerations on the life of ancient people according to what they represent and what we can understand of their pictorial representations : ancient pictures cannot be simply reduced to a kind of catalogue of occurrences certifying uses, functions and contexts of the ancient artefacts and architectures as depicted on bas-reliefs and statues. Obviously, this does not mean that such a reconstruction and study must be avoided and cancelled : suitable integrations of visual media and textual evidences can in fact lead to a better comprehension of ancient Mesopotamian life and cultural phenomena in the use and circulation of space, in the role of the people involved in the action and in the performance of specific actions and rites within prescribed contexts and on particular and recurrent occasions. As a consequence, a new perspective of looking at ancient Mesopotamian visual media or more generically pictures must be introduced and followed : artefacts and pictures must be considered within their original location (Ort) and space, since the meaning of ancient pictures and items might find its own and more significant explanation if one considers the context. From an archaeological point of view, context is a fundamental requirement during and after excavations, necessary for following reasoning about the function of a room, of an entire building and, consequently, of those items and objects recovered inside. If objects might explain the function of the excavated space and reveal the nature of the activities that once occurred inside (although we are sometimes used to 5

See in particular GUNTER 1982 ; JACOBY 1991.

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formulate too simplistic definitions of the architectural buildings according to our perception and classification of space), the space where they have been precisely found and recovered can thus work as both the signifier and signified in the process of reconstruction and definition. It is in fact equally true that the function of a space can be defined thanks to and through the findings, as well as use and role of items can be understood since they have been found in that precise context. It is not an opposition of considerations, but a complementary association of ideas and thoughts to get the most verisimilar and correct view of how ancient people perceived and lived spaces the archaeologists discover. The point here is that archaeologists are called to interpret ancient spaces, buildings and artefacts by considering all information and features according to the data they find, without forcing and inventing models that fit in with their own knowledge and preconceived ideas more than the reality of facts produced by the excavations. Context and space (indeed sometimes to be used as a synonym) are thus necessary conditions and basic assumptions : however, it is not the right place here to deal with the concepts of context and space from an archaeological point of view - that is the space recovered, excavated and recognised by archaeologists. Rather, I prefer to focus on the context and space as perceived, represented and lived by ancient people from their perspectives and assumptions, taking the Assyrian bas-reliefs as example. Considering the role of visual media, how ancient people represent space ? How do they relate with space, both the represented and living space ? And how these two forms of space interrelate ? Finally, how do viewers interact with those spaces ? The Assyrian bas-reliefs show large recurrences of architectures in diversified contexts and situations : it mostly deals with warfare scenes against enemy architectures (buildings, defensive walls of cities) that are targeted by the Assyrian army with operation of attack, mining, firing and 37

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sacking. The space of the architecture thus defines both the place and the space of the action of the Assyrian soldiers : moreover, the single architecture of a building belongs to a city (that is a complex of architectural buildings), within a precise natural place and landscape with its own physical characteristics. Looking at the vast (and nearly uninterrupted) production of Assyrian bas-reliefs from the 9th to the 7th century BC, stylistic properties of the representation of architectural spaces, mixing coded tradition and perceptual innovations and changes in both shape and perspective, can in fact be decoded and recognised. Moreover, all Assyrian representations on bas-reliefs find their location inside the architecture of the imposing royal residences of the Assyrian kings : we are thus facing representations of architecture within a real volumetric architecture, and therefore one might wonder whether the location of the bas-reliefs affects the architecture of the palace room and vice versa. To a certain extent, one might even speak of a kind of metapictures, where architecture contains architecture and the represented architectural space and the living space of the palatial room are unavoidably bound 6: the scenes depicted onto the façades of the inner courts of Sargon’s palace at Khorsabad (with theories of tributaries offering gifts to the King) might explain this special relationships between the represented space and the space where bas-reliefs are set. 7 The blank background of the slabs reproduces the interior of the open courts of Sargon’s residence : the decoration with sculpted wall-panels and high-relief bull colossi change the perspective and appearance of the blank façades that now bear the constant representation of theories of people leading to the King ; the empty surface of the façades is filled with images : behind the figures, the original aniconic wall of the palace can still be seen before being carved. 6

On the definition and value of metapicture, see MITCHELL 1994 : 35-82 and NADALI in press. 7 ALBENDA 1986 : pls. 16, 19, 40, 43, 55.

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Indeed, we are dealing here with two natures of living space : the one living in the action and narrative of the bas-relief ; the second living in the present of the daily life activities inside the Assyrian palace. This reciprocal effect is the necessary condition to understand the mechanism of perception and the power of images ancient people and ourselves both ascribe and undergo. Starting from the representation of space, and specifically from the architecture of buildings, cities or parts of urban centres, ancient artists, as a general iconographic principle, usually disconnect all architectural features to create, or even better, to re-create a comprehensible architectural shape and complex, according to the specificity of the place where the Assyrian army moves and fights and the necessities of the narrative. Indeed, palatial rooms, as physical architectural volumes, become the container of the representation of other architectures and volumes : the space of the enemy architectures assaulted by the Assyrian army as well as the place where enemy cities are situated. Assyrian artists thus operate a kind of adaptation of the physical space of each palace room to tell the story of the military conquests by the Assyrian army ; at the same time, the real space of the enemy city is adapted to the two-dimensional nature of the slabs of the bas-reliefs and the dimension of the surface to sculpt within a single room of the palace is purposely used, in height and width (I would even say in depth), to replicate all the essential parts of an architecture.8

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In Sennacherib’s time, Assyrian artists introduce new figurative schemes and solutions. Already in Sargon’s time, each room of the palace hosted the telling of one-year military campaign - with small narrative sequences representing the siege of numerous enemy fortified settlements ; in Sennacherib’s Palace Without Rival at Nineveh the selection is much more refined with each room of the palace hosting the telling of a single episode of the military campaign (MATTHIAE 1995 : 21 ; NADALI 2006 : 245-246). Sennacherib’s artists operate a reduction of the subject to narrate gaining the possibility of lingering on details of the story itself : in this way, the physical space of the room and the space of the surface of the slabs can be largely

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As stated above, the detailed visual description by the Assyrian sculptors allows to distinguish regional architecture and geographical places, sometimes in a so precise way that the assumption of the presence of artists on the spot of the battle cannot be excluded and labelled as suggestive hypothesis.9 However, beside these practical and technical denotative considerations, it would be much more significant to focus on the singular and composite elements and features that concur to shape the city as an urban space, beyond its geographical connotations and implications as a place in a specific and given territory. To a certain extent, this semantic difference might also be applied to the representation of landscape : briefly, representation of landscape and natural elements on the Assyrian bas-reliefs have been largely used to recognise geographical places, whether a western, eastern, southern, or northern region of the ancient Near East. But landscape (the depiction of flora and fauna, the presence of rivers, marshes, seaside and mountains) is not only a “decorative” and filling geographical motif : it is a proper protagonist of the representation not a mere accessory and, if we imagine to cancel the details of the landscape, the meaning of the sculptures and the narrative plot of the scenes would unavoidably be compromised. 10 Observing, in a general overview, the representation of architectures, both foreign and Assyrian, a schematic plan and canon, repeatedly used and applied by the Assyrian sculptors, can be recognised - with due exceptions and differences in the course of three centuries, from the kingdom of Assurnasirpal II to Assurbanipal. Architectural buildings and structures are treated as bodies : body-object and body-representation with their own measures and dimensions that occupy a space. Assyrian sculptors operate employed to fully represent the architecture of the city attacked by the Assyrian army. 9 Lastly, see READE 2012. 10 Again, Sennacherib’s sculptures are particularly innovative to this regard. See MAZZONI 1992 ; NADALI and RIVAROLI 2007.

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a disconnection of this architectural body (either an entire city with its defensive wall system or a single building – a palace or a temple) by disembodying architectural features and elements so that they can suitably be represented on the surface of twodimensional slabs and they can thus accordingly be perceived in all their components. For that reason, the image of architectures on Assyrian bas-reliefs must necessarily be recomposed to get and perceive the reality of the space the Assyrian sculptors wanted to depict and visualise. The disconnection, rotation and overlapping of architectural elements are basic rules to show a most complete picture of the urban space of a city and the architectures forming this space11: the space outside the wall with the representation of the outer façades and the space within the wall with the representation of inner structures and buildings. Thus, Assyrian sculptors try to provide all necessary information, or the information they require as necessary, to properly understand the composition and placement of the architectural buildings of a city in the space. Frontal view, rotation of the sides of a city wall, position of the city gate as well as overlapping of structures in the inner/upper part of the city are the instruments the Assyrian sculptors employ to represent architectures with the invention of new forms of perspective : it seems, sometimes, that Assyrian sculptors, instead of making us seeing through (Latin perspicere = to see through), they make us seeing over and behind, showing in the front and above what should be obviously hidden behind and below. 12 In this way, however, Assyrian sculptors are not worried by the fidelity of their representation - that is whether the image of architecture corresponds to the real architecture of 11

MICALE 2011 : 105-119. For some examples of Assyrian representations of architecture that clearly show the figurative principles of superimposition, disembodiment and disconnection of architectural features, see BOTTA 1948-50 : pls. 55, 61, 68, 141 (Sargon II) ; BARNETT, BLEIBTREU and TURNER 1998 : pls. 168169, 330-331, 410 (Sennacherib) ; BARNETT, BLEIBTREU and TURNER 1998 : pls. 198, 206-209 (Assurbanipal) ; BARNETT 1976 : pls. XXIII, XXV, XXXVI (Assurbanipal). 12

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the city and its buildings (this concern, indeed, seems to belong more to modern scholars) ; Assyrian sculptors pay much more attention to the qualitative dimension of the space rather than to the quantity of details by a selection of motifs and architectural elements. These devices are indeed part of the narrative plot of the Assyrian bas-reliefs depicting scenes of attack, siege and deportation : thus, architecture is used to tell a story and shapes, position and placement of architectural features contribute to the development and unfolding of narrative. 13 Even if architecture does not move, action around, on and against architecture actively contributes to the story : in fact, instead of looking at symmetrical arrangement of the Assyrian army usually represented by the sides of the besieged enemy city (giving the impression of a temporary immobility), we should consider the shape of the architecture with architectural items and features appositely pictured asymmetrically. 14 This is sometimes the case of the city gate not always represented in the centre of the main wall, but slightly displaced from the central position : this can of course represent one of the examples of the rotation system of architectural plans and façades so that the flank of the city is represented frontally ; however, since we are dealing with siege scenes, it can also be interpreted as a reference to the strategy used by the Assyrian army leaning ladders and battering rams against the corner of the enemy city, next to the city gate, as we archaeologically know from the siege of Lakish. 15 The asymmetrical position of bodies, both objects and persons, has a functional role : the rupture of the symmetry 13

MICALE 2011 : 42-43, 53. Together and next to asymmetry, also the change of perspective can make architecture move, according to the necessity of the unfolding narrative. This device can be seen in Tiglath-Pileser III’s bas-reliefs depicting the siege of an enemy city (AUERBACH 1989 : 81, pls. Vb, VIa), that is first seen from the side (with the ramps at the flanks) and, after the sack, it is represented frontally (with the battering rams no longer in use at the foot of the defensive walls). See NADALI 2006 : 233. 15 Lastly, see UEHLINGER 2003 and GILLMANN 2009. 14

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works within the narrative plot of the scene without any possibility of pause and interruption of the action. This displacement from the central position can be fruitfully observed in the bas-reliefs of Assurnasirpal II throne room in the North-West Palace at Nimrud : except for the bas-reliefs showing the king hunting the bull and the lion, Assurnasirpal II is always represented at the margin of each slab, a significant narratological position that marks the point of intersection between two narrative segments. The figure of the King Assurnasirpal II marks, or nearly marks, the point of the average proportion between two narrative sequences, thus inferring the rhythm of the narrative since the King is both the agent leading the action and the patient receiving the homage and tribute of prisoners and tributaries. Precisely because the figure of Assurnasirpal II is not at the centre of the space of the slabs, sculptors obtain a dynamic effect of the representation. 16 According to this principle of imbalance caused by the disarrangement of figures, it can be observed that also the devices and choices by the Assyrian sculptors to represent the architecture are based on the idea of movement : architecture does not move, but it is moved. Architectural features do not actively act a movement, but they passively undergo the movement inferred by the Assyrian sculptors. As we said, architectural elements are rotated, decentred, elevated and we can even say deformed according to the mental architectural idea of the sculptors, the characteristics of the two-dimensional medium and the need of the narrative plot. Indeed, architecture is moved even in non-narrative situation and this is the result of the necessary condition to make the architectural shape and volume perfectly visible and comprehensible by the viewers and the sculptors themselves, who first mentally elaborate the image of architecture that they then translate into a picture. If architecture does not move, but it is moved, we can move. And in fact it can be said that the architectural image created by 16

NADALI 2010.

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the Assyrian sculptors is the result of their movement around the city (physically – if we think artists followed the Assyrian army on campaign – or virtually – if we see the image of architecture as the result of the artists mental process). 17 By looking at the created image of architecture, we are invited to move to get the entire view of the urban space, both inside and outside, following the moving pictures of soldiers climbing on ladders and battering rams, encircling the city and penetrating the city through tunnels and breaches in the defensive walls. 18 In fact, if we consider the architectural image as the result of the mental process of the sculptors, based upon the idea of their movements around the building and the city, by observing the scene it is as if we are also moving around the city, discovering what is behind and inside following the movements of the represented bodies : indeed, even the human bodies in Assyrian art are disconnected and disembodied as the architectural bodies with legs and head represented in profile and the torso represented frontally. In this context, man is the measure of all things by means of his body, a constant, stable and movable point of reference. 19 17

Physically or mentally : as it will be said later, it is not an opposition but rather a complementary action. Indeed, the mental process of moving around an architecture that must be depicted even precedes (or it comes at the same time with) the action of moving. See STAFFORD 1999 : 204. 18 We are invited to move around the depicted object retracing, in some way, the steps of the artists : as for the cubist paintings, the simultaneous representation of the different points of observation within a single picture concerns the movements made by the artist/painter to get the figure in all its aspects, sides and perspectives. By observing the result of the single picture, it is as if we moved all around the object to get all its characteristics in one glance. Jean Metzinger in fact observed that cubists “uprooted the prejudice that commanded the painter to remain motionless in front of the object, at a fixed distance” and also that cubist painters “allowed themselves to move round the object, in order to give a concrete representation of it, made up of several successive aspects” (KERN 1983 : 143-145 ; BARASCH 1997 : 138 ; NADALI 2006 : 233). 19 See Wölfflin when he states that “we judge object by analogy with our own body. The object - even if completely dissimilar to ourselves - will not only transform itself immediately into a creature,, with head and foot, back and front” (WÖLFFLIN 1964 : 77).

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As lived bodies, we interact from our own lived space in a situation of reciprocity and complementary exchange between what we perceive and what we figure out. As stated by Hans Belting in his essay, 20 we experience images through our bodies that are the medium we use to generate inner images and to receive external images. Through the body, we interact, we feel, we perceive and we move : indeed perception is a component of movement and the perception depends on the capacity of our body for movement in the space. This assumption is based on the idea that we move to act, to grasp and thus to perceive the world around us, our own body and others’ bodies. But, what about the perception of a represented space and represented bodies ? I think the answer can precisely be found in the meaningful role of movement. Through movement we perceive the world and we are thus perceived as being in the world : as a consequence, I think we can both perceive the world we presently live in and the world as represented in a picture, bas-relief, photo and film. Moveo, ergo sum : I move, so I am. 21 This idea is based on the phenomenological approaches and reasoning and most 20

BELTING 2001 : 29. Reference to the Cartesian cogito, ergo sum is evident : but it is particularly clear how it contrasts with the Cartesian idea of the prerogative role and function of mind in perceiving and thinking, keeping the reasoning on the mind/body distinction and prerogative. See the assumption by the same Descartes when he makes the difference between seeing and walking in his Principles of Philosophy (Part I, §9) : “I take the word ‘thought’ to cover everything that we are aware of as happening within us, and it counts as ‘thought’ because we are aware of it. That includes not only understanding, willing and imagining, but also sensory awareness. To see some of the force of this, let’s connect it with the thought-experiment I conducted in section 7·. Consider these two inferences : I am seeing, therefore I exist. I am walking, therefore I exist. If I am using ‘seeing’ and ‘walking’ to name bodily activities, then neither inference is secure, because I might think I am seeing or walking in that sense at a time when my eyes are closed and I’m not moving about (this happens in dreams) ; I might even think that I am seeing or walking at a time when I don’t have a body at all. But if I use ‘seeing’ and ‘walking’ as labels for the actual sense of or awareness of seeing or walking, then the inferences are perfectly secure, because they don’t go beyond the mind, which senses or thinks that it is seeing or walking.” On the implication

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recently on the neurological researches and results, showing the role of kinaesthesis in perception and the effect of a sensorimotor knowledge. 22 The discovery in the nineties of new class of neurons in the premotor cortex of the brain (the now well known “mirror neurons”) led to new possibilities of interpreting our capacity of feeling and embodying others’ experiences and actions, with significant implications on the role of movement in the process of perception and comprehension of what lies around our person, our body. 23 In fact, it has been recognised that mirror neurons fire when we both move and accomplish goal directed actions and when we just see someone else accomplishing similar actions. 24 This inner neurological mechanism implies of Descartes’ thought on the representation and perception, particularly on the role of vision, see the insightful and stimulating contributions edited by BREIDBACH and CLAUSBERG 1999 : in particular, the contributions by Clausberg, Breidbach, Wiesing and Reck that specifically stress the importance of seeing in the light of neuroscience discoveries and studies. 22 GALLESE and LAKOFF 2005. 23 On the discovery and its implications in the cognitive process, see GALLESE ET AL. 1996 ; RIZZOLATTI ET AL. 1996 ; RIZZOLATTI, FOGASSI and GALLESE 2001 ; RIZZOLATTI and SINIGAGLIA 2006. 24 Indeed, neurological studies point to the extremely importance of the functions of seeing and moving, the aspects that Descartes neglected since bodily activities. Neurological studies show how the body, in all its unity of both mind and body (that is a lived thinking body), is at the centre of the perception and knowledge processes : moreover, the two Cartesian bodily functions of seeing (video) and moving (ambulo) are essential in the cognitive process for understanding the world around us and others’ actions. And neurological studies (in particular the discovery of the qualities and properties of mirror neurons) stress how the effects of these human bodily activities have repercussion even on the actions we only see, since they cause an inner mechanism of simulation we feel embodied in ourselves. Actually, when we simulate an action we are looking at, it could be stated that we anticipate in our mind the movement we would do if we wish to replicate the observed action : more precisely, our simulation takes place simultaneously and this special condition allows us to understand the process and finality of others’ actions and movements (according to the notion of protention in Husserl’s phenomenology of temporality and our experience of the world). See DAMASIO 1994 : 223-244 ; GALLESE 2005 ; GALLAGHER 2005 ; McCAW 2010.

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that action simulation and the observation of actions performed by others makes our motor system active as if we were executing the same action we are observing. According to this neurological systems, we can no longer affirm that only mind thinks, but as already Maurice Merleau-Ponty stated “the body perceives” and thinks, and if movement is the basis of perception (or, as stated by Jan Pa      component of movement, that, in fact, it is itself movement”), 25 we can thus ascertain that we understand the world and other lived bodies since we both physically move and we even anticipate movement by simulating and executing the action as if. 26 Coming back to the Assyrian representation of space, we can thus conclude that ancient people and ourselves perceive the represented space through the body. Looking at Assyrian basreliefs showing goal directed actions of moving figures activates our inner system of simulation as if we were executing the same action : if so, to a certain extent, viewers can thus perceive through movement the architectural space of the urban cities and buildings as depicted on the bas-reliefs. Moreover, these sculptures are the result of the mental process and movements of sculptors and once the viewers get and understand the systems, based on the displacement and disarrangement of architectural features, they can thus reconstruct and follow the principles of disembodiment and recomposition of the architectural space as thought and conceived to be depicted on two-dimensional slabs. We are three-dimensional bodies living and moving in a three-dimensional space and we look at two-dimensional bodies existing and moving in a two-dimensional space : our own body’s property of movement makes us to understand the

25

 Merleau-Ponty clearly speaks of the cognitive function of movement in the perception in his work Phénoménologie de la perception (MERLEAUPONTY 1945 : 160-166). 26

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lacking third dimension by moving around, behind and inside the represented space. We move by observing moving figures performing goal directed actions : I think our comprehension of the represented (Assyrian) space can be properly caught if we think that the displacement of architectural features that have been rotated, elevated, disconnected and overlapped has been the result of a goal directed action of the sculptors to make the space visible and understandable. “Je serais bien en peine de dire où est le tableau que je regarde. Car je ne le regarde pas comme on regarde une chose, je ne le fixe pas en son lieu, [...] je vois selon ou avec le tableau plutôt que je ne le vois”. 27 Viewers are guided by the bas-reliefs and they see by and with them.

27 MERLEAU-PONTY 1993 : 23 (emphasis mine) ; CARBONE 2011 : 11, 12, 126-127.

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DAVIDE NADALI PhD in Near Eastern archaeology, is researcher at the Sapienza University of Rome, Department of Antiquities. He is member of the Italian Archaeological Expedition to Tell Mardikh/Ebla in Syria since 1998, he has been teaching Near Eastern archaeology at the University of Parma in the years 2010-2011 and he had a post-doc scholarship (2008-2010) at the Italian Institute for Humanities in Florence on a project on Mesopotamian warfare in the third millennium BC (to be published in a forthcoming book). His main research interests pertain to the study of ancient warfare (with special focus on Neo-Assyrian period), Assyrian art and architecture and the production of images and pictures in ancient Mesopotamia and Syria with articles on the impact and meaning of pictures in ancient societies with the use of recent neurological results in the brain perception and elaboration of images. Main publications: 2006 Percezione dello spazio e scansione del tempo. Studio della composizione narrativa del rilievo assiro di VII secolo a.C. (CMAO 12), Sapienza Università di Roma, Roma. 2006 Esarhaddon’s Glazed Bricks from Nimrud: The Egyptian Campaign Depicted, Iraq 68, pp. 109-119 2008 Assyrian High-Relief Bricks from Nineveh and the Fragments of a Royal Name, Iraq 70, pp. 87-104. 2008 The Role of the Image of the King in the Organizational and Compositional Principles of Sennacherib’s Throneroom: A Guide to Historical Narrative and Meaning of a Specified Message, in H. Kühne, R. M. Czichon e F. J. Kreppner (eds.), Proceedings of the 4th ICAANE, 29 March - 3 April 2004,

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DU PALAIS AU MUSEE L’image assyrienne à l’épreuve de sa décontextualisation

Yannick LE PAPE

Les programmes iconographiques élaborés pour les palais assyriens des IXe-VIIe s. av. J.-C. impressionnent à plus d’un titre : la finesse du tracé et l’inventivité des scènes gravées méritent d’être soulignées, mais c’est surtout l’ampleur des compositions qui retient l’attention. Les dessins réalisés par Eugène Flandin à Khorsabad traduisent bien cette démesure, qui ne porte pas préjudice à la cohérence globale du programme. Une cohérence que l’on retrouve dans la disposition des figures, dans l’enchaînement des scènes, dans la manière d’organiser chaque bas-relief en fonction des autres et même, pour certains, en fonction de bas-reliefs situés dans d’autres salles. Loin de pouvoir s’appréhender de façon ponctuelle et morcelée, les bas-reliefs assyriens sont donc à envisager en regard d’un vaste corpus d’images sinon de l’ensemble de l’espace du palais tel qu’il fut pensé par le roi et son architecte. A ce titre, nous ne pouvons être insensibles au fait que la présentation actuelle des bas-reliefs assyriens, dans les musées de Londres, de Paris, de Chicago ou de Saint-Petersbourg, mettent en demeure cette cohérence signifiante des programmes iconographiques originaux. Le risque - et c’est là tout le problème en termes de muséologie - est que soit désormais inaccessible le sens réel de ces bas-reliefs. La question est finalement simple : dès lors que ces bas-reliefs étaient conçus de façon spatialisée, dans un contexte approprié et éminemment spécifique (où le déplacement et le corps des visiteurs avaient aussi leur rôle à jouer), quelle valeur accorder à leur présentation actuelle ? Que penser, en fait, de la muséification des bas-reliefs assyriens dès lors qu’elle fragmente et disperse ce qui, à l’origine, était conçu comme de véritables

Yannick LE PAPE : Du palais au musée

environnements, homogènes et tout entier dépendants de l’espace des palais LES PREMIERES FOUILLES : UNE APPROCHE FRAGMENTAIRE DU PATRIMOINE

A la décharge des musées et des institutions qui conservent aujourd’hui ce patrimoine unique, il convient de rappeler que les sites eux-mêmes, de Ninive à Khorsabad, avaient enduré plusieurs siècles d’oubli durant lesquels l’architecture des palais subit de grands préjudices. Henry Austen Layard insiste sur ce point lorsqu’il évoque ses explorations : « Les murs sculptés et inscrits qui constituaient les parties inférieures des édifices (de Ninive) étaient enterrés sous un vaste tas de détritus, sous les vestiges des plafonds et des étages et sous une couche de poussière qui s’était accumulée sur ces ruines »1. Félix Thomas, l’assistant dessinateur de Victor Place, fut lui-même étonné de l’état du site de Khorsabad : « (…) les têtes de ces grands taureaux à face humaine, que l’on voit au Louvre, sortaient du sol et servaient pour ainsi dire de meuble » 2. Il est amusant de constater que cet « usage » semble avoir été perpétué par les premiers chercheurs, qui n’hésitaient pas à grimper sur ces vestiges et à s’en servir comme piédestal. Nous le voyons bien sur une célèbre photographie de Gabriel Tranchand présentant Victor Place et Félix Thomas juchés sur la tête des taureaux de la porte numéro 1. Rappelons aussi que soixante-dix ans séparent les fouilles françaises et celles de l’Oriental Institute of Chicago, soixantedix ans durant lesquels le site de Khorsabad servit de carrière. Le patrimoine fut soumis à rude épreuve, comme le rapporte J. Walther dans Les découvertes de Ninive et de Babylone au point de vue biblique, lorsqu’il évoque le travail de Claudius James Rich : « Tout ce qu'il trouva lui-même se réduisit à 1 2

LAYARD 2005 : 16. FONTAN 1994 : 107.

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CORPS, IMAGE ET PERCEPTION DE L’ESPACE

quelques débris de poteries de briques avec des inscriptions en langue assyrienne, débris qu'il envoya au musée britannique de Londres » 3. Ce dernier point est instructif car, par-delà les dommages causés par le temps, nous comprenons que les sites assyriens eurent aussi à subir la convoitise des chercheurs occidentaux et des institutions avec lesquelles ils travaillaient. Comme le note Jean-Louis Huot : « La plupart de ces demeures furent explorées il y a longtemps, à une époque où l’on se préoccupait d’abord de récupérer des reliefs, sans s’intéresser de trop près à l’architecture. Ninive et Khorsabad ont été éventrées dès 1842, Nimrud dès 1845 » 4. Le terme « éventré » est dur, presque moralisateur, mais il a le mérite de nous faire saisir, à lui seul, l’indifférence affichée à l’égard de l’intégrité des sites archéologiques. Les premières fouilles comme les suivantes n’envisagèrent pas les sites de façon globale, elles ne portèrent pas sur ces palais un regard d’ensemble, favorisant ainsi un véritable éparpillement du patrimoine. Francisque Bouvet, le successeur de Victor Place à Khorsabad, apporte un éclairage intéressant sur la manière dont était géré le site et, surtout, sur l’absence de préoccupation quant à l’intégrité du programme iconographique : « (…) s’il reste quelque chose (après le travail de Victor Place), il est difficile d’y revenir en raison de la confusion jetée dans le sol par un mode d’excavation irrégulièrement conçu. C’est tout au plus si l’on pourrait en tirer quelques bas-reliefs (…) » 5. Les enjeux de la préservation de l’état originel des sites et du complexe artistique ne faisaient pas le poids face à la lutte que se livrèrent d’emblée les grandes nations du moment. Julian Reade souligne la grande rivalité existant entre les chantiers de fouilles français et anglais, quitte à ce que les méthodes

3

WALTHER 1889 : 22. HUOT 1993 : 16. 5 CAUBET 1995 : 91. 4

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Yannick LE PAPE : Du palais au musée

d’excavation soient expéditives6, et Edward Chiera, le représentant de l’Université de Chicago à la fin des années 20, témoigne que, en Assyrie, « toutes les institutions tentent leur chance » 7. Dernier point : cette fragmentation du patrimoine assyrien fut aussi favorisée par les appétits personnels autant que par les étourderies ou la négligence. Ainsi Ajax Guillois ne semble-t-il pas avoir proposé à l’État français les taureaux de Khorsabad qu’il vendit à Henry Rawlinson en 1848, portant ainsi préjudice à une utopique restitution complète de l’espace intérieur des palais. Lorsque le consul Hyacinthe Guillet mourut en 1850, il laissa à Bagdad deux caisses contenant des fragments de relief de Khorsabad, alors que Henri-Pacifique Delaporte déposa et fit scier quatre grands reliefs de Nimrud, avant de les transporter en France grâce à l’aide de Namik pacha. Paul-Emile Botta devait quant à lui ramener « tout le possible » à Paris, selon l’expression utilisée à l’époque, en 1844-1845, mais il dut abandonner en chemin des pièces trop encombrantes. L’ETAT

ORIGINEL DES ŒUVRES : ICONOGRAPHIQUE A L’ENVIRONNEMENT

DU

PROGRAMME

Non content d’être délocalisé, le patrimoine assyrien est donc découpé en morceaux et dispersé aux quatre coins du monde. Ce n’est pas seulement l’intégrité des programmes iconographiques qui est mise à mal mais aussi l’environnement originel des bas-reliefs, en d’autres termes l’espace d’exposition et d’apparition des images. Dans son ouvrage Ninive et Babylone, Joachim Menant eut dès 1888 l’intuition que la décoration des palais assyriens avait fait l’objet d’une conception qui, elle, n’était pas fragmentaire. Il décrit ainsi « les salles les mieux décorées de bas-reliefs et d’inscriptions » : « toutes forment un ensemble calculé pour la 6 7

READE 1983 : 6-7. CAUBET 1995 : 112.

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CORPS, IMAGE ET PERCEPTION DE L’ESPACE

représentation. Le visiteur pénétrant dans la cour L, par exemple, pouvait embrasser d’un même coup d’œil une perspective de huit portes flanquées de taureaux ailés (…) » 8. « Un ensemble calculé pour la représentation » : l’expression est heureuse car elle envisage bel et bien le travail des sculpteurs et des architectes d’un seul tenant, comme si l’ensemble du programme avait été élaboré (« calculé ») pour répondre à un objectif unique. Ce que met clairement en évidence Joachim Menant, sans mener plus loin son analyse, c’est l’indivisibilité de l’espace du palais, ou du moins des salles liées, de près ou de loin, à la salle du trône. Le récit que Layard fit de ses fouilles à Nimrud évoque de façon tacite les liens unissant les différentes parties de l’espace et les différentes images. Layard décrit en effet précisément sa lente accession à la salle du trône : le passage par « une porte formée de gigantesques taureaux ailés en pierre calcaire jaune », puis la rencontre avec « une figure ailée tenant à la main une fleur, qu’elle semble présenter comme une offrande au taureau », la découverte de « huit beaux bas-reliefs, représentant une scène de chasse (…) et le siège d’un château fort » et, au fond de la salle, « une sculpture magnifique : deux rois se tiennent debout de chaque côté de l’arbre sacré ». Layard conclut : « en avant de ce bas-relief se trouve une sorte d’estrade de pierre, sur laquelle était sans doute placée le trône du monarque assyrien » 9. Ce qui est intéressant, ici, c’est que le trajet emprunté par Layard semble reprendre celui qu’empruntaient sans nul doute les rares visiteurs : un parcours qui prend la forme d’une progression vers le roi : au récit des exploits du roi (qui, notonsle, occupe pas moins de huit bas-reliefs) succède l’image du roi et de l’arbre sacré, puis le lieu où se trouvait le trône. Qu’il en ait conscience ou non, Layard fait état d’une progression dans l’espace qui est aussi une progression dans les images. Avec, en arrière fond, l’idée que tout cet ensemble (depuis l’accès à cette 8 9

MENANT 1888 : 88 LESBAZEILLES 1889 : 70

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zone, pieusement gardée par les taureaux monumentaux, jusqu’au trône du roi) participe d’un même élan, d’une même conception qui a présidé à l’emplacement de chaque décor et de chaque image. Dans Fouilles et découvertes résumées et discutées en vue de l'histoire de l'art, publié en 1873, Charles Ernest Beulé rapporte qu’Hérodote notait « avec quel soin les Assyriens tenaient séparé ce qui devait être distinct et dirigeaient la circulation plutôt qu’ils ne la facilitaient » 10. Beulé lui-même voit « dans les plans de l’architecture assyrienne quelque chose de solide, de rationnel » 11, comme si se manifestaient dans la conception même des palais une pensée homogène et une approche de l’espace global. De fait, Pierre Villard, dans un article de 1992, rapporte que Sennachérib avait tenu à valider le programme iconographique des salles de son futur palais, ce qui atteste bien sûr de l’omniscience du monarque mais surtout de la manière bien particulière dont la décoration sculptée était pensée en tant que tout. Pierre Villard précise : « Les panneaux qui composaient un ensemble de basreliefs n’étaient donc pas conçus pour être considérés isolément, mais étaient au contraire disposés en fonction d’un projet global et d’un « sens de lecture » qui les rapprochaient de la linéarité de l’écrit (…) le sculpteur travaillait en fonction d’une structure générale, strictement codifiée, qui seule pouvait donner leur sens aux détails particuliers » 12. En 1870, Henri Cavaniol, dans son ouvrage Les monuments en Chaldée, en Assyrie et à Babylone d’après les récentes découvertes archéologiques, citait déjà les propos de Victor Place, qui comprit très tôt cette structure particulière des palais assyriens : « La nature des matériaux, la disposition architecturale, les décorations peintes ou sculptées sur les entrées et sur les murs dans le palais comme dans la ville,

10

BEULE 1873 : 139. BEULE : 141. 12 VILLARD 1992 : 32. 11

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CORPS, IMAGE ET PERCEPTION DE L’ESPACE

démontrent une exécution simultanée » 13. Henri Cavaniol synthétise : « Hisr-Sarkin a donc été créée d’un seul jet » 14. Certaines inscriptions semblent créditer cette approche, telle une inscription trouvée par Victor Place sur un cylindre du palais de Sargon : « Pour rendre habitable cette ville, pour inaugurer les temples où demeurent les grands, et les palais où trônent Ma Majesté, je choisis le nom, je dessinai les limites » 15. La « limite » évoque un périmètre : celui du palais bien sûr, mais aussi celui de la pensée, de la réflexion qui guide cette construction au sein duquel le projet prendra forme. En fixant les limites, le roi fixe aussi tout ce qui se trouve dans cette limite : une pensée circonscrite qui montre que le projet de construction, de l’architecture bâtie au programme iconographique, devait répondre à des impératifs supérieurs échappant à toute contingence. Autre extrait de cette inscription : « Les dieux qui habitent cette ville m’ont béni et m’ont accordé pour un temps perpétuel la construction de la ville et de ce qu’elle contient ! ». Ce leitmotiv est repris ailleurs par Sennachérib : « Moi Sennachérib, j’ai fait cette œuvre avec la permission des dieux. J’en ai eu la pensée, j’y ai dirigé mon esprit » 16. Pas de hasard, ici : la construction du palais, loin d’être aléatoire, était tracée à l’avance, elle s’inscrivait dans un projet pérenne, d’ordre spirituel, qui ne laissait place ni à la surprise ni à la fantaisie. A Khorsabad, le périmètre du rempart lui-même fut fixé à 16283 coudées qui, selon un savant calcul, est la valeur du nom de Sargon, si l’on en croit une inscription du roi 17. Par là, le roi ne satisfaisait pas un caprice, il entendait faire de son palais une image de perfection et de construction 13

CAVANIOL 1870 : 104. CAVANIOL 1870 : 105. 15 CAVANIOL 1870 : 126. 16 MENANT 1888 : 67 17 BENOIT 2011 : 391 14

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réfléchie. On a souvent dit que les monarques assyriens faisaient figurer sur les bas-reliefs l’emprise qu’ils avaient sur le monde. En 1895, l'abbé Mougenot, parmi d'autres, avaient insisté sur cette dévotion des sculptures à la représentation du roi et de sa vie : « Dans les salles de cérémonie, tout autour des murs étaient appliquées de hautes dalles d’albâtre, dont les basreliefs représentent dans tous ses détails la vie du souverain, habitant du palais » 18. Plus loin : « Les palais nous ont fourni des bas-reliefs sans nombre. Ils représentent surtout le roi, guerroyant et chassant, des cérémonies religieuses, un cortège royal » 19. Le palais d’Assurnasirpal II présente ainsi une demidouzaine de bas-reliefs consacrés aux campagnes du roi. A Ninive, l’ensemble du décor de la salle F du palais nord est aussi consacré à ce thème. En 1948, Godefroy Goossens, des Musées royaux d’art et d’histoire de Bruxelles, notait sans détour qu’« on trouve des thèmes semblables traités sans grandes variations d’une salle à l’autre d’un palais » 20. Cette insistance, bien sûr, est une manière de souligner l’activité du roi et de son armée, mais pas seulement. Car en étant démultipliée, l’image agit au niveau de l’espace même du palais, comme s’il s’agissait, en dispersant de multiples représentations similaires, de vouer le contexte architectural dans son ensemble à cette thématique. Mieux : de faire de cet espace (de ce lieu particulier qu’est le palais) une sorte de manifestation privilégiée, presque surréelle, de cette puissance du roi sur terre. Irene Winter a bien montré que, au palais d’Assurnasirpal II, à Nimrud, l’ensemble des images peut être lu en tant que programme cohérent 21 : l’imagerie reflète en effet la panoplie, les attributs et les pouvoirs du roi - qu’il s’agisse de sa virilité, de sa force au combat ou de sa pugnacité.

18

MOUGENOT 1895 : 30. MOUGENOT 1895 : 30. 20 GOOSSENS 1948 : 48. 21 WINTER 2010 : 356. 19

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Ce qui est intéressant, ici, c’est que l’environnement dans lequel sont disposées ces images soutient le contenu même de ces images. Non qu’il en exacerbe simplement le sens (en répétant ou en scandant les éléments importants) : nous dirons plutôt qu’il le rend explicite, qu’il l’incarne. Irene Winter précise de son côté : « Plusieurs études (…) ont examiné les enjeux des messages politiques et culturels dans les programmes décoratifs assyriens. Ces messages sont véhiculés par les dispositions (des bas-reliefs) autant que par leur contenu » 22. Ce n'est donc pas seulement « en image » que cette « omniprésence du roi » est traduite, pour reprendre les termes et l'idée de Sylvie Lackenbacher23, c'est aussi dans une utilisation subtile de l'espace du palais, dans son imprégnation, dans sa porosité, comme si la démultiplication des images n'avait d'autre but que de faire planer dans ces galeries et ces couloirs un message que les visiteurs, dans leur déambulation précisément orchestrée, ne pouvaient que ressentir. Cette manière de penser la sculpture en lien avec l'espace rejoint une forme artistique qui, selon Paul Ardenne, trouvera ses marques au tout début du XXe siècle. Dans son ouvrage consacré à l’art contemporain et très contemporain, Paul Ardenne note en effet : « Toute sculpture s'interpose dans l'espace, et le crée. Elle est à la fois contre l'espace et l'espace même. Spatialement parlant, elle ajoute et elle définit. La sculpture, pour cette raison est un vecteur de spatialisation »24. Par les liens tissés d'un bas-relief à l'autre, d'une salle à l'autre, les sculpteurs assyriens avaient déjà imaginé un système où la chose sculptée vaut aussi dans et par l'espace environnant. C'est pourquoi nous nous hasardons à parler de spatialisation du programme iconographique, une anticipation de ce qu'on a nommé les « environnements », « ces

22

WINTER 2010 : 355. LACKENBACHER 1995 : 68. 24 ARDENNE 2009 : 258. 23

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sculptures où le spectateur, à présent, peut entrer »25. Dans les palais assyriens, les « spectateurs » sont bel et bien partie prenante de l'espace, significativement démesuré. L'interpellation des visiteurs (le jeu avec la taille de leur corps) prend un tour subtil au palais d’Assurnasirpal II. Ici, en effet, les bas-reliefs qui encadraient le trône ne présentent pas deux registres mais un seul, pour concentrer la figuration au niveau des dignitaires amenés à se présenter devant le roi et, dans le même temps, pour rappeler à ces visiteurs leur situation, en d'autres termes leur place. Le reste du décor, consacré aux victoires du roi, présente en revanche deux registres, une manière d’exprimer l’importance des conquêtes et des actes de bravoure du monarque. Pour Agnès Benoit, du musée du Louvre, cette salle du trône est d'ailleurs révélatrice de cette conception globale de l’espace 26 : tandis que des figures symboliques sont représentées à l’extérieur, comme si elles étaient destinées à protéger l’espace concerné, l’intérieur de la salle du trône est dédié, dans son programme iconographique, à la description et à la narration des exploits du roi (chasses et conquêtes, figurées sur 3,66 m de hauteur, ce qui ne devait pas manquer de peser, dans tous les sens du terme, sur le corps des visiteurs). Le roi lui-même est représenté sur les murs près du trône, protégé par des génies entourant un arbre sacré. Le corps du roi, en d'autres termes, a droit à une image dans cette même salle ; les dignitaires, eux, sont figurés plus loin, par exemple, à Khorsabad, sur les murs de la cour VIII, comme si leurs corps, tolérés devant le roi, étaient parallèlement projetés hors de la salle. Les scènes de procession des tributaires méritent d'ailleurs qu'ont s'y attarde, car elles sont elles-mêmes représentatives de la manière dont l’espace des palais était pensé. Ces longues frises sculptées, par leur répétitivité, voire leur monotonie, 25 26

ARDENNE 2009 : 254. BENOIT 2011 : 391.

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affirment que tous les protagonistes concentrent leur attention sur cet ultime but : atteindre le roi et lui rendre hommage. Le contenu des scènes, là aussi, est exacerbé par la manière dont les images sont organisées. Le contexte de lecture des basreliefs est donc tout aussi suggestif que ce qui est sculpté. Le sculpteur, nous le comprenons, a tiré profit de l’espace et de ce qu’il permet : une longue avancée, une procession lente, une marche réfléchie et qui suscitait sans doute quelques inquiétudes chez ceux qui empruntaient ce chemin. De façon extrêmement habile, le sens des images gravées à la surface des bas-reliefs se construit en accord avec les déplacements du visiteur et l’environnement dans lequel il évolue, il se construit même dans ces déplacements et dans cet environnement. Tout se passe comme si le sens des images, loin d’être inscrit à la surface du bas-relief, se manifestait en fait dans l’espace de la galerie. Ce qui se joue ici, c’est un double mouvement au cœur duquel (et dans le paradoxe duquel) l’image prend tout son sens: au geste du sculpteur, celui de l’outil qui creusait dans la pierre, qui y faisait rentrer le sens - un geste à la fois précis et volontaire, qui ne supportait pas l’erreur -, répond le mouvement inverse, celui d’une irradiation, d’une sortie du sens hors de la pierre, une diffusion du sens là où il sera non plus lu, contemplé ou observé (à la manière d’un livre d’images ou de tableaux accrochés aux murs d’un musée) mais là où il sera ressenti, vécu et même expérimenté par le visiteur, mis dans une situation similaire à celle qui est décrite sur ces murs interminables. Le plus fascinant, c'est que ces processions de tributaires, à chaque étape du parcours qu’elles décrivent, ont cette particularité de faire référence à une scène située à un autre endroit du palais : le roi assis sur son trône. Cette scène est située hors du cadre, hors du champ de vision, hors de la salle ou de la galerie. L'environnement créé par les galeries où se déroulent ces processions de tributaires se poursuit bien après, il y trouve son aboutissement, et même son explication. Paul Ardenne dirait qu'il s'est dilaté au point de faire écho à un autre 67

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espace, situé au-delà de ses limites, situé au-delà de ce que le visiteur pouvait voir ou apercevoir. Pour en revenir aux basreliefs, nous voyons que ces images, en fait, ne fonctionnent que dans un contexte précis, dans une configuration fixe et prédéterminée qui rend chaque orthostate dépendant d’une part des autres, d’autre part de l’ensemble du palais. LES BAS-RELIEFS AU MUSEE : DELOCALISATION ET DESPATIALISATION

Le terme n'est pas choisi au hasard car, pour Nelson Goodman, c'est là justement la fonction du musée : faire fonctionner les œuvres. Bien sûr, Goodman entend par là que l’œuvre d’art qui fonctionne est celle qui nous permet, en tant que spectateur, de modifier notre perception du monde, mais il reste prudent : « On ne doit pas traiter une œuvre comme un simple moyen visuel permettant d’observer ce qui se situe audelà d’elle. Tout aussi importants sont la façon dont nous voyons l’œuvre et ce que nous voyons en elle » 27. Il ajoute d’ailleurs que le musée constitue « les pires conditions imaginables », ne serait-ce que parce que dans un musée « la plupart des œuvres deviennent étrangères au temps » 28. Pour ce qui nous concerne, nous voyons que la délocalisation du corpus d'œuvres assyriennes, et avant cela leur fragmentation, a une conséquence irréversible : celle de disloquer l'environnement imaginé par les architectes et les sculpteurs de l'époque, en d'autres termes de désamorcer toute la logique symbolique et narrative des palais. Le 15 mai 1847, le journal L'Illustration était clair : « Le monarque assyrien enfin, mit le pied sur le rivage de la Seine. Une habitation nouvelle, plus digne de lui, le palais de nos rois, lui avait été destiné ; le Louvre lui ouvrit ses portes à deux battants ». Le journaliste voyait juste : ce qu'on offrait aux bas27 28

GOODMAN 1996 : 123. GOODMAN 1996 : 123.

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reliefs assyriens en ce milieu de XIXe siècle, c'était tout simplement un nouvel espace, une nouvelle architecture d'accueil au sein de laquelle on ne se préoccupait guère de savoir si tout ceci allait « fonctionner ». L'ambition de l'époque était d’œuvrer pour le prestige des musées avant de songer à œuvrer pour la connaissance des civilisations de l'Antiquité proche-orientale. Dans un ouvrage intitulé Les musées de France : guide et mémento de l'artiste et du voyageur, en 1855, Louis Viardot trahit cette recherche à peine voilée de chefsd'oeuvre. Il écrit : « Le musée assyrien n’est encore qu’à sa naissance. Il n’y a pas plus de dix à douze ans qu’on a commencé dans la Mésopotamie les explorations intelligentes qui doivent sans cesse, et chaque année, accroître ses richesses » 29. C'est à raison que Corinne Castel notait, au début des années 90, que les fouilles du milieu du XIXe siècle privilégièrent les objets « destinés à remplir les musées européens », au détriment d’une étude (et même de la conservation) de l’architecture30. Un commentateur, Felicien de Saulcy, critiqua d'ailleurs la répartition des bas-reliefs dans le tout premier musée assyrien : il se demandait comment « on s’est laissé conduire par une simple considération de dimension à garnir un même trumeau de deux fragments de bas-reliefs distincts, dont les compléments ont été accouplés aussi déplorablement sur un autre trumeau ? ». Une conclusion s’imposait : « Pour étudier et comprendre ces bas-reliefs (…) il faut devant chaque cadre faire abstraction de la moitié de ce qu’on voit et rétablir en pensée la moitié de ce qu’on ne voit plus » 31. La présentation des œuvres assyriennes laissait volontiers place à la fantaisie et à l’aléatoire, pour reprendre un terme utilisé par Layard dans sa description de l’étonnante cour Ninive construite au Crystal Palace en 1862. Layard avertit 29

VIARDOT 1855 : 390. CASTEL 1993 : 18. 31 Voir FONTAN 1994 : 231. 30

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certes qu’ « il ne s’agit pas d’une restitution complète d’un des monuments assyriens » 32. Si la façade reprenait une façade de l’époque, « telle qu’elle avait été vue », « les aménagements intérieurs, bien sûr, sont arbitraires ». L’ornementation, notamment, était constituée de moulages de sculptures provenant de différentes salles du palais de Nimrud, sans respect pour l’organisation spatiale initiale. Même lorsque les œuvres étaient disposées de la même manière que dans les palais, cela ne relevait que de préoccupations esthétiques et non d'une réelle volonté de restituer le contexte et l'espace initial dans l'espoir de saisir le sens de ces œuvres. Il est surprenant de constater que PaulEmile Botta apparaissait fort négligeant sur ce point. Il écrit en effet en 1844 : « Nous avons enfin deux immenses taureaux à tête humaine complets et en parfait état de conservation. Ce sont deux magnifiques pièces qu’il faut envoyer en France où elles feront une belle porte pour le musée » 33. Le propos est presque ironique : les anciens gardiens ont beau avoir retrouvé à Paris une situation proche de celle qu'ils occupaient en Assyrie, ils ne protègent plus les salles d'apparat ou la salle du trône, ils ne sont plus qu'une « belle porte pour le musée ». Du reste, avec l’arrivée des trouvailles de Victor Place, le musée assyrien a été transféré dans la colonnade de Fontaine, dont l’architecte Hector Lefuel a dû se satisfaire. Les taureaux, dès lors, ne furent même plus présentés dans leur position originelle mais face à face, et c’est peut-être à cette occasion que le relief présentant Sargon et un dignitaire fut complété par une figure ne provenant pas de la façade L. Dans l’ouvrage qu’il fit paraître à Paris en 1908, Les musées d’Europe, La sculpture au Louvre, Gustave Geffroy publie deux vues qui nous montrent bien que les reliefs assyriens étaient disposés de façon contiguë, composant avec la présence des statues de

32 33

LAYARD 2005 : 52. FONTAN 1994 : 226.

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Goudéa et se satisfaisant bon gré mal gré des caractéristiques de l’architecture classique du lieu 34. Du deuxième musée assyrien, Léon Feer fit une longue description (dans un petit opuscule de 1864 35) qui nous permet de comprendre que les reliefs de Ninive, de Khorsabad et de Nimrud étaient mélangés et classés selon des thèmes, non selon leur provenance, encore moins selon leur disposition originelle. Le constat est le même dans tous les musées : les bas-reliefs sont isolés les uns des autres, accrochés aux cimaises tels des tableaux, parfois mélangés. Au musée de l'Ermitage, des bas-reliefs provenant du palais d'Assurnasirpal II côtoient ceux de Khorsabad. Au Metropolitan, dans les années 30, les œuvres assyriennes sont noyées dans « un nouveau contexte », pour reprendre les termes de John Malcolm Russell 36, un contexte néoclassique qui, outre d’être anachronique, ne respecte guère la taille et les proportions des palais assyriens. Ce n’est pas seulement l’ordre et l’arrangement des bas-reliefs qui a été bouleversé, c’est aussi le lien au spectateur, la conception de l’effet sur le visiteur. L’intention était certes louable, car il s’agissait avant tout, de l’avis d’Herbert Winlock, en charge du projet à l’époque, de mettre sur un même plan les arts grecs, égyptiens et assyriens. Elisabeth Fontan, du musée du Louvre, rappelait récemment que, en 1993, lors de l’ouverture des nouvelles salles du département des antiquités orientales, le parti avait été « d’exposer les taureaux androcéphales selon leur fonction primitive de gardiens des portes »37. La cour Khorsabad a pour ambition de remettre les sculptures en situation « dans un cadre architectural neutre », et « de suggérer la monumentalité d’un palais assyrien et l’organisation de son décor sculpté » 38. 34

GEFFROY 1908 : 16-17. FEER 1864 : 313. 36 RUSSELL 1997 : 168 37 FONTAN 1992 : 82. 38 FONTAN 1992 : 81. 35

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Notons que, en effet, les bas-reliefs de la façade nord de la cour d’honneur (le transport du bois de cèdre) sont présentés à la suite de ceux prélevés dans le couloir 10 du palais, ce qui évoque leur disposition originale. De même, certaines compositions sont correctement restituées, à l’instar du couple formé par le taureau monumental et le bas-relief d’un héros au lion de la façade n. Le British Museum, de son côté, a le mérite de présenter les bas-reliefs du palais d'Assurbanipal de manière à suggérer une galerie, vague souvenir de l'espace originel. A l'Oriental Institute de Chicago, la disposition des bas-reliefs a été fixée en regard de l'espace du musée, c'est-à-dire d'une autre architecture, d'un autre environnement. Certaines pièces furent regroupées de façon à évoquer une cour telle qu’on pouvait en rencontrer dans les anciens palais assyriens. De fait, face aux préjudices subis par ce patrimoine, les musées ne peuvent faire guère mieux qu'« évoquer » l'espace des palais, pourtant si essentiels à la compréhension du sens de ces œuvres et de ces images. Ne jetons pas la pierre aux musées, cependant. Car la monumentalité et l’organisation dont parle Elisabeth Fontan, les monarques assyriens eux-mêmes en connaissaient toutes les subtilités mais aussi la fragilité. Lucide, Sennachérib évoque clairement la nécessité d'une conservation de ce patrimoine : « A celui que parmi les rois, mes fils, dans la suite des jours, Assur appellera de son nom pour régner sur le pays et les hommes, je dis ceci : ce palais vieillira et tombera en ruine ; qu’il relève ces ruines, qu’il y restaure les inscriptions où j’ai gravé mon nom, qu’il nettoie les bas-reliefs (…) » 39. Autant de tâches dont les musées s'acquittent bien volontiers, de façon certes lacunaire mais toujours avec beaucoup de motivation, répondant par là-même aux attentes les plus fantasmatiques des Assyriens eux-mêmes.

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MENANT 1888 : 70.

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CORPS, IMAGE ET PERCEPTION DE L’ESPACE

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Yannick LE PAPE : Du palais au musée

YANNICK LEPAPE Ancien élève de l’Ecole normale supérieure (Cachan, département Arts), Yannick Le Pape est docteur en histoire de l’Ecole des hautes études en sciences sociales, disposant de la qualité de Maître de conférences. Après avoir enseigné en collège pendant neuf ans, il travaille désormais au musée d’Orsay en tant qu’ingénieur des services culturels et du patrimoine (Ministère de la culture et de la communication). Auteur de L’image subtile. Jeux visuels et manipulations de l’image dans l’art de l’Antiquité (éditions de L’Harmattan, 2009), il publie régulièrement des articles consacrés à l’art et à l’histoire de l’Antiquité ainsi qu’à l’actualité des expositions.

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UNE APPROCHE DE LA SPATIALITE DANS L’ART NEOASSYRIEN

Nicolas GILLMANN UMR 7041-ArScAn Nanterre

L’absence de perspective dans les bas-reliefs assyriens fut longtemps source de malentendus, d’autant plus que le caractère narratif de ces œuvres appelle l’application d’un tel procédé. Aussi, nombre d’archéologues ou d’historiens d’art jugèrent parfois sévèrement cet art, tout comme l’art égyptien et pour les mêmes raisons. L’Occident s’était habitué depuis l’Antiquité, en passant par la Renaissance italienne1, pour finir par l’académisme des XVIIe et XVIIIe s à attendre de l’image 1

Ce qui permit à la perspective de s’imposer en Occident comme moyen privilégié de représentation de l’espace jusqu’au XXe s. fut certainement son ascendance scientifique. Les traités grecs d’optique ne se préoccupent pas de la perspective comme outil artistique, mais comme objet d’étude scientifique. Que les connaissances acquises dans ce domaine aient ensuite été appliquées à la peinture ou à l’art du relief, c’est certain, mais il ne s’agissait pas au départ de s’adonner à son étude dans le but de perfectionner les arts. Aussi, les traités d’optique tels que ceux d’Euclide (Optica, fin IVe début IIIe s. av. J.-C.) ou de Damianos d’Héliodore (IVe s. ap. J.-C. Damiani de opticiis, Libri II) sont-ils des ouvrages mathématiques et géométriques (DALAI EMILIANI 1975 : 11 in PANOFSKY 1975), et PANOFSKY 1975 : 41, 60). A partir du Moyen-Âge en revanche, les auteurs européens s’adonnant à l’optique s’orientent d’emblée vers les problèmes posés par les phénomènes physiques et psychologiques de la vision (Par exemple Alhazen, Roger Bacon, John Peckham, cf. DALAI EMILIANI 1975 : 8-9, in PANOFSKY 1975). Lorsqu’à la Renaissance Alberti est le premier à promouvoir la perspective en peinture, il la nomme Costruzione legittima, attestant ainsi la prétention de cette technique à la vérité dans le domaine de la représentation (MITCHELL 2009 : 82). Elle fut dès lors appliquée avec un zèle et une rigueur croissante. Il n’est qu’à se remémorer l’anecdote d’Ucello que sa femme ne parvenait pas à détourner de son ouvrage au moment du coucher et qui lui rétorque : « Quelle douce chose que cette perspective ».

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qu’elle lui procure une illusion de réalité 2. L’anecdote rapportée par Pline sur les tableaux de Zeuxis (hist.nat. XXXV, 64-6) 3 dont les grappes de raisin rendaient un si bel effet que les oiseaux les picoraient, en est certainement un des plus précoces témoignages. Cette tradition, dont les fondements philosophiques pour le moins hétérogènes (d’Aristote à Hegel) n’ont pas empêché qu’elle règne unanimement sur l’Occident jusqu’à la fin du XIXe s 4., a justifié que les arts pré-grecs soient jugés semblables à ceux de l’enfance 5, incapables de beauté, ou encore secs et sans expression 6. Il existe toutefois depuis déjà fort longtemps des outils nous permettant une meilleure approche de l’art mésopotamien. La phénoménologie en fait partie. Notre propos sera donc une réévaluation du rendu de la spatialité dans les bas-reliefs néo-assyriens en nous fondant essentiellement sur l’apport de deux philosophes : Heidegger qui s’est consacré sans doute plus que les autres 2

L’attitude de Gombrich dans son Histoire de l’art est révélatrice de l’attente de réalisme du spectateur moderne. Face aux reliefs assyriens, il estime que « lorsqu’on les regarde, on a l’impression de voir des actualités d’il y a deux mille ans, tellement tout est vrai et convaincant », GOMBRICH 2001 : 73. 3 Cf. également BRYSON 1983 :1. 4 L’art médiéval a en revanche rejeté l’illusionnisme, et ce dès l’époque paléochrétienne (PANOFSKY 1989 : 59-60). La Renaissance italienne, par l’intermédiaire d’un désir de retour à l’antique, retrouvera les propriétés illusionnistes de la perspective et la perfectionnera au point d’en faire le nouveau paradigme de l’art. 5 Ruskin estime sur la foi de leur art que les Chinois « sont en tout comme des enfants » car ils n’apprécient pas les dessins en perspective (GOMBRICH 2002 : 228 ; 2001 : 61), Hegel juge que l’art pré-grec est un art pré-artistique, dont la nature symbolique fait violence à la forme (HEGEL 1993: 37, 52-53; 87-88; 90). 6 GOMBRICH 2001: 75, intitule le chapitre sur l’art grec « le grand éveil » accréditant implicitement l’hypothèse émise par Hegel que les arts pré-grecs sont des arts de l’enfance. Cf. également GOMBRICH 2002 : 330. Dans les deux cas, il importe de remarquer que l’analyse de Gombrich ne doit pas être caricaturée : il s’efforce, le plus souvent avec beaucoup de finesse, de définir les conventions de l’art égyptien ou assyrien (2001 : 57-73) mais les préjugés hérités de la tradition académique réapparaissent sitôt que cesse l’analyse formelle au profit du choix d’un titre ou d’une formule.

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phénoménologues au problème de l’espace, et Merleau-Ponty, dont le travail sur la perception et sur les images offre l’opportunité d’aller-retours entre art antique et art contemporain. Nous commencerons donc par déterminer les spécificités de l’art assyrien dans le rendu de la spatialité, pour ensuite tenter de comprendre comment les analyser avec les concepts à notre disposition aujourd’hui et examiner quelles conclusions il est possible d’en tirer. L’ESPACE DANS LES RELIEFS ASSYRIENS Si pour Hubert Damisch « la perspective a ceci de commun avec la langue qu’en elle et par elle s’institue, se constitue, sous l’espèce d’un point, une instance analogue à celle, dans la langue, du « sujet », de la « personne », toujours posée en relation avec un « ici » et un « là », avec toutes les possibilités de passage d’une position à l’autre qui en résultent 7», pour l’artiste assyrien au contraire le point de vue est banni. Il évite ainsi toute idée d’un espace perçu subjectivement. Gombrich avait remarqué à propos de l’art égyptien un procédé semblable : « C’est ce qui explique également que l’indication de la troisième dimension soit absente de l’art égyptien, car un élément subjectif aurait été introduit par les effets de l’éloignement et de la perspective 8 ». Pour l’artiste assyrien, l’espace pictural n’est pas conçu comme un espace infini dans lequel se situent des objets localisables sous certaines coordonnées précises. Une observation déjà faite par Panofsky, pour qui les Anciens ne parvenaient pas à penser l’espace comme un système de relations de grandeurs, mais seulement comme un réceptacle de volumes, de corps juxtaposés. Pour cette raison Panofsky parle d’une conception discontinue de la totalité du monde 9. Cette description est dans le cas des 7

DAMISCH 1987 : 62. GOMBICH 2002 : 15. 9 PANOFSKY 1975 : 91. Il rappelle dans les pp. 91-92, les théories de l’espace de Démocrite, Platon et Aristote. 8

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Assyriens exacte mais insuffisante, car nous constatons que l’espace représenté, c'est-à-dire l’espace pictural, est repensé de façon cohérente comme un espace clos qu’il importe d’ordonner. Le relief assyrien peut faire sienne cette phrase de Waldemar Georges à propos du Cubisme : « Le cubisme est une fin en soi, une synthèse constructive, un fait artistique, une architecture formelle, indépendante des contingences extérieures, un langage autonome et non pas un moyen de représentation 10 ». Le relief de la Dalle B-17 11 du palais d’Ashurnasirpal II en est un parfait exemple. Le sculpteur semble chercher à y recomposer un monde en miniature. L’image y créé sa propre réalité. Les arbres stylisés, les montagnes suggérées par deux rangées d’écailles seulement, les trois nageurs aussi imposants que l’étendue d’eau dans laquelle ils évoluent, et enfin la forteresse semblant flotter sur les flots, alors que son quai empierré laisse supposer un espace portuaire urbain monumental ; tout cela indique une indifférence pour l’illusion du réel au profit de la recherche d’une intensité de la présence. La proximité extrême de tous ces éléments anéantit l’idée d’un espace infini que l’on tenterait de suggérer par de justes rapports d’échelle et d’éloignement entre les corps représentés. Au contraire, il ressort de cette composition un espace représenté négativement, c'est-à-dire un espace que le spectateur déduit sur la base de la juxtaposition des différents éléments composant la scène. C’est espace représenté est donc le fruit d’une soustraction. Il n’est pas une entité permettant la co-présence des choses les unes aux autres. Il n’assure du reste aucune continuité temporelle, car au sein d’un même espace peuvent être représentés des choses que le déroulement séquentiel des faits devrait séparer. Comme dans les natures mortes cubistes, c’est le rapport entre les objets qui restitue

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Cité in FRY 1966 : 160. Voire BUDGE 1914 : pl. XIII ; BARNETT 1959 : pl. 22 ; MEUZYNSKI 1981 : pl. 2. 11

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l’espace 12. Aussi G. Braque dans Composition jour (1913) 13, dans Nature morte sur une table (1914) 14 et Picasso dans Guitare et feuille de musique (1912) 15 nous donnent-ils à voir une succession de plans sans illusion de profondeur dont la valeur spatiale est constituée par leur nature (papier peint, faux bois etc…). Dans Guitare et feuille de musique le papier peint servant de fond à la composition est davantage un signe 16 de l’espace qu’un moyen de le suggérer, en ce sens qu’il ne vise pas à une illusion quelconque 17. Si on peut le qualifier de signe, c’est parce que sa nature même provoque dans notre esprit une association entre la perception du papier peint et l’espace imaginaire qu’il tapisse. Le faux bois dans Composition jour par un procédé identique évoque, sans en définir les contours, la table sur laquelle se trouvent les objets. Dans Nature morte sur une table de Braque, où les deux bandes obliques de faux bois 12

Ce point est développé en détail dans BRUNET 1971 : 27. Braque était luimême très conscient de la spécificité de sa manière de rendre l’espace, qu’il partage du reste avec Picasso à cette époque. Dans Le jour et la nuit (p. 40), on peut lire « Oublions les choses, ne considérons que les rapports ». 13 Cf. VIENNE 1961 : cat. N°15 ; RUBIN 1990 : 250. 14 Cf. RUBIN 1990: 310. 15 Cf. DAIX & ROSSELET 1979 : 286/n°506 ; Guitare, partition, verre (1912) obéit au même modèle de composition avec le même papier peint en fond (idem, p. 287/n°513 ou DAIX 1982 : 101). Pour Guitare et feuille de musique, voire aussi RUBIN 1990 : 246. 16 Le terme n’est pas à prendre ici dans son acception linguistique ou sémiologique. Tout d’abord, ce signe là n’est pas arbitraire comme il l’est en linguistique, mais analogique : c’est du papier peint. Deuxièmement il ne s’agit pas d’une icône au sens de Pierce, puisqu’il ne s’agit pas d’un motif simplifié schématisant les caractéristiques d’un référent plus complexe. Le terme « symbole » n’aurait pas convenu non plus, puisque s’agissant d’un collage le papier peint est directement présent dans l’œuvre sans y avoir été remplacé par quoi que ce soit qui y renvoie. Le terme de signe doit donc être pris ici dans une acception très générale. 17 BRUNET 1971 : 55-56 recense les cinq moyens dont Braque se sert pour figurer l’espace : traits noirs plus ou moins épais suggérant l’éloignement ; angles pointant vers le spectateur ; aplats comportant des tons différents qui projettent certains plans en avant ; superposition au tableau d’un corps étranger ; organisation pyramidale des plans.

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évoquent un coin de table sur lequel se trouvent un journal et une publicité de lame de rasoir Gillette, l’effet est encore plus net 18. La nouveauté radicale de ce procédé réside en ce que c’est ici la matière et non le contour qui évoque l’objet ou l’espace dans lequel il se trouve. Or il est surprenant de constater que l’artiste assyrien use d’une méthode semblable à celle du Cubisme synthétique, surtout sous Sennachérib : le fond d’écailles en relief, à l’instar du papier peint dans les collages, suggère un espace infiniment vaste par sa seule présence : une présence enveloppante, saturante qui n’a pas besoin de contours pour prendre forme dans notre esprit qui du reste les restitue par simple association d’idées. Sur ce fond, l’architecture, les personnages et les arbres en perspective rabattue figurent strictement en aplat comme les journaux ou les instruments de musique des natures mortes cubistes sur le fond de papier peint et de faux bois. Au palais sud-ouest de Ninive, le relief de la salle VIII, dalle 4 19 ou de la salle XXXVI dalles 12-13 20 illustre bien ce procédé. Le cas des dalles 12-13, salle XXXVIII est remarquable en ce que si l’artiste à pris la peine de délimiter ce font d’écailles par le contour des montagnes restituant ainsi l’idée d’une vallée, ce contour ne dessine aucune ligne d’horizon. Comment du reste le pourrait-il, puisque pour les montagnes représentées en perspective rabattue, le ciel se trouverait « à l’envers ». Il ne saurait donc être question de comprendre les contours des montagnes comme ligne d’horizon, puisque d’ailleurs rien n’est représenté derrière, mais comme contour de l’objet « montagne ». Cette dernière ne sert 18

Violon et pipe (ou Le quotidien) 1913-14, Le guéridon (1913), Composition (1914), ou encore Le programme du Tivoli cinéma (1913) sont de très bons exemples de la superposition des plans pour rendre la profondeur. Violon et pipe, cf. VIENNE 1961 : cat. N° 19 ou WORMS DE ROMILLY & LAUDE 1982 : 210/cat. N° 196 ; Le guéridon, cf. WORMS DE ROMILLY & LAUDE 1982 : 177/cat. N° 173 ; Composition (1914), cf. VIENNE 1961 : cat. N° 21 ou COOPER & TINTEROW 1983 : 105/cat. N°35 ; Le programme du Tivoli Cinéma, cf. WORMS DE ROMILLY & LAUDE 1982 : 210/cat. N° 194. 19 BARNETT 1998 : pl. 188. 20 BARNETT 1998 : pl. 402

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en aucun cas à donner l’illusion du lointain, mais seulement à signifier la nature d’un lieu, celle d’être vallonné. Du reste, à l’intérieur même de la zone ainsi délimitée, aucun relief mais un fond d’écailles homogène.  " #   $    %  remarquer que : « l’espace n’est pas pour Picasso une entité distincte des objets, un vide infini au sein duquel prendraient place des choses précisément délimitées, mais plutôt, si l’on peut dire, une émanation des choses21 ». L’artiste assyrien semble comme G. Braque penser que « Le but n’est pas le souci de reconstituer un fait anecdotique, mais de constituer un fait pictural 22 ». Aussi créé-t-il un espace spirituel, imaginaire, limité par les éléments de sa composition. Il en résulte la négation de l’espace comme extension tridimensionnelle23, où les choses sont localisables par des coordonnées au profit d’un espace de la présence des choses. L’espace devient une possibilité de l’apparaître, un faire-venir-hors-du-retrait (hervorbringen) selon le mot d’Heidegger 24, qui réutilise les qualités de l’espace aristotélicien et disqualifie l’espace cartésien 25. Dans les reliefs assyriens, chaque corps, et surtout l’architecture, ce qui offre bien d’autres points d’accroche avec la pensée d’Heidegger (cf. Infra), semble créer son propre espace. Les relations entres personnages ou entre personnages et architecture ne sont pas équivalents aux rapports spatiaux purement abstraits et mathématiques que les objets entretiennent les uns avec les autres dans les trois dimensions, mais sont des rapports fonctionnels, en tant que réglés sur les gestes et leurs significations, ou plus généralement sur le sens de l’action dans laquelle sont engagées les composantes de la scène. Ainsi, dans la prise de Kishesim soldats et forteresse se trouvent affrontés selon un schéma compositionnel ignorant 21

*+ 2002 : 15. Cité in FRY 1966 : 146. 23 Défini ainsi par Descartes, in Dioptrique, discours VI. 24 C’est du reste la définition de la technè qu’il prête aux Grecs (HEIDEGGER 2009 : 27) ainsi comprise comme une poïesis. 25 HEIDEGGER 2000 : 157-58. 22

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totalement la vraisemblance des rapports spatiaux au sens de l’extension des corps dans l’espace, mais y substitue une relation performative. Heidegger fait à ce titre une distinction très éclairante entre W@SR9 et F\UD 26: W@SR9 est l’espace qu’on occupe immédiatement. Cet espace a les limites du corps (Aristote, Physique IV, 208b et 209b). Il est un lieu, et en l’occurrence un lieu d’apparition de mon être-là. F^UD est ce qui contient un tel lieu. C’est l’espace qui peut accueillir et recevoir les objets. Il existe du reste avant eux (Aristote, Phy. IV, 208b-209a). Heidegger estime qu’au sens grec, l’espace est vu à partir du corps comme son lieu. Chaque corps possède alors son propre lieu : les corps légers en haut et les corps lourds en bas (Phy. 212 b) 27. L’espace possède des lieux distincts (haut-bas) et des intervalles (GL_`{|}~) définis par Aristote comme du vide (€@), Phy. IV, 214a), c'est-à-dire là où il n’y a aucun corps (Phy. IV, 213b 28). Aussi, à la question : « Qu’est-ce que l’espace ? », Heidegger répond l’espace espace (räumt). Espacer au sens d’essarter, dégager, donner du champ libre. L’espace en tant qu’il espace donne la possibilité du loin, du près, des alentours, des directions et frontières, de la possibilité des distances et grandeurs 29. C’est précisément ce que semble nous donner à voir les reliefs assyriens. Un espace créé par les limites du corps ou même des choses, suggérant que l’artiste assyrien privilégie l’espace W@SR9, celui définit par les corps, à l’espace F\UD qui les contient. Cette question de l’espace comme lieu a été développée en détail par Heidegger dans Bauen, wohnen, denken où il tente de déterminer le rapport existant entre les choses et l’espace, mais surtout entre l’homme et l’espace. Les deux sont à vrai dire liés, 26

HEIDEGGER 2009 : 18. Aristote dans la Phy. II, 192 b estime ainsi que la qualité du feu est de monter. 28 « Par conséquent, le vide est l'espace où il n'y a aucun corps » 29 HEIDEGGER 2009 : 24. 27

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puisque pour Heidegger l’habiter est notre mode d’être au monde en tant que mortel 30. Aussi demande-t-il : « Qu’est-ce qu’une chose construite ? ». Le pont par exemple, en tant qu’enjambant le fleuve, ne fait pas que joindre les deux rives. Ce faisant, il fait apparaître la rive comme rive. Le pont amène avec les rives l’arrière pays de ces deux rives. Il rassemble la terre comme paysage autour du fleuve 31. L’endroit (Ort) ne préexiste pas au pont. Il existait beaucoup de places (Stellen) auparavant où quelque chose aurait pu se trouver, mais une seule d’entre elles se révéla (ergibt) comme endroit par le pont. Vers cet endroit, convergent des routes, se créent des places qui aménagent (einräumen) l’espace. Les espaces tirent leur essence (Wesen) des endroits et non de l’espace 32. Les choses qui en tant qu’endroit permettent un lieu, Heidegger les appelle des choses construites 33. L’espace est conçu comme un intervalle, une distance (Abstand, ) entre deux places (Stellen) ou un spatium = zwischenraum 34. L’espace comme extension des trois dimensions est un espace mathématique, il ne contient pas de « places » (Stellen), ni d’endroits (Orte), ni d’espaces (Räume). Le lien de l’homme aux endroits, et par (durch) les endroits aux espaces repose dans l’habiter. Le rapport entre homme et espace n’est rien d’autre qu’un habiter pensé de manière essentielle 35. Les représentations d’architecture dans les reliefs assyriens semblent faire écho à cette conception de l’espace. Les forteresses ou villes représentées, surtout sous Sargon II, ne sont pas insérées dans un espace mathématisé visant à donner l’illusion de la profondeur, mais constituent au contraire chaque fois des lieux autours desquels se cristallise le déroulement d’une histoire. A 30

HEIDEGGER 2000 : 149. HEIDEGGER 2000 : 154. 32 HEIDEGGER 2000 : 156. 33 HEIDEGGER 2000 : 156, « Dinge, die als Orte eine Stätte verstatten, nennen wir jetzt vorgreifend Bauten ». 34 HEIDEGGER 2000 : 157. 35 HEIDEGGER 2000 : 160. 31

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Khorsabad, salle II, dalles 14-15 36, 16-17 37 ou encore 28-29 38, la forteresse au centre de la composition, cernée par les soldats assyriens résume sous sa forme la plus nette cette valeur de l’espace comme lieu qui permet l’action. L’espace n’est pas un contenant neutre pour les actes des hommes, il semble presque en être le produit. Si pour Heidegger le mode d’être au monde de l’homme en tant qu’être spatialisant est l’habiter, peu de reliefs l’illustreront comme la scène du transport du bois façade n, dalles 1-2 : au lieu de rechercher l’illusion ou simplement la vraisemblance perceptive, l’artiste a créé un nouvel espace peuplé de lamassu, pourtant introuvables sur terre mais dont l’homme, en tant qu’il habite poétiquement 39, affirme l’existence. Ceci signifie que l’espace et ce qu’il contient ne se résume pas à ce qu’on en perçoit, mais se compose aussi d’entités invisibles dont l’existence est par l’art positivement affirmée. L’espace pictural est dans cette scène, plus encore que dans d’autres reliefs, une possibilité d’apparition pour les créatures invisibles aux sens de l’homme. L’œuvre d’art permet ici à l’artiste d’affirmer la nature spatialisante de l’homme en tant qu’il génère un monde qui lui est propre. Un monde qui n’est pas issu de l’observation de la nature, mais une émanation des ses facultés cognitives dont le contenu s’objective dans l’œuvre. Heidegger estime donc que « l’artiste donne ainsi une figure à ce qui est proprement invisible… 40». L’œuvre créé un nouveau monde : elle est une genèse faite de main d’homme. Pour cette raison, l’image acquiert une dimension authentiquement magique, en tant qu’elle appelle à l’existence, ce qui était précisément la définition qu’Aristote donnait de la technè définie comme poïesis (Eth. Nic. VI, 1140 a) 41 qui 36

ALBENDA 1986: pl. 119. ALBENDA 1986: pl. 120. 38 ALBENDA 1986: pl. 128. 39 « Dichterisch wohnet der Mensch », in HEIDEGGER 1958: 224-245. 40 HEIDEGGER 2009 : 27. 41 « Il y aura identité entre art (technè) et disposition à produire (poïein) accompagnée de règle exacte ». 37

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amène à l’existence, raison pour laquelle Heidegger 42 la définit comme un hervorbringen, un faire-venir-hors-du-retrait. LE SUJET ET L’ESPACE : La définition que donne Merleau-Ponty de la perspective : « une vision en première personne, cohérente, maîtrisée et qui impliquerait comme sa condition la position d’un sujet qui puisse éventuellement la revendiquer comme sienne, comme sa propriété, comme sa représentation43 » nous offre une bonne définition de ce que précisément l’espace représenté dans les reliefs assyriens n’est pas : un espace qui trouverait son origine dans le point de vue d’un spectateur fictif situé en un point unique. Les conséquences pour la notion même de représentation de l’espace et de son rapport au sujet sont radicales : l’espace n’est la représentation ni la propriété d’aucun sujet, car l’ego est évacué de la problématique artistique, ce qu’avait déjà remarqué Gombrich dans Art et illusion en 1960 (cf. supra). Le sujet n’est ni le point de départ ni le point d’arrivée de la représentation parce que d’une manière générale le monde n’est pas sa représentation. Parler de sujet n’est donc dans l’absolu même plus approprié, puisque le dualisme sujet/objet se dissout dans l’immanence de l’homme au monde. Or le rejet de l’en-soi comme catégorie métaphysique et ontologique dans la phénoménologie est un point commun remarquable avec la pensée mésopotamienne. Certes, la phénoménologie est un hyper-cartésianisme 44 qui 42

HEIDEGGER 2009 : 30. MERLEAU-PONTY 1960 : 63. 44 Il ne s’agit pas réduire la phénoménologie à un cartésianisme durci ou poussé à l’extrême. Le terme de cartésianisme radical est approprié dans la mesure où il signifie que la phénoménologie a tiré les leçons du cartésianisme et a prolongé cette réflexion sur la base de ces conclusions. C’est ainsi que le statut particulier accordé à l’ego dans la phénoménologie lui permet d’élaborer une approche de la perception qui diverge profondément de celle du cartésianisme. Cette différence se répercute directement sur la manière dont le phénoménologue appréhende l’espace et sa représentation. Merleau43

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considère que moyennant l’épochè, ou suspension de tout jugement personnel sur le monde, reste l’ego comme seule certitude en tant que substantia cogitans. A la différence de son objet, seul le phénomène est hors de doute 45. Les objets de cette perception, en tant qu’extérieurs à l’ego, sont douteux 46. La pensée Mésopotamienne au contraire, ne doute pas des objets, ou plus généralement pas du monde, mais du sujet, au point d’abolir le dualisme sujet/objet. C’est précisément dans cette distinction que réside la raison du rejet de l’illusionnisme dans l’art assyrien. Puisque ma perception est douteuse, comme l’atteste les formes changeantes des corps perçus selon le point de vue, il convient d’abolir ce dernier pour toucher à l’essence des choses, les représenter comme le souhaitait Platon, d’une manière qui préserve leurs qualités intrinsèques 47. Les Ponty a consacré de nombreuses pages, notamment dans L’œil et l’esprit à montrer ses divergences avec Descartes en ce domaine. Heidegger oppose à notre conception commune de l’espace, qu’il nomme « espace physicotechnique », un espace qui espace (räumt), c-à-d qui concède (« einräumt), ménage des distances, qui donne la possibilité du près et du loin et qui permet des lieux, des endroits (« Orte »). Cf. HEIDEGGER 1969 : 9-10. 45 HUSSERL 1970 : §29-30 ; §43-45. 46 Les cogitata sont extérieurs à l’acte de connaissance lui-même. HUSSERL, 1970 : §34 « …Les objets qu’elle [la connaissance, NDLA] prétend connaître ne lui sont pas immanents » et §35 où il est dit que les objets de la connaissance ne sont pas contenus effectivement dans l’acte de connaître. Voir aussi HUSSERL 1994 : 70 sur la distinction entre transcendance du monde et transcendance de l’ego (définition de l’ego transcendantal, pp. 6870, § 11). 47 Nous renvoyons ici à la large question de la mimesis. Voir sur ce point HALLIWELL 2002 : §1, §4 (plus spécialement pp. 126-29) ; Pour Platon, la mimesis peut être acceptée sous condition qu’elle ne simule pas des apparences trouvant leurs seules origines dans les conditions et les défauts de la perception (pratique qu’il nomme « fantastique », Lois II, 667 d-668 a ; c’est ce que fait l’art de son temps : Sophiste, 236 c, voir aussi PANOFSKY 1989 : 21). Un art qui s’en affranchit n’a donc pas pour vocation d’imiter par l’illusion, mais par la conservation des propriétés intrinsèques de ce dont il est l’image (Soph. 235 e, il nomme cette pratique l’ « eikastique »). Voir aussi sur la distinction entre les deux formes d’art chez Platon PANOFSKY 1989 : 1921. L’exemple de l’art égyptien dans Lois II, (656b-657c) et VII (799a) est

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exemples à vrai dire abondent, puisque c’est là un des fondements même de l’art mésopotamien. Sous Ashurnasirpal II, le relief de la dalle B-17 atteste le rejet de l’illusion de profondeur au profit d’un paysage réduit au minimum mais stylisé avec soin. L’accent n’est pas mis sur l’effet mais sur l’idée et la force d’évocation poétique par la subtilité du contour. Sous Tiglath-Pileser III (palais central, Kalhu), la dalle 9a 48 montre une nouvelle approche de l’artiste où l’horror vacui, telle qu’on peut la percevoir sous Ashurnasirpal II (palais Nord-ouest, Kalhu) dalles B-3/4 49 le cède à l’aération de la composition. L’espace perçu est radicalement nié par une disposition des différents plans sans ligne de sol au profit d’un fond vide de tout repère, même topographique. Il s’agit au fond ici de suggérer l’espace perçu par le vide, sorte d’écho à ‚ƒ   „\†D non représentable. Si l’art du temps de Sargon II recherche un équilibre entre le cadrage plus large du temps de Tiglath-Pileser III et la force poétique des paysages simples mais soigneusement stylisés des reliefs d’Ashurnasirpal II, les artistes de Sennachérib fonderont leurs œuvres sur une nouveauté apparue sous Sargon mais n’ayant pas alors fait école. Il s’agit cette fois de suggérer l’espace en saturant le fond d’un motif soit d’écailles pour simuler le relief du terrain, soit d’ondes pour simuler une étendue aquatique. Les reliefs du palais Sud-ouest de Ninive salle I, dalle 3 50 ; dalle 951, dalles 14-15 52 ; salle VIII, dalle 4 53 ; salle XXXVI dalles 12-13 54 ; ou encore salle XXXVIII, dalles 12-13 55 l’attestent. Ce principe pour nous du plus grand intérêt, puisque l’art mésopotamien, et plus spécifiquement néo-assyrien repose essentiellement sur les mêmes conventions. 48 BARNETT & FAULKNER 1962 : pl. III-IV. 49 BUDGE 1914 : pl. XXII-XXIV ; MEUZYNSKI 1981 : pl. 2. 50 BARNETT 1998 : pl. 32. 51 BARNETT 1998 : pl. 35. 52 BARNETT 1998 : pl. 38. 53 BARNETT 1998 : pl. 138. 54 Cf. supra. 55 BARNETT 1998 : pl. 362.

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repose sur l’idée que l’illusion de la vision n’a pas de sens en art, mais que la priorité doit être accordée à la signification par la présence des choses. Une présence saturante et enveloppante, à l’image d’un paysage qui se développe dans l’espace au-delà des limites de notre perception. Mais ce que nous ne percevons pas, nous le sentons en revanche par le biais de cette « imagination d’accompagnement » dont parlait Husserl et qui rend présent à notre conscience même ce que la vision n’expose pas proprement. La perception disqualifiée comme illusion, comme symptôme de l’erreur du sujet, quelle peut bien alors être la place du corps dans la perception ? CORPS ET ART ASSYRIEN Si dans la phénoménologie le corps possède un statut unique au titre de « voyant visible56 », c'est-à-dire une chose qui n’en est pas une comme les autres car elle a la propriété à la fois de voir et d’être vue 57, l’art assyrien en niant la valeur de certitude du phénomène perceptif accorde nécessairement au corps une place qui lui est propre. Que ce soit pour Husserl 58, MerleauPonty ou Heidegger 59, le corps est spatialisant. En conséquence, le corps devient le point zéro d’un espace que je vis du dedans, de l’intérieur 60. Puisque dans la phénoménologie l’expérience perceptive, le phénomène de la vision, est considérée comme seule certitude alors que ses objets en tant qu’extérieurs à l’acte de connaissance lui-même sont douteux, il n’est pas surprenant que Merleau-Ponty accorde une si grande importance à 56 MERLEAU-PONTY 1964 : 21-22. Voir aussi MERCURY 2005: 45, « le corps est l’entre-deux du sujet et de l’objet ». 57 MERLEAU-PONTY 1989 : 97 58 HUSSERL Chose et espace § 24 : le corps est : « point de relation permanent par rapport auquel tous les rapports d’espace apparaissent ». 59 HEIDEGGER 2009: 24. Pour Heidegger, l’homme n’est pas dans l’espace comme un corps quelconque car il concède (ein räumt) et aménage l’espace, ce qui fait de lui un corps spatialisant. 60 MERLEAU-PONTY 1989: 59.

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Cézanne, pour qui plus que pour nul autre peintre la phrase de Valéry « le peintre apporte son corps » se vérifie. Peu de peintres ont comme lui placé l’expérience visuelle au cœur de la pratique picturale. Les arguments de Merleau-Ponty en faveur de cet artiste nous éclairent : il estime en effet que l’un des mérites de Cézanne est d’avoir fait éclater le contour imitatif auquel se substituent des variations chromatiques d’aplats vivement colorés. Il aurait ainsi représenté « les objets dans l’atmosphère où nous les donne la perception instantanée, sans contours absolus, liées entre eux par la lumière et l’air 61». Pour Merleau-Ponty en effet la forme est seconde, dérivée. Il nie qu’elle soit un attribut positif ou une propriété de la chose en soi 62. Il faut en revanche que la ligne, au lieu d’imiter les formes, se fasse ligne expressive en étant « un système de passivité et d’activité charnelle63 », comme le dit MerleauPonty à propos des œuvres de Matisse. La conséquence en est que l’espace tridimensionnel se trouve aboli au profit d’une architecture plate et colorée selon le mot de Juan Gris64. Les œuvres de Matisse, comme La desserte rouge (1908) ou La danse (1909-10) en sont un parfait exemple. Aussi, MerleauPonty définit–il la ligne comme « un certain déséquilibre ménagé dans l’indifférence du papier blanc, un certain forage pratiqué dans l’en-soi, un certain vide constituant 65… ». L’artiste assyrien au contraire affirme la valeur de la ligne, mais conscient du caractère incomplet de toute perception 66 il a choisi lui aussi de renoncer à l’imitation et a résolu ce dilemme en donnant à voir le corps tel que la perception ne peut le donner, c'est-à-dire sous plusieurs de ses faces simultanément. 61

MERLEAU-PONTY 1948 : 20. MERLEAU-PONTY 1964: 66, 72. ESCOUBAS 1995 : 108-114 établit un lien entre l’epochè phénoménologique et Cézanne. 63 MERLEAU-PONTY 1964 :76. 64 GRIS, 1989 : 8. 65 GRIS, 1989 : 8. 66 Sur le caractère partiel de la perception, voir HUSSERL Chose et espace, §16-17 ; HUSSERL, 6ème recherche logique, §14.et ESCOUBAS, 1995 : 21. 62

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Tout corps représenté y subit, au même titre que les objets, une déconstruction préalable de son volume pour être réorganisé selon un schéma conceptuel qui représente le corps vu de différents côtés à la fois, et en même temps, comme l’a remarqué F. Moselle à propos du Cubisme 67, tel qu’il est impossible de le percevoir, quelque soit le point de vue. Dans l’art assyrien, le visage sera représenté de profil, le torse de face et les jambes de profil. Ce corps là ne renvoie donc pas mimétiquement au corps naturel, mais au corps conceptualisé. Il est un corps repensé et reconstruit comme je ne pourrais jamais en voir un dans la nature. Si le corps dans l’art assyrien peut être ce « point de relation permanent par rapport auquel tous les rapports d’espace apparaissent » comme le définit Husserl, alors il ne l’est que dans la mesure où ces rapports d’espace sont, lorsqu’ils s’expriment picturalement, réorganisés par l’esprit selon un schéma non perceptuel, tenant compte d’une immanence du corps au monde qui abolit la dichotomie sujet/objet. En abolissant le point de vue unique d’un spectateur fictif dans l’espace pictural, l’art assyrien nie la certitude existentielle de l’ego 68, ou au moins la valeur de ses perceptions 67

MOSELLE 1973 : 220. On ne peut arguer de la déconstruction des volumes pour prétendre qu’à un seul point de vue y sont substitués plusieurs, ce qui ne changerait pas fondamentalement le rapport de l’ego à l’image. Les objets déconstruits ne sont pas semblables aux dessins d’ingénieur où des rabattements organisés de façon systématique et rationnelle rendent un objet tel que le processus cognitif et non perceptif le livre. Les objets, ou l’espace, déconstruits dans l’art assyrien le sont de façon partielle et sélective, de sorte à en donner les caractéristiques intrinsèques suffisantes à sa reconnaissance. Dans ce cas, on ne peut pas supposer que la représentation assyrienne cherche à épuiser tout l’apparaître de son objet à travers le rendu systématique et exhaustif de tout ce que la cognition nous en livre. Au contraire, ce que l’artiste assyrien représente est bien le signe de l’impuissance du sujet devant l’impossibilité de toute perception complète et même de toute science positive (voir aussi Parménide 134), d’où le besoin de signifier l’objet en décrivant ses caractéristiques les plus significatives, plus que d’en imiter l’apparence ou d’en livrer une connaissance exhaustive par l’intermédiaire de rabattements ou de dépliements. 68

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et de ses représentations, et affirme au contraire celle du monde, suggérant la dominance de la visibilité du corps sur sa dimension de voyant. Le corps est déconstruit parce qu’il est tout entier immergé dans la création. L’art assyrien est un art de la révélation des choses à travers leur re-création par l’image. Pour conclure, nous constatons que la phénoménologie permet un regard nouveau sur l’art assyrien et en éclaire des aspects jusque là restés dans l’ombre, notamment le problème de la spatialité. L’absence d’illusion spatiale dans l’œuvre assyrienne ne peut, comme cela a trop souvent été dit, être expliqué par la maladresse des artistes ne recourant pas à la perspective, ou à un schéma évolutionniste des arts faisant des arts pré-grecs des témoins d’un stade pré-artistique comme le voulait Hegel. L’art contemporain, au tournant du XIXe et du XXe s. fut le premier à nous révéler que l’espace pictural pouvait être autre chose que la transcription d’une vision soumise aux lois de l’optique. L’art assyrien nous livre lui aussi cette leçon, avec ses caractéristiques propres certes, mais reste pour l’historien d’art l’opportunité de s’interroger sur le rapport entre corps -celui du sujet- et espace. Si Merleau-Ponty affirmait de la philosophie orientale qu’elle nous permettait de retrouver le rapport à l’être, l’art assyrien nous offre l’opportunité de reconquérir un rapport à l’espace moins mécanique et plus essentiel. Contempler un relief assyrien aujourd’hui est pour nous la possibilité d’aborder l’espace d’une manière plus conforme à notre nature d’être spatialisant et non « spatialisé ». L’art assyrien témoigne de ce fait reconnu par la phénoménologie que l’homme n’est pas un corps comme les autres dans l’espace, parce qu’il fait l’espace. Représenter l’espace n’est plus alors l’enregistrement mécanique d’un espace « physico-technique », pour reprendre le mot d’Heidegger désignant l’espace cartésien, mais cherche à rendre ce rapport organique de l’homme à l’espace.

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Nicolas GILLMANN : Une approche de la spatialité dans l’art néo-assyrien

NICOLAS GILLMANN Rattaché à l’UMR 7041-ArScAn de l’université Paris XNanterre (Maison de l’Archéologie et de l’Ethnologie). Auteur en 2008 d’une thèse (en cours de publication chez Brill) intitulée Les représentations architecturales dans l’iconographie de la période néo-assyrienne et de plusieurs articles prolongeant ce travail, il oriente depuis 2010 ses recherches sur les problèmes esthétiques et philosophiques posés par l’iconographie néo-assyrienne. Il travaille actuellement sur la question du statut ontologique des images dans l’Orient Ancien, et plus spécifiquement dans l’art néoassyrien. Sélection de publications : 2013 : « Image du corps dans l’art assyrien », in les cahiers des thèmes de l’université (UMR 7041 ARSCAN-HAROC), vol. 11. 2012 : « Un exemple de Hilâni à Til-Barsip ? », (Ugarit Forschungen 42) 2011 : « Quelques remarques additionnelles sur le siège de Lachish ». (Ugarit Forschungen 41). 2010 : « Rois et génies, quelques exemples d’application du canon dans l’art néo-assyrien », (SYRIA 87, 2010). 2008 : « Le bâtiment isolé de Khorsabad, une nouvelle tentative de reconstitution », (IRAQ 70/2008). 2007 : « A propos du mouvement dans les bas-reliefs néoassyriens », (KTEMA 32/2007).

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UN PIEGE POUR L’OEIL Images du corps dans la peinture pompéienne

Baptiste AUGRIS

Pompéi est un don de l'histoire. La cité campanienne nous a livré une documentation féconde et cohérente, nuancée par les vestiges d’Herculanum et des vastes villas alentour : Boscoreale, Boscotrecase, Oplontis, Murecine ou Stabies. L’abondance des découvertes, l’unité de temps et de lieu, ont permis d’esquisser le portrait d’ensemble d’une région active et raffinée, où l’art, débordant l’espace public, s’insinue au cœur de la maison, s’affirme comme "solidaire d’un art de vivre", prolonge la réalité sociale, culturelle, religieuse, des Pompéiens, avant l'éruption de 79 1. La peinture est devenue, en ce premier siècle de notre ère, l’ornement indispensable d’une demeure digne de ce nom. La valeur de l’œuvre, le choix des peintres ou des matériaux s’imposent comme une distinction sociale. Ils font montre du rang, de la condition, des qualités du propriétaire. Mais la densité des représentations à travers la cité, à l'intérieur des habitations, suggère, par-delà l'apparat, par-delà l'esprit de collection, le besoin d'une confrontation constante du réel à l'art, comme si, pour paraître entière, l’existence se devait d’emprunter les détours de l’image, s’offrir partout de voir, se voir et être vue. Cette aspiration va de pair avec l’élaboration 1

TURCAN 1995 : 81. Pour une vue d'ensemble sur Pompéi et ses alentours, sur la peinture pompéienne et plus largement gréco-romaine, cf. notamment ZANKER 1998, COARELLI 2002, GUIDOBALDI/PESANDO 2006, PPM 1991-2003, SCHEFOLD 1972, BARBET 1985, ROUVERET 1989, CERULLI IRELLI/AOYAGI/DE CARO/PAPPALARDO 1993, BALDASSARE/PONTRANDOLFO/ ROUVERET/SALVADORI 2003, CLARKE 2003, MAZZOLENI/PAPPALARDO 2004, CROISILLE 2005, BRAGANTINI/SAMPAOLO 2009, SAURON 2009.

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raisonnée d’un milieu décoratif, à travers lequel s'accordent différents registres de figurations. On a parlé d’orchestration, de système, de programme, de syntaxe, de scénographie. Aux affinités thématiques et narratives, à l'influente présence d'un ou plusieurs dieux, répond le désir de perpétuer les formules d'un art ancien, d’en produire de neuves qui investissent chaque pièce d'une atmosphère singulière, prodiguent à l'œil l'émotion du théâtre, du voyage ou du rêve, repoussent les limites du mur, confondent dehors et dedans, ici et ailleurs. C'est à la présence des figures humaines à travers ces décors que s'attacheront ces réflexions, présence abondante, variée, inventive, qui interroge, en même temps que la sensibilité particulière des anciens au corps, le fonctionnement même des images et une certaine mécanique du regard. Le corps n'a pas toujours été présent dans l'espace pictural. Sa représentation n’entre pleinement dans les décors peints des demeures campaniennes que dans le second quart du Ier siècle avant notre ère, tandis que s'épanouit le "second style". La diffusion de figures, dans un domaine jusque-là réservé à la juxtaposition de surfaces unies, de motifs ornementaux, à l’imitation de séquences purement architecturales, constitue un tournant dans l'histoire de la peinture domestique2. A mesure que gagne le trompe-l’œil, que s'ouvrent les parois, découvrant 2

Sans doute peintures de chevalet et sculptures devaient-elles pallier à l'absence de figures sur les parois des demeures avant cette époque. Quelques figures, sises dans des décors plus anciens, nous sont malgré tout parvenues. Elles restent toutefois trop marginales pour dessiner une tendance. On en trouve quelques-unes à Pompéi (LAIDLAW 1985 : 33-34, 74-78, 340-341). Hors de Campanie, plusieurs maisons de Délos présentent dès la seconde siècle av. J.C., des scènes figurées moitié du IIe (BALDASSARE/PONTRANDOLFO/ROUVERET/SALVADORI 2003 : 6771). En contexte funéraire, la présence de figures dans la peinture pariétale est évidemment bien plus ancienne et plus dense, tant en Italie qu'en Orient, les plus anciens témoignages remontant au moins à la fin du VIIe siècle avant J.C. en Etrurie, à la seconde moitié du IVe avant J.-C. en Macédoine ou en Thrace (ibid. : 12-67).

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d'imaginaires perspectives, constructions monumentales, jardins luxuriants, les corps discrètement prennent position. Colonnes, chapiteaux, acrotères, frises, reliefs, vantaux s’enrichissent de sujets anthropomorphes. Les statues, les caryatides, les candélabres figurés, les imagines clipeatae, les masques, brouillent les frontières entre illusion et vivant. Le déploiement des corps à l’échelle de la pièce, sous la forme de megalographiae, fait de la domus un autre théâtre, mêlant hommes et dieux, héros et anonymes 3. Les tabulae, qui circulaient sur des supports en bois, et devaient constituer avec les sculptures la base de collections publiques ou privées, sont projetées sur les murs, accueillant nombre de représentations figurées. Des tableaux paysagers émergent, arbres, eaux, édifices que hante, entre oisiveté, labeur et dévotion, une foule minutieuse. Au-delà des motifs culturels, historiques, de cette irruption des corps dans l'espace pictural, il importe de comprendre le bénéfice que tirèrent peintres et propriétaires de ce champ d'expression inédit 4. En quoi la présence du corps modifie-t-elle la perception de l'espace ? Qu'est-ce qui différencie le corps peint des autres éléments du décor, d'un fruit, d'une colonne, d'un ciel, d'une volute, d'un oiseau, d'une maison ? Quelles relations entretiennent le corps figuré et le corps vivant ? A l'appui de ces questions, nous nous attarderons ici sur un certain nombre de représentations, mettant en lumière le rôle essentiel du corps comme passeur vers l'illusion, comme moyen privilégié d'impliquer le spectateur dans le jeu des images.

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VITRUVE, De l'Architecture, VII, 5, 2. L'époque est celle de la dernière phase de romanisation de la cité, conséquente à la restauration syllanienne après la guerre des Alliés (GUIDOBALDI/PESANDO 2006 : 7-10). On ne saurait ignorer non plus les coïncidences chronologiques, dans ces évolutions artistiques, entre Rome et la Campanie (TURCAN 1995 : 47).

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Aux frontières de deux mondes Si des décors exclusivement architecturaux pouvaient laisser au spectateur l'impression d'être le seul personnage d'une sorte de théâtre privé, l'introduction des figures vient troubler sa position, comme si ces murs qu'il regardait, à leur tour se mettaient à le regarder, comme si, des lieux, il devait, dès lors, partager la jouissance. Les dieux apparaissent au premier rang de ceux-là qui, sur l'espace, imposent leur ascendant. On les voit, ça et là, faire leur entrée dans le territoire des hommes, à moins qu'ils ne se tiennent eux-mêmes au seuil de leur propre demeure. Sur une peinture de la maison de M. Fabius Rufus à Pompéi, réalisée dans les années 70-50 avant notre ère, à l'époque précisément où se répandent les premières figures, Vénus apparaît sur le mur du fond entre les battants d'une porte entrouverte. L'Amour est rivé à son cou (fig. 1). La perspective pourrait être celle d'un sanctuaire. Le regard inquiet de la déesse pénètre la pièce, comme par effraction 5. Elle se tient, là, à la croisée des chemins. On ne saurait dire si, de ce monde dont elle défend l'entrée, elle veut nous convaincre ou s'échapper, si le nôtre l'apeure ou s'il l'attire, si nous la surprenons ou si elle veut nous surprendre. La même ambiguïté est perceptible dans le complexe de Murecine, aménagé un siècle plus tard, sans doute pour servir de villégiature à Néron et les siens 6. Dans la série de triclinia qui entoure le portique, les dieux accueillent les prestigieux convives, ou l'inverse. Sur la paroi est du triclinium (D), Jupiter a franchi le réseau d'architectures qui, du noir de sa retraite, le séparait des lumières de la pièce (fig. 2). Quelque objet va de sa main à celle d'un amour. Il pose. Au centre du triclinium (B), 5

La peinture fut recouverte à la fin du premier siècle avant notre ère par une perspective similaire de second style où n'apparaissait plus la déesse (AOYAGI/PAPPALARDO 2006, 401-408). 6 NAPPO 2001, GUZZO/MASTROROBERTO 2002.

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une déesse, élégante et lumineuse, se tient dans l'embrasure d'un portique (fig. 3). Son visage a disparu. L'éventail dans sa main droite pourrait être celui de Vénus. La présence des Dioscures sur les parois latérales fait songer à Hélène. Entre les plis de sa robe, que soulève une enfant, son pied s'attarde au rebord des deux mondes. Dieux, suivants, offrants, poètes, musiciens, ces figures liminaires abondent, arrêtées au passage du réel à l'illusion7. Apparues à la fin de la République, elles prennent véritablement leur essor au milieu du Ier siècle de notre ère, tandis que l'espace pictural s'enrichit d'architectures de plus en plus irréelles, de plans, de volumes de plus en plus nombreux. Messagères du regard, elles s'insèrent dans tous les registres, profitant des échappées offertes par la distinction entre espace du décor et espace des tableaux, par la partition à la fois horizontale et verticale des parois. On les voit franchissant des portes, se dressant dans l'embrasure pour en empêcher l'accès ou le suggérer, partant à la conquête de l'espace, s'affairant dans tel recoin, embellissant tel autre. Elles font d'ordinaire face au spectateur, se montrent aussi de profil, absorbées dans leur geste ou dans la contemplation de leur bien, lui tournent parfois le dos. Dans la maison des Peintres au travail, des figures se dressent dans les interpanneaux. Sur la paroi est, une femme à demi dévêtue, couronnée de feuilles, munie d'une torche, s'avance à notre rencontre. Sur la paroi sud, un Silène affiche son buste opulent, entre les battants d'une porte. Thyrse à l'épaule, canthare ballant, il jette dans l'espace un regard curieux8 (fig. 4-5). Sur certaines parois, ces figures en a parte viennent prolonger la composition du tableau qu'elles encadrent. C'est le cas dans l'oecus (10) de la maison de la Vénus à la coquille 9 7

Sur ces figures en a parte, CLARKE 1996. Sur de semblables personnages, à l'intérieur des tableaux, en position de spectateurs avancés, MICHEL 1982. 8 COARELLI 2002 : 334-345, avec bibliographie. 9 PPM : III, 145-151.

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(fig. 6-7). Chaque tableau, incisé dans le panneau central, est cerné par des ouvertures architecturées verticales où se tiennent des figures anonymes. Le cadre de la paroi nord montre Apollon épris de Daphné. Ils sont tous les deux de trois-quarts, lui, de face, étendu, elle, debout, de dos. La femme à gauche, tenant un miroir et une quenouille, répète la position du dieu, tandis que l'homme, comme la nymphe, dévoile son dos nu. Il scrute les profondeurs du décor. Sa position fait écho à la position du spectateur en train de regarder la fresque. Désireux d'élever le regard, d'offrir au spectateur une foule de détails plaisants, les peintres se régalent de ces figures subsidiaires, qui, s'immisçant dans le composé des formes et des couleurs, viennent animer l'ordonnance de la paroi. Dans le triclinium (e) de la maison IX, 1, 7, des figures féminines se tiennent sur le rebord azuré de lucarnes situées aux deux extrémités de la zone supérieure, près des interpanneaux qui entourent le tableau 10 (fig. 8). Les jambes ballantes au-dessus du vide, elles jouent avec des paons. Ce genre de figures scande aussi le sobre décor des salons de la villa San Marco. Dans la salle (14), trois figures se tiennent sur la hauteur : une ménade, les jambes croisées, tenant un tambourin et désignant quelque objet du bras, une femme avec un sceptre et un clipeus, et une femme voilée. Le corps de biais, la tête un peu penchée, elles plongent leurs regards dans la pièce. Celle-ci, dans le salon (6), se retourne pour fouiller une sorte de ciste 11. Entre la partie médiane et la partie haute du décor de l'antichambre (30), un amour et une femme assurent la transition entre la bordure

10 Tableau représentant Thétis recevant de Vulcain les armes d'Achille (Musée Archéologique de Naples, inv. 9529). Notons la présence dans les interpanneaux de têtes servant de chapiteaux aux colonnes, un centaure marin armé en caryatide, de même que des petits imagines clipeatae accrochés aux architectures fictives (PPM : VIII, 875-886, GALLO 2001 : 43-47). 11 BARBET/MINIERO 1999 : 190-192, 184-185.

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amarante et le fond blanc 12 (fig. 9-11). Le gamin ailé est fléchi sur l'arête, un genou posé. Il tend d'une main une patère que convoite son autre main. La femme est assise de dos, ses jambes plongent derrière la cloison. Levant le bras sur sa cithare, dont la forme prolonge les grâces de son dos nu et la vue audacieuse de ses fesses, elle se retourne vers le spectateur, un léger sourire aux lèvres.

Les yeux complices Un petit portrait collectif du IIIe style mûr, retrouvé dans la maison du Bracelet d'or, illustre avec audace cette aspiration des figures vers le monde des vivants 13 (fig. 12). Deux femmes et un homme, réunis sous un rideau bleu suspendu, se pressent à l'intérieur d'un cadre carré, incisé sur le fond jaune du registre supérieur. Ils lancent dans la pièce des regards alertes. Ils ont l'air, dans leurs étoffes colorées, de Romains ordinaires. L'homme porte une couronne de lierre. La figure du milieu, dont le visage a disparu, tient dans sa main des tablettes fermées. Elle a passé son bras par-dessus le bord du tableau et, comme d'une fenêtre, se penche à notre rencontre. L'interpellation se fait plus franche encore, quand les yeux de ces personnages visent les nôtres, nous poursuivant à travers la pièce. Dans son Histoire Naturelle, Pline évoque, à ce propos, une œuvre d'un certain Famulus, peintre de la Maison Dorée : "une Minerve, qui, de quelque côté qu'on la contemplât, avait le regard dirigé vers le spectateur - Minerva spectantem spectans, quacumque aspiceretur" 14. Si la frontalité est banale 12

Ces figures surplombent des représentations de Persée, d'Iphigénie et d'une joueuse de cymbales, debout sur le bord supérieur du socle (ibid. : 210-212). 13 Le tableau fait partie d'une série de portraits collectifs qui scandaient la partie supérieure d'un élégant décor dont la pièce d'origine reste incertaine (AOYAGI/PAPPALARDO 2006, 221-241). 14 Trad. J.M. CROISILLE, Les Belles Lettres, Paris, 1985, XXXV, 37.

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dans la peinture pompéienne, le regard en face apparaît plus rare. Son intentionnalité, sa force d'attraction le distinguent. Il fait exister le spectateur, lui donne corps, instaure avec lui une forme de réciprocité 15. Dans les quelques portraits où les peintres ont pris soin d'aligner le regard de leur sujet avec celui du spectateur, la tension naît aussitôt, quelque chose entre le défi et la connivence. Cette jeune femme, figurant parmi les nombreux portraits de la maison de l'Ara Maxima, paraît nous porter ce supplément d'attention. Elle ajoute au regard la préciosité du geste 16 (fig. 13). Dans la maison IX, 5, 11.13, la petitesse du médaillon, figuré dans l'étendue noire de grands panneaux verticaux, isole les yeux noirs de cette femme, pressée par son acolyte (fig. 14) 17. La présence fréquente d'une seconde figure à côté ou derrière le sujet vient en effet accentuer la "pression" de la face 18. Dans un petit cadre de la maison des Danseuses, se serrent un Silène et une ménade. La jeune femme se détourne de son compagnon pour nous regarder, avec malice, comme si elle voulait nous associer à l'étreinte ou partager un peu de l'ivresse qui semble la gagner 19 (fig. 15).

15

Š  ‚‹_Œ`{†Ž‡  ‚‚  •‹ ‚‚   ˜˜     ™‚ •    š ›   š   Ducroux dans la céramique attique, on retrouve "le détournement et l'interpellation". Il est moins question ici de faire "exception à une norme figurative" pour signifier un état ou une situation particulières, que de jouer d'un procédé pictural qui "postule la figure du destinataire de l'image", et instaure, par la réciprocité visuelle, une situation de communication (FRONTISI-DUCROUX 1995 : 77-103). 16 STEMMER 1992 : 26-30, 45-46. On remarquera qu'entre le regard de biais et le regard droit, beaucoup de portraits vivent de la dissymétrie entre deux yeux partant dans des directions différentes. 17 L'apostrophe contraste ici avec la conversation silencieuse du couple représenté dans le médaillon voisin. Sur ce dernier, la femme regarde l'homme dont les yeux glissent vers la droite (PPM : IX, 540-546). 18 BAILLY 1997 : 11. 19 GUZZO 1997 : 101.

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Les œillades se multiplient à l'intérieur même des tableaux. Dans une représentation du cubiculum (58) de la maison de Fabius Rufus, une jeune femme est assise à côté d'Hercule (fig. 16). Le héros est nu. Il appuie ses mains réunies sur sa massue, le carquois posé parallèlement à sa jambe étendue. Il regarde fixement sa compagne. Elle est assise sur un fût de colonne, de trois-quarts, à l'envers, en miroir de lui. Sa robe bleue dévoile la chair blanche de son épaule et de son bras. Ses cheveux forment une couronne. Elle détourne la tête du héros, et, levant audessus d'elle une palme, nous adresse un regard aussi intense qu'énigmatique. Ce regard prend place au centre de la pièce, où fuit la perspective. Il saute aux yeux de celui qui entre dans la chambre. Ce pourrait être le regard d'Omphale, victorieuse du guerrier farouche. A nos yeux, la femme savoure son triomphe, à moins qu'elle ne nous invite à célébrer les exploits du héros 20. Du point de vue des personnages, le regard frontal marque le moment où ils prennent conscience de la présence du spectateur, d'une extériorité à leur propre existence. Et la difficulté à déchiffrer ce regard réside précisément dans cette ambiguïté qui fait de ces figures intermédiaires à la fois les passeurs et les gardiens de leur univers. L'effet est accru quand celui qui nous fixe émerge d'un groupe de personnages absorbés dans leurs gestes, indifférents à nous. Le décor de la salle à manger de la maison du Triclinium l'illustre assez bien. Trois scènes de banquets y sont figurées. Sur chacune d'elles, deux lits accueillent les convives étendus. Dans l'espace devant eux, gravitent artistes, échansons et buveurs. Toasts, amours en tous genres, danses, beuveries, vomissements composent le truculent triptyque. Sur le tableau du mur nord (fig. 17), les peintres ont placé au-dessus de la scène cette inscription : "Facitis vobis suaviter, ego canto - Est ita, valea(s) / Mettez-vous à l'aise, moi je chante - C'est ça, à 20

CORALINI 2001 : 207-208, AOYAGI/PAPPALARDO 2006, 401-408. Les tableaux des parois attenantes interrogent d'autres regards, celui, inquiet et inquiétant, de Narcisse vers lui-même, celui, bienveillant, de Dionysos sur l'enfant à qui il tend une grappe de raisin.

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votre santé !" 21. Le dialogue est porté par le regard en coin du personnage central à l'attention du spectateur. Le bras glissé sur l'épaule de la femme à côté de lui, il apostrophe les vivants qui, dans la salle, s'adonnent à leurs banquets, s'amusant d'apposer au réel son image facétieuse. Dans la pièce attenante à la mégalographie de la villa des Mystères, quelques personnages sont rassemblés 22. Placés sur un podium en saillie, devant la même structure à orthostates et panneaux verticaux que la fresque voisine, un satyre et une femme occupent l'angle sud-est (fig. 18). Bacchante ou prêtresse, elle porte une couronne de feuilles dorées, tient un rouleau dans une main, affecte de l'autre un geste d'expectation. Placée de profil, esquissant un pas, elle semble regarder le faune. Peut-être attend-elle qu'il en termine avec les poses enjouées qu'il adresse au spectateur, pour rejoindre le séjour où le dieu et les siens ont fait halte. Le satyre, dans sa nudité lumineuse, soulève énergiquement la jambe, à l'horizon de la paroi. Son pied pointe le seuil du salon. Son buste, ses bras, sa tête, ses yeux, alignés dans la profondeur, s'invitent à notre regard. Il nous sourit 23. Statues dans une atmosphère de pinacothèque, pantomimes, les simulacra prennent vie, se mêlent aux mortels, escortent les dieux. De l'autre côté de la pièce, un satyre soutient Bacchus ivre, tandis qu'un autre aide un Silène à s'habiller. Hôte et complice, le spectateur déjà se mêle au cortège.

21

CLARKE 2003 : 239-245. Pour une vision approfondie du décor, WYLER 2003 : 449-459. Sur la mégalographie, cf. en particulier SAURON 1998 et VEYNE 1998. 23 La rareté des sourires, dans la peinture pompéienne, donne tout son poids à celui-ci, renforçant la connivence avec le spectateur. 22

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Le piège de la beauté Une autre façon d'attirer le spectateur sera de lui offrir quelque beauté à contempler, de l'installer dans une position privilégiée, celle de Pâris arbitrant les trois déesses. On a retrouvé une dizaine de représentations du jugement sur les murs de Pompéi. A chaque fois, le jeune homme, tout à son étrange vocation, se tient aux côtés de Mercure, devant la "constellation des poseuses" 24. Chacune veut paraître à son avantage, affichant fièrement ses attributs. La beauté des dieux n'est pas raisonnable, elle fuit l'ordinaire. Elle cherche le regard des hommes, se dévoile, se place, invente des gestes à sa mesure. Dans la maison V, 2, 15, Vénus s'est imposée au devant du tableau, maintenant entre ses bras et son entrecuisse un large manteau que le vent augmente 25 (fig. 19). Rejetant ses concurrentes dans l'angle mort de la scène, elle interpelle d'un geste large un Pâris intimidé. Sa chair, éclatante de blancheur, "le poli de son ventre marbré" contredisent le bouclier de Minerve : le corps accueille et promet, l'écu repousse et menace. Sur la poitrine de Pallas, Méduse adresse à la beauté triomphante son regard venimeux 26. Un autre concours de beauté agite les dieux sur les murs de Pompéi, celui qui, sous l'arbitrage d'Apollon, oppose Hespéros à Vénus. Les mentions à la rivalité de l'astre du soir, fils d'Aurore et Céphale et de la déesse de l'amour, sont dans les textes aussi rares que succinctes 27. Le concours devient, dans la peinture, prétexte au rassemblement des divinités stellaires, beautés rayonnantes s'il en est. Dans un tableau de l'oecus (62) de la maison de Fabius Rufus, elles forment un triangle dominé par Apollon, se livrant au regard du spectateur 28 (fig. 20). Auréoles, torches et couronnes éclairent leur nature subtile. 24

DAMISCH 1992 : 263. NAVA/PARIS/FRIGERRI 2007 : 102. 26 DAMISCH 1992 : 274-284. 27 HYGIN, De l'Astronomie, II, 42. 28 AOYAGI/PAPPALARDO 2006 : 376-390. 25

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Phébus, sur son trône imposant, déploie sa longue nudité. Le dieu tient son rôle avec aisance et solennité, soucieux de paraître aussi gracieux à nos yeux que ceux qu'il doit juger. Vénus porte bas son chiton, découvrant d'un bras prodigue l'anse de son bassin. Le drapé, où baignent ses rondeurs, compose un large sourire, éventail en regard du flabellum glissé sous son autre main. Il suggère une coquille ou le creux d'une vague. La beauté fait le tour d'elle-même, glisse d'une figure vers l'autre, se donne à nouveau pour centre du regard. Un flot de tissus diaprés se répand du torse d'Apollon aux membres des deux rivaux. Au partage des eaux, Phébus étend symboliquement la jambe. La complicité d'Eros vient lester un peu la balance. Hespéros orgueilleusement se dresse, donnant à son manteau l'amplitude de ses bras. Dans l'écrin qu'il a formé, éclate sa grâce juvénile. L'une et l'autre scène mettent en œuvre cette révérence à la beauté, attachant celui qui la possède autant que celui qui la contemple. Vénus le sait, elle qui aime tant répéter les gestes de sa naissance, sentir l'espace émerger de son corps à sa genèse, naître dans le regard des hommes. Dans l'exèdre de la maison du Prince de Naples, elle relève de ses mains graciles sa chevelure fluide, découvrant, sous ses épaules nues, son corps adolescent (fig. 21). La même grâce ingénue perce sur le visage de Bacchus placé un peu plus loin, sur ses boucles légères, sur le peu de manteau à son épaule, sur le thyrse orné entre ses doigts ténus. La finesse du décor autour d'eux, les bordures ajourées, les miniatures disséminées à travers le réseau d'illusoires portiques, ajoutent à la fraîcheur des figures. Le ruban vineux ressort sur le fond blanc comme sur la chair les rehauts d'ocre rouge. Festons et volutes rappellent parures et cheveux. La beauté entre en résonance avec l'espace qui l'entoure, le contamine, l'abreuve. Dionysos verse à son félin le contenu d'un canthare. Souvent les dieux, le bras vers le sol, dispensent aux hommes dons et libations. L'amour, le courtisan ou l'animal familier se chargent pour eux 110

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de les recueillir. Les gestes de prodigalité se confondent avec les gestes d'une immortelle coquetterie 29. Dans le sillage de Vénus, les amants s'ingénient à naître dans le regard de l'autre. C'est Atalante qui, dans un tableau de la maison de la Vénus à la coquille, se livre aux yeux de Méléagre 30 (fig. 22). Debout dans sa robe transparente, elle a glissé son bras au-dessus de sa tête, saisissant la lance que maintient son autre bras le long de son corps. Le trait fait contrepoint à la courbe douce de ses hanches. Le jeune homme est assis de profil, les mains rejointes sur la pointe d'un bâton filant entre ses jambes croisées. Il la contemple 31. Le geste de la chasseresse apparaît moins emprunté qu'instinctif, comme l'effet de son contentement, du plaisir d'être là, de se donner à l'autre 32. Ses yeux passent un peu à côté des nôtres. Elle soulève son pied léger. Parenthèses sublimes, les corps s'enivrent de l'instant qu'ils dessinent, nous y convient. Sur un tableau du triclinium (8) de la villa de Carmiano, à Gragnano, Neptune emporte Amymoné. Le couple est monté sur un triton, escorté par des centaures marins et des amours (fig. 23). La jeune femme nous apparaît de dos, nue ou presque. Elle a passé son bras derrière le cou du dieu. Leurs corps serrés forment les deux parties d'un entier, doublé par le dais rond qu'un amour maintient au-dessus d'eux. Neptune considère avidement sa conquête. Elle se retourne vers nous, inquiète ou jalouse de son bonheur. Cette façon de nous prendre à témoin, de nous inclure dans l'intimité érotique, de nous assigner la position de l'indiscret ou du complice, apparaît plus significative encore dans un certain nombre d'images mettant en scène des satyres, ces créatures 29

STROCKA 1984 : 29-31, 44-45. PPM : III, 161-172. 31 Sur Méléagre et Atalante, cf. en particulier OVIDE, Métamorphoses, VIII, 273-444. 32 Sur la polysémie féconde de ce geste, GURY 2007 : 267-283. 30

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sauvages qui peuplent la nature, se mêlent au cortège dionysiaque, êtres hybrides au tempérament agité, à la sexualité lancinante. Sans cesse en quête de partenaires, animaux ou humains, qui satisfassent leur appétit insatiable, ils trouvent des proies faciles parmi les nymphes et les ménades. Profitant du sommeil d’une belle, ils défont ses vêtements pour contempler sa nudité (fig. 24). Pans cornus aux pattes de chèvres, satyres aux oreilles caprines, ils savourent leur indiscrétion, penchés au-dessus de la jeune femme, prisonnière de leur regard et du nôtre. Sa longue échine nous retient, tandis qu'ils convoitent son intimité. La paume dressée manifeste l'émotion du voyeur, attentif à ne pas réveiller le corps à sa merci 33. L'attitude du satyre figuré dans le tableau de la maison du Moraliste apparaît plus ambigüe ou plus habile (fig. 25). Accompagné d'un amour, il se tient au-dessus d'une jeune femme endormie sur des coussins. Les deux soulèvent un pan de son manteau, nous découvrant son corps à demi-nu. Le satyre redresse la tête, les yeux perdus dans la distance. Se découvre-t-il observé à son tour ? Invite-t-il un autre à partager son indiscrétion ? Cherche-t-il dans cet autre regard trace de ce que nous voyons et reste à ses yeux encore caché ? Car c'est là l'autre ressort de ces images. Ce qui du corps tombe sous le regard ne dit pas tout de ce qu'il est. Et les peintres s'amusent volontiers de celui que ses sens abusent. Sur un tableau de l'atrium (37) de la maison des Dioscures, Pan, attiré par les formes d’une femme, découvre avec effroi le sexe d’un homme (fig. 26). Il s’en détourne avec horreur, tandis que l'hermaphrodite du bras essaie de le retenir. La peinture pompéienne est semée de ces pièges tendus, de jeunes gens, de jeunes filles, de mortels et d'immortels, qui pour 33 On notera la présence, sur le tableau du Musée de Naples (fig. 24), d'une tête de Méduse, fixée au bandeau qui surmonte la scène, suggérant quelque chose du spectacle offert au satyre. Sur ce "jeu d'interférences entre la face de Gorgô et le sexe féminin", VERNANT 1985 : 33-35.

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s'être laissés attirer par quelque forme, quelque image, quelque voix, quelque corps charmant, se retrouvent captifs ou se perdent. L'extrême ambiguïté des rôles, leur facile réversibilité, l'équivoque constante entre rapt et don de soi, disent la part de dissimulation, de manipulation qu'exige l'art de la séduction, disent la duplicité du désir. La peinture est un jeu. Elle est un avertissement, un appel à se méfier des apparences, de l'écart entre ce que montre le corps et ce qu'il dissimule. Parmi les quatre figures féminines qui nous sont parvenues de la villa d'Ariane, à Stabies, placées sans doute au milieu des panneaux de couleurs ornant la pièce (w26), on trouve cette figure de dos s'avançant dans l'étendue verdoyante 34 (fig. 27). On a reconnu Flora, Perséphone ou Europe. Des fleurs ont poussé dans cette prairie abstraite, qu'elle cueille au passage entre son index et son pouce délicatement réunis. Elle en a déjà amassé quelques-unes dans la corbeille posée sur son bras replié. Elle tourne un peu la tête, découvre sa joue, réfléchie par son épaule nue. Sa robe, aux couleurs de la récolte, glisse le long de son bras déployé, s'incurve pour concilier ses impulsions contraires, vole au-dessus de ses pieds en marche. Jaune et blanc scintillent dans ses cheveux ambrés, à son oreille, à son poignet, vacillent le long de son manteau dont la masse tombant de son bras en cascade, contraste avec la gracilité de la flore. Elle part d'un côté, s'attarde de l'autre. Elle met dans tout trop d'application pour ignorer notre présence. Elle emprunte la position de qui la regarde, l'invite à la suivre 35. 34

ALLROGEN-BEDEL 1977, 27-89. L'image aurait certainement plu à Ovide qui, dans L'Art d'aimer, adressait aux femmes ce conseil : "De toute façon laissez à découvert, du côté gauche, l'extrémité de l'épaule et le haut du bras. Cela sied surtout à une peau blanche comme neige : cette vue me donne envie de couvrir de baisers tout ce que je vois de l'épaule - Hoc uos praecipue, niueae, decet: hoc ubi uidi, / Oscula ferre umero, qua patet usque, libet" (trad. H. BORNECQUE, les Belles Lettres, Paris, III, 309-310).

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Conclusion Qu'est-ce qui différencie le corps des autres éléments du décor ? Peut-être est-ce seulement qu'il prolonge notre propre présence. Le plaisir de la reconnaissance, avançait Aristote, préside au plaisir esthétique 36. La peinture pompéienne joue de l'attirance spontanée du spectateur pour l'image du corps. Suivant les projections sublimées de son propre corps, il passe d'une réalité dans une autre, glisse du volume de la pièce aux perspectives de la paroi, du décor aux tableaux, de l'ornement à la narration, de l'action à la réflexion. Cette progression par la reconnaissance de soi l'éloigne en même temps de lui-même, soumis au pouvoir des peintres, attiré vers des profondeurs qui lui échappent, plongé dans une illusion que le corps peint sera le premier à dénoncer.

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Poétique, 1448b, Rhétorique, I, 1371b.

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Fig. 1. Pompéi, VII, 16 (ins.occ.), 22, maison de Fabius Rufus, pièce (71), paroi ouest.

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Fig. 2. Murecine, triclinium (D), paroi est, Magazzino archeologico (inv. 25941).

Fig. 3. Murecine, triclinium (B), paroi nord, Magazzino archeologico (inv. 21004).

Fig. 4-5. Pompéi, IX, 12, 6, maison des Peintres au travail, oecus (6), parois est et sud.

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Fig. 6-7. Pompéi, II, 3, 3, maison de la Vénus à la coquille, oecus (10), paroi sud

Fig. 8. Pompéi, IX, 1, 7, triclinium (e), paroi nord.

Fig. 9. Stabies, villa San Marco, pièce (30), paroi sud.

120

Corps, image et perception de l’espace

Fig. 10-11. Stabies, villa San Marco, pièce (30), parois est et sud.

Fig. 12. Pompéi, VI, 17 (ins.occ.), 42, maison du Bracelet d’or, triclinium (42), Magazzino archeologico (inv. 86076).

121

Fig. 13. Pompéi, VI, 16, 15.17, maison de l’Ara Maxima, tricilinium (g), paroi ouest.

Baptiste AUGRIS : Un piège pour l’œil

Fig. 14. Pompéi, IX, 5, 11.13, ala (e), paroi sud.

Fig. 15. Pompéi, VI, 2, 22, maison des Danseuses, MANN (inv. 17713).

Fig. 16. Pompéi, VII, 16 (ins.occ.), 22, maison de Fabius Rufus, cubiculum (58), paroi est.

Fig. 17. Pompéi, V, 2, 4, maison du Triclinium, triclinium (r), paroi nord, MANN (inv. 120031).

122

Corps, image et perception de l’espace

Fig. 18. Pompéi, villa des Mystères, pièce (4), angle sud-est.

Fig. 19. Pompéi, V, 2, 15, triclinium (l), paroi ouest, MANN (inv. 119962).

Fig. 20. Pompéi, VII, 16 (ins.occ.), 22, maison de Fabius Rufus, salon à abside (62), paroi est.

123

Baptiste AUGRIS : Un piège pour l’œil

Fig. 21. Pompéi, VI, 15, 7.8, maison du Prince de Naples, exèdre (m), paroi ouest.

Fig. 22. Pompéi, II, 3, 3, maison de la Vénus à la coquille, cubiculum (14), paroi sud.

Fig. 23. Gragnano, villa de Carmiano, triclinium (8), paroi ouest, Antiquarium (inv. 3685).

124

Corps, image et perception de l’espace

Fig. 24. Pompéi, MANN (inv. 27685).

Fig. 25. Pompéi, III, 4, 2, maison du Moraliste, pièce (26), paroi sud.

Fig. 26. Pompéi, VI, 9, 6, maison des Dioscures, atrium (37), MANN (inv. 27700).

125

Baptiste AUGRIS : Un piège pour l’œil

Fig. 27. Stabies, villa d’Ariane, pièce (w26), MANN (inv. 8834).

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Corps, image et perception de l’espace

BAPTISTE AUGRIS UMR 7041 Archéologies et Sciences de l’Antiquité (ArScAn) CNRS / PARIS 1 PANTHEON-SORBONNE / PARIS OUEST-NANTERRE-LA DEFENSE Equipe ESPRI (Espace, pratiques sociales et images dans les mondes grec et romain) Après des études en histoire, lettres et philosophie, termine actuellement sa thèse de doctorat sur l'image du corps dans la peinture pompéienne. Poursuit en même temps sa vocation de peintre, sculpteur et photographe. [email protected]

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REMERCIEMENTS

L’auteur tient à remercier tous les participants à cette conférence : Baptiste Augris, Luc Bachelot, Yannick Lepape, Davide Nadali, Claude Pouzadoux, Ann Shafer pour la diversité et la richesse des travaux qu’ils ont présentés à cette conférence. Un remerciement spécial à L. Bachelot pour avoir mis à ma disposition un soutien logistique et financier qui a permis la réalisation matérielle de cette conférence, ainsi que pour son assistance lors de la relecture de l’introduction. Que soit également remerciée Ann Shafer pour avoir évoqué lors d’une conversation informelle l’intérêt d’une conférence sur les nouvelles approches possibles de l’iconographie antique, néo-assyrienne en particulier, et qui peut donc être considérée comme l’inspiratrice du projet.

Les Beaux Arts aux éditions L’Harmattan Dernières parutions

ARTS LES  DE LA RUE EN FRANCE Une logique de double jeu

Lee Hee-Kyung Les arts de la rue sont un des champs artistiques des arts vivants les plus novateurs de ces dernières décennies. En partant de leur émergence en 1968, cet ouvrage retrace la construction progressive de cet univers social (nous parlions alors de théâtre de la rue). Aujourd’hui ils connaissent une consécration publique, critique, institutionnelle et internationale. Nombre de festivals leur sont consacrés : Aurillac, Chalon-sur-Saône, Noisy-le-Sec, Villeurbanne. Voici dressé un inventaire sociohistorique des arts de la rue en France. (27.00 euros, 272 p.) ISBN : 978-2-343-00343-6, ISBN EBOOK : 978-2-296-53943-3 MORT LA ET LE CORPS DANS LES ARTS AUJOURD’HUI

Sous la direction de Sylvia Girel et Fabienne Soldini Le thème de la mort effectue un retour en force au travers de la création artistique contemporaine. Si ce thème traverse toute l’histoire de l’art, ce qui interpelle est la façon actuelle, différente et/ou innovante dont les créateurs contemporains s’en saisissent. La mort se décline sous toutes ses formes, des plus spectaculaires et horrifiques aux plus banales et communes ; leurs créations dérangent, heurtent parfois et interrogent notre rapport social et esthétique à la mort aujourd’hui. (Coll. Logiques sociales, série Sociologie des arts, 46.00 euros, 466 p.) ISBN : 978-2-336-30293-5, ISBN EBOOK : 978-2-296-53847-4 TRANSHUMANITÉS Fictions, formes et usages de l’humain dans les arts contemporains

Sous la direction de Moindrot Isabelle, Shin Sangkyu Les progrès de la technologie numérique et de la manipulation génétique contribuent à une métamorphose de l’humain. L’histoire nous a habitués aux évolutions des pratiques sociales et des mentalités, et les logiques économiques nous poussent à les favoriser. Dès lors, pourquoi sommes-nous si ébranlés devant les métamorphoses de l’humain ? Pourquoi avons-nous ce sentiment d’être face à un tournant décisif, une mutation dont les effets seront plus profonds et plus définitifs ? (Coll. Local et Global, 33.00 euros, 342 p.) ISBN : 978-2-343-00836-3, ISBN EBOOK : 978-2-296-53834-4

FRONTIÈRES GÉOCULTURELLES ET GÉOPOLITIQUES

Sous la direction de Rouet Gilles, Soulages François Les limites, bordures, frontières, seuils délimitent les réalités physiques comme les cadres conceptuels. Il s’agit d’intégrer les dimensions et frontières géoculturelles, passages et transferts, qui incitent à l’échange alors que les murs ne peuvent (ne devraient) qu’aboutir à des transgressions. Cet ouvrage aborde les frontières de l’art, du temps, des textes et présente quelques exemples locaux qui permettent d’apprécier ces évolutions et d’en appréhender les enjeux. (Coll. Local et Global, 19.00 euros, 192 p.) ISBN : 978-2-343-00868-4, ISBN EBOOK : 978-2-296-53745-3 PORTRAIT ANONYME  Peinture, photographie, cinéma, littérature

Sous la direction de Soulages François, Bonafoux Pascal Le portrait anonyme passionne par ses enjeux : art et histoire, société et individu, existence et temps. Avec le livre des visages qu’est Facebook, nous divulguons à l’infini notre portrait : utile illusion pour supporter une postérité future impossible ou bien jouissance de l’instant with no future ? Cet ouvrage explore cet objet étrange et paradoxal qui pointe le sans-sujet, la victime, l’inconnu, l’innommé, mais aussi le re-connu, le sujet de l’art. (Coll. Eidos série RETINA, 24.00 euros, 244 p.) ISBN : 978-2-343-01048-9, ISBN EBOOK : 978-2-296-53893-1 ART L’ MUSICAL DE WALT DISNEY  L’animation de 1928 à 1966

Bosc Michel Dès que la technique du cinéma le permit, la musique fut l’hôte de marque des productions animées des studios Disney. Ressource privilégiée, elle suscite des scénarios entiers, constituant un moteur et servant de liant. De Blanche-Neige et les 7 nains au Livre de la jungle, elle remplit des rôles centraux. Elle triomphe dans Fantasia, constituant la matière première du film. (25.00 euros, 258 p.) ISBN : 978-2-343-00864-6, ISBN EBOOK : 978-2-296-53870-2 RIO BRAVO DE HOWARD HAWKS

Liandrat-Guigue Suzanne, Leutrat Jean-Louis Rio Bravo (1959) constitue pour nombre de spectateurs une référence absolue en matière de western. La musique de Dimitri Tiomkin et les chansons ayant pour interprètes Dean Martin et Ricky Nelson participent grandement au plaisir procuré. Avec ses cow-boys pris dans les contradictions humaines de l’âge et des sentiments, cette histoire offre une prise de conscience sur l’Ouest mythique à laquelle la représentation cinématographique contribue. (Coll. Le Parti pris au cinéma, 13.50 euros, 126 p.) ISBN : 978-2-343-01110-3, ISBN EBOOK : 978-2-296-53903-7 DU SPECTATEUR AU CRÉATEUR La cinéphilie des cinéastes (Tome 1)

Cahiers de champs visuels 6-7 Qu’est devenue, aujourd’hui, la notion de cinéphilie ? Quel rôle joue la culture cinéphilique individuelle pour les cinéastes contemporains en activité : Claire

Denis, Jim Jarmusch, Jean-Luc Godard, Wim Wenders, etc. Et ce, sur la perspective selon laquelle l’œuvre créatrice des cinéastes se nourrit au préalable de leur expérience spectatorielle respective. (23.00 euros, 228 p.) ISBN : 978-2-336-29305-9, ISBN EBOOK : 978-2-296-53754-5 DU CRÉATEUR AU SPECTATEUR  La cinéphilie des cinéastes (Tome 2)

Cahiers de champs visuels 8-9 Comment les cinéastes actuels font-ils vivre leur propre cinéphilie ? Interrogée, cette dimension toute particulière du métier de cinéaste est envisagée ici comme un préalable au partage d’une cinéphilie personnelle. Ces textes mettent en évidence ce besoin qu’éprouvent certains créateurs, à l’image de Nanni Moretti, Monte Hellman, Xavier Giannoli, Yann Moix, Quentin Tarantino, Michel Gondry, etc. (27.00 euros, 278 p.) ISBN : 978-2-336-29306-6, ISBN EBOOK : 978-2-296-53755-2 DICTIONNAIRE DE L’AMOUR FOURBE

Levil Guillaume La révolution numérique a bouleversé l’industrie de l’audiovisuel. Délivrée des contraintes de rentabilité, une nouvelle génération de réalisateurs explose les codes du cinéma, posant ainsi les jalons d’une création enfin libre et indépendante. Depuis 2006, et notamment lors de son festival de films autoproduits, le collectif Cinémabrut se fait l’ambassadeur de la quintessence de ce phénomène. Une sélection audacieuse des meilleurs films — tous pétris de talent — de ce festival ! (20.00 euros) ISBN : 978-2-336-29445-2 CHÂTELAINE LA DE LA PLACE

Morder Joseph Joseph Morder rend visite à son amie cinéaste belge Mara Pigeon dans sa maison, place du Châtelain à Bruxelles. Il filme Mara dans son intimité. Celle-ci lui parle de son enfance au Zaïre, de ses voyages, de ses films, de sa fille. Bonus : Présentation de Joseph Morder (2013, 24’)/. Le ciel du Havre, documentaire de Joseph Morder (2003, 23’), une description impressionniste autour de la magie, de la lumière du Havre. (20.00 euros) ISBN : 978-2-336-29424-7 MARCEL HANOUN

Courant Gérard Marcel Hanoun fut l’un des cinéastes les plus importants de l’avant-garde internationale. On lui doit notamment Une simple histoire (1959), L’Authentique procès de Carl-Emmanuel Jung (1967) et sa tétralogie des Quatre saisons (L’Hiver, Le Printemps, L’Été et L’Automne, de 1968 à 1972). Gérard Courant, l’un de ses compagnons de route, l’a filmé à de nombreuses reprises depuis le Cinématon qu’il a tourné le 13 juin 1979 jusqu’à ses funérailles au Père Lachaise à Paris, le 10 octobre 2012. (20.00 euros) ISBN : 978-2-336-29420-9

VIVARIUM LE

Richard Jacques À la suite de mai 68, le cinéma français connaît une crise de création profonde, cherchant sa modernité. En juin 1968, Godard, dans une interview censurée jamais diffusée, met sa main sur l’objectif pour figurer l’impossibilité de filmer «comme avant», prônant le gaspillage de pellicule et la résistance au cinéma commercial. Dans le prolongement de ce geste iconoclaste, Le Vivarium pose la question : que deviennent les acteurs d’un film si on leur supprime leur texte ou le scénario ? (20.00 euros) ISBN : 978-2-336-29432-2 PETITS LIEUX À CHANSONS DE BELGIQUE 19502012

Delhasse Guy De 1950 à 2012 se mêlent dans cet ouvrage plusieurs histoires... Il y a d’abord celle d’un phénomène culturelle souvent négligé : le «petit lieu à chansons». Un lieu qui ose proposer au public des chansons en français ! Ils ont existé, ils existent toujours. Et puis il y a l’histoire emboîtée dans les histoires d’un drôle de pays souvent au bord de la crise de nerfs. Les villes de province, les banlieues grises, les villages reculés... et bien sûr Bruxelles, la belle à Brel, à Barbara, à Moustaki... (Coll. Cabaret, 20.00 euros, 200 p.) ISBN : 978-2-343-00785-4, ISBN EBOOK : 978-2-296-53748-4 CRI VIOLET LE Petit abécédaire de mes années Leprest (1970 - 2011)

Plaquevent Fabrice Auteur-interprète dont Claude Nougaro disait : «Je le considère comme un des plus foudroyants auteurs de chansons que j’aie entendu au ciel de la langue française», Allain Leprest était méconnu du grand public mais encensé par toute la profession. Il s’est donné la mort dans le village ardéchois d’Antraigues-surVolane. Avec Le cri violet, Fabrice Plaquevent livre, ses souvenirs du quotidien ordinaire et de l’amitié créatrice entre les deux adolescents puis jeunes adultes. (Coll. Cabaret, 11.50 euros, 84 p.) ISBN : 978-2-343-00854-7, ISBN EBOOK : 978-2-296-53957-0 ONTOLOGIES DE LA CRÉATION EN MUSIQUE Volume 2 Des instants en musique

Sous la direction de Christine Esclapez

Nous sommes prompts à concevoir l’ instant comme synonyme exact du présent et à le tenir pour pure abstraction. Mais en musique, l’instant devient étrangement palpable, tangible, sensible. Outre son aspect sensible, l’instant musical revêt un aspect pratique : celui de la création musicale, où l’homme doit œuvrer avec le temps, le dompter, le subir. C’est donc sous ses éclairages conceptuel, sensible et pratique que l’instant sera décliné dans ce second volume. (Coll. Sémiotique et philosophie de la musique, 19.00 euros, 188 p.) ISBN : 978-2-343-00579-9, ISBN EBOOK : 978-2-296-53713-2

L’HARMATTAN ITALIA Via Degli Artisti 15; 10124 Torino L’HARMATTAN HONGRIE Könyvesbolt ; Kossuth L. u. 14-16 1053 Budapest L’HARMATTAN KINSHASA 185, avenue Nyangwe Commune de Lingwala Kinshasa, R.D. Congo (00243) 998697603 ou (00243) 999229662

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Corps, image et perception de l’espace De la Mésopotamie au monde classique Les images ne livrent pas dès l’abord leurs secrets. Celles qui nous occupent ici ne sont pas seulement artéfacts archéologiques, mais aussi œuvres d’art, quelle que soit la définition à donner à ce terme pour l’Antiquité. Mais alors pourquoi le corps, l’image, et la perception de l’espace, comme thématiques spécifiques pour aborder l’iconographie ? La raison de ce choix découle de l’approche phénoménologique des images qu’ont voulu privilégier les auteurs. Considérant que, pour tout humain, l’espace ne saurait se concevoir sans l’intervention du corps, ne serait-ce que par l’intermédiaire de la perception, il devient impossible, si l’on adopte la perspective phénoménologique, de s’interroger sur les rapports qu’entretiennent l’image et la spatialité sans faire intervenir la problématique du corps. Nous voulions donc promouvoir une nouvelle approche de l’iconographie de l’Antiquité, principalement dans l’Orient ancien. Ce thème devait permettre à des chercheurs aux profils ou aux orientations scientifiques différents de s’exprimer, de sorte que les contributions à cet ouvrage reflètent la richesse de ce thème et la diversité des pistes de réflexion qu’il offre. Nicolas Gillmann est docteur en archéologie de l’université de Strasbourg. Après avoir réalisé sa thèse sur les représentations d’architecture dans l’ iconographie néo-assyrienne, il a rédigé une série d’articles et de communications publiés entre 2005 et 2013, portant aussi bien sur des problématiques strictement archéologiques que sur l’ histoire de l’art de la période néo-assyrienne. Ses recherches portent actuellement sur l’ontologie de l’ image en Mésopotamie et sur les problèmes d’esthétique. Ann Shafer est architecte et historienne d’art. Elle se consacre essentiellement aux arts visuels et à l’architecture de l’Orient ancien. Les travaux qu’elle a publiés portent surtout sur les reliefs rupestres néo-assyriens et la culture palatiale. En outre, elle a vécu plusieurs années au Moyen-Orient où elle a publié des études sur les pratiques spatiales dans l’Islam contemporain. Ayant reçu sa formation doctorale à l’université de Chicago (archéologie proche-orientale) et d’Harvard (histoire de l’art et architecture), elle vit actuellement à New York et enseigne à la Rutgers University.

ISBN : 978-2-343-02131-7

14,50 €