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French Pages 83 [94] Year 2013
Ana Gherghel • Avec la collaboration de Marie-Christine Saint-Jacques
La théorie du parcours de vie est actuellement vue comme une des orientations théoriques prépondérantes dans l’étude de la vie des personnes parce qu’elle propose une analyse « compréhensive » du développement individuel pour examiner les liens entre le changement social, la structure sociale et l’action individuelle. Ce livre propose au lecteur de s’initier à cette approche, à ses principes et à son vocabulaire. Le travail de synthèse des connaissances qui a été effectué permet de tracer l’origine de cette approche, ses multiples applications interdisciplinaires (sociologie, psychologie, démographie, etc.), ses concepts, ses principes de base et ses méthodes. Ce livre est aussi un guide pour l’utilisation de cette théorie dans les études sur la famille. Des exemples concrets illustrent chaque élément théorique sur la base des recherches relatives à la recomposition familiale, faites par des chercheurs du Centre de recherche sur l’adaptation des jeunes et des familles à risque (JEFAR).
La théorie du parcours de vie
Ana Gherghel, Ph.D., est sociologue, collaboratrice au centre de recherche JEFAR, pour l’approche du parcours de vie et l’étude des trajectoires familiales. Elle est actuellement chercheuse à l’Université des Açores (Portugal) et développe des recherches sur les familles transnationales. Marie-Christine Saint-Jacques, t.s., Ph.D., est professeure titulaire à l’École de service social de l’Université Laval et directrice du Centre de recherche sur l’adaptation des jeunes et des familles à risque (JEFAR). Illustration de la couverture : Dessin de Anastasia Gherghel
Service social
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La théorie du parcours de vie Une approche interdisciplinaire dans l’étude des familles
Ana Gherghel Avec la collaboration de
Marie-Christine Saint-Jacques
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La théorie du parcours de vie (life course)
Une approche interdisciplinaire dans l’étude des familles
La théorie du parcours de vie (life course)
Une approche interdisciplinaire dans l’étude des familles
Ana Gherghel Avec la collaboration de
Marie-Christine Saint-Jacques
Les Presses de l’Université Laval reçoivent chaque année du Conseil des Arts du Canada et de la Société de développement des entreprises culturelles du Québec une aide financière pour l’ensemble de leur programme de publication. Nous reconnaissons l’aide financière du gouvernement du Canada par l’entremise du Fonds du livre du Canada pour nos activités d’édition.
Maquette de couverture : Laurie Patry Mise en pages : In Situ
© Presses de l’Université Laval. Tous droits réservés. Dépôt légal 2e trimestre 2013 ISBN 978-2-7637-1839-2 PDF 9782763718408 Les Presses de l’Université Laval www.pulaval.com Toute reproduction ou diffusion en tout ou en partie de ce livre par quelque moyen que ce soit est interdite sans l'autorisation écrite des Presses de l'Université Laval.
Table des matières
Remerciements................................................................................ 1 1. Introduction.............................................................................. 3 2. L’émergence de la théorie du parcours de vie ............................. 7 3. La théorie du parcours de vie ..................................................... 13 3.1 Les concepts ....................................................................... 14 3.2 La conceptualisation des temporalités ................................. 28 3.3 Les principes de base............................................................ 34 4. Discussion................................................................................. 49 4.1 Les débats actuels................................................................. 49 4.2 Considérations méthodologiques ........................................ 54 5. Conclusion................................................................................ 63 Références....................................................................................... 65 Ressources sur le parcours de vie..................................................... 75 Tableau sommaire Les principes et concepts de la théorie du parcours de vie................ 77 Annexe. Exemple d’instrument de recherche, le calendrier des transitions de vie....................................................................... 79
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Remerciements
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e texte a été élaboré dans le cadre du stage postdoctoral réalisé au Centre de recherche JEFAR (2005-2008), avec le soutien financier du Fonds de recherche du Québec – Société et culture (FRQ-SC), du Centre jeunesse de Québec – Institut universitaire et du Partenariat de recherche jeune et famille à risque (équipe JEFAR). Je remercie Marie-Christine Saint-Jacques pour ses commentaires sur les différentes versions de ce texte, pour ses conseils et enseignements généreux et efficaces, ainsi que Marie-Hélène Labonté pour la révision linguistique et la contribution à la rédaction de la version finale du texte en 2013.
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1 Introduction
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a théorie du parcours de vie (life course) est l’une des orientations théoriques actuellement dominantes dans l’étude des vies humaines (Elder et coll., 2004). Cette théorie propose un cadre d’analyse global et compréhensif du développement individuel et peut ainsi être considérée comme un paradigme (Sapin et coll., 2007)1 ou un vaste programme de recherche scientifique (au sens de Lakatos, 1970). Une série de principes universels et un cadre conceptuel précis déterminent la façon de construire l’objet d’étude, les questions de recherche et les choix méthodologiques. Cette théorie s’appuie sur les contributions interdisciplinaires élaborées dans plusieurs sciences sociales (sociologie, psychologie, démographie, etc.) et domaines d’étude qui ont en commun la préoccupation d’expliquer les liens entre l’ordre social, le changement social et l’action individuelle. L’un de ses fondateurs notait que plusieurs questionnements se retrouvent au cœur de cette théorie : comment la société change-t-elle ? Quels effets ont ces changements sociaux sur les vies humaines et les cheminements des individus ? Comment les individus sélectionnent-ils et construisent-ils leurs environnements sociaux (Elder, 1995, p. 102) ? À l’intérieur de la théorie du parcours de vie, diverses applications, méthodologies et approches existent. En dépit de cette variété, des efforts ont récemment été déployés pour montrer la complémentarité et la convergence (Elder et coll., 2004) des approches élaborées dans différents champs d’études, tout en intégrant l’interdisciplinarité (Levy et coll.,
1.
Selon la définition de Kuhn (1970), l’auteur du concept de paradigme, l’approche du parcours de vie correspond plutôt à la notion de changement de paradigme (paradigmatic shift).
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La théorie du parcours de vie (life course)
2005). Sur la base de ces contributions, une réflexion sur la théorie du parcours de vie comme orientation théorique transdisciplinaire est ici proposée. Ce livre présente un bilan des connaissances développées dans le cadre de la théorie du parcours de vie, ainsi que l’utilisation qui peut en être faite dans le champ des études sur les familles, notamment dans l’analyse des trajectoires et des transitions familiales. La réalisation de ce texte a été entamée dans le cadre des études sur les transitions familiales élaborées au Centre de recherche sur l’adaptation des jeunes et des familles à risque (JEFAR) de l’Université Laval. Les concepts de trajectoire et de transition sont centraux aux travaux interdisciplinaires de ce groupe de chercheurs. Une réflexion pour cerner ce cadre de référence dans sa globalité se trouve à l’origine de la démarche et pour explorer tout son potentiel dans l’analyse d’un objet d’étude particulier. L’objectif du livre est donc de mettre en perspective l’analyse des trajectoires et des transitions dans le cadre de l’approche théorique qui a formulé et développé ces concepts. En tant qu’orientation théorique, l’approche du parcours de vie a de nombreuses ramifications et applications, et celles-ci ne seront pas toutes abordées ici. Par ailleurs, tous les concepts et principes discutés sont illustrés à partir d’exemples concrets se rapportant à l’application de la théorie du parcours de vie dans le champ des études sur la famille. Ces exemples servent aussi à montrer comment cette théorie structure l’élaboration et la réalisation d’un projet de recherche, et ce, de la formulation des pistes de recherche à la présentation des résultats. Le livre se propose ainsi d’être un guide d’utilisation pour les chercheurs et les étudiants. De plus, comme la littérature portant sur la théorie du parcours de vie est principalement en langue anglaise, il offre à un public francophone un aperçu du domaine. Le livre est divisé en trois parties, présentant une synthèse des principaux éléments théoriques et du vocabulaire particulier. Tout d’abord, un survol de l’émergence de cette théorie sera réalisé à partir des plus importantes orientations et approches sectorielles. Ensuite, les concepts, la conceptualisation des temporalités et les principes de base seront exposés. Des exemples issus d’une recherche portant sur les trajectoires de recomposition familiale et les facteurs explicatifs de la stabilité des familles recomposées2 illustrent l’utilisation de cette approche à l’étude des familles, notamment dans l’analyse des trajectoires et des transitions 2. Projet de recherche « Trajectoires de recomposition familiale » (CRSH, 2008), dirigé par Marie-Christine Saint-Jacques.
Introduction
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familiales. Également, une discussion alimentera les débats actuels soulevés par les questions étudiées avec cette approche, notamment au sujet de la place, de la centralité des temporalités des vies et de la structuration par âge. Finalement, certaines considérations méthodologiques seront abordées, à savoir quelles techniques et approches se présentent aux chercheurs qui utilisent cette théorie.
2 L’émergence de la théorie du parcours de vie
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The life course as a theoretical orientation came from this desire to understand social pathways, their developmental effects, and their relation to personal and social-historical conditions (Elder et coll., 2004, p. 7)1.
omme Elder le souligne, la théorie du parcours de vie a été graduellement élaborée à partir du désir de comprendre les liens entre les trajectoires sociales, le développement individuel et les contextes sociohistoriques dans divers champs d’études et disciplines centrées sur l’étude du développement humain. La perspective du parcours de vie a bénéficié des contributions de plusieurs traditions de recherche et courants théoriques développés dans l’étude des relations humaines et leurs changements dans le temps (Elder, 1995, p. 104). À titre d’exemple, on note l’analyse des rapports intergénérationnels développée dans les études longitudinales (Thomas et Znaniecki, 1918-1920), l’analyse des temporalités et des conceptualisations de l’âge en anthropologie, l’analyse des histoires familiales et de l’enfance et l’analyse des cohortes (Elder, 1974 ; Riley, Johnson et Foner, 1972). La psychologie du développement, le modèle du déroulement de la vie (lifespan) (Baltes, 1983, 1987) et le modèle écologique (Bronfenbrenner, 1979) ont aussi influencé l’évolution des idées à la base de cette théorie, de même que
1. Traduction libre : « La théorie du parcours de vie est issue des démarches visant à comprendre les cheminements sociaux, leurs effets sur le développement individuel et leurs relations avec les contextes personnels et sociohistoriques » (Elder et coll., 2004, p. 7).
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La théorie du parcours de vie (life course)
les traditions sociologiques de l’interactionnisme (Baldwin, W. I. Thomas, Ch. H. Cooley, G. H. Mead, H. Blumer et L. Cottrell), la perspective structuraliste des rôles sociaux et de la socialisation (Merton, Rosow, Turner) et les théories des réseaux sociaux (Kahn, Antonucci). Bien qu’elle soit largement utilisée dans divers domaines de recherche et enseignée dans les programmes universitaires, la théorie du parcours de vie, telle qu’on la connaît aujourd’hui, s’est seulement développée au cours des dernières décennies. Sa forme actuelle (présentée dans la deuxième partie du livre) résulte de son évolution, depuis les années 1960, sous l’influence des changements sociohistoriques et d’une diversité d’approches théoriques formulées à cette époque. Au début du siècle passé, Thomas et Znaniecki (1918-1920) plaident en faveur de l’étude longitudinale des individus et des groupes sociaux par le biais de la méthodologie des histoires de vie dans leur ouvrage fondateur The Polish Peasant in Europe and America. Il faudra tout de même attendre les années 1960 pour que commence à se développer l’intérêt pour l’analyse longitudinale dans le cadre de diverses approches sectorielles. Cet intérêt n’est pas étranger aux tendances générales de l’époque, qui souhaitent comprendre le comportement humain en période de grands changements et l’effet des changements sociohistoriques sur la vie des individus (ex. : les deux guerres mondiales, la Grande Dépression) (Elder et coll., 2004 ; Elder, 2001). Parallèlement, d’importantes études longitudinales sur le développement des enfants2, dans une perspective psychologique, ont été menées à partir des années 1930. Ces recherches sur plusieurs cohortes ont montré l’importance des temporalités historiques et sociales, ainsi que l’importance du changement social pour le développement individuel (Ryder 1965) – l’effet de période. Les changements démographiques amorcés dans les années 1970 (l’augmentation de la diversité ethnique avec l’immigration, le vieillissement de la population, l’augmentation de l’espérance de vie, la baisse de la fécondité et de la mortalité) et leurs effets sur les populations ont participé au développement de la théorie du parcours de vie (Elder, 2001). Ces transformations ont suscité des discussions sur les calendriers sociaux
2. On note, entre autres, les études suivantes : Oakland Growth Study sur les enfants nés entre 1920 et 1921, Berkeley Guidance Study sur les enfants nés en 1928, et Stanford and Terman Study sur les enfants doués, nés dans la période 1900 à 1920. Voir Elder (2001) pour les références.
2 – L’émergence de la théorie du parcours de vie
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ou normatifs (Neugarten et Datan, 1973), c’est-à-dire les attentes relatives aux temps, aux moments et aux âges appropriés pour les transitions de vie importantes (ex. : l’entrée sur le marché du travail, le mariage, la naissance d’enfants, la retraite). La perspective longitudinale s’est aussi imposée par l’étude des trajectoires et de leurs différences d’un groupe social à l’autre. À partir des années 1960, la psychologie du déroulement de la vie (lifespan psychology) et la sociologie du parcours de vie (life course sociology) se développent3. Des modèles théoriques et méthodologiques pour l’étude du développement à long terme sont élaborés à travers des projets de recherche longitudinale. Ces études mettent en lumière le fait que les vies sont influencées par les contextes sociohistoriques, en changement permanent, et par le contexte biographique. La psychologie du lifespan introduit aussi l’idée que le développement d’un individu se déroule tout au long de la vie. En effet, le développement est compris comme un ensemble de trajectoires (cognitives et affectives) qui peuvent évoluer dans différentes directions et entraîner des gains ou des pertes. Il se caractérise par une certaine « plasticité », peut être infléchi dans une direction ou une autre, selon les conditions et contextes de référence (Settersten, 2003 : 29). La sociologie du parcours de vie ayant à la base les travaux de G. H. Elder sur les Enfants de la Grande Dépression (1974) intègre les théories des relations interpersonnelles et des temporalités à l’étude des trajectoires biographiques. Les premiers modèles d’analyse se centrent sur une séquence de rôles, comme les rôles familiaux dans le cas de l’approche du cycle de vie (Glick, 1947 ; Hill, 1970). Cette approche, rapidement devenue caduque en raison de son incapacité à expliquer l’irrégularité et le changement, s’est transformée avec l’introduction du concept de carrière faisant référence à l’histoire des rôles dans les différents domaines du parcours éducationnel, professionnel et familial. On parle ainsi de carrière familiale, professionnelle, éducationnelle, etc. (Rodgers, 1973 ; Aldous, 1978). Les deux modèles présentent une limite importante, puisqu’ils ne réussissent pas à expliquer les mécanismes reliant la vie individuelle aux contextes biographiques et aux changements sociaux. C’est dans le cadre des études sociohistoriques (Hareven, 1982) que l’analyse du contexte reçoit une 3.
Pour plus de détails voir Mayer (2009) et Yoshioka et Noguchi (2009). Un numéro récent du journal Advances in Life Course Research (Oris et coll., 2009) rassemble plusieurs contributions qui analysent les complémentarités et les influences mutuelles entre la psychologie du lifespan et la sociologie du life course.
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La théorie du parcours de vie (life course)
importance grandissante. La théorie du parcours de vie s’inspire aussi de l’approche écologique, développée surtout en psychologie du développement, en psychologie sociale et en sociologie, qui est axée sur l’analyse de divers contextes de vie (micro, méso, macro) appelés systèmes (Bronfenbrenner, 1979, 1995a). Dans la vision écologique, les changements macrosociaux peuvent transformer les expériences des individus et affecter le développement des enfants par les changements qu’ils entraînent sur les relations primaires dans la famille et les groupes primaires. D’ailleurs, l’approche écologique et l’approche du cours de vie ont évolué parallèlement et se sont mutuellement influencées. Par exemple, Elder montrait en 1995 que les principales limites de l’approche écologique étaient l’absence de la dimension temporelle dans l’explication du développement individuel, ainsi que l’absence du rôle de l’individu dans son développement. Ces aspects étaient présents dans l’approche du cours de vie dès ses premières formulations, à travers les principes de temporalités biographiques et de l’action humaine. Sous l’influence des débats autour de ces questions, le modèle écologique a été ultérieurement revu, pour y inclure les dimensions du temps (sous la forme du chronosystème) et du développement individuel. En intégrant ces dimensions, le modèle est connu à présent comme « bioécologique » (Bronfenbrenner, 1995b ; 2001)4. La théorie du parcours de vie propose une façon particulière de conceptualiser le temps, c’est-à-dire qu’elle le considère comme un produit culturellement, socialement et individuellement construit, ayant des significations objectives et subjectives (Levy et Pavie Team, 2005). Cette vision centrée sur la compréhension du développement humain dans le temps et en lien avec les différents contextes de vie rejoint des domaines d’étude spécialisés selon les classes d’âge (enfance, adolescence, adulte) ou les divers secteurs (famille, emploi, santé). Comme le montre Elder (1995, 2001), le cadre conceptuel de la théorie du parcours de vie bénéficie des contributions de plusieurs champs d’études et trouve des applications dans différentes disciplines. En psychologie, l’approche du déroulement de la vie (lifespan) conçoit le développement individuel en fonction des stades successifs qui s’étendent sur toute la durée de la vie,
4. Elder (2001, 2007) discute des multiples influences qui ont mené à l’élaboration de la théorie dans sa forme actuelle. Il propose aussi une réflexion sur sa propre pensée et sur l’évolution de la théorie à partir de discussions avec les promoteurs d’autres courants théoriques pendant les différentes époques qui ont précédé sa forme actuelle.
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et qui peuvent suivre de multiples directions (croissance, perte, résilience, etc.), d’où résulte un effet cumulatif, positif ou négatif, ayant des conséquences à long terme. Pour cerner cette réalité, l’examen de la « mémoire autobiographique5 » qui s’exprime par le biais des récits de vie constitue une voie de recherche élaborée dans les études psychologiques sur la construction de l’identité (McAdams, 2001 ; Singer et Bluck, 2001). Pour sa part, la sociologie s’est davantage penchée sur la conceptualisation et la description du cycle de vie, des rôles sociaux et de leur succession, du processus de socialisation, de la structuration des réseaux sociaux et de leur rôle, ainsi que du capital social. La conceptualisation de l’âge et des temporalités s’est surtout développée dans le cadre des études anthropologiques (normes normatives et prospectives reliées aux groupes d’âge, attentes et identités relatives aux âges, etc.), en démographie (cohortes de naissances, décalage structurel) et en histoire sociale (enfance, famille). Enfin, l’étude des transitions et des trajectoires s’est développée sous différents angles dans le cadre de ces disciplines et aussi en lien avec divers cadres théoriques comme l’étude de la résilience, du vieillissement (ageism), de l’enfance (early childhood), de l’adolescence, etc. Cette vue d’ensemble permet de constater que le cadre conceptuel de la théorie du parcours de vie ne cesse de s’enrichir pour former, avant tout, un cadre d’étude structuré des vies humaines dans leur contexte sociohistorique. À partir de cette théorie, des études sur les plans macrosocial et microsocial peuvent être menées (Levy et Pavie Team, 2005). Ces constats montrent que cette théorie est souple et adaptable aux divers objets d’étude des sciences humaines.
5. Deux processus définissent la mémoire autobiographique : la formation de la narration (narrative processing) et le raisonnement autobiographique (autobiographical reasoning). Le premier désigne la capacité à transformer les expériences vécues dans un récit construit qui est révélateur des caractéristiques du milieu culturel du sujet par les images, structures d’action et caractères utilisés. Le deuxième réfère aux interprétations et évaluations de ces expériences dans le cadre du récit.
3 La théorie du parcours de vie
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a théorie du parcours de vie comprend un cadre conceptuel et un vocabulaire qui lui est propre. Dans cette section, une attention particulière est accordée autant à la terminologie utilisée par la théorie qu’aux différentes significations que ces termes prennent dans les diverses disciplines (sociologie, démographie, psychologie, travail social, etc.). Compte tenu de son développement aux croisements de plusieurs courants théoriques et sciences sociales, l’une des particularités de cette théorie est d’avoir développé des notions et des concepts qui ont une portée variée à l’intérieur des différents domaines d’études comme la famille, le travail et l’emploi, l’éducation et le vieillissement. Les termes couramment utilisés, comme transition, peuvent avoir des significations différentes. En même temps, des notions différentes peuvent désigner des réalités similaires dans ces différents domaines. Afin de clarifier ces distinctions, tout d’abord les concepts de base tels que le parcours de vie, le cheminement social, la trajectoire, la transition et le point tournant sont définis. Ensuite, la conceptualisation des temporalités sociales est examinée. Enfin, les cinq principes de base de l’approche sont présentés. Des exemples relatifs à l’utilisation de ces principes et concepts dans l’étude des familles illustrent, en encadré, chaque élément théorique discuté. Ces exemples proviennent d’une recherche portant sur les trajectoires de recomposition familiale (Saint-Jacques, M.-C., Gherghel, A., Drapeau, S., Gagné, M.-H., Parent, C., Godbout, E., Robitaille, C., 2009a, b).
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La théorie du parcours de vie (life course)
3.1 Les concepts Le parcours (cours) de vie1 est défini comme une séquence d’événements qui se déroule en fonction des groupes d’âge et qui est socialement définie et ordonnée dans le temps et le contexte historique. Dans cette définition, deux fondements de l’approche sont présents : relier le développement individuel aux temporalités et aux contextes sociaux. Le développement individuel est influencé par les temporalités sociales et historiques, ainsi que par les contextes de vie. Les temporalités biographiques exprimées dans les divers rôles attribués en fonction des classes d’âge sont façonnées par les institutions sociales, ancrées dans la période historique. Le temps biographique fait référence aux rôles, statuts, attentes et normes relatives à chaque âge ou moment de la vie, la durée d’un stade et les stades corrélés (précédents, subséquents). Le parcours de vie résulte ainsi de l’ensemble des trajectoires d’un individu (familiale, éducationnelle, professionnelle, résidentielle). Elles sont ponctuées d’événements et de transitions qui représentent des périodes de courte durée et indiquent un changement d’état, de statut ou de rôle. Leur signification dépend de leur emplacement dans le temps et la chronologie, d’où l’importance de prendre en considération l’ordre des transitions dans la vie, leur durée et le moment du cours de vie où elles surviennent (Macmillan et Copher, 2005, p. 859). Le parcours de vie est formé de l’agrégation d’un ensemble interconnecté des transitions et trajectoires : Life course dynamics arise in part from the interplay of trajectories and transitions, an interdependence played out over time and in relation to others. Interdependence emerges from the socially differentiated life course of individuals, its multiple trajectories, and their synchronization. The interdependence… is also expressed in concurrence and overlap of transitions along different pathways (Elder, 1985, p. 32-33).
Selon Elder et coll. (2004), plusieurs autres concepts apparentés font partie du vocabulaire de la théorie et sont parfois utilisés de manière interchangeable avec le terme parcours de vie. Certaines distinctions qui renvoient à des présupposés théoriques divergents sont toutefois notées. Le concept de déroulement de la vie (lifespan) est surtout utilisé en 1. Définition originale : « as consisting of age-graded patterns that are embedded in social institutions and history » (Elder et coll., 2004, p. 4), « age-graded sequence of socially defined roles and events that are enacted over historical time and place » (Elder et coll., 2004, p. 15).
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sociologie et en psychologie. Il désigne toute la durée de vie ou une partie substantielle d’un parcours compris entre des limites temporelles précises, correspondant à des stades de vie (enfance, adolescence, adulte). Le concept d’histoire de vie (life history) indique la chronologie rétrospective des activités ou des événements, habituellement identifiés par le calendrier de vie2. Enfin, le concept de cycle de vie (life cycle) désigne généralement une séquence d’événements de la vie. Dans les études populationnelles, il s’agit du processus reproductif d’une génération à l’autre, ce qui correspond à une lecture plutôt normative du déroulement de la vie (Elder et coll., 2004, p. 4-5). Présentement, la vision qui sous-tend la formulation du cycle de vie a été revue sous l’influence de la diversification des formes de vie familiale et des parcours professionnels. Cette diversification affecte plusieurs dimensions de ce modèle, soit l’ordre et la synchronisation des transitions de vie, ainsi que la durée et l’espacement entre les stades (voir section 4.1). Si le parcours de vie décrit le développement individuel, le lien avec le contexte macrosocial est exprimé par le concept de cheminement social, qui renvoie à l’aspect institutionnel et normatif des vies humaines. Le cheminement social (social pathways), aussi traduit comme trajectoire sociale ou trajectoire de vie, représente l’ensemble des trajectoires (familiale, éducationnelle, professionnelle et résidentielle) généralement suivies par les individus et les groupes dans une société. Ces trajectoires sont influencées par les conditions et les contextes historiques (emplacement dans l’espace et le temps, dans une période historique et une société), déterminés et structurés par les régulations sociales, politiques et économiques. Individuals generally work out their own life course and trajectories in relation to institutionalized pathways and normative patterns. They are subject to change, both from the impact of the broader contexts in which they are embedded and from the impact of the aggregation of lives that follow these pathways (Elder et coll., 2004, p. 8).
2. Le calendrier de vie est un outil sous forme de matrice par âge et événement qui enregistre la date (l’année et le mois) de chaque transition par domaine de vie (familial, professionnel, éducationnel, résidentiel). Cet outil, utilisé en sociologie, en démographie et en anthropologie dans l’analyse des trajectoires, se prête bien à l’étude démographique des biographies (event history analysis). Pour visualiser un exemple, se référer à Charbonneau (2003).
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La théorie du parcours de vie (life course)
Ce concept désigne le côté normatif, institutionnel et généralisable des trajectoires individuelles, soit l’interface entre la biographie individuelle et les institutions sociales. La trajectoire sociale représente, en fait, le cheminement institutionnalisé, c’est-à-dire le cheminement généralement suivi par les individus ou par certains groupes dans une société en particulier. Il résulte de grandes tendances observées dans les comportements des individus dans divers domaines de vie (emploi, famille, éducation), à une époque et dans une société donnée. D’une part, la société peut influencer les comportements individuels par des interventions planifiées (mesures visant l’éducation, le marché du travail, les politiques sociales, etc.) ou non (les cycles économiques, les guerres, etc.). D’autre part, les individus construisent et choisissent leurs cheminements à l’intérieur des contraintes et opportunités structurées par les institutions sociales. Par exemple, l’âge de l’entrée à l’école est légalement prévu, mais le cursus individuel résulte des choix personnels parmi plusieurs options existantes. Ce positionnement s’appuie autant sur les acquis issus des approches interactionnistes que sur l’orientation structuraliste, tout en cherchant à dépasser les limites particulières à chacune de ces orientations théoriques. L’approche du parcours de vie tend à réconcilier la dichotomie structure-individu en reconnaissant à chaque force sa prépondérance et son importance. Les deux concepts de base précédemment définis font référence à d’autres concepts appartenant au cadre conceptuel de la théorie du parcours de vie. La trajectoire est composée de séquences de rôles et d’expériences qui sont définies ou délimitées par des transitions caractérisées comme des périodes d’instabilité (ex. : l’émancipation, la parentalité, la retraite). Les périodes entre les transitions, appelées stades ou étapes de vie, représentent des périodes de stabilité des comportements, des rôles et des statuts. Les transitions nécessitent des changements de statut ou d’identité sociale et personnelle, ainsi que d’éventuels changements de comportements et de pratiques (ex. : les modifications du réseau social après le mariage ou après une migration) (Elder et coll., 2004, p. 8). Selon Levy et l’équipe Pavie (2005), la trajectoire est définie comme « un modèle de stabilité et de changements à long terme » ou « une succession d’insertions » (p. 11). Ce concept désigne la dynamique du développement individuel selon diverses coordonnées. La psychologie du développement cognitif (cognitive-developmental psychology) propose une analyse en profondeur des modèles de stabilité et de changement à long terme (pendant la durée d’une vie). La reformulation du concept de développement conduit à l’idée d’intégrer une trajectoire à long terme
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comprenant toute la durée de vie selon la succession des stades, mais inclut aussi des séquences de compromis et d’ajustements (croissance, résilience, régulation), ce qui engage diverses ressources biologiques, culturelles et sociales. Dans une perspective sociologique, l’aspect interrelationnel est introduit à travers le principe des vies interreliées (linked lives, formulé par Elder, 1974) selon lequel les trajectoires des individus appartenant à un groupe primaire (famille, amis) sont interreliées, interdépendantes et s’influencent mutuellement3. Ce principe est appliqué dans la recherche sociologique dans l’étude de la mobilité sociale, de la socialisation, du fonctionnement familial, etc. Pour construire un modèle d’analyse qui inclut le lien entre les temporalités sociales, historiques et individuelles, les dimensions institutionnelles, historiques et géographiques sont ajoutées aux facteurs individuels et relationnels (Levy et Pavie Team, 2005 ; Kohli, 1985 ; Elder, 1985). Bien que ces facteurs soient interdépendants en pratique, les trajectoires particulières (maritale, professionnelle, résidentielle) sont distinguées à l’intérieur de la trajectoire globale 4. On peut alors se demander comment intégrer ces trajectoires spécifiques qui se déroulent à des vitesses et à des rythmes différents et comment identifier leurs influences mutuelles. Considérée dans son ensemble, la trajectoire repose surtout sur une logique de convergence et de continuité ; la situation à un moment donné prédit en grande mesure la suite de la trajectoire (Sapin et coll., 2007, p. 63). La définition de la trajectoire renvoie à deux autres concepts : le stade et la transition. Le stade ou étape de vie (épisode, phase) indique la durée ou la période entre les transitions, et se caractérise principalement par la stabilité des comportements, des rôles et des statuts. Autrement dit, le stade représente une période de stabilité fonctionnelle. La définition du concept semble similaire dans les différentes disciplines, mais les modes de conceptualisation et de mesure relative à la durée des stades varient légèrement d’une discipline à l’autre5.
3. Le groupe primaire représente l’un des contextes ou milieux de vie importants au développement. 4. Dans ce sens, la trajectoire est similaire avec le concept de carrière. 5. Pour les différences entre psychologie du développement cognitif, psychologie sociale, démographie sociale et sociologie, consulter le texte de Levy et Pavie (2005).
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Pour sa part, le concept de transition fait référence au changement d’un stade ou d’une situation à l’autre, d’une période à l’autre, d’un statut ou rôle à l’autre. À l’opposé du stade, la transition est définie comme une courte période de changement entre des stades consécutifs ou encore comme un moment d’une trajectoire particulière caractérisée par des changements accélérés (Levy et Pavie Team, 2005, p. 15). La transition de l’adolescence à la vie adulte et celle du statut d’employé au statut de patron illustrent parfaitement ce concept. Bien qu’il y ait plusieurs approches, un certain consensus s’observe quant à trois caractéristiques des transitions (Levy et Pavie Team, 2005, p. 15) : 1. La transition consiste en un processus plus ou moins clairement délimité dans le temps (même s’il peut avoir des conséquences à long terme) ; 2. La transition engendre habituellement un résultat, c’est-à-dire qu’à son terme, un nouveau statut ou fonctionnement stable est mis en place ; tout de même, les critères d’évaluation d’une transition varient d’une discipline à l’autre, étant plus ou moins précis ; 3. La transition est appliquée le plus souvent aux parcours de vie individuels, mais peut aussi être utilisée comme notion plus large (transition sociale, démographique, familiale, etc.). L’utilisation de ce concept dans les différentes disciplines varie. En démographie sociale et en sociologie, l’analyse met l’accent sur les effets des facteurs sociodémographiques ou institutionnels, ainsi que sur l’apparition, la synchronisation (timing) et la variabilité des transitions. En psychologie sociale, les transitions sont conçues davantage comme des variables indépendantes dont les effets sont étudiés (ex. : les effets sur les représentations sociales). En psychologie cognitive, l’attention est portée sur l’explication des mécanismes et des facteurs explicatifs des transitions caractéristiques du développement cognitif de l’individu (Levy et Pavie Team, 2005, p. 16). Globalement, la transition se définit comme « un processus de changement qui s’inscrit dans une période de temps et qui est caractérisé par la recherche d’une nouvelle organisation fonctionnelle » (Beaudoin et coll., 1997, p. 65). D’autre part, les transitions peuvent être de différents types ou envergures et peuvent se situer sur plusieurs plans (Elder, 1985, 1995). En effet, les transitions de vie (life transition) font référence au passage entre les grandes périodes de la vie que sont l’enfance, l’adolescence, la maturité et la fin de vie. Dans ce sens, elles peuvent inclure plusieurs changements de moindre envergure qui sont considérés comme des
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transitions dans les différents domaines du parcours, et elles peuvent s’étendre sur une longue période de temps. La transition comprend alors les changements qui surviennent pour chaque trajectoire. Par exemple, lors de la transition de l’adolescence à l’âge adulte, des changements peuvent survenir en même temps sur la trajectoire éducationnelle (changement de cycle d’études, fin des études en fonction des choix d’une carrière professionnelle), sur la trajectoire professionnelle (entrée sur le marché du travail, premières expériences d’emploi, changements d’emploi) et sur la trajectoire familiale (émancipation, formation du couple, mariage, parentalité). Par rapport aux calendriers sociaux, les transitions peuvent être qualifiées comme à temps (on time) ou hors séquence, décalées (off-time), soit tardives (late) ou précoces (early). À titre d’exemple, la maternité à l’adolescence est une transition précoce au statut de mère, alors que le début ou le retour aux études à 50 ans est vu comme une transition tardive. Cette perspective normative met l’accent sur l’importance des calendriers sociaux : il y a un âge approprié pour chaque transition, et il est défini selon des normes sociales (Neugarten et Datan, 1973 ; Neugarten, 1996. Dans cet esprit, il est impératif de reconnaître que les transitions qui ont lieu au début du parcours ont un effet sur les expériences, et donc sur le parcours subséquent : […] the implications of early adult choices extend even into the later years of retirement and old age (Clausen, 1993), from the adequacy of economic resources to adaptive skills and activities. The later years of aging and its quality of life cannot be understood in full without knowledge of the prior life course. By seeing human lives as a whole, the analyst is directed to causal pathways across the entire lifespan. The particular nature of role sequences, whether functionally stable or disrupted (Elder, Shanahan et Clipp, 1994), clearly matters for subsequent health and adaptation (Elder, 1995, p. 106).
Dans cet ordre d’idées, il est important de noter que les transitions ayant lieu en dehors des séquences habituelles entraînent aussi des conséquences sur le parcours dans son ensemble. Certaines transitions peuvent avoir un effet « domino », c’est-à-dire déterminer les expériences suivantes. C’est pourquoi il est important de comprendre chaque période et transition de vie dans une perspective rétrospective, la situer dans l’ensemble de la trajectoire, sans l’isoler (Settersten, 2003).
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Quelques paramètres sont essentiels pour décrire les trajectoires. Il s’agit de la synchronisation des transitions, qui est déterminée par le moment ou l’âge où elles surviennent (timing), de l’ordre ou de la succession des transitions (sequencing), de l’espacement ou de l’intervalle de temps écoulé entre deux transitions ou événements (spacing), de la densité ou de l’accumulation des transitions dans une période de temps délimitée (density) et de la durée dans un certain stade, rôle ou épisode (duration) (Settersten, 2003, p. 25). En lien avec l’étude des transitions et des trajectoires, le concept de point tournant et de bifurcation ou révolution (fork, bifurcation) s’est développé. De manière générale, les points tournants représentent des événements, des transitions ou des contextes qui déclenchent un changement considéré comme substantiel dans le cheminement individuel ; ils peuvent être de nature subjective (une réalisation ou un changement de vision) ou objective (un événement ou transition comme le retour aux études à l’âge adulte, le divorce, le remariage, le changement d’emploi). Chez Clausen (1995), une définition très large de ce concept y inclut toutes les transitions ayant mené à un changement, toute discontinuité du parcours. Dans ce sens, les points tournants sont souvent des transitions de rôle occupationnel (changement professionnel entraînant une réévaluation des objectifs personnels ou le changement du milieu, perte d’emploi conduisant à une crise ou insécurité importante), marital (divorce, mariage) ou parental (devenir parent). Ces transitions peuvent être attendues, anticipées, décidées volontairement ou non. En plus, certains points tournants relèvent d’incidents qui entraînent une transformation reliée à une nouvelle demande de rôle à assumer (maladie d’un membre de la famille, déménagement dans un nouvel environnement, séparation des parents), alors que d’autres proviennent d’une rencontre marquante pour le développement individuel6. Selon Levy et l’équipe Pavie (2005, p. 16), le point tournant est la transition ou l’événement qui entraîne un changement d’orientation d’une trajectoire, à la différence d’une transition, qui correspond au modèle général. Rutter a observé, en 1996, que la nature des points tournants a été abordée en psychopathologie et criminologie dans l’étude des parcours atypiques, des trajectoires marquées par différentes formes de délinquance ou des trajectoires des jeunes institutionnalisés. Plus récemment, une étude sur la résilience chez les adolescents suivis dans les divers services
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Chance encounters (Bandura, 1982, cité par Clausen, 1995).
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du Centre jeunesse de Québec – Institut universitaire (Drapeau et coll., 2007) a identifié trois types de points tournants (définis comme moment – carrefour ou point de rupture) dans les trajectoires des jeunes : l’action (réalisation ou exploit qui amènent chez le jeune un sentiment d’accomplissement), la relation (création d’un lien significatif avec un adulte qui croit aux capacités du jeune) et la réflexion (prise de conscience soudaine ou graduelle). Si le point tournant déclenche le changement de trajectoire, la bifurcation, soit l’engagement dans une nouvelle direction de la trajectoire, est réalisée par divers processus comme l’augmentation du sentiment d’efficacité (réussir à surmonter un obstacle ou une situation difficile, le jeune comme acteur compétent dans son cheminement), la distanciation par rapport aux risques (les règles de vie imposées dans le centre de réadaptation ou autre institution de protection consolident les changements amorcés chez les jeunes), ainsi que l’apparition de nouvelles occasions et la propagation des gains (percevoir des répercussions positives en chaîne dans différents domaines). Les auteurs montrent que les processus de résilience sont mis en œuvre et consolidés par la présence de facteurs de protection tels que des relations positives avec des membres de la famille, des liens avec d’autres adultes significatifs, des services offerts par des intervenants dévoués, l’investissement dans des activités valorisantes ou la reconnaissance des qualités personnelles. Par contre, le cheminement vers la résilience peut être menacé par des facteurs de vulnérabilité d’ordre comportemental (impulsivité, agressivité, naïveté, méfiance face aux adultes) ou environnemental (isolement, retour dans un milieu à risque, difficultés relationnelles avec les parents). Ces constats concordent avec les résultats d’autres études (Rutter, 1990 ; Rutter et coll., 1995 ; Jackson et Martin, 1998 ; Moen et Erickson, 1995) sur la résilience des jeunes et des adultes dans des conditions de vie difficiles, voire défavorables. Dans les cheminements conduisant à la résilience, l’individu se perçoit comme un acteur central du processus de changement ; l’action et la perception de l’efficacité personnelle influencent le développement. Non seulement les ressources sociales (intégration sociale à travers divers rôles occupationnels, les relations de confiance, l’accès aux réseaux de soutien) et personnelles (confiance en soi, empathie, altruisme, maturité) influencent les processus de la résilience, mais les expériences et les processus vécus au début de la trajectoire, durant les premières années de vie, peuvent aussi entraîner des conséquences à long terme.
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L’approche narrative développée en psychologie aborde les points tournants sous l’angle des processus qui forgent l’identité, dans le cadre des stratégies de développement. Cet angle d’approche permet de démontrer que les points tournants révèlent des modalités de changements particuliers selon leurs expressions narratives construites autour des effets positifs ou négatifs des événements de la vie (McAdams et Bowman, 2001 ; McAdams et coll., 1993 ; McAdams, 2001, 2004 ; Arnol et coll., 2004 ; Fiese et Pratt, 2004 ; Bauer et coll., 2005). Dans une étude basée sur les histoires de vie, McAdams et Bowman (2001) comparent les individus selon leur générativité (generativity). Dans le modèle du développement psychosocial formulé par Erickson, la générativité, à l’opposé de la stagnation, est l’avant-dernier stade du cycle de vie qui marque l’âge adulte. La générativité7 se définit comme la préoccupation et l’engagement pour promouvoir le bien-être des générations futures. Elle se manifeste sous la forme de divers comportements, comme la parentalité, l’enseignement, le mentorat, les services communautaires et autres activités constructives à travers lesquels les adultes tendent à être productifs et utiles, à apporter une contribution socialement significative et à générer des héritages leur survivant. Les auteurs observent que la générativité est associée à une prévalence de narrations axées sur les progrès. Ces narrations sont guidées par des objectifs qui permettent de surmonter des difficultés et des risques. La narration des transitions de vie et des points tournants s’organise en séquences de rédemption, c’est-à-dire que le récit de vie présente une expérience négative comme ayant des conséquences positives à long terme. Dans les récits de ces personnes, le développement personnel est mis en valeur malgré les difficultés rencontrées à travers les différentes étapes de vie. Au contraire, dans les récits des adultes qui montrent des difficultés de développement personnel, la narration est davantage organisée selon des séquences de contamination où une expérience positive ou heureuse est altérée ou compromise par une émotion négative ou un effet négatif qu’elle entraîne. Les adultes plus attentionnés, plus portés à accorder des soins et du soutien et souhaitant plus apporter des contributions significatives pour les générations futures tendent à reconstruire leur histoire de vie autour des séquences de rédemption, alors que les adultes moins engagés construisent leurs récits davantage selon des modes de contamination. Dans les discours où la contamination prédomine, les adultes semblent avoir des difficultés à progresser dans
7. Pour une analyse plus détaillée des dimensions et mesures de la générativité, voir McAdams (2004).
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leur développement. Corroborant les résultats d’autres recherches, McAdams et Bowman (2001, p. 24-30) montrent que la signification accordée aux points tournants a un effet important sur l’adaptation et le bien-être. Les stratégies de rédemption sont associées à une meilleure adaptation psychosociale et à un certain bien-être (satisfaction, estime de soi, sens de cohérence dans la vie). Par exemple, les individus qui perçoivent des avantages ou de potentiels effets positifs aux difficultés rencontrées s’adaptent mieux et s’ajustent plus rapidement à ces expériences négatives. Inversement, les individus qui expriment davantage de stratégies narratives de contamination s’adaptent moins bien aux circonstances négatives et ont plus de sentiments négatifs et dépressifs, moins d’estime de soi et de confiance en soi. Ces exemples illustrent comment l’analyse des points tournants et des narrations de séquences peut contribuer à la compréhension des mécanismes du développement humain et de l’adaptation psychosociale. Enfin, dans la théorie du parcours de vie, un autre concept souvent utilisé est l’événement, défini comme un fait ponctuel qui peut être enregistré à un moment précis et qui concerne un individu, dans un temps et un espace particuliers. Il peut être singulier ou régulier, récurrent et répétitif, inattendu ou attendu. Il peut être unique et particulier à un individu comme lors d’un retour aux études ou d’une maladie, mais il peut aussi être particulier à un groupe social ou à une population (ex. : le mariage, la naissance). Ce concept est différemment défini dans les disciplines (Levy et Pavie Team, 2005, p. 15-17). En démographie, la régularité ou la répétition des événements est centrale : l’événement est considéré comme partie d’un phénomène collectif (la nuptialité, la natalité, la mortalité), décrit par des moyens quantitatifs et permettant éventuellement la prédictibilité des comportements par les outils de la projection démographique. À l’opposé, la sociologie et la démographie sociale considèrent les événements comme le résultat des volontés intrinsèques des individus (ex. : le mariage est vu comme le résultat d’une décision personnelle). Pour sa part, la psychologie sociale insiste sur la singularité des événements définis de manière subjective par l’individu en raison de la transformation de l’identité individuelle. Ainsi, un même événement est compris différemment selon les disciplines et les devis de recherche. À titre d’exemple, la maladie d’un membre de la famille entraîne une demande d’adaptation et la mobilisation des ressources, voire une nouvelle organisation des tâches familiales ; le divorce des parents amène des changements dans l’organisation familiale et engage les acteurs sur une trajectoire marquée par la
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rupture conjugale et la monoparentalité. Selon l’angle d’étude et des questions de recherche, l’événement peut aussi être considéré comme une transition. Le divorce peut être un événement unique et ponctuel (démographie) ou un processus à long terme, l’acte formel de séparation étant considéré seulement comme une étape finale (sociologie). Dans ce dernier cas, on parlera davantage de transition, qui est définie comme processus de changement délimité dans le temps, une période d’instabilité conduisant à une nouvelle organisation fonctionnelle (Beaudoin et coll., 1997, p 65). Les événements peuvent également être attendus ou inattendus, normatifs8 ou non normatifs, stressants et même perturbateurs (disturbing events). Il convient de noter certaines confusions assez communes dans la littérature en ce qui concerne la définition des trois concepts suivants : événement perturbateur, point tournant et bifurcation. Selon Levy et l’équipe Pavie (2005, p. 19), les événements perturbateurs sont similaires aux points tournants (psychologie sociale et sociologie) et coïncident avec les changements de trajectoire (bifurcation). Par contre, notre position se rapproche davantage de celle de Rutter (1996), qui incite à distinguer l’événement perturbateur et le point tournant, et à ne pas confondre le point tournant avec la transition. Chaque parcours comprend des bifurcations, tout comme il implique des croissances et des pertes (Clausen, 1995 ; Rutter, 1996 ; McAdams, 2001, 2004). Toutefois, une bifurcation peut être suivie de la continuation du parcours ou d’une discontinuité. Un événement stressant ou perturbateur relève davantage du milieu de vie et peut avoir l’effet d’accentuer les caractéristiques individuelles et donc représenter un facteur favorisant la continuité et la stabilité. Au contraire, le point tournant représente un changement substantiel de trajectoire qui engendre des effets durables, persistants à long terme et il exprime une discontinuité du parcours, un changement d’orientation (Laub and Sampson, 1993 ; Clausen, 1995 ; Gotlib and Wheaton, 1997 ; Drapeau et coll., 2007). Les expériences associées aux points tournants peuvent impliquer des événements perturbateurs, mais la plupart relèvent d’autres expériences (Rutter, 1996, p. 610). Pour qualifier de bifurcation ou de point tournant un événement, 8.
Selon Sapin et coll. (2007, p. 32), les événements peuvent être normatifs (attendus et structurés par les institutions) ou non normatifs (remettant en cause le déroulement du parcours conforme aux règles et aux attentes sociales). La définition d’un événement comme normatif ou non peut varier d’un contexte socioculturel à l’autre. Pour la distinction entre transitions normatives et non normatives, voir aussi Cowan et Hetherington (1991).
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il faut considérer l’échelle de temps dans laquelle il se produit à l’intérieur de la trajectoire de vie, et il faut pouvoir estimer les effets de cet événement, c’est-à-dire en quoi il altère la trajectoire ou provoque une perturbation temporaire. L’événement perturbateur a été conceptualisé notamment en termes de risques psychologiques, alors que les transitions sont des expériences appartenant au parcours de vie habituel. De plus, qualifier un événement de point tournant ne peut se faire qu’à partir d’une lecture subjective des transitions ou des expériences vécues, puisque chaque individu leur attribue un sens particulier. Par exemple, des transitions comme la séparation conjugale et la monoparentalité vécues en contexte de migration peuvent devenir un point tournant pour certaines mères lorsque cette expérience entraîne un changement essentiel du style de vie, de la situation économique, de la vision concernant la vie familiale (valeurs et normes) et de la perception du soi (Gherghel et Saint-Jacques, 2012). Par contre, la monoparentalité et la séparation conjugale ne sont pas des points tournants pour tous les parents, selon la signification subjective de ces expériences et de l’ensemble de la trajectoire. Dans le fond, comme le soulignent plusieurs auteurs (Clausen, 1995 ; Rutter, 1996 ; Gotlib et Wheaton, 1997), l’analyse des trajectoires sur la base des points tournants permet de connaître les logiques et les mécanismes de discontinuités et de changements dans les vies humaines, et ainsi de mieux comprendre les conditions favorisant le développement humain.
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L’analyse de la recomposition familiale dans une perspective du parcours de vie9 Les études intitulées Trajectoires de recomposition familiale (2006) et La stabilité et les ruptures chez les familles recomposées : une analyse basée sur la théorie du cours de la vie (2009) visaient à documenter comment la recomposition familiale s’inscrit dans les trajectoires de vie de ces adultes et quels facteurs expliquent la stabilité des familles recomposées. Pour ce faire, les chercheuses ont étudié une population d’adultes vivant ou ayant vécu en tant que parent ou beau-parent un épisode de recomposition familiale. Deux groupes ont été comparés : les personnes (parents et beaux-parents) vivant au sein d’une famille recomposée depuis un minimum de cinq ans et les personnes séparées après avoir vécu au sein d’une famille recomposée pour une période de un à cinq ans. En tout, 58 participants ont été rencontrés : 31 parents et beaux-parents vivant en famille recomposée depuis plus de cinq ans et 27 parents et beaux-parents ayant déjà vécu en famille recomposée dont l’union s’est soldée par une séparation. Sur le plan théorique, une définition large du concept de transition comme processus a été utilisée, mettant ainsi l’accent sur le changement qu’elle entraîne. La séparation conjugale et la recomposition ont donc été considérées comme des transitions en tant que processus dynamiques compris dans son contexte et non comme un problème particulier (Beaudoin et coll., 1997). Le parcours de vie a été décomposé en quatre trajectoires : familiale, éducationnelle, professionnelle et résidentielle. Bien que la trajectoire familiale ait été principalement étudiée, une attention particulière a été accordée à l’enchaînement et à la juxtaposition des transitions familiales et des transitions éducationnelles et professionnelles afin de saisir le contexte biographique où la recomposition survient. En pratique, le terme d’événement a aussi été utilisé pour reconstituer la chronologie des faits importants qui ponctuent la trajectoire (ex. : mariage,
9. Chaque aspect théorique sera illustré en encadré par un exemple concernant son application dans les études sur les familles, notamment dans l’analyse de la recomposition familiale. Ces exemples proviennent des recherches dirigées par Marie-Christine Saint-Jacques et intitulées « Trajectoires de recomposition familiale » et « La stabilité et les ruptures chez les familles recomposées : une analyse basée sur la théorie du cours de la vie ». Ces recherches ont été financées par le Conseil de recherches en sciences humaines du Canada (CRSH) en 2006 et en 2009. Les grandes lignes de ces études sont décrites ici.
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divorce, naissance d’enfant)10. L’événement représentait ainsi l’aspect visible ou enregistré d’une transition (ex. : année/mois du mariage, divorce, etc.), alors que la transition faisait référence à l’ensemble du processus entourant cet événement (adaptations précédant et suivant le moment respectif ). Ainsi, cette approche s’intéresse aux changements entraînés par l’événement et non à sa singularité. Sur le plan méthodologique, la collecte de données a été réalisée par le biais d’entrevues semi-dirigées avec un seul répondant par famille. Deux outils ont été employés : le calendrier des transitions (voir section 4.2 et l’annexe 1) et le guide d’entretien thématique (Saint-Jacques et coll., 2009a, 2009b).
10. Utilisation du calendrier de vie, outil d’analyse des trajectoires (voir section 4.2).
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3.2 La conceptualisation des temporalités Dans la théorie du parcours de vie, deux dimensions ont une importance centrale : la dimension temporelle selon différentes coordonnées historique, sociale, générationnelle et individuelle, ainsi que les contextes de vie dans lesquels les individus s’insèrent. L’importance des contextes de vie sera discutée dans la rubrique suivante à travers les principes de base de la théorie. Quant à la dimension temporelle, trois niveaux de temporalités sont distingués : la temporalité historique (l’emplacement dans une période historique et dans une société), la temporalité sociale (les calendriers sociaux qui régissent l’organisation de la vie des individus appartenant à un groupe, à une génération, etc.) et la temporalité biographique (le déroulement de la vie de l’individu). L’articulation de ces temporalités ou temps s’exprime à travers les concepts d’âge et de cohorte. La définition même du parcours de vie renvoie à une certaine conception de l’âge qui établit un lien entre le temps individuel et le temps social. L’âge est socialement construit et par conséquent tributaire de l’espace et du temps social (Elder, 1995 ; Elder et coll., 2004 ; Settersten, 2003, 2004 ; Neugarten et Datan, 1973). Les significations sociales associées à l’âge concernent les attentes ou les normes relatives aux différents âges qui influencent le cours de la vie et des sanctions formelles ou informelles sont associées à ces normes. Cette influence se manifeste à travers les calendriers sociaux et les groupes d’âge ou périodes de vie généralisées (l’enfance, l’adolescence, la jeunesse, l’âge adulte, la vieillesse). Chaque société prescrit des normes formelles quant à l’âge approprié pour les transitions de vie principales (l’entrée à l’école, le mariage, la retraite)11. La régulation sociale se manifeste à travers diverses institutions et mécanismes de contrôle (Neugarten et Datan, 1973). Par rapport à cette normativité sociale, les transitions peuvent être qualifiées de précoces (early), tardives (late), à temps (on time) ou non (off time) sur le plan individuel. Les décalages par rapport aux calendriers habituels ont des conséquences sociales et psychologiques, sous différentes formes : sanctions informelles, perte d’opportunités, perturbations du parcours, etc. (Elder, 1995). Les attentes et les normes peuvent varier selon les dimen11. Les individus utilisent des « cartes mentales » reliées aux âges pour organiser leur propre vie, la vie des autres et en général leurs attentes relatives aux étapes de la vie. Ces cartes répondent aussi aux besoins d’ordre et de prédictibilité. En réalité, les vies peuvent être différentes des modèles culturels du parcours de vie. Les attentes et objectifs peuvent varier selon le genre, la sphère de vie (famille, emploi) ou la culture (Settersten, 2003).
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sions sociales (sexe, cohorte, groupe ethnique, etc.), la sphère de vie (famille, éducation, travail) et la culture. Selon Elder et coll. (2004, p. 10), un consensus quant à ces explications ressort des études utilisant le parcours de vie, mais peu de connaissances empiriques existent à propos de ces normes, de leurs mécanismes de construction, de transmission, de reproduction et de perpétuation et à propos des façons de les expérimenter sur le plan individuel. De même, rares sont les études sur la variation des attentes et des sanctions relatives à l’âge en fonction de milieux sociaux ou de groupes ethniques. La signification sociale, personnelle et subjective attribuée à l’âge concerne les moments de transition (timing of transitions), les enchaînements des transitions et la durée des stades. Ainsi, l’âge représente un moment dans le parcours de vie, un marqueur historique, mais reçoit aussi une signification subjective déterminant la nature temporelle de la vie. Par exemple, l’instabilité professionnelle est plus fréquemment expérimentée et plus facilement surmontée au début de la carrière professionnelle puisqu’en fin de parcours, elle entraîne plus de vulnérabilité attribuable aux difficultés de réinsertion. Un autre exemple invoqué par Elder (1995, p. 124) concerne le veuvage : le stress psychologique est plus sévère pour les femmes qui perdent leur conjoint durant la première moitié du parcours de vie, car c’est un événement inattendu à ce moment du parcours et les femmes font face à plusieurs difficultés liées aux responsabilités parentales et aux charges économiques. Une autre dimension des calendriers concerne la synchronisation ou la planification des multiples rôles. Par exemple, la planification de la maternité après la stabilisation de la carrière professionnelle a pour effet d’équilibrer les demandes et les ressources liées à l’exercice simultané de multiples rôles et d’éviter une situation de stress et de perturbation liée à une surcharge. Le parcours de vie est façonné selon l’âge dans les sociétés contemporaines : des rôles sociaux et activités précises sont attribués à chaque âge ou période de vie. Selon Settersten (2003, 2004), l’éducation et la trajectoire professionnelle sont davantage structurées par des normes formelles, réglementées par des institutions parce qu’elles appartiennent à des sphères publiques, reliées aux groupes d’âge, alors que les normes relatives à la vie familiale sont plus flexibles en fonction des âges. Quand les études sur les calendriers de vie ont connu leur essor dans les années 1960, le parcours de vie normatif dans les sociétés industrialisées était habituellement structuré en trois grandes étapes : une première étape consacrée à l’éducation et à la formation, une deuxième étape dédiée à l’activité professionnelle continue et une troisième étape correspondait
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à la retraite. À présent, cette division tend à changer avec le prolongement et la variation des transitions à l’âge adulte (dans la vie familiale, éducationnelle et professionnelle), la diversification des parcours professionnels et l’alternance des périodes de travail et de retour aux études (Settersten, Furstenberg et Rumbaut, 2008). En d’autres termes, le lien entre la structure sociale et l’individu se manifeste dans la stratification selon l’âge, c’est donc dire que pour chaque groupe d’âge coïncident des séquences de rôles et de statuts qui peuvent être homogènes (école) ou hétérogènes (famille) selon les divers contextes de référence (Riley, 1988). Dans les études qui considèrent l’âge comme une variable causale, l’effet de l’âge (age effects) qui provient du vieillissement et de la maturation se manifeste indépendamment de l’appartenance à une cohorte (Settersten, 2003, p. 20). Enfin, au niveau des temporalités historiques, l’âge peut acquérir diverses significations parce que les calendriers sociaux peuvent varier d’une période à l’autre sous l’influence des événements historiques (guerres, périodes de prospérité, etc.). « L’âge chronologique peut donc cacher plusieurs effets, celui du vieillissement biologique des individus, celui de l’étape dans leur parcours de vie, et celui de la somme des expériences historiques et sociales associées au devenir de leur cohorte de naissance » (Sapin et coll., 2007, p. 27). Ce lien entre le temps historique et le temps individuel (l’âge) est exprimé par le concept de cohorte qui désigne, en général, le groupe des personnes qui ont en commun le fait de vivre une expérience importante pendant le même intervalle de temps ou la même année. L’événement qui définit une cohorte peut être de natures variées : le début ou la fin d’un cycle d’études, le mariage, la naissance. Dans les études issues de la théorie du parcours de vie, le terme cohorte désigne les personnes nées dans une même année donnée (Alwin et McCammon, 2004, p. 26-27). Les changements, les contextes et les événements historiques ont différents effets sur la vie des individus en fonction de leur âge et de leur stade de vie. De même, les individus ont un bagage différent d’expériences et de ressources en fonction de leur âge et, par conséquent, s’adaptent de façons différentes aux nouvelles conditions lors d’un changement. Les membres d’une cohorte partagent une histoire commune (les événements historiques et les opportunités et contraintes sociales à un moment donné) ; ils vivent les moments du cycle de vie en même temps et ils partagent les expériences particulières reliées aux caractéristiques de la cohorte (sa dimension, sa composition, l’exposition au changement social). L’analyse par cohorte peut mettre en évidence deux types d’effets (Alwin, 1995 ; Alwin et McCammon, 2004 ; Settersten, 2003).
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L’effet de cohorte (cohort effects) fait référence à une expérience ayant des conséquences durables sur les parcours des membres d’une certaine cohorte (Alwin et McCammon, 2004, p. 26). L’effet de cohorte se manifeste lorsque des changements et des événements historiques ou lorsque des processus entraînent des conséquences durables et distinctes entre les cohortes successives qui sont affectées différemment par le changement survenu à diverses étapes de vie. Par exemple, une étude comparative de cohortes d’enfants ayant vécu pendant les années 1930 montre que les enfants ont subi lors de la Grande Dépression diverses formes de vulnérabilités en fonction de leur âge. La conception relative à l’argent varie entre les personnes ayant vécu la Grande Dépression comme enfants et ceux l’ayant vécue en période de prospérité (Elder, 1974). Par contre, on parle de l’effet de période quand l’incidence des changements sociaux est relativement uniforme pour les cohortes successives (Elder et coll., 2004, p. 9). La réponse aux événements historiques et aux processus concerne l’ensemble de la société (Alwin et McCammon, 2004, p 30) lorsqu’il y a un effet de période, alors qu’elle affecte plus les membres d’un groupe d’âge lorsqu’il y a un effet de cohorte. Bien que l’analyse par cohortes conduit le chercheur sur des voies intéressantes, il faut tenir compte du fait que les effets de cohorte et de période ne sont pas nécessairement linéaires, et que d’autres facteurs peuvent également interférer (Alwin et McCammon, 2004, p. 31-33). Des différences significatives entre des sous-groupes appartenant à une même cohorte peuvent apparaître autant au niveau macrosocial (différences reliées à l’emplacement géographique) que microsocial (différences reliées aux rôles particuliers, de sexe, d’âge, etc.). Pour démontrer l’effet de cohorte, il faut montrer les expériences distinctes qu’une cohorte expérimente et sa façon particulière de répondre à une série de phénomènes, façon qui se doit d’être différente par rapport aux cohortes précédentes et suivantes. En d’autres termes, l’effet d’un événement historique dépend de l’âge ou du stade de vie où il est vécu, en ce sens que les membres appartenant à des cohortes différentes auront des façons distinctes de réagir. Cette différenciation met l’accent sur la variabilité entre les cohortes en ce qui concerne leurs dimensions et compositions, les modèles de vieillissement, les caractéristiques de leurs membres ou les expériences associées aux périodes historiques (Settersten, 2003, p. 23). Parallèlement, une variation intracohorte entre des sousgroupes définis selon le genre, la catégorie sociale ou l’origine ethnique peut exister en fonction des ressources et des expériences individuelles. Les individus peuvent percevoir de manière différente un changement,
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bien que celui-ci soit vécu au même moment de leur vie. La dimension et la composition d’une cohorte sont aussi très importantes pour déterminer les opportunités et contraintes auxquelles ses membres sont exposés (Settersten, 2003, p. 23). Par exemple, une étude longitudinale sur les finissants du secondaire en 1983-1985 dans plusieurs régions de l’exURSS montre des différences significatives entre les trajectoires socioéconomiques des jeunes dans les différentes régions (Titma et Tuma, 2005). Les accomplissements personnels, l’autoévaluation et les objectifs à la fin du secondaire ont influencé les trajectoires de ces jeunes plus que l’origine familiale. Le concept de génération est également utilisé dans les modèles théoriques qui considèrent les vies individuelles en termes de cycle de vie reproductif et processus intergénérationnels de socialisation. Ce concept ne permet toutefois pas de relier l’individu aux temporalités historiques de façon exacte (Elder et coll., 2004). Le terme a de multiples significations, ce qui peut porter confusion. Il désigne parfois les relations de parenté à l’intérieur d’une famille, soit un stade de vie, soit un degré de parenté dans une lignée ayant un ancêtre commun. Dans cette logique reproductive, le remplacement des générations est un processus biologiquement déterminé, sans un correspondant au niveau macrosocial ou historique, puisque les décalages temporels entre les générations varient d’une famille à l’autre. En plus, la composition d’une génération peut être très hétérogène, inclure des membres avec de grands écarts d’âge entre eux, appartenant respectivement à des cohortes différentes (Alwin et McCammon, 2004, p. 25-27). Au sens de la théorie du parcours de vie, la génération désigne le groupe de personnes qui a en commun une culture distinctive et une conscience de son identité relevant du fait d’avoir vécu ensemble les mêmes événements historiques, mais pas nécessairement aux mêmes stades de vie. En résumé, la conceptualisation des temporalités souligne l’importance de considérer les multiples significations de l’âge dans l’analyse des transitions. L’âge ainsi que le stade de vie sont déterminants pour l’analyse des calendriers de vie individuels et leur comparaison avec les calendriers sociaux, qui définissent les normes sociales relatives aux comportements par stade de vie – ce qui permet de qualifier les transitions comme à temps (normatives), tardives ou précoces – qui peuvent varier selon les contextes sociaux et culturels. Plus encore, les effets de cohorte, de période et de l’âge peuvent être analysés ou contrôlés par la mise en lien des différentes temporalités biographiques, historiques et sociales.
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L’analyse de la recomposition familiale dans une perspective du parcours de vie Dans l’analyse des transitions familiales telles que la séparation conjugale ou la recomposition familiale, le temps biographique (âge auquel la transition est vécue) peut distinguer les expériences de vie. Par exemple, vivre une séparation conjugale ou une recomposition familiale dans la vingtaine, la trentaine ou plus tard, en début ou au final de la trajectoire familiale a des conséquences différentes sur le parcours de vie. Les temps social et historique peuvent également expliquer les différences subjectives et objectives relatives au vécu particulier de ces transitions. Les normes sociales et juridiques, les régulations du divorce et du mariage, les ressources disponibles au moment d’une séparation parentale, ainsi que les valeurs, les normes et mentalités relatives aux rôles familiaux, les perceptions, les sanctions et les visions par rapport au divorce et au remariage peuvent influencer l’expérience respective et avoir ainsi des effets sur les parcours de vie et les choix individuels. À ce sujet, l’étude de Saint-Jacques et ses collaborateurs montre des variations importantes dans la nature et l’enchaînement des épisodes qui composent les trajectoires. Par exemple, avant de former une famille recomposée, des adultes vivront d’abord un épisode de célibat après avoir quitté la maison, puis vivront en couple, auront des enfants. Ils se sépareront et vivront, après un épisode de monoparentalité, une recomposition familiale. Pour d’autres, l’épisode de recomposition familiale correspondra aussi au premier épisode de conjugalité. Ils quittent leurs parents, vivent un épisode de célibat et formeront ensuite un couple avec un partenaire qui a déjà des enfants. L’étude distingue également des trajectoires de beaux-parents (les individus ont d’abord ou seulement exercé des rôles de beaux-parents), des trajectoires de parents (les individus ont seulement exercé des rôles de parents) et des trajectoires complexes où les séquences de rôles de parents/beaux-parents se succèdent en différents ordres et en alternance avec les séquences de monoparentalité. On observe aussi que certaines trajectoires sont davantage caractéristiques des répondants plus âgés, reflétant les changements qui se sont opérés au cours des dernières décennies dans les modalités d’entrée à la conjugalité et à la parentalité (Saint-Jacques et coll., 2009a).
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3.3 Les principes de base La théorie du parcours de vie comporte cinq principes de base, tels qu’ils sont formulés dans les ouvrages de référence (Elder et coll., 2004 ; Settersten, 2003), soit 1) le développement tout au long de la vie, 2) la capacité d’agir ou l’intentionnalité des individus, 3) l’emplacement ou l’insertion des vies dans le temps et l’espace, 4) la temporalité des événements de la vie et 5) l’interrelation des vies. 1. Le développement tout au long de la vie (lifespan development) Le développement humain et le vieillissement sont des processus continus qui se déroulent tout au long de la vie. Le processus de développement individuel est influencé par les changements sociaux, biologiques et psychologiques significatifs durant toute la vie ; le développement ne s’arrête pas à un âge précis, mais se poursuit. On note aussi des adaptations à l’âge adulte par rapport aux changements professionnels, au milieu de vie, etc. C’est pourquoi une perspective d’étude à long terme ou sur des périodes substantielles de temps est particulière à l’approche du parcours de vie. Selon Settersten (2003), le développement individuel est multidimensionnel (il comprend les dimensions biologique, psychologique et sociale), multidirectionnel (il peut impliquer la croissance, la perte ou le déclin) et se déroule dans de multiples domaines (familial, professionnel, éducationnel, etc.). De même, le développement comporte des changements d’ampleur plus ou moins importante qui affectent ses dimensions et son fonctionnement. Le parcours de vie résulte de l’ensemble de ces dimensions et domaines qui s’influencent mutuellement. Dans cette vision à long terme, une période de la vie ne peut être comprise sans prendre en considération les expériences passées ainsi que la multitude de dimensions du développement individuel. L’étude réalisée par Young et coll. (2001) sur le divorce comme transition ou point tournant dans la perspective du développement individuel illustre le principe du développement par stade de vie. Les auteurs montrent que les récits des femmes ayant vécu leur divorce à 20, 30 ou 40 ans diffèrent quant aux significations attribuées au divorce en lien avec le stade de vie et leurs objectifs de développement.
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L’analyse de la recomposition familiale dans une perspective du parcours de vie L’étude des transitions familiales telle que réalisée par Saint-Jacques et ses collaborateurs s’inscrit dans une perspective rétrospective sur une longue période de vie, soit l’ensemble de la trajectoire familiale depuis l’émancipation et l’entrée dans la vie adulte. La recomposition familiale est définie comme un épisode dans la trajectoire familiale, amorcé par une transition précise : par exemple, le début de la cohabitation du nouveau couple. L’épisode de recomposition se situe dans la trajectoire familiale et son emplacement dans le cours d’une vie (au début de la vie conjugale, au milieu, après d’autres épisodes conjugaux ou en fin de parcours) influence la signification attachée à cette expérience. Considérer l’épisode de recomposition dans l’ensemble de la trajectoire de vie permet de capter l’effet des divers facteurs sur le parcours du parent. À titre d’exemple, on peut mentionner des expériences passées, des changements ou des événements simultanés survenus dans la vie des acteurs de la recomposition. La place de l’épisode dans la trajectoire familiale et le contexte socioéconomique dans lequel il survient (changements professionnels ou résidentiels, multiplication des acteurs familiaux, etc.) peuvent entraîner les familles dans des cheminements de stabilité ou d’instabilité familiale. Finalement, l’ensemble du parcours représente l’unité d’analyse dans l’explication de la stabilité ou de l’instabilité d’une recomposition familiale parce que les expériences vécues en début de parcours peuvent avoir des conséquences durables pour le développement individuel et pour la suite du parcours, comme le montre la littérature sur les désavantages cumulatifs (Elder, 1995, 2004 ; Clausen, 1995).
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2. Capacité d’agir ou intentionnalité des individus (human agency)12 Les individus ont la capacité de construire leur parcours de vie par leurs choix et actions en fonction des opportunités offertes et des contraintes imposées par les circonstances historiques et sociales. Ce principe place l’individu comme un acteur conscient de la construction de sa vie par ses choix et ses actions. Les individus ne subissent pas de façon passive les influences sociales et les contraintes structurelles, mais ils ont la capacité de créer du sens et de donner de nouvelles significations aux normes et aux institutions sociales, ainsi que de choisir des cheminements différents parmi les opportunités disponibles. Les normes et structures institutionnelles représentent le cadre où l’individu évolue, mais elles peuvent, à leur tour, être influencées et modifiées par l’action individuelle. Within the constraints of their world, people are often planful and make choices among options that become the building blocks of their evolving life course. These choices are influenced by the situation and by interpretations of it, as well as by the individual’s life history of experience and dispositions. Individual differences and life histories interact with changing environments to produce behavioural outcomes. Human agency and selection processes have become increasingly more important for understanding life course development and aging (Elder, 1995, p. 110).
Bien que la régulation sociale s’exprime par les normes reliées aux classes d’âge (attentes relatives à chaque âge) et aux divers domaines de la vie, les individus ne subissent pas cette normativité de manière uniforme, mais comme des acteurs ayant la capacité de prendre des initiatives, de faire des choix parmi de multiples possibilités. Ce principe relie les transitions sociales aux stades de la vie individuelle. La séquence, le rythme et la signification des transitions varient d’un individu à l’autre. Par exemple, bien que des normes existent quant aux transitions de vie importantes, comme l’entrée sur le marché du travail, le mariage, la maternité, la retraite, tous les individus ne vivent pas ces transitions en même temps, et leur signification peut varier. Dans une étude longitudinale sur les cohortes nées dans les années 1920 (Berkeley), Clausen (1991) montre le rôle des capacités individuelles et de la rationalité des individus : le succès et la stabilité sont plus fréquents pour les personnes ayant manifesté leurs compétences de planification (planful competence) 12. Traduit selon Sapin et coll., 2007.
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– capacité réflexive et proactive à déterminer l’engagement auprès des institutions et relations sociales – dès le début de leur vie d’adultes. La perspective de l’individu comme agent actif « qui contribue à son propre développement » se retrouve dans de nombreuses études basées sur l’approche du parcours de vie (Marshall, 2005 ; Mortimer et coll., 2005 ; Settersten et Gannon, 2005 ; Titma et Tuma, 2005). Elle s’observe également dans le cadre des sciences behavioristes et dans le modèle écologique de Bronfenbrenner (1995a). Ce principe engage les chercheurs à accorder une attention particulière aux décisions, aux choix, aux motivations, aux projets, aux idéaux et aux valeurs exprimés par les individus à divers moments de leur vie, notamment lors des transitions importantes. Par ailleurs, la façon de percevoir les contextes sociaux, individuels et culturels qui apportent des opportunités, des contraintes, des limites et des difficultés peut également influencer la prise de décision.
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L’analyse de la recomposition familiale dans une perspective du parcours de vie De manière générale, on constate que ce principe de l’intentionnalité des individus se reflète sur plusieurs éléments qui touchent la recomposition familiale. Les attentes et les normes relatives aux rôles et aux statuts familiaux ainsi que la perception des difficultés vécues lors de la recomposition familiale peuvent avoir un effet sur la trajectoire empruntée par chacun. Comme le démontrent les écrits traitant de recomposition familiale, la définition des rôles dans une famille recomposée est marquée par un certain flou et par la diversité. De plus, les attentes relatives aux différents rôles, surtout au rôle de beau-parent, peuvent être contradictoires, de sorte que la stabilité familiale peut en être affectée (Saint-Jacques et coll., 2012). Enfin, les trajectoires de vie sont également influencées par les capacités et les compétences individuelles. Entre autres, les ressources personnelles (âge, éducation, etc.), les capacités d’adaptation, l’accès aux ressources de soutien, les qualités de communication interpersonnelles peuvent avoir une incidence sur les liens développés dans la famille. Afin de saisir la capacité d’agir ou l’intentionnalité des individus par rapport à la recomposition familiale, les répondants de l’étude de Saint-Jacques et coll. (2009a) ont été appelés à décrire leur milieu de vie, leur famille d’origine ainsi que leur perception relative aux événements et aux contextes de vie (environnements).
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3. L’emplacement ou l’insertion des vies dans le temps et l’espace (time and place) Le cours de la vie est influencé et façonné par la période historique (événements et changements sociaux) et le contexte social dans lequel évolue un individu. Ce principe établit les liens entre le développement individuel et le changement social, les contextes de vie et les différents environnements de l’individu. À l’instar des temporalités historiques exprimées par l’appartenance à une cohorte et à un contexte historique, le changement social influence le développement individuel, et ce, de façon peu uniforme à travers les communautés, les régions et les sociétés (Elder, 1995). Un même événement, tel que la Deuxième Guerre mondiale, peut entraîner des conséquences différentes et être vécu de manières différentes dans deux régions géographiques comme en Europe et en Amérique (Elder, 2001). D’autres distinctions peuvent s’observer entre les groupes d’âge ou les cohortes ayant vécu l’événement à des stades différents de leur vie, ainsi qu’entre les milieux sociaux d’appartenance. L’emplacement dans l’espace fait directement référence aux différents contextes de vie importants pour comprendre le développement individuel : contexte familial (appartenance aux groupes primaires), contexte social (milieu social, communauté ayant des ressources particulières et une culture commune), contexte géographique (région), etc.
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L’analyse de la recomposition familiale dans une perspective du parcours de vie Selon ce principe, plusieurs éléments reliés aux contextes sociaux et historiques semblent importants à l’étude des transitions familiales, comme la recomposition. Les individus appartiennent à une cohorte selon l’âge ou l’année de naissance, mais ils se distinguent selon plusieurs caractéristiques telles que le milieu social d’origine et d’appartenance, la période historique où ils ont formé une famille recomposée, le moment de leur vie (l’âge), le moment où ils ont vécu cette expérience et les expériences passées. Ces différences peuvent influencer l’expérience de recomposition de plusieurs façons. Tout d’abord, le contexte social dans lequel la recomposition est vécue diffère selon la période ; vivre une recomposition familiale dans les années 1970, 1990 ou 2000 signifie faire face à des défis différents dans des conditions différentes. La synchronisation avec les changements sociaux, les cycles économiques, etc., influence les trajectoires professionnelles et éducationnelles (opportunités d’études, d’emploi et de mobilité, difficultés d’insertion sur le marché du travail, prospérité ou pénurie). Le contexte socioéconomique peut créer des périodes d’instabilité ou de stabilité professionnelle ayant un effet sur le parcours individuel et sur la trajectoire familiale. Ensuite, les contextes sociaux peuvent être différents au point de vue de la régulation normative et des conditions de vie (normes et valeurs, perceptions et sanctions associées au divorce, à la séparation, à la recomposition, etc.), mais également offrir différentes ressources de soutien, de points de repère et d’encouragement pour une famille recomposée. Actuellement, l’augmentation du nombre de recompositions familiales a stimulé le développement des connaissances et des ressources disponibles pour ces familles. D’une part, les perceptions sociales par rapport aux familles recomposées varient au cours du temps ; d’autre part, les différents contextes sociaux qui influencent cette perception ont changé. Enfin, ce principe met en lumière l’importance de situer l’expérience de la recomposition en lien avec les contextes de vie, non seulement par rapport à la période historique, mais aussi par rapport au milieu social, au modèle familial d’origine (famille monoparentale, intacte, etc.) et à l’entourage. Dans l’étude portant sur la stabilité des familles recomposées (Saint-Jacques et coll., 2012), plusieurs liens ont pu être faits entre l’expérience vécue dans la famille d’origine du répondant et le fait d’avoir mis fin à leur union recomposée. Par exemple, deux répondantes élevées en famille monoparentale disent avoir de la difficulté à intégrer leur conjoint dans la famille, car pour elles, une famille c’est une mère avec ses enfants. Elles évaluent que cette difficulté a contribué à la rupture de leur union recomposée (Saint-Jacques et coll., 2012).
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4. La temporalité des événements de la vie13 (timing of transitions) L’ordre des transitions et l’âge auquel elles sont vécues ont une incidence sur le développement individuel. Le moment où une expérience est vécue détermine son influence sur le cours de leur vie. La signification d’un événement peut changer à des stades différents du développement. Par exemple, les transitions au statut d’adulte (quitter le foyer parental, le mariage, la cohabitation, la parentalité) vécues à un âge précoce ont des effets négatifs sur la santé mentale, surtout lorsqu’il s’agit de devenir parent et de vivre de multiples transitions au cours de la même année (Harley et Mortimer, 2000, cité par Elder et coll., 2004, p. 12). Ainsi, l’accumulation de désavantages en début du parcours de vie aggrave graduellement la santé et le bien-être des jeunes adultes, et ce, en fonction de paramètres socioéconomiques. Cela réfère au principe de l’accumulation d’avantages ou de désavantages, aussi connu sous le terme de « l’effet Matthieu » (O’Rand, 1996), qui permet de comprendre le développement humain et la continuité des parcours, en ce sens que les transitions et les expériences ont des conséquences qui s’accumulent et influencent la suite d’une trajectoire. Ce principe permet d’expliquer les inégalités intracohorte dans le domaine de la santé (Hatch, 2005) ou du vieillissement des personnes âgées (O’Rand et Henretta, 1999). D’après le principe d’accumulation, on peut avancer que les attitudes relatives à l’école influencent la performance scolaire, ce qui déterminerait la poursuite des études collégiales ou supérieures et, par ricochet, la vie professionnelle (Uhlenberg et Muller, 2004). À l’opposé, le concept de point tournant réfère à des discontinuités du parcours. À ce propos, une étude sur les jeunes suivis en centre jeunesse (Saint-Jacques et coll., 2006) montre comment les points tournants peuvent surgir sous l’effet des transitions en série, dans l’adaptation des jeunes ayant des problèmes de comportement ou souffrant de symptômes d’anxiété et de dépression. Selon Elder (1995, p. 114), le principe des temporalités des événements de la vie renvoie aux calendriers sociaux des transitions dans le parcours de vie (l’incidence des transitions, leur durée, les séquences de rôles et les attentes reliées à l’âge), à la synchronisation des trajectoires individuelles entre les membres d’une famille ou d’un groupe primaire et au stade de vie lorsqu’un changement social survient. Les transitions peuvent être qualifiées comme à temps, précoces ou tardives par rapport 13. Traduction selon Sapin et coll., 2007.
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au calendrier social. En plus, certains calendriers sociaux régissent la programmation des calendriers des différentes trajectoires (ex. : professionnelle, scolaire) et leur synchronisation dans le parcours. Par exemple, les jeunes couples peuvent retarder le moment de la naissance du premier enfant en fonction de l’évolution de leur carrière professionnelle et éducationnelle afin de minimiser les pressions financières et de mieux gérer leur temps. Aussi, ce principe fait référence aux multiples temporalités qui sont basées sur les significations de l’âge, soit les temporalités historiques (appartenance à une cohorte, événements historiques expérimentés à un moment précis de la vie), les temporalités sociales (régulations sociales relatives aux différents âges déterminent les attentes particulières) et les temporalités individuelles (moment, âge quand les transitions de vie sont vécues). D’après Elder et coll. (2004), le principe de la temporalité des événements de la vie se manifeste dans l’analyse du moment de vie lorsque deux cohortes ont expérimenté certains événements ou contextes historiques, tels que la Grande Dépression et le service militaire à l’occasion de la Deuxième Guerre mondiale. Dans les études longitudinales citées par Elder et coll. (2004), deux cohortes sont comparées : celle suivie dans la Oakland Growth Study (cohorte d’individus nés au début des années 1920) et celle suivie dans la Berkeley Guidance Study (cohorte d’individus nés à la fin des années 1920)14. Les données recueillies dans ces deux grandes études montrent deux constats importants. Les cheminements des deux cohortes sont différents en raison de leur synchronisation avec les périodes de prospérité, de dépression et de guerre. La première cohorte a grandi dans un contexte de relative prospérité économique, étant moins affectée par les privations associées à la Grande Dépression. Par contre, la deuxième cohorte a été beaucoup plus affectée par cette crise économique, étant placée dès l’enfance dans un contexte de socialisation difficile (pauvreté, travail précoce, surcharge et stress de leurs parents, etc.). Ces études montrent l’importance des premières expériences de vie pour la trajectoire de formation, l’image de soi et le bien-être psychologique des jeunes au début de l’âge adulte. Toutefois, les désavantages 14. Ces études sont à la base de l’ouvrage Children of the Great Depression (1974), qui analyse plusieurs cohortes d’enfants défavorisés et leur cheminement sur une longue période, mettant en évidence leurs stratégies particulières pour surmonter les difficultés rencontrées.
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vécus par la deuxième cohorte n’ont pas persisté à long terme ; après l’âge de 40 ans, les parcours sont devenus uniformes et similaires. Par ailleurs, l’entrée en guerre et le service militaire, vécus à des moments différents de leur vie, différencient ces deux cohortes. L’expérience précoce du service militaire, avant de former une famille et de commencer la carrière professionnelle, a permis à la deuxième cohorte d’éviter les pressions du marché du travail, tout en favorisant l’indépendance à un jeune âge. De plus, cette cohorte a bénéficié de nouvelles opportunités à la fin de la guerre en raison de la formation et de la réinsertion sur le marché de l’emploi offertes aux personnes démobilisées. De cette façon, les membres de cette cohorte ont pu réintégrer des trajectoires familiales et professionnelles standard, à la fin de la guerre. À l’opposé, la cohorte suivie dans la Oakland Study a été exposée à plusieurs perturbations de parcours à cause de l’étape de vie plus tardive où ils se trouvaient au moment de la guerre. Plus âgés au début de la guerre, les membres de cette cohorte ont dû interrompre leur parcours éducationnel, professionnel et familial pour effectuer leur service militaire. Plus tard, les inégalités entre les deux cohortes se sont estompées. Ce constat est identique pour les répondants suivis dans l’étude longitudinale de Stanford-Terman (Elder, 1995, p. 132), qui ont commencé leur service militaire à un âge plus avancé et subi des perturbations d’une plus grande envergure dans leur cheminement après la fin de la guerre (plus de divorces, de pertes d’emploi et de statut).
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L’analyse de la recomposition familiale dans une perspective du parcours de vie Dans l’esprit de ce principe, il convient de tenir compte de trois principaux éléments relatifs aux temporalités, à l’âge et aux calendriers de vie dans l’étude de la recomposition familiale. Premièrement, l’examen du calendrier de vie permet de saisir l’influence des expériences passées et précédentes sur les perceptions et les choix des individus, ainsi que l’effet des expériences passées sur l’organisation familiale actuelle. La succession des transitions sur les différentes trajectoires peut influencer la situation actuelle. Des éléments aussi divers que les cheminements empruntés à l’entrée dans la vie adulte (moment, âge et modalités) et lors de l’émancipation15 peuvent engager les acteurs sur un parcours favorisant la stabilité ou non. Le contexte et les formes des premières expériences conjugales peuvent aussi avoir une conséquence sur la suite du parcours. Deuxièmement, ce principe suggère de porter une attention particulière aux moments biographique (âge), historique et social lorsqu’une recomposition est vécue. À cet effet, il est impératif de comprendre la situation dans sa globalité lors de la recomposition (emploi, situation familiale, relations, etc.), mais également de considérer d’autres paramètres liés à la position de l’épisode dans le parcours individuel : les antécédents, les conséquences et les transitions vécues en même temps. Troisièmement, la synchronisation du calendrier individuel avec celui des autres acteurs de la recomposition ou de l’univers familial doit être prise en compte dans l’analyse. Les expériences vécues par les autres acteurs, telles que le retour aux études ou la maladie, peuvent avoir des conséquences sur la vie familiale (situation économique, exigences et responsabilités familiales). L’âge auquel les différents acteurs de la recomposition (parent, beau-parent, enfants) commencent leur vie commune peut influencer la stabilité familiale en raison de la synchronisation de leurs calendriers de vie et de leurs attentes envers la vie familiale. L’étude sur la recomposition familiale citée précédemment a démontré, entre autres, l’importance des expériences passées sur la trajectoire familiale et le modèle relationnel (Saint-Jacques et coll., 2012). Dans un premier temps, les chercheurs ont tenté de voir si des liens pouvaient être faits entre l’expérience vécue dans la famille d’origine du répondant et le fait d’avoir mis fin à leur
15. Pour de plus amples renseignements sur l’analyse des modalités d’émancipation, consulter l’article de Mitchell (2006).
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union recomposée. Des liens ont été observés à travers des mécanismes développés par les répondants. Le premier mécanisme réfère à une rupture avec le passé : « On ne veut pas revivre cela. » La moitié des répondants ont vécu une enfance difficile et sont demeurés marqués par les conflits, la violence conjugale ou la violence familiale qui sévissaient dans leur famille. Lorsque des difficultés similaires se dressent dans leur famille recomposée, ils ont le sentiment de revivre leur enfance et les moments difficiles qui y sont associés. Ils choisissent de se séparer, car ils ne veulent absolument pas que leurs enfants soient exposés à ce type de problèmes. Les moments difficiles ont aussi développé chez certains des mécanismes de défense (p. ex. : la difficulté à faire confiance) qui nuisent à leurs relations conjugales. Le second mécanisme fait référence au fait que l’expérience de recomposition entraîne une grande discontinuité dans la vie de la personne. Les valeurs de l’autre et ses façons de fonctionner en famille sont très différentes des siennes et rendent le partenaire mal à l’aise. Les répondants de l’étude qui réfèrent à ce mécanisme disent vivre, en quelque sorte, un choc culturel. Dans cette étude, quelques situations présentent des difficultés que le répondant associe à la rupture et qui relèvent de la temporalité des événements. Comme cela a déjà été observé dans d’autres études portant sur la recomposition familiale, un décalage entre les étapes de vie de chacun des conjoints entraîne des difficultés à se mettre au diapason. Les partenaires se demandent ce qu’ils doivent mettre en priorité et se questionnent sur le caractère conciliable de leurs trajectoires. C’est le cas, par exemple, d’un couple âgé de 60 ans qui vit une recomposition familiale. Comme monsieur a eu ses enfants à 40 ans, ces derniers vivent encore avec lui. Sa conjointe actuelle n’avait pas envisagé, à 60 ans, de vivre avec des enfants et de devoir partager son conjoint. D’autres répondants soulignent que les différences d’âge peuvent créer un fossé entre les conjoints sur le plan des mentalités, de la maturité ou de l’expérience.
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5. Les vies sont interreliées (linked lifes) Les vies des individus sont interdépendantes. Chaque individu est intégré dans un réseau social comprenant de multiples relations au travers desquelles se manifestent les influences des contextes sociohistoriques (Elder et coll., 2004). D’une part, ce principe témoigne de la médiation des changements sociaux sur le parcours individuel par le biais de leurs effets sur les contextes de vie communs dans des cadres microsociaux. D’autre part, ce principe exprime l’interdépendance des parcours individuels connectés dans le cadre des groupes primaires comme la famille. Les actions d’une personne entraînent des conséquences pour les autres appartenant à son milieu et, inversement, les actions des acteurs de son entourage ont des effets sur sa vie. La régulation sociale, la structuration des liens et le soutien dont une personne bénéficie se manifestent partiellement dans les multiples relations avec les acteurs importants (relations sociales avec la famille, les amis, la parenté) à travers les processus de socialisation et les divers types d’échange. Une étude longitudinale réalisée en Iowa (cité par Elder et coll., 2004) montre que les difficultés économiques de la crise agraire ont négativement affecté le développement des enfants de cette région à cause des effets économiques et psychologiques sur leurs parents fermiers qui expérimentaient à ce moment des sentiments dépressifs. Une autre illustration de ce principe concerne la maternité précoce. Devenir mère à l’adolescence ou à un jeune âge nécessite des changements sur le plan de l’identité sociale, des rôles et des responsabilités de la jeune mère qui se voit encore comme un enfant et attend de sa propre mère du soutien et des soins pour l’enfant. On ne répond pas souvent adéquatement à cette attente, car elle est en décalage avec les calendriers de vie ; les grand-mères ne se sentent pas préparées à assumer ce rôle à ce moment de leur vie (Charbonneau, 2003). Ces exemples montrent que ce principe a été souvent abordé sous l’angle de la socialisation et des rapports intergénérationnels. Ce principe, apparenté au concept de capital social (Putnam, Coleman), s’appuie grandement sur les acquis des études des réseaux sociaux (Kahn, Antonucci, Charbonneau). Les études dans ce domaine montrent, entre autres, que certaines transitions de vie, comme la formation du couple, la parentalité, la séparation, la retraite, représentent autant de situations qui demandent la réorganisation du réseau social (Sapin et coll., 2007, p. 70-77).
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L’analyse de la recomposition familiale dans une perspective du parcours de vie Le principe des vies interreliées est particulièrement intéressant pour l’étude des transitions familiales, parce qu’il exhorte les chercheurs à porter une attention spéciale aux différentes relations, ainsi qu’aux différents rôles et acteurs engagés dans les transitions. Ces éléments, souvent mentionnés dans l’étude de la recomposition, ont un effet important sur la stabilité des familles recomposées. Une diversité de rôles et de relations peut jouer en faveur ou en défaveur de la stabilité familiale : la relation parentale, beauparentale, conjugale et la relation avec le parent non résident. La recomposition est un univers familial complexe où les difficultés vécues dans l’une des relations peuvent influencer les autres et entraîner des difficultés, des conflits, des mésententes, voire de l’instabilité (Saint-Jacques et coll., 2009a). Dans cet esprit, l’étude des transitions familiales doit considérer les divers liens familiaux, suivant leur formation et leur évolution dans le temps. La comparaison des familles recomposées intactes et séparées (Saint-Jacques et coll., 2012) a démontré que les modalités de résolution des problèmes et les stratégies utilisées par les parents influencent la stabilité de ces familles plus que la nature, le nombre ou l’intensité des problèmes. Certains éléments liés au contexte familial – la garde des enfants issus d’une autre union, la communication intrafamiliale et les caractéristiques personnelles des membres de la famille – ont aussi un effet important. Ce type de résultat est particulièrement important pour l’intervention, puisqu’il suggère de prendre en considération la nature, la diversité, l’intensité et l’efficacité des stratégies employées pour faire face aux problèmes, ces dernières apparaissant liées au maintien de l’union recomposée.
4 Discussion
A
près la présentation de l’univers conceptuel de l’approche du parcours de vie et l’analyse de plusieurs exemples, cette section aborde les débats suscités autour des présupposés à la base de cette perspective théorique, soit la structuration des parcours de vie en fonction de l’âge et du temps. Cette section traitera également de certains aspects méthodologiques associés à cette théorie, à savoir quels outils et techniques sont disponibles pour les chercheurs qui travaillent dans cette perspective. D’un point de vue méthodologique, y a-t-il une approche distinctive caractéristique à l’étude des parcours de vie ? 4.1 Les débats actuels Plusieurs débats concernant la nature du parcours de vie et la structuration en fonction du temps et de l’âge dans les sociétés contemporaines ont ponctué le développement de la théorie, alors que des utilisations et des acceptions divergentes continuent à coexister. Ces débats, essentiels pour les chercheurs qui utilisent ce paradigme (Kohli et Meyer, 1986 ; Settersten, 1999, 2003, 2004 ; Settersten et Mayer, 1997), se poursuivent autour des notions de la chronologie, de l’institutionnalisation et de la standardisation des parcours de vie. Un premier questionnement concerne la chronologie (Kohli, 1985, 1986) des transitions et des événements de vie, et ce, surtout en lien avec les parcours/trajectoires éducationnelles et professionnelles. Des chercheurs comme Settersten (2003, p. 33) se demandent dans quelle mesure le temps et l’âge sont devenus des dimensions essentielles, déterminantes des vies humaines. Par exemple, des politiques visant des groupes d’âge,
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comme les jeunes, ont déterminé la formation de parcours considérés comme « modernes », généralisés et selon lesquels les individus peuvent se considérer à temps ou en retard. Le deuxième questionnement se réfère à l’institutionnalisation des parcours de vie. Par exemple, les politiques liées à l’éducation instituent les parcours formels à travers les institutions scolaires (Settersten 2003, p. 34-35). Mais dans quelle mesure les parcours sont-ils structurés par des institutions sociales et déterminés par des réglementations et des interventions découlant de politiques gouvernementales ? Enfin, une troisième interrogation concerne la standardisation : dans quelle mesure les cheminements individuels présentent-ils des régularités, surtout quant au moment considéré comme approprié pour vivre les transitions de vie et l’ordre des transitions de vie ? Les tenants de la déchronologie, de la désinstitutionnalisation et de la dé-standardisation mettent l’accent sur la flexibilité accrue des parcours, flexibilité attribuable à la multiplication des opportunités pour construire la biographie individuelle d’une manière personnelle par une variété de modalités de gestion de l’emploi, de la vie familiale, de l’éducation et de leur coordination (Settersten, 2003, p. 35). Ces affirmations sont basées sur des arguments tels que l’émergence de nouveaux calendriers de vie adulte ou leur transformation. Ces phénomènes résulteraient de changements démographiques (augmentation de la longévité, diminution et retard de la natalité, diminution de la mortalité), de la généralisation des nouveaux cheminements d’insertion en emploi et de retraite, du développement de politiques de travail flexibles, de l’extension des formes de travail atypique, de la prolongation de la période des études et de l’importance grandissante de l’éducation continue, alternance de périodes d’étude et de travail. Plus précisément, ces questionnements relatifs à la structure ont donné lieu à deux débats sur la nature des parcours quant aux différences de genre et aux sphères de vie. Dans quelle mesure la standardisation, la désinstitutionnalisation et la chronologie diffèrent-elles selon les domaines de vie (emploi, famille, éducation, etc.) ? À quel point les parcours des hommes et des femmes sont-ils standardisés, institutionnalisés, individualisés (Settersten, 2003, p. 34-36) ? Selon Sapin et coll. (2007, p. 112-114), le parcours de vie a une fonction régulatrice en tant que modèle permettant de relier l’individu aux autres et aux institutions sociales. La pluralisation des trajectoires familiale, professionnelle et éducationnelle, ainsi que la « biographisation » des vies (la responsabilité du parcours est davantage attribuée à l’individu lui-même qu’aux insti-
4 – Discussion
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tutions sociales) remettent en cause cette fonction régulatrice du parcours, notamment l’aspect de contrôle social. Dans les études sur la famille, ces questionnements se reflètent de plusieurs manières, notamment dans une littérature croissante sur la désinstitutionnalisation des pratiques familiales (Roussel, 1992 ; Cherlin, 2004 ; Amato, 2004) et le démariage (Théry, 1996). Ce sujet est abordé sous l’angle des tendances démographiques depuis plusieurs décennies – augmentation de la proportion des unions libres, des familles monoparentales et des familles recomposées, ce qui indique la diversification des formes de vie familiale –, mais aussi sous l’angle des transformations des normes visant la vie familiale et des transformations du droit civil et social, afin d’inclure la pluralité des formes et des comportements familiaux. Plus largement, les débats suscités autour de ces questions se réfèrent aux différents domaines de vie et à leurs interactions. Un numéro du journal Advances in Life Course Research, dédié au thème de la structure du parcours de vie et coordonné par Ross Macmillan (2005a), rassemble des contributions internationales et comparatives qui abordent l’ensemble des débats actuels sur la structure et la nature des parcours de vie. Macmillan (2005b) attire l’attention sur la problématique de la structuration du parcours. Tout comme Mayer (2009), il montre qu’il y a un écart considérable entre l’élaboration théorique et la recherche empirique développée avec l’approche du parcours de vie, et ce, relativement à la structuration du parcours. D’une part, les apports théoriques mettent l’accent sur les stades de vie, les trajectoires et transitions de rôle, le moment et l’ordre des rôles qui s’unissent pour former ensemble le parcours de vie. Ce dernier est considéré comme « normatif », correspondant aux calendriers sociaux d’un contexte historique et social donné et résultant d’une agrégation de comportements observés dans un espace et un temps définis1. D’autre part, cette vision holiste n’est pas suffisamment reflétée ni captée dans la recherche empirique, dans le design des études et les outils de recherche qui demeurent enracinés dans un domaine ou un autre. Ces outils abordent une trajectoire en particulier ou une période de vie, mais pas l’articulation et l’interaction entre les différentes dimensions et domaines du parcours2. Si nombre d’auteurs soutiennent la thèse que les parcours de vie sont de moins en moins standardisés,
1. 2.
Voir Neugarten et coll. (1965), par exemple. Voir aussi Mayer (2009).
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institutionnalisés et de plus en plus individualisés3, la différenciation sociale dans le déroulement de la vie, selon le temps, l’espace et la position sociale sont aussi de plus en plus affirmés. Ces deux dimensions – la nature changeante des parcours et les différences entre les groupes sociaux – expliquent la reproduction des inégalités, puisqu’elles déterminent les opportunités tout au long du déroulement de la vie. Dans le cadre de cette réflexion sur la structuration du parcours de vie, Brückner et Mayer (2005) apportent des arguments qui contredisent la thèse de la dé-standardisation en général, même si des effets de période expliquent des différences importantes entre les cohortes quant aux parcours de vie. Ces auteurs examinent la transition à l’âge adulte pour les cohortes nées entre 1921 et 1971 afin de vérifier l’hypothèse de la dé-standardisation, sur la base d’une enquête des histoires de vie en Allemagne (German Life History Study). Un découplage (de-coupling) accru est observé au niveau de la synchronisation des transitions relatives aux études et à l’emploi avec la formation de la famille. Il y a donc une désynchronisation entre les trajectoires éducationnelles et professionnelles, davantage standardisées, institutionnalisées et interconnectées, et la trajectoire familiale. Ainsi, la dé-standardisation affecte surtout la corrélation entre les trajectoires, mais les trajectoires éducationnelles et professionnelles demeurent hautement institutionnalisées et réglementées, de sorte que les transitions des études à l’emploi n’ont pas changé de manière significative d’une cohorte à l’autre. Les différences de genre se sont estompées entre les cohortes quant aux niveaux d’éducation et la participation au marché du travail ; les parcours des hommes et des femmes convergent. En revanche, les transitions liées à la formation de la famille se sont modifiées et les différences de genre persistent à travers les cohortes. Cette observation trouve écho dans les études de la famille à travers les débats sur la désinstitutionnalisation des formes de vie familiale (Cherlin, 2004 ; Amato, 2004). La situation observée par les chercheurs en Allemagne ne serait toutefois pas typique à d’autres pays, comme le suggère l’analyse réalisée par Mortimer, Oesterle et Krüger (2005), qui examine le moment et l’ordre des transitions entre la fin des études et la première parentalité aux États-Unis et en Allemagne. Sur la base de données d’enquêtes réalisées sur les jeunes (aux États-Unis) et les femmes (en Allemagne), ces auteures comparent l’articulation entre les transitions études/emploi et 3.
Voir la revue Advances in Life Course Research (vol. 9, 2005) pour les discussions au sujet des mesures et indices de la dé-standardisation.
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l’expérience de la parentalité entre ces deux pays. Cette comparaison démontre qu’en Allemagne, des parcours institutionnels rigoureux définissent le lien études/emploi et influencent de manière importante la fin des programmes éducatifs et le moment de la parentalité. Au contraire, aux États-Unis, une variation plus importante de cette articulation s’observe, notamment par le fait qu’il y a davantage de premières naissances avant la fin des études. L’étude note que les transitions études/emploi sont moins réglementées et rigoureusement institutionnalisées aux ÉtatsUnis. La dé-standardisation des parcours ne serait donc pas un phénomène qui affecte de manière uniforme les groupes sociaux et les sociétés. Au contraire, elle peut se dérouler à différents rythmes dans différents contextes sociaux, et même se manifester davantage dans certains domaines de vie et moins dans d’autres, selon les régulations politiques, sociales ou économiques qui les influencent. À cet effet, Widmer et Ritschard (2009) examinent des indices formalisés de dé-standardisation selon des différences de genre et l’effet de cohorte sur la base d’une enquête des ménages en Suisse. Ces auteurs trouvent que les effets de cohorte sont significatifs pour les trajectoires familiales et occupationnelles, alors que les différences de genre quant à la dé-standardisation des parcours s’observent surtout pour les trajectoires occupationnelles. Settersten, Furstenberg et Rumbaut (2008), dans un volume qui rassemble des contributions internationales, montrent que dans les sociétés occidentales, les transitions à l’âge adulte se sont diversifiées et étendues sur une période prolongée au cours de la vingtaine, et même de la trentaine. Les jeunes prolongent leur scolarisation, explorent les opportunités d’emploi, expérimentent des relations conjugales et se dévouent à leur développement personnel, ce qui a pour effet de prolonger le passage à l’âge adulte, qui ne commence plus à la fin de l’adolescence. Les trajectoires des jeunes deviennent ainsi moins linéaires et prédictibles que les modèles du cycle de vie ou de carrière le laissaient entendre. L’émergence de ces ouvrages de synthèse qui rassemblent des initiatives et des contributions transdisciplinaires basées sur plusieurs domaines d’études montre que, malgré les divergences, il y a aussi des points communs entre ces diverses contributions. Elles indiquent également la complexité des considérations visées par les études développées avec cette approche.
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L’analyse de la recomposition familiale dans une perspective du parcours de vie Ces débats alimentent les discussions au sujet de la recomposition familiale. Au cours des dernières années, on observe une augmentation des recompositions familiales dans les sociétés occidentales, particulièrement au Québec. Devant cette réalité croissante, un questionnement surgit : dans quelle mesure s’agit-il d’un processus d’institutionnalisation de cette forme familiale par la généralisation et la « normalisation » de la recomposition et des trajectoires incluant une expérience de recomposition ? Le soutien offert à ce type de famille et les connaissances développées par différentes études peuvent être vus comme un vecteur de l’institutionnalisation et de la standardisation. Dans le même ordre d’idées, dans quelle mesure ces éléments contribuent-ils à la création, à la mise en place et à la formation des normes relatives aux rôles, aux statuts et aux attentes dans le cadre d’une famille recomposée ? Ces questionnements suggèrent aussi d’étudier les processus qui expliquent les parcours favorisant la stabilité ou l’instabilité et le rôle de la chronologie dans ces processus. Ils doivent aussi sensibiliser les chercheurs aux distinctions de genre quant aux trajectoires familiales et aux significations attribuées aux transitions et aux parcours de la recomposition. Enfin, l’étude de la recomposition familiale doit considérer les transformations concernant la régulation du divorce, la conception relative à la stabilité familiale et le démariage lorsqu’elle examine la diffusion de cette forme familiale.
4.2 Considérations méthodologiques Comme l’observent Levy et l’équipe Pavie (2005, p. 8), l’interdisciplinarité qui caractérise la recherche réalisée dans la perspective du parcours de vie enrichit constamment son cadre théorique, mais soulève aussi plusieurs difficultés. Tout d’abord, le vocabulaire utilisé revêt des significations différentes à l’intérieur des diverses disciplines, puisqu’une même notion peut se faire attribuer des fonctions très différentes. En même temps, des termes différents peuvent désigner des réalités identiques ou fortement similaires4. Des méthodes similaires ont des appellations différentes comme l’analyse de survie (survival analysis), l’analyse événe4.
Par exemple, les termes parcours de vie (life course) et déroulement de vie (lifespan) sont respectivement utilisés en sociologie et en psychologie pour désigner la même notion, soit l’ensemble du cours de vie et des étapes de développement individuel.
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mentielle (event history analysis) et l’analyse démographique des biographies (Courgeau et Lelièvre, 1989). Ensuite, d’autres différences relèvent des cadres d’analyse propres à chaque discipline. Comme le montrent Bird et Kruger (2005), la définition du concept de transition varie en fonction des domaines et des problématiques étudiées, ce qui a conduit à l’élaboration de différents outils de collecte de données et d’analyse. En démographie et dans l’analyse événementielle (event history analysis), la transition est réduite à sa plus simple expression, définie comme l’apparition d’un événement précis (naissance, fin des études). La transition est ici considérée comme un synonyme de l’événement. Dans la perspective de la psychologie du développement, la définition de la transition est élargie, étendue aux changements survenus pendant une période précise de la vie (enfance, adolescence). La sociologie définit plutôt la transition comme un changement, un processus se déroulant dans une courte durée. Bird et Kruger (2005, p. 175) considèrent cette vision comme linéaire et ils proposent, en contrepartie, une vision axée sur la connexion entre les transitions qui surviennent dans les différentes trajectoires, favorisant ainsi la complexité des expériences qui ont lieu autant à l’intérieur d’un domaine de vie qu’entre les différents domaines. L’individu participe simultanément à plusieurs domaines de vie (familial, professionnel, social), chacun ayant des cheminements et des logiques particulières. Les transitions expérimentées dans un certain domaine sont interdépendantes et elles ont, à leur tour, des effets dans plusieurs domaines. Par exemple, la naissance d’un enfant est une transition familiale qui a des effets sur le plan professionnel, puisqu’elle nécessite un ajustement travail-famille, une réorganisation du temps et des rôles familiaux et professionnels, des changements du réseau social, etc. Tout comme Elder, Bird et Kruger (2005) préfèrent le terme transition au terme événement (life event), parce que les changements dans le parcours de vie ne sont pas seulement des événements soudains, mais qu’ils font aussi partie de processus qui les précèdent, les succèdent et les favorisent (p. 188-189). Les transitions sont entrelacées, ce qui nécessite des changements simultanés du positionnement social (configuration des statuts) dans les divers domaines du cours de la vie. La recherche basée sur la théorie du parcours de vie peut se situer à différents niveaux d’analyse. D’abord, les approches macrosociales mettent l’accent sur les structures sociales, qui modèlent, influencent et déterminent les parcours de vie, sur les comportements collectifs et sur les différences intracohortes et intercohortes, alors que les approches microsociales s’intéressent à la subjectivité des acteurs individuels, au sens
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et aux significations qu’ils accordent aux expériences de vie tout au long de leur parcours (Settersten, 2003). Il est évident que ces deux positions indiquent des forces complémentaires, ce qui renforce l’importance de conduire des comparaisons sur différents niveaux et de situer les parcours dans le cadre de multiples espaces sociaux et systèmes dans lesquels les vies sont insérées. En conséquence, l’étude dans une perspective de parcours de vie se situe à de multiples niveaux d’analyse, en rapport aux milieux proximaux (famille, groupe d’amis, école, voisinage, etc.) et distaux (États, politiques, cultures, nations), comme le modèle écologique le montre (Bronfenbrenner, 1995a). L’un des défis méthodologiques de cette approche est de définir les liens réciproques entre ces niveaux (Settersten, 1999, 2003). À ce sujet, l’étude de la recomposition familiale se situe au niveau microsocial et porte sur les expériences de vies individuelles qui s’inscrivent dans des contextes précis (Saint-Jacques et coll., 2009a, 2009b). Les principes de la théorie du parcours de vie mettent en évidence l’importance des comparaisons multiples et systématiques pour comprendre la complexité des phénomènes étudiés, et ce, sur les plans individuel (parcours et développement individuel), social (groupe d’âge, cohorte, sexe, milieu familial), historique (moment historique où survient la recomposition), générationnel (appartenance à une génération à l’intérieur d’une famille) et culturel (appartenance à une nation, culture, sous-culture) (Settersten, 1999). Par exemple, les approches sensibles au genre montrent les distinctions entre les parcours des hommes et les parcours des femmes en ce qui a trait à l’actualisation des rôles par rapport aux calendriers et aux contextes de vie (Macmillan et Copher, 2005 ; Clausen, 1995). Martinengo et ses collaborateurs (2010) notent, à ce propos, qu’avoir des enfants à charge lorsque les adultes sont à mi-parcours dans leur stade de vie induit des changements significatifs dans la conciliation travail-famille5. Compte tenu de la diversité des approches théoriques, plusieurs méthodes de collecte et d’analyse des données ont été élaborées. Des méthodologies quantitatives ont été mises au point, surtout en démographie, en études de la population, en sociologie et en psychologie (voir Giele et Elder (1998) pour une description de la variété des méthodologies en études du parcours de vie). De nos jours, les instituts d’études statistiques et démographiques en Amérique du Nord, en Europe et en
5.
Voir aussi les travaux de Kertzer (1991).
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Australie conduisent régulièrement des enquêtes longitudinales pour recueillir de grandes séries de données sur la population et les ménages (voir par exemple Statistique Canada). Les outils employés dans ces enquêtes sont les questionnaires biographiques6, qui permettent d’enregistrer et d’analyser les diverses séquences du parcours selon des coordonnées considérées comme importantes à l’étude7. Le calendrier de vie est un autre outil souvent employé pour reconstituer la chronologie du parcours et situer les transitions survenues pendant la durée étudiée sur les différentes trajectoires familiale, éducationnelle, professionnelle et résidentielle8. Des approches qualitatives, plus précisément biographiques, ont également été développées surtout en sociologie, en psychologie, en anthropologie (notamment de tradition française). Une multitude de techniques de collecte de données existent et se déclinent selon des critères comme le rôle accordé au narrateur et à l’intervieweur (autobiographie, coproduction du récit, récit thématique structuré, etc.), le nombre de sessions de réalisation de l’entrevue, la modalité (écrite, orale), le degré de structuration (entretien dirigé, semi-dirigé ou non dirigé) (Desmarais et Grell, 1986 ; Chamberlayne et coll., 2000). À titre d’exemple, le récit de pratique (Bertaux, 1997) vise à reconstituer une partie du vécu des sujets, en fonction de l’objet social à l’étude, formulé afin de correspondre à une pratique sociale précise. L’histoire de vie sociale approfondie est réalisée par une série d’entretiens où le narrateur prend le rôle de partenaire dans l’analyse et la critique dans les phases suivant la collecte de la narration (Pineau et Le Grand, 1993). L’histoire de vie de groupe (ou les récits de 6. Les questionnaires biographiques sont employés, par exemple, dans les enquêtes longitudinales de l’INED (1999), en France : Biographie et entourage, Proches et parents, Biographie 3D – Biographie familiale, professionnelle et migratoire ; voir référence en ligne : . Pour obtenir plus d’informations au sujet des études longitudinales, voir Mayer (2009). Au sujet des méthodes d’analyse des trajectoires familiales, professionnelles, éducationnelles et de santé par cohorte, consulter Sapin et coll. (2007). 7. Plusieurs méthodes d’analyse de ces données statistiques sont habituellement utilisées : event history analysis, multilevel modeling ; Markov transition models ; longitudinal data mining (Levy et Pavie, 2005). Voir aussi Wu (2004). 8. Cet outil conçu par l’équipe française GERM/CERCOM (1989) a été utilisé dans des études statistiques longitudinales (INED, 1999), mais aussi dans des études qualitatives (Charbonneau, 2003 ; Saint-Jacques et coll. 2009a, 2009b ; Gherghel et Saint-Jacques, 2011, 2012).
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vie croisés) se réalise par le croisement des récits de plusieurs personnes qui ont vécu des situations communes. Par exemple, l’analyse de l’expérience du divorce peut se faire en interviewant le père, l’enfant, l’ex-conjointe, etc. (Delcroix, 1995). L’histoire de vie en groupe est utilisée surtout en formation, lorsque chaque individu fait son récit de vie en présence des autres membres du groupe ; le récit ainsi réalisé peut être présenté comme écrit individuel ou collectif (Pineau, 1983, Pineau et Le Grand, 1993, p. 112). L’entretien biographique, compréhensif (Kaufman, 1996) ou narratif (Bertaux, 1997) est une autre technique utilisée pour connaître et comprendre des expériences particulières. C’est un type d’entretien semi-dirigé, organisé autour des thèmes considérés comme importants pour le sujet à l’étude. L’analyse de la recomposition familiale dans une perspective du parcours de vie Dans la recherche sur la recomposition familiale (Saint-Jacques et coll., 2009a, 2009b), l’entretien biographique était particulièrement centré sur l’épisode de recomposition. Cet épisode a été observé selon différentes dimensions comme l’expérience de recomposition, les relations familiales, les perceptions du répondant envers cette expérience et les rôles et relations familiales. Le calendrier de vie était rempli précédemment (voir l’annexe 1 pour visualiser l’outil de recherche utilisé). Une attention particulière était portée aux transitions familiales, éducationnelles, professionnelles et résidentielles importantes afin d’établir les principaux épisodes du parcours discuté.
Cette façon de procéder combinant les données factuelles issues des calendriers de vie et le récit biographique est une voie de recherche de plus en plus utilisée (Charbonneau, 2003, Gherghel et Saint-Jacques, 2011 ; Cohler et Hostetler, 2004). Ces outils étant complémentaires, leur utilisation conjointe permet de combler leurs limites respectives en comparant les données issues des récits biographiques et des questionnaires standardisés. À cet effet, Battagliola et coll. (1993) ont mis en évidence les forces et les limites de chaque approche. Les questionnaires et les grilles standardisées des calendriers de vie fournissent des données permettant l’analyse des régularités statistiques, alors que les entretiens permettent de saisir la dimension subjective comme la dynamique des parcours, la signification des faits biographiques et la cohérence des trajectoires. Faisant appel à la mémoire, la démarche biographique est soumise aux mécanismes de sélection, d’omission et de condensation des
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faits et des événements biographiques dans le processus narratif (p. 341). Ainsi, un événement est choisi pour représenter une constellation d’événements parce qu’il est considéré comme significatif pour la compréhension de la trajectoire. Pour cette raison, l’utilisation de ces deux outils semble être une voie pertinente afin de dépasser les limites de chacun d’eux et d’accéder autant à la chronologie des faits biographiques qu’à la subjectivité de l’acteur conférant sens et cohérence à l’itinéraire suivi9. L’approche biographique élaborée notamment en sociologie a aussi beaucoup d’affinités avec les approches narratives développées en psychologie du développement cognitif (McAdams, 2001, 2005 ; Fiese et Pratt, 2004). L’approche narrative se base sur le postulat du développement de l’identité individuelle au cours de la vie (lifespan). McAdams (1993, 2001, 2005) montre que l’identité s’exprime par la forme d’un récit, comprenant des mises en scène dans divers cadres, des scénarios, des caractères ou des personnages et des thèmes précis. À partir de l’adolescence, les individus commencent à reconstruire leur passé comme une narration intégrative du soi qui confère unité et intentionnalité à l’ensemble de la vie, permettant de comprendre le présent et d’anticiper l’avenir (ex. : établir des objectifs de croissance). L’histoire acquiert un statut particulier dans le développement de l’identité : elle donne un sens, une unité et un but à l’existence. McAdams s’intéresse au contenu et à la structure des récits de vie, ainsi qu’aux tendances caractéristiques des narrations identitaires. Life stories are based on biographical facts, but they go considerably beyond the facts as people selectively appropriate aspects of their experience and imaginatively construe both past and future to construct stories that make sense to them and to their audiences, that vivify and integrate life and make it more or less meaningful. Life stories are psychosocial constructions, coauthored by the person himself or herself and the cultural context within which that person’s life is embedded and given meaning. As such, individual life stories reflect cultural values and norms, including assumptions about gender, race and class. Life stories are intelligible within a particular cultural frame, and yet they also differentiate one person from the next (McAdams, 2001, p. 101).
Si les récits de vie reflètent l’appartenance à une culture, ils peuvent être contrastés et comparés selon plusieurs dimensions : l’intentionnalité, 9.
Dans ce type d’étude qualitative, le choix du nombre final de répondants est déterminé selon le principe de la saturation (Bertaux, 1997 ; Bertaux et Bertaux-Wiame, 1980).
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la communion, la rédemption, la contamination, le degré de complexité structurelle, leur cohérence et l’intelligibilité. Par exemple, plusieurs études (McAdams, 2001 ; McAdams et coll., 1993) montrent que la narration des trajectoires de succès s’organise dans les sociétés occidentales selon un schème de rédemption où les expériences perçues comme négatives à un moment de la trajectoire sont présentées comme ayant des effets positifs à long terme pour le développement individuel. Les récits dominés par la rédemption sont donc positivement associés au bien-être, à l’estime de soi et à la satisfaction par rapport à la vie, alors que les récits organisés surtout en séquences de contamination sont associés avec la dépression et l’affaiblissement du bien-être. Dans la construction du récit de vie, la cohérence s’observe par rapport à différents éléments temporel, biographique, causal et thématique (McAdams, 2001, p. 104-106). Pour sa part, la personnalité individuelle s’exprime sur le plan des dispositions personnelles (traits de personnalité), des adaptations (ex. : objectifs, motivations, stratégies, représentations mentales, valeurs, croyances, tâches de développement) et de l’intégration de l’ensemble des expériences qui confère le sens du parcours et du cadre de vie. Le récit de vie, construction sociopsychologique visant à saisir la cohérence de la vie, constitue une modalité d’intégration d’un ensemble d’expériences vécues ; c’est un « projet réflexif » particulier et important dans les sociétés contemporaines. Dans sa revue de littérature sur l’état des savoirs dans les études sur le parcours de vie, Mayer (2009) considère que le domaine a connu des avancées importantes dans plusieurs secteurs. En premier lieu, les bases de données issues des enquêtes longitudinales nationales (autant en Amérique du Nord qu’en Europe) offrent des informations complexes permettant de documenter à quel point, dans quels domaines et avec quelles conséquences les expériences au début de la vie influencent le parcours de vie ainsi que les changements de direction à l’âge adulte. Deuxièmement, les études documentent de plus en plus l’effet des contextes institutionnels (législation, politiques sociales) sur les parcours individuels, et ce, dans différents pays et contextes sociopolitiques en pleine mutation sociale. Les recherches dans le domaine de la santé qui s’intéressent au parcours de vie (études du vieillissement et des prestations des soins) ont connu un essor particulier. Par contre, plusieurs autres axes restent à développer, notamment en ce qui concerne la compréhension de la dynamique interne des parcours de vie, l’interaction entre le développement individuel et les trajectoires de vie socialement construites, ainsi que l’élaboration théorique autour de ces mécanismes déterminant les composantes psychologiques et sociales du développement. De plus,
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le questionnement sur les dispositifs méthodologiques de recherche adéquats pour saisir la dynamique des parcours dans le temps et l’espace demeure actuel. Dans ces domaines, les études sur les familles peuvent contribuer grandement à la compréhension des mutations contemporaines.
5 Conclusion
L
’application de la théorie du parcours de vie à l’étude de la recomposition familiale témoigne de la polyvalence et du potentiel de cette théorie. L’exemple de la recomposition familiale analysé dans ce livre met en lumière plusieurs constats quant aux avantages et aux difficultés de l’utilisation de cette approche. À l’heure actuelle, les modèles qui analysent les facteurs explicatifs de l’instabilité des familles recomposées et les processus à l’œuvre dans ces situations n’apportent pas d’explications suffisantes et complètes. Ces modèles se limitent à certains aspects de la recomposition et sont principalement centrés sur les relations familiales ou les processus internes. L’approche du parcours de vie appliquée à l’étude de la recomposition familiale semble offrir un cadre d’analyse assez large et inclusif pour permettre l’articulation des différentes dimensions et facteurs identifiés comme importants pour les dynamiques familiales de la recomposition : les rôles et les relations familiales, les processus qui sous-tendent les rapports familiaux, les différents contextes de vie et environnements, les transitions de vie et leur enchaînement dans le parcours ainsi que les différentes temporalités sociales et historiques. À la différence d’autres modèles explicatifs, la théorie du parcours de vie permet de rassembler les dimensions écologiques, temporelles et biographiques qui influencent la recomposition. Entre toutes, la dimension temporelle semble manquer aux approches développées jusqu’à présent. De ce fait, la théorie du parcours de vie a le potentiel de dépasser cette limite et d’orienter le regard du chercheur sur l’ensemble des facteurs qui influencent la stabilité familiale. Ainsi, on peut conclure que l’utilisation de cette théorie dans les études sur les familles, mettant l’accent sur l’ensemble des relations et processus à l’œuvre dans les dynamiques familiales, présente un intérêt particulier pour la compréhension des mécanismes et des conditions du développement individuel dans le temps et sous l’effet des conditions
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sociohistoriques. Par contre, l’utilisation de l’ensemble des principes et des concepts au sein d’une même recherche est rare et difficile à réaliser. La plupart des recherches mettent l’accent sur un aspect de la théorie comme l’intentionnalité des acteurs, les déterminants structurels des trajectoires et des comportements, les calendriers normatifs, etc., mais pas sur tout l’ensemble des principes. De plus, comme il a déjà été mentionné (section 4.2), les outils de recherche ne permettent actuellement pas de capter certains aspects essentiels tels que l’interaction des dimensions du parcours et des différentes trajectoires qui le composent. À noter que des tentatives récentes tentent présentement de dépasser ces limites. Si les avantages de l’utilisation de cette théorie sont prouvés dans une variété de domaines (santé, démographie, études populationnelles, etc.), les défis liés à son application sont aussi apparents : comprendre le cadre conceptuel et les différentes utilisations des principes proposés au-delà de la polysémie terminologique, maîtriser l’ensemble des outils méthodologiques (l’exploitation des ensembles de données nécessitant beaucoup de temps), etc. Compte tenu de ces constats, il faut souligner que la théorie du parcours de vie est en constante évolution et réajustement, enrichie en permanence par les nombreuses contributions interdisciplinaires des divers domaines. Cette transformation est visible par la multiplication des initiatives de recherche et d’enseignement1 dans ce domaine et des ouvrages qui dressent le bilan de ces acquis (surtout en langue anglaise pour le moment). Comme des contributions récentes le soulignent (Settersten, Furstenberg et Rumbaut, 2008 ; McDaniel et Bernard, 2011), l’étude des parcours de vie et l’utilisation de cette théorie dans une variété de domaines ont le potentiel d’améliorer le bien-être des personnes et des populations, surtout dans l’élaboration de politiques sociales et économiques adaptées aux pratiques et aux besoins des groupes et des communautés locales, notamment quant à la santé, au vieillissement et à la migration. Les résultats de ces études s’avèrent donc utiles pour mettre en place des interventions sociales adaptées aux transitions de vie, à la diversification des parcours d’entrée à l’âge adulte, etc., pour mieux accompagner les changements sociaux et démographiques actuels, d’où l’importance de bien saisir les outils de la théorie du parcours de vie et leurs utilisations dans les recherches.
1.
Pour obtenir plus d’informations à ce sujet, consulter Mayer (2009).
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Tableau sommaire Les principes et concepts de la théorie du parcours de vie Principe Le développement tout au long de la vie (life-span development)
L’intentionnalité des individus (human agency) L’insertion des vies dans le temps et l’espace (time and place)
La temporalité des transitions (timing of transitions)
Les vies sont interreliées (linked lifes)
Concepts de référence
Application à l’étude des transitions familiales. Exemple : la recomposition Le développement individuel est un Trajectoires et transitions familiales processus continu (adaptations à Emplacement de l’épisode de tous âges) qui se déroule durant toute la vie, et ce, selon de multiples recomposition dans le parcours dimensions, dans de multiples (âge, expériences précédentes et domaines et directions. subséquentes) Expériences de développement (famille d’origine, émancipation, etc.) Le rapport entre les contraintes et Motivations, objectifs, les opportunités sociales et histori- décisions de l’acteur ques (circonstances, contextes) et Significations attribuées aux l’acteur humain (la rationalité et transitions l’initiative de l’individu). Les liens entre le développement Période quand la recomposiindividuel (biologique et psycholo- tion est vécue gique) et les contextes de vie, les Contextes de vie familiale et environnements de l’individu, sociale (opportunités et l’écologie. contraintes relevant du milieu social, économique, emploi, etc.) Les rapports entre les temporalités Moment quand la recomposihistorique, sociale et individuelle à tion est vécue (âge, situation travers le concept d’âge (moment familiale) quand les transitions sont vécues, Expériences précédentes et leur ordre dans le parcours, les suivantes régulations relatives aux âges). Transitions vécues en même temps Les rapports entre le développement Acteurs de la recomposition et individuel et les changements leurs rôles (attentes, statuts, sociaux vus à travers les contextes de etc.) vie. Les influences réciproques entre Expériences vécues par les le développement individuel et les acteurs acteurs de son milieu. Capital social, réseau social.
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Annexe Exemple d’instrument de recherche, le calendrier des transitions de vie
Instructions pour l’intervieweur (calendriers de vie) : L’intervieweur remplit les calendriers en commençant par le calendrier familial, dans l’ordre suivant : 1. Le calendrier familial commence à l’année de naissance du répondant. Il repère les principales étapes du parcours, en ordre chronologique. Les principales séquences enregistrées sont : l’enfance, l’émancipation, la première union, les unions suivantes, l’épisode de recomposition actuel ou le dernier. Le calendrier s’arrête au moment présent (pour le groupe séparé, noter uniquement la situation actuelle sans détails). Pour chaque événement, on enregistre l’année (ou l’âge) et la composition du ménage. Les événements enregistrés pour chaque étape sont les suivants : A- Pour l’enfance et l’adolescence : La naissance d’ego ; La naissance des frères et sœurs, demi-frères et demi-sœurs ; La séparation (décohabitation) des parents = rupture conjugale ;
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La recomposition de l’un des deux parents (formation d’un nouveau couple)1 ; inclure la quasi-fratrie ; Le décès d’un membre de la maisonnée ; L’émancipation (départ du foyer parental). B- Pour la première union et les unions suivantes (notez seulement les unions d’une durée de plus de trois mois) : La cohabitation avec le conjoint ; La naissance d’un enfant ; La séparation (décohabitation) du couple ; Le décès d’un membre du ménage. Pour la dernière union (ou épisode de recomposition documenté dans cette étude) – enregistrer le mois et l’année pour chacun des événements de l’épisode : La rencontre du conjoint ; La rencontre des enfants du conjoint2 ; La cohabitation avec le conjoint (cohabitation) ; La cohabitation avec les enfants du conjoint (cohabitation), précisez l’âge des enfants ; La naissance d’un enfant ; La séparation (décohabitation) du couple – seulement pour le groupe séparé ; Le décès d’un membre du ménage. On porte une attention particulière à reconstituer la dernière séquence (épisode de recomposition), c’est-à-dire à la détailler plus que les autres.
2. Le calendrier professionnel est rempli une fois que le calendrier familial est terminé (ou en parallèle avec le calendrier familial pour chaque étape principale).
1. Même si ego ne vit pas avec ce parent. Le préciser dans les observations. Notez aussi la présence de quasi-frères et sœurs et de demi-frères et sœurs dans le ménage où vit ego. 2. Pour aider ego, on peut lui demander : « Combien de temps après avoir rencontré votre conjoint avez-vous connu ses enfants ? »
Références
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Dans la rubrique Études, enregistrer : la fin des études, en précisant le diplôme ou le niveau. Si ego a intégré le marché du travail puis est retourné aux études, le préciser. Dans la rubrique Emploi, enregistrer la situation d’emploi : en emploi (à temps plein, à temps partiel), en chômage, congé de maladie, congé maternel, inactif. Pour l’Emploi, est enregistrée seulement la situation lors des événements inscrits dans le calendrier familial (ex. : Lors de votre séparation avec le père de votre enfant, quelle était votre situation d’emploi ? Étiez-vous en emploi, en chômage, aux études ? Au moment où vous avez décidé d’aller vivre avec votre conjoint actuel, quelle était votre situation d’emploi ?). 3. Le calendrier résidentiel est rempli en dernier. Pour chaque événement listé ci-dessous, on enregistre le lieu de résidence : nom de la ville ou du village. S’il y a un changement important (déménagement de plus de 100 km ?), on enregistre l’année exacte du déménagement/installation dans la nouvelle location. Les moments pour lesquels on enregistre le lieu de résidence sont : La naissance d’ego ; Le départ du foyer parental ; La fin des études ; La première union ; Chacune des unions suivantes. À la fin de l’entrevue, les calendriers doivent être remplis au propre et les informations vérifiées en réécoutant l’entrevue.
Année/ âge Études
Emploi
Événement
Composition du ménage
Calendrier professionnel
Calendriers
Calendrier familial
No de dossier : ________
Lieu de résidence
Calendrier résidentiel Observations
82 La théorie du parcours de vie (life course)
Références
83
Pour finir la séquence portant sur l’enfance, posez les quatre questions finales – caractéristiques générales de l’enfance, soit : 1. En général, considérez-vous que votre famille d’origine était (sur le plan économique) ? Aisée Moyenne Défavorisée 2. Si vous deviez nommer trois éléments (cela peut être des événements ou non) importants de votre enfance et de votre jeunesse, quels seraient-ils ? En quoi ont-ils été marquants pour la suite de votre vie ? 3. Comment décririez-vous les relations qui existaient entre les membres de votre famille ? 4. Dans quel contexte avez-vous quitté vos parents ? Pour finir la séquence portant sur la conjugalité, posez les questions suivantes – caractéristiques générales de l’histoire conjugale jusqu’au moment de la recomposition : 1. Actuellement, comment décririez-vous la relation que vous avez avec votre ex-conjoint3 ? 2. Actuellement, que ressentez-vous par rapport à votre ex-conjoint ? Depuis votre séparation, est-ce qu’il en a toujours été ainsi ? 3. Si quelqu’un devait comprendre l’essentiel de ce qu’a été votre expérience conjugale (en général4) et monoparentale (s’il y a lieu) avant la recomposition familiale, que devrait-il savoir ?
3.
4.
Cette question s’adresse à tous les répondants qui ont un ex-conjoint, indépendamment qu’ego ait eu, ou non, des enfants avec cet ex-conjoint. Si ego a eu plusieurs ex-conjoints, il doit prendre, dans l’ordre, 1) celui avec qui il a eu des enfants (si plus d’un, les questions sont répliquées), 2) la relation la plus importante à ses yeux. Ego ne répond pas à ces questions si l’épisode de recomposition documenté est son premier épisode conjugal. Pourrait désigner plus d’une relation.
Séparation
1980 20 ans Nov. 1983 23 ans
1986 26 ans
Mai 1984 24 ans
Émancipation d’ego et première union
1978 18 ans 1979
Ego
Travailleur social
Peintre en bâtiment, travail sur la construction
Ego, Marie (conjointe 1) Concierge
Baccalauréat en service social
Technique en travail social
Études
Calendrier professionnel
Composition du Emploi ménage Père, mère, frère 1, frère 2, ego
Rencontre de conjointe 2 (Sophie) Rencontre des enfants de la conjointe 2 semaines plus tard Cohabitation, Ego, Sophie (conjointe recomposition 2), beau-fils 1 (Julien 4 ans), beau-fils 2 (Cédric 2 ans)
Naissance d’ego
Événement
Calendrier familial
1960
Année/ âge
Exemple. Calendriers de vie d’un répondant fictif
Montréal
Châteauguay
Lieu de résidence
Calendrier résidentiel
Fin de la cohabitation. Rupture définitive en 1981 Les enfants voient le beau-père comme un ami de la famille
1979 à 1983 : petits boulots, petites périodes d’aide sociale
1966 : accident ego, a failli se noyer ; 1971 : accident voiture frère 1 devient paraplégique
Observations
2003
2001
1992 32 ans
1990 30 ans
1988 28 ans
Ego, conjointe 1, beau-fils 1, beau-fils 2, fils 1 Naissance de Raphaëlle (fille 1) Ego, conjointe 1, beau-fils 1, beau-fils 2, fils 1, fille 1 Naissance de Camille (fille 2) Ego, conjointe 1, beau-fils 1, beau-fils 2, fils 1, fille 1, fille 2 Émancipation de beau-fils 2 Ego, conjointe 1, beau-fils 1, fils 1, fille 1, fille 2 Émancipation de beau-fils 1 Ego, conjointe 1, fils 1, fille 1, fille 2
Naissance de Pierre (fils 1)
Fin de l’épisode de recomposition avec le départ du dernier enfant issu d’une union précédente
Mariage en novembre 1992
Ana Gherghel • Avec la collaboration de Marie-Christine Saint-Jacques
La théorie du parcours de vie est actuellement vue comme une des orientations théoriques prépondérantes dans l’étude de la vie des personnes parce qu’elle propose une analyse « compréhensive » du développement individuel pour examiner les liens entre le changement social, la structure sociale et l’action individuelle. Ce livre propose au lecteur de s’initier à cette approche, à ses principes et à son vocabulaire. Le travail de synthèse des connaissances qui a été effectué permet de tracer l’origine de cette approche, ses multiples applications interdisciplinaires (sociologie, psychologie, démographie, etc.), ses concepts, ses principes de base et ses méthodes. Ce livre est aussi un guide pour l’utilisation de cette théorie dans les études sur la famille. Des exemples concrets illustrent chaque élément théorique sur la base des recherches relatives à la recomposition familiale, faites par des chercheurs du Centre de recherche sur l’adaptation des jeunes et des familles à risque (JEFAR).
La théorie du parcours de vie
Ana Gherghel, Ph.D., est sociologue, collaboratrice au centre de recherche JEFAR, pour l’approche du parcours de vie et l’étude des trajectoires familiales. Elle est actuellement chercheuse à l’Université des Açores (Portugal) et développe des recherches sur les familles transnationales. Marie-Christine Saint-Jacques, t.s., Ph.D., est professeure titulaire à l’École de service social de l’Université Laval et directrice du Centre de recherche sur l’adaptation des jeunes et des familles à risque (JEFAR). Illustration de la couverture : Dessin de Anastasia Gherghel
Service social
Gherghel et St-Jacques.indd 1
La théorie du parcours de vie Une approche interdisciplinaire dans l’étude des familles
Ana Gherghel Avec la collaboration de
Marie-Christine Saint-Jacques
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