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French Pages 250 [296]
La souveraineté monétaire
Habsburg Worlds Volume 1
General Editor Violet Soen (KU Leuven) Editorial Board Tamar Herzog (Harvard University) Yves Junot (Université de Valenciennes et du Hainaut-Cambrésis) Géza Pálffy (Hungarian Academy of Sciences) José Javier Ruiz Ibáñez (Universidad de Murcia, Red Columnaria) Barbara Stollberg-Rilinger (Westfälische Wilhelms-Universität Münster) Joachim Whaley (University of Cambridge)
La souveraineté monétaire dans les Pays-Bas méridionaux xvie-xixe siècle
Marie-Laure Legay
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All volumes in this series are evaluated by an Editorial Board, strictly on academic grounds, based on reports prepared by referees who have been commissioned by virtue of their specialism in the appropriate field. The Board ensures that the screening is done independently and without conflicts of interest. The definitive texts supplied by authors are also subject to review by the Board before being approved for publication. Cover illustration: Jan Sanders van Hemessen, Le Christ chassant les marchands du temple. Inv. 90 Nancy, Musée des Beaux-Arts, Cliché Ville de Nancy, P. Buren ; avec le soutien du du laboratoire UMR-CNRS IRHIS 8529. © 2016, Brepols Publishers n.v., Turnhout, Belgium. All rights reserved. No part of this publication may be reproduced, stored in a retrieval system, or transmitted, in any form or by any means, electronic, mechanical, photocopying, recording, or otherwise without the prior permission of the publisher. DOI 10.1484/M.HW-EB.5.111990 ISBN 978-2-503-56730-3 (print) ISBN 978-2-503-56737-2 (online) D/2016/0095/217 Printed on acid-free paper.
Table DES MATIÈREs
Preface Première partie : La souveraineté monétaire aux xvie et xviie siècles: une réalité double Chapitre 1 : Le « Gouvernement » des Monnaies 1. Les maîtres des Monnaies 2. Le puissant corps des monnayeurs 3. La vivacité du localisme monétaire
5 5 13 17
Chapitre 2 : L’effigie, l’aloi et le poids 1. La représentation souveraine 2. Le titre et le poids 3. La question du seigneuriage
23 23 27 30
Chapitre 3 : Définir le cours légal 1. Le système monétaire de Charles Quint 2. Les écueils de l’évaluation 3. Un approvisionnement artificiel
35 35 38 42
Conclusion de la première partie
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Deuxième partie : La monnaie aux mains des banquiers Chapitre 4 : L’ère de la monnaie faible 1. Billonner les vieilles monnaies espagnoles 2. Le commerce, la guerre et l’invasion des monnaies néerlandaises 3. L’impossible réévaluation
51 52 55 59
Chapitre 5 : Imiter la monnaie française 1. Plaidoyer pour la liberté 2. Le viol du droit des gens : souveraineté et Jus gentium 3. La fausse réforme : une guerre juste
63 64 67 71
Chapitre 6 : Les fabriques anversoise et liégeoise de fausse monnaie 1. Les faux louis d’or du marquis de Prié 2. Le trafic semi-public du banquier Pietro Proli
75 75 79
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Table des matières 3. Le faux-monnayage des louis d’or au double L 4. La fabrique liégeoise Chapitre 7 : Les ateliers au chômage 1. Faux-monnayeurs et grâce royale 2. L’invasion des ducats de Hollande et l’évidement argentifère 3. La Jointe des Monnaies de Marie-Élisabeth (1730) Conclusion de la deuxième partie
83 89 91 92 97 101 105
Troisième partie : La réforme monétaire de 1749 Chapitre 8 : Le nouveau gouvernement des monnaies 1. La fin des Maîtres généraux des monnaies 2. La régie directe des hôtels 3. La difficile subordination des employés
111 112 113 117
Chapitre 9 : Les opérations de billonnement 1. L’occupation française et le problème des ducats légers 2. Les billonnements des années 1749-1752 3. Accélérer l’approvisionnement 4. L’engagement des États provinciaux dans la livraison des vieux escalins
121 121 124 129 131
Chapitre 10 : Le succès des souverains belgiques 1. Le nouveau système 2. La qualité des nouvelles espèces 3. Un succès européen
137 137 141 144
Quatrième partie : L’exploitation monétaire des Pays-Bas Chapitre 11 : L’exploitation autrichienne (1756-1780) 1. La banque Nettine, livrancière privilégiée de monnaies 2. La prééminence de l’atelier de Bruxelles sur celui de Bruges 3. La « provincialisation » des finances belgiques au profit des « finances allemandes » 4. Le maintien des lois prohibitives d’exportation des espèces et la critique libérale
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Chapitre 12 : Joseph II et la question monétaire 1. La pesée globale 2. Wouters et la nouvelle comptabilité autrichienne des Monnaies 3. Le tarissement
165 165 170 174
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156 162
Table des matières Chapitre 13 : Les affres du dirigisme monétaire 1. L’abondance belge et la spoliation française 2. La Monnaie de « la grande Nation » 3. « Dieu soit avec nous » : le roi Guillaume et le système néerlandais (1815-1830)
179 179 185 187
Chapitre 14 : Monnaie et nation : le rendez-vous manqué 191 1. La tutelle de la banque de France 192 2. La création du « franc » belge 195 3. « Nous n’avons pas de monnaie à nous »(1841)199 4. S’émanciper du système français ? 203 Conclusion générale
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Chronologie des principales ordonnances monétaires des Pays-Bas xvie-xixe siècle
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Principales dénominations des monnaies en circulation dans les Pays-Bas espagnols et autrichiens
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Transcription des Instructions pour les Maîtres généraux des Monnaies, 16 mars 1600 (copie) [AGR, Jointe des Monnaies, 25]
219
Sources manuscrites
249
Sources imprimées
255
Bibliographie259 Table des illustrations
269
Table des tableaux et graphiques
271
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Jacob Jordaens, Jésus chassant les marchands du Temple, vers 1650 [Paris, Musée du Louvre, inv1402]
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Avant-propos J’adresse mes remerciements les plus vifs à Violet Soen pour m’avoir suggéré la reformulation de certains passages de ce livre grâce à sa grande maîtrise de l’histoire des anciens Pays-Bas ; à Anne Dubet qui me lie à la communauté des historiens du monde hispanique et dont l’activité scientifique force l’admiration ; à José Javier Ruiz Íbáñez dont les travaux ont bousculé certains de mes schémas historiographiques préférés ; à Claude Bruneel qui a bien voulu me faire l’honneur de préfacer cet ouvrage ; aux éditions Brepols et à leurs relecteurs exigeants et consciencieux. C’est un honneur d’ouvrir une collection dont la destinée sera, je l’espère, des plus grandes, à l’image de ce que furent les Mondes des Habsbourg.
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Préface En 1992, en vertu du Traité de Maastricht, la Communauté européenne devient une Union économique et monétaire complète. Trois ans plus tard, au Sommet de Madrid, les quinze États membres d’alors s’engagent en faveur d’une monnaie unique. En 1999, les taux de change des monnaies participantes sont fixés de manière irrévocable. L’euro est introduit d’abord sous forme scripturale, puis, à partir du premier janvier 2002, pièces de monnaies et billets sont mis en circulation. Les premières conservent par ailleurs une face spécifique au pays émetteur, il convient de le souligner. Aujourd’hui, après une quinzaine d’années à peine, la première euphorie passée, un sentiment de nostalgie, à vrai dire jamais totalement éteint, s’exprime avec vigueur chez d’aucuns. Le doute s’installe. Des voix s’élèvent en faveur d’un retour aux anciennes monnaies nationales. Le temps d’un soupir, au regard du temps long de l’Histoire, suffit à redonner vie, dans certains milieux, aux aspirations à la souveraineté monétaire des États. Leur droit régalien de battre à nouveau « leur » monnaie « en toute indépendance » est revendiqué par plus d’un citoyen. Toutefois, une telle volonté de totale souveraineté n’est-elle pas largement illusoire ? Madame Legay en montre toute la vanité dans un verdict solidement argumenté. La monnaie n’échappe pas aux enjeux politiques. Dans un éloquent raccourci, citant le ministre belge libéral Frère-Orban justifiant l’intérêt de la Belgique à adhérer, en 1865, à une Convention monétaire avec la France, l’Italie et la Suisse, elle écrit que son argumentation « sans y rien changer, pourrait être mise dans la bouche de Charles II d’Espagne », qui a régné de 1665 à 1700. Ainsi, tout est dit. La monnaie belge a toujours été arrimée à une monnaie étrangère. Au fil des siècles, les fondamentaux demeurent, même s’ils paraissent parfois occultés par les circonstances du moment, même s’ils n’échappent pas aux inflexions que le temps impose. Le lieu de la démonstration n’est certes pas indifférent. De 1585, l’année de la chute d’Anvers, à 1850, le territoire belge accueille une intense circulation des monnaies étrangères. Il est en effet situé au cœur de l’Europe commerçante. Il constitue également le champ de bataille de ses princes. Au xviiie siècle, la vocation de barrière entre la France et les ProvincesUnies lui est assignée. En dépit d’une large autonomie, les provinces Belgiques sont gouvernées de l’étranger, de l’Escurial puis de Vienne. Elles sont ensuite annexées à la France avant que les Puissances ne décident, en 1815, au Congrès de Vienne, d’en faire un des éléments constitutifs du nouveau Royaume des Pays-Bas. Elles maîtrisent enfin leur propre destin à xi
Préface
partir de la Révolution de 1830, à la faveur d’une indépendance cependant toujours menacée à ses débuts. Dans l’étude que nous offre madame Legay, la question de la monnaie est étroitement liée aux enjeux politiques, une approche trop souvent négligée jusqu’ici. Depuis le xvie siècle, le destin monétaire de la Belgique s’articule en quatre temps. Il n’échappe pas à l’affirmation de l’autorité souveraine qui s’impose dans tous les domaines sous Charles Quint. Il ne peut se soustraire à la reprise en mains du pays au lendemain de la guerre civile qui a éclaté sous le règne de Philippe II. Toutefois, si brillante que soit l’autorité du prince, son éclat est nécessairement tempéré par les lois du marché des métaux et des changes. Il lui faut composer avec les négociants et banquiers qui y trafiquent activement. Lui-même n’hésite pas à s’engager dans la manipulation monétaire pour financer le déficit des royales finances. L’affaiblissement général de l’autorité des souverains espagnols et les guerres de Louis XIV marquent durablement le pays durant tout le xviie siècle. Au début du siècle des Lumières, le piètre état des finances, aggravé encore par les lourdes obligations découlant du Traité de la Barrière, appelle un redressement qui s’avère lent et difficile. Au cœur de la « guerre d’argent » que se livrent les puissances européennes, les banquiers sont les acteurs et les arbitres de la politique monétaire. Le regard fixé sur la place d’Amsterdam, ils règlent le négoce des métaux précieux au mieux de leurs intérêts. Des banquiers anversois prennent même impunément l’initiative de produire des pièces pour rétablir l’équilibre du change. La fin de la guerre de Succession d’Autriche, consacrée par le Traité d’Aix-la-Chapelle en 1748, laisse les mains libres à Marie-Thérèse pour réformer en profondeur les institutions des Pays-Bas. Elle les affranchit davantage aussi des pressions étrangères. La sphère financière n’échappe pas à sa vigilance. Le pays est épuisé par les dettes de guerre contractées pour répondre aux exigences des occupants. Il faut le remettre en état de concourir par ses ressources à la gloire et à la prospérité de sa Maison, à la grandeur des Habsbourg. De nombreuses commissions spécialisées voient le jour, des jointes. Ainsi, à côté de la Jointe pour l’audition des comptes, qui évolue en Jointe des administrations et affaires des subsides, naît la Jointe des monnaies, dont les archives ont été intensément et judicieusement exploitées par madame Legay. La réforme de 1749 est un tournant marqué par le succès. Habilement, l’Impératrice ménage les susceptibilités des représentants de ses sujets. Dans le domaine monétaire aussi, elle applique la tactique du « compromis thérésien ». Elle impose par ailleurs sa politique financière aux banquiers dont elle se fait des alliés. La veuve Nettine devient ainsi le caissier de l’État. Au plan international, sous xii
Préface
l’égide de puissants monarques, c’est le retour à l’équilibre dans l’arbitrage des monnaies. La politique initiée par Marie-Thérèse se poursuit sous Joseph II et Guillaume Ier des Pays-Bas. Enfin, lors de la dernière phase, l’indépendance nationale augure d’un changement radical, en apparence du moins. Les représentants de la Nation interviennent désormais dans le champ de la décision. Le franc belge est créé en 1832, la Banque nationale de Belgique voit le jour en vertu d’une loi de 1850. L’émission de la monnaie et la gestion des réserves de change lui sont confiées. Sur le terrain toutefois, l’effet des réformes ne se manifeste que très lentement. D’autre part, l’État, tout comme autrefois, ne peut s’affranchir de l’influence des milieux financiers internationaux. Ils demeurent les principaux juges de la capacité d’endettement et de la solvabilité du jeune royaume. C’est avec une incontestable maîtrise que Madame Legay domine ce panorama de quatre siècles d’histoire monétaire. Elle va au cœur de la question en tirant parti de sa fine connaissance des archives conservées à Bruxelles, Paris et Vienne. Elle excelle tout autant à mettre en exergue avec clarté les lignes de force du sujet. Sa large érudition se mesure aussi à l’aune d’une imposante bibliographie multilingue dont elle a su tirer l’essentiel. Par ailleurs, le lecteur lui en saura gré, elle relève brillamment le défi de transformer l’exposé d’une matière austère en des pages de lecture agréable. Il suffit déjà de parcourir les titres et sous-titres de la table des matières pour s’en convaincre. Enfin, elle verse une contribution rigoureuse et raisonnée au débat actuel sur l’euro, où les arguments reposent trop souvent sur le sentiment et l’émotion. Qu’elle en soit remerciée. Claude Bruneel Professeur émérite de l’Université catholique de Louvain Président de la Commission royale d’Histoire
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Introduction « Je sais bien que le mieux serait d’avoir un seul système de monnaies pour tous les pays ; oui, sans doute, de même qu’il serait à désirer que la liberté illimitée du commerce fût proclamée par tous les peuples. Mais si une petite nation ouvre ses portes, elle fait alors exception, elle perd, elle se ruine il en est de même pour la monnaie ». Ferdinand de Meeûs, Chambre des représentants, 4 décembre 1833
Revenir à la souveraineté monétaire nationale ! Cette alternative radicale à l’euro, présentée comme recours ultime pour faire face à la crise économique actuelle, est en vogue. Revenir au temps où les gouvernements contrôlaient leur change et leur commerce. Avoir une « monnaie à nous », rêve passéiste des peuples en colère qui voient dans cet attribut d’autrefois – le franc, la drachme, le florin, la lire, le mark, la peseta…– la garantie de la croissance et du plein emploi ! La démarche est tentante ; elle est utilisée par certaines responsables politiques à des fins démagogiques. Faire vibrer l’inconscient collectif, celui de l’identité nationale, est efficace. À Bruxelles, Jürgen Habermas n’avait-il pas repéré le rôle de la monnaie comme puissant instrument anonyme d’intégration sociale1 ? Le doute s’installe sur les vertus de l’euro, et d’aucuns se demandent comment se prémunir contre cette monnaie surpuissante qui semble à elle seule régner sur les Européens, en souveraine. Le débat actuel interpelle. Il pose la question de la « souveraineté monétaire » comme fondement perdu de l’identité nationale, voire de la démocratie : ne logeant plus dans le sein des gouvernements nationaux issus des majorités électorales, mais impossible à localiser clairement dans le magma institutionnel européen, la souveraineté monétaire semble comme s’être affranchie du peuple. Reste que nous ne sommes pas certains
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Jürgen Habermas, « Citizenship and National Identity. Some Reflections of the Futur of Europe », colloque Identités et différences dans l’Europe démocratique, Approches théoriques et pratiques institutionnelles, Bruxelles, 23-25 mai 1991. Texte non publié cité par Gérard Noiriel, « L’identité nationale dans l’historiographie française, note sur un problème », dans J. Chevallier (dir.), L’identité politique, Paris, PUF, 1994, p. 294-305.
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Introduction
de savoir définir très exactement ce que nous avons perdu : avons-nous été spoliés d’une liberté fondamentale ? En partant du concept de région plutôt que de celui de nation dans son célèbre article sur les zones monétaires optimales2, le prix Nobel Robert Mundell, parrain de la monnaie unique, avait appelé au renoncement à l’autonomie monétaire des États-nations et envisagé, dans un contexte de croissance soutenue, la monnaie comme quasi autonome dans sa légitimité. Au fond, un système monétaire ne serait qu’un mode de reconnaissance d’échelles plus ou moins grandes de valeurs. Confortée par bien d’autres théories économiques, parmi lesquelles celle des choix publics énoncée par le professeur James Buchanan, prix Nobel en 1986, la monnaie unique prétendait également s’affranchir d’une forme de gouvernance idéale. L’État bienveillant et omniscient relève du mythe, démontre Buchanan, car la vision romantique de la démocratie ne produit au final qu’une recherche inatteignable et dangereuse de l’unanimité3. Selon cette théorie qui révèle les courtes vues des hommes politiques essentiellement préoccupés par la conquête du pouvoir et les intérêts particuliers, les démocraties doivent être limitées par des principes institutionnels externes, qui dans les faits privent l’État d’une partie de sa souveraineté. Dans le même temps, d’autres économistes, gênés par le caractère libéral de ces conceptions, empruntaient des chemins plus sinueux pour revenir à la monnaie comme objet politique. À partir des travaux de Karl Marx et de René Girard, Michel Aglietta et André Orléan ont pris comme point de départ de leur réflexion sur la monnaie, non le marché, mais le lien social qu’elle constitue dans un ouvrage essentiel, encore que peu connu : La violence de la monnaie4. Relevant l’incapacité de la pensée économique à appréhender la monnaie en dehors des schémas d’analyse formés autour de la seule puissance contractante des individus, les auteurs proposent finalement une lecture plus anthropologique, totalisante, du fait monétaire dont la dimension sacrée ne peut être occultée. La monnaie serait l’expression même de la souveraineté, en tant qu’elle est un ensemble de
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Robert A. Mundell, « A Theory of optimal currency areas », American Economic Review, vol. 51, n° 4, 1961, p. 657-665. James M. Buchanan, Richard E. Wagner, Democracy in Deficit: The Political Legacy of Lord Keynes, Academic Press, Liberty Fund, 1977, et notamment le chapitre 8 « Money-financed Deficits and Political Democracy », p. 110-128. Aglietta Michel et Orlean André, La violence de la monnaie, Paris, PUF, 1982. Réactualisé sous le titre La monnaie entre violence et confiance, Paris, éd. Odile Jacob, 2002.
Introduction
règles qui déterminent l’appartenance de chacun à la société marchande5. Ce faisant, ils interrogent l’histoire, et plus particulièrement l’historien de l’époque moderne, familier du « droit divin » des rois et d’une époque où les corps constitués avaient plus de poids que l’individu. La souveraineté monétaire a-t-elle donc jamais existé ? Pas plus autrefois qu’aujourd’hui, où la monnaie européenne émane d’institutions dont la souveraineté est partiellement fondée6, la chose n’est clairement établie. Ce livre tente à son tour de répondre à la question sur la véritable nature de la souveraineté monétaire à travers le prisme de l’histoire, et plus particulièrement de l’observation d’un territoire situé au cœur de l’Europe marchande, mais sur lequel l’autorité souveraine a toujours hésité quant à la nature de son emprise : les Pays-Bas méridionaux. Pendant près de deux siècles et demi – entre la fermeture de l’Escaut (1585) et la création de la banque de Belgique (1850) – ce territoire soumis à une intense circulation des monnaies étrangères, voie de passage commercial coincée entre la prospère république des Provinces-Unies et son florin européen, le grand marché français et l’Angleterre coloniale voisine, a vécu une histoire monétaire hors du commun. Formant une « communauté civique » pour reprendre les termes de Giovanni Muto, dotée d’une autonomie administrative, fiscale et juridique7, il fut le lieu d’utilisations pratiques et symboliques multiples de la monnaie.
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Aglietta Michel et Orlean André (dir.), La monnaie souveraine, Paris, Editions Odile Jacob, 1998. La perspective de ce groupe fut d’examiner notamment quatre axes : La place de la monnaie dans les constructions philosophiques de la souveraineté profane moderne ; la diversité historique des pratiques de construction politique de la souveraineté monétaire ; les représentations de la souveraineté dans les discours théoriques des économistes et dans les représentations économiques du monde non (ou moins) savant, en particulier celles concernant la monnaie ; et la construction monétaire de la souveraineté politique en pratique.
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On trouvera un état de la question dans l’article de Sabine Saurugger, « Théoriser l’état dans l’Union européenne ou la souveraineté au concret », http://www.juspoliticum.com/Theoriser-l-Etat-dans-l-Union.html
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Giovanni Muto, « Le système espagnol : centre et périphérie », dans Richard Bonney (éd.), Systèmes économiques et finances publiques, Paris, PUF, 1996, p. 226. Sur la notion de communauté, voir également Tamar Herzog, Defining Nations. Immigrants and Citizens in Early Modern Spain and Spanish America, New Haven/Londres, Yale University Press, 2003. Voir aussi pour l’historiographie plus récente insistant davantage sur les positionnements identitaires issus des réalités juridiques locales : R. Vermeir, M. Ebben et
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Introduction
Bien sûr, les historiens, comme les économistes, ont également observé depuis longtemps la double nature de la monnaie. Ils ont perçu d’abord sa dimension politico-juridique, avant de mesurer son rôle économique. Les rapports entre monnaie et souveraineté ont été soumis aux aléas de la guerre et des conquêtes – sphères d’action du prince – et à ceux du marché des métaux précieux et du grand négoce – sphère d’action des hommes d’affaires. Ces derniers ont tenté de se prémunir contre les mutations ordonnées sans cesse par le premier. Mieux : disposant du choix de leurs moyens de paiement, ils ont soumis les États à leurs règles du jeu. Car la loi – quand bien même elle fonde la souveraineté si l’on suit les préceptes de Jean Bodin – n’a pas la puissance de faire circuler une monnaie sans tenir compte de son rapport commercial. Ce célèbre humaniste le comprit d’ailleurs parfaitement et songea à articuler la monnaie non à la loi, mais à une sorte de contrat. À la même époque, l’anglais Thomas Gresham mit en évidence les règles économiques de circulation des espèces. Comme le rappelle François Rachline8, les marchands auraient conquis leur souveraineté monétaire face au souverain légitime. Ils définissaient entre eux un cours volontaire, privatisant ainsi l’usage des unités de compte. Les princes souverains auraient finalement accompagné cette appropriation de la monnaie par la communauté toute entière. L’hypothèse est séduisante. Elle met toutefois l’accent sur une opposition formelle entre sphère publique et sphère privée qu’il convient de vérifier : bien des historiens ont montré comment les monarques ont associé à leurs actions politiques les acteurs de la vie économique et locale, jusqu’à les intégrer au cœur même de leurs dispositifs. Pour former et faire reconnaître leur légitimité, les rois espagnols ont su intégrer les réalités tant juridiques, politiques qu’économiques des territoires qui formaient leur monarchie composite9. De leur côté, les bourgeois des villes, attachés à une forme d’auto-gestion, ont dû/su composer avec la construction de la monarchie espagnole. À la fin de l’époque bourguignonne, les règlements commerciaux s’affranchissaient encore du cours légal ; mais les bourgeois-sujets se sont transformés en sujets-bourgeois10 lorsque l’Europe des royaumes remplaça R. Fagel (éd.), Agentes e identidades en movimiento. Espaňa y los Países Bajos. Siglos XVI-XVIII, Madrid, Sílex, 2011. 8
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François Rachline, Que l’argent soit. Capitalisme et alchimie de l’avenir, Paris, Calmann-Lévy, 1993, p. 72. José Javier Ruiz Ibanez, Bernard Vincent, Historia de Espaňa. Los siglos XVIXVII. Política y sociedad, Madrid, Sintesis, 2007, chapitre 2. Le terme est présenté par José Javier Ruiz Ibanez, « Devenir et (re)devenir sujet. La construction politique de la loyauté au roi catholique en France et aux
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Introduction
l’Europe des marchands et que le règlement des dépenses de guerre devint la base principale de la circulation monétaire. Les princes souverains tentèrent de contrôler cette circulation par le moyen d’une gestion de l’unité de compte à leur profit. Comme l’indiqua Raymond de Roover, suivi par Lucien Gillard, l’essentiel du métal qui circulait entre les pays européens n’était pas lié au commerce, mais à la politique11. Les guerres européennes, dont l’intensité alla croissante, perturbèrent les marchés et les prix. La financiarisation des conflits, en associant de plus en plus étroitement hommes d’affaires, banquiers et souverains, nécessitait en outre le recours à un point d’ancrage12, que le souverain devait définir. Dans les anciens Pays-Bas, Charles Quint rattache d’abord l’unité de compte au ducat espagnol (1517), puis étalonne toutes les espèces en conformité avec le marc de France, inaugurant près de deux siècles d’ancrage à la monnaie voisine. Le défaut de parité or-argent perturba néanmoins la circulation intérieure. La désorganisation complète des marchés durant la guerre de Succession d’Espagne donna lieu à une activité de faux-monnayage sans précédent. D’abord indulgentes, voire complices vis-à-vis des banquiers fraudeurs bien obligés de réagir aux mutations monétaires françaises, les autorités bruxelloises réagirent en faisant appel à un arbitrage souverain, seul capable de définir l’identité monétaire du pays et de faire entrer la monnaie belge dans le concert des nations commerçantes. La fonction régalienne de la monnaie devait s’exprimer de nouveau pour mettre fin à une désorganisation sociale et morale du marché. Devenus sujets des Habsbourg de Vienne, la construction identitaire des Pays-Bas méridionaux ne changea pas pour autant immédiatement de mode opératoire13. En effet, Vienne tint compte de l’organisation socio-politique des Pays-Bas Pays-Bas à la fin du xvie siècle », dans Violet Soen, Yves Junot, Florian Mariage (dir.), L’identité au pluriel. Jeux et enjeux des appartenances autour des anciens Pays-Bas. xiv e-xviii e siècles, Revue du Nord, hors série, Collection histoire, n° 30, 2014, p. 267-280. 11
Lucien Gillard, « Y a t-il étalon-or à la Renaissance », dans Or, monnaie, échange dans la culture de la Renaissance, Saint-Étienne, Publications de l’université de Saint-Étienne, 1994, p. 67.
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L’ancrage monétaire consiste pour une banque centrale à fixer totalement sa monnaie par rapport à une autre devise, généralement afin d’obtenir une certaine stabilité.
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Sur l’identité des anciens Pays-Bas : Violet Soen, Yves Junot, Florian Mariage (dir.), L’identité au pluriel. Jeux et enjeux des appartenances autour des anciens Pays-Bas. xiv e-xviii e siècles, Revue du Nord, hors série, Collection histoire, n° 30, 2014.
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Introduction
méridionaux tout comme Madrid l’avait fait. L’action de Marie-Élisabeth à Bruxelles, puis de Marie-Thérèse d’Autriche depuis Vienne, en redéfinissant escalins et souverains, arrimèrent de nouveau la monnaie belge à la monnaie française, sur la base d’une parité or-argent plus saine et surtout, associèrent à la réforme monétaire les intermédiaires financiers, corps constitués et banques privées. Dès lors, la dichotomie entre circulation princière de la monnaie et circulation marchande devait se résoudre dans le rapprochement des intérêts des deux sphères d’acteurs, privée et publique. Plus tard, d’autres enjeux sont à l’œuvre. Le règne des banquiers particuliers prit fin avec l’épisode métallique de l’histoire monétaire. La naissance de la banque nationale (1850) soulevait deux questions avec force : celle du territoire, et celle de la dette, deux entités hors desquelles l’État moderne ne peut pas être appréhendé, deux entités qui se rappellent aujourd’hui au souvenir des Européens. Quel territoire ? Pour quel engagement financier commun ? Car ni la valeur instrumentale et contractuelle de la monnaie, ni sa valeur institutionnelle, ne peut s’établir « hors sol » d’une part, et dès lors que ce territoire, sur lequel se prélèvent les recettes fiscales, garantit la dette, la monnaie pose la question de la confiance non seulement entre marchands, mais entre citoyens. Le rapport de la monnaie à la finance devient le cœur du sujet. Les Pays-Bas méridionaux offrent également un champ d’observation intéressant pour apprécier les enjeux financiers de la monnaie. Les analyses de l’histoire financière sont souvent centrées sur le pouvoir central et tendent à insister sur une logique unique d’action : la rationalité gestionnaire. Celle-ci se déploie pourtant selon des modes opératoires bien différents d’un territoire à l’autre, d’un groupe social à l’autre. Si les Habsbourg d’Espagne ont englouti des millions pour perpétuer leur souveraineté sur ces provinces considérées comme stratégiques dans l’équilibre des forces européennes14, le destin de ce territoire a changé de nature une fois cet équilibre établi : sa valeur marchande prit le pas sur sa dignité politique. Après les traités de Westphalie (1648), on ne songea plus qu’à faire financer les troupes espagnoles sur les subsides belges afin qu’elles ne coûtassent plus rien à Madrid ; Louis XIV le convoita un temps pour son Trésor, mais les 14
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Sur le financement des guerres, voir le renouvellement historiographique avec Anne Dubet (coord.), Les finances royales dans la monarchie espagnoles (xvi e-xix e siècles), Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2008, et particulièrement l’article de Carlos Alvarez Nogal, « L’argent du roi et les hommes d’argent », p. 187-198. Plus spécifiquement encore : Alicia Esteban Estríngana, Guerra y finanzas en los Países Bajos católicos : de Farnesio a Spínola (1592-1630), Madrid, 2002, et Madrid y Bruselas : relaciones de gobierno en la etapa postarchiducal (1621-1634), Louvain, 2005.
Introduction
puissances maritimes le conservèrent en l’état non sans exiger des sommes exorbitantes pour garantir le nouvel équilibre défini par les négociations d’Utrecht et de Rastadt (1713-1714) ; l’administration autrichienne le prit en main, réforma le système monétaire par une refonte générale en 1749, et capta pour son compte les ressources des Pays-Bas méridionaux en en confiant la gestion aux banques et avec la volonté toujours plus grande de connaître très exactement ce qu’elle pouvait en tirer : La véritable valeur des Provinces Belgiques n’a pu être démontrée jusqu’ici que par des descriptions ou des rapports annuels dans lesquels on n’a pas eu l’occasion de s’expliquer sur l’étendue du crédit ni sur les secours extraordinaires qu’on en peut retirer15.
Joseph II songea bien à les troquer contre la Bavière, mais admit finalement leur intérêt pécuniaire. Mieux, il en fit établir le bilan, avant que la France n’intègre ces provinces à la grande Nation… Bref, les Pays-Bas méridionaux ont constitué pendant près de deux siècles un territoire sujet à toutes sortes d’évaluations, de captations, sans jamais néanmoins connaître complètement ce processus de « provincialisation » qui engage le souverain à établir là, comme dans le reste de ses États, ses propres trésoriers et receveurs. Ils subirent la présence de toutes sortes de monnaies étrangères, ducats de Hollande et louis de France, nations qui par ailleurs fournissaient aux emprunts publics. Ce livre pose donc la question de la monnaie en considérant ses enjeux politiques. Il s’appuie naturellement sur des ouvrages plus anciens qui ont été très utiles à la compréhension générale du phénomène monétaire dans les Pays-Bas méridionaux. On doit en effet à Alphonse de Witte une approche numismatique du sujet par règne, année après année, et par espèces16. Ces travaux, très descriptifs, constituent néanmoins un apport auxiliaire à la compréhension de l’histoire. Victor Brants, en compilant les ordonnances monétaires promulguées dans les Pays-Bas au xviie siècle, évoque plus aisément des pistes de réflexion dans son préambule, sans néanmoins approfondir le sujet au-delà de sa dimension juridique17. En revanche, les historiens de l’après-guerre, à la suite de Marc Bloch18, 15 16
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HHStA, Belgien DD-B 85, Mémoire sur les Finances Belgiques, 1792-1793. Alphonse de Witte, Histoire monétaire des comtes de Louvain, ducs de Brabant et marquis du Saint-Empire Romain, 3 t., Anvers, 1899. Victor Brants, Recueil des ordonnances des Pays-Bas, 2e série, 1506-1700, Les ordonnances monétaires du xviie siècle, Bruxelles, J. Goemaere, 1914. Mort, comme on le sait, en résistant en 1944, March Bloch donnait des cours d’histoire monétaire qui seront publiés sous le titre Esquisse d’une histoire monétaire de l’Europe, Paris, Librairie Armand Colin, 1954.
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Introduction
donnèrent du souffle à cette histoire. Le fondateur des Annales, en professant en 1939 à l’Institut des Hautes études de Belgique une leçon sur les mutations, jugea que « les phénomènes monétaires se rangent parmi les plus dignes d’attention, les plus révélateurs, les plus chargés de vie »19. Raymond de Roover analysa la monnaie non plus de façon isolée, mais dans le contexte du crédit bancaire d’une part, et de la pensée économique d’autre part20. Se dévoilaient dès lors les interactions entre les princes et les marchés, les intimes filiations entre l’État et le capitalisme, telles que Fernand Braudel les saisit également de son côté. Herman Van der Wee, dans la même veine, livra une remarquable étude sur l’économie européenne des xive-xvie siècle à partir de l’étude du marché d’Anvers. Mentionnons plus près de nous le projet de guide d’histoire monétaire des Pays-Bas méridionaux et de la principauté du Luxembourg, en cours d’élaboration pour le Moyen-Âge et le début de la période moderne, guide supervisé par Johan van Heesch et Jean-Marie Yante au sein du Cabinet des Monnaies de la Bibliothèque royale de Belgique21. En dehors des historiens, cette étude doit un lourd tribut aux économistes, en particulier l’équipe formée par Marie-Thérèse Boyer-Xambeu, Ghislain Deleplace et Lucien Gillard, dont les travaux sur le pouvoir monétaire à la Renaissance stimulent la réflexion et aident l’historien à situer les enjeux de sa recherche22. Valéry Janssens nous a permis de comprendre les effets désastreux du rapport défectueux de l’or et de l’argent dans les Pays-Bas. Pour lui, le développement économique de ces pays aurait été gêné par le manque de moyens de paiement, lui-même généré par la thésaurisation
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Leçon publiée post-mortem. Marc Bloch, « Les mutations monétaires dans l’ancienne France », Annales, Economies, Sociétés, Civilisations, 8e année, avriljuin 1953, p. 145-158. On lui doit notamment Money, Banking and Credit in Medieval Bruges (1948), rééd. Cambridge, Mediaeval Academy of America, Routledge, 2000 ; Gresham on Foreign Exchange; an Essay on Early English Mercantilism, Cambridge, Harvard University Press, 1949 ; The Rise and Decline of the Medici Bank, 1397-1494, Harvard University Press, 1963 ; pour une synthèse de ses travaux : Business, Banking, and Economic Thought in Late Medieval and Early Modern Europe, Selected Studies of Raymond de Roover, University of Chicago Press, 1974. Voir le site http://www.kbr.be/actualites/projets/monetaryHistory/monetary History.html Marie-Thérèse Boyer-Xambeu, Ghislain Deleplace et Lucien Gillard, Monnaie privée et pouvoir des princes, Paris, éditions du CNRS, 1986.
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Introduction
des espèces d’argent23. Jérôme Blanc enfin est l’économiste qui aujourd’hui s’interroge de manière approfondie sur la souveraineté monétaire. Ses travaux, très éclairants, portent sur le monde actuel, mais ont permis de mieux cerner la question de la monnaie à l’époque moderne. Il importe en outre de considérer le phénomène monétaire autant dans sa dimension pratique que dans sa dimension symbolique et de s’appuyer sur les avancées récentes de l’histoire des identités et des appartenances pour saisir les enjeux véritables de la souveraineté monétaire. Dans la perspective habermasienne, cette étude interroge la monnaie comme agent d’identification polyvalent. La frontière en particulier, a joué un rôle déterminant dans la manière dont les corps constitués et les individus ont fait usage de la monnaie, luttant tantôt contre la monnaie étrangère, ou bien la recherchant au contraire pour faire fructifier leurs affaires. Avant même l’idée de nation, dont l’émergence fut longue24, la monnaie a pu servir de ciment identitaire aux habitants des anciens Pays-Bas.
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Valéry Janssens, Het Geldwezen der Oostenrijkse Nederlanden, Verhandelingen van de koninklijke Vlaamse Academie voor wetenschappen, letteren en schone kunsten van België-klasse der letteren, n° 29, Bruxelles, 1957. Voir les travaux réunis par Claude Bruneel et Bruno Bernard, Les prémices de l’identité belge avant 1830 ?, Bruxelles, Misscellanea Archivistica, Studia 168, 2006. François Perin, Histoire d’une nation introuvable, Bruxelles, 1988. Résumé des positions historiques sur l’identité et la nation belge dans Belgitude et crise de l’État belge, actes du colloque dirigé par H. Dumont, Ch. Franck, François Ost et J.-L. De Brouwer, Bruxelles, Facultés universitaires Saint-Louis, 1989, p. 279-284.
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Première partie
La souveraineté monétaire aux xvie et xviie siècles: une réalité double
La souveraineté monétaire aux xvie et xviie siècles: une réalité double
La souveraineté, nous dit Jean Bodin en 1576, est le monopole de la loi. Que la loi soit l’expression des rois et plus tard des nations ne nous intéresse pas directement dans un premier temps. De même, que la loi recouvre diverses réalités (loi divine, loi naturelle, loi positive…) selon les théologiens et les juristes, ne peut immédiatement entrer en ligne de compte. Ce qui importe, c’est que la souveraineté relève d’un arbitrage unique dans l’ordre politique, celui qui incarne, révèle la loi. La souveraineté monétaire fut attribuée au prince. Celui-ci dispose du jus monetae comme représentant du pouvoir civil, comme en disposaient les empereurs romains25. Au terme de la féodalité, ce droit du prince s’imposa aux seigneurs sur un territoire donné, parfois avec difficultés certes, mais toujours selon l’affirmation de la supériorité du droit public sur le droit seigneurial ou communal. Le principal effet du pouvoir régalien du prince sur la monnaie tenait dans sa prérogative fiscale : la monnaie était une chose dont il donnait le prix, en monnaie de compte. Il taxait la matière et les pièces, en faisait une source de revenus en changeant à son gré le titre, le poids, la valeur de cours et, seul il était autorisé à le faire. Le droit de battre monnaie est « l’un des plus beaux droits de la Couronne » lit-on encore dans un mémoire des années 178026. Le souverain pouvait également interdire la circulation de tout numéraire autre que le sien. Parallèlement au jus monetae, le développement de l’économie monétaire et des échanges internationaux activa un jus gentium dont les principes entrèrent parfois en contradiction avec les pouvoirs princiers. L’ouverture des marchés imposa des nécessités nouvelles qui s’accommodèrent mal des taxations et des mutations monétaires du prince. Nicole Oresme, évêque de Lisieux, se fit dès le xive siècle le chantre de cet esprit de liberté : Le prince n’est ni maître ni propriétaire des monnaies ; il ne doit pas les changer à moins de nécessité ou d’utilité évidente pour l’intérêt général27.
De fait, le souverain abusait de ses droits, prélevant à son profit le « remède » sur les matières elles-mêmes et le « seigneuriage » sur les pièces une fois monnayées, faisant varier en outre leur cours selon les 25
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L’origine domaniale du droit de battre monnaie, présentée par Emile Bridrey, a été très vite contestée par Ernest Babelon. Voir Emile Bridrey, La théorie de la monnaie au xiv e siècle. Nicole Oresme, Paris, 1906. Ernest Babelon, La théorie féodale de la monnaie, Paris, Imprimerie nationale, C. Klincksieck, 1908. Archives générales du Royaume, Bruxelles [désormais AGR], Jointe des monnaies [désormais JM], 165 bis (non inventorié), Mémoire, s.l.n.d., après 1780, sans doute rédigé par Jean-Joseph Wouters, directeur de la Monnaie de Bruxelles. Nicole Oresme, De origine, natura, jure et mutationibus monetarum 1366.
La souveraineté monétaire aux xvie et xviie siècles: une réalité double
besoins de l’État. Comme le rappellent Christian Hermann et Jean-Paul Le Flem, les manipulations sont devenues très vite, pour le roi d’Espagne, une des manières de financer le déficit de l’État28. Les marchands de l’époque moderne devaient faire face à la diminution inexorable de la valeur intrinsèque des monnaies et aux incessantes mutations de leurs valeurs d’échange. L’économie politique exigeait donc un dialogue entre le prince et ses sujets – un contrat dira plus tard Jean Bodin –29. Herbert Lüthy le fit comprendre autrement : « Les manipulations… ne pouvaient qu’accentuer la tendance naturelle des marchands-banquiers à considérer toutes les espèces comme simples marchandises, dont ils appréciaient souverainement la valeur réelle sans égard aux édits »30. Dans son principe théorique donc, la souveraineté monétaire est relative. En pratique aussi d’ailleurs, si l’on veut bien considérer la faiblesse d’action des princes sur les monnaies des anciens Pays-Bas. En 1708, on s’interrogeait à Bruxelles en des termes explicites : « Quand l’utilité réciproque de Sa Majesté et de ses sujets ne pourroit se rencontrer conjoinctement, laquelle des deux devroit estre préférée ? »31.
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Christian Hermann (coord.), Le premier âge de l’État en Espagne (1450-1700), Paris, Éditions du Centre national de la recherche scientifique, 1989 ; chapitre sur « Les finances », p. 301-340. Voir Partie 2, ci-dessous. Herbert Lüthy, La banque protestante de la révocation de l’Edit de Nantes à la Révolution, t. 1, Paris, SEVPEN, 1960, p. 100. La mise en forme de l’adverbe « souverainement » est de mon fait. Archives générales du Royaume, Bruxelles [désormais AGR], Conseil des finances, 8635, Rapport du bureau de la Chambre des comptes, 20 janvier 1708.
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Chapitre 1 Le « Gouvernement » des Monnaies Pour mener sa politique monétaire32, le souverain disposait dans les anciens Pays-Bas des avis de ses principaux conseillers dont il établit le gouvernement et des avis des maîtres généraux des monnaies, « officiers » qui n’eurent jamais la puissance de leurs homologues français. Il faut dire que le prince devait composer ici avec les privilèges solidement établis des corps constitués : corps politiques comme les assemblées et les villes qui faisaient valoir leurs chartes et libertés, corps de métiers comme les changeurs, les orfèvres ou les monnayeurs, également protégés par des actes constitutifs. Non que les souverains, à l’instar de Charles Quint, voulurent imposer leur loi à toutes fins, mais ils ne souhaitaient pas qu’un quelconque acte de gouvernance locale entrât en contradiction avec leurs propres décisions. En rouvrant l’atelier monétaire de Maastricht pour y fabriquer des pièces de cuivre, l’évêque de Liège provoqua en 1541 l’autorité de l’empereur qui réagit vertement. L’épisode se renouvela au temps des Archiducs toutefois. Comme en matière de finance, le souverain devait donc opter pour le compromis.
1. Les maîtres des Monnaies Né à Gand, élevé à Malines ou à Bruxelles, Charles, fils aîné du duc de Bourgogne, hérita de plusieurs principautés, cités et seigneuries liées par une union personnelle ; il en entreprit le regroupement en un même ensemble géopolitique autonome, les Dix-Sept Provinces, qu’il dota d’une nouvelle administration33. On sait l’importance de cet héritage 32
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Sur les 656 ordonnances abordant les questions économiques promulguées par Charles Quint, 72 portèrent sur la monnaie, soit un peu plus de 10%. Jean-Marie Yante, « Le prince et l’économie. Approche quantitative des ordonnances du règne de Charles Quint », dans C. de Moreau de Gerbehaye, S. Dubois, J.-M. Yante (dir.), Gouvernance et administration dans les Provinces belgiques (xvie-xviiie siècles), en Hommage au Professeur Claude Bruneel, t. 1, Bruxelles, Archives et bibliothèques de Belgique, 2013, 379-397. Sur l’histoire générale des Pays-Bas bourguignons : Wim Blockmans et Walter Prevenier, Les Pays-Bas bourguignons, Anvers, Mercator, 1983. Voir aussi Wim Blockmans, Emperor Charles V, 1500-1558, Londres, Arnold Publishers, 2000.
La souveraineté monétaire aux xvie et xviie siècles: une réalité double
b ourguignon dans la culture financière de l’empereur. Ces territoires étaient dotés d’un Conseil des finances qui servira de modèle à celui de Madrid créé en 1523, mais aussi de puissantes chambres des comptes. L’œuvre institutionnelle de Charles Quint à Bruxelles consista en la formation de trois conseils collatéraux (1531) dont le Conseil des finances responsable de la gestion des revenus patrimoniaux de la Couronne et de la levée des impôts. D’aucuns ont analysé cette réforme comme le passage d’une monarchie à vocation patrimoniale vers une monarchie territoriale34. Les anciens Pays-Bas se trouvaient dirigés par une princesse de sang royal assistée de conseillers le plus souvent issus du pays. Les compétences des trois chefs des finances s’étendaient alors sur les domaines, les aides et subsides, les traités de finances et plus généralement la trésorerie, mais aussi les comptes. Leurs avis présentaient la particularité d’être exécutifs, c’est-à-dire décisifs. Ils ne demandaient plus que l’approbation du gouverneur pour être mis en œuvre35. Cette organisation laissait tout de même une large part d’autonomie de gestion aux assemblées provinciales36. L’empereur Charles respectait d’ailleurs les corps des villes et provinces dans lesquelles il avait grandi et dont il connaissait la culture politique. Dans ce nouveau système, la « chambre des Monnaies » organisée par les dispositions de 1535 ne fut en réalité qu’une simple direction37. Ces membres n’avaient pas d’autonomie de décision. Egalement héritiers des administrateurs de la période ducale, les maîtres généraux qui composaient cette chambre donnaient avis et rendaient compte aux Conseils de gouvernement institués par l’empereur. Le Conseil des finances bruxellois finira par imposer complètement son autorité sur les Monnaies, par l’intermédiaire de la Chambre des comptes. C’est lui qui autorisait les émissions monétaires. Par exemple en mai 1596, ce sont bien « ceux des
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Bartolomé Bennassar, « Un État, des États », dans Christian Hermann (coord.), Le premier âge de l’État en Espagne (1450-1700), op. cit. Mireille Jean, « Les institutions financières centrales des anciens Pays-Bas, milieu du xve siècle-1700 », dans Études et documents, VI, Paris, CHEFF, 1994, p. 159. Voir aussi Erik Aerts et al., Les institutions du gouvernement central des Pays-Bas habsbourgeois (1482-1795), Bruxelles, Archives générales du Royaume, 1995. Giovanni Muto, op. cit., p. 232. Sur la dialectique centre/périphéries, voir aussi Helmut G. Koenigsberger, Monarchies, States Generals and Parliaments. The Netherlands in the Fifteenth and Sixteenth Centuries, Cambridge, Cambridge University Press, 2001. Erik Aerts, article « Chambre des Monnaies », dans Les institutions du gouvernement central des Pays-Bas habsbourgeois, t. 2, op. cit., p. 692-700.
Le « Gouvernement » des Monnaies
finances » qui autorisèrent, à la demande du Magistrat d’Anvers, l’émission de 3000 florins de negenmanneken de cuivre rouge38. Les maîtres généraux n’avaient donc qu’une fonction d’inspection. En 1520, Charles Quint exigea d’eux, comme des autres officiers des Monnaies, tant gardes, contre-gardes, essayeurs ou graveurs, qu’ils ne puissent remplir leurs fonctions qu’après avoir fait valoir leur mérite et s’être engagés à exercer personnellement leurs charges. Les maîtres généraux rendaient compte des usages, du respect ou non des ordonnances à l’intérieur des anciens Pays-Bas, mais aussi des proportions or-argent et des cours pratiqués à l’étranger. Ils visitaient les hôtels des monnaies, faisaient clore les boîtes de contrôle, supervisaient les changeurs, vérifiaient leurs poids et balances, donnaient à bail les forges. Ils devaient respecter la justice locale et faire comparaître devant les Magistrats du lieu les éventuels fraudeurs39. Ils donnaient leur avis quand on leur demandait, notamment sur la désignation des changeurs ou sur l’affermage d’un atelier. Quant aux maîtres particuliers, il s’agissait d’entrepreneurs qui prenaient une forge à ferme, après avoir obtenu l’agrément de la Chambre des comptes. Ils devaient présenter de bonnes cautions. Avant leur établissement en régie, ces maîtres particuliers étaient en effet chargés de se pourvoir en matière d’or et d’argent en en faisant directement le commerce. Ils espéraient des gains substantiels, tout en assurant au souverain un droit de seigneuriage conséquent. La procédure était la suivante : lorsque tel ou tel entrepreneur présentait une offre, le Conseil des finances sollicitait l’avis de la Chambre des comptes, qui elle-même réunissait l’avis des Maîtres généraux des Monnaies ; le tout remontait au Conseil des finances qui rédigeait son avis au gouverneur. Comme dans tout système de gouvernement par conseil, l’alchimie décisionnelle mettait beaucoup de temps à prendre. Les maîtres particuliers étaient souvent issus de la bourgeoisie car ils devaient initialement fournir les ateliers. La forge d’Anvers devait être pourvue de la valeur 4 000 florins, tandis que les forges de Maastricht, Bois-le-Duc, Tournai et Bruges devaient toujours être fournies en matières d’or et d’argent, fondues ou non fondues, pour la somme de 2 000 florins seulement40. Parfois, un officier de l’établissement, garde (ou waradin), essayeur ou graveur, devenait maître lui-même, à l’instar de Jean Noirot, ancien 38
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Alphonse de Witte, op. cit. t. 2, p. 312, à partir des archives du Conseil des finances. On parle de negenmanneke ou gigot. Un document officiel du 8 octobre 1438 rappelle les devoirs des maîtres. Voir Alphonse de Witte, Histoire monétaire des comtes de Louvain, ducs de Brabant et marquis du Saint-Empire Romain, t. 2, Anvers, 1896, p. 9. AGR, JM, 25, Instructions du 16 mars 1600, « Des Maîtres particuliers desdites Monnoyes », article 1.
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La souveraineté monétaire aux xvie et xviie siècles: une réalité double
graveur de la monnaie de Bruges qui devint maître de la Monnaie d’Anvers de 1551 à 1572. L’entrepreneur rendait compte de sa gestion aux Maîtres généraux et à la Chambre des comptes à la fin de chaque « boîte » ou période de monnayage. Son compte devait indiquer les quantités de métal monnayé, les frais de fabrication, les dépenses d’entretien des bâtiments, les salaires des officiers (garde, contre-garde, essayeur et graveur, ouvriers)41. Avec les archiducs Albert et Isabelle, les Maîtres généraux des Monnaies furent définis comme « chefs et surintendants des Monnaies » dans une instruction de mars 1600. L’épuisement financier de la monarchie espagnole, pour partie à l’origine de cette délégation de souveraineté42, nécessitait un renforcement de l’inspection sur les corps des villes et des provinces. Un tel projet politique présentait moins d’ambition que celui de Philippe II qui s’était attaché à défendre l’hégémonie confessionnelle partout dans ses états. Les archiducs, concentrés sur la politique intérieure, se contentèrent de lutter contre la négligence des Magistrats des villes directement visés par l’instruction. Les Maîtres généraux des monnaies se réjouirent de ce renforcement de leur autorité. À plusieurs reprises, ces derniers mirent ce titre de « surintendant » en exergue pour asseoir leur autorité locale, mais aussi pour contrer les prétentions de la Chambre des comptes à vouloir traiter des affaires des monnaies : Ils assurent que le règlement de 1600 qu’ils appellent leur Staatbrief, loy immuable et fondamentale, les a déclaré privativement chefs et surintendans de toutes les monnoyes, que cette loy leur donne un caractère, une supériorité et un pouvoir qui doit tenir tous les supots dans la defference43.
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AGR, JM, 25, Instructions du 16 mars 1600, « Ouverture des boittes », articles 32 et 33. Sur la délégation de souveraineté aux archiducs Albert et Isabelle, voir Miguel Angel Echevarría Bacigalupe, Flandes y la monarquía hispánica, 1500-1713, Madrid, Sílex, 1998 ; Werner Thomas, « La corte de Bruselas y la restauración de la Casa de Habsburgo en Flandes, 1598-1633 », en El arte en la Corte de los Archiduques Alberto de Austria e Isabel Clara Eugenia (1598-1633). Un Reino Imaginado, Sociedad Estatal para La Conmemoración de los Centenarios de Felipe II y Carlos V, Madrid, 1999, p. 46-63 ; Werner Thomas, « La corte de los Archiduques Alberto de Austria e Isabel Clara Eugenia en Bruselas (1598-1633). Una revisión historiográfica », en A. Crespo Solana y M. Herrero Sánchez, Espaňa y las 17 provincias de los Países Bajos. Una revisión historiográfica, Cordoue, t. 1, 2002 p. 355-386. AGR, JM, 20, « Remontrances des Conseillers Maîtres généraux au trésorier général et Commis des Domaines et finances du Roy », 1694. Ce règlement, les instructions des archiducs du 16 mars 1600, est reproduit en annexe.
Le « Gouvernement » des Monnaies
En réalité, leur activité demeura toujours subordonnée à l’autorité des Conseils collatéraux et fut peu à peu grignotée par la Chambre des comptes qui finit par s’imposer. En 1600, leur nombre fut réduit de quatre à trois. Leur rôle consistait toujours surtout à être les informateurs du Conseil privé ou Conseil des finances d’une part, et les inspecteurs de tous ceux qui se mêlaient des Monnaies d’autre part : changeurs, graveurs, entrepreneurs, ouvriers. Ils ne s’assemblaient pas régulièrement, mais seulement « les fois que besoin serat »44 en la Monnaie d’Anvers ou ailleurs. D’après le règlement de 1601, ils devaient besogner huit à dix heures par jour45. Ils n’exerçaient aucune judicature par eux-mêmes. Ils donnaient à entendre leurs affaires aux procureurs fiscaux, et en matière d’essai ou de reddition des boîtes46, le jugement appartenait à la Chambre des comptes. Mieux : par leur ordonnance interprétative du 10 juillet 1613, Albert et Isabelle confièrent la surveillance des monnayeurs du Brabant à la Chambre des comptes, ainsi que la collation de dix d’entre eux, collation qui revenait traditionnellement aux princes. De même en 1616, les archiducs s’adressèrent à la Chambre des comptes pour l’exécution de demi-sols ; plus tard en 1634, à la mort de l’essayeur de la Monnaie d’Anvers, lorsqu’il s’agit de le remplacer promptement pour procéder à l’ouverture des boîtes, les Conseillers de la Chambre des comptes du Brabant opinèrent pour en confier la mission à l’essayeur de Bruxelles. Ils demandèrent avis aux Maîtres généraux et ceux-ci, dans leur réponse à la Chambre des comptes, convinrent de ce choix tout en laissant l’affaire « à la discrétion » des Conseillers des comptes47. Bien des dossiers laissent voir la subordination des Maîtres généraux. Les résolutions n’étaient d’ailleurs adoptées qu’après une longue correspondance entre le Conseil privé, le Conseil des finances, la Chambre des comptes, les officiers fiscaux… comme ce fut le cas pour la décision
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AGR, JM, 25, Instructions du 16 mars 1600, article 19. Une copie de ces instructions sont également dans le carton 165 du même fond, à la suite du mémoire de Jean de Witt. AGR, JM, 76, « Remontrances des Conseillers Maîtres généraux au trésorier général et Commis des Domaines et finances du Roy », 3 mars 1685. Dans les ateliers monétaires, on prélevait sur chaque production quelques pièces destinées au contrôle. Les boîtes fermées par trois clefs étaient expédiées vers l’instance de vérification (chambre des comptes de Gueldre). Une clé était dans les mains de la Chambre des comptes, une dans celles de la ville et la dernière confiée au garde de l’hôtel des Monnaies. AGR, JM, 20, « Remontrances des Conseillers Maîtres généraux au trésorier général et Commis des Domaines et finances du Roy », 1694.
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La souveraineté monétaire aux xvie et xviie siècles: une réalité double
du 13 novembre 1687 définissant les conditions de substitution de nouveaux liards aux anciens48. Il est donc clairement établi à la fin du xviie siècle que : La direction et la surintendance au fait des monnoyes a toujours appartenu principalement à la Chambre des comptes préférablement aux Maîtres généraux des monnoyes qui n’ont qu’une autorité ad certos fines contenue entre les bornes de leurs instructions détaillées tout au long du premier chapitre du règlement de l’an 160049.
L’inspection des changeurs entrait dans leurs instructions. Ces collecteurs assermentés recevaient les monnaies tenues pour billon, c’està-dire les espèces défendues par les princes, soit qu’elles n’avaient pas cours sur le territoire où ils exerçaient, soit qu’elles étaient décriées, trop usées ou rognées. Les instructions les concernant varièrent peu dans le temps. Les changeurs devaient payer à leur juste valeur les espèces et matières qu’on leur présentait, soit qu’ils disposaient de listes de prix par espèce billonnée, dressées par les maîtres généraux, auquel cas ils retenaient simplement un dixième denier, soit qu’ils estimaient le prix par eux-mêmes. Ils cisaillaient obligatoirement les monnaies billonnées et portaient le tout à l’hôtel le plus proche « sans les pouvoir vendre, aliéner ou bailler ailleurs ». Tous les trois mois, les changeurs devaient tenir les maîtres de Monnaies informés de l’état de leur activité, des quantités et qualités de billons et matières d’or et d’argent qu’ils avaient achetées ou changées. Placés sous l’autorité directe des maîtres, ils pouvaient être taxés d’amendes s’ils ne respectaient pas – eux et leurs femmes, expressément mentionnées dans l’article 14 des instructions aux changeurs du 16 mars 1600 – les règles édictées. Outre les maîtres généraux, les changeurs étaient soumis à l’autorité directe du souverain et de la ville. L’autorité souveraine s’exerçait de diverses manières sur ces collecteurs. Le choix en premier lieu : la commission de changeur-juré était accordée par les gouverneurs des Pays-Bas. Au demeurant, le changeur plaçait devant sa boutique « un plat de bois portant les armoiries de leurs dites Altesses [Albert et Isabelle] avec la croix de Bourgogne » afin que chacun puisse reconnaître qu’il était commis et ordonné50. Lorsque le souverain voulait faire marquer des espèces, comme ce fut le cas en 1652 pour les réaux de Séville et de Mexico, il confiait la 48
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AGR, JM, 46, lettre de ceux de la Chambre des Monnaies aux conseillers des finances, 3 août 1717. AGR, JM, 20, « Remontrances des Conseillers Maîtres généraux au trésorier général et Commis des Domaines et finances du Roy », 1694. AGR, JM, 25 (Instructions du 16 mars 1600).
Le « Gouvernement » des Monnaies
tâche aux changeurs assermentés. Toutefois, le changeur prêtait serment devant le Magistrat de la ville où il exerçait et bénéficiait de privilèges bourgeois, ce qui le plaçait aussi dans la dépendance de l’autorité municipale. Issu le plus souvent du corps des orfèvres, il exerçait jusqu’à sa mort sa commission de changeur. Il arrivait bien souvent que la veuve, le fils ou le neveu sollicitât la patente après lui. De fait, sa double activité le plaçait parmi les artisans honorables de la ville. Pour suivre l’activité des forges, contrôler la livraison des matières, vérifier la conformité des pièces aux ordonnances, superviser la cassation des coins, examiner les boîtes, les maîtres généraux se déplaçaient régulièrement. Ils étaient d’ailleurs tenus de visiter les villes au moins une fois par an51. Ils recevaient alors des instructions particulières comme celles rédigées le 26 janvier 1652 par le Bureau des finances pour leur voyage à Bruxelles52. Sur place, les maîtres généraux devaient faire assembler le Magistrat de la ville, s’assurer de la publication des placards monétaires, l’informer des espèces billonnées, du prix auquel les dits billons étaient reçus53… Ces déplacements nécessitaient parfois des laissez-passer du roi de France comme celui accordé en 1676 au maître Pierre van Vreckem, à sa femme, trois de ses fils et ses valets et servantes : De retour de leur voyage, ils dressaient procès-verbal de leur visite. Cependant, quand les affaires monétaires locales prenaient un tour sérieux, les maîtres généraux se trouvaient dessaisis au profit des membres du gouvernement : ministres, conseils collatéraux et même le souverain. Prenons le cas des espèces françaises dans les années 1670, c’est-à-dire pendant la guerre de Hollande (1672-1678). Celles-ci circulaient naturellement dans les territoires annexés pendant la guerre, comme Furnes, Courtrai, Audenarde, Charleroi, Ath… Fallait-il les tolérer encore après la restitution des terres au roi d’Espagne ? Côté français, le Conseil du roi, contre l’avis du ministre Jean-Baptiste Colbert, résolut de ne rien changer au cours des monnaies en circulation en Flandre wallonne, nouvellement
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AGR, JM, 25, Instructions du 16 mars 1600, article 20. AGR, JM, 20, Instructions du 26 janvier 1652. Billonner : ce mot revêt plusieurs sens sous l’Ancien Régime : ici, il s’agit d’envoyer au billon les pièces décriées. Mais l’acte de billonner revêt aussi un caractère délictueux quand il n’est pas de l’initiative du prince (acheter ou changer des monnaies pour une valeur moindre que leur cours, remettre dans le commerce des espèces défectueuses, étrangères ou décriées ; trafiquer des monnaies…). Définition inspirée de Michèle Bimbenet-Privat, Répertoire numérique de la série Z1b des archives nationales, Paris, 2006, p. 7.
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La souveraineté monétaire aux xvie et xviie siècles: une réalité double
Passeport délivré par Louis XIV pour le Maitre des Monnaies Pierre van Vreckem, sujet du Roi Catholique 27 février 1676
conquise, et d’y tolérer les espèces étrangères venues des Pays-Bas54. Du côté des Pays-Bas catholiques, le même dilemme se posait. On jugeait les pièces françaises : leur aloi était bon mais « neantmoings, comme elles seroyent presque touttes trop legeres et en party aussy falsifiées, lesdittes espèces 54
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Albert Croquez, La France wallonne et les pays de l’intendance de Lille sous Louis XIV, Paris, Honoré Champion, 1912, p. 75. Le Conseil du roi s’est prononcé en 1671 en faveur des Etats de Lille et de Tournai.
Le « Gouvernement » des Monnaies
ne seroyent aucunement admissibles au cours de ce Pays »55. Les villes les plus proches de la frontière défendaient le maintien de la circulation, mais plusieurs conseillers bruxellois jugeaient également utile de ménager des exceptions en certains lieux56. Malgré leur avis contraire, le roi d’Espagne rappelait régulièrement les Bruxellois à leurs devoirs de poursuivre les « Introducteurs » et ceux qui en acceptaient les billons à leurs devoirs de les amener aux hôtels57. Toutefois, il arrivait que le souverain, conscient des enjeux économiques, prît des dispositions particulières, comme celles adoptées par Charles II en 1690 lors de la refonte des liards. La pénurie était à craindre et pour éviter les plaintes des villes éloignées, le roi les enjoignit de faire des réserves de nouveaux liards : Pour oster aux villes et places éloignées les occasions de plaintes qu’il y a mancquement de nouveaux liards et qu’elles ne scavent pas les moyens de les avoir promptement à la main… nous voulons et ordonnons que chaque Magistra (sic) fera un fond et tiendra preste une somme capitale de bonne monnoÿe coursable au prix du placart en telle quantité qu’il jugera estre nécessaire pour par le moyen d’icelle se procurer du maistre particulier de la monnoye en notre ville de Bruxelles l’équivalent en nouveaux liards58.
Les villes devaient donc renoncer aux bénéfices de la circulation locale des monnaies étrangères pour adopter à prix coûtant la menue monnaie royale. Le roi fut strict sur les conditions d’application. Un commissaire royal fut désigné pour procéder à l’évaluation des sommes nécessaires pour chaque ville et à l’échange prévu de leurs fonds en liards. Au besoin, les villes étaient autorisées à lever les fonds nécessaires pour l’achat de leurs liards en empruntant auprès des particuliers. Toute tergiversation, prévint Charles II, entraînerait la « suspension ou autre peine arbitraire »59. Très clairement, l’État habsbourgeois renforçait sa tutelle sur les corps urbains frontaliers.
2. Le puissant corps des monnayeurs La fabrication proprement dite était aux mains des monnayeurs, avec lesquels le souverain devait composer. Les Dix-Sept Provinces disposaient de forges régulières à Arras, Anvers, Bois-le-Duc, Bruges, Maastricht, 55
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AGR, Conseil des finances [désormais CF], 173, note. Sur la frontière entre les Pays-Bas français et les Pays-Bas espagnols, voir Hervé Hasquin, Louis XIV face à l’Europe du Nord, Bruxelles, Racine, 2005. Idem. Par exemple, AGR, CF, 174, placard du 13 décembre 1677. AGR, JM, 44 bis, copie d’une lettre de Charles II. Idem.
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Tournai et Bruxelles. La plus prestigieuse resta longtemps celle de Bruges, dont l’existence est avérée dès 1088. Le comte Guy avait accordé en 1298 aux maîtres monnayeurs de la ville des franchises importantes. Les principaux officiers tenaient leurs séances ordinaires et exerçaient leur judicature en première instance. Leur juridiction fonctionna jusqu’en 1755, date à laquelle la fabrication cessa (mais non le change)60. Anvers devint à la fin du xve siècle l’hôtel le plus actif. La célèbre description de Guicciardini61 révèle la présence des marchands portugais, des Italiens, des Espagnols, des Allemands attirés par un rapport or/argent en faveur du métal argentifère. Etablie en 1531 dans un nouveau bâtiment sur la place de Meir, ses privilèges avaient été définis par Jean II, duc de Brabant, en 1324, confirmés par le duc Antoine en 1409, puis par Philippe II62. Bourse de marchandises, la place arbitra le change européen pendant tout le xvie siècle63. Le marché monétaire anversois perdit toutefois sa place centrale notamment après la crise financière de 1557. Arrêté depuis 1437, l’atelier de Bruxelles rouvrit en 1576 en étant alors considéré comme une sorte d’annexe de celui d’Anvers. Au demeurant, pendant tout le xvie siècle, les émissions de cet atelier furent dirigées soit par un maître de la Monnaie d’Anvers, soit par un maître de la Monnaie de Bruges comme en 1592. La forge d’Arras cessa dès 159264 ; l’atelier de Bois-le-Duc fonctionna officiellement de 1580, date à laquelle Alexandre Farnèse accorda un hôtel des Monnaies à la ville, à novembre 1624 ; celui de Maastricht passa aux Hollandais en 1632 et celui 60
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Encore en 1752, les monnayeurs de Flandre engagèrent un procès contre leur premier officier, le waradin van Overloope, qui leur avait infligé une amende pour refus de travailler. AGR, JM, 232. Pièces du procès en néerlandais. Lodovico Guicciardini, La description de tous les Païs-Bas de Flandres, autrement appellée la Germanie inférieure, traduite de l’Italien de Guichardin en François, par Fr. de Belleforest. Anvers, 1567, p. 81-89. Voir Louis Moreri, Le grand dictionnaire historique ou le mélange curieux de l’histoire sacrée et profane, tome second, lettres B-Cheg, 1740, article « bourse », p. 410. Raymond de Roover, « Anvers comme marché monétaire au xvie siècle », Revue belge de philologie et d’histoire, vol. 31-4, 1953, p. 1003-1047. Herman van der Wee, The growth of Antwerp market and european economy, XIV-XVI centuries, Louvain, Presses Universitaires, 1963. L’atelier fut toutefois rouvert de 1623 à 1629 puis à partir de 1634, avant de passer à la France. Dominique Delgrange, « La monnaie d’Arras (1592-1640). Documents inédits incluant une enquête de 1629 sur la surévaluation des espèces d’or dans les villes wallonnes », Etudes numismatiques II, Mémoires de la Commission départementale d’Histoire et d’archéologie du Pas-de-Calais, t. XXIII, Arras, 1991, p. 198-271.
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de Tournai passa à la France65. L’atelier de Bruges resta actif jusqu’en 1758 et celui d’Anvers ferma en 1782 sur ordre de Joseph II. Au xviiie siècle, les monnayeurs de Bruxelles devinrent donc les principaux acteurs de la fabrique monétaire. Charles Quint renouvela les privilèges des corps de monnayeurs de Brabant (Anvers et Bruxelles) dès son inauguration. Il confirma l’octroi de 1291 du duc Jean Ier. Composé de 90 personnes à l’époque (50 à Bruxelles et 40 à Louvain), cette corporation héréditaire disposait de privilèges considérables : perpétuation du statut par le sang, dispense de service militaire, dispense de droit d’accise, juridiction particulière66… « Personne ne pouvait les actionner que devant leur waradin, maître des monnaies et prévôt choisis dans leur corps »67. La juridiction se composait du waradin (ou garde), de deux prévôts (un du lignage de Louvain et l’autre appartenant au lignage de Bruxelles) et de sept jurés qui s’élisaient chaque année à la saint Éloi et siégeaient à Anvers. Le premier officier du corps, le waradin, présidait donc un tribunal qui jugeait en première instance des affaires internes au corps, dettes ou plaintes liées aux ouvrages. Seuls les cas criminels passaient devant le procureur général, avec information à la Chambre des comptes. Les maîtres d’ateliers échappaient ainsi à la prise de corps pour dette. De même, tout acte porté contre un monnayeur était passible de mort. Les ordonnances de 1613 des archiducs Albert et Isabelle précisaient qu’au moins 14 d’entre eux devaient résider à Bruxelles. Le placard de 1692, qui fut le dernier réglant le corps des monnayeurs du Brabant, donna la possibilité à ceux établis à Anvers de résider selon leur convenance soit dans cette ville, soit à Bruxelles. En outre, cette loi réduisit le nombre de maîtres monnayeurs de 90 à 38 jugeant ce nombre suffisant pour la besogne68. Il faut dire que les nouvelles machines, laminoirs, coupoirs et balanciers, faisaient leur entrée dans les ateliers et que la matière n’arrivait pas suffisamment en abondance pour les activer69. La juridiction proprement dite continua de se tenir à Anvers jusqu’à la fin du xviiie siècle. 65
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Antoine de Laderrière régit la ferme de la Monnaie de Tournai entre 1643 et 1667. Marcel Hoc, « Les dernières années du monnayage tournaisien (16211667) », Revue belge de numismatique, t. XXXIV, 1932, p. 13-31. M. P. Génard, Mémoire, L’Hôtel des Monnaies d’Anvers, Anvers, 1872, p. 12. AGR, JM, 165 bis (non inventorié), Mémoire, s.l.n.d., après 1780, sans doute rédigé par Jean-Joseph Wouters, directeur de la Monnaie de Bruxelles. AGR, JM, 165 bis (non inventorié), Mémoire, s.l.n.d., après 1780. Voir en particulier Erik Aerts et A. Coekelberghs, « La frappe mécanique en Europe et spécialement dans les Pays-Bas méridionaux », Cercle d’études numismatiques. Bulletin trimestriel, 24, 1, 1987, p. 13-23.
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Ces privilèges, et notamment l’exemption de charges bourgeoises, s’expliquaient d’autant plus facilement que les monnayeurs ne résidaient dans la ville que pour le seul service du prince, demeuraient aux ordres du gouvernement, pouvaient être déplacés à tout moment, et ne disposaient donc pas de la possibilité de devenir officiers de la ville. Les Magistrats des villes s’accommodèrent assez mal de ces privilèges qui plaçaient les ateliers sous le contrôle direct du duc – plus tard du monarque – sans reconnaissance du rôle des villes franches. De nombreux procès opposant le Serment des monnayeurs et les villes brabançonnes émaillèrent donc la vie locale, notamment sur la question des droits sur les boissons et du fameux cellier des monnayeurs, exempt de droits70. Les échevins défendaient de leur côté le principe d’une co-gouvernance monétaire, perpétuant une forme idéalisée de républicanisme71. Pour argument, ils mentionnaient le 18e article de la Joyeuse Entrée du Brabant (1356), texte qui limitait les pouvoirs du duc et que les souverains respectaient : Que nous ne ferons battre aucun denier dans notre Païs de Brabant si ce n’est de l’avis, volonté, et consentement de notredit commun Païs, et qu’on ne pourra jamais altérer ce denier et que si on l’altérat, Sa Majesté pourra s’en prendre aux corps et aux biens de ses maîtres de la monnoie, sans port et sans délai, et que l’on battera ce denier en quelqu’une de ses franches villes et que l’évaluation s’en faira selon que la charte et lettre walonne cidevant faite le contient et le comprend72.
Cet article ne manqua pas d’être rappelé par les États de la province en toutes occasions, en 1632 par exemple ou en 1749 à l’impératrice MarieThérèse73. Il témoigne du caractère nécessairement conciliant de la monnaie qui, dans ces pays à tradition d’assemblées, se trouvait être l’affaire de tous. Le souverain, soucieux néanmoins de garder la main sur des affaires de si haute importance, prenait soin de confirmer les privilèges des monnayeurs, moyen pour lui de rappeler aux Magistrats le caractère régalien de la fabrication monétaire. Charles Quint confirma donc l’octroi en 1515 et
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Encore en 1740, lorsqu’il s’est agi de les soumettre à la garde des portes de la ville d’Anvers, les monnayeurs obtinrent facilement gain de cause et furent déclarés exempts. AGR, JM, 234. Requête des monnayeurs du Brabant. Sur ces questions, voir Martin Van Gelderen et Quentin Skinner (éd.), Republicanism and Constitutionalism in early Modern Europe, Cambridge, Cambridge University Press, 2004, en particulier la contribution de K. Tilmans, « Republicanism Citizenship and Civic Humanism in the BurgundianHabsburg Netherlands (1477-1566) », p. 107-126. AGR, Chartes du Brabant, 900. AGR, CF, 7483, Représentations du 29 mars 1749.
Le « Gouvernement » des Monnaies
en 1542, ainsi que Philippe II après lui, les archiducs en 1618, Philippe IV en 1654. Et les monnayeurs de commander les peintures décoratives commémorant ces confirmations. Il faut préciser que le monarque se réservait la possibilité de nommer à vie, à côté des monnoyeurs-nés, dix maîtres, moyennant finance de 5 000 florins. Ces maîtres bénéficiaient des mêmes privilèges et franchises que leurs homologues « de sang ». Les souverains s’appuyèrent donc sur un corps de monnayeurs puissant pour asseoir leur autorité monétaire sur le territoire. Nous verrons plus loin que ce corps végéta dans la deuxième moitié du xviie siècle et première moitié du xviiie siècle. Lorsqu’il s’est agi de réformer la monnaie par une refonte générale en 1749, les monnayeurs devinrent même un obstacle pour Marie-Thérèse. Arc-boutés sur leurs privilèges, ils n’acceptèrent les exigences de la souveraine qu’au moyen de conditions drastiques auxquelles l’impératrice dut se plier. Encore en 1755, lorsqu’elle voulut renouveler le corps des monnayeurs du Brabant, elle se trouva confrontée au rappel des usages anciens et à la nécessité de choisir les maîtres « dans le sang et les familles des monnoieurs primitifs »74. La caste définie jadis par le prince se perpétua jusqu’en 1782.
3. La vivacité du localisme monétaire La puissance des villes dans les Dix-Sept Provinces générait un phénomène de localisme monétaire plus vivace qu’ailleurs75. À l’époque moderne, celui-ci pouvait prendre diverses formes (monnaies obsidionales, monnaies municipales, monnaies illégales…), mais était toujours surveillé de près par l’autorité souveraine. La dimension contractuelle du pouvoir s’épanouissait dans les PaysBas, à telle enseigne qu’on pouvait parler d’autonomie des provinces voire, en certaines occasions, de co-souveraineté des États provinciaux76. 74 75
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AGR, JM, 237, établissement de 25 francs-monnayeurs en Brabant, 1755. L’expression est tirée des travaux de Jérôme Blanc, Les monnaies parallèles. Unité et diversité du fait monétaire, Paris, L’Harmattan, 2000. Sur la puissance des villes, voir note 64. Rappelons que le taux d’urbanisation atteignit 29,3% dans les Pays-Bas espagnols vers 1600. Bruges comptait environ 35 000 habitants, Anvers 85 000. Pour une vue d’ensemble sur ces questions, voir les deux tomes de l’ouvrage dirigé par Claude de Moreau de Gerbehaye, Sébastien Dubois et Jean-Marie Yante en l’honneur de Claude Bruneel, Gouvernance et administration dans les provinces belgiques (xvie-xviiie siècles), Archives et bibliothèques de Belgique, numéro spécial 99, Bruxelles, 2013, et particulièrement les contributions de
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Le monarque, comme le rappelle René Vermeir, devait prêter serment de respecter les usages, droits, franchises, libertés des habitants et corps constitués77. Le souverain disposait bien du droit de battre monnaie, mais devait en passer par les conditions, à tout le moins les avis, des États provinciaux et des villes pour ce qui concerne la circulation. Quant à la fabrication, on relève encore quelques cas de monnayage municipal aux xvie et xviie siècles, mais les circonstances furent particulières. L’activité des États généraux insurgents du Brabant entre la Pacification de Gand (1576) et la Capitulation d’Anvers (1585) doit être mise à part. Tandis que les provinces septentrionales s’émancipèrent de la tutelle royale (1581) et commencèrent à monnayer de nouvelles pièces, l’assemblée brabançonne se trouva en effet dans une situation exceptionnelle avant que Philippe II ne recouvre sa toute puissance. Elle monnaya également des pièces lourdes pour le compte du roi d’Espagne, et très provisoirement pour le compte du duc d’Alençon, avec spécifiquement cette mention « MONETAE DUCATUS BRABANTIAE » durant le cours interrègne. Ce fut également au cours de cette période trouble que la ville de Bois-le-Duc demanda en 1576 la possibilité de produire des pièces de cuivre pour faire face à l’entretien de garnisons allemandes et au maintien de son commerce local. Elle obtint de pouvoir ouvrir un atelier et de procéder au monnayage municipal. Au cours de cette période, le système monétaire développé par Charles Quint perdit son unité. Les valeurs numéraires des pièces, fabriquées en divers ateliers furent inconsidérément augmentées. Après la prise d’Anvers, le duc de Parme tenta de remettre de l’ordre en promulguant au nom du roi d’Espagne une ordonnance d’évaluation générale et uniforme de toutes les monnaies (4 octobre 1585) qui devait mettre fin à l’autorité que les villes avaient usurpée en matière de monnaie. Hormis cette période particulière, les souverains durent également composer avec les libertés concédées par les ducs de Bourgogne en matière de monnaie. La capitale de la Gueldre supérieure, Ruremonde, ancienne ville hanséatique, disposait par exemple du droit de battre depuis 1472. Comme Maastricht et Bois-le-Duc, elle émettait massivement de la monnaie de cuivre. Les archiducs Albert et Isabelle prirent soin de limiter la circulation de ces espèces aux villes émettrices, mais de tels ordres étaient difficilement suivis et les liards de Ruremonde, dont la valeur et le pied étaient inférieurs à ceux des Pays-Bas, se déversèrent jusqu’à Bruxelles.
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Jean-Marie Cauchies et René Vermeir. Sur la co-souveraineté : Marie-Laure Legay, Les État provinciaux dans la construction de l’Etat moderne, ParisGenève, Droz, 2001. René Vermeir, « Dans quelle mesure les Pays-Bas espagnols étaient-ils espagnols ? », in Gouvernance et administration, op. cit., p. 237.
Le « Gouvernement » des Monnaies
Interdiction lui fut faite, le 29 octobre 1609, de fabriquer des pièces de cuivre78. La ville se plaignit auprès des États de Gueldre, fit de multiples représentations et obtint en 1612, à force de persévérance, des instructions des archiducs pour forger des pièces d’argent « sans préjudice de l’authorité à leurs Altesses Sermes »79. Le texte réglait la distribution des bénéfices de l’opération qui « demeuroient au proufict de ceulx de ladite ville de Ruremonde par-dessus le pris et valeur de la matière, frais et dépense de monnayaige »80. Seuls les deniers de boîtes allaient aux archiducs. Les échevins étaient en outre tenus de désigner un maître particulier qui prêterait serment de fidélité en la chambre des comptes de Gueldre aussi bien qu’à la ville81. De même, l’ordonnance suivante, datée du 10 septembre 1616, établissait un contrôle strict sur les opérations de l’atelier : l’ouvrage devait être inspecté en la chambre des comptes de Gueldre, en présence d’un membre de celle-ci, d’un maître général des Monnaies, de l’essayeur général des Archiducs, du waradin (garde) de l’atelier, d’un bourgmestre, échevin ou d’un délégué de la ville de Ruremonde. Albert et Isabelle organisaient donc la tutelle sur l’atelier de Ruremonde, tout en reconnaissant néanmoins le droit de battre monnaie à la ville. Cette co-souveraineté 78
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Victor Brants, « La politique monétaire aux Pays-Bas sous Albert et Isabelle », Revue belge de numismatique, 1909, p. 156-173, 262-290. Sur les archiducs Albert et Isabelle, on peut aussi se reporter à Werner Thomas et Luc Duerloo, Albert & Isabella 1598-1621, essays, Brepols, Turnhout, The Netherlands, 1998. AGR, JM, 45, Instructions de 1612. Idem. AGR, JM, 45, Instructions de 1612. La chambre des comptes de Gueldre a été créée en 1559, à Arnhem, sur le modèle des autres chambres des comptes. Lorsque le prince d’Orange prit la ville en 1581, les officiers de cette chambre, restés pour la plupart fidèles au roi d’Espagne, se fixèrent à Ruremonde, qui devint la capitale de la Gueldre espagnole et accueillit une nouvelle chambre des comptes, tandis qu’Arnhem conservait la sienne pour la Gueldre indépendante. Voir Wil Van de Pas, « De Gelderse Rekenkamer in Arnhem en het zestiende eeuwe domeinbeheer vanaf de komst van de Habsburgers. Een institutioneel overzicht », dans Uuytwysens d’archiven. Handelingen van de xie BelgischNederlandse Rechthistorische dagen, Louvain, 1992, p. 299-325. Pour une présentation en langue française : Mireille Jean, « Les institutions financières centrales des anciens Pays-Bas, milieu du xve siècle -1700 », dans Etudes et documents, VI, Paris, CHEFF, 1994, p. 143-190 ; Anne Vandenbulcke, Les Chambres des comptes des Pays-Bas espagnols, Bruxelles, 1996 (Université libre de Bruxelles, Faculté de philosophie et lettres, 106) ; EADEM, Répertoire des officiers des Chambres des comptes de Lille, Bruxelles et Ruremonde (xvii e s.), Bruxelles, 1998 (Archives générales du Royaume […], Studia, 74)..
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pratique fut reconduite par Philippe IV qui autorisa également la ville à fabriquer divers pièces d’argent et de cuivre à son profit par l’octroi du 4 novembre 163882. Il faut dire que les besoins économiques de ce pays désigné le « Haut-Quartier », en relation avec la principauté de Liège, le comté de Hornes, le duché de Juliers et de Clèves, l’électorat de Cologne, exigeaient une monnaie propre. Le privilège perdura donc jusqu’en 1682, lorsque le prince de Parme donna ordre au Conseil de Gueldre de poursuivre le procès contre le Magistrat de la ville qui continuait à produire de la monnaie de cuivre, appelée duyten83. Cette mise à pied eut quelque effet, car lorsque le Magistrat demanda de nouveau l’autorisation de fabriquer, le Conseil privé à Bruxelles s’opposa plusieurs fois à la requête, jugeant que les pièces de cuivre sorties de l’atelier ruremondois étaient trop légères d’une part, et que l’autorité du souverain devait être plus nettement établie. On trouve dans l’histoire des Pays-Bas méridionaux, terre de multiples conquêtes, des cas de fabrication obsidionale autonome. La présence des soldats provoquait chaque fois une situation d’urgence qui affolait les Magistrats des villes car il fallait pourvoir au paiement des troupes en place avec de la menue monnaie. Si celle-ci venait à manquer, des moyens locaux pouvaient parer au plus pressé. L’histoire de la ville de Bréda est exemplaire de ce point de vue84. Occupée par les compagnies allemandes de mars à octobre 1577, elle dut produire une monnaie locale pour subvenir à la solde des troupes en faisant fondre les argenteries de la ville. Elle en tira des pièces d’argent et d’étain, pièces de nécessité dont la durée de vie fut courte. Un épisode semblable se déroula lorsque le général Spinola investit la ville de Bréda à la fin du mois de juillet 1624. Le Magistrat ordonna d’abord à la population de livrer son argent comptant contre des lettres de change payables dans diverses villes au choix du porteur, mais ce ne fut guère suffisant. En 1625, le commandant Justin de Nassau exigea donc des capitaines la livraison de leur vaisselle et fit frapper de la monnaie obsidionale sur place pour sa garnison85. Puis le Magistrat sollicita la gouvernante Isabelle pour obtenir la fabrication de liards et gigots de cuivre, disposant opportunément de cette matière. Isabelle rejeta leur demande, mais autorisa les échevins à livrer leur cuivre à la Monnaie d’Anvers pour en obtenir les liards et gigots jusqu’à la somme de 2 000 écus86. L’autorité souveraine était clairement affirmée ici, face aux pouvoirs 82 83 84
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Victor Brants, op. cit. AGR, CF, 173, lettre du 21 mars 1682. Sur l’histoire militaire dans les anciens Pays-Bas au xvie siècle, voir Geoffrey Parker, Espaňa y la rebelión de Flandes, Madrid, Nerea, 1989. Alphonse de Witte, op. cit., t. 3, p. 179. AGR, JM, 62, lettre de l’infante Isabelle, du 11 juillet 1625.
Le « Gouvernement » des Monnaies
Jan Van den Hoecke, d’après Rubens Peter Paul, La libéralité royale, 1635, œuvre commandée par le Magistrat d’Anvers pour l’arc de triomphe célébrant l’entrée solennelle de don Ferdinand d’Autriche. [Musée des Beaux-Arts, Lille]
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La souveraineté monétaire aux xvie et xviie siècles: une réalité double
locaux. Il faut dire que la maîtrise de la monnaie de siège, qui engageait l’obéissance publique d’une ville ou d’une province, relevait d’enjeux politiques bien affirmés. C’est pourquoi les pièces obsidionales n’avaient qu’une courte durée de vie, quel que fût le siège et l’époque (Maastricht en 1579 ; Bruxelles en 1580…)87. Et les maîtres généraux, et le corps des monnayeurs du Brabant, et le monnayage municipal disparaîtront du paysage politique du xviiie siècle. Les premiers seront supprimés par Marie-Thérèse en 1749, les seconds par Joseph II en 1782. Le modèle de gouvernement des monnaies hérité des ducs de Bourgogne et perfectionné par Charles Quint, Philippe II et les archiducs s’inscrit dans l’historiographie de la construction de la monarchie espagnole88. Pourvu que les corps urbains et les provinces entrassent dans le processus de légitimation défendu par Madrid, l’expression de la souveraineté respectait les formes traditionnelles de dialogue entre le roi et ses sujets. Malgré le renforcement de l’inspection des maîtres généraux et le maintien de la puissance des corps de monnayeurs, les corps urbains gardaient une marge de manœuvre, particulièrement aux frontières, quant à l’usage des monnaies.
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On peut se reporter à Alphonse de Witte, op. cit., t. 2, p. 295-308.On le mesure encore lors du siège d’Anvers de 1814. Cf. Maurice Colaert, Monnaies obsidionales frappées à Anvers en 1814 au nom de Napoléon et de Louis XVIII, Cercle d’études numismatiques, Travaux 14, Bruxelles, 2001. José Javier Ruiz Ibanez, Bernard Vincent, Historia de Espaňa. Los siglos XVI-XVII…op. cit.
Chapitre 2 L’effigie, l’aloi et le poids Le souverain définit les espèces, c’est-à-dire qu’il détermine le métal, le titre et le poids de chaque monnaie, mais aussi les écarts tolérés (les remèdes), le droit seigneurial afférent à la frappe, et finalement le cours légal des espèces. Il marquait d’abord son autorité sur les monnaies en y faisant graver son effigie, ses titres et ses armes. Ceci garantissait symboliquement aux sujets des espèces de bon aloi et de bon poids, que le prince définissait par sa loi. En d’autres termes, il garantissait la valeur intrinsèque des pièces.
1. La représentation souveraine Apposer l’effigie du souverain sur du métal, c’est garantir à l’ensemble des sujets un moyen de paiement et forcer chacun à le recevoir comme équivalent dans les échanges qu’il est amené à conclure. Cela suppose une certaine maturité de la souveraineté, « l’idée que le prince est le soutien de l’ordre, le maître de la mesure », pour reprendre les termes de Georges Duby89. Marquer la monnaie des signes de la souveraineté – l’effigie, les armes, la devise – constitue donc un acte d’autorité économique dans une sphère géographique donnée. La monnaie constituait le seul support physique par lequel le souverain se donnait à voir jusqu’au fin fond de ses états. Il importait donc d’y faire apparaître le portrait du prince, si possible avec une certaine ressemblance. Dans les anciens Pays-Bas, la première monnaie à effigie date de 1487. Il s’agit du grand réal d’argent de Philippe le Beau. Les carolus créés par Charles Quint remplirent également leur fonction régalienne en faisant reconnaître l’empereur, visage imberbe et cheveux longs sur la pièce d’or, buste plus réaliste sur la pièce d’argent, gravée par des artistes de la Renaissance soucieux de mettre en avant leur maîtrise du portrait. De même les sujets des Pays-Bas pouvaient-ils reconnaître leur lointain souverain, Philippe II, roi d’Espagne, à son prognathisme. Plus essentiels étaient néanmoins les signes distinctifs de la dignité et de l’autorité. Par la Pragmatique Sanction de 1549, Charles confirma sa volonté 89
Georges Duby, Guerriers et paysans, Paris, Gallimard, 1973, p. 77-78.
La souveraineté monétaire aux xvie et xviie siècles: une réalité double
de tenir les principautés sous la conduite d’un seul prince ; il tint cependant à respecter les identités plurielles des principautés dont il était maître. Grâce aux numismates, on décèle quelques nuances dans l’affirmation de l’autorité90. Presque tous les monarques ont fait graver les titres princiers qui fondaient leur souveraineté dans cette partie de leur empire : DUX BRABANTIAE et COMES FLANDRIAE sont des mentions « provinciales » que l’on retrouve encore au temps de Joseph II. De même, l’aigle impérial demeure une constante. Des évolutions sont sensibles toutefois. Charles Quint fit connaître sa puissance dans tous les anciens Pays-Bas en faisant disparaître les mentions provinciales (il demeurait toutefois « duc de Bourgogne ») et graver son effigie avec l’épée et le globe sur les premiers carolus d’or. Sa devise au revers des pièces invoquait la Vierge : DA MIHI VIRTVTEM CONTRA HOSTES TVOS (« donnez-moi la force contre Vos ennemis ») rappelait que l’empereur luttait contre les hérésies jusqu’au cœur de ses états. Le carolus d’argent de 1552 remplaça l’armure par le manteau sur les épaules du souverain. Philippe II, « roi d’Espagne », mais aussi « roi d’Angleterre » jusqu’en 1559, n’eut pas de difficulté à se faire représenter comme « duc de Brabant ». Il affirma de même son attachement à la mission catholique et à son projet hégémonique par sa devise DOMINUS MIHI ADIVTOR. La devise du prince disparut au temps des troubles religieux : les États généraux de Brabant optèrent pour la mention PACE ET JUSTICIA, mais dès la fin de 1579, à la suite de la signature de la paix d’Arras, couronnes d’or et daldres Philippus reprirent l’apparence des monnaies souveraines d’avant 1576. Albert et Isabelle supprimèrent complètement sur leurs monnaies toute inscription religieuse et y substituèrent leurs seuls noms – avec la mention « ALBERTUS ET ELISABET DEI GRATIA » à l’avers – et titres au revers : « ARCHIDVCES AVST DVCES BVRG ET BRAB ». Le septième fils de l’empereur Maximilien II et de Marie d’Autriche, fille de Charles Quint, venait d’épouser la première fille d’Elizabeth de France et de Philippe II. Ce dernier fit donation des « pays d’embas et de Bourgoigne » à sa fille. Ainsi faisait-on figurer le plus souvent sur les pièces un écu mi-parti Autriche-Bourgogne. Toutes sortes de variations étaient possibles néanmoins, certaines insistant sur les attributs souverains, comme cet albertin (ou double souverain) frappé en 1600 représentant les archiducs couronnés en costume d’apparat et assis sur un trône, Albert portant le glaive dans la main droite et Isabelle le sceptre ; d’autres insistant 90
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Parfois, les ateliers programmaient la réalisation de pièces, mais l’emission n’avait finalement pas lieu, faute de matière, comme ces pièces d’or portant les effigies des archiducs Albert et Isabelle ordonnées le 10 novembre 1599 ou les double albertin ordonné le 15 mai 1600.
L’effigie, l’aloi et le poids
davantage sur les attributs princiers : l’écusson, le collier de la Toison d’Or, la croix de Saint André91, la croix de Bourgogne92. L’affirmation de la souveraineté – glaive et sceptre – demeura une exception au temps des archiducs tant il est vrai que la cession de 1598 constitua un monument d’ambiguïté sur ce point93. Certes, Albert et Isabelle disposaient de la « puissance pleniere, absolute et royale » sur les Pays-Bas, mais bien des zones d’ombre persistaient, notamment sur l’autorité militaire et diplomatique, et finalement, à la mort d’Albert en 1621, Isabelle redevint simple gouvernante générale. En matière de monnaies, il semble bien pourtant que leur autorité fut établie. L’année même qui servit de millésime à l’albertin représentant les princes en apparat souverain, furent rédigées les instructions destinées aux maîtres généraux des Monnaies. Comme nous l’avons vu, ces instructions du 16 mars 1600 avaient pour objectif de déroger aux privilèges concédés aux villes des Pays-Bas pour permettre aux juges de poursuivre les Magistrats et échevins soupçonnés de ne pas respecter les ordonnances monétaires94. Voici comment fut rédigé l’article 10 des instructions, qui témoigne de l’intention des archiducs : Et si quelque officier de leurs dites Altesses si comme Mayeur, Margrave, Amman, Escoutette, Echevin ou autre semblable principal officier etoit trouvé par lesdits generaux coupable ou infracteur, ne seront lesdits generaux et Conseillers astraints nÿ obliger les mettre en cause pardevant la justice du Lieu, mais les mettront endroit pardevant le Conseil principal du Lieu, lesquels du Conseil seront tenus faire et administrer justice convenable à peine que dessus non obstant aucuns placarts ordonnances ou privileges qui pourroient etre bailler, au contraire auxquelles pour la frequence du delict, leurs dites Altesses ont derogue et deroguent par cette. 91
92
93
94
Saint André, patron des états bourguignons. Voir Bertrand Schnerb : « La Croix de Saint-André, ensaigne congnoissable des Bourguignons », Signes et couleurs des identités politiques, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2008, p. 45-56. On trouve cet emblème sur les drapeaux des armées du duc de Bourgogne puis sur ceux de ses héritiers espagnols, après que Philippe Le Beau, fils de Marie de Bourgogne, ait été couronné roi de Castille. La croix de Bourgogne est une forme particulière de croix de saint André, mais les deux termes ne sont donc pas synonymes. Voir note 38 et plus généralement Luc Duerloo et Werner Thomas, Albert and Isabella 1598-1621, Turnhout, Brepols, 1998 ; Charles Terlinden, L’archiduchesse Isabelle, Bruxelles, La Renaissance du Livre, 1943 ; Werner Thomas, « La corte de los Archiduques Alberto de Austria e Isabel Clara Eugenia en Bruselas (1598-1633). Una revisión historiográfica », en A. Crespo Solana y M. Herrero Sánchez, op. cit., p. 355-386. AGR, JM, 25. Voir l’intégralité du texte retranscrit en annexe.
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La souveraineté monétaire aux xvie et xviie siècles: une réalité double
L’état de délabrement monétaire était tel qu’il fallait agir en imposant sa loi sur les marchands et empêcher que les officiers des villes, solidaires de ces derniers, couvrent leurs négligences à respecter les ordonnances monétaires. Les monnaies des Pays-Bas méridionaux gardèrent trace de la con fusion extrême qui régna pendant la guerre de Succession d’Espagne. La lutte pour la souveraineté sur les pays d’embas entre Habsbourg et Bourbon produisit quelques curiosités numismatiques. Philippe V tenta par exemple d’usurper le titre d’archiduc d’Autriche, de sorte que l’on trouve cette mention sur deux ducatons, avant de la voir disparaître sur une troisième version de cette espèce95. Pendant son court règne sur les Pays-Bas, on fit graver les insignes de l’ordre français du Saint-Esprit au revers d’un double souverain d’or. Le roi Bourbon tenait en outre à la ressemblance de son portrait. Le mécontentement du comte de Bergeyck, alors ministre d’État, lorsqu’il découvrit en 1703 les épreuves du buste du souverain réalisées par le graveur Roettiers, témoigne de cette exigence : le ministre fit redresser « l’effigie du roy selon le buste de marbre qu’il y a
Albertin (ou Double souverain d’or) de 1600 Cabinet de l’État belge. Pl. LVII, n° 895].
95
26
Alphonse de Witte, op. cit., p. 239.
L’effigie, l’aloi et le poids
à Anvers et la médaille qu’il a imprimée » parce qu’il n’y avait « aucune ressemblance »96. Charles III d’Espagne, quant à lui, affirma son autorité monétaire sur ces territoires en imposant dès le mois d’août 1706 aux maîtres généraux des Monnaies la frappe à l’effigie de Charles II, à défaut de nouveaux coins à son propre profil. Il procéda deux ans plus tard à l’interdiction d’une fabrique de gigots ordonnée par les maîtres généraux au maître particulier de l’atelier d’Anvers, Jean-Baptiste Sneyers, jugeant que les généraux avaient usurpé son autorité97. La guerre d’argent faisait rage alors. À Namur, Philippe d’Anjou contrefaisait les liards espagnols98. La situation s’éclaircit à l’approche des traités de paix, lorsqu’il devint assuré que les Pays-Bas catholiques passeraient à la couronne autrichienne99. L’aigle impérial apparut comme il se doit dès 1711, à la suite de l’élection de Charles III comme empereur. Ancienneté, dignité et légitimité du lignage s’exprimaient donc à travers les coins monétaires.
2. Le titre et le poids Outre le choix de la représentation qu’ils voulaient donner d’eux-mêmes et de leur royaume, les souverains disposaient du pouvoir régalien de définir le titre et le poids des monnaies. Ces opérations très techniques étaient délicates. Supervisées par les maîtres généraux des Monnaies qui devaient faire en sorte que les « droits, hauteurs et prééminences de nos souverains princes soient partout gardées et avancées ensemble sur le bien universel dudit fait des Monnaies », elles utilisaient les compétences des essayeurs et des ouvriers qualifiés. Lorsqu’on voulait procéder à une fonte, on faisait venir les matières du magasin où elles se trouvaient, on les pesait, puis on les transportait à la fonderie pour les mettre au fourneau. L’essayeur faisait un premier essai dit « essai du bain ». Les Matières alliées etant en pleine fusion, ledit Essaieur particulier se rend à la fonderie, examine si les matières sont bien fondues, les fait brasser et puis en fait couler une latte ou quelques gouttes pour en faire l’Essai ; cet Essai etant fait, il en donne son Billet au Directeur et si le titre est bon, 96
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Lettre du 14 septembre 1703, reproduite par Piot, Revue belge de numismatique, t. VII, p. 333-334. Alphonse de Witte, op. cit., p. 250. Voir chapitre 5. Voir sur ce point Lucien Bély, « La diplomatie européenne et les partages de l’Empire espagnol », dans A. Alvarez-Ossorio, B. J. Garcia, V. León (dir.), La pérdida de Europa. La Guerra de Sucesión por la Monarquia de Espaňa, Madrid, 2007, p. 631-652.
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La souveraineté monétaire aux xvie et xviie siècles: une réalité double
Icelui fait couler la matière en lames ou lattes, si non il allie de nouveau la matière en Bain et on en repète l’Essai100.
Une fois la fonte finie, on livrait encore à l’essayeur la première et la dernière lame pour une dernière évaluation. Il pouvait arriver en effet que la dernière lame ne présentât pas le même titre que la première si les matières avaient été mal brassées pendant l’opération. Puis toutes les lames partaient pour être travaillées par les monnayeurs. Elles étaient laminées et détaillées en flans. Avant de les accepter, le directeur ou son commis procédait à l’examen des flans par marc et par pièce, et s’il les trouvait « mal conditionnés, trop légers, trop pesants ou trop inégaux en poids », il les refusait et les monnayeurs devaient les reprendre pour les réajuster et corriger. Ensuite seulement, on passait à la frappe. Le plomb des essayeurs était régulièrement testé, mais aussi l’argent fin utilisé pour allier les essais d’or. Les instructions en la matière étaient également très précises et reprises d’un règne à l’autre selon une longue tradition. En 1717, le maître général Wautier fit même une déclaration solennelle pour garantir « de perpétuelle mémoire la pratique usitée et qui ne peut être changée que par l’authorité souveraine »101. Pour faire les essais d’or par exemple, on devait ajouter de l’argent fin et du plomb comme suit : Tableau de formation des alliages [AGR, JM, 25, Déclaration de Wautier, juin 1717] Carats
Argent fin
Plomb
24 carats
15 deniers 0 grain
5 esterlins
23 carats 6 grains
14 deniers 0 grain
6
23 carats
14 deniers 0 grain
7
22 carats 6 grains
13 deniers 12 grains
8
22 carats
13 deniers 0 grain
9
21 carats 6 grains
12 deniers 12 grains
10
21 carats
12 deniers 0 grain
11
20 carats 6 grains
11 deniers 12 grains
12
20 carats
11 deniers 0 grain
13
19 carats 6 grains
10 deniers 12 grains
14
19 carats
10 deniers 0 grain
15
Etc…
100
101
28
AGR, JM, 165, Mémoire de Jean de Witt sur les ateliers des monnaies d’Anvers, Bruges et Bruxelles, mars 1777. AGR, JM, 25, Déclaration de Wautier, juin 1717.
L’effigie, l’aloi et le poids
Les maîtres vérifiaient de même que « soit usée la discrétion et la modération requise tant au feu, eau forte que autrement afin que ne soit fait tort à personne ainsi que sur tout soit gardé l’équité et la justice requise »102. L’élaboration physique de l’alliage restait difficile et les résultats demeuraient irréguliers. Afin de garantir au public des monnaies de bon aloi, on accordait donc aux entrepreneurs une fourchette de valeurs, ce que l’on désigne sous le nom de « remède », au-delà desquelles on ne tolérait plus de variation dans la fabrication. Les fourchettes de valeurs étaient énoncées dans les ordonnances constitutives de la fabrication des espèces, et le public était prévenu de ces remèdes par l’ordonnance qui donnait le cours des monnaies. Il faut toutefois bien voir que les remèdes servaient souvent de variable d’ajustement pour éviter de produire de trop mauvaises monnaies, mais aussi à l’inverse d’en fabriquer de trop bonnes, auquel cas celles-ci risquaient de partir illico vers l’étranger. Il était tentant de s’écarter du remède et d’avilir la valeur intrinsèque. De même, on s’écartait du remède en moins lorsqu’il fallait couvrir les frais de fabrication. Lorsque le prix des matières était cher, les remèdes servaient à réduire le coût des opérations : on prélevait sur celles-ci le poids utile au défraiement103. L’aloi et le poids garantis par le prince devaient être respectés. On connaît de ce point de vue la force policière qui pouvait s’abattre sur les contrevenants. Des générations d’historiens se sont émus des peines infligées aux faux-monnayeurs, assimilés aux criminels de lèse-majesté, mais aussi aux vils usuriers, disciples de Mammon. Les cas sont avérés au Moyen-Âge ; il n’est, pour s’en convaincre, que de se remémorer le tympan de l’abbaye de Conques. Le faux-monnayeur, destiné à la mort, y tient un cylindre sur lequel est inscrit CUNEUS. Il s’agit du poinçon qui authentifie le métal précieux et que le faussaire a utilisé. Nous verrons néanmoins que le crime de faux-monnayage revêtait bien des opérations particulières que les juristes comme Jean Bodin distinguèrent les unes des autres pour finalement apprécier le fait monétaire de façon plus appropriée104.
102 103
104
AGR, JM, 165, Instructions du 16 mars 1600, article 17. C’est du moins la pratique avérée lorsque l’activité des ateliers reprit dans la deuxième moitié du xviiie siècle. On essayait de rester dans les limites raisonnables. Un rapport de 1769 dressé pour répondre au prince de Kaunitz sur le fait des monnaies établit clairement « qu’on ne peut faire face à ces frais qu’au moien des remèdes », AGR, JM, 164, Rapport du 8 mai 1769. Brouillon. Voir chapitre 5.
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La souveraineté monétaire aux xvie et xviie siècles: une réalité double
3. La question du seigneuriage La création monétaire revenait au souverain qui prélevait sur l’émission un droit de seigneuriage, symbole de son autorité émettrice, de proportion variable d’une espèce à l’autre, voire d’un atelier monétaire à l’autre105. La puissance symbolique de ce droit transparaît à travers la réponse que Philippe II fit donner aux États d’Artois lorsque ceux-ci, à peine réconciliés avec leur prince, réclamèrent la remise du droit de seigneuriage en 1581, afin de réduire les dettes de la ville d’Arras. Le roi d’Espagne refusa net et, tout en reconnaissant que l’Artois fut la première province à se réconcilier, il précisa : « Nous voulons que [le droit seigneurial] reste à notre profit… attendu que ce seroit aliénation de nos droits… et que semblable ne se trouve avoir été accordé à autres villes là où anciennement il y a eu forge de monnayes »106. Dans les anciens Pays-Bas, où le régime d’assemblées interpellait constamment l’autorité souveraine, renoncer au seigneuriage présentait donc des inconvénients politiques. Cet abandon pouvait également provoquer une perte sur le plan financier car le souverain cherchait à tirer profit du monnayage. Comme le rapporte Abot de Bazinghen, le droit de seigneuriage était à l’origine « l’un des principaux revenus de leur Domaine »107. En 1631 par exemple, la dépense pour la fabrication des florins d’argent se décomposait comme suit : le marc d’argent fin108 s’achetait alors 23 florins et 19 patards et le roi prélevait 5 patards et 9 mites ; restaient dans les mains du maître pour 105
106
107 108
30
François-André Abot de Bazinghen donne une définition générale de ce droit, dans son Traité des monnoies et de la juridiction de la Cour des monnoies, t. 2, 1764 : « droit qui appartient au Prince pour la fabrique des monnaies » (p. 585). Dominique Delgrange, « L’atelier d’Arras sous Philippe II (1581-1592) », Études numismatiques I, Mémoires de la Commission départementale d’Histoire et d’archéologie du Pas-de-Calais, t. XXIII, Arras, 1998, p. 131-160. Lettres patentes du 11 juillet 1581. François-André Abot de Bazinghen, op. cit., p. 587. Le marc vaut 8 onces. A Bruxelles, le poids de 8 onces est divisé en 120 estelins et l’estelin en 32 as. Comme le rappelle François-André Abot de Bazinghen pour la France, les orfèvres, pour faciliter les comptes de la vente de l’or, ont proportionné l’once de poids avec la livre de monnaie de vingt sols, constituant vingt estelins. En conséquence, le marc vaut 160 estelins ou 320 mailles. Voir Traité des monnaies, op. cit., p. 506. Voir également M. Tillet, dont les travaux ont été repris dans l’Encyclopédie ou Dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des métiers, supplément, volume 4, article « Poids », Amsterdam, Rey Libraire, 1777, p. 448.
L’effigie, l’aloi et le poids
« brassage, ouvrage et monnayage » 6 patards et 39 mites. Si l’on suit les comptes des entrepreneurs des ateliers monétaires, l’on voit que ce droit variait considérablement. Pour les liards et les gigots par exemple, qui étaient des monnaies de cuivre, on prélevait « selon que l’on est convenu avec Sa Majesté à 2, 3, même 4 sols par marc »109. Le souverain était pris entre deux logiques : d’un côté, il importait de faire circuler des monnaies de différentes valeurs, y compris de bas aloi ; de l’autre, il fallait respecter un rapport correct entre le droit prélevé pour fabriquer les menues espèces et la valeur intrinsèque de ces monnaies110. Naturellement, le droit de seigneuriage pesait relativement plus lourd sur les petites espèces. Cette situation provoqua le mécontentement de bien des sujets. L’auteur du Compendieux de 1581 en fit l’objet d’un de ses dialogues : En ce qui concerne le profit que procure le monnayage, je crois pouvoir le comparer ainsi : c’est comme si un homme voulait arracher ses arbres jusqu’à la racine pour en retirer plus d’argent en une fois et perdre après le profit qui pourrait croître annuellement111.
Au temps de l’archiduc Albert, les pièces de douze et de trois florins créées en 1612 excédèrent en prix celles créées la même année respectivement de six et de quatre florins de meilleur aloi. Si comme de 22 carats et trois quart d’un grain d’or fin en alloy, et de poids à l’advenant plus grand, pour égaler en bonté intrinsèque, autant que possible les autres pièces de haut alloÿ, ce que toutefois n’a peu si bien se faire pour ladite différence d’alloÿ, de sorte que la marc d’or fin convertÿ
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AN, G2 220, dossier 20, mémoire récapitulatif de 1729 recopié en 1747 par l’administration française. Le mémoire reprend les comptes de boîtes des années 1680 aux années 1720. Au xvie siècle, le juriste Dumoulin définit la valeur intrinsèque comme « la valeur courante par publique ordonnance ou institution, et non l matière ». Au xviiie siècle, Richard Cantillon et Ferdinando Galiani emploient le terme de « valeur intrinsèque » par opposition à « valeur extrinsèque » pour désigner le prix « normal » que les auteurs classiques désigneront plus tard, à partir d’Adam Smith, comme le « prix naturel ». On peut supposer que les administrateurs de Bruxelles emploient ce terme dans le même sens au xviiie siècle. Compendieux ou bref examen de quelques plaintes coutumières à divers de nos compatriotes…, par W. S. Gentilhomme, imprimé à Londres par Thomas Marsche, 1581, f° 12r°, édité en français par Jean-Yves le Branchu, Écrits notables sur la monnaie, t. 2, Librairie Félix Alcan, 1934, p. 65.
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La souveraineté monétaire aux xvie et xviie siècles: une réalité double
esdites pièces de douze et trois florins excedoit en prix semblable marc fin convertÿ esdistes pièces de fin et quattre florins d’un pattar et sept mites112.
La règle resta valable pour toute la période. Prenons l’exemple du liard de cuivre à la fin du xviie siècle. Le seigneuriage le concernant apparaît à hauteur de 16 sols par marc dans les comptes de boîtes du maître particulier des Monnaies d’Anvers, Pierre van Vreckem, pour les années 1692-1696. Or, on tirait normalement du marc 66 liards qui faisaient chacun 16 sols ½113. La taxation était donc hors de proportion. Le maître général des Monnaies, Wautier, le rappela à l’envi : Cela at esté de tout temps ainsy réglez, tant plus sont les espèces de moindre valeur, tant plus grande doit estre l’excressance, hors lesquelles se doivent trouver le droit seigneurial et frais de la fabricque114.
L’intérêt financier de cette taxe n’était donc pas négligeable. Il faut dire que les entrepreneurs de monnaies faisaient miroiter au souverain des droits élevés pour emporter le bail de tel ou tel atelier. Au besoin, un prince pouvait réduire ce droit, si des taxes compensatoires, tailles ou aides, lui étaient versées. Le droit de seigneuriage sur les pièces de 6 patards fut abaissé par exemple d’un patard 30 mites au marc au profit des maîtres particuliers le 6 avril 1617. De même, il pouvait le concéder. Par une grâce spéciale accordée le 16 novembre 1599, les orfèvres pouvaient par exemple se fournir aux changeurs, en payant pour « recognoissance et droit seigneurial desdits archiducs » 24 patards par marc d’or et deux patards par marc d’argent115. Enjeu politique et intérêts économiques se combinaient donc pour justifier le droit de seigneuriage. Pourtant, il n’était pas rare de voir un souverain abandonner son droit pour limiter le coût de la fabrication. En période de cherté des métaux précieux, il importait en effet de maintenir l’approvisionnement des ateliers et d’inciter particuliers et marchands à y amener les espèces étrangères qui devaient y être fondues. L’un des moyens pour maintenir le niveau d’approvisionnement était de renoncer au seigneuriage. En France, Philippe de Valois procéda ainsi au début de son règne : « Toutes sortes de personnes, dit-il, porteront le tiers de leur vaisselle d’argent à la monnoie… et seront payées, sans que nous y prenions nul profit, mais seulement ce que la 112 113 114 115
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AGR, JM, 21, 1612. AN, G2 220, dossier 20. AGR, JM, 44 bis, lettre de Wautier, 13 février 1710. Idem.
L’effigie, l’aloi et le poids
monnoie coutera à fabriquer »116. Plus tard, Louis XIII remit son droit de seigneuriage lors de la fabrication des louis d’or et d’argent117. Le droit s’élevait alors à 6 livres par marc d’or et 10 sols et une obole par marc d’argent. Dans les Pays-Bas catholiques, l’archiduchesse Isabelle autorisa aussi ses maîtres de Monnaies à payer le marc d’argent fin plus cher tout en leur permettant de déduire des droits seigneuriaux le coût de ce surcroît de dépense118. Le surhaussement du prix de l’or et de l’argent à la fin du xviie siècle engagea encore les souverains d’Europe à renoncer à leurs droits au profit des livreurs. Le célèbre Act of free coinage qu’Isaac Newton rédigea en 1666 pour le compte de Charles II d’Angleterre décréta que tout l’or présenté à la Monnaie anglaise serait frappé sans prélèvement et sans même faire payer les coûts de frappe. Le prince Stuart fut imité par le représentant le plus emblématique de l’absolutisme, Louis XIV. Le Roi Très Chrétien interrompit la perception par la déclaration du 28 mars 1679 ; celle-ci fut rétablit néanmoins en décembre 1689. Pour attirer les piastres lourdes, Charles II d’Espagne abandonna de même son droit de seigneuriage sur les livraisons en ses hôtels de Monnaies belges. Il fallut cependant lutter contre l’astuce de certains maîtres qui continuaient de recevoir les mattes d’Espagne à un prix inférieur sous prétexte de droit de seigneuriage. Il suffisait de faire croire au livreur que ce droit était dû. Ainsi procéda le maître particulier de la Monnaie de Bruges qui reçut en 1680 les mattes livrées par un marchand de Gand à 21 florins 9 patards au lieu de 21 florins 13 patards selon les placards119. Le marchand se plaignit et le maître particulier fut poursuivi pour prévarication par les conseillers fiscaux de Flandre, banni pour 25 ans et condamné pour frais à 400 livres de gros120.
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Cité par Louis de Jaucourt, auteur de l’article « Seigneuriage » dans l’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert, 1765. Publication en ligne www. alembert.fr François Le Blanc, Traité historique des monnaies de France depuis le commencement de la Monarchie jusques à présant (sic), 1690, p. 302. AGR, Chambre des comptes, registre 586, f° 151. AGR, CF, 174, Rapport à son excellence, 1680. Idem.
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Chapitre 3 Définir le cours légal Outre l’aloi et le poids, le souverain donnait cours aux espèces. Il en donnait la valeur numéraire. Cette évaluation tenait compte de multiples critères : il fallait procéder en respectant la valeur intrinsèque des pièces, mais aussi l’ordre des valeurs du système monétaire dans lequel on se trouvait, et encore tenir compte des cours des pays étrangers. Cette évaluation faite et publiée, il importait de la faire respecter, ce qui s’avéra toujours très difficile. Si l’on suit les théologiens de la faculté de Louvain, parmi lesquels on trouve Jansénius, l’estimation du prince liait tous les sujets en conscience et assimilait dès lors les transgresseurs aux fauxmonnayeurs121. Cette consultation de 1633 s’appuyait sur le vieil argument du droit régalien. Il importait donc de respecter la loi du roi. Cependant, ce dernier n’agissait pas toujours en conséquence : la valeur légale de la monnaie pouvait atteindre le double ou le triple de la parité métallique et dès lors provoquer une inflation supportée par toute la population.
1. Le système monétaire de Charles Quint Les dispositions prises par Charles Quint pour les anciens Pays-Bas sont connues122. Il eut pour principale préoccupation d’unifier le système, se situant en cela dans la continuité de la politique des ducs de Bourgogne, et de capter l’or de France et d’Angleterre.
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Consultation de la faculté de théologie de Louvain de 1633, republiée par ordre du 14 octobre 1679. Voir la version latine dans Victor Brants, Recueil des ordonnances des Pays-Bas, op. cit., p. 257. Sur la politique monétaire de Charles Quint, voir notamment : Gottfried Pusch, Staatliche Münz- und Geldpolitik in den Niederlanden unter den burgundischen und habsburgischen Herrschen, besonders unter Kaiser Karl V, Munich, V. Höfling, 1932. Herman Van der Wee, The growth of Antwerp market and european economy, XIV-XVI centuries, Louvain, Presses Universitaires, 1963. Daniel Coenen, « Une vaine tentative de stabilisation monétaire dans les Pays-Bas (1541-1555) », Revue belge de philologie et d’histoire, t. 68, fasc. 4, 1990, p. 817-849.
La souveraineté monétaire aux xvie et xviie siècles: une réalité double
Comme le montrent Marie-Thérèse Boyer-Xambeu, Ghislain Deleplace et Lucien Gillard, la formation des espaces étatiques nécessitait l’établissement d’unités de compte123. Les provinces d’alors utilisaient encore plusieurs unités. On comptait certes en livres mais les subdivisions variaient. La livre de gros de Brabant ne valait que deux tiers de la livre gros flamande par exemple124. À la suite de l’émission de pièces d’or de 1521, pièces d’une valeur de 20 patards ou de 60 gros de Brabant (le carolus)125, Charles Quint imposa le florin comme unité générale. L’ordonnance du 10 décembre 1526 précisait en effet que les contrats liés à des revenus fixes, comme les rentes, les fermages, les dîmes…, devaient être libellés en une unité correspondant à une quantité déterminée de pièces d’or et donc à un poids fixe de métal monnayé : 6 florins Carolus pour la livre de (240) gros de Flandre, 4 florins pour une livre de Brabant, 1 florin pour la livre de 40 gros. D’après Daniel Coenen, cette décision avait pour principal objectif de préserver les revenus réels des crédirentiers, et notamment ceux de l’empereur lui-même126. En tout état de cause, la parité fixe entre l’ancienne livre de gros et le florin de compte servit de pivot à tout le système, même s’il ne fut pas aisé d’imposer sa loi dans la province d’Artois tant il est vrai que les Artésiens restaient attachés à la monnaie française127. Matériellement, Charles Quint rattacha d’abord l’unité de compte au ducat espagnol équivalant à 37,5 patards, soit un patard pour 10 maravédis128. Au début de son règne, il fit même frapper des réaux d’Espagne et des fractions de réaux dans les Pays-Bas. Plus tard, à partir de 1529 et de la paix des Dames, il tentera plutôt d’harmoniser le système monétaire des 123
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Marie-Thérèse Boyer-Xambeu, Ghislain Deleplace et Lucien Gillard, op. cit., p. 202. En 1435, le duc de Bourgogne lia la livre de Brabant à la livre de Flandre dans un rapport de 1 à 1,5 (1 livre de Brabant =160 gros de Flandre ou 13 sous 4 deniers de la livre de Flandre). Voir John H. Munro, Bullion Flows and Monetary Policies in England and the Low Countries, 1350-1500, Variorum Ashgate, 1992, p. 238. Daniel Coenen, op. cit., p. 819. L’ordonnance du 4 février 1521 est reproduite dans Alphonse de Witte, op. cit., p. 166-169. Daniel Coenen, op. cit., p. 820. Alexandre Herman, Histoire monétaire de la province d’Artois et des seigneuries qui en dépendent, Saint-Omer, Chanvin fils, 1843. Le patard est le sol des Pays-Bas, valant vingtième de la livre de 40 gros ou florin. Le patard (stuyver en néerlandais) désigne le double gros frappé en Flandre, Hainaut Brabant et Hollande à partir de Philippe le Bon. Le patard est divisé en deux gros ou 4 liards ou 48 mites. Le maravedis est l’unité de compte en Espagne.
Définir le cours légal
Pays-Bas avec celui de la France, sans toutefois y parvenir pleinement. La difficulté tenait dans le fait que les monnaies françaises y circulaient avec des poids et aloi divers, ce qui rendait leur évaluation difficile. Charles Quint rappela sans cesse les tarifs des pièces, à la fois en patards (12 deniers tournois ou 48 mites de Flandre) et en douzains (10 deniers ou 40 mites seulement), mais les marchands avaient tendance à les prendre pour autant de patards qu’elles valaient de douzains, de sorte que les bons deniers qui sortaient des forges des Pays-Bas quittaient le territoire au profit des mauvaises pièces françaises « au grand prejudice de la chose publique et de nostre haulteur, authorité et seigneurie et en désestime de nosdites ordonnances »129. D’autre part, même coupés ou rognés, les écus d’or de France s’échangeaient au dessus de leur valeur légale. Le maître général des Monnaies, Thomas Grammaye, prit donc la route de Paris pour rencontrer ces confrères. Ils comparèrent ensemble les marcs des deux systèmes et tentèrent « d’accorder le pied, pris, cours et evaluation des monnayes de l’Empereur en ses pays de pardeça aux escus d’or, dousains et autres monnoyes dudit Sr Roy ayant cours en son royaume de France »130. Grammaye dénonça les mauvaises monnaies françaises, mais ni le Cardinal de Sens ni François Ier ne donnèrent des gages sûrs pour remédier au problème. En conséquence, Charles Quint fit produire en 1540 une pièce d’or avec le même titre et poids que l’écu français131. Nommée « couronne d’or au soleil », la pièce avait un aloi de 22 carats 3 ½ grains d’or alliés à 15 grains d’argent et 5 ½ grains de cuivre et 71 ¾ au marc de Troyes. Cet effort pour contrer la circulation des mauvais écus français préoccupa les autorités belges jusqu’au xixe siècle. De même, il fallut lutter contre la circulation des thalers d’argent allemands de mauvais aloi. À partir de 1542, il fut interdit de les recevoir ou de les donner en paiement et l’année suivante, l’empereur créa le carolus d’argent (22 février 1543). D’abord fixé à une valeur de 20 patards, comme le carolus d’or, il permettait donc d’établir le rapport entre les deux métaux. Le 11 juillet 1548, une ordonnance tenta bien de hausser la valeur des espèces d’or par rapport aux pièces d’argent, mais ce tarif ne fut pas appliqué. Philippe II maintint le système de son père, à ceci près que la grosse pièce d’argent destinée à remplacer le carolus avait une parité or plus importante. De même aloi que le carolus d’argent, le demi-réal ou « daldre 9 Philippus », taillé seulement à 7 pièces 64 au marc, valait en effet 129 130
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Ordonnance du 12 juin 1539 citée par Alphonse de Witte, op. cit., p. 178. Son rapport de voyage est reproduit dans Alphonse de Witte, op. cit., t. 2, p. 152-154. Daniel Coenen, op. cit., p. 824. Voir aussi Alphonse de Witte, op. cit., p. 152-154.
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La souveraineté monétaire aux xvie et xviie siècles: une réalité double
un demi-réal d’or. Le roi d’Espagne eut par ailleurs quelques velléités d’harmoniser la monnaie des Pays-Bas avec celle de l’Empire d’Allemagne, à la suite des décisions prises à Augsbourg sur les florins. De 1567 à 1571, ses ordonnances de créations monétaires tinrent compte de la nouvelle cotation de l’or adoptée en 1559 outre-Rhin. Cet ancrage ne devait pas tenir néanmoins. En 1580, Philippe promulgua un système apparenté à celui de son père pour l’argent : les philippus daldres devaient encore être fabriqués sur le pied des carolus d’argent, c’est à dire à dix deniers de fin et de 7 9/64 de taille au marc. Il fallut néanmoins attendre la fin des troubles et la capitulation d’Anvers pour que le roi, par l’ordonnance du 4 octobre 1585, rétablisse une évaluation générale et uniforme de toutes les monnaies coursables. Seules les monnaies frappées sous l’autorité du roi d’Espagne et respectant la parité or-argent définie au début du règne furent admises, les pièces issues des ateliers de Hollande, Zélande, Utrecht et autres villes ennemies furent billonnées.
2. Les écueils de l’évaluation Une chose était de fixer l’unité de compte, une autre de fixer les tarifs des monnaies. L’opération était d’autant plus délicate que les anciens Pays-Bas acceptaient la circulation de nombreuses pièces étrangères : tout en donnant cours légal aux pièces issues des forges des Pays-Bas, les souverains multipliaient les ordonnances pour donner cours aux deniers étrangers. En juillet 1515 par exemple, Charles Quint fixa à 40 mites de Flandre le cours des grands Blancs, douzains et patards du roi de France. Or, les monnaies, comme le rappelle Nicolas Copernic, font la « commune mesure des évaluations ». Il importait donc qu’elle conservent toujours « une grandeur sûre et immuable, sinon l’ordre public serait fréquemment troublé et l’acheteur, le vendeur toujours lésé »132. Les recommandations de l’humaniste furent rarement suivies néanmoins. L’évaluation des monnaies évolua sans cesse au gré du marché des métaux d’une part, et du marchés des changes d’autre part, deux secteurs d’activités aux mains des marchands-banquiers. Les Pays-Bas catholiques pouvaient-ils compter sur l’approvisionnement espagnol ? La conjoncture sévillane pesa, sans doute, sur les affaires des « pays de par decha ». Si l’on suit la démonstration de Pierre Chaunu, on peut même lire l’ensemble des événements militaires à l’aune des arrivées 132
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Nicolas Copernic, Discours sur la frappe des monnaies, De monetae cudendae ratio, 1526, cité dans Jean-Yves Le Branchu, Écrits Notables sur la Monnaie, xvie siècle, t. 1, Paris, Éditions Lacan, 1903, p. 5.
Définir le cours légal
de métaux à la casa de contratatión. Il associe les reconquêtes d’Alexandre Farnèse à la période de croissance maximale des activités américaines – ce qu’il désigne sous le terme de « cycle royal de l’argent » (1579-1592) – la trêve de 1609 à la situation déprimée de Séville en 1604-1607, la catastrophe de Rocroi (1643) à « l’unique, le seul, le véritable effondrement de l’Atlantique de Séville » entre 1638 et 1641133. Les hypothèses de l’historien économiste ont été depuis mises en cause par ceux qui ont repéré les erreurs de calculs établis à partir du tonnage d’une part et l’importance des approvisionnements clandestins d’or et d’argent d’autre part134. Tout au plus, nous dit Michel Morineau, les arrivages de métaux précieux ont soutenu la monnaie, mais ils n’ont pas déterminé les prix135. La conjoncture sévillane eut moins d’impact qu’on ne le pensait initialement. Par ailleurs, les arrivages demeuraient très irréguliers. Le marché des métaux précieux subissait de tels soubresauts qu’il obligeait les souverains à modifier sans cesse les valeurs. Par exemple, tandis qu’en décembre 1599, le marc d’or se payait 257 florins, il se négociait 285 florins en 1613. Il fallait donc s’entendre avec les souverains voisins pour évaluer harmonieusement les monnaies courantes. L’évêque de Liège et les souverains du Brabant signèrent une entente en 1615 en se situant dans la lignée de leurs prédécesseurs136. Ce type d’alliances ou de concordats monétaires se pratiquaient dans toute l’Europe, soit pour convenir d’une frappe commune, ce qui se passait dès le Moyen-Âge dans les cantons suisses, soit pour régler simplement les tarifs. Les maîtres généraux des Pays-Bas se rendirent ainsi à Paris, au temps de Charles Quint, ou à Cologne au temps de Philippe II. À défaut d’entente internationale, le désordre ne pouvait que régner. Le marché des changes avait également une incidence sur l’évaluation des monnaies régnicoles. Comme le montra en son temps Raymond de Roover à partir de ces recherches florentines, « la hausse des changes étrangers tendait à entraîner celle du cours effectif auquel l’écu d’Espagne ou d’Italie circulait dans les Pays-Bas »137. Le processus était le suivant : 133
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Pierre Chaunu, « Séville et la Belgique (1555-1648) », Revue du Nord, t. 42, n° 166, 1960, p. 259-292, ici, p. 277. Michel Morineau, « D’Amsterdam à Séville : de quelle réalité l’histoire des prix est-elle le miroir ? », Annales ESC, 1968, t. XXIII, 1, p. 178-205 et Incroyables gazettes et fabuleux métaux. Les retours des trésors américains dans les gazettes hollandaises (xvi e-xviii e siècles), Cambridge University Press et Maison des Sciences de l’Homme, Paris, 1985. Idem, p. 41. Alphonse de Witte, op. cit., t. 3, p. 28. Raymond de, Roover « Anvers comme marché monétaire au xvie siècle », Revue belge de philologie et d’histoire, vol. 31-4, 1953, p. 1003-1047.
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La souveraineté monétaire aux xvie et xviie siècles: une réalité double
le spéculateur expérimenté se procurait aux Pays-Bas des écus de 80 gros qu’il faisait partir pour l’Italie où il en obtenait 83 à 85 gros, contre des lettres de change payables à Anvers. Cette fuite des écus raréfiait le numéraire et haussait donc le cours des écus qui forcément étaient demandés à un prix supérieur à celui officiel de 80 gros. En outre, la raréfaction du numéraire que provoquait cette exportation des bonnes monnaies avait une incidence sur le prix des matières précieuses. Le prix offert par les hôtels de Monnaies cessait d’être attractif et les ateliers se retrouvaient au chômage, faute de matière à monnayer. Le souverain perdait non seulement l’avantage du seigneuriage, mais devait finalement céder aux pressions des marchands en acceptant la hausse définitive de la valeur de leurs monnaies. Globalement donc, le rehaussement de la valeur nominale des monnaies (soit leur « affaiblissement ») l’a emporté sur le long terme138. Quatre motifs essentiels à ce trend de l’histoire monétaire : l’ajustement du rapport légal au rapport commercial des métaux précieux – c’est là une adaptation que nous repérons très vite pour les Pays-Bas – ; l’ajustement à la dépréciation spontanée de la monnaie ; le besoin d’augmenter les moyens de paiement – avant le développement du papier commercial du xviiie siècle ; et enfin, les besoins fiscaux du roi. Dans un contexte de pénurie, on comprend que les princes aient suivi constamment cette pente naturelle. Ils craignaient les « diminutions » car elles avaient non seulement pour effet de faire fuir la bonne monnaie d’or et d’argent à l’étranger, puisque l’on en donnait plus au change pour le même poids et titre de métal, mais elles avaient également un impact sur le renchérissement des métaux précieux et donc sur le monnayage : les fournitures des 138
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Rappelons que la terminologie ancienne doit être comprise dans le sens inverse de ce que nous entendons aujourd’hui : une « augmentation » ou « rehaussement » de l’époque est une dévaluation de la monnaie de compte : on augmente la valeur d’échange d’une monnaie sans en changer ni le poids ni le titre. Pour le dire autrement, le souverain « fabriquait » plus de florins avec un même poids d’or et d’argent : on dévalue donc la monnaie de compte. On peut aussi fonctionner par « affaiblissement » : on décrète le poids et le titre d’une monnaie moindre pour une même unité de compte : c’est encore une « dévaluation » dans le langage moderne. Les opérations inverses étaient désignées sous le terme de « diminution » : on diminue la valeur d’échange d’une monnaie sans en changer ni le poids ni le titre ; on pouvait également parler de « renforcement » quand on donnait pour une même valeur d’échange un poids et un titre supérieur. Il y a alors réévaluation de la monnaie de compte. Voir sur ce point : Marc Bloch, Esquisse d’une histoire monétaire de l’Europe, op. cit., p. 60-77. Herbert Lüthy, La banque protestante de la Révocation de l’édit de Nantes à la Révolution, t. 1, Paris, SEVPEN, 1960, p. 98-99.
Définir le cours légal
ateliers se tarissaient, les souverains ne disposaient plus du seigneuriage, et finalement prenaient le risque d’un évidement monétaire. Cette tendance séculaire à la hausse se confirma au xviie siècle, jusqu’à devenir une véritable « intoxication »139. La tournée des maîtres généraux des Monnaies Halbeeck, van Zinnicq et de Montfort exécutée en 1629 révèle à quel point le fossé pouvait se creuser entre les recommandations du prince et les pratiques marchandes140. Enquêtant successivement à Tournai, Mons, Valenciennes, Arras, Lille « pour recognoistre d’où procèdent les disordres au faict des monnoyes et notament par la mise des espèces d’or à beaucoup plus hault prix qu’elles ont esté évaluées », ils mesurent bien que le menu peuple dans son ensemble est contraint de recevoir les pièces d’or des gros marchands à hauteur de ce que ces derniers en demandent, et qu’après les avoir reçues, le peuple tâche à son tour de ne rien en perdre en les exposant au même prix, surévalué, ou bien en les échangeant contre des masses de monnaie de cuivre141. L’or se trouvait à haut prix dans la France voisine et les marchands français recevaient volontiers contre les marchandises vendues aux Pays-Bas des pistoles qu’ils faisaient valoir chez eux 8 francs de France. Le roi avait toujours la possibilité de condamner les contrevenants aux placards, mais la procédure restait inefficace, à telle enseigne d’ailleurs que les Magistrats des villes et corps constitués rencontrés par les maîtres des Monnaies déclaraient tous unanimement n’être saisis d’aucune plainte. Le fait n’était pas nouveau puisque les archiducs avaient eux-mêmes reconnu que les Magistrats des villes ne donnant pas l’exemple, le peuple ne pouvait pas davantage respecter les ordonnances : Par plusieurs fois on a trouvé et se trouve journellement que les officiers des bonnes villes, lieux ou places desdits païs ont fait peu ou nulle diligence de punir ou corriger les transgresseurs des ordonnances des Monnoÿes, même que l’on entend aucuns des principaux desdits officiers avoir contrevenu à icelles eux-mêmes qui est et a été cause que le commun peuple n’a icelles observé ou entretenu142.
Nous l’avons déjà indiqué, le délit était si fréquent que les archiducs jugèrent utile de déroger aux privilèges habituels accordés aux villes des 139
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Je reprends ici le terme employé par Christian Hermann et Jean-Paul Le Flem à propos de la monnaie espagnole, dans Christian Hermann (coord.), Le premier âge de l’État en Espagne (1450-1700), Paris, Éditions du Centre national de la recherche scientifique, 1989 ; chapitre sur « Les finances », p. 317. AGR, JM, 84, Rapport des conseillers et généraux des monnaies Halbeeck, van Zinnicq et de Montfort, 29 novembre 1629. Idem, f ° 3v. AGR, JM, 165, Instructions pour les Maîtres généraux, 16 mars 1600, article 6.
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La souveraineté monétaire aux xvie et xviie siècles: une réalité double
Pays-Bas pour permettre aux juges de poursuivre les coupables « comme Mayeur, Margrave, Amman, Ecoutete, Echevin ou autre semblable principal officier »143. Cet état de fait explique aussi que les Pays-Bas utilisaient familièrement un double système de valeur comptable en argent de change (cours légal selon les placards) et en argent courant. À côté de la monnaie forte, dont la valeur venait de la qualité de la fin, on se servait d’une monnaie faible. Ces dispositions caractérisent les usages monétaires des Pays-Bas où le cours légal se trouvait ouvertement subordonné au cours commercial. Rappelons qu’en France, les monnaies étrangères n’étaient pas admises, et qu’en Hollande, elles n’étaient tolérées qu’au prix que les marchands consentaient à donner pour leur valeur intrinsèque. Tout au plus, comme le rappelle Hans van Wervecke, les pouvoirs belgiques étaient en mesure d’agir sur la monnaie de compte en désignant la pièce étalon à partir de laquelle les valeurs de compte s’établissaient, mais « ils n’étaient pas à même d’imposer au commerce un rapport donné entre la pièce sur laquelle était basé le système de compte et les autres monnaies réelles »144.
3. Un approvisionnement artificiel La raréfaction du numéraire contrariait les souverains des Pays-Bas catholiques qui prohibèrent la sortie des métaux précieux. Les placards de Charles Quint (10 décembre 1526 et 15 décembre 1527), de Philippe II (24 novembre 1559 ou 17 janvier 1586) ou encore celui des archiducs (19 février 1607) interdisant l’exportation des matières constituent une constante législative jusqu’à la fin du xviie siècle. Les justifications mercantilistes d’une telle pratique prohibitive sont bien développées dans la Théorie générale de Keynes145. Le monarque considérait leur maintien des matières comme le principal soutien de l’État. Au moment où l’archiduc Albert décède en 1621, les Pays-Bas méridionaux sont toujours raccordés au flux d’or et d’argent espagnol, même si Anvers n’en est plus le principal centre récepteur. D’après Artur Attman, les arrivées métalliques d’Amérique se chiffraient à une moyenne annuelle d’une trentaine de millions de florins (hollandais) au xviie siècle, l’argent
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Idem, article 10. Hans van Werveke, « Monnaie de compte et monnaie réelle », Revue belge de philologie et d’histoire, t. 13, fasc. 1-2, 1934, p. 123-152. John Maynard Keynes, Théorie générale de l’emploi, de l’intérêt et de la monnaie, traduction de Jean de Largentaye, Paris, Bibliothèque Payot, 1969, p. 329-333.
Définir le cours légal
représentant alors les 3/5e de l’ensemble146. Comme au siècle précédent, la pièce espagnole de huit réaux inondait l’Europe. On la trouvait dans toutes les caisses, tant publiques que bancaires, sous diverses dénominations. Au terme de la trêve de Douze ans (1609-1621), Philippe IV, investi de nouveau de la pleine souveraineté sur les pays « de par decha », déterminé à soutenir ces territoires autrefois si prospères, continua de financer les Tercios en exportant massivement les piastres. Il savait que la reprise de la guerre risquait de fragiliser de nouveau les finances de la monarchie. Son programme « d’union des armes » devait néanmoins lui fournir les moyens nécessaires pour réactiver le circuit financier Séville – Medina del Campo – Anvers et bénéficier encore de la confiance des banquiers. Les provisions négociées avec ces derniers se chiffraient en 1621 à 4,55 millions de ducats, dont 1,77 pour la Flandre147. À cette époque-là, les Portugais relayèrent les Génois dans la négociation des asientos en especie. Cependant, l’économie espagnole était-elle en mesure de supporter aussi facilement qu’avant la trêve le coût de cette guerre ? Le roi dut procéder à des dévaluations successives dès 1628. La confiance s’essouffla assez vite148. Bien sûr, Philippe IV continua d’alimenter les PaysBas en cas de guerre, tout en continuant d’interdire la sortie des matières d’or et d’argent. La loi générale du 20 février 1652 reprenait les dispositions prises par Charles Quint, Philippe II et les archiducs, interdisait la sortie des espèces d’or et d’argent, quelle que fut la forme – barres, lingots, billons… – sans avoir obtenu la permission sous peine d’une amende équivalent au double de la valeur des espèces. Le numéraire constituait le plus sûr moyen de lutter contre les prétentions territoriales de Louis XIV. De ce point de vue, l’arrivage de l’argent des Amériques garantissait les moyens d’agir. Celui de 1684, débarqué en pleine guerre avec la France, fut relaté par le maître des Monnaies de Bruges : « la flotte d’Espaigne approchante des costes de Flandres chargée de diverses barres d’argent » le fit revenir illico dans sa ville pour prendre les dispositions nécessaires149. Cependant, l’approvisionnement des ateliers monétaires des Pays-Bas devint artificiel, c’est à dire qu’il ne fut plus guère alimenté naturellement par le public, dont les activités commerciales demeuraient à un niveau 146
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Artur Attman, American bullion in the European word trade, 1600-1800, Göteborg, Kunglijke Vetenskaps- och Vitterhets-Samhället, 1986, p. 19 Antonio Dominguez Ortiz, Politica y Hacienda de Felipe IV, Madrid, 1960. Pour une vue d’ensemble sur la politique monétaire espagnole, Christian Hermann (coord.), Le premier âge de l’Etat en Espagne (1450-1700), op. cit., p. 312-318. Giovanni Muto, « Le système espagnol : centre et périphérie », dans Richard Bonney, op. cit., p. 225-255. AGR, CF, 174, Remontrances d’Antoine de La Derrière, février 1684.
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La souveraineté monétaire aux xvie et xviie siècles: une réalité double
Vue du port d’Anvers, 1610
bas, mais par des fournisseurs professionnels dont les matières étaient achetées à prix coûtant. Encore fallait-il, pour attirer les banquiers, maintenir un taux de change favorable. « À cause des grands risques et peu de commodité des batteaux d’Espagne », les matières d’or venaient plus sûrement d’Italie au milieu du xviie siècle. Il importait donc, pour contenter la banque italienne, de maintenir le marc d’or à un taux élevé, soit 23 florins 9 sols 33 mites, pour éviter la conduite des métaux précieux vers la Hollande et la Zélande : Fort peu de matières ont esté livrées jusques à présent depuis le dernier arivement de la flotte d’Espagne, et icelles matières commencent à descendre par vöye de conduittes d’Italie, et il est venu à la connaissance des remonstrants [les maîtres généraux des Monnaies] que les négocians, au cas qu’on ne continueroit ledit surhaulcement de paÿement, sont resoluz pour la pluspart de donner ordre d’envoÿer leurs matières en hollande et Zeelande par la voÿe de Coloingne ou du moins venants d’Italie en ladite ville150.
Le conseil des finances accepta de maintenir l’or au prix fixé le 17 mars à 23 florins 9 sols et 33 mites le marc au lieu de 23 florins 7 sols et consolida ainsi l’approvisionnement italien. Dans ces conditions, l’approvisionnement qui s’opérait par les changeurs, on le comprend, ne fournissait pas l’essentiel aux ateliers. La banque demeurait indispensable.
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AGR, JM, 195, Accord du 22 avril 1667 du CF sur la remontrance des maîtres généraux ordinaires des Monnaies.
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Conclusion de la première partie L’échelle d’application de la souveraineté monétaire était double. Elle concernait l’aire internationale maîtrisée pour partie par les grands négociants, et l’échelle locale où agissaient les représentants du « pays ». Dans les anciens Pays-Bas, à la fois au centre de la vie économique de l’Europe du Nord-Ouest et clairement identifiés comme des pays encore empreints de républicanisme, les attributs monétaires du prince ne pouvaient s’imposer sans compromis. Au plan international, le monarque confiait bien son profil au graveur, définissait le poids et le titre de ses monnaies, en donnait le cours légal, tentait de gouverner au mieux les ateliers, mais rien de tout cela n’était possible sans prendre en compte l’état du marché des matières d’une part, et celui du cours des changes d’autre part. La monnaie était prise entre deux usages. Comme partout dans le reste de l’Europe, les protagonistes s’en disputaient le cours. Les banquiers et négociants demeuraient maîtres des taux d’intérêt, de la balance des paiements et du commerce, mais le souverain avait deux armes : la fixation du cours légal (et donc les mutations monétaires) et l’encadrement moral de la liberté du marché. Le marché monétaire, tributaire du change, fluctuait donc au gré de ces facteurs. Chacun aspirait à la stabilisation, mais les moyens d’y parvenir étaient minces. En Angleterre, Thomas Gresham proposa bien en 1564 d’établir chez les banquiers anversois un fonds de 10 000 livres d’esterlins pour servir de variable d’ajustement en cas de baisse ou de hausse excessive de la monnaie anglaise, mais son ingénieuse idée ne fut pas réalisée151. L’économiste avait bien saisi que « le change est la chose qui ruine les princes, jusqu’à la complète destruction de leurs royaumes, si on ne le surveille avec habileté »152. Les bourses des grandes places européennes cotaient le certain et l’incertain et leurs acteurs spéculaient parfois au dépens des intérêts de leur prince, sans objectif particulier de régulation. Le marché demeurait très instable. Au fond, le souverain devait procéder à des ajustements en fixant la valeur des monnaies un peu comme il révélait la loi qu’il contenait en sa poitrine : dans les deux cas, il devait respecter un ordre qui lui était supérieur ; ici : non pas l’ordre voulu par Dieu, mais l’ordre naturel du commerce que les jusnaturalistes commençaient 151
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Sur le mémoire de Gresham de 1564, voir Raymond de Roover, « Anvers comme marché monétaire au xvie siècle », Revue belge de philologie et d’histoire, vol. 31-4, 1953, p. 1012. Avis de sir Thomas Gresham, mercier, concernant la chute du change, 1558 à sa Très excellente Majesté, édité par Jean-Yves Le Branchu, Écrits notables sur la monnaie (xvie siècle) de Copernic à Davanzati, t. 2, Librairie Félix Alcan, 1934, p. 9.
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à défendre153. Les négociants contestaient les moyens de protection dont se dotait le roi d’Espagne : l’interdiction d’exporter librement les matières limitait, en cas de cours désavantageux, les profits qu’il y avait à prendre par l’agio. Quant à l’économie intérieure des anciens Pays-Anciens, le souverain devait dialoguer avec les bourgeois-marchands dont la parole était relayée par les instances politiques intermédiaires (villes, états provinciaux). D’ailleurs les principaux receveurs fiscaux de ces pays – les États provinciaux – avaient leur mot à dire comme représentants des intérêts du commerce local. Tout au plus, les souverains d’Espagne parvinrent à limiter le localisme monétaire en renouvelant les privilèges des monnayeurs et en exigeant des villes frontières le respect des placards. En imposant, avec difficulté, l’inspection des maîtres généraux sur les corps de villes, elle réussit à incorporer les marchands-bourgeois dans l’ordre monarchique.
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Sur les fondements de l’école de droit naturel, voir Quentin Skinner, Les fondements de la pensée politique moderne, Paris, Albin Michel, 2001.
Deuxième partie
La monnaie aux mains des banquiers
La monnaie aux mains des banquiers
La pratique souveraine évolua au xviie siècle. En matière monétaire, elle se manifesta surtout par des abus manifestes d’évaluation servant essentiellement à financer le déficit. L’état de guerre força la monarchie espagnole à des pratiques de surfrappes de la monnaie de cuivre qui provoqua une inflation mal maîtrisée. Le roi de France procéda sensiblement de la même manière et l’ère européenne entra dans une période de turbulences. Le caractère fluctuant des approvisionnements et l’absence d’harmonisation des parités or-argent ne firent rien pour limiter cette instabilité. Sur le plan des échanges internationaux, la guerre de Quatre-Vingts-Ans déplaça le centre de gravité monétaire du Sud vers le Nord des anciens Pays-Bas. Même si, durant les Trente Glorieuses154, la place d’Anvers conserva des connexions internationales importantes, les Provinces-Unies, comme fouettées par l’embargo commercial imposé par Philippe II, développèrent de façon spectaculaire leurs manufactures textiles, mais aussi leurs propres convois d’approvisionnement vers les Indes ; Amsterdam devint le magasin général de l’Europe et l’intérêt marchand lui servit de raison d’État155. Conséquence imprévue de la révolte, la République des Provinces-Unies se forgea une identité originale156. Elle « a si bien ménagé qu’elle a tiré tout le meilleur commerce qui nous restoit, en sorte que l’on peut soutenir qu’il ne nous en est resté que pour autant qu’elle n’en a pas voulu »157. La réactivité des Hollandais fut exemplaire et contrasta avec les usages administratifs du Sud. Diminués commercialement, pour partie vidés des espèces précieuses, les Pays-Bas catholiques s’en remirent aux intermédiaires financiers traditionnels : États provinciaux et banquiers du pays, à qui l’on abandonna les bureaux de recettes pour gages de remboursement des emprunts 154
Expression tirée du colloque tenu à Lille en 2007 sur « Les “Trente Glorieuses” du xviie siècle dans les Pays-Bas méridionaux, la France du Nord et la Lorraine », dont les actes sont publiés dans la Revue du Nord, numéro 377, t. 4, 2008 sous le titre « Fidélité politique et rayonnement international des PaysBas (circa 1600-circa 1630) ». 155 Fernand Braudel, Civilisation matérielle, économie et capitalisme, xv e-xviii e siècle, t. 3, Le temps du monde, Paris Armand Colin, 1979, p. 173. 156 Alastair Duke, « The Elusive Netherlands : the Question of National Identity in the Early Modern Low Countries on the Eve of the Revolt », in A. Duke, J. Pollmann, et A. Spicer (éd.), Dissident Identities in the Early Modern Low Countries, Ashgate, 2009, p. 9-55. Plus généralement sur les Pays-Bas, D. P. Blok, W. Prevenier et D. J. Roorda (éd.), Algeme Geschiedenis der Nederlanden, 15 vol., Haarlem, 1977-1987. 157 AN, G2 208, dossier 7, Mémoire particulier sur le commerce, vers 1745.
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consentis. Commença alors le long cycle d’aliénations des terres et revenus du domaine du Brabant. Selon un état envoyé dans le courant de l’année 1653, « toutes les ventes et engagères faites depuis l’année 1626 jusque y compris 1652 ont monté à la somme de 4 880 407 livres arthois »158. Encore ne s’agissait-il là que du domaine brabançon. Vinrent ensuite les droits de douane, de postes, de convoi159… L’aliénation des revenus du pays révélait l’ampleur de la faiblesse politique. Rien de pire, dans un État, que la perte du contrôle des caisses de recettes. Non seulement les Pays-Bas catholiques ne fournirent plus aux emprunts comme au temps de Charles Quint, mais ils devenaient tributaires des fonds espagnols, et surtout de la banque. Les mémoires postérieurs de la fin du xviiie siècle ont pu lire cette période comme une ère de dépendance absolue : L’épuisement des finances Belgiques engendré par cette longue suite de malheurs étoit encore tel sous la domination des Archiducs Albert et Isabelle, qu’on ne pouvoit pas se passer d’argents de la Cour de Madrid qui continuoit de secourir le Trésor de ces Princes, tant cette Cour attachoit d’importance à la conservation de ces Provinces qui, toutes éloignées qu’elles étoient du centre de la Monarchie espagnole, tenoient alors, comme elles teindront toujours par leur position géographique, au rang distingué dans la Balance et l’équilibre de l’Europe160.
Cette rhétorique de l’âge d’or fait bien peu de cas de la responsabilité politique des conseils du gouvernement belge et des députés des assemblées représentatives.
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AN, G2 209, Institution de la Chambre des Comptes du roi en Brabant à Bruxelles, Bruxelles, 1716, p. 48-93 : terres et revenus du Domaine de Sa Majesté en Brabant et Outre-Meuse. 159 Marie-Laure Legay, « Les relations financières entre Bruxelles et Vienne au temps de Marie-Thérèse d’Autriche », Das achtzehnte Jarhundert und Österreich, Dr. Winkler, Bochum, 2012, p. 173-196. 160 HHStA, Belgien, DD-B, 85. Mémoire sur les Finances belgiques, 1792-1793.
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Chapitre 4 L’ère de la monnaie faible Au tournant des xvie et xviie siècle, la monarchie espagnole entra dans une phase inflationniste de production massive de billon surévalué161. Ces monnaies de cuivre surfrappées finançaient le déficit budgétaire et imposaient à l’économie intérieure de la péninsule un régime de devise faible, tandis que l’or et l’argent étaient réservés aux échanges internationaux. Cet affaiblissement du centre politique eut un impact sur les Pays-Bas demeurés espagnols qui ont connu une conjoncture inflationniste semblable. Localement, l’atonie de l’activité commerciale n’améliora guère les moyens d’agir. Affaiblie par la fermeture de l’Escaut, la place d’Anvers devint une bourse de seconde zone. Les transactions internationales menées à partir de cette ville se restreignirent, tandis qu’Amsterdam s’affirma comme le premier marché mondial des métaux précieux et prit l’ascendant sur les places rivales à partir de 1640162. La capitale hollandaise captait environ 60% de la valeur du métal américain entré en Europe. Les habitants étaient bien conscients « qu’il n’étoit pas d’endroit dans toute l’Europe où l’on puisse mieux faire valoir le commerce »163. Bien des mémoires des témoins de l’époque – administrateurs, magistrats, capitalistes – donnent la mesure de la perte subie et de l’ampleur de la nostalgie de cet âge d’or où « la ville d’Anvers valoit plus dans le commerce que deux villes d’Amsterdam »164. Les Provinces-Unies dominèrent non seulement commercialement, mais aussi militairement la région. Leur soutien contre les troupes de Louis XIV provoqua pendant près d’un demi-siècle une invasion de leur monnaie de bas aloi dont les Pays-Bas méridionaux ne se
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Christian Hermann (coord.), Le premier âge de l’État en Espagne (1450-1700), op. cit., p. 315. 162 Lucien Gillard, La banque d’Amsterdam et le florin européen, au temps de la République néerlandaise (1610-1820), Paris, EHESS, 2004, p. 127. 163 AN, G2 208, dossier 7, Mémoire particulier sur le commerce, vers 1745. 164 Idem.
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remirent pas rapidement. Ainsi, malgré la filiation directe avec Séville, les Pays-Bas du Sud étaient en passe de perdre la « guerre d’argent »165.
1. Billonner les vieilles monnaies espagnoles L’arbitrage monétaire du souverain consistait très souvent à décrier les anciennes pièces trop usées et à les envoyer au billon. Il devait le faire néanmoins avec précaution pour éviter de perturber le commerce local, d’une part, mais aussi pour limiter l’impact sur les caisses des receveurs publics et agents du fisc. Il adoptait certes un édit formel qui manifestait sa volonté d’appliquer les placards avec vigueur et de ne laisser aucune marge de tolérance aux acteurs de la vie économique, mais le plus souvent, il agissait par une ordonnance provisionnelle qui ménageait du temps pour procéder aux conversions. Prenons l’exemple des réaux d’Espagne, du Mexique ou du Pérou qui avaient cours dans les Pays-Bas166. Ces pièces ne présentaient pas toujours les qualités requises. Certains réaux, trop légers – c’est à dire dont le poids était inférieur à deux esterlins167 – étaient donc mis au billon. Les réaux qui avaient cours étaient acceptés au prix de cinq sols depuis 1590. On utilisait une contremarque pour distinguer les espèces de bon aloi et celles à billonner, notamment les pièces de huit réaux appelées mattes qui servirent de base à la tarification à partir de 1611168. Deux florins et six patards devint le prix pour une pièce de huit réaux pesant 17 esterlins et 25 as. Toutefois, une confusion extrême régnait. Tandis que les piastres de bon poids couraient pour 46 patards, les réaux de huit du Mexique, de moindre aloi, ne valaient que 45 patards, et ces piastres espagnoles et mexicaines étaient confondues abusivement avec 165
Voir notamment Jonathan Israël, The Dutch republic. Its Rise, Greatness and Fall 1477-1806, Clarendon Press – Oxford, 1995, ou Jose Javier Ruiz Ibanez, « Bellum omnium contra omnes. Las posibilidades y contradicciones de la Guerra económica por parte de la monarquĭa hispănica en la década de 1590 », Studia histórica, Historia Moderna, 27, 2005, p. 85-109. 166 Sur les piastres espagnoles, voir Carlos Marichal, « Le piastre ou le real de huit », dans La Monnaie, personnage historique, Revue européenne des sciences sociales, t. XLV, n° 137, Genève-Paris, Droz, 2007, p. 108- 121. 167 L’esterlin est le poids dont se servaient les orfèvres. Il équivalait à la vingtième partie de l’once, soit environ 1,5 grammes. 168 Voir Marcel Hoc, « Le cours et le marquage des réaux d’Espagne et de Mexique aux Pays-Bas », Revue belge de numismatique, t. CVI, 1960, p. 285-294.
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les souverains d’argent des Pays-Bas méridionaux, les patagons de 48 patards. Une enquête sur la surévaluation des espèces circulant en pays wallon révéla en effet : Avons encoires visitez les changeurs et avons recogneu, comme aussy par les visitations faictes des monnoyes de Bruges et Tournay, que bien peu d’espèces se livrent au billon à raison que les rixdalles et réales de huict, tant d’Espagne que de Mexico et Péru se mectent avecq les patagons au prix de quarante huict patars, moyennant quoy ne peuvent estre livrées esdictes monnoyes ou portées au change169.
Philippe IV, par l’édit du 8 août 1634, décida de mettre au billon tous les réaux d’Espagne, Mexique et Pérou. Néanmoins, il fallut encore plusieurs décennies pour voir disparaître effectivement ces pièces des PaysBas espagnols. Tolérés à partir de 1638 pour permettre le paiement des gens de guerre, puis de nouveau défendus en 1647, les réaux et les mattes circulaient sans être maîtrisés par les autorités : Apres toutte sorte d’essay de les discerner et cribler, on n’en a sceu venir à bout, ny empescher non plus par poids que par marque, ny autrement, que par l’artifice (principallement de la France), ce pays ne se soit trouvé infecté des mauvaises, non seulement légères, rongées, et couppées, mais aussy falsifiées soit en marque ou autrement, ainsy que la forme y est accommodée d’elle mesme, et les bonnes pièces résevées et prouffittées ailleurs, principalement audit Royaume de France, si avant que les Estats généraux des Provinces-unÿes pour ce mesme sujet auroyent pareillement trouvé nécessaire et inévitable de les mettre au billon170.
En 1671, il fut de nouveau question de les interdire absolument, à l’imitation des États-généraux des Provinces-Unies qui, bien qu’ « amoureux de toutte monnoye estrangere » avaient déjà pris des dispositions contre ces pièces171. Il devenait en effet impossible de faire le tri tant les pièces falsifiées se multipliaient. Un simple clou rompu permettait de tromper le peuple. En la matière, le fauteur de troubles n’était pas difficile à repérer : la France procédait selon toute vraisemblance aux attaques systématiques 169
AGR, JM, 84, Rapport des conseillers et généraux des monnaies Halbeeck, van Zinnicq et de Montfort, 29 novembre 1629, f° 5, reproduit dans Dominique Delgrange, « La monnaie d’Arras (1592-1640). Documents inédits incluant une enquête de 1629 sur la surévaluation des espèces d’or dans les villes wallonnes », Etudes numismatiques II, Mémoires de la Commission départementale d’Histoire et d’archéologie du Pas-de-Calais, t. XXIII, Arras, 1991, p. 256-259. 170 AGR, CF, 173, note de 1671. 171 Idem.
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contre la monnaie espagnole. D’une part, les sacs de pièces destinés aux paiements des échanges entre négociants étaient introduits en gros dans les Pays-Bas, les Français étant « asseurés de ce que le Peuple ne s’amuseroit pas à les peser en détail ». Ainsi, les pièces espagnoles trop légères passaient-elles la frontière aisément. Colbert avait bien fait interdire expressément de sortir les espèces du royaume de France, mais les pays septentrionaux nouvellement conquis réussirent à garder leurs privilèges. Lorsque la province de Flandre wallonne passa à la France, ni Jean-Baptiste Colbert, ni Louvois, ministres d’un roi absolu, ne parvinrent à lui imposer le cours des monnaies « françaises ». Au fait des réalités locales, l’intendant Michel Le Pelletier les dissuada d’ailleurs d’imposer les seules monnaies de France : Je conviens qu’il seroit de la dignité du Roy et du bien de ses sujets que les seuls espèces aux coins et armes de France eussent cours dans toutes les terres de l’obéissance de Sa Majesté, mais (…) la communication indispensable avec les estrangers causeroit toujours le meslange de leurs espèces172.
De plus, à Lille, à Tournai, à Dunkerque, les réaux étaient contrefaits. « La détérioration ne procederoit pas d’Espaigne mais de ceux qui, retirans et extorquans de la Monarchie sa principale et bonne substance, s’enrichissent de ses depouilles »173. De même, de l’autre côté de la frontière, les marchands des Pays-Bas qui fréquentaient les marchés de Flandre passés sous domination française en ramenaient des espèces de France qui s’imposaient ensuite dans leur pays. L’affaire était grave, car si la bonne et juste monnaie garantissait la solidité de l’État, la décrier revenait à reconnaître un défaut de grandeur. L’assemblée réunie pour décider du sort des mattes espagnoles et mexicaines les 15, 16 et 17 septembre 1671 fut divisée sur le propos. D’aucuns voulurent les exclure définitivement en procédant immédiatement au billonnement, d’autres demandèrent la possibilité de les recevoir encore quelques mois en les pesant et sans obligation. Au fond, même pour décrier sa propre monnaie, le souverain devait tenir compte de considérations économiques fondamentales : ne pas réduire les moyens de paiement à néant.
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Lettre de Michel Le Peletier, mars 1679, citée par Albert Croquez, La Flandre wallonne et les pays de l’intendance de Lille sous Louis XIV, Paris, H. Champion, 1912, p. 75-76. 173 Idem.
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2. Le commerce, la guerre et l’invasion des monnaies néerlandaises L’économiste Lucien Gillard a retracé l’histoire du florin hollandais et rappelle les débuts douloureux de la monnaie de la toute jeune République, encore dominée par les espèces « espagnoles ». La Hollande et la Zélande ne commencèrent pas augmenter la valeur nominale des monnaies pour faire face à leurs frais de guerre, ce que les États généraux de Brabant durent reconnaître dès la Pacification de Gand (1576). Le daldre hollandais au lion fut la première monnaie frappée par une province en lutte contre l’Espagne. L’article 12 du traité d’Utrecht (23 janvier 1579) engageait les Provinces-Unies à convenir entre elles « pour ce qui concerne les monnaies et les prix de l’argent ». Les rebelles créèrent donc une Chambre des Monnaies à La Haye pour faire respecter partout l’unicité du contenu intrinsèque et du cours officiel des différentes espèces circulant sur leur territoire174. Avec beaucoup de difficultés, les autorités de ces provinces imposèrent la standardisation des frappes, en réduisant le nombre d’ateliers et en introduisant dans les plus grands les innovations techniques nécessaires. Cependant l’organisation de la monnaie « nationale » n’empêcha pas la circulation de multiples espèces que les autorités devaient autoriser pour ne pas pénaliser les affaires commerciales. Parmi les quelques cinq cents recensées par la Chambre des Monnaies, on trouvait naturellement les patacons et ducatons des Pays-Bas méridionaux. Les Habsbourg menaient en effet une guerre d’argent très agressive en démarquant les pièces des Provinces-Unies avec un poids d’argent inférieur pour un même nombre d’unités de compte175. Les espèces produites dans les provinces du Sud servirent de référence dans le commerce hollandais depuis la reprise des hostilités (1621) jusqu’à la paix des Pyrénées. La tendance s’inversa cependant après la paix des Pyrénées. Il faut dire que les États-généraux des Provinces-Unies avaient tout fait pour établir la monnaie de ce nouvel État en pleine croissance. La Hollande tirait l’or et l’argent des marchandises qu’elle recevait des Indes orientales et qu’elle revendait dans toute l’Europe. Les rijders et ducats d’argent s’imposèrent à partir de 1659, lorsque les provinces du Nord adoptèrent un monnayage supérieur de 1% qui supplanta les pièces brabançonnes démonétisées. Les ateliers s’équipèrent de « moulins à plestrir » et de « presses à imprimer » plus tôt que leurs voisins et finirent par faire l’admiration des maîtres des 174
Hendrick Enno van Gelder, Munthervorming tijdens de Republiek, 1659-1694, Amsterdam, P. N. van Kampen en zoon, 1949. Les termes de 1579 furent repris par les règlements monétaires de 1586 et 1606. 175 Lucien Gillard, La banque d’Amsterdam, op. cit., p. 127.
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monnaies du roi catholique. Vingt ans plus tard en effet, lorsque le maître général des Pays-Bas espagnols, Pierre van Vreckem, enquêta sur les procédés de mécanisation de la frappe monétaire, il fut impressionné par les techniques utilisées dans un atelier comme celui de Dordt (Dordrecht), dans le sud de la Hollande176. Reçu par le maître particulier des lieux, Stephanus Madecker, il vit de ses yeux les opérations de production : En ladite monnoÿe de Dort, tout l’argent sorte de la presse également beau… Les pièces qui sortent de la presse de nos Entrepreneurs ne sont pas si belles quoy qu’Ils les veullent toutes faire passer pour belles. Ils amusent la veue de quelques personnes par des pièces choisies177.
À Anvers ou Bruxelles, les entrepreneurs de monnaies, plutôt conservateurs, utilisaient encore la lime et les ciseaux et n’obtenaient pas un résultat aussi net qu’à Dordrecht où seul le coupoir était utile. Il faut dire que tant le corps des monnayeurs que les maîtres généraux des Monnaies s’opposèrent aux nouveautés. Il fallut attendre 1692 pour voir arriver une presse à vis à l’atelier d’Anvers178. Cette introduction tardive apparaît d’autant plus saisissante que les propositions de mécanisation de la fabrication n’avaient pas manqué. Dès 1610, les archiducs Albert et Isabelle avaient été saisis de tels projets179. Après la période de troubles qui opposa durement Républicains et Orangistes, les États-généraux des Provinces-Unies se placèrent sous la protection du jeune Guillaume III d’Orange qui imposa son autorité de 1672 à sa mort en 1702. Les nouvelles pièces fabriquées pendant son Stadhoudérat servaient avant tout le commerce international. L’argent notamment permettait de solder les transactions. L’or se faisait plus rare. Le ducat d’or, évalué à cinq florins depuis 1661, ne s’achetait qu’à 4, 5, 176
AGR, CF, 174, Mémoire de van Vreckem, 11 décembre 1686. Ce type de visite eut des précédents puisque l’on sait qu’en 1579, l’officier de la Monnaie d’Anvers, Jacques Jonghelincx, fut envoyé à Dordrecht et à Utrecht avec pour mission de se concerter avec les généraux des Monnaies de Gueldre, Hollande et Utrecht sur les moyens d’unifier les cours des monnaies dans les ProvincesUnies. Voir M. P. Génard, « L’hôtel des monnaies d’Anvers, mémoire couronné le 25 février 1872 », Bruxelles, p. 49. Jacques Jonghelincx : cf. Luc SMOLDEREN, Jacques Jonghelinck : sculpteur, médailleur et graveur de sceaux (1530-1606), Louvain-la-Neuve, 1996 (Numismatica Lovaniensia, 15). 177 Idem. Les entrepreneurs de la Monnaie de Bruxelles sont à cette époque les van Bouckhauts. 178 Voir AGR, JM, 237. Également : M. P. Génard, op. cit., p. 84. Dès lors, le nombre d’ouvriers fut d’ailleurs réduit de 60 à 12 et celui des monnayeurs à 38. 179 Alphonse de Witte, op. cit., p. 19.
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voire 6% en plus de sa valeur intrinsèque, de sorte qu’il n’était employé que « dans un commerce particulier entre les personnes avides de semblable sorte de gain »180. Menant une politique anti-française, Guillaume III engagea les Provinces dans des conflits coûteux (guerre de Hollande entre 1672 et 1678, suivie de la guerre de la Ligue d’Augsbourg entre 1688 et 1697) qui perturbèrent les relations monétaires des Provinces avec les Pays-Bas méridionaux. Guillaume commanda les troupes alliées contre Louis XIV à la suite de la déclaration de guerre de 1672. Dès le 5 février, les petites espèces hollandaises eurent cours dans les Pays-Bas méridionaux. Puis, par la convention signée le 21 août 1676, les États généraux obtinrent de payer leurs milices en ducatons et patacons de Hollande pendant le cours de la guerre, ces espèces entrant en proportion de celles des Pays-Bas espagnols181. L’article X de la convention du 24 mai 1677 formalisa le tout en ordonnant aux villes approchées par le prince d’Orange de recevoir la monnaie hollandaise. Dès la fin de la guerre, le souverain espagnol décréta naturellement billon les patacons et ducatons de Hollande (7 juin 1679), mais lors de l’invasion française suivante, il fallut de nouveau les autoriser. L’effet ne se fit pas attendre : les espèces « hollandaises » de bas aloi envahirent les états de Sa Majesté Catholique. La plupart étaient de moindre valeur d’environ un quart, de celles du roi d’Espagne182. Les liards de cuivre devinrent une plaie dont le roi se plaignit durant plus de vingt ans. Les avis touchant cette monnaie se multiplièrent : le 20 octobre 1680, le 7 juillet 1683, le 27 octobre 1687, le 15 juin 1690, puis le 3 et 11 octobre 1690, le Conseil des finances informa Madrid de la confusion extrême qui régnait entre les liards et de la ruse des marchands qui tiraient profit de la situation183. Malgré le billonnement, mainte fois réitéré, le cours des mauvais liards ne cessa plus. Les conseillers maîtres généraux des monnaies se lamentaient amèrement : Pitoyable estat où les affaires des Monnoyes se trouvent présentement reduittes ; celle d’Anvers est abandonnée, et bien que située dans la principale ville de commerce, il n’y a personne qui se présente ; celle de Bruges est sur le point de suivre le même pas et les confusions et desordres qui s’y commettent ont fait perdre son crédit et sa reputation184.
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AGR, CF, 174, Mémoire de van Vreckem, 11 décembre 1686. AGR, JM, 36, avis de Jean-Charles van Velshonen, conseiller et maître général des Monnaies, juin 1689. 182 AGR, JM, 36, note du 6 août 1689. 183 AGR, JM, 44 bis, tableau des avis et mesures adoptés pour les liards. 184 AGR, JM, 20 Remontrances des maîtres généraux des Monnaies présentées le 2 mai 1682. 181
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En outre, les bonnes monnaies du roi d’Espagne, dont le prix fixé par les placards devint comparativement insuffisant, furent très recherchées pour être exportées vers des pays où leur valeur libératoire était plus forte. Les ducatons, par exemple, se payaient deux liards de plus en Hollande185. En 1684, le maître de la Monnaie de Bruges, Antoine de Laderrière, remontra que les marchands de la ville achetaient journellement « quantités d’or et d’argent pour les transporter incessamment dans les provinces de Hollande et Zélande et autres qui ne sont pas de l’obéissance du roi »186. Il fallait négocier. Le gouverneur général Francisco Antonio de Agurto, marquis de Gastañaga, envoya donc à La Haye Jean-Charles van Velshonen, maître des Monnaies, discuter de nouveau avec les voisins et proposer de fabriquer des patacons pour le paiement de leurs milices, jugeant très préjudiciable au roi catholique le désordre monétaire qui s’installait dans ses Pays d’en bas187. Les conseillers belges considéraient comme abusif la manière dont la toute jeune République marchande voisine laissait le grand commerce fixer le prix des matières d’or et d’argent, et de là, le cours de sa monnaie, « qui ne tient pas son origine de l’autorité souveraine et publique »188. Mais cette nouvelle démarche de conciliation menée en 1689 n’aboutit pas davantage : les représentants de la République n’ont fait « qu’amuser » l’envoyé de Charles II. Ne restait donc à Bruxelles qu’une solution : la dévaluation. Le remède consistait en effet à rehausser les monnaies des Pays-Bas « à proportion qu’elles ont cours dans les pays voisins », par exemple de faire passer le ducat à cinq florins et trois sols au lieu de 4 florins, seize sols, proposition que le conseiller Charlier suggéra à cette époque189. Il faut dire que l’Espagne et la France venaient de procéder au rehaussement de leurs monnaies et qu’au niveau européen, l’époque était à la dévaluation de la monnaie de compte. Ce n’est qu’en 1690 néanmoins que la mutation fut opérée à Bruxelles. Charles II se résolut cette année-là à prendre les mesures adéquates en faisant frapper de nouvelles pièces de cuivre à partir de machines nouvelles. L’essillement et le cours de mauvais liards estrangers si souvent decriez et par nous mis au billon ne cessans pas, mais estant au contraire plus que jamais en vogue, nonobstant que nous avons fait faire tous les devoirs que l’on at (sic) estimé nécessaires pour l’empescher par nos ordonnances et placards
185
AGR, JM, 58, Représentations du Magistrat d’Anvers, 1725 ; passage faisant référence à la période antérieure. 186 AGR, JM, 35, note de 1684. 187 AGR, JM, 36, note du 15 janvier 1689. 188 AGR, JM, 36, avis de Jean-Charles van Velshonen, juin 1689. 189 AGR, JM, 35, note de 1684.
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precedens, qui n’aÿant pas opéré à l’effect qu’avions espéré, nous sommes enfin résoluz de recourir à des remèdes plus efficaces et solides sans lesquels nous reconnoissons que les choses sont proches de la dernière confusion190.
Par les conventions des 18 et 24 novembre, Charles II confia à Israël de Witte la fabrication de 80 000 marcs de nouveaux liards à Bruxelles. Pour procéder à la fabrication, l’entrepreneur devait se procurer du cuivre de Suède et réemployer les mauvais liards retirés de la circulation. Les nouveaux liards pesaient cinq grains de moins que ceux de l’émission précédente. Les bénéfices de l’opération furent encore loués quinze ans plus tard. Il n’y a eu que le seul expédient du haussement des espèces qui ait coupé la racine a un mal si dangereux, qui alloit abimer ce Paÿs et on ne scauroit assés louer le ministère du Gouvernement d’alors d’un service si considérable qui a purgé le pays de toutes les espèces estrangères de bas aloy, dont on a veu cesser l’introduction tout d’un coup191.
À la suite de ces mesures, les ministres et chefs officiers des provinces étrangères eurent recours aux lettres de change et aux bonnes espèces « permises par les placards » pour régler les troupes. Car de permettre un cours à ces dangereuses espèces sans en limiter le temps, c’est assurément donner loisir aux rusées et malicieux de préparer un venin et de le faire couler insensiblement dans les vaines (sic) de cest Estat192.
3. L’impossible réévaluation193 Dans quelle mesure peut-on suivre les considérations de Nicolas Copernic sur la dépréciation de la monnaie comme cause « insensible » mais inéluctable du déclin des royaumes ?194 C’est un fait repéré par les 190
AGR, JM, 44 bis, copie d’une lettre de Charles II. AGR, CF, 8635, Rapport du Conseil des finances de 1708 touchant le rabais des monnaies. Le texte revient sur la période des années 1690. 192 AGR, CF, 8635, Avis, 1697. Cet avis a été rédigé au moment où il fut question de rétablir l’ancien cours des monnaies. 193 Sur la question de la terminologie, voir : Marc Bloch, Esquisse d’une histoire monétaire de l’Europe, op. cit., p. 60-77. Herbert Lüthy, La banque protestante de la Révocation de l’édit de Nantes à la Révolution, t. 1, Paris, SEVPEN, 1960, p. 98-99. Question développée au chapitre 3. 194 Nicolas Copernic, Discours sur la frappe des monnaies, De monetae cudendae ratio, 1526, cité dans Jean-Yves Le Branchu, Écrits Notables sur la Monnaie, 191
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meilleurs historiens des monnaies : globalement, l’ « affaiblissement » des monnaies (soit le haussement de la valeur nominale) l’a emporté sur le long terme. À suivre les historiens de l’empire espagnol, ce mode opératoire destiné à combler le déficit révélait les dysfonctionnements structurels de toute la monarchie195. L’idée qui associait une monnaie faible à un prince faible était bien ancrée dans les esprits. Lorsqu’en 1692, par un placard du 26 septembre, les états de Hollande et de West-Frise réduisirent la valeur des escalins produits chez eux à cinq patards, trois liards, les autorités belges tentèrent de réagir à cet « abus ». Les conseillers des finances proposèrent de réduire à leur tour les escalins. « Nous sommes en outre d’avis de rabaisser les ducatons nommés rijders et les patacons desdites provinces à un prix comme ils ont cours par-delà »196. À peine la guerre de la Ligue d’Augsbourg achevée (1697), le gouverneur général, Maximilien-Emmanuel de Bavière songea également à rétablir la monnaie belge dans de plus justes proportions. Il se heurta cependant aux intérêts des villes commerçantes. Anvers se mit à la tête du mouvement en s’opposant au projet de placard des généraux des Monnaies. Les villes voulaient maintenir prioritairement l’introduction des espèces hollandaises de toute nature. Le maître van Vreckem rétorqua qu’à tout le moins, il fallait procéder à la réduction de l’argent courant pour donner cours aux bonnes espèces hollandaises sur le pied du placard de 1672197. À Bruxelles, on rappelait que les Pays-Bas n’étaient pas à l’abri d’une nouvelle invasion de monnaies dépréciées. On fit valoir notamment que dans les Provinces-Unies, chaque membre pouvait changer l’aloi des basses espèces ; qu’en outre, les juifs tenaient les hôtels de Monnaies « les moins considérables » et « corrompaient la régence d’iceux afin de pouvoir faire des espèces adultérines lesquelles ils envoient par après es lieux où elles sont librement reçues »198. La rancœur était solide. Au cours de la guerre suivante, la question de la réduction des escalins à 6 ½, voire 6 sols, fut de nouveau posée, sur injonction des Provinces-Unies xvie siècle, t. 1, Paris, Éditions Lacan, 1903, p. 5 à 7. Voir Anne Dubet, Réformer les finances espagnoles au Siècle d’Or. Le projet Valle de la Cerda, Clermont, Presses Universitaires Blaise-Pascal, coll. « Histoires croisées », 2000. 196 AGR, JM, 36, avis du 22 octobre 1692. 197 AGR, CF, 174, avis du maître des Monnaies, van Vreckem, sur les observations du Magistrat d’Anvers, 30 décembre 1697. 198 AGR, CF, 8635, Avis du Magistrat d’Anvers, 1697, et CF, 174, avis du maître des Monnaies, Vanvreckem, sur les observations du Magistrat d’Anvers, 30 décembre 1697. 195
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L’ère de la monnaie faible
« prétendans le rabais des monnoyes de sa Majesté »199. Les voisins néerlandais projetèrent en effet de réduire leurs ducatons et patacons. Ce projet de réduction (ou réévaluation de la monnaie de compte) fut envoyé à Bruxelles en 1707 et provoqua de ce côté-ci de la frontière le projet de réduction de l’escalin à six sols pour donner ainsi cours aux espèces hollandaises. Les avis des corps d’Etat furent vivement sollicités : conseil d’État, conseil des finances, conseillers des Monnaies et Chambre des comptes. Pour convenir d’une diminution des espèces, les conseillers devaient s’entendre sur les incidences financières d’une telle opération. Au début du xviiie siècle, ce genre d’appréciations macro-économiques restait difficile à mener, mais les conseillers de finances exprimaient avec certitude leurs réserves sur un tel projet. D’après eux, le préjudice pour le paiement des troupes pouvait être évalué en 1707-1708 à 50 000 florins monnaie de change par an200. On jugea aussi que les négociants ayant à faire à une monnaie forte risquaient de réduire leurs affaires et de là, le revenu que le roi tirait des droits de douane devait nécessairement diminuer, tandis que les charges royales, gages et autres rentes, évaluées en tout pour sept millions, demeuraient identiques201. L’argument ultime dont ils usèrent pour dissuader Philippe V fut d’ordre politique. Selon eux, seule la « nécessité urgente de l’État » devait justifier la réévaluation. Il est intéressant de noter que les conseillers généraux des Monnaies étaient d’avis contraire à ceux des finances et militaient pour la diminution des espèces. Ils estimaient en effet que le paiement des fournitures militaires en serait facilité, ce qui, sans être faux, n’était néanmoins pas balancé avec une quelconque évaluation du coût du paiement des troupes. Tout au plus, les généraux des Monnaies firent valoir que seuls les « tapissiers, drappiers, marchands de dentelles et autres se mêlant de pareils traficqs » pourraient y trouver à redire : « payant leurs ouvriers en argent courant, ils les [les marchandises] débitent ensuite en argent de change et gagnent ainsi 16 ⅔ par cent outre leur gain ordinaire »202. Il revint à la Chambre des comptes de trancher entre les avis divergents des conseillers des finances et des conseillers des Monnaies. Leur compétence en la matière demeurait limitée, mais leur point de vue présente un grand intérêt pour l’historien : il fait apprécier les enjeux politiques, tout autant, voire plus, qu’économiques d’une telle mutation. C’est sous forme de tableau en effet que les gens de comptes tentent d’approcher la matière, 199
AGR, CF, 8635, Rapport du bureau de la Chambre des comptes, 20 janvier 1708. AGR, CF, 8635, Rapport de 1708 touchant le rabais des monnaies. Le texte revient sur la période des années 1690. 201 Idem. 202 AGR, CF, 8635, Rapport du bureau de la Chambre des comptes, 20 janvier 1708. 200
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en compulsant les circonstances qui doivent décider le souverain. « C’est une matière très délicate et subtile qui requiert beaucoup de connaissance car les moindres bévues pourroient causer de grands préjudices »203. Tableau des circonstances à examiner avant une mutation monétaire [AGR, Conseil des finances, 8635, Rapport du bureau de la Chambre des comptes, 20 janvier 1708] 1. La conjoncture du tems ou de Pays ou de Guerre 2. La convenance ou la nécessité pour faire le changement 3. L’utilité ou le préjudice qui en pourroit résulter : – Au service de Sa Majesté par rapport → à ses revenus domaniaux → à ses droits d’entrée et de sortie → aux aydes, subsides et dons gratuits des Provinces → au payement des trouppes, livraison du pain, fourrages, et comme aussy des rentes, gages & traitements des Généraux, ministres & autres, journalières et indispensables – Au bien de l’Estat & du publicq, en général et particulier – Au négoce & commerce, interne et externe 4. Quand l’utilité réciproque de Sa Majesté et de ses sujets ne pourroit se rencontrer conjoinctement, laquelle des deux devroit estre préférée ? 5. La juste proportion de la valeur intrinsèque et du cours et évaluation des espèces estrangères avec celles de Sa Majesté 6. Et la fixation proportionnée du cours & évaluation des espèces d’or à celles d’argent.
Ce tableau a le grand mérite de faire voir les préoccupations monétaires d’un État avant l’organisation, un siècle plus tard, du système bancaire. Il met en regard les intérêts du souverain, du public et du commerce, fait état des incidences de l’évaluation monétaire sur les finances et pose franchement la question, article 4, d’une dichotomie d’intérêt possible entre le roi et ses sujets. Le plus souvent, et depuis fort longtemps, la question se jouait entre les dettes de l’État et les traites du grand commerce. On notera néanmoins qu’à travers ce document, la Chambre des comptes cherchait à concilier les intérêts du prince et de la nation marchande. La réévaluation de l’escalin n’eut pas lieu. Les autorités belges renoncèrent à imposer les anciens tarifs et se résignèrent à reconnaître l’argent courant.
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Idem.
Chapitre 5 Imiter la monnaie française En entrant dans le xviiie siècle, les Pays-Bas desserrèrent les liens qui les maintenaient unis aux Provinces-Unies affaiblies, vampirisées par leur alliance avec l’Angleterre204. Les puissances maritimes cessèrent de gouverner les Pays-Bas méridionaux le 3 février 1716, non sans avoir arraché avant de partir des conditions drastiques de protection. Par le traité conclu à Anvers le 15 novembre 1715, les revenus du souverain autrichien furent chargés de 500 000 écus par an, équivalents à 1 400 000 florins, argent courant de Brabant, pendant vingt ans en faveur des États généraux des Provinces-Unies (article 19). L’Autriche devait assurer les trois cinquièmes du financement d’un corps de troupes de 30 à 35 000 hommes placées dans un cordon de places fortifiées qui servaient de « barrière » aux tentations expansionnistes de la France. Ces sommes furent réparties entre les villes et châtellenies rétrocédées par la France (à raison de 610 000 florins par an) et sur les subsides des provinces de Brabant et de Flandre à raison de 640 000 florins. Les conditions humiliantes de ce traité ont été suivies dans les premiers temps205. Dès le mois de décembre 1718, le marquis de Prié, alors gouverneur ad interim, obtint toutefois un accord de La Haye pour réduire la charge. D’autres maux attendaient les Belges toutefois, et notamment les mutations incessantes du roi de France soucieux de financer ses guerres de plus en plus coûteuses. À l’instar de celles du roi d’Espagne, ces mutations entraient en opposition avec le droit des gens, dont la lente et complexe émergence, sur laquelle il faut lire les travaux savants des juristes comme Marie-France Renoux-Zagamé ou Denis Alland, s’exprimait à cette époque par la bouche des négociants soucieux de faire valoir leurs intérêts certes,
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François Crouzet, La guerre économique franco-anglaise, Paris, Fayard, 2008, introduction. Hervé Hasquin, « Les difficultés financières du gouvernement des Pays-Bas autrichiens au début du XVIII siècle », Revue internationale d’Histoire de la Banque, VI, 1973, p. 100-133.
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mais par-delà, l’assentiment des peuples206. La monnaie, objet d’échange entre les nations, entrait dans cette rhétorique en gestation autour des institutions de nature internationale, au même titre que la guerre ou les ambassades. Le souverain ne tenait-il pas son Jus monetae par délégation ? Le maître général des Monnaies le suggéra dans sa correspondance en ces termes : Le droit seigneurial et frais de la fabricque [est] de tout temps cédez aux souverains princes de ces Paÿs Bas et autres par un zèle que leurs sujetz ont de voir reluire leurs espèces dans leurs royaumes, et ce droit est permis d’estre accepté par la cession de son Peuple que l’on nomme Jus Gentium207.
1. Plaidoyer pour la liberté « Le commerce extérieur est la richesse du souverain », indiquait Thomas Mun dans son traité de 1664, mais avant lui, les premiers économistes comme Antoine de Montchrestien avait pressenti l’apophtegme : « il faut de l’argent, et n’en ayant point de notre cru, il faut en avoir de l’étranger »208. Ce contemporain des archiducs Albert et Isabelle défendait l’économie d’échanges comme support de l’organisation politique. Sans être aussi radical, bien des marchands réclamaient du prince la prise en compte de règles positives dont la source de validité ne résidait pas dans sa personne, mais dans l’accord des nations. Parmi ces règles, celle de pouvoir commercer librement les matières d’or et d’argent. Or, comme les placards précédents, la loi générale du 20 février 1652 prohibait la sortie des matières et espèces d’or et d’argent. Cette législation fut reprise encore en 1714, 1731 et 1736 au temps de Charles VI209. Les détenteurs avaient donc obligation d’amener les matières aux hôtels des Monnaies et ne pouvaient les conserver chez eux pour en tirer quelque agio. Encore fallait-il qu’ils en possédassent. Les Belges considérèrent toujours ces placards comme inapplicables. Mieux : la plupart d’entre eux 206
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Sur le droit des gens, notice du Dictionnaire de la culture juridique sous la direction de Denis Alland et Stéphane Rials, Paris, Lamy-PUF, 2003, p. 463 à 467. Marie-France Renoux-Zagamé, Du droit de Dieu au droit de l’homme, Paris, PUF, 2003. AGR, JM, 44 bis, lettre de Wautier, 13 février 1710. Thomas Mun, England’s Treasure by Forraign Trade, Londres, 1664 ; Antoine de Montchrestien, Traicté de l’économie politique, 1615, publié par François Billacois, Les classiques de la pensée politique, vol. 16, Paris-Genève, Droz, 1999. AGR, CF, 8635. Note sur l’édit général de 1652.
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ne sentaient nullement concernés par cette législation. « On a toujours jugé qu’il [le placard de 1652] ne pouvoit convenir avec la liberté nécessaire dans le commerce »210. Les grands marchands réclamaient la liberté de négocier les matières et espèces billonnées au nom de l’ordre naturel du commerce. Charles II reconnut plus facilement cette liberté. Il n’obligea pas les négociants à porter les matières précieuses qui n’avaient pas cours aux hôtels des Monnaies, mais les laissa au contraire trafiquer ces matières, tant mattes, lingots, barres, sans prélever aucun droit, décision entérinée par le placard du 8 février 1686211. Ainsi, le souverain reconnaissait que la valeur marchande du métal monnayable en unités de compte s’élevait audessus de sa valeur nominale officielle. Plus tard, le 9 décembre 1687, le roi limita la permission de sortie des matières et espèces n’ayant pas cours dans le délai de trois mois après l’entrée, mais reconnut par là même la liberté de négoce. Cette législation créa un précédent en rendant caduc le placard de 1652. L’agiotage pris sur les espèces se pratiquait donc publiquement : L’agiotage sur les espèces d’or et les grosses pièces d’argent, selon les occasions, a été tolléré dans les villes de commerce jusqu’icy impunément212.
Revenir à la législation de 1652, par le placard du 3 janvier 1698, ne servit de rien : l’abondante circulation des monnaies étrangères, et pendant l’occupation française, et pendant celle des puissances maritimes, limitait considérablement la portée de ces lois. Au fond, le souverain des Pays-Bas se rangeait en cette fin de siècle à cette évidence qui sera établie plus tard par les théoriciens comme Ferdinando Galiani : On devrait traiter la monnaie comme une marchandise. Et s’il arrive que le consentement de tous diffère du prix de l’Hôtel des Monnaies, il faudrait s’en tenir à celui de la multitude qui, quand elle jouit de la liberté, suit toujours le vrai213.
Le chemin vers la liberté fut long à parcourir néanmoins. Le mémoire du baron de Cazier, ferveur défenseur du libre commerce des espèces d’or et d’argent monnayées dans les Pays-Bas, témoigne des résistances administratives tout au long du xviiie siècle. Les lois du 3 août 1707, du
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AGR, JM, 58, Remontrances du Magistrat d’Anvers, 1725. Alphonse de Witte se trompe donc, lorsqu’il indique que le pensionnaire van Kessel fut le premier à réclamer cette liberté en 1728. Alphonse de Witte, op. cit., p. 265. AGR, JM, 58, Remontrances du Magistrat d’Anvers, 1725. Idem. Ferdinando Galiani, Della moneta, 1751, traduction française par Anne Machet, Paris, Economica, 2005, reprise par Christian Tutin, Une histoire des théories monétaires par les textes, Paris, Flammarion, 2009, p. 109.
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20 avril 1714, du 22 novembre 1731 et encore le fameux placard du 19 septembre 1749 qui mit en œuvre la grande réforme, toutes défendaient aux habitants d’envoyer « hors et par ces Païs aucun or et argent monnaié et non monnaié, travaillé ou non travaillé, en masse, lingots, barres, poudres d’or ; billon ou autrement »214. Il y eut certes quelques aménagements, pour les sommes en transit. Le décret du 26 novembre 1714 par exemple permit aux bateliers de Bruxelles d’avoir et tenir à bord la somme de 500 florins en monnaie d’or et d’argent coursable du pays. Celui du 23 août 1715 autorisa le transit de l’argent monnayé et en bloc d’Espagne en Hollande. De même, des autorisations de transit furent accordées, moyennant déclaration aux bureaux des droits du souverain aux États de Limbourg (1732), à la principauté de Liège (1733), aux Etats de Namur (1734)215… Malgré tout, les placards prohibitifs restaient gênants. Ils provoquaient de multiples recherches aux frontières et vexaient les ressortissants des pays voisins qui faisaient métier de commerce. Le problème tenait dans les arrestations abusives par les employés de l’administration des droits d’Entrée et de Sortie lorsque la somme transportée excédait de peu les 50 florins, valeur de change, autorisée par les tarifs. Les plaintes des marchands se multipliaient. La femme de Louis Godefroid, marchande de Mons, fut arrêtée pour avoir sur elle 25 écus qu’elle destinait à l’achat de « petites denrées ». La même mésaventure arriva à une marchande de Namur, la femme Opdenbergh216. Le commerce de proximité exigeait pourtant le transport de sommes parfois importantes, car il était impossible de prendre des lettres de change d’un village à l’autre. Les contrevenants étaient soupçonnés, parfois à juste titre, de trafic frauduleux. Voici la famille Schmidt, installée à Iserlohn sous domination prussienne, qui débitait régulièrement des marchandises dans les Pays-Bas autrichiens : le père, Jean-Diederich, et ses deux fils, Herman, 23 ans, et Gehrard, 18 ans. Ce dernier fut pris en 1735 avec la somme de 96 louis d’or aux quatre guinées, et 805 pièces d’argent monnayé de France. Après avoir vendu diverses marchandises à Lille, le jeune garçon avait confié ses sacs cachetés au chartier ordinaire chargé de la liaison Lille-Gand avec ordre de remettre l’argent au chartier chargé de la liaison Gand-Anvers où se trouvait son frère, Herman. Ce dernier, d’après les déclarants, devait remettre les espèces à l’hôtel des Monnaies d’Anvers pour en tirer la valeur et prendre des lettres de change sur son pays. Démuni de toute autorisation de transport, l’argent fut confisqué par les autorités belges avant même AGR, JM, 165 bis, non inventorié, mémoire du baron de Cazier, 1760. AGR, CF, 4538, et JM, 165 bis, non inventorié, mémoire du baron de Cazier, 1760. AGR, CF, 4538, année 1734.
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d’atteindre la ville de Gand. La famille Schmidt contrevenait aux ordonnances défendant l’entrée et la sortie des espèces de France217. L’année suivante, le dénommé Brems fut condamné au versement du double de la valeur des espèces trouvées sur lui à Mons, soit 2120 livres en espèces d’or et d’argent coin de France. Il voulait les passer en fraude à Valenciennes218. Cependant, les réflexions politiques sur la liberté du commerce commençaient à travailler les administrateurs. Les plaintes réitérées des Français contre les vexations subies par les voyageurs engagèrent Bruxelles à envisager la fin des contrôles dans les départements de Mons, Namur, Tournai, Courtrai, Ypres, Tirlemont, et Bruxelles même à faire cesser les contrôles. Les disciples de Jean-François Melon et de Véron de Forbonnais allaient venir à bout, dans la deuxième moitié du xviiie siècle, de l’interdiction de commercer l’or et l’argent.
2. Le viol du droit des gens : souveraineté et Jus gentium On peut dire avec beaucoup de vérité que la France, au regard des monnaies, passe au-dessus de toutes les loix divines, humaines et politiques219.
Tel était le sentiment des Belges vis-à-vis des procédés de leur voisin. Pendant toute la durée de la guerre de Succession d’Espagne (1703-1714) et de la Régence (1715-1723), la France lésa gravement les intérêts des Pays-Bas méridionaux en procédant à des mutations monétaires abusives. Bruxelles dut suivre de nouvelles règles commerciales que ces manipulations généraient. Le gouvernement donna par exemple un cours de dix florins et seize sols et demi de change au louis dit « au soleil » de 1709, puis, sur les représentations des commerçants frontaliers, de onze florins et quatre sols, afin que ces derniers puissent augmenter leurs ventes. Cependant, les souverains d’or produits sur place ne furent pas rehaussés à proportion, de sorte que les Pays-Bas virent leurs espèces quitter le territoire220. Après avoir haussé ses monnaies jusqu’à porter le louis d’or à 20 livres et l’écu d’argent à 5 livres en 1709, le ministre des finances Desmaretz tenta de la stabiliser et procéda à des « diminutions » d’espèces en faisant passer progressivement le louis d’or au soleil de 19 livres 10 sous à 14 livres entre
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AGR, CF, 4538, année 1735. Idem, année 1735 et 1737. AGR, JM, 58, pièce 2. AGR, JM, 18, « Reflections sur les causes de la décadence des monnoyes dans les Pays-Bas autrichiens ».
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le 1er décembre 1713 et le 1er septembre 1715, le marc ne valant plus que 420 livres. Les louis quittèrent alors la France : Il est notoir que l’année 1714 et 1715 il est passé par ces paÿs [Les Pays-Bas] des quantitez prodigieuses de louÿs d’or qui sortoient de France parce que le Roÿ de France les avoit évalué au dessous de leur valeur, et comme dans ces paÿs [Les Pays-Bas], ils ont esté dans le mesme temps aussy été évalué au dessous de leur valeur, a sçavoir 36 escailins 2 liards, ils ont d’abord par forme de transit passé chez nos voisins où on en donnoit la véritable valeur221.
Cette revalorisation de la monnaie de compte française, motivée par le souci de rapprocher les espèces de leur juste valeur, provoqua de multiples faillites. Pour liquider les dettes après la paix d’Utrecht et de Rastadt, le duc de Noailles nouvel homme fort des finances dans le Conseil de Régence, ne trouva rien de mieux que d’en revenir aux vieux expédients. Après quelques hésitations, il mit fin à ce resserrement de l’argent et décida d’une refrappe générale par l’édit de décembre 1715 : sans altération du poids ni du titre, les louis furent portés de nouveau à 20 livres et l’écu à 5. Les anciennes espèces devaient être amenées aux hôtels où elles étaient reçues pour 16 et 4 livres, mais bien évidemment, la tentation pour les trafiquants de profiter de ces 20% de valeur ajoutée en procédant secrètement à la surfrappe devint irrésistible. Analysées par Herbert Lüthy et Guy Rowlands, ces mutations donnèrent lieu à des trafics d’espèces considérables hors des frontières du royaume222. La fausse réforme se déploya dans les pays frontaliers tant que dura cette surévaluation de l’or et de l’argent. Les Belges, mais aussi les Luxembourgeois, jugèrent qu’ils devaient se défendre face à de telles mutations, en procédant par fabrication de monnaies françaises. Les Pays-Bas profitèrent légalement de la manne des monnaies billonnées en France, mais qui avaient cours à Bruxelles : Ayant billonnez et decriez les precedentes espèces de tout cours et mise, et ne point payez pour y celles dans ces Monnoyes la valeur intrinsèque en nouvelles, mais bien par la valleur extrinsèque en augmentant le cours des dittes nouvelles espèces exorbitament, plusieurs sujets et négocians de AGR, JM, 46, lettre de Clauwez, maître général des Monnaies, 26 avril 1720. Sur les opérations financières de la guerre de Succession d’Espagne : Herbert Lüthy, La banque protestante de la Révocation de l’édit de Nantes à la Révolution, t. 1, Paris, SEVPEN, 1960, p. 93 à 262 ; Guy Rowlands, The financial Decline of a Great Power. War, Influence and Money in Louis XIV’s France, Oxford University Press, 2012.
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la France ont transportez quantité desdits espèces décriées dans ces paÿs, lesquelles nous avons attirez par un cours et valleur plus avantageux que la France ne les payoit dans ses Monnoyes pour billons223.
Cependant, le risque d’être envahis par la monnaie dépréciée força les négociants et banquiers belges à réagir en les réformant eux-mêmes. Le 10 janvier 1718, les Pays-Bas autorisèrent l’évaluation du louis en argent de change (11 florins et 4 sols) comme en argent courant (13 florins un sol) ; deux ans plus tard, l’évaluation était portée respectivement à 10 florins 16 sols et 2 liards et 12 florins 12 sols et 2 liards courant. Le décri des espèces françaises donna bel et bien « l’occasion à la contrefaction de ces nouvelles espèces »224. Les premiers louis d’or de Louis XV, dits « Noailles », de 20 au marc, eurent cours pour 30 livres, ce qui donnait alors au marc d’or une valeur de 600 livres. La fabrication des louis à la croix de Malte (1718), du quinzain (1719) du louis au double L (1720), du mirliton (1723) furent autant d’occasions pour le Régent, de liquider les dettes de guerre, et pour les Belges, de contrefaire la monnaie française, plus ou moins encouragés par les autorités politiques. Les maîtres généraux des Monnaies comme Clauwez de Bruyant se trouvaient impuissants. Tout au plus conseillèrent-ils de suivre le rehaussement français en procédant de même pour les souverains belges : Vos Seigneuries voudront bien se souvenir que l’ors que j’aÿ advisé pour l’augmentation des loÿs d’or, j’aÿ aussÿ représenté la nécessité d’augmenter et ÿ proportionner le cours de nos souverains d’or, estant inouÿ et contre le bon sens que les espèces étrangères aÿent icÿ plus de privilèges que nos propres espèces225.
Il était bien plus avantageux toutefois de procéder par refrappe des louis. S’agissait-il d’un crime grave ? Après tout, la France violait délibérément le Jus gentium. Les représentations du Parlement de Paris en date du 19 juin 1718 alertèrent le Régent sur les conséquences à prévoir de l’édit de mai 1718 : « Nous avons lieu, Monsieur, d’appréhender qu’il ne se répande dans le royaume une infinité d’espèces contrefaites dans les pays étrangers. Le profit immense que l’étranger en fera et l’expérience du passé sont le fondement de notre crainte »226. Dans ses remontrances ultérieures du 27 juin, il exposa les fondements juridiques essentiels de son opposition : 223
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AGR, JM, 18, « Reflections sur les causes de la décadence des monnoyes dans ces Pays-Bas autrichiens ». AGR, JM, 58, pièce 2. AGR, JM, 46, lettre de Clauwez, maître général des Monnaies, 26 avril 1720. Remontrances du Parlement de Paris, chapitre 8, « Représentations adressées au Régent par une députation du Parlement de Paris sur l’édit de mai 1718
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Le souverain a seul droit de battre monnaie dans ses états, mais ce n’est pas son empreinte qui donne la valeur… L’un de nos plus fameux auteurs va plus loin, et dit dans son traité des seigneuries que la monnaie dépend du droit des gens et qu’il est nécessaire que le prince la proportionne avec ses voisins, autrement ses sujets ne pourront trafiquer avec eux227.
À suivre les propos ultérieurs de Ferdinando Galiani, on ne peut guère en douter. Dissertant le premier sur la valeur, le célèbre économiste italien, en s’appuyant sur les événements de 1720, affirmait qu’en frappant la monnaie, le roi ne pouvait qu’en révéler la valeur intrinsèque et qu’il devait donc agir avec justice et droiture. Il n’appartient pas au libre arbitre du Prince de donner au métal frappé une valeur qui lui plaise, mais il convient, en règle générale, de la rendre conforme à la valeur intrinsèque228.
Un peu comme il révélait la loi qu’il contenait en sa poitrine, le souverain n’était pas tout à fait maître de fixer la valeur des monnaies hors d’une proportion « naturelle », sous peine de passer pour un tyran. Quant à la valeur extrinsèque, elle devait, comme chez Charles Loyseau, être proportionnée à celle des États voisins. En ne respectant pas les règles du juste commerce qui devait s’établir entre les nations, le roi de France dégageait les autres princes de l’Europe de leurs obligations, et notamment de la loi réciproque convenue entre les royaumes de ne point contrefaire la monnaie. La contrefaçon monétaire devenait ainsi une arme naturelle de défense. Il ne s’agissait guère que d’une imitation des pièces réformées qui, si elle respectait le titre et l’aloi de la monnaie vraie, pouvait être considérée comme un dédommagement. Si par hasard quelques-unes [des espèces contrefaites] sortent de ce pays et vont en France, cela ne fera aucune injustice audit royaume, ce seroit pour nous indemniser et nos sujets. La France doit s’en prendre à elle mesme, elle a commencé à violer le droit des gens229.
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ordonnant la refonte générale des monnaies », édition numérique, Bibliothèque de l’université Paul-Cézanne Aix-Marseille 3, 2004, p. 73. Idem, chapitre 9, p. 84. Ferdinando Galiani, Della moneta, 1751, traduction française par Anne Machet, Paris, Economica, 2005, reprise par Christian Tutin, Une histoire des théories monétaires, op. cit., p. 108. Idem.
Imiter la monnaie française
Au fond, les rois de France provoquèrent contre eux une guerre juste que « Dieu, qui est la justice mesme et protecteur des oppressez, assisteroit de son bras tout puissant affin de repoucer (sic) l’audace de la France »230.
3. La fausse réforme : une guerre juste Ce n’était pas là chose nouvelle. Le faux-monnayage était l’un des crimes les plus répandus dans tous les États. En France, on multipliait les juridictions pour en venir à bout, en vain. « Des paroisses entières en font leur commerce, et on va à la journée en fabriquer publiquement chez les particuliers », écrivait-on de Bretagne à la fin du xviie siècle231. De même en Béarn ou en Normandie, la pratique était courante232. En réalité, là comme ailleurs, les autorités préféraient fermer les yeux sur la gravité des faits, plutôt que tarir malencontreusement le flux des espèces. Ce type de fabrication ne peut se comprendre en effet en dehors du contexte de rareté extrême du numéraire, particulièrement vif en période de guerre et dans la période qui suit immédiatement, c’est-à-dire la période de liquidation des dettes. Les opérations financières de la guerre de Succession d’Espagne, par exemple, avaient été orchestrées par le banquier Samuel Bernard qui fournissait aux trésoriers de la monarchie des lettres sur ses correspondants à l’étranger en faisant valoir les assignations qu’il recevait du Trésor royal. Mais les effets publics émis par les financiers se déprécièrent très vite et les dévaluations monétaires comme celle du 11 novembre 1704 provoquèrent la fuite des espèces vers l’étranger : il devenait alors trop tentant d’acheter les monnaies dépréciées – au besoin plus cher que ce qu’en donnaient les hôtels de Monnaies français – et de les refrapper au nouveau cours pour gagner la différence de valeur décidée par le roi. Le procédé fut maintes fois utilisé entre 1704 et 1726 par les voisins du royaume de France, et notamment par les habitants des Pays-Bas, capables, en outre, de se fournir en Hollande. S’agissait-il de faux-monnayage ? Jérôme Blanc, dans son étude de la pensée monétaire de Jean Bodin, montre que celui-ci fut surtout préoccupé par la question du faux-monnayage, car cette pratique, courante à son époque, interrogeait la notion 230 231
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Idem, pièce 4. AN, H1 638, repris dans Marcel Marion, Dictionnaire des institutions de la France, xvii e-xviii e siècles, Paris, Picard, réed. 1999 (première édition 1923), p. 385. Voir les travaux d’Olivier Caporossi sur le faux-monnayage à la frontière espagnole, et ceux de Jérôme Jambu sur la Normandie, Tant d’or et d’argent, La monnaie en Basse-Normandie à l’époque moderne, PUR, 2013.
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même de souveraineté, qu’il définissait par ailleurs dans les Six Livres de la République233. L’humaniste distinguait la monnaie altérée, la monnaie dégradée et la monnaie contrefaite. La première présentait un cours légal supérieur à la valeur de son contenu métallique, soit du fait d’un droit de seigneuriage abusif, soit du fait de mutations. Volontairement dans ce cas, le prince s’éloignait de l’idéal monétaire pour tirer de son droit régalien un profit immédiat. La monnaie dégradée était celle dont le contenu métallique se trouvait non conforme aux ordonnances du prince, soit que les officiers de la Monnaie trichaient sur la fabrication, soit que les rogneurs agissaient. Le roi, dans ce cas, subissait un préjudice. La monnaie contrefaite enfin, était définie par l’usurpation du droit souverain de frapper monnaie. Ce faisant, Bodin est amené à distinguer les faits de monnaie qui relèvent de la loi et ceux qui relèvent du simple contrat, ou convention mutuelle entre le prince et les sujets qui s’obligent mutuellement. Ainsi, la manipulation du titre et du cours légal procède, de la part du prince, d’une rupture du contrat. Jean Bodin les qualifie « d’injustice barbaresque »234. Dès lors, pour les réduire, il en vient à encadrer la souveraineté monétaire du prince – son droit de battre monnaie – par la nécessité d’être juste, c’est-à-dire de respecter la convention tacite qui le lie à son peuple. L’idée de contrat politique forgée en France au lendemain de la SaintBarthélemy235 fut ainsi envisagée pour la monnaie, non sans raison. On doit bien voir que chez les auteurs des années 1570, le concept ainsi défini se présentait comme un idéal. Néanmoins, le droit de résister à l’injustice fit son chemin : dans le cas où un prince procédait par abus lors d’une évaluation, le contrat se trouvait être rompu. Les sujets spoliés se sentaient dès lors dans le droit de pallier les manquements du souverain. C’est ainsi que les marchands et banquiers s’organisèrent, avec la complicité des hommes politiques locaux, pour prendre en main la fabrication de la monnaie. L’incapacité de Louis XIV à maintenir ses espèces à leur juste valeur et la spoliation qu’il opérait par ses mutations limitaient la portée du délit. Certaines des opérations que nous allons décrire relevaient d’ailleurs du « localisme monétaire » permettant de faire fonctionner une monnaie parallèle236. Les Pays-Bas avaient d’ailleurs été eux-mêmes victimes de la 233
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Jérôme Blanc, « Les monnaies de la république. Un retour sur les idées monétaires de Jean Bodin », Cahiers d’économie Politique / Papers in Political Economy 1/2006 (n° 50), p. 165-189. Idem. Quentin Skinner, Les fondements de la pensée politique moderne, Paris, 2001, p. 761. Jérôme Blanc, Les monnaies parallèles. Unité et diversité du fait monétaire, Paris, L’Harmattan, 2000.
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monnaie d’imitation. Circulaient ainsi dans les années 1610-1620 les monnaies d’argent, escalins, patards ou gros, fabriquées à l’imitation de celles des Pays-Bas à Château-Regnault, Clèves, Thorn, Emmerich, ou bien les monnaies de billon ou de cuivre de Liège, Maaseyck, Gronsveld, Rekem, Thorn, Mulheim, Bronckhorst, Sedan, Rethel… Pour neutraliser l’impact de telles espèces, un souverain pouvait les taxer à leur valeur réelle ou bien les proscrire et ordonner à ses sujets de s’en défaire, soit par le transport de la monnaie billonnée hors du pays, soit par le transport à l’hôtel des Monnaies où les espèces en question étaient converties : les employés prenaient ces espèces au prix de l’évaluation formelle définie par les placards du moment. De même, Louis XIV avait procédé par faux-monnayage quand il en avait besoin. En 1709 par exemple, placé dans la nécessité de payer les troupes alliées de Philippe d’Anjou, il autorisa la Monnaie de Namur à copier les liards de la Monnaie d’Anvers, tant et si bien que personne, pas même les plus experts, ne parvenaient à les distinguer les unes des autres. Pour ce faire, les Français subordonnèrent les ouvriers de l’hôtel namurois pour qu’ils impriment le portrait du duc de Bavière, Maximilien-Emmanuel. Le roi soleil répandait ainsi dans les Pays-Bas des liards contrefaits et de moindre poids. Par ailleurs, le faux-monnayeur, lorsqu’il s’attaque à une monnaie étrangère, ne peut être assimilé au criminel de lèse-majesté. Selon les anciennes lois en vigueur, reprises par Charles Quint en 1526 et 1531, le coupable n’était pas soumis au supplice de l’eau ou de l’huile bouillante – peine réservée aux contrefaiseurs de la monnaie du souverain régnant – mais seulement à l’exil. L’usage de la fausse monnaie devait également être pris en considération : si les pièces fabriquées au coin d’un souverain étranger n’avaient cours que sur place, pour les besoins du commerce local, et sans sortir du territoire, la fraude devenait plus relative encore. Aucun préjudice n’était fait au roi dont on avait usurpé l’effigie. Mieux : si l’on suit le placard du 31 mai 1564 adopté par Philippe II d’Espagne au sujet des pièces qu’on fabriquait alors dans les Pays-Bas aux armes du Portugal, il apparaît que les délinquants n’étaient assimilés à des faux-monnayeurs que si les espèces en question étaient fabriquées en dessous de leur légitime valeur237. C’est à partir de ce dernier argument qu’il faut apprécier le fauxmonnayage des villes belgiques durant la Régence. On repère certes des fausses réformations de louis de France, au même titre et aloi que les vrais, mais aussi la fabrication de louis allégués, ce qui relève de la délinquance monétaire.
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AGR, JM, 58.
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Chapitre 6 Les fabriques anversoise et liégeoise de fausse monnaie 1. Les faux louis d’or du marquis de Prié Les premières années du régime autrichien constituent des années chaotiques sur le plan monétaire. Le nouveau souverain, Charles VI, commença par défaire ce qui avait été entrepris car il se méfiait des élites établies par son prédécesseur, Philippe d’Anjou et ses alliés. Jean de Brouchoven de Bergeyck238, ministre éclairé de cette époque, avait tenté pourtant de rétablir l’ordre dans les finances : « Le gouvernement anjouin qui avoit suivi a remis les affaires sur un assez bon pied par les soins du comte de Bergeyck, avoit une autorité despotique, et les troupes françaises pour seconder ses projets »239. Ces efforts ne servirent de rien néanmoins car au terme du régime anjouin, la guerre reprit pendant près de dix ans, laissant les Pays-Bas méridionaux dans un chaos innommable. Si l’on prend la situation vers 1700-1701, on constate que les aides et subsides fournis par les provinces, tant ordinaires qu’extraordinaires, procuraient net à Sa Majesté Catholique 1,74 million de florins (2 780 000 en recettes totales moins 1 034 490 en charges annuelles)240. Les domaines ne rapportaient rien tant ils étaient grevés de rentes241, tandis que les troupes exigeaient sur place 2,7 à 2,8 millions pour leur entretien.
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Nommé conseiller des finances par Charles II d’Espagne, il devint trésorier général en 1688, poursuivit sa carrière sous la gouvernance de MaximilienEmmanuel de Bavière et se révéla comme homme d’État sous le régime anjouin. Voir R. de Schryver, Jan van Brouchoven, graaf van Bergeyck (1644-1725) : een halve eeuw staatkunde in de Spaanse Nederlanden en in Europa, Bruxelles, 1965. Rapport du comte de Königsegg à l’empereur par lequel il rend compte de l’état où il a trouvé les Pays-Bas, 24 mars 1716, publié dans L. P. Gachard, Collection de documents inédits concernant l’histoire de la Belgique, t. 3, Bruxelles, Louis Hauman et compagnie Libraires, 1835, p. 458-459 AN G2 210, dossier 2 : état général des aides et subsides que les provinces des Pays-Bas fournissent annuellement à SMC, 1701. Idem, dossier 4, état général des revenus de SMC aux Pays-Bas, vers 1701.
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L’empereur dut en conséquence composer avec les forces locales242. Le gouvernement bruxellois avait appris à naviguer à vue et à gérer les affaires de façon autonome. Le premier ministre plénipotentiaire, Hercule Joseph Louis Turinetti, marquis de Prié, agit en tant que gouverneur ad interim avec une grande liberté, engageant les Pays-Bas méridionaux dans de sombres affaires de fraude monétaire. « Pour ladite fabrique etoit requis un inviolable secret tant pour SM Impériale, pour la personne du gouvernement que pour plusieurs autres »243. Il s’agissait de lutter contre l’agression monétaire française de mai 1718, particulièrement sensible dans les villes belges. Cette année-là en effet, sous l’impulsion du maréchal de Noailles alors président du Conseil des finances, la France procéda à une réforme monétaire. D’une part, elle augmenta la valeur du marc de 22 carats, le titre usuel de l’or, à 600 livres au lieu de 480 ; d’autre part, elle donna au louis d’or, d’un poids de six esterlins et douze as, un cours de 36 livres, et à l’écu d’argent, d’un poids de seize esterlins, un cours de 6 livres. Cette dévaluation, en ramenant la livre tournois de 1/40e à 1/60e de marc d’argent et en permettant de porter aux Monnaies les anciennes espèces avec deux cinquièmes de billets d’Etat pour être converties en nouveaux écus, fut très largement contestée par les compagnies parlementaires244. Elle réduisit le commerce interne du royaume de France, mais aussi celui des pays voisins. Elle provoqua une fuite massive des espèces belges vers le royaume de Louis XV et fit craindre pour le négoce. Par sa déclaration de may 1718, la France vient de nous imposer une nouvelle perte de 30 pour cent par laquelle non seulement le cours du commerce est interrompu, mais aussy il en dépent la ruine entière de l’Estat et du paÿs245.
Face au « cours tiranicque qu’elle [la France] impose aux espèces d’or et d’argent »246, la réaction ne se fit pas attendre : Anglais, Hollandais, Liégeois, Génois ou Vénitiens optèrent pour la contrefaçon des nouvelles espèces françaises. Le marquis de Prié s’engagea également dans cette voie en s’appuyant secrètement sur le conseiller des finances Trossy et le 242
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Klaas van Gelder, « L’empereur Charles VI et l’héritage anjoin dans les PaysBas méridionaux (1716-1725) », Revue d’histoire moderne et contemporaine, n° 58, 2011, p. 53-79. AGR, JM, 58, pièce 7. Sur le contexte financier français, voir Herbert Lüthy, La banque protestante de la Révocation de l’édit de Nantes à la Révolution, t. 1, Paris, SEVPEN, 1960, p. 310-311. AGR, JM, 58, pièce 2. Idem.
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maître général des Monnaies, Charles Wautier247. Il importe de préciser que Turinetti prit la précaution de consulter la compagnie de Jésus sur le bienfondé d’une telle opération : Anglais et Hollandais étaient entachés de protestantisme, tandis que les Républiques italiennes ne relevaient pas du droit divin des rois ; ces exemples ne pouvaient donc suffire à justifier moralement la contrefaçon. Les pères jésuites van Eyl et Guyot déchargèrent en revanche la conscience du gouverneur en se prononçant favorablement248. Fort de cet encouragement, le marquis de Prié lança les opérations. Dès septembre 1718, Charles Wautier engagea Jean d’Arme (ou Gendarme), fondeur et Gilles Delmotte, orpailleur bruxellois de 43 ans, « pour préparer un moulin à flétrir l’or et raccommoder une presse qui reposoit sous l’horloge de la Tour du Palais de cette ville »249. Ces instruments furent placés chez le maître des Monnaies lui-même, dans ses écuries. Il disposait en outre des fours nécessaires à la fonte. Wautier agissait donc en parfaite contradiction avec les placards qui interdisaient naturellement toute fabrique de monnaie hors des hôtels ad hoc. Etaient informés, outre le conseiller des finances Trossy, le maitre des Monnaies van der Borght, mais aussi quelques membres de la Chambre des comptes car pour la livraison des lingots, Wautier fit appel à Van der Meeren, conseiller en la chambre des Comptes, ainsi qu’aux entrepreneurs Van der Mandere et Beauchamps. Prié leur confia une caisse de 50 000 florins pour démarrer les opérations, selon un acte passé à Bruges le 25 août 1718250. Ces livreurs firent néanmoins quelques difficultés sur le prix de l’or. Leur offre excédait de 19 florins 3 sols le taux décrété par les placards de 1652251. Les marchands voulurent à toute fin forcer la vente et accélérer la fabrique, ce qui mit Charles Wautier dans l’embarras car le maître des Monnaies attendait l’aval de Vienne qui tardait à venir. Lorsqu’il apprit que le marquis de Prié était quant à lui disposé à continuer les opérations sans la permission de la Cour, il voulut faire cesser l’entreprise. S’ensuivit une dispute au Parc avec Van der Mandere et Beauchamps. C’est du moins ce qu’il affirma au procureur, Philippe Lheureux, lors du procès en 1725252. De fait, Wautier dénonça toute la machinerie auprès 247 248 249 250 251
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Idem, pièce 3. Idem, pièce 7. Idem. Idem. Au lieu de 356 florins 13 sols pour le marc fin de 24 carats fixé par les placards, leur prix était de 375 florins 16 sols. Idem, Déposition de Philippe Lheureux, 29 juin 1725 et déposition de Charles Wautier du 17 juillet 1725.
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du conseiller fiscal, espérant par-là bénéficier de l’immunité accordée par l’article 41 du placard de 1652, selon lequel quiconque dénonçait les auteurs de faux monnayage, quand bien même il en fût complice, était assuré de l’impunité253. Dans quelle mesure les Belges, très inquiets pour leurs affaires, pouvaient agir seuls ? La toute nouvelle autorité autrichienne n’avait pas encore pris la mesure des choses en ce moment essentiel et semblait surtout préoccupée par l’encadrement des élites. Or, pour les sujets des Pays-Bas méridionaux, les « calamités publiques ne résultoient asseurement que du peu d’attention qu’on a eu pour le monnoyes qui de tout tems ont mérittées pour leur importance l’application des Anguistes, prédécesseurs de Votre Majesté »254. Certes, le marquis de Prié n’était sans doute pas l’homme de la situation. Les griefs portés contre lui dans un mémoire secret rédigé à Vienne en 1725 révèlent un homme cupide255. Onze accusations le concernaient : non seulement il n’avait pas envoyé dans la capitale autrichienne les états de finances qu’on lui avait demandés, non seulement il omit de remettre chaque année « un compte exact et spécifique de tous les fonds qui sont entrés et sorty des caisses royales de quelconque nature », non seulement on le soupçonnait d’avoir perçu illégitimement des impôts, d’avoir engagé trop d’emprunts, d’avoir touché des pots de vin pour la distribution des emplois tant séculiers qu’ecclésiastiques, d’être partie prenante dans l’affermage de certains revenus, mais on lui reprocha d’avoir permis le faux-monnayage : Le Marquis de Prié auroit permis que l’on fabriqueroit publiquement de la monnoye aux coings de France en Anvers pour la somme de 40 millions, et que lors que ceux de la Chambre des comptes avoient obtenu d’y aller prendre les informations sur ce désordre, le Marquis de Prié donna ordre au fiscal et au secrétaire dudit tribunal de retourner à Bruxelles. On énonce qu’il y avoit 14 sols de Brabant de gaing à chaque pistolle et que l’on fabrique encore de la monnoye en Anvers et Malines, moins publiquement, sans que les Conseillers ni les tribunaux oseroit en parler256. 253 254 255
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AGR, JM, 20. AGR, JM, 58, pièce 4. AN, G2 214, « Examen de la Régence du Marquis de Prié ; Mémoire secret touchant les omissions d’une part, et les excès de l’autre, que l’on peut supose(sic) de divers endroits avoir été practiqués pendant la régence du Marquis de Prié aux Pays-Bas, conséquemment au plein pouvoir de Sa Majesté », Vienne, 29 janvier 1725. Idem, 9e point du mémoire secret, 1725.
Les fabriques anversoise et liégeoise de fausse monnaie
En d’autres termes, à défaut d’avoir pu organiser le faux-monnayage à Bruxelles, Prié le laissa faire à Anvers, ne permettant pas aux conseillers et officiers des Pays-Bas de contrer ces entreprises.
2. Le trafic semi-public du banquier Pietro Proli Les opérations de faux-monnayage par refrappe, destinées à se défendre contre les spoliations françaises, se doublèrent d’un trafic frauduleux qui consistait à fabriquées délibérément des pièces allégées. Ici, on se trouvait dans le cas bodinien d’une contravention bien plus grave à la loi. Soutenu par les plus grands hommes d’affaires, et à défaut de la filière bruxelloise, le marquis de Prié exploita la filière anversoise en confiant les opérations de contrefaçon à Pietro Proli, actif entre 1717 et 1723 au moins. À cette époque, Anvers avait perdu depuis longtemps son rang de centre mondial des métaux, mais elle était restée la principale place bancaire des Pays-Bas méridionaux. Le trafic anversois de fausse monnaie fut considérable. Aucun historien n’en a jusqu’à présent pris l’exacte mesure. Pratiquement tous les banquiers furent impliqués, à l’abri des privilèges de la ville qui mentionnaient notamment que la bourse était exempte de toute recherche, par décret de Sa Majesté, de sorte que les bourgeois n’avaient pas à déclarer d’où leur provenaient les espèces257. Le trafic d’espèces prit ici une importance considérable car le rapport entre l’or et l’argent favorisait les marchands de la ville qui trafiquaient avec les Indes occidentales, recevaient leur retour en lingots qu’ils faisaient passer en Hollande258. Et ce qu’il ÿ a de plus évident, c’est que ce commerce d’espèces qui autresfois se faisoit qu’à la sourdine par quelques juifs, se fait à présent par les principaux marchands, principalement d’Anvers qui abbandonnants tout autre négoce, s’attaschent à celuÿ-cÿ. Aussi les voit-on en touttes occasions par des faux raisonnements et plusieurs sophismes entassez les uns sur les autres appuÿer cette disproportion sur les espèces si préjudiciable à l’estat259.
Toutefois, il faut bien distinguer les différentes filières : Proli travaillait plutôt pour les banquiers des Pays-Bas et des Provinces-Unies. Il faisait néanmoins passer des louis en France certes, mais dans une proportion 257
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Raymond de Roover, « Anvers comme marché monétaire au xvie siècle », Revue belge de philologie et d’histoire, vol. 31-4, 1953, p. 1003-1047. AGR, JM, 46, Rapport, 17 juin 1722. AGR, JM, 46, lettre de Clauwez, maître général des Monnaies, 26 avril 1720.
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beaucoup moins grande que l’autre commanditaire important d’Anvers : Baetens. Par opposition au trafic semi-public de Proli, ce banquier, nous le verrons fraudait sur le poids des louis, pour les revendre ensuite massivement en France. D’origine lombarde, Proli s’était installé à Anvers comme négociant et banquier260. Avant de devenir directeur de la compagnie d’Ostende en 1721, il trafiqua des monnaies. Lorsqu’en 1717 les vieilles pistoles au soleil furent réformées et réimprimées aux trois fleurs de Lys, il en fit monnayer une grande quantité à Anvers en s’associant à plusieurs faux-monnayeurs, dont Guillaume Joris et Pierre Carpentier, aidés d’un graveur d’estampes nommé Boogh. Joris et Carpentier disposaient de presses chez eux. À la suite d’un différend opposant Pierre Carpentier à sa sœur, épouse du fauxmonnayeur Nicolas-Joseph Madou et employée à mettre les plates dans la presse de son frère, les pièces monnayées et non monnayées furent remises à Proli qui se mit en quête d’autres presses, notamment à Isenghien. À cette occasion, il voulut se débarrasser de ses anciens associés. Il les convoqua sous la tour de la cathédrale et leurs fit croire qu’ils avaient été dénoncés à la Monnaie d’Anvers. La manœuvre ne fonctionna pas néanmoins. Il est difficile de repérer si la fraude monétaire des Anversois fut pratiquée sur commande du ministre plénipotentiaire ou bien si certaines opérations servirent uniquement les intérêts du banquier. Associé à des maisons de banque d’Anvers (André Pieters, Jean Charles van Heurck), de Bruxelles (Charles Triponetti), d’Amsterdam (Andrioli) ou de Rotterdam (Crommelin et Commelijn), Proli agit aussi pour son propre compte. Ses confrères lui passaient commande de monnaies en lui faisant parvenir des plates envoyées de Hollande. Proli prenait une commission de 15 à 30 sols par pièce et livrait ses correspondants à l’aide de transporteurs complices, dont Jean-Pierre Gilbert et Adrien Coolens, qui prenaient un sol par pièce monnayée. Ceux-ci réceptionnaient parfois les plates chez eux. Jean-Pierre Gilbert par exemple s’aidait de ses sœurs, dont l’une dévote, qui transportaient les plates dans leurs calebasses depuis la maison du banquier Pieters jusqu’à celle de Gilbert. Après la réception des plates, les coursiers les acheminaient, toujours pour le compte de Pietro Proli, chez toutes sortes de faux-monnayeurs qui cachaient des presses chez eux, à Anvers même – comme Charles Acquart, Pierre Carpentier, Guillaume Joris, Nicolas-Charles Madou… – ou ailleurs. Les transporteurs pouvaient se faire eux-mêmes faux-monnayeurs : ce fut le cas de Gilbert qui fabriqua des louis au soleil dans le village de Roesendael à partir de 1723. 260
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Sur les Proli : H. Houtman-Desmedt, Charles Proli, Antwerps zakenman en bankier, 1723-1786, Bruxelles, Verhandelingen, 1983. Pietro Proli (1671-1733) était le père de Charles.
Les fabriques anversoise et liégeoise de fausse monnaie
En 1718, des plates d’or provenant du banquier Andrioli furent formées par l’essayeur de la Monnaie d’Anvers, Baerts, dans la maison de plaisance de Proli, située à Berchem au sud du port. Proli fit transporter ces plates à Isenghien, en Flandre, par l’intermédiaire de l’anversois Jean-Pierre Gilbert. Là, Gilbert confia la matière d’or à deux contrefaiseurs flamands, Jean-Baptiste Verhulst et Nicolas van Severen, qui marquèrent les plates de six couronnes au coin de France à l’aide d’une presse fabriquée à Amsterdam. Le transport de cette presse d’Amsterdam à Isenghien fut assuré par un orfèvre de Bruxelles, Stevens, qui agit sur ordre de Proli et d’Andrioli. Cinq caisses furent nécessaires au transport. Jean-Louis Pirson escorta le tout. Le graveur Liegeers fut embauché pour l’opération et reçut plus de 1800 florins pour ses services. Une fois marquées, les pièces furent remises à Gilbert qui les remit à son tour à Proli. Cette vaste opération impliqua non seulement les hommes proches du gouvernement, mais aussi un nombre important de contrefaiseurs anversois : Nicolas Poullain, Guillaume Joris, Pierre Carpentier qui travaillèrent aussi à Isenghien avec Verhulst et van Severen à la fabrication de pièces d’or à six couronnes et de nouveaux écus d’argent à trois couronnes au coin du jeune roi Louis XV261. À la suite du départ du graveur Liegeers, Pietro Proli dut confier la fabrique à une nouvelle équipe basée à Liège. La principauté s’était déjà illustrée dans la fabrication massive de fausse-monnaie française262. « Suspects de fausse réforme », les Liégeois étaient accusés de tirer en grande quantité des lettres de change sur Paris qu’ils acquittaient deux à trois mois plus tard avec de faux louis. Le Palais royal était en alerte car le prince-évêque, Joseph-Clément de Bavière, loin de se prêter à la lutte contre les criminels, avait la fâcheuse tendance à profiter des trafics, avec la complicité des échevins de Liège et des frères Canto263. Les plates furent transportées làbas, toujours par le fournisseur Jean-Pierre Gilbert d’une part, mais aussi par Adrien Adrianssens et Camille Florens, habitants de Rijsbergen, dans la baronnie de Breda, et par Adrien et Gérard van Opdorp, logeant à michemin entre Anvers et Moerdijk : ces personnes, de nation hollandaise, étaient chargées de fournir les plates et de les acheminer vers Liège264. Ils 261 262
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AGR, JM, 58, Comparution et déposition d’Adrien Coolens, 11 juillet 1725. Bruno Demoulin, « Le faux-monnayage dans la Principauté de Liège au temps de la Régence 1715-1726 », Bulletin de l’Institut archéologique liégeois, t. CIV, 1992, p. 335-342. Toutefois, l’auteur ne semble pas connaître ni « l’examen du prisonnier Jean-Louis Pirson » en date de février 1728 conservé aux archives nationales de Paris, en G2 220, dossier 8, ni le procès-verbal de sa déclaration du 23 avril 1725 conservé aux Archives générales du Royaume, JM 58 et 59. Idem. AGR, JM, 58, Comparution et déposition d’Adrien Coolens, 11 juillet 1725.
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confiaient la marchandise à un inconnu en la déposant dans un cabaret. Pendant que les plates étaient frappées dans le tripot liégeois, les transporteurs se tenaient cachés, puis ils revenaient livrer les fausses pièces à Proli, soit à Anvers même, soit à Berchem. Quand Proli disposait de plates non monnayées, il les faisait ramer soit par son valet dénommé Jean, soit par Gilbert qui disposa quelques temps du moulin à ramer avant de le vendre265. Vers la fin de l’année 1718, le banquier lombard modifia encore ses plans en confiant « une grande quantité de plates d’or » à Adrien Coolens, chargé de les transporter jusqu’au château de Malperdu, situé en pleine bruyère à une lieue du village de Wuustwezel, où elles étaient reçues par les employés de Proli, et notamment les frères Opdorp, pour être monnayées au coin de France à la croix de Malte. Coolens attendait le temps nécessaire avant de repartir sur Anvers avec les pièces. Le transport des fausses pièces vers la France, lorsqu’elles avaient été commanditées par Proli, nécessitait la complicité des administrateurs des droits d’entrée et de sortie, ce que Proli obtint sans difficulté en les rémunérant à ½ pour cent de la valeur du chargement. Moyennant quoi, le directeur des douanes, le baron Adam Joseph de Sotelet266, donnait ordre aux commis de ne pas visiter les caisses. Ainsi, « une terrible quantité d’or et d’argent »267 franchit la frontière durant toute la Régence française. Proli faisait entrer et sortir des marchandises librement, en marquant caisses et ballots par deux lettres, P.P. pour Pietro Proli. En outre, les transporteurs qui travaillaient pour Proli rémunéraient les maîtres des Monnaies de la ville de Lille qui laissaient passer les convois. Les fausses pièces ne partaient pas seulement vers la France. Proli les destinait à ses correspondants : Charles Triponetti, banquier de Bruxelles, réceptionna à Malines, à l’enseigne de l’Allemand, 11 643 pistoles au coin de la croix de Malte ou du double L par l’intermédiaire de Gilbert et Coolens. Les banquiers de Rotterdam, Crommelin et Commelijn, furent également les destinataires des cargaisons. En 1721 par exemple, Coolens escorta un carrosse rempli d’espèces avec Charles Proli, le fils de Pietro et Mellerio, son clerc. Proli et Mellerio l’accompagnèrent depuis Anvers 265 266
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Idem. Le financier Adam-Joseph de Sotelet prit le contrôle des droits de douane en 1718. Il créa à Bruxelles le bureau des droits d’entrée et de sortie. Voir sur ce personnage sulfureux Joseph Lefèvre, Biographie nationale, t. XXIII, Bruxelles, 1921-24, coll. 231-234, Moureaux Philippe, « Un organe peu connu du gouvernement des Pays-Bas autrichiens : le Bureau de Régie des droits d’entrée et de sortie », Revue belge de philologie et d’histoire, t. 44 fasc. 2, 1966, p. 479-499, ainsi que C. Bruneel, Les grands commis…, p. 569-571. AGR, JM, 58, Comparution et déposition d’Adrien Coolens, 11 juillet 1725.
Les fabriques anversoise et liégeoise de fausse monnaie
jusqu’au dernier bureau des droits d’entrée et de sortie, vers les Etatsgénéraux des Provinces-Unies. Le receveur ne contrôla pas le carrosse et Charles Proli n’acquitta aucun droit. Puis Coolens continua la route jusqu’à Bergen-Op-Zoom. Arrivé au cabaret de Jean van Miert, il livra 40 sacs d’espèces, « ainsi qu’une caisse garnie d’une écuelle d’or avec la couverture, 18 chandeliers d’argent, assiettes, et plats d’argent, écritoire d’argent et autres services »268. Le tout fut emballé et chargé sur un bateau pour Rotterdam, à l’adresse de banquiers de la ville. D’autres convois partirent vers la Hollande, comme celui du 24 mars 1720, comprenant un carrosse plein d’écus d’argent et de ducatons, également escortés par Charles Proli, et les administrateurs des droits Adam Joseph de Sotelet et Jean-Baptiste Christiane jusqu’à la frontière, puis de là vers Bergen-OpZoom par Coolens et Gilbert jusqu’au cabaret de van Miert. En Hollande, le convoi prit également la mer jusqu’à Rotterdam.
3. Le faux-monnayage des louis d’or au double L Pietro Proli poursuivit ses opérations à l’abri de toute poursuite et put mener ses affaires jusqu’en 1723. À Isenghien, Liège, Malperdu, et en d’autres lieux encore – si l’on en croit plusieurs déposants – fleurissaient des presses clandestines destinées à la fabrication de fausses monnaies. Les faux-monnayeurs connurent quelques frayeurs, notamment lorsqu’une presse commandée par Andrioli et Proli fut saisie à Bruxelles en 1720. Le premier perdit dans l’affaire 945 plates d’or, ce qui donne une idée de l’importance du trafic. Le graveur Lambert et le monnayeur Pierre Dubois furent arrêtés, tandis que Pietro Proli, affolé, voulut se débarrasser au plus vite des 900 plates à la croix de Malte qu’il s’apprêtait à confier à Pirson pour être imprimées par Dubois. Le banquier supplia Jean-Pierre Gilbert, chez qui il se trouvait, et Adrien Coolens, également présent, de « faire cacher ou bruller tous les papiers et documents qu’eux et d’autres avoient à leur pouvoir concernant son commerce des espèces et monnoyes »269. Pour autant, Proli ne cessa pas son trafic frauduleux puisqu’il fit encore faire des pistoles de France au double L par Guillaume Joris, en acheta en outre à Gilbert et Coolens associés, et fit partir le tout vers le France. Ce trafic vers la France était de nature différente. Il ressemblait fort à ce que pratiquaient les banquiers anversois Baetens, Devos ou Vandaele : la fabrication de louis d’or allégés. C’était une chose de se défendre contre les dévaluations françaises en conservant la valeur « extrinsèque » des 268 269
Idem. Idem.
83
La monnaie aux mains des banquiers
louis par une refrappe de monnaie de bon aloi, équivalent aux vrais louis, c’était une autre de fabriquer des pièces allégées pour les revendre frauduleusement en France. Comme on peut le voir dans la liste ci-dessous, les associés Gilbert et Coolens ne fournissaient pas seulement Pietro Proli, mais de nombreux commanditaires : Liste des acheteurs de louis au double L auprès de l’intermédiaire Adrien Coolens Nom
Fonction et/ou lieu de résidence
Période d’achat
Quantité
ACQUART Charles
Contrefaiseur
1 633
BAL Gilles
Mercier et marchand à 18 mars au 22 mai Anvers 1721
310
DONCKER de Jean
Caissier à Anvers
560
BOSSARD Jean-Baptiste
Ypres
2 211
CLE Pierre de
Banquier – Anvers
2 437
COOVERS Alexandre
Messager d’Anvers à Bruxelles
600
GRAS
Bruxelles
22 novembre 1721 au 17 mars 1722
15 mai 1719 au 12 août 1723
91 461
HELLIN Antoine et Noë
23 septembre 1721 au 14 mars 1723
70 943
HELLIN A. et POITIER assoc.
9 janvier au 19 juillet 1723
32 446
LAROSE Jacques
Marchand – Anvers
1 125
MASQUELIER Joseph Banquier – Anvers
29 avril 1721 au 25 mai 1723
54 942
MASQUELIER Joseph Banquier – Anvers
7 janvier 1724
319
MILON Joseph
Marchand – Mons
PIETERS André
Banquier – Anvers
6 avril 1723
1 800
PROLI Pietro
Banquier – Anvers
3 mars au 15 novembre 1721
1 349
SCHWARTS
Banquier – Anvers
8 400
SMITS Jean-Gaspard
Marchand – Lille
1 244
STEPHANO Jean
Anvers
1918
VAN SEVEREN Nicolas
Contrefaiseur Dixmuden, pays de Was
5 568
84
5 470
Les fabriques anversoise et liégeoise de fausse monnaie Nom VANDENABECKEN
Fonction et/ou lieu de résidence
Période d’achat
Messager de Gand à Bruxelles
Quantité 3 420
VAN DEN PIT Jacques Pays de Was
100
VRYLINCKS
Banquier – Anvers
150
TRIPONETTI Charles
Banquier – Anvers
VERHULST Jean-Baptiste
Contrefaiseur – Isenghien
WILLEMS Michel
Banquier-Gand
Total
30 janvier au 15 septembre 1721
11 683 12 582
11 septembre 1718 au 13 mai 1721
14 554 326 906
Jean-Pierre Gilbert et Adrien Coolens fournissaient aussi la matière, plusieurs dizaines de milliers de louis décriés, qu’ils allaient chercher à Amsterdam avec l’aide d’autres transporteurs déjà évoqués – Adrien Adrianssens, Camille Florens, Adrien et Gérard van Opdorp : 172 068 pistoles chez le banquier Andrioli entre le 26 août 1718 et le 19 mai 1723, 23 594 chez Jacques Scheltens entre le 20 avril 1719 et le 13 janvier 1721, et 82 208 chez les banquiers Magistris et Ravelli entre le 13 mars 1722 et le 19 mai 1723, soit en tout 277 870 pistoles sur la période 1718-1723. Le marquis de Prié ne semble pas avoir été alerté sur ce trafic avant le mois d’avril 1723, lorsque le procureur général, le baron de Hemptinnes, chargé par la Chambre des comptes du Brabant de poursuivre les faux-monnayeurs, l’informa de ses découvertes270. Il révéla que Hubert Baetens et son frère, qui habitaient la rue des Pèlerins, disposaient dans leur cave d’une grande presse à battre monnaie et de tous les instruments de fabrication, moules, creusets, limes271… Là, les opérations étaient simples : On mettoit sur les guinées d’Angleterre, sans les refondre, la marque au coin de France des double LL comme aussi sur les guinées de Malte et qu’ils refondent les pistoles de France et d’Espagne sur lesquelles ils gagent 42 à 43 sols par pièce à cause que lesdits espèces pèsent moins d’environ 13 as que celles qui se fabriquent en France n’étant pas d’aussi bon aloi que celles de France272. 270
271
272
AN, G2 220, dossier 24, Correspondance du procureur général de Hemptines au sujet des perquisitions et informations contre les faux-monnayeurs. AN, G2 220, dossier 1, informations prises par le conseiller et procureur général dans la ville d’Anvers sur les faux-monnayeurs, déclaration de Jean-Baptiste Derez, 27 juillet 1723. Idem.
85
La monnaie aux mains des banquiers
Baetens affirmait que de 1720 à 1723, près de cinquante millions de florins en espèces d’or seraient passés ainsi en France. Il opérait notamment le dimanche, comme ce jour du Saint-Sacrement où « le matin, pendant la Grand-messe », il battit 400 pièces sous les yeux du témoin et receleur Jacob Goemare273. Les banquiers Devos, Vandaele, de Clé, agissaient pareillement. En tout, Hemptines mit en accusation 25 personnes pour fabrication de pistoles au double LL, 8 complices directs des « fabricateurs », et 25 autres personnes pour avoir négocié les matières et être entrées en correspondance avec ces faux–monnayeurs.274 Faux-monnayeurs anversois de louis au double LL274 Nom
Fonction dans le réseau
Métier initial
ANDRIENSSENS Adrien
Teneur de livres des faux-monnayeurs
BAETENS Hubert et Lambert, frères
Fabricant de pièces
Banquiers
BAL Gilles
Fournisseur de matière
Mercier et marchand
BOTEROL BUNEL
Marchand
CANNEKENS CARPENTIER Pierre
Fabricant de pièces
CLE Pierre de
Fabricant de pièces et fabricant de plates
COGELS
Caissier du faux-monnayeur Carpentier
COOLENS Adrien
Fabricant de pièces et transporteur
Banquier
COOVERS Alexandre
Messager
DEBESCHE Jean-Baptiste
Orfèvre
DEVOS
Fabricant de pièces
DONCKER Jean de
Caissier
GENDARME Jean
Fabricant de pièces
fondeur
GILBERT Jean-Pierre
Fabricant de pièces
Vendeur de verres
HAECK Charles
Receleur
273 274
86
Banquier
Idem, déclaration de Grégoire Danckaert, 24 février 1724. A partir des listes contenues dans les dossiers 9 et 10 du carton G2 220 des archives nationales de Paris.
Les fabriques anversoise et liégeoise de fausse monnaie Nom
Fonction dans le réseau
HELLIN Antoine
Fabrique et négoce de plates
HELLIN Noé
Receleur
HUYBRECHTS Martin
Fabricant de pièces
Métier initial Banquier
Marchand d’étoffes
JANSSENS
Cipier du consistoire
LAGAES
Vendeur de pommes
LANWERYSSENS LAROSE Jacques
Fournisseur
marchand
LAVIGNE Cornille
Fabricant de pièces
Orfèvre
LENAERT Pierre
Receleur et fournisseur de matières
Marchand
LIESSY
Receleur
Tireur d’or
MATTHYSSENS MERTENS Jacques
Orfèvre
MEVIS Jacques NAEFF Jean de PEYTIER André
Fabricant de plates et fournisseur
POITIER, beau-frère des Hellin
Receleur
Banquier
SAEYS Charles SCHARENBERGH Jean
Fabricant de pièces
Orfèvre
SCHRENAERTS
Fournisseur de matières
Banquier
STEPHANO Jean
Fournisseur de matières
Banquier
VANBENGHEM Jacques
Orfèvre
VANBENGHEM VANDAELE
Fabricant de pièces
Banquier
VANHEURCK Jean-Charles VAN PRUYSSENS Jean-Baptiste
Banquier
VERACHTER Jean M. VERACHTER Guillaume VIGE, beaufrère de Matthyssens VRYLINCKS
Fournisseur de matières
Banquier
ZEGERS
87
La monnaie aux mains des banquiers
Il faut bien saisir qu’un nombre considérable d’Anversois trempèrent de près ou de loin dans ces trafics, de sorte qu’il est même difficile pour l’historien d’établir toutes les complicités et de dénouer tous les fils. Voici le dénommé Cooymans, l’un des plus fameux marchands d’Anvers qui se fut engagé à battre des pistoles au soleil. Associé à son frère qui habitait Breda, ainsi qu’à Christien van Ham, habitant dans la juridiction de Sundert, également terre des Etats généraux, ce négociant était connu de tous. En novembre 1723, il rencontra chez Adrien Coolens le Receveur général des domaines, Cornille Walckiers, parfaitement au courant de l’activité du négociant. Ce Walckiers, qui faisait lui-même imprimer des plates sur la presse de Pierre Carpentier, acquit une visse à presse quand celle-ci tomba en panne. Voici encore Bernard van Rietbeeck, également anversois, qui transporta de semblables fausses pistoles au soleil. L’activité était si étendue que les Magistrats de la ville furent également soupçonnés et jusqu’au bourgmestre, de Kruyff, pour avoir chez lui une presse à imprimer les médailles. De Kruyff finit sa carrière en prenant l’habit ecclésiastique et se faisant admettre au chapitre cathédral de sa ville. Le procureur dressa la liste des complices les plus en vue, parmi lesquels on trouve l’ancien bourgmestre Kruyff, mais aussi le baron de Cloots, le pensionnaire Van Kessel, le banquier Jean Van Delft, le banquier Jacomo de Clèves, le marchand en soie Devos, le marchand de vin de Cornille de Winter, et le caissier Maes275. Le transport des louis au double L vers la France passait par plusieurs intermédiaires, parmi lesquels on trouve notamment Gérard Emmanuel de Bremaecker, brasseur et marchand à Alost. Ce dernier s’était adressé à Jean-Baptiste Derez, habitant près de Menin, pour pouvoir cacher les pistoles chez lui, moyennant la rétribution de 2 sols par pièce. Derez reçut ainsi plus de 20 000 pièces. Les valets de Bremaecker se chargeaient du transport d’Anvers à Alost, puis Derez d’Alost à Menin, et pour acheminer les pièces depuis Menin « plus avant » vers la France, à Lille, chez le correspondant Leclerc, on faisait appel à Jacob Gomaere, un marchand de laine logeant à Harlebecque276, ou bien à Grégoire Dankaert, natif de Gand277. Il arrivait que les pièces passent par Courtrai chez Abraham Debrée278. Toutes les pièces que Bremacker fit livrer et sur lesquelles il touchait ½ couronne provenaient du faux-monnayeur Baetens sur lequel 275
276 277 278
88
Idem, G2 220, dossier 20, « Noms de ceux que l’on soupçonne de coopérer à la fabrique et négoce des espèces dans ladite ville d’Anvers et que l’on pourroit bien convaincre en cas de recherche ultérieure ». AN, G2 220, dossier 1, déclaration de Jean-Baptiste Derez, 27 juillet 1723. AN, G2 220, dossier 1, déclaration de Grégoire Danckaert, 24 février 1724. Idem, déclaration de de Gérard Emmanuel Bremaecker, 28 février 1725.
Les fabriques anversoise et liégeoise de fausse monnaie
il tirait des lettres de change. L’intermédiaire lui-même finit par fuir les Pays-Bas tant il s’était endetté.
4. La fabrique liégeoise Le filon des louis au double L fut également exploité par les Liégeois. La déposition de Jean-Louis Pirson, mais aussi l’analyse de sa correspondance codée permettent de comprendre que le faux monnayeur, Nicolas Canto, chef du réseau déjà bien connu dans la principauté et au-delà, avec le dénommé Florkin, également fabricateur, travaillaient avec François Dufour, demeurant à Luxembourg comme marchand. Dufour fournissait Canto en vieux louis d’or et autres vieilles espèces tant en or qu’en argent. Celles-ci étaient refrappées dans les ateliers clandestins à Attert et à Martelange. Jean-Louis Pirson faisait la liaison279. Cet homme, âgé de 45 ans en 1725, avait été pendant de longues années le marchand commissionnaire et correspondant à Bruxelles de la veuve du gouverneur de Liège. En échange des vieilles pièces, il livrait les faux louis au double L à Dufour, mais aussi à tous ceux qui lui promettaient des lettres de change, comme le dénommé Le Coultier Le Brun pour avoir de lui des lettres de change « afin de ne pas souffrir la diminution d’espèces que le prisonnier croiroit devoir être diminuées selon le bruit commun »280 ou bien le dénommé Ingelbien : Ledit Ingelbien vouloit favoriser le prisonnier dans ses friponneries en écrivant aux banquiers de Liège ensuite des modèles de lettres lui envoyées par ledit prisonnier à raison du protest des lettres de change que lesdits banquiers auroient fait281.
Lors de sa déposition en date du 23 avril 1725, Pirson fournit la liste de ses complices282. La liste comprend les noms de Théodore Hacquier, Pierre Thomas, Henri Debruyne, habitants de Bruxelles, ainsi que les noms de Dufour et d’Ingelbien, habitants de Luxembourg. Apparaissent également dans la correspondance codée les noms de Paris de Montmartel, Andrioli, qui fournissait les flancs, Dodemont, beau-frère et complice de Hacquière, mais aussi le marquis de Rossi, Jacquet, receveur général 279
280 281
282
AN, G2 220, dossier 8, Examen du prisonnier Jean-Louis Pirson, février 1728. AGR, JM, 59 : procès-verbal de 1725. Idem. AGR, JM, 60, note sur la correspondance de Jean-Louis Pirson, commençant par : « Son Altesse sera informée que dans les lettres écrites à Jean-Louis Pirson, prisonnier… », s. d., vers 1725. AGR, JM, 58.
89
La monnaie aux mains des banquiers
des Pays-Bas, et son commis, Brocard283. Le receveur général fut accusé à la suite de l’examen d’une lettre compromettante de Brocard, en date du 17 septembre 1724, évoquant les louis au double L : Je souhaite passionnement qu’on leur donne cours comme aux croix de Malthe, tant pour le service que parce que vous en avez dans la caisse une bonne potée, comme vous le scavez. J’ai réponse que 15 machines sont vendues à ¼ d’avance et 5 au pair, mais qu’à cause de l’absence de quelquesuns, le transport n’en est pas encore fait284.
Or, le cours des espèces de louis au double L n’ayant pas été admis dans les Pays-Bas, Jacquet n’eut pu recevoir une telle « potée » dans sa recette par la simple voie du commerce. Le mot « machine », par ailleurs, fortifiait la présomption de fraude. Natif de Liège, receveur général des finances pourvu par Eugène de Savoie en 1721285, il fut finalement établi que Jean Baudin Jacquet avait donné commission à Pirson de négocier 20 000 livres à Paris, auprès du banquier Cottin, pour les rapporter à Bruxelles en espèces d’or et d’argent.
283
284 285
90
AGR, JM, 60, note sur la correspondance de Jean-Louis Pirson, commençant par : « Son Altesse … », s. d., vers 1725. AGR, JM, 61. AGR, JM, 60. Lettres patentes du 21 décembre 1721.
Chapitre 7 Les ateliers au chômage Les troubles financiers et monétaires liés aux guerres louis quatorziennes prirent fin dans la décennie 1720-1730. La reprise de l’approvisionnement en métaux d’une part – tant l’or qui prit le chemin prioritaire de l’Angleterre depuis les traité de Methuen, que l’argent capté par la France – le développement des échanges commerciaux d’autre part, inaugurèrent une période d’aisance et de stabilité. En France, la valeur légale de la monnaie définie par la déclaration du 26 mai 1726 fixant l’or à 24 livres et l’écu à 6 – soit l’espèce d’or à 740 livres, 9 sols et un denier le marc et l’espèce d’argent à 51 livres 3 sols et 3 deniers le marc fin286 – fut confirmée par la déclaration du 15 juin 1726. De là s’ensuivirent près de deux cents années de stabilité et d’heureux effets sur l’ensemble du change européen. Les souverains s’entendirent mieux pour harmoniser les valeurs monétaires de sorte que celles-ci ne subirent que de faibles oscillations. La spéculation sur les monnaies se calma considérablement. Les cours entre Paris, Amsterdam et Londres ne s’écartèrent que faiblement pendant tout le xviiie siècle. Dans ce contexte, le gouvernement des Pays-Bas confié à Marie-Élisabeth put se consacrer à la restauration des finances. Le chantier était d’autant plus colossal qu’il fallait à la fois subvenir à la subsistance des troupes de réserve, aux nécessités de la Cour, au paiement des gages des conseillers, alors même que les provinces ne payaient que très peu. En outre, les habitants des Pays-Bas devenus autrichiens devaient subir les humiliantes conditions du régime de la Barrière. À Namur, Menin, Ypres, Tournai, Furnes, Warneton, Fort de Knokke et Termonde s’étaient installées depuis 1715 les troupes néerlandaises dont l’entretien pesait également sur les finances belges. Les expédients habituels furent donc employés et l’on continua d’engager les domaines et les recettes d’une part, de recourir à la banque d’autre part. L’intermédiation bancaire se révélait être la meilleure solution pour disposer d’une trésorerie suffisante. Le commerce de banque belge prospéra d’ailleurs dans les Pays-Bas. Tributaire des conditions imposées par les grandes puissances voisines, ce commerce maintenait le souverain autrichien dans une dépendance monétaire et financière. 286
Arnaud Clairand, Monnaies de Louis XV, le temps de la stabilité monétaire, 17261774, Paris, Platt, 1996.
La monnaie aux mains des banquiers
La navigation presqu’au néant, le port d’Ostende désert, l’ancienne Compagnie des Indes, qui avoit autrefois un état si distingué dans ce port, réduite aux abois et entièrement ruinée ; le port d’Anvers annullé par la fermeture de l’Escaut depuis le traité de Münster, les Douanes viciées par les dispositions que les puissances maritimes avoient faites durant leur occupation, un subside accablant stipulé au profit des Hollandais pour la Conservation des places frontières, quoique peu acquitté, tout cela avoit réduit sur tout depuis le traité de barrières en 1715 jusques à la guerre de 1746 les Provinces autrefois les plus florissantes de l’Europe à l’état le plus délabré ; au point qu’au lieu d’un Corps raïonnant de sa propre Splendeur, ce beau Païs n’étoit plus qu’un fantôme effraïant et une possession autant qu’inutile à ses Augustes Maîtres… En 1744, le Crédit étoit si complettement anéanti que le Gouvernement se plaignoit à la Cour à Vienne qu’on ne trouvoit plus un sol sur les meilleurs fonds : on engageoit alors aux Etats et à des Corporations les revenus les plus productifs, la nécessité forçoit à faire les marchés les plus ruineux287.
L’épuisement des fonds publics ne permettait pas aux autorités d’agir sur les monnaies. L’activité des ateliers, déjà durement atteinte dans les années précédentes, devint moribonde. Pire : de nouvelles ententes frauduleuses pouvaient se former à tout moment, comme le révélera l’affaire Sotelet. Marie-Elisabeth tenta bien de restaurer les monnaies des Pays-Bas, mais le contexte ne s’y prêtait pas. L’approvisionnement des ateliers demeura très faible. Seul le billonnement des vieilles espèces de cuivre en 1744-1745 procura un regain d’activité. Bruxelles dut attendre des années plus fastes pour pouvoir s’adapter à la nouvelle évaluation des monnaies françaises. En réalité, elle n’y parvint guère avant la refonte générale de 1749.
1. Faux-monnayeurs et grâce royale Lorsque sa sœur, Marie-Élisabeth, devint gouvernante des Pays-Bas par lettres patentes du 1er septembre 1725, l’empereur Charles VI avait bien tenté quelques semaines auparavant de rétablir son autorité monétaire : le 21 avril, il supprima en effet l’évaluation des monnaies en argent courant288. Il voulut réduire en outre le louis d’or de France à 10 florins 16 patards argent de change et le ryder d’argent de Hollande à 3 florins de change. Mais l’émoi fut tel dans le pays que dès le 30 avril, soit 9 jours après la
287
288
92
HHStA, Vienne DD – Abteilung B, 85 (rote Number), Mémoire sur les Finances Belgiques, signé De Kulberg, Bruxelles, juin 1792. Cette unité courante avait été fixée en 1704 dans la proportion de 7 à 6 par rapport à l’argent de change et ce rapport restait stable.
Les ateliers au chômage
décision, l’ordonnance fut suspendue289. « Par les changemens de temps, on ne peut plus suivre les spéculations des autheurs de ces anciens Placards, quelque fois plus attachés aux rigueurs du droit canon que prevoit la nécessité »290, insistaient les Magistrats d’Anvers, soucieux de défendre les négociants de la ville qui avaient trempés dans les trafics des espèces des années 1710-1720. Le credo restait donc le même : Les espèces d’or et d’argent ne sont pas un corps assés solide qu’on puisse en enchaîner ny arrêter par placard ny par la loy la plus rigoureuse, tout aussy longtemps qu’elles ont un débit ailleurs avec le moindre avantage. Nous voyons mesme que dans tout pays de négoce, on en est si bien persuadé que le ministère ne fait pas grande attention sur l’entrée et sortie291.
Les deux monnaies de compte subsistèrent donc, témoignant de la position subordonnée des Pays-Bas dans le commerce de l’Europe du Nord-Ouest. Marie-Elisabeth et les trois conseils collatéraux rétablis le 19 septembre 1725 durent composer avec cette réalité. Le rétablissement de l’autorité passait avant tout par la liquidation des réseaux de faux-monnayage qui avaient sévi durant le gouvernement du marquis de Prié. Désigné gouverneur des Pays-Bas en février, le comte Wirich de Daun ordonna le 14 avril 1725 de prendre les informations préparatoires « à la charge des personnes qui auroient eu la témérité de contrefaire des espèces tant dans la ville d’Anvers qu’ailleurs »292. Il nomma deux commissaires du Conseil de Brabant et exigea que ce procès criminel fût traité « avec toute la diligence possible »293. À la suite des enquêtes menées par Hemptinnes, procureur général du Brabant294, les sentences tombèrent : le Conseil du Brabant décréta de nombreux bannissements et confiscations de biens. Les fabricants proprement dit furent exécutés à l’huile et eau bouillante et leurs biens confisqués et vendus. Hubert Boetens et Adrien Coolens furent dans ce cas. Les biens de ce dernier devaient rapporter 90 000 florins. Pierre Carpentier, condamné également le 8 mars 1726 « à être exécuté par le chaudron dans de l’huile et eau bouillante avec confiscation de tous ses biens », prit la fuite et ne fut condamné qu’en effigie, tandis que les autorités tentèrent de récupérer au 289
290 291 292
293 294
Dès le 11 Mai 1725 : les louis de France furent uniformément portés à 11 florins de change ou 12 florins 16 ½ sols argent courant. AGR, JM, 58, Représentations, 1725. AGR, JM, 46, lettre, s. d., vers 1722. AGR, JM, 60, lettre de Wirich Philippe Laurent, comte de Daun, prince de Thiano, 14 avril 1725. Idem. Il s’agit de Guillaume François Joseph, baron de Hemptinnes, décédé en 1766.
93
La monnaie aux mains des banquiers
profit du roi le produit de la vente de ses meubles, soit 87 278 florins295. Toutefois, le Conseil fut vite encombré par les affaires et ne parvint pas à traiter rapidement tous les cas296. Par ailleurs, les faux-monnayeurs constituant pour partie la fine fleur de la banque et de la marchandise, il paraissait difficile de condamner tous les protagonistes sans porter un coup fatal au négoce belgique. À Anvers, les hommes d’affaires firent valoir les privilèges de la ville : Ses souverains ont toujours usé de douceur et de modération envers les marchands, les ont rassurés par divers privilèges, notamment le Duc Jean… dans lequel entre autre il est dit que les inhabitans d’Anvers ne pouroient etre en droit devant autres juges que de leurs loix297.
Ils rappelèrent le résultat des recherches trop rigoureuses qui avaient été faites contre eux entre 1605 et 1608 : « la contrainte faite aux négocians pour l’exhibition de leurs livres au fait du commerce aux Indes orientales, a chassé les principaux négocians de la ville d’Anvers vers les ProvincesUnies »298. Dès lors, et à la suite des arguments du Magistrat de la ville plaidant en faveur de ses bourgeois, la plupart des condamnations furent commuées en simples amendes par des actes de grâce rédigés entre mai et décembre 1725299. Ces condamnations furent particulièrement élevées pour les « fabricateurs », relaxés de prison à charge de payer de fortes sommes : Guillaume Joris, gracié le 20 mai, fut taxé à hauteur de 84 000 florins – reçus de Mathias Nettine – Nicolas Joseph Madou 50 000 florins, Jean-Pierre Gilbert 42 000 florins – que les autorités reçurent également par l’entremise de Mathias Nettine – Charles Acquart, 22 000 florins. Cornille de Winter apparaît dans la liste des taxés pour 10 000 florins, Jean-Baptiste Debesche pour 7 000, Jacques Mertens pour 6 000, Martin Huybrechts pour 4 000… La plupart des banquiers ne furent pas inquiétés : Charles Triponetti obtint par exemple la s urséance 295
296
297 298 299
94
Ordonnance du 24 avril 1726, publiée par M. P. Génard, Mémoire, op. cit., p. 161-162. En décembre 1725, Antoine-Joseph de Herzelles, membre des états du Brabant, fit parvenir à Vienne un « Mémoire où l’on donne une idée de l’impossibilité où se trouve le Conseil de Brabant d’administrer la justice aussi promptement que les loix l’ordonnent ». 4 908 procès étaient en cours. Voir Mortier Roland, Hasquin Hervé éd., La haute administration dans les Pays-Bas autrichiens, in Etudes sur le xviii e siècle, vol. XXVII, Bruxelles, éditions de l’université de Bruxelles, 1999, p. 58. AGR, JM, 58, Remontrances du Magistrat d’Anvers, 22 septembre 1725. Idem. AN, G2 220, Actes de grâce, et AGR, JM, 58 et 61.
Les ateliers au chômage
de toute poursuite, tandis que Pietro Proli s’en sortit avec un acte de silence établi le 3 octobre. Tous voulaient recouvrer leur honneur pour reprendre les affaires licitement. Mieux : Guillaume Joris et Jean-Pierre Gilbert n’hésitèrent pas à se proposer comme adjudicataires de la Monnaie d’Anvers en 1727. De même à Liège, le nouveau prince, Georges-Louis de Berghe, prit des mesures fermes, par contraste avec son prédécesseur. Il fit arrêter Pirson le 21 février 1725. Celui-ci fut banni de Liège pour trente ans. Le comte Wirich de Daun fit également procéder contre de nombreux Liégeois, y compris les plus hauts placés comme le receveur général Jean Baudin Jacquet300. Il y avait suspicion de fraude. Le prince de Liège ne manqua pas de transmettre les pièces à Daun qui, sans information préparatoire d’aucun corps de justice, sans décret d’aucun conseil, donna les ordres de prise de corps et de saisie des effets contre le receveur général et son commis, Brocard, tant à Bruxelles, Malines qu’à Ypres301. À Liège comme à Bruxelles, la volonté politique de mettre radicalement fin aux activités des « recogneurs d’espèces de France » s’abattait sur le monde des affaires. En 1726, suivant en cela l’exemple de Charles VI qui résolut de condamner les faux-monnayeurs à la pendaison par le placard du 21 janvier, Georges-Louis de Berghe confirma l’impossibilité d’invoquer de quelconques privilèges pour empêcher l’arrestation d’un faux-monnayeur, l’interdiction de posséder presses, balanciers et coins servant à la fabrique des monnaies. Il appela à la dénonciation en promettant cent écus, outre le tiers des espèces confisquées. Le chef du réseau, Nicolas Canto, fut arrêté en décembre 1726302. Bien des zones d’ombre demeurent néanmoins sur les principes de droit à partir desquels les sentences ont été prononcées. Il ne fait pas de doute que la défense de la monnaie belge engagea les juges à aménager les peines. C’est au cœur même de l’administration des Pays-Bas que l’indulgence logeait car l’agressivité de la monnaie française restait un handicap majeur pour l’économie. La tentation de produire de la monnaie à l’imitation de la française demeurait. À la fin de l’année 1726, le marquis de Rialp303 et le baron Adam-Joseph de Sotelet signèrent ainsi 300 301 302
303
AGR, JM, 60. Lettres patentes du 21 décembre 1721. Idem, Remontrances du 30 octobre 1725 et placet du 8 février 1726. Bruno Demoulin, « Le faux-monnayage dans la Principauté de Liège au temps de la Régence 1715-1726 », Bulletin de l’Institut archéologique liégeois, t. CIV, 1992, p. 335-342. Le décret impérial du 21 janvier 1726 est publié par M. P. Génard, Mémoire, L’hôtel des monnaies d’Anvers, 1872, p. 162-163. Le marquis de Rialp, don Ramon de Vilana Perlas (1663-1741) était le chef de la Secrétairie d’Etat espagnole à Vienne. Il servait d’intermédiaire entre
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une convention pour la fabrique de monnaies d’or « pareilles à celles qui seront battues en France »304. Sotelet avait toute latitude pour se fournir en matière précieuse et faire verser les fausses monnaies partout où il lui semblerait bon, mais il devait supporter les dépenses de l’opération. Les profits, en revanche, devaient être partagés à parts égales avec le souverain. Cette convention resta lettre morte car la réformation monétaire française de 1726 produit des effets positifs sur le commerce européen. Il n’en demeure pas moins que Sotelet engagea des dépenses et immobilisa des sommes pour l’opération pendant près de deux ans. Comme en 1718, l’acteur de cette fabrication frauduleuse dut se fournir secrètement en matière, se munir des instruments nécessaires, s’entourer de personnes compétentes, tant ouvriers que courriers. Dans quelle mesure Marie-Elisabeth fut-elle mise au courant de cette convention supervisée par son frère depuis Vienne ? Il est difficile de le savoir. En tout état de cause, elle ne parvint pas à défendre le baron lorsque celui-ci fut appréhendé par le Magistrat de Bruxelles pour divers faits de concussion qui lui était reprochés. Sotelet, en possession de la convention compromettante, négocia un sauf-conduit305. De même, Marie-Elisabeth accorda au receveur Jacquet un sauf-conduit de sa personne le 30 octobre 1725 et la main levée sur ses effets le 8 juillet 1726306. Jacquet avait opportunément rappelé l’état de ses services, ses avances pour le financement des troupes de Charles VI, pour lesquelles on lui devait toujours 120 000 florins, mais aussi le paiement de 100 000 florins pour sa charge de receveur, autant de secours pour les besoins pressants de l’empereur. La gouvernante avait également absous les commanditaires Théodore Hacquier et François Dufour. Tout ceci se comprend si l’on veut bien rappeler que les Pays-Bas ne réagirent que tardivement à la nouvelle situation du change en Europe.
304
305
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l’empereur Charles VI, dont il était intime, et le Conseil suprême des Pays-Bas. Voir La haute administration dans les Pays-Bas autrichiens, op. cit., p. 47. Convention reproduite dans Georges Bigwood, « Fabrications clandestines de monnaies d’or françaises sous Charles VI dans les Pays-Bas autrichiens », Revue belge de numismatique, Bruxelles, 1903, p. 372-374. Idem. Par la suite, le baron de Sotelet fut appréhendé pour avoir détourner les fonds de la caisse des droits d’entrée et de sortie. Il fut jugé par le Grand Conseil entre 1737 et 1741. AGR, JM, 60, ordres du 30 octobre 1725 et du 8 juillet 1726.
Les ateliers au chômage
2. L’invasion des ducats de Hollande et l’évidement argentifère Par son nouveau tarif du 31 juillet 1725 en effet, les États généraux des Provinces-Unies avaient rendu le négoce des matières et espèces parfaitement libre de droits. On permet en Hollande à tels et autres négocians de garder chez eux dans la bancque lesdits matières et espèces d’or et d’argent et de négocier avec y eux sans qu’ils soyent obligé de les livrer dans leurs monnoyes307.
Les négociants hollandais n’étaient pas dans l’obligation de porter les espèces billonnées et les matières dans les ateliers et prenaient sur ces marchandises l’agio du marché, ce que ne pouvaient faire les négociants belges. Ceux-ci souhaitaient donc revenir à la législation de 1686 de Charles II. À Anvers, Bruges, ou Gand, certains négociants avaient des intérêts dans les flottilles et galions d’Espagne, mais aussi dans la compagnie des Indes occidentales hollandaise, qui bénéficiait du tarif de 1725308. D’après les informations livrées par les capitalistes des villes belges, les navires hollandais rapportaient pas moins de deux millions par an, argent comptant, par le trafic frauduleux qu’ils faisaient sur les côtes américaines, ce qui rendait encore les matières d’or et d’argent surabondantes en Hollande309. Sur la question des matières d’abord, les conseillers de la Chambre des comptes associés aux maîtres généraux des Monnaies se prononcèrent en juillet 1726 pour la hausse des prix du marc d’or et d’argent et la libre sortie des espèces. « On n’est pas unanimement, mais par pluralité des voix tombés d’accord »310. Ils avançaient plusieurs raisons. Ils craignaient notamment qu’en continuant de défendre la sortie des matières et billons, « on appréhende de degouter les marchands et que par là ils continueroient les envoyer pour leur compte en Angleterre ou Hollande »311. Tant que le prix des matières n’était pas rehausser, il fallait s’attendre à voir partir les meilleures d’entre elles. Le libre commerce des matières précieuses, associé à un prix attractif de celles-ci dans les Pays-Bas, garantirait donc, par le biais de ces capitalistes, un meilleur approvisionnement des hôtels de Monnaies belges.
307 308 309 310 311
AGR, JM, 18, chapitre 4. AGR, JM, 18, chapitre 4. Idem. AGR, JM, 195, avis du 31 juillet 1726. Idem.
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Pour leur sauver de l’interest qu’ils souffriront par l’attente et l’incertitude de la vente à plus juste prix, remetteront leurs matières dans nos monnoyes (comme il arrive en Hollande, en France et en Angleterre) sinon par grand quantité à la fois, du moins par des différentes parties convenables pour faire une ou deux fontes ou livrances ordinaires312.
Charles VI resta ferme toutefois. S’il voulut bien admettre avec les négociants que vis-à-vis de l’Angleterre ou de la Hollande, la liberté de négoce des matières pouvait présenter un risque faible, il craignait que des mesures trop libérales ne mettent de nouveau les Pays-Bas sous le joug de la France. Tout au plus accorda-t-il quelques aménagements pour le transit : le 25 septembre 1725, il autorisa le passage des espèces de Hollande en France et de France en Hollande313. C’était là les prémisses encourageantes de la convention de La Haye signée le 24 novembre 1733 par laquelle la France et les Provinces-Unies admirent la neutralisation des Pays-Bas autrichiens. De même, le 6 octobre 1733, les habitants de la principauté de Liège obtinrent le libre transit des monnaies d’or et d’argent avec la province de Limbourg, moyennant les autorisations en bonne et due forme. Le 5 avril 1734, les habitants de Namur reçurent quant à eux le même droit que ceux du duché de Luxembourg, c’est-à-dire la possibilité de transporter des espèces d’or et d’argent nécessaires à leur commerce en pays étrangers libres de tout droit314. Ces autorisations ne mettaient pas en cause la loi générale qui interdisait aux Belges la libre disposition des matières précieuses. Le problème tenait par ailleurs dans l’évaluation du ducat de Hollande. Cette pièce était reçue dans les Pays-Bas pour la valeur de 5 florins et 19 patars le ducat, alors que sa valeur intrinsèque était moindre, considérablement altérée315. Les ducats légers proliférèrent dans les villes belges, tandis qu’en Hollande, ils étaient reçus au poids, l’or et l’argent y étant marchands. Jusqu’à la refonte de 1749, les marchands spéculèrent sur ces ducats légers au détriment de l’argent qui quittait le territoire. Les marchands banquiers et autres livreurs reçoivent à la monnoye de Hollande septante et un ducats pour le marc d’or et les reçoivent à 5 florins argent de banque. Ils les débitent icy à 17 escalins et ainsi à 5 florins et deux sols argent fort la pièce et par conséquent, sur le simple transport desdits septante et un ducats, gagent 7 florins et deux sols argent fort. Malgré ce gain exorbitant, ces ducats ne nous viennent pas gratuitement. Il faut qu’ils nous viennent en eschange de quelque chose. Ce n’est pas en échange des denrées316. 312 313 314 315 316
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AGR, JM, 18, chapitre 4. AGR, CF, 4538. AGR, CF, 4538, année 1734. AN G2 213, dossier 33, « Mémoire sur la valeur des ducats », vers 1745. AN, G2 220, dossier 23, Avis de l’intendant général des Monnaies, 27 février 1744.
Les ateliers au chômage
La balance commerciale des Pays-Bas avec la Hollande était déficitaire. Rappelons que l’article 26 du traité de la Barrière (15 novembre 1715) figeait les droits d’entrée et de sortie aux tarifs tels qu’ils avaient été fixés avant la fin de la guerre, notamment par le traité de Münster du 30 janvier 1648 entre Philippe IV et les états généraux des Provinces-Unies. Cette disposition pénalisait à long terme les manufactures des pays méridionaux. La raffinerie du sucre par exemple, pratiquée à Anvers, dut souffrir le développement de cette activité en Zélande. Dès lors que les bâtiments furent terminés, les états-généraux voulurent augmenter les droits de sortie sur le sucre non raffiné. Le Magistrat d’Anvers poussa le gouvernement de Bruxelles à répliquer en haussant les droits d’entrée sur le sucre blanc, sachant bien que les ennemis opposeraient la convention de la Barrière317. Nul changement ne pouvait être opéré, sans l’accord express des puissances contractantes, indiquait le traité. Toutefois, La Haye ne se priva pas d’enfreindre ces règles commerciales en modifiant ses propres tarifs le 31 juillet 1725318. Ce déséquilibre commercial généra naturellement un déséquilibre monétaire au profit des Provinces-Unies. La balance commerciale des Pays-Bas avec la Hollande étant déficitaire, les ducats d’or entraient donc aux dépens des espèces d’argent. Le change était entièrement au désavantage des Belges qui craignaient qu’entre la surabondance de l’or et les petites espèces de rebut incapables de soutenir le commerce, les Pays-Bas ne soient vidés de ces bonnes pièces. Valéry Janssens a déjà soulevé la question centrale de ce rapport défectueux de l’or et de l’argent qui pesa si fatalement sur les moyens de paiement319. L’économiste va même jusqu’à attribuer à ce défaut les difficultés commerciales de la région. Mais il faut également imputer l’évidement argentifère des Pays-Bas durant cette période aux charges militaires qui pesaient sur 317 318
319
AGR, JM, 46, Rapport, 17 juin 1722. Ce n’est qu’après la guerre de Succession d’Autriche que seront prises les premières mesures pour échapper à ces contraintes. Le paiement du subside cessa, ce qui fit réagir les Provinces-Unies. Lorsque Joseph II fit valoir ses prétentions sur les limites de la Flandre, les États généraux rétorquèrent qu’ils n’avaient jamais renoncé au traité. D’après eux, l’Empereur leur devait 2 122 859 florins argent de Hollande rien que pour les arrérages dus jusqu’en 1744, mais aussi 1 250 000 florins pour couvrir la période 1744-1748 inclusivement, et encore 10 millions pour la période 1749-1756. AEE, Mémoires et documents, Autriche 12, pièce 12, f° 134, « Extrait du registre des résolutions des États généraux des Provinces-Unies, 13 juillet 1784 ». Valéry Janssens, Het Geldwezen der Oostenrijkse Nederlanden, Verhandelingen van de koninklijke Vlaamse Academie voor wetenschappen, letteren en schone kunsten van België-klasse der letteren, n° 29, Bruxelles, 1957.
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ce territoire, non plus tant celles de la barrière, mais bien celles qu’exigeait Vienne en guerre contre la France. La caisse de guerre devait être remplie et Charles VI ne disposant pas de moyens suffisants, eut largement recours aux capitaux hollandais. Déjà en 1733, il avait sollicité pour 2,5 millions de florins, en 1734 pour un demi-million et en 1736 pour 3,5 millions. Ces emprunts furent hypothéqués sur les revenus des duchés de la Haute et Basse Silésie. Ainsi, non seulement les Hollandais faisaient du profit sur les Pays-Bas grâce à leurs ducats surévalués échangés contre les espèces belges coursables, mais en outre, « ils transmettaient ces espèces en payement de ladite courteresse des denrées à la réquisition de ceux qui en sont chargés et profitent encore la provision de change ». Marie-Elisabeth d’Autriche voulut mettre les négociants des ProvincesUnies sur le même pied que les autres nations commerçantes. Ils ne devaient plus trafiquer avec les sujets belges en toute impunité sous couvert de réciprocité commerciale. Les consignes furent donc renforcées pour contraindre les marchands à déclarer leurs espèces. Les saisies à la frontière se multiplièrent. Le batelier Jean Speck Beurtman, fixé à Amsterdam, se plaignit en 1735 de la saisie des 262 florins monnaie de Hollande trouvée sur son bateau ; Joos Jurien fut pris par les officiers du fort de Saint-Philippe avec plusieurs pièces billonnées : des florins de Hollande, 56 pièces de 28 sols chacune, 2 ducatons de Hollande et 2 patacons en espèces de 48 sols de change, toutes cachées sur son bateau ; David Elecoert, bourgeois de Gouda, ne fut pas plus heureux, tandis que le marchand François Vlieger, parti vers le sas de Gand pour passer en Hollande avec 800 florins placés dans trois sacs cachés dans sa camisole ou dans ses culottes, fut pris à Selsate320… Ses sacs contenaient, pour le premier : 54 écus de Zélande en espèces, 2 écus en espèces, 2 ½ ducatons en espèces, 3 pièces de un florin de Hollande, 5 ½ écus en pièces de deux escalins dit quartiens, 10 pièces de cinq sols et demi de Hollande, 3 escalins de Hollande et 2 sols de Hollande ; pour le second sac : 24 ducats en espèces, 21 ½ pistoles en espèces, 12 ½ guinées en espèces et 2 mirlitons ; pour le troisième sac : 8 écus de Zélande, 6 écus en pièces de 2 escalins dit quartiens et 3 quartiens, une pièce de 28 sols de Hollande, une pièce de 30 sols de Hollande également, 2 pièces d’un florin de Hollande en espèces, 4 pièces de cinq sols en demi de Hollande, une pièce de six sols de Hollande et 17 sols et trois duyt en dobbletiens et sols de Hollande. Les sacs contenaient plus d’argent que d’or. De même, Marie-Élisabeth dut confrontée à la question de l’évaluation des espèces françaises.
320
AGR, CF, 4538.
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Les ateliers au chômage
3. La Jointe des Monnaies de Marie-Élisabeth (1730) Bien que depuis 1726, « la France faisait profession de ne point altérer l’alloy ou titre de ses espèces », Bruxelles demeura très soupçonneuse vis-à-vis des louis. Aussi longtemps que les François fabriqueront leurs différentes espèces de monnoye au même titre sans avoir égard aux évaluations extravagantes qu’ils leurs donnent, on peut toujours les recevoir par poids, sans se méprendre et sans en perdre l’occasion par la longueur des essais en réglant le prix du marc et en déduisant un douzième321.
À partir de 1729, les louis s’introduisirent illicitement dans les provinces méridionales. La ville de Tournai alerta Marie-Élisabeth sur l’introduction clandestine des espèces de France et la nécessité de fixer les espèces d’or et d’argent « aux coings de Louis XV, roi de France »322. En mars, la gouvernante ordonna les essais à partir des marques prises dans le public. Ceux-ci révélèrent une valeur intrinsèque inférieure. Les deux maîtres généraux des Monnaies, Jean-François Dewael et le baron de Clauwez, accusèrent dès lors le pays voisin d’avoir « pris goût à l’avantage qu’elle [la France] trouve à tirer nos bonnes espèces vers elle et à les remplacer par des espèces moins bonnes »323. Pour limiter l’agiotage, plusieurs possibilités s’offraient au gouvernement. Il pouvait rendre les espèces de France coursables ou bien réviser le prix des matières. Ne fallait-il pas évaluer les matières « comme on en paye en Hollande et autres Etats de l’Europe et laisser l’entrée et la sortie desdites matières libres pour engager par ce moyen les marchands à faire le retour desdites matières en ce Païs, au lieu qu’à présent ils le faisoient passer en Hollande »324 ? Comme toujours, c’était là le point de vue des négociants d’Anvers. La question des espèces de France fut débattue en suivant la procédure décisionnelle habituelle : avis des maîtres généraux, avis de la Chambre des comptes et finalement consulte du Conseil des finances qui jugea plus opportun de repenser la fabrique des monnaies des Pays-Bas pour lutter contre les espèces étrangères, tant ducats de Hollande que louis de France. On connaît la mise en œuvre de la Jointe des Monnaies de 1749, mais l’on ne sait rien des projets de la sœur de Charles VI. Si l’on en croit la copie authentique d’une lettre du 11 mars 1730 de la main du comte de 321 322
323 324
AGR, CF, 8635, mémoire du 22 novembre 1727. AGR, JM, 195, remontrances du Magistrat de Tournai, janvier 1729 et décret de Marie-Elisabeth du 11 mars 1729. AGR, JM, 195, avis des maîtres généraux, 29 avril 1729. Idem.
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Baillet, chef président du Conseil privé, la gouvernante établit une Jointe de cabinet pour « la fabrication des espèces, tant grosses que petites, et tant en or qu’en argent, au coin et armes de Sa Majesté »325. Il faut dire que la fabrique des espèces était alors au plus bas. Seul l’atelier d’Anvers fonctionnait, dirigé à partir de 1727 par François Charles van der Borcht, Augustin Charles Wautier et Pierre van Vreckem. Le premier fut même très étonné lorsqu’une personne vint le 4 novembre 1729 livrer pour 10 marcs et 7 onces de billon d’or326. Le maître particulier suggéra de lui laisser le seigneuriage, pour encourager d’autres livraisons. La Jointe se réunit une fois dans le courant du mois de mars pour entendre le maître général des Monnaies, le baron de Clauwez327, sur le projet de réduction des escalins. Le projet de réduction des demi-escalins, nombreux et presqu’entièrement usés, visait à se débarrasser de cette « espèce odieuse » en définissant sa valeur courante en dessous des cours voisins afin de la faire sortir des PaysBas328. Marie-Élisabeth voulait tenir ce projet secret. Si au contraire on diffère à réduire lesdites pièces de trois sols, qu’on défende la sortie et qu’on permette l’entrée, c’est-à-dire si on laisse plus longtemps les choses comme elles sont, le peuple surchargé de cette espèce en va être accablé, toutes celles qui sont en Hollande vont rentrer ici à notre perte329.
Toutefois, les avis divergeaient sur l’importance de la réduction. Amener les demi-escalins à deux sols et demi, soit un gigot en dessous du cours hollandais330, était tentant, mais peut-être inutile car les demi-escalins étaient surtout monnaie du peuple, et non des banquiers, de sorte que le projet de profiter de l’agio sur le change ne semblait pas correspondre à la réalité de l’usage desdites espèces. Contre l’avis des maîtres généraux des Monnaies, Clauwez et van der Borcht, le chef-président du Conseil privé suggéra plutôt le décri progressif en faisant porter ces pièces d’abord à 3 sols et un liard, puis trois sols, avant de les billonner définitivement, pour éviter que le public ne murmure331. Le président pensait aussi empêcher la contestation des soldats qui, payés en escalins et demi-escalins, auraient eu à souffrir d’une réduction trop précipitée de deux liards. D’une telle 325 326 327
328 329 330
331
AN, G2 220, dossier 17, Mémoire du 11 mars 1730. Alphonse de Witte, t. 3, op. cit., p. 262. Sur Charles Joseph Thomas de Clauwez de Bruyant, voir la notice de Claude Bruneel, Les grands commis du gouvernement, op. cit., p. 166-168. AN, G2 220, dossier 17, Mémoire du 21 mars 1730. Idem. Du moins, les demi-escalins avaient été réduits à ce cours dans la mayerie de Bois-le-Duc, petit canton du Brabant hollandais comprenant 15 à 16 villages. Idem.
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Les ateliers au chômage
réduction, on pouvait espérer la sortie des espèces vers le pays de Liège où elles avaient cours à hauteur de 5 sols. Vis-à-vis du seigneuriage, le nouveau système monétaire que les maîtres généraux des Monnaies conçurent prévoyait des droits élevés certes, « pourvu que l’augmentation ne se doive soustraire de la valeur intrinsèque des pièces au dépens du public »332. Il importait de revenir à des proportions raisonnables. Au début du xviiie siècle, les droits s’élevaient comme suit : Seigneuriage sur les monnaies des Pays-Bas entre 1680 et 1707333334 Monnaie d’Anvers Espèces
Droit ordinaire par marc fin (en monnaie de compte)
Souverains d’or au marteau
37 sols et 40 mites, puis 31 sols334
Souverains d’or à la presse (1692-1696)
46 sols et 16 mites
Patacons d’argent
1 sol 15 mites, 10 mites
Sols d’argent
8 sols, puis 6 sols, puis 3 sols et 12 mites
Liards (cuivre)
1 sol (en réalité, variable de 2 à 4 sols et jusqu’à 16 sols)
Gigots (cuivre)
1 sol (idem ; par ex, en 1701 : 2 sols 4 mites)
Ducatons (argent)
33 mites, puis 1 sol et 15 mites
Escalins (argent)
1 sol 15 mites
Pièces de Quatre sols
14 sols, puis 12 sols Monnaie de Bruxelles
Souverains d’or au marteau
37 sols et 40 mites, puis 31 sols
Souverains d’or à la presse (1692-1696)
40 sols et 16 mites
Ducatons (argent)
33 mites, puis 1 sol et 39 mites
Patacons d’argent
10 mites, puis 1 sol 16 mites
Liards de cuivre
1 sol
Sols d’argent
8 sols
332 333 334
AN, G2 220, dossier 20, Mémoire récapitulatif de 1729. AN, G2 220, dossier 20, mémoire récapitulatif de 1729. Sols et Les mites sont des unités de compte en usage en Flandre et en Brabant. Voir Alphonse de Witte, Histoire monétaire du Brabant, t. 3, Anvers, 1899, p. 9.
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La monnaie aux mains des banquiers
Serge-Christophe Kolm avance l’hypothèse du développement des monnaies papier pour expliquer l’abandon du droit de seigneuriage335. Si l’assertion peut être valable pour l’Angleterre, elle nous semble moins solide pour les Pays-Bas où l’abandon fut plus progressif et doit être analysé comme un moyen de drainer les matières vers les ateliers. Lorsqu’en 1717, le gouvernement bruxellois renonça au droit de seigneuriage sur les livraisons comme sur les ouvrages des orfèvres au moment de fabriquer dans les trois ateliers de Bruxelles, Anvers et Bruges en tout cent mille marcs – en tirant 64 pièces du marc, soit un bénéfice de 22 500 florins à raison de 4 sols ½ par marc – ce fut bien pour accroître l’attrait des PaysBas sur les matières d’or et d’argent qui manquaient cruellement336. Les maîtres de Monnaies, toujours conservateurs, tentèrent bien de rétablir ce droit, mais les conseillers du gouvernement ne suivirent pas leur avis. En 1725, le maître général de la Monnaie de Bruxelles, Wautier, suggéra une nouvelle fabrique de pièces « par laquelle fabrique Sa Majesté puisse récupérer son droit seigneurial qu’il a cÿ devant si benignement glissé au profit des livreurs »337. En vain. Les maîtres s’étonnèrent encore dans les années 1730, que l’empereur Charles VI ne disposât pas de ce droit « inséparable de la souveraineté »338. On voit par-là que l’abandon du seigneuriage devint la règle au xviiie siècle. Les bienfaits de la stabilité engagée par la loi monétaire française du 15 juin 1726 commencèrent à être perçus par les économistes comme Jean-François Melon ou Nicolas Dutot, unanimes à condamner les mutations. « Les Monnoyes sont la mesure qui règle la valeur des biens echangez, affirma ce dernier, et par consequent il ne faut pas plus y toucher qu’aux autres mesures »339. Le chevalier de Jaucourt, infatigable homme des Lumières, eut sur ce point un avis qui reflétait l’opinion générale :
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337 338
339
Serge-Christophe Kolm, « Fondements de l’économie monétaire normative : seigneuriage, liquidité externe, impossibilité de rémunérer les espèces », Revue économique, vol. 28, n°1, 1977, p. 1-35. En 1665, soit un an avant la loi de 1666, l’Exchequer émit des billets à ordre. AGR, JM, 46, lettre des gens de Monnaies aux conseillers des fiances, 3 août 1717. AGR, JM, 195, lettre de Wautier, 22 octobre 1725. AN, G2 220 ; dossier 18, Copie authentique de la requête présentée à son Altesse Serenissime au sujet du droit de Régal sur les ouvrages des orfèvres », 1730. Nicolas Dutot, Réflexions politiques sur les finances, t. 2, La Haye, 1738, p. 452.
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Les ateliers au chômage
L’Angleterre ne prend aucun profit du seigneuriage ni du brassage sur la monnoie ; la fabrique est défrayée par l’État ; & c’est une excellente vue politique340.
De fait, les frais de fabrication des monnaies étaient assignés sur les droits prélevés sur les vins, vinaigres, cidres, bières, eaux de vie et eaux fortes qui entraient dans les ports d’Angleterre. De même, le gouvernement des Pays-Bas considéra qu’on ne pouvait plus profiter du seigneuriage et qu’il fallait y renoncer, à l’imitation de l’Angleterre, ou bien de la Hollande « où l’on se contente des frais de fabrication »341. Il fallait que le livreur qui porte la matière aux hôtels fût payé le juste prix. Le monnayage devait être considéré comme « une fabrique » pour laquelle « on ne peut regarder comme revenu net que ce qu’il y a de bénéfice », lit-on dans une note de 1783342. À cette époque, la réforme comptable engageait les administrateurs à calculer le « produit net » du monnayage selon les préceptes économiques nouveau. Le calcul donna cette année-là une évaluation de 5 000 florins.
Conclusion de la deuxième partie L’histoire monétaire des Pays-Bas méridionaux entre 1690 et 1725 en dit long sur la véritable nature de la souveraineté monétaire. Forts de leurs privilèges en tant que bourgeois de la ville, à l’abri de toute tentative de recherche quant à la provenance de leurs fonds, les banquiers d’Anvers définirent la politique monétaire en lieu et place du souverain. Déjà dans les années 1670, ils s’étaient farouchement opposés, via le corps de ville, à la réduction des escalins recherchée par le Conseil des finances, craignant les incidences sur leurs trafics avec les Provinces du Nord. À partir de la guerre de la Ligue d’Augsbourg, ils prirent les choses en main. Certes, la période était politiquement troublée. Les mesures d’assainissement entreprises depuis Madrid par Charles II furent battues en brèche par la reprise des conflits dans le nord-ouest de l’Europe. Les guerres successives, les incertitudes quant à l’établissement définitif des maîtres des Pays-Bas, la médiocrité des conseillers bruxellois… laissaient le champ libre aux corps municipaux et provinciaux pour expédier les affaires. Certes, les banquiers d’Anvers, en faisant valoir le Jus gentium face au Jus monetae du prince, mobilisaient une rhétorique déjà ancienne et admise par la puissance 340
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Louis de Jaucourt, auteur de l’article « Seigneuriage » dans l’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert, 1765. Publication en ligne www.alembert.fr AGR, JM, 164, Rapport du 8 mai 1769. AGR, JM, 165, Note du 18 juillet 1783.
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La monnaie aux mains des banquiers
législative royale. Toutefois, l’épisode que nous venons de décrire met en scène des banquiers qui non seulement poursuivent leur commerce des métaux précieux, en particulier avec les Provinces-Unies, mais produisent les pièces elles-mêmes pour rétablir la justice du change. Ils deviennent donc les arbitres complets de la politique monétaire. Marie-Élisabeth, sœur du nouveau souverain, les reconnut comme tels en graciant les plus importants. Allons plus loin : un « roi de guerre », porté à l’acmé de sa puissance par la mobilisation de tous les moyens, militaires, financiers, judiciaires, de l’État, perd paradoxalement la maîtrise de sa monnaie qu’il avilit pour financer le déficit. Ce faisant, il prive le commerce des outils nécessaires à son développement. Tout en exerçant son Jus monetae, il prive les nations d’une entente commerciale, d’une stabilité des changes, d’une juste évaluation des monnaies. La souveraineté monétaire s’exerce alors de manière incomplète car elle se détourne de son objectif premier : favoriser les échanges, tant internationaux qu’internes. Piétinant le Jus gentium, le souverain affaiblit ses propres états. C’est pourquoi les banquiers d’Anvers n’eurent pas l’impression de contrevenir à l’obéissance due à leur souverain ; c’est pourquoi aussi, ils furent traités avec mansuétude, dès lors que la fausse monnaie fabriquée n’était pas assimilable au vol. En réalité, ils étaient dans leur rôle.
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Troisième partie
La réforme monétaire de 1749
La réforme monétaire de 1749
La guerre de Succession d’Autriche inaugura le règne de MarieThérèse343. Les troupes françaises occupèrent une partie du territoire, ne permettant pas à l’impératrice d’exercer pleinement et partout sa souveraineté. Il est d’ailleurs intéressant d’observer comment l’administration française agit sur les monnaies, se heurtant frontalement aux États provinciaux quand il fallut dévaluer les ducats légers. Les opérations de billonnement menées par l’intendant Moreau de Séchelles révèlent une culture financière centralisée. L’impératrice d’Autriche fut plus souple avec les corps constitués des Pays-Bas sur l’ensemble desquels elle fit valoir sa pleine autorité au terme du traité d’Aix-La-Chapelle (1748). Pour autant, elle mena des réformes de grande ampleur avec l’aide de conseillers éclairés. De nombreux secteurs, comme les impôts, les comptes, les douanes344 ou la monnaie furent concernés avec pour objectif d’optimiser les finances après la perte de la riche Silésie345. À Bruxelles, Marie-Thérèse perpétua la tradition rétablie par son père d’instaurer pour gouverneur un prince de sang, réaffirmant ainsi le lien personnel qui unissait le souverain à ses états. Après Marie-Elisabeth, Charles de Lorraine (1743-1780), beau-frère de l’impératrice, supervisa le gouvernement des Pays-Bas, recevant les instructions depuis Vienne. Le rigoureux comte Frédéric-Guillaume Haugwitz, à la tête du tout nouveau Directorium in publicis et cameralibus plaça un de ses protégés, Antonio Ottone, marquis de Botta-Adorno, comme ministre plénipotentiaire346. Celui-ci agissait avec les membres des trois Conseils collatéraux, mais aussi en liaison avec des commissions techniques d’un type nouveau, les Jointes, chargées de moderniser l’administration selon un champ de compétences spécifique. Ainsi pris forme le despotisme éclairé de Marie-Thérèse dans les Pays-Bas347.
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Jean-Paul Bled, Marie-Thérèse d’Autriche, Paris, Fayard, 2001. Moureaux Philippe, « Un organe peu connu du gouvernement des Pays-Bas autrichiens : le Bureau de Régie des droits d’entrée et de sortie », Revue belge de philologie et d’histoire, t. 44 fasc. 2, 1966, p. 479-499. Dickson Peter M. G., Finance and Government under Maria Theresia, 17401780, Oxford, Clarendon Press, 1987. Sur Botta-Adorno : J. Laenen, Le ministère de Botta Adorno dans les Pays-Bas autrichiens, Anvers, 1901. Sur le despotisme éclairé en général, voir François Bluche, Le despotisme éclairé, nouv. éd. rev. et augm., Paris, Fayard, 1969 ; Leo Gershoy, L’Europe des princes éclairés : 1763-1789. Traduit de l’anglais par José Fleury, Saint-Pierre-de-Salerne, G. Monfort, 1982 ; H. M. Scott (éd.), Enlightened absolutism : reform and reformers in later eighteenth-century Europe, Basingstoke, Londres, Macmillan,
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La réforme monétaire de 1749
La toute première Jointe qu’elle créa fut la Jointe des monnaies. Déjà par son décret du 28 janvier 1745, Marie-Thérèse avait remis en service les presses d’Anvers, Bruges et Bruxelles en faisant frapper de nouveaux liards portant d’un côté son effigie et de l’autre les mots Ad usum belgii Aut. Elle avait mis ainsi fin à près de 25 ans de chômage des ateliers et à la pénurie grandissante de menues monnaies. L’impératrice fit bien plus néanmoins : elle réforma en profondeur tout le système monétaire.
1990. Franz A. J. Szabo, Kaunitz and enlightened absolutism, 1753-1780, Cambridge ; New York, Cambridge university press, 1994.
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Chapitre 8 Le nouveau gouvernement des monnaies « À moins de faire a croitre continuellement la perte de l’Etat »348, il devenait urgent de réformer la monnaie des Pays-Bas et de faire fabriquer des espèces capables de s’imposer face aux monnaies étrangères. À l’époque où s’engage la réflexion sur cette réforme, d’aucuns considéraient qu’elle n’était pas utile. Au fond, le grand voisin du Sud pourvoyait suffisamment à l’abondance des espèces dans les Pays-Bas, via les services de Madame Nettine, jugeaient-ils, et point n’était besoin de restaurer la fabrication de monnaies belgiques. Les réformateurs, à l’inverse, craignaient le tarissement de la circulation, parce que la France, d’une part, ne procédait plus comme autrefois au billonnement de ses monnaies, et d’autre part, disposait vis-à-vis des Pays-Bas d’une balance commerciale largement positive. À lire les conseillers de l’époque, on mesure à quel point leur esprit était encore modelé par l’idée que le commerce devait être subordonné à la raison d’Etat, et non l’inverse : pour pallier la décadence monétaire, trouver les matières nécessaires à la fabrication des espèces, il fallait ni plus ni moins freiner les importations en taxant les marchandises jugées les moins indispensables349. De ce point de vue, la réforme monétaire peut être considérée comme une réforme politique. Elle marque la volonté d’établir l’autorité souveraine de l’Autriche sur les Pays-Bas après quarante années d’errance dans la gouvernance économique de ce territoire. « Sa Majesté rend l’activité aux Monnaies qui avoient été désertées depuis un grand nombre d’années », annonça son beau-frère le 23 septembre 1749350. Justice devait être rendue aux sujets de l’impératrice par le rétablissement des monnaies sur un pied droit.
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AGR, JM, 18, « Reflections sur les causes de la décadence des monnoyes dans les Pays-Bas autrichiens ». Idem. AGR, JM, 198, Lettre circulaire de Charles-Alexandre de Lorraine, aux Magistrats des villes, 23 septembre 1749.
La réforme monétaire de 1749
1. La fin des Maîtres généraux des monnaies La réforme visait plusieurs objectifs, mais l’un des tous premiers fut de confier la gouvernance des Monnaies non plus aux maîtres généraux de la Chambre des monnaies, mais à une « Jointe » ou commission placée sous le contrôle de la Chambre des comptes. En effet, on imputait le désordre, et notamment la circulation des ducats rognés, à l’impéritie des maîtres – le comte Charles de Clauwez-Briant et le vieux Jean-François Dewael – qui avaient laissé pourrir la situation. Pire : les maîtres généraux de cette époque passaient pour ignorants, soucieux essentiellement de défendre des prérogatives désuètes, de faire valoir leurs vacations, d’empêcher les réformes les plus utiles. En 1690, au moment où l’on confia la supervision de la fabrication des nouveaux liards au receveur général d’Alvarade, les maîtres des Monnaies commencèrent à sentir leur autorité vaciller. Pour la défendre, ils invoquèrent les instructions antérieures, tant celle de l’empereur Maximilien, que celle de Marie, reine de Hongrie, des archiducs Albert et Isabelle… Cependant, pour ces nouveaux liards, Bruxelles avait besoin d’imposer les nouvelles machines d’une part et un nouveau cours. Les maîtres généraux s’opposèrent à l’introduction de la presse. « Cela est contraire aux instructions de 1600 et préjudiciables aux remontrants », avaient-ils déclaré d’un seul homme en 1694, voulant continuer la frappe au marteau351. Il est vrai que la presse réduisait leur temps de vacation, et donc leurs revenus. Depuis cette époque, ils jalousaient les gens de la Chambre des comptes dont les prérogatives, on l’a vu, empiétaient largement sur les leurs352. L’impératrice confia donc la réforme monétaire proprement dite à une Jointe permanente « au sujet du redressement des monnoyes » présidée par le duc d’Arenberg, ou en son absence le ministre Botta-Adorno luimême353. Le duc fut convié à composer la Jointe de sujets « capables au fait des monnoyes ». Les nouveaux responsables devaient se réunir, selon les jours et heures définis par le conseiller d’épée, pour se prononcer sur l’état des maux que subissaient les Pays-Bas, « estant au surplus réservé au même Duc de nommer tels autres sujets qu’il trouvera à propos d’y faire intervenir selon l’exigence du cas ». 351
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AGR, JM, 20, « Remontrances des Conseillers Maîtres généraux au trésorier général et Commis des Domaines et finances du Roy », 1694. Voir chapitre 1. Dépêche de Marie-Thérèse, 22 mars 1749, recopiée dans le recueil d’instructions conservé aux AGR, JM, 25. Sur Léopold Philippe Charles Joseph d’Arenberg, voir la notice de Claude Bruneel, Les grands commis du gouvernement des PaysBas autrichiens, op. cit., p. 58-59.
Le nouveau gouvernement des monnaies
Furent donc associés Jean de Witt, Jacques Bosschaert et Nicolas de Nobili, sortis tous trois de la Chambre des Comptes, et un conseiller des finances : Paul François Cordeys. Le président de la Chambre des Comptes, Jean de Witt, fut désigné comme le chef de la commission. Jacques Bosschaert le seconda. Plus tard, lorsqu’il rejoignit le Conseil des finances, c’est encore un auditeur à la Chambre, le comte Simon de Fraula, qui le remplaça. Jean-François Dewael fut mis à la retraite, tandis que le comte de Clauwez, fut adjoint à l’équipe. Très vite, le conseiller le plus versé dans les affaires monétaires, Jacques Bosschaert, dénonça les insuffisances de Clauwez. Le 1er mai 1749, il écrivit à Jean de Witt pour faire part des erreurs de calcul de Clauwez, erreurs liées non pas à une quelconque faute d’attention, mais bien à un défaut de raisonnement354. Plus tard, il dit encore de ces maîtres généraux qu’ils « entretenoient des nuages épais qui paroissoient obscurcir la connaissance des monnaies »355. Marie-Thérèse fut plus indulgente néanmoins. Elle reconnut que Clauwez devait cesser « la prétention de tirer à son seul profit tous les droits que les officiers des Monnaies sont accoutumés de payer pour leurs commissions », mais lui accorda 1 000 florins de gages annuels supplémentaires pour les années à venir356. Bosschaert fut nommé à la fois conseiller de la Jointe « pour entendre et vacquer à la direction et redressement desdites monnoies » et commissaire à la Monnaie d’Anvers avec une gratification annuelle de 500 livres du prix de 40 gros monnaie de Flandre la livre357.
2. La régie directe des hôtels Liée à la suppression des maîtres généraux, la mise en régie des ateliers devait permettre une application accélérée de la réforme monétaire. Le projet était en suspens depuis plusieurs décennies déjà. La France avait donné l’exemple en cette matière, puisqu’en établissant la régie des Monnaies en 1691, Jean-Baptiste Colbert en retira l’administration à la Cour souveraine – qui conserva néanmoins la juridiction – au profit 354 355
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AGR, JM, 167, lettre du 1er mai 1767. Alphonse de Witte, op. cit., p. 287. Sur Jacques Corneille François Bosschaert, voir la notice de Claude Bruneel, Les grands commis du gouvernement des PaysBas autrichiens, Dictionnaire biographique du personnel des institutions centrales, Bruxelles, Archives générales du royaume, 2001, p. 112-114. AGR, JM, 160, lettre de Marie-Thérèse du 16 août 1749. Reproduite dans Recueil des ordonnances des Pays-Bas autrichiens, publié par Louis-Prosper Gachard, 3e série, t. VI, Bruxelles, 1887, p. 459. AGR, JM, 162, Commission du 16 octobre 1749.
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La réforme monétaire de 1749
du Contrôle général des finances358. L’administration des monnaies fut confiée à un contrôleur et à un directeur général (1696). Est-ce à cette organisation que les maîtres des Monnaies de Bruxelles firent référence en 1717 ? Le modèle français fut alors explicitement évoqué pour être rejeté en ces termes : Cella seroit bon si Sa Majesté, par un redressement général des matières aussy bien que des espèces, elle jugeroit changer toute de nouveaux l’ordre d’apprésent (sic), pour lors il seroit nécessaire de faire publier un édit, conformément à ce qu’a fait la France lorsqu’elle a ordonné les Monnayes sous la direction des finances, en établissant à ce sujet des directeurs, contrôlleurs et receveurs, le temps peut estre viendra qu’une direction serra préférable, mais pour le présent, nous sommes obligé de suivre les instructions et l’Entienne coustume359.
La résistance des maîtres des Monnaies à toute évolution de la tutelle est ici sensible. L’administration par régie, jugée d’une « estendue et frais inexplicable »360, ne rencontrait pas leur approbation. Ils lui préféraient le système de l’affermage. En France, le ministre Colbert avait opté pour une sorte de régie intéressée où le directeur se trouvait à la fois régisseur pour le compte du roi et entrepreneur361. Dans les Pays-Bas, la fabrication était confiée par bail au plus offrant. Marie-Thérèse mit fin à ce système. Elle réforma la direction des hôtels en les plaçant sous régie directe, au moment où, par ailleurs, ce type d’expériences se multipliait dans toute l’Europe. Les maîtres particuliers disparurent donc aussi. Les ateliers étaient dirigés par des directeurs, commissionnés par le gouverneur sur avis de la Jointe. À cette époque, l’atelier de Bruxelles était quasiment au chômage. Seuls ceux d’Anvers et Bruges étaient en mesure d’opérer la refonte générale des monnaies. Le 19 juin 1749, Charles de Lorraine désigna Jean-Baptiste Melchior Buysen, maître orfèvre de la ville d’Anvers, à la direction de la fabrique et après lui, Thomas van der Motten, contre-essayeur en décembre 1752. À Bruges, Lambert 358
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Une première tentative pour éviter de mettre les ateliers à bail avait été faite à la fin des années 1660 en France. Cf. Fernand Arbez, « Régie générale des Monnaies de France de 1666 à 1672 », Revue Numismatique, n° 151, 1994, p. 285-306. AGR, JM, 46, lettre de ceux de la Chambre des Monnaies aux conseillers des finances, 3 août 1717. Idem. Sur ces questions, voir Antoine Bailly, Histoire financière de la France depuis l’origine de la monarchie jusqu’à la fin de 1786, t. 1, Paris, Moutardier, 1830, p. 447-450 ; pour la nature de la régie intéressée, Marie-Laure Legay (dir.), Dictionnaire de comptabilité publique 1500-1850, PUR, 2010, p. 351-353.
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Le nouveau gouvernement des monnaies
Mille fut nommé directeur par commission en octobre 1749. Ce dernier ne se révéla pas à la hauteur de sa tâche néanmoins. Son absentéisme fit l’objet de plaintes auprès de la Chambre des comptes. Mille avait installé sa maîtresse à la Monnaie où il avait son domicile. Surtout, il multiplia les fautes professionnelles. En mai 1752, les gens des Comptes furent avisés de plusieurs manquements : non seulement Laurent Mille ne pouvait pas rendre un compte exact du produit de la première boîte, mais il n’avait pas fait dressé les états de caisse, ni l’état des métaux en magasin. Il fut donc levé de ses fonctions et l’on dépêcha Jacques Bosschaert à Bruges. La Jointe chapota chaque direction d’un commissaire pour surveiller les opérations : Bosschaert pour Bruges, van de Velde pour Anvers. Le cas de fermes n’exigeoit pas une surveillance particulière, mais le cas de Direction demandoit la présence pour ainsi dire continuelle d’un commissaire qui étoit chargé de veiller de près à toutes les particularités auxquelles cette nouvelle forme de direction etoit naturellement sujette362.
Il faut dire que Jacques Bosschaert avait quelques lumières sur les procédés monétaires. Le président de Witt avait d’ailleurs observé « son grand fond d’étude avec beaucoup de droiture dans le caractère et d’ouverture dans l’esprit »363. Il supervisa de près la réforme en suivant les activités des forges de Bruges et de Bruxelles qu’il fallut remettre sur pied. La correspondance de Bosschaert avec le comte de Fraula pour les années 1750, 1751 et 1752364, très dense (une lettre par semaine en moyenne), révèle le poids considérable du premier dans les choix adoptés. Le conseiller se préoccupa tout à la fois de problèmes techniques, des aspects comptables et financiers, des livraisons, et des questions politiques. Non seulement il supervisa l’installation du balancier à ducatons, dont le succès fut complet, mais il se préoccupa aussi du four à réverbère construit dans le jardin de l’hôtel des monnaies de Bruxelles pour la fonte des escalins, de la balance d’essai à faire venir de Hollande, de la meilleure méthode de la fonte de bas aloi, pour laquelle il fournit ses conseils avisés. Sur toutes ces opérations, il réclamait la discrétion pour éviter les rumeurs si préjudiciables au bon approvisionnement des ateliers. Est-il possible que l’on ne peut se remuer dans la Monnaie sans que tout le monde sache ce que nous faisons. À peine le fondeur de Bruges est arrivé
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AGR, JM, 165, Mémoire de Jean de Witt, mars 1777. Rapport de Jean de Witt, 14 octobre 1749, cité par Claude Bruneel, op. cit., p. 113. AGR, JM, 310, 311 et 312.
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La réforme monétaire de 1749
Lettre de Jacques Bosschaert au comte de Fraula (extrait), 21 juin 1750 [AGR, Jointe des Monnaies, 310]
et le public est déjà informé que l’on a trouvé le secret de fondre sans perte. Si nous avons trouvé une bonne invention, profitons-en sans rien dire365.
Le garde (waradin) Macquart se préoccupa de son côté des aménagements architecturaux de l’hôtel surtout366. Bosschaert fit également valoir ses compétences comptables. Il recommanda à Fraula de faire la balance de la monnaie d’Anvers le plus souvent possible, en commençant d’abord par recueillir très exactement toutes les parties dues (livraisons de matière non payées aux particuliers, dus à la souveraine, aux officiers, aux monnayeurs, aux marchands …), puis toutes les parties actives : boni chez les fournisseurs de matière, fonds de caisse, flancs, matière en magasin, matière dans les mains des monnayeurs, matière en fonte… Là encore, la plus grande discrétion était requise : « vous devez faire cette opération le plus secrètement qu’il se peut de façon que vous 365 366
AGR, JM, 310, lettre du 30 avril 1750. Idem, lettre du 5 juin 1750.
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Le nouveau gouvernement des monnaies
soiez le seul dépositaire du résultat dont vous pouvez ensuite me donner communication »367. Ces précautions comptables faisaient écho à celles suivies par Benoît Marie Dupuy au bureau des droits de douanes, comme aux recommandations de Vienne368. Charles-Alexandre de Lorraine prit les choses à cœur. Toutes les ordonnances de paiement des directeurs de Monnaies devaient passer par ses mains lorsqu’elles exprimaient des montants supérieurs à 150 florins ; pour les montants plus faibles, la signature était confiée aux membres de la Jointe. Lors de la remise de son compte à la Chambre des comptes, le directeur devait remettre pour pièces justificatives toutes ses ordonnances de paiement, non pas à la Chambre, mais au Conseil des finances qui rédigeait une seule ordonnance de paiement pour l’exercice et l’expédiait en attache aux gens des comptes. Ce principe comptable permettait au Trésor central de suivre mieux les dépenses des administrations369.
3. La difficile subordination des employés La Jointe encouragea les ateliers, et notamment celui d’Anvers qui reçut quantités abondantes d’or et d’argent, en octroyant des augmentations de salaires aux corps des monnayeurs et en les autorisant à recruter autant d’ouvriers que nécessaire. Ce corps, comme on l’a vu, ne manquait jamais une occasion de faire valoir ses privilèges370. La Jointe ne put faire autrement que d’accéder, avec quelque ironie, à ses souhaits en accordant les augmentations, soit un sol par marc des flans d’or et 24 mites par marc des flans d’argent au-dessus du quart du ducaton.
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Idem, 2 septembre 1750. Sur ces questions, voir Marie-Laure Legay (dir.), Dictionnaire historique de la comptabilité publique vers 1500-vers 1850, PUR, 2010 ; « La science des comptes dans les monarchies française et autrichienne au xviiie siècle : Le modèle colbertiste en cause », Histoire et mesure, vol. XXV, n° 1, 2010, p. 231260 ; « Un Français à Bruxelles : les réformes comptables de Benoît-Marie Dupuy (1746-1756) », in Comptabilités. Revue d’histoire des comptabilités, sur http://comptabilites.revues.org, n° 1, 2010. Dupuy cf. C. Bruneel, Les grands commis…, p. 233-235. AGR, JM, 25, lettre de Charles-Alexandre de Lorraine concernant les ordonnances de paiement des directeurs des Monnaies d’Anvers et de Bruges, 2 février 1752. Voir chapitre 1.
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La réforme monétaire de 1749
Ceux du corps des monnayeurs établis en Brabant jouissant toute leur vie d’exemption des charges bourgeoises et des accises, c’[est] là une circonstance bien propre à vous prêter avec zèle au travail qui se présente aujourd’hui371.
Les monnayeurs eurent autorisation de recruter les ouvriers, limeurs, ajusteurs, pour travailler nuit et jour aux deux moulins à flétrir et aux balanciers372. Ils purent installer le banc des limeurs dans la chambre où ils se réunissaient habituellement pour leurs séances ordinaires. Ils gardaient leur autonomie de décision pour la rémunération de ces ouvriers. La Jointe demanda toutefois que les ouvriers attachés aux moulins, qui avaient la tâche la plus pénible, soient mieux payés que les limeurs. De même, les commissaires de la Jointe mirent fin aux augmentations de salaires en octobre 1751. La puissance des monnayeurs ne fut pas sans poser problème au prince lui-même car il était difficile d’en obtenir obéissance. Certains se rendaient coupables de vols ou de prévarication comme ce prévôt des Monnaies de Bruges en 1750, défendu néanmoins par ses oncles, le recteur du collège jésuite et le trésorier de la ville, pas moins. La plupart peinaient à se soumettre à l’autorité. Des querelles de préséance éclataient régulièrement entre les prévôts et jurés du corps des monnayeurs et les officiers de la Monnaie. Le 21 décembre 1751, le waradin constata que les carrés étaient hors service et réclama un changement des coins ; le prévôt Brauwer donna ordre aux ouvriers de ne pas les changer les coins ; le waradin, pour éviter un monnayage défectueux dut mettre un cadenas sur la presse. Pire : leurs fautes professionnelles ne furent pas toujours sanctionnées comme elles auraient dues l’être. Une affaire de 1777 donne la mesure de l’impunité. Les monnayeurs Pierre Cattie et Pierre Boghmans firent l’erreur de présenter un flan d’argent (destiné aux demies-couronnes) à l’impression du double liard, mais ce fut sans conséquence : les deux ouvriers furent admis à l’ouvrage « comme les autres monnoïeurs à condition qu’ils se conduisent et se tiennent dans l’ordre et la subordination requise »373. Quant au prévôt du corps, Pierre van Assche, il ne fut pas davantage inquiété. Il fut certes suspendu, mais retrouva vite sa place. En réalité, les autorités bruxelloises avaient à cette époque bien du mal à amener les membres du corps des monnayeurs à exercer leurs devoirs. Seuls 14 sur 60 répertoriés se prêtaient à l’activité du monnayage « tandis qu’aucun d’eux ne devrait ignorer ce à 371
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AGR, JM, 25, lettre de la Jointe aux prévôts et jurés de la Monnaie d’Anvers, 4 novembre 1749. AGR, JM, 25, lettre de la Jointe aux prévôts et jurés de la Monnaie d’Anvers, 4 novembre 1749. AGR, JM, 453, affaire de 1777.
Le nouveau gouvernement des monnaies
quoy ils sont tenus par les ordonnances et notamment par l’article 37 du règlement du 20 juillet 1613 »374. Quant aux graveurs, les autorités eurent plus de mal à en trouver. À qui faire appel ? Le plus habile était soupçonné d’avoir participé au fauxmonnayage pour le compte du Marquis de Prié375. La question se posa cruellement. Vienne n’avait pas d’experts à fournir. Il fut donc suggéré au gouverneur d’en chercher dans l’empire, « ou même du côté de la France en usant des précautions nécessaires »376. Jacques Roettiers (1698-1772), très connu des numismates377, issu d’une lignée de graveurs, fut finalement chargé des carrés originaux, mais on prit soin d’envoyer se former à Vienne pour deux années deux jeunes techniciens, « deux personnes très expertes (à ce qu’on dit) dans le mechanisme des monnaies »378, ce qui révèle l’implication de la capitale dans la réforme du système monétaire des Pays-Bas : Jean-Baptiste Harrewyn, qui devait succéder plus tard à son père François, et Jean-Baptiste Marquart. Ce voyage eut lieu sur recommandation de Marie-Thérèse. L’impératrice savait que les deux jeunes personnes ne se perfectionneraient pas à Vienne sur l’art de la gravure mais, considéra-t-elle, « ils pourront au moins s’évertuer dans la netteté et délicatesse du travail des espèces et l’introduire ensuite dans les ateliers des Pays-Bas »379. Comme pour le reste du corps des monnayeurs, les représentants de l’impératrice devaient ménager ces ouvriers spécialisés. À l’hôtel de Bruxelles, la querelle qui opposa le vieux graveur François Harrewyn au comte de Fraula, commissaire, fut l’occasion pour le gouverneur de rappeler le premier à ses obligations : il ordonna au chef de la Jointe, Paul Cordeys, de lire tout haut devant les monnayeurs de Bruxelles une déclaration menaçante de sa part :
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Idem. Rapport du baron de Cazier au duc Charles de Lorraine, 13 juin1770, présenté par G. Cumont, Les jetons d’étrennes pour la nouvelle année 1771, Revue belge de numismatique, Bruxelles, 1886, p. 39. AGR, JM, 160, lettre de Marie-Thérèse du 16 août 1749. Reproduite dans Recueil des ordonnances des Pays-Bas autrichiens, publié par Louis-Prosper Gachard, 3e série, t. VI, Bruxelles, 1887, p. 459. Voir notamment les articles de Jean Bingen dans la Revue belge de numismatique, par exemple « Jacques Roettiers et les émissions monétaires de 1749 », Revue belge de numismatique, 5 mai 1751, ou bien « Les Roettiers. Graveurs en médaille des Pays-Bas méridionaux », Bruxelles, 1950. AGR, JM, 310, lettre de Jacques Bosschaert au comte de Fraula, 6 octobre 1750. AGR, JM, 160, lettre de Marie-Thérèse du 16 août 1749.
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La réforme monétaire de 1749
que celui ou ceux qui pourroient manqué doresnavant à la subordination ou au respect qu’ils doivent à leurs supérieurs et notamment au commissaire de S. M. qui y est expressément établi pour le maintien du bon ordre, sera ou seront cassés et congédiés du service sans espoir d’y être jamais rétablis380.
Notons toutefois que François Harrewyn, après avoir été disgracié par Charles de Lorraine, réintégra la Monnaie de Bruxelles le 4 septembre 1759 et y demeura jusqu’en 1764381.
380
381
Dépêche de Charles de Lorraine, 7 mai 1759, reproduite par Alphonse de Witte dans Revue belge de numismatique, Bruxelles, Jean Goemaere, 1908, p. 482-483. AGR, JM, 22.
120
Chapitre 9 Les opérations de billonnement L’un des objectifs de l’ordonnance était d’éliminer de la circulation les menues monnaies étrangères. Par l’article 31, elle ordonnait le billonnement des espèces d’argent moindre que le quart des entières, comme les sixièmes écus de Navarre, par exemple. Mais il fallait également procéder au billonnement des monnaies belges anciennes jugées trop altérées comme les ducats d’or légers qui s’étaient introduits massivement pendant la guerre de Succession d’Autriche et qui encombraient les caisses publiques, les pièces d’argent notablement diminuées en poids comme les pièces de 8 sols et 3 liards ou les pièces de 9 sols et un liard, ainsi que les vieux escalins sur lesquels on spéculait en Hollande au détriment de l’économie belge. Ces opérations de refonte étaient toujours délicates car il importait de les mener systématiquement sans interrompre trop brutalement la circulation. Quant aux monnaies d’or, Marie-Thérèse put d’autant plus prendre la mesure du problème que les Français avant elle, en occupant une partie du territoire, s’étaient confrontés au problème.
1. L’occupation française et le problème des ducats légers L’occupation française d’une partie des Pays-Bas entre 1744 et 1748 a été clairement jugée comme un moyen de contrer l’alliance de la Maison d’Autriche avec l’Angleterre. « Les Pays-Bas etoient une hipothèque (sic), un gage »382. La présence française eut le grand mérite de faire voir quel revenu net un souverain pouvait espérer tirer de ces territoires. Après avoir mis sous clé les appartements des conseils collatéraux et de la Chambre des comptes, les administrateurs, en débarquant à Bruxelles, compulsèrent une importante documentation financière. Leur constat fut sans appel : les droits et revenus du roi dans les pays conquis devaient rapporter, année courante, plus de 15 millions de livres, argent de France383. Ils confièrent aux experts de la Ferme générale le soin de monter une régie dont nous 382
383
AEE, Mémoires et documents, Autriche, 12, pièce 4 : « Observations sur l’alliance du Roi avec la Cour de Vienne », 1756. AN G2 210, dossier 10, 1746. La valeur du florin de Brabant était à cette époque de 36 sous 8 deniers 40/49.
La réforme monétaire de 1749
avons démontré l’efficacité384 pour les droits des domaines et les droits de douanes. Ils modifièrent en outre les calculs des charges sur les aides et subsides accordés par les administrations provinciales. En fins connaisseurs du pays, les administrateurs français, sous la direction de l’intendant Jean Moreau de Séchelles, surent ménager tout à la fois les Etats provinciaux et les gens d’affaires : Article 9 : On agira avec plus de retenue avec les Etats des provinces, leurs receveurs et les thrésoriers des villes… Article 10 : Il se trouvera peut-être à Bruxelles ou ailleurs des gens d’affaires qui seront reliquataires au gouvernement autrichien de sommes plus ou moins considérables ; d’autres qui auront été impliqués dans les monnaies de France, même en subit le jugement par contumace, à voir comment on voudra se régler à ce sujet385.
Il s’agissait des principaux intermédiaires financiers et il fallait bien que la conquête rapportât au roi de France. Pour ces mêmes raisons, l’administration française se pencha sur l’état des monnaies des pays conquis. Les nouveaux régisseurs des droits faisaient valoir en effet qu’il y avait une perte considérable pour le roi de France à recevoir des ducats altérés pour la valeur de 5 florins et 19 patars le ducat, alors que sa valeur intrinsèque était moindre386. Or ces ducats allégés proliféraient dans les Pays-Bas. En Hollande, ils étaient reçus au poids. « L’or et l’argent sont marchands en Hollande ; on ne reçoit aucune espèce susceptible d’être altérée sans les peser. On diminue sur les ducats faibles ce qui s’en manque du poids et qu’il doit avoir »387. Dans les Pays-Bas méridionaux en revanche, on les recevait sans les peser. Ainsi, on distinguait dans la circulation les ducats de poids, jugés bons, et les ducats non pesés. Ces derniers faisaient l’objet d’une spéculation effrénée : Il s’est fait pendant l’été un agiot (sic) affreux à Bruxelles sur les Ducats ; on ramassoit dans les pays Etrangers les ducats foibles ; on les apportoit à Bruxelles où des Banquiers les mettoient dans le commerce. On assure qu’une personne de Basle est venue avec 11 mille ducats dans le haut de sa chaise et demanda à un banquier des lettres sur Paris et sur la Hollande.
384
385
386 387
Marie-Laure Legay, « Un Français à Bruxelles : les réformes comptables de Benoît-Marie Dupuy (1746-1756) », Comptabilités. Revue d’histoire des comptabilités, http://comptabilites.revues.org, n° 1, 2010. AN G2 209, dossier 5 : « Précautions à prendre et dispositions à faire aussitôt que l’on aura pris possession de la ville de Bruxelles », 1744. Sur Moreau de Séchelles, voir Michel Antoine, Le cœur de l’Etat, Paris, 2003, p. 439. AN G2 213, dossier 33, « Mémoire sur la valeur des ducats », vers 1745. Idem.
122
Les opérations de billonnement
Après la convention faitte sur les termes des lettres et sur e profit du change, la personne de Basle fit ouvrir sa chaise et offrit 11 mil ducats. Le banquier de Bruxelles dit qu’il falloit les peser, on en pesa mil sur lesquels il y avoit 10 à 11% de perte388.
Les Pays-Bas étaient donc envahis par les ducats faibles et voyaient d’évidence partir les espèces fortes comme les ducats de poids, que les banquiers et capitalistes s’empressaient de payer sur la Hollande, mais aussi les guinées, les louis d’or et autres espèces susceptibles d’éviter un paiement à perte avec des ducats faibles que les balances hollandaises risquaient de démasquer. Fallait-il donc, pour éviter la fuite, refrapper les ducats faibles en louis d’or, comme au temps de la Régence ? Le ducat étant composé d’un or plus fin que le louis, n’était-il pas préférable d’envoyer ces ducats dans les hôtels de monnaies de France ? Pour clarifier la situation, Moreau de Séchelles ordonna en octobre 1745 l’impression d’un tarif de l’évaluation de chaque espèce389. Dans ce tarif, le ducat ne parut réduit que pour la valeur de France, soit 10 livres 12 sols et 6 deniers le ducat, sans précision quant à la valeur du florin. Il paraissait peu vraisemblable que l’intendant, en réduisant ainsi le ducat, n’eut pas entendu en réduire aussi la valeur argent courant à la même proportion (c’est-à-dire 5 florins 15 patars et 8 d. ⅓), mais cela n’avait pas été précisé dans le tarif, de sorte que le ducat continua d’être reçu pour la valeur de 5 florins et 19 patars. Le manque à gagner représentait des sommes importantes pour les caisses royales françaises car toutes les impositions, les subsides, les droits étaient dus en florins. Prenons le cas des Etats de Flandre. Ils payèrent en différentes fois à Hennet, trésorier des troupes de Gand, depuis la réduction du ducat, 1 138 213 florins et 5 patars. Ils firent entrer dans ce paiement 183 822 ducats à 5 florins 9 patars qui, sur le pied de la réduction de 10 livres 12 sols et 6 deniers, ne faisaient que 1 953 108 livres et 15 sols, et sur le pied de 5 florins 9 patars, faisaient 1 093 740 florins et 18 patars, lesquels, à 36 sous 8 deniers 40/49e, faisaient monnaie de France, 2 008 911 livres et 14 sols. La perte s’établissait donc à 55 802 livres et 19 sous390. Face à la gravité de la question, le secrétaire d’Etat de la guerre, Paulmy d’Argenson, donna l’ordre à Séchelles de préciser que la réduction des ducats valait en proportion. Il fut donc interdit aux receveurs, par ordre du 13 janvier 1746, de les recevoir à un prix plus fort, et aux commis des trésoriers 388 389
390
Idem. AN G2 209, dossier 17 : « Mémoire sur les différentes espèces d’or et d’argent entrant dans les payements des pays conquis », envoyé de Mons le 20 juillet 1746. Idem.
123
La réforme monétaire de 1749
généraux de l’Extraordinaire des guerres de les donner aux troupes sur un pied plus fort391. La mesure provoqua la colère de nombre de députés des provinces, jugeant que la diminution « dérange beaucoup le commerce, resserre les bourses des capitalistes et qu’elle met les Hollandais en lieu de tirer les ducats »392. Les Etats de Flandre argumentèrent : Personne ne refuse de recevoir les ducats altérés pour 5 florins et 9 patars. Ils passent de main en main, les troupes les donnent aux marchands, et ceux-cy payent les charges de l’état avec cette espèce sans que cela fasse la moindre difficulté. Pourquoy détromper le public sur la valeur du ducat, il faut laisser les choses comme elles sont… Nous scavons bien que les estrangers nous font passer de mauvais ducats sur lesquels il y aura à perdre tôt ou tard considérablement, mais nous ne sommes pas dans un tems à penser porter du remède à ce mal393.
En d’autres termes, les États provinciaux de Flandre ne voulaient pas subir les effets de la diminution. Après tout, les anciens placards, comme celui de 1652, réglaient le remède à un as et la bonification des as manquants à deux sols de change394. Il devint clair pour les régisseurs du roi de France que les assemblées ne donneraient le ducat pour 5 florins et 15 patars que contraints et forcés. Les dispositions de l’administration française révèlent à la fois l’ampleur du désastre monétaire et la difficulté qu’il y avait à imposer une volonté politique ferme à des intermédiaires toujours prompts à réagir pour défendre les intérêts des marchands et banquiers. Il faut dire que les assemblées provinciales levaient des emprunts pour le compte du souverain. Principaux receveurs des deniers, leur crédit tenait bien des réformateurs en laisse. Les Français parvinrent néanmoins, comme en matière de finances, à souffler sur les affaires monétaires un vent nouveau. Les mesures ultérieures de Marie-Thérèse à l’encontre des ducats rognés ne firent que reprendre les dispositions françaises en la matière395.
2. Les billonnements des années 1749-1752 Lorsque la souveraine recouvrit son autorité sur l’ensemble du territoire, elle décida de lutter contre les espèces d’argent françaises en défendant pénalement de donner et recevoir les écus à palme, leurs demis et leurs quarts à plus haut prix que celui de 2 florins et 14 sols ; elle déclara également 391 392 393 394 395
AN G2 213, dossier 31. AN G2 213, dossier 33. Idem. AGR, JM, 198, note d’octobre 1749. Alphonse de Witte n’a pas vu cet aspect important du dossier, attribuant les troubles monétaires à l’occupation française. Alphonse de Witte, op. cit., p. 286.
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Les opérations de billonnement
billon toutes les diminutions des espèces étrangères moindres que les demies et quarts des entières. Vis-à-vis des ducats, elle prévit un billonnement progressif. En mars 1749, elle toléra le cours des ducats légers jusqu’à concurrence du poids manquant reconnu par les placards, en attendant les bienfaits de la nouvelle fabrique. Les ducats qui étaient plus faibles d’un as seulement étaient déclarés bons, mais ceux dont le faiblage dépassait un as étaient sujets au rabais d’un demi sol argent de change, et ainsi jusqu’au 6e as inclus. L’or, rappelons-le, était surtout employé à cette époque pour le solde des paiements publics. La tolérance dura en réalité peu de temps puisque dès septembre, on ordonna le billonnement général. Il fallut dès lors procéder à l’inspection des caisses publiques, susceptibles d’en contenir. On confia cette mission à Pierre Swerts, dépêché par la Chambre des comptes. Il contrôla toutes les caisses publiques, à savoir celle du receveur général des finances, celle du receveur des droits du Grand Scel de Sa Majesté en Brabant, celle du receveur du petit Scel et du papier timbré, celle du receveur général des droits d’entrée et de sortie, la caisse de la Veuve Nettine, la recette des Terres franches, la caisse du receveur des exploits au Conseil de Brabant. Toutes contenaient en effet un grand nombre de ducats légers, à l’instar de celle de van Overstraeten, le receveur général des finances396 :
Ducats d’or simples contenus dans la caisse du receveur général des finances en fonction de leur faiblesse (1749)
396
AGR, JM, 198. « Bordereau des espèces trouvées dans la caisse du Conseiller et receveur général des finances Van Overstraeten, le 1er octobre 1749, par Pierre Swerts, commissaire dépêché par la Chambre des comptes ».
125
La réforme monétaire de 1749
Sur les 33 329 ducats simples trouvés, seuls 3 300 étaient bons et 3 117 ne présentaient qu’une faiblesse d’un as397. Ces derniers restaient donc dans les limites du remède tel qu’il avait été formulé dans les placards. Les 80% restant présentaient des faiblesses préjudiciables, avec une pointe de 4599 ducats trop légers de 5 as. Moins nombreux, les ducats doubles présentaient surtout une faiblesse de un à 4 as. Seuls trois avaient été jugés bons. Ces ducats étaient supposés à 23 carats 7 grains de fin. En revanche, on n’était pas sûr de ce titre pour les ducats de Hollande et autres ducats étrangers. Par ailleurs, il fut reconnu que les ducats souffraient d’un certain déchet par la fonte (jusqu’à 42 sous le marc). Il s’ensuivit donc qu’on reçut les ducats à la Monnaie qu’à l’avenant du poids de la matière fondue et au pied des essais que l’essayeur établit pendant cette fonte. Les frais de fonte et d’essai devaient être supportés par les livreurs398. Bien sûr, la caisse contenait également des monnaies étrangères, mais toutefois pas dans les mêmes proportions que les ducats : 11 guinées, 26 pistoles de France, 32 pistoles d’Espagne, 125 louis au soleil, 2314 louis dits de Noailles, 4 louis vertugadins, 82 mattes, mais aussi 421 mirlitons, 5 souverains, un albertin et 200 escalins d’or. On fixa également le prix du billon pour ces pièces :
Ducats d’or doubles contenus dans la caisse du receveur général des finances en fonction de leur faiblesse (1749)
397
398
Rappelons que le marc est divisé en 8 onces, l’once en 120 estelins et l’estelin en 32 as. AGR, JM, 217, « arrangement final », 1749.
126
Les opérations de billonnement Prix du billon qui se payent dans les monnaies d’Anvers et Bruges399 Espèce
Anvers
Bruges
Ducats
357 florins
357 florins
Ducats étrangers
356 florins
356 florins
Guinées
332 florins 13 sols 30 d.
333 florins 6 sols
Louis au soleil
328 florins 4 sols 44 d.
328 florins 4 sols
Vieux louis et mirlitons et Louis de Noailles
328 florins 17 sols 28 d.
328 florins 4 sols
Pistoles d’Espagne
326 florins 19 sols 28 d.
326 florins 16 sols
22 florins 18 sols 16 d.
22 florins 18 sols
OR
ARGENT Vieilles couronnes Navarres entiers et tierces
22 florins 14 sols 41 d.
22 florins 12 sols 6 d.
4/6e de navarres
22 florins 12 sols 6 d.
22 florins 12 sols 6 d.
Caramboles entiers
21 florins 12 sols 12 d.
21 florins 9 sols
Pièces de douze sols
20 florins 14 sols
20 florins 14 sols
Demi-caramboles
21 florins 12 sols 12 d.
Pas de prix
Demis et quarts de navarres à lauriers et pièces de 50 sols
22 florins 14 sols 41 d.
22 florins 14 sols 41 d.
Huitièmes de caramboles
21 florins 9 sols 33 d.
21 florins 9 sols
Vis-à-vis de l’argent, les opérations s’avéraient plus compliquées à mener. Là encore, l’enquête de Swerts révéla la présence de nombreuses espèces : des couronnes, des Navarre, des caramboles, mais surtout des escalins. La réforme prévit une refonte complète des vieux escalins et escalins étrangers que les événements militaires avaient fait pénétrer dans le pays et que la Jointe évaluait à quatre millions en tout. Il importait d’autant plus de réformer les escalins qu’il s’en trouvait beaucoup de faux. La veuve Nettine informa le comte de Fraula sur ce point : « on me rapporte qu’en Hollande on fait des payements de 4 à 5 mil florins tout à la fois de nos escalins ; on les estime plus que ceux du pays parmy lesquels se trouvent beaucoup de faux »400. Fort de ces informations, le comte de Fraula écrivit à Bosschaert en des termes tout aussi alarmants. Les escalins quittaient les Pays-Bas pour la Hollande assez massivement pour être fondus en de nouvelles espèces d’argent hollandaises à moindre 399 400
AGR, JM, 171, Note, 1750. AGR, JM, 316, lettre de Louise Stoupy, veuve Nettine, au comte de Fraula, 16 août 1750.
127
La réforme monétaire de 1749
titre, ce qui vidait la région d’Anvers de son argent et provoquait des rumeurs401. Les escalins devenaient si rares que les commerçants anversois s’en trouvaient gênés. Il devenait urgent d’agir. Bosschaert pressentait les difficultés : Je ne sais quels mal intentionnés puissants répandent le bruit du billonnement des escalins dans le tems que l’on fait des dispositions pour les refondre aux frais du pays en général et par conséquent sans perte pour chacun en particulier402. Établissement des changeurs en 1752403 Lieu
Nombre
Lieu
Nombre
Alost
3
Halle
1
Anvers
6
Lierre
1
Arlon
1
Louvain
3
Ath
3
Menin
1
Audenarde
3
Malines
4
Beaumont
1
Mons
6
Binche
2
Namur
3
Braine-le-Comte
2
Nieuport
3
Bruges
2
Nivelles
2
Bruxelles
11
Ostende
3
Charleroi
2
Roulers
2
Courtrai
2
Saint-Amand sur l’Escaut
1
Deinze
1
Saint-Nicolas
2
Diest
3
Soignies
2
Dixmude
1
Tamise, pays de Waes
1
Enghien
1
Termonde
2
Gand
8
Tirlemont
2
Grammont
2
Tournai
2
Ypres
3
TOTAL : 97
401 402 403
AGR, JM, 171, lettre du comte de Fraula à Jacques Bosschaert, 27 mai 1750. AGR, JM, 310, lettre de Bosschaert au comte Fraula, 30 mai 1750. AGR, JM, 266.
128
Les opérations de billonnement
3. Accélérer l’approvisionnement Pour accélérer la refonte, Marie-Thérèse pressa les livreurs de toute nature à fournir les matières billonnées, en faisant notamment appel aux changeurs. Elle en accrut le nombre. En 1752, on en comptait près de cent dans l’ensemble des Pays-Bas :
Première page de la lettre circulaire du 28 octobre 1752 [AGR, Jointe des Monnaies, 266]
L’impératrice renforça le contingent à Anvers notamment, où le nombre passa de 2 à 6404, comme à Bruxelles, ville pour laquelle les membres de la Jointe décidèrent d’accorder des places de surnuméraires « sans entendre ceux du Magistrat »405. Saint-Amand se dota d’un changeur en 1749, Lokeren en 1753, Bastogne en 1757, Neufchateau en 1763… À Courtrai où, comme en beaucoup d’endroits, deux places de changeurs assermentés étaient prévues, on réanima la seconde délaissée depuis quelques temps au profit de Joseph Veys. Les Magistrats n’appréciaient guère cette multiplication de changeurs auxquels étaient attachées des exemptions. Le plus souvent, ils acceptaient de recevoir le serment de la personne désignée mais précisaient ne pas vouloir accorder les privilèges usuels aux changeurs surnuméraires. Dès 1765, les bourgmestres de la ville d’Anvers supplièrent les membres de la Jointe « de vouloir bien supprimer lesdits places surnuméraires de changeurs de cette ville, du moins par décès de ceux qui en sont encore pourvus, et de les porter au nombre ordinaire de deux »406. 404 405 406
AGR, JM, 264, lettre du 9 mai 1765. AGR, JM, 264, billet du 3 mai 1753. AGR, JM, 264, lettre des bourgmestres et échevins d’Anvers, 9 mai 1765.
129
La réforme monétaire de 1749
La Jointe des Monnaies se préoccupa d’améliorer le service des changeurs en donnant des instructions précises pour la tenue des livres de change. Selon ces instructions, le changeur devait distinguer les espèces et matières, reporter la date d’achat, le nom du livreur, la quantité précise en marc, once, estelin, as, et le prix payé. En outre, il devait tenir registre de ses livraisons et ventes. Plus généralement, Marie-Thérèse chercha à encadrer leurs activités pour éviter la fraude. Le changeur pouvait s’enrichir sur le dos du peuple en évaluant les monnaies à son avantage. C’est du moins ce qui transparaît à travers une lettre du conseiller Bosschaert au président Jean de Witt : Bien des gens se plaignent du changeur. Je vous prie, Monsieur d’observer que c’est le devoir des Maîtres généraux de veiller sur eux afin qu’ils ne tirannisent (sic) pas le public407.
Il faut dire que les avantages de la place n’étaient pas négligeables. Voici Charles Willick, changeur d’Alost. Le 30 juillet 1751, il livra 25 lingots d’argent, d’aloi différent, à l’atelier d’Anvers. Le tout représentait une somme de 1 196 000 florins de change408. Une telle livraison était rare. Elle fit l’objet de deux séries d’essais, une à Anvers et l’autre à Bruxelles et donna lieu, pour le changeur à un sacré bénéfice. De même, Marc Lefebvre, changeur à Tournai, obtint une prime de 1% ¼ pour la livraison des écus à couronne venant de l’étranger409. Les commissions de changeur étaient donc très recherchées, non seulement pour les exemptions bourgeoises auxquelles elles donnaient droit, mais aussi pour les avantages en nature, les primes sur les livraisons. Lorsque Martin van Rossem se présenta pour obtenir la place à Halle, en 1756, il fut dénoncé par plusieurs concurrents comme « n’ayant jamais apris ni pratiqué le métier d’orphèvre, mais que sa profession est simplement d’acheter des ouvrages d’or et d’argent »410. Outre les changeurs, dont l’apport demeurait insuffisant, la souveraine fit appel aux banquiers à qui elle accorda des primes de 1%. En effet, les bonnes espèces coursables étaient si rares « que les billets de monnoies et les lettres de change devoient les remplacer dans des circonstances où elles n’avoient jamais eu lieu »411. La banque Cogels fournit par exemple 30 000 florins en pièces de Navarre, caramboles, couronnes et autres en 407 408 409
410 411
AGR, JM, 167, lettre de Bosschaert à De Witt, 17 août 1749. AGR, JM, 171, lettre du comte de Fraula à Jacques Bosschaert, 17 oût 1751. AGR, JM, 158, Registre ou journal des affaires traitées en la Jointe des Monnoyes commençant le 4 octobre 1754 et finissant l’année 1759 ; mention du 12 juin 1755. AGR, JM, 264, commission du 19 mai 1756. AGR, JM, 165, Mémoire de Jean de Witt, mars 1777.
130
Les opérations de billonnement
août 1750412. La banque Veuve Nettine devint à cette époque l’un des principaux livreurs de la monarchie, comme nous le verrons plus loin. Elle livra toutes sortes de monnaies – des ducats, des escalins, des plaquettes (pour 660 000 florins par exemple en juillet 1750) – pour lesquelles on faisait bien attention de la régler rubis sur l’ongle. Je ferai tout mon possible pour que Madame Nettine reçoive toujours dans la huitaine l’import des livremens qu’elle fera et que les personnes qui livreront de l’argent de haut aloi en recevront la valeur au bout de quinze jours413.
Dans l’ordre donc, les ateliers recevaient les espèces billonnées ou les matières, procédaient aux essais, puis à la fonte, déduisaient les frais de fonte, les frais de déchet et le coût des essais pour procéder ensuite à « l’import », c’est-à-dire à la restitution en nouvelles espèces. En échange des ducats d’or livrés en mai 1751 pour la somme de 27 134 florins de change, la banque Veuve Nettine reçut 11 834 florins en simples souverains et 15 300 florins de doubles souverains, en 200 pièces, cent aux bustes de l’impératrice et de l’empereur, et cent au buste de l’empereur seul. La fabrique des escalins se révélait particulièrement frayeuse. Il fallut donc réduire les droits de l’essayeur et du waradin à compter du 1er avril 1752414.
4. L’engagement des États provinciaux dans la livraison des vieux escalins Une telle réforme pouvait-elle être entreprise sans le consentement des Etats provinciaux, principaux receveurs, avec la banque Nettine, des PaysBas ? La tradition d’assemblées fut toujours peu ou prou respectée par Marie-Thérèse qui savait ne pouvoir se passer des élites intermédiaires, coadministrateurs de ses différents états415. Mais le ministre Botta-Adorno, comme son protecteur le comte Haugwitz, avaient moins de scrupules à bousculer les usages au nom de la raison d’État. L’opération de billonnement nécessitait la participation des assemblées que l’on sollicita notamment pour la collecte des vieux escalins. Le président de Witt leur écrivit en ce sens pour qu’elles remettent les vieilles pièces aux ateliers monétaires au prorata du subside fourni pour l’entretien de la Cour. Pour mettre l’opération en œuvre, il convoqua les administrations 412 413 414 415
AGR, JM, 171, lettre du comte de Fraula à Jacques Bosschaert, 21 août 1750. AGR, JM, 171, lettre du comte de Fraula à Jacques Bosschaert, 22 juillet 1750 AGR, JM, 25, lettre de Charles-Alexandre de Lorraine, 31 mars 1752. Voir Peter G. M. Dickson, Finance and Government under Maria Theresia, 1740-1780, Oxford, Clarendon Press, 1987.
131
La réforme monétaire de 1749
le 6 novembre 1749 à Bruxelles et exposa le projet. Un dialogue s’instaura entre la Jointe et les États et, de là, entre les États et les corps subalternes. L’assemblée de Flandre par exemple, recueillit les voix délibératives des ecclésiastiques, des communes et des châtellenies pour recevoir les vieux escalins à six sols trois liards. Les Etats rédigèrent ensuite des « actes de consentement », aussitôt enregistrés par Bruxelles par « acte d’acceptation du consentement ». Ce type d’actes rappelle naturellement les pièces produites à l’occasion du consentement à l’impôt. Les autorités avaient besoin de l’aval des administrations locales en qui la population gardait toute sa confiance. « Les ecclésiastiques et membres de la province de Flandre feront informer le public par des avertances à afficher es lieux accoutumez du résultat de cet arrangement »416. Les termes furent choisis avec soin. Le ministre BottaAdorno voulut que dans les affiches à faire pour lesdites publications, on ne parla pas « d’arrangement » mais plutôt de « concert pris avec les respectifs États »417. Cela n’empêcha pas néanmoins l’impératrice Marie-Thérèse de rappeler fermement aux États et aux Magistrats qu’ils devaient s’adresser à la Jointe pour les affaires de monnaies et d’orfèvrerie418. Receveurs principaux dans les Pays-Bas, les corps intermédiaires devaient donc, au terme de cet arrangement, ordonner à leurs agents de retenir les vieux escalins dans leurs caisses. Ils se subrogeaient en quelques sortes dans les droits de l’impératrice. Ils devaient néanmoins supporter les frais de l’opération (déchet de la refonte et frais de fabrique) estimés à 160 000 florins. Comme dans la négociation fiscale, l’autorité souveraine s’engageait de son côté à couvrir les dépassements de frais. Le caractère éminemment politique de la monnaie affleure ici d’autant plus nettement que chaque assemblée se soucia, dans sa négociation avec le centre, d’apprécier la juste répartition des frais de l’opération entre toutes les provinces. Les conditions émises révèlent la monnaie comme un ensemble de règles qui déterminent l’appartenance de chacun à la société marchande, comme le rappellent Michel Aglietta et André Orléan419. Écoutons les États de Flandre qui se déclarent :
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419
132
AGR, JM, 180, Projet d’acte d’acceptation du consentement de la province de Flandre, 23 décembre 1749. Idem, lettre de Crumpipen à de Witt, 26 décembre 1749. Lettre circulaire du 4 mars 1750 imprimée dans P. Génard, « L’hôtel des monnaies à Anvers », in Annales de l’Académie d’Archéologie de Belgique, 2e série, t. X, Anvers, 1874, p. 165. Aglietta Michel et Orlean André (dir.), La monnaie souveraine, Paris, Editions Odile Jacob, 1998.
Pays du Franc
1er sept.
421
AGR, JM, 180.
Chatnie de Vieubourg
1er aout
382
Idem
1er juillet
31 738 fl.
33 216 fl.
42 218 fl.
Les dirteurs des 88 588 fl. droits provinciaux
1er juin
1er mars
1er février
1er janvier
Pays du Franc
Pays du Franc
Les dirteurs des droits provinciaux
31 738 fl.
33 216 fl.
42 218 fl.
1er sept.
1er aout
1er juillet
Chatnies de : Vieubourg Audenarde Courtrai
Pays du Franc
Saint-Amand Assenede Bouchaute Opdorp Moortzele Pays du Franc
« Etat des livremens à faire dans la Monnaie de Bruges par la province de Flandres »421. En 1750 et 1751 (sommes en florins) 1750 1751 1751
Les opérations de billonnement
133
134
Chat de : Vieubourg Audenarde Courtrai
Dirteurs Pays du Franc Gand Bruges
Chatnies de : Vieubourg Audenarde Courtrai
1er nov.
1er déc.
1750
nies
1 octobre
er
32 000 fl. 21 588 fl. 35 000 fl.
50 400 fl. 35 038 fl. 2 000 fl. 1 150 fl.
3 000 fl. 18 562 fl. 34 000 fl.
1er juin
1er mai
1 avril er
1751
Chatnies de : Vieubourg Audenarde Courtrai
Chatnies de : Vieubourg Audenarde Courtrai
Dir Pays du Franc Gand Bruges teurs
32 000 fl. 21 588 fl. 35 000 fl.
32 000 fl. 21 588 fl. 35 000 fl.
50 400 fl. 35 038 fl. 2 000 fl. 1 150 fl. 1er nov.
1 octobre er
Vieuxbourg Audenarde Courtrai Le Franc Assenede Bouchante St-Amand Moortzele Gand Opdorp Bruges
Chatnies de : Vieubourg Audenarde Courtrai
1751
La réforme monétaire de 1749
Les opérations de billonnement
Contents de s’engager à recevoir les vieux escalins… aussitôt que Votre Altesse Royale aura eu la bonté de nous informer que les autres provinces, scavoir les Etats du Brabant, Haynaut, Namur, Malines, le pais rétrocédé et le Tournay et Tournésis, auront également accédé et s’engagés d’accomplir les articles420.
En échange, ils reçurent des privilèges inédits, concédés par le ministre plénipotentiaire, Antonietto Botta-Adorno dans la convention du 20 mai 1750 : non seulement les pouvoirs intermédiaires recevaient les nouvelles pièces sorties des forges, mais ils disposaient d’un droit de regard sur la fonte des escalins en commettant une personne à l’atelier41222. Cette inspection provinciale constituait une première. Dans la pratique toutefois, elle ne fut pas tant suivie d’effet : les Etats provinciaux députèrent bien des commissaires pour suivre les opérations, mais on se lassa vite de cette inspection : On n’a jamais empêché aux personnes qui ont fourni des vieux escalins de la part des Etats du Brabant et autres d’être présent aux refontes des escalins qu’ils avoient livrés, mais ceux voiant la droiture avec laquelle le tout alloit à la Monnaie, ont d’eux-mêmes laissé différentes fois fondre les escalins sans s’y trouver présent, les escalins livrés n’ayant point été bonifiés auxdits Etats de Brabant à moindre titre, ni le déchet n’ayant pas été plus fort que des premiers livremens d’escalins faits de leur part423.
La conversion fut longue à mettre en œuvre néanmoins car la forge de Bruges entra tardivement en activité, tandis que la Monnaie d’Anvers se trouvait déjà surchargée par les livraisons d’or424. D’autre part, les provinces et pays ne réagirent pas tous positivement à la demande, soit parce que celle-ci ne fut pas comprise, soit parce que leurs représentants y étaient défavorables. Les grands baillis, bourgmestre et échevins de la ville de Menin par exemple, envoyèrent un député pour solliciter la décharge complète de la livraison qui leur incombait, soit 61 072 florins et 12 sols de vieux escalins à fournir en deux fois, septembre 1750 et mars 1751425. Il fallut que Jean de Witt expliquât le bien-fondé de l’opération pour que le député repartît satisfait. Encore, le pays et ville de Menin revint-il sur les décisions prises. Par l’acte d’acceptation du 30 septembre 1750, les représentants ne voulurent payer la quote part de la perte et déchet sur le 420
422 423 424 425 426
AGR, JM, 180, Projet de consentement, fait en l’hôtel de ville de Gand, 18 décembre 1749. AGR, JM, 184, lettre des députés du Hainaut, 15 février 1751. AGR, JM, 171, lettre du comte de Fraula à Jacques Bosschaert, 30 mars 1751. AGR, JM, 178, lettre du président Jean de Witt, décembre 1749. AGR, JM, 180, lettre de Jean de Witt, 18 septembre 1750. Idem.
135
La réforme monétaire de 1749
livrement de deux millions de vieux escalins, « pourvu que ce déchet ne passat pas les 6 pour cent et à condition que la totalité des deux millions en escalins vieux étant complétée, il leur seroit tenu compte sur ces six pour cent dans le contingent de la perte »426. Le gouverneur, Charles-Alexandre de Lorraine, refusa cette condition qui pouvait porter à conséquence si toutes les provinces en jugeaient de même. Vu que l’Intention de Sa Majesté n’est point d’entreprendre la réformation des vieux escalins parmi un tantième par cent, mais de pretter simplement ses monnoyes aux Etats des Provinces et aux respectives administrations, pour la Conversion des vieux escalins en nouveaux, sans vouloir y gagner ni perdre, la condition de « pourvu que le même dechêt ne passe pas les six pour cent n’est point acceptable427.
La contestation porta en outre sur la part du pays rétrocédé dont les administrateurs, comme ceux de la ville d’Ypres, refusèrent dans un premier temps de livrer les vieux escalins, faisant porter sur les autres territoires une charge plus lourde. D’autres provinces réclamèrent également justice dans le calcul des charges de l’opération. Les députés des États du pays et comté du Hainaut voulurent interrompre la livraison et exigèrent d’être « informés au juste de la quantité de vieux escalins envoiés par les autres provinces », considérant que les frais, qui avaient déjà atteint plus de 40 000 florins à l’hiver 1750, risquaient fort de dépasser la répartition initialement prévue pour eux, soit 53 200 florins au terme de l’opération428. Pour contrer cette protestation, de Witt fit porter directement par les receveurs des administrations les escalins manquants. Quant aux États du Brabant, ils se plaignirent qu’ayant versé 507 006 florins argent courant de vieux escalins à la Monnaie d’Anvers, ils ne touchèrent que 466 701 florins de nouveaux. Ces atermoiements retardèrent les livraisons et firent craindre pour la fluidité du commerce. La question était d’autant plus sensible que la Hollande, à cette époque, acceptait les escalins pour 14 florins 12 sols argent courant, alors que l’on en donnait 13 florins 17 sols dans les Pays-Bas méridionaux, ce qui ne facilitait pas la conservation de la matière429.
427
428 429
AGR, JM, 180, lettre de Charles-Alexandre de Lorraine au Magistrat de la ville et verge de Menin, 10 octobre 1750. AGR, JM, 184, lettre des députés du Hainaut, 15 février 1751. AGR, JM, 183. Note.
136
Chapitre 10 Le succès des souverains belgiques
1. Le nouveau système Lors de la réunion à l’hôtel du duc d’Arenberg, le 29 mars 1749, Jacques Bosschaert ne mit pas seulement l’accent sur le trafic des ducats rognés et allégés ; il souligna surtout la disproportion entre le cours de l’or et de l’argent et l’inégalité d’évaluation entre les espèces. Modifier le rapport or-argent pour éviter la pénurie du métal blanc si utile au commerce, sa fuite vers l’étranger, constituait la priorité. Pour cela, la Jointe proposa de se baser sur le cours du souverain, de le porter à 15 florins 6 sols et d’évaluer les espèces d’or étrangères à proportion du souverain. Après moult hésitations, les membres proposèrent d’établir le marc fin d’or à 366 florins et de ne rien innover en revanche pour le cours des espèces d’argent430. Les essais menés sur les espèces d’argent étrangères, et notamment les espèces de France avaient bien montré qu’elles revenaient en fait en dessous du prix proposé dans les hôtels des Pays-Bas. Les membres ne craignaient donc pas que leurs nouvelles monnaies d’argent puissent être « enlevées » par ces espèces d’argent étrangères. Ainsi, le rapport de l’or à l’argent fut fixé à 14 35 , c’est-à-dire que l’on supposait l’argent être 14 fois trois cinquième plus abondant sur les marchés financiers. Il faut saper la racine du mal. Il n’y a qu’un remède, à savoir proportionner l’or et l’argent, évaluer autant que possible toutes les espèces qui ont cours légalement et les évaluer un peu moins que nos propres espèces, pour que celles-cy ne soient enlevées et fabriquées par les étrangers431.
Mais le rétablissement de la souveraineté passait par la création d’un système monétaire complet capable de répondre aux besoins de tous les administrés en se passant des monnaies étrangères. L’ordonnance du
430 431
AGR, JM, 217, « arrangement final », 1749. Rapport de Jacques Bosschaert, cité par Alphonse de Witte, op. cit., p. 287.
La réforme monétaire de 1749
19 septembre 1749 créa ainsi sept sortes de monnaies432. Les doubles souverains de même titre et de même poids que l’ancien, c’est-à-dire 22 carats ¾ d’or fin en aloi et de 22 466/5733 de taille au marc. Ils devaient donc avoir cours pour 15 florins 6 sols argent de Flandre et 17 florins 17 sols argent courant, selon l’avis de la Jointe433. Les souverains simples, de même titre que le double mais de poids moitié moindre, devaient avoir cours pour 7 florins 13 sols argent de Flandre et 8 florins 17 ½ sols argent courant ; une nouvelle monnaie d’argent de haut aloi (dix deniers 11 ½ grains d’argent) dont l’unité devait être le ducaton à la reine dont il y aurait des demis, des quarts et des huitièmes ; de nouveaux escalins au même titre des anciens (6 deniers 23 ½ grains d’argent) ; des pièces de bas aloi contenant 5 deniers d’argent fin, ainsi que des demis desdites pièces, et enfin, quelques liards et double liards, selon les dispositions de 1745. En contrepartie, le cours des pièces étrangères fut interdit434. Le système de 1749 connut des ajustements importants car le rapport or-argent défini cette année-là manqua son objectif. Bruxelles avait établi deux proportions : une établie sur la valeur numérique (1 à 14 148/288) et l’autre sur la valeur métallique (1 à 14 197/288). Toutefois, il fallait bien tenir compte, encore et toujours, des évaluations étrangères. D’ailleurs, les conventions entre souverains se multipliaient. Marie-Thérèse d’Autriche faisait attention à convenir du prix de l’or et de l’argent en harmonie avec les évaluations des États voisins435. Malgré cela, les Pays-Bas se trouvèrent confrontés à une relative abondance de l’or et une disette de l’argent qui fixa le pays. L’approvisionnement s’essouffla : Il se trouve tout au plus 5 600 000 matières d’escalins y compris ceux de la Recette générale et qu’au plus de 500 000 de l’aloi pour en faire des pièces de 5 sols et 10 liards, ce qui iroit à la valeur de 84 000 florins peu
432
433 434
435
Ordonnance du 19 septembre 1749, Recueil des ordonnances des Pays-Bas autrichiens, publié par Louis-Prosper Gachard, 3e série, t. VI, Bruxelles, 1887, p. 472-483. AGR, JM, 217, « arrangement final », 1749. A l’exception notable des mirlitons de France, des louis à la Croix de Malte, des louis de Noailles, des louis vertugadins, des quadruples d’Espagne, les guinées d’Angleterre, les vieilles pistoles de Louis XIV. En 1753 par exemple, elle signa avec le duc de Bavière pour arrêter la proportion de l’or par rapport à l’argent à 14 « ou tout au plus 14 11/12 marc d’argent pour un marc d’or ». AGR, JM, 195, décision du 29 septembre 1753.
138
Le succès des souverains belgiques
plus, à quoi ajoutant 200 000 en valeur de haut aloi, qui est toute la valeur d’argent dont la monnaie est pourvue pour le présent436.
En mars 1752, il fut ordonné aux ateliers de recevoir tous les escalins indifféremment, sans rejeter les étrangers. À partir de cette date néanmoins, les Provinces-Unies décidèrent de réduire le cours des escalins vieux des Pays-Bas, puis, le 8 mars 1752, de les décrier437. Bruxelles se trouva dès lors confrontée à une invasion d’escalins vieux décriés et dut attendre, pour les billonner à son tour, que les forges en activité produisent suffisamment de nouvelles menues monnaies d’argent et de cuivre. Dès le 16 mars, MarieThérèse interdit d’introduire des vieux escalins depuis les pays étrangers, mais rien n’y fit et pendant un an, la spéculation sur ces pièces rognées, en échange d’escalins plus lourds envoyés hors des Pays-Bas, battit son plein. Le billonnement des vieux escalins n’eut lieu qu’en février 1753438. Cette disposition n’empêcha nullement les vieux escalins de Liège d’être reçus selon le cours des escalins nouveaux, ce qui fut également cause d’abus intérieurs auxquels Marie-Thérèse tenta de mettre fin également439. Elle interdit de recevoir les escalins de Liège en paiement, avec toutefois une concession de taille : elle accepta que ces espèces liégeoises, plutôt que d’être portées aux hôtels des monnaies comme billons, soient librement exporter vers l’étranger pendant un mois. La législation fut-elle connue de tous ? Une marchande de Huy, Catherine Elisabeth Parfondry, fut jugée pour avoir introduit des escalins de Liège à Namur440. La tentation demeurait grande de faire varier le poids et l’aloi des matières en fonction des cours extérieurs. En 1753 et 1754, « on etoit tombé d’¼ de grain en dessous de 22 carats pour l’or »441. On faisait varier en moins le titre et le poids des pièces tirées de la matière, à proportion toutefois de ce qui était jugé juste nécessaire pour éviter que la fabrication ne coûte trop à l’administration. Il fallut donc procéder à 436 437 438
439
440 441
AGR, JM, 171, lettre du comte de Fraula, 14 mars 1752. Ordonnance de Marie-Thérèse, Bruxelles, 17 février 1753. Les vieux escalins continuèrent d’avoir cours à 6 sols et un liard argent courant jusqu’en mai 1753. Ordonnance de Marie-Thérèse, Bruxelles, 17 décembre 1753. Au terme de l’article 1, tous ceux qui recevaient les vieux escalins de Liège en paiement s’exposaient à une amende de 100 florins si la somme de la transaction se trouvait inférieure à 10, et au double pour toutes les sommes au-dessus de 10. En cas d’insolvabilité, la prison était requise, pendant 6 semaines, au pain et à l’eau. AGR, Conseil privé, registre 863, folio 45, requête du 28 juin 1753. AGR, JM, 164, Rapport du 8 mai 1769. Brouillon.
139
La réforme monétaire de 1749
des ajustements en tenant compte, dans cette partie-ci de l’Europe, des parités adoptées par la France (14 9/19) et la Hollande (14 ¼). La Jointe mit la question à l’ordre du jour dès 1754 et chargea le conseiller Jean Charles Joseph van Heurck de rapporter sur les arrangements à prendre pour baisser les proportions entre les nobles matières442. Le conseiller fit son rapport le 30 octobre en expliquant très clairement qu’il était impossible de suivre le pied de l’Empire autrichien443. Sa position ne fut pas du goût du président de l’époque : Paul Cordeys. Les deux compères se disputèrent assez vivement. Van Heurck quitta l’assemblée. La Jointe reprit le débat le 10 novembre, mais c’est bien le président Cordeys, également président de la Chambre des comptes, qui dicta la consulte du 16 janvier 1755. En réplique, van Heurck manifesta son intention de donner directement son rapport au gouvernement444. En réalité, il garda le dossier pour lui, de telle sorte que lorsque l’on en eut besoin encore en 1765 en plein arrangement monétaire avec Francfort, Jean Mienens dut se rendre au domicile de l’ancien conseiller et négociait avec son fils la transmission des papiers445. La querelle se vida le 21 avril 1755, date à laquelle on fixa le prix de l’argent à 25 florins et 5 sols argent de change le marc fin. Marie-Thérèse ayant observé que le rehaussement du prix de l’argent avait occasionné la rareté et même fait fuir les espèces vers l’étranger, admettant que les placards de 1749 rataient leur objectif, faute de matière, fixa le ducaton à trois florins un sol argent de change, l’écu à palmes à deux florins et seize sols argent de change. Le rehaussement du prix du métal d’argent eut des effets sensibles, tant et si bien que le drainage vers les ateliers des Pays-Bas permit même la création d’un denier d’argent de haut aloi, la couronne ou pièce de 9 escalins, qui devait circuler pour 2 florins et 14 sols argent de change. Néanmoins, l’opération de 1755 rendit l’or plus cher en France que dans les Pays-Bas et provoqua donc, en échange du retour de l’argent, la disette de l’or. Celle-ci s’aggrava encore considérablement par les 442
443
444 445
AGR, JM, 158, Registre ou journal des affaires traitées en la Jointe des Monnoyes commençant le 4 octobre 1754 et finissant l’année 1759 ; mention du 30 octobre 1754. Jean Charles Joseph van Heurck fut nommé conseiller de la Jointe le 23 juillet 1754. AGR, JM, 162. Affaire des papiers de service de Van Heurck, suivie par l’actuaire de la Jointe, Jean Mienens, en 1766. AGR, JM, 162. Idem. Mienens se transporta chez van Heurck le 2 février 1766. Le fils de ce dernier, Pierre Joseph van Heurck, alors greffier de la Chambre des comptes, s’opposa à la transmission des papiers.
140
Le succès des souverains belgiques
remises en espèces d’or qui eurent lieu pendant la guerre de Sept-Ans446. En outre, les instances centrales reçurent maintes lettres dénonçant les manquements au respect de la législation aux frontières du territoire. Tout à fait au Nord, voici Bartholomé Haulet, le mayeur de la seigneurie de Neau (Eupen) dans le duché de Limbourg, qui exposa « le peu d’exactitude avec laquelle l’ordonnance du 21 avril 1755 qui règle le cours de ladite province est observée par les principaux négocians en drap »447.
2. La qualité des nouvelles espèces La qualité de la fabrication fut remarquée, non seulement par les experts venus de Vienne qui procédèrent aux vérifications, mais aussi chez les pays voisins qui soumirent les pièces au contrôle le plus strict448. Le contrôle des boîtes confirma la valeur des opérations. Dans la seule Monnaie d’Anvers, il n’y eut que 606 marcs de doubles souverains sur 27 616 marcs et 1156 marcs de simples souverains sur les 24 344 marcs fabriqués entre 1749 et le 10 avril 1751 qui se soient trouvés en dessous du titre ordonné d’un demi ou d’un quart de grain449. Concernant le ducaton de 1750, fabriqué à Anvers pour 29 134 marcs, on ne trouva qu’une seule livraison de 268 marcs en dessous du titre pour toute la période de la première boîte, soit jusqu’en avril 1751. Depuis ce tems là jusques encore aujourd’hui [1764], toutes les boetes successives ont toujours été trouvées en règle principalement quant au haut alloy450.
L’aloi varia de moins en moins. Si dans les années 1750, on s’écarta quelque peu du respect des remèdes, l’orthodoxie en la matière fut pleinement respectée à partir des années 1760. On apprécie l’exactitude des monnaies à partir des opérations de boîtes des années 1759 à 1767. Pour l’or par exemple, on voit par le tableau suivant qu’on n’épuisa pratiquement pas le remède et qu’à part l’année 1761, les monnayeurs restèrent en dedans des dispositions réglementaires.
446 447 448 449 450
AGR, CF, 7497, Mémoire sur la disette des espèces d’or aux Pays-Bas, 7 octobre 1788. AGR, JM, 160, décret du 2 février 1760 sur la requête des mayeurs de Néau. AGR, JM, 195, lettre du 27 octobre 1764. Idem. Idem.
141
La réforme monétaire de 1749 La fabrique des souverains d’or ordonnée au remède de ¾ d’esterlin ou 24 as en poids et ¾ d’un grain en aloi451 Année de la boîte
Mesure
1759 et 1760
Faiblesse en poids selon les boîtes
Faiblesse par marc d’œuvre En poids 22 as
À l’essai 1761
Faiblesse en poids selon les boîtes
Faiblesse en poids selon les boîtes
Faiblesse en poids selon les boîtes
Faiblesse en poids selon les boîtes
22 ⅔ as
Faiblesse en poids selon les boîtes À l’essai
451
1 ⅓ as 0¾ grain
23 ¾ as
0 ¼ as 0¾ grain
13 as
À l’essai 1765
0 ⅔ 0¾ grain
À l’essai 1764
2 as
24 ⅔ as
À l’essai 1763
11 as 0¾ grain
23 2/5 as
0 3/5 as 0¼ grain
AGR, JM, 164, Rapport du 8 mai 1769. Brouillon.
142
Pris plus que le remède en poids
0¾ grain
À l’essai 1762
En aloi
Pris moins que le remède en poids
Pris moins que le remède en aloi
Le succès des souverains belgiques Année de la boîte
Mesure
1766
Faiblesse en poids selon les boîtes
Faiblesse par marc d’œuvre En poids 18 ¾ as
À l’essai 1767
Faiblesse en poids selon les boîtes À l’essai
En aloi
Pris moins que le remède en poids
Pris plus que le remède en poids
Pris moins que le remède en aloi
5/4 as 0 ⅝ grain
20 as
4 as 0¾ grain
De même pour l’argent, les fabricants restèrent au plus près des dispositions définissant le titre et le poids452. Ainsi, la qualité de la fabrication ne fit pas défaut. Les comparaisons avec le reste de l’Europe tournèrent à l’avantage des Pays-Bas, tant et si bien d’ailleurs, qu’il fallut pourvoir à la demande. Les forges d’Anvers, Bruges et surtout Bruxelles produisirent pour 40 millions d’espèces monnayées entre 1749 et 1758, et pour 60 millions entre 1759 et 1769. Il faut dire aussi que la crainte d’être de nouveau envahis par des espèces rognées avait engagé Marie-Thérèse à durcir la législation pour protéger les souverains de toute altération liée à la circulation. Personne ne devait recevoir des monnaies d’or en paiement sans les peser ; et pour débusquer les affairistes, introducteurs de pièces allégées, l’article 46 de la loi de 1749 prévit que tous ceux pris en possession de telles pièces devaient livrer les noms des personnes qui leur avaient donné, jusqu’à ce que le juge ne puisse plus remonter la filière et soit en mesure de condamner celui qui se trouvait à la source du débit. Il s’agissait là, pour les autorités « du remède unique pour prévenir les abus et les inconvénients dont ce païs a été opprimé pendant la dernière guerre dans ces provinces »453.
452 453
AGR, JM, 164, Rapport du 8 mai 1769. Brouillon. AGR, JM, 196, lettre de Jacques Mienens, 15 juin 1764.
143
La réforme monétaire de 1749
3. Un succès européen Abot de Bazinghen rapporta à son tour la qualité des monnaies bruxelloises. Dans le tome premier de son ouvrage, il indiqua la valeur du ducaton en ajoutant que « cette monnaie est très recherchée en Hollande comme étant d’un argent très pur »454. À Vienne, on importa les souverains d’or pour les imiter. Cependant, les essais généraux ne trouvèrent contredits par quelques essais particuliers rapportés par le Français Jacques Macé de Richebourg. Ce dernier publia en 1764 son fameux Essai sur la qualité des monnaies étrangères455. Dans cet ouvrage, il accusa plusieurs pièces des Pays-Bas de faiblesse : trois grains en dessous du titre ordonné concernant l’or et deux grains et demi en dessous concernant le ducaton. Pour les autorités bruxelloises, Macé de Richebourg avançait des données inexactes pour détruire la confiance des commerçants dans la monnaie des PaysBas. D’ailleurs, elles soulignèrent d’autres inexactitudes concernant des monnaies étrangères, la guinée d’Angleterre, le crusado du Portugal ou le ducat impérial… La guerre d’argent que menaient les puissances commerciales européennes ne passait-elle pas par la désinformation économique ? Des pratiques similaires d’utilisation des gazettes pour attaquer les outils financiers des pays voisins, comme les loteries par exemple, ont été repérées456. Quoiqu’il en fût, la production des années 1750 rehaussa très sensiblement la qualité des espèces des Pays-Bas dont le prestige s’imposa davantage en Europe. Le conseiller à la direction des Monnaies, Jacques Mienens, fit état du succès des souverains en Allemagne : Il est connu du gouvernement que tous nos souverains d’or, tant ceux forgés successivement depuis quelques années que les antérieurs qu’on a pu collecter ou échanger, sont passés en Allemagne, qu’ils y ont été évalués et rendus coursables dans les armées de Sa Majesté et les païs des environs où ils doivent même avoir été recherchés préférablement aux autres espèces et principalement à celles faites ou contrefaites de quelques monnaies d’Allemagne457.
454
455
456
457
François-André Abot de Bazinghen, Traité des monnaies, op. cit., t. 1, 1764, p. 379. Essai sur la qualité des monnaies étrangères et sur leurs différents rapports avec les monnaies de France, Paris, Imprimerie royale, 1764, 58 p. Marie-Laure Legay, Les loteries royales dans l’Europe des Lumières, 1680-1815 Lille, PU du Septentrion, 2014. AGR, JM, 196, lettre de Jacques Mienens, 15 juin 1764. Sur Jacques Mienens, voir la notice de Claude Bruneel, Les grands commis du gouvernement des
144
Le succès des souverains belgiques
Dans quelle mesure ces souverains furent-ils à leur tour imités ? Le nombre de fausses espèces d’or et d’argent des Pays-Bas augmenta sensiblement, si l’on s’en rapporte aux registres tenus par la Jointe458. La guerre de Sept-Ans accéléra le phénomène en donnant cours aux souverains dans les armées de Marie-Thérèse et dans plusieurs Etats de l’Empire. Une fois évalués et rendus coursables, ils ont été recherchés prioritairement et imités, notamment en Prusse459. De même, on trouva des faux souverains en Moravie en 1759. Il s’agissait de huitième de ducatons que l’on dorait superficiellement. L’administration des Monnaies craignit grandement le retour de ces espèces vers les Pays-Bas, une fois la guerre achevée. Le 24e article de l’ordonnance du 19 septembre 1749 spécifiait bien que « personne ne [pouvait] donner ou recevoir en paiement aucune espèce d’or sans la peser », mais en réalité, « le public [commençait] à se relâcher » sur ce point460. Il fallut donc renouveler les ordres auprès des comptoirs de l’impératrice, mais aussi de ceux des villes et des Etats. Les fausses pièces d’argent furent également repérées assez vite : en 1751, on analysa des faux escalins au coin d’Anvers ; en 1759, des faux doubles et simples escalins ; en 1763, des fausses demies-couronnes au coin de Bruxelles et de faux escalins ; encore en 1765461… Globalement toutefois, les souverains d’or des Pays-Bas sont passés à cette époque pour une valeur sûre, auxquelles il ne fallait pas toucher. L’évaluation soigneuse qui avait été faite en 1749 des espèces ne fut d’ailleurs pas remise en cause avant 1786. Quand les autorités se demandèrent en 1773 s’il n’était pas opportun de modifier l’évaluation des ducats impériaux d’argent, dont la valeur intrinsèque semblait plus élevée que celle des ducats de Hollande avec lesquels ils se confondaient pourtant, il fut décidé finalement ne « de rien changer à ce qui a été réglé en 1749 » pour conserver la juste proportion avec les souverains d’or462. À l’intérieur du territoire, les nouvelles autorités monétaires durent se mettre à l’écoute des corps constitués. L’interdiction de certaines espèces étrangères ne satisfaisait pas certaines villes frontières. Les habitants de Chimay et Beaumont, enclavés dans le pays de Liège, firent valoir le préjudice pour leur commerce dès le mois d’octobre 1749 ; la ville de Walcourt
458 459 460 461 462
Pays-Bas autrichiens, op. cit., p. 420-422. AGR, JM, 196 et 197. AGR, JM, 196, lettre de Jacques Mienens, décembre 1759. AGR, JM, 196, rapport du 15 juin 1764. AGR, JM, 197. AGR, JM, 195, lettre du Baron de Cazier, 27 avril 1773.
145
La réforme monétaire de 1749
sollicita également la possibilité de recevoir les espèces françaises et liégeoises, à l’instar des habitants de Chimay et de Beaumont, ce qui leur fut concédé, aux uns et autres, car malgré la volonté politique d’appliquer avec rigueur le placard de septembre 1749, l’on ne pouvait contester le bien-fondé de la demande463. Tout au plus, Marie-Thérèse exigea que le cours du change et l’égalité de proportion entre les espèces soient observés « pour prévenir les agiotages ».
J. Roettiers (graveur), Jeton d’épreuve de la Monnaie d’Anvers, 1744. r. Revers : ET LEGE ET PONDERE/ MONETA Presse à balancier. À terre, des cisailles, des monnaies qui viennent d’être frappées, deux paniers remplis de flans. [avec l’aimable autorisation de Elsen & fils, Bruxelles, vente publique 100, lot 197]
463
AGR, JM, 184, lettre de Jean de Witt, 3 juillet 1754.
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Quatrième partie
L’exploitation monétaire des Pays-Bas
L’exploitation monétaire des Pays-Bas
À partir des années 1760, le système monétaire et financier des Pays-Bas fut satellisé. Victimes de leurs propres succès, les souverains belges prirent la direction de Vienne, avec d’autant plus de facilité que Marie-Thérèse s’entendait avec la banque Nettine pour approvisionner en grand les ateliers. Après elle son fils, Joseph II, poursuivit l’œuvre de centralisation et de captation464. Dans l’esprit de l’empereur qui entreprit la pesée comptable de ses états pour apprécier le bilan global de ses finances, les Pays-Bas constituaient un territoire riche dont l’apport ne pouvait être négligé. Il présentait certes l’inconvénient d’être éloigné du reste de l’empire, mais les recettes qu’il procurait en faisaient une manne. Les puissances occidentales qui s’engagèrent dans les guerres révolutionnaires ne se trompèrent pas non plus sur l’intérêt d’occuper ces provinces.
464
Sur Joseph II, François Fejtö, Joseph II : un Habsbourg révolutionnaire : essai biographique, Nouv. éd., Paris, Quai Voltaire, 1994 ; Hervé Hasquin, Joseph II : catholique anticlérical et réformateur impatient : 1741-1790, Bruxelles, Racine, 2007.
148
Chapitre 11 L’exploitation autrichienne (1756–1780) 1. La banque Nettine, livrancière privilégiée de monnaies L’alliance franco-autrichienne scellée en 1756 plaça les Pays-Bas dans une situation financière nouvelle car tout en étant maintenus en dehors du théâtre des opérations militaires, ils allaient bénéficier du retrait des banques hollandaises. On connaît les effets de ce renversement d’alliance sur l’ascension de la banque Nettine. Le mariage, en 1760, de Jean-Joseph Laborde, banquier du clan lorrain dirigé par Choiseul, avec Rosalie Nettine, fille du trésorier du duc de Lorraine et de Barbe-Louise Stoupy, banquière de Marie-Thérèse à Bruxelles, consolida l’alliance politique sur le plan financier465. De même, l’ascension de Julien de Pestre, comte de Seneffe, fournisseur de l’armée française pendant la guerre, témoigne du rôle central de Bruxelles comme plaque tournante des opérations financières466. Pestre de Seneffe épousa Isabelle Cogels, fille issue de la célèbre maison de banque anversoise. L’opération diplomatique consistait à aider l’Autriche à reprendre la province de Silésie à la Prusse à condition que l’Autriche cédât les Pays-Bas à la France à la fin du conflit. Le traité secret de 1757 engageait Louis XV à verser 12 millions de florins pour la réussite du projet. Le subside fut réduit à 6 millions en 1758467. Les opérations financières nécessaires au maintien et à la subsistance des armées françaises en Allemagne passaient par la banque de Francfort. Six banquiers furent chargés de faire les fonds : la maison Franck, celle des frères Ohlenschlager, celle des frères Bethmann, les banquiers Schmidt, Quaitta et Perette468. À la fin de la
465
466
467
468
Yves Durand, « Mémoire de J.-J. de Laborde, banquier de la Cour et fermier général », dans Annuaire-bulletin de la Société de l’histoire de France, 19681969, p. 74-162. Herbert Lüthy, La banque protestante de la révocation de l’édit de Nantes à la Révolution, Paris, SEVPEN, t. 2, 1961, p. 264. Archives des Affaires étrangères, La Courneuve [désormais AAE], Mémoires et documents, 40, pièce 42, f° 336, 1758. AEE, Correspondance politique, supplément Autriche 19, f° 51, lettre du comte de Choiseul, 14 mai 1761. Le Kupferamt était un bureau qui administrait les
L’exploitation monétaire des Pays-Bas
guerre de Sept-Ans, un nouvel arrangement pour le paiement des arrérages du subside fut établi : Choiseul offrit de payer l’appoint de 390 000 livres et les 21 millions restant dans les six ans à commencer du 1er janvier 1764 à raison de 3,5 millions par an en passant par la banque veuve Nettine469. Entre-temps, cet établissement bancaire était devenu le principal trésorier de la monarchie autrichienne au Pays-Bas. Il faut dire que la pénurie de numéraire se fit gravement sentir : On doit rappeler qu’après la paix d’Hubertsbourg, on a demandé et obtenu en 1763 un don gratuit de paix qui a été de quatre millions payable en quatre années, et cela après que le pays étoit épuisé d’argent par les fortes exportations continuelles qui s’en étoient faites pendant la guerre de Sept ans470.
On l’a vu, la veuve de Matthias Nettine obtint des commissions pour l’approvisionnement des Monnaies à partir de 1750. Elle livra toutes sortes de matières, au besoin en faisant appel à son réseau de correspondants hollandais, comme la maison César Sardi et Cie471. La veuve, toujours très à cheval sur les payements de ses services, posa ses conditions en agitant la menace d’une livraison dans les Etats allemands voisins : Si on n’apporte pas plus de facilité (de paiement), il est à craindre qu’il (l’envoi) ne prenne un autre chemin. On me raisonne déjà d’un certain prince d’Empire qui voudrait les atirer. Je suis même surprise qu’ils ne se servent du canal de Hollande où cet aloi reste fixe à 25 florins 10 courant de Hollande le marc…472.
Pendant dix ans, ses livraisons se firent aux mêmes conditions que celles exigées des autres banquiers fournisseurs, comme la maison Cogels d’Anvers. D’après la convention signée le 24 juillet 1750, elle devait par exemple faire
469 470
471
472
mines et surtout le cuivre. Il émettait des obligations qui alimentaient une caisse, celle des dettes de l’Etat. AEE, Correspondance politique, supplément Autriche 19, f° 134, 20 septembre 1763. HHStA, Vienne DD – Abteilung B, 85 (rote Number), Mémoire sur les Finances Belgiques, signé De Kulberg, Bruxelles, juin 1792. Voir aussi Valery Janssens, « Mevrouw de Nettine, staatsbankier in de 18e eeuw », Bank-en Financiewezen/ Revue de la Banque, 1969, p. 679-689. Michèle GalanD, « Dans les coulisses du pouvoir : la veuve Nettine (1706-1775), banquière au service de l’État dans les Pays-Bas autrichiens », dans Fr. Thys-Clément et al. (éd.), Femmes de culture et de pouvoir : liber amicorum Andrée Despy-Meyer, Bruxelles, 2000, p. 69-80. AGR, JM, lettre de Louise Stoupy, veuve Nettine, au comte de Fraula, 1er juillet 1750. Idem, lettre de la même au même, 16 août 1750.
150
L’exploitation autrichienne (1756–1780)
venir des espèces billonnées pour la somme de 500 000 florins473. La valeur en fut payée à raison de 24 florins et 11 sols de change le marc fin. Il fut permis en outre à la banquière de faire sortir par le bureau de Tirlemont moitié espèces neuves et moitié espèces vieilles. De fait, la veuve livra des « plaquettes »474 de Liège pour parer au vide des vieux escalins d’argent qui partaient vers la Hollande, mais aussi des ducats et lingots d’or475. Le tout servit à la refonte des monnaies ordonnée en 1749. La banquière négocia ses livraisons avec habileté, cherchant toujours à obtenir des primes en rapport étroit avec le titre des billons fournis. Lorsque Jean de Witt, chef de la Jointe des Monnaies, proposa de payer « un quart pour cent pour les livremens de 50 au plus de marc, et ⅜ pour cent jusques à cent et plus de marc à la fois en ducats ou lingots d’or contenant 22 carats d’or fin allié au moins de 10 grains d’argent fin ou au plus haut titre », la veuve fit savoir « qu’elle se reservoit de déclarer ses intentions jusques qu’à elle auroit vu l’effet de ce que nous lui avions proposé »476.477 Livraisons de la banque Vve Nettine à la monnaie de Bruxelles pour l’année 1750477 Date
Objet
Valeur
Intermédiaires
1er Juillet
2 lingotins d’argent Mirlitons or Barres d’or
300 marcs en tout
Banque Cesar Sardi d’Amsterdam
11 juillet
Plaquettes
668 ¾ marcs
Livraison directe
2 000 marcs en tout
24 juillet
5 caisses de plaquettes
19 août
9 caisses plaquettes
David, de Liège
21 août
4 caisses de plaquettes
David, de Liège
4 septembre
Livraison directe
3 198 + 1 599 marcs au Livraison directe moins
2 octobre
Plaquettes
3 003 marcs
Livraison directe
14 octobre
Plaquettes
5 543 marcs
Livraison directe
La livraison de plaquettes ne formait pas une affaire très juteuse pour la banque, notamment quand elle passait par la banque liégeoise. C’est 473 474 475
476 477
AGR, JM, 209, Convention du 24 juillet 1750. Rappelons ici qu’il s’agit de demi-sous de trois patards. Idem, lettre de Jean de Witt, 28 novembre 1750. Les plaquettes sont des demi-sols de trois patards. Idem. D’après AGR, JM, 316, correspondance de Louise Stoupy, veuve Nettine, avec le comte de Fraula.
151
L’exploitation monétaire des Pays-Bas
pourquoi elle demeurait attentive à réduire, comme à son habitude, tous les frais annexes de ces opérations : frais de transport, frais de fonte, frais des essais… Elle harcelait ses correspondants sur ces questions, avec d’autant plus de détermination qu’elle savait être en grâce à la cour. Jacques Bosschaert le comprit bien qui déclara que l’on devait « traiter la Nettine aussi favorablement qu’il se peut »478. À la suite du retournement d’alliance de 1756 et de la guerre de SeptAns, le rôle de la maison Nettine évolua. Les arrangements des 21 août et 18 septembre 1762 la promurent comme livrancier principal de l’hôtel des monnaies de Bruxelles. La maison de banque présentait naturellement l’avantage d’être alliée à celle des Laborde en France479. Le mariage de Rosalie de Nettine et de Jean-Joseph Laborde avait été célébré à Bruxelles le 9 septembre 1760 et dès lors, la veuve de Matthias Nettine avait accès à l’or français. Ses propositions de livraisons de lingots intéressaient les autorités bruxelloises. Certes, elle continua de livrer des piastres sur le pied de 23 florins 4 sols et 38 mites de change par marc fin, avec 1% de bénéfice, mais, dans la mesure où la veuve proposait aussi de livrer une partie du métal de haut aloi en lingots, on ordonna « que le comte de Fraula lui fasse payer pour ces matières un demi pour cent de plus qu’il n’accorde au commun des livranciers »480. L’arrangement signé le 18 septembre 1762 fut plus précis encore481. Il indiquait que l’approvisionnement en piastres se ferait à raison de 3 000 marcs par semaine jusqu’à la fin de l’année 1763, soit 40 000 marcs en tout, sans néanmoins que la banque fût obligée de s’en tenir exactement à ces quantités hebdomadaires. Le paiement, en revanche, lui était fait sur cette base. Comme la veuve obtenait ces piastres moyennant des écus à palmes, elle disposait seule du droit d’extraire ces espèces des Pays-Bas482. Cet arrangement ne doit pas étonner. C’est à ce prix que les souverains des Pays-Bas pouvaient faire circuler leurs espèces. Mieux : si les conditions de prix de Jean-Joseph Laborde ne devenaient plus guère intéressantes,
478 479
480
481 482
152
AGR, JM, 310, lettre du 16 octobre 1750. Yves Durand, « Mémoires de Jean-Joseph de Laborde, banquier de la cour et fermier général », Annuaire Bulletin de la Société de l’Histoire de France, 19681969, publié en 1971, p. 73-162. AGR, JM, 210, convention du 21 août 1762. Jean-Baptiste Joseph Fraula était président des deux chambres des comptes des Pays-Bas. François-Alexandre Aubert de La Chesnaye Des Bois, Dictionnaire Généalogique, Héraldique, Chronologique Et Historique…, vol. 2, Paris, chez Duchesne, 1757, p. 144. AGR, JM, 210, convention du 18 septembre 1762. Idem, article 5.
L’exploitation autrichienne (1756–1780)
Marie-Thérèse pouvait quand même juger utile de poursuivre l’opération. La question se posa en 1764 : M. de la Borde m’ayant démontré qu’il ne pouvoit pas me livrer les piastres à un autre prix que celuy que nous avions fixé jusqu’ici, S.A.R. considérant que S.M. ne sauroit presque perdre à ce marché que l’avantage de faire circuler ses propres espèces qui ne sortent point du paÿs, et les raisons supérieures qui persuadent ce marché feront en tout cas oublier la petite perte que S.M. pourroit faire483.
L’arrangement était d’autant plus nécessaire que le public ne pouvait y pourvoir. Il présentait des inconvénients néanmoins. Le comte de Fraula, commissaire à l’hôtel des Monnaies de Bruxelles, ne manqua pas de les exposer, conseillant le secret sur ces conventions : Nous ne dissimilerons point les inconvéniens de la préférence d’un pour cent sur la première classe [le public livrait les matières gratis] et d’un demi pour cent sur la seconde classe [les particuliers versés dans le commerce livraient avec ½% d’agio] dont jouit la livrancière privilégiée. C’est peut un objet de plainte et de jalousie, mais nous n’ÿ voÿons d’autre remède, que le secret qui doit être observé dans cette matière484.
Et le comte de conclure que l’inconvénient était d’autant plus relatif que le change était peu favorable aux Pays-Bas, à cause de la prohibition de presque toutes les denrées. Ainsi, l’arrangement avec la banque Nettine fut-il renouvelé le 25 avril 1765. « Si l’on fait cesser le bénéfice que l’on donne à Madame Nettine, il est évident que le monnoyage cessera entièrement », lisait-on encore dans un rapport de 1769485. Il faut toutefois bien voir que le privilège accordé à la banque ne se justifiait pas pleinement, hormis le bon vouloir du gouverneur, qui relayait directement les ordres de Marie-Thérèse. Pour ceux qui avaient le « malheur d’être employés dans cette pénible et difficile partie », le seul moyen de faire taire la jalousie des autres banquiers était d’invoquer la nécessité d’obéir. C’est du moins ce que préconisa audacieusement le nouveau conseiller-assesseur de la Jointe, Henri Delplancq, qui entra en 1759486. Au fond, les ateliers étaient en activité. Qu’ils travaillassent directement pour Vienne ou pas demeurait secondaire.
483 484 485 486
Idem, note du 11 mars 1764. AGR, JM, 214, Mémoire du comte de Fraula, 1769. AGR, JM, 164, Rapport du 8 mai 1769 sur les remarques du Prince de Kaunitz. Idem. Delplancq (cf. C. Bruneel, Les grands commis…, p. 206-209).
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L’exploitation monétaire des Pays-Bas
Esquisse pour la gravure d’un jeton de cuivre commémorant l’alliance francoautrichienne, 1756 [AGR, Jointe des Monnaies, 231]
2. La prééminence de l’atelier de Bruxelles sur celui de Bruges Mieux : au risque de déplaire aux élites locales, la souveraine mit fin à l’activité du plus ancien hôtel des monnaies des Pays-Bas, celui de Bruges, « attaché à la souveraineté du comte de Flandre »487. Les égards jusque-là ménagés à la province diminuèrent et la fermeture fut envisagée à partir de 1753. Il faut convenir que le nombre de journées de monnayage était insuffisant pour conserver l’atelier : en novembre, il tourna un seul jour pour monnayer l’argent et un autre unique jour pour les demi-souverains de 35 marcs488. En réalité, le gouvernement lambina sur cette fermeture au caractère très politique. En octobre 1754, Marie-Thérèse laissa « sans disposition » une consulte à ce sujet, mais demanda qu’on lui la remette sous les yeux plus tard. Le 28 décembre, la Jointe ordonna au directeur de ladite Monnaie de Bruges, Henri Caesemaeker, de fermer l’établissement au commencement de 1755489. On tergiversa encore quelques mois. La 487 488 489
AGR, JM, 289, clôture de la Monnaie de Bruges, lettre du 12 mai 1755. Idem, avis de Jean de Witt, 11 décembre 1753. AGR, JM, 158, Registre ou journal des affaires traitées en la Jointe des Monnoyes commençant le 4 octobre 1754 et finissant l’année 1759 ; mention du 28 décembre 1754.
154
L’exploitation autrichienne (1756–1780)
p ublication du placard du 21 avril 1755 qui mettait les écus de France à palmes au même cours que ceux à couronnes ne risquait-elle pas de faire fuir tous ces deniers vers Lille, tandis que la Monnaie de Bruges eut pu les collecter pour l’avantage que l’augmentation du prix en procurerait ? Finalement, on opta pour la fermeture de la fabrique, mais pour le maintien, à Bruges, de son directeur et de la collecte490. Car la ville de Bruges, à l’instar de celle d’Anvers, présentait l’avantage de drainer, par son commerce, toutes sortes d’espèces utiles. « Il fait à observer ici que c’est par le moien de ces Changeurs ou collecteurs des monnoies de Bruges et d’Anvers que la monnoie de Bruxelles est surtout allimentée » rappela Jean de Witt491. Toutes les précautions furent prises pour une cessation progressive d’activité « en y substituant insensiblement un change ou collecte afin de ne pas indisposer les Etats de ladite province qui étoient et qui sont certainement encore si jaloux de la monnaie de la province qu’ils ne manqueroient pas de l’alimenter s’il etoit en leur pouvoir et de leur compétence »492. La fermeture consterna les députés des Etats de Flandre : Elle [la Monnaie] fait ainsy un droit essentiel de l’état et une prérogative des plus précieuses de la province principale du pays dont elle n’a point mérité d’être privée493.
À partir de 1756 en revanche, on développa l’atelier de Bruxelles494. Comme le rapporte Jean de Witt, l’hôtel de la ville n’était alors qu’un bâtiment modeste. Cette Monnaie avait été saccagée par le bombardement d’août 1695. Au cours de la reconstruction de la ville, le gouvernement voulut vendre une partie des terrains de l’hôtel, ce qui mit le Magistrat en émoi. Craignant pour la perte de son hôtel des Monnaies, la ville fit opposition à la vente par devant le Conseil de Brabant qui concilia les parties en septembre 1696 : le gouvernement fit savoir alors qu’il ne s’agissait nullement de détruire l’établissement, mais bien de le remettre sur pied au moyen de la vente, et que si le Magistrat s’obstinait à s’y opposer, il devait 490 491 492 493 494
Idem, mention du 14 décembre 1756. AGR, JM, 165, Mémoire, mars 1777 (transcrit en annexe). AGR, JM, 165, Mémoire de Jean de Witt, mars 1777. Idem, Lettre des députés des Etats de Flandre, 12 mai 1755. Voir sur ce thème Raymond Van Uytven, « La prééminence du duché de Brabant et de la ville de Bruxelles dans les Pays-Bas espagnols et autrichiens », dans C. de Moreau de Gerbehaye, S. Dubois, J.-M. Yante (dir.), Gouvernance et administration dans les Provinces belgiques (xvi e-xviii e siècles), en Hommage au Professeur Claude Bruneel, t. 1, Bruxelles, Archives et bibliothèques de Belgique, 2013, p. 203-225.
155
L’exploitation monétaire des Pays-Bas
alors prendre en charge cette reconstruction à ses frais495. De fait, le terrain fut vendu au banquier Gio Paulo Bombarda pour 18 000 florins et divisé en deux parties, l’une pour l’érection d’un théâtre, ouvert en 1700, l’autre pour rebâtir la Monnaie proprement dite. Le garde de la Monnaie, Jean Ernest Van Veen, se proposa quant à lui d’entreprendre le bâtiment à sa charge, tandis que le maître particulier Serstevens offrit, avec une avance de 12 000 florins, de reprendre la fabrique de 50 000 marcs de liards « ou autre petite espèce de monnoye présentement si nécessaire »496. La forge se maintint donc sur place entre la place de la Monnaie et la rue de l’archevêché. Jusqu’en 1756, seules les chambres de presses qui servirent encore à la fabrication des liards en 1744 et 1745 avaient été jusque-là maintenues en état. Dans la seconde moitié du xviiie siècle, des raisons à la fois politiques et économiques motivèrent la relance de son activité : il s’agissait d’une part de mettre « tous ceux qui ont relation avec les opérations de monnaies à portée de veiller immédiatement à cette direction », et en conséquence, « de laisser hors d’activité les monnoies de Bruges et d’Anvers » ; mais il importait aussi, par ce moyen de mettre fin aux vacations et frais de déplacement des commissaires de la Jointe, basés à Bruxelles. Deux jetons furent frappés pour marquer l’événement : l’un à l’occasion du « rétablissement de l’hôtel de monnaies, frappé en 1751, et l’autre à l’occasion de la “restauration” frappé en 1756497 ».
3. La « provincialisation » des finances belgiques au profit des « finances allemandes » Il ne fait pas de doute que les Pays-Bas ont constitué pour Marie-Thérèse une manne qu’il s’agissait de faire grossir par le moyen d’une gestion adaptée certes à la nature de ces provinces, mais ferme. Pour relayer sa décision, l’impératrice disposait des services de son beau-frère, Charles-Alexandre de Lorraine, mais aussi de toute une chaîne d’administrateurs que le gouverneur honorait de jetons, succédanés commémoratifs de monnaie498. Les jetons gravés à Bruxelles étaient surtout destinés au Gouverneur général, r eprésentant 495 496 497 498
AGR, JM, 165, Mémoire de Jean de Witt, mars 1777. AGR, CF, 174, Remontrance de Jean-Ernest van Veen. AGR, JM, 227, jetons d’étrennes pour les années 1753-1775. A l’instar des almanachs, ces jetons commémoraient un événement de l’année précédente et participaient en quelque sorte à l’organisation des « cérémonies de l’information » autour de la personne royale.Voir sur cette notion Michèle Fogel, Les cérémonies de l’information dans la France du XVI au xviii e siècle, Paris, Fayard, 1989.
156
L’exploitation autrichienne (1756–1780)
direct du souverain, et au ministre principal pour usage politique. Voici la liste des personnalités qui reçurent le jeton de 1767 à titre d’exemple. Jetons distribués le premier jour de l’année 1767499500 À Son Altesse Royale, présentés par le Conseiller receveur général des finances Proli dans une bourse brodée d’or
200
Ledit Conseiller receveur présenta aussi ledit jour à Son Excellence le Premier Ministre dans des rouleaux de papier 90 jetons, scavoir 50 jetons que Son Excellence envoie à Vienne et 40 jetons pour Sadite Excellence
90
Au Conseil privé À Monsieur le Chef et Président
6
À Mr le Conseiller d’Etat et Privé de Wavrans
4
À Mr le Conseiller de Kühlberg
4
À Mr le Conseiller de Crumpipen
4
À Mr le Conseiller de Plubeau
4
À Mr le Secrétaire De Reul
2
À Mr le Secrétaire Maria
2 Au Conseil des finances
À Monsieur le Trésorier général
6
À Mr Le Comte Philippe de Cobenzl
4
À Mr le Conseiller d’Etat et des finances de Neny
4
À Mr le Conseiller d’Etat et des finances de Keerle
4
À Mr le Conseiller de L’Escaille
4
À Mr le Général major et Conseiller Delaing
4
À Mr le Conseiller de Witt
4
À Mr le Conseiller et Chef commissaire de Wygandts
4
À Mr le Conseiller Baudier
4
À Mr le Conseiller Paradis
4
À Mr le Conseiller et Greffier jubilarisé Baron de Lados
4
À Mr le Greffier de Beelen
4
À Mr le Greffier de Selliers
4
À Mr le Conseiller et Receveur général des finances VanOverstraeten
4
À Mr le Conseiller et Receveur général des finances Proli
4
500
499 500
AGR, JM, 227. Frédéric Eugène François de Beelen-Bertholff, greffier au Conseil des finances (C. Bruneel, Les grands commis…, p. 89-92.
157
L’exploitation monétaire des Pays-Bas Autres distributions À Mr le Chancelier de Brabant
6
À Mr le Président de la Chambre des comptes
6
À Mr le Conseiller et Secrétaire d’Etat de Crumpipen
4
À Mr le Secrétaire de Crumpipen
4
À Mr le Chancelier interne de la Cour, baron de Charvet
4
À Mr le Secrétaire de cabinet de S.A.R. de Weys
2
À Mr le commissaire de la Monnaie comte de Fraula
2
À la Secrétairerie de Son Excellence
3
Au waradin de la Monnaie Marquart
1
À Mr le Rapporteur pour distribuer à ceux qui ont travaillé à la Légende
9
Dans l’armoire secrète du Conseil
31 450
À l’image du souverain qu’il représentait, le gouverneur général insistait, à l’occasion de ces gravures, sur ses efforts pour le redressement moral et matériel des Pays-Bas, mais aussi sur les titres et honneurs qui légitimaient son rang. Le fameux jeton de 1771 mit par exemple en évidence la filiation impériale et chevaleresque de Charles de Lorraine, grand maître de l’ordre teutonique depuis 1761. Son neveu, l’archiduc Maximilien, dernier enfant de Marie-Thérèse né en 1756, futur archevêque de Cologne, fut élu au sein de cet ordre en 1769 et devint le coadjuteur de son oncle en 1769501.
Jeton d’étrennes commémorant l’année 1771 : croquis original Charles-Alexandre de Lorraine et l’archiduc Maximilien-François, oncle et neveu au sein de l’ordre teutonique [AGR, Jointe des Monnaies, 228] 501
158
G. Cumont, « Le jeton d’étrennes pour la nouvelle année 1771 dans les PaysBas autrichiens », Revue belge de numismatique, Bruxelles, 1886, p. 33-43.
L’exploitation autrichienne (1756–1780)
Nation marchande, les Pays-Bas cristallisaient du numéraire que l’impératrice convoitait. Observons cet extrait sommaire du registre général de la Chambre des finances de Vienne pour l’année 1770. On y trouve le relevé de l’argent comptant contenu dans les caisses de la monarchie autrichienne et l’on voit que Bruxelles figurait en troisième position après Vienne et Milan. Extrait sommaire du registre général de la Chambre des finances de Vienne, 1770 [AEE, Mémoire set documents, Autriche, 1, f° 20] Caisses de
Argent comptant détenu
Vienne
891 339 fl
Prague
51 121 fl
Brünn
1 793 fl
Tropau
2 109 fl
Linz
2 912 fl
Graz
17 912 fl
Klagenfurt
18 429 fl
Laubach
17 885 fl
Goriz
590 fl
Innsbruck
172 134 fl
Fribourg
92 644 fl
Presbourg
321 413 fl
Hermannstadt
22 111 fl
Milan et dépendances
701 947 fl
Bruxelles et dépendances
609 591 fl
Total
2 923 930 fl
Dès les années 1760, nous l’avons vu, les souverains d’or des Pays-Bas quittèrent le territoire pour les pays héréditaires allemands de MarieThérèse. Les arrangements de 1755 qui établirent une nouvelle proportion entre l’or et l’argent d’une part, la guerre de Sept-Ans qui nécessita la remise d’espèces d’or en masse d’autre part, provoquèrent une disette sans précédent du métal jaune. « Nos propres souverains d’or ont presque entièrement disparus par les levées et transports qui ont été faits », écrit le baron de Cazier en 1773502. Même les ducats de Hollande, pourtant altérés
502
AGR, JM, 195, lettre du 27 avril 1773.
159
L’exploitation monétaire des Pays-Bas
de 6% à peu près dans toute l’Europe, ne circulaient plus en Belgique à cette époque. Cette situation allait empirer jusqu’à la Révolution. Cette ponction du numéraire se doublait d’une mise à contribution financière des provinces belgiques par le biais des emprunts. Là encore, la banque Nettine officiait pratiquement seule comme trésorière de l’impératrice. De 1753 à 1792, les Pays-Bas fournirent plus de cent millions de florins à l’Autriche503. « On sait par exemple que pendant la guerre prussienne de 1756, les Pays-Bas ont fait passer aux coffres de l’Impératrice une somme de 16 millions seulement en don gratuit »504. Trente ans plus tard, les Belges acquittaient encore annuellement un million de florins tirés de leur épargne pour rembourser les dettes contractées alors, à la décharge des finances de la Cour, c’est-à-dire des finances allemandes. Il est essentiel pour le service de S.M., que les remises de vos cinq millions passent également par ses mains : elle sera par là en état de procurer à la Cour de grands avantages, et pourra donner le ton au change et au prix des matières d’or et d’argent : comme elle est sur tout cela en correspondance avec Monsieur Fries, non seulement elle pourra nous procurer notre argent à meilleur compte, mais elle pourra même avec grand profit payer plusieurs parties de dépenses considérables qua nous avons à faire dans l’Empire505.
On ne pouvait être plus clair sur l’utilité des deniers belges pour la monarchie autrichienne. Certes, les levées d’argent avaient aussi une vertu locale : elles permettaient une meilleure gestion des finances belges grâce notamment au désengagement des domaines, dévolus depuis le milieu du xviie siècle à toutes sortes d’intermédiaires. La régie des domaines encaissa 1,19 millions de florins de recettes brutes en 1736, 1,3 millions au milieu du xviiie siècle506, 1,47 millions en 1767 et finalement 1 979 950 florins 503 504
505
506
HHStA, Belgien, DD-B 85, Mémoire sur les Finances Belgiques, 1792-1793. AAE, Mémoires et documents, Autriche 1, « Mémoire sur les finances de l’Empereur », novembre 1786, f° 290 à 304. HHStA, Belgien, DD-A Weisungen, 3, f° 315, lettre du chancelier Kaunitz au ministre Cobenzl, 14 octobre 1757. Egalement citée par Renate Zedinger, Die Verwaltung der Österreichischen Niederlande in Wien (1714-1795), Vienne, Bohlau, 2000, p. 105. Il s’agit de Johann Fries (1719-1785), banquier de la Cour de Vienne, originaire de Berne. Pour 1736 : HHStA, DD-B, 128b, Rapport de la chambre des comptes sur les domaines des Pays-Bas, 1781. Pour le milieu du xviiie siècle : AN, G2 209, dossier 14. « Recueil traitant des affaires des finances des Pays-Bas autrichiens et qui en détaille les revenus et les dépenses », p. 9. Ce recueil, établi en 1746, présente des chiffres plus sûrs que ceux du rapport du trésorier général de Neny dressé pour l’année 1753. L’état de Patrice-François de Neny fit l’objet de nombreuses critiques, non seulement de la part de Benoît-Marie Dupuy à la tête
160
L’exploitation autrichienne (1756–1780)
en 1781507, ce qui révèle la constance avec laquelle les autorités opérèrent. Après le traité d’Aix-la-Chapelle (1748), le gouvernement entra successivement en possession des parties domaniales de Bossières et Vieuville dans le Namurois (1752), du comté de La Roche dans le duché de Luxembourg (1753), de l’ancien domaine de Mons, dont l’administration avait été remise au Magistrat en 1624 (1764), des parties domaniales du Hainaut (1769), des moyens courants du pays rétrocédé (1771) et des domaines du Brabant (1777). Cet effort s’inscrivait dans une politique générale de contrôle des revenus et de mise en régie adoptée à Vienne pour l’ensemble des territoires. Le 1er janvier 1771, les baux de fermes du sel, tabac, traites et aides des États de Milan furent résiliés ; le 3 septembre 1772, le bail des fermes des douanes de la basse et de la haute Autriche prit fin et on lui substitua une régie. De même à Bruxelles, les revenus et moyens courants du pays rétrocédé, en ferme jusqu’au 30 avril 1771, furent gérés en régie à partir de cette date. Cette administration dégagea un bénéfice de 913 034 florins en dix ans de temps et le produit net des moyens courants et domaines de ce pays s’éleva en 1781 à la somme de 638 439 florins, tandis que le fermier Walckiers ne payait que 470 000 florins auparavant508. Reste que le désengagement des revenus des domaines n’aurait guère été possible sans la sécularisation des biens des Jésuites et des couvents supprimés. Ordonnée par la bulle Dominus ac Redemptor (20 septembre 1773), la dissolution de la société eut en Belgique des effets très appréciables sur la gestion des deniers : la vente des biens-fonds de la compagnie dans les PaysBas rapporta 5,7 millions de florins (argent courant), celle du mobilier, 912 997 florins. L’argent fut placé, partie à 4 ½ pour cent, partie à 4, 3 ½ et 3 pour cent et le bénéfice de ces placements servit au désengagement du domaine du Brabant, du bureau de Saint-Philippe et de la ferme des postes en particulier509. Le 1er janvier 1782, ces deux objets cessèrent enfin d’être engagés aux États du Brabant. Finalement, la gestion des finances
507
508 509
du bureau de la Régie (des droits des domaines), mais aussi de Cobenzl et de Charles de Lorraine lui-même. Bruno Bernard, Patrice-François de Neny (17161784). Portrait d’un homme d’Etat, Etudes sur le xviiie siècle, t. XXI, Bruxelles, Editions de l’université de Bruxelles, 1993, p. 115-117. Philippe Moureaux, « Le rapport du trésorier général de Neny sur les finances des Pays-Bas autrichiens en 1754 », Acta historica Bruxellensia. Travaux de l’Institut d’histoire de l’Université libre de Bruxelles, t. II, 1970, p. 54-56. HHStA, DD-B, Rapport de la chambre des comptes sur les domaines des Pays-Bas, 1781. HHStA, Nachlass Zinzendorf 135, f° 21. HHStA, idem, f° 24.
161
L’exploitation monétaire des Pays-Bas
belges s’améliora sensiblement grâce au rachat des domaines engagés et à la sécularisation d’une partie des biens de l’Église.
4. Le maintien des lois prohibitives d’exportation des espèces et la critique libérale Dans ce contexte de changement d’alliances diplomatiques et de renforcement des finances viennoises, les autorités avaient également à cœur de favoriser le commerce. De ce point de vue, les Pays-Bas présentaient toujours une balance négative avec la Hollande, l’Angleterre – dont ils recevaient les étoffes de laine – et la France qui leur envoyait vins et eaux de vie, articles de mode et parures diverses. Les Belges vendaient bien leurs grains et leurs colzas aux Hollandais, leurs toiles et dentelles aux Espagnols, mais ces articles d’exportation ne compensaient pas les sorties. D’ailleurs, trois quarts du produit des douanes provenaient des droits d’entrée. Dans ces conditions, le drainage des métaux demeurait artificiel et dépendait des banquiers. Le gouvernement continua d’interdire la sortie des espèces d’or et d’argent en actualisant les ordonnances sur le sujet. Celle de septembre 1749, nous l’avons vu, ne dérogeait pas à la règle510. Les plaintes se multiplièrent à l’encontre de ces dispositions, non seulement de la part des négociants, persuadés que le seul moyen de disposer du numéraire dans un État était d’en laisser libre le commerce, mais aussi de la part des pays limitrophes comme la France, la Prusse ou les ProvincesUnies dont les voyageurs continuaient d’être vexés par les employés des douanes belges. Dès 1750, l’intendant français de Flandre, Moreau de Séchelles, s’était adressé au Directeur des finances, de Herzelles, sur cette question511. Charles de Lorraine remédia à ces plaintes en 1760 en faisant cesser les vexations aux frontières. Il prit l’avis pour cela du président de la Jointe, le baron de Cazier, défenseur de la liberté : « Cette défense [de sortie des espèces] est injuste car elle favorise le monopole des riches négociants qui, malgré la défense, savent toujours se procurer le moien d’exporter nos espèces »512. 510 511
512
Voir chapitre 3. AGR, JM, 165 bis, non inventorié, mémoire du baron de Cazier, 1760. DenisBenoît du Cazier fut désigné pour le Conseil suprême à Vienne en 1754, puis devint trésorier général des finances de 1759 à 1787 et chef de la JM après Paul Cordeys. Voir G. Van Goidsenhoven, « Le baron Denis-Benoît-Joseph de Cazier, trésorier général des finances (1718-1791) », Études sur le xviiie siècle, XXVII, 1999, p. 111-241. Idem.
162
L’exploitation autrichienne (1756–1780)
Denis-Benoît-Joseph de Cazier prit lui-même appui sur les économistes de son temps pour faire valoir ses arguments, non qu’il adhérait au projet libéral – « nous n’ignorons point que le projet de l’Ami des hommes pour autant qu’il tend à concilier les intérêts de toutes les nations est chimérique, aussi n’avons-nous jamais pensé que son exécution était possible » – précise-t-il dans son rapport – mais il connaissait les lois économiques du marché monétaire. Il avoua avoir transcrit dans sa consulte pour Charles de Lorraine des passages des écrits de John Law qui se trouvaient imprimés à la suite des Recherches et considérations sur les finances de la France513, et avoir puiser ses principes chez les meilleurs auteurs, à la tête desquels il plaça Jean-François Melon514, Nicolas Dutot et Charles King, pour son British Merchant traduit par Véron de Forbonnais515. Dans ses Réflexions politiques sur les finances516, Nicolas Dutot considérait que le souverain ne pouvait pas attribuer arbitrairement la valeur numéraire aux espèces, qu’il devait renoncer aux mutations et qu’il fallait accorder aux négociants la liberté d’exporter. Et Cazier de reprendre des arguments forts en faveur de la liberté : Nous voulons attirer les matières d’or et d’argent dans le Roiaume et quand elles y sont, nous en défendons la sortie rigoureusement. Outre que ce défaut de liberté est un grand obstacle à notre commerce, il y a encore en cela de l’injustice à vouloir être paié de ce qui nous est dû et de ne pas payer ce que nous devons517.
Le président de la Jointe fit valoir les efforts de la France « qui fait moins de difficultés aujourd’hui de permettre l’extraction de son or et argent monnoyé » et défendit le parti de la liberté pris en Hollande et en Angleterre. D’après lui, la liberté faisait fleurir le commerce en ces États.
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514 515
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Il s’agit de l’ouvrage de François Véron de Forbonnais, Recherches et considérations sur les finances de France depuis 1595 jusqu’ à 1721, Bâle, 1758. Essai politique sur le commerce, 1734. Le Négociant anglois, ou Traduction libre [par Véron de Forbonnais] du livre [de C. King] intitulé : The British merchant, contenant divers mémoires sur le commerce de l’Angleterre avec la France, le Portugal et l’Espagne…, Dresde, Paris, Les frères Estienne, 1753. Nicolas Dutot, Réflexions politiques sur les finances et le commerce, édition originale à La Haye, chez les frères Vaillant et Nicolas Prevost, 1738. Édition intégrale publiée par Paul Harsin, 2 vol., Liège, Université et Paris, Droz. (Bibliothèque de la Faculté de Philosophie et Lettres de l’Université de Liège, fascicule LXVI.), 1935. AGR, JM, 165 bis, non inventorié, mémoire du baron de Cazier, 1760.
163
L’exploitation monétaire des Pays-Bas
Cependant, la législation générale demeura défavorable. La disposition du 28 avril 1762 défendit la sortie de l’or monnayé en espèces coursables dans les départements de Tirlemont, Anvers, Saint-Philippe, Gand, Bruges, soit les principales villes commerçantes de l’Ouest, sauf pour les voyageurs et pour peu que la somme en transit ne dépassa pas 1000 florins518. Cela contraignait bien des déplacements. Voici la requête de Jacques Brants, d’Anvers, qui voulut être exempté de visite pour transporter vers le pays de Liège 2 900 louis d’or dits vertugadins provenant de la mortuaire du bourgmestre d’Anvers, ou encore la requête de ce notaire, également d’Anvers, qui devait rejoindre Liège avec la somme de 40 000 florins argent de change519. Pour ces voyages de sommes en transit, le régime fut assoupli en novembre 1775, lorsque Marie-Thérèse autorisa le transit libre des matières d’or et d’argent, y compris des piastres, quadruples et toutes espèces d’or et d’argent d’Espagne qui entraient par Ostende et Bruges, et ressortaient vers la France par Ypres, Courtrai et Tournai520. La mesure fut jugée insuffisante. On prive le négociant de la liberté naturelle de faire venir les retours en piastres & lingots d’or & d’argent : puisque à l’arrivée dans nos ports on y met le cachet & on le transporte à la monnaie où l’évaluation s’en fait au gré des taxateurs ; de sorte que le bénéfice réel est extorqué au s péculateur tandis que la France, l’Angleterre & la Hollande en profitent à notre préjudice521.
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AGR, CF, 4555, Mémoire du 4 octobre 1780. AGR, CF, 4555, Mémoire du 4 octobre 1780, et idem, requête du 15 février 1781. AGR, CF, 4555. Mémoire présenté aux États de Flandre par les députés de la Chambre de commerce de Gand, le 23 juillet 1787, dans Recueil des mémoires sur le commerce des Pays-Bas autrichiens, de l’Imprimerie des Nations, 1787, p. 162.
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Chapitre 12 Joseph II et la question monétaire Au temps de Marie-Thérèse, la fiscalité des Pays-Bas ne fut pas réformée, ni les intérêts fondamentaux des assemblées d’États atteints. Son fils en revanche provoqua la patience des sujets belges522. Son esprit radical voulut forcer les usages. Certes, il donna des gages de libéralité. À l’occasion de son inauguration à Bruxelles en 1781523, on fit graver pas moins de 1784 médailles : 540 en or et 1244 en argent, de poids et titres divers524. Il faut dire que depuis Albert d’Autriche, aucun souverain n’avait honoré les Pays-Bas de sa présence. Mais ses réformes, fiscales, comptables, monétaires, visaient l’intégration plus avant des deniers belges dans la gestion de l’empire. À partir des années 1780, la richesse des Pays-Bas servit donc de nouveaux intérêts : ceux de l’économie impériale conçue comme une unité.
1. La pesée globale La première préoccupation de Joseph II fut d’apprécier les revenus nets de ses états en imposant un mode comptable commun à toutes les administrations525. Cette approche tenait compte des apports de la science 522
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Sur Joseph II, voir la dernière biographie par Hervé Hasquin, Joseph II. Catholique clérical et réformateur impatient, Bruxelles, éditions Racine, 2007. Voir également, Hervé Hasquin, « Joseph II et l’historiographie belge. Quelques jalons », dans C. de Moreau de Gerbehaye, S. Dubois, J.-M. Yante (dir.), Gouvernance et administration dans les Provinces belgiques (xvie-xviiie siècles), en Hommage au Professeur Claude Bruneel, t. 1, Bruxelles, Archives et bibliothèques de Belgique, 2013, p. 95-102. Eugène Hubert, « Le voyage de l’Empereur Joseph II dans les Pays-Bas », Étude d’histoire politique et diplomatique, Liège, 1899. AGR, JM, 228, lettre de Lados au waradin Marquart, 5 novembre 1781. Sur la réforme comptable de Joseph II, voir Marie-Laure Legay, « La science des comptes dans les monarchies française et autrichienne au xviiie siècle : Le modèle colbertiste en cause », Histoire et mesure, vol. XXV, n°1, 2010, p. 231260 ; « At the Beginnings of Public Management : Administrative Science
L’exploitation monétaire des Pays-Bas
économique des Lumières et naturellement des discutions engagées autour de la notion de valeur. Associée à la science comptable, l’analyse économique d’un territoire débouchait sur une évaluation des revenus nets, c’est-à-dire de l’ensemble des recettes auxquelles on soustrait, selon des calculs variables, les charges de gestion. « Le revenu brut des Pays-Bas autrichiens monte à 19 047 953 florins de Brabant, dont il n’entre net à la recette générale que 9 355 904 florins puisque la dépense des états des différentes provinces, pour frais de perception, intérêts et remboursement des dettes, monte à 9 692 049 florins »526. Le propos était précis. Si on le compare à ce qui se disait en 1761 dans un mémoire sur l’état des finances de la Cour de Vienne, qui affirmait que l’on pouvait estimer le revenu net tiré des Pays-Bas à 2 420 084 florins, on voit que le gain, sur vingt-cinq ans, fut considérable527. Néanmoins, il ne satisfaisait pas encore l’administration viennoise car trop de doutes subsistaient sur plusieurs branches de revenus. D’après les informations recueillies par le marquis de Noailles, des 9,3 millions qui entraient dans la Recette générale, on employait 2,5 millions pour la dépense ordinaire sur place, et le résidu de caisse formait donc un total de 6,8 millions de florins, soit 217 000 florins pour la dotation du département des provinces belgiques à Vienne, 4 108 168 pour la caisse de guerre à Bruxelles, et 1 400 000 florins pour le contingent à la chambre des finances allemandes, ce qui laissait encore une incertitude sur la destination de 1 086 086 florins528. Voilà pourquoi Joseph II voulait faire évaluer les revenus des Pays-Bas sur la base des résultats des comptes clos, selon les méthodes de la nouvelle comptabilité camérale adoptée à la Chambre des comptes de Vienne depuis les années 1770. Il était convaincu de pouvoir amener le revenu net à 10 millions :
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527
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and Political Choices in the Eighteenth Century (France, Austria, Austrian Netherlands) », Journal of Modern History, 81, n° 2, juin 2009, p. 253-293 ; « La réforme comptable de Joseph II dans les Pays-Bas autrichiens », in Lombardie et Pays-Bas autrichiens : regards croisés sur les Habsbourg et leurs réformes au xviiie siècle, vol. 36 de la série Etudes sur le xviiie siècle, 2008, p. 89-98. AAE, Correspondance politique, Autriche, 351, f° 480, lettre du marquis de Noailles, Vienne, 20 décembre 1786. Un autre tableau statistique de 1780 contenu en Mémoires et Documents, 38, pièce 23, f° 346, fait état pour les PaysBas de 14 567 735 florins de Vienne, soit 38 629 534 argent de France. AAE, Mémoires et documents, Autriche 40, pièce 69, f° 464v, « Mémoire sur l’état des finances de la Cour de Vienne au mois de décembre 1761 ». Idem.
166
Joseph II et la question monétaire
« sans de vieilles dettes arriérées depuis le gouvernement espagnol, les revenus pourroient aller à 10 millions et au-delà », indiquait-on en 1786529. Il faut dire que Joseph II, « de nature échangiste »530, avait l’idée de troquer les Pays-Bas. « Un morceau assez piquant que je vous engage à lire est le parallèle des Pays-Bas autrichiens avec la Bavière », écrit le marquis de Noailles en 1786531. À Vienne en effet, on travaillait dans la perspective d’échanger les Pays-Bas avec le territoire bavarois. L’échec dans la campagne pour obtenir l’ouverture de l’Escaut, mais aussi pour rétablir les limites de la Flandre selon la convention de 1664, avait engagé l’empereur à proposer un tel troc à son beau-frère. Il fallait donc « tenter l’échangiste »532 en faisant voir tout ce qu’il était possible de tirer de la Belgique. Le mémoire établissant le « parallèle » entre les deux territoires finissait comme suit : D’après ces observations, on comprend comment une somme de 6 millions de florins d’impositions annuelles est un fardeau qui se soulève avec peine pour un pays comme la Bavière pendant que les Pays-Bas fournissent une somme trois fois plus forte et qu’ils peuvent envoyer chés l’Etranger une somme considérable sans la moindre altération de l’Economie politique533.
Bien sûr, une telle opération bousculait l’équilibre européen de fond en comble. Joseph II ne voyait-il pas dans les fiefs de l’Empire un reste de vassalité qu’il aurait le droit d’abattre et de ranger sous sa domination sans consulter le roi de Prusse ? Le ministre français des affaires étrangères, le comte de Vergennes, émit un avis très défavorable sur ce projet et enjoignit Louis XVI de ne surtout pas y donner suite : la France, d’après lui, était un vaste royaume qui non seulement n’avait nul besoin d’augmenter ses territoires sur le continent, mais devait en outre y préserver la paix et l’équilibre des forces534. Si l’empereur évalue ses provinces belgiques, c’est aussi pour connaître les forces effectives sur lesquelles il peut compter en cas de guerre. À court
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AAE, Mémoires et documents, Autriche 1, « Mémoire sur les finances de l’Empereur », novembre 1786, f° 290 à 304. AAE, Correspondance politique, Autriche, 349, f° 52, Lettre du marquis de Noailles, 17 janvier 1785. AAE, Correspondance politique, Autriche, 351, f° 478, lettre du marquis de Noailles, Vienne, 20 décembre 1786. Idem. AAE, Correspondance politique, Autriche, 351, f° 494, « Parallèle entre les PaysBas proposés au duc de Bavière et les États de ce prince à céder en échange ». AAE, Correspondance politique, Autriche, 349, pièce 16, f° 8, « Mémoire sur l’échange d’une partie des Pays-Bas avec le haut Palatinat et le duché de Bavière », par le comte de Vergennes, Versailles, 2 janvier 1785.
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L’exploitation monétaire des Pays-Bas
d’argent, « la Cour a ouvert en 1785 par précaution de grands emprunts tant à Francfort qu’aux Pays-Bas »535. Le trésor de guerre de Joseph II fut également formé à partir des biens ecclésiastiques belges autres que ceux des Jésuites. « Il a fallu former un Trésor et ouvrir une vaste caisse où pussent aboutir tous les revenus arrachés aux sujets les plus aisés et les moins indociles à la vue de l’Armée même, dont ils fourniroient la solde »536. L’Empereur supprima abbayes et couvents inutiles par l’édit du 17 mars 1783 et créa une caisse de religion pour en gérer les biens. L’hôtel des Monnaies de Bruxelles fut chargé de recevoir les orfèvreries de ces établissements, soit pour les échanger avec les objets usés des églises paroissiales qui en feraient la demande, soit pour les fondre537. Joseph II voulut savoir si, avec les revenus ordinaires, le dernier don gratuit et le dernier emprunt levé par la maison Nettine en 1783 pour le compte des finances allemandes, les caisses des Pays-Bas étaient à même de faire face aux dépenses courantes et aux dépenses de préparatifs de guerre pour l’année 1786. Les administrateurs du Conseil des finances eurent tôt fait de montrer l’impossibilité de compter sur les finances belgiques. Ils firent valoir que les caisses civiles des Pays-Bas avaient déjà été largement obérées pour les dépenses militaires en 1785 : non seulement les Belges avaient contribué comme à l’ordinaire à la caisse de guerre sise à Bruxelles, mais les différentes caisses rattachées à la recette générale avaient acquitté plus de 11,5 millions de florins, et les administrations municipales de leur côté s’étaient vu assigner des dépenses extraordinaires de guerre très mal perçues. Les comptes arrêtés le 30 novembre 1785 faisaient voir un fonds de caisse de 2 438 000 florins de Brabant, mais ce fonds n’était pas libre pour les préparatifs538. « Les finances civiles sont hors d’état de faire face », déclarent les conseillers de finances et le baron de Cazier de rappeler les engagements pris pour le remboursement des emprunts non seulement pour le compte des finances belges, mais aussi pour le compte des finances allemandes539. Le Conseil avait d’autant moins de scrupules à se plaindre des ponctions sur les caisses civiles, que Joseph II avait rappelé à Vienne le convoi de 4 millions d’or (cours de Vienne, soit 5 544 910 millions de florins cours de Brabant) envoyé à Bruxelles en février 1785. Ces espèces étaient arrivées les 25 et 27 535
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AAE, Mémoires et documents, Autriche 1, « Mémoires sur les finances de l’Empereur », novembre 1786, f° 299. AEE, Mémoires et documents, 42, pièce 7, f° 124. « Quelques remarques », 1784. AGR, JM, 456. AGR, CF, 7082, rapport des conseillers Cazier, Limpens et Delplancq, 16 novembre 1785. Idem.
168
Joseph II et la question monétaire
février 1785 accompagné des caissiers viennois Weidlich et Birnögger, pour finalement repartir sous l’escorte des employés Gandry, official à la Recette générale de Bruxelles, et Lenardini, official à la caisse de Guerre540. Lorsque le renfort de Trouppes vint d’Allemagne pour venger l’insulte faite au Pavillon Autrichien, ce renfort étoit accompagné de 4 millions en or, mais dans le fait, on n’y toucha pas. Le Don gratuit, l’Emprunt et l’excédent des Caisses Belgiques firent face à la dépense des Trouppes allemandes qui furent payées aux Pays-Bas sur le pied de guerre sans aucun frais pour les Finances Allemandes sans aucun déboursé effectif de leur part à cette fin et les 4 millions en or retournèrent à Vienne comme ils en étoient venus541.
Non seulement le renfort des troupes allemandes ne coûta rien à l’Autriche, mais en outre, le traité de Fontainebleau négocié avec la Hollande en 1785 arracha 9,5 millions de florins (cours de Vienne) qui furent intégralement passés à Vienne. « Cette somme fut envoyée directement au Trésor Royal à Vienne en produits nets et sans frais pour les finances Allemandes »542. L’éloignement de la menace d’une guerre ne mit pas fin aux versements de numéraire, puisque les ordres de Joseph II se succédèrent encore en 1787, 1788 et 1789 pour faire passer l’or et l’argent des Pays-Bas à Vienne ou Kremnitz543. Neuf lingots d’argent contenant or, pour environ 400 marcs, prirent ainsi la route par ordre du 2 octobre 1787. Cette « provincialisation » des finances belgiques ne fut guère appréciée des élites locales. Les administrations municipales vécurent très mal la mise à contribution brutale de leurs caisses. En décembre 1786, le commandant général demanda encore aux états de Brabant de « retirer eux-mêmes les argents des villes de Louvain et d’Anvers assignés à la caisse de guerre, afin qu’elle puisse dorénavant les recevoir sans frais »544. Non seulement les ponctions étaient élevées, mais elles devaient se faire aux frais des administrations locales dont la susceptibilité politique commença d’être sérieusement agacée. Le président Kulberg résuma ainsi la période : Il en résultera une dernière analise : 1° que le Pays-Bas par son Crédit a valu à la Monarchie Autrichienne en Emprunts, dont la plupart sont remboursés, environ 111 Millions en 38 années de tems, ce qui revient par année commune à un Crédit d’environ
540 541
542 543
544
AGR, CF, 7082, note de 1785. HHStA, Belgien, DD-B, 85, « Mémoire sur les Finances Belgiques », 1792-1793. Idem. AGR, JM, 343. Kremnitz, ville minière de Hongrie, était aussi un lieu de fabrication des monnaies. AGR, CF, 7082, note de décembre 1786.
169
L’exploitation monétaire des Pays-Bas
fl 2 900m et pourroit être porté à un taux commun de 3 Millions pour fixer la valeur de ce crédit, si on ne prenoit pour l’année commune qu’un moindre intervalle plus rapproché de l’année 1786. 2° que ce païs a valu en dons gratuits, en produits extraordinaires, mais absolument inhérents aux finance et aux Provinces Belgiques et en envois d’excédent, toutes dettes annuelles payées depuis l’Année 1757 jusques en 1789, environ fl 64 millions, revenant par année commune de 32 à deux millions par an. 3° que l’on y a néanmoins fourni à l’entretien annuel d’environ 20m hommes de Trouppes Autrichiennes payés par les produits du Pays et que ces 20 mille hommes païés par le Pays n’y sont cependant pas toujours à beaucoup près restés à ce nombre, puisque pendant la guerre de Sept-Ans et pendant celle de Bavière, on en a retiré l’élite et un très grand nombre pour les Armées en Allemagne et que malgré qu’il en restoit très peu aux Païs-Bas, ce pays n’en payoit pas moins son contingent fixé à la Caisse de guerre. 4° que l’appanage des Gouverneurs généraux est également payé par le pays depuis l’année 1725 lorsqu’ils sont Princes de sang545.
2. Wouters et la nouvelle comptabilité autrichienne des Monnaies Les pouvoirs locaux se virent également contraints de réformer leurs usages monétaires selon les principes adoptés en Autriche. D’abord, Joseph II voulut calquer l’organisation de l’atelier de Bruxelles sur ceux de Vienne et de Kremnitz. Déjà en 1780, il avait fait fermer la Monnaie de Prague avec pour objectif d’unifier la production sur l’ensemble de ses états. Surtout, Joseph II forma le souhait de rationaliser son administration selon les principes modernes de gestion de son temps. Sa grande réforme comptable bouleversa les usages dans tous les bureaux des Pays-Bas, y compris dans ceux des hôtels des Monnaies546. Selon les instructions des ordonnances, les comptes devaient se rendre tous les ans par devant la Chambre des comptes après l’ouverture des boîtes qui se faisait en présence des commissaires de la Chambre et des membres de la Jointe. On examinait également les registres que tenait le waradin tant sur les matières reçues au 545 546
HHStA, Belgien, DD-B 85, Mémoire sur les Finances Belgiques, 1792-1793. Sur la réforme comptable de Joseph II, voir Marie-Laure Legay, « La réforme comptable de Joseph II dans les Pays-Bas autrichiens », in Lombardie et PaysBas autrichiens : regards croisés sur les Habsbourg et leurs réformes au xviii e siècle, vol. 36 de la série Etudes sur le xviii e siècle, 2008, p. 89-98 ; « La science des comptes dans les monarchies française et autrichienne au xviiie siècle : Le modèle colbertiste en cause », Histoire et mesure, vol. XXV, n°1, 2010, p. 231260 ; « At the Beginnings of Public Management : Administrative Science and Political Choices in the Eighteenth Century (France, Austria, Austrian Netherlands) », Journal of Modern History, 81, n° 2, juin 2009, p. 253-293.
170
Joseph II et la question monétaire
change que sur les espèces monnayées. Toutefois, il n’y eu jamais de compte régulier de la Monnaie, dans la mesure où les officiers ne rendaient pas un état général des recettes et dépenses une fois l’exercice fait. Ce ne fut qu’à l’arrivée du comte Philippe de Cobenzl comme conseiller de la Jointe qu’un premier état de cette nature fut établi en 1766547. Le plan général que le comte forma fut suivi par le directeur de la Monnaie d’Anvers, Thomas van der Motten jusqu’en 1772, date à laquelle il tomba malade et ne fut plus en mesure de faire correctement la reddition des comptes. L’official Jean-Joseph Wouters qui lui succéda à partir de 1775 œuvra alors à l’amélioration du suivi administratif et comptable des Monnaies. Entré dans cette administration en 1761, nommé directeur par les lettres du 19 octobre 1776 avec un traitement de 600 livres par an et la jouissance des tantièmes tels que le directeur précédent les avait perçus, Wouters finira par être anobli en 1818, pour l’ensemble des services rendus à la Monnaie548. Il décéda à Vienne en 1824. Nommé directeur, il s’évertua à clarifier les comptes de l’hôtel avec pour objectif d’apprécier les charges effectives, afin de pouvoir calculer le revenu net de la Monnaie, selon les principes de l’époque. Il livra par exemple ce calcul à partir des années 1778-1780 : Frais de fabrication par an549 Gages ordinaires par année commune
Florins courant
Au waradin de Bruxelles
712
Au même
750
Au directeur de la Monnaie de Bruxelles
600
À l’essayeur particulier de Bruxelles
200
Au graveur
618 fl. et 17 sols
À l’essayeur général
760
Au gouverneur général
2146 fl. et 13 sols
er
Au 1 official
800
Au second
300
Au troisième
500
Au 4
vacataire
547
548
549
e
AGR, JM, 165 bis (non inventorié), Mémoire s.l.n.d., après 1780, sans doute rédigé par Jean-Joseph Wouters, directeur de la Monnaie de Bruxelles. Louis Robyns de Schneidauer, « Souvenirs numismatiques insérés dans les lettres patentes d’anoblissement », Revue belge de numismatique, 1930, Bruxelles, Palais des Académies, J. Vromans, 1931, p. 263-266. AGR, JM, 165 bis (non inventorié), Mémoire s.l.n.d., après 1780.
171
L’exploitation monétaire des Pays-Bas Gages ordinaires par année commune
Florins courant
Au messager de la Monnaie
200
À l’actuaire de la Jointe
492 fl. et 16 sols
À l’ajusteur des balances
160
Au collecteur du billon à Anvers
500
Au waradin d’Anvers
180
À l’essayeur particulier de la Monnaie de Bruges
108
Ouvriers
1103 fl. et 15 sols
Palefrenier
365 10 497 fl. et 11 sols
Provisions par année commune Houille
140
Entretien et fourrage de trois chevaux
853 fl. et 8 sols
Bois pour la fonte
285
Sel et crème de tartre pour blanchiment des espèces
130 fl. et 10 sols
Charbon pour les fontes d’or
320 fl. et 13 sols
Entretien des ustensiles
650 fl. et 9 sols
Cuivre pour les alliages
12
Eau forte
661
Ingrédients
885 3 938
Entretien des bâtiments par an Bruxelles
300
Anvers
550
Bruges
450 1 300
Tantièmes des officiers dirigeants Au waradin de Bruxelles
976 fl. et 13 sols
Au directeur de Bruxelles
913 fl. et 4 sols
À l’essayeur particulier
600
Au graveur particulier
1696 fl. et 17 4 186 fl. et 14 sols
Tantièmes des monnayeurs
5 733 fl. et 6 sols
TOTAL de la dépense, année commune
25 656 florins
172
Joseph II et la question monétaire
Ce calcul doit être dissocié de l’état comptable des matières livrées, naturellement. Il permet de comprendre que les tantièmes, c’est-à-dire le pourcentage accordé aux officiers lorsque la forge était en activité550, étaient intégrés dans les frais de fabrication et non considérés comme des bénéfices. Ils se trouvaient particulièrement élevés au moment où Wouters fit ses calculs, « les circonstances ayant exigées l’envoi de sommes plus considérables à Vienne et parce qu’on a du monnayer beaucoup de liards »551. L’intérêt du calcul consistait dans la possibilité de repérer le fonds effectif avec lequel la Monnaie pouvait continuer ses opérations, soit à cette époque : 221 270 florins, argent courant. Joseph II repéra Jean-Joseph Wouters et utilisa ses lumières dans la cadre de sa réforme. En 1782, il décréta la fermeture de la forge d’Anvers, décision semblable à celle prise par sa mère, Marie-Thérèse, pour Bruges : il s’agissait de faire des économies en rationalisant les dépenses. En août 1785, il donna ordre à Wouters de se rendre en Autriche pour y apprendre les modalités allemandes de management des hôtels de Monnaies. Jugé « très bon calculateur », Wouters fut chargé à son retour, en mars 1786, de couler les comptes de la Monnaie de la ville et de proposer un plan de réforme pour cet établissement. On réduisit donc le personnel, on rationalisa le travail des cinq ouvriers maintenus, on modifia les modes comptables. On établit un compte hebdomadaire selon les principes suivants : le premier jour de la semaine, le directeur de la Monnaie prélevait la somme dont il avait besoin au magasin, en donnait le reçu. Toutes les quittances devaient être enregistrées et le samedi, le waradin devait vérifier la dépense du directeur, visait les acquits, comptait le restant dans sa caisse et confrontait ces dépenses aux recettes. Le compte exact du solde étant établi, une nouvelle semaine pouvait commencer. Ce compte est si essentiel pour la régie interne de la Monnaie qu’on ne saurait trop veiller à ce qu’il ne se ralentisse jamais. 1e on voit toutes les semaines la dépense et s’il s’etoit glissé quelque erreur dans le paiement fait, on peut en revenir d’abord ; 2e, il n’est pas possible qu’on fasse aucun mauvais usage des deniers de S.M. ; 3e, on est toujours à même de corriger les dépenses excessives et voir si la caisse est fournie d’espèces en suffisante quantité pour paier les livreurs des matières d’or et d’argent552.
550
551 552
Les droits de marc d’or, d’argent et de cuivre sont détaillés par Jean de Witt dans son mémoire transcrit en annexe. Mémoire de Jean de Witt (mars 1777) sur les ateliers des monnaies d’Anvers, Bruges et Bruxelles [AGR, JM, 165]. Idem. Idem.
173
L’exploitation monétaire des Pays-Bas
Comme pour toutes les autres administrations, le compte hebdomadaire constitue un moyen simple de suivre avec exactitude dans le temps le solde des recettes et dépenses et de savoir ce que contiennent les caisses. Il permet d’établir le revenu net de la Monnaie, en considérant le monnayage « comme une fabrique »553, et non plus comme une activité fiscale sur laquelle le seigneuriage pouvait être prélevé. Un compte mensuel était également établi selon les mêmes principes du décret du 31 octobre 1782 et enfin, toujours selon la nouvelle réforme, les officiers de l’hôtel des Monnaies de Bruxelles devaient donner leur décompte une fois l’an, à la fermeture de la caisse, c’est-à-dire au premier novembre de chaque année. La notion d’exercice comptable entrait dans les usages. On pouvait ainsi faire le « bilan » financier de l’année précédente. La Chambre des comptes chargeait le conseiller commissaire de la Monnaie, choisi en son sein, pour dresser ce bilan qui devait lui être remis pour vérification554. Le bilan était rapproché du résultat de la clôture des comptes et était envoyé à Vienne pour être enregistré dans le grand Livre, avec les autres bilans des administrations des Pays-Bas. Adjointe à cette réforme : une mesure symbolique supprimant le fameux serment des monnayeurs du Brabant, fondé en 1291 par le duc Jean555. Joseph II mettait ainsi fin aux privilèges que les employés de l’atelier de Bruxelles avaient fait valoir pendant un demi-millénaire.
3. Le tarissement Une meilleure gestion des hôtels de monnaie n’en faisait pas pour autant les centres d’une activité intensive. Non seulement, leur approvisionnement de faible ampleur, restait tributaire d’une balance commerciale déficitaire – situation à laquelle les lois prohibant l’exportation des matières précieuses ne changeaient rien, mais les ateliers des Pays-Bas furent également victimes de pratiques spéculatives de plus en plus effrénées. C’est sur ces fonds que les Espagnols nous fournissent de remises à vil prix ou à un cours de change qui est toujours en leur faveur, tandis que prenant nos retours en espèces pour en faire la négociation comme de toute autre marchandise, cette spéculation donneroit au pays une quantité considérable de ces métaux & un bénéfice au spéculateur. Cette inégalité a effectué que, depuis plusieurs années nous avons été les seuls victimes de nos retours 553
554 555
AGR, JM, 165, note du 18 juillet 1783. Cette note mentionne l’observation placée sur l’aperçu comptable envoyé à Vienne en février 1783. AGR, JM, 165, Note du 18 juillet 1783. AGR, JM, 331, registre aux protocoles, édit du 16 novembre 1786. Voir chapitre 1.
174
Joseph II et la question monétaire
par le bas change qui s’est introduit en Espagne au détriment inoui de ce pays ; et la France, jalouse de la Hollande, a obtenu pas ses négociations à la Cour de Madrid qu’une très grande quantité du numéraire d’Espagne y soit envoyé d’où résultent des avantages considérables par les arbitrages que les François sont à même de former avec l’étranger556.
En certaines provinces, comme celle du Luxembourg, les espèces de Joseph II se faisaient si rares que les monnaies étrangères y circulaient abondamment et prioritairement. Bruxelles envoyaient des dizaines de tonnelets de demi-liards de cuivre pourtant, mais cette menue monnaie ne convenait pas au public qui réclamait des quarts et demis sols en suffisance, ainsi que des pièces d’argent de 12 et de 6 sols, en vain557. Les juges du pays eurent beau interdire le cours de certaines mauvaises monnaies étrangères, celles-ci s’imposaient naturellement sur le territoire : Il ne sera jamais possible d’éloigner ces mauvaises monnaies. Car ira-t-ton fouiller chez les marchands et autres personnes pour voir s’ils ont des monnaies étrangères, les saisir et les faire condamner aux amendes et peines qu’ils aurroient encourru. C’est à quoi il y a peu d’aparence, surtout aux frontières558.
Remédier à la raréfaction nécessitait dans un premier temps de régler la parité or-argent pour échapper à la spéculation. Comme les autres souverains européens, Joseph II fut confronté à l’obligation de réajuster l’or par rapport à l’argent. Par la Pragmatique du 17 juin 1779, l’Espagne avait en effet élevé le prix de l’or à 15 marcs 7 onces, ce qui lésa les intérêts des négociants de nombreuses nations : les Espagnols soldaient les comptes avec l’étranger en argent, conservant l’or dont la circulation par le biais du seul commerce ordinaire se tarit. La France s’adapta au nouveau système avec grande difficulté par l’ordonnance du 30 octobre 1785559. Il devint dès lors nécessaire de surhausser les monnaies d’or belges également, sous peine de les voir partir pour être converties. À Lille, on se réjouissait : « Les Flamands-Autrichiens vinrent en foule échanger à la Monnaie leurs vieux louis et, pendant quelques temps, ils s’obstinèrent à n’emporter en retour que des écus, de sorte que par-là, le numéraire 556
557 558 559
Mémoire présenté aux Etats de Flandre par les députés de la Chambre de commerce de Gand, le 23 juillet 1787, dans Recueil des mémoires sur le commerce des Pays-Bas autrichiens, de l’Imprimerie des Nations, 1787, p. 162. AGR, CF, 4555, avis du premier avril 1784. Idem. La réforme monétaire de 1785 : Calonne et la refonte des louis, Recueil de documents présenté par Guy Thuillier, Paris, Comité pour l’histoire économique et financière de la France, 2005.
175
L’exploitation monétaire des Pays-Bas
en argent passa en Flandres, avec le bénéfice résultant de la refonte, l’or devint ici très commun et l’argent plus rare »560. L’équilibre fut rétabli lorsque Joseph II fixa le 8 mars 1786 la valeur du souverain à 9 florins 6 sols 4 ½ deniers argent courant de Brabant, se conformant ainsi au système monétaire des Pays Héréditaires. La hausse était de 4, 5%561. Cependant, « les espèces d’or sont restées fort rares », confia Joseph Wouters, car malgré les réajustements, cette matière restait partout en Europe plus chère qu’aux Pays-Bas : Tableau comparatif des proportions or-argent établi par Joseph Wouters (1788) Pays-Bas autrichiens
1 à 14 264/288 depuis le 8 mars 1786
France
1 à 15 207/288 depuis le 30 octobre 1785
Hollande
1 à 14 138/288
Vienne
1 à 15 83/288
Portugal
1 à 15 216/288
Espagne
1 à 15 252/288 depuis le 17 juin 1779
Angleterre
1 à 15 54/288
Dès lors, les négociants belges faisaient du bénéfice en faisant leurs remises en espèces d’or en France où on leur payait cette matière 3% ⅞ de plus qu’aux Pays-Bas. Mieux : ils pouvaient acheter directement des souverains et gagner 1% en envoyant la matière d’or en France en échange des écus de 6 livres ou des louis neufs562. L’existence de cette spéculation, notons-le, répond pour partie aux interrogations de Louis Dermigny sur la soudaine abondance de l’or après 1785 en France563. On s’était donc bien éloigné du temps où la banque Veuve Nettine fournissait des piastres tirées d’Espagne, de Hollande et de France, par 560
561
562
563
Lettre de la Chambre de commerce de Lille, citée par Guy Thuilier, La réforme monétaire de 1785, op. cit., p. 440. À lire également, Louis Dermigny, « La France à la fin de l’ancien régime : une carte monétaire », Annales. Économies, Sociétés, Civilisations, 10e année, n° 4, 1955, p. 480-493. AGR, CF, 7497, Mémoire sur la disette des espèces d’or aux Pays-Bas autrichiens et sur la convenance d’y établir une nouvelle proportion entre l’or et l’argent, par Joseph Wouters, auditeur à la chambre des comptes, préposé aux questions monétaires, 7 octobre 1788. AGR, CF, 7497, Mémoire sur la disette des espèces d’or aux Pays-Bas autrichiens et sur les convenances d’y établir une nouvelle proportion entre l’or et l’argent, 7 octobre 1788. Louis Dermigny, « La France à la fin de l’Ancien régime : une carte monétaire », op. cit., p. 492.
176
Joseph II et la question monétaire
l’intermédiaire de la banque Laborde. Les pièces étaient alors bon marché et le change favorable. Quelques banquiers, de temps en temps, firent des propositions à la Monnaie de Bruxelles, mais les offres étaient refusées : « notre espèce n’étant pas susceptible d’une augmentation dans les prix des matières, il a fallu les refuser »564. Pour entretenir l’activité de l’atelier, d’aucuns proposèrent : De tirer directement les matières de la banque de Hollande et d’Espagne, selon le plus grand avantage, sans passer par les mains des banquiers d’ici qu’étant eux-mêmes déjà seconde main, nous fournissent en troisième565.
Wouters fut moins expéditif. Il proposa d’établir une nouvelle proportion et de faire évaluer le double souverain d’or à 18 florins et 18 sous courant de Brabant. Il lorgnait sur les ducats de Hollande et espérait en attirer un nombre considérable par le moyen de leur assimilation au ducat impérial. Cette évaluation ne poserait d’après lui guère de problème vis-à-vis de l’Angleterre, de la Hollande, de l’Espagne ou du Portugal. En revanche, elle ramenait la différence vis-à-vis de la France à 2 ½%, différence moindre certes que celle qui existait avant 1785, mais trop considérable pour être retenue.
564
565
AGR, JM, 165 bis (non inventorié), Mémoire, s.l.n.d., après 1780, sans doute rédigé par Jean-Joseph Wouters, directeur de la Monnaie de Bruxelles. AGR, JM, 165 bis (non inventorié), Mémoire, s.l.n.d., après 1780.
177
Chapitre 13 Les affres du dirigisme monétaire
1. L’abondance belge et la spoliation française Tandis que Joseph II tentait une pesée globale de ses territoires, le roi de France à court de crédit se tournait vers les Pays-Bas pour relancer la confiance des capitalistes. Charles-Alexandre de Calonne apparaissait comme l’homme de la situation pour cette tentative de séduction des banques catholiques trop longtemps délaissées au profit du réseau protestant566. Familier de la famille Stoupy avant même d’épouser la veuve Nettine en 1788567, désigné Contrôleur général des finances en novembre 1783, Calonne avait des accointances avec les maisons Walckiers de Vliringhe et Gammarage et espérait par leur biais lancer de grands emprunts dans la société belge. Barthélemy Tort Delasonde, qui sera plus tard chargé par Dumouriez des fournitures de l’Armée du Nord, présenta dès 1784 un mémoire encourageant présentant le souhait des capitalistes belges : Menacés d’une guerre avec les Hollandais, peu satisfaits des principes que développe l’empereur en matière d’argent, ayant déjà près de 300 millions placés tant sur la Banque d’Angleterre que sur celle de Vienne, ils (les capitalistes) voudroient bien les retirer. Mais quel usage en faire ? J’ai déjà dit que la dette nationale les effraye en Angleterre, que l’Empereur perdoit journellement leur confiance. Ils n’en ont jamais eu de la Russie ; celle qu’ils ont dans la Suède et dans le Danemark est on ne peut plus bornée ; le nom seul de l’Espagne les révolte depuis l’emprunt du canal de Murcie568.
566
567
568
Herbert Lüthy, La banque protestante de la Révocation de l’édit de Nantes à la Révolution, 2 t., Paris, Sevpen, 1960. Calonne fréquenta le Conseil provincial d’Artois en même temps que François Dominique Joseph Stoupy et Louis Sébastien François Stoupy. Voir MarieLaure Legay, « Calonne, la banque Walckiers et le crédit de la France dans les Pays-Bas autrichiens (1784-1786) », Études et Documents XII, 2003, p. 111-122. AN, F4 1012, Mémoire de Tort Delasonde, 15 novembre 1784.
L’exploitation monétaire des Pays-Bas
On voit par-là que l’attente des hommes d’affaires, peu satisfaits des décisions de leur prince légitime, était grande. Un emprunt de 10 millions fut donc ouvert par contrat entre l’administration de la Flandre maritime, au nom du roi de France, et la banque Walckiers de Vliringhe et Gammarage, désignés « payeurs généraux des rentes et agents généraux dans tous les pays étrangers pour la liquidation des emprunts déjà faits et de tous ceux qu’on pourroit faire par la suite »569. Comme nous l’avons montré, le succès de cet emprunt ne fut pas au rendez-vous car la confiance des Belges, déjà entamée par les pratiques despotiques du ministre Terray en 1770, n’était pas rétablie. « La confiance ne renaît pas aussi rapidement qu’elle se détruit », écrivit Walckiers570. De fait, la France ne profita pas de la manne belge avant la Révolution. Les réserves des Pays-Bas se renflouèrent encore lorsqu’à partir de 1789, les Français, inquiets de la tournure que prenaient les événements dans leur pays, firent passer leur argent de l’autre côté de la frontière. Les officiers de Courtrai informèrent Bruxelles que « beaucoup de numéraire s’importait de la France dans leur département » : L’exportation du numéraire y est cause dans ce moment par la quantité considérable de françois qui cherchent un asile dans un autre pais et qui retirent de ce malheureux roiaume non seulement leurs revenus, mais aussi pour autant qu’ils le peuvent leurs capitaux … C’est là la raison principale pour laquelle le change de toutes les parties de l’Europe sur la France est si bas571.
Quelques exemples trahissent ce flux. Un ancien religieux de l’abbaye de Saint-Bertin, près de Saint-Omer, l’abbé Cauwelier, voulut ainsi livrer 237 192 livres en numéraire en territoire autrichien572. Comme le rappelle François Crouzet : « Paris, où les capitaux avaient afflué dans les années 1780, s’est vidé en deux ans »573. Calonne supposa que « sur trois milliards d’espèces d’or et d’argent qui y existoient avant la révolution », il fût sorti de la France un milliard soit par achats à l’étranger, soit par exportation
569
570 571 572 573
AN, F4 1012, Mémoire concernant le moyen d’animer le crédit de la France dans les pays étrangers, 25 mars 1784. AN, F4 1012, lettre de Walckiers à Calonne, 14 décembre 1784. AGR, CF, 4555, Rapport du 21 mai 1791. Matthieu de Oliveira, Les routes de l’argent, Paris, CHEFF, 2011, p. 180-181. François Crouzet, La grande inflation. La monnaie en France de Louis XVI à Napoléon, Paris, Fayard, 1993, p. 165, à partir de Guy Antonetti.
180
Les affres du dirigisme monétaire
faite par les émigrés, soit pour les dons corrupteurs »574. Par voie commerciale ou par voie frauduleuse, le numéraire prit le chemin du Nord. Pour autant, et ce qu’il faut bien repérer pour cette période, l’argent ne restait pas dans les Pays-Bas. Il ne faisait que les traverser pour la Hollande ou l’Angleterre575. Les témoignages des autorités urbaines sur ce point sont formels. Le Magistrat de Bruges, en réponse à une lettre des Etats de Flandres très inquiets, fit savoir qu’en effet il s’exportait par leur département des quantités importantes d’espèces d’or et d’argent monnayées, tant coursables et non coursables au coin des anciens souverains et de celui de France576. Courtrai évoquait la rareté du numéraire pour les mêmes raisons. Il était donc impossible de lutter contre « les ennemis secrets qui ne font que machiner pour éluder cette source de prospérité publique »577. À la fin de l’année 1790, au moment où les commissaires de l’empereur Léopold II procédèrent à la vérification des magasins de l’hôtel de monnaies de Bruxelles, se trouvaient en stock 80 marcs fin or, 3 030 marcs fin argent, et 15 078 marcs de cuivre »578. En France, l’Assemblée nationale réagit tardivement en interdisant l’exportation des espèces monnayées en juin 1791. Encore celle-ci demeurait-elle possible si elle était compensée par des lettres de change ou utilisée pour des denrées de première nécessité. On craignait, comme le député Jean-François Rewbell, que « cette libre circulation ou exportation [comprenne] de même les exportations qui seraient faites soit par des puissances étrangères, soit par des Français pour des contre-révolutionnaires »579. Les craintes étaient fondées puisque les espèces passaient en Angleterre et en Hollande, d’après les observateurs de Courtrai580. Sans nul doute se mêlaient aux vraies pièces françaises, de faux louis tels que ceux mentionnés dans les gazettes en janvier 1791, de fausses couronnes (journaux de 1792) ou de faux écus à palmes, 574
575
576 577 578 579
580
Charles-Alexandre de Calonne, Tableau de l’Europe en novembre 1795 et autres pensées, 1795, p. 55 (édition de Londres, Slatkine, Megariotis Reprints, Genève, 1976). Kinley Brauer, William Edward Wright (éd.), Austria in the age of the French revolution, 1789-1815, Minneapolis, Center for Austrian, studies, University of Minnesota, 1990. AGR, CF, 4555, lettre du 21 octobre 1790. Idem, lettre des États de Flandre du 12 octobre 1790. AGR, JM, 4. French Revolution Digital Archive, Archives parlementaires, tome 27, du 6 juin au 5 juillet 1791, séance du 3 juillet 1791, p. 688. AGR, CF, 4555, Rapport du 21 mai 1791.
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L’exploitation monétaire des Pays-Bas
Comme l’indique François Anselme de Kulberg, le président de la chambre des comptes de Bruxelles, les Pays-Bas profitèrent non seulement de l’argent de l’émigration, mais aussi des marchés de fournitures militaires581 : Il n’est pas difficile de se former une idée assez juste du montant de ce numéraire versé dans les Païs depuis trois ans et des avantages qui doivent lui en revenir dans la circulation. Il est vrai que la banqueroute ou l’équivalent de la banqueroute françoise a fait assurer des pertes sensibles aux capitalistes belgiques qui ont placé autrefois des fonds considérables en France, mais les argents des émigrés françois ont remplacé ici dans la circulation une partie de ces pertes et les dépenses énormes faites par les Armées et leurs divers appareils en ce Païs depuis trois ans auront non seulement balancé les pertes de la Banqueroute françoise, mais laissé dans le Paÿs une masse de numéraire infiniment supérieur à ce que cette banqueroute peut avoir engendré de perte aux crédirentiers de la France582.
En 1792, les monnaies continuèrent à prendre le chemin de la Hollande. Le Conseil des finances rendit compte d’un nouveau genre d’agiotage consistant en ce que : Les Anversois achètent toutes les couronnes et tous les quarts de couronnes impériales et les font passés à des Juifs d’Amsterdam qui leur en donnent un assez gros bénéfice583.
Ces passages d’argent pouvaient tenir aux variations du change, mais il pouvait aussi avoir pour objet des remises en France, être liés « aux affaires publiques et aux événements de la frontière », comme le mentionnaient pudiquement les conseillers des finances. Cette période d’abondance factice ne dura pas. Après avoir profité des difficultés de son voisin, la Belgique en subit l’occupation. La toute jeune République déclara la guerre au roi de Bohême et de Hongrie et ses forces armées entrèrent dans les Pays-Bas autrichiens (avril 1792). Déjà en mars 1792, on repéra le transport de « quantités considérables » de 581
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Sur les fournisseurs, voir Charles de Poisson, Les Fournisseurs aux Armées sous la Révolution Française. Le Directoire des Achats 1792-1793, J. Bidermann, Cousin, Marx-Berr, Paris, Librairie Historique A. Margraff, 1932. Plus généralement, Jacques Godechot, La grande Nation, L’expansion révolutionnaire de la France dans le monde de 1789 à 1799, Paris, Aubier, 1983, p. 443-450. HHStA, Vienne DD – Abteilung B, 85 (rote Number), Mémoire sur les Finances Belgiques, signé De Kulberg, Bruxelles, juin 1792. Sur François Anselme de Kulberg, voir la notice de Claude Bruneel, Les grands commis du gouvernement des Pays-Bas autrichiens, op. cit., p. 342-345. AGR, JM, 368, Extrait d’une consulte du Conseil des finances du 10 avril 1792.
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Les affres du dirigisme monétaire
monnaies vers la France. On sollicita les employés des droits de douane de Fort-Lillo, près d’Anvers, pour rendre compte chaque semaine par des « notes exactes » des sommes qui circulaient, des noms des personnes qui les emportaient et des noms de celles qui les avaient fournies, si tant que cela fut possible d’obtenir de telles informations584. Cette première occupation fut l’occasion d’un drainage conséquent du numéraire en sens inverse du précédent, vers la France. Au départ des Français après la victoire autrichienne de Neerwinden (mars 1793), les stocks de métaux précieux étaient épuisés, à telle enseigne que François II lança un emprunt d’or et d’argent non monnayé dès qu’il recouvrit la souveraineté sur ces territoires585. Il faut dire que les réquisitions furent menées tambour battant. Au pillage, bien connu, des représentants en mission Danton et Delacroix qui envoyèrent à Paris une voiture chargée d’argenterie destinée aux hôtels de monnaie de Paris et de Lille 586, s’ajoutèrent les réquisitions classiques en tant de guerre, mais aussi les substitutions d’assignats au numéraire contenu dans les caisses publiques587. Bien que le général Dumouriez tentât de tempérer cette substitution, les Belges subirent une perte importante, estimée à 45% par Georges Hubrecht588. Encore les Belges, tant citadins que paysans, réussirent-ils en bien des circonstances à refuser ce papier. Bien entendu, l’évacuation des Français provoqua de nouveau un drainage en sens inverse. Et de nouveau s’installa la crainte de voir circuler les faux. De nouveau, le public fut prévenu pour éviter de recevoir ces faux dans de trop grands paiements589. 584 585 586
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AGR, CF, 4555, note du 3 mars 1792. AGR, JM, registre 333, avis du 1er avril 1793. Albert Mathiez, « Danton, Delacroix et le pillage de la Belgique », Autour de Danton, Paris, Payot, 1926, p. 165-173. Robert Devleeshouver, L’arrondissement du Brabant sous l’occupation française, 1794-1795. Aspects administratifs et économiques, Bruxelles, ULB, 1964, p. 75. Sur l’assignat en général, voir l’article de Michel Bruguière, dans François Furet et Mona Ozouf (dir.), Dictionnaire critique de la Révolution française, Paris, Flammarion, 1988, p. 462-472. Son destin est connu. D’abord assigné sur la vente des domaines de la Couronne et d’une partie des biens de l’Eglise, il porta un intérêt jusqu’en septembre 1790, date à laquelle il changea de nature pour devenir une monnaie papier dont le cours finit par être forcé. Georges Hubrecht, « Les assignats en Belgique », Revue belge de philologie et d’histoire, 1951, vol. 29, 2-3, p. 458 [doi : 10.3406/rbph.1951.2098]. Voir aussi Suzanne Tassier, Histoire de la Belgique sous l’occupation française en 1792 et 1793, Bruxelles, Flak G. van Campenhout, 1934. AGR, CF, 7499. Avis des années 1791, 1792, 1793 et 1794.
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Avertissement paru dans les gazettes de Bruxelles, Anvers et Gand avril 1794 [AGR, Conseil des finances, 7499]
À peine recouvrait-il ses territoires que l’empereur François II fit donner des ordres pour mettre la main sur les métaux précieux. Le dernier ordre adressé aux officiers généraux des Monnaies d’envoyer toutes les matières, tant d’or, d’argent que de cuivre, date de mai 1794. 184
Les affres du dirigisme monétaire
Dernier ordre autrichien d’envoi de numéraire, 13 mai 1794 [AGR, Jointe des Monnaies, 343]
2. La Monnaie de « la grande Nation » L’historien des assignats belges révèle en outre le caractère radical de la seconde occupation française (à partir de la fin de l’année 1793) puisque non seulement les citoyens des Pays-Bas durent accepter la monnaie républicaine à cours forcé et sans contrepartie590, sous peine d’être passible du tribunal révolutionnaire, mais ils subirent d’importantes contributions de guerre en or et en argent. Encore, Jean-Joseph Wouters, dernier directeur de la Monnaie de Bruxelles, prit soin de sauver l’approvisionnement contenu dans les hôtels des Monnaies, ainsi que les poinçons et le matériel dont il avait la garde. Bruxelles dut fournir ainsi 50 millions. « Jamais nos prédécesseurs n’ont été traités par le ci-devant Gouvernement autrichien comme nous le sommes ici par vous ! », écrivit le Magistrat de Bruxelles à l’encontre des autorités françaises591. L’objectif était d’obtenir le versement 590 591
Arrêtés de messidor et thermidor an II des représentants en mission. Georges Hubrecht, « Les assignats en Belgique », op. cit., p. 473.
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de tout le numéraire dans les caisses de la République et de réduire la thésaurisation à néant. Les mots célèbres de Carnot, selon lesquels il fallait « dépouiller la Belgique parce que c’était un pays dévoué à l’empereur, un pays de conquête qui avait bien des restitutions à faire à la France »592, donnaient le ton de cette politique monétaire. Il s’agissait de faire circuler coûte que coûte le papier sur tout le territoire de la République pour faire triompher ce qui constituait le signe d’une nation en devenir. Défendre l’assignat-monnaie, c’était adhérer à l’œuvre révolutionnaire dans son entier, soutenir la guerre contre les ennemis de l’intérieur et de l’extérieur. Ce papier définissait une souveraineté d’un genre nouveau, selon les mots ultérieurs de John Maynard Keynes : « Il n’y a pas de moyen plus sûr et plus subtil pour renverser les bases d’une société que d’en pervertir la monnaie »593. Pour parvenir à faire circuler de force ce papier-monnaie, les Représentants en mission promirent aux Belges la réunion à la France dès qu’ils auraient accepté d’abandonner tout leur numéraire ! Ce faisant, le dirigisme monétaire courra à sa propre fin. Au moment où la grande Nation se forma, l’assignat était déjà entré dans sa phase d’hyperinflation. Dans les neuf départements belges constitués en octobre 1795, les citoyens, comme les autres Français, vécurent la chute torrentielle de ce moyen de paiement. En décembre 1794 en France, sa dépréciation atteignit 78%, puis 85% en mars 1795 et 96% en juin 1795, tandis que le prix de l’or, dans le même temps, augmentait de plus de 20% par mois594. D’après les tableaux de dépréciation établis pour les départements de l’Ourthe et de Sambre et Meuse, la chute fut identique : elle passa en deux ans, de juillet 1794 à juillet 1796, de 40 à 99 ¾%, de sorte qu’un assignat de 100 livres ne valait finalement que 5 sous à Liège et même – rapporte Georges Hubrecht – seulement 6 deniers (un demi sou) à Namur595. Le Directoire, on le sait, mit fin à l’expérience et après le court épisode des mandats territoriaux, rétablit la monnaie métallique dans toute sa plénitude. L’expérience fut traumatisante, pour les capitalistes les mieux installés, comme pour les plus faibles qui, malgré la loi du Maximum sur les denrées, subirent les conséquences de l’hyperinflation et de l’agonie du commerce. De même, en Belgique comme en France, l’échec dramatique de l’assignat qui provoqua disette et chaos, fit perdurer pendant tout le premier xixe siècle la prévention contre le papier-monnaie en général. Les débats
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Jacques Godechot, La grande Nation, op. cit., p. 427. John Maynard Keynes, Théorie générale de l’emploi, de l’intérêt et de la monnaie, traduction de Jean de Largentaye, Paris Bibliothèque Payot, 1969, p. 123. François Crouzet, La grande inflation, op. cit., p. 327-328. Georges Hubrecht, « Les assignats en Belgique », op. cit., p. 479.
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parlementaires des années 1830 à 1850 révèlent une méfiance profonde des députés de Belgique vis-à-vis de toute forme de monnaie fiduciaire596. Cependant, l’assignat, malgré son échec, mit fin à l’attachement excessif au métallisme en redéfinissant les fondements politiques de la monnaie. Le mathématicien Vandermonde l’explicita dans l’un de ses rapports d’économie politique : « la livre tournois dépend moins de la stabilité des lois monétaires que des maximes générales du gouvernement »597. C’est donc sur ces dernières que la nation devait s’entendre.
3. « Dieu soit avec nous » : le roi Guillaume et le système néerlandais (1815-1830) La domination française sur la Belgique ne s’acheva pas vraiment avec le congrès de Vienne de 1815 et la reconnaissance du nouveau RoyaumeUni des Pays-Bas, car dans ce premier « Benelux », le Sud continua d’utiliser les francs français, tandis que le Nord employait les florins usés. Lorsqu’il s’est agi d’opter pour un système monétaire, Guillaume d’Orange-Nassau eut pu prendre en considération les progrès réalisés en France et choisir le système métrique. D’aucuns, parmi ses sujets éclairés, en prônaient l’adoption, comme le mathématicien Jean-Henri van Swinden, professeur à l’Athénée d’Amsterdam598. Celui-ci avait été chargé d’établir à Paris le rapport sur le nouveau système des poids, mesures et monnaies. Il avait lu les traités français de son temps sur les monnaies, comme ceux de François Leblanc (1690), François Abot de Bazinghen (1764), Jean-Joseph Boucherie de Salzade (1767)599. Il possédait l’encyclopédie monétaire de Jean-Pierre Beyerlé (1799) et tous les instruments nécessaires – poids, capacités, mesures – qui lui permettaient d’apprécier la perfection des monnaies françaises. D’autres admirateurs du système français plaidaient pour son adoption comme Charles 596 597
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Voir chapitre 10. Cité par Alcouffe Alain, « Vandermonde, la monnaie et la politique monétaire de la Révolution », Annales historiques de la Révolution française, n° 273, 1988, p. 254-264. L’auteur s’appuie sur le rapport de Vandermonde sur les manufactures de Lyon. Jean-Henri van Swinden (1746-1823), professeur de philosophie, logique et métaphysique à l’université de Franeker puis à l’Athénée d’Amsterdam (chaire de physique et astronomie), se fit connaître pour ses travaux sur l’électricité et le magnétisme. Catalogue des livres de la bibliothèque de feu M. Jean-Henri van Swinden, Amsterdam, P. den Hengst et fils, 1823, n° inventaire 708, 712 et 718.
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Ferdinand de Nieuport, également mathématicien et contemporain de van Swinden. De Nieuport, sujet des Pays-Bas du sud, fit l’éloge du système monétaire français en ces termes : Le beau système général de mesures confectionné en France, dont tous les éléments, soit de longueur, de capacité, de poids, soit de monnaie, sont en parfaite harmonie entre eux et peuvent se servir mutuellement de vérification et de conservation. Ainsi, par exemple, 34 pièces de 20 francs et 11 de 40, mises bout à bout sont la longueur juste du mètre600.
La fascination des hommes de science pour le système métrique laissa Guillaume de marbre. Le roi opta pour le florin601. La loi du 28 septembre 1816 créa bien un florin moderne, fabriqué à la fois à Utrecht et à Bruxelles, mais le système monétaire se révéla si mauvais que la fabrication fut laissée au point mort : Les vices du système néerlandais de 1816 ont été trop souvent signalés, trop généralement reconnus pour que nous nous étendions à ce sujet. La proportion tout à fait défectueuse établie entre l’or et l’argent avait rendu la fabrication de la monnaie d’argent tout à fait impossible602.
Charles Ferdinand de Nieuport révéla en partie la cause de cet échec603. C’est que la loi assimilait les nouveaux florins des Pays-Bas aux anciens florins hollandais. Ceux-ci étaient tolérés provisoirement comme monnaie légale en attendant leur fonte, qui devait permettre la fabrication des nouveaux. Les anciens florins hollandais étaient reçus pour 2 francs et 11 64/100 centimes. Or, d’après Charles de Nieuport, qui s’appuie sur les calculs précis de van Swinden, le florin hollandais ne devait faire que 2 francs et 10 centimes. 400 francs devaient donc être reçus pour 189 florins et non 190,48. Cette erreur fut fatale au nouveau florin. Pour l’or, les autorités faisaient venir des pièces de 20 francs de France que l’on refrappait comme pièces de 10 florins ; le gouvernement, en vue de protéger la valeur du florin décida de faire frapper la mention « God zij met ons » sur le listel de la pièce. Quant à l’argent, le Royaume-Uni 600
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Charles Ferdinand de Nieuport, Réflexions sur la loi du 18 septembre 1816 relative à la création d’une nouvelle monnaie pour le royaume des Pays-Bas, s.l.n.d., 1816, 8 p. Voir plus généralement Jean Stengers, « Sentiment national, sentiment orangiste et sentiment français à l’aude de notre indépendance », Revue belge de philologie et d’histoire, année 1950, ol. 28, p. 993-1029. Rapport de la commission des finances chargée d’examiner le projet de loi relatif aux monnaies d’or, Sénat de Belgique, séance du 27 décembre 1850, Moniteur belge n° 16, p. 1-2. Charles Ferdinand de Nieuport, op. cit., p. 5-8.
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Les affres du dirigisme monétaire
utilisait les francs voisins. Certes, les autorités avaient tarifé les pièces de 5 francs, mais cette monnaie commerciale, qui valait souvent plus que sa valeur nominale, continua de circuler et ne manqua jamais aux marchands. La France constituait pour les Pays-Bas un vaste réservoir dans lequel les Belges puisèrent pendant quinze ans. Lorsque la révolution éclata à Bruxelles, la monnaie belge ne devint pas davantage une réalité « nationale ». Au cours de cette période, les Pays-Bas inaugurèrent toutefois une nouvelle forme de papier-monnaie. Guillaume Ier avait créé en 1822 la « Société des Pays-Bas pour favoriser le développement de l’industrie nationale », plus tard désignée sous le terme de « Société générale », dont il détint au début 82% des actions. Conçue comme une banque d’escompte et de crédit immobilier, cette entreprise servit aussi les intérêts directs du régime en devenant le « caissier général de l’État », fonction qu’elle conserva sous le règne suivant de Léopold, après la révolution belge de 1830604. En fait d’innovation, cette sorte d’annexion publique de l’établissement bancaire n’illustre guère le propos tant ce modèle d’ancien régime d’une banque privée comme principal trésorier d’un État est éculé. Comme la banque Veuve Nettine, la Générale était chargée de lever une partie des impôts, pour lesquels elle recevait une commission ; comme elle, la nouvelle Société servait de caution pour la trésorerie de l’État et pour la levée des emprunts. En revanche, Guillaume avait autorisé cette banque à émettre du papier-monnaie. Pour prémunir les détenteurs de toute crise, il exigea une garantie de 10 millions d’encaisse.
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Julie M. Laureyssens, « Growth of Central Banking. The Société Générale and its Impact on the Development of Belgium’s Monetary System during the United Kingdom of the Nederlands (1815-1830) », The Journal of European Economic History, t. 15, n° 3, 1986, p. 599-616.
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Chapitre 14 Monnaie et nation : le rendez-vous manqué Le Gouvernement provisoire605 remit le pouvoir aux mains d’un Congrès qui se réunit à partir de novembre 1830, soucieux d’éviter à toutes fins une nouvelle guerre européenne. Trois décisions importantes furent adoptées : la reconnaissance de l’Indépendance de la Belgique, de son régime monarchique et l’exclusion perpétuelle des princes d’Orange. La nation belge naquit en payant le prix fort car non seulement on repoussa leurs prétentions sur le Grand-duché du Luxembourg, qui appartenait à la maison de Nassau, la rive gauche de l’Escaut et le Limbourg, mais l’on chargea le nouvel État des 16/31e de la dette du royaume des Pays-Bas, soit une rente annuelle de 14 millions de florins. Or, avant l’union, la dette de la Belgique ne s’élevait qu’à 2,164 millions, si l’on suit la brillante démonstration de Barthélemi Dumortier606. Les protocoles des 20 et 27 janvier 1831 signés lors de la Conférence de Londres furent donc considérés comme particulièrement durs. Je ne pouvais m’imaginer que les Belges voulussent l’accepter et je ne croyais pas non plus que l’on pût obtenir le concours du gouvernement français à une disposition qui fut si accablante pour les Belges, et je puis même dire si injuste607.
Ainsi s’exprima Antoine Reinhard Falck, l’ambassadeur des Pays-Bas à Londres. Talleyrand avait offert ses services dans cette ingrate négociation et se fit payer 15 000 livres sterling par Guillaume Ier, via la maison Rothschild qui mit 27 traites en circulation, pour la conclusion du 12e protocole en faveur de La Haye. La Belgique, à peine née, fut donc immédiatement portée sur les fonts baptismaux de la finance et de la banque. Paris devint le garant de la nouvelle monnaie belge. Encore celle-ci n’exista pas immédiatement : dix ans après sa création, d’aucuns s’étonnaient encore : 605
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Sur le gouvernement provisoire, voir John Gilissen, « Le caractère collégial des premières formes de gouvernement et d’administration de l’État belge (1830-1831) », Revue belge d’Histoire contemporaine, XII, 1981, 3, p. 609-636. Barthélemi Dumortier, La Belgique et les XXIV articles, Société nationale, Bruxelles, 1838. Anton Reinhard Falck, Gedenkschriften, présentés par H. T. Colenbrander, S. Gravenhage, 1913, p. 629.
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Lorsqu’en 1831, vous avez fait une loi pour établir un système monétaire en Belgique, ce que vous avez voulu, sans doute, vous avez voulu qu’il y eût une monnaie nationale ; sans doute vous n’avez pas voulu que la loi que vous votiez fût une lettre morte608.
Et Ferdinand de Meeûs de proposer en décembre 1841 à la Chambre des représentants d’aborder « franchement la discussion de la question de savoir si, par exception dans le monde entier, la Belgique n’a pas besoin d’avoir de système monétaire »609. Cette position conforte l’idée selon l’aquelle la conscience nationale se développa essentiellement après 1830610. À suivre les débats de la Chambre des représentants, la monnaie constitua de ce point de vue un élément fixateur de cette identité.
1. La tutelle de la banque de France Accusée de rester à la botte des Orangistes, la Société générale dut élargir son actionnariat. Son nouveau gouverneur, Ferdinand de Meeûs, fut désigné par le tout nouveau gouvernement provisoire. Il eut, on le sait, un rôle essentiel dans la stratégie de la banque en s’associant aux Rothschild de Paris, ralliés à la Monarchie de Juillet611. Seule la confiance que les célèbres banquiers accordèrent à la Belgique mit fin aux problèmes financiers inextricables du nouvel État. Après la signature du traité des XXIV Articles du 15 novembre 1831 en effet, la maison Rothschild s’engagea auprès du roi Léopold en concluant un contrat juteux par lequel elle prêta l’argent sur gage de la totalité de l’impôt foncier du jeune État et avec des garanties très favorables612. La Société générale, en qualité de caissier de l’ancien 608 609 610
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Séance du 6 décembre 1841. Le Moniteur belge n° 341, 7 décembre 1841. Idem. Voir les travaux réunis par Claude Bruneel et Bruno Bernard, Les prémices de l’identité belge avant 1830 ?, Bruxelles, Misscellanea Archivistica, Studia 168, 2006. François Perin, Histoire d’une nation introuvable, Bruxelles, 1988. Résumé des positions historiques sur l’identité et la nation belges dans Belgitude et crise de l’État belge, actes du colloque dirigé par H. Dumont, Ch. Franck, François Ost et J.-L. De Brouwer, Bruxelles, Facultés universitaires Saint-Louis, 1989, p. 279-284. Sur les Rothschild, Louis Bergeron, Les Rothschild et les autres. La gloire des banquiers, Paris, Perrin, 1991 ; Jean Bouvier, Les Rothschild, Paris, Fayard, 1967 ; Bertrand Gille, Histoire de la maison Rothschild, vol. 1 : des origines à 1848, Genève, Droz, 1967. Elsa Witte, La construction de la Belgique, in Nouvelle histoire de Belgique, vol. 1 : 1830-1905, éditions Complexe, 2005, p. 128.
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royaume, mit à la disposition du nouveau gouvernement les sommes dont elle était redevable et plaça pour le compte du Trésor une partie du prêt. La bourse de Paris – à défaut de la place d’Amsterdam contrôlée par l’ancien souverain – devint le principal marché des obligations d’État belges. « On a parlé de dignité du pays compromise par la transaction avec la banque »613, mais n’était-ce pas là la continuation d’une situation monétaire très ancienne ? L’abbé Léon de Foere fut l’un des plus virulents attaquants de ce contrat. Le célèbre publiciste vitupéra : Il faut mettre en dehors du contact du gouvernement toutes ces sociétés de banquiers, ces compagnies financières qui exploitent le pays, sans modération comme sans pudeur, et qui sont toujours parvenues à appauvrir les Etats, comme le prouve l’histoire générale des finances de l’Europe614.
Il reprocha à la Société générale d’avoir conclu les emprunts sans publicité et donc en dehors de la participation des capitalistes belges. Il soupçonna des manœuvres frauduleuses pour tirer profit de la jeune nation. « La banque de Bruxelles a été cotraitante avec la maison Rothschild. Le premier emprunt lui avait fait faire de gros bénéfices ; il fallait se réserver à elle seule et à la maison Rothschild tous ceux du deuxième »615. Comme elle avait la faculté d’émettre des bons du trésor (sur lesquels elle avait un intérêt de 8%), l’abbé de Foere dénonça les opérations de versement anticipé, au moyen de ces bons, dans les emprunts faits à l’État. En réalité, le public fut admis pour deux tiers des sommes. La Société prit part pour 5 millions dans le premier emprunt et pour 8 millions dans le second, pour soutenir un crédit défaillant. Contre l’abbé de Foere, Ferdinand de Meeûs défendit ardemment l’opération en rappelant que la prise de 8 millions dans l’emprunt du 11 septembre 1832 était une condition expresse de la maison Rothschild616. Surtout, le gouverneur rappela la nature même de l’opération qui était d’augmenter les moyens de l’État dans le cadre du budget ordinaire en mettant en
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Propos de Ferdinand de Meeûs (1798-1861), gouverneur de la Société générale, lors de la séance de la Chambre des représentants du 4 décembre 1833, Moniteur belge n°341, du 7 décembre 1833. Propos de l’abbé Léon de Foere (1787-1851), séance de la Chambre des représentants du 4 décembre 1833. Voir aussi Paul Harsin, Essai sur l’opinion publique en Belgique de 1815 à 1830, Charleroi, Éditions de la « Terre wallonne », 1930. Idem. Séance de la Chambre des représentants du 4 décembre 1833.
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L’exploitation monétaire des Pays-Bas
circulation les effets de la dette flottante sous forme de bons du Trésor, en donnant ainsi à la dette les avantages du papier de commerce. Notre dette flottante a cela de particulier et de différent de celle des autres pays, c’est qu’elle est payable à Paris, et c’est sur ma demande même que cette disposition a été arrêtée. Du reste, elle a le même caractère que la dette flottante française. La preuve le plus convaincante qu’elle est dans l’intérêt du trésor, c’est que, presque tous les bons du trésor, à quelques exceptions près, sont de véritables lettres de change qui vont jusque sur les places d’Amsterdam, de Vienne, de Saint-Pétersbourg. Sans cette condition précieuse, vous ne pourriez point placer à 6 pour cent, à moins de vous adresser à la banque, et puisque M. l’abbé de Foere est désireux de voir le gouvernement se détacher de la banque, il faut maintenir cette condition617.
Reste que les conditions de mise en circulation des bons humiliaient le gouvernement. L’article 3 de la transaction prévoyait notamment que l’opération cesserait « aussitôt que la liquidation du compte de la caisse générale de l’ancien gouvernement aura été arrêtée, conformément au traité. À cette époque le gouvernement belge remboursera à la société générale une somme égale à celle dont le caissier général sera déclaré débiteur envers la Hollande »618. Ainsi, non seulement la banque conservait les bons Rothschild, mais elle prévoyait le remboursement du gouvernement en bons du trésor en cas d’embarras. Pour augmenter les moyens de l’État, l’abbé de Foere suggéra quant à lui d’émettre des billets d’échiquier portant intérêt, en remplacement des billets de la Société générale619. Dans ce contexte financier qui faisait dépendre le crédit de la toute jeune Belgique de la bonne santé des banques françaises, il eut été difficile de créer une monnaie trop éloignée du système monétaire voisin, déjà adopté au temps de l’annexion. Comme le fit comprendre Édouard Cogels620, élu à la Chambre des représentants, la richesse ne dépendait pas de l’abondance du numéraire, mais bien des moyens de circulation, et de ce point de vue, il approuva la tutelle de Paris : J’approuve notre système monétaire, c’est ce qui nous a sauvés d’une crise lors de la suspension de la banque de Belgique. Les banquiers ont pu vider
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Idem. Propos de Barthélemi Dumortier (1797-1878), séance de la Chambre des représentants du 4 décembre 1833, Le Moniteur belge n°340, du 6 décembre 1833. Séance du 5 décembre 1833, Le Moniteur belge n°341, du 7 décembre 1833. Le baron Edouard Joseph Cogels (1793-1868) est un arrière-petit-fils de JeanBaptiste Cogels, le caissier de la compagnie d’Ostende. Il siégea à la Chambre des représentants de 1839 à 1845 et en 1847-48. Il entra, en 1854, au Sénat et y présida la Commission des finances.
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leurs portefeuilles, recourir à la banque de France et recevoir plusieurs millions en huit ou dix jours. Par la facilité de nos communications, nous serons toujours à l’abri d’une véritable disette de numéraire. Elle pourra avoir lieu pendant quelques jours, mais jamais se prolonger pendant quinze jours621.
La solidité du système français n’avait-elle pas fait ses preuves lorsque la banque Laffitte frôla la banqueroute et fut secourue par la banque de France en 1831 ? Les banques françaises n’étaient-elles pas soumises à l’obligation d’avoir toujours en réserve des lingots ou du numéraire en rapport avec la valeur des billets en circulation ? Cogels, patriote belge convaincu, défendait donc avec ardeur le modèle bancaire français.
2. La création du « franc » belge Le roi Léopold de Saxe-Cobourg disposait, selon l’article 74 de la Constitution du 7 février 1831, « du droit de battre monnaie selon la loi », termes vagues s’il en est. On notera que le Congrès n’attribua pas ce droit à la nation. Tout au plus, la garantie de la loi assurait à chaque citoyen que la pièce qu’il avait dans la poche avait une valeur réelle, et que le gouvernement ne pouvait pas lui faire arbitrairement subir des altérations. Une commission provisoire fut instituée le 29 décembre 1831 pour remplir les fonctions d’une administration monétaire et la loi du 5 juin 1832 dota la Belgique d’une monnaie propre. Celle-ci prévit donc un alignement complet sur le système bimétallique français adopté le 7 germinal an XI. Le succès de ce dernier, sorti indemne de quarante années d’expérience, était patent622. Le franc belge faisait cinq grammes d’argent au titre de 9 dixièmes de fin, comme le franc français. Les tentatives de création d’une livre ou d’un florin belge qui se serait fièrement distingué de la monnaie voisine étaient comme vouées à l’échec623. Ni le ministre des finances, Jacques André Coghen624, ni le parlement ne parvinrent donc à éviter la satellisation monétaire de la Belgique. Le ministre se justifia après coup sur le choix adopté en expliquant qu’il ne fallait pas, d’après lui, « s’isoler
621
622 623
624
Moniteur belge n° 37 du 6 février 1840, débats sur le projet de loi sur la refonte des anciennes monnaies, Chambre des représentants, séance du 5 février 1840. Georges Valance, La légende du franc de 1360 à demain, Paris, Flammarion, 1996. Valéry Janssens, Le Franc belge, un siècle et demi d’histoire monétaire, Bruxelles, Editions de services interentreprises, 1976. Jacques Coghen était le chef du comité des finances dans le gouvernement provisoire. Pour la terminologie, voir John Gilissen, op. cit.
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L’exploitation monétaire des Pays-Bas
au milieu des autres nations en adoptant un système à part »625. Cette naissance gémellaire révélait à quel point l’identité nationale d’une monnaie demeurait relative. Était-ce que les hommes politiques ne se souciaient pas de la question ? Au terme de ses travaux, l’historienne Elsa Witte semble conclure dans ce sens : « une attention relativement mince est accordée au développement de la nation sur le plan monétaire »626. Certes, il s’agissait surtout de soutenir le commerce et le crédit auprès des banques de Paris. « Quand le change sur Paris est avantageux, nous y envoyons des espèces ; quand il est à perte, nous en recevons. La circulation n’en souffre pas, parce que les billets de banque sont là et que le paiement en étant assuré, peu importe qu’on paie en billets ou en écus », rappelait Cogels627.
Pièce d’argent de cinq francs, Léopold, dite tête laurée, 1832.
Toutefois, la question monétaire ne fut pas absente des débats parlementaires. Elle fut discutée au moment de la mise en cause du rôle de la Société générale. Celle-ci ne réclama-t-elle pas la possibilité d’émettre des bons de 20 francs ?628 Il faut dire que la nouvelle monnaie eut bien du mal à s’établir (plus de dix ans). La valeur nominale donnée aux pièces d’or par la loi se révéla trop faible à tel point qu’on demeurait dans l’incapacité d’en produire. La loi de 1832 avait prévu des pièces de 40 francs à la taille de 77,5 pièces au kilo et des pièces de 20 francs à la taille de 150 au kilo, mais le gouvernement n’en frappa que quelques exemplaires destinés 625 626 627 628
Séance du 14 janvier 1835. Le Moniteur belge n°15, du 15 janvier 1835. Elsa Witte dans La construction de la Belgique, op. cit., p. 129. Moniteur belge n° 37 du 6 février 1840, op. cit. Idem.
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Monnaie et nation : le rendez-vous manqué
aux solennités. Les pièces de 5 et 10 florins des Pays-Bas suppléèrent aux francs629. La fabrication des espèces d’argent demeura difficile aussi à cause des prix des métaux. La loi prévoyait de faire appel à des entrepreneurs mais le coût était si élevé que le directeur de la Monnaie dut faire battre seul et à perte. Il fit d’ailleurs savoir dès 1833 au ministre des finances qu’il ne pouvait pas continuer la frappe630. Il le pouvait d’autant moins que la prime de 6 pour mille, à laquelle était coté l’argent au marché de Paris, venait d’être portée à 8, et qu’à ce taux le kilogramme d’argent, au titre de 900/1000, revenait à 198 francs et 60 centimes ; les frais de transport à 60 centimes ; l’intérêt pendant la fabrication à 20 centimes ; le tout donc à 199 francs et 40 centimes. Comme le kilogramme d’argent monnayé valait 200 francs, il s’ensuivait qu’il ne restait au directeur, pour couvrir les frais de son établissement, ceux de la fabrication, y compris le salaire des ouvriers, que 60 centimes par kilogramme ou 3 000 francs par million. Le gouvernement devait pourtant mettre le nouveau système monétaire en marche. Il fallut donc rémunérer le directeur avec une prime de 3 pour cent, sur laquelle la Chambre des représentants demanda des comptes631. La loi du 5 juin 1832 fixait en effet les frais de fabrication à 3 francs par kilogramme d’argent (article 27). « Vous ne pouviez aller au-delà. Vous avez donc violé la loi. Si vous pensiez que la mesure était nécessaire, il fallait nous la demander », déclara le représentant Dumortier au ministre des finances sur la sellette632. Encore le défaut de petites monnaies continua-t-il à se faire sentir. Les francs et demi-francs manquaient. Le gouvernement n’eut d’autres choix que d’accepter les anciennes pièces encore en circulation. Par un article de la loi de 1832, les pièces de 50 et de 25 cents fabriquées dans les Pays-Bas avant la révolution furent assimilées à des pièces d’un franc et d’un demifranc et admises dans les paiements. En 1833, le gouvernement autorisa la fabrication pour 40 000 francs de pièces d’un franc et d’un demi-franc, ainsi qu’un million en pièces de cuivre, mais ce fut encore insuffisant car les pièces hollandaises de bas aloi de 25, 10 et 5 cents qui avaient toujours cours légal dans le royaume des Pays-Bas voisin continuèrent de circuler abondamment en Belgique. Au moins la fabrication des pièces de cuivre 629
630 631 632
Rapport de la commission des finances chargée d’examiner le projet de loi relatif aux monnaies d’or, Sénat de Belgique, 27 décembre 1850, Moniteur belge n° 16, p. 2. Cette commission fut présidée par le comte de Vilain. Elle comprenait Jacques-André Coghen, ancien ministre des finances et eut pour rapporteur Edouard Cogels. Séance du 5 décembre 1833, dans Le Moniteur belge n°341, du 7 décembre 1833. Idem. Idem.
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était-elle prévue au profit de l’État. Une somme de 250 000 francs fut inscrite, non sans mal, en recette du budget pour la fabrication d’un million633. Pour de nombreux députés, il importait que la menue monnaie de cuivre, celle que privilégiait la classe ouvrière, fût abondante, notamment les pièces de 1 et 2 centimes, car sans la circulation de cet appoint, les marchands avaient tendance à augmenter les prix en les arrondissant. Les Belges rencontraient ici les mêmes problèmes que ceux auxquels les Français avaient dû faire face pendant leur révolution. Une importante demande de petit numéraire de cuivre avait d’ailleurs été partiellement satisfaite par la décision des jeunes députés de l’Assemblée française de fondre les cloches des églises supprimées entre 1791 et 1793634. Il fut fabriqué pour plus de 19 millions livres de sols et double sols en métal de cloche dans des ateliers provisoires qui échappèrent à tout contrôle de l’administration centrale. Au moins, les autorités de Bruxelles ne tombèrent pas dans cette facilité : on en resta à la fabrication de pièces dans les ateliers officiels. Un état de la fabrication fut présenté à la Chambre par le ministre des finances en 1836. Il fit apparaître qu’à cette époque-là, le nombre de pièces de menue monnaie de cuivre se chiffrait à 76 152 724, soit 19 pièces par personne635 : État de la fabrication de la monnaie belge en 1836 Monnaie
Valeur totale produite en franc Argent
Pièces de 5 francs
9 413 810 fr
Pièces de 2 francs
1 023 678 fr
Pièces de 1 franc
1 373 000 fr
Pièces de 50 centimes ou demi-franc
1 200 000 fr
Pièces de 25 centimes
348 000 fr Cuivre
Petite monnaie de cuivre
1 781 767 fr
Pièces de 5 centimes
347 570 fr
633 634
635
Séance du 16 décembre 1833. Le Moniteur belge n°352, du 18 décembre 1833. Bruno Collin, « Monnaie révolutionnaire et métal de cloche », dans Etat, finances et économie pendant la Révolution française, Paris, CHEFF, 1991, p. 203-208. Séance du 18 mars 1836, Le Moniteur belge n° 79, du 19 mars 1836 et Le Moniteur belge n°80, du 20 mars 1836. Ces chiffres sont bien supérieurs à ceux établis par Prosper Cuypers dans Revue de la numismatique belge, t. VI, Bruxelles, 1850, p. 97-120.
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Cependant, les années suivantes ne furent pas aussi fastes. Aucune création monétaire, ni d’or, ni d’argent, ni de cuivre, ne sortit des forges à cause de la cherté des matières. La Belgique présentait bien un solde commercial positif avec la France, mais elle devait régler ses dettes vis-à-vis de l’Angleterre avec laquelle elle entretenait des rapports commerciaux déficitaires. Pour couvrir ce déficit, elle tirait sur Paris, mais complétait au moyen de son propre numéraire. En 1833, des sacoches remplies de pièces de 5 francs partirent vers Paris, et il fallut l’intervention de la Société générale pour limiter la crise monétaire. La rareté du numéraire pesa sur l’économie belge pendant de longues années encore, car non seulement la balance commerciale penchait en défaveur de la Belgique, mais les emprunts faits à l’étranger par les Belges étaient nombreux. En outre, la vente des propriétés détenues par des étrangers à des « nationaux » allait toujours bon train et faisaient également disparaître le numéraire. Évaluée à 800 millions de francs en 1816, la valeur des propriétés possédées par des étrangers n’atteignait plus que 100 millions en 1841636. Le manque de matière devenait patent, mais l’achat des lingots sur Paris et le coût du transport jusqu’à Bruxelles eussent rendu la fabrication trop onéreuse637.
3. « Nous n’avons pas de monnaie à nous »638(1841) La question monétaire demeura encore tendue pendant plusieurs années. Les pièces de 5 francs à l’effigie de Léopold s’exportaient massivement : « il est positif que cette monnaie, au moins pour la majeure partie, n’est pas en circulation dans la Belgique ; car nous ne voyons pour ainsi dire pas de monnaie de notre pays »639. Le cercle monétaire belge se révélait vicieux : en adoptant pour base théorique le bimétallisme, sans disposer toutefois de monnaies d’or en rapport avec la valeur de l’argent, le pays s’exposait à la fuite de ses meilleures espèces. À l’intérieur, les grands paiements se faisaient en florins d’or. Inversement, on peut dire que pour 636 637
638
639
Chiffres avancées par Ferdinand de Meeûs, séance du 4 décembre 1841. Séance du 21 février 1837, Le Moniteur belge n° 53, du 22 février 1837 et séance du 28 décembre 1838, Le Moniteur belge n° 364 du 29 décembre 1838. Discussion soulevée dans les deux cas par Alexandre Rodenbach, député de Roulers, au moment du vote des traitements des employés de la commission des monnaies. Propos de Ferdinand de Meeûs, élu à la Chambre des représentants, lors de la séance du 6 décembre 1841. Le Moniteur belge n°341, du 7 décembre 1841. Propos de Barthélemi Dumortier (1797-1878), séance du 4 février 1834. Le Moniteur belge n°36, du 5 février 1834.
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rembourser les avances sur Paris, les négociants belges envoyaient leurs pièces de 5 francs, créant un vide que les pièces d’or de 10 et 5 florins remplissaient aussitôt. De ce point de vue, la loi monétaire de 1832 ne produisit d’autre effet que de fabriquer des pièces qui s’en allaient circuler en France. Bien que la banque de France ne voulût pas les recevoir dans ces caisses dans un premier temps, les maisons de banque privées, qui pratiquaient allègrement l’assimilation avec les pièces françaises, avaient rendu la distinction impossible. En outre, l’or hollandais continuait d’être accepté en Belgique à un taux avantageux : bien que les espèces de 10 et 5 florins ne dussent être reçues dans les caisses publiques qu’au taux de 48 ¼ florins pour cent, elles étaient en réalité acceptées à un taux plus bas de 47 ¼. Charles Ferdinand de Nieuport en donne l’explication en indiquant que la loi de 1816, en assimilant anciens et nouveaux florins, a de ce fait introduit un rapport faussé avec le franc640. Aussi longtemps que l’or hollandais était ainsi admis au-delà de la valeur réelle, il demeurait impossible de battre des pièces de 10 et de 20 francs. Enfin, cette fuite massive des francs Léopold fragilisait l’industrie et le commerce intérieurs qui devaient être soutenus par le crédit local et donc par une monnaie « nationale ». En d’autres termes, la Belgique n’avait pas de valeur étalon pour ses échanges commerciaux et se trouvait donc tributaire des étalons voisins. De même, les petites pièces hollandaises circulaient encore sous forme de pièces de 10 et 25 cents pour l’argent et sous forme de cents et demicents pour le cuivre, bien qu’elles eussent été démonétisées par la loi de 1832. Il était impossible de ne pas les recevoir, d’autant que les comptes continuaient presque tous de se faire en florins des Pays-Bas. Les pièces de 10 florins et de 25 cents ont cours en Belgique, ou au moins tout le monde le croit. Que s’en suit-il ? Il s’en suit que quand un particulier doit payer 26 ou 27 cents, il est nécessaire que l’un paie et que l’autre reçoive l’appoint en cuivre hollandais ; il s’en suivra donc nécessairement une infiltration considérable de cents en Belgique de la part de la Hollande641.
Les monnaies hollandaises continuaient donc d’envahir la Belgique, faisant concurrence au système décimal français. Les rapports commerciaux avec les voisins du Nord étaient abondants et pérennisaient naturellement cette circulation. D’où la question soulevée par les représentants de la Chambre : le système français convenait-il à la Belgique ? Malgré sa perfection, 640
641
Nieuport Charles Ferdinand de, Réflexions sur la loi du 18 septembre 1816 relative à la création d’une nouvelle monnaie pour le royaume des Pays-Bas, s.l.n.d., 1816, p. 4-5. Propos de Ferdinand de Meeûs, séance du 14 janvier 1835. Le Moniteur belge n°15, du 15 janvier 1835.
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devait-il être employé par une nation essentiellement commerçante et industrielle située au cœur de l’Europe ? Si le système monétaire français avait été adopté en Allemagne, en Hollande, rien de mieux. Mais il n’en est pas ainsi. Il était impossible d’adopter le système français, alors que les nations conservaient toutes un système spécial642.
Plusieurs députés de la nation belge réclamèrent donc des mesures radicales : « Il est temps que nous ayons de la monnaie nationale suffisamment pour nos besoins, et que nous cessions de voir en circulation les pièces hollandaises », exigea le banquier Gérard Legrelle643. En 1836 encore, celui-ci disconvenait que la petite monnaie d’argent restât dans le pays, car quand le change sur Paris était élevé, quand le papier manquait, on envoyait des espèces, et non seulement on envoyait des pièces de 5 francs, mais aussi de la petite monnaie d’argent644. Et le député d’Anvers de conclure : « Aussi longtemps que vous ne renverrez pas la monnaie de Guillaume en Hollande, vous ne pourrez pas faire prévaloir votre nouveau système à l’ancien »645. Les opérations de démonétisation répondirent en partie à ces attentes. Le ministre des finances, Édouard d’Huart, proposa en 1835 la transformation des anciens cents en centimes : « Il y a pénurie de monnaies de cuivre dans plusieurs localités, et les cents perçus par le trésor se détériorent, en effet, dans les lieux humides où on les a placés »646. Les vieilles pièces, qui formaient en caisse un fonds nominal inutile de 1 233 000 francs mais dont la valeur vénale comme cuivre ne pouvait rapporter que 430 000, perdaient de leur poids par oxydation. Il fut donc décidé de les frapper en pièces de 1 et 2 centimes, afin de se débarrasser de cette masse impossible à remettre en circulation. La refrappe ne fut pas toujours réussie, et il arriva que l’empreinte du W de Guillaume réapparaisse sous le L de Léopold. L’opération permit néanmoins d’éviter la perte sèche de la matière. Son coût fut par ailleurs compensé en fabricant en outre des pièces de 5 centimes pour 600 000 francs. De même, le ministre des finances multiplia les circulaires pour interdire de recevoir les sous français qui, à défaut d’être 642
643 644 645 646
Propos de Ferdinand de Meeûs, séance du 14 janvier 1835. Le Moniteur belge n°15, du 15 janvier 1835. Séance du 27 février 1835, Le Moniteur belge n°59, du 28 février 1835. Séance du 18 mars 1836, Le Moniteur belge n° 79, du 19 mars 1836. Idem. Séance du 12 janvier 1835. Le Moniteur belge n°13, du 13 janvier 1835. Edouard D’Huart (1800-1884) fut le ministre des finances du gouvernement de Theux de Meylandt jusqu’en 1839.
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L’exploitation monétaire des Pays-Bas
acceptés dans les caisses du trésor, continuaient de circuler. En 1840, une pétition des négociants et boutiquiers de Renaix demanda qu’on établît un droit d’entrée sur ces monnaies de cuivre françaises. Elle fut appuyée par Alexandre Rodenbach qui jugea qu’il y en avait pour plus de 300 000 francs en circulation dans le pays647. La commission des pétitions convint, par le biais de son rapporteur, du préjudice occasionné par cette importation importante du cuivre français en Belgique. Elle repoussa toutefois l’idée d’une taxation pour mettre en avant la nécessité de renouveler les circulaires sur les monnaies étrangères auprès de tous les receveurs du Trésor et du fisc d’une part, et en proposant la mise en circulation de cent mille francs en billon belge dans les arrondissements de Courtrai, Ypres et Tournai. « Si le gouvernement voulait émettre dans les Flandres des monnaies de billon belge, il rendrait un grand service au commerce, et il y trouverait son propre compte »648. Toutefois, ces mesures n’empêchèrent pas les pièces étrangères d’être admises dans le commerce. Aux frontières avec la France, les marchands faisaient avec les acheteurs des conventions qui mentionnaient : « Vous me donnerez autant en sous, et autant en bon argent », arrangements qui encourageaient l’usage des sous. Les entrepreneurs payaient souvent les ouvriers en partie avec le cuivre français, sur lequel ils gagnaient 10 à 20%. Le problème, récurrent, fut encore soulevé en 1845649. Quant aux pièces hollandaises, le ministre des finances, Léandre Desmaisières, convint encore en 1840 qu’il n’était pas utile de retirer de la circulation les pièces de 25, 10 et 5 cents qui avaient cours légal dans les Pays-Bas650. Cette année-là, le débat autour de la monnaie nationale prit encore de l’ampleur lorsqu’il s’agit de trancher le destin des anciennes monnaies provinciales. Ces espèces, sans rapport avec le système décimal, continuaient en effet d’être reçues, comme au temps de Guillaume Ier. Le régime précédent avait bien converti les escalins de Brabant et de Liège, ainsi que les plaquettes, mais les ducatons circulaient toujours et étaient admis dans les caisses de l’État, pour le règlement des impôts notamment, sans être harmonisés avec le système en vigueur. Édouard d’Huart n’eut connaissance de ces faits qu’assez tardivement, ce qui explique l’examen tout aussi tardif de la question à la Chambre des représentants651. Quand 647 648 649
650 651
Séance du 22 janvier 1840, Le Moniteur belge n°23, du 23 janvier 1840. Séance du 3 février 1840, Le Moniteur belge n°35, du 4 février 1840. Séance du 20 janvier 1845. Sur les Cogels, cf. F. de Cacamp, Une vieille famille brabançonne. Les Cogels, Bruxelles, 1959 (Genealogicum belgicum, II). Séance du 5 février 1840, Le Moniteur belge n° 37 du 6 février 1840. Séance du 5 février 1840, Le Moniteur belge n° 37 du 6 février 1840, op. cit. Le ministre des finances prit soin de préciser : « Je ferai remarquer, messieurs, qu’il
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l’immobilisation de tels fonds apparût clairement – on les estimait alors pour deux millions de francs dans les caisses de l’État – il fut jugé urgent de les convertir en monnaie courante. La démonétisation des espèces provinciales souleva toutefois quelques scrupules chez les nationalistes qui souhaitaient encore disposer d’une monnaie « particulière ». Savait-on par ailleurs combien de ces espèces circulaient encore ? Les termes du débat étaient de savoir s’il fallait les billonner et accepter un délai pour les échanger – opinion générale du parti français – ou bien s’il fallait encore les admettre comme menue monnaie – parti pris des nationaux, très attachés à la théorie quantitativiste.
4. S’émanciper du système français ? Main dans la main, Barthélémi Dumortier et Ferdinand de Meeûs réclamaient une « monnaie à nous ». Dans la mesure où la Belgique se trouvait entièrement à la merci des variations de change, les deux députés craignaient une crise monétaire sans précédent. Dumortier alarma la Chambre en 1840 : Aujourd’hui toutes nos monnaies, grandes et petites, sont du même type ; il peut arriver un moment de crise où le pays se trouve sans petites monnaies pour les transactions journalières… Supposons que nous soyons en guerre avec la puissance dont nous avons adopté les monnaies ; eh bien, cette puissance, au moyen d’une opération de bourse, peut retirer toute votre monnaie de la circulation, et par suite vous seriez livrés à la merci de votre ennemi652.
Dans la séance du 9 décembre 1843, il fit encore valoir son point de vue avec force : « Eh bien, messieurs, notre système monétaire actuel est tel que, grâce à un jeu de banque, une nation ennemie peut, en quelques jours, enlever tout le numéraire du pays et nous plonger ainsi dans une crise affreuse »653. Pour Ferdinand de Meeûs, également opposé à la démonétisation, la loi monétaire de 1832 était un échec : « la loi qui est en vigueur dit bien que nous frapperons des pièces de 5 francs à l’effigie de notre roi, mais elle n’a pas créé de système monétaire belge »654. « Nous
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n’est résulté de cette immobilisation d’anciennes monnaies dans les caisses de l’Etat, aucun préjudice pour le trésor public, par la raison bien simple que je n’ai pas émis ni dû émettre des bons du trésor, pour suppléer à la somme que ces anciennes monnaies représentaient, puisque j’ignorais leur existence ». Séance du 5 février 1840, Le Moniteur belge n° 37 du 6 février 1840, op. cit. Séance du 9 décembre 1843, Le Moniteur belge n° 344, 10 décembre 1843. Idem.
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n’avons pas de système à nous », déplora-t-il aussi, et pour cette raison, il suggéra de maintenir les espèces provinciales et étrangères tant que les espèces belges ne parvenaient pas à s’imposer dans l’économie du pays. Sur le plan financier, l’État belge embryonnaire peinait de même à s’imposer sur le marché du capital et ne pouvait guère compter que sur les émissions de la Société générale. Les nations voisines ne souffraient pas d’une telle situation car elles donnaient la préférence à l’un ou l’autre des métaux précieux. L’Angleterre opta pour le monométallisme or par la loi du 22 juin 1816 qui réduisit le titre de l’argent de 6 à 7%, de manière à n’en faire qu’une monnaie de billon. Londres avait décidé que les paiements en cette matière ne pourraient se faire que jusqu’à concurrence de 2 livres sterling. Dès lors, le shilling ne disposa plus d’un pouvoir libératoire illimité, tandis que le Parlement établit en 1821 la libre convertibilité des billets. La France opta pour le bimétallisme, mais en donnant clairement la préférence à l’argent. Le rapport entre les deux métaux (rapport de 1 à 15, 5 depuis 1803) définissait l’or comme marchandise tandis que l’argent seul servait d’étalon dans les échanges commerciaux. Le système de 1832 adopta le bimétallisme français, mais ne permit pas de fabriquer des monnaies d’or car la valeur nominale de la pièce d’or définie par la loi était en dessous de la valeur de ce métal. D’où les recommandations du gouverneur de la Société générale qui ne cessait de prévenir ses compatriotes : « Il nous faut un système monétaire différent du système français, soit par le poids, soit par le titre »655. Les préoccupations de Meeûs rejoignaient celles de Barthélemi Dumortier. Il défendait une monnaie pour les transactions intérieures, mais il se souciait surtout d’anticiper l’avenir et de prévenir la crise monétaire qu’il voyait se profiler à l’horizon 1850 si rien n’était fait pour fixer une valeur étalon. Meeûs fondait ses observations sur l’histoire monétaire des pays voisins. Il fit valoir à plusieurs reprises devant la Chambre la fragilité du système des Anglais qui, nation commerçante surpuissante s’il en était, connaissait depuis 1822 des crises monétaires régulières. Le choix de l’étalon or comme signe représentatif et légal des valeurs soumettait celle-ci à de fortes mobilités. Le prix de l’or variait en effet bien plus que celui de l’argent. Pour maintenir la confiance en ses billets, Londres devait garantir l’encaisse-or, mais régulièrement, cette encaisse diminuait dangereusement pour couvrir les transactions avec l’étranger. Dès lors, l’Angleterre n’avait d’autres moyens que d’augmenter son taux d’escompte pour protéger les transactions intérieures. Comme Dumortier, Meeûs craignait que le système monétaire belge ne résistât pas à de fortes remises à l’étranger : les remises sur Paris vidaient 655
Séance du 6 décembre 1841, Le Moniteur belge n° 341, 7 décembre 1841.
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certes la Belgique de son argent, mais qu’adviendrait-il si elle se vidait aussi de son or hollandais par un effet de variation des taux de change ? Elle se trouverait alors entièrement démunie656. Les crises monétaires de 1833 et 1839 l’avaient montré à l’envi. Et le gouverneur de la Société générale de prôner la fabrication d’une monnaie or au plus vite. Le système belge n’eut jamais vraiment l’occasion de s’affirmer. Le gouvernement ordonna bien en 1847 la fabrication de pièces d’argent de deux francs et demi et des deux pièces d’or de 10 et 25 francs, mais cette mesure qui démarqua le système belge du système français intervint au moment où partout en Europe, le resserrement de l’argent se fit sentir. Richtenberger, représentant de Rothschild à Bruxelles, annonça la baisse des fonds en Belgique et en Hollande657. La crise de 1848 reporta encore l’établissement d’une monnaie « nationale ». Il fallut attendre la crainte d’une invasion française, la crise de liquidités de la Société générale dans laquelle les épargnants ne pouvaient plus placer leur confiance, et finalement le risque de faillite généralisée de l’État pour que le gouvernement instaure une banque nationale disposant du monopole de l’émission de la monnaie, de la fixation du taux d’escompte, et de la constitution des réserves de change658. Pour créer cette banque centrale, un accord fut conclu en 1849 entre le ministre des finances, Walthère FrèreOrban, et les deux banques privées qui jusque là servaient de trésorières de l’État : la Société générale et la banque de Bruxelles. Elles renoncèrent toutes deux à leur privilège au profit de la future institution créée par la loi du 5 mai 1850 et opérationnelle le 2 janvier 1851. Elles investirent toutes deux dans le capital social (qui s’élevait à 25 millions 10 millions pour la Société générale, 5 millions pour la banque de Bruxelles), mais le nouvel établissement possédait toutes les attributions d’un organisme bancaire public. Walthère Frère-Orban connaissait l’avantage de doter l’État d’une institution bancaire stable, capable en outre de gérer la dette nationale en toute indépendance. Un siècle et demi après la banque royale d’Angleterre, 656 657
658
Idem. Bertrand Gille, Histoire de la maison Rothschild, vol. 1, Genève, Droz, 1967, p. 30. Sur les Richtenberger, voir également Ginette Kurgan-van Hentenryk, « Entre tradition et modernité, le patronat bancaire en Belgique 1850-1950 », p. 457-470, dans Michèle Merger et Dominique Barjot, Les entreprises et leurs réseaux, Paris, Presses de l’Université de Paris Sorbonne, Sur la banque nationale belge, voir les travaux de Paul Kauch, La banque nationale de Belgique, Bruxelles, 1950., mais plus récemment ceux de Herman van der Wee (éd.), De Generale Bank 1822-1997, Tielt, Lannoo, 1997 ; Herman van der Wee et Monique Verbreyt, De Generale Bank 1822-1997 : een permanente uitdaging, Tielt, Lannoo, 1997.
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L’exploitation monétaire des Pays-Bas
un demi-siècle après la banque nationale de France, la Belgique se dotait d’un instrument financier qui lui permettait aussi de s’affranchir de la haute banque internationale. Lorsqu’enfin l’étalon or se substitua à l’étalon argent suite à l’exploitation des mines aurifères d’Amérique, la Belgique arrima de nouveau étroitement son destin monétaire à celui de la France. Le 4 juin 1861, elle décréta le cours légal de l’or français à sa valeur nominale, ce qui dès lors vida les caisses de la banque nationale qui vit fondre ses réserves. Le ministre des finances, Walthère Frère-Orban, évoqua ces circonstances devant la Chambre des représentants : Pendant dix ans, le Gouvernement s’efforça de maintenir dans l’intégrité de sa lettre et de son esprit, le principe de l’art. 1er de notre loi monétaire du 5 juin 1832. Mais la loi du 4 juin 1861, décrétant le cours légal de l’or français à sa valeur nominale, vint modifier profondément la situation. En fait, la déclaration contenue dans l’art. 1er de la loi de 1832 devint lettre morte, l’étalon d’or prit la place de l’étalon d’argent, et nous eûmes dès lors à subir les inconvénients ressentis en France, en Suisse et en Italie, par suite de la disparition de nos petites monnaies d’argent659.
Il exposait alors les motifs de la Convention monétaire conclue, le 23 décembre 1865, entre la Belgique, la France, l’Italie et la Suisse et connue sous le nom d’union latine660. Plutôt que de réformer son propre système, la Belgique opta, on le sait, pour une communauté d’intérêt avec la France afin d’éviter que les décisions prises à Paris n’aient des répercussions fâcheuses sur Bruxelles. « Si la France jugeait nécessaire de modifier à son tour son système actuel, tant pour les monnaies de payement que pour celles d’appoint, il pouvait en résulter, par rapport aux espèces de même dénomination frappées par la Belgique, des différences de valeur telles, que nos rapports internationaux pourraient en éprouver de très fâcheuses perturbations », martela le ministre libéral. Cette phrase, sans y rien changer, pourrait être mise dans la bouche de Charles II d’Espagne.
659 660
Exposé des motifs, séance du 7 mars 1866. Sur l’union monétaire latine, voir Einaudi Luigi, Monetary Unions and Free Riders: the case of the Latin Monetary Union, Rivista di Storia Economica 3, 1997, p. 327-361 ; Flandreau M., « Was the Latin Monetary Union a Franc Zone ? » dans Reis J. (éd.), Historical perspectives on International Monetary arrangements, 1995, p. 71-89 ; Parieu, F. E. de, « L’union monétaire de la France, de l’Italie, de la Belgique et de la Suisse : le Münzverein latin », La Revue Contemporaine, 31 octobre 1866 ; Willis H., History of the Latin Monetary Union, Chicago, 1901 ; Vanthoor, W. F. V., European Monetary Union since 1848, a Political and Historical Analysis, Cheltenham, 1996.
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Conclusion générale L’histoire de la souveraineté monétaire dans les Pays-Bas méridionaux peut être déclinée en quatre étapes : 1. Le temps où la monnaie, définie essentiellement comme instrument des échanges commerciaux, est arbitrée selon un équilibre, fragile certes, mais réel, engageant à la fois le souverain, qui dispose du jus monetae, et le marché qui défend le jus gentium (xvie siècle et xviie siècle). Défini comme « un ensemble cohérent et complet de règles ayant pour vocation spécifique de régir la communauté internationale »661, ce droit des nations fit entrer très tôt la monnaie dans cette rhétorique en gestation autour des institutions de nature internationale ; 2. Le temps où la monnaie, arme redoutable dans la « guerre d’argent » européenne que mènent les États à la fin du xviie siècle et au début du xviiie siècle, est davantage arbitrée par les banques privées dont les souverains se rendent tributaires ; 3. Le temps d’une restauration générale de l’équilibre dans l’arbitrage de la valeur des monnaies sous l’égide de souverains puissants, ces derniers faisant de la monnaie un des instruments d’une vaste politique financière. Dès lors, les relations entre souverains et banques s’institutionnalisent sous Marie-Thérèse, Joseph II… comme sous Guillaume d’Orange (la banque veuve Nettine, livrancière principale ; la Société générale, trésorière principale…) avec la financiarisation de l’État et de la monnaie. 4. Le temps de la construction nationale (monnaie et banque nationale) qui permet l’immiscion des représentants de la Nation dans le champ de la décision politique et économique. Il se caractérise par le sursaut identitaire (« nous voulons une monnaie à nous »), la défense des intérêts du commerce local et de la monnaie d’appoint pour les gens modestes. La souveraineté monétaire devenue nationale doit néanmoins, comme au temps des rois « absolus », composer avec les représentants de la banque internationale et de la finance publique, dans la mesure où la solvabilité de l’État-Nation et sa capacité d’endettement sont en jeu. Domine au temps de Charles Quint ou de Philippe II, cette intrication forte de la loi du prince avec les lois du marché (des métaux, des changes). Les premiers économistes comme Nicolas Oresme avaient déjà décrit cette double nature de la monnaie. L’instauration de l’autorité monétaire s’est 661
Denis Alland, Stéphane Rials (éd.), Dictionnaire de la culture juridique, op. cit., p. 463.
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Conclusion générale
imposée au sein des provinces (fermeture d’ateliers provinciaux) et auprès des villes frontières (inspection des maîtres généraux), mais quant aux relations internationales, s’est formé ce compromis entre l’arbitrage légal du souverain et celui des acteurs du change, négociants et banquiers, d’autant plus aisément que ces derniers se trouvaient à l’abri des privilèges urbains. Les conditions du maintien de ce compromis devinrent le sujet essentiel de l’histoire monétaire. Il fut mis gravement en cause pendant les guerres louis-quatorziennes, au cours desquelles les banquiers, non seulement poursuivirent le trafic des métaux précieux, en particulier avec les Provinces-Unies, mais produisirent les pièces elles-mêmes pour rétablir la justice du change. Ils devinrent donc les arbitres uniques de la politique monétaire. Marie-Élisabeth, sœur du nouveau souverain Charles VI de Vienne, les reconnut comme tels en grâciant les plus importants. La restauration de l’autorité souveraine dans l’arbitrage des monnaies prit un tour radical sous le règne de Marie-Thérèse dont la réforme de 1749 fut une véritable réussite. Cette restauration ne présente pas de caractère despotique ou absolu néanmoins. L’impératrice compose avec les corps constitués en acceptant « de se relâcher de ses droits régaux en faveur de ses sujets » dans une ordonnance monétaire de 1753662. Elle sollicite les receveurs naturels des Pays-Bas pour le billonnement des escalins : les assemblées provinciales obtinrent un droit de regard sur la fonte. Elle s’entend également avec les princes voisins pour harmoniser les cours, comme le firent Albert d’Autriche et Ferdinand de Bavière en 1615. De même, elle sait l’importance des acteurs du marché monétaire, les banques Cogels ou Veuve Nettine notamment. Elle en fait des alliés de sa politique financière. Mieux, elle les place à la tête de sa trésorerie. Le siècle compris entre la réforme de Marie-Thérèse (1749) et la création de la banque nationale de Belgique (1850) permit d’instaurer tout à la fois un système monétaire selon une parité or-argent équilibrée, un arrimage définitif à la monnaie française et un organisme national d’émission et de réserve de change. La nation sembla alors avoir prise sur sa politique monétaire et sa dette. Pour autant, peut-on alors parler de monnaie « nationale » ? La monnaie belge fut toujours arrimée à une monnaie étrangère. Les hésitations de Charles Quint et de Philippe II furent symptomatiques de ce point de vue. Devait-on articuler la monnaie des anciens Pays-Bas à la monnaie espagnole, à celle de l’Empire auquel le cercle de Bourgogne appartenait, à la monnaie française ? En 1865, Bruxelles, après trente années d’interrogations sur la consistance de son système « national », 662
Ordonnance du 17 décembre 1753 interdisant d’accepter les vieux escalins de Liège en paiement, article 7.
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Conclusion générale
confirma d’ailleurs son « ancrage monétaire »663 et opta pour une communauté d’intérêts avec la France, la Suisse et l’Italie. Et Guy Quaden, gouverneur de la banque nationale de Belgique, de déclarer en 2005 : « nous ne sommes nullement nostalgiques d’une souveraineté monétaire de toute façon devenue bien illusoire dans des économies de petite et moyenne dimension fortement intégrées… ». Ce livre partait d’une interrogation : que nous dit l’histoire sur la construction de la souveraineté monétaire, sur ses acteurs, ses usages, ses limites ? Peut-on stigmatiser la monnaie de l’Europe, arbitrée à l’échelle supranationale, et envisager le retour à la monnaie « nationale » comme une solution technique ? Certes, personne ne remet en cause l’idée qu’une sortie de l’euro peut provisoirement soulager la balance commerciale d’un pays en jouant sur les taux de change favorables. Toutefois, le débat de fond sur la question monétaire nécessite de passer par la définition même de la souveraineté. Souvent, les responsables politiques qui évoquent la sortie de l’euro partent d’une conception erronée de la souveraineté monétaire. Cette conception est issue des principes bodiniens de l’État. Elle contient d’abord l’hypothèse que l’adhésion à l’Union européenne entraîne une perte de la souveraineté des États. Selon Jean Bodin, le souverain ne peut être soumis à d’autres autorités que la sienne. Rappelons que sa pensée sera reprise par de nombreux juristes et inspirera encore au xxe siècle des politistes comme Kenneth Waltz664 selon lequel l’État dispose de « capacités » non réductibles. Les souverainistes d’aujourd’hui sont les héritiers de cette conception juridique ancienne, si bien résumée par Cardin Le Bret en 1632 : « La souveraineté n’est pas non plus divisible que le point en géométrie ». Cette idée ne peut être celle de l’historien qui a appris avec l’aide des sociologues à voir en l’État non un principe de droit, mais une forme organisationnelle hybride en perpétuel évolution665. Les monarques ont transigé avec les corps constitués locaux, les banques, et les autorités 663
664
665
L’ancrage monétaire consiste pour une banque centrale à fixer totalement sa monnaie par rapport à une autre devise, généralement afin d’obtenir une certaine stabilité. Kenneth Waltz, Theory of International Politics, Reading, Addison Wesley, 1979. Sur ce point, voir les enjeux du programme de recherche mené entre 1984 et 1993 sur la genèse de l’État moderne. Jean-Philippe Genet, « La genèse de l’État moderne [Les enjeux d’un programme de recherche] », dans Actes de la recherche en sciences sociales, vol. 118, juin 1997. Genèse de l’État moderne, p. 3-18. Notamment, sous la direction de Richad Bonney, Systèmes économiques et finances publiques, Paris, PUF, 1996.
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Conclusion générale
souveraines voisines. Admettre des écarts aux remèdes, renoncer au seigneuriage, tolérer des monnaies altérées, officialiser l’argent courant, supporter les fausses réformes des banquiers d’Anvers et de Liège, se soumettre aux exigences de la banque veuve Nettine… Le régime de la monnaie mutante ne fut que l’expression d’un système de change lui-même en perpétuel évolution. En d’autres termes, la souveraineté monétaire n’existe que prise in concreto dans son rapport au marché, tel qu’il était. Avec la nature du capitalisme – commercial, industriel puis financier – et son échelle – local, national, mondial – changèrent les usages de la monnaie. Avec l’évolution politique, changea également la nature de l’État. La formation de l’Etat de finances, tel qu’il a été repéré par les historiens dans la seconde moitié du xviiie siècle666, eut des effets non seulement sur l’organisation interne de l’administration, mais aussi sur son environnement social. La gestion de la dette devint l’affaire de tous. Dès lors, l’arbitrage monétaire ne régissait plus seulement les conditions des échanges internationaux marchands, mais aussi la solvabilité des États et leur capacité d’endettement, comprise dans son environnement international. Cette dimension politique est aujourd’hui devenue centrale, d’où le besoin de maîtrise de la monnaie, le besoin d’une gouvernance européenne forte à laquelle puisse s’arrimer les peuples.
666
Sur les différentes incarnations historiques de l’État moderne, voir Otto Hintze, Soziologie und Geschichte. Gesammelte Abhandlungen zur Soziologie, Politik und Therorie der Geschichte, t. 2, textes réunis par Gerhard Oestreich, Göttingen, Vandenhoeck & Ruprecht, 1964. Pour l’État-finances en France, voir Marie-Laure Legay, « L’État-finances comme “idéal type” de l’État moderne », dans Dix-huitième siècle, n° 37, n° « Politiques et cultures », 2005, p. 131-145.
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Chronologie des principales ordonnances monétaires des Pays-Bas xvie-xixe siècle 1515 : Édit de juillet fix ant à 40 mites de Flandre le cours des douzains et patards de France. 1516 : Édit de mars confirmant les privilèges des monnayeurs du Brabant 1516 : Décret du 27 mai ordonnant la création de réaux d’Espagne 1517 : Instructions du 2 janvier rappelant les tarifs des monnaies fixés en 1499 et en juillet 1515. 1519 : Édit du 20 septembre interdisant le cours des vieux et nouveaux florins de Gueldre et d’Utrecht 1519 : Édit du 2 décembre réglant le cours des douzains et deniers d’argent de France 1521 : Ordonnance du 4 février définissant de nouvelles pièces d’or d’une valeur de 20 patards ou de 60 gros de Brabant (le carolus). 1526 : Ordonnance du 10 décembre décidant la réduction de la valeur coursable des espèces, en précisant que que les contrats liés à des revenus fixes, comme les rentes, les fermages, les dîmes…, devaient être libellés en une unité correspondant à une quantité déterminée de pièces d’or et donc à un poids fixe de métal monnayé : 6 florins Carolus pour la livre de (240) gros de Flandre, 4 florins pour une livre de Brabant, 1 florin pour la livre de 40 gros. 1540 : Décret du 29 octobre définissant un nouveau denier d’or nommé « Couronne d’or au soleil ». 1542 : Lettres de confirmation des privilèges des monnayeurs du Brabant du 29 juin 1543 : Ordonnance du 22 février définissant le carolus d’argent 1557 :Instructions de juillet ordonnant l’émission de demi-réaux d’argent (Philippus daldres) 1567 : Édit du 4 juin arrimant le système monétaire à celui de l’Empire 1571 : Ordonnance du 2 mars revenant au système précédent 1576 : Réouverture de l’atelier de Bruxelles le 24 octobre (fermé depuis 1437) 1579 : Édit du 19 décembre « à la délibération du gouverneur général » pour reprendre la fabrication des couronnes d’or du roi, ainsi que les Philippe daldres et ses divisions. 1580 : Rétablissement du système monétaire dans les Pays-Bas méridionaux 1599 : Ordonnance du 6 octobre pour l’émission de monnaies d’argent : le nouveau florin des Pays-Bas à dix deniers d’argent, le double, le demi, le quart, le huitième et le seizième de florin.
Chronologie des principales ordonnances monétaires
1599 : Ordonnance du 16 novembre pour l’émission de monnaies d’or : le double ducat à 23 carats 9 ½ grains, le double tiers du double ducat (ou double albertin), le tiers du double ducat, ou albertin, à 20 carats. 1600 : Règlement général du 16 mars qui fixe les attributions et les salaires du personnel des Monnaies. 1600 : Ordonnance du 15 mai qui décrète la fabrication du double albertin à 21 carats 6 grains. 1600 : Ordonnance du 3 octobre réduisant à trois le nombre de maîtres généraux. 1600 : Ordonnance du 29 novembre qui réduit l’aloi du demi-florin et du quart de florin. 1601 : Lettres patentes d’ordonnances et édit perpétuel du 25 juin interdisant le cours des monnaies hollandaises. 1603 : Édit du 18 avril créant deux nouvelles pièces : le réal d’argent et le quart de réal. 1605 : Instruction du 27 mai ordonnant la frappe d’une pièce de trois réaux ayant une valeur coursable de 15 sols. 1608 : Édit du 20 octobre 1608 par lequel l’aloi des pièces d’orfèvrerie est fixé à 22 carats pour l’or et 11 deniers et 8 grains pour l’argent 1611 : Placard du 22 mars augmentant la valeur coursable de l’argent demeurée inchangée depuis 1581. Adoption du double ducat d’or et des trois réaux à 15 patards. 1612 : Ordonnance du 3 avril stipulant la création de 4 pièces d’or et de deux pièces d’argent (le souverain d’or à 6 florins la pièce, le double souverain, le demi-souverain, le double tiers du souverain à 4 florins ; le double sol de gros estimé 12 patards, et le simple sol de gros valant 6 patards). 1612 : Ordonnance du 4 juillet pour la création de pièces d’argent de bas aloi, ensemble patards, demi-patards ou gros, liards d’argent ou demi-gros. En outre, tant que dure l’abondance des matières d’argent apportées aux Monnaies, il est permis de fabriquer des pièces non seulement de 6 et 12 patards, mais également de 24 et 48 patards (nommées patacons et demi-patacons). 1612 : Lettre de décembre fixant la quantité de patards, demi-patards et liards d’argent à fabriquer chaque mois dans les hôtels de monnaies d’Anvers, de Bruxelles, de Tournai et de Bruges. 1616 : Ordonnance du 22 août créant une nouvelle pièce d’argent dite de 3 patards, appelée aussi demi-escalin ou plaquette, pour éviter l’introduction de monnaies étrangères de faible aloi. 1618 : Ordonnance du 4 juillet stipulant la fabrication du ducaton d’argent, à 3 florins.
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Chronologie des principales ordonnances monétaires
1622 : Ordonnance du 31 octobre qui, à la suite du décès d’Albert (1621) continue la fabrication des pièces définies par les ordonnances précédentes, sans changement en dehors des armes et effigies. 1630 : Lettre du 28 février du Conseil des finances ordonnant l’arrêt de la fabrication des escalins (pièces de six sols), puis rétablissement de la fabrication le 17 mai sur ordre d’Isabelle. 1631 : Ordonnance du 15 février pour forger des doubles florins, des florins et des demi-florins valant respectivement quarante, vingt et dix patards. Il s’agit d’une tentative d’Isabelle pour revenir au système du florin d’argent à la fois monnaie de compte et monnaie effective, système voulu par Albert en 1599. 1633 : Placard du 18 mars qui fait suite aux Etats-généraux de 1632 désireux d’établir une évaluation égale des monnaies pour tous les Pays-Bas. Instructions générales aux changeurs. 1634 : Edit du 8 août pour la mise au billon des réaux d’Espagne, du Mexique et du Pérou. 1643 : Ordonnance du 20 août pour la fabrication de liards de cuivre et de patards. 1644 : Placard du 31 mai qui hausse dans une forte proportion la valeur des pièces d’or, mais maintient l’ancien cours des pièces d’argent. 1652 : Règlement général des monnaies du 20 février 1656 : Décret du 2 mars contre les louis et autres pièces françaises à titre réduit interdisant les louis d’or et les écus d’argent. 1686 : Placard du 18 février qui autorise l’entrée des mattes qui n’ont pas cours dans les Pays-Bas par le port d’Ostende, ainsi que les lingots, barres et autres, tant d’or et d’argent, par toutes les voies de terre et d’eau. 1698 : Placard du 3 janvier 1706 : 11 décembre, premier édit de Charles III, roi d’Espagne sur le cours des monnaies, maintenant le liard au cours adopté par Charles II et ordonnant le billonnement des liards non connaissables et étrangers. 1707-1708 : multiples ordonnances relatives au cours des pièces françaises circulant en Belgique. 1712 : Ordonnance du 25 août pour la fabrique de nouveaux liards. 1712 : Ordonnance du 5 octobre mettant au billon tous les liards en circulation et statuant qu’il en serait fabriqué de nouveaux. 1713 : Ordonnance du 17 octobre pour la fabrication de nouveaux liards. 1714 : Ordonnance du 22 janvier fixant le cours des louis d’or, écus neufs et autres monnaies de France. 1714 : Ordonnance du 20 avril interdisant la sortie des espèces d’or et d’argent.
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Chronologie des principales ordonnances monétaires
1714 : Ordonnance du 7 mai décrétant la frappe de souverains, demisouverains, écus, demi-écus, quarts d’écus, escalins et demi-escalins pour 500 000 florins. 1718 : Ordonnance du 10 janvier fixant le taux auquel les louis d’or au soleil fabriqués sous Louis XIV et les nouvelles monnaies frappées aux coins et armes de Louis XV auront cours dans les Pays-Bas. 1720 : Ordonnance du 10 avril fixant le cours des monnaies de France dans les Pays-Bas. 1720 : Ordonnance 27 septembre permettant le cours des leopolds d’or et des écus d’argent de Lorraine. 1725 : Ordonnance monétaire du 21 avril supprime l’évaluation des monnaies en argent courant, pour ne maintenir que l’argent de change et réduit les monnaies étrangères au taux des anciens placards, notamment celui du 3 janvier 1698. Cette ordonnance fut suspendue dès le 30 avril. 1725 : Ordonnance du 11 mai réduisant la valeur des louis au soleil et louis d’or de France à 11 florins de change. 1726 : Décret impérial du 21 janvier contre le faux-monnayage. 1726 : Ordonnance du premier mars fixant par provision la valeur des pièces d’or dites de Noailles, des louis d’or à la croix de Malte, des mirlitons et des écus d’argent de Navarre. 1731 : Ordonnance du 7 juin fixant le cours des monnaies de France dans les Pays-Bas. 1731 : Ordonnance du 22 novembre par laquelle Charles VI interdit la sortie de l’or et de l’argent, sous quelle que forme que ce soit. 1732 : Édit du 29 mars autorisant les Limbourgeois à sortir l’or et l’argent nécessaire à leurs transactions commerciales 1732 : Ordonnance du 4 août haussant la valeur coursable des louis vertugadins et des écus à palmes. 1733 : Édit du 16 octobre en faveur des Limbourgeois. 1736 : Ordonnance du 28 mai défendant l’introduction et le cours des espèces d’or nommées carolines. 1739 : Ordonnance du 2 septembre de l’archiduchesse Marie-Elisabeth permettant la livre entrée et la libre sortie des lingots et barres d’or et d’argent, et de toutes les espèces étrangères d’or et d’argent non évaluées dans les Pays-Bas. 1745 : Décret du 28 janvier pour la fabrique de liards, réglée sur l’ancien poids et réduction du liard à un gigot. 1748 : Traité d’Aix-la-Chapelle qui rend les Pays-Bas à l’Autriche. 1749 : Ordonnance du 15 mars pour taxer les ducats rognés ou affaiblis. 1749 : Dépêche de Marie-Thérèse du 12 mars pour établir une Jointe dirigée par le duc d’Arenberg. 214
Chronologie des principales ordonnances monétaires
1749 : Dépêche de Marie-Thérèse du 16 août pour réorganiser la gouvernance des Monnaies et la placer sous le contrôle de la Chambre des comptes. 1749 : Ordonnance du 19 septembre 1749 : création du double souverain de 22 carats ¾ d’or fin en aloi et de 22 466/5733 de taille au marc. Ils devaient avoir cours pour 15 florins 6 sols argent de Flandre et 17 florins 17 sols argent courant. Ce cours équivalait à 51 escalins. Les souverains simples, de même titre que le double mais de poids moitié moindre, devaient avoir cours pour 7 florins 13 sols argent de Flandre et 8 florins 17 ½ sols argent courant ; création d’une nouvelle monnaie d’argent de haut aloi (dix deniers 11 ½ grains d’argent) dont l’unité devait être le ducaton à la reine dont il y aurait des demis, des quarts et des huitièmes ; de nouveaux escalins au même titre des anciens (6 deniers 23 ½ grains d’argent) ; des pièces de bas aloi contenant 5 deniers d’argent fin, ainsi que des demis desdites pièces, et enfin, quelques liards et double liards, selon les dispositions de 1745. En contrepartie, le cours des pièces étrangères fut interdit. 1750 : Lettre circulaire du 4 mars informant les États des provinces et les Magistrats intéressés, de la création de la jointe et leur ordonnant de s’adresser à elle pour les affaires de monnaies et d’orfèvrerie. 1753 : Ordonnance du 22 janvier interdisant de recevoir en paiement les monnaies d’argent dites présences et demi-présences dont la valeur commerciale est jugée très au-dessus de la valeur intrinsèque. 1753 : Ordonnance du 17 février ordonnant le billonnement des vieux escalins à compter du premier mai 1753. 1753 : Ordonnance du 17 décembre défendant de recevoir les vieux escalins de Liège en paiement et ordonnant de les porter aux hôtels des monnaies comme billons, sauf à les exporter librement vers l’étranger pendant un mois. 1755 : Ordonnance du 21 avril fixant le prix de l’argent à 25 florins et 5 sols argent de change le marc fin et décrétant que le ducaton aura cours pour 3 florins et 1 sol argent de change et ses divisions à l’avenant, excepté les huitièmes auront cours selon l’ordonnance du 19 septembre 1749. Ce placard mit en outre les écus de France à palmes au même cours que ceux à couronnes. 1755 : Édit du 19 juillet pour la fabrication d’une nouvelle pièce d’argent de haut aloi, en remplacement du ducaton : la couronne d’argent, qui devait circuler pour 2 florins 14 sols argent de change ou 3 florins 3 sols argent courant. 1782 : Suppression du corps des monnayeurs du Brabant. 1786 : Ordonnance du 8 mars 1786 qui fixe la valeur du souverain à 9 florins 6 sols et 4 ½ deniers, soit une hausse de 4,5% de la valeur nominale de l’or. 215
Chronologie des principales ordonnances monétaires
1786 : Édit du 16 novembre qui supprime le serment des monnayeurs brabançons. 1790 : Loi du 14 août du Congrès souverain des États Belgiques-unis qui ordonne qu’il sera forgé des deniers d’argent dans la même proportion et sur le même pied que ce qui statué par les ordonnances des 21 avril et 19 juillet 1755. Ces deniers devaient avoir pour nom « lion d’argent » et pour empreinte Lion Belgique tenant un écusson avec le mot LIBERTAS et la légende Domini est regnum » et au dos les armes des onze provinces, avec un soleil au milieu qui répand ses rayons sur chaque province. 1793 : Résolution du 31 mars d’ouvrir un emprunt volontaire d’or et d’argent non monnayé. 1793 : Décrets des 8-11 avril et 4 mai imposant le cours forcé et au pair de l’assignat. 1793 : Charles-Louis, archiduc d’Autriche établit en Flandre des bureaux dans lesquels seront reçues les matières d’or et d’argent pour les besoins de la Monnaie Impériale et royale. Puis avis donné à Bruxelles le 30 novembre 1793 sur les dons patriotiques des églises et des particuliers. 1797 : François II se voit contraint de signer le traité de Campo-Formio, qui lui enlève les Pays-Bas et la Lombardie et donne à la France toute la rive gauche du Rhin absorbant les électorats de Trêves et Cologne et en grande partie celui du Palatinat du Rhin. 1816 : Loi du 28 septembre qui établit le système monétaire du RoyaumeUni des Pays-Bas. Nouveau florin. 1832 : Loi monétaire organique du 5 juin qui aligne le système monétaire belge sur le système français. 1835 : Loi du premier février qui retire de la circulation des cents et demicents hollandais. Cette loi accorde une tolérance d’un dixième en dessous pour la monnaie de cuivre à provenir de la transformation de ces cents et demi-cents en pièces de 1 ou 2 centimes. 1840 : Loi de démonétisation du 17 juin. 1847 : Loi du 31 mars 1847 fixant la parité or-argent. La loi statue sur la fabrication de pièces d’or de 10 et 25 francs, afin d’éviter tout soupçon de fraude en les distinguant des pièces françaises. 1850 : Création de la Banque nationale de Belgique qui émettra des billets de banque à partir de janvier 1851. 1861 : Loi du 4 juin décrétant le cours légal de l’or français à sa valeur nominale. 1865 : Convention du 23 décembre créant l’union monétaire latine entre la France, la Belgique, la Suisse et l’Italie.
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Principales dénominations des monnaies en circulation dans les Pays-Bas espagnols et autrichiens667 1 Albertin (or) : Voir Ducat Couronne (or) ou écu d’or Couronne (argent) Daldre : voir écu Ducat (or) Ducaton (argent) : pièce valant de 60 patards ou 3 florins Demi-ducaton Ecu (or) : écu de « pardeça » ou couronne, frappé à l’imitation de l’écu de France à partir de l’ordonnance de 1540.Voir couronne. Ecu (argent) : daldre, grosse monnaie d’argent équivalent du demi-réal d’or au milieu du xvie siècle. Escalin (argent) : ou sol de gros, valant 6 patards Double escalin Gros (argent) ou demi-patard : monnaie d’argent puis de billon, valant la moitié du patard ou 24 mites. Florin (or) : Unité monétaire principale des Pays-Bas. Elle équivaut à la livre de 40 gros ou 20 patards. À l’origine, le florin est une monnaie d’or frappée en vertu de l’ordonnance du 4 février 1521. La pièce de 14 carats a une valeur de 20 patards à cette époque, mais au xviie siècle, compte-tenu de la hausse des cours des métaux précieux, le florin d’or vaut deux florins de compte ou 40 patards. Florin (argent) : À partir de 1544, on émet également un florin d’argent, de 20 patards. Gigot (cuivre) ou Negenmanneken : vaut 6 mites de Flandre Liard (argent) : Liard (cuivre) : ou ½ gros, Oord en néerlandais, vaut un quart de patard, soit 12 mites. Mite : Elle équivaut à 1/48e de patard. C’est la plus petite unité monétaire ; elle n’est plus frappée depuis la fin du xve siècle. Patacon ou Patagon (argent) : souverain d’argent de 48 patards. Cette pièce porte d’autres noms usuels : patacon, ou piastre. C’est le nom donné par les Espagnols aux souverains d’argent. Demi-patagon : de 24 patards Quart de patagon
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A partir des travaux de Dominique Delgrange.
Principales dénominations des monnaies en circulation
Patard (argent ou billon) ou double gros : c’est le vingtième du florin ou livre tournois de quarante gros. Patard (billon) ou sol : sol des Pays-Bas, valant vingtième de la livre de 40 gros ou florin. Le patard (stuyver en néerlandais) désigne le double gros frappé en Flandre, Hainaut Brabant et Hollande à partir de Philippe le Bon. Le patard est divisé en deux gros ou 4 liards ou 48 mites. Plaquette : demi-sol de trois patards Réal (or) : pièce d’or de 23 carats 9 grains et demi fin aloi Souverain (or) : pièce de 6 florins créée en 1612 Double-souverain : vaut 12 florins Simple Souverain de 1647 Demi-souverain de 1659 Souverain (argent) : voir patacon ou patagon Sol (Stuyver) : voir patard
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Transcription des Instructions pour les Maîtres généraux des Monnaies, 16 mars 1600 (copie) [AGR, Jointe des Monnaies, 25] Plusieurs copies de ces instructions existent. L’orthographe y varie d’une copie à l’autre. Nous reprenons ici celle de la copie contenue dans le carton 25 du fond de la Jointe, plus proche de l’original que celle contenue dans le carton 65. Instructions selon lesquelles les conseillers Maîtres généraux de toutes les Monnoyes des Archiducs nos souverains Princes en leurs Païs de par deca auront à se conduire et regler en l’exercice de leurs Etats et Offices 1 Lesdits Consrs et mtres gnaux comme Chefs et surintendens desdites Monnoÿes seront tenus de prendre soigneux regard sur les habitudes et proportions que l’on observera tant par deça que ailleurs des matières d’or et de celles d’argent et consequament des Monnoÿes faites d’icelles pour etre cas de tres grande consequence et mistere principal du fait desdites monnoÿes, tant pour retenir et faire apporter desd. Matières au pais, pour en forger monnoÿe a suffisance, que de n’etre transportées ailleurs avec gaingne et avantage suivant la disposition et l’egalité ou inegalité, que desd. proportions s’observe en l’un ou l’autre païs ; a raison de quoÿ (en cas que lesdits maitres generaux appercevront ou entendront aucune chose se commettre au regard desd. proportions qui pourroit tourner au prejudice et desavantage de cesd. pais) seront tenus incontinent de le donner a cognoitre à leurs Altesses Sermes ou bien aux Conseils Privé et finances d’icelles pour etre pourveu. 2 Seront pareillement tenus de bien souvent visiter les lieux et places ou que l’on forgera les monnoÿes de leurs dites Altesses, et de bien à plein s’informer si le pied et ordonnance d’icelles ÿ est bien et duement entretenu selon le contenu des ordonnances et instructions sur ce faites ou a faire et d’enquerir diligement si les officiers, ouvriers et monnoÿeurs et autres de l’entremise dudit fait des Monnoÿes font le devoir chacun comme luÿ appartient. 3 Et specialement s’informeront si les Maitres particuliers desdites monnoÿes tiennent leurs comptois fournis d’argent comptant, ou du moins des matière d’or et d’argent pour l’expedition des marchans et livreurs, s’ils usent des poids justes et bonnes balances et bicquets et s’ils font leal compte et bon paÿement à un chacun pour matières d’or et d’argent à eux livrées, le tout selon et ensuivant le contenu de leurs instructions. 4 Auront aussi bon regard si les changeurs se gouvernent au fait de leur charge, bien et lealement, et paÿent à un chacun la vraie valeur des matières et billons qui leur seront livrés et au surplus s’ils s’acquittent duement en tous autres points et articles de leurs instructions faites et à faire.
Transcription des Instructions pour les Maîtres généraux des monnaies
5 Et sur tout prendront soigneux regard a la taille des poinçons du graveur general, qu’ils soient faits bien conformes aux patrons des coings esquels ils doivent etre gravés, ensemble que des matières frappées d’icelles les graveurs particuliers puissent etre suffisament pourvus pour s’en servir d’icelles et faire les devoirs au long déclarés par leurs instructions, et que desd. matrices iceux maitres generaux tiendront particulier registre, a scavoir du nombre en qualités a eux livrés par led. graveur general et consequament quels et auxquels graveurs particuliers ils les auront livrés, pour sur la fin de chaque année ou bien lorsque besoin ensemble des coings gravés pour voir la correspondance sera faire visite d’icelles et notament si par tout ils trouveront ce que convient, soit desd. matrices ou coings gravés et conforme aux registres de ce tems, et au reste casser ou faire casser les coings par trop usés ou surannés comme l’on est accoutumé de faire. 6 Outre ce d’autant que par plusieurs fois on a trouvé, et se trouve journellement que les officiers des bonnes villes, lieux ou places desd. païs ont fait peu ou nulle diligence de punir ou corriger les transgresseurs des ordonnances des Monnoÿes, meme que l’on entend aucuns des principaux officiers avoir contrevenu a icelles eux memes, qui est et a été cause que le commun peuple n’a icelles observé ou entendu, a cette cause et pour a ce pourvoir lesd. Maitres generaux, et chacun d’eux choisiront et commettront six personnes gens de bien, qui auront pouvoir et commission de par lesd. Generaux pour s’informer des transgresseurs desd. ordonnances et signament de ceux qui font negoce, trafic ou marchandise d’or ou d’argent, soit en masse ou en espèce de monnoÿe ou qui pour leur singulier profit remplissent le païs de monnoÿe prohibée ou defendue ou autrement adulterine, de calenger icelui ou ceux qu’ils trouveront avoir contrevenu par forme de prevention pardevant la Loÿ ou justice du lieu, ou que le cas adviendroit, voires procederont par emprisonnement et autres voÿes contre tels delinquans ainsi que selon l’exigence du cas ils trouveront convenir. 7 Et afin que la justice se puisse faire ensuivre lesd. Loix ou juges aÿant cognoissance des transgresseurs desdites ordonnances seront tenus a la calenge ou poursuite des commis desd. Maitres generaux a toute diligence ÿ entendre et le plus briefvement que sera possible sans grande figure de procès, ains tant seulement la vérité cognue tant ainsi comme si cette calenge ou poursuite fut faite par l’officier du lieu, ou maitres generaux susdits, a peine si lesd. Juges fussent trouver negligens dissimulans ou retifs de ce en aucune manière que leurs Altesses ÿ feroient, pourveoir de remède convenable soit en leur otant la cognoissance et de le commettre a autruy par evocation ou autre moÿen, ou bien de faire procéder à la punition condigne de tels juges, Loix ou officiers negligens. 8 Et pour de mieux adresser lesd. Maitres generaux et Conseillers, ils se pourront touttes et quantes fois que bon leur semblera trouver vers les procureurs generaux ou fiscaux des Conseils provincials conseaux principeaux de leur dites Altesses, leur
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donner a entendre les affaires afin qu’ils puissent etre secourus et assister de conseil, provisions et remèdes dont ils auront besoin et seront tenus lesd. Procureurs generaux ou fiscaux les assister en tout ce qui sera possible et convenable. 9 Que lesd. Juges, Loix et justiciers qui auront cognoissance desdites matières feront tenir conformer leurs sentences deffinitivement et condamnations selon la decision et forme desdittes ordonnances sans pouvoir diminuer changer nÿ altérer la peine ou peines ÿ contenues. 10 Et si quelque officier de leurs dites Altesses si comme Mayeur, Margrave, Amman, Escoutette, Echevin ou autre semblable principal officier etoit trouvé par lesdits generaux coupable ou infracteur, ne seront lesdits generaux et Conseillers astraints nÿ obliger les mettre en cause pardevant la justice du Lieu, mais les mettront endroit pardevant le Conseil provincial principal du Lieu, lesquels du Conseil seront tenus faire et administrer justice convenable à peine que dessus non obstant aucuns placarts ordonnances ou privileges qui pourroient etre bailler, au contraire auxquelles pour la frequence du delict, leurs dites Altesses ont derogue et deroguent par cette. 11 Que tous sergeans et officiers de justice seront tenus d’assister lesdits generaux et leurs députez ou commis et de leur obeir pour faire tous adjournemens et exploits de Justice tant contre les transgresseurs que temoins sur peine de privation de leurs etats et offices. 12 Seront aussi tenues toutes personnes de quelque qualité ou condition qu’ils soient de temoigner et deposer par devant lesdits generaux ou leurs députez sur faits concernant lesdits transgresseurs a peine de fourfaire pour chacune fois qu’ils seront refusans la somme de neuf livres de vingt pattars pièce de la nouvelle forge si avant qu’ils soient puissans les paier, autrement d’emprisonnement et peine arbitraire. 13 Que doresnavant personne ne pourra etre pourvu d’office ou état concernant le fait et exercice des monnoÿes, si comme de maitres generaux ou particuliers, grades, contregardes, essaÿeurs et tailleurs des coings ou autres, ne fut qu’ils soient personnes, a ce qualifiées idoines, suffisantes et entendues d’exercer tels offices en personne, et que sur ce ils aient exhiber due certification, en premier lieu desdits Maitres generaux des autres etant en etat, et tous autres officiers susd. Desdits maitres generaux ; le tout afin que tous offices desdites Monnoÿes soient doresnavant exercer et desservis par gens experimentés, qualifiés et suffisans a iceux etats et offices, et que par ignorance desd. Officiers nuls inconveniens puissent survenir et seront tenus lesdits maitres generaux de lealement faire advertence des idoinetés et qualités des personnes qui pretendront etre pourvus desdits offices. 14
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Auront aussi bon regard sur les ouvrages des orfevres et autres qui se melent et entremettent de vendre aucuns joïaux, vaisselles ou autres ouvrages d’or ou d’argent, scavoir s’ils seront de tel poinçon et alloi ordonné, et s’ils usent de poids justes et bonnes balances en conformité des ordonnances sur ce faites ou à faire ensemble sur les affineurs et departeurs d’or et d’argent. 15 Seront aussi tenus lesd. maitres generaux de dresser donner et livrer instructions pertinentes à tous officiers, suppots et autres de l’entremise desdites monnoÿes et à chacun d’eux en particulier pour en conformité d’icelles se regler et conduire bien et duement s’acquitter a l’entretemens du pied de monnoÿe ordonné ou à ordonner et à qui on depend, et au surplus que les droits, hauteurs et preeminences de nos souverains princes soient par tout gardées et avancées ensemble le bien universel dud. fait de monnoÿe et d’un chacun en particulier comme il convient et de par leur Altesses a l’avis des Chefs et gens des consaux d’Etat Privé et finances aura été conclu et arretté. 16 Lesdits maitres generaux seront tenus d’etre toujours presens aux baux et fermes qui se tiendront et feront desdites Monnoÿes, pareillement à l’ouverture des boites des ouvrages des maitres particuliers de tenir leal compte du poids et alloi des Deniers, qu’ils trouveront esdites Boites, avoir bon regard sur les balances, poids et bicquets de l’assayeur general, desquels il se servira aux ouvertures des boites tant pour examiner le poid des pièces ou espèces des Monnoÿes procedans d’icelles, que pour le fait des assaÿs generalles que faire il devrat, a scavoir qu’ils soient bien justes et que du moins au fait desd. assais generales le seizième du grain d’argent fin put ÿ etre recognu. 17 Feront aussi fondre et assaÿer le plomb duquel led. assayeur general s’entendra servir au fait des dits Assaÿes, meme l’argent fin pour les assaÿs d’or, en leur presence et prendront garde que tels assaÿes meme tous autres que audit assayeur general seront ordonnés de faire soient bien justement pesées et affinées et que sur le fait d’icelles soit usé la discrétion et moderation requise tant au feu, eau forte que autrement, afin que ne soit fait tort à personne ains que sur tout soit gardé l’équité et justice requise. 18 Ne pourront aussi les dits maitres generaux avoir aucun secret entendement part ou portion en quelle manière que ce pourroit etre avec les maitres particuliers desdits Monnoÿes, nÿ avec aucuns changeurs ou autres hantans la marchandise des nobles metaux d’or ou d’argent, sur privation de leur offices et avec ce d’etre punis arbitrairement selon l’exigence du cas. 19 Lesdits maitres generaux seront obligez eux assembler toutes les fois que besoin serat en la Monnoÿe d’Anvers ou ailleurs ou que mestier sera, et par ensemble consulter les affaires des Monnoÿes et appendances d’icelles et si besoin est convoquer vers eux les maitres particuliers, gardes, assaÿeurs, tailleurs des coings, ou autres officiers
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pour es difficultés desdits affaires avoir leur advis, et a ce faire seront tenus les dits officiers quant par lesdits generaux ou de leur part ils seront mander d’entendre et obeir sur peine de cincq des dits florins nouveaux pour la première fois, suspension de leurs gages pour certain tems à la seconde, et privation de leurs offices charges et etats pour la troisieme fois. 20 Seront aussi tenus lesdits maitres generaux ou aucuns d’eux se transporter chacun an une fois ou plus souvent si la necessité le requiert es principales villes, lieux ou places de ces dits païs et illecq s’informer diligement par toutes voÿes et moyens possibles sur la conduitte du dit fait des Monnoÿes et l’entretemens des ordonnances d’icelles et ce qui en depend, meme si les changeurs ÿ etant commis l’auront acquitter fidellement en tout ce que dit est de leur charge ; et la ou qu’ils trouveront aulcune faute etre commise en ce que dit est, ou autrement de calenger ou faire calenger les delinquans et de les mettre a droit pour etre fait justice et punition requise suivant les ordonnances des Monnoÿes. 21 Et ce faisant lesdits maitres generaux auront à leur proffit tel contingent et droit des peines, amendes et fourfaitures aux quelles les delinquans a leur calenge ou poursuitte seront condamnez par les loix et justice ou que le cas adviendroit, comme en semblables cas sont accoutumez avoir les autres officiers des bonnes villes, lieux ou places susdites ou bien telles vacations encas que par là ils ne pourroient etre suffisamment satisfaits pour leurs journées, comme à leur retour, et après avoir fait raport de ce que trouvé et besoigné ils auront, a raison susdit que de la part de leursdites Altesses leur sera taxé et accordé. 22 Sur lesquelles instructions, points et articles declarez, lesdits Conseillers et Maitres generaux sertont tenus faire serment solennel là ou qu’il appartiendra de bien et duement les entretenir a leur pouvoir et faculté et que lesdits instructions et serment ils feront enregistrer en toutes les chambres des Comptes de leur Altesses Serenissimes par deça comme il convient pour servir de perpetuelle Memoire.
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Transcription du Mémoire de Jean de Witt sur les ateliers des monnaies d’Anvers, Bruges et Bruxelles, mars 1777 [AGR, Jointe des Monnaies, 165] L’orthographe et la mise en forme du mémoire ont été strictement respectées. Mémoire Il y a trois hotels de Monnoies dans les Païs-Bas, savoir à Anvers, Bruxelles et à Bruges ; l’établissement et Institution de ces trois hotels de Monnoies est de la plus haute Antiquité. L’hotel de Bruges et celui d’Anvers forme une (sic) certaine Espace de Terrein ou Enclos, qu’on ferme pendant la nuit par une ou deux portes cochères, au tour duquel sont situés les differens Batimens qui composent l’ensemble de ce qu’on nomme génériquement l’hotel des Monnoies. En premier lieu se trouve dans cet Enclos le Batiment du Corps des Monoïeurs hereditaires où ce corps tient ses séances ordinaires et exerce sa judicature en première Instance sur tous les sujets et sur tous les Cas civils du Chef des quels ils pouroient etre actionnés. En second lieu, il y a la demeure du waradin, qui est assés spacieuse principalement à Anvers, à cause qu’elle y a été pour ainsi dire tout à fait rebatie et restaurée es années de la direction de 1749. Il s’y trouve en troisième lieu celle du Directeur autrefois du fermier à laquelle sont attachées les fonderies, le laminoir, chambres des ajusteurs, ecuries pour les chevaux et tous autres emplacemens, soit pour le Bois, Charbons et toutes autres nécessités. En quatrième lieu, la demeure de l’essaieur particulier de la Monnoie, qui a meme une communication interieure avec celle du Directeur, ou avec les fonderies afin qu’il puisse y avoir un accès comode en tems et lieu lorsqu’on travaille. Et finalement celle du Graveur particulier deladite Monnoie à laquelle est attachée une Chambre avec une presse pour la Confection des Carrés requis et afferans au Monnoiage. Quant à l’hotel des Monnoies à Bruxelles, ce n’est strictement qu’un Batiment et Enclos assés modique qui a deux Issues l’une sur la grande place dite de la Monnoie où demeure le Waradin, et l’autre dans la Rue de l’archeveché où demeure le Directeur, les autres Officiers n’y ont pas de demeure ou logement, mais ils y ont chacun une chambre, où ils s’occupent à leurs Besognes respectives. En entrant par la Rüe de l’archeveché qui est l’entrée ordinaire et usitée pour les Livreurs, Officiers, Ouvriers et Monnoieurs, on trouve à droite la demeure du directeur, à gauche le comptoir du Change ; de là on passe par un Corridor au Magazin, où se déposent toutes les Matières tant d’or que d’argent, à côté duquel se trouve le comptoir où se font les livrements et relivremens des matières aux monnoieurs et où le Waradin passe les livrances et qui a son Entrée et sa Sortie particulière vers le
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Transcription du Mémoire de Jean de Witt
Laminoir et Chambres des coupoirs et d’ajusteurs qui sont sur le dessus et en dessous les Chambres des presses. Tout ce quartier relatif aux Ouvrages des Monnoieurs se trouve à droite en entrant par la Rüe de l’archeveché derrière la Maison du Directeur et confine jusqu’à celle occupée par le Waradin dont on a parlé ci-dessus. En sortant du Magazin par le predit Corridor, on passe à la fonderie des Matières d’or et delà à celle des matières d’argent et ensuite à la place du Blanchimt.Après quoi se trouve la place où le graveur particulier trempe les Carrés, dans laquelle il y a aussi une presse particulière destinée à l’usage des graveurs. Ensuite se trouve la place aux lavures où il y a six cuves qui tournent et travaillent mécaniquement par un moulin à cheval ; après quoi se trouvent les Ecuries qui confinent au derrière de la demeure dudt Waradin. Au milieu de tout cet Enclos se trouve une Cour sous laquelle on a construit une grande Citerne, pour avoir l’Ecu à la main en cas de nécessité ou de Malheur. Au dessus des fonderies et autres places y contigues jusques à l’Ecurie se trouvent 1e un Cabinet ou place destinée aux Archives. 2e une Chambre où travaille l’essaieur gnal qui fait en meme tems les Contre-essais pour plus grande assurance, ou en cas de doute ;il se trouve dans cette place les fournaux requis et un Cabinet pour les pesages et une Chambre où le Commissaire de la monnoie se tient. 4e un autre laboratoire avec un Cabinet où l’essaieur particulier s’applique à la Besogne. 5e Et finalement deux Chambres ou laboratoires des Graveurs. Dans Chacune des Monnoies de Bruges et d’Anvers, il se trouve actuellement, au-delà des corps respectifs des Monnoieurs qui subsistent sans être autrement à charge de Sa Majesté, que par la jouissance des franchises et exemtions des Impots ou droits de Consommations, qu’un Waradin, un Collecteur du Billon et un Essaeur. Dans la Monnoie de Bruxelles, il n’y a pas de Corps particulier des Monnoieurs qui y soit attaché, ce sont Ceux du Corps dAnvers sous le titre des Monnoieurs en Brabant qui y travaillent, parmi le Salaire réglé de 4 s par marc d’or, de 2 sols par marc d’argent de haut alloi, et de 3 sols par marc de toutes autres moindres espèces ou bas alloi, le tout argent de change, et parmi lequel salaire, ils sont chargés de l’Entretien et fournissement des Cilindres, fers crus de graveurs et de tous autres ustencils relatifs à leur Besogne. Un graveur général et un essaieur gnal, qui strictement ne sont pas attachés à cette Monnoie particulière de Bruxelles, mais bien pour toutes les Monnoies en général. Les salaires ou avantages respectifs des Officiers de ces trois hotels des Monnoies sont comme s’ensuit. Les gages ordinaires des Waradins sont de f. 180 par an ; mais le Waradin actuel de Bruges aiant obtenu son Emploi gratuitement, il jouit de la seule demeure attachée à son Emploi ; Celui d’Anvers jouit de la demeure et du gage ordinaire de f. 180 ; led. Waradin a financé pour sond. Emploi la somme de Mille pistolles : Celui de Bruxelles qui a obtenu son Emploi gratuitement joui de la demeure, du gage ordinaire de f. 180 et d’un suplement de gages de la Somme de f. 570 lui accordé
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par acte particulier pour des Considérations personnelles faisant ensemble f. 750 ; Et Sa Majesté vient encore de lui accorder pour des Considérations particulières et sans pouvoir tirer à Conséquence pour ses Successeurs une gratification annuelle de f. 750 à commencer du premier janvier 1776 moiennant quoi, son traitement en argent est de f. 1500 par an. Outre ce, ils jouissent encore du droit de marc lorsque la monnoie travaille et qui consiste dans la retribution d’un sol par marc d’or, d’un liard ou 12 mittes par marc d’argent de haut alloi, de 18 mittes par marc d’argent de bas alloi et de 12 mittes par marc des Espèces de Cuivre. Le Collecteur du Billon à la monnoie de Bruges jouit de la demeure et de 3 ½ sols par marc d’or et d’un demi sol par marc d’argent de sa collecte ; Celui d’Anvers jouit également de la demeure avec un gage de f. 500 par an. Ces officiers des Monnoies de Bruges et d’Anvers n’ont droit de jouir du droit de Marc que lorsque les monnoies travaillent. Il fait à observer ici que c’est par le moien de ces Changeurs ou collecteurs des monnoies de Bruges et d’Anvers que la monnoie de Bruxelles est surtout allimentée. Le Directeur de la Monnoie de Bruxelles qui est la seule actuellement en activité jouit de la Demeure, d’un gage fixe de f. 600 par an et du droit de marc consistant dans la retribution d’un demi sol ou 24 mittes par marc d’or et d’un liard ou 12 mittes pour toutes autres espèces. Les places de graveurs particuliers des Monnoies de Bruges et d’Anvers sont vacantes mais le graveur particulier de celle de Bruxelles, qui est en meme tems de graveur des scels de Sa Majesté, jouit d’un gage fixe du Chef de ce dernier Emploi et d’indemnité de la demeure qui y etoit autrefois attachée de f. 638 ; il jouit en outre du droit de marc consistant dans la retribution d’un sol 19 mittes par marc d’or, de 24 mittes par marc d’argent de haut alloi, de 30 mittes par marc d’argent de bas alloi et de 24 mittes par marc d’Espèces de Cuivre. Mais il fait à considérer que cet officier a besoin continuellement d’un ouvrier souvent de deux Et quelque fois trois, qui sont à ses frais et depens et en sus les Charbons pour la trempe et toutes les nécessités de Son laboratoire. Quant aux essaieurs particuliers des monnoies, leurs salaires et avantages consistent dans la jouissance de la demeure et un gage fixe ordinaire de f. 108 par an. La place d’Essaieur de la monnoie de Bruges vient d’être conférée nouvellement aux gages ordinaires de f. 108par an mais sans demeure, qu’on se propose de louer au profit des finances de Sa Majesté. Celle d’Anvers a été conférée depuis quelques années parmi la jouissance de la seule demeure sans gages. L’Essaieur particulier de la Monnoie de Bruxelles jouit d’un gage fixe de f. 200 savoir f. 108 pour la retenüe de l’Emploi et le Surplus pour indemnité de la demeure que toit attachée à cet Emploi avant le Rétablissement de la Monnoie de Bruxelles et il jouit ensuite du droit de marc consistant dans la retribution de 42 mittes par marc d’or de 12 mittes par marc d’argent de haut alloi et de 18 mittes par marc d’argent
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de bas alloi ; mais il doit se procurer à ses frais les Charbons, Eaux fortes argent fin, Coupelles et autres nécessités relatives à sa besogne. Quant aux Graveur et Essaieur généraux, le Premier jouit d’un gage fixe de f. 2 000 et le Second de f. 800 à condition qu’il feroit les contre essais des fontes, journées lingots et toutes autres matieres pour plus grande assurance des Titres respectifs des ouvrages et matieres qu’on livre à la monnoie ; mais ces emploiés ne sont attachés à aucune monnoie comme on l’a observé ci-dessus. Les Directeurs des Monnoies jouissoient ‘un gage fixe de f. 1200 qui ensuite a été reduit à f. 600 comme il subsiste encore actuellement pour la Monnoie de Bruxelles. Ceci premis nous entrerons dans la question de la necessité ou convenance de la conservation de ces trois hotels des Monnoies. Cette necessité est certainement bien décidée dans certains tems, comme en 1744 et 1745. Lorsqu’on a billonné toutes les vieilles espèces de Cuivre ; ces trois monnoies n’ont pu y suffire qu’avec peine, puisque l’on a travaillé aux Environs de deux ans à cette nouvelle fabrique tandis que ces sortes d’opérations ne peuvent pas se faire vite assés : la Refonte générale des monnoies de l’année 1749 n’a pu se faire qu’avec deux monnoies, à cause du mauvais Etat de l’hotel des monnoies de Bruxelles en ce tems là ; aussi y a-t-on dû travailler sans discontinuer fêtes et Dimanches et souvent bien avant dans la nuit ; s’il y avoit eu alors une demie douzaine d’hotels de Monnoies, on auroit pû les emploier. Les bonnes espèces coursables etoient si rares que les Billets de monnoies et les Lettre de change devoient les remplacer dans des circonstances où elles n’avoient jamais eu lieu ; on negocioit avec les Espèces de Billon par Once et par Marc contre toutes les Règles, ce qu’on a du tolérer tacitement bien du tems, du moins jusques à ce que la plus grade foule fut passée. On objectera peut-être que ces cas sont rares, mais du moins on ne pourra nier qu’ils aient existé, puisque ces Epoques de 1744 et 1749 sont encore de la Connaissance de la pluspart des habitans de ces Païs-Bas ; et c’est en vain qu’on diroit que dans des cas pareils, on pouroit se précautionner puisqu’on ne trouveroit pas si facilement les Emplacemens requis ; et encore moins les ustencils dont les principaux sont les laminoirs et les presses dont l’usage est suspect et interdit à un chacun. Quoique la necessité meme temporaire semble etre supérieure à toutes les raisons de convenance, cependant pour ne rien laisser à désirer, l’on observera que dans les deux monnoies de Bruges et d’Anvers il y a dans chacune un corps de monnoieurs hereditaires qui y ont un Batiment ou Chambre d’assemblée, où ils exercent la judicature en première instance sur tous les cas dependans de leur corps et de leurs suppots, comme on a dit ci-dessus, que ces Corps respectifs ont leurs Privileges particuliers de la plus haute Antiquité et que ces privileges ont été successivement confirmés et amplifiés par presque tous les Souverains des Païs-Bas. Que quant à la Monnoie de Flandres située à Bruges, on a pris toutes les précautions possibles pour y faire cesser peu à peu la fabrique, et en y substituant insensiblement un Change ou Collecte afin de ne pas indisposer les Etats de ladite Province qui
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etoient et sont certainement encore si jaloux de la monnoie de leur Province qu’ils ne manqueroient pas de l’alimenter s’il etoit en leur pouvoir et de leur competence. Que dans la monnoie d’Anvers outre la finance de mille pistolles que le Waradin actuel a paié pour cet Emploi, Sa Majesté y confère dix places de Monnoieurs qui ne sont pas hereditaires mais seulement à vie et dont la finance ordinaire est de Cinq Mille flroins de Change ; l’on observe cependant que comme depuis quelques années les Charges Bourgeoises et principalement celle d’aumonier dont lesdits Monnoieurs dixains sont exemts, ne sont plus si fraieuses, la dernière place n’a été conférée par grace speciale que parmi une finance de 3 600 florins de change. L’on observera encore ici que la monnoie de Bruxelles ayant été saccagée par le Bombardement, le Gouvernement avoit exposé en vente une partie du Terrain de ladite monnoie, à quoi le Magistrat s’étoit opposé par devant le Conseil de Brabant, et que par sentence du 6 septembre 1696 la vente n’a eu son effet qu’ensuite de la declaration du Conseiller procureur general mentionnée dans son Ecrit de Rescription ultérieure art 5, 6 et 10 portant que l’Intention de Sa Majesté n’etoit pas d’anneantir la Monnoie par ladite Vente, mais bien de la rétablir et restaurer avec les deniers qui en proviendroient, à moins que Ceux du Magistrat ne préferoient de la rétablir à leurs frais comme elle existoit avant le Bombardement. Ce fut en 1756 que l’on songea tout de bon à restaurer la Monnoie de Bruxelles et la remettre dans l’Etat qu’elle se trouve aujourd’hui, en laissant provisionnellement hors d’activité les monnoies de Bruges et d’Anvers. La seule, ou du moins la principale raison en etoit l’Economie, qu’on avoit en vüe, depuis que la plus grande presse résultée de la réforme générale des Espèces de l’année 1749 s’etoit ralentie. Les plus grands frais qu’on voulut reformer provenoient de la Direction des Monnoies dont il n’y avoit jamais eu d’exemple dans ce païs avant ladite année 1749 ; les monnoies aiant toujours été affermées avant cette époque. Les cas de fermes n’exigeoient pas une surveillance particulière, mais le cas de Direction demandoit la présence pour ainsi dire continuelle d’un commissaire qui etoit chargé de veiller de près à toutes les particularités auxquelles cette nouvelle forme de direction etoit naturellement sujette. Le conseiller Maitre de la Chambre des Comptes Bosschaert fut nommé commissaire à la Monnaie d’Anvers et le Conseiller Maitre Vandeveld à celle de Bruges. Ensuite le Conseiller maitre Bosscahert etant passé de la Chambre des Comptes au Conseil des finances, le Comte de Fraula pour lors auditeur deladite Chambre a succédé dans la place de commissaire de la Monnaie d’Anvers. L’état de ces vaccations parut trop considerable et par consequent meriter l’attention du Gouvernement pour y chercher un moien d’Economie. Comme la Besogne de la Monnoie de Bruges paroissoit diminuer le plus et qu’elle etoit la moins à portée, on resolut de la faire cesser provisionnellement par péférence à celle d’Anvers ; ce qui a été exécuté peu à peu et sans bruit pour ne pas indisposer
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les flamands en y substituant en 1755 une simple collecte des Billons comme on l’a observé ci-dessus. Ce sont encore les mêmes frais de vacations des Commissaires en grande partie qui ont engagé enfin le Gouvernement à restaurer la monnaie de cette ville de Bruxelles, où il n’existoit plus que les seules Chambres de presses qui ont servi à la fabrique des liards es années 1744 et 1745. La Consulte pour le rétablissement de la Monnoie de Bruxelles n’est pas dans les retroactes de la Jointe, ni elle n’y a jamais été, cependant l’on se souvient tres bien qu’il n’y a pas été question en aucune manière de l’alienation des autres Monnoies, mais seulement de l’Economie des frais des vacations des Commres. On n’avoit pas seulement en vue l’Economie de ces frais de vacations, mais on jugeoit de plus que la monnoie etant à Bruxelles, le Commissaire n’y devroit plus être si permanent, ni si attaché pour ne pas pouvoir vaquer, du moins en partie à tout autre Besogne ordinaire, et qu’enfin le Gouvernement ou principalement tous ceux qui ont relation avec les operations des monnoies seroient à portée de veiller immediatement à cette direction. Ceux qui par etat sont obligés d’y veiller sont ceux de la Chambre des Comptes et ceux de la Jointe des Monnoies qui a été subsituée au Corps des Maitres généraux des Monnoies. A l’Epoque de 1749, il n’y avoit que deux Maitres generaux savoir le Conseiller maitre Dewael qui residoit à Anvers et le Conseiller Maitre et Intendant des Monnoies le Comte de Clauwez Briant. Le premier sollicitoit sa demission depuis bien du tems à cause de son grand age et de ses infirmités, de sorte que le second etoit le seule auquel incomboit toute la Besogne et qui intervenoit seul dans toutes les séances de la Chambre des Comptes où il etoit question des affaires des monnoies. Cet homme etoit extraordinairement jaloux de ses connoissances en fait des monnoies et toujours attentif à n’en rien laisser transpirer aucune particuliarité de crainte que l’un ou l’autre ne s’en prevaudroit ; sa façon d’agir anima tellement le zèle du Conseiller Maitre Bosschaert qu’il perça à force d’étude et de travail le nuage epais qui paroissoit obscurcir cette connoissance des monnoies et qu’il fut enfin en etat de controler les operations et calculs que ledit Comte Clauwez Briant debitoit comme des Oracles, que personne n’etoit en etat de contredire auparavant. Le Conseiller Bosschaert communiqua ses Lumieres et toutes les notions qu’il s’etoit aquises dans cette matiere au President de la Chambre des Comptes DeWitt ; et ces deux Ministres se mirent à même de songer et d’effectuer le redressement total des Monnoies des Pais Bas. Ce fut leur premier Ouvrage qu’ils entreprirent à la rentrée du Gouvernement au commencement de 1749 et ils y travaillerent avec tant d’assiduité que le tout fut conclu et resolu dans le court du mois de juin de la meme annee et immediatement après, Sa Majesté en annulant ces places de Conseillers Maitres gnaux des monnoies,
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y substitua une jointe particulière et peermanente pas sa dépêche roiale du 16 aout 1749, ci-joint par extrait, qui annonce en même tems les motifs de cette institution. Voilà l’origine de ladte jointe qui a été substituée aux Conseillers Mtres gnaux des Monnoies conformement à la dépêche roiale reclamée ci-dessus et selon les instructions ci jointes des cidevant Conseillers Maîtres généraux des Monnoies. Cette Jointe est actuellement composée du Tresorier general, du Conseiller d’Etat et des financs Dewitt et de l’actuaire Mienens ; il n’y a que ce dernier qui a un gage de f. 200 pour cet objet. Les affaires des Orfèvres sont particulièrement ce qui occupe le plus actuellement cette Jointe ; parce que ce qui concerne les Monnoies se traite soit au Conseil des finances, soit à la Chambre des Comptes suivant leur ressort respectif ; La Surveillance sur l’hotel des Monnoies et le monnoiage est attribuée à un commissaire de la Chambre des Comptes qui fait ses rapports à son collège, et correspond aussi avec la Jointe et le Conseil des finances suivant l’exigence des cas. Quand il y a eu des objets importans soit de fabrication de nouvelles espèces, soit de changement dans le cours, ils ont été traités au Conseil des finances, qui a consulté Son Altesse Roiale sur la matière et nommement sur le Changement de cours et nouvelles espèces pour la Province de Luxembourg. Quant à la manipulation nommement les Mesures et precautions qui se prennent pour la sureté et l’exactitude des operations qui se font à ladite Monnoie, l’on observera que tous les devoirs de ces officiers selon leurs Instructions respectives se controlent les uns les autres et pour en donner une Idée succinte, l’on fera un petit narré de toutes les opérations successives. En premier lieu toutes les matières tant d’or que d’argent qu’on livre à la monnoie sont recues au comptoir du change par le Directeur ou son commis, etant pesées exactement, et leur titre etant verifié ou constaté par le Billet d’essai de l’essaieur particulier, on les enregistre et le waradin en tient une contrenote, ensuite on en suppute en espèces coursables et on en fait le paiement comptant, si la caisse est suffisante, sinon le paiement est différé de quelques jours et un chacun doit attendre son tour pour etre païé et le waradin est chargé de veiller à ce que ce tour soit exactment observé. La session finie on repèse toutes les espèces de billon ensemble et on les transporte au Magazin qui fait une place bien murée, barricadée et voutée : cette place se ferme à deux serrures différentes dont le Directeur a l’une des Clefs et e waradin l’autre, tellement que l’un n’y peut entrer sans l’autre. Les matières etant accumulées à suffisance pour faire une fonte, on retire dudt magazin celles destinées à la fonte, on les pèse et on les enregistre dans un registre particulier, après quoi on les transporte à la fonderie et on les met au fourneau ; entretems le Directeur calcule les matières pour les allier au titre requis, s’il ne l’a pas encore fait, et on avertit l’essaieur particulier de s’appreter pour faire l’Essai du Bain. Les Matières alliées etant en pleine fusion, ledit Essaieur particulier se rend à la fonderie, examine si les matières sont bien fondues, les fait brasser et puis en fait couler une latte ou quelques gouttes pour en faire l’Essai ; cet Essai etant fait, il en
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donne son Billet au Directeur et si le titre est bon, Icelui fait couler la matière en lames ou lattes, si non il allie de nouveau la matière en Bain et on en repète l’Essai. La fonte etant faite, on livre encore audit Essaieur la première et la dernière latte dont il fait encore les Essais pour constater si pendant la fonte, on n’a pas négligé le brassage par où les matières se seroient rassises, ce qui pourroit occasionner une différence de titre entre cette première et dernière latte. Toutes les Lames provenues de ladite fonte se transportent ensuite au Comptoir du Magazin et après avoir été pesées et enregistrées, on les place de nouveau au Magazin. Le lendemain, ou lorsqu’il en est question, on les retire derechef et on les livre par poid aux Monnoeurs en presence du Waradin. Ceux-ci, après les avoir laminées, coupées en flaons et ensuite ajustées, rapportent au comptoir la meme quantité de matières par poids en bons flaons, en retailées et limaillées. Avant d’accepter les flaons, le directeur ou son commis procède à l’examen desd. Flaons par marc et par pièce, et s’il les trouve mal conditionnés, trop légers, trop pesans ou trop inegaux en poids, il les refuse et les Monnoieurs sont obligés de les reprendre pour les réajuster et corriger et s’ils sont bien conditionnés, il les accepte et voit s’il a son compte et s’il a la quantité requise de bons flaons qui est réglée à 60 pour cent, c’est-à-dire que de cent marcs de lames, ils doivent relivrer au moins 60 marcs de bons flaons, le reste en retailles et limailles et le tout retourne encore au Magazin. Les bons flaons passent ensuite au Blanchiment après quoi on les relivre encore par poids et par pièce aux Monnoieurs pour les frapper et ce en présence du waradin auquel les monnoieurs s’adressent ensuite pour construire les carrés. Le waradin qui est strictement le Garde des coings reçoit les carrés, parmi récepissé du Graveur particulier, qui sont tenus tous deux d’en tenir registre, et ces deux Registres doivent correspondre aux pièces des carrés usés, lorsqu’on les retire du cabinet du Waradin pour procéder à leur cassation. Pendant que les Monnoieurs travaillent aux presses, l’Essaieur particulier s’y présente et prend quelques pièces monnoiées dont il fait les Essais pour en vérifier le titre, dont il delivre un Billet ou Certificat au Waradin. Les flaons etant monnoiés sont rapportés de meme par poid et par pièce au comptoir du Magazin en presence du waradin qui, assuré du titre par le Billet de l’Essaieur particulier, après avoir verifié le nombre et le poids, les examine s’ils sont bien monnoiés, ensuite en biquette une partie par pièces et par marc et les aiant trouvé en regle et tenu registre du tout, les delivre au Directeur, après en avoir prélevé quelques pièces a proportion de la quantité monnoiée qu’il remet dans une Boete cachettée par la Chambre des Comptes pour servir d’examen à l’ouverture de ladite Boete qui se fait annuellement par les Commissaires de la Chambre et de la Jointe des Monnoies. L’ouverture de cette Boete et les opérations qui s’ensuivent controlent tous les ouvrages qu’on a fait pendant la durée deladite Boete. Après tout quoi les espèces sont censées coursables, délivrées au Dircteur et remises au Magazin.
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Tous les lundis on retire dudit Magazin une certaine somme qu’on delivre au Directeur pour faire face aux paiemens dont il fait une espèce de compte ou renseignement tous les samedis au commissaire de la Monnoie à l’intervention du Waradin, et le restant est déposé audit Magazin. Ce compte n’est strictement qu’une note hebdomadaire de tous les paiemns faits pele mele pendant le courant de la semaine. Tous les mois on fait un Etat ou Relevé de tout le Magazin et le Directeur en fait une espèce de compte en forme de tabelle qui est dressé très ingénieusement et qui, autrefois, a tenu lieu de compte. Par-dessus ce, le Directeur rend actuellement un compte annuel pardevant ceux de la Chambre des comptes de S.M. dans lequel il porte en recette toutes les matières livrées à ladite Monnoie pendant ladite année, et en dépense toutes les Espèces fabriquées desdites Matières, le tout par marcs fins, et pour solder ce compte avec le restant effectif qui se trouve au Magazin à la fin de l’année, il porte en dépense le déchet qui s’y trouve : ensuite il porte en recette toutes les espèces qui ont été fabriquées pendant ladite année, évaluées selon leurs cours et en dépense tous les paiemens par differens chapitres et catégories, chacune selon la nature de la sa dépense. On a trouvé tant de difficultés dans la reddition et direction de ces comptes qu’on n’est parvenu à en former un en règle que vers l’année 1766 et c’est le premier qui en a été rendu sur ce pied qui a toujours continué depuis lors sur le pied repris ci-dessus et qui a été agréé par décret de Son Altesse Roiale du 6 aout 1767. Le dernier Compte rendu est pour l’année 1774 et le Compte suivant sera présenté incessamment. Pour ce qui regarde l’activité de la Monnoie dans un Païs comme Celui-ci, où il n’y a point de Mines d’or ou d’argent, elle depend du commerce et de l’avantage du change sur les Etats voisins et de la refonte générale des espèces qui est casuelle. Pour compenser ce desavantage du change, on accorde quelque fois et de tems à autre aux livreurs de fortes parties un certain agio qui est borné actuellement à un demi pour cent, et tout au plus dans certaines occasions et circonstances à trois quarts et dans l’un cas comme dans l’autre, ces Matières sur lesquelles cet agio s’accorde doivent être pour le moins au titre de 10 deniers 22 grains de fin. L’on ne peut quant à present augmenter cet agio sans perte inutile pour la Monnoie. Quant à l’augmentation regulière de l’activité de la Monnaie ou la continuation constante de la fabrique des espèces, on ne peut rien proposer ni assurer à cet égard dans ces Païs où nous n’avons point les Sources naturelles pour nous aquerir les matières brutes selon les circonstances du Commerce et du change qui a ses époques plus ou moins favorables et qu’on ne pourroit attirer par force que par une augmentation continuelle du prix des matières qui entreneroit la Ruine du commerce et le pied réglé des Monnoies. Au reste les 200 000 marcs de liards qu’on est occupé à frapper soutiendront encore, pendant quelque tems l’activité de la Monnoie independamment de sa besogne ordinaire.
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Mémoire sur les Finances Belgiques, signé De Kulberg, Bruxelles, juin 1792. HHStA, Vienne DD – Abteilung B, 85 (rote Number) L’orthographe et la mise en forme du mémoire ont été strictement respectées. Lorsque les Païs Bas appartenoient à l’Espagne, ils ont été pendant longtemps plus onéreux qu’utiles à cette vaste Monarchie. Telle a été leur position pendant la longue durée de la grande révolution qui a couté à l’Espagne des sommes immenses. L’épuisement des finances Belgiques engendré par cette longue suite de malheurs étoit encore tel sous la domination des Archiducs Albert et Isabelle, qu’on ne pouvoit pas se passer d’argents de la Cour de Madrid qui continuoit de secourir le Trésor de ces Princes, tant cette Cour attachoit d’importance à la conservation de ces Provinces qui, toutes éloignées qu’elles étoient du centre de la Monarchie espagnole, tenoient alors, comme elles tiendront toujours par leur position géographique, au rang distingué dans la Balance et l’équilibre de l’Europe. On ne sauroit parcourir les tristes champs de l’histoire de la longue révolution des Païs-Bas, sous la Monarchie espagnole, sans se convaincre à nombre d’époques que les troubles fort souvent touchoient à leur terme, et que lorsqu’ils alloient s’appaiser, ils n’ont été réveillés et recommancés que par l’insubordination des Trouppes espagnoles et par les excès que celles-ci commettoient de tems en tems dans leurs diverses nations. Mais en approfondissant les causes de cette insubordination, on ne peut aussi se dispenser de reconnoître que le principal et même le seul motif en étoit toujours le défaut de paiement des Trouppes. Cette vérité frappante est trop démontrée pour en pouvoir douter et il suffit, pour s’en convaincre, du témoignage uniforme de tous les historiens qui ont écrit sur ce malheureux sujet. Leurs assertions sont d’ailleurs érigées en évidence par des anciens fragments d’actes originaux échappés de la ruine des Archives du Département des finances : on voit et par ces actes et par les faits historiques que la Cour d’Espagne n’avoit point de plan suivi ni pour les fixations ni pour le mode des remises d’argent que cette Cour devoit faire passer aux Païs-Bas, pour entretenir les Armées nombreuses qu’elle y envoïoit, non seulement pour reconquérir les Provinces de l’union hollandaise qui s’étoient les premières soustraites à la domination espagnole et se sont ensuite érigées en République souveraine, mais pour se maintenir et raffermir l’autorité dans celles des provinces où la domination espagnole s’étoit principalement conservée. L’Inquisition et les affaires de Religion desquelles il est à désirer que l’on ne parle jamais à la Nation Belgique, avoient certainement engendrés les troubles, mais lorsqu’on avoit abandonné ces motifs de mécontentement, d’autres obstacles se succédoient et occasionnoient souvent des refus de subsides. Les Trouppes assignées sur ce produit cessoient dès lors d’être payées, et dans chaque localité où ces payemens discontinuoient, on y suppléoit par l’exercice de droit d’Etappes : les trouppes prenoient alors leur logemens en nature ; les contribuables aux subsides étoient
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assujettis en prestations forcées, en vivres et autres objets. Mais avec la cessation de la solde régulière des trouppes connue alors sous le nom de Montres es gens de guerre cessoit aussi toute subordination de leur part ; à ce défaut succédoit leur défection et ce désastre entroinoit toute sorte d’excès. Les haines, les animosités personnelles qui en étoient la suite se propageoient, la nation Belgique étoit sans cesse en opposition avec les Trouppes et le Gouvernement espagnol, au lieu que si ces Trouppes avoient pu continuer d’être soldées régulièrement, si l’ordre ou un sistême suivi d’intelligence et de relation entre les finances espagnoles et Belgiques avoit été tel que les Armées espagnoles n’eussent jamais manqué de solde, les disputes de religion n’eussent pas acquis aux Païs-Bas – quelque disposé que l’on y étoit au fanatisme – ce degré de longue consistence que des causes accessoires y ont donnée, et si le Militaire espagnol étoit resté payé et subordonné sans être affecté pour les payemens sur une banche aussi dépendante de la nation que le sont les subsides assujettis à son consentement, celle-ci n’eut pas cru sentir dans ses refus une espèce de force dont elle abusoit, et d’un autre côté, les excès des Trouppes espagnoles, dès qu’ils cessoient d’être payées en argent, n’eussent pas si souvent poussés la nation à bout : les premiers exemples de sévérité l’eussent ramené et la révolution, au lieu de durer près de 70 ans, ne serait pas devenue comme elle l’a été une des plus mémorables dont l’histoire fasse mention. La Monarchie espagnole, en soignant bien ses premiers payemens, se fut sans doute épargné les envois ultérieurs, si successivement multipliés qu’elle a du répéter d’hommes et d’argent aux Païs-Bas pour se les conserver en s’épuisant. Une seule Armée régulièrement soldée eut suffi, et si on n’avoit pas assigné sur les revenus du Pays, où l’autorité étoit si mal établie, le solde de cette Armée, sa seule présence eut appaisé les troubles peu d’années après leur naissance, au lieu que les assignations que l’on a donné à ce payement sont devenues la cause de la nullité des Armées que la Monarchie espagnole envoïoit à une distance si éloignée de son centre. On ne s’étendra pas d’avantage sur des vérités qu’il est si inutile de prouver, tant elles sont évidentes ; il est également évident combien la Monarchie espagnole avoit d’intérêt à se conserver les Païs-Bas ; son intérêt politique l’emportoit sur les raisons des finances ; mais comme la véritable valeur des Provinces Belgiques n’a pu être démontrée jusqu’ici que par des descriptions ou des rapports annuels dans lesquels on n’a pas eu l’occasion de s’expliquer sur l’étendue du crédit de ces Provinces ni sur les secours extraordinaires qu’on en peut retirer et qu’à présent, outre l’intérêt politique, la Monarchie Autrichienne a un intérêt pécuniaire et financier de conserver les Païs-Bas, on retracera ici autant que le permettent les bornes d’un mémoire succinct, le produit du crédit et des ressources des finances Belgiques. On jettera un coup d’œil rapide sur le sistême ou relation qu’il y avoit avant la révolution entre les finances Allemandes et les finances Belgiques sur le remboursement des dettes contractées par les finances Allemandes aux Païs-Bas, et la dotation pour l’entretien des Trouppes avant la révolution. On démontrera l’impossibilité de suivre à présent ce sistême et la nécessité d’en concerter et d’en arrêter un autre qui soit adapté à l’état actuel des choses et puisse aller au devant des divers événemens qui, à défaut de prévoïance, pourroient mettre l’Etat à deux doigts de sa perte.
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Lorsqu’après la bataille de Ramillies, les Provinces Belgiques furent abandonnées en 1706 par une fuite à peu près aussi précipitée et aussi honteuse que celle de 1789, les Puissances maritimes ont pris à Elles les rênes du Gouvernement des Provinces Belgiques, et sous le prétexte de les restituer à leur Souverain légitime et de les conserver pour les lui rendre, ces puissances, prétendûement conservatrices, n’avoient laissé échapper aucune occasion de rendre le commerce de ces belles provinces purement passif et d’en rendre la Balance entièrement ruineuse pour ces Provinces. La navigation presqu’au néant, le port d’Ostende désert, l’ancienne Compagnie des Indes, qui avoit autrefois un état si distingué dans ce port, réduite aux abois et entièrement ruinée ; le port d’Anvers annullé par la fermeture de l’Escaut depuis le traité de Münster, les Douanes viciées par les dispositions que les puissances maritimes avoient faites durant leur occupation, un subside accablant stipulé au profit des Hollandais pour la Conservation des places frontières, quoique peu acquitté, tout cela avoit réduit sur tout depuis le traité de barrières en 1715 jusques à la guerre de 1746 les Provinces autrefois les plus florissantes de l’Europe à l’état le plus délabré ; au point qu’au lieu d’un Corps raïonnant de sa propre Splendeur, ce beau Païs n’étoit plus qu’un fantôme effraïant et une possession autant qu’inutile à ses Augustes Maîtres. On avoit dès l’année 1741 dû recourir à des emprunts ; mais le défaut de numéraire dans l’intérieur avoit forcé de les créer en Hollande et l’objet en étoit si médiocre qu’il ne vaut pas la peine d’en parler ici : les dettes des finances étoient mal payées et leur Crédit intérieur étoit réduit exactement à rien. En 1744, le Crédit étoit si complettement anéanti que le Gouvernement se plaignoit à la Cour à Vienne qu’on ne trouvoit plus un sol sur les meilleurs fonds : on engageoit alors aux Etats et à des Corporations les revenus les plus productifs, la nécessité forçoit à faire les marchés les plus ruineux ; la Guerre survint et le Gouvernement retiré à Aix-la-Chapelle y resta jusqu’à la paix de ce nom. Cette paix fut le signal du rétablissement des affaires et de la prospérité dans les Provinces Belgiques qui eurent le bonheur de jouir d’une fidélité constante et non interrompue depuis 1749 jusques à l’année 1787. Ce fut dans l’intervalle du commencement de la Guerre de Sept Ans, même depuis l’année 1752 jusques à la malheureuse époque de 1787 que les Provinces Belgiques eurent l’avantage inestimable d’être le plus utiles à la Monarchie Autrichienne. On a rapproché dans le tableau ci-joint la note des divers Emprunts fournis depuis 1753 jusqu’à y compris 1792 par les Provinces et les finances Belgiques, soit par leur Crédit direct, leur coopération ou leur entremise avec ou sans la Banque de Vienne. On voit dans ce relevé, en s’attachant aux époques des Emprunts, que le traité d’Aix-la-Chapelle, qui a détourné de dessus les Provinces Belgiques la fréquence et la continuité successives des guerres avec les françois, si voisins de ces belles Provinces, y a posé le germe efficace, heureux et fécond du rétablissement de la splendeur des Païs-Bas Autrichiens, ç’a été ensuite dans le sein de ces Provinces fertiles que la Monarchie a puisé une grande partie de ses besoins et de ses ressources pour la guerre de Sept Ans, pour la guerre de Bavière en 1778 et 1779, pour la guerre de Hollande en 1785 et quelque peu de chose pour la guerre des Turcs en 1788, quoiqu’à cette époque, les ressources pécuniaires n’étoient déjà plus que le débris d’un Crédit fortement ébrêché en 1787 au point que les Emprunts étoient devenus très languissants
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et qu’il falloit, depuis l’introduction du sistême amêne à cette malheureuse époque, acheter l’argent par des sacrifices. Cependant, malgré ces vicissitudes, les Emprunts effectués aux Païs-Bas ont produit une masse d’argent pour la Monarchie qui se monte à plus de 95 millions argent de change, faisant en argent courant environ 111 Millions depuis 1753 jusques et y compris 1792. Dans le relevé de l’année 1794, on a enveloppé l’Emprunt de deux Millions d’Allemagne que la Maison d’Osy de Rotterdam vient de solder ; on range cet Emprunt dans la cathégorie des Emprunts Belgiques 1° parce qu’il est supposé et entendu que ce sera aux finances Belgiques à le rembourser 2° parce qu’il est connu que le banquier Osy a fait une partie des fonds en ce pays, quoique sans le puissant concours des argents hollandais, il est cependant très vrai qu’il n’eût pû le remplir, surtout avec la promptitude et la grande exactitude que cette Maison y a mise et soigneusement observée. On a aussi supposé l’Emprunt de deux millions d’Allemagne que fait actuellement la Maison Nettine entièrement complet, parce qu’il touche réellement à son complettement et qu’il s’agit de présenter l’état des choses tel qu’il sera à la fin de 1792. Dans cette masse de 95 millions de change, le Clergé Belgique a seul contribué directement et comme tel, par des octrois expédiés sur des Corporations Ecclésiastiques pour f 4 200m de change. Les Etats et Administrations municipales ont contribué directement pour environ 20 Millions de change, en ce compris ce que même quelques Corporations particulières de métiers ont fourni lorsque le Zêle pour la Monarchie Autrichienne s’etendoit à toutes les classes de citoyens sans distinction. Ce que l’on vient de dire des sommes fournies par le Clergé dans cette Masse d’Emprunts depuis 1753 jusques à présent par des Emprunts faits en leur nom direct, est indépendant des capitaux immenses que les individus de cette riche classe de la nation ont fourni séparément dans tous les autres Emprunts, car si l’on compulsoit les listes des prêteurs, on trouveroit qu’une très forte partie de la masse d’argent empruntée est sortie de la poche du riche Clergé Belgique. Nous n’en sommes pas encore au point d’espérer, d’après un retour de la confiance de la part de cette Classe de Citoïens, pour completter les Emprunts que les circonstances rendent nécessaires actuellement. Quoiqu’il en soit, le résultat de ces divers Emprunts amène une masse de f 111 101 000 Courant que le Crédit de ce Pays a procurée à la Monarchie avec et sans l’influence de la banque de Vienne pendant environ 38 années de tems, dont les premières étoient encore celles qui se ressentoient le plus de la ruine précédente et totale du Crédit des finances Royales. Cette masse d’Emprunts répartie sur ces 38 années, donne malgré cette circonstance au crédit un taux commun de f 2 900m par an, mais le produit commun de ce Crédit iroit à beaucoup au-delà de 3 millions par an si l’on calculoit le montant des Emprunts depuis 1756 jusques en 1787. On cite cette dernière époque avec regret, mais dès lors les Emprunts directs retracés au tableau ne se sont plus remplis que par des sacrifices et des primes accordées aux prêteurs, consistant en cours rétroactifs aux intérêts ; encore le dernier Emprunt de 1788 n’étoit-il pas rempli à beaucoup près lorsqu’en 1789, la révolution Belgique, commencée au mois d’avril 1787, força le
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Gouvernement d’abandonner le Pays et mit la Monarchie dans le cas de dépenser près de 17 Millions d’Allemagne* pour le récupérer sans compter les pertes du revenu ordinaire. *Voïez le Rapport du Feld-Maréchal Baron de Bender, sur les indemnités militaires pour fixer la quôte du Brabant dans ces indemnités. Il n’entre pas dans le plan de ce mémoire de retracer les tristes événemens survenus depuis 1787 jusques à 1791 ; son but est d’en éviter la reproduction et de fixer l’opinion sur la véritable valeur des Provinces Belgiques lorsqu’elles sont gouvernées avec le régime qui leur convient. La Guerre de Sept Ans a donné lieu au développement des ressources qu’offrent les Pays-Bas, lorsque le génie particulier à la nation est conduit au vrai but. Pendant que les Emprunts exploités tantôt par les Finances Roïales directement, tantôt par les administrations provinciales et municipales qui manient les principales impositions sur le peuple, et tandis que le riche Clergé Belgique fournissoit lui-même des Emprunts directs et particuliers, indépendamment de la part qu’il prenoit individuellement dans les Emprunts généraux, les états accordent à feue l’Impératrice Reine de glorieuse mémoire des Dons gratuits pour la guerre de 7 Ans qui, selon le tableau ci-joint, ont donné à la Monarchie en produits nets une somme de f 20 696 000 depuis 1757 jusques en 1763. La guerre de Bavière en 1778 et en 1779, et l’appareil de Guerre contre la Hollande en 1785 furent une nouvelle occasion à ces Provinces de signaler leur Zêle qu’aucune innovation n’avoit encore altérée jusques alors, et dans ces huit années, elles fournissent de nouveaux dons gratuits à concurrence de f 12 280 000. Le Don gratuit de 1785 eut pour objet une partie du payement des Trouppes venues d’Allemagne pour l’appareil de guerre contre la hollande, on fit aussi alors un Emprunt qui est repris dans la Liste ci-devant réclamée. L’objet de cette guerre étoit l’ouverture de l’Escaut dont le passage avoit été tenté par la frégate que montoit le Capitaine van Iseghem. Lorsque le renfort de Trouppes vint d’Allemagne pour venger l’insulte faite au Pavillon Autrichien, ce renfort étoit accompagné de 4 millions en or, mais dans le fait, on n’y toucha pas. Le Don gratuit, l’Emprunt et l’excédent des Caisses Belgiques firent face à la dépense des Trouppes allemandes qui furent payées aux Pays-Bas sur le pied de guerre sans aucun frais pour les Finances Allemandes sans aucun déboursé effectif de leur part à cette fin et les 4 millions en or retournèrent à Vienne comme ils en étoient venus. On n’eut pas l’ouverture de l’Escaut, les Provinces Belgiques avoient prospéré sans cela depuis 1749 jusques en 1785. Le rétablissement du port d’Ostende et la Navigation interne, particulièrement soignée depuis 1771 jusques en 1782, avoient suppléé à ce défaut ; un transit brillant et de sages dispositions des Douanes avoient merveilleusement rétabli le Commerce pendant ces onze années, un grand effort donné à l’agriculture et aux arts avoit embelli autant qu’amélioré la surface du païs. On reconnut que l’ouverture de l’Escaut eut ajouté peu à la prospérité nationale qui avoit dans son sein le germe de sa Richesse ; mais l’adroit négociateur du traité de Fontainebleau scut tourner au profit de la Monarchie la démarche qu’elle avoit
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faite de l’envoi d’une Armée aux Pays-Bas pour l’ouverture de l’Escaut. Cette rivière resta fermée, mais la paix fut maintenue et 9 millions et demi de florins de hollande furent le fruit de ce traité relatif aux Pays-Bas, et cette somme fut envoyée directement au Trésor Royal à Vienne en produits nets et sans frais pour les finances Allemandes*. *Nb le demi Million stipulé par le traité de Fontainebleau pour les indemnités aux sujets Autrichiens qui avoient souffert par les inondations d’Eaux salées, a été envoïé à Vienne, et le Trésor Royal de Bruxelles a payé ce demi Million à ceux qui avoient souffert. Comme le renfort de l’armée Autrichienne a été entretenue aux Païs-Bas pendant toute l’année 1785 à la décharge des Etats héréditaires d’Allemagne d’où elle étoit venue, que cet entretien a été païé par les Pays-Bas au moïen du don gratuit de 4 Millions accordé par les Etats en cette année, que par conséquent ce renfort de Trouppes n’a pas du être payé pendant cette année 1785 en Allemagne, on est forcé de porter ce don gratuit dans les produits nets extraordinaires, et comme les 9 Millions et demi de florins de hollande, du traité de Fontainebleau, procurés à la Monarchie par ce traité qui a en même tems maintenu la paix de l’Europe, n’ont pu l’être qu’à l’occasion des Pays-Bas, cette somme acquise pour représenter l’ouverture de cet Escaut crû si intéressant pour Elles, appartient évidemment au renseignement des produits que ce Pays vaut à son Auguste Maître, ce passage d’argent à Vienne s’est monté à fl 11 200 000 monnoye du présent Tableau. Pendant les années écoulées depuis 1780 jusques à 1789, on a fait passer à Vienne indépendamment de tous les fonds ci-dessus mentionnés, rien qu’en simples excédents de la Recette Générale des finances, pour environ fl 20 Millions. Il en résultera une dernière analise 1° que le Pays-Bas par son Crédit a valu à la Monarchie Autrichienne en Emprunts, dont la plupart sont remboursés, environ 111 Millions en 38 années de tems, ce qui revient par année commune à un Crédit d’environ fl 2 900m et pourroit être porté à un taux commun de 3 Millions pour fixer la valeur de ce crédit, si on ne prenoit pour l’année commune qu’un moindre intervalle plus rapproché de l’année 1786. 2° que ce païs a valu en dons gratuits, en produits extraordinaires, mais absolument inhérents aux finance et aux Provinces Belgiques et en envois d’excédent, toutes dettes annuelles payées depuis l’Année 1757 jusques en 1789, environ fl 64 millions, revenant par année commune de 32 à deux millions par an. 3° que l’on y a néanmoins fourni à l’entretien annuel d’environ 20m hommes de Trouppes Autrichiennes payés par les produits du Pays et que ces 20 mille hommes païés par le Pays n’y sont cependant pas toujours à beaucoup près restés à ce nombre, puisque pendant la guerre de Sept-Ans et pendant celle de Bavière, on en a retiré l’élite et un très grand nombre pour les Armées en Allemagne et que malgré qu’il en restoit très peu aux Païs-Bas, ce pays n’en payoit pas moins son contingent fixé à la Caisse de guerre. 4° que l’appanage des Gouverneurs généraux est également payé par le pays depuis l’année 1725 lorsqu’ils sont Princes de sang.
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Cet appanage est de fl 530m par an en produits nets ; il est indépendant de la dotation du Département des Pays-Bas à Vienne, ainsi que de plusieurs objets accessoires et casuels qui se païent par les finances Belgiques à la décharge de la Monarchie. L’Entretien des Trouppes pour environ 20 milles hommes en tems de paix étoit ci-devant fixé à trois Millions d’Allemagne ou fl 4 200m par an, argent courant depuis 1771. Alors, l’abonnement avec la Caisse de guerre a été contracté, il a duré jusques en 1789 qu’il a été rompu par le fait des événemens survenus. Ce total des produits de 6 948 000 se trouve indépendamment du Crédit dont on a prouvé ci-dessus que le taux commun de 38 ans donnoit par an fl 2 900m et même trois millions en tablant sur les dernières années antérieures à 1787 ; on trouvera que le païs a valu jusques en 1789 en produits nets et en Crédit bien près de dix Millions par an et que les Trouppes payées par le pays ont néanmoins toujours pû servir ailleurs en Allemagne, quand les Pays-Bas jouissoit (sic) d’une tranquillité interne comme il l’avoit eu pendant près de deux cents ans jusques en 1787. On peut revendiquer le crédit dans la cathégorie des valeurs que le Pays-Bas donne à la Monarchie puisque sur 111 Millions créées pendant 37 ans, il ne reste que 40 millions à rembourser, et que d’après la Note ci-jointe fournie par la maison Nettine, il n’y a eu pour la masse des remboursemens effectués jusques à présent qu’environ Neuf Millions d’Allemagne envoyés de Vienne ici pour y farire face, dans les années où nos excédents de la Recette générale ne permettoient pas aux finances Belgiques de se charger elles-mêmes de ces remboursemens ; depuis lors, les excédents des finances Belgiques sont fortement accrus, nommément depuis 1781et voici les causes de cet accroissement. Divers dégagemens de revenus assignés autrefois aux Etats et à des corporations pendant les désordres antérieurs à la paix d’Aix-La-Chapelle, ont été effectués principalement par les produits de la Succession jésuitique, tels sont les Domaines de Brabant, les postes, le Bureau de la Philippe, qui sont autant de parties dégagées qui, depuis lors ont progressivement augmentés les produits nets ; le Lotto donné en ferme avec un avantage notable, dont on va présentement retirer par une nouvelle Régie les profits que faisoient les fermiers, a contribué pour beaucoup et va contribuer à majorer l’ancien excédent. Toutes ces circonstances réunies donneront des augmentations dans l’excédent, mais de forts accroissemens dans la dépense occasionnée par des pensions de retraites accordées à nombre d’Emploïés du sistème ; ont d’un autre côté augmenté les charges ; comme un des buts principaux de cet ouvrage est de bien fixer une bonne fois les probabilités de notre excédent commun d’après une année ordinaire, on a fait fournir par la Chambre des comptes hors de ses livres un travail pour fixer l’excédent véritable tel qu’il pourroit être dès l’année 1793, si les choses étoient à tous égards sur le pied usité quant à la recette et si la dépense, y compris cependant les augmentations de la Liste civile, étoit quant au reste, c’est-à-dire la dépense Militaire, amenée au point où elles étoient avant la révolution. Sur ce pied et d’après le tableau ci-joint formé à la Chambre des comptes, en supposant le Lotto en Régie, celle-ci faisant les bénéfices de la ferme, l’excédent, sans don gratuit ni Emprunt, ni fournissement extraordinaire, mais avec l’ancienne
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dotation de la caisse de Guerre, censée acquittée pour 20m hommes, pourroient être fixé à f 3 665 000 ou environ. Cet excédent est celui sur lequel on pourroit assez tabler pour l’avenir si les branches des finances, leur source et leur consistance restent dans leur état naturel ; il y aura même des diminutions progressives dans l’état des Jubilaires de la liste civile et dans celui des Employés effectifs lorsque leur nombre sera réduit comme feu Sa Majesté l’a positivement ordonné à celui de l’ancien sistème. Cette rubrique de dépense n’ayant jamais été si onéreuse qu’à présent par une des suites du sistême de 1787 auquel on avoit appellé une foule si considérable d’Emploïés qu’ils sont tous devenus inutiles par le retour aux anciennes formes de l’Administration, qui seule a été constatée pouvoir convenir au régime supérieur des Païs-Bas Autrichiens : et si on tient rigueur sur la liste civile accrue comme on le voit par la note ci-jointe depuis 1787 lorsqu’elle sera ramenée à son ancien taux, l’excédent pourra monter à quatre millions par an sans forcer les choses, même sans y couler les améliorations des revenus dont quelques branches sont susceptibles. Avant de faire quelques proposition sur l’Emploi de cet excédent et de présenter les propositions que l’on a à faire pur un nouveau sistême fixe et suivi de relation entre les finances Allemandes et Belgiques, on doit rappeller l’arrangement qui a été prescrit à Vienne en 1781 pour les quotités imposées aux finances Belgiques, comme un Contingent dans la libération des dettes que les finances Allemandes ont contractées aux Païs-Bas. On a vu par les relevés formés à la Maison Nettine que les finances Allemandes avoient envoïé en nombre environ Neuf Millions de florins d’Allemagne jusques vers l’année 1780 pour aider à payer les dettes contractées ici par des Emprunts faits sur le Crédit des finances Belgiques avec ou sans la garantie de la Banque de Vienne. En 1781, on avoit opéré les dégagemens de plusieurs branches de revenus, nommément avec les produits des biens Jésuitiques, cela avoit amené des augmentations quelconques dans nos escédents ; on trouva qu’il étoit possible de fonder sur cela un sistême fixe d’amortissement pour la dette des finances Allemandes aux Païs-Bas et par dépêche du 5 juillet 1781, Son Altesse le Chancelier de Cour et d’Etat notifia à Son Altesse le Prince de Starhemberg la disposition à marginée*, on voit par cette disposition que la dette des finances Allemandes aux Païs Bas a été considérée comme à peu près mi-parties et divisible entre les finances Allemandes et les finances Belgiques de sorte que chaque année les unes et les autres païeroient chacune des quotités de la dette, mais que le Maximum de la contribution des finances Belgiques seroit d’un Million de florins au cours de Vienne. *Et quant au contingent à fournir pour les charges de la Monarchie, Sa Majesté l’a borné quant à sa durée à l’extinction des dettes que les finances Allemandes ont actuellement à rembourser aux Païs-Bas et qui sont comprises dans le tableau que Mr le Trésorier général en a fourni ; et quant à la somme annuelle a y contribuer des finances Belgiques, Sa Majesté a trouvé bon de la fixer à un million de florins valeur de Vienne, pour les années où les finances Allemandes devront remettre autant ou d’avantage du chef de ces dettes aux Païs-Bas, et de réduire ce contingent pour les années où ces remises n’iront pas au million d’Allemagne, à ce que les finances d’ici auront réellement à payer de ce chef ; du reste, S. M. a daigné agréer beaucoup
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le zèle avec lequel Votre Altesse est entrée dans ses vues sur l’opération importante dont il s’agit, et Elle ne peut que s’en remettre à votre prudence sur les précautions à prendre pour que cette opération ne s’ébruite pas. Argent courant 1784
1 389 105, 1, 2
1785
1 389 105, 1, 2
1786
1 410 447, 15, 5
1787
1 431 790, 9, 2
1788
898 135
1789
1 076 607, 15,7
Total
7 595 191,2 4
On ne voit pas bien comment cette résolution a été exécutée depuis 1781 jusques à 1783, parce que les livres n’étoient pas montés alors à la Chambre des Comptes, et que cette opération du Million d’Allemagne passoit par les Gastos Secretos ; mais depuis 1784 jusques en 1789, on voit par le relevé à marginé ce qui a été payé ici pour le Compte de la Caisse générale des dettes de l’Etat à Vienne, ensuite de l’arrangement contracté en 1781. Ce Total de 7 595 191 est réclamé ci-dessus dans la Cathégorie des fournissemens extraordinaires. Depuis la variation survenue dans l’état des choses aux PaïsBas par une suite de la révolution, il est indubitable que, ni l’abonnement avec la Caisse de Guerre pour l’entretien de 20 mille hommes sur le pied de paix, ni l’espèce d’abonnement qu’il y avoit pour l’entretien des fortifications, [objet dont on n’a pas encore eû occasion de parler et qui se montoit depuis 1771 à 1781 à f 80m par an, et depuis 1781 à 1789 à f 70m par an], ni enfin l’arrangement pour le Million d’Allemagne, ni le principe de regarder la dette des finances Allemandes comme mixte à concurrence d’un Million entre celles-ci et les finances Belgiques, il est clair que tout cela ne peut plus substituer. 1° On ne sauroit payer 55 mille hommes de Trouppes que la Monarchie Autrichienne entretient à présent aux Pays-Bas, sur le pied de Guerre, avec une dotation de trois millions d’Allemagne ou f 4 200m courant par an, qui n’étoit bonne que pour 20 mille hommes ou environ sur le pied de paix. 2° S’il est question de rétablir les fortifications de quelques places frontières là où elles ont été démantelées en 1781, ce ne sera pas avec une dotation ni de f 70m ni de f 80m par an que l’on y parviendra. 3tio Ce ne sera pas avec des excédents quelconques des finances Belgiques que l’on payera ni la moitié ni la totalité des dettes des finances Allemandes aux Pays-Bas, tant que les circonstances politiques exigeront d’y entretenir une Armée puissante ; puisque dans cette hypothèse, bien loin d’y avoir des excédens, ce sont des déficiens que l’on aura à annoncer et à demander de couvrir, du moins pour les premières années tant que le Pays-Bas sera le malheureux rempart et le Boulevard nécessaire contre la contagion du mal françois, tant qu’il sera une barrière à opposer à la propagande du Côté de l’extérieur, et tant que son intérieur, si cruellement agité depuis 1787, ne sera pas ramené au calme heureux dont il jouissoit antérieurement à cette époque.
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D’ailleurs, l’arrangement introduit en 1781 pour le payement des dettes des finances Allemandes, est devenu à tous égards disproportionné d’avec l’état des choses qui a suivi l’instant de la formation de ce sistême, car de 1786 à 1787, on a déjà joui d’un excédent beaucoup plus fort par les dégagemens des Domaines et l’établissement de la ferme du Lotto, et il est devenu vrai aujourd’hui que cet arrangement formé en 1781 comporte à présent trop ou trop peu. Il comporte trop tant que l’état Militaire aux Pays-Bas doit rester supérieur 20m hommes, et il comporteroit trop peu, si cet ancien état de 20m hommes étant rétabli, nous jouirions d’un excédent de f 3 600m dans des tems ordinaires, puisque dans ce prédicament nous pourrions évidemment rembourser beaucoup au-delà d’un Million de florins d’Allemagne à la décharge des finances Allemandes ; nous irions même jusques à quatre Millions de florins courant, et nous ne serions pas éloignés d’atteindre les trois Millions de florins d’Allemagne d’excédent quand la liste civile pourra être ramenée au point où elle étoit en 1781. La note ci-jointe démontre que de ce seul chef il y a un excédent de près de f 400m par an. Cette circonstance amène nécessairement la nécessité d’enrayer sur de nouvelles collations d’Emploi, de ramener successivement les Corps, quand au nombre d’employés, au point où ils étoient en 1781 et de s’abstenir soigneusement de conférer aucun des premiers emplois qui seront vacans : feu Sa Majesté l’a déjà ordonné ainsi par un décret formel du mois de novembre 1791 et le respect dû à cet ordre sacré aussi bien que la convenance nécessitent absolument le plus prompt retour à l’ancien ordre des choses, sans exception. Quoiqu’il en soit, on vient de démontrer que l’ancien sistême de relation entre les finances allemandes et les finances Belgiques ne peut plus exister pour le mode de contribution de la part des dernières au payement de la dette des premières ; que le sistême des abonnemens de la Caisse de Guerre est entièrement interrompu par le fait, à ces démonstrations, on en ajoutera une qui n’est pas moins importante pour le moment, c’est qu’à la veille d’une guerre, ne fut-elle que momentanée, avec une armée aussi forte que celle qu’on est obligé d’entretenir à une distance aussi éloignée du centre de la Monarchie que le sont les Pays-Bas, rien ne seroit si imprudent que de laisser cette Armée avec un fonds de caisse qui en très peu de tems peut devenir insuffisant à ses besoins. La seule connaissance de cet état de choses, quelque secrette qu’on s’efforceroit de la tenir, est toute faite pour encourager et enhardir les ennemis du dehors et encore plus ceux du dedans. Tous les malheurs éprouvé sous la Monarchie Espagnole seroient prêts à se répandre et à se reproduire avec leur même force à l’instant où la pénurie des fonds se manifesteroit, et le malheur, qui en seroit la suite inévitable, ne seroit pas seulement local aux Païs-Bas, mais il deviendroit funeste au centre de la Monarchie Autrichienne, 1e parce qu’il entraîneroit la défection de la belle et puissante Armée qui séjourne maintenant dans les Païs-Bas 2e parce qu’après ctte défection, le mal françois se propageroit et voleroit de proche en proche jusques au fond de l’Allemagne qui s’en trouveroit viciée pour longtems. D’après cela, on a beau dire* [Voïez la note du comte de Choteck du Mois de Mars dernier] qu’avec les deux emprunts de la Maison de Nettine et d’Ozy, on couvre
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amplement le déficit annoncé pour l’année 1792, cela étoit vrai au 4 janvier dernier, lorsqu’il ne s’agissoit pas encore d’un appareil de guerre contre la France ; mais dès la fin de février, cela a cessé de rester vrai, et le nouveau travail du Maréchal Baron de Bender prouve que pour la présente année le déficit sera accrû de beaucoup et qu’il est donc plus que tems d’y pourvoir. A moins d’un fonds dormant et de réserve de 3 à 4 Millions de florins d’Allemagne, on ne peut tabler sur aucune opération de Campagne à une distance si éloignée du centre. La Note des finances Allemandes du 14 Mars dernier et le Postscript de Son Altesse le Chancelier de Cour et d’Etat du 19 du même mois annoncent à dire vrai, qu’on ne peut pas espérer actuellement de nouvelles remises de Vienne ; mais d’un autre côté, les finances belgiques ne peuvent évidemment faire face aux charges de la guerre qui s’allume ; lesquelles, soit qu’elle ait ou qu’elle n’ait pas lieu, n’en devront pas moins être acquittées à point nommé. Il reste donc à voir si le Département des finances allemandes à Vienne veut se rendre responsable des événemens qui peuvent amener et suivre la défection des Trouppes à défaut de payement. Le Département des finances belgiques aura rempli son devoir en avertissant à tems, comme il n’a cessé de le faire depuis le mois de Mars dernier de l’état où l’on se trouveroit ; et comme le soin d’y pourvoir regarde les finances allemandes et leur responsabilité, sur quoi le Conseil des finances a présenté au rapport particulier en date du 21 avril, on passera à l’ébauche d’un nouveau sistême pour le futur, qui est le but et l’objet du présent ouvrage ; on se bornera à observer ici que quelque puisse être l’espérance d’un raccommodement avec les Etats de Brabant et du payement de leurs arrérages, cette hypothèque est trop éloignée d’être assurée du côté du recouvrement pour y pourvoir assigner le nouveau déficit annoncé par le Maréchal Bender, et encore moins le fonds dormant et de réserve, sans lequel, on le répète, nulle opération ne peut être assurée. Ce recouvrement de Subsides et Impôts de Brabant, lors même qu’il sera assuré pour le Courant et pour les arrérages, éprouvera tant de validations pour des prestations Militaires non reprises au tableau du Maréchal de Bender, qu’il ne peut s’agir de regarder ces objets comme assignables du moins en totalité aux nouveaux besoins militaires. Quoiqu’il en soit, on peut donner pour ébauche d’un nouveau sistême, mais qui ne pourra être décidé et consommé qu’à Vienne, l’hypothèse préliminaire et probable qu’il faudra encore aux Pays-Bas en 1793 et 1794 la force actuelle ou à peu près équivalente d’environ 50m hommes sur le pied de guerre, quels que puissent être les événements du dehors ; si même la guerre avec la France n’étoit qu’un vain appareil ou un simulacre de guerre ; si par des négociations ou autrement cette guerre n’alloit pas au-delà de la présente année 1792, comme la position de la France est entraînée par l’opinion et par un reversement des esprits, on ne hazarde rien en avançant qu’il faudra au moins deux années après le rétablissement de l’ordre dans ce grand Roïme pour fermer entièrement la plaïe, y former les calus et bien guérir la contagion, que cette plaïe aura laissée dans tous les environs.
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Il est incontestable que cette plaïe à beaucoup saigné et saigne encore aux Païs-Bas et que pour en bien consolider la guérison, il faudra du tems et prolonger le remède. Il est encore incontestable que ce remède consistera dans la seule présence d’une force majeure capable d’en imposer ; car s’il ne s’agissoit que de l’intérieur des Pays-Bas, et que ceux-ci ne fussent pas exposés à la contagion si évidente du voisinage, on en proposeroit pas de garder si longtems cette force majeure, mais tous ceux qui connaissent les deux nations et la difficulté de les guérir autrement que par le tems, se convaincront que leur rechute sera inévitable si l’on retire trop tôt le remède. Or, pour entretenir l’armée sur le pied de 50 mille hommes ou environ avec la solde de guerre, en tablant d’après l’expérience de 1791 et de 1792, on trouvera que cet entretien pourra couter environ 9 ½ millions d’Allemagne par an, les Magazins étant formés. On y employera d’abord pour 1793 les trois millions d’Allemagne que l’on payoit ci-devant pour l’abonnemens à la caisse de guerre, restera six millions et demi d’Allemagne par an à trouver pour y faire face pendant les deux années 1793 et 1794. Pour ceux-ci, on employera les deux Millions et demi d’Allemagne ou environ d’excédent ordinaire des finances belgiques, tel qu’on l’a démontré ci-dessus, on y ajoutera les quotités du huitième du Don gratuit des indemnités perceptibles en ces deux Années. Suivant le tableau ci-joint de ce Don gratuit, ces quotités, y compris le Brabant, se monteront pour chacune de ces deux années à f 1 767 500 faisant en argent d’Allemagne f 1 262 500. On trouvera donc pour la dotation de l’Armée Autrichienne aux Pays-Bas un fonds d’environ f 7 800 000 d’Allemagne, le tout si l’état des choses est celui d’un calme heureux et si la guerre n’a pas lieu, à quoi la seule présence des Trouppes peut sans doute contribuer pour beaucoup. On pourroit examiner à Vienne ce que la Monarchie peut épargner dans les Etats héréditaires d’Allemagne et autres pour l’Entretien des 25 000 hommes d’excédent qui se trouvent aux Pays-bas où il y en a à présent 55 000 au lieu de 20 mille, doivent cependant être payés par tout où ils peuvent être. Quoique les finances allemandes aient fait connoître qu’elles ne peuvent suppléer à la courteresse à présent, tandis que l’on vient d’avoir démontré la nécessité indispensable d’être toujours ici fortement en avance et bien garni d’un fonds dormant pour l’entretien de cette Armée, le Département des finances allemandes n’aura cependant pas pu former le plan d’épargner en Allemagne ce que cet excédent de 30 à 35 000 hommes doit conter à la Monarchie par tout où il se trouve. On vient de prouver que si la guerre ne dérange pas la position financière interne, les finances belgiques pourront déjà probablement payer pour l’entretien de l’Armée en 1793 et 1794 outre la cotation ordinaire et ancienne de f 3 000 000 d’Allemagne une somme de f 4 800 000 d’Allemagne et que les finances Allemandes ne devroient couvrir qu’environ deux millions d’Allemagne par an pendant chacune de ces deux années, independamment de la somme qu’il faut pour couvrir le nouveau déficit que l’appareil de guerre occasionne actuellement en 1792. Il reste seulement à désirer sur cela qu’une forte partie des sommes pour remplir ces trois objets soient fournies ou assignées d’avance aux Pays-Bas ou à leur extrême proximité pour être dans tous les cas au dessus des événemens.
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On parlera ici après du payement des dettes des finances Allemandes pendant e séjour des trouppes aux Païs-Bas. On supposera qu’après l’année 1794, une partie des trouppes pourroit retourner en Allemagne, savoir les Trouppes Auxiliaires et celles dont le recrutement est le plus difficile et le plus dispendieux ici, mais on partira du principe de réserver ici au moins 30m hommes de bonnes trouppes encore pendant huit ans et même après s’il le faut. Si le pied de paix suffit pour ces 30m hommes, on trouvera que, d’après les proportions de l’ancien abonnement de la Caisse de guerre à raison de f 4 200m de Brabant ou trois millions d’Allemagne qui suffisoient pour 20m hommes, il ne faudroit environ f 6 300m de Brabant pour 30m hommes. Cela pourroit se trouver aisément sur la masse commune des revenus et il resteroit encore au-delà d’un million et demi de Brabant pour aider au fonds d’amortissement des dettes Allemandes. On joint ici un nouveau tableau des dettes des finances allemandes aux païs Bas arrêté jusques à l’année 1792. On y joint aussi deux apperçus de ce qu’il y aura à payer aux Païs Bas, tant pour les finances allemandes que pour les finances belgiques pendant l’année 1793. On propose de faire vérifier et contrôler ces tableaux à Vienne pour être une bonne fois d’accord avec les départemens allemands, sur cet important objet, pour servir de règle aux transpositions dans les livres respectifs et de base aux liquidations annuelles pour le futur. On continueroit en 1793 et les années suivantes des Emprunts annuels en hollande ou ici, mais principalement ici pour faire les remboursements et payer les intérêts des dettes allemandes et Belgiques. Il est évident qu’il existe un avantage politique de rendre créancière de la Monarchie, lorsque cela se pourra par un retour quelconque de confiance, une Nation qui sort d’un état de rébellion. Dans l’état même naturel de l’obéissance, on trouve cette politique établie en Angleterre, où la dette nationale immense est toujours subsistante attache les citoyens à leur devoir envers l’Etat dont la conservation leur présente un objet d’autant plus précieux que la sureté et la prospérité internes font l’hipotheque des citoyens créanciers. On ne doit pas douter de la facilité à remplir de nouveaux Emprunts du côté des moyens dans les païs Bas, si la confiance renait dans ce pays où il y aura eu tant de numéraire versé en peu de tems : il n’est pas difficile de se former une idée assez juste du montant de ce numéraire versé dans les Païs depuis trois ans et des avantages qui doivent lui en revenir dans la circulation. Il est vrai que la banqueroute ou l’équivalent de la banqueroute françoise a fait assurer des pertes sensibles aux capitalistes belgiques qui ont placé autrefois des fonds considérables en France, mais les argents des émigrés françois ont remplacé ici dans la circulation une partie de ces pertes et les dépenses énormes faites par les Armées et leurs divers appareils en ce Païs depuis trois ans auront non seulement balancé les pertes de la Banqueroute françoise, mais laissé dans le Paÿs une masse de numéraire infiniment supérieur à ce que cette banqueroute peut avoir engendré de perte aux crédirentiers de la France.
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Il y aura eu d’ailleurs du dégout de placer dans les fonds étrangers depuis le désastre de la France et la grande circulation d’argent opérée depuis ces trois années dans l’intérieur du Pays est trop évidente pour ne pas chercher à s’en approprier les effets. Dans cet état des choses, il ne faut qu’un retour de confiance de la part de la nation pour revendiquer à l’avantage du crédit de Sa Majesté les effets qui en seront une suite naturelle. Cette position, si le païs reste tranquile, doit amener la possibilité de continuer à ouvrir ici des nouveaux Emprunts pour rembourser les dettes des finances Allemandes, leur laisser le tems de respirer et acquitter ici leurs redevances par des novations ou des prorogations que des nouvelles levées d’argent pourront procurer peut être même dans quelque peu d’année à 3 ½% au lieu de 4 que l’on païe à présent. Cependant, comme il faut un fonds d’amortissement à la dette et que de nouveaux Emprunts ne sont pas des moyens de libération, on doit observer ici qu’après le retour de la confiance, du calme et de la tranquilité, on est bien éloigné de regarder comme impossible la concession de quelques dons gratuits à commencer après l’année 1795, c’est-à-dire, quand le dernier huitième du don gratuit accordé pour les indemnités à concurrence de f 7 070 000 aura été acquitté. On doit rappeler qu’après la paix d’Hubertsbourg, on a demandé et obtenu en 1763 un don gratuit de paix qui a été de quatre millions payable en quatre années, et cela après que le pays étoit épuisé d’argent par les fortes exportations continuelles qui s’en étoient faites pendant la guerre de Sept ans ; tandis qu’à présent, ce sera précisément le contraire, puisque non seulement la guerre de révolution en 1790 a opéré une circulation considérable d’argent dans le pays, mais que la continuité de l’entretien d’une Armée respectable a nécessité des remises d’Allemagne et que l’on verse successivement des argents ici au point que nos emprunts hollandois font affluer le numéraire et que nos emprunts ici, nos excédents annuels, tout reste dans l’intérieur. Dans cet état des choses, on croit entrevoir dans la perspective la possibilité d’établir sans surcharge pour les peuples deux dons gratuits de pacification de quatre millions chacun, exigibles en deux ans chaque et en quatre années en tout, c’est-à-dire que l’on pourroit demander en 1796 un don gratuit de quatre millions payables en 1796 et 1797 et en 1798 un autre don gratuit de quatre millions payables en 1798 et 1799, pour aider à couvrir les remboursemens des dettes des finances allemandes sans leur demander pour cela aucun envoi d’espèces. Leurs dettes seroient donc dans ce plan respectivement ou prorogées ou acquittées, tandis que nous aurions entretenu ici 30 000 hommes lieu de 20 000 depuis 1795 jusques au commencement du siècle prochain, et les choses restant dans une position tranquile, on partiroit toujours du principe de revendiquer au profit de la Monarchie tous les effets de l’abondance du numéraire dans un Païs où il est avantageux à la métropole d’avoir une forte circulation, tandis que la prorogation de la dette de l’état doit propager une partie des liens par lesquels les sujets seront attachés à l’auguste Souverain. Cette prorogation qu’il est facile d’apercevoir dans la perspective amênera : 1) La facilité d’introduire par de nouveaux Emprunts une réduction dans les intérêts.
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Mémoire sur les Finances Belgiques
2) De reculer les atterminations de ces nouveaux emprunts [après avoir religieusement observé les termes stipulés pour les remboursemens des levées actuelles], à des époques où les finances belgiques pourront, lorsqu’elles seront dégagées de leurs entraves actuelles, libérer entièrement la dette des finances allemandes sans recourir à Elles pour cela. Il ne faut pour cette libration que le rétablissement et la continuité du calme et de la confiance dans l’intérieur, la certitude qu’aucune nouveauté n’en viendra plus troubler le cours et la possibilité de se débarrasser le plu tôt possible de ces superfétations de dépenses que les vestiges mal effacés du sistême de 1787 laissent encore à la charge de la liste civile des finances Belgiques. Telle est l’ébauche d’un plan qui ne peut se développer et se consolider que par un parfait concert entre les Départemens respectifs. Il est tout à l’avantage des finances Allemandes dont il n’exige que des secours momentanés et tels que dans tout état des choses, celles-ci ne peuvent refuser à l’entretien des Armées de la Monarchie là où la raison d’Etat exige leur présence. L’Empressement avec lequel on demande les fonds nécessaires avec une anticipation indispensable, tend à éviter au Département des finances Allemandes la responsabilité effraïante où Elles tomberoient sans cette précaution ; mais la perspective d’un avenir plus fécond, plus heureux et tout utile aux finances allemandes doit dédommager de l’embarras du moment. Fait à Bruxelles, 1792
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Sources manuscrites Haus, Hof- und Staat Archiv (HHStA), Vienne Belgien DD-A, Weisungen DD-B, Rote Number, 85
Archives générales du Royaume (AGR), Bruxelles 1) Conseil des finances 168 à 179 : affaires monétaires (administration des domaines), 1562-1729 2530-2538 : frais de transport d’argent, 1745-1794 4297 : banques, bourse, courtiers, 1756-1792 4538 à 4555 : circulation des espèces monnayées (administration des douanes), 1731-1793 7475 à 7522 : affaires monétaires (administration de la comptabilité), 1731-1794 7497 : Mémoire sur la disette des espèces d’or aux Pays-Bas et la convenance d’y établir une nouvelle proportion entre l’or et l’argent, 1741 7499 : fausses monnaies, 1791-1794 7500-7501 : échange de monnaies étrangères, 1791-1794 7502 à 7506 : frappe des espèces d’or, 1735-1794 7507-7510 : frappe des espèces d’argent, 1734-1794 7511-7517 : fabrication des liards, 1735-1794 7561 : registre de requêtes adressées à l’empereur Joseph II lors de son voyage de 1781 8635 : commerce de l’argent, signes monétaires, lettres de change, 1673-1732
2) Jointe des Monnaies 1-15 : registres aux protocoles des conseillers Maîtres généraux des Monnaies, 1617-1708 17 : Edits et ordonnances monétaires de 1613 à 1692 18 : « Reflections sur les causes de la décadence des monnoyes dans ces Pays-Bas autrichiens », s. d., vers 1725 20 : Documents concernant les affaires personnelles des conseillers-maîtres généraux es Monnaies, 1648-1731 22 : Copie du registre tenu par le Maître général des Monnaies Halbeek pour 1612-1622 24 : Registre des copies des privilèges et instructions des monnayeurs brabançons du xvie siècle
Sources manuscrites
25 : Copie des instructions aux conseillers maîtres généraux des Monnaies, dont instructions du 16 mars 1600 d’Albert et Isabelle. 1644-1731 27 : Correspondance de Van Immerselle, essayeur de la monnaie de Bruges adressée aux conseillers-maîtres généraux des Monnaies, 1662-1683 28 : Correspondance de diverses personnes, 1657-1703 29 : Correspondance de diverses personnes à Caverson, conseiller-maître général, 1677-1687 33 : Documents concernant le cours des matières d’or et d’argent, 1632-1735 34 : Hausse du prix de l’or et de l’argent, 1726 35 : Transport à l’étranger de matières d’or et d’argent 1684-1728 36 : Introduction aux Pays-Bas d’espèces hollandaises 1675-1725 40-42 : Cours et évaluation des espèces françaises, 1667-1727 44 bis : non mentionné dans l’inventaire général. Propositions des entrepreneurs, années 1710 et 1720 45 : Documents concernant la frappe des menues espèces de Gueldre, 1616-1700 46 : Propositions de particuliers pour l’affermage de la fabrication des monnaies, 1681-1722 47 : Affermage de la Monnaie d’Anvers, 1720 49 : Projet de fabrication de nouvelles espèces en suite de la hausse du prix de l’or et de l’argent, 1726 50-52 : Projets ultérieurs pour la fabrication de nouvelles espèces, 1727-1730 53 : Documents concernant la nouvelle fabrication de lairds et d’autres menues espèces, 1735-1745 56 : Documentation concernant la fabrication de nouvelles espèces en prévision de la réforme monétaire de 1749 57 : Documents concernant la gravure de jetons, 1633-1735 58 : Procès des faux monnayeurs anversois 1723-1727 59 : Procès du faux monnayeur Jean L. Pirson, marchand commissionnaire en espèces, 1725 60 : Procès de Jean B. Jacquet, receveur principal aux pays rétrocédés, condamné pour faux-monnayage, requêtes en grâce 1725-1727 61 : Recours en grâce de faux-monnayeurs 1725 68 : Documents concernant les « francs monnayeurs » d’Anvers, 1612-1708 76 : Pièces diverses, officiers des Monnaies, 1659-1685 81 : Documents concernant la gestion d’Israël de Witte, maître particulier de la monnaie de Bruxelles, 1684-1698 84 : Registre de copiées tirées de la chambre des comptes de Lille concernant les monnaies de Tournai et d’Arras : ouverture de boîtes, commissions, requêtes, inventaire d’ustensiles, 1627-1631 98-145 : Registres aux livraisons des espèces, 1560-1617 158 : Journal des affaires traitées en la Jointe des Monnaies, tenu par l’actuaire Mienens, 1754-
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Sources manuscrites
160 : Documents concernant l’organisation de la Jointe, 1749-1773 161 : Registre de copies de décrets des gouverneurs généraux adressés à la Jointe, 1754-1760 164 : Minute du rapport du baron de Cazier, président de la Jointe, au Gouverneur général sur la politique suivie par le Gouvernement, 1769 165 : Mémoires sur les hôtels de monnaies d’Anvers, de Bruges et de Bruxelles par Jean de Witt, conseiller-assesseur de la Jointe, 1776,1777 et 1782 165 bis (non inventorié) : mémoires sur les Monnaies des années 1770 et 1780 166 : Instructions pour le personnel des hôtels des monnaies, copies établies par l’actuaire Mienens, 1749-1765 167 : Correspondance de l’assesseur J. Bosschaert à J. de Witt sr., président de la Jointe, 1749-1751 168 : Correspondance de Van de Veld, commissaire à la monnaie d’Anvers à J. de Witt sr., 1749-1751 169 : Correspondance de Van Overloope, waradin de la monnaie de Bruges à J. de Witt sr., 1749-1754 170 : Correspondance de A. van der Aa de Randerode, waradin de la monnaie d’Anvers à J. de Witt sr., 1743-1754 171 : Correspondance du comte Fraula, commissaire à la monnaie, adressée à J. Bosschaert, 1750-1752 172 : Lettres de diverses personnes adressées à J. Bosschaert, conseiller au Conseil des Finances, puis également conseiller-assesseur de la Jointe, 1746-1754 173 : Correspondance de J. de Witt sr. Adressée à Henri de Crumpipen, secrétaire d’état et de Guerre, et aux membres de la Jointe, 1749-1751 174 : Correspondance des membres de la Jointe, adressée à leurs collègues, 1749-1781 175 : Correspondance de Henri de Crumpipen, adressée à J. de Witt (1748-1751), Bosschaert (1749-1753), de Cazier (1759-1784), van de Veld (1776) 176 : Correspondance des officiers des hôtels des monnaies et d’autres personnalités adressée aux membres de la Jointe, 1749-1781 177 : Correspondance de divers personnes adressées aux membres de la Jointe, 1749-1751 178 : Consentement des Etats provinciaux pour la refonte des vieux escalins, 1749 180 : Représentations des villes et châtellenies de Flandre pour demande d’exemption de la refonte des vieux escalins, 1750-1751 184 : Représentations des Etats du Hainaut contre le placard et contre la livraison des vieux escalins, 1751-1754 195 : Fixation du cours des espèces relativement à celui pratiqué dans les états voisins, autres monnaies, 1749-1773 196 : Fausses monnaies en or 197 : Fausses monnaies en argent 198 : Billonnement : généralités, 1749-1750
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Sources manuscrites
199 : Doléances des changeurs à propos du billonnement, 1750-1757 209 : Commissions pour la veuve Nettine, pour livraison de matières d’or, 1750-1756 210 : Idem, 1751-1765 214 : Mémoire du comte Fraula à la Jointe sur la manière dont on se procure les matières d’or et d’argent pour l’hôtel des monnaies, 1769 217 : Arrangement final pour l’exécution du nouveau plan des monnaies aux Pays-Bas, 1749 227 : Jetons d’étrenne, 1753-1775 228 : Médailles commémoratives, 1759-1781 229 : Médailles pour les prix décernées par les Académies, 1757-1782 230 : Jetons divers, 1754-1782 231 : Liste des jetons de cuivre frappés aux Pays-Bas de 1744 à 1772, provenant de la collection du waradin de l’hôtel des monnaies de Bruxelles, Marquart 232 : Procès des monnayeurs de Flandre contre Van Overloope, waradin de l’hôtel des monnaies de Bruges, qui leur avait infligé une amende pour refus de travailler, 1752 (en néerlandais) 234 : Requêtes de monnayeurs du Brabant pour obtenir confirmation des franchises et exemptions, 1750-1759 237 : Etablissement de 25 francs-monnayeurs en Brabant, 1755-1756 264 : Ordonnance et instructions pour les changeurs, 19 septembre 1749 265 : Commissions de changeurs, 1749-1781 266 : Lettre circulaire de la Jointe pour la tenue des livres de change ; dénombrement des changeurs, 1752-1758 271 : Documents concernant l’organisation, l’exploitation, la comptabilité de l’hôtel de Monnaies d’Anvers, 1749-1764 289 : Clôture de l’atelier monétaire de Bruges, 1753-1755 Correspondance adressée au comte de Fraula : 310-312 : Jean Bosschart, membre de la Jointe, 1750-1752 313 : Membres de la Jointe, 1750 et 1770 314 : Baron de Cazier, président de la Jointe, 1762-1773 316 : Veuve Nettine, 1750-1752 331-333 : registres au protocole des lettres et ordonnances envoyées à l’hôtel des monnaies, 1773-1794 343 : Envoi de lingots d’or et d’argent à Vienne, 1787-1789 ; 1794 368 : Extrait à l’intention de la Jointe d’une consulte du comité des finances, 1792 453 : Personnel de l’atelier monétaire de Bruxelles, 1776-1784 454 : Fausses monnaies, 1767-1786 456 : Lettres annonçant l’envoi des orfèvreries des couvents supprimés, 1783-1787
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Sources manuscrites
3) Caisse de religion : instituée le 17 mars 1783 qui décréta la suppression de quelques couvents inutiles. Le comité de la caisse de religion fut chargé de la gestion des biens des couvents supprimés. 161 communautés furent dispersées 61 à 67 : argenteries
4) Chambre des comptes (Correspondance administrative) 727 à 732 : affaires des monnaies, 1691-1771
5) Conseil royal de Philippe V 495 : Questions monétaires, 1703-1711
6) Conseil de Maximilien-Emmanuel de Bavière 143 : Affaires monétaires, 1711-1714
7) Conseil de Régence 403 : Affaires monétaires, 1706-1716
8) Papiers des commissaires du gouvernement près les 9 départements réunis dits Papiers Bouteville 434 : circulation monétaire, nivôse an 3 à thermidor an 3 447 : Démonétisation des assignats à l’armée, prairial an 3
Archives nationales (AN), Paris G2 : Archives de l’administration de la Régie générale Régie des nouvelles conquêtes faites aux Pays-Bas autrichiens à partir de 1744 et restituées lors de la paix d’Aix-la-Chapelle en 1748 Documentation financière antérieure à la période : 208 : 17 dossiers traitant des affaires de finances des Pays-Bas, dont dossier 5 : État général des revenus et dépenses ordinaires de Sa Majesté catholique dans les Pays-Bas espagnols, 1691-1701 ; 6 : Mémoire concernant les revenus des Pays-Bas espagnols avant les conquêtes du Roi ; 7 : Recueil traitant des affaires des finances des Pays-Bas autrichiens ; 10 : Mémoire sur les revenus du Roi dans les Pays-Bas autrichiens ; 11 : « Réflexions » sur différents projets, plans et mémoires relatifs aux finances présentés au premier ministre de S.A.S. gouvernante générale des Pays-Bas ; 12 : Notes et projets sur différents moyens financiers propres à procurer des ressources extraordinaires… 209 : 23 dossiers sur les projets de régie, dont 6 : Balance générale du revenu et de la dépense du gouvernement général des Pays-Bas. 7 : Projet de régie des
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Sources manuscrites
droits domaniaux et d’entrée et de sortie dans les pays conquis. 8 : Mémoire sur le régime à adopter pour le commerce avec les pays conquis. 9 : Mémoire sur les revenus du Roi dans les pays conquis. 10 : Mémoire des régisseurs généraux sur la liquidation des diminutions d’espèces lors de la reddition de leurs comptes. 14 : Recueil traitant des affaires des finances des Pays-Bas autrichiens (volumineux rapport de 116 p.). 15 : Note sur la façon de faire faire la conversion des espèces du pays en numéraire de la valeur des espèces de France. 16 : Mémoires en faveur de l’amodiation ou mise en ferme des domaines. 17 : Mémoire sur les différentes « espèces » d’or et d’argent entrant dans les payements dans les pays conquis. 210-212 : États de finances détaillés 213 : 33 dossiers sur l’état des charges sur les Domaines dont : 27 : Compte rendu par Mathias Nettine autorisé à la recette des deniers destinés aux gastos secretos. 28 : Bordereau de la recette et dépense des exploits des conseils et officiers de justice y compris ceux des forêts de S.M., 1736. 29 : Ordonnance de l’Empereur qui permet la continuation du cours des espèces de France mentionnées au placard du 4 juin 1718. 30 : Note sur le poids et la valeur respective des marcs et ducats. 31 : Ordonnance de M. de Seychelles fixant la valeur du ducat, 1746. 32 : Observation sur la valeur du florin et son évaluation dans la comptabilité de la Régie, 1746. 33 : Mémoire sur la valeur des ducats. 214 : 12 dossiers dont : 2. Mémoire secret touchant les omissions et les excès que l’on suppose avoir été pratiqués pendant la régence du marquis de Prié au PaysBas. – Copie de la correspondance de S.A.S. avec la jointe au sujet de l’examen du mémoire secret. – Correspondance de S.A.S. avec la jointe au sujet de la recherche des instructions données par les rois d’Espagne aux gouverneurs des Pays-Bas et avec les États généraux (situation financière), 1717-1725. 215-218 : Divers dossiers sur les parties casuelles, les engagères, divers droits…1690-1748 219 : Pièces relatives aux rentes constituées sur la terre de Winenthal 1409-1742 220 : Affaire de faux-monnayeurs d’Anvers 1725 ; 25 dossiers 221-223 : Recueil d’ordonnances 224 : Procès par l’Empereur au baron de Sotelet, son directeur des droits aux Pays-Bas, 1736-1738 225-381 : Correspondance et comptes de la Régie ; bureau central et bureaux par ville ; détails des droits
Archives des Affaires étrangères (AAE) Correspondance politique, Autriche : 349, 351, supplément 19 Mémoires et documents, Autriche : 1, 12, 38, 40, 42
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Sources imprimées Abot de Bazinghen François-André, Traité des monnoies, et de la Juridiction de la Cour des Monnoies, en forme de dictionnaire qui contient l’histoire des Monnoies des anciens peuples Juifs, Gaulois et Romains, Paris, chez Guillyn, 1764. Accarias de Serionne Jacques, Journal de commerce, mensuel de janvier 1759 à décembre1762, à Bruxelles, chez J. Vanden Berghen. Accarias de Serionne Jacques, La vraie richesse de l’Etat, Vienne, Joseph Kurzböck, 1774. Benaven Jean-Michel, négociant de Lyon, Le caissier italien ou l’Art de connoitre toutes les monnoies actuelles d’Italie, ainsi que celles de tous les Etats et Princes de l’Europe…, t. 1., 1787. Beyerlé Jean-Pierre-Louis, Encyclopédie monétaire, ou Essai sur les monnaies et les systèmes monétaires des différens peuples des quatre parties du monde, imprimerie de Moller, 1799. Bodin Jean, La response de Maistre Jean Bodin advocat en la Cour au Paradoxe de Monsieur de Malestroit, touchant l’encherissement de toutes choses, et les moyens d’y remedier, 1568, dans Le Branchu JeanYves (éd.), Ecrits notables sur la monnaie. De Copernic à Davanzati, volume 1, Paris, Félix Alcan, 1934, p. 69-177. Bodin Jean, Discours de Jean Bodin sur le rehaussement et diminution tant d’or que d’argent et le moyen d’y remédier aux paradoxes du Sieur de Malestroit, 1578, in Bodin Jean, Les six livres de la République, volume 6, Paris, Fayard, 1986, p. 415-503 Bonneville Pierre-Frédéric, Traité des Monnaies d’Or et d’Argent qui circulent chez les différents Peuples. Examinées sous les rapports du Poids, du Titre et de la Valeur Réelle. Avec leurs diverses empreintes, Paris, l’Auteur, Duminil-Lesueur, 1806. Dumortier Barthélemi, La Belgique et les XXIV articles, Société nationale, Bruxelles, 1838. Dumortier Barthélemi, Observations complémentaires sur le partage des dettes des Pays-Bas, Société nationale, Bruxelles, 1838. Dupré de Saint-Maur, Essai sur les monnaies, 1746. Dutot Nicolas, Réflexions politiques sur les finances et le commerce, édition originale à La Haye, chez les frères Vaillant et Nicolas Prevost, 1738.
Sources imprimées
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Sources imprimées
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Table des illustrations 1) Passeport délivré par Louis XIV pour le Maitre des Monnaies Pierre van Vreckem, sujet du Roi Catholique, 27 février 1676 2) Jan Van den Hoecke, d’après Rubens Peter Paul, La libéralité royale, 1635, œuvre commandée par le Magistrat d’Anvers pour l’arc de triomphe célébrant l’entrée solennelle de don Ferdinand d’Autriche. [Musée des Beaux Arts, Lille] 3) Albertin (ou Double souverain d’or) de 1600, [Cabinet de l’État belge. Pl. LVII, n° 895] 4) Vue du port d’Anvers, 1610 5) Lettre de Jacques Bosschaert au comte de Fraula (extrait), 21 juin 1750 [AGR, Jointe des Monnaies, 310] 6) Première page de la lettre circulaire du 28 octobre 1752, [AGR, Jointe des Monnaies, 266] 7) J. Roettiers (graveur), Jeton d’épreuve de la Monnaie d’Anvers, 1744. r. Revers : ET LEGE ET PONDERE/ MONETA Presse à balancier. A terre, des cisailles, des monnaies qui viennent d’être frappées, deux paniers remplis de flans. [avec l’aimable autorisation de Elsen & fils, Bruxelles, vente publique 100, lot 197] 8) Esquisse pour la gravure d’un jeton de cuivre commémorant l’alliance franco-autrichienne, 1756 [AGR, Jointe des Monnaies, 231] 9) Jeton d’étrennes commémorant l’année 1771 : croquis original CharlesAlexandre de Lorraine et l’archiduc Maximilien-François, Oncle et neveu au sein de l’ordre teutonique [AGR, Jointe des Monnaies, 228] 10) Avertissement paru dans les gazettes de Bruxelles, Anvers et Gand avril 1794 [AGR, Conseil des finances, 7499] 11) Dernier ordre autrichien d’envoi de numéraire, 13 mai 1794 [AGR, Jointe des Monnaies, 343]
Table des tableaux et graphiques 1) Tableau de formation des alliages [AGR, JM, 25, Déclaration de Wautier, juin 1717] 2) Tableau des circonstances à examiner avant une mutation monétaire [AGR, Conseil des finances, 8635, Rapport du bureau de la Chambre des comptes, 20 janvier 1708] 3) Liste des acheteurs de louis au double L auprès de l’intermédiaire Adrien Coolens (années 1720) 4) Faux-monnayeurs anversois de louis au double LL [À partir des listes contenues dans les dossiers 9 et 10 du carton G2 220 des archives nationales de Paris] 5) Seigneuriage sur les monnaies des Pays-Bas entre 1680 et 1707 [AN, G2 220, dossier 20, mémoire récapitulatif de 1729] 6) Graphique 1 : Ducats d’or simples contenus dans la caisse du receveur général des finances en fonction de leur faiblesse (1749) 7) Graphique 2 : Ducats d’or doubles contenus dans la caisse du receveur général des finances en fonction de leur faiblesse (1749) 8) Prix du billon qui se payent dans les monnaies d’Anvers et Bruges [AGR, JM, 171, Note, 1750] 9) Établissement des changeurs en 1752 [AGR, JM, 266] 10) « Etat des livremens à faire dans la Monnaie de Bruges par la province de Flandres ». En 1750 et 1751 (sommes en florins) [AGR, JM, 180] 11) Fabrique des souverains d’or ordonnée au remède de ¾ d’esterlin ou 24 as en poids et ¾ d’un grain en aloi [AGR, JM, 164, Rapport du 8 mai 1769. Brouillon] 12) Livraisons de la banque Vve Nettine à la monnaie de Bruxelles pour l’année 1750 [D’après AGR, JM, 316, correspondance de Louise Stoupy, veuve Nettine, avec le comte de Fraula] 13) Destinataires des jetons distribués le premier jour de l’année 1767 [AGR, JM, 227] 14) Extrait sommaire du registre général de la Chambre des finances de Vienne, 1770 [AEE, Mémoire et documents, Autriche, 1, f°20] 15) Frais de fabrication des monnaies par an (vers 1778) [AGR, JM, 165 bis (non inventorié) 16) Tableau comparatif des proportions or-argent établi par Joseph Wouters (1788) 17) Etat de la fabrication de la monnaie belge en 1836