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French Pages 378 [368] Year 2009
AVIS D’EXPERTS
LA SOUS-TRAITANCE INTERNE Sous la direction de Michel HÉRY
Avec la collaboration de Gérard Agut, Marie Battreau, Hervé Bernard, Alain Colman, Lionel Delaveau, Franck Demezières, François Duchêne, Bernard Greder, Corinne Grusenmeyer, Nathalie Guillemy, Gérard Hacot, Philippe Keroullé, Michel Lallier, Mokhtar Larbi, Jean-Pierre Lefèvre, Marc Martigny, Vitor Pereira, Claude Pichot, Catherine Rondeau du Noyer, Fatima Sef Saf, Julien Tonner, Cathy Walczack, La complicité du groupe de travail Michel Berthet, Jean-Marie Cellier, Martine François, Nathalie Guillemy, Corinne Grusenmeyer, Michel Héry, Michel Pialoux, Catherine Rondeau du Noyer, Guy Welitz et l’assistance de Claudine Cericola
17, avenue du Hoggar Parc d’Activités de Courtabœuf, BP 112 91944 Les Ulis Cedex A, France
Conception de la couverture : Éric Sault Mise en page : Arts Graphiques Drouais (28100 Dreux)
Imprimé en France
ISBN : 978-2-7598-0096-4
Tous droits de traduction, d’adaptation et de reproduction par tous procédés, réservés pour tous pays. La loi du 11 mars 1957 n’autorisant, aux termes des alinéas 2 et 3 de l’article 41, d’une part, que les « copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective », et d’autre part, que les analyses et les courtes citations dans un but d’exemple et d’illustration, « toute représentation intégrale, ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause est illicite » (alinéa 1er de l’article 40). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles 425 et suivants du code pénal.
© EDP Sciences 2009
Table des matières
Les auteurs
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Introduction
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Partie I La réglementation Chapitre 1. Sous-traitance et réglementation du travail 1. Sous-traitance et droit du travail 1.1. La notion de sous-traitance 1.2. La sous-traitance en droit du travail 2. Santé et sécurité au travail et sous-traitance 2.1. Interventions d’entreprises extérieures 2.2. Interventions des entreprises extérieures : la question de la participation des salariés 2.3. Les risques liés à la coactivité sur les chantiers de bâtiment ou de génie civil 2.4. Perspective d’avenir de la notion de coactivité
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Partie II Une enquête, l’exploitation d’une base de données Chapitre 2. Entreprises extérieures : pénibilité dans les métiers de la maintenance et recherche de voies d’actions 1. Contexte et objectifs de l’étude 2. Méthode et plan de travail 3. Composition et caractéristiques du panel 4. Exercice du métier et âge de la retraite 5. Facteurs influants 6. Évolution perçue des conditions de travail depuis 2000 7. Métiers critiques en regard des critères analysés 8. Exposition aux risques : amiante 9. Exposition aux risques : produits chimiques 10. Malaises liés à la présence de produits chimiques 11. Protections individuelles lors des interventions en présence de produits chimiques 12. Exposition aux risques : légionelles 13. Exposition aux risques : soudage 14. Risques liés à l’électrisation 15. Risques mécaniques 16. Risques liés au bruit 17. Formations à la sécurité 18. Évaluation des risques – Accès aux documents 19. Organisation du travail 20. Les conditions matérielles d’intervention 21. Outillages utilisés et pénibilité 22. Manutention manuelle 23. Les postures et positions de travail 24. Les conditions d’ambiance thermique 25. Accidents du travail 26. Maladies professionnelles et invalidité 27. Stress au travail 28. Reconnaissance du métier Bibliographie
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Table des matières
Chapitre 3. Les voies d’amélioration des conditions de travail dans la maintenance 1. Améliorer la manutention manuelle 2. Améliorer l’accessibilité 3. Améliorer les équipements de travail et les outillages 4. Réduire et identifier les causes de risques 5. Développer des tenues et des protections adaptées 6. Améliorer les instructions techniques et l’information 7. Faire évoluer l’organisation du travail 8. Améliorer les relations et la communication 9. Améliorer les services communs et l’hygiène 10. Améliorer et valoriser l’image du métier 11. Améliorer la formation et l’information 12. Prendre en compte le vieillissement Chapitre 4. Les accidents liés à la sous-traitance. Exploitation de la base de données Epicea 1. Position du problème 2. Méthodologie 2.1. Objectifs et nature des analyses 2.2. Source d’information exploitée : la base de données EPICEA 2.3. Données concernées et traitements réalisés 2.3.1. Données concernées 2.3.2. Présélection des dossiers d’accidents 2.3.3. Identification des accidents liés à la sous-traitance 2.3.4. Caractérisation des accidents liés à la sous-traitance 2.3.5. « Typologie » des accidents 3. Quelques résultats 3.1. Nombre d’accidents liés à la sous-traitance 3.2. Caractérisation des accidents 3.2.1. Type de sous-traitance 3.2.2. Établissement de survenue des accidents 3.2.3. Victimes des accidents 3.2.4. Professions des victimes 3.2.5. Entreprises concernées 3.3. « Typologie » des accidents Conclusion-discussion Bibliographie
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Partie III Les institutionnels de la prévention Chapitre 5. Intervention de travailleurs d’entreprises extérieures : un sujet de préoccupation majeure en matière de santé et de sécurité au travail 1. Quelques définitions – Champ de l’exposé – Introduction 2. Le contexte 3. Les raisons d’un choix et ses conséquences 4. Le contexte réglementaire 5. Les accords entre partenaires sociaux 6. Les systèmes de management de la sécurité – Les habilitations – Les certifications 7. Sous-traitance interne et statistiques 8. L’étude de l’AFIM 9. Chargement et déchargement des catalyseurs dans l’industrie chimique : évaluation des expositions aux polluants chimiques – Le problème du « nomadisme » de certaines professions et de la traçabilité des expositions 10. Suivi d’un arrêt triennal de plusieurs semaines dans l’industrie chimique 11. Les conditions de vie d’emploi, de travail et de santé des salariés : l’enquête STED 12. Une autre étude sur les conditions de vie et de travail des intervenants de la maintenance nucléaire 13. Une ouverture vers l’international 14. Commentaires et perspectives Bibliographie Chapitre 6. Suivre la santé des travailleurs des entreprises extérieures. Quelques propositions à travers l’expérience acquise dans la protection de la santé des travailleurs des entreprises extérieures intervenant dans le domaine du nucléaire 1. Les travailleurs des entreprises extérieures du nucléaire : à la fin des années 1980, le constat d’une situation inacceptable 2. Les acteurs de leur prévention et leur attitude face à la prévention des risques professionnels des travailleurs d’entreprises intervenant dans les centres de production nucléaire 3. Une adaptation des structures pour une pratique plus efficace de la médecine du travail 4. La suite : les études STED 1993-1998 6
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Table des matières
5. Une prise en compte nationale et des difficultés à élargir la problématique 6. Quelques conclusions sur l’expérience du nucléaire 7. Élargissement de la problématique à la sous-traitance interne en général 8. Qu’est-ce que la santé ? 9. Y a-t-il un lien entre sous-traitance interne et santé ? 10. La spécificité des difficultés de la prévention des maladies professionnelles 11. Quelques propositions pratiques 11.1. Les entreprises 11.2. La médecine du travail 11.3. Établissement d’un curriculum laboris 11.4. Le rôle des CHSCT Conclusion Bibliographie
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Chapitre 7. Sous-traitance : le point de vue d’un contrôleur de CRAM 1. Vingt-cinq ans de suivi des opérations de sous-traitance 2. Une évolution continue des pratiques 3. De la sous-traitance interne à la sous-traitance d’activités 4. De nouveaux rapports de production entre entreprises utilisatrices et entreprises extérieures 5. Appréciation contrastée des systèmes de management de la sécurité (SMS) 6. Il faut réhabiliter l’accident du travail ! 7. La dissimulation au risque de l’invisibilisation 8. Rendre l’entreprise responsable du risque qu’elle génère 9. Mettre en place une réelle traçabilité des expositions Conclusion provisoire à propos d’activités en constante évolution
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Chapitre 8. Prestation de service et sous-traitance dans les gares parisiennes SNCF : risques et prévention 1. Introduction 2. Les particularités de la SNCF 2.1. Statut et organisation générale 2.2. Les dispositions règlementaires 3. Identification et analyse de risques 3.1. Risques communs liés à l’activité en gare 3.1.1. Risques de heurt liés à la circulation ferroviaire 3.1.2. Risques électriques liés à la présence de caténaires 3.1.3. Risques liés à la circulation d’engins automoteurs à conducteur porté
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3.1.4. Risques de chute de plain-pied et de chute de hauteur 3.1.5. Risques liés à l’activité physique et aux manipulations manuelles 3.1.6. Risques liés à l’utilisation de produits chimiques 3.1.7. Risques psychosociaux (stress, agressions, violences verbales) 3.1.8. Risques liés aux ambiances physiques et thermiques 3.2. Risques liés à la coactivité 3.2.1. La coactivité autour des trains 3.2.2. La coactivité en gare 3.3. Influence de la SNCF : un facteur de risque ? Perspective structurelle et infrastructurelle 4. Propositions de mesures de prevention 4.1. Mesures techniques 4.1.1. Mesures générales liées à la conception des lieux de travail 4.1.2. Mesures générales liées à la conception des trains 4.1.3. Mesures particulières liées aux équipements et matériels 4.1.4. Mesures particulières liées au port des EPI 4.2. Mesures organisationnelles 4.2.1. Organiser et généraliser la collecte de données sur l’accidentologie des salariés 4.2.2. Intégrer la démarche participative à tous les échelons en privilégiant les rapports prestataires – donneur d’ordre 4.2.3. Développer la coordination : création d’une commission de coordination 4.2.4. Intégrer la sécurité dans la démarche Qualité – Environnement 4.2.5. Promulguer et adapter les formations 4.2.6. Développer les produits d’information Conclusion
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Partie IV Les systèmes de management de la sécurité Chapitre 9. Le MASE : Manuel Améliorations Sécurité Entreprises 1. Le contexte industriel change : le MASE évolue 2. Le référentiel MASE – Les principes fondamentaux 2.1. L’engagement de la direction de l’entreprise 2.2. La compétence et la qualification professionnelle 2.3. La préparation et l’organisation du travail 8
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Table des matières
2.4. Les contrôles : l’évaluation et la mesure des résultats 2.5. L’amélioration continue 3. Rendre le MASE accessible à toutes les entreprises – « Les conseils pour » 4. Le fonctionnement du MASE 4.1. Le conseil d’administration 4.2. Le comité de pilotage 4.3. L’administrateur 4.4. Le MASE national 5. Le processus d’adhésion : de l’inscription à la certification 5.1. Entreprises utilisatrices 5.2. Entreprises extérieures 6. Le MASE en France : quelques chiffres pour témoigner du succès de la démarche Bibliographie Chapitre 10. Le MASE, au-delà des idées reçues 1. Le MASE n’a pas pour objectif de formater les entreprises selon un modèle unique 2. Le MASE est un lieu de réels échanges 3. Les indicateurs sécurité hygiène environnement ne sont pas une fin en soi, seulement un moyen 4. Le MASE est un système évolutif – C’est un atout économique pour les entreprises 5. En guise de conclusion… provisoire Bibliographie Chapitre 11. Une structure de prévention des risques professionnels originale : le GIE de sous-traitance de Biganos 1. Pourquoi un GIE Qualité sécurité environnement ? 2. Le fonctionnement du GIE – Le rôle de son directeur 3. Le cadre global de l’action au quotidien 4. L’action au quotidien : la Sécurité au travail 5. L’action au quotidien : la qualité des prestations 6. L’action au quotidien : la protection de l’environnement 7. Les résultats Bibliographie
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Chapitre 12. Formations externes à la sécurité pour les établissements classés Seveso, un dispositif sous pression Introduction 1. Un dispositif de formation forgé par les industriels 1.1. La construction progressive d’un dispositif unifié de formation 1.2. La constitution d’un marché de formation par les chambres patronales 2. Une formation sous pression 2.1. Mobilisation par la peur 2.2. Confusion entretenue entre sphères professionnelle et domestique 3. Tensions autour des contradictions existant entre rentabilité et sécurité 3.1. La course au temps 3.2. Les pauses ou le retour à la vraie vie 3.3. Divers registres de réponse des formateurs Conclusion Bibliographie
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Partie V Le point de vue du monde de l’entreprise Chapitre 13. Maîtrise des risques et interventions d’entreprises extérieures au CEA 1. Le bilan du plan 2003-2005 2. Les actions d’amélioration et le plan 2006-2008 Bibliographie Chapitre 14. La politique hygiène et sécurité d’une PME de mécanique industrielle 1. Présentation de l’entreprise – Son domaine d’activité 2. Une évolution dans les conditions d’exercice de la sous-traitance 3. Le choix de la qualité – L’approche de la SOGEM 4. Politique Hygiène qualité sécurité environnement : la méthode de travail – L’appropriation par les travailleurs 5. La prévention au quotidien En guise de conclusion
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Chapitre 15. Ortec, un ensemblier de services en France et à l’international 1. Le groupe 2. Nos domaines d’activité 3. Le choix d’un système de management de la sécurité 4. La loi sur la prévention des risques technologiques et naturels (loi « Bachelot ») 5. Une autre évolution positive de la législation : le décret « Cancérogènes, mutagènes et toxiques pour la reproduction » 6. La sous-traitance industrielle : un facteur de progrès pour la prévention des risques professionnels 7. Continuer à progresser dans la prévention des risques professionnels : détecter les situations dangereuses, un axe de travail défini au sein du groupe Ortec 8. Une organisation et des structures pour progresser dans la prévention des risques professionnels 9. Promouvoir l’ingénierie de conception et de maintenance pour améliorer la prévention des risques professionnels 10. Une certaine conception de la sous-traitance Références Chapitre 16. GSF : dans le tertiaire ou dans l’industrie, le nettoyage au cœur de la sous-traitance – Focus sur le nettoyage dans l’industrie agroalimentaire 1. Le respect des hommes 2. Nos engagements santé sécurité 3. Une démarche organisée 4. Une volonté de transparence 5. Le nettoyage dans l’industrie agroalimentaire : un secteur particulier – Des méthodes de travail à généraliser Conclusion Bibliographie
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Chapitre 17. Aucune priorité ne peut s’exercer au détriment de la sécurité : elle fait partie intégrante du travail. Une entreprise de travail temporaire confrontée à la sous-traitance industrielle 326 1. Une entreprise de travail temporaire dans le système MASE 327 2. Au-delà des règles du système de management de la sécurité, des initiatives pour améliorer la performance de notre entreprise en matière de prévention des risques professionnels 329 11
LA SOUS-TRAITANCE INTERNE
3. Des résultats et des pistes d’amélioration Bibliographie Chapitre 18. Le point de vue d’un ancien secrétaire de CHSCT d’une entreprise pétrochimique
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1. Dix ans de mandat syndical dans un CHSCT : un bon observatoire pour voir les changements organisationnels en termes de sous-traitance 337 2. Un transfert des tâches, des compétences, des savoirs et des responsabilités 338 3. Transmission des connaissances – Contradictions entre rentabilité économique et performance technique – L’importance de la notion d’unité économique et sociale 340 4. L’action des CHSCT et des instances de représentation du personnel – Un contexte général peu favorable 342 5. Créer des solidarités entre les travailleurs de différents statuts – Une action volontariste – Des exemples concrets 345 6. Rebâtir des solidarités entre les travailleurs pour faire des progrès en prévention des risques professionnels 347 7. Un seul responsable pour l’hygiène et la sécurité sur le site industriel : l’entreprise utilisatrice 349 Bibliographie 349 Chapitre 19. La sous-traitance de site. Exemple du nucléaire
1. L’organisation de la sous-traitance 1.1. La sous-traitance de premier rang 1.2. La sous-traitance de second rang 2. Les conséquences 2.1. Sous-dimensionnement de l’emploi stable 2.1.1. Le droit du travail mis en échec 2.1.2. Mise en concurrence des salariés 2.1.3. Santé et sécurité 2.1.4. Rupture du lien social 2.1.5. Rupture des solidarités salariales, écartèlement des salariés entre plusieurs interlocuteurs 2.1.6. Autre conséquence de ces nouvelles formes d’organisation : l’éclatement des collectivités de travail et, partant, des solidarités professionnelles 2.1.7. Le rétrécissement des frontières du salariat 2.2. Conséquences globales : accroissement des risques 12
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2.2.1. Risques professionnels 2.2.2. Risques sociaux 2.2.3. Risques Industriels 3. Luttes et expériences syndicales 4. Propositions pour changer les choses Chapitre 20. Un faible recours à « l’expert CHSCT » par les entreprises sous-traitantes
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Introduction 366 1. Quelques précisions 367 1.1. La sous-traitance : une organisation innovante de plus en plus répandue 367 1.2. Le CHSCT : espace de débat dont sont souvent exclus les salariés des entreprises sous-traitants 368 1.3. L’expertise : un outil utilisé par les élus du CHSCT où sont peu présents les salariés de l’entreprise sous-traitante 368 2. Le flou des frontières, la difficulté d’agir 369 3. La mise en œuvre des recommandations de l’expert CHSCT est souvent contrainte 370 3.1. L’expertise : résultat d’un rapport de force à trois 371 3.2. Faible visibilité dans les situations de travail 371 Quelques éléments de synthèse : comment améliorer la prévention des risques professionnels dans le contexte de la sous-traitance interne Proposition de texte de synthèse des travaux du groupe
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Les auteurs
n Nathalie Guillemy Juriste à l’INRS. n Claude Pichot Président de l’Association française des ingénieurs et responsables maintenance (AFIM). n Corinne Grusenmeyer Psychologue ergonome à l’INRS. n Michel Héry Ingénieur chimiste à l’INRS. n Catherine Rondeau du Noyer Ancien médecin inspecteur régional du travail, confrontée en particulier à la soustraitance dans la production d’électricité d’origine nucléaire. n Jean-Pierre Lefèvre Contrôleur de sécurité au service Prévention des risques professionnels de la CRAM Normandie. n Julien Tonner Ingénieur conseil au service Prévention des risques professionnels de la CRAM Île-deFrance. 15
LA SOUS-TRAITANCE INTERNE
n Cathy Walczak Administratrice du MASE Normandie. n Philippe Keroullé Président du MASE national. n Marc Martigny Directeur du Groupement d’intérêt économique à vocation de prévention des risques professionnels du site de Biganos (33). n François Duchêne Chargé de recherches – Laboratoire RIVES-ENTPE. n Hervé Bernard Directeur du pôle maîtrise des risques, Directeur central de la sécurité, Commissariat à l’énergie atomique. n Gérard Agut Président directeur général de la SOGEM. n Alain Colman Animateur qualité hygiène sécurité environnement de la SOGEM. n Bernard Greder Directeur général adjoint du groupe Ortec. n Marie Battreau Ingénieur recherche et développement dans le secteur agroalimentaire, Groupe GSF. n Lionel Delaveau Directeur recherche et développement, Groupe GSF. n Franck Demézières Ingénieur recherche et développement dans le secteur agroalimentaire, Groupe GSF. n Gérald Hacot Coordination Prévention et sécurité, Groupe GSF. n Fatima Sef Saf Directrice d’une agence de l’entreprise de travail temporaire Proman.
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Les auteurs
n Vitor Pereira Ancien secrétaire de CHSCT d’une entreprise de la pétrochimie. n Michel Lallier Ancien secrétaire de CHSCT d’un centre de production d’électricité nucléaire. n Mokhtar Larbi Médecin du travail, ergonome, Directeur scientifique de Technologia, organisme d’expertise.
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Introduction
Michel Héry Le Code du travail consacre un chapitre aux « prescriptions d’hygiène et de sécurité applicables aux travaux effectués dans un établissement par une entreprise extérieure ». Compte tenu du fort développement de la sous-traitance et en particulier des interventions d’entreprises extérieures sur le site des entreprises donneuses d’ordres (dites utilisatrices), l’INRS a décidé de réaliser un avis d’experts sur la question de la prévention des risques professionnels dans ces activités et sur les éventuelles spécificités correspondant à cette forme d’organisation du travail. Un groupe de travail composé d’experts de l’INRS et extérieurs à l’Institut (Mmes François, Grusenmeyer, Guillemy, Rondeau du Noyer, MM. Berthet, Cellier, Héry, Pialoux, Welitz) a été constitué. Il a procédé à l’audition d’un certain nombre d’acteurs du secteur (Mmes Le Gac (Direction générale du travail), Pinchaud (CFDT), Surribas (Médecin du travail SAN.T.BTP), MM. Bonnaud (CRAM d’Auvergne), Forest (CFDT), Huez (Médecin du travail EDF), Lallier (CHSCT EDF Chinon), Maurial (MASE Étang de Berre), Pierrat (Union des industries chimiques), Remoiville (Cidecos conseil), Sotty (DRTEFP PACA), Tierno (CRAM du Sud-Est)). Le résultat de cette réflexion collective constitue la conclusion de cet ouvrage. Délibérément, ces conclusions ont été formulées de façon très resserrée de façon à laisser un maximum d’espace rédactionnel à ceux que leur pratique professionnelle amène à se poser au quotidien la question de la santé et de la sécurité de ces travailleurs de la sous-traitance. Ces contributions ont été rédigées par des membres du groupe, des acteurs de la prévention des risques professionnels auditionnés par le groupe ou d’autres identifiés après coup ou à qui leurs engagements professionnels n’avaient pas permis de répondre à notre invitation. 19
LA SOUS-TRAITANCE INTERNE
Il a été très difficile d’établir un sommaire pour cet ouvrage tant les différentes interventions se répondent les unes aux autres et abordent les mêmes problématiques sous des angles et avec des points de vue différents, mais également souvent complémentaires. C’est peut-être le gage de la pertinence du choix des auteurs, c’est en tout cas la preuve de la complexité du sujet. En conséquence, sans décourager une lecture dans l’ordre des chapitres et linéaire, nous invitons le lecteur à aborder la question en fonction de son intérêt particulier pour la question en général et à « piocher » au fil des chapitres ce qui lui semblera se rapprocher de la problématique qui l’intéresse plus particulièrement1. Mais puisqu’il fallait bien établir un ordre, nous avons fait le choix de commencer par un rappel du cadre juridique dans lequel s’inscrivent les activités de sous-traitance en général et de sous-traitance interne en particulier avec un texte de Nathalie Guillemy, juriste à l’INRS. L’Afim (Association française des ingénieurs et responsables de maintenance) réalise depuis plusieurs années déjà des études consacrées aux problèmes de prévention des risques professionnels dans les activités de maintenance. Bien que la maintenance ne soit pas l’apanage des entreprises extérieures et qu’une partie des travaux soient encore effectuée par des travailleurs de l’entreprise organique, les résultats des enquêtes auprès des acteurs eux-mêmes, présentés ici par Claude Pichot, concernent environ 90 % des travailleurs de la sous-traitance. Le lecteur pourra constater au cours de ses lectures ultérieures dans l’ouvrage la profonde résonance entre ce qui est évoqué par les travailleurs eux-mêmes et les sujets abordés par les experts. Corinne Grusenmeyer clôt cette partie consacrée aux enquêtes par une exploitation de la base de données Epicea qui recense les accidents du travail graves et significatifs (en tant que représentatifs d’un secteur ou d’une typologie d’accidents). Cette exploitation est consacrée aux accidents des travailleurs de la sous-traitance en général, mais l’auteur a souhaité considérer le problème de façon plus large en examinant également les causes liées à l’entreprise utilisatrice ou les conséquences que ces accidents ont pu entraîner pour son propre personnel.
1. Le seul pré-requis pour cette lecture tient probablement dans les définitions suivantes que les auteurs, à une exception près, ont accepté d’adopter. Entreprise utilisatrice (EU) : entreprise qui utilise les services d’entreprises extérieures. Entreprise extérieure (EE) : entreprise qui effectue des travaux ou des prestations de service dans l’enceinte d’une entreprise utilisatrice. Sous-traitance interne : recours aux services d’une entreprise extérieure par une entreprise utilisatrice. Entreprise sous-traitante : entreprise qui effectue des prestations au profit d’une entreprise utilisatrice. Dans le cas de la sous-traitance interne, cette entreprise sous-traitante est l’entreprise extérieure. Mais cette entreprise extérieure, pour effectuer sa prestation pour l’entreprise utilisatrice peut, elle-même, avoir recours aux services d’une autre entreprise extérieure qui interviendra aussi sur le site de l’EU : on est alors confronté à une sous-traitance en cascade.
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Introduction
C’est ensuite le point de vue des « institutionnels » de la prévention qui est exposé à travers quatre chapitres : – Michel Héry propose une revue de la littérature consacrée à la prévention des risques professionnels chez les travailleurs de la sous-traitance interne, – Catherine Rondeau du Noyer décrit son expérience d’ancien médecin inspecteur régional du travail, confrontée en particulier à la sous-traitance dans la production d’électricité d’origine nucléaire, – Jean-Pierre Lefèvre est contrôleur de sécurité dans un service Prévention des risques professionnels d’une CRAM : à ce titre, il a pu constater les changements stratégiques et pratiques dans la gestion des entreprises extérieures par les gros donneurs d’ordre des industries de process, – Enfin Julien Tonner, ingénieur conseil au service prévention d’une autre CRAM s’est intéressé aux pratiques de sous-traitance dans une grande entreprise nationale. Les systèmes de management de la sécurité ont acquis depuis le début des années 1990 une grande importance dans la prévention des risques professionnels des entreprises extérieures. La presque totalité des chapitres de cet ouvrage y fait référence. En conséquence, une séquence particulière leur est consacrée, avec deux chapitres rédigés par des acteurs de la certification MASE qui s’est imposée sur les grands bassins industriels français. Dans un premier texte, Cathy Walczak et Philippe Kéroullé nous présentent la logique du système et son fonctionnement et dans un deuxième ils nous montrent que ce système est vivant, en perpétuelle évolution, et que son fonctionnement au quotidien va souvent à l’encontre des idées reçues. Enfin pour clore cette section, un chapitre est consacré à une expérience originale : celle du Groupement d’intérêt économique à vocation de prévention des risques professionnels du site de Biganos, présentée par son Directeur, Marc Martigny. Cette logique, et en particulier celle des formations correspondantes, est questionnée par François Duchêne qui s’interroge en particulier sur les contradictions induites par les exigences simultanées de rentabilité et de sécurité. La parole est ensuite au monde de l’entreprise, à travers des témoignages de chefs d’entreprises, de fonctionnels sécurité, de secrétaires de CHSCT et du directeur scientifique d’un organisme d’expertises syndical. Le terme de témoignage n’est d’ailleurs pas approprié puisque leur contribution va bien au-delà du simple énoncé de faits et de constatations. Il s’agit aussi d’une vision critique de la sous-traitance telle qu’elle se pratique en France et de propositions d’améliorations, tant au niveau macro qu’au niveau de l’entreprise et de ses pratiques. Pour cette partie, nous avons bénéficié des contributions de : – Hervé Bernard, Directeur du pôle maîtrise des risques, Directeur central de la sécurité, Commissariat à l’énergie atomique, 21
LA SOUS-TRAITANCE INTERNE
– Gérard Agut et Alain Colman, respectivement Président directeur général et Animateur qualité hygiène sécurité environnement de la SOGEM, – Bernard Greder, Directeur général adjoint du groupe Ortec, – Marie Battreau, Ingénieur recherche et développement (Secteur agroalimentaire), Lionel Delaveau, Directeur recherche et développement, Franck Demézières, Ingénieur recherche et développement (Secteur agroalimentaire), Gérald Hacot, Coordination Prévention et sécurité, Groupe GSF, – Fatima Sef Saf, Directrice d’une agence de l’entreprise de travail temporaire Proman, – Vitor Pereira, ancien secrétaire de CHSCT d’une entreprise de la pétrochimie, – Michel Lallier, ancien secrétaire de CHSCT d’un centre de production d’électricité nucléaire, – Mokhtar Larbi, Directeur scientifique de Technologia, organisme d’expertise. Enfin le groupe d’experts constitué par l’INRS se livre au délicat exercice d’effectuer une synthèse de ses travaux et de dégager quelques pistes d’actions possibles à travers quelques propositions.
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Sous-traitance et réglementation du travail
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1. Sous-traitance et droit du travail Nathalie Guillemy
1.1. La notion de sous-traitance La notion de sous-traitance qualifie des situations très diverses et le droit n’apporte pas une définition unique permettant d’appréhender ce mode d’organisation dans son ensemble. La loi n° 75-1334 du 31 décembre 1975 modifiée, relative à la sous-traitance, définit la sous-traitance comme « l’opération par laquelle une entreprise confie par un sous-traité, et sous sa responsabilité, à une autre personne appelée sous-traitant tout ou partie de l’exécution du contrat d’entreprise ou du marché public conclu avec le maître d’ouvrage » ; ce type de sous-traitance est généralement nommé « sous-traitance de marché ». Cette définition suppose l’existence d’une chaîne ininterrompue (séquence de deux contrats au minimum) de contrats d’entreprises portant sur des prestations mises à la charge d’une entreprise principale. Cette loi a une vocation essentiellement économique, puisqu’elle vise à limiter les conséquences d’éventuelles difficultés financières du donneur d’ordre sur les sous-traitants, en organisant un système de protection. 25
LA SOUS-TRAITANCE INTERNE
Ce n’est pas cette définition restrictive d’une forme de sous-traitance que nous retiendrons ici, mais plutôt celle adoptée par le Conseil économique et social, pour qui la sous-traitance est « une opération par laquelle une entreprise, le donneur d’ordre, confie à une autre, le preneur d’ordre, le soin d’exécuter pour elle et selon un cahier des charges préétabli un acte de production ou de service dont elle conserve la responsabilité économique finale ». Cette forme de sous-traitance est le plus souvent qualifiée, en droit, d’externalisation (par différence avec la sous-traitance de marché définie par la loi de 1975). Cette forme de sous-traitance est caractérisée par l’existence d’un contrat d’entreprise entre des entités indépendantes, contrat d’entreprise qui se distingue du contrat de vente, notamment du fait de la conception globale de la prestation opérée par le donneur d’ordre et non proposée à la vente, selon un même modèle pour tous, par un fournisseur.
1.2. La sous-traitance en droit du travail Sous-traitance, externalisation, quel que soit le terme choisi pour décrire ce mode d’organisation du travail, il s’agit toujours de rendre compte de relations commerciales, établies entre personnes morales distinctes, relations que le droit du travail peine à appréhender. En effet, le modèle du travail subordonné sur lequel se fonde le droit du travail paraît peu adapté à la régulation de ces modes de mobilisation de l’emploi qui se développent depuis les années 1970. En fait, pour schématiser, on peut dire que les questions que pose la sous-traitance relèvent de l’existence de contrats entre entreprises, permettant une flexibilité de l’emploi et de l’outil de production, tandis que le droit du travail a eu pour objet traditionnel l’encadrement de contrats conclus dans l’entreprise (les contrats de travail), sur un marché de l’emploi dont il a jusqu’alors organisé la stabilité. Pourtant, le droit du travail ne peut ignorer la sous-traitance ; ses conséquences sur les relations salariales concernent à la fois son objet (l’organisation du marché du travail) et la portée des dispositions qu’il édicte. La sous-traitance se « systématise » et résulte d’une véritable stratégie industrielle, dont les objectifs peuvent être divers : recherche de flexibilité pour une meilleure compétitivité (il est alors plus simple de réduire les commandes ou de rompre des contrats que de restructurer l’entreprise), volonté de se recentrer et de recentrer les investissements sur les activités essentielles, génératrices des plus grands profits, en confiant les activités 26
Sous-traitance et réglementation du travail 1
périphériques moins rentables, volonté de confier des activités nécessitant une maind’œuvre importante dans une perspective de réduction des coûts, etc. Cette nouvelle stratégie impacte massivement et directement le travail : on assiste à un éclatement de la collectivité de travail – encore renforcé par le développement de la technique de l’essaimage – avec ses conséquences en terme de gestion différenciée de l’emploi ou de conditions de travail. Face à ces constats, le droit du travail s’est vu contraint de réagir pour s’adapter à ces nouvelles formes d’organisation. Compte tenu de la grande diversité des situations de sous-traitance, il a pour l’heure toujours préféré la réaction à l’action, et les réponses ponctuelles à une approche globale du problème. Ce mode de réaction témoigne des difficultés que rencontre ce droit pour saisir, à l’aide de ses concepts et outils existants, un mode de relations entre entreprises autonomes mais participant à un même processus de production. Notre propos ici n’est pas de présenter en détails l’impact de la sous-traitance sur les différents aspects du droit du travail ni toutes les dispositions réglementaires ou les interventions jurisprudentielles qui sont peu à peu intervenues pour en limiter les conséquences1. Cependant, à titre d’exemple, on citera, parmi les « ripostes » réglementaires ou prétoriennes celles qui se proposent, par exemple, d’agir : • sur l’indépendance du sous-traitant : requalification en contrat de travail des « fausses sous-traitances » qui se seraient développées en lien avec la technique dite de « l’essaimage » consistant, pour certaines entreprises, à aider leurs salariés à créer leur propre entreprise, à laquelle ils sous-traitent un travail ; • sur le développement du travail précaire : limite du recours au CDD, compensation financière à la précarité, interdiction de certains travaux pour CDD et intérimaires, formation renforcée à la sécurité (le tout partant du constat doctrinal que le développement de la stratégie industrielle de soustraitance induit, mécaniquement – par la recherche de flexibilité répercutée chez le sous-traitant – le développement du recours aux CDD et intérimaires chez le sous-traitant) ;
1. Pour une analyse des relations de sous-traitance et de leurs conséquences, on consultera avec profit le rapport de recherche « Sous-traitance et relations salariales, aspect de droit du travail » réalisé, sous la direction de M.-L. Morin, pour le Commissariat Général au Plan, Toulouse CEJEE (1994). Cette étude, qui prend appui sur des exemples de sous-traitances dans les secteurs de l’industrie textile et de l’aéronautique, a également fait l’objet d’une publication dans la Revue Travail et Emploi n° 60.
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LA SOUS-TRAITANCE INTERNE
• sur la tentation de se constituer un « réservoir de main d’œuvre ». La doctrine met en évidence la formation de « réseaux », sorte de « toile d’araignée » au centre de laquelle se trouve une entreprise principale qui trouve, dans de petites entités indépendantes, une main d’œuvre moins chère ou spécialisée, susceptible de répondre à des besoins ponctuels : les délits de prêt de main d’œuvre illicite ou de marchandage1 sont destinés à éviter les dérives en ce domaine. De même, diverses voies sont explorées par la doctrine, à partir de notions existantes, comme en témoignent les travaux menés sur la nature des relations contractuelles qui s’établissent entre une entreprise et ses sous-traitants. Les réflexions portent ici sur la qualification des contrats qui les unissent (entre contrat d’adhésion et contrat de travail) ou sur les contours (à redéfinir ?) de notions existantes, comme celles de « groupe » ou d’« unité économique et sociale (UES) » qui, pour impropres qu’elles soient encore à saisir un ensemble constitué d’entreprises indépendantes, pourraient s’avérer utile à la compréhension de ces « hybrides », comme les nomme G. Teubner2 dans ses travaux. L’enjeu réside alors dans la capacité du droit du travail à appréhender les questions de responsabilité (solidaire ? partagée ?) des entreprises qui co-opèrent à un même processus. Qu’il s’agisse du caractère « inégalitaire » de la relation entre entreprise principale et sous-traitants ou de la question de la responsabilité collective de l’organisation, audelà de l’imputation d’un quelconque événement à l’un des partenaires autonomes du contrat, la doctrine tente d’identifier les catégories et concepts qui permettraient de prendre en compte plus efficacement les réalités sociales nées du développement de la sous-traitance. À cet égard, le concept de coactivité apparu pour organiser la prévention des risques professionnels auxquels sont exposés les salariés d’entreprises participant, sur un même site, à une même opération, semble prometteur. C’est cette « riposte réglementaire », touchant directement à la santé et à la sécurité des salariés, qui fera ici l’objet d’un développement plus approfondi. 1. Le délit de marchandage est défini par l’article L. 8231-1 du code du travail, comme une opération à but lucratif de fourniture de main d’œuvre qui a pour conséquence de causer un préjudice au salarié qu’elle concerne ou d’éluder l’application de la loi, de règlements ou de conventions ou d’accords collectifs du travail. Ce délit est constitué en cas de fausse sous-traitance, par exemple lorsque le sous-traitant n’a pas de réelle activité autre que le prêt de main d’œuvre et que la direction effective du travail est placée sous la responsabilité du donneur d’ordre. 2. Au sens des travaux de G. Teubner, la sous-traitance fait naître de nouveaux acteurs, les « hybrides », sortes d’organisations industrielles informelles, qui, de loin, ressemblent à un groupe de sociétés mais au sein desquels les liens patrimoniaux ont été remplacés par des liens contractuels. Cf. notamment G. Teubner, « Nouvelles formes d’organisation et droit », Revue Française de Gestion, nov-déc., 1993, p. 50.
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Sous-traitance et réglementation du travail 1
2. Santé et sécurité au travail et sous-traitance C’est en ce domaine que la prise en compte d’une forme de sous-traitance (celle de la sous-traitance interne) est sans doute à la fois la plus originale et la plus efficace. La plus originale car, le dispositif réglementaire mis en œuvre contourne la difficulté sur laquelle achoppent les outils classiques du droit du travail : l’indépendance du soustraitant à l’égard de l’entreprise principale. La plus efficace parce que sont ici prises en compte les réalités des situations de travail, sans que la nature des liens contractuels existants ne soient ni toujours évoqués, ni nécessairement pris en compte. Partant d’un constat, celui d’une collectivité de travailleurs présents sur un même site, la réglementation s’attache à la prévention des risques liés à cette coactivité, nonobstant les mesures prises pour prévenir les risques liés à l’activité de chaque entreprise. Elle fixe des dispositions précises pour la prise en compte des risques de coactivité dans les deux principales situations où ces risques peuvent se présenter : – risques dus à l’intervention d’une entreprise (dite entreprise extérieure) dans les locaux ou dépendances d’une autre entreprise (dite entreprise utilisatrice). Cette réglementation, apparue pour la première fois en 1977 a été revue et renforcée en 1992. Elle a été encore renforcée en 2003 pour ce qui concerne l’intervention d’entreprises extérieures dans des entreprises comportant des installations de type Seveso seuil haut (formation, participation à un CHSCT élargi, …)1 ; – risques dus à l’intervention commune ou successive de plusieurs entreprises sur un même chantier de bâtiment ou de génie civil. Il s’agit ici d’impliquer le maître d’ouvrage pour que soient garanties la santé et la sécurité de tous les travailleurs intervenants sur le chantier. Ce dispositif législatif et réglementaire résulte de la transposition, en 1993 (loi) et 1994 (décret), d’une directive européenne, directive particulière au sens de la directive-cadre de 1989. Ces deux réglementations sont brièvement exposées ci-après, afin d’en préciser à la fois le champ d’application et le contenu.
1. Pour les détails de ce texte, on se reportera utilement au document de l’INRS, ED 941 « Interventions d’entreprises extérieures » qui présente ce dispositif.
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LA SOUS-TRAITANCE INTERNE
2.1. Interventions d’entreprises extérieures Le décret n° 92-158, du 20 février 1992, intégré dans le code du travail aux articles R. 4511-1 et suivants, vise à instituer une coordination des mesures de prévention spécifiquement définies pour prévenir les risques liés à l’intervention d’une entreprise extérieure dans une entreprise utilisatrice. Cette réglementation porte transposition, en droit français, de dispositions de la directive 89/391/CEE, appelée « directive-cadre ». Rappelons que c’est cette directive qui fonde et structure désormais les prescriptions faites aux employeurs en matière de santé et de sécurité au travail ; elle offre un « cadre » général pour la prévention des risques professionnels dans l’entreprise et, notamment : – pose le principe d’une obligation générale de sécurité qui incombe à l’employeur ; – énumère des principes généraux qui doivent le guider dans le choix des mesures qu’il met en œuvre. Prenant appui sur ces principes, la réglementation relative à la prévention des risques liés aux interférences d’activités guide les employeurs dans une démarche commune de prévention et d’amélioration continue de la protection des travailleurs. Le texte vise les situations où une entreprise accueille, en ses propres locaux ou dépendances, une ou plusieurs entreprises extérieures, et précise les responsabilités respectives des employeurs des différentes entreprises à l’égard de la santé et de la sécurité des salariés1 présents sur le site. La responsabilité du donneur d’ordre à l’égard des conditions de travail des salariés des entreprises intervenantes ne remet pas ici en cause l’autonomie réelle de ces entreprises ; il ne s’agit pas de substituer l’entreprise utilisatrice à ses sous-traitants, ni de mettre en place une forme de responsabilité solidaire à l’égard des travailleurs : le texte, tirant les conséquence de la réalisation d’un travail en commun, organise et fixe les obligations de chacun. Cette approche réaliste conduit à édicter des obligations qui pèsent sur le chef de l’entreprise utilisatrice, à l’égard de tous les salariés impliqués dans l’opération, nonobstant l’existence ou l’absence de lien contractuel avec ces salariés.
1. On notera que le texte ne s’attache qu’à la protection des salariés, à l’exclusion des travailleurs indépendants intervenant sur le site. À cet égard, la loi de 1993, relative à la coordination sur les chantiers du BTP, et la loi de 2003 relative aux risques technologiques majeurs, vont plus loin puisqu’elles étendent le bénéfice de leurs dispositions aux travailleurs indépendants.
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Sous-traitance et réglementation du travail 1
De même, au nom de l’impératif d’ordre public que constitue la santé et la sécurité des travailleurs, la réglementation instaure un véritable « devoir d’ingérence » de l’entreprise utilisatrice dans les choix de l’entreprise extérieure en matière de prévention des risques, nonobstant l’indépendance de ces entreprises. Cette volonté d’impliquer le donneur d’ordre dans la sécurité de tous les salariés présents sur son site paraît confirmée par l’étude de la jurisprudence, rendue entre 1998 et 2003 par la chambre criminelle de la Cour de cassation. Présentée en 2004, cette étude1 a porté sur une quarantaine d’arrêts rendus notamment au visa des articles R. 237-1 et suivants du code du travail2. Elle a été conduite dans la perspective de proposer une illustration de l’application du texte réglementaire, en vue d’en favoriser la compréhension et l’appropriation. De fait, ce type d’approche est souvent plus éclairante que l’exégèse d’un texte dont on saisit mal les implications concrètes. Cette étude jurisprudentielle montrait notamment :
l L’importance du rôle dévolu au chef de l’entreprise utilisatrice La Cour insiste notamment sur le rôle qu’il lui appartient de jouer dans l’organisation effective d’une inspection préalable et ce dans tous les cas, quelle que soit, par exemple, la connaissance des lieux, dont l’entreprise extérieure voudrait se prévaloir pour se soustraire à cette obligation. Elle rappelle son devoir d’alerte à l’égard du chef de l’entreprise extérieure, lorsque des salariés de cette entreprise encourent des risques ; ce devoir d’alerte doit s’exercer en toutes circonstances, quand bien même les risques concernés ne seraient pas des risques liés à une interférence des activités.
l La nécessaire implication du chef de l’entreprise extérieure L’importance des responsabilités qui incombent au chef de l’entreprise utilisatrice n’affecte pas pour autant celles du chef de l’entreprise extérieure. Ce dernier doit veiller à la santé et à la sécurité de son personnel et demeure responsable de l’application des mesures de prévention nécessaires à la protection de ses salariés. Mais il doit aussi 1. Cette étude a été publiée, en même temps que la présentation complète de cette réglementation, dans la brochure INRS ED 941 précitée. 2. Actuels articles R. 4511-1 et suivants.
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LA SOUS-TRAITANCE INTERNE
s’impliquer activement dans la démarche de prévention mise en œuvre dans l’entreprise d’accueil. Ainsi la Cour introduit-elle une sorte de « devoir d’interpellation » du chef de l’entreprise extérieure à l’égard du chef de l’entreprise utilisatrice, lorsque ce dernier néglige son obligation de coordonner les mesures de prévention.
l Le caractère essentiel des inspections préalables prévues par le code du travail Ces inspections doivent rassembler toutes les entreprises concernées : entreprise utilisatrice, entreprises extérieures ainsi que leurs sous-traitants éventuels. À cet égard, le texte fait, là encore preuve de réalisme en considérant la situation de coactivité dans sa globalité, sans s’attacher aux relations contractuelles entre les entreprises présentes ; ainsi, aux termes du code, les sous-traitants de second niveau, pour autant que leurs salariés soient présents sur le site, sont concernés par l’inspection commune, au même titre et au même rang que le sous-traitant de premier niveau. La Cour sanctionne d’ailleurs l’absence éventuelle de ces sous-traitants de second niveau lors de l’inspection commune, en imputant, le cas échéant, la responsabilité d’un accident à l’entreprise utilisatrice, si celle-ci n’a pris la peine de réunir toutes les entreprises ou en imputant cette responsabilité au sous-traitant de premier niveau qui aurait volontairement caché son recours à un sous-traitant. En principe au moins, cette approche réglementaire devrait interdire toute « soustraitance » de la coordination des mesures de sécurité à une entreprise principale. Ce sont les éléments recueillis à l’occasion de ces inspections qui vont permettre aux entreprises de procéder à l’analyse en commun des risques ; il importe donc d’y accorder une attention particulière, d’autant que la jurisprudence sanctionne l’absence d’inspection préalable (ou une inspection trop rapidement effectuée) qui empêche la prise en compte de risques présentés, a posteriori, comme imprévisibles.
l L’importance du plan de prévention À la suite de l’évaluation des risques, les employeurs décident des mesures à mettre en œuvre au travers d’un plan de prévention. Loin de constituer une simple « formalité », ce plan de prévention revêt une importance particulière que la jurisprudence souligne dans plusieurs arrêts. Il doit être l’occasion de faire un bilan des risques recensés, des mesures à adopter et des instructions que chaque employeur doit donner à son personnel. La Cour rappelle, à cet égard, que des instructions confuses, ou trop générales (ce qui est encore trop fréquemment le cas) ne peuvent être considérées comme satisfaisantes au regard des exigences réglementaires. 32
Sous-traitance et réglementation du travail 1
On notera qu’un plan de prévention est toujours requis (à moins que l’évaluation préalable, effectuée sous la responsabilité des employeurs concernés, ne mette en évidence l’absence de risques et donc de mesures à prendre…). Cependant, la réglementation n’exige pas, dans tous les cas, que ce plan soit systématiquement établi par écrit : aux termes de l’article R. 4512-7, un plan de prévention écrit sera arrêté si l’opération à effectuer par les entreprises extérieures représente un nombre d’heures au moins égal à 400 heures ou si, pour l’exécution de cette opération, des travaux dangereux énumérés par un arrêté de 1993, sont nécessaires.
l Le nécessaire suivi de l'opération Dans le respect de l’autonomie des différentes entreprises, chaque employeur devra informer ses salariés, participant à l’opération, des mesures décidées et des consignes à respecter. Le déroulement de l’opération devra faire l’objet d’un suivi permettant de vérifier que les mesures décidées sont effectivement mises en œuvre et d’apporter des modifications éventuelles à ces mesures, en tant que de besoin. Il appartient au chef de l’entreprise utilisatrice de s’assurer, auprès des chefs des entreprises extérieures, de la bonne exécution des mesures, et de coordonner les mesures nouvelles devant être prises.
2.2. Interventions des entreprises extérieures : la question de la participation des salariés Enfin, dans son approche des risques liés à l’intervention d’entreprises extérieures, ce dispositif réglementaire a tenté de favoriser la participation des salariés de chaque entreprise présente, au travers de leurs instances représentatives, et, s’agissant ici de préserver leur santé et leur sécurité, plus particulièrement du CHSCT. Sur ce point, les résultats sont mitigés et le pragmatisme que l’on a pu saluer, s’agissant d’appréhender une collectivité de travail dans le respect de l’autonomie de chaque entreprise, n’a pas été de mise. Certes, les CHSCT des entreprises utilisatrices et extérieures sont informés de la date de l’inspection commune préalable, comme de celles des inspections ou réunions organisées pendant l’exécution de l’opération. Toutefois, tandis que les représentants du personnel au CHSCT de l’entreprise utilisatrice peuvent participer à ces inspections, 33
LA SOUS-TRAITANCE INTERNE
ceux des entreprises extérieures ne le pourront que pour autant qu’un salarié élu soit présent sur le site. Le plan de prévention sera tenu à la disposition des CHSCT des entreprises utilisatrices et extérieures, pour autant qu’il soit écrit (dans les conditions précisées à l’article R. 4512-7). Face à une organisation du travail qui ne favorise guère, en elle-même, l’organisation de relations de solidarité entre les salariés des donneurs d’ordre et ceux des sous-traitants, on conçoit que ces dispositions du code du travail n’aient pas eu de réelle efficacité. À cet égard, la loi n° 2003-699 du 30 juillet 2003 (relative à la prévention des risques technologiques) semble indiquer des voies d’amélioration possibles. Pour l’heure, cette loi concerne les installations classées de type Seveso II « seuil haut » mais les modifications qu’elle apporte en matière d’intervention d’entreprises extérieures dans ce type d’installation méritent d’être soulignées. Elle prévoit notamment l’instauration d’un CHSCT élargi, auquel sont associés, avec voix consultative, les représentants des chefs d’entreprises extérieures et de leurs salariés. Les salariés des entreprises extérieures sont ici représentés par un salarié présent sur le site, désigné par son CHSCT, ou, à défaut, les délégués du personnel de l’entreprise extérieure, voire, en l’absence de toute instance représentative du personnel, par les membres de l’équipe présents sur le site. Ce CHSCT élargi est réuni lorsqu’il a pour objet de contribuer à la définition des mesures communes de protection, ainsi qu’en cas d’accident d’un salarié d’entreprise extérieure ; il est réuni au moins une fois par an. A contrario des dispositions prévues par les articles R. 4511-1 et suivants du code du travail, ce dispositif ne requiert pas qu’un membre élu d’une instance représentative du personnel soit présent sur le site mais permet la désignation de tout salarié, élu ou non. En outre, cette loi permet un véritable dialogue et favorise de réelles relations entre les collectivités de travail de l’entreprise utilisatrice et celles des sous-traitants. Enfin, tous les membres du CHSCT élargi bénéficient d’une formation spécifique en rapport avec les risques et l’activité de l’entreprise utilisatrice, limitant ainsi les effets induits par la différenciation des formations et qualifications entre les salariés du donneur d’ordre et ceux des sous-traitants présents sur le site. Sur cette question de la formation, on notera encore que la loi prévoit l’obligation, pour le chef de l’entreprise utilisatrice, d’organiser, à l’attention des intervenants (chef d’entreprises extérieures et leur salariés intervenant sur le site, travailleurs indépendants) 34
Sous-traitance et réglementation du travail 1
une formation pratique et appropriée aux risques particuliers auxquels ils peuvent être confrontés.
2.3. Les risques liés à la coactivité sur les chantiers de bâtiment ou de génie civil Parmi les situations de coactivité, figurent, on vient de le voir, les opérations réalisées par des entreprises extérieures dans une entreprise dite utilisatrice. Ce ne sont cependant pas les seuls cas où plusieurs salariés sont amenés à travailler en un même lieu ; une réglementation spécifique prévoit également des dispositions particulières en cas d’interventions de plusieurs entreprises ou travailleurs indépendants sur un chantier de bâtiment ou de génie civil. Cette réglementation vise, à l’instar de celle présentée ci-dessus, à prévenir les risques liés aux interférences entre les différentes activités menées simultanément ou successivement par des entreprises distinctes et indépendantes. Ces dispositions sont issues de la transposition en droit français de la directive 92/57 CEE du 24 juin 1992, relative aux prescriptions de sécurité à mettre en œuvre sur les chantiers mobiles ou temporaires. Huitième directive particulière, au sens de la directive-cadre 89/391/CEE, cette directive « décline » les prescriptions générales de la directive-cadre aux risques spécifiques liés à la coactivité sur les chantiers du bâtiment et de génie civil. Intégrée au code du travail (articles L. 4531-1 et suivants et R. 4532-1), cette réglementation spécifique a pour objet d’instituer une coordination en matière de santé et de sécurité des travailleurs pour tout chantier où sont appelés à intervenir plusieurs travailleurs indépendants ou entreprises. Sans entrer dans le détail de ces dispositions réglementaires, il paraît cependant intéressant d’en rappeler les grandes lignes1, permettant ainsi de mesurer, comme pour les interventions d’entreprises extérieures, l’approche pragmatique de cette réglementation qui prend en considération une situation de coactivité sans pour autant nier l’indépendance des entreprises.
1. Les dispositions réglementaires présentées ici sont celles qui ont été considérées comme particulièrement « éclairantes » à l’égard de l’approche particulière de la sous-traitance. Cette présentation n’est donc pas exhaustive et, pour toute informations concernant les obligations des entreprises sur les chantiers du BTP, il conviendra de se reporter au code du travail.
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LA SOUS-TRAITANCE INTERNE
Il ne s’agit plus ici, pour une entreprise utilisatrice, de coordonner les mesures de prévention destinées à protéger l’ensemble des salariés présents sur son site, mais, pour un maître d’ouvrage, d’organiser la coordination des mesures de prévention, en vue d’assurer la protection de tous les travailleurs concourant à un chantier, en désignant, à cet effet, un coordonnateur placé sous sa responsabilité. En fonction de l’importance et de la nature des opérations effectuées, les chantiers relevant de cette réglementation spécifique sont répartis en trois catégories (article R. 4532-1). Ces catégories permettent de fixer une graduation des obligations qui s’imposent, en fonction du chantier concerné et de prévoir :
l Des obligations communes à tous les chantiers où interviennent plusieurs travailleurs indépendants ou entreprises – Application des principes généraux de prévention prévus à l’article L. 4121-2 L’article L. 4531-1 du code rappelle que la sécurité et la santé des travailleurs, qui interviennent sur un chantier de bâtiment ou de génie civil, doivent être assurées par des mesures prises sur le fondement des principes généraux de prévention et souligne qu’il appartient aux maîtres d’ouvrage, aux maîtres d’œuvre et aux coordonnateurs de prendre en compte ces principes tant au moment des choix architecturaux que dans l’organisation des opérations. Cette prise en compte des principes généraux de prévention par le maître d’ouvrage, le maître d’œuvre ou le coordonnateur n’affecte cependant pas la responsabilité de l’employeur à l’égard des personnes placées sous sa direction ; on notera que l’article L. 4531-1, dans son énumération des principes à mettre en œuvre, exclut l’application par ces acteurs du principe selon lequel il convient de donner « les instructions appropriées aux travailleurs » (L. 4121-2, 9°), obligation qui reste à la charge de chaque employeur. La réglementation s’attache ici encore à prendre en compte l’existence d’une collectivité de travailleurs sans pour autant nier l’indépendance et l’autonomie des différentes entreprises participant à l’opération. – Organisation d’une coordination L’article L. 4532-2 prévoit qu’« une coordination en matière de sécurité et de santé des travailleurs doit être organisée pour tout chantier où sont appelés à intervenir plusieurs travailleurs indépendants ou entreprises, entreprises sous-traitantes incluses, aux fins de prévenir les risques résultant de leurs interventions simultanées ou successives et de 36
Sous-traitance et réglementation du travail 1
prévoir, lorsqu’elle s’impose, l’utilisation des moyens communs tels que les infrastructures, les moyens logistiques et les protections collectives. » Cette coordination sera, dans la plupart des cas, assurée par un coordonnateur spécialement désigné à cet effet par le maître d’ouvrage. La coordination doit être organisée tant au cours de la conception, de l’étude et de l’élaboration du projet qu’au cours de la réalisation de l’ouvrage. – Mission du coordonnateur Aux termes de l’article R. 4532-11, le coordonnateur veille à la mise en œuvre effective des principes généraux de prévention. Sans reproduire ici l’intégralité du texte auquel on se reportera, on soulignera que le coordonnateur doit notamment, pour tout chantier : – ouvrir un registre-journal de la coordination ; il complétera ce registre au fur et à mesure du déroulement de l’opération et y portera notamment les comptes rendus des inspections communes réalisées avec les entreprises intervenant sur le chantier, les observations particulières prises pour assurer la santé et la sécurité des travailleurs, les coordonnées des différentes entreprises, les observations qu’il souhaite faire au maître d’ouvrage, etc. ; – définir les sujétions afférentes à la mise en place et à l’utilisation des protections collectives, des appareils de levage, des accès provisoires et des installations générales ; – organiser la coordination entre les différentes entreprises, les modalités de leur utilisation en commun d’installations ou de matériels, organiser leur information mutuelle et l’échange entre elles de consignes de sécurité ; pour ce faire, il organisera notamment des inspections communes avec chaque entreprise, préalablement à son intervention ; – veiller à l’application des mesures de coordination qu’il a prescrites ; – etc. Le coordonnateur devra posséder des compétences particulières pour les deux phases de l’opération (conception, réalisation). Le niveau de compétence exigé dépend de la catégorie du chantier : il est ainsi créé trois niveaux de compétence de coordonnateur.
l Des obligations complémentaires applicables aux opérations de catégories 1 et 2 Outre les dispositions communes à tous les chantiers, les opérations relevant des catégories 1 et 2 sont soumises à des obligations complémentaires, au nombre desquelles 37
LA SOUS-TRAITANCE INTERNE
figurent notamment la nécessaire rédaction d’un plan général de coordination en matière de sécurité et de protection de la santé (PGCSPS) et de plans particuliers de sécurité et de protection de la santé (PPSPS). Le PGCSPS Il appartient au coordonnateur d’établir ce plan dès le début de la mission et de le compléter au fur et à mesure de l’opération. Ce document, établi par écrit, définit l’ensemble des mesures propres à prévenir les risques découlant de l’interférence des activités des différents intervenants ou de la succession de leurs activités lorsqu’une intervention laisse subsister, après son achèvement, des risques pour les autres entreprises. Remis par le maître d’ouvrage à toutes les entreprises qui envisagent de participer au chantier, ce plan doit notamment apporter les éléments précisés à l’article R. 4532-44. Ce plan est adapté et complété, en tant que de besoin, tout au long de l’opération et toute modification est portée à la connaissance des entreprises. Il sera conservé par le maître d’ouvrage durant 5 ans à compter de la réception de l’ouvrage. Le PPSPS Établi par chacune des entreprises intervenantes, le PPSPS sera remis au coordonnateur. Pour le rédiger, l’entreprise devra disposer de 30 jours à compter de la réception du contrat signé par le maître d’ouvrage.
l Le collège interentreprises : une obligation complémentaire pour les opérations relevant de la 1re catégorie Enfin, on soulignera que, pour les opérations de la 1re catégorie, le maître d’ouvrage est tenu de constituer un collège interentreprises de sécurité, de santé et des conditions de travail. Ce collège comprend le ou les coordonnateurs, le maître d’œuvre désigné par le maître d’ouvrage, les chefs d’entreprises ou leurs représentants et, avec voix consultative, un salarié de chaque entreprise, choisi parmi ceux appelés à travailler sur le chantier et désigné par son CHSCT (ou à défaut, les DP). Ce collège peut définir certaines règles communes destinées à assurer le respect des mesures de sécurité et de protection de la santé applicables sur le chantier. 38
Sous-traitance et réglementation du travail 1
Présidé par le coordonnateur en charge de la phase de réalisation de l’ouvrage, il se réunit dès lors que 2 entreprises au moins sont effectivement présentes sur le chantier puis au moins tous les trois mois, sur convocation de son président.
l Les obligations applicables à certaines opérations de catégorie 3 Le plan général de coordination et les plans particuliers doivent être mis en place pour certaines opérations de catégorie 3 lorsque celles-ci comportent l’exécution de travaux dangereux, énumérés par l’arrêté du 25 février 2003. Cependant, afin d’adapter cette obligation à la nature de l’opération, la réglementation exige la rédaction de plans simplifiés. Ils sont soumis aux mêmes règles de transmission, de mise à disposition, ou de conservation que les plans réalisés dans le cadre des opérations relevant des catégories 1 et 2. Cependant les dispositions réglementaires relatives au contenu des PGCSPS et PPSPS ne leur sont pas applicables. Il appartiendra donc au coordonnateur, pour ce qui concerne le PGC simplifié et au chef d’entreprise, pour ce qui concerne le PPSPS simplifié, de déterminer l’étendue nécessaire des informations à porter dans ces plans.
2.4. Perspective d’avenir de la notion de coactivité Cette approche originale, en matière de prévention, favorise, lorsque la réglementation est effectivement appliquée, une réelle prise en compte des risques liés à la soustraitance interne. Le recours à la notion « d’interférence d’activités », ou « de coactivité », permet d’aborder la sous-traitance par le biais des situations réelles qu’elle génère et de s’affranchir ainsi, en partie, des obstacles résultant du statut juridique des personnes ou de la nature des liens qui les unissent. En ce sens, l’approche des questions de sous-traitance interne par la réglementation en matière de santé et de sécurité au travail suscite un intérêt légitime chez ceux qui recherchent, en droit du travail, les outils appropriés à l’approche de cette forme d’organisation du travail. Ces réponses apportées aux problèmes spécifiques de la sous-traitance, en matière de santé et de sécurité, préfigurent-elles une nouvelle approche de ces questions par le droit du travail ? 39
LA SOUS-TRAITANCE INTERNE
De fait, la question de la responsabilité d’entreprises distinctes et indépendantes (mais participant à un même processus de production) à l’égard du droit du travail et de son application constitue l’une des questions essentielles que pose l’organisation en réseau de sous-traitance. Le donneur d’ordre peut-il avoir une quelconque responsabilité à l’égard des salariés du sous-traitant ? Il faudrait, pour ce faire, identifier le fondement d’une telle responsabilité ; le critère de la direction du travail, qui permet de faire peser sur celui qui l’assume effectivement, les obligations prévues par le code du travail n’est certainement pas adaptée à l’organisation du travail en sous-traitance. Les relations contractuelles entre entreprises permettraient-elles d’en déduire une responsabilité solidaire du donneur d’ordre à l’égard de ses sous-traitants ? Cette solution est celle retenue en matière de travail clandestin, par exemple, le donneur d’ordre pouvant être tenu au paiement des salaires ou cotisations de ses sous-traitants en infraction. Ce mécanisme est également soumis au débat initié par la Commission des Communautés européennes dans son Livre vert, publié en novembre 20061. Soulignant les problèmes qui peuvent se poser lorsque les travailleurs sont impliqués dans de longues chaînes de sous-traitance, et rappelant que plusieurs États membres ont tenté de résoudre ces problèmes en établissant un système de responsabilité conjointe et solidaire des contractants principaux à l’égard des obligations des sous-traitants, la Commission pose la question de l’opportunité d’un recours à la responsabilité subsidiaire2. L’approche de l’organisation du travail en réseau de sous-traitance propose une autre voie, qui mérite sans doute d’être explorée. Partant de la réalité de l’opération de sous-traitance, c’est-à-dire de la participation d’entreprises distinctes à une même opération, la coactivité propose un partage des responsabilités qui respecte l’indépendance des différents acteurs mais rend compte de leurs relations étroites et de la nécessaire coordination entre elles. Certes, la réglementation n’opère aujourd’hui ce partage de responsabilité qu’à l’égard des obligations relatives à la santé et à la sécurité des travailleurs, et ce pour la soustraitance interne.
1. Livre vert « Moderniser le droit du travail pour relever les défis du XXIe siècle ». Bruxelles, le 22/11/2006, COM(2006) 708 final. 2. La question (9) est ainsi formulée : « Pensez-vous que les responsabilités des différentes parties aux relations de travail devraient être précisées, pour déterminer à qui incombe la responsabilité du respect des droits du travail ? Serait-il faisable et efficace de recourir à la responsabilité subsidiaire pour établir cette responsabilité dans le cas de sous-traitants ? Dans la négative, voyez-vous d’autres moyens permettant de garantir une protection suffisante des travailleurs parties à des relations de travail triangulaires ? »
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Sous-traitance et réglementation du travail 1
Cependant, la sous-traitance externe impacte elle aussi l’organisation du travail chez les sous-traitants ; ses effets induits sur la santé et la sécurité des travailleurs pourrait conduire à juger pertinent le recours à cette notion de coactivité en matière de soustraitance externe ; plus généralement, ses effets sur l’organisation du travail chez les sous-traitants pourraient amener une réflexion quant à un partage possible de responsabilité entre les différentes entreprises.
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Entreprises extérieures : pénibilité dans les métiers de la maintenance et recherche de voies d’actions
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1. Contexte et objectifs de l’étude Claude Pichot Dans le domaine de la santé et de la sécurité au travail, l’Afim (Association française des ingénieurs et responsables de maintenance) conduit depuis 2001, avec l’appui du fonds pour l’amélioration des conditions de travail (FACT) et des grandes entreprises prestataires de service en maintenance dans le secteur industriel, des études sur la santé et la sécurité au travail et la pénibilité des métiers de la maintenance. Ces études ont notamment révélé : – Une occurrence de maladies professionnelle 10 fois plus élevée que la moyenne nationale pour l’ensemble des métiers de la maintenance. – Une gravité des accidents supérieure de 30 % à la moyenne nationale. – Un accroissement de plus de 50 % de la gravité par rapport à la moyenne nationale pour les salariés les plus âgés. – Pour certains métiers, l’occurrence de maladie professionnelle s’est révélée plus de 100 fois plus élevée que la moyenne nationale. En ce qui concerne la durée des incapacités temporaires suite à accident, certains métiers voient la gravité des accidents mesurée au travers de la durée d’incapacité temporaire s’accroître de plus de 70 % par rapport à la moyenne pour les salariés les plus âgés. 45
LA SOUS-TRAITANCE INTERNE
– Sur un plan global, alors que l’allongement de la durée de la vie active est à l’ordre du jour, le panel étudié ne comporte aucun salarié âgé de plus de 59 ans. – En termes d’aptitude, les interrogations formulées par les médecins du travail sur la capacité d’exercer les métiers de la maintenance tout au long de la vie professionnelle des salariés sont réelles. Les signes « d’usure physique » au-delà de 50 ans pour les salariés affectés aux activités de maintenance sont relevés par les médecins du travail. Ces études ont été publiées par l’Afim dans ses guides de la maintenance [1, 2]. Le travail était bien centré à l’origine sur la maintenance, aussi bien celle réalisée en interne par les propres équipes de l’entreprise que celle réalisée par des entreprises extérieures. Cependant, la quasi-totalité des entreprises avec lesquelles nous avons travaillé étant des entreprises spécialisées en maintenance, les résultats de cette étude sont bien représentatifs de l’intervention d’entreprises extérieures selon le vocable retenu dans cet ouvrage. Ainsi pour la constitution des groupes d’enquête, ont participé 65 entreprises membres de l’Afim qui totalisaient 2 971 salariés exerçant leur activité dans le domaine de la maintenance. Les 2 521 répondants du panel (masculins à plus de 99 %) sont répartis : – Pour 48,8 % dans des entreprises prestataires de maintenance tertiaire. – Pour 38,1 % dans des entreprises prestataires de maintenance industrielles. – Pour 4,9 % dans une entreprise d’intérim. – Pour 6,8 % dans des sites industriels. – Pour 1,3 % sur des sites tertiaires. Au moins 87 % de l’effectif (ainsi probablement qu’une part non négligeable des 4,9 % de travailleurs intérimaires) correspondent à des travailleurs d’entreprises extérieures. Ces travailleurs exerçaient les métiers suivants repérés par l’Afim comme caractéristiques des activités de maintenance : agent de maintenance des bâtiments, agent de maintenance en chauffage, automaticien, instrumentiste, chaudronnier, électricien de maintenance, électromécanicien, frigoriste, mécanicien de matériels de travaux publics, de manutention et de levage, mécanicien de maintenance, monteur, soudeur, tuyauteur, calorifugeur, nettoyeur haute pression. L’étude vise cinq objectifs : – Mettre en évidence des caractéristiques de la pénibilité pour chacun des métiers identifiés. – Identifier les pistes d’actions pour l’exercice de ces métiers tout au long de la vie professionnelle. 46
Entreprises extérieures : pénibilité dans les métiers de la maintenance… 2
– Évaluer la pénibilité par métier au travers d’un échantillon de 3 000 personnes. – Mesurer l’intérêt suscité par les pistes d’actions auprès de l’échantillon de 3 000 personnes. – Formuler des recommandations à l’intention des parties prenantes de la négociation sociale. Ces recommandations feront l’objet du chapitre suivant. Treize facteurs de pénibilité ont été identifiés au cours des retours d’expérience effectués. Ces facteurs de pénibilité sont liés : – Aux déplacements. – À l’environnement de travail. – À la formation technologique sur les matériels. – À la manutention manuelle. – À l’organisation du travail. – Aux outillages utilisés. – Aux postures de travail. – Aux équipements de protection. – À la reconnaissance du métier (ou plus exactement à son absence). – Aux risques. – Au stress. – Au vieillissement.
2. Méthode et plan de travail L’étude a été organisée autour de 8 étapes de travail réparties sur les années 2005, 2006 et 2007 : – 1re étape : analyse du travail réel sur le terrain des activités exercées par les intervenants pour chaque métier de maintenance en vue de l’établissement de fiches d’activités et de pénibilité par métiers. Ces fiches sont les guides pour un questionnement structuré des groupes métiers constitués au cours de la 2e étape. – 2e étape : réunions de retour d’expérience par groupes métiers pour recueillir la matière destinée à l’établissement des questionnaires d’évaluation de la pénibilité 47
LA SOUS-TRAITANCE INTERNE
ressentie pour chaque métier étudié. Au cours de cette étape, plus de 230 salariés ont été amenés à identifier et hiérarchiser les facteurs de pénibilité afin d’organiser la réflexion sur les voies d’actions autour des facteurs jugés les plus critiques. – 3e étape : réunions de retour d’expérience des groupes métiers avec les mêmes participants pour recueillir la matière permettant d’établir les questionnaires sur les voies d’actions et d’amélioration pour chaque métier étudié. – 4e étape : constitution de la base de données du questionnement à partir des questionnaires d’évaluation de la pénibilité et des voies d’actions et d’améliorations identifiées. – 5e étape : campagne d’enquête auprès de 3 000 salariés pour le renseignement des questionnaires en vue de la collecte des données brutes. – 6e étape : saisie des données dans la base de données et vérifications. – 7e étape : traitement des données en vue de fournir : • les facteurs de pénibilité critiques hiérarchisés, • les pistes d’actions et d’amélioration jugées les plus intéressantes. – 8e étape : établissement et remise du rapport final de l’étude.
3. Composition et caractéristiques du panel l Répartition par fonction – Répartition par fonction pour l’ensemble du panel Dans le panel des 2 521 répondants, la répartition par fonction confirme la prédominance des ouvriers qui constituent plus de 57 % des effectifs. Avec près de 39 % les techniciens constituent la deuxième population par ordre d’importance. L’encadrement avec plus de 2,3 % et la maîtrise avec 2 % complètent l’ensemble. Cette répartition moyenne varie significativement selon l’appartenance des répondants à des types d’entités différentes (site industriel, site tertiaire, prestataire industriel, prestataire tertiaire, intérim). 48
Entreprises extérieures : pénibilité dans les métiers de la maintenance… 2
– Répartition par fonction sur site industriel Compte tenu des pratiques d’externalisation du secteur industriel, la population est majoritairement composée de techniciens avec plus de 65,8 % dont le rôle est plutôt consacré à la supervision de prestataires extérieurs. Les ouvriers représentent moins d’un quart de la population sur les sites industriels (23 %). Les cadres (3,7 %) et la maîtrise (7,3 %) complètent le panel sur les sites industriels. – Répartition par fonction sur site tertiaire Sur les sites tertiaires, les cadres sont peu nombreux ce qui est confirmé par les données du panel (absence de cadres). Les populations majoritaires sont les techniciens (62,5 %) et les ouvriers 25 %. La maîtrise représente 12,5 % du panel sur les sites tertiaires. – Répartition par fonction chez les prestataires industriels Les ouvriers constituent la population la plus nombreuse avec plus de 70 %. Les techniciens représentent un peu moins d’un quart de la population avec 24,1 %. Les cadres avec plus de 2,6 % et la maîtrise 3,1 % complètent le panel chez les prestataires. Ce sont bien les métiers ouvriers qui constituent une part importante de la sous-traitance dans le domaine industriel. – Répartition par fonction chez les prestataires « tertiaire » Les ouvriers constituent la population la plus nombreuse (49,8 %) presque à parts égales avec les techniciens (47,8 %). La part de la maîtrise et des cadres est plus basse que la moyenne du panel et correspond aux moyennes observées nationalement. – Répartition par fonction chez les prestataires intérim Les ouvriers constituent plus de 87 % des intervenants appartenant à des sociétés d’intérim. Les techniciens ne représentent que 13 % environ des intervenants.
l Métiers et pyramide des âges – L’âge moyen du panel est de 38,5 ans. Ce qui correspond aux données moyennes disponibles auprès de l’Observatoire de la maintenance BIPE-AFIM. Aucun salarié ne dépasse 60 ans dans ce panel. – L’âge moyen des cadres dans le panel est de 43,3 ans. Ce panel est vieillissant. Aucun cadre n’a plus de 55 ans. 49
LA SOUS-TRAITANCE INTERNE
– L’âge moyen des techniciens est de 38,7 ans dans le panel. Seuls 4,7 % des techniciens ont plus de 56 ans. Mais aucun ne dépasse 60 ans. – L’âge moyen des ouvriers est de 38 ans dans le panel. Aucun ouvrier n’a plus de 60 ans. – L’âge moyen de la maîtrise est de 42,1 ans. Cette population est vieillissante.
l Niveau de formation et diplômes des répondants – Niveau de formation de la population prise dans son ensemble Les diplômés CAP et BEP sont 43 % dans le panel des répondants avec une primauté au CAP avec 28,5 % des effectifs. Le baccalauréat fournit près de 19 % des effectifs avec une primauté au bac professionnel avec 11,6 % et 5 % au bac technologique et 1,5 % au bac général. Le BTS (27,1 %), le DUT (7,8 %) et marginalement la licence professionnelle (0,7 %) constituent les diplômes de plus d’un tiers de la population. – Le BTS et le DUT sont les diplômes de 7 cadres sur 10. Le baccalauréat est le diplôme de 20 % et le CAP de 10 %. – BTS et DUT pourvoient à 45 % des techniciens diplômés. La filière baccalauréat contribue pour 19 % et la filière CAP BEP pour 32 %. – Avec plus de 56 %, le CAP reste le diplôme le plus répandu chez les ouvriers. Le BEP représente 15,7 % des diplômés. La filière baccalauréat représente près de 19 % des diplômés. – Le BTS représente 27,2 % des diplômés de la maîtrise. Le DUT plus de 9 %. La filière baccalauréat pèse 18 %. Le CAP et le BEP concernent plus de 41 % de la maîtrise.
l Type de contrat de travail des répondants – Type de contrat pour le panel dans son ensemble Avec plus de 89 %, le CDI est le type de contrat le plus fréquent. Les CDD pèsent 3,4 % des effectifs, l’apprentissage 1,7 % et l’intérim 5,6 %. Dans ce panel, le taux de salariés intérimaires est plus faible que la moyenne nationale (9 %). – Avec plus de 84,5 % le CDI reste le mode contractuel le plus répandu sur site industriel. L’apprentissage se développe et pèse plus de 9,5 % des contrats. Les CDD avoisinent 6 %. 50
Entreprises extérieures : pénibilité dans les métiers de la maintenance… 2
– Sur site tertiaire, CDD et apprentissage pèsent chacun environ 11 %. La part des CDI est de plus de 77 %. – Plus de 96 % des emplois se font en CDI chez les prestataires « industrie ». CDD et apprentissage totalisent près de 4 %. – Avec plus de 95 % le CDI reste le contrat dominant chez les prestataires « tertiaire ». L’apprentissage est au même niveau que pour les prestataires du domaine industriel. Les CDD constituent 3,7 % des modes contractuels. – Les personnels engagés en maintenance au travers des sociétés d’intérim sont pour 100 % d’entre eux régis par le mode contractuel de l’intérim.
l Ancienneté dans les métiers de la maintenance – Ancienneté moyenne pour le panel dans son ensemble Plus de 48 % des répondants ont une ancienneté dans le métier comprise entre 0 et 5 ans. 52 % des répondants environ ont une ancienneté en maintenance supérieure à 6 ans. 15,4 % des répondants ont une ancienneté dans le métier supérieure à 20 ans. – Un quart des répondants employés sur les sites industriels ont une ancienneté comprise entre 0 et 5 ans en maintenance. Plus de 39 % ont une ancienneté dans le métier supérieure à 20 ans. – 40 % de la population des répondants employés sur des sites tertiaires ont une ancienneté maintenance de plus de 20 ans. 13,3 % ont une ancienneté comprise entre 0 et 5 ans. Près de la moitié de la population a une ancienneté comprise entre 6 et 10 ans. – Ce sont les prestataires du domaine industriel qui recèlent le plus de nouvelles recrues avec 15 % des effectifs ayant moins d’un an d’ancienneté en maintenance. Près de 31 % des effectifs ont une ancienneté comprise entre 0 et 5 ans. Près de 16 % des répondants ont une ancienneté supérieure à 20 ans. – Plus de la moitié des répondants (53 %) des prestataires « tertiaire » ont une ancienneté comprise entre 0 et 5 ans. Cette répartition est caractéristique de l’activité des prestataires du domaine tertiaire et se retrouve au niveau national. – Près de 7 intérimaires sur 10 ont une ancienneté inférieure à un an dans les métiers de la maintenance. 51
LA SOUS-TRAITANCE INTERNE
4. Exercice du métier et âge de la retraite l Exercice du métier jusqu’à l’âge de la retraite (résultats d’ensemble) Plus de 4 répondants sur 10 (41,6 %) ne souhaitent pas exercer leur métier actuel jusqu’à l’âge de la retraite. Un tiers des répondants (33,3 %), ne se sentent pas capables d’exercer leur métier jusqu’à l’âge de la retraite.
l Sensibilité de l’envie d’exercer le métier en fonction de la pénibilité ressentie Si le métier est ressenti comme peu ou pas pénible du tout, 65 % de la population souhaite exercer ce métier jusqu’à la retraite. Si le métier est ressenti comme pénible ou très pénible, plus de la moitié des répondants (53 %) ne souhaitent pas exercer leur métier jusqu’à l’âge de la retraite.
l Sensibilité de la capacité d’exercer le métier en fonction de la pénibilité ressentie Si le métier est ressenti comme peu ou pas pénible du tout, les trois quarts (75 %) de la population se disent capables d’exercer le métier jusqu’à la retraite. Si le métier est ressenti comme pénible ou très pénible, près d’un répondant sur deux (48 %) ne se sent pas capable d’exercer le métier jusqu’à l’âge de la retraite.
l Facteurs limitant la capacité d’exercer le métier jusqu’à l’âge de la retraite – Moins d’un répondant sur cinq (18 %) n’identifie pas de facteur limitant la capacité d’exercer le métier jusqu’à l’âge de la retraite. – 7 % des répondants ne se sentent pas motivés par leur métier. – 14 % ont envie de faire autre chose que le métier qu’ils exercent. – 19 % des répondants identifient la fatigue comme facteur limitant. – 14 % des répondants identifient le stress comme facteur limitant. 52
Entreprises extérieures : pénibilité dans les métiers de la maintenance… 2
– 28 % des répondants identifient la diminution des capacités physiques (11 %), l’usure du corps (10 %) et la douleur (7 %).
l Si les métiers sont perçus comme pénibles et très pénibles – Ils ne sont plus que 11 % à ne pas identifier de facteurs limitant à l’exercice du métier. – Plus de 2 sur 10 (22 %) identifient le stress comme facteur limitant. – Plus de 2 sur 10 (22 %) identifient la fatigue comme facteur limitant. – 16 % identifient l’usure du corps comme facteur limitant.
l Si les métiers sont perçus comme peu ou très peu pénibles – Ils ne sont que 24 % à ne pas identifier de facteur limitant à l’exercice du métier. – Plus de 1 sur 10 (15 %) identifie l’envie de faire autre chose comme facteur limitant. – Près de 2 sur 10 (16 %) identifient la fatigue comme facteur limitant. – 6 % identifient l’usure du corps comme facteur limitant.
l Âge limite de la retraite Pour le panel de 2 521 répondants, la répartition des points de vue concernant l’âge de la retraite est la suivante : – 54 % se prononcent pour un âge de la retraite compris entre 50 et 55 ans dont près d’un quart (23 %) pour 50 ans. – 46 % se prononcent pour un départ entre 60 et 65 ans dont 10 % pour un départ à 65 ans. Mais ces résultats doivent être lus en fonction de la pénibilité ressentie qui modifie significativement les tendances. – Ainsi si les métiers sont peu ou pas pénibles du tout, la répartition est la suivante : • 55 % se prononcent pour un âge de départ en retraite compris entre 60 et 65 ans. 53
LA SOUS-TRAITANCE INTERNE
• 45 % pour un départ en retraite compris entre 50 et 55 ans (16 %). – Par contre pour les métiers dont la pénibilité ressentie est jugée forte ou très forte, la part des répondants qui souhaitent un départ en retraite à partir de 60 ans se réduit à 30 % dont seulement 4 % envisagent un départ en retraite après 65 ans. Pour 7 répondants sur 10 exerçant un métier pénible ou très pénible, l’âge limite de départ en retraite est : • 50 ans pour plus d’un tiers des répondants (34 %). • 55 ans pour 36 %.
5. Facteurs influants l Pénibilité ressentie – Pénibilité ressentie pour le panel dans son ensemble Pour le panel des répondants (2 521 personnes), 62 % d’entre eux jugent leur métier pénible ou très pénible (13 %). L’éclairage de la pénibilité ressentie selon l’appartenance du répondant fait ressortir une situation marquée entre les personnes affectées à des sites et les prestataires de maintenance intervenant sur ces mêmes sites. – Pour les répondants intervenant sur des sites industriels : • s’ils sont du côté donneurs d’ordre, ils sont 39 % à trouver leur métier pénible ou très pénible (dont 4 % trouvent leur métier très pénible) ; • s’ils sont du côté prestataires de maintenance, ils sont 71 % à trouver leur métier pénible ou très pénible (dont 20 % trouvent leur métier très pénible). – Pour les répondants intervenant sur des sites tertiaires : • s’ils sont du côté donneur d’ordres, ils sont seulement 6 % à trouver leur métier pénible ou très pénible ; • s’ils sont du côté prestataires de maintenance, ils sont 66 % à trouver leur métier pénible ou très pénible (dont 4 % trouvent leur métier très pénible). – 86 % des répondants des entreprises d’intérim trouvent leur métier pénible ou très pénible (dont 27,9 % trouvent leur métier très pénible). – 63 % des hommes ressentent leur métier comme pénible ou très pénible (13 %). 54
Entreprises extérieures : pénibilité dans les métiers de la maintenance… 2
– Sous-traitance et perception de la pénibilité et des dangers : • 58,5 % des répondants considèrent que les travaux les plus pénibles sont soustraités. • Mais seulement 38 % considèrent que les travaux dangereux sont sous-traités.
l Dangerosité ressentie – Dangerosité ressentie par l’ensemble du panel Pour le panel des répondants (2 521 personnes), 61 % d’entre eux jugent leur métier dangereux ou très dangereux (dont 7 % le jugent très dangereux). L’éclairage de la dangerosité ressentie selon l’appartenance du répondant fait ressortir une situation marquée entre les personnes affectées à des sites et les prestataires de maintenance intervenant sur ces mêmes sites. – Dangerosité ressentie par les intervenants sur des sites industriels • s’ils sont du côté donneurs d’ordre, ils sont 37 % à trouver leur métier dangereux ou très dangereux (3 %) ; • s’ils sont du côté prestataires de maintenance, ils sont 75 % à trouver leur métier dangereux ou très dangereux (10 %). – Dangerosité ressentie par les intervenants sur des sites tertiaires • s’ils sont du côté donneurs d’ordre, ils sont 37 % à trouver leur métier dangereux ou très dangereux ; • s’ils sont du côté prestataires de maintenance, ils sont 52 % à trouver leur métier dangereux ou très dangereux (4 %). – Dangerosité ressentie par les intervenants intérimaires : 79 % trouvent leur métier dangereux.
l Salissure ressentie – Salissure ressentie par l’ensemble du panel Les trois quarts des répondants jugent leur métier salissant ou très salissant (dont 25 % le jugent très salissant). L’éclairage de la salissure ressentie selon l’appartenance du répondant fait ressortir une situation marquée entre les personnes affectées à des sites et les prestataires de maintenance intervenant sur ces mêmes sites. – Salissure ressentie par les intervenants sur des sites industriels • s’ils sont du côté donneurs d’ordre, ils sont 66 % à trouver leur métier salissant ou très salissant (12 %) ; 55
LA SOUS-TRAITANCE INTERNE
• s’ils sont du côté prestataires de maintenance, ils sont 89 % à trouver leur métier salissant ou très salissant (39 %). – Salissure ressentie par les intervenants sur des sites tertiaires : • s’ils sont du côté donneurs d’ordre, ils sont 47 % à trouver leur métier salissant ; • s’ils sont du côté prestataires de maintenance, ils sont 57 % à trouver leur métier salissant ou très salissant (13 %). – Salissure ressentie par les intervenants intérimaires : 83 % trouvent leur métier salissant ou très salissant (dont 12 % le trouvent très salissant).
6. Évolution perçue des conditions de travail depuis 2000 l Évolution perçue par l’ensemble du panel Pour 75 % des répondants leurs conditions de travail se sont améliorées depuis l’année 2000. Cependant pour un quart d’entre eux, les conditions de travail se sont dégradées dont 4 % considérant que leurs conditions de travail se sont très fortement dégradées dans la période considérée.
l Évolution perçue pour les répondants des métiers pénibles Pour les répondants qui ressentent leur métier comme pénible et très pénible, plus du tiers (38 %) considèrent que leurs conditions de travail se sont dégradées dont 7 % les ressentant comme très fortement dégradées.
l Évolution perçue pour les répondants des métiers dangereux Pour les répondants qui ressentent leur métier comme dangereux et très dangereux, plus du tiers (36 %) considèrent que leurs conditions de travail se sont dégradées dont 7 % les ressentant comme très fortement dégradées. 56
Entreprises extérieures : pénibilité dans les métiers de la maintenance… 2
l Évolution perçue pour les répondants des métiers stressés Pour les répondants qui ressentent du stress en permanence et régulièrement, plus de 4 répondants sur 10 (43 %) considèrent que leurs conditions de travail se sont dégradées dont 9 % les ressentant comme très fortement dégradées.
l Évolution perçue pour les répondants des métiers salissants Pour les répondants qui ressentent leur métier comme salissant et très salissant, un quart considèrent que leurs conditions de travail se sont dégradées dont 5 % les ressentant comme très fortement dégradées.
l Évolution perçue par les personnels des sites industriels Pour les répondants qui exercent leur activité au sein d’un site industriel, près d’un tiers (32 %) considèrent que leurs conditions de travail se sont dégradées dont 4 % les ressentant comme très fortement dégradées.
l Évolution perçue par les prestataires « industrie » Pour les répondants qui exercent leur activité au sein de prestataires « industrie », 18 % des répondants considèrent que leurs conditions de travail se sont dégradées dont 4 % les considérant comme très fortement dégradées.
l Évolution perçue par les personnels des sites tertiaires Pour les répondants qui exercent leur activité au sein de sites tertiaires, la totalité des répondants considère que leurs conditions de travail se sont dégradées (100 %). Et la moitié des répondants considèrent que leurs conditions de travail se sont dégradées très fortement.
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LA SOUS-TRAITANCE INTERNE
l Évolution perçue par les prestataires « tertiaire » Pour les répondants qui exercent leur activité au sein des prestataires « tertiaires », la totalité des répondants considère que leurs conditions de travail se sont plutôt améliorées dans la période considérée.
l Évolution perçue les prestataires « intérim » Pour les répondants qui exercent leur activité au sein des prestataires « intérim », la totalité des répondants considère que leurs conditions de travail se sont améliorées dans la période considérée dont la moitié considérant que leurs conditions de travail se sont très fortement améliorées depuis 2000.
7. Métiers critiques en regard des critères analysés Sur la base du panel des 2 521 répondants, la hiérarchie des métiers critiques en regard des critères analysés a pu être établie. Sur la base des 4 critères suivants : – Pénibilité. – Dangerosité. – Salissure. – Pénibilité mentale. Ont été définis les indices : – Ip : indice de pénibilité (critères pénible et très pénible en %). – Id : indice de dangerosité (critères dangereux et très dangereux en %). – Is : indice de salissure (critères salissant et très salissant en %). – Ipds : moyenne des valeurs pénible et très pénible, dangereux et très dangereux, salissant et très salissant. – Ipm : valeur de l’indice de pénibilité mentale. Indices élémentaires : les indices élémentaires sont définis en proportion du nombre de répondants. Par exemple, un indice à 0,6 pour « pénible » correspond à 60 % des répondants ayant retenu ce choix. 58
Entreprises extérieures : pénibilité dans les métiers de la maintenance… 2
l Groupe A : Criticité très élevée, pénibilité mentale très faible Métiers critiques au regard des 3 critères pénibilité, dangerosité, salissures dont l’indice Ipds est compris entre 0,8 et 1 : – Chaudronnier. – Monteur. – Tuyauteur. – Chauffagiste.
l Groupe B : Criticité élevée, pénibilité mentale faible ou moyenne Métiers critiques au regard des 3 critères pénibilité, dangerosité, salissures dont l’indice Ipds est compris entre 0,6 et 0,7 : – Agents de contrôles non destructifs (Ipm 0,33). – Mécanicien. – Instrumentiste. – Soudeur.
l Groupe C : Criticité moyenne, pénibilité mentale modérée Métiers critiques au regard des 3 critères pénibilité, dangerosité, salissures dont l’indice Ipds est compris entre 0,3 et 0,4 : – Plombier. – Frigoriste. – Préparateur méthodes. – Mécanicien machine outils. – Électromécanicien.
59
LA SOUS-TRAITANCE INTERNE
l Groupe D : Criticité faible, pénibilité mentale forte Métiers critiques au regard des 3 critères pénibilité, dangerosité, salissures dont l’indice Ipds est inférieur à 0,3 : – Responsable d’affaires. – Électricien. – Automaticien. – Agent de maintenance des bâtiments. Les métiers concernés par l’abstraction sont les plus sensibles à la pénibilité mentale. Plus le métier fait appel à des notions abstraites, plus le facteur de pénibilité mentale ressentie est élevé. Les résultats sont résumés dans le tableau 2.1. Pénibilité mentale faible
Pénibilité mentale modérée
Pénibilité mentale forte
0 < Ipm < 0,2
0,4 < Ipm < 0,5
0,6 < Ipm < 1
Criticité très élevé
Groupe A 0,8 < Ipds < 1
Chaudronnier Monteur Tuyauteur Chauffagiste
Criticité élevée
Groupe B 0,6 < Ipds < 0,7
Agent de contrôles non destructifs
Criticité moyenne
Criticité faible
Groupe C 0,3 < Ipds < 0,4
Groupe D 0 < Ipds < 0,3
Plombier
Mécanicien Instrumentiste Soudeur Frigoriste Mécanicien machine outils Électromécanicien
Électricien
Tableau 2.1. Métiers critiques.
60
Préparateur méthodes
Responsable d’affaires Automaticien Agent de maintenance des bâtiments
Entreprises extérieures : pénibilité dans les métiers de la maintenance… 2
8. Exposition aux risques : amiante l Risque amiante pour l’ensemble des répondants Plus d’un quart des répondants ignorent si les interventions réalisées se sont faites en présence d’amiante. 4 sur 10 n’interviennent jamais dans des installations contenant de l’amiante. Près de 33 % interviennent en présence d’amiante avec une majorité (28,5 %) intervenant rarement dans des milieux présentant de l’amiante. 5 % de la population interviennent souvent ou très souvent en présence d’amiante.
l Risque amiante pour l’industrie Près de 30 % des répondants ignorent si les interventions se font ou non en présence d’amiante dans l’industrie. Près de 30 % interviennent en présence d’amiante dans l’industrie mais seuls 4,3 % d’entre eux le font souvent ou très souvent.
l Risque amiante pour le tertiaire 67 % des répondants sont amenés à intervenir dans des milieux recelant de l’amiante dans le domaine tertiaire. Seuls 15 % ignorent s’il y a présence ou non d’amiante lors des interventions dans le domaine tertiaire.
9. Exposition aux risques : produits chimiques l Part de la population intoxiquée par des produits chimiques 18 % des intervenants en moyenne ont été intoxiqués du fait de la présence de produits chimiques. Cette proportion s’élève à 31 % pour ceux qui ressentent leur métier comme pénible et très pénible. En termes d’accidents avec arrêt, les intoxications provoquent 10,5 % d’accidents avec arrêt dans la population dans son ensemble. Cette proportion s’élève à plus de 12 % lorsqu’elle concerne les métiers pénibles et très pénibles. La part de ceux qui ont été victimes de plusieurs accidents avec intoxication représente 0,5 % des répondants. 61
LA SOUS-TRAITANCE INTERNE
Ces intervenants intoxiqués ne connaissent pas les produits en cause dans près de la moitié des cas (46 %) ni les effets sur leur santé dans plus de 57 % des cas. Plus généralement, 63 % des intervenants ne connaissent pas les données de leur fiche d’exposition. Ceci est vrai aussi pour les intervenants qui ont été intoxiqués au cours de leurs interventions. 81 % ne connaissent pas les résultats des mesures de contamination. 17 % des répondants sont amenés à intervenir en présence de benzène. Un cinquième des intervenants ignore si les interventions se font ou non en présence de benzène. Enfin, seulement 37 % des intervenants travaillent dans des milieux dépoussiérés souvent ou en permanence. Pour les métiers pénibles ou très pénibles, c’est seulement dans 23 % des cas que les locaux sont régulièrement ou en permanence dépoussiérés.
l Risques liés à l’exposition aux produits résiduels dans les installations Malgré les rinçages des circuits avant intervention, 68 % des répondants ont été confrontés à des produits résiduels et 63 % d’entre eux ont été incommodés par les produits résiduels dans les installations. Cette proportion de la population confrontée aux produits résiduels passe à 84 % lorsqu’il s’agit d’intervenants dont les métiers sont ressentis comme pénibles et très pénibles. Dans ce cas, la part de ceux qui sont incommodés régulièrement s’élève à plus de 78 % dont 12 % incommodés régulièrement et 38 % incommodés plusieurs fois. Par rapport à la réponse d’ensemble, la part des personnes exposées régulièrement ou plusieurs fois passe du tiers à la moitié lorsqu’il s’agit de métiers pénibles ou très pénibles.
10. Malaises liés à la présence de produits chimiques Près de la moitié des répondants (46,5 %) ont ressenti des malaises liés à la présence ou à la manipulation de produits chimiques. Maux de tête, irritations des voies respiratoires, irritations cutanées, allergies, irritation des yeux sont les principaux malaises ressentis par un quart de la population des répondants. Pour la population qui ressent son travail comme pénible et très pénible, plus de 6 répondants sur 10 (65,3 %) ont ressenti des malaises liés à la manipulation ou la présence de produits chimiques. Maux de tête, irritations des voies respiratoires, irritations cutanées, allergies, irritation des yeux sont les principaux malaises ressentis par plus de 50 % de la population des répondants. 62
Entreprises extérieures : pénibilité dans les métiers de la maintenance… 2
Pour la population qui ressent son travail comme peu pénible et pas pénible du tout, seulement 35 % d’entre eux ont ressenti des malaises liés à la manipulation ou la présence de produits chimiques. Maux de tête, irritations des voies respiratoires, irritations cutanées, allergies, irritation des yeux sont les principaux malaises ressentis par 22 % de la population des répondants.
11. Protections individuelles lors des interventions en présence de produits chimiques Plus de 35 % de la population intervient régulièrement avec des protections individuelles adaptées aux produits chimiques et plus de 30 % des intervenants utilisent régulièrement un masque de protection lors de ces interventions. C’est dans le domaine industriel que les interventions se font plus intensivement avec le port d’un masque respiratoire. Près de 12 % des intervenants interviennent régulièrement ou en permanence avec un masque. Dans le domaine immobilier et tertiaire, le port du masque est occasionnel pour plus de 7 personnes sur 10 et aucun n’est amené à porter un masque de façon régulière. Le type de masque porté est dépendant du domaine d’intervention. Ainsi, dans le domaine tertiaire, le port du masque à poussières est prédominant avec plus de 70 % d’intervenants concernés. Dans le domaine industriel, le port d’appareils respiratoires isolants concerne 5 % des intervenants et le port de masques à cartouche un tiers de la population. L’examen de la situation des intervenants qui ressentent leur métier comme pénible et très pénible, et dangereux et très dangereux révèle une situation encore plus marquée. Les critères « pénible et très pénible » et « dangereux et très dangereux » sont associés à une utilisation plus forte des appareils respiratoires isolants. Plus de 15 % des intervenants en mentionnent l’utilisation. La durée du port des protections respiratoire fait ressortir nettement que la problématique de leur utilisation est surtout réservée au domaine industriel. Dans le domaine tertiaire, la durée de port est inférieure à 2 h par jour pour 100 % des répondants. Par contre dans le domaine industriel, la durée du port de ces équipements confirme le caractère récurrent de la présence de produits chimiques dans les installations. Pour les intervenants qui utilisent régulièrement une protection respiratoire, la durée moyenne du port du masque est supérieure à 2 h par jour pour un tiers de la population concernée. En termes d’adaptations aux activités de maintenance, les intervenants qui utilisent 63
LA SOUS-TRAITANCE INTERNE
régulièrement des protections respiratoires les jugent pour un quart d’entre eux mal adaptés à leurs activités de maintenance.
12. Exposition aux risques : légionelles l Risque légionellose pour l’ensemble des répondants Plus de 46 % des répondants interviennent dans des milieux présentant le risque de légionellose. Plus de 18 % ignorent si ce risque est présent ou non lors de leurs interventions.
l Risque légionellose industrie Plus de 20 % des répondants ignorent s’ils interviennent en présence ou non de risque de légionellose dans l’industrie. Près de 40 % d’entre eux sont amenés à intervenir en présence de risque de légionellose.
l Risque légionellose tertiaire Comme pour l’amiante, les intervenants du domaine tertiaire sont mieux informés des risques que ceux qui interviennent dans le domaine industriel. Ils ne sont que 12,5 % à ignorer la présence ou non du risque légionellose. Par contre plus de 62 % de la population est concernée par des interventions en présence de légionellose.
13. Exposition aux risques : soudage Dans la population de maintenance, et ce quel que soit le métier exercé, les intervenants sont amenés à pratiquer le soudage alors qu’ils ne sont pas soudeurs de métier. Parmi les répondants, seulement 2,5 % sont soudeurs de métier. Dans la population des 97,5 % de non soudeurs de métier, plus de 7 sur 10 sont amenés à pratiquer le soudage (71 %) au cours de leurs activités professionnelles. Près d’un répondant sur deux (47 %) a été victime d’un « coup d’arc » dont 3 % d’entre eux ont été victimes d’un accident ayant entraîné plus de 3 jours d’incapacité temporaire. 45 % d’entre eux récupèrent une vue normale entre 1 et 5 jours et les trois quarts se soignent seuls. Moins d’un tiers des répondants (31 %) dispose d’un masque à occultation électronique lors des travaux de soudage. Près des deux tiers des répondants (66 %) ne sont 64
Entreprises extérieures : pénibilité dans les métiers de la maintenance… 2
pas équipés d’aspirateur de fumées de soudage lors des interventions. Ils sont 47 % à ignorer les effets des fumées de soudage sur leur santé. Près de 3 répondants sur 10 (28 %) ont été incommodés par les fumées de soudage.
14. Risques liés à l’électrisation Parmi les 2 521 répondants, les deux tiers ont été électrisés (66 %) dans l’exercice de leur métier. Cette proportion dépasse les trois quarts (76 %) dans le cas où le métier exercé est ressenti comme dangereux ou très dangereux. Il est peu sensible au caractère pénible du métier. 3 % des électrisations conduisent à un accident du travail avec arrêt. Pour les répondants dont le métier est pénible ou très pénible, la part des accidentés suite à une électrisation passe à 6,5 % de la population concernée. 46 % des intervenants ont été victimes de plus de 3 électrisations. 10 % d’entre eux ont été électrisés plus de 10 fois. Les métiers concernés par ces électrisations avec arrêt de travail concernent trois métiers : – Électricien. – Électromécanicien. – Agent de maintenance des bâtiments. Pour les agents de maintenance des bâtiments, il sera nécessaire d’examiner de plus près les accidents liés à une chute d’escabeau ou d’échelle tant il revient que l’électrisation est la source du déséquilibre qui entraîne la chute. Le caractère fatal des chutes d’escabeau semble avoir une cause bien réelle avec l’électrisation. 6 % des intervenants ont été par ailleurs accidentés lors d’un court-circuit. Ce sont principalement des intervenants des métiers suivants qui en ont été les victimes : – Électromécanicien (2,42 %). – Électricien (1,93 %). – Mécanicien machines-outils (0,48 %). – Agent de maintenance des bâtiments (0,47 %). – Agent de contrôles non destructifs (0,45 %). – Automaticien (0,45 %). La fréquence d’électrisation dans le panel des répondants au cours de la quinzaine qui précédait l’enquête s’élève à 3 % de la population (soit plus 75 personnes électrisées). 65
LA SOUS-TRAITANCE INTERNE
Pour les répondants exerçant des métiers dangereux ou très dangereux, la proportion des électrisés dans la quinzaine passe à 6 %.
15. Risques mécaniques Plus de 4 intervenants sur 10 (43 %) ont échappé à un ou plusieurs accidents graves. Pour un quart des intervenants concernés par un presque accident, ces événements étaient liés à un défaut de consignation mécanique. Les risques mécaniques constituent une part significative des risques auxquels sont exposés les répondants du panel. – Plus de 30 % de la population est exposée aux risques de pression, masses suspendues, écrasement et manutention. – Près de 25 % de la population est exposée au risque de manutention en maintenance. Pour les intervenants exerçant un métier pénible ou très pénible, la proportion de personnes exposées aux risques de pression, masses suspendues, écrasement et manutention augmente significativement : 40 % des intervenants qui jugent leur métier pénible ou très pénible sont exposés aux risques pression, masses suspendues, écrasement et manutention. En moyenne, les défauts de consignation mécanique occasionnent 6,5 % des accidents avec arrêt. Pour les intervenants exerçant un métier pénible ou très pénible, la part de la population touchée par les accidents avec arrêt double en proportion et dépasse 14,6 % avec 2,6 % de la population victime de plusieurs accidents liés aux défauts de consignation des énergies mécaniques. Les consignations mécaniques pour assurer la sécurité sont jugées sûres par seulement un tiers (34 %) des intervenants. Pour les répondants qui ressentent leur métier comme dangereux et très dangereux, ils sont moins d’un quart (24 %) à considérer que les consignations mécaniques sont sûres.
16. Risques liés au bruit 63 % des intervenants travaillent régulièrement ou en permanence dans un environnement bruyant pour l’ensemble du panel. Pour les métiers ressentis comme pénibles et très pénibles, la proportion des intervenants confrontés à un environnement bruyant en permanence ou régulièrement s’élève à 89 %. En moyenne, seuls 10 % des intervenants connaissent le niveau de bruit avant intervention. 57 % d’entre eux ne le connaissent jamais. Pour les métiers ressentis comme pénibles et très pénibles, la proportion de ceux qui ne connaissent jamais le niveau de bruit avant intervention dépasse 63 %. 66
Entreprises extérieures : pénibilité dans les métiers de la maintenance… 2
l Connaissance du niveau de bruit La connaissance du niveau de bruit par les intervenants est la suivante : – En moyenne 52 % des intervenants ignorent le niveau de bruit. Mais il est révélateur que les activités de maintenance se réalisent avec des niveaux de bruit supérieurs à 80 dBA pour plus de 36 % des intervenants. – Pour les intervenants qui ressentent leur métier comme pénible et très pénible, la proportion de ceux qui ignorent le niveau de bruit augmente à 55 %. – La mesure du niveau de bruit est le parent pauvre. Seuls 11 % des intervenants disposent d’un moyen de mesure du niveau de bruit.
l Connaissance des effets du bruit sur la santé 37 % des intervenants ont déjà ressenti des pertes d’audition en moyenne et 47 % d’entre eux ont eu des bourdonnements dans les oreilles après le travail. Pour les métiers pénibles et très pénibles, la part de la population qui a ressenti une perte de l’audition atteint 50 %. Et ils sont plus de 62 % à avoir ressenti des bourdonnements dans les oreilles. Pour les contrôles d’audiométrie, un cinquième de la population n’a jamais passé de contrôle audiométrique, 40 % de la population passe un contrôle 1 fois par an. La fréquence des contrôles audiométriques pour les intervenants ayant ressenti des pertes d’audition démontre le peu de cohérence des examens réalisés avec l’exposition au bruit. La perte d’audition ressentie n’amène pas de changements significatifs dans la fréquence des contrôles. Ils sont encore 7 % à n’avoir jamais passé de contrôles audiométriques alors qu’ils ont été confrontés à des pertes d’audition. La proportion de contrôles dans l’année reste au niveau de la moyenne du panel.
l Le port des protections et les équipements utilisés Concernant le port des protections auditives : – 18,32 % des répondants les portent en permanence. – 24,26 % des répondants les portent régulièrement. – 38,61 % des répondants les portent occasionnellement. – 18,81 % des répondants n’en portent jamais. Les équipements les plus portés sont les suivants : – Bouchons d’oreilles portés par 66,2 % des intervenants. 67
LA SOUS-TRAITANCE INTERNE
– Bouchons moulés portés par 15,9 % des intervenants. 40 % de ceux qui les portent s’accordent sur le fait que ces protections ne sont pas adaptées en cas de variations significatives de l’ambiance sonore d’un lieu à l’autre. – Casques antibruit portés par 15,9 % des intervenants. – Casques antibruit liaison phonique portés par 0,7 % des intervenants.
l Adaptation au métier Pour l’ensemble des 2 521 répondants, ils sont près de 22 % à considérer que les protections auditives mises à leur disposition sont mal adaptées ou pas adaptées du tout aux activités de maintenance. Le retrait des protections auditives pour communiquer dans le cadre des activités de maintenance est pratiqué par 30 % de la population. Cette proportion s’accroît légèrement à 32 % pour les métiers jugés pénibles et très pénibles avec un accroissement de la part de la part de ceux qui sont amenés à retirer en permanence leurs protections auditives quand ils veulent communiquer. La durée de port des protections met en relief le caractère récurrent de l’exposition au bruit pour cette population. Plus de trois intervenants sur dix (33 %) portent des protections auditives plus de 4 h par jour. La part de ceux qui portent des protections auditives moins de 2 heures par jour est de 45 %. Pour les métiers ressentis comme pénibles et très pénibles, cette proportion passe à 35 %, pour les métiers ressentis comme dangereux et très dangereux cette proportion passe à 44 % de la population. C’est la part de ceux qui portent les protections auditives moins de 2 heures par jour qui varie le plus en fonction de la pénibilité ou de la dangerosité ressentie en se réduisant à 31 % de la population.
17. Formations à la sécurité l Part de la population formée – 18 % des répondants n’ont jamais reçu de formation à la sécurité. – 31 % ont reçu une formation il y a plus 2 ans. – 51 % ont reçu une formation dans l’année. Pour les répondants des prestataires industrie, tertiaire et intérim, la proportion des formés dans l’année s’accroît significativement (57 %). Cependant 14 % des intervenants disent ne jamais avoir reçu de formation à la sécurité. L’analyse des réponses en 68
Entreprises extérieures : pénibilité dans les métiers de la maintenance… 2
fonction de l’âge des répondants révèle une situation critique dans la population la plus jeune. Plus d’un quart des moins de 30 ans (26 %) n’ont jamais reçu de formation à la sécurité.
l Durée des formations reçues La durée des formations à la sécurité reçues sur les 3 années écoulées est de moins de 10 heures en 3 ans pour plus de la moitié des répondants. Paradoxalement, les répondants qui ressentent leurs métiers comme dangereux et très dangereux sont 55 % à avoir reçu moins de 10 heures de formation à la sécurité en 3 ans. En matière de durée des formations à la sécurité reçues au cours de l’année, les formations majoritaires sont d’une durée comprise entre 4 et 8 heures.
l Adaptation des formations aux risques rencontrés 22 % des répondants dans leur ensemble considèrent que les formations ne sont pas adaptées aux risques rencontrés. Pour les répondants qui ressentent leur métier comme dangereux et très dangereux, cette proportion représente près de 3 répondants sur dix (29 %). C’est dans la tranche d’âge 26-45 ans que plus d’un tiers des répondants (35 %) considèrent que les formations ne sont pas adaptées aux risques rencontrés. Les insuffisances des formations relevées par les répondants du panel portent sur les points suivants : – 39 % des répondants estiment les formations aux risques chimiques insuffisantes. – 15 % des répondants estiment les formations aux risques mécaniques et hydrauliques insuffisantes. – 11 % des répondants estiment les formations aux risques biologiques insuffisantes. – 9 % des répondants estiment les formations à la manutention insuffisantes. Pour les répondants qui ressentent leur métier comme dangereux et très dangereux, les déficits en formation risques hydrauliques et mécaniques tiennent une plus large place.
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LA SOUS-TRAITANCE INTERNE
18. Évaluation des risques — Accès aux documents l Le médecin absent du terrain Pour l’ensemble des répondants, le médecin du travail est très peu présent, 58,74 % des répondants ne l’ont jamais vu sur le terrain. Pour les répondants qui ressentent leur métier dangereux ou très dangereux, la proportion de ceux qui n’ont jamais vu le médecin sur le terrain dépasse 70 %.
l Plans de prévention Les plans de prévention sont à disposition d’un intervenant sur deux (48 %) en moyenne. Pour les intervenants du domaine tertiaire (personnel organique et prestataires), la part des intervenants qui disposent des plans de prévention tombe à moins d’un quart (23 %). Pour les intervenants qui jugent leur métier dangereux ou très dangereux, la proportion de ceux qui disposent des plans de prévention en permanence décroît paradoxalement (45 % des répondants concernés).
l Document unique d’évaluation des risques Le document unique d’évaluation des risques est disponible pour seulement 36 % des répondants. Le poids de l’ignorance sur l’existence du document est particulièrement élevé avec près de 6 répondants sur 10 (58 %). Ceci est sûrement à rapprocher du fait que 57,7 % des répondants n’aient pas été associés à la rédaction du document unique. Seulement 4 répondants sur 10 ont été associés à la rédaction du document unique mais seulement 20 % ont été pleinement associés. Pour les répondants qui jugent leur métier dangereux ou très dangereux, ils sont 62 % à ne pas avoir été associés et seulement 17 % à l’avoir été pleinement. C’est toutefois dans le domaine industriel que le document unique est le plus disponible pour les intervenants avec près de 40 % des répondants qui ont accès. Par contre dans le domaine tertiaire, seulement un peu plus de 2 intervenants sur 10 (22 %) disposent du document unique d’évaluation des risques.
l Documents opérationnels d’intervention Les documents d’intervention sont en moyenne peu disponibles sur le terrain. En moyenne, moins d’un répondant sur 3 (28 %) est en permanence en possession des documents essentiels permettant d’assurer les interventions en toute sécurité : 70
Entreprises extérieures : pénibilité dans les métiers de la maintenance… 2
– Fiche de données de sécurité. – Plans des installations. – Carnets de maintenance. – Gammes de maintenance. Dans le domaine tertiaire, la proportion des intervenants en possession des ces documents d’intervention tombe au-dessous de 20 %.
19. Organisation du travail l Localisation des interventions En matière de localisation des interventions de maintenance, les répondants du panel sont plus de la moitié (52 %) à intervenir sur les installations, 10 % d’entre eux n’interviennent qu’en atelier. Ce sont les intervenants des prestataires (industrie, tertiaire et intérim) qui interviennent le plus sur les installations. Ils sont plus de 6 sur 10 dans ce cas.
l Rythme de travail Plus de 6 répondants sur 10 travaillent en journée pour l’ensemble du panel. Ces rythmes sont sensibles à l’origine de l’employeur. Sur les sites industriels, 44 % des répondants travaillant en horaires alternés de même que 27 % des intervenants des prestataires. Par contre sur les sites tertiaires, les personnels organiques ignorent les horaires alternés (100 % des répondants en horaire de jour). Et la part des intervenants en horaires alternés chez les prestataires tertiaires est faible (13 %).
l Horaires de travail Concernant les horaires de travail, pour l’ensemble des répondants, plus de la moitié d’entre eux (58 %) travaillent selon des horaires fixes et 33 % en horaires variables. Ces horaires de travail sont significativement différents pour les prestataires (industrie et tertiaire) et les intérimaires avec un renforcement des horaires variables pour 4 répondants sur 10.
l Travail en équipe 52 % des répondants en moyenne travaillent en équipe. Cependant, dans le domaine tertiaire, 80 % des intervenants travaillent seuls. Dans le domaine industriel et l’intérim, 71
LA SOUS-TRAITANCE INTERNE
le travail en équipe est prédominant pour 56 % des personnes concernées. Au cours de leurs activités, 15 % des intervenants en équipe sont confrontés à des situations régulières de travail isolé et 54 % de ceux qui interviennent habituellement seuls se retrouvent en situation de travail isolé.
l Moyens de communication Plus d’un quart des intervenants (28 %) ne disposent d’aucun moyen de communication lorsqu’ils sont en intervention, 55 % disposent d’un téléphone portable et 14 % d’un talkie walkie. Pour les répondants travaillant seuls la situation est particulièrement révélatrice des pratiques de terrain : en effet, 41 % des répondants des sites « industrie » et « tertiaire » ne disposent d’aucun moyen de communication.
l Les facteurs organisationnels Pour l’ensemble des répondants, plus de 30 % des intéressés sont concernés par : – Le travail isolé. – Les changements de planning en cours d’intervention. – L’interruption des travaux par le client ou l’exploitant pour d’autres priorités (dépannage). – La pression de la hiérarchie. – La pression de l’exploitant ou du client. – Le stress.
20. Les conditions matérielles d’intervention l Déplacements en véhicules – Fréquence des déplacements en véhicules Dans l’ensemble du panel, moins de 3 intervenants sur 10 se déplacent en véhicule au cours d’une même journée. Les déplacements sont essentiellement le fait des prestataires du domaine tertiaire et des personnels d’intérim. Pour les intervenants prestataires tertiaires, les déplacements quotidiens concernent 100 % de la population. Pour les prestataires 72
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intérimaires, 44 % de la population se déplace en véhicule plus de 2 fois par jour pour intervenir. Pour les prestataires industriels, 40 % de la population se déplace en véhicule chaque jour. Ce sont les électriciens et les chauffagistes qui sont les plus concernés par les déplacements en véhicule d’un lieu à l’autre au cours d’une même journée. Plus de 78 % d’entre eux sont amenés à deux déplacements et plus en véhicule chaque jour. 60 % des intervenants qui se déplacent le font deux fois par semaine et plus. – Distances parcourues en véhicule Ce sont les prestataires du domaine industriel qui se déplacent le plus longtemps chaque semaine. 58 % d’entre eux parcourent plus de 100 km par semaine pour les déplacements d’un site à l’autre et 18 % parcourent plus de 500 km par semaine. – Stress et accidents En matière de stress lié à la conduite, près de 60 % des intervenants prestataires de maintenance industrielle sont concernés, contre moins de 44 % dans la population totale. Les accidents de mission concernent 15 % du panel des répondants. Ces accidents de mission sont concentrés sur les métiers suivants pour lesquels ils concernent 24 % de la population : • Électricien. • Automaticien. • Instrumentiste. • Électromécanicien. • Mécanicien machines outils.
l Déplacements sur le site – Mode de déplacements Le mode de déplacement sur le site d’intervention le plus répandu est la marche à pied avec 55 % des répondants. Les personnels des sites industriels et tertiaires se déplacent le plus fréquemment à pied (75 %). Ce sont les intervenants externes aux sites (prestataires industriels, tertiaires et intérimaires) qui se déplacent le plus fréquemment en véhicule sur les sites d’intervention avec 51 % des répondants. – Distances et durées parcourues en déplacement à pied En termes de distance parcourue chaque jour, 63 % des répondants se déplacent entre 1 et 5 km par jour, 16 % d’entre eux parcourant plus de 5 km. Les écarts les plus 73
LA SOUS-TRAITANCE INTERNE
significatifs proviennent des interventions sur les sites tertiaires avec 32 % d’intervenants parcourant plus de 5 km par jour à pied sur le site. En termes de durées les déplacements à pied sur le site représentent une activité importante. 39 % des répondants se déplacent plus de 2 heures par jour à pied sur le site. Ce sont les répondants appartenant aux sites industriels et tertiaires qui contribuent le plus significativement à ce résultat avec près de la moitié des intervenants se déplaçant sur les sites plus de 2 heures par jour. – Fatigue et troubles circulatoires 38 % des intervenants ressentent les déplacements à pied sur le site comme fatigants et très fatigants. En matière de problèmes circulatoires liés aux déplacements 31 % des répondants ont été concernés par des problèmes circulatoires. Pour les répondants qui jugent leur métier pénible et très pénible cette proportion passe à 38 % des répondants. Ce sont principalement les intervenants sur les sites industriels (personnel organique et prestataires industriels) qui expriment le plus largement que les déplacements à pieds sont fatigants et très fatigants avec 39 % des répondants.
l Accès aux vestiaires et sanitaires L’accès aux vestiaires se fait en moins de 5 minutes pour plus de 7 intervenants sur 10. Ce sont les intervenants prestataires sur les sites tertiaires qui sont les plus concernés par l’éloignement des vestiaires. La part de ceux qui mettent plus de 20 minutes pour se rendre aux vestiaires passe de 2 % en moyenne à 13 %. Pour ce qui concerne les sanitaires et leur état, à peine une moitié de répondants (54 %) considèrent les sanitaires comme propres et fonctionnels. Ce sont les intervenants des prestataires industriels qui révèlent leur insatisfaction : seulement 39 % jugent les sanitaires propres et fonctionnels. Pour ceux qui jugent leur métier peu ou pas pénible, ils sont près de 7 sur 10 (67 %) à disposer de sanitaires propres et fonctionnels. Et seulement 32 % de ceux qui jugent leur métier pénible et très pénible. L’accès aux vestiaires et sanitaires met en relief que près d’un tiers des répondants sont soumis aux intempéries totalement ou partiellement pour se rendre aux vestiaires et sanitaires. Ce point reste très sensible à la pénibilité ressentie. Ainsi pour ceux des répondants qui ressentent leur métier comme pénible et très pénible, l’accès aux sanitaires et vestiaires se fait plus fréquemment exposé aux intempéries (43 % des concernés).
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l Environnement technique d’intervention Pour un quart des intervenants, l’environnement d’intervention n’est pas adapté. Cela porte sur les aspects suivants : – L’éclairage lors des interventions. – L’équipement systématique des accès dangereux avec des lignes de vie. – Les accès permanents aux toitures. – L’adéquation des échafaudages aux interventions à réaliser. – Les accès pour l’amenée et le retrait des matériels. – Les dégagements autour des équipements à maintenir. Pour les intervenants qui ressentent leur métier comme pénible et très pénible, ce sont près de 4 intervenants sur 10 qui considèrent que l’environnement d’intervention n’est pas adapté.
21. Outillages utilisés et pénibilité Plus de 25 % des répondants jugent les outillages pénibles ou très pénibles à utiliser. Pour les répondants du panel, les blessures avec les outillages les plus fréquentes sont causées par l’ensemble meuleuse et tronçonneuse qui produit près du tiers des blessures engendrées (32 %). Les accidents du travail avec arrêt causés par des outillages touchent 26 % de la population des répondants dont 12 % ont eu plusieurs accidents en relation avec un outillage. Parmi cette population, ce sont les intérimaires qui révèlent la plus forte proportion de blessures en relation avec les outillages. 50 % de cette population a été victime d’un accident en relation avec des outillages et un tiers a eu plus de 2 accidents. En termes d’adaptation, les outillages sont jugés mal adaptés par 10 % des répondants. Ce sont les intervenants du domaine tertiaire qui expriment le plus fortement, avec 17 %, que les outillages sont mal adaptés aux activités de maintenance.
22. Manutention manuelle l Manutention des caisses à outils 43 % des répondants transportent leur caisse à outils à la main sur le site d’intervention. Ils sont 40 % à solliciter de l’aide pour le transport de leur caisse à outils compte tenu de sa masse. Cette proportion passe à un sur deux dans les populations de prestataires (industriels, tertiaires et intérimaires). 75
LA SOUS-TRAITANCE INTERNE
l Masses manipulées Pour les masses manipulées, plus d’un quart des répondants (26 %) manipulent des masses supérieures à 21 kg. Lorsqu’il s’agit de la population des prestataires de maintenance industrielle, ce sont plus de 33 % des répondants qui manipulent des masses supérieures à 21 kg.
l Manipulation manuelle, un travail de force La manipulation manuelle est ressentie comme un travail de force par plus de 72 % des répondants et par plus de 88 % des répondants qui ressentent leur métier comme pénible et très pénible.
l Adéquation des moyens de manutention En ce qui concerne les moyens de manutention adaptés mis à disposition sur les sites d’intervention : – 19 % des répondants seulement jugent la situation toujours satisfaisante. – 64 % la jugent parfois satisfaisante. – 16 % jugent les moyens jamais ou mal adaptés aux interventions. Le port de matériel dans les escaliers et au travers des échelles à crinoline révèle une situation jugée pénible par plus de 80 % des répondants. Pour les personnes qui jugent leur métier pénible ou très pénible, cette proportion passe à plus de 90 % avec plus de 40 % qui jugent ces situations très pénibles.
l Mal de dos et manutention manuelle Le mal de dos avec arrêt de travail affecte 30 % des répondants. Les répondants de moins de 40 ans sont les moins affectés (15 %). Pour les tranches d’âges supérieures à 41 ans, 47 % des répondants ont été arrêtés pour mal de dos une fois et plus. Dans le mois de la réponse à l’enquête, ont été arrêtés pour mal de dos 2 % des moins de 40 ans et 5,7 % des plus de 40 ans. Ces données confirment l’importance du phénomène du mal de dos pour l’ensemble des métiers.
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Entreprises extérieures : pénibilité dans les métiers de la maintenance… 2
23. Les postures et positions de travail l Part des répondants concernés par les difficultés physiques 41 % des répondants rencontrent des difficultés physiques dans l’exécution des tâches récurrentes (accès aux installations, manutention manuelle, serrage ou desserrage, pose ou dépose). Pour les répondants des métiers pénibles et très pénibles, le poids de ces facteurs est ressenti par 47 % des répondants.
l Postures les plus fréquentes et les plus pénibles Trois postures présentent les situations les plus fréquentes et les plus pénibles (debout, debout/à genoux ; accroupi ; à genoux/accroupi). En termes de difficultés par rapport aux postures, seulement un dixième des répondants (11,5 %) ne se plaint pas des postures de travail. 26 % d’entre eux éprouvent souvent et très souvent des difficultés liées aux postures de travail. Cette proportion s’accroît jusqu’à 1/3 pour les répondants de plus de 45 ans.
24. Les conditions d’ambiance thermique En moyenne 32 % des répondants sont concernés par les conditions de confort thermique. Ils sont près d’une tiers à : – Intervenir dans des locaux mal chauffés. – Subir des changements importants de température. – Intervenir dans des locaux surchauffés. – Intervenir dans des locaux humides. – Se plaindre de la température dans les locaux. – Être exposés aux intempéries. Pour les répondants qui ressentent leur métier comme pénible et très pénible, la part de la population exposée le plus souvent aux conditions d’ambiance thermique de plus grande amplitude augmente significativement (55 % de la population est concernée).
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LA SOUS-TRAITANCE INTERNE
25. Accidents du travail l Presque accidents graves Dans l’ensemble des répondants (2 521), 43 % d’entre eux ont échappé une ou plusieurs fois (21 %) à un accident grave au cours de leurs activités de maintenance. Ce qui démontre le caractère récurrent du risque auxquels les intervenants sont exposés. Pour ceux dont le métier est ressenti comme pénible ou très pénible, cette proportion augmente avec plus de 53 % d’intervenants ayant échappé à un ou plusieurs (29 %) accidents graves. Par ailleurs pour ceux dont le métier est ressenti comme peu pénible ou pas pénible du tout, cette proportion se réduit à 37 % d’intervenants ayant échappé à un ou plusieurs (16 %) accidents graves. C’est principalement à l’occasion d’un dépannage (53,5 %) que les répondants ont été accidentés. Le solde des accidents est survenu : – Au cours d’un arrêt d’unité ou d’installation : 9,30 %. – Au cours d’un déplacement en véhicule : 3,49 %. – Au cours d’une inspection : 2,33 %. – Lors de la réalisation de tâches de maintenance préventive : 31,40 %.
l Indice de fréquence des accidents avec arrêt Pour l’ensemble de la population ayant répondu à l’enquête (2 521 personnes), l’indice de fréquence des accidents avec arrêt a pu être évalué par métier et pour l’ensemble des répondants. L’indice de fréquence moyen (nombre d’accidents avec arrêt pour 1 000 salariés) est supérieur à 67, ce qui confirme le caractère préoccupant des conditions de travail en maintenance. En regard de la moyenne nationale des 9 CTN (comités techniques nationaux) pour 2005 (39,1), l’indice de fréquence des accidents pour les métiers de la maintenance est le plus élevé après celui du BTP (87,6). Dans le panel de répondants, 6,7 % de l’effectif a été concerné par un accident avec arrêt en moyenne sur les 4 années 2003 à 2006. Huit métiers significatifs en termes d’effectifs voient entre 8 et 10 % de leurs effectifs être victimes d’accidents avec arrêt (plombier, génie climatique, automaticien, chauffagiste, électromécanicien, agent de maintenance de bâtiments, électricien et membre de l’encadrement). 78
Entreprises extérieures : pénibilité dans les métiers de la maintenance… 2
Plus de 7 répondants sur 10 avaient été victimes d’un accident avec arrêt au moment de l’enquête. Dans le même temps, près de 4 accidents sur 10 (37 %) ont conduit à une durée d’incapacité temporaire supérieure à 20 jours.
l Profil des accidentés en maintenance Pratiquement 1 salarié sur deux (49,78 %) a été victime d’accidents dans ses activités de maintenance. La part de la population victime d’accidents décroît avec la pénibilité ressentie. Pour les métiers pénibles et très pénibles, la part d’accidentés est légèrement supérieure à la moitié. Pour les métiers peu pénibles, la part des accidentés régresse aux environs de 40 %. Pour les métiers très peu pénibles, la part des accidentés est inférieure à 20 % de la population. La part de la population victime d’accidents varie dans des proportions moindres en fonction de la dangerosité. Cette variation s’étale entre 53 % d’accidentés pour les métiers très dangereux et 37,5 % pour les métiers pas dangereux du tout. La part de population victime d’accident est voisine de 50 % pour les métiers très salissants, salissants et peu salissants. Aucun accident n’est relevé lorsque le métier est qualifié de pas salissant du tout par les répondants.
l Gravité des accidents du travail La gravité est analysée au travers de la durée d’incapacité temporaire engendrée par les accidents. Dans le panel analysé, plus de 37 % des accidents ont une durée supérieure à 20 jours. L’analyse de la durée d’incapacité temporaire par métier fait elle aussi ressortir les métiers critiques. Cinq métiers ressortent par la part de la population (entre 42 et 70 %) victime d’accidents de plus de 20 jours. Ce sont : – Instrumentistes. – Mécaniciens. – Tuyauteurs. – Monteurs. – Chaudronniers. En regard de la dangerosité ressentie, ces métiers, excepté le métier de mécanicien (0,56), ont un indice de dangerosité ressentie compris entre 0,76 et 0,96. – 70 % des instrumentistes accidentés ont été victimes d’accidents avec une durée d’incapacité temporaire supérieure à 20 jours. 79
LA SOUS-TRAITANCE INTERNE
– 62,5 % des mécaniciens accidentés ont été victimes d’accidents avec plus de 20 jours d’incapacité temporaire. – 58 % des tuyauteurs accidentés ont été victimes d’accidents de plus de 20 jours d’incapacité temporaire. – 46,4 % des monteurs accidentés ont été victimes d’accidents avec plus de 20 jours d’incapacité temporaire. – Près de 43 % des chaudronniers accidentés ont été accidentés avec une durée d’incapacité temporaire supérieure à 20 jours.
26. Maladies professionnelles et invalidité Dans l’ensemble du panel, l’occurrence de maladies professionnelles ressort à 0,49 % soit 4,9 pour mille salariés. Cette valeur est plus de 3 fois plus élevée que la moyenne nationale 2005 pour l’ensemble des salariés relevant de la CNAM. L’occurrence de maladies professionnelles relevée est du même ordre de grandeur que celle observée à l’occasion de précédentes études réalisées par l’Afim (5,25 pour mille dans l’industrie). Par ailleurs, selon les déclarations des répondants, 2,9 % de la population bénéficierait d’une rente d’invalidité au titre des accidents du travail et 1 % bénéficierait d’une rente au titre des maladies professionnelles. On prendra ces chiffres avec une certaine réserve car ils font ressortir une occurrence de maladies professionnelles dans la population analysée de 10 pour mille si on se fie au nombre de bénéficiaires d’une rente. Compte tenu de la méthode de questionnement, il n’est pas impossible qu’un glissement de réponses se soit introduit sur l’origine de la rente d’invalidité. On retiendra que 3,9 % (39 pour mille) des répondants ont été victimes d’une atteinte grave à la santé justifiant la qualification d’invalidité en regard du taux moyen annuel national de 3 pour mille.
27. Stress au travail Dans l’ensemble, seuls 13 % des répondants ne ressentent pas de stress. Ils sont 17 % à le ressentir régulièrement et 2 % en permanence. 68 % en ressentent occasionnellement. Pour les répondants qui ressentent leur métier comme pénible et très pénible, la part de ceux qui ressentent régulièrement du stress augmente significativement (36 %). Délais d’intervention, responsabilités, et crainte de mal faire constituent les 3 premiers facteurs de stress identifiés avec près de 40 % des réponses. La crainte de mal faire, la 80
Entreprises extérieures : pénibilité dans les métiers de la maintenance… 2
crainte pour sa santé, l’urgence et la nécessité de justifier ses interventions touche 18 % des répondants. Pour les salariés les plus jeunes, la confiance qui leur est accordée par le client ou l’exploitant est toute relative avec 58 % de réponses positives. C’est au sein des prestataires « tertiaire » que la défiance vis-à-vis de jeunes est la plus fortement exprimée avec plus des trois quarts des avis (77 %). Par contre pour la population dans son ensemble, plus d’un répondant sur 10 (11 %) se plaignent du manque de confiance qui leur est accordé par l’exploitant ou le client. Cette proportion s’élève à plus de 4 sur 10 (44 %) pour les prestataires tertiaires qui ressentent très fortement le manque de confiance du client ou de l’exploitant. Moins d’un répondant sur dix (9,5 %) craint de mal faire lors des interventions. Plus de 4 répondants sur dix (42,3 %) considèrent que le stress n’a pas de répercussion sur la sécurité. Près de 4 répondants sur dix (39 %) ne sont jamais tenus pour responsables des dysfonctionnements. Cependant 17 % d’entre eux sont régulièrement mis en cause dans les dysfonctionnements. Ce sont les prestataires tertiaires qui sont le plus fréquemment mis en cause dans les dysfonctionnements avec 33 % des répondants. La mise en cause des intervenants pour des machines auxquelles ils n’ont pas touché est relativement faible avec 6,8 % des répondants mis en cause régulièrement et 36 % de temps en temps. L’agressivité du client ou de l’exploitant est ressentie par plus de 6 répondants sur 10 (61,5 %). Ce sont les répondants du domaine tertiaire (personnel organique et prestataires) qui expriment le plus fortement ce sentiment avec près de 8 répondants sur 10 (79,5 %). L’ambiance de travail est ressentie comme satisfaisante par près de 9 répondants sur 10 (88 %). Un quart des répondants juge l’ambiance de travail au sein de leur entreprise très satisfaisante. Cependant, l’organisation du travail en équipe n’est pas la règle générale. Seulement 33 % des répondants considèrent que l’organisation favorise toujours le travail en équipe. Plus de 95 % des répondants considèrent satisfaisantes les relations avec leurs collègues de travail. Ils sont plus d’un tiers (36 %) à les trouver tout à fait satisfaisantes.
28. Reconnaissance du métier l La reconnaissance du métier par le client et l’exploitant C’est seulement dans 1 cas sur 10 que le client ou l’exploitant sont présents sur le terrain en permanence. Ils sont fréquemment présents dans 42,3 % des cas. Mais pas très souvent et jamais présents dans 48,1 % des cas. Moins d’un quart (23 %) des clients et exploitants ont une bonne connaissance des interventions. 14,5 % des répondants considèrent que 81
LA SOUS-TRAITANCE INTERNE
le client ou l’exploitant ont toujours de la considération pour le travail de maintenance effectué. Mais ils sont 34 % à répondre que la considération n’est pas acquise. L’image des intervenants auprès du client ou de l’exploitant est jugée bonne par plus de 8 répondants sur 10 (82 %). Cependant, 33 % des prestataires « tertiaire » pensent que leur image n’est pas bonne auprès des clients ou des exploitants. Plus de 6 répondants sur 10 (62 %) considèrent que leur travail est reconnu à sa juste valeur par le client ou l’exploitant et qu’ils travaillent en confiance avec eux. C’est la population des prestataires « industrie » qui ressent son travail reconnu à sa juste valeur avec plus de 7 répondants sur 10. Mais dans le domaine tertiaire, les prestataires sont à peine plus d’un sur deux (55 %) à ressentir leur travail reconnu dans une relation confiante avec le client ou l’exploitant.
l Reconnaissance des compétences et du métier par la hiérarchie Pour l’ensemble des répondants, 17 % d’entre eux considèrent que leur compétence n’est pas reconnue par la hiérarchie. Pour les répondants organiques des sites industriels, plus de 2 sur 10 (23 %) ne sentent pas leur compétence reconnue par leur hiérarchie. De la même façon, ceux qui sentent leur compétence moins reconnue par leur hiérarchie sont pour 22 % ceux qui ressentent leur métier pénible ou très pénible. En matière de reconnaissance du métier de maintenance par la hiérarchie, 22,5 % des répondants considèrent que le métier n’est pas reconnu par leur hiérarchie. Pour les répondants des sites industriels et tertiaires, cette proportion passe à un tiers des répondants.
l Reconnaissance au travers de la rémunération La reconnaissance au travers de la rémunération est elle aussi révélatrice de la situation. En moyenne, près de 6 répondants sur 10 (58 %) ne se sentent pas reconnus au travers de leur rémunération. Cette reconnaissance est sensible à l’appartenance et à l’âge des répondants. Pour les personnels organiques des sites industriels, la part de ceux qui ne sentent pas reconnus au travers de leur rémunération tombe à 51 %. La sensibilité à l’âge est très forte. Ce sont les moins de 35 ans qui expriment le plus fortement le manque de reconnaissance au travers de la rémunération. Plus de 7 sur 10 (70,5 %) d’entre eux ne se sentent pas reconnus au travers de leur rémunération et dont près d’un quart (23 %) ne se sentent pas reconnus du tout. Cependant, c’est dans la population des intérimaires que se manifeste le plus le sentiment de la reconnaissance 82
Entreprises extérieures : pénibilité dans les métiers de la maintenance… 2
au travers de la rémunération. 43 % des répondants de cette catégorie se sentent plutôt reconnus au travers de leur rémunération.
Bibliographie Pichot C. (2004). Santé et sécurité au travail : les métiers de la maintenance en première ligne. Guide national de la maintenance, Association française des ingénieurs et responsables maintenance, pp. 34-66. Pichot C. (2007). Santé et sécurité dans l’industrie : les métiers de la maintenance en première ligne. Guide national de la maintenance, Association française des ingénieurs et responsables maintenance, pp. 34-76.
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3
Les voies d’amélioration des conditions de travail dans la maintenance
Claude Pichot À partir du questionnaire dont les résultats sont présentés dans le chapitre 2 « Entreprises extérieures : pénibilité dans les métiers de la maintenance et recherche de voies d’actions », nous nous sommes efforcés de dégager les pistes d’amélioration les plus efficaces. Ce sont sans conteste les aides mécanisées qui obtiennent le plus d’adhésion avec plus 90 % de réponses positives. Pour plus de 8 répondants sur 10, l’aménagement des horaires ou du temps de travail et la formation des jeunes constituent par ailleurs des pistes prioritaires. Douze pistes d’amélioration des conditions de travail ont été analysées. Ces pistes d’amélioration sont les suivantes : – Améliorer la manutention manuelle. – Améliorer l’accessibilité aux matériels et aux installations. – Améliorer les équipements de travail. – Réduire et identifier les causes de risques. – Améliorer les tenues et les protections de travail. – Améliorer les instructions techniques et l’information. – Faire évoluer l’organisation du travail. 84
Les voies d’amélioration des conditions de travail dans la maintenance 3
– Améliorer les relations et la communication. – Améliorer les services communs et l’hygiène. – Améliorer et valoriser l’image du métier. – Améliorer la formation et l’information. – Prendre en compte le vieillissement au travail.
1. Améliorer la manutention manuelle l Moyens pour manutentionner les caisses à outils Plus de 60 % des répondants considèrent comme utile de pouvoir disposer de : – Caisse à outil avec assistance motorisée au levage. – Dispositif motorisé élévateur autonome permettant de poser la caisse à outils dans le véhicule et de la transporter sur le lieu d’intervention. – Véhicule équipé d’une aide mécanisée au chargement et déchargement.
l Aménagement des véhicules Près de 3 répondants sur 4 considèrent comme nécessaire de : – Pouvoir poser et retirer les caisses à outils dans les véhicules sans les soulever à la main. – Disposer d’un accès direct aux outils sans devoir sortir les caisses des véhicules.
l Dispositifs techniques facilitant la manutention 9 répondants sur 10 considèrent comme utile de : – Conditionner les produits chimiques en volume réduit (15 litres recueille l’assentiment de 6 répondants sur 10). – Disposer de palans motorisés électriques ou pneumatiques. – Disposer de plates-formes de travail élévatrices. – Disposer de potences. 85
LA SOUS-TRAITANCE INTERNE
l Équilibrage et nacelles Pour faciliter les manutentions : – L’équipement des pièces lourdes avec des points de manutention équilibrés est jugé utile par plus de 95 % des répondants dont plus de 40 % le jugeant très utile. – La mise en place d’un moyen de manutention autonome des charges en hauteur dans les nacelles est jugé utile plus de 80 % des répondants.
l Dispositifs de transferts des fluides Plus de 90 % des répondants jugent nécessaire de disposer : – De systèmes de pompes pour le transfert des huiles et produits chimiques. – De réservoirs spécifiques aux produits propres et sales.
2. Améliorer l’accessibilité l Accès aux matériels et installations Pour plus de 90 % des répondants, les accès au matériel doivent être prévus dès la conception (près de 60 % des répondants le jugeant très prioritaire). Ils sont plus de 8 sur 10 à approuver : – La mise à disposition d’équipements mobiles d’accès. – La mise en place de passerelles pour accéder aux racks de tuyauteries et aux câbles électriques.
l Intégration dès la conception L’intégration dès la conception des dispositifs suivants est souhaitée par plus de 8 répondants sur 10 en moyenne : – Passerelles d’accès. – Points d’ancrage et d’anneaux pour le levage. – Points de manutention fixés sur les échelles à crinoline. – Dispositifs de manutention auxiliaires. 86
Les voies d’amélioration des conditions de travail dans la maintenance 3
– Goulottes spécifiques pour amener les fluides, l’énergie… – Existence d’un circuit électrique de maintenance hors du système électrique général.
3. Améliorer les équipements de travail et les outillages Le développement d’équipements et d’outillages adaptés à la maintenance est jugé utile par plus de 9 répondants sur 10. Le développement d’outillages et d’équipements adaptés serait perçu comme un gage d’amélioration : – De la sécurité par plus 95 % des répondants (dont près de 60 % tout à fait d’accord). – Des temps d’intervention par plus de 95 % des répondants (dont 50 % tout à fait d’accord). – De la qualité des interventions par plus de 9 répondants sur 10 (dont 50 % tout à fait d’accord).
l Équipements facilitant le travail L’intérêt pour les équipements de travail suivants est noté par ordre décroissant d’approbation par les répondants : – Prises d’essai sur les équipements pour maintenance (sens de rotation des phases, présence tension…) : 84,15 %. – Outillages électriques autonomes (tournevis, clefs) : 81,28 %. – Coffrets de maintenance (éclairer, ventiler et alimenter en énergies : électricité, air comprimé…) : 77,60 %. – Container permettant de remplir et de vidanger les groupes hydrauliques : 73,33 %. – Palans motorisés : 72,83 %. – Guidages des pièces à manipuler : 57,71 %. – Équilibreurs pour les outillages : 48,00 %. 87
LA SOUS-TRAITANCE INTERNE
l Améliorer la qualité de l’air 8 répondants sur 10 trouvent nécessaire de capter les poussières ou les fumées à la source pour les outillages. Plus de 9 sur 10 sont favorables à l’installation de centrales d’aspiration sur les aires empoussiérées.
4. Réduire et identifier les causes de risques l Améliorer les consignations pour travailler en sécurité Qu’il s’agisse des consignations du système électrique ou des consignations des énergies mécaniques, hydrauliques ou pneumatiques, l’affirmation de leur nécessité est très élevée avec plus de 7 répondants sur 10 en moyenne qui jugent ces points très nécessaires.
l Mettre en évidence les risques pour améliorer la sécurité Pour plus de 9 répondants sur 10 en moyenne, il est essentiel de pouvoir connaître les risques sans s’exposer. C’est particulièrement significatif face aux risques de pression et chimiques pour lesquels près de 60 % des répondants jugent particulièrement nécessaire de les mettre en évidence sans s’exposer.
l Améliorer la propreté La nécessité d’améliorer la propreté des machines et des lieux d’intervention est exprimée par plus de 9 répondants sur 10.
l Vérifier l’absence de tension électrique ou mécanique sans accès directs Pouvoir contrôler l’absence de tension électrique ou mécanique est jugé nécessaire par plus de 70 % des répondants. 88
Les voies d’amélioration des conditions de travail dans la maintenance 3
l Disposer d’alertes concernant les risques encourus Les alertes sur la qualité de l’air et sur le bruit sont jugées utiles par plus de 80 % des répondants.
l Groupes électrogènes et bruit L’installation des commandes des groupes électrogènes en dehors des zones bruyantes est jugée nécessaire par 3 répondants sur 4.
l Améliorer les conditions de remplacement des équipements de traitement d’air et de climatisation Plus de 9 répondants sur 10 considèrent prioritaire d’améliorer les conditions de remplacement des filtres à poussières.
5. Développer des tenues et des protections adaptées l Tenues de travail Quatre critères prioritaires recueillent plus de 90 % des avis positifs concernant les tenues : – Être faciles à mettre et enlever. – Permettre sans gêne les mouvements de grande amplitude. – Être ininflammables. – Être ventilées et permettre une bonne respiration du corps.
l Protections contre le bruit Les protections auditives les plus souhaitées sont les suivantes : les casques antibruit et les bouchons d’oreilles moulés. Deux qualités de conception des protections auditives sont attendues par plus de 70 % des répondants : 89
LA SOUS-TRAITANCE INTERNE
– Permettre la communication avec les collègues lors des interventions. – Pouvoir être portées plusieurs heures d’affilée sans gêne.
l Masque à occultation électronique pour le soudage Près d’un quart des répondants (23 %) ne connaissent pas le masque à occultation électronique. 65 % jugent cet équipement nécessaire, dont plus d’un tiers qui le jugent très nécessaire.
l Qualités attendues d’un masque protecteur Les qualités attendues d’un masque protecteur sont pour plus de 90 % des répondants de : – Permettre de respirer normalement. – Pouvoir être porté pendant plusieurs heures d’affilée. – Évacuer la chaleur. – Permettre de communiquer.
l Protections disponibles sur le lieu d’intervention Parmi les pistes d’amélioration, la tenue à disposition des protections sur les lieux même des interventions apparaît nécessaire à plus de 80 % des répondants.
6. Améliorer les instructions techniques et l’information l Informations techniques disponibles sur les équipements Plus de 90 % des répondants approuvent l’idée : – De schémas électriques standardisés sur place. – Des plans à jour sur la machine. – D’une signalisation des circuits dangereux. 90
Les voies d’amélioration des conditions de travail dans la maintenance 3
– D’une signalisation claire des zones sûres d’intervention. – De notices en français.
l Informations sur les machines Les informations attendues sur les machines par plus de 80 % des répondants en moyenne concernent : – La puissance électrique de la machine. – Les schémas de fonctionnement. – Les plans d’élinguage. – Les schémas des circuits électriques. – La masse des composants à déposer. – La cinématique de démontage. – L’historique des interventions de maintenance.
l Accéder aux informations Plus de 80 % des répondants souhaitent disposer : – Du dossier d’intervention ultérieure sur l’ouvrage (DIUO). – Des carnets de maintenance. – Des plans de maintenance. – Des plans de prévention.
l Base de données Internet sur les nouvelles technologies Pour rester au fait des nouvelles technologies, 80 % des répondants pensent qu’Internet est une voie prioritaire d’information à développer.
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LA SOUS-TRAITANCE INTERNE
7. Faire évoluer l’organisation du travail l Améliorer la planification Les effets attendus d’une meilleure planification sont tous jugés très positifs par plus de 85 % des répondants en termes de : – Réduction des risques. – Définition du qui fait quoi. – Éviter la pression des délais. – Améliorer les relations avec : • Les clients. • Les collègues. • La hiérarchie.
l Mieux organiser les arrêts L’acceptation par les clients d’arrêts pour maintenance préventive est approuvée par plus de 90 % comme moyen de mieux maîtriser les arrêts.
l Prendre en charge les mise à jours électriques Pour une meilleure sécurité des interventions, la prise en charge de la mise à jour des schémas électriques par les intervenants eux-mêmes est jugée prioritaire par plus 83 % des répondants.
8. Améliorer les relations et la communication l Thèmes d’amélioration des relations sur le terrain Plus de 90 % des répondants en moyenne approuvent les thèmes d’amélioration suivants : – Meilleur dialogue entre le client et les intervenants de maintenance. – Informer le client lors de difficultés techniques. 92
Les voies d’amélioration des conditions de travail dans la maintenance 3
– Expliquer au client le contenu des travaux réalisés. – Un accompagnement de l’encadrement sur le terrain. – Une communication renforcée entre les responsables et les ouvriers. – Une meilleure prise en compte des observations des intervenants de maintenance. – Une meilleure connaissance des équipements sur le site.
l L’évaluation des risques et les plans de prévention Plus de 95 % des répondants aspirent à ce que l’évaluation des risques et les plans de prévention se fassent sur le terrain.
l Améliorer les relations contractuelles Pour plus de 80 % des répondants, les voies d’amélioration des relations passent par une clarification des contrats : – Identifier les responsables opérationnels. – L’implication du client dans les clauses techniques. – Un interlocuteur désigné pour le contrat. – Des cahiers des charges plus précis dans le domaine technique. – Des heures de coordination clairement identifiées.
9. Améliorer les services communs et l’hygiène La question élémentaire de l’hygiène est particulièrement forte. Dans l’environnement proche des lieux d’intervention, plus de 90 % attendent : – Des bancs dans les vestiaires. – Des espaces de restauration. – Des vestiaires, douches et lavabos. – Des toilettes. 93
LA SOUS-TRAITANCE INTERNE
10. Améliorer et valoriser l’image du métier Pour plus de 9 répondants sur 10, l’amélioration et valorisation de l’image du métier passent par : – L’amélioration des conditions de travail. – La sortie de la relation « maître esclave » avec les clients. – La reconnaissance de la part des clients. – La reconnaissance des qualifications. – Un salaire plus attractif (avec 65 % de tout à fait d’accord et 30 % de plutôt d’accord).
11. Améliorer la formation et l’information l Fréquence des formations sécurité souhaitée Par rapport à la situation actuelle, les besoins exprimés en matière de fréquence de formation ne sont pas très différents des pratiques. – 35 % se prononcent pour une formation annuelle. – 43 % tous les deux ans. – 18 % plus d’une fois par an.
l Les thèmes prioritaires des formations attendues Quel que soit le thème de formation, les attentes sont très élevées avec plus de 90 % de priorité. Sur les thèmes des risques, plus de 40 % des répondants jugent ces formations très prioritaires. – Risques propres à la maintenance. – Risques communs à toute installation (électrique, explosion, manutention…). – Risques spécifiques aux métiers (électricien, mécanicien, automaticien…). 94
Les voies d’amélioration des conditions de travail dans la maintenance 3
– Gestes et postures liées à la manutention ou au port de charge. – Produits chimiques (tenue, masque, gants…). – Sécurité en général. – Risques effets sur la santé (benzène, amiante, CVM, légionellose…) . – Conditions du droit de retrait face aux dangers graves et imminents. – Conditions de travail en situation réelle d’intervention. – Gérer les situations de conflits (gérer les humeurs).
l Les meilleures façons d’informer sur les risques Ce sont les causeries sécurité, les représentants au CHSCT, les agents d’hygiène et de sécurité qui sont jugés les plus efficaces en matière d’information sur les risques par plus de 7 répondants sur 10. La tonalité générale est jugée plutôt efficace. Le caractère très efficace de ces actions n’est ressenti que par 20 % des répondants. Le médecin du travail est jugé moins efficace que les représentants du CHSCT. Mais, en terme d’information sur les risques, ce sont les délégués du personnel et le recours à Internet qui apparaissent les façons les moins efficaces, avec 40 % de points de vue positifs.
l Se former pour rester efficace Le besoin de connaître les évolutions technologiques chez les clients ressort à plus de 95 % d’assentiment. Plus de la moitié des répondants insistent sur le caractère très nécessaire de cette mise à niveau. La « curiosité » pour tout ce qui touche au métier est aussi très élevée (aide au diagnostic, EPI, outillage, méthodes) avec plus de 85 % de réponses positives.
l Habilitations nécessaires à l’exercice du métier Ce sont les habilitations électriques qui sont jugées de très loin les plus nécessaires avec plus de 90 % des répondants. L’ampleur des réponses très nécessaire (62,7 %) corrobore le besoin de formation en électricité. Pour mémoire, plus de 6 répondants sur 10 ont été les victimes d’électrisations. On notera aussi le besoin d’habilitation dans le domaine du soudage à corréler avec la pratique du soudage par plus de 7 répondants sur 10.
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LA SOUS-TRAITANCE INTERNE
l Un encadrement plus proche du terrain et mieux formé Plus de 9 répondants sur 10 jugent nécessaire que l’encadrement aille plus souvent sur le terrain. 8 sur 10 souhaitent que l’encadrement reçoive une formation spécifique à la maintenance à partir de la pratique de terrain.
Adapter la formation initiale au métier Filières spécifiques maintenance par type de métier, apprentissage, enseignement des processus réel d’intervention obtiennent plus de 90 % de réponses positives. En termes de priorités, le recrutement d’enseignants maintenance connaissant le terrain est jugé très nécessaire par près de 50 % des répondants.
12. Prendre en compte le vieillissement l Propositions pour exercer le métier jusqu’à la retraite 7 propositions ressortent classées par ordre d’importance parmi celles qui ont été formulées par les répondants (plus de 1 250 répondants ont formulé des propositions) : – À partir de 50 ans, devenir formateur. – Être formé régulièrement sur les nouvelles technologies. – Évoluer dans le temps vers des postes d’encadrement. – Ne plus travailler en poste. – Outils de manutention adaptés pour le moins d’effort possible. – Adapter le travail suivant l’âge, la pénibilité. – Augmenter le salaire
l Devenir formateur ou maître d’apprentissage de jeunes L’intérêt de devenir formateur ou maître d’apprentissage est manifesté par plus de 86 % des répondants. C’est à partir de 50 ans que l’assentiment est le plus élevé (74 %). 96
Les voies d’amélioration des conditions de travail dans la maintenance 3
l Former un apprenti qui aide dans le travail Plus de 88 % des répondants souhaitent pouvoir former un apprenti qui les aide dans leur travail. C’est à partir de 50 ans que ce besoin est exprimé majoritairement. À partir de 55 ans près de la moitié des répondants le jugent très utile et à partir de 60 ans, c’est près de 7 sur 10 qui jugent cette proposition très utile.
l Aménager le temps de travail après 50 ans L’alternance des lieux de travail et l’alternance avec la formation ont des niveaux d’approbation élevés (plus de 75 %). Le travail 3 à 4 jours par semaine est proposé par plus de 80 % des répondants. C’est l’augmentation du temps libre qui recueille le plus fort niveau d’approbation (plus 50 % des répondants le jugent très intéressant).
l Que faire si le métier est trop pénible ? C’est la piste de la réduction du temps de travail qui reçoit le plus d’assentiment avec 58 % des répondants. Près de la moitié des répondants envisagent de changer d’entreprise et de métier à partir du moment où il devient trop pénible. La reconversion interne est envisagée par un répondant sur deux. C’est de loin la formation qui attire le plus en cas de reconversion interne avec plus de 75 % des répondants.
l Quelle recherche avec une reconversion ? Les priorités en matière de reconversion mettent l’accent : – Sur la recherche d’activités moins exposées (ports de charge, stress) avec plus de 85 % des répondants favorables à cette idée. – Sur le rejet du travail de nuit et de l’astreinte par plus de 70 % des répondants.
l Mieux utiliser le potentiel des seniors La valorisation de l’expérience et du savoir-faire au service du tutorat recueille l’assentiment de plus de 95 % des répondants dont plus de la moitié tout à fait d’accord.
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Les accidents liés à la sous-traitance. Exploitation de la base de données Epicea
Corinne Grusenmeyer La sous-traitance constitue une pratique économique ancienne, qui connaît un important développement. Toutefois, son ampleur et ses conséquences en termes de santé et de sécurité restent difficiles à estimer. Cette étude visait, grâce à l’exploitation d’une base de données d’accidents du travail, à mieux évaluer l’importance en nombre des accidents liés à la sous-traitance et à les caractériser sur différentes dimensions. Les résultats confirment cette importance en nombre. Ils montrent que des risques sont liés aux interventions sur site des personnels extérieurs, aux situations de coactivité de ces derniers avec les personnels internes, mais aussi aux relations d’interdépendance qu’entretiennent les activités des uns et des autres, en dehors de toute communauté de lieux et de temps. Ces résultats, quelques limites de ces analyses, ainsi que quelques pistes de travail, sont discutés. Mots-clés : Sous-traitance – Accidents du travail – Sécurité – Organisation
1. Position du problème La sous-traitance constitue une pratique économique ancienne (Seillan & Morvan, 2005), qui a connu un important développement ces dernières années (Héry, 2002). Considéré par de nombreux industriels comme une nécessité (Ben Brahim & Michelin, 98
Les accidents liés à la sous-traitance. Exploitation de la base de données Epicea 4
2005), l’ampleur de ce phénomène est très largement soulignée (Genthon, 2000). Ainsi, selon une enquête de Thévenot et Valentin (2004), près de 9 entreprises sur 10 sous-traitent aujourd’hui une partie de leurs activités. En outre, si les secteurs d’activités concernés et la nature des activités sous-traitées étaient auparavant circonscrits, ils sont aujourd’hui extrêmement divers (Seillan, 2000 ; Héry, 2002). Certaines entreprises se séparent désormais d’une partie de leur activité principale, de la gestion de leurs interfaces avec les sous-traitants, voire de la totalité de la fabrication des produits commercialisés (cas des entreprises sans usine « fab’less », c’est-à-dire sans unités de production ; Mariotti, 2005). Toutefois, les conséquences de la sous-traitance en termes de santé et de sécurité, et plus généralement de conditions de travail, restent encore aujourd’hui difficiles à estimer (Juy, 1993 ; Héry, 2002). En effet, les statistiques d’accidents sont établies par branches d’activités, indépendamment du contexte ou des formes d’organisation du travail, et ne permettent donc pas de disposer de données relatives, par exemple, aux accidents des salariés des entreprises sous-traitantes. Comme le souligne le Bureau international du travail (1997), il est souvent difficile, voire impossible, de déterminer le statut des travailleurs concernés par ces accidents. Il reste même délicat de dénombrer les salariés concernés par ces pratiques de sous-traitance en France (Perraudin, Thévenot & Valentin, 2006). De plus, l’examen de la littérature révèle que les contours de la sous-traitance restent flous. En effet, d’une part, les définitions de cette dernière ne sont pas toujours très congruentes. « Il n’existe pas de définition claire et universelle de l’expression « travail en sous-traitance », que l’on utilise souvent pour désigner diverses modalités d’emploi qui s’écartent du contrat de travail classique conclu entre un salarié et une entreprise. Cette absence de précision quant à la notion même de travail en sous-traitance donne lieu à des interprétations contradictoires et fait obstacle à la protection des travailleurs en question » (Bureau international du travail, 1997, p. 1). Nous retiendrons a minima, pour la suite de l’exposé, que la sous-traitance fait référence à la relation commerciale, qu’entretient une entreprise avec d’autres entreprises par le biais de contrats commerciaux, en vue d’obtenir de ces dernières les biens et services, dont elle a besoin pour mener ses activités (BIT, 1997). D’autre part, les réalités concrètes des situations de sous-traitance peuvent être très diverses. Différents types de sous-traitance sont ainsi distingués : sous-traitance interne ou externe, de capacité ou spécialité, en cascade, individuelle ou de groupe, facility management, etc. Mais là encore, les définitions ne sont pas toujours harmonisées (Grusenmeyer, 2007). Quant à la nature des relations entre entreprises induites par cette relation commerciale, elle est également sujette à débat. Elles sont tantôt considérées comme des relations 99
LA SOUS-TRAITANCE INTERNE
inégalitaires (Thébaud-Mony, 1993 ; Desriaux, 2001) ou de subordination (Renier, Rorive & Xhauflair, 2004), tantôt comme un véritable partenariat, voire comme des relations de coopération ou de « co-organisation » des entreprises (Mazoyer, 2006). Par ailleurs, peu de travaux ont été consacrés à la sous-traitance, alors même que cette dernière a été considérée à plusieurs reprises comme un facteur aggravant en matière de santé-sécurité (Vandevyver, 1984 ; Doniol-Shaw, 1993, 2001 ; Thébaud-Mony, 1993 ; Bureau International du Travail, 1997 ; Duhamel, 2001 ; Claude, 2001 ; Jean, 2002 ; Héry, 2002 ; Ben Brahim & Michelin, 2005 ; Desriaux, 2005 ; Gorgeu, Mathieu & Pialoux, 2006 ; Vidal-Gomel et al., 2007). Elle peut en effet s’accompagner : – d’une méconnaissance de l’environnement de travail et des ressources du site par les sous-traitants ; – d’une perte des objectifs globaux et une vision parcellaire des tâches pour les personnels extérieurs, ceux-ci n’étant chargés que de l’exécution du travail ; – d’un éclatement des collectifs de travail, du fait d’une méconnaissance des personnels internes et sous-traitants, voire même de tensions entre ces personnels, liées par exemple à leurs statuts différents ; – d’un appauvrissement professionnel des personnels de l’entreprise utilisatrice, ces derniers s’éloignant de l’exécution du travail ; ce qui pose la question de la transmission des savoirs de prudence aux personnels sous-traitants, du maintien de l’expertise dans l’entreprise, voire même de la dépendance de l’entreprise utilisatrice vis-à-vis de l’extérieur ; – et ainsi, de conséquences sur les conditions de travail des personnels extérieurs (contraintes temporelles, horaires de travail, etc.), leurs santé et sécurité. Enfin, la plupart des études se sont focalisées sur la seule sous-traitance interne (i.e. celle réalisée sur le site de l’entreprise utilisatrice, dans ses dépendances ou chantiers ; INRS, 2004), ses conséquences sur les seuls personnels extérieurs et, de surcroît, avec comme seul cadre de référence l’entreprise utilisatrice (Grusenmeyer, 2007). Pour ces différentes raisons, et dans l’objectif plus particulier de mieux évaluer l’importance en nombre des accidents liés à la sous-traitance et de caractériser ces derniers sur différentes dimensions, une exploitation de la base de données d’accidents du travail EPICEA1 a été menée. Ces analyses, qui s’inscrivent dans une réflexion plus large de l’INRS sur le sujet (avis d’experts sur la sous-traitance sous la responsabilité de M. Héry2), font l’objet de ce papier. Dans un premier temps, la méthodologie mise en 1. Études de Prévention par Informatisation des Comptes rendus d’Enquêtes d’Accidents du travail. 2. Direction scientifique de l’INRS.
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Les accidents liés à la sous-traitance. Exploitation de la base de données Epicea 4
œuvre (objectifs et nature des analyses, présentation de la base de données exploitée, données concernées et traitements réalisés) sera présentée. Puis, quelques-uns des principaux résultats issus de l’identification, la caractérisation et la typologie des accidents, effectuées grâce à l’exploitation de la base, seront exposés. Enfin, ces résultats et les limites de ces analyses seront discutés.
2. Méthodologie 2.1. Objectifs et nature des analyses Sur la base de l’examen de la littérature, évoqué succinctement précédemment, différentes hypothèses ont été formulées, parmi lesquelles les suivantes : – de nombreux accidents sont liés à la sous-traitance ; ces derniers devraient représenter une part importante des accidents répertoriés dans la base de données ; – la sous-traitance interne est plus défavorable en termes de sécurité que la soustraitance externe (i.e. celle réalisée sur le site de l’entreprise extérieure), du fait de la méconnaissance des lieux de travail et des risques spécifiques présentés par ces derniers, de la coactivité des personnels internes et sous-traitants… ; – néanmoins, la sous-traitance externe est également accidentogène, quoique dans une moindre mesure. De fortes contraintes peuvent également peser sur la réalisation des activités : contraintes temporelles et économiques, contrôle des modes opératoires, des délais et des coûts, pression continue du client susceptible de contribuer à une intensification du travail, par exemple (Doniol-Shaw, 2001 ; Mariotti, 2005 ; Gorgeu, Mathieu & Pialoux, 2006 ; De Coninck & Gollac, 2006) ; – les victimes de ces accidents constituent en premier lieu, les personnels extérieurs, mais aussi, et bien que dans une moindre mesure, les personnels de l’entreprise utilisatrice (du fait, par exemple, de la coactivité de ces opérateurs ou des relations d’interdépendance que peuvent entretenir leurs activités respectives) ; – les accidents liés à la sous-traitance devraient concerner la quasi-totalité des secteurs d’activités des entreprises, et des activités elles-mêmes très diversifiées. De premières analyses, visant à identifier les accidents liés à la sous-traitance dans la base de données et à les caractériser sur différentes dimensions devaient permettre, sinon de mettre à l’épreuve ces hypothèses, du moins d’apporter quelques éléments d’information à leur propos. 101
LA SOUS-TRAITANCE INTERNE
Dans un second temps, des analyses plus cliniques des dossiers d’accidents ont été menées. Leur objectif était de tenter d’identifier des « types » d’accidents liés à la soustraitance, en fonction des facteurs ayant contribué à leur survenue.
2.2. Source d’information exploitée : la base de données EPICEA Ces deux types d’analyses ont donc été menés sur les dossiers d’accidents contenus dans la base EPICEA. Il s’agit d’une base de données française d’accidents du travail, constituée grâce au travail d’enquête après accident, réalisé par les services de prévention des CRAM1. Elle contient des dossiers relatifs à des accidents mortels, graves ou jugés « significatifs ». Chaque accident est caractérisé par différentes variables : établissements concernés, caractéristiques de la victime, situation au moment de l’accident, processus de l’accident et ses conséquences, interprétation des faits (mesures de prévention, facteurs d’accident). La base de données n’est pas exhaustive, puisque tous les accidents n’y sont pas répertoriés. Elle peut néanmoins être considérée comme significative, pour les accidents du travail mortels survenus depuis 1990, étant donné le nombre important de dossiers enregistrés.
2.3. Données concernées et traitements réalisés 2.3.1. Données concernées Les données concernées ont été l’ensemble des dossiers d’accidents répertoriés pour l’année 2002 (soit 676 dossiers). Cette dernière constituait en effet l’année la plus récente et la plus renseignée, au moment des analyses. L’ensemble de ces accidents a été considéré, quel que soit le secteur d’activité concerné ou la gravité des accidents, dans la mesure où les analyses visaient notamment à comprendre les mécanismes susceptibles de participer à la survenue d’un événement critique lié à la sous-traitance.
1. Caisses régionales d’assurance maladie.
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Les accidents liés à la sous-traitance. Exploitation de la base de données Epicea 4
2.3.2. Présélection des dossiers d’accidents Du point de vue des traitements réalisés, une première étape a consisté à identifier les accidents liés à la sous-traitance, i.e. l’ensemble des accidents concernant des situations de sous-traitance et dont les victimes constituent des personnels sous-traitants, mais aussi des personnels internes, si un tiers sous-traitant est impliqué dans le processus ayant occasionné la blessure. Il faut préciser qu’aucune variable ne permet d’identifier ces accidents. D’ailleurs, un seul Comité technique national (CTN) est associé, dans la base de données, à chacun des dossiers d’accidents (celui de l’entreprise à laquelle appartient la victime), alors même que la sous-traitance suppose a minima deux entreprises, et donc l’identification de deux Comités techniques nationaux. Aussi, une présélection des dossiers a été effectuée sur la base de la présence, dans le récit d’accident ou dans les mesures de prévention proposées, d’un certain nombre de mots-clés. Cette liste de mots-clés a été élaborée de façon itérative. Cette présélection a été complétée par une recherche sur une variable de la base1. Plusieurs remarques doivent être effectuées concernant cette présélection des dossiers d’accidents (pour plus de précisions, cf. Grusenmeyer, 2007) : – en premier lieu, le nombre d’accidents qui pourront être considérés liés à la soustraitance, a une forte probabilité d’être sous-évalué. En effet, faute de variable dédiée à cette problématique, et en l’absence de précisions volontaires relatives à cette dernière de la part des services de prévention des CRAM, qui alimentent la base de données, l’identification de ces accidents reste très difficile. En outre, la liste de mots-clés ne peut être considérée comme exhaustive, même si elle se voulait la plus complète possible ; – en second lieu, certaines situations sont plus aisées à identifier que d’autres. C’est le cas par exemple des situations de sous-traitance interne, dans la mesure où elles ont fait l’objet d’une réflexion plus approfondie en termes de prévention, d’une réglementation (INRS, 2004), et où le site de l’accident constitue alors un établissement non employeur (ce qui leur donne une certaine visibilité). Au contraire, les situations de sous-traitance externe, pour lesquelles la terminologie est moins stabilisée, de sous-traitance en cascade, qui nécessitent la distinction de trois entreprises a minima, ou encore celles impliquant un tiers sous-traitant, sont plus délicates à identifier.
1. Il s’agissait de la variable « site de l’accident », qui était susceptible d’être indicative d’une relation de sous-traitance interne, dans le cas où ce site constitue un établissement non employeur.
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LA SOUS-TRAITANCE INTERNE
Ces différents éléments sont donc importants à considérer pour l’analyse des résultats, dans la mesure où ils contribuent à donner une visibilité plus importante à certaines situations de sous-traitance, comparativement à d’autres. Ils signifient en outre que les résultats ne peuvent être qu’indicatifs et, en aucun cas, considérés comme représentatifs.
2.3.3. Identification des accidents liés à la sous-traitance Les dossiers présélectionnés ont ensuite été examinés sur la base de règles d’identification de ces accidents. L’ensemble des éléments constitutifs des dossiers a alors été considéré pour déterminer si l’accident était lié à la sous-traitance, au sens défini précédemment (pour plus de détails, voir Grusenmeyer, 2007). Cet examen des dossiers a donc été réalisé sur la base d’un faisceau d’informations, et non sur celle des seuls résumés de l’accident et mesures de prévention. Dans un certain nombre de cas ambigus, un double codage a été effectué. Il a alors été fait appel aux connaissances juridiques et réglementaires d’une juriste1, à laquelle les dossiers ont été soumis. Lorsque les résultats de ce double codage étaient congruents, le résultat commun a été retenu. En cas de désaccord, des échanges avaient lieu jusqu’à l’obtention d’un accord. 30 % des dossiers d’accidents présélectionnés ont ainsi fait l’objet d’une double analyse. Dans un certain nombre de cas, les informations disponibles dans les dossiers d’accidents ne permettaient pas de catégoriser les accidents concernés. Faute d’éléments suffisants, ces accidents n’ont pas été retenus.
2.3.4. Caractérisation des accidents liés à la sous-traitance Chacun des dossiers sélectionnés a ensuite été caractérisé sur différentes dimensions : gravité de l’accident, type de sous-traitance, établissement et lieu de survenue de l’accident, victime (personnel de l’entreprise utilisatrice/sous-traitante), profession et type de contrat de travail de cette dernière, Comités techniques nationaux et groupements d’activités des entreprises concernées, taille de ces entreprises, etc. Pour certaines de ces dimensions, les variables de la base de données ont été exploitées. Pour d’autres, une analyse de contenu des dossiers a été menée.
1. Je tiens à remercier très sincèrement Nathalie Guillemy (Information juridique, INRS Paris) pour sa contribution à ces analyses et ses échanges précieux.
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Les accidents liés à la sous-traitance. Exploitation de la base de données Epicea 4
2.3.5. « Typologie » des accidents Enfin, les dossiers retenus ont fait l’objet d’une catégorisation, centrée sur les facteurs d’accident relevant de l’organisation des interactions entre entreprises utilisatrice et extérieure. Par conséquent, cette catégorisation ne rend pas compte de l’ensemble des facteurs ayant contribué au processus accidentel. Elle tente de mettre l’accent sur ceux qui relèvent de l’organisation des interactions entre les entreprises, plutôt que sur les risques spécifiques liés, par exemple, aux équipements de travail impliqués. Ce sont en effet ces interactions qui constituent le fondement et la spécificité de la sous-traitance. Ces analyses se sont appuyées sur l’examen de l’ensemble des éléments constitutifs des dossiers d’accidents.
3. Quelques résultats Quelques-uns des principaux résultats issus de l’identification, la caractérisation et la typologie des accidents seront présentés ici (pour une présentation plus détaillée, le lecteur pourra se reporter à Grusenmeyer, 2007).
3.1. Nombre d’accidents liés à la sous-traitance Sur la base des règles d’identification élaborées, 79 accidents ont été considérés liés à la sous-traitance, soit 11,7 % des 676 dossiers disponibles pour l’année 2002. Pour les raisons évoquées précédemment (terminologie associée à la sous-traitance peu stabilisée, absence de variable dédiée à cette problématique, difficultés accrues pour identifier certaines situations de sous-traitance, etc.), ce chiffre, bien qu’important, constitue probablement une sous-estimation de la part réelle des accidents du travail liés à la sous-traitance. Il nécessiterait en outre d’être rapporté au nombre total de salariés sous-traitants, qui reste encore aujourd’hui difficile à estimer (Perraudin, Thévenot & Valentin, 2006). Il tend néanmoins à confirmer l’hypothèse selon laquelle les accidents liés à la sous-traitance sont importants en nombre. Il faut également souligner que, dans une proportion assez importante de cas, les informations constitutives des dossiers d’accidents n’étaient pas suffisantes pour déterminer si l’accident rapporté était ou non lié à la sous-traitance (auquel cas, le dossier n’est pas retenu). En effet, sur les 676 dossiers répertoriés dans la base pour l’année 2002, 223 ont été présélectionnés grâce à la recherche effectuée sur la base des mots clés et de la variable « site de l’accident » (Figure 4.1). Comme précisé précédemment, 79 d’entre 105
LA SOUS-TRAITANCE INTERNE
eux (soit 35,4 % des 223 dossiers sélectionnés) ont donc été retenus, 96 ont été rejetés (43 %), mais surtout, 48 d’entre eux (21,6 %) ont été considérés indécidables. Ainsi, dans plus d’un cas sur cinq, les différents éléments du dossier ne nous ont pas permis de décider s’il concernait ou non une situation de sous-traitance.
Figure 4.1. Répartition des dossiers d’accidents présélectionnés.
3.2. Caractérisation des accidents 3.2.1. Type de sous-traitance Les résultats révèlent que la majorité des accidents retenus (93,7 %) concerne des situations de sous-traitance interne. Seuls 3 accidents relatifs à des situations de soustraitance externe ont pu être identifiés. Ceci doit sans doute être mis en relation avec les risques accrus, auxquels les opérateurs sont soumis en situation de sous-traitance interne : risques spécifiques liés à la méconnaissance des lieux d’intervention, à la coactivité des personnels internes et sous-traitants, risques liés à l’interférence entre les activités, installations et/ou matériels des différentes entreprises sur un même lieu de travail, etc. Toutefois, ces résultats sont également illustratifs de la difficulté à identifier les situations de sous-traitance externe, ne serait-ce que parce que le sous-traitant se situe alors sur le site de son entreprise d’appartenance.
3.2.2. Établissement de survenue des accidents Comme le montre la figure 4.2, l’établissement de survenue des accidents constitue principalement celui de l’entreprise utilisatrice (82,3 % des cas), ce qui doit être mis en relation avec les résultats précédents (i.e. une majorité d’accidents relatifs à des situations de sous-traitance interne). Toutefois, près de 13 % des accidents surviennent en dehors des établissements des entreprises utilisatrice et extérieure, bien qu’en situation de sous-traitance interne. Rappelons en effet que cette dernière est relative 106
Les accidents liés à la sous-traitance. Exploitation de la base de données Epicea 4
aux opérations sous-traitées sur le site de l’entreprise utilisatrice, mais aussi dans ses dépendances ou chantiers. Ces lieux peuvent ainsi constituer un chantier de l’entreprise utilisatrice, à l’extérieur de son établissement, ou encore les voies de circulation publiques, par exemple.
Figure 4.2. Répartition des accidents en fonction de l’établissement de survenue.
En outre, des accidents peuvent survenir dans l’établissement de l’entreprise extérieure mais concerner des situations de sous-traitance interne, ou dans l’établissement de l’entreprise utilisatrice, bien qu’ils soient relatifs à des situations de sous-traitance externe ; par exemple : – accident survenu à un grutier d’une entreprise extérieure de location de matériel et de personnel pour le bâtiment et les travaux publics (sous-traitance interne), qui préparait le transport d’engins de chantier, sur le site de son entreprise, afin de les apporter sur le chantier de l’entreprise utilisatrice, le lendemain ; – opérateur de fabrication d’une entreprise utilisatrice blessé sur le site de son entreprise, avec un matériel, dont la fabrication, sous-traitée à une entreprise extérieure sur le site de cette dernière, est en cause dans l’accident, entre autres facteurs.
3.2.3. Victimes des accidents Les sous-traitants constituent les principales victimes des accidents (82,3 %). Toutefois, les personnels de l’entreprise utilisatrice sont également victimes, puisqu’ils représentent près d’un accident sur six (16,5 %). Ces résultats tendent ainsi à montrer que les 107
LA SOUS-TRAITANCE INTERNE
situations de sous-traitance peuvent également présenter des risques pour les personnels de l’entreprise utilisatrice. Néanmoins, un examen de la gravité des accidents, en fonction de la victime, montre que celle-ci est nettement plus importante lorsque la victime est un personnel sous-traitant que lorsqu’il s’agit d’un personnel interne (Figure 4.3) : – les accidents mortels des personnels de l’entreprise sous-traitante représentent 49,4 % de l’ensemble des accidents, tandis que ce chiffre est de 5,1 % pour les personnels de l’entreprise utilisatrice ; – les accidents graves des sous-traitants sont également plus nombreux que ceux des personnels internes (respectivement 27,8 % vs 11,4 % de l’ensemble des accidents) ; – mais surtout, tandis que le pourcentage d’accidents mortels des personnels soustraitants est supérieur à celui observé pour les accidents graves (49,4 % vs 27,8 %), la tendance inverse est observée pour les personnels des entreprises utilisatrices (5,1 % vs 11,4 %).
Figure 4.3. Répartition des accidents liés à la sous-traitance selon la victime et la gravité de l’accident.
3.2.4. Professions des victimes Les accidents liés à la sous-traitance concernent toutes les professions, y compris les commerciaux (chargés d’affaires, ingénieurs commerciaux) et les directeurs et dirigeants d’entreprise. Toutefois, ce sont les opérateurs du bâtiment et les techniciens de 108
Les accidents liés à la sous-traitance. Exploitation de la base de données Epicea 4
maintenance qui constituent les professions les plus représentées parmi les victimes des accidents, avec respectivement 25,3 % et 24,1 % des accidents. Ces deux catégories représentent à elles seules près de la moitié (49,4 %) des accidents liés à la soustraitance. Viennent ensuite les conducteurs de véhicules (près de 14 % des accidents) et les agents de nettoyage et de propreté (avec 10,1 % des accidents). Il est également à souligner que : – les accidents les plus graves sont ceux des opérateurs du bâtiment et des conducteurs de véhicules. La plupart de leurs accidents sont mortels, tandis que ceux des techniciens de maintenance constituent majoritairement des accidents graves, n’occasionnant pas le décès de la victime ; – la profession de la victime diffère selon que cette dernière appartient à l’entreprise utilisatrice ou à l’entreprise extérieure. Lorsque la victime est un sous-traitant, les professions les plus touchées sont celles observées précédemment (techniciens de maintenance, opérateurs du bâtiment, conducteurs de véhicules et agents de nettoyage). Les personnels de l’entreprise utilisatrice accidentés constituent, par contre, essentiellement des opérateurs de production et des conducteurs d’appareils de levage et de manutention.
3.2.5. Entreprises concernées En premier lieu, il importe de souligner que, dans la plupart des dossiers d’accidents (86,1 %), seules deux entreprises, l’entreprise utilisatrice et l’entreprise extérieure impliquées dans la relation de sous-traitance, peuvent être identifiées. Dans 13,9 % des cas, 3 entreprises peuvent être distinguées. Il s’agit le plus souvent des entreprises utilisatrice, extérieure et d’une entreprise de travail temporaire (12,7 % des dossiers). Seule une situation de sous-traitance en cascade a pu être identifiée et aucune situation de sous-traitance en cascade impliquant plus de 3 entreprises n’a pu être examinée. Comme souligné précédemment, ces résultats sont à considérer avec précaution. Ils ne reflètent pas seulement le nombre d’entreprises effectivement impliquées dans les accidents, mais aussi le fait que la base de données ne permet pas une réelle visibilité des accidents liés à une sous-traitance en cascade. En second lieu, les résultats montrent que les comités techniques, ainsi que les groupements d’activités, des entreprises donneuses et preneuses d’ordre diffèrent grandement. Les entreprises sous-traitantes, qu’il est possible de caractériser1, relèvent principalement 1. Dans 8,9 % des cas, il n’a pas été possible d’identifier le Comité technique national (CTN) de l’entreprise sous-traitante. Ce pourcentage est encore plus important lorsqu’il s’agit de l’entreprise utilisatrice, puisqu’il atteint 15,2 % des accidents.
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LA SOUS-TRAITANCE INTERNE
de quelques CTN (BTP, transport, métallurgie) et, plus précisément, de 4 groupements d’activités : gros œuvre et maçonnerie, transport routier de marchandises, fabrication de matériels de poids mi-moyen (métallurgie) et nettoyage-désinfection. Par contre, l’ensemble des Comités techniques nationaux sont représentés, pour ce qui est des entreprises utilisatrices. Certaines relèvent même de régimes spécifiques de sécurité sociale. Enfin, la taille des entreprises extérieures impliquées apparaît beaucoup moins importante que celle des entreprises utilisatrices, dans les cas où ces informations ont pu être identifiées. La moitié des entreprises extérieures a un nombre de salariés inférieur ou égal à 31, tandis que ce chiffre est plus de 2,5 fois plus important (81 salariés) pour les entreprises utilisatrices.
3.3. « Typologie » des accidents La catégorisation centrée sur les facteurs d’accidents permet, pour sa part, d’identifier trois grands types d’accidents liés à la sous-traitance, selon les fragilités du système entreprise utilisatrice/entreprise extérieure. Le premier type d’accident se caractérise par le fait que les fragilités du système entreprise utilisatrice/entreprise extérieure relèvent essentiellement de l’organisation de la sécurité relative à la prestation et/ou de l’organisation de l’opération elle-même : analyse concertée des risques ; mesures de prévention et moyens de protection ; identification des zones dangereuses des équipements objets de la prestation ; manque de préparation conjointe de l’intervention concernant les informations techniques relatives à la prestation à mener ou les matériels, engins, produits utilisables par les intervenants ; contraintes environnementales, par exemple. Ces accidents ne s’expliquent donc pas par l’interférence entre activités ou personnels des deux entreprises, mais par l’interaction d’un ou plusieurs personnels sous-traitants avec une situation de travail, dont les conditions sont dangereuses, parce qu’elles n’ont pas été suffisamment gérées en amont. Les sous-traitants se retrouvent seuls dans ces situations. C’est le cas par exemple d’une situation accidentelle, dans laquelle un opérateur d’une entreprise extérieure devait peindre, à l’aide d’une nacelle, la partie haute de poteaux d’une entreprise utilisatrice ; poteaux qui se situaient à proximité d’une ligne haute tension, qui n’avait pas été détectée lors de la visite préalable sur place. Les accidents de ce premier type sont les plus nombreux (50,6 % des 79 accidents considérés). Tous concernent des situations de sous-traitance interne et les victimes sont exclusivement des personnels extérieurs. 110
Les accidents liés à la sous-traitance. Exploitation de la base de données Epicea 4
Dans le second type d’accident, les fragilités résident notamment dans l’organisation des relations d’interdépendance qu’entretiennent les activités successives des personnels des entreprises utilisatrice et extérieure. Des relations existent entre les activités des uns et des autres, dans la mesure où elles concernent les mêmes équipements, installations, bâtiments, matériels ou espaces de travail successivement, mais ces relations et cette succession n’ont pas été suffisamment organisées en amont. Les activités des uns ont alors des conséquences sur celles des autres, en dehors de toute communauté de lieux et de temps. Les premiers vont ainsi placer les seconds en situation dangereuse. Par exemple, les activités antérieures de production de l’entreprise utilisatrice ont des conséquences, sous forme de produits ou d’énergie, sur les activités de décapage, nettoyage ou maintenance de l’entreprise extérieure. C’est le cas d’un accident où une machine était restée sous tension, suite à l’activité de découpe de viande menée dans la journée par le personnel de l’entreprise utilisatrice, ce qui contribuera à sa mise en route intempestive, lors du nettoyage de l’atelier en fin de journée par l’entreprise extérieure. Mais ce peut être également les activités antérieures de maintenance de l’entreprise extérieure, qui contribuent à placer les personnels de l’entreprise utilisatrice en situation dangereuse, lors de leur exploitation ultérieure de l’équipement. Dans ces situations accidentelles, contrairement aux précédentes, la sous-traitance est interne ou externe, et les victimes constituent soit des personnels sous-traitants, soit des personnels internes. Le troisième type d’accidents est constitué de ceux dont les fragilités concernent surtout l’organisation de la concomitance des tâches des personnels des entreprises utilisatrice et extérieure. Ces accidents s’expliquent par le fait que les activités des uns et des autres ont lieu dans le même temps et le même espace, mais cette concomitance (minimale) n’a pas été suffisamment organisée. Cette co-présence des opérateurs peut revêtir des formes différentes. Elle peut constituer une simple coactivité. Les risques sont alors liés aux interférences potentielles entre ces activités en termes de croisement de flux de circulation, de flux de matières ou de produits. C’est le cas, par exemple, d’une situation dans laquelle un conducteur de poids lourds d’une entreprise extérieure, en attente, entreprend de ranger le filet de la benne de son camion, en le roulant au sol dans une zone de déchargement ; zone dans laquelle un conducteur de l’entreprise utilisatrice déplace des déchets avec une chargeuse-pelleteuse. Mais cette co-présence des opérateurs peut également correspondre à de réelles situations de travail collectif : coopération, situation d’aide ou collaboration. Ces activités collectives se trouvent fragilisées, parce que réalisées dans des situations dangereuses. 111
LA SOUS-TRAITANCE INTERNE
C’est le cas d’un accident survenu alors qu’un conducteur de camion sous-traitant coopère avec un opérateur d’assainissement interne pour le remplissage d’une cuve de l’entreprise utilisatrice. L’organisation des interactions entre les deux entreprises (manque de préparation et d’organisation de la prestation, combinaison dangereuse des produits transportés par l’entreprise extérieure et de ceux de l’entreprise utilisatrice), associée à une erreur de cuve du conducteur liée à l’organisation du transport par l’entreprise extérieure (transport sur le même camion de différents produits chimiques dont l’association est dangereuse, absence d’étiquetage des cuves), contribuera à une blessure de l’opérateur d’assainissement interne. Dans ces dernières situations, la sous-traitance est interne et les victimes constituent soit des personnels internes, soit des personnels extérieurs.
Conclusion-discussion Ces résultats tendent à confirmer la criticité des situations de sous-traitance évoquée dans la littérature. Les accidents liés à la sous-traitance apparaissent importants en nombre, alors même qu’une faible visibilité de ces derniers est permise par la base de données d’accident et que les chiffres obtenus constituent probablement une sous-estimation de la part réelle représentée par ces accidents. Les résultats soulignent également que la problématique « sécurité et sous-traitance » ne se limite pas à la question de la sécurité des personnels extérieurs lors d’interventions dans l’établissement de l’entreprise utilisatrice, même si ces situations accidentelles apparaissent être les plus fréquentes. En effet, la question de la sécurité des personnels de l’entreprise utilisatrice sur leur propre site est également posée, puisque ceux-ci sont fréquemment accidentés, de même que celle des personnels sous-traitants en dehors de l’établissement de l’entreprise utilisatrice (cas des accidents survenus sur les chantiers, la voie publique, et même dans l’établissement de l’entreprise extérieure). C’est ainsi la question de l’organisation des interactions entre ces entreprises, ou celle des « entreprises en réseau » (Narçon & Righi, 2001 ; Mariotti, 2005 ; Renier, Rorive & Xhauflair, 2004 ; Mazoyer, 2006), et de leurs relations avec la sécurité que cette problématique soulève ; question pour laquelle il nous semble qu’une réflexion en termes de méthodologie, mais aussi de concepts, doit être développée. Autrement dit, c’est la question des frontières que cette problématique interroge : – frontières de l’entreprise, qui seraient rendues caduques par ses interactions multiples avec d’autres entreprises ou, au contraire, seraient démultipliées, en référence aux travaux de Mariotti (2005) ; 112
Les accidents liés à la sous-traitance. Exploitation de la base de données Epicea 4
– frontières entre la sous-traitance interne et la sous-traitance externe, puisque les résultats ont montré que les accidents du travail relevant de la première ne se limitent pas à ceux survenus dans l’établissement de l’entreprise utilisatrice, de même que ceux de la seconde ne se réduisent pas à ceux ayant eu lieu dans l’établissement de l’entreprise extérieure ; – frontière entre relation commerciale et relation d’emploi, puisque la sous-traitance caractérise un contrat entre entreprises, tandis que le contrat de travail est relatif à la relation entre un employeur et un salarié ; mais, comme le souligne le Bureau international du travail (1997), la prestation de travail qui s’inscrivait habituellement dans une relation d’emploi traditionnelle (une entreprise-un employeur) dans une entreprise déterminée, est désormais remise en cause ; – frontière enfin, entre la sécurité des personnels internes et celle des personnels extérieurs, puisque les résultats montrent que les activités des uns ont des conséquences sur celles des autres, en dehors même de toute communauté de lieu et de temps. Il faut également souligner que les analyses menées ici présentent un certain nombre de limites, liées : – aux difficultés à identifier les situations de sous-traitance et, plus particulièrement, certaines d’entre elles (sous-traitance externe, en cascade, accidents des personnels de l’entreprise utilisatrice, etc.) ; – à la conception de la base de données EPICEA (impossibilité d’identifier les motifs de sous-traitance ou le caractère permanent ou temporaire de la prestation ; identification du seul Comité technique national de l’entreprise d’appartenance de la victime, par exemple) ; – à la nature des analyses elles-mêmes ; elles conduisent en effet à n’observer que des co-occurrences entre une organisation des relations entre entreprises, i.e. la sous-traitance, et un certain nombre d’accidents du travail, et ne permettent pas d’accéder à la dynamique de ces situations, ou de rapporter les résultats obtenus à l’ampleur du phénomène ou la population concernée. Mais ces travaux conduisent également à envisager différentes perspectives et pistes de travail futures. Il apparaît par exemple déterminant de progresser dans la définition de la notion de sous-traitance (délimitation, caractéristiques, spécificités), mais aussi de mener une réflexion plus approfondie sur la nature des relations qu’entretiennent les entreprises dans de telles situations. Ceci pourrait permettre de mieux cerner les contours de la 113
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sous-traitance et de différencier cette forme d’organisation inter-entreprises d’autres types de réseaux d’entreprises. Il nous semble également primordial de développer ou se doter d’outils permettant d’une part, de mieux évaluer l’ampleur des phénomènes de sous-traitance et leurs caractéristiques, et d’autre part, une meilleure traçabilité des accidents du travail liés à la sous-traitance. Une évolution de la base de données EPICEA pourrait permettre de faciliter l’identification et la caractérisation des accidents liés à la sous-traitance (ajout d’une variable dédiée à cette problématique, dont les modalités permettraient d’identifier le type de sous-traitance, interne ou externe, par exemple). Il paraît enfin essentiel de développer la connaissance des réalités concrètes des situations de sous-traitance, qui se révèlent pouvoir être très différentes, comme la littérature, mais également le travail mené ici, le soulignent : situations de sous-traitance interne, mais aussi externe, et leurs conséquences en termes de sécurité.
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Les accidents liés à la sous-traitance. Exploitation de la base de données Epicea 4
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Intervention de travailleurs d’entreprises extérieures : un sujet de préoccupation majeure en matière de santé et de sécurité au travail
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1. Quelques définitions — Champ de l’exposé Michel Héry Entreprise utilisatrice (EU) : entreprise qui utilise les services d’entreprises extérieures. Entreprise extérieure (EE) : entreprise qui effectue des travaux ou des prestations de service dans l’enceinte d’une entreprise utilisatrice. Sous-traitance interne : recours aux services d’une entreprise extérieure par une entreprise utilisatrice. Entreprise sous-traitante : entreprise qui effectue des prestations au profit d’une entreprise utilisatrice. Dans le cas de la sous-traitance interne, cette entreprise sous-traitante est l’entreprise extérieure. Mais cette entreprise extérieure, pour effectuer sa prestation pour l’entreprise utilisatrice peut, elle-même, avoir recours aux services d’une autre entreprise extérieure qui interviendra aussi sur le site de l’EU : on est alors confronté à une sous-traitance en cascade. Dans son rapport de 2005 consacré aux « Conséquences sur l’emploi et le travail des stratégies d’externalisation des activités », le Conseil économique et social (CES) a déterminé quatre caractéristiques pour définir ce concept d’externalisation : 119
LA SOUS-TRAITANCE INTERNE
– le recours à un partenaire externe pour une activité jusqu’alors réalisée au sein de l’entreprise, – un transfert fréquent de ressources matérielles et/ou humaines1, – un cadre contractuel de l’opération, définissant dans un cahier des charges des prestations et des obligations réciproques, – l’inscription dans la durée, enfin, avec un engagement à long terme de l’entreprise et de son prestataire [1]. Nous verrons plus loin que cette définition ne correspond pas exactement à l’esprit de celle qui est reprise dans la législation spécifique en matière d’hygiène et de sécurité concernant l’intervention des entreprises extérieures2 [2]. En effet, dans la notion d’externalisation telle que considérée par le CES figure aussi, en plus de la sous-traitance interne telle que nous l’avons définie précédemment, ce que nous appellerons ici « soustraitance externe ». Cette dernière consiste, par exemple, à confier à un centre d’appels les relations avec les clients ou pour un fabriquant de véhicules automobiles à soustraiter à un (ou plusieurs) équipementier(s) la réalisation d’éléments d’un véhicule qui seront ensuite montés chez le donneur d’ordre. Dans ce chapitre, nous limiterons notre propos à l’intervention de l’EE dans les locaux de l’EU, sans considérer ce que, par analogie avec la définition que nous avons donnée précédemment de la sous-traitance interne, nous pourrions appeler sous-traitance externe, la réunion de ces deux formes d’organisation du travail correspondant à la définition de l’externalisation donnée par le CES. En résumé : externalisation = sous-traitance interne + sous-traitance externe. Ce choix d’exclure la sous-traitance externe est guidé par le fait qu’en termes d’hygiène et de sécurité, qui constituera l’essentiel de notre propos, le fonctionnement de la sous-traitance interne introduit des particularités, notamment en termes de coactivité et des risques qui y sont associés, qu’on ne retrouve pas forcément dans le cas de la soustraitance externe dont le fonctionnement est plus proche du modèle « classique » qui associait à un site de production une seule entreprise et son personnel. Il ne s’agit pas d’opposer l’une à l’autre, ni d’exclure quelque entreprise que ce soit de notre réflexion3, 1. À cette définition donnée par le CES, nous pensons utile d’ajouter la notion de transfert de ressources « immatérielles » (peut-être inclus par le CES dans le terme « humaines ») : nous pensons au transfert de savoir-faire, de procédures, de méthodes et de modes d’organisation des tâches, etc. 2. En particulier quant à l’inscription dans la durée entre l’EU et l’EE puisqu’une activité externalisée de type saisonnier (voire ponctuelle, pour une tâche précise pour une durée de quelques jours) pourra être confiée à une nouvelle entreprise à chaque passation de marché. 3. Cette opposition aurait d’autant moins de raison d’être que pour faire suite à l’exemple donné plus haut, un équipementier automobile (engagé dans un contrat de sous-traitance externe) peut lui-même faire appel sur son propre site à une EE pour effectuer des tâches spécialisées : les ateliers de cet équipementier seront alors un endroit où s’effectue de la sous-traitance interne. Mais les caractéristiques du travail qui nous intéresseront alors seront liés à la coactivité entre les travailleurs de cet équipementier et de son propre
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mais surtout de centrer cette dernière sur les problèmes de santé et de sécurité rencontrés par les travailleurs des EE, en attribuant à ce terme la définition qui en est donnée par le Code du travail [2]. Il existe une réglementation distincte pour les opérations de bâtiment et de génie civil (« chantiers temporaires ou mobiles ») effectuées dans des « espaces clos et indépendants » [3]. Même si les modalités d’application sont différentes (plan général de coordination [PGC] ou plan particulier de sécurité et de protection de la santé [PPSPS] au lieu de plan de prévention, fonction de coordonnateur de sécurité, etc.), l’esprit des deux réglementations est le même et les problèmes de coactivité sont au centre de la logique qu’elles développent (même si c’est uniquement entre entreprises de bâtiment pour les chantiers clos et indépendants). En conséquence, de nombreux commentaires qui seront faits ici s’appliqueront au moins partiellement à ces chantiers (dont on peut considérer qu’ils présentent, au niveau de l’analyse des risques, beaucoup de points communs avec la sous-traitance interne), d’autant que les entreprises de bâtiment sont souvent très présentes dans les opérations d’entretien et de maintenance, souvent à travers des filiales spécialisées. En outre, il peut arriver que dans l’industrie, sur des chantiers de construction ou de rénovation qui formellement ne sont pas « clos et indépendants » puisqu’une activité de production continue à proximité immédiate, ce soit la législation « bâtiment et travaux publics » qui soit utilisée à tort au lieu de la législation « industrie ».
Introduction À l’occasion de son bilan annuel de maîtrise des risques tiré en 2006, le Commissariat à l’énergie atomique (CEA) a présenté les résultats de son plan triennal 2003-2005 d’amélioration de la sécurité au travail [4]. Parmi les objectifs que cette grande entreprise s’était fixé lors de l’élaboration de ce plan figuraient : – une baisse de 10 % du taux de fréquence des accidents du travail avec arrêt1 pour le personnel du CEA, – une baisse de 15 % du taux de fréquence des accidents du travail sans arrêt toujours pour le personnel du CEA, sous-traitant, pas les rapports qu’il peut entretenir avec le fabricant de véhicules automobiles. Même si, évidemment, les conditions économiques faites par le constructeur automobile risquent de ne pas être sans conséquences sur la politique hygiène et sécurité sur le site de l’équipementier. On pourrait multiplier les exemples. Mais il faut bien fixer des limites. 1. Taux de fréquence = Nombre d’accidents du travail avec arrêt x 106/Nombre d’heures travaillées. Taux de gravité = Nombre de journées perdues par incapacité temporaire x 103/Nombre d’heures travaillées.
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– une baisse de 15 % également du taux de fréquence des accidents du travail avec arrêt des travailleurs des EE intervenant sur les sites du CEA. Au bilan, si les deux premiers objectifs sont atteints avec des baisses respectives de 8 % (accidents avec arrêt) et 19 % (accidents sans arrêt), il n’en est pas de même pour le troisième puisque, sur la période, ce n’est pas à une baisse de 15 % que l’on a assisté, mais bien à une augmentation de 5 %. Cette augmentation n’est pas uniforme puisque, après une très légère baisse en 2003 (par rapport à 2002), la progression du taux de fréquence fut forte en 2004 avec une correction à la baisse en 2005 (mais sans revenir aux taux de 2002 et 2003). Quoi qu’il en soit, non seulement l’objectif n’est pas atteint, mais globalement les EE se retrouvent en 2005 au même taux qu’en 2000, alors que les années 2000 à 2003 avaient été marquées par une décroissance régulière de ce taux de fréquence. Le contraste est d’autant plus net que, pour ses propres salariés et sur la même période, le donneur d’ordres, c’est-à-dire le CEA, enregistre une décroissance régulière. On peut également tirer d’autres enseignements précieux de ce bilan : – selon les années, le taux de fréquence des accidents avec arrêt des salariés des entreprises extérieures est de trois à quatre fois supérieur à celui des employés du CEA lui-même, – de même le taux de gravité des accidents du travail des employés des EE est de l’ordre du double de celui des salariés du CEA : cependant alors que pour le CEA il est pratiquement stable depuis plusieurs années, on enregistre globalement une amélioration assez nette pour les travailleurs des EE (de 0,44 à 0,32 de 2000 à 2005), – il convient de signaler que dans l’absolu ces valeurs se situent néanmoins nettement en dessous de celles du Comité technique national (CTN) « Activités de service » si on considère les salariés du CEA, et de l’ensemble des CTN si on considère à la fois les travailleurs du CEA et ceux des entreprises extérieures. La fixation des objectifs pour la période 2006-2008 nous semble également révélatrice des difficultés que cette grande entreprise rencontre dans sa contribution à la gestion de la sécurité par les entreprises extérieures qui interviennent sur ses sites. En effet, dans le droit fil de ce qui semble être la politique suivie depuis quelques années et dans la logique des résultats obtenus, le CEA entend faire diminuer à nouveau de 5 % le taux de fréquence des accidents arrêt pour son propre personnel au cours des années 2006 à 2008. De façon plus surprenante, c’est le même objectif chiffré qui est retenu pour les travailleurs des EE. La modestie de cet objectif peut avoir de quoi surprendre puisque, grosso modo, il ne s’agit de rien d’autre, au cours de la période à venir, que d’annuler l’augmentation subie de 2003 à 2005. Ce qu’on peut également interpréter comme un renoncement, au moins provisoire, à l’objectif fixé précédemment d’une diminution de 122
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15 % sur la période couverte par le dernier plan triennal. Cette pause mérite que soient explorées les raisons qui la motivent : nous avons souhaité le faire avec les personnes chargées du dossier au Commissariat. Le CEA a accepté de contribuer à cet ouvrage et nous livre dans un chapitre spécifique son analyse de la situation. Il détaille également les mesures spécifiques qu’il a mises en œuvre et qui lui ont permis de réduire à nouveau depuis cette alerte le taux d’accidents du travail. Cette pause est peut-être aussi révélatrice des limites que la sous-traitance interne entraîne en termes d’amélioration des conditions de travail pour les EE. Le fait que ces limites pourraient être atteintes plus rapidement que pour les EU amène à se poser la question essentielle de sur quoi est bâtie l’amélioration des résultats des EU. Est-elle purement intrinsèque et associée à une amélioration des pratiques, elle-même le fruit d’une politique volontariste ? Ou bien joue-t-elle aussi sur l’externalisation progressive des activités dans la gestion desquelles il est plus difficile de progresser en matière d’hygiène et de sécurité ? Au-delà des accidents du travail, la prévention des risques professionnels concerne aussi évidemment la santé des travailleurs, de possibles maladies professionnelles et donc l’exposition aux polluants chimiques, physiques ou biologiques. Dans le cas du CEA, le polluant le plus ubiquitaire et dont le suivi est assuré de la façon la plus stricte est bien évidemment l’exposition aux rayonnements ionisants. Dans ce cas, contrairement à ce qu’on a constaté précédemment pour les accidents du travail, la dose individuelle moyenne reçue est très voisine pour les travailleurs de l’entreprise organique et ceux des EE (de l’ordre de 0,15 mSv par an avec une très grande majorité des personnels non exposée). Un constat identique peut être fait pour les doses maximales perçues dans chacun de ces groupes avec des valeurs très inférieures à la limite annuelle réglementaire d’exposition (respectivement 6,05 et 7,8 mSv pour une valeur limite de 20 mSv). Si nous nous sommes attardés sur les résultats de cette entreprise, ce n’est bien évidemment pas pour la stigmatiser. Une telle attitude serait d’autant plus injuste que le CEA fait preuve d’une grande transparence en communiquant très largement (y compris dans ces pages) et sans aucune ambiguïté sur ces chiffres et en reconnaissant les difficultés rencontrées. Il s’agissait plutôt de montrer que le recours à des travailleurs d’entreprises extérieures doit être une vraie préoccupation pour l’hygiéniste du travail. Cette bonne gestion des EE et de leur capacité à garantir des conditions de travail non accidentogènes est plus que jamais une évidence pour des donneurs d’ordre importants qui, responsabilité sociale ou développement durable obligent, y consacrent de plus en plus souvent une part significative et croissante de leurs rapports d’activité ou de leurs engagements de progrès. 123
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Cette première approche est centrée sur les EE et leurs résultats inférieurs en matière d’hygiène et de sécurité à ceux des EU. Nous souhaiterions dans cette introduction montrer qu’on peut retourner la problématique et se poser aussi la question de savoir si le recours à la sous-traitance peut aussi avoir des conséquences sur la santé et la sécurité des travailleurs de l’entreprise organique. Cet exemple sera certainement moins précis que celui fourni par le CEA, il sera aussi plus polémique. C’est justement à cause de la nature des questions qu’il pose (sans qu’aujourd’hui une réponse définitive ait pu leur être apportée) et parce qu’il est typique de certaines incertitudes que le recours massif à la sous-traitance interne introduit dans le contexte industriel, qu’il nous semble paradoxalement éclairant. Dans cette introduction notre objectif n’est pas de démontrer, ni d’apporter des preuves irréfutables, mais simplement d’apporter des exemples susceptibles d’illustrer en quoi les nouvelles formations d’organisation du travail1 peuvent avoir un impact sur les mesures de protection de la santé et de la sécurité couramment prises par les entreprises. Nous souhaitons donner à voir et à réfléchir. Tout le monde a en mémoire la dramatique explosion de l’usine AZF et ses conséquences en termes de perte de vies humaines, sans oublier plusieurs milliers de blessés qui ont pour certains subi un traumatisme majeur. Elle a eu notamment pour conséquence de hâter l’adoption d’une loi sur les risques technologiques majeurs. Nous verrons plus loin que le législateur a souhaité renforcer sur certains sites les mesures de prévention des risques professionnels en cas d’intervention d’EE. Aujourd’hui encore, malgré toutes les expertises effectuées à la demande de la justice, plusieurs hypothèses sont encore discutées quant aux causes de l’accident2. Nous ne reprendrons donc ici, et sans avoir aucun moyen de garantir sa véracité, qu’une des hypothèses (niée par l’entreprise, mais privilégiée semble-t-il par la justice) expliquant la catastrophe par la mise en contact d’un dérivé chloré avec un dérivé azoté et conduisant à la formation de chloramines et en particulier de trichlorure d’azote. Ce composé est connu pour provoquer, dans certaines conditions, des explosions violentes. Cette explication est ellemême fondée sur l’hypothèse que plusieurs secteurs de l’entreprise avaient été plus ou moins « concédés » à des EE chargées de certaines tâches précises et que la vigilance de l’EU s’était quelque peu relâchée quant au suivi au jour le jour de ces activités. De même le contrôle des zones dans lesquelles elles étaient effectuées était probablement moins strict. Dans ces conditions, un travailleur de l’EE, peut-être moins bien informé des risques que ne l’aurait été vraisemblablement un de ses homologues de l’EU, peutêtre moins bien encadré aussi par un responsable lui-même moins au fait des risques associés aux métiers de la chimie, peut-être aussi pressé par le temps et par l’urgence 1. D’une nouveauté toute relative pour ce qui concerne la sous-traitance interne, tant cette forme d’organisation a pris d’importance dans l’industrie ces dernières années. 2. L’entreprise qui exploitait le site lors de l’accident continue à privilégier l’explication d’une cause extérieure et indépendante de l’activité de l’usine.
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de tâches à accomplir, pourrait avoir procédé à des manipulations mal contrôlées aboutissant à cette explosion et à ses conséquences dramatiques. Il ne s’agit encore une fois pas de certitudes mais d’éléments d’information qui doivent nous inciter à considérer que nous sommes dans une bijection : ce n’est pas seulement la politique hygiène et sécurité de l’EE qui sera contingente des conditions d’exploitation (économiques et techniques) que l’EU lui fera, mais en retour cette dernière subira aussi des conséquences de cette sous-traitance de certaines tâches. On voit donc à travers cet exemple que le recours à une EE a évidemment des conséquences en termes d’organisation du travail pour l’EU, mais que la politique hygiène et sécurité de cette dernière peut aussi être concernée. Les conséquences ne sont pas toujours aussi dramatiques que celles citées dans l’exemple précédent heureusement. C’est l’ensemble de ces problématiques que nous devons questionner ici. Les exemples que nous avons évoqués ne plaident-ils pas en faveur d’un transfert du risque ? L’amélioration constatée du côté des EU ne s’explique-t-elle pas par un glissement d’une entreprise vers une autre des activités qui sont difficiles à gérer en termes d’hygiène et de sécurité ? Si c’est le cas, est-il admissible qu’en fonction de leur statut (entreprise organique vs EE), des travailleurs soient inégaux devant l’accident ou l’exposition aux polluants physiques, chimiques ou biologiques ? Pourquoi cette inégalité ? Les partenaires sociaux des EU pourraient-ils accepter que le personnel qu’ils dirigent ou qu’ils représentent aient des taux de fréquence et de gravité des accidents du travail à un niveau égal à celui mesuré pour les travailleurs de certaines EE ? Comment les Directions des EU, souvent engagées dans des politiques de développement durable ou signataires de charte de progrès pourraient-elles gérer une situation qui risquerait d’engendrer un sérieux déficit d’image ? Comment les organisations syndicales pourraient-elles justifier ces résultats et leur action auprès des travailleurs des EU ? Si ces métiers et ces activités qui ont été externalisés étaient toujours effectués par les travailleurs de l’EU, les taux d’accident du travail seraient-ils les mêmes ? Quelles conséquences devrions-nous en tirer en matière d’organisation du travail et de santé et sécurité au travail ? Faut-il envisager une prévention des risques professionnels spécifique ou un suivi médical spécifique pour ces travailleurs des EE ? Autant de questions qui intéressent tous les préventeurs et plus généralement tous les acteurs de l’entreprise. Autant de questions auxquelles nous n’apporterons pas forcément de réponse dans cet ouvrage, mais auxquelles nous souhaitons fournir, à partir d’exemples et de situations concrètes notamment, quelques éléments de réponses. Nous ferons également quelques propositions de mesures dans le domaine de l’organisation de la prévention susceptibles d’améliorer la situation. Mais avant d’approfondir ces questions, il est indispensable de brosser un tableau de la situation actuelle du recours aux EE, tel qu’il se pratique actuellement ainsi que sur les évolutions qui apparaissent. C’est ce à quoi nous allons nous employer de façon assez 125
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générale dans ce chapitre, alors que nous nous efforcerons d’en mesurer les conséquences de façon plus détaillée dans d’autres.
2. Le contexte Le recours aux entreprises extérieures dans l’industrie ne constitue évidemment pas une nouveauté. Depuis le début de l’ère industrielle, au XIXe siècle, un certain nombre de tâches ont souvent été confiées à des personnels extérieurs à l’entreprise, souvent des artisans, qui venaient effectuer des travaux bien particuliers, par exemple l’entretien des bâtiments, le curage des égouts ou la récupération de certains déchets. Certains secteurs d’activité (en particulier dans le bâtiment ou dans les abattoirs dans l’industrie agroalimentaire) ont même, depuis cette époque, une solide tradition dans l’emploi de tâcherons. Le travail de ces derniers est fourni par l’entreprise utilisatrice, ils l’effectuent dans les locaux de cette dernière, avec leur propre matériel et/ou du matériel fourni par l’EU, mais, quel que soit leur statut professionnel précis (emploi indépendant ou structure collective de tâcheronnage), ils ne sont pas directement salariés par l’entreprise utilisatrice. Rien de nouveau donc sous le soleil. Pourtant, cette sous-traitance a connu une expansion considérable ces dernières années. Ce sont des métiers entiers qui ont été abandonnés par l’EU au profit des EE. Nous allons essayer de retracer très grossièrement l’évolution en plusieurs phases de ce recours accru à la sous-traitance interne. En France, tout au long du XXe siècle et jusque dans les années 1970 à 1980, seules certaines tâches étaient confiées à des EE. C’étaient en particulier celles qui nécessitaient un matériel et une technicité spécifique ou bien qui n’étaient effectuées que très rarement. Dans de telles conditions, il est moins justifié que l’EU investisse en formation de son personnel et investisse dans du matériel qui ne sera utilisé que sur de courtes périodes. En outre s’agissant de tâches quelquefois très techniques, il est clair que le savoir-faire peut surtout être développé par des EE qui se spécialiseront dans cette activité. Elles pourront l’effectuer régulièrement, ce qui constitue un gage du maintien dans le temps de la technicité acquise. À ces justifications techniques et économiques, on peut aussi en ajouter d’autres plus proches du sujet qui nous intéresse dans ce texte : la santé et la sécurité au travail. En effet, un personnel plus habitué à effectuer une tâche particulière sera plus compétent et mieux à même de l’effectuer dans de bonnes conditions de sécurité. Il maîtrisera mieux les différents paramètres entrant en compte : l’approximation dans la réalisation des tâches et un savoir-faire insuffisant sont générateurs de risques pour les travailleurs et leur environnement. Les mesures de prévention, aussi bien pensées soient-elles à partir d’une évaluation des risques sérieuse, peuvent perdre toute efficacité si l’exécution des 126
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tâches n’est pas conforme au contexte qui avait été prévu quand elles ont été décidées. En revanche, une entreprise qui utilisera tout au long de l’année le même matériel sera a priori plus à même de l’adapter pour le rendre plus performant et plus sûr et moins susceptible de générer de la pollution au poste de travail. Comme exemples de ce type d’activités, on peut citer les manipulations de catalyseurs (sur lesquelles nous aurons l’occasion de revenir longuement plus loin puisque nous les avons étudiées plus particulièrement) ou la réfection des fours par des maçons fumistes. Il s’agit en effet de tâches qui doivent être effectuées très régulièrement, même si les intervalles entre deux opérations successives sur le même équipement peuvent être longs. Ainsi, par exemple, tel catalyseur devra être changé dans un réacteur tous les deux ou trois mois, mais dans certains cas, l’opération ne devra être effectuée que tous les cinq ans. De même certains fours peuvent avoir une durée de vie très longue et, quelques opérations régulières d’entretien mises à part, il ne serait pas justifié que l’entreprise développe en interne les compétences pour procéder à une réfection complète. De la même façon, certaines opérations d’entretien et de maintenance (au moment des arrêts de production notamment) nécessitent de faire appel à des renforts pour aider les équipes spécialisées de l’entreprise. Dans de telles circonstances, il est évident que des ressources supplémentaires doivent être dégagées pour l’échafaudage ou la mécanique, le personnel employé directement à la production en période habituelle ne possédant pas, sauf exception, les compétences nécessaires. Cette sous-traitance de spécialité ou de capacité a toujours existé dans l’industrie depuis le XIXe siècle. Elle a, jusqu’aux années 1970 à 1980, constitué pour l’essentiel une « composante d’ajustement » destinée à permettre aux entreprises d’effectuer le travail de la façon la plus efficace possible. Cependant, les principaux métiers nécessaires au bon fonctionnement de la production (y compris les fonctions connexes comme la maintenance) étaient toujours assurés par des salariés de l’entreprise organique. À ce deuxième âge1 de l’externalisation (le premier étant celui auquel nous avons associé pour l’essentiel le recours ponctuel à l’artisanat que nous avons décrit plus avant) a succédé ce que les entreprises ont appelé le « recentrage sur le cœur du métier ». Ce recentrage s’est traduit par le transfert à des EE de nombreuses tâches dont les EU ont considéré qu’elles n’étaient pas directement liées à la production. Sans qu’on puisse faire un recensement systématique, les conditions ayant évidemment varié d’un site
1. Il est bien évident que cette séparation en différents âges est artificielle et ne reflète pas la réalité de la situation industrielle qui a évolué en continuité. Un certain nombre de phénomènes décrits se sont superposés. En fonction des régions, du tissu industriel, de la ressource existante en entreprises extérieures, mais aussi du type d’industrie, de la politique industrielle suivie par les groupes, les changements auront été plus ou moins rapides et plus ou moins progressifs. Cette séparation en différentes périodes est surtout justifiée par la structuration de l’exposé et la volonté de montrer le caractère progressif, mais continu et jusqu’à présent toujours poussé plus loin de cette externalisation des tâches et des fonctions.
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à l’autre, ont été particulièrement visées des tâches comme le nettoyage (d’abord des bureaux puis celui des locaux industriels), l’accueil et le gardiennage des installations, la restauration, etc. Chez les chimistes ou les pétroliers par exemple, ce recentrage s’accompagnait d’un discours expliquant qu’ils préféraient concentrer leur savoir-faire (et leurs investissements) sur leur propre métier tout en confiant à de véritables professionnels des tâches qui n’avaient rien à voir avec la synthèse d’une molécule ou le raffinage du pétrole. Un meilleur investissement de chacun dans son métier permettait une plus forte professionnalisation : tant du point de vue économique que de celui de la santé au travail, les entreprises comme leurs salariés ne pouvaient qu’y gagner. C’est aussi à cette époque qu’on a assisté à des transferts à des EE d’opérations d’activité liées directement à la production : celui de certains ateliers de conditionnement par exemple. Mettre le produit fini en sacs, en fûts ou en « big bags » n’est pas exactement une tâche qui relève de la production, elle ne participe pas de la même ingénierie chimique que la synthèse d’une molécule, elle peut donc être confiée à quelqu’un qui se spécialisera dans le domaine, permettant à l’EU de mieux se concentrer sur les tâches de production. Rapidement aussi les tâches d’échafaudage, de tuyautage, de chaudronnerie qui sont souvent nécessaires sur un site industriel, mais pas forcément tous les jours, ont été abandonnées par les EU. Aux équipes de maintenance mécanique ou électrique « maison », on a adjoint de façon occasionnelle ou permanente des équipes extérieures. Il semble que pour ce secteur qui, s’il n’est pas directement « productif », conditionne quand même fortement le bon fonctionnement de l’outil de production, la transition ait été plus progressive. En outre, le besoin d’intervention rapide en cas de panne pouvant paralyser la production a longtemps incité les entreprises (et certaines n’ont pas encore fait évoluer leurs pratiques) à garder, notamment dans les équipes postées, des travailleurs qui sont ses propres salariés1. Le souhait d’assurer une certaine mémoire, donc une certaine garantie quant à la connaissance des installations et la pertinence des interventions semble ne pas y avoir été pour rien non plus. Nous aurons largement l’occasion de revenir sur le sujet. Depuis quelques années, une nouvelle évolution a été enregistrée. Compte tenu de leur nombre, de leur diversité et du volume de l’activité sous-traitée, la gestion des EE devenait une tâche de plus en plus lourde pour le donneur d’ordres. Les EU ont alors souhaité poursuivre et accentuer la simplification des structures de gestion. C’est ainsi qu’on a vu apparaître la passation de marchés globaux (quelquefois attribués selon le système des enchères inversées2) confiés à de très grosses entreprises selon un régime 1. Ce qui n’empêche d’ailleurs pas non plus, a contrario, que ces spécialistes de la maintenance directement rattachés aux équipes de production puissent dans certains cas être des travailleurs d’EE. 2. Rien ne permet d’affirmer que les ajustements successifs à la baisse qui interviennent au cours de ces enchères inversées se feront au dépens des sommes consacrées à la sécurité au travail. Ces dernières peuvent au contraire être « sanctuarisées » et le processus peut être parfaitement contrôlé par l’EE qui
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pluri-annuel. Selon ce système (parfois appelé « prestation intégrée), une seule EE (ou un groupement ad hoc d’EE) traite avec l’EU tout un segment de l’activité nécessaire au fonctionnement de l’usine, charge à elle de réunir et d’organiser les compétences dont elle peut ne pas disposer en interne mais qui sont indispensables à la bonne réalisation du marché. En fonction du volume de ce premier marché et de la diversité des compétences nécessaires, il est possible (et même courant pour certains gros marchés) dans certains cas d’assister à un nouvel appel d’offres de cette première EE pour la répartition des lots entre de nouveaux sous-traitants. De la même façon, EDF lance des appels d’offres par lots (robinetterie, servitudes nucléaires, radioprotection, etc.) et par grande région pour ses centrales nucléaires. L’adjudicataire global (qui peut être un consortium d’entreprises) va lui-même ensuite procéder à la répartition des marchés entre ses membres et/ou par le jeu d’appels d’offres. Ainsi, cette répercussion des contrats aboutit à une sous-traitance en cascade qui dans certains cas extrêmes peut atteindre le septième rang. Quant au personnel d’une entreprise qui perd le marché dont elle a été adjudicataire pendant plusieurs années, il peut soit, dans le cadre du contrat de travail qui le lie à son entreprise, être affecté à de nouvelles tâches sur un nouveau site, soit, de façon assez habituelle, être repris par la nouvelle entreprise adjudicataire. Celle-ci, ce faisant, acquiert une connaissance concrète des chantiers dont elle aura désormais la charge d’exécution. Cette pratique de reprise de la main d’œuvre est particulièrement courante, et d’ailleurs encadrée par la loi, dans le cas du nettoyage industriel. Ainsi, on a vu se construire autour de certaines grosses usines ou sur certains gros sites industriels, de véritables villages d’entreprises extérieures. Des travailleurs d’EE se sont trouvés employés à plein temps sur le site de l’EU, parfois pendant plusieurs années de suite, dans des conditions analogues (sauf souvent pécuniaires puisque ne dépendant pas de la même entreprise, ni la plupart du temps de la même convention collective1) que les salariés de l’EU. Après ce rappel du contexte de notre étude, notre propos étant bien sûr la santé et la sécurité au travail, nous aurons l’occasion de discuter plus tard de ce que cette intégration dans l’entreprise, parfois à un poste permanent (mais toujours avec comme patron une EE), peut induire de différences en matière de prévention des risques professionnels par rapport à un travailleur « nomade » d’une EE, changeant régulièrement de site, d’entreprise d’accueil et/ou de poste de travail. L’analyse des risques s’effectue évidemment dans un contexte différent selon que le travailleur évolue dans un contexte qu’il connaît pour le fréquenter tous les jours, ou qu’il découvre. Il faudra aussi de toute évidence introduire un distinguo entre le fonctionnement normal soumissionne. Cependant, les gains de productivité n’étant pas extensibles à l’infini, la révision à la baisse des prix que ce système veut favoriser est potentiellement dangereuse pour les moyens que l’entreprise adjudicataire du marché consacrera à la prévention des risques professionnels. 1. Certaines conventions collectives peuvent regrouper des secteurs d’activité assez larges voire assez variés. Pour autant, un recours trop systématique à des EE adhérant à la même convention collective que l’EU rendrait assez peu cohérent le recours à l’argument du recentrage sur le cœur du métier.
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de l’entreprise et les phases instationnaires (arrêt ou démarrage de la production, incidents de fabrication, etc.). Nous ne ferons pas de confusion avec le modèle préconisé à une époque (par la société Alcatel par exemple) d’un opérateur industriel sans usine, modèle dans lequel une entreprise « tête de réseau » ne conserverait que les fonctions fondamentales de recherche1, conception et si nécessaire marketing pour faire produire par d’autres. Cependant, force est de constater qu’aujourd’hui une usine de la sidérurgie ou de la (pétro)chimie fonctionne avec de moins en moins de salariés directement sous sa responsabilité et de plus en plus de travailleurs d’EE. À l’exception des fonctions strictement considérées comme de la production (opérateurs de l’EU le plus souvent cantonnés dans les salles de contrôle), la presque totalité des travailleurs sur les sites sont issus d’EE. Même des fonctions connexes comme l’informatique ou la gestion de la paie sont confiées à des EE. Les fonctions essentielles de l’encadrement ou de la maîtrise des EU dans les secteurs des travaux neufs ou de la maintenance consistent souvent dans la définition, la commande et le contrôle de travaux confiés à ces EE.
3. Les raisons d’un choix et ses conséquences Face à la complexité toujours croissante des systèmes industriels, il est compréhensible que les entreprises aient souhaité simplifier leurs structures, notamment en matière de prise de décision et se recentrer, selon l’expression consacrée, sur le « cœur de leur métier ». La vocation d’une entreprise de chimie est de synthétiser des molécules et on peut aisément admettre qu’elle ne considère pas comme sa tâche principale les opérations de tuyautage, de soudure, de levage ou d’échafaudage. Pour autant, il est indubitable que d’autres considérations entrent en jeu. Ainsi que cela a été évoqué précédemment, le fonctionnement d’une entreprise peut nécessiter, pour certaines courtes périodes, des compétences particulières pour effectuer des travaux bien précis ou une main d’œuvre supplémentaire et performante pour faire face à un surcroît de travail. Mais on a vu également qu’au stade actuel, ces demandes ponctuelles ont été remplacées par une externalisation systématique de certaines tâches
1. Certains ont d’ailleurs imaginé que ces fonctions de recherche seraient confiées pour leur parties les plus fondamentales ou les plus amont à des laboratoires spécialisés, en particulier des laboratoires publics avec un financement en provenance du privé, limité à la stricte application qu’il en fera.
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plus ou moins directement liées à la production. On est passé d’une gestion au cas par cas à une démarche théorisée et organisée scientifiquement1. Parmi les éléments qui entrent en jeu pour expliquer cette évolution de la politique des entreprises, on peut citer : – La recherche d’une baisse des coûts de production : dans un contexte international où la concurrence est de plus en plus rude, avec l’émergence de nouveaux concurrents à proximité immédiate (dans les pays d’Europe centrale et orientale par exemple) et où les prix de l’énergie sont en augmentation constante, les entreprises sont à la recherche de gains de productivité et de baisse des prix de revient. Dans ces conditions, le poste main d’œuvre constitue, au même titre que les autres, une variable sur laquelle on se doit d’agir. Les conventions collectives et les niveaux de rémunération de certaines grandes industrie comme la chimie ou le pétrole étant relativement favorables (en tout cas par rapport à l’ensemble de l’économie), il est très probable que le recours à certaines entreprises (relevant d’autres conventions collectives ou aux accords d’entreprises moins avantageux) aux salaires moins élevés est générateur d’économies. Il est vrai que dans certains secteurs, comme l’industrie pétrolière, où le coût de la main d’œuvre est finalement assez faible par rapport à celui des investissements dans l’outil de production et de la matière première, cette recherche d’économie sur les coûts salariaux n’est peut-être pas à placer au premier plan. Au-delà de la baisse unitaire de ces coûts salariaux, le recours aux entreprises extérieures est aussi une façon de rationaliser la gestion des personnels. Nous avons déjà eu l’occasion de signaler que ce recours permet, au moins en théorie, aux entreprises de disposer de compétences (extérieures mais directement et facilement mobilisables) plus pointues et mieux entretenues en termes de formation permanente, de mieux gérer les à-coups dans la production et d’éviter une sous-utilisation des capacités disponibles en interne. Le corollaire de cette nouvelle organisation, sur lequel nous aurons l’occasion de revenir, est une intensification du travail : elle permet en particulier de limiter les « temps morts » dus aux ruptures de charge, d’approvisionnement ou aux pannes. – La réduction de la responsabilité sociale : dans l’exemple que nous fournit le plan triennal d’amélioration de la sécurité au travail du CEA que nous avons cité largement au début de ce texte, de fortes différences apparaissent entre les taux de fréquence des accidents du travail du CEA et ceux des EE. Nous aurons l’occasion
1. Nous ne reviendrons pas ici sur le contexte mondial, ni sur les exigences accrues des actionnaires en termes de rentabilité, ni sur la « financiarisation » des structures, ni sur les considérations politiques et/ou idéologiques qui ont accompagné (ou plus exactement précédé et probablement causé) ces phénomènes d’externalisation (dans le cas qui nous intéresse sous la forme de sous-traitance). Nous renverrons au rapport du Conseil économique et social déjà cité [1] dans lesquels ils sont largement décrits.
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de revenir sur cette particularité qui est assez bien partagée dans l’ensemble des industries de process. Cette constatation doit logiquement conduire à se poser la question suivante : ces taux de fréquence seraient-ils aussi élevés si ces activités étaient restées dans le giron des EU ? En d’autres termes, les très nets progrès accomplis par ces industries au cours des vingt dernières années en matière de sécurité sont-ils dus au fait qu’elles se sont déchargées d’activités accidentogènes ? Ce qu’on peut également exprimer sous la forme suivante : les nouvelles formes d’organisation de la production mises en place (sous-traitance interne systématique) ont-elles abouti à externaliser des risques dont la prévention était difficile1 ? Le recours aux EE introduit-il un biais dans l’amélioration des indicateurs « santé et sécurité au travail » des EU ? Si ces activités avaient continué à être effectuées par les EU, ces dernières auraient-elles eu, au contraire, la capacité de leur appliquer avec succès le traitement efficace qui leur a permis d’afficher de façon presque continue sur les trente dernières années une réduction des taux d’accidents du travail, en fréquence comme en gravité ? La même question mérite d’être posée pour les expositions professionnelles aux agents physiques et chimiques. Si on ne considère que les travailleurs des EU des industries de process, la diminution du niveau d’exposition aux polluants est spectaculaire sur les trente dernières années. Une meilleure sûreté des procédés et des installations, la disparition d’un certain nombre d’installations vétustes pour des raisons de rentabilité insuffisante (victimes de la mondialisation et du renchérissement des cours des matières premières), une plus forte automatisation, une meilleure analyse des risques, des politiques plus volontaristes en matière de sécurité (et d’environnement) ont concouru à cette amélioration. Mais ne faut-il pas aussi y associer le fait que, comme nous l’avons déjà écrit, le travailleur de l’EU est aujourd’hui plus souvent employé dans une salle de contrôle qu’au milieu des réacteurs de synthèse. On dispose de moins de données, et en tous cas moins systématiques, pour les EE2. Mais la même réduction (et dans les mêmes proportions) a-t-elle 1. Cette question ne doit pas être comprise comme un procès d’intention. À aucun moment, nous ne sousentendons que c’est parce qu’elles étaient difficiles à traiter en matière de prévention que ces activités ont été externalisées. 2. Nous aurons l’occasion de revenir sur le sujet plus tard, mais il nous semble déjà utile à ce niveau de l’exposé de fournir au lecteur quelques indications pouvant expliquer cette différence dans la connaissance des expositions : – Les EE souvent plus petites (même s’il existe de très grosses structures qui en termes de personnel employé n’ont rien à envier aux donneurs d’ordre) n’ont généralement pas le même investissement en matière de santé et sécurité au travail que les EU : absence de CHSCT si elles emploient moins de 50 personnes, plus faible présence syndicale (voire absence complète), missions hygiène et sécurité moins présentes et moins structurées, éclatement des activités sur divers lieux parfois très éloignées géographiquement, interventions des EE parfois de courte durée dans des industries très diverses présentant des risques intrinsèques (liés à l’activité de l’EU plutôt qu’à celle de l’EE) souvent très différents, difficultés à concevoir et à mettre en action des dispositifs de protection collective efficaces pour des interventions de type maintenance ou nettoyage, etc.
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été enregistrée ? Pire, certains métiers ne sont-ils pas complètement passés à côté des progrès globaux qu’a effectués l’industrie dans son ensemble ? Nous aurons l’occasion de répondre très partiellement (compte tenu des données très lacunaires dont nous disposons) à cette question dans la revue de la littérature que nous effectuerons plus loin. Ce désengagement complet (ou presque complet) de la pratique de certains métiers risque aussi d’entraîner une perte de technicité et de savoir-faire de l’EU. Comment peut-elle faire en sorte de garder la maîtrise complète de son outil de production, puisqu’une certaine connaissance pratique de la réalité du terrain devient l’apanage de ceux qui effectuent réellement et concrètement le travail, à savoir les employés des EE ? Ce risque de moins bien connaître et surtout de moins bien contrôler le fonctionnement « au quotidien » de certains éléments de l’usine (telle capacité, telle série de capteurs) est sérieux. Il s’accompagne également de celui de voir s’installer des pratiques « déviantes » par rapport à la norme de production, allant au-delà de la différence bien connue entre travail prescrit et travail réel. C’est-à-dire qu’au delà des écarts à la norme ou à la procédure que s’autorisent les opérateurs, le donneur d’ordre court le risque d’intercaler l’encadrement d’une autre entreprise entre la réalité du travail et la vision qu’il en a. Toutes ces méconnaissances (ou au moins connaissance incomplète) ou tous ces écarts ne seraient pas sans conséquence sur le fonctionnement global de l’usine, ni sur ce qui nous préoccupe ici au premier chef : l’hygiène et la sécurité. Nous verrons plus loin quels outils les EU ont développés pour conserver la connaissance et la maîtrise des opérations à travers notamment le développement de la qualité, des habilitations d’entreprises et des systèmes de management de la sécurité (SMS). Ces derniers induisant par définition des conséquences en prévention des risques professionnels, nous aurons l’occasion de développer le sujet ultérieurement.
– Les structures « institutionnelles » de prévention (médecine du travail, services Prévention des risques professionnels des CRAM, inspection du travail, etc.) fonctionnent encore en grande partie selon les schémas « classiques » de l’organisation du travail. Les difficultés rencontrées, malgré tous les efforts faits ces dernières années, pour recentrer leur activité en direction des plus petites structures (petites, voire très petites entreprises), montrent assez bien que, quelle que soit leur bonne volonté, elles ne disposent pas toujours des ressources ou des méthodes leur permettant d’encourager et d’accompagner les politiques de ces EE. En outre l’activité de ces EE manque souvent de visibilité de l’extérieur. Analyser les risques dans une structure pérenne ou le faire sur un chantier de quelques jours effectué de nuit avec des polluants liés à l’activité de l’EU et à celle de l’EE peut demander le même investissement. La différence est que dans le premier cas, le résultat sera acquis pour plusieurs années et demandera seulement un suivi. Dans le second cas, quels que soient les enseignements tirés des expériences précédentes, il faudra reprendre le problème au moins partiellement à la base et le résultat sera rapidement forclos.
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4. Le contexte réglementaire Ces aspects sont développés dans le chapitre intitulé « Sous-traitance et réglementation du travail ».
5. Les accords entre partenaires sociaux Plusieurs organisations professionnelles importantes (dont l’Union des industries chimiques [UIC] [5], l’Union française des industries pétrolières [UFIP] [6], l’Union des industries et métiers de la métallurgie [UIMM] [7] notamment) ont signé avec certaines organisations syndicales des accords spécifiques sur la santé au travail. Tous ces accords comprennent une partie consacrée aux dispositions à prendre pour améliorer la prévention des risques professionnels des EE lors de leurs intervention. Dans certaines branches industrielles, cette prise en compte remonte aux années 1990 (la chimie par exemple), pour d’autres (la métallurgie), elle est plus récente. Dans l’ensemble, ces accords ne comportent pas d’éléments très originaux venant compléter l’application de la réglementation issue du Code du travail. Cependant quelques points méritent d’être soulignés : – Les accords de la chimie et de la métallurgie prévoient explicitement une formation professionnelle spécifique pour la prévention des risques découlant de l’interférence des activités. Elle est destinée aux travailleurs des EE. L’ensemble des accords insiste sur le fait que l’exigence de sécurité concernant les personnes et les interventions est identique quelle que soit l’entreprise (utilisatrice ou extérieure) et qu’une formation adéquate doit être dispensée aux travailleurs des EE. L’accord chimie précise même explicitement que le recours à des EE ne doit pas conduire à une « externalisation du risque ». – Les accords précisent les conditions de fonctionnement du CHSCT élargi pour les installations classées « Seveso II – seuil haut ». L’accord signé pour les établissements pétroliers stipule par exemple, que pour ces installations classées, les élus et représentants syndicaux auprès des CHSCT de l’EU disposent de certains moyens supplémentaires pour leur permettre d’effectuer leur mission, en particulier de crédits d’heures mensuels ou spécifiques à l’occasion des grands arrêts. – Enfin, l’accord chimie prévoit à terme une habilitation de l’ensemble des EE de certains secteurs particuliers (maintenance des installations industrielles, logistique, construction [hors chantiers clos et indépendants]). Cette habilitation devra être délivrée par un organisme extérieur en cas d’intervention dans une installation 134
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« Seveso II – seuil haut ». L’accord de la métallurgie limite cette habilitation ou certification à ce dernier type d’installation. Dans le pétrole, les EE sont agréées par l’EU.
6. Les systèmes de management de la sécurité — Les habilitations — Les certifications Au début des années 1990, un certain nombre d’EU ont créé des homologations ou des référentiels sécurité pour la certification des EE dans les domaines de la sécurité, de l’hygiène du travail et du respect de l’environnement. Cette démarche qualité, instituée dans une optique de progrès continu, avait pour objectif de garantir la capacité des EE à intervenir dans de bonnes conditions dans ces trois domaines. De 1990 à la période actuelle, cette démarche a pris de plus en plus d’ampleur. Au niveau industriel, la démarche la plus emblématique et probablement la plus connue a été celle initiée sur la région de l’étang de Berre, et étendue depuis à plusieurs autres régions (Normandie, Nord-Pas-de-Calais, Rhône-Alpes, Est et maintenant Atlantique) : elle est connue sous l’acronyme de MASE (Manuel d’amélioration sécurité des entreprises). Pour autant, ainsi que nous l’avons signalé précédemment, l’UIC s’est elle-même engagée dans une démarche d’habilitation des EE intervenant dans les installations classées « Seveso II – seuil haut », cette démarche ayant vocation à être élargie à des installations de dangerosité moindre. L’objectif de ces deux structures est de promouvoir la sécurité dans les EE, aussi ont-elles entrepris une démarche de reconnaissance mutuelle des deux systèmes. Il en existe d’autres (GEHSE, OHSAS 18 001, VCA). L’AFIM (Association française des ingénieurs et responsables maintenance) a effectué une synthèse structurée des référentiels existants pour proposer un référentiel harmonisé : la multiplication des référentiels peut en effet devenir rapidement très exigeante en matière financière, mais aussi pour les ressources internes et le temps des EE [8]. L’AFNOR a également réfléchi à la rédaction d’une norme relative à la sélection des entreprises intervenant sur les sites à risques [9]. En première analyse, cette norme, destinée à simplifier les démarches que les entreprises prestataires de service devaient entreprendre pour obtenir les certifications exigées par les EU et surtout à réduire le nombre d’audits basés sur des référentiels souvent très voisins, devait s’appuyer sur les référentiels MASE et UIC. Le référentiel OHSAS 18 001 qui, au même titre que les deux autres cités précédemment, a fait l’objet d’un premier examen est apparu moins pertinent pour répondre aux exigences introduites par la loi sur les risques technologiques 135
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majeurs. Il ne semble pas que cette démarche ait abouti jusqu’à présent, la reconnaissance mutuelle à venir des deux systèmes UIC et MASE la rendant peut-être moins nécessaire. Parce qu’elles ont eu pour effet d’imposer une amélioration des résultats en matière de sécurité aux EE, ces habilitations/certifications ainsi que l’obligation de formation imposée notamment par l’industrie chimique ont eu pour effet de fortement sensibiliser les directions des EE à la prise en compte de l’hygiène et de la sécurité. En effet, parmi les critères retenus figurent les taux de fréquence des accidents ainsi que les déclarations de maladies professionnelles ou l’absentéisme du personnel. Ainsi par exemple le MASE revendique le fait d’avoir fait diminuer de moitié le taux de fréquence des accidents du travail des entreprises qu’il certifie depuis 1997, alors que le taux n’a que peu varié au niveau national. À l’appui de sa démarche, le MASE impose des analyses systématiques de chaque incident et accident1. La sécurité est replacée dans le contexte de la vie de l’entreprise puisque le MASE indique notamment que, en exécutant un travail ou une tâche, l’intervenant cherche à optimiser les cinq critères fondamentaux suivants (sans ordre préférentiel) : – la sécurité, l’hygiène et l’environnement, – les coûts, – les ressources nécessaires, – les délais, – la qualité. Pourtant, ce système, et les systèmes de management de la sécurité en général, est l’objet de nombreuses critiques. Parmi les plus courantes : – Comme de mauvais résultats en matière de sécurité peuvent être un handicap pour l’accès au marché, les EE peuvent être incitées à ne pas déclarer tous les accidents, notamment les accidents sans arrêt, ou à faire passer des accidents du travail avec arrêt pour des accidents de la vie quotidienne. – Des enquêtes ont montré que les taux de fréquence des accidents des EE habilitées ou certifiées étaient plus élevés quand elles intervenaient dans des structures industrielles qui ne réclamaient pas cette habilitation/certification ou dans leurs propres locaux que quand elles travaillaient dans des entreprises imposant la certification. Plusieurs explications sont possibles : certains accidents, dissimulés pour ne pas mettre à mal les statistiques nécessaires à l’habilitation, pourraient « réapparaître » dans un autre contexte. Ou, plus fondamentalement, cette certification 1. Deux chapitres de cet ouvrage sont consacrés à une description du système MASE.
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ne garantit pas l’acquisition d’une réelle culture sécurité, mais consiste surtout à appliquer des recettes dans des circonstances particulières.
7. Sous-traitance interne et statistiques Au niveau des statistiques de la Caisse nationale d’assurance maladie des travailleurs salariés (CNAM-TS), aucune statistique spécifique n’est établie qui permette de déterminer si l’accidentabilité des travailleurs des EE est supérieure quand ils interviennent dans les locaux d’une EU. La littérature consacrée au sujet est très limitée : seules quelques études descriptives ont été réalisées qui montrent une tendance allant dans le sens d’un nombre accru d’accidents du travail dont une fait l’objet d’un chapitre de cet ouvrage [10, 11]. Les grands groupes industriels sont également capables de fournir les statistiques comparées en nombre d’heures travaillées sur leur site (c’est ce que fait le CEA dans l’exemple que nous développons au début de ce texte). En revanche, au niveau de la CNAM-TS, les statistiques ne permettent pas de différencier un accident survenu sur le site de l’entreprise qui salarie la victime d’un accident survenu dans une EU puisque les chiffres sont donnés par Comité technique national (CTN), c’est-à-dire par grande branche d’activité : la diversité des activités des entreprise regroupées dans le CTN de la métallurgie est telle qu’il est impossible d’individualiser les entreprises dont l’essentiel de l’activité consiste en des travaux de sous-traitance. En outre si des entreprises effectuent la quasi-totalité de leur activité sur le site des autres (maçons fumistes, tuyauteurs, entreprise de levage, échafaudeurs, etc.), il existe des entreprises qui ont des activités très diverses, impliquant à la fois des activités de conception ou de construction dans leurs propres ateliers ainsi que des activités de montage ou d’entretien chez des donneurs d’ordre : c’est en particulier le cas de certaines entreprises de la métallurgie. Ce sont d’ailleurs parfois les mêmes travailleurs qui effectuent les deux types de travaux. En termes de gestion statistique, une distinction entre les accidents du travail survenus dans l’un ou l’autre cas serait évidemment souhaitable et ne devrait pas poser de difficultés particulières puisque certaines entreprises la mettent déjà en œuvre pour leur personnel. Ce retard évident dans une gestion statistique appropriée des nouvelles formes d’organisation du travail est d’ailleurs peut-être révélateur d’une difficulté d’appréhension des institutionnels du travail « atypique », difficulté sur laquelle nous aurons l’occasion de revenir. De la même façon, les tâches effectuées par les travailleurs des EE et ceux des EU n’étant généralement pas les mêmes, il n’est pas possible d’effectuer une comparaison en termes d’accidentabilité comme il en a été fait entre travailleurs à contrat à durée indéterminée d’une part, et travailleurs intérimaires ou en contrat à durée déterminée 137
LA SOUS-TRAITANCE INTERNE
d’autre part [12]. En effet comparer le travail de l’opérateur de salle de contrôle de l’EU et celui d’un maçon fumiste, d’un spécialiste de l’isolation ou d’un salarié d’une entreprise de nettoyage, c’est manifestement mettre en regard des activités qui n’ont pas grand chose à voir les unes avec les autres en termes de risques professionnels. Pour savoir si la sous-traitance aboutit à une sous-traitance des risques, il faudrait pouvoir comparer, dans des conditions d’exercice équivalentes, les taux de fréquence des accidents de population effectuant les mêmes travaux. Des métiers entiers ont été abandonnés par les EU dont on ne peut pas imaginer comment la prévention aurait évolué s’ils étaient restés dans leur giron et dont on ne peut pas savoir s’ils auraient connu la même évolution à la baisse que celle qui a été mesurée dans les EU. Il n’est d’ailleurs pas impossible qu’une part non négligeable de cette baisse des taux de fréquence dans certains CTN (la chimie en particulier) soit justement due à cette externalisation de certaines activités à risques. En outre, et nous aurons l’occasion d’y revenir quand nous aborderons le problème de l’exposition aux polluants physiques et chimiques, il n’est pas possible de considérer les travailleurs des entreprises extérieures comme une catégorie unique. En effet, indépendamment de la très grande variété des métiers concernés, c’est aussi le type de contrat qui régit les rapports entre l’EU et les EE qui va influer sur le risque et sa prévention. En effet, on peut penser qu’une EE qui bénéficiera d’un contrat pluri-annuel et qui pourra stabiliser des travailleurs sur le site d’une EU, voire sur un nombre de tâches relativement restreint, pourra mettre en place plus facilement une politique de prévention des risques professionnels qu’une autre EE intervenant en régie1, voire au bordereau2 [13]. De même il sera souvent plus facile de concevoir un dispositif de protection collective pour une EE qui n’intervient pas sur le procédé ou qui intervient sur le procédé en phase de fonctionnement normal que pour une opération de maintenance ou de nettoyage pendant laquelle souvent justement les dispositifs de protection collective doivent être démontés ou mis hors service. Dans ce dernier cas, les travailleurs seront potentiellement exposés aux polluants résiduels sans qu’il soit possible de monter un dispositif de protection collective. Le port d’équipements de protection individuelle (appareils de protection respiratoire notamment) est d’autre part difficile dans ces activités où les contraintes de posture sont souvent fortes et l’accessibilité des matériels pas toujours suffisante. La prévention des risques professionnels n’intègre pas seulement les aspects techniques, elle doit aussi tenir compte de considérations temporelles et relationnelles. La durée des contrats, l’habitude d’intervenir dans tel milieu, la capacité d’adaptation à
1. Contrat signé quand il n’est pas possible a priori de déterminer le temps de l’intervention. Il s’agit donc en fait pour l’essentiel d’une facturation au temps passé par l’EE. 2. Il s’agit généralement d’une opération habituelle que l’EU et l’EE sont capables d’estimer a priori en temps passé pour effectuer la tâche.
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ce milieu, la volonté d’intégration de la part de l’EU sont autant de paramètres qui influencent fortement la manière dont le travail sera réalisé et la capacité de l’EE et de ses salariés à développer des pratiques de travail sûres. Malgré ces difficultés pour obtenir des chiffres fiables, et surtout qui aient une réelle signification, une étude ambitieuse réalisée avec le soutien du Ministère du Travail et de grosses entreprises prestataires de service en maintenance a été réalisée par l’AFIM sur le bassin d’emploi de l’étang de Berre [14]. À titre d’illustration nous en donnerons ici les principaux résultats.
Encadré 5.1. – Comparaison du nombre d’accidents du travail entre salariés d’EU, EE et intérimaires dans la réparation navale1 Les statistiques en matières d’accident du travail des travailleurs des EU sont rares, nous venons de le voir. Pourtant, certaines grosses entreprises les établissent plus ou moins régulièrement (avec les limitations quant à leur pertinence qui sont évoquées dans la partie de ce chapitre traitant de l’étude menée par l’AFIM [14] sur l’Étang de Berre). À l’occasion de certaines opérations particulières, ces chiffres peuvent aussi être rassemblés. À titre d’illustration, nous proposons ci-dessous les taux de fréquence et taux de gravité comparés entre EU, EE et intérimaires (employés directement par l’EU ou le plus souvent par les EE) relevés dans deux chantiers navals [15]. Ces chiffres ne sont pas anecdotiques dans la mesure où pour le chantier A par exemple, ils correspondent à 870 000 heures travaillées (c’est-à-dire l’équivalent de 550 personnes employées annuellement). Entreprise utilisatrice
Entreprises extérieures
Intérimaires
Pourcentage du personnel dans l’effectif moyen
32 %
25 %
43 %
Taux de fréquence
15
67
182
Taux de gravité
0,15
0,34
0,99
Chantier A – Accidents du travail.
1. Les travaux relatifs à la construction et à la réparation navale ont été exclus de la réglementation « fixant les prescriptions particulières d’hygiène et de sécurité applicables aux travaux effectués dans un établissement par une entreprise extérieure » [2], ce sont donc des dispositions réglementaires antérieures qui s’appliquent. Pour autant la problématique « sous-traitance interne, entreprise utilisatrice, entreprise extérieure » est bien évidemment la même.
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LA SOUS-TRAITANCE INTERNE
Entreprise utilisatrice
Entreprises extérieures + intérimaires
Pourcentage du personnel dans l’effectif moyen
42 %
58 %
Taux de fréquence
72,42
369
Taux de gravité
0,85
Données non disponibles
Chantier B – Accidents du travail. Le chiffre d’équivalent de 550 personnes employées annuellement n’a été donné que pour permettre au lecteur de se faire une idée de l’importance de l’entreprise, mais il n’est en rien représentatif de son fonctionnement : en effet dans la réparation navale (mais ce n’est qu’une confirmation de ce que nous verrons plus loin pour l’industrie), les jours d’immobilisation au port sont très coûteux pour l’armateur. Aussi, l’arrivée d’un gros bateau correspond-elle au recours par l’EU à de nombreuses EE qui, ellesmêmes, outre la pratique courante de la sous-traitance en cascade, doivent recruter de nombreux intérimaires pour pouvoir avoir la flexibilité nécessaire pour répondre à la demande. Le nombre de travailleurs d’EE présents sur le site de l’EU est donc très variable selon les périodes. Quant aux chiffres présentés dans les tableaux, ils sont assez éloquents pour ne pas nécessiter de commentaires supplémentaires. Nous nous trouvons probablement là dans un des pires cas de figure de la sous-traitance interne où pour des périodes très limitées doivent cohabiter dans un espace restreint des personnels qui pour la majorité d’entre eux ne fréquentent pas ces lieux à l’année et n’ont donc pas le temps de faire l’apprentissage des méthodes de travail de l’EU, ni a fortiori des autres EE. Un facteur défavorable vient aussi du très grand nombre d’intérimaires (au demeurant eux-mêmes plus accidentés que les travailleurs des EE qui les emploient, indice d’une intégration peu poussée, mais phénomène habituel [12]) qui risquent également de déstabiliser les collectifs de travail existants. Enfin, la modulation du temps de travail (pratiquée aux limites, voire dans certains cas, un peu au-delà, des possibilités légales) avec des horaires hebdomadaires souvent longs et le recours très fréquent au travail de nuit pendant les périodes d’intervention sur les navires, constituent autant de facteurs susceptibles de favoriser l’accident. Il est aussi intéressant de remarquer la grande différence entre les chiffres des deux EU, puisqu’il existe un facteur d’environ 5 entre leurs taux de fréquence et de gravité respectifs. Cette différence importante se retrouve quand la comparaison s’effectue au niveau des taux de fréquence de l’ensemble EE + intérimaires, l’accidentabilité des EE intervenant sur le site de l’entreprise B étant bien plus élevée que celle des EE intervenant sur le site A (également d’un facteur d’environ 5, les deux populations n’étant pas exactement comparables puisque dans l’un des cas les intérimaires y ont été agglomérés). Ceci constitue un indice supplémentaire de l’importance que revêt pour les EE l’implication de l’EU dans sa propre politique de prévention des risques professionnels : les résultats obtenus par les EE semblent directement liés à la démarche plus ou moins volontariste de l’EU.
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Intervention des travailleurs d’entreprises extérieures… 5
8. L’étude de l’AFIM1 Compte tenu des objectifs de l’association, le périmètre de cette étude ne concerne qu’une partie des EE, celles impliquées dans les tâches de maintenance. À partir d’une cohorte constituée de plus de 1 000 travailleurs issus de sept grosses EE intervenant chez les donneurs d’ordre de l’étang de Berre, un suivi des accidents du travail et des maladies professionnelles a été réalisé de 1995 et 2000. Le résultat le plus intéressant de cette étude est que, pour éviter de déclarer des accidents du travail avec arrêt, les EE affectent les personnels accidentés légèrement (mais qui ne pourraient pas néanmoins accomplir leur tâche habituelle en raison de leurs blessures) à des postes de travail moins contraignants. Le phénomène est loin d’être négligeable. En effet, en comparant les données transmises officiellement par les EE volontaires pour participer à l’étude à un donneur d’ordres (en même temps qu’ils l’étaient à la « Tarification des accidents du travail » de la Sécurité sociale) aux vrais chiffres des accidents du travail recueillis auprès de ces mêmes EE (y compris les accidents ayant fait l’objet du « traitement » décrit ci-dessus), il apparaît que trois accidents sur quatre ont fait l’objet de ce traitement avec en particulier le transfert des conséquences médicales de l’accident sur le régime général de la Sécurité sociale au titre de soins de ville ordinaires. Cette dissimulation est motivée par au moins deux raisons : – la volonté de faire diminuer les cotisations dues au titre des accidents du travail et des maladies professionnelles à la Sécurité sociale2 ; – le souhait d’avoir de bons indicateurs sécurité vis-à-vis de l’entreprise utilisatrice, puisqu’ils sont pris en compte dans le cadre du système de management de la sécurité : les EE ne veulent pas prendre le risque de perdre un marché en raison d’une politique sécurité qui pourrait être jugée comme mauvaise.
1. L’AFIM a, depuis cette étude, complété ses travaux sur le sujet : deux chapitres de cet ouvrage sont consacrés à une étude menée auprès d’opérateurs de la maintenance, employés principalement par des entreprises extérieures. Elle est consacrée au « ressenti » qu’ils ont de leur travail et propose des pistes d’amélioration dont le lecteur pourra constater qu’elles entrent souvent en résonance avec les propositions formulées dans divers chapitres de cet ouvrage. 2. Les EE sont souvent des sociétés de petite taille pour lesquelles s’applique un taux de cotisation « Accidents du travail » mutualisé et collectif pour lesquelles la déclaration d’un accident du travail aura très peu d’influence sur la somme qu’elle devra acquitter. Cependant, il existe aussi dans ce secteur d’activité de plus grosses entreprises, employant plus de 200 salariés, pour lesquelles la non-déclaration d’un accident du travail se traduit par une non-augmentation des cotisations dues. Ce sont des entreprises de cette taille qui ont été inclues dans la cohorte étudiée. Aucune donnée n’est disponible pour les plus petites entreprises pour lesquelles l’effet « Cotisation » joue beaucoup moins. En revanche, il est vraisemblable que l’effet suivant (« Indicateurs de sécurité ») joue sur les deux types d’entreprises, indépendamment de leur taille.
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LA SOUS-TRAITANCE INTERNE
Ce n’est pas tant le changement de poste suite à un accident pour un poste allégé qui pose le plus gros problème1, c’est la dissimulation complète de l’accident du travail : il n’apparaît en effet plus dans un aucun registre, il n’a tout simplement pas existé. En effet, outre le caractère discutable d’un allégement « sauvage » des cotisations sociales2, compte tenu du caractère clandestin de l’accident (pas déclaré à l’EU, qui, de son côté, ne fait probablement pas beaucoup d’efforts pour le constater), dans la plupart des cas, l’affectation au nouveau poste se fera en dehors de tout avis des structures sécurité et en particulier du médecin du travail. Cela peut se traduire par un caractère mal adapté du nouveau poste, avec risque d’entraîner à plus ou moins long terme des conséquences néfastes (sur-accident, caractère chronique pouvant conduire à une maladie professionnelle, etc.). Il est également à craindre qu’aucune enquête (en tout cas il paraît douteux que le CHSCT de l’EE, et bien sûr celui, de l’EU, puisse en conduire une) ne sera menée et que l’analyse de l’accident ne sera jamais faite. La prévention à court terme en pâtit, mais également la prévention à plus long terme. Comment peut-on espérer que l’EU, pour laquelle l’accident n’a jamais eu lieu, puisse faire évoluer ses matériels, voire ses méthodes de travail si elle n’a pas connaissance des conséquences qu’ils peuvent avoir en termes d’accidents ? C’est la négation complète d’une politique active et raisonnée d’intégration de la sécurité et de la sûreté dès la conception des équipements de travail. Le risque de perte de compétences de la part de l’EU dans la gestion de ses installations que nous avons déjà évoqué s’en trouve également accru. Toute cette politique affichée du « zéro accident visible » aboutit donc à faire disparaître des accidents du travail qui pourraient être sans arrêt et sans forte conséquence sur les cotisations de l’EE, mais elle constitue également l’anti-thèse de la démarche de progrès que la qualité et les systèmes de management de la sécurité sont supposés porter. Cette « invisibilité » plus ou moins organisée de l’accident fausse l’analyse et constitue un frein à une évolution vers des installations plus sûres, sur lesquelles les interventions pourraient être effectuées dans de meilleures conditions. Tous les métiers de la maintenance (qui sont très divers) ne sont pas égaux devant l’accident. À certaines activité comme le montage correspondent dans l’échantillon de l’étude des taux de fréquence de 150, ce qui est très au-dessus du taux national toutes activités confondues, alors que les mécaniciens ont eux des taux de fréquence très bas. Ces chiffres sont également beaucoup plus élevés que ceux de l’EU (eux-mêmes très inférieurs à la moyenne nationale), mais comme nous l’avons indiqué précédemment, ils ne sont en rien comparables, puisque ce ne sont pas les mêmes métiers qui sont
1. Les EE n’ont pas le monopole de cette pratique. Elle n’est pas choquante dans la mesure où le travail « allégé » proposé au travailleur accidenté lui convient et n’est pas susceptible d’aggraver la blessure initiale. 2. Et la prise en charge par le régime Assurance maladie de la Sécurité sociale de dépenses qui devraient être imputées à la branche Accidents du travail – maladies professionnelles.
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Intervention des travailleurs d’entreprises extérieures… 5
concernés, ni les mêmes postes qui sont occupés, ni les mêmes travaux effectués. Selon l’AFIM, 85 % des effectifs de la maintenance dans la chimie (qui constitue les gros effectifs des EU employant les EE considérées dans l’étude) sont issus d’EE. Dans de telles conditions, on comprend bien que les travailleurs de la maintenance de l’EU et ceux de l’EE, même s’ils se côtoient au quotidien, n’effectuent pas les mêmes tâches. Aux premiers, la définition et le contrôle des travaux, aux seconds, leur réalisation concrète. La seconde tâche est évidemment plus accidentogène que la première. La durée moyenne d’incapacité temporaire pour les accidents avec arrêt est nettement plus longue que la moyenne nationale. Il s’agit donc d’accidents plus graves1. L’étude confirme également un résultat déjà obtenu par ailleurs [12] : celle de la plus forte accidentabilité, au sein des EE, des intérimaires et des précaires en général par rapport aux personnels titulaires d’un contrat à durée indéterminée. Les phénomènes de moindre intégration des CDD et des intérimaires ont déjà mis en évidence par les chercheurs dans des entreprises fonctionnant dans le cadre tout-à-fait classique d’une entreprise qui fait appel à des travailleurs précaires pour intervenir dans des propres locaux [12]. Les chercheurs ont montré que cette « extériorité » par rapport à l’entreprise se traduit par une moins bonne prise en compte des risques. Ce schéma se retrouve donc dans le cas où c’est l’EE qui fait appel à ces travailleurs précaires : pour simplifier on a donc par ordre, d’accidentabilité croissante, les travailleurs de l’EU, ceux des EE et, au plus haut niveau, les travailleurs précaires des EE. Ce résultat confirme celui décrit précédemment dans les chantiers navals [15]. Quant à l’analyse des accidents (réalisée à partir de l’étude de ceux qui ont entraîné une durée d’incapacité temporaire), elle montre qu’un sur quatre est lié à des manutentions manuelles ou assistées et que plus d’un sur trois est lié au procédé (brûlures, exposition à des produits dangereux, etc.), aux équipements (robinets, vannes, échangeurs, transporteurs, etc.) ou aux sécurités collectives défaillantes. On voit bien, compte tenu de l’importance de ce dernier type d’accidents, tout l’intérêt pour la sécurité que revêtirait une bonne connaissance de la réalité des accidents du travail à partir de leur déclaration exhaustive. L’analyse du risque réel et les démarches d’amélioration des installations sont actuellement biaisées par la « dissimulation » d’une partie d’entre eux. L’étude s’intéresse aussi aux maladies professionnelles déclarées. Pour les salariés de la maintenance inclus dans la cohorte, l’occurrence d’une maladie professionnelle est dix fois plus élevée que pour l’ensemble des travailleurs affiliés à la CRAM du Sud-Est et huit fois plus 1. Il n’est cependant pas impossible que, compte tenu du recours très important aux postes aménagés suite à un accident pas trop important, cette moyenne soit indirectement « gonflée » par l’absence d’arrêt de travail pour des accidents qui, dans un autre contexte que celui de l’externalisation des activités, auraient fait l’objet de quelques jours d’incapacité temporaire. Là encore, les statistiques, conçues dans un cadre d’organisation du travail « classique » (c’est-à-dire avec un moindre recours à des entreprises extérieures) doivent être considérées avec prudence.
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LA SOUS-TRAITANCE INTERNE
forte que la moyenne nationale. Les maladies liées à l’amiante (30 %), au benzène (25 %) et au bruit (15 %) représentent 70 % des maladies professionnelles de la population suivie dans l’étude. Bien que représentant moins de 5 % des effectifs de la cohorte, les soudeurs, tuyauteurs et monteurs concentrent 60 % des maladies professionnelles. Les métiers d’électriciens et d’instrumentistes ont une part des maladies professionnelles équivalente à leur représentation dans la population de l’étude. Que les travailleurs de la maintenance industrielle (ou d’ailleurs du tertiaire), et plus particulièrement les tuyauteurs, calorifugeurs et soudeurs, aient payé et continuent de payer un lourd tribut à l’exposition à l’amiante ne constitue hélas pas un résultat original [16]. La forte présence des industries pétrolières et pétrochimiques sur le bassin d’emploi explique également la forte occurrence de maladies liées au benzène. Cependant, dans le contexte français de sous-déclaration (voire de sous-reconnaissance pour certains tableaux) de maladies professionnelles et compte tenu des carences pointées à diverses reprises [17] (en particulier par la mission d’information de l’Assemblée nationale sur les risques et les conséquences de l’exposition à l’amiante [18]), il n’est pas certain que l’approche par la déclaration de la maladie professionnelle soit la plus pertinente pour décrire la réalité de l’exposition professionnelle. C’est en particulier le cas pour les substances chimiques dont une étude récente a montré que le système des tableaux de maladies professionnelles ne prend qu’imparfaitement en compte la diversité et la toxicité [19]. La traçabilité des expositions des travailleurs des EE est encore plus difficile à établir que celle de leurs collègues des EU. Elle mérite qu’on s’y intéresse plus attentivement. En effet, ils changent en moyenne plus souvent de lieu et de poste de travail, les structures HSCT des entreprises qui les emploient sont souvent plus « légères » que celles des EU. Ce sont ces particularités que des chercheurs de l’INRS ont tenté de mettre en évidence à travers des études de suivi de l’exposition de différents métiers effectués par les EE dans l’industrie chimique.
Encadré 5.2. – Opérations de maintenance externalisées sur des sites tertiaires Une étude a été réalisée sur cinq sites du tertiaire [20] (banque, entreprise de l’audiovisuel, établissement public, etc.) qui avaient confié à des EE la maintenance de leurs locaux, c’est-à-dire, dans tous les cas, la climatisation et la plomberie et souvent également l’électricité et les groupes électrogènes, ainsi que des activités diverses, variables selon les EU. Des entretiens avec les travailleurs des EE ont permis de mettre en évidence les écarts suivants : – Si les opérateurs connaissent l’existence des procédures, ils ne prennent que rarement le temps de les consulter avant l’intervention. En effet, ils se contentent de travailler à partir de gammes GMAO (Gestion maintenance assistée par ordinateur) qui génèrent automatiquement les ordres de travail ou les autorisations de travail dans lesquels on retrouve la check-list de l’opération. Toutefois, ces documents n’ont
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pas d’autres objectifs que de fournir un guide pour aider l’opérateur dans sa tâche : ils ne contiennent aucune indication pour aider à l’analyse du risque. – La traçabilité des interventions n’est pas assurée : en effet les cas de dysfonctionnement ne sont généralement pas renseignés sur les ordres ou les autorisations de travail, souvent remplis après coup par les opérateurs quand ils ont réintégré les locaux de l’EE. Le retour d’expérience n’est plus assuré. – Le travail est souvent effectué par des travailleurs isolés. Les nouveaux arrivants sont souvent mis en situation d’autonomie très rapidement. En outre, il n’existe plus de véritable mémoire des sites. Cela ne constitue pas un réel inconvénient quand l’intervention est programmée dans le cadre d’une maintenance préventive effectuée par un opérateur expérimenté qui connaît l’entreprise et les installations sur lesquels il intervient. En revanche dans le cas d’une intervention effectuée en urgence (éventuellement de nuit), liée à une panne, et réalisée par un opérateur moins expérimenté et qui ne connaît ni les locaux ni l’installation précise, le déficit d’analyse des risques peut se faire sentir. La formation des jeunes apparaît comme insuffisamment formalisée, surtout basée sur des échanges et des consignes verbales, beaucoup plus que s’appuyant sur des procédures écrites. De la même façon que l’AFIM s’est intéressée à la maintenance dans l’industrie (cf. supra), elle s’est également intéressée aux conditions d’exercice des professions concernées dans la maintenance immobilière et tertiaire [21]. Cette étude, menée sur une population constituée par les employés de 5 prestataires de service entre 1997 et 2003, montre un taux d’accidents double de ce qu’il est dans l’industrie alors que la complexité est bien moindre dans les patrimoines du tertiaire. Cette situation est due à l’insuffisance flagrante des DIUO (Dossiers des interventions ultérieures sur les ouvrages) qui sont conçus comme des documents destinés à être en règle vis-à-vis de la réglementation beaucoup plus que des outils permettant de réaliser une analyse des risques pertinente. Cette analyse est corroborée par le fait que ce sont les accidents liés aux équipements qui génèrent le plus de jours d’accidents avec arrêt, suivis par les chutes dans les escaliers et depuis un escabeau. En revanche les accidents du travail dans le tertiaire sont en moyenne moins graves que dans l’industrie. En effet la durée d’incapacité temporaire dans le premier secteur est à peu près égale à la moitié de ce qu’elle est dans le second. Le nombre d’heures perdues est d’environ 0,72 % du potentiel d’heures disponibles. Pour ce qui concerne les maladies professionnelles, c’est l’amiante qui vient également en tête dans le tertiaire, mais avec 85 % des maladies reconnues et une occurrence triple de ce qu’elle est dans l’étude menée précédemment dans l’industrie, ce qui correspond à un taux 20 fois supérieur à ce qu’il est dans la moyenne nationale. Le bruit est la deuxième cause en nombre de maladies professionnelles. Au bilan, les cotisations versées à la Sécurité sociale pour les accidents du travail représentent plus de 2,6 % du salaire brut, soit plus de 108 millions d’euros pour les 190 000 salariés de la maintenance immobilière et tertiaire. Selon les entreprises étudiées, ce chiffre représente entre 0,5 et 0,9 % du chiffre d’affaires.
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9. Chargement et déchargement des catalyseurs dans l’industrie chimique : évaluation des expositions aux polluants chimiques – Le problème du « nomadisme » de certaines professions et de la traçabilité des expositions La manipulation des catalyseurs dans l’industrie chimique est typiquement une activité qui est le seul fait des EE. En effet, si une grande partie de la chimie de synthèse dépend des catalyseurs, il s’agit par définition même de composés qui n’interviennent que pour favoriser la réaction chimique et qui ne sont pas consommés par elle. Il n’est donc nécessaire d’intervenir sur ces matériaux qu’à intervalles réguliers quand des phénomènes de tassement, d’attrition, d’empoisonnement ou d’encrassage diminuent leur efficacité. Cependant, selon la nature des catalyseurs et leur fonction, ces intervalles peuvent être de quelques mois ou de quelques années. Dans une usine, le nombre de réacteurs fonctionnant avec un catalyseur peut être faible, le matériel qui doit être utilisé pour le déchargement et le chargement, ainsi que pour les opérations de criblage étant assez spécifique, autant de raisons pour confier cette activité à une EE spécialisée qui pourra aussi, mieux que l’EU, développer les savoir-faire. Compte tenu de la nature des catalyseurs qui sont souvent des métaux à la toxicité avérée, mesurer les expositions présente un intérêt évident afin d’organiser la prévention des risques professionnels. Ainsi à titre d’exemple, on trouvera dans le tableau 5.3, la nature et les propriétés toxiques d’un certain nombre de catalyseurs couramment utilisés dans l’industrie.1 Catalyseur
Propriétés toxicologiques
Oxyde de cobalt
Classé dans le groupe 2B du CIRC1 – cancer du poumon
Oxyde de nickel
Classé dans le groupe 1 du CIRC – cancer du poumon et cancer naso-sinusien
Pentoxyde de divanadium
Classé dans le groupe 2B du CIRC – cancer du poumon
Cristobalite
Forme particulière de silice cristalline classée dans le groupe 1 du CIRC – cancer du poumon
Tableau 5.3. Toxicité de catalyseurs couramment employés dans l’industrie. 1. Le CIRC (Centre international de recherche sur le cancer) fait partie de l’Organisation mondiale de la santé. La mission du CIRC consiste à coordonner et à mener des recherches sur les causes du cancer chez l’homme et sur les mécanismes de la cancérogenèse. Il a établi une classification d’un certain nombres de produits : – groupe 1 : produits cancérogènes pour l’homme ; – groupe 2A : produits probablement cancérogènes pour l’homme ; – groupe 2B : produits peut-être cancérogènes pour l’homme.
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Outre ces métaux, les travailleurs des EE spécialisées peuvent également être exposés lors du déchargement ou du criblage des réacteurs à un certain nombre de polluants ou poisons des catalyseurs comme le plomb (catégorie 2A du CIRC [22], avec différentes localisations de cancers suspectées), l’arsenic (catégorie 1 – cancer du poumon) ou certains produits de combustion et de dégradation contenant des hydrocarbures aromatiques polycycliques (catégorie 1 – cancer du poumon et cancer de la vessie). Ces polluants proviennent des produits qui ont été traités ou fabriqués dans les réacteurs. Ils y étaient souvent présents à l’état d’impuretés comme l’arsenic et le plomb par exemple. Tout au long de la fabrication, ils se sont concentrés dans le catalyseur qu’ils ont contribué à « empoisonner » : en se fixant sur les sites actifs, ils contribuent à en diminuer les capacités. Il est bien évident que toutes sortes d’autres produits peuvent se trouver dans les catalyseurs usagés au moment de leur déchargement, en fonction de la production de l’usine. Les expositions de travailleurs impliqués dans les opérations de chargement, déchargement, criblage, mise en « big bags » ont été mesurées dans sept entreprises différentes. Le lecteur intéressé pourra se référer aux publications correspondantes [23, 24], nous nous contenterons ici de rapporter les principaux résultats. Les niveaux des expositions sont extrêmement différents selon les entreprises, les installations et les opérations : certaines respectent les valeurs limites d’exposition, mais une bonne moitié des expositions se situent au-dessus. Il est particulièrement intéressant de signaler des opérations comme la vidange d’un réacteur de synthèse d’acide sulfurique avec des expositions à la silice (cristobalite plus précisément) supérieures d’un facteur 100 à la valeur limite ou le remplissage d’un réacteur avec un catalyseur à base d’oxyde de nickel avec un facteur de plusieurs milliers (compte tenu de la protection insuffisante apportée par le masque respiratoire inadapté dont était muni l’opérateur). Face à de tels résultats, les hypothèses de professionnalisation accrue de l’activité perdent en crédibilité. Pourtant un phénomène mérite d’être signalé : celui d’une exposition différenciée selon les statuts des travailleurs. En effet, ces entreprises spécialisées dans la manipulation des catalyseurs sont amenées à se déplacer de site en site toute l’année. À côté de leur personnel permanent, généralement titulaire de contrats à durée indéterminée (CDI), ces entreprises ont recours, en fonction des besoins propres à chaque chantier, à du personnel en contrat à durée déterminée (CDD) ou plus souvent à des intérimaires. Aux premiers sont réservées les tâches plus techniques, mais aussi généralement les moins génératrices d’expositions, aux seconds le criblage sur des installations dépourvues de dispositifs d’aspiration (ou de dispositifs ne fonctionnant pas) ou la mise en sacs, autant d’opérations très polluantes. Au-delà de ces dépassements caricaturaux de valeurs limites, on peut légitimement se poser la question de l’existence d’une réelle politique en matière d’hygiène et sécurité 147
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de ces entreprises. La prévention des risques professionnels ne se limitant pas à la protection immédiate contre l’accident, qu’en est-il du suivi médical à moyen ou long terme des travailleurs ? Pour répondre à la première question, force est de constater que les matériels de ces entreprises sont utilisés dans des configurations très différentes auxquelles ils ne sont pas toujours adaptés. Compte tenu du fait que la durée d’intervention sur un site ne dépasse deux semaines que de façon exceptionnelle, on voit bien le nombre d’installations toutes différentes dans lesquelles ils doivent être utilisés. En outre, une installation à l’arrêt est une installation qui coûte de l’argent : toutes les interventions auxquelles nous avons assisté se déroulaient sous des délais très contraints. Il n’était donc pas question de procéder à tous les aménagements qu’aurait nécessités une véritable adaptation aux conditions concrètes d’exploitation. Quant à la deuxième question, le suivi médical des travailleurs a lieu dans un contexte où, sauf rare exception, le médecin du travail ne voit jamais le poste de travail et où les travailleurs sont potentiellement exposés à des polluants très variés et pas tous connus (en particulier ceux spécifiques de l’activité du site). Que penser dans ces conditions de la traçabilité des expositions qui devrait être la règle, d’autant qu’on a vu que plusieurs des composés auxquels les travailleurs sont exposés sont des cancérogènes ou des produits soupçonnés de cancérogénicité ? Quel espoir pour un travailleur permanent de l’entreprise (et a fortiori pour un intérimaire qui aura multiplié les expositions à des polluants divers mais surtout, dans la plupart des cas, inconnus) de voir reconnus ses droits à l’indemnisation en cas de maladie ? Si la question du suivi médical des travailleurs des EE mérite d’être posée, elle prend une acuité toute particulière dans le cas de ces travailleurs dits « nomades » ou précaires. Compte tenu du nombre relativement limité des travailleurs exposés, de leur éclatement dans des petites structures quasiment artisanales de quelques dizaines de salariés au maximum, de la diversité des polluants (pas tous connus) et des pathologies diverses qu’ils peuvent produire, il n’y a aucun espoir de pouvoir produire une étude épidémiologique concluante sur le sujet. Un éventuel excès de mortalité pourrait peut-être être montré, mais s’agissant de produits souvent cancérogènes ou soupçonnés de cancérogénicité, les effets des expositions peuvent n’être décelés qu’après la sortie de l’activité, voire au cours de la retraite. Le recours fréquent aux intérimaires et CDD vient encore « diluer » la visibilité de l’effet. Cependant, sur la base des mesurages qui ont été effectués, et même sans faire appel au principe de précaution1, tout indique qu’il s’agit d’une population à risques. L’exemple de l’étude épidémiologique pris précédemment montre qu’aucune preuve scientifique
1. Compte tenu des niveaux des concentrations auxquels les travailleurs sont exposés, et de la cancérogénicité reconnue d’un certain nombre de composés auxquels ces travailleurs sont exposés, c’est sur la simple base de la prévention des risques professionnels avérés que des actions devraient être entreprises.
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de ce risque ne pourra probablement jamais être apportée. Pour cette population, il faut donc considérer qu’il est nécessaire d’améliorer les conditions de travail et de prévention des risques professionnels sur la seule base d’un risque supposé. Ceci n’étant déjà pas simple pour une activité s’effectuant dans un cadre plus proche des conditions habituelles d’intervention des préventeurs institutionnels ou d’entreprises (avec moins de variabilité dans les lieux de travail et les polluants rencontrés), on en saisit encore mieux la difficulté pour cette population « nomade ». En fait, tout aboutit à rendre les travailleurs de ce secteur industriel « invisibles ». Une recherche bibliographique ne montre pas d’autre étude d’hygiène industrielle consacrée à cette profession alors qu’il est raisonnable de supposer que ces professions « mondialisées » (au moins quant à leur terrain d’activité) rencontrent des conditions de travail identiques ailleurs qu’en France1. En revanche on trouve davantage d’articles sur la fabrication ou le recyclage des catalyseurs usagés, mais dans des structures industrielles classiques et pérennes employant un personnel soumis à des règles d’organisation du travail moins atypiques2 [25] et à des expositions professionnelles beaucoup moins élevées. Cette constatation pose une fois de plus la question de l’adéquation des moyens et des besoins. Ces installations pérennes sont plus visibles et le traitement des problèmes d’hygiène et sécurité y est globalement plus simple : techniquement d’abord, mais aussi parce que les structures de prévention institutionnelles se mobilisent davantage sur ce qui est plus visible. Pourtant il n’y a aucune fatalité à ces expositions lors des manipulations de catalyseurs. L’utilisation d’un matériel dédié aux installations qui doivent être traitées ou d’un matériel plus universel devraient permettre de résoudre la quasi-totalité des problèmes d’exposition. Cependant la première hypothèse implique soit des investissements spécifiques réalisés par chaque site donneur d’ordres, soit une standardisation minimale des différents réacteurs (ce qui a priori est difficilement accessible). La deuxième hypothèse implique un desserrement de la contrainte temporelle imposée aux EE qui permettrait de résoudre les problèmes d’adaptation des matériels. Il n’existe aucun obstacle technique qui ne puisse être surmonté. Encore faut-il en avoir la volonté dans le cadre d’une politique HSCT volontariste. Des exemples concluants de la possibilité
1. Les discussions avec les travailleurs rencontrés au cours de cette étude montraient même qu’ils considéraient leurs conditions de travail en France comme relativement favorables par rapport à celles rencontrées dans d’autres pays développés dans lesquels la contrainte temporelle était encore plus forte. 2. L’emploi typique se définit comme « un emploi salarié, avec lien salarial formel (c’est-à-dire doté d’un statut ou d’un contrat à durée indéterminée, dans le cadre de la convention collective et permettant éventuellement le déroulement d’une carrière à plein temps et par conséquent tout à la fois lieu de participation à la vie collective et d’identification sociale, procurant l’essentiel du revenu familial, relevant d’un seul employeur, s’exerçant sur un lieu de travail spécifique, spécialement affecté. » Les notions d’EE et de sous-traitance en général, surtout quand elles recouvrent des activités exposant leurs employés au « nomadisme » professionnel, sont évidemment antithétiques de cette définition de l’emploi typique.
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d’une telle organisation seront donnés dans la description d’un grand arrêt de chantier décrit ci-dessous.
10. Suivi d’un arrêt triennal de plusieurs semaines dans l’industrie chimique Après l’étude menée sur le secteur de manipulation des catalyseurs, la même équipe a souhaité pouvoir considérer cette problématique des EE de façon plus large. C’est pourquoi il a été décidé de suivre l’arrêt biennal de six semaines d’un gros site de l’industrie chimique. À partir de l’électrolyse du sel pour produire notamment du chlore, cette usine a développé une filière de fabrication d’isocyanates. Compte tenu de la dangerosité des produits initiaux (chlore et soude), intermédiaires (acides minéraux, phosgène, solvants nitrés) et finaux (isocyanates), il s’agissait d’un bon exemple pour évaluer l’efficacité de la politique de prévention des risques professionnels quant à l’exposition à des polluants chimiques mise en place à l’occasion de cet arrêt. Comme dans l’exemple précédent, nous invitons le lecteur intéressé par les détails techniques de cette étude à se reporter aux publication spécialisées [26, 27]. Nous nous contenterons ici de discuter des éléments les plus importants en termes de risques et de leur gestion. Cette usine employait directement à l’époque un peu de moins de 2000 salariés pour environ 600 salariés d’EE permanents. Pendant la période de l’arrêt, cet effectif était renforcé par plus de 1 000 autres travailleurs d’EE intervenant pour des durées de quelques jours à quelques semaines et bénéficiant d’une formation initiale consistant en une description de l’usine et des principaux risques qu’elles générait ainsi qu’une information sur les consignes de sécurité. L’objectif de l’étude était de décrire les expositions aux différents polluants chimiques auxquelles pouvaient être soumis les travailleurs des EE, que cette pollution provienne des produits fabriqués dans l’usine ou qu’elle soit liée à la technique de travail employée (fumées de soudage, fibres pour le calorifugeage, peinture, etc.). Pour ce faire, les chercheurs de l’INRS pouvaient participer aux réunions quotidiennes d’avancement des travaux et avoir connaissance des principales tâches programmées le jour. Compte tenu de la multiplicité des polluants mesurés, de nombreuses techniques de prélèvement étaient mises en œuvre, mais le prélèvement ambulatoire porté personnellement par le travailleur a été systématiquement privilégié. Au total plus de 800 prélèvements d’atmosphères ont été effectués. De façon systématique, l’exposition de toutes les tâches effectuées par des travailleurs d’EE et susceptibles d’entraîner une exposition à un polluant chimique était étudiée. On peut donc raisonnablement prétendre à une bonne représentativité de cette campagne d’évaluation des expositions professionnelles. 150
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Il est important de souligner d’emblée que plus de 90 % des prélèvements effectués n’ont pas montré de dépassement de la valeur limite d’exposition. De façon attendue, parce qu’assez habituelle, de forts dépassements ont été mesurés dans les emplois de calorifugeurs, avec des expositions pouvant atteindre jusqu’à 3 fibres.cm-3 lors de la dépose de matériaux en fibres de verre ou en laine de roche (aucune exposition à l’amiante n’a été mise en évidence). De même, la réfection des fours (en particulier le débriquetage) a montré de forts empoussièrements avec un fort pourcentage de quartz et surtout de cristobalite : des valeurs pouvant atteindre 80 fois la valeur limite ont été atteintes. Ce type d’exposition des maçons fumistes est déjà décrit dans la littérature [28]. Des enseignements plus intéressants et surtout plus originaux peuvent être mis en évidence à partir du suivi des expositions des travailleurs aux produits du process. Compte tenu de l’extrême dangerosité d’un certain nombre de produits (risque mortel pour une exposition au phosgène, risque fort de sensibilisation pour une exposition aux isocyanates, risque d’explosion des dérivés nitrés du toluène), le début des opérations de démontage des réacteurs s’effectue avec une mise en œuvre de moyens de protection très importante : port d’appareils respiratoires isolants par exemple pour parer au risque de purge insuffisante d’une capacité. Il n’y a donc pas d’exposition à ce moment des travaux. De façon paradoxale, c’est quand on avance dans l’arrêt et que le démontage et le nettoyage s’effectuent sur des éléments plus petits ne présentant plus les mêmes risques que le niveau des expositions s’élève jusqu’à atteindre et même dépasser les valeurs limites d’exposition du TDI (diisocyanate de toluylène) ou du dinitrotoluène par exemple. Le risque n’étant plus létal et le port de protections individuelles constituant une gêne qui retarde inévitablement le travail, les mesures prises pour assurer la santé et la sécurité du personnel deviennent moins draconiennes et les expositions professionnelles apparaissent. Compte tenu de la forte pression temporelle qui règne (l’arrêt doit être, autant que faire se peut, limité dans le temps), tant pour l’EE (qui « fait sa marge », voire évite les pénalités, en effectuant rapidement les travaux) que pour l’EU, il faut que la culture sécuritaire soit fortement chevillée à l’esprit du travailleur pour qu’il prenne toutes les précautions souhaitables. En effet, dans un tel contexte, où il n’existe plus de risque mortel immédiat, il lui devient difficile de résister aux multiples pressions pour avancer le chantier au plus vite qui peuvent s’exercer sur lui directement ou indirectement (EU, hiérarchie de l’EE, voire collègues désireux de traiter dans les meilleurs délais un chantier qui peut les avoir conduits loin de leurs bases). Plus l’arrêt avançait dans le temps et plus de polluants notamment d’isocyanates étaient mis en suspension dans l’atmosphère des lieux de travail sans toujours être évacués correctement, occasionnant une gêne générale pour tous les intervenants du site. Aussi, vers la fin de l’arrêt, la décision de procéder à un nettoyage général du site au cours 151
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d’une nuit a-t-elle été prise. Sur les 24 mesures de l’exposition des travailleurs de l’équipe de nettoyage qui ont été effectuées cette nuit-là, 13 se situaient au-dessus de la valeur limite du TDI. S’agissant d’un agent sensibilisant qui peut être responsable du déclenchement d’un asthme professionnel, il s’agit d’un résultat très inquiétant d’autant que les travailleurs n’étaient pas munis des appareils de protection respiratoire adéquats. Certes le lendemain, la mesure de l’exposition des travailleurs de tous corps d’état à la pollution ambiante a montré qu’elle se situait à des niveaux bien inférieurs, en particulier pour ce qui concerne les isocyanates et le confort de tous s’en trouvait amélioré, mais on peut se demander si le prix à payer n’a pas été la sensibilisation d’un ou plusieurs membres de l’équipe de nettoyage intervenue pendant le nettoyage de nuit. Comme nous l’avons déjà vu dans l’exemple précédent des manipulations de catalyseurs et comme nous le reverrons plus loin dans la présentation des études consacrées à la sous-traitance dans les activités de production d’électricité, il se confirme dans cet exemple que les expositions aux polluants ont souvent bien à voir avec la qualification professionnelle. Moins les métiers sont qualifiés, plus le statut du personnel employé est précaire (atypique), moins l’activité en termes de production est visible, moins les moyens de protection mis à disposition sont élaborés et plus les risques d’exposition professionnelle sont élevés. En outre, un certain nombre d’activités ne se prêtent pas à la mise en place de moyens de protection collective (au premier rang de ces activités on peut citer le nettoyage) et les équipements de protection individuelle, dont les appareils de protection respiratoire, ont pour effet de ralentir l’activité ou de constituer une forte gêne s’il n’est pas possible de ralentir le rythme de travail1. Ils ne sont donc pas utilisés, ou ils le sont mal2. Concernant le choix de ces appareils de protection respiratoire, la législation française relative aux interventions d’entreprises extérieures prévoit sans ambiguïté qu’il revient à l’EE pour son propre personnel. Pour ce faire elle sera aidée par l’évaluation conjointe des risques et l’établissement du plan (écrit dans ce cas précis) de prévention. Cependant, dans des cas particuliers comme celui-ci où le risque est important, compte tenu de la concurrence qui règne entre les EE, n’est-il pas de la responsabilité de l’EU3 d’informer du type de matériel adéquat l’EE ? Ne serait-il pas légitime de le mettre à sa disposition lors d’opérations programmées au dernier moment comme celle-ci et d’allouer un budget 1. De façon générale on peut considérer qu’un appareil de protection respiratoire (à l’exception des appareils à ventilation assistée ou à adduction d’air) dont le port ne se traduit pas par une gêne respiratoire qui impose au travailleur de ralentir son rythme de travail n’est pas porté correctement et n’est pas efficace : s’il n’y a pas de gêne, c’est que le travailleur, consciemment ou non, a fait en sorte que l’étanchéité au visage ne soit pas assurée, ce qui réduit pratiquement à rien l’efficacité du masque. 2. Il convient aussi probablement de rappeler que ces activités sont de faible technicité, que la concurrence fait rage et que les marges sont établies en conséquence. Le facteur « contrainte de temps » devient donc primordial. 3. Cette EU a d’ailleurs l’obligation d’alerter le chef de l’EE concernée lorsqu’il est informé d’un danger grave concernant un des salariés de l’entreprise (article R. 4511-5 à 4511-8 du Code du travail) [2].
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suffisant pour que l’opération puisse se dérouler dans des conditions de sécurité acceptables ? Les masques permettant de protéger des travailleurs contre ce type de produits chimiques ne sont pas d’un usage courant. Enfin, ces obligations en matière de protection des travailleurs ne devraient-elles pas être indiquées précisément au moment de la signature du contrat ? Tous les éléments recueillis au cours de ces études conduisent à penser que, compte tenu des conditions d’emploi qui lui sont faites (déplacements fréquents pour certains travailleurs, travail souvent sous contrainte notamment temporelle, « doublecommande » de la part de l’EU et de l’EE, voire dans certains cas prescription plus forte de la part de l’EU, etc.), cette population des travailleurs des EE présente certaines particularités. C’est à cette approche via la description du métier par les travailleurs des EE eux-mêmes et grâce à l’apport des sciences humaines que nous allons nous intéresser maintenant.
11. Les conditions de vie d’emploi, de travail et de santé des salariés : l’enquête STED1, 2 À l’origine, le CHSCT d’un centre de production nucléaire a demandé une information sur le suivi médical des travailleurs des EE aux médecins du travail. Cette demande a abouti à une étude dont les deux objectifs principaux étaient : – la mise en évidence d’éventuelles difficultés d’application de la réglementation sur l’exposition aux rayonnements ionisants pour les travailleurs des EE en raison de la forte mobilité de cette population, – de permettre aux médecins du travail de définir une politique de suivi médicoréglementaire adaptée à ces populations. Parmi les principaux résultats de cette étude [29], nous retiendrons plus particulièrement : – le fait que ce sont les travailleurs des servitudes nucléaires qui sont les plus exposés aux rayonnements ionisants, devant les tuyauteurs, alors que les plus faibles doses
1. STED : Sous-Traitance EDF Directement affectés aux travaux sous rayonnements ionisants. 2. Un autre éclairage est apportée sur l’enquête STED à travers la contribution à cet ouvrage de Catherine Rondeau du Noyer, médecin inspecteur régional du travail de la région Centre à l’époque de la réalisation de l’étude.
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sont mesurées chez les spécialistes de la gammagraphie et les électriciens, les tuyauteurs et mécaniciens recevant une dose intermédiaire, – la dose de moyenne mensuelle reçue par les travailleurs d’EE est entre 11,5 et 15,7 fois plus forte que celle des travailleurs d’EDF (l’EU) intervenant sur le même site de production d’électricité, avec un total de 82 % de la dose reçue par les travailleurs des EE, pour seulement 18 % pour les travailleurs de l’EU. Ces résultats sont très similaires à ceux que nous avons déjà cités dans les deux études sur lesquelles nous nous sommes plus particulièrement attardés précédemment (manipulation de catalyseurs et arrêt triennal de l’industrie chimique) : – ce sont bien les tâches les plus exposantes qui sont confiés aux travailleurs des EE, le nucléaire offrant la particularité, contrairement à l’industrie chimique citée précédemment, de fournir un indicateur commun : la dosimétrie, – à l’intérieur de la population des EE, ce sont encore, comme dans la chimie, les métiers les moins qualifiés (les servitudes nucléaires regroupant les métiers du nettoyage, de l’échafaudage, etc.) qui sont les plus exposés. Cette première étude a eu un certain retentissement et a certainement contribué à l’abaissement des doses de rayonnements ionisants reçus par les travailleurs des EE qui s’établissent aujourd’hui à un niveau bien inférieur à celui du début des années 1990, date de l’étude. Mais elle a aussi débouché sur une étude épidémiologique beaucoup plus large auprès des salariés DATR (Directement affectés aux travaux sous rayonnements ionisants) des EE lors des arrêts de tranche des centrales nucléaires [30, 31]. L’enquête a porté sur 2 503 sujets masculins en 1993 dont 61 % (soit 1 494) ont été revus en 1998 [32]. Environ 30 % des travailleurs de la cohorte initiale n’ont pu être retrouvés : c’est davantage le fait des travailleurs à contrat précaires (CDD, contrats à durée de chantier ou intérimaires) dont la moitié n’a pu être retrouvé que celui des travailleurs en CDI dont plus de 80 % ont été retrouvés lors de la deuxième enquête. Il n’est évidemment pas possible de retranscrire ici l’ensemble des résultats de l’enquête, aussi nous limiterons-nous aux plus significatifs. Pour ce qui concerne les conditions de travail et de vie : – Entre 1993 et 1998, le pourcentage de travailleurs déclarant effectuer des horaires anormaux fréquents (c’est-à-dire illégaux, durée maximale hebdomadaire dépassée, absence de deux jours de repos consécutifs) a peu évolué, passant de 54 à 51 %, avoir des horaires atypiques (décalés) de 47 à 43 % et avoir une forte amplitude de travail dans la journée de 26 à 29 %, 154
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– Si, de façon constante entre les deux années, les deux tiers des travailleurs déclarent fréquemment avoir des travaux urgents à faire, il apparaît que les travailleurs ont de moins en moins de prise sur leur travail : 24 % (18 % en 1993) ont fréquemment une surcharge de travail, 36 % (31 %) se voie imposer le rythme de leur travail, 22 % (13 %) jugent ce rythme peu supportable, – On enregistre une dégradation des moyens de faire son travail avec 24 % de travailleurs se plaignant d’avoir des outils inadaptés (18 % en 1993), 32 % ne pouvant pas faire un travail de qualité (24 %), 40 % se plaignant d’une mauvaise qualité de la transmission de l’information (24 %). C’est globalement à une dégradation des conditions de travail qu’on assiste, aggravée encore par un sentiment majoritaire (54 % en 1998 au lieu de 45 % en 1993) d’un manque de reconnaissance professionnelle de la part des supérieurs. Paradoxalement cette dégradation ressentie des conditions de travail s’accompagne d’une très nette amélioration de l’exposition aux rayonnements ionisants (diminution de 30 %), alors que les inquiétudes des travailleurs à cet égard restent constantes. La même amélioration est notée sur les conditions de déplacements professionnels, dont la durée et la distance se sont globalement raccourcis, alors que dans le même temps, et tout aussi paradoxalement, davantage de travailleurs font le constat d’une vie familiale dégradée. Puisque ce sont les mêmes personnes qui ont été interrogées aux deux dates, il semble que les améliorations apportées à leurs conditions de vie et de travail ne suffisent pas à compenser une sensation d’usure au travail. Globalement, l’état de santé physique de la population est bon, la petite dégradation observée s’expliquant logiquement, selon les auteurs, par le vieillissement entre les deux bornes de l’étude. Cependant les troubles rachidiens connaissent une augmentation sensible, qu’une analyse multivariée associe de façon significative à la dégradation ressentie des conditions de travail et à un manque de reconnaissance professionnelle. De même avec 25 % de symptômes dépressifs en 1998 (contre 18 % en 1993), cette population atteint un niveau parmi les plus élevés parmi les populations de travailleurs étudiées. Là aussi, l’association avec le ressenti globalement négatif des conditions de travail (mauvaise reconnaissance, absence de maîtrise de la tâche et du rythme de travail, etc.) est statistiquement significative. Il est important de rappeler que ces résultats concernent la partie la plus stable de la population, composée presque exclusivement de travailleurs titulaires d’un CDI chez laquelle le désir de quitter le métier est de plus en plus élevée. Cette dégradation pourrait même être renforcée par le fait que ce souhait de changer d’horizon professionnel se trouve confronté à la conscience d’une incapacité à le faire pour des raisons diverses (difficultés à retrouver un emploi dans un marché peu porteur, métiers très spécialisés associés souvent à un « nomadisme » forcé mais apportant des compensations financières [même si c’est au prix d’une dégradation 155
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des conditions de vie : séjours en caravanes, etc.], conditions de rémunérations, etc.). Tout cela s’accompagne d’une dégradation ressentie des relations avec le personnel d’EDF, le donneur d’ordres, que la bonne qualité globale des relations au sein des collectifs de travail de chaque EE ne semble pas suffire à contre-balancer. La tendance à la dépression nerveuse, plus forte chez cette population que dans la moyenne mesurée habituellement dans le monde du travail, est liée pour l’essentiel à des facteurs professionnels : – temporels : amplitude de la durée du travail et interruptions, – de charge physique : répétitivité des opérations en particulier dans des situations considérées comme dangereuses, – de perception du travail : s’il est peu intéressant ou si les règles et consignes de sécurité sont jugées très contraignantes, – liés au support social dans le travail : très nettement liés à une dégradation ressentie de la qualité des collectifs de travail [33]. Ces facteurs professionnels viennent bien sûr s’ajouter aux facteurs non directement professionnels, mais néanmoins liés à l’activité telle qu’elle est pratiquée, tels que les déplacements, l’éloignement de la famille, etc.
12. Une autre étude sur les conditions de vie et de travail des intervenants de la maintenance nucléaire À peu près vers la même époque, la Direction du parc nucléaire d’EDF a confié au Centre de recherches en gestion de l’École polytechnique la tâche de réaliser un « état des lieux objectif, réalisé par un organisme indépendant, incluant, en plus des conditions de vie et de travail, la dimension de la compétence des intervenants » [34]. Par rapport à l’étude STED, les auteurs ont ajouté, à l’administration d’un questionnaire à 1 368 travailleurs d’EE venant participer à des arrêts de tranche, 90 entretiens avec des dirigeants, des membres de l’encadrement ou de la maîtrise ou des ouvriers de ces EE. Les résultats de cette étude ne montrent pas de contradiction importante avec la précédente. Cependant, l’appréciation des rapports avec les personnels d’EDF semble ici plus favorable. Ceci d’autant plus que les intervenants extérieurs regrettent dans leur grande majorité la raréfaction des personnels de l’EU, ceux-ci tendant de plus en plus 156
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à être remplacés par des personnels d’EE. L’étude montre que les travailleurs ont une appréciation positive de leur métier (à 73 %), mais compte tenu des possibilités très limitées d’évolution de carrière, de la capacité très restreinte de développer leur savoirfaire et leur capacité d’invention, ils ne sont plus que 40 % à considérer l’intérêt du travail comme l’un des éléments déterminants dans le fait de continuer à l’exercer. La rémunération semble un paramètre plus important d’attachement au métier, même si les conditions financières sont jugées de moins en moins attractives. À la question : « Si vous aviez le choix de quitter ce milieu de travail (à conditions en particulier de rémunération identiques) le feriez vous ? », 82 % des enquêtés donnent une réponse positive, avec des pourcentages encore plus élevés du côté des métiers les plus spécialisés dans le domaine du nucléaire (gammagraphie, électronique et automatismes, robinetterie) et plus faibles pour les métiers à moins forte spécificité comme les échafaudeurs ou les électriciens. Cette différence s’explique peut-être par le fait que les seconds effectuent déjà une part plus importante de leur activité hors du secteur nucléaire et qu’en conséquence la contrainte est ressentie moins fortement. En croisant cette réponse avec d’autres, les auteurs émettent d’ailleurs l’hypothèse que c’est la forte pression temporelle et les contraintes qu’elle impose sur l’exécution du travail (déjà signalée dans l’enquête STED) qui est un des facteurs les plus importants expliquant ce souhait de changer d’activité. Les enquêtés sont pleinement conscients de la difficulté de cette réorientation professionnelle, compte tenu de leur spécialisation et du marché du travail. L’impression globale est celle d’un choix par défaut et d’un maintien dans l’activité par la contrainte. L’aspect « point sur les compétences » constitue une originalité de l’« étude sur les conditions de vie et de travail des intervenants de la maintenance nucléaire » par rapport à l’étude STED. Elle met en évidence d’assez forts pourcentages de réponses positives à des questions portant sur des constatations de manquements à la qualité d’exécution du travail et à la sécurité (respectivement 30 et 38 %). Si, dans l’ensemble, les travailleurs jugent que les procédures et les gammes sont de bonne qualité, il leur arrive d’être fréquemment confrontés à des situations de travail où il n’en existe pas. Pire, 41 % d’entre eux déclarent avoir été confrontés à des gammes inadaptées dont ils savaient qu’elles avaient déjà été signalées comme fautives, mais qui n’avaient pas été corrigées dans l’intervalle. En revanche, un nombre non négligeable (aucun chiffre n’est donné par les auteurs pour cet item) d’opérateurs expérimentés considérait les procédures comme du savoir-faire figé, vécu alors comme une contrainte et un appauvrissement. La conception de la qualité génératrice de progrès est là aussi remise en question, au moins dans le ressenti des opérateurs. Enfin le facteur « temps » est très clairement identifié comme un des éléments essentiels conditionnant le déroulement des chantiers. La question de la coordination des activités 157
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entre l’EU, mais surtout entre les différentes EE n’est dans un certain nombre de cas pas traitée de façon aussi approfondie qu’elle le devrait. En outre, les glissements de plannings ne s’accompagnent pas toujours de la nouvelle analyse des risques qui devrait s’imposer : ainsi 85 % des travailleurs affirment s’être trouvés confrontés à au moins une situation où ils n’étaient pas convenablement protégés à cause de tels décalages temporels. Pour plus de la moitié des échafaudeurs et des robinetiers, c’est même une situation fréquente ou assez fréquente. Et les EE ne protestent pas systématiquement contre ce décalage : en moyenne un tiers d’entre elles s’accommodent de la situation. Comme il l’a été signalé dans l’étude STED, ce sont les retards pris dans l’exécution des chantiers qui génèrent les infractions à la législation sur la durée du travail et ces pratiques sont courantes puisqu’elles sont signalées par 77 % des enquêtés. Près de la moitié des travailleurs ayant répondu au questionnaire associent aussi ces retards à une augmentation de la dosimétrie en ce qu’ils désorganisent les chantiers et conduisent à prendre des libertés avec les règles de sécurité.
Encadré 5.3 – La charte de progrès et de développement durable d’EDF Dans le cadre de la deuxième charte [35] signée le 28 janvier 2004 avec les organisations professionnelles représentant les entreprises du domaine nucléaire, EDF a souhaité renforcer les partenariats déjà établis entre les EE et les centrales nucléaires lors de la signature de la charte initiale en 1997. La première charte formalisait des engagements réciproques dans les domaines suivants : transparence de l’appel aux entreprises prestataires, développement du professionnalisme des intervenants, prévision à long terme des charges d’activité, amélioration de la radioprotection, de la sécurité et des conditions de travail. La charte de 2004 s’inscrit dans la continuité de l’accord précédent, mais s’oriente vers « une meilleure reconnaissance du professionnalisme des intervenants et une meilleure protection de ceux-ci ». Elle insiste aussi sur le souhait de « renforcer l’attractivité des activités de maintenance industrielle dans le nucléaire et de favoriser le développement de compétences spécifiques ». C’est ainsi qu’entre 2001 et 2004, le pourcentage des commandes passées au minimum quatre mois avant le début de l’intervention est passé de 22 % des commandes à 61 % (chiffres exprimés en valeur). C’est aussi par le biais de 500 contrats pluriannuels (6 millions d’heures de travail par an, soit l’équivalent de 3 750 emplois à temps plein) passés avec les entreprises qui emploient en tout plus de 20 000 salariés qu’EDF souhaite offrir une meilleure visibilité aux EE afin de les aider dans leurs politiques de gestion des ressources humaines et d’investissement. Parmi les nouveaux engagements figure aussi le versement d’une prime aux entreprises pour tous les travaux réalisés sur des matériels qui contribuent à la sûreté des installations. Dans chaque centre de production nucléaire a été mis en place, au plus tard à la fin de l’année 2004, une CIESCT (Commission inter-entreprises sur la sécurité et les
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conditions de travail) dans lesquelles sont représentées les directions d’EDF et des EE, ainsi que les travailleurs de l’EU et des EE. Cette commission, dont les missions se veulent complémentaires de celles des CHSCT, intervient dans les domaines relevant de la prévention des risques, de la radioprotection, des conditions de travail (lieux, hygiène, rythmes…) et de la santé au travail. Un parallèle peut bien sûr être fait avec les CHSCT élargis prévus par la loi sur les risques technologiques majeurs pour les entreprises « Seveso II — seuil haut ». Enfin l’objectif d’amélioration de la radioprotection du personnel est poursuivi. Le nombre d’intervenants dont la dose sur mois est supérieure à 20 millisieverts (mSv) (valeur limite française) est passé de 1 200 en 1992, à 8 en 1999 et 1 en 2003. Un dispositif de contrôle a été mise en place qui est actionné dès le dépassement du seuil des 16 mSv et le suivi de la règle du prorata temporis (qui vise à ce qu’un travailleur précaire [CDD ou intérimaire] ne soit pas exposé à une dose supérieure à 20 mSv corrigée prorata temporis de la durée de son contrat) a été renforcé auprès des entreprise prestataires par une transmission plus rapide des données d’exposition.
13. Une ouverture vers l’international La problématique « entreprises extérieures » est curieusement assez peu représentée dans la littérature internationale, au-delà de quelques recommandations générales émanant des inspections du travail ou des organismes de prévention et visant à éviter la coactivité [36]. Certaines entreprises ou groupements d’entreprises ont également édicté leur propre code de bonne conduite [37]. Nous n’avons pas trouvé d’équivalent aussi complet et aussi spécifique que la législation française dans les pays économiquement développés bien que pour les pays de l’Union européenne la directive dont est issue la législation française ait également été transcrite dans les droits nationaux. Une revue récente de la littérature consacrée aux formes de travail atypique ne considère même pas la problématique en tant que telle alors qu’elle identifie clairement le « selfemployment », le travail à domicile, le travail intérimaire ou le travail à temps partiel par exemple [38]. Il ne semble pas qu’au niveau international en général la même attention qu’en France soit portée au sujet par les chercheurs. Toute une série d’articles a été consacrée à la sous-traitance interne dans l’industrie pétrolière sur les plates-formes de la mer du Nord ou dans l’industrie pétrochimique aux ÉtatsUnis. Ces articles abordent soit la composante organisationnelle (comment obtenir une bonne intégration des travailleurs des EE afin d’éviter les accidents industriels), soit s’intéressent à l’accidentabilité des travailleurs des EE. Aucun de ceux consacrés à la soustraitance interne, dont nous avons trouvé trace dans la littérature, n’aborde la question de 159
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l’exposition aux polluants chimiques ou physiques dans l’optique de mettre en évidence d’éventuelles différences entre travailleurs des EU et des EE. Dans les années 1990 aux États-Unis les travailleurs des EE (« contractors ») représentaient environ un tiers de la force de travail. Ce nombre était en augmentation constante. À la suite d’incidents de plus en plus fréquents, l’OSHA (Occupational Safety and Health Administration) a mené une étude pour déterminer l’éventuelle implication du recours aux travailleurs des EE dans la survenue de ces accidents. Pour des raisons essentiellement juridiques, les EU s’impliquent peu en général dans la formation et l’information des travailleurs des EE : ce faisant, elles courraient le risque de voir reconnu un lien de sujétion de ce travailleur et donc une responsabilité en cas d’accidents. En résulteraient forcément des demandes d’indemnisation (venant de toute part). En revanche (et pratiquement pour les mêmes raisons), elles sont tenues de fournir des lieux de travail où on peut travailler en sécurité. Une étude effectuée sur le personnel des EU et des EE d’un nombre limité d’entreprises1 aboutit aux principaux résultats suivants [39] : – le pourcentage de travailleurs des EE accidentés lors de l’année précédente dans leur travail actuel est plus élevé d’environ 35 % que celui des employés des EU, mais aucun excès n’apparaît dans les activités de maintenance2 : ces chiffres sont cependant probablement sous-évalués puisque la durée d’emploi dans l’EU des travailleurs des EE est souvent inférieure à l’année, – la différence entre taux d’accidents des travailleurs des EE et des EU tend à s’égaliser à l’intérieur d’un même type d’activité (nettoyage par exemple ou bien maintenance) quand la durée d’emploi augmente, – plus l’EU s’implique dans le contrôle de l’activité du travailleur de l’EE et plus grand est le nombre d’heures de formation assurées « en direct », meilleurs sont les résultats en termes d’accidentabilité. Un deuxième article [40], rédigé à partir des données issues de la même enquête, insiste plus particulièrement sur les excellents résultats obtenus par une entreprise qui (malgré l’avis contraire de ses juristes, est-il précisé) a décidé d’appliquer la même politique aux EE qu’à son propre personnel. Selon les auteurs, une amélioration nette de la
1. L’auteur note que, compte tenu des conditions de participation (volontaire) à l’étude et de recueil des données, l’échantillon des entreprises est probablement biaisé dans un sens favorable (les « mauvais élèves » ou les usines dans lesquelles il n’existait pas d’accord d’entreprise pour l’existence de sections syndicales [« non-unionized »], bien que sollicités, s’étant tenus à l’écart de l’étude). 2. Il convient cependant de noter que les travailleurs de la maintenance des EE ont plus d’ancienneté en moyenne que leurs collègues des EE des autres activités, cf. remarque suivante sur la tendance à la diminution de l’accidentabilité avec la durée d’emploi.
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situation implique obligatoirement que le donneur d’ordres (l’EU) soit rendu responsable de la sécurité de tous ceux qui interviennent sur son site. Ils recommandent également d’améliorer le recueil et la centralisation des données, tous types d’entreprises confondus. Ils insistent également sur le fait que le recours à des EE est un facteur important d’augmentation du stress sur le lieu de travail avec des conséquences possibles sur la sécurité au travail. Une autre étude s’est intéressée plus particulièrement à la perception du risque par le personnel d’une usine en fonction de son statut [41]1. Nous ne retiendrons ici de cette étude que les éléments qui concernent la sous-traitance interne, sachant que pour des raisons d’organisation interne à l’EU, l’étude n’a pas pu être menée pendant une période d’arrêt (au cours de laquelle un nombre important de travailleurs d’EE moins familiarisés avec l’EU est employé, cf. [26, 27]). Il s’agit donc de travailleurs d’EE relativement familiers de l’EU. Les auteurs ont utilisé un questionnaire bâti pour l’essentiel à partir de ce que propose Karasek pour mesurer les attentes des travailleurs par rapport à leur travail et à la latitude dont ils disposent pour l’accomplir, complété d’items visant à mesurer l’estimation de sa propre valeur2 par le travailleur et son fatalisme. Un des résultats de l’étude montre que les travailleurs des EE sont beaucoup plus inquiets du risque qu’ils prennent au travail que ceux de l’EU. Les auteurs font l’hypothèse que cette inquiétude est davantage due à leur statut précaire (ils changent plus fréquemment d’employeurs, ils connaissent des périodes de chômage plus longues) qu’à une réelle inquiétude quant aux procédés et/ou aux produits utilisés. Les auteurs confortent cette hypothèse par le fait qu’en dépit de cette plus forte inquiétude, ils sont deux fois moins nombreux que les travailleurs des EU à refuser de faire des travaux dangereux ou à exercer ce que nous appellerions en France leur droit de retrait. Ils confirment l’hypothèse de Karasek selon laquelle une moindre capacité de contrôle sur le travail effectué est génératrice d’inquiétude et plus généralement de stress. Ils ont également recueilli un certain nombre d’éléments les conduisant à penser que la situation décrite était plus favorable que celle qu’ils auraient rencontré en période de grand arrêt. Une étude consacrée à l’industrie pétrolière britannique s’est intéressée principalement à une éventuelle sous-déclaration des accidents du travail de la part des travailleurs des EE intervenant sur deux plates-formes off shore d’exploitation pétrolière en mer du Nord [42]. Son principe a consisté à recueillir les interviews de 98 personnes (85 sur les plate-formes concernant à la fois le personnel de l’EU et des EE, 13 avec des membres de l’encadrement ou de la Direction basés à terre). Le recours aux EE est massif sur ces installations puisque le personnel de l’EU ne constitue que 20 % des effectifs, principalement employés dans les tâches administratives, d’encadrement et dans les métiers les 1. Sur soixante-dix entreprises contactées, une seule a accepté de participer à l’étude. 2. « Self-esteem » vs « self-denigration ».
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plus spécialisés (production, électronique, instrumentation). Cet opérateur pétrolier est considéré comme le plus performant parmi tous ceux qui interviennent sur le secteur. En matière de formation à la sécurité et d’évaluation du respect des règles de base, aucune différence n’est faite entre le personnel de l’EU et celui des EE qui suivent la même formation de base adaptée au travail bien particulier de la plate-forme. Cependant, dans l’évaluation de la qualité du travail fourni par les EE, le nombre d’accidents du travail entre en jeu : de mauvais résultats peuvent remettre en question un nouveau contrat. Pour autant, sur une des plates-formes, les travailleurs des EE étaient victimes de 29 des 30 accidents sérieux recensés sur une année, et sur l’autre de 85 des 95. La dissimulation ou la minimisation des accidents n’était pas rare : une partie du salaire en dépendait pour le personnel de l’EU1, le renouvellement du contrat pour les EE, voire des interdictions d’emploi ultérieures prises sur une base individuelle pour certains membres de leur personnel2. L’auteur considère que le fait que les travailleurs des EE aient le sentiment d’être considérés comme des travailleurs de « seconde zone » (horaires dépassés, heures supplémentaires non reconnues, durées de séjour sur la plate-forme plus longues, vêtements et matériels de sécurité de moins bonne qualité, etc.) les conduit à instaurer une distance vis-à-vis de l’EU et de la politique sécurité qu’elle promeut. De même quand un accident était déclaré, l’analyse qui en était faite se traduisait le plus souvent par une mise en cause individuelle plutôt que par une réflexion en termes d’organisation du travail. À la suite de l’étude, la politique de l’EU vis-à-vis de ses sous-traitants a évolué de façon significative, en particulier à cause de la crainte avouée qu’une dissimulation des accidents ne fausse l’analyse de la situation réelle et ne se traduise tôt ou tard par un accident majeur. L’auteur conclut en disant qu’en matière d’hygiène et de sécurité, « c’est l’évaluation de la performance qui crée la performance », quitte à la détacher de la réalité du terrain et à la rendre purement artificielle. Une étude à partir de statistiques recueillies pendant cinq années consécutives a été réalisée dans l’industrie minière en Suède dans les années 1990 [43]. Elle a montré une accidentabilité plus forte des travailleurs des EE (de l’ordre de 70 % si on s’en tient aux accidents déclarés) et une plus grande gravité de ces accidents. Elle confirme également que les tâches effectuées par les uns et les autres ne sont pas comparables, ce que confirme la nature et la plus grande gravité des accidents des travailleurs des EE. Elle met également en évidence une dissimulation des accidents dans ces dernières, due d’une part à la différence des structures (les EE étant beaucoup plus petites que les EU 1. 50 % d’entre eux reconnaissent ne pas avoir déclaré un accident du travail, une part de leur salaire étant basée sur leurs résultats en matière de sécurité, sans oublier une prime collective versée à l’équipe entière en cas d’absence d’accident. 2. Tous les interviewés des EE faisaient part de minimisation, voire de dissimulation d’accidents du travail.
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et n’ayant pas développé les mêmes structures de suivi de la santé et de la sécurité au travail) et d’autre part à une volonté délibérée de cacher le plus grand nombre possible des accidents n’ayant pas entraîné d’interruption de l’activité professionnelle.
Encadré 5.4 – Le cas de l’hôtellerie – restauration Il ne s’agit évidemment pas d’un secteur industriel à proprement parler mais les particularités mises en évidence dans une étude australienne [44] méritent qu’on s’y attarde. Les chercheurs ont conduit des entretiens avec des travailleurs directement employés par des EU et d’autres qui l’étaient par l’intermédiaire d’EE. Aussi bien pour ce qui concerne le nombre d’accidents que la description des principales nuisances rencontrées au travail, on note assez peu de différences entre les deux catégories de personnel. Autre particularité, assez inhabituelle dans les autres études, les personnels des deux types d’entreprises effectuent à peu près le même travail, le recours aux EE étant surtout liée à une sous-traitance de capacité afin de mieux gérer les fluctuations d’activité. Il semble que le statut de l’emploi n’ait guère d’importance sur les conditions de travail. Les problèmes de flexibilité souvent cités comme des facteurs aggravants en termes de qualité de la vie au travail ne paraissent d’ailleurs pas plus importants dans une catégorie que dans l’autre. Il n’en est pas de même pour d’autres secteurs d’activités considérés dans l’étude comme le transport routier ou la construction par exemple.
14. Commentaires et perspectives Le débat qui consiste à savoir si le recours aux EE correspond à une « externalisation du risque » auquel nous avons fait allusion à plusieurs reprises au cours de cet exposé ne nous semble pas être la façon la plus appropriée de poser le problème1. Le constat qu’on peut faire en effet, c’est que, parmi les activités confiées à des EE, se trouvent un certain nombre d’activités pour lesquelles la fréquence des accidents du travail et le niveau d’exposition aux polluants physiques et chimiques se situent au-dessus du niveau des activités correspondant au « cœur du métier ». Nous en avons donné d’assez nombreux exemples tout au long de ce texte pour qu’il ne nous semble pas nécessaire d’y revenir. La question devient alors : que faut-il faire pour que cette fréquence et ces expositions diminuent ? Quels sont dans les modes d’organisation actuels les obstacles à une amélioration de la situation ?
1. Sa formulation polémique peut d’ailleurs constituer un excellent alibi pour tous pour ne pas débattre de la réalité des problèmes.
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Le premier obstacle, mais qui n’est en rien spécifique de l’activité des EE dans les EU est la logique d’intensification du travail à l’œuvre dans le monde industriel aujourd’hui. Compte tenu de la mondialisation des échanges et de l’exacerbation de la concurrence économique, les EU sont tenues de répercuter tous les ans aux EE les gains de productivité qu’elles sont dans l’obligation de réaliser (au même titre qu’elles se les appliquent à elles-mêmes, les EE ne suffisant pas à elles seules à jouer le rôle de variable d’ajustement). Ainsi pour reprendre un exemple déjà évoqué précédemment, dans une raffinerie de pétrole où le prix de revient de la main d’œuvre est peu de choses par rapport au coût de l’investissement dans l’outil de production et à celui de la matière première, la perte d’exploitation quand l’installation est à l’arrêt est telle que l’EU est tenue de réduire la période accordée à toute intervention au minimum. Au plus petit incident, ce minimum devient insuffisant et la nécessité de rattraper le temps perdu devient un facteur de désorganisation, générateur d’accidents ou d’expositions professionnelles1 [45]. Aussi longtemps qu’il ne sera pas possible de desserrer cet étau de l’intensification qui consomme les gains apportés par les progrès technologiques à mesure qu’ils apparaissent2, il semble difficile d’envisager une amélioration globale des conditions d’intervention des EE. Afin de conserver la maîtrise des processus globaux alors que leurs propres équipes effectuent de moins en moins les opérations unitaires qui les composent, les EU ont été amenées à développer les systèmes qualité. Cette dernière a certainement permis de mettre fin à certains comportement aberrants, aux conséquences néfastes pour les opérateurs, même si on a vu que des opérateurs mettent en cause la « rigidification » des pratiques professionnelles qu’elle induit et considèrent qu’elle peut être un facteur pénalisant pour la santé et la sécurité au travail. Quant aux systèmes de management de sécurité, qui s’inscrivent dans cette logique de qualité, au-delà de leurs aspects formels, ils ont indéniablement participé à un apprentissage efficace de l’évaluation des risques et de la prévention par les chefs des EE. Cependant deux obstacles majeurs s’opposent à leur efficacité : – si le chef de l’EE est responsable en droit de la santé et de la sécurité des travailleurs qu’il emploie, dans un nombre important de cas, il n’est pas vraiment maître du déroulement des travaux : le vrai prescripteur de travail est l’EU et, plus ou moins directement, c’est également cette dernière qui détermine fondamentalement la
1. En particulier dues à la coactivité, l’analyse des risques imposées par le Code du travail [2] n’étant pas réactualisée, en particulier par manque de temps, en fonction de la nouvelle planification des travaux. 2. Cette intensification peut même exiger plus que le gain de productivité : elle se traduira alors par une augmentation des contraintes sur l’opérateur, génératrices de souffrance mentale, de mal-être au travail, de stress, avec des conséquences physiologiques possibles comme l’augmentation des troubles musculosquelettiques (TMS) par exemple).
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politique de sécurité de l’EE par les conditions (financières, techniques, temporelles, tout cela étant intimement lié) qu’elle lui impose par le biais du contrat1, – le chef de l’EE est pris dans une logique infernale d’amélioration de la productivité qui lui est imposée par le donneur d’ordre et d’amélioration de sa performance « hygiène sécurité environnement » inhérente à la logique qualité des systèmes de management de la sécurité : pour des simples raisons de survie économique il peut être amené à tricher avec la réalité des faits (cf. la dissimulation d’accidents du travail relativement bénins mise en évidence sur le bassin d’emploi de l’étang de Berre [14]) et la logique de progrès de la qualité par le suivi et l’amélioration continue des indicateurs s’effondre dans la pratique comme un château de cartes2. Compte tenu des règles très particulières qui régissent le fonctionnement de la soustraitance interne, la prévention des risques professionnels doit pouvoir s’adapter. Les préventeurs institutionnels (inspection du travail, services Prévention des risques professionnels, médecins du travail, etc.) ne doivent plus considérer les EE comme des entreprises comme les autres. Le fonctionnement de ces institutions est encore trop organisé selon les modes qui ont été mis en place quand la sous-traitance interne était un phénomène marginal : aujourd’hui les risques se sont déplacés des EU vers les EE, des formes d’emplois typiques vers les formes d’emplois atypiques, et nous n’avons pas la certitude que cette notion ait été pleinement intégrée autrement qu’en théorie dans les structures chargées de la prévention. Mais le système de production étant plus complexe et plus flexible, il impose aussi que soient donnés des moyens supplémentaires 1. Nous avons été confrontés récemment aux difficultés liées à ce manque complet d’autonomie du chef de l’EE. Compte tenu des inquiétudes suscitées par les propriétés toxicologiques des fibres céramiques réfractaires, le service prévention d’une CRAM a mené une campagne auprès des entreprises d’isolation pour leur substitution par d’autres types de fibres considérées comme moins toxiques, et en particulier les fibres dites AES (beaucoup moins bio-persistentes dans l’organisme), dont le domaine d’utilisation vers les températures les plus hautes s’est considérablement élargi ces dernières années jusqu’à atteindre récemment 1 380 °C. La difficulté est apparue très rapidement : dans le domaine de l’isolation industrielle, ces matériaux sont le plus souvent mis en œuvre par des EE spécialisées, dont la latitude en matière de choix est nulle. C’est donc la conviction des donneurs d’ordre des EU qu’il fallait gagner, opération délicate dans la mesure où les produits de remplacement sont plus coûteux, probablement de moindre durée d’utilisation et où le remplacement peut entraîner un besoin de modifications de certaines caractéristiques techniques de la couche isolante. De ce côté sont très vite apparues des réticences liées à la concurrence accrue au niveau mondial dont souffrent les industries de process basées en France et à la financiarisation de l’industrie. Les arguments, avancés par les préventeurs, selon lesquels l’utilisation de ces fibres non toxiques permettrait en revanche d’alléger les mesures de sécurité prises par les EE (dont l’Institution Prévention des risques professionnels souhaite qu’elles soient équivalentes à celles qui seraient prises pour mettre en œuvre de l’amiante) et donc le coût global de l’opération n’a pas semblé très efficace, faisant naître dans notre esprit quelques doutes sur l’effectivité de ces mesures de prévention… 2. Elle peut même devenir contre-productive en dissimulant la réalité des faits. À partir de là toute construction globale (comme se veut être la qualité) établie sur des éléments biaisées risque de perdre toute efficacité.
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à ces structures de prévention pour qu’elles puissent justement s’adapter elles-mêmes à cette flexibilité. Voir un salarié annuellement (et même, parfois, tous les deux ans…) ne peut pas suffire à un médecin du travail pour faire de la prévention (rappelons qu’il est le conseiller du chef d’entreprise…), ni assurer le suivi de la santé du travailleur, même si l’EE a elle-même sa propre mission hygiène et sécurité. Quand bien même la fréquence des visites médicales serait augmentée (ce qui ne semble pas aller dans le sens de la tendance actuelle), ce n’est pas le médecin qui pourra vérifier que l’analyse des risques est effectuée correctement au poste de travail et que les mesures de prévention idoines sont prises. Dans bien des cas, la gestion d’une partie au moins des dispositions prises en matière d’hygiène et sécurité par les EE gagnerait, pour des raisons d’efficacité, voire de coût, à être confiée à l’EU qui est plus à même de faire l’analyse des risques. Il n’est pas question que ce soit l’EU qui fournisse une torche aspirante à un soudeur d’une EE puisque c’est un matériel inhérent au travail qu’il effectue. Cependant, pour reprendre un exemple développé précédemment, est-il raisonnable d’espérer qu’une EE de nettoyage aura la capacité d’analyse des risques suffisante pour connaître quel type d’appareil respiratoire elle doit mettre à la disposition de son personnel confronté à une molécule chimique particulière à laquelle il va être confronté de façon exceptionnelle ? Pourquoi ne pas envisager sur les plus gros sites des structures spécialisées (dont les modalités de financement et de fonctionnement sont à imaginer) dont la tâche essentielle serait d’assister les EE dans la gestion de leur politique hygiène et sécurité. Et pour les interventions sur les sites plus petits, n’y a-t-il pas de possibilité de « mutualisation » des ressources en hygiène et sécurité en incitant les plus petites entreprises à organiser des services communs de prévention des risques professionnels, comme cela se pratique déjà quelquefois dans certaines régions, mais pas, à notre connaissance, dans une logique d’EE ? Enfin, il faut redonner toute leur place aux CHSCT ou aux délégués du personnel pour les plus petites entreprises. Sauf dans certains cas (entreprises Seveso II – seuil haut, accords particuliers de branches ou d’entreprises, etc.) les CHSCT des EU ne disposent pas de crédits d’heure particulier pour gérer la complexité apportée par le recours à la sous-traitance. Compte tenu des difficultés que ces CHSCT d’EU éprouvent parfois pour justifier devant leurs mandants leur action en faveur des travailleurs des EE, ces moyens supplémentaires (cohérents avec ceux que nous préconisons pour les structures sécurité et les préventeurs institutionnels) devraient leur permettre d’améliorer la sécurité globale du système. Il faut bien évidemment accorder des moyens équivalents aux CHSCT (ou à défaut aux délégués du personnel) des EE afin de favoriser les coopérations au niveau des sites. Parmi les mesures qu’il préconise dans son rapport sur les conséquences sur le travail et l’emploi de l’externalisation, le Conseil économique et 166
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social prend d’ailleurs l’exemple des évolutions prévues dans la loi sur les risques technologiques majeurs pour les CHSCT des entreprises « Seveso II – seuil haut » comme une mesure allant dans le bon sens pour améliorer la sécurité du travail pour les EE [1] et propose de l’étendre à l’ensemble des opérations de sous-traitance interne. Certains chercheurs, compte tenu de la difficulté pour les CHSCT ou DP (pour les entreprises de moins de 50 salariés) des EE demandent une « discrimination positive » qui leur donnerait plus de moyens pour effectuer leur tâche [13]. La réalité du terrain montre qu’on est encore bien loin de conditions acceptables de fonctionnement pour les CHSCT des EE. En effet, suite à un recours formé par l’Union des industries chimiques et la Fédération des industries mécaniques, le Conseil d’État a annulé, le 12 juin 1995, plusieurs dispositions de deux circulaires ministérielles : – Celle donnant au CHSCT d’une EE compétence pour les travailleurs de sa propre entreprise dans leurs interventions sur le site d’une EU : cette compétence ne revient qu’au CHSCT de l’EU. – Dans la même logique, le CHSCT n’a pas la possibilité d’avoir libre accès au site d’une EU dans laquelle interviennent des travailleurs de l’EE afin de procéder à une enquête en cas de risques ou d’accident dont a été victime un des salariés qu’ils représentent. L’accès est en effet limité au cadre des réunions et inspections prévues par la loi, organisées par le chef d’établissement de l’EU. Dans la pratique, souvent à l’initiative (ou sous couvert) du CHSCT de l’EU, de telles inspections ont quelquefois lieu dans la mesure où le chef de l’EU les autorise, ou au moins ne s’y oppose pas, mais elles ne sont pas de droit. – Enfin, le temps de transport des membres du CHSCT de l’EE n’est pas considéré de droit comme un moyen nécessaire aux déplacements et pris en charge comme tel. C’est par un dialogue permanent entre les différentes structures (Directions et représentants du personnel des différentes entreprises) que des progrès peuvent être accomplis grâce à une meilleure connaissance des conditions réelles d’exercice des différents métiers et des différentes tâches. Encore faut-il reconnaître à chacun toute sa dignité : l‘annulation par le Conseil d’État des dispositions mentionnées ci-dessus ne vont de toute évidence pas dans le sens d’une égalité de droits pour les travailleurs des EE par rapport à ceux des EU1. Le dialogue et les progrès qui sont en jeu ne se limitent pourtant 1. La décision du Conseil d’État (s’appuyant notamment sur le fait qu’une circulaire ne peut pas aller dans son interprétation au-delà de ce qui est écrit dans un texte de loi) a introduit, ou plutôt confirmé, le caractère bancal de la législation relative aux travaux effectués dans un établissement par une entreprise extérieure : la loi insiste sur le fait que la responsabilité en termes d’hygiène et de sécurité du chef de l’EE n’est pas modifiée par le fait de son intervention sur le site de l’EU, mais le CHSCT de l’EE perd une partie de ses prérogatives puisqu’il n’a plus de compétence générale quand les travailleurs ne sont plus dans les locaux de l’entreprise. Dans le même temps, il est confirmé que « le CHSCT [de l’EU] a pour mission
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certainement pas à la seule composante sécuritaire (en santé au travail ou en environnement), mais peuvent aussi concerner l’économie globale des entreprises : à moyen ou long terme, la bonne santé de l’EU dépend aussi de celle des EE qu’elle emploie. À l’initiative du Conseil supérieur consultatif des Comités mixtes à la production d’EDF, un colloque intitulé « Le nucléaire et l’homme » s’est déroulé » en 2002 [46] où, parmi beaucoup d’autres sujets, mais en lien étroit avec eux, les problèmes liés à la sous-traitance et à la présence des EE dans les centres de production nucléaire ont été évoqués1. La Direction d’EDF était invitée à cette manifestation au cours de laquelle certains propos ont été tenus qui n’ont probablement pas recueilli tout son assentiment, ni ne lui ont fait plaisir. Pourtant il nous semble que c’est à travers ce genre de manifestation, ces échanges d’expériences et de points de vue que des progrès peuvent être accomplis.
Bibliographie [1] Conseil économique et social (2005). Conséquences sur l’emploi et le travail des stratégies d’externalisation des activités. Les éditions des journaux officiels, 167 p. [2] Institut national de recherche et de sécurité (octobre 2005). Intervention d’entreprises extérieures. Aide-mémoire pour la prévention des risques. INRS, ED941, 72 p. [3] Le Roy A. (2004). Sécurité et protection de la santé sur les chantiers de bâtiment et de travaux publics. Hygiène et sécurité du travail, 195, pp. 63-88. [4] Commissariat à l’énergie atomique (2006). Bilan maîtrise des risques 2005. CEA, 64 p. [5] Union des industries chimiques (2002). Accord complémentaire à l’accord du 20 mai 1992 sur l’amélioration des conditions de travail, d’hygiène et de sécurité. UIC, 13 p. [6] Union française des industries pétrolières (2003). Établissements pétroliers et sécurité. Avenant à l’accord du 19 juin 1995. UFIP, 13 p. [7] Union des industries et métiers de la métallurgie (2003). Accord national du 26 février 2003 sur la sécurité et la santé au travail. UIMM, 19 p. [8] Association française des ingénieurs et responsables maintenance (2005). Référentiel harmonisé, auto-évaluation et management du système d’organisation SST pour les entreprises extérieures intervenant sur des sites à risque industriel. AFIM, 17 p.
de contribuer à la protection de la santé des salariés de l’établissement et de ceux mis à sa disposition » (article L. 236-2, 1er alinéa), mais il n’est, par exemple, pas tenu compte des travailleurs des EE pour la détermination du nombre de membres élus du CHSCT de l’EU. Il n’est pas non plus attribué de crédit d’heures supplémentaire aux membres élus du CHSCT de l’EU pour effectuer cette mission. 1. Rappelons que 97 % des travaux de maintenance dans les centrales nucléaires sont effectués par des salariés d’EE, les employés d’EDF intervenant surtout lors de la définition des tâches, de la passation des marchés et du contrôle de la conformité de l’exécution des travaux.
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Suivre la santé des travailleurs des entreprises extérieures. Quelques propositions à travers l’expérience acquise dans la protection de la santé des travailleurs des entreprises extérieures intervenant dans le domaine du nucléaire
Catherine Rondeau du Noyer C’est dans ma fonction de Médecin inspecteur du travail et de la main d’œuvre (MIRTMO) à la Direction régionale du travail, de l’emploi et de la main d’œuvre (DRTEFP) de la région Centre entre 1981 et 2001 que j’ai été confrontée pour la première fois au problème de la sous-traitance extérieure et à celui de ses conséquences sur la santé des travailleurs. C’est en effet dans notre région qu’est née l’initiative, lancée à l’origine par des médecins du travail de l’entreprise donneur d’ordre, qui a conduit aux études connues sous l’acronyme STED (Sous-Traitance EDF – Directement exposé aux rayonnements ionisants). C’est à partir de la réflexion et des travaux menés à cette époque que j’ai été amenée à m’intéresser plus particulièrement aux problèmes posés par la santé des travailleurs des entreprises extérieures et à son suivi. C’est donc par un rappel de l’historique des travaux effectués que je commencerai.
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Suivre la santé des travailleurs des entreprises extérieures 6
1. Les travailleurs des entreprises extérieures du nucléaire : à la fin des années 1980, le constat d’une situation inacceptable C’est à la fin des années 1980 que des médecins du travail EDF et d’entreprises extérieures ont, avec le concours de chercheurs, effectué la première synthèse des dosimétries d’exposition aux rayonnements comparées à celles des employés d’EDF et des travailleurs des entreprises extérieures intervenant dans les centres de production nucléaire d’électricité [1]. Il peut paraître étonnant rétrospectivement, alors que l’important programme d’équipement en centrales nucléaires de la France avait été lancé lors de la décennie précédente, qu’il ait fallu attendre la fin des années 1980 pour que cette première comparaison soit effectuée conformément à la réglementation. Le programme de surveillance a été mis en place rapidement et les obligations étaient respectées (notamment en termes de visite médicale semestrielle et d’enregistrement de la dosimétrie), les données d’exposition étaient disponibles. En réalité pour les travailleurs des entreprises extérieures, il a fallu entreprendre un travail de reconstitution des doses enregistrées pour chaque salarié. Une recherche systématique a été entreprise par des médecins du travail EDF qui ont effectué une compilation des données recueillies sur la centrale nucléaire de Chinon d’abord puis sur les différentes centrales nucléaires ensuite et vérifié leur cohérence [2]. Ce premier travail a mis en évidence que le respect de la législation était purement formel et ne s’inscrivait pas dans une logique de suivi individualisé des expositions, et encore moins dans un suivi de l’ensemble des salariés orienté vers la prévention sur les lieux de travail. Le constat établit en parallèle qu’en 1990, 82 % de la dose de radiations ionisantes enregistrée dans les centrales nucléaires étaient reçus par les salariés des entreprises extérieures. Cette part de l’exposition totale allant croissante avec les années a également abouti à une prise de conscience. Cette étude a également permis de mettre en évidence que les raisons éthiques mises en avant pour assurer la confidentialité des chiffres de la dosimétrie afin d’éviter que ne se mette en place un système de sélection « par la dose » avait surtout pour effet d’empêcher une vraie prise en compte du risque et une prévention efficace. En effet dans la pratique, compte tenu des modalités de recueil et de transmission des données, les employeurs étaient en mesure de connaître leurs propres expositions, mais leur « confidentialité » empêchait qu’elles soient rendues publiques et qu’un véritable travail de prévention soit entrepris. 173
LA SOUS-TRAITANCE INTERNE
Parmi les principales conséquences de cette étude, EDF a décidé l’informatisation centralisée des données de dosimétrie électronique de l’ensemble des centrales. Cette centralisation a permis une évaluation de la dose produite sur l’ensemble du parc électronucléaire français, ce qui constitue une base de départ nécessaire pour permettre une étude des stratégies de réduction des expositions individuelles.
2. Les acteurs de leur prévention et leur attitude face à la prévention des risques professionnels des travailleurs d’entreprises intervenant dans les centres de production nucléaire La construction de cette étude s’est faite sur le constat effectué par les médecins du travail (et en particulier ceux de l’entreprise utilisatrice, EDF) : « Quand nous sommes confrontés à des dépassements de la valeur limite, c’est toujours pour des salariés d’entreprises extérieures ». Les résultats n’ont pas été contestés et des travaux d’enquête complémentaires (sur lesquels nous reviendrons plus loin) ont été entrepris. Toutes les instances chargées d’assurer la prévention des risques professionnels ont fait part de leur intérêt et ont souvent coopéré à la réalisation pratique de l’étude ou à la réflexion sur la modification des pratiques qui a suivi. Il est à mon sens intéressant de réfléchir sur la relative « passivité » qui a été la leur avant que les résultats ne soient établis et publiés. Pour ce qui concerne l’inspection du travail, tant au niveau régional que départemental, le soutien à l’action entreprise a été fort et acquis rapidement. Il en a été de même au niveau national auprès de la Direction des relations du travail (DRT)1 qui m’a demandé d’être la représentante de l’administration du travail au sein du Comité scientifique du Service central de protection contre les radiations ionisantes (SCPRI)2. Rétrospectivement, on peut s’étonner (c’est mon cas) que, sur un sujet aussi important, une quasinovice ait été nommée à des fonctions aussi stratégiques (au moins en apparence) et s’interroger sur les raisons d’une telle nomination. Faut-il en conclure qu’à l’époque les compétences aient été si rares et que les résultats d’une seule étude dont j’avais
1. Devenue aujourd’hui la Direction générale du travail (DGT). 2. Devenu ensuite Office de protection contre les radiations ionisantes (OPRI), lui-même intégré ensuite au sein de l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN).
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participé au mieux à la coordination faisaient de moi une spécialiste du sujet, sans toutefois avoir plus d’autre formation que tout autre MIRTMO ? Pour en revenir à la prévention de terrain, cette première étude a également permis de constater que, sauf exception, les agents de contrôle (inspecteur et contrôleurs du travail) des Directions départementales n’intervenaient pas ou peu à l’intérieur des sites nucléaires bien qu’ils aient toutes compétences pour le suivi des entreprises extérieures. Accord plus ou moins tacite pour respecter la fonction d’inspection du travail des Directions régionales de l’industrie de la recherche et de l’environnement (DRIRE) dans des installations dont elles assurent le contrôle ou réticences culturelles à intervenir dans un domaine peu connu et aux spécificités techniques particulières ? Du côté des DRIRE, et plus particulièrement du côté de celle du Centre et ensuite de celle de Haute-Normandie, l’accueil fut également très favorable. Le soutien efficace en matière de logistique du service Prévention des risques de la caisse régionale d’assurance maladie (CRAM) du Centre fut également acquis dès le début. Dès cette époque ce service possèdait un ingénieur à la compétence reconnue en matière de rayonnements ionisants qui lui servait de référent Les médecins du travail des entreprises extérieures qui auraient pu considérer cette étude comme une remise en cause du travail qu’ils avaient effectué au cours des années précédentes ont au contraire très largement coopéré à l’étude (et aux suivantes). Ils y ont d’ailleurs été largement associés. Ils ont de toute évidence compris que ce travail constituait une base à partir de laquelle il leur serait possible d’effectuer leur travail de façon plus efficace et plus satisfaisante. Une des premières conclusions tirées au niveau de la DRTEFP a d’ailleurs été que, pour leur permettre d’assurer leur tâche efficacement, il fallait qu’ils puissent disposer de moyens supplémentaires, ce que nous décrirons plus précisément dans le chapitre suivant. Enfin au niveau de l’entreprise utilisatrice, informée dès le début de l’étude par sa propre médecine du travail et les services de la DRIRE, une coopération s’est instaurée rapidement au niveau local, avec plus ou moins de facilité. On peut se féliciter de l’accueil très satisfaisant qu’a reçu cette première étude de la part de l’ensemble des partenaires concernés. Cette satisfaction mérite pourtant d’être relativisée quand on considère que sans le « militantisme » d’une équipe de médecins du travail, ce problème réel d’exposition, dont toutes les données étaient disponibles, aurait peut-être mis quelques années supplémentaires à émerger, malgré (ou à cause de ?) toutes les structures qui auraient dû avoir à en connaître. Tout cela comme si le fait que ces travailleurs étaient employés par des entreprises extérieures et qu’ils intervenaient dans d’autres locaux que ceux de leur employeur direct en faisait des sujets « à part ». Cela est peut-être un indice d’une trop faible prise en compte par l’ensemble des 175
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structures chargées de la prévention des risques professionnels des particularités de leur emploi, comme si ces structures en étaient restées à une forme d’organisation du travail dépassée depuis dix ou vingt ans à l’époque de l’étude dans laquelle la sous-traitance n’existait pas. Nous aurons l’occasion de revenir plus loin sur cette problématique d’adaptation nécessaire des pratiques de prévention à la réalité du terrain et du travail.
3. Une adaptation des structures pour une pratique plus efficace de la médecine du travail La question s’est évidemment posée de mettre en place une structure de médecine du travail réellement efficace dans le suivi des travailleurs des entreprises extérieures et qui puisse participer à la mise en place d’une politique de prévention des risques professionnels. De façon inhabituelle, la DRTEFP a décidé, dans deux départements, d’accorder l’agrément pour le suivi des travailleurs des entreprises extérieures des sites de production nucléaire à des services de médecine du travail du bâtiment. En effet, ces services de médecine du travail avaient suivi les salariés des entreprises ayant participé à la construction et à l’équipement des centrales et ces entreprises ont souvent bénéficié de contrats d’entretien et de maintenance à la mise en route des centrales. En outre, les médecins du travail de ces services ont adhéré très rapidement au projet dans la mesure où, en contrepartie de l’agrément, la DRTEFP a demandé aux services (et donc à l’exploitant des centrales) la mise en place de moyens permettant aux médecins d’effectuer leur tâche dans de meilleures conditions de travail. Ainsi, des bâtiments en dur destinés à accueillir le service de médecine du travail pour les entreprises extérieures ont été construits à l’intérieur de l’enceinte des centrales mêmes pour remplacer les préfabriqués jusque-là en usage et qui eux étaient situés à l’extérieur de la centrale. Un accès permanent au site de la centrale leur a été délivré. Un secrétariat sur place a été créé et les services se sont engagés à spécialiser un certain nombre de leurs médecins qui ne sont pas obligatoirement présents tout au long de la semaine sur le site mais qui y assurent une présence régulière. Au-delà d’assurer de meilleures conditions d’accueil aux travailleurs, de meilleures conditions de travail aux médecins et de favoriser leurs échanges avec leurs confrères de la médecine du travail EDF, il s’agissait aussi de montrer que le travail fourni par les travailleurs des entreprises extérieures devait être considéré comme participant effectivement au bon fonctionnement des installations et que la prévention des risques professionnels de ces travailleurs ne pouvait pas être abstraite de ce contexte de production. 176
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Une telle organisation (dérogatoire aux règles habituelles) n’a été mise en place dans ces deux départements que parce que la DRTEFP a jugé que les conditions d’un bon fonctionnement (plus efficace qu’une organisation plus traditionnelle, plus respectueuse de la règle de la loi) étaient remplies en raison de l’adhésion de l’entreprise utilisatrice, de son service de médecine du travail et des services respectifs de médecine du travail du bâtiment. Des ébauches de règles de travail en commun existaient déjà et la réalisation de la première enquête à laquelle les médecins du travail des entreprises extérieures avaient été associés avait créé une dynamique qu’il était pertinent d’utiliser pour améliorer la qualité d’un fonctionnement stabilisé à plus long terme. En outre, le temps alloué à chaque médecin du travail par travailleur suivi directement affecté aux travaux sous rayonnements a été augmenté (sans atteindre cependant celui qui est accordé aux médecins du travail d’EDF). Il est donc raisonnable de considérer que cette organisation a permis globalement dans les deux départements concernés d’améliorer la qualité du suivi médical des travailleurs des entreprises extérieures et de la porter à un niveau sensiblement supérieur à celui qui est assuré par des services inter-entreprises. Ceci parce que les médecins ont eu plus de temps pour suivre les salariés, mais aussi parce qu’ils ont essayé de collaborer avec leurs confrères, qu’ils ont tenté d’identifier tous les risques inhérents au travail et qu’ils se sont donné les moyens d’en informer les salariés. Mais au-delà des moyens mis à la disposition des médecins, il est important d’insister sur le fait que cette meilleure qualité est aussi le fruit d’une bonne coopération de l’ensemble des partenaires, même s’il convient de ne pas idéaliser le tableau : dans ce type d’organisation, les conflits existent comme ailleurs, les différences d’appréciation ou d’intérêt aussi, mais globalement la dynamique installée est un facteur important de progrès et d’efficacité. En revanche, les intérimaires employés par une entreprise extérieure continuent à dépendre du service de santé au travail inter-entreprises auquel est affiliée la société de travail temporaire qui les a embauchés.
4. La suite : les études STED 1993–1998 L’accueil favorable reçu par la présentation des résultats de la première étude dans plusieurs colloques ainsi que la volonté des acteurs de cette première étude d’améliorer la connaissance des conditions d’emploi et de santé des sous-traitants a débouché sur une enquête épidémiologique longitudinale auprès des entreprises sous-traitantes d’EDF intervenant lors des arrêts de tranches de centrales nucléaires [3]. La première étape de cette enquête s’est déroulée en 1993, la seconde en 1998. Elle a porté sur un nombre élevé de travailleurs puisque plus de 2 500 ont été inclus initialement dans la cohorte et que près de 1 500 ont été retrouvés et inclus à nouveau dans l’étude en 1998, avec de façon 177
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attendue un meilleur suivi des travailleurs titulaires d’un contrat à durée indéterminée que des intérimaires ou des contrats à durée déterminée ou à durée de chantier. Pour ce qui concerne la dosimétrie, si on considère l’étude initiale ainsi que les deux volets de l’enquête STED, on constate sur les dix années de suivi une nette diminution de l’exposition aux rayonnement ionisants pour les travailleurs des entreprises extérieures comme pour les travailleurs d’EDF (mais encore plus fortement pour ces derniers), la majorité de la dose globale étant bien sûr toujours reçue par les premiers. Il est intéressant de noter que la diminution n’a pas touché tous les salariés : si elle est probablement à mettre au compte d’une meilleure préparation des chantiers, elle résulte aussi vraisemblablement d’un « partage » des doses touchant des travailleurs auparavant peu exposés. On ne peut pas exclure que ce phénomène soit une conséquence de la prise de conscience intervenue suite à la première étude de la fin des années 1980. À court terme, aucune pathologie spécifique liée à l’exposition aux rayonnements n’a été mise en évidence (pas d’excès de leucémies par exemple). En revanche, contrairement à l’étude initiale, les études de 1993 et 1998 abordent la question de la santé. En termes de santé physique, les atteintes rachidiennes et digestives sont en nette augmentation entre les deux périodes d’observation. Mais cette dégradation apparaît principalement comme la conséquence d’un renforcement des contraintes organisationnelles qui pèse négativement sur la santé mentale des opérateurs avec une augmentation des troubles du sommeil et des symptômes dépressifs et un constat global de santé altérée entre les deux bornes de l’étude. Reste qu’à ce stade, on ne peut rien dire sur les risques à effets différés que sont entre autres la survenue de cancers professionnels et les pathologies de dégénérescence nerveuse, mais également toutes les pathologies en lien avec des facteurs psycho-sociaux C’est que globalement l’enquête montre une forte dégradation des conditions de travail, du vécu du travail et des conditions de vie entre 1993 et 1998. Moyens de travail, relations de travail (à l’intérieur des équipes des entreprises extérieures et avec les équipes de l’entreprise utilisatrice) sont considérés comme se dégradant lors de cette période. En écho le vécu du travail se dégrade avec un sentiment croissant d’une faible utilisation des savoir-faire. L’adhésion au travail est de plus en plus faible et certains travailleurs développent un sentiment de rejet avec une volonté affirmée de changer d’activité. Cependant, une étude plus poussée montre que ce souhait reste souvent lettre morte, puisque la population reste assez stable. Une explication de cette stabilité « forcée » tient peut-être, à une certaine époque (la plus ancienne), au niveau de rémunération qui était alors assez attractif (renforcé en particulier par les indemnités de déplacement1 et 1. Parfois au détriment du confort minimal de vie sur les chantiers : les travailleurs, afin d’économiser sur ces primes de déplacement, adoptant des stratégies d’économie au niveau du logement ou de la nourriture.
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diverses primes), puis, plus récemment, quand le différentiel de salaires a diminué, à la difficulté de retrouver un nouvel emploi industriel. Cette étude a permis aussi de mieux comprendre que la population des sous-traitants n’est pas homogène et que les conditions d’emploi et d’exposition dépendent beaucoup du statut et de la qualification du travailleur. Ainsi, les conditions de travail seront généralement plus favorables dans une entreprise bénéficiant d’un contrat pluri-annuel alors que les chantiers de courte durée impliquant un « nomadisme » des opérateurs offriront souvent, à cause de la méconnaissance relative du milieu, plus d’occasions de dysfonctionnements et une potentialisation des expositions à des risques graves et variés. La contrainte du déplacement (même si une amélioration des conditions pratiques de voyage et d’hébergement est notée entre la première évaluation de 1993 et la seconde) constitue également un facteur pouvant peser sur l’état de santé physique et/ou mentale. L’intérimaire ou le travailleur en contrat à durée déterminée ou à durée de chantier sont également susceptibles d’être moins bien intégrés à une entreprise qui, intervenant en sous-traitance, se situe elle-même à la périphérie du métier de l’entreprise utilisatrice. La qualification et la technicité jouent également dans la reconnaissance du travailleur de l’entreprise extérieure et dans l’exposition aux polluants à travers la prévention qui sera mise en œuvre. La première étude de la fin des années 1980 avait déjà montré que les travailleurs des servitudes nucléaires (échafaudages, nettoyage, etc.) étaient généralement plus exposés aux radiations ionisantes que leurs collègues qui occupent des tâches plus qualifiées. La sous-traitance en cascade qui a pour effet de diluer l’information, la capacité de prise de décision, etc., constitue également un facteur souvent péjoratif dans l’exposition du travailleur aux polluants ou dans le risque d’accident. Dans tous les cas on assiste à une collision entre salariés liée au choc de différentes cultures d’entreprise, source d’angoisse, de rancœur voire de mépris.
5. Une prise en compte nationale et des difficultés à élargir la problématique Alors que les travaux de la fin des années 1980 étaient restés relativement limités géographiquement, les études STED de 1993 et 1998 marquent une extension au niveau national de la prise en compte du suivi des travailleurs des entreprises extérieures intervenant dans les centres de production nucléaires, puisque la quasi-totalité des médecins inspecteurs sur les circonscriptions d’intervention desquels se situent des centrales participent à l’étude. C’est le début d’une prise en compte de la problématique, mais davantage sous l’angle « travailleurs d’entreprises extérieures exposés à des rayonnements ionisants » plutôt que dans une optique plus générale « conditions de travail des 179
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entreprises de la sous-traitance externe ». Pourtant des travaux spécialisés sont menés : par exemple en région PACA, une étude est spécifiquement consacrée aux travailleurs de la gammagraphie dont le secteur d’intervention s’étend bien au-delà de l’industrie de production d’électricité. Je participerai personnellement à une tentative d’élargissement de la problématique dans la région Centre à l’occasion de la pose d’un gazoduc. L’entreprise titulaire du marché était une société étrangère spécialisée dont la main d’œuvre (à l’exception bien sûr de l’encadrement) était embauchée sur place auprès d’entreprises de travail temporaire. Les responsables de la fonction sécurité, comme le médecin du travail, étaient également étrangers et n’étaient que rarement présents : dans ces conditions, où se posent des difficultés de communication (problème de la langue), de présence sur le site (en plein air et mobile…), de distance entre les instances de décision et le chantier, il est bien difficile de mener une politique active de prévention des risques professionnels sauf à développer une action vraiment volontariste dans ce domaine. Si la réglementation était appliquée dans la lettre, elle ne l’était certainement pas dans l’esprit puisque aucune réelle action de progrès n’était entreprise. Malgré le précédent des études menées dans le nucléaire, il ne sera pas possible de mobiliser les intervenants en matière de prévention des risques professionnels pour s’engager dans une action pragmatique. Pourtant, dans le même temps, une action en profondeur sera menée au niveau de la DRTEFP, avec le soutien du service Prévention des risques professionnels de la CRAM, pour mieux former les agents de contrôle de l’inspection du travail à la prévention du risque lié à l’exposition aux rayonnements ionisants. De même, des actions de sensibilisation au risque chimique (effet différé des cancérogènes et pas seulement des rayonnements ionisants) seront menés et une prise de conscience (au moins au niveau du discours) de la spécificité de certaines conditions d’intervention des entreprises extérieures sera développée. Pour autant, je n’ai pas le sentiment que l’expérience acquise au niveau du nucléaire ait vraiment permis la réalisation de progrès significatifs en dehors de cette activité. L’existence d’un noyau fort au niveau des préventeurs, et en particulier des médecins du travail, constituait probablement un atout décisif pour une action dans l’industrie nucléaire qu’il n’a pas été possible de retrouver ailleurs. Une étude sur la précarité sera menée sur une durée limitée visant à décrire la personnalité, la formation, l’emploi de travailleurs de la sous-traitance. Il s’agissait aussi de mieux appréhender la nature des expositions qu’ils pensaient avoir subies et celle de la surveillance médicale dont ils bénéficiaient à travers les examens complémentaires dont ils avaient bénéficié. Un des enseignements de cette campagne fut que certains travailleurs précaires n’étaient pas réellement en mesure d’identifier leur employeur véritable. 180
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6. Quelques conclusions sur l’expérience du nucléaire Je reste persuadée que la solution la plus performante pour la protection et le suivi de la santé des travailleurs des entreprises extérieures intervenant dans le nucléaire serait de les confier à la médecine du travail d’EDF. Celle-ci est performante, reconnue par la Direction comme par les salariés et serait parfaitement en mesure de remplir ce rôle. De façon très claire, EDF a refusé cette possibilité. Ce refus n’était certainement pas motivé par des raisons financières puisque, au bout du compte, EDF n’a jamais rechigné à financer (ni essayé de faire des économies sur) les prestations des services de santé au travail qui interviennent sur ses centrales. Ce refus d’assurer le suivi médical est une position de principe, en cohérence avec la volonté affichée par l’industrie en général de se recentrer sur le cœur du métier. Face à ce blocage, la situation adoptée qui consiste à implanter un service de santé spécialisé et ayant développé des compétences spécifiques1 à l’intérieur de la centrale nucléaire me semble être une solution de compromis acceptable. Sans être parfaite, elle a sans aucun doute contribué à améliorer la pratique de la médecine du travail dans les centrales qui l’ont mise en œuvre.
7. Élargissement de la problématique à la sous-traitance interne en général Sur la base de mon expérience, je pense que ce qui a été entrepris et réalisé chez EDF peut être fait ailleurs. L’argument du coût n’en est pas un : la protection de la santé des travailleurs est globalement une source d’économie pour la société tout entière, même si on ne s’en tient qu’aux critères financiers et qu’on n’intègre pas la souffrance individuelle. Je ne suis pas non plus opposée au principe de la sous-traitance. Indépendamment de la difficulté qu’il y aurait à remettre en cause un mode d’organisation auquel les entreprises ont profondément adhéré et autour duquel elles ont bâti leur modèle industriel, je suis persuadé de l’efficacité économique de ce choix. Le recours à des entreprises spécialisées, d’un haut niveau de qualification (parfois supérieur à celui que pourrait 1. Ainsi les médecins des services de santé au travail assurant le suivi des travailleurs des entreprises extérieures sont titulaires, comme leurs confrères de la médecine du travail d’EDF, du Diplôme universitaire de radio-protection ou équivalent.
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atteindre pour un coût supérieur l’entreprise utilisatrice) me paraît économiquement raisonnable et facteur de progrès, non seulement en matière économique, mais aussi pour ce qui nous intéresse au premier chef ici : le respect de la santé des travailleurs. Je pense également que cette externalisation des activités est un facteur de rationalisation non négligeable et qu’il peut permettre d’assurer la croissance des activités. Les années passant, je ne remets donc en aucun cas en cause le modèle économique, je m’inscris dans sa perspective pour revendiquer des moyens plus pertinents et plus efficaces pour garantir la santé et la sécurité des travailleurs des entreprises extérieures. Après les errements dans la politique d’utilisation de l’amiante pendant des dizaines d’années, force est de constater que la gestion et la résolution efficaces des problèmes hérités du passé passent par des entreprises hautement spécialisées qui ne sont rien d’autres que des entreprises extérieures qui mettent leurs compétences à la disposition d’entreprises utilisatrices (que ce soit dans un cadre législatif type bâtiment ou un cadre industriel plus classique). Certes, ce recours à des entreprises extérieures ne va pas sans contrainte et les résultats des campagnes de contrôle organisées par le ministère du Travail et la CNAMTS, avec le soutien technique de l’INRS, montrent qu’un contrôle constant1 doit être assuré pour garantir la qualité de la performance et de la protection des travailleurs [4]. Pour autant, le bilan de l’expérience semble concluante : les experts sont d’accord pour souligner les progrès effectués par les entreprises dans la protection de l’environnement et la préservation de la santé des opérateurs. Je ne suis pas non plus favorable à un renforcement de la réglementation. Les textes existants sont de bonne qualité et il n’y a pas lieu de les remettre en cause avant d’être parvenus à une mise en œuvre satisfaisante. Il faut les appliquer, non seulement à la lettre, mais dans l’esprit. C’est dans cette optique que nous avons essayé de travailler à la DRTEFP du Centre en accordant dans certains cas l’agrément à des services de travail du bâtiment plutôt qu’à des services de santé inter-entreprises parce que les premiers, compte tenu de leur antériorité dans le suivi des travailleurs et des compétences acquises nous semblaient mieux à même d’être efficaces rapidement. Cette « entorse » au règlement s’est accompagnée de contreparties (localisation des locaux du service, engagement dans la durée et dans l’acquisition de compétences spécifiques) utiles pour le suivi de la santé des travailleurs. À mon sens, cette souplesse dans l’application de la réglementation ne doit pas être l’apanage des services de l’État, mais doit aussi concerner les industriels donneurs d’ordre qui, au-delà du respect de la législation, devraient, pour certains d’entre eux, raisonner avec les salariés ou leurs représentants 1. Pouvoirs publics, inspection du travail, services Préventions des risques professionnels des CRAM, services de santé au travail, organismes de certification de qualification, etc., les organismes capables de vérifier les performances des entreprises sont nombreux et performants, si leur mission est définie clairement et qu’ils se voient confiés les moyens suffisants pour mener leur tâche à bien.
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davantage en termes d’objectifs, le principal demeurant celui d’assurer la sécurité et la santé non seulement de leurs propres employés, mais aussi celui des travailleurs des entreprises extérieures dont ils utilisent les compétences. Cette faculté d’expérimenter est aussi susceptible de fournir des éléments à partir desquels la réglementation peut évoluer vers plus d’efficacité et de pertinence. Mais avant tout il me semblerait urgent de faire un état des lieux en termes chiffrés sur le nombre d’entreprises concernées par branches professionnelles avec le nombre de salariés concernés et leur statut, ainsi que les indicateurs de santé qui semblent pertinents aux différents préventeurs y compris les employeurs. Une enquête nationale ayant pour base celles déjà effectuées permettrait un travail enfin efficace.
8. Qu’est-ce que la santé ? La santé, ainsi que l’a indiqué l’Organisation mondiale de la santé (OMS), ce n’est pas seulement l’absence de maladie. C’est aussi un état positif qui renvoie à la notion de « bien-être ». Il n’y a aucune justification au fait que ce qui serait bon et souhaitable pour les travailleurs des entreprises en général ne le soit pas pour ceux des entreprises extérieures dont l’enquête STED notamment a montré que certains d’entre eux souffraient de leurs conditions de travail. Au contraire, la précarité plus ou moins grande dont peut s’accompagner cette forme d’emploi justifierait qu’une attention plus grande soit portée à leurs conditions de travail. De toute évidence, les indicateurs classiques (au premier rang desquels figurent les taux de fréquence des accidents du travail) ne sont pas des indicateurs pertinents pour estimer les progrès faits dans une prévention des risques professionnels qui doit être globale. Le système de reconnaissance de maladies professionnelles présente également trop de faiblesses pour pouvoir être choisi comme indicateur, surtout quand on connaît la difficulté à reconstituer la carrière d’un travailleur précaire, sans même évoquer la reconstitution de ses possibles expositions professionnelles. Le contexte est lui-même générateur de difficultés. Ainsi des études menées par les services de santé au travail et consacrées à l’étude de l’absentéisme dont les premiers résultats montraient tout l’intérêt en termes d’analyse du travail et de ses conséquences sur la santé ont dû être interrompues rapidement. En effet, le risque que l’information parvienne de façon plus ou moins directe au services des Ressources humaines, avec de possibles conséquences sur l’emploi, était trop lourd à assumer. Il y a donc nécessité de construire de nouveaux indicateurs et je n’exclus pas, compte tenu du caractère propre de certaines situations, que des indicateurs particuliers doivent être créés pour tenir compte du contexte spécifique de la sous-traitance. 183
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9. Y a-t-il un lien entre sous-traitance interne et santé ? J’ai déjà exprimé toute l’importance que j’accorde au fait que le travail est un élément important dans la construction de la santé. À ce titre, par les possibilités d’expansion et de meilleure efficacité économique qu’elle permet, la sous-traitance peut jouer un rôle positif. Cependant, compte tenu du contexte dans lequel elle s’exerce aujourd’hui, de nombreux paramètres tendent à jouer à un rôle péjoratif dans les conditions de santé et de sécurité faites aux travailleurs des entreprises extérieures. Cette appréciation est subjective, même si elle va être étayée dans les paragraphes suivants par la description de plusieurs de ces paramètres. Signalons cependant que le volume de travail de description et de recherche consacré par le monde de la recherche à la problématique de la sous-traitance industrielle (et plus particulièrement de la sous-traitance interne) est très largement insuffisant, comme si une invisibilité de ce type d’emploi et de ses conséquence sur la santé avait été « construite ». Ou comme si on s’était contenté d’envisager et d’étudier les mesures d’accompagnement (les systèmes de management de la sécurité par exemple que nous évoquerons plus loin) de l’activité tout en faisant l’économie de sa description et de ses conséquences au premier degré sur ses principaux acteurs : les travailleurs eux-mêmes. L’expérience d’un pays comme la Finlande montre qu’il n’y a aucune fatalité à cet invisibilité : d’après la vision que j’ai pu en acquérir, les activités de sous-traitance font là-bas l’objet d’un accompagnement attentif. Cependant, à la différence de la France, l’essentiel de l’effort repose au niveau de l’entreprise elle-même (ou plus exactement en l’occurrence des entreprises, donneurs et preneurs d’ordre) et de sa contractualisation avec les intervenants, plutôt que dans un cadre juridique général. Pour améliorer les conditions d’exercice de l’activité des sous-traitants, il n’est pas nécessaire de renforcer l’outil réglementaire : il est déjà assez complet. En revanche, il faut donner les moyens à ces entreprises d’acquérir une réelle culture en matière de sécurité et de santé au travail. Au cours de l’élaboration de cet ouvrage, nous avons pris connaissance de résultats surprenants en première approche. Ainsi les résultats de certaines entreprises extérieures variaient beaucoup en fonction du contexte dans lequel elles évoluaient. En particulier quand elles inscrivaient leur activité dans le cadre d’un système de management de la sécurité, les résultats étaient généralement meilleurs que dans une activité moins encadrée. Indépendamment de l’interrogation récurrente selon laquelle une certaine dissimulation des accidents pourrait intervenir dans le premier cas (en laquelle réside très probablement au moins une partie de la différence des chiffres), ces résultats me semblent révélateurs d’une culture sécurité plaquée sur l’activité de l’entreprise plutôt que réellement intégrée à ses pratiques professionnelles au quotidien. C’est dans 184
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la capacité des préventeurs de toutes origines à obtenir l’adhésion à cette notion selon laquelle la politique sécurité est une fonction première de l’entreprise quelles que soient ses conditions d’intervention que résident les marges de progression importantes. Encore faut-il aussi que l’entreprise utilisatrice lui donne les moyens économiques de cette politique et que la sous-traitance ne soit pas considérée uniquement comme un moyen de faire des économies directes ou indirectes (moindre responsabilité sociale). Une difficulté importante réside dans le fait qu’aujourd’hui dans le monde de la grande entreprise, le décisionnaire n’est pas le « technique », celui qui est responsable de la production, mais que son action s’inscrit dans un cadre plus large où le dernier mot revient au gestionnaire qui a défini la politique du groupe. À l’heure des entreprises qui se revendiquent comme étant responsables et citoyennes, il faut obtenir un élargissement de cette conscience audelà du périmètre strict de l’entreprise utilisatrice pour y englober l’ensemble de l’activité qu’elle génère directement ou indirectement. Ceci correspond d’ailleurs au discours de ces entreprises : à nous de les convaincre de mieux y inclure les sous-traitants, dont les conditions d’exercice de la tâche sont souvent moins visibles pour l’opinion publique que les problèmes d’environnement. Dans la situation actuelle, on est encore trop souvent confronté à des travailleurs d’entreprises extérieures en manque de repères. Si, au niveau du bulletin de salaire, l’employeur est identifié, il arrive que la pratique professionnelle quotidienne de ces travailleurs témoigne d’un autre schéma d’organisation dans lequel le « patron » est moins clairement défini et où finalement l’opérateur ne sait plus vraiment qui commande. Une politique de prévention des risques professionnels efficace ne peut pas s’accommoder de telles incertitudes. Sans aller jusqu’à évoquer la notion d’injonctions paradoxales, pour que le travailleur soit vraiment incité à adhérer à des règles (parfois contraignantes) de sécurité, il faut qu’elles s’inscrivent dans un cadre clairement défini. Tout apport du travail à la construction de la santé dans un autre cadre est illusoire. Quant à ceux qui sont au premier chef concernés par la santé et la sécurité du travail, c’est-à-dire les médecins du travail, je considère qu’ils ne peuvent remplir correctement leur tâche que s’ils ont les moyens de connaître le travail réellement effectué par les salariés dont ils ont la charge et si la représentation qu’ils en ont est exacte. Pour tout médecin du travail c’est un problème éthique de toujours essayer d’établir un lien entre ce que raconte (ou oublie de raconter) le salarié et le descriptif de son travail ainsi que son vécu. C’est également une question éthique pour le médecin du travail que d’informer le salarié de ses expositions aux risques, avec les conséquences que ceci peut avoir sur la santé psychique de certains d’entre eux. J’ai assez longuement insisté sur les règles spécifiques que nous avions mises en place dans les centres de production nucléaire en installant la médecine du travail des entreprises extérieures à l’intérieur des entreprises utilisatrices, et pas seulement en termes de géographie, mais aussi en 185
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lui donnant les moyens de contacts fréquents et efficaces avec la médecine du travail de l’entreprise utilisatrice.
10. La spécificité des difficultés de la prévention des maladies professionnelles Par rapport aux accidents du travail, la prévention des maladies professionnelles est soumise à des contraintes spécifiques. Tout d’abord, on ne se situe plus dans l’immédiateté des conséquences : dans le cas de cancers par exemple, les effets de l’exposition sont différés et la latence peut atteindre plusieurs dizaines d’années. Dans un contexte de sous-traitance qui peut être marqué par la multiplicité des tâches et des lieux d’intervention (et donc des expositions potentielles à des polluants très divers), il est très difficile à une entreprise extérieure de mettre en place une prévention collective efficace. S’il n’est pas question d’exonérer ces entreprises de leurs responsabilités, il semble légitime qu’une contribution soit apportée par l’entreprise utilisatrice supposée bien connaître ses installations et les risques qui y sont associés. Il faut donc organiser les conditions d’une collaboration réelle, telle qu’elle est prévue dans la réglementation, pour que les structures sécurité des entreprises utilisatrices jouent un réel rôle de conseil dans l’organisation de la prévention des entreprises extérieures. Du côté de l’inspection du travail (à l’échelon départemental avec les agents de contrôle, comme à l’échelon régional avec les médecins inspecteurs et les ingénieurs de prévention), de gros progrès peuvent être accomplis. En effet, pris par de nombreuses tâches, les agents n’ont pas toujours pu consacrer autant de temps à la prévention des maladies professionnelles qu’il aurait été souhaitable. En outre, le délai de latence de ces maladies que nous avons déjà évoqué à plusieurs reprises ne constitue pas un facteur facilitant. On peut espérer qu’avec le renforcement en cours depuis plusieurs années de l’inspection médicale et des ingénieurs de prévention à travers la création notamment des cellules d’appui à l’inspection du travail, la capacité d’intervention du corps se trouvera renforcée. Indépendamment de ces carences (ou au moins de ces limitations) des divers acteurs du conseil et du contrôle dans la prévention du cancer professionnel, il faut être conscient de la difficulté à reconstituer le curriculum laboris (et les expositions correspondantes) pour les travailleurs. Cette difficulté, en l’état actuel des pratiques, est encore renforcée pour des travailleurs d’entreprises extérieures où aucune mémoire des expositions n’est en général conservée. 186
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11. Quelques propositions pratiques L’exercice qui consiste à formuler des propositions dans le domaine de la santé au travail est difficile : les experts, par souci de réalisme, ont toujours trop tendance à considérer l’actuel pour déterminer le possible, sans assez envisager le souhaitable. Je fais le pari d’une réelle volonté partagée par tous les protagonistes d’améliorer la situation qui s’accompagne de la prise de conscience qu’il faut donc s’en donner les moyens.
11.1. Les entreprises Nous avons insisté précédemment sur l’importance de la notion d’entreprise citoyenne pour le donneur d’ordres. Cette implication est également valable pour l’entreprise extérieure. Elle doit avoir conscience de ses limites et de ce qui est techniquement et humainement acceptable en matière de risques professionnels. Le partage des responsabilités doit également être revu. Il est normal d’attribuer toute la responsabilité à l’entreprise extérieure si un accident du travail résulte d’une carence dans la mise en œuvre de sa propre politique de sécurité. En revanche, si cet accident résulte d’une défaillance du process ou si une maladie professionnelle peut être associée à des expositions à des polluants générés par l’entreprise utilisatrice en fonctionnement normal, il serait normal qu’une part de responsabilité lui soit attribuée et qu’elle contribue directement à la réparation. Cette contribution serait une incitation à mieux organiser la prévention.
11.2. La médecine du travail Si on considère que la prévention des risques professionnels des entreprises extérieures est plus difficile à organiser et à mettre en œuvre que le suivi des travailleurs intervenant dans des conditions plus classiques, la médecine du travail qui en a la charge doit logiquement bénéficier de moyens supplémentaires. Ces moyens supplémentaires devraient logiquement tenir compte du « nomadisme » des travailleurs (plus ils sont amenés à se déplacer dans des entreprises différentes et à être confrontés à des conditions de travail variées et/ou exposantes, plus importants doivent être les moyens alloués à la médecine du travail). Elle doit également se donner les compétences de ces moyens supplémentaires en termes d’obligation :
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– de connaissance des conditions de travail réelles et des risques qui y sont associés1, – de formation continue adaptée à la pratique professionnelle réelle, – de suivi continu des travailleurs. Des liens réellement efficaces qui respectent l’esprit de la réglementation plutôt que sa lettre doivent être établis entre médecins de l’entreprise utilisatrice et de l’entreprise extérieure. Le problème ne réside pas tant dans le recueil initial des informations que dans leur transmission pour centralisation dans un lieu unique. On l’a bien vu avant la mise en place d’un programme centralisé de recueil des expositions dans le nucléaire où toutes les prescriptions étaient respectées, mais où les informations n’étaient pas centralisée, ce qui aboutissait à rendre tous les recueils de données inopérants et finalement inutiles. La situation peut être encore plus compliquée dans certains secteurs industriels (comme la chimie ou la pétrochimie par exemple) où les expositions sont encore plus complexes en raison de la diversité des produits et des expositions potentielles.
11.3. Établissement d’un curriculum laboris Le recueil de ces données constitue donc un véritable enjeu pour la prévention des risques professionnels comme pour la réparation d’éventuelles maladies professionnelles. La forme qui semble la plus adaptée est celle d’une carte à mémoire électronique. Les techniques actuelles permettent de concevoir un outil dont les données (d’exposition ou de santé) peuvent être triées en fonction de la personne qui y a accès : travailleur lui-même, employeur, médecin du travail, etc. Les droits d’accès seraient évidemment attribués en fonction des besoins et des droits de chacun tels qu’ils sont définis par la réglementation. La question technique de la gestion de cette carte ne me semble pas constituer un obstacle. C’est plutôt au niveau de l’établissement des données d’exposition que me semble résider la difficulté. En effet dans de nombreux cas, l’entreprise extérieure elle-même, au-delà d’assurer la protection immédiate de ses travailleurs, n’a pas les structures qui lui permettraient de procéder à une analyse plus approfondie des expositions réelles2. Il faut donc se donner les moyens que, sur chaque site industriel, un recueil des expositions soit effectué et que chacun y contribue : entreprises utilisatrice, entreprises extérieures à la mesure de leurs responsabilités. La finalisation et la gestion de ces données pourraient par exemple être confiées à des intervenants en 1. Je fais ici un parallèle avec l’obligation de sécurité de résultat qui a été opposée à certaines entreprises dont les employés avaient été exposés à l’amiante dans un contexte de reconnaissance d’une faute inexcusable. 2. La question des moyens financiers se pose différemment : en dernière instance, ces moyens sont fournis par l’entreprise utilisatrice qui rémunère la prestation de l’entreprise extérieure ; si cette rémunération est juste, l’entreprise extérieure peut dégager les moyens financiers nécessaires.
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prévention des risques professionnels (IPRP) selon des modalités (notamment financières) qui restent à établir. Une réelle coopération entre les différents médecins du travail pourrait également contribuer à l’efficacité et à la pertinence de ce recueil de données. La contribution des CHSCT n’est évidemment pas non plus à négliger.
11.4. Le rôle des CHSCT La loi sur les risques technologiques majeurs a renforcé le rôle des CHSCT en prévoyant explicitement une réunion annuelle du CHSCT de l’entreprise utilisatrice à laquelle seront invités des représentants des entreprises extérieures. Cette excellente initiative me semble devoir être élargie à des sites où les risques sont a priori plus faibles mais où le volume d’heures effectuées par des entreprises extérieures est élevé (en valeur absolue ou en pourcentage). Il s’agit de faire des réunions de CHSCT élargi, des lieux d’échange où les priorités seront débattues en commun et où des engagements à court ou moyen terme seraient pris dans une logique d’amélioration concertée des politiques santé et sécurité des différentes entreprises avec pour objectif de parvenir à une harmonisation des pratiques et des objectifs.
Conclusion On pourrait s’étonner que 10 années après la publication des différentes enquêtes qui ont fait l’objet de nombreuses publications et communications sur le suivi médical des salariés exposés aux rayonnements ionisants (travaux dont il a assuré la coordination) et cinq ans après avoir fait valoir ses droits à la retraite, un ancien médecin inspection régionale du travail se préoccupe encore des salariés employés en sous-traitance interne. C’est que le développement de la sous-traitance dans toutes les branches professionnelles est un phénomène évident même pour quelqu’un qui n’est plus directement impliqué par les questions de santé et de sécurité au travail. Mais c’est surtout que j’ai le sentiment que l’action menée chez les sous-traitants des centrales nucléaires a été une action utile et efficace, même s’il faut conserver un regard critique sur ce qui a été fait et ne pas oublier ce qui aurait mérité de l’être. L’évolution accélérée de l’organisation du travail rend aujourd’hui nécessaire que des travaux du même ordre soient entrepris dans l’ensemble des branches industrielles ou de services dans lesquels une sous-traitance interne intervient. C’est aussi le devoir de tous ceux qui ont à connaître de la situation d’alerter les décideurs (politiques, institutionnels, représentants des partenaires sociaux, employeurs ou salariés) sur la nécessité de prendre en compte l’organisation du travail dans une réflexion de santé publique. 189
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Une remise en cause des indicateurs doit être effectuée. Pour ce que je connais le mieux, c’est-à-dire, la pratique et le suivi médical, il est évident que de nouveaux moyens doivent être débloqués et que de nouvelles pratiques doivent être imaginées de façon à assurer un suivi médical efficace. Face à l’importance qu’il prend en France, mais aussi en Europe et dans le monde, le phénomène de la sous-traitance ne doit pas être rejeté, ses spécificités en peuvent pas être niées et il doit être étudié et encadré.
Bibliographie [1] Thébaud-Mony A., Rondeau du Noyer C., Huez D., Brenier F., Forest H., Géraud G., Haillot M.J., Pilloré R., Surribas H. (1992). Salariés des entreprises extérieures intervenant dans les installations nucléaires de base. Enquête sur leur suivi médico-réglementaire. Documents pour le médecin du travail, 51, pp. 347-363. [2] Forest H., Huez D. (1990). Reconstitution de la dosimétrie électronique d’un échantillon de 87 travailleurs d’entreprises extérieures ayant pu travailler sur 16 sites nucléaires EDF (1984-1988). Document synthétique de travail pour une enquête de médecine du travail de suivi médico-réglementaire des travailleurs DATR intervenant en prestations. Chinon, Service médical du centre de production nucléaire. [3] Ministère de l’emploi et de la solidarité (2001). Inspection médicale du travail. Direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques – STED 1993-1998. Enquête épidémiologique longitudinale auprès des salariés DATR des entreprises sous-traitantes d’EDF intervenant lors des arrêts de tranche des centrales nucléaires, 31 p. [4] Bourges P., Guimon M., Héry M., Lamy D. (2007). Chantiers de désamiantage. Résultats de la campagne de contrôle 2006 « Inspection du travail – Prévention des risques professionnels des caisses de sécurité sociale » (avec le soutien technique de l’INRS). Retour sur les campagnes 2004 et 2005. Hygiène et sécurité du travail – Cahiers de notes documentaires, 208, pp. 87-94.
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1. Vingt-cinq ans de suivi des opérations de sous-traitance Jean-Pierre Lefèvre Le raffinage pétrolier et la pétrochimie sont très largement représentés dans le secteur géographique sur lequel j’interviens depuis 25 ans. Sur ce secteur sont localisées 27 des 48 entreprises de Seine-Maritime classées dans la catégorie « Seveso II – seuil haut ». C’est dire à quel point le recours aux entreprises de sous-traitance interne est fréquent sur le secteur. C’est dire aussi quelle importance revêt la maîtrise de la bonne qualité de ces prestations en termes de risque environnemental et de santé et sécurité au travail. Tout au long de ces 25 années, les pratiques des entreprises utilisatrices et par voie de conséquence celles des entreprises extérieures ont évolué de façon très importante : les pratiques en 2006 n’ont plus grand chose à voir avec celles de 1981. Le cadre juridique n’a finalement qu’assez peu évolué sur la période : le décret du 20 février 1992 introduit des modifications significatives par rapport à celui du 29 novembre 1977, mais ne révolutionne pas la problématique. Ce sont toujours la même philosophie et la même logique de maîtrise des risques et de prévention des accidents du travail et des maladies professionnelles qui sont à l’œuvre. De la même façon, la loi du 30 juillet 2003 sur la prévention des risques technologiques et naturels introduit des évolutions importantes 191
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quant à l’organisation de la prévention des risques professionnels (renforcement de la formation, meilleure coordination des activités, meilleure analyse des risques professionnels, création des CHSCT élargis), mais il s’agit davantage d’une évolution dans la continuité que d’un changement de référentiel. En revanche, les contextes généraux (« macro-économiques ») et particuliers (modèles d’organisation des entreprises) dans lesquels cette sous-traitance est effectuée ont été complètement bouleversés. La mondialisation des échanges (concernant les marchandises mais aussi dorénavant les services) a eu des conséquences très fortes sur les conditions d’exercice de la sous-traitance. À ce titre, les entreprises sont des laboratoires dans lesquels de nouvelles pratiques d’organisation du travail, tout particulièrement en matière de sous-traitance, sont testées en permanence et en vraie grandeur, avec la volonté affichée d’aller au maximum de ce qu’autorise la réglementation, voire, dans certains cas, au-delà. Le fait d’avoir une bonne image de marque qui constitue un réel enjeu pour les entreprises n’est pas sans conséquences sur leur gestion de la sous-traitance. Ces considérations macro-économiques peuvent avoir des influences inattendues sur la gestion au quotidien de la santé et de la sécurité par les entreprises, sur lesquelles nous aurons l’occasion de revenir plus tard.
2. Une évolution continue des pratiques Le principal intérêt d’une description des pratiques des entreprises en matière de soustraitance interne il y a vingt-cinq ans est de montrer la logique à l’œuvre tout au long de la période et les évolutions concrètes auxquelles cette logique a conduit. La soustraitance interne était déjà largement répandue dans les industries de process au début des années 1980. Il s’agissait à la fois d’une sous-traitance de spécialité et d’une soustraitance de capacité. Sous-traitance de spécialité, dans la mesure où pour effectuer certaines tâches très particulières ou certaines interventions spécialisées, il était fait appel à des entreprises qui apportaient à l’entreprise utilisatrice une compétence dont elle ne disposait pas. En parallèle cette entreprise utilisatrice avait des équipes de maintenance qualifiée qui effectuaient une part prépondérante du travail quotidien. De même à certaines périodes, en particulier les reconfigurations des installations ou certains gros arrêts, il était nécessaire de faire appel, en plus de cette sous-traitance de spécialité, à une sous-traitance de capacité, les ressources internes de l’entreprise utilisatrice ne suffisant pas face au volume des travaux à effectuer. Les moyens de levage, les capacités d’échafaudage, par exemple, devaient être renforcés au cours de ces périodes. Tout au long de la période considérée, ces ressources internes en matière de maintenance ont été peu à peu abandonnées et les travaux confiés systématiquement aux entreprises 192
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extérieures. Sauf exception, dans les grosses unités du pétrole et de la pétrochimie, les équipes de maintenance qui subsistent n’ont plus qu’une fonction de définition, de commande, d’autorisation et de contrôle des travaux. On est ainsi passé d’une logique de « faire » à une démarche de « faire faire ». Les travaux ne sont plus qu’exceptionnellement effectués par les travailleurs de l’entreprise utilisatrice. On peut d’ailleurs s’interroger dans certains cas sur l’évolution dans le temps des capacités de contrôle des équipes de l’entreprise utilisatrice évoquées précédemment. En effet, à force de faire faire, la connaissance de la réalité du fonctionnement au jour le jour des installations a souvent été transférée de cette entreprise utilisatrice vers les entreprises extérieures. Le passage à des contrats pluri-annuels, parce qu’il assure une certaine stabilité de la main d’œuvre, permet aux entreprises extérieures de développer une réelle compétence, renforce cette tendance tout en maintenant une pression sur la présence future de l’entreprise sur le site. Il est raisonnable d’envisager l’hypothèse selon laquelle, à terme, le risque de dépendance de l’entreprise utilisatrice pourrait devenir non négligeable et que, notamment en termes de passation des marchés, cette dépendance pourrait avoir des conséquences économiques non négligeables. Les entreprises extérieures n’ont peut-être pas pris entièrement conscience de ce pouvoir. Néanmoins et pour des motifs essentiellement économiques l’EU peut prendre le risque de se séparer d’une EE expérimentée et confier la tâche à une nouvelle entité quitte à rencontrer pendant un temps des problèmes de qualité et de sécurité. Une telle situation peut faire réapparaître des dangers et des risques maîtrisés auparavant. Dans ce cas les pressions des EU sont très fortes afin de rattraper rapidement les niveau antérieurs. Pour y parer, elles ont mis en place les systèmes qualité et en particulier les systèmes de management de la sécurité, sur lesquelles nous serons amenés à revenir longuement. Mais surtout la mondialisation des échanges a considérablement changé les règles du jeu. Aujourd’hui, pour les grosses opérations de construction neuve ou de « revamping » des installations existantes, la ressource en matière d’entreprises extérieures n’est plus seulement française, elle est devenue européenne, voire mondiale. Pour ne pas contrevenir aux règles de la concurrence les entreprises utilisatrices ont en effet été obligées d’ouvrir leurs appels d’offre, ou au moins les plus gros d’entre eux. Cependant, dans le cadre de cette ouverture à la concurrence mondiale, les entreprises utilisatrices sont amenées à effectuer des arbitrages entre qualité et coût de la prestation. En effet, il peut arriver que l’entreprise utilisatrice ait des raisons de supposer (technicité ou compétence limitées, pratique insuffisante du type de travaux, etc.) qu’une entreprise étrangère, retenue en raison d’un coût inférieur, risque de ne pas fournir au final une prestation de la qualité souhaitée. Si la différence de coût est suffisamment importante, l’entreprise utilisatrice peut trouver un intérêt à intégrer d’emblée au prix de revient global du 193
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chantier, en plus de celui du contrat de base, celui des reprises qui seront nécessaires pour que l’installation soit livrée en bon état de fonctionnement. Elle portera évidemment un intérêt tout particulier aux capacités professionnelles de l’entreprise extérieure chargée de ces reprises, puisqu’il s’agit évidemment au final de disposer d’une installation en état de fonctionnement satisfaisant. Ces pratiques, jusqu’à présent réservées aux chantiers d’assez grande ampleur, commencent à « contaminer » la pratique des entreprises utilisatrices dans leur gestion plus « quotidienne » des chantiers de maintenance. En effet des contrats à moyen terme sont maintenant confiés, par le truchement des contrats pluri-annuels, à des entreprises extérieures étrangères qui peuvent ellesmêmes rétrocéder une partie des marchés à d’autres entreprises étrangères ou pas. Le fait que ces entreprises soient étrangères ne signifie pas bien sûr que les prestations qu’elles fournissent sont de mauvaise qualité, mais c’est souvent le plus faible coût de ces prestations qui est décisif dans le choix. Cette primauté donnée au coût par rapport à la qualité de la prestation est favorisée par un système tel que celui des enchères inversées. Sur la base d’un cahier des charges précis, les entreprises sont invitées à soumissionner par Internet au cours d’un processus d’enchères d’une durée maximale de quelques heures. En effet, de plus en plus souvent c’est le service Achats de l’entreprise utilisatrice qui va régler la mise en concurrence via l’informatique. Le service Travaux n’est évidemment pas exclu puisqu’il est associé de très près à la définition du cahier des charges ainsi que dans certains cas (mais certainement pas tous) à la décision, mais le poids des critères d’appréciation de la qualité technique supposée des prestations des soumissionnaires est fortement réduit par rapport à ce qu’il était il y a encore quelques années. L’économique prime clairement sur le technique. Certaines entreprises locales préfèrent se retirer de ce type de marchés bien qu’elles possèdent un réel savoir-faire, et une main d’œuvre qualifiée disponible rapidement. Ces entreprises locales acquièrent alors le statut d’« entreprises de dépannage ». C’est donc par une concurrence accrue entre les entreprises, encore accentuée par les phénomènes liés à la mondialisation des échanges, que les entreprises utilisatrices ont réussi à contrebalancer le rôle croissant des entreprises extérieures dans la production. En outre, cet élargissement du nombre des entreprises qui peuvent être retenues se traduit globalement par une baisse du coût de revient sans que la qualité globale des prestations soit revue à la baisse puisque le savoir-faire le plus pointu est, au moins pour l’instant, disponible dans les entreprises gravitant depuis plusieurs années dans l’orbite des entreprises utilisatrices. Il en est de même pour les exigences en matière de sécurité Cette internationalisation croissante des échanges peut d’ailleurs entrer en conflit de façon plus ou moins nette avec la législation nationale et le respect des normes en matière de santé et sécurité au travail. Un certain nombre d’opérations « coup de poing » réalisées par les pouvoirs publics ont mis en évidence la présence sur les chantiers de 194
Sous-traitance : le point de vue d’un contrôleur de CRAM 7
travailleurs dépourvus de permis de travail ou titulaires de faux papiers. Les législations sur le salaire minimal ou sur le nombre d’heures maximal qui peut être effectué pendant une semaine sont parfois contournées, voire carrément violées. On peut redouter que dans le cadre d’un accroissement de la concurrence, les règles protectrices en matière de santé et de sécurité au travail ne soient mises à mal pour les travailleurs des entreprises extérieures étrangères moins disantes puis par contagion pour ceux des entreprises extérieures autochtones. On comprend en effet facilement que si les règles de base en matière de législation du travail ne sont pas respectées par tous, les contraintes supplémentaires telles que ces systèmes de management de la sécurité soient mal vécues par les entreprises les plus respectueuses des règles : la concurrence est ainsi faussée, non seulement sur des bases économiques (salaires plus faibles), mais aussi sur des bases de moins-disant social.
3. De la sous-traitance interne à la sous-traitance d’activités La volonté des industriels du raffinage du pétrole et de la pétrochimie de « se recentrer sur le cœur de leur métier » est aujourd’hui bien connue et l’expression a connu quelque succès. On pourrait également la traduire de façon plus imagée par le fait que conn que les produits qui les entreprises utilisatrices souhaiteraient à l’avenirr ne connaître sont fabriqués dans les réacteurs ou circulent dans les conduites sans avoir à se préoccuper de la gestion ni de l’entretien de ces contenants. Il en est ainsi par exemple pour les opérations d’approvisionnement ou de conditionnement confiées intégralement (y compris la maintenance courante) à des entreprises extérieures. Cependant, pour ce qui concerne le conditionnement, ces opérations étaient jusqu’à présent soit réalisées sur le site de l’entreprise utilisatrice et une coordination des activités et une évaluation en commun des risques étaient effectuées sous la responsabilité de l’entreprise utilisatrice conformément à la législation, soit effectuées sur le site de l’entreprise sous-traitante chargée du conditionnement dans le cadre d’une sous-traitance externe. Certaines entreprises ont tenté de sortir, ces dernières années, de ce schéma classique d’organisation. C’est ainsi que certaines ont procédé à la mise en place d’ateliers de conditionnement dans leurs propres locaux, dont le fonctionnement était confié à des sous-traitants, l’entreprise donneuse d’ordres conservant la propriété des matériels utilisés. Elles ont cependant considéré qu’elles n’étaient pas impliquées directement dans l’activité puisque ce n’était pas leurs propres employés qui devaient effectuer le travail et à ce titre ont mis en avant le fait qu’elles n’avaient pas le statut d’entreprise utilisatrice par rapport aux entreprises chargées du conditionnement (qui perdaient ipso 195
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facto le statut d’entreprise extérieure). Ces dernières devaient assurer le fonctionnement des installations, mais aussi leur entretien. Concrètement les entreprises donneuses d’ordre conservaient un droit de regard sur l’ensemble du processus industriel tout en étant déchargées de toute responsabilité sociale puisqu’elle n’étaient plus tenues à l’établissement du plan de prévention, ni aux inspections communes, etc. Ces schémas d’organisation et de « déresponsabilisation » ont été refusés par l’inspection du travail et les entreprises utilisatrices ont dû revenir en arrière. Pour autant, cet exemple illustre bien le souhait des donneurs d’ordre de l’industrie d’aller toujours plus loin dans les processus d’externalisation des activités. Au premier chef est visée la diminution de leur responsabilité sociale, dans un contexte où il est malgré tout primordial de conserver le meilleur contrôle possible des activités et de la qualité des prestations. Ce bref panorama de l’évolution des pratiques des entreprises utilisatrices avait pour objectif de montrer l’importance des mutations que la notion de sous-traitance interne a connu sur une période qui n’est somme toute pas très longue. Les tendances financières et (dans une moindre mesure) industrielles qui poussent à l’externalisation sont puissantes. Elles sont en outre favorisées par le phénomène de mondialisation de l’industrie, des services et plus globalement des échanges. Les tentatives de contournement de la réglementation dont elles s’accompagnent sont également fortes. L’exemple que nous venons de développer montre qu’elles peuvent connaître des points d’arrêt, même si dans le contexte actuel, personne ne peut préjuger de ce que seront les évolutions dans les années qui viennent.
4. De nouveaux rapports de production entre entreprises utilisatrices et entreprises extérieures Cette nouvelle organisation de la production n’a pas été sans conséquence sur les conditions d’exécution du travail du personnel du donneur d’ordres et de celui de l’exécutant. Nous considérons que, compte tenu des contraintes industrielles et surtout économiques toujours croissantes, il n’existe pas de réel partenariat (pourtant souvent revendiqué) entre entreprise utilisatrice et entreprises extérieures, mais une forte sujétion des secondes par rapport à la première. Paradoxalement, si on considère le fonctionnement au quotidien des unités, c’est l’entreprise utilisatrice qui tend de plus en plus à perdre une vraie vison de la réalité du terrain, qui devient de plus en plus dépendante des entreprises extérieures. Celles-ci se plaignent d’ailleurs parfois de ne plus avoir d’interlocuteurs compétents au niveau des structures du site et doivent prendre des 196
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responsabilités dont elles estiment qu’elles ne devraient pas les assumer dans le cadre du contrat signé. Certains salariés des entreprises extérieures sont actuellement devenus meilleurs connaisseurs de certaines parties des installations que les chargés d’affaires des entreprises utilisatrices qui leur commandent le travail. Tout ceci intervient, bien sûr, dans un contexte où à chaque niveau de toutes les entreprises on est contraint de répercuter (évidemment vers le niveau immédiatement inférieur) les exigences toujours croissantes en matière de productivité et de rentabilité. On assiste donc à une déstabilisation de l’ensemble des acteurs, ainsi qu’à une mutation profonde de l’ensemble du tissu industriel. Ces modifications ont des conséquences en termes de règles et de pratiques d’exécution des marchés. Telle entreprise extérieure peut soumissionner et prendre un marché dans des conditions telles qu’elle sait, avant même que les travaux ne soient engagés, qu’elle ne parviendra pas à l’équilibre financier. Elle fait alors le pari qu’elle aura la possibilité de se rattraper financièrement par le biais d’avenants pour travaux supplémentaires auxquels il sera indispensable de recourir si l’entreprise utilisatrice veut être en mesure de produire normalement dans les délais souhaités. Cette déstabilisation touche également les structures de prévention des entreprises, mais aussi les institutionnels comme les services Prévention des risques professionnels des caisses régionales d’assurance maladie. Quand toute une politique est basée sur un travail de réflexion et d’analyse à moyen, voire à long terme, ainsi que sur une volonté d’appropriation et d’apprentissage par l’ensemble des acteurs des règles et des méthodes de la prévention, il est difficile de s’adapter à la logique court-termiste. C’est pourtant un tel horizon qui semble devenir la référence dans toutes les entreprises, y compris les plus importantes et les mieux structurées. Des démarches d’accompagnement des entreprises comme celles des contrats de prévention ont montré leur efficacité. Pourtant dans le contexte de la sous-traitance interne, elles trouvent rapidement leurs limites. Elles sont réservées aux PME et consistent à financer des équipements ou une formation en échange d’un engagement de l’entreprise à s’inscrire dans une logique globale de prévention des risques professionnels déterminée en accord avec le service Prévention de la CRAM. Dans le cas de la sous-traitance interne où une part importante du risque n’est pas déterminée par l’activité de l’entreprise extérieure, mais bien par l’entreprise utilisatrice, cette logique d’appréhension globale du risque ne peut pas, dans la plupart des cas, être mise en œuvre. La prévention des risques professionnels ne s’inscrit pas (en tout cas pas seulement) dans une logique de recettes ou de bonnes pratiques, mais plutôt dans une réflexion globale intégrant l’ensemble des paramètres de l’entreprise. A contrario, la mise en place des systèmes de management de la sécurité répond probablement au moins en partie à ces nouveaux besoins de prévention « immédiatement efficaces ». 197
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5. Appréciation contrastée des systèmes de management de la sécurité (SMS) Compte tenu de la localisation du secteur dont j’ai la charge, j’ai surtout été confronté au MASE (Manuel d’amélioration sécurité des entreprises). S’il s’applique en théorie à toutes les entreprises (utilisatrices et extérieures), je considère que la contrainte pesant sur les premières est plus théorique que pratique et que c’est surtout un outil qui s’adresse aux entreprises extérieures. C’est donc de cet exemple précis que je traiterai. Reconnaissons-lui d’emblée un mérite comme aux SMS en général, c’est d’avoir mis la sécurité au travail au centre des préoccupations des entreprises. Même si on peut être critique (et les critiques justement ne manqueront pas dans ces pages) quant aux accommodements qu’entreprises utilisatrices et entreprises extérieures ont pris et prennent avec ce système qu’elles sont supposées faire vivre dans une optique de progrès, le fait que la sécurité doive être considérée un objet de préoccupation central est un atout important dont doivent absolument se saisir les préventeurs institutionnels. Quand on établit un bilan avec un certain nombre d’entreprises extérieures, elles indiquent de façon très claire que l’obligation de répondre aux critères du système de management de la sécurité les a obligées à revoir leur organisation. Elles ont ainsi gagné en efficacité et cela s’est traduit non seulement par des gains économiques mais aussi par des progrès notables au niveau de leurs politiques santé et sécurité. Nous ne reviendrons pas ici en détail sur le mode de fonctionnement du MASE qui est présenté ailleurs dans cet ouvrage. Nous nous intéresserons surtout à certains éléments constitutifs de ce système qui, dans le meilleur des cas, ne sont pas pleinement opératoires pour concourir à une prévention des risques professionnels réelle et efficace. Ils peuvent même, pour certains d’entre eux, constituer des freins à son développement. Tout d’abord, il convient d’intégrer à la réflexion le fait que le MASE est un système à sens unique. Il fait reposer l’essentiel de la tâche et de la responsabilité sur les entreprises extérieures puisque l’entreprise utilisatrice ne s’impose pas à elle-même un certains nombre de contraintes qu’elle fait reposer sur ses sous-traitants. Au-delà d’une volonté réelle (et qui, étant donné l’influence du donneur d’ordres sur la vie au quotidien des entreprises extérieures, est un atout important) d’assurer une prévention des accidents du travail, le SMS MASE a aussi pour objectif de permettre à l’entreprise utilisatrice de conserver un contrôle efficace sur les pratiques professionnelles. Bien que les deux aspects (promotion de la sécurité et efficacité industrielle) ne soient évidemment pas antinomiques, le mélange des deux est susceptible de nuire à l’implantation d’une réelle culture sécurité. En outre, alors qu’en théorie, le MASE devrait s’appliquer à l’ensemble des activités réalisées sur le site de l’entreprise donneuse d’ordre, 198
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l’expérience montre qu’en fonction des circonstances et des opportunités, le système peut être mis entre parenthèses en fonction de l’intérêt bien compris de l’entreprise utilisatrice. Ce fut notamment le cas pour plusieurs opérations importantes de travaux neufs pour lesquelles il fut fait appel à des sociétés qui ne pouvaient pas justifier de la certification. Dans ce contrat passé entre inégaux, la responsabilité en cas d’accidents est presque systématiquement transférée sur l’entreprise extérieure qui doit d’abord questionner sa propre pratique pour analyser les causes de l’accident alors que celui-ci devrait être systématiquement replacé dans le contexte global de l’activité sur le site. Certes la cause matérielle et l’explication de certains accidents seront effectivement à rechercher principalement (voire exclusivement) dans l’activité de l’entreprise extérieure, mais, dans la logique développée par le MASE, le contexte dans lequel il est intervenu est trop souvent occulté. Il en résulte donc une vision appauvrie et théorique de la réalité qui, souvent, s’abstrait de ce qui se passe réellement sur le terrain. L’obligation, imposée par le référentiel, de réaliser un arbre des causes après chaque accident est évidemment une excellente chose. Cependant, force est de constater que ces arbres des causes sont souvent sans consistance et déconnectés de la réalité du contexte dans lequel les tâches sont effectuées. Ce sont des exercices imposés et non pas des instruments de progrès. De même les « causeries sécurité » imposées par le référentiel sont souvent de pure forme. De la même façon que l’établissement du plan de prévention passe par une analyse commune des risques, la compréhension de l’accident et de ses causes peut rarement faire l’économie d’une analyse globale de la situation, englobant les éléments liés à l’activité de l’entreprise utilisatrice ou au contexte dans lequel l’entreprise extérieure évolue. Cette analyse globale est pourtant rarement effectuée.
6. Il faut réhabiliter l’accident du travail ! Il pourra sembler paradoxal qu’un préventeur appelle à la réhabilitation de l’accident du travail. Cette demande de réhabilitation part du constat que l’accident du travail est devenu inacceptable en termes d’image pour les grosses entreprises donneuses d’ordres et que ce caractère « idéologiquement » inacceptable nuit à la capacité d’assurer une réelle transparence de la situation. Plus qu’une contrainte d’ordre économique, cette « interdiction » de l’accident répond à une exigence philosophique : certains conseils d’administration ont fait de la disparition de l’accident du travail un des fondements de leur politique industrielle. On assiste donc à la fixation a priori d’un objectif de type « zéro accident » et tout est fait pour tenir cet objectif indépendamment de la réalité de 199
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la situation et des possibilités réelles. En outre, le respect de ce critère est un élément d’appréciation important dans le déroulement de carrière du management des entreprises, ce qui induit inévitablement un biais dans la vision que ce management aura de l’accident. Ce dont on pourrait se féliciter a priori (une réelle volonté de faire diminuer le nombre des accidents du travail) devient un élément qui concourt à la dissimulation de la réalité. Un accident du travail, considéré individuellement en tant que tel, n’est jamais normal. Il n’est jamais inévitable : la réalisation d’arbres des causes sérieux montre toujours qu’il existe des éléments sur lesquels il est possible d’intervenir pour qu’il ne se reproduise plus. Il est donc possible d’en diminuer le nombre, il n’en reste pas moins que compte tenu des réalités industrielles (contraintes techniques et économiques, défaillances matérielles et humaines, etc.), le « zéro accident », avec ou sans arrêt, n’est actuellement pas un objectif qu’on peut atteindre dans l’industrie. Pourtant, l’accident du travail avec arrêt est mis hors la loi dans certaines entreprises. Ainsi, quand l’accident n’est pas suffisamment grave pour justifier l’intervention d’éléments de secours extérieurs au site sur lequel il est intervenu, différentes stratégies peuvent être mises en œuvre pour, en fonction de la gravité et des circonstances, minorer administrativement sa gravité : par exemple, déclaration de l’accident sans arrêt avec éventuel transfert de l’accidenté sur un poste aménagé, etc. Si l’état du travailleur ne lui permet même pas d’occuper un poste aménagé, il pourra être amené à rester chez lui pendant le temps où il est inapte à travailler. Les taux de fréquence et de gravité des accidents étant, dans le cadre du référentiel MASE, des éléments d’appréciation importants de la qualité de la prestation de l’entreprise extérieure, certaines d’entre elles donnent pour consigne à leurs opérateurs confrontés à un accident d’informer d’abord leur encadrement qui, en fonction des circonstances, jugera de la conduite à adopter : déclaration réelle, ou bien minoration telle que décrite précédemment, voire dissimulation complète. Si on laisse s’installer cette logique, elle peut devenir extrêmement pernicieuse. Elle peut aboutir à des situations néfastes dans lesquelles même le premier soin est banni parce qu’il risque d’être pénalisant pour l’image de l’entreprise extérieure vis-à-vis de l’entreprise utilisatrice. Ce premier soin est bien sûr effectué mais il n’est pas déclaré. En fait cette logique de système de management de la sécurité dans lequel l’entreprise extérieure doit continuellement faire ses preuves pour s’introduire mais aussi pour se maintenir à l’intérieur de l’acceptable pour le système peut se révéler pernicieuse si elle n’intègre pas la réalité du terrain. Le risque est en effet grand que l’obligation de progrès continu soit dévoyée et qu’à un examen réaliste de la situation, renouvelé régulièrement, on substitue un système fermé qui s’auto-alimente à partir de ses propres références et surtout de ses propres exigences. L’exigence du « zéro accident » devient 200
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alors un dogme défini au plus haut niveau, auquel il n’est pas possible de ne pas souscrire sauf, pour les titulaires des postes de direction opérationnelle ou d’encadrement de haut niveau, à courir le risque de mettre en cause un déroulement de carrière. L’expérience montre que cette politique n’est pas définie au niveau des usines, mais à un niveau hiérarchique supérieur de décision, réduisant à fort peu de choses la marge de manœuvres des Directions des établissements en la matière. Le corollaire positif de cette situation et de cette philosophie du refus de tout accident est qu’elle peut permettre, dans certains cas, des marges de négociation non négligeables aux institutionnels de la prévention face aux entreprises utilisatrices. En effet, les grosses entreprises, dont une part importante du discours est basée sur la maîtrise du risque, peuvent difficilement se permettre une opposition franche et tranchée aux demandes de ces institutionnels au risque de se voir contredites à courte ou moyenne échéance par les faits.
7. La dissimulation au risque de l’invisibilisation Dans les plus gros établissements, l’existence de fortes structures de gestion de l’activité et de la sécurité au quotidien ainsi que celle d’organisations syndicales fait que si une dissimulation « administrative » des accidents par les entreprises extérieures peut être tolérée (voire encouragée), l’information parviendra malgré tout à la Direction de l’entreprise utilisatrice. Cette dernière pourra intégrer ce retour du terrain à sa politique industrielle et de gestion de la sécurité. L’expérience montre cependant que la transparence est loin d’être totale puisque des faits importants ou des éléments d’appréciation significatifs peuvent ne pas être communiqués au CHSCT de l’entreprise utilisatrice. En revanche, dans des entreprises de plus petite taille ou moins bien structurées, le risque est grand d’une déperdition d’une information que tout le monde s’accorde à juger très utile. En matière d’hygiène et de sécurité, aucune donnée ne doit être négligée. Le MASE, en mettant avant tout l’accent sur les taux de fréquence, néglige la ressource très importante (en nombre, mais aussi en tant que source d’information irremplaçable) que représente l’analyse des accidents ou des presque accidents évités. La notion d’amélioration continue de la performance (diminution des indices de fréquence des accidents du travail) aboutit dans un certain nombre de cas à la mise en place d’un système de culpabilisation qui tend à renvoyer, de niveau hiérarchique en niveau hiérarchique, la responsabilité finale (mais aussi initiale) sur le travailleur qui, désigné responsable de sa propre sécurité et de celle de ses collègues, se voit attribuer un rôle majeur dans la survenue de l’accident ou de l’incident. Ce renvoi à l’échelon individuel (accompagné, nous l’avons constaté parfois, de mise en cause de la personne y compris au niveau de sa 201
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vie privée) présente surtout le grave inconvénient d’exonérer de leurs responsabilités les structures responsables de l’analyse et de la réflexion, voire la politique qu’elles conduisent. Ce n’est en effet que par la réflexion et l’analyse qu’on peut éviter que le même accident (ou un accident du même type) se reproduise. Le niveau technique des entreprises utilisatrices et des entreprises extérieures est dans l’ensemble excellent, les accidents de process sont rares. Cependant, en termes de prévention des risques professionnels, les unes comme les autres pèchent encore dans leur analyse des facteurs organisationnels qui peuvent conduire à l’accident. Il est nécessaire de mettre en place un programme global d’analyse des risques qui efface les frontières construites artificiellement entre travailleurs et activités des entreprises utilisatrices et des entreprises extérieures. Il faut remettre du « bon sens » dans la prévention des risques professionnels qui ne se résume pas, loin s’en faut à une application de recettes ou de normes.
8. Rendre l’entreprise responsable du risque qu’elle génère En matière d’environnement, une règle veut qu’une entreprise reste propriétaire de son déchet aussi longtemps qu’elle n’a pas procédé (ou plus souvent fait procéder) à son élimination. Il nous semble que si on veut vraiment progresser en matière de prévention des risques professionnels dans le domaine de la sous-traitance interne, il faut s’engager dans une logique et une démarche du même type. Il nous paraît donc logique que ce soit dans le cadre de l’activité de l’entreprise utilisatrice (sans pour autant exonérer l’entreprise extérieure de ses responsabilités) que la prévention doit d’abord être considérée. Ce n’est que par un bilan complet effectué à ce niveau, en plus de celui réalisé en même temps au niveau de la ou des entreprise(s) extérieure(s), qu’on peut avoir une vision réaliste de la situation. Dans la plupart des cas en effet, l’entreprise extérieure n’a en effet qu’une faible latitude pour organiser sa prévention : le cadre, les délais d’exécution, souvent aussi les techniques employées lui sont imposés par l’entreprise utilisatrice. Il s’agit d’imposer à l’un (le donneur d’ordres) une obligation de moyens pour pouvoir imposer à l’autre (la société qui réalise les travaux) l’obligation de résultat qui est inscrite dans le Code du travail. Ce n’est bien sûr pas une démarche aisée, en particulier à l’heure où tout est mis en œuvre par les entreprises utilisatrices pour reporter sur les entreprises extérieures toutes les actions non directement incluses dans le fameux « cœur du métier » (dont on constate d’années en années qu’il va toujours se rétrécissant). Pour autant, le respect de la santé et la sécurité au travail justifie bien ce traitement différent en matière d’organisation. C’est d’ailleurs la voie dans laquelle la législateur s’est engagé à travers la loi sur la prévention des risques technologiques ou naturels (dite loi Bachelot) sur les sites « Seveso II – seuil haut ». Cette logique passe 202
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par le renforcement de la formation et de l’information des entreprises extérieures, confiées à l’entreprise utilisatrice et par la mise en place de structures de prévention communes à travers la mise en place de CHSCT élargis appelés à traiter la prévention de façon globale. Il nous paraît indispensable que cette logique d’action soit élargie à des entreprises dans lesquelles le risque environnemental (considéré au sens large) est peut-être moindre, mais suffisant pour générer au niveau des entreprises extérieures des nuisances significatives en matière de risque professionnel. Plus que les différences de statut des entreprises, il s’agit donc de considérer, de façon globale, le travail effectué afin de mettre en place, également de façon globale au niveau de l’entreprise utilisatrice comme à celui des entreprises extérieures, une réelle prévention des risques professionnels. Ce changement de paradigme devrait aussi s’accompagner d’une interdiction des challenges sécurité dont on ne dira jamais assez le rôle pernicieux. En faisant reposer sur chaque individu la possibilité pour tout le personnel d’un atelier ou d’un chantier de toucher une prime ou un cadeau en cas d’absence d’accident, ces challenges introduisent une stigmatisation potentielle du blessé qui sera fortement incité à ne pas aller déclarer son accident. Au risque bien sûr que le même accident puisse se reproduire puisqu’il a été plus ou moins dissimulé et que les solutions correctives n’ont pas été apportées. Le risque est en outre que la répétition de l’accident soit plus grave pour un autre travailleur. On connaît des exemples dans la méthode d’attribution des primes qui aboutissent à ce que ce soient les travailleurs de l’entreprise utilisatrice qui bénéficient au final de la prime… si les entreprises extérieures n’ont pas déclaré d’accidents du travail. On peut d’ailleurs légitimement se demander si cette rémunération leur sera attribuée pour leur capacité à organiser une prévention efficace au niveau des entreprises extérieures (prévention qui d’ailleurs, en droit, ne dépend pas directement d’eux) ou pour avoir réussi à empêcher la déclaration des accidents du travail par ces dernières. C’est, en quelque sorte, reconnaître par l’absurde que l’influence du donneur d’ordres sur la politique de prévention des risques professionnels de l’entreprise extérieure va bien au-delà des inspections et analyses communes des risques prévues par la législation.
9. Mettre en place une réelle traçabilité des expositions Même si, de par mon activité, je me suis surtout intéressé à la prévention des accidents du travail, il n’est pas possible de clore cet exposé sans réfléchir à la prévention des maladies professionnelles et au suivi des expositions professionnelles aux polluants chimiques. Cela a toujours été une préoccupation en matière de prévention des risques 203
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professionnels, mais il faut reconnaître que la crise de l’amiante a fortement influencé et influencera encore fortement l’activité des préventeurs dans les années à venir. La question de la traçabilité des expositions a notamment été remise au premier plan. Ce suivi des expositions existe déjà pourvu que l’entreprise extérieure soit relativement bien implantée et qu’elle ait une activité assez stable. Il est bien sûr quasiment inexistant pour des travailleurs plus « nomades ». Les travailleurs précaires seront encore les plus pénalisés car à ce jour aucun système fiable ne permet de récapituler avec précision leurs expositions. Cependant, si nous voulons devenir plus efficaces, il nous faudra revoir fondamentalement nos pratiques. En effet on ne peut qu’être frappé de constater que sur tel site pétrolier, le « suivi benzène » touche encore principalement des travailleurs de l’entreprise utilisatrice, alors que les personnels qui peuvent être exposés accidentellement, travaillant surtout pour les entreprises extérieures, n’ont pratiquement aucune chance d’en bénéficier. Pourtant à l’initiative de médecins du travail d’entreprises utilisatrices, des démarches d’information systématique de leurs collègues des entreprises extérieures sont engagées quand les premiers ont connaissance de faits d’exposition concernant les travailleurs dont les seconds ont la charge. On peut considérer que cela ne constitue finalement qu’une simple application de la réglementation, cela n’en représente pas moins un progrès considérable par rapport à une situation trop souvent habituelle. C’est également, par exemple, en contrôlant les fiches annuelles d’exposition, obligatoires pour les cancérogènes, mutagènes ou toxiques pour la reproduction des catégories 1 et 2 qu’on fera progresser cette traçabilité. L’entreprise extérieure devra se donner les moyens d’obtenir les informations. L’exemple de l’amiante montre également que c’est à travers le poids croissant de la reconnaissance des maladies professionnelles que de bonnes pratiques de travail ont pu être organisées. En effet, quel que soit l’intérêt de la législation générale pour l’enlèvement de l’amiante friable, les quantités énormes d’amiante utilisées pour le calorifugeage dans les raffineries ou dans l’industrie chimique n’ont pu être traitées correctement qu’en mettant en place des modes opératoires spécifiques.
Conclusion provisoire à propos d’activités en constante évolution Nous avons évoqué précédemment la notion de « responsabilité du risque » dont nous souhaitons laisser la charge à celui qui aura commandé les travaux et généré ce risque jusqu’à son élimination. Nous avons bien conscience du fait qu’elle va complètement à l’encontre des tendances actuelles de l’industrie. On assiste au contraire aujourd’hui 204
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à des tentatives de transfert de la coordination de ce risque de l’entreprise utilisatrice vers une entreprise extérieure principale ou plus individuellement sur l’ensemble des entreprises intervenantes. Il s’agit là d’un choix de politique industrielle, et même de société, qui devra être tranché dans les années qui viennent. La législation actuelle est très claire à ce sujet. Même si elle mérite d’être améliorée en s’inspirant des évolutions de la loi sur la prévention des risques technologiques ou naturels, ce n’est qu’à travers son application dans la lettre et dans l’esprit que nous parviendrons à améliorer la santé et la sécurité au travail en sous-traitance interne.
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Prestation de service et sous-traitance dans les gares parisiennes SNCF : risques et prévention
1. Introduction Julien Tonner Depuis des années, la branche accident du travail et maladie professionnelles du régime général de la Sécurité sociale est confrontée, lors de ses contrôles et interventions, à l’influence d’un grand donneur d’ordre : la SNCF. Assureur de l’ensemble de ses risques (hors famille) et en particulier de ses risques professionnels, le fonctionnement indépendant (propre aux régimes spéciaux) de la SNCF ne susciterait pas d’intérêt spécifique pour les services prévention de notre institution si elle ne faisait intervenir un nombre conséquent d’entreprises extérieures couvertes par le régime général. L’influence exercée sur les prestataires de service et sous-traitants, intervenant dans les grandes gares parisiennes, revêt différents aspects (structurel, organisationnel, ou réglementaire) posant de réelles difficultés dans la mise en œuvre de nos actions de prévention. Au-delà des phénomènes classiques induits par les relations de soustraitance (désengagement et méconnaissance du donneur d’ordre des activités des prestataires, difficultés de coopération et de communication), les particularités telles que la transposition et l’adaptation du droit commun, l’organisation transversale ou la culture d’entreprise apparaissent comme autant de déterminants caractérisant cette influence comme un facteur de risque potentiel. 206
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Par ailleurs, tout en s’attachant aux risques communs inhérents à l’activité en gare, cette étude, menée au sein des grandes gares parisiennes, cherche à mettre en exergue le poids de la coactivité comme facteur de risque dans la survenance des accidents et maladies professionnelles. L’extension de la notion de coactivité révéle alors l’existence d’interférences non seulement entre entreprises extérieures mais également entre la SNCF et ses sous-traitants, interférences assimilables à une cohabitation entre régime général et régime spécial. Les propositions de mesures de prévention s’articulent autour de la combinaison de perspectives techniques et organisationnelles, et mettent l’accent sur la nécessité d’une coordination efficace appuyée sur l’implication des prestataires dans la réalisation des plans d’actions. La véritable stratégie de prévention repose donc sur la formalisation d’un partenariat, outil incontournable et indispensable pour la concrétisation des pistes d’actions proposées.
2. Les particularités de la SNCF 2.1. Statut et organisation générale Il est important de noter que l’organisation présentée ci-dessous correspond à l’organisation de la SNCF en 2006-2007 et que des évolutions majeures sont actuellement en cours. La SNCF est devenue un établissement public industriel et commercial (EPIC) régi par les articles 18 à 26 de la loi d’orientation des transports intérieurs (LOTI) du 30 décembre 1982, avec effet au 1er janvier 1983, après avoir bénéficié d’un statut de société anonyme d’économie mixte (51 % des parts appartenant à l’État) pendant 45 années, ayant pris effet le 1er janvier 1938 (Convention du 31 août 1937 : date de création de la SNCF). Ce caractère public confère à l’entreprise une organisation spécifique, répartissant le territoire en 23 régions, approximativement calquées sur les régions administratives (sauf région parisienne). Ainsi, à la tête de l’exécutif apparaissent deux entités. Le conseil d’administration définit la politique générale de l’établissement public, et détermine les orientations du groupe ; le comité exécutif est l’organe de pilotage de la SNCF, en charge de la stratégie d’ensemble. À la tête des régions, directement rattachées au comité exécutif, viennent se greffer les directions régionales. Après avoir expérimenté depuis 1992 un système de gestion 207
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par centre de responsabilité, la SNCF a évolué vers une gestion transversale par activité. Dès lors, sous l’égide du niveau central, l’entreprise s’articule autour de différents « domaines » ou « activités » responsables de leur gestion : – Activité Infrastructure. – Activités Voyageurs (au nombre de 2 : Voyageurs France Europe et SNCF). – Activité Fret. – Prestataires internes : « domaines » Matériel et Traction. – Services support nécessaire à la cohérence d’ensemble (DG, DRH, DF et secrétariat général). Au sein des régions, ce sont les établissements (au nombre de 280) qui disposent de moyens et responsabilités de gestion dans le cadre des politiques menées par domaines, mais enrichies par les orientations définies par les directions régionales, chacune des directions régionales disposant de directeurs délégués par activités et domaines (également identifiés sous le terme « métiers »). Parmi les principaux établissements (bien qu’actuellement en voie de modification) intervenant à l’échelon des gares parisiennes, nous trouvons : ü E. EX, établissements d’exploitation ayant des missions relatives à la gestion de l’infrastructure (circulation) ainsi qu’aux activités voyageurs et fret. ü EVEN, établissements « équipement » chargés de la maintenance des infrastructures : voie, signalisation, télécommunications, alimentation électrique. ü EIV, établissements « équipement » industriels. ü ET, établissements traction assurant la conduite des trains. ü ECT, établissements en charge de l’accompagnement des trains de voyageurs. ü EMT, établissements matériel et traction chargés de l’entretien du matériel roulant. Dès lors, nous pouvons percevoir le caractère transversal de l’organisation de la SNCF, où viennent se confondre liens hiérarchiques et liens fonctionnels. Les conflits d’intérêt pouvant naître de l’intervention, sur un même lieu, de plusieurs établissements aux prérogatives diverses, nécessite une coordination parfaite, notamment dans le domaine des risques professionnels. Or, il ne fait nul doute que la santé et la sécurité au travail sont des enjeux croissants pour la SNCF, enjeux portant d’abord sur le plan humain, puis sur les plans sociaux et économiques. À ce titre, depuis 2004, la prise en compte de ces enjeux a suscité une évolution de la politique de prévention des risques professionnels, tant du point de 208
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vue de l’organisation que de la structure de cette politique, impliquant directement la responsabilité des directeurs d’établissements. Dans cette démarche, le coût des accidents du travail a été affecté aux résultats des activités et établissements. Mais, dans cette prise en compte doivent aujourd’hui s’immiscer de nouveaux acteurs, contribuant directement à l’image et au développement de l’entreprise. Car, au même titre que de nombreuses grandes entreprises, l’évolution du tissu économique a profondément affecté le concept de l’entreprise, avec l’apparition d’une « entreprise modulaire ». La multiplication de lots et activités sous-traitées, permettant de se recentrer sur son cœur d’activité, pour des raisons structurelles, techniques, ou sociales, et bien que souvent induite par une cause économique, justifie à repenser les rapports existant entre la SNCF et ses prestataires ou sous-traitants. Le simple apport de compétences des entreprises extérieures constitue, indépendamment des risques inhérents à la spécificité de chaque société, un risque pouvant en cacher un autre : celui de la coactivité.
2.2. Les dispositions règlementaires De par l’enjeu stratégique que représentent les transports pour son rôle essentiel dans le développement du commerce et de l’industrie, dans la mobilité de la main d’œuvre et des forces armées, et de par sa contribution aux besoins d’intérêt général, la SNCF justifie d’un régime dérogeant aux règles de droit privé. Effectivement, celle-ci est assujettie à un règlement interne. Les principes généraux de prévention tels que nous les connaissons, édictés par le titre III, livre II du Code du travail ne sont pas applicables directement aux entreprises de transport (art. L. 231-1 et L. 231-1-1 combinés). Cependant, le décret 60-72 du 15 janvier 1960, soumet la SNCF aux dispositions du code du travail, en prévoyant que les conditions d’application feront l’objet d’un règlement spécifique, établi par l’entreprise et approuvé par les ministres des Transports et du Travail. La procédure d’élaboration de cette réglementation passe par l’avis d’une Commission nationale mixte (arrêté du 26-06-1982) dans laquelle les ministères du Travail et des Transports sont représentés. Ainsi, nous nous retrouvons face à une abondance de règlements internes, nommées directives, qui correspondent à une transposition du Code du travail. Ces directives ont une valeur et une portée juridique équivalente aux textes d’application du Code du travail. En outre, une série de textes, ne nécessitant pas de validation par la Commission nationale mixte, relatifs à la prévention, sont souvent rédigés sous la forme de notes d’informations ou consignes d’application. 209
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La problématique dégagée par cette réglementation propre à la SNCF tient dans la position conflictuelle, à laquelle est soumise l’entreprise extérieure intervenante. Les contradictions ou différences résultant des réglements et consignes auxquels l’entreprise extérieure est tenue de se soumettre, et les obligations réglementaires issues de son appartenance au régime général, sont sources de confusion. Dès lors, l’entreprise doit appliquer et respecter des règlements et consignes SNCF basés sur des dispositions dérogatoires du droit commun, telles que les dispositions concernant les installation de traction électrique, ou les trains de ballast. De l’étude de ces textes se dégage la culture sécurité des métiers de transport, une culture liée à l’autonomie nécessaire accordée aux salariés dans ces métiers, mobilisant plus que dans le Code du travail le respect des consignes. Cependant, appliquées aux entreprises extérieures, le recours à ce mode de prévention ne produit pas les mêmes effets, et relève, aux vus des principes généraux de prévention, du plus bas niveau. Nous nous attacherons donc à déterminer les caractéristiques des fondements nécessaires à une étroite collaboration, et des outils à mettre en œuvre dans la production d’une nouvelle forme de « réglementation » que représente la réglementation consensuelle, et dont la poursuite d’objectifs communs est la pierre angulaire.
3. Identification et analyse de risques À travers l’observation des situations de travail nous avons cherché à mettre en lumière les différences existant entre travail prescrit et travail réel, et plus précisément sur l’écart avec ces situations réelles de travail résidant dans l’application des plans de prévention et des règlements internes. Sans prétendre à l’exhaustivité, cette observation apporte un regard essentiel sur les conditions réelles de travail et par conséquent sur l’analyse des risques et des moyens de prévention envisageables.
3.1. Risques communs liés à l’activité en gare Indépendamment des métiers observés, qu’ils soient propres à la SNCF ou au lieu d’activité, il existe des risques inhérents à l’activité en gare pour la quasi-totalité des intervenants.
3.1.1. Risques de heurt liés à la circulation ferroviaire Ce risque, propre à l’activité ferroviaire, est considéré comme le plus important (avec le risque électrique) par la SNCF, du fait de la gravité des accidents pouvant en résulter. 210
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Dans le cas des grandes gares parisiennes, ce risque est à pondérer par le statut de « terminus » de ces gares, impliquant une vitesse réduite à l’arrivée et au départ, notamment vis-à-vis des risques liés à l’effet de souffle. Évoquée dans tous les plans de prévention consultés, la gestion de ce risque relève essentiellement de la consigne. Ces plans de prévention définissent une zone dangereuse relative à la voie ferrée, qui s’étend sur 1,50 m de part et d’autre des rails lorsque la vitesse est inférieure ou égale à 160 km/h. Cette zone est explicitée figure 8.1 : Zone dans laquelle un ouvrier, l’outillage ou le matériel qu’il manipule : • peut être heurté par une circulation ferroviaire • peut être mis en danger par l’effet de souffle provoqué par une circulation. ZONE DANGEREUSE 1,50 m
VOIE INTERDITE À LA CIRCULATION
1,50 m
Figure 8.1 Définition de la zone dangereuse.
Par ailleurs, ces plans de prévention font l’objet des précisions suivantes : – Aucun travail dans cette zone n’est autorisé sans la présence et l’accord de l’agent SNCF chargé de mettre en œuvre les mesures de sécurité vis-à-vis des circulations ferroviaires. – Le personnel de l’entreprise extérieure est soumis aux mêmes règles de sécurité que celles appliquées aux agents SNCF, notamment le port d’un article de visualisation (gilet conforme aux normes CE). Or, la réalité est autrement différente, puisque l’application de ces règles relève plus des cas exceptionnels que des cas usuels. Ainsi, la « mise sur ordre » d’un train (obligation pour toute entreprise intervenant sur un train de signaler dans un premier temps le début de son intervention, puis dans un second temps de confirmer la fin de l’intervention) ne se fait que lorsque le prestataire juge ne pas disposer d’un temps suffisant pour son intervention. De la même manière, le port d’articles de visualisation en gare intervient essentiellement dans le cadre de travaux de bâtiment ou génie civil à proximité des voies (réfection des quais en gare par exemple), mais plus rarement lors de l’intervention pour les prestataires officiant sur les trains en gare. 211
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3.1.2. Risques électriques liés à la présence de caténaires La base de données BRULCAT, constituée par le Centre d’études de Sécurité de la SNCF, rassemble les informations sur les accidents électriques de caténaires sur 14 années (1988-2001). 191 accidents ont été enregistrés soit environ 14 par an. Ils ont fait 61 tués et 141 blessés graves, et sont donc mortels dans 30 % des cas. Environ 90 % de ces accidents concernent des lignes à haute tension (25 000 V). Ces accidents concernent aussi bien les usagers que les professionnels. La prévention des risques d’origine électrique repose sur le décret du 14 novembre 1988 (modifié en 1995), mais pour lequel la SNCF est dérogatoire (sous réserve de l’évolution suite aux discussions en cours, auxquelles prennent part la SNCF, au Conseil supérieur de prévention des risques professionnels pour la refonte de ce décret). Ce risque, omniprésent en gare, est aggravé par la structure de la gare et la hauteur des caténaires, plus particulièrement vis-à-vis des distances de sécurité à respecter. Le règlement SNCF traitant du risque électrique précise des distances de sécurité inférieures aux distances d’éloignement réglementaires pour toute personne, pièce, ou élément de machinerie. Une attention particulière est à prendre en compte dans le cadre des interventions d’entreprises de nettoyage (utilisation de perche pour le nettoyage extérieur des trains) ou d’avitaillement des rames 2 niveaux (utilisation de platesformes élévatrices).
3.1.3. Risques liés à la circulation d’engins automoteurs à conducteur porté La plupart des prestataires officiant en gare (avitaillement, nettoyage de la gare, approvisionnement des points de vente alimentaires et points presse, manutention de bagages, approvisionnement de caddies) utilisent des chariots automoteurs à conducteurs portés, qui circulent au milieu des usagers. Les risques liés à cette circulation sont de nature diverse : – Risque de heurts et chocs avec des chariots ou des piétons. – Risque de chute ou de renversement dans les voies. – Risque d’écrasement d’une partie du corps dépassant du chariot. – Risque liés aux vibrations. 212
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Cependant, on constate beaucoup de différences dans les équipements dont sont munis les chariots automoteurs chez les prestataires. Ainsi, les dispositifs destinés à prévenir l’éjection ou l’écrasement du conducteur en cas de renversement (et plus particulièrement de renversement latéral) sont très aléatoires en fonction du prestataire, puisque certains sont équipés de toits de protection, d’autres avec ou sans portillons transversaux. De même, la nécessité pour les conducteurs de monter et descendre fréquemment du chariot limite dans la plupart des cas l’utilisation de la ceinture comme système de retenue. Les atteintes à la santé consécutives à ces risques sont diverses et variées au niveau de l’accidentologie, mais se traduisent également par des maladies professionnelles (tableau 97 : affections chroniques du rachis lombaire provoquées par des vibrations de basses et moyennes fréquences transmises au corps entier). La problématique de l’utilisation des « tracteurs » est accentuée par la notion de propriété, disparate d’un intervenant à un autre. Plus précisément, les différents cas de figures rencontrés régissant l’impact de notre action sont : – La SNCF est propriétaire des équipements. – La société extérieure est propriétaire. – L’entreprise extérieure utilise des équipements appartenant à une autre entreprise extérieure (dans le cadre d’une sous-traitance de prestation entre 2 entreprises extérieures). La notion d’attelage (poids, longueur, état d’entretien) intervient également comme facteur aggravant dans le risque de renversement, ou de chocs dans le cadre d’une rupture des points d’attache (gravité potentielle fonction de l’inclinaison des circulations). Le stationnement à proximité des voies génère également un risque d’entraînement ou d’accrochage des remorques par les trains. Par ailleurs, l’utilisation de véhicules automoteurs électriques entraîne un risque supplémentaire lors de la charge de la batterie, lié aux dégagements d’hydrogène. Le risque encouru alors est un risque d’explosion et éventuellement un risque lié aux manutentions des batteries (intégrant les risques de TMS, et les risques liés à la projection d’acide).
3.1.4. Risques de chute de plain-pied et de chute de hauteur Ces risques sont présents dans toutes les entreprises et les résultats statistiques sur la typologie des accidents corroborent leur importance dans l’appréciation qui en a été faite sur le terrain. Effectivement, l’évolution des salariés en gare avec la présence des 213
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clients de la SNCF augmente la probabilité d’occurrence de ce risque. Sont également mis en cause comme facteur de risque l’état et l’inégalité des revêtements de sols. La présence de plusieurs niveaux (au moins 2) et la nécessité, soit d’intervenir sur chacun d’eux (nettoyage, approvisionnement des distributeurs et des espaces de ventes), soit du fait de l’emplacement des locaux, tend à multiplier ces risques de chute (plainpied ou hauteur). Les risques de chute de hauteur sont essentiellement conditionnés par la présence des quais et d’escaliers (mécaniques ou classiques). On peut également noter que certaines professions (nettoyage intérieur des rames, services à bord des trains, ou approvisionnement de distributeurs présents dans les trains) sont d’autant plus soumis à ces risques par la fréquence de leurs montées et descentes de trains, ou de part la nature même de l’opération (nettoyage des « parebrises » ou avitaillement rames duplex ci-contre). Les métiers associés à l’affichage publicitaire et les interventions de maintenance en hauteur sont également soumis au risque de chute de hauteur inhérent à la nature de leur activité.
3.1.5. Risques liés à l’activité physique et aux manipulations manuelles La plupart des prestations sous-traitées à la SNCF font intervenir des professions ayant une part d’activités physiques importante. Les risques associés sont d’une part des risques d’écrasement et de chocs en ce qui concerne les accidents, d’autre part des risques de maladies professionnelles (TMS) au niveau du tronc et membres supérieurs. Les activités d’avitaillement, d’approvisionnement, d’aide aux personnes à mobilité réduite et de services bagages entraînent des manutentions de charges lourdes et dont les seuls outils d’aide à la manutention sont des « bases roulantes » au sens large du terme (rolls, roule pratique, trolleys) et quelques transpalettes. Les métiers entraînant de nombreuses contraintes posturales sont les activités de nettoyage, d’aide aux personnes à mobilité réduite et certaines activités de maintenance. Les troubles musculosquelettiques constituent déjà un enjeu majeur en santé au travail et l’ensemble des professions en gare est sujet à ce risque. La forte proportion de population âgée de plus de 45 ans dans les entreprises de nettoyage et d’avitaillement nous amène à craindre une augmentation conséquente des maladies professionnelles (tableaux 57 et 98) dans les prochaines années. L’écart existant entre l’observation des activités sur le terrain et les données statistiques existantes alimente notre réflexion sur le risque de voir, dans un futur proche, le nombre de maladies croître de façon significative. 214
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3.1.6. Risques liés à l’utilisation de produits chimiques L’approche statistique nous a permis de prendre en compte le risque chimique, risque diffus dans le milieu ferroviaire. Il concerne un nombre limité de métiers, mais s’applique à l’ensemble des prestataires en tant que risque interférent. L’utilisation de ces produits engendre les risques suivants : – risque de projection (lésions cutanées et oculaires), – risque d’incendie (utilisation de produits inflammables), – risque d’inhalation (produits volatils). Les conséquences physiologiques de ces risques s’expriment sous la forme d’accidents (brûlures, lésions) ou de maladies (allergies, cancers, altérations génétiques). L’activité la plus exposée à des agents chimiques dangereux est celle du nettoyage du matériel roulant, pour lequel sont utilisés entre autres produits ou substances : – Dichlorométhane (ou chlorure de méthylène) : substance très volatile, principalement utilisée comme solvant pour les composés organiques, elle est mutagène et tératogène. De plus, des effets cancérogènes pour les humains (poumons, foie et pancréas) sont suspectés selon le CIRC (Centre international de recherche sur le cancer). Cette substance, en cas d’inhalation importante, est irritante pour les voies respiratoires, et peut engendrer des troubles importants de conscience. Enfin, elle est susceptible de générer des dermatoses après des contacts répétées avec la peau. – Acide oxalique : c’est une substance dont les vapeurs peuvent être mortelles mais surtout dont le contact avec la peau ou les yeux peut engendrer des blessures profondes (nécroses cutanées ou brûlure oculaire). – Acétate de butyle : utilisé comme solvant, c’est un liquide inflammable dont les vapeurs peuvent former des mélanges explosifs avec l’air. – Produits destinés à l’élimination des graffitis : ces produits sont considérés comme irritants pour les voies respiratoires, et peuvent occasionner des brûlures sur la peau et des lésions oculaires graves. Les tableaux des maladies professionnelles concernées sont les tableaux 84 (Affections engendrées par les solvants organiques liquides à usage professionnel) et 49 (Affections cutanées provoquées par les amines aliphatiques, alicycliques, ou les éthanolamines). – Produits d’élimination des gommes à mâcher présentant des risques d’incendie important en raison de leur extrême inflammabilité. 215
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La présence d’une cellule de toxicologie au sein de la SNCF permet cependant de réduire le nombre et l’utilisation d’agents chimiques dangereux. L’exposition des prestataires, dont les locaux se situent en sous-sol, aux gaz d’échappement des véhicules à moteurs thermiques, présente des effets cancérogènes, ainsi que des effets irritants (présence plus importante d’oxyde de carbone dans les moteurs non diesel). En dernier lieu, nous noterons que l’identification de ce risque apparaît rarement dans les plans de prévention, les locaux attribués ne sont pas tous équipés de ventilation en dépit de la présence de produits nocifs. Par ailleurs, ce risque est fréquemment aggravé par le rangement en hauteur des produits dangereux.
3.1.7. Risques psychosociaux (stress, agressions, violences verbales) Une fois encore la notion d’établissement recevant du public applicable aux établissements ferroviaires telles que les gares, lieu de passage mais aussi lieu de vie, influe considérablement l’approche que nous pouvons faire de ce risque. Le chassé-croisé constant des voyageurs souvent pressés, parfois mécontents, influence considérablement la nature des conditions de travail du personnel en gare. Les métiers en contact avec le public sont d’autant plus affectés qu’ils sont rarement maîtres des exigences imposées par la SNCF (hôtesses toilettes, personnel roulant, hôtesses d’accueil). Ces risques ne se limitent pas exclusivement à ce personnel, mais à tous les autres intervenants en gare souvent assimilés à du personnel SNCF, et par conséquent responsable aux yeux des voyageurs des désagréments potentiels subis. Au-delà des professions à risque, telles que le convoyage de fonds ou les métiers en contact direct avec le public, nous avons également pu observer d’autres professions pour lequel le risque d’agression tend à être sous-évalué, entre autres : – Approvisionnement des distributeurs de boissons ou friandises. – Métiers de vente pour lesquels on demande au personnel (non formé à cet effet) de convoyer les recettes vers une caisse centrale. – Plus rarement, le personnel de nettoyage suite aux actes de vandalisme ou aux conséquences visibles d’accidents (tâches de sang). – Conducteurs de chariots automoteurs. Le développement des concessions commerciales au sein des cœurs de gares amplifie le risque d’agressions physiques et/ou verbales, et plus particulièrement le risque de 216
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prédation, non seulement pour le personnel de ces concessions mais également pour le personnel à proximité. Jusqu’à présent, nous n’avons évoqué que le risque d’agressions verbales ou physiques, le risque « stress » n’apparaissant que comme une résultante de ce risque, sous la forme de stress post-traumatique. Néanmoins, bien qu’il soit difficile dans le cadre d’une approche systémique de situer ce risque et pour lequel l’approche analytique est plus pertinente, nous avons pu dégager certains éléments généraux sources de stress : les exigences de ponctualité (activités en contact direct avec le train), les contrôles SNCF des prestations, et voire même pour certains, la face cachée de la relation de soustraitance avec une reconnaissance souvent insuffisante de l’ensemble de ces métiers qui contribuent pourtant à l’image de la SNCF. Pour le personnel roulant, les retards et les difficultés de réguler ces retards au moment des escales ont des conséquences sur le niveau de stress. La désorganisation associée à ces retards suscite également un stress conséquent pour l’ensemble des entreprises intervenant sur les trains, et notamment les sociétés en charge de l’avitaillement et du nettoyage.
3.1.8. Risques liés aux ambiances physiques et thermiques Compte tenu des observations réalisées sur le terrain, et des discussions avec les opérateurs, ces ambiances seront considérées comme des facteurs de risques aggravants.
l Ambiances thermiques En dépit des atteintes à la santé pouvant découler de l’environnement physique lié aux conditions climatiques, la perception de ce risque est empreinte de fatalisme (« c’est le métier qui veut ça », « dans les gares, il y n’a pas le choix »). Ainsi, la plupart des activités (dont nous exclurons le personnel des établissements de restauration, autre que les points de ventes et plutôt du type brasserie/café, et le personnel administratif) se déroulent en extérieur, et sont soumises aux intempéries (excepté la pluie mais avec présence résiduelle d’humidité). En hiver, les gares sont particulièrement soumises à des courants d’air froid, qui détériorent les conditions de travail, et accentuent les risques de troubles musculosquelettiques (TMS) (essentiellement pour les activités de manutentions manuelles et/ou activités répétitives). D’une manière plus générale, l’impact des nuisances thermiques se traduit par des symptômes physiologiques (en été : fatigue, maux de tête, vertiges, crampes ; en hiver : gelures, hypothermie, acrosyndrome de Raynaud) déterminants dans la survenance des accidents et des maladies professionnelles. 217
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L’incidence de ces variations journalières et saisonnières est à prendre en compte pour les circulations des tractoristes se déroulant à l’extérieur de la gare.
l Ambiances physiques Le bruit constitue l’élément prédominant dans le cadre des nuisances physiques, et est omniprésent dans l’environnement des établissements ferroviaires. Différentes sources sont à l’origine de ce bruit : motrices de trains corail et TGV, échappement d’air comprimé, annonces sonores et bruit de fond généré par les flux de voyageurs. Bien que très peu de mesures à ce jour soient disponibles sur l’environnement sonore des gares (le Centre de mesures physiques de la CRAMIF ayant évalué un niveau sonore de 86dB au poste central d’embarquement), le bruit reste une cause de fatigue même sous les seuils règlementaires. En se référant à des ambiances sonores évaluées à 85 dB (A) pour un restaurant d’entreprise ou la circulation urbaine et 65 dB (A) pour des bureaux ou salles de cours, nous pourrions situer un environnement sonore pour les gares borné par ces deux niveaux. Ainsi, les niveaux sonores quotidiens favorisent le risque d’accident du travail et la gêne associée contribue à l’insatisfaction, voire l’irritabilité des salariés. Nous noterons que le personnel contractuel intervenant sur les motrices, les salariés des entreprises de nettoyage et d’avitaillement, sont particulièrement soumis à des pics d’exposition.
3.2. Risques liés à la coactivité Rappelons que nous entendons par situation de coactivité autour des trains ou en gare, une situation caractérisée par des situations d’activité simultanées ou successives, réalisées par des entreprises distinctes, nécessitant la présence d’installations, de matériels et de salariés, œuvrant dans la gare, et autour des trains. De plus, pour faciliter l’approche de ce facteur, nous différencierons deux lieux de coactivité, qui sont respectivement le train, et la gare. Dans cette analyse, nous ne ferons pas intervenir l’influence de la SNCF comme facteur de risque (paragraphe suivant), et traiterons exclusivement des risques interférents entre prestataires et/ou sous-traitants.
3.2.1. La coactivité autour des trains Il est difficile d’illustrer la coactivité autour des trains, sans rentrer dans le détail des différentes opérations pouvant intervenir sur les trains à quai, et qui correspondent à des activités d’entretien, maintenance, approvisionnement et services aux personnes. 218
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Néanmoins, nous tracerons dans ses grandes lignes les activités concernées et les facteurs de risque rencontrés. Ainsi, parmi les prestataires, intervenant autour d’un TGV par exemple, que ce soit de manière simultanée ou successive, nous rencontrons : – Les activités d’avitaillement, qui peuvent être de plusieurs types : denrées alimentaires, presse/colis, bagages, presse publicitaire. Toutes ces activités sont réalisées par des prestataires différents. – Les activités de service, que sont le nettoyage intérieur et extérieur du train, et la prise en charge des personnes à mobilité réduite. – Les activités de maintenance faisant intervenir du personnel aux abords du train. La coactivité apparaît comme un déterminant impliqué dans l'aggravation de nombreux risques. À titre d'exemple, nous citerons : – Les risque de chute, chocs, heurts (de par la circulation de nombreux chariots automoteurs à conducteurs portés et/ou piétons). – Le risque chimique. – Les risques liés aux manutentions manuelles. – Les risques ferroviaires. Néanmoins, il est nécessaire de percevoir que les interférences s’étendent au-delà des situations de travail, puisqu’elles touchent des activités intervenant de manière simultanée. Ainsi, les situations liées à la circulation ou aux ambiances représentent des déterminants et facteurs permanents. Cette coactivité peut être accrue par la présence sur le quai d’activités ponctuelles telles que : – Maintenance escaliers mécaniques. – Affichage publicitaire. – Approvisionnement des distributeurs. – Flux voyageur.
3.2.2. La coactivité en gare Les propos recueillis auprès des responsables d’exploitation et des salariés mentionnent rarement, dans un premier temps, les difficultés liées à des situations de coactivité, et font principalement état de l’absence de dialogue entre les différents acteurs. Or, nous avons pu constater que la perception des interférences était altérée par la logique 219
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implacable des habitudes. L’observation des activités et la multiplication des entretiens nous ont permis de mettre en évidence la réalité de ce facteur de risque. Cette coactivité se traduit en premier lieu par les nombreuses circulations d’engins automoteurs appartenant à différentes sociétés, avec un risque de collision entre tracteurs ou avec un piéton. Elle est accrue dans certains cas, comme le ramassage des fonds nécessitant la circulation d’un véhicule blindé dans le cœur de gare. Or, à titre d’exemple, par deux fois lors de mes visites, la matérialisation de ce risque a été portée à ma connaissance. Le premier est de l’ordre de l’incident et n’a heureusement entraîné que des conséquences matérielles. Les faits rapportés expliquent que lors d’un virage un peu serré en gare de Lyon, un salarié d’une société d’avitaillement a percuté un tracteur attelé en stationnement d’une autre entreprise, le projetant sur une voie. Le second, plus grave, s’est déroulé sur le site d’une gare en travaux, où le salarié d’une entreprise de bâtiment a eu les jambes écrasées contre un pilier par le tracteur d’une entreprise de nettoyage. Cette circulation affecte également les activités de maintenance ou d’entretien se déroulant en hauteur (échafaudage ou PEMP1) avec des risques de renversement par accrochage du tracteur, ou par une surcharge de travail suite à des dégradations matérielles consécutives à des chocs entre installations (escaliers mécaniques, panneaux d’affichage) et engins automoteurs. Certains entretiens relatent aussi l’incidence du bruit émis par les attelages des tracteurs comme un facteur de stress ou au moins comme un élément de désagrément important lorsqu’il est produit par les remorques d’une autre entreprise. En ce qui concerne le nettoyage de la gare, la notion d’interférence se traduit par une surcharge de travail. Nous citerons à titre d’exemple : – Interférences entre deux sociétés de nettoyage (l’une est chargée du nettoyage du matériel roulant et l’autre des voies) lors de l’évacuation de déchets des rames sur les voies. – Interférences entre la distribution de gratuits et le nettoyage. – Interférences entre nettoyage et concessions alimentaires. La cohabitation peut s’avérer difficile et les nuisances olfactives produites par la putréfaction des déchets de certaines sociétés de restauration (surtout en été) impactant toutes les entreprises dont les locaux sont situés en sous-sol, illustre d’une autre manière les difficultés liées à cette cohabitation.
1. Plate-forme élévatrice mobile de personnes
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La coactivité induite par l’utilisation d’équipements appartenant à des sociétés autres que la SNCF introduit une problématique attenante à la maintenance et à la conception. Sur le site de la gare du Nord, une des sociétés d’avitaillement utilise des trolleys (élément mobile fermé contenant les plateaux repas) appartenant à la société Eurostar, et par conséquent assume les risques liés à l’entretien et à l’ergonomie de ces équipements. Le conditionnement des produits livrés (presse, fûts de bière) constitue un élément majeur de la coactivité comme facteur incontournable dans la gestion des risques liés aux manutentions manuelles, et reflète l’importance d’une action globale. Au-delà des risques liés à la coactivité en situation normale, viennent s’ajouter des risques particuliers lors de travaux en gare. Les visites d’un chantier d’une grande gare parisienne ont permis de prendre la mesure des interférences entre sous-traitants et prestataires de service. Nous ne nous attarderons pas sur les risques liés à la coactivité pour les entreprises sous-traitantes, qui correspondent à ceux existants sur un chantier BTP « classique », et qui sont normalement pris en compte dans le PGC (Plan général de coordination) et les PPSPS (Plan particulier de sécurité et de protection de la santé). Cependant, il est intéressant de noter que la continuité de l’exploitation en situation dégradée a été à l’origine de diverses nuisances et risques, pour les prestataires de services et les entreprises sous-traitantes. Du côté des prestataires, les nuisances physiques étaient, entre autres, relatives aux : – Bruit. – Niveau d’empoussièrement élevé. – Éclairage. – Circulations modifiées, notamment pour l’avitaillement avec la nécessité d’emprunter des voies non prévues à cet effet (circulations à l’extérieur de la gare). – État des sols. – Intervention de PEMP (par exemple pour la réalisation du câblage) au milieu des locaux des prestataires sans qu’ils en soient informés au préalable. – Émanations de peinture. – Pour les entreprises de nettoyage, problèmes de démotivation lié à un sentiment d’inutilité du travail. Pour les sous-traitants, la problématique de l’exploitation résidait essentiellement dans les risques liés aux circulations (chariots automoteurs, livraisons) et à l’absence d’organisation de celles-ci. D’une manière plus générale, l’absence de coordination, voire même de communication entre les responsables SNCF de la maîtrise d’œuvre et maîtrise d’ouvrage, et le directeur de l’établissement a été un facteur déterminant 221
LA SOUS-TRAITANCE INTERNE
dans la gestion et la prise en compte des risques professionnels liés à ces situations de coactivité.
3.3. Influence de la SNCF : un facteur de risque ? Un des enjeux de cette étude est de déterminer l’influence d’un grand donneur d’ordre tel la SNCF sur la prévention des risques professionnels des entreprises extérieures intervenant pour son compte, sans que cela apparaisse comme étant un procès d’intention pour une société dont l’existence d’une culture forte de la sécurité est indéniable. En premier lieu, un constat essentiel tenant dans la part du personnel extérieur intervenant dans les gares parisiennes par rapport au personnel SNCF, pointe l’importance de relations formalisées. À titre d’exemple, nous avons pu observer sur une gare parisienne, la répartition suivante : sur 931 agents, environ 500 salariés interviennent sur le terrain (320 UO escale, 100 contrôleurs, et 50 salariés de l’établissement Matériel/Traction). En comparant ce chiffre à la somme des salariés des entreprises extérieures officiant en gare, soit environ 500 personnes, on en déduit que la moitié du personnel en gare appartient à une société prestataire. Ces proportions, bien que fortement variables d’une gare à l’autre, sont significatives de la place des entreprises extérieures dans les établissements ferroviaires. La relation de sous-traitance implique nécessairement une influence du donneur d’ordre, transcrite en partie dans les objectifs contractuels. Toutefois, la question qui se pose est celle des moyens (structurels, organisationnels ou règlementaires) qui sont offerts pour l’atteinte de ces exigences. Cette influence se manifeste sur l’ensemble des conditions d’exécution du marché (de la passation de marché au suivi des prestations), et est illustrée par différentes perspectives.
3.3.1. Perspective structurelle et infrastructurelle C’est d’abord par le biais de la mise à disposition d’installations (dont elle est propriétaire) que la SNCF assoit son implication. Via un long processus de sous-traitance, la SNCF a conduit une véritable mutation, en transitant d’un statut d’entreprise unitaire vers celui d’entreprise modulaire. Toutefois, le changement insufflé n’a pas suivi la même dynamique à tous les échelons. 222
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Les visites de locaux des prestataires témoignent de l’inadéquation de la conception des locaux et des infrastructures avec certaines activités professionnelles. Mentionnons à titre d’exemple les constatations suivantes : – Une grande partie des locaux d’avitaillement se trouvant en sous-sols, ce qui pose des soucis d’efficacité en termes de ventilation des locaux et parties communes, luminosité, ou encore réverbération du bruit. – Incompatibilité entre surface allouée et besoins nécessaires, en ce qui concerne les lieux de vie (déjeuner, pause), les lieux de stockage de produits de nettoyage ou de chargement de batteries (ne disposant pas d’une ventilation suffisante), ou encore les espaces attribués pour le stockage de produits insuffisants. – Systèmes matériels dégradés (feux de signalisation, monte-charge en panne depuis des années, système de retenue des remorques sur plans inclinés) ou inadapté (compacteur, tracteurs non équipé de cabine en cas de renversement, plates-forme d’avitaillement pour rames 2 niveaux, plates-forme élévatrice pour personnes à mobilité réduite). – État des installations des parties communes : fuites, chute de morceaux de bétons, et surtout l’état du revêtement des circulations, du marquage au sol. – Conception des quais de chargement, des accès aux voies et aux locaux. Chacune de ces observations se traduit soit par l’occurrence d’un risque, soit par une aggravation de ce risque. Le tableau 8.1. synthétise cette relation. Tableau 8. 1. Facteurs aggravant de risque dans les installations de la SNCF*. Élément Locaux
Facteur aggravant ambiance
Risques
psychosociaux liés aux ambiances thermiques et physiques accès Chute de plain pied/hauteur liés aux circulations/y compris ferroviaire éloignement psychosociaux liés aux circulations/y compris ferroviaire ventilation explosion chimique liés aux ambiances thermiques et physiques surface liés aux manutentions manuelles
Paragraphe 3.1.7 3.1.8 3.1.4 3.1.1 et 3.1.3 3.1.7 3.1.3 et 5.1.1 3.1.3 3.1.5 3.1.8 3.1.5
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LA SOUS-TRAITANCE INTERNE
chute d’objet
Matériel
dégradé inadapté
psychosociaux liés aux circulations/y compris ferroviaire électrique renversement écrasement
Infrastructure
chute de plain-pied/hauteur liés aux manutentions manuelles liés aux circulations/y compris ferroviaire chute de plain-pied/hauteur écrasement
non traité lié au stockage en hauteur 3.1.7 3.1.3 et 3.1.1 3.1.2 3.1.3 3.1.3 et non traité lié au compacteur 3.1.4 3.1.5 3.1.3 et 3.1.1 3.1.4 non traité lié aux quais de chargement
* L’approche systémique des risques a conduit à ne pas traiter certains risques propres à l’utilisation d’un matériel (mais pour lesquelles nous apportons une référence documentaire).
L’entretien des équipements à bord des trains constitue un facteur d’amplification des risques (de chocs, de chute et d’électrocution) pour le personnel roulant des entreprises prestataires. À titre d’exemple, nous avons pu consulter un tableau, établi par une société d’avitaillement recensant les principaux problèmes liés au matériel SNCF à bord de 47 rames, associant les risques concernés aux dégradations. L’ensemble de ces anomalies a pour conséquence une dégradation des conditions de travail des salariés et participe à l’augmentation des accidents du travail pour les sociétés concernées.
l Perspective organisationnelle De cette perspective structurelle et infrastructurelle découle une partie de la perspective organisationnelle. Effectivement, les restrictions issues d’établissements dont le périmètre est limité (particulièrement en centre ville) contraint la SNCF à placer ses prestataires dans des locaux inadaptés, comme vu précédemment. L’éloignement associé à l’accessibilité des voies pour les chariots appelle à réfléchir sur l’organisation des circulations. Pour chacune des grandes gares parisiennes, cette organisation est différente car fonction de la structure de la gare, avec cependant des déterminants communs : – Contraintes temporelles induite par les activités autour du train. – Organisation et entretien des voies d’accès aux quais. – Organisation des circulations via des procédures et consignes. 224
Prestation de service de sous-traitance dans les gares parisiennes SNCF : risques et prévention 8
– Organisation des départs et arrivées des trains indépendante de l’activité des prestataires. Le facteur organisationnel apparaît comme une résultante de l’évolution de l’activité ferroviaire, cherchant à compenser les carences infrastructurelles. L’attribution de locaux ne se fait pas en fonction de l’activité mais en fonction de la disponibilité. De plus, les effets de cloisonnement induits par la présence de différents donneurs d’ordre au sein même de la SNCF conditionnent la portée considérable du facteur organisationnel sur les questions de prévention des risques professionnels. L’expression de ce facteur de risque se traduit plus clairement dans l’illustration des difficultés inhérentes à la transversalité de l’organisation de la SNCF : – L’achat d’équipements est réalisé par la direction des gares et de l’escale, sans tenir compte des spécificités des gares. Par exemple, l’ancienne version de la plate-forme permettant l’accès des personnes à mobilité réduite, utilisée par une entreprise prestataire, n’a pu être employée dans une gare parisienne en raison de son gabarit une fois déployé. – La coordination insuffisante de l’agence travaux et des établissements voyageurs génère des risques à la fois pour les sous-traitants et les prestataires. Par extension, les entreprises extérieures ne participant pas aux travaux, étant rarement informées du déroulement du chantier, ne peuvent s’organiser en conséquence, ce qui entraîne l’apparition de situations à risques. Les exemples ci-dessous illustrent les risques induits par cette déficience : • La présence de PEMP1 (pour la réalisation de câblage) dans les zones de stockage (destinée aux avitailleurs) génère des risques de renversement pour les sous-traitants et de chocs ou d’écrasement pour les prestataires. • Les délais dont disposent les prestataires pour organiser les locaux, ou le travail des salariés, en fonction des phases de travaux (empoussièrement, bruit élevé) sont trop courts, quand ils existent. • Les circulations ne sont pas organisées entre prestataires et sous-traitants engendrant la circulation de camions (livraisons) ou tracteurs en présence de PEMP ; la circulation de chariots de manutention ou d’engins de chantier (risque d’intoxication par les fumées dans les espaces confinés), dans les zones d’évolution des tractoristes (risques de heurts avec engins et avec piétons) ou dans des zones non prévues à cet effet (exemple : un couloir d’accès aux
1. Plate-forme élévatrice mobile de personnes.
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bureaux supportant juste le gabarit d’un chariot de manutention, entraînant un risque important de heurt d’un piéton). – Certaines activités en gare comme le nettoyage des trains ne dépendent pas des mêmes établissements. Le nettoyage dépend de l’EIM TGV (Établissement industriel de maintenance) alors que l’avitaillement dépend de l’EEV (Établissement d’exploitation voyageurs), ce qui expose à des problèmes de coordination, notamment sur l’organisation temporelle des tâches. Par ailleurs, ce sont des gestionnaires de contrat (existence d’un responsable sûreté, d’un responsable maintenance composteur, d’un responsable contrat de service, gérés par l’unité opérationnelle escale par exemple), qui pilotent les prestataires. Dès lors, la priorité est donnée à la bonne exécution des prestations. – La coordination, lors de la conception des nouveaux aménagements en gare, avec la Direction de l’architecture de l’aménagement et des bâtiments (DAAB), est un élément fondamental dans la gestion de la coactivité. Les choix des revêtements de sol ou la multiplication de revêtements différents par exemple, sans concertation des entreprises en charge du nettoyage, sans tenir compte d’une probable augmentation du coût des prestations, constitue surtout un facteur de risque supplémentaire dans la survenance de TMS. Par opposition, l’implication des entreprises extérieures dans les projets impactant leur activité, permet, comme le montre une expérience en gare de l’Est, de réduire les risques (dans notre exemple risque de coincement au niveau des doigts) et d’améliorer les conditions de travail (aide à la manutention des sacs poubelles). – L’absence dans la phase de projet, lors de la conception des trains, d’entreprises de services (nettoyage, commerciaux des espaces restauration) apparaît comme un facteur aggravant des risques : • en ce qui concerne le nettoyage, pour les TMS (accessibilité des poubelles, revêtement des sièges, encombrement au sol lors du passage de l’aspirateur), ou les chocs (portes coulissantes, coins de sièges, encombrement de l’espace) ; • en ce qui concerne le personnel commercial roulant, pour les chocs (aménagement des espaces de ventes), ou les chutes de plain-pied (revêtement des sols). Ces propos nécessitent d’être nuancés de par l’existence d’une cohabitation intrinsèquement difficile entre la « satisfaction client » et les prérogatives ou contraintes des entreprises extérieures, pouvant justifier des choix réalisés. Enfin, l’impact du donneur d’ordre s’exerce sur les entreprises extérieures via l’application de procédures et de consignes, soit le plus bas niveau de prévention. L’étude du référentiel de « Conduite des équipements de travail mobiles automoteurs ou de levage » d’une gare nous permet d’appréhender la vision que porte la SNCF sur la 226
Prestation de service de sous-traitance dans les gares parisiennes SNCF : risques et prévention 8
prévention des risques professionnels de ses sous-traitants. En résultent les constats suivants : – La SNCF cherche en partie à réduire sa responsabilité d’entreprise utilisatrice, bien que ce soit le donneur d’ordre qui autorise la circulation sur les quais. – Le chapitre concernant les règles essentielles de sécurité stipule de nombreuses consignes. Or, nous avons pu constaté (de manière permanente ou occasionnelle) le non-respect de ces obligations. – Le dernier chapitre de ce référentiel impose quant à lui des règles de circulation, auxquelles se conforment rarement les prestataires, notamment lorsque les prescriptions sont en inadéquation avec les prestations demandées. Cette problématique prend toute sa dimension lorsque les prestataires ne peuvent appliquer certaines dispositions, suite à l’absence de mise en œuvre du donneur d’ordre permettant l’application de ces prescriptions (par exemple demande d’utilisation d’un quai de service fermé ou d’un quai de service interdit aux piétons) et qu’il n’existe pas de dispositions complémentaires. D’autre part, l’influence du donneur d’ordre est particulièrement marquée pour l’activité de nettoyage du matériel roulant, puisque les prestataires répondent à une procédure de nettoyage (TCO 509), qui impose produits (souvent fournis par la SNCF), équipements et techniques. La prise en compte de la prévention des risques pour ces salariés se manifeste essentiellement par le biais de consignes et de port des EPI.
l Perspective réglementaire La coordination en matière de sécurité et santé au travail est régie par deux textes majeurs, le décret 92-158 du 20 février 1992 (relatif aux plans de prévention) et le décret 94-1159 (relatif au coordonnateur SPS, loi du 31 décembre 1993 transposition de la directive CE du 24 juin 1992). Les dispositions relatives aux règles d’hygiène et de sécurité lors de l’intervention d’une entreprise extérieure sont transposées à la SNCF dans les règlements suivants : – Règlement SNCF RH 0318 : Prescriptions particulières d’hygiène et de sécurité applicables aux opérations de toute nature effectuées dans un établissement par une entreprise extérieure. – Règlement SNCF RH 0354 : Dispositions particulières applicables aux opérations de bâtiment et de génie civil.
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LA SOUS-TRAITANCE INTERNE
Ces deux textes ont pour objectif principal de gérer les risques inhérents aux situations de coactivité. Un document SNCF précise les conditions de mise en œuvre des directives RH 318 et RH 354. Il précise également que le décret du 24 janvier 2003 a modifié la dérogation consistant à appliquer en lieu et place du règlement RH 0354 celui de la directive RH 0318, dérogation limitée aux opérations d’entretien et de maintenance du réseau en exploitation. L’article 2 traite du règlement à appliquer, en stipulant que ces deux règlements ne peuvent être appliqués simultanément, il y a lieu de choisir entre l’un ou l’autre. Cette notion est fondamentale dans la réflexion que nous mènerons par la suite sur les articulations nécessaires entre ces deux moyens dans la gestion de la coactivité. Par ailleurs, nous avons déjà évoqué les problèmes inhérents à la cohabitation de ces 2 instruments dans les paragraphes précédents mentionnant les travaux en gare. Au-delà des difficultés induites par le choix de l’outil, propres à chaque entreprise utilisatrice indépendamment de son statut, l’étude de plans de prévention démontre que cet instrument, dans sa rédaction et son application, a pour vocation essentielle de répondre à une obligation administrative. Les constats suivants attestent des insuffisances, ou des imprécisions, relatives à la gestion des risques interférents : • Les mesures de prévention relèvent de la stricte application des consignes. • Les plans de prévention restent des documents figés. • Le caractère exclusif dans la prise en compte des interférences, ne traitent que des risques avec les agents SNCF ou le public. A contrario, certains plans plus pertinents dans l’analyse des risques, traitent peu des interférences, mais opposent à l’évaluation des risques des mesures de prévention « estampillées » (de part l’abondance de consignes) SNCF. • Des plans compliqués à appréhender en raison des multiples référentiels annexés. • Sur une base déclarative, la visite préalable apparaît comme succincte, et contractuelle. Cette approche contractuelle implique une certaine perception des plans de prévention. Une fois les termes du « contrat » édictés, le management de la sécurité est considéré comme organisé, ne nécessitant plus qu’un contrôle des prestations. • Toujours sur une base déclarative, la participation du CHSCT SNCF compétent est aléatoire. • Enfin, l’étude du document d’information RH 0335 traduisant des modalités d’application du référentiel traitant des plans de prévention RH 0318, nous apporte des éléments complémentaires sur la vision très juridique, que porte la SNCF sur les plans de prévention. 228
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En conclusion, les différentes perspectives évoquées nous amènent à réfléchir sur l’étendue de la notion d’emprise ferroviaire. En donneur d’ordre influent, la SNCF impose à ces prestataires, de part son autorité et en qualité de référent sur la gestion des risques ferroviaires, une expression de la prévention assise sur la production de documents et de consignes. Dès lors, la prise en compte de la culture des entreprises extérieures apparaît comme un élément déterminant dans l’élaboration de la démarche de prévention, devant se conjuguer avec, et non pas autour, la culture sécurité du donneur d’ordre.
4. Propositions de mesures de prevention 4.1. Mesures techniques L’ensemble des mesures d’ordre technique proposées ci-dessous ne tient pas compte de l’impérative nécessité d’impliquer le donneur d’ordre, acteur incontournable dans la mise en œuvre des mesures, et dont la participation sera étudiée ultérieurement. Par ailleurs, la logique choisie dans l’articulation de ces mesures se base sur les principes généraux de prévention. Les solutions évoquées, portant sur la conception des lieux de travail ou des trains, nécessitent pour la plupart des investissements lourds, impliquant une vision à long terme, et devant être prévus lors de travaux d’aménagement ou de réaménagement. La prise en compte de l’ensemble de ces mesures lors des phases de conception constitue un enjeu primordial tant pour la santé et la sécurité du personnel, que pour la qualité des prestations et du service, contribuant ainsi de manière significative à la performance de l’ensemble des acteurs. Cependant, dans l’attente d’une démarche globale et conscient que certaines de ces mesures arborent un caractère idéal, des mesures de prévention particulières et simples, de faibles délais et coûts, doivent être mises en place afin de pallier dans un premier temps ces risques.
4.1.1. Mesures générales liées à la conception des lieux de travail La création de quais de services dédiés à l’ensemble des prestataires permettra de s’affranchir des problèmes attenant à la circulation des voyageurs. Chacun de ces quais 229
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devra être muni d’une barrière matérialisée interdisant l’accès au public et muni d’un accès en bout de quai. Cet accès permettant la circulation des chariots automoteurs dans les deux sens, avec une séparation physique entre les deux voies, devra être d’une largeur suffisante pour permettre les demi-tours. Ces mesures permettront de limiter de façon significative les risques de heurt avec piétons et de renversement. Les rampes d’accès seront conçues avec une inclinaison adaptée et équipées de système de retenue sur les rails de guidage en cas de décrochage intempestif des remorques et cellules. La surface, même humide, devra permettre l’adhérence des roues motrices. De plus, ces quais seront équipés des branchements nécessaires à la réalisation des différentes prestations (telles que eau, électricité et produits chimiques pré-dilués) supprimant ainsi les risques liés à la circulation des « tonnes à eau » et les risques liés à la préparation des mélanges. Les quais de chargement/déchargement des véhicules seront élaborés en prenant les dispositions nécessaires permettant : d’assurer la mise à quai sans l’aide d’une tierce personne (située au niveau du quai ou du sol) avec la présence de butées tampons et d’un marquage au sol (et éventuellement avec un dispositif de guidage) ; d’empêcher tout départ intempestif des véhicules (soit par un système actif, soit par la présence d’une pente et contre-pente ou tout autre moyen d’efficacité équivalente). Pour les chariots automoteurs ou transpalettes, l’aménagement d’une rampe d’accès avec revêtement antidérapant (traitement contre le verglas si positionné à l’extérieur), glissière de sécurité et une pente inférieure à 10 % sera nécessaire. La présence de monte-charge à plusieurs emplacements facilitera les déplacements aux différents niveaux, réduisant les risques liés aux circulations et aux manutentions manuelles associées. En ce qui concerne les espaces commerciaux, la réalisation d’un système de pneumatique permettant le transfert des fonds permettra de réduire les risques d’agressions. Ce système sera relié à une caisse centrale accessible depuis l’extérieur de la gare afin de supprimer la circulation des convoyeurs au sein de la gare. Les locaux des prestataires seront, dans la mesure du possible, aménagés de manière à bénéficier d’un éclairage naturel ou de donner en partie sur l’extérieur. D’une manière générale, ces infrastructures devront être du même niveau que les infrastructures allouées au personnel du donneur d’ordre, notamment en ce qui concerne les locaux de vie (vestiaires, douches, WC…). Les locaux et particulièrement les locaux de stockage devront bénéficier d’une ventilation suffisante permettant de réduire les risques liés à l’utilisation de produits chimiques 230
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et disposer d’une surface en adéquation avec les volumes stockés afin de prévenir des risques de chute associés au stockage en hauteur et de chute de plain-pied liés à l’encombrement des locaux. La conception des locaux destinés à la charge des batteries nécessitera également une ventilation prévenant des risques d’explosion. Les points de vente extérieurs disposeront de chauffage en hiver, et de réfrigération en été. Enfin, prévoir des locaux pour le stockage des équipements (plate-forme individuelle roulante légère ou pliable, outillage…) pour les sociétés intervenant régulièrement.
4.1.2. Mesures générales liées à la conception des trains Nous avons mis en exergue, lors de l’étude des facteurs de risque, l’importance et le rôle de l’architecture des trains dans la prévention des risques professionnels. Par analogie avec la relation attachant conception des bâtiments et maintenance, l’intégration de prérogatives concernant les activités de sous-traitance, à la conception, est fondamentale pour l’amélioration des conditions de travail. Pour y parvenir : • L’intégration d’une démarche ergonomique lors de la conception et l’aménagement des surfaces de la voiture bar, des toilettes, ou lors de la réflexion sur le positionnement, donc l’accessibilité, des poubelles, permettra de réduire les risques liés aux activités de nettoyage, d’avitaillement et de restauration. • La conception de circulations dégagées, de sièges dépourvus de pieds (à l’instar de certaines lignes du métro parisien), et de coins saillants (à l’image des nouvelles rames « Lacroix »), mais dotés de revêtement aisément nettoyable, agira sur les risques : de chute de plain-pied, de chocs et de TMS, en fonction de la nature du personnel amené à circuler dans le train. • L’utilisation de nouveaux procédés comme le pelliculage ou de nouvelles technologies telles que l’aspiration intégrée, aura une incidence conséquente pour l’amélioration de la prévention des risques chimiques et TMS. Cependant, il sera nécessaire de s’assurer, lors de la mise en place d’une technique, qu’elle ne déplace pas le risque. Par exemple, effectuer des mesures d’exposition aux phtalates (notamment DEHP : phtalate de di-(2-éthylhexyle)), plastifiant présent dans les films plastiques, toxique pour la reproduction et actuellement en étude à l’INRS.
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4.1.3. Mesures particulières liées aux équipements et matériels Par opposition aux mesures générales, les mesures préconisées ci-après visent des équipements spécifiques permettant de prévenir les risques pour un nombre limité de prestataires, et présentent des contraintes de coûts moins importantes tout en bénéficiant de délais de mise œuvre plus accessibles.
l Chariots automoteurs Équiper ou s’assurer que l’ensemble des prestataires utilise des chariots remplissant les conditions de sécurité nécessaires à la prévention des risques d’éjection et d’écrasement de l’opérateur, ainsi que des risques liés aux vibrations. Pour cela, un cahier des charges commun à tous les prestataires précisera les équipements indispensables tels que : – cabines et ceinture de sécurité, – siège suspendu, – vitesse bridée à 10 km/h, – clé électronique afin de limiter l’accès des chariots aux conducteurs autorisés, – éventuellement climatisation.
l Circulations et sols L’entretien de sols lisses et sans trou permettra de limiter les risques liés aux vibrations. De même, un marquage au sol matérialisant les voies de circulation des chariots et la zone dangereuse sur les quais, s’avère être une mesure simple et incontournable pour les risques liés aux circulations y compris ferroviaire. Enfin, le positionnement de poteaux devant les escaliers mécaniques améliorera les conditions de travail des sociétés chargées du ramassage des caddies en limitant les interventions à un seul niveau et préviendra des comportements à risque (approvisionnement des distributeurs en utilisant l’escalier mécanique plutôt que le monte-charge).
l Plate-forme utilisée pour l’avitaillement et le transfert de personnes à mobilité réduite De la même manière, un cahier des charges incorporant les spécificités des gares stipulera les mesures de sécurité à mettre en œuvre pour limiter les situations dangereuses, avec entre autre : 232
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• passerelle intégrée à la plate-forme, • asservissement des garde-corps à la passerelle, • présence d’une jupe, • circulation en position haute impossible, • détecteur de champ électrique asservi à l’élévation de la plate-forme.
l Matériels divers Une adaptation des produits et du matériel aux spécificités des trains et de leurs contraintes est nécessaire afin de réduire la sinistralité de différentes activités. À titre d’exemple : • Pour les entreprises ayant accès aux compacteurs : disposer de compacteurs interdisant l’accès aux éléments mobiles de la zone de compactage (risques de cisaillement ou d’écrasement). • Pour le personnel en charge du nettoyage dans les trains : seaux accrochables à la main courante, pelle amovible avec balai en structure légère (risques TMS). • Pour le personnel en charge du nettoyage : démarche de substitution des produits les plus dangereux pour la santé. • Pour le nettoyage extérieur : manche télescopique sans éléments conducteurs (risques TMS et électrique). • Pour le transport des personnes à mobilité réduite : associer un équipement aux fauteuils permettant le transport des bagages en même temps que celui de la personne (risques de lombalgie et TMS). • Pour le nettoyage des « pare-brise » : plate-forme de travail sécurisée, et non solidaire du train (risques de chute de hauteur). • Pour le personnel contractuel en charge des motrices : silencieux efficaces et légers (risques TMS et risques lié au bruit).
4.1.4. Mesures particulières liées au port des EPI Bien que relevant d’un des plus bas niveau de sécurité, la généralisation d’équipements de protection individuelle adaptés apparaît comme une solution palliative, complémentaire des solutions précédemment mentionnées. 233
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Nous préconisons donc les mesures de protection suivantes : • Chaussures de sécurité avec semelles anti-dérapantes pour tous les intervenants. • Gants adaptés en fonction de l’activité. • Vêtements de travail conçus en fonction des conditions climatiques, et équipés de bandes réfléchissantes (affranchissant du port d’articles de visualisation perçus comme une contrainte). • Port de lunettes de protection et masque de protection, en fonction des données et mesures de protection spécifiées sur les FDS.
4.2. Mesures organisationnelles Nous avons volontairement occulté dans les paragraphes précédents les mesures organisationnelles, non seulement afin d’éviter la dissolution de ce facteur dans une série de mesures techniques, mais surtout afin de souligner le caractère essentiel d’une démarche globale et d’une coordination entre donneur d’ordre et entreprises extérieures pour la promotion de la prévention des risques professionnels. Cette nécessité de coordination résulte d’une notion clé sur le lien étroit entre coordination et coactivités. Par analogie : « la cuillère de potage versée sur la nappe plutôt que dans la bouche, traduit l’importance de coordonner les mouvements du bras et de la main, avec ceux de la tête et de la bouche1 », les écarts résidant entre effets attendus et effets constatés illustrent les enjeux que représentent la coordination des acteurs pour la santé et la sécurité au travail sur les plans humains, sociaux et économique. Dès lors, toute une partie de la problématique de la prévention des risques professionnels dans les grandes gares parisiennes repose sur la nature de nos rapports avec ce grand donneur d’ordre. L’absence de moyens incitatifs impose la recherche de moyens alternatifs, reposant sur des engagements mutuels concourrant à la poursuite d’objectifs communs. Un partenariat, formalisé par la mise en place d’une charte, serait la première étape d’une démarche fédérant tous les acteurs (SNCF, CRAM, Inspection du travail des transports, entreprises extérieures) autour de la sécurité des salariés. La déclinaison de cette charte s’articulerait autour de 6 axes principaux.
1. Jean MORVAN et Hubert SEILLANT – Les Cahiers de Préventique n° 4.
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4.2.1. Organiser et généraliser la collecte de données sur l’accidentologie des salariés L’expression concrète de cette organisation peut revêtir diverses formes, toutes dépendantes des résultats des concertations menées entre les différents acteurs. Idéalement, la création et la mise à disposition des intervenants d’une base informatique centrale (développée sur Internet) recensant l’ensemble des accidents du travail, permettra de mieux cibler les actions de prévention (mise en évidence des « points noirs »), et d’enrichir le retour d’expérience. De plus, l’introduction, à la conception, d’un indicateur stipulant l’implication du facteur coactivité dans l’accidentologie contribuera dans un premier temps à l’identification des situations dangereuses, puis dans une approche plus large, à renseigner nos connaissances statistiques sur les conséquences de ces interférences. On peut également concevoir que ces postes soient un support d’aide pour un retour à l’emploi.
4.2.2. Intégrer la démarche participative à tous les échelons en privilégiant les rapports prestataires – donneur d’ordre À l’occasion des phases de conception (lieux de travail, architecture intérieure des trains), la participation active des entreprises extérieures offrira la possibilité de solutionner les problèmes liés à la santé et à la sécurité. Par ailleurs, en évoquant les apports sur le plan économique, tant sur la qualité des prestations, que sur les économies générées par l’absence de modifications à terme (toujours plus coûteuses), nous disposons d’un levier fondamental. L’intégration des connaissances et des compétences des entreprises extérieures lors de la conception des procédures de nettoyage favorisera considérablement la prévention des risques de TMS. De même, l’intégration des prestataires dans le processus de substitution des produits dangereux s’avérera déterminant dans la pertinence de la démarche. En dernier lieu, notons que, bien que non quantifiables, les bénéfices dégagés par la considération du « bien être au travail » ne peuvent être que non négligeables pour l’ensemble des partenaires et ce, sur tous les plans (humains, sociaux et économiques).
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4.2.3. Développer la coordination : création d’une commission de coordination Afin de contribuer à la prévention des risques liés à la coactivité, et des risques en général, l’orchestration de la coordination s’articulera autour d’un comité faisant intervenir des représentants (à déterminer : animateurs sécurité ou membres de CHSCT, médecins) du donneur d’ordre et des sociétés extérieures, ainsi que des représentants de l’institution (Inspection du travail des transports et CRAM), se réunissant à intervalles réguliers. La mise en place d’une telle mesure implique une contribution sous-jacente, plus globale, en développant les interfaces en interne pour la SNCF, mais aussi avec la SNCF, l’inspection du travail des transports, l’ensemble des acteurs SST, et les services prévention des CRAM. La formalisation d’une synergie entre les médecins du travail semble également indispensable dans ce projet de coordination avec une généralisation de la surveillance médicale. La difficulté principale d’une telle mesure réside dans le fonctionnement de cette commission, puisqu’elle nécessite l’appropriation de la démarche par les partenaires sociaux tout en évitant une politisation du débat santé/sécurité.
4.2.4. Intégrer la sécurité dans la démarche Qualité — Environnement En premier lieu, prévoir dans le cahier des charges des fournisseurs, prestataires et sous-traitants des objectifs de santé et sécurité au travail. En outre, le constat des engagements pris par la SNCF dans la démarche Qualité dans les gares, ainsi qu’une communication externe orientée vers la valorisation de l’aspect environnemental du transport ferroviaire, nous offre une dynamique intéressante à exploiter pour introduire la prise en compte de la sécurité dans les choix techniques et matériels, à la conception et dans l’économie globale de marché. La charte devient un outil supplémentaire permettant de rattacher le wagon sécurité à cet élan pour former le triptyque final QSE.
4.2.5. Promulguer et adapter les formations Afin de généraliser les bonnes pratiques, cette charte stipulera les conditions de la mise en place de modules de formation de formateurs, conjointement avec la CRAM, portant sur les risques en gares. 236
Prestation de service de sous-traitance dans les gares parisiennes SNCF : risques et prévention 8
Une attention particulière devra être portée sur les autorisations de conduite d’engins automoteurs, et notamment sur les connaissances et compétences sur le lieu de travail. L’intérêt de ces formations réside également dans le fait qu’elles fédéreront non seulement les acteurs autour du train, mais l’ensemble des acteurs d’une gare. Nous pourrions alors formaliser ce système de validation de connaissances par la délivrance d’un badge propre aux interventions autour d’un train, interdisant l’accès aux quais à toute personne non munie de ce badge. De même, toujours afin de constituer un socle commun dans l’approche de la prévention des risques professionnels, l’intervention des CRAM via un module de formation complémentaire enrichirait la démarche de la SNCF consistant à recréer des compétences internes en terme de coordination SPS.
4.2.6. Développer les produits d’information Le développement de supports de formation (CD-Rom), la réalisation d’un référentiel par fiches métiers, présentant les risques et les mesures de prévention seront des outils indispensables dans la diffusion des valeurs essentielles de la prévention dans le domaine de la santé et la sécurité au travail. La rédaction d’un livret d’accueil par gare, accessible à tous, favorisera la connaissance des lieux et des activités pour les nouveaux salariés. Toutefois, loin des discours abstraits, les engagements, partagés par chacun, doivent témoigner de cette mobilisation autour de la prévention. Ainsi, l’approche organisationnelle doit pouvoir s’appuyer sur de nouveaux acteurs en charge de l’orchestration de la prévention pour l’ensemble des salariés. L’existence de « limites réglementaires » puisant dans les difficultés d’application du décret 92-158 lors d’une prolifération des entreprises extérieures et la cohabitation d’entreprises ne rentrant pas dans le champ d’application du décret 94-1159, suggère la recherche de moyens alternatifs. Par conséquent, nous pouvons imaginer que la combinaison de ces deux décrets donne naissance à un « coordonnateur SPS d’entreprises extérieures » en charge de l’arbitrage des situations dangereuses liées à la coactivité, assistant et soutenant l’entreprise utilisatrice dans ses obligations en matière de coordination, dans le même état d’esprit que le « coordonnateur classique ». Enfin, la mise en place d’un système de « benchmarking »1, appliqué au domaine de la gestion des risques, permettrait de trouver des solutions et mesures de prévention complémentaires, adaptées ou adaptables au milieu ferroviaire. 1. Benchmarking (en français : analyse comparative) « Technique de marketing ou de gestion de la qualité qui consiste à étudier et analyser les techniques de gestion, les modes d’organisation des autres entreprises afin de s’en inspirer et d’en retirer le meilleur. C’est un processus continu de recherche, d’analyse
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LA SOUS-TRAITANCE INTERNE
Conclusion Nous avons fait état, tout au long de cette étude, de l’importance de l’influence de la SNCF sur les entreprises extérieures, intervenant dans les grandes gares parisiennes. Que cette influence puise sa source dans les particularités du régime SNCF ou dans les difficultés inhérentes aux grands donneurs d’ordre, elle s’apparente souvent à une contrainte pour la prévention des risques professionnels. La multiplicité des intervenants, souvent éloignés de leurs encadrements, sur un lieu unique recevant du public, confère aux personnes une autonomie caractéristique du milieu observé. Ce constat explique, en partie, une organisation de la prévention des risques professionnels enracinée dans la mobilisation des consignes. Les divergences sont accentuées par la méconnaissance mutuelle des politiques attenantes à la santé et la sécurité au travail de chacun ; elles illustrent l’impérieuse nécessité de créer un lieu d’échange pour l’ensemble des acteurs permettant ainsi d’engager une démarche commune. Le fait de disposer d’un partenaire volontaire sur ces thèmes, dont l’engagement des acteurs rencontrés atteste de cette détermination, nous offre l’occasion de bâtir un projet pérenne. La charte de sécurité s’inscrit pleinement dans cette dynamique de progrès. Ces différences ne doivent plus constituer un frein, mais une source d’amélioration des conditions de travail pour l’ensemble des intervenants, fondée sur l’association des connaissances et des compétences.
comparative, d’adaptation et d’implantation des meilleures pratiques de gestion pour améliorer la performance des processus dans une organisation. »
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1. Le contexte industriel change : le MASE évolue Cathy Walczack Serge Keroullé Le MASE est une association de type loi de 1901 créée initialement en 1996 dans la région de l’étang de Berre. Elle regroupe des entreprises utilisatrices et des entreprises extérieures. Son objectif est de promouvoir et d’accompagner des politiques environnementales et de santé et de sécurité au travail performantes à travers une certification des entreprises, toutes intégrées dans une logique clients/fournisseurs. Au-delà de cette logique de cette certification, il s’agit aussi d’engager une réflexion partagée avec pour objectif principal de progresser dans une logique de travail en commun. À ce titre, nous sommes très attachés à une certification régionale par bassin d’emploi qui favorise la connaissance mutuelle et les échanges, même si ces certifications régionales s’insèrent dans un dispositif coordonné au niveau national. Les objectifs principaux du dispositif sont donc : – L’acquisition d’un langage commun à l’ensemble des participants au MASE : il faut employer les mêmes mots définissant des concepts communs pour mieux se comprendre et mieux progresser ensemble. 241
LA SOUS-TRAITANCE INTERNE
– La simplification des règles d’intervention des entreprises extérieures : il ne s’agit pas bien évidemment de se substituer au Code du travail, ni à la réglementation de l’environnement, il s’agit avant tout de bâtir un cadre commun d’intervention immédiatement compréhensible par tous (cf. le langage commun) et dans lequel toutes les entreprises puissent intervenir en confiance parce qu’elles savent que leurs interlocuteurs adhèrent aux mêmes valeurs. – C’est une logique d’assurance qualité et c’est une amélioration permanente et continue des résultats qui est recherchée : en matière d’environnement, de santé et de sécurité au travail, mais aussi économiquement parce que nous sommes convaincus que tous ces éléments sont intimement liés. – C’est un système de management : tout l’effort a porté sur une réelle adaptation aux besoins des entreprises, utilisatrices ou extérieures, en matière de santé, sécurité et environnement. – À ce titre, l’objectif est de mieux s’organiser et de mieux communiquer entre les entreprises et à l’intérieur des entreprises elles-mêmes, dans une logique constante d’amélioration des conditions d’intervention des salariés. Depuis sa fondation, le référentiel MASE a connu des évolutions significatives. À l’origine, il émanait essentiellement d’entreprises utilisatrices. Il a aujourd’hui significativement évolué pour accorder toute leur place en termes décisionnels et d’influence sur les évolutions du système aux entreprises extérieures. Comme le fonctionnement d’un site industriel est le résultat de l’action de nombreuses entreprises, y compris certaines de très petite taille, il a également adapté son modus operandi de façon à le rendre accessible à toutes : un système de management de la sécurité doit s’adresser à tous s’il veut être efficace. L’évolution de l’environnement du monde de l’entreprise et en particulier la place croissante accordée aux démarches ISO 9000, dans lesquelles de nombreux adhérents s’étaient engagés tant du côté des entreprises utilisatrices que de celui des entreprises extérieures, a conduit à modifier la démarche au fil du temps. C’est ainsi que le MASE a voulu intégrer à sa logique les structures « Qualité » déjà existantes, l’hypothèse fondatrice étant que sécurité, qualité, hygiène du travail et environnement sont complémentaires au niveau système de management. Le bon respect de ces règles à travers ce système de management doit permettre d’assurer la satisfaction des employés, des clients, des actionnaires, de l’environnement immédiat des installations (les voisins) et des autorités. Les cinq critères fondamentaux à optimiser que nous avons définis sont (sans ordre préférentiel) : – la sécurité, l’hygiène et l’environnement, – les coûts, – les ressources nécessaires, 242
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– les délais, – la qualité.
2. Le référentiel MASE — Les principes fondamentaux Au-delà du contenu du référentiel, les conditions de sa validation et du contrôle du respect de sa mise en œuvre sont essentielles. Elles sont aussi indissociables. Nous allons donc décrire l’ensemble du processus d’évolution et d’évaluation permanentes de l’ensemble. Le référentiel MASE s’articule autour de cinq axes majeurs : – L’engagement de la direction de l’entreprise. – La compétence et la qualification professionnelle. – La préparation et l’organisation du travail. – Les contrôles : analyse des écarts, mesure des résultats et actions correctives. – L’amélioration continue des structures et des performances.
2.1. L’engagement de la direction de l’entreprise La direction doit faire de l’amélioration des performances de l’entreprise en matière de santé, de sécurité et d’environnement un axe central, permanent et visible de la politique qu’elle conduit. Elle doit se donner les moyens de mobiliser également l’ensemble de son personnel sur ces objectifs. Elle doit aussi engager une politique de communication conséquente pour montrer cette implication, tant à l’extérieur pour montrer qu’elle adhère pleinement à un objectif défini collectivement par l’ensemble des entreprises adhérant au MASE qu’à l’intérieur de ses propres structures. Il s’agit de montrer son implication pour obtenir la participation de tous à la démarche. Au-delà de cette communication, elle doit définir une politique sécurité pour l’entreprise et se donner les moyens de sa mise en œuvre. Il lui faut donc définir des objectifs clairs et mettre en place les structures nécessaires en leur donnant les ressources (humaines, intellectuelles et financières) d’un fonctionnement, d’un contrôle et d’une évaluation efficaces. 243
LA SOUS-TRAITANCE INTERNE
2.2. La compétence et la qualification professionnelle Les ressources d’une entreprise sont d’abord son personnel. L’organisation actuelle de la production veut que les statuts des employés soient divers : contrats à durée indéterminée (CDI), contrat à durée déterminée (CDD), mais aussi contrat à durée de chantier (CDC) ou personnel temporaire (intérimaires). Tous concourent à la qualité de la performance de l’entreprise, mais tous sont aussi exposés aux risques professionnels. C’est en particulier par une bonne intégration dans l’entreprise que s’acquièrent les comportements de travail en toute sécurité : l’effort doit donc être redoublé pour ceux dont la mission ne s’exercera que pendant quelques mois, voire quelques jours dans le cadre de l’entreprise. Un salarié insuffisamment formé, mal intégré, peu informé des risques est une source potentielle de danger pour lui-même et pour son environnement. Il faut donc apporter un soin tout particulier à ce que le travailleur bénéficie de l’ensemble des compétences et des connaissances nécessaires au bon accomplissement de sa mission. Pour ce faire, il doit aussi bénéficier d’une mise à niveau permanente à travers le programme de formation continue de l’entreprise. Un accent particulier sera apporté à la connaissance des risques. Savoir bien travailler est nécessaire, mais ce n’est pas suffisant : l’employé doit savoir dans quel cadre et avec quels risques associés il exerce son activité. Il doit également être formé à la sécurité et être capable de diagnostiquer à son niveau les principaux risques auxquels il peut être confronté ainsi que connaître les moyens de prévention adaptés. Dans ce domaine également, la formation initiale est indispensable, mais elle doit être surtout régulièrement entretenue et adaptée. La communication, dont nous avons déjà souligné à quel point elle est importante entre les entreprises (à travers l’acquisition d’un langage commun) est également un élément important à l’intérieur de l’entreprise elle-même. En effet, chaque employé doit avoir à sa disposition les outils nécessaires qui lui permettent de faire remonter, auprès de sa hiérarchie et de ses collègues, l’information nécessaire à une amélioration continue des méthodes de travail en toute sécurité. Le personnel doit disposer d’un matériel de qualité, approprié aux travaux effectués et correctement entretenu. Une traçabilité de ce matériel et de son entretien doit donc être organisée. Cette traçabilité n’est pas une fin en soi, c’est avant tout la garantie que le personnel qui le mettra en œuvre dispose de tous les éléments qui lui permettent de le maintenir en bon état de fonctionnement. Elle ne peut être efficace que si les règles de bonne formation des opérateurs définies précédemment sont réellement mises en œuvre : seuls des employés correctement formés pourront utiliser un matériel adéquat dans un environnement maîtrisé. 244
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2.3. La préparation et l’organisation du travail Un personnel formé et informé, ainsi qu’un outil de production performant sont nécessaires, encore faut-il qu’ils interviennent dans un cadre maîtrisé. L’improvisation ne peut être tolérée et la non-organisation du travail est non seulement nuisible économiquement, elle est aussi génératrice de risques. L’importance de ces paramètres est encore renforcée dans le cadre de la sous-traitance : les modalités des interventions de chaque entreprise sont susceptibles d’avoir une influence sur les conditions de travail et de sécurité des autres intervenants et plus globalement sur le déroulement du chantier. Il n’est pas acceptable sur un site de l’industrie chimique ou autre de laisser la place à l’improvisation. En outre il est important de tenir le planning, non seulement pour des raisons économiques mais aussi parce que l’urgence est génératrice de dysfonctionnements et donc potentiellement d’accidents industriels et/ou du travail. L’engagement dans un système tel que le MASE doit donc s’accompagner d’une réelle capacité : – à prévoir et à tenir un planning réaliste, – à organiser le chantier sur des bases intégrant le respect des règles de sécurité des personnels, des matériels et des installations, – à être en mesure de communiquer clairement et précisément en interne et avec l’ensemble des partenaires, – à savoir définir des matériels et des moyens adéquats et à les avoir à disposition tant qu’ils sont nécessaires sur le chantier, – à avoir une réelle capacité de gestion des sous-traitants (qu’on soit entreprise utilisatrice ou entreprise extérieure elle-même donneuse d’ordres à travers un engagement dans un processus de sous-traitance en cascade), – à organiser l’activité dans le respect de méthodes et de procédures définies préalablement et pertinentes pour l’activité effectuée. Le MASE est un système d’aide à la gestion et à la performance de l’entreprise, mais il ne prétend pas donner une véritable compétence professionnelle à des entreprises qui en seraient dépourvues ou dont les pratiques seraient trop approximatives. En revanche, l’« apprentissage » du système de management et les processus d’audit conduisant à la certification sont autant de moyens qui doivent permettre à une entreprise de découvrir ses points faibles et lui donner les pistes pour y remédier. C’est aussi, comme on le verra plus loin, un outil d’amélioration continue. 245
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2.4. Les contrôles : l’évaluation et la mesure des résultats La capacité d’une entreprise à réaliser une évaluation des risques pertinente est le point d’entrée incontournable d’une démarche de certification par le MASE. Cette évaluation doit concerner les risques générés par l’entreprise elle-même, mais aussi sa capacité à les appréhender dans un contexte complexe de possible coactivité entre différentes entreprises. L’entreprise doit également être en mesure de comprendre et d’évaluer (en bénéficiant du soutien de l’entreprise utilisatrice le cas échéant) les risques liés au site sur lequel elle doit intervenir. Cette compréhension du risque doit se traduire par une capacité à gérer les situations dangereuses. Cette gestion est d’abord humaine : les salariés de l’entreprise sont-ils informés du risque et formés à sa prévention ? Elle est ensuite organisationnelle : l’entreprise a-t-elle de la capacité à mettre en œuvre des méthodes de travail qui lui permettent de maîtriser le risque ? Dispose-t-elle enfin des appareillages suffisants et des équipements de protection collective et individuelle ? À partir de situations concrètes, l’entreprise doit fournir la preuve de sa maîtrise globale. Le référentiel accorde également une place importante à l’enregistrement, au suivi et à l’analyse des accidents du travail. C’est en effet une source importante d’informations sur le contexte dans lequel les pratiques de l’entreprise peuvent être prises en défaut, que ces défaillances soient d’origine purement internes (mauvais respect d’une procédure ou de consignes de sécurité) ou davantage liées à l’environnement dans lequel l’entreprise est intervenue. Mais ce suivi ne prend toute son importance que dans la mesure où il est associé à des mesures correctives dans la pratique de prévention. On se gardera bien pour autant d’une focalisation à outrance sur cet indicateur « accidents du travail ». C’est une donnée que toutes les entreprises sont contraintes d’établir et, à ce titre, il aurait été peu pertinent de ne pas y avoir recours. Nous verrons plus loin que cette donnée ne constitue pas, loin s’en faut, le seul paramètre d’appréciation auquel le système fait référence. Enfin, nous avons déjà montré toute l’importance que le MASE apporte à l’information et surtout à sa transmission. Les acquis de l’analyse de l’accident ne doivent pas seulement bénéficier à l’entreprise elle-même qui pourra faire évoluer ses pratiques de travail, mais être portées à la connaissance de l’entreprise utilisatrice. Cette dernière peut elle-même être amenée à modifier son cahier des charges, à renforcer sur certains points l’analyse commune des risques au moment de l’établissement du plan de prévention avec les entreprises extérieures. Aucune analyse d’accident ne peut faire l’économie de l’étude du contexte dans lequel il intervient : même le simple non-respect 246
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d’une consigne comme le port d’un équipement de protection individuelle mérite qu’on s’interroge sur ce qui a motivé cet écart et donc l’accident. Les causes sont parfois aussi à rechercher du côté de l’entreprise utilisatrice et des conditions d’intervention qu’elle fait aux entreprises extérieures. On aura compris toute l’importance que le MASE apporte à une analyse approfondie des causes réelles de l’accident : il ne s’agit pas de désigner un « coupable » mais d’établir les causes et les responsabilités de chaque structure.
2.5. L’amélioration continue La logique déployée par le MASE est celle d’un pilotage efficace du système de management afin d’entrer dans une logique vertueuse d’amélioration continue des pratiques et des performances. Pour être efficace, le système doit être adapté au fonctionnement réel de l’entreprise : il ne s’agit pas de « plaquer » un système de façon indifférenciée et artificielle sur des entreprises dont la nature, les caractéristiques et les modes de fonctionnement ne sont pas tous identiques. La logique déployée doit véritablement être une logique de progrès qui réponde aux besoins spécifiques de chaque entreprise. Cette adaptation au cas par cas passe donc par la fixation d’objectifs pertinents et la mise en place d’un plan d’actions adaptées dans la durée. Une réflexion approfondie sur les besoins réels de chaque entreprise est donc nécessaire avant le lancement du processus de certification. L’entreprise doit apprendre à se connaître elle-même. C’est pourquoi un programme d’audits internes est nécessaire. Encore faut-il que, sous ce vocabulaire ronflant, on évalue correctement les besoins : le même effort ne peut être demandé à une très petite entreprise de quelques salariés et à une entreprise extérieure regroupant sur plusieurs sites plusieurs milliers de salariés. Nous verrons plus tard que c’est aussi le rôle des structures régionales du MASE d’aider les uns et les autres à trouver le format qui leur correspond. Pour autant des règles minimales s’imposent à tous et en particulier l’élaboration d’un système de suivi documenté. Là aussi, les besoins sont différents entre les entreprises et des organisations simples mais robustes peuvent être proposées à des structures de petite taille. L’intégration à un système comme le MASE demande un effort aux entreprises : cet effort n’est tenable dans la durée que s’il est lui-même générateur d’un progrès tangible dans la gestion de l’entreprise. Ces cinq axes principaux constitutifs de la démarche MASE peuvent être résumés sur la figure 9.1 : 247
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Figure 9.1 La démarche MASE
3. Rendre le MASE accessible à toutes les entreprises — « Les conseils pour » Afin de rendre le système de management accessible aux plus petites entreprises, un système d’aide à l’accès à la certification a été organisé sous forme de fiches de conseils. Il s’agit bien de conseils et non pas de recettes toute faites puisque chaque entreprise doit se les approprier et les rendre applicables à son propre fonctionnement. Les fiches suivantes sont actuellement disponibles : – Élaborer l’inventaire des risques. – La mise en place d’indicateurs Sécurité hygiène environnement. – La rédaction d’un rapport d’incident/accident. – L’auto évaluation du système de management mis en place dans l’entreprise. – Les suivis semestriels. – Conduire une visite Sécurité hygiène environnement. – Effectuer une réunion/causerie Sécurité hygiène environnement. – L’établissement d’un contrat Entreprise utilisatrice / Entreprise de travail temporaire.
4. Le fonctionnement du MASE Les entreprises utilisatrices adhérentes et les entreprises extérieures certifiées sont invitées à avoir un rôle actif dans l’association. Cette participation peut prendre la forme 248
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d’une candidature au conseil d’administration et au comité de pilotage qui en est issu lors des élections organisées par l’association. Elle peut être plus technique à travers l’organisation ou la participation à des actions ponctuelles destinées à promouvoir la santé et la sécurité au travail organisées par l’association. Un administrateur assure au quotidien le fonctionnement administratif de l’association. Il concourt également à l’animation des différentes actions impulsées par le MASE. La participation des entreprises aux différentes instances d’animation et de décision se fait sur la base du bénévolat. Une cotisation financière est demandée aux adhérents pour pouvoir assurer le fonctionnement matériel de l’association.
4.1. Le conseil d’administration Le conseil d’administration, composé de représentants des entreprises utilisatrices et extérieures, a pour rôle de : – Valider les orientations et les priorités définies par le comité de pilotage. – Définir les budgets de l’association. – Faire évoluer en tant que de besoin les statuts de l’association.
4.2. Le comité de pilotage Le comité de pilotage auquel chaque entreprise élue au Conseil d’administration désigne un membre permanent assure l’animation de l’association. C’est l’organe opérationnel de l’association. Il met en œuvre la démarche MASE en veillant au respect de son esprit. À ce titre, il doit assurer par sa pratique la crédibilité de l’association à travers le respect des statuts et du processus de certification et en proposant les adaptations du référentiel qui permettront de le rendre plus performant. Il est donc, grâce à sa connaissance approfondie du système, à même d’assurer la cohérence des décisions. À l’occasion de ses réunions mensuelles (dont la périodicité régulière doit être garantie afin de permettre des prises de décision rapides après la réalisation et la communication des audits), il traite en particulier : – Des décisions de certification (attribution, maintien) à travers l’examen des dossiers des entreprises et des rapports d’audit : • Une confidentialité totale des données communiquées et des échanges est garantie, les documents communiqués au cours de la réunion sont rendus à l’administrateur par les membres du comité de pilotage à l’issue de celle-ci. 249
LA SOUS-TRAITANCE INTERNE
• Le président effectue une synthèse des éléments permettant d’instruire le dossier de l’entreprise candidate. • Les décisions sont prises à la majorité des votants (le président ayant en cas d’égalité des voix un pouvoir décisionnel au final) : elles se traduisent par un rejet de la candidature ou la délivrance d’une certification pour une durée d’un an ou de trois ans. – Des actions dont il a pris l’initiative (ou sur proposition du Conseil d’administration) : • Les contacts divers, en particulier avec les institutionnels. • La communication. Le comité de pilotage a aussi la responsabilité des audits d’agréments des organismes chargés d’effectuer les audits de certification. Il délègue des représentants (entreprises utilisatrices et entreprises extérieures) aux réunions de coordination nationale des différents MASE, ainsi qu’aux groupes de travail mis en place par la structure nationale. À ce titre, il est aussi responsable de la promotion de la démarche MASE.
4.3. L’administrateur Il constitue la structure permanente de l’association. Il assiste le comité de pilotage dans l’exercice de ses missions. À ce titre, il est chargé des missions suivantes : – C’est le contact de l’association avec les entreprises utilisatrices et les entreprises intervenantes pour lesquelles il est un interlocuteur privilégié. – Il assure la gestion des certifications au travers notamment de la planification des différents audits. – C’est le vecteur de la communication : en interne et en externe avec les autres administrateurs MASE ou vers un plus large public à travers les différents supports d’information (lettre, site internet, etc.).
4.4. Le MASE national Les membres des différentes associations (au nombre de six) sont très attachés à leur fonctionnement sur une base régionale qui leur semble être le gage d’une meilleure efficacité. Cependant, ils partagent des valeurs communes et les démarches de certification sont identiques. L’objectif du MASE national est donc de permettre une 250
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représentativité nationale. Cette coordination permet aussi de fédérer et de planifier les axes de progrès des différentes associations régionales. Enfin, le MASE national a pour mission de négocier aux niveaux national et international avec en particulier les organismes homologues de façon à parvenir à une reconnaissance mutuelle des différentes certifications. Comme les associations régionales, il est doté d’un Conseil d’administration élu composé de représentants des entreprises utilisatrices et entreprises extérieures présentes aux conseils d’administration des structures régionales. Il décide des missions stratégiques et des grandes orientations. Il existe également un Comité inter-MASE dans lequel sont représentés les MASE régionaux. Comme au niveau régional, le fonctionnement est assuré par le bénévolat et l’implication des membres.
5. Le processus d’adhésion : de l’inscription à la certification 5.1. Entreprises utilisatrices La société doit d’abord poser une candidature écrite et motivée auprès du Président du Conseil d’administration. À partir de cette démarche, il lui sera demandé de constituer un dossier qu’elle sera invitée à présenter devant le comité de pilotage lors d’une de ses réunions mensuelles. Ce dossier comprendra notamment : – Les éléments motivant la candidature : l’adhésion s’effectuant sur une base régionale, il est important d’évaluer l’implication de l’entreprise candidate dans les réseaux professionnels de son bassin d’emploi. – Les caractéristiques de l’entreprise. – Un descriptif du ou des système(s) de management Sécurité hygiène et environnement que l’entreprise a déjà mis en place ou dont elle assure le développement au moment de sa candidature en termes : • d’objectifs, • de moyens déployés, • de résultats, • d’évolution des indicateurs sur le moyen ou le long terme si l’entreprise a déjà une certaine antériorité dans la démarche. 251
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– La politique vis-à-vis des entreprises extérieures, telle qu’elle a été définie au moment du dépôt du dossier, considérée sous les aspects suivants : • la nature et le volume des travaux confiés à la sous-traitance interne, • les moyens dont l’entreprise s’est dotée pour pouvoir apprécier l’efficacité de cette sous-traitance, • les partenariats développés avec les entreprises extérieures dans une logique d’intérêt et de progrès communs. – La politique à court et moyen terme vis-à-vis des entreprises certifiées MASE : l’engagement dans la démarche MASE est une adhésion à une démarche de progrès commune à l’ensemble des adhérents au système, il est donc logique qu’il ait une influence sur la politique industrielle du nouvel adhérent. Sur avis du comité de pilotage, le Conseil d’administration prononce alors l’acceptation ou le rejet de la candidature de l’entreprise utilisatrice. L’adhésion au système vaut engagement par l’entreprise à : – Respecter le référentiel MASE et le fonctionnement de l’association. – Faire connaître le référentiel, ses concepts et ses recommandations au sein de son organisation et à ses partenaires. – Dialoguer avec ses partenaires afin d’améliorer les processus et résultats sécurité. – Montrer l’exemple et maintenir l’efficacité de son système Sécurité hygiène environnement. – Tenir informée l’association deux fois par an de ses indicateurs sécurité et des modifications apportées à son système de management.
5.2. Entreprises extérieures L’association fournit aux entreprises envisageant de s’engager dans la démarche de certification un dossier comportant le référentiel et décrivant le protocole qui sera appliqué. Parmi les documents fournis figure aussi un questionnaire simplifié permettant de décrire l’entreprise et son acquis en matière de prévention des risques professionnels et de l’environnement. Le retour de ce questionnaire renseigné à l’administrateur marque le début du processus de certification. Au cours d’un premier entretien adapté aux besoins réels de l’entreprise1, l’administrateur présente à cette dernière le 1. En fonction notamment de la taille de l’entreprise puisque de très petites structures sont concernées.
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fonctionnement de l’association et les attentes de ses membres. Il lui expose également les cinq axes du référentiel et la démarche qui va être adoptée. Cet entretien a surtout pour objectif d’aider l’entreprise candidate à définir plus précisément le périmètre de son activité (quelles structures, quelles activités) qui va être inclus dans la certification et de lui fournir un certain nombre d’indications et de références susceptibles de la guider ou de l’aider dans sa démarche. L’entreprise candidate doit alors élaborer son Plan amélioration sécurité entreprise (PASE) à travers la mise en place de son système de management de la sécurité (ou l’adaptation de celui-ci aux objectifs précis si elle en dispose déjà) : ce PASE constitue le manuel sécurité environnement de l’entreprise. Il comporte au minimum : – la définition de la politique sécurité hygiène environnement, – la description sommaire des dispositions internes de planification et de contrôle, – la liste des enregistrements sécurité hygiène environnement, notamment les objectifs et les plans annuels, les résultats des années précédentes, – l’organisation mise en place (autorité et responsabilité), – les principes d’identification des dangers et des risques, – la description des moyens de communication sécurité hygiène environnement internes ou externes à l’entreprise. Pour que la démarche soit vraiment intégrée au fonctionnement de l’entreprise et non pas « plaquée de façon artificielle », le MASE impose un fonctionnement minimum de ce système de management pendant neuf mois avant de déclencher la procédure d’audit initial : il s’agit de faire vivre le système au quotidien afin de vérifier sa pertinence et son adéquation au projet de l’entreprise. La date de l’audit sera ensuite déterminée entre l’administrateur du MASE et l’entreprise. Sa durée dépend du périmètre à certifier (taille de l’entreprise, activités visées par la certification, etc.). Cette demande de déclenchement de la procédure d’audit s’accompagne d’un échange avec l’administrateur qui, à partir de différents documents communiqués par l’entreprise (PASE, résultats de l’audit à blanc, niveaux des indicateurs, etc.) sera à même d’apprécier plus précisément le niveau de préparation de l’entreprise candidate et pourra déterminer les conditions de l’audit. Ce dernier se compose de deux parties : – l’audit documentaire destiné à estimer la capacité de l’entreprise à répondre aux exigences organisationnelles du référentiel, – l’audit terrain à travers lequel l’entreprise doit apporter la preuve au niveau opérationnel de sa capacité à faire vivre le système de management. 253
LA SOUS-TRAITANCE INTERNE
L’audit sera basé sur les cinq axes fondamentaux décrits précédemment (de l’engagement de la Direction de l’entreprise à l’amélioration continue des structures et des performances) : les performances sur chacun de ces axes sont chiffrées de 0 à 100 en fonction de la cotation obtenue aux 140 questions (d’importance et de valeurs variables) qui composent le référentiel. Le lecteur plus particulièrement intéressé par le contenu de ces questions pourra se référer à l’annexe 9 du Manuel d’amélioration sécurité des entreprises disponible en ligne [1]. De façon classique, l’auditeur dégagera les points positifs ainsi que les points faibles (majeurs ou mineurs) à améliorer, avec constatation des écarts et proposition d’action corrective par l’entreprise. Le tableau des indicateurs établi par l’entreprise sur la base du nombres d’heures travaillées, du nombre d’accidents avec arrêt, du taux de fréquence, etc. pour différentes catégories de personnel (effectif de l’entreprise y compris les salariés en contrat à durée déterminée, l’effectif intérimaire, l’effectif sous-traitant) et ceci pour les trois années précédant l’audit ainsi que pour l’année en cours sera également porté à la connaissance de l’auditeur. D’autres paramètres, comme le nombre de situations dangereuses identifiées, le nombre de causeries sécurité organisées, etc. figurent également dans ce tableau des indicateurs. Le lecteur qui souhaite en connaître le détail est invité comme précédemment à se reporter à l’annexe 10 du document cité [1]. C’est en fonction de cette évaluation que le Comité de certification sera amené à prendre la démarche de délivrance de la certification pour une durée d’un an ou de trois ans ou de rejet. Toute entreprise certifiée doit transmettre à l’administrateur tous les six mois un tableau récapitulatif des indicateurs (analogue à celui décrit succinctement précédemment) faisant le point de l’évolution des taux de fréquence et des mises en évidence de situations dangereuses (annexe 10). En cas d’échec à la certification, l’administrateur du MASE rencontre l’entreprise candidate. L’objectif est, à partir des conclusions de l’audit et en particulier des points faibles mis en évidence, d’apporter des précisions, si besoin est, sur la décision et dans un second temps d’aider l’entreprise à mettre en place les démarches d’amélioration. Pour ce faire, le MASE bénéficie de l’expérience acquise dans d’autres structures qui peuvent aider à définir un plan d’action. Cet acquis est particulièrement appréciable pour les plus petites structures pour lesquelles des exemples concrets peuvent être particulièrement riches d’enseignement.
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Le MASE : Manuel Amélioration Sécurité Entreprises 9
6. Le MASE en France : quelques chiffres pour témoigner du succès de la démarche De 1996 (création de la première association MASE sur l’étang de Berre) à 2008, le paysage a beaucoup évolué avec la création de cinq autres structures régionales et de la coordination nationale en 2005. On a synthétisé sur la Figure 9.2 les implantations géographiques des six associations actuelles ainsi que le nombre d’entreprises adhérentes1. La notion d’entreprise certifiée recouvre les entreprises extérieures titulaires de la certification. Celle d’entreprise engagée correspond à celles qui ont initié la démarche et sont engagées dans le processus de certification décrit précédemment.
1081 Entreprises certifiées 978 Entreprises engagées 1081 Entreprises utilisatrices TOTAL 2168 08.2007 Figure 9.2 Les associations MASE.
Les deux figures suivantes permettent de constater la vitalité de la démarche et des associations. En effet, que ce soit au niveau des entreprises utilisatrices (Figure 9.3)2 ou
1. Chiffres d’août 2007. 2. Chiffres de 2007 arrêtés au mois d’août.
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LA SOUS-TRAITANCE INTERNE
des entreprises extérieures (Figure 9.4)1, leur nombre va sans cesse croissant. En outre, chaque association régionale a augmenté de façon continue le nombre de ses adhérents (pour les deux types d’entreprises) tout au long de la période considérée. Enfin, le nombre d’entreprises extérieures engagées dans la démarche et en cours de certification est également croissant sur toute la période et il est actuellement pratiquement égal à celui des entreprises déjà titulaires de la certification.
Figure 9.3 Entreprises utilisatrices engagées dans la démarche MASE.
Figure 9.4 Entreprises extérieures engagées dans la démarche MASE.
Bibliographie [1] http://www.mase.com.fr/certification_mase/documents_fr. html 1. Chiffres de 2007 arrêtés au mois d’août.
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Le MASE, au-delà des idées reçues
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Cathy Walczack Serge Keroullé Le MASE est victime de son succès. Que quelqu’un dans une conversation fasse référence à un système de management de la sécurité (pour en dire du bien ou en dire du mal) et c’est au MASE qu’il fera allusion. Qu’un autre décrive la situation de la sous-traitance en France et presque inévitablement, le MASE sera encore pris comme exemple de ce qu’il faut faire (ou ne pas faire). En soi, cette « popularité » ne nous gêne évidemment pas : c’est la preuve de notre bonne insertion dans le paysage industriel français. Cependant, nous constatons au quotidien qu’elle s’accompagne d’un certain nombre de fausses informations, d’idées reçues ou de raccourcis quelquefois abusifs. Dans le chapitre, nous avons essayé de présenter au lecteur un aperçu de ce qu’est réellement le MASE, de ses principes et de sa pratique (des informations plus complètes sont disponibles sur le net à travers la consultation du manuel proprement dit [1]). Dans ce chapitre, nous allons plutôt nous attacher à battre en brèche un certain nombre d’idées reçues sur le système.
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LA SOUS-TRAITANCE INTERNE
1. Le MASE n’a pas pour objectif de formater les entreprises selon un modèle unique Le référentiel s’adresse à des entreprises. Ainsi 60 % d’entre elles sont des structures de moins de 50 salariés. Et le MASE certifie des entreprises de 2 personnes. Dans un tel contexte, il est évident que si le référentiel est unique, son appropriation par les entreprises doit se faire en fonction de leur mode de fonctionnement. Le référentiel est une base de réflexion, il ne constitue pas une recette qui devrait être appliquée telle quelle par l’entreprise. Au contraire, celle-ci doit l’intégrer à sa pratique professionnelle de façon à mieux gérer les problèmes de sécurité au travail. Il ne s’agit pas pour autant de transformer de fond en comble sa pratique mais de formaliser un certain nombre de pratiques dans une logique d’amélioration des performances en matière de sécurité au travail, ce qui se traduit presque automatiquement par une amélioration de la performance globale de l’entreprise. La logique MASE est une logique de bon sens. À ce titre, elle est accessible à tous. Il est souvent indispensable pour une entreprise (indépendamment de sa taille) de se faire aider dans son action de certification. Cette aide ne doit en aucun cas aboutir à une dénaturation de son fonctionnement, mais au contraire à une optimisation de celui-ci. Afin d’aider les plus petites structures, nous avons développé « les conseils pour » qui sont autant d’outils concrets destinés à leur offrir une aide concrète dans leur appropriation du système. Mais nous insistons toujours auprès d’elles sur le fait que ces conseils constituent une aide et non pas une règle. Il s’agit surtout d’aider les entreprises à formaliser ce qui nécessite de l’être, en aucun cas de les transformer en professionnels de la certification ce qui ne présenterait aucun intérêt dans leur fonctionnement quotidien. Concrètement, nous pouvons constater que le renouvellement de la certification au bout de trois ans ne pose dans la plupart des cas aucune difficulté pour de toutes petites structures : c’est un indice à notre avis concluant sur la capacité de ces entreprises à s’approprier le système de management et à le faire vivre en fonction de leurs règles et de leurs contraintes de fonctionnement. De nombreuses très petites entreprises et artisans ont pu entrer dans le système dans l’intérêt général.
2. Le MASE est un lieu de réels échanges Trop souvent, on assimile le MASE à un outil destiné à asseoir le contrôle des entreprises utilisatrices sur les entreprises extérieures. C’est méconnaître la réalité des échanges dans la structure. C’est aussi méconnaître la réalité des processus d’adhésion. 258
Le MASE, au-delà des idées reçues 10
Ainsi, des candidatures d’entreprises utilisatrices dont l’engagement dans la démarche semblait plus conjoncturelle que répondre à une véritable conviction ont été retardées, le temps pour l’entreprise de faire évoluer sa politique interne et vis-à-vis de ses soustraitants dans un sens plus compatible avec la démarche adoptée par l’ensemble de ses futurs partenaires au sein du MASE. Il faut aussi reconnaître qu’une évolution importante a eu lieu dans les pratiques du MASE entre sa création et aujourd’hui. Aucune des associations régionales ne s’est construite à partir de rien : à sa création, chacune d’entre elles a évolué à partir de l’existant. Ainsi en Normandie, une initiative qui voulait promouvoir la qualité et qui a rapidement évolué vers une action centrée sur la sécurité et la protection de l’environnement. Dans le Nord Pas-de-Calais, la structure régionale s’est construite à partir d’une association régionale pré-existante qui traitait de maintenance industrielle. Il n’y a pas de modèle déposé. Le MASE est d’abord un lieu d’échange entre les différentes entreprises qui s’engagent ensemble dans une politique d’amélioration des performances globales, et plus particulièrement en matière de sécurité et d’environnement. C’est une des principales raisons pour lesquelles nous sommes particulièrement attachés à un fonctionnement en structures régionales, le niveau national n’intervenant que pour assurer une coordination minimale et la représentation des associations aux niveaux national et international. C’est au niveau régional que des contacts fructueux peuvent se nouer, qu’un langage et une culture communs peuvent être acquis. C’est à partir de ces acquis que des progrès peuvent être effectués en commun. Si nous insistons sur cette démarche commune, c’est que nous avons des éléments qui montrent toute l’importance qu’elle revêt. La documentation du MASE est publique : elle figure sur son site internet [1]. Nous savons que des entreprises non adhérentes ou présentes sur d’autres bassins industriels que ceux qui sont couverts par les associations MASE ont essayé de les utiliser et de les adapter à leur problématique particulière. Les retours que nous avons de ces initiatives tendent à prouver qu’elles n’ont pas fonctionné de façon satisfaisante. Au-delà de la pertinence technique des indicateurs que nous avons développés, c’est bien le climat de leur mise en œuvre qui constitue le point déterminant de l’efficacité de la méthode. C’est par l’adhésion à une structure, mais plus que ça à un projet commun, que les échanges entre une entreprise utilisatrice et une entreprise extérieure prennent une réelle consistance : les retours d’expérience en provenance de l’entreprise extérieure sont facilités, l’évaluation en commun des risques avant l’établissement d’un plan de prévention devient autre chose qu’un exercice imposé et s’ancre dans la réalité du terrain.
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LA SOUS-TRAITANCE INTERNE
3. Les indicateurs sécurité hygiène environnement ne sont pas une fin en soi, seulement un moyen Afin de mettre en évidence certaines anomalies ou dérives, le référentiel demande aux entreprises de communiquer à l’association un certain nombre d’indicateurs (taux de fréquence TF1, taux de fréquence global TF2, taux de gravité, etc.). C’est parce que nous croyons que l’établissement de ces statistiques et le respect du référentiel constituent de fortes incitations pour les entreprises à procéder à une analyse des accidents que nous attachons une certaine importance à ces indicateurs. Ce ne sont cependant pas les seuls, même si une lecture rapide du référentiel s’attarde souvent sur eux. Le nombre de situations dangereuses identifiées ou le nombre d’audits d’observation sécurité sont d’autres paramètres qui sont pris en compte. L’association n’a pas le culte du chiffre absolu : elle s’intéresse bien davantage à son évolution dans le temps et aux explications qu’on peut trouver à cette évolution. Il est également patent qu’une entreprise candidate à la certification qui ne fournirait pas d’autres indicateurs que ceux basés strictement sur les accidents du travail se verrait refuser l’accès au MASE par le Comité de certification. Ce qui était suffisant à l’origine, puis toléré ensuite, serait aujourd’hui considéré comme notoirement insuffisant. Sur la base des chiffres qui figurent dans le tableau 10, nous considérons que la démarche est couronnée de succès puisque les taux de fréquence pour l’ensemble des métiers ou pour le BTP ou la métallurgie est bien inférieur pour les entreprises certifiées MASE que pour les comités techniques nationaux correspondants.
Statistiques technologiques nationales de la CNAMTS
Entreprises certifiées MASE
Total des 9 Comités techniques nationaux
25,7
14,69
Bâtiment et travaux publics
53,4
15,85
Métallurgie
24,7
14,69
Tableau 10.1 Taux de fréquences des accidents du travail en 2006.
Ces chiffres ont fait l’objet de critiques. Certains ont remis en cause la véracité des chiffres en mettant en cause la logique d’amélioration continue des performances qui inciterait les entreprises extérieures à dissimuler une partie des accidents du travail 260
Le MASE, au-delà des idées reçues 10
(en ne les déclarant pas) pour ne pas se pénaliser globalement vis-à-vis du référentiel et plus concrètement au moment de la passation des contrats : des résultats médiocres pourraient en effet détourner les donneurs d’ordres. Nous ne remettons pas en cause le fait que certaines entreprises extérieures puissent avoir recours à la dissimulation qu’elles soient adhérentes ou pas du MASE d’ailleurs. Ce sur quoi nous insistons, c’est que nous raisonnons davantage en termes de tendance qu’en chiffres absolus et qu’à cet égard, les chiffres sont sans ambiguïté : l’amélioration des entreprises adhérant au MASE est nette sur toute la période de dix ans considérée. Il n’y a en outre aucune raison pour que la dissimulation d’accidents du travail soit plus active aujourd’hui qu’elle ne l’était lors des années écoulées. Nous considérons que l’influence du MASE sur cette amélioration est importante. D’autres remarquent que les entreprises extérieures certifiées par le MASE ont de meilleures performances quand elles interviennent sur des sites d’entreprises utilisatrices adhérentes au MASE que chez d’autres donneurs d’ordres. Ils en reviennent alors généralement à la conclusion précédente et/ou font l’hypothèse que la « culture sécurité MASE » serait superficielle (ou au moins pas aussi ancrée dans les pratiques qu’il serait souhaitable) et que placées dans un autre contexte, ces entreprises reviendraient à leur « naturel » pas assez imprégné de prévention des risques professionnels. Pour notre part nous faisons l’hypothèse qu’en effet la culture prévention est plus forte dans le système MASE. En particulier, les entreprises utilisatrices adhérentes sont plus mobilisées par la prévention des risques professionnels de leurs sous-traitants. Nous avons aussi insisté précédemment sur l’importance que nous apportons au fait, pour les partenaires, d’appartenir à un même bassin industriel et d’avoir développé des liens et un langage commun pour une meilleure efficacité. Trop souvent dans l’industrie en générale, les plans de prévention sont encore établis sur une base théorique faisant, de façon paradoxale, l’économie d’une réelle évaluation des risques. Au MASE, nous prétendons, au contraire, avoir développé entre nos adhérents une volonté de ne pas considérer ces plans comme une formalité administrative mais comme une composante indispensable à la réalisation d’un travail bien fait, pour laquelle entreprise utilisatrice et entreprise extérieure collaborent activement. Quant à l’hypothèse d’une culture sécurité sous forme de vernis superficiel, elle va vraiment à l’encontre de l’expérience concrète d’un des rédacteurs de cet article. En effet dans le cadre de mon activité professionnelle, en tant que Directeur des activités de réparation en Europe de Dresser Rand, j’ai la responsabilité des interventions d’équipes dans tout le continent. Je considère que la culture acquise par ces équipes dans le cadre du MASE leur est utile dans leur activité de tous les jours, y compris quand elles interviennent hors de ce contexte. Le MASE les a aidées à développer leur esprit critique et je ne compte plus leurs initiatives auprès de l’entreprise utilisatrice sur le site de laquelle ils intervenaient pour que des conditions de travail en réelle sécurité soient mises en place. 261
LA SOUS-TRAITANCE INTERNE
4. Le MASE est un système évolutif — C’est un atout économique pour les entreprises Le MASE est basé sur le bénévolat. Malgré cela (ou peut-être à cause de cela), on constate un réel investissement de nombreuses entreprises dans l’évolution du référentiel. C’est que dans sa philosophie le MASE est avant tout un référentiel d’industriels au service d’industriels. Cette vocation affirmée de service se retrouve dans la volonté de parvenir à des reconnaissances réciproques avec d’autres référentiels au niveau international. À ce titre les négociations avec l’Union des industries chimiques (UIC), pour parvenir à un accord pour la fusion des deux référentiels sécurité, sont probablement plus longues qu’on ne l’espérait de part et d’autre à l’origine, mais c’est probablement parce qu’il s’agit d’affirmer une réelle démarche commune réellement porteuse de sens. Plus largement le MASE est ouvert à toutes les coopérations. Avec l’Éducation nationale, tout d’abord parce que nous pensons que c’est dès la formation que les réflexes de travail en sécurité doivent s’acquérir. À ce titre, certains élèves de filières professionnelles se voient offrir la possibilité de suivre, au cours de leur scolarité, une formation à la sécurité sur la base d’une partie du référentiel MASE. Les coopérations avec les syndicats professionnels sont également recherchées. Ainsi, un cahier des charges commun a été établi avec le syndicat du nettoyage haute pression. En répondant aux exigences techniques de ce cahier des charges, les adhérents présentent de meilleures garanties de sécurité qui facilitent leur adhésion au MASE qui, en retour, a la certitude, pour avoir expertisé le cahier des charges en amont, qu’il répond à ses exigences en matière de sécurité. Même si dans le cadre de ce qui nous a été demandé pour l’ouvrage coordonné par l’INRS, les attentes économiques ne figurent logiquement pas au premier point, nous souhaitons aussi attirer l’attention du lecteur sur l’atout économique et l’aide à la rationalisation qu’une démarche comme le MASE représente. En effet, elle permet à de nombreux donneurs d’ordre de faire l’économie d’audits auprès de leurs fournisseurs. C’est un atout supplémentaire pour faire prendre conscience aux différents opérateurs qu’en replaçant la sécurité au centre de la démarche industrielle, des gains sont obtenus dans différents compartiments pour augmenter l’efficacité globale de l’entreprise.
262
Le MASE, au-delà des idées reçues 10
5. En guise de conclusion… provisoire Provisoire parce que nous pensons qu’il y encore de la place pour une industrie performante en France. Et provisoire parce que, quand cette industrie évoluera, le MASE évoluera avec elle. Le MASE est ouvert à toutes les bonnes volontés. Il est également ouvert à toutes les confrontations et à tous les dialogues. Il n’y a aucune exclusive ni aucun interdit auprès de quelque partenaire potentiel que ce soit pourvu que l’ensemble des acteurs partage la même volonté de promouvoir la santé et la sécurité au travail. Après une dizaine d’années d’existence, le chemin parcouru est long, mais les perspectives sont prometteuses.
Bibliographie [1] http://www.mase.com.fr/certification_mase/documents_fr. html.
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Une structure de prévention des risques professionnels originale : le GIE de sous-traitance de Biganos
1. Pourquoi un GIE Qualité sécurité environnement ? Marc Martigny Le GIE (Groupement d’intérêt économique) Biganos a été créé en 1990. Son objectif (toujours d’actualité) était à l’origine de fédérer les sous-traitants des deux unités industrielles de Gironde et des Landes (devenues depuis Smurfit Kappa Cellulose du Pin à Biganos et Smurfit Kappa Rol Pin à Labouheyre) autour d’objectifs partagés en matière de qualité, d’environnement et, bien sûr, de santé et sécurité au travail. Le choix d’un GIE a été fait parce que cette structure permet à ses adhérents de mettre en commun certaines activités professionnelles, voire certains matériels, sans obérer pour autant leur indépendance économique ou juridique. Cette création a été faite à l’initiative de l’entreprise utilisatrice avec deux objectifs principaux : – la volonté de voir progresser techniquement ses sous-traitants en particulier pour tout ce qui concerne les performances en santé et sécurité : les performances parfois médiocres de certaines entreprises extérieures pouvaient en effet ne pas être sans conséquences pour la sauvegarde de ses propres travailleurs et la qualité du travail réalisé, – le souci corrélativement de ne pas risquer d’être accusé de prêt de main d’œuvre illicite en s’impliquant, à la hauteur des enjeux, dans une aide circonstanciée à ces 264
Une structure de prévention des risques professionnels originale… 11
entreprises extérieures pour leur permettre de réaliser les progrès indispensables : il s’agissait d’éviter le délit de marchandage. Une coopération trop étroite entre les différentes structures du donneur d’ordres et des entreprises extérieures, non encadrée juridiquement, aurait pu en effet aboutir à mettre l’entreprise utilisatrice dans une configuration où la justice aurait pu voir un prêt illégal de main d’œuvre, là où il n’y avait que volonté partagée de progresser. Il s’agissait aussi de redonner une identité aux travailleurs des entreprises extérieures qui trop souvent ne savaient plus très bien pour qui ils travaillaient. Ce flou entraînait une dilution dans la prise des responsabilités, évidemment inacceptable dans une optique d’amélioration de la qualité des prestations et des conditions dans lesquelles elles étaient effectuées. Cette création a été accompagnée et encouragée par la Direction départementale du travail qui y a vu, comme l’entreprise utilisatrice, l’occasion de responsabiliser les entreprises extérieures dans la gestion de leur politique de prévention des risques professionnels tout en leur fournissant un accompagnement. Ainsi, chaque entreprise sous-traitante conserve la maîtrise de sa politique industrielle et économique, mais bénéficiera dans le cadre de son activité pour les deux établissements Smurfit Kappa de l’assistance du GIE. Elle reste en particulier entièrement responsable au niveau légal de la sécurité et de la santé de ses propres travailleurs, mais elle peut compter sur l’assistance d’un professionnel familier des conditions d’exploitation et de sécurité de l’entreprise utilisatrice pour l’aider dans l’établissement de ses évaluations de risques, plans de prévention, etc.
2. Le fonctionnement du GIE — Le rôle de son directeur Trente-huit entreprises adhèrent actuellement au GIE Biganos. Pour un effectif de 450 personnes environ employées directement par SmurfitKappa sur le site de Biganos, ces entreprises extérieures représentent un effectif moyen d’environ 100 emplois présents en permanence sur le site. Certaines phases d’arrêt ou de grosse maintenance peuvent porter sur des durées plus courtes cet effectif à 700 à 1 000 personnes. Sur le site de Labouheyre, la présence de ces entreprises extérieures est beaucoup plus limitée, puisqu’elle concerne seulement une dizaine de personnes. Elles sont de taille très variable : de quelques salariés à l’agence d’un groupe pouvant employer plusieurs milliers de personnes en France et/ou à l’international. Cette adhésion au groupement 265
LA SOUS-TRAITANCE INTERNE
est obligatoire pour toute entreprise titulaire d’un contrat de sous-traitance avec un des deux établissements donneurs d’ordres. La fin de ce contrat met fin à l’adhésion. Le GIE est financé par une cotisation proportionnelle au montant des contrats conclus entre l’entreprise utilisatrice et l’entreprise extérieure. Un conseil d’administration composé de sept chefs d’entreprises extérieures assure la continuité de l’action entre les assemblées générales annuelles. L’association nomme un directeur qui assure la liaison avec le conseil d’administration. L’entreprise utilisatrice n’intervient pas dans le fonctionnement du groupement, même si, évidemment, dans le respect de la législation, les contacts avec les entreprises extérieures et celui qui les représente sous les aspects de la gestion quotidienne des activités (le directeur du GIE) sont fréquents.
De la même façon, le directeur du groupement se cantonne, en liaison avec le service sécurité de l’entreprise utilisatrice, à l’organisation et à la coordination de terrain. Sa connaissance de l’entreprise utilisatrice, de sa politique, de ses locaux, de ses procédures et de ses équipes constitue un élément qui facilite son travail au quotidien. Sa fonction le mettant en contact au quotidien avec les entreprises extérieures, il acquiert également au fil du temps une bonne connaissance de leurs façons de fonctionner. C’est vraiment une activité qui s’exerce dans la durée. L’existence du GIE depuis 1990 en fait un partenaire reconnu de la prévention des risques professionnels dans l’entreprise. Concrètement chaque chef d’entreprise extérieure délègue au groupement la fonction organisation et coordination de terrain pour tout ce qui concerne la sécurité et l’environnement tout en conservant ses obligations réglementaires. Le directeur du GIE est donc le représentant au quotidien de chaque entreprise auprès du donneur d’ordres ainsi qu’auprès du personnel des entreprises extérieures.
3. Le cadre global de l’action au quotidien L’activité de directeur du GIE Biganos s’exerce avant tout sur le terrain au plus près des tâches quotidiennes effectuées par les entreprises extérieures. Il doit bien connaître les installations dans lesquelles les travaux sont effectués et les risques qui peuvent être générés en fonctionnement normal comme à l’occasion des interventions d’entreprises extérieures, puisqu’il doit contribuer à l’établissement des plans de prévention. À ce titre il a reçu la même formation que l’encadrement de l’industriel à ses systèmes Sécurité et Qualité. Il doit également avoir bien intégré sa culture d’entreprise. Bien que statutairement indépendant de l’entreprise utilisatrice, sa place d’interface avec les entreprises extérieures doit être pleinement actée et l’organisation de l’entreprise 266
Une structure de prévention des risques professionnels originale… 11
utilisatrice doit intégrer son existence. Fondamentalement, le directeur du GIE tient sa légitimité de l’entreprise utilisatrice. Il doit également être considéré comme un interlocuteur de premier niveau par l’encadrement des entreprises extérieures, mais aussi comme la personne ressource en collaboration avec laquelle la prévention des risques professionnels s’organise sur le chantier. Pour ce faire et pour pouvoir mettre en place une politique de prévention active et des plans de prévention efficaces, il lui est aussi indispensable de connaître les métiers et les tâches exercés par les entreprises extérieures. Enfin, il doit être connu et reconnu par les salariés de ces entreprises et le contenu de sa fonction doit être clairement identifié par eux.
4. L’action au quotidien : la sécurité au travail Concrètement, l’action du directeur du GIE peut être décrite de la façon suivante. Il procède à l’accueil sécurité des travailleurs des entreprises extérieures adhérentes. Cet accueil est spécifique à la problématique de la sous-traitance et ne se substitue pas à l’accueil général orienté sur le contexte global de l’activité sur le site organisé par l’entreprise utilisatrice. Concrètement, les problématiques, malgré leurs spécificités ayant de nombreux liens, les accueils sont co-organisés par le directeur du GIE et le service sécurité de l’entreprise utilisatrice. Il s’agit de faire prendre conscience aux opérateurs qu’ils vont œuvrer dans un cadre précis, mais pas figé. En conséquence, ils doivent prendre concrètement conscience des problèmes liés à la coactivité dans un cadre susceptible d’évoluer rapidement. Quelle que soit la qualité des structures de production et de prévention mises en place, c’est aussi à la capacité de réflexion et d’adaptation des travailleurs qu’il faut faire appel pour que l’efficacité soit au rendezvous. Il participe activement à l’élaboration des plans de prévention : évaluation des risques, définition des mesures de prévention, suivi des plans. Nous avons signalé précédemment que les 38 entreprises adhérentes étaient de taille très variables : de l’artisan intervenant avec un ou deux compagnons à des agences régionales de groupes pouvant employer plusieurs milliers de salariés à l’échelle nationale. Cette différence de taille et de structure ne doit pas faire illusion. C’est à chaque fois à une PME, voire à une TPE que nous avons affaire. Les plus grosses bénéficient bien sûr de l’appui de leur groupe, mais concrètement l’investissement de la part du GIE est le même : ce sont avant tout les conditions concrètes d’exercice de l’activité qui doivent être prises en compte pour l’évaluation des 267
LA SOUS-TRAITANCE INTERNE
risques et ce ne sont pas toujours les structures les plus lourdes qui sont les plus efficaces dans ce domaine. L’élaboration d’un plan de prévention pertinent et efficace est à chaque fois l’objet d’un véritable investissement de la part du GIE. Il est également important que l’entreprise extérieure, quelle qu’elle soit, ait en permanence sur le site même quelqu’un qui sera capable de le suivre et de le faire évoluer en fonction de la réalité de la situation et de l’analyse continue des risques. Pour cela aussi, le GIE investit fortement. Une grande importance est également portée à la vérification des plannings pour s’assurer qu’ils sont à la fois rigoureux et réalistes. Il est en effet vain d’établir un plan de prévention si d’emblée il apparaît que le déroulement, voire le phasage, des travaux ne pourra pas être effectué selon les modalités initialement prévues. Il est en outre bien établi que l’urgence dans la réalisation des travaux est un facteur d’accidents. C’est en particulier à travers des visites sécurité quotidiennes sur les chantiers, ainsi que de façon plus formalisée grâce à des audits Sécurité et Qualité que ce suivi et cette évolution seront rendus possibles. C’est l’occasion notamment de vérifier les autorisations de travaux, ainsi que les différentes habilitations dont les opérateurs doivent être titulaires. C’est surtout l’occasion de contrôler les conditions d’intervention et de s’assurer que les évaluations des risques ont été effectuées de façon pertinente et complète. En cas d’écarts (liés à l’exécution de la tâche elle-même ou à l’organisation des travaux en cas de risque de coactivité), le directeur du GIE a toute possibilité d’interrompre le chantier jusqu’à sa mise en conformité et d’interpeller l’entreprise utilisatrice et les entreprises extérieures afin d’identifier les causes de ces écarts et déterminer avec elles les moyens d’y remédier. Il s’agit enfin de s’assurer, dans des conditions réelles d’intervention, de la connaissance par les opérateurs des conditions d’intervention en sécurité en général et de leur appropriation personnelle du plan de prévention en vigueur sur le chantier. À ce titre, il est important que la légitimité du responsable du GIE soit parfaitement établie. C’est par cette présence sur le terrain, mais aussi par la reconnaissance par le donneur d’ordres et l’ensemble des entreprises extérieures de cette capacité à intervenir que cette légitimité peut être établie de façon durable et efficace. Le responsable du GIE a aussi la responsabilité de former les travailleurs des entreprises extérieures aux procédures de travail établies par le donneur d’ordres. Ce sont celles-ci qui sont prioritaires sur le site et celles des entreprises extérieures doivent être compatibles avec elles. Au besoin, en cas d’incompatibilité ou d’insuffisance, ces dernières pourront être modifiées. Dans ce domaine également, le responsable pourra intervenir, en tant que de besoin, pour fournir une assistance à l’entreprise extérieure. C’est également le GIE qui assure lui-même ou organise en recourant à des prestations extérieures un certain nombre de formation en fonction des exigences des cahiers des charges : pontier élingueur, utilisation de nacelles, certificat d’aptitude à la conduite de chariots élévateurs, jointage, réception des échafaudages, habilitations électriques, 268
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secouristes sauveteurs du travail, etc. À ce titre le GIE est déclaré organisme de formation auprès de la Direction régionale du travail et de l’emploi d’Aquitaine. Cette capacité à organiser sur le site même des formations spécifiques a plusieurs intérêts : – La souplesse : le nombre de personnes à former est potentiellement plus élevé, ce qui facilite l’organisation des sessions et des accords peuvent être trouvés entre le GIE et l’entreprise utilisatrice pour ouvrir leurs sessions respectives à des travailleurs des autres entreprises, – La réactivité : si des manquements sont constatés sur les chantiers dans certains domaines, l’expérience acquise en tant que formateur peut permettre d’organiser des sessions de remise à niveau dans un intervalle court, – La spécificité : le fait de former des personnes intervenant dans le même environnement industriel peut permettre de mieux cibler le contenu de l’enseignement et de l’illustrer concrètement à partir de situations de travail concrètes. Ainsi par exemple, des formations au risque chimique sont organisées, directement axées sur les produits et les situations couramment rencontrés dans l’usine. De même, l’accès à certaines zones ou à certains équipements de l’usine justifie des connaissances et des procédures particulières qui font l’objet d’une formation dédiée. Le directeur du GIE effectue également les analyses d’accidents impliquant les travailleurs des entreprises extérieures. Il collabore également à celles qui sont menées suite à des accidents qui, sans impliquer directement ces travailleurs, sont survenus dans des secteurs où de nombreux travaux sont effectués par ce type de personnels. Ces analyses d’accidents donnent lieu dans la plupart des cas à des plans d’action correctifs. Le responsable du GIE en assure également le suivi pour s’assurer de leur efficacité et procéder éventuellement, en concertation avec la direction et l’encadrement de l’entreprise extérieure concernée, aux ajustements nécessaires à court ou moyen terme.
5. L’action au quotidien : la qualité des prestations Le contrat entre l’entreprise utilisatrice et les entreprises extérieures est fondé notamment sur une logique d’amélioration continue des performances. C’est en particulier cette démarche qui est mise en œuvre dans les contrats de maintenance à objectifs de résultats : dans ce type de contrats, une partie de la rémunération est conditionnée à l’obtention de certains résultats définis contractuellement à l’avance. Ces objectifs ne recouvrent pas seulement la qualité du travail fourni ou les délais à respecter, mais impliquent également des objectifs en matière de santé et sécurité au travail. À ce titre, dans cette logique qui 269
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concerne plus directement la qualité de la prestation, la prévention des risques professionnels trouve également sa place à l’occasion d’un certain nombre de rendez-vous destinés à faire évoluer le système et à réaliser des états d’avancement : – Réunions périodiques des comités de pilotage. – Évolution des procédures. – Audits qualité. – Rédaction des plans d’assurance qualité. – Suivi des indicateurs de performances. Le nombre d’accidents du travail ne figure pas au nombre des indicateurs de performance. L’entreprise utilisatrice a en effet estimé que, pour avoir une véritable transparence dans ce domaine, il ne fallait pas donner un tel statut à ce chiffre. C’est plus l’analyse des causes et la capacité de l’entreprise extérieure à proposer une évolution de ses méthodes de travail vers plus de sécurité qui sera considérée. Nous avons indiqué précédemment que, sur le site, la politique de prévention des risques professionnels est d’abord définie par l’entreprise et que c’est dans ce cadre précis que les entreprises extérieures sont invitées à déterminer leurs méthodes de travail. C’est la même logique qui est à l’œuvre en matière de politique industrielle. Cette identité renforce la cohérence du système et montre toute l’importance que le donneur d’ordres attache à une intégration de la prévention en aval. Ainsi, le responsable du GIE a également la charge de la vérification de l’assimilation par les entreprises extérieures de la politique Qualité définie par l’entreprise utilisatrice selon les axes suivants : – Organisation générale des chantiers. – Méthodes de travail. – Préparation des chantiers. – Compréhension des divers documents (normes de travail, etc.). Le responsable du GIE assure aussi dans ce domaine l’interface entre l’entreprise utilisatrice et les entreprises extérieures. Il informe notamment le donneur d’ordres des difficultés rencontrées dans l’application de la politique que ce dernier a définie. La question des moyens (humains mais aussi matériels) est également importante tant au niveau de la prévention des risques professionnels que de celui de la qualité de la prestation fournie. À ce titre, il est de la responsabilité du directeur du GIE de vérifier que les entreprises respectent bien le cahier des charges défini à la signature du contrat et que pour ce faire, elles déploient des personnels d’un niveau suffisant utilisant des matériels performants et permettant de réaliser les tâches définies. 270
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6. L’action au quotidien : la protection de l’environnement Le responsable du GIE a également des fonctions analogues pour ce qui concerne le respect de l’environnement par les entreprises extérieures. Il exerce ses fonctions dans le même cadre que celui défini précédemment pour les politiques Qualité et de prévention des risques professionnels. Pour ce faire, il utilise des méthodes de travail analogues et bénéficie des mêmes prérogatives dans ses rapports avec l’entreprise utilisatrice et les entreprises extérieures.
7. Les résultats Si on considère l’ensemble de la période (avec maintenant plus de quinze ans de recul), l’apport du GIE est indéniable. Les résultats sécurité sont en amélioration constante. Ils sont acquis dans une transparence totale et le GIE est devenu un acteur à part entière des politiques Sécurité, Qualité, Environnement de l’ensemble des partenaires. Il a contribué à la création d’un groupe d’entreprises extérieures engagées dans une démarche d’amélioration continue et qui se donnent les moyens d’y parvenir. Pour ce faire ils se sont notamment dotés d’outils communs et des moyens de leur gestion à travers le GIE. On peut citer en particulier : la mutualisation de l’utilisation d’une nacelle louée à l’année, des détecteurs de gaz, des équipements de protection individuel évolués comme des masques à ventilation assistée. Ce cheminement vers une sécurité renforcée n’est pas toujours linéaire. Comme ailleurs, le GIE est parfois confronté à des difficultés liées à des défaillances humaines ou de systèmes, à des contraintes économiques. Comme ailleurs, des débats parfois animés ont pu avoir lieu quand une entreprise, plus performante en matière de sécurité, a été écartée au profit d’une autre, moins disante. Cependant, l’ensemble des partenaires sont depuis de nombreuses années persuadés que la performance économique ne peut être obtenue indépendamment de l’efficacité de la prévention des risques professionnels. Parmi les axes que nous souhaitons renforcer dans les années qui viennent, la priorité sera donnée au renforcement de la capacité d’analyse des opérateurs. Il s’agit de les amener à avoir un regard plus critique sur le travail qu’ils effectuent et à rechercher eux-mêmes les pistes d’amélioration. Pour ce faire, il faudra également améliorer la remontée des informations : il est très démobilisateur pour un opérateur de voir que les efforts qu’il fait ne sont pas pris en compte.
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Introduction 1
François Duchêne
Parmi les nombreuses questions qu’elle a soulevée, l’explosion de l’usine toulousaine AZF le 21 septembre 2001 a remis sur le devant de la scène la dangerosité potentielle de l’externalisation dans les entreprises classées à risque : l’exploitation du hangar détruit par l’explosion était externalisée, ce qui pose inévitablement la question de l’existence d’un lien de cause à effet, et treize des vingt-trois salariés qui ont trouvé la mort sur le site d’AZF étaient employés par des entreprises sous-traitantes. En effet, l’un des points sensibles de la sous-traitance et de l’intérim consiste à accueillir, dans des établissements classés Seveso, des salariés de passage, généralement peu imprégnés d’une culture professionnelle intégrant comme élément fondamental les dangers ambiants, et donc peu aguerris avec l’environnement global d’une usine dangereuse. L’élaboration de la loi Bachelot du 30 juillet 2003 a connu des rebondissements sur différents autres aspects dont elle traitait2. Mais les articles touchant à l’externalisation dans
1. Ce texte a fait l’objet d’une communication orale dans le colloque national « Risques industriels majeurs, Sciences humaines et sociales », organisé par le LERASS à Toulouse, les 6 et 7 décembre 2007. 2. En particulier sur les définitions et les finalités des plans de prévention des risques technologiques (PPRT) ou des comités locaux d’information et de concertation (CLIC). Voir Bonnaud et Martinais (2007).
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les sites classés Seveso-seuil haut1 sont restés relativement conformes à ceux esquissés par le projet de loi proposé par le ministre Vert d’alors, Yves Cochet, dès février 20022. De fait, il semble qu’il existe un consensus entre pouvoirs publics et industriels pour ne pas en remettre en cause le principe, « comme si sous-traiter ou délocaliser les risques plutôt que d’investir pour les maîtriser réellement constituaient les deux faces d’une même stratégie industrielle » (Thébaud-Mony, 2007 : 84). Au final, les dispositions prises encadrent un peu plus strictement l’intervention d’entreprises extérieures, étendent les droits de regard et d’action des comités d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) aux entreprises et aux personnels extérieurs et officialisent la mise en place de diverses formations à l’usage de leurs personnels. C’est à cette dernière disposition que nous souhaitons nous intéresser ici. Nous avons choisi d’observer l’organisation et le déroulement de sessions de « formation extérieure à la sécurité », qui constituent la pierre angulaire des dispositifs instaurés dans le chapitre III de la loi du 30 juillet 20033. En effet, dans les entreprises de la chimie, il existe une tension ancienne et quasiment structurelle entre sécurité et productivité. Et l’externalisation massive de toutes les composantes de la production a concentré cette tension plus encore sur les personnels externes, intérimaires ou sous-traitants. On se demandera donc, d’une part, comment sont conçues ces formations, d’autre part comment s’y exprime cette pression, et, enfin, en quoi le dispositif étudié tend à l’inverse à la contenir. L’enquête dont nous rendons compte ici s’est déroulée dans le principal organisme dispensateur de la région Rhône-Alpes, situé dans le couloir lyonnais de la chimie. Nous avons suivi principalement des sessions de niveau 1, celles où se croisaient, au moment de l’enquête4, tous les types de personnels extérieurs. Sept d’entre elles ont été observées, entre juillet 2004 et août 2005. L’organisme enquêté se présente comme « leader sur son marché », organisant au moment de l’enquête environ 70 % des formations de niveau 1 et 2, soit formant en moyenne 6 500 personnes par an. Nous verrons dans un premier temps que ce dispositif de formation a été forgé et est entièrement contrôlé par les industriels de la chimie. Nous nous intéresserons ensuite au dispositif didactique lui-même et aux réactions qu’il suscite de la part des stagiaires.
1. Articles 7 à 16, présentés dans le Chapitre III « Mesures relatives à la sécurité du personnel » de la loi du 30 juillet 2003. 2. Sénat – Projet de loi tendant à renforcer la maîtrise des risques technologiques, présenté, au nom de Lionel Jospin, par Yves Cochet – Annexe au PV de la séance du 19 février 2002. 3. Cet article constitue la synthèse d’une partie d’un rapport de recherche commandé par le ministère de l’Écologie et du Développement durable (Duchêne, 2007). 4. Le dispositif a été réformé à la marge depuis.
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1. Un dispositif de formation forgé par les industriels Les « formations externes » ont un caractère général et sont dispensées par un organisme accrédité. Leur objectif consiste à sensibiliser les salariés extérieurs aux dangers que recèlent les industries chimiques et pétrolières. En réalité, le dispositif préexistait à la loi Bachelot et avait été éprouvé depuis plus d’une décennie.
1.1. La construction progressive d’un dispositif unifié de formation Dès la fin des années 1980, en effet, la Direction des risques professionnels de la Caisse nationale d’assurance maladie des travailleurs salariés (CNAMTS) avait interpellé les organisations professionnelles de la chimie sur un taux d’accident du travail nettement supérieur chez les sous-traitants1. Et elle avait fait des recommandations allant dans le sens d’une meilleure formation des salariés concernés. Le secteur professionnel avait réagi, et l’Union des industries chimiques (UIC) avait progressivement mis en place des formations dans les principaux bassins d’emplois concernés (le couloir lyonnais de la chimie, l’étang de Berre et l’estuaire de la Seine). Chaque UIC régionale travaillait dans son périmètre d’action, d’une part, aux contenus pédagogiques mêmes de ces formations et, d’autre part, à la reconnaissance d’organismes en capacité de les dispenser. Ces formations ont connu une première formalisation en 1992 dans l’Accord de branche sur la sécurité2. Toutefois, elles n’avaient pas encore le caractère obligatoire que leur donnera la loi de 2003. Le cadre défini était avant tout empirique, il s’appuyait largement sur les services locaux de sécurité des entreprises classées, restait volontaire et résultait des expérimentations en cours dans les trois principaux bassins d’emploi concernés : chaque UIC régionale avait constitué un contenu de formation équivalent sous la forme d’un guide pratique petit à petit transformé en cahier des charges, avait progressivement labellisé des organismes dispensateurs et défini des règles de recrutement des formateurs.
1. Il s’agissait là d’un constat touchant toute l’industrie, voir en particulier François (1991). Et encore, il faut noter que les déclarations d’accident du travail chez les sous-traitants sont elles-mêmes souvent sujettes à caution (voir par exemple Daubas-Letourneux et Thébaud-Mony (2001), ou Beau et Cartier (2006)). 2. Accord sur l’amélioration des conditions de travail, d’hygiène et de sécurité, signé le 20 mai 1992 par la CFDT, la CGC, la CFTC, FO, l’UIC et six autres syndicats patronaux.
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À partir de 1992, les UIC régionales ont structuré ce dispositif. Deux niveaux de formation ont été mis en place dans les différentes régions, le premier, d’une journée, pour tous les salariés extérieurs, et le second, d’une journée supplémentaire, concernant spécifiquement les responsables d’équipes. À l’issue de ces formations, les organismes délivraient une attestation permettant aux salariés extérieurs de pénétrer sur les sites. Progressivement, l’UIC a impulsé une coordination entre ses organismes régionaux pour que les attestations aient une portée nationale et non plus seulement régionale. De même, l’UIC a travaillé avec les chambres syndicales du pétrole pour étendre aux raffineries la validité des attestations. L’accord sécurité de branche négocié en 20021 après l’explosion d’AZF a légèrement durci le dispositif en le rendant obligatoire et en indiquant les contenus communs à ces formations2. En fin de compte, la loi Bachelot, dans ce domaine, n’a fait qu’institutionnaliser un dispositif déjà éprouvé et validé à deux reprises par les partenaires sociaux3.
1.2. La constitution d’un marché de formation par les chambres patronales Tout au long de ces années d’expérimentation, le dispositif de ces « formations extérieures » a été créé, harmonisé et constitué progressivement en marché par les seules chambres patronales de la chimie. Les UIC régionales en contrôlent toutes les phases. En amont, l’UIC constitue un cahier des charges indiquant les contenus attendus des formations et les modalités précises pour les dispenser. Les UIC régionales labellisent ensuite les organismes jugés aptes, pour une durée de trois ans. En Rhône-Alpes, par exemple, cet agrément est délivré par un binôme issu d’un groupe de travail de l’UIC, généralement constitué d’un responsable en activité des services de maintenance et d’un dirigeant d’entreprise retraité. De plus, les formateurs eux-mêmes sont cooptés par l’UIC. Sur proposition des organismes de formation, ils sont auditionnés par le même groupe de travail qui accorde ou refuse son aval à l’embauche. D’ailleurs, l’organisme enquêté se présente sur son site web 1. Accord complémentaire à l’accord du 20 mai 1992 sur l’amélioration des conditions de travail, d’hygiène et de sécurité, signé le 4 juillet 2002 par la CFDT, la CGC, la CFTC, FO, l’UIC et six autres syndicats patronaux. 2. À savoir : « 1/l’activité de l’entreprise et les risques généraux liés à l’interférence des activités ; 2/les moyens de prévention à mettre en œuvre ; 3/les procédures et consignes de sécurité ; 4/les protections individuelles et collectives ; 5/la qualité des travaux et leur préparation ; 6/la définition des responsabilités ; 7/une formation aux risques liés aux produits, aux procédés et aux équipements ». 3. À l’exception de la CGT, qui a participé aux négociations sur ces deux accords mais qui, au final, ne les a pas signés.
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comme émanant, depuis 1948, « d’un groupement local d’industriels de la chimie, pour répondre à un manque de main-d’œuvre qualifiée ». Il est lui-même très fortement liée à l’UIC et à l’une de ses émanations locales, la Maison Rhône-Alpes de la chimie. Lors de l’enquête, nous avons rencontré les responsables fédéraux des trois principales organisations syndicales, CGT, CFDT et FO, ayant participé aux négociations sur l’accord sécurité de 2002. Deux d’entre eux, CFDT et FO, l’avaient même signé. Or chacun a constaté qu’il n’avait aucune information précise sur les formations de niveau 1 et 2 pour les salariés extérieurs, ni sur leur contenu, ni sur leur mode d’organisation, reconnaissant que c’était là un champ d’action laissé entièrement aux seules chambres patronales. Annie Thébaud-Mony (2000) évoque l’envers du décor à propos des salariés extérieurs de l’industrie nucléaire. Force est de constater que c’est aussi un envers invisibilisé. Il nous a donc semblé intéressant d’observer de l’intérieur ce qui se jouait lors de ces sessions de formation.
2. Une formation sous pression La formation de niveau 1, dont nous rendrons compte ici, dure huit heures. Au moment de l’enquête, elle était dispensée à toutes les personnes intervenant dans des entreprises chimiques. L’objectif est, pour reprendre les termes d’un formateur, « de découvrir les produits chimiques, les dangers qu’ils recouvrent et la façon dont on peut s’en protéger ». Son contenu est particulièrement chargé1. Les apports théoriques sont doublés de petites manipulations pratiques et de visionnages de films courts. L’habilitation de niveau 1, à laquelle nous nous intéressons ici, est valide pendant trois ans et doit être renouvelée à l’issue de cette période. La fin de la journée est sanctionnée par un QCM2 auquel les stagiaires doivent répondre juste au minimum à quatorze questions sur les vingt posées. On est tout d’abord frappé par la densité de la journée, qui vaut surtout pour les contenus. Nous avons pu constater que le « trop plein » d’informations délivrées avait pour effet de mettre le formateur sous pression, et rendait difficile, faute de temps, l’instauration
1. Il aborde tout d’abord les principaux dangers rencontrés dans l’industrie chimique, puis la connaissance des étiquetages et des pictogrammes de reconnaissance des produits, le codage des transports de matière dangereuse, les caractéristiques d’inflammabilité (et le « triangle du feu »), les familles de produits chimiques, les produits corrosifs et leurs dangers, les modes de stockages et les incompatibilités, les fiches de sécurité et leur signification, et les modes de prévention contre les dangers de la chimie (en particulier la présentation des différents équipements individuels de protection). 2. Questionnaire à choix multiples.
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d’un espace de dialogue de même que l’appropriation des contenus par l’auditoire. Audelà, nous avons observé de nombreuses tensions sous-jacentes.
2.1. Mobilisation par la peur Pendant ces sessions, le public est souvent très hétérogène, de tous âges, de toutes professions et de tous statuts, à l’image des secteurs externalisés. Le formateur doit donc franchir un premier obstacle qui consiste à capter rapidement un auditoire pour le moins disparate. Un des modes de faire repéré consiste à mobiliser la peur. Plus précisément, les formateurs enquêtés recourent abondamment à des images morbides pour étayer leurs propos. Les accidents et les maladies professionnelles, la mort même, n’y sont que rarement euphémisés. Par exemple, un formateur dit, à propos du classement des entreprises pour lesquelles le stage est organisé : « Seveso. La dioxine. C’est une saloperie. Le Président ukrainien ne va pas le rester longtemps, vous verrez1 ». Lors d’une autre session, un autre formateur lance, pour aborder la classification des produits toxiques : « Intoxication, dans le langage courant, ça veut dire qu’on a mal au bide. Ici, ça veut dire qu’on est mort ». Un peu plus tard, le même en énonçant les consignes à respecter avec un blessé en attendant les secours : « Il faut couvrir le blessé… enfin sauf le visage, ça fait mauvais genre ». Le recours à des choses vues et vécues par les formateurs est récurrent. Un moment de la journée est particulièrement propice à cette dramatisation, lorsque les formateurs projettent des photos médicales permettant de visualiser sur des corps nus et dans des yeux les effets de brûlures chimiques sur la peau. Un formateur accentue volontairement l’effet morbide, en les projetant juste après le repas : « On est après manger, je baisse la lumière… » et il projette les photos. Dégoût dans la salle. Dans une autre session, le formateur précise qu’il s’agit de brûlures au phénol. Il termine son commentaire en disant que l’une des personnes photographiées n’a pas survécu. On peut douter de la véracité de certaines anecdotes mobilisées. Mais ce qui frappe avant tout, c’est le recours fréquent et non euphémisé à des exemples et à des images chocs pour marquer les esprits, sans beaucoup d’explications sur les contextes dans lesquels sont survenus ces accidents et moins encore sur les suites judiciaires ni sur les recherches de responsabilités. Du coup s’instaure assez rapidement une tension perceptible dans l’auditoire. Et les formateurs les plus attentifs alternent dramatisation et mots 1. Allusion à l’empoisonnement dont aurait été victime le Président de la République ukrainien lors de sa campagne électorale en 2005.
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d’humour – souvent noir – pour permettre des respirations. Il s’agit bien de soutenir l’attention de populations très diverses, souvent peu familières des salles de formation1, et à qui il faut délivrer en peu de temps un message marquant sur les dangers existant dans les industries de la chimie.
2.2. Confusion entretenue entre sphères professionnelle et domestique Mais, alors que les responsables de l’UIC maîtres d’ouvrage de cette formation la situent sans ambiguïté dans le domaine industriel, l’observation révèle que tous les formateurs ont recours très fréquemment à des exemples mobilisés non plus seulement dans le milieu professionnel mais aussi beaucoup dans la sphère domestique. Par exemple, un formateur, à propos de la classification des produits : « Les produits à vaisselle, c’est corrosif. C’est pour ça qu’il faut laisser votre femme la faire. Moi, je me suis mal débrouillé, c’est moi qui la fait, mais faites ce que je dis, pas ce que je fais ». Dans une autre session, un autre formateur, expliquant le principe du « triangle du feu », demande à l’assistance : « Qui est bon en barbecue ? ». Un autre, toujours à propos des comburants : « L’oxygène est un bon produit pour démarrer un feu. C’est bien pour le barbecue ». On peut comprendre assez aisément l’intention pédagogique sous-tendue, qui se résumerait ainsi : les produits chimiques sont partout, nous avons une familiarité insoupçonnée avec eux. Dans la sphère domestique, nous prenons certaines précautions (quoi que) qu’il suffirait d’importer et de décupler en milieux industriels où ces produits sont en plus grand nombre et plus concentrés. Pour autant, ce recours systématique et récurrent entretient – volontairement ou non – une confusion et pour le moins une ambiguïté sur la dangerosité réelle de ce milieu professionnel particulier. Par exemple, dans une session, après que le formateur ait commenté les étiquettes de produits ménagers courants, un stagiaire dit : « On fait des formations pour ceux qui travaillent dans la chimie. Mais il faudrait faire ça aussi pour les agriculteurs, parce que eux, ce sont des tonnes qu’ils balancent dans la nature. Et comme ça, ils utiliseraient peut-être un peu moins de produits chimiques ». Puis il poursuit : « Mais même les femmes, à la maison. Nous tous, dans les maisons, on devrait faire cette formation, tellement on utilise de plus en plus de produits chimiques ». 1. Le côté scolaire du cadre comme de l’échange pédagogique (le centre de formation est situé dans un lycée, les pauses se déroulent dans la cours de récréation aux côtés des jeunes lycéens, certains formateurs portent une blouse blanche toute la journée, etc.) ravive souvent de mauvais souvenirs à des stagiaires ayant eu en majorité un parcours scolaire court.
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Et le formateur de conclure, en reprenant la main : « Moi, je pense que cette formation, on devrait la faire à l’école », sous-entendant par là qu’il s’agit de culture générale et non d’une culture professionnelle particulière. De même au cours de l’enquête, un salarié sous-traitant qui avait suivi le recyclage de la session 1 quelques mois auparavant, nous disait avoir trouvé cette journée « un peu longuette, mais nécessaire ». Puis il poursuivit spontanément en disant : « Il ne faut pas mettre de l’eau de Javel à portée des enfants, tout ça », révélant ainsi la (principale) dimension domestique de ce qu’il avait retenu. Au final, cette confusion, entretenue à souhait en particulier dans la formation de niveau 1 – la seule suivie par les opérateurs – tend à brouiller un message destiné à s’appliquer dans le champ professionnel et à « banaliser » le milieu industriel de la chimie. Et il nous semble que mobiliser si fortement la peur et l’émotion, rapprocher ainsi les sphères domestique et professionnelle, c’est surtout risquer d’occulter dans la seconde de ce qui s’exerce en terme de hiérarchies sociales, de droits et devoirs liés au contrat de travail et de responsabilités des employeurs fixées par un cadre législatif.
3. Tensions autour des contradictions existant entre rentabilité et sécurité Le contenu chargé de la formation impose un rythme intense qui ne favorise pas nécessairement les échanges longs entre formateurs et stagiaires. Pour autant, la petite taille du groupe aidant, les langues des stagiaires viennent généralement à se délier. Et il n’est pas rare de voir s’exprimer des tensions autour des réelles possibilités d’appliquer toutes les règles de sécurité ainsi édictées. Il est intéressant de noter comment les stagiaires réagissent et parfois ramènent leurs formateurs aux réalités professionnelles qu’ils vivent.
3.1. La course au temps L’un des points de litige concerne tout d’abord l’administration de la sous-traitance. Pour pénétrer sur un site classé Seveso seuil haut, les entreprises extérieures doivent se soumettre à de nombreuses procédures et être à jour de toutes leurs habilitations, avant de débuter leur travail. Cela se traduit par une file d’attente quasiment permanente à l’accueil de l’établissement principal. Spontanément, les formateurs insistent beaucoup sur la durée des procédures réservées aux entreprises extérieures et la présentent comme nécessaire pour la sécurité. 279
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Un formateur prévient, par exemple, que certains permis de feu1 ne sont plus délivrés pour l’après-midi, parce que les équipes de pompiers sont beaucoup moins nombreuses à partir de 18 heures. Dans une autre session, le formateur indique : « C’est fini le temps où on arrêtait la production pendant l’entretien. Vous allez intervenir sur des tuyauteries en charge, donc attention. (…) Dans les sites chimiques, si vous ne respectez pas les procédures et les règles de sécurité, votre entreprise sera sanctionnée s’il y a accident. Le manque de temps, c’est une excuse bidon, parce qu’en cas d’accident, il y a perte de beaucoup plus de temps ». Le message, martelé assez régulièrement, tourne autour de la nécessité d’intégrer dans les contraintes de travail le temps des procédures mises en place pour les entreprises sous-traitantes. Tenter de les contourner pourrait même mettre en cause la responsabilité personnelle de leurs salariés. Côté stagiaires, on note assez souvent des interventions exprimant l’écart qu’il peut exister entre ce qui est présenté dans la formation – une forte exigence de sécurité et une demande d’attention aux procédures – et la réalité de ce qu’ils vivent – en particulier la course au temps, conséquence directe des gains de productivité recherchés avec l’externalisation. Certains stagiaires rappellent parfois les formateurs à la réalité de leurs pratiques professionnelles. Par exemple, à propos des autorisations qu’il faut obtenir avant de commencer à travailler, un stagiaire dit : « Mais après, si le boulot n’est pas fait, on est responsable, c’est un problème ! ». Dans une autre session, à propos des règles de travail en hauteur, un stagiaire : « Mais s’il faut respecter tout ça, moi, je fais rien de ma journée ! ». Réponse du formateur : « Tu travailles comme tu veux. Maintenant, tu sais ce qu’il faut faire, donc c’est encore pire ». Dans une autre session, le formateur dénonce le fait que l’outillage portatif est souvent rafistolé avec un bout de scotch. Un stagiaire : « Mais on se fait virer si on arrête de bosser à cause d’une petite panne de rien ! ». Pendant une pause, un autre stagiaire un peu excédé, nous glisse : « Les habilitations et tout ça, c’est aussi pour faire du fric ».
1. Autorisations délivrées par le service sécurité de l’entreprise principale pour des travaux présentant de forts risques d’incendie.
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3.2. Les pauses ou le retour à la vraie vie C’est généralement pendant les pauses, et plus particulièrement pendant le repas, que les langues des stagiaires se délient sur ces thèmes. D’une façon générale, les discussions du midi tournent assez facilement autour des délocalisations industrielles, des licenciements et de la situation de l’emploi, en particulier dans le couloir de la chimie où plusieurs entreprises faisaient l’objet de plans sociaux aux différents moments de l’enquête. Fréquemment, les stagiaires reviennent aussi sur des incidents ou accidents dont ils ont été témoins ou victimes. Mais souvent, il est question des contradictions qu’ils subissent, entre exigences de sécurité et contraintes de temps pour réaliser leur travail1. Nous présentons ici quelques extraits de notes prises lors de repas : « Quatre stagiaires mangent côte à côte. Ils travaillent dans la même entreprise d’informatique, sous-traitante d’un grand groupe chimique. Le secteur informatique (réparation et gestion quotidienne) en a été externalisé depuis longtemps. Jusqu’à récemment, plusieurs concurrents occupaient ce même marché, mais maintenant leur entreprise est seule. L’un des stagiaires : « Les techniciens de maintenance sont cinq, pour un parc de 2 500 machines. Avant, ils étaient plus nombreux ». Un autre stagiaire est chef d’équipe. Il plaisante avec le plus jeune en lui faisant croire que la semaine d’après, il allait le déplacer dans l’une des usines locales du groupe, à l’ambiance réputée plus tendue que celle dans laquelle il travaille actuellement. Les autres rigolent. Ils parlent beaucoup d’un de leur chef qui « met la pression » et qui menace ceux qui partiraient avant la fin de leur période d’essai de casser leur réputation auprès des concurrents. Les propos échangés sur un ton amusé parlent pourtant d’une situation de travail dégradée ». « Pendant un autre repas, un stagiaire, chef de chantier en bâtiment, parle des contraintes qu’il découvre et qui lui font peur. C’est un chantier compliqué qui l’attend quelques jours plus tard, et le temps est limité : « En plus, je m’aperçois qu’on n’a pas le droit d’avoir de téléphone portable [sur les sites Seveso], ça veut dire qu’il faut tout anticiper. C’est la merde ! ». Je lui demande comment il s’organisait avant que n’existent les portables. Il répond : « On avait une cabane de chantier avec un téléphone et un fax. On n’a plus tout ça maintenant… Il ne va pas falloir se planter ! » ». « Un stagiaire explique qu’il est monteur de pompes et de systèmes automatiques. Il est amené à travailler sur différents sites. Il regrette d’être souvent obligé de travailler « sous pression » parce qu’il faut faire repartir l’installation le plus rapidement possible. L’un de ses voisins : « Ce qu’on entend dans le stage depuis ce matin, c’est la théorie.
1. En ce sens, malgré leur position difficile face à des situations insécurisantes et individualisantes, ils révèlent aussi ne pas être totalement dépossédés de toute référence à un héritage ouvrier, comme le constate P. Kergoat dans son enquête sur l’apprentissage (2006).
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Mais la pratique, c’est la rentabilité ». Le premier acquiesce et donne l’exemple d’un chantier sur lequel il se trouvait quelque temps auparavant, dans une entreprise classée Seveso des environs de Lyon. Quatre colonnes étaient stoppées, et les systèmes automatiques n’étaient pas encore rebranchés quand on les a obligés à remettre en route la première. Le bas de colonne n’a pas résisté à la pression, et deux opérateurs ont été blessés. L’un d’eux faisait sa première journée de travail : « À la suite de cela, une entreprise d’électricité est partie en refusant de terminer son chantier. Remarque, on a été tranquille pendant quatre mois pour finir, après, parce que la DRIRE leur a interdit de redémarrer ». « Autre repas. L’un des stagiaires est responsable d’une équipe qui fournit et conduit des élévateurs. Il a passé toutes les pauses du matin au téléphone à tenter de régler à distance un problème de chariot mal adapté. À table, il évoque toutes les réglementations qui s’accumulent, venant en plus d’un travail déjà lourd à effectuer : « Tout ça, c’est depuis AZF ». Tout le monde autour acquiesce. Silence. Puis un autre stagiaire : « Et Feyzin, l’explosion, c’était quand ? ». La discussion repart immédiatement sur les catastrophes : l’incendie du port Edouard Herriot, Malpasset, etc. Un stagiaire se lance dans les comparaisons entre les dégâts consécutifs à un incendie et à une inondation. La discussion reste sur le thème des catastrophes, petites et grandes, pendant près de dix minutes ». « Lors d’une autre session, un stagiaire tuyauteur en intérim d’une cinquantaine d’années tient, pendant le repas, un discours très virulent contre l’industrie chimique. Il compare avec le nucléaire, industrie dans laquelle il a aussi travaillé : « D’abord, le nucléaire, c’est national et ça permet qu’il y ait moins de pression sur la rentabilité ». Il raconte ensuite avoir été appelé par une entreprise d’intérim qui avait un marché de tuyauterie sur un site chimique et qui n’avait aucun tuyauteur : « Ça n’aurait jamais pu arriver dans le nucléaire, les boîtes doivent avoir des qualifications supérieures ». Il poursuit la comparaison sur les remises en service des installations : « Dans le nucléaire, ils vérifient les tuyaux avant de remettre en route. Dans la chimie, ils ne prennent pas toujours ce temps-là ». Il parle ensuite d’une quantité grandissante de PME de la chimie, et des écarts importants entre ce qu’il a entendu toute la matinée dans la formation et ce qu’il vit sur les chantiers. Interpellant le formateur, il dit : « Tout ce que vous nous dites, c’est bien, c’est important, mais on n’a pas les moyens de le faire appliquer. Quand le chef de chantier dit qu’il faut avancer comme ça, si tu lui parles des règles et que tu l’embêtes, le lendemain, sans explication particulière, ta mission d’intérim n’est pas renouvelée ». Le temps du repas constitue à nos yeux un moment significatif pendant lequel les stagiaires tendent à relire ce qui leur a été présenté le matin au prisme de leurs propres pratiques professionnelles. Comme nous l’avons déjà observé dans d’autres contextes 282
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liés au danger1, les stagiaires, laissant libre cours à leurs propos, viennent enraciner leur propre expérience du risque dans une histoire professionnelle et personnelle, un contexte économique et social bien plus larges que celui qui leur est présenté en cours ou par les gestionnaires locaux du risque. Pour autant, quasiment rien de ce qui est échangé dans ce cadre plus informel n’est remobilisé dans la suite de la formation. Au contraire, serions-nous tenté d’écrire, ce temps du repas met en général le formateur à rude épreuve car ce dernier est souvent sommé de répondre et n’a plus à ce moment le cadre de l’inégal échange pédagogique pour reprendre pied2. De fait, on constate dans ce temps laissé plus libre que l’injonction de sécurité, principal message de ces formations, ne résiste pas très longtemps à l’épreuve des pratiques professionnelles de nombre de ces personnels externalisés.
3.3. Divers registres de réponse des formateurs Toutefois, les formateurs aguerris à cette pression ne restent pas muets face à elle. Nous avons pu noter lors des sessions en salle divers registres de réponses. Le premier, le plus couramment utilisé, consiste à retarder la venue de ces contradictions. Un formateur, par exemple, en démarrant la journée, présente les horaires et les séquençages, puis dit : « On va essayer de finir en avance, mais ça dépend de vous. Parfois, je vais contenir vos questions, mais c’est pour qu’on finisse à l’heure ». Une autre façon de faire, assez proche de la précédente, consiste à manier l’ambiguïté dans la réponse. Par exemple, un formateur insiste sur la spécificité de la sécurité sur les sites chimiques et nourrit son propos d’un exemple : « Si vous vous faites une coupure au doigt, vous ne vous soignez pas vous-même, vous devez aller à l’infirmerie. Parce qu’il y a des risques de pollution, et puis parce que ça laisse une trace pour sauvegarder vos droits. Ce que je viens de vous dire, c’est l’aspect positif, mais n’y a-t-il pas aussi du négatif ? ». Pas de réponse. Il poursuit : « Le négatif, c’est que sur certains sites, si vous êtes trop souvent à l’infirmerie, on vous le fait savoir… ». Un stagiaire (cadre d’une PME), un peu agacé : « Alors c’est quoi, la procédure ? On va à l’infirmerie ou on n’y va pas ? ». Le formateur : « Ben, écoutez ce que je vous dit ». Le même stagiaire : « Je vous écoute, je note, mais… ». Le formateur : « Mais
1. Voir en particulier Duchêne, Morel Journel et al. (2004). 2. Lors de l’enquête, nous avons vu plusieurs formateurs déserter ce temps de midi, prétextant une course à faire ou simplement la nécessité de faire une coupure. « Ça fait trop », nous disait l’un d’eux. 283
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vous écoutez ce que les autres disent ; (avec le sourire) écoutez ce que je vous dis ». Et il reprend, de façon aussi ambiguë : « Sur tous les sites, on va vous dire d’aller à l’infirmerie. Et on va vous dire après s’il faut y aller accompagné ou non ». La procédure, dans sa version la plus stricte, aura été dite, mais auront aussi été évoqués les risques de l’appliquer trop scrupuleusement, charge aux stagiaires d’entendre ce qu’ils peuvent et au final de trancher, seuls. Cet exemple n’est pas sans rappeler, toutes choses égales par ailleurs, la double contrainte à laquelle sont soumis les surveillants de prison lors de leur formation professionnelle, appelés à trancher seuls eux-aussi entre la nécessité d’imposer l’ordre en détention et celle de le négocier avec les détenus (Malochet, 2004). Il arrive aussi que des formateurs fournissent des « trucs » pour que leur auditoire fasse respecter ses droits en matière de sécurité. L’échange suivant nous semble assez représentatif de ce bricolage rhétorique permanent pour contenir au mieux les contradictions s’exprimant entre sécurité et rentabilité : À propos du port de masques à cartouches en atmosphère dangereuse, un stagiaire intérimaire intervient : « Ça veut dire que, si on nous demande d’aller dans un milieu dangereux avec un petit masque, on dit non ! ». Le formateur lui répond : « Ne dis jamais non ! Demande plutôt quelle est la durée de la cartouche, quelle est la concentration dans l’atmosphère, etc. Il verra que tu maîtrises et il reculera. D’une façon générale, évitez d’aller au bugne à bugne1 ! ». Ce même formateur propose un peu plus tard de contourner un différend frontal entre sécurité et production : « À ton chef, tu peux lui dire : « Si moi, je fais ce que tu me demandes de faire, on va me voir et je me fais virer. Mais en plus, l’entreprise va se faire ficher ». Voilà, si tu expliques ça, c’est bon ! ». La discussion continue et le formateur a du mal à reprendre la main. Finalement, pour couper court aux discussions et reprendre le fil de la formation, il déclare : « Il vaut mieux être un chômeur vivant qu’un salarié mort ! ». Un stagiaire : « C’est vrai ! », un autre : « Bonne politique ! ». Et l’intervention continue. À propos du Plan de prévention2, un formateur indique de façon erratique qu’« il est signé par vos patrons et par vos représentants », mais sans préciser davantage de quels représentants il s’agit. Quelques informations sont parfois délivrées à propos du droit
1. Le bugne-à-bugne, en argot lyonnais, voulant dire la confrontation en tête à tête. 2. Lorsqu’une entreprise extérieure est sollicitée, une inspection préalable doit être réalisée en présence des chefs d’établissements de l’entreprise extérieure et de l’entreprise utilisatrice ainsi que des CHSCT des deux établissements, afin d’examiner conjointement les risques professionnels encourus lors de l’opération. Lorsque cette inspection fait apparaître des risques professionnels, ou si l’opération représente une durée supérieure ou égale à 400 heures ou bien encore si l’opération envisagée figure sur la liste des travaux reconnus dangereux, les entreprises utilisatrice et extérieure doivent établir un plan de prévention, à soumettre pour avis au CHSCT.
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de retrait1, « dont il ne faut pas abuser » ajoute le formateur. Mais globalement, nous avons pu constater que le registre du droit et du recours au Code du travail est très peu mobilisé par les formateurs.
Conclusion De ces observations, nous souhaitons retenir principalement trois points. On relèvera tout d’abord que, dans aucune session de niveau 1 étudiée n’ont été mentionnés, l’existence et le rôle du comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) – dont pourtant l’une des missions est de veiller à la bonne organisation de la sous-traitance pour les salariés concernés, et encore moins celle des organisations syndicales – pourtant potentiellement mobilisables en cas de désaccord sur les questions de sécurité. La sécurité n’est présentée que comme une injonction s’imposant du haut vers le bas, et à aucun moment comme une co-production résultant aussi de rapports de force entre les salariés et leurs employeurs. Ensuite, il nous a semblé que les contenus comme le dispositif de ces formations se ressentent d’une certaine domination des industriels dans leur prise en charge. En d’autres termes, il semble que le pari implicite consisterait à occulter au mieux la double injonction contradictoire de rentabilité et de sécurité qui pèse sur les salariés externalisés. Et, lors de ces sessions, les formateurs nous ont souvent semblés pris dans un périlleux exercice consistant à devoir en permanence contenir le réel des conditions de travail de leurs interlocuteurs. Enfin, on peut du coup s’interroger sur la finalité réelle de ces sessions. À plusieurs reprises nous avons entendu, chez les stagiaires, une rhétorique du soupçon autour de formalités et d’une formation alibis2. Car si le talent de pédagogue des formateurs ne fait pas de doute, on peut par contre s’interroger sur la réelle visée didactique des contenus, davantage à même de dédouaner les industriels de leurs responsabilités sur les personnels désormais considérés comme formés que d’apporter les fondements d’une véritable culture professionnelle de la sécurité, ancrée dans leurs pratiques et réellement appropriable par eux.
1. Droit pour le salarié d’arrêter le travail lorsqu’il se trouve dans une situation dont il a un motif raisonnable de penser qu’elle présente un danger grave et imminent pour sa vie ou pour sa santé. 2. Mathilde Bourrier a relevé des propos du même ordre lors de son enquête sur la maintenance (en soustraitance) dans des centrales nucléaires nord-américaines et françaises (Bourrier, 1999).
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LA SOUS-TRAITANCE INTERNE
Bibliographie Beaud S., Cartier M. (2006). De la précarisation de l’emploi à la précarisation du travail. La nouvelle condition salariale, in S. Beaud, J. Confavreux, J. Lindgaard (dir.), La France invisible, La Découverte, pp. 561-573. Bonnaud L., Martinais E. (2007). Écrire la loi. Socio-genèse de la loi Bachelot du 30 juillet 2003, Rapport pour le ministère de l’Écologie et du développement durable, programme Risque décision territoire, 109 p. Bourrier M. (1999). Le nucléaire à l’épreuve de l’organisation, PUF, collection Le travail humain, 294 p. Daubas-Letourneux V., Thébaud-Mony A. (2001). Les angles morts de la connaissance des accidents du travail. Travail et Emploi, Octobre 2001, 88, pp. 25-42. Duchêne F. (dir.) et Morel Journel C. (dir.), Coanus T., Martinais E. (2004). De la culture du risque. Paroles riveraines à propos de deux cours d’eau périurbains, Éditions de l’Aube, collection Recherche, Société et territoire, 170 p. Duchêne F. (2007). Externalisation du travail et sous-traitance des risques dans les établissements classés Seveso. Enquête sur l’isolement des personnels externes dans le couloir lyonnais de la chimie, Rapport pour le ministère de l’Ecologie et du développement durable, programme Risque décision territoire, 84 p. Francois M. (1991). Le travail temporaire en milieu industriel. Incidences sur les conditions de travail et la santé des travailleurs. Le travail humain, Tome 54, 1, pp. 21-41. Kergoat P. (2006). De l’indocilité au travail d’une fraction des jeunesses populaires. Les apprentis et la culture ouvrière. Sociologie du travail, 48, pp. 545-560. Malochet G. (2004). À l’école de la détention : quelques aspects de la socialisation professionnelle des surveillants de prison. Sociologie du travail, 46, pp. 168-186. Thebaud-Mony A. (2000). L’industrie nucléaire. Sous-traitance et servitude, Éditions de l’INSERM et EDK, 272 p. Thebaud-Mony A. (2007). Travailler peut nuire gravement à votre santé, La Découverte, 290 p.
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Hervé Bernard L’INRS a sollicité ma contribution à l’avis d’experts qu’il conduit sur les questions de « sous-traitance interne » et ce notamment au vu des éléments de notre bilan de maîtrise des risques 2005, relatifs à la santé et à la sécurité des salariés d’entreprises extérieures intervenants sur nos sites. En guise de préambule, je tiens à souligner que, pour ma part, je réfute catégoriquement l’usage de la terminologie retenue par l’INRS pour définir le champ de son avis d’expert. La seule notion de sous-traitance interne que nous acceptons au CEA est celle qui consiste pour une unité du CEA à faire appel, dans le cadre d’une opération concertée, aux compétences d’une autre unité de l’organisme. Cette notion de « soustraitance interne » ne saurait qualifier l’ensemble des situations à l’occasion desquelles des entreprises extérieures interviennent sur les sites du CEA. Il ne s’agit pas là d’une simple question de vocabulaire ; la terminologie utilisée témoigne de la nature des relations qui s’instaurent entre l’entreprise extérieure et le CEA, entreprise utilisatrice. Ce ne sera donc pas de « sous-traitance interne » dont il sera ici question mais bien des conditions d’interventions, dans nos établissements, d’entreprises extérieures, sous contrat avec le CEA et de la politique globale que nous mettons en œuvre pour que ces interventions se déroulent dans les meilleures conditions de santé et de sécurité au travail. 289
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Sûreté et sécurité figurent au cœur des préoccupations du CEA. La nature même de nos activités a facilité le développement d’une véritable culture d’entreprise sur ces questions, auxquelles sont largement sensibilisées les quelque 15 000 personnes qui travaillent sur les neuf sites du CEA. Notre engagement à l’égard de la santé et de la sécurité au travail s’intègre à notre démarche globale de maîtrise des risques, au travers de politiques spécifiques d’amélioration continue qui se succèdent depuis 1987 sous forme de plans (un plan quinquennal, puis quatre plans triennaux), initiés au plus haut niveau de l’entreprise. Ces politiques s’articulent autour de trois exigences essentielles : le professionnalisme, la réactivité et la transparence. Le Pôle maîtrise des risques a été créé en 2003, notamment dans cette perspective de transparence ; véritable service d’appui aux pôles opérationnels, il permet, en interne, une meilleure intégration des compétences nécessaires à la mise en œuvre de la sécurité. Son organisation, en quatre directions fonctionnelles distinctes1, permet la séparation claire du soutien aux exploitants nucléaires, d’une part, et du contrôle d’autre part ; en outre, pareille séparation rend plus « lisibles » et facilite nos relations extérieures (notamment avec nos autorités de tutelle) puisqu’elle permet que ces relations soient réservées à l’une ou l’autre des directions, offrant ainsi à nos interlocuteurs un correspondant unique. Enfin, ce pôle assure la communication des objectifs et des résultats du CEA en matière de sécurité. Le bilan, largement diffusé, à l’issue du plan triennal 2003-2005 témoigne de cette volonté de transparence ; il présente nos résultats, notamment en matière de santé et de sécurité au travail, et concerne les salariés du CEA comme ceux des entreprises extérieures qui interviennent sur nos sites.
1. Le bilan du plan 2003-2005 Alors que les objectifs fixés en matière de taux de fréquence des accidents du travail (avec ou sans arrêt) pour les salariés du CEA ont été atteints, voire dépassés, au cours de la période, on note un coup d’arrêt à l’amélioration des résultats des entreprises extérieures intervenant dans nos établissements. En effet, sur cette période, on enregistre une progression de 5 % du nombre d’accidents avec arrêt dont ont été victimes
1. Direction centrale de la sécurité (DCS), Direction de la protection et de la sûreté nucléaire (DPSN), Direction juridique et du contentieux (DJC) et Inspection générale et nucléaire (IGN). Le conseiller médical du CEA est rattaché directement au Directeur du Pôle de maîtrise des risques.
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les salariés d’entreprises extérieures, tandis que nous nous étions fixé pour objectif d’obtenir une baisse significative, de 15 %, de ces mêmes accidents (tableau 13.1). Taux de fréquence des accidents avec arrêt
Résultats 2000-2002
Objectifs du plan triennal
Résultats 2003-2005
Accidents salariés CEA avec arrêt
5,1
4,6 (– 10 %)
4,67 (– 8 %)
Accidents salariés CEA sans arrêt
6,6
5,6 (– 15 %)
5,4 (– 19 %)
Accidents entreprises extérieures avec arrêt
14,1
12,4 (– 15 %)
15,4 (+ 5 %)
Tableau 13.1 Les accidents du travail au CEA, objectifs et résultats.
De fait, après une baisse régulière du taux de fréquence, comme du taux de gravité, des accidents de salariés d’entreprises extérieures, une augmentation très sensible est intervenue en 2004. Cette hausse, immédiatement constatée, nous a conduit à réagir rapidement et nous a permis d’obtenir, en 2005, une légère amélioration de nos résultats sans pour autant revenir aux taux de fréquence des années 2000 à 2002 (Figure 13.1). Aucun signe précurseur ne nous avait permis d’anticiper l’augmentation brutale du nombre d’accidents survenus en 2004 et nous n’avons pas pu dégager d’élément permettant d’expliquer clairement cette détérioration, observée de façon homogène sur tous nos sites. Ces résultats, aussi peu satisfaisants soient-ils, situent néanmoins les taux de fréquence à des valeurs très inférieures à celles enregistrées au niveau national. Ainsi, le taux d’accidents du travail avec arrêt est, sur la période 2003-2005, inférieur de près de moitié à celui du Comité technique national « Activités de services » auquel le CEA est rattaché. Quand on considère l’ensemble des travailleurs intervenant dans les installations du CEA (employés directement par le CEA ou par les entreprises extérieures), ce taux de fréquence, sur la même période de référence, est égal à moins du tiers de la valeur enregistrée pour l’ensemble des Comités techniques nationaux. En outre, même si sur la période de référence, le taux de gravité des accidents du travail des salariés des entreprises extérieures s’est légèrement dégradé entre 2003 et 2005, la figure 13.1 montre que ce taux reste significativement inférieur à ce qu’il était lors des années précédentes. 291
LA SOUS-TRAITANCE INTERNE
Figure 13.1 Évolution des accidents avec arrêt – Entreprises extérieures.
Les analyses auxquelles nous avons procédé ont montré que l’augmentation du nombre d’accidents dont ont été victimes les salariés d’entreprises extérieures n’était pas liée à l’ouverture concomitante des grands chantiers d’assainissement nucléaire que nous avons entrepris, pas plus qu’elle ne résultait d’un recours massif à de nouveaux prestataires. Cette dégradation n’est de plus pas liée à une évolution dans la politique du CEA vis-à-vis des entreprises extérieures La plupart des accidents sont survenus dans des entreprises auxquelles le CEA a régulièrement recours et qui effectuent des prestations classiques en matière de VRD (voirie et réseaux divers) ou de restauration, sur nos différents sites. Nous ne contestons pas cependant le fait que, pendant la période considérée, il y ait également eu une augmentation du taux de fréquence d’accidents survenus à l’occasion d’autres types d’activités, plus directement liées à l’activité de recherche du CEA, mais cette augmentation est plus faible que celle enregistrée globalement. Ce double constat rend ainsi particulièrement difficile toute comparaison des résultats obtenus concernant les salariés du CEA et ceux d’entreprises extérieures. Le fait que cette dégradation en matière d’accidents du travail soit plus directement liée aux activités d’appui qu’aux activités de recherche elles-mêmes est corroboré par les résultats beaucoup plus satisfaisants obtenus en matière de radioprotection sur la période de référence. En effet, les figures 13.2 et 13.3 montrent que la dose individuelle moyenne annuelle des salariés du CEA ou des entreprises extérieures n’a pas beaucoup évolué sur la période (avec même une diminution significative pour les travailleurs des entreprises extérieures pour l’année 2005 par rapport aux trois années précédentes).
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Figure 13.2 Résultats de la dosimétrie opérationnelle pour les salariés du CEA.
Figure 13.3 Résultats de la dosimétrie opérationnelle pour les salariés d’entreprises extérieures.
La dose collective plus élevée pour les travailleurs des entreprises extérieures est due au plus grand nombre d’interventions, ce qui peut être corrélé au nombre de badges d’accès attribués (6 780 en 2005 contre 4 800 pour les salariés du CEA). En matière de radioprotection, il est donc légitime de parler d’une politique d’équité entre les salariés de l’entreprise utilisatrice et ceux des entreprises extérieures. La dose maximale reçue par un travailleur d’entreprise extérieure (7,8 mSv) n’est pas non plus très différente de celle reçue par un salarié du CEA (6,05 mSv) et reste très inférieure à la limite réglementaire annuelle de 20 mSv.
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LA SOUS-TRAITANCE INTERNE
2. Les actions d’amélioration et le plan 2006-2008 Au-delà des données chiffrées et de l’analyse des causes réelles de la situation, il importait dès 2005 – et au vu du constat de la détérioration des résultats des entreprises extérieures – d’engager les actions qui permettraient d’améliorer la situation. Des audits d’organisation de la sécurité ont été menés, à différents niveaux ; les actions de sensibilisation des salariés ont été renforcées ; des actions particulières ont été menées, à l’égard des services d’achat, par exemple, pour rappeler la nécessaire intégration des exigences de sécurité le plus en amont possible (dans les cahiers des charges et les contrats) ; enfin, à l’égard des entreprises extérieures, nos efforts ont porté sur une meilleure communication de nos attentes en matière de santé et de sécurité, et ont été accompagnés d’un « recadrage » des entreprises affichant les plus mauvais résultats. Dans tous les cas, les actions que nous menons doivent satisfaire une double exigence, à nos yeux essentielle, en matière de santé et de sécurité : mobiliser tous les acteurs pour une amélioration des résultats et éviter, dans le même temps, que les données chiffrées n’acquièrent une importance et une signification qu’elles n’ont pas. En effet, pour pertinents que soient ces indicateurs, et pour utile que soit leur suivi, la sécurité au travail ne saurait y être résumée ou réduite. En ce sens, il importe de ne pas ériger un chiffre en objectif à atteindre, au risque de favoriser la sous-déclaration des accidents ou incidents. À cet égard, notre culture d’entreprise, acquise notamment en matière de sûreté nucléaire, favorise cette approche « distanciée » à l’égard des données chiffrées et des déclarations puisque nous sommes habitués à déclarer tout incident, toute anomalie et même tout écart sans conséquence qui interviendrait au cours de l’exploitation. Cette transparence totale dans la gestion de notre outil industriel vis-à-vis des autorités de sûreté est également la règle dans notre politique de prévention et de déclaration des accidents du travail et des maladies professionnelles. À l’évidence, nos efforts ont produit leurs effets dès 2005 et leur efficacité s’est traduite, en 2006, par une amélioration très sensible des résultats, tant en ce qui concerne les accidents de travail avec arrêt des entreprises extérieures pour lesquelles le taux de fréquence est descendu à 12,3 que ceux des salariés CEA, descendu à 4,2. Il importe désormais de poursuivre nos actions afin de confirmer cette tendance et le plan triennal établi pour 2006-2008 traduit cette ambition. Bien sûr, cela suppose que nos efforts puissent être maintenus à un haut niveau, ce qui, eu égard au fort ancrage de la sûreté et de la sécurité dans notre culture d’entreprise, paraît réalisable. 294
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Les objectifs de notre nouveau plan triennal fixent à 5 % la baisse attendue du taux de fréquence des accidents survenus à des salariés d’entreprises extérieures. Cet objectif peut paraître modeste comparé à celui (de -15 %) que nous nous étions fixé dans le plan 2003-2005 ; il résulte des enseignements que nous avons pu tirer de l’expérience – enseignements qui nous invitent à la prudence et au réalisme – et non de quelconques doutes quant à notre capacité à agir. Au demeurant, là encore, il ne me paraît pas intéressant de s’attacher uniquement à une donnée chiffrée ; l’important réside dans la dynamique d’amélioration que nous avons pu initier au bénéfice de la santé et de la sécurité des salariés des entreprises extérieures. Nous suivrons bien sûr avec attention la progression des indicateurs et, comme nous l’avons fait à l’occasion du bilan de notre plan précédent, nous communiquerons largement sur les résultats que nous obtiendrons. Pourtant, ce ne sont pas ces chiffres et eux seuls qui conditionneront nos relations, notamment commerciales, avec les entreprises extérieures et nous serons attentifs à la maîtrise des risques professionnels sans évaluer les résultats à l’aune unique du nombre de déclarations d’accidents.
Bibliographie Commissariat à l’énergie atomique – Bilan maîtrise des risques 2005, juin 2006, 64 p. http://www.cea.fr/var/cea/storage/static/fr/surete/Bilan2005/bilan-maitrise-risques-2005.pdf
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La politique hygiène et sécurité d’une PME de mécanique industrielle
1. Présentation de l’entreprise — Son domaine d’activité Gérard Agut Alain Colman La société SOGEM exerce une activité de chaudronnerie, tuyauterie et plus généralement de maintenance industrielle. À partir d’une activité initiale de fabrication de chaudières à fluide thermique commencée au début des années 1980, l’entreprise a été amenée à répondre à la demande de ses clients et à développer sa fourniture de prestations sur les sites de ses donneurs d’ordre. Aujourd’hui, pour un effectif total d’environ 55 personnes, seulement une quinzaine sont employées à des activités de chaudronnerie dans les propres ateliers de la SOGEM, les autres étant basées pour l’essentiel de leur temps sur les sites industriels des clients. Les activités de ces dernières s’exercent principalement dans les domaines suivants : – industrie agroalimentaire, – papeterie, – pharmacie, – métallurgie, 296
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– (pétro) chimie, – traitement des eaux. Le siège et l’atelier principal de la SOGEM sont situés à Bordères-sur-Echez (65), à proximité immédiate de Tarbes. Deux autres ateliers, l’un situé à Soulom (65) et l’autre à Abidos (64), complètent l’implantation régionale de l’entreprise. Plus de 90 % de son activité sont réalisés sur les régions Midi-Pyrénées et Aquitaine, notamment autour des bassins d’activité de Lacq, Lannemezan et Saint-Gaudens. Cette localisation géographique et la taille de l’entreprise, assez limitées toutes les deux, constituent à la fois un handicap et un atout. En effet, dans un contexte de récession tel que celui que connaît le tissu industriel des HautesPyrénées dans lequel l’entreprise a été créée et s’est développée, il est difficile pour une entreprise de se développer. Mais, dans le même temps, cette forte contrainte implique l’excellence, condition sine qua non de la survie de l’entreprise. Corrélativement, des circuits de décision courts et la forte réactivité d’une entreprise bien ancrée dans son territoire constituent des atouts importants à l’heure où la réactivité et une forte disponibilité sont des critères de plus en plus déterminants dans le choix de leurs prestataires par les entreprises utilisatrices. À ce titre, SOGEM considère que la grande disponibilité dont elle est capable de faire preuve au niveau d’interventions décidées (ou imposées par la réalité industrielle : accidents, pannes, etc.) est un atout important. Si la compétence reste le premier critère qui va guider le choix d’une entreprise utilisatrice, la disponibilité de l’entreprise extérieure constitue un également un élément d’appréciation important. Cette taille réduite et l’indépendance de l’entreprise par rapport aux grands groupes industriels spécialisés dans la maintenance sur sites ont aussi pour conséquence de la priver de l’accès à des activités telles que les interventions sur les sites de production d’électricité à partir du nucléaire de la région. En effet, le donneur d’ordre privilégie systématiquement la fourniture d’une prestation globale par une entreprise extérieure qui prendra la totalité d’un marché, quitte à en réattribuer des parties ensuite à des entreprises partenaires. Compte tenu du volume des travaux ainsi sous-traités, une entreprise comme la SOGEM n’atteint pas la taille critique qui lui permettrait de soumissionner à de tels lots, et son indépendance des grands groupes n’est pas un élément favorable pour accéder à la redistribution de ces marchés.
2. Une évolution dans les conditions d’exercice de la sous-traitance Le recours aux entreprises extérieures s’est développé considérablement et de façon continue au cours de ces vingt dernières années. Ce développement n’est pas seulement 297
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quantitatif : il est aussi qualitatif. En effet, de plus en plus souvent, l’entreprise extérieure est associée à la conception des installations dont elle se verra confier ensuite la réalisation (sauf pour les installations neuves ou pour des investissements très importants) : elle intervient en tant que conseil. Les entreprises utilisatrices ont souvent réduit la taille de leurs bureaux d’étude : ce n’est plus seulement la réalisation qui est confiée à l’extérieur, mais aussi une partie des prestations intellectuelles en amont. En outre, beaucoup de donneurs d’ordre n’ont plus en interne de réelles connaissances dans des activités telles que la chaudronnerie ou la tuyauterie dans lesquels SOGEM peut leur apporter une réelle expertise. Cette contribution à la conception des installations constitue évidemment un enrichissement de la tâche pour les entreprises extérieures. Pour autant on ne peut pas considérer que, dans les conditions économiques actuelles, cette prestation supplémentaire soit rémunérée à sa vraie valeur, d’autant que l’expérience prouve que les suggestions de la SOGEM sont très souvent prises en compte par l’entreprise utilisatrice, ce qui est un gage de leur pertinence et de leur utilité. Une part significative des marchés (environ la moitié) concerne l’entretien régulier de certaines installations que les donneurs d’ordre ont confié à la SOGEM et la tendance des entreprises utilisatrices à sous-traiter ce type va croissant. Si les entreprises gardent la maîtrise technique de leur production, elles ont délibérément confié des parts croissantes des activités comme la conception et l’entretien à des entreprises extérieures avec lesquelles les échanges techniques sont fréquents. On peut considérer que les entreprises extérieures, et en particulier la SOGEM, ont une autonomie croissante dans la réalisation de leurs prestations pour les entreprises utilisatrices : cette autonomie garantit d’ailleurs une meilleure qualité des réalisations. Pour autant, les difficultés inhérentes à la sous-traitance ne s’améliorent pas : les durées d’intervention sont toujours trop courtes et la contrainte temporelle reste toujours aussi forte. Ces temps d’intervention trop limités ont aussi pour effet que trop d’interventions d’entreprises différentes ont lieu simultanément avec pour premier effet de renforcer les risques liés aux interférences.
3. Le choix de la qualité — L’approche de la SOGEM Il convient tout d’abord de replacer le choix de l’investissement fort de la Sogem dans une politique qualité performante dans le contexte industriel et les évolutions qu’il a connues au cours de ces quarante dernières années. Jusqu’au milieu des années 1970, la logique de production était purement industrielle et l’industrie une affaire d’ingénieurs. Les coûts de production, et ceux de la maintenance en particulier auxquels on 298
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ne prêtait que peu d’attention avant la première crise du pétrole, sont devenus, dans un contexte de concurrence accrue puis de mondialisation des échanges, au même titre que l’énergie ou le coût de la main d’œuvre, des paramètres dont il convient de réduire la part dans le prix de revient final. Le responsable de production n’est plus seulement responsable de la technique : il doit intégrer la maîtrise des coûts à sa pratique professionnelle. Comme dans le même temps, le processus de production est devenu de plus en plus complexe et que les effectifs des entreprises ont diminué, il était inévitable que le recours à des entreprises extérieures augmente. Dans le même temps, la politique « hygiène et sécurité » des entreprises utilisatrices et les services sécurité ont été renforcés. Les résultats dans ce domaine (comme dans celui de l’environnement par exemple) ont été intégrés dans la détermination de la performance globale de l’entreprise. Dans l’ensemble, une démarche plus complète et plus analytique, intégrant mieux la sécurité à la conception des lieux et des équipements de travail et à la détermination des méthodes de travail, a été initiée. Alors qu’à l’origine, la politique hygiène et sécurité était le fruit d’une décision de Direction et était souvent imposée sans beaucoup de concertation, depuis quelques années, les entreprises y associent beaucoup plus systématiquement leur propre personnel et leurs partenaires industriels. Dans certains cas, un réel partenariat est mis en place. Dans ce contexte, il était inévitable que, pour garantir la pertinence, la bonne exécution et la traçabilité des prestations effectuées par les entreprises extérieures, les entreprises utilisatrices aient recours à des systèmes qualité. La SOGEM a donc décidé dès la fin des années 1990 d’adapter ses pratiques professionnelles à ce nouveau contexte. La première certification a été obtenue en 2000 et, depuis 2003, la SOGEM est titulaire des certifications ISO 9001, ISO 14 001 et OHSAS 18 001, en plus de l’habilitation délivrée par l’UIC (Union des industries chimiques). Cette démarche a correspondu à une politique volontariste en matière de démarche hygiène et sécurité et en particulier pour tout ce qui concerne la formation. La formation (obligatoire) du personnel au risque chimique (de niveau 1 et 2 selon le niveau de responsabilité des opérateurs) imposée pour les interventions sur les sites des entreprises de la chimie constituait la première étape, mais l’entreprise a souhaité aller plus loin. Elle dispose de ses propres formateurs secourisme au travail, PRAP (Prévention des risques liés à l’activité physique) et autorisation de conduite PEMP1 et chariot élévateur. Ce choix d’associer le maximum de salariés à la politique de sécurité de l’entreprise est dicté par un impératif, compte tenu de sa taille limitée et du nombre assez élevé d’entreprises et de sites sur lesquels ses salariés sont amenés à intervenir, la SOGEM n’avait pas d’autre choix que donner les moyens à ses employés d’être les acteurs de leur propre sécurité et de celle de leurs collègues. Elle a d’ailleurs pu bénéficier pour ce faire de l’aide financière de la caisse 1. Plates-formes élévatrices mobiles de personnes.
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régionale d’assurance maladie à travers des contrats d’objectifs qui ont permis l’acquisition d’un certain nombre d’équipements et une aide à la formation de formateurs PRAP. Cet effort de formation dans l’entreprise est d’autant plus nécessaire que, alors que le niveau technologique augmente sans arrêt, les connaissances qu’acquièrent les jeunes en milieu scolaire sont notablement insuffisantes : c’est à l’entreprise qui les embauche d’effectuer une grande partie du travail. Un jeune travailleur dont la formation technique laisse à désirer aura d’autant plus de difficultés à acquérir des méthodes de travail en sécurité. A contrario, un travailleur dont le niveau et la maîtrise du poste de travail ne sont pas suffisants pourra développer des conduites à risques. LA SOGEM a fait le pari qu’un niveau élevé de compétences en matière de santé et sécurité au travail (ainsi qu’en matière d’environnement) était non seulement une condition indispensable à la survie de l’entreprise, mais aussi un moyen d’améliorer ses performances économiques en termes de chiffre d’affaires et de profitabilité. L’expérience montre que ce pari a été réussi. Au bout de quelques années d’une politique active de prévention des risques professionnels, les résultats sont tangibles : les différents taux d’accidents de travail ont baissé et les cotisations aussi. Et c’est tous les jours que l’entreprise peut constater que performance économique et travail en sécurité vont de pair. Pour ne citer qu’un exemple, il est arrivé encore récemment que, sans que la sécurité des personnes et des biens ne soit à aucun moment sous-estimée, la SOGEM soit en mesure de proposer des prix inférieurs de 30 % à ceux de ses concurrents.
4. Politique Hygiène qualité sécurité environnement : la méthode de travail — L’appropriation par les travailleurs Le manuel qualité de la société est très restreint : il tient en un texte d’une page. Il est complété par une procédure générale de huit pages qui est utilisée pour les quatre référentiels de certification et d’habilitation. Quant aux procédures de travail (dont le nombre a également été volontairement limité), elles sont précises, connues de tous et respectées. Le personnel de l’entreprise est fortement associé à leur élaboration. Concrètement, chaque travailleur avant d’entreprendre une tâche, que ce soit dans les locaux de l’entreprise ou au cours d’une intervention, dispose d’un dossier de fabrication qui comprend au minimum une LOFC (Liste des opérations de fabrication et de contrôle) qui intègre évidemment les considérations de santé et sécurité au travail. Dans le cadre d’une intervention sur site, ce dossier de fabrication est complété d’un plan de prévention. Quelle que soit la taille et la durée du chantier et même si le 300
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donneur d’ordres ne l’impose pas, ce plan de prévention est rédigé. Les consignes sont précises : – si l’opérateur ne dispose pas d’un plan de prévention, il n’est pas autorisé à commencer son travail, – s’il ne comprend pas ce qui lui est demandé, il ne doit pas entreprendre le travail, – s’il ne se sent pas en sécurité, pour quelque raison que ce soit, il ne doit pas commencer son travail, ou il doit l’interrompre. Cette possibilité n’est pas purement théorique : elle a été mise en pratique à quelques reprises par des opérateurs. Ce fut en particulier le cas quand des opérateurs étaient supposés intervenir sur des installations insuffisamment nettoyées, alors que, compte tenu de ses secteurs d’intervention et des risques correspondants, la SOGEM fait de ce nettoyage préalable un élément du contrat passé avec le donneur d’ordres. On peut regretter, mais c’est heureusement rare, un certain manque de transparence de la part de certaines entreprises utilisatrices. Pour revenir à l’arrêt de chantiers dont les opérateurs considéraient qu’ils n’offraient pas toutes les garanties de sécurité souhaitables, il faut indiquer que cela n’a jamais entraîné de réactions négatives chez les donneurs d’ordre, bien au contraire. Il est vrai cependant que certains « compliments » adressés à ces occasions par l’entreprise utilisatrice à la direction de la SOGEM ont parfois paru manquer de sincérité… Dans un cas même, un conflit a éclaté avec une entreprise utilisatrice à propos de demandes justifiées de la SOGEM en matière de sécurité au travail : le désaccord a été tranché en faveur de la SOGEM par le management de l’entreprise utilisatrice. Quoi qu’il en soit, l’entreprise n’a jamais eu à regretter cette politique volontariste et entend bien la poursuivre. Dans la logique d’une politique qualité conséquente, les LOFC comprennent également des fiches « anomalie » et « amélioration » que les opérateurs sont invités à utiliser dès que quelque chose leur semble valoir la peine d’être signalé. La direction de l’entreprise s’impose d’y apporter une réponse. Concrètement, depuis la mise en place du système, entre 60 et 70 fiches d’amélioration ont été renseignées qui ont entraîné des modifications des procédures ou des méthodes de travail dans une cinquantaine de cas environ. On voit donc une forte volonté de la direction de faire vivre le système. Pour ce faire, elle a mis en place une politique cohérente dont nous donnerons quelques exemples : – Le document unique d’évaluation des risques professionnels est un élément important de la politique de prévention. Cependant considéré sous le seul aspect administratif, il perd beaucoup de son intérêt, voire de sa pertinence. La SOGEM a décidé d’en faire un élément vivant, directement lié aux procédures mises en place dans l’entreprise : il est donc régulièrement mis à jour en fonction de l’évolution des pratiques professionnelles de l’entreprise. 301
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– Les six correspondants QHSE se réunissent quatre fois par an avec la direction. Il entre dans leur fonction de réaliser régulièrement des audits des travaux dont ils ont la charge et d’animer eux-mêmes des réunions de leurs équipes. Il leur est clairement indiqué par la direction que ces réunions ne doivent pas être de simples « causeries sécurité » mais être réellement ancrées dans la réalité d’une prévention qui peut être mise en œuvre par les opérateurs. De la même façon, les onze chefs d’équipe ont une rencontre annuelle avec la direction pour échanger sur les pratiques et les moyens de progresser en matière de prévention des risques professionnels. – Quatre à cinq audits plus approfondis sont réalisés tous les ans par l’animateur QHSE. – La SOGEM essaie de ne plus utiliser de produits chimiques à pictogramme orange : elle s’est engagée dans une démarche de substitution systématique. Dans la mesure où elle peut trouver des produits de remplacement efficace, le coût, sauf s’il est prohibitif, n’entre pas principalement en ligne de compte. – Un livret d’accueil est remis à tout nouvel embauché. Ce document précise clairement aux entrants l’importance que la direction attache à la prévention des risques professionnels et les moyens qu’elle y associe. Même si les résultats en matière d’accidents du travail sont plutôt satisfaisants par rapport à la profession, la direction de la SOGEM ne fait pas de ces bons résultats une fin en soi. Elle s‘attache au contraire à mettre en place tous les moyens qui lui permettent d’appréhender au mieux la réalité du terrain, en particulier par l’analyse des incidents ou des presque accidents qui sont étudiés systématiquement. Il faut en effet être conscient que plusieurs années de progrès continu peuvent connaître un coup d’arrêt douloureux en cas d’accident grave, sans envisager même un accident mortel. La direction de l’entreprise tire un bilan très positif de cet engagement résolu dans une politique active de prévention des risques professionnels. Cependant, sa mise ne place n’a pas été facile : pour gagner l’adhésion des opérateurs, il a fallu une très forte implication de la direction. Pour que le personnel se sente responsable de sa sécurité et de celle des autres, il faut un très fort engagement de l’encadrement à tous les niveaux de décision.
5. La prévention au quotidien Dans une entreprise dont le métier de base est la chaudronnerie, on comprendra aisément que la protection de l’ouïe figure au premier rang des préoccupations de la direction en 302
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matière de prévention des risques professionnels. Face à la difficulté de mettre en place des protections collectives, une attention particulière a été portée à la protection individuelle. Les opérateurs ont à leur disposition plusieurs types d’équipement : casques anti-bruit, bouchons moulés ou bouchons jetables. Le libre choix de la protection leur est laissé, mais leur port est obligatoire. Cette obligation n’a pas été sans difficulté, certains opérateurs parmi les plus anciens prétendant encore « travailler à l’oreille ». Les mentalités évoluant et la santé au travail étant maintenant intégrée à la formation, ces difficultés sont en train de disparaître, les nouveaux opérateurs ayant parfaitement compris l’intérêt qu’ils ont à se protéger. Ce choix d’une prévention efficace au quotidien implique aussi de faire des choix. En aucun cas, les travailleurs de la SOGEM ne sont autorisés à intervenir sur l’amiante, même s’il s’agit d’un produit non friable comme une plaque d’amiante ciment par exemple. Les tuyauteurs n’interviennent pas sur un calorifuge sauf si l’entreprise utilisatrice est en mesure de faire la preuve que le matériau n’est pas amianté. Il est prévu explicitement dans les procédures de travail qu’un travailleur de l’entreprise confronté de façon inopiné à un joint de nature inconnue doit d’abord s’équiper d’un appareil de protection respiratoire avant d’intervenir en sécurité sur ce joint qui sera ensuite mis sous plastique et confié au donneur d’ordre.
En guise de conclusion La SOGEM a fait le choix de la qualité, de la réactivité, d’une adaptation constante aux besoins du marché, de la fourniture de la meilleure prestation au meilleur prix. Cette démarche est couronnée de succès. Pour autant, la société a des valeurs et des principes, au premier rang desquels elle place le respect de la santé et de la sécurité de ses employés. L’expérience de ces dernières années montre que cette préoccupation peut être un facteur de progrès dans la pratique professionnelle et la profitabilité de l’entreprise. À ce titre, le fait d’avoir une activité qui s’exerce le plus souvent dans les locaux d’autres entreprises modifie le contexte et oblige à réaliser des adaptations dans la façon de travailler, mais ne constitue en rien un obstacle.
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1. Le groupe [1] Bernard Greder En se définissant comme un ensemblier de services, le groupe Ortec affiche clairement sa volonté de fournir à ses clients des prestations de services globales et intégrées dans quatre secteurs d’activités principaux : l’industrie, le nucléaire, l’environnement et le conseil. Créé en 1980, le groupe (aujourd’hui constitué de 16 filiales), après des années de forte croissance interne et externe, emploie en France et en Europe (Italie, Pays-Bas) 3 100 collaborateurs et 700 autres dans 11 pays d’Afrique de l’Ouest et du CentreOuest pour un chiffre d’affaires global de 485 millions d’euros en 2007. L’effectif comprend 17 % de cadres, 32 % de techniciens et d’agents de maîtrise et 51 % d’ouvriers. Nous consacrons tous les ans 5 % de la masse salariale à la formation continue de ce personnel (plus de 6 500 stagiaires par an). C’est par la culture des compétences que nous avons atteint notre place de leader européen des services industriels et nous entendons la conserver : nous avons fait le choix d’offrir à nos clients une gamme large de prestations industrielles performantes, basées sur des capacités d’études et de conception de haut niveau. Nous sommes surtout implantés dans les industries de process puisqu’elles représentent 85 % de notre chiffre d’affaires, les contributions des prestations assurées pour des 304
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collectivités ou des particuliers (10 %) et dans l’industrie manufacturière (5 %) venant en complément. Plus de la moitié de notre activité est effectuée dans la chimie et la pétrochimie. C’est dire si nous sommes familiers des sites Seveso II, puisque, compte tenu de la contribution significative du nucléaire à nos activités, nous y effectuons la quasi-totalité de notre activité. Cette localisation n’est évidemment pas sans conséquence sur la politique Santé et Sécurité que nous avons développée au fil des années.
2. Nos domaines d’activité Nous sommes présents sur plus de 300 sites clients sur lesquels nous effectuons une gamme de prestations très diverses : – dans l’industrie : • en matière de maintenance industrielle, nous ne sommes pas seulement une entreprise générale de maintenance, nous sommes également en mesure de fournir à nos clients une prise en charge complète de cette activité à travers notre contrat « Global Services Maintenance » et de mettre à leur disposition toutes les prestations d’études et de réalisation nécessaires. Cette prestation permet à notre client de procéder à une externalisation complète de l’activité dont nous assurons la responsabilité. Pour ce faire, nous bénéficions de l’expérience acquise au cours des années en maintenance de spécialité, en ingénierie et lors des opérations d’arrêt, • les travaux neufs et le « revamping » d’unités, • le démantèlement d’unités en fin de vie et le transfert industriel, • les transports et la logistique sur le site de nos clients, • la délégation des approvisionnements sur site industriel, voire pour une partie de la production elle-même avec des opérations de première transformation des produits élaborés par nos clients (dans la sidérurgie par exemple) ; – dans le nucléaire : notre offre comprend l’ensemble des prestations en matière de maintenance sur toute la filière (du combustible à la production d’électricité) en particulier en matière de métallurgie, chaudronnerie et mécanique mais nous intervenons également pour les travaux neufs ; – dans l’environnement, nous avons développé le concept d’usine propre qui nous permet, comme dans les autres activités, d’offrir une prestation sur mesure suivant le souhait de nos clients, en matière de : 305
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• nettoyage industriel et d’assainissement avec notamment des ressources importantes en matière de nettoyage haute et très haute pression pour toutes les surfaces, bacs et capacités, • gestion globale des déchets industriels pour la collecte, le transport, le prétraitement sur ou hors site et leur élimination, voire leur valorisation, à travers la mise en place récente de plate-formes spécialisées, • dépollution et réhabilitation de sites industriels pollués ; – dans le conseil industriel pour l’ensemble des secteurs cités précédemment : – calcul et simulation numérique, – management de projets, – ingénierie de modification et maintenance, – ingénierie documentaire, – assistance et conseil administratif. Toutes ces activités sont bien sûr effectuées en étroite liaison les unes avec les autres ce qui nous permet de fournir une prestation globale répondant aux besoins de nos clients. Nous avons dépassé la notion de sous-traitance pour proposer à nos clients de réels partenariats dans les domaines connexes à la production dans une relation gagnant/gagnant. Ce panorama de nos activités aura, nous l’espérons, permis au lecteur de comprendre que nous avons développé des compétences qui font de nous un partenaire essentiel des activités de l’industrie. Cette compétence implique l’excellence. Elle implique également un haut niveau de responsabilité vis-à-vis de nos clients comme de notre personnel. À ce dernier, nous devons d’abord le respect de sa santé et de sa sécurité. Tout au long de notre existence, nous avons construit une politique active de prévention des risques professionnels. Nous nous revendiquons comme des spécialistes de la prestation de services, et, en matière de services, le premier que nous nous devons de rendre à nos collaborateurs, c’est de leur permettre d’exercer leurs tâches au mieux, dans le respect total de leur intégrité physique et morale.
3. Le choix d’un système de management de la sécurité Pour des raisons historiques et géographiques (l’entreprise a été créée et s’est d’abord développée dans la zone d’activité de l’étang de Berre), nous avons été associés au 306
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MASE dès sa création. Ce qui, à l’origine, aurait pu être considéré comme une obligation pour pouvoir exercer notre activité s’est rapidement transformé en adhésion au système proposé puis en choix délibéré d’utiliser les acquis de ce système pour développer une politique Santé et Sécurité active dans le Groupe (associée aux composantes environnement et qualité). Sur nos 60 établissements, 45 d’entre eux sont actuellement titulaires de la certification MASE. Les méthodes de fonctionnement des autres agences en matière de prévention des risques professionnels s’inspirent, comme l’ensemble du groupe, des techniques développées dans le cadre de ce système de management de la sécurité et ils bénéficient des acquis et des développements des agences intégrées au système. Le MASE n’est pas seulement une obligation industrielle, c’est avant tout le référentiel de la méthode de travail choisie délibérément par le groupe Ortec. La prévention des risques professionnels dans les activités de sous-traitance est par essence difficile, particulièrement pour un groupe comme le nôtre qui propose une offre globale de services et qui doit donc être compétent sur des métiers nombreux et divers. Nos collaborateurs n’exercent pas une activité de production dans un atelier dont le fonctionnement leur serait forcément parfaitement connu : chaque installation est différente, les risques ne sont pas identiques, les exigences et les processus de travail des clients ne sont pas non plus les mêmes. À ce titre, il est particulièrement profitable pour une entreprise extérieure d’intervenir chez un donneur d’ordres qui est engagé dans la même démarche qu’elle, avec laquelle elle partage des valeurs et un langage communs et la même volonté de résoudre les problèmes dès qu’ils apparaissent. Il est également profitable de devoir remettre en cause très régulièrement des résultats qui ne sont jamais acquis. Le niveau d’exigence des pouvoirs publics et des donneurs d’ordre augmente ? Tant mieux ! C’est un atout pour une entreprise qui fait le choix de l’excellence et à laquelle cette élévation continue des exigences offre des perspectives de développement. C’est aussi pour elle l’obligation d’avoir un personnel toujours mieux formé, donc toujours plus efficace. Ce personnel sera aussi plus moteur dans sa contribution à l’évolution des techniques et dans la part qu’il prendra à mieux assurer sa propre sécurité et celle de ses collègues. Le système de management de la sécurité acquiert sa pleine efficacité quand il devient un système de management partagé, tant avec l’extérieur (les donneurs d’ordres) qu’avec l’intérieur (tous ceux et tout ce qui concourent à la réalisation des tâches quotidiennes). Dans ce dernier cas, il peut même être qualifié de participatif. Un groupe de services industriels comme Ortec et même ses agences, prises individuellement, doivent être en mesure de communiquer clairement sur leurs objectifs. Le MASE est un outil efficace dans ce domaine à travers ses divers « rendez-vous » (causeries sécurité, suivi des indicateurs en matière d’accidents du travail ou plus généraux, logique d’amélioration continue, etc.) dont il impose une mise à jour. 307
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L’adhésion à un système de management de SHE et la capacité à en respecter les exigences au quotidien sont les garants pour l’entreprise utilisatrice de la capacité de l’entreprise extérieure à mettre en place les règles d’organisation indispensables. Ceci est particulièrement vrai pour la réalisation de travaux sensibles qui sont susceptibles d’impacter directement la santé et la sécurité de tous les intervenants sur le site.
4. La loi sur la prévention des risques technologiques et naturels (loi « Bachelot ») [2] Parmi les nouvelles dispositions inscrites dans cette loi figure l’obligation pour les établissements industriels de type Seveso II de prévoir au moins une réunion annuelle de leur CHSCT dans une configuration élargie à des représentants des employeurs et des employés des entreprises extérieures intervenant sur leur site. Cette fréquence peut être augmentée en cas d’accident ou d’incident grave ou sur demande motivée de membres du CHSCT. Compte tenu de notre forte présence sur les sites Seveso II (liée historiquement à notre implantation dans les activités des industries chimiques et pétrochimiques), nous participons à plusieurs de ces structures élargies. Le premier retour d’expérience que nous faisons de cette disposition relativement récente est très positif. Depuis de nombreuses années, les donneurs d’ordres ont une volonté de transparence vis-à-vis des pouvoirs publics, de leur environnement immédiat (voisinage) ou de leurs sous-traitants. Cependant, la loi sur les risques technologiques les a obligés à passer à un niveau supérieur, celui d’une meilleure formalisation de cette communication. Cette formalisation s’est accompagnée d’une réflexion sur ses propres pratiques, sur son niveau d’exigence et sur les liens établis avec les partenaires extérieurs, notamment les sous-traitants. Pour une entreprise comme la nôtre, c’est aussi une source d’informations utiles qui nous aide dans la définition de notre politique globale en fonction des exigences du marché. La participation d’un certain nombre d’élus de nos CHSCT à cette structure est également précieuse pour l’entreprise. Outre la contribution qu’ils peuvent apporter eux-mêmes aux travaux du CHSCT de l’entreprise utilisatrice, ce qu’ils y entendent constitue une information partagée et utile pour enrichir leur activité de représentants du personnel dans un contexte plus large, celui de l’entreprise sur le site de laquelle nos équipes interviennent. Leur vision de leur action en matière de prévention des risques professionnels est précisée, voire concrétisée.
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5. Une autre évolution positive de la législation : le décret « Cancérogènes, mutagènes et toxiques pour la reproduction » Nous constatons une amélioration sensible, à tous les niveaux, de la prise en compte de la prévention des risques professionnels. Nous nous sommes donnés les moyens d’être plus performants, mais c’est aussi le cas de notre environnement. Trop longtemps, la politique santé et sécurité consistait à éviter les accidents et l’accent n’était pas mis suffisamment sur ce qui est moins visible : les expositions aux produits chimiques notamment. Le décret de 2001 sur la prévention des expositions aux cancérogènes, mutagènes et toxiques pour la reproduction a obligé l’ensemble des acteurs à se poser la question de l’évaluation et de la traçabilité des expositions. Le dialogue avec les médecins du travail en a été facilité : nous avons les uns et les autres un rôle précis et important à remplir pour améliorer la prévention. Les objectifs sont fixés, à nous de nous donner les moyens pour les remplir. De mon point de vue, le dialogue et la coopération entre les médecins du travail des entreprises utilisatrices et ceux des entreprises extérieures a aussi été amélioré. La mise en place des fiches d’exposition aux produits cancérogènes, mutagènes ou toxiques pour la reproduction a aussi été l’occasion d’amorcer un dialogue renforcé avec les entreprises utilisatrices et leurs services de santé au travail. Elle a aussi obligé les uns et les autres à mieux organiser et mieux formaliser leurs pratiques. Elle a également contribué à obliger l’ensemble des partenaires à s’intéresser à l’activité réelle sur le terrain plutôt que de se contenter d’une vision souvent trop théorique (ni systématiquement idyllique, ni particulièrement sombre, mais ne reflétant souvent pas suffisamment la réalité pour être vraiment efficace). Si on fait le bilan de l’évolution sur les vingt dernières années, on peut mesurer les progrès effectués : les campagnes de mesurage des polluants, du bruit mais aussi des produits chimiques sont de plus en plus fréquentes et de mieux en mieux ciblées. Nous sommes entrés dans une période où on a vraiment compris que la santé de demain se préserve et se construit aujourd’hui et qu’il faut y consacrer des moyens.
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6. La sous-traitance industrielle : un facteur de progrès pour la prévention des risques professionnels Nous entendons conserver et assumer toutes nos responsabilités en matière de définition et d’organisation de la politique santé et sécurité de notre groupe et de ses différents établissements. Compte tenu de l’évolution de l’organisation de la production depuis vingt ou trente ans, si l’expertise en matière de process est demeurée intacte dans les entreprises utilisatrices, alors nous sommes, en tant qu’entreprise extérieure, devenus dépositaires de celle acquise en matière de maintenance en particulier et des tâches connexes à la production en général. Il s’agit donc ensuite, entre spécialistes de différentes activités, de procéder à une évaluation commune des risques pour pouvoir procéder à l’élaboration d’un plan de prévention directement ancré dans la réalité du terrain et porteur de mesures de prévention efficaces. Si la prévention des risques professionnels s’est améliorée dans les industries de process, ce n’est pas à cause de l’externalisation de certaines tâches, mais grâce à elle. Elle a permis une réelle professionnalisation de certaines activités, trop éloignées du cœur du métier de l’entreprise utilisatrice pour être considérées avec toute l’attention nécessaire. Comme nous avons déjà eu l’occasion de le souligner précédemment, le fait pour l’entreprise utilisatrice et les entreprises extérieures d’adhérer à un même référentiel tel que le MASE, d’avoir donc des valeurs et un langage commun, constitue un atout. Sans vouloir nous substituer au législateur, il ne nous paraît pas utile, en l’état actuel, de faire évoluer la réglementation. Celle contenue dans le décret de février 1992 et les évolutions qu’elle a connue ensuite nous semblent suffisantes pourvu qu’elle soit appliquée et que chacun des acteurs mentionnés s’en donne (ou s’en voit donner) les moyens : c’est la politique que nous mettons en œuvre dans notre groupe.
7. Continuer à progresser dans la prévention des risques professionnels : détecter les situations dangereuses, un axe de travail défini au sein du groupe Ortec Même avec un fort engagement de la direction et de l’ensemble des structures du groupe, même dans un contexte de mobilisation permanente grâce à l’adhésion à la démarche 310
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du MASE, le risque existe de ne pas couvrir l’ensemble des domaines d’action dont dépend l’efficacité d’une politique de Sécurité et Santé au travail. Indépendamment de ces limites, nous ne pouvons nous contenter des résultats déjà obtenus et nous nous devons de trouver les axes de progrès encore insuffisamment mis à contribution. Au cours de l’année 2008, nous allons donc nous efforcer de renforcer l’engagement de tous nos collaborateurs en matière de prévention des risques professionnels à travers une campagne « Tous acteurs en matière de sécurité ». Nos collaborateurs sont déjà informés de leurs droits et responsabilités en matière de prévention au poste de travail. Des informations sur le droit (voire le devoir) de retrait en cas de situation dangereuse ont déjà été organisées. Il s’agit maintenant de convaincre tout notre personnel de la nécessité d’adopter un rôle encore plus actif, d’en faire des « vigies » dans la détection des situations anormales et potentiellement dangereuses. Quelle que soit la qualité de l’évaluation préalable des risques, nul ne peut avoir la prétention à l’exhaustivité ni à la perfection, il s’agit donc d’aider nos collaborateurs à acquérir un regard critique sur toutes les situations, sur toutes les actions qu’ils peuvent être amenés à exécuter. Il nous faut améliorer notre capacité de vigilance partagée à travers des informations réciproques et des échanges plus efficaces. Nous en attendons parallèlement une meilleure appropriation par les équipes des plans de prévention et nous les inciterons à améliorer par des contributions pratiques. Compte tenu du nombre de nos agences (60), du nombre de sites sur lesquels nous intervenons (plus de 300, dont certains en Afrique), nous avons choisi une structure décentralisée. C’est à nous de transformer cette faiblesse potentielle en force en améliorant, à tous les niveaux de l’entreprise, les capacités d’analyse et d’action de nos unités opérationnelles et leur motivation. La sécurité doit, encore plus qu’aujourd’hui, devenir la première préoccupation de tous. C’est au groupe d’assurer la motivation et de fournir les moyens d’action. Nous ne négligeons pas pour autant des actions qui peuvent paraître plus ponctuelles, mais dont nous pensons qu’elles sont également directement efficaces : ainsi la campagne « Changeons de conduite » que nous avons menée en 2007. À travers cette campagne de prévention routière, nous formons plus de 1 500 chauffeurs de notre société. Quand on connaît l’importance des accidents de trajet dans le nombre d’accidents du travail, on comprend aisément l’enjeu d’une conduite en sécurité.
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LA SOUS-TRAITANCE INTERNE
8. Une organisation et des structures pour progresser dans la prévention des risques professionnels Pour ce faire, le groupe a mis en place un service spécialisé : Ortec Exigence basé au siège à Aix-en-Provence et qui regroupe une douzaine de spécialistes dont les missions sont de promouvoir : – la prévention, la sécurité et la qualité à travers des axes « Prévention et professionnalisme » et « Méthodes et organisation », – le respect de l’environnement par la technicité et la rigueur, – la formation pour améliorer la performance globale et assurer le développement des compétences. Ce service réalise les audits dans les différentes entités du groupe, mais a surtout une mission de conseil et d’assistance. Il peut s’appuyer sur un réseau d’une centaine de spécialistes en poste dans les différentes agences. Outre une compétence générale permettant d’impulser et de suivre les politiques au niveau des différentes agences, ces correspondants sont souvent spécialisés dans des domaines particuliers, et le réseau est chargé d’assurer la mutualisation de ces compétences au niveau du groupe. Ortec Exigence et le réseau assurent notamment les tâches suivantes : – une veille réglementaire et normative répercutée systématiquement ou plus sélectivement ensuite au niveau des agences en fonction de leur orientation et de la nature de l’information, – la participation aux formations techniques dispensées dans notre école interne de formation : « Elée ». À titre d’exemples, « les nouvelles règles qui régissent les échafaudages » quand la réglementation a évolué ou, à la demande des besoins du terrain, « le nettoyage à très haute pression », – une contribution aux groupes de travail émanant plus ou moins directement des pouvoirs publics (ceux pilotés par l’INRS en particulier) ou des syndicats professionnels quant à l’évolution de la réglementation et surtout pour tout ce qui concerne les conditions de son application. Au cours d’une réunion annuelle de l’ensemble des participants au réseau, nous communiquons et discutons les orientations globales de la politique du groupe. C’est aussi 312
Ortec, un ensemblier de services en France et à l’international 15
une occasion de partage de l’expérience des différentes structures. Certains sujets font en outre l’objet de réunions thématiques, comme récemment le transport des déchets dangereux. Toutes ces actions sont menées dans une optique de mutualisation des connaissances et de l’expérience. Il s’agit avant tout d’éviter que la décentralisation inévitable des équipes ne se traduise par une moins-value en termes de prévention, mais au contraire un ciment.
9. Promouvoir l’ingénierie de conception et de maintenance pour améliorer la prévention des risques professionnels Il est maintenant communément admis que cette prévention pour les entreprises extérieures passe par une meilleure maintenabilité des installations. Même si de gros progrès ont été effectués ces dernières années, nous considérons qu’il existe une marge de progression significative. C’est la raison pour laquelle nous avons développé des capacités importantes en matière de bureau d’études. Ce développement répond d’ailleurs à une demande des clients qui sont de plus en plus souvent intéressés par une assistance spécialisée dans le développement et la conception de leurs installations. Nous avons de notre part la volonté de mettre à la disposition de notre clientèle une prestation globale de la conception à la maintenance. L’argument n’est pas seulement du domaine de la santé et de la sécurité au travail, il est aussi économique : nous sommes persuadés qu’il y a encore un gisement important de productivité dans une meilleure conception et une maintenabilité mieux conçue des équipements. C’est particulièrement vrai aujourd’hui où, compte tenu de la taille et de la complexité des installations, les périodes d’immobilisation sont particulièrement coûteuses. En outre, rien n’est plus générateur d’accidents ou d’expositions professionnelles qu’un dysfonctionnement ou un retard pris dans un planning de travail. Avoir cette capacité de conception est également important au quotidien dans notre activité d’ensemblier de services. Elle nous permet de tirer un meilleur profit de notre retour d’expérience, grâce à la capacité d’analyse et de conception que nous avons développée. C’est aussi un atout commercial auprès des clients et cela permet d’approfondir et de pérenniser certaines collaborations.
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LA SOUS-TRAITANCE INTERNE
10. Une certaine conception de la sous-traitance Les métiers de la sous-traitance sont exigeants. Ils obligent à une adaptation permanente d’un point de vue technique puisque nos équipes sont souvent amenées à intervenir sur des sites ou dans des installations qu’elles ne connaissent pas bien pour réaliser des travaux différents. Cette remise en cause permanente est aussi un atout dans la mesure où nos collaborateurs acquièrent grâce à elle un très haut niveau technique et une forte acuité dans le diagnostic et le traitement des problèmes. Ils sont également très adaptables : c’est une force pour l’entreprise. Ces métiers sont également soumis à une forte concurrence : nous constatons tous les jours la volonté des entreprises utilisatrices d’obtenir des prix plus concurrentiels. On parle souvent de l’opposition entre la technique et la gestion. Il est certain que, pour faire face à des exigences de productivité accrues, les sites sont obligés de transférer au moins une partie de ces contraintes sur les sous-traitants et à ce titre, nous y sommes confrontés comme nos confrères. Cependant, jusqu’à présent et au moins sur les sites adhérents au MASE, au-delà des exigences des chiffres, nous avons toujours trouvé des interlocuteurs auprès desquels faire valoir nos contraintes, et plus particulièrement celles liées aux problèmes de santé et de sécurité au travail. Au risque de me répéter, je considère que cette habitude de travailler en commun, avec des objectifs partagés et une même volonté de progrès, reste un atout. Pour ce qui nous concerne, nous n’avons jamais accepté et nous n’accepterons jamais de travailler dans un système dévalorisé. Parce que nous sommes un groupe important, parce que nous avons développé dans la large gamme de nos métiers une compétence reconnue, parce que notre intervention apporte une réelle plus-value au donneur d’ordres, nous savons et nous pouvons dire non. Non à des conditions de travail qui ne respecteraient pas l’intégrité physique ou morale de nos employés, non à des contrats qui nous obligeraient à remettre en cause les moyens de la sécurité au travail ou de l’environnement. Nous avons des valeurs et nous souhaitons les partager. En outre, nous sommes persuadés que la santé et la sécurité au travail ne peuvent être dissociées de la qualité de la prestation industrielle. C’est par une remise en cause permanente de nos méthodes de travail que nous avons progressé et que nous voulons encore progresser. Nos collaborateurs le savent bien, ils constituent pour nous la première richesse de notre groupe et nous avons le devoir de les protéger.
Références [1] www.ortec.fr. [2] www.legifrance.gouv.fr/WAspad/UnTexteDeJorf?numjo=DEVX0200176L. 314
GSF : dans le tertiaire ou dans l’industrie, le nettoyage au cœur de la sous-traitance — Focus sur le nettoyage dans l’industrie agroalimentaire
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Marie Battreau Lionel Delaveau Franck Demézières Gérald Hacot À travers une vingtaine de sociétés régionales regroupant un réseau de 100 établissements et avec 45 ans d’expérience, GSF est aujourd’hui un acteur majeur du nettoyage industriel en France. Une position renforcée par une implantation en Europe et outreAtlantique, au Canada et aux États-Unis. La sous-traitance, nous connaissons : c’est même, pour reprendre un vocabulaire très en vogue depuis quelques années dans l’industrie, le cœur de notre métier. La sécurité au travail, nous connaissons aussi, c’est aussi, au-delà du respect que nous devons à tous nos collaborateurs et à leur santé, la meilleure preuve de notre savoir-faire. Nous sommes présents dans tous les secteurs d’activité : – le tertiaire avec 25 millions de mètres carrés nettoyés tous les jours, secteur dans lequel notre expertise est reconnue, mais auquel il ne faudrait surtout pas nous cantonner parce que nous intervenons aussi dans de nombreux autres domaines, – l’industrie, secteur dans lequel nous employons 3 000 personnes et pour lequel nous avons la capacité à mettre en œuvre des techniques sophistiquées pour 315
LA SOUS-TRAITANCE INTERNE
pouvoir répondre aux défis technologiques d’activités de pointe : nettoyage à très haute pression ou par cryogénie par exemple, – l’agroalimentaire, secteur sur lequel nous sommes leader depuis plus de 20 ans avec aujourd’hui plus de 250 références et sur lequel nous reviendrons largement plus tard parce que c’est un domaine d’activité dans lequel les enjeux en matière de santé et sécurité au travail sont probablement encore plus indissociables de la qualité de la prestation industrielle, – les lieux de réception du public : salons professionnels, festivals, casinos, etc., nous sommes en mesure de répondre aux exigences de nos clients avec toute la flexibilité et toute la ponctualité requises, – la santé à travers nos implantations dans l’industrie pharmaceutique et le monde hospitalier : un secteur qui a connu une croissance de 100 % au cours des 5 dernières années et où nous développons toute l’expertise requise à travers nos experts, pharmaciens notamment, – les 700 grandes surfaces commerciales que nous nettoyons chaque jour en France, – les transports puisque nous contribuons au confort de 15 millions de passagers par an dans les avions ou les trains, mais aussi dans les bus et les tramways, – les services industriels : manutention de produits et de marchandises dans des secteurs industriels très variés, chargement et déchargement de bagages sur les plates-formes aéroportuaires, logistique en général.
1. Le respect des hommes Nous employons 22 500 personnes en France et à l’étranger (dont environ 19 000 en France). Nous réalisons également 30 000 embauches par an en France. Contrairement à ce qu’on pourrait penser à première vue, en comparant ces 30 000 embauches à nos 19 000 emplois en France, le turn-over n’est pas si important dans notre groupe. Ces recrutements sont nécessaires pour pouvoir au remplacement des titulaires pendant les congés ou les absences. Compte tenu de la nature de nos activités, nous sommes contraints d’assurer la continuité du service (y compris bien sûr pendant les périodes de congés) qui peut aller dans certaines branches jusqu’à 365 jours par an et 24 heures sur 24. 75 % de nos salariés sont présents dans l’entreprise depuis plus d’un an et que 80 % d’entre eux sont titulaires d’un contrat à durée indéterminée (CDI). En outre, les métiers de la propreté ne sont pas toujours un premier choix de nos employés et certains 316
GSF : dans le tertiaire ou dans l’industrie, le nettoyage au cœur de la sous-traitance… 16
d’entre eux font ce choix par défaut ou en attendant de trouver un autre emploi. Ils n’ont souvent pas de formation spécifique à ces métiers : c’est donc à nous de la leur faire acquérir en leur faisant prendre conscience de l’importance d’un travail en sécurité. Autre caractéristique, le temps partiel est important puisque 72 % de notre personnel est titulaire d’un emploi de ce type. Si on considère également qu’un quart de nos employés n’ont pas la nationalité française et que leur connaissance de la langue écrite n’est pas toujours bonne, on comprend rapidement l’importance pour notre groupe d’avoir une politique santé et sécurité performante et efficace. Indépendamment de l’effort important que nous fournissons pour la formation de notre personnel permanent, il est évident que la sécurité doit être une préoccupation de tous les instants de notre encadrement et de nos agents de maîtrise pour que nos employés les plus récents et/ou les plus temporaires soient suffisamment informés et motivés à une culture sécurité. Nous devons aussi développer des méthodes de travail sûres et éliminer l’emploi des produits dangereux afin de minimiser les risques en amont. Nous devons aussi apporter une assistance à notre encadrement dans l’établissement des plans de prévention. Rédigés en partenariat avec les entreprises utilisatrices, ils constituent la principale clef d’entrée en sécurité sur nos lieux de production, lesquels recouvrent toutes les familles de dangers. C’est pourquoi nous avions dès l’origine créé nos propres trames, dans le but de faciliter la formalisation des risques identifiés lors de la visite préalable et la répartition des mesures de prévention corrélatives.
2. Nos engagements santé sécurité Parce que nous sommes une entreprise responsable, que nous tenons à notre spécificité et que nous voulons développer notre culture d’entreprise, nous avons formalisé nos engagements vis-à-vis de nos clients dans un manuel d’organisation intitulé « Nos convictions » : c’est le moteur de notre développement. Depuis le 1er février 2007, ces convictions sont déclinées à travers des engagements santé sécurité à travers lesquels nous voulons rappeler que l’homme est la première valeur et que nous nous engageons à préserver la santé et la sécurité de nos collaborateurs. Cet engagement est décliné selon 4 thèmes principaux : – Respect des hommes : assurer la sécurité du personnel • Tout mettre en œuvre pour préserver l'intégrité physique de nos collaborateurs. • Communiquer, expliquer la politique et les objectifs. Vérifier qu'ils sont compris et mis en œuvre. 317
LA SOUS-TRAITANCE INTERNE
• Former et informer. Impliquer tout le personnel dans sa sécurité et celle des autres. – Culture client : promouvoir la prévention • Communiquer notre politique sécurité dans nos devis et nos contrats. • Intégrer la prévention dès la constitution de l'étude. • Mettre en œuvre les méthodes les plus sûres pour notre personnel et pour l'entreprise cliente. – Professionnalisme : mettre en œuvre les moyens, former au métier, appliquer les méthodes • Placer l'évaluation du risque au centre de notre démarche d'amélioration. • Communiquer sur les accidents du travail, les presque accidents, les maladies professionnelles. • Rechercher les causes et mettre en œuvre les actions correctives. – Identité forte : affirmer notre différence • Être une référence dans notre secteur professionnel. • S'engager sur le terrain et se comporter en responsable exemplaire. • Intégrer toutes les fonctions dans la prévention sécurité. Un des corollaires de cet engagement éthique fort est que nous ne recherchons pas la croissance du chiffre d’affaires à tout prix. Nous n’essayons pas de gagner un marché si nous pensons qu’il ne nous sera pas possible de gérer le chantier en conformité avec les valeurs qui sont les nôtres.
3. Une démarche organisée Même si la fonction de coordination Prévention et sécurité est relativement récente puisqu’elle a été créée en septembre 2004, notre action dans le domaine de la prévention des risques professionnels est née avec la création du groupe. Parce que nous considérons que la sécurité est non seulement au centre de nos préoccupations mais doit être intégrée le plus en amont possible (cf. « Nos convictions « en matière de santé et de sécurité), cette fonction a été rattachée à la Direction recherche et développement. À travers ce rattachement, nous voulons montrer que, comme la recherche et le développement, la santé et la sécurité au travail doivent intervenir en soutien aux opérationnels 318
GSF : dans le tertiaire ou dans l’industrie, le nettoyage au cœur de la sous-traitance… 16
et non pas se substituer à eux et à leur action : toute leur activité doit s’organiser autour de cet impératif. « Tous préventeurs » c’est la solution que privilégie la direction en terme de ressources. Il est pour elle plus efficace à court et long terme d’agir sur les comportements de chacun, sur les modes opératoires et le système de gestion, que de nommer à tout va des ingénieurs sécurité. La sécurité, c’est l’affaire de tous. À ce titre, nous nous inscrivons sans aucune ambiguïté dans une démarche qui consiste d’abord à améliorer l’organisation et les méthodes de travail. Dans toutes nos activités, nous mettons à la disposition de nos équipes des protocoles écrits et documentés sous la forme de modes opératoires. Si l’initiative laissée à nos inspecteurs qui interviennent sur le terrain est importante, elle est strictement encadrée pour tout ce qui concerne le respect de ces règles de bonne organisation et de la santé et de la sécurité des opérateurs en général. Dans le cadre de leur formation, un accent particulier est mis sur ces points. La protection collective est également un élément important, mais elle n’arrive qu’en deuxième position. Quant à la protection individuelle, nous considérerions qu’une politique tout « Équipements de protection individuelle (EPI) » serait un grave échec, même si on peut difficilement concevoir l’exercice de nos métiers sans l’utilisation de gants par exemple. C’est un raisonnement analogue que nous adoptons quant à l’utilisation des produits chimiques. Nous nous posons toujours en premier lieu la question de la pertinence de leur utilisation et la possibilité d’adopter un mode d’organisation ou une méthode de travail qui permettrait d’en faire l’économie. À partir de la méthode d’évaluation simplifiée des risques développée par l’INRS [1] et de celle préconisée par la CRAM des Pays de la Loire, nous avons développé notre propre outil d’évaluation permanente : 4 classes de danger fondées sur les phrases de risques sont attribuées à chaque produit. Poste par poste, ces classes sont combinées au niveau d’exposition, lequel prend en compte la durée, la fréquence et le mode d’exposition. Grâce à un travail de fond au niveau de notre politique « achats », nous n’avons pas de produits CMR et plus de produits en classe 4 et les quelques produits de classe 3 qui demeurent ne concernent plus actuellement que le secteur agroalimentaire. Nous reviendrons plus loin plus en détail sur notre pratique dans ce secteur particulier. Nous avons par exemple proscrit l’utilisation de tout éther de glycol depuis plusieurs années. Comme nos agents de maîtrise ne sont pas des spécialistes du risque chimique, nous avons mis en place, en amont, un dispositif « d’encadrement » au niveau du choix des produits qui peuvent être utilisés et des conditions de cette utilisation : à travers notre système Intranet, ils ne peuvent commander que les produits dont l’utilisation est autorisée dans le groupe et obtiennent les précautions d’emploi. Les commandes ne peuvent d’ailleurs être passées qu’auprès d’un nombre limité de fournisseurs avec lesquels nous avons mis en place un partenariat (cahier des charges technique + engagement de suivi 319
LA SOUS-TRAITANCE INTERNE
des fiches de données de sécurité) pour un contrôle effectif. Tout nouveau produit qui ne répond pas au cahier des charges ne peut être référencé qu’après l’avis d’un comité de référencement. Le recours à (et le choix de) la protection collective et la protection individuelle ne peuvent se concevoir que lorsque la réflexion sur cette évaluation des risques et l’adaptation des méthodes de travail qui en résultent ont été menées jusqu’au bout. En résumé, nous appliquons le schéma de fonctionnement décrit sur la figure 16.1.
Figure 16.1 Schéma de fonctionnement de la protection.
4. Une volonté de transparence En matière de déclaration des accidents du travail, la règle vaut pour tous et ne doit pas souffrir d’exception : tout accident doit être déclaré, la hiérarchie doit être informée de tout incident ou presque accident. Dans tous les cas où cet accident peut avoir été en partie causé par les conditions d’intervention qui sont faites à GSF par son client, au-delà de l’analyse interne qui doit obligatoirement être effectuée, le sujet doit être abordé au moment de la « table-ronde » qui est une rencontre périodique entre GSF et son client, au cours de laquelle les problèmes de santé et de sécurité sont systématiquement abordés. Il en est de même si un accident ou un incident survenu au personnel GSF est susceptible d’avoir des conséquences sur le personnel ou le fonctionnement de l’entreprise utilisatrice. En fonction de la gravité des faits, cette démarche doit bien sûr être effectuée immédiatement si les circonstances l’imposent. 320
GSF : dans le tertiaire ou dans l’industrie, le nettoyage au cœur de la sous-traitance… 16
En termes de résultats, nous en sommes en 2006 à une moyenne de trois jours d’arrêt par an et par agent. Ce taux est légèrement inférieur à celui de la profession. Nous ne nous en satisfaisons évidemment pas d’autant qu’actuellement, en moyenne annuelle, un salarié sur vingt est victime d’un accident avec arrêt dans notre groupe. Si nous améliorons régulièrement nos résultats en termes de journées d’arrêt dues à des accidents du travail, le nombre correspondant consécutif à des maladies professionnelles est, lui, en constante augmentation : de 5 468 en 2004 à 12 153 en 2006 (8 695 en 2005). Certes le groupe a connu une forte croissance pendant la période considérée, mais elle est bien sûr largement inférieure à ce nombre de jours d’arrêt associés à des maladies professionnelles. Ce nombre de jours d’absence correspondant est passé de 10,5 % à 18,4 % du total. Même si la responsabilité d’une partie de ces jours ne peut vraisemblablement pas nous être imputée directement puisque ces maladies résultent d’expositions professionnelles intervenues lors d’emplois précédents, cette forte croissance est une forte incitation supplémentaire pour faire évoluer nos pratiques professionnelles vers des techniques moins pénalisantes en termes de santé du travailleur. Enfin, la lecture du tableau 16.1 montre un taux de fréquence sensiblement supérieur dans le groupe GSF à la moyenne nationale du secteur de la propreté, alors que notre taux de gravité est de façon constante inférieur (à l’exception de l’année 2003 où il est égal). Cette contradiction apparente trouve une explication très vraisemblable si nous rappelons que la politique de notre société est de déclarer systématiquement tous les accidents du travail de notre personnel. Nous n’avons jamais demandé à être titulaire d’un registre des accidents bénins : c’est par une déclaration des accidents du travail, leur analyse et un travail de fond sur les méthodes et la formation que nous entendons progresser. Cette transparence est d’ailleurs une des valeurs de prévention, reprise dans différents systèmes de management de la sécurité comme le MASE, en place sur plusieurs établissements ou comme l’ILO OSH 2001, que le groupe entier a décidé d’adopter à partir de 2008. Gravité
Fréquence
Général
GSF
Propreté
Général
GSF
Propreté
2003
1,35
2,89
2,86
26,29
58,49
41,56
2004
1,35
2,17
2,70
26,10
51,96
39,27
2005
1,25
2,32
2,49
26,30
50,04
38,64
2006 2e quadri 2007
2,32
52,33
2,18
49,70
Tableau 16.1 Gravité et fréquence des accidents du travail dans GSF et dans la profession. 321
LA SOUS-TRAITANCE INTERNE
En cas de changement d’attributaire du marché, nous sommes amenés, dans la grande majorité des cas, à reprendre le personnel en place. Nous n’avons donc pas une procédure particulière pour ce type de reprise, c’est simplement notre standard de fonctionnement. Le passage d’un employeur à l’autre, en cas de changement de titulaire du marché, est souvent une cause d’inquiétude pour le personnel concerné. Nous planifions les actions pour ce transfert et nous mobilisons l’encadrement pour qu’il se passe le mieux possible. Nous sommes engagés dans une logique de progrès. À ce titre, il est important d’être en mesure d’identifier les facteurs et les secteurs sur lesquels il convient de faire porter principalement les efforts. Nous effectuons régulièrement un bilan des accidents qui surviennent dans le groupe. La figure 16.2 adopte une présentation quelque peu différente puisque nous avons figuré les taux de cotisation « accidents du travail – maladie professionnelles » de nos différents établissements par rapport à la moyenne des entreprises de propreté. On peut constater que la plupart de nos établissements ont un taux inférieur à cette moyenne nationale, quelques-uns d’entre eux se situant néanmoins assez largement au-dessus. La logique revendiquée de notre action est de responsabiliser tous les agents à tous les niveaux sur la nécessité d’être responsable de sa propre sécurité et de celle de ses collègues.
Figure 16.2 Taux d’accident du travail en 2006.
Cependant, cette décentralisation s’accompagne d’un encadrement strict de la politique santé et sécurité au travail, notamment au moment de l’établissement des devis et de la passation des marchés. En aucun cas, la sécurité ne peut être considérée comme une variable d’ajustement dans ces occasions. Il existe bien sûr une marge de négociation commerciale, mais le respect de la sécurité passe avant le chiffre d’affaires. L’argument du coût de la prévention 322
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des risques professionnels n’est pas non plus acceptable, que ce soit évidemment du point de vue du respect des valeurs qui sont les nôtres ou plus prosaïquement du point de vue économique : c’est cette prévention qui est génératrice d’économies.
5. Le nettoyage dans l’industrie agroalimentaire : un secteur particulier — Des méthodes de travail à généraliser Notre groupe est leader en France sur ce secteur. Les exigences particulières de ce marché (la sécurité alimentaire) nous ont conduits à développer une démarche très structurée. À ce titre, le fait d’appartenir à un groupe important a permis de mobiliser les ressources nécessaires en termes de compétences humaines et de moyens matériels. Aujourd’hui, nous ne nous considérons plus comme un sous-traitant de l’entreprise utilisatrice, mais comme un partenaire auquel elle a décidé de confier les travaux de nettoyage et de désinfection permettant de garantir la bonne qualité bactériologique des surfaces et des matériels qui garantira elle-même la sécurité alimentaire du produit fabriqué. Pour plus de 80 % des marchés dont nous sommes titulaires, c’est notre société qui est à l’initiative de la définition du plan de nettoyage et des produits utilisés. Certes, cette prestation est finalisée d’un commun accord avec l’entreprise utilisatrice à partir du cahier des charges qu’elle a défini, mais nous ne nous contentons pas d’en assurer la réalisation, nous en avons aussi largement conçu le contenu et l’ingénierie. Cette plus forte technicité de l’activité dans l’agroalimentaire par rapport aux autres activités du groupe se retrouve à tous les niveaux. Ainsi, cette activité bénéficie du concours de plusieurs ingénieurs agro alimentaires spécialisés dans le nettoyage et la désinfection, le personnel d’exécution est plus qualifié et il intervient généralement sur un seul chantier. Il est en outre majoritairement masculin. GSF a été récemment contacté par une entreprise de l’agroalimentaire pour une opération de conception du lieu de travail. Cette coopération a permis de faire adopter un certain nombre de paramètres notamment en termes de nettoyabilité des équipements. Cette démarche reste exceptionnelle et c’est regrettable. Nous avons les capacités d’être un partenaire efficace de l’entreprise utilisatrice qui pourrait ainsi se recentrer sur la production proprement dite tout en bénéficiant de nos compétences dans un domaine que nous pouvons gérer pour elle. Une installation dont la conception initiale intègre les contraintes liées aux opérations de nettoyage est plus performante. Elle permet de limiter le nombre de points critiques où peuvent se développer des pollutions bactériologiques. Elle limite les frais de fonctionnement. Et bien sûr, elle minimise les contraintes pour les salariés du 323
LA SOUS-TRAITANCE INTERNE
nettoyage et améliore leurs conditions de travail. Nous sommes également partants pour engager des travaux en commun avec les fabricants de matériel afin de les aider à intégrer les contraintes liées au nettoyage dès la conception. Dans ce cas également, une intervention en amont permettrait souvent d’optimiser les coûts en évitant les modifications particulières introduites par un client pour répondre à des améliorations qu’il souhaite voir apportées à un matériel de base. Notre expérience montre que les contacts les plus fructueux sont établis avec les clients les plus efficaces d’un point de vue industriel : ils sont clairement engagés dans une logique d’amélioration globale qui les incite à s’adjoindre les compétences adéquates. Dans ce secteur en particulier, nous nous attachons à promouvoir l’intégration de l’évaluation des risques et notamment des conséquences du plan de prévention dans l’établissement du devis. Compte tenu de la multiplicité des dangers dans cette activité (chutes de hauteur et de plain-pied, présence d’éléments en mouvements, exposition potentielle à des produits chimiques, etc.), assurer la santé et la sécurité de tous est non seulement une obligation morale, avant d’être réglementaire, mais aussi très clairement un élément important du chiffrage du dossier (Figure 16.3).
Figure 16.3 L’évaluation des risques, éléments essentiel du dossier. 324
GSF : dans le tertiaire ou dans l’industrie, le nettoyage au cœur de la sous-traitance… 16
Nous menons également une veille active sur les techniques de nettoyage et de désinfection, non seulement d’un strict point de vue technique (efficacité des techniques et des produits de nettoyage) mais aussi quant au risque d’accident ou à la toxicité des produits. À cet égard, il convient de signaler qu’il est parfois difficile pour une entreprise de faire certains choix. Nous avons abandonné sans aucune hésitation l’utilisation du formol (avant son reclassement en catégorie C1 en France) parce que les données toxicologiques, sans être absolument concluantes, étaient assez alarmantes pour que nous ne souhaitions pas courir le risque d’y exposer notre personnel. En revanche, quand un industriel nous suggère avec insistance l’utilisation d’un produit comme l’acide peracétique (dont l’intérêt technique est évident), nous devons nous déterminer sur la base de connaissances toxicologiques qui ne sont probablement pas aussi complètes qu’on pourrait le souhaiter. Nous sommes donc toujours demandeurs de collaboration avec des organismes scientifiques comme l’INRS pour nous guider dans l’élaboration de notre politique santé et sécurité.
Conclusion Le nettoyage industriel est un vrai métier. Il est indispensable au fonctionnement des entreprises. C’est une activité technique qui mérite la considération au même titre que toutes les activités directement productives. Nous avons réalisé une réelle professionnalisation de notre activité et nous voulons que cette compétence soit reconnue. C’est à travers cette reconnaissance et un partenariat actif que de réels progrès pourront être effectués. Les entreprises utilisatrices doivent comprendre (c’est déjà fait pour certaines d’entre elles) que c’est par une collaboration active avec leurs sous-traitants, en les associant à la conception des installations pour assurer une bonne nettoyabilité que des progrès seront effectués : progrès en matière de santé et de sécurité au travail, mais aussi progrès économiques, mais surtout progrès partagés tant les intérêts des uns et des autres sont indissociables. Nous sommes prêts à ces partenariats : nous en avons la capacité technique.
Bibliographie [1] Vincent R., Bonthoux F., Mallet G., Iparraguirre J.F., Rio S. (2004). Méthodologie d’évaluation simplifiée du risque chimique : un outil d’aide à la décision. Cahiers de notes documentaires – Hygiène et sécurité du travail, 195, ND 2207, pp. 7-30.
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Aucune priorité ne peut s’exercer au détriment de la sécurité : elle fait partie intégrante du travail. Une entreprise de travail temporaire confrontée à la sous-traitance industrielle
Fatima Sef Saf Installée dans un bassin d’emploi fortement marqué par la construction navale et aéronautique et le raffinage pétrolier, l’agence de Saint-Nazaire de Proman est fortement confrontée au problème de la mise à disposition de personnel intérimaire à des entreprises sous-traitantes, amenées à intervenir sur le site de gros donneurs d’ordres. Avec 35 % de l’activité consacrée au BTP et à peine 5 % dans le tertiaire, ce sont environ 60 % de notre activité qui concernent l’industrie en général (la construction navale étant majoritaire avec environ 35 % de l’activité globale). Concrètement la presque totalité des travailleurs mis à la disposition dans les activités industrielles le sont auprès dans le cadre de la sous-traitance interne. Le terme de « problème » employé précédemment n’est d’ailleurs pas adapté : les activités de sous-traitance étant des activités clairement définies, c’est notre métier de faire en sorte que le personnel que nous mettons à la disposition de ces entreprises travaillent dans des conditions respectueuses de leur santé et de leur sécurité. C’est en tout cas ce à quoi nous nous employons : le challenge que nous nous sommes donnés est d’adapter notre pratique professionnelle à cette réalité de notre marché. L’agence qui emploie actuellement en moyenne annuelle environ 145 intérimaires (avec des pics pendant la période estivale et à la rentrée de septembre) a connu une forte croissance au cours des dernières années. Une cinquantaine des intérimaires que nous employions ont été intégrés en contrats à durée indéterminée chez nos clients au 326
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cours des années 2006 et 2007. Une dizaine d’entre eux l’ont été tout récemment au début de l’année 2008. C’est paradoxalement une des meilleures preuves que nous pouvons fournir de la qualité des prestations que nous fournissons à nos clients : leur souhait d’embaucher et de fidéliser les travailleurs que nous mettons à leur disposition. C’est aussi pour nous un atout pour continuer à travailler avec ces clients. Quand j’ai pris la responsabilité de cette agence, il y a quelques années, je n’avais pas d’expérience dans le travail temporaire, ni dans l’industrie puisque j’exerçais précédemment une activité de type commercial. Compte tenu des caractéristiques du bassin d’emploi et de mon profil, compte tenu aussi de l’expérience acquise dans d’autres régions, il est apparu important à la direction du groupe Proman de renforcer notre capacité d’action en matière de prévention des risques professionnels. À ce titre, j’ai pu bénéficier, au début de ma prise de fonctions, de l’aide d’un conseiller sécurité chargé de m’aider à définir et mettre en place une politique sécurité efficace. Cette aide se poursuit encore aujourd’hui puisque l’agence bénéficie d’une prestation de deux jours tous les mois pour le suivi et l’amélioration de sa politique de prévention des risques professionnels : c’est un choix délibéré du groupe de considérer que nous devons développer des compétences qui nous permettent d’accompagner les mesures de prévention qui sont mises en œuvre par nos clients. C’est aussi, pour parler clair, se donner les moyens de juger si cette politique est satisfaisante ou pas. J’ai évoqué précédemment l’expérience acquise dans d’autres régions. Le groupe Proman a été fondé dans la région PACA et son activité s’est d’abord développée dans cette région avant de devenir nationale. À ce titre, les agences intervenant sur la région de l’étang de Berre ont rapidement été confrontées à la problématique du MASE et ont adhéré au système de management de la sécurité. C’est donc logiquement que nous avons choisi de bénéficier de l’expérience acquise par nos collègues du Sud-Est d’autant que notre démarche a coïncidé avec le développement du MASE Atlantique, déclinaison locale de la démarche. Nous avons d’emblée inscrit le développement de la politique de prévention des risques professionnels de l’agence dans ce référentiel.
1. Une entreprise de travail temporaire dans le système MASE Le dispositif MASE a déjà été largement décrit par d’autres contributeurs à cet ouvrage, aussi je n’y reviendrai pas en détails. Je me contenterai de développer les points qui me paraissent les plus importants dans l’optique qui est la nôtre : celle d’une aide à la définition et au suivi d’une politique de prévention des risques professionnels active pour une entreprise de travail temporaire. La rigueur que l’adhésion à ce système 327
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de management exige nous a d’abord permis d’améliorer l’ensemble du fonctionnement de notre agence. Afin d’obtenir la qualification, nous avons été obligé de formaliser un certain nombre de règles de fonctionnement et l’expérience nous a rapidement montré que, pour être efficace et tenable dans le temps, le système doit coller réellement à la réalité et aux besoins de l’entreprise. Pour une débutante dans le métier comme je l’étais, ces contraintes ont paradoxalement représenté une aide, en nous obligeant à définir la politique de notre entreprise. Le BTP représente un tiers de notre activité. C’est un secteur dans lequel, en matière de prévention des risques professionnels, le meilleur peut côtoyer le pire. Ainsi on peut voir, au sein d’une même entreprise, des équipes dans lesquelles un véritable accueil sécurité est organisé, où la notion de compagnonnage prend réellement tout son sens, où les équipements individuels (indispensables dans le BTP, même si la politique sécurité ne peut pas s’y limiter) sont réellement portés, où le matériel mis à la disposition des travailleurs est adapté à la tâche, et d’autres où le n’importe quoi règne en maître. À ce titre, la rigueur que nous a imposée la démarche MASE nous a aidés à clarifier puis à formaliser nos rapports avec nos clients du bâtiment et des travaux publics. Notre responsabilité de chef d’établissement ne s’arrête pas à l’entrée du chantier : les conditions d’emploi du personnel que nous mettons à disposition nous concernent au premier chef. Nous avons une responsabilité légale mais aussi morale vis-à-vis de nos employés et c’est toute la crédibilité de notre démarche d’entreprise de travail temporaire qui est en jeu. Cette logique nous a conduit à refuser de continuer à travailler avec certains clients du BTP parce que nos règles de fonctionnement n’étaient pas compatibles. Pour en revenir à l’industrie (principalement constructions navale et aéronautique), la démarche MASE pourrait être considérée comme une contrainte puisqu’elle est imposée par les donneurs d’ordres à leurs entreprises extérieures auxquelles nous fournissons de la main d’œuvre. Nous la vivons plutôt comme une aide. À cela, plusieurs raisons : – Dans un métier tel que le nôtre, il est important d’être reconnu et d’être considéré comme un partenaire à part entière par nos différents interlocuteurs : membre actif, au même titre que les entreprises utilisatrices et nos clientes les entreprises extérieures, d’une association qui se donne pour but la prévention des risques professionnels, nous mettons à profit cette appartenance commune pour engager le dialogue sur nos responsabilités et nos actions communes. – Les statuts et les règles de fonctionnement du MASE vont à l’encontre d’une certaine tendance encore trop répandue qui consiste à ne considérer l’entreprise de travail temporaire que comme un fournisseur de main d’œuvre dont la responsabilité et la capacité d’intervention s’arrêtent à la porte de son client : cela constitue une aide indéniable pour faire reconnaître notre spécificité et notre savoir-faire. 328
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– L’appartenance commune au MASE fait que nous nous référons aux mêmes valeurs, mais aussi que nous avons un langage commun et que nous pouvons établir des contacts directs plus facilement que dans un autre contexte : la relation humaine est facilitée. – Notre agence est présente au Conseil d’administration et au comité de pilotage du MASE Atlantique et à ce titre je participe aux délibérations pour l’attribution de la certification : il est important de faire entendre une voix « différente » qui fasse prendre en compte la réalité du travail sous tous ses aspects et qui ne se limite pas à ses formes les plus visibles. Notre objectif est de fournir à notre client un travailleur en parfaite adéquation avec ses besoins : c’est l’intérêt bien compris de tous. Notre adhésion et notre participation active au MASE nous ont aidés à améliorer la qualité de nos prestations. Un certain nombre de nos clients, qui ne sont pas familiers de cette logique impliquée par l’adhésion à un système de management, sont parfois surpris de la démarche que nous adoptons afin de les aider à préciser leur demande et leurs besoins. Au-delà de cette volonté de faire notre travail avec la meilleure efficacité possible, nous ne cachons pas que nous faisons de notre adhésion au MASE un argument de vente, pas seulement auprès des entreprises adhérentes, mais aussi de nos clients en général. La prévention des risques professionnels est désormais bien positionnée parmi les critères d’efficacité des entreprises, et on ne peut que s’en réjouir à de multiples égards. Il est donc important pour nous d’avoir une image de performance dans ce domaine : cela répond aux valeurs du groupe Proman et il est important que les entreprises de travail temporaire améliorent une image de marque que certaines pratiques antérieures ont parfois ternie.
2. Au-delà des règles du système de management de la sécurité, des initiatives pour améliorer la performance de notre entreprise en matière de prévention des risques professionnels Après quelques années d’activité, nous nous sommes fixés au sein de l’agence de SaintNazaire un certain nombre de règles auxquelles nous ne voulons pas déroger parce qu’elles sont garantes de la qualité de notre prestation et de la prévention des risques professionnels. Certaines d’entre elles paraîtront peut-être basiques au lecteur. Aussi limitées soient-elles, leur mise en œuvre n’a pas été sans poser quelques problèmes 329
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tant il est parfois difficile aux entreprises de travail temporaire de faire respecter à leurs clients les simples obligations liées au respect de la réglementation. Nous ne fournissons pas seulement de la main d’œuvre, mais une prestation globale. Nous avons déjà souligné toute l’importance que nous attachons à l’adéquation entre les compétences du personnel que nous fournissons et le poste qu’il doit occuper. Avant toute première mission, nous évaluons le niveau de connaissances dans le domaine de la sécurité au travail de nos employés. Ce test peut être reproduit si nous avons eu connaissance de problèmes lors de l’exécution d’une mission (et nous interrogeons explicitement nos clients sur ce sujet en fin de mission) ou si notre employé est amené à intervenir dans un secteur très différent de ceux pour lesquels il est habituellement désigné. En fonction des résultats de ces tests, nous pouvons être amenés, dans le cadre de notre plan de formation, à faire suivre des stages particuliers. Les travailleurs que nous missionnons savent également que c’est pour un type de tâches précis. Ainsi, nous avons été confrontés récemment au cas d’une entreprise qui, sans l’avoir prévu lors de la commande, souhaitait faire effectuer des travaux nécessitant un CACES à un de nos employés qui n’en était plus titulaire depuis quelques mois. L’employeur a délivré une autorisation de conduite à notre salarié qui nous a alertés. La règle a été appliquée : cette autorisation de conduite est obligatoire, mais elle ne peut être donnée qu’à quelqu’un titulaire au moment t du certificat nécessaire. Notre salarié n’a pas été autorisé à conduire les matériels. À ce sujet, tous nos employés sont informés de la possibilité d’exercer leur droit de retrait si besoin est et nous leur apportons le soutien nécessaire. Nous organisons régulièrement pour les personnels employés par l’agence des sessions de formation ciblées sur un risque particulier : le travail en hauteur. Le contenu de ces sessions est élaboré par un prestataire de services. Nous nous assurons de son adéquation par rapport aux besoins de nos clients en les interrogeant sur leurs besoins et les éventuelles conditions particulières de travail chez eux. Dans une logique commerciale classique, nous effectuons régulièrement des visites des entreprises clientes, mais aussi de prospects. Il s’agit bien sûr de déterminer les profils professionnels dont elles peuvent avoir besoin afin d’être en mesure de répondre à leur demande. Il s’agit aussi clairement pour nous de ne pas nous limiter au bureau de notre correspondant dans l’entreprise, mais aussi de visiter les postes de travail afin de vérifier que les conditions de travail sont satisfaisantes. Au moment de l’établissement de la commande, nous demandons à nos clients de nous préciser tout point particulier pouvant nécessiter le choix d’un profil de personnel particulier (formation notamment) et explicitement les risques professionnels associés au poste de travail. Sur la demande de personnel qui nous est adressée par notre client, nous lui demandons de renseigner plusieurs rubriques qui nous permettent de mieux appréhender les conditions de travail et les risques correspondants. Par exemple : 330
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Figure 17.1 Demande Sani-Ouest anonymisée. 331
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– Les risques (incendie/explosion, chute, etc.). – Les conditions particulières de travail (poussière, bruit, travail en hauteur, etc.). – La répartition de la fourniture des équipements de protection individuelle entre l’entreprise de travail temporaire et le client. Ces demandes sont plus ou moins bien satisfaites. À titre d’exemple, nous reproduisons sur la figure 17.1 une demande assez précise qui nous a été adressée par un client. Nous menons systématiquement une enquête sur les lieux d’un accident du travail. Notre objectif est que cette enquête soit menée dans les 24 heures qui suivent l’accident, et au maximum dans les 48 heures. Cette démarche n’a pas toujours été bien acceptée par nos clients, voire par les entreprises utilisatrices de nos clients. Il arrive encore aujourd’hui que nous rencontrions des réticences et que nous ayons des difficultés à accéder au site. À ce niveau, l’adhésion au MASE s’est révélée un atout : compte tenu de la logique du référentiel, il n’est pas possible à une entreprise adhérente de faire de l’obstruction. Et si malgré tout, quelques réticences peuvent subsister à certains niveaux de l’encadrement ou de la maîtrise, un contact direct ou téléphonique avec un de nos interlocuteurs habituels facilite notre accès. Cette enquête, à laquelle nous associons bien sûr notre client et éventuellement l’entreprise utilisatrice, doit bien sûr être suivie de préconisations et nous nous assurons avant de missionner un nouvel intérimaire que les éventuelles modifications de postes ou de méthodes de travail ont été effectuées. Nous ne sommes pas des spécialistes de la prévention, mais nous bénéficions toujours de l’apport (en moyenne deux jours par mois) d’un consultant spécialisé en matière de prévention des risques professionnels et nous lui demandons bien sûr de contribuer à l’enquête ou au moins de valider ses conclusions. En matière d’accidents du travail, la transparence doit être complète : nous les déclarons tous. C’est une obligation liée au référentiel du MASE, mais c’est surtout une règle de fonctionnement du groupe Proman. Il nous est arrivé de subir des pressions non pas pour que nous ne déclarions pas l’accident, mais plutôt pour que nous modifiions le lieu ou l’heure de survenue. Ces interventions, finalement très rares, n’ont pas eu le succès escompté… Pour autant, cette déclaration systématique des accidents ne s’accompagne pas d’angélisme : il nous est arrivé (mais là aussi très rarement) d’en contester auprès de la caisse primaire d’assurance maladie parce que nous avions recueilli des éléments, notamment au moment de l’enquête systématique, qui rendaient l’accident peu plausible. Toutes nos entreprises clientes ont été destinataires d’un courrier leur demandant de nous préciser si elles ont des postes à risques particuliers susceptibles d’être confiés à notre personnel. Dans ce courrier nous leur faisions également part de notre demande que ces postes nous soient systématiquement signalés avant toute demande particulière. 332
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Les visites d’entreprises dont nous avons parlé précédemment nous ont permis de compléter nos dossiers. Au-delà de la prévention de l’accident, nous nous préoccupons aussi bien sûr de celle des maladies professionnelles et pour ce faire un travail avec le médecin du travail est indispensable. Pour certains de nos salariés qui peuvent intervenir dans d’assez nombreuses entreprises, il est hélas parfois difficile de recenser toutes les expositions aux produits chimiques auxquels ils peuvent être confrontés. Dans le cadre de cette coopération avec la médecine du travail, il nous est arrivé de demander à certains fournisseurs des fiches de données de sécurité. Quoi qu’il en soit, nous respectons la réglementation en établissant la fiche annuelle d’expositions aux agents cancérogènes et aux agents chimique dangereux. Pour ce faire, nous considérons aussi que notre adhésion au MASE est un élément positif puisqu’elle nous permet, dans une configuration santé et sécurité au travail pas toujours aussi bien décrite qu’on pourrait le souhaiter sur les bons de commande ou sur les fiches de postes qui nous sont transmises, de récupérer des données que les entreprises clientes ne nous transmettraient peut-être pas spontanément. Là aussi le volontarisme est nécessaire : plus de 80 % des données que nous obtenons le sont suite à des démarches systématiques ou ciblées que nous effectuons auprès de nos clients. Nous ne craignons pas de dire qu’à cet égard, il nous arrive d’être plus professionnels que certains de nos clients. Notre intervention a pu dans certains cas leur faire prendre conscience de risques pour leur propre personnel qu’ils n’avaient peut-être pas toujours estimés à leur juste niveau. Pour ce qui concerne la visite médicale proprement dite (et plus globalement l’enregistrement des expositions et des contraintes liées à l’activité) qui reste un moment important pour la santé du travailleur, nous utilisons un document spécifique établi par la CRAM des Pays de la Loire et certains services de santé au travail afin de fournir au médecin du travail les informations les plus pertinentes et les plus utiles. Ce document est reproduit sur la figure 17.2.
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Figure 17.2 Définition du poste et des nuisances. 334
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Compte tenu des contraintes de notre activité et des difficultés que rencontre la médecine du travail dans son exercice quotidien, établir une relation de travail suivie et efficace avec ce partenaire indispensable et incontournable n’est pas toujours une tâche aisée, pour les uns comme pour les autres. Avec beaucoup de bonne volonté de part et d’autre, nous avons réussi à résoudre petit à petit les difficultés de caractère administratif. Nous n’entendons bien sûr pas en rester là : avec la médecine du travail, comme avec nos autres partenaires, nous souhaitons engager une démarche de progrès afin de pouvoir contribuer à lui donner les moyens et les éléments dont elle a besoin pour réaliser sa tâche au mieux.
3. Des résultats et des pistes d’amélioration En 2006, le taux de fréquence d’accidents du travail du personnel employé par l’agence de Saint-Nazaire est de 56. Le taux de gravité est de 0,64. Rappelons qu’au niveau national pour les activités de travail temporaire, ils se situent respectivement à 49,19 et 2,26 (chiffres de l’année 2006 selon les statistiques technologiques de la Caisse nationale d’assurance maladie des travailleurs salariés). Le paradoxe est que nous avons un peu plus d’accidents que la moyenne de la branche d’activité, mais que leur gravité est très inférieure. Ce paradoxe est encore renforcé par le fait que notre activité s’exerce à 95 % dans des activités de bâtiment travaux publics et de type industriel, alors que notre part d’activité dans le tertiaire peut pratiquement être considérée comme négligeable. Ces chiffres ne seraient-ils pas la preuve d’une sincérité dont tous ne font peut-être pas preuve ? Quoi qu’il en soit, nous n’avons pas l’intention de nous contenter de ces résultats et nous chercherons à progresser. Pour ce faire nous pouvons compter en particulier sur l’accompagnement du service Prévention des risques professionnels de la CRAM des Pays de la Loire qui, en concertation avec la profession, a mis à sa disposition un certain nombre d’outils destinés à faciliter l’évaluation des risques, leur prévention et l’enregistrement des expositions [1]. Nous avons déjà exposé les démarches de progrès que nous avons engagées : – l’intégration à un système de management de la sécurité, en l’occurrence le MASE, qui nous fournit le cadre de réflexion et qui nous aide à mieux définir nos objectifs de production et de prévention des risques professionnels : nous ne dissocierons jamais les deux, – une démarche systématique de connaissance des postes de travail que nos salariés peuvent occuper chez nos clients et une réflexion sur les mesures de 335
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formation et plus généralement de prévention que nous pouvons accompagner, voire initier, – un accompagnement de nos salariés dans l’exercice de leur mission afin qu’ils aient bien conscience que nous restons leur employeur et que nous sommes là pour les aider au quotidien, tout ceci en coopération étroite avec le client dans une démarche commune de progrès. Nous souhaitons les compléter dans les années qui viennent par un travail encore plus approfondi en matière de formation. De la même façon que notre industrie doit progresser dans sa capacité à fournir des prestations toujours plus performantes afin de rester compétitive, les entreprises de travail temporaire doivent être en mesure de lui fournir une main d’œuvre toujours plus qualifiée. C’est un véritable défi dans la mesure où, malgré un taux de chômage élevé sur notre bassin d’emploi, nous connaissons nous-mêmes actuellement des difficultés pour le recrutement de notre personnel. Ces compétences techniques à développer doivent s’accompagner d’un véritable apprentissage du travail en sécurité, directement intégré à la tâche elle-même. De gros progrès ont été faits en matière d’organisation et de prise en compte de la sécurité et ils doivent être poursuivis, mais des ressources existent du côté des travailleurs eux-mêmes : c’est notre travail de les accompagner dans la mobilisation de ces ressources.
Bibliographie [1] http://www.cram-pl.fr/risques/dossiers/interimaires/convention_interimaires. htm.
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1. Dix ans de mandat syndical dans un CHSCT : un bon observatoire pour voir les changements organisationnels en termes de sous-traitance Vitor Pereira J’ai accompli cinq mandats successifs au sein du CHSCT d’une entreprise de la pétrochimie, les deux derniers (quatre ans) en tant que secrétaire du comité dans les années 1990 et au début des années 2000. C’est d’ailleurs au cours de cette dernière partie de mon activité militante que je me suis plus particulièrement intéressé aux problèmes de santé et de sécurité des entreprises extérieures intervenant sur le site où j’étais employé. Il est intéressant de noter que c’est au cours de cette période que la société pétrolière qui m’employait a procédé au transfert presque total de la réalisation des travaux de maintenance de son propre personnel à celui d’entreprises extérieures. Ce transfert a certes été progressif mais, tout au long des années 1990, on a assisté à une montée en puissance des entreprises extérieures. La fin des années 1980 avait été marquée par des départs massifs du personnel de maintenance de l’entreprise utilisatrice à la faveur des départs naturels à la retraite mais aussi de plans de licenciements et de plans dits « sociaux » (mesures d’âge). 337
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Dans chaque secteur de l’usine, se sont implantées, dans le cadre d’un contrat triennal, une entreprise générale de maintenance pour la mécanique et une entreprise chargée de l’électricité et de l’instrumentation. Dans le même temps les effectifs de l’entreprise utilisatrice dans ces spécialités ont continué de décroître, même si des embauches (à un niveau technique généralement plus élevé que celui des sortants) ont été effectuées. En effet, globalement la tâche qui était dévolue à ces personnels avait considérablement évolué : il ne s’agissait plus de faire eux-mêmes, mais, en liaison avec les bureaux d’études de l’entreprise utilisatrice (dont les effectifs avaient été renforcés), d’assurer la mise au travail des entreprises extérieures et le contrôle des tâches qu’elles avaient effectuées. Cependant, globalement sur la période, à la faveur de regroupements de secteurs et de marchés et de gains de productivité, les effectifs (toutes entreprises confondues) ont progressivement diminué. Après avoir crû au début de la période, le nombre de travailleurs d’entreprises extérieures employés sur le site a ensuite été réduit. Pour des opérations ponctuelles (gros arrêts périodiques, rénovation d’unités, etc.), ces entreprises peuvent être renforcées par d’autres, mais au bilan de forts gains de productivité ont été réalisés. On produit toujours plus avec toujours moins d’employés (tous statuts confondus).
2. Un transfert des tâches, des compétences, des savoirs et des responsabilités Ce transfert des tâches s’est aussi accompagné d’un transfert des responsabilités effectives dans tous les domaines. Transfert sur lequel il est intéressant de s’attarder un peu. En effet, si, vis-à-vis de la législation, le recours à des entreprises extérieures n’a pas diminué la responsabilité de l’entreprise utilisatrice dans ses obligations d’assurer la sécurité du site ou le respect des normes environnementales, il a eu des conséquences non négligeables dans la gestion et le fonctionnement de l’usine en interne au quotidien. Des études ont été réalisées qui montrent qu’au-delà de la volonté de l’entreprise utilisatrice de procéder à une rationalisation de la production et de la disponibilité de la main d’œuvre, génératrice d’économies1, il s’agit avant tout pour elle de diminuer sa 1. Certains auteurs doutent d’ailleurs de l’efficacité économique de l’intervention d’entreprises extérieures, malgré le recours à des entreprises qui ont souvent un coût horaire plus faible que l’entreprise utilisatrice : cette sous-traitance se traduirait en fait par un déplacement des coûts de la production directe vers la conception et les différents outils de régulation mis en place pour conserver la maîtrise des installations et de la production.
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responsabilité sociale en limitant le nombre de travailleurs qu’elle emploie directement. Mais le recours aux entreprises extérieures n’est pas sans conséquence sur l’organisation et le déroulement de la production, voire sur la gestion des installations. Ainsi à l’occasion de gros travaux (et pas seulement des travaux neufs), nous avons pu constater que la maîtrise réelle des opérations n’était pas assurée par l’entreprise utilisatrice, mais par l’entreprise extérieure principale à laquelle le marché avait été attribué. Le planning était établi par cette entreprise extérieure et c’était également elle qui définissait, en fin de compte, la place et les fonctions des travailleurs de l’entreprise utilisatrice. Si cette dernière gardait bien la maîtrise globale de l’ouvrage, elle pouvait se retrouver provisoirement privée d’un contrôle réel sur l’exécution des travaux. De même les habitudes de travail en commun étaient telles qu’il n’était pas exceptionnel de voir des responsables d’entreprises extérieures procéder à la sortie de pièces du magasin de l’entreprise utilisatrice, la situation étant régularisée administrativement après. Dans les faits et au quotidien, les frontières entre l’entreprise utilisatrice et les entreprises extérieures sont souvent très ténues, au point qu’une personne extérieure ne pourrait souvent pas distinguer dans un premier temps qui relève de l’une et qui relève de l’autre. D’un point de vue juridique, cette confusion des rôles mériterait d’être approfondie et certaines affaires récentes1 montrent que les juges peuvent dans certains cas être amenés à considérer que le fait de travailler de façon permanente sur un même lieu situe cette activité dans le cadre d’une unité économique et sociale. Confrontées au quotidien à la réalité de la production, les entreprises extérieures ont acquis un véritable savoir-faire et une réelle connaissance des installations. Les travailleurs de ces entreprises, en ayant eu l’opportunité d’être confrontés à des situations de travail différentes, sont souvent capables de faire la preuve d’une grande adaptabilité. Cependant, cette capacité à appréhender rapidement des situations nouvelles ne permet pas de pallier une connaissance insuffisante du milieu de travail et des risques correspondants. Les entreprises utilisatrices, conscientes du problème posé par le recours aux entreprises extérieures et de la perte de « mémoire » qu’il entraîne, ont renforcé leur système qualité, notamment à travers l’introduction de systèmes de management de la sécurité. Quelle que soit la qualité et la précision des procédures, une réelle connaissance des installations, presque « physique », doit être acquise pour pouvoir travailler en toute sécurité. C’est en particulier le cas pour des interventions qui sont menées sur des installations partiellement en fonctionnement, comme c’était souvent le cas dans l’entreprise où j’ai travaillé. Une intervention de maintenance sur des transformateurs qui, pour des raisons techniques, n’avaient pas pu être tous arrêtés a donné lieu à un accident grave. Elle avait été effectuée par une équipe spécialisée dans 1. Jugements demandant que des élections professionnelles de site soient organisées auxquelles devraient prendre part salariés de l’entreprise utilisatrice et des entreprises extérieures permanentes, indépendamment de leur statut dans le cadre d’une unité économique et sociale définie.
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la mise en place d’équipements neufs. L’enquête a montré que l’accident était principalement dû à une méconnaissance des contraintes du fonctionnement de l’installation. Beaucoup de procédures écrites essaient de structurer le fonctionnement et l’entretien des installations. L’enquête a révélé que le travail réel dépasse largement le prescrit. Tenir compte de ce réel et l’intégrer est aussi un gage de sécurité. Il faut également intégrer des éléments de savoir-faire et de comportement qui ne sont pas entièrement réductibles à des recettes écrites. Au fil du temps, des solidarités se créent entre les différents intervenants dans le cadre de collectifs de travail plus ou moins formalisés : ces solidarités jouent aussi un rôle important dans l’évitement des accidents comme dans l’efficacité du travail effectué. Mais la plupart du temps, ces solidarités en sont pas reconnues et pas intégrées.
3. Transmission des connaissances — Contradictions entre rentabilité économique et performance technique — L’importance de la notion d’unité économique et sociale Nous avons montré précédemment qu’une grande partie du savoir-faire technique utile dans la gestion au quotidien d’installations sophistiquées est aujourd’hui passé du personnel employé directement par l’entreprise utilisatrice à celui des entreprises intervenantes. Ce transfert de compétences pourrait constituer un moyen de pression économique important pour ces dernières au moment de la renégociation des contrats. Pour de simples raisons d’efficacité économique, il est donc important pour l’entreprise utilisatrice de ne pas se laisser prendre dans une relation de dépendance. Dans la spirale infernale qu’on connaît actuellement, il lui faut même obtenir que les gains de productivité incessants auxquels la contraignent ses actionnaires soient au moins pour partie assurés par les entreprises sous-traitantes. La renégociation habituellement triennale des contrats est l’occasion pour l’entreprise utilisatrice de reprendre la main. L’entreprise utilisatrice essaie d’exercer, par le biais de la mise en concurrence autour de l’appel d’offres, des pressions pour que l’entreprise titulaire du marché modère ses coûts. Pour autant, l’entreprise utilisatrice n’a pas la certitude que la prestation assurée par un nouvel entrant moins disant sera de la même qualité : quelles que soient ses qualités professionnelles, le personnel de la nouvelle entreprise ne sera généralement pas formé aux spécificités de l’installation et il n’en aura pas la connaissance acquise 340
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par plusieurs années d’expérience1. En outre, les tâches de l’entreprise utilisatrice et des entreprises extérieures étant souvent étroitement imbriquées, la création des nouveaux collectifs de travail, qui ne sont pas non plus réductibles à de strictes relations de travail inter-entreprises qu’on pourrait encadrer par des procédures, prendra un certain temps. Or ils sont absolument nécessaires au bon fonctionnement et à l’efficacité des installations. Lors de ces changements d’opérateur industriel, on assiste alors souvent à des opérations de débauchage, effectuées plus ou moins ouvertement, des opérateurs de l’ancien titulaire du contrat au profit du nouveau. L’entreprise utilisatrice y gagne une certaine stabilité en matière de production et donc dans le domaine de la santé et de la sécurité, tant il est bien connu qu’un fonctionnement défectueux de la production ou de la maintenance est générateur d’incidents, voire d’accidents. La nouvelle entreprise y gagne une connaissance de la réalité du travail. Pour les travailleurs concernés, qui peuvent travailler dans l’entreprise utilisatrice depuis de nombreuses années, l’intérêt n’est pas négligeable. Sans aller jusqu’à la perte de leur emploi si leur entreprise n’est pas en mesure de leur proposer un nouveau poste, il peut s’agir d’une mutation à une distance plus ou moins grande de leur lieu d’habitation, ou d’une relative précarisation s’ils sont amenés à un certain « nomadisme » dans leur activité en passant de sites en sites pour des missions ponctuelles. Parce que certains cas individuels sont douloureux, parce que nous étions bien conscients du fait que le bon fonctionnement en sécurité des installations passe par une bonne stabilité de ceux qui les font fonctionner ou qui les entretiennent, notre syndicat a mené plusieurs initiatives auprès du patronat de l’entreprise utilisatrice pour que ces situations de transition soient gérées au mieux des intérêts des travailleurs concernés. Ces initiatives ont, selon les périodes, rencontré plus ou moins de succès. Elles nous ont même valu des accusations de « copinage », voire de « gestion maffieuse » auxquelles nous nous serions prêtés pour des raisons d’intérêt personnel. Au-delà de ces épiphénomènes, aussi désagréables soient-ils, la relative écoute dans ces démarches que nous avons obtenue tant auprès de l’entreprise utilisatrice (la nôtre) que des entreprises extérieures montrent bien qu’en définitive l’unité économique et sociale était bien constituée et que chacun en était parfaitement conscient. À partir de ce constat, il est donc parfaitement légitime d’écrire que les affaires économiques comme les problèmes de sécurité et santé au travail relèvent bien de l’ensemble des partenaires présents sur le site et que les intérêts et contraintes de tous sont parfaitement liés. En conséquence la sécurité de tous est l’affaire de tous et les limitations contenues dans le décret du 18 février 1992 [1] en matière notamment des compétences d’intervention des différents CHSCT n’ont 1. Nous insistons pour dire que cette connaissance ne peut pas se réduire à une connaissance des manuels qualités et autres procédures parce que la réalité du travail est autrement plus complexe.
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pas de sens, si ce n’est celui de constituer en pratique une entrave à la mise en place d’une politique réellement efficace de prévention des risques professionnels. Quant à l’entreprise extérieure évincée, la perte d’employés souvent très bien formés n’est évidemment pas une bonne affaire. Elle peut cependant à moyen terme espérer être bénéficiaire des mêmes pratiques dont elle a été « victime ». En outre, on a assisté ces dernières années à une concentration des entreprises du secteur via des regroupements ou des rachats. De même, les entreprises utilisatrices en cherchant à limiter pour des raisons d’efficacité et de coût interne le nombre de leurs interlocuteurs externes ont par le fait même incité les entreprises de maintenance (ou de nettoyage ou de logistique) à s’associer, une entreprise extérieure assurant le rôle d’entreprise principale et redistribuant des parties du marché à des concurrents/alliés. Dans ce contexte, une entreprise de maintenance, intégrée dans ce système de liens complexes, qui pourra d’ailleurs être titulaire d’un marché attribué par la même entreprise utilisatrice sur un autre site, pourra avoir tout intérêt à s’accommoder de ce « pillage » (indépendamment du fait qu’elle peut avoir des difficultés à employer dans l’immédiat les travailleurs nouvellement inemployés). Au bilan ce sont donc les travailleurs des entreprises extérieures qui seront mis à contribution pour fournir les gains de productivité1. Indépendamment des progrès techniques possibles que je ne nierai pas (la productivité a notamment augmenté grâce à une rationalisation de la production), l’intensification du travail est réel. Si elle ne se traduit pas forcément par des accidents du travail, puisque là aussi des progrès significatifs (indépendamment des opérations de dissimulation sur lesquelles je reviendrai plus loin) ont été accomplis, la charge mentale est plus forte et les situations de stress et de mal-être au travail sont de plus en plus nombreuses.
4. L’action des CHSCT et des instances de représentation du personnel — Un contexte général peu favorable Le CHSCT de l’entreprise dans lequel j’ai exercé mes responsabilités syndicales a toujours mené une action volontariste dans la prévention des risques professionnels
1. La productivité du travail des salariés des entreprises utilisatrices a également beaucoup progressé. Les éléments de comparaison sont cependant beaucoup plus difficiles à établir puisque cette progression s’est accompagnée d’un changement radical du travail : du faire au faire faire, de l’exécution des tâches par soi-même à la mise au travail et au contrôle. Ces changements n’en sont pas moins également générateurs de contraintes, voire de contradictions, et les situations de stress sont également en progression constante.
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des entreprises extérieures. Le comité s’est efforcé de renforcer cette action dont nous verrons plus loin qu’elle n’est pas toujours naturelle ni évidente pour les structures syndicales. En effet les mandants des organisations syndicales (adhérents ou électeurs) sont eux-mêmes confrontés à des problèmes au quotidien et attendent avant tout de ceux qu’ils ont mis en place une défense. La notion de solidarité entre les travailleurs employés sous différents statuts et la compréhension que les problèmes des uns ne sont pas le résultat de la présence et/ou de l’action des autres ne sont pas naturelles. C’est le rôle des organisations syndicales d’aider à la compréhension et à la construction de ces solidarités. C’est particulièrement vrai pour les structures syndicales des entreprises utilisatrices qui, le plus souvent, exercent leur activité dans un cadre moins difficile que leurs homologues des entreprises extérieures. Certes, à l’occasion d’un conflit avec la Direction de son entreprise utilisatrice, le militant d’un syndicat peut expérimenter divers aspects de la stratégie patronale pour le déstabiliser (sanctions disciplinaires, mise à l’écart de toute responsabilité professionnelle, développement de carrière freiné, voire, dans les cas extrêmes, comme j’ai pu l’expérimenter, ne plus se voir confier aucun travail1), mais, dans l’ensemble, compte tenu du rapport de forces régnant dans l’entreprise, il bénéficiera d’un certain soutien dans l’exercice de sa fonction, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur2. Il n’en est souvent pas de même pour les syndicalistes des entreprises extérieures. Compte tenu du fait que leur entreprise intervient souvent simultanément sur plusieurs sites (en plus de ses propres locaux qui peuvent comprendre eux-mêmes des ateliers), l’exercice de leur mandat est compliqué par des problèmes géographiques (déplacement sur les différents lieux d’intervention qui peuvent être très éloignés, coût correspondant qui n’est que très rarement pris en charge par l’entreprise). Si ces délégués connaissent généralement bien le travail effectué par leurs collègues, ils ne sont pas toujours au fait des techniques et des conditions d’exploitation des entreprises utilisatrices, ni des risques correspondants. Pour un délégué du personnel ou un représentant au CHSCT, rentrer sur le site de l’entreprise utilisatrice dans les locaux de laquelle des travailleurs de sa propre société travaillent tient souvent du parcours du combattant. Compte tenu des exigences de sécurité et de respect des secrets de fabrication de l’entreprise utilisatrice, voir le travail réel de ses collègues demande une volonté et une 1. La stratégie qui consiste à isoler un représentant syndical du travail en faisant en sorte que plus aucune tâche ne lui soit confiée (sous-prétexte par exemple de non-disponibilité immédiate pour le travail de production au quotidien au motif de difficultés liées à l’exercice du mandat syndical) est particulièrement perverse. Elle coupe en effet le syndicaliste de la réalité du travail, tellement importante pour asseoir sa crédibilité et la pertinence de ses interventions. Elle contribue aussi à le stigmatiser auprès de ses mandants dont la tâche peut être augmentée (plus ou moins artificiellement) du fait de cette « décharge d’activité ». Elle est aussi déstabilisante pour le syndicaliste qui prend conscience rapidement qu’il est tenu à l’écart de l’évolution (souvent rapide) des techniques de travail et que sa réintégration dans le collectif de travail à l’issue de son mandat risque d’être plus problématique. 2. Malgré les espoirs et les manœuvres de certains, le Code du travail existe encore.
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force de persuasion souvent considérables. Enfin, effectuer tout cela dans les conditions de discrétion, voire d’anonymat que certains travailleurs réclament (pour « ne pas être mal vus » de leur hiérarchie) relève de la gageure. Pour que cela soit possible, il faut une solidarité active des instances de représentation du personnel des entreprises utilisatrices sur lesquelles nous aurons l’occasion de revenir largement plus loin dans ce texte. Un soutien de principe ne suffit pas, il doit être inscrit dans une stratégie de travail en commun élaborée de façon concertée et dans laquelle les syndicats de l’entreprise utilisatrice s’investiront. Je voudrais faire part de la réalité que j’ai constatée. C’est celle de la faible « espérance de vie » des militants syndicaux des entreprises extérieures dans leur poste. Au cours de mon activité en tant que membre puis secrétaire de CHSCT, j’ai été en contact suivi avec des élus des instances de représentations du personnel d’entreprises extérieures, intervenant dans l’entreprise où j’exerçais mes fonctions ou dans d’autres. En règle générale, dès que des contacts suivis s’établissaient entre syndicalistes des deux entreprises (voire qu’une plate-forme de travail en commun se mettait en place au niveau d’un site entre les différents syndicats de l’entreprise utilisatrice et des entreprises extérieures), une réaction rapide du patronat se mettait en place. Sans aller toujours jusqu’à des mesures extrêmes comme les sanctions disciplinaires (avertissement, blâme, voire dans les cas extrêmes le licenciement), les entreprise extérieures disposaient de tout un arsenal de mesures pour casser ces solidarités naissantes : la mutation sur un autre site était probablement la plus usitée et aussi la plus efficace. Compte tenu de la faiblesse relative du syndicalisme français (en particulier dans les petites et moyennes entreprises), l’action revendicative repose souvent sur un nombre limité de militants. En règle générale, les actions en commun, les solidarités naissantes résistaient difficilement au départ d’un (voire de plusieurs) élément(s) du collectif. Le risque que le travailleur muté retrouve dans son nouvel emploi, à supposer qu’il en ait envie et que la « leçon » ne lui ait pas suffi, les conditions d’une coopération avec le(s) syndicat(s) de l’entreprise utilisatrice étaient finalement réduites. Indépendamment de ces actions de répression syndicale sournoise (puisque non affichées comme telles), il faut aussi reconnaître que la précarité dans lesquelles les entreprises extérieures sont installées (perpétuellement confrontées à la menace d’une non-reconduction du contrat généralement triennal la liant à l’entreprise utilisatrice) n’est pas un facteur favorisant l’action syndicale. Une implantation syndicale significative ou une forte conflictualité peuvent constituer des obstacles à l’attribution d’un contrat. En effet, les activités des uns et des autres étant fortement imbriquées, le simple arrêt de travail des salariés d’une entreprise extérieure peut bloquer rapidement toute la production d’une usine, risque que l’entreprise utilisatrice ne courra pas volontiers.
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5. Créer des solidarités entre les travailleurs de différents statuts — Une action volontariste — Des exemples concrets Sans prétendre à l’exemplarité, plusieurs actions mises en place par le CHSCT dont j’ai fait partie me semblent valoir la peine d’être rapportées ici. Tout d’abord nous sommes partis du constat que nous travaillions tous sur un même site, que nous concourions tous à la même production et que si, compte tenu de la diversité de nos fonctions, nos risques professionnels n‘étaient pas identiques, nous avions tous une responsabilité partagée et une capacité commune à mettre en œuvre dans leur prévention. C’est dans cette optique que nous avons orienté l’activité du CHSCT de l’entreprise utilisatrice : nous avons décidé d’en faire un lieu où les contraintes et les risques professionnels des travailleurs des entreprises extérieures seraient exposés clairement. À cet effet, dans le cadre de la visite hebdomadaire des installations que nous effectuions (secteur par secteur), nous avons inclus systématiquement une étude du travail effectué par les entreprises extérieures. À partir de cette démarche, je peux dire que les conditions de travail et les risques professionnels de chaque entreprise extérieure étaient examinés au moins deux fois par an et bien sûr à chaque fois qu’un incident ou un accident était porté à notre connaissance, soit par la voie « officielle » de la direction du site, soit par des contacts que nous avions dans les ateliers. Il ne s’agissait pas de notre part d’une volonté de se substituer aux instances représentatives de ces entreprises extérieures, mais d’apporter notre contribution, au niveau de responsabilité qui était le nôtre, à la mise en œuvre de leur politique de sécurité. Nous n’avons d’ailleurs jamais eu le moindre conflit avec aucune structure, indépendamment de toute étiquette syndicale (notre CHSCT étant d’ailleurs composé de représentants de plusieurs syndicats). Lors de l’établissement des plans de prévention, nous avons également pris l’initiative d’inviter systématiquement les secrétaires des CHSCT concernés. Cette possibilité qui n’est pas prévue explicitement par les textes (qui ne l’interdisent pas non plus) n’a pas toujours été simple à mettre en œuvre. Il nous a fallu à plusieurs reprises prendre la responsabilité de faire pénétrer les secrétaires de CHSCT dans l’enceinte de l’entreprise sous notre propre responsabilité et d’imposer leur présence aux réunions. Cependant, cette initiative n’a pas rencontré d’opposition sérieuse de la part de notre direction (ni donc de celles des entreprises extérieures) et son principe en a été rapidement acquis. De même, en cas d’incidents ou d’accidents donnant lieu à enquête, nous avons toujours favorisé la coopération avec les structures représentatives des entreprises extérieures 345
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et imposé sans réelle difficulté leur présence. À vrai dire, c’est beaucoup plus en en termes de disponibilité et de moyens des différents CHSCT que nous avons rencontré des difficultés. En effet la législation ne prévoit pas de moyens supplémentaires (ni en temps, ni financièrement) pour les instances représentatives du personnel dans le cas de la sous-traitance interne, ni pour l’entreprise utilisatrice ni pour les entreprises extérieures. Il est pourtant bien évident que ce type d’activité des CHSCT, autrement plus complexe que celle menée dans le cadre du fonctionnement d’une entreprise dans un contexte de production plus « classique » justifierait pleinement des moyens supplémentaires et spécifiques. La loi sur la prévention des risques professionnels a maintenant avalisé un certain nombre des pratiques que nous avions mises en œuvre dans ce qui nous semblait être l’esprit de la réglementation à défaut d’en respecter scrupuleusement la lettre. Pour autant, les dispositions de cette réglementation nous semblent encore trop timides et surtout elles ne s’adressent pas à l’ensemble des sites sur lesquels des entreprises extérieures interviennent (uniquement les entreprises de type Seveso II). Pour organiser une prévention efficace des risques professionnels, il faut revoir l’organisation de la sécurité sur les sites, redonner à l’entreprise utilisatrice les responsabilités qui sont les siennes : cela passe en particulier par la création de CHSCT communs de sites. En tant que CHSCT, nous avons aussi essayé de donner une véritable existence à des dispositions prévues dans le texte du décret de 1992, mais dont nous considérions qu’elles restaient trop théoriques. Ainsi pour la prévention et l’évaluation des expositions professionnelles aux polluants chimiques, le CHSCT a organisé, avec l’aide de la Direction Prévention des risques professionnels de la CRAM du Sud-Est une journée d’information à l’intention des médecins du travail des entreprises extérieures. Dans notre esprit, il s’agissait de permettre aux médecins du travail des différentes entreprises (utilisatrice et extérieures) d’échanger, dans l’esprit du décret de 1992, sur les problèmes rencontrés et les pratiques professionnelles des uns et des autres. Mais, si les CHSCT (ou les délégués du personnel) et les médecins du travail des entreprises extérieures ont répondu présents, il n’en a pas été autant des fonctionnels sécurité de ces entreprises, ni de ceux de l’entreprise utilisatrice, ni de sa médecine du travail, fonctionnant en service autonome. Pour autant, la réunion a donné lieu à des échanges fructueux et a mis clairement en évidence les besoins des médecins du travail des entreprises extérieures en termes d’information sur les risques et d’échanges quant à leurs pratiques professionnelles. Sans qu’il y ait probablement de rapport (ou si peu…), la Direction de l’entreprise utilisatrice a elle aussi, quelques mois plus tard, invité l’ensemble des médecins du travail à une réunion d’information et de coordination. Hélas, elle a omis d’inviter notre CHSCT… Nous avons également obtenu de la direction de l’entreprise utilisatrice la création d’un indice global au niveau du site (entreprise utilisatrice + entreprises extérieures) pour 346
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la comptabilisation des accidents du travail, en plus de l’indice triomphaliste qui faisait le bilan des accidents du travail des accidents du travail des employés de la seule entreprise utilisatrice. Tendance lourde d’amélioration des conditions de travail au fil des ans ? Dissimulation de plus en plus performante des accidents ? Résultat de l’action menée par notre CHSCT ? Ou un peu de tout ça ? Quoi qu’il en soit, cet indicateur a baissé tout au long de ma présence au CHSCT, bien que sa valeur soit évidemment supérieure à celle de l’indice de l’entreprise utilisatrice. Toute provocation mise à part, je suis toujours impressionné par la capacité d’adaptation des travailleurs des entreprises extérieures que j’ai déjà signalée précédemment. En effet pour quelqu’un qui comme moi ne crois pas (ou peu) aux miracles et compte tenu des conditions de travail (rythme, méconnaissance des équipements, etc.) qui sont les leurs, le taux de fréquence des accidents du travail des employés des entreprises extérieures me paraît toujours se situer en dessous ce qu’on pourrait raisonnablement redouter. Et parce que les conditions de travail ne concernent pas que la production ou la maintenance elle-même, mais aussi l’environnement de travail, je tiens à signaler un résultat de l’action de notre CHSCT. Nous avons obtenu que les travailleurs des entreprises extérieures les plus « stables » sur le site de l’entreprise utilisatrice (entreprises extérieures présentes en permanence sur le site dans le cadre d’un contrat triennal par exemple) aient accès à un certain nombre de prestations (co)-assurées par le Comité d’établissement de l’entreprise utilisatrice : la restauration d’entreprise, certaines œuvres du Comité, comme l’accès à la bibliothèque de prêts, etc. L’obtention de ces petits riens qui améliorent significativement le quotidien des travailleurs des entreprises extérieures n’a pas été sans difficulté : obtenir l’adhésion de nos mandants, les travailleurs de l’entreprise utilisatrice, n’a pas été toujours évident. C’est que l’arrivée des entreprises extérieures a des implications évidentes sur la situation des employés de l’entreprise qui se trouvent eux-mêmes déstabilisés par cette nouvelle forme d’organisation du travail.
6. Rebâtir des solidarités entre les travailleurs pour faire des progrès en prévention des risques professionnels L’arrivée massive des entreprises extérieures a été vécue souvent douloureusement par les travailleurs de l’entreprise utilisatrice : leur métier a changé, les collectifs de travail ont dû s’adapter à une nouvelle réalité. Celle de la présence d’éléments considérés, au moins dans un premier temps, comme des étrangers dont la présence modifie le rapport de forces établi au fil des années entre la Direction de l’entreprise utilisatrice 347
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et ses propres salariés, en la défaveur de ces derniers. Des travailleurs souvent moins bien payés (rattachés à une autre convention collective) et dont la marge de manœuvre est plus faible, « qui seraient prêts à faire n’importe quoi et en particulier ce que, nous, nous n’acceptions pas de faire à n’importe quelles conditions ». Du côté des travailleurs des entreprises extérieures, rapidement, la conscience d’un salaire moins élevé pour un travail considéré comme au moins aussi utile, voire plus : « ces gens-là sont grassement payés pour nous commander des travaux qu’ils seraient bien en peine d’effectuer euxmêmes puisqu’ils n’en ont pas (plus) la compétence, et en plus ils nous demandent de faire cela dans des délais ou dans des conditions de travail intenables ». Malgré toutes les affirmations, il est illusoire de réduire le commandement de ses salariés au seul employeur de l’entreprise extérieure notamment en matière de productivité, de santé, de sécurité et de conditions de travail. L’introduction des entreprises extérieures complique terriblement le jeu des relations sociales. Il a fallu bien des efforts aux structures syndicales des différentes entreprises (dont la prise de conscience n’a pas été non plus spontanée) pour vaincre ces réticences et trouver un mode de fonctionnement commun. C’est probablement en matière de santé et de sécurité au travail que les choses ont avancé le plus rapidement, sans doute parce que le fait que les conditions de travail des uns et des autres étaient étroitement interdépendantes y était plus visible. Pour autant, il a été difficile de sortir des schémas de rapports de production patronaux. Le syndicat de l’entreprise avait souvent malgré tout un peu tendance à se comporter en « grand frère » par rapport à ceux des entreprises extérieures : « s’ils ont besoin de notre aide, qu’ils viennent nous la demander », plutôt qu’il n’envisageait d’emblée une action coopérative entre égaux. L’attitude de la direction de l’entreprise utilisatrice prête au dialogue avec les syndicats de sa structure sur les conditions de travail de son propre personnel, mais qui ne voulait discuter avec eux d’aucun point concernant les travailleurs des entreprises extérieures, constituait d’ailleurs un encouragement dans ce sens. La réalité des faits oblige pourtant à considérer que c’est bien l’entreprise utilisatrice et sa direction qui déterminent le fonctionnement du site et donc des entreprises extérieures dont les directions ne peuvent avoir d’initiative, notamment en termes de santé et de sécurité que dans ce cadre déterminé par l’entreprise utilisatrice. Les structures syndicales départementales sont intervenues de façon volontariste pour inciter à recréer les solidarités nécessaires entre les différentes structures d’entreprises (utilisatrices et extérieures) et les choses ont évolué plutôt favorablement avec le temps. Confrontés à des conditions et à des rythmes de travail se dégradant pour tous, les travailleurs ont petit à petit recréé des collectifs de travail plus solidaires, donc plus efficaces en matière de revendication sur les conditions d’hygiène et de sécurité, mais dans un contexte qui reste marqué par une précarité accentuée. 348
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7. Un seul responsable pour l’hygiène et la sécurité sur le site industriel : l’entreprise utilisatrice Si on veut aujourd’hui parvenir à une véritable amélioration des conditions de travail, de santé et de sécurité sur les sites de l’industrie, il faut impérativement en donner la responsabilité à la seule qui peut les assumer : la direction de l’entreprise utilisatrice en y associant les entreprises extérieures, leurs CHSCT et services de prévention. En dernière instance que ce soit de façon directe ou indirecte, c’est à l’entreprise utilisatrice d’en assumer le financement. La représentation des travailleurs doit également se faire à travers un CHSCT commun de site (ou plusieurs si la géographie et/ou la nature du site l’impose(nt)), mais de toute façon élu par les travailleurs de toutes les entreprises. La réalité du fonctionnement des sites montre bien de toute façon qu’on ne peut plus envisager la prévention des risques professionnels d’une entreprise indépendamment des autres. La loi Bachelot a commencé d’en prendre acte, mais d’une façon encore trop timide.
Bibliographie [1] Février 1992.
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La sous traitance de site. Exemple du nucléaire
Michel Lallier Depuis 1990, les centrales nucléaires françaises font appel à des entreprises soustraitantes pour effectuer les travaux d’entretien et de maintenance des installations. Ces travaux, auparavant réalisés par les agents de l’entreprise publique, représentent plus de la moitié de la totalité des heures de travail effectuées dans les centrales. Elles se réalisent pour l’essentiel au cours des « arrêts de tranches », périodes durant laquelle le réacteur est arrêté pour changer le combustible nucléaire, et donc en moyenne une fois par an durant 3 à 8 semaines suivant la nature des travaux. Une centrale nucléaire composée de 4 réacteurs emploie en moyenne 1 300 agents EDF auxquels viennent donc s’ajouter suivant les périodes d’arrêts 1 000 à 1 500 salariés d’entreprises sous-traitantes. Il y a en moyenne selon les centrales 400 à 600 salariés sous-traitants qui travaillent tout au long de l’année sur le site. La totalité des sous-traitants intervenant sur les sites nucléaires est de 22 000 salariés qui interviennent soit en permanence pour EDF (environ 15 000), soit occasionnellement (et qui le reste de l’année interviennent soit dans la chimie, la papeterie, la construction navale, mais aussi le CEA, la COGEMA, l’ANDRA… ou sont au chômage). L’exemple du nucléaire est assez emblématique puisqu’il s’agit d’une industrie à risques, mais qui relève des mêmes stratégies que celles des autres industries, et présente donc les mêmes caractéristiques et les mêmes enjeux sociaux. 350
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Ce qui est donc dit ci-après vaut pour toute sous-traitance dite « de site ». Transfert des contraintes – Au-delà de la question des coûts, le recours à la soustraitance constitue – ou plutôt serait justifiée par – un transfert (une externalisation) de contraintes pour le donneur d’ordre : – Contraintes de variabilité – Variabilité de l’activité (opérations de maintenance), ou variabilité du carnet de commande. – Contraintes de gestion de l’emploi – Résultant notamment de la variabilité précédente. – Contraintes des droits et des acquis sociaux – La sous-traitance permet de réduire le champ d’application des statuts (par exemple EDF, fonction publique, grand groupe…), de se soustraire aux obligations de représentation salariale (seuil des DP, délégués syndicaux, CE, CHSCT), et de couper toute possibilité de négociation directe entre celui qui crée la contrainte sociale et salariale et ceux qui la subissent. – Contraintes d’exposition aux risques professionnels – Toutes les études, expertises, enquêtes, réalisées révèlent ces types de transferts. Si l’on prend par exemple le nucléaire ou la chimie, on peut dire que la raison principale du recours à la soustraitance de certaines activités est constituée par ce transfert mais c’est aussi le cas dans l’industrie d’armement. Ces aspects de la sous-traitance touchent alors des questions de santé publique. (N’oublions pas que l’institut de veille sanitaire estime à plus de 20 000 le nombre de cancers professionnels, pour 1 200 reconnus en 2005 !)
1. L’organisation de la sous-traitance 1.1. La sous-traitance de premier rang Pour accroître sa compétitivité et favoriser un retour rapide des investissements en s’évitant le poids des contraintes citées précédemment, le donneur d’ordre va reporter l’ensemble de ces contraintes sur des sous-traitants de premier rang. Ceux-ci peuvent se répartir en deux catégories : – Les entreprises qui se spécialisent sur les activités à forte intensité technologique (par exemple la maintenance des installations industrielles, les « constructeurs » qui ont fournis les installations et les machines, l’informatique de gestion ou de finances…). – Les « ensembliers », c’est-à-dire des entreprises qui vont prendre un marché comportant une multitude d’activités diverses. Pour tirer le maximum de rentabilité de leurs marchés, les sous-traitants de premier rang se concentrent sur le noyau dur de leur activité, ce qui leur permet de coupler 351
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effets d’apprentissage et économie d’échelle. Mais ces mouvements de concentration comportent un risque pour le donneur d’ordre, celui de la perte de maîtrise de sa politique industrielle. Aussi les entreprises sont-elles incitées à développer des relations de partenariat avec les sous-traitants de premier rang (il existe ainsi à EDF comme dans tous les secteurs industriels des « chartes » de partenariat). Les sous-traitants de premier rang diminuent alors leurs coûts et les « rigidités » du travail en transférant l’ensemble des autres contraintes : celles liées à l’emploi et aux risques professionnels, à la chaîne de sous-traitants de second rang.
1.2. La sous-traitance de second rang Ce sont les entreprises de second rang qui auront à gérer les contraintes de l’emploi consécutives à la variabilité de l’activité ou du carnet de commande. Ainsi ce sont les entreprises donneuses d’ordre et les entreprises sous-traitantes de premier rang qui vont capter l’essentiel de la valeur ajoutée du produit ou du service. La sous-traitance de second rang peut prendre la forme d’une cascade de sous-traitance et atteindre parfois 6 à 7 niveaux de sous-traitance. Ces entreprises de la chaîne de sous-traitance sont facilement substituables, ce qui présente un « avantage » notamment dans le cadre de l’exposition aux risques professionnels CMR. En général, les qualifications, ainsi que les garanties sociales, diminuent au fur et à mesure qu’augmente le niveau de sous-traitance. C’est à partir du second niveau de sous-traitance qu’apparaît la précarité des emplois qui s’accroît au fur et à mesure de la chaîne de sous-traitance. Ainsi, dans le nucléaire, si l’emploi précaire est de l’ordre de 15 à 20 % du total des entreprises sous-traitantes, ce taux passe à plus de 30 % pour les entreprises de second rang et peut atteindre 80 % dans les entreprises de la chaîne de sous-traitance, notamment pour les activités les plus exposées aux risques professionnels (décontamination, calorifugeage, nettoyage industriel, manutention…).
2. Les conséquences 2.1. Sous-dimensionnement de l’emploi stable Dans le nucléaire, la sous-traitance est principalement une sous-traitance de main d’œuvre (les entreprises ne fournissent qu’un service, une activité, elles ne possèdent 352
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ni les machines, ni les pièces de rechange ni l’outillage), on assiste alors à une diminution des emplois, stables par nature, au sein de l’entreprise donneuse d’ordre et des entreprises sous-traitantes de premier rang. La variabilité est directement « gérée » par l’emploi précaire, contrairement d’ailleurs à la jurisprudence qui reconnaît que cette variabilité est dans certains cas consécutive à l’activité elle-même et ne doit donc pas être considérée comme un surcroît exceptionnel d’activité dès lors qu’elle se reproduit périodiquement et à des périodes connues à l’avance (c’est le cas des arrêts d’installations industrielles pour maintenance où le recours aux CDD et interim a été jugé abusif… ; cour d’appel d’Orléans 1999). Une autre raison du sous-dimensionnement de l’emploi (pas simplement de l’emploi stable) réside dans la façon dont sont passés les marchés. Il s’agit de marchés passés « au forfait », donc avec obligation de résultat et non pas de moyens. Ainsi les entreprises vont diminuer le nombre d’emplois pour diminuer les coûts dans les appels d’offre. Ce phénomène se trouve accentué dans la dernière période où l’on voit se développer les marchés passés aux « enchères inversées » : il n’y a plus de « plis », les sous-traitants de premier rang sont réunis ensemble avec le donneur d’ordre qui « offre » un prix d’enchère que les entreprises sous-traitantes diminuent au fur et à mesure, celle qui offrira le prix le plus bas aura le marché.
2.1.1. Le droit du travail mis en échec Le droit du travail est construit pour régir les relations au sein d’une entreprise, construite sur le modèle de l’entreprise industrielle, dans laquelle le centre de pouvoir est clairement identifié. Au titulaire du pouvoir, l’employeur, correspond une responsabilité et un espace d’exercice des droits collectifs des salariés. Tout le droit du travail est conçu selon ce modèle. Quel que soit le nom employé (sous-traitance, externalisation, entreprise en réseau), se développent des relations inter-entreprises. Certains évoquent les nouvelles formes d’organisation de l’entreprise ; d’autres parlent volontiers des nouvelles frontières de l’entreprise. Mais au-delà de ces différences terminologiques, se façonne un nouveau modèle d’organisation qui a des conséquences très importantes sur l’application du droit du travail. Le jeu traditionnel de ce droit s’en trouve déformé et mis à l’écart. Les exemples sont nombreux. Lorsqu’une entreprise travaille pour une autre entreprise sous-traitante, ou lorsque plusieurs entreprises participent en un même site à une opération commune, qui est responsable de l’hygiène et de la sécurité ? le code du travail dit que c’est EDF, et pourtant ! C’est l’entreprise qui doit prendre les mesures de prévention sous les indications et sous la surveillance d’EDF, mais la réalité est tout autre ; les 353
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surveillants d’EDF n’ont ni le temps ni les moyens de contrôler toutes les entreprises qui travaillent en 3 × 8 ; d’autre part c’est au sein de l’entreprise sous-traitante que sont discutés en CHSCT les mesures d’hygiène et de sécurité, EDF ignore les conséquences des expositions qu’elle génère. Lorsqu’un salarié est licencié par un sous-traitant du fait de la rupture du contrat qui liait ce dernier au donneur d’ordre, qui est débiteur de l’indemnité de licenciement ? L’entreprise sous-traitante, or c’est bien EDF qui est à l’origine du licenciement. En somme, au modèle hiérarchique et pyramidal se substitue un modèle dans lequel le centre de direction est difficile à identifier. Bien sûr, dans la plupart des relations de sous-traitance, l’une des entreprises est en situation de dépendance économique, en particulier si la relation présente un caractère d’exclusivité. À cet égard, les discours prétendant que ces relations sont des relations égalitaires doivent être combattus. Il n’en demeure pas moins que cette relation de dépendance économique n’est à l’heure actuelle guère prise en considération par le droit du travail.
2.1.2. Mise en concurrence des salariés Lorsqu’il s’agit d’une sous-traitance de main d’œuvre, l’offre de prix la plus basse se fera donc au détriment des garanties sociales offertes aux salariés et à l’emploi. Cette recherche des coûts salariaux les plus bas se fait grâce à la multitude des conventions collectives. Ainsi, sur un même site, pour la même activité industrielle, on peut dénombrer plusieurs dizaines de conventions collectives. Même pour la convention collective (CC) de la métallurgie, il va y avoir concurrence entre les CC départementales que compte ce secteur industriel (ce sont les CC départementales et régionales (construction) qui déterminent les points coefficients salariaux). Au cours d’un arrêt de tranche à Chinon, j’ai dénombré 54 conventions collectives applicables aux 1 200 salariés intervenants sur l’arrêt1. Bon nombre de groupes industriels ayant une « activité principale » (INSEE) dans un secteur, vont mettre en place une filiale intervenant sur un autre secteur et ainsi bénéficier de la « faiblesse » de leur convention collective pour emporter le marché. C’est par exemple le cas d’ONET (CC du nettoyage) qui est devenue l’une des principales entreprise de sous-traitance dans le nucléaire, en lieu et place d’entreprises qui jadis relevaient de la CC de la métallurgie.
1. Sous-traitance, le cas du Nucléaire, Michel Lallier, 1994.
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De plus, la plupart des entreprises sous-traitantes de second rang possèdent des liens financiers ou de filialisation avec les entreprises sous-traitantes de premier rang, lesquelles sont parfois des filiales d’EDF (comme par exemple Polinorsud, STMI...). Ainsi la « concurrence » entre les entreprises ne se fait-elle qu’au travers de la concurrence entre les statuts des salariés.
2.1.3. Santé et sécurité Le transfert des risques professionnels constitue une des raisons principales du recours à la sous-traitance dans certains cas, il en est la résultante dans les autres cas. Dans le cas de la sous-traitance sur site, les activités sous-traitées étant essentiellement des activités « d’exécution » (tertiaire ou industrielle), les salariés se trouvent donc directement soumis aux risques afférents au process ; c’est ainsi qu’ils sont les principales victimes des accidents du travail et des maladies professionnelles. Les taux de fréquences sont 2 à 10 fois supérieurs aux taux de fréquences observés chez le donneur d’ordre EDF ; l’exposition aux CMR est essentiellement subie par les sous-traitants (qui subissent 80 % des doses d’irradiation totale de l’industrie nucléaire). On assiste en réalité dans la sous-traitance à une gestion de l’emploi PAR le risque. C’est-à-dire que les parcours professionnels vont être définis en fonction de l’atteinte des seuils maximum d’exposition aux CMR. Il n’est pas rare de rencontrer des salariés sous-traitants qui soient soumis à l’exposition aux éthers de glycol, à l’amiante, aux doses radioactives, etc., et changer d’activité à chaque fois qu’ils atteignent le seuil d’exposition à chacun de ces CMR. Les conditions de dépendance, notamment en terme d’emploi, auxquelles sont soumis les salariés sous-traitants conduisent à une sous-déclaration des accidents du travail. Certains contrats de sous-traitance comportent une clause pénalisante pour l’entreprise sous-traitante si elle dépasse les « objectifs » du donneur d’ordre en terme d’accidents du travail, ce qui va conduire ces entreprises à exercer des pressions sur leurs salariés pour ne pas déclarer les accidents. Étant soumis par transferts aux contraintes du « marché », ce sont les sous-traitants qui subissent les conséquences et les pressions qui en découlent, notamment en terme d’intensification du travail et de flexibilité. Le sous-dimensionnement de l’emploi conduit par ailleurs à l’accroissement de la surcharge de travail. On observe alors l’effet combiné de l’exposition aux risques et des contraintes du marché avec notamment l’apparition précoce et le développement de maladies professionnelles, telles les TMS (troubles musculos-quelettiques) qui caractérisent le cumul de l’intensification et la densification du travail. 355
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La santé au travail devient ainsi un instrument et un enjeu de la soustraitance1.
2.1.4. Rupture du lien social Les salariés sous-traitants ne se sentent pas directement « investis » dans les objectifs sociaux poursuivis par l’entreprise donneuse d’ordre, notamment quand celles-ci sont des entreprises publiques : En quoi un intérimaire se sentirait porteur d’une mission de service publique alors qu’il sait que son contrat prendra fin une fois terminée sa mission ponctuelle ? « Le lien social est le résultat d’une multitude de processus d’intégration organisés autour du travail qui oriente l’action et fournit le sens des pratiques sociales2 ». Or le but de la sous-traitance est précisément d’écarter ces salariés de tout processus d’intégration dans le monde du travail de l’entreprise utilisatrice. La compétitivité recherchée par le donneur d’ordre, éventuellement sa mission de service publique, son développement technologique… ne constituent guère des valeurs, ni même des enjeux pour les salariés sous-traitants. Cela veut dire qu’il n’existe pas de base sociale, politique, économique, culturelle qui puisse servir de support à ces stratégies industrielles3. Face à cela les entreprises tentent de répondre par la signature de « chartes » qui engagent les sous-traitants au sein d’un « partenariat » qui en fait constitue un surcroît de charges pour ces derniers. Sur les sites industriels, commerciaux ou tertiaires, trois mondes vivent côte à côte sans tisser de lien social : le management du donneur d’ordre, les salariés du donneur d’ordre, les salariés sous-traitants. Les rapports sociaux qui caractérisent les rapports de sous-traitance sont en fait basés sur les rapports commerciaux, de domination.
1. Sur ce chapitre, voir les travaux d’Annie Thebaud-Mony, ainsi que le programme de recherche IRESCOCNRS : Précarisation sociale, travail, santé, B. Appay, A. Thebaud-Mony. 1997. 2. Yves Barel. Le grand intégrateur, Connexions, n° 56, 1990. 3. Voir Isabelle Billard, travaux de recherche MIRE.
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2.1.5. Rupture des solidarités salariales, écartèlement des salariés entre plusieurs interlocuteurs Cette caractéristique des rapports sociaux fait que les rapports entre salariés du donneur d’ordre et ceux de la sous-traitance ne sont pas basés sur des solidarités professionnelles mais sur la « hiérarchie » voire l’antagonisme. Les rapports de domination-soumission qui prévalent entre les entreprises sont reportés entre les salariés ; les uns devenant les « contrôleurs » ou les « donneurs d’ordres » du travail des autres ou ignorant totalement leur travail réciproque. La disparité des conventions collectives conduit à la disparité des revendications lorsqu’elle ne les met pas en opposition. L’absence de négociation directe entre celui qui fixe les contraintes et ceux qui les subissent prive les salariés sous-traitants de la capacité d’intervenir réellement sur leurs propres conditions de vie et de travail. Les nouvelles formes d’organisation se caractérisent par le fait que l’employeur, débiteur d’obligations et donc responsable en cas d’inexécution de ces obligations n’est plus clairement identifiable comme il l’était auparavant dans un ensemble intégré. Ces relations modifient les conditions dans lesquelles la responsabilité de l’emploi et la responsabilité en matière de santé et de sécurité est assurée. Elles permettent un transfert des risques sur un ensemble d’entreprises aux contours flous et incertains. Lorsqu’une entreprise travaille pour une autre entreprise, quel que soit le type de contrat qui les lie, le travailleur se trouve écartelé entre deux interlocuteurs. L’un qui est son employeur nominal, le sous-traitant par exemple ; l’autre qui est dans ce même exemple l’entreprise donneuse d’ordre, avec qui le salarié n’a aucun lien juridique. Seul le sous-traitant est son interlocuteur véritable, et partant, le seul responsable (par exemple débiteur des indemnités de licenciement), puisqu’il est le seul à être qualifié d’employeur par le droit. Et pourtant, le pouvoir de décision économique appartient bien souvent à l’entreprise principale, donneuse d’ordre. Si cette entreprise donneuse d’ordre décide de rompre le contrat, il s’agit d’une simple rupture de contrat commercial. Dès lors, même si le sous-traitant est conduit à faire faillite et à licencier ses salariés, le droit du licenciement ne trouve pas à s’appliquer. Les salariés ne peuvent pas, sauf exception, se retourner contre l’entreprise principale pour obtenir des indemnités de licenciement. De même, cette entreprise n’a aucune obligation en matière de reclassement, puisque seule l’entreprise sous-traitante est employeur. Toutes les obligations imposées notamment par le droit du licenciement économique se trouvent vidées de leur substance. La portée d’une telle déformation du 357
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droit est encore accrue lorsque l’entreprise sous-traitante se situe dans un pays autre, sans que les salariés puissent accéder aux différents services de cette société. C’est notamment le cas aujourd’hui ou de plus en plus d’entreprises ayant leur siège social à l’étranger (Siemens, ABB…), qui interviennent sur les sites nucléaires (on citera notamment les filiales roumaines et polonaises d’Alstom). Bref, le droit commercial retrouve son emprise au sein d’une relation de travail. On mesure bien les bouleversements qui sont en train de s’opérer. Tout le droit du travail qui s’était construit sur l’idée qu’il fallait contrôler l’exercice du pouvoir de l’employeur est mis à l’écart. En fait, le droit du travail est éliminé au profit du droit commercial. Dans la plupart des cas, les problèmes rencontrés par les sous-traitants dans la réalisation du travail ne seront pas relatés au donneur d’ordre par peur soit de perdre le marché pour l’entreprise, soit de perdre son emploi pour le salarié. C’est ainsi que toute une partie du travail « réel » vécu par les salariés sous-traitants échappe au donneur d’ordre ce qui peut dans certains cas fragiliser soit la qualité du produit, soit la sécurité industrielle et donc la sûreté nucléaire. C’est ainsi que, face à ce risque, les entreprises donneuses d’ordre multiplient les démarches dites de « qualité » et de certifications : cela se traduit par un renforcement du prescriptif et donc des contraintes supplémentaires sur les salariés sous-traitants. De plus ces systèmes permettent un transfert de la responsabilité vers le sous-traitant en cas de malfaçon ou d’accident. Pour le donneur d’ordre, les contraintes du « travail réel » disparaissent au profit d’un système de « contrôle qualité » qui offrira une traçabilité de la « faute » vers le soustraitant, et donc vers le salarié qui dans certains cas est amené lui-même à signer ces procédures sans que ceux qui les instaurent ne connaissent réellement ses contraintes de travail.
2.1.6. Autre conséquence de ces nouvelles formes d’organisation : l’éclatement des collectivités de travail et, partant, des solidarités professionnelles. Tous les droits collectifs, la représentation collective, la négociation collective, comme la grève, sont construits sur le modèle de l’entreprise hiérarchique et pyramidale. Bien sûr, la négociation collective ou la grève se développent aussi à d’autres niveaux tels que la branche ou le niveau interprofessionnel. Mais le niveau de l’entreprise est devenu particulièrement important de sorte que si l’entreprise décide de « faire faire » plutôt que de « faire » elle-même, les droits collectifs s’en trouvent vidés de leur substance. 358
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C’est vrai en premier lieu pour la représentation collective des salariés. En effet, la sous-traitance a pour objet ou au moins pour effet de créer de petites unités de travail qui, bien souvent, n’atteignent pas les seuils d’effectifs requis pour que soient mises en place des institutions représentatives du personnel. Bien sûr certaines dispositions existent qui permettent de décompter dans les effectifs de l’entreprise utilisatrice les salariés mis à disposition par des entreprises extérieures. Mais l’interprétation qu’en donnent les juges ne permet pas toujours d’intégrer tous les salariés dans ces effectifs1. Quant au droit de grève, les choses se compliquent encore davantage. D’une part, les salariés d’un sous-traitant qui font grève alors qu’ils travaillent dans une autre entreprise encourent le risque de ne pas bénéficier de la protection relative à l’exercice du droit de grève. En effet, si un salarié mis à disposition dans une entreprise donneuse d’ordre fait grève, il existe un risque que le mouvement ne soit pas qualifié de grève juridiquement, puisque la grève est destinée à porter des revendications auprès de l’employeur nominal et qu’en l’occurrence, les conditions de travail sont imposées par l’entreprise donneuse d’ordre. On mesure bien les dangers d’une telle configuration. En l’état actuel du droit, le salarié peut être licencié par son employeur, sans que la protection relative à la grève puisse s’appliquer.
2.1.7. Le rétrécissement des frontières du salariat Le problème ici suppose d’envisager une autre configuration qui a tendance à se développer actuellement sur les sites nucléaire : l’entreprise donneuse d’ordre (EDF) conclut un contrat de sous-traitance avec un travailleur indépendant qui n’emploie pas lui-même de salariés. La conséquence est claire : alors que le même travail aurait pu être effectué par un travailleur salarié en recourant à un contrat de travail, il est ici effectué par un travailleur indépendant. La sous-traitance devient un moyen d’échapper directement à l’application des règles du droit du travail, alors même que bien souvent le travailleur indépendant se trouve dans un état de dépendance économique, en particulier s’il est dans une relation d’exclusivité avec l’entreprise donneuse d’ordre. 1. La chambre sociale (de la Cour de cassation avait ainsi précisé les conditions d’intégration des salariés mis à disposition dans un arrêt important (Soc. 26 mai 2004, n° 03-60358 ; n° 03-60434). Cette décision concernait l’entreprise Renault. Alors que cette dernière avait établi une charte électorale visant à n’intégrer dans ses effectifs que les salariés participant au « processus de production », la Cour de cassation avait considéré que les salariés mis à disposition, au sens des articles relatifs au décompte des effectifs, sont ceux qui « participent aux activités nécessaires au fonctionnement de l’entreprise utilisatrice ». ce qui permettait d’intégrer dans les effectifs un nombre beaucoup plus important de salariés. Mais cette jurisprudence est remise en cause aujourd’hui, depuis un arrêt datant du 15février 2006. C’est ainsi que, lors des dernières élections professionnelles EDF sur les sites, seuls 2 à 3 % des salariés sous-traitants « permanents » ont pu participer au scrutin.
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2.2. Conséquences globales : accroissement des risques 2.2.1. Risques professionnels Les contraintes imposées par EDF en termes de gains financiers et de productivité se reportent pour l’essentiel sur les salariés sous-traitants. L’exposition aux risques en est accrue et les mesures de prévention (document unique, plan de prévention, inspection commune…) sont quasiment inopérantes compte tenu de l’organisation elle-même de la sous-traitance.
2.2.2. Risques sociaux Plus personne ne peut aujourd’hui contester que l’externalisation a diminué le nombre d’emplois stables, augmenté la précarisation des situations de travail (et pas seulement celle de la nature des emplois), réduit le niveau des rémunérations, mis en concurrence les salariés. Tout ceci constitue aujourd’hui le ferment de conflits sociaux à venir qui désormais se situeront davantage au sein des entreprises de sous-traitance qu’au sein d’EDF comme en témoigne l’actualité récente.
2.2.3. Risques industriels L’explosion d’AZF démontre les dangers du recours à la sous-traitance dans les industries à risques. Les situations de travail engendrées par les rapports de domination commerciale constituent autant de handicaps à la transparence nécessaire à ce type d’industrie. Les systèmes de contrôle et de surveillance institués par EDF ne visent en fait qu’à déterminer la responsabilité et constituent plus un moyen de traçabilité de la « faute » en cas de problèmes qu’une véritable coopération. Or dans une industrie à risque, c’est la coopération et la transparence qui constituent le socle de la sûreté.
3. Luttes et expériences syndicales L’amplification du recours à la sous-traitance et son élargissement à tous les secteurs de l’économie bouleversent la représentation sociale construite en France autour des métiers et des entreprises intégrées. Les syndicats se trouvent ainsi confrontés à deux problèmes majeurs : • Des structures syndicales qui ne correspondent plus à ces nouvelles formes d’organisation du travail. Celui qui fixe les contraintes d’organisation, de délais 360
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et de coût n’est plus l’interlocuteur de celui qui les subit. Le contrat commercial supplante le contrat de travail dans la définition des règles sociales. Les syndicats sont ainsi « évacués » de la négociation. • Les rapports sociaux entre salariés du donneur d’ordre et salariés sous-traitants sont calqués sur les rapports économiques de domination et de subordination entre les entreprises. Il en résulte des ruptures de solidarités néfastes à l’implantation syndicale. De plus ces problèmes interviennent dans un contexte de dégradation des situations de travail et d’affaiblissement des garanties sociales. L’enjeu, du point de vue des structures syndicales, est d’être en capacité de dépasser les interventions syndicales autour des seuls intérêts des salariés de l’entreprise donneuse d’ordre. L’introduction de la sous-traitance dans l’activité de nombreuses entreprises est souvent vécue par les salariés comme une « privation » de leur emploi et/ou une disparition de leurs qualifications, ce qui conduit leurs syndicats à se recentrer sur la défense des garanties sociales de leurs seuls adhérents. Cet émiettement des entreprises n’est pas favorable à l’implantation syndicale et dans de nombreux cas les entreprises sous-traitantes vont s’arranger pour que leur effectif ne dépasse pas le seuil de la représentation syndicale. Certaines vont jusqu’à choisir le lieu de leur siège social en fonction du contenu (le plus faible) de la convention collective lorsque celle-ci est départementalisée ou régionalisée (métallurgie, construction). En externalisant l’activité, les entreprises externalisent la contrainte de gestion sociale liée à la nature de cette activité. La distribution de ces activités au sein d’une multitude d’entreprises sous-traitantes PME, voir TPE, n’est pas favorable à un travail syndical d’harmonisation. Les jeux de la concurrence lors des appels d’offre limitent la capacité d’intervention des syndicats afin d’obtenir mieux que le minimum conventionnel et s’opposer au dumping social. Mis à part dans les cas de filialisation, où il existe un comité de groupe, il n’y a pratiquement pas, ou peu, de structures syndicales où puissent se retrouver l’ensemble de la représentation sociale des salariés. Dans ce contexte il n’y a donc aucune négociation qui puisse se réaliser entre l’entreprise « primaire » qui fixe l’ensemble des contraintes sociales et la totalité des salariés qui les subissent. Dans la majorité des cas, une telle structure nécessiterait des coopérations entre les diverses fédérations de métiers au sein des organisations syndicales. En effet, dans chaque organisation syndicale, c’est l’appartenance à une convention collective ou un statut qui détermine l’appartenance à une fédération ; or nous sommes là dans le domaine de l’activité. 361
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Pour les salariés sous-traitants le lien qui le lie à celui qui, in fine, détermine les conditions et le contenu de son activité est un contrat commercial passé entre son employeur et le donneur d’ordre ; or l’activité syndicale est déterminée par la capacité à intervenir sur un contrat de travail, il en résulte que les syndicats se retrouvent en réalité privés de leurs capacités de négociation sur ce qui détermine les conditions sociales dans lesquelles agissent les sous-traitants. Seuls les syndicats de l’entreprise donneuse d’ordre peuvent avoir à intervenir sur les conditions économiques des contrats commerciaux dans le cadre de leurs comités d’entreprises, mais dans le cadre consultatif restreint de ces derniers ; il ne s’agit en aucun cas de négociations sociales et en tout état de cause ce ne sont pas les salariés directement concernés qui peuvent intervenir à l’exception du cadre de l’art. Dans les sites où se côtoient salariés sous-traitants et salariés du donneur d’ordre, la nature des emplois et le contenu des contrats commerciaux déterminent la nature des rapports sociaux entre les salariés. On y retrouve alors un lien de subordination qui s’oppose aux solidarités nécessaires à l’action syndicale commune. Quelquefois même les salariés du DO sont perçus par les sous-traitants comme ceux qui fixent directement leurs contraintes car ils sont la représentation physique de l’application du contrat commercial. De plus, la multiplication des « certifications » et des systèmes « d’assurance qualité » renforce ce rôle de contrôleur du salarié DO en accentuant les contraintes subies par le salarié sous-traitant ce qui accroît encore plus la distanciation entre les intérêts des uns et des autres. Les uns étant jugés sur leur capacité à « satisfaire le client » et les autres sur leur capacité à contrôler le travail. Le retard de réflexion globale du mouvement syndical sur ces systèmes d’assurance qualité et de certifications renforce cette distanciation. Depuis quelques années, certaines organisations syndicales ont engagé une réflexion sur la sous-traitance en interrogeant leurs propres pratiques et l’efficacité des structures actuelles. Des expériences de mise en place de structures : coordination, syndicats de site, syndicats multiprofessionnels, union locale de site, parrainages, etc. ainsi que des chartes revendicatives ou projets de statuts communs… Dans la plupart des cas ces expériences syndicales ont du mal à dépasser le cadre des sites industriels (la construction navale à Saint-Nazaire, les centrales nucléaires et les site de la COGEMA, l’aérospatial, Peugeot Sochaux, le CERN, le site de La Défense, celui de La Part Dieu, les sites industriels de la chimie au Havre, à Dunkerque, Pont de Claix...) mais témoignent d’une nette volonté des organisations syndicales de transformer leurs pratiques et de faire évoluer leurs structures. Quelques luttes sociales dans ces secteurs ont permis d’accéder à des transformations du type des relations sociales comme à Saint-Nazaire où un CHSCT de site a été constitué lors 362
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de la construction du Queen Elisabeth 2 ou dans les sites nucléaires d’EDF par la création de comité interprofessionnels sur la santé et les conditions de travail mais sans atteindre les dispositions spécifiques contenues dans la loi Bachelot, suite à AZF pour les sites Seveso II. La loi sur la transparence du nucléaire (2006) étend ces dispositions au nucléaire (COGEMA, CEA…) mais pas aux centrales nucléaires ! Le seul exemple de dispositions sociales communes à l’ensemble d’un site industriel est celui de la base aérospatiale de Kourou où une convention de site conclue entre tous les employeurs de la base spatiale est en vigueur depuis 1990. Elle harmonise les statuts, les conditions de travail, et les grilles de rémunérations, et prévoit leur évolution concertée. C’est l’un des rares exemples de dispositif bilatéral et contraignant, puisque contractualisé, de régulation des relations de travail au niveau d’un réseau d’entreprises1.
CONVENTION DE SITE DE KOUROU Accord collectif interentreprises du 18 mai 1990 pour la base spatiale de Kourou. Cet accord a été signé d’une part par les organisations syndicales : la CFDT/CDTG, la CFTC, la CFE/CGC, la CGT/FO et l’UTG, d’autre part par les Sociétés ou Établissements Arianespace, Delattre-levivier, Cegelec, CNES, Thomson-CSF, Sodexho, et filiales, Intespace, Apave, Clemessy, Air Liquide Spatial Guyane, EGTM, CISI, Logiqual, Mory, ERA, Progespace, Institut de Soudure, Espacenet, Syseca, ETCA, Europropulsion, Peyrani, Regulus, SEP. Depuis, d’autres entreprises intervenantes sur le site, telles que ENDEL, ont signés cette convention.
Cette convention prévoit notamment : « l’harmonisation des grilles de rémunérations et leur évolution concertée, l’ajustement des divers éléments de la rémunération (…), l’adaptation de l’aménagement du temps de travail dans le respect des contraintes opérationnelles (…), une politique de déroulement de carrière satisfaisant les aspirations légitimes des salariés, un effort permanent en matière de formation (…), le développement de la mobilité inter-entreprises sur le site, une politique volontariste d’amélioration du cadre de vie sur la Base Spatiale et dans son environnement, afin de favoriser l’épanouissement individuel (…) des personnels et de leurs familles, la mise au point de structures et de modalités de concertation permanentes entre les directions et les organisations syndicales représentatives ». Fin 2002, 1 650 personnes seraient « inscrites à la convention de site ». Celle-ci concernerait globalement un tiers de « métropolitains » détachés ou installés voire « guyanisés », un tiers de Créoles et un tiers d’Antillais. Par ailleurs, il existe un comité interentreprises de l’Union des employeurs de la base spatiale (UEBS) qui est présidé par le directeur du CNES.
1. Voir N. Renier, B. Rorive, V. Xhauflair, Lentic, rapport de recherche, avril 2004, RELIER).
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4. Propositions pour changer les choses À l’échelon national, il conviendrait de définir de nouvelles règles législatives et juridiques. Et proposer un socle minimum de droits collectifs pour les salariés des entreprises sous-traitantes. Ces règles devraient s’appuyer sur les principes suivants : 1. La sous-traitance est prohibée lorsque des considérations tirées de la protection de la santé publique, de la santé des travailleurs ou d’ordre public justifient cette interdiction. 2. Interdiction de la sous-traitance en cascade. 3. L’opération de sous-traitance ne peut avoir ni pour effet, ni pour objet de porter un préjudice au salarié ou « d’éluder l’application des dispositions de la loi, de règlement ou de convention ou accord collectif de travail » (cf. l’article sur le marchandage, L. 8231-1 Code du travail). 4. La réalisation de l’opération de sous-traitance est subordonnée à la conclusion d’un accord collectif définissant le « statut conventionnel de site », lequel ne fait pas obstacle à l’application aux salariés des entreprises sous-traitantes des stipulations conventionnelles qui leur sont applicables (convention collective) sous réserve qu’elles soient plus favorables que celles prévues par l’accord de site. Dans le cas du nucléaire il convient de repérer trois situations distinctes : 1. Les entreprises dont le chiffre d’affaires avec EDF dépasse 90 %, doivent faire partie intégrante de la Branche des IEG, et donc conformément à la loi de 2001 appliquer à leurs salariés le statut des IEG (identique à celui des agents EDF). 2. Les entreprises dont le chiffre d’affaires dépasse les 50 % sans atteindre les 90 % doivent s’inscrire au sein d’une convention collective unique des travailleurs sous-traitants du nucléaire évitant ainsi tout dumping social. Une clause de reprise des salariés en cas de changement de contrat doit y être intégrée. 3. Pour les autres entreprises celles-ci doivent : a) obligatoirement respecter : – les rémunérations minimales prévues par les CCN des entreprises DO et leurs rémunérations réelles, – les clauses conventionnelles des CCN des entreprises DO concernant les conditions d’emploi et de travail. 364
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b) Une « négociation interentreprises de site » doit avoir lieu au moins une fois par an, et réunir : – les DS des entreprises DO et les DS des entreprises ST (ou à défaut, les élus, selon les dispositions conventionnelles adoptées par la branche) ; – un représentant syndical extérieur (UL/UD ou Union syndicale professionnelle) pouvant y participer et les assister (réforme législative nécessaire, cf. supra) ; – les employeurs des entreprises DO et des entreprises ST, qui doivent obligatoirement y participer ; – cette négociation doit être « réelle, sérieuse et loyale » (comme l’exige de manière générale la jurisprudence ainsi que certains textes – loi du 24 mars 2006 sur l’égalité salariale entre les femmes et les hommes) ; – les accords conclus s’appliquent à tous les niveaux de la sous-traitance (cf. soustraitance en cascade), dès lors que 50 % des employeurs ont signé ou que des employeurs représentants la majorité de l’effectif prévisionnel ou du chiffres d’affaires ont signé ; – dans le cadre des appels d’offre et de la passation des marchés, la conclusion préalable d’un accord collectif par l’entreprise DO primaire est un critère pour l’attribution du marché ; – la « négociation inter-entreprises de site » peut avoir lieu dans le cadre d’une négociation au plan local, départemental ou régional (art. L. 2234-1 à L. 2234-3 Code du travail, Commissions paritaires professionnelles ou interprofessionnelles).
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Un faible recours à « l’expert CHSCT » par les entreprises sous-traitantes
Introduction Mokhtar Larbi Quand on m’a demandé de collaborer à cet article traitant des expertises réalisées par le cabinet Technologia, pour le compte de salariés appartenant à des entreprises soustraitantes, exerçant dans des espaces de travail sous tutelle d’entreprises « mères », j’ai tout de suite accepté. Le sujet ne peut en effet laisser indifférent compte tenu de ce que nous connaissons de la surexposition aux différents risques de cette catégorie de salariés, pour de multiples raisons que nous tenterons de développer ici. Mais tout d’abord cet exercice m’a conduit à prendre conscience de la surestimation du nombre de type d’expertises effectuées ces dix dernières années dans ce secteur ; de mon point de vue, le matériel était assuré pour une analyse riche et pertinente. Ce fut une déception lorsque, à l’inventaire, le nombre de ces expertises ne dépassait pas quelques unités sur plusieurs centaines effectuées les 5 dernières années par notre cabinet. Il s’agira moins dans ce texte de rechercher et d’analyser les causes de risques menaçant la santé de ces sous-traitants travaillant sur les lieux de travail appartenant à l’entreprise de tutelle, que de répertorier et de comprendre les raisons de cette faible demande en provenance des CHSCT de ces entreprises sous-traitantes. De notre vécu comme « expert CHSCT » nous exposerons ici les principales : 366
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– Faible représentation dans le débat social. – Faible visibilité dans les situations de travail. – Difficulté d’établir un répertoire exhaustif des risques encourus. – Un champ de compétence commun à deux CHSCT compliquant les modalités de prise en charge.
1. Quelques précisions La sous-traitance est un contrat par lequel une entreprise dite « mutuelle » demande à une autre entreprise dite « assujettie » de réaliser une partie de sa production ou des composants nécessaires à sa production. Les entreprises sous-traitantes sont des entreprises auxquelles sont agréées certaines parties de travail. Il existe 3 types de sous-traitance : – De spécialité : l'entreprise ne disposant pas du savoir-faire nécessaire pour fabriquer le produit ou le réaliser, donne l'ordre à une entreprise de le faire. – De capacité : l'entreprise est dans l'incapacité de répondre, à un moment donné, à produire des commandes supplémentaires. – De marché : une entreprise confie à une autre entreprise un marché conclu avec un maître d'ouvrage. Cela met donc en relation le maître d'ouvrage, l'entreprise donneur d'ordres et le sous-traitant.
1.1. La sous-traitance : une organisation innovante de plus en plus répandue Le recours à l’externalisation des activités de production, par la sous-traitance, est de plus en plus répandu dans les différents secteurs économiques. Le but est de réduire les coûts de revient et répondre aux exigences du marché, de plus en plus instable. Aux côtés d’autres modèles d’organisations innovantes telle que la flexibilité ou la polyvalence, le flux tendu, la sous-traitance améliore les performances de l’entreprise « mais elle a aussi pour conséquence de briser les solidarités et de compromettre toute lutte syndicale »1. Les conditions de travail individuelles et collectives sont souvent dégradées et la pénibilité s’accentue. 1. Beaujolin, Rachel, Claes, Lucien, École de Paris de Management, Une industrie de montagne face aux donneurs d’ordres, Association des Amis de l in. Les Annales de l’École de Paris, 1997 (France), III.
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1.2. Le CHSCT : espace de débat dont sont souvent exclus les salariés des entreprises sous-traitants Le débat sur la santé au travail a lieu, le plus souvent, au sein du CHSCT dont le fonctionnement est défini par les articles L. 4614-1 à L. 4614-16. Cette instance représente la quasi-totalité du personnel de l’entreprise « mutuelle » c’est-à-dire les salariés et la Direction. Le plus souvent l’expression des personnels appartenant aux entreprises « assujetties » est absente ou discrètement audible dans ce débat, car ces salariés n’y sont représentés que très rarement. Toutefois, leurs problèmes liés à la santé au travail peuvent, dans le meilleur des cas, être pris en charge par l’expertise car, pour partie, ils se confondent avec ceux des personnels de l’entreprise « de tutelle ».
1.3. L’expertise : un outil utilisé par les élus du CHSCT où sont peu présents les salariés de l’entreprise sous-traitante L’expertise est régie par l’article L. 4614-1 à L. 4614-16 du code du travail, démarche volontaire des membres du CHSCT. Le recours à une expertise n’est pas automatique mais relève d’une démarche volontaire des membres du CHSCT selon une procédure bien codifiée qui, dans les cas de blocage, demande l’arbitrage du TGI (tribunal de grande instance). Sa mise en œuvre est en grande partie due à une appréciation, quasi inconciliable, de la nature et/ou de l’importance d’un risque pour la santé des personnes dans une situation de travail existante ou à venir, entre les élus et le président de cette instance. Nous observons un très faible taux d’expertise concernant ces salariés sous-traitants par rapport aux demandes concernant les salariées des entreprises « donneurs d’ordre ».
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2. Le flou des frontières, la difficulté d’agir « Les frontières de l’entreprise s’estompent : les concepts de lieu de travail, de temps de travail, de relations de travail et de subordination, c’est-à-dire les principaux constituants du contrat de travail, se diluent.1 » Cette dilution des limites des situations de travail rend difficile une vision claire des différents risques, des interactions entre ces risques sur les lieux de travail appartenant à l’entreprise de tutelle mais aussi sur ceux de l’entreprise sous-traitante. Fréquemment ces deux lieux très différents l’un de l’autre s’ignorent en totalité ou partie, d’où la difficulté pour les salariés concernés, mais aussi pour les services de santé au travail, d’avoir une connaissance claire et exhaustive des risques auxquels ils sont exposés. Ceci est d’autant plus pénalisant pour les individus concernés que rarement les acteurs de prévention des deux entreprises se connaissent ou échangent des informations relatives aux risques (fiches d’entreprise, fiches de sécurité, fiches techniques, etc.) ou aux différentes données sanitaires avant, pendant et après la période d’activité (indicateurs de santé individuels et collectifs, indicateurs sociaux, etc.) et sur l’activité passée (histoire professionnelle, expositions passées, etc.). Pourtant la circulation d’information sous le sceau du secret médical est prévue par les textes juridiques, mais leur application ne suit pas toujours. Un exemple : Lors de l’expertise concernant le risque chimique chez les salariés d’une entreprise de dégraffitage, sous-traitant pour une entreprise de transport qui emploie des salariés ayant un statut précaire, le service de santé au travail n’a pu identifier avec précision l’employeur. En effet, nous étions ici en présence d’une sous-traitance en cascade, qui rendait encore plus opaque les statuts de chaque salarié, ces derniers ne sachant pas toujours pour qui ils travaillaient. D’où la difficulté, voire l’impossibilité, de retracer l’histoire professionnelle et sanitaire de chacun. Aucune action de prévention ne fut donc possible à l’issue de l’expertise déclenchée d’ailleurs par le CHSCT de l’entreprise « mère ». Devant la gravité de la situation aussi bien au plan de la sécurité que de l’hygiène, cette dernière décida d’internaliser de nouveau cette activité en son sein. 1. Idem.
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3. La mise en œuvre des recommandations de l’expert CHSCT est souvent contrainte Ce type d’expertise exclusivement commanditée par le CHSCT de l’entreprise utilisatrice, trouve ses limites lors de la mise en œuvre des préconisations issues de l’analyse. Il en est ainsi du produit de nettoyage utilisé qui, hormis sa toxicité, est d’une forte et indisposante odeur d’orange, et ne peut être remplacée aisément car le cahier des charges de l’entreprise utilisatrice impose son usage. Qui alors devait négocier la suppression du produit incriminé ? Qui devait surveiller l’amélioration de conditions de travail inhumaines ? Dans un aéroport parisien, une entreprise sous-traite, pour ADP, l’essentiel de la manutention mécanique des bagages. En gare de départ, le convoyeur où travaille l’équipe est amené à traiter simultanément plusieurs vols. De plus, les bagages défilent en permanence sur le convoyeur et il est difficile d’appréhender visuellement ceux dont le grand poids nécessite une aide à la manutention. Une solution pourrait être envisagée, elle nécessiterait toutefois pour ADP de reconsidérer la géographie d’implantation des circuits de manutention. C’est une excellente occasion pour rénover et moderniser ceux-ci. Mais la décision n’appartient pas à l’entreprise de manutention mais à ADP. L’application des préconisations issues de l’expertise laisse présager une négociation âpre entre deux entreprises d’inégale puissance. La prise en charge des actions de contrôle et de prévention des personnels des entreprises sous-traitantes est réglementée par le code du travail (R. 4511-1 à R. 4511-4). Mais dans la réalité, le plus souvent seul le CHSCT de l’entreprise de tutelle a une vision correcte des conditions de travail des salariés de l’entreprise sous-traitante. Le CHSCT de cette dernière est rarement présent n’ayant qu’une vision très floue de la réalité du travail et des menaces sur la santé des salariés des entreprises soustraitantes, ce qui fait obstacle à un partenariat équilibré des deux CHSCT. Ainsi pour que les textes régissant cette prise en charge commune trouvent leur traduction sur les lieux de travail, le leadership de la politique de prévention revient au CHSCT du « propriétaire des lieux » de travail. Ce CHSCT peut se sentir en devoir d’aménager un espace d’existence à celui de l’entreprise sous-traitante et favoriser une concertation entre partenaires. 370
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Malheureusement certaines des entreprises sous-traitantes préfèrent empêcher ellesmêmes tout débat, ce qui met en infériorité ses représentants du personnel, face à leurs collègues de l’entreprise utilisatrice. Il n’est pas rare d’observer que certaines situations mobilisent le CHSCT de l’entreprise de tutelle alors que le CHSCT du sous-traitant est totalement absent.
3.1. L’expertise : résultat d’un rapport de force à trois L’expertise dépend du rapport de force à trois, entre le CHSCT de l’entreprise assujettie, la direction de l’entreprise sous-traitante, et la direction de l’entreprise « mutuelle ». Il est donc très rare que la démarche débute si le CHSCT n’est pas assez puissant pour l’imposer à ses employeurs et à l’employeur « donneur d’ordre ». Une clé cependant : l’implication du CHSCT représentant les salariés de ce dernier. Dans le cas cité plus haut les salariés travaillant pour l’entreprise assujettie bénéficièrent d’une analyse profonde de leurs conditions de travail grâce à une expertise déclenchée par le CHSCT de la compagnie de transport. Dans un autre cas, le CHSCT d’une entreprise de gestion de bagages travaillant dans des locaux appartenant à une grande société imposa une expertise pour s’assurer de l’innocuité des matériaux de flocage des murs. Cela a surtout permis d’accéder aux documents (DTA, résultats de prélèvements, etc.) qui jusque-là étaient restés hors de portée des représentants du personnel de cette entreprise.
3.2. Faible visibilité dans les situations de travail Dans le cas précédemment cité, l’activité sous-traitée est bien visible sur les lieux de travail car elle se distingue nettement de celle effectuée par le personnel de l’entreprise de « tutelle », mais aussi parce que le nombre de salariés assez important renforce cette visibilité. En effet, quand les situations de travail ne peuvent se fondre dans le reste du contexte du travail, alors elles attirent l’attention des acteurs de prévention par la gravité de leur dégradation. Mais le plus souvent, pour les CHSCT de ces entreprises sous-traitantes exerçant sur les lieux de travail de l’entreprise, l’appel à expertise demeure rare. Ceci d’autant qu’ils hésitent souvent à engager contre leur employeur une procédure, car ils ignorent 371
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souvent leur droit et responsabilité (financement, peur de payer des pénalités, d’être accusé de dilapider l’argent des salariés, d’être rendu responsable d’éventuelle atteinte à la production, etc.). La réglementation actuelle n’est pas adaptée à ces contextes de travail impliquant plusieurs entreprises et donc plusieurs CHSCT. Elle manque de lisibilité (par exemple, à l’issue de l’expertise se pose souvent la question de qui doit mener les actions d’amélioration des situations de travail et les actions de prévention). La connaissance brouillée de l’histoire des expositions individuelles ou collectives de ces salariés « nomades » est pourtant considérée de plus en plus indispensable. Les risques auxquels ils sont exposés étant de plus en plus nombreux, leur rémanence peut tendre vers l’infini. Malgré les progrès des sciences exactes (toxicologie, chimie, physique, biochimie et biophysique, physiologie) et des sciences humaines (ergonomie, sociologie et psychologie du travail), l’évaluation du risque demeure largement tributaire des rapports de forces entre les différents points de vue des acteurs au sein de l’entreprise. L’expertise révèle alors toute son importance dans l’analyse des risques ; car hormis son apport objectif grâce au recours aux différentes disciplines centrées sur le travail, elle participe au renforcement du CHSCT, entre autres, dans le débat qu’il conduit sur la santé au travail. L’expertise rend également plus visibles les difficultés que connaissent les salariés à prendre part à la réflexion sur leur propre activité et sur les contraintes et risques menaçant leur santé.
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Quelques éléments de synthèse : comment améliorer la prévention des risques professionnels dans le contexte de la sous-traitance interne
Proposition de texte de synthèse des travaux du groupe Ce texte reflète la position du groupe de travail. Il est construit à partir de différentes auditions et de discussions internes. À ce titre, il n’engage que le groupe et ne prétend pas être représentatif des différentes opinions exprimées dans les textes regroupés dans cet avis d’experts.
Les nouveaux modes d’organisation, en particulier le recours accru à la sous-traitance interne, ont eu pour effet d’accentuer la division du travail et de mettre à mal les communautés de travail existantes, en faisant jouer aux entreprises extérieures le rôle de « variable d’ajustement ». Outre les formes d’intensification du travail qu’ils génèrent, ces choix conduisent à des différenciations en termes d’emploi et de conditions de travail : statuts, procédures de recrutement, formations, évolutions de carrière, modalités d’exécution des tâches, rémunérations, suivi médical, reconnaissance des pathologies professionnelles, etc. Cela s’est traduit par une rupture dans les formes du travail réel : déstructuration des cultures de métiers, éclatement des collectifs, normes et référentiels multiples, mises en concurrence, etc., avec pour conséquences l’apparition de conflits, la perte de repères communs, l’affaiblissement des solidarités, des risques professionnels accrus (coactivité notamment), ce dans un contexte plus général d’émergence de risques psychosociaux. Ces effets se sont accompagnés d’une perte de confiance et d’une déstabilisation de l’ensemble des acteurs.
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LA SOUS-TRAITANCE INTERNE
Face à cette déstabilisation, comme pour répondre aux dérives les plus manifestes, des dispositifs ont été expérimentés et diffusés, afin d’accompagner et de réguler ces nouvelles formes d’organisation. Le contexte a aussi changé : si la logique industrielle qui a conduit à une sous-traitance massive n’est pas remise en cause1 (voire gagne des secteurs jusqu’à présent épargnés), si le droit du travail n’a pas réellement intégré la nouvelle donne de cette sous-traitance toujours plus présente, les attentes de la société, en matière d’environnement et de santé publique notamment, ont évolué. Parmi ces dispositifs, certains revendiquent la reconstruction d’un référentiel commun (MASE par exemple), d’une norme, de partenariats, ou de logiques intégrées (GIE), ou encore favorisent un renouvellement du dialogue entre acteurs des entreprises (CHSCT élargis). Certains acteurs prônent une meilleure intégration des entreprises extérieures par leur association à la conception des équipements qu’elles seront amenées à utiliser ou à maintenir : la logique de « cœur de métier » ne concerne plus seulement le donneur d’ordres, mais est également adoptée par l’entreprise extérieure. En effet, dans plusieurs chapitres de cet ouvrage, des entreprises extérieures revendiquent clairement un rôle de conception d’équipements ou de pilotage de certaines actions : la maintenance ou le nettoyage deviennent par exemple l’affaire d’entreprises extérieures qui souhaitent prendre en charge l’ensemble des processus en limitant l’intervention des entreprises utilisatrices à la passation de commandes. La loi sur les risques technologiques majeurs prévoit la participation de représentants des employeurs et des employés des entreprises extérieures à au moins une réunion par an du CHSCT des entreprises utilisatrices classées dans la catégorie Seveso II (seuil haut). Cette réunion est au moins en partie consacrée aux questions posées par la sous-traitance. En cas de nécessité (accident par exemple) ou de demande motivée de membres élus du CHSCT, d’autres réunions de cette structure peuvent se dérouler dans cette configuration élargie. Cette évolution paraît prometteuse, non seulement en termes d’efficacité directe de la structure modifiée, mais aussi en termes de transparence accrue et de meilleure motivation des différents partenaires engagés dans la prévention des risques professionnels. Cependant, tout dépendra des modalités d’application et de premiers constats montrent que les résultats sont actuellement très différents selon les entreprises2. La loi prévoit également un renforcement de la formation à la sécurité dispensée aux intervenants et aux membres du CHSCT. Une extension de cette mesure à toutes les entreprises (de type industriel ou non), dans lesquelles les risques liés à la coactivité existent, serait nécessaire. En effet, ce n’est pas sur la seule évidence d’un risque environnemental, comme c’est le cas actuellement dans la loi sur la prévention
1. Elle est même devenue une évidence pour les nouvelles générations, tous métiers confondus. 2. Voir par exemple le rapport de l’ARACT Lorraine de juillet 2007 : Implication des CHSCT et des DP dans les entreprises classées AS2. Le cas d’entreprises lorraines.
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Quelques éléments de synthèse
des risques technologiques majeurs, que peut se construire une politique de prévention des risques professionnels cohérente et intégrée. La solution de constitution d’un GIE (Groupement Inter-entreprises) orienté vers la prévention des risques professionnels, adoptée sur quelques rares sites, permet de mettre une structure d’aide à la disposition de petites entreprises, qui en seraient dépourvues, et de fournir une assistance à l’élaboration de plans de prévention adaptés et efficaces pour des entreprises de taille moyenne. Le fait d’appartenir à un grand groupe n’est d’ailleurs pas toujours une garantie de la capacité de l’entreprise extérieure à développer une analyse des risques cohérente et performante : l’organisation très décentralisée sous forme d’agences éloignées des centres de ressources peut en faire autant de PME, quant à la gestion des risques professionnels. Dans tous les cas, une structure telle qu’un GIE constitue une interface entre l’entreprise utilisatrice et les entreprises extérieures en privilégiant le dialogue au niveau des directions. Ainsi, les travailleurs et leurs instances représentatives courent le risque d’une marginalisation, les problèmes de santé et de sécurité au travail se trouvant cantonnés aux aspects purement techniques au détriment du dialogue entre le CHSCT et la direction de l’entreprise. La prévention des risques devient alors une affaire de « spécialistes » au risque d’une moindre implication des travailleurs dans leur santé et leur sécurité. La logique d’intégration des entreprises extérieures (ou de leurs représentants) au CHSCT des entreprises utilisatrices, en germe dans la loi sur la prévention des risques technologiques majeurs, ou la constitution de GIE pourraient aussi trouver un prolongement dans la constitution d’un service sécurité unifié sur le site. Dans ce cas, ce ne serait plus l’entreprise utilisatrice qui déterminerait seule les conditions d’intervention de l’ensemble des entreprises présentes dans les installations. Le recours de plus en plus répandu à la sous-traitance s’est accompagné d’une forte professionnalisation des entreprises extérieures qui ont aussi renforcé leurs compétences en matière de santé et sécurité au travail. L’apport positif des systèmes de management de la sécurité n’est généralement pas remis en cause, puisque la plupart des contributeurs leur reconnaissent le mérite d’avoir remis la sécurité au centre des préoccupations des entreprises. En revanche, la question des indicateurs et de leur choix est beaucoup plus controversée. En effet, une grande importance est souvent donnée aux taux de fréquence et de gravité des accidents du travail (même si ce ne sont pas les seuls). Or, la logique d’amélioration continue des indicateurs fait l’objet d’interrogations. Ainsi, et afin de ne pas risquer la perte de marchés, certaines entreprises extérieures peuvent être incitées à dissimuler ou à minimiser certains accidents du travail, avec pour résultat paradoxal de générer de l’invisibilité, quand toute la logique des systèmes de management de la sécurité est bâtie sur la transparence1. Une moins bonne connaissance de 1. Cette pratique de sous-déclaration n’est pas, loin s’en faut, l’apanage des entreprises extérieures.
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leurs propres installations par les entreprises utilisatrices ajoutée au fait d’une réelle perte de savoir-faire (au profit du savoir faire-faire) en matière de maintenance peut aboutir à une moins bonne maîtrise des risques liés aux installations. Cependant, des entreprises utilisatrices ou des entreprises extérieures font d’une traçabilité parfaite dans la déclaration des accidents du travail le gage de l’établissement d’une réelle relation de confiance entre partenaires. L’essentiel de l’effort a porté jusqu’à présent sur la prévention des risques d’accidents, beaucoup moins sur celle des maladies professionnelles. Il est par exemple difficile d’obtenir des données synthétiques sur les expositions aux polluants chimiques et leurs conséquences possibles sur la santé des travailleurs des entreprises extérieures. La mise en place d’un recueil des données (au moins qualitatives, voire semi-quantitatives) des expositions professionnelles s’impose. Il peut être mis en place des procédures au niveau des services de santé au travail pour effectuer ce recueil des données dans le cas de travailleurs « nomades » par exemple. Un dispositif de type carte à mémoire devrait être exploré, en l’assortissant des garanties de protection des données. Au-delà de ces propositions, il est indispensable que des programmes de recherche soient développés spécifiquement pour ces populations, dont les conditions d’exercice du métier restent atypiques. Mesurage des expositions, études épidémiologiques sur des populations de travailleurs d’entreprises extérieures, etc., constituent autant d’axes, pour lesquels il est nécessaire de mettre au point des méthodes spécifiques et d’engager une action volontariste. L’étude des conditions de travail (de trajet et de vie) des employés des entreprises extérieures constitue une problématique en soi et mérite d’être considérée comme telle. De la même façon, il est indispensable que les institutionnels de la prévention (médecins du travail, agents de l’inspection du travail et des CRAM, etc.) développent des stratégies spécifiques à la problématique de la sous-traitance. L’importance qu’elle a acquise dans le monde de l’entreprise le justifie pleinement. Il est indispensable que cette réflexion déborde le seul champ de la santé au travail et devienne l’objet d’un débat de société. Plus généralement, la distinction faite au début de cet avis d’experts entre sous-traitance interne (interventions d’entreprises extérieures sur le site d’une entreprise utilisatrice) et sous-traitance externe (un donneur d’ordres confie des travaux à une entreprise soustraitante qui les effectue sur son propre site) est au final apparue plus ténue qu’elle ne semblait l’être a priori. Certes, des notions comme la coactivité peuvent paraître d’emblée spécifiques de la première, mais plusieurs points communs apparaissent : – la moindre maîtrise de l’organisation du travail et, corrélativement, l’augmentation des contraintes organisationnelles à tous les niveaux de l’entreprise soustraitante, 376
Quelques éléments de synthèse
– les contraintes partagées : les différentes formes de sous-traitance entraînent toutes également des contraintes sur le personnel de l’entreprise donneuse d’ordres, – dans le même temps, l’entreprise donneuse d’ordres s’étant recentrée sur son cœur de métier, les entreprises sous-traitantes doivent développer un savoir-faire spécifique et leurs responsabilités sont accrues, puisqu’elles sont les seules dépositaires de la connaissance réelle du travail à effectuer.
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