La nuit et les enfants de la nuit dans la tradition grecque.


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La nuit et les enfants de la nuit dans la tradition grecque.

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CLÉMENCEl RAMNOUX \---

LA NUIT ET

LES ENFANTS DE LA NUIT DANS LA TRADITION GRECQUE Collection «SYMBOLES ))

Publié avec le concours du

CENTRE NATIONAL DE LA RECHERCHE SCIENTIFIQUE FLAMMARION, ÉDITEUR

26, rue Racine, Paris

INTRODUCTION

Que 1' on considère cet essai comme une pièce détachée de la thèse consacrée à l'étude du vocabulaire et des structures de la pensée antésocratique. La pensée antésocratique a pour armature des couples contrariés.. Il est apparu que plusieurs pôles négatifs dérivaient du catalogue hésiodique des Enfants de la Nuit. Prouver la filiation n'est pas chose commode : parce que des chaînons manquent, ou parce que l'évolution s'est faite par mutation brusque. Comme dans tous les cas de mutation, ce qui manque, ce qui a disparu, parce que rare, instable et fragile, c'est le premier muté. Mais la recherche prouvait l'intérêt d'un type de pensée moulé dans les fragments cosmogoniques des théogonies. Ce type de pensée ne se confond ni avec la création mytho-poétique, ni avec la sagesse, mais il s'insère entre les deux, et il fait mieux que de s'insérer. Il s'est continué dans la spéculation des , qui le recouvre en partie. On pourr> (Il., 2, v. I et 2) (I). Dans l'épisode du quatorzième chant les puissances. de l'envoûtement sont les plus fortes. A leur œuvre

funeste concourent avec le Sommeil ("Tmoç), la Passion amoureuse (LÀ6TIJc;), la Tromperie ('ArnxTIJ), armée de Paroles menteuses, Conseils enjôleurs, et du Serment ("Opxoc; (Il., XIV, v. 160, 280, 300). Quel qu'ait été l'auteur de l'épisode, ne dirait-on pas qu'il ait voulu souligner à sa façon la négligence du principe providentiel? Le début du second chant nomme encore, à côté du Sommeil, la puissance trompeuse du Songe ("OveLpoc; ), et la puissance de l'Oubli ( A1j{l1J ). Or, Sommeil, Songe, Oubli, Passion, Tromperie, Parole de mensonge et Serment, appartiennt tous au fameux catalogue des « Enfants de la Nunit » dans la Thé0>gonie d'Hésiode (v. 2rn à 232). L'accord existe donc entre le rédacteur du quartorzième chant et Hésiode. On ne possède pas de liste homérique systématique ni complète. Mais on peut présumer l'existence d'une liste traditionnelle des «nocturnes», nommés partout avec les mêmes noms, et ressentis avec les mêmes émotions. Ces divinités redoutables sont plus fortes que les dieux et les hommes, et capables de faire céder Zeus lui-même : avec un aspect de douceur captivante, et un aspect de terreur. La bonne méthode pour rassembler les expériences connotées par les noms de puissance consiste à ver les associations verbales. Faut-il ou ne faut-il pas assimiler la Nuit, entité majeure des théogonies, avec le phénomène de la nuit de tous les soirs? Y a-t-il entre elles plus de ressemblance qu'entre le Chien, constellation céleste, et le chien, animal aboyant ? Les épithètes répondent, car les épithètes restent les mêmes pour chanter la litanie de conjuration de k divinité redoutable, et pour décrire la nuit de tous les la Redoutable soirs. Elle est la Divine ( ( OÀofi), la Noire, la Ténébreuse ( avocpepoc, µéÀtX:LVtX:, &psôewfi ), la Dompteuse ( ), la Rapide ( 66'1)).

(1) Cf. HÉRACLITE, D. K. 16 : >, ell,e par exemple, le champ de bataille ou agomsent les morts. Elle est quelquefois obscure, et quelquefois découvre la course des astres }a dit encore «sacrée>> (tep.X,) (3). La meme quahte de « dompteuse >> se dit de la Nuit, du Sommeil, et de l'Amour. Cette envoûteuse se révèle dans l'épiphanie de la nuit érotique. On dit encore de Nuit, et de la nuit, qu'elle a enveloppé en le cachant >> (&µcpe:xaÀmpe) un mort. Elle est alors une « Noire>> et une « Redoutable». La même chose se dit de la Nuit (NûÇ), de la Nuée (Nécpoç), de la Mort (0&vo-;-r-0ç) et de la Fin de la Mort (-rSÀoç @oi;v&Tou). Homère connaft une Nuée et une Mort «noires», une Nuée et une Mort (( rouges >>" : manières de dire pour annoncer la fin d'un héros, en évoquant le voile ou sombre ou sanglant qui descend sur ses yeux dans l'enténébrement de la mort, ou simplement de l'évanouissement. Une autre Nuée descend pour « envelopper en les cachant » les amours du dieu : une nuée tout en or! Assez souvent encore, en cours de récit, des nuages tombent, sous la forme d'un poudroiement de poussière, ou de soleil, ou d'oubli, pour > quelque blessé ou quelque vaincu, que son divin protecteur veut soustraire à la ou au trépas. Ténèbre noire, ténèbre sanglante, tènebre d'or: elle rassemble en les enveloppant les

terreurs de la mort présente avec l'extase amoureuse et le rapt divin ! Comme tout ce qui est sacré, elle exerce à la fois àttraction et répulsion : la peur du noir, et la peur de la Grande Noire; le désir d'amour, et de l'Amour caché dans un nuage en or. cache tout ce qu'il y a de plus terrible et de plus merveilleux: Ie haut moment de l'Eros et l'heure de l'agonie. Dès la poésie homérique. Mais la poésie homérique lui fait déjà dire des choses funestes: la tromperie de la femme et la séduction du rêve. Tromperie et Séduction sont envoyées par une Até, pour fouetter les désirs sur le chemin de la ruine. Dans la Théogonie d'Hésiode les mêmes puissances ont viré au noir. La Nuit et ses enfants sont devenus le principe du mal. Dès le début de son histoire en Grèce, la Ténèbre divine montre donc une ambiguïté. Dès le début elle penche dans le sens du mal. Peu de traditions pourtant plus expressément que celle-ci ont nommé sous son nom le secret d'une énigme à la fois redoutable et merveilleuse.

(2) Cf.

WEIZACKER

dans Roscher, III, p. 570, et Pauly-

Wissowa, ire série, 34, p. 1663. (3) :WILAMOWITZ (Giaube der

Helienen, p. 253) tire argument de l'épithète « hiera » pour soutenir que la nuit n'est :pas une déesse. Faut-il dire qu'elle est simplement « nurmneuse » ? ,

LA NUIT DANS LES CULTES POPULAIRES

Des traces existent en Grèce d'un culte adressé à la Nuit, ou à des enfa.."lts de la Nuit: le couple du Som_meil et de la Mort, ou le Sommeil accompagné du cortège des songes. Si ce n'est pas un culte principal, c'est un culte accessoire, associé au culte de quelque divinité principale. Il vaut la peine de chercher lesquelles. APHRODITE:

Dans le Péloponnèse, à Sparte, le Sommeil et la Mort avaient leur statue dans un temple d'Aphrodite. Ces 2

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statues appartenaient à un groupe de statues de bois que Pausanias estime « des plus anciennes qui soient en Grèce>>. (Pausanias, III, q, 5, et 18, l et 2). Le texte parlerait pour l'antiquité de l'iconographie du groupe, et pour la parenté de la Nuit avec Aphrodite. Mais Sparte est la patrie des jumeaux divins : les Dioscures. II reste possible qu'une représentation archaïque des jumeaux ait été tardivement rebaptisée par des savants avec les noms de leurs catalogues. Des théologiens auraient imposé aux figures populaires la nomenclature savante de leur théogonies. Rien n'oblige non plus à admettre cette hypothèse, puisque les noms sont homériques. Il reste encore possible que des idoles archaïques aient reçu des noms de catalogue, et les aient reçus dès la haute époque (4).

est la divinité que les Muses préfèrent)) (Pausanias, II, 31, 3). On supposerait volontiers qu'ici encore, un groupe archaïque de femmes, nourrices autour d'un enfant divin, aurait été rebaptisé avec les noms des Muses et du Sommeil, L'explication est fantaisiste. A quelque date qu'elle ait été inventée, par Pausanias ou par ses guides, elle témoigne pourtant pour la croyance que le Sommeil serait véhicule d'inspiration. Elle témoigne aussi pour une parenté du groupe des Muses avec le groupe des Nocturnes.

LES MUSES

Toujours dans le Péloponnèse, à Troezène, on sacrifiait à Hypnos, en associant son culte à un culte des Muses. Parce que, explique Pausanias, « le Sommeil

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(4) On sait que M. CHAPOUTHIER (Les Dioscures au service d'une déesse) a magistralement étudié plusieurs séries iconographiques représentant les Dioscures, jumeaux de chaque côté d'une déesse. Leur mère, dans la légende du Péloponnèse, est Léda. Mais le groupe des deux garçons, parfois réduits à deux bornes, de chaque côté d'une femme, parfois réduite à une étoile, remonte à une ère pré-achéenne, et s'étale sur une aire asianique et égéenne. M. Chapouthier lui attribue une origine asianique_ Faut-il supposer que le trio, hérité de plus haute époque, ou émigré d'aire étrangère, aurait !'eçu dans le Péloponnèse et en Laconie une interprétation adaptée aux légendes locales ? Mais si le groupe préexistait à ses interprétations, serait-il surprenant qu'il en ait reçu plusieurs ? le unes plus populaires à l'usage des croyants, les autres plus savantes à l'usage des maîtres en théogonies ?

ASCLÉPIOS.

A Sicyone on trouvait une autre représentation de Hypnos «fort ancienne et réduite à_ la » ,(P_ausanias II, 10, 2), dans un sanctuarre d Asclep10s. Dans un couloir du même sanctuaire, un autre groupe associait Hypnos avec Oneiros, le Songe. La d'un groupe Sommeil et Songe dans un sanctuarre d' Asclépios rappelle les pratiques d' onirothérapie en honneur dans le grand sanctuaire voisÏtJ. d'Epidaure. Les malades dormaient dans une salle proche du temple principal. Leur rêve, si le dieu en envoyait un, fournissait une indication de cure, ou même un trauma thérapeutique. Les guérisons consignées dans le temple constituaient la révélation d' Asclépios. Le développement des cultes d'Epidaure .serait, selon les bons spécialistes, un fait religieux relativement récent. Epidaure aurait été promue dans le Péloponnèse pour concurrencer, à l'heure historique de la rivalité, Eleusis en Attique (5). Le temple de Sycione serait lui aussi de bâtisse relativement (5) L' Asciépios de M. EDELSTEIN (II, p. 244 et n. 7 ; id., p. 130 et 150). Nous au R. 1!3tion que les cultes d'Ep1daure auraient ete developpes pour faire concurrence aux cultes d'Eleusis.

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récente. Mais quelle que soit sa date, rien n'empêche qu'on ait ramassé sur place, ou dans le pays, ou ramené d'ailleurs,une tête archaïque. On l'aurait baptisée tête du dieu Hypnos, parce que les théologiens du sanctuaire auraient voulu associer le culte relativement récent de cette puissance au culte ancien et populaire cl'un dieu guérisseur local. La tête serait-elle celle du guérisseur primitif ? Le guérisseur était-il un dormant ? L' Asclépios de la tradition iconographique aurait-il hérité de lui la lourdeur caractéristique de ses paupières tombantes ? Si cette hypothèse était bonne, on croirait volontiers que le couple Hypnos,.Oneiros désignerait encore, avec des noms cosmogoniques, un autre couple populaire de la région. Ces suppositions ne sont pas non plus nécessaires, puisque les noms du Sommeil et du Songe sont au moins aussi anciens qu'Hésiode. A date plus ou moins ancienne, et à la faveur d'une réforme des cultes, des noms de tradition savante auraient été donnés à des figures archaïques, populaires et locales. Si l'hypothèse était valable, elle n'exclurait pas que le dieu ait été associé au Sommeil. Une autre hypothèse est pourtant aussi vraisemblable. Pour comprendre il faudrait partir du fait de la dormition thérapeutique. La dormition ferait le lien entre le dieu et le sommeil. Elle aurait suscité d'un côté l'image du dieu patron, de l'autre le nom du Dormant (6): Le nom du Dormant ne serait forcément ni plus savant, ni plus récent. Plus savant et plus récent serait seulement le dédoublement des séries : d'un côté la légende du dieu guérisseur, de l'autre les hiérarchies des catalogues. .L'expérience

de la cure par le rêve révèle quelque chase de divin. Les rioms du Sommeil et du Songe le désignent. La légende du dieu Ie commente (7).

(6) Dans les textes de sagesse archaïque qui opposent les contraires, la contrariété ne se tend pas entre - le Sommeil et la Veille, mais entre chose dormante et chose éveiHée (HÉRACLITE, D. K.,

GAIA.

Une tradition recueillie par Plutarque attribuait à la Nuit la possession du siège oraculaire archaïque de Delphes (De ser. num. 28. Cf. O. Kem, O. F., 103 105 b, 155). Le tradition est confirnlée par une scolie de Pindare, mais contredite par Eschyle. Le prologue des Euménides établit la succession au trône delphique comme suit : de Gaia à Thémis, de. Thémis à Phcebé, de Phœbé à Phœbus-Loxias (Euménides, v. r à 35). La dernière de la lignée des prophétesses aurait cédé ses honneurs à Loxias de plein gré par un arrangement à l'amiable. Ce modèle d'arrangement à l'amiable est une invention de théologiens, en mal ·d'apaiser le scandale des rivalités entre dieux. Une autre tradition raconte les mêmes faits autrement. Loxias aurait ravi à Thémis les. honneurs de la mantique par violence. Gaia, ou Chthôn, aurait suscité par vengeance une mantique indépendante du trône delphique : en envoyant aux hommes, à tort et à travers, des révélations oniriques. (7) Une co:utumé d'Epidau.re, et d'autres temples, n'au.torisait ni la femme enceinte, ni le mourant, à pénétrer dans l'enceinte sacrée. Est-ce en relation avec cette coutunie oue le Sommeil se trouve associé avec le Songe, et non pas avec 'la Mort ? K. Kerenyi écrit à ce propos : « ... de même que le lever du soleil réel, la naissance réelle et ce qui devait suivre, restaient en dehors des événem.ents div'..ns qui se déroulaient à l'ombre épaisse du sanctuaire d'Epidaure... Les femmes enceintes étaient exclues du. domaine sacré. On ne pouvait pas non plus amener d'agonisants ... Les mystères d'Eleusis pénétraient bien plus avant que les Epidauries... » (Le médecin divin, p. 40 et 48.)

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LES NUITS SAINTES DE LA GRÈCE

Le jeune maître du trône aurait réclamé près de Zeus contre cette concurrence redoutable. Zeus a décidé de «supprimer les oracles nocturnes)), et de ilJIT

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lios )), qualifiant Dionysos, le désigne en tant que patron de fêtes nocturnes. Il n'est pas alors indifférent de savoir que l'Aphrodite du temple voisin de 1' Acrocorinthe patronne aussi des fêtes de nuit. On les appelle des Pannychies (rn). A la lumière de ces faits cultuels, la Nuit apparaît comme la puissance révélée dans l'exaltation de la fête nocturne. Plusieurs espèces de fêtes nocturnes la manifestent : son nom a donc un contenu d'abstraction.supérieur, pourraiton dire, au contenu du nom des patrons de fêtes. Le contenu de l'abstraction est commun à l'ambiance de toutes les fêtes. Le temps de nuit le définit. Le genre du nocturne en musique tolère aussi bien des thèmes sur des tonalités différentes, mais il réclame toujours l'ambiance de nuit. Pour serrer le contenu de plus près, il faut évoquer l'ambiance des fêtes et, avec elle, le scénario de la cérémonie. Ce n'est pas difficile à imaginer pour la pannychie d'Aphrodite. Pour celle de Dionysos, elle a été évoquée par un grand poète. La pannychie d'Aphrodite ramène au thème homérique de la nuit érotique, enveloppée dans un nuage en or. La pannychie de Dionysos évoque les torches agitées au bruit des tambourins, et le cortège dansant dans la nature sauvage. Elle accomplit une évasion hors des limites du destin quotidien de l'homme, et surtout de la femme : franchissant les portes des maisons, les murs des jardins, les confins de l'habitat humain, sous la conduite d'un maître de la métamorphose et des prestiges. Maintes traditions représentent des scénarios chargés de sensualité, d'agressivité, ou de cruauté. Mais ils ont varié avec les lieux, et se sont adoucis avec le temps : de l' omophagie rituelle au simple

repas dans la nature sauvage, et de la danse frénétique à la simple procession d'une idole. La sage régulation des autorités civiques et des sacerdoces locaux aurait réussi à émasculer la cérémonie de son moment le plus brutal. Il reste douteux qu'il se soit agi de jeux innocents entre femmes! (II) Euripide n'hésite pas à porter à la scène une victime dépecée vivante et dévorée crue! En l'occurrence, le fils, dépecé et dévoré par la mère et les tantes ! Il est vrai qu'Euripide en fait une scène de folie : le dieu punit à la fois le roi qui a refusé de le reconnai"'tre, et les femmes qui ont offensé sa mère, en lançant les femmes folles à la poursuite du roi. Mais le même dieu qui a pouvoir d'envoyer la folie a aussi pouvoir de la guérir. Dans la tragédie des Bacchantes, c'est bien de ruine par la folie qu'il s'agit. Quand une catharsis intervient, le rite n'est plus exercé par Dionysos ni par son prêtre. Elle porte au contraire à la scène le modèle d'une thérapeutique adverse. La mère, environnée de bacchantes, apporte sur la scène la tête, reste ensanglanté de la boucherie de son fils, en criant : « Voyez comme nous sommes braves, nous, avons tué un lion!)) C'est après l'orgie de la

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(10) Pannychis = celle de toute la nuit. Nom de femme pour l'hétaïre et la bacchante.

(11) Cf. R. JEANl\l.IAIRE, Dionysos, p. 61, p. 138 à 141. Cf. NILLSON, Griech. Feste, p. 258 à 311. . Les scénarios de poursuite auraient, selon les lieux, interverti les rôles: ici, à l'épisode de Lycurgue, poursuite des femmes par un homme i(TI., VI, v. 123 à 143). Là, à l'épisode de Penthée, poursuite de l'homme par les femmes_ C'est parfois le dieu lui-même que les femmes sont censées poursuivre, comme dans les rites de Chéronée. Les femmes renoncent à la poursuite, parce que le dieu «a disparu J>. Il s'est précipité dans l'eau, ou il est parti « chez les Muses » : ce quj. est_ de dire_ échappe. Soit que les mœurs aient rmpose la renonciation au scénario terminal. Soit que le dieu évanoui frustre le désir exaspéré à sa poursuite. Il laisse alors le désir humain bandé vers son absence, après s'être dangereusement rapproché.

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nuit, dans la lumière du matin. Le devin local, et le sage aïeul sont présents. L'aïeul demande à sa fille de plonger les yeux dans le fond du bleu du ciel : « Il est plus clair et plus limpide que jamais! >> Le sage aïeul demande ensuite à sa fille de déta.cher du ciel son· regard lavé, et de le porter sur ce qu'elle tient entre les mains. Le mot grec pour désigner le coup d'œil est une (< skepsis >>. La fille obéit et, d'un coup d'œil, elle a reconnÛ la vérité. Elle est retombée dans la réalité : la dure réalité du fils mort, la race éteinte et le règne perdu. La guérison a été opérée non par Dionysos, ni par les rites nocturnes, mais au matin, et par la puissance de l'Ether (EUR1PIDE, Bacchantes, v. r217 à r235). ARTÉMIS.

L'Ionie d'Asie et la région d'Ephèse présentent d'autres traces de la Nuit dans les cultes, Pratiquement, dans le rayonnement de la grande Artémis. Aux environs de Smyrne existait un temple de la Némésis : hommage était rendu sous la forme d'un trio : les Néméseis. La tradition du lieu leur dorme la Nuit pour mère (Pausanias, VIII, 5, 3). Tradition conforme à Hésiode, puisque la tradition hésiodique groupe la Némésis en triade avec ses deux . épiphanies les plus dangereuses : le désir de la femme et sa tromperie (Théogonie, v. 224). A Ephèse même, dans l' Artémision, parmi d'autres statues ornant un autel d'Artémis, on trouvait une statue de femme, que les éphésiens du temple appe-laient la Nuit (Pausanias, X, 38, 3, 6). Or, Pausanias dans ce passage,, ne se préoccupe pas de relever les traces d'un culte de la Nuit. Il se préoccupe de discuter l'authenticité de certaines statues d'Amphissa, communément attribuées à un sculpteur ancien de Samos. Selon lui, les statues d' Amphissa

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ne sont pas le travail de ce statuaire, mais la Nuit d'Evhèse l'est bien .. Geci l'amène à dire qu'elle est de facture tout à fuit archdique. Le texte prouve donc que le culte de la Nuit et son iconographie étaient anciens en ces régions, ou que les théologiens d'Ephèse avaient rebaptisé du nom de Nuit un modèle archaïque de la divinité féminine de ces régions. Comme, dans le Péloponnèse, ils auraient peut-être rebaptisé du nom de Nuit un modèle ancien de la Mèrê des ju..meaux divins. Si l'hypothèse est bonne il faut croire que la théologie de la Nuit était répandue, et son nom recouvrait en divers lieux le modèle archaïque local de la Mère. ' Le trait vaut la peine d'être relevé, et la question posée, spécialement à Ephèse, parce qu'Ephèse est la patrie d'Héraclite. Le fait, s'il était avéré, n'illustrerait pas seulement la transposition de divinités populaires, du type Létô-Artémis, en divinités savantes, avec nn nom dans le registre des cosmogonies. Il annoncerait une autre transposition, de non moindre conséquence : celle de la NÛit, entité du registre des cosmogon'ies, dans les nouveaux discours, qu'on appellera bientôt de la Physis. S'y voilerait-elle sous le signe de l' Harmonie cachée ? Harmonie est un nom .divin. Dans la spéculation nouvelle il se fait signe pour dire quelque chose de diffidle : quelque chose comme la structure invisible du phénomène. La spéculation > connaît une harmonie cachée et une harmonie découverte. Or la complémentarité du caché et du découvert se retrouve à date tardive, sous les catégories de l'occultation et de la révélation. Elle ':!y retrouve sous le signe de la Nuit, et même des Nuits. On tiendrait donc, pour ainsi dire, le modèle d'une coupe, découvrant les stratifications de la même pensée selon les âges : de la réaction émotive à la création mytho-poétique,

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de la création mytho-poétique au registre déjà savant des cosmogonies, de la cosmogonie au discours de fa physis, avec une rechute, une réinvolution de la spéculation tardive dans les vieux noms des cosmogonies. A la base se trouve une réaction de la sensibilité religieuse. Si l'entité Nuit a été associée à Ephèse au culte d'Artémis, comme elle l'a été à Mégare au culte de Dionysos, et ailleurs au culte d'Aphrodite, c'est vraisemblablement parce qu'elle représente, ici aussi, la même puissance, vivante dans l'ambiance des cultes. On n'est donc pas surpris de trouver, ici aussi, des fêtes nocturnes : les Oribasies du Solmissos. Et ailleurs, là où existent d'autres cultes de la déesse Artémis, des pannychies. On n'est pas davantage surpris de trouver l'épithète de « nyctélia >> attribuée à Artémis. Ses pannychies se célèbrent dans le Péloponnèse avec des danses de jeunes filles, des mascarades, un scénario sur thème de poursuite : la mère enceinte est chassée par la souveraine jalouse, jusqu'au lieu prédestiné d'un enfantement miraculeux. Des danses du type des danses de Courètes, avec grand bruit et grand désordre, étaient censées couvrir les cris des nouveaux-nés. On fêtait la nuit sainte de la naissance des jumeaux divins, succédant à la persécution de la mère, sous une menace rendant plus aiguë la joie de la naissance! (12) bà où l'image et le nom de la Nuit apparaissent

dans les cultes, c'est régulièrement au voisinage ou dans le rayonnement de quelque divinité populaire principale. Outre la Gaia, à laquelle la Nuit aurait été substituée dans certaines traditions, on la trouve associée à un cortège de divinités : Aphrodite, Dionysos, Artémis, Némésis. Son fils Hypnos est associé à Asclépios et aux Muses. Qu'y a-t-il donc de commmun à cette série ? La présence de rites de nuit, ou de fêtes de nuit. L'être de Nuit, son caractère, se donne dans quelque mode sacralisé de l'expérience nocturne: le rêve et l'érotisme, l'errance à la lune, poursuite affolante et fuite affolée, sous une tension de désir et de peur, culminant au paroxysme d'une agression, et à l'exaltation d'une épiphanie. La Nuit enveloppe le mouvement agité et la torpeur envoûtée, la longue attente et le rapt.divin, toutes sortes d'émois et contrariés. Veille et Sommeil, Mémoire ou Oubli, Amour et Guerre ! Ces noms divins recouvrent des expériences : la veillée de fête, l'ihspiration onirique, le repos du sommeil sans cauchemar, l'érotisme ou la danse en armes. Rien n'autorise à vider les noms de puissances de leur force, ni à réd .Lire le beau jeu des mots couplés à un bavardage inoffensif. · La Nuit sainte, au sens rituel de la cérémonie, mérite donc de devenir le centre de la recherche. On la retrouve ailleurs et dans d'autres cultes, que dans les lieux et les cultes où le pèlerinage touristique de Pausanias l'a trouvée. Dans le culte des Grandes Déesses, et dans les cultes apotropŒques (13). Pour autant que la légende et la piété des anciens

(12) Consulter pour les Oribasies du Solmissos leur origine et leur sens, Picard dans Ephèse et Claros, 299, 326, 333, 369. Pour les pannychies d'Artémis, Nillson dans Gr Feste p. 243 à 247. . ' P!3-ns la légende, le fleuve Alphée chasse Artémis au rmheu . de ses nymphes.. Les nymphes échappent à la n>. La formule aristotélicienne y rétorquerait : du pathos, oui il y en a, mais du mathos, on en cherche en vain, ou du mathos, c'est superflu. Dans la vie de même : de 1' expérience vécue et de la souffrance, oui, il y en a ; mais pour autant, les hommes apprennent-ils quelque chose ? Que les cultes réussissent à changer la peur en désir : c'est leur office! Mais pour autant, les hommes savent-ils ce qui les attend à la mort ? La formule eschylienne rectifiée par Aristote, ou avant lui, apprend à séparer l'affect de la doctrine, en éveillant la conscience hum.aine au drame de leur division (28). La Grèce religieuse et la Grèce sage ont cherché l'une et l'autre, chacune avec ses moyens propres, à apprivoiser l'homme à la mort. Elles 1' ont fait dès les âges archaïques, en maniant des représentations fabuleuses. n faut être très avancé en sagesse pour renoncer à se channer avec des histoires, et à s' exhorter avec des arguments. Le succès est-il si difficile à (28) Cf. HÉRACLITE, D.K. 17 : « Ils ne font pas de sagesse avec tout ce qui leur tombe dessus, et même en apprenant des autres, ils ne forment pas de savoir. Mais ils se font des représentations particulières. » D.K. 27 : «Des choses demeurent, attendant l'homme qui trépasse. Elles ne· sont l'objet d'aucun désir, ni d'aucune représentatio.n particulière. » 4

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obtenir ? On ne le dirait point, quand on cqnsidère combien d'hommes ont marché avec exaltation au sacrifice! Mais il est loin d'avoir toujours la même valeur. On l'obtient le plus faciJement sur le mode avec des fantaisies de retour au sein maternel. La Grèce en a connues de charmantes,. au sens précis qu'elles sont des formules de charme. Telle la jolie fantaisie de régression bienheureuse qui termine l'inscription d'une lamelle d'or: « Chevreau, je suis tombé dans du lait » (O.F. Kem, 32 c; D.K. Orpheus, 18, v. n). Une angoisse de bête en train de se noyer se change en satisfaction par le gavage au lait, et détente dans un bain onctueux. HYPNOS ET THANATOS.

Hésiode donne la Mort et le Sommeil pour des Enfants de la Nuit : la Mort, sous le nom de Thanatos, dans une triade, le Sommeil, sous le nom de Hypnos, groupé avec la race des Songes. Les deux habilement rassemblés dans le même hémistiche (v. 212). Dans la quatrième interpolation à la théogonie (v. 756 à 766), le rédacteur inconnu a dépeint les deux frères : Là les Enfants de Nuit Obscure possèdent leur maison, Sommeil et Mort, dieux redoutables ... L'un circule sur terre et sur le large dos de la mer, Doux et suave pour les hommes. L'autre avec un cœur de fer, un poumon d'airain, Sans pitié dans la poitrine: l'homme qu'il a pris Il le tient bien. On le hait, même chez les immortei'.s... Rien n'est dit de l'âge des enfants. Ils sont donnés comme appartenant à l'espèce des divinités redoutables; mais ils sont contrastés : l'un doux et suave «comme le miel)), l'autre tout à fait intraitable.

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Aucun adoucissement à la représentation de la mort ! Pour le sommeil, il reste à la fois terrible et doux. Un peu comme l'envoûteur de. Zeus. Les représentations iconographiques des deux frères, où l'on pense reconnaître avec sûreté Hypnos et Thanatos, les montrent opérant le portage, ou la déposition d'un mort. Quand· 1e mort est u..11 jeune guerrier, on pense reconnaître la scène de l' enterreL ment de Sarpédon, ou peut-être la scène de l'enterrement de Memnon (29). L'Iliade au chant XVI aurait inspiré le thème classique et populai.re de l'enterrement de Sarpédon. Zeus désire soustraire son fils, Sarpédon, au destin (29) La liste des monuments (vases et sarcophages) a été donnée dans une étude datant de 1913 i. Mais Clément lisait un contraire caché dans le phrase. S'il prêtait une telle attention aux termes, écrits et cachés, il n'a sûrement ni omis un troisième membre de la phrase, ni substitué par erreur un terme à l'autre. Ne pourrait-on alors rétablir le terme de la Vie, si visiblement absent, non après dans un troisième membre de phrase, ni à la place du terme le Sommeil, ce qui n'améliore pas la lecture, mais sous ou avec son contraire. On lirait alors :

C'est Vie-et-Mort que nous découvrons en nous [réveillant, et tout ce que nous voyons en dormant c'est le [Sommeil. Le :pTemier membre de 1a phrase découvrirait alors l'état de l'homme en vigilance: il sait que la vie est

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nécessairement liée à la mort, et vice-versa. Quand l'homme a découvert cette loi, et ne l'oublie plus, alors il est réellement devenu un homme intelligent. On peut s'exprimer encocre en disant qu'il sait la formule: Vie et Mort, au fond, c'est tout Un. Une formule entre autres pour la loi de l'identité des contraires. Ou encore en disant qu'il possède le Sens, et même le double sens : il sait regarder la mort en face, à même tout ce qui ne cesse de naître et de mourir. Quel que soit le sens que l'on forme avec elle, la ·phrase reste encadrée dans le couple des Redoutables : Thanatos et Hypnos. Elle commence par. vous jeter la mort à la tête ! Est-ce pour signifier que l'homme n'aura jamais compris, à moins qu'il n'ait fait une expérience redoutable ? Aussi redoutable que lexpérience d'Héraclès parti à la recherche d' Alceste aux enfers. La sagesse passe pour l'homme à travers de redoutables épreuves. CONCLUSION.

Est-ce trop s'avancer que conclure à la parenté de l'énigme héraclitéenne et de l'iconographie des Jumeaux ? Elles auraient des attaches communes avec un vieux fonds de spéculation, que leur parenté justement découvre. La meilleure conjecture l'attribuerait aux milieux mal connus des «théologiens ii: personnel des sanctuaires, familles dépositaires des traditions, tous les personnages qui ont . conservé, interprété, refabriqué les récitatifs sacrés, disputé sur les générations divines, et lu les .noms des dieux avec des calembours. La Nuit avec ses jumeaux appartiendrait à leur vocabulaire : un registre original, entre l'imagerie des cultes, et les catégories de sagesse. De grands émois humains peuvent certes se cacher sous

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les noms de leurs catalogues. Avec des moyens infantiles et maladroits, fhomme a bel et bien disputé le mystère des origines, et médité le secret de la mort. Ces théologiens n'étaient-ils pas apparentés aux personnages en fonction de conserver les cultes, censés protéger l'homme contre les miasmes de la folie, les .démons du sommeil, et les affres de la mort ? Il faut être très mûr en sagesse pour déclarer avec Aristote que les cultes ont un effet purement pathétique : ils sont faits pour modifier l'affect sans rien apprendre. On peut parler de l'existence en Grèce d'un complexe religieux de la Nuit. Il grouperait plusieurs cultes dont le trait commun serait d'être des cultes nocturnes. Il envelopperait le culte de Dionysos, comme un canton seulement. Les autres grands cantons étai."lt d'Aphrodite, d'Artémis, des Jumeaux, et le groupe des cultes apotropaïques, rendus aux morts, aux souverains des enfers et aux Vents. Sur ce fond de nuit et de tempête, la ratiocination savante aurait débattu le mystère des origines et le secret de la mort. Rites et pratiques ont pour but de détourner l'homme du souci quotidien, de le retourner vers les premières Puissances, de changer sa répulsion naturelle à la mort en un sentiment dtexpectative grave, d'enthousiasme héroïque, et même, chez les plus exaltés, d'espoir. Que les exercices aient consisté en pratiques ténébreuses : telle la dormition dans les cavernes, ou la descente sur le motif initiatique du voyage aux enfers ; ou en pratiques à l'air libre et dans la vie commune : la mieux reçue en Grèce étant sûrement la guerre, avec l'espoir d'hériter la portion du héros. La conversation intelligente entre maître et élèves remplace pour les sages les combats des guerriers. Que fait donc Socrate à l'heure de la mort, sinon se tenir en vigilance, en entretenant de beaux discours ?

L'imagerie correspondante est commune. La Dame en noir se dévoile pour découvrir le visage de la Bien-aimée. Elle porte dans ses bras un dieu à la double face : une douce et une terrible. Ou elle porte dans ses bras deux enfants : un b'Ianc et un noir. Le discours fournit des fonnules à facettes d'énigme: les contraires s'échangent l'un contre l'autre, ils vivent les uns la mort des autres; ou ils se rassemblent tous en Un. La propreté de la sagesse archaïque se passe d'idéologie fantastique. Elle n'implique forcément, ni n'exclut, aucune fantasmagorie de l'au-delà. L'idéologie qui lui convient le mieux est la plus simple, réduite, comme dans la première preuve du Phédon, à l'alternance de Vie et de Mort, sur le modèle de l'alternance expérimentée de la veille et du sommeil. Dans la sagesse héraclitéeTu"le au moins, les alternances auraient été réduites à une tension inhérente à la vie. L'UN et I'ETRE demeurent présents sous les jeux de la vie et de la mort. Leur trouvaille date U..'le importante mutation de culture, sensible à la multiplication dans la langue des neutres singuliers abstraits introduits par « to ». Elle inaugure un troisième registre, plus sobre et plus sévère que le registre des théogonies, et le ITegistre des cosmogonies. Mais dans aucun registre les mots ne sont inefficaces ni inoffensifs. Bien maniés, et avec la grâce de la Persuasion, ils apprennent à regarder 'la mort en face : tous les jours que l'homme appelle de sa vie, y compris le jour qu'il appelle de sa mort.

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Théia, Rhéia, Thémis, Phœbé à la couronne d'or, et la désirable Thétys. Le dernier d'entre tous, le plus fort, Cronos à la pensée retorte, le plus redoutable de ses enfants... >> (HÉSIODE,

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Le système triadique aura probablement mterfere avec d'autres modes traditionnels de. groupement, toutes les fois qu'une tradition imposait un couple ou un cortège. Le pur plaisir verbal de rythmer et d' assonancer de grands noms dramatiques et sonores intervenant encore pour brouiller les séries ! I. Le wemier groupe est triadique : il dit la Mort avec trois noms, Maros, Kère et Thanatos (M6poi;, Klj?, 0&voc-roi;). Moras signifie le lot de vie et de mort, la valeur s'est fixée dans le sens funeste: Kère serait traditionnel pour dire l'esprit vengeur du mort. Thanatos est le plus mauvais des jumeaux (5). Le second groupe associe Hypnos et la race des (5) H. Frankel distingue, sous l_es noms la Mor!, principe de la violence destructrice, et le fai! ae la non-vie. Il reconnaît sous les noms de Mon;ios le prfo.cipe de la dévalorisation. (Dicht. und Phil. Hesiod, p. 143-45) ... Hésiode ne voulait-il pas seulement former des dyades et des triades ?

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Songes ('11tVoi;, q>ÜÀ7) 'Ovelpoov). Hypnos nommé à part, dans le premier hémistiche du vers, à côté de TI:anatos. A cette place, il reforme dans le prenner hémistiche le couple traditionnel des frères. On peut associer Hypnos de deux façons différentes, seul avec Thanatos, ou en tête du cortège des Songes. Or, on a vu que, dans le temple d'Aphrodite à Sparte, Hypnos et Thanatos vont ensemble. Mais dans le temple d' Asclépios à Sicyone, ils sont séparés, Hypnos marche avec le Songe. Rien n'est donc livré au hasard. Les noms sont placés avec précaution par une main savante, guidée par un esprit instruit dans les convenances rituelles. Tout ce qui vient dans ces deux vers constitue les enfants de premier rang. Ce qm vient ensuite vient en second lieu (v. 214). Les enfants de premier rang constituent un groupe complexe : Nuit avec la Mort trois fois nommée, et le Sommeil nommé avec la race des Songes. Développement savant pour le groupe populaire : Nuit avec le Sommeil et la Mort;. Au second rang vient une dyade, aux noms tragiques du Sarcasme et de la Détresse (M&µoi;, 'ûïC:&;). Pourquoi placés à ce rang ? Le meilleur commentaire serait fourni par deux thèmes. de poésie pindarique : la honte du vaincu, l'oubli pour l'exploit mal chanté. Les thèmes res sont la Gloire et le Beau Chant. Des temps de vie s'écoulent, des vies tout entières, et mêmes des suites de générations, sans gloire : parce que l'homme n'a rien osé entreprendre, parce que le dieu n'a pas donné la victoire, ou que le poète a mal fait son métier de chanter! Tout tombe alors dans la nuit de loubli. Il y a des défaites dont on parle mal, et même des victoires dont on ne parle pas : une espèce de la réprobation, dans un monde de culture où l'homme éclate au jour avec un exploit, et lexploit

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avec un chant. Faute d'avoir été chanté et bren chanté, l'homme diminue : il rentre tout vivant dans l'invisible, ou dans l'Hadès. Voici pourquoi le couple de la non-gloire confiJ1e à la triade de la mort. 11 signifie la réprobation pour le non-chantable, la condamnation pour le mal-chanté. II. Trois grpupes de trois entités féminines suivent : les Hespérides, les Moirai, les Kères. Les honneurs tradition..lJ.els des premières en font les gardiennes de la pomme d'or et des portes du soir. Les honneurs des secondes en font les distributrices des lots. Les honneurs des troisièmes, des vengeresses. Mais la présence de ce groupe complexe en trois fois trois pose des problèmes. Pourquoi id les Hespérides ? Ces vierges de la pomme d'or ne détonnent-elles pas dans le groupe ténébreux ? La réponse serait : parce qu'elles gardent les portes du soir. Les portes du soir_ rappellent porte et le seuil, bÙ Jour et Nuit se croisent. Sommeil et Mort se répandent par la même ouverture. Leurs gardiennes possèdent donc à bon droit le caractère des divinités redoutables. Les Moirai apparaissent ici comme enfants, la Nuit, ailleurs comµie filles de Zeus et de Them1s (v. 900 à 9n): dans @e espèce de pai:allèle, et également savante, qu'on a propose de lire en symétrie avec celle-ci. Le nom de Kère se retrouve dans le même catalogue deux fois : une fois au singulier dans la triade de la Mort, une fois au féminin pluriel, dans la triade féminilJ.e de la Vengeance. Toutes ces difficultés se laisseraient résoudre simplement par l'explication de hl symbolique. Hésiode n'a-t-il pas, voulu constituer un groupe en 3 fois 3 = 9 ? Quitte à jouer librement avec les noms, et sans réussir à éviter les doubles

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emplois ? La symétrie des catalogues, si elle se laissait poursuivre, engagerait une question plus sérieuse, parce qu'elle illustrerait un dualisme (6). Mais le second catalogue, Ie parallèle, et le savant, se ·laisse difficilement découper, parce qu'il interfère, ou semble interférer, avec un_ catalogue encore clifférent.: celui des femmes de Zeus. Le catalogue savant amènerait des entités aux noms transparents, signifiânt des puissances à l' œuvre dans la vie civique et éthique. Le catalogue des femmes de Zeus amène pêle-mêle celles-ci, et Déméter, Héra, Létô, etc... Les enfantements de Zeus et de Thémis font s.uite à un événement grave, que conte une légende sophistiquée, et relevable du symbolisme, quoique expri mée avec l'imagerie infantile de l'ogre. Zeus a su mettre un terme à la répétition obsédante de l'histoire : le père châtré et le roi détrôné, thèmes majeurs de la légende des Ouranides. Il aurait été détrôné lui-même par un fils de Métis. Bien conseillé par la Terre, il a avalé Métis. Le phantasme archaïque du père-ogre devenant signe pour dire : Zeus possède la sagesse au fond de ses entrailles. D'abord il l'a avalée. Ensuite et sur un conseil venu du fond.de ses entrailles, il a épousé la Titane Thémis.. Il a même épousé une dyade: Thémis fille de Terre, et Eurynomé fillè d'Océan (7). (6) Cf. F. SoLMSEN, Hesiod and .lEschyLus (Cornell Un. Press, 1949) en particulier p. 27 et suivantes, et R. P. WINNINGTON, A religious fonction of Greek tragedy, : le denner se manifestant comme puissance d'ordre et de (14) From reLigion to phifosophy (Cambridge, 1913)._ (15) Ouranos-Varuna (Paris, 1934). La thèse de Stig

Wikander est rendue accessible au public français par un article en langue française parue dans les Cahiers du Sud (no 314, p. 8 à 17).

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lumière, vainqueur d'un monstre. C'est le prototype du Zeus grec. On tiendrait donc un fragment d'origine indo-européenne commune, de date tout à fait archaïque, témoin d'une couche de culture effondrée. Pour être archaïque cette couche de culture n'en offre pas moins des produits organisés, montrant de très haut la pensée organisante au travail. Il faudrait donc remplacer l'hypothèse babylonienne par une hypothèse indo-européenlie. Cette substitution faite, tous les travaux convergent pour séparer un fragment mythique à figures anthropomorphes fort ancien, et un fragment cosmogonique, le fruit d'un autre âge, le témoin d'une autre couche de culture, et le produit d'une spéculation autrement savante. Ce fait acquis, et la couche cosmogonique bien isolée, pour la suite de l'aventure, il peut paraître relativement indifférent que les racines plongent en terroir sémitique ou en terroir indo-européen commun. La suite de l'aventure, selon F. M. Cornford, c'est la genèse de la pensée dite physique. Mais ce travail comparatif avait pour Comford une tout autre importance. Engagé sur la voie hypothétique d'un rituel babylonien, transmis en mythe pur à la Grèce, en mythe et en rite à la Palestine, il a poussé l'aventure jusqu'à comparer le texte grec de la Théogonie avec la Genèse de la Bible. Les deux textes auraient ceci de commun que l'un et l'autre se laisseraient décomposer en « mythe » et en «cosmogonie'». La décomposition opérée, l'élément cosmogonique apparaîtrait avec sa qualité irréductible, comme le produit de couches de culture homologues, ou de spéculations similaires. Voici donc le poème hésiodique relevé au rang des les plus lourdes de productions religieuses densité simplement humaine, et surchargeables au gré divin du poids d'une révélation ! Et voici d'un 6

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seul coup posé, de la seule façon raisonnable qui soit, le problème de la nature des entités cosmogoniques. Qu'est-ce que c'est que la Ténèbre? et que la Lumière? Que Ciel, Terre, et Eau primordiale? Sous ces noms l'homme désigne-t-il quelque chose divine ? ou quelque chose au monde? ou la réalité physique ? ou quelque .chose habitant le fond d'une imagination humaine ? Le voici posé en termes précis, sur terrain religieux païen, sans risque de sacrilège, sans passion vaine, de telle façon pourtant que la lecture de la cosmogonie grecque, rectifiée, ne pourra pas ne pas retentir sur la lecture de la Genèse. Et voici au surplus posé,. de la seule façon raisonnable qui soit, le problème de la filiation de ces entités avec les premières notions de physique : non pas bien sûr les quanta de lumière ! Mais les notions d'âge voisin: les «limites)), les «principes)), nommés juste avant les premiers modèle;S, préscientifiques des «tourbillons)) et des «atomes)). Si aventurées qu'en soient les hypothèses, ou si controuvables, l'essai de Comford a le mérite de découvrir une intention de sa recherche. Comme si la modestie, ou même l'imprudence, avec laquelle un philosophe se met à l'école des spécialistes, devait l'empêcher d'ouvrir des portes sur les fonds que tant de spécialités se chargent d'obscurcir: les problèmes de conscience de l'humanité occidentale ! Un instinct a averti cet humaniste que les textes dont il faisait son entretien .habituel avaient une valeur mieux que profane. Ou si ce n'est un instinct, c'est une jalousie, le poussant à rehausser la gravité des lectures classiques contre les prétentions exclusives de l'exégèse sacrée. Entre des laïques aptes à méconnaître l'authentique gravité des textes classés par la tradition occidentale dans le domaine profane, et des religieux qui ont peur de la découvrir hors du

domaine réservé, n'a-t-on pas manqué de mesurer une dimension de l'héritage grec ? Bien que le malheur des temps, ou simplement leur occasion, ait induit Comford sur des voies sociologiques, à la poursuite de la «conscience collective)), et même, plus tard, sur des voies jungiennes, à la poursuite de «l'inconscient collectif», la puissance même des textes ne pouvait pas ne pas le pousser en plus hautes eaux. Il· a découvert des structures de sensibilité, .et des esquisses d'imagination, à r œuvre sous la pensée archaïque : mettant le lecteur sur le chemin d'un sens plus profondément humain, et presque divin, des premières sagesses d'Occident. La comparaison de la création hébraïque avec la genèse grecque met en lumière la différence irrémédiable : dans la tradition grecque, les « tout à fait premiers apparus)) et les «premiers nommés», au tout premier rang le Chaos, au sens de « fente )) ou de «béance)), naissent et poussent. Ils ne sont précédés encore par rien de non-né, rien du moins de préhensible avec un nom ! Il ft agit donc à proprement parler de genèse ( ) et non de création. Un enfant poserait la question : d'où est-ce que c'est né? Hésiode l'a laissée ouverte, à moins qu'il n'y ait précisément répondu en ouvrant tout à fait au commencement du vide ou un trou ! Ce qui n'est pas si mal ! Il lui manque le mot pour dire un commencement absolu, et avec le mot la notion. Cependant l'histoire est naïvement introduite à la façon des contes par un « au com1:nencement >> ( èÇ,

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« Contez-moi cela, Muses, depuis le commencement, et dites ce qui a poussé en premier ... » (v. u5). La chose dite a ouvert un problème, et même soufflé le mot pour la solution. On dirait que les mots de la première histoire ont accroché une attention

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émerveillée, mais déjà singulièrement en éveil. Les mécontents ont répondu en inventant le commencement absolu {&px.fi), attesté depuis au moins Anaximandre, et en le faisant non-né ( &yb.iei:ov ). Ce n'était pas facile de faire pousser quelque chose de rien! Même si « rien )) n'avait pas encore de nom. Ce n'était pas beaucoup plus facile de faire pousser quelque chose d'un trou ! Hésiode a mis au commencement, rang, de la Ter.re à presque ou tout à fait au côté de la Béance. Le vide ouvert, à côté de la terre, ou sous elle, n'a pourtant pas cessé de solliciter l'imagination. Tantôt elle le comble avec quelque réserve fabuleuse de germes, ou avec de létanttoujours. Tantôt elle le recreuse au contrafre, découvrant de nouvelles choses, :impossibles à dire, derrière les choses les premières nommées, et tâchant de les dire au mode négatif. On a inventé ainsi du non-né sous le premier-né, du sans-limite ( Cém:ipov) sous les dernières limites. Finalement, on ne trouve plus de Fond à ce Sans-Fond, plus de nom pour ce qµi refuse le premier nom, plus de pause à la recherche, si ce n'est dans le silence ouvert sur l'énigme ! Voici le chercheur engagé sur le chemin de la thèse autorité développée par W. Jaeger, avec la d'un philologue formé à l'école de Wilamowitz, et d'un théologien de tradition chrétienne (16). La théogonie, et singulièrement la cosmogonie dans la théogonie, représente un premier degré de spécula-

tion savante, à partir duquel était possible une méditation de théologiens ouverte sur lavenir. Justement par les questions posées, et même déjà par une réponse donnée. La méditation introduite par les questions ouvertes avec le poème d'Hésiode, et par les réponses géniales fournies du côté des grands Ioniens, V-./. Jaeger l'ouvre sur l'avenir chrétien de l'Europe. Hésiode lui-même aurait semé, sans le savoir, un germe promis à un lointain avenir spirituel, en nommant le troisième principe de sa triade à l'origine: l'Eros. Ce personnage de tradition populaire locale, héros d'un culte paysan de la fécondité, aurait été érigé au titre de principe cosmique par la piété d'un enfant du terroir, et par sa logique irréprochable à la façon de la logique des enfants. Avant d'amener le premier couple, ne fallait-il pas avoir amené un principe des accouplements ? Ainsi se serait formée une hypostase de lAmour, n'ayant de comparable danS l'histoire que l'hypostase hébraïque de la Parole. Les deux destinées à se rejoindre! Quant à l'hypostase grecque d'un Lagos, la question reste débattue de savoir quand et si elle a été accomplie. La troisième lecture de la cosmogonie, celle de H. Frankel, se fait presque déchiffrement (17). La construction de la Théogonie juxtapose trois races, exactement, deux grandes races et une sous-race. Tout ce qui nai"t de Nuit, fille de Chaos, représente la négativité. Tout ce qui naît du premier couple, Gaia et Ouranos, représente ce qu'il y a au monde

(16) The theoLogy of the etJ,r/,y Greek thinl:cers, Chap. 1•r : «Hésiode », p. 11 à 17 ; chap. II: « Elabo:i;ation de la notion du divin», p. 19 à 37 ; chap. III : « Sur l'Eros et le Logos», p. 38 à 55 : « ... à d'autres égards pourtant, si nous comparons l'hypostase grecque de l'Eros créateur du monde, avec l'hypostase hébraïque du Logos dans le récit de la création, nous observons une profonde différence dans la façon que les deux peuples ont de se représenter le monde. Le Logos est la substantialisation d'une propriété

intellectuelle, ou d'un pouvoir d'un dieu créateur situé

en dehors du monde... Les dieux grecs sont situés à

l'intérieur du monde lui-même. » W. Jaeger ne tiendrait pas pour une hypostase grecque de la Parole. (17) Dichtung und Philosophie des friihens Griechentums (Un. of Illinois, 1951). «Hésiode», p. 139 à 151.

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de puissant et d'intelligent (machtig und klug). Tout ce qui naît d'Océan, né de Terre, représente le mouvant et l'informe (> représentent alors, ce sont des aspects de la négativité : la Mort sous plusieurs noms, la Violence destructrice de la vie, et le Non-vivre. Le Sommeil: une inconscience. Le Rêve: l'expérience de l'illusion. Sous le nom de Mômos : la dégradation de la valeur. Sous le nom de Gèras : la soumission à la décrépitude. Les petits enfants, fils d'Eris, fille de Nuit, représenteraient les effets: anarchie; misère, crime, toutes les formes du mal dans le monde ! La « négativité >> et ses aspects n'auraient pas été pensés abstraitement, et traduits figurativement en termes de maternité nocturne. Non : tout a été pensé dirèctement en termes de maternité nocturne, et de filiation, parce qu'il n'y avait point d'autre vocabulaire. Celui-ci dit immédiatement la puissance. Disposant d'un vocabulaire abstrait, l'homme moderne traduit en abstraction. Traduisant en abstraction, il tue la vie de la puissance. Il en fait une allégorie. Le registre des puissances est un registre d'expression sui generis, et proprement intraduisible, mais capable de métaphysique. H. Frankel s'exprime ainsi:

de la structure du monde. Hésiode dit que les « limites )) et les « sources >> et les « racines )) de toutes choses qui sont (aller Seiende Dinge) forment une couche au-dessus de la Béance (Chasma). Pour le formuler dans notre discours : tout ce qui est (alles Seiende) existe par le fait que spatialement, temporellement, et logiquement, il se pose contre un vide non-être. Et il est déterminé pour ce qu'il est, en se définissant contre ce qui n'est pas : le Vide ! Ainsi donc, le to'lt du monde, et toute chose au monde, chacune selon son rang, a ses limites où elle se heurte contre le vide. Et comme la limite n'est pas seulement frontière terminale, mais aussi commencement, ainsi les « limites >> des choses sont en même temps des « sources >> et des « racines >> : car les choses doivent leur « être >> et leur « être•ainsi >> au fait qu'elles se délimitent contre le non-être. Dans un passage parallèle (8ro et suivants), Hésiode, en approfondissant des thèmes plus anciens, met à l'entrée du monde d'en-dessous une porte de pierre, et un seuil d'airain inébranlable, appuyé sur des racines enfonçantes, poussé tout seul. Quand Hésiode décrit le Seuil, entre le monde des choses existantes et le Vide, comme «inébranlable)), «enraciné l>, et c< né de soi)), il exprime en termes à lui la pensée que les limites ne sont pas un produit second, né du choc de l'être et du non-être, mais au contraire la condition primaire et autonome de tout être ! Et à nouveau le « Seuil » d'une « Porte >> signifie le c< bu bien>> d'une alternative: être ou ne pas être. Hésiode n'aurait pas pu concevoir ni formuler de pareilles pensées dans une langue conceptuelle ouverte et non chiffrée. C'est un chemin côtoyant un abîme que sa pensée tente de parcourir, et il ne faut pas s'étonner s'il appelle ces « sources >> et ces « limites >> choses

« De profondes spéculations ontologiques sont déposées dans ces vers (736 et suivants). On avait appris au commencement qu'avant l'être était le vide (Chaos) dans lequel l'être avait fait son entrée. Il n'est plus question ici de la genèse du monde, mais

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difficiles et obscures, aptes à provoquer la répugnance même des dieux... JJ (Dicht. und Phil., p. r48-149.)

plus des noms de dieux, mais pas encore des noms de choses. Elle justifie la survivance de blocs erratiques dans des constructions plus jeunes, tels le Seuil et la Porte dans le discours parménidien. Elle rend la lecture de la cosmogonie tout à fait fascinante. Ce déchiffrement n'est-il pas de la même veine que le travail consistant. à méditer les dits de poésie pensante, pour en condenser la lecture autrement en dits de sagesse (Dichtend denkend - Denkend dichtend). Les dits de poésie pensante fussent-ils ceux d'un moderne poète, qui aurait retrouvé la fascination des antiques discours sacrés ! On pense aux transpositions d:ç M. Heidegger, d'après la poésie de Holderlin. Dar:.;: les deux cas, toutefois, ni les sources ne sont tout à fait les mêmes, ni les intentions. Quand M. Heidegger redécouvre à sa façon les couches archaïques de la sagesse grecque, son intention est de décaper celle-ci des dépôts tardifs ou étrangers : hellénistiques, gréco-latins, judéo-chrétiens, afin d'opérer un retour aux origines, et de refonder la conscience d'Europe sur des bases d'authenticité indiscutée. Il cherche à refaire à la conscience d'Europe une jeunesse, en puisant aux sources, en remontant aux racines de son jaillissement neuf. Nulle ambition pareille n'est décelable chez H. Frankel (r8). Mais c'est le destin singulier de ce genre de recherches, en apparence spéciales et inactuelles, que de remuer les passions, et d'exercer une fascination sur les esprits au moins les plus réceptifs, et non tout à fait obtus à pareil genre d'émotion ! On ne peut les faire sans toucher quelque nœud de la conscience

Le chiffre ouvert, un penseur d'un autre âge tente d'exprimer la même chose en langue conceptuelle non chiffrée. Une pensée profonde aurait été déposée dans les vers. Il faut la découvrir et la traduire dans un autre registre inconnu à Hésiode. Ce faisant, on recommence bel et bien le travail que les Grecs euxmêmes ont fait pour la première fois, quand ils ont façonné les formations verbales des premiers discours dits «de la physis >J, de cc l'un J>, au de l'être JJ; et quand ils les ont déposées au-dessus des formations verbales propres au discours cc des dieux)). Pour un temps, et un âge de culture assez long, les Grecs ont travaillé avec les deux espèces de discours. Pour un autre encore bien plus long, des spécialistes se sont évertués à opérer des traductions d'un registre dans l'autre. Le malheur est que, recommençant le travail, nous autres modernes réussissons mal à nous débarrasser des résidus verbaux de vingt siècles de philosophie ! Ce n'est pas chose facile de retrouver la virginité des premiers discours de l'être ! Encore moins facile, de lire à livre ouvert et directement le sens écrit dans le registre des noms de puissances ! Le sens de la tentative de H. Frankel est clair : elle éclaire la cosmogonie dans la perspective de la future ontologie, c'est-à-dire en ouvrant les horizons lointams sur tout autre chose que le christianÏsme. La découverte d'u..11e couche de pensée fort authentiquement c( pensante J>, plus ancienne que les discours de la physis, plus ancienne que les discours de l'être, approfondit le secret de naissance de l'ontologie grecque. Elle utilise des formations archaïques, qui ne sont déjà plus mythiques ; des noms qui ne sont

(18) H. Frii.nkel fait de la pure sémantique grecque. S'il existe un autre éclairage, il viendrait de l'Inde. M. Heidegger utilise la sémantique grecque. Mais l'éclairage est romantique.

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européenne. On réveille le drame des deux cultures : la classique et la chrétienne. Ou le débat des deux tendances en lutte dans le christianisme: l'épurer de tout ce qui n'est pas révélation biblique, sauver en la canonisant la tradition la mieux aimée. On alimente la nostalgie d'une religion européenne de terroir. On rend sacrée l'exégèse de textes vénérables, en redécouvrant le sens oublié des vieilles écritures. Ou bien au contraire, on soulève l'indignation et l'incompréhension de tout ce qui se rebelle dans l'homme d'Occident contre le drame de son passé, et l'infantilité de ses rêves.

au bout des autres, ou de races posées les unes à côté des autres. Quel que soit le sens caché sous le chiffre de la filiation, quelles que soient les intentions dissimulées sous le choix des rangs et la disposition des cousinages ! Il y a des intentions. Le moderne ne risque-t-il pas de les brutaliser en les traduisant ? Or, et c'est là le fait nouveau dans l'histoire de la redécouverte des textes, la cosmogonie retient à présent à nouveau la curiosité. La génération de la Nuit n'est plus un froid catalogue d'allégories pâles. Pour H. Frankel, c'est le chiffre de la négativité. La négativité sous nom poétique, avant que la sobriété du vocabulaire ontologique n'ait nommé le non-être, Avant que Parménide n'ait appris à ses disciples à le nier, donc à le susciter pour le renvoyer au néant. Et encore ! Avec quelle impérieuse solennité dans l'avertissement de laisser close la route qui le nomme! Le froid catalogue d'allégories pâles a l'audace littéralement inouïe de nommer tout ce qui fait peur. Il enchaîne les Redoutables dans une ronde de mots. Pour rendre à ce texte sa vie, qu'on le lise au niveau de conscience où les mots échappés ressemblent à des génies malicieux lâchés dans le monde, et les mots maîtrisés donnent un pouvoir de conjuration. A ce niveau, les signes des noms s'échangent contre les images des choses, formant avec elles des associations étranges et des renversements inattendus. En deçà: une imagerie de cauchemar. Au delà: le jeu savant des couples dialectiques. Il donne prise à l'intelligence sur ce que l'imagination refuse, et la sensibilité ne saurait supporter. En se solidifiant, l'abstraction a enfoui les noms à pouvoir d> les couches .de culture : le registre du vocabulaire et des noms fournissant les indices témoins. r. En premier lieu, les histoires des diéux : un corps de légendes fascinantes, avec des noms de tradition immémoriale.

(20) Cf. le beau vers d'Ernpédocle (fr. 21) : ·« De la Terre rayonne la nature du fondamental et du [solide... »

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LA NUIT ET LES ENFA."lTS . DE LA NUIT

LA NUIT DE LA COSMOGONIE

les dernières limites, l'Un à part de toutes choses, l'étant-toujours. On tient donc un matériel disparate, caractéristique des tout premiers discours de la physis. L'évolution se serait faite ensuite par la dépotentialisation des noms, la démystification des signes, l'accroissement du vocabulaire sévère, et l'assouplissement du jeu dialectique. Une évolution parfaitement historique et qui réclame d'être minutieusement décrite. Cet âge serait celui du présocratique ancien (21).

Ces choses sont difficiles à faire entendre, et il faut prendre un autre exemple. Par exemple : la séparation de la Terre et du Ciel. F. M. Cornford a montré dans Hésiode deux séparations de la Terre et du Ciel: l'une de fantaisie archaïque, par le coup de serpe de Cronos, l'autre de fantaisie savante, par processus de scissiparité. C'est, dit-on, malfaçon, trace de couture mal effacée. Mais la répétition est et toute autre que maladroite. Ce n'est pas la même histoire ressassée. C'est la même histoire élaborée : transposée à un niveau supérieur. On peut trouver plus savoureux le conte d'Ouranos et de Gaia, séparés par le coup de serpe ; bizarrement savante au contraire la génération par scissiparité du premier mâle à partir de la première rem.me. Mais en passant d'un niveau à l'autre, l'homme a secoué l'étouffement de l'étreinte, et annulé l'obsession du coup de serpe castrateur. La poésie n'en est pas plus belle. Mais une poésie plus sévère s'élève au-dessus des fantaisies archaïques infantiles. Les deux histoires ,éyoquent la confusion nocturne de la terre et du ciel, et le lever du ciel diurne au matin. Elles les évoquent à des niveaux qui ne sont pas celui de la vision du monde: ou bien en-dessous,

(21) La disposition par couches de culture prendrait d'ailleurs un triple sens : historique, sociologique, et anthropologique. Historique d'abord : l'un venant avant l'autre. Au fond, on n'en sait rien. L'imagination fabulatrice en Grèce a probablement façonné des, légendes à époque historique, et la pensée cosmogonique a peut-être débuté dans la nuit des temps protohistoriques. La seule ·chose à laquelle on soit sûr d'assister, c'est la naissance merveilleuse des premiers discours de sagesse. La Grèce n'a jamais renonèé d'ailleurs ni à ses théogonies, ni à ses cosmogonies, ni aux procédés laborieusement astucieux des théologiens de la couche archaïque. Sinon la Grèce, au moins en Grèce, des milieux spécialisés dans les « discours sacrés». Ces faits témoignent donc pour l'existence d'une tradition dotée d'un registre verbal original, et de procédés spécifiques, demeurés quasi inchangés ·depuis le présacratique ancien, et même avant, jusqu'à l'hellénistique tardif. C'est un fait que l'existence d'une Grèce étonnamment conservatrice: elle a traversé la Grèce de l'humanisme, celle de la science, sans abdiquer ni ses légendes, ni le cosmos sacré, en acceptant tout au plus de compliquer les généalogies, et d'en fournir des interprétations symboliques. On est bien obligé d'assigner à cette tradition un milieu porteur ; le plus probable est le milieu spécialisé dans la conservation des «discours sacrés ». Le troisième sens serait le plus important, parce qu:il intéresse la construction de l'homme occidental de souche grecque. Les cosmogonies se stratifient entre la fantaisie mytho-poétique et le discours sobre. Ce n'est ni simplement la production d'un âge historique, ni simplement celle d'un milieu de culture, mais le dépôt d'un âge de l'homme. Une zone singulière de l'âme entre l'imaginaire et le discours. Cet âge ne serait d'ailleurs en aucune

façon pré-logique. Il se constitue bel et bien avec des mots, et même avec des mots plus puissants que des concepts, et avec des règles sévères de leur emploi. Seulement les règles sont plus proches de la mnémotechnie et de la poésie que de la logique classique. Les fantaisies qu'un âge plus mûr appellera avec mépris du mythe, au sens de mensonge, ont été bel et bien mises en mots. Un âge de pensée plus jeune appelait cela du mythe, au sens de la chose dite. Ce sont des récits faits pour accompagner les jeux des fêtes. Les cosmogonies sont aussi faites pour êtres récitées les grands jours de fête. La mise en mots de la chose. dite a préparé ·sa mise en système. La mise en système à son tour son amalgame aux productions d'un niveau supérieur. 7

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LA NUIT DE LA COSMOGONIE

enfoncés dans les phantasmes archaïques, ou bien endessus, inscrits dans un schéma épuré. Le conte a surchargé la vision du monde de phantasmes érotiques à fétat brut. La cosmogonie l'a amenuisée, jusqu'à la réduire au schéma de la dichotomie. En deçà du conte : de l'imagerie primitive. Au delà de la cosmogonie : la classification dichotomique des formes de la physis. Entre les deux : l'apparition du monde, et presque, ou tout à fait, son épiphanie ! Dite avec des mots dont une traduction sobre ferait presque, ou tout à fait, une phénoménologie du matin! (22) La génération par scissiparité représente elle-même une curieuse formation, bien caractéristique de la pensée cosmogonique. Quel en est le modèle ? L'imagination des ·surfaces découpées le matin entre le ciel et la terre, entre le ciel et l'eau ? Ou la mémoire d'une ·séparation plus dramatique ? L'enfant déchiré du corps de la mère ? Ou tout simplement, comme le dit· bel et bien le conte, le retrait du mâle après les accouplements ? L'un surchargeant l'autre probablement ! La trace d'une séparation émouvante sert de support à l'image visuelle du matin. L'image visuelle de la formation du monde au matin rappelle des déchirures émouvantes. Mais la trace des déchirures a été recouverte avec des mots. Les noms s'ordonnent en manière de classilication dichotomique; Terre se déchire pour enfanter terre et ciel. Elle se déchire une seconde fois pour enfanter terre et eau. Ciel se déchire en hautes zones à la hauteur

des cimes, et zones moyennes à flanc de montagne. Nuit en même temps se déchire pour enfanter nuit et jour : un tissu nébuleux et un tissu lumineux, appelé Ether. On voit donc se produire, par scissiparité, les unes à partir des autres, toutes les formes de la physis. Le texte en fournit déjà la classilication. L'ordre de la génération n'est pas le même sans doute que celui des physiques les plus célèbres. Mais le mode de parturition dichotomique est similaire. Chez Héraclite par exemple : Feu se change en Averse chargée d'Eclair, Averse fondue en Mer se divise par moitiés : en Terre et Vapeurs atmosphériques, plus ou moins humides, sèches et· inflammables. Il fi agit bien d'un processus de naissance par division, et ·d'une classification dichotomique des formes (23).

(22) Pour une critique des opinions de F. M. Cornford,

cf. G. Vlastos dans Gnomon, XXVII (1955), p. 74. Cornford

aurait négligé un autre passage : Théogonie, 736 741. Mais ce passage n'est-il pas interpolé et plus tardif? Il décrit au surplus la structure, plutôt que la gep_èse. G.··Vlastos dérive l'apeiron du Tartare sans fond.

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(23) Cf. interprétation pour les fragments 31 a et b d'Héraclite. C. Ramnoux: Vocabulaire et structures de pensée archaïque chez Héraclite, chap. II, Il y a avantage à déduire les formes de La Physis directement à partir des entités de la cosmogonie. Mais il y a d'autres modèles de cosmogonies. Il subsiste aussi plusieurs modèle8 de physiques. Cornford a tenté la déduction à partir· du partage du monde, entre Zeus, Hadès et Poseidon. Cela donne: de l'éther, de l'air invisible ou obscur, et la mer. Le partage laisse la terre bien commun et ·zone de combat. H. Frânkel a opéré sur un autre terrain : à partir du plan des filiations en générations dè Nuit, de Mer, de Gaia et d'Ouranos. Mais au lieu de déduire les formes de la physis, il traduit en catégories, sous les noms de la Négativité, la Mouvance informe, la Puissance intelligente. Quelle que soit son origine obs.cure le schéma de La dichotomie a fourni un modèle pour les premières structures des enseignements dits physiques. Une Puissance, la Nuit, ou la Terre, se déchire en deux. Les deux sont déjà contrariés: Nuit et Jour, Femme et Homme, Solidité et Fluence. Un des contraires continue son propre principe appauvrL L'autre s'y oppose. Nuit se partage en nuit et jour. Terre, en terre et ciel. Puis Terre encore en terre· et eau. L'entité maternelle est enceinte et de-son contraire. On peut lire le schéma en desce .. r;, vers la procréation des êtres dans le monde : comm i!îùt

. .> (v. 962). Toutes ces invocations, et ces désignations apparaissent dans la journée des Euménides, et vers la fin ; toutes aussi dans la bouche des Erinyes Euménides, sauf dans le chant de cérémonie : comme si nul n'osait La nommer, sinon ses filles, ou des officiants, et seulement .à une heure de décision pathétique, ou de prière. Elle porte l'épithète de melaina, la Noire, et le titre de Mère, quoique mère cfune génération inféconde (v. rn32). La concordance avec Hésiode serait parfaite, sauf pour le nom des filles : Hésiode appelle Erinyes des fillèS de Gaia fécondée par le sang d'Ouranos castré. Dans la fonction et avec le caractère des Erinyes, et avec la Nuit pour mère, le catalogue hésiodique nommerait

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les Kères et une Némésis. Pour l'essentiel, qui fait de la génération de la Nuit une génération à part, sans parenté avec la génération des Ouranides, la tradition est commune : soit qu'Eschyle suive Hésiode, soit qu'il suive une tradition apparentée (1). Quand Eschyle veut désigner_ la nuit de l'expérience commune, la nuit de tous les sorrs, il emploie de préférence le mot « euphroné » ( eùcpp6V1')) (Ag., v. 265, 279, 522), (Eum., 691). Il ne lui donne pas distinctement la valeur euphémique dè « la bienveillante», et il n'évite pas l'emploi de « nyx » (Ag., 653). Au vers 653, il est vrai, il s'agit d'une nuit de tempête fomentatrice de malheur, tandis qu'au vers 279 il s'agit de la nuilt qui a enfanté pour Argos un jour de victo,rre (1 bis)! Eschyle dispose donc librement: des deux mots : il emploie le nom euphémique pour désigner cette nuit que les hommes expérimentent bonne, surtout sous climat méditerranéen; en réservant le nom redoutable, à l'occasion, pour désigner une mauvaise nuit. La nuit de l'expérience commune n'a pas perdu la sacralité de son ambiance. Mais cette ombre qui monte le sorr, et se dissipe le matin, n'est qu'une ombre entre d'autres: les autres règnent même de jour. L'ABSENCE.

Un vers de l' Agamemnon est révélateur : le roi, et non plus le soleil, fait briller pour les hommes « la lumière dans la nuit» (Ag., 522): (1) Ce chapitre était rédigé quand nous avons pris connaissance des idées de F. SoLMSEN, Hesiod and lEschyl!us (Cornell Un. Press, 1949). Nous l'avons remanié ensuite, ap:i:ès nouvel examen, de façon indépendante: Il faut donc comparer le résultat des deux enquêtes. (1 bis) Ag. 355. Nyx est nommée en association avec Zeus et l'épithète «amie». Nuit de victoire pour Ar15os, de ruine pour Troie.

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III

... Il vient apportant la lumière dans la nuit, chos.e commune pour vous et pour tous ceux-ci, le Seigneur Agamemnon ... (2)

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Ce vers précède la scène où Clytemnestre fait étaler un tapis de pourpre sous les pas d' Agamemnon rentrant au palais. La baignoire fatale l'y attend. Ainsi, le geste de la reine est un vain étalage, fait pour attrrer les regards envieux; une impiété usurpatrice des honneurs réservés aux dieux seuls ; une ruse maléfique, destinée à exciter la jalousie des hommes et des dieux; mais c'est un geste plein de sens ! Il joue le coucher du soleil, au bout d'un tapis de pourpre, dans le grand bain de la mer ! Ce soleil capable -de farre briller pour les hommes la lumière dans la nuit, c'est le roi dans le pays, le maître dans la maison, le mari dans le lit nuptial. Les Choéphores chantent de même :

... privées de soleil, odieuses aux mortels, les Ténèbres couvrent la maison, en l'absence des maîtres morts... (Ch., 52-53.) Au contraire, quand le fils du roi légitime vainqueur se découvre, le cri monte :

... enfin voir 1a Lumière... (Ch., 961, 97i.) Ainsi 1' opacité, associée à la pesanteur et aux liens, n'est ni celle de la nuit qui noie la figure des choses, ni celle de la terre qui tient la dépouille des morts, mais celle d'une ambiance faite de privation, Ç.e peur, (2) On· songe une fois de plus à Héraclite, 16 : « Celui on pas» serait-il a) le soleil, b) le mahre, ou la Loi, ou le Vouloir de l'Un, c) la Chose Commune? Cette dernière expression a sûrement chez Eschyle un sens appuyé. qui ne se, c_oucherait ja:mais et

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de haine, de mensonge et de remords : dense au point d'occulter la lumière du soleil J Le moderne est capable de vivre cet effet émotivement, bien qu'il le nie scientifiquement. L'ancien le sent altérer sa vision du monde : un cc voile enténébrant », un « filet pour prendre aux pieds les mortels )> se forme par la concrétion de la passion. Par la concrétion du ressentiment se forment le projet et l'arme du crime! (3)

les Choéphores, la dimen.Sion verticale, Euménides, la dimension divine. Ce schéma peut servir aussi à résumer les dîmensions de l'absence :

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R. Schaerer, analysant les composantes dialectiques de l'Orestie, distingue trois dimensions du drame (4}: 1° Une dimension humaine et pour ainsi dire horizontale : le drame se noue de l'homme à l'homme, dans le plan de la terre. Par exemple entre Agamemnon et Clytemnestre, entre Oreste et Egisthe. 2° Une dimension pour ainsi dire verticale: le drame se noue de l'homme au dieu, entre le ciel et la terre, ou entre la- terre et les profondeurs. Par exemple entre Egisthe, ou Clytemnêstre, ou Oreste, et les Puissances Vengeresses. Ou encore entre Oreste et le coune Loxi&Athéna. 3° dimension divine : le drame se noue de dieu à dieu. Il traverse le cosmos et affronte les Enfants de Zeus avec les Filles de la Nuit. Chacune des journées de la trilogie illustrerait une dimension : l'Agamemnon, Ia dimension humaine, (3) Pour cet effet, cf. v. 811, 819, et le chœur conjoint à Apollon et l'Hermès nycbios, ou du moins ce qui en reste. Il rappelle l'observation pertinente de H. Cherniss : la Nuit grecque n'est pas négative. Physiquement, c'est une densité, émotivement, c'est une oppression et presque une obsession. Cependant elle se définit comme absence du soleil, et absence du maître? Ne peut-on dire que le soleil, et le maître, défendent contre l'invasion pa): les nuées opaques et les puissances mauvaises. Mais le plus vrai reste de dire que cette absence Lourde à porter est énigmatique. (4)R. Schaerer dans Revue de . Métaphysique et de Morale (58• année, 1-2, 1953, p. 49 à 80).

r L'absence règne entre vivants, entre le Roi et 0

le pays, entre l'homme' et la femme. L'absence du

Roi fait la nuit pour la terre. L'absence du maître fait la nuit pour la maison. L'absence de la femme au foyer suscite la folie :

De cruels phantasmes oniriques eux sont présents et apportent une insubstantielle joie ... (Ag., 418 à 42I.) (5) 2° L'absence règne entre les vivants et les morts. Elle est alors le fruit funeste d'un manque de soin. Le rite n'a pas été accompli (Ch., 8 et 9). Pis: on a mutilé le cadavre pour le rendre impuissant (Ch., 439 à 444). Or, la nuit, la frustration de la chose visible fait régner une oppression. La frustration de la femme fait régner une illusion et, avec elle, une espèce réelle et cruelle de la souffrance. De même, la frustration du cadavre accumule un épais ressentiment. Mais si les enfa.D.ts accomplissent le rite, alors · la présence se rétablit : une continuité aussi prochaine que celle des profondeurs de mer à sa surlace l car : « Les enfants pour le mort sont les sauveurs :

Les enfants pour le mort sont les sauveurs : comme un liège à la surface tient les filets, sauvant de l'abîme le réseau de lin ... (Ch., 505, 5o6, 507.) (5) .Il faut appuyer sur le verbe: ils sont présents, qui prend aussi un sens fort. Présence de l'illusion, ou présence d'une absence, à comparer avec l'oppression de la

PUISSANCE DE LA TÉNÈBRE DANS L'ORESTIE

Alors la tombe s'ouvre, non pas pour rendre un fantôme, mais pour rendre une inspiration (µèvoi;) ! Elle s'exhale en grands mouvements de haine et de colère dans le cœur et sur la bouche des femmes, et en résolution dans le cœur de l'enfant (Ch., 380 à

du fond d'une Até, à peine celle de quelqu'un, et déjà celle des dieux ! La même absence règne entre l'homme et le dieu. Elle est alors le fruit funeste d'un sommeil, d'une négligence, ou d'un oubli (6). Les Grecs soupçonnaient facilement leurs dieux d'avoir la ·conscience tournée ailleurs : soit qu'ils dorment, ou qu'ils couchent avec leurs femmes, ou qu'ils voyagent en quelque pays fabuleux, ou tout simplement qu'ils regardent d'un autre côté ! Mais l'apologétique eschylienne proclame au contraire avec passion que le dieu lui ne dort pas, le dieu lui n'oublie pas : sa présence répond à l'appel de son suppliant. La première parole d'Oreste à Apollon, au réveil, exprime une confiance teintée de soupçon:

390, 435 à 438).

Qu'Eschyle ait cru à la survivance de quelque chose est clairement dit :

... la dent du feu ne dévore pas la conscience ( qir6vriµoc) du mort. (Ch., 324 et 325.)

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Mais ce quelque chose ne serait pas forcément quelqu'un, et n'habiterait pas forcément ailleurs. Il reste accroché à la terre, et singulièrement à la tombe, abreuvable avec la libation. Il monte et se montre avec les passions au cœur des vivants, et singulièrement les résolutions au cœur des enfants. Ce n'est donc pas assez de dire que les morts envoient de sous la tombe passions et résolution. Les morts sont la profondeur d'où montent aux vivants passions et résolution. Les morts sont la profondeur des vivants! Les vivants n'ont qu'à s'éveiller à leur présence. Les morts se font présents en s'éveillant au cœur des vivants. C'est ce que le rite opère. On peut alors vraiment dire, comme fait le serviteur au vers 886, en parlant sous forme d'énigme:

Je dis que les morts frappent le vivant.

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Oreste en effet va frapper sa mère, d'un coup venu de beaucoup plus loin que le fond d'un cœur d'homme : du fond du ressentiment des morts ! Ou nuit. Le paradoxe ou l'énigme se résout dans une espèce de folie. L'homme souffre réellement par l'absence .de la femme, et la présence d'un phantasme de femme.

Seigneur, tu as appris à ne pas être injuste ( "l;à µ7) •..

Apprends à présent à ne pas être négligent! ("l;à µ7) &µeÀSÏ:v ). (Eum., 85-86.) Or, pendant qu'Oreste, lui, dormait, Apollon avait déjà répondu par avance à ses craintes: (6) L'Oubli (léthé) est un terme dont le sens s'étend plus loin que pour dire l'oubli d'un passé simplement temporel, et simplement personnel. Il s'oppose à Mnémosyné, et signifie à peu près tout. ce que signifie la moderne inconscience et un peu plus encore : le sommeil, la négligence envers les proches y sont inclus, mais encore l'ignorance de la faute enfouie dans le passé de la race, et l'ignorance du futur. Pour les doctrinaires de la réincarnation, l'oubli des vies antérieures. Pour toute la tradition grecque, une ignorance entre mondes étrangers : entre morts et vivants, et entre hommes et dieux. Finalement la méconnaissance du divin, et même, pour Parménide, l'ignorance d'être. Dans la liste hésiodique des enfants de la Nuit; l'Oubli marche avec la· Faim et la Souffrance: trois formes de la privation sans doute (?). "Il marche au rang des enfants de l'Eris. Est-ce pour signifier qu'il réalise, dans l'existence de l'homme, les effets de la puissance de rang supérieur : Hypnos ?

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LA NUIT ET LES ENFANTS DE LA NUIT

PUI5.5ANCE DE LA TÉNÈBRE DANS L'ORESTIE

Non, je ne te trahirai pas. jusqu'au bout je te serai [bon gardien, Présent et de tout près, quoique loin absent. (Eum., 64-65.)

phique, après la langue religieuse, a tiré les« qiuÀetxeç », les gardiens de la caste d'argent. Pour traduire l'idée d'un commerce habituel, le verbe« oµû.e:î:v )). Eschyle dans I'Orestie aurait sélectionné le verbe « oµLÀe:î:v », et l'expression (( O(LLÀLCt oetpe:î:et », pour désigner la présence, quand elle se fait lourde à porter et difficile à supporter. Par exemple, la présence de VErinys exerçant son ressentiment :

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Ces vers contiennent l'ébauche d'une dialectiaue du prochain et du lointain, avec l'idée que l'éloigiiement spatial n'empêche pas la proximité divine (7). Oreste dit encore en parlant d'Athéna avec une vraie foi de dévot :

... étant divine elle entend de loin ... (Eum., 297.)

Athéna à son tour surgit avec ces paroles :

De loin j'ai entendu ... (Eum., 397.) répondant terme à terme à la foi du suppliant ! Si donc une ignorance règne entre le dieu et l'homme, l'apologétique eschylienne a proclamé avec ferveur que ce n'était pas par la négligence du dieu. Pour traduire l'idée de la vigilance, la Grèce possède un vocabulaire et des signes. Le verbe « )) : d'où la langue religieuse a tiré les époptes. Le verbe « qiul..> (65) (12), avec un sens équivalent à l'Hadès, les terreurs du cauchemar. les terreurs de la mort. Une fois dans l'expression: «le char de la nuit s'avance)), en jouant sur un double sens menaçant : le soir tombe et la mort tombe, amenée par un meurtrier tapi dans l'ombre. Une fois dans l'expression: «répandre avec la parole obscure un voile de nuit sur les yeux>>. c'est-à-dire tromper, et tromper pour mener plus facilement à la mort (8158r6). Dans ces trois expressions le sens ambigu convie la mort, avec une autre chose qui peut être l'ombre du soir, la peur du cauchemar, ou la force du mensonge. La puissance de la Ténèbre se manifeste dans le mauvais rêve, le mensonge, et le danger tapi dans l'ombre. (12) Le texte établi par P. Mazon qualifie cette nuit < èbep°'v"oç » = celle qui est impuissante à rien achever. Ne pourrait-on corriger « éGxp°''t"o> : «Foyer réduit à l'extrémité de la misère>>. Qu'il amène ou n'amène pas une formation symétrique : « Femme décriée >> dépend de la lecture donnée au vers 45 (13). Traduction proposée:

PREMIER GROUPE. La Mort, trois fois nommée, avec le Sommeil et la race des Songes. Suivis par,, le couple singulier « Mwµ.oç, 'Oi:l:ùç >> : la parole faite pour tuer les gloires, et la misère faite pour tirer au néant. La tragédie tout entière est encadrée entre la première invocation à He'rmès (le chthonien), et la dernière évocation del'Até. Après la· prière à Hermès, Oreste monte sur la tombe du père, pour accomplir le double rite : offrande, invocation-évocation.

Je n'ai pas été présent pour mener la lamentation. Je n'ai pas étendu les mains sur ta mort (p.6poç) au portage du cadavre ... (Ch., 8 et 9.) . Un peu plus bas (r8) :

Zeus, donne-moi de venger la mort du père ( -re:lcro::cr6o::L µ.ôpov no::-rpôç ).

Surviennent les femmes et commence le premier chœur. Le premier chœur amène, à la première antistrophe (32 à 43), un couplet au Sommeil et au Songe:

Le Devin aux présages clairs à faire ,dresser les cheveux sur la tête, lei Devin domestique du songe, en soufflant la haine du fond du sommeil, de' nuit de l'antre des chambres a levé la clameur épouvantable, abattu d'un poids lourd dans les appartements des femmes ... Le même chœur amène-t-il à la suite le couple c< Mooµ.oç >> et (Héraclite, D. K., 123)? Le sage l'a nommée (432 ). Comme si les Ermyes étaient soupçonnables de pratiquer le faux serment, et Horkos leur frère de le garantir ? Les Erinyes viennent de se plaindre parce qu'Oreste n'a pas voulu recevoir ni donner le serment Horkos. Il n'a pas voulu jurer qu'il n'avait pas versé le sang, contre l'Erinys jurant que le sang avait été versé. Il ne pouvait pas le faire, puisqu'en effet il avait versé le sang. Dans un débat qui se contenterait d'affronter Horkos contre Horkos, Oreste était battu. Mais le débat à coups de serments ne tient pas compte des circonstances atténuantes, ni des circonstances tout court, donnant leur vrai couleur au crime. Athéna refuse ce type élémentaire de justice, au nom d'une justice qui discute le cas. Elle s'assure même le consentement de la partie adverse à son jugement (429 à 435). Fais la discussion et prononce le jugement droit. 'AJ.X

xpï:vs a· sô6sï:œv alx'l]V (433) (27).

La comparaison avec les deux emplois restants· de « Horkos }) apporte un peu de lumière :

... Aucun serment (Horkos) n'est plus fort que Zeus. (621). (26) Cf. Choéphores: v. 386-387: «Je dis que les morts frappent le vivant - Malheur à moi ! J'ai compris le mot de l'énigme... » .(27) La clef de la difficulté m'a été fournie par H. Cherniss. Je ne sais pas s'il irait jusqu'à lire l'opposition de deux types de justice. La justice à coups de serments, était-elle antiquement assortie d'épreuves?

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PUISSANCE DE LA TÉNÈBRE DANS L'ORESTIE

... La couche nuptiale est sous un droit (diké) plus fort que le serment (horkos). (217 et 218).

humainement incisive : la valorisation d'un lien créé avèc la clarté de la conscience et le consentement du vouloir, rien que par la parole donnée, contre les liens créés avec la force du sang. Force du sang prise pour garante, liens passionnels noués entre êtres de même sang. Que cette maturation de l'homme à la clarté de la parole soit inséparable, dans la pensée d'Eschyle, d'une révolution de structure opérée dans le règne des dieux, voici qui prouve que l'humanisme grec fut réel, mais ne fut certainement pas un humanisme athée l (28)

Au vers 621, la puissance de Zeus est revendiquée contn'! _Horkos. Dans les deux autres, une opposition est VlSlblement tendue entre ce qui tombe sous la diké, ce qui tombe sous horkos. La Diké marche régulièrement avec Zeus. Une opposition est donc tendue entre deux puissances : Horkos et la Diké. Un exemple est même fourni pour un cas tombant .sous la juridiction de Diké : le pacte de mariage. Une promesse de fidélité contraignante à la façon du destin, placée sous la garantie de Zeus et Héra (215 à 218), mais d'une autre nature que le lien du S(lll[J ! Le contexte' découvre un débat entre Apollon et les Erinyes: celles-ci s'excusent de ne pas venger le sang d'Agamemnon, par ce que le meurtre commis contre lui n'était pas meurtre entre consanguins; Apollon proteste que le lien de mariage est plus fort que le lieu du sang. Les deux puissances en présence, au fond, le pacte contre le sang. Le pacte, c'està-dire un engagement pris avec la parole et le consentement du vouloir. Le Zeus plus fort que Horkos, ce n'est pas un Zeus qui échapperait à tous les liens ! Ce qui constituerait de soi une idée théologique révo! C'est un Zeus créateur d'un autre type de lien: il a la force de le nouer et de le dénouer. Dans ce cas, le pacte de mariage, noué avec la parole et le consentement du vouloir. Non seulement la Parole a hérité des honneurs jadis conférés au Sang, mais même elle les a hissés à un niveau supérieur. On lit dans I'Orestie la trace d'une révolution sociale opérée avec le passage du matriarcat au patriarcat. D'une seconde, opérée avec le passage du droit criminel gentilice au droit criminel civique. Il y en a une troisième, autrement significative et

LE NOM DE LA DIKÉ.

Le nom de la Diké est de ceux qui reviennent le plus souvent dans l'Orestie. Le compte est difficile à faire, parce que ce nom, on des mots dérivés, tantôt signifient simplement le droit ou le jugement, tantôt prennent valeur pleine de nomination divine. Il n'est pas facile de distinguer un. emploi de l'autre, et le moderne se trompe souvent en laïcisant les signes. On a décompté le plus exactement possible seize emplois du mot ou d'un dérivé avec la valeur simplè d'un désignation du. droit (Ag., 464, 1406, r477; Ch., 308, 397; Eum., 154, 164, 187, 244, 272, 433, 438, 468, 615, 889). Les emplois s'accumulent visiblement dans la dernière journée, qui est une journée (28) Nous arrivons par ce biais à une conclusions similaire à celle à laquelle arrive M. Thomson à propos de la tragédie des «Suppliantes». Il a soutenu en effet que la plainte des Danaïdes ne portait pas contre une poursuite incestueuse : le statut familial autorisait, et même, dans certaines. conditions recommandait, le mariage entre cousins: La plainte aurait porté contre le mariage imposé par violence. Le fond de la discussion porterait donc sur le statut de la femme, et le vif de la revendication sur le libre consentement au mariage. ( JEschylus and Athens, p. 300.)

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de jugement. Dix-sept emplois avec la valeur franche de nom divin (Ag. 250, 383, 910; Ch., 6r, 3rr .. 461, 497, 641, 646, 949, .953; Eum., 218, 516, 522, 540. 554, 564). Les appels à la Diké dans la journée des Choéphores signifient que la journée est revendicatrice. Quatre emplois en invocations (Ag., 1434 ; Ch., 245, 518; Eum., 510). Au total: trente-sept emplois. Seul le nom de Zeus arrive avec un total plus imposant : quarante-sept appels. Il ne serait pas juste de comparer le décompte des appels à LoxiasApollon, parce que celui-ci bénéficie, et Athéna de même, de la place de protagoniste dans le drame, dans la journée des Euménides. Une autre puissance fréquemment appelée est Hélios. La Diké appartient au complexe des Puissances de Lumière. Comme Athéna elle"même, elle est Vierge de Zeus. Mais au contraire d'Athéna, elle ne refuse pas les associations avec les Nocturnes: en particulier avec Até et les Erinyes. Les Erinyes lui consacrent un grand chœur avant même leur conversion. Até et les Erinyes font donc figure d'exécutantes des hautes œuvres de la Justice divine. La révolution de structure dans l'univers divin a pour effet de subordonner Até, l'Erinys et Horkos à une Diké de rang supérieur (29). Dans le texte de l'Orestie, la Diké est nommée en association avec : Até et le'S Erinyes (Ag., 1434), Aisa le destin (Ch., 646), la Terre et tous les dieux (Ch., 148), Chronos (Ch., 935) (30),

Zeus dans le groupe Zeus-Kratos-Diké (Ch., 641 à 643, 949). Elle est opposée à Arès et Horkos. Arès dans l'expression : « Guerre contre Guerre, Droit contre Droit>> (Ch., 461). Horkos dans l'expression déjà analysée (Eum., 418). La seconde opposition symboliserait bien deux règnes : mais ce n'est pas le règne de la force contre le règne du droit. Zeus règne avec Kratos et la Diké. K.ratos, la Force, se distingue soigneusement de la Guerre. La seconde opposition symbolise le règne nouveau contre le règne ancien. Harkas appartient au règne ancien, avec la vengeance du sang et la justice à coups de serments magiques. Diké appartient à l'ordre nouveau : fille de Zeus et de Thémis dans la première triade de la génération parallèle (31), marchant de pair avec Eunomié et Eiréné, un ordre heureux dans la cité et la Paix. Quand le tribunal des dikastes accepte de prononcer un serment « horkos )), avant que d'instruire une cause de sang, ils assimilent une vieille coutume en la rendant moins offensive. La même chose peut se dire avec des noms divins : Diké a réussi à se subordonner Harkas en le réconciliant. Si le lien caractéristique de l'ordre nouveau est bien, comme on l'a décrit, un lien noué avec la parole et le consentement du vouloir, n'attendrait-on point que se définisse une parenté divine entre la Diké et ... ie Logos ? Ces puissances seraient-elles des équivalents cc abstraits >> pour Athéna et Loxias, le Devin non menteur, chargé de prononcer avec des mots l'oracle du conseil de Zeus? Athéna et Loxias marchent avec Zeus, formant avec lui une espèce de triade: Zeus, sa Boulé et sa Parole. Mais cette ·triade

(29) Faut-il rapprocher Héraclite D.K. 94 : les Erinyes sont dites les servantes de la Diké. La Diké exerce alors une puissance étendue à la démarche du soleil : c'est-à-dire à l'ordre cosmique, et non plus seulement civique et humain. (30) L'association avec Chronos rappelle que : « Chronos découvre la .Justice ii comme « Chronos découvre la vérité ii. Elle est savante. · y

(31) Cf. génération parallèle à la génération de la Nuit. Chap. II: «Les trois triades ii.

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ne se confond point avec une autre : Zeus, sa Force et sa Dik.é. La D:iké n'est pas plus cc âbstraite )) que la vierge de Zeus et le Devin non menteur ; mais elle a une autre naissance parfaitement connue : fille de Zeus et de Thémis. Elle se distingue surtout par une propriété non négligeable : Diké accepte, Athéna refuse l'association avec les Nocturnes et Ceux d'en bas. Il faut donc maintenir les deux triades. Ceci ad.mis, la parenté entre la Justice, le Conseil et la Parole continue de s'imposer.

différente, moins combattive, mais de bonne résonance grecque également. L'homme apprend à connaitre la Justice en pratiquant les institutions de la cité. Faut-il mieux dire : en se débattant avec et contre la justice de son pays ? Que ces institutions aient été données par un dieu, ou par un nomothète, cela revient toujours à dire que la pratique civique des institutions, dans une cité bien constituée, fait r éducation de l'homme, et même son initiation à la chose divine. N'est-ce pas l'inspiration même de la République de Platon? (32) Maintenant, l'école heideggerienne possède un troisième sens. Il a été proposé par E. Wolf. On l'obtient au prix d'Un.e correction consistant à lire