La mesure des gestes: Prolégomènes à la sémiotique gestuelle [Reprint 2018 ed.] 9783111323220, 9783110981056


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French Pages 294 [296] Year 1973

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Table of contents :
REMERCIEMENTS
TABLE DES MATIÈRES
Introduction
PREMIÈRE PARTIE: LA DESCRIPTION DES GESTES
I. A. Tuccaro
II. P. J. Barthez
III. G. Strehly
IV. Les descriptions profanes
V. Descriptions d'acrobates professionnels
DEUXIÈME PARTIE: LES NOTATIONS SYMBOLIQUES
VI. G. Polti
VII. P. Conté
VIII. R. L. Birdwhistell
TROISIÈME PARTIE: LA MESURE DES GESTES (1)
IX. E. Muybridge
X. E.-J. Marey
XI. N. Oseretzky
QUATRIÈME PARTIE : LA MESURE DES GESTES (2)
XII. Pour une mathématisation des gestes
XIII. La syntagmatique des gestes
XIV. Le modèle cybernétique et le problème du sens
Conclusion
Bibliographie
Appendice I
Appendice II
Appendice III
Appendice IV
Appendice V
Appendice VI
Appendice VII
Appendice VIII
Appendice IX
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La mesure des gestes: Prolégomènes à la sémiotique gestuelle [Reprint 2018 ed.]
 9783111323220, 9783110981056

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APPROACHES TO SEMIOTICS PAPERBACK SERIES edited

by

THOMAS A. SEBEOK

3

LA MESURE DES GESTES Prolégomènes à la sémiotique gestuelle

par

PAUL BOUISSAC

1973

MOUTON THE HAGUE • PARIS

Copyright 1973 in The Netherlands. Mouton & Co. N.V., Publishers, The Hague. No part of this book may be translated or reproduced in any form, by print, photoprint, microfilm, or any other means, without written permission from the publishers.

LIBRARY OF CONGRESS CATALOG CARD NUMBER : 72-94449

Printed in Belgium by NICI, Ghent.

A mes parents

REMERCIEMENTS

Les documents illustrant les chapitres de cet essai ont pu être reproduits en appendices grâce à l'aimable permission de: l'Office National du Film du Canada; Madame Michelle Nadal, présidente de l'association "Écriture et Mouvement"; The Trustées of the British Muséum; The University of Pennsylvania Press; The Dover Publications, Inc., qui voudront bien trouver ici l'expression de notre reconnaissance. Les diagrammes et les schémas ont été réalisés par Bernard Miller d'après des photographies originales. Nous voulons enfin exprimer notre profonde gratitude au Conseil des arts du Canada — section des humanités et sciences sociales — pour la subvention à la recherche accordée en 1969, subvention grâce à laquelle ce travail a pu être mené à son terme.

TABLE DES

MATIÈRES

Remerciements

7

Introduction

11 PREMIÈRE PARTIE : L A DESCRIPTION DES GESTES

I. II. III. IV. V.

A. Tuccaro P. J. Barthez G. Strehly Les descriptions profanes Descriptions d'acrobates professionnels

22 53 61 70 91

DEUXIÈME PARTIE : L E S NOTATIONS SYMBOLIQUES

VI. VII. VIII.

G. Polti P. Conté R. L. Birdwhistell

106 116 126

TROISIÈME PARTIE : L A MESURE DES GESTES ( 1 )

IX. X. XI.

E. Muybridge E.-J. Marey N. Oseretzky

139 150 158 QUATRIÈME PARTIE :

L A MESURE DES GESTES ( 2 )

XII.

Pour une mathématisation des gestes

173

10

TABLE DES MATIÈRES

XIII.

La syntagmatique des gestes

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XIV.

Le modèle cybernétique et le problème du sens . .

193

Conclusion

208

Bibliographie

211

Appendice I

215

Appendice Appendice Appendice Appendice Appendice Appendice Appendice Appendice

233 241 251 257 263 271 279 287

II III IV V VI VII VIII IX

INTRODUCTION

Cet essai se propose de poser le problème sémiotique des comportements dynamiques corporels par le biais de l'analyse d'une gestualité extrême, l'acrobatie; la tâche s'en trouve à la fois compliquée, dans la mesure où il lui faudra ultérieurement 'réduire' le caractère d'exception de son champ d'expérience, et facilitée du fait d'un certain grossissement naturel du phénomène observé. La motivation initiale de l'entreprise se situe dans un projet d'analyse structurale des spectacles de cirque, dont le propos est d'élucider la grammaire et la poétique qui président à la genèse des numéros et des programmes. Au fur et à mesure que se formait et s'enrichissait le corpus destiné à nourrir le projet originel, et que se développait une théorie embryonnaire du système dont relève ce genre spécifique de spectacle, la démarche heuristique a rencontré un certain nombre de problèmes d'ordre méthodologique, parmi lesquels le plus important semble être celui de la description des comportements acrobatiques humains et animaux. Ainsi en est-on arrivé à se poser d'un point de vue plus général la question de la pertinence des descriptions des conduites corporelles diverses dont on pouvait disposer, et à rechercher d'autres procédés de transcription ou de notation symbolique qui pourraient se révéler plus adéquats à l'objet considéré. Ce qui n'était d'abord qu'une réflexion méthodologique préliminaire a progressivement acquis une véritable autonomie problématique et a paru d'autant plus digne de faire l'objet d'une étude systématique que cette entreprise venait s'inscrire dans un courant de recherches contemporaines sur la gestualité, recherches au progrès desquelles ce travail espère contribuer. Bien qu'ultérieurement l'analyse ait débordé considérablement

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INTRODUCTION

les limites premières du projet pour déboucher sur un essai de typologie critique des procédés de notations symboliques des mouvements, il a paru méthodologiquement intéressant de s'en tenir autant que possible aux circonstances inaugurales de la recherche; en effet, le comportement acrobatique tel qu'il se manifeste dans un spectacle de cirque est un objet privilégié dans le champ des conduites gestuelles. Il fournit des séquences relativement isolées et observables, dont le propre est de se répéter intégralement, et qui exploitent jusqu'à l'extrême limite les possibilités mécaniques du corps humain. C'est donc à ce titre qu'il a été choisi comme thème essentiel de l'analyse; cependant, dans une première étape, ces séquences seront essentiellement étudiées en fonction de leur parenté avec toutes les autres conduites dynamiques corporelles et non dans ce qui fonde leur caractère spécifiquement acrobatique. L'objet de la quête, le centre vers lequel convergent l'ensemble des analyses critiques présentées ici, est la découverte d'un procédé de description scientifique des manifestations du dynamisme corporel. L'idéal qui n'a cessé d'être entrevu à l'horizon de toutes les démarches, qu'elles soient négatives ou constructives, est la possibilité d'une analyse quantitative des phénomènes en question, ce qui suppose une formulation théorique du problème et la conception d'un instrument de mesure adéquat. Chemin faisant, il est apparu que ce but ultime pouvait utilement aller de pair avec l'établissement d'une typologie élémentaire des procédés existants dans la mesure où chacun représentait un essai de solution originale à un problème commun implicite et pourrait de ce fait contribuer à une redéfinition de ce problème. L'examen de ces tentatives a porté essentiellement sur leurs présupposés méthodologiques; la typologie a été esquissée davantage de ce point de vue qu'à partir des caractéristiques des systèmes constitués. Quant au rendement pratique des procédés examinés, leur application à des comportements acrobatiques a servi de test; le procédé qui permettrait de donner une traduction symbolique exhaustive et objective d'un double saut périlleux s'appliquerait efficacement à tous les comportements dynamiques sans exception.

INTRODUCTION

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Ces considérations préliminaires expliquent le caractère composite du corpus sur lequel nous avons travaillé. Ses éléments ont été extraits de textes et de documents se référant explicitement à des comportements acrobatiques aussi bien que de textes se référant aux comportements dynamiques en général ou à des comportements spécialisés autres que l'acrobatie. Dans les deux cas, la sélection a été motivée par un souci de représentativité. Pour chaque élément retenu, les raisons du choix seront exposées au début des chapitres; mais il n'est pas inutile d'indiquer dès maintenant les principes d'élimination qui ont été suivis. Nos préoccupations étant méthodologiques et non historiques, nous avons écarté les textes qui étaient typologiquement redondants par rapport à une catégorie nettement représentée par un exemple. Loin de prétendre retracer l'évolution des techniques de description et de transcription des mouvements corporels, cette étude veut se borner à analyser d'un point de vue critique les types de procédés rencontrés dans le domaine occidental; l'entreprise est donc théorique en ce sens qu'elle tend à ébaucher une systématique des méthodes de transcodage des mouvements, et pratique en ce sens qu'elle cherche à poser les bases d'une sémiotique gestuelle. La première distinction qui s'est imposée relève de la nature du code; d'un côté nous trouvons des textes qui traduisent des séquences dynamiques corporelles dans ce qu'il est convenu d'appeler un langage naturel; d'un autre côté des textes qui proposent des traductions de ces séquences au moyen d'un système de notation original. Tout en étant conscient de l'arbitraire des décisions terminologiques, nous réservons le nom de DESCRIPTIONS aux premiers et celui de TRANSCRIPTIONS au seconds. De plus, il est apparu, au cours de la recherche, qu'il convenait de séparer les transcriptions qui utilisaient la description comme relais dans le processus de traduction, de celles qui tentaient de fonder leur système sur une analyse scientifique des séquences, le critère de la scientificité étant en l'occurrence le recours à la mesure exacte et rigoureuse des phénomènes. L'examen du point de vue du 'traducteur' permet d'établir des distinctions secondaires selon sa connaissance pratique ou théori-

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INTRODUCTION

que du 'texte' de départ et selon ses intentions explicites qui sont largement conditionnées par la nature et la catégorie culturelle du destinataire. Il ne serait certes pas sans intérêt de s'interroger sur les critères de classification des comportements dynamiques corporels au sein d'une culture donnée. Mais tel n'est pas le propos de cet essai, qui s'efforcera de formuler une problématique générale dans des termes plus proches de l'acoustique que de l'ethnologie. L'ordre qui sera proposé tient compte des variables pertinentes de transcodage qui sont, en gros, le point de vue et l'intention du destinateur, la nature du code adopté, et la catégorie culturelle du destinataire. Sans nous enfermer dans la fiction d'une introduction qui serait innocente de la conclusion, nous nous en tiendrons à ces critères sommaires pour présenter les grandes divisions d'un travail qui s'est élaboré, comme il est naturel, au cours d'un va-et-vient entre une théorie en genèse perpétuellement corrigée et un corpus sans cesse enrichi, et restructuré. Une combinatoire élémentaire de ces critères permet de donner un contenu explicite aux différents genres de descriptions recensés; les qualifications de l'émetteur peuvent le désigner comme étant 'professionnel' ou 'profane' et dans ce dernier cas, 'spécialiste' ou 'naïf; les qualifications du destinataire détermineront le caractère 'normatif, 'purement descriptif' ou 'attractif' du message; ces corrélations conduisent à considérer le code 'stylistique' utilisé, que l'on pourra, selon les cas, situer par rapport à trois points de repère : 'normal', 'littéraire', 'technique', étant donné bien entendu qu'il s'agit là de dominances secondaires, l'emploi de la langue naturelle restant le dénominateur commun. Les descriptions proprement dites seront examinées dans la première partie. Après quelques hésitations, il a semblé souhaitable de faire coïncider la logique interne de l'analyse avec une suite chronologiquement ordonnée. Ce principe secondaire a permis de trancher dans des cas où, autrement, la décision de retenir tel ou tel document aurait été purement aléatoire. Il ne suggère naturellement pas un 'sens' de l'histoire de la description. Le plan

INTRODUCTION

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retenu a obéi à des considérations purement typologiques. Les spécimens analysés se répartissent en trois groupes, axés sur le caractère de spécialisation. Le premier émane de 'spécialistes' au niveau de la connaissance pratique et théorique et au niveau de l'expression linguistique; c'est dire que ces documents réunissent les conditions du meilleur rendement descriptif possible. Le deuxième groupe est composé d'échantillons provenant en gros de 'spécialistes' de l'expression linguistique avec les variantes 'scientifique' et 'littéraire'. Le troisième comporte essentiellement des témoignages d'acrobates contemporains spécialistes de la connaissance pratique de leur art, mais très limités dans leur possibilité d'expression linguistique. Dans ce dernier groupe on s'est efforcé de présenter en contrepoint des spécimens correspondants émanant de descripteurs profanes. Dans chaque cas l'analyse a porté sur un ou deux échantillons très brefs extraits d'un texte plus long donné en appendice avec les documents complémentaires divers. L'étude des procédés de transcription des séquences dynamiques corporelles au moyen de systèmes originaux d'analyse et de notation symbolique, a été divisée en deux parties; la première étant consacrée aux systèmes qui utilisent la description linguistique comme relais dans leur entreprise de transcodage; la deuxième comportant ce qui nous a paru constituer les premières tentatives d'analyses proprement scientifiques du mouvement animal en tant que phénomène perçu. Dans les deux cas, l'ordre chronologique a été respecté pour des raisons identiques à celles qui ont été exposées plus haut; la méthode adoptée y est sensiblement différente de celle qui a été suivie dans la première partie. On s'est efforcé d'exposer la problématique propre à ces auteurs et d'analyser les systèmes élaborés du triple point de vue de leurs présupposés théoriques et méthodologiques, de leur rendement pratique, et de leur potentiel de généralisation. Dans chaque cas des exemples significatifs des résultats de leur méthode ont été présentés en appendices à la fin des chapitres. Enfin, une quatrième partie justifie le titre de cet essai en

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INTRODUCTION

proposant un procédé de mesure des comportements dynamiques corporels, sans quoi tout projet de fonder une science sémiotique des gestes resterait vain.

PREMIÈRES CONSIDÉRATIONS THÉORIQUES ET MÉTHODOLOGIQUES

Avant d'entreprendre l'analyse des techniques de la description des comportements dynamiques corporels telles qu'elles se manifestent dans les exemples particuliers qui ont été choisis, il convient d'esquisser les grandes lignes d'un cadre théorique comportant une définition explicite de l'objet et de la situation corrélative du sujet descripteur, ainsi qu'une détermination des conditions de la conduite descriptive. La méthode suivie n'a pas consisté à accumuler des textes descriptifs dont l'observation minutieuse aurait conduit à la conception d'une typologie fondée sur des critères tout extérieurs. Au contraire, partant d'une réflexion sur la situation, les buts, et les moyens, nous avons entrepris de construire un modèle dynamique du processus descriptif, de manière à pouvoir aborder, en quelque sorte de l'intérieur, les descriptions-occurrences qu'un hasard éclairé nous a permis de réunir. Il va sans dire qu'il est essentiel que d'une part le modèle conserve une certaine généralité et une grande flexibilité et que d'autre part son principe explicatif soit, en dernière analyse, validé par les résultats d'une observation exhaustive des descriptions-occurrences examinées. L'observation d'une séquence acrobatique est l'observation des modalités spatio-temporelles de certaines modifications dont le lieu est le champ perceptif visuel et dont le thème est le corps humain. Pour celui qui entreprend de la décrire elle peut être définie comme le cas limite d'une désorganisation simultanée et/ou successive de certains éléments étroitement corrélés de l'espace tridimensionnel, 'désordre' qui est réorganisé grâce à l'interprétation perceptive. Antérieurement même au projet descriptif, l'observation est 'contaminée' par un savoir; ce savoir est l'expérience de la dyna-

INTRODUCTION

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mique du corps-propre organisée en un système plus ou moins complexe en relation avec un espace structuré. Ce système élémentaire, largement mythique, opère comme modèle de base dans le procès interprétatif et descriptif qui est conditionné par l'application spontanée ou réfléchie d'un système de structuration à l'expérience de la désorganisation introduite par le mouvement. Toute description suppose donc un modèle médiateur, c'est-à-dire un principe de segmentation et une forme qui sont déterminés par le modèle adopté. Dans la description non-scientifique, le sujet mélange généralement des modèles différents; la méthode est vécue de manière non-explicite et le sujet change de modèle lorsque celui qu'il utilise se révèle intuitivement trop pauvre par rapport à la richesse des informations à structurer, ou inadéquat par rapport aux relations perçues; dans beaucoup de descriptions spontanées de séquences acrobatiques on s'aperçoit notamment que lorsque le modèle fourni par la dynamique du corps propre ne suffit plus, le sujet utilise le modèle de la motricité animale ou celui des mouvements célestes qui permettent de catégoriser des modifications plus amples. Dans la description réfléchie, dont la visée scientifique est explicite, le modèle est choisi en fonction d'un degré d'abstraction supérieur et de vertus analogiques qui permettent de traiter de manière plus adéquate un nombre plus grand d'informations; mais le sujet a aussi recours à des modèles de soutien, ou utilise inconsciemment des modèles fossiles. La détection et le décryptage des modèles sous-jacents à une description donnée sont souvent brouillés par le fait que le système de la dynamique du corps propre sert de modèle d'interprétation à différents niveaux de l'expérience et à la constitution de la théorie de certaines sciences, comme la thermodynamique, l'informatique, la mécanique, la physique, etc., qui fournissent à leur tour des modèles pour l'interprétation de la gestualité. Nous sommes donc souvent en présence de modèles au second degré, enrichis certes, mais dont l'origine risque d'être occultée, et le prestige scientifique usurpé.

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INTRODUCTION

Enfin dans la mesure où toute description est nécessairement à la fois appauvrissement et explicitation du réel, elle s'approprie un ensemble complexe spatio-temporel auquel elle fait subir des réductions et des distorsions, dont certaines sont inévitables en raison du procédé d'expression (graphique, linguistique, ou symbolique) et d'autres conditionnées par des déterminations purement stylistiques. Sous cet angle, l'étude de la complémentarité de l'expression linguistique et de l'expression graphique est méthodologiquement pertinente. Ainsi, l'objet des analyses qui suivent est d'élucider les différentes catégories de modèles utilisées dans la description des séquences gestuelles et plus particulièrement dans les descriptions des séquences acrobatiques. Évidemment il n'échappe pas que le choix d'expressions telles que 'séquences acrobatiques' ou 'modalités temporelles et spatiales de modifications dans le champ perceptif' relève de l'adoption d'un modèle particulier. Il n'est pas question de prétendre à une description du procès descriptif pure de présupposés. Il suffira qu'elle ne soit pas naïve et qu'on ne confonde pas réel et modèle afin de conserver une certaine liberté de manipulation. Chaque modèle sera l'objet d'un examen critique de sa capacité d'expression et de son degré d'adéquation à l'objet de la description. De l'ensemble de ces critiques pourront alors se dégager les conditions d'un modèle théorique idéal qui satisferait au double principe de cohérence et d'objectivité et permettrait d'analyser scientifiquement, grâce à une technologie appropriée, les comportements dynamiques corporels des plus simples aux plus complexes.

PREMIÈRE PARTIE

LA DESCRIPTION DES GESTES

Les exemples dont l'analyse méthodologique va être entreprise dans cette première partie ont en commun le fait d'être des descriptions. Le sujet a recours au langage naturel plus ou moins spécialisé pour traduire des comportements dynamiques corporels complexes. Les trois premiers chapitres portent sur des textes d'époques différentes et relèvent d'intentions diverses. Il a semblé légitime de commencer cette investigation par des descriptions de caractère normatif et théorique qui répondent à une exigence de communicabilité plus rigoureuse; tous les moyens d'expression fournis par la langue y sont mis en œuvre par le sujet en vue de la constitution d'un code capable de transmettre à la fois une démonstration et un enseignement efficaces. Notons que le premier chapitre est relativement plus développé que les autres; c'est que nous avons tenté d'y élucider les fondements du procès descriptif. Les chapitres suivants sont tributaires des démonstrations et des conclusions du premier. Le quatrième chapitre envisagera des descriptions d'un autre ordre de spécialisation. En l'absence d'une connaissance pratique des comportements traduits, le sujet fait appel à toutes les ressources de l'expressivité linguistique, tantôt sur le plan de l'expression proprement littéraire, tantôt dans le sens d'un compte rendu rigoureux d'une observation minutieuse. Le cinquième chapitre fait appel à des témoignages émanant d'acrobates professionnels contemporains qui ont bien voulu collaborer à cette recherche en décrivant leur propre numéro.

I A. TUCCARO 1

Les Trois dialogues de l'exercice de sauter, et voltiger en l'air. Avec les figures qui servent à la parfaicte demonstration et intelligence dudict Art, par le Sr. Arcange Tuccaro2 ont été imprimés à Paris en 1599. Ils constituent un document de première importance pour cette étude, l'auteur étant à la fois un fin lettré et un expert acrobate. Sa double maîtrise de la langue et du corps 3 rend ses descriptions exemplaires, au point que l'on pourra tirer de leur analyse des conclusions générales qui permettront d'ébaucher une paradigmatique des modèles. L'auteur déclare, dans sa dédicace au roi Henri IV, que l'une 1

Une version légèrement modifiée de ce chapitre a paru sous le titre : "Un traité acrobatique du XVI e siècle", dans Ethnologie Française 1 (Paris, 1971), 11-28. 2 Arcange Tuccaro, né à Aquila dans les Abruzzes vers 1535, a passé la plus grande partie de sa vie dans les cours royales d'Europe où il remplissait les fonctions de Maître de gymnastique. Parmi ses nombreux admirateurs il comptait Charles IX, qui l'avait sacré "Roi des Sauteurs", et à l'intention de qui fut sans doute écrit son livre. Le manuscrit ayant été perdu pendant le siège de Paris en 1588, Tuccaro dut le récrire. Le livre parut en 1599 sous le titre suivant: "TROIS / DIALOGUES D E / l'exercice de sauter, et / voltiger en l'air. / Avec les figures qui servent à la parfaicte démonstration / et intelligence dudict Art. / par le Sr. A R C A N G E T U C C A R O , de l'Abruzzo, / au Royaume de Naples / D E D I E AU ROY / ornement / A PARIS, / chez C L A U D E D E MONSTR'OEIL, tenant sa bou- / tique en la Cour du Palais, au Nom de JESUS / M.D.L. XXXXIX". On pense qu'il mourut vers 1602. 3 Un sonnet de Beauvois de Chauvincourt publié au début du livre se termine ainsi : Il mérite entre tous une double louange, Et qu'on sacre son nom à la postérité Car bien dire et sauter sont les faicts d'un Archange.

A. TUCCARO

23

des choses qui lui font remercier le ciel est d'avoir trouvé "le moyen de réduire ce saut merveilleux soubs réglés et mesures certaines". Il s'agit du saut acrobatique, que les anciens nommaient 'cubistique' et que nous appelons aujourd'hui 'périlleux'. Mais la matière du livre dépasse de beaucoup ce propos technique. Le premier dialogue, de conception platonicienne, présente une discussion étymologique des termes grecs et latins désignant les exercices acrobatiques; puis, partant de l'opinion des philosophes grecs sur ces exercices, en vient à débattre "du blasme et de la louange du bal ou de la danse" (p. 1-48). Le second dialogue est consacré à la description technique de 53 sauts différents accompagnés de 87 figures explicatives. Ces descriptions sont encadrées par deux discussions théoriques sur les principes généraux du saut (p. 49-168). Enfin, le troisième dialogue reprend la structure du premier pour discourir des exercices corporels selon le point de vue de la santé et de la médecine (p. 169-197). Tuccaro met en scène les mêmes personnages dans les trois dialogues qui prennent place en Touraine, au château du Sieur de Fontaines, où le roi Charles IX a décidé de séjourner quelques temps, après ses noces, avec la reine Isabelle. La conversation se déroule entre trois Gentilshommes de la suite royale et deux gymnastes, amis et élèves de l'auteur. Ce sont les seigneurs Cosme Roger, Charles Tetti et Ferrand, "versés en toute sorte de sciences" et les gymnastes Baptiste Bernard, "fameux sauteur" et Pino "le parfaict nourrisson de la gymnastique de Sieur Archange". Tuccaro ne prend pas la parole directement. Deux passages du deuxième dialogue ont été retenus pour cet essai.4 Le premier extrait comporte sept pages doubles (p. 74-80) d'où est tirée la description d'un saut particulier (p. 74-75) qui a été choisie pour l'analyse de détail. Le deuxième extrait (p. 94100) a été ajouté pour permettre la mise en évidence des récurrences significatives dans le procès descriptif et pour fournir un nombre suffisant d'exemples à l'étude des relations entre le texte et l'image. Dans l'appendice la pagination originale figure dans la 1

Voir Appendice 1, p. 215.

24

LA DESCRIPTION DES GESTES

marge de gauche, et la numération des lignes du texte dans celle de droite. Les figures ont été numérotées de I à XV. Les renvois à l'appendice comporteront donc les indications suivantes : page de l'appendice, pagination originale et numéro de la ligne ou de la figure. Dès les premières pages de son livre, Tuccaro insiste à juste titre, semble-t-il, sur l'originalité de son entreprise. Son essai de description systématique et normative des sauts acrobatiques est le premier du genre. Mais surtout le traitement analytique auquel il soumet des comportements dynamiques du corps est nouveau. Ces sauts ont longtemps défié la raison, le saut 'cubistique' en particulier; "aussi ceux qui le voient faire n'ont point d'autre opinion d'iceluy, sinon qu'il se fait par art diabolique". Son propos est donc de remplacer une désignation globale, métaphorique et magique par une description "scientifique"; les éléments vont être distingués et enchaînés dans un déroulement ralenti que va déployer la description. Décrire est proprement 'écrire à partir de quelque chose'. Le premier problème posé est donc celui d'un double mouvement, ou d'un double temps : celui de l'écriture et celui de l'objet de la description dont le rythme du devenir coïncide rarement avec celui du premier. D'autre part le caractère unilinéaire de l'écriture ne permet de fournir qu'une information à la fois alors que la perception d'un mouvement corporel aussi complexe que le saut est constituée d'informations multiples et simultanées. Le lieu de la description sera donc nécessairement un espace-temps différent de celui de la perception, étalé et déformé selon les besoins du 'décrire'. D'autre part, toute description de gestes est conditionnée par deux démarches : 1. La sélection d'un certain nombre de points (ou éléments) du corps et de l'espace par rapport auquel il se meut; cette double structuration peut varier avec les époques et les civilisations. 2. La détermination du mode de rapport entre ces divers points (ou éléments) au fur et à mesure que se déroule la séquence

A. TUCCARO

25

gestuelle. C'est dans cette seconde phase qu'intervient le recours, plus ou moins spontané et plus au moins inconscient, aux modèles, véritables médiateurs qui permettent au sujet descripteur d'organiser sa perception dans une description en opérant la synthèse de plusieurs éléments et en leur conférant une structure, c'est-à-dire une signification. Modèle est entendu ici dans le sens d'un objet familier quelconque dont le concept est étendu par voie d'analogie à d'autres réalités en vue d'en faciliter la compréhension. L'analyse d'une description gestuelle doit donc porter sur les caractères de la double structuration et sur l'identification des modèles. Le passage dont nous entreprendrons l'analyse est extrait du deuxième dialogue. Nous le reproduisons ici : Le saut qu'on fait avec les deux mains : Pour faire ce saut on prendra un petit espace, où il y ait distance du lieu limité où se doit commencer le saut, puis l'on courra tout à l'aise estant de soi-mesme ce saut fort aisé & facile à faire; & si tost qu'on sera arrivé à la fin de la course au lieu où on doit mettre les mains, sans aucune dilation on prendra le temps à pieds disioincts & eslargis, & faut prendre soigneusement garde qu'à l'abaissement que le pied senestre fait enterre, au mesme temps on abbaisse les bras bien roides avec les mains ouvertes & estenduës, & les faut justement mettre en terre un pied près du pied senestre en ceste forme. [Illustration] 5 A l'instant mesme que le pied senestre aura donné la batture en terre, & finy le temps, le dextre avec la jambe forte & roide se retirera promptement en arriéré circulairement ; puis le pied senestre se leuant de terre (avant que la jambe droite soit arrivée à la ligne perpendiculaire) gaignera le temps pour se joindre avec la dextre; &en cette action il faut tousiours que l'une des jambes soit la première eslevee au commencement du saut; & avant qu'elle arrive à la ligne perpendiculaire: l'autre qui demeure la derniere se doit joindre avec la premiere eslevee; & lors en ce saut sera eslevee la partie inférieure du corps en haut en cestre forme. [Illustration] Ce qui est la moitié du saut, auquel saut les jambes ne se doyuent arrester, mais continuer leur mouvement avec promptitude pour faire le tour ou volte; & faut prendre garde que soudain que les genoux auront passé la ligne perpendiculaire, les mains pendront 5

Le rapport de l'image au texte sera étudié ultérieurement (p. 43).

26

LA DESCRIPTION DES GESTES

en terre, & avec l'aide de la teste esleveront la partie supérieure avec promptitude pour la faire monter en haut, afin qu'au mesme temps en s'abbaissant en terre, il tombe droict sur les pieds.6 La plus grande difficulté, dans une telle entreprise, vient du fait que la forme de la description est familière; le compte rendu d'une série de mouvements est l'un des éléments du discours quotidien et chacun peut reconnaître dans ces phrases une manière 'naturelle' ou 'normale', sinon la seule possible en cette circonstance. L'analyse consiste à passer du plan d'une description vécue immédiatement sur le mode naturel, à un plan de conscience où cette même description se manifestera en tant qu'application d'un ensemble de procédés possibles à un ensemble de problèmes, en tant que réponses linguistiques à un stimulus visuel vécu ou imaginé. Parvenu à ce niveau problématique il deviendra possible de formuler quelques questions : Comment traduit-on tels mouvements et attitudes dans les mots et la syntaxe du langage naturel ? Quel est le système général de ces traductions ? Quelle en est la valeur scientifique ? La première démarche consistera à recenser dans le texte les unités sémantiques du comportement dynamique; on distinguera: (1) les mots ou les syntagmes qui dénotent un ensemble complexe de mouvements (ex. : le saut qu'on fait avec les deux mains). (2) les mots ou les syntagmes qui dénotent une partie de cet ensemble, tout en impliquant une certaine complexité (ex. : prendre le temps à pied disjoincts et eslargis). (3) les mots ou les syntagmes qui dénotent un mouvement simple ou élémentaire (ex. : on abbaisse les bras) qui se définit par deux éléments seulement et leur relation. Il convient de remarquer que ce découpage est un découpage du texte de la description, non de l'objet décrit; les unités sémantiques considérées ici comme élémentaires sont celles qui ne sont pas définies dans le texte et à l'aide desquelles le comportement dynamique complexe y est analysé. Enfin, ces mots ou ces syn0

Appendice I, 76, 19 (p. 218).

A. TUCCARO

27

tagmes, à chacun des niveaux définis, peuvent être d'ordre métonymique ou d'ordre métaphorique.7 Le tableau I présente ce découpage préliminaire du texte; son examen permet de faire un certain nombre de remarques : (1) L'absence de syntagme métaphorique classe cette description dans la catégorie 'scientifique' caractérisée par une expression directe et technique. (2) La comparaison du nombre de cases remplies dans chaque colonne confirme la première remarque en faisant apparaître les proportions suivantes : I. 1 unité II. 5 unités III. 17 unités En lisant la colonne II de haut en bas on s'aperçoit que la suite des unités correspond en gros à la description de ce saut telle qu'elle pourrait être faite par un témoin profane. Le grand nombre de cases occupées dans la troisième colonne est le signe du degré de technicité et de précision de la description. (3) Si l'on attribue à chaque case une valeur temporelle correspondant au temps de la description, on constate que les valeurs ajoutées de la colonne II coïncident en gros avec le temps de la séquence gestuelle, alors que le temps de la colonne III représente un temps étalé dans des proportions considérables par rapport au temps de la colonne II surtout si l'on considère ce rapport à partir du syntagme 4. (4) L'examen des cases successives fait apparaître un certain nombre de 'trous' qui mettent en lumière le caractère discontinu et elliptique de la description. D'autre part le passage incessant d'une colonne à l'autre peut être considéré comme le signe d'une certaine hétérogénéité des niveaux de la description. Cependant les unités de la colonne II semblent avoir pour fonction d'intégrer dans une forme continue les déterminations discontinues de la 7

Nous nous fondons pour cette distinction sur les travaux de R. Jakobson et notamment R. Jakobson et M. Halle, Fundamentals of Language (La H a y e : Mouton, 1956).

28

LA DESCRIPTION DES GESTES

TABL Syntagmes dénotant une séquence complexe

métaph.

méton.

Le saut qu'on fait avec les deux mains. (Pour) faire ce saut 1

Syntagmes dénotant une partie complexe de la séquence

métaph.

méton.

commencer le saut 2 l'on courra tout à l'aise 3 on prendra le temps à pieds disjoincts et eslargis 4

faire le tour ou volte

17

il tombe droict sur les pieds 23

29

A. TUCCARO

EAU I Syntagmes dénotant un mouvement ou une attitude simple ou élémentaire

attitudes

mouvements métaph.

métaph.

méton.

l'abaissement que le pied senestre fait en terre on abbaisse les bras mettre (les mains) en terre donnera la batture (le pied) le (pied) dextre se retirera promptement en arrière circulairement le pied senestre se levant de terre la jambe droite (arrive) à la ligne perpendiculaire la jambe droite se (joinct) avec la dextre les genoux (passent) la ligne perpendiculaire (les mains) et la tête (élèvent) la partie supérieure (elles) la font monter en haut s'abbaissant en terre

5 6 8

métaph.

méton.

bien roides avec les mains ouvertes et estendues 7 en cette forme [illustration] 9

10 11

avec la jambe forte et roide 12

13 14 15

la partie inférieure du corps eslevée en haut en cette forme [illustration] 16

18

les mains (pendent) en terre 19

20 21 22

30

LA DESCRIPTION DES GESTES

colonnne III; symétriquement, une fonction similaire paraît être remplie par les cases où sont notées les attitudes; si l'on traduit cette remarque dans un tableau, où les chiffres représentent le numéro des cases, on obtient le résultat du tableau II qui révèle un mouvement de va-et-vient entre les deux pôles. TABLEAU II

continu discontinu

4

7 56

9 8

12 10 11

16 17 13 14 15

19 18

23 20 21 22

(5) Étant donné que le texte de la description peut être facilement décodé et traduit en images ou en mouvements cohérents il faut supposer que les dénotations des mouvements et des attitudes de la colonne III ne sont pas choisis de manière aléatoire mais en fonction de leur pertinence; comme il ne peut y avoir de valeur pertinente qu'en fonction d'une structure, toute description suppose un système dont elle est la mise en œuvre. C'est donc à l'élucidation du système qui est la condition de la description que nous avons entrepris d'analyser, que seront consacrées les pages qui suivent. La deuxième étape de l'analyse consiste à examiner le matériel linguistique de la description afin de déterminer ses deux aspects essentiels : la sélection des points de référence et la détermination du mode de rapport entre les divers points au cours du procès descriptif. Le recensement linguistique, selon les catégories grammaticales traditionnelles fournit les résultats suivants :

A.

VOCABULAIRE

1. Sur soixante substantifs, 21 désignent certaines parties du corps mobile (colonne A du tableau III), 14 déterminent la structure fixe de l'espace par rapport à laquelle le mobile évolue

31

A. TUCCARO

colonne B du tableau III), 25 spécifient les modalités spatiotemporelles des relations que le mobile articulé entretient avec lui-même et avec la structure fixe dans son ensemble (colonne C du tableau III). En affectant chaque terme de son coefficient d'occurrence dans le texte, on obtient les résultats du tableau III. T A B L E A U III

A pied jambes main genoux bras tête partie (du corps)

B [7] [6] [3] [1] [1] [1] [2]

C terre ligne lieu espace distance pied

[6] [3] [2] [1] [1] [1]

saut temps promptitude course tour volte action fin commencement mouvement batture abbaissement forme moitié

[6] [5] [2] [1] tu [1] [1] fl] [11 m [1] [1] [1] [1]

2. Les adjectifs, dans une proportion de 90 %, apportent des spécifications spatiales; 16 viennent s'adjoindre aux substantifs du groupe A, 4 à ceux du groupe B; le résidu, négligeable, précise, assez vaguement d'ailleurs, les modalités du mouvement. Ceux qui se rattachent au premier groupe forment des couples oppositionnels, explicites ou implicites : senestre/dextre, inférieur/supérieur, disjoint/(joint), ouvert/(fermé), comme le montre le tableau IV. 3. Dans les verbes, qui sont tous à la voie active, à une exception près, on distingue une majorité de verbes de mouvement (22 sur 36), dénotant pour la plupart une relation univoque entre deux points dont l'un est fixe et l'autre considéré sous le rapport du mouvement qu'il entretient avec le premier : positif (jonction), négatif (disjonction) ou nul, en admettant des valeurs d'orienta-

32

LA DESCRIPTION DES GESTES T A B L E A U IV A

disjoincts eslargis senestre dextre roide ouvertes estendues droite dernière première supérieure inférieure

B

[3] [2] [2]

C

petit limité perpendiculaire

aisé facile

[1] [1] [2]

tions différentes avec les sous-catégories : verticalité, horizontalité, neutralité. Les autres verbes désignent globalement des comportements complexes non-explicites, fonctionnels, impliquant la variation simultanée d'une multitude de points. Ces verbes appartiennent à la catégorie des expressions motrices traditionnelles, ou relèvent d'un vocabulaire technique précédemment défini (tableau V). TABLEAU V

Verbes dénotant un comportement complexe

Verbes dénotant une relation simple (univoque) entre deux points de l'espace

disjonction

courir (tout à l'aise) [1] prendre le temps à pieds disjoincts... [1] donner la batture et finir le temps [1]

(se) retirer (se) (é)-lever passer pendre monter

absence de mouvement ou de changement de mouvement

jonction

[1] arriver [3] mettre [1] abbaisser [1] joindre [1] tomber

[3] [2] [2] [2] [1]

demeurer [1] arrêter [1] continuer [1]

33

A. TUCCARO

Le caractère normatif de la description justifie l'emploi du futur et du présent; le jeu des décalages temporels relatifs sera analysé ultérieurement avec la syntaxe. 4. Les adverbes et locutions adverbiales se répartissent en deux groupes, l'un relevant de la spatialité, l'autre de la temporalité; voir le tableau VI. TABLEAU VI déterminations spatiales

justement (un pied) en arrière circulairement en haut droit

déterminations temporelles

à l'aise (avec promptitude) promptement soudain

5. Le matériel prépositionnel et conjonctif est particulièrement dense. On dénombre 16 relations de coordination et 18 relations de subordination.

B.

SYNTAXE : LA PARADIGMATIQUE DES MODÈLES

L'ensemble de la description comporte 36 propositions organisées en 9 phrases; un quart de ces propositions sont des subordonnées de temps exprimant des relations d'antériorité et de simultanéité; les subordonnées de but désignant des intentions déterminées, un sixième du total, pourraient être considérées comme des programmations partielles dépendant de la première : "Pour faire ce saut". La nature des propositions et leurs relations semblent répondre à la nécessité de placer le discontinu en perspective de continu. Mais cette mise en perspective relève d'un effort de logicisation superficielle et il convient de chercher une syntaxe plus profonde qui pourrait être celle des modèles.

34

LA DESCRIPTION DES GESTES

Il est possible, à partir de ce recensement, de construire le code descriptif dont la description considérée représente une actualisation. Ce code est de caractère métonymique; entendons par là que l'enchaînement se fait par contiguïté et non par similarité, du moins au niveau conscient; le sujet descripteur s'en tient à un langage qui lui paraît homogène, à un code unique qui fournit trois séries d'éléments susceptibles de se combiner dans des séquences : le corps et ses parties, l'espace de référence, les modalités de leurs rapports. Chaque séquence descriptive est constituée d'un élément au moins de chacune des séries; cette combinatoire admet des variations provenant du fait que la première série peut se subdiviser en groupes d'éléments symétriques, ou en éléments mobiles et éléments de référence. La première caractéristique de ce texte est donc toute négative : l'absence de recours à un code métaphorique grâce auquel l'auteur pourrait opérer des substitutions de séquences afin de rendre les relations plus manifestes à l'imagination par des rapports de similarités. Cependant, un examen approfondi des séries et de leurs combinaisons fait apparaître des types de structures plus complexes qui se succèdent et se superposent dans le procès descriptif. Ce travail d'analyse permet de dégager les modèles par l'intermédiaire desquels sont appréhendés le corps, l'espace et leur mode de relation. On peut distinguer deux catégories de modèles : (1) Les modèles construits à l'occasion de l'expérience de la motricité du corps propre (modèles endogènes). (2) Les modèles élaborés à l'occasion de l'expérience du corps d'autrui dans la perception visuelle (modèles exogènes). Le procès descriptif présente un jeu inconscient d'alternance; le sujet saute littéralement d'un type de modèle à l'autre à l'intérieur de chaque catégorie, aussi bien que d'une catégorie à l'autre. Suivre ce mouvement fera éclater l'homogénéité apparente du texte de la description mais permettra aussi d'élucider ce code, commun à l'auteur et au lecteur, qui la rend possible.

A. TUCCARO

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1. Le modèle politique Le corps saisi comme un ensemble d'éléments associés sous l'autorité d'un pouvoir est sans doute le modèle le plus fondamental. On en trouve une expression très explicite dans la fable traditionnelle des membres et de l'estomac.8 Tout ce qui dans l'expérience de la motricité du corps propre peut être 'agi' séparément est traduit par un terme défini et acquiert de ce fait une quasi-autonomie. La relation de ces éléments au sujet est vécue sur le mode politique : ordre/obéissance/coordination. Le modèle politique se présente dans une version endogène et une version exogène. La première engendre des séquences descriptives dans lesquelles les parties du corps occupent la fonction de complément d'objet direct, l'espace de référence est spécifié dans le complément indirect ou circonstanciel, la modalité du rapport entre les deux étant exprimée par le verbe qui se trouve sous la dépendance immédiate du sujet, source de toute initiative et de toute autorité. Dans la version exogène, il y a transfert d'initiative; la partie, ou l'élément, est saisi en tant qu'individu, source de sa propre action, mais dont la liberté est limitée par sa fonction de 'membre'; car, si son action prend une certaine extension d'autres membres ou l'ensemble des membres le 'suivent'; il les 'entraîne', se trouvant investi d'une autorité provisoire, et parfois contestée par les efforts contraires d'une autre partie. Toutes les relations s'expriment en terme d'autorité et de solidarité. Dans les séquences descriptives relevant de ce modèle particulier les termes désignant les parties du corps occupent la fonction de sujet. 2. Le modèle

géométrique

Au modèle sociologique dans sa version endogène se superpose un modèle géométrique endogène caractérisé par la tri-dimensionalité et la symétrie radiale; il se manifeste sous les espèces 8

Ésope, "L'estomac et les pieds", Fables, Nevelet, p. 254. Tite Live, II. 33. La Fontaine, "Les membres et l'estomac", Fables, Livre III, 2.

36

LA DESCRIPTION DES GESTES

du cercle, de la sphère, ou du polyèdre. Le sujet est identifié au centre et le système dynamique du corps est réduit à un certain nombre de relations identiques, analogues aux rayons du cercle, où chacun des termes est un point de la circonférence ou de la surface de la sphère. Ce modèle se traduit linguistiquement dans le fait que toutes les parties du corps ont une même valeur distributionnelle. La symétrie radiale tri-dimensionnelle est exprimée par les oppositions : droite/gauche, haut/bas, avant/arrière, qui se manifestent en se combinant sous forme de trois droites se coupant à angle droit au centre du volume. Le modèle géométrique exogène est caractérisé par la bi-dimensionalité et la symétrie bilatérale. Chaque séquence dépendant de ce modèle peut être comparée à une coupe du modèle endogène; elle ne peut représenter que la relation de deux points dans le même plan. 3. Le modèle logico-philosophique

et le modèle

mécanique

Le modèle philosophique (ou logique) permet d'appréhender les séquences selon les articulations du discours logique ou selon le principe de la causalité. Sa structure est assez semblable à celle du modèle mécanique qui interprète le comportement dynamique à l'aide des catégories d'articulation, de point d'appui, de levier et de causes motrices. Ces deux modèles permettent d'ordonner les séquences gestuelles en ensembles plus abstraits et plus rationnels que le modèle politique ou le modèle géométrique. Il faudrait évidemment poser le problème du modèle de ces modèles, de leur hiérarchie, de leur rapport génétique avec l'expérience corporelle; mais il semble que l'on puisse légitimement s'en tenir à leur identification et à l'analyse de leur fonction dans le procès descriptif, considéré d'un point de vue strictement méthodologique. Pour saisir l'importance de la présence de ces modèles dans la genèse du procès descriptif étudié, il convient d'approfondir son contexte intellectuel et de le mettre en rapport avec le climat épistémologique de son époque. Dès le premier dialogue de Tuccaro, on constate que la pensée

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37

des personnages mis en scène baigne dans l'aristotélisme et que chacun d'eux connaît les théories et la méthode du philosophe péripatéticien pour avoir lu et médité son œuvre soit dans le texte original, soit dans les traductions de Scaliger.9 Ce dernier y est explicitement loué, à plusieurs reprises, précisément pour la qualité de ses traductions.10 Enfin, la troisième partie du deuxième dialogue applique au saut la méthode d'analyse selon les quatre variétés de causes (formelle, matérielle, motrice, finale) dont l'origine est facilement identifiable. Il est donc légitime de rechercher dans l'œuvre d'Aristote, les types de modèles que nous voyons à l'œuvre dans le texte de Tuccaro; d'autant plus que ces modèles restent constitutifs de la sphère épistémologique qui détermine toujours les modalités de l'entreprise descriptive 'naturelle' qu'elle soit profane ou technique. A cet égard, le livre d'Aristote consacré aux mouvements des animaux, désigné traditionnellement sous le titre de : De motu animalium est le plus instructif. La plupart des modèles y sont explicités sans ambiguïté, les ressemblances ou les analogies étant ressenties comme les signes d'une parenté essentielle, ou plutôt d'une correspondance absolue de structure entre microcosme et macrocosme. Une comparaison suivie avec le texte de Tuccaro mettra en lumière la filiation11 de ces modèles.

• Julius Caesar Scaliger (1484-1558). ARISTOTELIS LIBER QUI DECIM U S HISTORIARUM INSCRIBITUR... L A T I N U S F A C T U S A. J. C. SCALIGERO..., LYONS, 1584. 10 "Jule Ceasar Scaliger, lequel n'est en moindre réputation ajourd'huy entre les plus doctes qu'estoient anciennement Platon et Aristote entre les philosophes" (Tuccaro, 1599 : 28, 41). 11 Nous n'entendons pas suggérer par ce mot une influence directe et précise du procès descriptif aristotélicien sur la manière de Tuccaro mais plutôt l'appartenance à une même épistémé, en tant que système interprétatif des phénomènes, largement inconsciente, dont nous sommes toujours, à un niveau du moins, tributaire. A cet égard, une entreprise comparativiste qui pourrait étudier la description du comportement dynamique dans d'autres domaines que le domaine occidental devrait se révéler fructueuse.

38

LA DESCRIPTION DES GESTES

3.1. Le modèle mécanique

et le modèle

logico-philosophique

Dans le De motu animalium, les premières réflexions sur les mouvements corporels en général présentent l'image d'un système mécanique dans lequel tout changement suppose un point d'appui, un point fixe sur le point d'appui, et un point mobile. Les principes de cette mécanique ne sont pas différents de ceux de la mécanique céleste; "ces considérations ne s'appliquent pas seulement aux animaux mais jusqu'au mouvement et à la marche de l'univers" (698 b 10).12 Enfin, elle présente des implications philosophiques importantes comme Aristote le rappelle dès les premières phrases du livre : "Nous avons déjà déterminé que ... le moteur premier doit être nécessairement immobile" (698 a 10). "Dans le monde sensible aussi il est simplement impossible de produire un mouvement s'il n'y a rien qui soit en repos, et tout particulièrement dans le sujet qui nous occupe : les êtres animés, car si l'une des parties d'un animal est mue, une autre doit être en repos, et c'est la raison pour laquelle les animaux ont des articulations" (698 a 15). "Mais le point de repos dans l'animal reste encore complètement inefficace s'il n'y a pas quelque chose qui soit absolument en repos et immobile à l'extérieur" (698 b 5). "Dans le monde animal il faut qu'il y ait non seulement un point immobile à l'extérieur mais aussi à l'intérieur des choses qui se meuvent et produisent leur propre mouvement. Car une partie d'un animal doit être mue et une autre doit rester au repos mais en revanche la partie qui est mue doit se soutenir elle-même tout en étant mue" (700 a 5). D'un autre côté, le modèle engendre des comparaisons significatives avec des objets familiers : "les mouvements des animaux peuvent être comparés avec ceux des automates ... les os sont comme les leviers de bois dans les automates, ainsi que le fer; les tendons en sont les cordes et les fils ..." (701 b 5-10). Le texte de Tuccaro contient un grand nombre d'expressions et d'images relevant de ce type de modèle; le corps a "tous les 12

Les références renvoient au texte grec de l'édition E. Bekker de l'Académie de Berlin (1936).

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39

instruments propres et nécessaires pour faire tels ou autres semblables mouvements" ; 1 3 il est parlé des "choses méchaniques des affaires corporelles"; 1 4 la danse et les sauts sont mis en relation avec les mouvements célestes des planètes; 1 5 enfin l'ensemble des comportements corporels est saisi comme une totalité possédant une cause commune : D'autant qu'estanc les nerfs, les muscles ... les pieds, les mains et autres tels instruments naturels pour ayder et servir au corps, comme le principal instrument de l'âme; tels mouvements procédant de telles parties ne peuvent être autrement appelés que naturels ... eu égard que les philosophes appellent l'âme quelquefois âme et quelquefois nature, c'est à savoir celle qui est l'origine et la source première du mouvement en la chose en laquelle il y a une âme, faisant et causant le mouvement au corps ... 1 6 Cependant le modèle le plus original que nous trouvions à l'œuvre dans ces dialogues est le modèle logico-philosophique, pur produit de ce culte d'Aristote qui imprègne la pensée de Tuccaro; le saut y est considéré comme un objet isolé, de structure complexe, qu'il s'agit de "réduire sous règles et mesures certaines". 'Fondements' et 'causes' sont les termes clefs de ce mode d'appréhension qui saisit une conduite dynamique corporelle sur le mode problématique, comme un 'texte' dont il faut découvrir la logique. Il y discerne trois fondements 17 et en détermine les quatre causes, 1 8 non sans souligner son originalité "car bien que ce soit une opinion entre les sauteurs que la volte est le fondement du saut; si est-ce que si nous considérons cela de plus près, nous dirons que c'est plustost la fin que le commencement et l'objet plustost que le fondement". 1 9 On conçoit l'importance d'un tel modèle dans la description d'une séquence gestuelle

13 14 15 16 17 18 19

Tuccaro, Tuccaro, Tuccaro, Tuccaro, Tuccaro, Tuccaro, Tuccaro,

1599: 1599: 1599: 1599 : 1599: 1599: 1599:

18. 21. 37. 18. 68. 162. 156.

40

LA DESCRIPTION DES GESTES

déterminée qui sera d'emblée divisée en 'parties' qui ne seront plus les 'parties' du corps mais les 'parties' d'un système logique. 20 3.2. Le modèle

géométrique

Aristote fait souvent appel à des termes et à des relations géométriques pour rendre compte des mouvements corporels, tout en soulignant d'ailleurs les limites de l'analogie; le procédé consiste à considérer un seul point de chaque 'partie' du corps et à traiter l'ensemble comme une 'figure' en termes de droites, de courbes, de circonférences et de centres. Les animaux utilisent les articulations comme un centre et tout le membre dans lequel se trouve l'articulation devient à la fois un et divisible, droit et courbe, soumis au changement en puissance et en acte à cause de l'articulation. Et quand il se plie et se meut, l'un des points de l'articulation se déplace et l'autre reste en repos exactement comme si les points A et D d'un diamètre restaient immobiles tandis que B se déplaçait, engendrant D A C. 21 Cependant, dans l'exemple géométrique, on considère que le centre est absolument indivisible, (car en mathématique le mouvement est une fiction, selon l'expression connue; il n'y a pas d'entité mathématique qui se déplace réellement), tandis que dans le cas des articulations, les centres sont tantôt un en puissance et divisible en acte, tantôt un en acte et divisible en puissance (698 a 20-25). On trouve encore dans le De incessu animalium : "La flexion est la transformation d'une ligne droite en un arc ou un angle" (708 b 25) ou encore "quand une jambe est avancée elle devient l'hypoténuse d'un triangle rectangle" (708 b 25).

20

Appendice I, 76, 22-23 (p. 218); 95, 4 (p. 224); 96, 19 (p. 226); 96, 45-46 (p. 226); 97, 9-18 (p. 227); 98, 38-45 (p. 229); 13 (p. 230). La figure suivante est traditionnellement proposée pour expliquer ce passage : 21

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41

La géométrie fournit également à Aristote un modèle endogène lorsqu'il analyse l'origine du mouvement : Puisque le côté droit et le côté gauche sont symétriques et que ces opposés sont mus simultanément, il ne peut pas se faire que le gauche soit mu par le droit, restant en place, ni le contraire; l'origine du mouvement doit résider dans ce qui se trouve au dessus des deux. Le siège originel de l'âme motrice doit être dans ce qui se trouve au milieu car le milieu est le point limite des deux extrêmes et il en est de même pour les mouvements du haut et du bas (702 b 20). L'esprit doit donc se trouver par rapport au centre vital, ou origine, dans une relation analogue à celle qui existe entre le point d'une articulation mobile qui est mu et le non-mu (703 a 15). Soit A le centre ou le point de départ. Le mouvement arrive au centre en provenance de chaque lettre du diagramme que nous avons tracé et reflue du centre qui est mu et qui change (car le centre est multiple en puissance). Le mouvement de B va à B celui de C à C; mais pour aller de B à C les mouvements doivent aller de B à A (en direction du centre) et ensuite de A à C (en provenance du centre) (703 b 35). On trouve en outre dans le De incessu animalium : les limites22 par lesquelles les êtres animés sont déterminés sont au nombre de six, supérieure et inférieure, antérieure et postérieure, droite et gauche (705 a 30). ... ces centres des parties individuelles sont arrangés en paires latérales et diagonales et le centre commun est l'origine d'où partent les mouvements de la droite et de la gauche, aussi bien que ceux du haut et du bas (707 a 15). On pourrait dire qu'au niveau le plus conscient de la description l'œuvre de Tuccaro est essentiellement un essai de géométrisation du saut. D'abord la présence du modèle engendre des métaphores et des comparaisons très significatives. Certaines relèvent de la géométrie dans l'espace, comme lorsque le saut 'cubistique' est défini, selon la tradition, par l'analogie avec le mouvement des 22

Le terme ôpoç au sens de 'borne', 'frontière', suggère un modèle politique sous-jacent. Mais pour le grec classique il comporte, avec le verbe ôpiÇeotai une connotation géométrique très marquée.

42

LA DESCRIPTION DES GESTES

dés qu'on jette23 ou avec les révolutions d'une roue;24 "on retourne son corps entièrement en figure sphérique en l'air". 25 Et, du Maître, il est dit qu'il dresse "l'architecture de quelques admirables sauts ... nouvellement inventez".26 On voit donc que même du point de vue exogène la géométrie tridimensionnelle fournit des schémas interprétatifs globaux; c'est en revanche, à la géométrie plane qu'il est fait appel pour l'analytique des sauts. Comme chez Aristote, la valeur du modèle est discutée : "qui est celuy qui ne sçait qu'il est impossible de former jamais en sautant, soit retournant, ou non, un cercle parfaict ? bien qu'audict saut retourné on voye et considere une telle circuition qui approche fort à ceste parfaicte rondeur du cercle duquel nous parlons ,..". 27 C'est au nom de cette analogie, exposée en détail dans le texte, que les catégories géométriques sont utilisées systématiquement. Dans "la narration du saut", 28 on définit toujours "la figure que l'on descrit"29 où décrire est pris dans son sens géométrique; d'ailleurs, la plupart des illustrations explicatives présentent un corps de gymnaste 'inscrit' dans un ensemble de droite et de circonférences et 'déterminé' par un certain nombre de points : A, B, C, D, etc. La géométrie est l'adjuvant nécessaire pour mener à bien une entreprise qui consiste à exposer l'art du saut en tant qu'ensemble de "reigles, mesures, et proportions". 30 H suffit de lire avec attention les deux passages de l'appendice pour discerner l'importance de ce modèle dans sa version endogène31 et dans sa version exogène.32 23 24 25 20 27 28

"

30 31

(p.

32

(p. (p.

Tuccaro, 1599 : 52. Tuccaro, 1599 : 55. Tuccaro, 1599 : 51. Tuccaro, 1599: 2. Tuccaro, 1599 : 68. Tuccaro, 1599 : 68. Tuccaro, 1599: 67. Tuccaro, 1599: 165. Appendice I, 76, 29 (p. 219); 79, 21 (p. 222); 95, 3 (p. 224); 95, 6 225); 100, 21 (p. 231). Appendice I, 77, 9 (p. 220); 78, 2 (p. 220); 79, 3 (p. 222); 94„ 1-3 224); 95, 5 (p. 225); 96, 10-13 (p. 225); 96, 40-42 (p. 226); 97, 1-10 227); 100, 20 (p. 231).

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43

3.3. Le modèle politique Ce modèle, peut-être parce qu'il est plus primitif, semble être à la fois plus profondément présent et moins explicite. On le discerne dans les distinctions faites entre les 'fonctions' comme 'pousser' et 'tirer' ou 'expansion' et 'contraction'; cependant il apparaît parfois en pleine lumière chez Aristote où l'on lit : "L'organisme des êtres animés doit être conçu d'après l'image d'une cité bien gouvernée ... chaque individu remplit la fonction qui lui revient selon la loi, et les actes s'enchaînent suivant l'ordre établi" 33 (703 a 30). Ce type de relation est exprimé chez Tuccaro par les expressions comme "obéir" 34 "ayder et servir" qui déterminent la fonction essentielle des parties du corps dans les exposés théoriques. On discerne aussi, souvent, un déplacement de la relation du centre aux éléments du corps, à une relation du centre (sujet moteur) aux parties du saut; on trouve même une expression très instructive à cet égard : "(Je) ne pense pas qu'il y aye eu jusques à present aucun sauteur qui aye fait une plus parfaite anatomie des parties du saut". 35 On pourrait multiplier les exemples où les relations de 'gouvernement', de 'collaboration', de 'coordination' et de 'dépendance' déterminent le mode d'appréhension des mouvements.36 Ces relations fonctionnelles pourraient être utilement ordonnées selon les articulations du modèle actantiel tel qu'il a été élaboré par A. J. Greimas37 à partir de ses analyses de récits mythiques et folkloriques; on trouve en effet, insérés dans les procès descriptifs, des micro-récits qui actualisent plus ou moins 33

Voir aussi (703 a 20) et (704 b 20). Tuccaro, 1 5 9 9 : 18. 36 Tuccaro, 1599 : 88. Cette citation présente un phénomène intéressant d'interférence entre les modèles dont l'étude systématique dépasserait le cadre de cet essai. w Appendice I, 76, 39 (p. 219); 77, 2 (p. 219); 78, 7 (p. 220); 78, 10-15 (p. 221); 76, 23-25 (p. 218); 77, 3-5 (p. 219); 78, 4-5 (p. 220); 78, 16-17 (p. 221); 96, 30-40 (p. 226); 97, 35 (p. 228). 37 A. J. Greimas, Sémantique structurale (Paris : Larousse, 1966), p. 172-189. 34

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LA DESCRIPTION DES GESTES

explicitement certain type de structures narratives. Ce sont notamment les unités descriptives correspondant aux syntagmes dénotant une séquence complexe et comportant l'identification du sujet, la définition de la tâche qui est l'objet unificateur de ses comportements finalisés, les membres grâce auxquels le but est ou sera atteint et même parfois la désignation des forces adverses qu'il s'agit de vaincre. Une micro-narration de ce type met en perspective actantielle les syntagmes dénotant un mouvement ou une attitude simple qui implique toujours la présence de deux termes et de la relation qui les unit. Si l'on part d'un modèle actantiel simplifié en faisant l'économie du destinateur et du destinataire, (actants que nous retrouverons plus tard lorsque le comportement acrobatique sera étudié en situation), on obtient pour notre exemple les équivalences suivantes avec l'expression diagrammatique du modèle simplifié : Ai

A2 (objet)

(sujet) A5 A6

(adjuvant) (opposant) 38

Soit au niveau 1: le saut (A2) qu'on (A,) fait avec les deux mains (A5), avec au niveau III les fonctions et les qualifications des acteurs actualisant l'actant (A5) en deux catégories : acteurs principaux fonctionnant à un niveau supérieur en tant que marques dans la typologie des sauts (les mains) et acteurs secondaires subordonnés au dessein d'ensemble (les bras, les jambes, les genoux, les pieds, la tête).39 Il est maintenant possible de classer les éléments de la description selon leur relation avec les différents modèles qui ont été définis. Le tableau VII fait apparaître leur distribution au cours du procès descriptif. 38

Voir tableau I, p. 26, 27. Appendice I, 80, 4-17 (p. 223); 96, 30-40 (p. 226); 98, 20-30 (p. 228, 229).

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A. TUCCARO

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La place de certains syntagmes peut paraître contestable (20, 35, 38); la raison en est leur nature composite. Mais dans l'ensemble on constate que dans la première colonne les termes dénotant les parties du corps sont en fonction grammaticale d'objets (4, 8, 10); alors que dans la deuxième, ces mêmes termes sont sujets (21, 23, 37). Les expressions de la troisième colonne présupposent une symétrie radiale tri-dimensionnelle (16, 19, 46) et celles de la quatrième une géométrie plane (17, 20, 25). Enfin, nous trouvons dans la cinquième des concepts qui saisissent la conduite dynamique dans un ensemble logique, organisé : le saut et ses parties (3, 29, 36). On peut constater, en comparant les tableaux I et VII, que le modèle politique exogène et le modèle géométrique endogène engendrent la plupart des syntagmes dénotant un mouvement simple ou une attitude partielle. Ces deux premiers modèles sont fertiles sur le plan du discontinu alors que les autres et particulièrement les modèles philosophique et mécanique répondent à l'exigence de l'expression du continu (voir tableau II). Mais ce résultat est obtenu au prix de la perte des détails. Il en est de même pour l'expression métaphorique. On peut parler de "la moitié du saut", de "la fin du saut", de "tourner une volte" de "l'onde" ou de "la roue avec le saut de singe" ; dès que l'on veut apporter quelques précisions, il y est nécessaire de fragmenter, de décomposer, de transformer le simultané en successif; l'homogénéité de la perception est pervertie par l'hétérogénéité des modèles médiateurs. Les sept premiers éléments du texte analysé dans le tableau VII suffisent à utiliser la totalité des colonnes, manifestant ainsi la nécessité de l'alternance des modèles dans le procès descriptif, qui est incapable de traduire simultanément le tout et les parties dans leurs modifications successives et continues. Le sujet descripteur est forcé de corriger l'inadéquation d'un modèle en faisant appel à un autre, tout aussi inadéquat; ce jeu de va-et-vient est parfois interrompu par un dessin, comme si le sujet, épuisé, reconnaissait l'impuissance du code linguistique et faisait appel à un autre procédé de traduction. En effet les dessins ne sont pas de simples illustrations; ils

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LA DESCRIPTION DES GESTES

TABL Modèle politique endogène

(4) au lieu où l'on doit mettre les mains (5) on prendra le temps à pieds disjoints et élargis

Modèle exogène

(6) l'abaissement que le pied ... fait en terre

endogène

(7) senestre

(8) on abaisse les bras (9) les mains ouvertes et étendues (10) et les faut mettre en terre (12) pied senestre (14) à l'instant que ... (15) le pied senestre aura donné la batture en terre

(16) le dextre ...

(18) se retirera (19) en arrière ... (21) puis le pied ... se levant de terre

(22) ... senestre

(23) avant que la jambe ... soit arrivée ... (24) droite ... (26) gagnera le temps pour se joindre avec ...

A. TUCCARO E A U VII Modèle logico-philosophique et modèle mécanique

géométrique exogene

(1) Pour faire ce saut (2) O n prendra un petit espace où il y ait distance du lieu limité (3) où se doit commencer le saut

(11) un pied près du (13) en cette forme

(17) avec la jambe droite ...

(20) circulairement

(25) à la ligne perpendiculaire

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LA DESCRIPTION DES GESTES (Tableau VII, Modèle politique endogène

Modèle exogène

endogène (27) la dextre

(28) il faut que l'une des jambes soit la première élevée ... (30) avant qu'elle arrive (32) l'autre qui demeure la dernière se doit joindre avec la première élevée (34) sera élevée

(37) les jambes ne se doivent arrêter mais continuer leur mouvement (38) pour faire le tour ou volte (39) Il faut prendre garde que

(40) sitôt que les genoux auront passé (42) les mains pendant en terre (43) et avec l'aide de la tête élèveront (45) .. pour la faire monter

(47) afin qu'au même temps, en s'abaissant par terre, il tombe ... (49) ... sur les pieds

(46) ... en haut

A. TUCCARO suite) géométrique

Modèle logico-philosophique et modèle mécanique

exogène

(29) au commencement du saut (31) à la ligne perpendiculaire

(33) et lors, en ce saut (35) la partie inférieure du corps en cette forme (36) ce qui est la moitié du saut

(41) la ligne perpendiculaire

(44) ... la partie supérieure ...

(48) ... droit

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LA DESCRIPTION DES GESTES

font partie de la description; ils sont intégrés dans le texte étudié ici par la formule récurrente "en cette forme : ...". Leur fonction est de prendre la suite de la chaîne informationnelle de certains modèles pour exprimer la simultanéité et le continu. La distinction faite par R. Barthes40 entre fonction d'ANCRAGE et fonction de RELAIS du message linguistique par rapport au message iconique semble pertinente ici, à condition d'en inverser les termes dans le premier cas, car c'est l'image qui lève les ambiguïtés du texte, "aide à choisir le bon niveau de perception" et a "une fonction d'élucidation". 41 L'examen de leur distribution dans le texte montre qu'ils se répartissent en trois catégories : position de départ, position critique, position d'arrivée. Sur les quinze exemples fournis par les pages versées au corpus, on dénombre quatre positions de départ, six positions critiques et cinq positions d'arrivée; ces dernières sont toutes identiques. Les deux premières catégories retiendront plus particulièrement l'attention. "Le saut qu'on fait avec les deux mains", précédemment analysé, en contient une de chaque. Il convient cependant de conclure la série par la position d'arrivée qui suit habituellement la formule "il tombe droit sur les pieds (en cette forme)" et qui est omise ici. Ces dessins ont une fonction de complémentarité dans la mesure où, à un moment donné, le texte est suspendu au profit d'un message graphique qui assigne une place à chaque 'élément' du corps dans un espace structuré. C'est évidemment le modèle géométrique exogène qui fournit le code. Ce qui explique sans doute que les éléments de la description que l'on peut lui attribuer soient relativement peu nombreux (voir tableau VII). Dans le cadre de cette complémentarité, les figures peuvent avoir trois statuts différents : (1) Elles reprennent dans un autre code les informations qui viennent d'être données dans la description linguistique (Appendice I, fig. I). Le cas est assez rare. Il ne semble pas qu'il s'agisse 40

R. Barthes, "Rhétorique de l'image", Communications 1964). " Barthes, 1964 : 44.

4 (Paris : Seuil,

A. TUCCARO

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de pure redondance mais plutôt du phénomène d'ancrage défini plus haut. (2) Elles continuent la description en apportant des informations nouvelles qui ne figurent pas dans le texte qui les précède immédiatement, ce dernier se contentant d'introduire la figure par une transition stéréotypée (Appendice I, fig. V). (3) Elles constituent des suites autonomes partielles dans lesquelles la langue naturelle n'est utilisée qu'à titre de copule (Appendice I, fig. VII). Quel que soit leur statut par rapport au texte, et pourvu que les deux premières positions au moins figurent explicitement, ces séries constituent des messages cinématiques partiels dont le code comporte les éléments suivants : (1) Un espace géométrique à deux dimensions est construit; une droite horizontale y représente le sol; l'aire dans laquelle le corps se meut est un plan structuré par une verticale, exprimée ou non (Appendice I, fig. I, II, III), plusieurs horizontales (Appendice I, fig. I, IV, VI, X), des circonférences (Appendice I, fig. I, II, X). Les intersections de ces lignes y sont désignées par des lettres. Le recours à la perspective est occasionnel (Appendice I, fig. VII, X, XIII); il ne semble relever que d'une variation d'ordre esthétique. (2) La représentation du gymnaste, dans le costume de l'époque, attribue une position à chacune des parties du corps, fixant ainsi une attitude. Cette attitude doit être choisie en fonction de sa pertinence pour représenter exactement le saut visé par la traduction graphique. (3) La permanence de la structure du cadre de référence permet à la succession des figures de définir une trajectoire. Lorsqu'il y a ambiguïté, le sens de la trajectoire est indiqué par un symbole surajouté (Appendice I, fig. XIII). Dans certains cas, des circonférences précisent le parcours de certains points du corps (Appendice I, fig. II). Mais ceci au prix d'une 'normalisation' géométrique dont l'auteur reconnaît l'arbitraire. On voit que le code graphique figuratif obéit à des contraintes sensiblement identiques à celles qui déterminent le procès descrip-

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LA DESCRIPTION DES GESTES

tif : recours à un modèle qui structure l'espace et le corps; sélection d'un point de vue; indication du rapport entre deux points ou deux ensembles de points à un moment donné; bref, impossibilité de déterminer à la fois le tout et les parties, et d'exprimer la simultanéité en même temps que la successivité, synthèse qui est précisément réalisée dans la perception du mouvement que des descriptions du type de celle qui a été 'démontée' plus haut parviennent avec plus ou moins de succès à reconstituer. Mais le procès descriptif, accompagné de ses adjuvants graphiques, apparaît comme un véritable bricolage, avec ses emprunts à des codes multiples, qui sont, dans les conditions non-scientifiques de la méthode descriptive, la seule façon de faire face à cet écartèlement d'exigences contradictoires. Il n'est pas sans intérêt de constater, à ce sujet, que le code métaphorique42 et le code graphique semblent remplir la même fonction d'expression du continu; ils ne coexistent qu'exceptionnellement dans le texte descriptif. On entrevoit donc l'intérêt qu'il y aurait à élucider non seulement la paradigmatique mais aussi la syntagmatique des modèles de la description; outre la possibilité d'établir une typologie des textes, cela permettrait de les analyser en unités dépassant le cadre de la phrase grammaticale, et même du discours, puisqu'une grammaire des modèles intégrerait le code linguistique et le code graphique. Il reste maintenant à vérifier et à compléter, grâce à l'étude d'autres textes, l'ensemble des conclusions qui ont été dégagées au cours de cette première étape.

43 L'utilisation des modèles définis plus haut a évidemment un caractère métaphorique profond. Il s'agit ici des métaphores identifiables en tant que telles par le sujet descripteur.

II P. J. BARTHEZ

Trois courts passages, extraits du livre de P. J. Barthez,1 Nouvelle méchanique des mouvements de l'homme et des animaux,2 publié à Carcassonne en 1798, seront maintenant soumis à la méthode d'analyse qui a été élaborée au cours du chapitre précédent. Ils sont tirés de la seconde partie de la seconde section, consacrée au saut; les chapitres XXIV et XXV, reproduits intégralement dans l'Appendice II, en exposent la théorie personnelle à l'auteur et en proposent une description qui se veut scientifiquement objective et exacte; en outre, comme elle s'inscrit dans une polémique,3 et qu'elle n'a recours à aucun dessin explicatif, toutes les circonstances sont réunies pour que les textes étudiés puissent être considérés comme les échantillons typiques d'un codage linguistique réalisé dans les meilleures conditions possibles. Le premier extrait décrit les mouvements préparatoires du saut chez l'homme : Il faut distinguer dans le saut de l'homme, les mouvements qui le préparent, de ceux qui leur succèdent pour le produire. Avant l'élévation du corps, qui précède le saut, les articulations de la jambe qui doit sauter, étant naturellement pliées en sens alternatifs, sont fléchies, et ensuite, fixées dans leur flexion par une forte contraction de leurs muscles fléchisseurs. Cependant cette jambe est fixement appuyée 1

Barthez, P. J., 1734-1806, fut titulaire de la chaire d'anatomie de l'Université de Montpellier. 1 NOUVELLE MÉCHANIQUE / des mouvements / DE L'HOMME ET DES ANIMAUX / par P. J. Barthez / membre des Académies des Sciences de Berlin, Stockholm (...) etc / A Carcassonne de l'imprimerie de Pierre Polere / An VI (1798). 3 L'auteur combat en particulier les thèses de Borelli (1608-1678), l'auteur d'un De motu animalium.

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LA DESCRIPTION DES GESTES

sur le sol par sa pesanteur, par la charge du corps qu'elle supporte, et par une contraction vive des muscles extenseurs des orteils. Immédiatement avant le redressement du corps qui précède le saut, le corps arcboute contre le sol à l'endroit des articulations des orteils avec les os du métatarse; et ces articulations sont alors fléchies fixement par les extenseurs des orteils. L'effort très marqué que font ces muscles, n'a point l'effet qu'on lui attribue; de produire le saut par une percussion suivie de réaction. Mais le point fixe qu'ils établissent, est utile pour que le talon prenne une position d'autant plus fixe. Cette fixation du talon est nécessaire pour assurer celle du genou qui doit être d'abord fortement fléchi, et les modifications graduées des mouvements subséquents de projection du tibia et du fémur (Appendice II, 83, 3-20).

Ce premier passage sera analysé selon la répartition des syntagmes dénotatifs telle qu'elle a été élaborée plus haut et mise en forme dans le tableau I. La description des mouvements préparatoires du saut s'organise donc symétriquement en deux groupes : (1) Détermination de l'attitude de départ (2) grâce à cinq éléments : — configuration des articulations des jambes (flexion) (3 et 4) — sens de la flexion (3) — modalité de la flexion (5 et 6) — modalité du contact avec le sol (pesanteur) (7 et 8) — modalité du contact avec le sol (contraction de certains muscles) (9) (2) Détermination du premier mouvement (10 et 11) grâce à cinq autres éléments : — modification de la modalité du contact (orteil) (12) — modification de la configuration des articulations (13) — modification de la modalité du contact (talon) (14) — modification de la modalité de la flexion (genou) (15) — modification de la modalité de la flexion (fémur et tibia) (16) En outre, elle ne comprend pas de syntagme métaphorique. Mais il est surtout à noter qu'elle exclut de son champ tout le reste; le corps n'est nommé qu'une fois dans la dénotation des éléments (8), et trois fois dans la colonne réservée aux séquences limitées (2, 10 et 11). La description du saut est donc réduite à

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