La magie et la sorcellerie en France Tome 2

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LA MAGIE ET LA

Sorcellerie EN FRANCE PAR

Ttï.

DE

G^A^UZOISTS

II

Poursuite et châtiment de la Magie jusqu'à la Réforme Protestante

Le Procès des Templiers Mission et procès de Jeanne d*Arc

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PARIS

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Pour paraître prochainement

:

Histoire de V Inquisition en France.

Tome IL La Procédure La Magie

Tome Tome

inquisitorialn

en France. in. La Sorcellerie de la Réforme à la Révolution française. IV. La Sorcellerie contemporaine. et la Sorcellerie

LA MAGIE ET LA

SORCELLERIE EX FRANCE PAR XI-Ï.

IDE G^^xjzozsrs

AVANT-PROPOS

Le premier volume de V Histoire lerie

en

France a

laissé

'

de la Sorcel-

soupçonner bien des

péripéties dans les destinées des adeptes de la

magie. Dans

présent volume, on se propose,

le

précisément, de raconter leurs vicissitudes. Bien

que notre, tâche

se

limite

à la France,

nous

avons donné succinctement quelque idée de la

magie fut

traitée

par

les Juifs,

les

Romains.

Comme

la

magie ne

manière dont les

Grecs et

la

naquit pas spontanément dans

la

France chré-

tienne du Moyen-Age, mais se rattachait, soit

aux anciennes croyances nationales ou

ger-

maines, soit aux superstitions venues des Juifs

ou de Rome,

il

est

évident que l'idée de la

répression ne surgit pas, non plus subitement,

du milieu médiéval.

Elle avait aussi des anté-

cédents chronologiques qu'il est indispensable

LA SORCELLERIE EN FRANGE

VI

de connaître, table et tirer

veut faire de

l'on

si

l'histoire véri-

un enseignement quelconque des

événements passés. Or, dans les peuples

dans

les

médiévaux de l'Europe,

populations françaises en particulier,

trois

éléments principaux paraissent s'être unis

pour

la

tive

aux

formation de sorciers

un élément tif

:

la

mentalité générale, rela-

un élément ethnographique,

religieux et

un élément administra-

ou juridique. Le premier tenait aux races

mères de

la

population hybride destinée à deve-

On

trouvait chez eux des restes

des anciens Celtes,

des Gaulois du temps de

nir les Français.

César, auxquels les invasions germaines avaient

apporté avec

les

Francs,

Burgondes,

les

les

Goths, un renouveau de vigueur, sans parler des reliquats plus ou moins vivaces des populations antérieures riens,

aux Celtes

:

Ibères,

Euska-

Touraniens, sauvages sans nom, ou tro-

glodytes des terrains divers. Et nous nous con-

tenterons de mentionner bien d'autres peuples:

Huns, Avares, Arabes, Maures, Sarrasins, Romains surtout, puis dont

les

les Italiens, les

Espagnols,

invasions successives et l'implantation

AVANT-PROPOS

Vil

plus OU moins longue en certaines de nos pro-

vinces ont laissé certainement des traces, plus

ou moins français

difficiles à

retrouver dans

le

peuple

actuel.

Les travaux, tentés pour reconnaître chez des individus isolés ce que peuvent lui avoir fourni ses ascendants des diverses races, n'ont

jusqu'à présent abouti qu'à des résultats fort

La chose

incertains. lités

était à prévoir, car les

qua-

apparentes ou non, physiques ou morales

qui spécifient l'homme se retrouvent nécessai-

rement, dans

meaux de

leur ensemble, en

tous

les

ra-

l'espèce humaine. Les différences de

race à race, ou d'individu à individu,

peuvent

porter seulement sur des caractères secondaires, sans doute

assez facilement interchangeables.

Qui du reste peut

se flatter d'avoir

pu déter-

miner ces caractères secondaires dans aucune race

actuellement existante, et encore moins

dans

les

peuples disparus ?

L'expérience a montré qu'il ne

fallait

pas atta-

cher beaucoup d'importance à certains

signes

extérieurs trop vantés. Peuples brachycéphales, et nations dolichocéphales, les

uns

et les autres

LA SORCELLERIE EN FRANCE

VIII

ont,

dans leur

des individus intelligents

sein,

et des idiots, des santés vigoureuses et des

péraments

d'un

homme

la largeur relative

de son

délicats. Vouloir juger

uniquement d'après

tem-

crâne ou l'ouverture de son angle facial, c'est s'exposer aux méprises les plus déconcertantes,

aux jugements Sinon

rien,

plus

les

absurdes du monde.

du moins, peu de chose peut

se pro-

nostiquer sur l'avenir d'un peuple d'après

mélange des races dont dans

ses veines,

que ce

sangs variés coulent

soit

au point de vue

au point de vue

piiysique ou

moral.

les

Toutefois,

le

intellectuel

l'observateur

après

et

coup,

qui peut constater l'existence de certains traits

communs aux

races mères et à leurs fdles, a,

jusqu'à un certain point,

ressemblances sur

le

En nous appuyant

le droit

compte de

de mettre ces la génération.

sur des constatations de

ce genre, nous remarquons,

chez les Français

de nos jours, des caractères moraux, sociaux

ou autres,





leur amabilité par exemple, leur

légèreté d'esprit, leur

amour

des plaisanteries,

leur inconstance dans les revers, leur facilité à se laisser prendre

par des mots

— qui semblent

AVANT-PROPOS bien faire d'eux

les

fils

IX

authentiques des Celtes,

ou des Gaulois du temps de César

leur esprit,

;

doué d'un sens juridique remarquable,, ami de la clarté,

de l'ordre dans

la soumission

aux

;

gouvernement

de

et

rappelle la puis-

autorités,

sante administration et

Rome

le

génie juridique de

le

l'amour des aventures belliqueuses,

si

caractérisé chez nous, fait souvenir des randon-

nées

héroïques

des

audacieuses des Normands;

amour

des

voyages

rapport avec

les

fonda Marseille ranéennes Si la

navigations

Gaulois, des et,

lointains,

peut-être, notre a-t-il

quelque

gouttes du sang phocéen, qui et

d'autres

colonies

méditer-

!

nous nous en tenons au sujet de notre

livre,

croyance de nos contemporains aux sorciers,

aux magiciens, conséquence de

la foi

ou divinités secondaires, de quelque les appelle,

peut légitimement

aux génies

nom

qu'on

se rattacher

aux

croyances de leurs aïeux divers. Ce qui est assez

remarquable, c'est que, stature,

la

au point de vue de

de la couleur des cheveux et des

yeux, de l'angle des

si,

tendances

facial,

de

la

intellectuelles

largeur du front,

ou

morales,

on

X

LA.

SORCELLERIE EN FRANCE

peut trouver d'assez grandes différences entre ancêtres des Français

les

quand

;

s'agit

il

du

diable et des diablotins, les différences s'éva-

nouissent. Sous des

noms variés, nous retrouvons

partout des croyances fort semblables

romains fusionnent fort bien avec

ou

familiers

de

korrigans

naïades avec les fées

;

la

:

les lares

les

esprits

Bretagne

;

les

devins de tous les pays,

les

avec leurs confrères des côtes de l'Atlantique

ou de .

Manche

la

;

les

des peuplades

sorciers

germaines n'ont aucune peine à

se

confondre

avec ceux des tribus gauloises.

nous rend

L'élément ethnographique

compte de de

la

la persistance

croyance à

naturels

magie

dans nos populations et

aux pouvoirs extra-

dont certains hommes sont réputés

comme

jouir,

la

intermédiaires

évocateurs,

organes des esprits. L'influance de s'exerça cependant pas seule, lui

ainsi

il

la

ou

race ne

faut sans doute

joindre celle des idées religieuses de nos an-

cêtres.

Toutefois

sorcellerie

avec

la

manière de considérer

en tant qu'ayant quelque

la religion, se modififi

tances différentes suivant

la

rapport

par suite de circonsles

temps

et les pays.

AVANT-PROPOS

Nous

le

XI

constatons sans peine aucune,

si

nous

réfléchissons à la différence de traitement imposé

aux

sorciers, sous le

paganisme polythéiste des

barbares, et dans les sociétés européennes chris_ tianisées.

ment

Le premier

tolérant vis-à-vis des magiciens, pour des

dont

motifs assez nombreux,

semble avoir été

le

le

plus saillant

de distinguer

la difficulté

sacerdoce de la magie, les

montré excessive-

s'était

prêtre

du

sorcier,

le

dans

que nous l'avons

religions païennes. Ainsi

observé dans notre premier volume, prêtres et

magiciens paraissent, en les

uns

daires,

et

buts

dans des

matériels.

d'autre

Si,

dérogeant à

et parce

semblables, tous l'empire

part,

romain,

poursuivre les magiciens

touchant à

que

des divinités secon-

assez

mathématiciens, ce

politiques

s'être adressés,

pratique générale des païens, se

la

décida assez tard à

ou

à

autres,

les

effet,

la

nuire que d'être

la

fut

par des

raisons

personne

impériale,

piquait

plutôt de

magie

se

utile.

La

considération

du

génie invoqué n'entra guère dans les décisions prises.

Dans

le

panthéon polythéiste

se

trou-

vaient, de fait, trop de dieux désagréables, pour

LA SORCELLERIE EN FRANCE

XII

qu'il fut

possible

prétexte

qu'ils

les

étaient

des sorciers ne

cution

certains, sous

élaguer

d'en

le fait

chez

Quand

dans l'Europe chrétienne,

non par

naître,

persé-

naquit donc pas

païens des convictions religieuses.

se produisit

La

méchants.

elle

elle

dut

des traditions païennes

survivantes, toujours assez tolérantes de leur

vertu d'autres principes. Ces

nature, mais en

principes, nous croyons qu'il faut les chercher

dans

certaines

idées,

d'une part, nées à ciales,

dues

la suite

au

christianisme

de circonstances spé-

d'autre part.

Le Christianisme ne pouvait admettre, comme régulière, l'existence des sorciers

Mais

au milieu de ses était porté à les

fidèles.

Cela va de

traiter

de manière très différente,

soi.

il

suivant la

qualité qu'on leur attribuerait. Imposteurs, seraient punis en escrocs,

ils

de peines ecclésias-

tiques ou civiles, plutôt diffamantes que cruelles, afin

de ridiculiser leur prétendue puissance et

d'ouvrir les yeux aux simples. Prêtres de fausses divinités,

secondaires ou vaincues,

ils

mis dans l'impossibilité de faire de

la

seraient

propa-

gande, mais traités encore avec une certaine

AVANT-PROPOS

XIII

douceur, d'après l'esprit de tolérauce que l'Eglise chrétienne professa presque constamment vis-à-

de la personne des païens. Adorateurs et

vis

évocateurs des démons, par conséquent apostats

du vrai Dieu

et de la société chrétienne,

subiraient les fluctuations de la législation

ils

vis-à-vis des dissidents.

doutables frappèrent

en subirent

les

des tre,



occasions



les

des mesures re-

hérétiques, les sorciers

conséquences

Or, pour les uns législation,

Quand

les

comme pour

plus extrêmes.

les autres, cette

pas à parler

car nous n'avons

qui

historiques

la

prétendit s'appuyer sur la

tenue dans

la Bible. Terrible

gieux, le législateur

loi

firent

naî-

juive con-

aux dissidents

reli-

du Mosaïsme n'avait pas

montré une plus grande tendresse, pour les magiciens.

Plus donc

la lettre

la société

chrétienne s'attacha à

de l'Ecriture, plus

elle

rigueur contre la sorcellerie. trées

devenues

bibliolâtres,

Réforme protestante,

dut témoigner de

En

les

fait,

con-

par l'adhésion à

la

se révélèrent plus achar-

nées à la guerre antimagique que les pays restés catholiques. Chez tables

elles, se

holocaustes,

des

produisirent de véri-

boucheries

à

jamais

LA SORCELLERIE EN FRANCE

XIV

regrettables

or les considérants des jugements

:

ne laissent auciin doute sur

la

pensée des juges

de se conformer strictement aux commande-

ments

scripturaires.

Pour tous

ces motifs, nous avons cru utile

de donner un aperçu de

la

magie chez

les Juifs,

d'indiquer les principaux traits connus de

et

leur législation

sous

ce

rapport. Bien

qu'elle

puisse paraître, au premier abord, n'avoir guère

de rapports avec ses

çais,

la

préceptes,

poursuite des sorciers franses

exemples, ses antécé-

dents, n'en exercèrent pas

moins une influence

trop sérieuse sur nos aïeux pour que nous puissions l'oublier.

Ainsi la survivance de la sorcellerie s'explique

par

la race

;

sa persécution par diverses condi-

tions locales, mais surtout par l'influence de la loi

juive.

Un

troisième élément, administratif

ou juridique, vint s'adjoindre aux premiers, en accentuant

le

caractère répressif de la législation

médiévale vis-à-vis des criminels ou pseudocriminels qui nous occupent. Ce fut la pratique

de l'ancienne Rome.

On

ne saura jamais exagérer l'importance des

XV

AVANT-PROPOS

traditions romaines dans la formation de l'esprit européen. Si le Christianisme a modifié les

mœurs ànies

privées,

le

a développé en bien

s'il

sentiment

et

des

l'amour de vertus sou-

vent surhumaines, son influence sociale paraît avoir il

dépendu

avait

tion

eu

temps de marquer

le

Mais

l'Empire.

de

l'empreinte dont

de

surtout

celle-ci

pas laissé transformer en bloc pris

des touches chrétiennes,

encore plus maines. Et

de il

s'était

elle

qui

avait gardé ro-

Sans avoir

suit. le

avait

droit ancien

peu pénétré dans les sociétés

barbares et féodales. le xii^ siècle, fort à

ne

si

elle

jamais été complètement oublié, avait, relativement,

législa-

spécifiquement

couleurs arriva ce

:

la

Il

revint à la lumière vers

propos pour

les

monarques,

qui ne manquèrent pas d'y trouver des armes

pour leurs thèses de monarchies centralisatrices et absolues

pour

les

sorciers.

;

très

malheureusement, au contraire,

hérétiques et pour les magiciens ou

On trouva dans

ses lois tout

un

arsenal,

de mesures contre ces malheureux, toute une collection de su})plices destinés à les faire disparaître. C'est ce qui

explique

comment

des juris-

LA SORCELLERIK EN FRANCE

XVI

consultes

très

par

hypnotisés

intelligents,

le

quand

droit romain, se montrèrent inexorables

eurent à s'occuper de magie.

ils

L'influence des lois romaines

juridique de l'occident en général, de la

tion

France en de

forma-

sur la

particulier, ne

laisser

persécutions

de

côté

nous a pas permis

antimagiques

à

Rome.

y avons ajouté quelques mots sur c'est

que Grèce

et

Rome

des

succincte

l'histoire

nous

Si

Grèce,

la

sont, en quelque sorte,

inséparables dans notre esprit, au point de vue

de

la

formation intellectuelle européenne.

Après ces préliminaires, nous étudierons sorcellerie chez nos aïeux de la Gaule.

la

Malheu-

reusement, nous savons bien peu de choses sur leur compte.

Nous verrons ensuite

les sorciers

des

royaumes francs, et nous constaterons,à leur occasion,

une curieuse loi historique qui fait assez hon-

neur à notre pays relative

et à notre race

du traitement

fait

aux

:

la

douceur

sorciers.

dehors de certaines commotions où

le

En

peuple

français perd la notion de lui-même et se laisse aller à des colères

pas pour

la

par trop sanguinaires,

il

n'est

guerre homicide à froid. Sans doute.

AVANT-PROPOS il

d'opposer à

facile

serait

XVII

affirmation

cette

bien des exceptions dues à des princes et à des partis soupçonneux, tion passagère

;

nous ne songeons pas à les

Nous connaissons tuels

:

ou à des régimes d'exaspéra-

chevaux de

les

les Albigeois, les

Barthélemy, che et la

bataille habi-

guerres religieuses, la St-

la Ligue, la Terreur, la

Commune.

nier.

Toutefois,

Terreur blan-

il

nous paraî-

démontrer que ces diverses

trait assez facile de-

époques de cruauté furent des

nerveuses

crises

dans notre existence, des accidents passagers de notre caractère généralement fort humain.

La preuve

péremptoire semble en être

la plus

la violence

de ces

crises, et,

plus encore, leur

peu de durée. Assez promptement, vient

chez

nous

amnistier

le

:

le

pardon

passé, et

nous

croyons qu'à cette tendance générale de notre esprit français doit s'attribuer le

des partis

toujours

cela

un

crédule, mais

Fort

violents.

peu

peu de succès

sceptique,

le

avec

Français

paraît avoir vite assez des luttes trop prolongées. les si

Il

préfère taquiner

égorger.

La France

modéré, son

ciel

si

ses

est

si

adversaires

que

douce, son pays

tempéré, que nous avons

LA SORCELLERIE EN FRANCE

XVIII

du mal à ne pas en

jouir et à ne pas laisser les

autres en jouir dans la paix.

Nous espérons que bon nombre de cle,

ce

volume

lecteurs, car,

nous entrerons dans

intéressera

avec

le

les récits

xiv^

un siè-

bien émou-

vants de procès fameux. Les Templiers ne man-

queront pas de nous arrêter quelques instants

énigme toujours en suspens devant

le

jugement

de l'Histoire. Nous verrons, à partir de temps,

la

;

leur

croyance aux diableries prendre une

importance de plus en plus grande,

se glisser

dans tous

Cour Ro-

les

cercles, influencer

maine, servir à faire conduire

Jeanne d'Arc,

temps de

la

la

vengeances

mille

politiques,

au martyre l'héroïne de France, et

nous

arriverons

ainsi

aux

Réforme Protestante, dont l'étude

formera notre troisième volume.

Avant de terminer

cette

Introduction déjà

trop longue, qu'on nous permette de dire quel-

que chose d'un mot qui revient sans cesse sous

plume d'un

la

historien de la sorcellerie, à savoir

AVANT-PROPOS le

XIX

Bieii des gens en abnsent.

mot SURNATUREL.

c'est surnaturel

Si les tables tournent,

;

les

si

maisons sont hantées, leur habitant mystérieux se

de surnaturel. Le moindre phéno-

qualifie

mène tant intitulé

soit

peu extraordinaire



surnaturel.

est facilement

En revanche

écrivains s'expriment fort crûment

naturel

n'existe

mot ne

devrait

Peut-être

le

partout

le

pas

pas

»

!

'

et,

d'autres «

:

Le

sur-

par conséquent,



davantage.

exister

le

désaccord, entre les gens qui voient

surnaturel et ceux qui ne

nulle part, vient-il

le

voient

simplement de ce qu'on ne

s'entend pas sur la signification du mot. Qu'en^

Quand on

tend-on d'abord par

Nature

sera mis d'accord sur

une définition précise de

ce terme, on pourra avoir

précise

du mot

sommes

surnaturel

la force créatrice,

des êtres créés

;

;

Mais nous en

».

«

nature

«

indi-

tantôt l'ensemble

tantôt l'ordre établi dans l'uni-

tantôt la puissance qui

conserve

se

une idée non moins

fort loin encore, car la

que tantôt

vers,

«

?

l'a

établi et le

tantôt l'essence d'un être, tantôt ses

qualités, et

il

ne serait pas

difficile

encore d'autres acceptions du

mot

de trouver «

nature

».

XX

LA SORCELLERIE EN FRANCE

Comment dans naturel ?

ces conditions définir le

ni

ne voulons trancher la

en mettant tout

difficulté,

monde

le

voir tout le

ligué contre nous, et nous

sommes de

le

plus sûr

tempérament trop pacifique pour nous

fers. Il

concerne,

suffira

mot

le

autre chose que

étonnant «

d'accord,

moyen de

car ce serait

de

sur-

»

Nous ne pouvons

monde

«

dir-e

qu'en ce qui nous

surnaturel ne signifiera pas «

merveilleux, extraordinaire,

même

en sera de

Il

)>.

de

croiser tant

des

extranaturel, extrahumain, surhumain

termes »,

qui

viendront quelquefois sous notre plume. Nous

ne prétendrons jamais trancher, par l'emploi de ces mots, l'origine toujours fort discutée d'une multitude de phénomènes entrant dans l'histoire

de

la

rendu prudent. ques, faits les

prélats,

Son étude nous a

sorcellerie.

Quand on

voit, à certaines épo-

magistrats, et médecins,

de contorsions

communes

stupé-

à la Salpêtrière,

déclarer surhumaines et d'origine surnatu-

relle,

on ne

se sent

pas

le

courage d'une indi-

gnation qui serait ridicule, car on constate la

bonne

foi

inébranlable

de

presque

tous

les

XXI

A.VANT-PROPOS

humaine

juges, mais on se dit que l'intelligence

Malgré

est encore bien ignorante. d'orgueil, qui

nous prennent à

la

bouffées

les

vue des progrès

incontestables de la science, nous ne pouvons

nous empêcher de sur l'origine

réfléchir

au peu que l'on

sait

ou métaphysique de tant

vraie

surprenants, dus à des forces simple-

d'elYets

ment nommées par impuissants à

comprendre.

nous, qui

les définir et

sommes

encore moins à les

pesanteur,

Chaleur,

à présent

gravitation,

lumière, électricité, magnétisme, force radiante,

Tout

force neurique, etc., etc.

mots qui nous aident à soulever

le

cela ce sont des

classifier

des

de leur naissance et surtout

voile

de leur essence. Qu'y faire ? Attendre, révélera peut-être secrets

;

— surtout

être indulgents, et les

pour

Isis

ses les

contemporains. Qui

ceux qui ont raison, ceux qui auront tort

dans l'avenir

?



Pour nous, historien sans

parti pris, nous laisserons et, s'ils le

le soin

ou



un jour quelques-uns de

gens du passé, et pour sait

sans

faits,

parti,

peuvent, à de plus savants que nous,

de trancher

tel fait

aux hommes de

la

question de savoir

si

tel

surpasse la nature créée, ou la nature

LA SORCELLERIE EN FRANCE

XXII

humaine

;

nous demanderons simplement au

lecteur de nous pardonner, qualifier de

surnaturel

tel

s'il

ou

nous arrive de tel

dont nous ne pourrons expliquer

phénomène la

cause,

et

cette histoire en sera pleine.

Th. de

CAUZONS.

DEUXIÈME PARTIE HISTOIRE ET CHATIMENT DE LA MAGIE JUSQU'AU XVP SIÈCLE

CHAPITRE PREMIER

La Magie dans

l'Antiquité

ARTICLE PREMIER

Les Magiciens dans

le

Judaïsme

I

Chez l'art

les

magie, c'est-à-dire,

anciens peuples, la

de correspondre avec des génies extraterrestres, ne fut pas traitée

appelés ordinairement démons,

partout de

même

la

manière.

des

démons malfaisants

des

hommes,

les

se

On

distinguait au reste

au

plaisant

cacodêmons, et

les

démons favo-

rables, espèces de divinités secondaires

théologie faisait entrer,

cadre

plus

ou

comme

elle

moins cohérent

malheur

que chaque

pouvait, dans

de

ses

le

systèmes.

LA SORCELLERIE EN FRANCE

2

c'étaient les agathodémons.

Le

culte de ces derniers,

plus ou moins analogue à celui de nos bons anges et de nos saints, prit souvent dans le polythéisme une

prépondérance

telle qu'il

ne laissa guère qu'une place

— et seulement dans gouvernementaux, — à l'adoration des dieux majeurs ces les rites officiels

théorique,

;

mêmes la

derniers étant eux

du

dire,

tures

menue monnaie, pour ainsi

seul vrai Dieu, éclipsé désormais,parses créa-

quand

divinisées,

forces naturelles les considérait

eux-mêmes,

;

par ses propres vertus,

comme

ainsi qu'il

religions

quand on

des êtres personnels,vivant par

semble être arrivé chez plu-

sieurs sectes néoplatoniciennes, et

ciennes

des

païens adoraient

les

même

dans

Chez

indo-européennes.

les

an-

elles,

les

dieux se distinguent mal de leurs symboles matériels,

mais n'en reçoivent pas moins attributs glorieux

les titres solennels et les

du Démiurge tout puissant

(1).

Quelle que soit l'opinion que l'on veuille adopter

sur l'origine des divinités païennes, sur leur caractère plus x)u

ou moins

local,

sur

la

conception

plus

moins complète que s'en faisaient leurs adora-

teurs, elles ne pouvaient en tous cas,

plusieurs,

(1)



être

V. par exemple

vrai Dieu.

le

:

A

quité, Paris, in-12, 1863.

En



puisque

face d'elles, la

Matjry, Croyances et légendes de Religion des Aryas, p. 21 seq.

La

l'anti'

LA MAGIE DANS L ANTIQUITE loi juive,

tout

entière empreinte

pur, considérant

cience,

culte

le

unique

la

nécessité

l'omnipotence,

l'omnis-

tra,

Dieu des nations

dès sa rédaction la

dieu

mais aussi par droit

du monde,

et



Yahveh,

de

national sans doute d'Israël, le seul

du monothéisme

comme fondamentale

de maintenir

d'établir et

3



ancienne,

plus

se

moyens em-

dans sa doctrine, inexorable dans

les

ployés pour réserver

du peuple

le culte total

mon-

inflexible

juif à

la Divinité protectrice, raison d'être de la nation.

Arrière les dieux des païens

!

loin d'Israël les génies

fallacieux et trompeurs des Gentils

par

main des hommes,

ni

Pas de dévo-

aux simulacres

tions, ni privées, ni publiques, la

!

créés

aux démons bons ou

mauvais, créatures imparfaites, indignes d'être mises sur

le

Les

même

rang que

magiciens

englobés dans cet les

ne

le

Créateur

pouvaient

à

tous

manquer

anathème général lancé

puissances susceptibles

Yahveh,

!

les

rites

de

porter

capables

d'être

à toutes

ombrage de

à

détruire

l'auréole de l'Arche et du Temple, surtout à tous les sacrificateurs autres

que ceux de Jérusalem.

Ils

étaient peut-être les prêtres de dieux vaincus avec leurs peuples, peut-être aussi les représentants divinités étrangères,

ou encore

les

de

conservateurs de

très vieilles traditions, d'usages antiques,

remontant

LA SORCELLERIE EN FRANCE

4

aux

origines

mêmes

de l'humanité et de

Peu importe. Leur doctrine recouvre

superstitions,

les

infâmes.

peuple

En

engendre

est nuisible,

parfois

pratiques

des

ne doivent pas subsister au sein du

Ils

élu.

juive,

la loi

fait,

sons,

la religion.

telle

que nous

montre rigoureuse pour eux.

se

la Il

connaisest assez

curieux de trouver dans les plus vieilles traditions

du peuple hébreu

les

magiciens rangés parmi ses

adversaires les plus acharnés. Ainsi, dans les chapitres

de ï Exode, qui nous racontent les efforts de Moïse

pour arracher au Pharaon l'autorisation d'emmener ses

compatriotes loin du Delta, et

dans ce but,

les

les

miracles opérés

magiciens d'Egypte nous apparaissent

faisant à leur tour des merveilles analogues, qui retien-

nent

le

verge

cœur du

dans l'endurcissement.

roi

d' Aaron, les leurs se

à l'exemple de Moïse, sang,

ils

ils

Comme

la

transforment en serpents

changent l'eau du

;

Nil en

couvrent l'Egypte de grenouilles. Moins

puissants toutefois que les sorciers futurs de l'Occident,

ils

se

reconnurent incapables de fabriquer des

moucherons,

ni d'arrêter les autres fléaux successi-

vement déchaînés

sur la terre de Misraïm, qui dut

enfin laisser s'éloigner ses hôtes involontaires, deve-

nus dangereux.

dans

le

On

cœur des

ne saurait affirmer qu'il resta

Juifs

une sorte de rancune contre

LA MAGIE DANS L ANTIQUITÉ imitateurs

les

5

enchanteurs Egyptiens.

des

plus probable que les prescriptions de la

pour but de ne lieu

pas

du peuple, des

est

eurent

au

s'introduire,

laisser

faiseurs

Il

loi

mi-

de faux miracles, bien

capables de détourner de l'obéissance des têtes trop portées encore à la rébellion.

En

tout cas,

ciens en Israël

Lévitique

ne veut pas de magi-

le législateur

Ne vous détournez

«

:

(XIX,

pour

31),

aller

ciens, et ne consultez pas les devins, de

souiller en

vous adressant à eux. Je

votre •Dieu

».



la vie

aux magiciens

ronome (XVIII, 10) ne consulte

peur de vous

suis le Seigneur

Avec une sécheresse romaine,

V Exode (XXII, 18) prononce pas

point, dit le

chercher des magi-

:

les devins,

».

:

«

— Plus

Vous ne

laisserez

explicite, le Deu/é-

Que personne parmi vous

).

les

Toujours

est-il

prophéties,

le

certain

que,

vérifiant

en sa

de Juda fut puni

roi

Babylone.

temps de. captivité à

Le châtiment ne dura cependant pas longtemps, et Manassès vint mourir dans sa capitale. Mais

Jéchonias

successeurs,

ses

sans retour, se

dont l'infortune devait être

comme

lui

déportés

nosor (596 av.

à

Zédéchias,

et

Nabuchodo-

Babylone par

un groupe assez

J.-C), avec

virent

consi-

dérable des Juifs les plus notables et les plus riches. Ils

trouvèrent en Assyrie des confréries de devins,

d'astrologues, de magiciens officiels, à la fois prêtres,

médecins et (II, 2)

sorciers,

nous présente

que

le livre

comme

biblique de

chargés,

d'expliquer, mais encore de retrouver

n'avaient

laissé

dans

la

mémoire

non seulement les

rêves, qui

du

souverain

qu'un souvenir confus. Assisté de Dieu, juif n'eut

pas de peine à

faire

Daniel

le

mieux que

prophète les

devins

commenta au

roi la

rovaux habituels,

il

révéla et

fameuse vision de

la

statue à la tête d'or, à la poi-

LA SORCELLERIE EN FRANCE

12

au ventre

trine d'argent,

des devins il

Du

coup,

(Daniel, IV, 6

seq.).

aux pieds

fer,

d'airain,

d'argile.

aux jambes de

nommé

fut

il

En

chef

cette qualité,

expliqua à Nabuchodonosor la vision qu'il avait

eue d'un grand arbre dont

la tête atteignait le ciel,

lorsqu'une voix s'écria tout à coup de couper l'arbre,

mais d'en de

laisser les racines, afin qu'il soit mouillé

la rosée

du

paisse avec les bêtes sau-

ciel et qu'il

vages jusqu'à ce que sept temps soient passés sur lui

;

annonce de

célèbre transformation

la

du

roi

en bête. Plus tard, retiré ou disgracié, Daniel est cepen-

dant rappelé par

nouveau

le

roi

Balthazar, que

trouble la vue des caractères mystérieux tracés,

une main sans corps salle

murs de

sur les

du banquet donné aux grands de

mages,

les

explique

même

de

lui.

la

sa cour. Les

au Mané, Thécel, Phares, que Daniel la

catastrophe

prochaine

«

:

Dans

nuit, Balthazar, roi chaldéen, fut tué.

Mède

par

Chaldéens, les augures consultés n'ont

rien compris

le

visible,

succéda dans

En

soixante-deux ans

».

lapidaire, l'auteur

du

volution qui mit

fin

Nous n'avons pas ces incidents

la

royauté;

il

la

Darius

avait alors

ces termes d'une précision

livre

de Daniel résume

la ré-

à l'empire d'Assyrie. à entrer dans la

discussion de

connus de tous. Ce qui nous intéresse,

LA MAGIE DANS c'est

de trouver

l' ANTIQUITÉ

en contact avec

les Juifs exilés

même une

devins de Chaldée, leur faisant

D'après

l'histoire

rence

victorieuse.

qu'elle

nous est présentée par

que

n'est pas probable

les Juifs aient

leur

d'emporter avec eux

les

concur-

juive,

les livres

leur fut permis de revenir dans ni le besoin

13

telle

sacrés,

il

quand

il

eu,

patrie, l'idée

les secrets de la

magie chaldéenne, car leur prophète s'était

montré

supérieur aux Chaldéens,

les

vins nationaux

d'autre part,

et,

trouvaient plus

se

de-

que jamais en

mauvaise posture par suite des événements

politi-

ques accomplis.

Un

texte du prophète Jérémie

(XXVII,

anté-

9),

nous montre en

rieur à la chute de Zédéchias,

efTet

des devins en apparence indigènes, constituant

une

sorte de confrérie, opposée à celle des prophètes véritables, les

par leurs tendances politiques. Tandis que

prophètes, connaissant la puissance du souverain

de Babylone,

et

appréhendant des désastres pour énergiquement dams

leur pays, se prononçaient

le

sens de la loyauté et de la soumission envers l'Assyrie,

devins et

les

partisans

de

nous lisons

l'alliance

dans

royaume qui ne nosor,

roi

les

se

magiciens se déclaraient

avec l'Egypte.

Jérémie

:

«

que

Voici

Le peuple

et

le

soumettra pas à Nabuchodo-

de Babylone,

et

tout

homme

qui

ne

LA SORCELLERIE EN FRANCE

14

baissera pas le

cou sous

bylone, je les visiterai par

consumés par

pas vos prophètes, ni

sa main.

phétisent

le

roi

par

de Ba-

la

famine,

Vous donc, n'écoutez

les devins, les rêveurs, les

vous disent

gures, les magiciens qui

pas assujettis au

l'épée,

roi

Seigneur, jusqu'à ce que je

et par la peste, dit le les aie

joug du

le

Vous ne

:

de Babylone, car

ils

se

fait,

serez

vous pro-

mensonge, pour vous envoyer loin de

votre pays, vous en chasser et vous faire périr

En

au-

».



ces faux devins eurent tort, car l'événement

prononça contre eux.

et suivirent les exilés à

ne se découragèrent pas

Ils

Babylone, où

ils

entretinrent

parmi eux un certain état d'agitation, que Jérémie crut encore devoir combattre. Resté en Palestine, il

envoya aux déportés

le conseil

pour longtemps dans leur

de s'établir

comme

lieu d'exil, d'y construire

des maisons, de s'y marier,

car voici ce que dit le

«

Seigneur des armées, Dieu d'Israël

:

Que vos

pro-

phètes, qui sont au milieu de vous et vos devins ne

vous séduisent pas

;

et

ne faites pas attention aux

rêves que vous faites, parce qu'ils vous prophétisent faussement en voyés, dit

De

ces

l'antique

le

Seigneur

textes loi

mon nom,

et je

ne

les ai

pas en-

>>.

divers,

il

de mort contre

semble les

ressortir

que

devins n'avait pas

été toujours exécutée à la lettre. Mais

on comprend

LA MAGIE DANS

que

le parti

rebâtit le

L' ANTIQUITÉ

15

patriote qui, après le retour de

Temple

l'exil,

et tenta de reconstituer fortement

la nationalité juive,

en ravivant son sens religieux

monothéiste, dut combattre l'influence des devins,

prophètes malheureux, prêtres de faux dieux, dont les

conseils

avaient

si

mal

réussi

risquaient

et

d'entretenir une rivalité nuisible à la centralisation religieuse

vons

et politique

naturelles

les

du peuple. Aussi nous trou-

menaces lancées

sacerdotal de Malachie (III, 6)

promptement, ciers, les

je

serai juge et

:

dans

l'écrit

Alors je viendrai

«

témoin contre

adultères et les parjures.... dit

le

sor-

les

Seigneur

».

Passa-t-on officiellement des menaces aux actes et

y eut-il, pendant bées, puis

le

temps d'indépendance des Maccha-

au cours de la période de

la tolérance reli-

gieuse romaine, des exécutions de sorcières en Palestine, la

chose n'est pas très sûre.

que, lorsque

Simon ben Schetach

Sanhédrin (70 av. J.-C),

il

se

On

raconte bien

était président

montra

fort

relativement à l'accomplissement de la sous sa direction,

le conseil

femmes, accusées de calon

(1)

1905,

;

rigoureux

loi

et

que,

condamna quatre-vingts

sorcellerie, à être crucifiées à

As-

mais ce récit semble ou fabuleux ou exagéré

(1).

H. CiRAETZ, Geschichle dcr Juden, S*"^ t.

du

III, p. 145.

^dit.

Leipzig

LA SORCELLERIE EN FRANCE

16

IV

Nous savons, en tout cas, que les magiciens n'avaient pas disparu au temps du Christ, puisque Simon

magicien éblouissait alors de ses prestiges tants de Samarie (Ad. VIII,

9).

Elymas Barjésu, accompagnait Paulus et devint aveugle à (Act.

XIII, 6

seq.).

Un le

les

le

habi-

autre magicien,

proconsul Sergius

la prière

de saint Paul

Ces pseudo-prophètes,

comme

appelle l'auteur des Actes des Apôtres, ne ris-

les

quaient pas grand chose à cette époque, sauf la

vengeance des démons ou des démoniaques eux-

mêmes, comme juif. lui,

Ils

il

aux sept

arriva

fils

d'un prêtre

cherchaient à imiter saint Paul

à chasser les

démons

;

et,

comme

or ces derniers finirent par

s'impatienter et par rouer de coups deux de leurs exorcistes. Sur quoi, d'après l'auteur des Actes des

Apôtres (XIX, 16-19), la crainte saisit les habitants

d'Ephèse, et bien des gens apportèrent leurs livres

de magie.

On

en brûla pour cinquante mille pièces

d'argent. Ces accidents Il

désagréables étaient rares.

semble même, d'après un curieux récit de Josèphe

(Antiqui. Judai.

1.

8, c. 2),

qu'une certaine considé-

ration s'attachait à ceux qui se servaient de la

ma-

LA MAGIE DANS

pour

gie

vieil historien

17

Nous trouvons, dans

cure des maladies.

la

passage du

ce

L' ANTIQUITÉ

des Juifs, la première

mention des légendes, venues jusqu'à nous,

attri-

buant à Salomon l'invention de divers enchantements et leur le

emploi dans

narrateur

de guérir. Si nous en croyons

Dieu donna à Salomon

(1),

vertu de chasser ([u'ils

l'art

démons

les

l'art et la

et de guérir les

maux

aux hommes. Ce prince composa des

font

charmes contre

les

maladies et des formules pour

chasser les mauvais esprits, en sorte qu'ils ne reve-

naient plus dans les corps qu'ils possédaient.

«

Et-

«

cette manière de guérir, ajoute Josèphe,est d'un

«

grand usage encore aujourd'hui parmi nous

«

j'ai

«

de Vespasien et de ses

«

d'officiers et

«

Et

vu un

voici

Juif,

nommé

Eléazar, qui, en présence

fils,

et d'une grande troupe

de soldats, guérit plusieurs possédés.

comment

cette cure

faisait

il

:

Eléazar

narine du possédé un anneau, dans

«

mettait sous

la

a

lequel

enchâs-sée

«

Salomon.

(^

de ce prince, et

était

car

;

En même

une racine enseignée par

temps,

il

prononçait

les paroles qu'il

démoniaque tombait par

le

nom

avait ordonnées

terre et le

;

démon ne

«

le

«

rentrait plus dans son corps. Et, pour preuve d»

(1)

Extrait de la Sainte Bible en latin et en français, 25

in-S, Paris, 1821,

t.

XII

p. 80-

yol.

LA SORCELLERIE EN FRANCE

18 «

la vérité et

de

de son

la force

art, le

même Juif

mettre un bassin plein d'eau à quelque

«

faisait

«

distance du malade,

et

((

de

de renverser ce vase

sortir,

il

lui disait

«

voyait en

«

verser, et en

La

commandant au démon

avec étonnement,

efîet,

même temps

possession

le

ainsi d'assez

vée aux Juifs. Dès

les

tienne, les

fils

vase se ren-

divers

attribués

bonne heure

premiers siècles de

».

à

réser-

l'ère chré-

de Juda semblent efîectivement avoir

fourni au personnel de la magie dérable.

On

de

tradition

la

on

et

démoniaque guéri

des grimoires

Salomon apparaît

le

;

les

considérait

un appoint

comme Dans

magique.

consi-

les dépositaires

les

nombreux

papyrus magiques qui nous restent de cette période, trouve

se

il

bon

nombre de

textes

fortement

imprégnés de judaïsme, tantôt pur, tantôt mêlé à des

rites

livre

d'origine

d'autres écrits de

noms

diiïérente.

de Moïse, pendant

On

connaissait

du Sceau de Salomon,

même

genre,

divers de Dieu, ceux

dans lesquels

un et les

d'Adam, de Moïse, des

patriarches, sont réputés jouir de propriétés magi-

ques merveilleuses.

Ce fut sans doute à

la

connaissance de ces gri-

moires leur donnant une influence sur sible,

non moins qu'à leur science

enfants

d'Israël

durent

leur

le

monde

réelle,

célébrité

invi-

que

les

médiévale

LA MAGIE DANS

L' ANTIQUITÉ

19

Savants

médecins, d'alchimistes, d'astrologues.

(le

dans tous

souvent initiateurs des

les arts occultes,

chrétiens dans les mystères de la magie, nous les

rencontrerons plus d'une fois sur notre roule, parta-

geant

que

les vicissitudes des autres sorciers

;

les sorciers ordinaires, ils seront l'objet

mais, plus

de

l'elïroi,

des colères et des vengeances des peuples, car, à leur caractère diabolique, la

marque du

ils

garderont jointe, ineffaçable,

déicide.

DEUXIEME

ARTICLE

La magie dans

la législation

de

la

Grèce ancienne

I

Les Grecs,' amis du merveilleux, mystères, peu

difficiles

crédules

aux

sur l'origine et les fonctions

de leurs divinités, ne pouvaient être tentés de punir l'invocation autres.

Par

de démons quelconques, indigènes ou conséquent,

le

crime

de

magie, en

tant qu'apostasie du vrai Dieu, adoration du diable, resta

complètement étranger à

théologiques ou sociales. livre des Lois

(1.

Quand

X) vient

leurs

conceptions

Platon, dans son

à traiter de la question

LA SORCELLERIE EN FRANCE

20 religieuse, les

est,

il

à son ordinaire, assez sévère contre

contrevenants imaginaires du droit

conçoit, et

qu'il le

parle à plusieurs reprises des sorciers,

il

devins, enchanteurs.

Aucune analyse ne vaudra

simple traduction de ce que dit

trouve des

se

tel

hommes

le

qui

la

grand philosophe

:

ne reconnaissent

«

Il

«

point de dieux, mais qui, ayant d'ailleurs un carac-

«

tère naturellement

«

pour

K

de

«

les

l'injustice,

actions

ami de

méchants

«

hommes Il

ont de

haine

la

sont incapables de se porter à des la

compagnie

des

pervers, et s'attachent

aux gens de

bien.

fuient

criminelles,

«

l'équité,

par une certaine horreur

et,

en est d'autres qui, à

la

persuasion

que tout

«

est entièrement vide de dieux,

«

puissance à modérer les passions qui les portent

«

au

«

moire excellente et une grande pénétration d'esprit.

«

Leur maladie commune

«

dieux

«

à la société que les seconds.

«

miers parleront des dieux avec beaucoup de licence,

«

aussi bien

que des

«

comme

raillent la

«

raient peut-être se faire des disciples

«

arrêtés

«

étant dans

plaisir

;

ou

mais

ils

les

les

joignent une im-

éloignent de la douleur, une

est de

ne point croire aux

premiers sont bien moins nuisibles

A

sacrifices et

la vérité,

piété des autres,

mêmes sentiments,

les

des serments

par aucun châtiment. Mais les

mé-

et

ils

pre-

;

et

pour-

s'ils

n'étaient

les

seconds,

ayant d'ailleurs

LA MAGIE DANS L'ANTIQUITÉ

21

«

beaucoup

«

pour séduire. C'est d'eux que sortent

«

et tous les faiseurs de prestiges

«

les tyrans, les orateurs, les

«

qui tendent des embûches à la crédulité publique

«

par des cérémonies secrètes, et

emploient

d'esprit,

ruse et l'artifice

la

;

les

devins

quelquefois aussi

généraux d'armée, ceux

les sophistes

«

leurs raisonnements captieux

«

cette seconde classe d'impies sont sans

«

Deux

;

avec

car les espèces de

nombre.

contre les uns et les autres. Le

lois suffiront

«

crime des derniers, qui feignent une religion qu'ils

«

n'ont pas, mérite non seulement une, mais plu-

«

sieurs morts.

«

ployer la réprimande et la prison

Pour

premiers,

les

il

(1)

d'em-

suffit ».

Platon n'était doux ni aux farceurs, ni aux prestidigitateurs,

dans

le

même

ni

aux

sophistes.

livre des Lois,

il

Un peu

plus loin,

interdit l'érection de

chapelles secrètes et d'autels particuliers, sous pré-

texte qu'il faut des lumières supérieures pour ériger

des autels aux dieux.

qui sont de tous

les

Il

ajoute les paroles suivantes

temps

:

«

C'est

une chose

ordi-

à ceux qui

aux femmes surtout, aux malades,

«

naire

«

courent quelque danger, qui sont dans quelque

«

constance critique, ou, au contraire, à qui

(1)

Œuvres complètes de Platon, publiées sous

E. Saisset. Paris, 10

vol. in-16,

Les Lois,

t.

il

cir-

est sur-

la direction

Il, p.

238 seq.

de

LA SORCELLERIE EN FRANCE

22 «

venu quelque bonne fortune, de consacrer tout

((

qui se présente à eux, de faire

«

fices,

d'ériger des chapelles

vœu

ce

d'ofïrir des sacri-

aux dieux, aux

génies,

même des per-

«

aux enfants des dieux.

«

sonnes efïrayées de jour ou de nuit par des spectres,

«

et

«

eues en songe, croient remédier à tout cela en

«

géant des chapelles et des autels, dont

ce

«

Il

en est de

se rappelant diverses visions

qui,

qu'elles ont éri-

rem-

elles

plissent toutes les maisons, tous les bourgs, tous les

lieux en

un mot,

qu'ils soient purifiés

infracteurs de cette tres crimes

ou non

».

Aux

non réputés coupables d'au-

loi,

ou impiétés, on imposera une amende

jusqu'à ce qu'ils aient transporté leur autel secret

dans un temple public de premier ordre,

Quand

il

ils

;

s'ils

seraient frappés de mort.

en vient aux maléfices, Platon, toujours

conséquent avec lui-même,

y

a,

étaient notés de crimes

dit-il,

parmi

les

se

montre encore sévère

Il

«

maléfices, dont la distinction

nous cause quelque

«

embarras. L'une est

«

ser nettement, lorsqu'on nuit

«

naturelle de certains autres corps. L'autre,au

«

de

celle

certains prestiges,

:

hommes, deux espèces de

«

que nous venons d'expoau corps par

d'enchantements

la

et

vertu

moyen de ce

«

qu'on appelle ligatures, persuade à ceux qui entre-

ce

prennent de

«

leur en faire par là

faire

du mal aux autres, ;

et à ceux-ci,

qu'ils

peuvent

que ces sortes

LA MAGIE DANS l'aNTIQUITÉ

23

«

d'enchanteurs peuvent leur nuire et leur nuisent

«

effectivement.

Il

est bien difficile de savoir

au juste

et,quand on

ce qu'il

y a de vrai en tout

«

rait,

n'en serait pas plus aisé de convaincre les

«

autres.

('

il

Il

même

est

cela

;

sau-

le

inutile d'entreprendre de prou-

«

ver à de certains esprits fortement prévenus contre

«

ces sortes de choses, qu'ils ne doivent point s'in-

«

quiétcr

«

mises à leur porte, ou dans

«

tombeau de

«

mépriser, parce qu'ils n'ont aucun principe certain

«

sur la vertu des maléfices.

«

chant les maléfices, nous prions d'abord, nous exhor-

«

tons et nous conseillons ceux qui auraient dessein

«

d'employer l'une

«

n'en rien faire, de ne point causer de vaines frayeurs

«

aux autres hommes, comme

«

point contraindre

«

quer des remèdes à de pareilles frayeurs

«

qu'en premier

«

taines drogues dans la

«

«

des

de cire qu'on aurait

petites figures

et de leur dire de les

leurs ancêtres,

Distinguant donc en deux branches

peut savoir

«

corps,

s'il

«

second

lieu,

«

tements,

et l'autre espèce

le

lieu, celui

n'est versé

s'il

tou-

la loi

de maléfices, de

à des enfants, et

de ne

législateur et les juges d'appli-

qui

:

parce

met en usage de

vue de nuire à

l'effet qu'elles

il

ou sur le

les carrefours,

cer-

d'autres, ne

doivent produire sur

dans

la

médecine

;

et

les

qu'en

ne peut connaître la vertu des enchann'est exercé

dans la divination ou dans

LA SORCELLERIE EN FRANCE

24 ipZissima collectio, historiens, t. X, p. 277.

t.

V,

col.

(1)

».

Salmuriensis, dans

Mar-

1107, et dans le Recueil des

LA MAGIE SOUS LES PREMIERS CAPÉTIENS

En

1208, Robert, duc de Normandie, fait arracher

yeux des seigneurs normands

les

est vrai

Il

159

que son

ligués contre lui (1).

conseiller, qui avait déjà à plu-

un

sieurs reprises découvert et battu les révoltés,

certain Breton,

au diable

nommé Ermenold,

et prenait

dans toutes ses entreprises

conseil de l'esprit malin.

de Guillaume

terre

— Dans

le

Conquérant,

le

le

cours des disputes

en Angle-

préparèrent l'expédition

intestines, qui

consacré

s'était

le

roi

Alfred,

accusé de trop aimer les Normands, est enlevé par les

nobles,

on

lui

arrache les yeux avec tant de

cruauté qu'il en meurt, et

sont décapités

les conjurés,

Au

Nord,

les

comme au

ou moins semblables

:

dans les

la ville

par

(2).

tantôt ce sont les seigneurs

qui se révèlent intraitables,

de glaner, çà et

saisis

Midi, ce sont des scènes plus

qui se laisse entraîner par fise

Normands,

là,

tantôt c'est la foule

la colère. Qu'il

quelques épisodes.

nous suf-

En 1100,

de Poitiers, une assemblée tenue par

cardinaux Jean et Benoît, qui étaient chargés

de prononcer l'excommunication de Philippe eut à subir des violences graves.

I®r,

La sentence rendue.

(1) Chronique de Verdun par Hugues de FLA^^G^"Y, dans le Recueil des historiens, t. XI, p. 143. (2) Henri b'Huntindon dans le Recueil des historiens de la Gaule, t. XI, p. 207.

LA SORCELLERIE EN FRANCE

160

on commençait

les prières

habituelles pour la clô-

ture du concile, lorsqu'un laïque, du haut des

bunes, jeta une pierre énorme sur furent pas atteints, d'eux,

reçut

Ils

ne

mais un prêtre, placé à côté

coup

le

les légats.

tri-

et

tomba tout ensanglanté.

Aussitôt, une' foule hostile, entrant de force dans l'église, assaille les

pierres.

évêques

Quelques-uns

intrépides, attendent

la

abbés à coups de

et les

s'enfuient

déconcerta leurs ennemis et

qui

commettre

les

d'autres,

;

derniers crimes

qui,

partisan

de

(1).

— Vers

même nommé

la

clerc,

réforme imposée

la

par Grégoire VII, prêchait contre cateurs et simoniaques, fut brûlé

empêcha de

les

époque, à Cambrai, un malheureux

Ramihrdus,

plus

mort avec calme, attitude

les prêtres fornivif,

comme

héré-

tique, par la populace (2).

Cette ville de Cambrai, qui rejetait les réformes ecclésiastiques, voulait tés

au contraire obtenir

les liber-

communales. En l'absence de l'évêque, Gérard

II,

les bourgeois s'entendent, mais consentent à désar-

mer, pendant seigneur,

(1

)

les

bientôt de retour.

Les soldats

Hugues de Flavigny, dans

les

atta-

la Chronique de Verdun XIII. p. 626. Baudry, Chronique d'Amis et de Cambrai, dans Frédé-

Recueil des historiens, (2)

négociations avec leur prélat et

;

t.

EICQ, Corpus Inquisitionis neerlandicae,

t.

I,

n. 7.

LA MAGIE SOUS LES PREMIERS CAPÉTIENS

quent pourtant à l'improviste, les places,

dans

traités sont

les rues,

ceux

marqué d'un

(11 12), le

les églises

les

;

même

après avoir confirmé

yeux ou dont

les

fer rouge.

terribles qu'occasionna,

Laon

massacrent dans

mieux

qui l'on coupe les pieds et les

à

mains, à qui l'on crève est

dans

les

161

— On connaît

dans

front

le

incidents

les

turbulente ville de

la

Le

désir de liberté.

Louis VI,

roi

charte accordée par l'évê-

la

que, retira son engagement en présence d'un don

important du prélat

sauva

se

et

tournèrent au tragique

;

mais

les

choses

L'impudence de

(1).

que, qui voulait prélever sur la

commune

destiné à ceux qui la trahissaient, mit

le

l'évê-

l'argent

comble à

la colère des bourgeois. L'n complot se prépare

dans

l'ombre, les boutiques se ferment, et quelques cris isolés

de

Commune

!

Commune

!

se font entendre...

Le lendemain même, des bandes de bourgeois

més

ar-

d'épées, de haches, d'arcs, de cognées, se ruent

sur le palais épiscopal, massacrent ceux qui le défen-

dent

et

blotti

cherchent partout l'évêque, qu'ils trouvent

dans un tonneau. Lin

cervelle d'un

coup de hache

os des jambes et

Puis

(1)

le

le

fait

sauter la

d'autres lui brisent les

transpercent de mille coups.

tumulte s'étend

La VISSE,

;

serf lui

;

on

se jette sur les hôtels

Histoire de France, Paris, 1901,

t.

II, 2. p. 351.

LA SORCELLERIE EN FRANCE

162

des clercs et des nobles, qui n'échappent à la mort

qu'en se déguisant et prenant la geoises, aussi ardentes

fuite.

Les bour-

que leurs maris, insultaient,

frappaient à coups de poings, dépouillaient

de leurs riches vêtements avaient eu

le

même

dames nobles qui

les

malheur de tomber entre leurs mains.

L'incendie succède au pillage et la cathédrale

même

prend feu

elle-

La vengeance, bientôt apportée

y,

par l'armée royale, vint faire expier ces horreurs

dans

le

sang des révoltés.

Ces fureurs insensées des foules, suivies de répressions sanglantes,

cent ans et plus de révolutions

nous ont appris à

les

connaître

;

nous ne pouvons

donc pas reprocher trop vivement à nos aïeux de n'avoir pas eu plus de sens rassis et d'avoir été aussi

névrosés que nous. Pourtant,

il

nous semble

apercevoir, dans leurs cruautés, divers raffinements

supérieurs peut-être ils

se

aux

nôtres, et cela,

proposent de conserver l'ordre.

entre beaucoup d'autres.

Hapkin ou

la

Flandre (1111)

Hache qu'il

(1)

«

A

peine Baudouin VII

est-il

convoque

couronné comte de

les seigneurs

à Arras, leur fait prêter, une fois de

ques des

(1)

saints, le

La VISSE,

même quand Un exemple

flamands

plus, sur les reli-

serment de respecter l'ordre, et

Histoire de France,

t. II,

2 p. 286.

LA MAGIE SOUS LES PREMIERS CAPÉTIENS

163

édicté les peines les plus rigoureuses contre les per-

turbateurs de la

Pour

la paix.

peine du talion. Pour

domicile,

ou

l'incendie

peine de mort. Si

les

la

coups

violation nocturne de

menace d'incendie,

la

coupable allègue

le

et blessures,

le

time défense, qu'il prouve son dire par

la

cas de légile duel,

par

l'épreuve de l'eau ou celle du fer rouge. Les officiers

du comte,

qui

d'une amende,

ont commis des la

délits

punissables

paieront double. Législation assez

dure pour une noblesse habituée à ne tenir aucun

compte de

Baudouin

la vie et

personne qui

de paix

que

sait

très

de

la

propriété des autres

ne sont rien,

les lois

ait l'énergie

de

s'il

les appliquer.

Un

château de Wynendale. Une lui

qu'un chevalier

douin

lui ait

un noble

la

il

il

le

vieille

femme

se plaint

coupable.

:

Bau-

On réclame

comte de ne pas appliquer à

peine légale des yeux crevés ou celle de

la pendaison. cier, et

:

dans la prison de son

volé deux vaches

fait aussitôt arrêter le

sa grâce, on supplie le

et sa

noble a détroussé

des marchands qui se rendaient à une foire fait pendre,lui et ses complices,

Mais

Ce juge

rude exécute lui-même ses arrêts,

justice est des plus sommaires.

à

!

ne trouve

«

Xi l'une

le fait jeter

ni l'autre

tout

»,

répond

le justi-

armé dans une chaudière

d'eau bouillante, préparée pour

les

faux-monnayeurs».

L'Eglise, riche en biens, désireuse de les garder,

LA SORCELLERIE EN FRAHCE

164

malhabile cependant à

défendre par

les

armes

les

matérielles, excitant ainsi les cupidités, tandis ses efforts

pour maintenir

la

que

morale à un certain

niveau, que les passions du temps détestaient autant

que

celles

du

victime de des

ne pouvait manquer d'être

nôtre,

barbarie capricieuse des peuples ou

la

seigneurs,

si

circonstances

les

prêtaient.

s'y

Nous en trouvons bon nombre de

cas

Qu'il nous suffise d'en citer quelques-uns

vers la

fin

du

partout.

du Midi

au moment où les diverses

xii*? siècle,

hérésies dont l'ensemble allait former l'AIbigéisme,

ont détaché du bercail catholique une partie notable

de son troupeau. Nous voyons Roger

Trencavel,

II

vicomte de Béziers, saccager l'abbaye de St-Pons de Tomières (1171).

En

1197,

les

moines d'Alet,

ayant élu un abbé désagréable au tuteur du nou-

veau comte de Béziers,

le

tuteur mécontent

l'abbaye à feu et à sang, et incarcère

l'élu.

met Puis,

par une fantaisie macabre,

il

de l'abbé défunt dans

chaire abbatiale, jusqu'à

ce

qu'il

ait

créature à

A

arraché

la

fait installer le

aux moines

l'élection

d'une

lui (1).

Pamiers,

les

gens du comte de Foix,

Raymond-

— Vaissette,

(1 XjUCHaire, Innocent III, La Croisade p. 25 ; Histoire du Languedoc, édit. Privât, t. VI. p. 158. )

cadavre

L\ :magie sous les premiers capétiens

165

Roger, coupent en morceaux un des chanoines de l'abbaye de St-Antonin, autre frère de la

crèvent

et

même

les

yeux

à

un

maison. Le comte arrive

bientôt après, avec ses chevaliers, ses bouffons, ses courtisanes. l'église



Il

enferme l'abbé

les laisse trois jours à

il

ensuite, presque ville (1).

fait

nus,

du

jeun

territoire

— Les bourgeois des

meilleurs,

et ses religieux

villes

;

il

les

dans

expulse

de leur propre

ne se montrent pas

quand une circonstance quelconque

sortir

de leur relative placidité.

En

les

1167, les

habitants de Béziers, furieux de ne pouvoir obtenir justice

pour un bourgeois fustigé par un seigneur,

assassinent leur vicomte, se jettent sur leur évêque et lui cassent les dents (2).

de Mende mettent

le

— En

1194, les bourgeois

leur à la porte.

— En

1195, les

gens de Capestang sont excommuniés, pour avoir jeté

en prison et rançonné l'évêque

Lodève. Trois ans après,

Raymond

de

bourgeois de cette der-

les

nière ville pillaient le palais épiscopal et forçaient

leur

nouveau

donner des

(1) t.

couteau sur

Pierre de Vaux Cerxai,

XIX, (2)

prélat, le

la gorge, à leur

libertés.

46

c.

;

Recueil des historiens,

p. 42.

Pierre de Vaux Cerxai,

c.

Histoire de Vltiquisiiion en France,

15 t.

;

p. 20.

— V. De Cauzoxs

III, c. 3. art. 2.

§

8, 9.

166

SORCELLERIE EN FRANCE

LA.

III

Rois, évêqu

peuples, tous étaient, à tour de rôle,

es,

victimes de l'excitation nerveuse d'une époque peu

que

les sorciers

durent en pâtir,

gement de dynastie, loin de

On

dans ses supplices.

délicate

là.

car,

penser

bien

doit

malgré

le

chan-

leur race détestée n'a pas disparu,

Sans doute,

les

documents

les

concernant

sont assez rares dans les deux siècles dont nous parlons,

mais

ils

suffisent à

prouver leur existence

l'importance qui s'attache à leur art néfaste.

et

Nous

savons que l'impératrice Gisèle, veuve de l'empereur Conrad, croyait aux devins

noncé parfois des événements

;

ils lui

réalisés

avaient an-

dans

la suite.

Aussi, confiante dans leurs prédictions, elle espérait

survivre au roi Henri son dyssenterie

son époux

la

fils,

mais une violente

détrompa en l'envoyant rejoindre

(Herman le Contract,

L'envoûtement

an. 1043).

se pratique toujours.

L'évêque de

Trêves,Evrard,en fut victime (1066). Plusieurs firent

une statuette de

du nom du

prélat.

cire

Les conjurés l'allumèrent, tandis

que l'évêque célébrait à son ordinaire solennels

sorciers,

qu'un clerc infidèle baptisa

du samedi. Et

voici

les

qu'Evrard

baptêmes

se sent

mal

167

LA MAGIE sors LES PREMIERS CAPÉTIENS auprès des Fonts

sacrés,

et

revêtu

encore

de

il

expire

caux

la

statuette

ses

éteinte,

habits

pontifi-

(1).

On

connaît

les

poudres enchantées. La comtesse

de Flandre, Richilde, s'en sert pour procurer à

toire

troupes. Cependant

ses

elle

insuccès.

Dans un combat contre Robert de

elle jette

en

lège,

effet sur ses

adversaires la poudre sacri-

sur

sortilège

le

promptement

la

magicienne, qui

dans

Réelle

l'Eucharistie,

Sur ce Bérenger, dont

damnèrent

donc, le

les

personne,

il

il

est

erreurs,

était

;

Présence

papes con-

mais ne nialtraitèrent pas

courut des légendes amusantes, bien «

Dès

sa

jeunesse

devenu un puissant nécromancien

diable l'avait transporté de Tours à

une nuit

la

un nécromancien.

les conciles et les

mentalité de l'époque.

la

dut

capituler (1072).

Bérenger l'hérésiarque, qui ose discuter

dans

Frise,

mais Dieu permet au vent de tourner et de

renvoyer

la

la vic-

éprouve des

un jeune

seigneurs ses amis,

clerc,

Rome

(2)

;

dans

son disciple, protégé de

ayant, en l'absence du maître.

Gesta Pontificum Trevirensium; Recueil des historienSf p. 194. (2) Nous traduisons un passage d'AuBBY ou Alberic, moine des Trois Fontaines, près de Châlons-sur-Marne (après 1245). auteur d'une clu-onique assez précieuse po\ir les événements de temps. Recueil des historiens de la France, t. XI, p. 354 (1)

t.

XI,

on

168

LA.

SORCELLERIE EN FRANCE

osé jeter un coup d'œil dans ses livres de nécro-

mancie, fut tué par

le

diable

;

même démon, con-

le

traint par Bérenger, dut en pénitence entrer dans

cadavre

le

;

pendant quelque temps,

le

il

au chœur et y chanta, jusqu'à ce qu'un

ici et là, alla

nécromancien, plus fort encore, découvrit et

fit

promena

la

fraude

savoir que l'enfant vivant, en apparence, était

mort, ce qui était vrai. Sur cette découverte, Bérenger

faillit

chanta

le

être tué,

mais

il

s'enfuit

dans

Juste Judex d'une voix lamentable et

par se trouver quitte

Il

son

Etienne,

aux malé-

en est ainsi de Bernard, duc de Gascogne,

victime des femmes, dont

usé

y

finit

».

Plusieurs princes succombent, dit-on, fices.

l'église,

corps qui

(1013).

les arts

magiques avaient

L'archevêque

meurt empoisonné

et

de

Bourges,

fou (1173),- ne

peut aussi qu'avoir été victime d'un sortilège Les sorciers existaient donc,

morte sous

les

la

(1).

magie n'était pas

premiers Capétiens. Toutefois, bien

peu d'auteurs en parlent,

les

conciles se taisent à

son sujet. Tout au plus, peut-on trouver quelques

mots

la

concernant dans deux conciles de Londres^

en 1075 et en 1125.

(1)

1193;

Il

semble que

GrUiLLAUME GrODEAU, moiiic de

— Recueil

des historiens,

t.

les autorités ecclé-

S. Martial,

XIII,

p. 677.

Chronique, an.

LA MAGIE SOUS LES PREMIERS CAPÉTIENS siastiques d'alors la considéraient

169

comme une

su-

un temps qui en

perstition sans importance, dans

avait bien d'autres. Cette manière de voir lui entout danger.

levait

pseudo-magiciens

les

ritées leurs méfaits,

Elle épargnait également

aux

peines sévères, qu'eussent

mé-

eussent été

s'ils

réels.

Le nombre connu de pénitences ou de infligés

aux

siècles

dont nous parlons

chroniqueur maléfices

Comme

sorciers est, en effet, infime

(1), à

On

ici.

Angoulême, une dépérir

faisaient

dans

les

deux

découvrit, dit

un

dont

les

sorcière,

comte

le

supplices

Guillaume.

d'avouer son crime, on l'obligea

elle refusait

de confier son sort au jugement de Dieu dans un

La

duel.

sorcière

comte, un autre, la

et,

donc un

choisit

dans

la lutte, le

champion

;

le

représentant de

femme, enchanté par des magiciens puissants, fut

vaincu.

On

l'emporta chez

lui

le

comte ne voulut pas urger

et

fit

fils,

grâce de

devenu

le

la vie

à

le droit

à la sorcière.

maître,

fit

demi-mort

En

de

;

mais

la victoire

revanche, son

brûler plusieurs femmes,

accusées également de maléfices (1028).

On

racontait ailleurs que l'archevêque

Poppo de

Trêves était tombé amoureux d'une religieuse, par

(1)

Adhemar dk Chabannes

;

Recueil des historiens,

p. 163. 13

t.

X,

170

L.V

SORCELLERIE EX FRANCE

moyen d'une

le

paire

pantoufles

de

L'archevêque ayant prêté

ensorcelées.

chaussures à un

les dites

de ses ecclésiastiques, celui-ci éprouva à son tour les

mêmes

désirs charnels, signe évident d'un sorti-

La

lège (1030).

religieuse fut, en

de son couvent, et peu après,

le

punition, chassée

couvent lui-même

transformé en monastère d'hommes. et quelques

là,

années plus tard,

loin de

la ville,

sorcière accusée de rendre les gens fous (1074).

Et

c'est

tout ce que nous ont laissé les chroni-

comme exemples

ques, les

le

Non

peuple de Co-

du haut des murs de

logne, révolté, jetait,

une

(1)

de sorciers suppliciés, pendant

deux cents ans qui suivirent

de chose pour un temps où endémique, dans

les

le

l'an 1000. C'est

peu

désordre fut à l'état

pays morcelés par

la féodalité,

secoués par des révolutions sociales, agités par

grandes expéditions des Croisades en Orient. eut-il d'autres ? Peut-être,

breux.

en

mais sans doute peu nom-

nous parait que

si

des

sorcières

furent

quelquefois condamnées, ce fut en vertu des

alors lois

Il

Y

les

antérieures,

car,

de

lois

contemporaines

les

concernant, nous n'en connaissons pas, en ce qui concerne la France.

Il

est bien

dommage

que, par suite

de l'importance donnée de plus en plus au diable,

(1)

Lea.

t.

III p. 503.

LA MAGIE SOUS LES

PRii..xiERS

par suite aussi de circonstances

CAPÉTIEXS

qui

171

nous échap-

pent, les autorités sociales aieni cru devoir, dans la suite,

attacher de l'importance aux méfaits, œuvres

des sorciers. Alors, les bûchers se rallumèrent

par contre coup, firent adeptes de

l'art

maudit

surgir de :

la

toute part

vigueur de

et,

des

la répression

ne cessant de donner une certaine réalité aux hallucinations de trop nombreuses victimes.

CHAPITRE

La magie durant

IV

le siècle

de

S.

Louis

ARTICLE PREMIER

La renaissance

littéraire

du renouveau de

Un

seul fait

contemporaine

la sorcellerie

témoigne d'une certaine persistance

à la croyance à la magie, dans ecclésiastiques de la fin

diocèse de

Grado

objet volé à

déposa rant

le

maximum

xii*^ siècle.

Un

(Venise), accusé d'avoir

prêtre

invoqué

du le

astrolabe,

s'être servi

son

prêtre

le fait

hautes sphères

— avec d'un — quelque retrouver pour sans doute,

démon, reconnut

un astrologue

du

les

;

église.

Le patriarche de Grado

mais Alexandre

III,

tout en décla-

très grave, se contenta d'une suspense

de deux ans (vers 1180)

semblait donc plus dédaignée,

(1) Décrétâtes Gregorii

IX.

1.

(1).

comme

5, tit. 21, c. 2.

La magie ne

elle

Tavait été

LA MAGIE DURANT LE SIÈCLE DE SAINT LOUIS 173 dans

courant du

le

siècle

pourtant on

;

la traitait

encore avec douceur.

Les choses n'allaient pas tarder à changer. Voici

en

eiïet

que le

xiii^ siècle

commence.

plus brillante du Moyen-Age.

nocent III préside à

pape

juriste,

parmi les

C'est l'époque la

Quand elle

la direction

s'ouvre, In-

de l'Eglise

c'est

;

clercs et les fidèles

;

il

met en branle

l'Occi-

dent pour soumettre le Languedoc à l'obéissance, malgré

lui,

et,

conquièrent à son obédience

les Croisés

l'empire et l'Eglise de s

un

bon, désireux devoir la sainteté briller

Constantinople jusqu'alors

chismatiques. Des princes de valeur gouvernent la

France. Entre tous,

Louis domine

S.

concilier en sa personne l'humilité fierté

royale,

il

le siècle. Sachant

du chrétien

rétablit l'ordre dans son

autant par son ascendant moral que par de ses armées,

et

quand

ses

et la

royaume

la

vigueur

deux malheureuses

expéditions en Orient se terminent l'une et l'autre

par des désastres,

le

vaincu n'en

un souvenir impérissable sur Le

xiii^

la terre,

siècle

pas moins

laisse

les côtes qu'il

est l'époque où, plus

a visitées.

que jamais,

joyeuse de vivre, se couvre d'un blanc man-

teau d'églises. Et quelles églises ? Des chefs-d'œuvre

d'harmonie, de hardiesse, qui lancent leurs ogives vers

le ciel,

symbole de

la prière

aussi de la nef chrétienne,

qui s'y élève, image

non plus désormais

bal-

174

SORCELLERIE EN FRANCE

LA.

trompeuses de

lottée sur les vagues fixée solidement

dans

le

port assuré du

temps, par une coïncidence heureuse,

temps engourdies

la

mer, mais

ciel.

les

En même

études

loi>g-

se réveillent de toutes parts.

Au

contact des Arabes de l'Orient, Aristote, Platon, bien d'autres génies antiques plus ou moins oubliés, sont copiés de nouveau, étudiés, commentés.

réapprend

les

Tout

Galien.

renaissance tifique

secrets disparus d'Hippocrate ou de s'agite,

pour l'humanité

malgré

la

la

bonheur

?

science ,

partout; c'est

philosophique, scien-

l'aurore d'un jour de

non. Malgré

!

rillustrèrent

mérites

ses

incontestables,

énorme des grands hommes qui

le xiii^ siècle

eut pas mal de misères

;

sans parler des terribles luttes entre l'Empire

car,

et la

Papauté, qui allaient endeuiller l'Europe pour

longtemps, dès avant

aux

c'est la vie

littéraire, artistique,

même. Est-ce

Hélas

La médecine

maléfices,

l'opinion

la sorcellerie,

savante

et,

classes élevées de l'état social.

plicable à première

Quand on cellerie,

réfléchit

vue n'en que

la

que nous aurons

elle aussi,

avec

la

siècle, la

croyance

sortilèges, à la réalité des divina-

croyance à

tions, la

conquis

aux

moitié du

la

en un mot, avait

par

elle,

toutes les

Ce phénomène inex-

est pas

moins certain.

furieuse épidémie de sor-

à étudier plus tard, naquit,

renaissance du xv.

n'était pas trop

combattre

le

terrible

(1).

II

En

fait,

VI, d'assez

on

pendant

nombreux procès de

l'Inquisition.

mande

signale,

règne de Philippe

le

sorcellerie, dirigés

par

Pierre Guy, inquisiteur de Toulouse,

à sa barre

bon nombre de

remet

en 1334, avec d'autres condam-

trois

au bras

nés,

Béguins ou Albigeois

séculier,

sorciers et en

(2)

:

un

pâtre,

de Fitou, convaincu d'avoir empoisonné

Raymond aîné

le fils

de son maître, avec du venin donné par un démon

Jeanne Alsive, de Lespinasse, sorcière obstinée, sant grêler et pleuvoir à volonté belle-fille

magie

très

suivante,

Inquisiteur,

solennel

sorcellerie

(1)

son élève,

comme

:

il

1335,

elle

sous

se tint à

se

mêlant de

présidence du

la

Toulouse un autodafé

soixante-trois personnes accusées de

y comparaissaient

;

huit

Vaissette. Histoire du Languedoc,

— Lafaille, Annales de Toulouse, (2)

;

fai-

Rose Alsive, sa

et de divination.

L'année

même

et

;

t.

d'entre

X, Preuves

elles.

col.

38

;

p. 73.

LAMOTHE-LANGON.Hisfoire de V Inquisition en France,i, III

p. 232.

LA SORCELLERIE DU XlV SIÈCLE dont deux femmes, montaient sur clore la cérémonie.

femmes

le

349

bûcher pour

Les confessions de ces pauvres

sont curieuses à plus d'un

titre.

Au

risque

de nous répéter, nous en donnons quelques extraits, bien

suffisants

pour montrer combien

théorie

la

diabolique du sabbat était déjà complète avant la moitié du xiv^ siècle «

Anne-Marie

de Delort, toutes

ont

dit,

vingt

(1).

de

Georgel

les

deux de Toulouse

dans leurs aveux

ans

environ,

elles

et

épouse

Catherine,

et d'âge miir,

juridiques, que, depuis

avaient

pris

dans

parti

l'armée innombrable de Satan en se livrant à tant dans cette vie que dans l'autre

;

que

lui,

très sou-

vent, et toujours dans la nuit du vendredi au samedi, elles

ont assisté au sabbat,

qui

dans un heu, tantôt dans un autre

d'hommes

compagnie

comme cès,

elles,

dont

et

de

elles se livraient à

les détails

tenait

se ;

que

femmes

là,

tantôt

en la

sacrilèges

toutes sortes d'ex-

font horreur. Chacune d'elles,

interrogée séparément, est entrée dans des explications qui nous ont

leur

amenés à

l'entière conviction

de

culpabilité.

[(1) Extrait des archives de l'Inquisition do Toulouse, recueilli par le P. Hyacinthe Sermet, archevêque constitutionnel de la Hte-Garonne, reproduit dans Lamothe-Laxgox, t. III, p. 235 et

Hansex,

p. 451.

LA SORCELLERIE EN FRANCE

350 «

Anne-Marie de Georgel

dit

qu'un matin,

était seule à laver le linge de sa

elle

dessus de elle vit

ville

la

venir à

elle,

comme

famille,

au-

tout auprès de Pech-David,

et

par dessus

l'eau,

un

homme

d'une

gigantesque, fort noir de peau, dont les yeux

taille

ardents semblaient deux charbons allumés, et qui était

vêtu de peaux de bêtes. Ce monstre

elle

si

voulait se donner à

qu'oui. Alors

il

samedi suivant,

elle fut

la

bouche

elle

gigantesque, qu'elle salua et auquel

secrets malfaisants

vénéneuses,

lui

;

lui lui

il

;

et dès le

emportée au sabbat, par

simple effet de sa volonté. Là,

Le bouc, en revanche,

demanda

à quoi elle répondit

lui,

dans

lui souffla

lui

le

trouva un bouc elle

s'abandonna.

apprit toutes sortes de fit

connaître les plantes

enseigna des paroles enchantées et

de quelle manière

il

fallait faire les sortilèges,

pendant

nuits qui précèdent la saint Jean, la Noël, et

les

celles

de tous de

conseilla

les

premiers vendredis du mois.

faire,

si

elle

le

pouvait, des

Il

lui

commu-

nions sacrilèges, afm d'offenser Dieu pour la gloire

du «

diable. Elle se

conforma à ces impies insinuations.

Anne-Marie de Georgel a continué d'avouer que,

pendant

le

long espace d'années qui s'est écoulé

depuis sa possession jusqu'à son emprisonnement, elle n'a

pas cessé de mal

pratiques

abominables,

faire,

sans

de s'adonner à des

être

arrêtée

par

la

LA SORCELLERIE DU XIV^ SIÈCLE

de Notre-Seigneur. Elle faisait cuire, dans

crainte les

351

chaudières et sur un feu maudit, des herbes empoides substances tirées,

sonnées, soit

soit

des animaux,

des corps humains, que, par une horrible profa-

du repos de

nation, elle allait enlever

la terre sainte

des cimetières, pour s'en servir dans ses incantations

elle

;

bulaires,

rôdait la nuit autour des fourches pati-

pour enlever

soit

ment des pendus,

les

lambeaux du vête-

pour voler

soit

la

corde qui

les

attachait, ou pour s'emparer de leurs cheveux, de leurs ongles, de leur graisse. «

Interrogée sur le symbole des Apôtres et sur la

croyance que doit tout elle

tait

que

a répondu, en

une le

fille

à notre sainte religion,

fidèle

véritable de Satan, qu'il exis-

complète entre Dieu et

égalité

premier était

roi

du

que toutes

les

âmes que

la terre

;

ciel,

et le

le

diable

second

celui-ci

roi

;

de

parvenait

à séduire étaient perdues pour le Très-Haut, et de-

meuraient à perpétuité sur

la terre

ou dans

qu'elles venaient toutes les nuits visiter la

l'air

;

maison

qu'elles avaient habitée,

tâchant d'inspirer à leurs

enfants et à leurs proches

le désir

de servir

le

démon,

préférablement à Dieu. «

Elle nous

Dieu

a

dit

encore, que ce

et le diable durait

rait sans fin

;

combat entre

de toute éternité, et dure-

que tantôt l'un

et tantôt l'autre

rem-

LA SORCELLERIE EN FRANCE

352 portait

la

victoire

que

;

maintenant

tournaient de manière à ce que se trouvait assuré. Arrêtée

le

choses

les

triomphe de Satan

sur la dénonciation de

personnes respectables, et qui toutes avaient à se plaindre de ses maléfices, exécrable,

que nous que, par

résisté

et a

et d'autres lui le

elle a

d'abord nié son pacte

aux pressantes

sollicitations

avons adressées. Mais

secours d'une juste sévérité

elle a été forcée

de s'expliquer,

a

elle

lors-

(la torture),

fini

par nous

dévoiler une série de crimes dignes du plus terrible

châtiment. Elle a protesté de son repentir, a demandé

qu'on

à se réconcilier avec l'Eglise, ce

sans pour

pouvoir

accorde,

séculier,

qui appréciera

les

au

peines qu'elle

encourir.

doit «

lui

cela qu'elle puisse éviter d'être livrée

Catherine, épouse de Pierre Delort, de Toulouse,

est contienne par ses aveux, et

en conséquence du

témoignage de personnes dignes de ans, se trouvant à la

Quint,

elle se lia

campagne dans

y

a dix

la paroisse

de

d'amitié criminelle avec un berger

qui,

abusant de son ascendant,

faire

un pacte avec

cérémonie eut

foi, qu'il

lieu

bois, et à la croisée

l'esprit

la

infernal.

contraignit

à

Cette odieuse

à minuit, contre la lisière d'un

de deux chemins. Là,

elle se

saigna

au bras gauche, laissant tomber son sang sur un feu

alimenté par des ossements humains, dérobés

LA SORCELLERIE DU XIV^ SIÈCLE la paroisse

au cimetière de étranges dont

ne se rappelle pas, et

elle

apparut sous

Bérit

lui

lâtre.

Depuis

s'occupa de

lors, elle

«

confection de

la

de breuvages nuisibles, qui

mort aux hommes

la

Chaque nuit du samedi,

et

elle

aux troupeaux.

tombait dans un

sommeil extraordinaire, pendant lequel on portait au Sabbat. Interrogée en quel lieu

répondu

se tenait, elle a

tantôt dans un autre

dans

la forêt

qui fois,

:

et

rices

;

enlevés

adorait

lui étaient

bouc, et

le

là les

cadavres des enfants

nuitamment

à

leurs

nour-

on buvait toutes sortes de liqueurs dégoû-

tantes, mais le sel «

d'autres

à tous ceux présents à cette

On mangeait

nouveau-nés,

elle

;

plaine

Montagnes Noires

dans des contrées qui

comme

la

Montauban

à

entièrement inconnues. Là, se livrait à lui,

Sabbat

le

sur les coteaux de Pech-David,

Toulouse

ou des Pyrénées,

trans-

Tantôt dans un endroit,

plus loin encore, à la cime des

fête infâme.

la

de Bouconne, au milieu de

de

s'étend

:

démon

le

forme d'une flamme vio-

la

certains ingrédients et

donnaient

prononça des paroles

elle

;

353

Interrogée

si

manquait à tous

elle

n'avait

les

mets.

vu au Sabbat aucune

de personnes de sa connaissance, a répondu qu'elle

en avait vu souvent. Elle nous

les a

nommées. Les

unes sont mortes dans leur dérèglement ont été arrêtées par nos soins

;

et

il

;

d'autres

en est quelques-



LA SORCELLERIE EN FRANCE

354

unes qui

mais que

se sont échappées,

vengeance

la

de Dieu atteindra. «

Catherine, pressée vivement, par les

sont en notre pouvoir, —

de dire toute

la torture

les blés

ser-

crimes dont nous

les

soupçonnions. Elle faisait tomber

champs de ceux



longtemps pro-

nombre de faux

testé de son innocence et fait

la

probablement,

la vérité, après avoir

ments, est convenue de tous

moyens qui

qu'elle n'aimait pas

la grêle sur les ;

faisait pourrir

par un brouillard empesté, geler

les

vignes

;

donnait aux bœufs et aux moutons de ses voisins des maladies mortelles, par leur présentait

;

et a

de ses tantes, dont

même

elle

les

compositions qu'elle

causé

le

trépas de celles

devait hériter, en exposant

à un feu doux des images de cire revêtues d'une de leurs chemises, de telle sorte

que

la vie

de ces mal-

heureuses femmes se consumait, à mesure que les

deux statues «

devant

se fondaient

Interrogée sur

le

le brasier.

Symbole des Apôtres

et sur les

croyances que tout fidèle doit à notre sainte religion, elle

nous a répondu

entre Dieu et le diable

rence

le

;

que

égalité

complète

que l'un régnait dans

;

ciel et l'autre sur la terre

n'aurait pas de fin

y avait

qu'il

;

que

le

combat entre eux

l'on doit servir

de préfé-

diable parce qu'il est méchant, qu'il

mande aux âmes

le

com-

des défunts et les envoie contre

LA SORCELLERIE DU XIV^ SIÈCLE

nous pour troubler notre raison

;

que

le

355 règne de

Jésus-Christ, dans ce monde, a été passager, qu'il tire à

que l'Antéchrist ne tardera pas à

sa fin, et

venir pour livrer

la bataille

en faveur du diable, etc.

Catherine a dit encore nombre d'autres choses

«

toutes aussi criminelles, puis elle les a rétractées, et n'a pas cessé d'avouer et de le nier, selon qu'elle

ou qu'on

était forcée à parler,

Dans

la laissait tranquille.

ce dernier temps, elle protestait

de sa piété,

rejetant tout le reste sur des songes, des rêves qui la saisissaient faire croire

que tous

illusions sans

mes pas

même pendant

la veille,

ses forfaits n'étaient

que des

aucun fondement. Nous ne nous som-

laissé

prendre à cette ruse, évidemment

suggérée par les instigations de Satan pris l'avis

voulant nous

;

et,

après avoir

de personnes sages et éclairées, décla-

rons qu'elle sera livrée au bras séculier, en expia-

de ses péchés

tion

On les

passages où sont exprimées les croyances des

pauvres femmes à et

».

aura remarqué, dans ces extraits des sentences,

le

l'égalité entre Dieu, roi

Diable, roi de la

terre, ce qui

du

ciel,

nous indique

la

transformation du Manichéisme alors expirant, en Luciférianisme et en sorcellerie.

aveux dans l'ensemble, heureuses et

les

les

S'il s'agit

de leurs

tergiversations des mal-

moyens énergiques employés pour

LA SORCELLERIE EN FRANCE

356 les

dompter nous rendent

démontrer

la

de certaines hallucinations dont soufîraient

les

plus que réalité

leurs confessions criminelles

semblent

mais

suspectes,

pauvres femmes. Nous devons ajouter, nière observation,

que

la

comme

der-

remise au bras séculier de

était tout à fait contraire

sorcières pénitentes

aux au

règles de l'Inquisition, qui pardonnait toujours repentir. lière

Il

nous faut admettre que

réclamait sa part dans

cellerie,

et

le

la justice sécu-

jugement de

ne voulait point laisser

les

la sor-

juges d'Eglise

prononcer des sentences trop bénignes.

III

sévère, l'Inquisiteur de Carcassonne,

Non moins Jean

Duprat, trouvait

parmi

les

«

huit

sorciers

ou

prévenus mandés devant son tribunal (1335).

Mabille de Marnac(l) avait cherché dans

les

sorcières,

moyens de ramener un amant

procuré un lambeau de

la

la

magie

infidèle. Elle s'était

chemise de

celui-ci,

une

tresse de ses cheveux, qu'elle avait enfouis avec de la

corde de pendu,

son propre sang à

profondément

(1)

;

le

cœur d'une

elle,

tous

Lamothe-Laxgon,

ces

t.

tourterelle, et

de

au fond d'un trou creusé objets

étaient

III, p. 226, seq.

renfermés

— Hansen, p. 449.

SORCELLERIE DU XIVC SIÈCLE

l.A

357

dans un pot de terre neuf. Le procès-verbal ne pas

le

si

revint par la

volage

les attraits

lorsque

maîtresse

de sa

sur lui tout pouvoir.

dit

force de ce charme,

avaient perdu

convient d'ajouter qu'elle

Il

permis de cacher ce sortilège, pendant trois

s'était

jours, derrière l'autel de la paroisse de Trèbes. Elle

coutumière du

d'ailleurs

était

fait

donnait

et

à

d'autres les conseils qu'elle suivait elle-même. «

Paul Viguier, Armande Robert, Matheline Faure,

Pierrille

Roland, s'étaient vantées à des témoins

d'avoir une fois été transportées au sabbat, qui se cette

tenait,

sur

nuit-là,

Elles niaient le fait

mais

;

la

montagne

d'Alaric.

des témoignages

la force

l'emporta sur leurs dénégations, que du reste par

renforçaient

protestations

des

elles

multipliées

de

catholicisme et de haine pour toutes les cérémonies

sataniques ((

c'est ce qui les

:

sauva du bûcher.

André Cicéron, berger dans

avait

parodié,

le sacrifice

de

pour

la

:

Montagne Noire,

confection

la

messe

la

il

le

d'un

célébra dans

sortilège,

un complet

état de nudité, disant que c'était de cette manière

qu'Adam,

premier

notre

Inquisiteurs,

outre

le

père,

sacrilège,

avait

officié.

trouvèrent

ici

Les les

éléments d'une hérésie nouvelle, puisqu' André Cicéron prétendait n'était

pas

qu'Adam

vrai,

et

que

avait dit la messe, ce qui cette

assertion

pouvait

LA SORCELLERIE EN FRANCE

358

cependant «

faire

Deux

tomber dans

Catala

autres bergers,

accusés

étaient

l'erreur les

âmes

faibles.

Paul Rodier,

et

empoisonné des fontaines

d'avoir

avec le concours d'un sort magique, d'avoir appelé le

diable

par

le

nuitamment

moyen du

d'attirer

et à la croisée de

deux chemins,

d'une poule noire, afin

sacrifice

sur le pays le fléau de la guerre

».

Ces

trois bergers furent brûlés.

Quelques années plus tard, un prêtre, Lucas de Lafond, de

de Grenade, dans

ville

la

le

diocèse de

Toulouse, se voyait condamné à la prison perpétuelle

pour magie (1340).

usait d'une infinité de

Il

blasphèmes, de cérémonies coupables, dans lesquelles il

employait

les

signes

de croix,

les

oraisons

du

rituel, l'eau et le sel bénits, le cierge pascal, l'encens

et jusqu'au pain consacré.

pour

ces choses, disait-il,

nues au purgatoire, ou qui

ténèbres de

Une

autour

rôdaient

fille

la

dont

nuit, il

Il

se servait de

faire parler les

celles,

des

toutes

âmes déte-

non moins misérables,

cimetières,

pendant

les

en punition de leurs fautes.

voulut abuser, ou peut-être une

pauvre créature atteinte de nymphomanie, nous en verrons de

tristes

comme

exemples plus tard,

le

dénonça. Bref, d'après

un

calcul,

que

la

perte des dossiers

ne permet plus de contrôler, dans l'espace de trente

LA SORCELLERIE DU

XIV*'

35&

SIÈCLE

ans (1320-1350), l'Inquisition de Carcassonne aurait jugé 400 sorciers ou sorcières, dont

morte dans

les

flammes, pendant que

Toulouse,

encore

600 et

brûler 400.. (1)

fait

la

plus

actif,

en

moitié serait le

tribunal de

aurait

poursuivi

ARTICLE CINQUIEME

Le pape Benoit XII et

Si il

les

la sorcellerie

nombres donnés sont peut-être exagérés,

est bien certain

que

la

poursuite des malheureux,

accusés de pactes démoniaques, se continuait avec énergie.

Le nouveau pape Benoit XII (1334-1342),

redoutable aux hérétiques et aux sorciers tandis qu'il était

évêque de Pamiers, aussi peu dégagé que

XXII

son prédécesseur Jean

y

des idées régnantes,

tenait la main. Les rescrits assez

Pontife sur la sorcellerie en sont il

nombreux de ce la

preuve. Ainsi,

ordonne à Guillaume, évêque de Paris, de

lui

envoyer un certain Guillaume Attafex, nécromancien anglais arrêté à Paris, sans oublier d'expédier

(1)

Lamothe-Langon,

t.

III, p. 226.

360

LA SORCELLERIE EN FRANCE

aussi les lames de métal dont se servait le magicien

Une

(1336).

autre

adressée

lettre,

Lombard, chanoine de Mirepoix donne tous

iui

•des criminels,

les

Guillaume

à

et officiai d'Avignon,

pouvoirs nécessaires à

la

accusés de crimes contre la

poursuite

en

foi et,

Les comptes de

particulier, de maléfices (1336).

la

Chambre apostolique de l'époque parlent également de sommes versées à un notaire de Cahors, Foulques Peyrier, qui sorciers

et

écrivit

de

procès

les

plusieurs

en conduisit un à Avignon. (Hansen,

p. 8).

Une

chose singulière, c'est

grand de prêtres ou de

le

clercs

temps de Jean XXII, dans lerie.

Les

lettres

pontificales

nombre relativement

compromis,

comme au

ces affaires de sorcel-

précédentes en four-

nissent des exemples, mais la liste est loin d'être -close.

Le comte de Foix, Gaston

III

arrêter deux sorciers, dont un prêtre. les fait venir à

Avignon

Phébus, a

fait

Benoît

XII

et lance à cette occasion cinq

décrets pontificaux (1336).

— Deux autres

accusés de sortilèges, sont dans

les

prisonniers,

prisons d'Avi-

gnon, l'un des deux est prêtre, Pierre du Chesne; est

il

du diocèse de Tarbes, tandis que son compagnon

laïque, Jean de Salins, est d'Arles.

leur jugement à son fidèle Guillaume

Nous avons encore

le total

Le pape

Lombard

confie (1337).

des frais payés pour les

LA SORCELLERIE DU XI V^ SIÈCLE cent

cinquante jours d'incarcération de ces deux

accusés,dont nous ne connaissons pas Ils

361

avaient coûté à la

le

sort final.

Chambre apostolique

15 livres

couronnes ou 25

florins d'or et 12 deniers, à raison

de

par

deniers

12

jour

et

par tête

(Hansen,

p. 9-10).

des actes de sorcellerie

L'affaire

XXII

.Jean

commis contre

pas encore terminée, paraît-il,

n'était

car on accusa l'évêque de Béziers,

Guillaume VI

de Frédol (1314-1349), d'avoir

des images de

cire et

de

les

fait

avoir baptisées, pour obtenir la mort

du pape Jean. Benoît XII ordonna une enquête à ce sujet et la punition des calomniateurs,

si

le

résultat de l'instruction prouvait la non-culpabilité

du

prélat. Celui-ci fut sans

doute reconnu innocent

puisqu'il conserva son siège (1337).

Le grand nombre

des accusations d'envoûtement prouve, en tout cas,

combien cette sorte de maléfice trouvait de créance.

Une

même

autre lettre du

laume Lombard déjà

diable, en lui offrant

Nous t'ordonnons,

Pontife enjoignit au Guil-

de juger deux femmes du

accusées de s'être données au

diocèse de Viviers,

«

cité

un

tribut annuel de blé (1338).

dit le pape,

de rechercher avec

diligence la vérité sur tous ces faits et les actes con-

nexes,

comme

tenir des

il

te

femmes

semblera convenable pour l'ob-

susdites et des autres. Si tu

les

LA SORCELLERIE EN FRANCE

362

trouves coupables, aie soin de

les

punir, corriger,

comme

de leur imposer des pénitences salutaires,

et

justice

la

en

l'exigera,

la

tempérant

cependant-

de miséricorde, suivant leur repentir et ce qui te

semblera raisonnable

A

dement

p.

13).

de Bolbone, Durand, dans le

l'abbé cistercien

diocèse de Mirepoix,

(Hansen,

»

pape

le

comman-

aussi le

fit

de rechercher, pour les punir, les clercs et

moines de son abbaye, accusés d'avoir

les

sortilèges

fait

des

pour découvrir un trésor (1339). Ces moines,

avaient eu envie de rentrer dans

le

monde,

ils

s'étaient

donné rendez-vous à une porte de l'abbaye dans

le

dessein de faire en secret de l'alchimie, puis avaient juré de ne révéler à personne ce qu'ils allaient faire.

Un

d'eux, Guillaume de Mosset, dit alors à ses

pagnons

qu'il connaissait

com-

une montagne enchantée

près de Limoux, dans laquelle se trouvait enfoui

un immense d'une le

de

trésor

enchanté,

femme également

trésor, cire

il

l'autel

on

la

garde

enchantée, et que, pour avoir

et baptisée.

une image

L'image de

de Ste Catherine, puis on voulut

les

la

cire

déposa pendant plusieurs jours sur

On emprunta pour auquel

à

était nécessaire de posséder

pouvant parler

se trouva,

confié

conjurés

cela

un

rituel,

s'adressèrent

la baptiser.

mais

le

pour

avoir

prêtre,

du

Saint-Chrême, refusa d'en donner à de simples moines.

363

LA SORCELLERIE DU XI V"^ SIÈCLE et les alchimistes furent ainsi découverts.

Malheu-

reusement, nous ignorons ce qui advint de l'enquête

ordonnée à leur sujet (Hansen, Toutefois,

le fait

montre combien

aux que

le

pratique

clergé.

On

d'importance

pape attachait il

;

témoigne aussi

des sortilèges se trouvait répan-

due partout, jusque dans

du

14).

de donner de pareilles instructions

accusations de diableries la

p.

constate,

les cloîtres

même

e;i

rangs

et les

temps, dans

les

cercles ecclésiastiques, le désir de réserver à l'Eglise le

jugement de

ces causes. Ainsi, trois sorcières de

Brissac ayant été condamnées par les juges séculiers

de Montpellier (1339), leur supplice donna lieu

à une protestation de l'Inquisiteur de Carcassonne, qui voulait connaître leur aiïaire.

terminables difficultés entre Office,

la

Il

en résulta d'in-

que Benoit XII appuya en plusieurs

sans toutefois parvenir à convaincre céder les autorités laïques

(1)

Germaix, Histoire de

in-8, MontpeUier, 1851,

t.

la

le St-

cour civile et

ou

bulles,

à

faire

(1).

Commune

III, p. 224, 495.

de Montpellier, 3 vol.

LA SORCELLERIE EN FRANCE

364

ARTICLE

La

fin

SIXIEME

du XIV' siècle

I

Les malheurs de

quée de troubles

la guerre

de Cent ans, compli-

intérieurs, les ravages de la peste

à plusieurs reprises, les fléaux de toutes sortes alors déchaînés sur l'Europe en général, sur

ne pouvaient qu'accentuer

particulier,

tion des esprits à voir

:

la

disposi-

un peu partout des choses

bonne cause. Ecoutons notre Froissart

XCVII)

France en

Quelquefois Dieu intervient pour la

surnaturelles.

c.

la

«

Un

tel

1

(1.

part. 2,

miracle advint aussi en

ce

temps d'un écuyer anglais qui

était

messire d'Audelée et Albrest.

avoient chevauché

Ils

un

un jour

et étoient entrés en

Ronay,

et le déroboient les pillards, et

si

Cil

de la route

village qui s'appeloit

y entrèrent

à point que le prêtre chantoit la grand-messe.

écuyer entra en

le calice



le

l'église et

vint à l'autel, et prit

prêtre devoit consacrer le corps de

Notre-Seigneur, et jeta

le

vin par terre

;

et pour-

LA SORCELLERIE DU XIV^ SIÈCLE tant que

prêtre en parla,

le

arrière-main,

Ce

fait,

si

que

fort

de

issirent

ils

champs, ce pillard qui

le

la

cil le férit

365

de son gand

sang en vola sur ville,

l'autel-

eux venus aux

et

fait avoit cet

outrage et qui

portoit en son sein le calice, la platine (patène) et les

corporaux, pendant ce qu'ils chevauchoient sou-

dainement,

il

lui

avint ce que je vous dirai

et ce fut

;

bien vengeance et verge de Dieu, et exemple pour tous autres pilleurs. Le cheval de celui et cèrent à tournoyer sur

démener

tel

se

un mont

il

commen-

champs diversement

tempête que nul ne

et chéirent là en et

les'

les osoit

approcher,

et étranglèrent l'un l'autre,

convertirent tous en poudre et en

Tout

ce

dont

il

que virent

les

et à

compagnons qui

furent grandement ébahis

;

et

cendre.

là étoient,

vouèrent

et

promirent à Dieu et à Notre-Dame que jamais

église

ne violeroient,

si

ni

l'ont depuis tenu

Hélas

!

le

fléau

déroberoient.

Je ne scais

ils

».

des pillards ne disparut pas du

coup,et Dieu intervint bien rarement pour les punir;

mais chacun n'en cherchait pas moins des moyens

surhumains pour obvier aux malheurs sans cesse renaissants, ou les faire

l'époque

tomber sur

des flagellants,

les autres. C'est

de ces étranges pèlerins,

allant de ville en ville se discipliner en public, pen-

dant

les

quarante jours de leur vœu, et finissant par

LA SORCELLERIE EN FRANCE

366

devenir de véritables anarcliistes, qu'il fallut combattre par

le fer et le feu.

Ce dut être aussi un temps

En

bien favorable aux sorciers.

réalité,

documents soient moins nombreux dront aux

suivants,

siècles

ils

bien que les

qu'ils le devien-

témoignent d'une

recrudescence de l'épidémie démoniaque.

Dans

pays d'Inquisition organisée,

les

Au

n'y vont pas de main morte.

les

juges

sermon public de

Carcassonne, tenu par l'Inquisiteur Pierre de Mori-

calm

(1350),

dans

celui

vingt-deux sorciers vont au bûcher



que présida Amédée de Langres, autre

Inquisiteur, les sorciers firent seuls les honneurs de la

cérémonie

:

quarante

reçurent des pénitences,

huit périrent brûlés (1352). Le

un autodafé

quels onze furent livrés

livrés

On

divers crimes,

y jugea

entre les-

aux flammes, dont quatre

retrouve encore trente et un magiciens

au bras séculier de Carcassonne en 1357; plu-

même

sieurs à Toulouse, la

niers

juge, présidant

à Toulouse, l'année suivante,

soixante-huit accusés de

sorciers.

même

un homme de

des enfants au

la

moyen

année

:

parmi

ces der-

Pomarède, accusé d'avoir tué

de figurines de cire qu'il appro-

chait chaque jour du feu, et la vie s'éteignait aussi

Pour clôturer

quotidiennement dans

ses victimes.

siècle (1387-1400)

Inquisiteurs de Carcassonne,

Durand

les

Salranch et

Bouit

Liestel, livrent

à

le

la

LA SORCELLERIE DU XIV^ SIÈCLE justice

personnes,

civile soixante-sept

magie, ou pour crimes tenans aux

367 soit

«

des Vaudois, des béguins et des Albigeois

the-Langon, Il

t.

III, p.

246

(Lamo-

»

seq.).

même un peu

en est de

pour

diverses hérésies

A

partout.

Novarre,

i'évêque Jean Visconti fait merveille contre les hérétiques,

il

les

poursuit avec ardeur

dans sa

et,

conquiert l'archevêché de Milan, mais

trouve natu-

il

rellement des sorcières sur son chemin.

à leur sujet

le

Il

consulte

jurisconsulte Bartolo de Sassoferrato,

dont l'opinion conclut à

la

mort, car la sorcière a

renoncé au Christ et au baptême,

avec des pailles et le diable

lutte,

l'a

foulée

aux

elle

a fait une croix

pieds, elle a adoré

en s'agenouillant devant

lui,

elle

a touché

et fasciné des enfants qui en sont morts (entre 1331 et

A

1342).

Côme,

striges, pullulent, elles

baptême,

le

les

sorcières,

qu'on

abjurent la vraie

appelle

foi, le

saint

seigneur Dieu, la vierge Marie, foulent

une croix aux pieds,

et

font

hommage au

diable,

leur apparaissant sous une forme humaine.

La Saxe possède

aussi

ses

sorcières,

mais nous y

rencontrons un brave échevin de Brunn qui, devant les plaintes

d'un père accusant deux femmes d'avoir

ensorcelé et tué son pirer, les avait

sa

fils,

nommées

car celui-ci, avant d'exet

déclarées coupables de

mort par maléfice, prononce

la nécessité

d'une

368

LA.

SORCELLERIE EN FRAN.GE

enquête avant d'accuser les femmes d'un homicide

(1).

Le Châtelet de Paris écoute plus favorablement les

requêtes des plaignants et prouve la culpabilité

des suspects par les

avait

Haincelin,

moyens

ordinaires.

abandonné

maîtresse Marion,

sa

pour prendre femme légitime.

Un homme,

éprouva, paraît-il,

Il

quelque obstacle à consommer son mariage et ne fut pas long à en trouver la cause. C'était son an-

cienne maîtresse qui se vengeait. est arrêtée

avec une sorcière dont

deux

mosnière

».

«

chapeaux d'erbe

avait

demandé

terrestre et d'erbe au-

Satan,favorable à leurs prières, avait opéré

suivant leurs désirs, mais (24 août 1390). sibut.

elle

Elles avaient conjuré le diable en lui

l'assistance.

offrant

La pauvre femme

il

ne put

les ravir

Le diable en question

au bûcher

s'appelait

Haus-

Nous retrouvons ce démon dans un autre procès

même époque,

où deux autres sorcières subirent

de

la

le

sort de leurs devancières. Elles connaissaient

maléfice

pauds,

surprenant.

les

Il

fallait

prendre deux

un

cra-

mettre chacun en un pot neuf, en appe-

lant Lucifer à l'aide, sans oublier de dire trois fois

l'Evangile

Maria.

On

de

le

Pater

noster

nourrissait les captifs de

blanc et de

(1)

St-Jean,

lait

de femme,

IIansen, p. 453, 454.

et,

mie

quand

le

et

VAve

de pain

moment

369

LA SORCELLERIE DU XIV« SIÈCLE on recommençait

d'agir était venu,

les prières,

on

ouvrait les pots et on lardait les crapauds avec de

longues aiguilles

mari ou l'homme contre lequel

le

;

était dirigé le maléfice devait s'en sentir

immédia-

tement, et non pas mourir, mais tomber en langueur.

Comme

crapauds n'avaient pas agi assez vigou-

les

reusement contre

mari

le

pour

mal élevé

assez

battre sa femme, celle-ci eut recours à l'image de cire

;

paraît qu'à distance

il

douleurs, chaque

torturée

;

coupable

En aussi

fois

la

cire

ressentait mille

la conclusion fut le supplice et

de la

femme

de sa conseillère (Hansen, p. 518

Suisse,

ou

était piquée

seq.)-

procès de sorcellerie se faisaient

les

nombreux. Le juge de Berne condamnait au

bûcher

sorciers

plusieurs

A

Fribourg,

geois se

traitaient

1405).

que

l'homme

il

de

Simmenthal

(1395-

s'en passait de drôles. Les bour-

mutuellement de

sorciers.

en connaissons deux, Pierre Wissbrot

et

Nous

son

fils

Kuntzin, obligés de faire amende honorable à un

Jean Rudler, accusé, faussement sans doute, d'avoir enchanté

Dans

la

le

même

St-Augustin

femme

jeune Wissbrot et sa

fait

ville,

le

(1392).

provincial des Ermites de

une enquête sur

le

cas

du prieur

et

de quelques moines de son ordre, car on leur avait volé des bestiaux,

et,

pour connaître

s'étaient adressés

à

des devins.



les voleurs, ils

Une femme de

LA SORCELLERIE EN FRANCE

370

Lucerne accuse une sorcière de quatre cents

florins,

mais pire

son mari, et d'avoir voulu prostituée ville,

(1398).

deux

Devant

d'avoir ensorcelé

le

conseil

de

même

la

ans plus tard (1400), on portait de nou;

tandis qu'à Bâle on

pour cinq ans une femme accusée d'avoir

homme

rendu un *(1399)

!

changer elle-même en

la

velles plaintes de sorcellerie •exilait

avoir subtilisé

lui

pauvre, par ses enchantements,

qu'à Berlin,

et

la

même

année,

le

Conseil

plus sévère, envoyait une sorcière au bûcher (1399).