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French Pages 284 [275] Year 2013
IFFONO Aly Gilbert
LA GUINÉE: de Ahmed Sékou Touré à Alpha Condé ou le chemin de croix de la démocratie
La Guinée : de Ahmed Sékou Touré à Alpha Condé ou le chemin de croix de la démocratie
Dr. IFFONO Aly Gilbert
La Guinée : de Ahmed Sékou Touré à Alpha Condé ou le chemin de croix de la démocratie
L’Harmattan
Du même auteur chez le même éditeur 1993 : Lexique Historique de la Guinée-Conakry. 2008 : Contes et Légendes Kissi de Guinée, du Libéria et de Sierra Léone. 2010 : Le Peuple Kissi (Guinée, Libéria, Sierra Leone) face aux colonisations- Résistance et Survie. 2011 : Naître, vivre et mourir en pays Kissi précolonial-Essai d’anthropologie sociale et culturelle.
© L'Harmattan, 2013 5-7, rue de l'École-Polytechnique ; 75005 Paris http://www.librairieharmattan.com [email protected] [email protected] ISBN : 978-2-343-01962-8 EAN : 9782343019628
En guise d’épigraphe Pourtant ils avaient dit : Ahmed Sékou Touré : « Nous préférons la liberté dans la pauvreté à l’opulence dans l’esclavage. »1 Or, sous son régime, la liberté était pour les Guinéens une denrée rare et la pauvreté, une réalité endémique. Lansana Conté : « Nous sommes venus pauvres au pouvoir. Si demain vous nous voyez avec des villas et des voitures, c’est que nous avons volé. »2 Or, sous sa gouvernance, la Guinée a été économiquement exsangue, pillée et ruinée au point d’offrir à ses compatriotes comme cadeau d’anniversaire de leur Cinquantenaire, d’être parmi les nations les plus pauvres de la planète, en dépit des immenses richesses dont la nature a doté leur pays. Moussa Dadis Camara : « Peuple de Guinée, la prise du pouvoir par ton armée est un acte de civisme qui répond à la volonté de sauver un peuple en détresse. Fier d’avoir accompli cette mission, le CNDD n’a aucune ambition de s’éterniser au pouvoir (...) Moi je ne le ferai pas. Mon équipe ne le fera pas. »3 Or, celui qui parlait ainsi urbi et orbi a, malgré tout et en dépit de tout, fait bec ongles pour s’accrocher au fauteuil présidentiel. Sékouba Konaté : « Les fastes du pouvoir ne m’intéressent pas. Si cela ne tenait qu’à moi, le CNDD aurait organisé les élections et remis le pouvoir aux civils dans un délai de six mois. »4 Or, à la fin de la Transition, l’auteur de cette séduisante pensée se serait fait sermonner vertement par le Cardinal Robert Sarah5, quand pour quitter le pouvoir, il avait exigé d’être récompensé en espèces sonnantes et trébuchantes pour avoir débarrassé le pays d’un dictateur. 1
Discours de Sékou Touré au général de Gaulle, le 25 août 1958 à Conakry. Interview de Bocar Baïlo Ly, Spécial JA n°1, P36-39. 3 Ayissi, 2009, P. 8. 4 Ayissi, 2009, P. 8. 5 Rapporté par Marie-Christine Tabet du JDD du 03/03/13 repris par le Site http://www.lejdd.fr/Societe/Religion/Actualite/Succession-de-Benoit-XVI-MgrRobert-Sarah-un-guerrier-discret-et-juste-594529 2
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Dédicace Je dédie ce livre à la vaillante et glorieuse PROMOTION MAO TSE TOUNG » de l’Université guinéenne pour d’une part, la constance et la qualité des relations d’amitié et de solidarité que ses membres entretiennent entre eux depuis bientôt quatre décennies à travers leur inoxydable amicale, et de l’autre, pour son sens élevé de responsabilité et son engagement inconditionnel à servir la Nation.
Quelques membres de la Promotion : Au 1er plan, de gauche à droite, son président Souleymane Cissé, Mme Mariame Sakho, Michel Kamano, (Président du Conseil Econ. et Soc.), Mme Mariame Camara, l’auteur et B. Savané. À l’arrière-plan : Dr Ahmadou Gueye et Abdoulaye Sow.
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Introduction Le 2 octobre 2008, la République de Guinée a soufflé les 50 bougies de son accession à l’indépendance. De 1958 à 2008, le pays a vu en un demi-siècle de souveraineté nationale, se succéder deux types de régimes qui, chacun avec des fortunes diverses, ont présidé aux destinées d’un peuple auquel tout avait été promis, mais qui attend toujours de voir. La Première République : de 1958 à1984, sous la conduite de Ahmed Sékou Touré qui, à tort ou à raison, a sacrifié le développement national au profit de la création de l’homme nouveau, de la promotion de l’unité nationale ainsi qu’à la participation à l’émancipation des peuples du reste du continent encore sous domination coloniale. Le parti-État qui était en fait l’expression de la prééminence du Politique sur l’Exécutif, en a été le principal organe de conception, d’orientation et de mise en œuvre aux mains d’un noyau quasi inamovible de cadres dits des premières heures du parti. La Seconde République : de 1984 à 2008, dirigée par le général Lansana Conté6 qui, après avoir mis fin aux monopoles tous azimuts du parti unique, s’est astucieusement retranché derrière un écran d’État de droit et de démocratie dans lequel l’Armée avait gardé la haute main sur tous les pouvoirs d'État et cédé la politique économique et financière aux Institutions de Bretton Woods. Lansana Conté mort, c’est un autre groupe de jeunes militaires qui déposa son régime à la suite d’un putsch organisé par le capitaine Moussa Dadis Camara, le 23 décembre 2008. L’intermède de ce dernier qui ne dura que 13 mois sera suivi d’une brève transition de six mois, conduite par le général Sékouba Konaté et qui prépara le retour à la normalité constitutionnelle du pays avec l’avènement au pouvoir d’un président démocratiquement élu le 7 septembre 2010 : Alpha Condé, opposant historique et Président du Rassemblement du Peuple de Guinée (RPG).
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Il était colonel à sa prise du pouvoir.
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En célébrant certes dans la sobriété, mais avec fierté son Cinquantenaire, le premier pays francophone d’Afrique noire à avoir dit non, au référendum gaulliste qui proposait aux colonies une certaine communauté franco-africaine, se prêtait implicitement à une évaluation de son parcours historique. Car cinquante ans dans la vie d’une nation sont un âge respectable qui autorise à dresser un bilan, apprécier les réalisations et entrevoir les perspectives d’avenir. Cet exercice, il faut en convenir, s’avère particulièrement laborieux à cause de la richesse et de la diversité des évènements historiques, tantôt grandioses et enviables, tantôt tragiques et répugnants qui ont ponctué la construction de ce cinquantenaire. Cependant la nature pour sa part, a tout offert à la Guinée au point de parler de « scandale géologique », et aussi, de « château d’eau de l’Afrique occidentale ». Paradoxalement, ces bonnes dispositions de la nature n’ont jamais pu être maîtrisées et traduites en changement qualitatif dans le quotidien du Guinéen et n’ont pas non plus permis de mettre un terme au cercle infernal de l’endettement7 et de la misère endémique des populations. Toutes choses qui donnent encore de la Guinée l’image d’un pays de paradoxes dont il est difficile à première vue de faire une synthèse dynamique. On évoquerait entre autres : • La relative stabilité politique du pays pendant les cinquante ans de souveraineté, d’autant plus que, contrairement aux autres États de la sous-région, la Guinée n’a connu que deux grands régimes dont un issu d’un coup d’État. Cette relative stabilité procèderait dans une large mesure du NON partagé à De Gaulle, de la mobilisation et de l’éducation politiques mises en œuvre par le PDG, de l’intégration sociopolitique des Guinéens toutes ethnies confondues ainsi que des leçons tirées des dures épreuves des guerres civiles qui ont frappé les pays voisins, etc. • L’existence d’immenses richesses naturelles encore peu ou pas exploitées et le délabrement de l’économie ainsi que l’extrême pauvreté des populations ; 7
Au 1er trimestre 1984, l’endettement de la Guinée était d’environ 1,2 milliard de dollars USA, hors dette du bloc socialiste et le taux de change du franc guinéen était de 29 Sylis pour un dollar USA. La dette intérieure était pratiquement nulle, puisque le secteur privé national n’existait pas, d’après Mohamed Mansour Kaba sur le site www.guinea-dyama.com/analyse_économique.html
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• La fierté, sinon l’orgueil de ses populations pour une indépendance arrachée des mains d’un homme tout aussi orgueilleux, le général de Gaulle, le chef incontesté d’une grande puissance coloniale ; • Le patriotisme avéré des Guinéens. De quoi résulterait cet ensemble de facteurs non miscibles qui ont l’air d’avoir raison des évènements et même du temps ? Manque-t-il aux Guinéens de l’imagination pour leur gestion cohérente en vue de booster le développement ? Que faisaient-ils alors durant ces cinquante ans d’indépendance ? Ce sont là autant de questions fondamentales dont les réponses constituent la trame du présent ouvrage intitulé : « La Guinée : de Ahmed Sékou Touré à Alpha Condé ou le chemin de croix de la démocratie. » En choisissant d’être indépendante et libre contre la volonté d’une France non seulement soucieuse de se remettre des affres d’aprèsguerre, mais aussi de conserver sa vocation de puissance colonisatrice, la Guinée a, pour ainsi dire, commis un crime de lèse-majesté pour lequel tout lui est désormais renié, refusé et reproché. De Gaulle, en chef outrecuident, semble refuser de comprendre que la volonté d’un peuple abusé et déterminé à vivre libre et souverain est inébranlable. Blessé et honni par la réaction d’un jeune leader de surcroît colonisé et qui, à ses yeux, valait moins que cela, le vieux Général laissa libre cours à ses émotions, sinon à ses folies de grandeur de Président de la France. Dans une improvisation qui se révèlera fatale à la Communauté franco-africaine à laquelle il tenait pourtant tant, il jeta l’indépendance au visage de celui-là même qui la cherchait depuis longtemps et à tout prix. Ce faisant, de Gaulle avait oublié ce jour que la meilleure manière de se montrer avenant à l’endroit d’un être privé de sa liberté naturelle, c’est de la lui accorder sans restriction aucune que de vouloir lui aménager une existence paradisiaque à l’intérieur d’un carcan colonial. L’histoire venait ainsi d’opposer deux grands chefs qui avaient chacun, sa propre lecture de la notion de liberté et de partenariat. S’en suit alors une légendaire et redoutable incompréhension qui a fini par donner naissance à un environnement rébarbatif dans lequel se sont , un quart de siècle durant, les relations 11
franco-guinéennes. Depuis, de Gaulle, encore moins Sékou Touré ne se faisait plus d’illusion quant aux conséquences de ce choix guinéen. Cependant, loin de le regretter, le leader guinéen s’est plutôt organisé à l’assumer. Y est-il parvenu à souhait, quand on sait que la cinglante humiliation qu’il a assénée au chef de la France libre le 25 août 1958 cachait à peine la farouche détermination de ce dernier à en découdre avec lui et son peuple ? Ce ne fut pas évident, car l’histoire des relations franco-guinéennes prouvera que de Gaulle avait fait de la revanche sur Sékou Touré un point d’honneur pour le reste de sa vie. Ayant pris la mesure des dangers que représentait pour lui et pour l’avenir de son pays la fureur du Général-Président blessé dans son amour propre, Sékou Touré semble passer plus de temps à s’en préserver qu’à s’occuper de développement. C’est donc dans ce contexte particulièrement délétère qu’il entreprend la mise en œuvre de son projet de société. Ce projet, il faut le noter, est indissociable de ses engagements vis-à-vis de l’Afrique, sa passion. Ainsi, se sera-t-il inlassablement occupé du soutien aux mouvements de libération nationale, de l’assistance technique aux États nouvellement indépendants d’Afrique ainsi que de la sauvegarde de l’intégrité territoriale des jeunes États victimes d’actes de subversion, le tout au préjudice quasi total du développement de son propre pays. Il ne pouvait en être autrement, car pour lui, l’indépendance guinéenne n’aurait aucun sens, tant qu’une parcelle de l’Afrique resterait occupée par une puissance étrangère. Son investissement personnel dans ce cadre atteste qu’il y croyait fermement et était disposé à y mettre du sien. Portée à la défensive par la France, la République de Guinée a, pendant 26 ans, cherché à se mettre à l’abri des diverses machinations ourdies par les puissants réseaux de Jacques Foccart dont le système de maillage ne laisserait aucune chance de survie aux plus rusés de ses ennemis. Sékou en fera l’exception pour des raisons qui ont accru la grandeur et le mythe de l’homme et de son œuvre. Malgré l’environnement hostile créé autour de lui, le Président Sékou Touré était convaincu qu’il disposait des moyens de sa politique, si seulement on lui laissait le temps et la latitude d’en user. Dans ces conditions, il estimait ne jamais devoir tendre la main à l’ancienne métropole dont il s’est soustrait dans des circonstances que l’on sait. Ce ne fut malheureusement pas le cas. En politicien averti, Sékou Touré n’a pas fait que se défendre ou protéger son régime. Il a 12
aussi osé prendre des risques pour honorer ses engagements : par exemple, partager le peu de ressources dont disposait le pays avec d’autres peuples qui étaient également dans le besoin, quitte à en priver une partie de ses populations. Il parvint à trouver le temps, les moyens et surtout les approches stratégiques pour y parvenir. Toutes choses qui lui auront permis de laisser à la postérité des acquis certes insuffisants au regard des riches potentialités dont la nature a doté le pays, mais significatifs par rapport au contexte géopolitique dans lequel l’avait tenu la France revancharde. C’est autant dire que tout ne fut pas rose pour son entreprise, car « à chaque grandeur, ses faiblesses. »8 disait récemment, François Hollande, le tout nouveau Président français, parlant de Jules Ferry. Il y a eu certes des erreurs, voire des fautes, qu’il convient de replacer dans leurs contextes respectifs pour mieux les comprendre en vue d’éviter des généralisations hâtives et abusives. Ainsi donc, « … comme la chatte qui met bas, toute révolution, pour survivre, se nourrit de ses propres progénitures. Hélas ! Les complots et les attentats contre Sékou n’ont pas donné à la Guinée l’occasion d’échapper à cette règle macabre. La situation finissant par épouser les contours d’une guerre qui ne disait pas son nom, des victimes ne pouvaient manquer de parsemer l’itinéraire qui devait mener vers la pérennité du NON », observe avec pertinence Cheikh Tidiane Diop9. Aujourd’hui avec la disparition de Sékou Touré, toutes les présumées victimes de son régime se disent innocentes. Presque personne ne reconnaît la moindre des raisons qui l’auraient conduit dans les prisons politiques de la révolution guinéenne, à l’exception rarissime de Jean Faraguet Tounkara, Ibrahima Fofana et Sidy Diarra dont nous évoquerons plus loin les cas. Tous s’ingénient à couvrir l’homme et son régime d’opprobres, pensant comme Hegel que l’évolution historique s’arrêtait à leur perception. Or, la vérité historique a beau être fardée, elle finit toujours par apparaître dans toute sa splendeur. Un jour ou l’autre, des bouches se délieront et des sources bien informées parleront pour la rétablir. Ainsi, en indiquant les responsabilités de chaque acteur, on pourra certainement comprendre que s’il y a eu des victimes innocentes, il y en avait 8 9
Discours prononcé au pied du monument de Jules Ferry, le 15 mai 2012. La Dépêche Diplomatique, N °9, novembre 2008, P. 3.
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d’autres par contre qui, se connaissant, étaient parfaitement conscientes des risques qu’elles couraient en acceptant de participer à la gestion du Parti-État. Aussi, saura-t-on que le Président Sékou Touré n’a pas toujours été le coupable que l’on croit être. On s’est souvent précipité sur l’ombre, ratant littéralement la proie. Ce faisant, nous pensons particulièrement aux précieuses informations que livreraient les recherches sur la place et le rôle joués par certains personnages énigmatiques de l’histoire de la révolution guinéenne dont : • Ismaël Touré, demi-frère du chef de l’État, ayant appartenu à tous les gouvernements de la République, membre à vie, dirait-on, du Bureau Politique National du PDG et Président de la Commission d’enquêtes du non moins célèbre Camp Boiro, puis Président du Comité révolutionnaire. Cet homme dont on connaissait les ambitions politiques et surtout les difficiles relations avec son frère, fut un personnage atypique du régime. Son nom serait lié à de nombreux coups bas contre son frère et à plusieurs disparitions de cadres dans les sinistres geôles de la révolution. Mort sans avoir fait de dépositions, comme il en a fait faire à d’autres, il serait souhaitable de reconstituer à partir des témoignages de ceux qui l’ont connu et pratiqué, le parcours de ce bourgeois avéré dont la présence curieuse en plein cœur d’un système socialiste, paraissait comme un cheveu dans la soupe. Avait-il vraiment qualité pour faire la promotion d’une révolution socialiste dont il incarnait visiblement l’exact contraire ? Tel que les Guinéens l’ont vu et connu, était-il vraiment l’homme qu’il fallait pour veiller à la santé politique d’un régime socialiste qu’il répugnait en son for intérieur, tant il est vrai qu’on ne peut défendre sincèrement et efficacement que ce que l’on aime ? • Siaka Touré, neveu du chef de l’État, personnage mondain à l’abord extraordinairement facile. Siaka était jovial, sympathique et affable. De sa voix fluette, il saluait grands et petits avec les mêmes gestes et sourire câlins. À l’apparence, personne ne gagerait qu’il est capable de tuer une mouche. Mais, comment alors a-t-il pu être le Secrétaire permanent du Comité révolutionnaire et le tout puissant commandant du Camp Boiro dont la redoutable réputation avait franchi les 14
frontières nationales ? Autant dire qu’entre l’apparence et la réalité, il y a aujourd’hui de la place pour des recherches approfondies en vue d’aider à élucider les pages de l’histoire de la répression en Guinée dont les plus sombres ont été justement écrites par et dans le Camp Boiro. Tout comme son cousin Ismaël Touré, son nom serait lié à de nombreux cas d’arrestations spectaculaires, de détentions discrètes et de disparitions stylisées de détenus. Il aurait la triste réputation d’hériter des jolies épouses et des belles voitures de ses détenus. Curieusement, Ismaël et Siaka, loin de se compléter, se détestaient souverainement. Mais, à qui profitait ce désamour, si c’en était un ? • Émile Cissé quant à lui, fut un écrivain dramaturge talentueux et un metteur en scène doué dont les premières œuvres littéraires10 firent une bonne impression dans les milieux intellectuels guinéens ; cependant, ce fut un personnage fort douteux aux références politiques obscures. Devenu subitement très populaire et presque incontournable dans l’entourage du Président Sékou Touré à partir de l’agression portugaise de 1970 contre la Guinée, Michel Émile Cissé a intrigué plus d’un Guinéen. En service dans une région qui eut maille à partir avec la révolution, la Moyenne-Guinée en l’occurrence, il s’est rendu célèbre par ses dénonciations calomnieuses et autres lettres anonymes dont la finesse de rédaction déterminait irrésistiblement le Président Sékou Touré à prendre pour argent comptant, tout ce qui y était dit. Nombre de cadres de la moyenne-Guinée et bien d’autres protégés du chef de l’État, lui doivent leur disgrâce ainsi que leur incarcération et parfois leur disparition dans les prisons de la révolution. Sa désignation comme membre de la Commission d’enquêtes du Camp Boiro en a ajouté aux intrigues que les Guinéens lui imputaient. « Cissé Émile, tortionnaire à Kindia, fut arrêté à son tour, vaincu par Ismaël Touré et Siaka Toué »11, écrivait Kaba 41 Camara, une de leurs victimes. Si 10
Ses deux œuvres connues sont : « Assiatou de septembre » et « Faralako » récemment rééditées par L’Harmattan-Guinée ainsi qu’une grande pièce de théâtre, « Et la nuit s’illumine ». 11 Sur le site www.campboiro.org/bibliothèque/AstFode...
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ces arrestations et détentions avaient confirmé les appréhensions de bon nombre de Guinéens, elles ont cependant laissé perplexes certains citoyens pour lesquels Émile Cissé passait pour un révolutionnaire avéré et de surcroît, l’ami personnel du Responsable suprême de la Révolution. • Amadou Diallo, curieux personnage, apparemment sans importance sociale, a été très présent dans le drame de Diallo Telli, Dramé Alioune, Sy-Savané Souleymane et tant d’autres. Son séjour en Guinée comme simple stagiaire dans une société industrielle de la place, ne semble pas dire grand-chose au commun des Guinéens. Cependant, le sort de bon nombre de hauts cadres aurait été largement et irréversiblement compromis par ses témoignages. Le plus curieux aura été non seulement le fait de sa libération du Camp Boiro, mais aussi, et surtout la possibilité qui lui fut offerte de sortir aisément de la Guinée. N’aurait-il pas troqué sa libération contre des vies innocentes ? Des recherches sérieuses sur la vie et surtout les activités transfrontalières de ce jeune homme ne manqueraient pas d’intérêt pour les chercheurs. Il faut dire ici que cette liste n’est qu’indicative. Il y a bien d’autres noms que des Guinéens me reprocheraient d’avoir oubliés. Je le leur concède volontiers. Notre préoccupation concerne également les archives du Camp Boiro et de la Présidence de la République sur lesquelles certains cadres se sont rués le 03 avril 1984 pour les soustraire frauduleusement et les conserver par-devers eux, pour des raisons inavouées. Pourraient également être aussi intéressantes, les archives des Services de défense et de sécurité, de la Permanence nationale du PDG, du Ministère de l’Économie et des Finances, de celles de Jacques Foccart et de ses services spéciaux et pourquoi pas les archives de certains pays de la sous-région, notamment la Côted’Ivoire et le Sénégal dont les actions des chefs d’État contre la Guinée et singulièrement contre son leader, n’étaient un secret pour personne. Notre raison principale de l’évocation des cas d’Ismaël, de Siaka et d’Émile et de biens bien d’autres sources informatives, c’est de constater que toutes les présumées victimes de la tragédie de la 16
révolution ne cessent de se ruer sur le corbillard de Sékou Touré pour en faire l’unique responsable de ce qui leur est arrivé. Ils ne citent presque jamais ces cadres pourtant acteurs majeurs, en pleine possession de leurs facultés mentales et intellectuelles et dont les responsabilités politiques et administratives étaient connues de chacun et de tous. A notre avis, ce serait faire fausse route que d’occulter les rôles tenus dans le système répressif guinéen par ces hauts cadres qui avaient pourtant pignon sur rue. À en croire les témoignages rapportés par les quelques ouvrages d’anciens détenus12 du Camp Boiro, Ismaël, Siaka et Émile rivalisaient de cynisme à l’intérieur du système carcéral. Car, « les trois hommes luttaient à mort pour occuper la meilleure place dans le cœur de Sékou Touré. Tous les trois, plus que quiconque, faisaient en Guinée ce qui leur passait par la tête »13, révèle Kaba 41 Camara. Aux dires des Guinéens, ces hommes pouvaient à tout moment, envoyer qui ils voulaient au Camp Boiro ou en extraire n’importe quel autre sans en être inquiétés. Nous persistons à croire que ce trio pourrait sans nul doute constituer la pièce maîtresse de projets de recherche que nous suggérons sur le système répressif guinéen d’avant 1984. Car, « si Sékou est le crime, Émile est le fils du crime, comme Ismaël est le frère jumeau du crime, comme Siaka est le cousin germain du crime »14, écrivait Kaba 41 Camara. C’est donc une intéressante piste à explorer. Il en est de même de « l’homme de l’ombre »15 et ses réseaux qui, mieux que quiconque connaissent les tenants et les aboutissants des complots contre la Guinée. L’ensemble de ces sources nous aiderait incontestablement à démêler l’écheveau, car c’en est vraiment un. Il sera alors possible d’identifier les commanditaires et leurs partenaires intérieurs aujourd’hui difficiles à repérer et qu’il faudrait pourtant absolument distinguer des vraies victimes, emmurées dans un silence affligeant et désespérant. La réconciliation nationale y trouverait sans nul doute son compte. Nous estimons que le Président Ahmed Sékou Touré devrait enfin avoir droit à un procès juste, même si lui, ne l’avait pas toujours accordé aux autres. C’est cela aussi l’État de droit et de 12
Voir les ouvrages d’Alpha Abdoulaye Diallo, Jean-Paul Alata, Alsény R. Gomez, Lamine Kamara, etc., cités en bibliographie 13 Kaba 41 Camara, 1986, P.76. 14 Site déjà cité. 15 Euphémisme sous lequel est désigné Jacques Foccart.
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démocratie qu’il faut enseigner à tous les citoyens, notamment aux jeunes générations. Car, même le plus grand monstre a droit à une justice équitable dans une société civilisée. Au lieu de tenir vaille que vaille à faire porter en bloc toutes les bavures de la révolution à sa charge exclusive, il y a des efforts de discernement à faire en vue de rétablir la vérité et situer les responsabilités. Ainsi, Ahmed Sékou Touré y trouvera sa part, les autres aussi. De nos jours, la gestion du passif de la révolution guinéenne est redoutablement difficile. Dans ces conditions, ne serait-il pas alors sage de partager cette devise du philosophe Spinoza qui conseille de « ne pas se moquer, ne pas pleurer, mais comprendre ». Le passé récent de la Guinée a effectivement besoin d’être compris. Pour ce faire, il y a un travail d’explication sur la base de faits avérés. Cela incombe à l’histoire, une histoire dépassionnée, une histoire qui devrait pouvoir convaincre et inviter le coupable à demander pardon et la victime innocente à l’accepter. En attendant, il faut admettre que le Président Ahmed Sékou Touré, avec vigueur, souvent avec rigueur, avait imprimé sa marque singulière à l’histoire de son pays pendant plus de trois décennies de régime révolutionnaire. Une révolution qu’il proclamait et voulait globale, multiforme, « transtemporelle » et en laquelle il croyait fermement. Cependant les réalités du terrain eurent raison de ses aspirations obsessionnelles. Il n’y renonça pas pour autant, sacrifiant ses choix stratégiques au profit d’un forcing qui ne lui a pas toujours réussi. En dépit d’un nombre impressionnant de projets de réforme et des plans de développement, les résultats furent en deçà des attentes. Les raisons en furent nombreuses et diverses. Des réalisations certes, il y en a eu, mais au prix de terribles incompréhensions qui ont fait la part belle à de graves violations des droits de l’homme. Sous les verrous de la révolution où, au nom de celle-ci, souffrirent et périrent à tort ou à raison, de nombreux prisonniers politiques, ont été écrites les plus sombres pages de l’histoire de la Guinée, sombres pages qui ont incontestablement et durablement affecté la portée historique des emblématiques dates du 25 août, du 28 septembre et 2 octobre 1958 et gravement altéré l’image de père fondateur. Aujourd’hui s’impose aux Guinéens, comme la clé de voûte de leur renaissance politique, économique et sociale, l’incompressible œuvre de réparation inclusive. Pour y parvenir, il importe de concevoir celle-ci non comme 18
un projet, mais plutôt comme un processus sur la longue durée, requérant la participation citoyenne de l’ensemble des populations. Ahmed Sékou Touré est mort de sa belle mort le 26 mars 1984 à Cleveland, aux USA. Le colonel Lansana Conté prend la Guinée en l'état, après 26 ans de gestion « révolutionnaire ». Cependant, lui et son Comité Militaire de Redressement National (CMRN) étaient crédités de préjugés favorables non seulement à une mise en route du processus de réconciliation nationale, mais aussi, et surtout à une relance rapide du développement national, d’où les raisons de l’enthousiasme presque euphorique des Guinéennes et Guinéens au lendemain du 3 avril 1984. Ce ne fut que de courte durée. Déjà, la longue transition (de six ans) qui inaugure l’ère Conté sème le doute très tôt dans les esprits quant au retour effectif, rapide et intégral à une vie constitutionnelle normale. En effet, laborieusement et du reste sous la pression du peuple guinéen et de la Communauté internationale, le successeur de Sékou Touré annonce en 1990, les premiers signes timides de « démocratisation » du pays par l’instauration d’un multipartisme étriqué, parce que limité à deux formations politiques dont l’une de la mouvance présidentielle et l’autre de l’opposition. Tout laisse croire que le nouvel homme fort de la Guinée n’était pas adepte d’un multipartisme débridé. Toutefois, il finira par accéder aux exigences populaires et à celles de la classe politique qui souhaitait un multipartisme intégral. Ainsi, avant la fin de 1991, une quarantaine de partis politiques sont agréés. Lansana Conté qui s’est senti contrarié, a non seulement laissé faire, mais se forgea sa propre perception de la démocratie. D’où l’instauration d’une atmosphère conflictuelle entre lui et les acteurs politiques, pour tout le temps qu’a duré son régime qu’il disait exempt de toute opposition. Il y croyait d’autant fermement qu’il refusait tout dialogue. « Je suis militaire. J’ordonne et on exécute », aimait-il à déclarer. C’est dans ce climat peu consensuel que prend naissance le libéralisme sauvage qui a remis la Guinée plus bas qu’elle n’était à la veille du 3-avril 1984. Ainsi, après les trois mandats de Lansana Conté (avril 1984- décembre 2008), ce qui était déjà une violation de la Constitution qui ne prévoyait pas plus de deux mandats, la déliquescence de l’État aidant, le pouvoir échoit de nouveau à l’Armée qui va jouer un intermède de deux ans avant de le céder aux
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civils. La Guinée venait ainsi de fermer une séquence de son histoire écrite par son Armée. On ne résisterait pas à la tentation de dire de façon catégorique que globalement, le passage de cette dernière au pouvoir de 1984 à 2008 aura aggravé le désespoir des Guinéens. En effet, selon cette observation très critique d’International Crisis Group (ICG), « le premier problème du pays (la Guinée) est le Président Conté lui-même et son clan. Sa vision militaire et prédatrice de l'exercice du pouvoir est anachronique et que son dernier mandat était une catastrophe économique et sociale »16. Pour les Guinéens de bonne foi, cette appréciation, bien émise de par des étrangers, était une réalité qui crevait les yeux, tellement les comportements et autres actes quotidiennement posés étaient ostentatoires. Si Sékou Touré a pu, dans des conditions particulièrement difficiles qui étaient les siennes, léguer un bilan relativement louable (réalisations économiques et industrielles, préservation des ressources naturelles du pays et culture de la fierté nationale), on comprend difficilement que les militaires qui avaient toutes les chances de réussite de leur côté, aient littéralement manqué cet autre rendez-vous avec l’histoire. En effet, eux n’avaient pas d’opposition intérieure ou extérieure à gérer ; les partenaires au développement qui avaient maille à partir avec l’ancien régime les soutenaient ; ils s’étaient même engagés exceptionnellement17 à les accompagner sans oublier les bonnes dispositions de la diaspora guinéenne à rentrer au pays pour participer au développement ainsi que les immenses richesses naturelles non encore valorisées. À cela il faut ajouter le faible endettement du pays, les responsables ayant mis en avant le principe de « compter sur ses propres forces ». Malheureusement, leur gestion politique et économique a été si désastreuse, qu’il est aujourd’hui difficile de concevoir un plan d’urgence efficace susceptible de relancer rapidement et durablement le développement du pays. La Guinée se retrouve alors avec un ensemble de problèmes dont la résolution requiert la participation citoyenne de tous et de chacun. 16
(AFP) – 22 déc. 2008. Habituellement, les partenaires au développement considérant le pouvoir militaire d’illégal et d’illégitime, sont prompts à le condamner et à l’isoler sur tous les plans. Le cas guinéen fut une exception, que le CMRN n’a pas su exploiter. 17
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Ainsi, en dehors du crucial problème de la relance économique qui reste entier, les nouvelles autorités doivent pouvoir disposer dans leur agenda de nombreuses préoccupations toutes aussi sensibles les unes que les autres, promesses de campagnes électorales obligent. Ce sont les solutions rapides, efficaces et durables des problèmes liés à l’ethnocentrisme, le régionalisme, la réconciliation nationale, la corruption et pratiques assimilées sans oublier l’éternel phénomène d’impunité, le chômage endémique des jeunes et des femmes, la gouvernance politique, la gestion démocratique des ressources économiques et humaines, l’insécurité, etc. Face à une situation aussi catastrophique, « doit-on exercer et épuiser nos énergies en querelles qui, en définitive, ne concernent qu’une fraction infime de la population, même si c’est l’élite, en laissant les 98 % croupir dans la misère », s’interroge Tolo Béavogui ?18 Certainement non, car, les défis sont trop grands et les moyens dérisoires. Un pays qui, selon Mory Diané d’Amex International19, pour une somme de 500 000 000 000 $US d’exportation d’alumine en cinquante ans d’indépendance, n’en a engrangé que 4.800 000 000, soit environ 1,2 %, a bien plus et mieux à faire.
Ismaël Touré
Siaka Touré
Source : Photothèque du journal Horoya 18
Extrait du texte de communication faite à la demande du Mouvement Citoyen de Guinée, le 22 avril 2008. 19 In Mory Diané : « Cela fait 50 ans que les miniers se comportent… » Voir site Guinee7.com/…/2010
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Chapitre 1 Environnement historique de l’indépendance guinéenne L’après-Seconde Guerre mondiale est marquée par une forte aspiration des peuples colonisés à la liberté, la justice et la dignité humaine. Les principales sources d’inspiration furent à l’époque : - la signature par les deux puissances victorieuses de la Guerre 39/45 de la Charte de l’Atlantique proclamant la liberté des peuples à disposer d’eux-mêmes, - la victoire des Alliés sur le fascisme et le nazisme, - l’accession à l’indépendance de plusieurs pays d’Asie et d’Afrique du Nord, - la défaite humiliante de la France à Diên Biên Phu (Vietnam), - le déclenchement de la guerre de libération en Algérie, - l’indépendance du Ghana, etc. En Afrique, cette lutte pour la souveraineté politique revêtit diverses formes : la forme non violente ou plus exactement non armée, consistant en une stratégie d’organisation et de mobilisation politique et syndicale des masses populaires ainsi que celle violente découlant de lutte armée, généralement à partir des maquis. En Guinée, ce sont les partis politiques, les syndicats des travailleurs, les mouvements associatifs de jeunes ou d’étudiants et les anciens combattants qui ont favorisé l’éveil politique et organisé la lutte non armée comme mode d’action privilégié. Dans cette lutte, une personnalité émerge et s’impose très tôt par sa hauteur de vue des problèmes, ses prises de positions sans équivoque et surtout son allergie à l’injustice sociale. Il s’agit de Sékou Touré, ce jeune leader syndicaliste des PTT qui 23
maîtrisait bien la législation du travail et s'est souvent opposé aux autorités coloniales qui le redoutaient. En 1949 déjà son ascension prenait du relief. Selon Gaston Donnat, Conseiller de l’Union Française du Cameroun d’alors, « Touré est le meilleur secrétaire général d’Union des syndicats que j’aie connu en Afrique Occidentale. Son langage était celui d’un militant engagé. Il lisait beaucoup et était parfaitement informé de tout ce qui pouvait survenir dans le monde. »20 Il y avait donc toutes les raisons pour l’administration coloniale de le craindre. Visiblement, il était plus intéressant de l’avoir avec soi que contre soi dans un contexte de lutte d’intérêts. On comprend dès lors que « son absence du territoire constituait-elle toujours un grand soulagement pour l'administration et les employeurs »21, fait remarquer Marc Satchivi. Rappelons que cette lutte « non violente », bien que souvent entravée par les administrations locales, obtiendra cependant des victoires substantielles. Elle contraignit par exemple la puissance coloniale à concéder des réformes susceptibles à leurs yeux de limiter la propagation des mouvements de contestation armés déjà en cours dans certains territoires, notamment en Indochine, en Algérie, au Viêt-Nam, etc. Entre autres réformes engagées, citons celle qui a eu le plus d’impact sur l’évolution politique des territoires, la Loi-cadre Gaston Déferre. Votée par l'Assemblée nationale française le 23 juin 1956 dans la perspective d’une meilleure gestion des territoires d’outre-mer, la Loicadre Gaston Déferre22 a marqué une étape décisive dans le processus de décolonisation, à une époque où les élites politiques africaines commençaient à brûler d'impatience et à revendiquer légitimement plus de responsabilités. Certes, elle ne prenait pas en charge tous les desiderata des plus exigeants des leaders africains, tels que Léopold Sédar Senghor. Mais, les plus avisés d'entre eux dont Sékou Touré anticipèrent sur le meilleur usage qu'ils allaient pouvoir en faire. Ainsi, vont-ils vider de son substrat politique, le cadre institutionnel colonial qui en découlait. Rappelons que cette loi dotait chaque territoire d'un Conseil de Gouvernement, à compétence locale et d’une 20
Lansinè Kaba, 2010, P. 213. Marc K. Satchivi sur www.ufctogo.com 22 Ministre socialiste de la France d'Outre-mer d’alors. 21
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Assemblée Territoriale dont les nouvelles prérogatives lui conféraient des pouvoirs législatifs et réglementaires en matière de gouvernance territoriale. Le Conseil de gouvernement était présidé par le gouverneur de la colonie, avec comme vice-président, un élu de la place qui allait très rapidement se positionner comme personnage incontournable. En Guinée, ce personnage fut Sékou Touré, jeune, charismatique et dynamique leader du PDG-RDA. Quant à l’Assemblée Territoriale, elle échut à Saïfoulaye Diallo, un autre responsable emblématique du Parti Démocratique de Guinée. C’est ce tandem Sékou-Saïfoulaye qui va se révéler déterminant dans la mise en œuvre du projet d’émancipation des populations du territoire d’autant plus que les intéressés se comprenaient et se complétaient merveilleusement bien. En dépit de ses insuffisances, la Loi-cadre Gaston Déferre, à n’en pas douter, a incontestablement permis de déblayer l'horizon politique africain. Elle devint une sorte de soupape de sûreté susceptible d’éviter l'implosion que l’incompressible volonté des peuples colonisés à disposer d’eux-mêmes risquait de provoquer dans les territoires. Elle aura eu l’inestimable mérite de favoriser l'apprentissage de l'autogestion par les élites africaines dans des conditions apaisées, surtout (et curieusement) avec l'aide de la métropole. Nous disons bien « curieusement », dans la mesure où cette loi était en réalité un stratagème monté par la même métropole pour noyer les promesses que celle-ci avait faites et qui avaient déterminé les peuples africains à prendre une part décisive à sa libération de l’occupation fasciste. Elle était le produit des réformes prévues par la Conférence de Brazzaville de 1944 présidée par le général de Gaulle en personne, conférence qui occulta royalement toute idée d’indépendance en dehors de la métropole. Malheureusement pour les initiateurs de ces réformes, Sékou Touré parvint en Guinée à déjouer le piège qui était dissimulé. Voici ce qu’il en avait dit à l’époque : « la Loi-cadre devait avoir pour conséquence directe l’éclatement de la structure fédérale de nos pays et l’isolement progressif des territoires que la métropole souhaitait voir s’embourber dans des contradictions internes et des oppositions
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brisant leur front uni. » 23 Il s’est avéré que le pouvoir colonial n’avait imaginé un seul instant que les peuples colonisés pouvaient décoder cette loi et l’utiliser contre lui. C’est bien ce qui arriva, parce que Sékou Touré qui avait compris le subterfuge a organisé le PDG et éduqué ses militants à l’effet d’en tirer le meilleur parti. Il s’agissait pour lui et ses compagnons d’exploiter à fond les faiblesses des textes en vue d’engager immédiatement des réformes qui leur étaient favorables. Ainsi optèrent-ils sans tarder pour une indépendance procédant d’une action fédérale concertée contre l’approche individualiste qui, à leur entendement, avait peu de chance d’aboutir à souhait. Les responsables du PDG, dans une harmonie de pensée et d’actions, réussirent l’extraordinaire maillage politique du territoire qui leur permit de remporter sans difficulté le scrutin des élections territoriales du 3 mars 1957. Cette brillante victoire leur offrit les opportunités de renforcer les capacités institutionnelles et opérationnelles du parti au point de rendre celui-ci incontournable dans tout le pays. Sékou Touré était tout puissant sur le terrain. Il était désormais difficile de décider sans et contre lui. Il en imposait incontestablement aux leaders des autres formations rivales, en l’occurrence Barry Diawadou du Bloc Africain de Guinée (BAG) et Barry Ibrahima dit Barry III Barry de la Démocratie Sociale de Guinée (DSG) qui n’avaient plus d’autres choix que de rallier le PDG. Ce ralliement a fait l’objet d’une incroyable apologie de la part des irréductibles adversaires de Sékou Touré. Il a été aveuglement surdimensionné et littéralement décontextualisé pour en faire l’ultime geste qui aurait permis de sauver l’indépendance guinéenne. Autrement dit, cette indépendance serait tributaire de la magnanimité des leaders du BAG et de la DSG. Nous pensons qu’il y a eu une surenchère gratuite. Il est à préciser ici que l’adhésion de ces formations rivales au projet d’indépendance défendu par le PDG procédait essentiellement de la real politik. D’autres diront de l’opportunisme. En effet, aux consultations territoriales du 3 mars 1957, le PDG avait fait un redoutable raz-de-marée, pour ne pas parler de « tsunami » électoral, avec 57 sièges sur 60, ce qui d’emblée lui donnait la possibilité de constituer seul le premier Conseil de gouvernement tel que stipulé par la Loi-cadre. Ces formations rivales 23
Sikhé Camara in De l’empire au référendum gaulliste de 1958, T I, 1ère Édition, Conakry, Imprimerie P. Lumumba, P. 387.
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constatant le déséquilibre des rapports de force en faveur de l’adversaire ne pouvaient pas ne pas rejoindre les rangs du parti vainqueur, quitte à s’en séparer plus tard. Mais le PDG qui était mieux outillé idéologiquement et politiquement, eut l’intelligence d’exploiter les incongruités de la Loi-cadre pour déconstruire de façon irréversible les fantasmes de ces leaders en abolissant le 31 décembre 1957 leur meilleur partenaire de terrain, la chefferie coutumière. Incontestablement, ce coup mortel porté à la chefferie était en fait destiné à désarticuler l’administration coloniale qui perdait ainsi sa cheville ouvrière. Car, comme le soulignait l’écrivain Jacques Rabemananjara, « l'un des bastions du régime colonial, son artillerie lourde, celle qu'il n'engage que dans les circonstances graves, s'appelle la féodalité africaine »24. Pour Sékou Touré le visionnaire, le tour était joué. En effet, en réussissant la suppression de la chefferie coutumière, il s’offrait pour ainsi dire, les clés de l’indépendance nationale qu’il ambitionnait depuis longtemps. Sans la mise à l’écart de ce bras séculier du pouvoir colonial, le succès du NON en Guinée, le 28 septembre 1958, n'eût pas été évident. C’est non sans raison que Rabemanjara louait le sens d’anticipation du leader guinéen en ces termes : « Rendons hommage à M. Sékou TOURE qui a vu clair en balayant cette chefferie. La liquidation de cette féodalité lui a permis le 28 septembre de prendre l'indépendance de son pays. (…) Sékou TOURE eût partagé le sort de Bakary Djibo, s'il n'avait pas su démanteler, pulvériser à temps le cadre vermoulu des notables impopulaires et rétrogrades. » En effet, sans disposition appropriée, Djibo entreprit de voter non au projet gaulliste. Il fut mis en minorité et contraint à l’exil. Il s’avère très clairement que Sékou Touré qui savait précisément ce qu’il voulait n’avait rien ménagé pour réaliser les conditions objectives de la victoire du peuple de Guinée le 28 septembre 1958. Il y a donc lieu d’en finir avec le négationnisme invétéré jusque-là distillé en faveur des leaders du BAG et de la DSG qui ont certes de la place dans le processus de l’indépendance, mais pas celle qu’on voudrait leur faire occuper indûment. Car, pour ceux qui ne le savent 24
Cité par Jean Suret-Canale in “Journal of African History”. Vol. VII. 1966. pp. 459493. 24 Ibidem.
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pas ou qui feignent de l’ignorer, « le vrai mérite de M. Sékou TOURE fut d'avoir eu l'intuition des tâches premières à accomplir sans délai. La Loi-cadre Defferre n'était-elle pas entre les mains de tous les leaders africains ? Aucun d'eux n'a su l'utiliser ni la transformer en un instrument efficace de gouvernement comme celui-ci y est parvenu. »25 Vouloir donc s’obstiner à surestimer le rôle joué par Barry III et à Barry Diawadou dans la lutte de libération nationale au point de leur attribuer la paternité de l’indépendance de la Guinée, participerait d’un nihilisme indécent. Rappelons, si besoin en était, que la cuisante défaite aux élections territoriales de mars 1957 du BAG et de la DSG et par ricochet des « tout puissants » chefs coutumiers qui les avaient soutenus et qui avaient même battu campagne pour eux, avait irréversiblement signé l’acte de leur mort politique. Cette victoire électorale du PDG ainsi que la suppression de la chefferie coutumière qui a suivi, ont constitué les vrais fondements de l’indépendance guinéenne. Partant, la Guinée ne pouvait pas ne pas gagner le scrutin du 28 septembre 1958. C’est non sans raison que certains politologues, dont nous, partagent l’avis selon lequel l’indépendance véritable de la Guinée a pris racine le 31 décembre 1957. Ce jour-là, le PDG avait réussi l’exploit de lever l’obstacle local majeur qui obstruait le chemin de la souveraineté nationale.
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Ibidem.
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Barry III
Barry Diawadou Photo C.W. Johnson
Par ailleurs, il y a lieu de noter que tactiquement le projet d’indépendance intéressait tout le monde (parti majoritaire et formations rivales) en tant que tremplin pour une réaffirmation de soi et surtout pour une révision d’options d’autant plus qu’en régime colonial, leurs actes politiques étaient objets de censure quotidienne par l’administration coloniale. Il était donc plus sage pour ces leaders évoluant plus ou moins dans la clandestinité de chercher à accéder d’abord à la pleine souveraineté et par la suite, discuter de son mode de gestion entre citoyens libres en territoire indépendant. Il n’y avait donc pas de raison pour les uns et les autres à s’opposer à l’idée d’indépendance. L’approche du reste n’est pas nouvelle, encore moins guinéenne. C’est dire que les leaders de l’« opposition » n’ont eu aucun mérite particulier et n’ont pas non plus fait montre de patriotisme singulier en acceptant d’aller au référendum du 28 septembre 1958 avec le PDG. Ce dernier non plus ne les a ni intimidés ni violentés pour les contraindre à le rejoindre. D’ailleurs, il s’agissait pour le BAG et la DSG beaucoup plus d’un ralliement que d’une fusion au PDG, ce qui confirme, on ne peut plus la liberté d’action dont jouissaient les leaders rivaux. En tout état de cause, le PDG n’a fourni aucun effort pour obtenir l’adhésion de ses adversaires à son programme, sinon que le travail opiniâtre de terrain qu’il a abattu. Il faut d’ailleurs louer le réflexe de ces derniers d’avoir su apprécier à 29
temps et à sa juste valeur, l’indiscutable suprématie du PDG et d’opter en toute connaissance de cause pour un profil bas. On a souvent tenté de diluer le mérite du PDG et de son leader dans le processus de l’indépendance nationale en essayant de mettre en surbrillance, le rôle des organisations estudiantines et particulièrement des partis d’opposition. Il y a eu certes leur apport, mais l’essentiel revient au PDG qui en avait fait sa priorité de tous les instants. Pour y parvenir, il avait entrepris et réussi à sensibiliser, mobiliser et faire adhérer massivement à ses idéaux les populations, tant et si bien qu’en peu de temps il s’était implanté partout en Guinée, jusque dans les plus petites collectivités rurales. À cela il faut ajouter le soutien total dont bénéficiait son leader Sékou Touré auprès des syndicats qui avaient en charge la défense des intérêts de milliers de travailleurs des centres urbains et périurbains auxquels l’homme était déjà très habitué. Par ce travail colossal de terrain, Sékou Touré et son parti avaient pratiquement ouvert et balisé le chemin de l’indépendance. D’après les intéressants travaux de recherche de Sidiki Kobélé Kéita26, spécialiste de la période, le Parti Démocratique de Guinée, grâce à l’organisation méthodique mise en place par ses responsables, disposait à la veille du référendum gaulliste d’importants atouts dont les plus stratégiques et fascinants étaient : • 2 députés sur 3 à l’Assemblée nationale française, • 5 maires sur 5 dans les communes de plein exercice, • 7maires de moyen exercice sur 9, • 57 conseillers territoriaux sur 60 issus d’élections ouvertes, libres et transparentes et qui plus est, supervisées par l’administration coloniale, • 11 ministres sur 12 au gouvernement de la Loi-cadre, • 5 Grands conseillers de l’AOF sur 5, • 494 conseillers de circonscription sur 526, • 39 902 conseillers ruraux élus sur 40 000 à la place des chefs de cantons et de villages. Un tel palmarès en impose même aux adversaires les plus incrédules. Barry III en était conscient, Barry Diawadou ne l’était pas moins. Sans eux ou avec eux, le PDG aurait indiscutablement gagné le 26
In « Les élections en Guinée française de 1945 à 1958 », PP. 210-213.
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référendum du 28 septembre. Il serait fort intéressant, voir important pour l’opinion publique, que ceux qui pensent le contraire et continuent encore à s’y accrocher, présentent les résultats de leurs recherches attestant une quelconque maîtrise de terrain par les leaders des formations rivales et associations d’étudiants susceptibles de préfigurer une option sérieuse pour l’indépendance. Ils ont peut-être posé le problème de l’indépendance avant le PDG, mais à notre modeste connaissance, nulle part, nous n’avons trouvé trace de leur combat dans cette direction. Ils se sont plutôt focalisés sur les luttes purement électoralistes en vue de leur positionnement dans des instances pouvant contrecarrer les vues du PDG qui dénonçait et combattait ouvertement les actions de l’administration coloniale. Autrement dit, quand Sékou Touré pratiquait une politique anticoloniale radicale, ces leaders entretenaient des relations d’alliance complète avec le système colonial. Pour preuve, ils ont toujours été ses candidats à tous les scrutins, bénéficiant de soutien et de financement actifs. Il est donc clair qu’à cette époque, tel que les choses se présentaient, toute tentative de boycott du projet d’indépendance de leur part aurait été suicidaire. Il serait donc malséant, voire absurde, de croire que l’indépendance de la Guinée dépendait du bon vouloir de leaders qui ne représentaient presque plus rien dans le paysage politique guinéen. La riche expérience des mouvements de libération devrait permettre aux Guinéens de savoir que dans le contexte qui prévalait, Barry III, Diawadou et Sékou Touré avaient tous intérêt à aller à l’indépendance, parce que c’est la seule qui leur offrait l’espace requis pour la mise en œuvre de leurs projets de société respectifs. Ce qui n’était pas à leur portée dans une Guinée « française ». Toutes les luttes de libération nationales (armées ou non) ont connu cette phase qui consistant à taire momentanément les contradictions internes entre protagonistes pour faire face à l’ennemi commun du moment représenté par le système colonial. Il faut d’ailleurs préciser ici que cet ennemi commun l’était moins pour l’opposition minoritaire qui avait des accointances avec lui que pour le parti majoritaire. Dans tous les cas, l’indépendance était intéressante pour tous. C’est seulement une fois celle-ci conquise, que se poserait le problème de son orientation qui peut être la pomme de discorde entre acteurs concernés. L’absence de consensus ramènerait forcément en surface les contradictions dont l’exacerbation conduirait inévitablement à la confrontation ou dans le meilleur cas, à sa gestion 31
intelligente par le camp minoritaire. Le cas guinéen n’a pas échappé à ce paradigme. En effet, après la proclamation de l’indépendance le 2 octobre 1958, le PDG qui était visiblement le parti le mieux implanté et le mieux structuré, s’est trouvé en position d’imposer sa voie au nouvel État, tout en obtenant cependant la participation aux affaires des adversaires d’hier. Convaincus de leur infériorité numérique et stratégique, ces derniers ont dû consentir non sans calculs : faire semblant d’adhérer à la gestion PDGiste de l’État tout en aspirant détourner l’indépendance en vue d’en infléchir l’orientation à partir des responsabilités qui leur seraient confiées. Erreur ! Car l’exercice s’avérait particulièrement délicat et périlleux face à une formation politique suffisamment expérimentée dont le leader avait un flair politique particulièrement développé. En vérité, la jouissance de l’indépendance s’est avérée, pour les leaders de l’opposition, une épreuve redoutable parce qu’à l’apparente adhésion au PDG exprimée pour les besoins de la cause, devraient très tôt se substituer de féroces adversités qui aboutirent au divorce entre les alliés d’hier. Prenant en compte le déséquilibre des rapports de force qui leur était visiblement préjudiciable, ils n’auront en fait que dissimulé hypocritement leurs divergences d’avec le Président Sékou Touré, parce que n’ayant d’autres choix que celui de le rallier. Dès lors, s’établirent entre lui et ses rivaux, des relations particulièrement tendues et assurément irréconciliables pour tout le temps qu’a duré leur longue cohabitation. La récurrence des tentatives de fragilisation du régime en place finira par donner naissance à une suite presque ininterrompue d’actes de contestation connus sous le fameux concept de « complot permanent ». Celui-ci n’était rien d’autre que l’expression concrète de l’implacable lutte des classes. Malgré ce départ très difficile, Sékou Touré est demeuré animé d’une farouche détermination à honorer les engagements internationalistes de la Guinée, en l’occurrence, contribuer à l’indépendance du reste de l’Afrique. Il y tenait d’autant plus qu’une telle entreprise ne lui paraissait pas hors de portée. Comme tel, il ne pouvait rester indifférent à toute forme d’exploitation et d’oppression des masses laborieuses des autres territoires encore sous domination coloniale. C’était pour lui un défi en même temps un devoir historique imprescriptible, car « l’amour que Sékou Touré avait pour l’Afrique 32
était un amour tyrannique »27, reconnaissait le Président Léopold Sédar Senghor, le plus virulent de ses contempteurs. Ainsi, patiemment, mais sûrement, Sékou Touré, à travers l’action du Parti Démocratique de Guinée, prépara son pays à jouer un rôle de premier plan dans la lutte pour l’émancipation des peuples épris de paix, de justice et de liberté. Cette lutte, il la voulait concertée pour un résultat fédérateur, toutes choses qui l’opposèrent à certains leaders africains partisans de la balkanisation du continent dont Senghor.
Gouvernement de la Loi-cadre Comme on peut le constater, c’est avec une longueur d’avance sur les autres colonies françaises que le pays de Sékou Touré arrache par référendum son indépendance le 28 septembre 1958, forme qui ne réduit aucunement sa portée politique et historique. Car, comme l’atteste le poète Aimé Césaire, « on s’est interrogé sur l’avenir de la Guinée. On s’est demandé dans quelle mesure cette indépendance trouvée dans le fond des urnes, pouvait être solide. Mais il faut se garder de la mystique de la violence. Il n’y a pas dans l’héroïsme une 27 Kouyaté Seydou Badian, Matalana, Hors Série, N°1.
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vertu telle qu’elle seule puisse fonder la cité. On aura pris l’effet pour la cause. Et si la guerre, comme rien d’autre, cimente l’indépendance, ce n’est pas par la vertu du sang répandu, mais par la vertu de la mobilisation passionnelle qui a rendu un peuple capable de répandre son sang. Or, si la guerre n’a pas eu lieu, c’est que la mobilisation du peuple de Guinée par Sékou Touré l’a rendue inutile.»28
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Expérience guinéenne et unité africaine, Présence africaine, 1962, P6 et 7.
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Chapitre 2 Indépendance et adversités du nouvel État En «préférant la liberté dans la pauvreté, à la richesse dans l’esclavage»29, la Guinée ouvrait ainsi la voie certes périlleuse, mais honorable, à l’émancipation des peuples africains. « Le choix guinéen est celui de l’honneur et de la dignité, celui qui s’inscrit dans le sens de l’histoire », écrit Ismaël Barry.30 Celui-ci était d’autant juste et pertinent qu’il allait s’avérer en moins de deux ans comme la brèche fatale ouverte dans l’édifice du système colonial français qui pensait à tout, sauf partir de sitôt d’Afrique. Il s’en suit en 1960, une avalanche d’indépendances de pays africains francophones (et même anglophones). C’était véritablement l’amorce de la dislocation de l’empire colonial français en Afrique, car sur 15 colonies ouestafricaines, 11 ont reconquis leur souveraineté politique. Désormais, la tentation à revendiquer leur souveraineté devint de plus en plus grande chez les peuples africains qui en étaient encore privés, tous systèmes francophone, anglophone et lusophone confondus. Ce choix guinéen qui fut un réel motif de gloire, de fierté et d’espérance trouva toute sa beauté, sa splendeur et son charme dans une Afrique où on ne savait pas encore dire ouvertement non à un petit commis « blanc » à fortiori à une grande puissance coloniale comme la France du général de Gaulle, le Royaume-Uni de la Reine Élisabeth ou le Portugal de Salazar. Et « si l’Afrique devait choisir une date unique pour fêter sa liberté, il n’y aurait pas meilleur repère et date plus indiquée que le 28 septembre »31, écrit Cheikh Tidiane Diop. « Ce jour-là, en effet, poursuit-il, le peuple de Guinée s’est exprimé à la fois pour lui-même et pour un continent à travers un vote synonyme de liberté et de 29
Discours du général de Gaulle à Conakry le 25 août 1958. Texte de conférence de Dr Ismaël Barry à l’occasion du Cinquantenaire de l’indépendance guinéenne. 31 In La Dépêche Diplomatique, N° 09, novembre 2008, P.20. 30
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dignité retrouvées. »32 Comme il fallait s’y attendre, ce vote négatif au projet gaullien exposa ses instigateurs à des représailles sans précédent, non seulement de la part de la France, ancienne puissance tutélaire, mais de tout l’Occident qui sentit ses intérêts dangereusement compromis à terme sur les terres lointaines d’Afrique et d’ailleurs. N’oublions pas que le 25 août 1958 déjà, de Gaulle lançait à Sékou Touré cet avertissement qui en disait long sur ses intentions : «… La France ne s’opposera pas à l’indépendance guinéenne, mais qu’elle en tirera les conséquences ».33 De retour à son hôtel, et parlant de Sékou Touré, il lança à ses compagnons d’infortune ces propos prémonitoires : « Voici un individu avec qui nous ne nous entendrons jamais. »34 Comme si ces menaces ne suffisaient pas, le Général qui avait la peine à digérer l’«audace » guinéenne déclarait le lendemain au bas de l’avion qui le transportait à Dakar que « La France s’en ira. Nous n’avons plus rien à faire ici (…) La République française à laquelle vous avez affaire n’est plus celle que vous avez connue et qui rusait plutôt que de décider (…) Elle a vécu très longtemps sans la Guinée. Elle vivra longtemps encore si elle en est séparée. »35 Ces propos on ne peut plus clairs et qui ne faisaient point peur à Sékou Touré, procédaient du choc humiliant que le discours de Conakry a provoqué chez le vieux Général, choc que Jean Mauriac, un des journalistes de la suite présidentielle décrit ici dans toutes ses émotions : « …Nous avons vu en direct le Général blessé, chancelant littéralement. Curieusement, plus que le texte de Sékou, c’était l’atmosphère qui régnait dans cette salle qui créa le drame ; jamais je n’avais connu pareil déchaînement lorsque le chef guinéen déclara : nous préférons la pauvreté dans la liberté à la richesse dans l’esclavage (…) Comme nous, le Général s’était senti humilié. Mais, pour lui, bien sûr, c’était toute la France qui avait été humiliée par ce jeune leader africain…».36 Pour les Guinéens, le coup avait réussi. Conakry la capitale guinéenne, vivait ce 25 août, une ambiance carnavalesque. Les applaudissements à tout rompre qui partaient de la salle et repris par 32
Ibidem. Réponse de Gaulle à Sékou Touré le 25 août 1958 à Conakry. 34 Ibidem. 35 Alpha Oumar Sy Savané, 2009, P28. 36 Mauriac, 2008, Jeune Afrique, Spécial N°1, P.22. 33
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l’immense foule massée dehors, étaient non seulement l’expression d’un peuple décidé à en finir avec la domination coloniale, mais aussi la parfaite communion de celui-ci avec son jeune et bouillant leader Sékou Touré. Pour les Guinéens, le choix était ainsi fait, le 28 septembre ne devant être qu’une simple formalité institutionnelle. Les Français présents à Conakry ce jour ne le démentiront pas. Au sortir de la salle, le général de Gaulle est visiblement abattu, irrité, voire agacé. Oubliant son képi sur la table, il file droit à sa voiture pour regagner sa chambre d’hôtel d’où il fait annuler tous les rendezvous au programme du séjour. Pendant de longues heures, il ne reçut personne, s’efforçant vainement de digérer seul l’overdose d’amertumes que Sékou Touré et ses concitoyens venaient de lui administrer. Après une nuit probablement la plus agitée et la plus longue de sa carrière politique, de Gaulle se rendit le lendemain à l’aéroport pour regagner Dakar, refusant non seulement de serrer la main à son hôte, mais de l’accepter dans sa suite pour Dakar où celui-ci devait assister à une importante réunion syndicale africaine. Tous les actes ultérieurs posés par le Général cachaient à peine sa détermination à en découdre avec l’homme. Ainsi, dès la proclamation des résultats du scrutin nettement favorables au NON, la liquidation du nouveau régime de Conakry et de son jeune leader fut programmée. Cette prémonition était d’autant fondée que « Sékou Touré avait contre lui une des personnalités les plus fortes du monde d’alors : le général de Gaulle de la France. Ce qui du coup, engage contre lui un autre génie politique de l’époque, l’homme sans état d’âme avec ses mercenaires armés jusqu’aux dents, faisant et défaisant à volonté des régimes politiques particulièrement en Afrique au sud du Sahara : Jacques Foccart, l’antihéros des indépendances africaines. La vie et le régime de Sékou Touré étaient assurément en danger »37, écrit Makhily Gassama, ancien ambassadeur du Sénégal en Guinée. Sur le terrain à Conakry comme à l’intérieur, la France réagit instantanément et parfois de façon puérile à cette proclamation des résultats. On note des provocations de toutes sortes : « On voit des soldats français venant sur la place du marché à Conakry, piétiner les bananes et les légumes des marchandes guinéennes, qui sont tellement politisées et ont si bien assimilé les mots d’ordre de calme, de courage et de sérénité qu’on leur a prodigués que, 37
Makhily Gassama, Matalana, Hors-série Guinée, N°1, P. 60.
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chaque fois que les soldats écrasent leurs marchandises, elles se contentent, en souriant, de se lever et de dire NON. Évidemment au point de vue psychologique, cela est foudroyant pour ces petits Français qui ne comprennent rien à la situation, et qui sont obligés de battre piteusement en retraite, devant le sang-froid de ces amazones d’un genre nouveau »,38 note Demba Diallo. Cette réaction des Guinéens en général et des femmes en particulier procède de l’éducation politique et idéologique des masses par le PDG à la conquête et l’exercice de leur liberté. Ce fut le seul point de l’ordre du jour de la conférence d’information du 14 septembre 1958 visant à prévenir les militants du projet de provocation de l’administration coloniale à la recherche de subterfuges susceptibles d’appeler l’intervention des forces de l’ordre. Il a été notamment demandé à la population de ne répondre à aucune attaque. « Si on vous gifle, tendez la seconde joue. C’est le prix à payer pour l’accession de votre pays à l’indépendance »39, était le mot d’ordre fermement conseillé. Cette conférence a eu des effets immunisants et stimulants sur les populations qui sont parvenues, à la surprise générale et à la honte de tous les agents coloniaux, à contenir merveilleusement toutes les tentatives de diversions qui avaient été savamment préparées par l’administration coloniale à l’effet de compromettre le référendum. Rapportant ce qu’il a vécu en tant que témoin oculaire, Demba Diallo poursuit rapporte : « On voit des administrateurs coloniaux, à travers la Guinée, casser la vaisselle, tordre les fourchettes et les couteaux pour ne pas les laisser à des Nègres ; on les voit perpétrer d’autres actes de vandalisme, notamment en brisant le mobilier avant de partir. »40 Ces provocations face à l’enjeu du choix entre la liberté et l’esclavage que la France leur propose étaient loin de démotiver les Guinéens qui se sont au contraire montrés majeurs et dignes ; ils se sont mis à la hauteur de l’évènement, en se dominant pour ne pas donner la moindre occasion à une quelconque intervention de l’armée coloniale aux aguets. Et comme si cela ne suffisait pas, le gouvernement français retire son administration, ses techniciens, déchoit de leur nationalité tous les cadres restés au service de la Guinée, emporte ou détruit les 38
Demba Diallo, 2005, Pp. 188-189. Discours de Sékou Touré à la réunion du 14 septembre 1958. 40 Ibidem. 39
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archives, vide les réserves de la Banque Centrale, etc. Les représailles contre la Guinée ont bel et bien commencé avant même la proclamation de son indépendance le 2 octobre 1958, comme le reconnaîtra plus tard en 1992, Pierre Mesmer, dernier Haut-Commissaire de l’AOF. Il note à cet effet : « Sous prétexte d’assurer la sécurité des Français le jour du référendum, j’envoie à Conakry, à bord d’un navire de la Marine nationale une compagnie de parachutistes dans laquelle un solide commando a l’ordre écrit et signé de ma main de se faire remettre les milliards de Frs CFA et de les transporter aussitôt à bord du navire qui les amènera à Dakar (…) J’ai insisté auprès du gouvernement pour retirer très vite notre administration. J’ai détourné et fait affecter à d’autres territoires les fonctionnaires français à l’issue de leurs congés, et deux bateaux de riz qui devaient débarquer leur cargaison que personne ne pouvait payer. »41 Cet aveu qui prédestine la Guinée à une fin apocalyptique prouve on ne peut mieux, la volonté manifeste des autorités françaises à faire payer cher et très cher même, le choix naturel d’un peuple à disposer de soi. Non content de tout cela, le gouvernement français tentera vainement quelques mois plus tard de faire obstruction à l’admission du nouvel État aux Nations-Unies, ignorant que l’indépendance guinéenne ne pouvait être isolée, adulée et soutenue qu’elle était par les représentants des forces progressistes du monde. C’est cette admission de la République de Guinée comme 82e membre de l’Organisation des Nations Unies qui lui permet désormais de devenir l’égale de la France au regard du droit international et de l’exercice de la souveraineté. Cependant, Sékou Touré ne manque pas de réalisme en dépit de l’éclatante victoire que venait de remporter son pays. Par mesure de prudence, il estime que l’indépendance est loin d’être un obstacle à une coopération avec l’ancienne métropole. Il le dira avec force et conviction que « … la France reste la nation avec laquelle nous entendons lier notre destin, à condition qu’elle réalise qu’une telle option politique n’est le fruit ni de la peur, ni de l’opportunisme, mais l’exacte expression d’une volonté délibérée et éclairée. Je ne vois pas pourquoi nous ne pourrions pas nous associer avec la France, dans la mesure où l’on voudra bien de la Guinée. Si la Guinée était rejetée de l’ensemble français dont elle a fait partie jusqu’ici, elle serait amenée à envisager toutes les solutions
41
Pierre Mesmer, 1992, P.107.
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compatibles avec sa dignité et conformes avec ses intérêts. »42 Malgré tout, les bonnes dispositions affichées par la jeune République ne furent pas comprises et la main tendue de Sékou Touré ne fut pas acceptée par De Gaulle, d’autant plus que des commentaires foncièrement tendancieux ont tenté de présenter autrement ce NON guinéen. Des politiciens de mauvaise foi l’ont considéré tantôt comme dicté par une tierce puissance, tantôt comme la résultante des comportements paranoïaques d’un dictateur en gestation, tantôt comme la manifestation d’une haine implacable à l’endroit du gouvernement français. On aura fait une très mauvaise lecture du geste historique du jeune leader guinéen. Pourtant, si on en dépassionne la compréhension, le discours du leader guinéen, n’était ni haineux ni discourtois encore moins rancunier. Il n’a fait que reprendre des propos qu’il avait l’habitude de débiter presque dans tous ses discours antérieurs. Mieux, il a pris soin d’envoyer copie à son honorable destinataire qui n’y a accordé aucun intérêt. En désespoir de cause, Sékou Touré qui n’avait aucune envie de subir la puissance et le magnétisme de son visiteur imprima au discours une intonation et une gestuelle qui finirent par lui conférer une virulence que personne n’attendait. Il faut préciser que c’est exactement le texte dont la copie avait été remise au Général qui a été lu. En clair, Sékou Touré ne voulait pas d’une séparation sans ménagement. Il y a été contraint par l’orgueil du général de Gaulle. Sékou Touré, qui n’avait sans nul doute pas cru en une réaction aussi drastique et durable de son hôte, n’a en réalité jamais renoncé à une réconciliation avec la France. De nombreux courriers ultérieurs échangés avec l’ancienne puissance coloniale l’attestent éloquemment. Dans sa logique, Sékou voulait d’abord aller à l’indépendance puis procéder par la suite à l’intégration de plein gré de la Communauté où les membres traiteraient d’égal à égal. Toutes choses qui heurtaient de plein fouet l’orgueil du Général. Imbu de sa personne, de Gaulle a donné libre cours à ses émotions au point de banaliser le problème d’indépendance qu’il a du reste jetée à qui voulait la prendre. La suite, on la connaît. Sékou Touré s’en expliquera plus tard dans une interview donnée à l’hebdomadaire allemand Der Spiegel du 28 janvier 1959 : « Le général de Gaulle n’a pas voulu comprendre que sa personne n’importait pas ; qu’il n’exerce aucune influence sur les millions d’Africains qui veulent leur propre État, qui aspirent à prendre leurs responsabilités. Il est un grand 42
A.O.Sy Savané, 2009, Pp.29-30.
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homme et il inspire l’estime. J’éprouve pour lui du respect. Mais ce n’est pas là une raison pour trouver sa politique bonne (...) Je lui ai dit ce qu’il fallait dire et ce que nul n’avait dit avant qu’il n’arrive à Conakry. Puis nous avons voté et ce fut tout. C’est cela la démocratie, nous n’étions pas redevables d’un plébiscite au général de Gaulle. »43 Ainsi donc, pour avoir choisi la pleine liberté à un aménagement de celle-ci au sein d’une communauté qu’elle ne contrôlerait pas, « Sékou Touré s’est mis la France sur le dos (...) On l’a coincé en fermant toutes les portes à la Guinée. Il a été contraint à la violence par les Occidentaux qui l’ont mis dans une situation impossible avec de temps en temps des coups auxquels il fallait répondre. Malheureusement, en voulant répondre à tous les coups, forcément il s’est trompé, il a commis des erreurs et des abus »,44 dira en 2008, l’écrivain malien Seydou Badian Kouyaté. Ainsi poussé à la défensive, «Sékou Touré a passé plus de temps à se protéger, à protéger l’indépendance de son pays, qu’à lutter contre le sous-développement matériel de son pays»45, constate, Makhily Gassama. Face une kyrielle d’interprétations de ses réactions, Cheikh Tidiane Diop s’interroge : « Sékou Touré devait-il accepter, bras ballants, de se faire conduire à l’abattoir en se résolvant à subir, sans réagir, le sort qui fut réservé à Patrice Lumumba, Nkrumah, Modibo Keita et bien d’autres panafricanistes sacrifiés par le feu ou par l’isolement ? »46 Assurément non ! Il faut plutôt se convaincre que c’est cet environnement criminogène qui a sans aucun doute engendré la psychose du complot permanent qui a fait couler à tort ou à raison tant de salives et d’encres. Cependant «tous les complots dénoncés par le jeune leader guinéen sont loin d’être imaginaires. Il ne faut pas oublier que Jacques Foccart, spécialiste en coups fourrés règne alors en maître sur les affaires africaines»47, témoigne Ibahima Signaté. Pour mener à bien sa mission de déstabilisation des pays africains, le général de Gaulle le nomme Secrétaire général de la Communauté avec des attributions extraordinairement vastes dont voici un large extrait : «… le Secrétaire général assure les rapports personnels du président avec les chefs 43
Citation reprise par André Lewin, 2009, P. 209. Seydou Badian Kouyaté, Matalana, Hors-série, N°1, P.52. 45 Ibidem. 46 In La Dépêche Diplomatique, N°09, 2008, P.20. 47 Ibrahima Signaté, in op.cit. P.14. 44
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d’État et de gouvernement. Il tient le Président informé de l’évolution politique des États africains et malgaches (...), de leurs rapports réciproques et de leurs relations avec la République française, ainsi que des problèmes de politique générale de la Communauté, notamment en matière de défense, de relations extérieures et de politique économique et financière. Il transmet aux autorités intéressées les directives et communications du Président ainsi que les conclusions des travaux des organes centraux de la Communauté. »48 Comme on le voit si bien, Foccart devient le tout-puissant gestionnaire de la politique française à l’égard des anciennes colonies. C’est en fait un Premier ministre qui ne dit pas son nom. Ce vaste domaine de compétences confié à Foccart, relève strictement du Général lui-même, donc ne faisant jamais l’objet de débats publics au Parlement ni même en Conseil des ministres. C’est le menu exclusif du huis clos Foccart/de Gaulle. « L’information du premier sur tous les aspects de cette politique est largement tributaire du second qui, chaque mercredi, réunit autour de lui, de manière informelle, le ministre des Affaires étrangères, le ministre de la Coopération et un certain nombre d’autres, si la nécessité s’en fait sentir. »49 En clair, la politique africaine du général de Gaulle est sans conteste, celle de Foccart et que son rôle en ce domaine était déterminant. Ces prérogatives exceptionnelles de Jacques Foccart auprès du général de Gaulle permettent de mieux comprendre l’environnement dans lequel les leaders des anciennes colonies en général et Sékou Touré en particulier, ont géré les indépendances de leurs pays respectifs. Témoin oculaire du spectacle du 25 août 1958 à Conakry au cours duquel le leader guinéen a irréversiblement compromis les chances de survie de la Communauté, Jacques Foccart devait se charger de punir au sens propre du terme, celui qui a humilié l’icône du 18 juin. Il s’y est entièrement mis et de nombreuses preuves l’attestent, à commencer par ses propres aveux. Des témoignages concordants reconnaissent la réalité de tous ses actes de conspiration contre Sékou Touré et son régime, même si certains s’ingénient encore à démontrer le contraire.
48 49
Pierre Péan, 1990, P.275. Ibidem.
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De 1958 à 1984, nous assistons à une succession de complots. Quand un complot est découvert et contenu, on en monte un autre, sans compter que l’après-complot est toujours un chemin de croix pour les Guinéens : Arrestations en masse, emprisonnements, exécutions sommaires, confiscation de biens, interruptions de projets et programmes de développements, etc. Ainsi, dès le début de l’année 1959, juste après l’admission de la Guinée à l’ONU contre la volonté obstinée de la France, Jacques Foccart, sans nul doute avec l’accord du Général, engage les hostilités contre Sékou Touré, présenté comme un « dangereux communiste ». Il s’agissait de le châtier pour avoir désavoué publiquement et frontalement l’initiateur de la fameuse Communauté franco-africaine. À cet effet, la première opération de déstabilisation est conçue et lancée depuis Dakar, à quelques encablures de Conakry, où se sont installés de nombreux Guinéens hostiles au régime. Ces derniers y bénéficiaient de la bienveillante attention de Monsieur Pierre Mesmer, Haut-Commissaire de l’AOF d’alors. Les contacts étaient fréquents et les informations sur le climat politique guinéen lui étaient régulièrement fournies. Plusieurs autres tentatives (voir annexe) suivront, toujours à partir de Dakar, mais n’aboutiront généralement à aucun résultat, parce que la vigilance était de mise à Conakry. La plus significatives des premières tentatives de remise en cause de l’indépendance guinéenne a été celles des stocks d’armes à des fins subversives déposés à la frontière sénégalo-guinéenne que rapporte ici Roland Colin, un haut fonctionnaire de l’administration sénégalaise : « Le 10 mai 1960, le commandant de cercle de Kédougou envoie un rapport au gouvernement rendant compte de la découverte par le chef d’arrondissement de Bandafassi d’un important dépôt d’armes de guerre, d’explosifs et de munitions au village de Dindéfélou. Le tout assorti d’un stock généreux de tracts et d’affiches de propagande antigouvernementale guinéenne. Plus encore, les interrogatoires et les aveux d’un certain Souleymane Baldé, qui se met à table sans difficulté, mettent à jour les ramifications d’une conspiration bien réelle.»50 Sur le plan intérieur, l’activisme était manifeste. Nombreux Guinéens furent des relais des réseaux français. En tout état de cause, l’on comprend aujourd’hui plus qu’hier que l’homme était dans une logique de survie de tous les instants où tous les coups étaient permis. « Pouvait-on lui refuser à Sékou Touré le droit de se défendre et de protéger une 50
Ibidem.
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révolution et une liberté que son peuple a arrachées, même si, d’un côté, une autre vérité incite à reconnaître que les dérapages, exagérations, bévues et exactions qui sont, du reste, le lot de toute révolution, étaient réels et imputables à certains proches gagnés par la psychose de leur propre disparition »51, se demande Cheikh Tidiane Diop ? C’est pourquoi ses réactions étaient parfois brutales et désastreuses : arrestations, exécutions, renforcement de tous les dispositifs sécuritaires, etc. À cet effet, l’auteur affirme que « beaucoup de victimes du Camp Boiro étaient innocentes devant l’Éternel. La plupart étaient victimes de dénonciations calomnieuses, certains, de règlement de comptes, d’autres, de délations abjectes. »52 À notre avis, ces témoignages devraient suffire avec le temps à expliquer, voire justifier les traitements réservés aux agents locaux qui ont accepté de jouer le jeu de l’ennemi extérieur. En fait, le « Camp Boiro » n’était que la réplique à une autre forme de violence dont Sékou Touré était victime tous azimuts. La question qui se pose de nos jours est de savoir si les traitements infligés aux pensionnaires de Boiro et autres lieux de détention étaient à la mesure des menaces qui pesaient sur son régime. Toujours est-il que nombre d’observateurs conviennent que si Sékou Touré a exercé une politique assimilée à une dictature, c’est forcé et contraint qu’il y a été amené. Cependant, en dépit de toutes les difficultés de tous ordres créées et entretenues contre la Guinée et son jeune leader, l’apocalypse annoncée par la France et autres afropessimistes n’eut pas lieu. Le jeune État, péniblement certes, mais fièrement, a tenu la route, tant par la volonté inébranlable des Guinéens eux-mêmes de s’assumer que par la solidarité internationale qui a renoncé à toute indifférence pour briser l’isolement auquel il semblait voué. Nombreux furent les intellectuels progressistes africains, européens (français compris) et ceux de la diaspora noire à voler au secours du nouvel État pour l’aider à relever le défi, car s’en était vraiment un. C’est ainsi que pour la première rentrée scolaire post indépendance, c’est-à-dire celle d’octobre 1958, une rentrée perturbée par manque inopiné de personnels enseignants, 150 volontaires internationalistes prennent la direction de la Guinée. En novembre 1959, Hamat Bah, Président de la Fédération des Étudiants d’Afrique Noire en France (FEANF) séjourne à Conakry pour faire l’état des lieux 51 52
Ibidem. Ibidem.
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et évaluer avec les nouvelles autorités les besoins immédiats du nouveau régime. De nombreux étudiants et cadres recrutés par la FEANF offrent leurs services en rejoignant directement la Guinée. Plusieurs autres experts de diverses nationalités se mettent à la disposition du pays et se rendent également à Conakry. En dehors des techniciens et enseignants ressortissants des pays socialistes et de l’Égypte auxquels il faut ajouter les 30 instituteurs togolais arrivés à la rentrée de novembre 1959, c’est un nombre impressionnant de cadres de différentes nationalités et de diverses spécialités qui ont fait le déplacement de Conakry, répondant ainsi à la sollicitation de la jeune République.53 D’autres comme Myriam Makeba, ont choisi de s’installer en Guinée parce qu’ils trouvaient que sa vocation était conforme à leurs idéaux et honorait tous les peuples épris de liberté, de paix et de justice sociale. Aussi y avait-il des nationalistes qui ont non seulement décidé de séjourner ou résider dans le pays, mais également d’en prendre parfois la nationalité. Ce faisant, la Guinée respectait ainsi l’Article 46 de sa première Constitution qui accorde le droit d’asile aux citoyens étrangers poursuivis en raison de leur lutte pour la défense d’une cause juste ou pour leurs activités scientifiques et culturelles. Ce sont généralement des leaders des mouvements de libération nationale ou des militants de partis politiques interdits dans leurs pays d’origine. Furent de ceux-là : - Mehdi Ben Barka (Maroc), - Bakary Djibo (Niger), - Amilcar Cabral (Guinée-Bissau), - Mario de Andrade (Angola), - Séni Nyang du Parti Africain de l’Indépendance (Sénégal), - Félix Moumié de l’UPC (Cameroun), - d’Abel Goumba du Front Patriotique pour le Progrès de (Centrafrique), - Yao Ngo Blaise (Comité de Libération de la Côte-d’Ivoire), 53
Consulter la liste en annexe.
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- Camille Adam (Comité de Libération de la Côte-d’Ivoire), - Louis Akin (Comité de Libération de la Côte-d’Ivoire), - Bernard Yawo (Comité de Libération de la Côte-d’Ivoire), - Nguéssan Zoukou (Côte-d’Ivoire), - Simon Oyono Aba’a du Morena (Gabon), - Laurent Désiré Kabila (Congo), - Frantz Fanon (Algérie), - Malcom X (USA), - Myriam Makeba, - Stokely Carmichael (USA.54 Aussi, écrit l’Ambassadeur André Lewin : « Enseignants, journalistes, leaders Nationalistes, originaires de France, d’Afrique ou d’ailleurs, ils seront nombreux à venir s’établir dans le pays nouvellement indépendants pour lui apporter leur soutien ou y trouver refuge. »55 Il est extrêmement important de noter que cette ruée de grands intellectuels progressistes vers la Guinée était d’autant souhaitée et louable que la Guinée, au lendemain de son accession à l’indépendance, comptait très peu de cadres de haut niveau. Nombreux sont ceux-là qui, par patriotisme, ont dû arrêter leurs études universitaires ou leurs carrières militaires pour venir se mettre au service de la Nation. Il y avait entre autres : • Lettres : Sékou Mouké Yansané, Nènè Khali Condetto Camara, Bah Mamadou, Bachir Touré ; • Histoire : Djibril Tamsir Niane, Tolo Béavogui, Alsény Boiro ; • Géographie : Abdoul Goudoussy Diallo, Mme Bah, Louis Holié, Amirou Diallo, Sékou Oumar Tall ;
54 55
Une partie de la liste est fournie par André Lewin, 2009, T.3., Pp. 75-76. André Lewin, 2009, T2, Pp. 126-127.
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• Maths-Physique : Bah Ibrahima Kaba, Félix Faber Moussa Yambaya Camara, Saïdou Maléa Diallo ; • Médecine : Dr Roger Accar Najib, Dr Saïdou Conté, Dr Alpha Taran Diallo, Dr Bah Caba ; • Économie : Dr Diawa Mory Traoré ; • Armée : général Noumandian Kéita, colonel Kaman Diaby, capitaine Doukouré, général Lamine Diallo, lieutenant Mamoudou Kéita, lieutenant Somah Kourouma, sergent Sory Doumbouya, Abraham Kabassan Kéita, etc. Ces Guinéens ont été, chacun dans son domaine, les pionniers des nouveaux programmes qui ont permis la mise en route du jeune État. Autant, la République doit reconnaissance infinie aux expatriés qui ont bravé toutes sortes de dangers dont la déchéance de nationalité, pour accomplir leur devoir d’internationalistes, autant elle doit célébrer le patriotisme, le courage et l’abnégation de ses nationaux qui, dès les premières heures ont renoncé à leurs ambitions académiques pour répondre à l’appel de la Patrie. Tous ont œuvré sans calcul pour donner sur le terrain, un contenu concret au NON historique du 28 septembre 1958. Ce sont eux qui ont permis à la Guinée d’avoir raison des menaces du général de Gaulle et de briller de mille feux. Ils sont les fondateurs de l’honneur et de la fierté qui habitent aujourd’hui chaque Guinéenne et chaque Guinéen. Ils sont aussi concernés, ces Guinéens, par ces propos de l’écrivain malgache, Jacques Rabemananjara pour qui «la fermeté du geste guinéen (…) acquit instantanément une valeur de sacrément et a permis au nègre à l’échine courbée de se redresser de toute sa hauteur, de se laver d’une longue souillure (…) Qu’il en ait clairement ou confusément conscience, chaque Africain, chaque colonisé, est concerné par la décision guinéenne. Lancée comme une gageure, brandie comme un défi, cette indépendance-ci ne ressemble pas tout à fait aux autres indépendances ; elle tranche sur ses aînées par son origine de pile ou face, par son caractère de bravade qui lui prêtent une allure à la fois provocante et séduisante »56 De ce qui précède, il est aisé de conclure que le choix guinéen de 1958 procédait de l’universalité de la liberté, de la justice et de la dignité humaine, raisons pour lesquelles les pays du camp socialiste et 56
André Lewin, 2009, T 2, P. 152.
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du monde progressiste ont volé au secours de la Guinée. Entre autres pays, il faut citer : l’URSS, la RDA, la République Populaire de Chine, le Viet Nam, Cuba, la Corée du Nord, la Yougoslavie qui n’ont pas accepté d’abandonner la Guinée au bon vouloir de la France, même si l’importante aide qu’ils ont apportée ne répondait pas toujours aux conditions locales ainsi qu’aux besoins des citoyens. Connaissant parfaitement les graves conséquences des dures réalités de l’exploitation, de l’oppression, de la discrimination raciale et autres injustices sociales, ces pays ne pouvaient rester indifférents au sort que la France entendait réserver au peuple de Guinée. Cependant, faut-il signaler, la Guinée ne renonce pas pour autant à l’usage concomitant des investissements occidentaux. On note la présence sur le terrain des sociétés occidentales et soviétiques, notamment dans l’exploitation minière de la bauxite dont le pays recèle les 2/3 des réserves mondiales ainsi que dans l’aide alimentaire américaine. Mieux, Sékou Touré n’eut aucune gêne à se faire recevoir dès 1959 à Washington, successivement par les Présidents Eisenhower, John Kennedy et presque tous leurs successeurs à la Maison Blanche. Il en fit autant avec la République Fédérale d’Allemagne qu’il visite la même année, nonobstant la présence en Guinée de l’Allemagne de l’Est. C’est dans cet environnement diplomatique hétéroclite que le jeune Président Sékou Touré, abandonné, isolé, et torpillé par la France, va se forger un mode de gestion de la souveraineté de son pays. Naturellement, ce choix ne sera pas sans conséquence pour la Guinée en général et ses concitoyens en particulier : nationalisation de la plupart des sociétés françaises ; traques, arrestations et expulsions de nombreux citoyens français ; réduction drastique des échanges commerciaux ; cessation de paiement des pensions des anciens combattants par le Trésor français. Malgré cette ambiance morose, Sékou Touré engage son peuple dans l’édification de la nouvelle société fondée sur de nouveaux rapports excluant l’exploitation de l’homme par l’homme et favorisant la promotion de la justice sociale, de l’honneur et du bonheur pour tous.
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De Gaulle et Sékou Touré
Gouvernement de 1963
Jacques Foccart
Source : Archives du Permanence nationale du PDG et La Dépêche N° 09, novembre 08, P.30.
I. Les chantiers du nouvel État et problèmes intérieurs L’indépendance de la Guinée a charmé plus d’un. Quelques semaines après sa proclamation, une soixantaine de pays s’empressent de reconnaître le jeune État tandis qu’au même moment son ancienne tutelle coloniale s’engageait à lui faire payer chèrement ce qu’elle considérait comme une audace, un affront. Le nouvel État indépendant, sous la conduite de son jeune Président, Sékou Touré, est plus que déterminé à relever le défi, soutenu en cela par nombre de sympathies et autres volontaires progressistes à travers le monde. Cette indépendance signifiant en même temps la conquête du pouvoir, il s’agissait pour les nouvelles autorités de créer, consolider et défendre les instruments et les organes de sa gestion, d’en définir la nature et les intérêts de classe qu’il exprime et impulse. En raison des modalités de rupture d’avec l’ancienne métropole, il s’imposait à ces derniers la nécessité d’accorder la primauté du politique sur et dans l’État. Ce dispositif idéologique, selon ses théoriciens, a l’avantage de permettre l’implication de tous les citoyens sans distinction aucune dans l’œuvre de construction et de rénovation nationales, d’émancipation économique, culturelle et sociale. Selon Imré Marton57, « ces tâches exigeaient le renforcement de la cohésion 57
Imré Marton est un marxiste hongrois qui a travaillé sur la pensée politique de Sékou Touré.
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nationale d’autant plus que l’impérialisme français en particulier, l’impérialisme mondial en général exerçait une pression incessante sur le jeune État guinéen pour le déstabiliser. »58 Pour y remédier, seule la démocratie nationale convenait en cette phase de démarrage d’autant plus que celle-ci, se fondant sur la politique de souplesse à l’intérieur et fermeté à l’extérieur, permettait non seulement d’associer toutes les couches sociales à la construction de l’État et de la Nation, mais aussi de résoudre les problèmes résultant des réalités résiduelles du tribalisme, du régionalisme, de la mystification religieuse, du fétichisme, de la discrimination de sexe et de conditions sociales, etc. Bref, « il s’agit de faire converger aussi longtemps que possible et tant qu’il est nécessaire toutes les énergies nationales pour la réalisation d’objectifs correspondant aux intérêts fondamentaux de tous et de chacun »59, précisera Imré Marton. Ce choix politique eut l’aval des assises du Vème Congrès national du Parti Démocratique de Guinée (PDG) tenu à Conakry en septembre 1959. Ce travail de préparation politique et idéologique des populations balisait ainsi la mise en route effective du processus du développement national. Cependant, pour la survie de la jeune indépendance, les nouveaux dirigeants devaient chercher à contenir immédiatement et impérativement les conséquences de deux mesures répressives gravissimes engagées par la France en représailles au vote négatif du 28 septembre 1958 : le démantèlement des forces de défense territoriales et l’exclusion de la Guinée de la Zone franc, toutes choses destinées non seulement à précariser la sécurité intérieure du régime, mais aussi à l’étouffer économiquement. La France tenait ainsi à tout prix à montrer que l’indépendance n’était pas nécessairement le meilleur créneau pour développer l’Afrique. Cependant le jeune État prenant acte de la volonté manifeste de nuisance de son ancienne tutelle, créa dès le 1er novembre 1959, son armée nationale chargée de la protection de l’intégrité du territoire, en dépit de la faiblesse des moyens (matériels et humains) hérités de la défunte armée coloniale. Ce faisant, le Président Sékou Touré avait parfaitement conscience que le développement rimait avec la paix et la sécurité. Aussi, ce à quoi très peu d’observateurs prêtaient attention à l’époque, c'est que très tôt Sékou Touré, l'homme du risque, était tout autant celui de la 58 59
Tome xix, des Œuvres du PDG, P.356. Ibidem. P. 357.
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prudence. Tenant compte des circonstances de sa sortie du juron gaulliste, il était certain que l'indépendance de son pays restait une indépendance menacée, d’autant plus qu’une intervention militaire française n'était pas exclue, pour peu qu'un incident en donnât le prétexte. La probabilité était d’autant plus grande que d’autres intrigues étaient possibles à l'intérieur. Dans la même foulée et pour les mêmes raisons sécuritaires, il lança le 1er mars 1960, le Franc guinéen assorti de sa banque centrale chargée non seulement de l’émission, mais aussi de l’octroi de crédits aux entreprises qui en feraient la demande. Le Président Sékou Touré ayant compris que la monnaie était un élément de la planification des prix et de renforcement de la programmation économique avec laquelle elle intervient conjointement décida de la création d’une monnaie nationale avant tout plan de développement économique. Se mettant ainsi à l’abri de surprises incontrôlables, le jeune leader guinéen donnait la preuve de son sens d’anticipation, réflexe indispensable aux politiciens avisés. Dès lors, le nouvel État prenait en main son propre destin et pouvait de ce fait se prévaloir de la responsabilité d’engager des réformes hardies et des plans de développement dont il était sûr de garder et de contrôler les initiatives. Ainsi, verra-t-on se succéder avec plus ou moins de bonheur, quatre plans de développement dont les financements reposaient essentiellement sur les crédits octroyés par la coopération socialo-communiste, rupture brutale avec l’Occident oblige, et les bénéfices du commerce extérieur dont l’essentiel provenait des exportations agricoles et des ressources minières. Ainsi, les quatre plans nationaux de développement élaborés et exécutés par la Première République furent : • • • •
Le Plan triennal (1960-1963), Le Plan septennal (1964-1971), Le premier Plan quinquennal (1973-1978), Le second Plan quinquennal (1981-1985).
De façon générale, tous ces plans ont cruellement souffert du manque de financements extérieurs dus en grande partie à l’action nocive de l’ancienne puissance colonisatrice. Celle-ci n’entendait pas voir le jeune et fougueux leader guinéen qu’elle destinait, pour ainsi dire à l’enfer, relever le défi qu’elle lui a lancé après la confrontation verbale du 25 août 1958 l’ayant opposé au général de Gaulle. Elle ne 51
ménagea rien pour contrecarrer toute volonté occidentale de soutenir la jeune indépendance guinéenne. Cependant, ces difficultés de financement furent suppléées en partie par des initiatives locales propres, surtout pour le Plan triennal, par l’« investissement humain » qui ne manqua pas d’intérêt d’autant plus qu’il a constitué un apport de six milliards de Fg, soit 40,5 % de financement intérieur. Il est à noter que l’« investissement humain » ne fut pas une pratique nouvelle. Déjà, sous la Loi-cadre Gaston Deferre, il a servi à alléger le budget des territoires en même temps qu’il visait à en accroitre la production. C’est en fait, l’« investissement humain » qui a permis aux colonies de se prendre en charge du point de vue fonctionnement, jouissant ainsi d’une large autonomie par rapport à la métropole qui peinait à retrouver son équilibre d’après-guerre. À rappeler que l’« investissement humain » consistait, pour les citoyens et autres indigènes à s’imposer un travail supplémentaire non rémunéré et d’intérêt général. Il appartient à l’autorité de fournir dans certains cas les matériaux et équipements requis pour la finition d’ouvrages programmés. Le PDG qui trouva l’approche intéressante l’adopta à son IVe Congrès de juin 1958 à l’effet de suppléer l’insuffisance de financement dont pourraient éventuellement souffrir ses plans d’action. Ce choix guinéen a été surtout encouragé et déterminé par l’expérience ivoirienne en la matière. En effet, cette colonie voisine est parvenue à se doter d’importantes infrastructures socio-économiques, alors que son budget n’était pas en mesure de lui en donner les possibilités. En Guinée, l’« investissement humain » a aidé à la réalisation de nombreux ouvrages pour lesquels il y avait déficit de financement. Grâce aux initiatives novatrices de certains administrateurs, il a été possible d’obtenir par endroits d’excellents résultats, quand dans de nombreuses régions, plusieurs chantiers étaient à l’abandon faute de crédits. On notera par exemple les importantes infrastructures réalisées par les gouverneurs Amadou Télivel Diallo à Nzérékoré, Émile Condé à Beyla, Morikandian Savané à Macenta, Mankona Kouyaté à Kissidougou et Toumany Sangaré à Gueckédou pour ne citer que ceux-là. Leurs œuvres sont jusqu’à ce jour, c’est-à-dire plus de cinquante ans après l’indépendance, parmi les meilleures réalisations de l’État dans ces localités. Ce qui leur vaut encore d’être 52
toujours cités avec respect comme des exemples d’administrateurs « développeurs » par excellence. Ils ont prouvé qu’avec peu de moyens, mais armé d’ambition de réussite, on peut produire de grandes œuvres. En dépit de leurs faibles performances, les réalisations issues de l’« investissement humain » avaient valeur de symbole de volonté politique. Le pays en ses débuts, évoluant dans un environnement particulièrement pollué par des adversités, en avait besoin. Par ce biais, Toumany Sangaré par exemple, était parvenu à construire à Gueckédou, de nombreuses écoles, dont le collège régional, des routes, des ponts, des centres de santé, dont l’hôpital régional, des aires de jeux, des salles de spectacles, etc., hissant ainsi par trois fois sa circonscription administrative au rang de « Fédération pilote »60 de toute la Guinée. Administrateur créatif, Toumany Sangaré avait développé à Gueckédou les arts et les sports, réussissant ainsi à fixer la jeunesse, quand celle-ci dans d’autres localités, avait pris le chemin de l’aventure. La démarche avait fait école d’autant plus qu’elle a été utilisée durant tout le règne de la Première République comme moyen d’émulation et de mobilisation des ressources locales en vue de conjurer la précarité des capitaux qui devenaient de plus en plus rares. La dernière expérience en la matière eut lieu au courant des années 70. Ainsi, en 1977 et 1978, certaines régions apparemment peu viables du point de vue économique, parvinrent à réaliser d’importants ouvrages sociaux à partir des efforts propres des collectivités locales. Ce fut le cas de la région de Yomou du temps du gouverneur Fara François Kamano, qui réussit deux années de suite à talonner Gueckédou, la Fédération pilote tenue par Mamady Sanassy Kéita, un jeune instituteur fraîchement promu gouverneur. Faranah et Macenta y étaient également parvenus, comme l’indique le tableau suivant.
60
Pour encourager les initiatives des administrateurs qui réussissaient à impulser le développement de leurs juridictions administratives à partir des ressources propres, le PDG avait institué un classement annuel de toutes les Fédérations du pays. Gueckédou, sous Toumany Sangaré, a remporté trois fois de suite la médaille d’or, arrachant ainsi le titre de Fédération pilote du PDG. Gueckédou était devenue une ville où il faisait bon vivre à cause de l’épanouissement des arts, de la culture et des sports dont les structures d’encadrement rivalisaient avec celles de la capitale Conakry.
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Année
Or
Argent
Bronze
1977
Gueckédou
Faranah
Yomou
1978
Gueckédou
Yomou
Macenta
Il importe de rappeler que l’« investissement humain » n’était rien d’autre que des recettes de la décentralisation mise très tôt en œuvre par l’État guinéen sous l’appellation de Pouvoir Révolutionnaire Local (PRL). La vocation du PRL consistait à impliquer les collectivités locales dans la gestion des problèmes qui les concernent directement. Ainsi furent-elles étroitement associées à la conception, l’exécution et l’évaluation de tout projet visant l’amélioration de leur mieux-être. Les financements étaient conjointement assurés par la mobilisation des ressources locales et l’octroi de subventions de l’État (qui n’arrivaient pas toujours). Dans ce contexte, les collectivités locales devaient user du principe de « compter sur ses propres forces », cher au Président Sékou Touré. Ainsi ont presque fonctionné, tous les plans de développement, du moins pour des projets de moindre envergure ne requérant pas de gros investissements financiers.
Amadou Télivel Diallo
Toumany Sangaré
Fara François Kamano
Source : Archives de la Permanence nationale du PDG
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Fondamentalement, nous pouvons retenir que si les 4 plans de développement marquaient une réelle volonté du jeune État de relever le défi par la démonstration de ses capacités créatrices, ceux-ci se révélèrent presque tous en deçà des attentes. Les raisons étaient de deux ordres : D’abord du point de vue structurel, les plans ont souffert tous d’un certain nombre de lacunes qui en limitaient considérablement l’exécution correcte, donc la réussite : • L’insuffisance de financement qui entraînait l’arrêt inopiné de certaines actions ; • L’improvisation intempestive due à un manque de programmes rigoureux d’orientation ; • L’incompétence et l’incurie des agents d’exécution ; • L’insuffisance des études de base ; • L’absence de coordination des initiatives et de surtout de suivi de projets ; • La trop grande présence de l’État dans le processus. La seconde raison, d’ordre conjoncturel, tient essentiellement au climat politique intérieur gravement vicié par les relations d’adversité que le PDG entretenait avec les autres formations politiques et autres tendances rivales depuis les premières heures de l’exercice de la souveraineté nationale. Les contradictions se sont exprimées durant toute la longue cohabitation, à travers une succession impressionnante de tentatives de remise en cause du régime du PDG. Ainsi, débuté en 1960, le premier plan enregistra dans sa dernière année d’exécution, en décembre 1963, la manifestation du « Complot dit des enseignants », pudiquement appelé par certains « Menées subversives des enseignants ». La gestion de celui-ci ne permit pas à l’État d’achever les actions programmées. Le second plan de développement ne fut pas plus heureux. Lancé en 1964, il connut des arrêts inopinés, notamment avec le « Complot Petit Touré » en 1965 suivi du « Complot Kaman-Fodéba » en mars 1969.
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Col. Kaman Diaby
Fodéba Kéita
Rappelons au passage que les mauvaises langues avaient à l’époque pensé que le « Complot Kaman-Fodéba » était l’expression de la maturation du sentiment d’insécurité suscité chez le Président Sékou Touré par les coups d’État militaires qui ont renversé ses amis Kwame Nkrumah en 1966 et Modibo Kéita en 1968. Qu’à cet effet, il aurait opté pour la prévention en incidentant au niveau de l’armée, dans la perspective de mise hors d’état de nuire, des officiers qui avaient une certaine ascendance sur les troupes. Vrai ou faux, la révolution devait faire face à une recrudescence d’actes de contestation dont le « Coup Tidiane Kéita » et deux mois plus tard, l’agression portugaise du 22 novembre 1970, manifestation la plus significative de l’ennemi contre la révolution guinéenne. Ce fut vraiment le point culminant de la détestation intérieure du régime du PDG.
Dr. Lansana Béavogui 56
Le traitement de ce dossier qui déteindra négativement sur les programmes des années 1971 et 1972 fit de redoutables vagues dans le pays. Le Président Ahmed Sékou Touré qui avait visiblement trop à faire se délesta d’une partie de ses prérogatives en créant le 26 avril 1972 un poste de Premier ministre (non constitutionnel) confié à Dr Lansana Béavogui, son légendaire homme de confiance. C’est dans une ambiance lourde de suspicions que se prépare le troisième plan national de développement dont le lancement eut lieu début 1973. Son exécution sera affectée par deux évènements majeurs qu’il faut situer dans la logique du rejet maintes fois réitéré par ses ennemis, du régime du PDG : L’« Affaire Diallo Telli » encore appelé le « Complot peulh » en 1976 et la Marche des femmes du 27 août 1977. Ces deux évènements furent assurément décisifs dans l’essoufflement de la foi révolutionnaire chez le Président Sékou Touré, même si par orgueil masculin, il s’était efforcé de ne pas l’afficher. En effet, l’« Affaire Diallo Telli » qui lui offrit l’opportunité de s’attaquer ouvertement à l’ethnie Peulh à travers un discours des plus exécrables ferma définitivement les portes de cette importante région du pays au PDG. Ce discours que rien à notre avis ne justifiait, était indigne d’un chef d’État qui avait déjà tant fait pour la promotion de l’unité nationale. Sékou Touré n’avait nullement besoin de sautes d’humeur ou d’insanités singulières pour se faire comprendre et se faire accepter par des citoyens qu’il connaissait bien et qui le connaissaient tout autant. Tout portait à croire qu’il y avait de sa part, une volonté manifeste de règlement de comptes avec cette importante frange de compatriotes qu’il n’aurait pas réussi à acquérir à sa cause. Dans un long réquisitoire visiblement empreint de ressentiments, de haine et de mépris qu’il étaya de temps à autre par des faits historiques, sociologiques et politiques, il s’était ouvertement (et indûment) engagé à en découdre avec toute une ethnie. Erreur gravissime ! Tous les actes qu’il a posés par la suite à l’encontre de ces populations se sont invariablement inscrits dans une logique de gestion de vieilles rancœurs. Ce fut l’origine de la fameuse « Situation particulière du Fouta », une stigmatisation en bonne et due forme. En vérité, Sékou Touré venait ainsi de commettre une abominable erreur sinon un suicide politique qui l’aura incontestablement desservi et compromis à jamais son projet d’unité nationale qu’il chérissait tant. Il faut conclure que c’est donc non sans raison que depuis lors, le 57
« Responsable Suprême de la Révolution » et la Moyenne-Guinée se sont mutuellement et souverainement détestés. Il est à se demander si une croisade contre toute une ethnie, pour quelque raison que ce fut, était nécessaire et opportune ? Sékou pouvait-il ignorer que la mise en œuvre de tout projet politique fondée sur une imposition de choix est antidémocratique et donc contestable ? On retiendra qu’à partir de 1976, la révolution guinéenne s’était délestée d’une importante partie de ses ressources humaines, ce qui du coup rendait hypothétique sa survie. Pis encore, à peine la gestion du dossier de la « Situation particulière du Fouta » entamée, que survint une manifestation des plus inattendues pour le Président Ahmed Sékou Touré : La Marche des femmes du 27 août 1977, dans la capitale Conakry, marche qui détermina le fléchissement du régime. En effet, cette contestation collective des femmes contre les tracasseries de la police économique, contraignit Sékou Touré qui, jusque-là assuré du soutien indéfectible des femmes, constituées par ailleurs en une puissante « Union Révolutionnaire des Femmes de Guinée », à faire machine arrière (ce qui lui était rarement arrivé). Puisque selon lui, celles-ci sont le baromètre de la société, Sékou Touré ne pouvait pas ne pas comprendre le message du peuple de Guinée dont ses « militantes » étaient porteuses. Il n’hésita pas à supprimer la police économique, à restaurer l’autogestion des marchés et à rétablir le commerce privé, même si par la suite, les femmes instigatrices de la marche furent arrêtées et incarcérées sans bruit. Cette manifestation hostile des femmes « révolutionnaires » affligea profondément le Président Ahmed Sékou Touré et contribua à l’initiative d’une ouverture de la Guinée sur le reste du monde, initiative perceptible déjà dans les actes du Xième Congrès du PDG et confirmée par le XIIe. Pour une rare fois, il faut l’avouer, le « Responsable Suprême de la Révolution » ne réussit pas à charmer « ses » femmes, celles-là mêmes qui l’avaient toujours encensé et adulé. En dépit des échecs répétés des trois premiers plans, Ahmed Sékou Touré ne se découragea pas. Pensant avoir tiré les leçons des insuccès antérieurs et conforté par sa ferme volonté d’adaptation à la nouvelle donne de fin XXe siècle qu’il savait incompatible avec la gouvernance des partis uniques, il fait concevoir un quatrième plan relativement 58
plus réaliste. Non seulement il avait mis l’accent sur les compétences des cadres guinéens à impliquer dans l’exécution des différents projets, mais aussi, il n’excluait pas l’intervention des capitaux et experts étrangers, notamment occidentaux, jusque-là considérés comme des produits de l’impérialisme. Malheureusement le vers était déjà dans le fruit. À l’instar des plans antérieurs, ce dernier aussi connut ses troubles, pour ne pas dire ses complots, qui eurent des répercussions fâcheuses sur son exécution normale. Déjà, durant sa phase préparatoire, précisément le 14 mai 1980, se produisait au Palais du Peuple, l’attentat à la grenade au cours d’un spectacle présidé par le Président Sékou Touré en personne. Le pouvoir de Conakry parla d’une nouvelle tentative d’assassinat contre le chef de l’État. C’est donc dire que le démarrage effectif le 1er janvier 1981 du 4e et dernier plan est intervenu dans un environnement fort délétère. Le 10 février, un mois à peine après son lancement, l’Aéroport international de Gbessia-Conakry enregistra l’explosion d’un engin militaire, à l’occasion d’un retour de voyage du chef de l’État. L’évènement prit valeur de tentative de déstabilisation avec la découverte au même moment des tracts hostiles au régime. Le plan qui peinait déjà à faire route, va connaître à nouveau des facteurs d’enlisement qui vont affecter son agenda, en l’occurrence, l’« Affaire Karifa Doumbouya »61 révélée au début du mois de mars 1984. Cette affaire dont les enquêtes n’avaient pas encore livré les tenants et les aboutissants fut stoppée immédiatement avec la disparition subite le 26 mars 1984, du Président Ahmed Sékou Touré. On ne put donc longtemps épiloguer dessus, le présumé auteur étant libéré le 3 avril 1984 par l’armée fraîchement arrivée au pouvoir à Conakry. C’était la fin inopinée du 4e plan national de développement. La grande muette venait de substituer au dirigisme économique, l’économie du marché libre. À l’évidence, il apparaît que les différentes tentatives de déstabilisation ou de diversion du régime ont pratiquement couvert toutes les périodes de mise en œuvre des différents plans de développement initiés par l’État guinéen. Autrement dit, à chaque plan 61
Selon les autorités, cette affaire se situerait dans la perspective du sabotage de la tenue du Sommet de l’OUA prévu à Conakry. Mais les enquêtes ne permirent pas de confirmer les faits.
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d’action mis en route coïncidaient curieusement des manifestations majeures d’adversités. Était-ce un simple fait du hasard ou l’expression d’une volonté de sabotage minutieusement programmée ? En tous les cas, le fait qu’aucun plan de développement ne se soit achevé sans être interrompu par un ou plusieurs facteurs d’enlisement et qu’aucune tentative de remise en cause du régime n’ait eu lieu sans coïncider à un plan d’action en chantier donne nécessairement à réfléchir. Il reste à savoir à qui profitait pareille coïncidence ? Car c’en était bien une. Toute récapitulation faite, il se passait que les quatre plans de développement ont été interrompus par au moins dix tentatives de déstabilisation ou de diversion découlant des adversités intérieures et extérieures. Qu’on les appelle complots, tentatives de déstabilisation, menées subversives, actes de sabotage ou simples diversions, il faut convenir que chaque épisode induisait des coûts récurrents procédant de la paralysie sinon de l’arrêt impromptu de tous les projets et programmes sur de longues périodes. Partant, on ne peut pas ne pas conclure que l’ennemi avait réussi son pari : celui de faire échec au PDG dans son ambition de promotion de la « voie de développement non capitaliste » en Guinée. En effet, pendant l’exécution de chacun des plans de développement, Sékou Touré avait consacré plus de temps et de ressources à se protéger et à défendre la révolution qu’à sortir le pays du sous-développement. Il ne pouvait en être autrement, car sa survie en dépendait. Cependant, faut-il le souligner, en dépit de leurs dysfonctionnements, les quatre plans ont permis de doter le pays d’une base non négligeable d’infrastructures socio-économiques, dont au moins « 361 unités industrielles toutes fonctionnelles au 3 avril 1984, employant des milliers de Guinéens. »62 Quel qu’ait été le faible niveau de compétitivité des produits récoltés, ils avaient l’avantage évident de subvenir aux besoins des populations nécessiteuses. Les résultats bien qu’en deçà des prévisions, avaient valeur de symbole : celui d’être obtenus dans un environnement (intérieur et extérieur) particulièrement hostile. Autant le nouvel État était décidé à relever le défi en gagnant le pari, autant l’ennemi tenait à prouver qu’il ne partageait pas sa vision. Dans ce duel sans concession, les ennemis de la révolution étaient fortement soutenus par la France qui, ayant juré 62
Selon Jean-Marie Doré, in La Dépêche Diplomatique, N° 9, novembre 2008, P. 33
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de « faire ramper Sékou Touré à plat ventre »63 pour l’affront qui lui a été fait le 25 août et le 28 septembre 1958, n’était pas prête à le laisser réussir à se passer impunément des services d’une France humiliée. Au contraire, elle avait fait de son élimination physique un point d’honneur. Dieu seul sait que des moyens colossaux ont été mis à disposition à cet effet. Toutes choses qui font que les raisons de la survie du Président Ahmed Sékou Touré, en dépit des nombreuses traques sophistiquées des services secrets français contre lui, sont encore mystère tant dans l’Hexagone qu’en Guinée.
II. Mission accomplie, mais non revendiquée Le Président Ahmed Sékou Touré savait parfaitement que ceux qui avaient choisi d’être contre son régime à cause de son orientation politique et économique n’avaient pas dit leur dernier mot. La recrudescence des manifestations d’adversité avec presque une régularité d’horloge, traduisait clairement la mission que les instigateurs s’étaient assignée, mission qui, selon Imré Marton, consistait entre autres à : • Faire enliser et dévier toutes options allant dans le sens de la consolidation économique et de la maturation politique ; • Élargir le fossé entre l’orientation générale du parti et la mise en pratique de ses résolutions ; • Susciter le découragement, le mécontentement et l’apathie des militants ; • Rendre inopérante la coopération avec les pays socialistes, tout au moins la perturber pour pouvoir mieux faire miroiter les soi-disant avantages de la coopération avec les pays capitalistes ; • Envenimer les rapports entre l’armée, la milice populaire et le parti ; • Réactiver les animosités, les séquelles des tensions tribales et régionales ; 63
Engagement pris solennellement par le général de Gaulle au lendemain de la houleuse rencontre de Conakry.
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• Dévoyer les valeurs produites ou détenues par les entreprises d’État pour les circuits du commerce privé, du marché noir et de la contrebande64. Au regard d’une feuille de route aussi détaillée que précise, il est aisé de comprendre le caractère rude et opiniâtre du combat qui opposait le régime à ses ennemis. Dommage que personne ne veuille jusqu’à présent en revendiquer le succès, car c’en était bien un, en dehors de quelques rares et nobles cas en notre modeste connaissance. Furent de ceux-là : Dr Moriba Magassouba65, Jean Faraguet Tounkara66 et Sidy Diarra67. En effet, Dr Moriba Magassouba, à la veille du VIIIe Congrès ouvert à Conakry le 2 septembre 1967, avait écrit et fait publier dans le journal Horoya, l’unique quotidien de l’État, de virulentes dénonciations des méthodes du PDG et fait des suggestions courageuses et pertinentes de rectification. Par cet acte naïf, il signa sans le savoir son arrêt de mort. Car, désormais dans le viseur de la révolution, il fut arrêté dans les purges consécutives à l’agression du 22 novembre 1970 et pendu le 25 janvier 1971. Jean Faraguet Tounkara pour sa part, a avoué au soir de sa vie, avoir été le cerveau du « Complot Petit Touré ».68 Quant à Sidy Diarra, du groupe des marxistes de l’époque, d’après notre informateur, Kozo Zoumaningui, il reconnaît sans fausse pudeur qu’il était anarchiste et contestait toujours les vues du PDG, raisons pour lesquelles il s’est retrouvé sous les verrous de la révolution. Impliqué dans le « Complot dit des enseignants », il sera libéré sans jugement. Cependant, il ne nie pas la pertinence de son incarcération, parce qu’il reconnaît avoir contesté les raisons de l’arrestation des membres du syndicat des enseignants. Ces gestes courageux grandissent et crédibilisent leurs auteurs qui, à la différence de tant d’autres compatriotes, ont refusé de se victimiser indument devant l’opinion nationale. À ce jour, ils sont les rares Guinéens à avoir :
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Tome XIX des Œuvres du PDG, P. 356. Il fut secrétaire d’État à la Sécurité sous la révolution. 66 Jean Faraguet, originaire de Kissidougou, fut membre fondateur du PDG, membre du Bureau Politique national, membre du premier gouvernement de la République. 67 Il est professeur d’obédience marxiste, impliqué dans le « Complot dit des enseignants », mais relaxé sans procès. 68 Kéita Sidiki Kobélé, 2009, Pp. 300-301. 65
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• dénoncé ouvertement le régime, pour le premier ; • reconnu publiquement leur participation à un complot contre le tout puissant régime du PDG, pour le second ; • avoué leur comportement anarchiste dont ils sont du reste fiers, vis-à-vis de la morale révolutionnaire, pour le troisième. S’il est vrai que l’idéal vécu immortalise l’homme, Dr Moriba Magassouba, Jean Faraguet Tounkara et Sidy Diarra méritent respect et considération. Car contrarier Sékou Touré, cet homme qui était très sûr de ce qu’il savait, disait et faisait encore moins contester son idéologie, n’était pas donné à n’importe qui. À ce titre, ces trois Guinéens auront été de grands hommes dont il faut saluer les comportements pour avoir choisi de s’assumer, contrairement à bon nombre de leurs compagnons d’infortune. Ils ont souffert et d’autres sont morts pour une cause dont ils avaient parfaitement connaissance, pour l’avoir avouée publiquement. Ils auront contribué, certes sans succès, à aider le peuple à comprendre le caractère inadapté de l’idéologie cultivée dans le pays sous le regard indifférent, sinon complaisant de presque tout le monde. Pourquoi les autres acteurs ne disent encore rien, surtout que de nos jours ils n’ont absolument plus rien à craindre, liberté d’expression oblige ? Leur mission à notre avis, a été d’autant bien accomplie, qu’à défaut d’une liquidation physique de Sékou Touré ou d’un renversement de son régime, ils sont tout de même parvenus à faire échec à tous les plans de développement de la révolution. Le prix à payer fut naturellement considérable et tragique. Pourquoi gardent-ils encore le silence ? Pourtant, Jacques Foccart qui était le principal commanditaire de presque tous les complots contre la Guinée et singulièrement contre Sékou Touré, a libéré sa conscience en prenant le courage de se confesser devant son illustre ennemi. En effet, mettant à profit un des derniers séjours parisiens du Président Ahmed Sékou Touré, il n’eut pas de gêne à rendre visite à celui-ci et à lui avouer sa forfaiture en ces termes : « Bravo, Monsieur le Président. J’ai tout essayé contre vous pour vous démettre du pouvoir et pour vous assassiner. J’avoue qu’avec vous, j’ai échoué sur toute la ligne. Ce qui m’est rarement arrivé. Du fond du cœur, je vous demande pardon, Excellence ! »69 Le Président Sékou Touré en a pris acte et a accordé le pardon demandé. Ce geste sera renforcé plus tard par la 69
La Dépêche Diplomatique, Spécial Guinée, N029, 2008, P.30.
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présence à Conakry le 23 juin 1983 de l’intéressé, répondant à une invitation de celui qui devait devenir son ancien et redoutable ennemi. Cette rencontre sera mise à profit par les deux hommes pour se réconcilier définitivement et signer la paix des braves. Qui l’eut cru ? Pourtant les surprenantes retrouvailles Sékou-Foccart eurent bel et bien lieu, même si à notre humble avis, celles-ci passent pour une haute trahison de Foccart à l’endroit de ses alliés guinéens qui lui ont fait confiance et ont accepté de collaborer avec lui à leur corps défendant. Mais curieusement, cette réconciliation Sékou-Foccart n’a suscité aucun émoi ni parmi les Guinéens de l’intérieur, ni parmi ceux de la diaspora qui lui doivent pourtant pour la plupart, leur exil forcé. Pour avoir œuvré inlassablement ensemble depuis de longues années aux fins d’abattre Sékou Touré et son régime, il nous semble inadmissible que Foccart fasse la paix en catimini avec l’ennemi commun au grand dam de ses partenaires guinéens. Combien de Guinéens sont morts dans des mésaventures à très haut risque montées par Foccart dont certains ignoraient totalement les tenants et les aboutissants ? Ces pauvres citoyens, pour survivre, n’étaient intéressés que par les maigres broutilles prélevées sur les colossales sommes en circulation. Combien de Guinéens ont été victimes de la justice expéditive de la révolution que Foccart et ses acolytes suivaient en toute sécurité à distance par médias interposés, pour des fautes qu’on leur a fait commettre ? Combien de Guinéens (les plus chanceux du reste) ont-ils pris le chemin de l’exil et vivent encore de nos jours à contrecœur, loin de leur pays natal pour les mêmes raisons ? De son vivant, Foccart méritait d’être poursuivi et assigné devant les juridictions internationales par les survivants des différents « complots » pour un ensemble de délits, dont celui de crimes organisés. Ceux qui avaient des raisons fondées pour combattre Sékou Touré et qui ont négocié la participation (naïve) d’innocentes personnes à de nombreuses missions suicidaires devraient répondre des mêmes griefs. On sait par exemple que de nombreux mercenaires arrêtés en novembre 1970 à Conakry, Koundara et Gaoual, ignoraient les lieux et l’objet de leur mission, alors que les commanditaires guinéens étaient restés soit au large dans les bateaux soit en dehors du pays. 64
Que presque personne, depuis la mort de Sékou Touré, n’ait revendiqué aucun acte d’adversité (si le mot complot est inapproprié) contre son régime ; que personne n’ait dénoncé la réconciliation exclusive Sékou-Foccart, nous disons qu’il y a problème. Cette attitude pour le moins curieuse laisse orpheline la brillante mise en échec d’une révolution qui se voulait pourtant populaire, invincible et pérenne.
Jean Faraguet Tounkara
Dr Moriba Magassouba
Sidy Diarra
Source : Archives de la Permanence nationale du PDG.
III. Vrais ou faux complots, un faux débat De nos jours, avec le recul du temps, les débats ne devraient plus achopper sur l’identification de vrais ou de faux complots. Le travail devrait plutôt s’attacher à en rechercher les instigateurs et les motifs réels. La démarche voudrait que l’on commence par convenir du fait que les divergences d’intérêts engendrent nécessairement des contestations, celles-ci pouvant être sournoises ou ouvertes. Or, au lendemain de l’indépendance, des divergences d’appréciation et d’option qui avaient été temporairement gelées ont refait surface avec acuité entre le PDG et ses rivaux, même si ces derniers avaient accepté de participer à la gestion des affaires du nouvel État. Puisque le PDG évoluait sans tenir compte de leurs préoccupations politiques, les leaders de l’opposition ne pouvaient pas ne pas contester les actions entreprises par celui-ci. Ces contestations présentant des 65
risques sécuritaires pour le nouvel ordre, il va sans dire que les garants qui sont les responsables du PDG, non plus, ne pouvaient pas ne pas chercher à les contenir, sinon à les réprimer. Il est donc évident que les deux camps étaient dans une logique de réciprocité, c’est-à-dire de contestation et de répression. Faut-il alors dans ces conditions douter de la véracité des actes de contestation (appelés à tort ou à raison complots) et ne prendre en compte que l’aspect répressif qui n’est que la conséquence des premiers ? Certes que tous les actes de contestation n’avaient pas abouti à souhait, mais ils n’exprimaient pas moins formellement leur volonté de renversement des rapports de forces en leur faveur en vue de se faire entendre et surtout se faire valoir. Autrement dit, il s’agissait pour eux de perturber, sinon entraver toutes les actions que la révolution était amené à entreprendre sans ou contre leurs desiderata. En clair, la récurrence de ces actes de perturbation ou d’entrave signifierait qu’il y avait effectivement difficulté sinon impossibilité de consensus entre les protagonistes autour de l’orientation du régime. Peu importe l’appellation donnée aux actes des anti-PDG ; les vocables conspiration, menées subversives, tentatives de déstabilisation ou de diversion disent presque tous la même chose et n’étaient pas loin de signifier complot. Qu’ils aient ou non abouti à souhait, il faut convenir qu’il y a bel et bien eu volonté manifeste de remise en cause du projet de société initié par Sékou Touré et son parti. Ce qui était normal en soi, d’autant plus qu’il est admis qu’on ne peut pas servir loyalement une cause qu’on n’aime pas. Il reste bien entendu que toute intention contestataire doit absolument tenir compte des rapports de forces du moment. La recrudescence des manifestations d’adversité et surtout leur radicalisation en vue de venir à bout du régime du PDG, ont fini par engendrer le non moins célèbre concept de complot permanent. Il demeure évident que le complot permanent contre l’État révolutionnaire de Guinée était indissociable de sa contestation permanente par ceux qui n’en voulaient pas. Il est à se demander si Sékou Touré qui avait tant de défis à relever pouvait en même temps s’autoflageller en organisant plus d’une dizaine de « complots imaginaires » ? Lui qui avait grand intérêt à gagner le pari du développement par le travail, pouvait-il s’amuser à inventer à tout bout de champ des occasions d’enlisement sinon d’interruption de ses propres plans d’action ? Si, comme le soutiennent ses adversaires, tous les complots étaient montés par lui-même dans le but de se 66
débarrasser de certains cadres qui lui porteraient ombrage, quelle signification donnerait-on à certaines séquences meurtrières telles que l’attentat à la grenade au Palais du Peuple, l’agression physique de Tidiane Kéita sur sa personne ou à l’agression portugaise du 22 novembre 1970 où sa vie était visiblement en danger ? Dans tous les cas, de telles inclinations humaines ne peuvent être que masochistes. En effet, préparer un individu à se jeter sur soi dans une voiture en vitesse ou faire dégoupiller des grenades dans une salle de spectacles où on est soi-même installé nous paraît surréaliste. Il faudrait bien démontrer que Sékou Touré était un spécialiste de jeux à très haut risque. Quoi qu'il en soit, nous pensons qu’il y a nécessité impérieuse à faire avancer le débat en direction des motivations profondes de toutes les tentatives de déstabilisation du régime révolutionnaire du PDG. À l’instar de Jacques Foccart, les acteurs guinéens qui, pour des raisons diverses, ont été ses collaborateurs dans des missions parfois suicidaires contre Sékou Touré et son régime devraient pouvoir reconnaître et justifier leur implication. D’ores et déjà, des personnalités bien au courant de l’action nocive de la France contre la Guinée, pour y avoir été associées directement ou indirectement, ont déjà dit leur part de vérité. Il s’agit entre autres : • du général de Gaulle lui-même, • Pierre Mesmer dernier Haut-commissaire de l’AOF et ancien Premier ministre de France, • colonel Maurice Robert ancien patron du S.D.E.C.E., • Jacques Batmanian, conseiller personnel du Président Houphouët Boigny, • capitaine Alpoim Calvao, commandant de l’expédition du 22 novembre 1970 sur Conakry, • Alain Peyrefitte, ancien ministre français, • Jean Baulin, • Bob Denard, • Mamadou Dia ancien Président du Conseil du gouvernement sénégalais, etc. Il convient de signaler que les références des différents témoignages ont été inventoriées et mises à disposition par les laborieux et fructueux
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travaux de Sidiki Kobélé Kéita.70 Aujourd’hui, l’opinion attend la confirmation formelle des aveux de ces illustres témoins par les Guinéens avec lesquels ils ont opéré contre leur propre pays. Nous pensons que les forfaitures avouées par les employeurs devraient pouvoir l’être par les employés qu’ils furent. En tout état de cause, la mission de déstabilisation qu’ils s’étaient assignée contre le régime révolutionnaire guinéen a été largement accomplie. L’échec avéré des quatre plans de développement qui devaient permettre le décollage économique de la Guinée l’atteste éloquemment. Mieux, la constance des actes de contestation qui ont jalonné leur mise en œuvre, corrobore on ne peut mieux, le caractère implacable de la lutte qui opposait les deux camps. C’était une question de vie ou de mort. Vrais ou faux complots, ils auront cependant réussi à provoquer les arrêts inopinés des actions de développement dont les reprises se sont toujours avérées laborieuses, coûteuses et pleines d’improvisations. C’est donc dire que la volonté inébranlable de nuisance des anti-PDG était un fait indéniable. Celle de la révolution pour assurer sa survie ne l’était pas moins. Il faut en conclure alors qu’autant l’ennemi s’était montré déterminé, persévérant et agressif, autant la révolution était résolue à user de tous les moyens pour assurer sa survie. Il appartient donc à chacun des protagonistes de s’assumer et à l’historien de rétablir la vérité pour la postérité. Pour ce faire, la mission de l’historien doit impérativement s’interdire la passion, la partialité, les jugements hâtifs et les généralisations abusives qui sont des ingrédients d’une histoire émotionnelle, haineuse, partisane, bref d’une histoire à relents. L’historien doit s’efforcer de restituer au fait historique tous les éléments qui en déterminent la véracité : le beau, le bien, le faux, le juste, le sensationnel, l’ignominieux, bref, tout ce qui concourt à la plénitude de l’évènement historique. Ne rien occulter et ne rien ajouter non plus pour tenter de fonder un jugement. L’histoire ne se fait par des raccourcis. Autrement dit, pour écrire l’histoire, on ne saurait ni contourner ni enjamber un élément de sa trame, quelle qu’en soit la qualité. Ko Atuba ne dit-il pas que « nul ne peut effacer l’histoire. Quelle soit bonne ou mauvaise, agréable ou amère (…), elle demeure intangible et inamovible, gravée à jamais dans le livre inaltérable du temps. »71 L’on comprendra aisément que l’histoire récente de la 70 71
Kéita Sidiki Kobélé, 2009, P. 407. Kéita Sidiki Kobélé, 2009, P. 214.
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Guinée bien que riche, exaltante, voire passionnante, demeure encore fort complexe et par conséquent difficile à écrire du fait de l’hétérogénéité des idéologies des acteurs qui sont en même temps les témoins. Mais faut-il pour autant continuer à la diaboliser ou s’abstenir de la faire ? Certainement non, car « écrire sur la Guinée sous le Parti Démocratique de Guinée (P.D.G.) pose un problème d’objectivité. Il s’agit d’une part, du devoir et du droit de proclamer son point de vue sur les crimes passés (et actuels) et, de l’autre, de l’impératif de reconnaître la constance des complots contre le régime du P.D.G. L’historien doit peser ces deux obligations »72, fait remarquer Lansinè Kaba. Aujourd’hui, de nombreux écrits existent, de toutes qualités et toutes inspirations. Il faut en cela louer les efforts des auteurs qui pensent ainsi apporter leur part de contribution à l’écriture de l’histoire de la Guinée. Ils sont tous d’utilité certaine pour l’historien professionnel. Même les témoignages les plus tendancieux ont l’inestimable avantage de permettre aux spécialistes d’en identifier les écueils, les contextes de leur production et de faire éviter leur exploitation sans discernement. S’agissant des victimes ou supposées telles qui voudraient se consoler en écrivant eux-mêmes les pages douloureuses de l’histoire de leur pays à la lumière de leurs souffrances, il y a lieu de s’aviser qu’on ne fait pas l’histoire objective avec une âme meurtrie. Il existe certes une histoire de la douleur ou de l’exil, mais qui ne saurait apporter paix, quiétude et convivialité dans la cité, parce qu’elle entretient et fermente des risques de passion, de haine et de vengeance, bref des émotions négatives. C’est autant dire que n’est pas historien qui le veut. Il appartient aux professionnels de la science de Clio de s’en occuper, car eux seuls disposent d’instruments appropriés pour dénicher les erreurs ou les contrefaçons les plus subtiles de l’histoire en vue d’aider à une meilleure compréhension des faits en cause. Il reste bien entendu que leur rôle est moins de juger que de contribuer à élucider le contexte qui a produit ces faits. Autrement dit, leur vocation essentielle est d’éclairer et de dégager les options susceptibles de conduire à la solution des problèmes en débat à partir d’informations recueillies, analysées, recoupées et mises à disposition. De nos jours, très peu de Guinéens 72
Lansinè Kaba, 2010, P.210.
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travaillent sur l’histoire récente de leur pays. Ont-ils peur de dire la vérité ? Leur manque-t-il la formation requise ou alors, cherchent-ils à obtenir des avantages particuliers en se taisant ou en essayant de dire plus qu’ils n’en savent ? Nous pensons qu’il y a un devoir citoyen pour ceux qui en ont la compétence, de s’impliquer dans le rétablissement de la vérité historique. Le pays a déjà trop souffert d’écouter ou de lire des histoires ou des vérités singulières, sinon des contrevérités sur leur pays. Les difficultés de mise en route du processus de réconciliation nationale en sont une éloquente illustration. En clair, l’histoire de la Guinée, celle-là même qui n’est destinée ni à plaire ni à nuire, est à faire. C’est le lieu de rendre hommage à Sidiki Kobélé Kéita73, un des rares chercheurs guinéens qui a pris le courage de risquer sa réputation sur un terrain encore très sensible pour écrire une histoire à volets douloureux dont la plupart des acteurs ou leurs descendants directs sont vivants et parfois même ses cohabitants. Il s’y est attaché avec d’autant de passion que les mauvaises langues le présentent comme l’historien de Sékou Touré. Cela pourrait sembler vrai, parce qu’il lui consacre une grande place dans ses travaux. Cependant, il reste un historien de bonne foi. On peut certes lui reprocher de vouloir imposer sans ménagement la vérité aux autres et de se montrer parfois très agressif à l’endroit de ceux qui n’ont pas la même lecture des évènements historiques guinéens que lui. Toutefois, il essaie toujours de le faire à partir d’éléments dont il est sûr de la véracité. À notre avis, cette faiblesse, si c’en est une, est plus utile que le refus de communiquer qu’observent encore certains de ses compatriotes. Pour féconder ses recherches, Kobélé voyage beaucoup, lit et se documente autant, rencontre et discute avec des témoins privilégiés guinéens ou étrangers, des nombreux et douloureux évènements qui ont ponctué l’histoire récente de la Guinée en vue d’un croisement de données. Toutes choses qui en font l’historien le mieux documenté sur les épisodes les plus sensibles de l’histoire de la Première République. Il 73
Il est auteur de plusieurs ouvrages sur l’histoire récente de la Guinée.
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faut l’avoir lu pour comprendre les réactions négatives de bon nombre de ses compatriotes à son endroit par rapport à la restitution de certaines séquences de l’histoire de la Guinée. Dans bien des cas, Sidiki Kobélé Kéita est gênant pour ceux dont il détient les détails qui compromettent la crédibilité de leur statut de défenseurs de droits de l’homme en République de Guinée. Avec lui, les Guinéens apprennent à renoncer à la méfiance et à la diabolisation de leur histoire, parce qu’elle doit être écrite de préférence par les Guinéens eux-mêmes. Car, c’est à eux que revient impérativement ce travail, pour vu qu’ils en aient la formation, l’information et la volonté d’aider à éclairer sans passion les périodes pénibles et encore non élucidées de l’histoire de la République de Guinée. Pour ce faire, Sidiki Kobélé Kéita reste fermement convaincu que seul un débat national permettra de parvenir à souhait à cet objectif majeur qu’est le rétablissement de la vérité historique.
IV. Pour un pardon global et inclusif Le refus de certains acteurs d’assumer les succès réalisés parfois au prix de leur vie contre la révolution, pose aujourd’hui le délicat problème des responsabilités des uns et des autres face à l’histoire. Comme il fallait s’y attendre, ces succès ont déchaîné une vague de répressions redoutablement inouïes. À ce jour et à coup de publicité, le commun de la rue ne connaît que deux catégories d’acteurs de cette période sombre de l’histoire nationale : d’une part, les présumées victimes regroupant indistinctement tous ceux qui se sont retrouvés, pour une raison ou une autre, sous les verrous de la révolution et de l’autre, celle de l’unique coupable, le Président Ahmed Sékou Touré. Nous pensons que cette typologie a besoin d’être revisitée pour essayer de faire la lumière sur les pages noires des premières décennies d’indépendance nationale. Personne ne saurait nier aujourd’hui qu’il ait eu répression en Guinée. Comme le dirait Kaba 41 Camara, « Dans la Guinée de Sékou Touré : cela a bien eu lieu. »74 Mais, cette répression était consécutive à des actes de contestation du modèle de société proposé aux Guinéens par le PDG. Il n’y a donc pas 74
Titre d’un ouvrage écrit par l’auteur à sa sortie du Camp Boiro et publié par L’Harmattan en 1986.
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à en douter. Ce n’est qu’une évidence, même si les présumées victimes continuent à faire croire que toutes les tentatives de déstabilisation du régime n’étaient que pures inventions de Sékou Touré. Par exemple, il y a des catégories de citoyens nationaux ou étrangers qui ne pouvaient pas ne pas contester l’autorité du Président Sékou Touré et combattre son régime. Ce sont entre autres : les acteurs choqués et humiliés par le discours de Sékou Touré au général de Gaulle le 25 août et le vote négatif massif du 28 septembre 1958 ; ceux des Guinéens qui ne partageaient pas l’orientation politique et idéologique du nouvel État, notamment en Moyenne-Guinée et en Haute-Guinée pour des raisons historiques et sociologiques que nous aborderons plus loin. Ces deux catégories, bien que mues par des motivations différentes, avaient cependant la même cible, Sékou Touré qu’il fallait abattre à tout prix, sinon faire échouer son régime. En s’engageant dans ce combat, les intéressés savaient parfaitement à quoi ils s’exposaient. C’étaient pour ainsi dire des victimes potentielles, mais conscientes. Elles pouvaient soit réussir leur mission soit se faire éliminer. Dans ces conditions et en toute logique, elles devraient en assumer les conséquences. Si la dernière alternative avait bien prévalu, personne n’a voulu par la suite ramasser le pot cassé. Cette catégorie de victimes doit être distinguée de celle des victimes gratuites des purges qui se sont retrouvées dans les geôles de la révolution par dénonciations calomnieuses ou des règlements des comptes. Jean Suret-Canale ne dit pas le contraire lorsqu’il affirme qu’« il y a eu de vrais complots montés notamment par les services de Jacques Foccart avec l’appui de Guinéens de l’étranger. Mais en même temps, la répression s’est développée de façon incompréhensible. Souvent, ceux qui étaient les principaux responsables étaient épargnés alors qu’on a arrêté et condamné des gens qui étaient complètement en dehors et qui ne savaient pas ce qui leur arrivait. »75 Rappelons que Jean Suret-Canale, professeur d’histoire et de géographie, connu de tous les intellectuels guinéens de l’époque, fut un des rares citoyens français à voler au secours de la Guinée quand son pays y a retiré brutalement son assistance technique, en représailles au vote négatif du 28 septembre 1958. Pour nous donc, le problème qui se pose tient beaucoup plus à l’identification des auteurs des contestations, les causes et l’ampleur 75
Pascal Bianchini, 2011, P.101.
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de celles-ci qu’au débat sur leur véracité. En question induite, il reste à savoir si toutes les personnes listées étaient effectivement coupables des faits à elles reprochées, si les sanctions infligées étaient proportionnelles aux délits et si celles-ci obéissaient aux normes du droit international dont la Guinée est partie prenante ? Nous nous empressons tout de suite de répondre que toutes les victimes n’étaient pas coupables et qu’il y a eu d’innocentes gens qui se sont retrouvées indûment dans les engrenages de la révolution. Aussi, faut-il le déplorer, non seulement les sanctions étaient excessives, mais elles juraient ostentatoirement avec les droits fondamentaux de l’homme. Yves Benot faisant le même constat, témoigne : « Tous les complots n’étaient pas imaginaires ; mais la répression a souvent été disproportionnée, largement étendue à des personnalités qui ne complotaient pas... »76 Yves Benot comme Jean Suret-Canale, a fait partie du groupe d’intellectuels progressistes français qui ont aidé, contre la volonté de leur pays, à combler le vide laissé par le retrait inopiné de la coopération française au lendemain de l’indépendance de la Guinée. Une autre question non moins importante qui vient à l’esprit est de savoir pourquoi et comment d’innocentes personnes se sont retrouvées sous les verrous de la révolution ? Y avait-il une volonté délibérée d’arrêter n’importe qui, n’importe où et pour n’importe quelle raison ? Si oui, sur quelle base ces citoyens étaientils sélectionnés ? À quel niveau les listes étaient-elles établies et validées ? En l’absence de procès équitable, sur quelle base innocentait ou inculpait-on ? Cet ensemble de questionnements voudrait dire que la recherche de la vérité dans cet écheveau est extrêmement difficile, le fil d’Ariane se coupant par endroits par l’intelligence maléfique des témoins indélicats. D’où, difficulté d’y accéder à partir des accusations globalisantes. Dire de façon péremptoire que le Président Sékou Touré est le responsable de toutes les dérives du régime, à notre avis, ne fait pas avancer le débat. Le risque de masquer des coupables de premier ordre est très grand. Pour responsable suprême de tout ce qu’il aura voulu être, il ne saurait à lui seul faire fonctionner un État, si petit soit-il, même si en dernière instance, il répond de tout. D’où toute l’importance que pourrait revêtir ici la déconcentration et à la décentralisation de l’administration du Parti-État en vue d’une meilleure compréhension 76
Yves Benot, juin 1984, Pp. 121-124.
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du partage de l’exercice du pouvoir. C’est pour cette raison qu’on ne saurait occulter les places et rôles joués par les différents commis de l’État. Il a pu arriver dans ces conditions que ces derniers, dans l’exercice de leurs responsabilités, aient agi en dehors des normes prescrites par la révolution et causer de ce fait des préjudices graves, parfois irréparables à des citoyens innocents. À qui pourrait-on imputer pareilles incongruités ? Aussi, faut-il ajouter à cette liste, certains griefs qui ont causé des ravages dans la société guinéenne, mais dont on parle peu ou pas. Ils concernent entre autres : • Cet individu qui, par pure incompatibilité d’humeur, choisirait de se débarrasser de son prochain en témoignant contre lui devant les tribunaux révolutionnaires ; • Cette épouse qui, par crise de jalousie, accepterait délibérément de compromettre à jamais la vie de son conjoint en le dénonçant à la police politique du parti ; • Ce travailleur qui accuserait son chef de service de complicité avec l’ennemi de la révolution, simplement parce que les deux ne s’entendraient pas au service ; • Ce tout puissant proche du chef de l’État qui arrêterait, emprisonnerait ou ferait exécuter au nom de celui-ci, de nombreux et valeureux cadres et intellectuels, dans le cynique dessein de créditer le passif de ce dernier en vue de le rendre impopulaire ; • Ce personnage obscur, aux origines et références douteuses, capable de marcher sur des cadavres de concitoyens pour entrer dans les bonnes grâces du pouvoir et qui n’hésiterait pas à devenir plumitif des Mamadou Boiro lettres anonymes et autres délations qui ont conduit nombre d’innocents au sinistre Camp Boiro ; • Enfin, ce magistrat assermenté qui, volontairement, s’abstiendrait de dire le droit pour décider sans sourciller de condamner à la prison ou à la potence, des individus auxquels rien de fondé ne serait reproché, simplement parce qu’une autorité le lui aurait demandé. 74
Toutes ces interrogations procèdent des cas de figure qui ont fait partie du quotidien de la révolution et dont les ennemis n’hésiteraient pas aujourd’hui à faire porter les conséquences à la charge exclusive du Président Ahmed Sékou Touré. Ce répertoire de délits a l’avantage de permettre de situer les niveaux précis d’implication des uns et des autres dans la commission des actes infâmes qui ont terni l’image du régime. Vouloir imputer toutes ces fautes au premier magistrat de la nation, conduirait à brouiller les pistes de recherche de la vérité. Dans la même foulée, il nous a semblé indispensable d’évoquer un autre problème qui a souvent été occulté à dessein. C’est celui des dignitaires et autres hauts cadres du régime emportés par les vagues tumultueuses de la révolution que les proches présentent aujourd’hui comme des victimes innocentes du système, sinon des héros. S’abstenant volontairement de décliner les responsabilités qu’ils ont exercées au sein du Parti-État, ils ne décrivent avec force détails que leur séjour carcéral, donnant ainsi l’impression que ce sont de simples citoyens accusés et incarcérés à tort. Tout est mis en œuvre pour provoquer de fortes émotions chez l’interlocuteur qui parfois ne résiste pas à adhérer à la cause défendue. Or, en acceptant des postes de responsabilités dans le système, ils s’engageaient en toute connaissance de cause en politique. Comme l’écrit si bien Lamine Kamara, «… en entrant en politique, il faut s’attendre à tout, et se tailler des habits en peau d’hippopotame pour espérer rester à flot. »77 Même si le dédoublement est difficile, sinon impossible à ce niveau de responsabilité, on pourrait concéder que sociologiquement pour une famille, il ne saurait y avoir de père, de mère, d’époux, d’épouse ou d’enfants « contre-révolutionnaires ». A contrario, il existe en politique des militants « contrerévolutionnaires. » Dans le cas présent, ces ministres, ambassadeurs, officiers des forces de défense et de sécurité, ces administrateurs de régions ou de préfectures étaient bel et bien des militants du PDG. Ce dernier n’était-il pas en droit de demander des comptes à ses militants ? Aussi, pouvait-on lui refuser de sanctionner ces hauts cadres-militants qui, jouissant des honneurs et privilèges dus à leurs rangs, ont triché avec la morale révolutionnaire dont ils connaissaient parfaitement la rigueur ? Ce sont là des thèmes de réflexion que nous voudrions partager avec les uns et les autres en vue d’une relecture patiente, sereine et 77
Les racines de l’avenir.
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dépassionnée de l’histoire récente de la République dans la perspective d’une réconciliation nationale. C’est non sans raison qu’un actuel haut cadre de l’État a dit que les parents qui ont exercé de hautes fonctions politiques et administratives dans le Parti-État et qui y ont eu de graves ennuis auraient été victimes d’un « accident de travail ». Ils ont été écrasés par une machine à la conception de laquelle ils ont participé. Ceux qui en sont les descendants devraient aujourd’hui chercher à comprendre le contexte de l’époque et adopter des comportements conséquents. Ce haut cadre dont l’oncle paternel a pourtant péri au Camp Boiro a refusé d’adhérer à l’« Association des enfants des victimes du Camp Boiro » pour les mêmes raisons. En représailles, ces derniers l’ont couvert de toutes sortes d’insanités. À notre humble avis, ce qui était reprochable au PDG, c’est le caractère absurde et disproportionné des sanctions ainsi que la violation délibérée et répétée des droits élémentaires du prévenu. En effet, « des dénonciations jusqu’aux exécutions, le dossier des complots était géré de manière opaque par des structures taillées sur mesure à cet effet, des structures sans aucune existence juridique au regard des lois en vigueur dans le pays (…) Elles agissaient dans l’illégalité la plus totale en jugeant les détenus en leur totale absence, sans aucune défense et en prononçant des sentences souvent extrêmes et inexorables »78, écrit Lamine Kamara. Pourtant l’État guinéen disposait d’un arsenal juridique suffisamment élaboré qui ne manquait pas de pertinence en matière de respect des droits du justiciable. En effet, le Code pénal guinéen prescrit clairement en ses articles 295297 que « les responsables d’arrestations et de détentions illégales sont passibles de peine de prison ; et tout individu ayant torturé une personne détenue dans ces conditions peut encourir la peine capitale. »79 On comprend dès lors que c’est l’abstention volontaire d’observer la Loi dont s’est doté librement le pays qui explique en partie les graves violations des droits de l’homme sous la révolution. Or, seule une justice respectueuse des droits du prévenu peut et doit établir les culpabilités et prononcer les innocences. Hélas ! L’excès de 78 79
Les racines de l’avenir , P. 59. Voir Code pénal guinéen.
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zèle et de démagogie a conduit à substituer aux bonnes dispositions de la justice classique, une « justice révolutionnaire », expéditive et ultra répressive aux mains des fameux tribunaux populaires de sinistre réputation. Ce fut une incohérence dont l’État révolutionnaire assume seul la responsabilité. Aujourd’hui, la gestion de cet ensemble de dysfonctionnements de la justice s’avère d’une extrême complexité d’autant plus qu’après plus de 40 ans, les plaies ne semblent toujours pas cicatrisées. Les nombreuses et intempestives interpellations du pouvoir par les associations de victimes en font foi. Pour preuve, recevant le tout nouveau ministre en charge des droits de l’homme80 le 18 octobre 2012 à l’occasion d’une des cérémonies commémoratives des exécutions de pensionnaires du Camp Boiro, le porte-parole de l’Association des Victimes du Camp Boiro, déclare que « 41 ans après ces faits tragiques, les familles des détenus n’ont toujours pas pu commencer leur deuil, faute de corps ». Le ministre qui connaît parfaitement le sens de sa mission lui a donné une réponse de haute portée pédagogique. Celle-ci ne manquera certainement pas d’incidences positives sur la gestion de ce délicat dossier. Il dira à cet effet que « quand on a perdu des êtres chers, le sens le plus profond de la justice voudrait que l’absolue nécessité de cette justice ne leur appartienne plus… Nous nous battrons pour que chacun rentre dans ses pleins droits… Il faudrait donc dépersonnaliser la bataille pour les droits humains et de la justice. Il faut que le combat soit celui de tous les Guinéens, pas celui d’un groupe. »81 Cette adresse à l’« Association des Victimes du Camp Boiro » est un message à double sens : c’est d’abord de rappeler qu’en matière de droit, il n’appartient pas à la victime de se rendre justice ; ensuite, d’inviter à renoncer à la discrimination en intégrant toutes les victimes au même combat. Nous avons la ferme conviction que le Ministre Diaby ne manquera pas de résultats, parce qu’il donne d’entrée, la bonne impression d’avoir compris l’objet de sa difficile, mais noble mission. Celle d’amener les Guinéens à tourner la page après l’avoir bien lue, comme ils l’exigent eux-mêmes, en vue du pardon auquel rien d’autre en principe ne saurait se substituer. Cependant, l’environnement 80
Le remaniement partiel du gouvernement intervenu en octobre 2012 a créé un ministère des droits de l’homme et des libertés publiques dont le premier titulaire est M. Khalifa Gassama Diaby. 81 Le Diplomate N° 482 du 30 octobre 2012.
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d’inflexibilité encore entretenu par les associations de défense des droits de l’homme en Guinée autour de ces dossiers ne semble pas favoriser la mise en chantier d’un processus de réconciliation nationale apaisé et durable. La haine, les rancœurs et la propension à la revanche sont encore à fleur de peau à bien de niveaux. Personne aujourd’hui ne saurait préjuger de la qualité des résultats que produirait un forum où participeraient ces associations. Ce sont autant de préoccupations qui font qu’aujourd’hui encore plus qu’hier, le processus de réconciliation nationale est en panne de mise en œuvre, en raison justement du fait qu’il reste toujours tributaire de bien de défis difficiles à assumer tant sur le plan de la recherche de la vérité, de la justice, des formes d’éventuelles réparations, des réformes institutionnelles que des garanties de non-retour des vieux démons. Deux approches formelles s’offrent pour gérer cet encombrant dossier : soit on l’envisage sous l’égide d’une commission nationale qui se structurerait en autant de sous-commissions qu’il y a de séquences historiques à considérer, soit on l’organise sous forme d’assises nationales que dirigeraient des cadres au-dessus de tout soupçon, c’est-à-dire des cadres intègres et autant que possible neutres. Toujours est-il que chaque approche a ses inconvénients et ses avantages. Quelle que soit la formule, il ne saurait y avoir de résultats efficaces et durables si la procédure ne se fonde pas sur le triptyque Vérité-Justice-Réconciliation. Car la voie royale de la réconciliation et du pardon passe impérativement par la vérité historique. Selon l’historien Sidiki Kobélé Kéita, « l’histoire contient des enseignements qui doivent guider la problématique de la réconciliation nationale et fixer une pédagogie évitant tout préjugé à propos des principes que soulève la quête de la vérité des faits réels ou concrets, c’est-à-dire vérifiables. »82 Le jour où cette vérité historique sera dite, l’atmosphère se décrispera sans nul doute et le chemin de la réconciliation sera incontestablement balisé d’autant plus que nombre d’agitateurs ou opportunistes se tairont à jamais, sinon se verront contraints par la honte de s’expatrier, offrant ainsi la possibilité d’inculper ou d’innocenter ceux qui méritent de l’être.
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Mémo de S. Kobélé Kéita à la Commission nationale provisoire de réflexion sur le processus de la réconciliation nationale ».
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À ce jour, la Guinée manque d’approche opérationnelle. Les responsables ont opté sur papier pour un schéma de commission nationale (Commission Nationale de Réconciliation sous Lansana Conté et récemment, Commission Nationale Provisoire de Réflexion sur le Processus de Réconciliation sous Alpha Condé). Les initiatives et recommandations d’aucun de ces schémas n’ont encore rien produit de concluant. Si sous la Deuxième République la « Commission de Réconciliation Nationale » n’a brillé que par son décret de création, sous la Troisième République, elle est loin de son objectif parce que conçue sous une dénomination alambiquée de « Commission Nationale Provisoire de Réflexion sur le Processus de Réconciliation ». Il est inconcevable qu’en Guinée où depuis 1984, le problème de la réconciliation nationale continue à se poser avec acuité, on en soit encore à une « commission provisoire de réflexion » dont la présidence est assurée par deux grands dignitaires religieux du pays, l’Archevêque de Conakry et le Grand Imam de Conakry, comme s’il s’agissait d’un conflit interconfessionnel. Les religieux ont certes un rôle à jouer, mais bien plus tard, pour faire probablement des bénédictions sur l’acte concret qui inaugurera la mise en route effective du processus de la réconciliation nationale. On oublie souvent que ces religieux, à bien des égards, n’inspirent plus confiance à nombre de leurs concitoyens, comme le stigmatise le chercheur Sékou Chérif Diallo pour qui « ceux (les religieux) qui sont sensés concilier les différentes parties en temps de crise sont les plus controversés aujourd’hui en Guinée. Autrefois, les chefs religieux chrétiens jouaient plus ou moins ce rôle de dernier recours (le nom Mgr Robert Sarah est resté dans les mémoires)… »83 À l’analyse, il ressort que l’usage des concepts « provisoire » et « réflexion » dans le libellé de la dénomination de la structure en charge de la réconciliation, pour la solution d’un problème qui, depuis plus de trois décennies compromet la cohésion et l’unité nationale, renvoie indiscutablement à une fuite en avant. Par ailleurs, on note concomitamment d’autres démarches informelles dont le pardon inclusif initiées par les premiers responsables du pays. En effet, en leur temps, le général Lansana Conté, le capitaine Moussa Dadis
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Le Lynx N° 1072 du 29/10/12, P.7.
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Camara et le général Sékouba Konaté84 ont chacun choisi d’endosser au nom de tous les présumés coupables, la responsabilité de tous les actes de violation des droits de l’homme qu’ils ont pu commettre et de solliciter de toutes les présumées victimes, le pardon inclusif. Ce geste des premiers magistrats de la Nation est moins une banalisation des nombreuses vies humaines détruites qu’une démarche de sagesse devant une situation aussi sensible que complexe dont le dénouement est extrêmement coûteux à tout point de vue, sans aucune certitude de résultats probants. Malheureusement, cette approche n’a pas requis l’unanimité des acteurs concernés qui l’ont trouvée certes louable, mais insuffisante. La réticence proviendrait surtout des associations des victimes et enfants de victimes du Camp Boiro dont les exigences sont des plus difficiles à satisfaire. Leurs témoignages la plupart du temps prennent les effets pour la cause, taisant ainsi volontairement les raisons qui ont opposé leurs proches au régime, dans l’unique but d’exiger réparation. Aussi, quand pour les mêmes raisons, le général Lansana Conté a baptisé une des artères de la Capitale Conakry du nom de Diallo Telli, une des victimes emblématiques des purges du régime, les mêmes ont trouvé la démarche salutaire, mais insuffisante tout comme ils l’ont fait après la restitution des biens confisqués au moment des arrestations des présumés comploteurs. C’est toujours du oui, mais… Les intentions réelles de ces associations sont apparues au grand jour quand le Président Conté a fait porter le nom de Sékou Touré à la résidence officielle des chefs de l’État, c’est-à-dire « Sekhoutoureyah ». Ce fut une levée de boucliers de leur part contre le gouvernement. Ils ont trouvé l’initiative outrageante. Pour ces présumées victimes, Sékou Touré étant l’unique responsable de leurs malheurs, il est inacceptable de l’honorer de cette manière. Il faut plutôt le rayer de l’histoire. Également, quand le Président Alpha Condé s’est élevé contre la surmédiatisation du dossier des victimes du camp Boiro au préjudice des autres cas de violations des droits de l’homme en Guinée, ce sont encore ces mêmes associations qui ont très mal reçu le message du chef de l’État. Cependant, toujours soucieuses d’affronter l’épineux dossier de la réconciliation, des bonnes volontés ont, au titre des démarches informelles, proposé aux Guinéens, des journées de prières et de jeûne dans les églises, mosquées et temples ; d’interminables séances de lecture du saint 84
Ils se sont succédé au pouvoir en Guinée de 1984 à 2010.
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Coran souvent subventionnées par le gouvernement ; de caravanes coûteuses de la paix et de la réconciliation à travers tout le pays ; des manifestations culturelles et artistiques dédiées à la réconciliation nationale et sponsorisées par l’État. Aussi, dans la même foulée, a-ton conçu pour diffusion tous azimuts des formules de confessions collectives et autres injonctions anonymes. Ainsi, partout et en toute circonstance, entend-on déclamer : • « Nous sommes tous coupables », • « Il faut que les Guinéens s’assaillent autour de la table et se parlent », • « Il faut que les Guinéens s’aiment et se pardonnent », • « Donnons-nous la main pour construire la Guinée », etc. En réalité, rien de tout cela ne donne l’indice d’une structure formelle de mise en œuvre du processus. Personne non plus ne justifie cette culpabilité collective qu’on cultive à longueur de meetings, ni aucune stratégie appelant les Guinéens à se donner la main, à se parler et à s’aimer. Ni les homélies, ni les prêches n’ont encore réussi à conduire les Guinéens sous l’arbre à palabres ou autour de la table de négociation, encore moins à s’aimer ou à se pardonner. Nombreux sont des Guinéens qui, pour diverses raisons, continuent à se regarder en chiens de faïence. En tout état de cause, « ce ne sont pas les prières, les lectures du Coran ou de la Bible et autres incantations religieuses, les ateliers et séminaires orientés et dépourvus parfois de tout intérêt social ou moral qui vont réconcilier les Guinéens avec eux-mêmes (…) Ne nous voilons pas la face : il y a des contentieux historiques plus profonds qui rongent le pays »85, écrit Sidiki Kobélé Kéita. Face à l’enlisement que connaît le processus de réconciliation nationale en Guinée, il reste une approche formelle à explorer : les assises nationales. En effet, bien de citoyens évoquent les expériences des conférences nationales déjà tentées par endroits en Afrique, notamment en Afrique du Sud, au Libéria, au Bénin, en Sierra Léone, au Rwanda, au Congo Brazzaville, etc., même si leurs cas ne procèdent pas des mêmes raisons. Ces conférences nationales, il faut le souligner avec force, n’ont pas été aussi fructueuses que ne 85
Dans un mémorandum du 21 septembre 2011envoyé à la « Commission Provisoire de Réflexion sur la Réconciliation ».
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l’avaient espéré leurs initiateurs. Dans certains cas, elles ont duré plus de trois ans et, faute de ressources financières suffisantes, elles ont dû arrêter les travaux sans parvenir à cerner les vrais problèmes pour lesquels elles avaient été convoquées. Par ailleurs, « la chirurgie qui a eu cours au Bénin, au Congo Brazzaville, en République Démocratique du Congo (…), a permis le renouvellement et le renforcement de classes politiques anciennes et l’émergence de nouvelles élites, mais la situation a-t-elle réellement changé »86, interroge l’historien Tolo Béavogui ? Dans tous les cas, conférence nationale, forum national ou assises nationales, peu importe la dénomination. Pourvu qu’un débat national inclusif associe directement, ainsi qu’ils le souhaitent eux-mêmes, Guinéennes et Guinéens à la recherche d’une solution consensuelle et durable à leur problème. Ce faisant, il faudrait absolument se garder d’occulter les risques de dérapage que peuvent connaître de telles rencontres pour ne pas déboucher sur des surprises désagréables enregistrées ailleurs. Tout en prenant en compte les écueils des premières expériences africaines en la matière (longue durée, rixes entre victimes et coupables faute de maîtrise des débats, insuffisance de financement, paralysie concomitante de l’administration, etc.), les assises nationales devront être une instance « où les vérités seront dites pour panser définitivement nos plaies et permettre d’évoquer les causes des contentieux et leurs conséquences ; chacun parlera alors librement afin d’exorciser librement ses sentiments, en toute honnêteté. »87 Cependant, il est à se demander si ces Guinéens qui ont rejeté l’offre sage du pardon inclusif faite de toute bonne foi par les premiers responsables du pays sont capables d’assumer les contraintes d’une conférence nationale où les vérités préconçues et les attitudes revanchardes n’ont guère de place ? En raison de la complexité de sa mise en œuvre due à l’hétérogénéité des participants, la Conférence nationale ne peut être utile et efficace que si chacun s’y rend avec des prédispositions à la tolérance, au pardon et à la mansuétude. Autrement dit, que chaque Guinéenne et Guinéen, notamment les présumées victimes ou leurs 86
Extrait du texte de communication faite sur demande du Mouvement Citoyen de Guinée » le 22 avril 2008. 87 Mémo de Sidiki Kobélé Kéita à la « Commission Nationale Provisoire de Réflexion sur le Processus de Réconciliation ».
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proches, veuille bien accepter de renoncer à l’usage de prismes déformants et spécieux qui risquent fort de grossir les stigmates physiques, psychiques et moraux qu’ils portent encore et limiter de ce fait les concessions souhaitables de leur part. Qu’ils aillent en salle avec la ferme détermination de faire valoir la devise qu’il n’y aura « plus jamais ça en Guinée !» C’est certes très difficile à obtenir, mais c’est le prix à payer pour que les assises nationales tant réclamées et dont on attend beaucoup, n’ouvrent pas la boîte de Pandore. C’est non sans raison que le Président Alpha Condé émet des craintes de voir la Conférence nationale cristalliser des problèmes qu’elle est censée pouvoir déconstruire, en l’occurrence la haine interethnique, l’injustice sociale, le désamour, l’intolérance, l’esprit de revanche. Pourtant, la réconciliation demeure imprescriptible. Le vrai problème est d’ordre pédagogique. Comment obtenir le pardon sincère ? Peut-on pardonner et se réconcilier sans situer les sources du conflit ? Nous pensons comme tant d’autres qu’il faut savoir ce qui s’est passé en vue de situer les responsabilités de chacun et de tous dans la justice. Plus vite les Guinéens le comprendront et s’engageront dans la discipline, la confiance réciproque et la tolérance à résoudre le problème, mieux cela vaudrait. Car, au fur et à mesure que le temps passe, les rancœurs, les tensions et les risques d’implosion s’accumulent et prennent de plus en plus du relief. Aussi, faut-il le souligner en conclusion de ce qui précède, partout où la Conférence nationale a été plus ou moins un succès, il y avait toujours un Grand Homme ou une Grande Dame à l’avant-scène : Nelson Mandela en Afrique du Sud, Mathieu Kérékou au Bénin, Ellen Johnson Sirleaf au Libéria, Pascal Lissouba au Congo, etc. Qui pourrait bien être cette personnalité en Guinée où le problème de la réconciliation nationale est encore entier ? Bien d’occasions opportunes n’ont pu être exploitées. En effet, au lendemain du coup d’État militaire du 03 avril 1984, les nouvelles autorités y avaient bien pensé. Elles ont même mis sur pied une commission nationale de rédaction du Livre Blanc sur le régime défunt. Des archives personnelles du Président Sékou Touré, celles du Camp Boiro, de la Permanence nationale du PDG, des services de défense et de sécurité furent mises à disposition en vue de présenter au peuple de Guinée, la face cachée de la gouvernance de la Première République. Aussi, avec la présence en Guinée de tous les acteurs (décideurs, tortionnaires, présumées victimes et autres témoins des actes infâmes de la révolution) et surtout l’enthousiasme presque délirant de fin de régime 83
aidant, le CMRN aurait pu organiser des assises de la réconciliation nationale. Celles-ci auraient permis sans nul doute d’innocenter les victimes arbitraires et d’identifier et éventuellement sanctionner les coupables avérés. Toutes choses qui auraient probablement mis le pays à l’abri des tragiques événements du 4 juillet et des exécutions sommaires de la nuit du 17 au 18 juillet 1985 à Kindia. Malheureusement, ni le Livre Blanc ni les assises nationales n’ont pu voir le jour. Il faut d’ailleurs déplorer que les précieuses sources archivistiques mises à la disposition de la commission de rédaction sont jusqu’à ce jour indûment détenues par ses membres qui, non seulement n’ont pas été capables de faire le travail qui leur était confié, mais aussi ne les ont pas restituées. Il est absolument indispensable que la Présidence de la République dont dépendent les Archives Nationales les récupère en vue de leur reversement au patrimoine archivistique national pour le plus grand bien de l’histoire du pays. Par ailleurs, il faut déplorer que la Guinée ait raté une autre opportunité pour poser les jalons d’un véritable processus de réconciliation nationale avec les autorités de la Troisième République. En effet, Alpha Condé qui avait été contraint à l’exil et condamné à mort par le premier régime, puis arbitrairement emprisonné pour 28 mois par le second et aujourd’hui Président de la Troisième République, aurait pu au lendemain de sa prise de fonction, enclencher le processus de réconciliation. Nous estimions qu’en allant le premier témoigner publiquement sans forfanterie devant une commission nationale de réconciliation fonctionnelle, et en y accordant lui-même le pardon à ses prédécesseurs que furent Ahmed Sékou Touré et le général Lansana Conté, le Président Alpha Condé aurait ainsi initié une œuvre gigantesque qu’aucun autre avant lui n’avait réussie. Hélas, la « Commission Nationale Provisoire de Réflexion sur le Processus de Réconciliation » qu’il a créée n’est d’aucune pertinence et d’aucune efficacité pour répondre aux nombreuses et diverses attentes. Ces rendez-vous manqués ont des incidences négatives sur le cours de l’histoire du pays. Si au lendemain du 03 avril 1984, ce problème ne concernait essentiellement que les victimes du Camp Boiro, il s’est suffisamment étendu et compliqué avec la conjonction d’autres évènements tout aussi endémiques que tragiques survenus par la suite. Désormais, il faudra porter au registre des griefs, les évènements du 4 84
juillet 1985 et les exécutions sommaires qui en ont découlé, la mutinerie des 2 et 3 février 1996, les mouvements sociaux de 2006, 2007 et 2008, les massacres du 28 septembre 2009 ainsi que les premières victimes des manifestations de la Troisième République. La solution tardant à venir, la réconciliation nationale n’est aujourd’hui envisageable que dans une perspective de solution globale et inclusive. Car, comme aime à le rappeler le Président de la République, Alpha Condé, l’histoire de la Guinée ne saurait se réduire à la seule séquence du Camp Boiro. Un mort en vaut un autre, parce que résultant tous des mêmes violations des droits fondamentaux de l’homme en Guinée. Cette réaction du Président de la République est une évidence qui ne prête nullement à discussions. Cependant, il reste à souhaiter, avant la fin de son quinquennat, de le voir définir des objectifs clairs et précis ainsi que des moyens requis afin que la fameuse Commission Provisoire de Réflexion sur le Processus de Réconciliation change de statut pour conduire à un véritable processus de réconciliation nationale durable. C’est la condition sine qua non de la relance du développement national auquel il tient tant. Ainsi que le souhaite l’éditorialiste de la revue Matalana, « établir la vérité à travers un forum national inclusif sur ce passé sombre et déboucher sur le pardon, la justice réparatrice et non forcément punitive, aurait produit le climat de paix et de réconciliation nécessaires entre Guinéens de toutes origines... »88 Toutefois, l’espoir est permis, à en juger par des réactions encore timides et rarissimes, mais rassurantes de victimes ou d’enfants de victimes des purges de la révolution, qui parviennent de plus en plus à surmonter les graves traumatismes dans lesquels ou avec lesquels ils ont vécu ou grandi, pour appeler au pardon et à la réconciliation. À ce titre, il serait intéressant de citer le cas de Lamine Kamara qui, après avoir passé sept ans sous les verrous de la révolution, invite aujourd’hui au pardon, alors que son délateur l’avait blanchi. À ce propos, écrit-il : « L’histoire a tendance à peindre les grandes figures historiques avec des couleurs dorées, mais les hauts faits de leurs vies ne peuvent les exonérer de leurs forfaits, même pour une victime comme moi qui a pardonné et qui continue de pardonner. »89 Dans la même foulée, nous notons une autre forme de pardon non moins significative qui vient agrandir le cercle des cœurs 88 89
Matalana, N° 21, mai 2010. Les racines de l’avenir, P. 109.
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magnanimes. Elle nous vient de l’Ambassadeur Diallo Cellou, un ancien pensionnaire du Camp Boiro qui a accepté de donner sa fille en mariage au fils du commandant Siaka Touré, tout puissant Secrétaire permanent du Comité révolutionnaire, administrateur de sa détention. Il faut avoir une âme d’ange pour pouvoir transcender les effets de sept ans de bagne et accepter de devenir le beau-père de son tortionnaire. Nul doute qu’une citation publique de ce mariage comme exemple de mansuétude aiderait les nouvelles autorités guinéennes à achalander leur projet de réconciliation nationale qui peine encore à trouver ses marques. Aussi, ne résisterait-on pas à porter dans le même répertoire le nom du jeune Bahoudine Baldé, fils de Baldet Ousmane90, une autre présumée victime de premier ordre des purges de la révolution, pendu du Pont du 8 novembre. Ce cadre, comme son aîné Lamine Kamara, croît au pardon et invite tous ceux qui se trouvent dans la même situation que lui, à en assurer la promotion. S’adressant à d’autres enfants de victimes, il écrit une lettre poignante dont nous vous donnons ici, avec sa permission, l’intégralité du texte : « Je vous dis merci de réagir, à la moindre occasion, sur cette période tragique de l’histoire de la Guinée. Puissiez-vous maintenir la tête haute vis-à-vis de ceux qui, autour de vous, parleront de patriotes et autres compagnons de l’indépendance, dont nous conterons l’histoire à nos enfants et petits-enfants, et qui pour la plupart, sont morts innocents, victimes hélas du destin d’un territoire de l’Ouest Africain français qui, sous l’égide des trois jeunes leaders politiques de ce temps, a osé dire « Non » aux visées néo-colonialistes d’un référendum constitutionnel en septembre 1958. D’autres noms de figures guinéennes de valeur pourraient s’ajouter à cette liste dans le domaine de la lutte de libération nationale. Mais ces douloureuses pages du passé, je le dis avec force : il faut pardonner dans l’axe de la réconciliation nationale. Réconcilions-nous et pardonnons-nous. Cultivons la fraternité et la compréhension entre nous tous : 15 millions de compatriotes vers l’émergence d’un État de droit, mais en ayant toujours, en point de mire, la compassion et le pardon. Et une pensée nous vient à l’esprit : celle du jour où ce concept se concrétisera dans les cœurs et les esprits de millions de compatriotes. 90
Il fut ministre de l’Économie des Finances de Sékou Touré, pendu le 25 janvier 1971 au Pont du 8 novembre à la rentrée de la presqu’île de Kaloum. C’est lui qui a signé sur les billets de banque de la monnaie guinéenne.
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Alors, viendront se projeter en lignes sinueuses les vérités qui permettront : • De faire connaître aux générations montantes, à travers les recherches, la vraie Histoire de ce pays, sans sacrifier en quoi ce fut aux positions partisanes catégoriques de certains individus, • D’élucider les causes qui ont engendré l’accomplissement de ce destin, indépendamment de la volonté de Paul ou de Pierre ; courage aux chercheurs et aux écrivains ! Moi aussi ma famille a été victime de cette triste journée des pendus du 25 janvier 1971. Pardonnons ça et réconcilions-nous. Je vous entoure de ma tendresse la plus délicate d’une affection touchante et sans cesse en éveil. Vivez dans le culte du souvenir de feu votre père qui fut un patriote de sa génération, sans oublier toutes les victimes innocentes de l’arbitraire et de l’injustice durant la Première et la Deuxième République. Mais pardonnons tout ça et réconcilions-nous ! »91 Votre frère, le fils de Baldet Ousmane. En tant que fils d’une illustre présumée victime, Bahoudine Baldé fonde l’espoir de voir les chercheurs faire connaître ce qu’il appelle la vraie histoire du pays, la seule susceptible d’aider à remonter aux origines des vraies causes du drame guinéen, indépendamment de la volonté des acteurs concernés. Ce faisant, il renonce du coup à se rendre justice. Sa lutte pour la vérité et la défense des droits humains intègre désormais le combat collectif visant à rétablir ceux qui le méritent, dans leurs droits. Sa lettre, à notre avis, est certes individuelle, mais elle représente un pas de géant dans la perspective d’une réconciliation nationale tombée en panne dès après son initiation. Elle était impensable, il y a quelques années, tellement les positions du camp des présumées victimes sont restées tranchées, au point de faire automatiquement peur à toute personne qui en prenait la charge. Les Guinéens peuvent enfin espérer parce qu’une nouvelle génération de victimes est en train d’émerger, celle des ex91
La Lance N° 820, du 31 octobre 2012.
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pensionnaires des geôles de la révolution et/ou de leurs propres enfants, dont la maturité permet à présent de surmonter leurs effroyables traumatismes pour en appeler au pardon et à la réconciliation. Ils sont encore rares, des cadres ou simples citoyens comme Lamine Kamara, Bahoudine Baldé et l’Ambassadeur Cellou Diallo qui, avec une grandeur d’âme admirable ouvrent la voie à une réconciliation nationale véritable. Ils confèrent une dynamique nouvelle au concept de réconciliation en le faisant quitter du bout des lèvres où les pénibles souvenirs du passé l’avaient depuis fort longtemps retenu pour enfin atteindre les cœurs attendris par une conjonction de circonstance. Ces gestes sont si beaux, si sublimes et si fascinants qu’ils méritent d’être capitalisés pour les besoins de la cause. Le seul réconfort de ces auteurs serait sans nul doute d’être suivi par d’autres acteurs ayant en partage les tristes souvenirs de la révolution. À travers eux, arrivent sur la scène politique guinéenne, des hommes désireux de contribuer à une meilleure gestion du passé guinéen dans toutes ses dimensions, surtout à un moment où bien d’autres continuent à remuer le couteau dans la plaie. En tout état de cause, s’interroge l’Ambassadeur Tolo Béavogui, « devons-nous passer le temps à nous lamenter sur un passé aussi douloureux soit-il et dont les acteurs principaux sont absouts par la mort… ? »92 Lamine Kamara, l’Ambassadeur Cellou Diallo et Bahoudine Baldé donnent implicitement la réponse à cette préoccupation et invitent par la même occasion, tous leurs compatriotes qui sont liés par le même sort, à laisser la justice prendre le relais, car elle seule peut et doit innocenter ou culpabiliser. Sinon, «laissons à des spécialistes le soin dans le calme, sans passion, de réfléchir sur notre devenir en tirant les leçons du passé »93, conseille sagement l’historien Tolo Béavogui.
92
Extrait d’un texte de communication faite sur la demande du Mouvement Citoyen de Guinée le 22 avril 2008, P. 8. 93 Ibidem.
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Lamine Kamara
V. Échec de la repositionnement
Bahoudine Baldé
révolution
et
tentatives
de
La révolution se battait et se débattait comme un beau diable, mais les résultats n’ont jamais pu combler les attentes en dépit du soutien appuyé de la coopération socialo-communiste. Les responsables du parti en avaient conscience. Au IXe Congrès du PDG en 1972, ils ont proclamé la compétence comme critère du choix des hommes devant animer l’administration de développement ambitionnée, d’où le fameux slogan de « l’homme qu’il faut à la place qu’il faut ». Ce slogan qui semblait traduire un certain impératif de qualification du système cachait à peine un aveu d’échec du PDG. Car, celui-ci venait de se rendre compte que durant les deux premières décennies d’indépendance nationale, il avait fait mauvais usage de ses ressources humaines. Il ne manquait pourtant pas cadres compétents, mais le parti n’avait pas su mettre à leurs places les hommes qu’il fallait. Cela se manifesta du reste très tôt, dès la première réorganisation administrative intervenue sous la bannière du gouvernement de la semi-autonomie qui avait fait la part belle aux responsables et militants du PDG. À tous les niveaux, ce sont eux qui occupaient les meilleurs postes de responsabilité au détriment de cadres compétents généralement placés sous ordre. Le souci de récompenser les compagnons de lutte l’emportait sur la recherche de compétences 89
susceptibles de gagner le pari du développement. Au lendemain de la proclamation de l’indépendance, cette tendance s’est renforcée. Si dans les secteurs techniques, l’expertise étrangère a plus ou moins permis de relever le défi, il n’en fut pas autant de la haute administration. À ce niveau, ce sont des moniteurs et instituteurs d’enseignement, des infirmiers, des contrôleurs d’agriculture ou des commis expéditionnaires dont il faut louer au passage le courage et l’engagement, qui se virent confier des départements ministériels. La plupart du temps, ce furent des militants dits de première heure du parti qui eurent la lourde charge d’initier les premières reformes et d’opérer les choix stratégiques pour la mise en route de la nouvelle administration. Malheureusement, ces hommes pour la plupart sans qualification ni expérience requises, étaient loin de combler les attentes d’une administration de mission qui avait tant de défis immédiats à relever. Or rien n’empêchait les nouvelles autorités de faire appel à l’expertise étrangère pour tenir, ne serait-ce que pour un départ, les départements stratégiques. Elles disposaient à cet effet des éminences grises de la diaspora africaine et des intellectuels du monde progressiste venus au secours de la jeune République, après le retrait précipité des techniciens et administrateurs français. Ce fut la première et grave erreur du nouvel État de vouloir absolument tout faire par les militants du PDG, même s’ils n’avaient pas les compétences requises. C’est une erreur explicable par l’expérience personnelle du leader lui-même. En effet, « ayant malgré sa courte scolarité accédé à de hauts postes syndicaux et politiques, il pensait que n’importe qui pouvait occuper n’importe quelle place (…) Pour lui, sans doute, la foi révolutionnaire suffisait-elle pour bien faire ce qu’on avait à faire »94, écrit Lamine Kamara. Si jusqu’à ce jour la Guinée n’éprouve aucun complexe à faire appel à l’expertise étrangère du reste fort coûteuse pour occuper des postes techniques (enseignants de rang magistral, chercheurs émérites, entraîneurs de football, conseillers techniques, etc., pourquoi n’avait-elle pas pensé conserver ou faire venir des experts étrangers pour faire démarrer certains départements pour lesquels il manquait de ressources humaines compétentes? Aussi, pourquoi avoir attendu le IXe Congrès (1972) pour avouer l’échec du système en proclamant désormais l’emploi de « l’homme qu’il faut à la place qu’il faut » ? On pourrait donc dire que c’est dès le départ que la révolution guinéenne a raté le coche. 94
Les racines de l’avenir, P. 41.
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À notre avis, cet aveu à lui seul suffisait largement pour une évaluation qui aurait pu déboucher sur une révision d’option, car le développement est inconcevable sans les hommes, surtout des hommes compétents. De toute évidence, la Guinée qui ne manquait pas de compétences en a fait mauvais usage. Il n’est pas exagéré de dire que la situation désastreuse actuelle de la Guinée est redevable de la gestion complaisante au départ, des ressources humaines. Malgré le beau slogan maintes fois repris de « l’homme qu’il faut à la place qu’il faut », rien n’y fit d’autant plus que les nominations ont continué et continuent du reste (en héritage) sur la base de critères politiques et affectifs. Ce constat d’échec largement partagé par le XIIe Congrès du PDG ne tempère pas pour autant l’ardeur révolutionnaire du Président Sékou Touré à poursuivre la mise en œuvre de sa politique. Il persiste et signe. « La Révolution continue, nous vaincrons ! »95 proclame-t-il avec une sérénité olympienne. Ainsi de conférences nationales en congrès du parti, on assiste à l’édification d’une société socialiste dans un pays qui sombre de jour en jour dans des difficultés de tous genres. Celles-ci étaient généralement dues à la mauvaise prise en charge des contestations politiques pourtant normales dans un régime qui se veut démocratique. Malgré toutes les transformations quantitatives et qualitatives ambitionnées par la Révolution, les contre-performances défiaient le bon sens. « Si les lendemains de prospérité ne paraissaient pas hors de portée, constate Bernard Charles, reste que les deux décennies écoulées n’ont pas apporté une amélioration des conditions de vie, malgré la montée des revenus tirés de la bauxite après 1970. »96 Mais, le PDG se montre imperturbable et tient en 1978 son XIe Congrès au cours duquel est proclamée la « Démocratie populaire révolutionnaire avancée » qui consacre l’avènement du « Parti-État ». La Guinée devient alors la « République Populaire et Révolutionnaire de Guinée ». Cependant, en dépit de toutes les apparences, les discours et résolutions de ce congrès tranchent avec les habitudes. Les tons sont des plus modérés, caressant visiblement des intentions d’ouverture du pays sur le reste du monde. Les autorités envisagent désormais de rompre avec l’isolement qui a été jusque-là très dommageable à leur pays. Le Mouvement des femmes du 27 août 1977 en aurait été l’un des deniers signes prémonitoires. En grand rhétoricien et dans une démonstration 95 96
Un des slogans favoris par lesquels Sékou Touré terminait ses discours. Bernard Charles in Politique africaine, N° 38.
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alambiquée dont il avait le secret, Ahmed Sékou Touré essaie de prouver que les conditions étaient désormais remplies pour une coopération avec les autres. Ainsi, ouvrant les travaux du XIIe Congrès, il rappelle les prédispositions de l’État révolutionnaire : « Au XIe Congrès, nous avons proclamé le mot d’ordre d’ouverture sur le monde extérieur, car nous étions déjà prêts pour une coopération dans l’égalité, parce que nous nous sentions capables de définir ce que nous voulons, d’apprécier ce que nous apportons et de défendre nos droits légitimes sans aucun complexe. »97 Deux ans plus tard, cette tendance va se confirmer par un retour en force du Président Sékou Touré sur la scène africaine et internationale qu’il avait quittée depuis plus d’une décennie, une façon d’avouer aux autres que la Révolution guinéenne avait évolué, pour ne pas dire qu’elle avait échoué, et qu’elle pouvait par conséquent s’adapter à toute autre situation. Reste à savoir s’il en avait convaincu ses interlocuteurs. Rien n’est moins sûr. Auparavant déjà en 1975, il avait annoncé de façon spectaculaire à partir de Bamako, sa volonté de reprendre les relations diplomatiques avec la France. Cette reprise avait visiblement toutes les chances de réussir d’autant plus qu’à l’Élysée étaient arrivés des locataires qui ne partageaient pas forcément les appréciations négatives du général de Gaulle sur Sékou Touré et qui d’ailleurs avaient considérablement réduit les responsabilités jusque-là exorbitantes de Jacques Foccart. La réconciliation fut effective le 14 juillet 1975. Il faut préciser que cette énième reprise des relations avec la France a été précédée par 17 mois de laborieux travail préparatoire à l’actif d’André Lewin, citoyen français et porteparole d’alors du Secrétaire général des Nations Unies, Kurt Waldheim.
André Lewin
Ce succès lui vaudra d’être nommé Ambassadeur de la France en Guinée.98 Au cours de son séjour guinéen qui le conduira jusqu’en 1979, l’éminent diplomate parvint à « dompter » le leader guinéen au point d’entretenir avec celuici des relations confiantes et des plus amicales. C’est non sans raison qu’il lui consacrera en fin de
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In revue RDA, N° 213, P. 124. Certaines rumeurs à l’époque faisaient état d’une requête expresse de Sékou Touré sollicitant cette nomination. Les éléments d’information à notre disposition ne nous permettent pas de le confirmer. 98
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carrière, une monumentale thèse universitaire éditée en huit volumes99. Soit dit en passant, cette thèse-biographie est exceptionnelle en son genre. En notre modeste connaissance, à aucun homme d’État dans le monde, une telle œuvre n’a été consacrée, en dehors [curieuse coïncidence] de son ascendant, l’Almamy Samory Touré, qui a fait l’objet aussi d’une thèse impressionnante de 2377 pages de la part d’Yves Person100. Cette biographie de Sékou Touré par Lewin accroît incontestablement l’immensité de la tâche de ses irréductibles ennemis qui œuvrent inlassablement à le rayer de l’histoire. Il est à noter que c’est également André Lewin qui réussira à réconcilier l’Allemagne Fédérale et la Guinée en brouille depuis l’implication de certains citoyens allemands dans la tentative de renversement par le Portugal du régime guinéen, le 22 novembre 1970. Ainsi, l’œuvre de l’Ambassadeur Lewin a ouvert de nouvelles perspectives à la diplomatie guinéenne. Dans la foulée, Ahmed Sékou Touré se réconcilie le 18 mars 1978, avec ses voisins du Sénégal et la Côted’Ivoire, en l’occurrence, Léopold Sédar Senghor et Houphouët Boigny. Toutes les conditions semblent réunies par Sékou Touré pour recevoir en visite d’État dans son pays, le Président français, Valery Giscard d’Estaing. Ce dernier aura pris soin de son côté de mettre fin à la longue carrière élyséenne de Jacques Foccart, bras armé du général de Gaulle contre Sékou Touré. En retour, en septembre 1982, Ahmed Sékou Toure effectue en grande pompe une visite officielle en France, la première après plus de 20 ans de rupture. En octobre 1983, on le voit à Vittel (France) ravir la vedette aux grands ténors de la FranceAfrique, alors qu’il n’y était qu’en simple observateur. Tout est fait pour montrer à ses détracteurs qu’il avait compris l’appel du pied qui lui était fait depuis longtemps et qu’il était prêt à conjuguer ses théories révolutionnaires au présent. Lors d’une de ses visites aux U.S.A, il n’a pas hésité à nuancer, sinon à renier publiquement son appartenance au marxisme, toutes choses qui semblaient destinées à ramener l’Occident à de meilleurs sentiments à son endroit.101 Ahmed Sékou Touré avait 99
Ahmed Sékou Touré (1922-1984), Président de la Guinée, Éditions L’Harmattan, 2008, en 8 volumes. 100 « Samory Touré ou une révolution dyula », en 3 volumes, IFAN/Dakar, 19781975, 2377 Pages. 101 À ce propos et à l’occasion d’autres interviews, Sékou Touré, dit n’être pas marxiste, mais qu’il ne voyait pas pourquoi il ne se servirait pas de recettes marxistes, si celles-ci peuvent apporter des réponses à ses préoccupations.
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vraiment compris que le monde a changé et n’a rien ménagé pour convaincre l’opinion africaine et internationale qu’il pouvait bien aller avec. En clair, il avait pris acte de l’échec de son projet de société. Dans ces conditions, il lui fallait à tout prix rompre avec l’atypisme de sa révolution et accepter d’intégrer les grands courants du monde contemporain, exercice auquel il s’est attelé les dernières années de sa vie. Il s’y est d’autant mis qu’en quatre ans seulement, de 1979 à 1983, il a effectué un nombre impressionnant de visites d’État dont : • 65 sur le continent africain, dont 20 pour la seule année 1979 ; • 8 dans les pays américains • 7 dans les pays asiatiques • 13 dans les États européens • 22 dans les États arabes En retour, pour la même période, il a reçu en Guinée : • 43 visites de chefs d’État africains • 4 de chefs d’État européens • 3 de chef d’État d’Asie102 L’analyse du tableau fait apparaître une nette disparité entre ses sorties et les visites reçues, ce qui dénote que les bonnes dispositions affichées par le leader de la révolution guinéenne n’ont pas encore produit tous les effets attendus. Ce n’était pas évident, car le travail de sape de la France (relayée à l’intérieur par ses suppôts très actifs), s’effectuait parallèlement et efficacement. Mais, Sékou ne se découragea pas pour autant. Il réaffirmera en 1983 lors du XIIe Congrès du P.D.G, sa ferme volonté d’adapter les exigences de la Révolution aux grandes mutations en cours dans le monde. En effet, dans le rapport de politique générale qu’il a présenté à cette occasion, il avait déclaré que « les conditions actuelles que nous devons fondamentalement transformer (…) sont un état d’insuffisance économique profonde, un manque quasi total de ressources scientifiques et techniques (…) L’essentiel pour nous donc, est de
102
Ibidem, Pp. 199-200.
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tenir compte de toutes ces données pour engager une politique économique réaliste, vivante, dynamique et vigoureuse. »103 Comme on le voit, le leader guinéen n’hésite plus à reconnaître que la précarité des moyens de production a entraîné les contreperformances d’une révolution qui semblait à ses vues destinée à combler tout le retard causé par des décennies de colonisation. Pour y remédier, il reconnaît que c’est moins l’abondance de la littérature révolutionnaire ou la rhétorique qui l’exprime que son opérationnalisation sur le terrain. Peu importe les systèmes ou la provenance des ressources, pourvu que le développement aide à améliorer les conditions de vie et de travail des populations. « De toutes les façons, ce qui doit préoccuper essentiellement les dirigeants révolutionnaires, ce ne sont pas les systèmes, les théories, mais les nécessités impérieuses d’une évolution socio-économique harmonieuse, équilibrée, rapide du peuple »104, poursuit-il. Comme si ce qui précède ne suffisait pas, il ajoute que « parler de la révolution populaire et d’entreprise privée en termes de contradictions, c’est opposer la fin au moyen, c’est poser des incompatibilités là où une parfaite conscience des buts de l’action révolutionnaire doit guider les hommes (...) La participation des capitaux étrangers à la valorisation d’un plan d’investissement sous forme de prêt, par exemple, est un recours propre à tout pays qui veut progresser. »105 Toujours soucieux de mieux se faire comprendre des plus sceptiques, le chef de l’État ne tarit pas d’arguments, surtout qu’il a la parfaite maîtrise de son sujet. Anticipant sur l’autarcie qui singularisait et asphyxiait son système, il affirme qu’«un pays en développement n’est pas isolé ou en dehors des mécanismes économiques mondiaux. Notre stratégie du développement fait appel, en somme aux investissements privés. »106 Invitant explicitement ses compatriotes à s’approprier les grandes idées qui ont produit des résultats probants ailleurs, il conclut que « nous devons méditer ces vérités, non pour nous contenter de théories, mais pour engager vigoureusement l’action de libération des forces productives nationales, et de coopération intelligente et hardie avec l’extérieur, de façon à mettre le peuple dans les meilleures conditions 103
In revue RDA, N°213, Pp. 69, 70, 71. Ibidem. 105 Ibidem. 106 Ibidem. 104
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de valorisation des immenses ressources naturelles que recèle le pays. »107 Que de nuances, de précisions et de détails apportés à ses idées pour se faire comprendre. Il a conscience d’avoir perdu trop de temps et que le moment était venu de refaire le retard accusé. Pour joindre la parole à l’acte, il instruit impérativement ses experts de procéder immédiatement à l’élaboration d’un nouveau code des investissements le plus attractif possible et d’entreprendre sans délai des démarches pour l’adhésion de la Guinée à la Société Financière Internationale (S.F.I). Dans la foulée, il fait organiser en juin 1982 un forum à la Chase Manhattan Bank à New-York et un séminaire en novembre de la même année à la Chambre Économique du Canada à Montréal sur le potentiel économique de la Guinée et les opportunités d’investissement. Cette série d’actes de sensibilisation s’acheva par un séminaire tenu en septembre 1983 à Paris, à l’intention des investisseurs et opérateurs économiques nord-américains et français. Décidément, Ahmed Sékou Touré voulait rattraper le temps perdu. Hélas ! Rien n’y fit. Malgré cette profession de foi maintes fois réitérée, la méfiance persiste. Les probables partenaires hésitent encore. Les idées de Sékou Touré apparemment bien agencées et soigneusement assaisonnées sont prises avec beaucoup de circonspection, expérience antérieure oblige. La France n’y serait pas innocente. Car, ne l’oublions pas, le vieux projet gaullien consistant à désillusionner le leader guinéen lui tient toujours à cœur. « Sékou doit impérativement échouer parce que De Gaulle le veut ainsi ! » est-on tenté de dire. Toutefois, il faut noter que le XIe Congrès a marqué un tournant décisif dans l’évolution de la pensée politique du président Ahmed Sékou Touré. C’est pratiquement l’amorce d’un revirement spectaculaire de la Révolution. Il le fallait parce que la France et ses inconditionnels agents intérieurs avaient réussi à inverser considérablement les rapports de force : financements extérieurs suspendus sinon bloqués, développement économique enlisé, ressources humaines gravement affectées par la fuite de cerveaux, grave altération du tissu social par la non moins célèbre lutte des classes, assombrissement de l’horizon scientifique et technique par la révolution culturelle, pauvreté endémique des citoyens, etc. Visiblement la révolution ne pouvait pas ne pas être en panne. Le Président Ahmed Sékou Touré venait enfin de comprendre ce que 107
Ibidem.
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certains de ses compatriotes avaient à leur corps défendant perçu et dénoncé très tôt. À rappeler que Dr Moriba Magassouba qui osa critiquer par écrit certaines décisions du PDG, paya les frais de son imprudence. Que de temps et de moyens perdus ; que de ressources humaines détruites ; que de familles disloquées ou endeuillées ; que de compatriotes jetés sur les routes de l’exil ; que de concitoyens blasés faute de perspectives d’avenir : le tout pour une cause compromise à terme. Il ne pouvait en être autrement, d’autant plus que dès le départ, les différents acteurs impliqués dans la gestion de l’indépendance n’émettant pas sur la même longueur d’onde, le sort du modèle de développement ambitionné s’en trouvait irrémédiablement scellé. D’où les échecs répétés des différents plans d’action initiés, en dépit des énormes sacrifices consentis. L’erreur du PDG a été de vouloir forcer la marche, pensant que la répression aveugle pouvait infléchir et contenir les adversités d’hommes aussi déterminés que lui et qui avaient librement choisi de s’opposer à son système. Après tant d’épreuves traumatisantes, Ahmed Sékou Touré, si intelligent, si expérimenté et si perspicace, pouvait-il ignorer que les différentes manifestations du « complot permanent », n’étaient ni plus ni moins que le rejet catégorique de son projet de société par une importante partie de ses concitoyens ? Ne pouvait-il pas comprendre que la plupart de ses compagnons de route ne partageaient pas toujours sa vision politique, même s’ils l’applaudissaient publiquement ? N’avait-il pas une autre lecture du nombre sans cesse croissant et surtout de la qualité des cadres que les vagues tumultueuses de la révolution emportaient presque quotidiennement ? Pourquoi avoir attendu si longtemps pour décider enfin du reformatage du système, alors que déjà lors du IXe Congrès du parti en 1972, il avait intelligemment avoué l’échec du régime, en reconnaissant n’avoir pas fait bon usage des ressources humaines disponibles pour promouvoir le développement du pays ? Connaissant bien l’histoire et la sociologie du pays, le Président Sékou Touré devait se convaincre que le Fouta-Djallon et la HauteGuinée, pour des raisons évidentes de traditions séculaires, ne pouvaient pas l’accompagner dans son option politique. En effet, la 97
Haute-Guinée, sa région natale, commerçante par nature et orientée principalement vers la libre concurrence et attachée à la propriété privée et à l’accumulation du capital, était loin de partager sa vision socialiste de l’évolution historique. Dans cette région, la théorie de la voie de développement non capitaliste qui lui est si chère, fait peur et ne saurait y avoir droit de cité. Ainsi, « malgré les immenses efforts déployés pour conquérir des suffrages, il n’y est jamais parvenu à sa pleine satisfaction. Bien au contraire la quasi-totalité des notables des principales villes de la région (…) appartenaient aux partis opposés au sien, et dont les leaders étaient du Fouta-Djalon : le Bloc Africain de Guinée (BAG) de Diawadou Barry, le Mouvement Socialiste Africain (MSA) ensuite la Démocratie Socialiste de Guinée (DSG) de Barry Ibrahima dit Barry III ainsi que le Regroupement Africain de Guinée (PRAG) »108, témoigne Lamine Kamara. Ce désamour qui remonterait aux tristes souvenirs du long et pénible siège que son grand-père, l’Almamy Samory Touré, imposa au pouvoir des Kaba de Kankan (1880-1881), pourrait également s’expliquer, non seulement par son discours populiste, sa ligne politique, mais aussi par les liens multiséculaires fondés et entretenus entre les notabilités du FoutaDjallon et celles du Manding. En effet, ces dernières entretenaient des relations suivies et se consultaient fréquemment autour des questions d’intérêt commun. Il ne serait pas superflu de noter que l’un de ses plus irréductibles opposants et qui lui vouait un mépris obsessionnel, en l’occurrence Koumandian Kéita, était originaire de cette région. Toutes choses qui l’avaient incontestablement déterminé à combattre ouvertement et farouchement la bourgeoisie malinké dont la promotion constituerait un obstacle majeur à son projet. En proclamant la « Loi-cadre » le 8 novembre 1964 et la « radicalisation » de la révolution à travers la lutte contre « Cheytane » en 1975 et 1976, Sékou Touré avait fondamentalement dans son viseur la Haute-Guinée dont il fallait obtenir à tout prix la ruine économique. C’est d’ailleurs non sans raison qu’il déclara la ville de Kankan « Citadelle de la contre-révolution ». Ceci expliquant bien cela, on constate qu’à l’occasion des effroyables purges consécutives à l’agression du 22 novembre 1970, la seule ville de
108
Lamine Kamara, 2012, P. 88.
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Kankan enregistra plus de 450 citoyens arrêtés dont plus de la moitié périrent en prison109. Tout comme la Haute-Guinée, le Fouta ne pouvait pas de gaîté de cœur soutenir l’orientation politique du PDG. Ses projets de lutte contre la féodalité par le biais de la décastisation de la société et la promotion de l’égalité des anciens maîtres et anciens esclaves, étaient en dissonance flagrante avec les réalités du milieu. Car en Guinée, c'est incontestablement au Fouta que le statut de la chefferie traditionnelle était le plus confortable. Celle-ci s’y recrutait en effet dans une aristocratie dominante dont les positions économiques et sociales ont moins souffert de l’oppression et l’exploitation coloniales. Pour preuve, cette dernière a continué à vivre impunément du travail de ses sujets en dépit des lois interdisant la servitude. Jusqu'à la Seconde Guerre mondiale encore, la situation des « captifs » pudiquement appelés « serviteurs », n'avait pas singulièrement évolué, alors qu’au même moment, on procédait à des affranchissements massifs dans certaines régions du Soudan, tant pour remettre les anciens maîtres au travail productif que pour ruiner leur pouvoir politique. Rappelons que ces affranchissements ont conduit à la création de nombreux villages de liberté en vue de l’accueil des anciens captifs. Au Fouta-Djallon, la nécessité d'une telle approche du point de vue économique n’'était pas à l’ordre du jour. Elle aurait d’ailleurs été assurément contre-indiquée du point de vue politique, car, selon Gilbert Vieillard : « Les familles régnantes, ralliées bon gré mal gré, s’aperçurent que, les Français ayant besoin de chefs, il y avait moyen de conserver quelque chose de leurs anciennes positions ».110 C’est d’ailleurs pour cette raison que la suppression de la Confédération ne les ébranla pas outre mesure, d’autant plus que les familles princières avaient la ferme conviction qu’elles demeuraient les interfaces incontournables entre l’administration et la base rurale. Partant, elles étaient rassurées de pouvoir conserver un contrôle certain sur les producteurs de l’arrière-pays, résidence de leurs corvéables traditionnels. En acceptant la tutelle française, l’aristocratie peulh n’était pas dupe. Elle s’y est bien accommodée parce que ses intérêts étaient plus ou moins préservés, ainsi qu’ils l’ont avoué à 109 110
Ibidem, P. 91. In Les Peuls du Fuuta Jalon, P.63.
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Gilbert Vieillard, l’un des rares connaisseurs européens du terroir : « Pourvu qu’on fournisse aux Français l’impôt, qu’on ait l’air de s’intéresser à leurs marottes, la charrue, les plantations, on pouvait garder une autorité très grande sur les manants. » Ce sont là autant de données de base qu’il faut toujours avoir en vue pour une meilleure appréciation des difficiles relations ultérieures qui ont existé entre la révolution et les populations du Fouta. On se demanderait bien pourquoi Sékou Touré est passé outre ? Pourtant il connaissait bien les réalités socio-historiques de la région, comme l’atteste son fameux discours « Enterrer le racisme peulh »111, le plus exécrable de sa carrière politique. Il savait bien qu’une bonne frange des populations du Fouta était, dès le départ, hostile à son programme. Déjà, dès sa création en 1947, à la différence de ce qui se passait ailleurs, le PDG n’attira pas grand monde au Fouta à cause de son idéologie populiste favorable à la lutte sans merci contre toute forme d’assujettissement et d’exploitation de l’homme par l’homme. Or, comme déjà dit plus haut, l’organisation sociale au Fouta était essentiellement basée sur la gestion des pouvoirs politique et économique par des familles issues de la féodalité et de la bourgeoisie aristocratique. Celles-ci n’entendaient pas laisser promouvoir une quelconque prise de conscience par la couche servile de l’exploitation dont elle était victime. Car la suppression de l’esclavage au Fouta théocratique est comme un État bourgeois dont on détruirait le capital. Comble de précautions, ce dispositif politique était fortement sécurisé par la religion dont on connaît la puissance dans la culture de la soumission et de la dévotion aveugles au maître. C’est donc en toute connaissance de cause que les populations de cette région avaient pris leur distance vis-à-vis de tout mouvement politique qui viendrait bousculer les vieilles aspirations féodales. Sékou Touré qui le savait rapporte : « Rappelez-vous les années 1949 jusqu’en 1957 ; prenez la composition des bureaux de nos Sections et sous –Sections du Fouta. Les Diakanké, les Sarakolé, les Malinké, les Soussou, les Forestiers ou les Africains non originaires de Guinée, constituaient partout les 75 % des cadres dirigeants du parti. »112 Et il poursuit : « Ils se comptent au bout des doigts, les Peulhs, jeunes ou vieux intellectuels, qui militaient ardemment dans les rangs du Parti Démocratique de Guinée. Et très 111 112
Revue RDA, N°98, Pp. 189-190. Ibidem.
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souvent, ceux qui venaient au parti étaient bannis des leurs, isolés de leurs collègues originaires du Fouta... »113 Dans le même discours, il rappelle la désapprobation par les cadres originaires de la MoyenneGuinée, de la suppression de la chefferie coutumière comme l’autorisait la Loi-cadre Gaston Defferre. Il déclarait à propos : « Alors que toutes les organisations politiques et syndicales du continent se réjouissaient profondément de cet acte de portée sociale combien salutaire pour nos populations, n’est-ce pas que seuls les étudiants guinéens d’origine peulh, dirigeant à l’époque la Fédération des Étudiants d’Afrique Noire en France (FEANF), s’élevèrent contre la décision du PDG et demandèrent par une motion au gouvernement colonial français, le rétablissement de l’institution abrogée ? »114 Également, le Président Sékou Touré fait-il constater que plus tard « quand toute la Guinée brandissait le bulletin NON pour l’indépendance et la dignité, c’était encore le Fouta qui brandissait le OUI. Ils ne voulaient pas de l’indépendance, ces Peuls ! »115 Cependant, cela n’empêcha le PDG de promouvoir des cadres de la région à de hautes responsabilités. En effet, « dès que le PDG a eu une certaine puissance (…) nous avons investi son adversaire N°1 de l’époque, Thierno Mamadou Bah. Un peu partout, nous avons donné les meilleures places à ceux-là, pensant qu’en leur prouvant que seuls comptent pour nous la Guinée, son unité et son devenir, ils rejoindraient peut-être les rangs du PDG avec sincérité. Tel fut notre calcul. Mais hélas ! Nous nous sommes trompés…»116, rappelle le Président Sékou Touré. Partant, il y a bien lieu de penser que le message du Fouta était suffisamment clair pour que les dirigeants du PDG puissent comprendre que sur les cendres de la féodalité, il n’était pas aisé de construire un régime révolutionnaire. Car, les avantages et autres privilèges perdus ne sauraient être compensés par une égalité de statuts ou de chance de tout le monde encore moins par un quelconque bonheur populaire. À homme intelligent, peu de mots suffisent pour comprendre, dit-on. Pourquoi le Président Sékou Touré qui connaissait parfaitement la position tranchée du Fouta, a-t-il persisté à vouloir convertir à la révolution des hommes et des femmes qui n’en 113
Ibidem, p. 187. Revue RDA N°98, pp. 187-188. 115 Ibidem. p. 197. 116 Ibidem, P.187. 114
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percevaient pas la pertinence ? Pourquoi, au lieu de changer de stratégie en vue d’obtenir leur adhésion libre, puisqu’il y tenait, le PDG s’est plutôt décidé à partir de 1976, d’user officiellement de la violence pour les contraindre à intégrer ses rangs ? En réponse, voici quelques propos tirés de ce discours vipérin à l’adresse de ceux-là du Fouta qui n’ont pas voulu partager sa vision politique. Il déclara notamment : « Nous disons que toutes les régions de la MoyenneGuinée doivent vivre désormais l’atmosphère de la révolution populaire et démocratique. En plus de la force de l’argument, nous utiliserons la force brutale contre ceux qui ont les yeux pour ne pas voir et des oreilles pour ne rien entendre. »117 Comme si cela ne suffisait pas, il menaça avant d’ordonner : «Quiconque violera désormais les consignes de l’honnêteté sociale, de la justice sociale en se livrant à des manifestations racistes, vous avez le pouvoir, camarades militants, de l’égorger sur place. Ils veulent d’une guerre raciale ? Eh bien, nous, nous sommes prêts quant à nous ; nous sommes d’accord, et nous les anéantirons immédiatement, non par une guerre raciale, mais par une guerre révolutionnaire radicale. »118 C’est le point de départ de la fameuse « Situation particulière du Fouta » qui a fait couler beaucoup d’encre et de salive tant en Guinée qu’à l’extérieur. Était-ce vraiment nécessaire d’ouvrir des hostilités avec deux grandes régions naturelles du pays, en l’occurrence la Haute-Guinée et la Moyenne-Guinée, pour faire marcher la révolution ? Le PDG étaitil à court d’initiatives pour se faire accepter ? En désespoir de cause, n’aurait-il pas fallu observer une halte pour en faire une évaluation exhaustive et au besoin, en tirer les conséquences ? À notre humble avis, l’erreur évidente du PDG aura été de vouloir faire venir au forceps tout le monde au parti, même ceux qui s’y étaient ouvertement opposés. Pourtant, même en République Populaire de Chine, l’une des sources inspiratrices de la révolution guinéenne, on compte de nos jours environ 82 000 000 de membres du Parti Communiste (soit 8,20 %) pour plus d’un milliard deux cents millions d’habitants. Nous estimons qu’avec un peu plus de réalisme 117 118
Ibidem, P. 194. Ibidem, P. 199.
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et de retenue, le PDG aurait pu éviter le bras de fer de tous les excès, bras de fer qui lui aura été fort préjudiciable à tout point de vue. Le Président Sékou Touré qui s’était donné la fausse impression que tous les Guinéens avaient foi en la révolution comme lui, a fini par considérer l’opposition comme un phénomène résiduel quand il écrit que « le peuple de Guinée prouvera à tous les peuples d’Afrique et du monde, que ceux qui l’ont diffamé ne représentent aucune force face à la révolution qui saura les écraser tous »119. Pris dans son propre piège, il s’est laissé disperser en voulant mettre tout le monde au pas, notamment cette partie résiduelle du peuple. Pourtant, c’est cette partie résiduelle qui lui a troublé le sommeil durant tout son règne. Partant, il lui fallait surveiller les comportements de chacun et de tous et au besoin y apporter les corrections « révolutionnaires ». En fin de compte, c’était trop comme charge pour lui qui, seul, croyait sincèrement en sa révolution. Ce faisant, il avait oublié que c’est lui qui avait un bilan à présenter alors que ceux qui étaient en face de lui cherchaient par tous les moyens à le distraire et à l’en empêcher. Voulant répondre à toutes les tentatives déstabilisation ou de diversion, c’est finalement lui qui a payé les frais de son obstination. Non seulement ses projets et programmes de développement ont été constamment entravés, sinon bloqués, mais aussi, et surtout, il n’a pas pu ou su éviter toutes les tragédies subséquentes au mouvement révolutionnaire. Celles-ci ont finalement et irréversiblement terni le charme et la réputation de héros que lui avaient conféré les emblématiques dates du31 décembre 1957120, du 25 août, du 28 septembre et du 2 octobre 1958. Face à des résultats qui contrariaient ostensiblement et parfois gravement ses ambitions, on en vient à se demander si Sékou Touré avait vraiment la maîtrise de sa machine révolutionnaire ? Rien n’est moins sûr, d’autant plus que dans les rangs de la révolution évoluait une aile droite sous la houlette du tout puissant et inamovible Ismaël Touré, son demi-frère, qui naviguait ouvertement et impunément à contre-courant du mouvement d’ensemble.
119
Ibidem. P.198. Date de la suppression de la chefferie coutumière considérée comme le pilier de l’exploitation et de l’oppression coloniale dans les territoires sous domination française en Afrique. Cette suppression facilita leur accession à l’indépendance.
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C’est cet homme à l’allure toute bourgeoise, ne partageant assurément pas les idéaux de la révolution socialiste en cours, qui avait la haute main sur les dossiers sensibles dont dépendait la survie de la révolution. Il avait entre autres missions majeures d’assurer la santé politique de la révolution, autrement dit détecter et de réprimer les ennemis de celle-ci. Mais, pour beaucoup de Guinéens, sa présence au sein du régime révolutionnaire, tel qu’il a vécu et tel qu’il s’est comporté, au grand dam des principes révolutionnaires, était et est encore une véritable énigme qu’il faudrait bien déconstruire un jour. En attendant, on se demanderait bien si le PDG, en associant pendant plus de 26 ans Ismaël Touré à la gestion d’une révolution socialiste qui lui était si chère, n’avait-il pas réuni en son sein, tous les ingrédients de son autodestruction ? Il était aisé à l’époque, pour tout Guinéen, de constater qu’Ismaël Touré ne pouvait pas emprunter le « train d’une révolution socialiste» encore moins en être le contrôleur, comme le confirment ces propos de Jean Suret-Canale : « Un des principaux opposants, en fait, c’était Ismaël Touré, le propre frère de Sékou Touré. Dans une première période, jusqu’en 1961, il passait, avec Kéita Fodéba, pour un prosoviétique. Ensuite, ils sont devenus des pros-Américains ! »121. Le Président Ahmed Sékou Touré le savait très bien, mais laissait faire, préférant le faire surveiller par le super flic Siaka Touré, comme le note Ataher Maïga122, mais à quelle fin ? Il ne fait donc l’ombre d’aucun doute qu’il avait lui-même mis et entretenu le ver dans le fruit. Pour des rares fois qu’il a voulu sévir, il y a eu des influences d’ordre divers, familial notamment. Il souviendra aux Guinéens de l’époque qu’ayant exclu Ismaël de la direction nationale du parti, pour faute lourde, il fut contraint par un conseil de famille tenu à Faranah de revenir sur la décision qui, pourtant, avait été saluée par ceux qui connaissaient la dangerosité de l’homme. De ce qui précède, nous disons que le Président Ahmed Sékou Touré avait une foi aveugle en sa révolution. Malgré les opportunités offertes, les assises du IXe Congrès du PDG pour redresser la barre, il s’est obstinément attaché à poursuivre une entreprise compromise à 121
Pascal Bianchini in « Suret-Canale, de la résistance à l’anticolonialisme », P.101. Citoyen guinéen d’origine nigérienne a été pendant très longtemps, Secrétaire permanent du PDG. Il avait des relations confiantes avec Sékou Touré. Son témoignage est tiré d’une émission de « Djigui mémoire », de la radio Djigui FM de Conakry.
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terme. Quant au XIIe Congrès il avait publiquement pris acte de l’échec de la révolution, c’était déjà trop tard. Plus personne ne le croyait sur parole, bien qu’il se soit montré particulièrement disposé à opérer de profondes mutations en vue d’épouser la nouvelle donne de fin XXe siècle. Sans nul doute qu’il l’aurait pu parce qu’il avait fini par en avait la volonté. C’est le dernier grand chantier laissé ouvert par l’homme. Le sommet de l’Organisation de l’Unité africaine (OUA) qui était prévu pour juillet 1984, lui aurait certainement permis d’initier de nouveaux schémas de repositionnement de la Guinée sur l’échiquier politique international. À bien suivre le cheminement de sa pensée depuis le XIe Congrès de son parti, il ne faisait aucun doute qu’il aurait été un chantre de la mondialisation dont il manipulait déjà les concepts avant la lettre. Toute la rhétorique mise en œuvre pour la réintégration de son pays dans le circuit d’une économie capitaliste qu’il avait toujours critiquée et rejetée le prouve à suffisance. Mais hélas! Le destin en a décidé autrement. L’homme qui avait annoncé orbi et urbi avoir fait creuser par le peuple, le tombeau de l’impérialisme en Guinée, ironie du sort, est allé mourir tranquillement dans les bras de ce dernier le 26 mars 1984. Qui l’eut cru ? Au terme de ce bref survol de l’histoire de la révolution guinéenne, on pourrait bien se demander quelle image le Président Ahmed Sékou Touré laisse-t-il de sa vie et de son œuvre à la postérité ? A priori, il est impossible d’obtenir une réponse universelle d’autant plus que le jugement dépendrait de plusieurs facteurs à la fois internes et externes. Si sur le plan interne les relations biologiques, idéologiques ou affectives avec le leader ne permettent pas l’unanimité des appréciations, sur le plan international, on notera moins de dissonances. En effet, Ahmed Sékou Touré avait incontestablement réussi à se tailler une image de marque et asseoir la crédibilité de la Guinée à l’extérieur, en dépit des redoutables écueils intérieurs procédant d’une révolution globale et multiforme, mais assurément coupée des réalités du terrain, pour ne pas dire très en avance sur l’évolution de la société guinéenne. Ses prises de position courageuses et parfois audacieuses face aux grands problèmes de l’époque lui valurent l’admiration de ses pairs. Et aussi paradoxal que cela puisse paraître, Ahmed Sékou Touré qui, dès les premiers mois de l’indépendance, n’avait pas la paix avec ses voisins ivoirien et 105
sénégalais, était constamment et vivement sollicité par les médiations les plus délicates qu’il effectuait cependant avec charme et efficacité. On pourrait entre autres citer à son actif la gestion intelligente des conflits Maroc-Mauritanie, Mali-Haute-Volta (Burkina Faso), Sierra Léone-Libéria, Tchad-Libye. En tant que Président du Comité Islamique de Paix, il a contribué à la résolution des conflits Iran-Irak, Israël-États arabes, Égypte-Ligue Arabe. Seul le conflit MarocAlgérie à propos du Sahara Occidental fut un caillou dans sa chaussure. Sa position visiblement pro-marocaine ne lui permit pas d’y aboutir à souhait. Ce conflit, rappelons-le, est jusqu’à présent sans issue et fait parler de moins en moins de lui depuis la disparition du médiateur. On a comme l’impression que c’est le Président guinéen qui l’avait imposé comme thème d’actualité. Aussi, faut-il noter avec Lansinè Kaba que « Sékou Touré assimila sans fanatisme le côté politique de l’Islam. Il savait en discuter avec conviction et habileté (…) Son expertise dans l’art d’exploiter la culture l’amena à faire de la solidarité islamique la base de la coopération entre les États musulmans. En 1964, sa rencontre avec le roi Fayçal d’Arabie s’est tenue sous le signe de l’Islam au service de la coopération et de la paix. Avec ce souverain et celui du Maroc, ils lancèrent, en 1969, le projet de l’Organisation de la Conférence Islamique, pour renforcer la présence musulmane sur la scène mondiale. »123 Il en assuma d’ailleurs avec brio la vice-présidence. Aussi, réussit-il à entraîner l’Arabie à investir en Guinée et à l’associer au Koweït pour la mise à disposition du capital requis pour la création d’une Banque Islamique de Développement (BID). Il s’est employé à briser le prisme déformant à travers lequel Arabes et Africains se sont toujours regardés. Il réussit à leur présenter une image positive de leurs différences complémentaires au sein de la Oumma islamique. Il y est d’autant parvenu qu’« aujourd’hui encore, note Lansinè Kaba, la popularité de Sékou Touré dans les États musulmans reste attachée, vingt-trois ans après sa mort, à sa vision politique de l’Islam, à ses prises de position pro-arabes, tôt dans le conflit du Moyen-Orient, et à sa participation à la campagne de reboisement des Lieux saints (...) Sékou Touré s’était taillé une position olympienne aussi bien dans le monde musulman que dans les cercles progressistes. Montrant une habileté prodigieuse dans l’art de politiser l’Islam et d’islamiser la 123
Lansinè Kaba, 2010, Pp.234-135.
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politique, il s’est servi de sa foi pour asseoir son régime au moment où la politique conventionnelle perdait de son attrait. »124 Si la notoriété de la diplomatie guinéenne a permis à nombre de ses nationaux d’occuper de hautes responsabilités africaines et internationales, plusieurs observateurs déplorent cependant qu’elle n’ait pas su en tirer le maximum de profit pour le développement de son pays. Les difficultés intérieures, les violations répétées des droits de l’homme en l’occurrence, et la fameuse théorie de la voie de développement non capitaliste ont durement éprouvé les relations économiques de la Guinée avec l’Occident. Par exemple, « les États Unis ne voyaient pas d’un bon œil l’utilisation de pratiques et de méthodes contraires à leurs usages, à leur éthique, en un mot contraires aux exigences de l’État de droit. Ils ne pouvaient pas accepter la répression qui commençait à s’abattre sur le pays. Ils ne pouvaient pas accepter non plus la négation de la propriété privée, l’un des fondements de leur propre politique »125, rappelle Lamine Kamara. Le Président Sékou Touré qui raffolait de diplomatie exhibitionniste passait le plus clair de son temps à intervenir dans la solution des conflits internationaux les plus épineux. Voici ce qu’il en disait : « Conscient du fait qu’il n’y a pas de développement sans paix, soucieux de préserver notre continent des luttes d’influence des deux blocs et surtout fidèle à la vocation pacifique de notre État, nous avons eu à assurer la médiation dans les conflits ayant opposé certains États de par le monde ». Grand débatteur et fin rhétoricien, jamais à court d’arguments, il s’en tirait souvent à bon compte, exploitant avec dextérité, les principes du droit international et les dispositions statutaires de la Charte de l’Organisation de l’Unité Africaine qui proclament le respect de la souveraineté et de l’intégrité territoriale de tous les États. Sékou Touré a toujours laissé à ses interlocuteurs l’image d’un homme très intelligent, cultivé et juste, et le profil d’un diplomate avisé. Malheureusement, ses prouesses diplomatiques ne suffirent pas à compenser les dommages causés à l’intérieur par la révolution qui se radicalisait au fil des ans, au préjudice du mieux-être des populations. Quand ses contempteurs titrent : « Sékou Touré, le
124 125
Ibidem, Pp. 238-239. Les racines de l’avenir, P. 31.
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héros et le tyran »126, ils expriment à n’en pas douter la complexité du personnage. C’était bien cela Ahmed Sékou Touré, qu’il faut chercher à comprendre et à assumer comme une institution de la République, d’autant plus que toute tentative de dédoublement s’avèrerait être un exercice risqué. C’est un tout indivis. Ce faisant, on est tenté de penser à cette pertinente réflexion du chancelier allemand, Konrad Adenauer (1949-1963) : « Les hommes sont mauvais, mais il n’y a pas d’autres. »127 Autrement dit, c’est Sékou Touré que nous avions à l’époque au-devant de la scène. Il fallait faire avec.
126
Titre d’un ouvrage que lui a consacré Siradiou Diallo, un des condamnés à mort par contumace après l’agression du 22 novembre 1970 contre la Guinée. 127 Cité par Tolo Béavogui dans sa communication déjà citée, P. 12.
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Chapitre 3 La Guinée à l’avant-garde du combat politique africain Le peuple guinéen sous la conduite de son leadeur Sékou Touré se sentait investi d’une difficile, mais historique mission, celle de se porter au secours des peuples non encore affranchis du joug colonial. Cette mission était d’autant imprescriptible pour elle que déjà, dans le préambule de sa Constitution, la République de Guinée exprimait très clairement « la volonté de l’État de Guinée de tout mettre en œuvre pour réaliser et consolider l’unité dans l’indépendance de la Patrie africaine. »128 Aussi, commentant cette même constitution, Sékou Touré déclarait : « Notre constitution place le problème de l’unité africaine sur la seule plateforme de l’indépendance africaine, car tant que souverainement les peuples africains ne peuvent agir, la division contre laquelle ils protestent demeurera. »129 C’est donc en toute logique que la Guinée devait s’engager à soutenir les mouvements de libération en Afrique, surtout que la lutte anticoloniale qu’elle a entreprise et réussie elle-même a montré les limites de tout système politique fondé sur la violence et l’arbitraire. «À travers les luttes de libération menées par les peuples sous domination étrangère, l’acte d’indépendance de la Guinée s’inscrit comme une phase majeure du combat anti- colonialiste et anti-impérialiste de l’Afrique », dira Sékou Touré.130 Le rôle diplomatique joué par son pays au sein des organisations internationales traduisait dans la constance, la sincérité et l’humilité, sa volonté de se mettre au service de tous ceux qui luttent pour leur indépendance. A cet effet, Ahmed Sékou Touré a désigné comme Représentant Permanent de la République de Guinée à l’ONU, un jeune magistrat qui s’illustra par la qualité de ses actions 128
In Expérience et unité africaine, P.255-256. Ibidem. P. 256. 130 Ibidem, P.256. 129
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diplomatiques et la pertinence de ses initiatives. Il s’agit de Diallo Telli, jusque-là inconnu en Guinée, parce que fonctionnaire colonial venu directement du cabinet du Gouverneur de l’AOF à Dakar où il avait servi auparavant. Aux Nations Unies, Diallo Telli qui s’acquitta avec honneur et humilité de la mission à lui confiée par le chef de l’État, fut très actif et très sollicité surtout par les mouvements de libération qui avaient besoin du soutien de son pays et singulièrement de son président. Telli présida à deux reprises le tout nouveau Comité Spécial de l’ONU contre l’apartheid créé lors de la 17e Session de l’Assemblée Générale en 1962. Il est important de noter que son mandat à la tête de ce comité coïncidait à une période où l’apartheid était aux abois, parce que sentant les rapports de forces basculer en sa défaveur. Suite à son élection comme Secrétaire Général de l’Organisation de l’Unité Africaine (OUA) à Addis-Abeba en 1963, son successeur et compatriote Ackhar Marof, continuera à assumer les mêmes fonctions au niveau du Comité spécial. En janvier 1976, celuici sera relayé par Jeanne Martin Cissé qui [fait très rare à l’époque aux Nations Unies], sera élue à la Présidence du Conseil de Sécurité, une année seulement après sa nomination. Elle a été la première femme et qui plus est africaine, à occuper ce prestigieux poste de l’organisation planétaire. Satisfait des prestations de sa diplomate, le Président Ahmed Sékou Touré en fera en 1972, la Représentante Permanente de la République de Guinée auprès des Nations Unies. C’est durant son mandat que le Comité Spécial de l’ONU contre l’apartheid s’est efforcé de faire assurer une reconnaissance et un appui plus large au niveau international, à la lutte du peuple sud-africain pour sa libération, de montrer à l’opinion internationale que l’apartheid en Afrique du Sud n’est pas seulement un crime contre la population locale ou un affront à l’Afrique, mais aussi une grave menace pour l’ensemble de l’humanité. Ainsi, l’apartheid finit-il par être universellement condamné comme un crime odieux et répugnant, indexé comme le principal responsable de l’oppression de la grande majorité de la population. Sous la présidence de la Guinée, l’Assemblée générale a voté des résolutions hardies et fait des déclarations courageuses, toutes adoptées à des majorités écrasantes et qui ont engagé l’Organisation des Nations Unies à combattre aux côtés du peuple sud-africain. Jeanne Martin Cissé en tant que Présidente du Conseil de sécurité, est parvenue à faire instituer et lever 110
des fonds pour aider le peuple opprimé d’Afrique du Sud dans sa lutte contre le système ignominieux d’apartheid. Il faut noter que la Guinée à l’ONU a fait mieux que plaider pour l’Afrique du Sud contre l’apartheid. Elle a réussi à donner la parole aux combattants de la liberté d’Afrique du Sud eux-mêmes par la voix de Myriam Makeba pour s’adresser à l’humanité progressiste. C’est ainsi que, depuis les États-Unis où elle vit suite à l’un de ses nombreux exils, elle s’exprime en 1963 et 1964 devant le Comité Spécial des Nations Unies contre l’Apartheid dirigé à l’époque par la Guinée qui lui aménagea des opportunités d’intervention ainsi que devant l’UNESCO. Elle en profita pour tenir des discours les plus virulents contre l’Afrique du Sud raciste. Elle invita notamment les Nations Unies à user de leur influence pour ouvrir les portes des prisons et des camps de concentration d’Afrique du Sud où des milliers de Noirs sont actuellement incarcérés. « Je vous demande à vous et à tous les chefs d'État, agiriez-vous différemment, garderiez-vous le silence, si vous étiez à notre place. Ne vous révolteriez-vous pas si vous n'aviez aucun droit dans votre propre pays à cause de la couleur de votre peau différente de ceux qui vous gouvernent et si vous étiez punis quand vous parlez d'égalité des droits ? (…) Je lance un appel à vous et à tous les pays du monde: faites tout pour éviter le drame qui se prépare, j'en appelle à vous pour sauver la vie de nos dirigeants, pour vider les prisons de ceux qui n'ont pas à y être »131, déclara-t-elle. Pour la Guinée, personne n’était mieux indiqué que Makeba pour exprimer les préoccupations des peuples opprimés d’Afrique du Sud dont elle est originaire. Aussi, à la 30e Session de l’Assemblée générale de l’O.N.U. en 1975, Myriam Makeba est chef de la délégation guinéenne. C’est donc à elle qu’il reviendra l’honneur rarissime de transmettre le message de la Délégation guinéenne qui n’était en fait que le plaidoyer des maquisards sud-africains contre le régime ségrégationniste de Pretoria. Elle le fit avec d’autant de charme et de conviction qu’à la fin de son discours, un chef de délégation n’a pas manqué de s’exclamer : « La Guinée n’arrête pas d’étonner ».132 La pertinence de l’exclamation procédait du fait que la Guinée était l’une des rares délégations à attaquer l’apartheid sans langue de bois, devant ses puissants bailleurs de 131 132
Ibidem. A.O.S. Savané, 2009, sur le site www.sabarifm.com/node/1563.
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fonds qu’elle dénonçait sans ménagement, contrairement aux autres délégations africaines qui usaient de formules ambigües et équivoques pour s’exprimer. Il est important de signaler qu’à cette époque de la guerre froide, il était difficile, sinon impossible de voir les superpuissances s’accorder sur l’adoption d’une résolution portant sur la présence à l’Assemblée générale de l’ONU, en qualité d’observateurs, des pays encore sous domination étrangère. Mais grâce à ses talents de diplomate chevronnée et sa force de persuasion, Jeanne Martin Cissé réussira l’exploit de faire passer cette résolution, permettant ainsi à ces pays, de venir exposer eux-mêmes à la tribune des Nations, leurs points de vue sur les grands dossiers du monde contemporain, notamment celui de la colonisation. L’adoption de cette résolution fut non seulement un grand succès pour les pays du tiers-monde, d’autant plus qu’elle leur ouvrait de grandes perspectives conduisant à leur indépendance, mais aussi un grand honneur pour elle-même et pour son pays, la République de Guinée. Sous sa présidence, non seulement elle obtient la condamnation unanime du Portugal par la Communauté internationale pour son agression armée contre l’État souverain de Guinée, le 22 novembre 1970, mais également, elle fit exercer sur lui une redoutable pression en vue de l’amener à accorder l’indépendance aux pays qu’il occupait encore. Sur le plan africain, la position courageuse et ouvertement engagée de la République de Guinée fut reconnue comme porteuse d’espoir pour les peuples en lutte, parce que sa détermination ne laissait aucune place à la langue de bois dans les débats intéressant l’avenir du continent. Toutes choses qui lui valurent l’admiration, la confiance et le respect du monde progressiste en général et de l’Afrique en particulier. Il n’était pas rare de voir cette Afrique porter la Guinée à la tête de ses premières organisations continentales de lutte pour l’émancipation des peuples dont elle était la plupart du temps l’initiatrice, souvent pour des mandats plusieurs fois renouvelés. C’est ainsi que des Guinéens deviendront au même moment, les premiers responsables de presque toutes les nouvelles institutions mises en place à cet effet par l’Afrique émergente.
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I. La Guinée et l’Organisation de l’Unité Africaine La République de Guinée a joué un rôle très actif dans la mise sur pied d’une organisation continentale. Initiateur des unions GuinéeGhana et Guinée-Ghana-Mali, le Président Sékou Touré ne ménagea aucun effort pour faire aboutir son rêve d’une Afrique unie en mesure de relever le défi, rêve qu’il partageait du reste avec Dr Kwame Nkrumah et Modibo Kéita. Le travail de fond qui était celui des premiers contacts d’explication et de persuasion auprès des autres chefs d’État africains, fut confié à une équipe de jeunes et dynamiques cadres dont Diallo Telli, Représentant permanent de la Guinée à l’ONU où il avait déjà une certaine expérience de l’administration des grandes organisations politiques internationales. Celui-ci sera élu Secrétaire général la jeune organisation continentale, l’OUA, créée à Addis-Abeba le 23 mai 1963 par 32 Chefs d’État et de gouvernement. Il doit cette élection non seulement à la qualité de sa participation aux travaux préparatoires de l’assemblée constitutive de l’organisation, mais aussi et surtout à la place et au rôle que joue le Président Ahmed Sékou Touré dans la lutte pour l’émancipation des peuples africains. Déjà habitué aux grands dossiers des organisations internationales depuis les Nations Unies, Telli n’eut pas de difficultés à se faire remarquer. Toutes choses qui appelèrent la suggestion de sa candidature par d’autres États dont notamment la Tanzanie et le Ghana, alors qu’au sein même de la délégation de son propre pays, on murmurait les noms d’autres postulants dont Ismaël Touré, ingénieur météo et demi-frère du chef de l’État, puissamment soutenu par la famille Touré, et également Abdoulaye Diallo « Ghana » qui avait lui aussi fait déjà ses preuves dans la diplomatie, bien avant Telli. D’abord à la tête de l’Union Générale des Travailleurs d’Afrique Noire (UGTAN), la plus puissante centrale syndicale de l’Afrique Occidentale puis à l’ambassade de Guinée à Alger et enfin à l’Organisation de la Conférence des Peuples Noirs basée à Accra, Abdoulaye Diallo « Ghana » avait le profil requis pour le poste. À son nouveau poste, Diallo Telli exercera deux mandats successifs au cours desquels et avec des moyens bien modestes, il réussira à mettre en place l’institution et à lui conférer en peu de temps la dimension internationale requise. À son actif, il faut noter de nombreuses conférences politiques réussies portant sur : 113
• la décolonisation et la lutte pour l’émancipation des peuples encore sous domination étrangère ou victime de l’apartheid avec à la clé, la délocalisation pour la première fois sur le continent africain d’une session du Conseil de Sécurité. • La gestion des crises internes (Congo ex-belge et Biafra) • La gestion des conflits frontaliers entre États membres, notamment entre le Maroc et l’Algérie, la Haute-Volta (actuel Burkina Faso) et le Mali. • Le crucial dossier de la gestion des réfugiés résultant des conflits frontaliers ; • Le dossier des mercenaires ainsi que leurs actions subversives aux Comores, en Guinée et au Bénin ; • La coopération politique ONU-OUA ; • La création d’un système de défense des États africains. À la fin de ses mandats, l’organisation comptait 10 nouveaux membres, soit un total de 42 États membres, ce qui traduit l’efficacité de la coordination des différents mouvements de libération sur le continent. Diallo Telli qui tenta de briguer un troisième mandat qui ne lui était pas hors de portée, ne fut pas soutenu par son propre pays, notamment le chef de l’État Ahmed Sékou Touré pour des raisons non élucidées. Cependant, nombre d’observateurs pensent que le travail de sape du tout puissant Ismaël Touré qui n’aurait pas digéré le rejet de sa candidature au profit de la sienne n’y serait pas étranger. Toujours est-il qu’au fil du temps, les relations entre le Secrétaire général de l’OUA et le Président guinéen se sont irréversiblement détériorées. Rentré au pays, il partagea le gouvernement avec Ismaël Touré qui était en même temps président du tout puissant Comité révolutionnaire. Aurait-il pu en faire une occasion opportune pour prendre sa revanche sur Telli dont la candidature a brisé son rêve d’un pouvoir continental ? Rien n’est moins sûr. Toutefois, on notera que Diallo Telli s’est trouvé très tôt mêlé à tort ou à raison à une tentative de déstabilisation du régime et finit tristement dans les geôles de la révolution guinéenne. Cette fin tragique de l’ancien Secrétaire général de l’OUA reste le grief fondamental de la Communauté internationale contre le Président Ahmed Sékou Touré et son régime, demeurés sourds à tous ses appels à la clémence en sa faveur. Elle expliquerait, selon certains diplomates, la raison pour laquelle il n’avait pas été observé la minute symbolique de 114
silence à la mémoire du chef de l’État guinéen lors des sessions de l’OUA et de l’ONU qui ont suivi son décès. La mort de Diallo Telli requiert des recherches approfondies pour en déterminer les tenants et les aboutissants. En dehors de la responsabilité formelle attribuée à tort ou à raison au Président Sékou Touré, il serait important de connaître qui avait intérêt à le faire disparaître. L’on sait toutefois qu’Ismaël Touré et singulièrement Amadou Diallo, ont eu avec lui, des antécédents fâcheux connus de presque tous les Guinéens. Ses difficiles relations avec le premier remonteraient à son élection au poste de Secrétaire général de l’OUA. Le second avec lequel il partageait la région et le groupe ethnique, aurait témoigné contre lui dans ses démêlées avec la révolution, bénéficiant ainsi, non seulement de la relaxe, mais aussi, et surtout de la sortie du territoire, chose rarissime à l’époque. Ces deux raisons fondent notre suggestion d’en faire des pistes de recherche. Nous pensons que celles-ci présentent l’avantage de déblayer le terrain en vue de la manifestation de la vérité sur ce dossier qui semble ravir la vedette à tant d’autres de par le statut du personnage en cause : premier Représentant permanent de la Guinée à l’ONU en même temps ambassadeur auprès du gouvernement américain et premier Secrétaire général de l’Organisation de l’Unité Africaine (OUA). Pourrait-on penser à une exécution ordonnée par Sékou Touré comme le soutiennent les proches de la victime et pour quelle raison, ou alors à un règlement de comptes à l’initiative propre de certains éléments du Comité révolutionnaire dont particulièrement son président qui avait longtemps ruminé des rancœurs contre l’intéressé ? Des recherches minutieuses apporteront des réponses fiables qui ne manqueront pas de déconstruire les montages qui ont été jusqu’à présent servis.
II. La Guinée et la Panafricaine de la jeunesse De sa création le 26 avril 1962 à Conakry (République de Guinée) à 1985, le Mouvement Panafricain de la Jeunesse a été dirigé par les cadres guinéens ci-après : • Kanfory Bangoura, 1962 à 1970. • Idrissa Traoré, 1970-1971 115
• Sékou Cissoko. 1971-1980 • Oumar Diarso, 1980-1985 Sous leurs mandats successifs, les différents Secrétaires généraux ont réussi à impulser un dynamisme aux activités du Mouvement Panafricain de la Jeunesse (MPJ) et à lui conférer une audience internationale. Ils parviendront, avec des moyens modestes à organiser chaque année, comme le stipulent les statuts, les réunions de l’institution. Aussi réussiront-ils entre autres à : • Impliquer effectivement la jeunesse africaine dans le processus de libération nationale ; • Organiser deux festivals culturels panafricains, successivement à Tunis en 1973 et à Tripoli en 1983 ; • Obtenir l’admission comme observateur à l’OUA, du Mouvement Panafricain de la Jeunesse ; • Organiser une conférence afro-arabe de la jeunesse à Alger en vue de définir les modalités de coopération entre jeunesses africaine et arabe ; • Tenir un Symposium sur la participation de la jeunesse africaine au développement du continent.
III. La Guinée et la Panafricaine des Femmes Plus d’une décennie après sa création (1961-1974), le Secrétariat général de la Panafricaine des Femmes a été tenu par une Guinéenne, en l’occurrence Jeanne Martin Cissé. Cette organisation féminine continentale s’était fixé comme objectif principal, la participation de la femme africaine au processus de libération et de développement de l’Afrique. Sous le mandat de Jeanne Martin Cissé, la Panafricaine des Femmes a proclamé et institutionnalisé le 31 juillet comme Journée de la Femme Africaine depuis 1962. En collaboration avec l’Organisation Mondiale de Santé (OMS), l’UNICEF, elle a organisé le premier Séminaire sur la santé de la femme et de l’enfant qui traitait entre autres de la ménopause, sujet tabou à l’époque dans les sociétés traditionnelles africaines. Aussi, la Panafricaine des Femmes s’attaqua-t-elle à la lutte contre les mutilations féminines et parvint même à internationaliser celle-ci. Même revenue au pays, Jeanne Martin Cissé est constamment 116
sollicitée par des organisations féminines africaines pour continuer à partager l’expérience internationale des femmes guinéennes.
IV. La Guinée et le mouvement syndical africain Bien que n’ayant jamais occupé le poste de premier responsable au niveau du syndicalisme africain, la République de Guinée n’a pas moins contribué à l’unification du mouvement syndical du continent. La perspicacité et la hauteur de vue de ses responsables, notamment le Président Ahmed Sékou Touré, lui-même syndicaliste de formation, ont permis d’aplanir les divergences qui ont longtemps cloisonné les différents syndicats africains. Comme dans les autres organisations continentales, la Guinée a toujours réussi à faire valoir l’intérêt supérieur de l’Afrique au niveau du syndicalisme continental. C’est donc non sans raison qu’il lui avait été offert la place de Secrétaire général de l’Organisation de l’Union Syndicale Africaine (OUSA). Mais des problèmes d’ordre interne ont fait que le poste a été affecté à un autre pays. En effet, Mamady Kaba, un proche du Président Sékou Touré et qui était à la fois, Secrétaire général de la CNTG, unique mouvement syndical inféodé au parti unique d’alors et ministre en charge du Travail, tenait à occuper le poste. Le cumul n’étant pas admis au sein de l’OUSA et la Guinée n’ayant proposé aucune autre candidature, le Secrétariat général de l’organisation syndicale continentale lui échappa. Malgré tout, il reste entendu que la volonté des syndicats africains d’octroyer le premier poste à la Guinée traduisait dans les faits, la reconnaissance de sa contribution remarquable à l’unité du monde syndical africain au sein duquel se développait une redoutable opposition entre francophones et anglophones.
V. La Guinée et la Panafricaine des écrivains L’une des dernières nées des organisations panafricaines est l’Association Panafricaine des Écrivains (APAE). Initiée conjointement par l’Association des Écrivains de Guinée (AEG) et celle du Ghana, l’Association Panafricaine des Écrivains a été créée à Accra (Ghana), le 11 novembre 1989. Ce n’est point un hasard que la Guinée et le Ghana 117
soient à l’avant-garde de la lutte pour la promotion des œuvres de la plume en Afrique. C’est certainement une tradition héritée de Kwame Nkrumah et d’Ahmed Sékou Touré, deux grands nationalistes à l’origine de la création d’organisations de promotion des peuples africains. Comme pour bon nombre d’associations continentales, les écrivains africains ont choisi de confier le premier mandat de leur jeune organisation au Guinéen Charles Pascal Tolno, Président de l’Association des Écrivains de Guinée. Un Guinéen à la tête de la prestigieuse association panafricaine des hommes et femmes de la plume confirme, on ne peut mieux la confiance que l’Afrique émergente n’avait cessé de témoigner à la République de Guinée, à ses cadres et à ses responsables pour leur rôle d’avant-garde dans le combat pour l’émancipation des peuples du continent africain. Le tout nouveau Président s’adressant à ses électeurs dira : « Merci pour la confiance toute gratuite qui vient de nous être faite, à nous Guinéennes et Guinéens (…) Il n’y a pas de doute que ce qui vient de se produire (parlant de son élection) est l’expression d’une sympathie, d’une foi et d’une considération qui s’adresse d’abord à mon peuple, le peuple de Guinée. Je vais jusqu’à croire que votre option traduit cette reconnaissance que vous faites aux Guinéens pour leur attachement à l’Afrique… »133 À la Panafricaine des Écrivains, la République de Guinée s’est imposée par la qualité managériale de son représentant, Dagbé Charles Pascal Tolno, qui réussit à exercer deux mandats successifs.
Telli Diallo
133
Jeanne Martin Cissé
Charles Pascal Tolno, 2009, P. 100.
118
Myriam Makeba
Abdoulaye Ghana Diallo
Charles Dagbé Pascal Tolno
Source : Syli photo
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Sékou Sissoko
Chapitre 4 La Guinée honore ses engagements I. Soutien aux mouvements de libération nationale En dépit des difficultés de toutes sortes créées au jeune État par l’ancienne puissance tutélaire, la République de Guinée a tenu à honorer ses engagements. Il faut rappeler à cet effet que le préambule de sa première constitution annonçait que « le peuple et le gouvernement de la République de Guinée sont déterminés, totalement déterminés à assumer coûte que coûte leur devoir historique en aidant par tous les moyens à libérer les peuples d’Afrique encore colonisés, car la liberté guinéenne perdrait toute sa signification et sa portée si elle devait se restreindre à ses limites territoriales»134. C’est ainsi qu’avec ses maigres moyens, mais surtout avec son expérience et sa volonté panafricaniste, la République de Guinée prit une part active à tous les mouvements et luttes armées de libération nationale déclenchés sur le continent africain. C’est donc dire que la Guinée a fait de l’indépendance de toute l’Afrique, le critère fondamental de validité de la sienne propre. Les Guinéens se sentaient donc concernés par les luttes de libération nationale en cours dans certaines parties du continent et auxquelles ils ont effectivement participé. Cette participation s’articulait autour du soutien aux différents mouvements armés de libération, de celui politique apporté à de nombreux mouvements nationalistes ainsi qu’au rétablissement de l’ordre constitutionnel compromis dans certains États souverains. L’étude montre également l’assistance technique offerte aux jeunes États fraîchement indépendants et qui manquaient d’expertise locale pour le démarrage des chantiers de construction ou de reconstruction nationales.
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Expérience guinéenne et unité africaine, Présence Africaine, 1962, P. 256.
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1. La Guinée et la lutte anticoloniale en Algérie Déjà, bien avant son indépendance, la Guinée s’est sentie concernée par la juste lutte de libération du peuple algérien, non seulement en tant que source d’inspiration, mais aussi en tant qu’opportunité pour concrétiser ses idéaux panafricanistes. En effet, en mars 1957, Sékou Touré, inscrivait l’indépendance algérienne comme une exigence des peuples africains dans son programme de campagne pour les élections territoriales. Il invita à cette occasion les candidats de son parti, à dénoncer fermement le colonialisme français et à réaffirmer leur soutien indéfectible au peuple algérien en lutte. Plus tard, à son IVe Congrès, tenu à Conakry du 5 au 8 juin 1958, le Parti Démocratique de Guinée exigea de façon explicite dans ses résolutions, la reconnaissance du droit à l’indépendance du peuple algérien. Ce soutien a été réaffirmé et poursuivi après l’accession à l’indépendance du pays en octobre1958. Désormais membre à part entière de l’Organisation des Nations Unies depuis le 12 décembre 1958, la République de Guinée devint un des grands défenseurs du dossier algérien devant les instances internationales. Cette détermination et surtout cette constance dans l’appui à tous ceux qui souffrent sous le poids du colonialisme, traduisaient la solidarité attendue de tous les peuples africains qui ont déjà goûté aux savoureux fruits de la liberté. Très courageux, sinon téméraire, Sékou Touré ne ratait aucune occasion pour dénoncer frontalement le refus obstiné du gouvernement français d’accorder l’indépendance au peuple algérien. Il fit de la solution du problème algérien, le préalable à toute coopération avec le gouvernement français. Aussi, la République de Guinée, nonobstant le spectre de la guerre froide, permit le transit par le port de Conakry, des armes en provenance de l’URSS pour le maquis algérien via le Mali. Ces armes étaient convoyées par de hauts responsables du gouvernement guinéen dont les plus réguliers furent Dr Abdoulaye Touré, un proche de Sékou Touré qui se faisait doubler à partir de Bamako où il était ambassadeur, par Abdoulaye Ghana Diallo. Il faut signaler qu’après la victoire de la révolution algérienne et en souvenir de ses liens d’amitié tissés durant ses nombreux et fructueux séjours en Guinée, Abdel Aziz Bouteflika, actuel Président de la République algérienne, a adopté un enfant de Dr Abdoulaye 122
Touré. Celui-ci est aujourd’hui, citoyen algérien et y vit avec sa famille. Par ailleurs, en dehors de Bouteflika, nombreux sont les combattants du FLN et du GPRA qui ont séjourné à plusieurs reprises en Guinée et qui y ont obtenu comme tant d’autres nationalistes africains des passeports diplomatiques pour leur faciliter les déplacements à l’étranger. C’est donc non sans raison qu’un haut responsable algérien fit la prémonition suivante : « Illustrant la solidarité africaine forgée dans la lutte contre le colonialisme, le gouvernement de la République de Guinée concrétise les lignes directrices qui inspirent notre action et préfigurent les liens d’étroite collaboration qui doivent exister entre les nouveaux États indépendants d’Afrique. Les hommes d’Afrique, parce que la Guinée indépendante existe, pourront très rapidement comparer leur sort à celui de leurs frères d’hier, mis en esclavage par le colonialisme français. C’est de la Guinée, tête de pont de la liberté que partiront toutes les vagues qui anéantiront la domination française en Afrique Noire. »135 Cette glorieuse page des relations guinéo-algériennes sera durement affectée par le conflit Maroc-Sahara Occidental, parce que Guinéens et Algériens n’avaient pas la même lecture du dossier. Rappelons que le conflit perdure encore à cause de la position inflexible du Maroc.
2. La Guinée et la crise congolaise La crise congolaise procédait de l’une des plus douloureuses entreprises de décolonisation sur le continent africain. Elle donna naissance à partir de 1958 à de nombreux mouvements nationalistes ouvertement dressés contre le colonialisme belge dont le Mouvement National Congolais (MNC) de Patrice Lumumba qui revendiquait l’indépendance immédiate du Congo. La pertinence du programme de ce mouvement a valu à son leader d’être porté à la tête de la lutte de tout le peuple congolais pour l’indépendance. Rappelons que Patrice Lumumba rencontra Sékou Touré pour la première fois à Conakry, le 16 avril 1959 à l’occasion d’une réunion extraordinaire du Comité Permanent de la Conférence des Peuples Africains prévue dans la capitale guinéenne. Le nationaliste congolais met à profit ce séjour pour passer une semaine en plus en vue de se familiariser avec la 135
Ibidem.
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pensée politique du Président Sékou Touré, la structure et le fonctionnement du PDG ainsi que l’organisation administrative de la Guinée. Après lui, d’autres leaders congolais viendront pour de longs séjours à l’école de Conakry, entendez perfectionnement ou initiation aux « techniques et à l’idéologie révolutionnaires » dans la perspective des luttes politiques que leur impose la gestion de l’indépendance dans un environnement peu sécurisé. C’est le cas d’Antoine Gizinga, Pierre Moulélé, Raphaël Kinkié et bien d’autres. Le biographe d’Ahmed Sékou Touré, André Lewin, rapporte qu’une proche collaboratrice de celui-ci, Mme Andrée Blouin affectée à la Mission guinéenne au Congo, aurait pris part à la campagne électorale d’Antoine Gizinga, alors Premier ministre de Patrice Lumumba. Peu après la proclamation de l’indépendance du pays, alors que les Nations Unies étudiaient la demande d’admission du jeune État en son sein, éclatent des troubles à partir des garnisons militaires, suite à des revendications difficiles à satisfaire par les nouvelles autorités. Les choses se compliquent avec la sécession des gendarmes katangais qui proclament une République autonome présidée par Moïse Tshombé. Lumumba en difficulté, sollicite et obtient le soutien des forces progressistes dont la Guinée qui dépêche sur le terrain deux bataillons armés conduits par le général Lansana Diané. Mais devant les tergiversations des Nations Unies dont les plans d’action sont fortement désarticulés par le télescopage d’intérêts divergents des puissances en présence, l’indépendance du Congo est compromise. Le nationaliste perd le contrôle de la situation et est arrêté puis assassiné en compagnie de deux de ses camarades de lutte. La Guinée dénonce avec vigueur l’impérialisme international et ses complices congolais et en représailles, rompt ses relations avec la Belgique, demande l’expulsion de sa mission diplomatique dont l’Ambassadeur venait à peine de présenter les lettres de créance. Dans la foulée, elle renonce à une importante aide que la Belgique s’apprêtait à lui accorder et invite les autres États africains à en faire autant. Comble d’ironie, Moïse Tchombé n’eut aucune gêne à solliciter de Sékou Touré la reconnaissance et le soutien du Katanga indépendant. À ce dernier de lui répondre sans détour que son geste « le déshonore et l’engage dans la voie de l’indignité nationale. »136
136
André Lewin, 2009, T4, P.116.
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Il faut noter que l’assassinat de Patrice Lumumba a profondément affecté le Président Sékou Touré. Il a, pendant longtemps, gardé ses distances vis-à-vis non seulement de toutes les autorités congolaises (zaïroises plus tard) venues par la suite au pouvoir à Kinshasa, mais aussi de tous les chefs d’États africains qui ont cautionné cette ignominie.
3. Soutien de la Guinée au P.A.I.G.C. Créé le 19 septembre 1956 par Amilcar Cabral, également appelé Abdel Diassi pour des raisons de sécurité, le Parti Africain pour l’Indépendance de la Guinée et du Cap-Vert (PAIGC) déclenche la lutte armée en Guinée Bissau et Iles du Cap Vert en janvier 1963. « Convaincu que la lutte armée doit être précédée par une préparation politique, il s’installa à Conakry en juillet 1961 »137, témoigne André Lewin. L’implication de la République de Guinée dans cette lutte obéissait à un certain nombre de contraintes majeures dont entre autres : • La République de Guinée qui partage des frontières avec la Guinée Bissau avait intérêt à s’impliquer dans la solution militaire du conflit qui opposait sa voisine au colonialisme portugais ; • Au nom du devoir internationaliste, la Guinée ne pouvait pas ne pas intervenir en Guinée Bissau ; • Enfin, les liens d’amitié entre Sékou Touré et Amilcar Cabral, deux nationalistes qui s’abreuvaient à la même idéologie, justifient le soutien apporté à la lutte de libération en Guinée Bissau. La lutte de libération nationale en Guinée Bissau et îles du Cap Vert concernait donc au plus haut point, la République de Guinée. Ainsi, pour des raisons d’efficacité et surtout de sécurité, Amilcar Cabral, Secrétaire général du PAIGC décide avec l’accord du gouvernement guinéen, du transfert des installations du parti à Conakry. Immédiatement, des contingents furent mis à sa disposition ainsi que des locaux pour servir de Quartier Général. « Cabral y ouvre 137
Ibidem, P. 120.
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une école des cadres. Les hommes formés dans cette institution sont ensuite envoyés secrètement en Guinée-Bissau pour expliquer aux paysans les objectifs de la lutte de libération. Idéologue du mouvement, rassembleur d’hommes, Amilcar Cabral mène méthodiquement cette longue préparation»138, note André Lewin. Aussi, la Guinée offrit-elle au PAIGC un important temps d’antenne sur sa radiodiffusion nationale pour passer quotidiennement les messages du parti en direction des populations, surtout dans les zones libérées. Au-delà, elle permit l’installation d’une station de radiodiffusion propre au PAIGC dans un quartier de la banlieue nord de Conakry d’où celui-ci arrosait 24 heures sur 24 toute la Guinée Bissau et les îles du Cap Vert de la propagande du parti. À cela il faut ajouter l’apport des imprimeries de la place dans la production et la diffusion en langue portugaise des supports destinés à l’information et à la formation des militants et combattants du parti. Il est à rappeler que Lansana Conté (Président de la Guinée 1984-2008), avait personnellement conduit des troupes dans les maquis de GuinéeBissau où il a laissé les souvenirs d’un grand militaire. « C’est un fait incontestable que sans l’indépendance de la Guinée dans les conditions de rupture connues de tous, les pages de l’histoire du PAIGC seraient écrites autrement »139, témoignera avec humilité Mario de Andrade. Malheureusement, Cabral ne verra pas son pays indépendant, assassiné qu’il fut le 20 janvier 1973 à Conakry par un commando lancé contre lui par l’impérialisme et le colonialisme portugais. La Guinée-Bissau proclame son indépendance le 24 septembre 1973. Comble de cynisme et pour masquer son implication dans le crime, le même impérialisme trouva moyen d’accuser les rivalités internes au PAIGC et même de présumer la responsabilité du Président Sékou Touré. Cela n’empêcha pas la République de Guinée d’organiser à son honneur, un symposium national et de grandioses funérailles. Comme il fallait s’y attendre, ce soutien à la Guinée Bissau valut à la République de Guinée une agression militaire perpétrée contre elle par le Portugal et ses alliés. Les pertes en vies humaines furent très importantes et des dégâts matériels considérables. Interrogé par l’ONU sur la nature des réparations qu’attendait la Guinée, le leader guinéen demanda à l’institution 138 139
Ibidem, Pp.121-122. A. O. S. Savané, 2009, Pp.33-34.
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d’imposer au Portugal de favoriser et d’accélérer l’accession de tous les peuples encore sous sa domination.
4. La Guinée et la lutte de libération nationale en Angola Fondé le 10 décembre 1956 sous la houlette de Dr Agostino Neto, le Mouvement Populaire de Libération de l’Angola (MPLA) prend le maquis dès février 1961, engageant ainsi la lutte armée pour l’indépendance. Il sera rejoint par le Front National de Libération de l’Angola (FNLA) de Holden Roberto, le Parti de la Lutte Unie des Africains (PLUA) et d’autres petites organisations de guérilla. Le MPLA, prend la direction de la lutte armée. Mais suite à des difficultés intérieures, de nombreux nationalistes angolais rejoindront la Guinée où ils sont reçus et hébergés par le gouvernement, au nom de la solidarité africaine. Le plus en vue d’entre eux fut Guilmore (connu plus tard sous le nom d’emprunt de Holden Roberto), lancé dans l’arène politique internationale et encouragé à être le porte-parole du mouvement angolais par la diplomatie guinéenne. À ce titre, il bénéficia d’un passeport diplomatique guinéen dès 1958. Le gouvernement guinéen, dans le souci de le rapprocher des grands centres de débats et de décisions internationaux et le former à cet effet, l’a engagé comme membre du personnel de sa Représentation Permanente à l’ONU, de 1959 à 1960 avec les mêmes avantages et privilèges que les diplomates guinéens en poste. C’est donc la République de Guinée qui l’initia à la politique internationale, le sortant ainsi de la clandestinité. Le Président Ahmed Sékou Touré le présenta en janvier 1960 à Tunis à la Conférence des Peuples Africains sous le nom d’emprunt de Holden Roberto. Il fut par la suite introduit et recommandé en avril 1960 par le Chef de l’État guinéen au Premier ministre congolais, Patrice Emery Lumumba dont le voisinage avec l’Angola pouvait de toute évidence lui être d’une grande utilité. Holden Roberto constitua le Gouvernement Révolutionnaire de l’Angola en Exil (GRAE) avec le soutien de la Guinée. Celle-ci ne ménagea rien pour sa reconnaissance en 1963 par le Comité de Libération de l’OUA avec Holden comme chef d’État. Malheureusement celui-ci, récupéré par Mobutu et la CIA américaine quittera le MPLA pour s’allier à l’UNITA de Jonas Savimbi et aux 127
autorités d’Afrique du Sud d’alors. Ce faisant, il avait en vue une sécession du Cabinda dont il rêvait d’en être le président. Ce projet de sécession avait la bénédiction du Président Mobutu qui avait des visées sur les richesses minières de cette province. Constatant à partir de ce comportement que Holden Roberto ne défendait plus les intérêts de l’Angola, l’OUA retira sa reconnaissance officielle au Gouvernement Révolutionnaire Angolais en Exil (GRAE) en 1971. La Guinée à l’origine de sa promotion en fit autant. Le second nationaliste angolais d’envergure à bénéficier également de l’asile politique en République de Guinée fut le chercheur Mario de Andrade qui se lia d’amitié avec son hôte, le Président Sékou. Celui-ci l’engagea comme fonctionnaire à l’Institut National Recherche de Guinée (INRDG). Là, Mario avait des opportunités de se faire de nombreuses relations et d’accroître ses performances de chercheur. À l’instar de Holden Roberto et pour des raisons de sécurité, il bénéficia d’un passeport diplomatique national. Puis, ce fut l’indépendance le 11 novembre 1975 avec Agostino Neto comme président. Mais très tôt, le pouvoir de ce dernier entra en conflit ouvert avec des factions angolaises soutenues par l’Afrique du Sud. L’occasion est ainsi offerte à l’armée guinéenne, comme à tant d’autres contingents venus des pays amis, d’intervenir militairement aux côtés des Forces Armées Populaires de Libération de l’Angola (FAPLA), branche armée du MPLA. Le soutien guinéen a été publiquement reconnu par Agostino Neto, Secrétaire général du MPLA et Président de la République luimême, quand il déclara : «Grâce aux décisions du Parti Démocratique de Guinée et du Président Sékou Touré exprimant la volonté du peuple de Guinée, il y a des soldats guinéens qui se battent à nos côtés contre les mercenaires venus d’Afrique du Sud.»140 Nombreux y perdirent la vie et d’autres sont revenus au pays avec des infirmités irréversibles. Il faut noter que le soutien guinéen au MPLA était total, dans la mesure où les soldats guinéens sont allés au front angolais, munis de leur nourriture, armement, munitions, produits pharmaceutiques, tenues militaires, logistique et autres pièces de rechange. À rappeler qu’à partir de septembre 1975, à la faveur de la mobilisation internationale des forces progressistes en soutien à la lutte du peuple angolais pour la sauvegarde de son indépendance, la 140
Sow Alpha Oumar, 1980, P. 80.
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République de Guinée n’hésita pas à mettre à disposition son espace aérien pour servir de transit aux avions militaires soviétiques et cubains à destination de Luanda. Cette guerre d’Angola, notent les observateurs, constitua le plus fort soutien international jamais accordé à une guerre de libération nationale en Afrique.
5. La Guinée et la lutte de libération au Mozambique Le Front de Libération du Mozambique (FRELIMO) fut l’unique mouvement de libération authentique du peuple mozambicain opérant à l’intérieur du territoire occupé depuis le 25 juin 1962, date de sa création. Sous la direction de son Secrétaire général, Samora Moïse Machel, le FRELIMO conduit le pays à l’indépendance le 5 juin 1975. Au départ non violent, le mouvement de libération national au Mozambique prend une tournure armée à partir de septembre 1964. En effet, comme l’avait fait constater Samora Moïse Machel dans son manifeste, «devant le refus du gouvernement portugais de reconnaître le droit à l’indépendance du Mozambique, la lutte armée est la seule voie de libération totale des masses populaires mozambicaines.»141 C’est alors qu’intervint militairement la République de Guinée aux côtés des combattants du FRELIMO pour les accompagner jusqu’à l’accession du pays à l’indépendance. De nombreux militaires guinéens y ont trouvé la mort et bien d’autres sont rentrés au pays avec des handicaps majeurs. Reconnaissant cette contribution de l’armée guinéenne, le Président Samora Moïse Machel déclarait : «Nous devons dire que l’indépendance que nous avons conquise au Mozambique est due à l’aide de la République de Guinée comme il en a été de celle de la Guinée Bissau. Nous voulons dire au peuple de la République de Guinée que les sacrifices qu’il a consentis ont porté fruit.»142
6. Soutien aux mouvements anti-apartheid Ils sont nombreux les mouvements de libération en Afrique Australe qui ont bénéficié du soutien du Gouvernement de la République de Guinée. Citons entre autres : 141 142
Ibidem. Ibidem.
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1. En Afrique du Sud : - L’African National Congress (ANC) ; - Le Panafricanist Congress of Azania (PAC) 2. En Rhodésie (Zimbabwe) : - The Zimbabwe African Nationalo Union (ZANU); - The Zimbabwe African People’s Union (ZAPU) 3. Au Sud-Ouest Africain (Namibie) : - The South West African People’s Organization of Namibia (SWAPO); 4. En Côtes des Somalies dites françaises : - Le Front de Libération de la Côte des Somalies (FLCS) ; - Le mouvement de Libération de Djibouti (MLD). De tous les mouvements de libération d’Afrique Australe, ceux aux prises avec l’apartheid ont bénéficié d’un appui particulier de la République de Guinée. De l’accompagnement politique au soutien armé en passant par celui diplomatique, la Guinée, en dépit de ses modestes moyens, a tenu à honorer ses engagements en intervenant aux côtés du peuple Sud- africain en lutte contre l’apartheid. Sur le plan diplomatique, ses prises de position ont été sans équivoque à toutes les sessions de l’Assemblée générale de l’ONU, dénonçant non seulement les États africains complices, mais aussi les grandes puissances qui soutenaient ouvertement l’odieux système. Aussi, offrit-elle l’asile politique à de nombreux combattants de l’ANC et du PAC en insécurité dans leur pays, sans compter la prise en charge des bourses d’études annuellement accordées aux jeunes combattants sudafricains pour les universités guinéennes ou étrangères. Également, ses garnisons servirent-elles de camps d’entraînement à ces combattants. Le célébrissime leader Nelson Mandela qui a séjourné en Guinée, y a fait ses premières armes et obtenu son premier passeport diplomatique. Parmi ces illustres réfugiés, il faut citer l’artiste Myriam Makeba, Oliver Tambo et Govan Mbeki (père de l’ancien président 130
Thabo Mbeki) pour ne citer que ceux-là. Eux aussi avaient bénéficié de documents de voyage guinéens pour leurs missions à l’étranger. À propos de Myriam Makeba, il faut rappeler qu’en 1974, lors de la 30e session de l’Assemblée Générale de l’ONU, elle fit partie de la délégation officielle de la République de Guinée dont elle fut le porteparole. Elle était accompagnée de Stockely Carmichael (plus connu sous le nom de Kwame Touré) qu’elle épousera plus tard. Makeba mit à profit l’opportunité ainsi offerte par la Guinée pour porter à la Communauté internationale le message des femmes et des enfants de Soweto, bref du peuple sud-africaine, victime gratuite de système ignominieux de l’apartheid. « Du haut de la tribune de l’Assemblée générale des Nations Unies, de sa voix sublime, elle plaida pour le renforcement de la lutte anti-apartheid. »143, témoignera plus tard, Jeanne Martin Cissé, alors Présidente du Comité Spécial de l’ONU contre l’apartheid. Il fallait avoir le courage, sinon la témérité du Président Ahmed Sékou Touré pour se permettre un tel acte, surtout à la tribune de l’ONU où trônent les puissants détenteurs du fameux droit de veto, principaux bailleurs de fonds de l’apartheid. Quant à Nelson Mandela, le Secrétaire général de l’ANC, le soutien de la République de Guinée à la libération de son pays du joug colonial et de l’apartheid est multiforme et digne d’intérêt, ainsi qu’il le témoigne ici dans ses mémoires : « Nous avons entrepris une longue tournée dans différents pays d’Afrique dont l’Éthiopie, le Ghana et la Guinée. À Conakry, le Président Sékou Touré nous a proposé un bref séjour à Foulaya pour un apprentissage rudimentaire de maniement des armes, ne serait-ce qu’à titre d’autodéfense. Bien que j’aie accepté l’offre, car il aurait été maladroit de la refuser, j’ai cependant tenu à dire à mon illustre interlocuteur que mon périple avait pour objet de solliciter une aide financière auprès des États africains indépendants au profit de l’ANC. Le Président a promis que je recevrai sa commission par son garde de corps, une fois dans l’avion ; Et quand j’ai ouvert la sacoche que je venais de recevoir des mains du capitaine Mamadou Bah, quelle ne fut pas ma surprise de constater qu’elle contenait deux cent mille dollars US, alors que jusque-là, nous ne recevions que cinq ou dix mille dollars US des autres donateurs. »144 C’est le lieu de rappeler 143 144
Jeanne Martin Cissé, 2009, P. 130. A. O. Sy Savané, 2009, P.34.
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que pour faire face à ses engagements politiques qu’il considérait comme des obligations morales, le Président Sékou Touré ne calculait pas en fonction des difficultés de son pays, mais tenait compte des besoins du bénéficiaire. Il s’en acquittait sans forfanterie. Lors de la visite d’État qu’il avait effectuée en Guinée en août 2006, Thabo Mbeki, alors Président de la République sud-africaine, avait dit tout le respect et la gratitude que son pays et lui-même ont pour la Guinée, à cause justement de ce soutien inconditionnel accordé à l’ANC durant son combat contre l’arbitraire racial. Il avait également dit que le Président Nelson Mandela l’avait personnellement chargé de signifier au peuple guinéen son éternelle reconnaissance pour le rôle historique de la Guinée dans les mouvements de libération de l’Afrique. Au cours de son séjour, le Président Mbeki s’était rendu à Kindia, à quelques encablures de Conakry, pour visiter le Camp Kémé Bouréma, où son père Govan Mbeki (1910-2001) avait appris au début des années 60, le maniement d’armes de guerre dans la perspective de la lutte contre l’apartheid. La République de Guinée a fait mieux que cela. En effet, à la différence des chefs d’État que l’Occident présentait comme les « Sages de l’Afrique » et qui de ce fait brillaient par leur indifférence face aux atrocités infligées aux populations d’Afrique Australe, le Président Ahmed Sékou Touré n’a pas hésité à rompre les relations diplomatiques avec la Grande-Bretagne le 15 décembre 1965, en soutien à la lutte du peuple zimbabwéen frère contre les forces d’Ian Smith. À noter que la Guinée était en coopération fructueuse avec Londres et son ambassadeur en poste à Conakry venait de présenter ses lettres de créance, ainsi que le rappelle non sans fierté le Président Ahmed Sékou Touré : «Conformément à la décision de l’organisation de l’Unité Africaine (OUA), le même jour, nous avons invité tous les ressortissants anglais à quitter la Guinée. Par dignité, nous avons renoncé à tous les prêts consentis par la Grande-Bretagne»145. Soit dit en passant, la Guinée rééditera la même réaction contre Israël dès le début de la Guerre des Six Jours en 1967, en rompant toutes relations avec l’État sioniste sans qu’aucun État arabe n’ait formulé de demande préalable dans ce sens. Le Président guinéen précise que 145
Revue RDA N°32, P. 197.
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«c’est le jour même du déclenchement de la guerre que nous avons pris cette décision. Nous n’avons eu besoin d’aucun exemple pour adopter une telle position. Nous avons renoncé à notre détriment, et ce, tant sur le plan matériel que technique, à toute coopération existant alors entre la République de Guinée et l’État d’Israël afin de rester fidèle à nos principes. »146 Il est important de noter que l’Égypte pour laquelle la Guinée a rompu avec l’État sioniste, avait rétablit la première, ses relations avec celui-ci sans se soucier un tant soit peu de la position guinéenne.
II. Conakry, asile des mouvements nationalistes africains Le soutien de la République de Guinée aux peuples africains épris de liberté, de paix et de justice sociale fut multiforme. Elle a essayé d’honorer ses engagements autant que ses moyens le lui ont permis. Ainsi s’est-elle mise gracieusement au service de certains mouvements nationalistes africains en lutte hors maquis. Aussi se sera-t-elle impliquée dans le rétablissement de la paix et l’ordre constitutionnel menacé dans un certain nombre d’États de la sousrégion.
1. La Guinée et le SAWABA (Niger) La lutte pour l’indépendance au Niger fut principalement animée par le SAWABA, formation politique créée par Bakary Djibo et initialement apparentée au Rassemblement Démocratique Africain (RDA). Suite au rejet par le RDA de l’option fédéraliste, il s’en séparera tout comme le fit son ami Sékou Touré. Il rejoint alors le Parti Africain de l’Indépendance (PAI) dont il devient le Secrétaire général dès sa création en juillet 1958 à Cotonou. À noter que le PAI avait opté pour l’indépendance immédiate. Cette position devait engager plus tard le nationaliste nigérien face au projet gaulliste de création d’une communauté franco-africaine. Ses relations syndicales très suivies avec le leader guinéen, Sékou Touré, vont l’aider à 146
Ibidem.
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prendre la décision. Déjà les deux parviennent à impliquer le mouvement syndical dans la lutte et fondèrent l’Union Générale des Travailleurs d’Afrique noire (UGTAN) à laquelle ils conférèrent une vocation progressiste, nationaliste et indépendantiste. Après la rupture brutale de Conakry entre le général de Gaulle et Sékou Touré le 25 août 1958, Bakary Djibo rencontra ce dernier à Dakar le 27 août, à l’effet d’harmoniser les positions au niveau de l’UGTAN. Ils proposèrent à la France que soit clairement reconnue dans la Constitution, la possibilité pour les États membres de la Communauté d’accéder à l’indépendance. «Si le gouvernement français acceptait cela, dit Djibo, nous appellerions à voter oui.» Mais en vain, car les gaullistes avaient une position très tranchée : pour eux, indépendance équivalait à sécession. Djibo est convaincu que Sékou Touré serait suivi par son pays. Mais ce dernier tenant à sa vocation fédéraliste ne voulait pas s’engager seul à voter NON. Il réussit donc à entraîner Bakary avec lui. Désormais les deux vont faire de l’indépendance des pays africains, la condition sine qua non de leur entrée dans la Communauté française. Malheureusement Djibo n’eut pas l’opportunité de matérialiser son projet à cause d’une administration qui le surveillait et limitait ses possibilités de mobilisation. « Il faut dire que si Kwame Nkrumah, Président du Ghana, a apporté une importante aide matérielle et financière au SAWABA, de son côté, le Haut-commissaire de la République en AOF-Pierre Mesmer- n’a pas hésité à intervenir sur le terrain pour soutenir le gouverneur Don Jan Colombani. Il a dépêché auprès de celui-ci, de Dakar, un membre de son cabinet -Xavier Deniau- qui, avec l’aide de Diori Hamani, partisan du OUI, organise une véritable contre-campagne assaisonnée de truquages électoraux et de perfidie. D’anciens combattants acquis à la cause française, répandent dans les villages et les hameaux la fausse nouvelle de l’arrivée imminente du général de Gaulle en personne pour contrôler les votants »147, témoigne Demba Diallo. Selon Bakary Djibo, « il est évident que, si l’administration ne s’en était pas mêlée, au Niger, nous aurions eu une majorité de NON. » Au référendum, le SAWABA est mis en minorité et le OUI l’emporta. Djibo dut quitter le Niger pour un exil forcé qui le conduira successivement au Ghana où il reste jusqu’en 1965, en 147
Demba Diallo, 2005, Pp.187-188.
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Égypte puis en Algérie où il séjourna jusqu’en 1967 avant de regagner la Guinée au courant de la même année. Il ne retournera au Niger qu’en 1974 à la faveur du coup d’État militaire qui a porté Séiny Kountché au pouvoir. Malheureusement, sa grande popularité inquiéta les nouvelles autorités qui l’accusèrent très tôt de vouloir organiser un coup d’État, alors qu’il est rentré au pays sur leur demande. Il est arrêté et jeté en prison.
2. La Guinée et l’Union des Peuples du Cameroun (UPC) À l’instar des autres colonies françaises d’Afrique, le Cameroun donna naissance à un ensemble de mouvements nationalistes résolument engagés à en finir avec le système colonial. Entre autres mouvements, il faut citer le plus en vue, l’Union des Populations Camerounaises (UPC), créée le 10 avril 1948 à Douala dont Um Nyobe en deviendra le Secrétaire général et Félix Moumié, l’un des quatre vice-présidents. Considéré comme mouvement communiste par l’administration coloniale française, l’UPC sera dissoute par un décret du 13 juillet 1955. Une chasse à l’homme est alors déclenchée contre ses responsables qui entrèrent dans la clandestinité. Félix Moumié est sommé de quitter le Cameroun en 1957, pour une destination de son choix. Le Soudan, l’Égypte, le Ghana et plus tard la Guinée, lui offrirent des opportunités d’asile politique. Pour la petite histoire, notons que Félix Moumié et Sékou Touré se sont rencontrés pour la première fois en 1959 à New-York, lors de l’Assemblée Générale de l’ONU. À cette occasion, Moumié obtient du leader guinéen l’autorisation d’ouvrir une représentation de l’UPC à Conakry. À cette session de l’Assemblée Générale de l’ONU, Félix Moumié est accepté comme observateur et est vivement soutenu dans son plaidoyer pour l’indépendance de son pays par les représentants de ses pays d’accueil, en l’occurrence, l’Égypte, le Ghana et la Guinée. À Conakry, Moumié avait été suivi par une importante colonie d’autres nationalistes camerounais. Tous ont résidé dans un quartier de la proche banlieue de Conakry qui porte en souvenir le nom de Kameroun. Au courant du mois de mai 1960, le Président Sékou Touré nomme Félix Moumié en qualité de chef de la Mission guinéenne à Léopoldville devant assurer au nom de la République de Guinée, le suivi du dossier de la crise congolaise. Il y restera jusqu’en 135
octobre, avant d’être déclaré persona non grata par le Président Kasavubu qui ne souhaite pas voir Sékou Touré continuer à s’immiscer dans les affaires intérieures du Congo. Invité à quitter le pays, le nationaliste Moumié se rend à Genève d’où il part pour NewYork, en vue d’annoncer à l’instance planétaire, la formation d’un gouvernement provisoire en exil. Rappelons que le Cameroun venait de faire son entrée à l’ONU comme nouveau membre, le 20septembre 1960. Cet activisme de Moumié à l’extérieur ne laisse pas indifférent Ahmadou Ahidjo, pro-français avéré dont le sommeil est constamment troublé par les succès diplomatiques du nationaliste. Feu vert est alors donné aux services secrets français d’en finir avec lui. Ils parviennent sans trop de difficultés à l’empoisonner dans un hôtel de Genève le 15 octobre 1960, alors qu’il s’apprêtait à regagner NewYork via Conakry. Il avait été programmé par les auteurs du crime de doser le poison de manière à ce qu’il produise des effets après que l’intéressé ait quitté le territoire helvétique. Mais la virulence du poison a déjoué le projet et Moumié est immédiatement pris de malaises violents et admis dans une clinique genevoise où il décède le 3 novembre. La stratégie consistait à mettre au compte de Sékou Touré qui venait d’en découdre avec le général de Gaulle, le meurtre du très populaire nationaliste camerounais. La police suisse a très rapidement repéré les traces du meurtrier qui se trouvait être un agent des services secrets français qui avait réussi à regagner la France peu après sa forfaiture. Finalement et en désespoir de cause, le corps de Moumié, sur demande expresse de Sékou Touré, est transféré à Conakry où il est enterré, en attendant de retrouver sa terre natale quand les autorités camerounaises en exprimeront le désir. Signalons que c’est seulement en novembre 2007 que ses restes ont été symboliquement rapatriés au Cameroun, sa tombe ayant été entretemps profané et le cercueil extrait par des inconnus. Après la disparition du leader Moumié, le Bureau de l’UPC est resté ouvert à Conakry et ses compatriotes ont continué à l’animer en toute quiétude, et ce, jusqu’à une époque récente. Certains nationalistes de la suite de Moumié avaient bénéficié à l’époque de facilités de voyage à l’étranger par l’octroi de passeports guinéens.
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III. La Guinée constitutionnel
et
la
protection
de
l’ordre
1. Le cas du Bénin Le 16 janvier 1977, le gouvernement du Bénin sous Mathieu Kérékou a été victime d’une tentative de déstabilisation. En effet, sollicité par le Front de Libération et de Réhabilitation du Dahomey (FLRD) basé à l’étranger, Bob Denard recrute une centaine de mercenaires d’origine guinéenne, béninoise et européenne qu’il fait entraîner à Ben Guérir (Maroc) pour le compte d’une certaine opération dénommée « Crevette ». Cette dernière était destinée à renverser le régime révolutionnaire du Président Mathieu Kérékou dont l’Occident craignait la contagion des voisins. Ayant déjà des intérêts dans ces pays, il voit d’un mauvais œil l’évolution dans les parages de tout régime diffusant des théories marxistes en dissonance avec les traditions libérales. Parti de Ben Guérir le 15 janvier, le commando atterrit sur les plages de Cotonou le 16 via Libreville, pour une opération militaire éclaire programmée le même jour. Mais l’intervention rapide et énergique de l’armée béninoise appuyée par un contingent guinéen arrivé peu après, sous le commandement du chef de Bataillon Abraham Kabassan Kéita, permet au Président Mathieu Kérékou de conserver son pouvoir. Bob Denard est obligé de battre en retraite, laissant sur les plages de Cotonou, une dizaine de cadavres de citoyens béninois surpris par l’attaque. L’armée guinéenne quant à elle, restera pour quelque temps en place en vue d’assurer la sécurité des populations et de leurs biens. Il faut noter que Bob Denard opère toujours sur commande, notamment en Afrique francophone où il a l’aval du très puissant Jacques Foccart très connu pour ses actions déstabilisatrices des régimes africains insoumis à l’ordre de l’ancienne métropole. Le personnage de Bob Denard a continué à hanter les esprits au Bénin au point d’inspirer un adage populaire selon lequel : « Qui reçoit Foccart se retrouve tocard. »148 Ceci pour montrer qu’un séjour de Bob Denard dans un pays, aussi bref soit-il, requiert de 148
Pierre Péan, 1990, P. 482.
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longues et coûteuses années de réparation, tellement les dommages causés sont importants et variés.
2. Les actions guinéennes en Sierra Léone Siaka Steven, leader de l’opposition, arrive au pouvoir en 1967, après avoir battu aux élections, Albert Margai, frère cadet et successeur de Sir Milton Margai, père de l’indépendance léonaise. Mais, il est aussitôt renversé par un coup d’État dirigé par le colonel Andrew Juxon-Smith. Ce dernier sera à son tour déposé en avril 1968 par un groupe d’officiers, appuyés par des contingents guinéen et nigérian. Cependant, l’instabilité politique persiste. À la suite de nouvelles tentatives de remise en cause du régime, un pacte de défense est signé avec la Guinée en 1971, permettant à celle-ci d’y installer un contingent militaire en vue d’assurer la sécurité des institutions de l’État et des populations. Ce contingent y restera jusqu’en 1973. En 1985, Siaka Steven déjà âgé de 80 ans, prend sa retraite politique et se retire volontairement du pouvoir, laissant ainsi à Joseph Momoh l’opportunité de se faire élire en octobre comme Président de la République. Ce dernier hérite d’une situation économique désastreuse qu’il tente de booster avec l’appui du FMI. Mais rien n’y fait. En avril 1992, il est renversé par un coup d’État militaire qui porte au pouvoir le capitaine Valentin Strasser qui l’oblige à s’exiler. Il se réfugie à Conakry, en République de Guinée voisine. Strasser sera à son tour déstabilisé par le Revolutionary United Front (RUF) qui cherche à prendre la capitale Freetown, donnant ainsi la possibilité à un troisième larron, en la personne du général Julius Maada Bio, de récupérer la situation. Celui-ci s’empresse d’organiser dès le 15 mars les élections qui étaient volontairement gelées par son prédécesseur et porte Dr Ahmad Tejan Kabbah au pouvoir. Ce ne sera pas pour longtemps, car celui-ci est déposé à la faveur d’un coup d’État organisé le 25 mai 1997 par Johny Paul Koroma, leader du Conseil Révolutionnaire des Forces Armées (AFRC) qui le contraint à l’exil en Guinée. C’est alors qu’intervient l’Ecowas Monitoring Group (ECOMOG) pour un rétablissement de l’ordre constitutionnel. Après plus d’un an de durs combats contre les forces rebelles, l’ECOMOG reprend la situation en main et organise par l’entremise d’un contingent guinéen, le retour au pays le 1er février, du titulaire légitime du pouvoir de Freetown qui retrouve son fauteuil le 10 mars. Cette 138
opération aura fait environ 6350 morts et des dizaines de milliers de blessés. L’armée guinéenne restera longtemps en Sierra Léone sous la bannière de l’ECOMOG pour aider le gouvernement à faire face à une rébellion que lui a imposée pendant plus d’une décennie le RUF de Foday Sankoh, appuyé par Charles Taylor, alors Président du Libéria. Comme on peut le constater, la Guinée a été toujours aux côtés du peuple sierra léonais durant les dures épreuves qu’il a traversées. En plus des prestations de ses militaires sur le terrain, la Guinée a accueilli sur son territoire des milliers de réfugiés dont le séjour prolongé n’est pas resté sans dommage pour l’économie, les mœurs et l’environnement du pays.
3. Le maintien de la paix au Libéria La première intervention de l’armée guinéenne au Libéria remonte à 1989, dans le cadre de l’ECOMOG qui avait charge de contenir une puissante rébellion dirigée par Charles Taylor contre le pouvoir de Samuel Doe, alors Président légitime du Libéria. En 1990, les troupes de Taylor se trouvent aux portes de Monrovia, à quelques encablures du Palais présidentiel. C’est l’intervention énergique des contingents nigérian et guinéen qui en a bloqué la progression et empêché la prise des lieux. Depuis lors, Charles Taylor en a voulu à la Guinée qu’il a constamment menacée et finalement attaquée. Cette attitude belliciste détermina le général Lansana Conté à offrir ses services d’une part aux États-Unis d’Amérique qui, sous pression internationale, cherchaient à chasser du pouvoir Taylor dont ils ont été pendant longtemps le tuteur et d’autre part au Royaume-Uni décidé à débarrasser la Sierra Léone du RUF de Fodé Sankho son protégé et à renforcer l’autorité de Dr Tejan Kabbah fortement ébranlée. Dans cette perspective, Lansana Conté s’est ouvertement engagé à déstabiliser le régime de Taylor en acceptant d’abriter et de soutenir activement les factions qui lui étaient foncièrement hostiles, en l’occurrence, l’ULIMO d’El hadj Kromah et le LURD de Sekou Damat Koneh dont la ville de Macenta (en Guinée Forestière) abritait les Q.G. Les mauvaises langues racontent que pour services rendus aux Américains, le général Conté aurait constamment bénéficié de leurs libéralités. C’est sans nul doute les armées guinéenne et nigériane, appuyées par ces deux factions qui infligèrent un revers 139
décisif aux troupes rebelles. Aussi, faut-il ajouter, la longue et efficace présence sur le terrain de militaires guinéens aux côtés des autres contingents ouest-africains et celles des Nations Unies, a constitué un facteur déterminant pour la neutralisation des hommes de Charles Taylor et le retour de la paix au Libéria avec l’élection arrangée149 de celui-ci en 1977. Cette guerre qui a déteint sur la Sierra Léone voisine avec des incursions meurtrières en Guinée, notamment à Gueckédou et à Macenta, a duré de 1989 à 2001, faisant des milliers de morts et de blessés ainsi que des centaines de milliers de réfugiés.
IV. Assistance technique guinéenne en Afrique Ce titre pourrait faire sourire les « afro-pessimistes » eu égard à la modicité de ses ressources humaines et surtout techniques. Pourtant, les engagements de la Guinée sur le continent africain n’étaient pas seulement diplomatiques et militaires. Ils ont effectivement consisté également en l’octroi d’assistance technique aux jeunes États en vue de leur permettre de concevoir ou de renforcer les capacités techniques ou institutionnelles des nouvelles administrations mises en place au lendemain des indépendances. Ce faisant, la République de Guinée a délibérément choisi de dégarnir ses propres services pour voler au secours des jeunes États en envoyant des enseignants, médecins, agronomes, journalistes, sportifs, artistes et autres techniciens partout où le besoin se faisait sentir. Il faut avouer que ces cadres guinéens avaient une très bonne formation. Pour la plupart formés par la coopération socialo-communistes, ils ont fait la fierté de leur pays, partout où ils ont été envoyés, parce que leur solide formation était doublée de la « conscience révolutionnaire » qui les appelait à de meilleurs rendements. Partout, ils s’en tiraient extraordinairement bien, même si pour les langues fourches ces performances procéderaient de la peur du Camp Boiro. Le soin est laissé à chacun d’apprécier le degré de cynisme de ces ultranihilistes qui n’ont rien trouvé à prendre dans les recettes de la révolution 149
La Communauté internationale a dû arranger son élection comme Président de la République pour arrêter la guerre qui faisait rage. Avec le retour de la paix dans le pays, il était plus facile d’organiser son éviction du pouvoir, surtout qu’il y avait unanimité de la Communauté internationale à ce sujet.
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guinéenne. Nous persistons à croire que tout n’était pas mauvais. Ce fut une expérience humaine comme tout autre. Elle a eu des côtés positifs tout comme elle a eu des limites. Il n’y a donc pas lieu d’instrumentaliser, par exemple ici, ces experts guinéens qui auraient dû être payés dans leurs pays d’accueil, comme des expatriés européens, américains ou asiatiques avec lesquels ils ont partagé les missions, mais qui avaient accepté comme traitement, l’équivalent de ce qu’ils percevaient chez eux en Guinée. Ils l’ont fait parce qu’ils étaient parfaitement conscients que les pays qui les avaient sollicités étaient pauvres comme le leur. Ils devaient aller servir jusque dans les localités rurales les plus éloignées des centres urbains. Au rendement, ils étaient très appréciés de leurs employeurs à telle enseigne qu’ils ont parfois sollicité le renouvellement de leur contrat de travail, ce qui n’était pas toujours le cas des autres nationalités. À noter que dans beaucoup de pays, ces experts guinéens ont rivalisé sans complexe de compétences et de talents avec d’autres coopérants, tels que les Algériens, les Sénégalais, les Anglais et même les Français. Ils y ont servi dans les hautes sphères de l’administration (conseillers à la présidence de la République et auprès de certains ministres comme aux Seychelles par exemple). Ce geste de la Guinée qui était loin d’être l’expression d’un quelconque esprit de suffisance ou de folie de grandeur s’inscrivait tout naturellement dans la logique de la solidarité envers les peuples africains fraîchement indépendants. À certains pays, comme les Comores, la Guinée Équatoriale et l’Afrique du Sud, la Guinée a offert des bourses d’enseignement supérieur dans les universités guinéennes pour des options très prisées, telles que le génie civil, la médecine, l’électrotechnique, etc. En Mauritanie, l’assistance technique guinéenne a consisté en la formation d’équipes nationales de football et la création d’orchestres de musique moderne. Au Bénin, ce sont des journalistes de la presse écrite et parlée qui furent formés. En Guinée Bissau, au Mozambique et aux Seychelles, ce sont surtout des enseignants guinéens qui ont aidé à combler les déficits en personnels dans le secteur de l’éducation. Ces enseignants ont également contribué à la formation idéologique des membres des partis au pouvoir. À côté d’eux, on notait des inspecteurs de police qui servaient à la fois comme instructeurs dans la police et dans l’armée. En Tanzanie, les arts de la scène ont bénéficié de l’expertise guinéenne dont les ensembles nationaux (Les Ballets africains, les 141
Ballets Djoliba, l’Ensemble instrumental national, le Théâtre national, etc.) brillaient de mille feux sur le plan international.
V. Conséquences de l’internationalisme guinéen La République de Guinée a donné la preuve du respect de ses engagements vis-à-vis des peuples en lutte pour leur émancipation. C’était pour elle, à la fois un défi et un devoir militant prescrits par les textes fondateurs de la République. Ainsi, l’aura-t-on vue sur tous les fronts, politiques, diplomatiques, militaires et techniques, partager sa modeste expérience avec les autres nationalistes. Au bout du compte, on s’aperçoit que son action internationaliste n’est pas restée sans effets sur le cours de l’histoire récente du continent tout comme elle a négativement déteint sur son propre programme de développement. En termes d’incidences positives majeures, il faut retenir entre autres, la liquidation dans une grande partie du continent du système colonial. En effet, le choix guinéen a permis de désillusionner les « afropessimistes » qui croyaient invincible le système colonial. Sa participation effective aux côtés des différents mouvements et luttes armées de libération a constitué un ferment à toute épreuve et a incontestablement déterminé les combattants à aller de l’avant. Quant aux conséquences négatives, le blocus économique et d’autres formes de représailles (restriction des investissements extérieurs et de l’aide au développement) et diverses tentatives de remise en cause du régime guinéen, ne manquèrent pas de freiner le développement national. Des chantiers furent abandonnés et des projets détournés au profit d’autres pays, s’ils n’étaient pas purement et simplement annulés. Ce fut le cas du barrage hydro-électrique du Konkouré dont le montage technique et financier était pratiquement terminé en 1958. Malheureusement, il ne fut jamais réalisé parce que la France avait retiré la caution promise au bailleur de fonds qui était disposé à accorder le prêt à la Guinée. La volonté obsessionnelle de nuisance de la France envers la Guinée était tellement évidente que c’est le général de Gaulle en personne qui s’est rendu à Moscou pour contraindre Nikita Khrouchtchev à renoncer au financement du projet. Aujourd’hui encore, la Guinée traîne les méfaits de cette attitude française, notamment dans le secteur de l’énergie dont on connaît l’acuité des problèmes. Aussi, les charges 142
récurrentes de la participation guinéenne à l’œuvre d’émancipation des peuples africains sont-elles un autre facteur de déséquilibre rarement pris en compte dans l’évaluation des causes du retard économique de la Guinée. En effet, en considérant les coûts des différentes campagnes militaires guinéennes dans les maquis africains, les frais de séjour et de déplacement des nombreux réfugiés politiques africains, les bourses d’étudiants africains, le manque à gagner causé par l’assistance technique apportée à d’autres États africains, sans compter les pertes en vies humaines enregistrées sur les champs de bataille, on se rendrait compte que le jeune État guinéen, ne pouvait pas ne pas compromettre son propre programme de développement national. L’essentiel de ses revenus en devises étrangères provenant des ressources minières et agricoles, a servi à supporter ces différentes dépenses de souveraineté. Par exemple, de 1960 à 1980, l’État guinéen a consacré 10 % de son budget annuel aux mouvements de libération nationale en Afrique. Ce pourcentage a été supérieur à celui octroyé à la plupart des départements ministériels de l’État guinéen.150 Les autorités guinéennes avaient parfaitement conscience des dangers auxquels elles exposaient leur pays, mais par devoir de solidarité africaine, il fallait bien le faire. Aujourd’hui, loin de le regretter, elles en sont fières et l’assument, car la liberté pour un homme n’a pas de prix. On n’en mesure l’importance que quand on l’a perdue. Elle a assurément un coût que la Guinée a supporté sans calcul. En soutenant les mouvements et luttes armées de libération nationale en Afrique, la République de Guinée n’a fait qu’accomplir une mission historique qu’elle s’était librement assignée envers les peuples en guerre pour la reconquête de leurs droits naturels à la liberté, la justice et la dignité humaine. Ce faisant, elle a subi la rigueur des représailles de toutes les puissances étrangères qui avaient des intérêts compromis par ses audacieuses ambitions internationalistes. En conclusion, nous constatons avec amertume que si tous les sacrifices consentis à son corps défendant par le jeune État guinéen sont reconnus et plus ou moins cités par les politiciens, elles ne semblent pas l’être des historiens de la jeune génération. Il y a comme une conspiration consistant en un mutisme autour de l’œuvre d’avantgarde accomplie par la Guinée, notamment envers les mouvements de 150
A.O.Sy Savané, 2009 sur le site www.sabarifm.com/node/1563.
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libération en Afrique sous la conduite de son leader, le Président Ahmed Sékou Touré. Il existe de nombreux travaux sur les luttes de libération nationale en Afrique, mais rarement allusion est faite à la contribution guinéenne. Est-ce un oubli, une ignorance ou une attitude ? Après tant de sacrifices aux résultats tangibles, la Guinée mérite-t-elle une telle récompense si c’en est une ? Quelle pourrait être l’origine d’une telle réaction négationniste ?
VI. Une histoire guinéenne à l’imparfait 1. Tentatives nihilistes contre Sékou Touré La série de questions ci-dessus posée est en fait l’expression de notre indignation face aux tentatives nihilistes pour le moins inacceptables et injustifiables contre l’œuvre du Président Ahmed Sékou Touré. Il est important de restituer l’histoire dans sa plénitude, car « le devoir de mémoire doit être un devoir intégral ; la mémoire doit être fidèle, elle doit être exhaustive : elle doit éclairer ce qu’était cette période »151, écrit à juste titre Jean-Pierre Chevènement. En Guinée, cet exercice est encore difficile au niveau de bon nombre de cadres qui participent activement à cette tentative d’altération de l’histoire africaine pour des raisons que nous avons suffisamment évoquées plus haut. Nombreux sont ces intellectuels qui cherchent vainement à effacer de l’histoire le nom de la Guinée, tant que celle-ci sera associée au nom de Sékou Touré. Cependant, tout en le reniant, ces intellectuels ne résisteraient pas à la tentation de partager l’honneur, la joie, le plaisir et surtout la fierté procurés aux Guinéens par la place et le rôle de héros que cet homme a brillamment tenus dans certaines séquences de l’histoire du pays. On citerait par exemple : • Le discours du 25 août 1958 au général de Gaulle ; • Le rejet massif du projet gaulliste le 28 septembre 1958, avec plus de 94 % des suffrages ; • La proclamation en fanfare de l’indépendance nationale le 2 octobre 1958, indépendance acquise sans effusion de sang ; 151
Kéita S.K., 2009, P. 403.
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• Le rôle fondateur joué par des cadres guinéens à la tête de presque toutes les organisations continentales pendant des décennies ; • Le rayonnement en Afrique et dans le monde, des arts, de la culture et des sports guinéens ; • Promotion de l’Islam avec à la clé, le reboisement des Lieux saints, etc. Tous ces hauts faits sont indissociables du nom de Sékou Touré, en dépit de tout ce qu’il a pu faire par la suite. Entre le héros et le tyran, la césure est un exercice délicat sinon impossible. Pour les besoins de la cause, il faudrait s’exercer à accepter l’homme comme un tout indivis qui a ses qualités et ses défauts. Seule pareille approche permettrait d’éviter de jeter le bébé avec l’eau du bain, comme cela se produit actuellement en Guinée. En effet, « depuis sa disparition de la scène politique africaine, le 26 mars 1984, dans les nombreux ouvrages et articles qui lui sont consacrés, on ne retient souvent de lui que l'homme du NON à De Gaulle et le tyran, oubliant qu'il fut aussi l'un des plus virulents défenseurs de la lutte anticoloniale. Si on lui reconnaît une certaine audace pour s'être opposé à De Gaulle, on lui reproche, par contre, d'avoir instauré un régime dictatorial une fois à la tête de son pays »152, écrit Satchivi. Naturellement, qui veut jeter son chien à l’eau l’accuse de rage dit-on. Non seulement ses contempteurs ne veulent pas entendre parler de lui, mais, ils ne veulent non plus que d’autres évoquent son nom en quoi que ce soit. « En tout cas, poursuit Satchivi, qu'on l'ait aimé ou pas, Ahmed Sékou Touré a, tout au long de sa vie, soulevé des passions. Diabolisé, il a été traité de communiste, de gauchiste, de totalitaire, et dans le même temps accusé de compromission avec les forces du capitalisme et de l'impérialisme, doctrines qu'il dénonçait. Souvent présenté à travers le prisme déformant des préjugés idéologiques, Sékou Touré a rarement été vu sous l'angle de l'homme, sa vie, sa personnalité, son combat pour l'émancipation de l'Afrique en général, de la Guinée en particulier. Il a plutôt été traité de vulgaire agitateur politique, relégué au banc de l'infamie, voué aux gémonies ou jeté dans la poubelle de l'histoire. »153 Cette saisissante synthèse de l’homme et de son œuvre 152 153
Marc K. Satchivi sur www.ufctogo.com Ibidem.
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par un observateur étranger devrait pouvoir aider ses compatriotes, avec le recul du temps, à tempérer les ardeurs et relire leur histoire sans passion ni relent. Qu’ils soient rassurés qu’à côté de l’histoire des abominations des révolutions française, chinoises ou soviétique, celles de la révolution guinéenne ne sauraient trouver de place. Pourtant dans ces pays, malgré toutes ces vicissitudes, il n’y a pas aujourd’hui horreur à parler des leaders de ces révolutions. Au contraire leurs vies et œuvres sont des faits d’histoire qui sont enseignés non seulement chez eux, mais aussi ailleurs, particulièrement en Afrique, y compris bien évidemment en Guinée. Pourquoi le fait-on ? Les historiens dont c’est le métier vous le diront. Il appartient donc à ces historiens d’aider leurs compatriotes à mieux comprendre et à assumer leur histoire dans toutes ses séquences, même les plus indigestes. Pour ce faire, il est important de leur donner une vue d’ensemble du fonctionnement d’un État, la Première République en l’occurrence, que l’on a souvent tenté de réduire à tort à la seule personne du chef de l’État. Les aveux d’impuissance des chefs de l’État guinéens ayant succédé à Sékou Touré face à certains blocages sont là pour nous le rappeler. L’un n’a-t-il pas reconnu, mis dans l’impossibilité de faire baisser le prix du riz que « l’autre avait donc raison (…) d’étatiser le commerce ! »154 Et à un autre d’avouer dans une confidence à ses proches que « la Guinée est un pays difficile à gouverner. »155 Pourtant ceux-là n’ont pas eu sur leur chemin, toutes les adversités dans lesquelles était engluée la gouvernance d’Ahmed Sékou Touré. L’évocation du concept d’« ancien régime » doit amener à prendre en compte entre autres : • Le Président Ahmed Sékou Touré lui-même et tout son cabinet, • Les membres de ses différents gouvernements, • Tous les responsables du parti, • Tous les ambassadeurs, 154
Il s’agissait du général Lansana Conté, qui eut maille à partir avec les commerçants qui refusaient de baisser le prix du riz sur le marché. Il se vit obligé de rappeler l’approche de la Première République où l’État importait et vendait le riz à des prix homologués. 155 Ce furent les propos du capitaine Moussa Dadis Camara, suite aux difficultés qu’il a eues avec la classe politique qui contestait sa candidature à l’élection présidentielle en 2010.
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• • • • • • •
Les enseignants, notamment les professeurs d’idéologie, Tous les gouverneurs, Les membres des institutions républicaines, Les Forces de défense et de sécurité, Tous les grands commis de l’État, Les régisseurs des prisons, y compris ceux du Camp Boiro, Les services de renseignements, etc., etc.
L’énumération est fastidieuse, tant elle concerne tous ceux qui ont exercé une parcelle de responsabilité du parti et de l’État, encore que les deux aient été à l’époque une seule et même réalité politicoidéologique, le Parti-État. C’est pour dire qu’un individu, fut-il « stratège » ou « responsable suprême de tout », ne saurait à lui seul diriger un État encore moins porter la responsabilité de tous ses dysfonctionnements. C’est ici peut-être qu’il faut donner raison à ceux qui, parlant des dérives du passé, disent tout court que « nous sommes tous coupables ». L’apparente banalité du propos ne lui enlève point sa pertinence. Tant que les Guinéens chercheront à isoler Ahmed Sékou Touré de l’ensemble de la République en vue de l’atteindre et d’essayer de salir sa mémoire, ils se montreront intolérants, haineux et surtout, peu disposés à aller sous l’arbre à palabres ou à la table de la réconciliation nationale. On pourrait paraphraser le Président français, François Hollande, pour dire que l’histoire de la Guinée a aussi sa part d’ombre. Comme toute Nation, la Guinée grandit lorsqu’elle porte un regard lucide sur son passé.156 La part d’ombre de l’histoire de la Guinée, c’est aussi ce qui, de l’œuvre politique du Président Sékou Touré, lui est aujourd’hui opposé et reproché par nombre de ses compatriotes.
2. Nul n’est prophète dans son pays Il y a certes des tentatives manifestes de faire disparaître de la mémoire collective, la vie et l’œuvre du Président Ahmed Sékou Touré. Mais celles-ci s’effondrent au pied de l’histoire vraie, celle qui n’est ni rancunière, ni haineuse, ni ingrate encore moins oublieuse. Cette histoire appelle au devoir impérieux de mémoire et impose de 156
Discours prononcé à l’Assemblée nationale du Sénégal, le 12 octobre 2012.
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façon imprescriptible les vérités ci-après, que l’on ne saurait ni contourner ni enjamber sans en écorner la crédibilité : • L’histoire de la décolonisation de l’Afrique ne saurait se faire sans une référence honorable au NON historique de Sékou Touré au référendum gaulliste du 28 septembre 1958. Bien que précédée par celle du Ghana en 1957, l’indépendance guinéenne a eu plus d’écho et s’est avérée d’autant plus rassurante pour les peuples colonisés, qu’elle a été arrachée sous menaces et intimidations, des mains d’un colosse de l’histoire mondiale, au sommet de sa gloire, le général de Gaulle. Et c’est non sans raison que ce NON de la Guinée a été considéré comme l’acte politique majeur du XXe siècle par le Pr Elikia Mbokolo, Directeur d’études à l’École des Hautes Études en Sciences Sociales de Paris. Pour étayer son jugement, celui-ci nous a avoué que s’il avait 25 ans en 1958, il serait venu offrir ses services au jeune État de Guinée, tellement son geste l’avait séduit. • Le succès des mouvements de libération en Afrique ne saurait être honnêtement évoqué sans associer étroitement les soutiens du Ghana de Kwame Nkrumah, de l’Égypte de Nasser et de la Guinée de Sékou Touré dont on connaissait l’attachement à l’Afrique et qui ont savouré leurs indépendances bien avant la grande vague de 1960. Ce serait une offense à eux que de citer, comme cela est souvent arrivé, la Libye de Kadhafi ou l’Algérie de Ben Bella, le Sénégal de Léopold Sédar Senghor ou la Tanzanie de Nyerere comme soutiens décisifs et artisans de la victoire de ces mouvements. Leurs efforts sont certes louables, mais ils ont eu de prestigieux précurseurs auxquels il faut rendre hommage et redonner la place qu’ils méritent, c’est-à-dire celle qu’ils se sont taillée eux-mêmes. • Enfin, l’histoire de l’Unité ou de l’Union Africaine ne saurait s’écrire honnêtement sans une mention spéciale des tentatives d’union Guinée-Ghana et Guinée-Ghana-Mali dont l’initiateur fut incontestablement Ahmed Sékou Touré. Pour précaires qu’elles fusent, ces tentatives n’en constituèrent pas moins les rais fondements de l’Union Africaine d’aujourd’hui.
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La Guinée qui, sous la houlette de Sékou Touré, a ouvert la brèche fatale dans l’édifice colonial français et montré la voie de la liberté, de l’honneur et de la dignité à l’homme africain, demeure une référence dont on ne saurait se passer. La République de Guinée qui a sacrifié son développement au profit du soutien tous azimuts aux peuples africains en lutte ou nouvellement indépendants, mérite reconnaissance. Il appartient aux historiens d’écrire une histoire réaliste des mouvements de libération en Afrique en donnant à chacun, la place qu’il lui revient de droit. Ceux-là qui, les mains nues, ont bravé les menaces et autres intimidations pour oser poser les jalons de l’Afrique indépendante et souveraine, ne peuvent et ne doivent être oubliés. Ils ont droit à des citations publiques à défaut de célébration. Déjà, de grandes sommités politiques et culturelles se sont acquittées de ce devoir de mémoire en rendant très tôt hommage à l’homme et à son œuvre. Dans tous les cas, écrit Lansinè Kaba, «à maints égards, Sékou Touré était lui- même son meilleur ambassadeur. Son charisme, son éloquence, et ses prises de position sans ambiguïté lui ont donné une place de choix sur la scène internationale. Sa voix comptait, même si objectivement il ne disposait pas des moyens de sa politique. »157 Tous ces propos n’ont nullement pour objet de le dédouaner des erreurs ou fautes commises dans l’exercice de ses hautes charges à la tête de l’État. Les hauts faits de sa carrière politique, pour sublimes qu’ils fussent, ne sauraient en aucun cas l’exonérer de ses forfaits avérés, car il ne fut pas exempt de faiblesses, loin s’en faut. Après tout, « les rois sont ce que nous sommes. Ils peuvent se tromper comme les autres hommes…» dit en substance, une célébrité du classicisme française. De nombreux et précieux témoignages sont allés au-delà de ses faiblesses humaines pour magnifier l’extraordinaire aventure politique du self-made-man ainsi que la place et le rôle qu’il a tenus dans l’histoire de l’Afrique en général et de son pays en particulier. Dans une préface lumineuse d’un des livres politiques de Sékou Touré dont nous offrons un large extrait, le grand écrivain et poète martiniquais Aimé Césaire, écrivait en 1959 :
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Lansinè Kaba, 2010, P. 236.
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« C’est un fait que l’Afrique Noire a eu le bonheur de trouver au moment où elle naissait à l’histoire moderne des cadres politiques valables. Je veux dire des dirigeants qui, comme à la machette, ont su dans la broussaille des évènements, frayer à l’Afrique, sa voie. À cet égard, on ne dira jamais assez que leur mérite essentiel est d’avoir su se dégager de toute allégeance à l’égard des partis européens ; de s’être gardés de faire de leur politique un département de la politique métropolitaine ; pour tout dire en un mot, d’avoir éventé à temps le piège de l’assimilationnisme. C’est là le mérite collectif de l’actuelle génération de leaders africains. Mais ce n’est pas de diminuer leur particulier mérite - chacun d’eux étant aux prises avec des difficultés particulières et y réagissant - que de dire, que le Président de la jeune République guinéenne, Sékou Touré, a été dans cette dernière période l’homme africain décisif ; un homme exceptionnel. Ce qui le caractérise, on le voit suffisamment dans les pages qui suivent : la continuité du dessein, la raideur de la volonté non exclusive de souplesse tactique, dans l’instant le coup d’œil juste, pour le reste, la vue perspective de l’histoire. Oui, de tout temps il s’est donné un but net, qu’il n’a jamais caché ni à ses partenaires européens, ni à ses partenaires africains : l’indépendance de son pays. C’est le but vers lequel il a été durant toute sa vie tendu, comme il y a tendu tout entier son peuple. Si bien que lorsque se présentera pour lui l’offre du destin il était prêt, et la Guinée elle aussi, elle surtout, était prête. C’est sans doute là, ce qui en définitive, le met hors de pair en Afrique : cette liaison quasi charnelle avec la masse dont il parle non seulement la langue, mais ce qui est plus important, le langage (…) Il n’est que de regarder son style : abandon à soi et contrôle de soi, véhémence et sagesse, particularisme et humanisme, il a créé en politique le style africain, mais c’est l’Afrique, son passé millénaire qui lui a enseigné tout cela. C’est d’ailleurs là, sa force et le secret de sa réussite (…) Ce qui se passe aujourd’hui en Guinée, ce n’est pas seulement le sort de la Guinée qui s’y joue, c’est le sort de l’Afrique. »158 Comme on peut le constater, la citation est certes très longue. Nous nous en excusons. Nous l’avons voulue ainsi, parce que l’auteur est l’un des rares non-Africains à réussir à camper l’homme dans sa dimension providentielle. C’est véritablement une description 158
Expérience guinéenne et unité africaine, Présence Africaine, 1962, Pp. 6-7.
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d’anthologie qui introduit à toute étude entreprise sur le Président Ahmed Sékou Touré. Dialo Diop, enseignant-chercheur à l’Université Cheick Anta Diop de Dakar quant à lui, met en exergue les mérites du Président Sékou Touré en les opposant admirablement aux réactions négatives du général de Gaulle qui, depuis la Conférence de Brazzaville, excluait toute perspective d’émancipation des colonies françaises d’Afrique hors du giron impérial. En effet, « Après la défaite du nazisme, il a interdit la participation des tirailleurs négro-africains et arabo-berbères au défilé de la victoire, le 14 juillet 1945, sur les Champs Élysées à Paris, malgré leur contribution décisive à la libération de la France hexagonale. Cela est révélateur de la mentalité du chef de la France libre et permet de mieux comprendre son acharnement personnel contre la Guinée de Sékou Touré, seul et unique pays de l’Union française à s’être donné les moyens organisationnels d’imposer le respect de la volonté populaire, en votant NON lors du référendum constitutionnel du 28 septembre 1958, sauvant ainsi l’honneur des peuples africains. Cette exception guinéenne a entraîné la mort prématurée de la Communauté gaullienne ! »159 Emboîtant le pas à cet universitaire, William Tubman, Président du Libéria (1941-1971), invité d’honneur au premier anniversaire de l’indépendance guinéenne ne manque pas d’inspiration pour louer la pertinence du choix guinéen. À cet effet, écrit-il, « il y a un an, le monde découvrait qu’une nouvelle nation était née. Du creuset du temps est sortie cette nouvelle nation, la République de Guinée. En votant NON, le Président Sékou Touré et le peuple de Guinée ont donné la preuve de ce rare génie, de cette capacité d’arriver à des décisions justes… »160 Citant Napoléon, le Président libérien poursuit : « La capacité la plus rare chez les généraux, c’est le courage de deux heures du matin, ce courage qui, au milieu des évènements les plus imprévus, laisse une entière liberté de jugement et de rapidité de décision ; rien, rien n’est plus difficile que de décider… »161 C’est autant dire que dans un contexte particulièrement risquant d’après-guerre, le leader guinéen a vu juste et a pris la bonne décision, la suite lui ayant donné raison. 159
L’Afrique répond à Sarkozy, 2008, Pp. 168-169. A. O. Sy Savané déjà cité. 161 Ibidem. 160
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Évidemment, ce choix comme tout autre a eu des avantages et des impondérables propres à toute entreprise humaine. Malgré tout, des années après sa mort, un éminent homme politique belge, Marc K. Stachivi, partageait l’appréciation que la majorité de ceux qui l’ont côtoyé et pratiqué ont portée sur lui, quand il écrit : « L’histoire de l’Afrique a retenu que feu Ahmed Sékou Touré était un homme courageux et rigoureux, un homme d’État qui a été plus enclin à suivre la voie de l’austérité que celle du faste. C’était un leader syndicaliste incomparable ayant évolué dans un contexte international marqué par l’adversité d’abord dans la lutte pour l’indépendance et ensuite pour la gestion de l’indépendance contre laquelle l’ancienne métropole n’a cessé d’œuvrer en s’appuyant, comme elle a toujours su le faire, sur des complices extérieurs et intérieurs. »162 Cheikh Tidiane Diop, un autre admirateur renchérit, au grand dam de ses détracteurs que « la disparition on ne peut plus tranquille, le 26 mars 1984, de celui qui ne se prévoyait pas une vie plus longue que celle de son prophète, Mohamed, prouve que Ahmed Sékou Touré, contrairement aux clichés et préjugés dont il était accablé, n’était rien moins qu’un grand cœur et un altruiste acculé et contraint à une rigueur assimilable à la méchanceté. »163 Incontestablement, le Président Ahmed Sékou Touré aura été un grand homme d’État dont l’action politique inspire encore de nos jours, des jugements controversés. Vu de l’intérieur, il est loin de faire l’unanimité. Adulé au départ par une écrasante majorité de ses compatriotes à cause des circonstances peu ordinaires de son avènement et de sa fulgurante ascension politique, l’homme s’est finalement heurté à une redoutable coalition d’intérêts qu’il ne parvint malheureusement pas à contenir et qui eut raison de sa vision stratégique. Voulant à tout prix vaincre ces résistances, il fut trahi par la méthode. Du coup, on note un enchaînement quasi ininterrompu de contestations auxquelles succédèrent des vagues de répressions. Celles-ci se traduisirent à la longue par de nombreux, graves et divers cas de violations des droits de l’homme dont les conséquences ont irréversiblement affecté son image. Pour nombre de Guinéens, le héros d’hier est devenu aujourd’hui un tyran. 162 163
Ibidem. La Dépêche Diplomatique, N°09, novembre 2008, P. 31.
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Sur le plan africain et international, le Président Ahmed Sékou Touré aura réussi l’extraordinaire exploit de récupérer presque intégralement, ce qu’il a perdu auprès de ses compatriotes au point de vue prestige, honneur et crédibilité. Du coup fatal porté au système colonial par la mobilisation de son peuple pour l’indépendance à ses prouesses diplomatiques en passant par le soutien tous azimuts aux mouvements de libération nationale, Sékou Touré a conquis l’admiration et l’estime de tous ses interlocuteurs. Il leur a toujours laissé l’image d’un chef avisé, avenant, juste et bon. Tout porte à croire qu’en dehors de la Guinée, il savait être au bon endroit au bon moment et qu’il savait ce que l’on attendait de lui, parvenant à s’en acquitter avec charme, élégance et efficacité. Plus de deux décennies après sa disparition, l’image du Président Sékou Touré est inaltérable à l’étranger, notamment en Afrique et auprès de la Oumma islamique, ce qui, de nos jours embarrasse ses contempteurs qui œuvrent inlassablement à le ranger dans les oubliettes de l’histoire. Un diplomate guinéen du Comité Militaire de Redressement National (CMRN) se serait fait taper sur le doigt à un des sommets de l’Organisation de l’Unité Africaine (OUA), lorsqu’il y a essayé de salir sa mémoire. Notre diplomate avait oublié que les Guinéens et les autres peuples n’avaient pas les mêmes termes de référence pour parler de la vie et de l’œuvre de Sékou Touré. Embarrassé et agacé, un autre citoyen qui ne supportait pas d’entendre parler tant de bien du défunt président rétorqua : « Si Sékou a été un grand et admirable Africain, il était cependant un détestable et petit Guinéen. » En tout état de cause, Sékou Touré n’aura laissé personne indifférent, dira à sa mort, un observateur avisé de la vie politique africaine. Le président guinéen n’aura pas dérogé à la règle des grands hommes, celle de la construction de controverses autour de leur vie et de leur œuvre, après leur disparition.
3. La Guinée avant la Baule Les peuples africains se sont vus entraînés vers la fin du XXe siècle, dans un puissant mouvement de remise en cause de la civilisation du parti unique en faveur de l’édification d’une société de type nouveau, la société démocratique libérale. Le système de parti unique s’est notoirement montré incapable de répondre aux attentes 153
qu’avait suscitées son adoption par les États africains dès l’aube de leurs indépendances. Au contraire, il a plutôt conduit ces jeunes États vers des pouvoirs de monopoles tous azimuts ayant occulté la légitime aspiration des peuples africains à davantage de liberté, de justice sociale, de sécurité, en un mot à plus de démocratie. Mais, que devrait ou pouvait faire l’Afrique pour construire et assumer cet avenir démocratique dans une situation de pauvreté extrême et de surendettement extérieur ? Nous pensons que la question est inopportune parce que l’Afrique était en mesure d’aller à la société démocratique à la seule condition qu’elle le fasse dans la liberté de choix et d’action, et cette liberté est avant tout, celle de ses populations, des hommes, des femmes, des travailleurs qui en sont et en seront toujours les acteurs. Le vent de liberté qui a soufflé sur le monde et ébranlé les anciennes structures sociopolitiques monolithiques puise ses racines au plus profond du cœur de l’homme. Il y a en effet en chacun de nous, une incompressible vocation à vivre libre et à prendre en charge son propre avenir. Alors, libérer les libertés, devenait un impératif catégorique dans une société africaine qui se voudrait effectivement démocratique. Ce faisant, les Africains pourront, en ce début du XXIe siècle, se ressaisir et s’engager à souhait dans la voie de la désétatisation des nations et des économies pour un plus-être démocratique. Cela commencerait par le respect de l’individu dans son foyer, dans son cadre de vie, dans ses rêves d’homme libre ainsi que dans son travail de citoyen, œuvrant harmonieusement, avec ses semblables, à la réalisation du bonheur de la communauté. Aujourd’hui, plus que jamais, les peuples tout comme leurs responsables ont un indispensable devoir, celui de s’imprégner de la dialectique démocratie/développement, car ils ne peuvent ni la contourner, ni la sauter, encore mois l’éviter. Plutôt c’est compris, mieux cela voudrait ! Comme tous les pays du monde, la Guinée était concernée par cet appel. Elle l’avait bien compris et s’était attelée à la recherche des opportunités pour sa mise en œuvre. Autrement dit, elle devait s’engager dans la voie conduisant à un État de droit et de démocratie - aspiration de tous les Guinéens - car elle est la seule qui soit conforme à l’intérêt de tous, au respect de la liberté et de l’égalité de tous les citoyens. Ceci est d’autant fondé que « la démocratie vaut non seulement pour elle-même, mais elle vaut aussi pour ce qu’elle
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permet. Il n’y a pas de vrai développement économique ni de vrai progrès social sans pluralisme »164, déclare le Président français, François Hollande. Il faut avouer que le mouvement était déjà perceptible vers la fin du règne du parti unique, notamment à partir du XIe Congrès du PDG. Le leader guinéen lui-même avait donné les signes d’une probable réorientation sinon d’une réadaptation de son système de gouvernance. Sa mort subite n’a pas permis la confirmation de la tendance. Les militaires qui lui succèderont engageront officiellement la Guinée dans la voie des réformes démocratiques, à partir du Discours-programme du CMRN du 22 décembre 1985, même si les populations devaient se contenter pour longtemps de l’effet d’annonce. En tout état de cause, nous sommes encore bien loin des mythiques Chute du mur de Berlin en1989 et Conférence de la Baule en 1990, pour comprendre que l’Afrique n’a pas attendu l’Europe pour parler démocratie et s’y engager en toute connaissance de cause.
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Discours à l’Assemblée nationale du Sénégal, le 12 octobre 2012.
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Chapitre 5 L’Armée au pouvoir La disparition inattendue du « Responsable Suprême de la Révolution » le 26 mars 1984 aux U.S.A. et l’irruption de la grande muette sur la scène politique nationale, donnent l’occasion rêvée d’un changement de régime en Guinée. En effet, l’avènement des militaires au pouvoir le 3 avril 1984 ainsi que les déclarations envoûtantes qu’ils ont faites, suscitèrent un espoir sans bornes chez les Guinéens, tellement ils avaient soif de liberté d’action, d’opinion et de justice sociale. À écouter les décisions telles que la suppression des normes165, la liberté de circulation des citoyens et de leurs biens, la liberté d’association et d’expression, on pouvait déduire que les militaires avaient compris l’appel du pied qui leur fut fait depuis belle lurette par le peuple. À ces décisions populaires, il faut ajouter la suspension ou la dissolution des Institutions Républicaines ainsi que celles liées au Parti-État. Aussi, toutes les atrocités de l’ancien régime sont-elles mises sur la place publique avec l’ouverture du Camp Boiro, la libération des détenus politiques et la mise aux arrêts des « anciens dignitaires. » Un vent nouveau avait soufflé sur le pays tout entier. Bref, « l’ordre militaire règne à Conakry. Sur les décombres de l’ancien régime s’élève un édifice politique neuf. Les décisions prises au fil des jours par la Comité Militaire de Redressement National (CMRN) s’ordonnent dans le sens d’une plus grande libéralisation. Sur le plan politique et social, les droits de l’homme et les libertés démocratiques sont à l’ordre du jour. Ainsi, les syndicats peuvent reprendre leurs activités. L’information est déclarée libre et le nouveau régime ne cache pas son intention de voir la Guinée évoluer à terme, vers un système politique multi partisan. Sur le plan 165
Le terme désigne la contribution en nature de chaque corps de producteur : Le cultivateur fournissait ses normes en riz, le pasteur en bétail, le pêcheur en produits halieutiques, etc.
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économique, au socialisme sourcilleux et ombrageux de Sékou Touré, on veut substituer un libéralisme de type classique. Il s’agit de faire appel aux capitaux étrangers et de valoriser, au plus tôt, les immenses ressources naturelles du pays »166, écrivait le journaliste Jérôme Carlos. Face à cette foultitude de dispositions annoncées par les nouvelles autorités militaires dans la perspective d’un reformatage du paysage sociopolitique et économique du pays, il est à se demander si les Guinéens qui avaient tant soif de liberté, de justice sociale et de mieux-être sont en mesure de comprendre que les changements auxquels ils ont tant rêvé ne porteraient pas fruit de sitôt ? Que la mise en œuvre des grands principes devant marquer la rupture d’avec l’ancien régime s’avère plus longue et plus difficile ? Que 26 ans de gestion autocratique doublée d’une collectivisation par trop rigoureuse de l’économie, a induit des réflexes, forgé des habitudes et généré des privilèges difficiles à remettre en cause ? Rien n’est moins sûr. Cependant, ces Guinéens qui voulaient tout et immédiatement devront se désillusionner et prendre leur mal en patience. Car « le délabrement et le désordre économiques préparés un quart de siècle en Guinée par l’improvisation et l’incompétence du régime défunt, se poursuivront quelques temps encore avant que les premiers effets des premières mesures de redressement prises en 1985 et 1986 commencent lentement à se faire sentir »167, prévient Collins Johnson. Mais hélas ! Le CMRN ne communiquant pas suffisamment, les populations commencèrent à le suspecter de manquer de volonté politique. Or, il lui fallait s’atteler à trouver la pédagogie requise qui formerait cellesci à la patience et à la foi en des lendemains meilleurs. A cet effet, il eut été utile et nécessaire par exemple de leur expliquer que : • Le problème des coupures intempestives de courant ne se résout pas du jour au lendemain, simplement parce que le régime révolutionnaire vient de tomber à Conakry. Et qu’à cet effet, il requiert des études pour l’élaboration d’une politique énergétique cohérente ainsi que des programmes et moyens de mise en œuvre. Que cela requiert du temps pour y parvenir ; 166 167
Échec d’un coup d’État et…Campagne de presse sur la Guinée, P. 51. In Economics du 15 mai 1986, P. 23.
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• La prise du pouvoir par l’armée ne saurait à elle seule suffire à remettre à neuf le réseau routier du pays dont la vétusté défie le bon sens. Tout comme dans le cas précédent, il faut trouver des moyens requis pour y faire face ; • Les graves problèmes sociaux (éducation, santé, pauvreté endémique, etc.) qui assaillent le pays ne trouveront pas immédiatement de solution magique au motif d’un simple changement de régime en Guinée. Le temps et surtout les moyens ne sont pas disponibles à souhait pour restaurer ou construire des écoles, hôpitaux et autres centres de loisirs. • Le renversement de l’ancien régime par l’armée n’implique pas pour autant une augmentation automatique des maigres salaires et autres avantages des travailleurs. Pour y parvenir rapidement, il faut absolument entreprendre une sensibilisation en vue de la mobilisation des ressources intérieures. Cela aussi prend du temps et requiert également des moyens importants. Il y avait donc nécessité impérieuse de partager, dans la sincérité et la transparence, ces vérités avec l’ensemble des Guinéens. Sans nul doute, ils auraient très tôt compris que la simple substitution de l’armée au pouvoir en place, ne signifiait pas du coup la fin de leur calvaire. Qu’il leur fallait observer de la patience en vue de permettre à l’État de s’organiser pour trouver les moyens de sa politique. Mieux, aurait-il fallu leur enseigner que ce travail de recherche des moyens requérait leur participation effective. En clair, il y avait à leur faire comprendre, et cela était fondamental, que les Guinéens étaient euxmêmes les principaux acteurs du changement de leurs propres conditions d’existence et que le grand mérite de l’armée aura été d’offrir l’environnement propice à ce changement tant attendu. Ce travail de motivation n’ayant pas été convenablement fait, les populations, à tort ou à raison, ont commencé à douter et à avoir l’impression que tous les beaux discours et autres promesses n’étaient que magnétisants. Elles prêtèrent aux militaires l’intention de vouloir plutôt gagner du temps pour mieux organiser leur pérennisation au pouvoir. Les premiers mois confirmèrent les appréhensions des citoyens qui constatèrent la mise en route d’une longue période d’exception à durée indéterminée dont ils ignoraient les tenants et les aboutissants. Tout se passait sans leur avis et parfois contre leur volonté. Bref, ils étaient royalement ignorés et ignoraient tout de ce 159
qui se faisait pourtant en leur nom. L’armée était souveraine et la démocratie occultée, en dépit de l’élaboration des textes fondateurs et de la création de certaines institutions d’accueil. Évoqué en termes de perspective dans son discours-programme le 22 décembre 1985, le général Lansana Conté dévoile son nouveau projet de société, la société plurielle, le 2 octobre 1989. Cette annonce qui, en dépit du temps mis pour son avènement, suscita espoir, enthousiasme et admiration tant en à l’intérieur qu’à l’étranger, détermina à n’en pas douter, le Président français, François Mitterrand à effectuer une visite d’État en Guinée en novembre 1986. Cette visite avait essentiellement pour but de soutenir et encourager les efforts de démocratisation en cours en Guinée, en malgré des lenteurs observées par le nouveau maître de Conakry. L’année suivante, Lansana Conté est à son tour officiellement reçu à l’Élysée. De nouvelles perspectives s’ouvrent ainsi aux relations franco-guinéennes restées longtemps en hibernation pour des raisons qu’il n’est plus besoin de rappeler. Paris attend de voir la nature et le sens des réformes que le colonel la Guinée entende engager en vue de lui permettre de définir les formes de son accompagnement par la France. La réalisation du nouveau projet de société proposé aux Guinéens s’étalerait sur une période de cinq ans, car selon le Président Lansana Conté, paraphrasant curieusement son prédécesseur, le Président Ahmed Sékou Touré, l’instauration de la démocratie n’est pas une course de vitesse, mais une course de fond. Bien dit pour davantage contenir les consciences des masses impatientes. Malgré tout, celles-ci prennent leur mal en patience, même si elles demeuraient convaincues que le temps de cette course de fond pouvait être considérablement réduit. Autrement dit, la démocratie ne se limite pas à une simple déclaration d’intentions, mais qu’elle requiert des structures formelles d’accueil permettant la participation du peuple à la gestion des affaires qui le concernent. C’est à partir d’octobre 1989 que ces structures ont commencé à se mettre en place. Leur réalisation a pris tout le temps que les militaires ont voulu y accorder pour faire traîner en leur faveur la période d’exception. Tout était donc fait à la discrétion des initiateurs, la population étant tenue à l’écart de tout. Or, ne dit-on pas que tout ce qui est fait pour le peuple sans le peuple est contre le peuple.
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I. Lansana Conté ou la démocratie sans le peuple L’édification de l’État de droit annoncée par le Comité Militaire de Redressement National (CMRN) requerrait la conception et la mise en place d’instruments institutionnels qui devaient en fonder la légitimité et la viabilité en même temps qu’ils exprimaient la volonté politique des nouvelles autorités de tenir leurs engagements des premières heures. Parmi ces instruments à vocation démocratiques sélectionnés par le régime militaire, il faut citer :
1. La décentralisation Dans le souci de rapprocher leur administration des populations à la base et en prévision de la mise en œuvre du nouveau projet de société, les nouvelles autorités de Conakry engagèrent-elles des études pour doter le pays d’une politique de décentralisation qui a déjà fait ses preuves ailleurs. Bien que ce ne soit pas une nouveauté en Guinée168, la décentralisation est la seule susceptible d’offrir les opportunités d’une implication effective des collectivités dans le processus de développement de la nation. Autrement dit, il fallait faire en sorte que la gouvernance tous azimuts s’appuie sur l’exercice effectif de la démocratie à la base, d’autant plus que de nos jours, pour plus d’efficacité dans la production et une meilleure distribution des biens et services, la décentralisation passe pour le créneau le plus efficient. Au-delà du simple mécanisme électoral qu’elle peut constituer, elle se révèle non seulement comme une école d’apprentissage de la gestion du pouvoir, mais aussi comme un moyen d’expression susceptible de déteindre positivement sur l’ensemble des structures de la communauté. C’est une véritable « révolution démocratique silencieuse » qui s’empare de la planète à un moment où la mondialisation de l’économie passe pour une réalité tangible. Nonobstant les énormes insuffisances encore à combler, notamment dans les pays en développement, il faut avouer que la démocratie locale marque des progrès notables un peu partout dans le monde, de la ville jusque dans les brousses lointaines d’Asie, d’Afrique et d’Amérique Latine. « Ainsi, dira Bertrand Delanoë, Maire de Paris, 168
Le parti démocratique de Guinée en avait fait l’expérience sous l’appellation de Pouvoir Révolutionnaire Local (PRL).
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dans un monde où plus de la moitié de l’humanité vit en ville, les gouvernements locaux sont au cœur des solutions de tous les enjeux contemporains : • Enjeux démocratiques face à une mondialisation où l’échelon local donne un sens à la citoyenneté et à la construction des identités ; • Enjeux écologiques, car le combat contre le réchauffement climatique et pour la préservation de notre planète dépend en grande partie des solutions durables mises en place pour transformer les modèles de production et de consommation, principalement urbains ; • Enjeux économiques, car c’est autour des villes et dans leurs arrière-pays que se concentrent une grande partie des richesses et des opportunités, mais également les inégalités les plus vives ; • Enjeux sociaux et de solidarité, enfin, car les combats pour l’inclusion sociale, la mixité socioculturelle et contre l’insécurité se livrent d’abord au niveau local. »169 Cependant, la décentralisation n’a pas toujours bénéficié de l’accompagnement requis pour lui permettre de jouer pleinement le rôle que le législateur lui a conféré dans les textes. En effet, à l’évaluation, puisque nous étions nous même ministre de ce département de souveraineté sous la Transition en Guinée en 2010, la Décentralisation héritée de la Deuxième République présentait d’énormes déficits qui ne sont pas loin de rappeler ceux du Pouvoir Révolutionnaire Local (PRL) que le régime révolutionnaire avait déjà expérimenté en Guinée. En effet, un certain nombre de dysfonctionnements l’a empêchée et l’empêche encore de produire les résultats escomptés qui ne sont nullement hors de portée. Au nombre de ces dysfonctionnements, il convient de citer : • Insuffisance du soutien financier pour compenser la faiblesse de la mobilisation des ressources locales ;
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La décentralisation et la démocratie locale dans le monde, Premier rapport mondial-CGLU, 2008, P.9.
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• Non-appropriation par les élus du Code des Collectivités Locales qui enseigne toute l’importance de leur mission, due au taux encore élevé d’analphabétisme en leur sein ; • Mauvaise gestion des ressources locales mobilisées ; • Poids encore très écrasant de la tutelle qui puise inconsidérément dans les caisses des collectivités, à cause de l’insuffisance notoire des subventions que lui alloue l’État ; • Faiblesse des capacités managériales des ressources humaines en termes de profil inadapté au processus de décentralisation, ainsi que le vieillissement de la classe politique communautaire ; • Transfert fort imparfait des compétences et des moyens d’action par l’État ; • Déphasage entre le niveau central et le terrain sur la mise en œuvre des activités en termes de compréhension et d’application des textes de loi de la décentralisation ; • Handicap notoire de développement au niveau local dû au manque d’harmonisation et de coordination entre les projets et programmes, même si récemment, le gouvernement guinéen vient d’adopter la Lettre de Politique Nationale de la Décentralisation et du Développement Local qui va désormais y les correctifs requis. Il est donc urgent de remédier aux différentes lacunes ci-dessus évoquées, car la décentralisation constitue aujourd’hui le moyen le plus sûr pour contribuer efficacement à l’édification d’un État de droit et de démocratie. Elle est le seul gage de réussite d’un développement local durable associant l’ensemble des acteurs de l’administration déconcentrée et décentralisée sérieux, les élus locaux, la société civile, le secteur privé et l’ensemble des populations.
2. La Loi fondamentale Parallèlement à la mise en œuvre de la politique de décentralisation, les nouvelles autorités militaires à travers le Conseil Transitoire de Redressement National (CTRN) qui faisait office d’Assemblée nationale, se sont attelées à la préparation d’une nouvelle Loi Fondamentale, en vue de sa reformulation suivant le nouveau 163
contexte. Le projet soumis à référendum fut adopté le 23 décembre 1990. C’est une constitution qui, en dépit de ses insuffisances, marque toutefois une rupture historique avec l’ancien système du Parti-État. Elle met l’accent sur la protection des droits et des libertés publiques, tout en recherchant une certaine unité nationale. Désormais, seuls les partis politiques légalement constitués et opérant sur l’ensemble du territoire national, peuvent présenter des candidats à la Magistrature Suprême du pays. En établissant la séparation des pouvoirs, la Loi Fondamentale, distingue nettement le Législatif, l’Exécutif et le Judiciaire dont elle proclame l’indépendance, même si cette distinction sur le terrain n’a pas toujours été évidente. La nouvelle Constitution a le mérite indéniable de fixer les règles du jeu démocratique. En tout état de cause, comme le disait l’autre, mieux vaut une mauvaise organisation qu’un manque d’organisation. On peut d’ores et déjà souligner que l’existence d’un tel instrument juridique est un signe encourageant en faveur d’une orientation du pays vers une option libérale. Elle atteste en son temps, à n’en pas douter, de la volonté politique de ses dirigeants de s’engager dans un processus démocratique susceptible de déboucher sur la création d’un État de droit et de démocratie fondé sur un pluralisme politique en République de Guinée.
3. Le multipartisme intégral L’expression de la volonté politique en soi ne suffit pas. Il faut la traduire en actes concrets et en assurer la promotion. C’est dans cette perspective que l’adoption de la Loi fondamentale a conduit à la matérialisation d’une de ses stipulations, en l’occurrence, le pluralisme politique. C’est d’ailleurs le lieu de noter que la Guinée n’a pas attendu le sommet de la Baule pour dénoncer le monolithisme politique, même si les Guinéens devraient encore se contenter d’un simple effet d’annonce. Car, pour l’autocrate Lansana Conté, la nouvelle orientation politique était plus facile à promettre qu’à mettre en œuvre. En effet, constate Muriel Devey, « si cette nouvelle orientation s’est accompagnée d’une plus grande liberté politique et d’expression, elle a donné lieu à des relations difficiles entre le pouvoir et une opposition qui s’est montré incapable de s’unir pour faire le contrepoids au régime en place. Bien que la situation se soit améliorée, les droits de l’homme ne sont toujours pas respectés. Le 164
processus de démocratisation a démarré dans la contestation »170. D’ailleurs, d’après la compréhension qu’avait le général Lansana Conté du multipartisme, deux partis politiques seulement devraient être autorisés à exister et à fonctionner. Mais la pression des mouvements favorables au multipartisme intégral s’organisa et prit petit à petit du relief tout le long de l’année 1991. Les initiateurs de cette forme de démocratie étriquée peinent à maîtriser la situation. On assiste à une forte dégradation du climat politique dans le pays. C’est ce moment précis que choisit le Pape Jean-Paul II pour rendre visite aux chrétiens de Guinée en février 1992. Cette mission pontificale avait deux objectifs majeurs : Saluer et soutenir l’héroïsme de l’Église guinéenne pour le chemin de croix qui lui fut imposé par la révolution et ensuite, féliciter et encourager les nouvelles autorités à engager des reformes fondatrices d’un État de droit et de démocratie où les libertés fondamentales de l’homme sont désormais respectées. Il faut rappeler que l’Église catholique de Guinée a connu sous le régime du Parti Démocratique de Guinée, les épreuves les plus difficiles depuis l’avènement du christianisme dans le pays en 1875. En effet, considérant l’Église comme une relique du système colonial et le missionnaire « Blanc » l’agent de l’ancienne métropole chargé de perpétuer sa domination, les responsables politiques guinéens ne ménagèrent rien pour entraver leur épanouissement. Ainsi, progressivement, les institutions de l’Église, en l’occurrence, les mouvements d’action catholique, les écoles, les émissions catholiques sont purement et simplement supprimées. Non seulement tous les missionnaires étrangers sont expulsés en fin 1967, mais aussi leurs remplaçants africains sont soumis à surveillance. Le couronnement du calvaire de l’Église guinéenne fut l’arrestation et l’incarcération pour neuf ans, de son évêque, Mgr Raymond-Marie Tchidimbo, pourtant imposé au Vatican par le PDG, dans le cadre de l’africanisation de l’Église. Cependant, l’Église de Guinée sous la houlette d’un comité de laïcs et plus tard de Mgr Robert Sarah, [le plus jeune évêque du monde à sa nomination en 1979], a tenu bon et a réussi à survivre et même à gagner du terrain. Malgré un contexte particulièrement délétère, Robert Sarah n’a jamais hésité à interpeller dans ses homélies, les chefs de l’État guinéen du temps épiscopat, notamment,
170
In JA, Spécial Guinée, N°1, P. 52.
165
Ahmed Sékou Touré et Lansana Conté.171 Il en fit autant plus tard, à partir du Vatican, son nouveau poste, avec le capitaine Moussa Dadis Camara, le général Sékouba Konaté et récemment Alpha Condé auquel il aurait remis une feuille de route. Pour toutes ces raisons, le Pape ne pouvait pas ne pas rendre visite à ces braves combattants de la foi. Cette visite du souverain Pontife ne manqua pas d’intérêt, car son séjour a plus ou moins déterminé le général Lansana Conté à accéder peu après, aux exigences de la classe politique en proclamant le 3 avril 1992 le multipartisme intégral. En moins d’un an, c’est plus d’une quarantaine de formations politiques agréées qui se disputent l’échiquier politique national. Malheureusement, cette pléthore, loin de favoriser le débat national, créa et exacerba le cloisonnement de la société politique autour des solidarités naturelles dont l’ethnie devint le creuset de tous les dangers. De la longue liste de partis politiques agréés, plus des trois quarts ne le sont que de nom, ne disposant ni de structures fonctionnelles, ni de siège encore moins de ressources financières significatives. Tout se ramène au seul leader qui joue au factotum. Seul l’agrément octroyé complaisamment par le Ministère de l’Administration du Territoire en fait un parti. Une évaluation fondée sur les critères de couverture nationale, de solvabilité, de capacité de mobilisation, de commodités des installations du siège (s’il en existe), du carnet d’adresses du leader, on ne pourrait retenir comme véritables partis politiques que : - le Rassemblement du Peuple de Guinée (RPG) d’Alpha Condé, - l’Union pour le Progrès du Peuple de Guinée (UPG) de Jean-Marie Doré, l’Union des Forces Républicaines (UFR) de Sidya Touré, - l’Union des Forces Démocratiques de Guinée (UFDG) de Cellou Dalein Diallo, 171
Même devenu Cardinal en 2010, Robert Sarah est resté toujours attaché à son pays dont il surveille, pour ainsi dire, les dirigeants. Au général Sékouba Konaté, Président de la Transition, il aurait demandé de renoncer à la récompense qu’il avait exigée en espèces sonnantes et trébuchantes, avant de passer le pouvoir aux civils, tandis qu’au Président élu, Alpha Condé, il aurait remis une feuille de route.
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- le Parti de l’Espoir pour le Développement national (PEDN) de Lansana Kouyaté. Le Parti de l’Unité et du Progrès (PUP) du général Lansana Conté, désagrégé après la mort du fondateur, sert aujourd’hui de réservoir de militants aux autres formations politiques. Aujourd’hui en Guinée, la prolifération des partis politiques est loin d’être l’expression du libre exercice de la démocratie. Au contraire elle traduit la propension à l’indiscipline, à l’anarchie et développe des instincts grégaires qui ne sont pas forcément des facteurs de promotion de l’État de droit et de démocratie. En réalité, elle crée plus de problèmes qu’elle n’en résout. Par exemple lors des dernières élections présidentielles, la Guinée comptait plus de 150 partis dont 42 avaient présenté des candidats à la Magistrature suprême. La Cour Suprême en a retenu 24. Il est aisé d’imaginer les difficultés d’organisation d’un scrutin dans un pays où l’analphabétisme est encore criard. Que ferait ma grand-mère devant 24 bulletins de vote avec photos des candidats, quand elle peut à peine me dévisager entre trois images ? Combien de votants sont sûrs de glisser dans l’enveloppe le bulletin du candidat de leur choix ? Imaginez la place le hasard dans ce genre de scrutin quand vous aurez éliminé les bulletins nuls en nombre impressionnant ? Dans ces conditions, l’élu est-il vraiment le choix du peuple ? Aussi, faut-il le souligner, la pléthore de partis politiques compromet dangereusement la recherche de consensus pour certains problèmes que la loi ne saurait résoudre à souhait. En cause, l’intransigeance parfois absurde de petits partis qui, la plupart du temps, se réduisent à leur « leader ». Toute leur bataille face aux vieilles et grandes formations, c’est de montrer qu’ils existent eux aussi. Rejetant toute préséance, ils mettent toujours en avant leur sacré principe selon lequel un parti politique en vaut un autre. Si cela est vrai du point de vue de l’agrément qu’ils obtiennent du reste sans effort, il ne l’est pas du point de vue de l’expérience, la couverture territoriale, l’importance de l’électorat, des ressources ainsi que de l’image du leader. C’est d’ailleurs cet égalitarisme arrogant et absurde qui explique les difficultés rencontrées par les 42 partis politiques agréés lors de la mise en place par de la première Commission Électorale Nationale Indépendante (CENI) de 25 membres. Chacun voulant absolument y figurer, il aura fallu six mois 167
pour y parvenir. Récemment, au mois d’octobre 2012, pour éviter de retomber dans le même scénario au moment de la recomposition paritaire de la même CENI avec 165 formations politiques, le Pouvoir Central a dû imposer d’autorité une répartition des postes de commissaires. Il n’y serait du reste jamais parvenu sans incident. Les difficultés de dialogue au temps du général Lansana Conté sont en grande partie redevables à cette configuration pléthorique et hétéroclite de la classe politique guinéenne. Ce dernier en avait souverainement ignoré l’existence. Le déficit de dialogue entre cette classe politique et le pouvoir a fait que les scènes d’affrontements violents et parfois meurtriers se sont substituées à la confrontation d’idées et d’opinions. La mouvance présidentielle ayant perdu la notion du partage voulait (et le veut encore aujourd’hui) tout pour elle seule, poussant ainsi constamment l’opposition dans les épreuves de rue. De nos jours, le Rassemblement du Peuple de Guinée (RPG) du Président Alpha Condé, loin de soigner la maladie infantile de la démocratie guinéenne, en l’occurrence le refus du dialogue, semble plutôt enclin à reproduire les vieux clichés qui ont fait la mauvaise réputation de la gouvernance politique d’hier. Il est bien temps de promouvoir la culture démocratique en Guinée si on veut réellement tourner le dos à celle de la revanche, de l’intolérance et de la violence.
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Mgr Tchidimbo
Mgr Robert Sarah et le Pape Jean-Paul 2 en 1992 à Conakry
4. Les Institutions républicaines Il faut rappeler qu’à la prise du pouvoir le 3 avril 1984 par l’Armée, les Institutions républicaines avaient été toutes, soit suspendues soit dissoutes. Avec l’annonce aux Guinéens d’un nouveau projet de société, les nouvelles autorités ont cru devoir les réhabiliter tout en les réadaptant à leurs préoccupations. Ainsi, seront tour à tour reconstitués la Cour Suprême, le Conseil National de la Communication et le Conseil Économique et Social. À propos de la Cour Suprême, les nouvelles autorités y ont tenu à juste raison parce qu’elles sont convaincues qu’il n’y a pas de démocratie véritable sans une justice qui se respecte et qui sache se faire respecter et sans également une police formée à servir la légalité en tout lieu et en toute circonstance. S’il est vrai que l’État est le seul à faire usage légal de la violence, il ne doit cependant pas en abuser. Cette démocratie serait infirme si elle n’intégrait pas à son arsenal réglementaire un organe de régulation des moyens de communication et d’information destinés à l’éducation politique et à l’initiation à une culture de la vérité et de la paix. Car, il n’y a pas de liberté sans une information objective, pas de débat démocratique sincère sans que soit sollicité l’esprit critique des 169
citoyens. Cependant, en dépit de la volonté affirmée du CMRN de promouvoir la liberté de presse, il faut déplorer qu’il en ait limité l’application. En effet, s’il y a eu prolifération de titres au niveau de la presse écrite, la libéralisation des radios et télévisions privées a été quasiment impossible. En accordant sa préférence à la presse écrite, le général Lansana Conté était assuré que le taux d’analphabétisme en limiterait la consommation. Très peu liraient les attaques qui lui seraient adressées ainsi qu’à son régime. Prenant acte de l’exemple de la « Radio mille collines » du Rwanda que ses conseillers lui ont présentée à tort comme conséquence de la libéralisation des ondes172, Lansana conté disait toujours craindre que son pays ne brûle par la faute des radios privées. Bien que tardivement, Lansana Conté a pensé à la création du Conseil Économique et Social dans la perspective de donner l’opportunité à toutes les catégories socioprofessionnelles de collaborer, d’échanger entre elles et surtout de donner leurs avis sur des questions qui font l’objet de préoccupation de l’État. L’occasion leur est ainsi offerte de participer, au nom de leurs mandants respectifs, à la gestion concertée de la vie publique. En effet, annoncée depuis 1990 par la Loi Fondamentale, la mise en place du CES ne sera effective qu’en 1997quand le Président Lansana Conté eut besoin de réparer le tort fait à un de ses ministres, en l’occurrence Michel Kamano, injustement démis de ses fonctions sur conseil de son entourage et pour lequel il fallait trouver un point de chute. Il ne trouva pas mieux que de dépoussiérer les textes de cette institution qui attendaient depuis longtemps d’être mis en œuvre. Mieux vaut tard que jamais, dit-on. Le CES est en fait une Assemblée consultative chargée d’émettre des avis, suggestions ou recommandations sur les dossiers d’État qui lui sont soumis par le Président de la République ou par le Président de l’Assemblée Nationale. Son existence est une garantie supplémentaire d’une gestion démocratique dé la République, même si parfois, le général Lansana Conté s’en passait souverainement en dépit de la pertinence de ses recommandations.
172
La « radio mille collines » n’était pas une radio privée, mais une station nationale.
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Assemblée Nationale
Saïfoulaye Diallo
Léon Maka
Damantang Camara
Conseil Économique et Social
A. Biro Diallo
Aboubacar Somparé
Michel Kamano
Cour Suprême
Lamine Sidimé
Alphonse Aboli
171
Mamadou S. Sylla
Conseil National de la Communication
Émile Tompapa
Boubacar Yacine Diallo
Tibou Kamara
Mohamed Mounir Camara
Jean-Raymond Soumah
Martine Condé
Cependant, la simple création de ces Institutions républicaines en soi ne suffisait pas à donner naissance à l’État de droit et de démocratie promis au peuple de Guinée, surtout que le général Lansana Conté parlait beaucoup plus de démocratie qu’il ne la pratiquait. Ces institutions ne seront d’utilité publique que lorsqu’elles seront mises à la disposition d’un président de la République démocratiquement élu qui devra en faire usage conforme aux stipulations de la Constitution. Or, c’est seulement le 19 décembre 1993 que la première élection présidentielle tant revendiquée eut lieu. Ce qui signifie que du 3 avril 1984 à cette date, la Guinée vivait sous un régime d’exception, période au cours de laquelle, Lansana Conté et le CMRN n’obéissaient à aucun interdit démocratique, en dépit de toutes les dénonciations et réclamations de la classe politique. Le Président-paysan ignorait que la démocratie est d’abord une exigence 172
avant d’être une recette. L’attente fut longue et émaillée de nombreux incidents dus au refus de dialogue avec les principaux acteurs politiques.
II. Le Général Lansana Conté à l’épreuve de la démocratie La première élection présidentielle devait confronter le GénéralPrésident aux principes de l’État de droit et de démocratie qu’il a jusque-là accepter sans en connaître la matérialité. En clair, il s’agissait pour lui de lier la théorie à la pratique. Réussira-t-il son examen de passage suivant les règles de l’art ? Rien n’est moins sûr. Car, édifier une société plurielle sur les cendres d’un parti unique qui a eu 26 ans d’expérience n’est pas donné à priori. Ainsi, entre-t-il le 19 décembre 1993 en compétition avec sept autres candidats, à la conquête de la Magistrature suprême, chacun devant faire valoir le projet de société défendue par sa formation politique. Pour la première fois en Guinée, des partis politiques sont ouvertement opposés au pouvoir en place, en dépit des œillades d’intimidation. Après un premier tour très laborieux pour le pouvoir du général Lansana Conté qui n’avait pas l’habitude du partage de son autorité, les résultats s’acheminaient inexorablement vers un second tour devant l’opposer à Alpa Condé, sa bête noire. C’est la frayeur dans les couloirs du Ministère de l’Administration du Territoire en charge des élections dont le locataire connaissait les exigences du candidat sortant, en l’occurrence, une victoire au premier tour. Instruction est alors donnée à cet effet et le dépouillement qui avait pourtant bien commencé dans la transparence sous caméras de la télévision nationale, fut subitement arrêté et Lansana Conté proclamé vainqueur avec un score aménagé de 51,70 %. Toutefois, la percée d’Alpha Condé à l’issue de ce scrutin ne laisse pas tranquille le vainqueur. Les législatives qui devaient permettre la mise en place de la première Assemblée nationale pluraliste post indépendance furent truquées à dessein : Prouver à la face du monde que le général Lansana Conté était fort et populaire. Ces élections devaient permettre au parti de la mouvance présidentielle, une entrée en force à l’Assemblée nationale avec l’intention d’y modifier à souhait, les textes fondateurs de la République. Comme il fallait s’y attendre, toutes ces échéances 173
électorales, sans exception, ont été entachées d’irrégularités défiant le bon sens : Abus d’autorité de la part des militaires, manipulation de la jeunesse désœuvrée et jetée dans les rues contre les opposants, graves dérapages des services de maintien d’ordre, destruction d’édifices publics et privés, arrestations, enfermements et parfois des pertes en vies humaines, furent monnaie courante. L’opposition en prit acte, mais ne parvint pas à s’organiser pour contenir les excès du pouvoir. C’est non sans raison que le pouvoir de Lansana Conté se radicalisa de plus en plus et continua d’agir en toute liberté, rejetant toujours à plus tard, la mise en œuvre de l’État de droit pourtant annoncé en fanfare par le Discours-programme du 22 décembre 1985. Bien que victorieux, le pouvoir de Lansana Conté sera fortement éprouvé au cours de son premier mandat par des mouvements sociaux ainsi qu’une mutinerie les 2 et 3 février 1996 qui a failli l’emporter. De simple revendication d’arriérés de soldes, le mouvement prit rapidement une tournure politique. Conté fut momentanément isolé et extrait de force de son palais pour le camp Alpha Yaya où il fut contraint de signer des engagements en échange de sa libération. Il ne devra son salut qu’au désaccord entre officiers mutins à propos de la désignation du titulaire du fauteuil présidentiel en cas de succès. Remis en selle par une partie des soldats loyalistes opposés au projet des officiers, Conté se prépare à affronter un second mandat, celui de 1998. Mais il n’oublie pas qu’Alpha Condé rôde dans les parages du pouvoir et s’organise à le lui enlever par tous les moyens. À ces élections du 14 décembre qui furent aussi controversées que les premières, le Président Conté n’hésite pas à faire arrêter et emprisonner arbitrairement son concurrent, l’Honorable Alpha Condé, avant même la proclamation des résultats du scrutin et ce, en violation flagrante de son immunité parlementaire, aux motifs de « non-respect du décret présidentiel interdisant les mouvements de personnes le jour du scrutin et sortie frauduleuse de devises étrangères ». Comme on le voit, les griefs sont si légers qu’ils cachaient à peine la volonté affichée de Lansana Conté d’en découdre avec celui qui menace la sécurité de son fauteuil. Alpha Condé passera 28 mois derrière les barreaux et ne devra son élargissement qu’après les interventions personnelles du Président français Jacques Chirac qui, profitant d’une tournée ouest-africaine, fit une escale spéciale à cet effet à Conakry et de Mgr Robert Sarah, Archevêque de Conakry d’alors qui interpela publiquement le général Lansana Conté à propos. Mais cela n’empêcha pas un procès de plus de cinq mois qui condamna Alpha à 174
cinq ans de prison ferme, avant d’être gracié le 18 juin 2001. Par ailleurs, en prévision des échéances ultérieures, Conté avait fait assortir la condamnation de la perte de l’exercice des droits civiques. Le fait qu’Alpha Condé soit hors-jeu pour les présidentielles suivantes rassure le vieux Général. Dans la foulée, le PUP majoritaire à l’Assemblée, organise le tripatouillage de la Constitution qu’il soumet à référendum en novembre 2001. Celle-ci, adoptée à 98,4 %, modifia la durée et le nombre des mandats. Ces élections sont vivement contestées par l’opposition nationale et la Communauté internationale. À noter qu’avec la nouvelle Constitution, le mandat passe de cinq à sept ans renouvelable à l’infini, ouvrant ainsi la voie à une présidence à vie qui ne disait pas son nom. Conté est déjà bien malade, mais ne l’avoue pas. Il se fait soigner clandestinement au détour de chacune des rares sorties à l’Étranger. C’est dans cette ambiance que sont organisées pour la seconde mandature, les Législatives du 30 juin 2003 qui voient la victoire renouvelée du PUP. Il remporte 84 sièges sur 114. Les Présidentielles qui suivirent le 21 décembre 2003 le seront également, face à un candidat que Lansana s’était « octroyé », en l’occurrence Mamadou Boye Barry de l’UNP. Il triomphera sans gloire avec un score à la « soviétique » de 95,63 %. Les principaux opposants, Bâ Mamadou, Sidya Touré, Alpha Condé et Jean-Marie Doré ont quant à eux, opté pour le boycott, à la fois pour dénoncer le tripatouillage de l’article 24 de la Constitution173 et s’opposer à la candidature d’un grand malade174. Au fil de cette série d’élections toujours gagnées par le pouvoir en place, émerge et se cristallise un phénomène qui couvait depuis bien longtemps : l’ethnocentrisme qui semble devenir un leitmotiv politique en Guinée. En effet, souligne Monseigneur Robert Sarah, « en considérant que le fait qu’en Afrique, l’exercice du pouvoir ne se conçoit pas en terme d’alternance politique, mais en terme d’alternance ethnique, ne peut-on pas comprendre que le reflux naturel, porte chaque Guinéen à se chercher refuge dans la solidarité ethnique ? Aujourd’hui en Guinée, l’exploitation idéologique des conflits ethniques prend forme et se structure au fil des évènements. Ainsi, le multipartisme intégral, processus normal de tout système démocratique sert-il de tremplin pour la reconstitution des solidarités ethniques à travers des associations régionales, préfectorales et sous-préfectorales 173 174
Cet article porte le mandat de cinq à sept ans, renouvelable autant de fois que possible. Lansana Conté était si malade qu’il a dû voter assis dans sa voiture.
175
que le pouvoir agrée sans trop souvent de précautions particulières »175. Force est de constater que toutes les Institutions républicaines tant réclamées et mises en œuvre n’ont hélas pas permis à la Deuxième République de fonder l’État de droit et de démocratie tant attendu. Autrement dit, les Guinéens restés sur leur faim ne purent oublier les affres du système totalitaire de la Première République et les infortunes de l’État d’exception du régime de Lansana Conté. Cependant, l’existence de ces institutions n’était mauvaise en soi d’autant plus qu’un jour ou l’autre, il s’agira de les dépoussiérer et d’en assurer l’opérationnalisation. En attendant, Lansana Conté continue à diriger le pays à sa guise. Aucun contre-pouvoir n’en limite les abus. En effet, « au pouvoir depuis le 3 avril 1984, Conté est un homme solitaire qui gouverne la Guinée. D’abord tous ses ex-camarades du Comité Militaire de Redressement National (CMRN) ont, avec des fortunes diverses, disparu de son entourage pour laisser la place à un président qui a une conception militaire du pouvoir. »176 La première victime de cette politique d’éviction fut le colonel Diarra Traoré. Suspecté à tort ou à raison de vouloir organiser un coup d’État, Diarra Traoré fut d’abord rétrogradé du poste de Premier ministre à celui de ministre d’État à l’Éducation Nationale avant d’être placé sous la haute surveillance des services spéciaux du non moins célèbre flic Hervé Vincent Bangoura. Ces derniers parviennent en un temps record à monter et exécuter un scénario qui fut fatal à l’officier en rupture de confiance avec son mentor. C’était dans la nuit du 4 au 5 juillet 1985, soit moins de 15 mois seulement après l’avènement du CMRN au pouvoir. Son arrestation et son exécution ont créé un climat de terreur panique sans précédent au sein de la communauté malinké qui vit son élite militaire et politique décimée177. Aussi, leurs domiciles privés, leurs boutiques et autres magasins furent-ils vandalisés sinon purement et simplement détruits. Loin de calmer le jeu et chercher à consoler les victimes, c’est plutôt le rébarbatif « WO FATARA »178 qui vient assommer les derniers espoirs d’une communauté déjà suffisamment fragilisée et traumatisée. Et comme si cela ne suffisait pas, Conté ajoute : « Que ceux qui veulent intervenir au nom des droits de l’homme, se hâtent, car 175
Déclaration des Évêques de Guinée le 29 août 1993. Matalana, N° 17, janvier-février 2009. 177 Voir liste en annexe. 178 En langue nationale Soussou signifie « vous avez bien fait ! ». 176
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demain sera trop tard »179, confirmant ainsi, s’il en était besoin, qu’il était parfaitement au courant de la liquidation anticipée des présumés putschistes de Kindia.180 En tout état de cause, il n’aura rien fait pour limiter les excès et préserver la paix civile et l’unité nationale. Depuis, les relations entre Soussou et Malinké prirent un sérieux coup. Nombreux sont les Malinké qui furent arrêtés, torturés et/ou détenus arbitrairement, s’ils ne sont pas purement et simplement liquidés. Bien de survivants ont tout perdu et vivent encore malheureux du fait de leur appartenance ethnique. Désormais, Lansana Conté est seul maître à bord.
III. Lansana Conté ou le pouvoir sans partage D’après ceux qui ont été ses proches collaborateurs, Lansana Conté avait une perception « africaine » du pouvoir. C’est-à-dire que le chef a non seulement le pouvoir, mais il est le pouvoir. Il pense faire ce qu’il veut, quand il le veut, comme il le veut et à qui il le veut. Tel quel, Conté n’était pas l’homme qu’il fallait pour une gestion démocratique du pouvoir qui lui avait échu le 3 avril 1984. Les propos et les actes posés indiquaient clairement que pour lui, président de son état, ses desiderata ne devaient être que des ordres. Beaucoup plus enclin aux injonctions qu’aux échanges constructifs, Lansana Conté en faisait à sa tête, quoique cela puisse lui en coûter. Par exemple, lorsque pendant les graves crises, il lui était suggéré de recevoir et d’écouter les contestataires censés être ses interlocuteurs incontournables, il répliquait sans ambages : « Je ne dialogue pas. Je commande. Personne ne discute avec moi tant que je suis Président. Je ne fais pas de dialogue avec quelqu’un. Je dois vous botter les fesses si vous me manquez de respect, car je suis plus âgé que vous ; c’est ça notre tradition »181. Cette tradition, il la voulait pure et dure. Comme on peut l’imaginer, de telles déclarations ne laissent place à aucune préoccupation d’un État de droit et de démocratie chez le chef de l’État. D’ailleurs on constatait qu’il prenait de plus en plus des 179
Discours prononcé au retour du Sommet de la CEDEAO de Lomé le 05/07/85. Voir la liste des exécutions sommaires de Kindia en annexe. 181 David Grand in Matalana, Hors série, N°1 Guinée, Pp. 78-79. 180
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distances vis-à-vis du Parti de l’Unité et du Progrès (PUP), son propre parti, se plaisant de dire à qui voulait l’entendre que « Je ne suis pas un politicien. Je suis un militaire et Général, chef d’armée. Donc moi j’ordonne et on m’obéit.»182 S’agissant de ses indélicatesses avec les finances publiques, il ne se gênait nullement de rétorquer que « Je ne vole pas le budget de l’État, je prends. »183 Aussi, confirmait-il luimême sa propension à une gestion autocratique du pouvoir lorsqu’il avouait publiquement que « Je décide et je dirige seul. »184 Quand il lui a été reproché de s’être rendu en personne à la maison centrale pour y extraire, sans aucune procédure judiciaire, son ami El hadj Mamadou Sylla185 épinglé par un audit pourtant commandité par lui-même, Conté lança sans scrupule : « La justice, c’est moi ! » La justice, c’était véritablement lui, parce que bien de procès en cours d’exécution furent définitivement abandonnés sur ses simples instructions. Ces propos souvent accueillis par des éclats de rires de son auditoire étaient pourtant très sincères. Exprimés sans le moindre humour, ils traduisaient le vrai personnage de Lansana Conté, sa pensée profonde et sa conviction intime vis-à-vis du pouvoir. Car le GénéralPrésident n’avait pas la culture démocratique, dira un jour El hadj Boubacar Biro Diallo, Président de l’Assemblée nationale. Il faisait pour ainsi dire, de la démocratie sans sa référence suprême, c’est-à-dire le peuple. D’ailleurs il avait fini par s’en éloigner dès l’instant où il a compris qu’en démocratie, quelqu’un d’autre pouvait lui objecter, lui Président de la République. C’est ainsi que petit à petit, il glissa vers une gestion dictatoriale du pays, défiant à tout bout de champ la classe politique, les syndicats et la société civile. Il n’y a pas de doute que la conception « africaine» du pouvoir chez Lansana Conté ne s’accommodait pas des principes qui fondent l’État de droit et de démocratie. C’est d’ailleurs pour cette raison qu’il organisa un référendum constitutionnel pour s’octroyer des pouvoirs exorbitants lui permettant de gouverner sans aucun recours possible. Ainsi, institua-ton sur sa demande, la nomination des chefs de quartiers et de districts 182
Ibidem. Ibidem. 184 Ibidem. 185 Mamadou Sylla est un opérateur économique d’origine Diakanké au domicile duquel Conté se rendait régulièrement au point même d’y recevoir des délégations étrangères. 183
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au lieu d’une élection, tout comme il fit sauter le verrou de la durée et du nombre de mandats en vue d’une présidence illimitée. Ce sont là autant d’ingrédients qui ont incontestablement engendré les nombreuses et inutiles crises sociales et des mutineries à répétition, même si certaines de ces dernières n’étaient pas toujours fortuites. En effet, nombre de mutineries servaient bien plus à lui rappeler de temps en temps le deal passé avec certains officiers qu’à le faire partir du pouvoir. Ces derniers qui étaient convaincus qu’en le protégeant, sauvegardaient implicitement un pouvoir qu’ils attendaient de récupérer sous peu, n’hésitaient pas à réprimer avec la dernière énergie et parfois dans le sang, tout mouvement social ou politique hostile au régime. Le Général qui était consentant ne disait pas mot. Entre 2003 et 2005, les leaders Jean-Marie Doré, Bâ Mamadou, Sidya Touré186 et tant d’autres, l’auront appris à leurs dépens. Pour avoir dénoncé les dérives d’un président déjà très malade, ils ont été purement et simplement embastillés sans autres formes de procès. C’était le recul et l’assombrissement de l’horizon démocratique en Guinée. Cependant, la lutte devait continuer. Alors que sur le marché, les prix du riz et du carburant flambaient sans commune mesure, les nombreuses grèves ainsi que les répressions aveugles qu’elles ont très souvent occasionnées, affaiblirent considérablement le régime militaire. La Communauté internationale à travers les organisations des droits de l’homme, condamna de façon vigoureuse et unanime ces violations. Malgré tout Lansana Conté reste droit dans ses bottes. Il annonce en octobre 2006 qu’il ira jusqu’au terme de son mandat finissant en principe en 2010. À bout de patience, le Mouvement social guinéen, les Syndicats et la Société Civile vont s’impliquer fortement et imprimer une nouvelle dynamique au combat pour le droit et la démocratie jusque-là mené par la classe politique seule. En dépit du déclenchement d’une nouvelle grève illimitée de janvier-février 2007, Conté plie, mais ne rompt pas. La pression populaire s’accentue de jour en jour tout comme la répression qui en découlait. Pour calmer le jeu, il limoge son Ministre-Secrétaire général à la Présidence, Fodé Bangoura à l’époque très controversé, mais en vain. Les syndicats exigent et obtiennent la nomination d’un Premier ministre, chef de gouvernement avec lequel ils estimaient pouvoir 186
Tous les trois ont fait la prison pour des griefs politiques.
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dialoguer désormais. Malheureusement, le premier choix qui porta sur un de ses fidèles, Eugène Camara, provoqua une réprobation généralisée dans tout le pays. Du jamais vu en Guinée. Le calme ne reviendra qu’avec la nomination d’un Premier ministre de consensus, en la personne de Lansana Kouyaté. Ce dernier, plein d’initiatives se trouvera très tôt muselé par l’entourage du chef de l’État qui ne tardera pas à le virer. À vrai dire, Conté ne comprenait et ne contrôlait presque plus rien. Le 5 avril 2007, il dut se délester d’une partie de ses charges en confiant le portefeuille de la Défense qu’il détenait jusque-là au général Arafan Camara, alors chef d’État-major général des armées, mais garde toujours la haute main sur les affaires publiques par le truchement de son Ministre-Secrétaire général à la Présidence dont il renforce les prérogatives au préjudice du Premier ministre. C’est dire que même déjà impotent, Conté n’entendait pas partager son pouvoir. Considérablement diminué par la maladie et qui plus est grabataire, il va devoir gérer en mai 2008 une nouvelle mutinerie relative aux arriérés de soldes des soldats. Comme toujours, il parvient à conserver son fauteuil avec la complicité d’une frange de l’armée qui n’entendait pas précipiter la fin du règne d’un général pratiquement à l’article de la mort. Il était de notoriété que le Général-Président ne consultait personne, même pas les Institutions républicaines dont il feignait d’ignorer les rôles. Hostile aux idées et conseils reçus, le Président Conté clamait fièrement qu’il n’aime pas qu’on lui dicte une position, fût-elle bonne et qu’il était le seul chef d’État au monde à n’avoir pas de conseillers. Allez comprendre le reste ! Il ne restait plus aux Guinéens qu’à se désillusionner, parce que Lansana Conté ne semblait pas disposer à les conduire vers l’État de droit auquel ils rêvent tant. Le général Lansana fut incontestablement un chef d’État dont le pouvoir, solidement construit sur le mépris souverain des partis et des débats politiques, avait ankylosé la classe politique et intellectuelle du pays. Cependant, il faut louer l’attitude très courageuse du Président de l’Assemblée nationale, El hadj Boubacar Biro Diallo qui, bien que du même bord politique que lui, n’hésitait pas à le lâcher et à dénoncer ses
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comportements anti-démocratiques. Il fait partie des rares Guinéens187 à oser le braver publiquement. Un jour, exaspéré par ses dérives autoritaires, il le lui fit savoir sans langue de bois en ces termes : « Le système politique auquel nous avons tous appartenu par le passé sous Sékou Touré est désormais révolu, souligne-t-il. Il n'a été ni politiquement bon, ni économiquement efficace. Vouloir le maintenir sous une simple façade démocratique, tout en continuant à user des pratiques, des méthodes et réflexes d'antan, est plus qu'une erreur, une faute majeure à laquelle je ne saurais m'associer. »188 Cette position tranchée du Président de l’Assemblée nationale et Secrétaire général du parti présidentiel contre les incongruités de Lansana Conté, lu valut d’en être exclu. Prenant acte de son exclusion, il déclara à son ancien allié : « L'histoire nous départagera en jugeant nos actes avec plus d'objectivité, souligne-t-il à propos des accusations qui ont entraîné son éviction du parti. Entre ceux qui condamnent la torture, les violations multiples des droits de l'homme, les arrestations et les détentions arbitraires, la corruption, les injustices de tous ordres et ceux qui, au nom de la raison d'État, se taisent sur ces crimes abominables, l'histoire dira qui a tort et qui a raison. »189 Il n’y a pas de doute que l’exprésident de l’Assemblée nationale avait vu et dit juste. Car, l’image que le régime militaire de Lansana Conté a laissée de la Guinée fut des moins enviables du monde : Chômage invétéré, pauvreté endémique, Concussion éhontée, trafic d’influence, abus d’autorité, corruption galopante, graves violations des droits de l’homme, le tout couvert par une impunité souveraine. La Guinée qui dispose de tout pour être une nation riche et prospère figure encore paradoxalement parmi les plus pauvres de la planète. De nos jours, certains observateurs guinéens, ses thuriféraires notamment, persistent à croire que le général Lansana Conté était un démocrate. L’était-il réellement ? Rien n’est moins sûr. Car, nombreux 187
En dehors de quelques politiciens qui avaient l’habitude de dénoncer ouvertement le général Lansana, il faut citer Khaly Bah, un citoyen handicapé moteur qui recensait de façon exhaustive et publiait tous les actes illégaux qu’il posait : enrichissement illicite, patrimoine immobilier indu, nominations sur des bases ethnocentriques dans le civil comme dans l’armée, violation des droits de l’homme, etc. Il était véritablement les yeux et les oreilles des sans voix. 188 Site déjà cité. 189 Ibidem.
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actes posés par et sous sa gouvernance ont souvent produit des apparences d’un État de droit, c’est-à-dire une fumée de démocratie. Autrement dit, il peut arriver que la démocratie se confonde parfois avec la simple existence d’institutions démocratiques sans que la démocratie ne soit institutionnalisée. On l’aura vu avec Lansana Conté qui, après avoir créé les Institutions républicaines symboliques, organisait régulièrement des élections concurrentielles, formellement ouvertes et apaisées, mais qui étaient outrancièrement inéquitables et profondément déloyales. Tenez ! Dans toutes les consultations électorales organisées sous la Deuxième République, le PUP à lui seul s’offrait à la fois l’appui des institutions de l’État (judiciaires, administratifs, militaires, etc.) et de celui des groupes de pression les plus en vue du pays (opérateurs économiques, coordinations régionales, marabouts et autres mouvements de soutien). Au même moment, les autres concurrents manquant presque de tout, arrivaient à peine à payer leur caution, sans compter les difficultés d’accès aux médias d’État et aux espaces publics pour leurs meetings. Les autorités à tous les niveaux leur créaient toutes sortes d’entraves sur le terrain et les subventions qui leur étaient octroyées étaient dérisoires. Cela a toujours permis au PUP d’être une super puissante formation politique qui faisait corps avec l’État, à l’image du Parti-État de la Première République. Les Guinéens garderont longtemps en mémoire les campagnes à l’américaine, organisées par le PUP sous la houlette d’un certain Fodé Soumah, « Parrain national ». Ce dernier avait à sa disposition, toutes les ressources humaines, financières et matérielles de l’État guinéen. Que d’associations créées et financées par les ressources du contribuable guinéen pour soutenir, dit-on, les actions du gouvernement, à l’image du MORELAC, du MOSALAC et du COSALAC. Pendant de longues semaines, les cadres ainsi mobilisés devaient, toutes activités cessantes, magnifier les « réussites » du PUP et de son président à travers des caravanes, concerts, matchés de football, soirées de gala, etc. Dans une telle prédisposition, le PUP ne pouvait pas ne pas damer le pion à ses adversaires. Ainsi, sans surprise, il était vainqueur aux présidentielles, aux législatives, aux communales et aux communautaires. S’il y avait des sénatoriales, il les aurait raflées sans aucun doute. On comprend dès lors que sous Lansana Conté, les apparences démocratiques avaient masqué une dictature militaire silencieuse et des plus féroces d’Afrique. On ne résisterait pas à la tentation de se demander comment des leaders de l’envergure de Bâ 182
Mamadou de l’UNR, Alpha Condé du RPG, Siradiou Diallo de l’UPR et Jean-Marie Doré de l’UPG, si intelligents et pétris d’expérience, ont pu croire un seul instant pouvoir battre Lansana Conté dans un environnement qui leur échappait complètement, au point de continuer à participer indéfiniment à toutes les consultations électorales sans en changer les règles du jeu ? Faut-il saluer leur optimisme béat ou plaindre leur amateurisme naïf ? Ou alors, faut-il donner raison à un des leurs, l’Honorable Jean-Marie Doré qui pense que l’opposition guinéenne est la plus bête d’Afrique ? Le ridicule dans tout cela, c’est que ce militaire qui passait pour un analphabète politique, a réussi la prouesse d’envoyer presque toutes ces grosses têtes en prison, sans la moindre réaction de rue. En tout état de cause, leur persévérance plusieurs fois renouvelée aura encouragé le Président-paysan à se conforter dans ses illusions de grand démocrate, image que ses admirateurs ont conservée et qu’ils cherchent aujourd’hui à vendre auprès de ceux-là qui l’ont peu ou pas pratiqué. Malheureusement, aux dernières élections présidentielles du 28 septembre 2013, cette image n’a pas trouvé de preneurs, les candidats du PUP ayant perdu à l’unique tentative de liste nationale. Une Assemblée nationale sans le PUP en Guinée est la meilleure appréciation par le peuple de cette formation politique à laquelle on voudrait continuer à conférer charme et noblesse. Il ne pouvait en être autrement, parce qu’à vrai dire, le Parti de l’Unité et du Progrès a été beaucoup plus une grosse machine électorale qu’un parti politique. Il a disparu comme il a existé.
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Mamadou Bâ
Alpha Condé
Siradiou Diallo
Jean-Marie Doré
Les artisans de la culture démocratique des années 90 en Guinée
IV. Lansana Conté, un chef atypique Malade depuis le milieu des années 90, le général Lansana Conté a pratiquement arrêté d’honorer les hautes charges pour lesquelles il a été élu, vers la fin de l’an 1999. Le vide ainsi créé a favorisé l’émergence sur la scène politique d’un groupe d’« hommes forts » ou de « femmes puissantes » du régime, à l’image du Ministre-Secrétaire général à la Présidence, du Chef du Protocole d’État, de ses nombreuses épouses, etc., qui agissaient en lieu et place de l’élu de la Nation. « En réalité, il avait cessé de gouverner depuis l’an 2000, ne mettait plus les pieds dans son bureau, arbitrait les affaires de l’État assis sous le fromager du Palais des Nations, passant, pour le reste, l’essentiel de son temps entre ses quatre épouses »190, témoigne un de ses chefs du protocole. Coupé des réalités de son administration et évitant de partager son pouvoir, Conté préférait traiter beaucoup plus avec l’informel qu’avec les institutions de la République qu’il ne recevait d’ailleurs que quand il le désirait. Il n’était pas rare de trouver par exemple le Président de l’Assemblée Nationale ou le Président du Conseil Économique et Social en train de somnoler dans le salon, attendant d’être reçus par le chef de l’État, alors qu’ils sont ses premiers conseillers institutionnels. Ses ministres aussi, pour quelle que raison que ce soit, ne pouvaient le 190
Ibidem.
184
rencontrer que sur rendez-vous âprement négocié avec le Protocole d’État. Certains pouvaient passer des mois de démarches avant d’arracher le précieux sésame. À quoi serviraient alors de tels ministres censés être des collaborateurs directs, mais qui malheureusement, doivent au préalable consulter les oracles pour savoir quand et comment rencontrer leur hiérarchie ? Au rang des relations informelles les plus puissantes et les plus sollicitées sous Conté, on comptait des opérateurs économiques locaux et étrangers tels que les Guinéens El hadj Mamadou Sylla et El hadj Diallo Sadakadji, l’Italien Guido Santullo191, le Chinois Kim192, etc., ses nombreuses épouses, quelques rares ministres et élus locaux de sa contrée natale dont El hadj Almamy Fodé Sylla et El hadj Sèkhouna Soumah, Maire de la Commune Rurale de Développement (CRD) de Tanènè (Dubréka). Aussi, faut-il ajouter à ces relations, de nombreux mouvements de soutien et groupements associatifs de jeunes, de femmes et autres travailleurs du secteur informel, tous aveuglement voués à lui, monnayant leurs prestations tintamarresques contre espèces sonnantes et trébuchantes. Ces derniers sont constamment sollicités par le pouvoir pour contrer toutes les actions de contestation ou de revendication de la classe politique ou des syndicats. Ils ont les initiatives des marches de soutien, des meetings grandioses d’allégeance et autres manifestations tonitruantes de rue en vue d’appuyer les actes impopulaires que pose ou veut poser le chef de l’État. Et à ce dernier de mettre le prix. Cette cohorte d’agitateurs qui bénéficiaient de ses libéralités, lui donnait la fausse impression d’être un président très populaire pouvant se passer du soutien de son propre parti politique, le PUP ou défier ses adversaires politiques. Des sommes faramineuses étaient débloquées des caisses de l’État pour leur financement. Quant à leurs responsables, ils étaient assurés d’être un jour ou l’autre, promus à de hautes fonctions administratives nationales. Toutes choses qui rendaient plus intéressant d’appartenir à un mouvement de soutien que d’être militant ou responsable du PUP. Nous l’avons constaté en leur temps avec les MOSALAC, COSALAC, MOREALAC193, etc., dont les principaux animateurs se sont retrouvés 191
Santullo est le propriétaire de la Cité Chemin de fer à Conakry. Kim est le propriétaire de la société Forêt Forte basée à Nzérékoré. 193 Mosalac : Mouvement de soutien a Lansana Conté ; Cosalac : Comité de soutien à Lansana Conté ; Morelac : Mouvement pour la Réélection de Lansana Conté. 192
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ministres, ambassadeurs, secrétaires généraux ou chefs de cabinets des départements ministériels ou préfets, etc. Cet état de fait amène à poser la problématique des mouvements de soutien en Guinée dont nous parlerons plus loin. Mais d’ici-là, il faut dire que le général Lansana Conté croyait tellement en ses relations informelles locales qu’il ne se souciait point d’en disposer en dehors de la Guinée. Aussi curieux que cela puisse paraitre, Lansana Conté n’avait pas d’amis parmi les Chefs d’État en Afrique ou ailleurs, à l’exception de Nino Vieira qu’il a connu dans le maquis de Guinée-Bissau. Il ne voyageait presque pas ; n’était préoccupé par aucun dossier sousrégional, régional, africain ou international ; n’était sollicité par aucune médiation internationale et n’était intéressé par aucun précarré occidental. Bref, c’était du Conté pour la Guinée et la Guinée pour Conté, une autarcie qui ne pouvait pas ne pas nuire à la crédibilité du régime ainsi qu’à la promotion de sa diplomatie, toutes choses hautement préjudiciables au développement national. Au-delà, il faut cependant louer des qualités qui le distinguaient des autres chefs d’État africains dont la plupart sont aujourd’hui rattrapés par un ensemble de scandales y afférant. En effet, à en croire la presse locale restée muette à ce sujet et à la différence de ses pairs africains, Lansana Conté n’avait pas de comptes bancaires à l’extérieur ; n’était actionnaire dans aucune entreprise publique locale ; ne dispose d’aucun patrimoine immobilier révélé à ce jour à l’étranger et surtout, réinvestissait intégralement tous ses revenus à l’intérieur du pays, même si ceux-ci étaient ostentatoirement prélevés sur les finances publiques. Ce n’était du reste un secret pour les Guinéens, d’autant plus que le chef de l’État qui ne s’en cachait pas, avouait publiquement qu’il ne volait pas le budget de l’État, mais qu’il prenait. Seuls ses financiers d’alors peuvent vous donner la signification du propos. Comme on le voit, Lansana Conté avait fait bande à part, c’est-à-dire qu’il fut un chef atypique. Sur le plan intérieur, la gestion de l’État était laissée à la merci de ses relations informelles qui en avaient fait un juteux fonds de commerce. Ce sont elles qui faisaient et défaisaient les gouvernements, décidaient de la nomination ou de la révocation des hauts cadres ou incitaient à la prise de décisions impopulaires qui ont souvent contribué à l’éloigner de ses concitoyens, plus particulièrement de certains de ses proches collaborateurs. Ainsi par exemple, en 13 ans de règne, il a changé huit 186
fois de Premier ministre194 auxquels du reste, il n’a jamais voulu conférer les prérogatives de chef de gouvernement, même si Diarra Traoré à son temps, avait essayé de s’en prévaloir. Ces derniers n’avaient aucune initiative à prendre sans son aval. Seuls Sidya Touré et Lansana Kouyaté, ont essayé d’en faire preuve, ce qui d’ailleurs leur a valu l’admiration des populations, mais en même temps des ennuis. Car, comme nombre de chefs d’État africains, Lansana Conté ne supportait pas que ses collaborateurs, les premiers ministres en l’occurrence, brillent par la qualité de leurs prestations. Ces initiatives pourtant exigées de tout grand commis de l’État ont souvent été mal perçues par l’entourage de Lansana Conté qui les présentait comme des velléités de ses probables tombeurs. Il n’en fallait pas plus pour qu’ils soient purement et simplement remerciés. Il est aujourd’hui aisé de comprendre que les Premiers ministres de Conté n’étaient pas tous incompétents ou des béni-oui-oui. Ils avaient plutôt compris leur mentor et avaient en conséquence choisi de faire profil bas pour « prendre leur part ». La décision du maintien ou du départ d’un Premier ministre dépendait moins de la qualité de son travail que de sa disponibilité ou non d’aider à faire prospérer, en dehors de toute légalité, les affaires des nombreux et véreux courtisans du chef. Il était donc clair que Conté dirigeait seul le pays et qu’il ne préparait d’ailleurs personne à sa succession, ni au niveau de sa formation politique, ni au niveau de sa corporation, encore moins au niveau de sa propre famille où il comptait pourtant des enfants majeurs dont l’ainé, Ousmane Conté, déjà un haut gradé de l’armée. Tardivement et usé par la maladie, il en prit conscience et tenta vainement d’y remédier. Certaines sources évoquent même un possible deal passé avec le capitaine Moussa Dadis Camara dans la perspective d’une rétrocession du pouvoir à son fils après sa mort, mais les choses ont tourné autrement. En effet, une fois au pouvoir, Dadis aurait exploité astucieusement contre Ousmane, une rocambolesque affaire de drogue instruite par lui-même sous les projecteurs de la Télévision nationale, dans le but de compromettre irréversiblement le contrat de confiance passé avec le père. Ce qu’il réussit du reste fort bien, d’autant plus que le présumé héritier s’est retrouvé sous les verrous comme tant d’autres narcotrafiquants, l’éloignant ainsi de toute prétention au 194
Voir liste en annexe.
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pouvoir. Les mauvaises langues n’hésitent pas aujourd’hui à considérer les déboires de Dadis comme étant les conséquences de la transgression du deal qu’il aurait passé avec le défunt Président. Mysticisme africain oblige. Lansana Conté mort, la Guinée échoit à une troisième main. Mais quel héritage lègue-t- il à son successeur ? À quoi les Guinéens peuvent-ils s’attendre ? Au pouvoir pendant 24 ans, le général Lansana Conté a fait ce qu’il a pu, comme il a pu et laisse la Guinée parmi les pays les plus pauvres de la planète. Pourtant il pouvait mieux faire parce que, selon un analyste de la politique guinéenne, « Lansana Conté ne connait pas la même pesanteur que son devancier. Il se meut dans un espace de liberté considérable : liberté d’expression et d’action ; son régime n’est victime d’aucune hostilité de la part des grandes puissances. Sa vie n’est pas en danger. Ses concitoyens ne lui doivent pratiquement pas de se retrouver en exil. Il est à l’abri des menaces extérieures. Il aurait dû accomplir, durant ces 24 ans à la tête de l’État, ce que son illustre prédécesseur n’a pas pu réaliser durant 26 ans de règne. »195 Ce constat d’expert que nous livre cet observateur serait plus complet si nous ajoutions les incommensurables richesses naturelles non encore valorisées, donc disponibles et le très faible taux de la dette extérieure. Mais hélas ! En dépit de toutes ces bonnes prédispositions, le général Lansana Conté à sa mort, lègue un pays dont tous les indicateurs de développement sont au rouge : • Libéralisme économique totalement débridé et incontrôlé ; • Corruption endémique jouissant de la totale impunité de la République ; • Détournements des deniers publics cautionnés par le sommet de l’État ; • Détérioration sans commune mesure de l’autorité de l’État ; • Récurrence des mouvements sociaux et mutineries ; • Misère généralisée de la population qui vit en dessous du seuil tolérable ; • Gestion calamiteuse des ressources naturelles : • Prospérité du commerce et de la consommation des stupéfiants ; 195
Makhily Gassama, Matalana, Hors-série Guinée, N°1, 2008, P. 60.
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• Insécurité galopante ; • Inflation en hausse constante ; • Services sociaux de base insignifiants au regard des potentialités ; • Ethnocentrisme, régionalisme, et népotisme érigés en systèmes d’État ; • Grave altération du tissu social ; • Promotion des groupes d’intérêts au préjudice des réformes économiques porteuses, etc. Tel était le tableau clinique de la Guinée à la mort le 22 décembre 2008 du « Président-paysan ». L’échec du « système Conté » est une évidence qui crève les yeux. Personne ne dira mieux que l’un de ses compagnons d’armes, le général Fodé Momo Camara, membre fondateur du CMRN qui avoue avec une sincérité et une humilité déconcertantes que « nous avons lamentablement échoué. On a fait pire que l’ancien régime. Si c’était à refaire, je partirais à l’envers »196. Il conclut son aveu par ce propos non moins prophétique : « Son successeur aura du travail »197. La suite des évènements a confirmé la pertinence de l’aveu ainsi que la justesse de la prémonition. Les Guinéens ont effectivement eu fort à faire après le régime militaire de Lansana Conté.
196 197
In Matalana, 2008, hors-série, N°01 Guinée, P. 85. Ibidem.
189
Lansana Conté
Diarra Traoré
Sidya Touré
Lamine Sidimé
François L. Fall
Cellou Dalein Diallo
Eugène Camara
Lansana Kouyaté
Dr Ahmed T. Souaré
Lansana Conté et ses Premiers ministres
190
V. Mort de Conté constitutionnelle
et
échec
d’une
succession
Le général Lansana Conté est rappelé à Dieu le lundi 22 décembre 2008 à 19 heures 45 selon le Pr Amara Cissé, le médecin officiel de la présidence. Ainsi finissait en Guinée une histoire pour laisser place à une autre. Le Pr Cissé qui fut le premier à constater la mort clinique du Chef de l’État parvint à semer la vigilance de la Première Dame, Henriette Conté pour donner la primeur de la nouvelle au Président de l’Assemblée nationale. En bon légaliste, ministre et ancien député, il a pris soin de préciser à celui-ci qu’au moment où il lui donnait l’information, il était le premier Guinéen à être au courant du décès du Premier Magistrat de la Nation. Personne d’autre, ni même la Première Dame, n’en était informé. Il faut préciser que la grande muette, notamment la frange des officiers supérieurs, qui n’a pas digéré d’avoir été écartée de la gestion de la nouvelle, menaça de mort le Pr Cissé. Ce dernier n’eut la vie sauve qu’en découchant. Cette précaution du médecin personnel du Président ne codifiait-elle pas un message stratégique à la haute attention de son illustre destinataire ? Rien n’est moins sûr, son porteur étant ancien député de surcroit membre du gouvernement, en connaissait parfaitement la portée politique. Toujours est-il que le Président de l’Assemblée nationale qui n’avait aucune autre lecture du message, s’est directement rendu au siège de son institution où il s’est fait rejoindre immédiatement par les autres dignitaires des institutions de la République, en l’occurrence, Michel Kamano, Président du Conseil Économique et Social, le général Arafan Camara, Chef d’Etat-Major Général des Armées, le Premier ministre Dr Ahmed Tidiane Souaré et autres grands commis de l’État. Le Premier Président de la Cour Suprême, Me Lamine Sidimé n’y arrivera que bien plus tard. Commence alors une interminable réunion de fortune dont on ne pouvait apparemment rien attendre. La rencontre à notre avis inopportune, se tenait non seulement en public, mais en direct sous les projecteurs de la Radiodiffusion Télévision Guinéenne (RTG), à une heure indue. Nous pensons que ni le lieu, ni le public du reste hétéroclite, ni l’environnement technologique, ne se prêtaient à une telle entrevue où devait se discuter un problème aussi hautement stratégique que la 191
passation institutionnelle du pouvoir, surtout à l’instant même de la disparition de son titulaire légal. Les initiateurs de la rencontre l’auront appris à leurs dépens. En effet, débutée vers 20 heures, la réunion n’a pu, et cela, de façon laborieuse, annoncer le décès du Président de la République que vers 02 heures du matin. L’heure est tardive et la démarche inhabituelle, voire choquante, pour un Africain qui a appris à donner et à recevoir de tels messages seulement dans l’intervalle du lever et du coucher du soleil. Le communiqué tant attendu accouchera d’un non-évènement dans la mesure où la plupart des Guinéens avaient déjà la mauvaise nouvelle grâce aux prouesses de la téléphonie moderne. Pendant près de six heures d’horloge, ces hauts cadres, figés à l’écran de la télévision nationale, ont passé tout le temps à se regarder et à discutailler sans parvenir même à s’accorder sur les termes du communiqué devant annoncer le décès encore moins sur les modalités de la gestion de l’évènement. Visiblement, le dauphin constitutionnel lui-même ne semblait disposer d’aucune stratégie de prise du pouvoir, même pas le discours à la Nation qui aurait dû être rédigé bien longtemps avant et revu au fil des derniers jours de la maladie du chef de l’État. En clair, il devait disposer d’une équipe de travail prête à se mettre à la tâche, immédiatement après l’annonce officielle de la prise du pouvoir. Le Président de l’Assemblée nationale qui sait par expérience qu’en Afrique la succession constitutionnelle n’est pas toujours gagnée d’avance, aurait dû prévoir et garder sous l’aisselle son « plan B ». Par ailleurs, nous avons appris du ministre de la Sécurité d’alors, El hadj Madifing Diané, qu’il aurait demandé au Président Somparé de faire l’annonce de prise du pouvoir et de procéder à la prestation de serment, quand lui-même se chargerait de l’aspect sécuritaire. L’honorable Somparé aurait décliné l’offre, craignant le qu'en-dirat-on, surtout du côté de la Basse-Guinée. Il opta plutôt pour la proposition du Premier Ministre Ahmed Tidiane Souaré qui estimait que la démarche pouvait se faire le lendemain à midi. Malgré tout et en toute connaissance de cause, le Ministre de la Sécurité insista, faisant comprendre au dauphin constitutionnel, qu’il y avait urgence à agir et que demain serait trop tard, mais en vain. Et ce qui devait arriver arriva. La longueur des tractations a vite révélé aux nombreux téléspectateurs que Lansana Conté était parvenu à résoudre autrement le problème de sa succession. Le fameux 192
communiqué qui a tardé à tomber et qui est finalement venu perturber le sommeil des paisibles populations occultait royalement le programme des funérailles pour se préoccuper à inviter le Premier Président de la Cour Suprême à constater la vacance du pouvoir198 et à appliquer l’article 34 de la Loi Fondamentale.199 Il n’en fallait pas plus pour précipiter la fin du régime de Conté. Celui d’Ahmed Sékou Touré aura eu au moins l’avantage de bénéficier d’un sursis d’une semaine, c’est-à-dire du 26 mars au 3 avril 1984. Rappelons que le Président de la Cour Suprême n’a pas et ne pouvait pas exécuter la sollicitation du Président de l’Assemblée nationale. Ce n’était du reste une surprise pour personne, sauf peut-être pour l’Honorable Aboubacar Somparé, car tous les Guinéens étaient convaincus que Me Lamine Sidimé n’aurait obéit à personne contre Lansana Conté qu’il a servi comme il l’a fait. La simple vue à l’écran du Président de l’Assemblée nationale invitant au respect de la Constitution, déclencha automatiquement l’irrésistible machine de la succession : Les vieux généraux ont été tout de suite aperçus en conclave au Quartier Général du Camp Samory autour du général Mamadouba Toto Camara, discutant à n’en pas douter, de l’aprèsConté. Vers 22 heures, au Camp Alpha Yaya, de jeunes officiers, tardivement au courant de la nouvelle, s’entretiennent aussi, à l’évidence pour les mêmes raisons, mais beaucoup plus pour revoir leur copie, comme l’a confirmé la suite des évènements. C’est effectivement ce groupe apparemment dans le coup qui, après avoir occupé tous les points stratégiques de la capitale, annonça quelques heures plus tard par la voix de son meneur, le capitaine Moussa
198
À propos de la vacance du pouvoir, il faut rappeler que bien avant, à l’occasion de leur dernière grève, les syndicats avaient demandé au président de l’Assemblée d’en faire le constat, tellement l’état de santé du Général s’était dégradé. 199 Celui-ci stipule qu’ « en cas de vacance de fonction de Président de la République consécutive au décès ou à la démission ou à autre cause d’empêchement définitif, la suppléance est assurée par le Président de l’Assemblée nationale ou, en cas d’empêchement de celui-ci par l’un des vice-présidents de l’Assemblée nationale par ordre de préséance. La vacance est constatée par la Cour Suprême, saisie par le Président de l’Assemblée nationale ou, en cas d’empêchement de celui-ci par l’un des vice-présidents. La durée de la suppléance est de 60 jours. Le scrutin pour l’élection du Président de la République a lieu sauf cas de force majeure constatée par la Cour Suprême, 30 jours au moins et 50 jours au plus après l’ouverture de la vacance. »
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Dadis Camara, la prise ou du moins de la reprise du pouvoir par l’armée. Il semblerait que le chef de l’État, avant sa mort, avait donné des instructions contradictoires à ses militaires à cet effet : aux uns il aurait demandé d’attendre la fin des obsèques pour passer à l’action et aux autres, d’agir immédiatement, avant même l’inhumation. Tout laisse croire que le général Lansana Conté avait bel et bien négocié sa succession avec les jeunes officiers. Comme on le voit, Conté aura réussi à se jouer de tout le monde, y compris de la Loi Fondamentale. La Guinée pour une seconde fois va devoir retomber sous la férule d’un régime militaire. Elle venait d’enrichir par cet acte son répertoire de faits politiques singuliers : une nouvelle prise du pouvoir sans effusion de sang. On se souviendra à cet égard que déjà le 28 septembre 1958 et le 3 avril 1984, la Guinée avait changé de régime dans les mêmes circonstances. Ce registre de faits exceptionnels ne serait pas complet si nous n’ajoutions pas la nouvelle prise du pouvoir par l’armée sur la dépouille mortelle de son titulaire, la précédente étant intervenue le 3 avril 1984 sur celle d’Ahmed Sékou Touré. Ces formes de prise du pouvoir en Guinée posent de sérieux problèmes de typologie des coups d’État, surtout au regard de la Convention de Lomé. On a tenté dans les deux cas d’y apporter des nuances pour inviter à ne pas confondre les actes posés par Lansana Conté et Moussa Dadis Camara à des coups d’État traditionnels. Il a plutôt été question d’occupation de fauteuils vides, comme si un coup d’État se définit par rapport à un fauteuil présidentiel vacant ou par rapport au respect ou non de la Constitution. Toujours est-il que les derniers changements de régime en Guinée, en Mauritanie et à Madagascar ont relancé la problématique des coups d’État en Afrique. La complexité du thème a conduit ces dernières années à l’identification des « bons et mauvais coups d’État ». On a parfois préféré au concept de coup d’État celui alambiqué de situation non constitutionnelle. Toujours dans la même logique, les représailles se limitaient à de simples condamnations formelles avec d’ailleurs des prédispositions à accompagner les putschistes. N’est-il pas temps pour les théoriciens en la matière de revoir leur copie afin d’éviter de continuer à généraliser des faits particuliers ou à départiculariser des faits généraux. En tout état de cause, retenons que la République de 194
Guinée compte désormais son troisième Président, fut-il autoproclamé, en la personne de Moussa Dadis Camara, un jeune capitaine de l’Armée de l’Air, âgé de 44 ans, originaire de la Région Forestière, un illustre inconnu du grand public. Pour tout bon observateur de la vie politique guinéenne de la dernière décennie, ce second épisode du pouvoir militaire en Guinée était le scénario le plus plausible après Conté. Ce n’était en fait qu’un secret de polichinelle. À trois reprises, les militaires sont descendus dans la rue pour diverses revendications. Selon les propos de Moussa Dadis Camara lui-même, à toutes ces occasions, l’Armée avait le pouvoir à sa portée. Elle n’a jamais voulu le prendre, évitant d’humilier le vieux Général, déjà affaibli par la maladie. Aujourd’hui il n’y a l’ombre d’aucun doute que Lansana Conté était en parfaite intelligence avec la jeunesse militaire durant sa longue maladie, raison pour laquelle, il retrouvait toujours son fauteuil, même quand le commun de la rue le croyait irrémédiablement perdu. La dernière en date, fut l’avènement du lieutenant Claude Pivi alias Coplan qui a trôné sur toutes les garnisons du pays pendant près d’un semestre. Les officiers supérieurs étaient obligés de faire profil bas au risque d’humiliations publiques. On retiendra que durant son petit règne, Pivi interdisait aux officiers de franchir le portail des camps militaires avec des insignes de grades apparents, grades qu’il considérait du reste comme étant distribués sur des bases subjectives. Lansana Conté le savait, mais avait laissé faire. Pourquoi Pivi n’avait-il pas pris le pouvoir, pourrait-on se demander, alors qu’il en avait la possibilité ? La réponse a été donnée par le chef de la junte lui-même, le capitaine Moussa Dadis Camara, qui a reconnu publiquement que c’était lui qui tirait sur les ficelles et bloquait tout à son niveau, même si plus tard cette version fut remise en cause par son successeur, le général Sékouba Konaté. Depuis longtemps donc, les Guinéens ne se doutaient point de la reprise du pouvoir par l’armée après Conté. Depuis son retour au pouvoir après la grande mutinerie des 2 et 3 février 1996, Conté avait la ferme assurance que rien ne lui arriverait, tant qu’il serait encore en vie et respecterait le pacte qui le liait aux jeunes officiers. Il était convaincu que sa longévité au 195
pouvoir dépendait désormais moins d’une quelconque entente avec ses adversaires politiques que du bon vouloir d’une partie de l’Armée qui le lui avait prouvé à plus d’une reprise. On peut donc comprendre dès lors que celui qui a été le promoteur (malgré lui) de la démocratie multipartite dans le pays en devienne un obstacle infranchissable. Il a fini par tourner le dos à la culture démocratique qui se révéla à ses yeux incompatible avec ses sensibilités de chef coutumier. Ainsi était-il devenu allergique à tout ce qui touchait à l’État de droit et de démocratie. Pour lui, les notions d’opposition, de dialogue, de compromis politique, de contestation démocratique, surtout de contrepouvoir ou de partage du pouvoir étaient des manquements graves à la morale africaine qui fait du chef l’omnipotent et l’omniscient dont les ordres doivent être les désirs de ses administrés. Conté ne ménagea donc rien pour faire valoir, sinon imposer ses convictions à ses concitoyens, notamment ceux de la classe politique.
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Chapitre 6 Le retour de l’armée au pouvoir I. Éphémère pouvoir du capitaine Moussa Dadis Camara À la disparition du général Lansana Conté, l’économie guinéenne était exsangue. Tous les indicateurs étaient au rouge, sinon éteints comme dirait l’humoriste. La grande muette qui venait de reprendre le pouvoir, s’engagea à les rallumer et les faire passer au vert. Pour ce faire, elle propose aux Guinéens un autre sauveur sorti de ses rangs en l’occurrence, le capitaine Moussa Dadis Camara qui hérite d’un pays dont la survie requérait des réformes hardies et immédiates dont entre autres : • Infléchir largement la tendance des indicateurs macroéconomiques ; • Moraliser la société sur toutes les questions qui contrastent avec les facteurs d’un développement durable ; • Réarmer moralement les Guinéens dans la perspective d’un véritable sursaut national. Toutefois, il reste à savoir si le nouvel homme fort de Conakry était en mesure de le faire. À l’examen des conclusions issues de la rencontre du 16 mars 2009 à Conakry regroupant le Groupe International de Contact sur la Guinée, les Forces Vives et l’équipe du CNDD, il est apparu très clairement que l’on voulait aller trop vite en besogne contre la réalité du terrain. Le chronogramme qui en a résulté a suscité des appréhensions chez la plupart des Guinéens qui l’ont trouvé peu réaliste. Or, le niveau très poussé de dégradation du système de gouvernance politique et économique devrait empêcher toute précipitation dans les choix stratégiques à opérer. La raison résiderait dans l’ampleur des réformes attendues et qui concerneraient 197
l’ensemble de tous les secteurs de la vie nationale, particulièrement la mauvaise gestion des deniers publics, la corruption, la criminalité, le narcotrafic, la violation des droits de l’homme, l’impunité et autres travers sociaux en dissonance avec les mœurs et les aspirations légitimes du peuple. C’est dans cette perspective que les premières mesures annoncées par le CNDD pour gérer ce lourd héritage paraissaient rassurantes et auguraient en même temps des lendemains meilleurs. Il aurait donc été plus judicieux d’accorder à la junte un temps raisonnable d’au moins 12 mois au cours desquels elle aurait mis en œuvre une transition préparatoire à la refondation d’un État de droit et de démocratie. Malheureusement, les Forces Vives en proposèrent six au Groupe International de Contact qui les avalisa aussitôt. Curieusement, cette proposition visiblement imparfaite semblait satisfaire le chef de la junte dont agitation et l’activisme suscitèrent appréhensions et inquiétudes chez bon nombre de Guinéens. En effet, en acceptant ce chronogramme tel que libellé sans l’avis préalable de la Commission Électorale Nationale Indépendante (CENI) chargée de l’organisation des élections, du Ministère de l’Administration du Territoire et des Affaires politiques, technicien en la matière, ni même de ses collègues du CNDD, le capitaine Moussa Dadis Camara avait minimisé l’étendue et la complexité de la tâche. En clair, ne semblait-il cacher à son peuple des ambitions inavouées ? Or l’ampleur et la récurrence des problèmes dont souffre celui-ci depuis longtemps, requéraient suffisamment de temps et de ressources humaines, financières, techniques et surtout une volonté politique soutenue pour affronter le colossal travail de mis en route de l’édification de l’État de droit tant promis aux Guinéens. Chacun se demandait bien ce qu’allait faire le capitaine Dadis pour respecter les clauses d’une transition aussi contraignante. On comprendra plus tard qu’il s’était engagé tout en espérant détourner le processus pour faire valoir son propre projet de conservation du pouvoir. Partant, ses paroles ainsi que tous les actes qui ont suivi n’étaient ni plus ni moins que du bluff. Il a accepté toutes les conditions posées par la Transition, moins pour aider à sortir de la crise qu’à la compliquer en sa faveur. Il a cherché à cet effet à se jouer de tout le monde. Malheureusement, il n’y est pas parvenu. Il va devoir perdre un pouvoir qui ne lui était pas hors de portée, s’il n’avait pas tenu à aller trop vite en besogne. 198
1. Les atouts de Dadis La feuille de route du capitaine Moussa Dadis Camara devrait pouvoir s’articuler, dans les conditions normales, autour d’un certain nombre de préoccupations dont la solution correcte aurait non seulement permis d’assoir très vite et durablement la crédibilité du CNDD, mais aussi de garantir l’avenir d’un État de droit et de démocratie en République de Guinée. La classe politique dans sa quasitotalité trouvait nécessaire et urgent de faire toute la lumière sur le passé récent du pays, en vue d’une meilleure appréciation de la gouvernance des régimes précédents dans la perspective d’une « résurrection » du pays. La priorité devrait aller à la réconciliation et du pardon inclusif. Mais, peut-on parler de pardon ou de réconciliation sans en donner les raisons. Pour y parvenir, il y a nécessité d’établir les griefs, identifier les auteurs et les victimes. Nous estimons que ce chantier n’était pas hors de portée du CNDD, quand bien même sa complexité a déjà défié les pouvoirs précédents. Aussi, ce dernier devrait-il s’intéresser au redressement économique pour espérer gagner le pari de la renaissance d’un pays qui n’a que trop souffert. À cet effet, les audits viendraient à point nommé et devraient même être poursuivis voire étendus sur au moins cinq ans en vue de l’élaboration d’un état des lieux exhaustif. Ce travail, pour être complet, devrait prendre en compte les dossiers sulfureux de malversation et de corruption déjà mis en évidence, mais non évacués à souhait. Le recouvrement sans complaisance des biens compromis afin de rompre avec la politique de l’impunité des régimes précédents serait un atout majeur. En effet, l’histoire économique de la Guinée montre que la corruption, bien que stigmatisée comme un crime par les gouvernements antérieurs, n’a jamais fait l’objet d’une stratégie efficace de lutte pour son éradication, du moins pour sa réduction. Le CMRN a été le premier à exprimer sa détermination à traquer le phénomène. Cependant, il mettra beaucoup de temps avant d’annoncer les premières mesures qui vont malheureusement se révéler inefficaces. C’est seulement en l’an 2000 qu’un décret présidentiel créa le Comité National de Lutte contre la Corruption et de Moralisation des Activités Économiques et Financières (CNLC) placée sous l’autorité directe du Président de la République. Bien que tardif, ce décret suscita de grands espoirs chez les Guinéens qui avaient assez de voir prospérer dans leur pays, comme des faits divins, les phénomènes de la corruption et de 199
l’impunité.200 La lutte fut extrêmement ardue et ne tarda d’ailleurs pas à se heurter à toutes sortes d’obstacles entretenus par ceux-là mêmes qui s’en étaient déjà servis pour se bâtir de colossales fortunes et qui, malheureusement, étaient chargés de leur répression. Cependant, les membres du Comité, loin de se décourager, se sont résolument mis à la tâche avec les modestes moyens mis à leur disposition. À partir des audits qu’ils ont engagés, de nombreux hauts cadres indélicats de l’État convaincus de corruption et autres actes de malversation, furent épinglés courant 2000. Arrêtés et mis à la disposition de la justice, ils seront purement et simplement élargis par la plus haute autorité au grand dam du Comité. Pis encore, celle-ci n’hésita pas à promouvoir certains d’entre eux à de hautes fonctions administratives nationales, dont un ministre de l’Économie et des Finances et un président d’une prestigieuse fédération sportive nationale. On peut imaginer aisément que ces délinquants économiques sortis victorieux de l’épreuve, ne manqueraient pas de prendre leur revanche sur ceux qui les ont envoyés (à juste raison pourtant) en prison. C’est en toute logique que le Comité National de Lutte contre la Corruption constatera la chute vertigineuse de son budget de fonctionnement de 500 000 000 à 120 000 000 de FG. Pour se mettre à l’abri d’autres mésaventures, ces cadres véreux qui avaient encore pignon sur rue, réussiront en 2004 à arracher au Chef de l’État, un décret débilitant considérablement les activités du Comité. En effet, il fut créé en lieu et place du Comité National de Lutte contre la Corruption, une simple Agence Nationale de Lutte contre la Corruption placée sous la tutelle du Premier ministre. Depuis, de nombreux scandales économiques et financiers sont révélés par la presse nationale et confirmés par des audits, mais jamais sanctionnés. Au contraire, les auteurs sont toujours libres et continuent à narguer le contribuable guinéen. Certains de ces fossoyeurs de l’économie nationale ont eu l’audace de se porter candidats à la Magistrature suprême de la Nation avec la bénédiction de la Cour Suprême. Ainsi donc, la mutation du Comité en une simple agence, la délocalisation de sa tutelle de la Présidence à la Primature, la réduction drastique de son budget ainsi que la précarité de ses installations, expriment on ne peut mieux, la relégation en second plan de la lutte contre la corruption. On en a fait un simple dispositif destiné à distraire les partenaires au développement auxquels il faut donner la fausse impression d’une certaine volonté 200
Décret N° D/2000/017/PRG/SGG.
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politique de répondre à leurs exigences. Aussi, les causes favorisant la corruption et autres comportements prédateurs n’ont jamais préoccupé le Pouvoir Central. Ainsi, les travailleurs se trouvent-ils englués dans un tas de difficultés qui perdureront tant que la précarité de leur pouvoir d’achat n’est pas en mesure de les mettre à l’abri du besoin. Ainsi note– t- on que : • Le SMIG201 qui aurait dû permettre de standardiser et contrôler les salaires auprès des employeurs en vue de leur suivi par rapport à l’évolution du marché, était encore jusqu’en fin 2012 en discussion au niveau du Comité paritaire ; • L’absence de contrôle des prix expose les travailleurs et leurs familles à la cupidité invétérée des commerçants spéculateurs toujours à la recherche de bénéfices exorbitants ; • L’inexistence de crédits à l’habitat ne permet pas aux travailleurs de se bâtir honnêtement des logements décents ; • L’absence de mutuelles des travailleurs rend les soins de santé insupportables pour les travailleurs et leurs familles ; • La précarité de la sécurité sociale ne garantit pas une fin de carrière heureuse aux travailleurs. C’est à cet effet et surtout dans la perspective de soulager le monde du travail, qu’à l’occasion de la fête internationale du travail de 2012, les syndicats ont demandé au gouvernement une augmentation de 200 % de salaire. Ce taux sous d’autres cieux, donnerait l’impression que les syndicats guinéens manquent de réalisme. Mais 200 % de quel salaire ?202 C’est pourquoi, ne parvenant jamais à joindre pratiquement les bouts, ceux des gestionnaires indélicats sollicités par des opérateurs économiques moyennant espèces sonnantes et trébuchantes succombent infailliblement à la tentation de gain facile. Dans un tel environnement, il faut se dire que la corruption et ses dépendances ont encore de beaux jours devant elles. De ce qui précède et dans le souci du renforcement de sa crédibilité, le CNDD avait de quoi s’attirer l’estime et la confiance des populations guinéennes. Il lui suffisait pour ce faire de se donner 201
Salaire Minimum Interprofessionnel Garanti Le salaire mensuel d’un cadre supérieur au seuil de la retraite fait à peine 200 Euros.
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comme priorité, la démocratisation de la société et la relance de l’économie nationale assortie d’une meilleure gouvernance du pays. Par exemple, la seule poursuite des audits appuyée de sanctions, assurait infailliblement au CNDD le soutien total d’un peuple déjà suffisamment abusé. On comprend dès lors les raisons du vaste mouvement de soutien dont avait bénéficié le CNDD tant à l’intérieur qu’à l’extérieur sur la foi de simples déclarations. La demande était bien réelle. De bonnes gens au sein de l’équipe du capitaine Dadis, soucieuses de répondre aux nombreuses et pressantes attentes des citoyens, sont allées jusqu’à proposer des approches susceptibles de conduire à bon port les projets du CNDD. Ainsi lui était-il suggéré par exemple « la création d’une cellule de lutte contre le narcotrafic et l’insécurité qui aurait pour charge de réprimer le grand banditisme, lutter contre l’insécurité, freiner la prospérité des narcotrafiquants, contrer une fois pour toutes dans la fermeté et la justice, le grave phénomène du grand banditisme, tout en enrayant les causes, par l’élimination des filières de blanchiment d’argent. Le parachèvement serait consacré par l’installation d’une sentinelle pour la surveillance future de cette activité. »203 Malheureusement, toutes ces suggestions et conseils sont restés lettre morte parce que le chef de la junte n’en percevait pas la pertinence. Assoiffé de pouvoir, il ne rêvait qu’au fauteuil présidentiel. « À cause de ses nombreuses carences et limites, préoccupé par son maintien aux affaires, le capitaine Moussa Dadis Camara n’était pas suffisamment outillé pour mener ces réformes. Il n’était pas à la hauteur, il a raté le rendez-vous de l’histoire »204, confiait un de ses proches. Pour les Guinéens, le constat s’avère amer. Pour une fois encore, le train de la providence va devoir laisser leur pays à la vieille gare, celle d’il y a deux régimes. Le désespoir s’est réinstallé et les populations sont retombées dans la désolation. L’attente s’annonçait encore très longue et incertaine. Pourtant l’enjeu était idéal et l’occasion opportune, pour peu que Moussa Dadis révisât ses ambitions personnelles à la baisse. Hélas ! Pourtant, les justifications qu’il a données du coup d’État ainsi que les premiers actes posés n’ont pas manqué d’effets d’entrainement, au point de susciter l’adhésion de 203 204
Ibidem. Matalana N°21, mai 2010, P. 20.
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tous et de chacun à son programme. Celui-ci s’inscrivait en droite ligne des préoccupations des populations guinéennes, tant et si bien qu’en moins de 72 heures, l’avènement des militaires au pouvoir avait fait l’unanimité de presque toutes les couches socioprofessionnelles, des syndicats, de la société civile, et - chose rarissime- de toute la classe politique, en dépit de son hétérogénéité, sa complexité et surtout ses exigences. Celle-ci s’empressa même de dépêcher à Abuja, une délégation auprès de la CEDEAO en vue de solliciter l’indulgence de l’organisation sous régionale à cet effet. Nombreux furent les Guinéens qui se mirent à rêver, croyant fermement que la Guinée elle aussi venait de disposer de son A.T.T.205. Dadis arriva avec à la bouche, un discours nouveau chargé de promesses et d’engagements fort alléchants dont entre autres : • Dénonciation avec détermination à enrayer la mauvaise gouvernance politique et économique du pays encore aux mains de gangs d’affairistes et de narcotrafiquants ; • Ferme engagement à enrayer la production, la consommation et le trafic de drogue et autres stupéfiants ; • Poursuite et intensification des audits assortis du recouvrement des créances de l’État ; • Priorité des actions du CNNDD en faveur de la jeunesse et des femmes dont le chômage a franchi les limites intolérables. Comble de promesse, le capitaine Moussa Dadis Camara annonçait urbi et orbi que la Transition serait la plus courte possible. « Nous n’avons pas l’intention de nous éterniser au pouvoir. Nous devons organiser une élection libre et transparente, d’une façon digne qui honore l’Armée guinéenne »206, rassure-t-il. Le nouvel homme fort de Conakry ne cessait de confirmer cette prédisposition en donnant des précisions qui devaient sceller son accord parfait avec la classe politique : «Je ne serai pas candidat aux élections présidentielles. Ni les membres du CNDD, ni les membres du gouvernement n’y prendraient part »207 aimait-il marteler. Cette perspective clairement affirmée ne laissait plus aucun doute chez les Guinéens les plus 205
À.T.T est l’abréviation d’Amadou Toumani Touré, ancien Président du Mali, arrivé au pouvoir dans les mêmes circonstances. 206 Ces propos reviennent presque dans tous ses premiers discours. 207 Ibidem.
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sceptiques quant à la ferme détermination du CNDD à conduire le pays vers un État de droit et de démocratie, parole d’officier oblige. L’enjeu portait sur des élections libres, transparentes, crédibles et acceptables par tous. Le processus devrait également comporter une réadaptation de la Loi Fondamentale au nouvel environnement pour en faire un véritable outil de promotion d’un État de droit en Guinée. Les Guinéens ne demandaient pas mieux. Pour une rare fois dans l’histoire politique de l’Afrique, le soutien de tout un peuple était acquis à la cause de militaires putschistes. Il faut avouer que ce nouveau discours du chef des putschistes n’a laissé personne indifférent à telle enseigne que les communautés nationale et internationale souvent promptes à condamner les coups d’État et à infliger des sanctions, se sont hâtées d’accorder à Dadis un chèque en blanc. Tout laissait croire que le coup d’État de Conakry n’était pas pareil aux autres. Il ne leur restait plus à prouver qu’il pouvait y avoir des bons et mauvais coups d’État. Ainsi, au niveau des instances internationales, CEDEAO, Union Africaine, Union Européenne et ONU, c’était le « wait and see », disposition rare sous d’autres cieux. Aux sanctions furent substitués des engagements à tous les niveaux à accompagner la Transition en Guinée. Le capitaine Moussa Dadis Camara, avait fini par conforter ses compatriotes dans le sentiment que la page sombre de l’histoire de la Guinée était définitivement tournée. « Il n’y a plus de place pour qu’un régime militaire s’éternise au pouvoir »208, continuait-il à rassurer, promettant de se retirer au terme d’une Transition de dix-huit mois, et de remettre le pouvoir à un Guinéen désigné par les urnes. Cette durée de la Transition envisagée par la junte fait sursauter la classe politique qui la trouvait trop longue et suspecte. C’était le début des doutes, des réserves et finalement des incompréhensions entre les deux camps. Pour certains opposants, plus les militaires mettent du temps au pouvoir, plus ils en prennent gout et plus ils s’y accrochent. Des concertations s’engagent à l’effet de trouver un moyen terme. Laborieusement et de commun accord, les différents acteurs ont convenu d’un chronogramme de transition qui arriverait à son terme en fin décembre 2009, avec à la clé des élections présidentielles et législatives. Le plus important était la neutralité de Dadis censé jouer le rôle d’arbitre. Malheureusement, il n’en fut pas ainsi. Si durant les trois premiers mois, le chef de la junte était très 208
Ayissi, Parole d’officier… 2009, P. 68.
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sincère dans ses déclarations, il semble de plus en plus se dédier et lorgner du côté du pouvoir. Pressé d’y accéder, le capitaine Moussa Dadis Camara s’est mis à multiplier de façon ostentatoire des erreurs et autres maladresses politiques qui finiront par avoir raison de sa naïveté.
2. Les erreurs de Dadis De rédempteur de la Nation qu’il était apparu à son avènement au pouvoir, Moussa Dadis Camara en devint très vite, et ce, à la surprise générale, le chef autocrate, narcissiste et ubuesque. Ses dérives autoritaires, ses pics se colère, ses injonctions discourtoises ainsi que ses attaques frontales en ajoutèrent à des discours virulents, scabreux et redondants. Dadis ne cesse de surprendre et d’inquiéter. Pourtant, bon nombre d’observateurs avertis l’avaient, pour ainsi dire, vu venir. En effet, « dès son accession au pouvoir il se révéla que Dadis aimait parler. Et il parlait trop pour un chef d’État. Mais plus que tout, il avait horreur de la contradiction »209, fait remarquer un de ses amis. Dadis donnait la fausse impression de tout savoir, de tout connaitre et par conséquent de tout se permettre à tel point qu’il se passait souverainement des services des membres de son gouvernement. Ces derniers étaient réduits à répondre à des convocations scélérates et intempestives qui, la plupart du temps, étaient sans objet. Visiblement, ses collaborateurs n’avaient pas de vie de famille, obligés qu’ils étaient de rester indéfiniment en stand-by dans leurs bureaux à l’attente des appels du bouillant patron. De fait, il y avait deux équipes gouvernementales en fonction. Celle composée de militaires qui ne le quittaient presque jamais et une autre de civils rattachés au Premier ministre, Kabinet Komara à qui il ne confiait presque rien à faire. Comble de désœuvrement, cette dernière catégorie de ministres ne le rencontraient presque jamais sinon que sur rendez-vous. Avec lui, le dysfonctionnement de l’administration défiait le bon sens. Quand sous d’autres cieux la bonne gouvernance était à l’honneur, chez Dadis, c’était plutôt le principe de non-gouvernance, tellement l’atypisme était frappant à tous les niveaux. Ses audiences qui n’obéissaient à aucun agenda, étaient foraines. Pis encore, pour aucun problème, le nouvel homme fort de Conakry n’acceptait des tête-à-tête, soucieux 209
Actualité Internationale, janvier 2010, P. 20.
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qu’il fût de vouloir jouer à la transparence. Tout visiteur qui accédait à lui au prix d’inimaginables sacrifices, le trouvait toujours entouré de militaires ou de civils, la plupart du temps venus sans rendez-vous et généralement pour des banalités et devant lesquels, il invitait l’audiencier à s’exprimer. « De sorte que les notions de secret et de discrétion ont totalement disparu du fonctionnement de l’État guinéen. Les moindres faits et gestes de Dadis alimentent en permanence la gazette et se retrouvent au cœur des conversations de salon à Conakry »210, écrit Yérim Seck. Dadis prenait le malin plaisir à mettre sur la place publique tous les problèmes qui lui étaient soumis, même les plus sulfureux, en vue de solutions populistes. Il adorait le faire sous les caméras de la Télévision nationale et en présence surtout de la presse internationale à des heures indues. À rappeler que ses horaires de travail commençaient tard l’après-midi pour s’achever au petit matin. Ce qui faisait que quand tout le monde s’apprêtait à reprendre le travail le lendemain, Dadis allait au lit. Les ministres et autres hauts dignitaires quant à eux, exténués par le manque de sommeil, devaient péniblement gérer un décalage horaire traumatisant en baillant derrière leurs bureaux. Une anecdote rapporte qu’une femme d’affaires européenne venue prospecter le nouveau marché guinéen et qui avait souhaité rencontrer le chef de la junte s’était vu donner un rendezvous pour trois heures du matin. Ne comprenant pas que c’était le fonctionnement « normal » de la nouvelle administration initiée par le capitaine Dadis, elle a pensé à tout sauf à ce qu’elle était venue chercher en Guinée. Elle reprit son avion, la tête sombre de supputations, sans attendre le fameux rendez-vous. Combien de hautes personnalités invitées pourtant à le rencontrer, ont dormi des heures durant dans sa salle d’attente, priant le Bon Dieu qu’il se rappelle leur avoir donné rendez-vous ? Les Guinéens dont l’impatience n’avait d’égale que leurs nombreuses, diverses, et pressantes attentes ne savaient plus à quel saint se vouer. La Transition à leurs yeux commençait à durer et Dadis apparaissant de plus en plus sous son vrai visage, c’est-à-dire un homme peu rassurant, impulsif, violent et assoiffé de pouvoir. Tout portait à croire que le chef de la junte avait cédé discrètement à la pression de certains compagnons d’armes et autres proches parents. Dès lors, rendre le pouvoir aux civils ne semblait plus être une préoccupation pour lui. Pour tout dire, Dadis 210
Article « Dr Dadis et Mister Dadis » à lire sur Jeuneafrique.com.
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avait spectaculairement viré. Autant il s’est laissé tromper, autant il a cherché à son tour à tromper tout le monde. Les ambigüités de vocabulaire devenaient son jeu favori, préférant délibérément se laisser deviner ou interpréter par ses interlocuteurs. Par exemple quand il disait qu’il n’était pas candidat en 2009, il fallait comprendre qu’il le serait en 2010. L’ambassadeur Prinz d’Allemagne l’aura appris à ses dépens pour avoir cherché justement à décoder le langage ésotérique du capitaine. Par cette humiliation publique infligée au diplomate allemand, le capitaine « patriote » avait scellé son propre sort. On comprendra plus tard les raisons de la solidarité des puissances occidentale contre un Dadis qui avait étalé au grand jour son ignorance des relations internationales, bien qu’il se dise sans sourciller être imbu de géopolitique et de géostratégie. Le temps passait. Pas de solution louable en perspective, en dépit des efforts de conciliation des bonnes volontés. «La Transition est dans l’impasse et chaque jour qui passe creuse le fossé entre les positions des deux principaux acteurs, en l’occurrence le CNDD et les partis politiques qui tous, aspirent au pouvoir. Chacun bombe le torse, exhibe ses muscles et défie l’autre»211, fait remarquer Dr Thierno Oumar Wann. L’entêtement de l’homme conduit à une première rupture de confiance et de dialogue entre les protagonistes. La Communauté internationale à travers le Groupe International de Contact sur la Guinée dut intervenir à plusieurs reprises avant de parvenir laborieusement à ramener momentanément les différentes parties autour de la table de négociations. Celle-ci aboutit à un nouveau chronogramme fixant les élections présidentielles et législatives respectivement en janvier et mars 2010. Toujours était-il que ni le chef de la junte, ni celles des membres du CNDD et du gouvernement ne devaient faire acte de candidature. Le CNDD n’est pas consentant. Depuis, les immenses espoirs suscités chez tous les Guinéens épris de justice et de bonheur tournèrent de plus en plus à la désillusion avec la naissance de nombreux mouvements de soutien à la candidature du capitaine Dadis. «Très tôt, en tout cas plus tôt que ne le pensaient la majorité de nos compatriotes, certains dossiers qui avaient soulevé beaucoup d’espoir comme la révision des conventions minières, les audits, la restauration de l’autorité de l’État et le 211
In La Lance, N°662.
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jugement des gros bonnets du redoutable narcotrafic connurent des blocages ou des retards difficilement compréhensibles, et qui sont à l’origine des premiers doutes. Et ces doutes de se muer en inquiétudes et déceptions »212, fait observer Dr Sidiki Cissé. Dès lors, les « Dadis shows » traitant de ces questions sensibles et qui drainaient de nombreuses foules autour des récepteurs de TV, perdirent de plus en plus d’intérêt. « Ces inquiétudes et déceptions de virer au cauchemar quand il est apparu clairement aux yeux d’une grande partie de l’opinion que ces mouvements de soutien qui se multipliaient bénéficiaient d’une attention particulière du CNDD et de son Président »213, poursuit Dr Cissé. Le mythe de Dadis rédempteur n’était plus qu’un souvenir. Pour achalander ses ambitions, le capitaine Moussa Dadis Camara choisit de continuer à invectiver et à stigmatiser de façon intempestive les anciens collaborateurs de feu général Lansana Conté, les traitant d’apatrides et de corrompus. Il n’hésitait pas un seul instant à les rendre responsables de l’échec politique et de la gestion calamiteuse de l’économie nationale, tout en promettant d’y remédier efficacement. Pour ce faire, il s’engageait à leur livrer une guerre sans merci. Ces propos pour le moins chafouins n’étaient avancés que pour entrainer avec lui, les Guinéens qui avaient hâte de changer de conditions de vie et de travail et qui croyaient encore en lui. Curieusement, au mois d’avril 2009, pendant que les audits et les recouvrements des créances de l’État prenaient de l’allure, Dadis surprit plus d’un en demandant un sursis à leur poursuite. Il lui est même arrivé de s’interroger sur la pertinence de la convocation de certains proches de Lansana Conté devant le comité d’audits qu’il présidait lui-même. Il s’agissait de Cellou Dalein Diallo et de Dr Ahmed Tidiane Souaré, tous deux anciens Premiers ministres de Conté. À vrai dire par cette volte-face, il n’entendait pas humilier ces hauts cadres à popularité avérée dont les arrières bases pourraient lui être utiles lors des présidentielles de janvier et pour lesquelles, il se battait et débattait tant. C’est dans la même perspective qu’il faut inscrire la nomination à de hautes fonctions administratives, avec parfois des portefeuilles taillés sur mesure pour certains, des anciens 212 213
Op.cit. Ibidem.
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collaborateurs de feu Président Conté qu’il ne cessait pourtant de pourfendre. Ses nombreuses contradictions confirmaient de plus en plus les appréhensions de ses nombreux admirateurs qui découvraient qu’ils étaient dans un jeu de dupes avec leur idole. « Cet officier subitement sorti de l’anonymat, en décembre 2008 (…) a bien failli nous faire croire qu’il était un condensé de Sankara, Rawlings et ATT »214, note Jean-Baptiste Placca de l’hebdomadaire Jeune Afrique. D’autres réactions de déception n’étaient pas rares. « La volonté jadis affichée et non déclarée, du Président du CNDD à se porter candidat aux élections du 31 janvier 2010 venait corroborer la thèse que la Guinée manque toujours de dirigeants patriotes. C’est le fauteuil présidentiel et le pouvoir qui l’entourent qui intéressent les dignitaires et autres parvenus. C’est pourquoi ils sont déterminés à défendre leurs privilèges et le chemin qui mène au pouvoir… en recourant à la violence »215 note un ex-inconditionnel qui ne jurait plus que par Dadis. Dès lors, on comprend que la junte veuille se fixer comme priorité d’assoir de toute urgence son autorité, consciente du fait qu’elle ne jouissait encore d’aucune légitimité. Les casernes sont les premières concernées. Il s’agissait de prévenir d’éventuelles oppositions de la part d’officiers supérieurs ou subalternes, voire des sous-officiers. Dadis semble bien avoir appris sa leçon. Des mesures spectaculaires furent annoncées et mises en œuvre dans les premières heures de la prise du pouvoir : une vingtaine de généraux furent mis d’office à la retraite et les plus remuants embastillés. Des promotions furent accordées à tous les corps habillés. Des officiers supérieurs qui avaient fait mauvaise fortune sous Lansana Conté sont rappelés et promus à des grades qui leur avaient été refusés. Des salaires de tous les militaires ont été revus à la hausse. Même ceux déjà à la retraite ont vu leurs pensions substantiellement améliorées. Ces mesures furent très vite complétées par le rétablissement du statut particulier de l’Armée, gelé depuis la Première République. Le tout visait un seul et même objectif, se faire accepter par l’ensemble des Forces de Défense et de Sécurité. Pour plus d’assurance, la junte militarise à outrance l’administration du territoire. La quasi-totalité des gouverneurs, préfets et sous-préfets sont des hommes en uniforme. Ainsi, huit Régions administratives sur huit et 28 sur 33 préfectures sont tenues 214 215
Ibidem. Le Diplomate N° 351.
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par des militaires. Aussi, les ministères de souveraineté et autres Étatsmajors sont-ils confiés à des proches (parents directs, camarades de promotion et autres anciens formateurs de base du capitaine Dadis) ; il en est de même des postes administratifs générateurs de revenus où les militaires se taillent la part belle. « Sans doute serait-il exagéré d’en conclure à une colonisation des postes de responsabilité importants. Toutefois, l’écart observé est suffisamment grand pour être significatif. Lorsqu’on se rappelle que la Guinée vit toujours en économie de pénurie dans laquelle le fonctionnaire-cadre ne peut couvrir avec son traitement que le cinquième de ses dépenses, on perçoit aisément les reproches adressés aux militaires pour cette entrée en force dans des secteurs dont ils étaient jusqu’alors quasi totalement absents.»216 Mais comme si cela ne suffisait pas, le capitaine Moussa Dadis Camara, en prévision d’ambitions évidentes, procéda quelques mois plus tard à un recrutement inconsidéré dans l’Armée de jeunes forestiers presque tous originaires de sa contrée natale. C’est une milice parallèle qui ne disait pas son nom. Sur le terrain, le CNDD multipliait les sorties au cours desquelles il continuait à entretenir un flou artistique autour de la candidature de son président. À l’instar du régime de Lansana Conté, la junte suscita la création d’une foultitude de mouvements de soutien à grands frais et à coup de publicité auxquels s’ajoutaient des partis politiques satellitaires offrant leurs services. Comme nous l’annoncions plus haut, c’est l’occasion ici d’appeler à une réflexion sur la situation du reste fort préoccupante des mouvements de soutien et autres groupes de pression très en vogue en Guinée. En effet, à quoi serviraient des mouvements de soutien, surtout à un homme qui, sans le solliciter, est plébiscité par presque tous ses concitoyens ? Nous avons constaté que depuis la Deuxième République le recours aux mouvements de soutien a fait école. Lansana Conté en fut un grand manipulateur. Pourtant, il est arrivé au pouvoir après un régime révolutionnaire dont la fin était vivement souhaitée, à en juger par la récurrence des complots (expression du rejet) qui ont ponctué son parcours et surtout les clameurs qui ont salué sa chute. Lui et son équipe ont été accueillis en rédempteurs. A notre avis, un mouvement de soutien en était de trop, l’histoire ayant déjà fait son travail préparatoire, c’est-à-dire, la mise à disposition de tous les facteurs de popularité. Le général Lansana 216
Bernard Charles in Politique, N° 36, P. 18.
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Conté y avait cru au point de tourner le dos aux militants de son parti, le PUP217, qui se plaignaient d’être beaucoup plus un parti du pouvoir qu’un parti au pouvoir. Par ailleurs, Lansana Kouyaté, appelé aux affaires comme Premier ministre, trouva la recette opportune et crut devoir lui aussi conforter sa position en s’encombrant de mouvements de soutien. Or sa nomination, vivement souhaitée voire exigée par le Forum des Forces Vives du pays, a reçu un accueil enthousiaste et populaire. Même ceux qui ne le connaissaient pas physiquement étaient heureux de l’avoir comme Premier ministre, tellement le régime du général Lansana Conté était devenu insupportable. De surcroit, il est arrivé au moment où, les populations guinéennes presque à l’unanimité, venaient de contraindre le chef de l’État à renoncer à la nomination à ce poste, d’Eugène Camara, un de ses protégés. Cette nomination, il faut le rappeler, avait provoqué de violentes manifestations de rejet à travers tout le pays ayant même entrainé mort d’homme. Lansana Kouyaté, un premier ministre précédé de la réputation de grand diplomate, d’économiste avéré et d’homme de dossiers au carnet d’adresses bien épais, était aux yeux des populations éprises de justice sociale et de bienêtre, un contrepoids du pouvoir d’un général autocrate qui avait suffisamment abusé d’elles. Kouyaté passait pour le rédempteur, celui qui devait redonner espoir et courage à tous ceux qui en avaient perdu. Vu le délabrement de l’économie nationale, les graves et constantes violations des droits de l’homme, les conséquences désastreuses du système autocratique de gouvernance, la promotion de l’ethnocentrisme et du régionalisme comme garants du pouvoir et surtout la misère endémique qui sévit au quotidien, Lansana Kouyaté ne pouvait pas ne pas être l’homme de la situation. Tous ses indicateurs de popularité et de crédibilité étaient au vert : ancien ambassadeur, ancien Sous-secrétaire général de l’ONU, ancien Secrétaire général de la CEDEAO, Représentant de la Francophonie, Représentant spécial du Secrétaire général de l’ONU en Somalie et qui plus est, produit de l’Université guinéenne, donc objet de fierté de tout bon Guinéen. Il était pour ainsi dire attendu par les populations 217
Son intéressement au PUP n’était manifeste que pendant les échéances électorales qui le concernaient directement. En ces moments, c’était comme charognard sur cadavre au sein du parti, pour la gestion des fonds mis à disposition pou les campagnes électorales.
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guinéennes. Il n’est pas abusé de dire qu’il a été le plus populaire des premiers ministres guinéens à la nomination. Avait-il vraiment besoin d’un autre soutien ? Pourtant, Kouyaté a succombé à la tentation d’user des groupes de pression et autres mouvements de soutien pour assumer sa mission. Quel soutien cherchait-il encore et contre qui, surtout qu’il disait être en parfaite harmonie avec sa hiérarchie ? Ce fut le début de sa déchéance politique. Muselé par son mentor, tenu sous pression par un entourage véreux et impénitent et abandonné par les populations lasses d’attendre, Lansana Kouyaté devait sortir par la petite porte. Il avait sous-estimé le fait qu’après 24 ans de dictature militaire, les Guinéens avaient réellement soif de changement. Et que quiconque pouvait y mettre un terme était le bienvenu. Kouyaté semblait en être un aux yeux des Guinéens. Les Guinéens ne semblent pas au bout de leurs peines. Après Kouyaté, c’est le capitaine Moussa Dadis Camara qui s’inscrit à l’école des mouvements de soutien. Pour les Guinéens, selon les propos d’un ancien haut dignitaire, Dadis était leur Moïse. Le propos était certes excessif, mais suffisamment expressif par rapport au chemin de croix qu’effectuent depuis bien longtemps ses compatriotes. À cet effet, le coup d’État contre Lansana Conté n’en était pas un. Ce fut l’une des rares prises du pouvoir anticonstitutionnelles à faire l’unanimité tant à l’intérieur qu’à l’étranger. Même la classe politique et les syndicats, pourtant les plus avares en appréciation d’acte politique, ont été indulgents à l’endroit de la junte. Malgré tout, Dadis s’est ingénié à susciter, et à financer à coup de milliards de Francs guinéens, des mouvements de soutien et autres groupes de pression. Les Guinéens ont encore en mémoire l’existence du fameux groupe dénommé « Dadis doit rester » qui a d’ailleurs donné immédiatement naissance à son exact contraire, « Dadis doit partir ». On se demande bien, comme dans les cas antérieurs, à quoi tout cela pouvait servir en dehors du soutien de tout un peuple à la recherche d’un «rédempteur » ? À notre entendement, le rôle d’un mouvement de soutien est d’aider à conquérir le pouvoir et non à l’exercer ou à le conserver. C'est pourquoi les cérémonies tapageuses, les grands meetings d’information et autres manifestations de rue interviennent pour mieux faire connaitre le leader, ses projets, ses moyens d’action et surtout sa 212
dimension relationnelle. Ces mouvements ne sauraient servir de moyens d’exercice ou de conservation du pouvoir, une fois qu’il est acquis dans les normes de l’art. Le cas échéant, ils perdraient leur fonction originelle pour devenir des moyens de pression et de justification des déviations de ceux qui en usent. Ils serviraient en ce moment à étouffer ou à réprimer toute manifestation de contestation, même légitime du pouvoir. Ces mouvements étaient omniprésents de 2005 à 2009, contre les syndicats, les partis politiques, la société civile et même contre les étudiants, en train de soutenir des gouvernements impopulaires et de surcroît incapables d’assumer les charges les plus élémentaires de leurs fonctions régaliennes. L’exemple le plus dramatique a été celui relatif aux dramatiques évènements du 28 septembre 2009 au stade du même nom à Conakry. Ce jour, alors que le peuple de Guinée comptait ses nombreux blessés et morts tombés au Stade sous les balles de la garde prétorienne de Dadis, son groupe de soutien, sous la houlette du gouverneur de la ville de Conakry d’alors, organisait en sa faveur une contre-manifestation à Kaloum. Le plus choquant a été de faire diffuser en boucle les images de cette cynique et honteuse prestation sur les médias d’État. On y voyait des hauts cadres frotte-manche de Dadis jubiler et soutenir les actions de ce dernier. Le même groupe a organisé un grand spectacle pour accueillir le lendemain des massacres, le capitaine Dadis sortant d’un hôpital où il était allé rendre visite aux blessés du Stade. À vrai dire, les mouvements de soutien sont un danger public si on en dénature la mission originelle. Dès lors, comme les cas évoqués plus haut, ils s’engagent aveuglement à protéger des chefs autocrates, incompétents, impénitents et impopulaires en bâillonnant les libertés d’expression, de regroupement et d’action qui sont pourtant les attributs de tout État de droit et de démocratie. C’est alors qu’on assiste à des confrontations entre pro et antipouvoir susceptibles d’engendrer des situations conflictuelles aux conséquences très dommageables pour la paix et la sécurité dans le pays. À l’analyse de leur composition et du statut de leurs membres, on s’aperçoit aisément que ces mouvements de soutien, tout en demeurant un danger permanent pour la stabilité intérieure, ont encore de beaux jours devant eux. En effet, on y dénombre majoritairement des diplômés sans emplois, des chômeurs invétérés, des travailleurs du secteur informel sans revenus substantiels, des bandits des grands chemins, 213
tous à la recherche du minimum vital et donc prêts à se muer en loubards moyennant rétribution. Ils ont alors pour vocation d’assouvir les ambitions sordides de leurs employeurs. Tels quels, ils sont et seront toujours prêts à servir tout chef en mal de légitimité et de popularité. Qui n’a pas vu à Conakry ces individus sans vergogne, dans les mêmes rôles, avec le même zèle, servir successivement Lansana Conté, Moussa Dadis Camara, Sékouba Konaté et aujourd’hui Alpha Condé ? Très certainement que nous les verrions avec Dalein, Sidya ou Jean-Marie Doré, si d’aventure leur rêve se réalisait. Talleyrand218 n’aurait pas fait mieux. Ces mutants du déshonneur et de l’indignité sont toujours disposés à exécuter sans discernement les ordres des commanditaires avec autant d’aveuglement qu’ils attendent en retour des récompenses allant jusqu’à de grandes promotions octroyées généralement sans fond de dossier honorable. En Guinée, il arrive très souvent qu’un mouvement de soutien soit mieux loti qu’un parti politique formel dans la mouvance présidentielle, suscitant infailliblement des conflits de compétence et même d’intérêts entre les deux.
218
Talleyrand (février/1754-mai/1838), encore appelé « Diable boiteux », fut un homme d’État français. Il réussit à occuper des postes de pouvoir politique durant presque toute sa vie et sous la plupart des régimes successifs que la France connaît à l'époque. Autrement dit, il a servi tous les régimes de son époque.
214
Cap. Moussa Dadis Camara
Kabinet Komara
Capitaine M. Dadis Camara et son Premier ministre
II. Boulbinet ou la fin d’un « mystère » Pendant de longs mois, le capitaine Moussa Dadis Camara continuait à se jouer de tout le monde autour de ses ambitions pour le pouvoir. Cependant dans la cité, ce n’était plus un secret pour personne. Finalement, c’est le mercredi 19 février 2009, au cours d’un meeting tenu à Boulbinet219, qu’il franchit la ligne rouge. Le masque est tombé ce jour sur le pied de son porteur. Dadis, dans un discours enflammé, annonça ouvertement sa candidature aux élections présidentielles de janvier 2010. C’était à vrai dire un non-évènement, parce que tout le monde le savait déjà bien avant. Et « les Guinéens qui avaient rêvé d’un Amadou Toumani Touré, devraient se contenter d’un Robert Guéï »220², écrit Gaston Kelman. Depuis, le chef de la junte n’arrête plus de parcourir les quartiers de Conakry, notamment
219 220
C’est un quartier de la presqu’île de Kaloum à Conakry. Revue Actualité Internationale, janvier 2010, P. 21.
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ceux situés sur l’axe Bambéto-Enco5221, vilipendant les leaders politiques et invitant les élus locaux à ne plus abriter les meetings de ses « adversaires ». Il ne manquait pas d’astuces pour contrer ses potentiels concurrents. À cet effet, il déterra et dépoussiéra le Comité d’audit dans le dessein satanique de salir et mettre hors-jeu tous ceux qui pouvaient entraver ses ambitions obsessionnelles du pouvoir. Dans son viseur, on notait Lansana Kouyaté, Sidya Touré, Cellou Dalein Diallo et François Lonsény Fall, tous anciens Premiers ministres dont les éventuelles candidatures ne donneraient aucune chance à la sienne. Et depuis, le régime s’engagea ouvertement dans un processus de radicalisation, suspectant et faisant surveiller tout le monde. Ainsi, les opérateurs de téléphonie mobile de la place sont-ils contraints de geler la diffusion des SMS hostiles à sa candidature. Même injonction au Conseil National de la Communication (CNC) invité à faire arrêter des émissions interactives des radios privées utilisées par les citoyens pour dénoncer ses dérives autoritaires ainsi que le non-respect de ses engagements. C’était déjà trop pour ses adversaires. Les Forces Vives222 qui ne supportaient plus ses goujateries ainsi que le flou qu’il continuait d’entretenir autour de sa candidature, décident de réagir. La fronde s’organise immédiatement. Pour une rare fois, la classe politique parle d’une seule voix. La décision est alors prise de faire la démonstration à Dadis que le peuple n’est plus avec lui, mais avec les Forces Vives. Elles tenaient surtout à lui dire qu’il n’avait pas qualité à faire de la politique. Les choses sont allées vite, très vite même. Les partis politiques, les syndicats et la Société civile décident de prendre la rue pour exprimer leur ras-le-bol et confirmer en même temps leur farouche opposition à la candidature du chef de la junte. Ils projettent à cet effet une grandiose marche pacifique pour empêcher à celui-ci de mettre en application ses intentions et l’obliger par conséquent à respecter ses paroles d’officier. La date retenue est l’emblématique 28
221
Ce circuit est également appelé « axe du mal », parce que toutes les manifestations hostiles aux régimes partent toujours de là. 222 Par Forces Vives ou Mouvement Social Guinéen, il faut comprendre l’Inter centrale syndicale (CNTG, USTG, ONLSG, UTG), l’Inter centrale (UGTG, SIFOG, CGSL, CGTG), le Conseil National des Organisations de la Société Civile Guinéenne et des confédérations patronales guinéennes.
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septembre223 au Stade du même nom à Conakry. Dadis qui n’y croyait pas, entreprit une tournée dans le pays profond à l’effet de susciter sa candidature. Labé est la première étape. Il s’y rend le 26 septembre. Dans un stade de Labé à moitié rempli de partisans réquisitionnés et transportés depuis Conakry par des structures de soutien au CNDD, sous la haute surveillance de plus de 2500 agents en uniforme, il n’obtient cependant pas ce qu’il y était allé chercher, c’est-à-dire le soutien à sa candidature. Cela ne l’empêcha pas pour autant de prétendre qu’il était réclamé par le peuple de Guinée tout entier. C’est une technique classique bien connue et employée par des dictatures rampantes. Auparavant, des manifestations similaires ont été organisées sur l’initiative des autorités militaires du pays profond notamment dans les préfectures de Kissidougou, Macenta, Nzérékoré, Boké, Siguiri, Kankan et Gueckédou, sans oublier celles suscitées dans presque toutes les chancelleries guinéennes à l’étranger. Nous avons personnellement été témoin de celle organisée à la résidence de l’ambassadeur de Guinée à Alger, parallèlement au programme du Second Festival Panafricain des Arts et de la Culture auquel une délégation guinéenne avait pris part. À Conakry, en sus de celles que les quartiers organisaient quotidiennement, ce sont les départements ministériels, les ensembles artistiques et culturels publics et privés qui rivalisaient de démagogie pour « solliciter » la candidature de l’homme. Aussi a-t-on vu défiler au Camp Alpha Yaya, siège du CNDD, sous les caméras de la télévision nationale, les Coordinations Régionales des Sages venues faire allégeance aux nouvelles autorités. Celles-ci en sortaient, les poches pleines des centaines de millions de Francs guinéens, une corruption qui ne disait pas son nom. C’est le lieu de constater que depuis le régime de Lansana Conté, on a fait un très mauvais usage de ces coordinations préfectorales ou régionales des sages. Le Pouvoir Central qui a commencé par les considérer comme des corps constitués de la République, a fini par leur donner à un rang protocolaire dans des cérémonies officielles. Il est même, jusqu’à présent, une obligation pour une délégation officielle se rendant à l’intérieur du pays, d’inscrire dans son agenda, une visite de courtoisie aux sages de ces coordinations. N’oubliez surtout pas de 223
Rappelons que cette date correspond au 51ème anniversaire du vote historique par lequel le peuple de Guinée a dit NON au projet gaulliste de Communauté francoafricaine.
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prévoir la remise de l’enveloppe symbolique. Cette attitude de l’État à l’égard des coordinations des sages crée une confusion d’attributions qui a fini par leur donner l’impression d’être des structures incontournables. Or selon François Lonsény Fall, « les Coordinations régionales, si elles doivent être maintenues, devront se limiter strictement à leur rôle originel de solidarité sociale et inter-régionale (…) S’éloignant de leur mission de facilitation de dialogue social entre les différentes communautés nationales, elles s’investissent de plus en plus dans l’arène politique. À cette allure, les partis politiques ne représenteront plus que le poids de la communauté de leurs dirigeants, ce qui constituerait un frein à l’avènement d’une véritable démocratie, basée sur les programmes des partis politiques et une grave menace à l’unité et à la cohésion nationales. »224 Plus tôt on régulera leurs prestations mieux cela vaudrait, car le code éthique de leurs actions échappe à toute norme juridique universelle. En plus de l’instrumentalisation des coordinations régionales, Dadis avait une emprise totale sur les médias nationaux, notamment la télévision nationale, pratiquement interdits aux leaders politiques. Toutes les émissions étaient consacrées à la diffusion en boucle de ses interminables audiences foraines ainsi qu’aux manifestations commanditées par des thuriféraires du régime. Ces audiences lui donnaient l’occasion de traiter publiquement des grands dossiers de malversation, de trafic de drogues et surtout de faire étalage de son « vaste savoir ». Les coups de gueule et autres scènes d’humiliation de citoyens nationaux et étrangers qui n’étaient pas rares ont donné naissance à ce que ses compatriotes ont appelé non sans humour des Dadis shows. Selon Yérim Seck, « le Dadis Show permet à son acteur principal de se défouler sur les trafiquants de drogue présumés, les fonctionnaires suspectés de détournements, les diplomates ou hommes d’affaires établis dans son pays, mais également sur ses propres collaborateurs. Les révocations et les mises à la retraite anticipée sont prononcées devant les caméras. Mieux que la téléréalité. »225 Le tout destiné à se faire achalander auprès d’un peuple désespéré. Voici quelques exemples d’indécences qu’il distribuait au quotidien à ses auditoires et dans des discours enflammés : « Je ne 224 225
Ibidem. Article à lire sur Jeuneafrique.com : Dr Dadis et Mister Dadis.
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suis pas votre égal. Si tu me parles comme ça, je te renvoie dans ton pays. Escroc international. Peux-tu parler ainsi à Poutine ? » Menace-t-il un homme d’affaires ukrainien qui tenait à lui donner des explications concernant les modalités de la reprise de l’usine d’alumine de Fria. Vous comprendrez que Dadis ne fait pas la différence entre les présidents ukrainien et russe. Quant à son Premier ministre, Kabinet Komara, l’humiliation lui était servie à tout bout de champ. Tenez ! Voulant un jour lui souffler un mot à l’oreille au cours d’un meeting, certainement pour l’orienter dans ses élucubrations, Dadis le heurta violemment devant un auditoire estomaqué : « Pourquoi tu me parles à l’oreille ? Pourquoi tu me déranges ? » 226 A une autre occasion, ne parvenant pas à obtenir un rendez-vous pour une urgence qu’il avait à lui soumettre, le Premier ministre se vit contraint de le rejoindre au bureau du général Sékouba Konaté, alors, Second Vice-président du CNDD. Il n’en fallait pas plus pour s’entendre dire : « Pourquoi tu me suis ? Qui t’a dit d’entrer dans ce bureau ? Pourquoi tu es impatient ? »227 Ajoutées à cela des insanités dont il l’a couvert pour avoir reçu en tant que Premier ministre, un opérateur minier, insanités qui ont circulé sur les téléphones portables en Guinée comme à l’étranger. Aussi, Dadis aura-t-il excellé dans l’étalage de son ignorance en matière de gestion des mouvements sociaux. S’adressant à des magistrats en grève, Dadis encore comme à l’accoutumée, entra dans une colère bleue. Son fauteuil devenu exigu pour la circonstance, il se tint debout pour balancer aux cadres en cause, ce discours pour le moins indigeste, devant un auditoire médusé : « Vous voulez paralyser l’administration ? Je vais vous paralyser moi aussi. Et si vous n’arrêtez pas, je vais vous mater. »228 Ce faisant, Dadis ignorait que la Constitution guinéenne reconnait aux travailleurs le droit de grève et n’imaginait pas qu’il devait apprendre à faire avec. Il faut avouer qu’il est pratiquement impossible de répertorier tous les propos orduriers et autres actes d’indélicatesse indifféremment débités ou posés par Dadis à longueur de meetings, sans aucun égard pour la nature du thème du jour ni du public souvent nombreux et composite. En voici quelques exemples pour clôturer cette série de 226
Ibidem. Ibidem. 228 Ibidem. 227
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spectacles absolument malséants que les Guinéens garderont assurément pour longtemps en mémoire, à cause de leur singularité. En effet, voulant un jour mettre en exergue sa probité morale, comme il adorait le faire du reste, Dadis a trouvé opportun de déclarer au cours d’un grand meeting au Palais du Peuple que « Je peux avoir une copine parce que je suis un homme, mais je ne détourne pas la femme d’autrui. Les hommes de troupe peuvent en témoigner. Demandez-leur si je mens. Depuis la prise du pouvoir, je ne mets pas les pieds quelque part sans qu’ils le sachent. » 229 Est-ce cela la sincérité d’un homme d’État devant son peuple ? Pauvre de Guinée qui cherche désespérément un président de la République ! Le capitaine Dadis était capable de bien d’autres prouesses. Il pouvait subitement se muer en son exact contraire. Autrement dit, il avait une aptitude à varier de profil. Il n’était pas rare de le retrouver décontracté, amusant et même chaleureux, tout comme il savait aussi être narcissiste à outrance. Parlant tantôt à la première personne tantôt à la troisième, imposant à son auditoire un moi manquant d’humilité et de considération pour son interlocuteur, Dadis alignait fièrement, un large sourire aux lèvres des propos comme : • Moi Dadis ; • moi Président Dadis ; • Dadis qui vous parle est un homme honnête, sincère, patriote, incorruptible, etc.230 Selon Yérim Seck «il peut, au beau milieu d’une rencontre officielle, griller une cigarette, se lever pour serrer la main à une personne dans l’assistance, applaudir à tout rompre, rire à tue-tête, interrompre le maître de cérémonie pour discuter ou pour distribuer la parole. »231 Confondant clameurs des groupes de démagogues en quête de numéraire pour la survie quotidienne à un soutien populaire, le capitaine Dadis s’est cru désormais le Moïse guinéen, comme le lui avait d’ailleurs laissé croire un de ses obligés bien connu, l’Honorable El Hadj Boubacar Biro Diallo, ancien Président de l’Assemblée 229
Ibidem. Ayissi, 2009, pp. 26-27. 231 Op.cit 230
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Nationale, devenu pour la circonstance son conseiller. Dans un discours éminemment flatteur, il lança au chef de la junte des propos qui sont tombés dans les oreilles d’un homme qui en avait vraiment besoin : « Monsieur le Président, c’est Dieu qui vous a envoyé en mission à un moment où le peuple de Guinée était désespéré. C’est dans les mêmes circonstances qu’il avait envoyé le prophète Moïse au secours du peuple d’Israël. Ce ne sont pas vos connaissances qui vous ont permis d’être ici. C’est le destin : Dieu avait décidé que vous alliez commander la Guinée bien avant votre création. Et Dieu nous a envoyé, je pense, celui qui va la guérir. Dieu a eu pitié de la Guinée et des Guinéens. Il a écouté, entendu et accepté les prières des misérables que nous sommes. Il vous a envoyé. Ce n’est pas du hasard pur. La volonté de Dieu est immuable. Soyez tranquille. Menez votre bout de chemin et n’ayez crainte qu’en Dieu. Dieu aussi vous jugera, car c’est lui qui vous a envoyé, et pas nous. »232 Il n’en fallait plus pour que l’homme se sente investi d’une mission divine en Guinée, et qui plus est, nourrit par le viatique de la signification de son prénom Moussa qui se trouve être justement celui du prophète. Il en était d’autant convaincu qu’il lui est arrivé une fois de dire sans la moindre humilité que «la Guinée a la chance d’avoir Dadis comme Président. » Il se disait être le seul Guinéen à connaître son peuple comme la paume de sa main, même si plus tard il dut se déjuger en avouant que « la Guinée est un pays difficile à commander ». Tenez, de retour d’une parade qu’il venait d’effectuer, peu après sa prise du pouvoir, parade au cours de laquelle la population de Conakry était massivement sortie pour voir le nouvel homme fort, Dadis s’exclama sans la moindre retenue : « Je suis convaincu, rassuré que je suis le Président de la République, le Président du Conseil National pour la Démocratie et le Développement, commandant en chef des forces armées… »233 Une autre fois, sortant de l’Hôpital Donka où il était allé voir les victimes des évènements du 28 septembre et sous les caméras de France 24, le capitaine Dadis trouva sur le chemin, une foule de jeunes mobilisés par Mohamed Diop, Gouverneur de la ville de Conakry 232
[email protected] Ayissi, in Paroles d’officier…, P. 23.
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d’alors, un autre spécialiste en manipulation des foules. La mise en scène était si bien réussie que la masse en délire l’a ovationné à tout rompre et a même failli soulever sa voiture de commandement conduite par lui-même. Emporté par le spectacle offert par les jeunes surexcités par la drogue, le chef de la junte a lancé sous les caméras de France 24 et parlant de lui-même à la troisième personne et dans un discours parfaitement décousu : « …C’est le phénomène patriote Dadis ! C’est un mythe ! C’est le pouvoir du peuple ! Même le capitaine Dadis ne comprend pas ce phénomène. C’est une divinité naturelle ! Ceux qui parlent de force d’interposition, c’est eux, la force d’interposition ! ».234 Il faut avoir vu le film pour essayer de comprendre ce qu’il voulait réellement dire. Le spectacle était tout simplement burlesque. Interprétant ce comportement de Dadis, un observateur estime que « si le chef de la junte exulte, c’est qu’il savoure le triomphe d’un plan ourdi bien avant la mort de son prédécesseur, le Général-Président Lansana Conté, le 22 décembre 2008. »235 Le bouillant capitaine qui ne rêvait qu’au fauteuil présidentiel, multipliait les dérapages, parce qu’il n’écoutait plus personne. Il s’était, pour ainsi dire, irréversiblement engouffré dans le couloir de la mort.
III. Marche anodine, piège fatidique du Stade 28 septembre De retour de sa mission infructueuse à Labé, le capitaine Dadis apprend que le projet de marche pacifique de l’opposition est maintenu à date et au lieu prévu. Il tente vainement d’y faire obstacle. Devant la détermination de l’opposition, il opte pour la confrontation, ce que lui déconseille vivement l’Honorable Jean-Marie Doré, porteparole des Forces Vives, requis à cet effet par les dignitaires religieux de la capitale. Ce dernier lui fera la démonstration, qu’il n’avait rien à craindre, d’autant plus que c’était une manifestation pacifique tout à fait légale. Mais d’autres conseillers plus écoutés dont son cousin Papa Koly Kourouma, lui aurait fait comprendre que c’était une 234
Reportage de la Télévision France 24 sur les évènements du 28 septembre 2009 à Conakry. 235 Op.cit.
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bravade qu’il fallait mâter une fois pour toutes, s’il voulait avoir la paix avec ses opposants. Le voilà donc qui succombe à la tentation de la violence. Ainsi, face à la marée humaine qui déferle et remplit le Stade du 28 septembre, sa garde prétorienne, sans nul doute avec son accord, investit les lieux et ouvre le feu sur des manifestants sans armes dans une enceinte fermée. Une répression d’une rare violence s’abat sur la foule et fait au moins 156 morts selon les organisations des droits de l’homme, des centaines de blessés dont les principaux leaders, Jean-Marie Doré, Cellou Dalein Diallo, Sidya Touré, Aboubacar Sylla, etc., ainsi que 109 cas de viols. La manifestation enregistra une absence de marque, celle d’Alpha Condé, Président du RPG, pourtant bien au courant de ce qui allait se passer ce jour à Conakry. Pourquoi n’était-il pas là ? Était-ce calculé ou une simple coïncidence ? Il faut toutefois signaler la présence au stade de certains responsables du RPG. Les massacres du 28 septembre au Stade du 28 septembre ont scandalisé plus d’un, suscitant indignations, réprobations et condamnations unanimes de la Communauté internationale. Dadis qui voulait faire patte blanche, est le premier à les condamner et à solliciter les services d’un médiateur, en même temps qu’il suggérait l’envoi d’une mission d’enquête internationale. Il est allé jusqu’à s’engager par écrit à faciliter le travail des enquêteurs. Curieusement, on ne sait pas trop pour quelle raison, il crée parallèlement une commission nationale d’enquête. Que de naïveté ! La Communauté internationale qui ne demandait pas mieux, saute sur l’occasion ainsi offerte pour dépêcher immédiatement ses limiers sur les lieux. Quelle pourrait être la responsabilité du bouillant capitaine dans cette tragédie ? Pour beaucoup d’observateurs, la présence ce jour au stade du lieutenant Aboubacar Sidiki Diakité alias Tumba, aide de camp et homme à tout faire de Dadis, présume fortement une probable implication du chef de la junte. L’homme dont on connaît les réactions épidermiques n’est-il pas tombé dans un piège stupide que lui auraient tendu toutes les intelligences hostiles à son pouvoir ? À rappeler qu’il avait sur son fragile dos la France et l’Allemagne auxquelles il s’était attaqué publiquement, les États-Unis naturellement opposés aux régimes militaires ainsi que le Forum des Forces Vives qui ne le supportaient plus. Il est à parier que ces puissantes adversités n’eurent 223
aucune difficulté à exploiter les émotions négatives de Moussa Dadis Camara qui, en dépit des « vastes savoirs » dont il se prévalait, est un parfait analphabète politique. En tout état de cause, son pouvoir s’est dangereusement et irrémédiablement compromis, entraînant ainsi la démotivation progressive de ses admirateurs. Des démissions en cascades des membres de son gouvernement s’enchaînent au fil des jours : c’est le ministre de l’Agriculture qui ouvre le bal, suivi du ministre de la Communication, Porte-parole du Gouvernement (son ministre chouchou), de celui de la Fonction publique et du Travail et de bien d’autres proches collaborateurs. Tous indignés, se disent n’être plus en mesure d’assumer les déviations grotesques de leur chef. Le nombre, la qualité et les raisons des différents départs du gouvernement suffisent largement à expliquer la suite des évènements236. C’est le début de la descente aux enfers du capitaine « patriote » et de son CNDD. Le même climat déteint sur la vie dans les casernes. Entre le camp des instigateurs des massacres et celui des exécutants, le fossé se creuse et s’approfondit au fil des jours. Chacun prend la mesure du drame. Personne ne veut en endosser la moindre responsabilité. En fin de compte, avant la fin des enquêtes « la junte au pouvoir et les Forces Vives se regardent en chiens de faïence. Aucun dialogue n’est possible. Chacun s’emmure dans un lourd silence. On suspecte le dangereux calme qui précède la tempête »237, écrit un observateur. Les jours passent, aucune initiative de sortie de crise ne vient détendre une atmosphère absolument sulfureuse. Cependant, il faut se convaincre que des nombreuses tractations occultes se donnent libre cours. Seule la France par Bernard Kouchner son ministre des Affaires étrangères qui avait auparavant des antécédents fâcheux avec le chef de la junte, s’active ouvertement pour son propre compte. C’est seulement le 6 décembre 2009 que Jean Ping, Président de la Commission de l’Union Africaine sollicite la médiation du Président Blaise Compaoré du Burkina Faso pour réunir autour d’une table, les protagonistes de Conakry, en l’occurrence, le CNDD et les Forces 236
La démission d’un membre du gouvernement est rarissime en Guinée, à l’exception de Jean-Claude Diallo, ministre de l’Information et du Premier ministre François Lonsény Fall sous Lansana Conté. Mais les intéressés ont dû attendre d’être hors du pays pour le faire. 237 In Actualité Internationale, 2010, P. 21.
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Vives. Blaise Compaoré, habitué des médiations difficiles, parviendrat-il à souhait à recoller les brisures de vaisselle politique guinéenne ? Rien n’est moins sûr. La singularité du cas guinéen procède du fait qu’« il faut sortir d’un putsch qui ne dit pas son nom pour aller à des scrutins où on aura affaire à une bande de militaires extrémistes qui s’oppose à une classe politique divisée (…) Il lui faut tenir compte d’une armée dont les caractéristiques principales demeurent à n’en pas douter, le manque de structure ainsi que l’indiscipline généralisée de ses éléments. »238 Les négociations sont laborieuses, tant les protagonistes sont retranchés dans des positions rigides et divergentes. Après de longs mois de huis clos et de plénières à Ouagadougou, un protocole d’accords dit « Accords de Ouagadougou » est élaboré pour être soumis à toutes les parties à la mi-décembre 2009.239 Entre temps, la Commission internationale d’enquête avait entamé son travail. Elle a entendu de nombreuses personnalités du gouvernement, de la classe politique, des syndicats, de la Société Civile, des victimes et autres dignitaires religieux. Chacun évite soigneusement de se compromettre. Dadis comprend qu’il risque gros si d’aventure sa culpabilité est établie. Il trouve un bouc émissaire en la personne de son aide de camp, le lieutenant Aboubacar Tumba Diakité qu’il décide de sacrifier devant les enquêteurs. Ce choix se révèlera très mauvais et même explosif. En effet, en compagnie de certains officiers acquis à sa stratégie, il organise des témoignages concordants l’incriminant. Reçu à son tour par la Commission, Tumba apprend non sans surprise et écœurement que sa hiérarchie l’a rendu responsable des massacres du stade. Du coup, il interrompt sa déposition et se retire au « Camp Koundara », écumant de colère. Tout laisse croire que la rupture d’avec son mentor est inévitable. À la tête d’une unité fortement armée, Tumba entre en dissidence contre son patron. Ce dernier tout naïvement, se décide d’aller à sa rencontre dans son retranchement pour le ramener à de meilleurs sentiments. Erreur fatale ! Le face à face des deux fait subitement monter l’adrénaline au seuil fatidique chez l’homme chez Toumba qui ne résiste pas à tirer dessus à bout portant sur son ancien mentor. Dadis s’en sort avec une balle dans la tête. L’homme fort de Conakry est définitivement mis hors-jeu est évacué d’urgence sur le Maroc pour des soins médicaux. « Un triste 238 239
Ibidem. Matalana, N° 21, 2010, P. 31 (voir libellé en annexe).
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destin que celui de ce jeune et fougueux capitaine qui aurait pu occuper une place privilégiée dans l’histoire de la Guinée, comme celui qui aura réussi à moraliser la vie politique et organiser les premières élections démocratiques dans notre pays. Sa jeunesse aidant, Dadis aurait certainement été le A.T.T.240 de la Guinée, comme il aimait lui-même se référer, avec à la clé, la possibilité de revenir plus tard au premier rang de la scène politique nationale »241, note non sans regret, l’ancien et éphémère Premier ministre du général Lansana Conté, François Lonsény Fall. L’isolement de Dadis change la donne autour de la table des négociations à Ouagadougou où on notait déjà de très sérieux blocages. Le maintien au pouvoir de Dadis jusque-là non négociable pour le CNND est visiblement compromis. Il l’est d’autant plus que le rapport242 de la Commission Internationale d’Enquête vient de tomber avec un contenu présumant fortement la responsabilité de la garde présidentielle et des forces de l’ordre. Par ricochet, un fort soupçon pèse sur Dadis en tant que chef militaire ou supérieur hiérarchique. Et l’attentat contre le chef de la junte devient opportunément arrangeant pour plus d’une personne : • Le médiateur Blaise Compaoré en premier, parce qu’il lui permet désormais de poursuivre aisément les négociations qui achoppaient sur la présence de Dadis à la tête de la Transition ; • Le général Sékouba Konaté, deuxième vice-président du CNDD qui récupère auprès de la communauté internationale et nationale, tout ce que Dadis a perdu comme, confiance, honneur et prestige. Du CNDD, il semble le mieux placé pour conduire la Transition ; • Les Forces Vives également y trouvent leur compte dans la mesure où leur revendication principale, en l’occurrence, le 240
A.T.T., initiales du nom Amadou Toumani Touré, ex-Président du Mali. F. L.Fall : Guinée, l’aurore d’une démocratie, P. 39. 242 Voici le libellé de ce rapport : « Les crimes perpétrés le 28 septembre 2009 et suivants peuvent être qualifiés de crimes contre l’humanité. Ces crimes s’inscrivent dans le cadre d’une attaque généralisée et systématique menée par la garde présidentielle, des gendarmes chargés de la lutte antidrogue et du grand banditisme et des miliciens, entre autres, contre la population civile. La Commission conclut aussi qu’il existe des raisons suffisantes de présumer une responsabilité pénale de certaines personnes nommées dans le rapport, soit directement soit en tant que chef militaire ou supérieur hiérarchique. » 241
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départ de Dadis du pouvoir est désormais chose acquise sans qu’elles n’en portent la responsabilité. Il leur reste cependant à taire leurs contradictions et rechercher l’unité d’action pour une suite heureuse du combat. À quelque chose malheur est bon, dit-on. L’annonce de la nouvelle de l’évacuation hors du pays du capitaine Dadis lance ouvertement les tractations. En plus de Conakry, Paris et Rabat prennent langue avec Ouagadougou. La suite est bien connue : la mise définitive à l’écart du « patriote » Moussa Dadis est désormais signée ainsi que son assignation à Ouagadougou au motif de « convalescence volontaire ». Du côté américain, les choses sont on ne peut plus claires : « très officiellement, le gouvernement américain a appelé le plus naturellement du monde au renversement du chef de la junte dans le but, pense-t-il, de trouver une voie de sortie de crise rapide. »243 Dadis est sacrifié pour conjurer le blocage des négociations inter-guinéennes en cours à Ouagadougou. Finalement, lesdits accords sont finalisés, même s’ils ne sont pas signés par toutes les parties, notamment par les Forces Vives. Toujours est-il qu’ils ont permis d’aboutir à un compromis qui institue une transition de six mois, temps estimé nécessaire par la médiation pour passer le service aux civils. Le malheur des uns faisant le bonheur des autres, le général Sékouba Konaté, jusque-là Second Vice-président du CNDD, est de plus en plus cité par la communauté internationale et même nationale pour occuper le fauteuil laissé vacant par Moussa Dadis Camara. Il semble faire l’unanimité, mais ne se laisse pas impressionner par l’offre. Il se fait prier et finit par accepter le projet avec la condition expresse d’être accompagné par l’Honorable Jean-Marie Doré, porte-parole des Forces Vives comme Premier ministre. Ce choix aussi fait l’unanimité en Guinée comme à l’étranger. Mais Doré non plus ne semble pas séduit par l’offre de Konaté, attendu qu’il aspirait lui aussi à se porter candidat aux présidentielles annoncées. Il se fait également prier non seulement par ses compatriotes, mais aussi par nombre de chefs d’État amis de la Guinée qui pensent qu’il est lui aussi l’homme de la situation au poste de Premier ministre. En définitive Konaté et Doré finissent par s’accorder et se décider d’assumer par amour pour leur pays, la Transition de six mois, comme le stipulaient les Accords de 243
Afrique Éducation, décembre 2009, P. 27.
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Ouagadougou. La tâche s’annonce difficile. Face à un pays qui présente un passif absolument désastreux, deux hommes que tout sépare (âge, corporation, niveau intellectuel, aspiration, expérience, style de vie et de travail, etc.), ont la lourde mission de tempérer les agitations et les appétits des politiciens aux aguets et pressés d’accéder au fauteuil présidentiel. Y parviendront-ils ? Et à quel prix ? Surtout quand on sait que sur le terrain, la grande muette au sein de laquelle trônent encore de nombreux pro-Dadis, n’a pas dit son dernier mot. Nombreux sont ses condisciples qui suspectent l’acceptation du poste de Président par Konaté. Ils ne font d’ailleurs pas moins que de le considérer comme un traître à celui qui l’a toujours considéré comme son « frère jumeau ». Toujours est-il que le commun de la rue cherche toujours à expliquer les raisons des absences à Conakry du général Konaté lors de presque tous les graves évènements qui ont terni l’image du CNDD. En effet, il n’était pas avec Dadis à Labé le 26 septembre 2009 dont c’était pourtant la première sortie officielle à l’intérieur du pays. En tant que ministre de la Défense, il ne pouvait pas ne pas y être. Également, lors des horreurs du Stade du 28 septembre, il était à Macenta. Enfin, le 23 décembre, jour de l’attentat contre son ami, il était au Liban. Ces absences ont-elles des liens avec les différents événements majeurs qui ont finalement compromis le destin politique du « frère jumeau » ? Difficile de répondre à souhait à cette question du reste fort pertinente. En attendant, que retenir de l’œuvre du capitaine Moussa Dadis Camara ? Était-il l’homme que les Guinéens pauvres, épris de justice sociale et de démocratie vraie attendaient ? Yérim Seck qui semble bien connaître le chef de la junte répond : « Ce capitaine petit et mince, agité et colérique, dépourvu de retenue et allergique au protocole, a les épaules trop étroites pour le costume de chef d’État. »244 Incontestablement, le culte de la personnalité et l’ivresse du pouvoir avaient finalement eu raison de la jeunesse et de l’inexpérience du bouillant capitaine. L’homme qui s’était pourtant engagé, Bible et Coran entre les mains, à rompre une fois pour toutes avec les dérives du passé, a plutôt failli rompre le fragile équilibre de la Nation guinéenne. La fin tragique de son magister le 23 décembre 2009 a ouvert la voie à une nouvelle transition, celle devant préparer à l’avènement d’un État de droit et de démocratie en Guinée. Il n’en sera ni acteur ni témoin, mais un 244
Article à lire sur Jeuneafrique.com : Dr Dadis et Mister Dadis.
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observateur lointain qui ne sera d’aucune référence. Le pouvoir du capitaine « patriote » n’aura duré que le temps d’une fleur. Il est parti comme il est arrivé.
IV. Une transition sans Dadis L’attentat sur la personne de Dadis va influencer considérablement la mise en œuvre des Accords de Ouagadougou. Tout en considérant ces derniers comme point de départ d’une nouvelle transition, les Guinéens reformatent les Accords de Ouagadougou en faisant fi de certaines exigences de la médiation. L’aspect le plus remarquable est que désormais la Transition va devoir se faire sans Dadis, même s’il est désigné sur papier comme Président de la République de Guinée. Le Président par intérim est de fait, le vrai détenteur du pouvoir à Conakry. La présidente du CNT, contrairement au locataire de la Primature dont on a respecté les critères de choix, est allée à une syndicaliste et non à un religieux comme cela avait été convenu. Aussi, le nombre de conseillers est désormais de 159 contre 101 initialement prévus.245 Également, la feuille de route ne s’articule désormais qu’autour de deux objectifs essentiels : Restructuration des Forces de Défense et de Sécurité et l’organisation des élections présidentielles. En clair, nous avons désormais à faire à une transition de consensus concoctée sur place entre Guinéens et reposant sut trois piliers institutionnels : • Le Président de la Transition, Président de la République par intérim, ministre de la Défense, le général Sékouba Konaté, venu tout naturellement de l’armée ; • Le Premier ministre, chef du gouvernement, l’Honorable Jean-Marie Doré, issu du Forum des Forces Vives dont il était le porte-parole ; • La Présidente du Conseil National de la Transition, la syndicaliste Hadja Rabiatou Sérah Diallo, également du Forum 245
Dadis avait prévu 260 conseillers, dont beaucoup de jeunes, de femmes et de Guinéens de l’extérieur qui seraient nommés par lui-même, dans la perspective de l’élargissement de son électorat futur, puisqu’il aspirait sournoisement à la magistrature suprême.
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des Forces Vives. Elle est secondée par deux religieux : Mgr Albert David Gomez de l’Église Anglicane de Guinée et El hadj Mamadou Saliou Sylla, ancien Secrétaire général de la Ligue Islamique Nationale et ancien diplomate. Sans nul doute, le général Sékouba Konaté, le nouvel homme fort de Conakry, tirant les leçons du passé, va soigneusement éviter de retomber dans les erreurs qui ont été fatales à son prédécesseur, même si son avènement jouissait d’un environnement singulier. En effet, le général Sékouba Konaté a l’avantage d’être précédé d’une réputation d’homme de parole, calme, intègre et très écouté des hommes en uniforme. Il confirme ses bonnes prédispositions dès sa prise de fonction en renouvelant les assurances du respect des engagements pris au départ par le CNDD. La Transition qu’il propose à ses compatriotes accorde la priorité à un retour aussi rapide que possible à une vie constitutionnelle normale. Ainsi, dans cette perspective associe-t-il dès le départ les Forces Vives à la Transition, contrairement à Dadis qui avait délibérément choisi de les braver et de les invectiver à toute épreuve. Évidemment cela procédait du fait que les visées sournoises de ce dernier de s’accrocher au pouvoir heurtaient celles de la classe politique. Trois axes prioritaires se dégagent désormais et se répartissent comme par bonheur entre les trois acteurs : La réforme des Forces de Défense et de Sécurité dévolue au Président de la Transition ; les élections présidentielles au Premier ministre, chef du gouvernement ; les charges délibérantes tenant lieu d’Assemblée nationale, à la Présidente du CNT. Toutefois, au niveau de chaque acteur du triumvirat, les choses ne se présentent pas sous de meilleurs auspices, au regard de l’ampleur et de la complexité de l’héritage en charge : • À la présidence de la Transition, la réforme des Forces de Défense et de Sécurité est un long processus qui couvre en principe cinq ans alors que la Transition ne doit pas excéder six mois. Partant, on peut imaginer toutes les difficultés de gestion des problèmes des différents corps habillés surtout dans un contexte où les moyens financiers sont rares. Cependant, le titulaire du poste pensait conduire autrement la Transition avec la ferme volonté de lui redonner ses lettres de noblesse perdues par l’entêtement de son prédécesseur à se 230
maintenir au pouvoir. C’est à cet exercice qu’il s’attelle dès son installation à la tête du CNDD et du pays comme Président de la Transition. • À la Primature, il est prescrit au locataire de ne s’occuper que des élections présidentielles, alors que la gestion quotidienne de l’État est un impératif incompressible. Cependant, l’Honorable Jean-Marie Doré, par son patriotisme, sa hauteur de vue, sa vaste culture, son pragmatisme et surtout sa bonne connaissance de la sociologie politique du pays, va devoir imprimer à la Transition une orientation qui, sans nul doute permettra de la conduire avec succès à son terme. • Au CNT, les acteurs, tout en n’étant pas l’émanation du peuple, sont appelés à agir en lieu et place de celui-ci. Mais doivent-ils s’occuper des missions classiques qui s’y rattachent, à savoir entre autres, vote des lois et du budget, élaboration d’une nouvelle Constitution, etc., ou entretenir seulement l’institution jusqu’à l’élection d’une nouvelle Assemblée nationale dont c’est le rôle? Ce sont là autant de préoccupations dont toute mauvaise appréciation risque de compromettre la mise en œuvre de la Transition. Cependant, grâce à la patience et à l’humilité des uns, la hauteur de vue et l’abnégation des autres, le triumvirat a gagné le pari de conduire à bon port une transition que la météo politique donnait pour orageuse, chaotique et désagrégeante.
1. La Présidence de la Transition En prenant fonction dès après les Accords de Ouagadougou, le Président de la Transition, le général Sékouba Konaté, avait parfaitement conscience de ce qu’il avait à faire. La tâche était d’autant importante et nécessaire que les Forces de Défense et de Sécurité présentaient de graves dysfonctionnements qui les empêchaient de s’acquitter à souhait de leurs obligations classiques. Leur forte politisation sous la Première République et leur désœuvrement sous la Seconde ont fini par affecter considérablement l’élément cardinal qui en constituait le fondement : la discipline. À cela, il faut ajouter les effectifs pléthoriques ainsi que l’absence de mise à la retraite régulière des corps habillés qui ont atteint l’âge requis à cet effet. Toutes choses 231
qui rendaient la gestion des ressources humaines très aléatoire. Aussi, la banalisation du grade avait-elle entraîné des promotions de complaisance qui ont affecté dangereusement le respect de la hiérarchie. Le ratio officiers supérieurs/hommes de rang était et est encore fortement déséquilibré. Cette armée, il faut le souligner avec force, était abandonnée à elle-même. Les hommes en uniforme avaient juste comme préoccupation quotidienne, la montée des couleurs. Rien à faire pour le reste de la journée sinon que rejoindre le quartier où plus de la moitié avait élu domicile, faute de logements pour tous dans les casernes. Ce désœuvrement a engendré des comportements peu honorables dont la propension à l’usage inconsidéré de la violence, l’alcoolisme, le brigandage, les braquages, le trafic d’influence et bien sûr, un goût prononcé pour l’exercice du pouvoir et les privilèges qui s’y rattachent. Aussi, les militaires se sont-ils trouvés coupés des populations qu’ils sont censés protéger, d’où l’instauration d’un climat de haine et de répulsion entre les deux entités. Pis encore, « la déliquescence de l’État et l’obsession sécuritaire très longtemps focalisée exclusivement sur la survie du régime, voire de celle du chef de l’État étaient telles que les seules solutions trouvées étaient totalement disproportionnées par rapport au contexte, justifiées par le prétexte d’assurer la sécurité du pays. C’est ainsi que le chef de l’État défunt avait constitué une garde présidentielle afin de protéger son pouvoir. »246 Malheureusement, cette préoccupation du président de la République n’a fait qu’aggraver une situation déjà suffisamment délétère. En effet, il est apparu de nouveaux abus des corps habillés sur les citoyens et l’impunité dont ils ont bénéficié a fini par faire perdre au CNDD tout le respect et le soutien suscités par son avènement. Pis encore, la hantise permanente des coups d’État et le souci de s’en préserver avaient amené le chef de l’État à ne rien ménager pour acheter à grands frais la confiance des hommes en uniforme. Il n’était pas rare de le voir faire la démonstration sans de ses libéralités à la moindre saute d’humeur de ses anges gardiens. Ainsi, les officiers sont-ils mieux payés que les fonctionnaires de l’administration en plus d’autres avantages (logement, véhicules carburés, ration alimentaire, prise en charge des factures de téléphone, d’eau et d’électricité, etc.) sans compter les extorsions de fonds et autres biens et services dans les entreprises publiques au nom du chef de l’État. Pour le gros des troupes, 246
Boubacar Yacine Diallo, 2010, Pp. 103-104.
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les soldats ont toujours obtenu gain de cause à chaque mutinerie, en contraignant le pouvoir à des décaissements colossaux pour sa survie, entraînant ainsi de véritables saignées financières quasi permanentes au niveau de l’État. Selon Cécile Sow, « en 2010 seulement, les dépenses liées à l’armée sont estimées à 920 milliards de FG (95 millions d’Euros), soit 30 % du budget national, contre 20 % en moyenne dans la sous-région. »247 Il y avait donc nécessité impérieuse d’une refondation des Forces de Défense et de Sécurité en cette période de relance de la machine démocratique en Guinée. Le général Sékouba Konaté en était conscient et ne cessait de le rappeler aux autres acteurs de la Transition d’autant plus que c’était une des revendications de l’immense majorité des populations qui, pendant longtemps, ont payé les frais du désœuvrement et de l’irresponsabilité de ces dernières. La situation de dégradation et de désorganisation de ce secteur dans les régimes précédents, découlait d’un certain nombre de facteurs dont entre autres, la mauvaise gouvernance politique et sécuritaire ajoutées au déficit criard de moyens (techniques, logistiques et financiers) susceptibles de mettre les Forces Armées dans les conditions requises pour remplir dans la dignité, l’honneur et la légalité, leurs missions républicaines. L’incapacité dans laquelle s’est trouvée la République d’assurer ses charges régaliennes a incontestablement conduit à la désorganisation de ses services de défense et de sécurité. Face aux urgences de la Transition, il était donc un impératif catégorique de mettre à disposition le minimum requis pour une conduite heureuse du processus de démocratisation engagé, car seule une armée bien formée, bien équipée et surtout disciplinée, peut prétendre jouer ce rôle. Pour le Président intérimaire, c’est un challenge à gagner. « Dans l’armée et dans la société guinéenne, dira-t-il, rien ne sera plus comme avant. C’est le temps de la rupture et du progrès. »248 On aura noté à l’actif du Président de la Transition un acquis louable : le calme dans les casernes durant la Transition à cause de l’emprise qu’il avait sur les hommes, toutes choses ayant conduit à une élection très ouverte, libre et surtout paisible. Cependant, il faut regretter un geste fort détestable commis à l’endroit du gouvernement de la Transition : celui de refuser de reconnaître et de saluer publiquement, à l’occasion des cérémonies d’investiture du nouveau Président élu, Alpha Condé, les efforts 247 248
Jeune Afrique N° 2602, novembre 2010. Ibidem.
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déployés par ses membres dans des conditions particulièrement difficiles. Le général Sékouba Konaté a dit ce jour que c’est lui et Tibou Camara, son Secrétaire général à la Présidence, qui auraient fait le travail de la Transition et non le gouvernement. Pas un petit merci à l’endroit de son Premier ministre. Le public est resté médusé au regard de l’œuvre remarquable accompli par le Premier ministre Jean-Marie Doré et son gouvernement pour conduire à bon port une transition que beaucoup donnait pour impossible. Chacun se souviendra, à la honte du général Konaté et de son cabinet, des applaudissements nourris de la salle suscités par les félicitations adressées au gouvernement du Premier ministre Jean-Marie Doré par la représentante personnelle du Secrétaire Général de l’ONU, Ban Ki-Moon, comme pour relever et corriger sur le champ, cette faute inadmissible du Président Intérimaire. Ceux qui ont rédigé son discours en portent l’entière responsabilité. Présenter le général Sékouba Konaté, Tibou Camara et Rabiatou Sérah Diallo comme les uniques et grands acteurs de la Transition, c’est manifestement la démonstration d’un manque de probité intellectuelle et morale qui frise l’ingratitude. Nous pensons que le Président Intérimaire n’aurait pas dû laisser passer pareille ineptie à l’endroit de celui qui l’a servi avec dévouement et loyauté en dépit de la différence d’âge et de niveau intellectuel. Cette omission du reste volontaire a terni l’image d’un officier qu’on croyait inaccessible aux basses besognes de l’entourage. Aucune raison ne saurait justifier un tel comportement du général Sékouba Konaté à l’endroit de l’homme d’expérience qui lui a mis le pied dans l’étrier de l’exercice des charges suprêmes d’un État. Ses rédacteurs ne se sont même plus souvenu que pour accepter le poste de Président de la République, Konaté avait posé comme condition imprescriptible que Doré soit son Premier ministre. Pis encore, ils ont eu la mémoire courte pour vite oublier qu’il s’agissait du même JeanMarie Doré que le Pouvoir Central venait de décorer, à peine deux moins auparavant, de la médaille de Chevalier de l’Ordre National du Mérite, l’une des plus hautes distinctions honorifiques de la République, pour les éminents services rendus à la Nation. Était-ce plus difficile pour le général Konaté et son staff de le citer publiquement que de lui décerner une médaille aussi prestigieuse ? C’est à vrai dire, une inconstance qui n’honore pas le pays. En tout état de cause, les auteurs de cette indélicatesse n’ignorent pas que Doré n’a pas attendu la Transition pour s’attacher corps et âme à la promotion de l’État de droit et de démocratie et surtout à la préservation de la paix sociale en 234
Guinée. Il fait partie avec, Bâ Mamadou, Alpha Condé, et Siradiou Diallo, du l’intrépide quatuor initiateur en Guinée de la culture démocratique. Nous ne sommes certes pas dans les confidences de la victime, mais tout laisse comprendre que son refus de se laisser manipuler aux moments critiques du processus électoral serait à la base de tous ses malheurs. Toutefois, le nouveau Président élu, en recevant la lettre de démission de son gouvernement, a déclaré au Premier ministre sortant : « Votre mission était de conduire la Transition jusqu’aux élections libres et transparentes et d’assurer la paix et la tranquillité dans le pays. Malgré quelques dérapages dus aux conditions de campagnes des candidats, vous avez assumé parfaitement votre mission. »249
2. Le Premier ministre de la Transition Les Accords de Ouagadougou ont institué un poste de Premier ministre, chef de gouvernement réservé à l’opposition. Nommé à ce poste le 21 janvier 2010 par décret du Président de la Transition, sur proposition du Forum des Forces Vives, l’Honorable Jean-Marie Doré arrive aux affaires dans un contexte particulièrement difficile. Les indicateurs macro-économiques sont au rouge ; le pays est sous embargo ; tous les décaissements au niveau des bailleurs de fonds traditionnels sont conditionnés à la tenue des élections ; le chômage est criard, surtout dans les rangs de la jeunesse ; le Guinéen vit en dessous du seuil tolérable de pauvreté ; l’autorité de l’État est bafouée et la corruption endémique. Au même moment, les engagements du Président intérimaire, notamment avec les Forces de Défense et de Sécurité, attendent impérativement d’être financés. Or la feuille de route limitait strictement les actions du Premier ministre à l’organisation des élections présidentielles de toutes les épithètes, c’està-dire transparentes, libres, ouvertes, crédibles et acceptables, etc. Que pouvait donc faire le Premier ministre pour être à souhait au rendezvous des bilans de la Transition ? Apparemment peu de choses. Mais, Jean-Marie Doré qui avait la meilleure lecture de la feuille de route, se mit immédiatement au boulot. Il commença par faire l’État des lieux. Dans une situation où tout est prioritaire, il établit ses priorités à lui : relance de l’économie nationale fortement désarticulée, reprise de la 249
AFP, 22 décembre 2010.
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coopération bi et multilatérale, assainissement des finances publiques, crédibilisation du système judiciaire, concomitamment avec l’organisation des élections. Comme on a pu le constater, les tâches étaient énormes et ardues dans un environnement économique et financier des plus précaires. À la tête d’un gouvernement d’union nationale dont le choix des membres a fait moins jazzer, Jean-Marie Doré prend le taureau par les cornes. Très vite, il met en place un comité de trésorerie (utilisable seulement dans les conditions de finances déficitaires) dont il assure luimême la présidence en vue de faire face aux engagements prioritaires. « Les bailleurs de fonds très impressionnés par les changements en cours décident d’appuyer le gouvernement dans ses efforts de redressement. Début 2010, il obtient la promesse de signature de conventions de financement des élections et d’autres secteurs essentiels. La reprise de la coopération avec la France et les États-Unis est annoncée (...) De son côté l’Union Européenne emboîte le pas en promettant la mise) à disposition des montants du 10ème FED dès l’installation du gouvernement issu des élections démocratiques annoncées. »250 Même si les différentes promesses n’ont pas été suivies immédiatement d’effets, force est de reconnaître qu’elles sont le témoignage de la qualité des prestations des membres du gouvernement d’union nationale qu’a dirigé avec brio l’Honorable Jean-Marie Doré. S’agissant des élections, Doré n’aura rien ménagé pour conduire les préparatifs à leur terme. Avec des moyens nettement insuffisants et l’avarice calculée des partenaires internationaux, il réussit à mettre sur pied et à faire fonctionner avec le concours d’un brave, dynamique et humble officier de gendarmerie, le général Ibrahima Baldé251, la Force Spéciale de Sécurité du Processus Électoral (FOSSEPEL). Il eut également à veiller au fonctionnement correct de la Commission Électorale Nationale Indépendante (CENI) dont les graves dysfonctionnements ont nécessité la cooptation, à la honte des Guinéens, d’un expert malien, pour assumer la mise en œuvre du second tour de l’élection présidentielle. 250
Boubacar Yacine Diallo, 2010, Pp. 70-71. Le général Baldé est aujourd’hui Haut-Commandant de la Gendarmerie nationale, position qui l’affranchit de la tutelle habituelle du Chef d’État major général des Armées.
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Il faut noter que Doré semblait incompris à un moment donné, notamment par ceux qui étaient pressés d’aller au scrutin en vue d’occuper le fauteuil laissé vacant par Lansana Conté. Quand par exemple il s’est opposé à l’adoption de la nouvelle Constitution par un décret du Président de la République, on l’a trouvé tatillon et peu décidé à aller aux élections, alors que pour le juriste qu’il est, le document est si important qu’il méritait une légitimation par voie référendaire. Aussi, quand il a exigé que l’on spécifie les rôles du Ministère de l’Administration du Territoire et des Affaires Politiques et de la CENI dans la cogestion des élections, il a encore été traité d’hostile à la tenue rapide des élections. Également, lorsqu’il s’est engagé à signer certaines conventions minières, les mauvais esprits ont estimé qu’il allait au-delà de ses prérogatives. Or pour lui, face aux nombreuses opportunités d’emplois que pouvaient offrir ces conventions à ses compatriotes, notamment les jeunes, Jean-Marie Doré n’a pas hésité un seul instant à apposer sa signature au bas des projets préalablement traités par ses conseillers techniques qui lui en notifiaient la pertinence ; quitte aux futurs gestionnaires d’en assurer au besoin la révision. Selon lui, le vrai scandale de la Guinée, c’est moins les immenses richesses naturelles dont le pays est doté que l’inacceptable misère de ses populations qui ne peuvent en jouir, faute de leur exploitation. Enfin, lorsque, en connaisseur de terrain, il avait souhaité un décalage de calendrier des premier et second tours, nombreux sont des détracteurs, dont certains de ses camarades des Forces Vives, qui l’ont accusé de vouloir s’éterniser au pouvoir. Malgré tout et en dépit de tout, la réussite a couronné les efforts de son gouvernement, d’autant plus que les élections ont effectivement eu lieu dans le calme et la sérénité et ont donné des résultats acceptés par toutes les parties prenantes, comme le lui notifiera plus tard le nouveau Président de la République élu. C’était le pari à gagner. La Transition aura permis à l’Honorable Jean-Marie Doré de révéler au grand public ses talents d’administrateur avéré. Il a conquis l’admiration de la majorité de ses concitoyens par sa promptitude et efficacité à faire face aux grands problèmes de la Transition. Il était attentif à tout et proactif par-dessus le marché. À tous les actes anti démocratiques posés au préjudice de l’honneur et de la dignité du pays, ses interventions étaient et sont toujours vivement sollicitées et son silence redouté. Jean-Marie Doré aura été un grand Premier ministre. 237
C’est dommage que son Président intérimaire n’en ait pas été fier, comme nous l’avons dénoncé plus tôt. Dans tous les cas, le peuple de Guinée n’est pas dupe. Connaissant parfaitement les tenants et les aboutissants de la Transition ainsi que les capacités managériales de l’homme d’État, il n’a pas besoin d’éclairage particulier pour formuler son jugement sur ce grand commis de la République. Un jour, brisant le silence sur la conduite de la Transition et rompant avec l’humilité et la modestie qu’on lui connaît, Doré réagit non sans indignation : « Konaté dit que c’est lui et Tibou qui ont bien fait le travail de la Transition et que le gouvernement n’a pas fait le sien. Alors que sans le gouvernement, la Guinée serait aujourd’hui en guerre civile avec des conséquences imprévisibles. Nous avons payé de nos nuits de sommeil, de notre temps pour que les élections se fassent dans le calme et la sérénité et que les résultats soient acceptés par les candidats en présence (…) Les gens croient que ce sont les élections qui étaient en cause alors que c’était la paix civile. Il fallait coûte que coûte la garantir, et je l’ai garantie. Ce n’est pas Sékouba qui a garanti la paix, c’est moi qui l’ai garantie. »252 Tribun hors pair, très à l’aise en improvisations dans la langue de Molière qu’il parle avec une naturelle élégance, Jean-Marie Doré s’exprime dans un style choisi, avec une facilité, une intelligence et une maîtrise séduisantes. Alliant à souhait humour et apophtegmes, il accroche indéfectiblement son auditoire qu’il invite ainsi à l’écouter le plus longtemps possible sans s’ennuyer. Il a toujours cherché à convaincre. Car, en politicien alerte, il est convaincu que celui qui maîtrise les mots maîtrise les hommes et celui qui maîtrise les hommes, maîtrise le monde. Il faut signaler que Jean-Marie Doré est depuis 1992 le PrésidentFondateur de l’Union pour le Progrès de la Guinée (UPG), une formation politique centriste qui l’a présenté à deux reprises infructueuses aux élections présidentielles. En compensation de ces déboires, il a réussi à se faire élire par deux fois à l’Assemblée Nationale, où en simple non-inscrit, il a ravi la vedette à tous ses pairs lors de la première mandature. Son absence à une plénière ternissait 252
À l’occasion d’une interview accordée à la presse nationale à sa résidence le 21 septembre 2011.
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immanquablement l’allure des débats. À rappeler qu’il a boudé la seconde législature en protestation des tricheries dont il a été victime à l’époque de la part des autorités du Ministère de l’Administration du Territoire qui ont déclaré moins de députés qu’il en avait eus. Il est opportun de noter que l’Honorable Jean-Marie Doré fait partie de l’élite politique guinéenne qui, à partir des années 90, a engagé le difficile combat pour la promotion de la démocratie en Guinée. Ainsi, aux côtés de feu Bâ Mamadou, feu Siradiou Diallo et Alpha Condé, actuel chef de l’État, Doré a apporté sa modeste contribution à l’encrage de la culture démocratique dans un pays qui sortait fraîchement d’un système politique monolithique pour tomber dans les mains malhabiles de militaires. Tout comme Bâ Mamadou et Alpha Condé, Jean-Marie Doré a fait la prison sous Lansana Conté pour avoir dit publiquement ses convictions et surtout des vérités lèsemajesté que bon nombre de Guinéens se disaient tout bas. Jean-Marie Doré est un légaliste éclairé parce qu’il est contre l’interprétation et l’application absurdes de la loi. Pour lui, une loi doit avoir une signification politique, économique et sociale en plus de sa valeur textuelle. Autrement dit, une loi qui doit mettre le feu à la cité mérite une autre lecture en vue de lui conférer une dimension sociale acceptable. Au nom de son idéologie centriste, il refuse de combattre sans discernement le pouvoir en place. Il reconnaît et applaudit celuici quand il fait bien et n’hésite pas à tirer à boulets rouges sur les mauvais actes qu’il est amené à poser. Cette position de centriste lui vaut souvent d’être traité à tort par les « radicaux » de complice silencieux du pouvoir. Contre les manifestations de rue, Jean-Marie Doré croît profondément en la vertu réconciliatrice du dialogue.
3. Le Conseil National de Transition D’entrée de jeu, il faut signaler qu’à l’avènement du Conseil National de Transition (CNT), la Constitution avait été suspendue. Il est donc aisé de comprendre la place et le rôle de cette institution de la Transition en tant qu’organe délibérant dans le processus de mise en place d’un État de droit. Selon la feuille de route qui lui avait été remise, la présidente du CNT avait pour tâches de coordonner :
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• Le toilettage de la Constitution et la relecture des lois organiques et autres textes électoraux nécessaires à la normalisation de la vie politique, • Le suivi et contrôle de l’action gouvernementale, • Le suivi-évalution du processus électoral en particulier, des activités de la Commission Électorale Nationale Indépendante (CENI). »253 C’est à cette activité, à l’évidence difficile et complexe, que se sont attelés les 159 membres du CNT. Ils ont effectivement revu et amendé la Constitution et y ont apporté de nouvelles dispositions dont la durée du mandat du chef de l’État ramené de 7 à 5 ans ; limitation des mandats à deux254 ; obligation de déclaration de patrimoine par le président élu ainsi que ses ministres ; création d’un poste de Médiateur de la République ; substitution au Conseil National de la Communication d’une Haute Autorité de la Communication, etc. Mais l’adoption de cette constitution par décret du Président de la République au lieu d’une disposition référendaire, avait soulevé et soulève encore des réactions diverses. Nombre d’observateurs dont Jean-Marie Doré de l’UPG et Cellou Dalein Diallo de l’UFDG qui, non seulement désapprouvent la démarche du président intérimaire, mais aussi, pensent que l’élaboration d’une nouvelle Constitution n’était pas une urgence à l’époque. Selon ces deux leaders, il aurait fallu simplement rétablir l’ancienne qui avait été suspendue en vue d’en faire un instrument juridique devant permettre la mise en œuvre du processus électoral. Car, une instance de transition ne saurait se substituer à une Assemblée nationale qui est la légitime représentation de la Communauté nationale. C’est à la nouvelle Assemblée de travailler en toute sérénité, pour doter le pays d’une nouvelle Constitution. Elle le ferait dans les règles de l’art, parce que disposant de plus temps, de moyens suffisants et jouissant de la légitimité requise. Malgré tout, la Constitution élaborée par le CNT a permis d’organiser des élections dont les résultats ont été acceptés par tous, notamment l’opposition, même si par la suite celle-ci a semblé 253
Lettre de mission du 18 février 2010. Cet article n’est presque jamais observé en Afrique en dehors de quelques exceptions. Dès que le Président est élu, il fait torpiller la Constitution vers la fin du second mandat –son parti étant toujours majoritaire à l’Assemblée nationale - pour se faire élire indéfiniment.
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regretter sa décision. Aujourd’hui, il appartient aux nouvelles autorités issues des dernières élections présidentielles, d’apprécier et de valider si nécessaire, les modifications apportées à la Constitution ainsi élaborée par le CNT en vue de lui conférer la légitimité requise et d’en faire un véritable instrument juridique au service de l’État de droit. À propos de la titulaire de la présidence du CNT, Hadja Rabiatou Sérah Diallo, nous notons qu’elle est secrétaire de direction de formation, entrée au syndicat à partir de 1966. Hadja Rabiatou Sérah Diallo a fait irruption sur la scène politique nationale à la faveur des mouvements sociaux qui ont embrasé le pays de 2006 à 2008 et qui réclamaient le départ du pouvoir, du général grabataire, Lansana Conté. Elle intègre le Forum des Forces Vives au titre des syndicats dans le cadre de la lutte engagée contre le régime autocratique de celui-ci. Ce sont ces Forces Vives qui se sont farouchement opposées aux tentatives de maintien au pouvoir du capitaine Moussa Dadis Camara. Au moment de la mise en œuvre des Accords de Ouagadougou, son nom avait circulé parmi ceux qui étaient pressentis au poste de Premier ministre, même si elle ne faisait pas l’unanimité au sein de sa propre structure. La candidature de l’Honorable Jean-Marie Doré, un des dinosaures de la politique guinéenne mit très rapidement un terme à ces présomptions. Car, elle n’était en rien opposable à celui-ci, tant du point de vue de la formation académique, de la densité du carnet d’adresses, de l’expérience politique nationale et internationale que de la vastitude du savoir scientifique et culturel. Finalement, les syndicats qui la soutenaient ont dû se résoudre à revendiquer pour elle, la présidence du CNT, alors que le poste était statutairement destiné à un religieux. En dernier ressort, il faut retenir que c’est le triumvirat Sékouba Konaté, Jean- Marie Doré et Hadja Rabiatou Sérah Diallo qui a permis la mise en œuvre réussie de la Transition. Ces trois grands commis de l’État, appuyés par la Commission Électorale Nationale Indépendante (CENI) et de la Force Spéciale de Sécurisation du Processus Électoral (FOSSEPEL), ont réussi le pari extraordinaire de conduire sans incident majeur, la Transition jusqu’aux élections présidentielles, quand presque personne n’y croyait. Le scrutin était si ouvert qu’il y avait 24 candidats de toutes extractions par la complaisance de la Cour Suprême qui, à notre avis, a manqué de vigilance. Sinon, comment at-elle pu permettre des candidatures qui, dans les conditions normales, 241
ne seraient pas autorisées à soumissionner pour un poste de souspréfet. De la longue liste de candidats, on comptait des analphabètes au sens propre du terme, des repris de justice, des voleurs de grands chemins, de grands malades, des grands débiteurs de l’État, etc., autant de profils qui n’honorent pas la République. Toutefois, après un premier tour laborieux le 25 juin 2010, deux candidats se sont retrouvés au second dans les dispositions suivantes : 1er, Cellou Dalein Diallo, leader de l’Union des Forces Démocratiques de Guinée (UFDG), ancien Premier ministre de Lansana Conté avec 43, 69 % des suffrages ; 2e : Alpha Condé, Président du Rassemblement du Peuple de Guinée (RPG), opposant à tous les régimes antérieurs avec 18, 25 % des voix. Apparemment, les choses ne semblaient pas compliquées pour le président de l’UFDG, tant l’avance sur son adversaire était confortable. Mais c’est sans compter avec les surprises du jeu électoral. Toujours est-il qu’après deux reports, ce second tour qui n’aura finalement lieu que le 7 novembre donnera, à la surprise générale, Alpha Condé vainqueur avec 52, 52 % contre 48,48 % pour le second. Le leader de l’UFDG en démocrate avéré a admis les résultats et reconnu la victoire de son adversaire, même si ses militants n’ont pas apprécié la célérité avec laquelle le geste a été accompli. Nombre d’entre eux ont pensé à tort ou à raison que leur leader a cédé aux pressions de la Communauté internationale contre un simple satisfecit. En tout état de cause, Dalein aura été un très grand leader qui a refusé d’enjamber les cadres de ses compatriotes pour aller s’installer dans un fauteuil présidentiel. Il aura eu l’extraordinaire mérite d’épargner à la Guinée une guerre civile dont tous les ingrédients étaient pourtant réunis. Cette approche de sagesse est pour lui, un bon placement dans l’avenir politique de la Guinée, pour peu qu’il sache en faire bon usage le moment venu. Le leader de l’UFDG doit en partie expliquer sa défaite par une naïve autosatisfaction procurée par le score du premier tour ainsi que le mauvais fonctionnement du dispositif mis en place pour affronter le second tour, notamment la pertinence des alliances et le report des voix. Par exemple, Sidya Touré arrivé 3ème avec un peu plus de 13 % des suffrages n’a pas réussi à remobiliser tout son électorat à sa cause. Toutefois, il est à se demander si cela suffisait à justifier ce renversement spectaculaire de tendances ? Rien n’est moins sûr. Espérons qu’une « archéologie » des poubelles et des tiroirs de la 242
CENI et de la Cour Suprême puisse un jour en livrer les énigmes. Car, « Toutes les victoires portent en elles leurs secrets et mystères »255, écrit Charles M. de Talleyrand. En attendant, le nouveau président élu a officiellement pris fonction le 22 décembre.
Gl Sékouba Konaté
Hon. Jean-Marie Doré
Rabiatou S. Diallo
Le triumvirat de la Transition
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Fall, F.L. 2009, P. 63.
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Conclusion Après plus d’un demi-siècle de souveraineté, le peuple de Guinée à qui tout avait été dit et promis, attend toujours l’accomplissement de ses rêves. Ces derniers tardent à venir pour des raisons diverses. Pour autant, la fierté de son geste du 28 septembre 1958 qui lui est restée toujours collée à la peau, est loin d’être entamée. Au contraire, les Guinéens dans leur ensemble, tout en reconnaissant sans fausse pudeur les insuffisances notoires du bilan des cinquante ans d’indépendance, continuent à louer la splendeur et la portée historique de leur vote négatif au projet gaulliste. Invité le jour du cinquantenaire à évaluer les résultats d’un demi-siècle de liberté retrouvée, un enseignant nous déclare : « Il est vrai que le développement de la Guinée est loin de refléter l’immensité des richesses dont la nature l’a dotée. Cependant, nous ne regrettons pas d’avoir choisi d’être libres et souverains. Si c’était à refaire, nous le referions avec la même ardeur et la même détermination qu’en 1958. Il n’y a donc pas d’amalgames à faire entre la pertinence de notre NON historique et la situation désastreuse dans laquelle nous nous trouvons aujourd’hui et qui est la résultante de la mise en œuvre de mauvais schémas politiques. »256 Cette réaction a été unanimement partagée par tous les Guinéens interviewés ce jour, y compris les plus contempteurs de l’histoire récente de la Guinée. Des régimes se sont succédé en Guinée sans qu’aucun n’ait répondu à souhait aux attentes des masses laborieuses à telle enseigne que les mauvaises langues ne manquent pas d’opposer au pays son geste du 28 septembre 1958, c’est-à-dire le « choix de la liberté dans la pauvreté à l’opulence dans l’esclavage. » Nous pensons que c’est là la plus mauvaise lecture d’un acte limpide, d’autant plus que la faute n’est pas imputable aux masses auxquelles un projet de société avait été proposé. Celles-ci ont obéi de façon citoyenne à des plans d’action qui en ont sous-tendu l’application. Il appartenait donc aux gouvernants d’opérer les meilleurs choix en tenant compte de la réalité du terrain et de la 256
M. Touré, interviewé par nous-même.
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disponibilité des moyens. S’il y a eu échec, c’est à eux d’en donner les explications. Il ne fait aucun doute qu’un peuple soigneusement encadré par des leaders bien inspirés et libres de leurs initiatives ne saurait manquer de résultats confortables. Car, les peuples sont toujours disponibles. La situation de la Guinée des deux premiers régimes n’échappe pas à cette logique. Si aujourd’hui le développement du pays est en deçà de ce qu’il aurait dû être, c’est moins une malédiction qu’une mauvaise gestion des facteurs humains, techniques et financiers qu’ont pu aggraver par moment des adversités d’un environnement politique international défavorable. Ce faisant, nous accusons les comportements politiques et/ou idéologiques des responsables qui ont conduit à des choix stratégiques inappropriés. Les erreurs et parfois les fautes constatées leur sont imputables. Il est incontestable que la plupart des actes posés par la Guinée au lendemain de son accession à l’indépendance aient porté les marques de ces adversités engendrées par le malencontreux duel verbal Sékou Touré-De Gaulle. Puisque le chef de la France libre en a voulu au leader guinéen au point d’entraver l’épanouissement de son pays, Sékou Touré, en désespoir de cause a accepté d’assumer son choix. À cet effet, face à l’extrémisme de la France, il a opposé le sien propre consistant à rejeter sans discernement tout des acquis de la colonisation. Ainsi, pour la mise en route de son projet de société, il a fait table rase du passé colonial, pensant ainsi prendre sa revanche sur le mépris, voire la haine viscérale du général de Gaulle à son endroit et à l’endroit du peuple de Guinée. Or, tout n’était pas pour autant mauvais. En rappel, on retiendra que la mise en valeur de ses colonies avait requis de la métropole une administration performante en mesure d’aider à une prise en charge rapide de celles-ci. Elle a su placer les hommes qu’il fallait aux places qu’il fallait, mobiliser les ressources locales à moindres frais, engager celles-ci à des fins dont les priorités étaient rigoureusement définies en vue de limiter les improvisations et autres gaspillages. Aussi, la gestion et la circulation de l’information du chef du village au cabinet du Président de la République française ne souffraient d’aucune légèreté de la part des agents à divers niveaux. Les responsables au sommet disposant à temps de tous les rapports d’activités pour l’ensemble du territoire, prenaient par conséquent les décisions requises à temps. C’était donc un acquis que la Guinée indépendante pouvait capitaliser en le réadaptant aux préoccupations qui étaient les siennes. Mais les nouvelles autorités ont préféré ranger le tout au placard et se mettre au travail en repartant à zéro, d’où les nombreuses improvisations et les incohérences qui ont jalonné et 246
parfois entravé les réalisations de la première décennie d’indépendance. Or, il est établi que le développement harmonieux et équilibré d’un pays dépend incontestablement de la performance de son administration. C’est non sans raison que le gouvernement du Président Alpha Condé se voit de nos jours obligé de créer spécialement un Haut-Commissariat à la Réforme Administrative et la Modernisation de l’État en vue d’en faire la rampe de lancement de son vaste programme de renaissance socioéconomique. À notre avis, il n’y avait donc aucun complexe à prendre ce qui, de l’administration coloniale pouvait utilement servir le nouveau projet de société tant il est vrai qu’un développement durable ne saurait se faire en rupture avec les sources fécondantes des expériences antérieures en la matière. On comprend difficilement que le jeune État guinéen se soit mis à élaborer ex nihilo son premier plan de développement alors qu’au début des années 50, le Gouverneur Roland Pré avait laissé dans ses tiroirs, un plan de développement suffisamment bien articulé et expressément conçu pour la Guinée. Les données de ce plan qui sont encore d’actualité peuvent valablement intégrer de nos jours tout programme de développement durable. Il n’y avait pas de raison que les responsables n’aient pu s’en servir. Il y avait juste à le redimensionner aux ressources humaines, techniques et financières disponibles. C’est donc dire que même si ce plan était l’œuvre de Satan, il pouvait servir de référence pour un départ. Tel ne fut pas le cas. En opposant à l’orgueil du général de Gaulle le leur propre, les Guinéens n’ont pas manqué de jeter le bébé avec l’eau du bain. La suite, on la connaît : toujours, tout est à refaire. Tout laisse croire que le nihilisme est devenu un héritage, puisque les autorités de la Deuxième République l’ont aussi reconduit presque intégralement. En effet, les militaires au pouvoir depuis 1984, ont reproduit exactement les mêmes clichés que leurs devanciers civils. De nombreux observateurs ont même qualifié la gouvernance du général Lansana Conté comme étant du « Sékou Touré sans Sékou Touré ». Au lieu de tirer le meilleur parti des expériences antérieures, le Comité Militaire de Redressement National (CMRN) a opté pour la politique de la table rase du passé, exactement comme hier. Or, quoique l’on dise, la Première République, dans un environnement particulièrement hostile, a fait œuvre utile dans plusieurs domaines d’activités, même si la compétitivité des produits n’était pas toujours au rendez-vous. Il en a été ainsi par exemple :
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• Du secteur industriel où la révolution a laissé plusieurs centaines d’unités toutes fonctionnelles au 3 avril 1984, mais qui, malheureusement, ont été privatisées sinon bradées au nom d’un libéralisme débridé ; • Du stratégique domaine agricole où les Fermes agropastorales d’Arrondissement (FAPA) étaient une initiative novatrice qui fut abandonnée au lendemain du 3 avril 1984 ; • De l’éducation où l’enseignement des langues nationales et la création à grande échelle des facultés d’agronomie visaient l’atteinte de l’autosuffisance alimentaire ; c’était pourtant une vision salutaire. Des importantes études de faisabilité de projets énergétiques qui avaient été réalisées au point de créer un « ministère de l’énergie et du Konkouré »257 ; Toutes ces initiatives n’ont certes pas atteint leurs objectifs initiaux, cependant, elles constituaient des acquis inestimables pour les générations suivantes, à charge pour celles-ci de les reprendre et de les rendre plus performantes. Les militaires qui n’avaient pas la même perception que les initiateurs les ont purement et simplement abandonnées au motif qu’elles étaient inadaptées et pas rentables. Que d’usines construites à grands frais et bradées ! Que de terres aménagées et abandonnées ! Que d’engins agricoles importés et indûment réexportés dans les pays voisins ! Que d’ingénieurs agronomes formés et mis au chômage ! Tous ces efforts, il faut le déplorer, n’ont pas survécu à la prise du pouvoir par l’armée en 1984. Aujourd’hui comme hier, tout est à recommencer, parce que tout simplement, les devanciers n’ont rien conservé du passé. Curieusement, il n’est pas rare d’entendre de nos jours certains Guinéens dire que « pendant cinquante ans on n’a rien fait. » Ce faisant, n’oublient-ils pas que pendant cinquante ans, chaque génération a choisi de tout mettre à la poubelle en vue d’un recommencement perpétuel, au lieu de capitaliser les acquis du passé. Que faire pour sortir la Guinée de « ce sur place » qui ne permet pas aux populations de jouir des immenses richesses dont la nature a doté leur pays ? Autrement dit, est-il possible de gérer autrement la Guinée ? Une autre Guinée est-elle possible, avec des hommes nouveaux, des stratégies nouvelles pour des 257
Le plus important site hydro-énergétique du pays dont la mise en valeur peut permettre non seulement couvrir les besoins du pays en énergie, mais aussi en exporter.
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perspectives nouvelles ? Bien sûr que oui à la condition expresse d’opérer une véritable rupture d’avec les héritages qui semblent coller les Guinéens à la peau. Cette rupture se fait tout naturellement dans le respect par les acteurs de la culture historique dont le principe de base voudrait que dans le processus de l’évolution des sociétés humaines, rien ne se construit ex nihilo. Cela suppose que les responsables guinéens fassent des choix stratégiques induisant une visibilité de leur gouvernance. Car un État moderne, c’est avant tout une vision qui se conçoit en politique et se traduit en programmes et projets de développement. Pour y parvenir, « il reste au peuple de Guinée luimême, lorsqu’il parviendra à faire taire en lui les voix de la discorde et à dépasser la désunion, à s’attaquer d’un commun accord à la seule querelle qui vaille, celle du progrès économique, social et culturel du pays, dans le respect de la liberté et des capacités de chacun »258, suggère un observateur. En tout état de cause, il lui faut catégoriquement s’interdire de croire que le sous-développement est une fatalité.
Le Président Alpha Condé
Mohamed Saïd Fofana
Le président Alpha Condé et son premier Ministre
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Sur le site de guinéeconakry.info du 24 décembre 2008.
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251
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SY SAVANE, Alpha Omar : Guinée 1958-2008, l'indépendance et ses conséquences, Paris, l'Harmattan, 2008. TCHIDIMBO, Raymond-Marie (Mgr) : Noviciat d'un évêque : huit ans et huit mois de captivité sous Sékou Touré, Fayard, 1987. TOLNO, Charles Pascal : Combattre pour le présent et l’avenir, L’Harmattan, Paris, 2010. TOURE, A.S : Expérience guinéenne et unité africaine, Présence africaine, 1962. TOURE, A.S. : Le Pouvoir populaire, Œuvres du PDG, T. XVI. TOURE, A.S. : Le Plan quinquennal, 1981-1985, Tome XXVII. TOURE, A.S: Promotion Kwame Nkrumah, Tome XIX. TOURE, Kindo : Guinée : unique survivant du complot KamanFodéba, L’Harmattan, 1986. VIEILLARD, G. : Les Peuls du Fuuta Jalon, Éditions alfAbarre, Paris, 2010. VIERRA, Gérard (Père) : L'Église catholique en Guinée à l'épreuve de Sékou Touré (1958-1984), Paris, L'Harmattan, 2005.
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Internet • Marc K. Satchivi sur www.ufctogo.com • Jeuneafrique.com : Dr Dadis et Master Dadis. • Guinee7.com/…/2010… : Mory Diané : « Cela fait 50 ans que les miniers se comportent…» • [email protected] • WWW.guinea-dyama.com/analyse_economique.html • http://www.lejdd.fr/Societe/Religion/Actualite/Succession-deBenoit-XVI-Mgr-Robert-Sarah-un-guerrier-discret-et-juste594529 255
Annexe I. Répertoire des complots en Guinée259
259
•
Avril 1960, complot dit Ibrahima Diallo, du nom de cet ancien président des étudiants guinéens en France, qui avait voulu créer un parti politique. Cette volonté semble avoir été suscitée par les services de Foccart qui avait besoin de contacts sûrs en Guinée. Les enquêtes ont révélé l’implication de l’Imam de Coronthie (un quartier de Conakry), El Hadj Lamine Kaba, mort durant sa détention.
•
Complot dit des enseignants fut découvert en novembre-décembre 1961, conduit à l’arrestation des principaux responsables syndicaux entre autres : Koumandian Keita, Mamadou Traoré dit Ray Autra, l’historien Djibril Tamsir Niane, Moumini Sow, etc.
•
Octobre 1965, complot dit Petit Touré. Le riche commerçant, apparenté pourtant à Sékou Touré, rentré de Côte-d’Ivoire pour créer un parti politique, en vertu des stipulations de la Constitution guinéenne, le Parti de l’Unité Nationale de Guinée (PUNG). À cet effet, il aurait bénéficié d’un appui technique et financier du Service de Documentation Extérieure et de Contre-espionnage (SDECE) français (associé au projet de liquidation de Sékou Touré). Il eut arrestation de hauts cadres de l’État, accusés de complicité avec Petit Touré. Ce sont entre autres, les anciens ministres Bangaly Camara et Jean Faraguet Tounkara (qui reconnaîtra plus tard la véracité des faits).
•
Mars 1969, complot Kaman-Fodéba. Une mutinerie au camp des parachutistes de Labé requiert l’arrestation des meneurs qui larguèrent le commissaire de police Mamadou Boiro, chargé de
Kéita, Sidiki Kobélé, 2009, Pp. 210-229.
257
les convoyer, au cours du vol Labé-Conakry. Le ministre de la Défense, Keita Fodéba et le chef d’État-major des armées, Kaman Diaby considérés comme les instigateurs du coup, y perdront la vie. •
24 juin 1969, agression sur la personne du Président Sékou Touré par un jeune homme appelé Tidiane Kéita, lors de la visite d’État du Président zambien, Kenneth Kaunda.
•
22 novembre 1970, agression armée de mercenaires portugais contre la Guinée, à partir de Conakry et Koundara. C’est la tentative la plus significative contre le régime de Sékou Touré. 1976, complot dit des peulh qui a conduit à la détention et à la mort de Diallo Telli, ancien secrétaire général de l’OUA.
• •
27 août 1977, insurrection des femmes contre le régime révolutionnaire pour protester contre les tracasseries de la police économique.
•
14 mai 1980, attentat à la grenade au Palais du peuple à Conakry. Il y a eu des morts, mais Sékou Touré en est sorti indemne.
•
10 février 1981, complot de l’aéroport. Ce jour, il y eut explosion d’engin militaire à l’occasion du retour de voyage du Président Sékou Touré. La distribution de tracts contre le régime qui a suivi l’incident, a donné l’impression qu’il s’agissait bien d’une opération de déstabilisation bien montée.
•
1984, « Affaire Karifa Doumbouya ».
•
Juillet 1985, complot Diarra Traoré dont les Malinké ont payé un très lourd tribut.
•
1er et 2 février 1996, mutinerie dans les casernes guinéennes. Le pouvoir de Lansana Conté est passé à un cheveu de la chute. De nombreux officiers supérieurs sont arrêtés et emprisonnés.
•
19 janvier 2005, Tentative d’assassinat de Lansana Conté sur la Route du Prince, sur le passage à niveau d’Enco.5 à Conakry. 258
II. Liste des volontaires venus au secours de la Guinée 1. Volontaires européens Mr et Mme Jean Suret-Canale, enseignants. Mr et Mme Christiane Grange Daniel Blanchard, histoire-géo Maurice Houis, éminent linguiste Yves Benot alias Helman Robert Bailhache (naturalisé) Jean-Paul Alata (naturalisé) Yvonne Diallo Claude Brillouet Nicole Grimoux (Lettres) Édouard Eliet (lettres modernes) Mr et Mme Picot Mr et Mme Corneloup Mr et Mme Hanry Mr et Mme Crocq Maurice Pianzola (Sciences naturelles) Gérard Cauche (économiste) Pierre-Charles Aguesse (chercheur) Fany-Lalande (bibliothécaire)
259
2. Volontaires antillais Jean Cellier (co-auteur avec Kéita Fodéba de l’hymne national) Maurice Gasteau (spécialiste du monde syndical) Anne Blancard (journaliste) Yolande Joseph-Noël (historienne) Julienne Joseph-Noël (langue anglaise) Arlette Joseph-Noël (Santé) Marise Boucolon Condé (Lettres modernes) Mac Lorin (Lettres) Sarah Maldoror (cinéaste)
3. Volontaires africains Mr et Mme Joseph Ki-Zerbo (Haute Volta), enseignants, Louis Sénaïnon Béhanzin (Dahomey), mathématicien, futur ministre, Kapet de Bana (Cameroun), économiste, Foté Mémel (Côte-d’Ivoire), anthropologue, Mame Seik (Mauritanie), naturaliste, Abdou Moumini (Niger), physicien, Sarr Hamsata François (Sénégal), philosophe260, Sall Khalilou (Sénégal) Alassane Diop (Sénégal) futur ministre, Célinbe Apédo-Mallou (Togo), 260
Installé en Guinée avant l’indépendance, il enseignait « Instruction civique et morale » au Collège classique.
260
Ibramima Bello (Dahomey), journaliste Majhemout Diop (Sénégal), philosophe, militant PAI, Adams (Ghana) Sembène Ousmane (Sénégal), cinéaste, Ossendé Afana (Cameroun) Noé Kutu Klui (Togo) Ly Baïdy (Sénégal) Khan Djigo (Sénégal) David Diop (Sénégal) Andrée Blouin (Centrafrique), envoyée plus tard par Sékou, auprès de Lumumba comme chargée de communication. Abdourahamane Touré (Soudan français) Diallo Moustapha (Sénégal), ancien Président de la FEANF Makalou Oumar (Soudan français).
Texte des Accords de Ouagadougou du 15 janvier 2010 « Le capitaine Moussa Dadis Camara, président du Conseil National pour le Développement (CNDD) et président de la République de Guinée, le général Sékouba Konaté, Vice-président du CNDD, ministre de la Défense et de la Sécurité, président de la République par intérim et son Excellence, Monsieur Blaise Compaoré, président du Burkina Faso et médiateur dans la crise en République de Guinée, se sont accordés sur les mesures suivantes en vue d’une transition pacifique en Guinée : • Le respect des libertés publiques y compris de la liberté de presse et d’opinion ; • La garantie de la sécurité des personnes et des biens ; 261
• La réorganisation et la réforme des Forces de Défense et de Sécurité ; • La création d’un Conseil National de la Transition (CNT), organe politique délibérant, dirigé par une personnalité religieuse et composée de 101 membres représentant toutes les composantes de la société guinéenne ; • La nomination d’un Premier ministre, Président du conseil des ministres, issu du Forum des Forces Vives de Guinée ; • La formation d’un gouvernement d’union nationale ; • La révision des listes électorales ; • L’organisation, dans un délai de six mois, de l’élection présidentielle à laquelle ne prendront pas part les membres Conseil National de Transition, le chef de l’État de la Transition, les membres du CNDD, le Premier ministre, les membres du gouvernement d’union nationale et les membres des Forces de Défense et de Sécurité en activité ; • Le recours à des observateurs civils et militaires de la CEDEAO ; • Mise en place d’un organe de suivi, d’évaluation et d’accompagnement ; • Les signataires de la présente déclaration appellent instamment la Communauté internationale à apporter son concours politique, financier et technique pour la mise en œuvre des mesures cidessus arrêtées ; • Son Excellence Monsieur Blaise Compaoré, Président du Burkina Faso et médiateur dans la crise guinéenne, délèguera un représentant spécial auprès des autorités de la Transition de la République de Guinée. »
262
III. Liste des Premiers ministres Le Premier ministre guinéen est nommé par le président de la République. Son pouvoir constitutionnel est assez restreint. Le tableau recense les différents Premiers ministres depuis l'indépendance : Nom
Début du mandat 1
Fin du mandat
Louis Lansana Beavogui
26 avril 1972
3 avril 1984
Diarra Traoré
5 avril 1984
18 décembre 1984
Sidya Touré
9 juillet 1996
8 mars 1999
Lamine Sidimé
8 mars 1999
23 février 2004
François Lonsény Fall
23 février 2004
30 avril 2004
9 décembre 2004
5 avril 2006
Eugène Camara
9 février 2007
26 février 2007
Lansana Kouyaté
1er mars 2007
20 mai 2008
Ahmed Tidiane Souaré
20 mai 2008
24 décembre 2008
Kabinet Komara
30 décembre 2008
26 janvier 2010
Jean-Marie Doré
26 janvier 2010
24 décembre 2010
Mohamed Saïd Fofana
24 décembre 2010
poste supprimé
poste vacant Cellou Dalein Diallo poste vacant
263
IV. Liste des exécutions sommaires 1. « Coup Diarra Traoré »261 1. Colonel Diarra Traoré 2. Commandant Abdourahamane Kaba 3. Commandant Sidi Mohamed Kéita 4. Capitaine Mohamed Lamine Sakho 5. Capitaine Mamady Bayo 6. Capitaine Lanciné Kéita alias Fagama 7. Capitaine Oumar Kébé 8. Capitaine Bakary Sako 9. Capitaine Sékou Traoré 10. Adjudant Sékou Touré 11. Capitaine Baourou Condé 12. Chef de Bataillon A. Kabassan Kéita 13. Capitaine Ahmadou Kouyaté alias Djol 14. Colonel Idrissa Condé 15. Commandant Yaya Touré 16. Commandant Mory Traoré 17. Commandant Lancéi Camara 18. Commandant Nounké Kéita 19. Commandant Fodé Sangaré 261
Julien Condé et Thierno Abdouramane : Le calvaire du peuple de Guinée, inédit, Paris, juillet 1992.
264
20. Capitaine Mamadi condé 21. Capitaine Facély Konaté 22. Lieutenant Lamine Kéita 23. Lieutenant Mamadi Kourouma 24. Lieutenat Mory Kaba 25. Lieutent Lansana Kourouma 26. S/L Mamadi Dioubaté « Blindé » 27. S/L Mohamed Lamine Kéita 28. Adj.-chef Adama Kamissoko 29. Adj. Sékou Touré (chauffeur) 30. Adj. Pivi Moriba Togba 31. Adj. WA Téro 32. Adj. Aguibou Thiam 33. Sergent Alhassane Diallo 34. Commissaire Lanciné Touré 35. Ing. Mory Kaba 36. Adj.-chef Fodé Kouyaté 37. Djiba Cissé 38. Cap.Mamady Mansaré, Directeur École militaire, assassiné dans son bureau.
265
2. Dignitaires de l’ancien régime 1. Dr Lansana Béavogui262 2. Nfamara Kéita263 3. Ismaël Touré 4. Dr Abdoulaye Touré 5. Toumany Sangaré 6. Amara Touré 7. Sékou Chérif 8. Mamadi Kéita 9. Gl Lansana Diané 10. Seydou Kéita 11. Mamourou Touré 12. Karim Kéira 13. Samory Touré 14. Mouloukou Touré 15. Gl Toya Condé 16. Commandant Sidiki Condé 17. Commandant Kémoko Kéita 18. Commandant Siaka Touré 19. Capitaine Mandjou Touré
152
Tous malades au moment de leur arrestation, ils sont morts en détention, faute de soins. 153. Ibidem.
266
20. Commandant Alpha Touré 21. Lt Kalagban Touré 22. Adj. Kaba Camara alias de Gaulle 23. Mamadouba Camara « M.C. » 24. Moussa Diakité
267
V. Répertoire des partis politiques N°
Dénomination
Sigle
1
Parti des Ecologistes de Guinée
PEG
2
Parti Guinéen de l’Unité et de la Démocratie
PGUD
Mme MAGASSOUBA M’Balia
3
Union des Guinéens pour le Développement
UGD
CAMARA Gaoussou
4
Union Nationale pour la prospérité
UNP
Dr BANGOURA Saidouba
5
Union pour le Progrès National
UPN
Dr BARRY Mamadou Bhoye
6
Parti des Verts de Guinée
PVG
SYLLA Sékou Gaoussou
7
Force pour la Paix et la Démocratie
FPD
SOW Mohamed
8
Parti l’Espoir du Monde Rural
PEMR
CAMARA Karifa
9
Union des Forces Nouvelles de Guinée
UFNG
CAMARA Kalidou
10
Rassemblement Guinéen l’Unité et la Démocratie
RGUD
BOURE Habraham
11
Alliance des Démocrates de Guinée
ADG
SOUMAH Maligui
12
Parti Social de Guinée
PSG
TOURE Ousmane
13
Nouvelles Forces Démocratiques
NFD
DIALLO Mamadou Mouctar
14
Parti Démocratique de GuinéeRassemblement Démocratique Africain
PDG – RDA
TOURE Mohamed
268
Responsable Elhadj SYLLA Seidina Oumar
15
Parti de l’Unité et du Progrès
PUP
16
Parti Socialiste
17
Union Pour le Progrès
UPR
Hon. BAH Ousmane
18
Parti du Peuple de Guinée
PPG
TOLNO Charles Pascal
19
Union pour la Démocratie et de la Reconstruction
UDR
Elh. DABO Abdoulaye Dimah
20
Union des Forces Démocratiques de Guinée
UFDG
Elhadj DIALLO Cellou Dalein
21
Parti de la Révolution Populaire Africain de Guinée
PRPAG
CONDE Ismael
22
Parti du Travail et de la Solidarité
PTS
Elhadj DIAWARA Mamady
23
Parti pour la réunification et le Développement
PRD
BAH Thierno Mamadou
24
Alliance des Forces pour le Changement
AFC
KABA Sanoussy
25
Union pour la Démocratie et le Progrès de Guinée
UDPG
KEITA Hamed Papa Hafidjiou
26
Alliance des Forces Patriotiques de Guinée
AFPG
Elh. CAMARA Thierno Oumar
27
Rassemblement des Forces Démocratiques
RFD
Pr. SOW Mamadou
28
Front Patriotique Guinéen
FPG
DOPAVOGUI Pokpa
29
Parti Africain pour le Partage
PAP
CAMARA Mohamed
PS
269
Elhadj SOLANO Moussa Dr DIALLO Ibrahima Sory
30 31
Convention Démocratique Panafricaine Alternance Démocratique pour le Changement
CDP ADC
DARABA Hadja Saran DIALLO Dr Ibrahima Sory
32
Parti Libéral Démocrate
PLD
YANSANE Mohamed
33
Union des Forces Républicaines
UFR
TOURE Sidiya
34
Génération Citoyenne
GECI
SOUMAH Mohamed Fodé
35
Parti pour le Regroupement National
PRN
TRAORE Moussa
36
Parti pour le Développement et de l’Unité
PDU
TRAORE Dr M’Bemba
37
Parti pour le Progrès et le Changement
PPC
SYLLA Ousmane
38
Parti du Développement et de l’Equité
PDE
N’DIAYE Dr Maguette
39
La Guinée Unie pour son Développement
GUD
Dr CAMARA Sékou Benna
40
Parti National pour le Développement et la Reconstruction
PNDR
CAMARA Mohamed FS
41
Rassemblement du Peuple de Guinée Arc - En – Ciel
42
Alliance pour le Renouveau National
ARENA
Dr CONDE Gouressy
43
Parti pour le Développement Economique de Guinée
PDEG
KOLIE Cécé Maxime
44
Union des Forces Démocratiques
RPG - Arc Hon. CISSE Saloum - En - Ciel
270
UFD
BAH Mamadou Badiko
45
Parti pour l’Union et le Développement
46
Alliance pour une Guinée Nouvelle
47
PUD
DIALLO Dr Oury Ditinn
AGUIO
Dr BARRY Fadima
Parti de l’Unité et de la Liberté
PUL
DIALLO Aminata
48
Parti de l’Unité et du Libéralisme Social
PULS
DIALLO Mamoudou Alpha
49
Parti de l’Espoir pour le Développement National
PEDN
KOUYATE Lansana
50
Avenir Démocratique Prospérité de Guinée
ADPG
BAH Boubacar
51
Parti Guinéen de la Renaissance
PGR
CONDE Ibrahima Sory
52
Congrès Républicain d’Africain de Guinée
CRAFG
BALDE Ousmane Ousali
53
Alliance pour le Renouveau National
ARN
KOULEMOU Pépé
54
Parti National pour la Démocratie et le Développement de Guinée
55
PNDDG
CONDE Laye Mamady Junior
Parti Républicain pour le Renouveau
PRR
Mme DIALLO Oumou Kanté
56
Front National pour le Développement
FND
CONDE Kaba
57
Front Guinéen pour la Renaissance et le Progrès
FGRP
Elh. SYLLA Alpha Ibrahima
58
Congrès Populaire Africain
CPA
CAMARA Dr Kalifa
59
Parti des Jeunes pour le Développement
PJD
CAMARA Mohamed
60
Alliance pour le Développement National
ADN
DIALLO Tidiane
271
61
Alliance National pour le Progrès
ANP
Dr SAGNOH Moussa
62
Rassemblement Guinéen du Travail
RGT
MARA Mamou Mario
63
Mouvement des Démocrates et Patriotes
MDP
Hon. CISSE Ahmed Tidiane
64
Union pour la Démocratie et la Solidarité
UDS
BARRY Ibrahima
65
Parti National de Guinée
PNG
KEIRA Fodé Mamoudou
66
Mouvement des Patriotes pour le Développement
MPD
DOUMBOUYA Mohamed
67
Nouvelle Génération pour la République
NGR
SYLLA Abé
68
Alliance Guinéenne pour le Développement
AGD
CAMARA Mohamed Mounir
69
Génération de la Nouvelle Démocratie
GND
Dr CAMARA Morlaye
70
Parti des Femmes pour le Changement
PFC
SOUMARE Marie Aissatou
71
La Guinée du Renouveau et de la Démocratie
GRD
CONTE Seidouba
72
Nouvelle Alliance des Forces pour l’action Nationale
NAFAN
BARRY Mamadou Aliou
73
Parti Guinéen pour le Développement et la Prospérité
PGDP
Elh. CONTE Fodé
74
Union pour la Défense des Intérêts Républicains
UDIR
KOIVOGUI Ouigui
75
Rassemblement pour le Développement Intégré de la Guinée
RDIG
TELLIANO JeanMarc
272
76
Front Uni pour la Démocratie et le Développement
FUDD
77
Rassemblement pour la Renaissance et le Développement
RRD
78
Parti National pour la Démocratie et le Développement
PNDD
Pr KABA Lansiné
79
Rassemblement Démocratique pour le Développement
RDD
BARRY Mamadou Aliou
80
Parti pour la Paix et le Développement
PPD
DOUMBOUYA Mohamed
81
Action Démocratique de Guinée
ADG
TRAORE Sidiki
82
Parti Socialiste et de Tolérance
PST
CAMARA Mory
83
Union des Forces d’Avenir de Guinée
UFAG
CAMARA Sékou Benna
84
Union Guinéenne pour la Démocratie et le Développement
UGDD
HABA Keamou Bogola
85
Front Démocratique de Guinée
FRONDEG
BARO Thierno Moussa
86
Parti pour la Réconciliation et le Travail
PRT
TOGBE Mme Celestine
87
Parti Guinéen pour la Solidarité, la Démocratie et le Développement
PGSD
KAMANO Marie Louise
88
Parti de l’Espoir pour la Démocratie et la Liberté
PEDL
Elh. DIALLO Mamadou Saliou
89
Alliance des Patriotes de Guinée
APG
KAMANO Sâa François
90
Parti Guinéen de la Cohabitation Pacifique et le Développement
PGCD
CAMARA Nènè Moussa Maléya
95
Parti Social-Démocrate de Guinée
PSDG
CONDE Ibrahim
273
CAMARA Djigui KOUROUMA Abdoulaye
96
Parti pour la Promotion de la Démocratie en Guinée
PPDG
SOW Amadou Hassimiou
97
Front Uni de Guinée
FUG
CAMARA Douty
98
Union pour la Nouvelle Guinée
UNG
SOW Oumar
99
Parti Démocrate Conservateur
PDC
KOULIBALY Sékou
100
Parti Guinéen de Démocratie et de Citoyenneté
PGDC
101
Parti National pour la Justice et la Démocratie
102 Avenir Guinée Nouvelle 104
Mouvement Démocratique Guinéen
105
Union des Mouvements Patriotiques de Guinée
BARRY Madame Kadiatou
PNJD
FOFANA Moussa
AGN
KONATE Laye Aboubacar
MODEM – Dr KONATE GUI Sékou UMPG
106 Parti Guinéen du Peuple
PGP
DRAMOU Simon Pierre CISSE Oumar
107 Nouvelle Vision Démocratique
NOVID
KONATE Ibrahima
108 Parti National pour le Progrès
PNP
DIALLO Mamadou Saliou
109
Front National pour le Progrès de la Guinée
FNPG
CONTE Moussaniko
113
Union des Forces de Jeunesse de Guinée
UFJG
SAMOURA Sayon
114
Génération pour la Réconciliation, l’Union et la Prospérité
GRUP
El h. KOUROUMA Papa Koly
115
Parti Guinéen pour le Progrès et le Développement
PGPD
TOURE Yansané Bintou
274
Alliance des Démocrates 116 Indépendants Ecologistes de Guinée
ADIEG
Elhadj KABA Nouhan
Union Nationale pour l’Egalité et 117 le Développement
UNED
KANTE Mr El Diao
118 AFIA
AFIA
Dr DIALLO Saliou Bella
UNR
BARRY Boubacar
119
Union National pour le Renouveau
120 Les Démocrates Guinéens 121
DG
Parti Progressiste de Guinée pour une Afrique Unies et Prospère
122 Parti de Travaillistes de Guinée 125
Alliance des Forces d’Avenir de Guinée
PPG-AUP
BAKAYOKO Abdourahamane SOW Alpha Mamadou
PTG
LOUA Lamecque Michel
AFAG
TRAORE Cheik Tidiane
GPT
FOFANA Ibrahima Kassory
Union pour le Progrès de la Guinée
UPG
DORE Jean-Marie
129 Mouvement pour la République
MPR
Hon. TRAORE Cheik Tidiane
130
Parti des Guinéens pour la Démocratie
PGD
BAMBA Lâh Robert
131
Forces Patriotiques pour la Démocratie et le Développement
FPDD
Dr Togba PIVI N’Zégbéla
132
Union pour la Démocratie et le Développement
UDD
HABA Jean Bien Aimé
133
Parti de l’Unité de la Solidarité de Guinée
PUSG
127 Guinée pour Tous 128
275
134
Parti pour la Prospérité et le Renouveau de Guinée
135 Union pour la Guinée Nouvelle
PPRG
NANSSOKO Benn Daouda
UGN
Dr DIALLO Alseny
136
Rassemblement pour une Guinée prospère
RGP
El. KEITA Bouna
137
Mouvement pour le Pouvoir et le Peuple
MPP
DIALO Madiou
138
Parti des Jeunes pour le Développement
PJD
CAMARA Mohamed
139
Union Démocratique pour le Renouveau et le Progrès
UDRP
140 Parti National pour le Renouveau
PNR
BALIFISCHER Alpha
141 Union des Forces du Changement
UFC
SYLLA Aboubacar
ZOTOMOU Edouard
142
Mouvement pour la Succession Démocratique et du Progrès
MSDP
SOUMAH Mohamed Lamine
143
Parti Guinéen de Renaissance et du Progrès
PGRP
BAH Alpha Ibrahima
145 Bloc Libéral
BL
MILLIMOUNO Faya Lansana
146
Collectif Militant pour l’Unité Nationale
147
Rassemblement des Démocrates de Guinée
R.D.G
KALLO Oumar
148
Parti Guinéen du Travail et de la Démocratie
PGTD
Pr TRAORE Sékou
149
Parti du Changement et de la Démocratie
CO.M.U.NA DIABY Aboubacar
PCD
276
YOULA Morlaye
150
Parti du Rassemblement des Démocrates de Guinée
151
Force des Intégrés pour la Démocratie et la Liberté
RDG FIDEL
277
KALLO Oumar KABA Lamine
VI. Répertoire des alliances Nº
Dénomination
Sigle
Responsable
RPG – Arc – En Ciel
Honorable Saloum CISSE
1
Alliance Rassemblement du Peuple de Guinée
2
ADP Collectif – CDR
ADP
Cellou Dallein et SYLLA – Kassory
3
Club des Républicains
CDR
Kassory Fofana
4
Alliance Convention pour la Démocratie de GUINEE
5
Alliance Convention Nationale pour la Démocratie
CND
Daouda NASSOKO
6
Club des Républicains
CDR
Kassory FOFANA
7
Le Centre classique
LCC
Hon. Jean-Marie Doré
8
Front D’union pour la Démocratie et le Progrès
FDP
Mamadou Bah Baadikko
9
Convention de l’Opposition Progressiste
COP
Bouna Keita
10
Bloc de l’opposition constructive
BOC
Dr Ibrahima Sory Diallo
11
Collectif des Alliés Politiques pour la Démocratie
CODEC
CAPD
278
Moussa SOLANO
Dr Moussa SAGNO
Table des matières En guise d’épigraphe ............................................................................ 5 Dédicace ............................................................................................... 7 Introduction .......................................................................................... 9 Chapitre 1 Environnement historique de l’indépendance guinéenne ................... 23 Chapitre 2 ........................................................................................... 35 Indépendance et adversités du nouvel État......................................... 35 I. Les chantiers du nouvel État et problèmes intérieurs ................. 49 II. Mission accomplie, mais non revendiquée ................................ 61 III. Vrais ou faux complots, un faux débat ..................................... 65 IV. Pour un pardon global et inclusif ............................................. 71 V. Échec de la révolution et tentatives de repositionnement ......... 89 Chapitre 3 La Guinée à l’avant-garde du combat politique africain .................. 109 I. La Guinée et l’Organisation de l’Unité Africaine ..................... 113 II. La Guinée et la Panafricaine de la jeunesse............................. 115 III. La Guinée et la Panafricaine des Femmes.............................. 116 IV. La Guinée et le mouvement syndical africain ........................ 117 V. La Guinée et la Panafricaine des écrivains .............................. 117 Chapitre 4 La Guinée honore ses engagements ................................................. 121 I. Soutien aux mouvements de libération nationale ..................... 121 1. La Guinée et la lutte anticoloniale en Algérie ...................... 122 2. La Guinée et la crise congolaise ........................................... 123 3. Soutien de la Guinée au P.A.I.G.C. ...................................... 125 4. La Guinée et la lutte de libération nationale en Angola ....... 127 279
5. La Guinée et la lutte de libération au Mozambique ............. 129 6. Soutien aux mouvements anti-apartheid .............................. 129 II. Conakry, asile des mouvements nationalistes africains ........... 133 1. La Guinée et le SAWABA (Niger) ...................................... 133 2. La Guinée et l’Union des Peuples du Cameroun (UPC) ...... 135 III. La Guinée et la protection de l’ordre constitutionnel ............. 137 1. Le cas du Bénin .................................................................... 137 2. Les actions guinéennes en Sierra Léone............................... 138 3. Le maintien de la paix au Libéria ......................................... 139 IV. Assistance technique guinéenne en Afrique .......................... 140 V. Conséquences de l’internationalisme guinéen......................... 142 VI. Une histoire guinéenne à l’imparfait ...................................... 144 1. Tentatives nihilistes contre Sékou Touré ............................. 144 2. Nul n’est prophète dans son pays ......................................... 147 3. La Guinée avant la Baule ..................................................... 153 Chapitre 5 L’Armée au pouvoir ......................................................................... 157 I. Lansana Conté ou la démocratie sans le peuple ........................ 161 1. La décentralisation ............................................................... 161 2. La Loi fondamentale ............................................................ 163 3. Le multipartisme intégral ..................................................... 164 4. Les Institutions républicaines ............................................... 169 II. Le Général Lansana Conté à l’épreuve de la démocratie ........ 173 III. Lansana Conté ou le pouvoir sans partage ............................. 177 IV. Lansana Conté, un chef atypique ........................................... 184 V. Mort de Conté et échec d’une succession constitutionnelle .... 191 Chapitre 6 Le retour de l’armée au pouvoir ....................................................... 197 I. Éphémère pouvoir du capitaine Moussa Dadis Camara ........... 197 1. Les atouts de Dadis............................................................... 199 2. Les erreurs de Dadis ............................................................ 205 II. Boulbinet ou la fin d’un « mystère » ....................................... 215 III. Marche anodine, piège fatidique du Stade 28 septembre ....... 222 IV. Une transition sans Dadis ....................................................... 229 1. La Présidence de la Transition ............................................. 231 2. Le Premier ministre de la Transition .................................... 235 3. Le Conseil National de Transition........................................ 239 280
Conclusion ........................................................................................ 245 Bibliographie .................................................................................... 251 Ouvrages ....................................................................................... 251 Périodiques ................................................................................... 254 Internet.......................................................................................... 255 Annexe.............................................................................................. 257 I. Répertoire des complots en Guinée .......................................... 257 II. Liste des volontaires venus au secours de la Guinée ............... 259 1. Volontaires européens .......................................................... 259 2. Volontaires antillais .............................................................. 260 3. Volontaires africains............................................................. 260 III. Liste des Premiers ministres ................................................... 263 IV. Liste des exécutions sommaires ............................................. 264 1. « Coup Diarra Traoré » ........................................................ 264 2. Dignitaires de l’ancien régime ............................................. 266 V. Répertoire des partis politiques ............................................... 268 VI. Répertoire des alliances.......................................................... 278
281
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LA GUINÉE: de Ahmed Sékou Touré à Alpha Condé ou le chemin de croix de la démocratie Dr Aly Gilbert IFFONO est Maître de conférences au Département d’Histoire de l’Université de Sonfonia (Conakry). Pour sa cinquième publication, Dr IFFONO a choisi un sujet extrêmement délicat, l’histoire récente de son pays. Le livre couvre un demi-siècle d’histoire dont les principaux acteurs ont pour nom : Ahmed Sékou TOURE, Lansana CONTE, Moussa Dadis CAMARA, Sékouba KONATE et récemment Alpha CONDE. Chacun avec des fortunes diverses, a présidé aux destinées d’un pays dont le scandale est moins son potentiel géologique que la pauvreté endémique dans laquelle vivent ses populations. Pour expliquer ce paradoxe, l’auteur a fait un survol des différentes gouvernances à la recherche de ce qu’elles ont en commun et de ce qui les distingue. Pour ce faire, Dr IFFONO a réuni et analysé un nombre impressionnant d’informations sur les différents magisters, permettant au lecteur de se faire sa propre opinion sur chacun des chefs qui ont dirigé la Guinée. L’ouvrage qui est l’un des rares essais d’étude d’ensemble de l’histoire récente et tumultueuse du pays ne manquera pas d’intérêt pour ceux qui hésiteraient encore à témoigner.
ISBN : 978-2-343-01962-8
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