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French Pages 288 [278] Year 2010
HISTOIRE GÉNÉRALE DU CONGO DES ORIGINES À NOS JOURS
Couverture : logo du Cinquantenaire de l’Indépendance du Congo.
Sous la direction du
Professeur Théophile OBENGA
HISTOIRE GÉNÉRALE DU CONGO DES ORIGINES À NOS JOURS I. Méthodologie historique Genèse du Congo
Préface par Denis SASSOU N’GUESSO Président de la République du Congo
L’HARMATTAN
© L’Harmattan, 2010 5-7, rue de l’Ecole-Polytechnique, 75005 Paris http://www.librairieharmattan.com [email protected] [email protected] ISBN : 978-2-296-12927-6 EAN : 9782296129276
PREFACE Inaltérable conviction, dans l’intelligence pratique de l’action politique pour bâtir une nation, édifier une patrie, construire un Etat dans le monde moderne, notre constante réflexion, par goût personnel (à cause de la prime éducation au village) et par expérience des affaires publiques (à cause des nécessités circonstancielles et des responsabilités), est que l’histoire ne saurait se résoudre en une succession de péripéties fortuites, mais qu’elle est, assurément, l’expression même de la relation dialectique entre le présent et l’avenir, le passé restauré et assumé, les faits connus. C’est cela la liberté qui garantit et préserve les valeurs de paix sociale, d’espérance collective, les vertus de démocratie et de travail qui procurent la prospérité et le bonheur. Affaire de mémoire et de conscience, l’histoire est également une affaire d’historicité, c’est-à-dire de valeurs fondamentales qui sous-tendent toute action humaine remarquable. Dès lors, il nous plaît de féliciter l’équipe mise en place, pour ses compétences, en vue de la rédaction de ce premier ouvrage de synthèse sur l’Histoire générale du Congo des origines à nos jours. Ce travail patriotique de science et de culture, de connaissance et de pédagogie, trouvera nécessairement, et toujours, grand accueil auprès de tous les Congolais et de tous les amis du Congo de par le monde. C’est un des fermes souhaits à la Nation que nous formulons à l’occasion de la célébration du Cinquantenaire de l’Indépendance de la République du Congo.
Denis Sassou Nguesso Président de la République du Congo
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INTRODUCTION GENERALE par Théophile OBENGA En prescrivant, par décret, la rédaction d’un ouvrage synthétique sur l’histoire générale du Congo, des origines à nos jours, et ce, à l’occasion de la célébration du Cinquantenaire de l’Indépendance de la République du Congo, Monsieur le Président de la République, Son Excellence Denis Sassou Nguesso, a accompli une geste dont la substance historique suscite forcément une réflexion : cette Introduction. Certes, au Congo, nous connaissions, fût-ce dans la miclarté, les faits saillants de notre histoire, notamment la courte et riche tranche de l’ère coloniale (moins d’un siècle) et postcoloniale (juste un demi-siècle, à ce jour) : textes fondateurs, discours mémorables, personnalités considérables, présidents et gouvernements, heurs et malheurs, faiblesses et sursauts, crises et espoirs. Mais, tout bien pesé, nous n’avions pas encore un ouvrage de synthèse sur l’histoire du Congo. Ainsi donc, le décret présidentiel marque la naissance officielle de l’historiographie congolaise, c’est-à-dire que l’intention du Gouvernement de la République d’écrire une histoire générale du Congo date du régime de Denis Sassou Nguesso. Le Gouvernement de la République a par conséquent mis des moyens pour atteindre cet objectif inédit. Voilà le premier mérite de la décision présidentielle. Le second mérite n’est pas moins capital. Il s’agit de l’élaboration des faits de mémoire et d’histoire qui ont façonné et toujours structurent la conscience historique congolaise. Il n’y a pas d’Etat de droit viable sans conscience historique du peuple, c‘est-à-dire sans communauté de destin, car l’Etat, qui implique nation, est plus qu’un simple appareillage de structures et de 7
formalités convenues. L’Etat, de surcroît de droit, n’est jamais qu’un projet humain de communauté de destin dont les fondements, d’évidence, s’enracinent dans la conscience historique d’un peuple. Les valeurs émergent et fleurissent grâce à la conscience historique. La conscience historique est une affaire d’ontologie, c’est-à-dire qu’elle concerne l’essence même de l’être. Un troisième mérite, tout autant crucial, est celui d’historicité du décret présidentiel. En effet, à la réflexion, si l’historiographie restaure la conscience historique, celle-ci, pour se manifester, engendre une capacité d’agir en connaissance de cause, et c’est cela que les historiens et les philosophes appellent historicité, c’est-à-dire qu’entre le réel et le possible, la raison humaine se dresse pour d’autres accomplissements. L’histoire ne s’arrête guère, telle est aussi la condition humaine. La capacité de faire, de créer, d’innover, sa propre mémoire explorée et restaurée, telle est l’historicité. Si je regroupe les mots-clés historiographie, conscience historique et historicité, il est manifeste que le Président Denis Sassou Nguesso, lui-même méticuleux connaisseur de l’Afrique et du Congo (et même de l’Inde !), a voulu, par vertu constitutionnelle, libérer les consciences et les mentalités, réconcilier les Congolais et les Congolaises, toutes ethnies confondues, avec leur propre passé, récent et lointain : "assumer" dans l’honneur et le courage pour avancer, car seul l’essentiel a du poids et de l’avenir. Pour réaliser et cette vision et cette problématique du Chef de l’Etat, avec compétence et autorité, il a été procédé au regroupement de ceux qui, parmi les fils et les filles du Congo, cultivent depuis fort longtemps les règles, principes, méthodes et techniques du travail scientifique qui ne vaut que par sa rigueur, 8
son objectivité, sa qualité réflexive, son impact culturel et pédagogique. Cet ouvrage, le premier du genre, en respectant la liberté intellectuelle de chacun(e) des auteurs de chapitres, est néanmoins le fruit des efforts multiformes concertés : les oublis, peu nombreux à vrai dire, ne peuvent être qu’involontaires ; les imperfections heuristiques, à signaler par des lecteurs avisés, seront corrigées lors des futures éditions ou par les générations à venir, car une œuvre d’une telle importance et d’une telle envergure ne peut ne pas comporter des "manquements" : il s’agit d’une histoire générale de tout un pays, et non point d’une monographie tribale détaillée, jusqu’aux anecdotes. L’historien s’intéresse à l’essentiel, et non au détail anecdotique qui, souvent, préoccupe le "lecteur-sans-vision" au-delà de son histoire locale. Il est question en fait d’un travail collectif aux styles variés, malgré un souci réel d’harmonisation et de présentation équilibrée. Les cartes et les illustrations apportent des éclairages historiques uniques : il faut les consulter dans cette perspective. Cet ouvrage de science historique, d’apport culturel et de bénéfice pédagogique, est un bien national, parce qu’il concerne le patrimoine de toute la communauté nationale, en traitant de la méthodologie historique, des préludes historiques avec les mondes sub-actuels, des réalités et complexités congolaises d’aujourd’hui. Un chemin d’avenir, large, s’ouvre pour un Congo prospère qui a muté du non-être à l’être, par et dans le travail, la méthode, l’amour du pays et, surtout, le désir ardent de laisser aux générations futures un sens aigu d’exigence et d’excellence. Ainsi, les grandes coupures chronologiques de l’histoire générale du Congo peuvent être esquissées, dans des temporalités successives, cependant liées les unes aux autres, surtout dans les Temps modernes : 9
I. Procédés et finalités heuristiques de l’histoire II. Cadre physique général. Fondements humains et culturels III. Mondes préhistoriques, néolithiques et sub-actuels, il ya plus de 2 000 ans IV. Histoire ancienne : 9ème - 16ème siècle V. Histoire moderne : 16ème - 19ème siècle VI. Histoire contemporaine : 20ème - 21ème siècle. Des historiens, géographes, anthropologues, linguistes, sociologues, politologues, juristes, économistes, littéraires, journalistes, médecins, etc., ont tous contribué, à divers degrés, à cet ouvrage de solide information scientifique, de clarté pédagogique et de grande ambition culturelle. Enseignants, cadres, intellectuels, écoliers, élèves, étudiants, touristes, bref tous ceux et toutes celles qui s’intéressent au Congo, par amour ou pour les affaires, toujours par amitié et sympathie, trouveront dans cet ouvrage de synthèse tout ce qu’il faut pour se faire une idée correcte de l’histoire du peuple congolais. C’est au peuple que revient, en définitive, le mérite exceptionnel de la conception, l’élaboration et la finalisation de cet ouvrage qui fut au départ un concept du Président de la République.
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PARTIE I HISTOIRE ET MÉTHODE
HISTOIRE ET MÉTHODE par Théophile OBENGA Cette Partie I, essentiellement consacrée aux questions et problématiques fondamentales de la recherche historique, traite des points suivants : I. Besoin vital humain de connaître le passé II. Modalités et signification du travail historique III. Histoire universelle, toile de fond de toute histoire humaine IV. L’histoire : le mot et la chose V. L’histoire : les conceptualisations VI. Sources de l’histoire du Congo et critique historique - Les paléoclimats - La préhistoire - Berceaux agricoles primaires. Plantes cultivées et histoire - Traditions orales historisantes. Langues-Histoire - Sources écrites - Machines électroniques et recherche historique. "Histoire et méthode" ou "Méthodologie historique" ou encore "Méthode historique", c’est toujours pour signifier la même idée, c’est-à-dire l’exposé didactique des principes et procédés d’investigation et de connaissance qui confèrent à l’histoire, soit l’étude du passé humain, son statut de discipline scientifique. L’histoire obéit en effet à une épistémologie précise. De telles considérations de méthode, d’ordre général, sont une demande de logique historique pour éviter bien des malentendus, souvent de routine intellectuelle. Les légendes (latin legenda, "ce qui doit être lu", sens de base) ont aussi un rapport avec la quête de la connaissance du 13
passé humain. C’est le cas par exemple de la Légende de M’Pfoumou Ma Mazono (1954) de Jean Malonga, récit merveilleux, s’il en fut (la traversée d’une large rivière à dos d’hippopotames, etc.), embelli par l’imaginaire poétique du narrateur. Mais le merveilleux n’exige ni temps ni lieu précis pour localiser les faits, les péripéties, les événements. Temporalités chronologiques et spatialités historiques sont très ténues dans le récit légendaire. Le travail historique, au contraire, se préoccupe obstinément des genèses, des antécédents, des préludes, pour mieux aborder les longues durées, les mouvements de fond distincts de ceux de surface, bref les causations historiques. C’est cette spécificité de l’histoire et du travail historique qu’il faut maintenant tenter de délimiter (ou de définir) en ayant une vue sur l’essentiel. I - Besoin vital humain de connaître le passé L’être humain a un souci qui le caractérise fondamentalement, et de façon permanente : percer l’opacité du passé pour tenter de connaître ce qui fut et qui est désormais irremplaçable. La notion d’irremplaçabilité constitue le fondement de toute mémoire historique, d’où le besoin vital humain de connaissance historique. C’est-à-dire que l’être humain, toujours, désire connaître d’où il vient (le passé), où il en est (le présent) et où il va (le futur, l’avenir). La condition humaine s’exerce dans l’entre-trois : le passé, le présent et le futur ; il n’y a pas de présent s’il n’y a pas de passé et s’il n’y a pas de futur. Le présent est tout à la fois dépassement et tension : dépassement des temps révolus et tension vers des temps non encore dévoilés. Le connu motive la connaissance de l’inconnu ; l’histoire contient tout à la fois le connu et l’inconnu, et l’historien, dans 14
son travail, essaie d’amoindrir notre ignorance de l’un et de l’autre.
II-Modalités et signification du travail historique Pour satisfaire le grand besoin culturel, intellectuel et spirituel de connaissance du passé de l’être humain, l’historien conduit son travail en trois étapes spécifiques, cependant imbriquées les unes dans les autres : - l’heuristique est l’étape initiale consacrée à la recherche patiente des sources, des documents, susceptibles de fournir des informations historiques ; ces sources et documents doivent être de nature primaire, c’est-à-dire de nature directe, originelle ; - la critique historique est l’étape d’analyse scrupuleuse et objective des sources, en les examinant à la lumière de la critique qui, en histoire, a tout un corpus de règles et de principes précis, pour l’établissement de la vérité historique qui revêt souvent la modalité du vraisemblable ; - la causation historique est l’étape décisive de l’explication historique qui demande à l’historien une grande ouverture d’esprit ; en réfléchissant sur les faits historiques dûment établis dans le temps et dans l’espace, l’historien, homme ou femme de métier, met nécessairement en mouvement des modèles paradigmatiques, des systèmes historiques explicatifs qui relèvent de l’art et de la science d’écrire l’histoire : l’historiographie, l’écriture historique qui peut engendrer des "mythes nationaux", des "gonflements historiques inutiles", des "oublis volontaires" à cause des "faits gênants", des "exagérations partisanes", des "triomphalismes de propagande", des "jugements hâtifs", des "préjugés ataviques", des "reflexes racistes et dominateurs", etc. 15
L’histoire est donc une affaire fort "complexe" comme les sociétés humaines elles-mêmes. C’est à l’historien d’exercer, au cœur du labeur, un esprit d’éveil, une intelligence critique, une culture d’ouverture et non d’enfermement et de repli de soi sur soi. Quoi qu’il en soit de ces "complexités" et de ces "glissements psychologiques", la finalité ultime de l’histoire est, pour l’homme, la connaissance de soi ("human self-knowledge", comme disent les Anglo-Saxons). Une certaine clarté de cohérence intellectuelle est par conséquent requise. L’histoire, c’est la quête de soi dans le présent. Quête du sens qui confère à l’être sa propre présence à lui-même et au monde : présence de soi à soi et présence de soi au monde qui renvoie à l’Origine. Il y a nécessairement une dimension ontologique de l’histoire à cause de cet enracinement dans l’essentiel, l’éphémère rendu à son évanescence, c’est-à-dire à sa propre disparition progressive. L’historien ne retient pas tous les faits, tous les événements du passé, car le temps, une norme universelle, est lui-même un puissant discriminant des faits humains. Les circonstances, les motivations et les mentalités changent, ce qui était hier honni peut devenir aujourd’hui objet de culte et de vénération. L’histoire établit et rétablit des faits. Les lectures des générations successives peuvent varier au gré de nouvelles contextualités historiques. III - Histoire universelle, toile de fond de toute histoire humaine L’histoire générale du Congo est, de soi, localisée au Congo, avec ses sources particulières d’information historique. Et les habitants, hommes et femmes d’hier et d’aujourd’hui, en sont les acteurs. 16
Cependant, cette histoire particulière du Congo est, en soi, l’histoire du monde comme toutes les autres histoires particulières, locales, régionales. Dit autrement, avec plus de netteté, le de soi n’existe que parce qu’il y a le en soi : l’histoire universelle est la toile de fond de toute histoire particulière, car l’histoire universelle embrasse toute l’humanité et ne laisse aucune histoire particulière en marge du monde. Longtemps, l’historiographie occidentale a écarté, par pur arbitraire idéologique, l’Afrique noire de l’histoire universelle, c’est-à-dire de la vie et des civilisations de l’humanité. Cette exclusion de l’Afrique noire de l’histoire universelle a causé de grands dommages à l’historiographie africaine : le relever est un signe salutaire car cela impose nécessairement de sérieuses révisions épistémologiques de la part d’une certaine historiographie qui s’octroyait des privilèges indus. L’expérience humaine est faite de tous les apports humains, magnifiques ou non : le problème n’est pas la magnificence des expériences, mais la nature humaine de ces expériences qui fait que ce sont des expériences humaines, toute dignité humaine étant par ailleurs également partagée comme le bon sens, la raison. On ferait par conséquent la même grave méprise historiographique en considérant les peuples Aka, Mbènzèlè, Mikaya, Ngombè, Twa, Mbuti, Binga, etc. très faussement dits "Pygmées" (d’un mot grec signifiant "poing", court comme le "poing" d’une main fermée ; latin pugnus) ou "Peuples autochtones", comme étant en marge de l’histoire du Congo et de l’humanité, en leur concédant généreusement quelques faveurs
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juridiques de dignité citoyenne1. IV-L’histoire : le mot et la chose Le mot français histoire vient directement du latin historia, lui-même du grec ; il signifie aujourd’hui : « Relation des faits, des événements passés, concernant la vie de l’humanité, d’une société ou d’une personne sur la base de sources documentaires. » Conventionnellement, la relation des faits du passé humain avant l’apparition de l’écriture relève de la préhistoire qui, elle, est basée sur la fouille des sites et habitats selon les méthodes et techniques de l’Archéologie préhistorique. L’histoire proprement dite commencerait donc avec la naissance de l’écriture, vers 5000 av. notre ère. De nos jours, la méthodologie historique a beaucoup élargi la notion de « source historique ». Les documents écrits et les documents oraux sont tous des sources historiques dignes du même intérêt scientifique. Ce point sera quelque peu développé par la suite. Le mot histoire lui-même exige une explication technique, car son étymologie est souvent ignorée. Le mot grec historia, "histoire", provient de la racine indoeuropéenne *wid-, qui signifie : « voir ». A cette racine, il a été suffixé un thème d’agent –t r, ce qui a donné naissance au mot hist r, qui signifie : « témoin qui a vu de ses propres yeux un évènement et qui rapporte ce qu’il a vu ». Les textes les plus anciens de la littérature grecque autorisent cette claire 1
John Buettener-Janusch, Physical Anthropology: A Perspective, New York, John Wiley & Sons, 1973, p. 362: “African Pygmies are short Africans”. Traduction: «Les Pygmées africains (i.e. les Aka, de leur vrai nom) sont des Africains de petite taille ». Leur petite taille, fait naturel, ne signifie pas qu’ils sont des Africains de seconde zone.
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compréhension. Chez Homère le mot hist r réunit les deux fonctions de "témoin oculaire" et d’ "arbitre". L’arbitre proclame le vainqueur d’une compétition, après avoir constaté de ses propres yeux la victoire du gagnant. Le mot hist r se trouve une seule fois chez Hésiode (Les Travaux et les Jours, 792) au sens de "juge" (histora), doué d’un esprit fort subtil (nóon pepukasménos estín). Dans le serment d’Hippocrate, les dieux omniprésents sont pris comme témoins oculaires (historias), en assistant à l’acte de prendre religieusement l’engagement de bien remplir les devoirs de la profession médicale. En dialecte grec dorien, le mot pour "témoin" est ma;tus, en grec attique martus, et en ionien, il est hist r. De hist r dérive le verbe histore qui signifie chez Hérodote : « s’informer », « demander », « décrire ». Chez le même Hérodote, le substantif historia a le sens de « recherche », « information », « exploration par autopsie », c’est-à-dire par directe vision, par témoignage oculaire, par action de voir de ses propres yeux (auto-psie). Hérodote, le père de l’histoire en Occident, a rassemblé un immense matériel au cours de ses nombreux voyages d’enquête directe, personnelle. Ces mots hist r, historia, histore ne se retrouvent pas chez Thucydide, historien qui cherchait plutôt à analyser le fonds psychologique et les causes profondes des événements historiques. Longtemps, le sens des mots n’a pas évolué, et historia fut toujours liée à la signification de « connaissance gagnée par la vue, par exploration à l’aide des yeux ». Connaissance et science étant interposables en grec (epistem'), la connaissance empirique à l’aide des yeux est devenue la science, gagnée à l’aide de la raison (logos), et l’historia, "histoire", est désormais entendue comme "science historique" dont la raison, la méthode, est la critique historique. 19
De l’empirique au rationnel, l’histoire s’est enrichie de divers contenus sémantiques, mais le sens de base demeure : l’historien témoigne toujours du passé, directement en tant que chroniqueur qui note au jour le jour les faits, les événements, ou en tant que spécialiste du métier d’historien. En Afrique noire, le sens de base de la connaissance du passé humain est souvent lié au concept de "déterrer, creuser", et non de "voir de ses propres yeux" comme en Occident : - kiswahili : Afrika Zamani, le passé, l’histoire de l’Afrique : c’est le titre de la Revue d’histoire de l’Association des Historiens Africains. - lingala : ko-kundola, sortir, déterrer, exhumer, découvrir, tirer de l’oubli - lingala : likundoli, le fait de tirer de l’oubli, donc histoire, soit la connaissance du passé (concept de l’école historique de la République Démocratique du Congo) - mbochi : i-tsímà, creuser, déterrer - mbochi : tsímì, l’histoire, c’est-à-dire ce qui a été exhumé de l’oubli (itàndà, otàndì)
Comme de nos jours l’historien est rarement lui-même hist r, témoin oculaire qui a vu de ses propres yeux, le sens africain de l’histoire, "exhumation du passé pour le préserver de l’oubli", est encore le sens le plus convenable à la pratique de l’histoire dans les Temps modernes où la science historique est largement conceptualisée. V - L’histoire : les conceptualisations Dans les Temps modernes, en effet, les historiens, à défaut de la vision directe, de l’autopsie immédiate, élaborent des systèmes et paradigmes explicatifs pour comprendre les 20
événements et leur signification : c’est la conceptualisation de l’histoire. Pour Giambattista Vico (1668-1744) par exemple, l’histoire, une "science nouvelle" (La Scienza Nuova, 1725), concerne la nature commune des nations à travers les âges de l’humanité. Soucieux de tracer l’histoire de l’accroissement culturel humain, Vico s’est démarqué d’une histoire augustinienne à la Bossuet (1627-1704), auteur d’un Discours sur l’histoire universelle (1669). L’expression "Philosophie de l’histoire", liée à l’histoire universelle, ne date pas de F.W. Hegel (1770-1831), mais de Voltaire (1694-1778) qui l’a inventée pour signifier que l’historien devrait réfléchir, se faire une idée de l’histoire, au lieu de répéter les ouvrages historiques et de faire usage d’une critique historique positiviste. L’imagination de l’historien doit être cependant servie par l’évidence historique qui est tout à la fois une évidence de fait et d’idée. R.G. Collingwood développera cette thématique voltairienne dans The Idea of History (1946, 1951, 1966). Leopold von Ranke (1795-1886), un des grands initiateurs de la science historique au 19ème siècle, considérait l’histoire comme rien d’autre qu’un récit de faits, rien que de faits, dans leur singularité : le concept de fait historique, au sens moderne, date certainement de Ranke. Jules Michelet (1798-1874), est sans doute le plus grand historien français avec sa monumentale Histoire de France (1833-1846 ; 1857-1867). Il percevait l’histoire comme une création en tableaux successifs, autant de cosmogonies à la mode antique, dans le but de redonner une âme au passé, car l’histoire est la résurrection de la vie. Theodor Mommsen (1817-1903), auteur d’une Histoire romaine (1856-1885), prix Nobel 1902, a complètement 21
renouvelé l’étude de l’Antiquité latine par ses recherches épigraphiques et philologiques. Pour Karl Marx (1818-1883) et le matérialisme historique, les rapports de production sont le fondement explicatif du développement et du progrès de l’histoire humaine. La superstructure (Oberbau) est déterminée par la base des structures sociales matérielles. La réflexion moderne sur l’histoire doit beaucoup à Benedetto Croce (1866-1952), auteur de Théorie et Histoire de l’historiographie et de l’Histoire comme pensée et comme action, deux œuvres fondamentales de la culture du 20ème siècle. Sa pensée est abrégée dans cette célèbre formule : « Toute histoire est histoire contemporaine » (la storia come storia contemporanea), c’est-à-dire que le passé n’est interrogé qu’en fonction des préoccupations présentes, contemporaines. Parmi les grandes conceptualisations de l’histoire au 20ème siècle, il faut aussi compter avec Nicolae Iorga (1871-1940), sans doute le meilleur connaisseur du Sud-Est européen, de Byzance et de l’Empire ottoman, auteur d’un Essai de synthèse de l’histoire de l’humanité (1926, 4 vol.) et d’un ouvrage posthume intitulé : Historiologie humaine (1968). Le "territoire de l’historien" (Emmanuel Le Roy Ladurie) s’est considérablement élargi, ainsi que les thématiques historiques en intégrant les activités des hommes, de l’économie au mental, dans des systèmes qui évoluent à long terme (Georges Duby et l’histoire du mental collectif ; Fernand Braudel et la longue durée). Denrées alimentaires, sexualité, vie amoureuse, maladies, corps humain, sang, fête, etc. : tout est désormais objet d’étude historique. Histoire quantitative certes, mais aussi histoire qualitative. La constante préoccupation de l’illustre historien africain Cheikh Anta Diop (1923-1986) était de lire le passé africain non pas comme constitué d’entités ethnographiques fragmentaires, 22
mais bien dans le cadre d’un continuum historique, de l’Egypte pharaonique nègre aux problèmes actuels de l’Afrique. La conscience historique africaine est, pour lui, le fondement même de la Renaissance africaine et de la construction d’un Etat fédéral africain continental. Son livre décisif Nations nègres et culture (1954) a marqué la naissance de toute l’historiographie africaine contemporaine. Il a toujours existé des combats pour l’histoire à travers le monde. L’historien africain contemporain travaille, l’esprit ouvert, et maîtrise les acquis théoriques et pratiques, réflexifs et empiriques, les méthodologies et les grands paradigmes qui constituent aujourd’hui la science historique. Il y a aussi l’apport spécifique des Maîtres de la parole ("griots") de l’Afrique millénaire. On sort ainsi, définitivement, des concepts, lexiques, points de vue et préjugés de l’enfermement africaniste eurocentriste, qui trouvaient en Afrique noire des "peuples paléonigritiques", des "peuples autochtones" (tous les autres peuples noirs africains étant des "peuples envahisseurs" !), des "civilisations primitives", des "langues chamitosémitiques" ou "afroasiatiques", des "pays pauvres", alors que ce sont des pays qui subissent l’exploitation durable par tout l’Occident, etc. Ceci est tellement important que dans son Discours d’investiture (Brazzaville, Palais du Parlement, 14 août 2009), le Président Denis Sassou Nguesso, en présence de ses pairs africains, avait cru nécessaire d’attirer l’attention sur les dangers permanents d’"infantilisation des Africains" (ce sont ses mots) par un usage constant d’un vocabulaire occidental de mépris à l’égard des Africains. C’est par conséquent dans un environnement intellectuel assaini qu’il faut désormais tenter de lire et de décrire assez objectivement l’histoire de l’Afrique noire, depuis la Nubie et 23
l’Egypte des Pharaons, les premières civilisations noires de l’univers culturel africain. Après ces considérations méthodologiques générales, faisons à présent état des principales sources de l’histoire du Congo des origines à nos jours. VI - Sources de l’histoire du Congo et critique historique L’heuristique (du grec heuriskein, "trouver") est la partie de la discipline historique qui se propose de définir les règles et principes de la recherche et de la trouvaille (découverte heureuse) des sources, susceptibles de fournir des informations historiques originales, de première main. L’heuristique fait donc partie de la méthodologie historique, c’est-à-dire de l’ensemble des méthodes, des procédés qui caractérisent le "métier d’historien", selon l’expression fortunée de Marc Bloch (1886-1944). Pour bien mener l’investigation heuristique, l’historien doit être lui-même capable de poser des questions importantes et pertinentes et de s’ouvrir assez largement à toutes sortes de sources disponibles. Une certaine culture générale solide est par conséquent utile et nécessaire à la formation de l’historien, pour concevoir, conceptualiser et même réfléchir profondément, car l’histoire a une valeur qui la rattache au destin humain, même lorsque entre en jeu la relativité culturelle. Il existe plusieurs catégories de sources de l’histoire du Congo, notamment : 1-Les paléoclimats L’étude des paléoclimats ou climats anciens peut fournir des renseignements décisifs à la compréhension du passé humain. Ces renseignements peuvent porter sur la variabilité climatique 24
de nos zones tropicales, chaudes et humides, sur les saisons et sur les migrations des écosystèmes forestiers et aquatiques. Il semble que le bassin du Congo fut autrefois l’objet d’une minutieuse gestion, de sorte que les forêts constituent encore de nos jours une grande richesse pour l’humanité entière. Les ancêtres des Congolais actuels n’avaient jamais pollué, détruit, dégradé leurs écosystèmes. L’histoire du climat, la climatologie, est une source documentaire fort importante. Les arbres parlent et renseignent. Techniquement dit, il s’agit de dendroclimatologie et de dendrochronologie (grec dendron, "arbre") : on coupe circulairement un vieil arbre ; on fait à la loupe ou au microscope numérique le décompte des anneaux concentriques ; le nombre d’anneaux équivaut à l’âge de l’arbre. Les anneaux, minces ou épais, renseignent également sur les saisons, sèches ou pluvieuses, durant la croissance de l’arbre. On peut réaliser alors des cartes de saisons, de climats et d’écosystèmes anciens. Les sociétés humaines étant des niches écologiques, subissent tout naturellement les fluctuations climatiques qui affectent les activités humaines : cueillette, ramassage, agriculture, pêche, chasse, vannerie, fabrication de sel, etc. Les milieux naturels hostiles (peu ou trop d’eau, insolation outrancière, tonnerres et foudres trop fréquents, etc.) causent parfois de longues migrations fauniques, animales et humaines. 2-La préhistoire Le préfixe pré- veut dire : "avant". Par conséquent, la préhistoire est l’étude et la connaissance du passé humain avant les documents écrits : préhistoire, histoire humaine avant les sources écrites histoire, histoire humaine à partir des informations provenant des sources écrites et orales. -
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Il s’agit donc toujours d’histoire humaine, du passé humain, avec la préhistoire et l’histoire, la différence réside seulement dans la nature de la documentation, et non dans les finalités. Le Congrès international d’Anthropologie et d’Archéologie préhistorique, tenu à la Spezia (Ligurie, Italie), en 1865, avait défini la préhistoire comme l’étude de l’origine et du développement de l’humanité : c’est l’histoire de l’Homme avant les documents écrits, les documents figurés, voire même avant les traditions et les légendes. Ainsi, avant les fables, les légendes et mythes, avant les traditions orales et la grande variété des documents écrits, le passé humain est connaissable grâce à la documentation préhistorique qui se base sur la fouille. La fouille La fouille est l’excavation, c’est-à-dire le travail technique qui consiste à quadriller un espace choisi, pratiquer des sondages, creuser méthodiquement le sol en suivant les strates, explorer minutieusement les différentes couches stratigraphiques pour y trouver et ramasser des vestiges, des fossiles, des témoignages, des matériaux susceptibles de renseigner, après examen et classification en laboratoire, sur les sociétés jadis vivantes, mais aujourd’hui disparues et ensevelies au cours des siècles, voire des millénaires. C’est la fouille préhistorique (sites archéologiques, anciens sols habités, nécropoles, etc.) qui fournit la documentation préhistorique. Un appareillage et un outillage appropriés sont requis, avec des équipes directrices compétentes, et des personnels d’appoint dévoués et qualifiés.
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La documentation préhistorique : premières récoltes archéologiques congolaises La documentation préhistorique est complètement muette, constituée qu’elle est d’os, de pierres taillées (industrie lithique), de charbon, de fer, de cendres, de poussières, de morceaux de poterie, de vannerie, de tissu, de graines, de pollens, etc. C’est au préhistorien d’interroger, de faire parler et d’interpréter les résultats archéologiques des fouilles, en les plaçant dans leur âge, relatif avec la stratigraphie (description et étude des strates ou séquences stratifiées et les rapports de ces strates les unes aux autres), absolu avec les données chronométriques des méthodes physico-chimiques de datation (carbone 14, méthode potassium-argon ou méthode K/Ar, etc.). Au Congo, les premières récoltes d’outils préhistoriques sont dues à Paul Regnault, ingénieur, et à Wadon, alors chef de poste, dans la Vallée du Niari : ces objets, dessinés par Adrien de Mortillet, furent publiés en 1894, par le frère du découvreur ou inventeur, le Docteur F. Regnault, dans le Bulletin de la Société d’Anthropologie de Paris. Depuis cette date (1894), les découvertes préhistoriques se sont multipliées au Congo : près de Boko-Songo (1906-1907), dans les gîtes cuprifères de Mindouli (1928-1932), les gisements de Pointe-Noire, les stations du Pic Comba à 12 km à l’Ouest de Mindouli, les sites de Brazzaville et de Mpunu (fouilles de Jean Lombard, en 1928-1931) ; les gisements de Mpila, sur la berge du Pool Malebo (Stanley Pool) : fouilles de Victor Babet, en 1929-1936 ; les stations de surface dans les régions de Madingou, Boko-Songo, Mfwati, les gisements en profondeur de Pointe-Noire, de Brazzaville, de Mpika, la Pointe de Bacongo : fouilles de Gabriel Droux et Harper Kelley en 19331939 ;les gisements de la Vallée du Niari et du Mont Comba 27
(fouilles de Georges Bergeaud,1937-1947) ; les gisements de Brazzaville fouillés par Pierre Le Roy, entre 1947 et 1967 ; les découvertes de l’archéologue de l’ORSTOM, Jean-Pierre Emphoux, à Brazzville, Mafanba à environ 12 km en aval de Ngabe, à la grotte de Bitori à environ 100 km au Nord-Ouest de Brazzaville (fouilles en 1965-1970) ; dans les années 1980, Raymond Lanfranchi et ses étudiants de l’Université Marien Ngouabi ont donné un nouvel élan à la recherche préhistorique au Congo. Ces fouilles ont livré divers objets : éclats, percuteurs, nucleus/nuclei, lames, disques, pointes, racloirs, grattoirs, scies, pointes en feuille de laurier, perçoirs, lames à bord abattu, vases, os à encoches, hameçons, aiguilles, poterie, scories, fils, cordes, etc. Pour ces objets, outre leur description technique, leur analyse morphologique, leur usage éventuel, il faut aussi prêter une attention particulière à la patine, soit l’aspect que prennent certains objets avec le temps, car l’examen minutieux de la patine permet parfois de connaître l’âge des échantillons. En ce qui concerne l’étude des fossiles des êtres organisés qui ont vécu à la surface du globe avant les temps actuels, il y a plusieurs millions d’années, on recourt à la paléozoologie ou paléontologie générale pour les animaux et à la paléontologie humaine pour les restes humains, et à la paléobotanique pour les végétaux. L’étude des pollens actuels et fossiles relève de la palynologie. La mesure des particules minérales des sols anciens recourt à la granulométrie. Les études préhistoriques sont de plus en plus complexes, coûteuses, demandant beaucoup d’interdisciplinarité. Pour développer la préhistoire congolaise, il faudra des équipes compétentes, des outillages appropriés et des ressources conséquentes pour engager des prospections et des fouilles systématiques sur l’ensemble du territoire national, dans les 28
zones forestières comme dans les savanes. Les vies et sociétés paléolithiques, mésolithiques et néolithiques seraient mieux connues.
Vallée du Niari : Gisement près de Mbanza (Banya), entre Kimbedi : la figure n°1 paraît être un racloir convergent et la figure n°2, un biface avec plage corticale dans la partie proximale. Ce document marque l’acte de naissance de la préhistoire au Congo.
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3- Plantes cultivées et Histoire Des berceaux agricoles primaires ont été identifiés à l’Est, à l’Ouest et au Centre du continent africain. C’est-à-dire de nombreuses plantes cultivées, sur le continent africain, sont originaires de ce continent et font partie de l’histoire alimentaire des Africains. Ces plantes procurent tubercules, racines et feuilles comestibles, sèves, fruits, huiles végétales, féculents : lipides ou corps gras, fer et protéines (d’origine animale) se complétaient pour une alimentation suffisante et saine. Plantes cultivées originaires d’Afrique en milieux savanicoles et forestiers au Congo, en Afrique équatoriale : Graminées - Cymbopogon citratus Stapf., citronelle. Renferme une huile essentielle. Feuilles employées en décoction comme boisson. - Oryza glaberrima Steud., est le riz indigène de l’Afrique. Une riziculture autochtone a existé dans certaines régions d’Afrique dès une époque reculée. - Oryza sativa L., regroupe l’ensemble des riz asiatiques aux formes nombreuses et variées. - Sacchrarum officinarum L., canne à sucre (okòò, en mbochi ; mu-ntsyè, en kikongo ; gwak/gouak, en bakwele). Les tiges sont mâchées comme friandise. Le jus sucré est extrait pour préparer une boisson alcoolisée. Au 18ème siècle la canne à sucre poussait encore à l’état sauvage au Loango, d’après L. Degrandpré. - Zea mays L., maïs (asangi, en mbochi ; masangu, en kikongo ; puza, en bakwele). Degrandpré (18ème siècle) signale la culture de maïs au Loango. Dans le Congo septentrional, on prépare une bière de maïs qui est en fait très alcoolisée, 30
diversement appelée lotoko, nyà, etc. Le maïs se dit en teke nkihini. Palmiers - Borassus aethiopum Mart., ronier. Fournit dans certaines régions du Congo un vin de palme. Les fruits sont consommés lors des disettes. ème - Cocos nucifera L., cocotier. Degrandpré (18 siècle) indique que le cocotier poussait en abondance au royaume de Loango, sur la côte atlantique. - Elaeis guineensis Jacq., palmier à huile, (-bà en kikongo ; i-byà, en mbochi ; élèn, el n’, en bakwele). Fournit huile de palme, épaisse, rouge, à partir de la pulpe des noix ; huile de palmiste, d’un jaune clair, obtenue à partir des amandes concassées ; vin de palme, choupalmiste. Les cendres du stipe servent à préparer du sel. - Raphia vinifera Beauv., palmier raphia (ibvùù, en mbochi). Plante spontanée, non cultivée, mais très utile, car fournit vin de palme (olèngè), lattes (mbàà), chou-palmiste (òtòà), larves (pòsi), noix (pàndì), huile (ahura a kolo), fibres (nzimbà), tissus (ikwàsàrè), feuilles pour toiture (tsèsè) de maisons rurales, instrument de musique (lèngè minòò-minòò, lendùmà), etc. : les lexèmes soulignés sont mbochi. Le palmier raphia se dit en teke : piki b li mpi. Le tisserant (ombuli mpuhu, en teke) utilise un métier à tisser vertical (mub ni) pour toute une série de tissus-raphia : o varga en kikukuya, voro en kiboma, soit un pagne jaune ou noir, constitué de 12 pièces (litsulu) (habit courant) o ndzwona, pagne fait de 16 pièces assemblées (pour dot, literie, etc.) 31
o ntah a ngo, "tissu du léopard", grand pagne de luxe de 18 pièces (réservé aux chefs). Aroïdées - Colocasia esculentum Scott., taro (tsama, en teke ; ipfìà, en mbochi) : le taro est une grande aroïdée à larges feuilles peltées, cultivée dans tous les pays tropicaux. Tubercule amylacé, comestible. Feuilles jeunes potagères. Dioscoréacées - Discorea, ignames (ìdzàà, en mbochi ; ikwa, isuna, en teke) - Discorea alata L., igname blanc (poròrò, en mbochi) - Discorea cayenensis Lam., igname jaune (yàà, en mbochi ; enkwà, ekwà, en ngangwel/bangangoulou ; kòbò, en makoua) Musacées - Musa sapientum L., fournit la figue-banane, de petite taille et très sucrée (itòrò/atòrò, en mbochi ; koli sisiki, en teke) - Musa paradisiaca L., bananier plantain (ikò/akò, en mbochi ; koli mundzinzala, en teke), fournit des fruits grands et non sucrés ; leur composition (étude de 1893) est la suivante : o 73% d’eau o 1,87% de protides o 0,63% de lipides o 23% de glucides. 32
Les cendres des peaux des fruits du bananier servent à préparer un sel alimentaire. • Zingibéracées - Aframomum melegueta K. Schum., poivre de Guinée, maniguette (esòndò, en mbochi). La pulpe du fruit est mangée par les Congolais. Les graines doivent leur saveur à une huile volatile et à une matière résineuse (paradol). - Zingibar officinale Rosc., gingembre, cultivé en Afrique depuis longtemps ; sert à fabriquer une boisson (tangawissi). •Piperacées -Piper guineense Schum. et Th., poivre (ibàmbi, en mbochi). Petite liane de la forêt dense. Les fruits séchés fournissent un poivre. • Moracées -Artocarpus communis Forst., arbre à pain, fruit comestible, introduit en Afrique. La farine de l’arbre à pain renferme : o o o
1 à 2,7% de protides 0,2 à 0,9% de lipides 64 à 84% de glucides.
• Lauracées -Persea gratissima Gaentn., avocatier, originaire d’Amérique centrale, se rencontre maintenant dans presque tous les villages congolais. • Papilionacées - Arachis hypogea L., arachide, pistache de terre (nzòò, en mbochi ; ndzu, en teke ; nguba, en kikongo), originaire d’Amérique du Sud.
- Vigna unguiculata Walp., haricot indigène - Voandzeia subterranea Thouars, haricot, pistache (iyò, en mbochi), fruit souterrain consommé cuit. La plante a été rencontrée à l’état sauvage dans le Haut-Nil. • Rutacées -Citrus aurantium L., citron, introduit par les Portugais. • Euphorbiacées -Manihot utilissima Pohl., manioc (manioque, mandioc), originaire du Brésil, et introduit en Afrique au 17ème siècle. Maniocs doux et maniocs amers. Feuilles comestibles (sakasaka) dans tout le Congo. Le manioc se dit en teke : kikwo, ikwo. • Anacardiacées -Mangifera indica L., manguier, originaire des Indes. Nombreuses variétés. • Malvacées - Hibiscus cannabinus L., chanvre de Guinée. Le tabac local se dit en teke : anke. - Hibiscus esculentus L., gombo, largement cultivé, nombreuses variétés à fruits longs ou courts (dòngò-dòngò, en langues congolaises.) - Hibuscus sabdariffa L., oseille de Guinée (musa, en kikongo ; akòò, en makoua, route Mambili-Ouesso ; abvia, en mbochi). En teke, l’oseille se dit : linkulu, inkulu. •Sterculiacées -Theobroma d’Amérique.
cacao
L.,
+
cacaoyer,
originaire
• Caricacées -Carica papaya L., papayer, originaire d’Amérique. • Punicacées -Punica granatum L., grenadier, originaire de Perse (Iran ancien). • Myrtacées -Psidium guayava L., goyavier, originaire d’Amérique tropicale. • Convolvulacées - Ipomaea batatas Poir., patate (ngapiélé, en teke ; idzàà, nom générique en mbochi). D’origine américaine. Tubercule renfermant : o 18% d’amidon o 4-5% de sucre o 3,5% de protéines de bonne qualité, et riche en vitamines A, B et C. Feuilles, riches en calcium, consommées en épinards. • Solanacées - Capsicum annuum L. et C., et C. frutescens L., piments (nùngù, en kikongo ; dòngò, en mbochi ; ndzu, andzua, en teke). D’origine américaine. Condiment, rôle thérapeutique, cultivé et sub-spontané. Les piments sont riches en vitamine C. - Solanum tuberosum L., pomme de terre, introduite par les Européens. • Pédaliacées - Sesamum indicum L., sésame (òpfùnyè, en mbochi). Cultivé dans l’ancienne Egypte (1000 à 500 ans avant notre ère). 6
Graines oléagineuses renfermant 50-57% d’huile dont 42 à 48% peuvent être extraits par pression. Diversification dans le berceau agricole primaire de l’Est africain. • Cucurbitacées -Citrullus vulgaris Schrad., pastèque, d’origine africaine. - Lagenria vulgaris Seringe, très ancien en Afrique. Nombreuses formes et variétés. Fournit des gourdes et calebasses (atsóó, en mbochi) ; courges (ndzengi, en makoua). Plusieurs espèces de courges en teke : ntah, mbumbumi, iparantsia. La calebasse est onsaka, en teke. -Luffa cylindrica Roem., généralement non cultivé, mais naturalisé. Les fruits fournissent les éponges végétales (agnuka, anyuka, en mbochi) • Gnétacées - Gnetum africanum Welw., feuilles jeunes consommées (mfumbwa, mfumbu, en kikongo ; kùùmù, en mbochi ; kòkò, en lingala). • Autres plantes - Ananas comosus L. Merril, ananas (kintù, en kikongo, etòò, en mbochi), une bromelacée originaire d’Amérique. Introduit en Afrique dès le 16ème siècle par les Portugais. Cependant, naturalisé en forêt. - Pachylobus edulis G.Don., safou (nsafu, en kikongo, sàà, en mbochi ; medoupele, en bakwele). En teke, le safoutier se dit : onsaki. - Cola, diverses espèces (rouges, blancs, jaunes) : -kazu, makazu, en kikongo ; ibèsi, abèsi, en mbochi, et l’arbre, le Kolatier : obèsi, en mbochi, et ohili, en teke.
A
Divers et nombreux champignons (akombo, en mbochi ; bua, en kikongo). Olfert Dapper, à la fin du 17ème siècle, rapporte que des "vassaux" du Roi de Kongo, outre le tribut ordinaire, lui rendaient encore hommage avec des boucs (cabris), des fruits, de bacoves, du vin, des noix et de l’huile de palme. L. Degrandpré, à la fin du 18ème siècle, a consigné que la canne à sucre est sauvage au Loango (Vili), c’est-à-dire non encore domestiquée. Le coco (noix du cocotier), l’igname et la patate douce, toujours d’après Degrandpré, se rencontraient en abondance au royaume de Loango. Etaient aussi cultivés par les femmes maïs et "manioque" (manioc). Le tissage teke, très fin, est évoqué par Pigafetta, à la fin du 16ème siècle : son informateur est un commerçant portugais qui faisait des affaires au royaume de Kongo. Les documents, écrits ou oraux, ne mentionnent pas de cas graves et prolongés de disette, de famine, d’insécurité alimentaire, dans les Temps anciens et modernes de l’histoire du Congo : plantes cultivées nourrissaient d’opulentes cités et une nombreuse population (réduite par la suite par la traite négrière atlantique), et Dapper de comparer la "grandeur" de la capitale de Loango, Bwali (ancien Diosso), à la ville de Rouen, en 1686.
L
Légende de la planche : Paysage de forêt sempervirente en Afrique centrale.Produits agricoles étalés sur un marché en pleine forêt équatoriale : tubercules de manioc, bananes, maïs, feuilles de manioc, ananas, etc.
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4-Traditions orales historisantes-Langues-Histoire Les traditions orales sont des "archives" vivantes, des "bibliothèques" aux documents variés, des "centres" aux informations de toutes sortes : il faut savoir exploiter de telles richesses culturelles et historiques, à la lumière de la critique historique. Onomastique L’étude des noms des choses et des êtres, l’onomastique, est une source importante de renseignement historique : - l’ethnonymie examine les noms des ethnies, leur origine, leur signification et leur évolution ; - l’établissement des généalogies claniques donne une profondeur temporelle aux listes des rois et chefs, aux systèmes claniques qui forment l’ossature même des ethnies dispensées sur un espace donné : l’espace et le temps, la dispersion spatiale et la profondeur historique sont des facteurs qui confèrent assise géographique et cadre historique aux communautés humaines ; - les noms des familles et des personnages étudiés par les techniques de la patronymie, sont aussi des sources d’information historique. Le nom propre NDÌNGÀ par exemple est partout répandu dans l’ethnie mbochi, des Plateaux à la rivière Ngoko, de l’Alima à la Mambili. Ndìngà est un nom qui traduit haut lignage et noblesse. Ce nom fut celui de l’Ancêtre éponyme des Mbochi actuels qui se réclament ainsi de la noblesse de leur ancêtre commun : Òmbòsì ndìngà, "le Mbochi est ndìngà", c’est-à-dire noble de naissance. Le nom Ndìngà traduit tout à la fois des liens historiques oubliés, une psychologie de dignité, une mentalité sociale particulière. Quant au nom NGÙNÙ, il fut celui d’une femme aux neuf seins, ancêtre maternelle commune des Teke, Kongo, Vili, Beembe, Yaka, Dondo, Kunyi, Tsangi et Punu actuels. Peut39
être voudrait-on souligner ainsi la dimension matrilinéaire de la société, comme structure sociopolitique de base. Une reine (kàmà) est restée célèbre dans les traditions royales teke : la Reine NGALIFURU. La mère (ngudi) est centrale dans ces sociétés articulées sur le droit de la mère, le matri-clan et le matri-lignage où les oncles (ngwa nkazi) ont des rôles prépondérants lors des alliances matrimoniales, des funérailles, des deuils et retraits de deuil (malaki). Les villages (bwala, pòò, mpùù, mboa, mboka, mboha, nd l’, etc. : en diverses langues congolaises), disparus ou actuels, peuvent renseigner sur les fondateurs, les migrations primaires, les densités démographiques, les relations à longue distance. Les villages sont des traces du temps historique : certains sont des mbanza, des métropoles, des cités, d’autres ne sont que des abòò, hameaux, ou des campements temporaires (ngàndà). Cours d’eau (rivières, fleuves), bosquets, savanes et forêts portent parfois des noms qui sont très chargés d’histoire : voie de communication obligatoire, tenue d’assemblées mémorables, randonnées pour planifier la chasse ou la pêche collective, frontières naturelles, lieux-dits d’origine et de mystère (Àmàyà m’òkìnì chez les Teke d’Ewo, entre le Congo et le Gabon). La critique historique peut révéler que les vraies valeurs des noms ont été remplacées par des sobriquets et des appellations de circonstance. Le recours aux étymologies authentiques et vraisemblables est recommandé. Ainsi, les données contextualisées et analysées de l’orographie (relief), de la toponymie (lieux, villages, sites, paysages, etc.), de l’ethnonymie (clans, lignages, familles, dynasties, etc.), de l’anthroponymie et de la patronymie (noms des personnes), etc., peuvent constituer de très importantes sources historiques d’origine intrinsèque.
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Récits oraux historisants Le passé se raconte, donnant naissance à des épopées, légendes, mythes, etc. : ce sont des récits épiques, légendaires, mythiques, des récits étiologiques portant sur la genèse, l’origine des éléments (feu, métallurgie, danse particulière, etc.). On trouve aussi des récits liés aux migrations, aux origines des royaumes et chefferies ou seigneuries, aux combats interclaniques ou interethniques, aux faits et gestes des personnages légendaires. A chaque catégorie de récit, il faut exercer une critique historique approfondie : Où ? Quand ? Comment ? Quoi ? Pourquoi ? sont des interrogatifs qui stimulent la critique historique, pour distinguer le vrai du faux, le vraisemblable de l’invraisemblable, le possible de l’impossible. Souvent, au cours des "palabres", à l’occasion des funérailles par exemple, la tradition orale se fait vraiment spécifique : concepts juridiques abondent, sentences philosophiques dénotent une profonde sagesse, l’art oratoire révèle des monuments d’éloquence expérimentés et admirables. Tous ces "textes de l’oralité", tous ces renseignements historisants oraux exigent, pour leur exploitation, un sens aigu d’attention pour examiner leur authenticité, leur validité, leur signification, leur valeur, sans oublier le milieu culturel et la langue d’origine d’où sont extraits ces textes oraux, de même l’identité complète des informateurs et informatrices (noms, sexe, âge, statut social, profession, notoriété locale ou régionale, expérience, réputation, etc.). Cependant, la grande limitation des traditions orales est le facteur temporel qui confère un cadre chronologique dans lequel se déroulent les récits. La parole des maîtres et des sages concerne le passé, mais sans grand souci des temporalités, des âges des événements : le temps est reconnu comme changement, mais il n’est pas connu comme mesurable, chronométrable : le 41
temps à sectionner, non pas selon les cycles saisonniers, mais selon des conventions sociales arbitraires, pourtant commodes, est rarement le temps vécu comme tel. Le travail d’enquête historique, par le truchement des traditions orales, est par conséquent fort complexe : les exigences heuristiques sont énormes, contraignantes, longues et interdisciplinaires. Le mot mu-ntu Les langues sont des êtres vivants et, comme tels, elles changent, évoluent, c’est-à-dire qu’elles portent en elles leur propre histoire et l’histoire des communautés qui les utilisent comme moyens de communication sociale. Les langues sont, de ce fait, des sources d’information historique. Le mot pour "être humain" est en grec anthropos, en latin homo et en kikongo mu-ntu (muntu). Ce mot mu-ntu se retrouve ailleurs : -kikongo: mu-ntu, pl. ba-ntu -lingala: mo-to, pl. ba-to -mbondzo (Dongou/Impfondo): mo-to, pl. ba-to -bakwele (Ouesso): mut/mot, pl. mbut/mbot -kouyou (Owando): mo-ro, pl. ba-ro La racine est -t-, nasalisée nt- ou non, avec voyelle finale d’appui nt-u/t-o ou non –t (mu-t/mbu-t). Ainsi, le mot mu-ntu avec toutes ses variantes dialectales relève avant tout du domaine proprement linguistique. Il désigne par la suite l’ensemble des langues du domaine en question qui s’étend du sud de la République Centrafricaine (langue mbati) au Cap de Bonne Espérance (langues xhosa, 42
zulu), et de la Guinée Equatoriale (langues bubi ; fang) au Kenya (langues kikuyu, kamba) jusqu’aux Comores. Le domaine des langues bantu, c’est-à-dire des langues à classes nominales qui disent l’ "être humain" à peu près de la même façon, couvre l’Afrique centrale, équatoriale, orientale et méridionale. De la linguistique, on a opéré un glissement vers l’anthropologie physique et culturelle : - langues bantu (domaine linguistique) - peuples bantu, ceux des Africains natifs qui parlent les langues bantu (domaine anthropologique) - culture bantu (domaine culturel). Cependant, le mot muntu/bantu est originellement du domaine strictement linguistique. Ces éclaircissements doivent conduire à plus de compréhension saine, objective et correcte. Le domaine linguistique bantu n’est pas isolé. Il fait partie de la grande famille linguistique africaine Niger-Congo, et aussi du Kordofanien-Congo. Du reste, il a été démontré de façon probante la parenté génétique de la langue égyptienne pharaonique et de toutes les autres langues négro-africaines modernes. Glottochronologie La glottochronologie est une récente technique linguistique qui consiste à dater (chronologie), par le vocabulaire (glotto), le moment où deux ou plusieurs langues se sont séparées dans le temps. Le postulat initial est celui-ci. Les langues changent, se transforment, évoluent. Même lorsqu’elles innovent, empruntent à d’autres langues, connaissent des pertes, etc., les langues conservent toujours et nécessairement un vocabulaire de base hérité de l’ancêtre, – la langue-mère. 43
Or, plusieurs langues peuvent avoir un même ancêtre commun, donc un certain vocabulaire de base partagé. Par exemple, les langues kikongo, teke et mbochi, toutes du domaine bantu, donc apparentées, avec des mots hérités de l’ancêtre primitif commun, peuvent être soumises aux techniques de la glottochronologie. Ces techniques sont d’ordre statistique et mathématique. On liste par exemple 100 mots, les mêmes, en kikongo, teke et mbochi. On compare les données et on établit les pourcentages obtenus : 80% de mots communs entre kikongo et teke, 45% entre kikongo et mbochi, et 65% entre teke et mbochi, le reste étant bien sûr différent. Par exemple, kikongo nkento/mbochi oyuru, oyiri, oyitu, "femme" ; kikongo nzo/mbochi ndae, "maison rurale", etc. Une formule mathématique permet de calculer, à partir des pourcentages obtenus, la date de séparation du kikongo et du mbochi, du kikongo et du teke, du teke et du mbochi. Le calcul fait a donné : - le kikongo et le teke se sont séparés vers 650 de notre ère, c’est-à-dire vers le 7ème siècle : les royaumes Kongo et Teke seront alors fondés après la séparation, c’est-à-dire après le 7ème siècle, donc vers le 8ème – 9ème siècle ; - le kikongo et le mbochi se sont séparés vers 450 de notre ère, c’est-à-dire vers le 5ème siècle, à la fin des migrations primaires et l’installation des ethnies dans leurs écosystèmes actuels ; - le teke et le mbochi se sont séparés vers 750 de notre ère, c’est-à-dire vers le 8ème siècle. Et de fait, il y a discontinuité géographique entre le kikongo et le mbochi, mais contact géographique entre le teke et le mbochi : le pourcentage des substrats linguistiques communs confirment en quelque sorte la géographie linguistique. 44
La glottochronologie sert aussi à regrouper plus rigoureusement les branches d’une famille linguistique. La formule mathématique de la glottochronologie ou lexicostatistique est la suivante :
t
log c 2 log r
t = le temps, la date de séparation de deux langues log = logarithme c = le pourcentage de vocables communs entre deux langues : par exemple, 80% entre kikongo et teke ; 45% entre kikongo et mbochi ; 65% entre teke et mbochi. r = la constante r est le taux de rétention, car une langue change à un rythme lent et constant (Istavàn Fodor, The Rate of Linguistic Change, La Haye, Mouton & C°, 1965) ; on peut fixer ce taux à une moyenne de 85%. Le chiffre obtenu est soustrait d’une année-repère retenue (1980, par exemple). Bien entendu, les résultats sont approximatifs. On peut aussi, avec la glottochronologie, calculer le degré de parenté lexicale ("dip" en anglais) entre deux ou plusieurs langues, par cette formule : d
0,14
log c 2 log r
Préhistoire linguistique En examinant les données lexicales bantu relatives aux institutions familiales, sociales, économiques, politiques, juridiques, religieuses, etc., on peut entrevoir tout un univers culturel ancestral commun, avant migration, expansion, dispersion et occupation de nouveaux milieux géographiques. 45
Au lieu d’imaginer des lignes et axes migratoires fort fictifs et arbitraires, la recherche sérieuse devrait plutôt essayer de déterminer la communauté culturelle d’origine des peuples parlant les langues bantu. Une telle recherche s’appuie sur une méthode scientifique : la méthode de la linguistique comparative. C’est ce qui se passe, par exemple, dans le domaine linguistique indo-européen où l’on ne s’acharne plus à identifier le berceau primitif commun ni à multiplier les axes migratoires – des steppes à l’Atlantique – des peuples parlant les langues indo-européennes. Un verbo-nominal proto-bantu comme *dim- (dima, lima, rima) connaît plusieurs acceptations historiques : o « cultiver » kimbundu (Angola) : -dima chagga (Kenya) : i-dema ronga (Afrique du Sud) : -dima ila : -dima luba (République Démocratique du Congo) : ku-dima yao (Mozambique) : -limbemba (Zambie) : ku-lima ruundi (Burundi) : rima kikuyu (Kenya) : -rima o « travail » kela : lunda (République Démocratique du Congo) :
bò-dèmò imu-dimu
o « champ, plantation » chagga (Kenya) : salampasu (République Démocratique du Congo) : luba (République Démocratique du Congo) : kaniok (République Démocratique du Congo) : bemba (Zambie): 46
dema ku-dima bu-dimi bu-dim’ bu-limi
o “produits agricoles, patates” shona (Afrique du Sud) : ma-dima L’élargissement sémantique de ce lexème proto-bantu dim“cultiver”, est ici fort instructif. La culture de la terre, l’agriculture, est le travail qui fonde la société ; ce travail consiste à abattre les arbres, à les brûler puis à labourer la terre à l’aide de la houe : c’est la culture itinérante sur brûlis. Un seul mot, riche, condense tout le travail agricole dans le lexique bantu : cultiver, labourer, faire des champs, des plantations, récolter des produits agricoles, des ignames. Tubercules : Discorea cayeneensis.L, igname jaune ; Discorea Sp., ignames en partie spontanées, en partie cultivées ; D. dumetorum Pax, igname cultivée à l’Equateur ; D.latofolia Benth., D. bulbifera L., bulbilles (pas de tubercule) ; D. macroura Hams, etc., sont originaires d’Afrique. Dans les zones de forêt dense, il y a substitution de "forêt" à "champ" : tetela (République Démocratique du Congo, Equateur) : okonda, "champ" lega (République Démocratique du Congo, Equateur) : okonda, "forêt" mbochi (Congo, Cuvette) :
okondà, "forêt" (non inondée)
topoke/eso (République Démocratique du Congo, Equateur) : ngonda, "champ" mbochi (Congo, Cuvette) :
ngòndà, "champ en forêt" 47
punu (Congo/Gabon) :
ngonda, "futaie", "forêt avec de gros arbres"
kuba (République Démocratique du Congo, Kasaï) : ngwòòn, "champ" kikukuya (Congo, Plateaux) :
ngahùunù, "champ en forêt"
yao (Tanzanie/Mozambique/Malawi) :
ngunda, "jardin" (le mot a perdu son contenu "forestier" dans un milieu savanicole).
Et que signifie le mot salongo, si courant ? Il signifie couramment : "travail collectif d’intérêt commun", expression du dévouement patriotique, etc. En fait, on a : sa-, "travailler" (sala, salisa, salisana, salaka : élargissement morphosémantique par suffixation), d’une part ; d’autre part, longo, "houe" (tetela : longo ; basikolombe/Kasai : loongo, pl. ndjongo; etc.). D’où, primitivement sa longo signifie : "travailler à la houe". La linguistique historique, bien conduite, permet de comprendre l’évolution des mots, des cultures et même des mentalités. Si l’histoire est dans les langues, les plantes cultivées, les traditions orales, elle est aussi, cela va sans dire, dans les arts plastiques, les musiques, les danses et les jeux qu’il faut savoir explorer et interroger pour engager des lectures, encore plus complètes, du passé congolais. 48
Et la créativité esthétique congolaise ancestrale, est toujours vivante, dynamique, fascinante, dans les œuvres sculpturales, picturales, musicales et littéraires d’aujourd’hui. 5- Sources écrites de l’histoire du Congo et critique historique Les sources écrites constituent une base documentaire privilégiée du travail de recherche historique ; les avantages en sont nombreux : dates, faits, contextes, intentions et motivations permettent à l’historien une exploitation critique pour décrire et expliquer les événements dans le temps et dans l’espace. La vérification, le contrôle des informations est facilité par les renvois aux sources directes, originelles, primaires. Et, par le fait, ces sources écrites sont de plusieurs sortes, concernent différentes époques; elles sont dues à des auteurs variés et se rapportent à des objets et thématiques de diverses catégories. Même une vue générale montre toute la complexité des sources écrites et de leur fonctionnalité historique. Nature des sources écrites Les sources écrites peuvent être sous forme manuscrite, c’est-à-dire qu’elles sont écrites à la main, donc des manuscrits au sens propre ; elles peuvent être sous forme de feuillets dactylographiés, ou sous forme d’ouvrages édités, imprimés. Manuscrits, feuillets dactylographiés et ouvrages imprimés constituent les fonds d’archives où sont stockées les sources écrites. Ces sources écrites sont enregistrées, numérotées, classées, regroupées, répertoriées selon des catégories pour en faciliter l’accès et la consultation par des spécialistes. Archivistes et bibliothécaires veillent à la sécurité et à la conservation des fonds d’archives, qui sont de véritables richesses nationales. 49
Sources écrites congolaises : époques et auteurs Les sources écrites de l’histoire du Congo datent des Temps modernes et contemporains, c’est-à-dire de la fin du 16ème siècle à nos jours. Ces sources couvrent la traite négrière atlantique (rapports des marchands d’esclaves ; divers codes noirs ; récits d’aventure, etc.), les relations des missionnaires (depuis le 16ème siècle : description des us et coutumes des Africains, création des missions, des écoles, évangélisation, traduction des Ecritures saintes dans les langues africaines, etc.), conquêtes coloniales (récits des "explorateurs", relations des "voyageurs", des "chefs d’expéditions militaires", etc.), les rapports des administrations coloniales (compagnies, concessions, codes indigènes, gestion coloniale du pays, etc.), les écrits datant de l’Indépendance, de 1960 à nos jours (discours politiques, programmes des partis politiques, rapports des congrès et conférences, dossiers des services publics, dossiers familiaux privés, etc.). Ces sources écrites sont en portugais, espagnol, italien, français, allemand, néerlandais, anglais, suédois, etc. Il faut, à l’historien, des connaissances sûres pour lire directement certains documents dans leur langue d’origine. Il faut parfois utiliser ces sources écrites de façon croisée pour éclairer un fait historique. Par exemple, les dépôts d’archives de Belgique, de Hollande, du Vatican et des ordres religieux : jésuites, capucins, franciscains, à Rome, et les témoignages des sources portugaises de Lisbonne, Evora et Luanda en Angola, se complètent pour décrire les premières relations des Flamands au Congo et en Angola, et pour traiter des activités commerciales et des rivalités politiques au royaume de Kongo au 17ème siècle. La découverte par le Professeur Teobaldo Filesi, de Rome, des manuscrits relatifs à la mission diplomatique de Ne Vunda au Vatican, a permis de suivre dans les détails ce qui se passa : 50
- départ de Mbanza Kongo (San Salvador) le 17 août 1604 du prince Antonio Manuel Ne Vunda, avec une importante délégation ; - séjour à la cour royale de Madrid, en Espagne, où se trouvait déjà le nonce apostolique du Pape, le Cardinal Mellino ; - fin décembre 1607, départ pour Rome par Livourne ; - visite diplomatique au Pape Paul V ; - malade après un long et pénible voyage, Ne Vunda reçoit à son chevet la visite du Pape Paul V, et meurt peu de jours après. Il est inhumé au Vatican dans l’Eglise Sainte Marie Majeure. Une fresque de sépulture montre le Pape Paul V au chevet du lit de Ne Vunda (photo ci-après). Voir: Teobaldo Filesi, Roma e Congo all’inizio del 1600. Nuove testimonianze, Rome, Pietro Cairoli, 1970.
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Facsimile d’un feuillet manuscrit d’une dépêche de Francesco Contarini, ambassadeur de Venise à Rome, qui avait reçu la visite de l’ambassadeur congolais Antonio Manuel Ne Vunda à Rome, en date du 12 janvier 1607. Archivio di Stato di Venezia ("Archives d’Etat de Venise"), collection Senato. Dispacci Roma, feuillet 58
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Le Pape Paul V au chevet de l’ambassadeur Antonio Manuel NE VUNDA, envoyé au Saint-Siège par le Roi Alvaro II du Kongo.
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Fonds d’archives du Congo A l’extérieur du pays, les fonds d’archives concernant le Congo-Brazzaville, se trouvent principalement en France : Paris - Bibliothèque Nationale de France - Documentation française - Archives Nationales/Section d’Outre-Mer de la rue Oudinot - Archives du Service historique de l’Armée de Terre de Vincennes - Musée de l’Homme (Trocadéro) - Musée du Quai Branly - Museum d’Histoire naturelle - Musée Dapper - Etc. Aix-en-Provence -Archives nationales, section d’Outre-Mer (fonds important) Nantes - Archives du Ministère des Affaires étrangères - Musée des Salorges (traite négrière) A l’intérieur même du pays, il existe des fonds d’archives à Brazzaville et dans les dix autres Départements administratifs. Il faudra en faire un inventaire scientifique systématique et veiller strictement à leur conservation. Un pays qui néglige ses dépôts d’archives vit presque dans la semi-barbarie, car les archives portent en elles la mémoire collective nationale. Même pendant les journées, les mois ou les années terribles des guerres civiles ou militaires, les archives nationales d’un pays européen n’ont jamais été volontairement détruites par les belligérants. Cette attitude de civilisation et d’esprit humaniste concerne tout 54
autant les monuments, les musées, les panthéons, les bibliothèques, les basiliques, les œuvres d’art, les établissements publics (hôpitaux, universités, ministères, palais, etc.). L’humanité préserve d’instinct ce qui caractérise le plus sa créativité, son évolution, son progrès, dans sa longue marche. Voilà pourquoi des philosophes illustres ont établi que la civilisation, dans l’humanité, n’était que la manifestation et le devenir de l’Esprit. Deux sondages dans le cadre de la préparation de cet ouvrage du Cinquantenaire ont permis de révéler toute la richesse des fonds d’archives d’Ewo et de Pointe-Noire. Fonds d’Archives d’Ewo (Mission Y.-N. Gambeg et M. Ipari, 27 mars-2 avril 2010)
Ewo a été créé, dans les temps coloniaux, cependant sur un site humain anté-colonial, le 15 avril 1916. Cette ville de plateaux a une longue mémoire qui témoigne des périodes précoloniales, coloniales et postcoloniales, -Ewo étant tour à tour, au cours du 20ème siècle, une circonscription administrative, et à présent un département de plein exercice. La LikoualaMossaka, l’Alima, la Cuvette, la Cuvette-Ouest sont autant de structures politico-administratives qui font partie de l’histoire d’Ewo. Les ressources archivistiques d’Ewo comprennent : - Dépôts des états- civils : de 1940 à nos jours, livrets de déclaration des naissances ; - Dépôts des documents de recensement : de 1927 à 1931. Villages concernés : Nkoua, Vaga, Mbesse, Essimbi, Eyongo/Iyongo, Okulu, Nguoni, Tseka, Embele, Abana, Ediki, etc. 55
- Dossiers de Marine marchande, de Régime du travail, d’Administration générale : travaux publics et mines, de 1947 à 1959 ; africanisation des cadres, main-d’œuvre, société minière SMOLL (exploitation minière de Kellé) ; portage. - Dossiers relatifs au travail sont nombreux : dossier 1946 : règlement du travail, du salaire, des grèves ; dossier 1954 : application du code de travail Outre-Mer, etc. - Télégrammes officiels : P.T.T., personnels enseignants, etc. - Inventaire complet des patrimoines de la Fédération (A.E.F.) et du Territoire (Moyen-Congo). - Documents relatifs aux terrains d’aviation (1933-1960) : choix et ménagement, reconnaissance du terrain d’aviation d’Ewo ; - Routes et plans : gîtes, voies et moyens de communication ; ponts et bacs ; travaux d’entretien des routes (périodes de 1950 à 1960) ; - Armes et munitions : législation générale, régime des armes, achat, port, importation, etc. : période de 1936 à 1960 ; - Recensement des villages et populations, plantation, planification, identification, carte nationale d’identité (19641968). Séries statistiques très intéressantes. Questionnaire linguistique. Territoire, région, district, canton ou terre ; - Répertoire des populations : nom du groupe ethnique, langue parlée, genre de vie, activité principale, origines et migration du groupe ethnique objet d’enquête ; - Journal officiel : la série des J.O. dont dispose Ewo va de 1910 à 1968 (manquent les années 1913, 1916 et 1938). Ce record est exceptionnel dans notre pays. Les deux années 1959 et 1960 aident à retracer le climat socio-politique qui prévalait, à la veille de l’Indépendance (armée chargée de défendre la communauté franco-africaine, - ancêtre de la France-Afrique) ; 56
- Encadrement et participation de la jeunesse au développement et à la vie publique du Congo : plusieurs Arrêtés et Décrets de 1959 à 1960. Il est impératif de mieux conserver la richesse archivistique d’Ewo. Fonds d’Archives de Pointe-Noire et du Kouilou (Mission A.-M. Aïssi et S.Makosso-Makosso, 31 mars-10 avril 2010)
Archives de la Mairie centrale de Pointe-Noire - Journal Officiel de 1922 à 2009 - Périodiques/Journaux : La Vie congolaise ; La Semaine Africaine (1976-1983) ; Trois Glorieuses (1966-1992) ; Anciens Combattants (1957-1987) ; Armée Française (1953-1961) ; Milices Populaires (1977-1987) ; Réfugiés (1952-1992) ; A.E.F. (1954-1992) ; Justice (1952-1992) - Actes officiels - Syndicats - Affaires militaires - Affaires économiques, etc. Archives de l’Evêché o Archives de Loango qui ont été incendiées. o Archives de l’Evêché : missions chrétiennes ; administration ; CFCO ; port de Pointe-Noire, etc. Musée de Diosso : tableaux de l’exposition Anneaux de la mémoire, Nantes 1985 : traite négrière atlantique par l’Europe occidentale entière.
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Les Archives congolaises au Congo doivent être systématiquement répertoriées pour un meilleur usage aux nombreux chercheurs de divers horizons.
Machines électroniques et recherche historique Nature des documents Les outils techniques mécaniques (machines à calculer) et électroniques (ordinateurs), auxiliaires des méthodes historiques quantitatives, sont nécessaires pour le traitement des masses de documents, alors répertoriés et classifiés, par exemple : - fichiers et résultats des enquêtes de démographie ; - documents commerciaux, financiers, bancaires ; dossiers statistiques et économiques ; dossiers scolaires ; dossiers médicaux ; - registres des mairies et des départements, journaux officiels, journaux d’information et d’opinion, chroniques, annales ; - archives de la traite négrière atlantique. Traitement et résultat Le traitement mécanique ou électronique permet d’établir plus aisément des ensembles de données, des cas spécifiques, catégoriels et thématiques des sources documentaires quantifiées, des variations et des matrices de données. Mathématiques et histoire quantitative Les mathématiques appliquées peuvent intervenir au niveau de la distribution de fréquence, de l’utilisation des logarithmes, des graphiques et des histogrammes comparatifs des données historiques. 58
Mesures Des mesures interviennent en méthodologie historique quantitative, à savoir la moyenne arithmétique, la déviation standard, la moyenne géométrique, le coefficient de variation, etc. Séries L’analyse des séries relève évidemment des méthodes quantitatives en histoire, surtout les séries de temps, les séries des temporalités, par exemple : le départ du navire négrier, le nom du navire, son tonnage, le nom de l’armateur, le site ou lieu de traite sur la côte du Golfe de Guinée, le site ou lieu de vente des Noirs Africains déportés en esclavage, la croissance du commerce négrier, l’apogée de la traite négrière par tout l’Occident, les fluctuations de ce commerce inhumain, les fortunes en Occident. Relation entre les données Si une donnée importante est absente parmi les masses documentaires rassemblées, c’est que celles-ci sont soit incomplètes soit imparfaites. Il faut par conséquent poursuivre les enquêtes, les investigations et être attentif à toutes les formes de relation entre les données. Ordinateurs et archives de la traite négrière atlantique Il est abusif, en toute rigueur historique, de faire état des "traites négrières" (au pluriel) comme pour amoindrir la culpabilité criminelle des armateurs occidentaux, car la traite négrière atlantique fut un crime contre l’humanité commis par l’Occident, et rien que par l’Occident, en dépit des "révisions idéologiques" des officines officielles. Les archives des négriers ne se trouvent que dans les familles et les structures adéquates des pays de ces négriers occidentaux. 59
Les souvenirs africains remplissent plutôt de tristesse inimaginable les mémoires collectives, sur le continent et dans les diasporas. Les machines à calculer puissants, les ordinateurs peuvent aider l’historien à analyser avec rapidité et efficacité les masses d’archives des négriers qui existent dans les îles et les ports négriers : Ile Maurice, la Réunion, les Canaries, Portugal, Espagne, Italie, France (Bordeaux, Dieppe, Rochefort, La Rochelle, Nantes, Brest, Lorient, etc.), Allemagne, Belgique, Hollande, Angleterre, jusqu’aux pays nordiques (Danemark, Suède, etc.). Nombreuses sont aussi les archives des marchands et maîtres d’esclaves noirs africains dans les Antilles, les Caraïbes, les Amériques du Nord et du Sud. Ce fut l’ "économiemonde" ou "mondialisation" d’hier. Tous les dépôts d’archives concernés, scientifiquement dépouillés, montreront peut-être que plus de 80 millions de Noirs Africains ont été victimes de la traite négrière atlantique pendant près de 6 siècles. En conclusion de cette première partie traitant de "Méthode historique", plusieurs champs scientifiques ont été signalés, et parfois même assez largement exploités. Ceci tient à la nature et à la complexité de la recherche en histoire. Il a été indiqué aussi, avec suffisamment d’insistance, que le but de l’histoire, par-delà la description monotone des faits, est éminemment l’explication réfléchie des faits, car il s’agit de la connaissance de l’être humain, par lui-même, immergé qu’il est dans les immenses étendues cosmiques. De ce fait, l’histoire humaine est bien une partie essentielle de l’histoire de l’ensemble de l’univers. En prenant la responsabilité intellectuelle et scientifique d’écrire l’histoire de leur pays, le Congo, les auteurs de cet ouvrage collectif ont donc eu un sens aigu du devoir vis-à-vis des 60
générations actuelles et des générations à venir. Le gain, pour tout un pays, est culturel, intellectuel et pédagogique.
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BIBLIOGRAPHIE Bloch Marc, Apologie pour l’histoire ou Métier d’historien, Paris, Armand Colin, édition de 1974, avec une préface de Georges Duby. Brásio Antonio, Monumenta Missionaria Africana, Lisbonne, Agéncia Geral do Ultramar, 1952-1988 : Première serie, 15 volumes, documents de 1471 à 1699 ; Seconde serie, 6 volumes,
documents
de
1342
à
1684.
Travail
impressionnant avec annotations. Dadzie E. W. et Strickland J. T., Répertoire des archives, bibliothèques et écoles de bibliothéconomie d’Afrique, Paris, UNESCO, 1965. Darymple G. Brent et Lanphere Marvin A., Potassium-Argon Dating.
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Techniques
and
Applications
to
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62
Malu Wa Kalenga, Les utilisations de l’énergie nucléaire. Cas de l’Afrique, Kinshasa, Presses Universitaires du Zaïre, 1977. Le Professeur Malu Wa Kalenga, ingénieur, mathématicien, physicien nucléaire (docteur ès-sciences), a dirigé le Centre Nucléaire de Kinshasa. McCall, Daniel F., Africa in Time-Perspective. A Discussion of Historical Reconstruction from Unwritten Sources, Boston, Boston University Press, et Legon, Ghana University Press, 1964. Rosessingh, M.P.H. et Visser, W., Guide to the sources of the History of Africa South of the Sahara in the Netherlands, New York, Londres, Paris, K.G. Saur, Munich, Verlag Dokumentation Saur KG, 1978. Archives et sources de l’histoire de l’Afrique noire aux Pays-Bas (Hollande). Sahli, Mohamed C., Décoloniser l’histoire. Introduction à l’histoire du Maghreb, Paris, François Maspero, 1965. Collection : "Cahiers libres", n°77. Schaeffer, O.A. et Zähringer, J., édit., Potassium-Argon Dating, Berlin, Heidelberg, New York, Springer-Verlag, 1966.
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Schnell, R. Plantes alimentaires et vie agricole de l’Afrique noire. Essai de phytogéographie alimentaire, Paris, Editions Larose, 1957. Temu, Arnold et Swai, Bonaventure, Historians and Africanist History : A Critique, Londres, Zed Press, 1981. A. Temu et B. Swai sont deux éminents historiens de Tanzanie. Critique de l’historiographie africaniste postcoloniale.
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PARTIE II GEOGRAPHIE PHYSIQUE ET HUMAINE
CHAPITRE 1er LE MILIEU PHYSIQUE par Bonaventure Maurice MENGHO Malgré sa modeste étendue, 342 000 kilomètres carrés (contre 2 344 858 kilomètres carrés pour la République Démocratique du Congo, 1 246 700 kilomètres carrés pour l’Angola, 622 984 kilomètres carrés pour la République Centrafricaine, 475 442 kilomètres carrés pour le Cameroun), le Congo a un milieu physique très varié. On y trouve des forêts et des savanes, des plaines, des plateaux et des montagnes, des rivières et des lacs, des sols ferrallitiques et des sols hydromorphes, etc. Tout ceci permet de différencier les régions naturelles. I - Des régions naturelles variées Les régions naturelles sont différentes des régions administratives. Tenant compte de la nature du milieu physique, on peut distinguer huit régions naturelles que sont, du nord au sud : le Nord-Ouest, la Cuvette congolaise, les plateaux Batéké, le plateau des cataractes, la plaine du Niari, le Chaillu, le Mayombe, la façade maritime. 1-Le Nord-Ouest Il s’agit de la région située à l’ouest de la ligne KelléMbomo-Ouesso, et dont la grande partie est constituée par la « Sangha occidentale ». Sur le plan géologique, on trouve des formations d’âge précambrien : le précambrien inférieur qui forme le massif du 67
Haut-Ivindo constitué de roches granito-gneissiques et le précambrien moyen qui forme la série Sembé-Ouesso constituée de roches schisto-quartzitiques. La série Sembé-Ouesso affleure sur plus de 200 kilomètres entre Ouesso et Souanké. On a dans l’ensemble un relief de plateaux, avec de hautes collines ; là domine le mont Nabemba, le point culminant du Congo avec plus de 1100 mètres. On trouve partout des sols ferrallitiques profonds, caractéristiques des sols forestiers. Le Nord-Ouest jouit d’un climat de type équatorial, avec quatre saisons plus ou moins bien tranchées. Les pluies sont abondantes (1600 à 1800mm). Il pleut pratiquement toute l’année ; pendant la saison sèche aucun mois n’est véritablement sec. Cette région est entièrement couverte par une forêt dense de terre ferme, même si elle est marécageuse en certains endroits. 2 - La Cuvette congolaise Il s’agit de la région située à l’est de la ligne MakotimpokoOwando-Makoua-Mompoutou. C’est une vaste plaine de subsidence où se sont déposées des alluvions récentes (formations quaternaires) formant de basses terrasses et des bourrelets de rive. Malgré sa grande extension (150 000 kilomètres carrés), elle n’est qu’une petite portion du Bassin du Congo. Elle est marécageuse en de nombreux endroits. L’altitude est partout inférieure à 400 mètres. Sur le plan climatique, la Cuvette congolaise est sous l’influence du climat de type subéquatorial, avec des températures élevées (24 à 25°C) et des pluies abondantes (1600 à 1800mm). Du point de vue pédologique, on a des sols hydromorphes : hydromorphie de surface dans les zones basses et hydromorphie de profondeur dans les zones exondées. Certains endroits sont 68
submergés pendant plusieurs mois dans l’année, tandis que d’autres sont émergés, même en périodes de hautes eaux. Les sols exondés en permanence ne sont pas étendus. Les sols des bourrelets de berge présentent une structure assez compacte et une richesse chimique médiocre. C’est pourquoi l’agriculture n’est pas développée dans cette région, particulièrement dans la zone de Mossaka. Le réseau hydrographique est très dense. Au niveau de Mossaka, les cours d’eau forment un véritable éventail à la confluence avec le fleuve Congo. 3 - Les plateaux Batéké Ils sont constitués des plateaux de Mbé, Nsah, Djambala et Koukouya. Ils se caractérisent par quatre éléments fondamentaux : la nature de la végétation, du relief, des sols et de l’hydrographie. Il s’agit dans l’ensemble de vastes plateaux, (de 450 à 6000 kilomètres carrés) de 600 à 860 mètres d’altitude et de hautes collines (dans les districts d’Abala et de Gamboma). Sur le plan géologique, on a des formations tertiaires (sables et grès). Les sols sont finement sablo-argileux. L’horizon supérieur apparaît noirâtre, tandis que les horizons inférieurs sont ocre jaune ou jaune clair au bas des pentes. La réserve minérale est faible. Cette région est sous l’influence du climat de type subéquatorial, avec des pluies abondantes et des températures élevées. La moyenne annuelle pluviométrique varie entre 1800 et 2500 millimètres. On a partout une végétation de savanes arbustives avec une strate herbacée où dominent Hyparrhenia diplandra, Trachypogon thollonii et Loudetia demeuseï. L’étage arbustif est constitué surtout de Hyparrhenia acida (au tronc rouge), Annona arenaria et Bridelia ferruginea, qui ont 3 à 4 mètres de haut. 69
4 - Le plateau des Cataractes Le plateau des Cataractes est situé à l’extrême sud-est du Congo. Il est limité au nord-est par les plateaux Batéké, au nordouest par la vallée du Niari, au sud et à l’est par le fleuve Congo. Le plateau des Cataractes est disséqué par de nombreuses vallées étroites et dominé par des collines et des lambeaux de plateau présentant des formes lourdes. Le réseau hydrographique est dense, constitué de nombreux petits cours d’eau dont la plupart sont affluents du fleuve Congo et de la Loufoulakari, ellemême affluent du Congo. Le plateau des Cataractes est sous l’influence du climat de type tropical humide. La température moyenne annuelle est de 26°C environ. On y distingue quatre saisons : deux saisons des pluies et deux saisons sèches dont une est en réalité un ralentissement des pluies (janvier-février) ; la saison sèche la plus prononcée est celle de juin-juillet-août-septembre ; juillet est le mois le plus sec. Les sols dérivent de diverses formations géologiques ; ce sont des sols schisto-gréseux, sols ferrallitiques fortement désaturés, et des sols hydromorphes que l’on trouve dans les bas-fonds. On a ici deux formations végétales : la savane, plus étendue, et la forêt. 5 - La vallée du Niari La vallée du Niari est une dépression synclinale. On a une vaste étendue relativement plane dominée par des buttes résiduelles. Située en position d’abri entre le Mayombe et le Chaillu, la dépression du Niari reçoit entre 1000 et 1400 millimètres de pluies par an. Le climat est chaud et relativement pluvieux. Il se caractérise par une grande variabilité pluviométrique interannuelle. La grande saison sèche dure plus de trois mois, de la mi-mai à fin septembre. 70
La vallée du Niari présente un paysage calcaire, des sols argileux d’une excellente structure reposant sur des formations schisto-calcaires. La plaine du Niari est drainée par le Niari et ses affluents (Louvakou, Loudima, Léboulou). La végétation est constituée essentiellement de savanes faites d’une grande variété de hautes herbes : Pennisetum purpureum (herbe à éléphants) dans les bas-fonds et les bourrelets de berges, Hyparrhenia cyanescens et Hyparrhenia welwitschii sur les sols argileux du lit majeur ; c’est plutôt la savane à Hyparrhenia diplandra qui occupe de vastes étendues sur les sols argileux profonds ; on trouve peu d’Andropogon pseudapricus. Dans l’ensemble la plaine du Niari présente de réelles potentialités agricoles. 6 - Le massif du Chaillu Le massif du Chaillu est le prolongement du massif gabonais ; son altitude est comprise entre 600 et 700 mètres. Le relief est accidenté de croupes arrondies et de vallées encaissées. Sur le plan géologique, on a des formations qui datent du précambrien (granites, gneiss-quartzites). On y trouve des sols ferrallitiques. Le Chaillu est aussi un épais massif forestier couvrant plus de 4 millions d’hectares. Il reçoit annuellement une moyenne pluviométrique de 1600 à 2000 millimètres. 7 - Le Mayombe Le Mayombe est constitué d’une série de crêtes parallèles orientées SE-NW formant des chaînons aux formes hardies. Il forme une véritable barrière naturelle entre la côte et l’intérieur du pays. On y trouve des dénivellations importantes et brutales. Sur le plan géologique, le sous-sol est constitué de formations datant du précambrien (granites, gneiss-quartzites). 71
Les sols se caractérisent par leur variété. Dans le Mayombe oriental, les sols sont peu épais (dérivant des quartzites et des schistes), tandis que ceux du Mayombe occidental sont issus des matériaux remaniés. Le Mayombe est aussi un massif forestier couvrant 1,5 million d’hectares. Il s’agit, comme pour le massif du Chaillu, d’une forêt dense ombrophile, avec de nombreuses espèces d’arbres répartis en trois étages. Les principales essences sont Terminalia superba (limba), Chlorophora excelsa (iroko ou kambala), Entandrophragma angolense, etc. Le sous-bois est constitué d’une végétation herbacée, de fougères, de lianes, etc. 8 - La façade maritime Elle est monotone et s’étend au pied d’un talus. C’est une zone de bas plateaux et d’une étroite plaine côtière couverte de savanes. De nombreuses lagunes sont envahies par les papyrus. La côte est échancrée par les estuaires des cours d’eau et affectée par une intense érosion. Ici, on trouve des formations tertiaires (grès, sables, série des cirques). En résumé, on peut noter que les huit régions naturelles qui viennent d’être présentées sommairement sont bien différentes les unes des autres. Les trois massifs forestiers (Mayombe, Chaillu, NordOuest) n’ont pas toujours les mêmes espèces d’arbres. Les plateaux Batéké, le plateau des Cataractes et la dépression du Niari-Nyanga sont occupés par les savanes, mais celles-ci n’ont pas toujours les mêmes espèces végétales. Le relief, la géologie et les sols ne sont pas identiques partout. De plus, ces régions naturelles sont sous l’influence des climats variés avec des grandes nuances pluviométriques. A l’évidence, chacune de ces huit régions présente quelques caractéristiques qui lui sont propres. 72
II - Un climat chaud et humide Situé à cheval sur l’Equateur, le Congo jouit d’un climat chaud et humide. Ce climat présente des nuances régionales liées à plusieurs facteurs. 1- Les conditions atmosphériques générales La circulation atmosphérique est sous la dépendance de deux aires anticyclonales dont la position varie selon les périodes et détermine les saisons. Il s’agit de l’anticyclone océanique de Sainte-Hélène au sud-ouest, qui envoie en direction des côtes d’Afrique centrale un air humide, de l’anticyclone des Açores au nord, qui dirige vers l’ouest et le sud-ouest un air chaud et sec (l’alizé continental). Entre les deux se trouve une surface de discontinuité très inclinée, connue sous le nom de l’équateur météorologique ou front intertropical (FIT) en surface. La zone de convergence intertropicale (ZCIT) est la zone de rencontre des flux des deux hémisphères. Ses déplacements au cours de l’année sont liés au balancement apparent du soleil de part et d’autre de l’équateur géographique. A la circulation atmosphérique générale s’ajoutent les conditions géographiques, à savoir le relief, la végétation et les nappes d’eau. 2 - Les précipitations Les pluies sont abondantes, mais inégalement réparties. Les régions élevées sont les mieux arrosées par rapport aux régions basses. Les plus fortes précipitations se situent entre 2000 et 2500 millimètres par an, les plus faibles entre 1000 et 1200 millimètres. On peut noter, à titre d’exemples : 2000 à 2500 millimètres à l’ouest des plateaux Batéké et au nord du massif du Chaillu, 1600 à 1800 millimètres dans l’ensemble du Nord73
Congo, le massif du Chaillu et le Mayombe, 1000 à 1400 millimètres dans la vallée du Niari et sur le littoral, 1200 à 1400mm sur le plateau des Cataractes. On distingue quatre saisons plus ou moins bien tranchées selon les régions, deux saisons de pluies et deux saisons sèches de durée variable. Dans le nord du pays, soumis à un climat de type équatorial, il n’y a pas de mois intégralement sec, alors que dans le sud la saison sèche est rigoureuse avec 2 à 3 mois consécutifs sans pluie de juin à août. En janvier-février, une période de longueur variable, les pluies sont plus rares, et cette période est connue sous le nom de « petite saison sèche » ; il s’agit en fait d’un ralentissement et d’un espacement des pluies.
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Source : Atlas du Congo, 2001, p. 9.
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3 - Les températures Les températures sont élevées partout ; la moyenne annuelle est de 23 à 26°C environ. L’amplitude thermique annuelle est faible, 1,5 à 4,7°C. C’est au cœur des saisons pluvieuses que les maxima sont atteints, 34 à 35°C. Mais les températures sont influencées par le relief et le couvert végétal. En effet, elles sont légèrement plus basses dans les régions hautes et les régions forestières (Mayombe, Chaillu, Sangha occidentale, plateaux Batéké) et plus élevées dans les régions basses (Cuvette congolaise, vallée du Niari, littoral). 4 - Les domaines climatiques Les rythmes pluviométriques liés à certains facteurs permettent de distinguer trois domaines climatiques : équatorial, subéquatorial et tropical. Le domaine équatorial concerne le nord du pays, particulièrement les départements de la Sangha et de la Likouala. Il s’agit ici d’une région entièrement forestière, où il pleut pratiquement toute l’année. Les moyennes annuelles varient entre 1600 et 1800 millimètres de pluies. Les températures moyennes annuelles varient entre 24 et 26°C ; l’amplitude thermique annuelle est faible, 1,5 à 2,1°C. Le domaine subéquatorial intéresse le centre du pays, particulièrement les départements de la Cuvette, de la Cuvetteouest et des Plateaux. Les moyennes pluviométriques varient entre 1600 et 2500 millimètres de pluies par an. Les températures moyennes sont comprises entre 23 et 26°C ; l’amplitude thermique annuelle est de 2°C environ. Enfin, le domaine tropical intéresse tout le reste du pays, depuis le nord de Brazzaville jusqu’à Pointe-Noire. Ici, les moyennes pluviométriques annuelles sont très inégales : environ 1300 millimètres à Brazzaville, 1200 à 1400 millimètres dans la dépression du Niari-Nyanga, 1400 à 1800 millimètres dans le 76
Mayombe et le massif du Chaillu. Les températures moyennes annuelles oscillent entre 23 et 26°C. La saison sèche est rigoureuse, aucune goutte d’eau ne tombe de juin à août. En conclusion, le Congo jouit dans l’ensemble d’un climat favorable aux activités agricoles. Celles-ci se déroulent pratiquement toute l’année, même si certaines opérations culturales ont lieu à des périodes bien déterminées. III - Des formations géologiques et des sols variés 1-La géologie Le sous-sol congolais est constitué de différentes roches dont les plus anciennes datent du précambrien ; ensuite viennent les formations secondaires, tertiaires et quaternaires. Le précambrien affleure dans la Sangha occidentale (schistes, grès, calcaires), dans le massif du Chaillu, le Mayombe, la dépression du Niari-Nyanga (argilites, schistocalcaires). Les formations tertiaires apparaissent sur les plateaux Batéké et sur le littoral. Enfin, les formations quaternaires (alluvions) qui sont présentes dans la Cuvette congolaise. Les sols Les sols du Congo sont très variés, mais peuvent être répartis en deux classes principales : les sols ferrallitiques et les sols hydromorphes. Les sols ferrallitiques sont plus étendus, car ils couvrent plus des ¾ du pays. Ils comprennent les sols remaniés et les sols appauvris. Tous sont désaturés. Les sols ferrallitiques remaniés sont plus étendus. On les trouve particulièrement dans la Sangha occidentale (sols argileux) et dans le sud-Congo (sur schistocalcaires, schisto-gréseux, quartzites, schistes). Les sols 77
ferrallitiques appauvris (sur matériaux sableux) se trouvent surtout sur les plateaux Batéké et le plateau des Cataractes. Les sols hydromorphes sont présents dans les zones basses. Ce sont des sols acides, avec un ph de 3 à 6 selon les endroits. On distingue les sols hydromorphes organiques ou tourbeux et les sols hydromorphes minéraux. On les trouve particulièrement dans la Cuvette congolaise, à l’extrême sud-ouest de la Sangha occidentale, et sur le littoral. Dans certains cas, il s’agit d’hydromorphie de surface ou d’hydromorphie de profondeur. Dans l’ensemble, on peut noter qu’à l’exception des sols hydromorphes, tous les sols du Congo sont aptes à l’agriculture, bien qu’ils n’aient pas tous les mêmes potentialités agronomiques. Les sols de la plaine du Niari et de la Sangha occidentale sont très fertiles. Mais, comme tous les sols tropicaux, les sols du Congo sont fragiles. IV - Un réseau hydrographique dense La présence d’un grand nombre de cours d’eau, d’une multitude de marais et de lacs, donne une importance toute particulière à l’hydrographie. Le réseau hydrographique est donc dense et s’organise autour de deux principaux bassins, ceux du Congo et du Kouilou-Niari, auxquels s’ajoutent les petits bassins côtiers et celui de l’Ivindo. 1-Le bassin du Congo Principal collecteur, le Congo par son débit, 41.700 mètres cubes par seconde, est le deuxième fleuve du monde après l’Amazone. Il prend sa source vers le 12° S et son bassin versant est immense, 3.822.000 kilomètres carrés. Il coule sur le territoire congolais sur environ 600 kilomètres (sur un total de 4700 kilomètres). Les affluents de rive droite sont l’Oubangui, la 78
Sangha, l’Alima, la Nkéni, la Léfini, le Djoué. Les affluents du Congo dessinent dans la Cuvette congolaise un véritable éventail. L’Oubangui a un débit d’environ 5800 mètres cubes par seconde. Son bassin versant, situé entièrement dans l’hémisphère Nord est d’environ 775.000 kilomètres carrés. La Sangha et son principal affluent la Ngoko ont un bassin versant de 240.000 kilomètres carrés. La Sangha a un régime complexe, car son cours supérieur reçoit un maximum d’eau en juin-juillet, tandis que le cours inférieur connaît des pluies abondantes en octobre-novembre. Son débit moyen est de 1698 mètres cubes par seconde à Ouesso. L’Alima, la Nkéni et la Léfini prennent leurs sources dans la partie occidentale des plateaux Batéké, et leurs bassins sont constitués par des roches très perméables. L’Alima, avec un bassin versant de 20350 kilomètres carrés et un débit moyen de 700 mètres cubes par seconde, est classé parmi les rivières les plus régulières. Il n’a pas de crues secondaires, ni d’étiage prononcé. 2-Le bassin du Kouilou-Niari Ce bassin couvre environ 55300 kilomètres carrés et intéresse toute la partie sud-ouest du Congo. Le Niari, collecteur le plus important, prend sa source dans les plateaux Batéké. Il porte le nom de Ndouo sur son cours supérieur, et celui de Kouilou sur son cours inférieur. Le débit moyen du Kouilou est d’environ 930 mètres cubes par seconde. Les principaux affluents du Niari sont la Louessé et la Bouenza. La Louessé a un bassin versant de 15630 kilomètres carrés et un débit de 302 mètres cubes par seconde, tandis que la Bouenza a 4920 kilomètres carrés de bassin versant et 112 mètres cubes de débit moyen.
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3-Les petits bassins côtiers Il s’agit des bassins de la Nyanga et de la Loémé. La Nyanga a un bassin versant de 5800 kilomètres carrés et un débit de 215 mètres cubes par seconde. La Loémé a un bassin versant de 3060 kilomètres carrés et un débit moyen de 27 mètres cubes par seconde. Nous avons là de petits fleuves côtiers. 4-Le petit bassin de l’Ivindo Il se situe à l’extrême nord-ouest de la région de la Sangha occidentale. Le principal collecteur est l’Ivindo, frontière naturelle entre le Congo et le Gabon, dont les principaux affluents sont la Karagoua et le Djouah. Ceux-ci et leurs affluents drainent une zone basse et marécageuse que surplombe le Mont Nabemba. Pour conclure, à l’exception des plateaux Batéké, le Congo possède un réseau hydrographique très dense. Il se pose au Congo, comme ailleurs en Afrique centrale, non pas le problème de quantité, mais plutôt celui de qualité de l’eau destinée à la consommation. Brazzaville est confrontée depuis des décennies à de graves pénuries d’eau potable, et pourtant le fleuve Congo et le Djoué coulent tout à côté. V - Des problèmes environnementaux L’environnement est ce qui nous entoure et, de ce fait, agit plus ou moins sur nous. L’environnement ne peut exister qu’en fonction de l’homme. Il comporte des éléments naturels et des éléments matériels, des personnes, leurs activités, leurs relations, etc. Le Congo est confronté aujourd’hui à de nombreux problèmes environnementaux que nous analysons en fonction des milieux.
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1-L’environnement urbain Les villes congolaises, particulièrement Brazzaville et Pointe-Noire, sont confrontées à de graves problèmes liés à l’environnement. Certains ont un effet très néfaste sur la santé et le bien-être de la population. Mais personne ne s’en préoccupe, ni les citoyens, ni les responsables administratifs et politiques. Il y a d’abord les déchets solides et les ordures ménagères. Parmi les déchets solides, nous avons principalement les épaves de véhicules qui encombrent les rues et les concessions, les sachets en plastique qui traînent dans toutes les rues et que le moindre vent soulève et disperse dans tous les sens. Ces sachets tapissent le sol et le rendent imperméable ; ceci a des conséquences sur l’écoulement des eaux pluviales. S’ajoutent les ordures ménagères et toutes sortes de détritus provenant des rebus des denrées vendues sur les marchés. Les nuisances sonores sont engendrées régulièrement par les bars-dancings, les veillées de prière et les veillées mortuaires dans tous les quartiers des grandes villes. Elles ont des effets physiologiques certains ; elles perturbent les capacités de concentration et de travail, le sommeil, et agissent sur le système nerveux. Il faut ajouter la pollution atmosphérique par les gaz (oxyde d’azote, oxyde de carbone, hydrocarbures) qui s’échappent de la plupart des véhicules de seconde main importés d’Europe et qui ne devraient plus circuler. L’atmosphère est ainsi fortement polluée jour et nuit. Enfin, l’érosion qui fait de graves dégâts pendant les périodes pluvieuses dans certaines villes, notamment à Brazzaville, Pointe-Noire et Gamboma. Que d’habitations et d’écoles détruites ! Que de rues coupées et rendues totalement impraticables !
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En conclusion, les grandes villes congolaises sont confrontées à de graves problèmes environnementaux. 1-L’environnement rural La campagne n’est pas à l’abri des problèmes environnementaux. Il faut que les gens aient conscience que les ressources naturelles ne sont pas inépuisables et que l’avenir de l’humanité est mis en péril par les activités humaines incontrôlées. C’est dans ce contexte que l’avenir du Bassin du Congo préoccupe, malheureusement, plus la communauté internationale que les populations riveraines elles-mêmes. Nous allons évoquer certaines activités humaines qui constituent de graves menaces directes sur l’environnement. Commençons par l’exploitation industrielle du bois. Elle a un impact environnemental certain, surtout par ses effets collatéraux. Il y a d’abord la dégradation des formations forestières. De plus, l’ouverture des routes facilite l’accès à la forêt et permet aux chasseurs d’aller plus loin. D’où l’intensification du braconnage et du commerce de gibier qui a un effet néfaste non seulement sur la faune, mais aussi sur la flore. Le braconnage va entraîner à long terme la raréfaction de la faune et la perturbation de la régénérescence des formations forestières, car beaucoup d’espèces d’arbres sont dispersées par la faune (oiseaux, primates, rongeurs, ongulés). Les conséquences de l’exploitation forestière sont également l’érosion des sols, la modification importante de la faune et de la végétation, la pollution locale le long des principaux axes d’accès. Les déchets ménagers et humains sont jetés dans la forêt par ceux qui y travaillent. Certaines techniques de pêche en eau douce pratiquées dans la Cuvette congolaise, et ailleurs, sont très destructives. Il s’agit, par exemple, des filets à mailles de plus en plus petites, des explosifs, des poisons du genre DDT. Malheureusement, les 82
populations riveraines n’ont pas conscience des dangers que cela représente. Il y a aussi l’exploitation minière qui a un impact certain sur l’environnement. Que d’arbres abattus ! Que de carrières creusées ! Que de tas de graviers et de sables abandonnés ici et là! Tout ceci modifie le paysage. 2-L’environnement côtier La région côtière est exposée à trois menaces majeures : l’érosion, la pollution et le prélèvement des matériaux de construction. En effet, comme la plupart des côtes africaines, le littoral congolais fait face à un grave problème d’érosion marine qui fait reculer, à plusieurs endroits, le trait de côte, détruisant aussi bien les écosystèmes littoraux que les équipements et les infrastructures socio-économiques. L’exploitation pétrolière dans la région de Pointe-Noire est une véritable source de pollution. Les hydrocarbures (gazeux et liquides) émanant des torchères et des effluents du réseau de pipelines polluent aussi bien les eaux que l’atmosphère (effluves d’hydrocarbures). Cette pollution est déjà visible, mais non quantifiée. Le phénomène doit être étudié afin de mesurer son impact immédiat et à long terme. S’ajoutent aussi les déchets urbains de la ville de Pointe-Noire déversés chaque jour dans les lagunes et l’océan Enfin, le prélèvement intensif des matériaux de construction (sables et graviers) sur l’estran et sur le plateau continental accélère la dégradation du littoral. Ainsi, le Congo fait face à de nombreux problèmes liés à l’environnement urbain, rural et côtier. Ceux-ci appellent une prise de conscience individuelle et collective. Malheureusement on note une indifférence totale des citoyens et de certains responsables politiques. A titre d’exemple, à ce jour, les autorités municipales ne pensent, ni au ramassage des ordures ménagères, 83
ni au traitement des déchets, encore moins au problème de l’utilisation abusive des sachets en matière plastique. Certes, quelques actions sont menées ici et là pour protéger l’environnement, préserver la biodiversité et la faune, ou juguler l’érosion. Mais elles demeurent encore insuffisantes, au regard de l’ampleur et de la complexité de certains problèmes environnementaux. Il y a là un véritable défi que le Congo doit relever à court ou à moyen terme. CONCLUSION Le Congo est un pays, parmi tant d’autres, naturellement béni. Il possède de nombreux atouts naturels majeurs : - un climat chaud et humide. Les températures sont, certes élevées, mais modérées par rapport à celles des pays sahéliens, même si les maxima peuvent atteindre 34 à 35°C. Les pluies sont abondantes et régulières, assez bien réparties au cours de l’année, même si dans le sud du pays les mois de juin, juillet et août sont pratiquement secs ; - de vastes étendues de forêts denses, très riches en essences commerciales et en espèces animales. Les massifs forestiers les plus importants sont ceux du Mayombe, du Chaillu et du Congo septentrional ; - des sols variés ayant un potentiel agronomique indéniable. Ils sont cultivables partout, à l’exception de la Cuvette congolaise. Selon les estimations, moins de 5% des terres cultivables sont mis en valeur ; - un sous-sol riche en matières premières : fer, cuivre, plomb, potasse, or, pétrole, carnallite, etc. ; - un réseau hydrographique très riche. Aucune région n’est dépourvue de cours d’eau, même les plateaux Batéké où coulent la Mpama, la Nkéni, la Léfini ; 84
- une belle façade maritime, un littoral long d’environ 160 km. Le Congo n’est donc pas un pays enclavé ; - le Bassin du Congo riche en biodiversité, considéré aujourd’hui comme poumon de l’humanité ! Il appartient aux hommes de profiter au mieux de ces atouts naturels, de mettre en valeur les ressources que la nature leur a offertes gracieusement, de gérer ces ressources avec intelligence et sans égoïsme pour leur bien, pour le bien de leur progéniture et aussi pour le bien de la postérité. Ils doivent assainir leur environnement, améliorer leur cadre de vie en vue de leur mieuxêtre. Faute de quoi ils donneront raison à ceux qui disent, à tort ou à raison, que « le Congo est un pays riche, mais ses populations sont pauvres ».
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CHAPITRE 2 LES ASPECTS HUMAINS par Yolande BERTON - OFOUEME INTRODUCTION En s’appuyant sur des données statistiques et cartographiques, ce chapitre se propose d’analyser, assez en détail, les caractéristiques de la population du Congo, l’habitat traditionnel (rural) et moderne (urbain) : le développement socioéconomique et culturel du pays est étroitement lié à ces aspects de géographie humaine. I - La population L’analyse de la population congolaise porte sur l’évolution de la population, la densité de la population et les données démographiques (natalité, mortalité, accroissement naturel, migrations, etc.). 1-Une évolution croissante, mais un faible peuplement Le Congo couvre une superficie de 342000 kilomètres carrés. Il est l’un des pays les plus petits d’Afrique (1% de la superficie de ce continent).Sa population connaît une évolution croissante, mais les densités, faibles dans l’ensemble, sont marquées par des disparités régionales. Evolution numérique La population connaît une évolution rapide et constante comme l’indique le graphique ci-après. 87
Figure n°1- Evolution de la population de 1974 à 2025 6000000
Populationo
5000000
4000000
3000000
2000000
1000000
0 2025
2009
2007
2005
2000
1996
1995
1990
1988
1985
1984
1974
Source : Graphique réalisé par nous sur la base des données du Centre National de la Statistique et des Etudes Economiques (CNSEE)
Ce graphique montre que la population est passée de 1 319 790 habitants en 1974 à 1 902 248 individus en 1984, et à 3.695 579 habitants en 2007. Le taux d’accroissement annuel (TAA) étant de 2,9 %, la population est estimée à 3,9 millions en 2009. Elle dépassera, d’après les estimations faites par l’Organisation des Nations Unies, 5,5 millions dans quinze ans. Malgré cette croissance exponentielle de la population, le Congo est un pays faiblement peuplé au vu de sa superficie. 2-Le Congo, un pays faiblement peuplé La densité moyenne de population (en nombre d’habitants au kilomètre carré) est de 3,8 en 1974, de 5,6 habitants en 1984 et de 11,4 en 2009. Ce dernier chiffre est largement inférieur à ceux observés dans d’autres pays africains (Nigeria, plus de 103 88
habitants au kilomètre carré, Rwanda, 230 habitants au kilomètre carré) et à la moyenne de l’Afrique (18 habitants au kilomètre carré). Mais la moyenne de la densité de la population au Congo masque les disparités régionales comme le précise la carte suivante. Cette illustration met en évidence quatre groupes de départements : les départements à faible densité de population (la CuvetteOuest, la Likouala et la Sangha) ; les départements à densité de population moyenne faible (la Cuvette, les Plateaux et la Lekoumou) ; les départements à densité de population moyenne (Pool et Kouilou) ; les départements à forte densité de population (Niari et Bouenza). On peut constater que la population congolaise se concentre surtout dans le sud du pays qui abrite les deux plus grandes agglomérations du pays, Brazzaville et Pointe-Noire. L’importance des activités économiques, administratives et les meilleures conditions de circulation, grâce à la présence du Chemin de Fer Congo Océan (CFCO), constituent des facteurs d’attraction de la population vers ces villes. Les régions situées dans le nord forestier ont des densités de population les plus faibles du pays. Ceci s’explique par les contraintes du milieu physique, notamment la forêt dense. Celleci est un milieu de vie difficile où la chaleur constante, les pluies abondantes et l’humidité favorisent l’exubérance de la végétation et le pullulement d’insectes nuisibles. On y trouve des moustiques du genre anophèle qui transmettent à l’homme le paludisme, les moustiques Aedes Aegypti, agents vecteurs de la fièvre jaune, et la mouche tsé-tsé, qui donnent à l’homme la maladie du sommeil et aux animaux la trypanosomiase. L’enclavement et le faible dynamisme économique se conjuguent 89
avec ces facteurs pour expliquer les faibles densités de population observées. Figure n°2 : Les densités de population en 2007
Source : Carte réalisée à partir des estimations faites par le Centre National de la Statistique et des Etudes Economiques (CNSEE). On relève également les disparités entre les villes et les campagnes. Les deux grands centres urbains représentent en 2007 56 % de la population totale. Ils ont des densités de population supérieures à 5000 habitants au kilomètre carré. Tandis que dans les autres départements, la moyenne de la densité de population est de 4,8 habitants au kilomètre carré. 90
Quelques poches de forte densité rurale sont observées dans le sud du pays. Il s’agit de l’ouest de Brazzaville (district de Madzia), des plateaux bembe et dondo, du plateau koukouya (plus de 30 habitants au kilomètre carré) et de l’arrière-pays immédiat de Pointe-Noire (districts de Makola et Hinda avec des densités qui se situent entre 10 et 15 habitants au kilomètre carré). Il sied de signaler que les guerres civiles que le pays a connues de 1993 à 2001 ont généré les migrations des ruraux, singulièrement ceux du sud du pays, vers Brazzaville et PointeNoire. 3-Les aspects démographiques La croissance démographique est de plus en plus rapide. Ce phénomène est lié au mouvement naturel dû aux effets conjugués de la forte natalité et de la mortalité en baisse mais encore élevée et des migrations. Croît naturel Une forte natalité et une fécondité élevée Au Congo le taux brut de natalité est estimé à 37,9 pour mille en 1998. Ce taux, légèrement inférieur à la moyenne de la sous-région Afrique centrale (40 pour mille) et du continent africain (38 pour mille) est l’un des plus faibles en Afrique centrale. Il est plus élevé dans les campagnes. La fécondité des Congolaises est élevée avec un taux moyen d’enfants par femme, en 2005, de 4,8 contre 2,4 en Chine, 1,2 à 1,3 dans la plupart des pays européens et 4,2 au niveau mondial. Cette moyenne, bien qu’en régression par rapport à 1984 (6,3 enfants par femme), a tendance à s’aligner sur les statistiques observées en Afrique de l’Ouest. Elle varie selon le lieu de résidence (en milieu rural, elle est de 6,1 contre 3,7 en milieu 91
urbain), le niveau de revenus des familles et le niveau d’instruction de la femme. Une mortalité en baisse Le taux national de mortalité est encore élevé. Il est estimé à 16 pour mille en 1998 contre 7 pour mille à Sao Tomé et Principe, 15 pour mille en Afrique centrale et 14 pour mille en Afrique. Il est supérieur à celui observé dans les pays de l’Amérique du Nord (9 pour mille), mais inférieur à ceux enregistrés dans les pays de l’Amérique latine (21 pour mille). Le taux de mortalité est encore élevé du fait de la forte mortalité infantile. Celle-ci est de 81 pour mille. Elle connaît des disparités régionales et résidentielles : 99 pour mille dans le Nord contre 86 pour mille dans le Sud, 93 pour mille en milieu rural contre 66 pour mille en zone urbaine (Etudes Démographiques et Santé, EDS, 2005). La mortalité infantile touche le plus des jeunes enfants de 1 à 4 ans, victimes de mauvaises conditions d’hygiène et d’alimentation. La faible mortalité dans les centres urbains s’explique par la présence d’équipements sanitaires, la concentration de médecins spécialistes, inexistants ou en nombre insuffisant en zone rurale. Si au niveau international, on observe la relative baisse de la mortalité liée aux efforts des organismes internationaux dans la santé publique, il est aujourd’hui difficile de confirmer cette baisse au Congo du fait de l’absence de statistiques récentes, de la persistance du paludisme, des impacts du VIH/SIDA et bien d’autres maladies générées par la dégradation de l’environnement social et économique. Depuis quelques années, l’Etat a consacré des moyens financiers conséquents pour lutter contre le paludisme et le VIH/SIDA.
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L’espérance de vie à la naissance Appelée durée moyenne de la vie, l’espérance de vie à la naissance est d’environ 51 ans (EDS, 2005). Ce chiffre est inférieur à ceux observés dans les pays industrialisés : 81 ans au Japon, 84 ans en France. Pour diverses raisons, les femmes ont tendance à vivre plus longtemps que les hommes. L’accroissement naturel L’accroissement naturel est l’excédent des naissances sur les décès. Estimé à 21 pour mille, le taux d’accroissement naturel (TAN) est inférieur à la moyenne de l’Afrique centrale (24 pour mille). Il est l’un des taux les plus faibles dans la sous-région où la République Démocratique du Congo (31 pour mille), le Tchad (33) et Sao Tomé et Principe (35) ont les taux les plus élevés. Au rythme actuel de croissance démographique, le Congo comptera plus de 5,5 millions d’habitants en 2025 (prévisions de l’Organisation des Nations-Unies). o La répartition par sexe et par âge La croissance démographique vigoureuse a des incidences sur la structure de la population par âge. Celle-ci se caractérise par son extrême jeunesse qui pose la problématique de la scolarisation et de l’emploi (figure 3). La composition par sexe montre la prédominance de l’élément féminin. La pyramide des âges, à l’image de celles d’autres pays africains ou sous-développés, présente une base large, preuve d’une forte natalité et un sommet étroit du fait de la faible espérance de vie et de la mortalité encore élevée. Elle a une forme en « parasol». Les enfants et les jeunes de moins de 20 ans représentent 53 % de la population, les personnes de 20-59 ans, 42 % et celles de 60 ans et plus, environ 5 %. Ces pourcentages montrent la faible représentativité des personnes du troisième âge due certainement 93
aux mauvaises conditions de vie (difficultés d’accès aux soins sanitaires et à une alimentation de qualité). La prépondérance des jeunes pose des problèmes de scolarisation massive (89%), d’emplois des jeunes en fin de formation et de prise en charge des inactifs économiques par une minorité d’actifs (la moyenne nationale de la part du rapport de dépendance due à la jeunesse est de 89 % selon les résultats du recensement de la population en 19842). La couverture des besoins élémentaires des inactifs a pour corollaire la diminution du bien-être des actifs et par conséquent la précarité sociale et économique de la majorité de la population. Figure n°3 : La répartition (en %) de la population par âge et par sexe en 2005
Sources des données : EDS, 2005 De 15 à 34 ans, la structure de la population de sexe masculin accuse un déficit au profit des femmes. La féminisation du Sida depuis quelques années pose des questionnements sur la forte représentativité des femmes dans la population globale, sur 2
Les statistiques utilisées datent de 198u du fait de l’absence de données récentes. Elles sont fournies à titre indicatif.
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la procréation et sur l’avenir du développement social et économique du pays. Les femmes, quel que soit le lieu de résidence, rural ou urbain, sont prédominantes. Elles sont les piliers de la société et de l’économie congolaise du fait de leurs multiples fonctions (mère, épouse, productrice, éducatrice, etc.). Malgré cette importance, la politique du genre n’est pas encore satisfaisante. Les migrations au Congo Pour des raisons économiques, scolaires, politiques…les populations congolaises effectuent des mouvements migratoires internes ou externes. Le Congo accueille également des migrants en provenance d’autres pays d’Afrique, d’Asie, d’Europe et d’Amérique. Les migrations internes Celles-ci sont dues : - au travail. Pendant la colonisation, la création des sociétés et des entreprises d’exploitation des ressources naturelles ont favorisé l’émergence des localités telles que Ngabé, Nkayi, Dolisie (Ex-Loubomo), Brazzaville, Pointe-Noire, etc. ; - à l’exode rural (déplacement des ruraux vers les villes) qui a commencé avec la création des villes par les Européens et qui continue jusqu’à nos jours pour des raisons variées (économiques, sociales…). Ce mouvement ne reste pas sans conséquence sur les régions de départ et d’accueil. Dans les premières, on note l’insuffisance de la production agricole, le manque de dynamisme démographique et économique, la régression de la population rurale (celle-ci est passée de 60% en 1974 à 46 % de la population totale du pays en 2007, et atteindra 95
22 % dans les vingt ans à venir d’après les estimations du Secrétariat des Nations-Unies)…Tandis que dans les secondes, on relève les problèmes de logement, de transport dans les quartiers périphériques, d’aménagement urbain, etc. Les déplacements des ruraux vers les grandes villes ou les villes secondaires s’amplifient, particulièrement dans les localités du sud du pays ; -aux déplacements des ruraux vers d’autres zones rurales lors de l’aménagement des voies de communication (routes, voies ferrées) ; -à la continuité des courants migratoires antérieurs à la période coloniale, et qui se poursuivent jusqu’à ce jour. Par exemple, la région du Pool, a été progressivement occupée par les Kongo venus de la rive gauche du fleuve Congo. Cette occupation atteint aujourd’hui le plateau de Mbé où certains villages ont leur population composée à 90%, voire plus, de Kongo et de Lari. On peut citer Maty, Ignié et Ankoua ; -à l’exode urbain (déplacements des citadins vers les campagnes). Ce type de migrations est encore peu développé au Congo. Il se s’effectue dans les localités accessibles par voies routières ou ferroviaires ou encore situées à proximité des grandes agglomérations. En effet, les contraintes de la vie urbaine poussent les citadins en échec scolaire, au chômage, à la retraite ou sans emploi…à s’installer à la campagne. La pratique des activités agricoles est la principale motivation de ces déplacements. L’installation des citadins en zone rurale génère des mutations d’ordre social, culturel et économique. Elle a tendance à redynamiser le monde rural.
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Les migrations externes L’immigration Pour des raisons économiques, le Congo accueille des étrangers, parmi lesquels on compte les Européens (Français, Belges, Anglais….), les Américains, les Asiatiques (Vietnamiens, Chinois,…), d’autres Africains (les Maliens, les Sénégalais) et les Libanais…Les guerres ont aussi généré des migrations en provenance de la RDC (République Démocratique du Congo), du Tchad, de la République Centrafricaine et du Rwanda. Au Congo le nombre de refugiés est estimé à 123 190 en juin 2002 (Le Haut Commissariat des Nations-Unies pour les Refugiés, HCR). Ce chiffre est sans doute sous-estimé du fait de la clandestinité de certains refugiés. Ces refugiés sont essentiellement installés dans le département de la Likouala (Centrafricains, Rwandais et Congolais de la RDC) et dans le Kouilou (Angolais). La Likouala est sans doute la région la plus touchée par les immigrations forcées. Elle a vu sa population augmenter de plus de 50 % (48 993 en 1984 et 154 000 habitants en 2002). Au cours de cette année-là, la population des réfugiés est majoritaire (60 % des habitants du département). Plus de la moitié de ces immigrants sont installés à Impfondo et Betou. Cette immigration génère des problèmes de gestion des ressources naturelles, de santé et de sécurité. Les Rwandais, arrivés au Congo dans les années 1995-1996 ont dévasté les deux tiers de la forêt d’eucalyptus plantée dans les années 1960 à Kintele sur la Route Nationale n°2. Dans la Likouala, les problèmes de choléra et d’insécurité (criminalité, tensions sociales entre habitants) sont le plus à craindre.
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L’émigration Celle-ci est un mouvement ancien. Elle a commencé avant les indépendances. En effet, les fonctionnaires congolais partaient en service dans les territoires de l’ancienne Afrique Equatoriale Française (AEF). Mais les Congolais sont expulsés du Gabon en 1963 et du Zaïre (actuel RDC) en 1964. Les Congolais, pour des motifs économiques et scolaires, quittent le pays pour des séjours définitifs ou de longue durée vers les pays étrangers. Les principales destinations sont l’Europe et les autres pays africains (Cameroun, Gabon, Maroc, Tunisie et Algérie). Ces dernières années, la Chine fait partie des destinations privilégiées des Congolais. II - L’habitat rural et les villes L’analyse porte sur l’habitat rural (forme de l’habitat, types de maisons et types de matériaux) et les villes (leur naissance, croissance, paysage et fonction). 1-L’habitat rural Types d’habitat On distingue, un habitat regroupé fait de gros villages, d’une part ; d’autre part, un habitat dispersé sous forme de hameaux. L’habitat dispersé est présent partout au Congo, aussi bien dans les régions forestières que dans les régions de savane, dans le nord et dans le sud. Les populations vivent en cellules familiales ou dans des hameaux de quelques cases. Ce type d’habitat est caractéristique du genre de vie des pêcheurs dans la Sangha, la Likouala et la Cuvette ou de celui des agriculteurs dans une zone en cours de «colonisation» (les Plateaux Bateke) par les populations venues d’autres régions. Les hameaux peuvent être temporaires ou permanents. Leur création peut être 98
due à l’éclatement d’un gros village suite aux problèmes de sorcellerie ou de mésentente. L’habitat groupé est caractéristique d’une organisation en villages. Dans l’ensemble, l’habitat est de type linéaire. Les localités se situent de façon générale le long des axes de communication (routes, voies ferrées et voies fluviales). Les villages sont, dans le nord du pays, en particulier dans la Cuvette, le long des routes et des rivières, et dans le sud, le long des routes et des voies ferrées (Chemin de Fer Congo-Océan et COMILOG). En 1998, le Congo comptait 4879 villages contre 1200 en 2005 du fait de la destruction de nombreuses localités pendant les guerres. Dans l’ensemble, un peu moins des deux-tiers des villages ont moins de 100 habitants, soit 19 % de la population rurale. Les localités de 500 à 2000 habitants représentent seulement 5 % des villages et ont 25 % de la population totale. Les types et fonctions des maisons Au Congo, on distingue traditionnellement trois types de maisons : la cuisine, appelée « maison de la femme ». Elle est le lieu de stockage des ustensiles de cuisine, de matériel de transformation des produits agricoles (pétrin, mortier, etc.) et de moyens de transport (bicyclettes), du matériel de chasse (filets et lances) et de pêche (nasses et paniers). Elle est le lieu où la femme cuisine les mets. Au-dessus du foyer, est installée une claie, appelée «otaâ» en mbosi, ou «otalaka » en lingala, pour la conservation des aliments ou le fumage des poissons. La cuisine sert aussi de poulailler. D’une manière générale, la cuisine comprend une pièce ou dans des cas rares deux pièces dont une réservée aux visiteurs ou aux personnes âgées. Celles-ci apprécient la proximité du feu qui peut être entretenu la nuit en saison sèche ; 99
la grande maison, appelée «maison des hommes», est présente dans tous les départements. Elle a la fonction de dortoir. Sa dimension et le nombre de pièces dépendent de la taille du ménage, de la nature des matériaux, des moyens financiers dont dispose le chef de famille et de la force physique de celui-ci à tirer de la forêt les matériaux de construction ; la « case à palabres ». Elle est appelée « mbongui » dans le Pool, et « kanza » ou « olebe » dans la Cuvette. La « case à palabres » a plusieurs fonctions. Elle sert de lieu de retrouvailles des hommes après les travaux champêtres, de tribunal du village, de lieu de prise de repas pour les hommes et de lieu d’éducation traditionnelle des jeunes garçons. C’est une construction sommaire. Elle dispose d’un toit soutenu par quatre ou cinq poteaux. Elle est parfois entourée par un demi-mur qui peut être en bambou, en bois, en écorce de bois ou en pisé. La « case à palabres » n’est pas présente dans toutes les régions. Les matériaux de construction La maison rurale est construite à des fins diverses, agricoles et non agricoles. Elle s’intègre entièrement dans le milieu. De façon générale, la maison est à la fois le produit du milieu naturel, de la société et de la civilisation, c’est-à-dire un fait culturel. Les matériaux de construction utilisés par les ruraux diffèrent selon les milieux physiques (savanes et forêts), la taille et la fonction des maisons : en savane, la case rurale a un toit et des murs en paille. Le bois est utilisé comme support des murs et pour la charpente. Les lianes sont utilisées pour attacher les bois. Ce type de case se rencontre sur les plateaux teke. Dans certains départements, les murs sont en torchis (mélange de boue et de paille ou de feuilles de palmier) ; 100
en forêt, pour la construction du toit, les paysans utilisent le bois, les lianes, les lattes issues du tronc de bambou et les tuiles de bambou (feuilles du palmier-raphia), appelées «tsese» en Mbosi. Les murs sont généralement construits en pisé (boue appliquée sur des lattes assemblées en clayonnage). Dans le Mayombe et le Niari, les maisons dont les murs sont en planches éclatées, appelées «bilombo» sont typiques. Cet aspect traditionnel de la maison rurale connaît des mutations du fait des matériaux de construction achetés dans les centres urbains. C’est ainsi qu’on trouve en zone rurale des maisons semi-modernes ou modernes. Les maisons ont de plus en plus des murs construits en briques cuites (dans la Bouenza et le Pool) ou en briques crues avec des toits en paille ou en tuiles végétales. Dans les localités situées le long des axes de communication l’habitat traditionnel tend à céder sa place à l’habitat moderne) : les briques stabilisées (mélange de terre jaune argileuse avec du ciment) ou en parpaings sont utilisées pour la construction des murs ; tandis que l’utilisation de la tôle pour la construction des toits se généralise dans la plupart des régions. En revanche, dans les localités enclavées, l’habitat a très peu évolué et les populations utilisent des matériaux de construction peu durables qu’il faut remplacer régulièrement. Le désenclavement permettra aux ruraux d’avoir accès aux matériaux de construction durables.
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2- Les Villes Le Congo, bien que faiblement peuplé, est l’un des pays les plus urbanisés d’Afrique Noire. La population urbaine est passée de 24 % en 1945 à 80 % en 2009. Le pays comptait 4 communes urbaines (Brazzaville, Pointe-Noire, Dolisie et Nkayi) en 1974, six, en 1984 avec l’érection de Mossendjo et Ouesso en communes urbaines en 1983, et huit, depuis 2006, avec les villes d’Oyo et de Pokola. La naissance des villes Le phénomène urbain est récent au Congo, mais il prend de l’ampleur. On distingue trois générations de villes : Les villes précoloniales (première génération) Un chapitre dans le volume IV est consacré à deux villes précoloniales de l’espace kongo : Mbanza-Kongo et Bwali comme cas d’étude. Les villes coloniales (deuxième génération) Pendant la période de la traite négrière, sur la côte congolaise, le point de départ d'une piste qui conduisait vers les riches mines d'argent de l'intérieur était protégé depuis 1576 par Fortaleza de San Miguel, noyau de la future Luanda qui comptait 2 000 habitants en 1621. Vers le milieu du 19ème siècle, le long de la côte atlantique, s'étaient multipliées les installations dues à diverses ambitions européennes : postes, forts et comptoirs (à Loango, Pointe-Noire et Brazzaville) et ensuite à l'intérieur du territoire (Ouesso). Dès la fin du 19ème siècle, le problème majeur qui se posait fut celui des communications, d'où le lien qui apparaît partout entre les villes et les voies de circulation, en particulier des cours d'eau. Les obstacles présentés par les cours d'eau conduisent les Européens à mettre en place des voies ferrées. Ceci justifie la situation des villes à des points de rupture de charge, à la 102
rencontre de l'eau et du rail, de la route et de l'eau (Pointe-Noire, et Brazzaville qui sont des métropoles économiques, politiques et administratives), et du rail et de la route. Ouesso a été un port d'embarquement des produits à destination du port de PointeNoire. Mais le volume de produits chargés n'a jamais été considérable pour favoriser le développement de cette ville. Au contraire, la voie ferrée a été un facteur majeur d'urbanisation : développement des villes portuaires terminus du chemin de fer (Brazzaville) ou des villes intérieures (Dolisie, Makabana, etc.). L'industrie au Congo comme bien d’autres pays de l’Afrique centrale, n'a pas été un facteur d'urbanisation décisif. Le but des Européens était d'exploiter les matières premières. Ce ne sont pas les scieries, huileries, usines de décorticage ou d'égrenage qui pouvaient donner naissance à de grandes villes. Les industries de transformation, de façon exceptionnelle, ont contribué au développement des villes existantes. C’est le cas de Nkayi (grâce au complexe agro-industriel sucrerie, huilerie…). Elle comptait 600 personnes en 1954, et 50 000 habitants en 1990. En effet, jusqu'en 1940, l'Afrique tropicale était en retard par rapport aux autres territoires : le Caire en Egypte (1million d'habitants), Rio de Janeiro au Brésil (1 520 000 habitants), etc. Tandis que la plupart des agglomérations d'Afrique centrale dont Brazzaville (30000 habitants) n’avait pas atteint un million de personnes. La guerre de 1939 à 1945 a fait que les territoires coloniaux se trouvent coupés de leurs métropoles (peu d'investissements et stabilité des effectifs d'expatriés), mais la pression de l'effort de guerre dans les campagnes favorise le départ des ruraux en ville. En fait, jusqu’en 1945 la croissance de la population urbaine était lente (24 % de la population totale). C'est après la guerre entre 1945 et 1955 que s'est produite l'accélération de l'urbanisation. 103
Parmi les facteurs de ce phénomène, on peut citer les facteurs économiques, psychosociologiques et sociopolitiques (travail forcé dans les villages, guerres civiles…). Les villes créées après l’indépendance Celles-ci sont des anciens chefs-lieux de Poste de Contrôle Administratif (PCA) devenus des chefs-lieux de districts ou encore des villages qui ont connu une promotion administrative. On peut citer les localités d’Oyo et de Pokola, anciens villages, érigés en communes urbaines en 2006. Les populations de ces villes vivent plus des revenus générés par les activités rurales que par ceux issus de l’administration. Elles se distinguent de celles des autres localités par l’accès aux infrastructures scolaires, éducatives, sanitaires et administratives, ainsi qu’aux équipements de base (eau et électricité). Mossendjo et Ouesso, érigées en communes en 1983, font partie de ces villes de la troisième génération. La présence d’équipements variés fait d’elles des zones d’attraction pour les populations rurales. Mais leur développement et leur dynamisme sont moins importants que les villes de Pointe-Noire et de Brazzaville, du fait de la non diversification des activités économiques et culturelles. La croissance démographique et spatiale des villes La croissance démographique La croissance de la population urbaine, lente jusqu’en 1945, s’accélère à partir de l’indépendance. Elle est de 35 % en 1965, cinq ans après les indépendances, de 38 % en 1974, de 52 % en 1984, de 63 % en 2007. En 2009, cette proportion est estimée à 80 %. Cette croissance progressive de la population trouve des justifications dans les facteurs classiques (forte natalité, exode rural important, migration internationale, accroissement naturel 104
interne, forte attraction des centres urbains) mais aussi dans les changements administratifs. Mais cette urbanisation est inégale. La plupart des villes se concentrent dans le sud du pays qui abrite Brazzaville, PointeNoire, Dolisie, Nkayi et Mossendjo. La seule ville de taille moyenne dans le nord du pays est Ouesso comme l’indique la figure n° 4 ci-après. On relève également des disparités régionales en matière d’urbanisation. Le Nord du pays (Plateaux, Likouala, Sangha, Cuvette et Cuvette-Ouest) ne dispose que de 3 communes urbaines dont la population de chacune d’entre elles ne dépasse pas 40000 habitants. Il compte 5 villes de plus de 10000 habitants et 13 villes de moins de 5000 à 10000 individus. Le Kouilou, excepté Pointe-Noire qui est un département à part entière, compte cinq localités de plus de 5000 habitants. Il se caractérise par le sous-peuplement rural. Il a perdu la population du village de Loandjili (40 000 habitants) en 1984 au profit de Pointe-Noire. Le Niari et le Chaillu disposent de 26 villes de plus de 5000 habitants 2006 contre dix en 1984. Le Pool compte en 2006 onze localités de plus de 5000 habitants. Il a perdu 60 000 habitants du fait de l’absorption de Ngamaba par le périmètre urbain de Brazzaville. Dans tous les départements, la plupart des villes ne dépassent pas 50000 habitants. Il s’agit donc de petites villes.
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Figure n°4 : La localisation des villes congolaises
Le tableau n°1 indique l’évolution de la population de quelques villes de 1984 à 2007. Sur une période de 23 ans, Brazzaville a gagné 789 388 habitants, soit 34 312 individus par 106
an, Pointe-Noire, 416 920, soit 32 070 habitants par ans, Dolisie, 34668, soit 1507 individus par an. Les autres centres sont des villes de faible importance. Tableau n°1 : Evolution de la population de quelques villes de 1984 à 2007
Villes Brazzaville PointeNoire Dolisie Nkayi Mossendjo
1984 812 203 134 540 469
585 294 49 36 14
1996 estimations)
2007(estimations)
856 410
1 375 200
455 131
711 123
80 000
83 802
47 000
71623
17 000
13 239
Ouesso
11939
20 000
28 202
Pokola
-
-
12 000
Oyo
-
-
18 987
Sources des données : CNSEE
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La croissance spatiale La croissance spatiale des villes se fait parallèlement à celle de la population. Nous présentons ici notamment les exemples de Brazzaville et de Pointe-Noire. Brazzaville C’est une ville créée par Savorgnan de Brazza en 1884 sur un site depuis fort longtemps occupé par les Teke. Le centre-ville fut bâti entre deux villages : Bacongo et Poto-Poto3. De sa création à 1930, le développement de ces quartiers s’est fait le long du fleuve Congo ; il subsistait entre eux de vastes zones de forêts et de savanes. De 1930 à 1960, l’urbanisation s’amplifie et l’occupation du site de la ville s’accélère. Bacongo et Poto-Poto s’agrandissent et deviennent des quartiers. Progressivent naissent d’autres quartiers, comme Moungali, dans les années 50. Ces quartiers se développent, entre 1950 et 1957, en comblant les espaces vides entre eux et le centre-ville. A cette période naît le quartier de Ouenzé. De 1957 à 1972, au nord sont créés Mpila, «Tout pour le peuple» (Mikalou, Talangaï4 ; Mboualé, «Simba pelle5», etc.), au sud, Mpissa, Makélékélé, Moukondzi-Ngouaka, Kingouari, Massina, Mpiéré-Mpiéré, Anzouli, Mansimou et Poto-Poto Djoué, et entre 1976-1983, Diata, Mfilou, Moutabala. En 1964, la réserve forestière comptait 715 hectares. En 1983, elle perdit 515 hectares, soit 72 % de sa superficie au profit de l’habitat. 3
Poto-Poto signifie la boue ou les marécages. Talangaï signifie en lingala, «regarde-moi». 5 « Simba pelle » signifie « tiens la pelle » du fait des ensablements fréquents des maisons. 4
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Depuis 1983, la ville a dépassé ses limites en atteignant la rivière Djiri vers le nord. Le rythme de croissance de la ville fait que dans quelques années ces limités engloberont Kintele.Vers le sud, le périmètre urbain dépasse la rivière du Djoué. Les limites urbaines atteignent Ngangaligolo, un village suburbain il ya 21 ans. Brazzaville compte aujourd’hui sept arrondissements classés par ordre décroissant d’importance des habitants : Talangaï, Makélékélé, Mfilou, Ouenzé, Moungali, Bacongo et Poto-Poto. Sa superficie, de 1800 hectares en 1950, est passée à 3 250 hectares en 1974, 8 650 hectares en 1985. Elle est aujourd’hui 20900 hectares. De nombreux facteurs se conjuguent pour expliquer la croissance démographique et spatiale de Brazzaville. Il s’agit de ses fonctions administratives, politiques et culturelles, mais aussi de sa situation géographique. Brazzaville est située dans un des départements les plus peuplés au Congo, le Pool. Elle est située à proximité de Kinshasa qui compte plus de dix millions d’habitants. Elle est le carrefour de la Route Nationale n°2 et du CFCO. Elle est ainsi le principal lieu d’accueil des originaires du nord du pays. Sa fonction culturelle, par la présence de l’unique université d’enseignement public (l’Université Marien Ngouabi) attire les élèves de tous les départements du pays. Cette structure compte aujourd’hui près de vingt mille étudiants.
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Figure n°5. Croissance spatiale de Brazzaville.
Source : Y. Berton-Ofoueme, 1996.
Pointe-Noire La ville de pointe-Noire est située sur la façade congolaise de l’océan Atlantique. Elle est l’ancien chef de département du Kouilou, aujourd’hui séparée de lui. Du fait de l’activité pétrolière, du port en eau profonde et du commerce, Pointe-Noire est considérée comme le «poumon économique du Congo». La population se répartit sur six arrondissements dont quatre fonctionnels (Lumumba, Mvoumvou, Tié-Tié et Loandjili) et deux non fonctionnels (Mongo-Poukou encore rattaché à Loandjili et Ngoyo encore rattaché à Tié-Tié). C’est une ville de création européenne. Elle fut fondée en 1883 par le capitaine français Cordier sur les terres du Royaume Loango et s’appelait Punta Negra, termes portugais. De 1950 à 1959, Pointe-Noire fut la capitale du MoyenCongo, fonction qu’elle perd en 1959 au profit de Brazzaville. Depuis sa fondation, la ville a connu un fort taux 110
d’accroissement. De 2000 habitants à sa création, elle compte en 2009 plus de 700 000 individus. La croissance démographique engendre l’étalement spatial de façon verticale et incontrôlée. En moins de cinquante ans, la ville a dépassé ses limites originelles. Elle a englobé de nombreuses localités comme Siafoumou, Loandjili, Loango… C’est en 1924 que Pointe-Noire est dotée de son premier plan directeur. Celui-ci divise la ville en zone européenne et zone indigène. La première se développe autour du port et du chemin de fer ; la deuxième à partir des villages en l’occurrence Tié-Tié (première gare ferroviaire). En 1928, la population atteint 3000 habitants. En 1931, la ville était constituée du centre-ville et s’arrêtait à l’actuel rond point du marché central. En 1936, du fait de l’implantation de structures sociales et économiques ainsi que des migrations, la ville se développe. Le quartier Camp chic naît. Le quartier du port et celui de Nzinzi se densifient. Entre 1936 et 1945, le village africain se développe suivant le plan directeur. Ce développement se fait à l’intérieur de sept voies qui partent en arc de cercle depuis la place De Brazza (actuel rond point Lumumba), d’ouest à l’est. Le périmètre urbain était limité à l’est par la Tchinouka, à l’ouest par la Tchikoko et au Nord par l’actuelle avenue Félix Tchikaya. De 1945 à 1950, naissent les quartiers Kilomètre 4 (issu de l’occupation anarchique), Roy, Mawata et s’étend le quartier Mvoumvou. De 1950 à 1955, le centre-ville poursuit son développement avec l’extension du quartier Losange. Le quartier Matende a vu le jour au cours de cette même période. De 1955 à 1960, Mvoumvou se développe dans sa partie Nord vers la rivière Songolo. Apparaît également le quartier Planches qui se limite à la rivière Tchikobo et la Route nationale n°1. A la fin de l’année 1960, Pointe-Noire avait consommé toutes ses terres exondées. Il ne restait plus que des zones 111
marécageuses. C’est ainsi que commence, de 1960 à 1970, la densification des quartiers existants, mais aussi la naissance d’autres quartiers comme Culotte (du fait des inondations), Makaya-Makaya (feuilles-feuilles du fait de la présence de la forêt), Mbota, Mbota Louissi (noms des affluents de la Songolo) et Nkouikou (figure 5). Au centre-ville, naissent le quatier OCH (Office Congolais de l’Habitat), Dibodo et Cocotier occupés par les originaires du Niari, Pont de la Lekoumou, Mouyondzi et Pont de la Bouenza, occupés par ceux de la Bouenza. Ces quartiers sont mal aménagés (nombre restreint de rues et d’avenues). De 1970 à 1990, la densification du centre-ville se poursuit avec la construction des bâtiments appartenant aux sociétés comme la COMILOG, Elf-Congo, Compagnies des Potasses du Congo et tant d’autres. Les quartiers africains continuent leur extension. L’urbanisation de Pointe-Noire est aux abords de la réserve forestière de Coukouati-Douli. Pointe-Noire doit sa croissance démographique et spatiale à l’exode rural à partir de son arrière-pays, aux activités pétrolières et portuaires, aux activités commerciales, à sa quiétude en cas de conflits politiques dans le pays et à ses fonctions administratives. Les autres villes Quant aux villes secondaires, elles connaissent une croissance démographique moins importante que celle des grandes villes. Elles se situent à cheval entre les villages et les villes. Elles portent le binôme citadinité-ruralité. En effet, elles sont considérées comme des villes par la présence d’infrastructures admistrative, sanitaire, éducative et commerciale, et d’équipements qu’elles abritent. Mais la plupart de la population vit d’activités dites rurales (agriculture, chasse, pêche, cueillette et ramassage). Le paysage urbain et le niveau de vie de certaines familles rapprochent le plus ces villes des 112
villages même si leurs populations se considèrent comme des citadins. En somme, le développement des villes se fait aux dépens des campagnes. Les villes bénéficient de l’essentiel des investissements sociaux et économiques qui attirent de plus en plus les ruraux pour des raisons déjà citées, ce qui accroit le fossé entre ces deux espaces. Par ailleurs, par leur dynamisme, les villes sont des espaces structurant les campagnes. Elles sont les principaux débouchés des produits ruraux ; elles sont aussi les lieux de prise de décisions relatives au développement du pays. Figure n° 6 : Croissance spatiale de la ville de Pointe-Noire
Carte réalisée par Y. Berton-Ofouémé 113
1. Paysage urbain Les villes créées par les Européens présentent des paysages contrastés. On distingue : le centre ville, ancien quartier habité par les Européens, abrite aujourd’hui les bâtiments administratifs, commerciaux, etc. ; les quartiers péri-centraux autrefois appelés «villages » ou « cités » se distinguent par la forte densité de population et d’habitat. D’une manière générale, les rues et avenues y sont bien tracées suivant les anciens plans d’urbanisme. Les quartiers péricentraux disposent d’un grand nombre de structures commerciales (magasins, alimentations, grands marchés), éducatives (universités pour le cas de Brazzaville et lycées), sanitaires (grands hôpitaux) et culturelles. Ils disposent aussi d’un système d’adduction d’eau datant dans la plupart des cas de l’époque coloniale, et du tout à l’égout ; les quartiers périphériques de naissance relativement récente. Plusieurs faits les caractérisent. Il s’agit de l’occupation des sites dangereux et insalubres (zones inondables, pentes de collines), de l’insuffisance d’équipements de base (santé, éducation, eau, transport et électricité). La plupart des travailleurs y habitent mais ils travaillent au centre-ville. 2. Les fonctions de villes On différencie les villes en fonction de l’économie, de l’administration et de la politique, encore que tout cela se tient comme les maillons d’une chaîne. Les villes à fonction économique Il existe deux principaux types de villes à fonction économique : les villes portuaires et les villes industrielles. 114
Les villes portuaires Celles-ci sont situées au bord des fleuves et grandes rivières ou de l’océan. Elles sont d’une manière générale des villes de transit et d’exportation des ressources naturelles en provenance du Nord du pays et d’autres régions traversées par le CFCO. On peut citer parmi ces villes, Brazzaville, lieu de transit du bois, des noix palmistes, de l’hévéa, du café et du cacao. Depuis quelques années, de tous ces produits, il n’y a que le bois qui transite par Brazzaville. De cette ville, le bois emprunte le CFCO pour arriver à Pointe-Noire, porte océane du Congo. Ouesso est aussi une ville portuaire située sur la Sangha. Elle a joué un rôle important dans l’expédition des produits de cette région vers Pointe-Noire via Brazzaville. Depuis quelques années, les dysfonctionnements du CFCO font que le bois de la Sangha transite par le port de Douala au Cameroun. Les villes industrielles Loutété s’est développée grâce aux activités de la cimenterie. Mbinda et Makabana, situées sur la voie ferrée de la Compagnie Minière de l’Ogooué (COMILOG), doivent leur croissance à l’évacuation du manganèse du Gabon vers PointeNoire. Depuis la fermeture de cette voie en 1993, ces centres urbains sont en déclin. Louvakou s’est développée du fait de l’exploitation forestière. Les activités commerciales et industrielles ont contribué au développement de certaines villes. Dolisie est née des activités d’exploitation forestière dans le Niari et dans le Chaillu. Traversée par le CFCO et la Route Nationale n°1, elle s’est progressivement développée. Nkayi doit sa naissance aux activités industrielles mises en place par les colons. Il s’agit de l’huilerie, de la sucrerie, etc. Pointe-Noire est la plate-forme commerciale du Congo. La présence du Port autonome conjuguée aux activités industrielles 115
a contribué à l’accroissement de sa population et à étalement spatial. Les villes à fonction administrative Ce sont des villes secondaires. Elles sont soit des chefslieux de département, soit des chefs-lieux de district (Kinkala, Boko, Ngabé, Ignié, Impfondo, Owando, etc.) Leur importance démographique et administrative fait d’elles des centres attractifs. Certaines d’entre elles sont aujourd’hui érigées en communautés urbaines. Il s’agit d’Oyo, de Pokola et de Mossendjo. Le dynamisme de ces villes dépend de leur accessibilité. Les agglomérations enclavées, notamment celles situées dans la Sangha, la Likouala et la Cuvette-Ouest sont les moins dynamiques. Les villes à fonction politique Au Congo, seule Brazzaville assure, outre ses activités administratives, la fonction politique. Elle abrite toutes les instances politiques et décisionnelles du pays : la présidence de la République, l’Assemblé Nationale, le Sénat, etc. Les leaders des partis politiques habitent pratiquement tous à Brazzaville. De par cette fonction, cette ville est un lieu sensible. La plupart des conflits politiques y prennent naissance. Cette analyse permet de comprendre que certaines villes sont multifonctions, d’autres, de création récente, exercent essentiellement les fonctions administratives.
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CONCLUSION Cette analyse montre la dynamique de la population congolaise en constante croissance. De ce fait, les jeunes forment le gros de la population. Et les problèmes cruciaux de santé, d’éducation et d’emploi sont massifs et urgents dans un tel contexte démographique. Par ailleurs, l’équipement et la modernisation du monde rural s’accélère. Dans son ensemble, le Congo s’oriente définitivement sur le chemin du dévoppement, fort de la paix sociale. BIBLIOGRAPHIE Anonyme, 2001, Les atlas du Congo, Jeune Afrique, 2ème édition. Berton-Ofouémé, Y., 1996, Produire, vendre et consommer les légumes à Brazzaville, Bordeaux, Université Michel de Montaigne, Thèse de doctorat unique de Géographie , Bordeaux (ronéo) Boutsindi Fr., 1983, Mouyondzi : étude géographique d’un centre urbain secondaire au Congo méridional, Thèse de troisième cycle, Bordeaux III (ronéo) Mengho B.-M., 1980, « L’habitat rural au Congo : reflet du milieu naturel, expression culturelle », Cahiers d’OutreMer, janvier-mars, n° 129, p. 65-86.
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Mengho B-M., 1984, « Ouesso, quelques aspects géographiques d’un centre semi-urbain au Congo », Cahiers d’Outre-Mer, juillet-septembre, n°37, p.235-255. Mengho B-M., 1989, « Centres urbains et péri-urbanisation au Congo : Ouesso et Owando », La péri-urbanisation des pays tropicaux, Bordeaux CEGET, p.159-173.
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Espaces tropicaux, n°1,
PARTIE III LES FONDEMENTS DE LA NATION CONGOLAISE
CHAPITRE 3 PREHISTOIRE CONGOLAISE : ACQUIS ET PERSPECTIVES par Frédéric OKASSA-LEBOA, avec la collaboration de Marcel IPARI INTRODUCTION Dans sa définition la plus simple, le terme préhistoire désigne toute la période qui vient avant l’histoire. De façon classique, cette période va des origines de l’homme qui, ellemême, est liée au commencement de la vie sur terre, jusqu’à l’invention de l’écriture. Celle-ci annonce les débuts de l’Histoire. La Préhistoire désigne alors une science, relativement récente, qui est née en France au cours du XIXe siècle, grâce à l’esprit curieux de quelques naturalistes, géologues, médecins, … Elle a pour objectif de parcourir le lointain passé de l’homme pour en reconstituer aussi bien les origines que l’évolution progressive sur plusieurs millions d’années. Théoriquement, les temps de la préhistoire s’arrêtent au moment où les hommes inventent l’écriture, soit entre 4000 et 3500 avant Jésus Christ, en Mésopotamie. Pour les sociétés comme les nôtres qui n’ont bénéficié que fort tardivement des textes écrits (fin du XVe ou du XIXe siècle, selon les régions, pour le Congo), la ligne de démarcation entre la Préhistoire et l’Histoire pourrait être la découverte des métaux ou la Protohistoire, soit entre 2000 et 1000 ans avant Jésus Christ. Au Congo, l’enseignement de la préhistoire a été introduit à l’Université depuis les années 1970 grâce au Professeur Théophile Obenga qui, après avoir créé le Laboratoire 121
d’Anthropologie et d’Histoire, affilié au département d’Histoire de la Faculté des Lettres et des Sciences Humaines de Brazzaville, avait confié à Raymond Lanfranchi, la mission d’y enseigner la Préhistoire. Aujourd’hui, quarante ans après, nous sommes à même de faire un premier bilan de l’évolution de la Préhistoire dans notre pays et en dégager les perspectives. I-Qu’est-ce que la Préhistoire ? Il y a, chez l’homme, le désir de conserver l’héritage aussi bien idéel que matériel des générations qui ont précédé. Ainsi par exemple, dès la haute antiquité gréco-romaine, certaines personnes se préoccupaient de rechercher et de collectionner des objets d’art ou d’architecture, afin d’en garder la mémoire ou le souvenir pour les générations à venir. Ces personnes qui s’intéressaient ainsi à une partie du passé de leurs ascendants étaient appelées des antiquaires. D’une certaine façon, on peut dire que ces personnes faisaient déjà une forme empirique de l’archéologie. Il fallut attendre la seconde moitié du XIXe siècle pour voir la préhistoire commencer à se structurer comme une science chargée de rechercher des preuves matérielles du passé lointain de l’humanité. Et de ce point de vue, on peut considérer le Français Jacques Boucher de Crèvecoeur de Perthes (17881868), comme le père fondateur de la Préhistoire, même si quelques précurseurs avaient déjà commencé à poser les jalons de ce qui était en train de devenir une nouvelle science. Parmi ces précurseurs, on peut citer l’Anglais Charles Lyell, les Français Jhouannet, Christol, Traulle, Tournal, … Le débat essentiel qui préoccupait tous ces pionniers de la Préhistoire était surtout de savoir si les hommes avaient vécu en même temps que les grands animaux disparus dont on 122
découvrait, de temps en temps, des restes osseux, mais qui, depuis fort longtemps déjà, avaient cessé d’exister en Europe. Aujourd’hui la connaissance du passé préhistorique (et même historique dans beaucoup de cas) se fonde sur une science appelée archéologie qui est la science des objets anciens ou des vestiges. Ce sont les archéologues qui recherchent les restes matériels de l’existence des hommes préhistoriques comme les outils de pierre taillée, les restes osseux, les tessons de céramiques ou les vases entiers, les structures (tombes, cimetières, villages, etc.). Pour rassembler ces preuves matérielles du passé, les archéologues organisent des opérations appelées fouilles archéologiques qui consistent à décaper le sol pour rechercher les vestiges enfouis.
Photo : La fouille archéologique : décaper le sol pour retrouver « sous nos pieds » les témoins matériels des hommes du passé
1-La préhistoire au Congo : l’historique Les premières trouvailles des témoins matériels du passé préhistorique de notre pays remontent à la période des 123
explorations, c’est-à-dire à partir du dernier quart du XIXe siècle. Depuis, plusieurs sites ont été repérés sur l’ensemble du territoire congolais. Genèse des études de la préhistoire du Congo de 1887 à 1928 : l’apport des amateurs et des érudits L’étude de la préhistoire du Congo a connu quatre étapes dans son histoire entre les premières découvertes en 1887 et le début des années 1980, au départ du dernier préhistorien en poste à l’Université Marien ngouabi et sur le terrain. La première découverte des outils en pierre taillée au Congo remonte à 1887 dans la région de Boko-Songho. Il y a un lien avec la découverte, deux ans auparavant, sur la rive droite du fleuve Congo, par le Capitaine Zboinsky (1897-1998) des outils taillés au Congo belge, à Manyanga. Sur le même relief de la rive droite du fleuve Congo, face à Manyanga, Edouard Dupont (1889) découvrit, en 1887, les premiers outils. Evoquant dans ses lettres, un retour de Boko-Songho, les 20, 21 et 23 novembre 1887, il note un utile crochet à Manyanga, mais sur la rive droite du fleuve Congo où il fit la découverte : Je ne regrette pas ce crochet ; il m’a fait connaître la présence de gros et nombreux blocs de quartzite brun (…), des fragments de ce quartzite ont été taillés en forme de haches par les anciens indigènes tant sur les plateaux que dans la vallée en face de la station. J’ai en outre recueilli, en dernier point, une jolie pointe de flèche en quartzite. Ces débuts de la Préhistoire du Congo sont excellemment décrits dans la thèse de Raymond Lanfranchi (1979). Au début du XXe siècle, il y a eu la description en 19061907 par J. M. Bel, un ingénieur des mines d’une hache polie en 124
grès calcaire à tranchant poli dans la région de Boko-Songho. Des missions de prospections préhistoriques ont été effectuées par H. Lagotala de 1928 à 1932 dans la région de Mindouli, de la rivière Kingoyi à Moubiri, le long de la rivière Loukouni. De nombreuses pièces sont trouvées : des bifaces plus ou moins grossiers, des haches grossières, racloirs et un galet aménagé. On signalera évidemment l’événement majeur dans l’archéologie du Congo qu’a constitué la construction du chemin de fer CongoOcéan, le CFCO, entre 1921 et 1934. Elle a permis la découverte de centaines de sites préhistoriques, tout au long du tracé ferroviaire ou à l’occasion d’opérations de terrassements transversaux au tracé. Il convient ici de souligner le fait que chaque kilomètre de terre remuée, requérait les observations préalables d’un géologue ou d’un ingénieur avisé en préhistoire, avant la poursuite des travaux. Des fouilles de sauvetage étaient menées, dirigées par des spécialistes mandatés par l’administration coloniale. Ces mesures d’archéologie préventive financées par un budget allaient jusqu’à la suspension momentanée des travaux, le temps d’exhumer méthodiquement ce que l’on considérait comme le plus ancien patrimoine culturel du Congo. La préhistoire du Congo : de la création de l’Institut d’Etudes Centrafricaines à l’indépendance (1928-1960) Un véritable lancement institutionnel de la préhistoire au Congo est advenu avec la création de l’Institut d’Etudes Centrafricaines (ancêtre de l’Université Marien Ngouabi) où un poste de préhistorien est occupé par Georges Bergeaud de 1929 à 1947. Dans le même temps, des spécialistes de la géologie et de la préhistoire de renom font leur apparition au Congo : Gabriel Droux, Victor Babet et J. Lombard. Pendant une vingtaine d’années, ils vont poser les bases de la préhistoire du Congo, en 125
sillonnant le pays du sud des Plateaux au Kouilou à travers le Pool, la Bouenza, la Lékoumou et le Niari. Mais ce fut également la période d’aménagement d’importantes infrastructures portuaires et urbanistiques aussi bien à Point-Noire, capitale du Moyen-Congo que dans Brazzaville, capitale de l’AEF. A Pointe-Noire d’abord, des recherches archéologiques furent programmées par Lombard. Dans le site de NDjindji, vers 1 à 3m de profondeur, 20 bifaces, 1 pièce foliacée, des lames, des éclats, des nucléus sont découverts. La couche profonde de 3 à 6m a livré des éclats, des lames, des nucléus, des bifaces, des pointes grossières et de petits tranchets. Au Kilomètre deux : entre 1 et 2,50m : bifaces, pièces à arêtes tranchantes, lames. Le terme « Toumbien » inventé par Oswald Menghin, en 1925, est utilisé pour la première fois pour caractériser les outils du littoral au Congo. De Mindouli à Madingou, Georges Bergeaud a réalisé des prospections et recherches entre 1932 et 1936, en installant son camp de base sur le Pic de Comba devenu à partir de 1937 une destination de prédilection pour les colons venant de Brazzaville, de Pointe-Noire, des autres localités du Moyen-Congo, voire de l’AEF dans une sorte de pèlerinage institué, aux allures d’un « voyage au pays de la préhistoire » jusqu’à l’avènement de l’indépendance. Ces promenades avaient pour objet, pour de nombreux colons, la constitution des collections de beaux objets en pierres taillées. Dans la même période, c’est encore une fois la région de Boko-Songho qui éveilla la curiosité des Congolais instruits et surtout des colons implantés au Moyen-Congo avec la découverte de 30 stations préhistoriques que G. Droux assimile à 126
de « véritables villages » qui sont décrits et diffusés sur la préhistoire du Moyen-Congo, en AEF. En 1935 Georges Bergeaud découvre à Brazzaville le gisement de la pointe de Bacongo, accessible uniquement en basses eaux. En 1941, Droux découvre dans le niveau de 20m, dans la deuxième couche appliquée sur le cailloutis et ravinée par endroits : de grands éclats sommairement retouchés, des pics courts, des masses triédriques, des percuteurs et de gros nucléus épais discoïdes ou irréguliers. « Ce sont là, écrit-il, très certainement, les plus vieux cailloux taillés trouvés à ce jour in situ au Congo-français » (G. Droux, 1951). Il est désormais admis qu’il y avait un passé, une histoire du Congo antérieure à l’expansion des populations bantu et à l’avènement des royaumes. Avec peu de fouilles effectuées, les datations concernent rarement les sols d’occupation des sites plus anciens. Par conséquent, ce passé qui remonte à 10 000 ans avant notre ère ne concerne que les rares datations obtenues sur des niveaux qui ont livré des matériaux organiques. On retrouve ainsi dans tous ces sites du Congo, des galets aménagés, non datés. Leur antériorité remonte en Afrique à plus de 2 millions d’années dans des sites datés. Mais, depuis la découverte de ces sites en 1935, l’étude et la publication des premières données en 1941, par Droux, aucune recherche nouvelle n’a été entreprise pour confronter ces données, en dépit de l’invention des méthodes de datations dans les années 1950. En 1936, le gisement de Mpila fut découvert par Victor Babet. Dans la couche de base au niveau du cailloutis, il trouve des bifaces, des pics, des armatures de lance, de petits tranchets. Dans la zone du port, de nombreux coups de poing et vers le nord, dans la même couche, une aire d’occupation recèle de nombreux déchets de taille et objets terminés : bifaces, ciseaux, 127
armatures foliacées, polyédriques :
tranchets,
amandes,
lames,
nucléus
L’intérêt de la berge de Mpila est l’existence de pierres en place dans une assise géologique (…). Les pierres taillées sont disséminées dans la partie supérieure de la couche de cailloutis dont les premiers éléments (grès, quartzite, roches siliceuses polymorphes) ont servi de matière première (V. Babet, 1934). A 1 kilomètre au nord du port, d’autres gisements sont signalés dans une dépression, aux abords d’un ruisseau qui a fait son lit dans un sol argileux, au sable jeune. Deux industries lithiques s’y mélangent : bifaces, outils carénés, armatures foliacées, « haches-tranchets », gros tranchets, pics, une amande, des percuteurs (dont un en quartz rose), nucléus (polyédriques, discoïdes bombés, discoïdes plats), de nombreux éclats retouchés. En dessous, une autre industrie plus volumineuse roulée et d’un aspect plus archaïque. Ce sont des pièces grossièrement appointées, des bifaces frustes, des nucléus discoïdes épais, de larges hachereaux, des pièces à face plane ou bombée à débitage Levallois. Le site de la Pointe hollandaise fut découvert par Georges Bergeaud en 1936. C’est la partie avancée de la falaise rocheuse bordant le fleuve Congo de Mpila à l’embouchure du Djoué. Pendant la construction du port de Brazzaville (1938-1939), un terrassement à une hauteur de 7m de la surface au substratum. Une coupe stratigraphique par G. Droux présente 8 horizons géologiques avec 3 couches archéologiques. Quelques outils et éclats à la même altitude de 2 à 3m (de la surface) qu’aux ateliers de Mpila dont cette pointe est le prolongement. La deuxième 128
couche a une industrie riche en lames, pièces foliacées, bifaces, pics, proche de celle de la pointe de Kalina. La troisième couche archéologique, sur tout le cailloutis, a une industrie plus archaïque, avec trois entités, d’après Droux qui distingue 1- un ensemble rare à arêtes vives composé d’amandes, d’armatures foliacées et de haches rappellent la première industrie de gisement de Mpila. 2- un deuxième ensemble très abondant, usé à éclats Levallois, de petites lames et de gros outils à taille unifaciale : hachereaux, gros tranchets, nucléus allongés et bombés. 3- une multitude d’objets fortement roulés, de grandes dimensions et d’aspect grossier. Cette coupe stratigraphique est le premier relevé précis d’un site archéologique à Brazzaville. Le gisement de la Mpumu, un petit affluent de la rive droite du fleuve Congo au bord du plateau de Mbé, découvert par J. Lombard en 1931 est localisé 60 km de Brazzaville. Le niveau archéologique est compris dans les cailloutis en grès polymorphe. Des pointes triédriques grossières, un fragment de poterie (J. Lombard, 1931). En prospectant le flanc ouest de la vallée, Lombard avait trouvé en surface un grattoir retouché. En 1950, Pierre Leroy succède à Georges Bergeaud en qualité d’Attaché à la préhistoire à l’Institut d’Etudes Centrafricaines. Il entreprend de nouvelles études sur les gisements de Brazzaville. Des travaux méthodiques sur la stratigraphie de l’ensemble des sites de Brazzaville sont relancés. Une coupe profonde de 8m est réalisée sur un canal perpendiculaire à la berge du fleuve Congo, par le CFCO, près du nouveau port. Le soubassement est en grès. Le niveau de base A recèle des outils du Old Stone Age, aux formes acheuléennes. Le niveau B contient de nombreux outils frais, peu patinés. Il est rattaché au Sangoen de l’AEF. Des pics, des têtes de lance montrent une tendance à la miniaturisation progressive des outils. 129
Le sommet du niveau C a un outillage complexe, plus évolué. Il y a du Lupembien, avec des armatures foliacées (feuilles de saule, et de laurier), armatures de flèche de petites dimensions, de nombreux tranchets, des lames, des disques, du petit outillage tendant vers le Tshitolien. Le gisement d’Owando (Fort-Rousset) fut découvert en 1954 par Mgr Bodowesse, berge de la rivière Le Kouyou. Ces objets lithiques furent confiés à l’Abbé Henri Breuil. Un horizon jaune compris entre une couche sableuse et de la latérite (H. Breuil, 1955 : 7-11). L’industrie est divisée en trois groupes du plus récent au plus ancien : le troisième groupe recèle un objet peu altéré, affilié au Tshitolien. Le deuxième groupe a des objets à angles vifs rattachés à un médiocre Lupembien inférieur. Le premier groupe composé d’objets patinés altérés rattachés au Sangoen. Du relai pris par l’ORSTOM à la création du Laboratoire d’Anthropologie et d’Histoire, de 1962-1972 à 1982. Le gisement de Mafamba, à 20km au sud de Ngabé, a été découvert par Jean-Pierre Emphoux, préhistorien nommé au Centre ORSTOM de Brazzaville de 1962 à 1972. Trois niveaux archéologiques : le niveau A est composé de fourneaux de pipes, de deux types de goulots de gargoulettes, des tessons de poterie, des pendentifs. Le niveau B n’a que quelques fourneaux, une panse de pot, un fragment avec anse. Le niveau C contient du matériel lithique : des pièces à taille unifaciale et presque toutes provenant d’éclats, des lamelles, des grattoirs et une industrie microlithique : des pièces en totalité inférieures à 8cm (J. P. Emphoux, 1965). 130
La grotte de Bittori, au bord de la forêt de Bangou, fut découverte et fouillée par J.P Emphoux de 1966 à 1967 sur la rive gauche du Niari, à deux kilomètres au sud du village de Meya près de Kindamba. 24000 pièces lithiques dont 110 nucléus, 25 petits bifaces. Des coquilles de gastéropodes, de la faune, des restes humains. Datations au carbone 14. Niveau 14. Tests de gastéropodes : Gif 460 : 3930 -+ 200 ans. Niveau 17 : charbons de bois, Gif 459 : 4060 -+ 200. La grotte de Biala fut découverte par J. P. Emphoux en 1969, près du village Bihoua, à environ 30km au sud de Sibiti sur la route Sibiti-Loudima. Un couloir central (tunnel) de 2 à 3m de large sur 3 à 4m de haut. A partir de 60m, abaissement du plafond. Un ossuaire au fond de la grotte et dans un diverticule qui lui fait face. Trois amas osseux. Entre ces amas, quelques ossements épais de crânes privés de mandibules. Des os longs privés d’épiphyses. Les deux crânes ont subi un agrandissement du trou occipital. Les sondages ont permis de découvrir 2 fragments de fer cylindrique (16cm) et triangulaire (3cm), une pointe de flèche. Emphoux pense que les occupants appartiendraient à la deuxième vague d’immigrants bantu. Datation de la couche inférieure « 1310-+ 100, entre 540 et 740 après Jésus Christ ». Notons que cette grotte de Biala avait été reconnue par une mission de prospection archéologique réalisée en 1982 par Aimé Manima-Moubouha et Marcel Ipari. Les habitants de Bihouha reconnaissent cette grotte sous le nom de « pierre de Saasa ». La mare de Moussanda est un site découvert par J. P. Emphoux près du village de Moussanda, à 10 km au sud de Mouyondzi, sur la route de Mouyondzi à Bouansa, à une altitude de 600m. Paysage de savane arbustive. La mare, une dépression circulaire de 100m de diamètre, aux pentes douces. Sommet à 3m 131
au dessus du niveau de l’eau. Carrière d’exploitation d’argile à briques par les villageois à un kilomètre du site. Fouilles sur 6m2 découvrant 5 horizons stratifiés de 0 à 85 cm. Le quatrième horizon (archéologique) est 80-85 cm. Sur la pente comme sur le sol horizontal, le nombre de pièces lithiques recueillies est identique : 65 à 72 pièces/m2. Datation Gif : 6600 -+130 B.P. L’abri sous-roche de Ntadi Yomba fut découvert par le R. P. Bède, en 1969. Il est situé à 6km de Bouansa, en direction de Kimbanza-Ndiba. Fouilles de Lanfranchi, de 1976 à 1978. Un abri rocheux long de 10m. Profondeur du remplissage sédiment logique 1 à 4m. En septembre 1976, une coupe stratigraphique permit à Raymond Lanfranchi de mettre en évidence deux couches. Octobre 1977, début des fouilles avec Roger de Bayle des Hermens. 9m2 sont ouverts. 4 foyers sont découverts. Présence de trois peintures rupestres. Une à l’ocre rouge. Les deux autres sont en noir. Découverte également du rhinocéros, faune soudanienne disparue au Congo. Recherches dans le domaine archéologique de BangouBittori, Meya-Djouari/Malala, 1987-2007 Le val de Louolo a été fouillé par Frédéric Okassa Leboa, plus de 20 ans après les fouilles effectuées par Jean Pierre Emphoux. L’étude préliminaire de Meya-Djouari et Malala a livré des données qui valideront les conclusions sur Bittori. II-Le paléolithique au Congo On entend par paléolithique, l’âge ancien de la pierre taillée ou la phase des premières transformations de la pierre en outils par nos lointains ancêtres. Selon le degré d’évolution de cette transformation, les chercheurs ont été amenés à distinguer trois périodes à l’intérieur du Paléolithique. C’est ainsi qu’on a un Old 132
Stone Age (O.S.A), un Middle Stone Age (M.S.A) et un Later Stone Age (L.S.A). L’Old Stone Age (O.S.A) Correspond au préacheuléen et à l’acheuléen que certains auteurs ont appelé Kafuen et Oldowayen notamment en Afrique de l’Est et même dans l’ancien Congo belge. L’industrie préacheuléenne et acheuléenne est caractérisée par des galets aménagés. Le Middle Stone Age (M.S.A) Quelques sites congolais ont déjà livré du matériel lithique attribuable à cet âge moyen de la pierre. Dans les environs de Ouesso par exemple, à la faveur des travaux d’aménagement routier, il a été mis à jour un matériel composite témoignant du M.S.A : pièces bifaciales, percuteurs, galets aménagés, nombreux éclats de débitage, … Le gisement le plus expressif du M.S.A congolais est celui de Mokeko. Mokeko a livré des pics, des galets aménagés, des pièces bifaciales, des racloirs, des nucléus divers (discoïdes, irréguliers, à plan de frappe), un couteau, des pièces à coches, etc. Un important volume d’éclats et de fragments d’éclats (environ 97,1% de l’ensemble du matériel collecté) semble indiquer que ce site a été un atelier de débitage. Dans la région de Brazzaville, le M.S.A est beaucoup plus composite. Il y a des bifaces aux formes lourdes, des pièces plates qui préfigurent déjà les pointes. Il y a aussi des racloirs frustes, des grattoirs massifs, …. Aux alentours de Bouansa, des sites de surface ont fourni du matériel que l’on pourrait ranger dans le M.S.A. Toujours dans la vallée du Niari, le site dit du Kilomètre 13 situé entre Madingou et Nkayi, a donné un M.S.A essentiellement dominé par les galets aménagés tandis que les 133
pics sont absents. A l’inverse, d’autres gisements de la même zone ont fourni des pics, quoique dans des proportions relativement faibles. Il est probable, vu la grande dimension des outils, que le M.S.A ait été une industrie adaptée au travail du bois, autrement dit une industrie de type forestier. Le Later Stone Age (L.S.A) L’étude du L.S.A congolais regroupe deux industries du paléolithique supérieur qui sont le Lupembien et le Tshitolien. Elles se situeraient dans le temps entre -20000 et -2000 BP. III-Le Lupembien C’est une industrie qui semble s’être développée dans un contexte climatique particulièrement aride, avec un recul considérable de la nappe forestière. On assiste à un retour de la savane. Dans certains secteurs, celle-ci a parfois revêtu l’allure d’une véritable steppe, notamment dans l’actuelle zone des plateaux batéké. Les hommes lupembiens ont donc bénéficié d’un environnement suffisamment dégagé où les déplacements et la chasse étaient plus faciles. Il n’est donc pas étonnant que l’industrie lupembienne soit prioritairement tournée vers des armes de chasse : armatures dont certaines sont lourdes et épaisses et d’autres en forme de feuilles atteignant jusqu’à 20cm de long, pièces bifaciales, lames, pics, racloirs, grattoirs, etc. Les Lupembiens ont abondamment taillé la pierre comme en témoignent les nombreux éclats recueillis dans les gisements de Brazzaville.
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IV-Le Tshitolien Le terme Tshitolien désigne pour notre sous région d’Afrique centrale, la dernière industrie du paléolithique. C’est dire que vers sa fin, le Tshitolien sert de transition au néolithique. De façon générale, on pense que la civilisation tshitolienne s’est développée entre -12000 et -3000 BP, dans un contexte de regain de l’activité pluviale et d’un retour progressif de la forêt. La typologie de l’outillage tshitolien fait ressortir près d’une dizaine d’outils dont certains prolongent, en l’améliorant, l’industrie lupembienne qui a précédé, tandis que d’autres créent la spécificité tshitolienne. Tel est par exemple le cas des pièces bifaciales en forme de noyau de mangue. Apparues dès le Tshitolien ancien (gisement de l’ORSTOM à Brazzaville), soit vers -12000 BP, ces pièces ont également été retrouvées dans le gisement de Ntadi Yomba dont l’industrie est plus récente (-7000 BP). Une autre particularité du Tshitolien, c’est la grande profusion des "core-axes" qui auraient fait leur apparition à la fin du Lupembien, et que R. Lanfranchi décrit comme des « pièces bifaciales ou non, plus ou moins allongées et à bords souvent parallèles » (R. Lanfranchi, 1991 : 113). V-Le Néolithique Au Tshitolien succède le Néolithique qui marque la fin des temps préhistoriques, avant l’âge des métaux ou la Protohistoire. Des preuves probantes de la civilisation néolithique ont déjà commencé à être découvertes : c’est le cas des haches polies collectées en surfaces par F. Mabiala, puis par B. Pinçon et L. Mpika entre Ntombo Manyanga et Boko (Lanfranchi, op.cit, p. 171). Bernard Clist et M. –P. Jézégou préviennent que les fouilles réalisées en Afrique centrale, notamment au Cameroun, au Congo et en R.D Congo, ont montré qu’un « outillage sur 135
pierre polie est présent plus de 4 mille ans avant notre ère, et ce, dans un contexte Age de Pierre récent » (Bernard Clist et M. –P. Jézégou, 1991 : 165). Toutefois, mises à part les collectes de surface qui incitent à la plus grande prudence, les découvertes, en profondeur, de la céramique, confirment au Congo, une néolithisation certaine dont les autres aspects restent néanmoins à rechercher : pratique de l’agriculture et de l’élevage, par exemple. On doit à Lanfranchi et Pinçon la découverte, entre Ngo et Djambala, d’une céramique exhumée de 50 cm de profondeur, au gré des travaux routiers, en 1988. Elle a été datée de 2300 -+ 100 BP. Le site le plus important pour le néolithique au Congo est celui qu’a fouillé J. Denbow de l’Université d’Austin au Texas, à la fin des années 1980 : le site de Tchissanga, situé près de l’embouchure du Kouilou. Une série de 9 dates obtenues par la méthode du Carbone 14 (14C) donne une fourchette comprise entre 2880 -+ 90 et 2250 -+ 60 BP et réparties entre Tchissanga Ouest et Tchissanga Est. Le premier est caractérisé par une association céramique/lithique, tandis que le second associe à la céramique et au lithique, le fer. VI-Bilan et perspectives Les conditions pour un développement de la recherche en Préhistoire et en Archéologie sont réunies en République du Congo. Les sites connus sont nombreux et plus nombreux encore ceux qui restent à découvrir, à condition de multiplier les campagnes de prospection. La préhistoire et l’archéologie donnent toujours une solide et profonde assise à l’histoire d’un pays, partout dans lemonde. Le Congo a par conséquent un urgent intérêt à développer ces deux domaines en favorisant la formation des spécialistes, en finançant des programmes de prospections préhistoriques et 136
archéologioques sur l’ensemble du territoire national, en créant des musées nationaux et départementaux pour conserver les legs culturels. Des stes préhistoriques et archéologiques peuvent s’inscrire dans le patrimoine touristique du pays.
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CHAPITRE 4 LES PRELUDES HISTORIQUES : GENESES, MIGRATIONS, INSTALLATION DES PEUPLES par Abraham Constant NDINGA MBO Ce chapitre a l’ambition de déterminer les origines, lointaines et proches, des actuels peuples du Congo dont la diversité est aujourd’hui établie par les études savantes des archéologues, linguistes, anthropologues, ethnologues, sociologues… Il existe heureusement aujourd’hui une méthodologie fructueuse qui autorise cette exploration des temps immémoriaux, qui permet de révéler les phases successives du peuplement ancien de l’actuel espace du Congo, depuis la protohistoire jusqu’à l’installation des groupes ethniques actuels. On peut en effet faire appel à plusieurs disciplines, utilisées de façon croisée, dont notamment la linguistique comparée et historique, l’archéologie qui fournit des indications sur les anciens sites, les traditions orales, l’onomastique, l’anthropologie sociale… L’espace de la République du Congo est aujourd’hui majoritairement occupé par les peuples dénommés « Bantu » par les linguistes. Le terme « bantu » (qui est le pluriel du mot « muntu », signifiant « homme ») désigne un groupe linguistique qui s’étend depuis le sud du Cameroun, sur toute l’Afrique centrale et la plus grande partie de l’Afrique orientale et australe. De la similitude des langues (grammaire, vocabulaire et phonétique), on a conclu à l’unité de la civilisation et formulé l’hypothèse hautement vraisemblable, d’un vaste mouvement de peuples qui durait depuis plusieurs siècles. 139
D’après de savantes études des archéologues et linguistes, le centre de dispersion des Bantu, c’est-à-dire leur dernier habitat commun, serait le Cameroun, plus précisément le milieu des hauts-plateaux de l’ouest camerounais, connus sous le nom de Grassfields. C’est, pense-t-on, vers le début de l’ère chrétienne qu’ont comencé les migrations bantu. Elles ont été des migrations de masse, lentes, continues jusqu’à l’établissement définitif. Cela a dû demander plusieurs siècles avant la fixation, la stabilisation. Il est évident que les déplacements ne se sont pas produits partout au même moment, ni avec la même cadence, la même allure, le même rythme. Il y a eu nécessairement des décalages chronologiques, les nouveaux espaces occupés ne l’étant pas la même année, le même siècle. On imagine que les mouvements migratoires bantu primaires ont suivi les cours d’eau, contourné la grande sylve équatoriale, chassé les « Pygmées » (Aka ; Tswa ; Babinga…) pour les refouler dans la forêt, etc. Mais, la forêt n’est pas impénétrable. On a trouvé des objets lithiques préhistoriques dans les zones forestières en Afrique équatoriale. Il existe des civilisations de forêt : le cas des peuples maka (Kweso, Ndzem, Bekwel, Bomoali, Lino et Mpyemo), kaka (Paka et Pomo) et kele (Ndasa, Kota et Ongom) du Département de la Sangha. Les peuples bantu migrateurs n’ont pas tous suivi la ou les voies d’eau. Les nuances sont par conséquent nécessaires pour mieux étudier ce problème complexe des migrations et de l’expansion des Bantu. Bien sûr, il y a eu des barrières géographiques aux migrations des peuples « bantuphones » : la grande zone désertique le long du tropique de cancer, la ceinture de la forêt équatoriale qui s’étend vers l’est, pratiquement jusqu’aux rivages du lac Kivu et du lac Tanganyika. Entre la forêt et le désert, c’est la savane : la ceinture soudanique. Au sud de la forêt équatoriale, une savane similaire apparaît : la ceinture de la savane méridionale. Deux grasslands se rencontrent au 140
voisinage du lac Victoria. Tels sont les grands traits des régions qui ont connu les mouvements migratoires bantu primaires. Pour affronter les épreuves évidentes de cet exode, ces populations avaient des atouts considérables : la supériorité du nombre, la maîtrise de la technologie du fer (qui leur assurait la possession d’outils et d’armes en métal), la pratique de l’agriculture et de l’élevage. La région des grands lacs est considérée comme foyer protobantu, zone à partir de laquelle partirent les peuples parlant les langues bantu de l’actuelle République du Congo, qui peuvent être regroupés en quatre aires culturelles, à savoir les Teke, les Kongo, les Ngala et les Maka. L’extrême nord-est de l’actuelle République du Congo est occupé par des populations de langues dites « oubanguiennes » : les Bondjo, Munzombo, Ngbaka, Ngbaya et Imassa. Les traditions de tous ces peuples concordent sur un point : à leur arrivée, ils ont trouvé, installés, les Pygmées. Ceux-ci sont dénommés Aka dans la Likouala, Tswa sur les Plateaux batékés, Boongo dans la Lekoumou, Bambenga ou Bambinga dans la Cuvette congolaise, Akola dans la Cuvette-Ouest, Bayaka dans la Sangha. I - Les Tswa/Aka : l’histoire de leur peuplement Les Tswa existent aujourd’hui, raréfiés et discrets, parmi les Bantu, dans toutes les zones forestières du Congo. Ce type de société, caractérisé par un genre de vie particulier, est répandu par un saupoudrage discontinu, et non dru, sur presque toute l’Afrique, depuis certaines savanes du nord jusqu’aux domaines khoisan en Afrique du sud. Hérodote et les textes de l’Egypte pharaonique les nomment : le terme grec de « poing » « pygmée », s’est transmis jusqu’à nous sur 3000 ans. Leur habitat était alors plus étendu et sans nul doute un peu dense, 141
sans le pouvoir jamais être, car leur style même de vie comprend l’errance des campements de chasse et une essentielle extensivité. Ici dans la forêt congolaise, leur actuel habitat, nos chasseurs-forestiers dénommés Tswa, parfaitement adaptés à leur genre de vie, membres exceptionnels de l’écosystème forestier, représentent peut-être les suites des dernières civilisations microlithiques de la chasse. Au Congo, les Tswa qui en sont pourtant les premiers « maîtres », ont été refoulés par les Bantu, plus nombreux, dans les profondeurs des forêts. Ils sont effectivement aujourd’hui hommes de la forêt, chasseurs à la lance à manche de bois et armature de fer qui est leur arme topique. Mais aucune légende, aucun conte n’interdirait, bien au contraire, de penser qu’ils ont simplement changé leur lance de pierre en armature de métal au contact des Bantu. En fait, malgré un vaste système d’emprunts et d’échanges, il n’y a pas de véritable inter-culturation, et chacune des deux civilisations de la chasse, tswa, et des métaux, bantu, reste ellemême perméable et non métissée, osmotique mais non dialectisée, couplée mais non fusionnée. Il ne nous reste aucune trace de leur rencontre avec les hommes du fer. Aussi, est-il tentant de voir en eux les derniers « hominidés » dits Tshitoliens (selon la classification convenue des industries préhistoriques du bassin du Congo) passés au métal depuis l’arrivée des Teke, et sous leur influence. Bien sûr, les Tshitoliens ont pu s’éteindre d’eux-mêmes ou être supprimés par la première invasion des Tswa, ou par des peuples intermédiaires. Mais, aucune trace ne nous indique ni le premier, ni le second, ni le troisième cas de ces suppositions. Pas de disparition organisée, ni violente et aucun autre peuple n’a d’existence archéologique. Tandis que, si les Tshitoliens, atteints par la première vague migratoire bantu, ont 142
adopté les armatures de métal en lieu et place de leurs armatures de pierre, le silence archéologique est alors expliqué. Peu nombreux, disséminés dans les forêts, obligés par leur genre de vie à un véritable nomadisme, désavantagé par leur système de production, la chasse extensive, ils ont été dominés, submergés, asservis par les Bantu. La rencontre entre les Bantu et les Tswa ne fut jamais marquée par des heurts violents. Il convient de parler plutôt de contact de civilisations : celle des Bantu, porteurs de la civilisation du fer génératrice de l’agriculture, une civilisation essentiellement agraire qui a pris naissance au Néolithique ; et celle des Tswa, fondée sur le mode de production sylvestre, caractéristique du stade paléolithique. La vie d’un Tswa dépend de la générosité de la forêt qui met à sa disposition les produits de cueillette et de chasse ; le Tswa ignore l’agriculture et l’élevage et continue donc de vivre à la limite du Paléolithique. Généralement le terme « Néolithique » signifie l’âge nouveau de la pierre, et s’emploie pour désigner l’âge de la pierre polie. Mais, en réalité, la complexité actuellement connue exige de désigner par là la révolution agricole et artisanale des six derniers millénaires avant l’ère chrétienne. Cela se termine avec la « protohistoire » ou âge des métaux qui finit par l’invention de l’écriture où s’ouvrait anciennement l’histoire proprement dite, c’est-à-dire l’Antiquité : concept d’écriture-clé à abandonner pour l’Afrique ! A moins qu’une définition plus scientifique, large et nette, ne donne à ce mot évolué la valeur d’un nouveau concept. Le Tswa est constamment en quête de gibier et mène une vie errante liée aux caprices de la faune et de la forêt, alors que le Bantu est sédentaire sur des terres qu’il cultive. Il n’est donc pas étonnant que le Tswa trouve refuge dans la forêt, lieu de conservation le plus sûr des produits de cueillette et du gibier, abandonnant au cultivateur bantu la savane ou la plaine et les 143
cours d’eau qui ne représentent pour lui aucun intérêt économique immédiat. Ainsi, le recul des Tswa devant les Bantu ne s’expliquerait pas par le rapport de forces militaires, les Bantu munis d’armes en fer, et les Tswa armés de simples flèches en os d’animaux ; mais plutôt par le déséquilibre entre deux modes de production. En outre, cette fuite des Tswa devant les Bantu pourrait avoir pour cause le refus des Tswa de voir leurs mœurs polluées au contact de celles des Bantu. En clair, c’est un refus d’assimilation culturelle. Il y a donc contour de civilisation, mais ni guerre, ni violence, ces vocables devant être réservés aux agissements des États à partir du Néolithique prestataire. En réalité, la rencontre des Tswa et des Bantu, donc la rencontre entre deux modes de vie, a été un événement fondamental dans l’histoire du Congo, mais n’a pas dirimé entre eux : il y avait de la place pour tout le monde. Là où les Tswa ont préféré garder le contact avec les nouveaux venus, ils ont subi un processus de domination et même d’asservissement. Nous nous en sommes convaincus en enquêtant dans la forêt inondée de Manga, arrière-pays de la Likouala-Mossaka où ils sont appelés « Assuma » et dans la zone forestière de Mbomo, pays mboko, où ils sont appelés « Akola ». Mais, contre ses prestations de chasse et de travaux (la récolte de miel par exemple) qu’il concède et calcule à son imprévisible manière, le Tswa obtient des objets et services issus de l’autre mode de vie, lui évitant la peine de s’y conformer. Premier occupant ainsi reconnu par les peuples bantu et maître de toutes adaptations à ce milieu - périlleux pour les Bantu - qu’est la forêt, il est en somme considéré comme un ancêtre, ou un lien aux génies des plus anciens ancêtres. Il est le maître supposé des mystères difficiles, et pour cela, révéré et craint par les Bantu. C’est lui que l’on vient consulter quand toutes autres pratiques médicinales ou sacrales ont échoué ; et ceci n’est pas 144
un servage banal. Dans le monde du village, du plein jour et de la pleine lumière, le Tswa est serf ; au naturel de la forêt, dans l’univers de l’ombre nocturne, du mystère, le Tswa est « premier ». Il est en quelque sorte un ancien, diminué et vénéré/bousculé, lié à l’outre-monde. Peuple à part, mais en symbiose parfois d’une civilisation de plein exercice, dominé souvent, mais plus adroit et à l’aise que ses « seigneurs » bantu dans la grande chasse difficile et dangereuse en forêt, meilleur pisteur, meilleur archer, meilleure lance, meilleur rabatteur, meilleur « débrouillard », capable de disparaître dès le moindre couvert sans odeur, sans bruit, sans trace, sans colère, le Tswa est suradapté, et personne ne peut survivre longtemps sans lui à une aventure malaisée en forêt. Si nous pouvons ainsi poser que les Tswa sont les premiers habitants du Congo, il nous est impossible pour le moment de dire de quelle région d’Afrique ils seraient venus. Du Kenya où fût le berceau de l’humanité ? Ou des sources du Nil où, au Ve siècle avant l’ère chrétienne, Hérodote relate leur existence ? On ne sait. D’après les traditions orales partagées par les Mbosi et les Kongo notamment, au-dessus de cette strate, se seraient installés les Teke, a nga tsye, « les maîtres de la terre ». II - Migrations et installation des Teke au Congo Les Teke et leurs cousins linguistiques, semblables et assimilés, sont une immense population disséminée dans les savanes et les forêts, depuis le pays douma vers le MoyenOgooué jusqu’au pays dzing au centre de la République Démocratique du Congo. Voici, répertoriés, pour le CongoBrazzaville, les groupes ethniques teke : Aboma (Aboom), Antsintseke, Andzindziu, Ngungwoni, Nziku, Kukuya, Fumu, Mfumunga (Wumbu), Tsayi, Tsangi, Nzabi, Lale, Yaka, Ambamba, Mbeti, Tege, Angangwel (Bangagoulou)… 145
Le monde teke se présente comme une lentille. La forme que sur la carte prend le peuplement teke nous a aidé à découvrir une chronographie relative. On peut encore la commenter comme indiquant, peut-être, le sens de la marche historique du peuplement et de l’installation. Si l’on résume la place des peuples apparentés en ces langues, elle s’étale comme un clou dont la pointe serait le pays dzing en plein cœur de l’actuelle République Démocratique du Congo, entre les peuples forestiers du nord et les ensembles kongo, tshokwe, kuba et luba des savanes du sud. Le corps s’élargit un peu vers l’ouest/nord-ouest. De l’autre côté du fleuve Congo, toute la savane des plateaux sous climat forestier, toute cette savane pluvieuse et humide où la perméabilité des grès du bassin tertiaire détermine des manques d’eau à chaque arrêt des pluies, est l’habitat teke le plus typique et fut le centre du royaume, au Congo-Brazzaville d’aujourd’hui. Mais plus à l’ouest, la tête du clou, brusquement élargi, s’étale contre la barrière des monts enforestés du craton paléozoïque, depuis les Nzabi au sud jusqu’aux Kota et Bekwel du nord. Cette forme de clou ne doit pas être interprétée comme une tête de peuplement d’où une pointe aurait giclé entre d’autres peuples, vers l’est/sud-est. Car les traditions indiquent au contraire que l’ethno-genèse des peuples teke s’enracine depuis la pointe orientale vers son éventail de l’ouest. Le monde teke a son regard réellement tourné vers l’est. Bénéficiant des possibilités que leur conférait la possession d’armes et d’outils en fer, les Teke se seraient lancés dans une longue marche séculaire, empruntant les lignes de moindre résistance. Grâce aux haches et les herminettes du Néolithique, ils se seraient lancés à travers l’épaisse mer verte que constitue la forêt équatoriale, en suivant probablement les cours de l’Oubangui et de la Sangha, jusqu’au fleuve Congo, et de là jusqu’à la zone des savanes où on les trouve aujourd’hui. Ils durent peut-être aussi emprunter la voie orientale qui, suivant la 146
crête montagneuse qui jouxte à l’ouest le chapelet des grands lacs, débouche sur le haut plateau katangais, en pays luba aujourd’hui. Dans leur phase de fixation, il est probable que les Teke aient été jusqu’à la grande forêt de l’ouest du Congo. Puis, arrêtés par celle-ci, ils durent opérer des mouvements secondaires de retour en arrière. 1-Chronologie de l’installation des Teke au Congo Si l’on retient que les grands mouvements migratoires initiaux des peuples bantu, au sortir du Néolithique, ont vraisemblablement eu lieu au premier siècle de l’ère chrétienne, avec le développement de la métallurgie en Afrique centrale et ses effets subséquents, il n’y a pas de raison historique à ne pas poser que les Teke ont occupé leur habitat actuel depuis fort longtemps, peut-être dès les IIe et IIIe siècles de l’ère chrétienne. On peut admettre une marche des Proto-Teke avant l’ère chrétienne, une fixation au début de cette ère, et les résultats de l’implantation réussie s’accumulèrent jusqu’à se multiplier en royaume dans les siècles suivants, entre le Ve et le Xe siècle. Ce mouvement primaire de la société teke reste mal aisé à circonscrire dans ses débuts, à suivre dans son développement qui n’a pas manqué de comporter des écarts, des reculs, des points de rupture car rien n’est linéaire en la matière. Du moins, ce mouvement doit-il correspondre à l’Age du fer en Afrique centrale. Historiquement, nous pouvons donc dater l’émergence, l’apparition du royaume teke dans les trois premiers siècles de l’ère chrétienne. Du IIIe au XVIe siècle, ce royaume va se développer avec éclat, jusqu’à la traite négrière atlantique, puis la dramatique colonisation que démarra Pierre Savorgnan de Brazza à la fin du XIXe siècle par ses voyages successifs en pays teke 147
(Ogooué, Haute Alima, Mbé, Mfoa…) et par la signature d’un « traité » avec Onkoo Iloo, le 3 octobre 1880. Schématiquement, voici la chronologie des migrations teke : le premier âge : ca. 2000 avant notre ère Les proto-Teke auraient pris part aux premières migrations bantu qui se seraient déroulées probablement 1000 ans avant l’ère chrétienne, en contrecoup de la désertification du Sahara qui eut lieu à partir du troisième millénaire avant l’ère chrétienne. Conséquences logiques de cette désertification qui eut lieu vers 5000 ans avant l’ère chrétienne : les pasteurs, guerriers nés, durent donc bousculer les sociétés sédentaires installées plus au sud, en zone de savane. Et cet accroissement de la densité de population de la savane dû à cet émigration, et aussi certainement à l’adoption de l’agriculture en ces années, a dû inciter certains peuples bousculés à rechercher de nouvelles terres plus loin, vers le sud, vers la forêt qui semble avoir été jusque là (premiers siècles de l’ère chrétienne) le domaine presque exclusif des Tswa/Aka, et surtout vers les savanes du sud du bassin du Congo favorables à l’agriculture ; le second âge : les 10 premiers siècles de notre ère Cet âge marque le début de la proto-histoire teke qui se caractérise par la fondation du royaume. C’est d’ailleurs la période de l’émergence en Afrique centrale de tous les royaumes et empires connus aujourd’hui. Cette émergence est certainement la conséquence d’une révolution socio-technique des Bantu à la suite de leur expansion. Très tôt ces peuples, au terme de leurs pérégrinations, comprirent l’intérêt économique, militaire et sacral de s’organiser en chefferies, puis en royaumes. Les savanes furent des zones par excellence où émergèrent de larges Etats avec gouvernement central fort : c’est le cas du royaume 148
teke. Il y a certainement à la base de la fondation du royaume teke, non un chef de guerre ambitieux, mais plutôt le rayonnement « religieux », « mystique » d’un homme, probablement faiseur et vendeur de pluies : fait non négligeable lorsqu’il s’agit de l’habitat teke. La tradition orale teke d’ailleurs ne conserve aucune trace de grand conquérant militaire. Le très célèbre Mubie ne fut-il pas celui qui délivra, grâce à sa puissance « religieuse », le plateau kukuya des léopards, véritable fléau ? Il rayonna par la suite sur tous les plateaux voisins ; - le troisième âge : entre le 10e et le 17e siècle On ne peut guère être précis sur la date de fondation du royaume teke. Cependant, le fait qu’à l’arrivée des Portugais à la fin du XVe siècle parvint à la Côte atlantique l’écho de sa récession (dans les titulatures des Mani-Kongo, Onkoo apparaît comme vassal), nous pousse à croire que certainement deux à trois siècles plus tôt, il aurait connu son apogée. En ces siècles, Onkoo dut rayonner jusqu’aux contreforts du Mayombe vers le sud-ouest, et jusqu’à la Cuvette congolaise vers le nord-est. Et à partir du XVIIe siècle, Onkoo paraît ne plus rayonner jusqu’à ces limites extrêmes parce que des peuples nouveaux frappent aux portes du royaume et y pénètrent librement, car le royaume n’est pas un Etat à base militaire avec des forces armées aux frontières. Il s’agit précisément : - des invasions fang, kota, bekwel au nord-ouest ; de la « pénétration » remarquable à partir du nord, en suivant les cours de l’Oubangui, de la Sangha et du Congo des Bobangi lato sensu ; de l’ « assaut » de la Cuvette congolaise mené par les Mbosi lato sensu à partir de l’est, plus précisément la boucle du fleuve Congo, aujourd’hui pays mongo et ngombe.
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Il est certain qu’en contrecoup, ces immigrations occasionnèrent le « recul » des Teke à l’intérieur des frontières royales. Les installations des Kongo au sud et des Ngala au nord eurent lieu au cours de ces siècles. 2-Le recul teke Toutes les traditions orales s’accordent sur le fait qu’i n’y avait jamais eu de conquête militaire du pays teke par les Kongo par exemple. Aucun conte, aucun adage, aucune chanson héroïque ne l’évoque : pas de bataille rangée entre les Kongo conquérants et les Teke défenseurs de leurs terres. Si guerre il y avait, ce n’était que des raids de rapines momentanées qui n’avaient alors souvent pour finalité que l’acquisition d’un butin. Après la campagne de razzia, les Kongo regagnaient leur pays. Ces faits ont été effectivement rapportés par Filippo Pigafetta et Duarte Lopes à la fin du XVIe siècle dans leur Relatione6. Pas de guerre de conquête ou de défense de territoire ici. Le bassin du Congo remplissait (et remplit encore aujourd’hui) les conditions favorables à la vie et à l’installation sans heurt d’un million d’hommes : espace immense, flore et faune abondantes, climat clément. Seule l’hospitalité présidait à l’installation des étrangers. Il est plus juste, comme le disent tous nos informateurs teke ou kongo, de penser que les Kongo avaient occupé le pays teke par infiltrations successives. Aucun obstacle majeur n’empêchait en effet des Kongo à la recherche de meilleurs terroirs, de déborder leur regnum et de s’implanter en pays teke voisin et si
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Pigafetta F. et Lopes D., 1591, Relatione del Reame di Congo et delle circonvicine contrade Tratta dalli scritti e ragionamenti di Odoardo Lopez Portoghese., Roma. Traduit de l’Italien par Willy Bal (1963) sous le titre : Description du royaume de Congo et des contrées environnantes, Louvzin – Paris. Réédité en 2002, Paris, Chandeigne, p. 32.
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proche ; et la traite négrière n’avait fait alors qu’amplifier le mouvement. Conséquence naturelle : lorsque les Teke s’étaient sentis un moment donné environnés de toutes parts, submergés par ces « étrangers », ils avaient préféré « plier bagage » et se retirer vers les plateaux du centre de l’actuelle République du Congo qui portent aujourd’hui leur nom, « Plateaux batékés ». Les Kongo s’étaient engouffrés d’ailleurs dans un pays profondément désorganisé par la traite négrière. Son intensité aux XVIIe-XVIIIe siècles avait dû obliger les Teke des marches périphériques du royaume (qui n’ont jamais constitué un bouclier aux lances des probables envahisseurs) à aller chercher refuge sur les actuels « Plateaux batékés ». Le vrai problème serait de mesurer la vitesse et les quantités de ce renversement Le recul des Teke devant les Kongo s’explique tant par des facteurs historiques, la traite négrière, que par la non-adaptation de leurs us et coutumes à celles des Kongo. En effet, le contraste des coutumes et tempéraments a fait qu’ils avaient reculé comme pour s’enfermer dans leur « puritanisme » traditionnel. Les relations de voyages des Européens renseignés par les mubiri (commerçants en provenance du royaume de Loango qui fréquentaient périodiquement les foires du Pumbo, actuel Stanley-Pool) et les pombeiros (commerçants en provenance du royaume de Kongo) nous confirment qu’aux XVIe et XVIIe siècles, le royaume teke s’étendait jusqu’au Manyanga, et même jusqu’au pied du Mayombe. A l’arrivée en 1880-1882 du Père Augouard, il y a très peu de Teke au sud du Nkuna (actuel emplacement de Brazzaville), au-delà de Nganga-Lingolo. Les marches sud avaient été submergées par les Kongo. On peut visiblement se convaincre que du XVIIe au XXe siècle, les Teke avaient perdu un important territoire de plusieurs jours de marche. La toponymie (noms des cours d’eau, de forêts, de plaines…), les îlots de villages teke en pays kongo (district de 151
Boko), laari (Linzolo), hangala (district de Mindouli), nsundi (district de Kindamba)… témoignent aujourd’hui de l’ancienne occupation des actuels Départements du Pool et de la Bouenza par les Teke. Il reste ainsi à savoir où étaient précisément les Kongo aux e XVI , XVIIe et XVIIIe siècles ; quand, dans quelles circonstances et comment vinrent-ils dans le Pool, la Bouenza et le Niari notamment ? III - Migrations et installation des Kongo au Congo Kongo, c’est le nom d’un peuple d’aujourd’hui plus de cinq millions de personnes étalé de Luanda au Pool sur trois Etats : République Populaire d’Angola, République du Congo et République Démocratique du Congo. Voici, répertoriés, pour la République du Congo, les groupes ethniques kongo : Vili, Yombe, Kunyi, Bembe, Kenge, Kamba, Dondo, Hangala, Nsundi, Laari, Kongo, Nyanga… Kongo est connu dans l’histoire également comme un puissant royaume que l’on pourrait circonscrire dans le nord de l’actuelle République Populaire d’Angola : il s’étendait de l’océan atlantique à l’ouest à la rivière Kwango à l’est ; et du fleuve Congo au nord jusqu’au Pool à la rivière Kwanza au sud. Il comprenait à l’arrivée des Portugais à la fin du XVe siècle (1482) six provinces : Soyo, Mbamba, Mpemba, Mbata, Mpangu et Nsundi. A l’ouest, le long de la côte atlantique et dans la zone montagneuse du Mayombe, était voisin de ce royaume, celui de Loango, peuplé de Vili, Yombe, Kunyi…Le Loango et le Kongo sont historiquement issus d’un même noyau, le Vungu, situé aux Xe-XIe siècles dans le Mayombe méridional. Leurs peuples ont gardé la langue en commun et appartiennent de ce fait à l’aire 152
culturelle kongo : ils présentent en tout cas une grande parenté linguistique et culturelle. Réellement, seules les variantes dialectales, perceptibles par les autochtones du pays, permettent de les distinguer en sous-groupes ethniques. Ces variantes dialectales ne doivent pas faire oublier cette unité fondamentale, malgré les destins historiques différents de ces deux royaumes : la traite négrière atlantique « profitable » au pouvoir central de Loango qui s’était raffermi sous son impact et s’était maintenu jusqu’à l’irruption des Français dans l’hinterland à la fin du XIXe siècle, avait par contre provoqué aux XVIIeXVIIIe siècles la fin du royaume de Kongo. Nos actuels Kongo, lato sensu, des Départements du Pool, de la Bouenza et du Niari n’y seraient venus en masse qu’après la chute du royaume de Kongo. En effet, les grandes migrations kongo ont été occasionnées surtout par la traite négrière atlantique. A cause de la « chasse à l’homme » menée à l’intérieur du royaume de Kongo, notamment par les seigneurs des provinces côtières du Soyo et du Mbamba, tous les habitants du royaume vivaient dans une insécurité. Avides de paix, nombreux furent ceux qui préférèrent se déplacer plus en avant vers d’autres territoires. Ils s’étaient enfuis naturellement vers les monts et forêts inaccessibles aux seigneurs du Soyo et du Mbamba, et à leurs rabatteurs, donc à bonne distance des six provinces. Point de doute que la vallée du Niari par exemple, abritée par le Plateau des Cataractes, véritable obstacle naturel, ait dû constituer pour les Kongo en fuite, un vrai refuge, une belle terre de peuplement.
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1. Chronologie des grandes migrations kongo Il faut situer entre le XVIe siècle et la fin du XVIIe siècle les premières grandes migrations massives kongo, depuis l’ébranlement consécutif au début de la traite négrière atlantique. Le milieu du XIXe siècle est probablement la période où tout le monde semble « loti », n’ose plus faire éclater la structure rebâtie et déranger l’équilibre péniblement atteint. A l’arrivée des Français au Stanley-Pool à la fin du XIXe siècle, il n y a plus guère de mouvement de populations encore perceptibles, si ce n’est la suite du glissement vers le nord des Nsundi, de Kindamba et de Mayama jusqu’à Pangala, encerclant Nko, îlot teke résiduel. Mais, cette suite des grandes migrations kongo aboutit, non à changer la carte, mais au brassage des populations. 2. Mode de peuplement du Pool, de la Bouenza et du Niari Ce peuplement des actuels Départements du Pool, de la Bouenza et du Niari a été un mouvement continu à partir des provinces kongo désorganisées par la traite négrière. Celles des six provinces qui avaient contribué le plus à l’irrigation en hommes de ces régions furent celles qui étaient par le commerce naturellement orientées vers le Pumbo (le Stanley-Pool, depuis les explorations en Afrique centrale à la fin du XIXe siècle de Henry Morton Stanley, rival de Pierre Savorgnan de Brazza dans l’occupation du bassin du Congo), et les plus proches en l’occurrence : le Soyo et le Nsundi, puis les provinces comprises entre le fleuve Congo et Luanda : le Mbamba, le Mpangu et le Mbata. Les royaumes côtiers de Ngoyo et Kakongo auraient irrigué notamment le Niari. Les traditions orales encore vivantes dans le Pool et la Bouenza permettent de retracer les itinéraires de ces immigrés. Partis de la région de Mbanza-Ngungu dans le Bas-Congo, ils 154
auraient d’abord passé le fleuve Congo et, escaladant les monts de Mfouati, auraient débouché sur Loutété et Loulombo. Ils auraient franchi le Congo au sud de Boko, dans les régions de Tshela et Luozi, actuellement pays nyanga. La conséquence naturelle des migrations kongo avait été simplement le surpeuplement de la rive droite du Congo, de la Côte au Pool. Cette expansion des Kongo avait contraint les anciens « maîtres du pays », les Teke, à abandonner leurs terres, surtout que cette séquence migratoire avait été continuellement irriguée depuis la Côte tout le temps qu’avait duré la traite négrière atlantique (XVIe-XIXe siècles). On doit se représenter cette émigration permanente, sur trois siècles, comme une série de vagues s’échelonnant et se chevauchant, donc des migrations étagées, stratifiées comme des formations géologiques. IV - Migrations et peuplement de la Cuvette congolaise par les Ngala La région de la Cuvette congolaise est au Congo majoritairement peuplée par les populations que les linguistes dénomment « Ngala ». La dénomination « Ngala » est consacrée par l’usage depuis l’époque coloniale. Le Lingala, l’une des grandes langues véhiculaires du Congo, est considérée comme leur langue commune, mieux la langue synthétique issue de leurs divers parlers. Il s’agit bien d’une langue qu’ils ont générée dans leur histoire comme langue de contacts dans leur dynamique vie d’échanges, surtout à partir du XVIe siècle, époque à partir de laquelle les Bobangi s’illustrent comme chasseurs d’esclaves, qu’ils enlevaient dans les cours supérieurs des rivières, affluents du fleuve Congo et qu’ils convoyaient périodiquement dans de grandes pirogues au Pumbo (l’actuel Stanley-Pool). A la fin du XIXe siècle, cette langue de commerce, désignée alors Kibangi, 155
fut adoptée par les Belges comme langue des contacts entre Blancs et Noirs, et à la fois comme langue d’administration et d’évangélisation. Comme son berceau était le poste de Bangala à Makanza (situé dans le Haut-Congo, sur la boucle du fleuve), cette langue parlée par les engagés bangala en contact avec les Européens, les Zanzibaristes et les Haoussa, en fait le Kibangi, fut désormais désignée par « Lingala ». Les missionnaires catholiques et protestants sont les premiers à l’utiliser dans leur œuvre d’évangélisation et d’enseignement au Congo-Belge (actuelle République Démocratique du Congo). Voulant disposer d’une langue bien structurée, ils travaillèrent à la fixer en en rédigeant des ouvrages de grammaire et de vocabulaire. Le Père Egide De Boeck en est le principal artisan au Congo-Belge de 1901 à 19227, et le Père Nicolas Moysan plus tard, dans les années 1950, au Moyen-Congo français8. L’histoire du Lingala, langue de contacts entre les peuples de la Cuvette congolaise, illustre par sa genèse et son extension l’histoire de la société ngala. Produit d’une intense vie de relations basées sur le commerce, le Lingala illustre à merveille en effet les stades de développement atteints ou traversés par les peuples de la Cuvette congolaise dans leur histoire. Il est certainement né alors que les différents groupes ethniques ngala sont solidement implantés dans la Cuvette congolaise, dès qu’ils ont été capables d’organiser le commerce « à longue distance ». Les textes de l’ère « négrière » (XVIIe-XVIIIe siècles), notamment ceux des capucins italiens Girolamo de Montesarchio et Fra Luca da Caltanisetta qui séjournent au Pumbo en 1650 pour le premier et en 1696 pour le second, signalent les Quibange (Bobangi) aux foires de ce carrefour comme d’actifs commerçants. L’amiral Degrandpré fait mention au XVIIIe siècle 7 8
E. Boeck de, 1940, « Lingala », Aequatoria, III, p. 124-127. N. Moysan et Y. Cariou, 1956, Pour apprendre le Lingala, Trento Artiganeli.
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(1786) des esclaves « Quibangues » vendus sur la Côte atlantique. Ces dates sont des bornes importantes pour l’histoire du peuple ngala. Si nous ne pouvons guère affirmer qu’à cette époque, le Lingala avait connu son extension dans la Cuvette congolaise, nous pouvons cependant soutenir que les Ngala sont déjà dans la Cuvette congolaise, et que le Lingala s’y fabrique avec leur implantation qui s’affirme et se ramifie. Ceux que nous désignons par « Ngala » occupent sur la rive droite de l’axe fluvial Oubangui/Congo un immense territoire d’environ 211.400 km2 sur les 230.000 qui constituent la superficie du Congo septentrional. L’actuelle implantation des Ngala dans la Cuvette congolaise nous amène à les répartir en « Gens d’eau » et en « Terriens ». Sont dits Ngala « Gens d’eau », les Likuba, les Moye, les Likwala, les Buenyi, les Dongonyama et les Bobangi. Ils occupent la zone marécageuse. Sont dits Ngala « Terriens », les Mbosi, les Koyo, les Akwa, les Mboko et les Ngare : ils occupent la zone des « terres fermes ». La dénomination « Mbosi » est usuellement utilisée pour désigner les Ngala « terriens » et « Bangala » pour désigner les seuls « Gens d’eau », « Bana mayi » comme ils aiment s’appeler eux-mêmes. Ces deux expressions, « Gens d’eau » et « Terriens », veulent simplement dire que les premiers, les « Gens d’eau », ont leur regard essentiel tourné vers l’eau, leur espace vital, et que les seconds, les « Terriens », ont leur regard essentiel tourné vers la « terre ferme » sur laquelle ils exercent leurs activités alimentaires principales. 157
1. Migrations et installation des Ngala Les « Gens d’eau » se reconnaissent sujets d’un célèbre maître de migrations, Ngobila, qui apparaît dans leur histoire comme le héros-fondateur, entre le XVe et le XVIIe siècle, d’un véritable royaume fluvial couvrant l’actuel espace dit « pays des confluents »9. Il existe par ailleurs des traditions sur le peuplement des « terres fermes » de la Cuvette congolaise. Une tradition rattache les Mbosi au groupe ethnique « Mongo » implanté dans la boucle du fleuve Congo, zone qui aurait ainsi constitué le foyer protombosi, avant l’immigration outre-fleuve : Le terme « Mbosi » pourrait être une déformation de « Munji » ou « Mbonje », un sousgroupe mongo. Dans le dialecte mongo, le vocable « mombosi » signifie « celui qui a fui la lutte10. Ce sous-groupe mongo aurait donc préféré la fuite sur la rive droite du fleuve Congo, à la suite d’une guerre inter-tribale. La chanson mbosi suivante confirme cette origine de la migration : Eee eyi ! Nga la hura ngolo ! (ter). Ce qui, littéralement veut dire : Je viens de l’autre rive ! Par ailleurs, pour les natifs de l’actuel pays koyo, l’ethnonyme, « koyo », qui leur est attribué pour les désigner est étranger : leurs ancêtres avaient pour ethnonyme « Ngombe ». Aujourd’hui, puisque l’ethnonyme « Koyo » leur est reconnu, ils préfèrent s’appeler « Koyo-Ngombe ». Il s’agit d’une référence 9
Nous désignons par « pays des confluents » le territoire où confluent avec le fleuve Congo l’Oubangui, la Sangha, la Likouala-aux herbes, la LikoualaMossaka, l’Alima, la Nkeme et la Nkeni. 10 Cette tradition est rapportée par Jérôme Ollandet cf Les contacts tekembosi. Essai sur les civilisations du Bassin du Congo, Thèse de doctorat de 3e cycle d’histoire, Montpellier III, 1981, p. 100.
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qui désigne en fait leur origine, le pays ngombe, sis dans l’actuelle République Démocratique du Congo, plus précisément dans la Province de l’Equateur. Maurice Lheyet-Gaboka, un des grands rédacteurs de la revue scientifique Liaison, rare organe d’expression des cercles culturels de l’Afrique Equatoriale Française dans les années 1950, confirme cette origine outre-fleuve et le lien de parenté entre les Ngombe et les Koyo : Les Kouyou tirent leur origine du Congo-belge actuel où ils vivaient aux voisinages des Boubangui, Mbochi, Likouba et Likouala sous le monarque Ngombe. C’est ainsi que dans la pureté de leur dialecte originel, ils ont conservé l’appellation Koyo-Ngombe, qui marque clairement qu’ils étaient des sujets du souverain Ngombe11. Les parlers des actuels Koyo et Ngombe et leurs anthroponymes attestent de cette parenté originelle. Grâce à Lheyet-Gaboka, nous connaissons la probable cause de la migration qui avait amené les actuels Koyo dans la Cuvette congolaise : Plus tard, une vague de migrations conduisit les Koundo (ou Mongo) dans le territoire où régnaient Ndinga, Ngobila et Ngombe. Il y eut alors des batailles successives. Battant en retraite, les Boubangui, Likouba, Likouala, Mbochi et Kouyou traversèrent Nzale (le fleuve Congo) en pirogues, longèrent la rive droite et allèrent s’établir plus loin. De criques en criques, les Koyo11
M. Lheyet-Gaboka, 1953, « L’origine des Kouyous », Liaison, n° 37, p. 21.
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Ngombe atteignirent la rivière Lepana – aujourd’hui dénommée Kouyou – qu’ils remontèrent jusqu’à l’emplacement qui fait actuellement partie de Fort-Rousset, chef-lieu de la région de la Likouala-Mossaka12. Cette tradition rapportée par Lheyet-Gaboka nous donne ainsi dans l’histoire des migrations et peuplement de la Cuvette congolaise (du Congo-Brazzaville) la distribution suivante : - Ngobila serait le chef de la migration qui aurait abouti au peuplement du « pays des confluents » par les Bobangi, Likuba, Likouala et autres « Gens d’eau » ; - Ngombe serait le chef de la migration qui aurait amené les actuels Koyo à peupler l’actuel district d’Owando ; - Ndinga serait le chef de la migration qui aurait abouti au peuplement de la vallée et de la boucle de l’Alima par les actuels Mbosi. C’est Ndinga, d’après la tradition, qui démarre l’histoire des Mbosi sur la rive droite du fleuve Congo, au point où tous les kani, chefs couronnés, du pays mbosi se réclament de lui : Bisi a kani, a ndaa a Ndinga. Ce qui, littéralement, veut dire : Nous, les kani, sommes les petits-fils de Ndinga. Ndinga est, en pays mbosi, l’anthroponyme de tout kani. Les Mbosi se disent « les petits-fils de Ndinga », parce que, en fait, Ndinga 1er était resté sur la rive gauche du Congo, dans l’actuel pays mongo. Le héros fondateur du groupe ethnolinguistique mbosi doit être pour cela désigné par Ndinga II. L’expression mbosi ci-après traduit cette reconnaissance du groupe envers cet ancêtre : « Asi ebàka a Kiba, a nda a mba 12
ibidem, p. 22.
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Ndinga ». Ce qui littéralement veut dire : « Les descendants de Kiba, sont les petis-fils de Ndinga ». Ndinga 1er apparaît ici comme le père de Kiba, autre chef de migration. L’expression « Okiba l’o Ndinga » résumant l’épopée des migrations des Mbosi, l’épopée de leur dispersion, indique dans quelle direction les deux patriarches avaient mené leurs immigrations : Kiba vers le nord, Ndinga vers le sud à partir d’un point de concentration démographique, la boucle de l’Alima. Okiba et Ondinga sont chez les Mbosi et les Koyo deux points cardinaux qui désignent, l’un le nord et l’autre le sud. Les deux autres points cardinaux sont : « tanda », l’amont des rivières, l’ouest ; « tsie », l’aval des rivières, vers le « pays des confluents », l’est. Parmi les sous-groupes mbosi, il en existe un, vers la zone de contact mbosi/angangwel, chez les Asi Olee, qui a conservé le nom de cet ancêtre du sud : c’est le sous-groupe dit « A Mbosi b’Ondinga ». Les « ndinga » constituent chez les Asi Olee une véritable caste dirigeante instituée. Le pays ondinga est arrosé par la rivière Ondinga. A partir de ce pays, la tradition perd la trace de Ndinga. Ndinga, grand chef de migration, auraitil terminé sa migration dans les pays du Niari, au sud-ouest, où cet anthroponyme est très répandu ? Les jurons ci-après utilisés encore aujourd’hui par les braves des pays punu et kele sis dans le Département du Niari, au sudouest (zone de contact du Congo avec le Gabon), attestent visiblement de la filiation des Punu et des Kele à Ndinga II : - Mu Punu Nding’ !……………………..Moi, Punu (l’homme), je suis un descendant de Ndinga ! - Mu Kele Nding’ !…………………………Moi, Kele, je suis un descendant de Ndinga ! 161
- Batu ba Nding’ Batu ! ………………….Nous, les descendants de Ndinga, sommes de vrais hommes ! Par ailleurs, « ndinga » est, dans plusieurs départements du Congo, la dénomination d’un oiseau, très beau par son plumage, une espèce de paon (ndinga miororo, en langue koyo), considéré comme symbole de la royauté. Ndinga aurait-il traversé ces divers pays dans ses pérégrinations et ainsi marqué sa migration ? Kiba, parti lui aussi de la boucle de l’Alima, s’était illustré comme chef de migrations vers le nord-ouest. Les Bongili, « Gens d’eau » du département de la Sangha, portent « Bokiba » comme autre ethnonyme, qui est à la fois un affluent de rive droite de la Sangha. L’anthroponyme « Kiba » est en tout cas plus répandu chez les Koyo (d’amont), Ngare, Mboko, Akwa et Bongili que chez les Mbosi. 2. Chronologie du peuplement de la Cuvette congolaise par les Ngala Il y a plusieurs temps à distinguer dans le peuplement de la Cuvette congolaise : l’origine primaire et les mouvements secondaires, une fois les Ngala arrivés dans le bassin du Congo. Il y a, au vu de la carte de l’Afrique centrale et de son système hydrographique, deux points de départ des migrations qui s’imposent : le nord, à partir des savanes centrafricaines et l’est, à partir de la région des Grands Lacs : un mouvement à se représenter, dans la longue durée, comme un écoulement lent et continu des piroguiers au gré de la descente de l’Oubangui et du Congo. L’entre Oubangui/Congo serait le point d’arrivée et la première zone de concentration des « Gens d’eau » et la boucle du fleuve Congo la zone de concentration des « Terriens ». La concentration démographique aurait tout naturellement contraint 162
des groupes à essaimer vers l’ouest ou le nord-ouest : il s’agit de cette remontée des affluents de rive droite du fleuve Congo, à savoir : la Likouala-aux-Herbes, la Sangha et ses affluents la Bokiba et la Ngoko, la Likouala-Mossaka et ses affluents le Kouyou et la Mambili, l’Alima, puis la Nkeme. Il ressort en tout cas de nos enquêtes orales, le schéma ciaprès du processus d’installation des Ngala dans la Cuvette congolaise : - les Sangha-Sangha (terme générique utilisé pour désigner les Bomouali, les Lino, les Pomo et les Bomassa, peuples de la moyenne Sangha) auraient remonté la Sangha après avoir descendu le cours de l’Oubangui. Ils prétendent que leurs ancêtres viennent de la rive gauche de l’Oubangui. Á une période dont ils ont perdu le souvenir, le pays était alors partagé entre les Kaka qui occupaient la Haute-Ibenga et la Haute-Motaba ; - les Bongili, après la traversée de l’Oubangui, se seraient installés dans l’entre Oubangui/Likouala-aux-Herbes. Dans un deuxième temps, ils seraient descendus dans le « pays des confluents » et auraient remonté ensuite la Sangha et son affluent la Bokiba (ou Bongili) où on les trouve aujourd’hui. Á la base de cette migration, il y aurait l’invasion du cours moyen de l’Oubangui par d’autres populations venant du nord, à savoir les Bondongo qui furent suivis sur toute la ligne de l’Oubangui par les Bondjo, les Mondjombo, les Bandza et les Enyelle. Le terme « ngili » est apparemment le même que « ngiri » qui est le nom du cours d’eau de rive gauche de l’Oubangui. Pourquoi une telle homonymie ne confirmerait-elle pas l’origine outre-Oubangui des actuels Bongili du Département de La Sangha ? ;
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- les Bomitaba auraient, eux aussi, descendu l’Oubangui, puis remonté la Likouala-aux-Herbes, flanqués de leurs « parents » les Kabongo au nord et les Babole au sud, maîtres aujourd’hui de la zone très marécageuse de la Likouala-auxHerbes et de la Tanga ; - les Likuba, les Bobangi, les Likwala, les Buenyi et les Moye, tous des sous-groupes bobangi latu senso , seraient eux aussi partis du cours inférieur de l’Oubangui avant leur installation dans le « pays des confluents » ou dans les deltas des affluents de rive droite du fleuve Congo ; - les Koyo et les Akwa auraient remonté, à partir du « pays des confluents », la Likouala-Mossaka jusqu’à Loboko ; les deux groupes auraient choisi la remontée du Kouyou pour les Koyo et celle de la Likouala-Mossaka pour les Akwa ; - les Mbosi auraient remonté l’Alima, après la traversée du fleuve. Tous ces Ngala de la Cuvette congolaise seraient ainsi arrivés dans le « pays des confluents » en suivant un courant de peuplement nord-sud, à partir de l’interfluve Oubangui/Congo et la boucle du fleuve Congo (pour les Mbosi et les Koyo). Ce courant se serait ensuite déployé en arc de cercle sur la Cuvette congolaise, guidé par les cours d’eau, affluents de rive droite du fleuve Congo. Ces Ngala avancèrent ainsi dans le même sens, c’est-à-dire vers l’amont de ces affluents (tanda) comme orientés par un appel du vide. Les collines tege à l’ouest, véritable rebord de la cuvette congolaise et les plateaux, savanes d’altitude au sud, écosystèmes qui ne leur étaient pas familiers, avaient constitué un point d’arrêt à leur expansion. Il en fut autant de la 164
forêt équatoriale exondée au nord et nord-est, pays des Mbeti, Kota et Bakouele (Bekwel). Voici, schématiquement, les divers temps du peuplement de la Cuvette congolaise par les Ngala : - âge 1 : les 10 premiers siècles de l’ère chrétienne C’est l’âge de la protohistoire ngala en général, âge de leur installation en Afrique centrale, dans le bassin du Congo. L’émergence dans le bassin du Congo des Ngala « Gens d’eau » et « Terriens » comme peuples particuliers a lieu au cours de ces dix premiers siècles de l’ère chrétienne ; -âge 2 : du 10e au 17e siècle Cet âge fut l’époque de l’installation et de la grande concentration des « Terriens » (les Mongo et les Ngombe) dans la boucle du fleuve Congo et des « Gens d’eau » dans l’entre Oubangui/Congo. Datent de cette période, les débuts de l’installation des « Gens d’eau » dans la zone d’eau de la cuvette congolaise sous la conduite de Ngobila et celle des Mbosi dans la zone des terres fermes de la cuvette congolaise sous la conduite de Ndinga et Kiba ; -âge 3 : du 17e au début du 20e siècle Ce troisième âge de notre schéma fut particulièrement marqué par des remaniements secondaires de peuplement qui succédèrent aux migrations initiales des patriarches ; ils se poursuivirent jusqu’à l’arrivée des Européens à la fin du XIXe siècle. Cette phase correspond à l’organisation interne de l’espace en seigneuries, ikani (okani, au singulier). Le développement de ces seigneuries avait naturellement conduit les kani (chefs couronnés) à une politique de conquêtes et de soumission des 165
terres voisines. C’est l’âge des épopées des seigneurs, fondateurs des ikani en pays mbosi, koyo, akwa, mboko et ngare. En tout cas, la subdivision de ces « Terriens » en groupes et en sousgroupes ethniques date de cette époque. Les remaniements émanèrent d’abord du processus de peuplement de la contrée. En effet, l’enchevêtrement des trajets migratoires entre les contingents en marche occasionnait souvent des disputes de territoires, accentuant ainsi leur individualisation en sous-groupes. Ensuite, de la préoccupation même de s’adapter au milieu naturel découla la segmentation, et même la polysegmentation au sein des sous-groupes. La dégradation des conditions d’habitabilité constituait un autre facteur de segmentation. Le décès d’un patriarche prestigieux ou d’un chef de lignage majeur par exemple, pouvait souvent occasionner l’évacuation du village par certains segments lignagers qui s’attachaient à son autorité. Les querelles, les homicides, la recrudescence de la sorcellerie entraînaient souvent l’essaimage de petites unités résidentielles. Avant l’arrivée des Français dans la Cuvette congolaise (fin du XIXe siècle), de nombreux villages avaient de la sorte ainsi disparu, ou s’étaient déplacés. La colonisation française avait même beaucoup ajouté à cette mort ou à cette mobilité : elle avait contraint de nombreux villages à s’implanter le long des cours d’eau ou des biefs navigables des cours d’eau, ou bien à se regrouper sur certains sites pour un meilleur contrôle administratif : ce qui lui facilitait la perception de l’impôt de capitation, ou les réquisitions administratives pour les travaux forcés, le portage...
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CHAPITRE 5 LE PEUPLEMENT D’UNE ZONE FORESTIERE : ETUDE DE CAS DANS LA LEKOUMOU par Marcel IPARI Dans les études historiques consacrées à la partie sud du Congo, la question du peuplement a souvent concerné les groupes qui sont établis dans la vallée du Niari. Des peuples comme les Kunyi, les Kamba, les Dondo et les Beembe, ainsi que les Sundi que l’on rattache à l’histoire du royaume Kongo ont fait l’objet de plusieurs travaux. L’histoire du peuplement des grandes forêts de la Lékoumou n’est généralement pas abordée. Pourtant, la situation particulière de l’occupation de cette zone par les hommes appelle à réfléchir : ce département représente l’extension orientale du massif du Chaillu que domine la grande forêt équatoriale. Celle-ci a la particularité, dans la Lékoumou, d’être située en tampon entre deux grands ensembles de savane, la vallée du Niari au sud et à l’est et les plateaux teke au nord. Ces deux ensembles de savane sont en outre le domaine d’extension des complexités culturelles kongo (au sud) et teke (au nord et au nord-est). La Lékoumou est donc une frontièrezone ouverte sur l’une et l’autre complexité et à laquelle son contexte environnemental particulier a conféré le rôle de zone de refuge. Tous ces éléments permettent d’envisager l’histoire du peuplement de ce département comme un cas singulier, d’où l’intérêt de son étude.
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I- Le pays et les hommes Du point de vue géographique, la Lékoumou est située au sud-ouest du Congo. Elle est limitée au nord par le Gabon, à l’est par les départements des Plateaux et du Pool, au sud-est et au sud par celui de la Bouenza. A l’ouest, la Lékoumou fait frontière avec le département du Niari. Cinq sous-préfectures composent l’ensemble du département : Sibiti qui en est le chef-lieu, Bambama, Komono, Mayéyé et Zanaga. Le relief est dominé par les hauts plateaux qui vont en s’élevant progressivement du sud où ils marquent la fin de la vallée du Niari, au nord où l’altitude moyenne oscille entre 500 et 600 m. La végétation prédominante est la grande forêt primaire, avec malgré tout, quelques étendues de savanes. : mufüle, Mbaang’, Ihund’, dans le district de Sibiti. L’hydrographie est assez abondante : des cours d’eau relativement importants comme l’Ogooué, la Lékoumou (qui a donné son nom au département), la Lilaali arrosent la région. Sur le plan humain, le département compte six groupes ethniques à savoir : les Bongo ( ceux qu’on appelle injustement « pygmées »), les Teke, les Laale, les Ombamba, les Yaka (en fait Yaa) et les Beembe. Les Bongo (Ba Bongo ou Ba Bouoo) répandus à travers tout le département sont reconnus comme les premiers occupants de ces forêts. Les Teke représentent la population la plus nombreuse de la Lékoumou. Ils peuplent de façon majoritaire les districts de Bambama, Zanaga et Komono. Ils sont aussi nombreux dans le district de Sibiti surtout quand on sait que ceux qui se disent aujourd’hui Laale sont souvent de souche teke. En cela donc, les Teke sont aussi présents dans le district de Mayéyé. Les Laale constituent un groupe qui s’est formé en pleine traite atlantique à partir d’éléments teke venus des plateaux et de quelques clans beembe dont l’association a conduit à la naissance de ce nouveau groupe ethnique, notamment à partir du moment où l’ethnonyme 168
teke a aussi désigné l’esclave. Les Yaa ou Yaka sont considérés par tous leurs voisins comme étant les plus anciennement établis à Sibiti. Aucun autre groupe ne conteste d’ailleurs cette ancienneté au point qu’ils sont pris pour les maîtres de la souspréfecture de Sibiti. En réalité, ils viennent de quelque part, même si, dans leur habitat actuel, leur antériorité par rapport aux autres groupes bantu ne souffre aucune contestation. Les Beembe eux occupent l’axe Sibiti-Madingou. Ils sont la branche dite des Beembe de la forêt par opposition à ceux de Mouyondzi qui habitent la savane. Les Ombamba qui sont arrivés au département au cours de la seconde moitié du XIXe siècle, occupent un territoire qui s’étend de Zanaga à Komono, puis de Komono à Sibiti. Du fait de son occupation par les différents groupes, le département a fini par se structurer en tsi/ntsi/ntsie (habitats ou territoires) qui s’identifient aux groupements humains. Ainsi, nous observons une répartition spatiale qui reconnait un terroir à tel ou tel groupe : iyaa (entendu aussi comme langue) ou tsi a Ba yaa, Sibiti et ses environs ; ilaale (sous-préfecture de Mayéyé, sur l’axe Sibiti-Mouyondzi), ibeemb’ (le long de la route SibitiMadingou). II-La Lékoumou dans les sources écrites anciennes Les sources anciennes de l’histoire des royaumes de la côte congolaise (royaumes de Kongo et de Loango), donnent quelques renseignements qui montrent l’implication d’une partie de la Lékoumou, sous une dénomination quelque peu énigmatique, il est vrai, dans la vie d’échanges qui s’est développée entre le littoral océanique et le monde occidental teke. 169
Le compilateur hollandais Olfert Dapper, qui rassemble des informations datant du début du XVIIe siècle, voire même de la fin du XVIe, parle de Boekkamele comme d’un endroit d’où parviennent de grosses dents d’éléphants13. Dans la seconde moitié du XVIIe siècle, l’Italien Cavazzi localise le site ou la région de Buka-Meala qu’il dit être un lieu où l’on va chercher l’ivoire. Puis un peu plus au nord de Buka-Meala, il situe le « pays des Bake-Bakes que l’on dit être de petite stature et s’occuper à la chasse des éléphants dans de grandes forêts qu’ils habitent14. Dans la carte qu’il dresse au XVIIIe siècle, J.B. d’Anville confirme ce qui est écrit de Buka-meala et des BakeBakes au sujet desquels il précise « qu’on les dit des sujets du Micoco » autrement dit, du roi d’Anzico, l’Onkoo ou le Makoko. Nous tirons de ces informations des éléments qui, soumis au décryptage, permettent de penser qu’il s’agit, vraisemblablement, d’une partie de la Lékoumou actuelle. Boekkamele, ou BukaMeala, variantes d’un même signifié, semble une adaptation aux langues de la côte vili, de l’expression teke « mbuk miyala » que l’on pourrait traduire par : lieu de palabre, lieu de marchandage, lieu de transactions. De même, Bake-Bakes aussi appartient au lexique teke et désigne des gens de petite taille et, par extension, les enfants. Or, les sources précisent que « les Bake-Bakes s’occupent à la chasse des éléphants dans les grandes forêts qu’ils habitent ». Ici, on convient, qu’il s’agit des Bongo ou Ba buo. Il reste aujourd’hui que le site nommé Buka-meala est difficilement localisable. Tout porte néanmoins à croire qu’il se situait entre Sibiti et Zanaga. Tous ces témoignages anciens, en ce qu’ils montrent l’existence des chaînes d’échanges en activité entre la côte et 13
O. Dapper, 1686, Description de la Basse Ethiopie, extrait de Description de l’Afrique, p.328. 14 Cavazzi, 1687, Relation historique de l’Ethiopie occidentale, p 2.
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l’hinterland teke, posent implicitement le problème du peuplement de cette région du Congo. Ils suggèrent, en effet, qu’au XVIIe siècle déjà, des groupes humains installés sur cet axe sont en relations commerciales. Bien que les sources évoquées n’apportent pas de réponse à l’identification des groupes impliqués dans ces échanges, la tradition orale, elle, donne aisément la répartition géographique des uns et des autres. Ainsi, de la côte au monde occidental teke : les Vili, appelés aussi Ba Loang’ (gens de Loango), qui prirent une part très active au commerce de traite ; les Yombe (dans le Mayombe), les Kunyi dans la vallée du Niari qu’on connait aussi sous le nom de Diangala ; les Yaa ou Yaka dans le district actuel de Sibiti et enfin les Teke de la forêt (Komono, Bambama et Zanaga) dont le pays s’ouvre sur les vastes savanes des plateaux qui sont, précisément, l’habitat principal des sous-groupes teke. Seuls n’apparaissent pas dans cette énumération, les Ambamba, à cause sans doute de leur venue relativement tardive. En effet, leurs premiers contingents n’entrent pas dans le territoire de la Lékoumou avant le début de la seconde moitié du XIXe siècle, selon toute vraisemblance. Le dispositif de répartition ethnique donné de façon concordante par toutes les traditions orales recueillies, aussi bien au sud qu’au nord de la Lékoumou, est celui que l’on peut encore observer jusqu’à ce jour. Depuis quand ces groupes humains sont-ils installés dans les dispositions qui rendent opératoires les chaînes d’échanges qui les unissent ? La réponse à cette question constitue le socle même de l’histoire du peuplement. 1-Les premiers occupants du département Malgré cette répartition ethnique qui consigne d’une certaine façon l’antériorité des groupes sur telle ou telle autre partie du département, tous nos informateurs, unanimement, reconnaissent que les premiers occupants de ces forêts sont les 171
Bongo, souvent présentés comme peuple autochtone, ce qui n’est pas tout à fait vrai, puisque tous les Noirs en ce qu’ils habitent l’Afrique depuis toujours sont de ce fait autochtones. Malheureusement, à défaut d’une étude particulière sur eux, nous ne saurons dire depuis quand ils se sont rendus maîtres de cette région. Le constat actuel montre qu’ils sont présents sur la quasi totalité du département. Ils sont, en tout cas, les maîtres incontestés de la forêt et ils apparaissent dans plusieurs contes, mythes, proverbes… des populations bantu, dans le rôle de ceux qui reçoivent les immigrants, les guident, les aident à s’installer ou leur communiquent certains secrets pour leur permettre d’obtenir de la mère forêt, ce qu’il faut pour mener une vie harmonieuse.
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2-Le problème yaa L’historiographie classique du royaume de Kongo a créé un problème au sujet de l’origine des Yaka d’Afrique centrale (ils sont en République Démocratique du Congo, en Angola et au Congo Brazzaville, notamment à Sibiti). De nombreux auteurs ont lié l’histoire de leur origine à celle des invasions jaga qui contribuèrent à la déstabilisation du royaume de Kongo du XVIe au XVIIe siècle15. Les faits qui rendent compte de ces invasions sont rapportés pour la première fois par Duarte Lopes qui ne vécut pas les événements. Pourtant, c’est ce voyageur qui dicta le récit de ce qu’il avait vu et entendu sur les terres du Kongo à l’humaniste italien, Filippo Pigafetta. De cette rencontre naquit l’ouvrage16 qui allait faire connaitre au monde un peuple extraordinaire nommé Jaga. Dans un abondant témoignage, il y est dépeint un impressionnant tableau qui renseigne sur les mœurs barbares, sur les multiples incursions meurtrières de ce peuple à travers les provinces du royaume, et particulièrement à Mbanza-Kongo, la capitale, qui fut mise à sac. Il est important de souligner que Duarte Lopes qui a inspiré ce témoignage sur ces curieux Jaga, n’a pas directement vécu les faits qu’il rapporte et qui se seraient produits quelques années avant son arrivée au Kongo. Pourtant, c’est sur la foi de ce témoignage, qu’est née la thèse, aujourd’hui très répandue, que les Yaka sont les descendants des Jaga. Cette conclusion ne résiste pas à l’analyse et ils sont aussi nombreux, les auteurs qui rejettent cette thèse d’assimilation17. Tel est également notre avis au sujet des Yaa. A 15
- M. Ipari, 1987, Les populations de la région de Sibiti (Congo), p 35, note14. 16 -Filippo Pigafetta et Duarte Lopes, 1591, Description du royaume de Congo et des contrées environnantes. (Traduit de l’italien et annoté par Willy Bal, Louvain – Paris, Nauwelaerts, 1965, p 106-108). 17 -Parmi ces auteurs nous pouvons citer J. C. Miller, 1973 ; O. De Bouveignes , 1948 ; R. Batsikama, 1971 ; M. Ipari, 1987.
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suivre Duarte Lopes, la débandade des hordes jaga aurait commencé en 1571 au terme d’une intervention musclée conduite par Francisco de Gouveia, commandant portugais de l’île de Sao Tomé, appelé en urgence pour libérer le Kongo du danger Jaga. Défaits et mis en déroute, les quelques rares rescapés Jaga18, auraient alors commencé leur course fugitive dans diverses directions. Imaginons donc les Yaa, quittant en toute hâte Mbanza-Kongo, pour couvrir près de mille kilomètres de distance, sur des terres inconnues, et gagner les forêts de Sibiti. Dans l’hypothèse (absurde) où un tel scénario se serait joué, il faut penser qu’ils n’y sont pas encore arrivés avant la seconde moitié du XVIIe siècle. Or, à cette date déjà, le commerce de traite qui prend son essor, met en relation la côte et le monde occidental teke. Et dans cette chaîne qui est en place depuis des temps non prescrits, les Yaa de Sibiti sont un maillon important, interposés qu’ils sont entre les Kunyi au sud, et les Teke au nord. La constitution d’une chaîne d’échanges fondée sur une solide confiance mutuelle entre les partenaires, les nduu (nduku / nduk’) ou amis, ne peut être quelque chose de spontané, bien au contraire. Il faut prendre le temps d’une longue fréquentation avec l’autre pour en faire un ami à qui tout peut être consenti. D’ailleurs, par delà l’union de deux amis, cette amitié scelle en même temps l’union de leurs familles au point que la terminologie parentale finit par préparer l’intégration des uns et des autres. Si donc, chassés de Mbanza-Kongo en 1571, avec la réputation horrible de barbares anthropophages, les Yaa ne se seraient installés à Sibiti que vers le milieu du XVIIe siècle, au plus tôt, ils n’auraient jamais été acceptés comme partenaires commerciaux aussi bien des Kunyi, que des Teke. Tous, à l’évidence, auraient été réfractaires d’avoir affaire à ces méchants intrus venus de nulle part. En revanche, l’intégration incontestée 18
-D. Lopes précise que très peu de Jaga de sang rentrèrent chez eux pour revoir les leurs.
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des Yaa dans les circuits d’échanges qui débordent déjà d’activité dès la seconde moitié du XVIe siècle, incline à penser que ces Yaa sont déjà bien en place dans leur habitat actuel. Il serait aussi faux de penser que ces chaines ne naissent qu’au XVIe siècle, avec l’intensification progressive de la traite négrière. 3-Les Yaa sont-ils des Jaga ? D’où viennent les Yaa de Sibiti ? A défaut d’une tradition solidement établie sur leurs origines, on peut relever, chez eux, quelques éléments qui les rattachent aux régions méridionales, c’est-à-dire à la zone culturelle kongo. C’est le cas du toponyme Kwang’ (nom d’un village qui compte parmi les premiers, lorsqu’on amorce l’entrée dans les forêts de Sibiti, en partance de Loudima). Kwang’ rappellerait-il le Kwango du sud de la République Démocratique du Congo, qui est le territoire par excellence des Yaka ? On peut objecter, non sans raison, que cet indice est trop ténu pour en faire le socle d’une communauté d’histoire. Il indique peut-être une piste. L’autre élément est la référence que font les Yaa à Ndingi, l’une des sept provinces que comptait le royaume de Loango. O. Dapper qui évoque cette province du Dingi dit qu’elle confine à celles de Cacongo et de Vango avant d’ajouter que c’est un grand pays plein de bourgs et de villages19. Le même Ndingi apparait, au XVIIIe siècle, dans la carte dressée par J.B. d’Anville qui situe cette province à l’est du Loango, au-delà du Mayombe, ce qui nous conduit dans la vallée du Niari. Celle-ci est située « aux confins de Ntotila », selon les mots de Dominique Ngoie Ngalla20 qui recense les groupes ethniques qui la peuplent, et qu’il appelle les Kongo de la vallée du Niari : Bakaamba, Babeembe, Badoondo, Bakunyi, Basuundi du Niari. Les Yaa qui 19
- O. Dapper, op.cit, p. 325 Ngoie Ngalla Dominique, 2007, Aux confins de Ntotila, entre mythe, mémoire et histoire, p.186.
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ne sont pas cités, disent, eux aussi, venir de Ndingi, et leur appartenance à la culture kongo est d’évidence. Mais ils sont déjà en dehors de la vallée du Niari, sur les premières marches des hauts plateaux forestiers. Par le biais du Ndingi, ils s’associent à l’histoire du Loango dont on sait qu’il a été une excroissance du Kongo. Jean Mouyabi le montre si bien : En ce qui concerne l’origine des fondateurs de cette province de Loango, toutes les sources disponibles, écrites et orales, s’accordent qu’ils venaient de Mbanza-Kongo. Elles s’accordent, en outre, en affirmant que cette fondation relevait de la volonté politique du pouvoir de Mbanza-Kongo ou tout au moins des autorités relevant du pouvoir de Mbanza-Kongo21. S’appuyant sur le Père Van Wing qui rapporte le départ des clans en direction du nord, J. Mouyabi explique : La fondation de Loango était motivée, à partir de la province kongo de Mpemba, en proie à une dilatation démographique, par la recherche ordonnée d’un espace vital22. Ce processus avait abouti à la création du royaume de Loango qui s’était, naturellement, allié au Kongo avant de recouvrer son autonomie vers 1535-1539, avec la complicité des marchands portugais23. Dans la marche qui conduisit des peuples 21
J. Mouyabi, 2008, « Le Loango, de la vassalité à l’indépendance », in Annales de l’Université Marien Ngouabi, Lettres et Sciences Humaines, vol. 9- n° 1, p. 4. 22 Idem 23 J. Mouyabi, op.cit, p. 6-8
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kongo vers le nord, se trouvaient, non seulement les Loango ou Vili, futurs fondateurs du royaume, mais aussi divers autres groupes dont la parenté kongo est reconnue par tous : les Yombe, Kunyi, Sundi, Bembe, Dondo, Kamba, Lumbu et Punu qui ont en partage, selon Mouyabi, le clan mimandu. Or, tous ces peuples sont voisins des Yaa, qui ne sont pourtant pas cités, sans doute du fait de l’anathème jeté sur eux par cette filiation imaginaire avec les Jaga. A la vérité, il pèse sur eux une espèce d’embargo tacite de la part de plusieurs chercheurs. Christian Mbinda Nzaou24 par exemple, qui énumère les mêmes groupes pour en faire les voisins des Kunyi de Loudima qu’il étudie, ignore les Yaa dont la proximité avec les Kunyi est pourtant si évidente, que le village kunyi de Kikondé n’est séparé du village yaa, Kwang’, que de dix kilomètres seulement ! En outre, l’argument linguistique qui sous-tend, à juste titre, l’unité culturelle de ces hommes de la vallée du Niari au groupe kongo, ne saurait en exclure les Yaa. Quant à l’argument anthroponymique qu’ajoute Mbinda Nzaou pour mieux souligner l’appartenance kongo des Kunyi, il plaide aussi en faveur des Yaa qui partagent les mêmes patronymes que tous les groupes circonvoisins reconnus sans aucune contestation comme des Kongo. Et voici un échantillon de noms usuels chez les Yaa de Sibiti, à titre de comparaison. Noms de femmes : Buaang’(a), Ndulu, Masaal’(a), Kenge, Lembe, Pembe, Imono, Ndzumbu, Ipolo (Kimpolo), Tso (Ntsoko), Bulamb’(a), Tsiau, Musuund’(u)… ; et chez les hommes, Mbungu, Ngumu, Muanda, Mbenze, Nziengi (Nzinga ?), Mabial’(a), Ngom’(a), Makit’(a), Ngimbi, Mabiala, Mahung’(u), Itsuu (Kitsuku), Mukeng’(e), Ndzondo, Isaang’(a) , Ingat’(a), Mukoo (Mukoko)… 24
R. C. Mbinda Nzaou, 2005, Diangala dans la vie d’échanges au Congo méridional, XIXe – XXe siècle, Brazzaville, mémoire de maîtrise, département d’Histoire, Faculté des Lettres et des Sciences Humaines, p 31.
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Les Yaa qui sont incontestablement des Kongo, et dont l’histoire des origines tourne le dos au monde teke, atteignent-ils Sibiti comme des sujets du roi de Loango, habitants du Ndingi, à l’extension duquel ils auraient travaillé ? On peut le penser. En définitive, les Yaa n’ont aucun lien avec les barbares Jaga, auteurs des invasions subies par Mbanza-Kongo à partir du XVIe siècle. Cette histoire des Jaga relève de l’historiographie angolaise. Les Yaa sont en place dans le district de Sibiti avant le début du XVIe siècle. Il appartiendra aux archéologues de proposer des dates plus sûres. C’est de leur présence dans cette région, et des contacts qu’ils nouèrent avec les Teke, que s’ouvrit l’axe de peuplement nord est - sud ouest qui a vu, plusieurs siècles durant, des contingents teke descendre en direction de Sibiti. Cette descente qui est à rattacher aux effets de la traite négrière, ne répond cependant pas des premières nappes de peuplement teke dans les forêts de Zanaga, en particulier. III-Les Teke Originellement, le foyer d’irradiation des Teke a été la grande savane des plateaux centraux où se trouvent localisés la plupart des sous-groupes teke du Congo. La conquête des forêts de la Lékoumou par les premiers contingents teke, est un fait relativement singulier dont on recherche encore une explication valable. 1-Le fer, la métallurgie et le peuplement de Zanaga par les Teke Le peuplement teke dans la partie nord de la Lékoumou a connu deux périodes historiques. La plus ancienne est celle qui inaugure l’installation des groupes teke pionniers. Quand on sait que les Teke s’établissent presqu’en priorité sur le gisement de fer (Zanaga-Bambama-Lefutu …), et quand, en plus, on sait que 179
ces Teke sont des métallurgistes25, on ne peut s’empêcher de lier leur installation à cette activité centrale. La métallurgie, aujourd’hui abandonnée, est encore bien inscrite au sol grâce à la présence de nombreux bas-fourneaux et des scories qui témoignent de l’importance de l’extraction et de la fonte du minerai26. Grâce donc à son immense gisement de fer dont l’exploitation traditionnelle est formellement établie, Zanaga a dû jouer le rôle de pôle industriel ouvert aussi bien sur les régions du nord que du sud. De ce fait même, Zanaga a été le point de départ de la diffusion des produits métallurgiques si déterminants dans les activités économiques de toutes les populations. 2-La traite négrière atlantique : cause du peuplement de la Lékoumou par les Teke Les faits historiques montrent qu’au XVIe siècle, les peuples de la côte sont en relations commerciales avec ceux de l’intérieur. Deux grands axes sont mentionnés, à savoir l’axe principal, d’orientation ouest- est, qui va de la côte au Mpumbu ou Mpombo (actuel Stanley-Pool), et l’axe secondaire, sud ouest - nord est, qui est celui de Bukka-meala. Ce dernier concerne le monde occidental teke, en passant par les grandes forêts de la Lékoumou. Les sources anciennes distinguent nettement ces deux axes commerciaux. Sur l’un comme sur l’autre, le commerce des esclaves qui s’instaure au tout début du XVIe siècle, et qui va se développant jusqu’aux premières années du XXè. Au royaume de Kongo, les premiers rois convertis au christianisme s’opposèrent à la vente de leurs sujets comme 25
- M.C.Dupré et B.Pinçon, 1997, Métallurgie et politique en Afrique centrale, p.34. 26 Une mission de prospection archéologique composée d’A. Manima et M. Ipari avait entrepris des recherches en 1982, dans les environs du village Doumaï, et avait constaté la présence de plusieurs bas fourneaux et scories.
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esclaves. Au Loango, la traite des esclaves dut commença sans doute plus tôt. Sur l’axe ouest-est, les acteurs centraux sont les Pombeiros et les Mubiri. Sur celui de Bukka-meala, ce sont les Yaa qui ont tenu le rôle principal de pourvoyeurs d’esclaves. Ces derniers viennent essentiellement des territoires teke, au point que, chez les Yaa, l’ethnonyme mutee s’est confondu au terme à la terminologie des esclavagistes. III-Les Ambamba de la région de Kellé, derniers immigrants Dans l’histoire des mouvements de populations qui ont eu la Lékoumou comme point d’aboutissement, ou même de transit, pour certains individus de ce groupe, les Ambamba sont les derniers à arriver. Leur venue sur ces terres est aussi à rattacher à l’économie de traite, même si les causes de départ de leur lointain habitat d’origine, Kellé, dans la partie nord du Congo, seraient liées à un contact apparemment heurté avec les peuples ngala. Des auteurs pensent, en effet, que les Ambamba (qui euxmêmes sont d’avis), sont des Mbeti dont le départ aurait été dicté par un conflit violent intervenu à Abolo27. C’est en tout cas la judicieuse explication que donne le capitaine Magnan au sujet des migrations des Pahouins : La cause actuelle semble plus simple : c’est la poussée vers la mer de gens âpres au 27
- On peut, entre autres, consulter à ce sujet les travaux de : M.C. Dupré, 1984, Naissances et renaissances du masque kidumu. Art, politique et histoire chez les Téké Tsaayi (R.P. du Congo). Thèse d’état, Université de Paris V, vol.1, p.273 ; I. Tchibinda, 1986, La place du mont Ngwadi dans l’histoire des peuples de l’est-Gabon de (1750 à 1935). Mémoire de Maîtrise, Paris I, C.R.A. p 57.
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gain qui subissent l’attraction de lieux privilégiés où les factoreries nombreuses vendent à bon marché les marchandises variées objet de convoitise de toutes les cervelles pahouines28. Soutenus par cet objectif de se rapprocher de la côte, les premiers Ambamba font leur entrée dans la Lékoumou, deux ou trois décennies seulement avant la période des explorations. C’est d’ailleurs le tout premier explorateur français, Thoiré, qui rallia Loudima à Franceville, en 1890, traversant ainsi la Lékoumou du sud au nord, qui les montre intégrés aux chaines d’échanges. Voici ce qu’il écrit : Les forêts renferment aussi des bois de construction et des lianes à caoutchouc en grande quantité. Ce dernier produit forme avec les défenses d’éléphants, le principal commerce des Bakotas avec les Batékés. Ce sont les Bakotas dont les immenses territoires sont si riches de ces deux produits, qui approvisionnent les marchés Batékés. Ces derniers vendent les produits aux Bayacas, lesquels les échangent aux Bacougnis29. Ceux qui ont ainsi gagné ces forêts ont transité par Masuku ou Franceville. Leur principal axe de pénétration fut Zanaga, Komono, Sibiti que les plus pressés d’entre eux avaient vite fait 28
- Magnan, 1931, « Etude sur le pays pahouin », In Bulletin de la Société des Recherches congolaises n° 14, pp.77-107.
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Thoiré, 1890, Relation de l’exploration des contrées comprises entre les postes français de Loudima (…) et de Franceville (…), p 4-5.
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de dépasser, au point de rallier Dolisie, puis le Mayombe. Il convient de relever que d’autres groupes sont allés de Komono, par Mossendjo. CONCLUSION Il vient d’être acquis par l’analyse historique que le peuplement de la Lekoumou, pays forestier et savanicole, tampon entre la mer et l’intérieur du pays a été peuplé par des vagues successives des ethnies bongo, yaka, teke et ambamba qui forment le socle humain de ce Département. Ce Département a été un pôle d’attraction à cause des mines de fer de Zanaga, à cause du marché de Buka-meala où l’on trafiquait l’ivoire. La piste des esclaves traversait de bout en bout cette région qui était elle-même capturée par la traite négrière atlantique. Aujourd’hui, ce Département vit essentiellement de l’agriculture et de l’exploitation forestière. Les mines de Zanaga reprennent de l’importance. Tel est la dynamique de l’histoire, avec ses reculs et ses avancées, à travers les siècles.
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PARTIE IV Histoire ancienne (IXe-XVIe siècle)
CHAPITRE 6 LES ROYAUMES par Dominique NGOÏE-NGALLA Aux temps anciens apparurent, puis se développèrent sur le territoire de l’actuelle République du Congo, des systèmes politiques variés : pouvoirs « élastiques » ou « décentralisés », seigneuries ou chefferies, royaumes assez vastes. Nous parlerons ici de ces systèmes politiques que, faute d’autre concept pour rendre compte de leur spécificité, nous continuons d’appeler « royaumes ». En déclin depuis fort longtemps, certains de ces royaumes survécurent jusqu’à l’avènement de la colonisation, qui y mit fin. I - Le royaume teke Le premier à prendre forme, suivi de celui de Kongo, qui, d’ailleurs, d’après la tradition, prit modèle sur lui, fut le royaume teke, plus connu, dans la littérature occidentale du XVIe-XVIIe siècle sous le nom d’Anzicana, ou d’Anzico. Déformation, cela tombe sous le sens, de Anziu-nziu, sous-groupe teke. L’Anzicana se déploya sur tout le centre-sud du Congo actuel qu’il déborda d’ailleurs, pour fixer sa limite ouest sur l’est du Gabon, tandis que, à l’est, enjambant le Congo, il prit possession des actuelles régions du Bandundu et de Kinshasa, en République Démocratique du Congo. L’extension de l’anzicana correspond en fait aux limites territoriales de l’ensemble des communautés culturelles formant le groupe ethnolinguistique teke. Celui-ci se présente comme un complexe de sociétés défini par un ensemble de valeurs dominantes partagées. C’est ce qu’on appelle une aire 191
culturelle, espace géographique occupé par des sociétés liées par un rapport de grande proximité culturelle. Inspiré de la parenté biologique dont les membres sont liés par le sang, le royaume repose sur les liens culturels qui rattachent entre eux ses composantes ethniques. Cela explique que les limites territoriales du royaume s’arrêtent aux limites de l’aire culturelle. La date de fondation du royaume teke reste inconnue pour le moment, faute de document, et les recherches archéologiques sur lesquelles repose l’espoir des historiens sont encore peu avancées. La seule chose dont on soit sûr, c’est la date très ancienne de la fondation du royaume teke. Au XVIe siècle, les voyageurs européens en parlaient déjà comme d’un fait très ancien. Le tout dernier siècle avant notre ère peut être retenu. L’organisation du royaume Avant l’affaiblissement de l’autorité de l’Onkoo, le tout puissant roi teke, par la grave crise sociale induite par les ravages de la traite, l’Anzicana est un authentique Etat : fortement centralisé, le pouvoir politique y apparaît en effet différencié du simple pouvoir social ; existence de structures administratives, militaires et juridiques assurant la coordination des processus sociaux ; monopolisation par le pouvoir de l’appareil de contrôle politique ; détention par le roi et ses délégués, du monopole de la violence légitime. L’essentiel pour assurer l’intégration de tout le corps social. L’organisation administrative du royaume dont, après avoir été probablement mobile, la capitale se fixe à Mbe, est de type féodal. Au sommet de la pyramide sociale trône l’Onkoo, le roi vénéré à la manière d’une divinité. Ses pouvoirs sont étendus. La seule limite à son omnipotence est le pouvoir des nga ntsye, les chefs de la terre mais qu’il se subordonne progressivement, puisque se sont eux qui l’investissent maître de tout le royaume, de tout le territoire teke. L’Onkoo, certes, associe les nga ntsye à 192
la gestion du royaume, mais il reste le maître qui a l’œil sur tout ; sur le matériel comme sur le spirituel. L’apparition d’un certain nombre de facteurs sociaux, à la suite d’une série de ruptures historiques et les métamorphoses sociales qu’elles entraînent affaiblissent progressivement l’autorité de l’Onkoo et font surgir de l’ombre des personnalités inattendues. La grande distance séparant l’autorité centrale des nga ntsye, des communications difficiles, accrurent l’autorité des notables locaux aux dépens de celle de l’Onkoo. L’enrichissement de certains d’entre eux par la traite des Noirs joua dans le même sens. Il profita à ceux qui étaient les mieux positionnés par rapport au marché des esclaves. Ainsi se développèrent des aristocraties locales que l’Onkoo eut de plus en plus du mal à contrôler. C’est une telle situation de désagrégation territorialle du royaume et de ruine de l’autorité centrale qui prévalait dans le royaume teke, au moment où Savorgnan de Brazza rencontre le Macoco à Mbe, en 1880. Le pouvoir qui s’effondrait ainsi marquait la fin d’un long processus de sa conquête. Avant que l’aire culturelle teke ne s’organise en ensemble politique doté des mécanismes essentiels pour fonctionner en véritable Etat à qui ne manqua que l’écriture pour être un Etat moderne, le territoire de l’ensemble des communautés relevant du groupe teke était réparti en un certain nombre de cellules sociales autonomes placées sous le contrôle de notables appelés nga ntsye qu’on peut traduire littéralement par propriétaires de la terre. En principe, membres d’un même groupe de parenté biologique, plus les esclaves intégrés à ce groupe, les habitants de ces portions de territoire n’avaient audessus d’eux d’autre autorité que celle du nga tsye. Les ruptures de l’histoire et les inévitables mutations qui s’en suivent entraînèrent des complexifications dans l’organisation de l’espace social teke et de sa structuration politique. Soit à la suite d’un contrat passé entre les nga ntsye et 193
des notables de rang social plus élevé que celui des nga ntsye, soit par la violence de ceux-ci, apparurent les chefs couronnés, les nzo mpu. Leurs pouvoirs (politiques et religieux) sont plus étendus que ceux des nga-sye des origines. Des rapports asymétriques de domination lient désormais les deux aristocraties. Le processus de complexification sociale se poursuivant, apparut un meilleur niveau d’organisation du pouvoir : la royauté et l’Etat. Probablement apparus successivement, jusqu’au bout, le royaume teke reposa, du point de vue administratif, sur douze provinces administrées par des représentants du roi dont le symbole du pouvoir était le nkobi ; petit dispositif contenant des reliques d’ancêtres, des prélèvements d’animaux-totem, etc. C’est donc quelque chose de sacré, le nkobi. Les gouverneurs de nos douze provinces eurent garde de s’en séparer. Et voici les noms de ces douze juridictions administratives regroupées autour de Mbe, la capitale du royaume : Inlinon, Muyu, Impaon, Andzion, Ampoh, Lion, Angia-Obuh, Mwangaon, Onzala, Anzobo, Mvula, chacune portant le nom d’un nkobi du pays. Deux gouverneurs de province sont restés célèbres : Ngainlinon et Mwidzuh. Ngainlinon cantonné à Nkuo, immense quartier de Mbe, étendit son autorité sur les Awum, les Afum, les Ambey-Mbey, les Asise et les Balali. Mwidzuh tint Abali et régna sur les Kukuya, les Andzindziu, les Abum et les Angwengwe. Cependant, véritable divinité devant laquelle tout se courbe, l’Onkoo demeure l’autorité suprême.
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Voici la liste des rois (Onkoo ou Makoko) qui se sont succédés au trône, avant, pendant et après la colonisation : I. II. III. IV.
Ngantho Ndzaon Mbaon avant Mboulignaoh Iloo Ier Mbaïndele Iloo II
1874 (1874-1892) 1892
Vacance du pouvoir I. II. III. IV. V. VI. VII. VIII. IX. X.
Oupfoul’pfa Ngayouoh Ngantino-Mpea Moundzouani Ngamboula Andibi Ngankia Nkioun (Nkima) Nsalou Illo III
(1894-1896) (1896-1900) (1900-1907) (1907-1915) (1915-1925) (1925-1937) (1937-1943) (1943-1948) (1948-1964) (1964-1971)
Suspension institutionnelle 1971-1991 I. Mialami-Wawa II. Ngouayolou III. Nguempion
(1991-1998) (1998-2004) (2004- )
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II-Le royaume de Kongo Les historiens sont divisés sur la date de sa fondation. Et comment ne le seraient-ils pas, en dehors de nulle source écrite ? Toutes les dates proposées par ceux qui se sont intéressés à la question relèvent de la pure spéculation, les traditions sur lesquelles ils s’appuient s’avérant une source peu fiable aussi longtemps qu’une source écrite ne les recoupe pas. Le XIIIe siècle ou le XIVe siècle généralement proposés comme dates de fondation du royaume n’ont aucune valeur historique. Ils ont cependant certainement raison, les historiens qui remontent à plus haut pour fixer la date de fondation du royaume de Kongo : IXe-Xe siècles de notre ère. Il est en effet invraisemblable que la formation politique si bien organisée que découvrent les Portugais à la fin du XVe siècle ait été l’œuvre de seulement une dizaine de générations en arrière. Ensemble politique de grand âge donc à la date de sa découverte par les occidentaux, à en croire la tradition qui conte l’apogée de Nimi a Lukeni son fondateur, modeste chefferie régionale à l’origine, le Kongo mit sans doute beaucoup de temps pour rassembler autour de valeurs et de principes uniques de gestion sociale et de direction politique, tant de terres et tant de communautés culturelles qui furent les composantes administratives du royaume. Le royaume s’étira, en effet, en longueur de l’actuelle province Kongo de la République d’Angola, au sud, au KwiluNiari, au nord. Encore que, un temps, il déborda au nord cette limite pour s’étendre jusqu’au bas Ogooué où, d’après une tradition mpongwe, il devint voisin du royaume mpongwe. En largeur, l’océan Atlantique à l’ouest, et le Kouango à l’est fixèrent ses limites territoriales. Ce fut un authentique Etat qui disposa de l’essentiel des mécanismes d’un Etat pour jouer son rôle de coordination des 196
éléments et des processus sociaux: unité politique fondée sur la souveraineté territoriale ; existence d’un appareil de gouvernement spécialisé détenant le monopole de la violence légitime ; existence d’un groupe dirigeant distinct, par son statut, du reste de la population, et jouissant du monopole de l’appareil de contrôle politique, tandis que la fonction intégrative de l’Etat se vérifie à l’existence de structures administratives (existence d’individus mani, placés à la tête des juridictions administratives ou provinces), et de structures militaires contrôlées par une autorité souveraine. A propos des juridictions administratives que les Européens par analogie avec la structuration des ensembles politiques de leurs pays appelèrent sans hésitation, provinces, le royaume de Kongo en eut six : le Soyo, le Mbata, le Mbamba, le Sundi, le Mpangu et le Mpemba. Ce royaume fut appelé Kongo-dia-ntotila pour la raison, semble-t-il, qu’il apparaît au terme d’un long processus d’évolution de formes d’organisation dont la première connue par une tradition mélangée de mythe est Kongo-dia-tuku, ou premier Kongo qui se transforme après de longues générations et de longs siècles, en kongo-dia-ntotila, ou Kongo du regroupement. Dans l’intervalle, le kongo-dia-mpanzu, le kongodia-mulassu, le kongo-dia-mpangala parmi les mieux connus par la tradition. Kongo du regroupement parce que, au terme d’une longue période de tâtonnements, toutes les composantes actuelles de l’aire culturelle dite kongo furent rassemblées autour des mêmes valeurs sociales et intégrées au sein d’un même ensemble politique que Nimi-a-Lukeni, son héros fondateur nomma kongo, du nom de la population de sa première conquête. L’histoire de ce Kongo là, à l’existence plus historique que ne l’est celle des Kongo antérieurs, reste cependant passablement obscure. Elle n’est connue qu’à travers des traditions mêlées de légendes qu’aucun historien n’est près de prendre au sérieux. 197
Il faut attendre le contact du royaume avec les Européens, à la fin du XVe siècle (1482) : l’arrivée de voyageurs, de commerçants et de missionnaires blancs, leurs témoignages écrits pour avoir du royaume de Kongo et de l’évolution de sa société une connaissance moins approximative et moins imaginaire. Encore que, en dehors du révérend Père Antonio Cavazzi, ceux des Européens qui portaient leurs regards sur la vie du royaume, ne s’intéressaient qu’aux faits politiques et au commerce, à la monstrueuse traite des Noirs à laquelle le royaume paya un lourd tribut, avant de s’effondrer sous l’accumulation de leurs méfaits. C’est ainsi que les règnes, leurs successions, leurs intrigues aussi bien que les protagonistes qui y furent mêlés sont assez bien connus. Deux personnalités : Nzinga-Nkuvu baptisé João, ou Jean, et son fils Mvemba-Nzinga baptisé Afonso, ou Alphonse, illuminent, le second surtout, les débuts d’une longue lignée de rois, plus faibles au fur et à mesure du renforcement de la présence européenne sur le territoire de Kongo, et la multiplication des intrigues des nobles divisés et ambitieux, fomentant des guerres. La dernière en ampleur et qui se termina par la défaite du roi devant l’armée portugaise à Ambwila sonna le glas de l’autorité du roi et précipita le déclin du royaume : 1665. Liste des rois de Kongo I. Kongo-dia-Mpangala II. Lukeni Lwa Nimi (Lwa Mvemba) Après lui : mystère III. Kongo-dia-Mulaza Mystère total IV. Kongo-dia-Mpanzu 198
Mystère total V. Kongo-dina-Nza o Avant l’arrivée de Diego Cão Mystère o Arrivée de Diego Cão et après : 1. 2. 3. 4. 5. 6. 7. 8. 9. 10. 11. 12. 13. 14.
Ndo (du portugais dom) Nzwawu (João I) Nzing’a Mvemba (Nkuwu) I, mort en 1506 Mpanzu’a Nzinga (Mpanzu’a Lumbu) I, 1506-1507 Ndo Mfunsu (Afonso 1er ) Mvemba Nzinga I, 1507-1542 Ndo Mpetolo (Pedro 1er ) (I) Nzing’a (Nkanga) Mvemba II, 1542-1543 Ndo Fula (Francisco 1er) Mpanz’a (Mpudi) Mvemba II, 1543-1544 Ndo Dyoko (Diogo 1er) Nzing’a Mpanzu (Mpudi) I, 15441561 Ndo Mfunsu II Nzing’a Mpanzu (Mpudi) II, 1561-1561 Ndo Mbeledanu (Bernard 1er) Nzing’a Mpanzu (Mpudi) III, 1561-1567 Ndo Ndîki (Henrique 1er) Nzing’a (Mpudi) Nzinga III, 1567-1568 Ndo Luvwalu (Alvaro 1er) Mpanzu’a (Mpudi) Mpunzu IV, 1568-1578 Ndo Luvwalu II Nzing’a (Lukeni) Mpanzu IV, 1578-1614 Ndo Mbele II Nzing’a (Lukeni) Mpanzu V, 1614-1615 Ndo Luvwalu III Nzing’a (Lukeni) Mpanzu VI, 26/5/16151622 Ndo Mpetolo II Mvemb’a (Ntumba) Nzinga (Nkanga) II, 1622-1624 199
15. 16. 17. 18. 19. 20. 21. 22. 23. 24. 25. 26. 27. 28. 29. 30. 31. 32. 33. 34. 35. 36. 37. 38. 39. 40.
Ndo Ngalasiya (Gracia 1er) Mvemb’a Nzinga (Nkanga) II, 1622-1626 Ndo Mbulozi (Ambrosio 1er) Mvemb’a Nzinga IV, 1626-1631 Ndo Luvwalu IV Mvemb’a Nzinga V, 1631-1636 Ndo Luvwalu V Mvemb’a Nzinga, 1636-1638 Ndo Luvwalu VI Mpanzu’a Nzinga (Mbanda) VI, 16381641 Ndo Ngalasiya II Nzing’a Nzinga I, 1641-1663 Ndo Ntoni (Antonio 1er) Mvemb’a (Vita)Nzinga VI, 1663-1665 Ndo Luvwalu VII Mpanzu’a Nzinga (Nsindi) VII, 16661669 Ndo Luvwalu VIII Mpanzu’a Nzinga VIII, 1669-1669 Ndo Lufwayi (Raphaël 1er) Mpanzu’a Mvemba (Vita), 1669-1678 Ndo Nanyele (Daniel 1er) Mpanzu’a Mvemba (Myala) II, 1678-1680 Ndo Mpetolo Constantino 1er, mort en 1709 Ndo Luvwalu X Ndo Zozi (José 1er) Ndo Mfunsu IV Ndo Ntoni II Ndo Luvwalu XI Ndo Leki (Alexo 1er) Ndo Ndiki II Ndo Mpetolo VII Ndo Zozi II Ndo Luvwalu XII Nzing’a Mpanzu VII Ndo Fula II Nzing’a Mvemba (Mavandu) III Mpanzu’a Nzinga IX Ndo Ngalasiya IV, Kafwasa Ndo Ngalasiya V Nzing’a Mvemba IV, 1814 200
41. 42. 43. 44. 45. 46. 47. 48. 49.
Ndo Ndele II, Beya, 1814-1842 NdoLuvwalu XIII Mpanzu’a Nzinga X, 1856-1859 Ndo Mpetelo VII Mvemb’a (Vuzi), 1859-1891 Ndo Luvwalu XIV Mvemb’a Mpanzu (Mfutila) I, 18911896 Ndo Diki III Nzing’a Nzinga (Nteye’a Nkenge) II, 1896-1901 Ndo Mpetelo VIII Mvemb’a (Vuzi) Nzinga, 1901-1910 Ndo Manwele (Manuel 1er) Mvemb’a (Vuzi), 19111920 Ndo Mpetelo IX Mvemb’a Mpanzu II, 1923-1955 Ndo Ntoni III Mvemb’a (Vuzi), 1955-1956 o A Kibangu
1. 2. 3. 4. 5. 6. 7.
Ndo Mfunsu Mpanzu’a (Mpudi) Mvemba I, 1667 Ndo Ngalasiya III Mpanzu’a Nzinga I, 1669-1679 Ndo Ndele I (André 1er ) Mpanzu’a Mvemba II, 1679 Ndo Luvwalu IX Mpanzu’a Mvemba III, 1680 Ndo Manwele 1er Mpanzu’a Mvemba IV, 1680 Ndo Manwele II Mpanzu’a Mvemba V, 1694 (se veut le roi de tout le Congo en 1709) o A Kongo-dia-Lemba
1. 2. 3.
Ntambu I, 1667-1679 Ndo Nzwawu I Mvemb’a Mpanzu, mort en 1710 Ndo Mpetelo I Mvemb’a (Vuzi) Mpanzu
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III- Le royaume de Loango Filippo Pigafetta et Duarte Lopes le disent ancien vassal du royaume de Kongo. On ne sait à quelle date il s’en détacha pour devenir une unité politique tout à fait souveraine. Les habitants sont un mélange de populations autochtones, des eschira-ndumu, semble-t-il, fondues dans d’autres, d’après les traditions vili, d’origine kongo. Le plus gros du groupe des migrants kongo, toujours selon ces mêmes traditions, vint du pays des Bawoyo, au Cabinda, et sans doute de plus loin. Solidement organisée autour d’une puissante confrérie de forgerons, (buvandji) ces Kongo répartis en 27 clans fondèrent le royaume de Loango. Le premier roi vint du clan kondi. Le règne des rois forgerons, neuf au total, fut en permanence troublé par des querelles incessantes avec les propriétaires de la terre ou fumu si. Un matin, une crise grave mit fin à la dynastie des forgerons. Suivit une longue vacance du pouvoir rythmée par les querelles interminables des fumu si. Sur le conseil des autorités religieuses, le mariage d’un homme, probablement d’origine kongo, avec une Aka ("pygmée") qu’on alla chercher au-delà du Mayombe, mit fin à la crise et à la vacance du pouvoir. La jeune Aka ("pygmée") qui fut baptisée Nombo-Sinda par les prêtres du bunzi, installés à Moanda donna naissance à une fille, Ntumba, et à un garçon, Moe Poaty qui ouvrit la liste d’une longue dynastie. Sous Moe-Poaty 1er et ses successeurs, le royaume entama un processus d’organisation et de structuration sociale et du pouvoir qui lui vaut d’être rangé dans les systèmes politiques à pouvoir étatique. Exactement comme l’anzicana teke et le kongodia-ntotila dont il fut, un temps, une possession ; un vassal, d’après Pigafetta-Lopes, on ne sait trop. Ce qui paraît certain, c’est l’origine kongo des fondateurs du royaume du Loango. Kongo au sens large, c’est-à-dire des habitants du royaume de 202
Kongo. Etat authentique, le pouvoir politique y était relativement distinct des autres formes de pouvoir social, et la notion de souveraineté territoriale se trouvait plutôt clairement définie. Etat parce que, il existait une structure gouvernementale clairement identifiable ; un groupe de gouvernants qui se distinguaient du reste de la population par leur statut, leur recrutement, et, sans doute, par leur formation. Le territoire du royaume comprend : la façade maritime qui va de Sette-Cama, au nord, à la tchiloango, au sud (Cabinda), puis, jusqu’au pays des Doondo, l’arrière de cette façade maritime. Sur le plan administratif, le royaume est divisé en sept provinces placées sous l’autorité de gouverneurs : Ma-Mpili gouvernait la province de Mpili, Ma-Loandjili gouvernait la province de Loandjili, Ma-Ngakunu gouvernait le Ngakunu, Ma-Tchilunga avait le Tchilunga, Ma-Yombe avait le Mayombe, Ma-Nkugni-Mbanza avait la province de Nkugnimbanza, Ma-Nkokango, la province de Nkokango. Sur le royaume aux sept étoiles règne un roi tout puissant. Cependant, de nombreux garde-fou et les rigueurs d’une étiquette étrange (vie de reclus, défense d’entrer en contact avec des étrangers, de s’occuper d’économie, de prendre son repas seul) étaient là pour lui rappeler, tout le temps, la précarité du pouvoir par ailleurs exposé aux ambitions des clans kongo, qui seuls élisaient le roi. Et les responsabilités de ce roi tout puissant étaient immenses. Les insignes de son pouvoir constitués d’une main tenant sept étoiles en dessinaient l’étendue. Les sept étoiles symbolisent le visage du souverain. Deux étoiles représentent ses deux yeux qui doivent veiller sur le royaume. Deux autres étoiles symbolisent ses deux oreilles qui doivent écouter les suppliques du peuple. Deux autres encore rappellent les deux narines du souverain qui doit rester sensible aux préoccupations de son peuple. La dernière étoile fait référence à la bouche du souverain qui doit rendre une juste justice. 203
Monarchie élective, la succession au trône ne tient compte que de la ligne féminine, c’est-à-dire de la descendance des sœurs utérines, ou culturellement prises pour telles, du roi. Dans la société vili qui est kongo, le régime de la parenté est, en effet, matriarcal. La traite de Noirs et le déclin du royaume Aussi longtemps qu’il se tint loin des étrangers et n’écouta pas les négriers, le roi du Loango fut puissant. L’adhésion enthousiaste à la traite des Noirs au début du XVIIe siècle, précipita, un siècle plus tard, le déclin du Loango alors plus puissant que le ntotila même. Roi affaibli, territoire émietté dont une foule de notables enrichis dans la traite des Noirs se disputent les dépouilles. En 1883 lorsque Robert Cordier, commandant du Sagittaire signa avec le roi Mani Makosso Tchicousso le traité ambigu qui plaçait son territoire sous le protectorat et la suzeraineté de la France, le roi du Loango était-il encore un vrai souverain, ou simplement était-il devenu depuis longtemps un roi de village ? En tout cas, pendant de longs siècles si prospères, grâce à l’exploitation de ses salines, et du cuivre des pays doondo, grâce au commerce des défenses d’éléphants, des queues de buffle, à cette date, la chute de la population et l’effondrement de l’économie étaient nets.
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Liste de rois connus depuis la fin du XVIe siècle 1. 2. 3. 4. 5. 6. 7. 8. 9. 10. 11. 12. 13. 14.
15.
Malwangu Njimbi, 1600 Malwangu Tati, 1630 Moe Poaty Ier (milieu XVIIe siècle) Ngouli N’kama Loembe, XVIIe siècle N’gangue M’vumbe Niambi, XVIIe siècle N’gangue M’vumbe Nombo, XVIIIe siècle N’gangue M’vumbe Makosso "Touti li m’voula", (17731787) N’gangue M’vumbe Makosso Ma Nombo, XIXe siècle N’gangue M’vumbe Makosso Ma N’sangou (1840-1885) Moe Pratt, destitué après avoir tué sa fille. Son règne fut bref, 1885 N’gangue M’vumbe Loembe Lou N’Kambissi, régna sous le nom de M’voudoukou Sala (1900) Moe Loembe Lou N’gombi "Tchitambouka kou n’gabou", XXe siècle Moe Loembe N’kassou Ma N’tate, XXe siècle N’gangue M’vumbe Tchiboukili, qui régna sous le nom de Moe Poaty II, Moe "Katamatou" 1923-1926. Il fut destitué par l’administration coloniale pour avoir rétabli le poison de l’épreuve dans la justice. Puis il réintégra le trône sous l’impulsion de l’élite de son royaume et mourut en 1929. Moe Poaty III, N’gangue M’vumbe Oussangueme (19311975).
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L’agriculture Royaume d’Anzico ou teke, royaume de Kongo et royaume de Loango ne se ressemblent pas seulement par leur organisation sociale dominée par les maîtres de la terre, fumu si, mfum nsi, nga ntsye aux pouvoirs étendus, la centralisation du pouvoir, et la création d’authentiques Etats, le régime matriarcal de la parenté, mais encore par la nature de l’économie qui place au centre de ses activités, l’agriculture. Celle-ci est dominée par les cultures vivrières qui font au manioc une place considérable. Celle qu’occupait, semble-t-il, une céréale qui rivalisa un temps avec le manioc (apparu au début du XVIIe siècle) avant de disparaître du rang des produits vivriers. Dans certaines régions, le sorgho (c’est de lui qu’il s’agit) subsiste, certes, mais comme plante médicinale connue seulement du seul petit nombre des hommes et des femmes intéressés par la pharmacopée. La culture de la banane et de l’igname occupe un rang honorable. Les pois chiches, les pois d’angole aussi. Importée d’Amérique latine, la culture du tabac fait aux XVIIIe-XIXe siècles, la gloire des pays teke, kukuya notamment. La pêche est active dans les pays kongo où, nombreux, les cours d’eau forment un réseau important. Certaines populations des bords du Congo et du bord de mer ne vivent que de la pêche. Chez les Teke le défaut d’un environnement identique à celui des Kongo, réduit les activités de pêche à peu de chose. Mais la chasse y est une activité importante. Chez les Kongo comme chez les Teke, l’élevage du petit bétail n’est pas négligé : les caprins dominent suivis de porcins dans certaines contrées du pays kongo ; volaille (gallinacées essentiellement). L’élevage ovin est rare ; il semble ne s’être développé qu’à partir de la fin du XIXe siècle. La généralisation de l’élevage bovin est phénomène tout à fait récent. 206
L’artisanat Ces laboureurs ne s’intéressent pas qu’aux fruits du labour. Ceux que d’autres métiers manuels attirent se spécialisent dans la vannerie. Et la vannerie est une activité exclusivement féminine : alors, nattes, hottes, etc. font la gloire de tel village, de telle contrée ; la céramique s’épanouit dans toutes les régions où existe le type d’argile nécessaire à une profession réservée aux femmes, de même que celle de la forge est réservée aux hommes. Mais, cuivre ou fer, ces deux métaux sont rares, et donc recherchés. Le hasard en fit une mauvaise répartition entre les pays teke et les pays kongo. Aux Teke le fer (Zanaga, Mayoko) et le cuivre (Mfouati). Les Kongo durent se contenter du cuivre du Nsundi (pays de Boko-Songho) avant de se partager, plus tard, celui de Mfouati avec les Teke. Les arts Les peuples de ces deux royaumes culturellement si proches, déployèrent à travers les âges de réels talents créateurs ; principalement dans le domaine de la sculpture. Celle-ci se place parmi les meilleures créations de l’Afrique du milieu (les sculptures teke, les sculptures beembe, les sculptures woyo, les masques et les reliquaires punu sont connus dans le monde entier). Bien des musées d’Europe et des Amériques s’honorent aujourd’hui de compter dans leurs collections des productions venues de cette région d’Afrique. Le dessin qui a pour support l’argile de potière, le jonc et le rotin des vanniers s’intéresse essentiellement aux motifs géométriques. Mais l’art de la scarification est souvent prétexte à d’authentiques dessins d’objets figurés. Comme un signal social, on rencontre souvent des hommes, à l’abdomen frappé d’animaux de la famille du lézard : crocodile, varan, etc. 207
La littérature Orale, la littérature est abondante et variée : contes, légendes et bien entendu, le proverbe qui, à lui seul, résume la production littéraire et la sagesse africaines. Le commerce Répartis en communautés culturelles, en sous-ensembles sociaux vivant largement en autarcie, en ce qui concerne les cultures vivrières, (chaque maisonnée produit le nécessaire d’aliment de bouche et se suffit ainsi à elle-même) les Teke et les Kongo avaient du mal à se fournir en produits de l’artisanat provenant de métaux rares et dont les lieux d’exploitation étaient situés à des distances considérables, pour certaines populations. Cette situation, si elle ne fut pas à l’origine de l’avènement du commerce de longue distance, il y a tout lieu de penser qu’elle le favorisa grandement. D’abord à l’intérieur de chacune des deux aires culturelles, puis d’une aire culturelle à l’autre. La nécessité des échanges des produits rares (produits de forge, défense d’éléphants, pagnes de raphia bientôt utilisés comme monnaie, tabac, etc.) rallongea les circuits commerciaux internes au-delà des limites des territoires des deux aires culturelles bientôt quadrillées de pistes de portage. Les principales partaient de Mbanza-Kongo, la capitale du royaume de Kongo, et entraient dans Mbe, la capitale du royaume d’Anzico. De là elle descendait à la mer, traversant les actuels départements de la Lékoumou et du Niari. Puis longeant la mer depuis Mayoumba et Bwali, la capitale du royaume du Loango, elle regagnait Mbanza-Kongo. La traite des Noirs (du 16ème au 19ème siècle) emprunta ce circuit ancien. Il traversait, en effet, des régions densément peuplées.
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CONCLUSION Royaume teke, royaume de Kongo, royaume du Loango. Des ensembles politiques riches, mais qui étonnent surtout, si loin de l’occident "civilisé", par la rigueur de l’organisation politique à laquelle il ne manquait, pour être moderne, que l’usage de l’écriture. La pratique de l’idéogramme existait certes, et peut-être eût-elle évolué pour s’achever en écriture sans la longue perturbation de la traite des Noirs dont le traumatisme, après tant de temps, a du mal à disparaître de la conscience collective. Et la conception déjà presque moderne et proche, par son intention, d’une certaine démocratie, eût probablement inspiré l’Afrique et le Congo indépendants si les héritiers du passé connaissaient moins mal leur Histoire.
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CHAPITRE 7 LES SEIGNEURIES par Abraham Constant NDINGA MBO Introduction Avant l’arrivée des Européens en Afrique Centrale, les ancêtres des Congolais actuels étaient déjà organisés : – en royaumes : Teke, Kongo, Loango, Bétou, Ombouma, etc ; – en seigneuries ou chefferies, notamment dans la Cuvette congolaise ; – en structures politiques moins centralisées, « élastiques », dans la Sangha, la Likouala et la Lekoumou. Ici nous examinerons, assez en détail, les seigneuries ngala de la Cuvette. Seront étudiées tour à tour, les généalogies, les institutions (Okani, Bokonzi, Otwere) et le devenir contemporain de ces seigneuries. I – Temporalité et critique historique Il se pose dans l’histoire des seigneuries ngala un problème de datation de leur implantation dans la Cuvette congolaise. Il apparaît, au vu des généalogies des divers fondateurs des seigneuries, que la solide implantation, notamment des Ngala « gens d’eau », dans la Cuvette congolaise daterait des XVIeXVIIe siècles. C’est ce que suggère en tout cas l’arbre 211
généalogique de Ngobila, héros fondateur de la « nation bobangi ». Nous avons retenu 30 ans pour une génération dynastique et 12 à 15 ans pour la durée d’un règne. Comparativement, Jan Vansina, en 1980, dans l’Histoire générale de l’Afrique publiée par l’UNESCO, a retenu 26 à 32 ans pour dater une génération dynastique. Nous nous sommes appuyé ici, faute de mieux, sur les conclusions du Séminaire qui s’était tenu en 1964 à la School of Oriental and African Studies (SOAS) de Londres et sur celles de la Réunion de travail de 1966 des spécialistes, les plus éminents à cette époque, de l’histoire africaine tels que Ogot, Vansina, Person…Nous sommes toutefois conscient de la valeur scientifique aléatoire de cette méthode.
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II Institutions 1- Okani ou la seigneurie en pays mbosi Y’eut-il au temps de Mwene30 Ndinga, ancêtre éponyme de tous les Mbosi, un Etat confédéral mbosi ? On ne le sait. Les traditionnistes, ibela (obela, au singulier) affirment plutôt qu’au terme de leur solide implantation dans la « zone des terres fermes » de la Cuvette congolaise (XVIe-XVIIe siècles), les Mbosi (Mbosi, Koyo, Akwa, Mboko, Ngare) s’étaient structurés en formations politiques, indépendantes les unes des autres, du type « seigneurie » ou « grande chefferie », que l’on désigne par le terme de « okani » (au pluriel « ikani ». Cette structuration pyramidale de la société mbosi pourrait remonter à Mwene Ndinga. L’okumu, formation politique des Tege-Alima, peuples glacis du royaume de l’Onkoo, est si semblable à l’okani qu’il n’est pas osé de penser à l’influence teke dans la genèse de l’okani. Que les Ngala « gens d’eau » restés dans le « pays des confluents, qui n’ont pas connu ce contact, n’aient pas de kani, confirmerait cette hypothèse. L’okani est un espace géo-politique délimité (conscientisé) sur lequel s’exercent tous les pouvoirs d’un chef investi, kani, à savoir : les pouvoirs agraires (par exemple la répartition des terres à cultiver en cas de conflits), les pouvoirs politiques (par exemple des décisions à prendre conformément aux intérêts de la communauté villageoise), les pouvoirs administratifs (par exemple la levée de troupes, amani bira, pour assurer la défense de la communauté contre les forces ennemies), les pouvoirs mystiques (notamment l’influence d’ordre traditionnel sur les 30
Mwene est le titre que porte, en prénom, le kani, chef couronné, pontifex (en latin), chez les Mbosi. Il est, dans le monde bantu, la variante du même terme qui signifie « seigneur ». Ainsi, nous avons Mani chez les Kongo de l’ancien royaume, Mwe chez les Vili.
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mentalités, l’action sur les pluies, l’action sur le cœur des hommes en arrêtant instantanément les querelles…), les pouvoirs judiciaires. Le kani est le chef, le guide moral, politique (au sens large) du pays sur lequel s’étendent et s’exercent ces droits et pouvoirs qui sont en principe héréditaires, d’oncle maternel (ngolomi) à neveu (mwana bola), ou de père en fils. Le kani, maître de la terre, est responsable de toutes les calamités qui surviennent sur sa terre, tsenge. Aussi s’entoure-t-il de pouvoirs magiques. A cause de ses pouvoirs, les Mbosi devaient, et doivent encore aujourd’hui au kani, respect et soumission ; ils se le représentent comme un personnage audessus de tous les humains. La terre est censée lui appartenir : tseng’a kani. Pour tous, il incarne la sagesse. Son âge, sa prestance magnétique le placent au centre de la vie politique de la terre. Il est le maître de la famille, paterfamilias, le maître de la justice. Il est taillé à l’image de son totem, le léopard, ngwe, l’animal le plus craint chez les Mbosi à cause de sa férocité, sa voracité, sa témérité. Le kani pense détenir son pouvoir de Nzambe, Dieu, par l’intermédiaire et sous le contrôle des esprits des ancêtres : Nzambe lui a donné l’otwere, la sagesse, condition nécessaire et suffisante pour mener à bien sa tâche. Tout kani est un twere, c’est-à-dire un sage. Dans les procès, c’est lui qui préside la cour constituée de twere. Lorsqu’il rend la justice, le kani tient une espèce de balai fait de nervures de palme, mwanzo ma okani, qui symbolise la justice et que tiennent également en main tous ceux qui sont investis du pouvoir de rendre la justice ou de plaider, les twere. Tenir le mwandzo se dit en réalité : ikyena la mwandzo, « ne parler qu’au nom de la vérité et de la justice », c’est-à-dire conformément aux coutumes du pays que représente le mwandzo du kani, gardien lui-même de ces coutumes ancestrales. Voilà pourquoi le mwandzo confère l’immunité à celui qui le tient. 216
Ainsi, lorsque deux personnes se battent, une tierce personne peut les écarter instantanément l’une de l’autre à l’aide du mwandzo. La rixe cesse sur-le-champ, automatiquement. C’est au cours d’une longue cérémonie que le kani investi reçoit tous les attributs de son rang, ses insignes de souveraineté (cf Photo ), en même temps que les « Anciens », a nganga b’otwere ou imangi m’otwere (les Mbosi asi Olee disent a nga kwephe) l’initient à la profonde philosophie du pays, otwere, fondée sur la justice sociale. Cette cérémonie a lieu dans le « bois sacré », à l’intérieur d’un enclos préparé à cet effet, kinda. Les insignes de souveraineté les plus remarquables sont : ingamba (couronne recouverte de peau de léopard), ekumbu (coiffure de tête de léopard : porté par les kani koyo), lepopo (coiffure ornée de plumes de perroquet : portée par les Mbosi olee à la place de ingamba), osanga ou mina a ngwe (collier en dents de léopard), oporo ou lendzoo (bracelets), ebula (tissu de raphia orné de peaux de bêtes), ibaka la letsere (couteau de parade), ikongo la osende (lance qui symbolise le pouvoir spirituel), ikongo la ngandza (lance qui symbolise le pouvoir politique, administratif), epumbu (touffes de crins - queue de buffle ; poils d’éléphant fixés à un manche), kongolo ou pango a kani (sceptre : signe de la paix), penge ou olondo (petit sac), okombo (gong), ikoro a ngwe (peaux de léopard : servent de tapis - parfois de costume lors des grandes manifestations de la cour), kami (sorte de toge, de couleur rouge : portée par les kani mbosi olee), dzembe la etusu (hache de parade portée sur l’épaule), lekondza (siège), myondo (dessins particuliers sur les jambes), ingwembe (larges traits noirs sur le front), piri o kani (long trait noir sur la poitrine), mondo (trait rouge sur le bras droit), poro o kani (trait rouge sur le bras gauche). A la mort du kani, on exécute toute une série de danses spécifiques pour célébrer ses vertus : olee, kongo, mondo (pour célébrer son art médical), koma et bira (pour célébrer ses vertus 217
guerrières), okya (pour louer sa grande expérience de chasseur), lekwa (pour le vanter en tant que maître et grand voyant), kyebekyere (danse du serpent python), ikango (danse sacrée)… La classe des kani comprend trois grades, qui correspondent à trois étapes initiatiques : Etapes initiatiques Okani (1er niveau)
Okani (2ème niveau)
Okani (3ème niveau)
Grades Sans insigne de souveraineté Porte comme insigne de souveraineté, une queue de buffle, epumbu Porte une couronne recouverte de peau de léopard, ingamba
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Titres Okogna (chez les Akwa)
Mwene
Mwene
Mwene Obili, kani d’Elingilawe (1995-2004) 219
2- « Bokonzi » Les Ngala « gens d’eau » installés quant à eux sur de rares terres exondées, au fond de la cuvette congolaise, s’étaient structurés en de véritables cités-états. C’est en tout cas ainsi que les explorateurs européens de la fin du XIXe siècle qualifient les grandes concentrations humaines qu’ils découvrent autour des « Lagunes likuba ». Ils parlent de « fourmilières humaines », de « véritables Venises » à cause de nombreuses cases construites sur pilotis. En illustration : la cité-état likuba que découvrent les Français à la fin du XIXe siècle se présente comme une communauté territoriale très homogène construite autour d’un lac. Il s’agit précisément d’une agglomération de villages séparés les uns des autres par des bandes de terre vierge ou mise en culture. Comme chaque village avait aussi sa portion de lac à ajouter à sa portion de terre, cette limite territoriale sur les eaux du lac était marquée par des sortes de forêts flottantes de roseaux. La cité-état était d’abord une fondation d’habitat à base de rapports lignagers et d’alliances. A l’intérieur de la cité-état, le village constituait l’unité politico-sociale de base de la société. Chaque communauté villageoise constituait une chefferie autonome au sein de la cité-état qui était gouvernée par le conseil des aînés où chacun d’eux représentait une cellule sociale, un lignage, car la chefferie ne se réduit pas ici au seul lignage ; elle est effectivement l’association des lignages et de leurs affins. Le chef du village, mokondzi o mboka, avait des attributs d’ordre politique, judiciaire et religieux, à l’instar du kani. C’est le développement du commerce le long du Congo et de ses affluents qui est à la base de l’émergence chez les « Gens d’eau » de la catégorie de chefs dits « akonzi » (au singulier, okonzi). A l’origine, le terme « okonzi » désignait l’homme matinal qui apportait au village du gibier. Progressivement, de l’expression d’une condition physique et morale, le terme « okonzi » se chargea aussi d’une valeur sociale. Désormais, il s’appliquait à 220
l’homme devenu riche et influent au village, cela grâce au travail, le self-made man. Chaque village dans la cité-état était pratiquement indépendant et s’occupait de ses propres affaires ; il n’y avait pas à proprement parler d’autorité unique. L’explorateur Albert Dolisie présente à la fin du XIXe siècle Bonga, construit à l’embouchure de la Sangha dans le fleuve Congo, comme une véritable cité-état dirigée par un roi, Ndombi 1er, mais confirme cette autonomie des villages dans la cité-état. Il précise même que Bonga était une agglomération de hameaux composés de plusieurs quartiers, habités par des peuples divers, dont notamment les Bobangi, Bayandzi, Bangala, Mbosi, Sangha. Il ajoute que certains chefs avaient de l’ascendant sur les autres : par exemple, le descendant du fondateur du premier village de la cité-état jouissait d’une influence considérable au sein de la citéétat. Son village tenait lieu de capitale où se discutaient toujours toutes les affaires ayant trait à l’ensemble de la cité-état. Il pouvait donner, en tant que « visionnaire », des ordres à toute l’agglomération et les gens suivaient. C’est là le secret de la renommée de Bolunza Noka, chef de Mbanza, qui avait affronté l’explorateur Pierre Savorgnan de Brazza en 1878 lors de sa descente de l’Alima. Cependant, tous les chefs de village n’étaient pas obligés de suivre son avis. En dehors des palabres opposant les membres de la cité-état, ce chef, mokonzi, n’avait pas d’autres occupations particulières. Il n’y avait pas, en effet, des travaux d’ordre public à exécuter. Le chef de la cité-état ne recevait aucune redevance de la part des habitants des différents villages. Il est vrai que souvent, les petits chefs de villages et ceux des villages des cités-états voisines venaient lui rendre hommage avec des présents ; mais dans ce cas, il donnait plus qu’il ne recevait : l’une des qualités de chef chez les Ngala est celle de savoir partager les biens avec ses hommes et avec ses hôtes ! Le gros de ses richesses venait 221
généralement des biens de sa propre famille (au sens large) et du travail de ses nombreux esclaves et femmes. Ainsi, les relations que le chef de la cité-état entretenait avec les membres de la cité-état se résument plus en termes de régulation de la vie en commun qu’en termes de pouvoir pesant sur le groupe. D’ailleurs, il n’avait pas ici à sa disposition des moyens de coercition ; et moins une organisation administrative. L’administration se confondait ici avec celle du village-capitale. Sans doute, c’est l’étroitesse de la cité-état qui ne justifiait pas la mise en place des structures complexes et la délégation des prérogatives à des fonctionnaires. 3. « Otwere » Les deux peuples ainsi répartis en « Gens d’eau » et « Terriens » ont conservé jusqu’à ce jour, en commun, un trait essentiel de civilisation, otwere (bototele). En pays ngala, otwere désigne la judicature, la profonde philosophie du pays fondée sur la justice sociale car otwere est en réalité l’union de la sagesse et de la vertu dans un individu.
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Otwere (Bototele) en pays ngala : différentes hiérarchies Akwa Etape initiatique (classe) 1°/ Idya 2°/ Otsotso 3°/ Eduma 4°/ Ayina 5°/ Oywe 6°/Oyombi
Grade (diplôme)
Twere (1er niveau) Twere (2eme niveau) Obela (okombe) 1-Yombi ekwiki 2-Yombi ya piri
Koyo Etape initiatique Okoso Otsotso Ibwa Otsongo Abongo tsambo Lepembe
Grade
Twere (1er niveau) Twere (2eme niveau) Obela Obela ma lepembe
Likuba Etape initiatique
Grade
Mongelu Mitsambo Monuangi
Mondo Ntotele (mwanzo moko) Bototele Ntotele (2eme niveau) Ngoko Obela (Niangu (mianzo Ntotele) mibale) Ngandzongo Ndeke
Jusqu’à la deuxième étape initiatique, l’élève, parce que non initié encore à l’otwere, n’est pas autorisé à pénétrer dans le « cercle otwere » lors des procès. Cas particuliers : chez les Likuba, le twere (1er niveau) reçoit comme symbole un mwanzo à tronc rond ; à partir de la 5eme étape initiatique, il est autorisé à tenir le mwanzo à tronc pointu. Jusqu’à ce jour, les initiés à l’otwere sont organisés en pays ngala en un véritable conseil d’aînés, une caste dirigeante qui anime ici tout le système politique. Ils ont, dans tous les villages, la responsabilité de la conduite morale, des lois et coutumes, de l’histoire. Les Ngala sont si respectueux de leur histoire qu’ils ont dû créer en conséquence une catégorie de twere, les ibela (au
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singulier : obela), dépositaires et transmetteurs de la connaissance historique. L’emblème que les ibela tiennent comme insigne de souveraineté est le mwanzo, qui symbolise la sagesse, la justice. Ne peuvent le tenir que les initiés et les femmes ! Obela est une fonction qu’exerce le twere d’exception, remarqué pour son éloquence, sa sagesse, sa science, sa culture générale. Sans l’obela, généalogiste émérite de l’okani (seigneurie), ne seraient possibles en pays ngala ni les mariages, ni les accords, ni les jugements. Malgré le morcellement de l’espace de la Cuvette congolaise en plusieurs groupes ethniques et en seigneuries, ikani, indépendantes les unes des autres depuis l’époque précoloniale, les twere ont toujours représenté une pensée centrale, une tradition, la véritable unité spirituelle de tous les Ngala, « Gens d’eau » et « Terriens ». Cette classe, éminente par le savoir et l’autorité était, et reste encore aujourd’hui, l’âme du pays ngala, le fondement d’une véritable « nation ». Cette « identité nationale » transparaît de nos jours dans les centres urbains comme Brazzaville ou Pointe-Noire : quelle que soit son origine ethnique, tout initié à l’otwere participe – sans y être forcément convié – aux divers procès judiciaires coutumiers ou aux cérémonies rituelles d’intronisation, de succession, d’héritage et reçoit son indemnité de session. III – Economies Depuis leur solide implantation dans la Cuvette congolaise (XVIe – XVIIe siècles), ces deux peuples, les « Gens d’eau » et les « Terriens », étaient impliqués dans une active vie d’échanges marquée par la complémentarité bien comprise entre « Terriens » et « Gens d’eau » dont les produits principaux ont toujours été le manioc contre le poisson, les poteries, les huiles, 224
les sels…A partir du XVIIe siècle, les « Gens d’eau », les Bobangi et les Likuba notamment, prirent part au commerce d’esclaves, en véritables courtiers de la Cuvette congolaise des commerçants en provenance de la côte atlantique qui étaient les Mubiri (les Vili), les Pombeiros (les métis en provenance du royaume de Kongo) et les Nzombo, et à partir du XIXe siècle au commerce d’ivoire après l’abolition de la traite atlantique . Par ces contacts, ils ouvrirent dès ces temps précoloniaux tous les peuples de la Cuvette congolaise à la civilisation européenne, ici symbolisée par les produits manufacturés européens tels que les couvertures, les draps, la quincaillerie… Avant l’irruption des Européens en 1878, les « Gens d’eau » notamment animaient dans le bassin du Congo une dynamique vie d’échanges. Le commerce sur le fleuve et dans les rivières était réglementé. Les « Gens d’eau » avaient divisé la Cuvette congolaise en zones commerciales sur lesquelles ils exerçaient des monopoles d’exploitation : -les Likuba avaient acquis un monopole d’exploitation sur l’Alima et son principal affluent, la Mpama ; -le trafic sur la Sangha était contrôlé par les habitants de Bonga, installés précisément au confluent de la Sangha et du fleuve Congo ; -le commerce sur le Kouyou était aux mains des Buenyi, une population particulièrement apte à jouer d’intermédiaires entre les Likuba dont elle occupe d’ailleurs l’arrière-pays, et qui avait, au même titre que les Likuba et les Bobangi le sens du placement sur les itinéraires commerciaux ; -les Likwala installés en amont de Loboko, organisaient leurs propres convois, moluka, dans la Haute-Likouala-Mossaka et dans la Mambili.
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A tous les points de confluence de ces affluents, s’étaient implantées des cités péagères : une position, à l’évidence stratégique, qui permettait aux chefs de ces cités de percevoir des droits de passage de la part des commerçants ambulants partis de l’amont des rivières pour le fleuve Congo. On peut signaler par exemple Loboko au point de confluence de la Likouala-Mossaka et du Kouyou, Nkonda à l’embouchure de l’Alima dans le fleuve Congo, Bonga à l’embouchure de la Sangha dans le Congo, Bobangi à l’embouchure de l’Oubangui dans le Congo. Il fallait nécessairement nouer des relations particulières avec l’un ou l’autre notable (chef de famille influent ou chef de village) de la cité péagère pour y effectuer normalement toutes les opérations de vente et d’achat ou pour la traverser. Ce système de monopoles et péages était aussi en usage chez les Ngala « terriens » fournisseurs de vivres d’amont : chaque sous-groupe ethnique tenait son monopole sur son espace propre et ses courtages à la lisière avec les voisins, la remise des marchandises devant obligatoirement s’opérer entre les mains des professionnels coutumiers, les ibela. Les bweta (le bweta est, au vrai, un canyon : il est considéré comme un passage dangereux) constituaient d’autres points stratégiques dans les rivières. Des seigneurs péagers s’installaient à leur entrée ou sortie afin de percevoir les droits de passage. En illustration, à Linnengue (au vrai Ingye), actuel quartier d’Owando, les marchands likwala (ils sont ici dits « Angye », les « gens de l’aval » du Kouyou ) se rendaient presque toujours, dans les années 1940-1950, chez Mwene Obouralogo, kani de ce village. Leurs campements, de temporaires devinrent définitifs, et dans les années 1940, ceux-ci se transformèrent en de véritables quartiers du village Linnengue. Il en est ainsi des actuels villages Ongoyo, Indanga, Asali, 226
Ibongo l’ombogo, sis aux environs immédiats de l’actuel aéroport d’Owando. Ces « Gens d’eau » installés comme affins, ont même acquis des droits sur des domaines de Linnengue. L’actuelle ville d’Owando possède son quartier de Likwala, Likuba et Buenyi, qui se sont établis là selon la même procédure : la tolérance de l’aristocratie koyo de la cité a permis l’installation à sa porte de la bourgeoisie d’affaires, bakonzi, et transformé le village en cité-état avant l’arrivée des Européens. Owando est devenue depuis, une cité pluri-ethnique : à la couche ngombe autochtone est venue se surimposer vers le XVIIIe siècle la couche mbosi, constituée en fait des conquérants venus avec Okiemba et Mbouma de la boucle de l’Alima, pays ngilima. A la fin du XIXe siècle, époque de l’arrivée de Pierre Savorgnan De Brazza, les Ngala « gens d’eau » étaient, de toutes les populations de la Cuvette congolaise, les mieux préparées à accueillir les Français, eux qui avaient pris l’habitude de descendre jusqu’au Pumbo, à leurs risques et périls, pour faire l’acquisition des objets « made in Europa » qu’ils aimaient déjà capitaliser sous forme de « biens de prestige », ou consommer de façon ostentatoire lors des grandes cérémonies (une forme de « potlatch »). Les principales marchandises que les « Gens d’eau » rapportaient du Pumbo, acquises auprès de leurs « amis de commerce » les Mubiri, les Pombeiros, les Kongo ou les Nzombo étaient : des fusils à pierre, des barils de poudre, des cotonnades de plusieurs sortes dont principalement l’americani blanc, mbenza, utilisé comme linceul dans les enterrements, des guinées bleues, mpili, et des étoffes chinées carrelées de noir et blanc, mokungulu, utilisées dans les rites religieux, l’andrinople rouge, mbende et korolongo, et les couvertures rouges imprimées de léopard, molangiti mo ngoyi, portées exclusivement en signe d’autorité et de prestige par les chefs de villages et les nobles. 227
Ces Ngala « gens d’eau » semblaient si bien connaître les Européens que leurs premières rencontres « physiques » avec eux furent marquées par des affrontements guerriers. C’est en fait le cas du contact Pierre Savorgnan de Brazza / Boloundza Noka, un des chefs des Likuba. Une raison essentielle peut expliquer cette hostilité manifestée par les Likuba à De Brazza : les maîtres de la navigation sur l’Alima ne voulaient pas recevoir dans leur univers les « Blancs » dont ils avaient appris à connaître l’activisme commercial de la « bouche » des peuples côtiers qui fréquentaient, comme eux, les « foires » du Pumbo ; ils ne pouvaient, en conséquence, qu’être hostiles à leur « pénétration » économique appelée à ruiner leur très lucrative activité. En quoi d’ailleurs les Likuba avaient eu raison. La suite de l’histoire du contact France/Congo révélera les vraies motivations de cette intrusion des Français : la mise en place d’un système d’exploitation, à leur profit, des richesses de la Cuvette congolaise. IV – Seigneuries et modernité La pénétration de l’économie monétaire européenne à partir du XXe siècle entraîna des mutations profondes des cadres de la vie traditionnelle. L’argent était devenu un besoin fondamental des populations, non plus seulement comme moyen de payer l’impôt, mais aussi pour satisfaire d’autres besoins sociaux. Il fallait désormais produire pour le marché afin d’obtenir de l’argent. Le nouveau mode de production des Français avait ainsi brisé le mythe de la richesse réservée dans la période précoloniale aux kani, aux mfumu et aux nobles. Il vint renforcer la nouvelle hiérarchie sociale née aux XVIIIe-XIXe siècle, les maîtres du « commerce à longue distance », véritable aristocratie d’affaires, bakonzi (mvouama chez les Laari ; kisina chez les 228
Kunyi ; tsisina chez les Vili), en place au Congo dans toutes les seigneuries. L’administration coloniale captura cette classe pour qu’elle lui serve de base de manœuvre. En effet, pour mieux contrôler les populations autochtones, l’administration coloniale avait choisi de faire des bakonzi des instruments de sa politique. Elle les nommait « chefs de village », « chefs de terre », « chefs de canton ». Parfois même, pour s’assurer leur docilité, elle hissait certains au-dessus des autres avec le titre ronflant de « chef supérieur », « chef de tribu »... L’agent commercial aux prises avec la nécessité de faire rentrer la récolte et l’impôt, faisait pression sur la main-d’œuvre par l’intermédiaire de ces chefs de fraîche date. Les préoccupations économiques et politiques, naturellement à l’avantage du colonisateur, présidaient désormais à l’accession au sommet des unités résidentielles. La seigneurie avait ainsi cessé d’être héréditaire ; elle n’était plus la propriété du lignagemaître du village. Les kani ou les mfumu, traditionnellement chefs, seigneurs, propriétaires de la terre, se voyaient désormais préférer par les autorités coloniales les nouveaux chefs, bakonzi, à l’échelon de qui se faisaient les recensements et se pratiquaient les recouvrements d’impôts. Ce nouveau chef était en fait l’homme de paille de l’administration. La satisfaction des intérêts de l’occupant primait désormais sur la mission primitive et mystique du chef, celle d’assurer le maintien et la fertilité de la terre. Lorsqu’il sortait d’un lignage autre que le lignage-maître, il perdait le prestige que conférait au kani ou au mfumu le fait de descendre des premiers occupants du pays. L’obéissance au mokonzi reposait désormais sur la crainte de la répression de l’administration. Les cas de contestation étaient désormais nombreux et mokonzi à qui l’on rappelait au besoin qu’il détenait son pouvoir de l’Européen, voyait son autorité s’effriter. Il 229
apparaissait aux yeux de la communauté comme un usurpateur et un instrument au service de l’occupant. Cette contestation se justifiait d’autant plus que les Kongo ou les Ngala n’avaient jamais connu ce genre de seigneurie bâtie de toutes pièces par l’administration. Le village ou la cité-état, autrefois dirigé par le conseil des chefs de lignages sous la présidence du chef du lignage-maître, était maintenant passé sous la coupe d’un despote. Le nouveau chef imposé par l’administration coloniale était pour le village ou la cité-état un élément hétérogène. Le Chef de la région de la Likouala-Mossaka Herse au terme de son enquête à travers tout le pays ngala sur les chefferies traditionnelles en 1957, était parvenu à la recommandation suivante : La France devra conserver dans tous les villages le Mouene comme chef de village. Notre tort est d’avoir souvent nommé comme chef de village un autre chef que le Mouene. Il y a alors dans le village deux chefs, dont l’un, le chef officiel, est chargé des travaux, de l’impôt, de la production, des rassemblements, bref de tout ce qui dépend de l’ordre des Blancs. Pour obtenir des résultats, il faut souvent que le chef de village se fasse aider et assister par le Mouene, autrement il ne pourrait rien31. En appuyant son œuvre sur cette nouvelle catégorie de chefs, l’administration coloniale avait rendu en réalité, sans en prendre conscience, un grand service au pouvoir ancien des mfumu et des kani. Cette capture eut en effet des suites positives : les populations, écœurées par les exactions coloniales, trouvèrent dans les mfumu et les kani le seul pouvoir de salut. Et, partout, se 31
Herse, 1957, « Voyage à Diele », Liaison, n° 57, p. 32-35.
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renforça l’idée que les « nouveaux chefs » issus de cette classe d’argent que constituaient les bakonzi étaient un pouvoir d’étrangers. Dans ce double conflit pour l’influence, les mfumu et les kani gardèrent le dessus. Ils représentaient pour tous le seul pouvoir authentique né d’une dynamique intrinsèque de la société. Ce qu’il y a de notable, c’est que la colonisation ne réussit jamais à faire disparaître la seigneurie, comme relevé par le Chef de région Herse, d’ailleurs hier comme aujourd’hui. Les mfumu et les kani continuèrent à « dire le droit », à appliquer la coutume et les sentences en cas de palabres dans les villages ; par contre les bakonzi siégeaient dans les nouvelles juridictions coloniales. Les Kongo et les Ngala vécurent donc sous une dualité de pouvoirs à l’époque coloniale, justiciables selon les cas devant la justice traditionnelle du mfumu et du kani, ou devant la « justice indigène » du mokonzi.
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CHAPITRE 8 LES POUVOIRS « ELASTIQUES » par Jean Bosco ANIZOCK Introduction Il faut entendre par pouvoir politique « élastique », une forme d’organisation socio-politique où le pouvoir de décision, de contrôle et de direction est assez diffus socialement, c’est-àdire « décentralisé », non institué, à l’opposé du pouvoir hiérarchisé des royaumes et des seigneuries. Le pouvoir n’est pas moins là. Il est simplement « décentralisé », sans organes spécifiques institués pour son exercice. Les ethnies de la Sangha ont connu, de façon générale, ce genre d’organisation socio-politique avant l’arrivée des Européens et de la colonisation. Tel est l’ojet essentiel de ce chapitre : l’examen du pouvoir « élastique » ou « décentralisé ». On présentera au préalable le pays et les ethnies concernées. Le pays La Sangha, zone entièrement forestière, est un vaste territoire de 55 800 km2 avec des villes et villages comme Ouesso, Souanké, Sembé, Liouesso, Pikounda, Pokola, Ngombe, Ngarabizam, Ngbala, etc. Les ethnies Nombreuses sont les ethnies qui peuplent aujourd’hui la Sangha : les Fang ou Pahouins, autour des villages Alati, Mintubu, Mama, Abam ; Les Ndzem autour des villages Maka, 233
Ntam, Assomdele, Anzobo, Meyos, Bedoumo, Dzialaba, Bamaboul, Elendzo, Ndama, Ndongo, Djobempum, Bendama, Nemeyong. Les Ndzem sont étroitement apparentés aux Dzimou et aux Badjue du Cameroun. Les Kwel (Bekwel, Bakoulé, Bakwele), vivent dans les disticts de Sounake, de Sembe, de Ngbala et de Mokeko avec des avancées au Gabon, vers Mekambo et Makokou. Les Kwel comprennent les Mebeza, les Ebaa, les Mekouob, les Zalagueh. Ceux qu’on appelle les Sangha-Sangha sont en fait divers groupes assez indépendants : les Bomouali, les Lino, les Pomo ou Kweso et les Bomassa ou Imassa. Les Bonguili et les Bokiba de la Sangha sont très apparentés aux Mbosi, Koyo, Ngare, Akwa, Likouba et Likouala. Les Kota sont des bantu qui vinrent dans la Sangha après les Aka ("pygmées"). On compte aussi les Ngondi qui sont de grands pêcheurs, les Baya, fameux piroguiers, et les Mbemou. Le pouvoir « élastique » L’organisation politique précoloniale de ces ethnies était basée sur la patrie-filiation associée à l’exogamie : le sang commun était le seul lien historique valable entre les individus. Il s’est ainsi formé des patrilignages comme réseau socio-politique, telle une toile d’araignée sociale. Le patrilignage est mbi chez les Ndzem, mbak chez les Kwel, layon chez les Fang/Pahouins, dia chez les Bokiba, nih chez les Bomouali, mbik chez les Lino. Aînés, cadets, fils et filles, femmes célibataires ou divorcées, tous font partie du patrilignage. Dans un village, chaque patrilignage occupe une parcelle (bidel chez les Kwel, beodaï chez les Bomouali) et relève d’un patriarche qui participe à la gestion des affaires communes à partir du baz chez le Kwel, mpaa chez les Ndzem, kandza chez les Bokiba, mbandjo chez les Bomouali et Lino. Tous ces mots 234
désignent un local, une maison rurale à palabres, siège de l’autorité patrilinéaire. Chaque baz conserve son entière indépendance. Un village regroupe par conséquent des patrilignages différents avec des sièges indépendants. Il n’y a pas de centralisation instituée. La justice est rendue par le chef du patrilignage. Mais ce chef n’est pas désigné par une assemblée quelconque. Il émerge par ses propres vertus qui en font automatiquement un homme de sagesse et, du coup, d’autorité. Le pouvoir politique vient de la valeur intrinsèque des individus. Le chef du patrilignage est assisté dans ses décisions par des agents de justice, telep des Kwel, tatapou des Bomaouli et Lino, totele des Bokiba. Ainsi, en conclusion, le pouvoir exercé de façon décentralisée renforce le sentiment communautaire des groupes humains. Les problèmes sont alors résolus dans la recherche du consensus, de la paix et de l’harmonie sociale. Ces valeurs sont toujours d’une actualité moderne.
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Annexe Tableau comparatif de quelques langues de la Sangha 1 - ENVIRONNEMENT Forêt Arbre Eau Cours d’eau Village Champ Animaux Poissons Oiseaux
Bomouali dikou le modibo dibo
Lino dikou le modibo dibo
Kwel dik le medii dii
Ndzem dii le medibo dibo
dayi pembo bo titi bo sou bi non
dali pembo bo titi bo sou bi non
del piep be tit be sou e nen
kwot piem be tit be sou be non
2 - PARTIES DU CORPS HUMAIN homme femme corps humain tête figure menton nez ventre dos jambes genoux cheveux œil
motomo mouma gnol (nyol)
motomo mouma gnol
motom moma gnel
morom moma gnol
lo mbombou dassi do mo Koou moko mo boon mbo dis
lo mbombou dassi do mo koou moko mo boon mbo dis
lo bouo des do mo kong meko me bong boo dis
lo mpouom dee do mo koo meko me boo mpouo dii
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3 - ACTIVITES Mariage Manger Défrichage Abattre les arbres
Bomouali -ba -dè -lio -kwelo
Lino -ba -dè -lio -kwelo
Kwel -ba -dè -li -kwal
Ndzem le ba le dè le li le swal
4 – NUMERATION DE 1 A 10 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10
woto biba bilali bina betani tobo tomali bitan ne bilali bitan ne bina kamo
wat be ba be laal be na be tan toobo tan n’eba mwambi tan be na kaomo
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wat ba lel na ten ten ne wat ten n’eba ten n’elel ten n’ena kam
gwar beba belel bena beten besamo zangba mouon boul kam
CHAPITRE 9 LES AKA par Yvon-Norbert GAMBEG Introduction En se basant sur des enquêtes directes de terrain et sur les données, fort variables, de la littérature ethnographique, ce chapitre a pour but de présenter, objectivement, les peuples Aka qui sont habituellement connus à travers clichés et préjugés innombrables et persistants. Seront abordées tour à tour les questions de dénomination, de localisation ou d’espace territorial occupé, de divers groupes humains et de leurs idiomes caractéristiques, de densité démographique, de vie sociale, matérielle et économique dans des écosystèmes forestiers, enfin la quête des valeurs de civilisation des Aka. Le résultat espéré sera, sans doute, une compréhension plus complète et plus exacte des peuples Aka. I - Diverses désignations Des termes comme "Pygmées", "peuples autochtones", constellés de préjugés anciens et récents, ont été utilisés pour désigner les nombreux peuples Aka. Ces termes et tant d’autres obéissent, pour le moins, à des paradigmes extérieurs, extrinsèques, exogènes. Sinon, les peuples globalement appelés ici les Aka se nomment eux-mêmes, de façon intrinsèque, endogène, par ces mots : Aka, Binga 239
(Babinga), Mbènzèlè, Mbuti, Tswa, Cwa, Batwa, Ife, Bangombe, Akola, Baboongo, Ciwa, Baka, Bibayak, Barimba, etc. Ces peuples congolais Aka sont généralement de petite taille (sans phénomène de nanisme) en comparaison aux autres peuples congolais, locuteurs, eux, des langues bantu ou autres. Cependant, peuples Aka et peuples bantu sont tous, au nom des valeurs de dignité et des droits humains, de l’égalité républicaine et de la fraternité humaine, des peuples congolais égaux : des peuples originaires d’Afrique, des peuples indigènes, autochtones, aborigènes, tous naturels du continent africain comme tous les autres peuples natifs d’Afrique. Migrations, déplacements, à l’intérieur du continent, n’enlèvent pas à certains peuples leur autochtonie africaine. Une certaine anthropologie, liée encore aux thèses évolutionnistes dépassées ("sociétés primitives", "peuples sauvages", "langues inférieures", "cultures non-évoluées", etc.), cultive toujours le primitivisme lévybruhlien. C’est fort regrettable. Il est plus sain de nommer les gens par les mots avec lesquels ils se désignent eux-mêmes. Pourquoi appeler les Français d’aujourd’hui "peuple gaulois" alors qu’ils s’appellent eux-mêmes "peuple français". Les "pygmées" ne s’appellent pas "pygmées" ni "peuple autochtone" mais Aka, dans un Etat de droit, comme les Vili se nomment Vili ; les Yaka, Yaka ; les Likuba, Likuba ; les Djem, Djem ; etc. II - Localisation et présentation Les Akola du Parc national d’Odzala dans le nord du Congo habitent les clairières, contrairement aux autres Aka de la Likouala et de la Sanga, du Niari et du Kouilou, de la Cuvette qui ont tous pour habitat la forêt équatoriale primaire. Les peuples Aka sont par conséquent essentiellement, de nos jours, des peuples de forêt dont ils connaissent d’instinct toutes les richesses fauniques et floristiques. 240
Ainsi, les Aka du Congo et ceux de la RCA, du Cameroun, du Gabon et de la RDC sont pour ainsi dire les habitants naturels des forêts du Bassin du Congo où vivent encore des primates (gorilles et chimpanzés) qui attirent sans cesse des chercheurs en biologie animale. III – Langues et divers groupes humains Vivant dans des écosystèmes forestiers spécifiques, les Aka sont devenus, au cours des âges, les maîtres de la forêt, en tant que botanistes excellents, chasseurs très adroits et collecteurs réputés. Au point de vue ethnique et linguistique, les distinctions ciaprès sont à faire : K dans la zone de Mbomo : les Bakola / les Akola. Les Aka Bakola parlent leur langue aussi bien que les langues de leurs voisins Bantu Mboko, Kota et Mongom ; K dans la Cuvette congolaise : les Asuma (Ashuma), parlent aussi les langues des Akwa (Makwa), Koyo (Kuyu), Likuba, Likuala. Les Tswa et les Korobongo sont des Aka qui parlent le mbosi (mbochi). Les Aka Tswa, Bongo, Babi et Akikila connaissent des dialectes teke. De façon courante, les Aka sont multilingues dans la Sangha, la Likouala, la Cuvette centrale, la Cuvette ouest, les Plateaux, le Niari, le Kouilou, etc. IV – Démographie D’après les recensements de 1934 et 1936, les Aka du Moyen-Congo et de la Lobaye (RCA) étatient estimés à 9 356, dont 6 829 pour les subdivisions de Dongou et d’Epena. 241
La chefferie de Sembe, dans la Sangha, en 1957, enregistrait 7 231 Aka pour six villages. Les Aka sont nombreux, avoisinant parfois les effectifs de leurs voisins Bantu. Les mariages entre Aka et Bantu ne sont pas exclus. Les Aka et les autres Africains ont fondamentalement les mêmes groupes sanguins. V – Organisation sociale et économique Excellents chasseurs, les Aka vivent dans des campements provisoires. Ils sont semi-nomades, à la poursuite constante du gibier. Ils manient avec une précision rare l’arbalète, l’arc, la flèche, le filet. Chasseurs-collecteurs, les Aka se rattachent à des clans, à des groupes parentaux ouverts, c’est-à-dire suceptibles d’accueilir des personnes non apparentées. La filiation est généralement patrilinéaire. Un ancêtre commun mythique en est le fondement. La mobilité et la flexibilité sont les moteurs de la vie sociale, c’est-à-dire rien n’est figé, rigide, pérenne. Les inégalités sociales sont exclues, malgré la répartition sexuelle (naturelle) de certaines activités collectives. Le groupe social aka est une structure essentiellement démocratique. L’organisation structurelle se présente comme suit : K ntuma, le maître des grandes chasses ; K nganga, le prêtre, le tradipraticien en charge de la santé et de la vie spirituelle ; K mbaï-moto, l’Aîné du campement qui convoque si nécessaire, le conseil des anciens ; K dans la serre forestière, un Aka talentueux est chargé de faire le comédien pour la distraction du groupe. 242
VI – Superstructure mentale Dans le monde animalier, chimpanzés, léopards, éléphants et buffles sont des protecteurs désignés des Aka, en leur qualité de « maîtres » de la forêt. L’oiseau kalao est aussi protecteur. Dans l’imaginaire des Aka, presque tous les symboles ont un caractère animalier. La communion avec les esprits des morts et les divinités est assurée chez les Aka de la Likouala, lors de la fête eboka ou au cours des rejouissantes populaires eseleka : le masque Linzanza couvert de nattes et de feuilles sert d’intermédiaire puissant. L’amour a sa divinité : le masque Engri-moto, "arbrehomme", origine de toute vie forestière. VII – Valeurs de civilisation Les Aka se considèrent comme des "héros-civilisateurs", car la forêt favorise le calme, la sérénite, la méditation, le retour de l’être humain sur lui-même. Le rapport des Aka à la forêt est par conséquent d’ordre métaphysique. Leur intrépidité, leur courage et leur respect de l’environnement sont de grandes valeurs de civilisation. Peut-on vivre sans arbre, sans forêt, sans oxygène pur en abondance, sans questionner le mystère même qu’est la forêt ? Conclusion Il est requis de se méfier des clichés, des préjugés, des idées reçues pour mieux comprendre la réalité humaine et existentielle des Aka qui sont des hommes, au même titre que tous les humains de la planète. 243
Une certaine anthropologie qui les singularise comme des "peuples autochtones" est certainement dans une grave erreur épistémologique. Rendons aux Aka leur entière humanité, comme à César sa monnaie.
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CHAPITRE 10 LES SPIRITUALITES AFRICAINES (XVe - XXe SIECLES) par Sylvain MAKOSSO-MAKOSSO INTRODUCTION Dans la pleine réalisation de l’existence humaine, tout commence, tout s’accomplit et tout s’achève par la spiritualité32. La question de la spiritualité émerge chez l’homme dès la première prise de conscience de soi. Avec son développement physique, l’homme fait peu à peu l’expérience de l’existence. Pour l’essentiel, cette expérience humaine qui est universelle comporte les éléments suivants de la conscience que des philosophes ont pu exprimer dans des termes plus ou moins adéquats : - L’homme constate à partir d’un moment qu’il est là, posé et situé dans le monde. Il n’a pas voulu être dans l’existence, il s’y trouve placé. - Le deuxième fait immédiat d’expérience, c’est qu’il se voit et s’éprouve situé « par rapport au monde », et « par rapport aux autres ». Vis-à-vis de l’univers qui l’entoure, son problème est de savoir si globalement celui-ci lui est bénéfique ou au contraire hostile. En relation avec les autres hommes, il se demande tout au long de l’existence si son rapport à eux est d’harmonie. Car étant donné que d’intuition, il se sent habité par un élan qui le porte à aller à la rencontre des autres hommes. Et ce rapport lui étant vital pour sa pleine réalisation, les interrogations qu’il se fait à ce 32
Mgr Tshibangu Tshishiku, évêque auxiliaire de Kinshasa et Président du Conseil d’Administration des Universités du Zaïre.
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sujet lui créent ce qu’il est exact d’appeler le « souci », la « préoccupation ». Le souci et la préoccupation au plus profond de la conscience humaine se trouvent amenés au niveau le plus grave devant la grande interrogation du destin, c’est-à-dire du sens à donner au déroulement de la vie, et devant celle de la mort, cette limite inévitable et fatale de l’existence temporelle. Posé dans l’existence, l’homme doit assumer sa vie, en toutes les circonstances concrètes où elle est amenée à se dérouler historiquement, ces circonstances lui étant en partie imposées, et en partie dépendantes de son vouloir. C’est cela qui spécifie l’homme par rapport à toute autre créature ; il devient capable d’engagement tel qu’il est constitué et situé dans ses limitations spatio-temporelles, par rapport à l’environnement naturel qui l’entoure, vis-à-vis de la société et par rapport à une fin transcendante à son existence, que celle-ci représente seulement un idéal supérieur, ou ait figure d’un Dieu. Cet engagement vrai de l’homme dans l’existence est la finalité supérieure de l’existence qui correspond à l’ordre de la spiritualité. Mais qu’entend-on par spiritualité ? La spiritualité, c’est ce qui relève de l’esprit. Elle se définit en l’homme en tant que relevant de la part immatérielle de son être, de l’âme. C’est elle qui fonde le niveau moral de la vie humaine, celui de la vie religieuse et de l’éthique du comportement. L’objet qu’elle recouvre, qu’elle soutient et qu’elle fait promouvoir, est constitué par les valeurs de l’âme33. En ce qui concerne la spiritualité africaine, la sagesse nous demande de mettre « spiritualités » au pluriel, car les idées, les pensées, les attitudes, les comportements, la relation de l’homme avec l’au-delà qui constituent une spiritualité varient d’une ethnie à une autre dans leur expression et les formes de celle-ci. On peut 33
H. Bergson, 1932, Les deux sources de la morale et de la religion, p. 243.
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affirmer qu’il y a autant de spiritualités africaines qu’il y a d’ethnies en Afrique subsaharienne. Cependant, cette pluralité n’empêche nullement les spiritualités africaines d’avoir des points communs et des préoccupations identiques qui tiennent à l’existence d’un certain nombre de traits communs entre les diverses communautés africaines. Les spiritualités africaines matérialisées par des institutions religieuses formalisées et solidement structurées inspirent et soutiennent l’élan de l’homme vers la transcendance, l’absolu dont l’autre nom est Dieu. En réalité et en général, cet absolu étant inaccessible, les Africains noirs s’arrêtent à des multiples manifestations repérées dans la nature sous la forme de forces spirituelles agissantes. Liés à ces forces spirituelles par une sorte de contrat, les Africains noirs s’adressent à elles pour leur besoin de sécurité matérielle. On n’observe ici aucune recherche d’élévation spirituelle personnelle ou collective, comme cela se voit dans les grandes religions révélées ou dans les religions et philosophies d’Asie ou l’ascension vers l’absolu se fait à coup de privation et d’ascétisme34, et les préoccupations strictement matérielles sont tenues à bonne distance comme un obstacle à l’élévation spirituelle. Dans la présente étude, nous nous proposons de présenter les spiritualités africaines et leurs formes d’expression dans les institutions sociales qu’il est convenu d’appeler religions traditionnelles africaines. Nous distribuons notre exposé en deux parties. Dans la première partie, nous examinons les croyances et les pratiques des religions traditionnelles. La seconde partie est consacrée au dynamisme religieux africain.
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Plan des efforts de discipline sur soi pour maîtriser les élans de l’être et le plier aux exigences impératives de la montée vers l’idéal.
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I - Les croyances et pratiques des religions africaines traditionnelles L’ethnologue français Marcel Griaule définit le fond et la forme du sentiment religieux africain comme un « Système de relations entre le monde visible des hommes et le monde invisible régi par un créateur et des puissances qui, sous des noms divers et tout en étant des manifestations de ce Dieu unique, sont spécialisées dans des fonctions de toutes sortes. »35 La première donnée dont il faut se convaincre est le lien intime qui existe entre la religion et la vie sociale. Les religions africaines traditionnelles imprègnent toute la vie de la communauté. Elles sont globalité. Ramenée à l’essentiel, leur vision du monde conduit à l’unité, car elle n’implique pas une nette différence entre le profane et le sacré, la matière et l’esprit. Pour elles, les vivants et les morts, le cosmos visible et le monde invisible, ne constituent qu’un seul et même univers, et les antinomies du bien et du mal, de la vie et de la mort qui ont leur source dans les antagonismes inhérents aux êtres existants, ne mettent pas en cause l’unité de cette vision du monde. Cette dernière ne semble pas basée sur une recherche des lois régissant l’univers, à la manière d’une étude scientifique, mais selon le développement logique d’une pensée et dont les composantes sont cohérentes : dynamisme de l’être, participation, puissance de l’image et de la parole, symbolisme. En définitive, cette vision du monde est spiritualiste, puisqu’elle place l’homme en face de la transcendance. Et un élément commun et très important de cette conception spirituelle de la vie est l’idée de Dieu comme cause première et dernière de toutes les choses36. En effet, la présence de Dieu pénètre la vie traditionnelle africaine comme la présence 35
M. Griaule, 1938, Masques dogon, p. 43. Colloque de Cotonou, 1972, Les religions africaines comme source de valeurs de civilisation, p. 115.
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d’un Être supérieur et mystérieux. On a recours à lui dans les heures solennelles de la vie et à ses moments les plus critiques : Dieu est invoqué comme Père. Car pour les religions africaines traditionnelles, tout est lié à la spiritualité : la vie et la mort, la fécondité et la famille, les relations sociales et le travail. La frontière entre le profane et le sacré n’existe pas. Nous l’avons dit. Pour une description et une interprétation méthodologique des phénomènes, nous examinons, dans cette partie, la conception de l’Être suprême ; ensuite, c’est le rôle, important dans le « culte populaire », des personnalités secondaires : dieux, esprits, ancêtres. Enfin, c’est l’homme dans sa dimension religieuse et sociale, son espérance en ce monde et dans l’autre. 1. La croyance en un Être suprême Les religions africaines traditionnelles se caractérisent par la croyance en un Être suprême, Dieu, maître de l’univers. Les populations africaines lui ont donné des noms auxquels elles sont restées fidèles pendant des millénaires. A titre d’exemples, nous citons quelques noms. Noms divins Nzambi Nzambe Nzaon Nzami Ndzambi Nzame Nyamhe
Ethnies Vili, Yombe, Lumbu, Kunyi, Bembe, Lari, Bakongo, Kamba, Minkengue, Sundi… Mbochi, Kota… Teke Teke Zanaga, Kukuya… Nzabi… Fang Douala
D’une manière assez générale, l’Être suprême est conçu comme distinct du monde astral, où on le situe conventionnellement. Il est transcendant, émetteur de la force 249
vitale cosmique, qui émane à la fois des esprits de la nature et des ancêtres37. Certaines ethnies du Congo ont un terme spécial pour dire que les qualités sont possédées au plus haut degré Nzambi Mpungu, Nzaon Mban, Nzaon Mpu, signifie que ce dernier doit être identifié à la création, à la puissance et à la liberté38. Elles n’offrent aucune représentation de l’Être suprême. Celui-ci est trop transcendant pour souffrir une représentation dans la matière. Selon la pensée religieuse africaine, Dieu est esprit, donc invisible aux yeux de la chair. Il voit tout et sait tout. Il est l’incompréhensible, celui que l’intelligence humaine ne peut saisir, celui dont les démarches déroutent la raison humaine. L’homme africain se soumet à cette loi du destin, avec, semble-til, un certain consentement : « C’est Dieu qui l’a fait », « C’est la main de Dieu »,disent les Vili, Yombe, Lumbu dans le département du Kouilou. Cette réflexion dirige les débats, tempère les profits, sèche les larmes. On a voulu insinuer parfois que les Africains noirs ne priaient pas Dieu et ne croyaient pas en sa providence, sous prétexte qu’il n’était pas engagé véritablement dans le détail des événements. Sans doute, ils prient les Esprits et les Ancêtres et leur offrent des sacrifices mais il y a très souvent dans les rituels une référence ou même une invocation à l’Être suprême, avant celle qui est adressée aux divinités secondaires. 2.Les divinités secondaires L’invisible est « là-haut ». Tout « là-haut ». Il est perçu comme trop lointain, par rapport à son essence divine. La « distance » qui le sépare des hommes incite à l’appel aux divinités secondaires. Les Africains noirs savent par surcroît qu’ils sont incapables de faire tout par eux-mêmes. C’est vers ces esprits qu’ils se tournent pour formuler leurs demandes. Ils 37 38
P. Tempels, 1948, La philosophie bantoue, p. 30 Populations kongo, teke…
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recherchent alors l’aide de toutes les puissances sacrées, intermédiaires entre l’Être suprême et les hommes : Esprits, Ancêtres, Génies qui peuplent la brousse et la forêt, les fleuves et les sources. Il existe deux sortes d’esprits : ceux qui ne sont pas d’origine humaine et ceux qui, après avoir été des humains, sont devenus des esprits ancestraux sous la bénédiction de Dieu. Les esprits ne sont que hypostase, qui représentent les multiples facettes de la création de Dieu, à la fois unique et pluriel par ses actions, sa création, etc. Pour la spiritualité africaine, dans chaque élément de la création se trouve la parcelle divine. C’est la raison pour laquelle la spiritualité africaine porte un grand respect à la nature et aux êtres vivants. De par ce postulat, une action volontairement destructrice envers un élément ou un être de la création revient à remettre en cause l’essence divine39. Pour pouvoir se servir de la nature et des êtres vivants, la demande aux esprits protecteurs, mis en place pour cela sous forme de prières, est recommandée. Les esprits d’origine non humaine sont souvent en rapport avec des lieux naturels : Bakisi basi, nkira, okiera, akoussa, Ambeli. Par exemple, les esprits des bois, les esprits de la mer, les esprits du fleuve. Au Kouilou, les esprits les plus actifs et les plus proches, pour les peuples vili, yombe, lumbu, sont : Moe Tchikambissi, Tchipunga, Luaya, Sunda, mongolombi. Les esprits de la nature n’ont pas une personnalité bien définie. Ils sont les gardiens du territoire sur lequel vit une population donnée et avec laquelle ils établissent des relations sociales complexes. D’autres esprits sont identifiés avec des phénomènes naturels, comme l’esprit du tonnerre, l’esprit du vent, les tourbillons d’une rivière, d’un fleuve, un rassemblement insolite de rochers comme ngoto sur le fleuve kouilou. Toutes ces entités 39
F. Hagenbucher-Sacripanti, 1973, Les fondements spirituels du pouvoir au royaume de Loango, pp. 29-30.
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spirituelles sont des êtres créés par Dieu et plus puissantes que les êtres humains. Certains esprits entrent en contact avec les hommes à l’occasion d’états de transe ou de possession et leur dictent leur action pour le bien du clan ou de la communauté tout entière. Les ancêtres appartiennent naturellement à la deuxième catégorie d’esprits. La mort ne transforme pas automatiquement un parent en ancêtre. Des rites précis sont nécessaires. On s’occupe de ces ancêtres à proportion du mal qu’on en redoute ou des services qu’on en attend. Il y a donc, un monde des maléfices frappant les hommes dans leur santé, leur vie, celles de leurs enfants, dans leurs troupeaux et leurs cultures ; et aussi celui des esprits bienfaisants qui mettent en branle des forces occultes, bénéfiques qui neutralisent l’action pernicieuse des forces mauvaises ou tout simplement portant bonheur40. La présence des esprits est fortement ressentie par les Africains noirs qui vivent dans la religion traditionnelle et même par ceux qui ont adopté une autre religion. 3-L’au-delà La croyance des Africains noirs en l’au-delà est presque évidente. Le cérémonial des funérailles et le culte des ancêtres sont l’expression d’une foi vécue. L’idée qu’on se fait de la mort est sensiblement la même dans toutes les ethnies du Congo et donne lieu à des manifestations analogues. Les morts deviennent des existants non-vivants, doués d’intelligence. Leurs relations avec les vivants s’articulent ainsi : d’une part, le mort est entretenu par les vivants au moyen de sacrifices et d’offrandes, et plus cette solidarité s’affirme, plus le défunt reste intégré à sa famille, la tombe étant souvent dans un domaine appartenant au lignage ; d’autre part, le mort vient en aide aux vivants, pour assurer prospérité matérielle et pérennité 40
F. Hagenbucher-Sacripanti, 1973, op.cit., p. 56
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au lignage, car, malgré son être diminué par la mort, le défunt dépasse les vivants en sagesse, en connaissance et en puissance, et sa position auprès des ancêtres lui permet désormais d’aider les siens, avec lesquels il peut communiquer par l’intermédiaire des voyants, ou même directement dans les rêves. En somme, l’au-delà est conçu comme le reflet de la société des vivants et en continuité avec elle ; et le caractère intimement social des religions traditionnelles apparaît une fois de plus, car en même temps que diminue, avec le souvenir, la distinction des personnes, augmente leur intégration. 4. Le culte des ancêtres Le dynamisme religieux de ce que l’on pourrait appeler religion populaire est polarisé par le culte des ancêtres. Les échanges entre les vivants et les ancêtres sont dans la même ligne que ceux qui viennent d’êtres représentés concernant les vivants et les esprits. Les ancêtres conservent dans l’au-delà leur force vitale et leur influence paternisante. Leur force vitale peut leur servir à renforcer la vie de l’homme vivant sur la terre. Les ancêtres sont en mesure de garantir la prospérité, la santé et la fécondité de leurs descendants et continuent donc à participer à la vie de la société41. Mais il faut toujours respecter les morts et les honorer au moyen d’offrandes de diverses natures. A titre d’exemple, les Bakongo, avant d’aller à la chasse, rendent visite à la tombe d’un ancêtre, grand chasseur. Ils apportent une calebasse de vin de palme qu’ils placent sur la tombe. L’avocat se tourne vers la tombe et agitant sa crécelle, il prie en disant « nous sommes revenus vers vous, nous sommes venus nous agenouiller. Donnez-nous des animaux42 ». 41 42
M. Eliade, 1965, Le sacré et le profane, p. 26 Enquête orale (tradition orale).
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Il prend alors une coupe de vin de palme et la répand sur la tombe comme une oblation au chasseur qui dort là son dernier sommeil. Dans le département du kouilou, les morts de la même famille ne sont pas honorés avec la même importance : il y a des défunts qu’on croit plus puissants que d’autres, notamment eu égard à la place qu’ils occupaient et au prestige dont ils jouissaient de leur vivant. Un chef mort est toujours un chef, et un esclave mort est toujours un esclave. On ne peut pas oublier les ancêtres puissants et leurs noms passent de génération en génération ; ce sont eux que le chef de la famille prend à témoin en s’adressant au lignage car c’est d’eux qu’il détient son autorité de chef, position qui lui permet d’être plus près des puissances numineuses43. En outre, il leur est redevable de leur intervention et de leur médiation sur le plan de la vie spirituelle proprement dite. Les ancêtres les plus proches des origines sont les plus efficaces, les vivants les plus proches des ancêtres sont les meilleurs intercesseurs mais ces vivants les plus proches ne se substituent jamais à Dieu. Ils sont pris comme intermédiaires entre Dieu et les hommes. Le service des ancêtres est une élévation de l’âme vers ceux qui ont franchi le seuil du monde invisible. Il représente le lien le plus immédiat entre les vivants et le monde spirituel. 5-L’Homme devant Dieu Après avoir exposé la conception traditionnelle africaine concernant l’Être suprême, les divinités secondaires, l’Homme et son au-delà, la présence des ancêtres, nous pouvons essayer de rapprocher ces données et situer l’Homme devant Dieu : ses sentiments religieux et sa prière, ses rites et ses sacrifices. Ces 43
E.Damman, 1964, Les religions de l’Afrique, p. 175
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aspects nous donnent aussi une idée de la spiritualité africaine, telle qu’elle est vécue. Le sentiment religieux La précarité de la condition humaine suscite dans l’âme un besoin de protection. La croyance en la divinité, ou au monde divin, ou monde des Esprits apporte une réponse à ce besoin de protection. Le cri qui résume le drame de la condition humaine est en réalité un cri vers Dieu. Car même s’il s’adresse au monde des esprits ancestraux, au-delà de ces chaînons, l’Africain noir n’oublie pas l’horizon ultime, la divinité à qui s’adresse son humble prière. La prière En Afrique subsaharienne, toute la vie des hommes et des femmes, est tissée d’invocations et de prières : prière de demande, certes, mais aussi prière de louange, prière à l’apparition du soleil ou de la nouvelle lune, prière qui s’achève dans la paix et se fait action de grâce. On ne peut dénier à cette prière une réelle qualité humaine : cet homme, debout, qui prie avant de semer la première des graines qui nourriront sa famille, mérite admiration et respect. On ne peut non plus dénier à cette prière une qualité spirituelle. Jaillie d’une âme qui vit comme si elle voyait l’invisible, cette prière, parole à Dieu, est déjà parole de Dieu. Le sacré est exprimé par chaque ethnie selon sa sensibilité et le niveau de sa culture. Au Congo, il est principe de vie. Parmi toutes les attitudes des populations en présence du sacré, la prière est peut-être la plus religieuse qui soit. La prière formulée est partout présente. Elle est fonction de la situation : on demande une chose ou une autre selon qu’un fait s’est produit ou va se produire, que l’on désire être protégé ou tiré d’affaire. Au royaume Loango, les populations ont même une prière quotidienne, le matin : 255
Ô Dieu, protège-nous, moi et les miens. Selon le R. P. Mveng, la prière est un drame à trois personnages : Dieu, l’Homme, l’Adversaire44. Elle exprime une vision du monde, une vision de l’homme et une attitude en face de Dieu. Elle est un appel direct à Dieu à l’occasion des événements graves de la vie. L’Homme s’adresse à Dieu : il appelle au secours contre l’Adversaire. La prière, d’après ce schéma, en tant que reliant l’Homme à Dieu, sera demande. Si l’on considère les sommets du triangle, Dieu dans la prière sera saisi par rapport à l’Homme qui crie au secours. Alors, il est créateur, sauveur, protecteur. L’Homme, lui, n’est saisi que dans le drame de la vie tant qu’il cherche du secours. L’adversaire extérieur à l’Homme, s’identifie avec tout ce qui est divisé ; la lutte est alors normale. Le monde représenté par les parallèles entre le sommet et la base du triangle est peuplé pour l’Homme d’alliés et d’adversaires selon que les êtres sont pour ou contre la vie. Entre l’Homme et l’Adversaire, Dieu est le juge équitable en qui l’Homme peut se reposer en toute confiance. La prière est appel au secours en face de la vie menacée. Elle est donc essentiellement une prière de demande. Elle n’est pas toujours demande pour l’Africain. Elle est joie du bienfait reçu et espérance d’obtenir davantage. Il arrive qu’elle soit contemplation teintée de louange. Les sacrifices Le sacrifice consiste en l’aliénation d’un animal, jadis d’un être humain, comme un tribut sacré au monde transcendant, le plus souvent à un esprit ou un ancêtre déterminé, qui a fait 44
E. Mveng, 1964, L’art d’Afrique noire, liturgie cosmique et langage religieux, p. 15
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connaître ses volontés par ses oracles. La victime joue le rôle d’intermédiaire entre le sacrificateur et les esprits. Le mécanisme du sacrifice s’explique par la possibilité de libérer, de transmettre et de diriger le « dynamisme vital », qui serait particulièrement concentré dans le sang, celui des animaux et des hommes. Le sens profond de cette offrande est de satisfaire l’Esprit auquel on s’adresse, afin de continuer à jouir de sa protection. Après l’offrande, qui comporte une prière à l’Être suprême et à l’Esprit (ancestral), et après l’immolation, il y a participation à la matière sacrifiée. Le sacrificateur et les assistants doivent normalement se nourrir symboliquement des restes de l’offrande. En somme, les sacrifices établissent une communication entre le sacré et le non sacré, à travers une victime consacrée et détruite dans ce but. Ils ont quatre fonctions précises : divinatoires, ils veulent interpréter un acte passé ; identitaires, ils aident à établir des liaisons entre le monde des hommes et celui des ancêtres ; purificatoires, ils nettoient l’individu des souillures des fautes et des interdits ; enfin, rites de passage, ils servent à initier, à préserver et à placer tout individu dans une fonction nouvelle. La vie humaine sacralisée L’homme africain, en face du monde invisible, voit toute sa vie d’une manière spirituelle. De la naissance au sevrage, de la circoncision au mariage, et jusqu’à la mort, des rites jalonnent de leurs exigences les grandes étapes de la vie et lui donnent un caractère religieux. Les rites comprennent les rituels de naissance, les rituels d’initiation, les rituels de guérison, les rites funéraires. Ils consistent en dernière analyse, en une manipulation de l’énergie, de la force vitale, de l’énergie cosmique vitale, soit pour en compenser les manques ou les excès, soit pour obtenir un effet pratique précis. Certains de ces rites sont assez faciles à observer, car ils se déroulent en public, à 257
l’exception des grands moments de passage qui ont plus souvent lieu en secret. Donnons quelques exemples. -Rites de fécondité : la femme qui porte en elle un espoir de maternité se sent vulnérable en face des forces mauvaises et elle se soumet à des interdits destinés à la protéger. Dans les bois sacrés Tchibila, Bibila, elle se fait donner des ablutions rituelles et des objets de protection. -Rites d’initiation : une interprétation sociale de ce rite met l’accent sur le passage de l’adolescence à l’âge adulte. La tchikumbi au kouilou : les cérémonies d’initiation et de fécondité qui se déroulent pendant la période dite de tchikumbi ont pour but d’agréger les jeunes filles nubiles à la collectivité, de leur apprendre à vivre en respectant les innombrables interdits tchi : na qui pèsent sur la vie de tout individu et dont les Bakisi basi sont les plus sûrs garants. Parvenue à l’âge nubile, la jeune fille accède à un nouvel état physiologique et social. La danse rituelle est surtout une danse masquée. En effet, les masques et la danse, par la fusion des couleurs et des costumes, de la musique et du rythme, représentent l’élément rituel et vital par excellence : le masque, s’il sert à cacher le visage, sert à aussi à représenter un autre être, différent de celui qui le porte. Et cet être peut représenter tour à tour un guérisseur, un esprit, un ancêtre, etc. En ce qui concerne les lieux de culte, on a souvent du mal à les distinguer des lieux de vie, car en Afrique, comme nous l’avons dit, le sacré et le profane ne sont pas délimités. Dans bien des cas cependant, des formes de culte sont célébrées dans des bois sacrés ; il y a également des sites ou des temples, et les habitations des « prêtres » servent souvent de lieu de culte. Ainsi se tient l’homme africain en présence de ses dieux, dans leur univers religieux, avec des sentiments de confiance et 258
en suivant des rites qui lui ont été transmis par les ancêtres. La danse et le chant y ont une importance considérable. La danse Mukudji chez les Punu du Congo et les danses Mbere sont des danses rituelles, d’initiation qui jouent un rôle de médiation entre les vivants et les morts. Leur but est d’assurer la victoire de la vie sur la mort. Par la danse et le chant, l’Africain entre en contact avec les ancêtres et avec les esprits, il communie aux forces cosmiques. Dans la danse et le chant, il nivelle les différences sociales. Il a l’impression d’entrer en communication avec le monde invisible, dans un mouvement qui l’entraîne tout entier, par une corrélation entre la parole et les gestes, entre les ondes sonores et le cri du cœur, entre la pulsation des muscles et les mouvements de l’âme. 6-Magie et religion La religion et la magie sont les deux attitudes qui expriment la vie spirituelle des populations africaines. Il est théoriquement possible de distinguer ces deux phénomènes, ces deux courants du sacré, la religion impliquant une attitude de soumission envers les forces et les personnalités transcendantes, tandis qu’à la magie correspond plutôt l’attitude assurée du technicien qui pense se rendre maître des forces cachées, par la manipulation du sacré. Mais, dans la pratique, il est difficile de dissocier les deux notions, elles sont le plus souvent imbriquées dans le même acte, qui est à la fois religieux et magique, ou comme on l’écrit parfois, magico-religieux. La magie, tout en conservant avec la religion la distinction établie plus haut, fait déjà partie de l’univers religieux. Elle est souvent un effort pour s’insérer dans l’harmonie et le dynamisme d’un grand Tout, dans lequel n’entrent pas seulement les hommes et les choses visibles, mais encore ces entités transcendantes que sont les ancêtres, les
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esprits, le divin, qui constituent essentiellement le monde de la religion45. -Les spécialistes de la magie, qu’il ne faut pas absolument appeler « sorciers », ont conscience de remplir un rôle social. Certains sont des personnages officiels de la religion africaine traditionnelle. D’autres sont doués de pouvoirs à titre personnel, soit par hérédité, soit à la suite d’un fait qui a bouleversé leur vie et leur a fait prendre conscience de ce pouvoir. Ils remplissent diverses fonctions, comme nous le verrons plus loin. -Les voyants, les devins se chargent d’expliquer les rêves et les faits fortuits, qui tracent pour les hommes les lignes du destin. La divination est actuellement un des lieux les plus vivants des religions africaines. Le don de la divination est héréditaire. La cause profonde du don est l’emprise ou simplement la relation avec un esprit. C’est l’esprit qui donne au devin de connaître ce qui se passe au loin, de prévoir l’avenir et de déjouer les dangers courus. Chaque ethnie au Congo a ses propres techniques de divination. Les plus fréquentes sont les coquillages appelés « cauris » : on les jette à terre et on examine les situations. -Les guérisseurs unissent à des dons des pratiques héritées de leurs ancêtres. Le principe de leur traitement consiste à appliquer aux personnes les propriétés ou les dynamismes existant dans les choses. Malgré la présence de dispensaires, d’hôpitaux ou de centres médicaux dans les villes, les Africains restés dans la culture traditionnelle continuent à fréquenter les guérisseurs. Les magiciens chargent de « vertus magiques »les talismans ou amulettes, appelés familièrement gris-gris. Ces petits objets assurent à ceux qui les ont demandés le succès dans leurs entreprises : o Succès scolaires et universitaires : il existe des stylos magiques pour les examens et concours. 45
Colloque de Cotonou, op. cit., p. 117.
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o Succès sportifs : instruments et lieux de compétions (ballons, buts) sont chargés d’une puissance qui empêche la défaite. o Succès politiques : dans la ruée vers le pouvoir, la force magique des talismans ou des ablutions peut devenir un moyen de puissance pour celui qui a pu la capter à son profit. Ce domaine ténébreux de la magie est un des secteurs où on est obligé de constater la vitalité toujours actuelle des conceptions traditionnelles, même dans un milieu social élevé. o Projets sentimentaux : il existe des talismans spéciaux destinés à faciliter une union. On ne saurait ici énumérer tous les domaines de la magie. Ils sont multiples et quotidiens. Ils concernent le travail, la récolte, la chasse, la vie des familles. Ils soutiennent l’homme dans son effort de chaque jour. L’activité magique s’explique par la « mentalité magique » et cette dernière demeure très longtemps, même si l’on a quitté les religions traditionnelles. Cette mentalité peut coexister avec une culture occidentale et même avec une activité professionnelle scientifique. La magie est bonne dans la pensée africaine, si elle est utilisée pour le bien de l’homme. Elle n’est mauvaise que si son but est de nuire. Il y a une différence fondamentale entre magie et sorcellerie. Dans l’esprit des populations, la magie est souvent voulue par Dieu, qui a déposé dans les créatures un certains nombre de pouvoirs cachés que « ceux qui savent et qui peuvent », c’est-à-dire les voyants, ont la possibilité d’utiliser pour le bien de la société. Dans cet esprit, les rites magiques auraient amélioré la condition humaine ! Par contre, les Africains ont la notion d’une magie défendue par Dieu, lorsqu’un magicien, animé par l’esprit du mal, utilise des pouvoirs pour attenter à la vie des autres ou commettre le mal à leur égard. 261
C’est pourquoi, les « mangeurs d’âmes » appelés sorciers, par les populations, sont considérés comme les plus malfaisants. Notons au passage que le culte Njobi, né dans le Haut Ogooué, atteignit le Congo vers 1945, dans la haute Louessé. En 1949, il est installé dans la presque totalité des villages Nzabi du Congo. C’était le moyen de lutter contre les malfaiteurs et de mettre fin à la sorcellerie46. 7-La vie morale Les conceptions éthiques des religions africaines traditionnelles sont difficiles à cerner, car il ne s’agit plus de croyances ou de rites faciles à discerner, mais de l’intime des consciences. Une constatation préalable s’impose : si les mutations sociales se traduisent aujourd’hui par une baisse de la moralité (délinquance juvénile, prostitution, alcoolisme, etc.) les sociétés africaines ont connu et connaissent parfois encore une haute moralité : le vol était rare au village, la conduite des jeunes était à louer dans l’ensemble, et la sagesse des anciens s’exprimait dans des sentences qui demeurent. La vie morale des religions traditionnelles africaines comporte donc des valeurs qu’il ne faut pas minimiser, avec son sens de la dignité, de la droiture et de la simplicité. La règle morale de l’Africain se réfère, non pas à une loi divine intérieure, mais au bien commun du groupe. En ce sens, la notion du péché n’existerait pas pour lui, mais seulement la notion de fautes envers la communauté. Dans cet esprit, les fautes principales consistent dans le tort causé à la cohésion du groupe : vol, sorcellerie, moquerie, à l’exception des moqueries rituelles. La morale consiste donc en une série de prescriptions ou d’interdits concernant le travail, la nourriture, les comportements familiaux, et d’une manière générale, toute la vie sociale. Leur transgression, irritant les esprits ancestraux, 46
G. Dupré, 1982, Un ordre et sa destruction, p. 353.
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provoque la sécheresse, la stérilité, la famine, la maladie et la mort. Ce serait donc une morale de survie et de protection. Mais dans leurs sentences de la sagesse africaine, on trouve l’écho de l’instant moral qui dicte au cœur humain les impératifs du bien et la notion du mal. Tels dictons rappellent que « violer son serment », « violer le pacte de sang », « ne pas respecter la parole donnée » sont des fautes morales personnelles. Il semble qu’il existe, dans la conception éthique des religions africaines traditionnelles, la notion de double responsabilité : -Une responsabilité collective, en raison de la solidarité des hommes. Elle est vécue dans un cadre social donné et oblige l’homme à se plier à une morale de groupe. -Une responsabilité individuelle, faite de la sensibilité à des notions de bien et de mal en soi, sous l’éclairage de la conscience. II- Le dynamisme religieux africain Si nous avons insisté sur les croyances et les pratiques religieuses traditionnelles, c’est que, contrairement au christianisme et à l’islam, certains aspects de la spiritualité africaine sont peu accessibles. A travers une certaine unité apparente des populations, on remarquera vite plusieurs niveaux de connaissances et de convictions religieuses. En ce domaine, la société africaine réagit et un dynamisme religieux se manifeste et nous montre la place qu’occupe la religion traditionnelle africaine et le rôle qu’elle joue dans la culture bantu, en dépit du contrecoup de tous les changements apportés par l’occident. En effet, la constatation faite est que la religion imprègne toujours toute la vie de l’Africain : sa vie individuelle, familiale, sociopolitique. Elle a une fonction psychologique et sociale d’intégration et d’équilibre ; elle permet aux personnes de se comprendre, de se valoriser, de s’intégrer, de supporter leur 263
condition, de maîtriser leurs soucis et préoccupations. Ainsi, ce dynamisme religieux, toujours vivant sous différentes expressions, mérite d’être analysé en fonction du type de foi religieuse qu’il a manifesté tout au long de l’histoire. Dans cette seconde partie de notre travail, nous examinons la situation actuelle des religions africaines traditionnelles, le syncrétisme et les exemples de dynamisme religieux kongo. 1. La situation actuelle des religions africaines traditionnelles Sous l’influence de l’évangélisation chrétienne, de l’islamisation, et plus encore de la scolarisation intensive et de l’entrée du monde africain dans la vie technique moderne, les religions traditionnelles sont en voie d’effritement. Elles survivent dans les villes surtout par des syncrétismes avec les religions révélées. Seuls les hommes d’âge mûr et les femmes y sont restés fidèles dans certaines régions. Dans d’autres, l’ensemble de l’ethnie est demeuré fidèle aux traditions, mais le fait devient de plus en plus rare. Scolarisée ou non, la jeunesse n’a plus le temps et le goût de s’initier aux connaissances sacrées de l’ethnie et sa désaffection à leur égard se marque de jour en jour. Le processus d’érosion n’atteint cependant pas tous les domaines de la religion de la même manière. Certaines croyances demeurent profondément ancrées : croyance à l’existence des sorciers, des magiciens, pratiques magiques particulièrement dans la vie sociale et la compétition politique, scolaire et sportive. Si les cérémonies religieuses sont moins suivies, la « mentalité magique » et les comportements qui l’expriment conservent une grande partie de leur force d’antan. Pour terminer, nous voudrions répondre à une objection que l’on entend souvent : « cette religion traditionnelle, n’est-elle pas en train de disparaître ? » Si les Africains adhèrent volontiers à des religions importées (christianisme, islam), cela ne veut 264
nullement dire qu’il existe, dans leur esprit et leurs attitudes, un découpage entre leur religion traditionnelle et la religion révélée. Dans leur comportement concret, la première persiste toujours comme base et fondement de toute conversion ultérieure. Cela pour dire que l’avenir des religions africaines traditionnelles ne pose pas de problème pour notre génération. Elles ont leur place et jouent leur rôle dans toutes les couches de nos populations malgré la propagande, mieux, le prosélytisme de l’islam et du christianisme. 2-La pathologie des contacts religieux : le syncrétisme En vertu de leur dynamisme interne, les religions africaines traditionnelles tendent à survivre dans une nouvelle civilisation. Elles prennent ou revêtent des formes nouvelles. On appelle syncrétisme, la tendance à faire fusionner certains éléments religieux traditionnels avec d’autres éléments religieux d’origine étrangère. En Afrique centrale, le syncrétisme se manifeste par la fusion d’éléments religieux et magiques empruntés aux cultes ancestraux et d’éléments chrétiens considérés comme un acquit essentiel. Il est à la fois un phénomène d’acculturation et de réaction contre l’acculturation. Dans le syncrétisme, il faut avoir la volonté d’accepter l’aspect essentiel du message chrétien, et, en même temps, le refus d’une présentation occidentale de ce message, notionnelle et figée. Il faut remarquer l’exaltation qui anime les adeptes, le sentiment de libération qu’ils ressentent, les liens nouveaux quiles unissent. Lanternari a fort bien montré les tendances originaires du syncrétisme en Afrique, ainsi que les facteurs sociaux qui conditionnent sa genèse47. Ces trois tendances seraient : 47
V. Lanternari, 1962, Les mouvements religieux des peuples opprimés, pp. 50-56
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- Une volonté de se réaffirmer : c’est l’élément continuateur de la tradition ; - Une volonté de se renouveler : c’est l’élément novateur, car aucun mouvement syncrétique ne prétend s’en tenir à la seule tradition ; - Une volonté de capter les forces spirituelles des Blancs, afin de faire face à leur hégémonie. Quant aux facteurs historiques qui sont à la genèse des syncrétismes, ils se présentent selon un schéma constant : - Contact durable avec le christianisme - Emergence d’une personnalité charismatique, à la fois interprète de la culture africaine et susceptible d’assumer et réinterpréter certains traits chrétiens. - Désagrégation de la culture ancestrale, provoquant le besoin de nouvelles protections religieuses. Dans un premier stade, les cultes syncrétiques sont volontiers émancipationnistes et tendent au rejet d’une domination politique et culturelle étrangère. C’est pour cette raison qu’ils ont été plus refusés par les gouvernements coloniaux que par les Eglises chrétiennes et que leurs fondateurs ont souvent connu la prison. Au stade actuel, les cultes syncrétiques prennent l’allure d’Eglises chrétiennes, modérées et de type évangélique. 3-Exemples de dynamisme religieux kongo Nous nous proposons d’examiner le prophétisme kongo. Nous exposons ici brièvement les aspects historiques du mouvement antonin, du mouvement kimbanguiste et du mouvement matswaniste. Leur présentation, sans être exhaustive, 266
devrait cependant fournir un dynamisme religieux africain.
matériel
d’illustration
du
Le mouvement antonin La première forme de mouvement religieux en pays kongo est attestée au début du XVIIIe siècle dans les écrits du Père Laurent de Lucques48. Le missionnaire se plaint des ravages exercés dans la région de San Salvador par la « secte des Antonins ». En effet en 1703, naquit dans le royaume Kongo, évangélisé par les missions portugaises depuis 1491, un mouvement politique et religieux qui prit forme grâce aux talents d’organisatrice de la prophétesse Kimpa Vita, jeune femme de la noblesse. Prêtresse du culte de Mirinda et baptisée sous le nom de Béatrice. Ce mouvement fut appelé « la secte des Antonins » parce que l’esprit de Saint Antoine aurait pris possession des esprits de plusieurs hommes et femmes. Kimpa Vita alias Dona Béatrice fut la plus célèbre d’entre eux. Elle avait alors 22 ans. Ce mouvement était en réaction à la situation intenable du royaume. En effet, c’est la traite atlantique qui va disloquer le royaume Kongo. Des clans se forment et se battent les uns contre les autres afin de s’assurer le contrôle du commerce des esclaves. Ces affrontements ont pour conséquence, la destruction de la capitale du royaume, San Salvador. Et depuis 1666, deux branches de la dynastie, les Mpandzu et les Nlaza ou Kimulaza se battaient pour le trône49. La guerre civile durait des dizaines d’années avec son cortège d’esclaves déportés, avec pour conséquence des populations décimées par des famines et des épidémies. La prophétesse intercéda pour la cause du Kongo, cette cause était la restauration de la gloire du royaume en rénovant le pouvoir du grand chef de San Salvador, le Ntotila ou 48
R. Witwicki, 1995, Marie et l’évangélisation du Congo, tome 1, p. 49-51 W. G. L. Randles, 1968, L’ancien royaume du Congo, des origines à la fin du XIXe siècle, p. 159
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roi et en coupant court à toute influence étrangère, en l’occurrence celle des missionnaires, car sur le plan religieux, le mouvement antonin est syncrétiste, à caractère politico-religieux, où la spiritualité mariale et antonienne prend une dimension libératrice. Le mouvement professe une théologie de la purification assez originale. Il faut se débarrasser des images, des amulettes et des crucifix. La prophétesse proclame la venue d’un Christ noir, solidaire des Africains dans la souffrance, qui va rétablir la prospérité du royaume et reconstruire la capitale, San Salvador. Le geste de Dona Béatrice inaugure ce qu’on appelle aujourd’hui, la « théologie de la libération ». Sa prédication inquiète autant les missionnaires que le roi Pedro IV. Elle est finalement capturée et mise à mort le 1er juillet 1706, au moment où la traite atlantique atteint son apogée. Elle fut brûlée vive. Pratique typiquement européenne. Le peuple la proclamera aussitôt ressuscitée. Le mouvement persistera longtemps encore. Il faut reconnaître que Kimpa Vita a profondément ébranlé la foi des chrétiens, l’autorité du roi de San Salvador lui-même et des autres dignitaires favorables aux mœurs et coutumes étrangères. Elle a voulu une église nationale, indépendante de Rome mais chrétienne. Elle a ébauché un mouvement pro-kongo. Ce désir d’union nationale sous l’égide d’une royauté idéale a survécu chez les Kongo et se manifestera entre autres dans le Kimbanguisme et le Matswanisme. Le Kimbanguisme Le Kimbanguisme présente un certain nombre d’analogies avec le « syncrétisme antonin ». Simon Kimbangu, le principal animateur se manifeste en mars 1921. Il connaît d’emblée un immense succès. Protestant, issu de la Mission baptiste anglaise de Ngombe Lutete, Simon Kimbangu voit apparaître devant lui, dans un songe, le 8 mars, un étranger, ni blanc, ni noir, ni métis, 268
qui lui enjoint de lire la Bible, de prêcher la parole de Dieu, et de guérir les malades par l’imposition des mains. Simon Kimbangu commence dans un village, par un enfant ; celui-ci guérit après une prière et l’imposition des mains du prophète. Il parvient à introduire dans les mœurs des réformes salutaires et répand parmi les populations la rédemption prochaine, le retour du Christ, la fin de l’infériorité si vivement ressentie par les Kongo au regard de la civilisation prétentieuse des Blancs. Tout cela permit la libération des Kongo des dominateurs belges. Le prophète en vint à rassembler une masse importante de partisans et à créer finalement un mouvement de résistance qui prône le refus de toute coopération dans le domaine politique, social et économique. Le mouvement produisit visiblement le désarroi dans la communauté belge. L’administration, assaillie des plaintes, répliqua immédiatement. C’est ainsi qu’elle prit des mesures pour arrêter le prophète vénéré, dans le but hautement proclamé de rétablir l’ordre et la paix. Le 14 septembre 1921, Simon Kimbangu, se remit volontairement entre les mains de l’autorité belge. En compagnie de plusieurs de ses adeptes, arrêtés avec lui, il fut transporté, la Bible à la main, en grand cortège à Thysville. Le 15 octobre, il comparut devant la cour militaire qui, après examen de son dossier, le condamne à mort. Ce verdict fut commué par le roi Albert 1er, en prison à vie. Une feuille de combat se fondera : Mvuluzi, le Rédempteur, éditée par les « Défenseurs de la liberté du peuple congolais ». En son premier numéro de 1951, le nom de Simon Kimbangu fut célébré comme symbole de la lutte pour la liberté nationale. L’on y trouvera le slogan suivant : Nous saluons en Simon Kimbangu tous les peuples du Congo qui aspirent à la liberté. 269
Ce courant prophétique marquera l’ensemble de la communauté Kongo tout au long de son histoire coloniale. Il engendra des manifestations forts diverses de l’autre côté du fleuve Congo. Le Matswanisme au Congo français Entre-temps, sur l’autre rive du fleuve Congo, le ngunzisme ou prophétisme se développe de la même manière au sein du groupe Kongo. La vedette revient au Matswanisme. Ce prophétisme s’est développé de façon curieuse à partir d’un mouvement purement politique fondé en 1926 par André Matswa : l’Amicale. Les objectifs de l’Association sont définis dans l’article 4 des Statuts : - L’aide mutuelle pour faciliter l’insertion sociale des ressortissants de l’AEF en France ; - La formation morale et intellectuelle d’une élite aéfienne ; - La prévention médicale pour apporter des soins médicaux appropriés aux membres de l’Association. Mais très vite, l’Amicale se détourne de ses objectifs. Le 28 janvier 1928, Matswa adresse deux lettres au Président du Conseil français Raymond Poincarré. Dans lesdites lettres, il dénonce le code de l’indigénat, les abus et l’exploitation inhumaine dont sont victimes les populations du Haut-Congo. Il stigmatise l’inhumanité des quarante (40) compagnies concessionnaires installées au Moyen-Congo. La palme revenant aux frères Tréchot qui s’illustrent par une terreur inouïe. Au Congo français, le mouvement religieux matswaniste vit le jour au début de l’année 1943. Soit dix sept ans après la création de l’Amicale par Matswa André Grenard et douze mois après la disparition de ce dernier. Les adeptes de la « nouvelle 270
religion » se caractérisent par le besoin d’une spiritualité capable d’abolir tous les symboles d’assujettissement à savoir : la langue, le christianisme, l’emploi. Pour eux, le matswanisme est donc la spiritualisation de l’élan politique de Matswa, en d’autres termes un « ensemble de croyances et de pratiques qui campent toute la tradition kongo et ayant pour but de s’unir aux entités supérieures de la fraternité invisible, aux ancêtres, à Nzambi’a mpungu »50. En conclusion, les trois mouvements choisis sont les plus importants de l’aire kongo. Ils sont significatifs des aspirations des Kongo. Et le courant prophétique a marqué la société kongo en contact avec le christianisme. Si les Kongo, dans leur ensemble ont mené cette quête d’un pouvoir original, c’est sans doute qu’ils ont en conscience, plus ou moins clairement, d’avoir perdu des cadres essentiels, c’est-à-dire, des structures sociopolitiques traditionnelles solides. Mais cette conscience serait-elle la seule à générer ce grand élan prophétique kongo ? La question de l’origine du prophétisme kongo Les mouvements que nous venons de présenter peuvent être considérés comme l’une des principales conséquences des manifestations les plus variées du processus d’acculturation, c’est-à-dire du contact plus ou moins direct et prolongé entre deux groupes humains qui possèdent une culture différente. C’est ainsi que l’on a défini l’acculturation dans un Mémorandum de 1953, publié dans l’Américan Anthropologist par les ethnologues américains, R. Redfield, R. Linton et M. J. Herskovits : L’acculturation comprend les phénomènes qui résultent du contact direct et continu entre des 50
Mbuta Bakela-Ba-Nkunku, 2006, Le Matsouanisme dévoilé, p. 8
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groupes d’individus de culture différente, avec des changements subséquents dans les types culturels originaux de l’un ou des deux groupes51. Il est précisé qu’il ne faut pas confondre acculturation et assimilation. L’assimilation n’est qu’une des phases possibles de l’acculturation et, si elle se réalise, elle n’en sera que la phase terminale. En affirmant que lorsqu’il y a contact, il s’en suit nécessairement des transformations, Herskovits souligne l’aspect dynamique de la culture. Il s’agit d’une réalité dynamique et non intemporelle. Elle n’est pas quelque chose d’immuable, indifférente au temps. Toute culture porte en elle une dynamique interne qui la rend évolutive. La culture kongo n’échappe pas à cette caractéristique et il n’est donc pas question de nier, ici, les exigences d’ouverture au monde moderne. Georges Balandier, pour sa part révèle notamment l’importance des rapports de domination engendrés par le fait colonial. L’analyse permet de découvrir, à travers les aspirations qui portent ces mouvements, les facteurs virtuels, qui sont à l’origine de leur apparition et de leur développement. Du point de vue socioculturel : Nous avons déjà noté que les mouvements étudiés sont une conséquence de l’acculturation. Il n’y a pas d’origine mythique, c’est-à-dire indépendante de l’acculturation. Et sous l’aspect socioculturel, ces mouvements montrent deux tendances : La tendance anti-acculturative. Elle est une protestation sociale contre les méthodes de l’acculturation, surtout contre les impôts directs, le recrutement militaire, le recrutement des hommes pour le travail forcé, méthodes qui ont détruit la vie de village. 51
M.-O. Géraud, O. Leservoisier, R. Pottier, 2007, Les notions clé de l’ethnologie, p. 110
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-L’autre tendance, après la protestation, est l’adaptation sociale (« vivre c’est s’adapter ») et la recherche d’une intégration dans le processus d’assimilation de la culture des Blancs, de la culture chrétienne. Facteurs considérés sous le rapport des tendances politiques Dans les mouvements analysés, une constante revient toujours : une prise de conscience de la situation coloniale. Et dans la majorité des cas, cette prise de conscience est la conséquence d’une déception en face de la civilisation des Blancs. Dans le cadre du contexte colonial, le pouvoir est imposé et non consenti ; il repose sur le recours à des moyens coercitifs. La relation politique est alors assimilable à une relation de subordination. L’administration coloniale apparaît peu ou prou, comme un régime d’exception. L’indigène est donc un sujet privé de certains droits et astreint à un certain nombre de contraintes spécifiques, qui s’expliquent par le souci de l’amener à un degré supérieur de civilisation. On note donc, sous l’influence de ces mouvements, une tendance à un sentiment anticolonial, des traits d’agressivité contre les missionnaires, les administrateurs, les commerçants. Ces mouvements deviennent l’expression tant d’une revendication économique que politique. Facteurs à repérer dans la perspective religieuse Ces mouvements trouvent dans la spiritualité africaine, leur milieu d’inspiration et de croissance. Devant la « situation coloniale », l’influence du christianisme a poussé les Kongo à se regrouper religieusement, à la mesure de l’homme, à la façon du groupe. Ces mouvements sont des compromis entre les éléments de la religion traditionnelle et les valeurs chrétiennes 273
nouvellement importées. On peut ainsi dire que l’aire kongo, où l’évangélisation a connu un succès spectaculaire, refuse d’entrer dans l’Eglise dénudée, appauvrie, humiliée. Et on note toujours que la Bible est la grande source d’inspiration ; les prophètes ont reçu leur éducation religieuse dans les écoles chrétiennes. Ces mouvements représentent en général un effort de rédemption de la culture africaine kongo, mais en récusant certains des ses éléments par exemple les fétiches. Dans ces « nouvelles religions », les costumes, les sermons bruyants, les chants rythmés et les danses, créent une grande force émotionnelle, propice aux confessions publiques, aux guérisons miraculeuses, à la glossolalie. Ces mouvements constituent, pour les Missions chrétiennes, une concurrence redoutable. Ils offrent par leur caractère autonome, leurs prestations extraordinaires, une tentation pour les chrétiens les moins solides. Facteurs étudiés d’après les conditions psychologiques : Si nous posons la question de l’origine de ces mouvements en termes de psychologie, nous pouvons dire que la mélancolie des Kongo joue aussi un rôle de premier plan. Les Kongo sont tristes et inquiets par suite du rapide effritement de leur patrimoine spirituel et culturel : toutes les traditions religieuses et morales sont détruites, sans que la civilisation européenne puisse leur donner quelque compensation sur ce plan. Les Kongo s’accrochent donc à leurs valeurs traditionnelles, s’arc-boutent certainement parce que le missionnaire et le colonial ont en commun d’être Blancs ; ils sont les représentants d’une même civilisation conquérante, et partant, d’une même domination. Celui qui prêche le salut des âmes rejette le patrimoine spirituel kongo. Le colonial considère le Kongo comme un sous homme. 274
Un non être. Une vacance d’être. Cette succession de frustrations pousse le Kongo à une exaltation excessive de sa tradition socioculturelle et spirituelle. A cause de ces frustrations, le Kongo bascule dans la résistance et considère l’évangélisation et la colonisation comme des éléments en connivence. Notons que, là où culture kongo et culture européenne sont entrées en contact, nous avons observé une réaction nativiste, une tentative d’un dialogue politique et religieux entre partenaires inégaux. Les Kongo continuent sur plusieurs siècles la geste du vieux royaume Kongo. La signification du prophétisme Kongo L’Européen, à partir du XVe siècle, va introduire, dans cette aire kongo, avec les meilleures intentions du monde, deux facteurs de troubles importants : le christianisme et un autre type de pouvoir. -Le christianisme : il va compromettre les anciens systèmes de valeurs, battre en brèche les vieilles croyances. Il apparaît, en outre, sous une forme historique bien définie, modelée par les siècles et les cultures successives dans le contexte où il s’est développé. Idéal, doctrine et rituels chrétiens se présentent dans la conscience des Kongo, souvent, comme des abstractions étrangères, en dépit de l’adhésion profonde de certains Kongo à ces doctrines et pratiques du christianisme. Les populations s’aperçoivent vite que le christianisme ne supprime pas les maladies et la mort, ne confère pas la puissance et la richesse. On y cherche en vain les éléments qui satisfaisaient les aspirations traditionnelles de la spiritualité africaine dans les cultes et les rituels coutumiers. Par ailleurs, et c’est paradoxal, la conscience chrétienne a inspiré les premiers actes de libération face à la colonisation et à une certaine évangélisation de table rase culturelle. 275
-Un autre type de pouvoir : les Portugais des premiers siècles n’avaient guère introduit en pays kongo que les missionnaires catholiques. Les missionnaires du XIXe et XXe siècles sont entrés en Afrique centrale sur les pas des puissances coloniales. Celles-ci allaient initier les Kongo à des formes de gouvernement totalement étrangères à leur mentalité. Elles allaient introduire bientôt une sorte de philosophie laïque radicalement opposée à la vieille sagesse kongo dont la vie sociale, économique et politique trouve sur le plan magicoreligieux les motivations, les justifications et même les modes d’action les plus profonds. De nouveau, les Kongo ne ressentent bientôt plus que la sécheresse d’un pouvoir laïc. En schématisant à l’extrême, nous pouvons résumer en disant que l’Européen a apporté aux Kongo un pouvoir sans religion et une religion sans pouvoir. Car chez les Kongo la dimension religieuse et la dimension proprement politique de l’autorité des chefs y sont souvent indissociables. L’autorité kongo est une autorité de droit sacré. Le chef possède les garanties d’ordre supra naturel du pouvoir. Les puissances garantes seront les ancêtres, les grands féticheurs ou les génies de la terre dont le chef est le pontife. Délogés de leurs cadres traditionnels, les Kongo se trouvaient aussi sans guide. L’ancien système d’autorité était bouleversé dans son organisation extérieure, sans doute, mais bien plus gravement encore dans ses fondements des plus sûrs. Après le doute, est venue l’ignorance pure et simple des principes et des croyances d’autrefois. Ceux qui les avaient gardées devenaient de plus en plus impuissants à les mettre et à les faire mettre en pratique. Il n’était pas question, malgré le rêve caressé souvent par certains Kongo, de revenir en arrière. Car le mouvement devenait irréversible. C’est le malaise, en somme, ce 276
souci, qui explique la naissance et le développement du prophétisme kongo. CONCLUSION Les spiritualités africaines se rattachent aux spiritualités de base de l’humanité. Toutefois, elles ont une spécificité remarquable, car c’est de leur propre fond que les Africains noirs ont puisé leurs réponses aux mystères de la vie. Elles dérivent des principes philosophico-éthiques selon lesquels l’homme est créé par Dieu comme l’être central de la nature à laquelle il se rattache par des liens cosmiques inséparables. Sa tâche au cours de son existence est de renforcer et d’épanouir au maximum la vie qu’il a reçue. Avec moins de préoccupations pour transformer les conditions de la matière en vue de progrès continus, l’homme africain s’attache plutôt à profiter pleinement de la vie présente. Sa civilisation est d’équilibre, beaucoup plus que celle de l’Occident comme de l’Orient qui ont privilégié une tendance ou l’autre : celle de l’action fabricative et inventive d’une part, celle de la contemplation et de la méditation mystique de l’autre. Les religions africaines traditionnelles, parce qu’elles ne se fondent pas sur un livre et parce qu’elles ne possèdent pas un gardien de l’orthodoxie (pas de fondateur, pas de prosélytisme) ont une grande souplesse d’adaptation. Il est bien certain que la totalité de leurs croyances, de leurs cérémonies et de leurs rites ne peut survivre telle quelle dans la nouvelle Afrique. Nous pouvons penser qu’elles ne disparaîtront pas pour deux raisons : d’abord parce qu’elles correspondent à quelque chose de fondamental dans la situation de l’homme africain, et ensuite parce qu’elles peuvent se transformer. 277
L’extrême tolérance des religions traditionnelles permet la coexistence dans une même communauté d’adeptes de plusieurs religions : c’est une interpellation en vue « d’une fraternité audelà de l’ethnie ». Elles renvoient à un « noyau de sens » qui constitue un invariant anthropologique, en l’occurrence, la conviction que ce qui garantit le sens des choses (les normes, l’ordre social, la possibilité de comprendre le monde et d’agir sur lui) se situe au-delà de l’expérience immédiate du sujet.
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TABLE DES MATIERES
Préface Denis Sassou-N’guesso .........................................................5 Introduction générale Théophile Obenga .................................................................7 PARTIE I – HISTOIRE ET METHODE Théophile Obenga ...............................................................11 Bibliographie.......................................................................62 PARTIE II – GEOGRAPHIE PHYSIQUE ET HUMAINE65 Chapitre 1er – Le milieu physique Bonaventure Maurice Mengho............................................67 Chapitre 2 – Les aspects humains Yolande Berton-Ofouémé ....................................................87 Bibliographie.....................................................................117 PARTIE III – LES FONDEMENTS DE LA NATION CONGOLAISE .................................................................119 Chapitre 3 – Préhistoire congolaise : acquis et perspectives Frédéric Okassa-Léboa.....................................................121 Chapitre 4 – Les préludes historiques : genèses, migrations, installation des peuples Abraham Constant Ndinga Mbo .......................................139 Chapitre 5 – Le peuplement d’une zone forestière : le cas de la Lekoumou Marcel Ipari ......................................................................167 Bibliographie.....................................................................184
PARTIE IV – HISTOIRE ANCIENNE (IXe– XVIe S.) ...189 Chapitre 6 – Les royaumes Dominique Ngoïe-Ngalla ..................................................191 Chapitre 7 – Les seigneuries Abraham Constant Ndinga Mbo .......................................211 Chapitre 8 – Les pouvoirs « élastiques » Jean Bosco Anizock...........................................................233 Chapitre 9 – Les Aka Yvon-Norbert Gambeg ......................................................239 Chapitre 10 – Les spiritualités africaines Sylvain Makosso-Makosso ................................................245 Bibliographie.....................................................................279
L'HARMATTAN, ITALIA Via Degli Artisti 15 ; 10124 Torino L'HARMATTAN HONGRIE Könyvesbolt ; Kossuth L. u. 14-16 1053 Budapest L'HARMATTAN BURKINA FASO Rue 15.167 Route du Pô Patte d’oie 12 BP 226 Ouagadougou 12 (00226) 76 59 79 86 ESPACE L'HARMATTAN KINSHASA Faculté des Sciences Sociales, Politiques et Administratives BP243, KIN XI ; Université de Kinshasa L’HARMATTAN GUINEE Almamya Rue KA 028 en face du restaurant le cèdre OKB agency BP 3470 Conakry (00224) 60 20 85 08 [email protected] L’HARMATTAN COTE D’IVOIRE M. Etien N’dah Ahmon Résidence Karl / cité des arts Abidjan-Cocody 03 BP 1588 Abidjan 03 (00225) 05 77 87 31 L’HARMATTAN MAURITANIE Espace El Kettab du livre francophone N° 472 avenue Palais des Congrès BP 316 Nouakchott (00222) 63 25 980 L’HARMATTAN CAMEROUN Immeuble Olympia face à la Camair BP 11486 Yaoundé (00+6b bW W WW [email protected] L’HARMATTAN SENEGAL « Villa Rose », rue de Diourbel X G, Point E BP 45034 Dakar FANN (00221) 33 825 98 58 / 77 242 25 08 [email protected]
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