Gérard Essomba Many, l'acteur rebelle: Art et esthétique du comédien africain 2336009110, 9782336009117

Attachant, contradictoire, fascinant, tels sont les adjectifs qui servent à dépeindre l'un des acteurs les plus cha

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French Pages 172 [161] Year 2012

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Gérard Essomba Many, l'acteur rebelle: Art et esthétique du comédien africain
 2336009110, 9782336009117

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Charles Soh

GÉRARD ESSOMBA MANY, L’ACTEUR REBELLE Art et esthétique du comédien africain

Gérard Essomba Many, l’acteur rebelle

Charles Soh

Gérard Essomba Many, l’acteur rebelle Art et esthétique du comédien africain

© L’Harmattan, 2012 5-7, rue de l’Ecole-Polytechnique, 75005 Paris http://www.librairieharmattan.com [email protected] [email protected] ISBN : 978-2-336-00911-7 EAN : 9782336009117

Remerciements Je remercie Diane Soleil et Françoise Saint Amour de l'Université de Montréal qui ont relu et apporté leurs contributions intellectuelles à cet ouvrage. Ma reconnaissance va aussi à Denis Morel de l'INIS (Institut National de l'Image et du Son) à Montréal, pour son indéfectible soutien intellectuel et amical.

Charles Soh

Im. 01 G.E et Danielle, son épouse

À Danielle Essomba, l’épouse. Pour les joies, les peines, les doutes et les indicibles espoirs.

Le monde entier est une vaste scène de théâtre, et tous les hommes et les femmes en sont les acteurs. Ils ont leurs entrées sur scène et leurs sorties de la scène, et un homme joue durant la vie de nombreuses pièces. William Shakespeare, As you like it, Scene 7.

Im. 02 G. E à Ouagadougou « Quand on casse pour le dernier soir, je prends soin de quitter le costume du général Toussaint Louverture pour les haillons du clochard Alléluia. C'est bien là que l'expérience psychologique de l'acteur qui laisse son personnage dans les vestiaires en rentrant chez lui s'impose et prend son importance ». Gérard Essomba, Yaoundé, décembre 2010.

Im.03 G.E à Paris

Je voudrais ! Je voudrais, très modestement, partir à travers sentiers et champs, humer l’odeur des bois verts et entendre le clapotis régulier de ces petites rivières qui coulent le long des futaies. Je voudrais, une fois encore, parler bambara, foulbé, que sais-je encore… Toutes ces langues de mon enfance… là, au pied des collines de Macabaille… 9

Je voudrais, comme le fit en son temps le piéton de la grande route, mon sac sur le dos, parler avec le paysan si souvent incompris. Je lui montrerai les clichés de mes illusions inassouvies. Il lèvera son regard vers moi, comme pour s’assurer que c’est bien moi l’homme au bicorne de Napoléon. On sourira ensemble avant de manger deux doigts de banane, puis calmer notre soif dans la calebasse d’eau puisée entre les palétuviers. Peut-être que le soir venu, il me désignera une case pour dormir après avoir partagé le plat de la boule de Ndjamena. Au petit matin, je partirai après lui avoir chanté une chanson de mon enfance, dans une langue qu’il ne comprendra pas ; mais peu importe puisque nous avons partagé le même sentiment d’amitié et qu’il aura glissé une noix de kola rouge dans mon sac à dos. Je voudrais… je voudrais tellement marcher jusqu’aux collines des grands lacs, m’agenouiller et faire un signe de croix en guise de rédemption, pour toi vieillard, sauvagement battu à coups de gourdin par un animal au visage d’homme… Je voudrais tellement de choses pour combler leurs attentes, qu’il faudrait couvrir le mont Cameroun de billets jusqu’au sommet… je voudrais, oui je voudrais vous aimer… et vous ? Gérard Essomba Many, 2003.

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Avant-propos L’imposant portail s’ouvre et découvre un homme souriant, aux cheveux grisonnants, à la barbe poivre et sel. Il a légèrement maigri. La démarche est lente, le pas traîne, mais l’œil est vif, le sourire chaleureux et le verbe alerte. Nous sommes au quartier Nsimeyong, dans la banlieue ouest de Yaoundé où Gérard Essomba Many m’accueille dans une luxueuse résidence dont il occupe la dépendance. « Rassurezvous, je n’en suis pas le propriétaire, je n’en ai pas les moyens », me dit-il en m’invitant à entrer dans la modeste dépendance où il s’est installé depuis son retour au Cameroun en 2008. Sobre, le séjour est meublé de deux fauteuils en rotin, d’une table et de quatre chaises. Le mur est tapissé d’affiches défraîchies de nombreux films et d’affiches de théâtres qui témoignent de la prestigieuse carrière artistique du maître des lieux : La légion saute sur Kolwezi de Raoul Coutard, Rue princesse de Henri Duparc, Toussaint Louverture de Claude Moreau, Pièces d’identités de Mwezé Dieudonné Ngougoura, Dar es Salam de Serges Coello, Mamy Wata de Mustapha Diop, La légende de Wagadu de Moussa Diagana, Autant en emporte le vent, etc. Plus récentes, les affiches et les photos de tournage de L’enfant peau rouge, le court métrage qu’il a produit et réalisé en 2009, brillent de mille feux au beau milieu de ce festival d’affiches et de couleurs. Une bonne centaine de DVD et de CD soigneusement rangés au sol témoignent du parcours exceptionnel de ce comédien de talent, certainement le meilleur Africain des trente dernières années. C’est dans ce cadre que nous avons, Gérald et moi, discuté simplement, à bâtons rompus, de son parcours, de son enfance, de ses voyages à travers le monde, du théâtre, du

cinéma, des films radiophoniques, du cinéma africain, du cinéma camerounais, du racisme et de la discrimination dans le milieu artistique hexagonal, des grandeurs et des misères du métier de comédien, de son talent, de ses projets au Cameroun, de ses rêves, de ses indicibles espoirs, de la vieillesse, de la mort… Nous avons adopté le tutoiement pour ne pas tricher. Cette série de discussions s’est déroulée en novembre et décembre 2010 ; puis en octobre, novembre et décembre 2011. Des heures durant lesquelles, d’abord pudiquement, et puis de plus en plus passionnément, se révélant tour à tour réservé, véhément, grave, tordant, Gérald raconte sa vie d’acteur depuis sa tendre enfance dans son village au quartier Mvog-Ada à Yaoundé jusqu’au voyage par bateau qui l’a fait échouer sur les berges de la Seine en France. Il raconte ses explorations et ses doutes, ses coups d’éclat comme ses revers. Je suis toujours très surpris des réactions tranchantes qu’entraîne dans mon entourage la simple mention du nom de Gérard Essomba. Personne dans le milieu du cinéma africain n’ignore ses coups de gueule, son opiniâtreté, ni son francparler. L’homme déconcerte, irrite et horripile parfois. L’acteur ébranle, bouscule et dérange toujours. Moi, j’aime le cinéma de Gérard Essomba. J’aime la distanciation et la profondeur de son jeu, mais j’aime aussi sa grande gueule. J’aime sa démarche, son point de vue, sa vision du monde. J’ai un profond respect pour la critique sociale, l’instinct de révolte face à toutes les formes d’oppression et de discrimination dont il a été victime tout au long de sa carrière. J’aime infiniment la lucidité insolente de Gérald Essomba et le ton incendiaire de ses prises de parole qui déplaisent tant aux collègues enseignants, mais qui 12

enchantent mes étudiants. Dans un pays où la loi du silence est la règle du jeu, j’aime bien l’idée que la voix tonitruante de Gérald vienne nous réveiller de notre torpeur. Ce livre s’écarte résolument du compte rendu journalistique autant que de l’analyse critique. Et il ne s’agit pas non plus de la bête apologie d’une œuvre. Le parti pris de cet ouvrage repose essentiellement sur la volonté d’explorer le talent de l’acteur, ses préoccupations artistiques, ses influences, de comprendre l’évolution de sa démarche et de discuter de tous les aspects de son travail de création et de construction d’un rôle à interpréter et à faire vivre. Telle est l’intention de l’ouvrage. Redécouvrir et mieux explorer la profondeur et l’exceptionnelle beauté du talent de Gérard Essomba, sa légendaire générosité, sa gouaille, son sens de l’humour, sa dérision et sa grande facilité à entrer dans un rôle, à l’épouser. C’est donc un ouvrage sur l’esthétique du rôle au cinéma et au théâtre, dans lequel nous tentons de comprendre comment, tout au long de sa carrière, Gérard Essomba a développé, avec un admirable succès, le mécanisme de composition, de décomposition, de fragmentation, de distanciation et de pénétration d’un rôle sur une scène de théâtre et sur un plateau de tournage de cinéma ou de télévision. À la fois charmeur, souriant, sympathique et insaisissable, Gérard Essomba est maître de son jeu même quand il hausse le ton et laisse éclater sa colère contre l’intolérance, la discrimination et les forces rétrogrades qui minent le cinéma africain et réduisent les cinéastes et les comédiens du continent en éternels mendiants. C’est un comédien en colère qui m’accueille : « Comme je n'avais pas le profil du Noir qui fait la courbette faisant les baisemains. Ni celui qui termine toute 13

conversation par oui missié !, je n’ai pas eu la carrière que je méritais… Je voudrais rappeler que le bicentenaire de la Révolution française a eu pour tête d’affiche l’acteur comédien Gérard Essomba, entouré pour la circonstance de 270 comédiens sénégalais du théâtre Daniel Sorano de Dakar. Et le film tiré de ce spectacle joué devant quarante chefs d’État de la Francophonie atteste quand même que, de nos jours, je fais partie des meilleurs acteurs du continent. Hélas ! …J’aurais pu devenir une star, si la couleur de ma peau ne m’avait pas handicapé, les journalistes français ne supportant pas de voir un acteur noir devenir tête d’affiches ». Tout est dit. Frustré, profondément blessé dans son amour propre par la marginalisation et une forme de racisme pernicieux qui sévit dans le milieu artistique hexagonal, Gérard avait cru, naïvement peut-être, qu’en revenant s’installer définitivement au Cameroun, chez lui, auprès des siens, il aurait enfin la reconnaissance qui lui a été refusée ailleurs. Il avait cru, naïvement peut-être, que chez lui il recevrait les honneurs à la mesure de sa stature internationale et de sa prestigieuse carrière, et que les autorités politiques et culturelles camerounaises mettraient à contribution sa longue expérience et ses nombreux talents pour relancer le secteur culturel miné par la léthargie et l’immobilisme. Certes, Gérard a reçu l’épi d’or pour ses 40 ans de carrière des mains de Ferdinand Léopold Oyono, l’ancien ministre de la Culture, au nom du gouvernement camerounais au cours d’un dîner organisé en son honneur à l’hôtel Hilton de Yaoundé en 2009. Avant l’épi d’or, Gérard avait été, sur instruction du chef de l’État, promu au grade de Chevalier de l’Ordre National de la Valeur au titre du 20 mai 2002, au cours d’une cérémonie à l’ambassade 14

du Cameroun à Paris. Malgré ces décorations qui sont comme « la médaille en terre cuite du vieux nègre », Gérard fulmine davantage : « Cela fait 10 ans que je demande audience auprès du président du Cameroun. Ce qui me dégoûte, c’est que d’un côté, ils vous amadouent en vous décernant des médailles d’honneur, mais de l’autre côté, ils ne peuvent même pas vous recevoir pour discuter de l’avenir du cinéma africain ».

Im.04 G.E à Paris

Pour Gérard, les médailles, les décorations et les dîners, sont de la distraction. L’essentiel est ailleurs, dans la mise en 15

place d’une véritable politique culturelle qui redonne à l’artiste ses lettres de noblesse dans ce pays « prisonnier du football roi ». Victime d’ostracisme même de la part de certaines télévisions privées nationales « qui font semblant d’ignorer sa présence au Cameroun », Gérard a réalisé en 2009 à l’institut Goethe de Yaoundé une exposition « coup de gueule » retraçant sa carrière de comédien. Profitant de cette exposition fortement médiatisée et intitulée « Celui qui a mal tourné », Gérard a présenté les hauts et les bas de sa carrière qui aurait certainement connu un autre destin s’il n’avait pas la peau noire. Il en a profité pour lancer un appel au « renouveau culturel au Cameroun ». A-t-il été entendu ? Depuis notre rencontre en novembre 2010, Gérard a déménagé quatre fois. Précarité… « Je n’ai pas les moyens de me construire un château comme les footballeurs », dit-il d’une voix brisée. Pourquoi tant d’amertume et de frustration chez l’un des meilleurs comédiens du continent noir des trente dernières années ? Gérald serait-il, comme le disent certains, aigri par l’échec d’une carrière réussie sur le plan professionnel, mais qui a lamentablement échoué sur le plan de la gestion du fruit de son travail ? Qui est réellement ce comédien admiré de Catherine Deneuve, d’Alain Delon, de Roger Hanin et des milieux du cinéma africain qui l’ont arrosé de prix d’interprétations ? Qui est cet acteur hors norme qui interpréta avec brio le rôle de Toussaint Louverture sur une mise en scène de Pierre Moreau devant un public composé entre autres de quarante chefs d’État dont François Mitterrand, le président français, en 1989, à Dakar, à l’occasion de la célébration du 16

bicentenaire de la Révolution française ? Qui est cette forte tête, ce lion indomptable du milieu artistique qui osa rompre des contrats, et même en refuser de bien juteux, pour protester contre diverses attitudes et propos racistes tenus au cours des répétitions ou des représentations ? Comment comprendre que, malgré sa renommée internationale, Gérard Essomba soit si peu connu de ses compatriotes et des cinéphiles africains ? Qui est cet acteur aux mille décorations et aux mille facettes qui excelle autant à la radio, à la télévision, au théâtre qu’au cinéma ? Dans ses propos, Gérald apparaît avant tout comme un comédien précis, rigoureux et vigilant lorsqu’il explique les exigences de l’interprétation, la sensibilité de l’acteur confronté à l’artifice du cinéma, de la télévision et du théâtre, la place du texte dans le jeu et le refus de la facilité lorsqu’il faut « se plier » pour incarner un rôle. Il n’a pas été possible, dans nos conversations, de distinguer les passages qui relèvent strictement du métier d’acteur de ceux qui relèvent de la vie tout court. Cet ouvrage révèle un Gérard Essomba « homme-comédien », gourmand culturel, poète, qui laisse émerger du plus profond de lui-même les valeurs et les qualités humaines qui ont fondé sa réussite professionnelle. On pourrait croire qu’il existe deux Gérard Essomba : celui qui se réclame volontiers de ses racines camerounaises, et celui qui a passé quarante ans en France, au cœur du monde artistique français. Il est un mélange des deux. Gérard est un acteur plein d’assurance, écouté, apprécié, talentueux, qui parle avec conviction de tout, et qui aborde sans détour les problèmes du continent et du Cameroun. Il est aussi le documentaliste dérangeant, souvent en rupture avec l’autorité, l’acteur au discours militant, l’observateur attentif

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de l’actualité politique internationale, le bon vivant, le noceur, le créateur révolté et tourmenté. Tel est le portrait de cette icône dont la nonchalance, le regard bleu acier et l’humour à fleur de réplique ont façonné un personnage à la fois énigmatique et troublant. Comment reconstituer fidèlement dans un texte écrit le ton et le grain de la voix ? Ses phrases impossibles, ses coups de blues et ses rires tonitruants ? Son talent de conteur et ses confidences débordantes ? Ses paradoxes, ses doutes, ses indicibles espoirs au cœur du monde des arts du spectacle ? Une seule règle : ne jamais trahir sa pensée. J’espère sincèrement avoir tenu cet engagement.

Charles Soh

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Séquence première Gérard Essomba Many : le passeur, la transition Si nous consacrons aujourd’hui un ouvrage à Gérard Essomba Many, c’est qu’il est devenu de plus en plus évident, au fil des trente dernières années, que cet hommeacteur a interprété les rôles marquants pour lesquels il mérite sa place au panthéon des grands acteurs de l’histoire du cinéma africain. À l’égal des monstres sacrés tels Habib Benglia et bien d’autres qui ont fait en sorte que le cinéma africain ne perde pas complètement son âme alors que triomphent sur les écrans du monde entier et des cinémas d’Afrique les blockbusters hollywoodiens et les films européens qui menacent de réduire à néant l’œuvre cinématographique et la culture africaine à l’écran. Gérard Essomba Many s’affirme, à près de soixante ans, comme le passeur par excellence, le trait d’union entre le cinéma africain d’hier, organisé autour de genres éducatifs et naïfs et celui d’aujourd’hui, conscient de son histoire, condamné dans une large mesure au regard rétrospectif alors que partout on annonce sa mort prochaine. Ce cinéma est noyé par la multiplication effrénée des films occidentaux et la disparition des salles de cinéma en Afrique, pour la plupart louées par les promoteurs des nouvelles églises américaines, ou alors tout simplement transformées en supermarchés.

Im. 05 G"E à Ouagadougou

Mieux que tout autre comédien africain, Gérard Essomba incarne ce passage. Son travail étalé sur près d’un demi-siècle résume, en l’exemplifiant de brillante manière, le destin du septième art sur le continent durant cette période. Au théâtre et au cinéma, Gérard offre au monde et à la postérité une œuvre variée et percutante qui arrive souvent dans le même film à ravir le spectateur ordinaire et à combler le critique le plus exigeant. Beaucoup a été dit et écrit sur Gérard Essomba. Une exposition a d’ailleurs récemment été réalisée pour présenter sa carrière qui aurait « mal tourné ». Notre objectif n’est pas d’en rajouter en tombant, par exemple dans un discours apologétique alors même que Gérard continue de tourner, qu’il fourmille de projets et qu’il travaille à un rythme qui épuiserait bien des jeunes. Certes, il n’a pas eu la carrière d’un Jacques Weber ou d’un Jean Claude Brialy avec qui il a commencé. Ses photos ne figurent pas sur les affiches des téléphones portables, et il n’est pas aussi connu qu’un Samuel 20

Eto’o ou un Didier Drogba dont les fortunes et la popularité font rêver. Le cinéma et le football sont deux mondes différents. Gérard n’a certainement pas engrangé une fortune à la mesure de son immense talent, mais il ne reste pas moins qu’il est un modèle pour la jeunesse africaine. Et c’est la raison pour laquelle nous avons voulu que cet ouvrage soit le manifeste de la reconnaissance de son talent et une célébration à la fois festive et critique de cet acteur que nous aimons. Nous avons voulu explorer son parcours artistique en donnant une place de choix à la réflexion et à la mise en contexte des rôles qu’il a interprétés. Ce serait injuste pour lui-même, pour les jeunes acteurs en formation et même pour la postérité qu’on ne retienne de Gérard que son amertume et ses frustrations. L’histoire ne peut, et ne doit surtout pas retenir de lui qu’il a « mal tourné ». Bien au contraire, pour un acteur noir formé sur le tas, dans un monde où l’intolérance fait rage, il a été splendide et extrêmement professionnel tout au long de sa carrière marquée par des personnages inoubliables : Dr Bia Kombo (La légion saute sur Kolwézi), les Libérateurs (Toussaint Louverture et Malcom X), l’homme à la recherche de son identité perdue (Mani Kongo dans Pièces d’identités), l’empereur mongol Kubilaï Khan dans Marco Millions, Alléluia dans Romancero ou encore le Colonel Defossoh dans L’appât du gain. Autant de moments magiques inoubliables, autant de fantômes qui continuent de hanter nos écrans. Dans un contexte marqué par la discrimination des acteurs de couleur, Gérard Essomba a eu l’intelligence, envers et contre tous, de croire en son talent et d’assumer le fort désir de continuité qui l’habitait. Héritier de la tradition des genres, il affirme avoir tout appris en improvisant, en imitant et en se laissant aller au rôle. Le contexte des années soixante s’y prêtait. Contrairement aux autres artistes avec qui il a 21

commencé sa carrière et suivi une formation chez Tania Balachova (Jean Louis Trintignant, Jacques Weber, etc.) et qui ont eu le privilège d’être aidés dans leurs carrières par les médias français, à l’instar de nombreux acteurs de couleur Gérard Essomba a souffert de l’ostracisme des médias et du conservatisme d’une société frileuse, repliée sur ellemême. « Un acteur noir à l’affiche ne fait pas vendre », dit un jour un distributeur à un producteur qui avait pressenti Gérard pour tenir le premier rôle dans une longue série télévisée. Le casting fut modifié et on lui proposa un rôle de second plan.

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Séquence II Les acteurs noirs en France : d’Habib Benglia à Gérard Essomba. D’une époque à l’autre, même combat Un bref aperçu historique de la présence des acteurs noirs sur la scène française nous permet de constater que les avantgardistes furent les premiers à mettre les acteurs noirs en scène en France au tout début du XXe siècle. C’était une mise en scène caractérisée par la simplification caricaturale du Noir qui était réduit aux stéréotypes. La propagande coloniale et le racisme portraituraient le Noir comme un muscle, un corps bien sculpté, un infatigable danseur, etc. Avant les acteurs noirs, les metteurs en scène confiaient les rôles des acteurs noirs aux Blancs qui portaient des perruques et du maquillage. En raison du fait que ce maquillage était lourd et pour un rôle dégradant, les acteurs blancs rechignaient à accepter de tels rôles. En 1847, Calirville et Sirodin firent jouer sur le théâtre des Variétés un Vaudeville qui traitait du thème de l’esclavage par l’ironie dans une pièce intitulée Malheureux comme un nègre. En raison de la difficulté à trouver un acteur blanc qui accepte de se faire maquiller, les metteurs en scène songèrent à employer un véritable acteur de couleur, ce qui permettrait de faire l’économie des éléments du maquillage. Ce fut là le début de la mise en scène des acteurs noirs sur la scène française. À cette époque, il y avait des « zoos humains » où on pouvait voir des Noirs, et des expositions internationales présentaient des Noirs pour bien souligner la supériorité de la race blanche. Le Noir était mis en scène dans les spectacles de boxe, dans les music hall, dans des scènes exotiques

soulignant sa puissance érotique, dans le but d’assouvir certains fantasmes. Cette époque est marquée par les remarquables performances d’un acteur noir, Habib Benglia (1896-1960)1. Né à Oran, Habib Benglia passe son enfance à Tombouctou et se rend en France pour ses études. Il profite de son séjour en France pour donner des spectacles dans certains théâtres qui prennent le risque, en cette période coloniale, de mettre en scène quelques « indigènes ». Benglia participe à plusieurs spectacles dans l’entre-deux-guerres qui mettent en scène son potentiel sensuel et ses atouts sexuels. De ses spectacles, la presse iconographique ne retenait généralement que les formes de son corps pour insister sur les dangers de l’union mixte et présenter le Noir comme un polygame et un débauché sexuel. Benglia interpréta Les mouches et La putain respectueuse de Sartre et joua dans La Grande illusion de Jean Renoir. En 1913, Benglia joue le rôle du « funèbre étalon » au théâtre de la Renaissance. Puis, il joue un rôle dans l’Oedipe roi de Thèbes, puis celui du Négro chanteur ambulant. Tous ces rôles qui s’enchaînent s’inscrivent toujours dans la perspective de l’incarnation des pulsions ataviques de ses fantasmes enfouis, sorte de figuration sur scène des pulsions instinctives de l’homme. Chez Benglia, le public appréciait la « Grâce animale du bel athlète »2. Cependant, dans le même temps, certains critiques trouvaient que c’était dégradant de mettre en scène des nègres sur les prestigieuses scènes du théâtre français comme au théâtre de l’Odéon. Longtemps après la disparition de Benglia, le constat est patent que les acteurs noirs ne sont pas légion en France. 1

Source : Habib Benglia. Le premier grand acteur noir de France. Article de Sylvie Chalaye paru dans Africultures. WWW.africultures.com 2 Idem.

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Citons-en quelques-uns : Isaach de Bankolé qui a fait la une pendant une dizaine d’années, Sotiguy Kouyaté, Bakary Sangaré, Pascal Légitimus, Gérard Essomba. Ils mènent tous, chacun à son niveau, un combat épique et quotidien contre la discrimination et la marginalisation. Encore aujourd’hui, des critiques s’élèvent lorsque par exemple un metteur en scène comme Declean Donnelan confie le rôle de Rodrigue à un comédien noir, William Nadylam. C’est le combat quotidien d’Aïssa Maïga, héroïne du film du Suisse Alain Tanner ; c’est celui de Marco Prince, star de la musique que le célèbre Peter Brook mit en scène. On peut aussi citer Greg Germain, héros de la nuit à la télévision, Sotiguy Kouyaté au théâtre, Sidiki Bakaba, et bien d’autres confrontés au racisme pernicieux qui les contraint à l’exil et à la pauvreté. Selon Greg Germain, le racisme au théâtre est accablant : « Qui oserait affirmer le contraire ?, s’interroge-t-il. Citez-moi un seul comédien ou metteur en scène noir reconnu dans le théâtre français, ne serait-ce que sur les scènes du théâtre d’Avignon. Et même lorsqu’ils sont sollicités, le sont-ils pour jouer autre chose que les clichés auxquels on les associe ? Des comiques, des dealers ou des danseurs»3. Certains acteurs français n’hésitaient pas à accuser les acteurs africains de tous les crimes, dont notamment celui de « fumer de l’herbe dans les loges », d’être « sales », de « sentir mauvais », de « durer dans les toilettes », etc. Gérard vécut avec beaucoup de souffrance le cas de ce réalisateur, Jean Christophe Averty qui monta pour la télévision Les verts pâturages, avec une distribution entièrement noire. Il fut massacré par l’ensemble de la presse française, y compris celle de gauche. Cette « bourde » mit précocement fin à sa carrière. Tel fut aussi le sort du réalisateur Claude Bernard Aubert dont la carrière s’arrêta après le film Les lâches vivent d’espoir, ou Les tripes au soleil avec Douta Seck. Aucun 3

Fiction télé. Des acteurs noirs dans l’ombre. Dans www.Africultures.com

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producteur français ne voulait prendre le risque de produire un film avec un Noir en tête d’affiche. Pour le choix des acteurs africains, on se focalise généralement sur le visage qui doit être « bien plus noir que du charbon ». Gérard témoigne avec amertume :

Im.06 G.E au théâtre de l'épée de bois

« Si vous aviez une chance d'être engagé dans une production, il fallait qu'on vous maquille encore le visage, des dents bien blanches, un nez épaté, parfois à l'exagération. Surtout si vous deviez paraître aux côtés d'un acteur, ou d’une actrice blonde…Tout devait donner une image caricaturale du Noir, l'avilir le plus volontairement possible à travers le cinéma, afin de la rendre plus que négative »4.

4

Interview avec Charles Soh, novembre 2010.

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Accepté dans les dramatiques radiophoniques où on ne voit pas son visage, Gérard est, au théâtre, confiné aux petits rôles humiliants du nègre en tablier. Il ne tarde pas à comprendre que malgré son talent, la couleur de sa peau sera un sérieux handicap. Il s’en lamente encore : « Les personnages que j’incarne portent souvent des tabliers. Qui est-ce qui sert à boire à Scarlett dans Autant en emporte le vent ? J’ai commencé ma carrière avec des Jean-Claude Brialy, des Bruno Kremer… et regardez où ils en sont aujourd’hui… J’ai joué avec Anthony Delon alors que lui il débutait. J’avais pour ami Laurent Lucas avant qu’il n’explose dans Harry un ami qui vous veut du bien… Nous les acteurs de couleur, nous devons apprendre à vivre de nos illusions ».5 En réalité, il faudrait tempérer cette hargne des acteurs noirs contre le « racisme » dont ils accusent les milieux du spectacle français, les promoteurs, les producteurs de spectacle, etc. Et ils ont parfois tendance à oublier que le monde du spectacle est un miroir des difficultés de la société française, celle de la préférence nationale, et le monde du cinéma où la concurrence entre les acteurs est féroce pour des contrats juteux ne saurait faire exception. Des ingénieurs, par ailleurs brillants, pourraient aussi se plaindre d’avoir été délaissés au profit de techniciens français de moindre compétence. C’est un phénomène courant en France où la préférence nationale est tacite, inscrite en filigrane derrière l’annonce d’un emploi disponible, d’un appartement à louer, etc. Et d’ailleurs, ces difficultés, somme toute, normales et qu’on retrouve dans tous les milieux où la compétition est féroce, n’ont pas empêché Gérard de jouer dans une centaine de 5

Idem.

27

pièces dans les théâtres les plus prestigieux de France, de remporter plusieurs récompenses pour ses rôles et cinéma, et surtout, de devenir la figure emblématique de l’esthétique du comédien africain.

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Séquence III Être acteur : passion et désir d’enfance Neuvième d'une famille de dix enfants, Gérald Essomba est né à Yaoundé au Cameroun. Fonctionnaire parfois en conflit avec son employeur, l’État du Cameroun, son père, qui était un patriarche ewondo, a été muté un peu partout : Maroua, Garoua, Bertoua. L’éducation de base de Gérard est ainsi rendue chaotique par les multiples déplacements de son père qu’accompagnait sa nombreuse famille composée de trois épouses et d’une dizaine d’enfants. Très impliqué dans la politique, son père, Essomba Many Ewondo, fut l’un des premiers maires de la capitale et fondateur d’un parti politique, l’Union Sociale Camerounaise (USC). À cause de la polygamie de son père, l’entrée en classe de sixième au Collège Vogt lui fut refusée par les religieux canadiens. Son enfance est ainsi marquée par les difficultés d’aller à l’école comme les enfants de son âge. Il doit partir de son village (Mvog-Ada) chaque jour à cinq heures du matin et traverser la ville à pied pour se rendre à l’école située au plateau Atemengue.

Im. 07 G.E à Bordeaux

Très tôt dans la vie, il découvre qu’il a une passion : devenir acteur. Comme tous les enfants de son âge, il allait les soirs après l’école regarder travailler un animateur radio, Kabout Honoré qu’il reconnaît aujourd’hui source d’inspiration et de motivation dans le choix de son métier. Il était aussi impressionné par les dramatiques diffusées par Occora, aujourd’hui RFI. Son père décède à cinquante-cinq ans, le laissant orphelin de ses rêves. Cette disparition forge son caractère. Il apprend vite à se battre, à s’assumer, et c’est 30

ainsi qu’il se forme à la meilleure école, celle de la vie. Décidé à devenir comédien malgré les réticences de Prosper Etoundi, son frère aîné qui tente de le dissuader en arguant que les artistes de couleur restent marginaux, Gérard n’en démord pas. Il se rend à Douala où, en 1963, élève en classe de 4e, Monsieur Henri Martin, le Directeur du Collège, lui donne le rôle de Petit Jean dans Les plaideurs de Jean Racine. Ce fut le déclic. Encouragé par le Directeur, Gérard décide d’aller en France où il espère transformer son rêve en réalité.

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Séquence IV En France à 20 ans, bourré d’ambitions Après le décès de son père, Gérard Essomba embarque pour Marseille en décembre 1968. Le voyage dure vingt et un jours. Pendant les deux premiers mois, il vit chez sa bellesœur, une Française originaire de Normandie. Pour survivre, il trie le courriel dans un bureau de poste à la gare de l’Est. Deux mois après, il loue une chambre de bonne au septième étage dans un immeuble place Voltaire. Toujours animé par sa passion de devenir acteur, tous les dimanches, Gérard ne manque pas d’écouter le roman de Renard, lu par Jules Mocque de l’académie française sur France Culture. Il écoute aussi un feuilleton radiophonique intitulé Ça va bouillir, diffusé tous les midis sur radio Luxembourg.

Im. 08 G. E à Paris

Quelque temps après, Gérard retrouve son ami d’enfance, Ambroise Mbia, qui l’avait précédé en France et qui l’aide à trouver une adresse dans le 17e arrondissement de Paris où Madame Raymond Rouleau formait les jeunes acteurs. Plusieurs élèves, fils de bonnes familles y suivaient des cours, dont un certain Roger Hanin. Gérard est admis sans frais au cours d’art dramatique animé par une Russe, Tania Balachova, qui lui propose de passer une audition trois mois après le début de la formation. Gérard est retenu pour jouer le rôle du nègre dans une pièce de théâtre écrite par Jean-Paul Sartre, La putain respectueuse. La représentation, son baptême du feu, en 1969, a lieu au théâtre de l’Épée de Bois en présence du célèbre philosophe et de sa compagne, Simonne de Beauvoir. Un succès qui vaut à Gérard d’être invité par Pierre Debauche, fondateur du théâtre des Amandiers à Nanterre, qui lui propose le rôle phare dans une pièce qu’il monte, Malcom X. Gérard est sur un nuage, car entre-temps il a réussi à convaincre Roger Hanin qui l’a invité à dîner chez lui où il a rencontré d’autres célébrités du cinéma français, dont notamment Gouze Renal, l’épouse de Hanin, sœur de François Mitterrand et plus grande productrice française de l’époque.

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Im.09 G.E à Bordeaux

Au cours chez Tania, Gérard apprend rapidement les rudiments du métier. Il apprend à analyser un texte, à le comprendre, à saisir le vouloir dire de l’auteur et à défendre le texte qu’il est chargé d’interpréter. Pour affiner sa technique, Gérard suit d’autres cours d’art dramatique au Conservatoire National des Arts et Métiers (CNAM) sur la 35

rue Saint Martin. Parallèlement, il obtient le diplôme de premier degré en droit commercial et s’inscrit en capacité à l’université de Paris II Assas. Il s’inscrit ensuite à l’université Paris III à Censier où il s’initie à l’histoire du théâtre et à la mise en scène moderne. Les acteurs et les producteurs lui reconnaissent un talent hors du commun, et il fait partie des comédiens retenus pour jouer dans La tragédie du roi Christophe aux côtés de Douta Seck et de Herve Denis. Gérard en parle avec émotion : « Je me souviens que le casting avait duré six mois, tous les samedis après-midi, j’étais assis sur le même banc que l’auteur Aimé Césaire, c’était au théâtre de l’Athénée »6. La carrière de Gérard démarrait sur les chapeaux de roue avec un mélange de rôles au théâtre et à la radio, même si les rôles au cinéma tardaient à venir.

6

Interview avec Charles Soh, novembre 2010.

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Séquence V Gérard Essomba : l’acteur africain au cœur du métier Si l’on part de la définition générale du comédien, à savoir : « un professionnel du spectacle vivant et audiovisuel. Il interprète des textes et, à travers eux, des personnages et des situations dramatiques, comiques ou romanesques. Il exprime des émotions et use de son talent pour captiver son auditoire, le divertir ou le faire rêver »7, on peut dire qu’en tant que comédien africain, le travail de Gérard Essomba répond bien à cette définition. Conscient du fait que le métier d’acteur est spirituel, Gérard s’était progressivement doté d’un talent qui le prédisposait à interpréter tous les rôles possibles qui pourraient lui être proposés. Héritier d’une tradition millénaire basée sur le jeu, l’acteur noir dont Gérard est l’incarnation et le modèle vivant avait l’avantage de naître dans un environnement où la vie au quotidien est rythmée par le travail collectif, le chant, la danse, le rythme et le rire, la joie. En Afrique, la vie est comme une pièce de théâtre, elle est déjà une école de théâtre où chaque membre de la communauté joue un rôle socialement défini. Chacun apprend sans grand effort à exprimer ses émotions au bon moment, à les cacher face à la douleur physique par exemple lors des rites d’initiation ou d’excision, à répondre aux situations et à décrypter les messages envoyés par d’autres acteurs par le tambour, le chant, la mimique, etc. Dans les villages d’Afrique, en plus du nom de naissance, presque tout le monde porte un autre nom, un second nom, ou plutôt un ou plusieurs surnoms qui sont déjà des noms de scène. On n’est 7

Dictionnaire encyclopédique des arts.

pas identifié avec un seul rôle, on en a plusieurs, et on passe presqu’inconsciemment d’un rôle à l’autre. Que ce soit chez Sidiki Bakaba, chez Douta Seck ou chez Gérard Essomba, le métier d’acteur permet de vivre son africanité en toute conscience tout en étant le témoin vivant de ses émotions. Triste ou heureux, il est conscient des différents rôles qu’il doit jouer, il est conscient du fait que le monde n’est pas autre chose qu’une grande scène où chacun joue son rôle. Pour y parvenir, Gérard explique que pour bien préparer un rôle, il travaille son expérience intérieure, il s’efforce de s’oublier, de faire le vide dans sa tête, il devient comme un miroir pour épouser le rôle sans jamais oublier de faire la différence entre les rôles et ses propres sentiments. En effet, nombreux sont les acteurs professionnels qui basculent dans la dérive narcissique en donnant l’impression de jouer leur propre vie. Dans la réalité, et selon Diderot8, « l’acteur convaincant est celui qui est capable d’exprimer ce qu’il ne ressent pas. C’est le paradoxe. Moins on sent, plus on fait sentir ».9 Diderot expose deux sortes de jeux d'acteurs : • Jouer d'âme qui consiste à ressentir les émotions que

l'on joue ;

• Jouer d'intelligence qui repose sur le paraître, à jouer

sans ressentir.

C'est le contraste entre l’expression du corps et l’absence d’émotion ressentie de la part de l’acteur. Il joue sans éprouver. Il rit sans être gai, pleure sans être triste. L'acteur se 8

Paradoxe sur le comédien est un essai sur le théâtre rédigé sous forme de dialogue par Denis Diderot entre 1773 et 1777 et publié à titre posthume en 1830. 9 Idem.

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sert de son corps comme d’un instrument. Le paradoxe du comédien met donc en évidence l’écart qui peut exister entre le corps et le psychisme (ce qui n'est pas somatique et relève de l'esprit et de l'intelligence).10

Im. 10 G.E au théâtre du Chatelet

Chargé de mettre en acte le texte écrit par un scénariste ou un dramaturge selon une mise en scène organisée par un réalisateur ou un metteur en scène, l’acteur donne vie au personnage, raison pour laquelle il existe une ambigüité constante entre la personnalité du rôle et celle de son interprète. Ce paradoxe a été brillamment exposé par Diderot 10

Idem.

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dans son Paradoxe sur le comédien où il fait état d’un acteur romain du nom d’Ésope qui, emporté par la folie du personnage d’Oreste, assassina un de ses partenaires. Il fait aussi état d’un autre, Genest qui, à force de jouer un rôle, s’était finalement converti à la foi de son personnage et fut même sanctifié pour avoir subi le martyre, et non pour son jeu au théâtre. On imagine Gérard Essomba, Toussaint Louverture, continuer à jouer le rôle après la représentation, pris dans une sorte de vertige de la grandeur et du pouvoir en croyant disposer effectivement d’une armée de quatre mille hommes sous ses ordres ! Il est vrai que Gérard change d’identité lorsqu’il passe du rôle de Toussaint Louverture à celui du Dr Bia Kombo, ou encore lorsqu’il va, plus tard, jouer le rôle du clochard rabatteur ou celui du roi mongol. Cependant, les cas de confusion mentale sont rarissimes chez Gérard. Il sait qu’il doit rester lui-même pour être à même de créer artistiquement son caractère, car l’identification totale à un personnage peut mener à la folie. Gérard puise à la fois dans son vécu et dans son imaginaire pour composer le rôle qu’il interprète. On dit que cette capacité à se dupliquer, à entrer dans le tunnel au début de la représentation pour en ressortir et retrouver sa vraie nature à la fin de la représentation, que cette capacité à être soi-même tout en étant quelqu’un d’autre aurait été vue d’un fort mauvais œil par l’Église catholique qui excommunia les acteurs en 398 et fit enterrer Molière à la sauvette.11 Acteur caméléon, éclectique, insaisissable et insatiable, Gérard se fond dans ses rôles, et la densité de ses interprétations lui attire aussi bien les faveurs que les critiques du public. Corps indéfinissable, sans âge, parfois trop lourd ou trop sautillant, Gérard est hors du commun. Des typologies qu'il visite aux apparences que se donnent ses 11

Source : Wikipedia. Le métier de comédien.

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personnages, ses rôles sont modelés à partir de sa vie, de sa propre fêlure. Dans Pièces d'identités, sa gestuelle et sa silhouette voûtée accentuent l'âge du rôle, mais le visage de Gérard renseigne peu sur l'âge réel du personnage de Mani Kongo. Excepté sa moue boudeuse, avec les lèvres pendantes qui suggèrent la résignation de Mani Kongo, son dos courbé exprime la lassitude, le poids d'une vie déjà derrière lui. Le tempérament paroxystique de Mani Kongo est une aubaine pour Gérard qui peut donner de l'amplitude à son jeu. C'est ainsi qu'il compose, la tête enfoncée dans ses épaules tombantes mal enveloppées dans une tenue africaine qui bâille, une démarche pataude entre le pas hasardeux du vieillard perclus de rhumatismes et le manque d'assurance d'un enfant qui bascule son poids d'une jambe à l'autre. Tout au long du film, il affiche cette silhouette de pitre au corps tassé et à la démarche incertaine. Son regard oscille entre le pétillement juvénile d'un incorrigible bouffon et l'impuissance d'un vieillard perdu au cœur d'un monde qui n'est pas le sien. Acteur d'instinct autant dans les films radiophoniques, au théâtre qu’au cinéma, Gérard a su se dupliquer, se multiplier pour épouser les rôles qui lui ont été confiés, à la fois avec grâce, spontanéité et distanciation.

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Séquence VI Les films radiophoniques « J’avais été admis 40e sur un total de 600 candidats » Très influencé par les dramatiques diffusées par Occora, actuel RFI, Gérard a participé quelque temps après son arrivée à Paris à des auditions radiophoniques pour Radio France Internationale et France Culture qui employaient des acteurs noirs. Les concours d’audition organisés par l’ORTF (Radio France) chaque année donnaient l’occasion aux comédiens d’être homologués, reconnus dans le milieu et ils recevaient une carte qui leur permettait de travailler comme comédien sur tous les réseaux de l’ORTF. Gérard se classa 40e sur un total de 600 candidats et il put ainsi participer à plusieurs dramatiques radiodiffusées, dont notamment Combat de nègre et de chiens, tapuscrit de Bernard-Marie Koltes dont Gérald fut le premier à faire une lecture sur les ondes en 1980. Madeleine Ricaud de France Culture avait écrit pour lui le texte du Chevalier de Saint Georges. Gérard prêta sa voix à plus d’une centaine de dramatiques radiophoniques. Ce fut pour lui à la fois une thérapie contre la grisaille de la marginalisation et une occasion de formation professionnelle puisqu’elle lui permit d’affûter sa voix, de la poser et de la moduler pour la rendre neutre et internationale. Les films radiophoniques ont aidé l’apprenti acteur à maîtriser le timbre de sa voix, à développer une sensibilité vocale, à l’adapter au rôle, et surtout à écouter. C’est à la radio que Gérard a appris et compris qu’il faut sans cesse improviser, innover et ne pas se contenter de ce qu’on fait facilement en restant sur la même couleur vocale d’un

rôle à l’autre. C’est là qu’il a appris à aborder un texte en s’attachant à la musique de la phrase, par des lectures lentes, mesurées, par un travail spirituel sur le texte pour le remplir de l’émotion portée par la scène et non pas par l’ensemble du film ou de la pièce de théâtre. La radio lui a permis de faire le travail psychologique préalable sur le texte avant de l’attaquer en insistant sur le rythme. Le jeu de la voix à la radio l’a aidé à soutenir le combat impitoyable que le comédien mène contre le rôle qu’il joue, avec cet avantage qu’à la radio on ne voit pas la couleur de sa peau. Seule sa voix était une présence affinée, pudique, réelle, démonstrative de l’immensité de son talent. C’est aussi ici que le futur acteur a appris l’une des leçons qui lui servira plus tard dans sa carrière, que la société ne tolère l’acteur que s’il donne un portrait rassurant et flatteur de l’homme et, par conséquent, d’elle-même. Acteur de caractère, « grande gueule », Gérard n’a pas peur de donner son opinion et ne fait pas partie de ce qu’on appelle la majorité silencieuse. Quelque peu vaniteux, il tranche, parfois de manière un peu rapide, ce qui le rend suspect et le met en péril au détour de chaque opinion qui est à contre-courant du politiquement et du socialement corrects. Les critiques furent unanimes pour reconnaître que sans être forcément belle, la voix de Gérard Essomba était harmonieuse et était le reflet intime de l’interprète qui avait gardé quelque chose de la naïveté de l’enfance. Comme l’affirme le critique Etienne Adovi, « à la radio, la voix de Gérard semblait atonale parce qu’elle retenait en elle toutes les intonations, mélanges de l’Afrique et de l’Europe, carrefour des accents neutres. C’était une voix qui reflétait l’authenticité d’un homme, une voix qui s’est transformée avec l’âge et au contact des auteurs »12. 12

www.africultures.com. Les voix de l’Afrique. Article du critique béninois Etienne Adovi.

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De fait, cette expérience assez complète de la radio que Gérard Essomba a maintenant derrière lui, tous les textes qu’il a pu lire pendant des années, ont bâti en lui une culture qui a changé sa voix. Lorsqu’on passe d’un auteur à l’autre, du poème à la prose, il apparaît que la voix révèle l’être intérieur du comédien, mais elle traduit aussi les choix qu’il opère pour les rendre efficaces, pour interpréter au mieux ce que l’auteur du texte a voulu exprimer, son vouloir dire. La maturité qui se dégage aujourd’hui de la voix de Gérald traduit une grande maîtrise de l’art oratoire. Elle est le résultat de longues années de recherche qui ont amené Gérald à travailler son articulation en faisant travailler sa tête, en apprenant à se connaître pour donner une tonalité unique à son articulation. Sur ce plan, Gérard est toujours l’un des meilleurs en technique de la gestion du phrasé, c’est-à-dire du rythme et de la couleur qu’on donne aux mots en les prononçant, afin de couper la phrase là où il faut, lui apporter certaines accentuations, afin d’en souligner la valeur et le sens. Grâce à cette grande qualité artistique, Gérard pouvait réécrire en quelque sorte le texte de l’auteur, lui donner une vitalité nouvelle et personnelle. Cette originalité dans la gestion de la voix a fait qu’il avait, pour ainsi dire, une voix pour chaque rôle. « Je travaillais, mes personnages avec un sérieux, comme un candidat à l’oral du bac »,13se souvient-il. Grâce à la radio, Gérard a connu le célèbre Pierre Billard qui animait l'émission Mystère-Mystère, puis L'anthologie du mystère, Le roman de renard, etc. Ainsi, en plus de lui assurer le quotidien, la radio a eu un apport décisif dans la carrière de Gérard en ce sens qu’elle lui a donné la possibilité, en tant que comédien en formation, de s’écouter.

13

Interview Charles Soh, Yaoundé, novembre 2010.

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Séquence VII Gérard Essomba au théâtre

Im.11 G.E au théâtre du Lucenaire

Les rôles interprétés au théâtre par Gérard Essomba peuvent êtres répartis en trois grandes catégories : Les rôles des personnages clichés encore appelés personnages types (Le rôle du nègre), le rôle des personnages emblématiques (Toussaint Louverture, Malcom X, Kubilaï Khan dans Marco Millions), et les rôles des personnages ordinaires de la société (Napoléon dans Le nu au tambour, Alléluia dans Romancero). Les rôles clichés Ce sont des rôles attendus par le public. Ils doivent correspondre à l’attente du spectateur. De même que l’on

verrait mal un nain interpréter le rôle de Gulliver, on verrait mal un nègre tomber follement amoureux d’une belle blonde et l’épouser. Le public s’attend à ce que l’acteur noir soit plutôt le valet, celui qui assure la sécurité, un gros bras ou un violeur de femme blanche toute apeurée. Gérard en a joué quelques-uns : oncle John dans Sud de Julien Green, Porc dans Autant en emporte le vent, le nègre dans La putain respectueuse, etc. Les rôles emblématiques Ce sont des rôles de premier plan portés par des comédiens vedettes, expérimentés, qui illuminent la pièce de leur talent et de leur présence. Malcom X, Toussaint Louverture, Kubilaï Khan, etc. Les rôles des personnages ordinaires Il s’agit du rôle qui incarne monsieur tout le monde. Rôle d’Alléluia dans Romancero, rôle de Sam dans Les brumes de Manchester, Mesrou dans La dispute de Marivaux, etc.

Im.12 Romancero (1986)

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Sur la centaine de rôles interprétés par Gérard sur les planches, nous en avons retenu quelques-uns, les principaux qui, à nos yeux, font la synthèse et donnent tous ensemble et chacun individuellement, la pleine mesure de l’immensité de son talent d’acteur au théâtre. Il s’agit du rôle du nègre dans La putain respectueuse (rôle cliché), de Toussaint Louverture et Kubilaï Khan (rôles emblématiques), Napoléon dans Le nu au tambour dans la série au théâtre le soir (rôle ordinaire). La putain respectueuse Auteur : Jean-Paul Sartre Mise en scène : Tania Balachova Lieu : Théâtre de l’Épée de bois, France Date : 1969 Rôle joué par Gérald Essomba : Le nègre Résumé de la pièce Aux États-Unis, dans une ville du Sud, Lizzie, une prostituée, est embarquée malgré elle dans une histoire la mettant aux prises avec sa conscience. On accuse un Noir de l'avoir violée dans un train ; en fait, elle n'a été que partiellement abusée, non par un Noir mais par le neveu d'un sénateur, avec des amis, tous saouls. Ils ont alors voulu jeter les Noirs par la portière parce que ça « sentait le nègre ». Les Noirs se sont défendus comme ils le pouvaient et le neveu du sénateur a tiré sur l'un d'eux, le tuant. Le second s'est enfui. La pièce commence alors que le Noir survivant sonne à la porte de Lizzie pour lui faire promettre de dire la vérité quand on l'interrogera.

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Extrait Tableau II, scène 2 : Le Noir sort de sa cachette et demande à nouveau à Lizzie de le cacher : celle-ci accepte et lui propose même un pistolet. Il refuse prétextant qu'il est Noir et qu'il ne peut tirer sur un Blanc : « Lizzie : Prends ça ! Je te dis de le prendre. Le Nègre : Je ne peux pas, Madame. Lizzie : Quoi ? Le Nègre : Je ne peux pas tirer sur des Blancs. Lizzie : Vraiment ! Ils vont se gêner, eux. Le Nègre : Ce sont des Blancs, Madame. Lizzie : Et alors ? Parce qu'ils sont Blancs, ils ont le droit de te saigner comme un cochon ? Le Nègre : Ce sont des Blancs. » On sonne alors à la porte et Lizzie fait signe au Noir de se cacher dans le cabinet de toilette. Gérald Essomba dans le rôle du nègre victime d’accusation de meurtre Malgré le fait que dans cette pièce Gérald joue le rôle peu glorieux du nègre de service, il le joue presque à la perfection en y mettant une bonne dose d’improvisation et de créativité. Tributaire du texte écrit, Gérald change d’un soir à l’autre, rythmant différemment le rôle et prenant des temps inattendus. À certains moments, il est très enjoué, à d’autres très grave dans son jeu. L’auteur de la pièce fut hautement satisfait par la performance de Gérard. « À la fin de la représentation, témoigne Gérard, Jean-Paul Sartre s’est approché de moi et m’a dit : 50

¨ Monsieur, je vous félicite parce que j’ai écrit cette pièce pour un ami qui s’appelle Habib Benglia. Vous êtes le deuxième à donner le personnage tel que je l’ai créé ». Marco Millions Auteur : Eugene O’Neill. Mise en scène de : Marie-Claire Vallene Lieu : Théâtre de l’Ouest et de la Rochelle (France) Date : 1975 Rôle joué par Gérard : Kubilaï Khan Résumé de la pièce Jeune homme, Marco Polo est envoyé en Chine pour travailler dans l’entreprise de son père. Plongé dans son travail, il ne se rend pas compte que Kukachin, la petite-fille de Kubilaï Khan, l’empereur mongol, est tombée follement amoureuse de lui. Il rentre à Venise après avoir collectionné les succès commerciaux pour l’entreprise de son père. À Venise, il mène une vie de luxe sans savoir que Kukachin a tellement été amoureuse de lui qu’elle en est morte. Marco prend la figure de l’éternel marchand qui fait chavirer tout ce qu’il touche. Extrait Acte II, scène 2. Kubilaï Khan fait ses adieux à sa fille Kukachin qui part en Italie avec Marco. Les relations entre Khan et son gendre sont exécrables Kubilaï Il faut que je parte (Il la prend dans ses bras) 51

Nous nous sommes tout dit. Souviens-toi que certains secrets ne méritent pas d’être partagés. Parfois, la solitude s’impose dans nos vies. Tu le sais, je t’aime plus que toute chose sur terre, et je sais que tu m’aimes. C’est pourquoi nous devons arriver à nous entendre. Comme j’aurais aimé être rassuré qu’en cédant à ton désir je fais ton bonheur afin que tu retrouves la joie de vivre et la paix, et que l’amertume s’éloigne de ta vie. Elle pleure. Ne pleure pas, mon enfant, ne pleure pas. Comment, moi, le vieillard au seuil de la mort, pourrais-je conseiller à la jeunesse comment vivre sa vie ? Qui sait quelles sont nos fautes ? Nos erreurs ? Kukachin Vous n’avez pas compris, je tiens à faire ce voyage. Kubilaï Si tu le veux, je peux contraindre Polo de rester ici. Il pourra te prier à genoux que je lui laisse la vie sauve. Kukachin Ai-je besoin d’un esclave ? Non ! J’ai plutôt besoin d’un bon capitaine au gouvernail de mon bateau pour ce long voyage dans les eaux dangereuses. Kubilaï Je suis le grand Khan, je peux le faire tuer, ce Polo ! Je vois des larmes qui perlent sur tes joues. Ne pleure pas mon enfant. Le grand Khan, roi du monde, ne peut pas pleurer, il 52

ne doit pas pleurer au moment de faire ses adieux à sa petitefille bien-aimée. Gérard Essomba dans le rôle de Kubilaï Khan Petit-fils de l’empereur mongol Genghis Khan, Kubilaï Khan est le fondateur de la dynastie mongole en Chine. Dans son royaume, il concentre entre ses mains tous les pouvoirs (impôts, administration, etc.). Il se fait aussi la joie de recevoir les étrangers et les voyageurs, à l’instar de Marco Polo dont la petite-fille du grand Khan tombe follement amoureuse. Pour ce rôle obtenu de haute lutte, Gérard se souvient : « Madame Marie-Claire Vallene cherchait un acteur pour interpréter dans la pièce de Eugene O’Neill, le personnage du grand Khan. Je me suis présenté à l'audition. Plus d’une vingtaine d'autres acteurs, de toutes les couleurs participaient à ce casting. Le soir même on m'appela pour m'annoncer que je devais jouer cette pièce au théâtre de l'Ouest et de La Rochelle, appelé à partir en tournée à travers la France. La distribution était toute blanche. Maurice Sarfati, un ami jouait Marco Million, Daniel Bremont était Tchou Yin, le maître de Kubilaï Khan. Cette distribution avait provoqué l'irritation d'une certaine presse, très à droite et même à l'extrême, qui n'acceptait pas de voir un acteur noir en haut d'affiche, en plus jouer le grand-père de Kukachin, qui était Blanche ». Malgré le succès populaire de cette pièce, certains critiques à la Rochelle trouvèrent le moyen de critiquer le casting, jugeant injurieux qu’un acteur noir incarne le grand Khan. Dans le rôle du père de Kukachin, Gérard interprète un personnage noble et distingué. Le pas est lent, la démarche 53

est noble, le geste mesuré, la voix posée et sûre d’elle-même. Dans ce rôle, Gérald joue à la perfection le jeu de l’acteur qui est à la fois l’instrument du personnage et son maître. Ici, Gérard manifeste une complexité de tempérament assez curieuse, car il allie la chaleur et la froideur à une certaine naïveté. Ce qui frappe dans ce rôle original d’entrée dans la peau d’un roi mongol, c’est qu’il ne se contente pas de clamer une réplique sans la comprendre, ni sans avoir le sentiment qu’il aurait pu l’écrire, il joue les répliques comme s’il était en train d’improviser. Dans ce rôle, l’acteur est un homme à l’imagination particulièrement développée et multiforme. Lorsqu’un grand acteur comme Gérard Essomba joue un roi, comme dans Marco Millions, à côté de lui, on a l’impression que les rois, les vrais ne sont pas très doués.

Toussaint Louverture ou la révolution d’un esclave africain devenu général de la république

Im. 13 G. Essomba (à gauche) dans le rôle de Toussaint Louverture

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Im.14 G. Essomba dans le rôle de Toussaint Louverture (Dakar, 1989)

Auteur : Texte de Jean-Louis Sagot Duvauroux et de Pierre Sauvageot. Mise en scène : Adaptation, réalisation et mise en scène de Claude Moreau. Lieu : Spectacle créé à Dakar dans le cadre du IIIe sommet francophone et du bicentenaire de la Révolution française. Date : Spectacle vivant filmé, 58 min, France, mai 1989. Rôle joué par Gérard Essomba : Toussaint Louverture. Résumé Cette grosse production financée par la France retrace les combats, la vie, les doutes, la trahison et la mort d’un nègre, Toussaint Louverture, dont le charisme et le courage ont fait de lui le héros de l’indépendance haïtienne. À la tête d’une armée de quatre mille combattants déterminés, Toussaint Louverture combat l’armée coloniale 55

française et exige l’indépendance immédiate de Saint Domingue (Haïti). Son combat résonne bien au-delà de son pays. Il devient le chantre de tous les peuples opprimés sous le joug de la domination coloniale. Malgré sa bravoure, il est trahi par la fourberie des Français qui l’arrêtent et le détiennent en métropole où il meurt en détention dans l’indigence. Extraits Voix du narrateur : Dès les premiers mois de l’insurrection, Toussaint Louverture rejoint les révoltés et s’impose comme le chef le plus clairvoyant. Avec 4000 hommes en armes, il tient tout le nord de l’île. Les monarques européens qui combattent la République française lui fournissent armes et uniformes. Toussaint Louverture : Je suis Toussaint Louverture. Mon nom vous est peut-être connu. J’ai entrepris de me venger. Je veux que la liberté et l’égalité règnent à Saint Domingue. Je travaille à les réaliser. Unissez-vous à nous, mes frères et combattez avec nous pour la même cause. Général Lavauld : Toussaint Louverture, tu es un imposteur. La liberté et l’égalité, c’est moi, général Lavauld, chef des armées de la République française dans la colonie et de saint Domingue qui en porte le fer et les couleurs contre l’armée des rois qui nous assiègent. Toussaint Louverture : Pardon ! Votre excellence ! Pardon ! Je confesse devant la bienheureuse république et la très sainte vierge Marie que je suis un voleur. J’ai péché par pensée, par action et par omission contre le droit sacré de la propriété. La liberté, vois-tu ? J’en avais envie. Général Lavauld : Tu fais erreur, Toussaint Louverture. Le commissaire civil Santonax a décidé d’abolir l’esclavage sur 56

toute l’étendue de la colonie. La place des hommes vraiment libres est à nos côtés. Et toi, tu combats sous l’uniforme des rois. Toussaint Louverture : Les rois m’ont donné des armes. Général Lavauld : Et des ordres. Toussaint Louverture : Ça suffit ! Petit blanc ! Dans mon camp, les ordres, c’est moi qui les donne. Les rois sont loin, ils vous haïssent, et moi aussi je vous hais. Parce qu’il n’y a rien de plus hypocrite qu’un Français. Dis-moi, sous quelle loi travaillent nos frères de Martinique et de Guadeloupe ? Général Lavauld : La république apportera partout la liberté. Toussaint Louverture : Réponds à ma question. Général Lavauld : La république est une force qui avance. Tout Paris est soulevé pour la libération des hommes que la loi consacrera partout où s’étend le pouvoir de la France. Toussaint Louverture : Tu ne veux pas répondre à ma question ? Parce que tu sais bien qu’un dos fait mal la différence entre le fouet républicain et le fouet royaliste. En Martinique et en Guadeloupe vous êtes forts et nous sommes esclaves. À saint Domingue, vous avez peur, alors vous nous flattez. Quand tu auras donné ta fille en mariage à un nègre, je croirai à ta prétendue égalité… … L’océan redevient une prison. La porte de l’enfer est à Gorée en Afrique. Elle ouvre sur la mer bleue. Il y a là une jeune négresse aux seins nus qui avance vers la prison des vagues. Personne ne sait plus comment elle s’appelle. Sa peau fume encore de la marque qui ne s’efface pas. C’est ma mère. Mon nom est Toussaint Louverture. Je n’ai pas de patrie. L’océan n’est pas une patrie. 57

Gérard Essomba dans le rôle de Toussaint Louverture L’enjeu esthétique de ce rôle se situait dans la capacité du comédien à l’interpréter en prenant à la fois la figure d’Abraham qui conduit son peuple, et celle d’une sorte de messie qui accepte de se sacrifier pour lui. Étincelant dans son costume et son chapeau d’époque, Gérard incarne parfaitement à la fois le chef militaire autoritaire et inflexible et le fin stratège qui sait négocier les accords pour gagner du temps, toujours dans l’intérêt de son peuple. Dans ce rôle, Gérard prend des allures de Bonaparte, ce qui crée un malaise chez certains Français qui voient d’un mauvais œil un nègre ressembler à Bonaparte. La personnalité de Gérard Essomba, sa noblesse dans l’incarnation de Toussaint Louverture font qu’il écrase les autres personnages de la pièce, y compris le général français chargé de négocier un compromis avec lui. Gérard n’interprète pas Toussaint Louverture, il est Toussaint Louverture. Superbement inventive et sensible, la mise en scène de Claude Moreau est une ode à la création artistique. Autour de Toussaint Louverture, des conflits éclatent, des complots se trament, des amitiés se scellent. Sur fond de la voix suave de la chanteuse et comédienne haïtienne Toto Bissainte, le décor sonore est nourri de détails créatifs dont le réalisme poignant amène le spectateur à revivre, comme en direct, les évènements de l’époque. En fusionnant la danse des esclaves aux rythmes endiablés de la musique sénégalaise, le metteur en scène met en lumière les grandes richesses et la force de la culture nègre. Avec tendresse et fragilité, Gérard fait revivre ce velléitaire, Toussaint Louverture, courageux mais naïf, et dont les déboires nous renvoient l’image de nos propres peurs et hésitations, surtout face à l’actualité africaine d’aujourd’hui.

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Au théâtre ce soir Le nu au tambour Auteur : Noel Coward sur une adaptation française d’Albert Husson. Mise en scène de : Pierre Sabbach Lieu : théâtre Michel Date : 1975 Rôle joué par Gérard Essomba : Napoléon, un adventiste du 7e jour.

Im. 15 - G. Essomba dans le rôle de Napoléon, un adventiste du 7e jour. Dans la pièce Le nu au tambour (théâtre Saint Michel, 1974).

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Résumé Comédie satirique. Titre original de la pièce "nude with violin ". Sorodine, un peintre illustre, vient de mourir : sa famille n'est pas très éplorée, car il l'a abandonnée depuis fort longtemps. Mais il laisse son valet de chambre, Sébastien, qui était son âme damnée. La famille arrive pour les funérailles, et surtout pour recueillir l'héritage. Les héritiers veulent obtenir les toiles du défunt, en particulier un certain « Nu au tambour », estimé à lui seul à 400 000 dollars. Hélas, Sébastien donne lecture à la famille et au marchand de tableaux de son maître, d'une lettre de Sorodine, affirmant qu'il n'a jamais peint un tableau de sa vie. Cette affirmation est d'autant plus alarmante que le peintre a eu quatre périodes et on craint que ses toiles ne proviennent de quatre auteurs différents. Gérard est aussi l’un des rares acteurs de couleur retenu par Pierre Sabbach pour quelques rôles dans la série Au théâtre ce soir que le metteur en scène réalisait sous forme d’émissions de télévisions très populaires. Gérard Essomba dans le rôle de Napoléon, un adventiste du 7e jour C’est un rôle à la fois délicat et ordinaire que celui d’un Napoléon confié à Gérard. C’est un extrémiste religieux qui refuse de faire vacciner ses enfants, qui refuse les prises de sang et qui interdit à ses enfants d’aller à l’école le jour du culte. Pour ce rôle bien composé, Gérard fait figure de pasteur à la fois en colère contre ses enfants qui ne 60

comprennent pas les enjeux de la foi, et le père fouettard qui impose ses convictions religieuses à ses enfants « pour leur bien ». C’est un rôle dans le lequel il alterne les coups de gueule, la prière, la tendresse et la joie de vivre, surtout lorsque ses enfants l’interrogent sur les personnages bibliques qu’il cite au détour de chaque reproche qu’il fait à ses enfants. Comme il les invite à se comporter et à agir comme Jérémie, les enfants qui ne savent rien du prophète sont surpris, mais ils attendent que leur père soit distrait pour se regarder avant d’éclater de rire.

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Séquence VIII L’art du jeu au théâtre : la méthode Gérard Essomba « J'avais pris l'habitude de prendre avec sérieux tout rôle bien écrit dont je devais défendre l'auteur du texte ». Pour prendre en charge un rôle et l’épouser, la technique de Gérard est bien huilée. Pendant les périodes qui précèdent les répétitions, Gérard lit son texte tous les matins. Et à mesure qu’il le lit, il commence à visualiser le rôle. Avec le temps, ces perspectives du rôle se superposent et il s’opère une synthèse des différentes visions du rôle jusqu’à ce qu’il sente que le personnage a pris forme et existe en lui. Il peut alors l’accoucher avec plus ou moins de douleur. Bien avant de jouer Toussaint Louverture, Gérard avait lu plusieurs ouvrages sur lui, sur l’histoire de Saint Domingue, sur la lutte contre le colonialisme et pour la conquête de l’indépendance. Il a ensuite procédé à l’association des idées, des curiosités, des sensations à la fois intuitives et instinctives qui l’ont aidé à forger en lui le profil produit lors des représentations. Bien préparer une pièce permet d’en saisir la structure interne et les rythmes. La pensée de Toussaint Louverture est essentiellement agissante, elle n’est pas méditative. Il est tendu vers l’action, vers la guerre, même s’il est malmené par toutes ces idées contradictoires qui se bousculent en lui. Pour que ce rôle ne soit pas ennuyeux, Gérard doit montrer par son jeu que son personnage est un homme de charisme, un leader, un penseur, un héros historique dont les mots corroborent les actions. C’est de cette façon que Gérard réussit à faire que Toussaint Louverture apparaisse dans ses forces, ses faiblesses, ses doutes et toute sa fragilité. Pour Gérard, le texte est sacré et c’est pourquoi il conseille aux jeunes acteurs de toujours revenir aux mots, de toujours lire et relire ce qui

est écrit. Pour bien connaître un texte de théâtre, il faut le lire et le relire constamment pour s’en imprégner et comprendre le vouloir dire de l’auteur et les effets qu’il aurait prémédités. Ces lectures doivent se croiser et s’entrecroiser, s’additionner et parfois s’annuler au fur et à mesure que le rôle prend forme dans le corps et dans la tête de l’acteur. Même en ayant joué plus d’une centaine de pièces dans sa carrière, Gérard a su distinguer la couleur de chaque rôle par rapport aux motivations profondes des auteurs. Ces personnages qui s’interrogent sans cesse interrogent par leur seule présence, et il appartient au comédien de trouver les motivations nerveuses d’un personnage pour rendre vivante son interprétation. Tous les personnages que joue Gérard reflètent les contradictions de la matière vivante. Le personnage de Malcom X est l’illustration d’un trajet anarchique poussé à son extrême. Et pour bien l’interpréter, Gérald a laissé son esprit manifester la nature profonde du personnage psychologiquement écartelé. Ici, le jeu du personnage est le fruit d’une association à trois entre l’homme-acteur, le personnage qui semble vivre une existence autonome et le comédien sensible qui est en contact avec le rôle et qui est « la tête froide ou le fer », selon Diderot. Ces trois êtres vont s’unir dans son for intérieur, dialoguer, s’opposer même, pour créer un certain équilibre qui sera favorable à l’apparition du personnage qui est de fait la forme de leur synthèse tout en étant très différent de chacun d’eux. Il y a Gérard Essomba, il y a le personnage de Toussaint Louverture et il y a l’idée qu’on se fait du vrai Toussaint Louverture tel qu’il a existé, le créateur du mythe. Et ce sont l’esthétique et le talent de Gérald qui vont créer la synthèse et imposer certaines nécessités de jeu. Toussaint Louverture, l’original va régulièrement souffler à Gérald qui le joue des remarques du genre : « attention, tu t’énerves, baisse le ton, tu es en train de rompre l’harmonie, etc. ». L’essentiel consiste à trouver un accord entre le personnage et son imagination, le personnage 64

créé par le mythe, l’auteur de la pièce et le style qui convient le mieux à celui-ci. Ces trois êtres vont se confondre pour former un seul en y rajoutant judicieusement le rythme et les nuances. Sur scène, l’acteur Gérard Essomba est donc une contradiction, un paradoxe vivant qui n’obtient l’émotion et l’adhésion du public que par le contrôle parfait du jeu grâce à un esprit critique. C’est la raison pour laquelle la méthode Gérard Essomba considère qu’un acteur n’est pas a priori fait pour jouer tel type de rôle et non pas tel autre. Un acteur peut jouer tous les types de rôles pourvu qu’il ait préalablement fait le parcours psychologique qui permet de le cerner pour le rendre vivant. Gérard ne force pas. Il n’a pas besoin d’artifices, car le spectateur sait jusqu’à quel point il y a dédoublement entre l’acteur et le personnage. Parfois le personnage souffre, mais pas l’acteur qui joue sur une corde raide pour apporter de bonnes surprises, car certains soirs il met l’accent sur tel ou tel aspect du jeu, comme c’est le cas dans l’interprétation de Kubilaï Khan dont le rôle joué par Gérard est à la fois splendide et vivant, mais de l’intérieur. Ainsi, on pourrait dire que l’art du comédien Gérard Essomba est une synthèse de la méthode Stanislavski et de la méthode Diderot en ce sens que, dans son jeu, Gérard est à la fois un être intuitif qui se met à la disposition du rôle, et que d’une certaine façon, le rôle manie et, derrière, il y a l’acteur qui surveille, de très près, ce qui est en train de se produire. Gérard pratique à la fois le rapprochement (comme lorsqu’il joue le rôle d’Alléluia dans Romancero), et la distanciation, (comme dans le rôle de Malcom X). Pour lui, le jeu est sur la scène le fruit d’un travail intense, presque une ascèse. L’homme-acteur est toujours présent dans son personnage, seulement, il laisse une partie de son corps à la merci du personnage. Il est à la fois l’instrument du personnage et son dominateur, son maître. Tout est dans l’intuitivité, dans le génie de l’instinct et dans le mental grâce auxquels il peut 65

moduler son jeu par rapport à celui des autres acteurs autour de lui. Gérard est aidé dans son œuvre par un physique neutre qui lui permet d’entrer dans la peau de tous les rôles auxquels il décide de prêter son talent de comédien. Cette neutralité du physique et du visage l’aide à réfléchir et à recréer sans cesse le rôle au fil des représentations, en tournant autour pour l’enrichir, le renouveler et améliorer la finesse du trait. Un acteur qui fait vivre Toussaint Louverture, qui le vit dans sa chair, qui le fait vivre dans la nôtre, et qui arrive à nous faire ressentir le drame de ce personnage combattu et trahi par la fourberie de la puissance coloniale française. Un tel acteur nous fascine, car il nous attire et nous effraie en même temps. Gérard a cette capacité de mutation qui fait qu’il excelle dans les personnages emblématiques (Malcom X, Kubilaï Khan, Toussaint Louverture), car il apporte à son interprétation toute son expérience ainsi que les sensations accumulées tout au long de sa vie et de son parcours artistique. Les personnages qu’il représente sont alors aux yeux du public des prototypes, et c’est ce qui explique à la fois l’attirance et le rejet du public qui ignore qu’après le spectacle, le personnage disparaît et Gérard reste seul avec lui-même. Il en est d’ailleurs très conscient : « Quand on casse pour le dernier soir, je prends soin de quitter le costume du général Toussaint Louverture pour les haillons du clochard Alléluia. C'est bien là que l'expérience psychologique de l'acteur qui laisse son personnage dans les vestiaires en rentrant chez lui s'impose et prend son importance ». Cette riche carrière artistique a aguerri Gérard dans sa maîtrise de la technique d’entrée dans un rôle, et surtout dans sa capacité à faire corps, à se diluer et presque se confondre avec lui. Lorsqu’il y a sur la scène un personnage qui suscite 66

de la sympathie, le public éprouve l’envie de l’adopter. Gérard est de ceux-là, comme le rôle qu’il joue dans La putain respectueuse. Dans cette pièce, on retrouve beaucoup de possibilités d’échanges, une incompréhension et un antagonisme sans cesse enrichissants. À l’image de son auteur, philosophe, la pièce est pleine de mystères, d’ambiguïtés, de complexité et d’extravagance. Dans Toussaint Louverture, Gérard est tellement dans le rôle qu’il refuse de jouer théâtral. Il n’élève pas la voix, il respecte les consignes de Claude Moreau qui souhaitait que le rôle soit interprété avec retenue et finesse pour le dépouiller d’artifices et concentrer le spectateur sur la gravité des propos du héros. Contrairement aux autres représentations, avec Gérard, le personnage de Toussaint Louverture paraît vraiment sincère, et cela grâce au fait que Gérard le joue avec un peu de retrait, un certain détachement, en y mettant moins d’énergie. Pour ne pas alourdir le jeu, l’acteur est parfois étonné de ce qu’il dit, et Gérard ne pouvait être dans cet état d’esprit qu’en ayant beaucoup travaillé son texte. C’est en jouant qu’il a progressé, aidé dans cette progression par l’accueil du public. Le rôle de Toussaint Louverture fut en tout point un évènement exceptionnel dans la carrière de Gérard. Le film tiré de ce spectacle donne la pleine mesure du degré de préparation et des infrastructures mises en place. Les répétions avaient eu lieu pendant trois mois à Paris. Devant un parterre de chefs d’État, Gérard était splendide dans son costume rouge de commandant colonial. Il s’amusait avec les mots de Toussaint Louverture, et les indications scéniques de Claude Moreau étaient d’une très grande richesse. Au cœur de ce long monologue écrit par Jean Louis Sagot Duvouroux, Gérard découvre la profondeur et la densité des propos de Toussaint Louverture au fur et à mesure qu’il déroule son texte. Sa voix est limpide, son émotion contrôlée dans les intonations de la voix, mais aussi dans la respiration. Son 67

talent d’acteur de films radiophoniques a été d’un apport crucial pour s’installer dans le rôle, moduler sa voix et contrôler le tempo du débit et du phrasé. Cette interprétation l’a ouvert à la vie, à l’idée de la dignité humaine et du respect des droits humains. Dans son interprétation, Gérard n’a pas besoin de grossir des sentiments pour les transmettre plus facilement au public. Lorsqu’il prononce une phrase, il a toute la stature du héros pris dans son temps. Chaque phrase vient naturellement et spontanément de lui, et Gérard donne l’impression qu’il les invente au fur et à mesure. En préparant son rôle, Gérard ne s’était pas contenté de suivre la ligne mélodique, il savait qu’il ne serait bien compris du public que s’il joue juste en tenant compte de ce qu’il sait de la partie des autres. Comme il l’explique, il y a des personnages plus faciles d’accès que d’autres. Et il faut connaître l’identité d’un personnage en sachant comment vivent les autres autour de lui. Pour ce rôle, Gérard était derrière son personnage, car le jeu, surtout lorsqu’on interprète une stature mythique comme Toussaint Louverture, est un amas de contradictions qui surgissent à tout moment et qui réclament des solutions rapides. C’est la raison pour laquelle l’acteur devait mettre le rôle en place techniquement par une disposition judicieuse des rythmes et des nuances.

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Séquence IX Au cinéma et dans les séries télévisées Au cinéma et à la télévision, Gérald a illuminé de son talent une vingtaine de films format cinéma et télévision confondus. Dans La fleur dans le sang d’Urbain Dia Moukouri, en 1963, il a tenu le rôle du peintre. Dans L’ordre et la sécurité dans le monde de Claude Anna, en 1978, il a joué le rôle du fonctionnaire de l’État. Dans La légion saute sur Kolwezi de Raoul Coutard, en 1979, il a obtenu le rôle du Dr Bia Kombo. Rue princesse de Henri Duparc, en 1993, lui offre le rôle d’Émile, chef d’entreprise. Dans Pièces d’identités de Mweze Dieudonné Ngangoura, en 1998, le rôle de Mani Kongo lui revient. Il est marin dans Capitaine Ackhap de Philippe Ramos, en 2006. Dans La Jumelle de Diaby Lancine, en 1996, il joue le rôle du maire. Il est NTI dans Les coopérants d’Arthur Si Bita, en 1982. Dans L'appât du gain de Jules Takam, en 1979, il joue le rôle du colonel Defossoh. Dans Mamy-wata de Moustapha Diop, en 1989, il incarne le ministre Onounou. Dans La fille au diamant de Jean-Louis Koula, en 1996, le rôle du général président renversé lui revient. Jamais terminé à ce jour, Le retour des trois bracelets de Yeo Kozoloa, en 1996, lui offre le rôle de l'avocat de Michel Gowou. Dans Daresalam de Serge Coelo, en 1999, il joue le rôle du général Adoum. Pour les films de télévision Impressions d’Afrique, de Jean Christophe Averty, 1974 : rôle de Gaiz Du ; La tribu de Jean-Paul Sassy, 1964 : rôle de Assaldame, chef de la tribu ;

Le mythomane de Michel Wyn : rôle du colonel BanguiBangui ; Le charme discret de la bourgeoisie de Daniel Verhague, 1996 : rôle de Sam. Gérard est déjà dans la quarantaine avec 20 ans de carrière derrière lui lorsqu’il apparaît dans La légion saute sur Kolwezi. Excepté dans quelques rôles mineurs, il n’avait alors jamais su attirer l’attention des studios de cinéma. Dans ce film, il joue aux côtés des célébrités telles : Bruno Cremer (Pierre Delbart) Jacques Perrin (L'ambassadeur Berthier), Laurent Malet (Phillipe Denrémont), Pierre Vaneck (Le colonel Grasser), etc. Son physique imposant, la lenteur de ses mouvements, la noblesse de son verbe tout en couleur, sa mine burinée, sa classe et son aisance devant les lumières et la caméra font de lui une bonne matrice pour de nombeux rôles, car Gérard propose un profil flexible qui provoque à la fois la fusion et la distanciation. Par là, il se distingue de nombreux autres acteurs africains présents dans l’Hexagone, dont les personnages possédaient toujours une faille, une faiblesse sentimentale atténuant leur puissance naturelle et leur capacité à épouser certains rôles neutres. Rien de cela chez le Dr Bia Kombo ni chez Mani Kongo. Il n’est pas source d’identification, il est en lui-même un spectacle. Et cette présence fascinante devant l’objectif de la caméra problématise l’aspect héroïque inhérent à ce genre de personnage. Est-il possible de considérer Mani Kongo comme un héros incompris par lui-même et par ceux qui ne comprennent pas grand-chose à sa culture ?

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1. Au fil de quelques films clés Pour illustrer cette longue carrière face à la caméra, nous présentons ici quelques films dans lesquels Gérard a interprété des rôles de premier plan. Pièces d’identités

Im. 16. Affiche du film Pièces d'identités (Mwenze Dieudonné Ngangura, 1998)

Fiche artistique et technique Réalisateur : Dieudonné Mwenze Gangura Année : 1998 Genre : Fiction- comédie Format : Long métrage

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Acteurs • Gérard Essomba, Dominique Mesa, David Steegen,

Herbert Flack.

Équipe technique • • • • • •

Musique originale : Jean-Louis Daulne Costumes : Agnès Dubois Montage : France Duez Musique originale : Papa Wemba Scénario : Mweze Dieudonné Ngangura Producteur exécutif : Films Sud. Résumé du film

Pièces d’identités raconte l’itinéraire de Mani Kongo, vieux roi congolais venu en Europe à la recherche de sa fille Mwanza partie à l’âge de 8 ans, et dont il n’a pas de nouvelles depuis une vingtaine d’années. Le vieux chef débarque à l’aéroport de Bruxelles paré des symboles de son pouvoir : une toque en forme de sculpture, une canne finement ciselée et un collier de perles. Mani Kongo représente un peu l’Afrique traditionnelle qui disparaît, car même en Afrique il est considéré comme un personnage folklorique. Pour survivre, il est obligé d’hypothéquer ses attributs royaux qui sont en fait sa véritable identité. C’est un personnage dépassé, anachronique, écartelé entre deux mondes : l’Europe et l’Afrique. Finalement, Mwanza retrouve son père qui s’était réfugié dans le quartier pauvre des Marolles où le vieux roi a retrouvé un peu de réconfort et de chaleur humaine.

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Im. 17 Pièces d'identités

Gérard Essomba dans le rôle de Mani Kongo Personnage central, Gérard porte sur ses épaules la quasitotalité de la charge esthétique du film. À travers le parcours de ce roi parti sur les traces de sa fille en Belgique, Gérard incarne, dans son jeu, la souffrance de ceux qui ne savent plus qui ils sont face à un monde en perpétuelle mutation. Ils sont perdus dans une sorte de no man’s land culturel, au carrefour de plusieurs pays, de plusieurs langues et de plusieurs cultures. Les jalons historiques que Mani Kongo vit en flash back lui permettent de revivre l’histoire des relations entre le Congo et la Belgique. Ces séquences d’actualité dont le film est entrecoupé plongent le spectateur au cœur du drame identitaire congolais et africain. Mani Kongo se souvient de la cérémonie au cours de laquelle les notables congolais, dont lui-même, déposaient une gerbe au pied de la statue du roi Léopold II, propriétaire privé du Congo. Malgré ces épisodes douloureux, naïf, Mani Kongo continue à croire que les Belges sont les amis des Congolais et qu’ils respecteront ses attributs de chef. Dans son interprétation du rôle, Gérard incarne à merveille la souffrance, l’écartèlement, 73

le déchirement. « Qui pourra me rendre tout ce qu’on m’a volé ? », s’écrie le vieux roi dépouillé de ses attributs dynastiques (de ses vraies pièces d’identités). Dans ce rôle, Gérald incarne aussi l’utopie du retour au pays natal. À travers son jeu et ses tribulations, Mani Kongo traduit le message du réalisateur : nos identités sont perdues. « Qui sommes-nous ? » Nous sommes en quête de nos valeurs perdues, en quête de nous-mêmes. À travers le personnage central de Mani Kongo, Mwenze Gangura présente sa vision de notre quête identitaire face au fait colonial et néocolonial. Pour sa performance dans ce film, Gérard a obtenu 8 prix d’interprétations et en 1998, grâce à Pièces d’identités, il a été désigné meilleur acteur du continent africain.

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Rue princesse

Im. 18 Affiche de Rue princesse

Rue princesse- Henri Duparc (Côte d'ivoire), 1993 Fiche artistique et technique Réalisateur : Henri Duparc Année : 1993 Genre : Fiction-comédie Format : Long métrage 75

Acteurs Alexis BOUAZO (Jean) Félicité WOUASSI (Josie) Gérard ESSOMBA (Emile) Georgette PARE (Rokia) Akissi DELTA (Double coca) Honorine ORSOT (la femme blanche) Bitty MORO (le maire) Kodjo EBOUCLE (le banquier), regards de cinéastes Equipe technique Scénario : Henri DUPARC Image : Bernard DECHET Son : Jean MINONDO Montage : Agnès VAURIGAUD Musique : Issouf KANTE Prod : Focale 13 (Côte d'Ivoire) / Blue Films (France) Résumé du film Jean dont le père est un riche industriel abidjanais se passionne pour la musique au détriment de l’entreprise familiale. En désaccord avec Sam, son père (Gérard Essomba), il quitte la maison familiale et va traîner à la Rue princesse, haut lieu de la prostitution et de la débauche où il rencontre Josie, une prostituée qui gère son corps comme une entreprise qu’il faut préserver du sida. Jean est follement

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amoureux de Josie et il tente de la persuader de devenir chanteuse dans son groupe. Gérard Essomba dans le rôle d’Émile, homme d’affaires Dans ce film, Gérard est avant tout une personnalité emblématique qui incarne la réussite sociale et le train de vie que mènent les riches hommes d’affaires africains. Émile en impose par son charisme, son autorité, la force de sa personnalité. Cette forte personnalité est manifeste dans la gestion de son personnel, et surtout lorsqu’il arrache le cor des mains de son fils et le jette au feu en lui disant : « Je ne veux pas de musicien dans ma famille ». Informé que son fils s’est épris d’une prostituée, il se rend d’un pas ferme et décidé à la discothèque Rue Princesse où il trouve les clients en train de danser. Sans gêne, il va sur la piste où Josie, la petite amie de Jean est en train de danser. Il la saisit au collet et, le doigt dans l’œil, lui profère des menaces : « Je ne veux plus te voir avec mon fils, sinon, je te mets en prison pour le restant de tes jours ». Émile, l’homme d’affaires, est un rôle de composition dans lequel le comédien incarne à la fois le bon père de famille très rigoureux et fouettard (envers son fils), mais aussi la satire des mœurs des notables locaux.

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Les coopérants

Im. 19. Affiche de Les Coopérants

Les coopérants- Arthur Si Bita (Cameroun), 1983 Fiche artistique et technique Réalisateur : Arthur Si Bita Année : 1983 Genre : Fiction Format : Long métrage Acteurs Georges Anderson Stanislas Awona David Endene Gérard Essomba

Daniel Ndo

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Résumé du film C’est l’histoire de sept jeunes gens qui décident de passer les vacances dans un petit village de forêt, loin des charmes et du luxe de la ville. Usant de divers moyens esthétiques, le réalisateur dénonce le népotisme, la corruption de Nti, un ancien fonctionnaire corrompu dont les activités font l’objet d’une enquête judiciaire au terme de laquelle il est dénoncé et arrêté. Gérald Essomba dans le rôle de Nti, le fonctionnaire corrompu Dans ce film, le spectateur se laisse porter un temps par l’ennui. Mais, dès qu’il se met à suivre l’histoire, à l’adopter sans s’en rendre compte, le récit ne compte plus pour luimême, il renvoie essentiellement à la problématique personnelle de Nti, à sa psychologie (consciente ou inconsciente), à ses conflits, à ses turpitudes et à ses doutes. Même si c’est avec réticence, une part de sa conscience l’incite à l’honnêteté tandis que l’autre le porte au mensonge et à la manipulation. Le tempo lent du film devient alors légitime, car il correspond au mouvement intérieur infiniment lent qui anime le tiraillement et l’écartèlement qui déchirent la conscience de Nti. À noter qu’en 1983, avec un budget de plus de 155 millions de francs CFA, ce film était le plus cher de l’époque, et son financement fut conditionné par la suppression du personnage de Nti car « Il ne fallait surtout pas dire que c'est un ancien fonctionnaire. J'avais donc dû remplacer « fonctionnaire » par « ancien combattant ». Mais, une fois mon financement obtenu, j'avais remis "fonctionnaire", explique Arthur Si Bita le réalisateur.

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Daresalam

Im. 20

Daresalam, Georges Coelo (Tchad), 2001 Fiche artistique et technique Réalisateur : Georges Coelo Année : 2001 Genre : Fiction-Guerre Format : Long métrage Acteurs : Gérard Essomba : Adoum Sidiki Bakaba : Félix Youssouf Daoro : Tom Garba Issa Mallium : Yacoub Baba Hassan Fatime : Achta Khalite Deye : La mère Adama Idrissa : Bichara Moussa Atim : Chef du village 80

Résumé du film Koni et Djimi, deux amis d’enfance, s’enfuient de leur village après une émeute provoquée par la présence d’un collecteur d’impôts. Les deux jeunes gens rejoignent le mouvement rebelle en espérant participer à l’instauration de la justice sociale dans leur pays en proie à la corruption et à l’injustice. Autant dans leur lutte armée qu’idéologique, le gouffre qui sépare leurs rêves de la réalité s’agrandit de jour en jour. Ils doivent admettre leur échec. Ce film tchadien est inspiré de la lutte pour le contrôle du pouvoir à Djamena entre Hissène Habré et Goukouni Oueddeï. Gérard Essomba dans le rôle d’Adoum, le général rebelle Dans ce film, Gérard interprète le rôle d’un chef militaire au sein d’un mouvement rebelle dont l’ambition est de renverser le pouvoir par la force. Il incarne à la fois un chef militaire autoritaire et courageux et un révolutionnaire au discours politique enflammé. Par la force de sa présence sur la scène, Gérard incarne la forte personnalité des chefs militaires rebelles tchadiens. En effet, depuis une trentaine d’années, la transition politique au Tchad s’effectue presque toujours par la force des armes. C’est le cas de l’actuel président, Idriss Déby qui a accédé au pouvoir en renversant Hissène Habré, qui avait lui aussi renversé Goukouni Oueddeï. Le général Adoum incarne la force, la fougue et la volonté d’instaurer la justice sociale et le changement des mentalités. Il incarne aussi le manque d’expérience dans les combats politiques, surtout lorsqu’on décide de prendre le pouvoir par la force des armes. Lorsque le pouvoir central est corrompu, que le président est toujours réélu par la fraude électorale, que la presse est bâillonnée et les opposants embastillés, que faut-il faire ?

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Prendre les armes ? Se battre dans la clandestinité ou alors continuer le combat dans un parti politique classique ? Tel est le dilemme auquel le général Adoum est confronté, et qui constitue la richesse psychologique de ce rôle interprété avec brio par Gérard Essomba.

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La légion saute sur Kolwezi

Im. 21 Affiche de La légion saute sur Kolwezi

La légion saute sur Kolwezi -Raoul Coutard (France), 1979.

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Fiche artistique et technique Réalisateur : Raoul Coutard Année : 1979 Genre : Fiction-guerre Format : Long métrage Acteurs Pierre Delbart : Bruno Cremer Danrémont : Laurent Malet L’adjudant-chef Federico : Giuliano Gemma L’ambassadeur : Jacques Perrin Annie Debruyn : Mimsy Farmer Le colonel Grasser : Pierre Vaneck Le colonel Dubourg : Robert Etcheverry Maurois : Jean-Claude Bouillon Chamfort : Henri Marteau Bia Kombo : Gérard Essomba Elodie : Laure Moutoussamy Marcel Debruyn : Pierre Rousseau Équipe technique Directeur de la photographie : Georges Liron Ingénieur du son : Michel Laurent Compositeur : Serge Franklin Monteur : Michel Lewin 84

Résumé du film Au Zaïre (actuel RDC), la ville de Kolwezi est investie par des rebelles katangais. De nombreux Européens sont pris en otage. Face aux tergiversations de l’ONU qui tarde à prendre une résolution sur la question, la France et la Belgique envoient un corps expéditionnaire pour libérer les otages. Le film de Raoul Coutard raconte en image cet épisode de la vie publique de ce pays dont les richesses minières attirent bien des convoitises. Le film met en scène les massacres perpétrés par les groupes armés, et surtout le courage et l’efficacité des forces françaises et belges. Gérard Essomba dans le rôle du Dr Bia Kombo

Im. 22 La légion saute sur Kolwezi (G. Essomba dans le rôle du Dr Bia Kombo)

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Im. 23 - La légion saute sur Kolwezi

La légion saute sur Kolwézi - Raoul Coutard (France), 1979 Dans le film, le Dr Bia Kombo est aussi pris dans le piège de la violence aveugle. Son métier lui commande de faire preuve de neutralité en prenant soin de tout le monde. C’est un rôle dans lequel Gérard s’est senti à l’aise, il avait 40 ans, et il avait déjà derrière lui 20 ans d’expérience dans la profession. « Quand j'arrive sur le casting, déclare Gérard, j'ai déjà un background tel qu'on pouvait me proposer des rôles aussi bien au cinéma, au théâtre qu'à la télévision. J'étais déjà âgé de 40 ans... ». Dans le film, la violence, la douleur et la détresse auxquelles il fait face forgent l’intensité de son jeu. Le drame est son quotidien. Dans ce rôle, Gérard est un homme simple, réservé même, qui intériorise son jeu, et c’est l’œil de la caméra qui vient chercher les sentiments qu’il ressent. 86

La jumelle

Im. 23 Affiche de La jumelle

La jumelle- Lanciné Diaby (Côte d'ivoire), 1998 Fiche artistique et technique Réalisateur : Lanciné Diaby Année : 1998 Genre : Fiction-drame Format : Long métrage 87

Acteurs Naky Sy Savané Albertine N'Guessant Brou Kodio Alou Danté Gérard Essomba Francis Essombé Équipe technique Image : Bernard Dechet Montage : Stéphane Araut, Denis Parrot Son : Claude Hernon Production : Les Films de l'Ivoire Résumé du film Awa et Adama sont jumeaux. Awa a pendant toute son enfance plus de chance que son jumeau jusqu'au jour où elle vend son âme à Mousso (Gérard Essomba) pour lui permettre de passer son bac. La chance tourne alors du côté d'Adama et les jumeaux sont séparés. Après bien des difficultés, Awa reprendra goût à la vie et gagnera son combat contre le mariage forcé et l'excision. Un combat qu'elle mène pour sa fille Nina mais aussi pour toutes les femmes. Pourtant, elle gardera toujours au cœur la douleur des jumeaux quand ils sont séparés l'un de l'autre.

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Gérard Essomba dans le rôle du féticheur (Mousso) Dans ce film, Gérard incarne l’autorité traditionnelle et le pouvoir des ancêtres et des féticheurs prêts à tout acheter, même l'âme d'un enfant en échange de la promesse de réussite de son jumeau. Au village, le féticheur est omniprésent. On fait appel à lui à toutes les occasions, heureuses ou malheureuses. Le rôle que joue Gérard incarne le sorcier qui est un agent de proximité, à l'affût des déboires des villageois, et prêts à proposer des solutions miracles à tous les problèmes.

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Le retour des trois bracelets

Im. 24 Le retour des trois bracelets

Le retour des trois bracelets - Yéo Kozoloa (Côte d'ivoire), 2001 Fiche artistique et technique Réalisateur : Kozoloa Yéo Année : 2001 Genre : Fiction-drame Format : Long métrage Acteurs Chantal Taïba, Gérard Essomba, Michel Gohou

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Résumé du film C’est l’histoire de Falama, roi sanguinaire dont l’une des épouses met au monde des triplés, deux garçons noirs et une fille blanche. Furieux, le roi rejette la fille dont il attribue la paternité au prêtre, seul Blanc du village. L’église place l’enfant dans un orphelinat d’où elle est adoptée par une famille blanche. Elle fait de brillantes études et devient avocate. Après bien des années, ses deux frères restés au village décident d’aller en ville à sa recherche. Pour le voyage, les deux frères dont l'un est bossu (Gohou) et l'autre sourd-muet (Niamké) sont aidés par trois bracelets magiques en or massif que leur a laissé leur mère avant sa mort. Malgré les multiples obstacles, les deux frères parviennent en ville, mais n'ont ni où dormir ni de quoi manger. Tenaillés par la faim, ils volent deux mangues. Ils sont arrêtés et incarcérés. En prison, ils font la connaissance de Juda (Ayatollah) en attente de son procès pour avoir violé sa mère (Lineo Tsolo). Grâce aux bracelets, l'avocate de Juda (Marie Hélène Viau), venue rencontrer son client, retrouve ses frères. Les deux frères retournent au village pour parfaire leur initiation et ramener la paix dans la famille. Gérard Essomba dans le rôle de l’avocat de Michel Gohou C’est presque un rôle d’avocat du diable que Gérard interprète dans ce film tant le crime dont on accable son client (Michel Gohou) est odieux ! Il est accusé d’avoir volé une mangue ! Dans ce film, Gérard incarne à la fois la force de la paix et celle du droit qui protège tous les justiciables, y compris ceux qui sont pris en flagrant délit ou accusés des 91

crimes les plus odieux. Maître de son art, Gérard l’avocat navigue avec une extraordinaire facilité dans les dédalles des procédures judiciaires. Il écoute son client avec patience et s’emploie à le rassurer tout en trouvant les arguments pour le défendre. L’œil vif et l’esprit alerte, Gérard accomplit une performance aussi méticuleuse qu’émouvante. Si ce film n’a pas connu le succès escompté auprès du public, c’est surtout parce que certains thèmes traités dans le film (viol de la mère) ont choqué les autorités ivoiriennes qui ont censuré le film avant de le réhabiliter. Le succès mitigé du film n’enlève rien à la profondeur du jeu de Gérard qui incarne la recherche du compromis, de la paix sociale. La force du caractère de Gérald et sa détermination à défendre son client malgré les preuves qui s’accumulent contre lui sont les idées maîtresses sur lesquelles repose la profondeur psychologique du rôle interprété par Gérard Essomba.

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Les veuves volontaires

Im. 25. Les veuves volontaires, Alphonse Beni (Cameroun), 2011

Fiche artistique et technique Réalisateur : Alphonse Béni Année : 2011 Genre : Fiction-drame Format : Long métrage Acteurs Gérard Essomba (Marc), Alphonse Beni, Maryza Yat (Julienne), Monique Patow (Sylvia), Dovie Kendo (Mado), Jean Jenac Tjomb, Florence Njalle, Ebénezer Kepombia, Jean de Dieu Tchegnebe, Man no lap, Jean-Pierre Dikongue Pipa, Joseph Feutcheu.

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Résumé du film C’est l’histoire de trois amies mariées : Sylvia (Monique Patow), Julienne (Maryza Yat), Mado (Dovie Kendo) qui décident de recruter un tueur pour se débarrasser de leurs maris qu’elles accusent de maltraitance. Marc (Gérald Essomba) est le dernier sur la liste, mais son assassinat s’avère un peu plus compliqué. Entre tribulations et hésitations, le projet est finalement abandonné et Marc se réconcilie avec sa femme. Gérard Essomba dans le rôle de Marc Dans ce film tourné dans la ville cosmopolite de Douala, Gérard incarne l’un des trois maris que les trois épouses infidèles et libertines ont décidé d’éliminer. Les deux autres ayant été tués, Gérard est le dernier des trois époux en ligne de mire, mais son assassinat semble plus compliqué. Le tueur à gages recruté par sa femme a du mal à accomplir son contrat. Ces femmes qui rêvent de devenir des veuves joyeuses incarnent une forme de cupidité qui règne en milieu urbain où l’argent est roi. Époux attentionné et un peu naïf face à son épouse infidèle et calculatrice, Marc incarne un rôle de composition qui consiste à jongler entre l’amour et la menace de mort. Alerté par son sixième sens du danger qui le guette, Marc devient malin et vigilant. À la fois vulnérable et innocent, Marc est authentique et honnête dans son rôle du mari traqué. Ici, Gérard redécouvre le noyau dur qui constitue son pouvoir d’attraction et fait la démonstration des qualités innées qui font de lui un comédien d’exception.

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Séquence X La voix et le corps qui jouent Avec l`âge, le contact des auteurs et les rôles interprétés à la radio et au cinéma, la voix de Gérard s’est transformée. Les textes dits au fil des années ont bâti en lui un socle, une matrice, un fond culturel qui a progressivement changé sa voix. Le fait d’interpréter des rôles aussi variés (Toussaint Louverture, Malcom X, les rôles de nègre au tablier, etc.), le fait d’avoir modulé sa voix pour épouser les sonorités de chacun de ces rôles a transformé cette voix en un véritable instrument de musique capable de monter les gammes, de rythmer le tempo et de ralentir la cadence selon le rôle et le vouloir dire de l’auteur du texte. De fait, il y a entre la voix et le cerveau une relation très étroite. C’est le cerveau qui commande le type de voix qu’il faut pour tel passage, et commande de la modifier avant d’entamer tel autre. Si Gérald a pu poser sa voix avec autant de maîtrise dans Toussaint Louverture et dans le rôle de Kubilaï Khan, c’est parce qu’il avait réussi à faire qu’elle suive la direction voulue et commandée par son cerveau. Pour ces rôles de premier plan, le phrasé et l’articulation sont personnels, et la couleur de la voix est fonction de l’intériorité du comédien et de ce qu’il ressent au plus profond de lui-même. Pour la plupart des rôles qu’il a pu interpréter, Gérard faisait travailler sa tête en même temps que ses multiples voix selon les exigences des rôles. Lors de l’échange qu’il a avec Jean Claude Brially (Général Lavauld) dans Toussaint Louverture au sujet de la guerre et de l’abolition de l’esclavage, le phrasé, c'est-à-dire le rythme et la couleur qu’on donne aux mots, permet à Gérard de couper plus ou moins les phrases selon les répliques de son vis-à-vis, et leur apporter certaines accentuations afin d’en

souligner la valeur et le sens. Le phrasé est la manière par laquelle le bon acteur répond aux exigences et à l’appel du rôle. Par sa manière de phraser, on retrouve les intonations et la manière dont le comédien perçoit le rôle. Par le phrasé, c'est-à-dire la manière dont il découpe le texte, il réécrit le texte de l’auteur, il lui donne vie ; c’est la raison pour laquelle chaque acteur interprète un rôle à sa manière, sur la base de son phrasé personnel qui repose sur sa conception profonde du rôle. En fait, comme par exemple dans la représentation du clochard Alléluia dans Romancero, il y a des rôles qui imposent des rythmes fortement appuyés alors que d’autres demandent au contraire (dans Le nègre au plumeau) une grande souplesse. Deux acteurs à qui on confierait le même texte le joueraient différemment selon le phrasé de chacun. Tout est basé sur l’imagination et la capacité créative de chacun au moment de la préparation et de la recherche du rôle. Pour que le phrasé soit conforme à la conception psychologique du rôle, l’acteur doit maîtriser sa voix, savoir la moduler et lui imposer, si nécessaire, des rythmes, des accélérations et des arrêts secs. C’est la raison pour laquelle chaque nouveau rôle appelle une voix différente, et le corps doit être préparé. On peut par exemple remarquer que dans Trois prétendants un mari, la couleur vocale est assez limitée alors que dans Malcom x elle est plus étendue avec des écarts plus forts, plus vifs, car il y a des montées vertigineuses suivies de descentes abruptes imposées par les exigences du rôle et la qualité musicale du texte. En fait, dans chaque représentation, la voix qu’il met en scène exprime le trouble, l’intensité de l’émotion, la neutralité ou l’indifférence. Quant aux rythmes, ils changent aussi à chaque représentation en fonction du climat mental de l’acteur. C’est une flexibilité qui lui permet de jouer sur le clavier des sentiments et l’aide à bien préparer son rôle lors des répétitions et, le jour de la représentation, il sait à peu près 96

quelles notes jouer pour susciter chez le spectateur l’émotion recherchée. Parfois, par rapport au rythme et à l’intonation, le spectateur peut savoir si Gérard est sincère dans le sentiment qu’il tente de véhiculer, tout cela en fonction de la couleur vocale et de l’expression qui se lit sur son visage. La voix, le visage et le corps qui jouent permettent de cerner, par la couleur des notes émises, le tissu des contradictions (souffrances, victimisation, racisme), mélange de lumière et d’obscurité qui caractérisent chacun de nous et que nous retrouvons chez les grands acteurs lorsqu’ils interprètent un rôle exigeant. Dans chaque rôle qu’il interprète, Gérard est conscient que la voix est un son et, par conséquent, il en possède toutes les caractéristiques : hauteur, puissance, timbre, modulation mélodique, etc. La voix parlée au théâtre et au cinéma est forcément un geste, un mouvement du corps en vue d’exprimer la pensée, le sentiment. Dans chacun des rôles qu’il a interprétés, la voix de Gérard le distingue des autres et révèle son état d’âme. La voix de Kubilaï Khan, le roi, n’a par exemple rien à voir avec celle du nègre en tablier dans Autant en emporte le vent.

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Séquence XI Prix et distinctions « Notre tâche à la culture est notamment de renforcer les talents et d’apprécier les compétences. Aussi avons-nous organisé cette soirée dont nous sommes très fiers. Nous souhaitons que Gérald Essomba soit une source d’inspiration pour beaucoup, car il ne suffit pas toujours d’avoir deux caméras pour faire un film »14. C’est par ces propos que le ministre d’État en charge de la Culture du Cameroun, Ferdinand Léopold Oyono, avait, en novembre 2009, rendu, au nom du gouvernement camerounais, un vibrant hommage à Gérard Essomba lors d’un dîner de 200 couverts agrémenté par un orchestre de jazz à l’hôtel Hilton de Yaoundé. Au cours de cette soirée haute en couleurs, l’artiste Essomba avait reçu des mains du Ministre l’épi d’or qui célébrait ses 40 ans de carrière internationale. Cet épi d’or venait confirmer une autre reconnaissance du gouvernement camerounais, cette fois à Paris, lorsque Gérard avait reçu des mains de l’ambassadeur du Cameroun la médaille par laquelle Son Excellence Paul Biya l’avait promu au grade de Chevalier de l’Ordre National de la Valeur.

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Ferdinand Léopold Oyono, ancien ministre d’État en charge de la Culture lors de l’hommage rendu à Gérard Essomba par le gouvernement camerounais en novembre 2009. Source : Cameroon Tribune du jeudi 09 novembre 2009, p.17.

Im. 26. G.E reçoit le prix d'interprétation à Johannesburg

Gérard a aussi été reconnu et apprécié de plusieurs chefs d’État du continent qui l’ont reçu en audience, notamment Abdou Diouf qui répondait à ses correspondances, le président Mathieu Kérékou qui était très heureux de le recevoir dans son palais et avec qui Gérard avait un dialogue franc et chaleureux, le président Laurent Gbagbo qui l’a reçu à l’hôtel Ivoire. Ces récompenses et reconnaissances pour ainsi dire politiques complètent celles du milieu professionnel qui l’a arrosé de prix. En 1999, Pièces d’identités remporte l’étalon de Yennenga au festival panafricain du cinéma et de la télévision de Ouagadougou. Pour son interprétation du rôle de Mani Kongo, Gérard a reçu quatre prix aux festivals d’Amiens, de Pretoria, de Carthage et de Barcelone.

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Im. 27. Nomination de G.E

Im. 28. Prix du meilleur second rôle, 1995, Johannesburg

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Il en parle avec beaucoup d’émotions : « Sur les neuf prix d’interprétation que j’ai glanés ici et là, le premier est pour moi inoubliable. C’est comme lorsque vagit un enfant : c’était le prix du Meilleur second rôle, en 1995, en Afrique du Sud, avec « Rue Princesse » d’Henri Duparc, où j’interprétais le rôle d’Emile qui passe ses nuits dans des bordels. Il m’a permis d’entendre, pour la première fois, « The winner is… Gérard Essomba ». Je croyais rêver. Et en plus, c’est Louis Gosset Junior, en personne, qui m’a remis le trophée. J’étais déjà orphelin de père en partant du Cameroun, je me suis retrouvé orphelin d’une nation ». Par ailleurs, pour rendre hommage au comédien, à l’initiative de jeunes comédiens et de journalistes culturels, l’institut Goethe de Yaoundé a donné à son ciné-club le nom de Gérard Essomba. Une reconnaissance qui s’est confirmée en 2009 par l’organisation d’une exposition photographique retraçant ses 40 années de carrière.

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Séquence XII Frustrations Si la carrière de Gérard Essomba n’a pas connu un succès à la hauteur de son talent, c’est entre autres dû au fait qu’à l’instar d’autres comédiens de couleur qui exercent dans l’hexagone (Astrid Bayiha, Adama Diop, Jean-Baptiste Anoumon, etc.), la survie dans ce métier est un combat quotidien, épique. Contrairement aux Denzel Washington, Morgan Freeman et à bien d’autres acteurs noirs américains à qui on confie aisément tous les rôles, y compris celui du Président américain comme dans le film 24 heures chrono, les acteurs noirs dans l’hexagone sont victimes d’attitudes dédaigneuses, méprisantes ou irrespectueuses. Gérard raconte une anecdote parmi tant d’autres qui témoigne de ce reflexe qui consiste à cantonner le Noir dans certains rôles : « Cela se passait au théâtre de Marigny pour la reprise de la pièce l’amant de Bornéo. Dès qu’il m’a vu le metteur en scène s’est écrié « mais vous n’êtes pas tout à fait noir ». Je lui ai répondu tout de go que j’avais toujours une boîte de cirage avec moi. Je lui ai dit au revoir Monsieur avant de sortir du théâtre… Il y a, renchérit Gérard, encore des gens en Occident pour penser qu’un Noir n’est qu’un muscle. Des Gérard Essomba, il y en a beaucoup qui ne travaillent malheureusement pas ». Conséquence directe de cette marginalisation, ils ne sont pas connus ni reconnus dans leurs propres pays. C’est la raison pour laquelle depuis son retour au pays natal Gérard ne cesse de dénoncer le football roi au Cameroun :

« Si j’étais footballeur, je ferais aujourd’hui de la publicité pour les téléphones portables et j’aurais ma tête sur tous les murs de France et de Navarre… La couleur de ma peau ne m’a pas permis de faire le même métier que d’autres. Je n’ai pas honte de le dire, ma situation professionnelle n’est pas toujours facile à vivre ».15 Toujours dans le souci de se faire connaître et reconnaître pour faire son métier, Gérard a accepté de « poser » pour les romans photos. Il a aussi fait le mannequin pour la Samaritaine ! Même les succès pour lesquels il a obtenu tant de récompenses internationales sont boudés par les cinéphiles. « Pour les Français, dit-il, le cinéma africain, c’est du cinéma calebasse. Ça ne vaut pas la peine de se déplacer ».16 C’est un problème réel pour les comédiens africains, mais aussi un problème politique et social, car les immigrés et leurs familles se sentent ainsi marginalisés dans le domaine culturel. Comment pourrait-il en être autrement lorsque les films africains ne sont pas distribués dans les salles en Afrique ? Gérard déplore le fait que les rares salles sont submergées par le cinéma occidental. Plus grave, les Français ne voient pas nos films alors qu’ils sont tournés dans leur langue. Et lorsque TV5 programme un film africain, c’est à des heures tardives, vers minuit, lorsque les gens sont endormis ! Le mal est profond. C’est la raison pour laquelle la plupart des comédiens ne se font pas d’illusions sur le fait qu’il faudra du temps et de la patience pour sortir des stéréotypes et des schémas préétablis. 15

Source : Gérard Essomba, comédien engagé. Nanterre info, octobre 2002. 16 Source : Ici les gens du Cameroun, un comédien en colère, Gérard Essomba.

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Dans ce milieu, les clichés et les préjugés ont la vie dure et Gérard a dû se battre contre les forces coalisées du racisme et de la discrimination qui lui réservaient, lorsqu’il y en avait, des rôles humiliants de nègre en tablier. Il a dû se battre pour gagner chaque rôle, s’imposer par le talent sur chaque production. Mais le talent seul suffit-il ? En effet, si l’on s’en réfère au talent et au physique, Gérard Essomba a tout. Jusqu’à la quarantaine, il est bâti du corps et de la beauté d’un dieu grec. D’un héros antique, il possède également le courage et le tempérament fougueux, parfois orgueilleux et destructeur. Volubile, grandiloquent et déterminé, Gérard a la réputation d`être un lion indomptable du cinéma et du théâtre qui fait montre d’une fierté que certains, même parmi ses proches, ne comprennent pas. Gérard est d’une stature imposante, d’une nature dominatrice, et il véhicule un violent magnétisme. Aujourd’hui, à l’âge mûr, Gérard garde les séquelles profondes des tempêtes et des tourments qui ont agité sa vie d’acteur et ses bagarres autour des plateaux de tournage et sur les planches, et il n’est guère étonnant qu’il ait consacré la moitié de sa vie à être un grand acteur et l’autre moitié à râler, à ruminer ses frustrations, à rêver des vies qu’il n’a pas vécues, tout simplement à la recherche de lui-même. La présence de Gérard à l’écran découle aussi de ce tempérament imprévisible, de son impétuosité, celle d’une bête sauvage. Un artiste exigeant dans ses démarches et critique des dominants doit s’attendre à devoir combattre pour sa liberté d’expression qui est très mal vue en France, surtout de la part d’un acteur noir venu d’un pays faisant encore partie du « pré carré ». Gérard apprendra à ses dépens que dans l’hexagone, les limites les plus importantes à l’épanouissement des acteurs noirs viennent tant de l’hypocrisie des hommes politiques que du racisme dans les milieux artistiques sous la pression des spectateurs et donc de la société tout entière. En 105

fait, en France, si les acteurs africains peinent à trouver des rôles à la hauteur de leur talent, cela est en partie dû à la politique des chaînes de télévision qui financent la plupart des productions. Contrairement aux États-Unis où le rôle du président américain a été joué par plusieurs acteurs de couleur (David Palmer dans 24H chrono incarné par Dennis Haysbert, ou encore Earl Jones en 1972 dans le film The Man), la seule idée d’un ambassadeur de France noir même en Afrique jette un malaise profond sur la société française. Même l’Agence Nationale pour la Cohésion Sociale (ACSE), créée en 2007 et dont le but est de promouvoir la diversité, peine, malgré le financement de 75 projets en 2008, à faire évoluer la société française vers un peu plus de tolérance dans les médias. Les « colorations » superficielles des chaînes de télévision (TV5) ne colorent pas la vision globale du monde telle que la société française profonde l’envisage. Il y a néanmoins quelques cas isolés, tel celui du réalisateur Olivier Marshal dans le film 36 Quai des Orfèvres qui, après s’être rendu compte que sa perception de la société française ne correspondait pas à la réalité, refit intégralement le casting de sa série Braquo pour y inclure des comédiens noirs. Grâce à de telles prises de positions courageuses, les choses ont tendance à bouger, même si les résistances sont encore très fortes. La preuve, Aïssa Maïga, comédienne sénégalaise nominée aux oscars, se souvient du combat épique mené par le réalisateur pour l’imposer aux producteurs pour un rôle écrit à l’origine pour une blonde : « Pour que je puisse jouer dans l’Age d’homme, raconte Aïssa Maïga, le réalisateur, Raphael Fejto, s’est battu pour m’imposer auprès des producteurs. Le scénario était écrit pour une blonde »17. Cette frilosité des télévisions françaises a également freiné la diffusion du film. Ce fut le cas pour le film Regarde-moi de la réalisatrice Audrey Estrougo à qui un directeur de chaîne 17

Interview dans Africultures, wwww.africultures.com. Fictions TV, des acteurs noirs dans l’ombre.

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avait répondu : « Vos comédiens ne sont pas aptes à passer en prime time ».18 L’espoir repose désormais sur la nouvelle génération de réalisateurs qui tentent par divers moyens d’imposer les acteurs noirs pour des rôles de premier plan.

18

Idem.

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Séquence XIII Retour au pays natal

Im. 29 G. E peu avant son retour au Cameroun

Quarante-cinq ans après son arrivée en France, Gérard a décidé, non pas de rendre les armes, mais de continuer à lutter ailleurs, chez lui au Cameroun où il espère faire

bénéficier son expérience aux jeunes comédiens. Dans ses valises, une centaine de projets originaux (représentations théâtrales, reconstruction de Toussaint Louverture à Yaoundé, de films et de dramatiques radiophoniques, etc.). Malheureusement, ici aussi, les frustrations ne manquent pas. Au Cameroun, les salles de cinéma ont toutes été transformées en supermarchés. Gérard s’étonne : « Je pensais qu’en revenant définitivement dans mon pays, je pouvais, moi aussi prétendre être tête d’affiche d’une série télé digne de ce nom, pas forcément celles que je vois à Canal 2 ou à la CRTV (deux chaînes camerounaises, ndlr) ».19 Une capitale sans cinéma, sans théâtre, quelle honte ! « Nous avons, dit Gérard, un ministère de la Culture qui devrait regarder ces choses plutôt que de s'accaparer les fonds alloués à l'art. Depuis que je suis arrivé, j'ai vu beaucoup d'artistes mourir dans le dénuement total. Notez, un grand homme comme Ahmadou Kourouma m'a dit quand il a vécu ici en exil au Cameroun : « Gérard, j'adore deux pays, le Cameroun et la Côte-d'Ivoire. Ton pays est la sœur jumelle de la Côted'Ivoire ». Et regardez, c'est la désolation totale ; les Camerounais ne savent plus qui ils sont. Notre pays n'existe pas à l'extérieur ; combien de grands artistes avons-nous en exil ? Le décor des télévisions camerounaises est affreux. Ce sont les fesses qu'on montre à l'écran. En six mois, j'ai fait une seule émission de télévision à la Cameroon Radio Télévision (CRTV). La STV, Canal 2, font semblant d'ignorer ma présence au Cameroun ».20 Gérard peine à trouver ses marques dans un pays où l’improvisation semble être érigée en système de fonctionnement. Malgré l’enthousiasme des jeunes 19

Interview de Jean-Marie Mollo Olinga dans Africiné publié le 17/05/2006. 20 idem.

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comédiens qui ont répondu nombreux au premier atelier animé par Gérard, le lancement de son école d’arts dramatiques s’est englué dans les méandres des procédures administratives. Faute de financement et face à l’indifférence des autorités en charge de la culture, le projet piétine. Gérard fulmine et fustige les états généraux de la culture qui eurent lieu il y a bien longtemps, en 1995, en les qualifiant d’échec prévisible « dans un pays où des esprits malsains avaient vite fait de calculer le nombre de francs CFA qu'il y avait dans le budget. Les artistes y avaient été noyés par des professeurs d'université qui y tenaient un langage incompréhensible de Senghor et de Césaire. J'en suis sorti vide comme j'y étais entré. Il n'y a pas eu de statut de l'artiste ; pas de convention collective, ce qui a créé la confusion dans laquelle nous pataugeons aujourd'hui, où des artistes se retrouvent en train de réclamer des droits d'auteur. Ceux-ci qui n'appartiennent qu'à celui qui a écrit, réalisé et déposé une œuvre ».21 Parmi ses nombreux projets, Gérard a quand même pu en réaliser un, son court métrage sur le sort peu enviable des enfants albinos dans certaines régions d’Afrique.

21

Source : Interview de Julia Kauta dans Diva 28 mai 2003. Cinéma et comédiens en Afrique.

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Séquence XIV Gérard Essomba : réalisateur Titre du film : L’enfant peau rouge `` Red-Skinned boy`` en anglais. Production : Many films Sortie : 2006. Durée : 22 minutes Film diffusé sur CRTV, TV5 Monde et RDI au Canada. Résumé du film C'est l'histoire d'un enfant né dans une monarchie de l'Ouest Cameroun qui s'est retrouvé seul, abandonné par les siens. La princesse Amogbé est violée une nuit par un inconnu. Neuf mois plus tard, elle donne naissance à « un rubicond ». Malheureusement, le roi refuse qu'il porte son nom et demande à la reine-mère d'aller en exil avec lui. Cet enfant n'a jamais dormi dans le palais et couche à la cuisine. Il vit comme ça, tel un laissé-pour-compte. À l'école, ses camarades le surnomment L'Enfant peau rouge. Puis un jour, la reine-mère, qui veut se débarrasser de ce lourd secret, pousse sa fille au suicide… Ce projet, Gérard le portait au fond de lui-même depuis longtemps. C’est un vieux rêve qui se réalise après de longues années de maturation. Pour ce film, Gérard a travaillé avec Arthur Si Bita, son ami de longue date comme conseiller à la réalisation. Le sultan des Bamoun lui a ouvert les portes de son palais à Foumban dans l’Ouest Cameroun où il a pu héberger son équipe de tournage. Le film a été tourné avec un

budget modeste de vingt-cinq millions de francs CFA, dont sept provenaient du ministère de la Culture et le reste, sous forme de matériel de production mis à disposition par un producteur local. L'Enfant peau rouge s'ouvre sur la majesté d'une cour royale dont les décors naturels et les costumes des comédiens, agréablement harmonisés par les bons soins de Saint-Père Abiassi, trahissent toute la solennité, voire toute la gravité de l'instant, du sujet. Les assises, mieux, le procès qui ne dit pourtant pas son nom, c'est celui de cet enfant de malheur dont la seule existence menace la survie de la dynastie, dont la mère, une princesse elle-même adultérine, a été exilée et condamnée par la suite à être sacrifiée de la main de sa propre mère sur l'autel de l'honneur bafoué du royaume. Un monde triste à mourir qui fait dire à l'enfant peau rouge « que faut-il pour que tout soit parfait ? », car rien n'est parfait dans cette histoire pathétique. Tout peut-il être parfait ? La naïveté de l'enfant prend ici le dessus sur l'implacable réalité de la vie : la perfection n'est pas de ce monde. Le format du film, 22 minutes, a donc semblé imposer au réalisateur des choix esthétiques et techniques qui alternent entre la forme romancée et le pur jeu d'acteurs. Un découpage particulier, subtilement agencé par un flash back, permet au spectateur de respirer entre deux scénettes. Les musiques choisies avec intelligence, les danses de balafon très enlevées et particulièrement suggestives, alternées par le classique, en rajoutent à cette tragédie qui se noue sous les apparences d'une révolution ordinaire de palais. Autrement, la vitesse du film aurait été assommante, tant l'intrigue est hautement soutenue.

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Comme l’écrit si bien Jacques Bessala Manga,22 « Entre la froideur d'un roi silencieux, Daniel Ndo, qui porte à la perfection la majesté de ses attributs, qui ordonne du signe et à qui on obéit sans coup férir, le cynisme d'une reine, Blanche Billongo, qui s'implique dans tous les coups tordus de la cour lorsqu'elle n'en est pas l'instigatrice, ou même l'insouciance d'une princesse, Patricia Balkalal, objet de toutes les concupiscences, de tous les désirs et finalement de tous les malheurs, il y a comme juge arbitre, la candeur de cet enfant à la couleur peu ordinaire, rouge, dont la vie est sujette à tous les hasards et autres turpitudes de son entourage ». Le deuxième film de Gérard Essomba sera bientôt tourné à Kousseri dans la région de l’Extrême-nord Cameroun. Ce film qui a pour titre « La hyène dévoreuse des troupeaux » est une métaphore historique qui se déroule sur le fleuve Logone. Gérard a aussi en projet un autre long métrage intitulé Edou le député. Ce film pour lequel il recherche les financements traite du problème de la corruption au Cameroun. Ayant attendu en vain un signe des autorités politiques et notamment du président du Cameroun, Gérard Essomba a aussi lancé un appel à la première dame, Chantal Biya. « Mon état d’esprit est celui d’un sans domicile fixe. J’adresse un message direct à la première dame, Chantal Biya, que j’ai rencontrée dernièrement à l’Unesco, lors de sa nomination comme ambassadrice du Cameroun. Je l’appelle au secours. Je suis un SDF dans mon pays. Je n’ai pas de logement, je peux dire que je squatte chez ma nièce parce que nous, les acteurs, n’avons jamais eu de salaire. Si madame 22

Jacques Bessala Manga, Cinepress Cameroun.

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Chantal Biya peut se rappeler dans l’histoire qu’elle est proche de ma famille (je n’en dirai pas davantage), j’aimerais la rencontrer, puisque pendant quinze ans, j’ai adressé des messages au chef de l’État et ces messages ont été détournés par une classe de politiciens que je considère comme des gens qui veulent le mal à notre pays. Comment puis-je être reçu par Gbagbo, Kérékou, Abdou Diouf et que mon chef de l’État continue de m’ignorer ? Même si on m’a donné le grade de chevalier de l’ordre national de la valeur… »23 Cet appel, ce cri du cœur sera-t-il entendu ? Depuis son retour au Cameroun, Gérard « dort le dos tourné au ministère de la Culture » et s’attèle à installer son école d’arts dramatiques, ``Many School Drama (MSD)", un centre de formation des jeunes acteurs qu’il compte initier aux ficèles du métier. Conscient du fait que nous ne pouvons disposer d’un cinéma et d’une télévision compétitifs si les acteurs ne sont pas d’un bon niveau, Gérard a organisé une première séance de formation de base dont la réussite a été éclatante. Mais faute de financement, le projet est aujourd’hui presque à l’arrêt. Gérard s’emploie en même temps à secouer le cocotier des hommes de pouvoir en tentant de pousser l’idée qui lui tient à cœur depuis des années et qu’il a présentée à Ferdinand Léopold Oyono et à Issa Ayatou, celle de reverser, ne seraitce que 1% des recettes de tous les matchs de foot de la CAF disputés sur le continent dans une caisse qui reviendrait à la culture ; pas à l'université, mais à l'art. Ces moyens permettraient au continent d'être moins dépendant du Nord.

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Source : Africultures, Fespaco 2006.

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La culture est en berne sur tout le continent, et ce malgré l’hommage rendu aux comédiens africains lors du Festival panafricain du cinéma de Ouagadougou en février 2003. Gérard avait salué cette mesure tout en regrettant que le cinéma africain n’existe que par période, tous les deux ans lors du FESPACO. Il regrette aussi qu’à l’occasion de cet hommage aux comédiens on n’ait pas projeté leurs films ou mis des pancartes avec leurs visages pour qu’on puisse les reconnaître, même dans la rue, à l’instar des visages des vedettes de football présents sur l’ensemble du continent sur les publicités des sociétés de téléphonie mobile et autres. Amer, Gérard affirme que « sur le plan des opportunités professionnelles, au cours du FESPACO, il ne se passe pas grand-chose ».24

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Source : Africulture, FESPACO 2006.

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Ainsi, après plus de 40 ans passés en France, Gérard Essomba est de retour chez lui, au Cameroun, auprès des siens. Mais il n’a pas baissé les bras. Bien au contraire. Le soleil de Yaoundé l’a requinqué et a décuplé ses forces. Le lion enragé rugit encore plus fort.

Epilogue L'entretien commencé au quartier Nsimeyon-Damas à Yaoundé en novembre et décembre 2010 s'est poursuivi en novembre et décembre 2011 en suivant Gérard à la trace dans ses multiples déménagements. Nous nous sommes ainsi retrouvés au quartier Mbankolo, puis à La Vallée à plusieurs occasions pour jouer au petit jeu que nous affectionnons tous les deux depuis que nous nous connaissons. Je pose une question, Gérard réfléchit, il trouve la réponse, il développe, questionne, et finit toujours par revenir à la question qui le taraude : comment relancer l'activité théâtrale et artistique au Cameroun ? Comment relancer sa carrière que certains ont vite fait d'enterrer ? Gérard vient de jouer dans Les veuves volontaires, film long métrage d'Alphonse Béni, tourné à Douala, en 2011. Il est encore sollicité, très sollicité, et les scénarios qui jonchent son appartement en témoignent. Gérard réfléchit pour comprendre la manière dont de grands acteurs tels Dustin Hoffman et Robert De Niro se sont intelligemment réinventés dans de nouveaux rôles conformes à leur âge. Voilà, s'exclame Gérard, des acteurs qui ont accepté les réalités du métier et qui ont relancé leur carrière. Ils continuent à travailler. Et si l'un d'eux se retrouve dans un film médiocre, on ne lui jettera pas la pierre. Malgré cette approche plutôt réaliste, Gérard voit les choses autrement. Malgré la précarité et la misère ambiante, il refuse d'accepter un rôle uniquement pour faire bouillir la marmite. Il est un homme fier de son parcours. Trop fier peut-être, disent certains de ses proches. Il est issu d'une époque où les artistes faisaient ce qui leur plaît, ce qui les inspire. De vrais artistes au sens le plus noble. C'est sans doute la raison pour laquelle malgré les déboires et les

frustrations Gérard est reconnu par ses pairs comme étant un monstre sacré du cinéma africain. Il est en effet surprenant de constater que la plupart des rôles qu'il a interprétés résistent à l'usure du temps, indépendamment des films, et conservent une justesse liée au talent de l'acteur. Féru d'improvisation, Gérard atteint presque toujours la simplicité et l'authenticité dans l'interprétation d'un rôle qui lui est confié. Son talent inné et exceptionnel réside dans sa manière de tisser son jeu, dans l'empathie avec toujours une pointe de distance humoristique. Dans chaque film, Gérard égrène furtivement des rires courts et aigus, ce qui extrait de lui-même la justesse de ses personnages qui sont ainsi vrais, authentiques et vivants. La méthode de Gérard Essomba c'est de tendre vers ce « simplement humain » décrit par Stanislavski, d'extraire de lui-même la justesse de ses personnages et leurs vibrations amplifiées par le jeu. Par sa manière de travailler ses personnages, il les recrée à chaque instant et leur fait ainsi échapper aux stéréotypes et aux jugements définitifs. Ses personnages, tels Mani Kongo dans Pièces d'identités, ou encore Napoléon dans Romancero conjuguent sensibilité, innocence et intelligence. Et même si Gérard s'éclipse derrière eux, son incarnation est si forte et son aura si présente que ses personnages respirent la force de conviction qui nourrit le jeu de celui qui les incarne.

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Gérard Essomba parle

Im. 30. L'homme qui a mal tourné

C. S25. : Parles-nous de toi, Gérard. Qui es-tu ? Je suis le neuvième enfant d'une famille de dix enfants. Mon défunt père, Essomba Many Antoine, avait fait des études en allemand quand il était jeune adolescent. Puis des études en français, après la décolonisation allemande. Très rebelle, il reprochait aux Allemands la pendaison en public de son père Many Ewondo dont le corps fut retrouvé caché dans le tronc d’un arbre dans un quartier qui aujourd'hui s'appelle Etoa Meki (siège du sang en langue Beti). Une avenue de Yaoundé porte son nom, au lieu dit collège Montesquieu à Mvog-Ada. Ce drame est resté gravé dans ma mémoire depuis que j’ai appris de la bouche de mon père qu'il avait assisté à la pendaison de son père avec six autres conjurés au lieu où se trouve actuellement le ministère de la Culture. Paradoxe, quand je regarde à distance les nouveaux maîtres des lieux… qui me regardent avec une indifférence stupide. Devrais-je leur donner des rudiments de notre histoire ? Sinon à tous, sans exception ! Mon père avait terminé sa carrière comme rédacteur en chef des services civils et financiers, puis comme correspondant de l'AFP ici à Yaoundé après de longs séjours qui étaient plus exactement des affectations disciplinaires à Maroua, Ambam, Poli, Douala, etc., avant d'être élu maire de Djoungolo 3, actuel Yaoundé 5, en 1956. Il fut aussi fondateur d’un parti politique, l'USC, Union Sociale Camerounaise. Ce parti fut fondé après une rencontre à Strasbourg (Petite France) avec Guy Mollet qui était alors le président du conseil sous la quatrième république. Charles Okala, ancien sénateur de l'union française, ainsi que le regretté Amos Ngankou, ancien surveillant général au Lycée Leclerc de Yaoundé et maire adjoint du plateau Atemengue 25

Charles Soh.

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étaient les membres fondateurs de ce parti politique. La création de ce parti avait provoqué le refroidissement, que dire, un schisme dans les relations avec mon oncle Léonard Mbouli (UPC) à Mvog-Ada, malgré le rapprochement en 1952 de Félix Moumié et de mon père. Une gifle mémorable du médecin adressée à Ahmadou Ahidjo reste aussi gravée dans la mémoire de l'enfant qui était de service ce dimanche là chez mon père à Maroua. Une petite part de l'histoire de ce pays. Charles soh. Comment a été ton enfance ? Elle aurait pu être plus agréable, aisée, si mon père ne devait se déplacer d'un département à l'autre, surtout qu'il devait faire suivre toute la famille composée d'une quinzaine de membres y compris ses trois épouses, dont ma mère. Quant à mon éducation de base, elle a été plutôt chaotique sur le plan scolaire en raison des multiples déplacements et déménagements de mes parents. Malgré cela, je fus refusé au collège Vogt alors que j'étais admis au concours d'entrée en classe de 6e. Motif, mon père était polygame. Une rebuffade honteuse des frères catholiques canadiens, malgré l'intervention de mon oncle André Fouda, maire de Yaoundé. Voilà une des raisons qui ont freiné mon éducation de base. Mon père est décédé à 55 ans, et il n’y avait plus personne pour payer mes droits de scolarité. Je reste persuadé que ce vide a précipité mon désir de quitter l'Afrique, mais aussi d’apprendre à me défendre par moi-même, à prendre cette décision, un peu difficile, être comédien au pays des Blancs. J'étais déterminé, malgré les réticences de mon frère aîné, Prosper Etoundi et son épouse Thérèse Chartier. Ils m’ont beaucoup soutenu.

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Le souvenir le plus marquant de mon enfance, c'était d'abord la difficulté d'aller à mon école. Je me levais à cinq heures du matin, je traversais toute la ville à pied en partant de mon village (Mvog-Ada) pour mon école primaire qui était située au plateau Atemengue, actuelle école du département. Le ministre Laurent Esso et son frère René étaient mes camarades de classe. C.S. Une telle éducation te prédestinait-elle au métier de comédien ? Au collège Molière à Douala, en classe de 4e, on m’a proposé de jouer le personnage de Petit Jean, dans Les plaideurs de Racine. Ce fut peut-être le déclic. J'ai alors pris cette décision d’aller en France pour devenir comédien professionnel. C'était une question de volonté, mais aussi pour moi, de relever un défi « MOI L’ACTEUR NOIR » sur un écran de cinéma… chez les Blancs. Bien entendu, il y avait déjà d'autres acteurs noirs, de la génération précédant la mienne : Bachire Touré qui était luimême l'élève d’Ahmed Douta Seck, Med Hondo le Mauritanien, Ibrahima Seck, Toto Bissainthe, Jenny Alpha, Ivan Laberjoff, les frères Le Moine, Lydia Ewande, Claudi Congrès, etc.

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Im. 31 Répétition à Paris

La couleur de ma peau était un sévère handicap. J’étais également marginalisé, même malgré une brillante apparition dans le film La Légion saute sur Kolwezi. Pas un journaliste ne m'approcha lors de la projection de presse, au fameux club 13 de Claude Lelouche, avenue Hoche. Tout cela était frustrant avec une odeur de mépris et de racisme. C. S. : Comment t’es-tu débrouillé pour vivre en début de carrière en France ? Arrivé en France en 1968, il me fallait vivre tout en cherchant les moyens de réaliser mon rêve de devenir acteur. Pendant les deux premiers mois, j’ai vécu chez ma belle-sœur Thérèse Chartier, une jeune française originaire de Lisieux en 127

Normandie. Tous les matins, j'accompagnais mes neveux à l’école. Déterminé à trouver ma place dans le milieu du théâtre professionnel, j’ai commencé par faire des petits boulots pour être financièrement autonome. J’ai ainsi travaillé au tri du courrier dans un petit bureau de poste à la gare de l’Est. Deux mois après, j’ai trouvé une chambre de bonne et je me suis installé Avenue Parmentier. Charles Soh : Et les cours Tania Balachova ? À Paris, j’ai retrouvé Ambroise Mbia que je connaissais depuis l'école primaire. Il m’a aidé à trouver l’adresse de la rue des Moines où on formait les jeunes acteurs. La propriétaire, Madame Tania Balachova m'autorisa à suivre gratuitement son cours. Puis, au bout de deux mois à peine, voyant mes progrès dans le travail, Tania m’a proposé le rôle du nègre dans La putain respectueuse, pièce écrite par Jean Paul-Sartre, et dont le rôle du nègre avait été écrit pour son ami Habib Benglia. Très déterminé à rencontrer le plus de monde du spectacle, je préparais en même temps les auditions à l'ORTF (Office de Radio Télévision Française). Ces auditions ont duré trois ans, car elles se déroulaient dans l'ensemble du territoire. Je travaillais mes personnages avec un sérieux, tel un candidat à l'oral du bac. Un soir Ambroise Mbia m'appelle au téléphone pour me dire qu’on parle de moi sur France culture. Je me suis précipité sur mon petit transistor au moment où l'intervenant annonçait les candidats reçus à la dernière audition. Ivre de joie, ma tête avait failli être coincée au plafond sous les regards émerveillés de mes enfants. Aujourd'hui que j'ai quitté définitivement la France avec le grade hors catégorie 4e

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échelon, à Radio France, on peut dire que c'est aussi une part de mon rêve qui s'est réalisée. C. S. : Comment as-tu commencé au théâtre ? Madeleine Ricaud de France culture m'appela pour m'informer que j'allais interpréter le personnage du Chevalier de St Georges, mais aussi dans une pièce de l'auteur indien Rabinnadrataghore, Amal et la lettre du roi, dont elle venait de faire l'adaptation pour moi². Je suis donc allé retirer les textes dans son bureau, dans la grande maison ronde, encore ORTF. Dans la distribution, j'étais entouré de très grands comédiens parmi lesquels Bernard Noël qui fut le premier mari de Michel Morgan, mais aussi de Gaetan Jor. Georges Aminel était puissant dans son jeu, il écrasait tous ses partenaires, mais il était jalousé à la comédie française par les acteurs blancs. On était loin de parler, surtout dans cette maison des quotas, puisque depuis la création de la maison de Molière, en deux cents ans, seuls deux acteurs de couleurs, tous deux métis avaient été admis. Daniel Sorano, de père sénégalais et Georges Aminel né en Martinique de mère blanche. C. S. : Que t’a apporté le cours Tania Balachova ? En choisissant la formation chez madame Balachova, il était certain que j'allais recevoir beaucoup d'éléments qui servent dans notre métier. Exemple : faire l'analyse du texte de l'auteur, essayer de se mettre à sa place, savoir la définition de l'histoire qu'il vous propose de donner aux spectateurs. Une communication qui fait de vous un deuxième auteur de cette histoire que vous devez défendre sans toutefois en trahir l'originalité. La référence Balachova est devenue comme un label artistique. Je suis fier d'avoir été son élève.

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C. S. : En dehors du cours Balachova, quelle autre formation as-tu suivie ? À Paris, sans aucun complexe ni découragement, j'ai comblé quelques lacunes qui auraient de tout temps empoisonné ma carrière et même mon existence. Dans un premier temps, j'ai fréquenté le CNAM (Conservatoire national des arts et métiers), rue Saint Martin. J'ai même obtenu mon premier degré de droit commercial et la capacité en droit (ASSAS). À l'université internationale du théâtre, boulevard Jourdan, j'ai aussi suivi les cours de mise en scène au théâtre. J’ai ainsi eu l’occasion de participer pendant six mois au casting en vue de la mise en scène de La tragédie du roi Christophe. J'étais assis sur le même banc que l'auteur, Aimé Césaire. C'était au théâtre de l'Athénée. C. S. : Comment étaient organisés les concours d’audition à l’ORTF ? L'ORTF (Radio France) organisait chaque année un concours d'audition des comédiens, afin de leur accorder une carte d'homologation. Cette carte donnait droit en priorité de travailler comme comédien sur tous les réseaux de l'ORTF. Plus de six cents candidats de toute la France y participaient. Je me suis donc présenté aux deux premières auditions, bien entendu avec élimination. C'est ainsi que j'avais été admis 40e sur un total de six cents candidats. Ainsi, pour l'attribution définitive de cette fameuse carte, sorte de diplôme professionnel radiophonique, il fallait interpréter le rôle principal dans une dramatique diffusée à l'antenne, et le jury était composé de plusieurs personnalités du théâtre. Après l’obtention de ma carte professionnelle, j’ai interprété à l’antenne le rôle écrit pour moi par Madeleine Ricaud sur le 130

Chevalier de St Georges. J'ai, par la suite, eu l'occasion de refaire la même émission, cette fois en jouant dans Le nu au tambour de Noël Coward, au théâtre Edouard VII. J'interprétais un adventiste du 7e jour, du nom de Napoléon. C. S. : Et le rôle de Kubilaï Khan dans Marco Millions ? Comment as-tu eu le contrat ? Madame Marie Claire Vallene cherchait un acteur pour interpréter dans la pièce de Eugene O’Neill le personnage du grand Khan. Je me suis présenté à l'audition. Le soir même on m'appela pour m'annoncer que je devais jouer au théâtre de l'Ouest et de La Rochelle cette pièce qui devait partir en tournée à travers la France. La distribution était toute blanche : Maurice Sarfati, un ami, jouait Marco Millions, Daniel Bremond était Tchou Yin, le maître de Kubilaï Khan. Cette distribution provoqua l'irritation d'une certaine presse, très à droite et même à l'extrême, qui n'acceptait pas de voir un acteur noir en haut d'affiche interprétant le rôle du grandpère de Kukachin qui était, elle, blanche !

Im. 31. G.E au théâtre de l'Épée de bois

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On ne peut pas dire que la critique fut élogieuse ni pour mon interprétation ni pour le respect du travail du metteur en scène qui était, sans aucun doute, très progressiste et sans le moindre préjugé sur la couleur de peau des acteurs. De ce spectacle qui m'avait beaucoup marqué, j'avais compris pourquoi certains acteurs réussissent plus que d'autres. C. S. : Et la série « Au théâtre le soir », comment as-tu été retenu ? Pierre Sabbagh était un homme d’une très grande culture qui réalisait les émissions Au théâtre le soir à partir de sa voiture régie. Très populaire, cette série de théâtre filmé a attiré des millions de spectateurs pendant une dizaine d’années. Je fus, je crois, l’un des premiers acteurs noirs recrutés pour jouer dans cette série. Son administrateur de l’époque, Jean Bricaire avait beaucoup d’estime pour moi et reconnaissait mon talent. Grâce à lui, je fus appelé pour jouer dans L’Amant de Bornéo, une pièce mise en scène par Michel Roux. Lorsque ce personnage raciste me vit arriver sur scène, il s’écria : « mais vous n’êtes pas tout à fait noir ». Ce à quoi je lui ai répondu que j’avais toujours une boîte de cirage sur moi. Et je suis parti en claquant la porte. Je pense que l'assurance qu'un acteur peut avoir de lui-même crée en lui sa propre personnalité. Ne jamais se laisser salir… avoir confiance. Une sorte de connais-toi toi-même. C. S. : Quelle satisfaction as-tu tirée de ton métier ? Plusieurs, sauf en matière de salaire. Quand on est un acteur noir et qu’il faut parfois subir le chantage du premier assistant qui vous donne les pages d’un scénario quelques 132

minutes avant d’aller sur le plateau, ça ne fait pas forcément du bien. Il vous faut prendre ou laisser. Mais comme il faut vivre ! J’ai eu la satisfaction de rencontrer quelques chefs d’État : Abdou Diouf qui répondait à mes correspondances après le spectacle Toussaint Louverture. Mathieu Kérékou, très heureux de me recevoir dans son palais sans protocole et avec qui j’avais un dialogue franc et chaleureux (2005) ; le président Laurent Gbagbo qui m’a reçu à l'hôtel Ivoire (2007). Nous avons soulevé un verre de champagne. Je garde une profonde estime ainsi qu'une bonne pensée pour tous les trois. J'ai toujours éprouvé un désir de liberté tout au long de ma modeste carrière. Jamais de compromission ni d'engagement sans véritable raison fondamentale. J'estimais que je ne devais rien à personne car j'avais toujours été seul. C’est triste de voir que mon pays a ignoré mes progrès dans le métier alors que je véhiculais à travers le monde le nom du Cameroun. Cette reconnaissance ne vint que plus tard. En 2009 à l'hôtel Hilton, l'hommage m'a été rendu devant un parterre de deux cents invités. Susanne Kala Lobe m'avait fait la plus belle surprise de cette soirée en interprétant de manière sublime le succès de Colporter, Begin the beguine. C. S. : Tu as une telle présence sur scène, Gérard ! Quel est ton secret ? Certes ma taille a toujours été un atout non négligeable, mais mesurer un mètre quatre-vingt-dix n'est pas gage de succès. Dustin Hoffman est l'exemple même d'un acteur qui travaille tout en profondeur, même sa démarche. Robert Mitchum, John Wane et Marilyn Monroe savaient tous faire mouvoir leur corps pour apporter un plus à leur physique.

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Quant à la séduction, je ne me suis jamais attardé devant une glace pour admirer ma gueule. Je n'ai jamais considéré que j'étais plus talentueux que quiconque. Le monologue de Toussaint Louverture signé Jean-Louis Sagot Duvouroux était limpide, il fallait donner juste quelques bouffées de chaleur, une émotion contrôlée dans les intonations de la voix, mais aussi à la respiration. C'est là justement que le jeu de l'acteur de radio est indispensable à l'acteur. Le rôle que j’ai interprété dans Pièces d’identités de Mwenze Ngangura et qui m'a procuré plaisir et satisfaction était un peu comme un rôle de clown pour moi. Résultat, huit prix d'interprétation. De quoi être fier pour mes petits enfants ! Le talent est un plat qui se mange chaud. Donc, cette chaleur se trouve dans la qualité du texte qu'on vous donne. Un texte écrit à la bougie, sans aucune profondeur, ne pourra rien donner sur la scène. Un bon acteur sait se sublimer dans un beau texte. Je garde en mémoire le souvenir du texte de Jean-Louis Sagot Duvouroux qui a écrit le monologue de Toussaint Louverture. Un délice à le dire. Aussi s'installer dans un personnage tientil avant tout des rapports humains qu'on entretient avec le metteur en scène. Le respect doit être réciproque. Il faut éviter d’avoir des rapports d’infériorité ou de supériorité entre les deux. Ces ingrédients donnent souvent un résultat positif, bien entendu le comédien bien payé se sublime, trouve les possibilités de s'éclater, à condition que le public, dernier juge, anticipe à tout cela.

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C. S. : Peut-on dire qu’à l’époque tu étais un comédien hyper occupé ? Cela fait plutôt sourire quand on ne connaît pas les moments de solitude des acteurs noirs en Europe. À cela, il y a plusieurs raisons. D'abord le répertoire, que ce soit au théâtre ou même au cinéma, ne favorisait pas l'emploi des acteurs noirs. Souvent, certains producteurs allaient jusqu'à supprimer le personnage. D'autres maquillaient l'acteur blanc pour incarner un Noir. Exemple Sacha Distel à la télévision. Comment oublier ce casting, c'était place de la Concorde. Une grosse production cherchait un Noir, pas un acteur pour remplacer celui qui disait « Il ne colle jamais ». Il y a eu une heure de séance de photos. Toute l'équipe du casting était persuadée que je partais en Inde la semaine suivante pour commencer le tournage. Puis un petit coup de téléphone d'une secrétaire qui vous annonce : « nous sommes désolés… ce sera pour la prochaine fois ». J'ai souvent une pensée pour Patrick Darah, jeune comédien métis togolais, qui avait fini par se tirer une balle dans la tête. Je partais en tournée à Saint Etienne jouer Autant en emporte le vent quand il m'avait fait cette confidence de vouloir en finir. Paix à son âme. Mais aujourd'hui cet état des choses est presque devenu banal. On voit apparaître de jeunes acteurs de couleur en quête de notoriété, mais aussi d'argent et de gloire. Leur situation est toujours précaire. Cela aussi on vous l'apprend dans un bon cours d'art dramatique. Savoir manger la baguette quand il le faut en attendant du caviar dans une suite de luxe à Cannes. C. S. : Comment était ton agenda ? On ne peut prétendre à un agenda quand on débute. Tout au plus, on garde soigneusement son press-book qui est aussi la bible de l'apprenti comédien ne possédant pas encore 135

suffisamment d'expérience, ni d'agent artistique non plus. Il conserve articles de presse, photos et même ses premiers contrats professionnels qui témoignent de sa présence dans le milieu du spectacle. Alors, il faudrait parfois rester lucide, vigilant, se forger sa personnalité. Tout cela, les jeunes acteurs l’apprennent dans divers cours où l'on dispense quelques rudiments de notions de droit de l'acteur. D'où l'intérêt de posséder un minimum de culture générale. Le cas d’André Antoine reste une référence dans les annales du théâtre moderne. Simple employé aux écritures au gaz de France, il a presque révolutionné la mise en scène moderne au théâtre. À Paris, Boulevard de Strasbourg, un magnifique théâtre porte son nom, le théâtre Antoine. D'autres grands acteurs tels André Bourvil, Jean Gabin ou Fernandel étaient au départ des gens qui travaillaient la terre. Mais leur persévérance et leur détermination leur a permis d'être de grands noms de l'art moderne dont la France est fière aujourd'hui. Je pense qu'il faudrait être sincère et ne pas raconter des bêtises. Un acteur noir n'a pas le même volume de propositions d'emploi qu’un acteur blanc, et tout cela dépend des rapports avec son agent. Certains acteurs producteurs peuvent se permettre d'être hyper occupés. Cela se comprend, car ils ont le choix de tout ce qu'ils désirent réaliser. Et si l’acteur a de la notoriété comme le furent Yves Montant, André Bourvil, Gérald Philipe, etc., il sera très occupé. C. S. : Étais-tu syndiqué ? Oui, bien sûr ! Je suis resté attaché au SFA (syndicat français des acteurs) pendant toute ma carrière. Catherine Almeiras et Cathérine Laborde qui s'est reconvertie en madame Météo 136

avaient toujours été nos dirigeants syndicaux au SFA. Il était conseillé d'être syndiqué, surtout nous les intermittents qui n'étions attachés à aucune institution de spectacle. Il fallait être grégaire pour les revendications. Le SFA existe toujours rue Victor Mace. C. S. : Comment étaient tes débuts à la télévision ? J’ai débuté ma carrière à la télévision comme tous les jeunes comédiens noirs. Il fallait frapper à toutes les portes des fameux Buttes Chaumont (SFP). Il fallait connaître quelques assistants pour vous procurer les projets en préparation ou alors s'inscrire au fichier des figurants. Un jour, Lazarre Iglesis a été attiré par ma photo et c'est ainsi que je me suis retrouvé à tourner dans La mer de sable chez Jean Richard. J’interprétais le rôle d’un général du nom de Bougamba, sorte d’Idi Amin Dada. Un rôle peu glorieux. Il fallait le faire pour survivre, ou alors crever de faim et ne pas pouvoir payer son loyer. Pour les acteurs de couleur, les barrières sont nombreuses, insidieuses, dangereuses. Vous ne les voyez pas, mais elles sont bien là ! Je me souviens de Marpessa Dwan, héroïne troublante d'une beauté extraordinaire du film de Marcel Camus, Orphe Negro, Palme d'or au festival de Cannes en 1959. Un jour elle m'a conduit dans sa petite chambre, une mansarde à faire peur. Frustrée de ne pouvoir mettre en valeur son talent, elle avait fait plusieurs tentatives de suicide. Elle avait fini par changer de nom et se faisait appeler Nefertiti. Elle est finalement morte dans l’anonymat le plus total.

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Im. 32 G.E séducteur !

C. S. : As-tu parfois fait de la figuration ? Personnellement, j’ai été figurant une ou deux fois dans ma carrière. La première fois, c’était en compagnie de Daniel Kamwa, quelqu'un pour qui j'ai toujours gardé estime et respect. Nous avions été convoqués ce soir-là pour le passage de Jean Gabin à l’aéroport d’Orly dans un film intitulé Le clan des Siciliens. 138

D'ailleurs, on ne nous voit presque pas. Tant mieux, c'était tellement humiliant d'être figurant. La deuxième c’était dans le film de Melvil Van Peebles, Histoire d’une perm avec Nicole Berger. Nous étions déguisés en balubas, torses nus en plein hiver à Epiney. Aucun cachet ne fut payé pour cette figuration. C. S. : Est-il arrivé que tu improvises ? On ne peut pas se permettre d'improviser sur un texte qui est écrit. Je pense que si l'auteur est dans la salle il n'hésitera pas à demander des explications au metteur en scène. Cependant, certains acteurs ont souvent modifié des textes, cela se fait bien entendu avec l'accord du dialoguiste. Jean Gabin et Francis Blanche étaient habitués à cet exercice. Mais n'importe qui n'est ni Gabin ni Francis Blanche. C. S. : Arrivais-tu et arrives-tu encore aujourd’hui à sortir facilement du rôle pour redevenir toi-même ? Quand le mot fin qui termine un tournage, quand on casse pour le dernier soir, je prends soin de quitter le costume du général Toussaint Louverture pour les haillons du clochard Alléluia. C'est bien là que l'expérience psychologique de l'acteur qui laisse son personnage dans les vestiaires en rentrant chez lui s'impose et prend son importance. Sinon, on fera le geste du pistolet pointé sur le malfrat n'importe où dans la rue. J'avais pris l'habitude de prendre avec sérieux tout rôle bien écrit et dont je devais absolument défendre l'auteur du texte, mais aussi mon rang. La sincérité dans le jeu, sans chercher à tricher, surtout pas au théâtre. C. S. : Comment étaient tes relations avec ton agent ? Mes premiers rapports avec les agents furent des moments qu'il fallait vite oublier. Bien entendu, quand on est débutant, 139

on a en tête de grands noms tels les frères Behars qui, en plus, avaient leurs bureaux aux Champs Élysées. Moi j’éprouvais une certaine fierté d'avoir le même agent que Johnny Haliday. Mais le traitement n'était jamais le même. Des propositions d'emploi affluaient à l'agence. Vous pouviez changer de photos tous les mois sans qu'on vous propose le moindre rôle de valeur. C'était dans cette agence une comédie bien orchestrée par les deux frères qui servaient une comédie de mauvais goût aux acteurs noirs. Puis, un jour je me suis fâché avec mon nouvel agent qui avait signé pour moi un contrat pour tourner dans une série télé avec comme réalisateur un certain Michel Audouard. Je n'avais lu le scénario que le soir même au cours d'un tournage de nuit. J'avais dû quitter le plateau parce que mon rôle ne m'avait été remis par le premier assistant que deux heures avant le tournage. Je devais sauter d'un bateau et plonger dans un étang froid et glacé qui était profond de trois mètres. C. S. : Sur le plan purement artistique, comment composes-tu tes personnages ? D'abord accepter déjà ce personnage, voir concrètement ce qu'il vous apporte sur tous les plans, tant sur la promotion de votre métier que sur le plan financier. On sait que l'homme ne vit pas que d'eau fraîche et de pain. Ensuite, bien faire l'analyse du texte et du personnage pour le rendre le plus crédible possible. Le texte, une fois qu'on le possède au rasoir comme on dit, vous dégage de l'angoisse que connaissent beaucoup d'acteurs « Le trou noir », car il n'y a plus de souffleur qu'à la comédie française. C. S. : Quels metteurs en scène t’ont particulièrement marqué ? J'en ai connu beaucoup, surtout au théâtre, mais aussi à la radio. À la radio, Evelyne Fremi, Georges Peyrou, Françoise 140

Konia, Anne Le Maître, Georges Godbert, Wilfried Garrette. Plus d'une centaine de pièces radiophoniques ainsi que la série concours interafricain. Je suis homologué Hors catégorie 4e échelon à Radio France. J’ai fait la lecture sur France culture de plusieurs romans dont notamment Le nègre fondamental de Raphaël Confiant sur une réalisation de Jacques Couturier. Côté théâtre, bien entendu, mon premier professeur, Tania Balachova, Pierre Debauche (metteur en scène de Malcom X puis de Judith), Jean Durozier, Daniel Benoin (metteur en scène d’Autant en emporte le vent), Marie Claire Vallene (Marco Millions), Kepa Amuschestegui (Tom Paine), Robert Hossein (Les brumes de Manchester), Pascal Luneau (Sud de Julien Green), Claude Moreau (Toussaint Louverture), etc. Au cinéma, je voudrais citer : Mweze Dieudonné Ngangura, (Pièces d’identités) qui m’a procuré huit prix d’interprétation, Henri Duparc, prix du meilleur second rôle pour le personnage d’Emile dans Rue princesse, Owell Brown (Confidences sourdes), Diaby Lancine (La jumelle), Philippe Ramos (Capitaine Akhab, remake de Moby-Dik) tourné en Suède en 2006. On se souviendra de ma carrière ailleurs que dans mon pays. C’est triste ! C. S. : Quel est, à ton avis, la place du comédien au sein des professions artistiques ? De tous temps le comédien a toujours été présent dans toutes les sociétés occidentales. Les cours des grands monarques et même le grand Molière, avant de connaître la prison du Chatelet, avait enchanté avec sa troupe, malgré moult déboires, la cour du roi Soleil Louis XIV. De nos jours, le comédien ou l'acteur trouve sa place dans toutes les sociétés occidentales. Il jouit avec plénitude de sa notoriété qui le 141

situe souvent au-dessus des classes moyennes, surtout lorsqu’il dispose d’un pouvoir économique le mettant à l'abri de la précarité. Cela, dans la mesure où il occupe un volume d'emploi assez régulier, ce qui n'est pas le cas pour bon nombre des métiers du spectacle, d'où l'appellation « Intermittent du spectacle ». C. S. : Et la place du comédien africain en France ? Bien avant les années soixante, la France comptait très peu d'acteurs noirs dont la plupart étaient originaires du continent africain. Il faut dire que les auteurs français, souvent au-delà du racisme habituel, préféraient caricaturer les Noirs, surtout au cinéma. Les thèses étaient d'ailleurs très proches de celles de l'extrême droite... alors que les Noirs constituaient le contingent le plus important de figurants. Quant aux rôles qui leur étaient réservés, c'était le boxeur, le videur de boîte de nuit pour Blancs. On focalisait le choix sur votre visage, bien entendu, il devait être bien plus noir que du charbon. Si vous aviez une chance d'être engagé dans une production, il fallait qu'on vous maquille encore le visage, des dents bien blanches, un nez épaté, parfois à l'exagération. Surtout si vous deviez paraître aux cotés d'un acteur blanc ou d’une actrice blonde. Tout devait donner une image caricaturale du Noir, l'avilir le plus volontairement possible à travers le cinéma, afin de la rendre plus que négative. Je me souviens de cette remarque de Michel Roux, célèbre acteur et metteur en scène français. Il était de ceux qui se faisaient une certaine idée à déconsidérer les acteurs noirs. Cela s'est aussi vérifié avec la publication du livre mémoire de l'acteur Jean-Pierre Aumont qui n'avait pas hésité à stigmatiser les acteurs africains, se plaignant que certains fumaient de l'herbe dans les loges. Jean-Paul Aumont fut mon 142

partenaire dans Les Anges meurtriers de l'écrivain irlandais (O'Brien) au TNP. Il avait une attitude très équivoque pour ses partenaires noirs, dont moi qui était son secrétaire (Mamadou). Il interprétait, lui, le rôle de D. Hammarskjöld (le Secrétaire Général des Nations unies) qui avait trouvé la mort dans un accident d'avion au Congo. J'avais fini par rompre mon contrat en compagnie de Dominique Wims avec l'accord de Georges Wilson qui était alors le directeur du TNP. Je fus remplacé par un certain Wole Soyinka, le prix Nobel africain de littérature. Ce fut la catastrophe. On arrêta d'ailleurs les représentations. Aujourd'hui, certains acteurs noirs n'hésitent plus à tourner les fesses comme le ventilateur sénégalais. Gagner beaucoup de pognons, la célébrité, mais à quel prix ? Dans les années cinquante, l'écrivain Jean-Paul Sartre, prix Nobel de littérature fut le premier à écrire un rôle pour un acteur noir qui se trouvait être son ami Habib Benglia, un acteur sénégalais très talentueux. Il joua avec un immense succès le rôle du nègre dans la pièce La Putain respectueuse dont votre serviteur devait reprendre le rôle en 1968 au théâtre de L'Épée de bois dans le cinquième arrondissement. Pour un baptême je fus servi d'avoir l'auteur assis à deux mètres de la scène en compagnie de Simone de Beauvoir dans une mise en scène de Tania Balachova, mon professeur d'art dramatique. Le réalisateur de télévision dans les années soixante, l'inclassable, l'inimitable Jean Christophe Averty monta pour la télévision Les verts pâturages avec une distribution entièrement noire. Cette distribution provoqua la bronca de toute la presse, de Paris jusqu'à Marseille. Même la presse dite de gauche s'était jointe à cette curée. C'est alors que Jean Christophe Averty décida de quitter définitivement la 143

télévision et les Buttes Chaumont pour animer les émissions de jazz à radio France. J'eus le bonheur de jouer sous sa direction Impressions d’Afrique de Raymond Roussel avec Bachir Touré et même José Arthur. J'interprétais le personnage de Gaiz Du pour la télévision française. Le réalisateur Claude Bernard Aubert a vu sa carrière s'arrêter après le film Les lâches vivent d’espoir avec Douta et la regrettée comédienne Haïtienne Toto Bissainthe. Aucun producteur français ne voulait prendre le risque de produire un film avec un Noir en tête d'affiche. Certains ont tenté en confiant le rôle principal à un acteur noir, mais alors noir américain. Il faut avouer que la presse africaine est restée silencieuse pour ne pas dire complice de ces actes de discrimination. Pourtant, un footballeur, accueilli dans un stade avec des bananes et des cris de babouin, trouve en Afrique toutes sortes de réactions, toutefois avec une hostilité bon enfant, de peur de se faire taper sur les doigts, surtout quand on connaît un peu les véritables commanditaires de ces entreprises de presse. Bravo le cinquantenaire de l'indépendance. Voilà l'une des raisons pour lesquelles nos pays ne disposent plus de salles de cinéma. Le câble diffuse des films avec des bons acteurs blancs aux meilleures heures d'écoute, même quand ils sont Brésiliens, avec des bonnes noires. Tout de même, mais de qui se moque ces directeurs de chaînes de merde... qui diffusent du remue-fesses à longueur de journée comme un médicament à nous couler dans l'imbécillité débile ? Ailleurs, j'avais souvent entendu parler de l'exception culturelle. Ce qui est valable pour les autres ne l'est 144

malheureusement pas pour nous Africains. Le cinéma n'est pas seulement une question de gros sous, mais aussi des têtes d'affiche dont on nous prive à l’extérieur tout comme à l'intérieur de nos pays. Je ferai abstraction des autres pays européens, n'ayant fait mes classes uniquement que dans l'hexagone où un parti politique avait souvent été assez paternaliste avec le milieu artistique des Noirs en faisant des promesses jamais tenues. Je me souviens de cette réflexion de l'écrivain sénégalais Cheik Anta Dao qui disait à peu près ceci : « Nous avons planté l'arbre ensemble, maintenant que les fruits sont mûrs, nous n'y touchons que lorsqu'ils pourrissent » (La décision). Le comédien noir n'a occupé que quelques vulgaires strapontins qui n'assuraient ni sa promotion professionnelle ni son bien-être sur le plan économique. Le reproche que j'avais souvent fait, c'était cette espèce de mépris et le refus des animateurs de chaînes et d'émissions culturelles de recevoir nos artistes sur les plateaux de télévision. Cela nous a souvent privés d'un auditoire, non seulement de nos compatriotes, mais aussi de quelques sympathisants à nos revendications pour notre intégration sur le plan culturel. Je me souviens avoir décliné l'invitation de Mme C. Ceylac de la deuxième chaîne, ainsi que celle de M. Drucker en 2005 au FESPACO. Comme s'il fallait être sur la terre d’Afrique pour vous tendre la main, comme si on tendait une banane à un éléphant. C. S. : Et cette marginalisation complique davantage l’insertion des comédiens noirs en France ? Bien sûr ! On ne peut même pas parler d'insertion pour des minorités non visibles. J'ai parlé tout à l’heure de l'attitude stupide des animateurs des chaînes, toutes confondues, nationales et privées, qui n'acceptaient pas la présence d'acteurs noirs sur leur plateau. Il n'était pas possible, pour 145

beaucoup de gens, d'admettre que les artistes noirs pouvaient figurer dans l'espace médiatique des autres artistes. Un homme comme Marcel Mouloundji a peut-être été lui aussi discriminé avant de faire éclore son talent (Les disparus de saint Agil). De nos jours, les artistes maghrébins ont plus de possibilité d'évoluer, même dans la cour des grands (Djamel Debouze). Sous l’instigation de Calixthe Beyala, le collectif égalité fut, dans les années 90, un détonateur qui avait réuni un cortège de plus de deux mille personnes défilant de Montparnasse à Grenelle. Les Français n'avaient jamais vu autant de Noirs sur le macadam de Paris. La revendication portait sur l'insertion des journalistes et autres présentateurs sur les chaînes, même sur les plateaux de radio. On avait de même évoqué le problème des quotas. Chose qui était aussi une sorte de ghetto. C'est peut-être grâce à de telles mobilisations qu'on trouve aujourd'hui des animateurs tels Assane Diop, Amobe, Zephyrin Kouadio, Stephane Ndachigne, Jean-Baptiste Placa, Sophie Ekoue, etc. C. S. : Que peux-tu nous dire à propos des cachets ? Le domaine des cachets reste toujours une affaire personnelle selon la notoriété de chacun. Il peut se négocier de gré à gré par l'intermédiaire de l'agent de l'artiste, s'il en possède un. Ce dernier, suivant les accords avec son poulain, négocie avec les producteurs et perçoit dix pour cent du montant global du cachet. Il est dévoué à la promotion de son poulain pour qui il se rend dans tous les milieux mondains, afin de recueillir le maximum d'informations sur les projets en préparation. Il assure également sa protection juridique. En général, ce sont d'anciens comédiens conscients de bien œuvrer pour aider certains comédiens en début de carrière. La 146

convention collective exige une trentaine de représentations au théâtre. En cas de représentations à plus de 60 kilomètres de son domicile, l'artiste perçoit en plus de son salaire un défraiement de 50.000 FCFA par jour. Il est payable en espèces non imposables. La rémunération des acteurs reste toujours un secret, surtout quand on aborde le domaine du cinéma. Bien entendu, il ne saurait être question qu'un acteur noir, quelles que soient sa notoriété et l'importance de son rôle, prétende au salaire que le producteur donne à une tête d'affiche. Très souvent, les salaires des artistes sont discutés par des agents. Chacun est libre de faire du gré à gré pour son poulain. Au théâtre où les budgets étaient très minces, tous les acteurs pouvaient alors prétendre au même cachet journalier, mais à condition de respecter la convention collective dont l'exigence devait absolument s'appliquer à tout entrepreneur de spectacle, c'està-dire trente représentations par mois. Le cas de radio France était particulier ; les artistes dramatiques étaient rémunérés suivant leur catégorie. Le système dans le passé exigeait des auditions, puis l'attribution d'une carte catégorielle ainsi que le changement de catégorie si l’acteur en faisait la demande chaque fin d’année. Actuellement, je suis hors catégorie, 4e échelon. Un bon cachet tout de même... mais à condition qu'il existe un répertoire pour les acteurs noirs... C. S. : Et les metteurs en scène africains en France s’en sortent-ils ? J'ai connu très peu de metteurs en scène noirs pouvant disposer de moyens, mais également de lieu pour présenter leurs spectacles. On compte peu de noms sur la liste. Citons l'Américain Mevil Van Peebles, Amedee Laou, et le Mauritanien Med Hondo qui s'étaient essayés à monter des pièces de théâtre, mais le manque de soutien et d'espace 147

culturel les a obligés à mettre la clef sous la porte après une dizaine de représentations. On ne peut pas affirmer que la presse était hostile, mais elle faisait toujours le jeu de ceux qui fermaient le stylo, pas de promotion donc pour ces derniers. Les banlieues étaient souvent les lieux où ils pouvaient montrer leur travail à un public souvent d'immigrés. Personnellement, j'ai toujours été choqué de voir le manque de soutien des journaux français aux artistes de couleur. Je me souviens du tournage du film de Melvil Van Peebles avec Nicole Berger. Nous avons, nous acteurs noirs, été maquillés en Balubas, le torse nu en plein hiver, du côté de Epinay, pour l'aider à tourner, sans salaire surtout ; aucune production française n'avait accepté de financer le film. Aujourd'hui, on s'arrache le cinéaste américain après le succès de Bad Bad Badness. En fait, il n'y a pas de miracle. Dans le cas particulier d’un comédien comme moi, pour réussir dans ce milieu, il faut beaucoup travailler pour être toujours prêt, avoir du talent, prier et avoir de la chance. Et lorsqu’on vous sollicite, tout est dans le travail, la compréhension et la possession d'un personnage. Et c’est toujours mieux s’il est en osmose avec votre physique et votre tempérament. Le directeur d'acteur ou le réalisateur devrait assumer et ne pas chercher midi à quatorze heures le mot juste pour vous donner une indication de jeu. Le bon acteur, il aime varier son jeu ; il aime aller d’un personnage à l’autre. Moi, par exemple, j’ai été catalogué dans les films policiers, et même à la radio où le jeu réside uniquement dans la voix qu'il faut souvent moduler suivant les circonstances d'une enquête. Dans L'appât du gain, le colonel Defossoh, c'était moi, votre serviteur. Mais dans Romancero, j'étais une épave dans Ciudad de Panama pour l'émission au théâtre ce soir de Pierre Sabbagh. J’interprétais le rôle d’Alléluia, le rabatteur pour Geneviève Fontanelle qui interprétait celui de la prostituée. 148

Références 1. Un comédien en colère. Dans « Ici les gens du Cameroun », N°12, janvier 2005. 2. Celui qui a mal tourné. Dans « Sud plateau », N°0016, juin 2003. 3. L’hommage du Cameroun au comédien Gérard Essomba. Dans « Cameroon Tribune » du 09 novembre 2007. 4. J’ai encore de belles années devant moi. Interview dans « Cameroon Tribune » du 13 janvier 2004. 5. Gérard Essomba, comédien engagé. Dans « Nanterre info », octobre 2002. 6. « J'interpelle le peuple pour qu'il soit vigilant ». Entretien d'Yvette Mbogo avec Gérard Essomba à propos de L'Enfant peau rouge. Entretien publié le 15|08|2006 par Yvette Mbogo dans « Africultures ». 7. Entretien avec Gérard Essomba Many Cahier d'un retour au pays natal. Entretien publié le 05|04|2010 par Jean-Marie Mollo Olinga sur AFRICINÉ.ORG 8. Interview de Gérard Essomba. « Mon âge me donne le droit de dénoncer certains abus », entretien publié le 17|05|2006 par Jean-Marie Mollo Olinga. 9. Fictions TV : des Noirs dans l'ombre. Marie-France Malonga, publié sur « Africultures », le 01/04/2000. 10. Écrans blancs pour acteurs noirs. Paru dans « Jeune Afrique » mis en ligne le 13 septembre 2008. 11. Paradoxe sur le comédien. Essai rédigé sous forme de dialogue par Denis Diderot entre 1773 et 1777 et publié à titre posthume en 1830.

Annexes Entretien avec Gérard ESSOMBA MANY Cahier d'un retour au pays natal Plus connu à l'extérieur qu'à l'intérieur de son pays, Gérard Essomba Many, l'un des comédiens africains les plus distingués, et qui a côtoyé les plus grands dans son domaine tant sur les planches, au théâtre, que sur les plateaux de tournage, au cinéma, a décidé de rentrer définitivement au Cameroun, en mai 2009. Mais son installation ne semble pas se dérouler selon ses vœux. Il en parle, comme à son habitude, à cœur ouvert, mais avec la dent dure. Vous êtes considéré comme un monstre sacré du cinéma et du théâtre africain, pouvez-vous nous expliquer ce qui vous a amené à ces métiers ? Quand j'étais gamin, j'étais très impressionné par ce que faisaient les Blancs à l'écran et je voulais faire comme eux. J'en avais fait la promesse à mon père qui me décourageait en disant que les Noirs ne sont pas des acteurs. Je lui avais dit que j'allais tout de même essayer. À Douala, au collège Molière, j'avais rejoint la troupe théâtrale de l'école. Une fois à Paris où j'étais allé rejoindre mon frère étudiant en médecine, je n'avais aucune intention de renoncer au métier de comédien qui m'attirait irrésistiblement. Mais, j'ignorais qu'il fallait d'abord passer par un centre de formation. C'est ainsi que je me suis inscrit au cours d'arts dramatiques de la Russe Tania Balachova. De là, mon amour pour la Russie et sa musique ; une Russie qui a eu des Noirs dans sa cour [dont Pouchkine, ndlr]. Balachova était l'épouse de Raymond Rouleau, sociétaire de la Comédie française. C'est lui qui va

me choisir pour monter sur scène interpréter le rôle du Nègre dans la pièce de Jean-Paul Sartre intitulée « La putain respectueuse ». Il avait écrit ce rôle pour Habib Benglia, un acteur français d'origine algérienne, seul acteur noir dans les années cinquante à Paris, bien que, longtemps avant lui, il existât aussi le Chevalier de Saint Georges à qui Marie Antoinette voulait confier la direction de l'Opéra de Paris. Habib Benglia s'était désisté, du fait de comédiens qui ne l'acceptaient pas. Dans « La putain respectueuse », je fus remarqué par un de mes partenaires, Roger Hanin. C'est chez lui que, pour la première fois, j'ai vu des Blancs boys chez des Blancs. Il était l'époux de Christine Gouze-Rénal, la sœur de François Mitterrand, et la plus grande productrice de l'époque. À la même époque, l'on vous a également entendu à la radio… Oui, parallèlement, j'ai interprété le personnage de Saint Georges à France Culture. Grâce à la radio, j'ai connu le célèbre Pierre Billard qui animait l'émission MystèreMystère, puis L'anthologie du mystère, Le roman des renards, etc. Je tiens à parler de mon passage à la radio pour montrer son importance dans la formation d'un acteur ; elle lui donne la possibilité de s'écouter. Ma carrière est donc partie sur plusieurs fronts. Elle m'assurait déjà mon quotidien, pendant que je poursuivais ma formation. Vous jouiez très tôt sur plusieurs tableaux, et cela ne devait pas plaire à tout le monde à l'époque… Ma carrière s'est très vite mélangée entre cinéma, théâtre et télévision. En télé, j'ai notamment joué dans deux films de la série "Au théâtre ce soir" de Pierre Sabbagh, avec pour décor le port de Panama : "Romancero" et "Le nu au tambour". 152

Dans Romancero, je jouais le rôle d'Alléluia, rabatteur chez une pute française au port de Panama. Dans Le nu au tambour, je jouais Napoléon, un adventiste du septième jour. Ces deux pièces m'ont beaucoup marqué. J'aurais pu devenir une star, si la couleur de ma peau ne m'avait pas handicapé, les journalistes français ne supportant pas de voir un acteur noir devenir tête d'affiche. Je l'ai constaté dans Marco Millions, une pièce de théâtre où j'ai interprété Kubilaï Khan, empereur mongol dont la petite-fille s'appelait Koukatchine. Cette pièce avait été montée par Marie-Claire Vallène, très progressiste, qui m'avait retenu après casting. Je me suis heurté à l'hostilité imbécile d'une certaine presse française qui n'avait pas arrêté d'invectiver Marie-Claire Vallène pour avoir confié le rôle de Kubilaï à un acteur noir, alors que tout le reste de la distribution était blanche. Certains de mes partenaires marquaient la même hostilité à mon égard, alors que le cachet qu'on me payait était ridicule, que j'aurais pu me construire un château comme Eto'o. Comment arrivez-vous sur le film qui vous révèle aux Africains du continent, "La légion saute sur Kolwezi" ? Quand j'arrive sur le casting, j'ai déjà un background tel qu'on pouvait me proposer des rôles aussi bien au cinéma, au théâtre qu'à la télévision. J'étais déjà âgé de 40 ans. J'avais incarné avec bonheur le docteur Biakombo. J'y avais joué avec de très grands acteurs tels que Mimsy Farmer, Bruno Crémer qui, soit dit en passant, joue depuis vingt ans la série culte, Maigret. Je pensais qu'en revenant définitivement dans mon pays, je pouvais, moi aussi, prétendre être tête d'affiche d'une série télé digne de ce nom, pas forcément celles que je vois à Canal 2 ou à la CRTV (deux chaînes camerounaises, ndlr). 153

Vous décidez maintenant ?

de

rentrer

au

bercail,

pourquoi

C'est pour des raisons familiales. Si on regarde un peu l'histoire de ce pays, si on respecte les traditions et l'histoire, je devrais me faire introniser duc de Mvog-Ada (un quartier du centre-ville de Yaoundé, ndlr). Car il y a 103 ans, mon grand-père, Many Ewondo Barthélémy, se faisait pendre ici même par les Allemands. Mon oncle Raphaël Onambélé Ela, historien et ancien ministre, deux semaines avant sa mort, me confia : "Grand-père Many Ewondo avait demandé à être baptisé sous le prénom de Barthélémy. Il est monté au gibet la tête haute, le regard interrogateur sur ses bourreaux. Aujourd'hui, on ne sait plus où se trouve sa tombe ; on sait seulement qu'il a été enterré en catimini à Mvolyé (quartier situé à la périphérie du centre-ville de Yaoundé et abritant le plus grand site chrétien catholique de la capitale camerounaise, ndlr)". Toutes ces choses m'ont donné envie de revenir. Par ailleurs, je suis propriétaire de quatre hectares de terrain à Mvog-Ada. Je vais donc me lancer dans les affaires, en faisant monnayer mes terres. Allez-vous aussi vous engager dans la politique ? J'ai envie de rentrer dans la vie publique camerounaise. Je ne dis pas que la politique ne m'a jamais effleuré, j'y suis depuis mon enfance, parce que mon père, Essomba Many Antoine, l'un des tout premiers maires de la ville de Yaoundé, était aussi secrétaire général du parti socialiste camerounais, l'USC, qui comprenait des personnalités comme Okala Charles, Amos Ngankou, etc. J'ai découvert la politique à presque 11 ans, à Maroua, où j'ai rencontré Ahmadou Ahidjo et Félix Moumié en 1951. J'ai

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même assisté à la gifle magistrale que Moumié a administrée à Ahidjo au domicile de mon père. Les deux hommes étaient idéologiquement opposés. Ahmadou Ahidjo, conservateur, était pour l'autonomie interne. Moumié, Upéciste [membre de l'UPC, Union des Populations du Cameroun, ndrl], voulait l'indépendance totale. Qui des deux avait raison ? Je ne voudrais pas épiloguer là-dessus. Comment s'effectue votre installation ? Pas comme je l'aurais souhaité, car je suis toujours dans une situation précaire. Je dors le dos tourné au ministère de la Culture, parce qu'un acteur de mon niveau mérite quand même un peu plus d'égards au niveau du logement, du véhicule et même de l'enveloppe devant accompagner mes quatre décorations de l'État camerounais. Enveloppe qui ne m'a jamais été remise. Je voudrais rappeler que le Bicentenaire de la Révolution française a eu pour tête d'affiche l'acteur comédien Gérard Essomba, entouré pour la circonstance de 270 comédiens sénégalais du Théâtre Daniel Sorano de Dakar. Et le film tiré de ce spectacle joué devant quarante chefs d'État de la Francophonie atteste quand même que, de nos jours, je fais partie des meilleurs acteurs du continent. Hélas ! Personne, dans l'entourage de Paul Biya, composé pourtant d'énarques, lors de son dernier passage à Bordeaux, n'a attiré son attention lorsqu'il visitait le Musée de l'Esclavage, que Toussaint Louverture, le libérateur de Saint Domingue, devenu Haïti après l'indépendance, a été incarné par Gérard Essomba qui se trouve dans sa ville de Yaoundé.

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Depuis votre arrivée, à quoi vous attelez-vous ? À la mise en place du Many School Drama (MSD). C'est un centre de formation de jeunes acteurs que nous allons recruter après des tests que nous organiserons sur tout le territoire national, avec des femmes et des hommes chevronnés et pédagogues. Voyez-vous, nous ne pouvons pas disposer de télé ou de cinéma compétitifs si nous ne disposons pas d'acteurs de haut niveau. Tous les autres pays africains, dont le Tchad et le Gabon, avec moins de potentialités que nous, font énormément d'efforts pour cette forme de culture. Comment comptez-vous résoudre la sempiternelle équation du financement de telles structures ? Il y a quelques années, j'avais fait remarquer à Issa Hayatou, le président de la Confédération africaine de football (CAF) rencontré au Caire, que les recettes des matchs de foot engendrent beaucoup d'argent. Je lui avais alors proposé de reverser, ne serait-ce que 1% des recettes de tous les matchs de foot de la CAF disputés sur le continent dans une caisse qui reviendrait à la culture ; pas à l'université, mais à l'art. Ces moyens permettraient au continent d'être moins dépendant du Nord. Je tends toujours la main à M. Issa Hayatou et j'attends sa réaction, tout comme celle du secteur public et du secteur privé, car l'État seul ne peut pas subvenir à nos besoins artistiques. Je mène ce combat avec une équipe de femmes et d'hommes dévoués tels que le cinéaste Arthur Si Bita qui est le directeur de ce centre de formation, et qui aura, en même temps, à s'occuper du cinéma, si toutefois les différents ministres auxquels nous nous sommes adressés veulent bien nous accorder une certaine attention.

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Pendant le mois d'août 2009, vous avez animé pendant trois semaines, au Centre culturel français de Yaoundé, un atelier de formation au théâtre. Quel en est le bilan ? C'est un bilan positif. Je suis satisfait de l'engouement manifesté par les jeunes. Au départ de cette initiative, JeanMichel Kasbarian, le conseiller culturel de l'ambassade de France au Cameroun. Une idée qui rencontre la mienne. Nous avons, au départ, proposé des jeunes entre 15 et 18 ans. Très vite, nous avons été débordés par des jeunes de tous âges, dont la plupart venaient de l'université de Yaoundé I. Il y avait même des adultes. Ils étaient ponctuels, assidus, ce qui nous a permis de constituer une petite famille qui n'espérait pas se quitter au bout de trois semaines. Elle s'est promis de se revoir ; c'est mon plus grand espoir. Depuis que vous êtes là, quel est votre regard sur la gestion de la culture au Cameroun ? C'est vraiment le grand paradoxe. Nous avons des jeunes qui se lancent à corps perdu dans la réalisation au Cameroun et dans la diaspora. Nous avons de grands acteurs dans la diaspora : Eriq Ebouaney, Maka Kotto, Félicité Wouassi, etc., alors que sur place, il n'y a plus de salle de cinéma, sinon des vidéos clubs où tout peut se passer. Notre pays a les moyens de construire de véritables salles de cinéma. L'État, premier vecteur de développement dans un pays, doit donner l'exemple. Et il n'y a pas d'antinomie entre État et privé pouvant empêcher qu'ils s'associent ; le privé doit avoir un cahier des charges après avoir reçu des fonds de l'État, qui a un droit de regard sur ces fonds, y compris ceux qu'il pourrait donner à un réalisateur pour faire un film. Mal les gérer équivaudrait à un détournement de fonds, à une escroquerie.

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Le privé peut aussi avoir ses propres expériences. Exemple : Bollywood qui pose des problèmes à Hollywood. C'est l'intelligence des hommes d'affaires indiens qui permet à ce grand pays de se situer au rang des grandes puissances économiques, mais aussi culturelles. C'est l'apport du privé au développement d'un pays. Que nous, Camerounais, ne côtoyions pas les Indiens seulement dans le commerce de la pacotille, mais aussi au cinéma ! La Chine également, d'ailleurs. La gestion de notre culture n'est pas tellement différente de celle de ces cinquante années en politique. Je ne vois pas beaucoup de grands effets positifs. Nous avons fait l'ascenseur qui monte et qui redescend. Est-ce dû au manque de maturité qui ravale la politique à une vache à lait qui permet d'avancer socialement et économiquement ? Je reste dubitatif quant à l'amélioration même du niveau de vie. Pourtant, les États généraux de 1991 avaient laissé augurer un bel avenir… Les États généraux de la culture en 1991 étaient un échec. Et c'était prévisible, dans un pays où des esprits malsains avaient vite fait de calculer le nombre de francs CFA qu'il y avait dans le budget. Les artistes y avaient été noyés par des professeurs d'université qui y tenaient un langage incompréhensible de Senghor et de Césaire. J'en suis sorti vide comme j'y étais entré. Il n'y a pas eu de statut de l'artiste ; pas de convention collective, ce qui a créé la confusion dans laquelle nous pataugeons aujourd'hui, où des artistes se retrouvent en train de réclamer des droits d'auteur. Ceux-ci qui n'appartiennent qu'à celui qui a écrit, réalisé et déposé une œuvre. Il y a nécessité absolue de créer une convention collective, car l'artiste a non seulement des droits, mais aussi des devoirs. Il mérite une pension retraite, une 158

sécurité sociale qui puissent lui permettre de vivre décemment, même quand il ne travaille pas. L'appropriation de son image constituera l'une des batailles du 21e siècle. Mais l'importance de ce combat semble échapper aux Africains en général et aux Camerounais en particulier. Comment pouvons-nous y remédier ? Le troisième millénaire est celui qui va imposer les images d'une partie du monde au reste du monde, qui ne reçoit ses images que du Nord. On pourrait partir des images comme celles de Tarzan. Notre continent est pourtant plus que chargé d'histoires, d'histoires à donner au monde. Notre continent possède les meilleurs sites touristiques que le monde entier lui envie. Mis à l'image par nous-mêmes, avec les concours des ministères du Tourisme et des États, notre continent donnera une image moins misérabiliste que celle que lui donne le Nord. Comme me disait ma grand-mère, "on ne souffle pas la chaleur dans la cuillère du voisin". Vous êtes l'un des acteurs africains les plus couronnés. De toutes vos distinctions, quelles sont celles qui vous ont le plus marqué ? Sur les neuf prix d'interprétation que j'ai glanés ici et là, le premier est pour moi inoubliable. C'est comme lorsque vagit un enfant : c'était le prix du Meilleur second rôle, en 1995, en Afrique du Sud, avec Rue Princesse d'Henri Duparc, où j'interprétais le rôle d'Émile qui passe ses nuits dans des bordels. Il m'a permis d'entendre, pour la première fois, "The winner is… Gérard Essomba". Je croyais rêver. Et en plus, c'est Louis Gosset Junior, en personne, qui m'a remis le trophée. En 1998, j'ai été nommé Meilleur acteur du continent africain avec Pièces d'identités de Mweze 159

Ngangura. À lui tout seul, ce film m'a rapporté huit prix d'interprétation internationaux qui vont d'Amiens, Barcelone, à Los Angeles, Rio de Janeiro, etc. Il a été traduit en bon nombre de langues, même en arabe. Mais, jamais, mon pays n'a été derrière moi. J'étais déjà orphelin de père en partant du Cameroun, je me suis retrouvé orphelin d'une nation. Entretien réalisé par Jean-Marie Mollo Olinga

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PARCOURS ARTISTIQUE DE GERARD ESSOMBA 1. Rôles interprétés au théâtre TROIS PRETENDANTS UN MARI ms, AMBROISE M'BIA. SANS RETOUR NI CONSIGNE 1986 ms GERARD MOREL théâtre de TOURNON, rôle de JOE. TOM PAINE, 1974, ms KEPA AMOUCHESTEGUI, rôle du général BURGONE TNS. LE CYCLE DU CRABE 1975, ms JEAN DUROZIER, théâtre de AUCH, rôle du Brésilien. LA DISPUTE DE MARIVAUX, 1996, théâtre de DIJON, rôle de MESROU. MARCO MILLIONS, 1975, ms MARIE-CLAIRE VALLENE, rôle de KUBILAÏ KHAN, théâtre de l'OUEST et de la ROCHELLE. ROMANCERO, 1986, ms RAYMOND GERÔME, théâtre Marigny, rôle d’ALLELLUA. LE NU AU TAMBOUR 1974, théâtre MICHEL, rôle de NAPOLEON, adventiste du 7e jour. SUD de JULIEN GREEN, 1998, rôle de oncle John, ms de PASCEL LUNEAU, avec ANTHONY DELON, ISABELLE PASCAUD, JEAN-CLAUDE BOUILLON. AUTANT EN EMPORTE LE VENT, ms DANIEL BENOIN, théâtre Marigny, avec GABRIELLE LAZURE et DANIEL OLBRICHSKI, JEAN-CLAUDE BOUILLON, 1986.

L'ÉCOLE DES DICTATEURS, 1993, Théâtre du LUCERNAIRE ms, CHRITIAN LEGUILLOCHET, rôle de l'évêque. THÉÂTRE RADIOPHONIQUE/ CONCOURS INTERAFRICAIN RFI/FRANCE CULTURE AVEC PIERRE BILLARD, série policière mystère-mystère. 2. Filmographie LA FLEUR DANS LE SANG, réal : URBAIN DIA MOUKOURI, 1963. Rôle du peintre. L'ORDRE ET LA SECURITE DU MONDE, réal : CLAUDE DE ANNA. 1978, rôle du fonctionnaire de l'OTOA. LA LÉGION SAUTE SUR KOLWEZI, 1979, réal : RAOUL COUTARD, rôle du docteur BIA KOMBO. RUE PRINCESSE, 1993, réal : HENRI DU PARC, rôle d’EMILE, chef d'entreprise. PIÈCES D'IDENTITÉS, 1998, réalisation : MWEZE DIEUDONNE NGANGURA, rôle de MANI KONGO. Huit prix d'interprétation, dont PRETORIA 1998. CAPITAINE ACKHAB, 2006, réal : PHILIPPE RAMOS, tourné en Suède, rôle du marin. RED. De MOBY-DICK 2006. LA JUMELLE, 1996, réal : DIABY LANCINE, rôle du maire 1996. LES COOPÉRANTS, 1982, réal, ARTHUR SI BITA, rôle de NTI. L'APPÂT DU GAIN, 1979, réal : JULES TAKAM, rôle du colonel DEFOSSOH. Film policier. MAMY-WATA, 1989, réal : MOUSTAPHA DIOP, rôle du ministre ONONOU. 162

LA FILLE AU DIAMANT, 1996, réal : JEAN-LOUIS KOULA, rôle du général président renversé. Jamais terminé à ce jour. LE RETOUR DES TROIS BRACELETS, 1996, réal : YEO rôle de l'avocat de Michel GOWOU. DARESALAM, 1999, réal SERGE COELO, rôle du général ADOUM. CONFIDENCES SOURDES, 1998, réal : OWELL BROWN. LES VEUVES VOLONTAIRES, réal : Alphonse Beni, 2011. 3. Les rôles dans les séries télévisées IMPRESSIONS D'AFRIQUE, 1974, réal : CHRISTHOPHE AVERTY, rôle de GAIZ DU.

JEAN

LA TRIBU, 1964, réal : JEAN-PAUL SASSY, rôle d’ASSALDAME, chef de la TRIBU. LE MYTHOMANE, réal : MICHEL WYN, rôle du colonel BANGUI-BANGUI. LE CHARME DISCRET DE LA BOURGEOISIE, 1996. Réal : DANIEL VERHAGUE, rôle de SAM. TOUSSAINT LOUVERTURE, 1898, réal : CLAUDE MOREAU, rôle de Toussaint Louverture. ROMANCERO, 1986, réal : PIERRE SABBAGH, au théâtre ce soir, rôle d’ALLELLUIA. LE NU AU TAMBOUR, réal : PIERRE SABBAGH, rôle de NAPOLEON, adventiste du 7e jour, au théâtre ce soir. LES CONTES DU ROI SINGE 1975, rôle du roi singe FR3 LYON.

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3. Prix et récompenses 1. RUE PRINCESSE, 1993, réal : HENRI DU PARC, rôle d'EMILE, chef d'entreprise. Prix du meilleur second rôle 1995 à Johannesburg. 2. PIÈCES D'IDENTITÉS, 1998, réalisation : MWEZE DIEUDONNE NGANGURA, rôle de MANI KONGO. Huit prix d'interprétation : Barcelone, Pretoria, dont Pretoria 1998.

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TABLE DES MATIÈRES Remerciements ....................................................................... 5 Avant-propos ........................................................................ 11 Séquence première Gérard Essomba Many : le passeur, la transition ............................................................................... 19 Séquence II Les acteurs noirs en France : d’Habib Benglia à Gérard Essomba. D’une époque à l’autre, même combat ... 23 Séquence III Être acteur : passion et désir d’enfance .......... 29 Séquence IV En France à 20 ans, bourré d’ambitions ......... 33 Séquence V Gérard Essomba : l’acteur africain au cœur du métier .................................................................................... 37 Séquence VI Les films radiophoniques ............................... 43 Séquence VII Gérard Essomba au théâtre ........................... 47 Séquence VIII L’art du jeu au théâtre : la méthode Gérard Essomba ................................................................................ 63 Séquence IX Au cinéma et dans les séries télévisées .......... 69 Séquence X La voix et le corps qui jouent .......................... 95 Séquence XI Prix et distinctions .......................................... 99 Séquence XII Frustrations ................................................. 103 Séquence XIII Retour au pays natal .................................. 109 Séquence XIV Gérard Essomba : réalisateur..................... 113 Epilogue .............................................................................. 121 Gérard Essomba parle ......................................................... 123 Références .......................................................................... 149 Annexes .............................................................................. 151 PARCOURS ARTISTIQUE DE GERARD ESSOMBA ... 161

Cinéma et Photographie aux éditions L’Harmattan Dernières parutions image (L’) numérique au cinéma Historique, esthétique et techniques d’une révolution technologique

Lemieux Philippe

Depuis l’avènement des technologies informatiques, une nouvelle sorte d’image existe : l’image numérique. Créée à l’aide de l’ordinateur, cette image de synthèse fera la rencontre du 7e art ; elle transformera le cinéma. L’esthétique de l’image, les méthodes de production, les possibilités expressives du média et même la mise sur le marché des films en seront profondément bouleversés. (Coll. Champs visuels, 27.00 euros, 268 p.) ISBN : 978-2-296-99493-5, ISBN EBOOK : 978-2-296-50725-8 Au bout du rêve – La Belle au Bois Dormant de Walt Disney

Bosc Michel

Après une période de purgatoire, La Belle au Bois Dormant a pris place au panthéon des chefs-d’oeuvre de Walt Disney. Cette réussite est survenue après une longue maturation semée d’embuches et de défis de toutes sortes. Cet ouvrage propose de la situer dans le parcours personnel de Walt Disney et dans la production des studios. Il tente enfin de cerner l’influence du film dans l’oeuvre des productions Disney et au-delà. ISBN : 978-2-296-99495-9, ISBN EBOOK : (15.50 euros, 152 p.) 978-2-296-50735-7 Andrei Tarkovski – Spatialité et habitation

Devidts Pierre

Entre Solaris et Le Sacrifice, Andrei Tarkovski a élaboré une nouvelle manière de représenter la spatialité au cinéma. Cet ouvrage tente de décrypter ce phénomène de l’habitation comme structure et valeur constituante des films du cinéaste. (Coll. Champs visuels, 13.50 euros, 128 p.) ISBN : 978-2-296-99664-9, ISBN EBOOK : 978-2-296-50607-7 Cinéma et audiovisuel latino-américains – L’indien : images et conflits

Mateus Mora Angélica María

Voici une étude de l’image de l’Indien et du monde indien dans l’histoire du cinéma et de l’audiovisuel latino-américains, plus particulièrement colombiens. Sont mises en évidence les transformations de cette image depuis les premiers films de «découverte» jusqu’à l’appropriation contemporaine

du cinéma et de la vidéo par les cultures indiennes, permettant l’expression critique des formes de domination politique, économique, sociale et culturelle. (Coll. Champs visuels, 27.00 euros, 272 p.) ISBN : 978-2-296-99706-6, ISBN EBOOK : 978-2-296-50529-2 Indiens du Brésil – (in)visibilités médiatiques

Thomas Erika

Cet ouvrage interroge la circulation des images ambivalentes de l’indien du Brésil. à partir de l’analyse de films documentaires et de grands classiques de la fiction cinématographique brésilienne, l’auteur problématise l’écart entre la représentation stéréotypée et instrumentalisée de l’Autre et l’expression d’un Soi indigène qui questionne l’historiographie, l’ignorance de la société brésilienne et qui se constitue comme une quête de reconnaissance et de visibilité. (Coll. Audiovisuel et communication, 20.00 euros, 202 p.) ISBN : 978-2-336-00289-7, ISBN EBOOK : 978-2-296-50651-0 Mouchette, de Robert Bresson Ou le cinématographe comme écriture

Weyl Daniel

Mouchette conte le calvaire en milieu rural d’une adolescente misérable qui, ayant perdu sa mère après avoir été violée par un braconnier, se suicide. Il ne s’agit pas, comme dans le roman de Bernanos qui l’inspira, de complainte apitoyée. Ce n’est pas davantage un plaidoyer contre le viol, ni même une enquête psychosociologique qui ferait sa part à la complexité mais un poème dédié à la grandeur de l’âme humaine. (Coll. Champs visuels, 15.50 euros, 154 p.) ISBN : 978-2-296-96276-7, ISBN EBOOK : 978-2-296-50196-6 Murnau – Ou les Aventures de la pureté

Hodin Claude

A travers une série d’études sur les films de F. W. Murnau, consacrées à divers aspects de l’oeuvre de ce grand cinéaste, on voit se manifester l’obsession d’une pureté qui ne peut donner lieu à des films que sous des formes qui la compromettent et la dénoncent - comme le givre, disait Cocteau. Peut-on donc filmer la pureté ? Murnau nous montre que tout peut être sujet à apparition, y compris la transparence. (Coll. Champs visuels, 21.00 euros, 216 p.) ISBN : 978-2-296-99667-0, ISBN EBOOK : 978-2-296-50335-9 Werner Shroeter (Volume 1)

Courant Gérard

Petite intrusion dans l’univers incandescent de Werner Schroeter a été filmé à l’occasion de la rétrospective que le Centre Pompidou a organisé en décembre 2010 et janvier 2011 en son honneur. In Memoriam Daniel Schmid Werner Schroeter est la captation de deux hommages consacrés à ces deux cinéastes amis décédés, le premier, en présence d’Ingrid Caven, Bulle Ogier et Renato Berta, le second, en présence d’Isabelle Huppert et Serge Toubiana. (25.00 euros, 0 p.) ISBN : 9782-296-56732-0

Werner Schroeter (Volume 2)

Courant Stéphane

À l’occasion de la présentation du Règne de Naples à la Quinzaine des Réalisateurs du Festival de Cannes 1978, puis à la suite de son Ours d’or remporté au Festival de Berlin 1980, avec Palermo oder Wolfsburg, Werner Schroeter a accordé deux entretiens audios à Gérard Courant, qui a mis ces bandes sonores en images en utilisant des photos, affiches, programmes, extraits de films et collages... Avec en bonus un document rare  : une des dernières apparitions du cinéaste à Paris. ISBN : 9782-296-56733-7 (25.00 euros, 0 p.) Jean Rouch Des mensonges plus vrais que la réalité

Richard Jacques

Quelques mois avant sa disparition tragique au Niger, Jean Rouch, inventeur du « cinéma vérité », évoque avec émotion son enfance, son père, la nouvelle vague, la cinémathèque française et… Henri Langlois. Aspirant au « merveilleux permanent », Jean Rouch raconte son « paradis perdu » et son goût pour « le vent de l’éventuel »... (20.00 euros) ISBN : 978-2-296-57456-4 Cinéma ma belle intrigue

Richard Jacques

Depuis plus de cent dix-sept ans ans, le cinéma fait rêver les foules, mais qui connaît vraiment l’envers du décor ? La façon dont se tourne un film de fiction ? En quoi consiste le travail de chacun des membres d’une équipe ? Des professionnels du cinéma français répondent aux questions, décrivent leurs gestes, invitent à comprendre le sens profond de leur métier : Claude Lelouch, Darius Khondji, Gilles Taurand, Christine Gozlan, Alain Depardieu, Valérie Pozzo di Borgo... ISBN : 978-2-296-57449-6 (20.00 euros) Photographies et photographes

Bazin Philippe

Dans ce livre, Philippe Bazin s’interroge sur la photographie. D’abord, il articule des études techniques - la couleur - à des recherches historiques - à propos des relations entre médecine et photographie au XIXe siècle - et à des analyses esthétiques - à propos du « coup d’oeil » ou encore de Picasso et Brassaï. Puis, il s’intéresse à des photographes dont les oeuvres lui semblent éclairer la sienne (Larry Clark, Andreas Gursky, Albert Londe, Frédéric Lefever, Éric Nehr, Clarisse Bourgeois, Gérald Deflandre et Gérald Garbez). (Coll. Eidos Série Photographie, 16.50 euros, 164 p.) ISBN : 978-2-296-99167-5, ISBN EBOOK : 978-2-296-50321-2 Écrits sur images Sur Philippe Bazin

Vollaire Christiane

Dix-huit auteurs, parmi lesquels Bernard Lamarche-Vadel, Thierry de Duve, Georges Didi-Huberman ou Alain Brossat, sont réunis dans cet ouvrage pour

interroger l’oeuvre du photographe Philippe Bazin. Ils nous poussent à poser sur ce travail une double question dans le champ de l’art contemporain : que signifie faire oeuvre ? Que signifie exposer ? (Coll. Eidos Série Photographie, 28.00 euros, 280 p.) ISBN : 978-2-296-99165-1, ISBN EBOOK : 978-2-296-50326-7 Face à faces

Bazin Philippe

L’institutionnalisation généralisée de tous les moments de l’existence a transformé la vie des hommes au XXe siècle, créant, après la Seconde Guerre mondiale, une situation inédite. Le travail photographique de Philippe Bazin se veut critique de cette transformation, que ce soit à travers un ensemble de faces photographiées dans des lieux institutionnels ou à travers différents projets à caractère documentaire. (Coll. Eidos Série Photographie, 13.50 euros, 122 p.) ISBN : 978-2-296-99166-8, ISBN EBOOK : 978-2-296-50334-2 Oedipe roi de pasolini – Poétique de la mimèsis

Bernard de Courville Florence - Préface d’Hervé Joubert-Laurencin

A partir d’une analyse de l’adaptation par le cinéaste italien Pasolini du mythe d’Oedipe, cet essai montre de quelle manière s’y joue un double désaveu mimétique : le pouvoir de la répétition ; un secret est dérobé aux images comme à la conscience, vers lequel convergent les forces qui animent le film et le «sujet» de l’écriture. Cet essai se tient au plus près de la puissance donatrice et expropriatrice du sens et du propre voulue par Pasolini comme émergence, le temps d’un film, d’une mimèsis cinématographique. ISBN : 978-2-296-99132-3 (20.50 euros, 206 p.) personnage (Le), le mouvement et l’espace de Jacques Tati et Robert Bresson Mon Oncle, Playtime, Pickpocket, Mouchette

Obadia Paul

Les quatre films qui composent cette étude, tout divers qu’ils soient, s’articulent autour d’une période qui court des années 50 à la fin des années 60. Au coeur des «trente glorieuses», cette période voit émerger la modernité telle que notre début de vingt-et-unième siècle la continue. Si l’ancrage des films de Tati dans la société française de l’époque s’impose d’évidence, celui des films de Bresson peut sembler plus discret, moins immédiatement sensible. (Coll. Champs visuels, 28.00 euros, 280 p.) ISBN : 978-2-296-96574-4 Éléments d’initiation à la critique cinématographique

Mollo Olinga Jean-Marie Préface de Thierno Obrahima Dia

Le public, curieux et cinéphile, sait-il regarder ou lire une oeuvre filmique ? Ce livre a pour ambition de servir de terreau à des débats constructifs, afin que la critique cinématographique africaine se fraye une place au soleil de la cinématographie mondiale. (Coll. Harmattan Cameroun, 24.00 euros, 230 p.) ISBN : 978-2-296-99070-8

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GÉRARD ESSOMBA MANY, L’ACTEUR REBELLE Art et esthétique du comédien africain Personne dans le monde du cinéma africain n’ignore les coups de gueule de Gérard Essomba Many sur la situation désastreuse de l’industrie cinématographique et le sort déplorable des comédiens africains. Mais peu de gens connaissent ses préoccupations artistiques, ce qui le motive, la profondeur de son talent d’acteur. Attachant, contradictoire, fascinant, tels sont les adjectifs qui servent à dépeindre l’un des acteurs les plus charismatiques du continent, dont la liberté d’expression irrite, horripile, dérange, embarrasse, et dont la longue carrière est marquée par une mosaïque de succès (La légion saute sur Kolwezi, 1979 ; Rue Princesse, 1993 ; Pièces d’identités, 1998) et d’échecs, à la mesure des dimensions hors normes d’une personnalité insaisissable, faite de doutes et de douleurs. Acteur flamboyant et surdoué, dans la plupart des films où il tient un rôle, outre sa présence et sa grâce, Gérard Essomba dévoile une profondeur et une grande sensibilité tout en donnant une étonnante impression de facilité dans le jeu. Icône du grand écran, Gérald Essomba Many appartient au cercle très fermé des mythes du cinéma africain. Plus que ne l’aurait fait un simple récit, cet ouvrage dévoile la profondeur de son talent. Le comédien s’y livre avec une sincérité désarmante et un humour dévastateur. Sans concession, il évoque les rôles qu’il a interprétés et qui ont nourri ses personnages et ses multiples combats. Voici l’étonnant destin de l’enfant terrible du 7e art africain. Découvrez les multiples facettes d’une personnalité aussi fascinante qu’énigmatique.

Spécialiste du cinéma africain, écrivain, scénariste et réalisateur, Charles Soh dirige le master professionnel de production cinématographique et audiovisuelle à l’université de Yaoundé-I.

ISBN : 978-2-336-00911-7

17 €