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French Pages 4 [6] Year 1992
PORTRAIT
Le Père Philippe à la question Le Père «Marie-Do»
a perdu la voix, pas la parole. «Je n'ai jamais autant parlé», confie ce prêcheur qui court le monde pour enseigner, former, conforter et que certains ont malicieusement surnommé «Double-agenda». Un colloque à la Sorbonne, le 21 novembre prochain, célébrera son 80e anniversaire. Avec une merveilleuse eunesse d'esprit, e doyen des professeurs de philosophie en exercice a accepté de répondre au questionnaire de Proust, revu et corrigé par Luc Adrian. 16 FAMILLE CHRETIENNE N°775
Le péché contre l’esprit. Et l’angoisse, fruit de cette séparation volontaire d’avec l’Amour, de ce repliement total sur soi, de ce refus de la miséricorde.' L’angoisse imprègne toute notre époque.
■i Où aimeriez-vous vivre ?
Sur le cœur du Christ. ■■ Votre idéal de bonheur terrestre ?
Aucun. Plus j'avance, plus je suis heureux, et plus je sens ma capacité
de bonheur s’agrandir, mais dans une lutte constante.
Quelle est, selon vous, la plus grande tentation ?
Croire qu’on peut se sauver soi-même. Pas besoin de Sauveur ! Cet orgueil collectif est la «métatentation» contemporaine, selon l’expression de Jean-Paul II. Une tentation qui touche l’Eglise, pour la première fois de son existence.
Pour quelles fautes avez-vous le plus d’indulgence ?
bien d'autres. Il y en a tant ! Je suis un peu comme saint Thomas qui, à propos de chaque vertu, dit : «C'est ma préférée !».
■■Votre musicien favori ?
...Je suis moins en connaturalité avec la musique qu’avec la peinture qui est l’art de la lumière. ■■■ Le métier que vous auriez aimé exer cer ?
Architecte. ■■Votre qualité préférée chez l’homme ?
La force aimante, délicate.
Celles de la faiblesse. Les fautes dues à cette fragilité affective, qui éclate aujourd'hui, et qui sont une forme d'amour mal vécues. Ce sont les fautes qui appellent le plus le pardon, la miséricorde. Cette fragilité est la conséquence d'un stoïcisme répandu, notamment dans l'Eglise, qui a ramené l’amour à une maîtrise volontariste du corps et à la recherche des vertus. Ce perfec tionnisme impossible a conduit à la faillite actuelle. On doit reprendre toute l'éthique sous la lumière de l'amour d’amitié.
■■ Quels sont les héros de romans que vous préférez ?
^■i Votre qualité préférée chez la femme ?
La tendresse dans la miséricorde. Et donc sa pauvreté : car il n’y a pas de tendresse sans pauvreté.
^^B Le couple idéal ?
Marie et Joseph. Marie, la mère forte qui donne la tendresse ; Joseph, l'homme tendre qui donne la force. Dans une unité d’amour, une complé mentarité loin de toute dialectique.
Je lis très peu de romans ... depuis que je suis entré dans l’Ordre de Saint-Dominique le 11 novembre 1930.
■■ Quel est votre personnage historique favori ?
Jeanne d’Arc.
■■B Vos occupations préférées ?
L’oraison. ... (il n'y a que là où on peut vraiment se reposer I) La recherche de la vérité (c’est plus fatigant !). Retrouver mes amis, mes Frères.
■■ Qui auriez-vous aimé être ?
Tellement forte dans sa fragilité, si touchante dans sa piété pour sa patrie.
Le disciple bien-aimé.
■■ Votre saint préféré ?
Le principal trait de votre caractère ?
Saint Jean. Votre sainte préférée ?
La Vierge Marie.
Demandez à mes Frères... ■■ Ce que vous appréciez le plus chez vos amis ?
La fidélité. ■■i Votre philosophe préféré ?
Aristote. Il est l’incarnation de «celui qui remonte à la source», comme Péguy définit le philosophe. La recherche de la vérité, c’est en effet remonter à la source, tout en sachant qu'on l’approche sans la posséder jamais totalement. C'est aussi accepter d’être seul : il est facile de descendre le fleuve. Les cadavres aussi descendent le fleuve, et même plus vite que les autres...
■■ Votre artiste préféré ?
Les sculpteurs anonymes des cathédrales. ■■ Votre peintre favori ?
Fra Angelico. Chez les profanes : Rembrandt, Rouault, Manet, Gauguin... et
Votre principal défaut ?
L’orgueil. Pas besoin de faire une retraite de huit jours pour le savoir... L’orgueil, qui fait que l'intelligence mesure l'amour. Alors que la seule mesure de l’amour, c’est l’amour.
■■ Votre rêve de bonheur ?
Aucun, je vis au présent. N’ayant plus un instant à moi, je n'ai pas le temps de penser au passé ni de rêver à l'avenir.
■■ Quel serait votre plus grand malheur ?
Etre «celui qui n’aime plus». ... comme la petite Thérèse appelle le Démon. 19/11/92 FAMILLE CHRETIENNE
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PORTRAIT
Le Père Philippe à la question
Elle aboutit à la destruction actuelle de l’alliance fondamentale entre Dieu et l’homme. Parce que celui-ci ne reconnaît plus que son intelligence est capable de remonter jusqu’à Dieu comme à sa source et, d’autre part, qu’il est appelé à coopérer à la Création par la fécondité. D’où une terrible angoisse.
IM Comment qualifieriez-vous notre mon de en cette fin de millénaire ?
Un peuple errant. Ml Quel livre emporteriez-vous sur une île déserte ?
L’Evangile de Jean. ...Et l'Apocalypse, et sa première épître. Ces trois écrits viennent confirmer en nous l’un la Foi, l’autre l’Espérance, et le troisième la Charité.
BM Votre prière préférée ?
Un silence porteur d’amour. ...Et la grande prière du Fils Bien-aimé, chapitre 17 de l’Evan gile de Jean, où Jésus nous révèle le secret de son cœur : sa filiation avec le Père. Pour saint Thomas, dire «Abba, Père !» est le sommet de toute l’expérience mystique.
C’est exactement ce que décrit l’Apocalypse : l’humanité se réfugiant dans des grottes (6, 15-16), se recroquevillant sur elle-même justement dans cet état d’angoisse qui atteint tout l’homme. Nous vivons une époque charnière où on touche quelque chose d’ultime : le signe de la fin des temps, ce n’est pas les guerres - il y en a toujours eu -, mais l’angoisse.
Votre définition de l’homme ?
Un animal capable d’adorer. Capable par sa raison de remonter à l’existence de Dieu et dé redécouvrir sa dépendance à l’égard de Dieu, dans l'adoration.
IMB La vertu la plus nécessaire aujourd'hui ?
L’adoration. *-
Votre maxime préférée ?
«Aimez Dieu de tout son cœur, de toute son âme, de toute sa force, et son prochain comme Jésus l’aime...» La fleur que vous aimez ?
Au plan humain : le sens de la responsabilité.
MB Ce que vous méprisez le plus ?
Le manque de respect de la dignité de l’homme ... ramené à un outil, par ce primat de l’efficacité qui nous écrase aujourd'hui.
L’edelweiss, la fleur des altitudes. ■R L’animal que vous préférez ?
Moi! C’est l’animal que je connais le mieux... Et je me dis parfois d’ailleurs : «Viens, sale bête !»
Et l’oiseau ?
Le fait militaire que vous admirez le plus ?
La mort héroïque de mon jeune frère, en 1944. A l’âge de 22 ans, devant Toulon, il s’est sacrifié pour éviter que des innocents soient massacrés dans le pilonnage aveugle de la ville.
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L’aigle de Patmos. La réforme que vous admirez le plus ? I MM Votre poète préféré ?
Péguy. ... de plus en plus. Il est tellement français, lucide, vrai. Vos héros dans la vie réelle ?
Les saints. Et en tant que philosophe, c’est Socrate, le limpide. Face aux sophistes contemporains - notre époque pleine de rhétorique ressemble beaucoup à la sienne -, sa méthode est d’une actualité étonnante et d’une nécessité salutaire : quel est le sens des mots ?
Celle que prêche Jean-Paul II.
M
...pour le renouveau de la vie de foi, de la famille, de la vie
I Le don de la nature que vous voudriez avoir ?
Je me prends tel que Dieu m’a fait. I^M Si vous étiez élu président de la Répu blique, quelle serait votre première I
mesure ?
Vos héroïnes dans l’histoire ?
famille détruit l’amour puiqu’elle en est la source première.
Ce que vous détestez par dessus tout ?
MB Si vous pouviez faire un miracle... quel serait-il ?
Le plus grand mal de notre époque ?
La perte du sens de la finalité. 18
FAMILLE CHRETIENNE N°775
Rendre leur sens aux mots. Et essayer de rebâtir la famille. La destruction actuelle de la*
Marthe Robin. Mère Teresa. Les contem platives cachées.
La haine noire et volontaire.
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religieuse.
Celui de l’Eucharistie. J’ai reçu la grâce sacerdotale infinie d’être l’instrument de ce miracle par excellence : la toute-puissance de Dieu au service de l’Amour qui se livre sous les apparences les plus humbles.
Le Père Philippe, 80 ans ■ ici, parmi ries Frères de Saint-Jean, au prieuré de Riment ■ est le huitième d'une famille de douze enfants qui a donné à l’Eglise trois Dominicains, une Dominicaine et trois Bénédictines. Il a fondé la communauté Saint-Jean •‘malgré lui», et consacre l’essentiel de son temps et de ses forces à la formation de ses novices. La communauté compte plus de 300 Frères dont une centaine de prêtres, 50 Sœurs contemplatives et 70 Sœurs apostoliques, une vingtaine de prieurés en France et plus d’une dizaine à l’étranger (Chine, Etats-Unis, Roumanie, Afrique, Mexique...).
Comment aimeriez-vous mourir ?
Comme Marie. Tout offert, par pur amour, en donnant tout, dans une pauvreté radicale, c’est-à-dire sans gloire humaine, car elle est, avec l'orgueil, le plus grand obstacle à l'amour.
■■■ Etat présent de votre esprit ?
...Un peu plus pauvre. Le vieil Aristote le disait déjà : offrir son intelligence à Dieu, c’est la chose la plus belle. J’essaie...
La Charte de Charité de la Communauté Saint -Jean. Elle unit dans cette famille religieuse, les Frères, les prêtres, les Sœurs contemplatives, les Sœurs apostoliques, les Oblats. Toute cette grande famille qui essaie de vivre, depuis quinze ans d’existence, ce que l'Esprit Saint réclame de nous : être pour l’Eglise d’aujourd'hui ce que saint Jean était pour Jésus. C’est-à-dire, dans la plus grande pauvreté du cœur, être prêt à faire tout ce qu'Il pourra nous demander pour glorifier le Père et coopérer avec Jésus au salut des hommes.
■■■ Le mot de la fin que vous préférez ? i^H Votre devise ?
«Veritas». La vérité, c’est Jésus. Mon bonheur c'est, comme saint Jean, de suivre l’Agneau partout où il va.
■■ Votre testament ?
«Tout est grâce» ... comme dit la petite Thérèse.
■■ Et le vôtre ?
Je n’y suis pas encore... 19/11/92 FAMILLE CHRETIENNE 19