Euripide et les légendes des Chants cypriens: des origines de la guerre de Troie à l'Iliade [2 ed.]
 9782251326689, 2251326685

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EURIPIDE DES

ET CHANTS

LES

LÉGENDES

CYPRIENS

© Société d'Édition « Les Belles Lettres » 1966

COLLECTION D'ÉTUDES ANCIENNES publiée sous le patronage de l'ASSOCIATION GUILLAUME BUDÉ

EURIPIDE ET LES LEGENDES DES CHANTS. CYPRIENS Des origines de la guerre de Troie à l’Iliade

PAR

François CHARGÉ DES

LETTRES

JOUAN

D'ENSEIGNEMENT ET

SCIENCES

A LA

FACULTÉ

HUMAINES

DE

CAEN

PARIS SOCIÉTÉ

D'ÉDITION

« LES

95, BourLEvARD ——

1966

BELLES

HasPaAiL,

95

LETTRES »

A

— APIZTON

ANAPI

MA

FEMME

KTHMA

ZYMIIAOHZ

FPYNH



AVANT-PROPOS

Le présent travail découle indirectement de recherches sur la légende de Páris entreprises sous la direction de M. Louis Séchan,

puis de Fernand Chapouthier, mais que diverses circonstances ne nous ont pas permis de mener à leur terme. Nous avions pris à cette occasion un premier contact avec le cycle épique troyen et avec une des tragédies d’Euripide, l'Alezandros, dont la connaissance a le plus profité des découvertes papyrologiques. Par la suite, il nous parut intéressant d'élargir le cadre de cette étude et d'examiner comment le plus subtil des tragiques grecs avait mis en scéne les légendes troyennes, en tenant compte, non seulement des drames conservés, mais encore, dans toute la mesure du possible,

des drames perdus. Cette confrontation, nous semblait-il, pourrait jeter quelques lumiéres nouvelles à la fois sur l'épopée et sur la tragédie. Notre premier dessein était d'embrasser l'ensemble des poémes du cycle troyen, à l'exclusion de l'Iliade et de l'Odyssée. Mais, ainsi qu'il arrive souvent, la matière, qui pouvait paraître d'abord

«infertile

et

petite»,

s'est

révélée

si abondante



si

délicate aussi — que nous avons dü finalement nous limiter à la seule épopée des Chanis Cypriens, qui contait les débuts de la guerre de Troie jusqu'à l’Jliade. Il y avait à cela un inconvénient : une étude portant sur la guerre de Troie tout entiére aurait été de nature à fournir des conclusions plus larges sur la pensée d'Euripide. En effet, pendant plus d'un quart de siécle, le poéte a constamment établi dans son esprit un paralléle entre le conflit mythique et la guerre actuelle, dont il a suivi toutes les péripéties

avec une attention passionnée. Toutefois, cet aspect de l’œuvre d'Euripide a récemment été l'objet d'études savantes et détaillées. C'est donc surtout à l'homme de théátre que nous nous sommes attaché. L'examen des pauvres restes des Chants Cypriens révélait

un foisonnement de légendes romanesques qui avaient enchanté et inspiré des générations de poétes et d'artistes. Nous avons essayé de découvrir les raisons qui ont orienté le choix du dramaturge sur les divers épisodes épiques qu'il a mis en scéne, et celles qui expliquent les grandes libertés qu'il a prises avec la tradition.

2

EURIPIDE

ET

LES

LÉGENDES

DES

CHANTS

CYPRIENS

Aprés tant de publications sur la technique dramatique d'Euripide, il reste encore beaucoup à trouver dans ce domaine. Peut-étre notre étude, dont le champ est volontairement limité, fournira-t-elle

quelques éléments pour une telle enquéte. Au terme de ce travail, il nous est agréable d'exprimer notre vive gratitude aux maîtres qui nous ont fait profiter de leur savoir et de leur expérience : M. Louis Séchan, qui a guidé nos premiers

pas avec tant de patiente et amicale sollicitude, et dont les Études

sur la iragédie grecque nous ont fourni un admirable modéle ; M. Jean Humbert, qui a bien voulu prendre sa suite et diriger notre travail avec une bienveillance éclairée jusqu'à son achévement ; M. Albert Severyns, qui, aprés nous avoir aidé à délimiter notre sujet, nous a prodigué, à toutes les étapes de notre recherche, ses précieux conseils. Nous n'avons garde d'oublier nos collégues et amis de la Faculté des Lettres et Sciences humaines de Caen, en particulier MM. Pierre Costil et Robert Garapon. Nous nous

devons enfin d'évoquer ici le souvenir de deux mattres disparus : Gaston Moulinier, qui savait si bien initier ses étudiants à tous les aspects de l'hellénisme et leur faire partager son ardent amour de la Gréce ; Alphonse Dain, dont les cours à l'École des Hautes Études, si enrichissants à tant d'égards, nous ont familiarisé avec

le lyrisme d'Euripide, et avec qui nous nous faisions une joie de contribuer à l'achévement de l'édition du poéte, entreprise voici longtemps par d'éminents hellénistes (1l). (1) Le lecteur trouvera en fin de volume la liste des abréviations utilisées pour les titres d'ouvrages qui reviennent le plus fréquemment.

INTRODUCTION

I. POSITION II. LES

DU

CHANTS

PROBLEME. CYPRIENS

ET

LEUR

FORTUNE

LITTÉRAIRE.

III. LESLÉGENDES DES CHANTS CYPRIENS CHEZ EURIPIDE. QUESTIONS DE MÉTHODE.

INTRODUCTION

I. POSITION

DU

PROBLÈME «Ex μὲν ᾿Ιλιάδος καὶ ᾿Οδυσσείας μία τραγῳδία ποιεῖται ἑκατέρας ἢ δύο μόναι, &x δὲ Κυπρίων πολλαί. » ARISTOTE, Poél., 23, 1459 b 2-4.

La mythologie,

qui a fourni à la tragédie attique la presque

totalité de sa matiére (1), offrait aux poétes une diversité presque infinie de sujets propres à étre mis en scéne. Cette masse de récits fabuleux, qui s'épanouissaient à travers la littérature et les arts,

la religion, les traditions populaires, ne présentait pas encore la belle

ordonnance

que

lui

imposeront

plus

tard

les

traités

des

mythographes. Les légendes qui la constituaient différaient profondément entre elles par leur origine, leur nature, leur cadre et leur expansion géographique. Les unes semblent avoir été apportées

par les envahisseurs indo-européens qui, en vagues successives, s'installérent sur le sol de Gréce. D'autres appartenaient aux premiers occupants du pays ou furent introduites de l'extérieur à la faveur des guerres, des brassages de populations ou des relations commerciales. La Crète, l'Égypte, et surtout l'Orient, contribuérent

à l'enrichissement de ce trésor légendaire. En Gréce méme, des contes naissaient du souvenir, amplifié par l'imagination populaire, d'un événement historique ou d'un grand homme du passé, des mythes ou des récits édifiants se répandaient avec le rayonnement d'un lieu de culte. Certains avaient pour objet d'expliquer aux hommes la nature de l'univers et l'origine des grandes forces qui le régissent, d'autres racontaient la vie et les exploits fabuleux (1) Les tentatives de tragédie historique de Phrynichos (Prise de Milel) ou d'Eschyle (Perses)

ont

été sans lendemain ; les anciens

ou Aniheus d'Agathon, 9, 1451

b 21;

citaient comme

une

curiosité

l'Anthos

dont tous les personnages étaient inventés (cf. Arstt., Pod.,

P. Lévéque,

Agathon

(1955), p. 105-114).

6

EURIPIDE

d'un

de

ces

ET

héros

LES

nés

de

LÉGENDES

DES

l'union

CHANTS

d'un

CYPRIENS

dieu

et d'une

mortelle,

d'autres encore faisaient revivre une période des temps héroïques. Moins ambitieux, certains se bornaient à expliquer l'origine d'une

particularité locale, un nom de lieu, une pratique ou une interdiction cultuelle.

D'autres enfin contaient, pour le plaisir de l'audi-

toire, une belle histoire sans portée morale ni religieuse. Ces légendes ont connu des fortunes diverses, du conte local qui n'a jamais franchi les limites d'un canton aux grands récits dont la renommée s’est étendue jusqu'aux extrémités du monde grec. Les plus célébres devaient pour une part ce privilége à la popularité des héros dont elles contaient les aventures, un Héraclés, un Achille,

un Thésée, un Jason, à la puissance des cités ou au rayonnement des sanctuaires qui les patronnaient, à l'éclat des grandes familles qui y rattachaient leurs origines. Elles le devaient plus encore au talent des aédes qui les avaient chantées dans leurs poémes. Cette élaboration proprement littéraire avait débuté bien avant

Homère, car telle allusion de l’Iliade ou de l'Odyssée n'était compréhensible que pour un auditoire familiarisé avec les héros et les événements auxquels elle se rapportait. Le développement de la poésie épique introduisit un certain ordre dans ce chaos. En choisissant parmi les légendes, en les disposant autour d'un héros

ou

d'un

épisode

central,

les

poétes

constituaient

des

groupes

d'épopées, dont l'ordonnance d'ensemble offrait une histoire à peu prés continue des premiers áges du monde, depuis sa création

jusqu'aux large

du

temps terme,

historiques. certaines

Dans

ce «cycle

parties

jouirent

épique », au sens

d'une

popularité

et

d'un développement plus grand que d’autres ; ainsi l'expédition des Argonautes, les aventures d'Héraclés, l'histoire de la dynastie thébaine des Labdacides ou la guerre de Troie. Ces cycles particuliers, associés entre eux, soit par le passage d'un méme héros de l'un à l'autre, soit de facon plus générale, par les liens de parenté

qui unissaient les grandes dynasties légendaires, exerçaient leur attraction sur les héros locaux et sur des contes primitivement indépendants. Ces épopées, élaborées au viri? et vire s., ont contribué à fixer les légendes

qu'elles

avaient

diffusées

à travers

la Gréce.

Mais,

par leur succés méme, elles ont assuré la vitalité de ces traditions au cours des siécles suivants, aussi bien dans les croyances popu-

laires que parmi les ceuvres des poétes. Comme

tout organisme

vivant,

ont

les récits légendaires

venus

de l'épopée

continué

à

croitre et à se modifier, dans leur forme et dans leur esprit, jusqu'au moment où les poètes tragiques les ont recueillis et leur ont donné

en quelque

sorte une

nouvelle

naissance

en les portant

sur la

scéne.

Parmi

les différents

cycles

de

légendes,

la geste

qui

s'était

POSITION

DU

PROBLÈME

7

constituée autour de la guerre de Troie formait l'ensemble à la fois le plus riche et le plus populaire. Les légendes troyennes bénéficiaient à Athénes du prestige inégalé que leur avaient conféré dans la Grèce entière l’Iliade et l'Odyssée. Elles offraient de plus une gamme très étendue de sujets. Ceux-ci provenaient pour la plupart des poèmes épiques qui complétaient l’œuvre d'Homére en présentant un récit suivi de la guerre de Troie, depuis ses origines

jusqu'à

Cypriens

ses

plus

lointaines

pour les événements

conséquences

antérieurs

: les

Chanis

à l'Iliade, l’Eihiopide,

le Sac de Troie ( Iliou Persis), la Petite Iliade et les Relours ( Nosloi )

pour les faits qui se déroulaient entre l'Iliade et l'Odyssée, enfin la Télégonie, qui menait jusqu'à la mort d'Ulysse. Le tableau ci-dessus suffira à montrer l'importance des sujets troyens chez les trois grands tragiques d'Athénes (1). Méme si une incertitude subsiste pour certains titres ou certains

sujets, un tel tableau est éloquent. En effet, d’après l'évaluation la plus prudente,

appartiennent

sürement

au cycle troyen : pour

Eschyle, 3 piéces conservées sur 7 et 18 drames

perdus,

soit au

total 21 titres sur les 80 que l'on connatt ; pour Sophocle, 3 piéces conservées

encore

sur 7, 38 drames

perdus,

c'est-à-dire

41

titres

sur 112 connus ; pour Euripide enfin, 9 piéces conservées sur 18 et 8 piéces perdues, soit 17 titres sur 73 (2) : donc plus du tiers des sujets sont empruntés par Sophocle aux légendes de la geste troyenne, un peu plus du quart par Eschyle et un peu moins par Euripide. De loin, chez chacun des trois grands tragiques, ces sujets forment le groupe le plus important. Cette constatation montre l'intérét qu'offre l'étude de ces légendes dans la tragédie attique, spécialement par référence aux poémes du cycle troyen. Il vaut la peine d'examiner de plus prés et d'une maniére plus systématique qu'on ne l'a fait jusqu'ici comment les auteurs de théátre ont adapté la matiére épique. En sens inverse, l'examen des œuvres théâtrales peut jeter quelque lumiére sur le contenu

de ces épopées que nous connaissons

si imparfaitement.

Cependant, on ne saurait songer à étudier la totalité de la légende troyenne dans la totalité du théátre attique ; la matiére serait énorme et l'entreprise démesurée. On peut dés lors envisager plusieurs facons de délimiter le sujet : ou bien prendre une des (1) Sur la répartition des piéces par cycles légendaires, voir pour Eschyle l'édition des fragments de Mette, p. 259-260 ; pour Sophocle, celle de Pearson, I, p. xxvirixxxi, et Schmid-Stählin, Gr. Lit., VII, 1, 2, p. 442-448. Sur ce tableau, nous n'avons pas fait flgurer les ceuvres des tragiques mineurs, dont nous ne connaissons le plus souvent que le titre. (2) Nous ne tenons compte ici que des titres certains. La tradition attribuait à Eschyle

90 drames, à Sophocle 123 et à Euripide 92 (parmi lesquels quatre, Rhésos, Pirithoos, Rhadamanthe et Tennés, dont l'authenticité était déjà contestée par les anciens).

8

EURIPIDE

ET

LES

LÉGENDES

DES

CHANTS

CYPRIENS

épopées du cycle et examiner l'usage qu'en ont fait les tragiques d'Athénes,

en particulier les trois plus grands,

dont l'œuvre

est

partiellement conservée ; ou bien envisager l'ensemble des légendes troyennes

chez

un

seul

tragique ; enfin,

se

limiter

à l'examen

d'une seule épopée chez un seul de ces poétes. C'est à ce dernier parti que nous

nous

sommes

arrêté, comme

celui qui permettait

le mieux d'approfondir le sujet et d'en tirer les conclusions les plus précises. Il nous faut maintenant justifier notre choix et dire pourquoi

il s’est fixé, d'une

part sur Euripide,

d'autre

part sur

l'épopée des Chanis Cypriens. Pourquoi, en effet, Euripide plutót qu'Eschyle ou Sophocle ? C'est chez lui que le groupe des piéces troyennes est le moins nombreux

(17,

contre

21

pour

Eschyle

et 41

pour

Sophocle).

D'autre part, les anciens ont signalé l'importance de l'inspiration troyenne chez ces deux auteurs. Eschyle lui-méme reconnaissait sa dette à l'égard de l'épopée en définissant ses drames comme «des tranches des grands repas d'Homére » (1). Sophocle avait

recu le beau qualificatif d'« Homére tragique » (2) et un critique ancien avait dit que « Sophocle prenait un tel plaisir au cycle épique qu'il a composé des drames entiers où il suivait pas à pas la narration épique » (3). Notons toutefois que nous ne lisons plus de l'un

comme de l'autre que trois drames conservés, contre neuf pour Euripide. En ce qui concerne les piéces perdues, les fragments d'Eschyle sont en général peu nombreux et peu étendus. L'apport papyrologique, trés sensible en ces derniéres années, concerne assez peu les piéces troyennes (4). Le caractére archaique de son théátre

a fait que la plupart de ses drames ont cessé assez tót d'étre lus et la trace en est peu profonde dans les récits de mythographes. Ainsi, ni la tradition directe ni la tradition indirecte ne sont d'un

grand secours pour reconstituer l'intrigue de ces tragédies. La situation paratt plus favorable pour Sophocle, à cause du nombre trés élevé de titres, de la fidélité du poéte aux données épiques attestée par les anciens, de l'importance des fragments, sensiblement égaux en nombre, sinon en étendue, à ceux d'Euripide, de l'appoint papyrologique non négligeable. Cependant, la recons-

truction des piéces perdues se heurte à des difficultés, trés souvent (1) « Τεμάχη ἀπὸ τῶν μεγάλων ἱΟμήρου δειπνῶν », Ath., VIII, 3476. Le mot τεμάχη est traduit

habituellement

ou « tranche », cf. W.

par

Schadewalt,

« miettes»

ou

«desserte».

H, 71 (1936), p. 52, n. 3.

Sur

ce sens,

«quartier »

« Homére » représente ici

l'ensemble des poèmes troyens (voir infra, p. 22-23). (2) D. L., IV, 20; Souda, 8. v. Πολέμων. (3)

Zoile,

chez

Athénée,

VII,

277c.

D'autres

témoignages

ont

été rassemblés

par

Pearson, I, p. xxii -xxiv. (4) Fragments des Myrmidons, de Tennés (?) et de Philoctète, auxquels s'ajoutent beaucoup de morceaux, en général trés mutilés, dont la localisation est incertaine.

POSITION

DU

PROBLEME

9

méme insolubles, du fait du peu d'étendue des fragments, de la proportion assez élevée des drames satyriques sur lesquels les renseignements sont particuliérement minces, de l'aide insuffisante qu'apporte la tradition indirecte. La plupart des résultats qui

pouvaient étre atteints dans ce domaine sont réunis dans la monumentale édition des fragments de Pearson, qui n'a été corrigée ou complétée depuis quarante-cinq

de

points.

Il existait

donc

peu

ans que sur un petit nombre

d'espoir

de

faire

sensiblement

progresser cette question.

Chez Euripide, le groupe

troyen offre l'intérét de représenter

presque la moitié de l’œuvre conservée, c'est-à-dire plus à lui seul que le total des drames subsistants de même inspiration chez les deux autres tragiques. Il est donc possible d'étudier l'adaptation

des légendes épiques dans son théátre en utilisant à la fois l'importante matiére fournie par les piéces conservées et les drames perdus, dont la reconstruction est partiellement possible à partir des cita-

tions antiques et des fragments sur papyrus. On ne dispose sans doute pas d'une édition commentée comparable à celle de Pearson, mais, par suite de la relative abondance

de la tradition indirecte,

les recherches sur les piéces perdues ont été plus nombreuses et ont conduit à des résultats plus précis et plus sûrs. D'autres considérations ont encore dirigé notre choix. Euripide

n'a abordé la scéne qu'aprés la mort d'Eschyle, et, s'il a été le rival de Sophocle, il était plus jeune que lui d'une quinzaine d'années. Il a donc été souvent conduit à reprendre des sujets troyens que ces auteurs avaient déjà traités. Lorsque ce cas se présentera, nous devrons examiner la légende à travers l'œuvre de deux des grands tragiques, ou méme des trois, et nous retrouverons ainsi un autre des plans d'étude envisagés plus haut. Nous serons également conduit à préciser les procédés dramatiques utilisés par le poéte pour renouveler le sujet et à définir son originalité par rapport à ses devanciers.

Celle-ci, qui est grande, nécessités

théâtrales,

mais

ne s'explique par

sa

pas seulement

formation

et

par

par des la

nature

profonde de son génie. Euripide est le témoin d’une époque au cours de laquelle l'attitude à l'égard des mythes s'est profondément modifiée. Les sophistes ont poussé l'analyse et la critique des traditions légendaires beaucoup plus loin qu'on ne l'avait fait jusqu'alors. En partie sous leur influence, mais suivant aussi la pente naturelle de son esprit, dans le méme moment oà il met en scéne les légendes épiques, il lui arrive d'exprimer des doutes sur leur réalité ou de s'indigner devant le comportement des dieux et des héros des anciens áges. Il s'efforce d'éliminer les traits qui lui paraissent contraires

à la vraisemblance,

à la vérité

des caractéres

ou à la

morale, et se trouve conduit à recréer l'univers héroique à l'image

10

EURIPIDE

ET

LES

LÉGENDES

DES

CHANTS

CYPRIENS

de la société de son temps. On retrouve dans son théátre les hommes et les problèmes de l'Athénes du ve siècle. En particulier, la geste troyenne le conduit à méditer sur le grand conflit pendant lequel s'est déroulée la majeure partie de sa carriére dramatique. Entre le passé et le présent, la guerre de Troie et la guerre du Péloponnése,

il est amené à relever tant d'analogies qu'on ne sait parfois s'il découvre dans l'histoire héroique des enseignements et des consolations pour les hommes de son temps, ou si ces légendes sont seulement pour lui un prétexte à donner son avis sur les événements contemporains. Notre dévolu une fois Jeté sur Euripide, quelle portion du cycle

troyen étudier d'après son œuvre ἢ Nous avons écarté d'emblée les poémes homériques. Certes, comme le théátre des autres tragiques, le sien, fond et forme, est tout nourri de réminiscences

de l'Iliade et de l'Odyssée (1). Mais, ainsi que l'avait déjà signalé Aristote, ces deux épopées n'ont fourni qu'un petit nombre de sujets de piéces (2). Les tragiques semblent méme avoir éprouvé

quelque

scrupule

à porter

Homére

à la scéne.

Pour

mis à part le drame satyrique du Cyclope, le seul à prendre en compte, si l'on n'avait lieu de mettre authenticité. Il reste alors deux grands groupes de unes se rapportant aux Anlehomerica, les autres aux

Euripide,

Rhésos serait en doute son légendes, les Posthomerica.

Les secondes ont fourni les sujets de huit sur neuf des piéces troyennes conservées, mais de deux piéces perdues seulement, Philoctèle et Pélée (3). Pour les légendes des Aniehomerica, c'est-à-

dire en fait celles des Chanis Cypriens, la proportion est inversée : une pièce connue, Îphigénie à Aulis, mais six pièces perdues, Alexandros, les Skyrioi, Téléphe, Prolésilas, Palaméde, (Tennés).

Des légendes traitées en passant dans les Chanis Cypriens forment le sujet d'un drame conservé, Héraclés Furieuz, et de trois drames perdus, Anliope, Œdipe et Thésée. Mais surtout, on peut relever un trés grand nombre de références aux épisodes des Antehomerica dans les piéces troyennes que nous lisons encore. Les meilleures éditions commentées de ces derniers drames fournissent dans leur

préface des indications précises sur les sources épiques du sujet et sur les modifications que le poéte leur a apportées. Mais on (1) Sur cette question,

voir les études

stylistiques de W,

Breitenbach,

Unlersu-

chungen zur Sprache der Euripideischen Lyrik, Tübingen, 1934; J. Smereka, Studia Euripidea, Lwow, 1936; P. Keseling, Homerische Anklänge bei Euripides, Ph. W.,

1943, p. 262-64. (2)

Arstt., Podt., 23, 1459 b 2. Sur ce point, voir E. Howald,

(1927), p. 24; K. Bielohlawek,

WS,

Mythos

und

Tragódie

66 (1953), p. 15-16.

(3) On a parfois estimé que ce dernier drame traitait des aventures de jeunesse du héros (cf. infra, p. 65). Une troisiéme piéce, Epeios, est citée par le seul Marmor Albanum, mais on n'en possède aucun fragment (cf. Nauck, TGF*, p. 464).

POSITION

DU

PROBLÉME

11

cherchera en vain une étude d'ensemble sur une suite de légendes comme celles des Chanis Cypriens, qui, sans constituer le sujet principal de ces drames, sont évoquées à travers plusieurs œuvres échelonnées dans le temps. Il n'est cependant pas dépourvu d'intérét de voir comment le poéte a envisagé à diverses époques des mythes comme ceux du jugement des déesses, de l'enlévement d'Héléne ou du sacrifice d'Iphigénie. Il n'est pas non plus inutile de reprendre l'examen d'un groupe de pièces perdues qui n'ont en général pas été étudiées depuis de longues années.

Le sujet une fois fixé — Euripide et les légendes des Chanis Cypriens — le plan à suivre en découle naturellement. Aprés avoir fait le point de nos connaissances sur l'épopée de Stasinos et défini la méthode à suivre pour l'étude des piéces d'Euripide, et en particulier des piéces perdues, nous prendrons les épisodes dans l'ordre où ils se présentent dans les Kypria, des origines de la guerre de Troie au début de l’/liade. Pour chacun, nous préciserons la forme de la légende chez Euripide, nous la confronterons avec la version épique et nous chercherons des divergences, soit dans l’utilisation

le cas échéant la raison d'œuvres intermédiaires,

soit chez Euripide lui-même. C'est dire que nous ne nous bornerons pas à une simple recherche des sources — une « Quellenforschung » —

si nécessaire et délicate que soit déjà cette investigation.

Mais,

devant les changements introduits par le poéte dans les données héritées de ses prédécesseurs, nous nous efforcerons de comprendre

à quel mobile il a obéi. C'est sans doute une entreprise aventurée que

de tenter de pénétrer le mécanisme

de la création littéraire

chez un poéte mort depuis plus de deux millénaires, et dont nous connaissons si imparfaitement la vie, la personnalité et l'entourage.

Aussi formulerons-nous nos hypothéses avec beaucoup de prudence. Aprés un dernier chapitre consacré aux épisodes présentés dans les Kypria sous forme de digressions, nous récapitulerons les résultats atteints, mais en nous plaçant cette fois dans la perspec-

tive chronologique du théátre d'Euripide. Nous essaierons de retracer l'évolution des idées du poète sur les légendes des Chanis Cypriens et de préciser à la faveur de ce cas particulier la place qu'occupe le mythe dans sa pensée et dans son art.

Au

seuil de cet ouvrage,

nous voudrions

placer le nom

savant du siécle dernier, Friedrich Gottlieb Welcker.

érudit allemand la double voie Epische Kyklus de l'époque sur

d'un

Cet illustre

ouvrait, en effet, il y a un peu plus d'un siécle, dans laquelle nous nous engageons. Dans son (1), il rassemblait la somme des connaissances le cycle épique. Il tentait d'en tracer l'histoire,

d'en marquer les limites et d'en préciser le contenu. Vers la méme (1)

2 Vol.,

Bonn

: I,

1835,

2* ed.

1865 ; II,

1849.

12

EURIPIDE

ET

LES

LEGENDES

DES

CHANTS

CYPRIENS

époque, il publiait ses Griechischen Tragódien (1), ouvrage dans lequel il étudiait les piéces perdues des trois grands tragiques et s’efforgait de les reconstituer, en les classant pour chacun

de ces

auteurs d'aprés les sujets, dans l'ordre méme des épisodes du cycle. Si, sur beaucoup de points de détail, son Cycle Épique est maintenant caduc, si les restitutions de Welcker se sont révélées bien souvent aventureuses, ces deux ouvrages n'en fournissent pas moins une base solide sur laquelle la critique moderne a pris un ferme appui. Toute étude du cycle épique, toute reconstitution

de tragédie perdue est, directement ou indirectement,

redevable

aux travaux de Welcker.

Peu

d'années

aprés

les

Griechischen

Tragôdien

paraissait

l’Euripides Reslilulus de J. A. Hartung (2). Cet autre grand philologue s'était donné pour táche de reconstituer, de grouper en trilogies et de dater l'ensemble des tragédies d'Euripide. La tentative

était audacieuse, et Hartung, malgré une connaissance approfondie des textes antiques, n'en est pas venu à bout sans s'étre fréquemment fourvoyé. Le groupement des piéces est souvent arbitraire. Le souci de trouver une place à chacun des fragmenia adespola,

méme les moins significatifs, aboutit à des localisations peu vraisemblables. Enfin, allant sur les brisées de Welcker, il a été plus d'une fois conduit à rechercher à tout prix des solutions différentes des siennes. Il n'en reste pas moins que les études euripidéennes doivent beaucoup à ce chercheur enthousiaste et érudit. Depuis cette date, notre connaissance des épopées cycliques a peu à peu progressé, gráce aux recherches et aux éditions de Kinkel, de Wagner, de Monro, d'Allen, de Wilamowitz, de Bethe

et de Kullmann (3). Une place à part doit étre faite aux travaux de l'éminent homérologue belge Albert Severyns, dont les recherches poursuivies depuis de longues années sur le cycle et sur la Chresiomalhie de Proclos ont beaucoup enrichi notre connaissance des légendes épiques. La «Philologie archéologique » (4), encore dans l'enfance du temps de Welcker, mais dont le développement doit beaucoup à ce savant lui-méme, a enseigné comment utiliser le témoignage

d'une œuvre d'art au méme titre que celui d'un texte. Tant pour l'épopée que pour la tragédie, les travaux d'Overbeck, de (1) Die

Griechischen

2 vol., Bonn,

1839-1841

Tragüdien, (T.

mit Rücksicht auf den Epischen

1 : Eschyle

Kyklus

geordnet,

et Sophocle ; T. 2 : Euripide).

(2) Euripides Reslitulus, sive scriplorum Euripidis ingeniique censura, 2 vol. Hamburg, 1843-44. (3) Une nouvelle édition du Sommaire de Proclos et des fragments du cycle est préparée

par ce philologue.

(4) L'expression est d'Edmond Pottier. l'important ouvrage de L. Séchan.

Elle

forme

le

titre

d'un

chapitre

de

POSITION

Luckenbach,

de

C.

Robert,

DU

de

PROBLEME

13

Huddilston,

de

L.

Séchan,

pour

ne citer que quelques noms parmi les plus connus, ont permis de combler bien des lacunes des sources écrites. De nombreuses monographies,

classant

par

séries

les

représentations

connues

d'un méme épisode, ont montré l'évolution parallèle de ces légendes chez les artistes et chez les poétes. Dans le domaine philologique, le texte des tragiques a été inégalement servi. Si une récente édition des fragments d'Eschyle fournit un bon texte critique (1), ni cet auteur ni Euripide n'ont

encore

suscité

Pearson.

Pour

une

édition

Euripide

en

commentée

comparable

particulier,

on

en

à celle

revient

de

toujours

aux Tragicorum Graecorum Fragmenla de Nauck (29 éd., 1889), dont l'ampleur et l'acuité critique semblent avoir découragé d'éventuelles tentatives de refonte. Pourtant, d'importants compléments doivent maintenant lui étre ajoutés gráce aux apports papyrologiques ou à un inventaire plus complet de la tradition indirecte (2). Mythographes,

scoliastes,

lexicographes,

historiens,

dont

les

témoignages forment la base de nos recherches, ont de leur cóté fait l'objet d'éditions modernes qui offrent un texte plus correct, parfois accompagné de notes ou de commentaires. Parmi tant d'ouvrages de critique qui nous ont été utiles, nous

ne pouvons citer ici que quelques titres et quelques noms. Bornonsnous donc à rappeler, pour la mythologie, la grande synthése des

Griechischen Heldensagen de C. Robert et les articles du Lexicon de Roscher et de la Real-Encyclopädie, et, pour la tragédie en général, et Euripide en particulier, les travaux de Delebecque, de Goossens, de Lesky, de Murray, de Pohlenz, de Hivier, de

Schmid, de J. de Romilly. Plus que d'autres, peut-étre, le genre de recherches où nous nous engageons nous rend tributaire des travaux

de

nos

devanciers,

et nous

remplissons

un

devoir

de

reconnaissance en plaçant en tête de notre étude les noms de quelques-uns de ceux à qui nous nous sentons le plus redevable.

(1) H. J. Mette, Die Fragmenie aussi les notices de l'édition de

der Tragôdien

H. Weir-Smyth

de H. Lloyd-Jones contenant les fragments (2)

Pour

les

fragments

papyrologiques,

des Aeischylos,

(Loeb

II*,

papyrologiques encore

peu

Berlin (1959). Voir

1963), avec

un appendice

découverts depuis 1930.

nombreux

dans

l'édition

de

Nauck, cf. H. von Arnim, Supplemenlum Euripideum, Bonn (1913); D. L. Page, Greek Lit. Pap., Loeb (1941), p. 54-135 ; 154-59, et les listes de W. N. Bates (AJPh, 62 (1941), p. 469-75), de P. Collart (R. Ph., 16 (1943), p. 5-36), de R. A. Pack, Greek and Lalin Pap.* (1962), n° 378-454. Pour la tradition indirecte, un complément au recueil de Nauck, procuré par Br. Snell (WS, 69 (1956), p. 86-95), flgure à la suite d'une récente réimpression des Tragicorum Graecorum Fragmenta (Hildeshelm, 1963). M. Van Looy, AC, 32 (1963), p. 162-199 et 607-08, a donné la liste des morceaux d'Euripide de toute origine absents des T GF*, accompagnée d'un historique de l'étude du texte et d'un choix bibliographique sur les drames perdus.

14

EURIPIDE

ET

LES

II. LES ET LEUR Les

poémes

LÉGENDES

DES

CHANTS

CYPRIENS

CHANTS CYPRIENS FORTUNE LITTÉRAIRE

constituant

le «cycle

l'histoire légendaire du monde,

épique»

depuis l'union

racontaient

toute

d'Ouranos

et de

Gaia jusqu'à la mort d'Ulysse (1). Les épopées troyennes en formaient la derniére partie, la plus importante par le nombre et l'étendue des ceuvres qui la composaient et sans doute par leur

influence littéraire. Six poémes, en s'ajoutant à ceux d'Homére, retraçaient

tout le conflit troyen

de ses causes

premières

à ses

ultimes conséquences : soit, en suivant l'ordre chronologique, les Chanis Cypriens (l'Iliade), Y Élhiopide, la Pelile Iliade, le Sac d'Ilion, les Retours (l'Odyssée), la Télégonie. Ils paraissent avoir

été composés dans une étroite dépendance de l’Iliade et de l'Odyssee (2) : ce ne peut être un hasard si les Chants Cypriens s'arrêtent

exactement au seuil de l’Iliade et si l’Éthiopide en forme la suite immédiate, ou encore si la T'élégonie raconte les derniéres aventures

d'Ulysse telles qu'elles sont prédites dans le Chant XXIII de l'Odyssée. Mais leur structure est différente de celle des poémes homériques : ceux-ci ne décrivaient à proprement parler que quelques jours de la dixiéme année du siége de Troie et le retour d'un seul chef achéen dans ses foyers. Toutes les références aux événements du passé et de l'avenir étaient donc dispersées à travers le récit sous forme de rappels ou de prédictions. Dans les

poémes du cycle, au contraire, la narration suit l'ordre chronologique des faits. Outre le texte des épopées homériques, leurs auteurs utilisaient des traditions légendaires plus anciennes et sans doute des poémes dont Homére s'était lui-méme inspiré. Ils y ajoutaient des détails nouveaux et des épisodes tirés du répertoire troyen ou d'autres cycles de légendes. BIBLIOGRAPHIE : F. G. Welcker, EC, 1" (1865); II (1849). U. von Wilamowitz, Homerische Untersuchungen (1884), p. 328-380. D. B. Monro, The poems of the epic cycle, JHS, 5 (1884), p. 1-41. A. Rzach, s. v. Kyklos, RE, XI, 2 (1922), col. 23472435.

T.

W.

Allen,

Schmid-Stählin,

Homer,

the origins

and

transmission,

Oxford

(1924),

Gr. Lit., VII, 1, 1 (1929), p. 195-210. E. Bethe, Homer,

p.

III (1927) ;

11" (1929), p. 149-389. A. Severyns, L'Éthiopide d'Arctinos ei la question épique, R. Ph., 49 (1925), p. 153-183 ; CE (1928) ; Homère, III (1948). (1960). A. Lesky, Gesch. der Griech. Liter. (1963), p. 98-103. (1)

Sc. Euseb.,

Praep.

W.

51-76.

du cycle Kullmann

evang., 39, 3 (p. 98 Allen) ; E. M., 327-330 ; Procl., Chrest.,

p. 96, 33- 97, 8 Al. Dans un sens plus restreint, le cycle épique désigne seulement les gestes thébaine et troyenne (sc. Clém. Al., Protr., II, 30; cf. Bethe, p. 204-05). (2) Sur la thèse de W. Kullmann, cf. infra, p. 25, n. 6.

LES

L'ordonnance

générale

CHANTS

CYPRIENS

de ces poémes

15

résulte-t-elle d'un plan

concerté ? Est-elle le fait d'un seul homme

ou d'une seule école ?

Cela semble bien douteux quand on reléve des contradictions sur un méme point de la légende ou des chevauchements entre les diverses épopées (1). D'autre part, leur composition s'étale ‘sur plus d'un siècle, du début du vri? au milieu du vre. Considérées comme ἃ homériques » jusque avant dans le ve s., les épopées du cycle sont nettement distinguées de l’Iliade et de l'Odyssée par Aristote, mais elles restent anonymes jusqu'à l'époque romaine, où l'on commence à donner le nom de leurs auteurs : encore y a-t-il bien des incertitudes et des confusions dans ces témoignages. Que valent-ils ? Résultent-ils du besoin qu'ont toujours éprouvé les Grecs de combler les lacunes de leurs connaissances en forgeant de

belles explications,

ou

proviennent-ils

de

recherches

alexan-

drines et sont-ils fondés sur des traditions locales dignes de considération ? Il est trés difficile de le dire (2). L'incertitude règne encore sur la date où ces poèmes ont été réunis en un ensemble. E. Bethe (3), qui plagait leur composition au vie s., estimait que dés l'origine chacun d'eux n'avait pas eu d'existence propre et que leur réunion, ceuvre d'un seul homme, était contemporaine du rassemblement et de la mise en ordre des poèmes homériques, sous Solon et les Pisistratides. A. Severyns (4) est d'avis que le cycle — le mot et la chose — était constitué au début du v? s., tandis que d'autres considèrent sa formation comme l’œuvre artificielle d'éditeurs ou d'érudits, soit entre

Aristote et Callimaque (5), soit méme plus tard. Ces quelques indications permettent de mesurer combien l'origine des poèmes du cycle troyen

est enveloppée

d'obscunité.

Parmi eux, les Chanis Cypriens tenaient une place importante. Avec leurs onze livres (6), c'était la plus longue épopée troyenne après l'/liade et l'Odyssée. C'était aussi celle qui mettait en œuvre la matiére la plus abondante, puisqu'elle couvrait toute la période

qui allait des origines lointaines de la guerre de Troie au début (1) Par exemple, la Petite Iliade couvrait une partie des sujets de l’Éthiopide et du Sac d’Ilion. On ne peut admettre la thèse de E. Bethe qui considérait ces deux derniers poèmes comme des subdivisions de la Pelile Iliade. Pour les variantes légendaires entre les poémes, cf. infra, p. 26. (2) Sur ce probléme, voir en particulier les études de Wilamowitz et d'Allen citées plus haut, et E. Schwartz, Der Name Homeros, H., 75 (1940), p. 1-9. (3)

Cf. en particulier

p. 288;

291;

Schmid-Stählin,

p.

196-197.

(4) L'Éthiopide..., p. 174 8qq. (5) Cf. sur ce point, E. Schwartz, o. c., p. 5. (6) Ce renseignement est donné par Proclos (1. 81 Sev.), mais il est trés rare que les citations anciennes soient accompagnées de la mention du livre (Livre I chez Athénée, XV, 682 d — fr. IV). D'aprés une conjecture assez hasardeuse d'Allen (p. 62), appuyée sur un fragment de la Tabula Borgiaca, les Kypria auraient compté 9.500 vers.

16

EURIPIDE

ET LES LÉGENDES

DES CHANTS

CYPRIENS

de l'Iliade. Sur le contenu des poémes du cycle, le témoignage le plus précieux, malgré ses incertitudes et ses lacunes, est le résumé qu'en avait donné Proclos dans sa Chreslomaihie et qui figure en particulier au début de quelques-uns des manuscrits de l’Iliade. Allen

102,13 15

20 103

5

10

Sev.

Ζεὺς βουλεύεται μετὰ τῆς Θέμιδος περὶ τοῦ Τρωϊκοῦ 84 πολέμου. Παραγενομένη δὲ “Epic εὐωχουμένων τῶν θεῶν ἐν τοῖς Πηλέως γάμοις νεῖχος περὶ κάλλους ἀνίστησιν ᾿Αθηνᾷ, "Hoq καὶ ᾿Αφροδίτῃ, al πρὸς ᾿Αλέξανδρον ἐν Ἴδῃ χατὰ Διὸς προσταγὴν ὑφ᾽ Ἑρμοῦ πρὸς τὴν κρίσιν ἄγονται * καὶ προχρίνει τὴν ᾿Αφροδίτην ἐπαρθεὶς τοῖς ᾿Ελένης γάμοις ᾿Αλέξανδρος. 90 Ἔπειτα δὲ ᾿Αφροδίτης ὑποθεμένης ναυπηγεῖται, καὶ “ἔλενος περὶ τῶν μελλόντων αὐτοῖς προθεσπίζει, καὶ à ᾿Αφροδίτη Αἰνείαν συμπλεῖν αὐτῷ κελεύει. Καὶ Κασσάνδρα περὶ τῶν μελλόντων προδηλοῖ. ᾿Επιδὰς δὲ τῇ Λακεδαιμονίᾳ ᾿Αλέξανδρος ξενίζεται 95 παρὰ τοῖς Τυνδαρίδαις, καὶ μετὰ ταῦτα ἐν τῇ Σπάρτῃ παρὰ Μενελάφ᾽ καὶ ᾿Ελένῃ παρὰ τὴν εὐωχίαν δίδωσι δῶρα ὁ ᾿Αλέξavôpoc. Καὶ μετὰ ταῦτα Μενέλαος εἰς Κρήτην ἐκπλεῖ, κελεύσας τὴν ᾿Ἑλένην τοῖς ξένοις τὰ ἐπιτήδεια παρέχειν, ἕως ἂν ἀπαλλαγῶσιν. ' Ev τούτῳ δὲ ᾿Αφροδίτη συνάγει τὴν ᾿Ελένην τῷ 100 ᾿Αλεξάνδρῳ χαὶ μετὰ τὴν μίξιν τὰ πλεῖστα κτήματα ἐνθέμενοι νυχτὸς ἀποπλέουσι. Χειμῶνα δὲ αὐτοῖς ἐφίστησιν Ἥρα. Καὶ προσενεχθεὶς Σιδῶνι ὁ ᾿Αλέξανδρος αἱρεῖ τὴν πόλιν. Καὶ ἀποπλεύσας εἰς "Daov γάμους τῆς ᾿Ελένης ἐπετέλεσεν.

15

105

᾽ν τούτῳ δὲ Κάστωρ μετὰ Πολυδεύκους τὰς "Ida καὶ Λυγκέως βοῦς ὑφαιρούμενοι ἐφωράθησαν. Καὶ Κάστωρ μὲν ὑπὸ τοῦ Ἴδα ἀναιρεῖται, Λυγκεὺς δὲ καὶ Ἴδας ὑπὸ Πολυ-

δεύχους. Καὶ Ζεὺς αὐτοῖς ἑτερήμερον νέμει τὴν ἀθανασίαν. Καὶ μετὰ ταῦτα Ἶρις ἀγγέλλει τῷ Μενελάῳ τὰ γεγονότα κατὰ τὸν olxov. 'O δὲ παραγενόμενος περὶ τῆς ἐπ᾽

20

110

ἴλιον στρατείας βουλεύεται μετὰ τοῦ ἀδελφοῦ, καὶ πρὸς Νέστορα παραγίνεται Μενέλαος.

Νέστωρ δὲ ἐν παρεχθάσει διηγεῖται αὐτῷ ὡς ᾿Επωπεὺς φθείρας τὴν Λυκούργου θυγατέρα ἐξεπορθήθη, καὶ τὰ περὶ Οἰδίπουν καὶ τὴν ᾿Ηρακλέους μανίαν καὶ τὰ περὶ Θησέα

115

καὶ ᾿Αριάδνην. 84 Θεμίδος Heyne : Θετίδος codd., K || 87 ἐνίστησιν A || 92 αὐτῷ A || 110 ἀναγγέλλει A

LES CHANTS

CYPRIENS

17

Comme ce résumé fournira le point de départ et le cadre de notre recherche, il nous paraît essentiel de donner préalablement le texte et la traduction de la partie correspondant aux Chanis Cypriens (1).

Zeus délibére avec Thémis sur la facon d'amener la guerre de Troie. Éris survient comme les dieux festoyaient aux noces de Pélée. Elle fait en sorte qu'une contestation oppose Athéna, Héra et Aphrodite pour savoir qui des trois est la plus belle. Zeus ordonne

qu'auprés de Páris-Alexandre, habitant conduise pour étre départagées. Exalté par Héléne, Alexandre accorde la préférence Ensuite, sur les conseils d'Aphrodite, il

sur l'Ida, Hermès les la perspective d'épouser à Aphrodite. se construit une flottille.

Puis Hélénos leur prédit l'avenir, et Aphrodite engage

Énée à

naviguer avec lui. Et Cassandre fait des révélations sur l'avenir. Alexandre gagne Lacédémone, où il est reçu en hôte par les fils de Tyndare ; et ensuite à Sparte, où l’accueille Ménélas. Au cours du festin, Hélène reçoit des cadeaux

d'Alexandre.

Ensuite,

Ménélas fait voile vers la Créte, aprés avoir recommandé à Héléne de fournir aux besoins de leurs hótes jusqu'à ce qu'ils prennent congé. C'est alors qu'Aphrodite jette Héléne dans les bras d'Alexandre. Leur union consommée, ils embarquent tout ce qu'ils peuvent de richesses et, la nuit venue, ils s'éloignent par mer. Ὁ Une tempéte leur est envoyée par Héra. Alexandre aborde à Sidon et s'empare de la ville. Il fait voile vers Ilion, où il célèbre

ses noces avec Hélène. C'est alors que Castor avec Pollux sont surpris à dérober le bétail d'Idas et Lyncée. Castor est tué par Idas, tandis que Lyncée et Idas sont tués par Pollux. Et Zeus accorde aux Dioscures une immortalité alternée. Aprés cela, Iris annonce à Ménélas ce qui était advenu à son foyer. Rentré chez lui, il délibére avec son frére Agamemnon sur l'expédition à monter contre Troie. Et Ménélas se rend auprés de Nestor. Celui-ci, dans une digression, lui raconte comment Epopeus, pour avoir fait violence à la fille de Lycurgue, fut massacré ; il lui raconte aussi l'histoire d'(Edipe, la folie d'Héraclés, ainsi que

le roman de Thésée et Ariane. (1)

Nous

reproduisons

la traduction

donnés

IV

77-85.

(1963),

p.

ici, avec

par A. Dans

la généreuse

Severyns,

l'apparat,

p. 102-105) ; K, celle de Kullmann

A

autorisation

Recherches désigne

de l'auteur,

sur la Chrestomathie

l'édition

d'Allen

(Die Quellen..., p. 52-53).

le texte

et

de Proclos,

(Homére,

V, OCT,

18

EURIPIDE

ET

LES

LÉGENDES

DES

CHANTS

CYPRIENS

"Ἔπειτα τοὺς ἡγεμόνας ἀθροίζουσιν ἐπελθόντες τὴν 25

104

“Ἑλλάδα. Καὶ μαίνεσθαι προσποιησάμενον ᾿Οδυσσέα ἐπὶ τῷ μὴ θέλειν συστρατεύεσθαι ἐφώρασαν, Παλαμήδους ὑποθεμένου τὸν ὑιὸν Τηλέμαχον ἐπὶ κόλασιν ἑἐξαρπάσαντες.

120

Καὶ μετὰ ταῦτα συνελθόντες εἰς Αὐλίδα θύουσι. Καὶ

τὰ περὶ τὸν δράχοντα καὶ τοὺς στρουθοὺς γενόμενα δείχνυται καὶ Κάλχας περὶ τῶν ἀποδησομένων προλέγει αὐτοῖς. "Ἔπειτα ἀναχθέντες Τευθρανίᾳ προσίσχουσι καὶ ταύ-

125

τὴν ὡς "D«ov ἐπόρθουν. Τήλεφος δὲ ἐκθοηθεῖ Θέρσανδρόν τε τὸν Πολυνείκους κτείνει καὶ αὐτὸς ὑπὸ ᾿Αχιλλέως τι-

10

15

τρώσχεται. ᾿Αποπλέουσι δὲ αὐτοῖς Ex τῆς Μυσίας χειμὼν ἐπιπίπτει καὶ διασκεδάννυνται. ᾿Αχιλλεὺς δὲ Σκύρῳ προσσχὼν γαμεῖ τὴν Λυκομήδους θυγατέρα Antôauerav. "Ἔπειτα Τήλεφον κατὰ μαντείαν παραγενόμενον elc "Ἄργος ἰᾶται ᾿Αχιλλεὺς ὡς ἡγεμόνα γενησόμενον τοῦ ἐπ᾽ Ἴλιον πλοῦ. Καὶ τὸ δεύτερον ἠθροισμένου τοῦ στόλου ἐν Αὐλίδι ᾿Αγαμέμνων ἐπὶ θηρῶν βαλὼν ἔλαφον ὑπερθδάλλειν ἔφησε καὶ τὴν "Αρτεμιν. Μηνίσασα δὲ ἡ θεὸς ἐπέσχεν αὐτοὺς τοῦ πλοῦ χειμῶνας ἐπιπέμπουσα. Κάλχαντος δὲ εἰπόντος τὴν τῆς θεοῦ μῆνιν καὶ ᾿Ιφιγένειαν κελεύσαντος θύειν τῇ ᾿Αρτέμιδι, ὡς ἐπὶ γάμον αὐτὴν ᾿Αχιλλεῖ μεταπεμψάμενοι θύειν ἐπιχειροῦσιν. ἤΑΆρτεμις δὲ αὐτὴν ἐξαρπάσασα εἰς

130

135

140

Ταύρους μετακομίζει καὶ ἀθάνατον ποιεῖ, ἔλαφον δὲ ἀντὶ

τῆς κόρης παρίστησι τῷ βωμῷ. "Ἔπειτα καταπλέουσιν εἰς Τένεδον. Καὶ εὐωχουμένων

αὐτῶν Φιλοκτήτης ὑφ᾽ ὕδρου πληγεὶς διὰ τὴν δυσοσμίαν ἐν Λήμνῳ κατελείφθη, καὶ ᾿Αχιλλεὺς ὕστερος κληθεὶς δια-

145

φέρεται πρὸς ᾿Αγαμέμνονα.

105

"Ἔπειτα ἀποδαίνοντας αὐτοὺς εἰς ἤϊλιον εἴργουσιν

οἱ Τρῶες, καὶ θνήσκει Πρωτεσίλαος ὑφ᾽ “Ἕκτορος. "Ἑπειτα ᾿Αχιλλεὺς αὐτοὺς τρέπεται ἀνελὼν Küxvov τὸν Ποσειδῶνος. Καὶ τοὺς νεκροὺς ἀναιροῦνται.

Καὶ διαπρεσθδεύονται πρὸς τοὺς Τρῶας, τὴν ᾿Ελένην καὶ τὰ κτήματα ἀπαιτοῦντες. “(ls δὲ oùy ὑπήκουσαν ἐκεῖνοι, ἐνταῦθα δὴ τειχομαχοῦσιν. "Ἔπειτα τὴν χώραν ἐπεξελθόντες πορθοῦσι καὶ τὰς περιοίκους πόλεις.

Καὶ μετὰ ταῦτα ᾿Αχιλλεὺς ᾿Ελένην ἐπιθυμεῖ θεάσασθαι, καὶ συνήγαγεν αὐτοὺς εἰς τὸ αὐτὸ ᾿Αφροδίτη καὶ Θέτις. 126 ἐκδοηθήσας A. || 146 ὕστερον A.

150

155

LES

CHANTS

Ils rassemblent les chefs aprés Gréce. Ils surprennent Ulysse à voulait pas étre de la partie : à avaient dérobé son fils Télémaque Aprés

quoi,

ils rallient Aulis,

CYPRIENS

19

une randonnée dans toute la feindre la folie parce qu'il ne l'instigation de Palaméde, ils pour le tourmenter. où

ils offrent

un

sacrifice.

On

nous expose l'histoire du serpent et des moineaux ; Calchas leur explique ce qui doit en résulter. Ensuite, ils prennent le large et abordent à Teuthrania de Mysie : ils se croient à Ilion et en commencent le siège. Téléphe leur court sus, abat Thersandre, le fils de Polynice, mais lui-méme est blessé

par Achille. Comme leur flotte s'éloigne de Mysie, une tempéte les assaille et les disperse. Achille aborde à Scyros, où il épouse la fille de Lycoméde,

Déidamie.

Ensuite Téléphe, sur l'avis d'un oracle, se rend en Argolide. Il est guéri par Achille pour qu'il guide la flotte jusqu'à Troie. Et pendant que, pour la seconde fois, l'expédition était concentrée

à Aulis,

Agamemnon,

au

cours

d'une

chasse,

abat

une

biche ; du coup, il se vante d'avoir fait mieux qu'Artémis. La déesse,

irritée, pour empécher l'appareillage, envoie des tempétes en mer. Calchas leur dit la colére de la déesse et ordonne qu'Iphigénie soit sacrifiée à Artémis. On la fait donc venir sous prétexte d'épouser Achille et on prépare le sacrifice. Mais Artémis la dérobe,

la transporte chez les Taures et la rend immortelle, aprés avoir remplacé la jeune fille par une biche à l'autel. Ensuite, ils débarquent à Ténédos. Au cours d'un festin, Philoctète est mordu par un serpent d’eau. Sa blessure dégageant une odeur écœurante,

on l’abandonne

à Lemnos.

Pour une invi-

tation tardive, Achille se dispute avec Agamemnon. Ils débarquent au rivage d’Ilion ; les Troyens les repoussent et Protésilas tombe sous les coups d'Hector. Puis Achille les met en fuite aprés avoir tué Cycnos, fils de Poséidon. Et on ramasse les morts.

Une ambassade est envoyée aux Troyens, pour réclamer Héléne et ses richesses. Ceux-là n'ayant pas accepté, les Grecs se préparent à mettre le siége. Puis ils battent l'arriére-pays et saccagent également les villes à la ronde. Et aprés cela, Achille désire contempler Héléne ; un rendez-vous

leur est ménagé par Aphrodite et Thétis.

20

EURIPIDE

10

ET

LES

LÉGENDES

DES

CHANTS

CYPRIENS

Εἴτα ἀπονοστεῖν ὡρμημένους τοὺς ᾿Αχαιοὺς ᾿Αχυ-

15

λεὺς κατέχει. Κἄπειτα ἀπελαύνει τὰς Αἰνείου βοῦς, καὶ Λυρνησσὸν καὶ Πήδασον πορθεῖ xal συχνὰς τῶν περιοικίδων πόλεων, καὶ Τρωΐλον φονεύει. Λυκάονά τε Πάτροκλος εἰς Λῆμνον ἀγαγὼν ἀπεμπολεῖ. Καὶ ἐκ τῶν λαφύρων ᾿Αχιλλεὺς μὲν Βρισηΐδα γέρας

160

λαμθάνει, Χρυσηΐδα δὲ ᾿Αγαμέμνων.

105

"Ens ἐστι Παλαμήδους θάνατος. Καὶ Διὸς βουλὴ ὅπως ἐπικουφίσῃ τοὺς Τρῶας ᾿Αχιλλέα τῆς συμμαχίας τῆς ᾿Ελλήνων ἀποστήσας. Καὶ κατάλογος τῶν τοῖς Τρωσὶ συμμαχησάντων.

On a beaucoup discuté sur l'auteur de ce Sommaire et la valeur

de son témoignage. Faut-il identifier ce Proclos avec le grammairien du 11° s. de ce nom ou avec le néo-platonicien du ve ? Les avis sont partagés et les raisons alléguées dans un sens ou dans l'autre

ne sont pas déterminantes (1) On admet communément que Proclos ne lisait plus les poèmes épiques eux-mêmes (2), mais quelle était sa source ? E. Bethe pensait qu'il avait sous les yeux un manuel mythographique qui offrait une sorte de vulgate légen-

daire, en sorte que son résumé des épopées troyennes était entaché d'erreur : il donnait pour les poétes du cycle des versions tirées d'Homére ou d'autres sources, et il ne répartissait pas exactement les épisodes et les variantes légendaires entre les diverses épopées (3). Le second de ces reproches concerne surtout les Posthomerica. Pour le premier, les exemples allégués par Bethe sont

" peu nombreux et peu probants, à l'exception d'un seul (4). Il apparait bien que le scepticisme de Bethe était excessif. Proclos semble avoir disposé d'hypolhéseis remontant à l'époque alexandrine ou méme à

l'école d'Aristote

(5). Qu'il y ait beaucoup

lacunes dans son résumé, c'est ce qu'on les

fragments

subsistants;

que,

homérique

se substitue

à celle

l'admettre.

Mais, dans l'ensemble,

dans

des

de

constate si on examine de

rares

poétes

pourvu

du

cas,

cycle,

la version

on

peut

qu'on le contróle tou-

jours par les autres témoins, le résumé de Proclos forme la base (1) Rzach, (2) (3) n. 44. (4)

La vraisemblance penche en faveur du néo-platonicien (Immisch, Bethe, Allen, Severyns); cf. cependant L. Sicherl, Gnom., 28 (1956), p. 210, n. 1. Ce n'est cependant pas l'avis d'Allen (p. 56-57). E. Bethe, H., 26 (1891), p. 593-633 ; Homer, p. 204-09; Wilamowitz, p. 365, C. Robert et Schmid ont partagé cette méfiance. Il s'agit de l'épisode

du retour

de Páris

à Troie

aprés l'enlévement

d'Hélène

(cf. infra, p. 181-82). (5) Voir le compte rendu de l'article de Bethe par O. Gruppe (Jahresb., 122 (1894), p. 89-94) ; Romagnoli, SIFC, 9 (1901), p. 35 sqq.

LES

CHANTS

CYPRIENS

21

Ensuite, comme les Achéens s'apprétaient à rembarquer, Achille

les retient. Puis il s'en va pourchasser le bétail d'Énée ; il dévaste

Lyrnessos, Pédasos et nombre de cités voisines. Il assassine Troile.

Patrocle conduit Lycaon à Lemnos et l'y vend comme esclave. Du butin recueilli, Achille recoit par privilége Briséis, tandis que Chryséis échoit à Agamemnon. Vient ensuite la mort de Palaméde.

Et la volonté de Zeus qui, pour soulager les Troyens, pousse Achille à quitter l'alliance des Grecs. Et le catalogue de ceux qui combattirent aux cótés des Troyens.

méme de toute recherche autres épopées troyennes.

sur les Chants

Cypriens

comme

sur les

Les Kypria ont été cités trente fois nommément dans l'antiquite (1) et il en reste vingt-six fragments, dont le plus long n'excéde pas douze

vers (2). Un

petit nombre

d'entre eux sont tirés des

auteurs du v® et du iv? s. (XII : Hérodote ; XXIII : Platon) ou des sources papyrologiques (II, XVI (?)). A l'époque romaine, les

citations

les

plus

nombreuses

sont

données

par

Pausanias

(VIII ; XIV ; XVII; XXI ; XXII), Athénée (IV ; V ; VII; XIII) et Clément d'Alexandrie (VI ; XXV), sans doute de seconde main.

Tout le reste provient d'ouvrages de caractére technique : scolies d'Homére et Eustathe (I; Pindare (XI), de Sophocle

III; X; XVIII; (XV), d'Euripide

XIX), scolies (IX; XXVI),

de de

Lycophron (XX), traité grammatical d'Hérodien (XXIV). Parmi les autres sources, il faut placer au premier rang l’Epitomé du pseudo-Apollodore

(3). Son auteur combine souvent des tradi-

tions d'origines différentes, mais il a dû se servir, entre autres, d'hypolhéseis des épopées troyennes identiques ou comparables à celles dont disposait Proclos. Aussi

l'accord

de ces deux

sources

nous permet-il de déterminer assez sürement l'existence et la forme (1)

A. Severyns, Recherches sur la Chreslomathie de Proclos, I, 2 (1938), p. 93.

(2) Trois éditions de ces fragments sont à mentionner, celles de Kinkel, Epicorum Graecorum fragmenta (Teubner, 1877) ; T. W. Allen, Homeri opera, V (1912, éd. corr. 1946), p. 116-125 ; E. Bethe, Homer 11" (1929), p. 151-165. Nous donnons ici la numérotation

d'Allen

(en chiffres romains).

Le

lecteur trouvera

à la fln du

volume,

dans

l'index des auteurs anciens, une concordance avec la numérotation de Bethe (en chiffres arabes). (3) Editio princeps de R. Wagner, Teubner (1894). Nous citons d'aprés l'excellente édition de Frazer, Apollodorus, T. II (Loeb), 1921. On admet en général que cette compilation n'est pas du méme auteur que la Bibliothèque. Disons ici une fois pour toutes que nous

n'avons

pas alourdi nos nombreux

renvois à l'Epilomè

dans chaque cas qu'il s'agit d'un pseudo-Apollodore !

en indiquant

22

EURIPIDE

ET

LES

LÉGENDES

DES

CHANTS

CYPRIENS

d'un épisode dans le poéme épique. On doit étre beaucoup plus circonspect à l'égard d'un recueil comme celui d'Hygin (1) qui, outre

de nombreuses

bévues

et un

texte

fort altéré,

méle

aux

légendes épiques beaucoup de traits empruntés en particulier à la tragédie. Dans la masse des commentaires homériques, il y avait beaucoup à glaner pour la connaissance des épopées du cycle et ce fut le grand mérite d'A. Severyns d'avoir soumis les scolies,

et en particulier celles d'Aristarque, En

effet,

le philologue

alexandrin,

à un examen voulant

systématique.

«expliquer

Homére

par Homère », s'est attaché à distinguer la forme de la légende proprement homérique des développements et explications de ses successeurs,

les néóléroi,

au premier

rang desquels

se trouvaient

naturellement les cycliques. Les débris de son exégése, conservés surtout dans les scolies du Venetus A, ont fourni maints renseignements, qui ont à leur tour permis de rattacher à nos épopées

des textes connus par ailleurs.

|

Bien entendu, nous aurons encore à chercher la trace des légendes des Kypria dans toute la littérature vivante du vi? siècle

à l'époque alexandrine, en particulier chez les poétes lyriques, dans la tragédie attique (2), chez les historiens, chez les sophistes ou les philosophes. Citons enfin, à cóté des sources littéraires, les

ceuvres d'art, dont l'importance a été bien mise en valeur par des critiques comme C. Robert ou A. Rzach (3). En effet, les monuments figurés de l'áge archaique, qui ne sont pas encore influencés par la lyrique chorale ou la tragédie, illustrent souvent les épisodes

de l'épopée. Les descriptions laissées par Pausanias d'œuvres comme le coffre de Cypsélos, le tróne de Bathyclés, les grandes fresques de Polygnote, et d'autre part les vases à figures noires ou à figures rouges de style sévére trouvés en Gréce ou en Italie,

illustrent et enrichissent sur bien des points les bréves indications des textes. Là encore, il faut étre en garde contre les libertés que l'artiste a souvent prises avec l'épopée, mais on ne saurait se priver sans dommage de ce secours. Sur l'auteur des Chanis Cypriens et la date de sa composition, (1) Hygini Fabulae, éd. H. I. Rose, Leyde (1934) (cf. Wilamowitz, (2)

Sur

l'importance

de

la tragédie

attique

pour

la connaissance

p. 333). de l'épopée,

cf.

Wilamowitz, p. 375. (3) Voir par exemple C. Robert, Bild und Lied (1881). Rzach, col. 2380-2394, cite pour chaque épisode des Chants Cypriens les principaux monuments figurés correspondants connus à cette date ; cf. aussi Luckenbach, Jhrb. f. Philol., X1(1880), Suppl.B., p. 491-638. Des monographies récentes ont donné des listes complétes des représentations figurées pour des épisodes des Kypria comme le jugement des déesses, l'enlèvement d'Hélène, la mort de Trollos, etc. Trés utile est aussi le répertoire de Fr. Brommer, Vasenlisten zur griechischen Heldensage* (1960).

LES

les

traditions

sont

CHANTS

incertaines

CYPRIENS

et

23

fuyantes.

A

l'origine,

nous

trouvons une légende déjà connue de Pindare (1) : Homére aurait donné ce poéme en guise de dot à son gendre Stasinos de Chypre «et à cause de la patrie de celui-ci, le poème aurait reçu le nom de Kypria».

Il n'y a à retenir de cette légende,

dont on trouve

des paralléles pour d'autres épopées du cycle (2), que l'attribution populaire des Chanis Cypriens à Homère. Celle-ci n'apparatt contestée que dans la deuxième moitié du v® s., par Hérodote (3).

Aristote parle simplement de «l'auteur des Chants Cypriens » (4), et telle semble bien étre encore la tradition alexandrine, qui apparaît dans les scolies et nombre de témoignages tardifs (5). Cet anonymat cesse à l'époque romaine, mais l'exemple d'Athénée montre l'incertitude qui régnait à ce sujet. A un endroit (fr. IV), il donne pour auteur au poéme « Hégésias, ou Stasinos ou peut-étre Cyprias quelque

encore

d'Halicarnasse» (6), ailleurs «Cyprios, Stasinos, ou autre nom qu'on veuille lui donner» (fr. VII), ailleurs

«le poète

(fr. XII).

Dans

des

Chanis

Cypriens,

quel

qu'il puisse

les autres sources, c'est le nom

être»

de Stasinos

qui

revient avec le plus de fréquence (7). Si peu que cette tradition ait pour elle, elle ne présente en soi pas d'invraisemblance. Le vocalisme, qui n'est pas ionien (8), s'accorde bien avec l'onomas(1)

Fr. 221

Tu. (El.,

V. H., IX,

15) ; cf. aussi Procl., Chrest., p. 97, 15-17 ; Souda,

Vita Hom., 1. 36 Al. (2) Par exemple, la Thébalde (Callinos ap. Paus., IX, 9, 5 ; Cerlamen

l. 256 Al.) ; les Épigones Al.)

etc.

La

Souda

(ibid., 1. 258) ; la Petite

(Vila Hom.,

1. 44-48

Al.)

Iliade (Vita

attribue

entre

Hom. autres

Hom.

el Hés.,

herod., 1. 203 à

Homère

la

Petite Iliade, les Nostoi, «le cycle » et les Kypria. (3) Hdt., II, 115-117. Aristophane semble encore considérer le cycle comme homérique

(Allen,

p. 251).

(4) Poét., 23, 1459b 1-2 : « ὁ τὰ Κύπρια ποιήσας » ; même expression chez Philodéme (Kyp., fr. II); cf. déjà Plat., Euthyphr. 12 a (fr. XXIII). (5) Cf. Wilamowitz, p. 346 : « L'anonymat des epos est pour les grammairiens anciens naturel et général. » Cf. sc. Clém. Alex., citée p. 117 Al., sc. MA Eur., Héc.

41, et les fragments donnés par Clément d'Alexandrie (fr. VI), Pausanias (VIII, XVII), les scoliastes (III, IX, XI,

XIX,

XX),

Hérodien

(XXIV).

(6) Le texte n'est pas sûr. Il porte (XV, 682d) : « Δημοδάμας γὰρ ὁ ᾿Αλικαρνασσεὺς

ἢ Μιλήσιος

ἐν τῷ περὶ ᾿Αλικαρνασσοῦ

ποιήματα».

Allen, p. 62, comprend

Κύπρια ᾿Αλικαρνασσέως

que, d'après

Démodamas,

δὲ αὐτὰ εἶναί φησι en dépit du nom

de

Cypria l'auteur était d'Halicarnasse. Wilamowitz, aprés Becker, accentue Κυπρία et restitue le nom d'un poète Cyprias d'Halicarnasse (cf. Ath., VIII, 334b : «6 τὰ Κύπρια ποιῆσας εἴτε Κύπριός τίς ἐστιν, ἢ Zraoivog...», où on peut comprendre soit Cyprios, soit seulement un habitant de Chypre). Jacoby, F GrH, 428 T 3, retient la suggestion de Wilamowitz et estime que les indications d'Athénée proviennent des Pinakes de Callimaque. A son sens, Démodamas d'Halicarnasse {1115 s. av. J.-C.) aurait tiré arbitrairement du titre des Kypria le nom d'un poéte Cyprias. (7) Outre Athénée et les auteurs cités supra, n. 1, Clém. Alex. (fr. X XV); la sc. A à l'Iliade A5 (fr. I); la sc. à l'Euthyphron (fr. XXIII); Tzetz., Chil., XIII, 637-640.

(8) A la différence de celui d'Hégésias (ou Hégésinos, Procl., p. 97, 14 AL.) de Salamine, que Wilamowitz (Ilias und Homer, p. 428) rattache à Salamine d'Attique.

24

EURIPIDE

ET

LES

LÉGENDES

DES

CHANTS

CYPRIENS

tique chypriote, car celle-ci présente d'autres noms propres de méme formation (1). Le róle de Chypre, conservatoire des traditions achéennes dans le monde grec aprés les invasions doriennes, rendrait plausible une telle origine du poéte. Pour ces motifs, et aussi pour des raisons de briéveté et de commodité, nous conserverons donc au cours de notre exposé le nom de Stasinos comme

l'équivalent de «l'auteur des Chanis Cypriens », étant bien entendu que nous n'exprimons pas ainsi une confiance aveugle dans la réalité historique de ce personnage. Le titre méme du poème (2) n'est pas encore expliqué de façon satisfaisante. Vient-il simplement de ce que l'auteur était originaire de Chypre ? On a remarqué aussi le róle important joué par Aphrodite, qui comptait dans l’île quelques-uns de ses plus fameux sanctuaires. On a recherché dans le texte de nos maigres

fragments la trace d'expressions dialectales chypriotes, mais sans grand succés (3). Tout ce que l'on peut constater en étudiant les quelque quarante-cinq vers conservés, c'est une assez forte proportion de formes « jeunes », qui apparentent les Kypria aux autres épopées cycliques et à la poésie d'Hésiode (4). L'examen des légendes fait plutót ressortir l'importance des

éléments mythiques et cultuels attiques dans le poéme. déesse Némésis était honorée à Rhamnonte,

Ainsi la

Artémis et Iphigénie

à Brauron, et aussi à Aulis, aux portes de l'Attique. Stasinos contait l'enlévement d'Héléne par Thésée, l'expédition de représailles des

Dioscures, la prise d'Aphidna et la capture d'Aethra, mére du héros. Mais ceci ne suffit pas à prouver, comme l'a entrepris E. Bethe (5), que les Chanis Cypriens soient l’œuvre d'un poéte attique, surtout de la fin du vie s. En effet, pour des raisons diverses, les critiques datent en général le poème du vri? s. (6). Il est possible de préciser un peu (1) Cf. Rzach, col. 2395. Zrasivos semble un hypocoristique de Στασίας, qui est attesté à Chypre. On rencontre aussi Zré&oxvôpos, Στασίδαμος, Στασικράτης, etc. Kullmann, p. 215, estime de son cóté que ce nom de Stasinos peut remonter à une tradition

(2) Τὰ

ancienne.

Κύπρια ou τὰ Κύπρια ἔπη, parfois τὰ Κυπριακά.

(3) Sur ces «gloses chypriotes », cf. M. Leumann, Homerische Wörler, Bâle, 1950, en particulier p. 270-274 : les « gloses chypriotes » des grammairiens anciens ne seraient le plus souvent que des mots provenant des Chants Cypriens. Pour la critique de cette

thése, cf. E. Fraenkel, (4) Wilamowitz,

Gnom., 23 (1951), p. 373;

p. 366 ; Rzach,

Kullmann, p. 363-65.

col. 2395-96 ; Bethe,

p. 344.

(5) P. 343-45. (6) Par exemple Wilamowitz, Ilias und Homer, p. 428, suivi par Rzach, col. 2396 ; Severyns, Rev. Phil., 49 (1925), p. 179 ; Schmid-Stählin, p. 210 ; Lesky, p. 100 (vıı® s. tardif). Allen, qui étudie avec soin les indications chronologiques données par les anciens, situe au contraire tous les poèmes du cycle troyen, sauf les Nosloi et la Télégonie,

dans la seconde moitié du vııı® s. (p. 62-69). Il est vrai qu'il place à notre avis Homère

LES

CHANTS

CYPRIENS

29

plus à l’aide d'une double chronologie, absolue et relative. D'une part, les plus anciennes représentations figurées des Kypria déterminent un lerminus anle quem. On peut supposer, il est vrai, que de petites épopées plus anciennes et aujourd'hui disparues avaient déjà mis ces thémes en faveur. Mais il nous semble de meilleure méthode de transposer à l'âge archaïque ce que nous montre par exemple l'Athénes du ve s., c'est-à-dire l'influence décisive d'une ceuvre littéraire sur la forme et sur la vogue d'une légende mythologique chez les artistes, en particulier chez les

peintres de vases. Or les plus anciennes représentations des légendes des Kypria apparaissent dans l'art grec dés le milieu du vri? s. HR. Hampe (1) a donné une liste des représentations des Kypria antérieures au début du vi? s., liste que l'on peut compléter par d'autres documents. Bornons-nous à trois ceuvres, les plus anciennes qu'on puisse invoquer : un motif des Chanis Cypriens, Achille

dévorant la moelle des os des bétes fauves, figure déjà sur des vases attiques du milieu du vir? s. (2). Vers 650 également, une peinture de vase montre le rassemblement des héros avant le départ

pour la guerre de Troie (3). Enfin,

l'Olpé Chigi, qui représente

le jugement de Päris, serait à dater entre 650 et 630 (4). La conclusion est donc que les Chants Cypriens doivent être antérieurs à 690, mais de peu, c'est-à-dire qu'ils pourraient être du second

quart du vii? s. La datation relative



troyennes — confirme assurément postérieur

par

rapport

aux

autres

épopées

une telle manière de voir. Ce poème est à l'Iliade, dont il reprend et développe

tant de thémes (5). Il est également postérieur à la Pelile Iliade beaucoup trop tôt (vers 850). Allen rattache ces poèmes, surtout les Kypria et l' Éthiopide,

aux

entreprises

(1) Frühe

de colonisation

de

Milet

dans

la mer

Griechische Sagenbilder in Boölien, Athènes,

Noire

(p. 69;

1936. R. Hampe

76).

donne en

appendice la liste des représentations troyennes antérieures au début du νι" s. (p. 8081). Les épisodes illustrés sont le jugement des déesses (peigne en ivoire du temple d'Artémis Orthia, dont la date, trés controversée, est maintenant fixée par l'auteur assez tard dans le vire 8. (Fesischrift Schweilzer, 1954, p. 77-86), l'enlèvement d'Hélène (plats attiques géométriques et vase de Thébes (p. 78-79), relief d'ivoire de Sparte),

le rassemblement des chefs par Ménélas (« Vase de Ménélas »), le rapt des troupeaux d'Énée par Achille (Pithos à relief), l'épisode d'Achille et de Trollos (?) (métope de Calydon). On y ajoutera entre autres une amphore protoattique du milieu du vues. (CV A, Berlin, Antiqu., Bl, A9, PI. 5) représentant la remise du petit Achille à Chiron

(cf. infra, p. 91, n. 2). Les Kypria ont moins fourni de sujets à l'art archaïque — surtout pour la sculpture — que d'autres épopées ou parties du cycle (Jliade, Iliou Persis, cycles d'Héraclés

et de Thésée)

: cf. Ch.

Picard,

Sculpl.

archaique (1935), p. 329-330.

(2) J. D. Beazley, Attic Black Figure, 1951, p. 11. Sur ce motif, voir infra, p. 91. (3)

Beazley,

o. c., p. 8;

CVA,

Berlin,

2, Pl. 31-33;

RH. Hampe,

(4) L. Ghali-Kahil, Les enlévemenis d'Héléne..., p. 18; R. Hampe, (5)

W.

On

sait

Kullmann,

que

la

thèse

qui estime

opposée

a

été

défendue

avec

o. c., p. 80.

l. c.

beaucoup

de

brio

par

que l'auteur de l'Iliade a travaillé sur des motifs fournis

26

EURIPIDE

ET LES

LÉGENDES

DES

CHANTS

CYPRIENS

de Leschés de Mityléne, comme le montre la comparaison de deux légendes dans ces épopées, celle d'Achille à Skyros et celle de Telephe (1). Mais la Pelite Iliade est elle-même plus jeune que les

deux poèmes d'Arctinos, l'Éthiopide et l'Iliou Persis, dont elle reprend en partie la matière. A propos des épisodes légendaires du jugement des armes et de la mort d'Astyanax, Arctinos et Leschés étaient en désaccord, et l'examen des deux versions montre

que ce dernier a brodé et renchéri sur son prédécesseur (2). Les poèmes d’Arctinos, et surtout l’Eihiopide, appartiennent à la couche la plus ancienne des épopées troyennes après l' Iliade (3). On serait

méme tenté de penser qu'ils sont antérieurs à l'Odyssée: d'abord, à cause du róle peu important qu'y jouait Ulysse, ensuite, parce que, dans l'épopée homérique, de nombreux

épisodes des derniers

mois de la guerre sont évoqués d'une maniére qui concorde avec les récits d'Arctinos (4). Ces arguments sont loin d'étre décisifs, et nous dirons seulement qu'à notre avis la composition de ces trois œuvres date en gros de la méme époque et que la Petite Iliade est un peu plus récente. Il est difficile de situer les Chanls Cypriens par rapport aux /Vosloi (5), mais l'épopée de Stasinos est en

par les Chants

Cypriens,

l' Éthiopide et la Petile

Iliade.

Nous

ne pouvons

ici discuter

cette thèse (contre laquelle les arguments d'Allen, p. 72-75, restent valables), et nous nous

contenterons

de renvoyer

à notre

compte

rendu

(REG,

74

(1961),

p. 484-88).

Nous aurons par ailleurs souvent l'occasion de nous référer à cet ouvrage, fort important pour

notre

relevés,

en

sujet.

Les

particulier

motifs

par

parallèles

Bethe,

p.

Kullmann, p. 227-302 ; 358 ; 366. (1) Pour le premier de ces motifs,

dans

l'Jliade

216-18;

et les Kypria

Schmid-Stählin,

la démonstration

d'A.

ont

p. 201,

Severyns,

été souvent

et

surtout

CE,

p. 285-

291, nous paraît définitive (conira, W. Kullmann, p. 196-197). Pour l'un et l'autre, voir du méme auteur, Homère, III, p. 58-59. On pourrait également faire entrer en compte l'épisode de l'abandon de Philoctéte (infra, p. 316) et le róle donné par Leschés à Aethra. (2) Severyns, CE, p. 328-331 ; 365-69. W. Kullmann, p. 217-18; 360, admet que Leschés

a remanié

la

matiére

de

ces

deux

épopées

antérieures,

mais

il place

celles-ci

avant l'Iliade, et le poème de Leschés aprés (p. 220). (3) La chronographie antique (à laquelle Allen accorde peut-étre une confiance excessive), en plaçant Arctinos vers 740 (Souda, Eusébe) et Leschés vers 700 (Hellanicos,

Phainias,

Xanthos,

ap. Clém.

Alex.,

Strom.

I, 21,

131), traduit la même

idée.

Outre Kullmann, d'autres critiques ont cru discerner dans l'Éthiopide des motifs qui ont servi de modèle à ceux de l'Iliade (H. Pestalozzi, Die Achilleis als Quelle der Il., Zürich, 1945 ; J. T. Kakridis, Homeric Researches, Lund, 1949 ; W. Schadewalt, Von

Homers Welt und Werk*, Stuttgart, 1959, p. 155-202). (4) On peut toujours considérer, il est vrai, qu'il s'agit d'interpolations ou de parties « jeunes » de l'Odyssée. De méme pour les motifs qui se retrouvent dans les Nostoi.

(5)

Ces

thémes

cycliques

sont

énumérés

par

Allen,

p.

75-76.

E. Bethe, p. 377-380, place dans l'ordre : la forme la plus ancienne de l'Odyssée,

les Nostoi, la forme définitive de l'Odyssée, puis les Kypria et la « Pelite Iliade » (c'està-dire les trois poèmes des Posthomerica). Les Nostoi nous paraissent plus tardifs que

les autres

épopées

troyennes,

à l'exception

de la Télégonie.

LES

CHANTS

CYPRIENS

revanche sürement antérieure au l'Hymne homérique à Aphrodile (2) et, d'Eugammon de Cyréne (vers 570). que les allusions à la geste thébaine

27

Calalogue hésiodique (1), à bien entendu, à la Télégonie Pour étre complet, ajoutons dans le prologue des Kypria

et dans un des récits de Nestor donnent à penser que notre épopée

est postérieure à la Thébaide, et peut-être aux Épigones (3).

Quels étaient les caractères et la valeur littéraire des Chanis Cypriens? Ce ne sont pas les quelques vers conservés qui permettent de se faire une idée claire du style et de la composition. Dans l'ensemble, les critiques de l'antiquité ne semblent pas avoir

tenu en qui dit pour le les met

haute estime les poémes du cycle, si l'on en croit Proclos qu'on les lisait « en général non tant pour leur valeur que récit suivi qu'ils donnaient des événements » (4). Aristote bien au-dessous des poémes d'Homére et, dans les siécles

suivants,

Callimaque,

Aristarque,

Horace

adoptent

la

méme

attitude à l'égard de la poésie cyclique. Il est à remarquer que, dans les papyrus de l'Égypte gréco-romaine, qui offrent en grande quantité des vers d'Homére et ont rendu d'importants fragments du

Calalogue

des

Femmes,

ces

épopées

sont

pratiquement

absentes (5). Nous savons pourtant que, si les Chanls Cypriens sont rarement cités à l'époque classique, les poétes lyriques ou tragiques s'en sont beaucoup

inspirés, et ceci ne peut s'expliquer

par le seul fait qu'ils donnaient un «récit suivi » des événements. Parmi les modernes, Welcker a consacré quelques pages charmantes

à réhabiliter

l'auteur des Kypria

(6) et son

admiration

— peut-étre excessive — s'appuie sur une analyse trés fine, dont les attendus ont été souvent repris. À défaut de porter un jugement (1)

Voir par exemple l'épisode des noces de Thétis et de Pélée, infra, p. 72 sqq. Sur

ce poème, dont la composition a pu s'étendre sur un temps assez long, cf. J. Schwartz, Pseudohesiodeia,

Leyde,

1960.

(2) Épisode du jugement des déesses, infra, p. 101, n. 3. (3) Sur l' Aleméonide, considérée par Severyns comme une épopée de raccord entre les deux gestes, cf. R. Ph., 49 (1925), p. 179-181. En réunissant ces résultats partiels, nous

proposons



sous

toute

vers 750

réserve



la chronologie

suivante

:

: Iliade

725-700 : Éthiopide, Iliou Persis, Odyssée 700-680 680-660 650-625

: Pelile Iliade : Chants Cypriens : Nosloi, Catalogue

vers 600

: Alcméonide

hésiodique

vers 570 : Télégonie (4) Procl, Chrest., p. 97, 8-11 : « Τοῦ ἐπικοῦ κύκλου

τὰ ποιήματα διασῴζεται καὶ

σπουδάζεται τοῖς πολλοῖς οὐχ οὕτω διὰ τὴν ἀρετὴν ὡς διὰ τὴν ἀχολουθίαν τῶν ἐν αὐτῷ πραγμάτων ». (5)

On

ne citera guére que le P. Ozy.

morceaux de vers de l'Éthiopide. (6) P. 159-161.

1611, dont les fr. 2 et 4 pourraient

étre des

28

EURIPIDE

ET

LES

LÉGENDES

DES

CHANTS

CYPRIENS

de valeur, nous indiquerons au moins ce qui différencie ce poéme de ceux d'Homére.

Le

trait le plus

apparent

est l'étirement

de

l'action sur de

longues années. En face de l'intrigue ramassée de l'/liade et de l'Odyssée, les Kypria offrent un récit qui suit la marche du temps.

Cette tendance de l'épopée posthomérique, qui se manifeste déjà dans l’Éthiopide et l'Iliou Persis, est plus marquée dans la Pelile

Iliade et les Nosloi. Cette derniére épopée place méme les uns à la suite des autres les récits de faits qui se déroulent simultanément, mais dans des lieux et avec des héros différents. Une telle composition linéaire exige moins d'art, les tableaux et les épisodes s'enchatnent naturellement, mais c'est au détriment de l'unité du poéme. Chaque épisode tend à étre traité pour lui-méme et l'intérét du lecteur se disperse de l'un à l'autre (1). Méme si le poéte ne se borne pas à combiner entre elles de petites épopées préexistantes, comme on l'a parfois soutenu (2), l'association des

thémes homériques avec des légendes de provenance diverse risque de donner une impression de disparate et de surabondance. Ce dernier caractére se manifeste par la présence de nombreux doublets légendaires : les Kypria présentent deux débarquements, en Teuthranie et en Troade, deux famines, en Gréce et en Asie, deux

sacrifices propitiatoires, à Aulis et à Ténédos, etc. L'auteur multiplie les prédictions et les oracles, en sorte que. certains événements à venir (chute de Troie, mort d'Achille) se trouvent motivés de plusieurs maniéres différentes. La juxtaposition d'histoires distinctes conduit à mettre plusieurs héros en concurrence pour le

méme emploi : Calchas et Téléphe, Ulysse et Palaméde, Chiron, Phœnix et Patrocle (3). Si Stasinos fait un usage légitime de l'anticipation (destin de Polyxéne et d'Astyanax), procédé familier à Homére, il ne semble pas avoir hésité à interrompre son récit par de longues digressions, comme les récits de Nestor à Ménélas (4).

En revanche, ce procédé de composition traduit chez l'auteur un éveil du sens de l'histoire (5) : l'épopée cyclique regarde vers l'avenir en annonçant les récits d'abord mi-fabuleux, mi-historiques des premiers logographes. D'autre part, l'unité formelle est assurée par divers moyens. Dans les Xypria, le motif de la volonté de Zeus

domine la diversité des épisodes et leur donne une signification commune (6). Sous le regard de Zeus, Aphrodite conduit l'action (1)

Monro,

(2) (3) (4) (5)

En particulier E. Bethe, p. 294 ; 343; Schmid-Stáhlin, p. 210. Kullmann, p. 221-224. Lesky, p. 99. Bethe, p. 295; Kullmann, p. 223. C'est ce que E. Schwartz (H., 75 (1940),

p. 6.

p. 2) a appelé «die Historizierung des Epos ». (6) Bethe, p. 292; Kullmann, p. 221.

LES

CHANTS

CYPRIENS

29

comme Athéna dirigeait celle de l'Odyssée: victorieuse de ses rivales divines, elle protége Páris, l'aide à mener à bien la séduction d'Héléne et intervient à plusieurs reprises, en particulier pour retenir Achille en Troade (1). La « Volonté de Zeus», motif emprunté à l'Iliade, se charge encore d'une signification morale qu'elle ne comportait pas chez

Homère : si les hommes souffrent et meurent dans la guerre de Troie, c'est leur propre impiété qui a attiré ces malheurs sur leur tête.

L'importance

de

l'élément

moral

rapproche

les

Chants

Cypriens de la poésie hésiodique dont elle est contemporaine. Comme l'auteur de la Théogonie, Stasinos aime à mêler aux Olympiens des divinités allégoriques, Thémis, conseillére de Zeus,

Némésis, Éris (2). Le jugement des déesses et le róle d'Aphrodite

comportaient sans doute aussi leur part de symbole (3). L'auteur du Calalogue des Femmes avait donné une liste de prétendants d'Héléne

: de

méme,

Stasinos

énumérait

sans

doute

les

héros

assemblés à Aulis et il avait terminé son œuvre par un catalogue des alliés troyens (4). Les Kypria se caractérisent aussi par l'abondance des épisodes romanesques. Comme il est naturel dans un poéme dont Cypris était une des protagonistes, les amours des dieux et des héros y occupaient une grande place : citons celles de Zeus et de Némésis,

de Pélée et de Thétis, des Dioscures et des Leucippides, d'Héléne surtout, dont la beauté captive Thésée, Ménélas, Páris, Achille lui-méme,

celles

de

ce

dernier

avec

Déidamie,

peut-étre

avec

Iphigénie, avec Briséis. Le merveilleux, dont l'épopée homérique avait limité le rôle, intervient fréquemment avec les métamorphoses de Thétis et de Némésis, le récit de la naissance d'Héléne,

le miracle d'Aulis et le transport d'Iphigénie au fabuleux pays des Taures, les pouvoirs surnaturels des Oenotropes, l'entrevue d'Achille et d'Héléne arrangée par les dieux (5). L'élément divin apparait encore dans les multiples prédictions et oracles : Thétis, Cassandre, Hélénos, Anios (?), Calchas vaticinent, cependant que les dieux posent condition sur condition à l'accomplissement des souhaits humains (6).

Le ton n'a pas non plus la gravité de celui de l'Iliade, dans cette épopée où Mómos est le conseiller de Zeus et où les mille sourires d'Aphrodite (1) Monro, p. 5. (2) Bethe, p. 295;

de

ces allégories

dans la Théogonie, cf. H. Fránkel, Dichtung und Philosophie des Fruehen 1951, p. 145.

Griechentums,

(3) Bethe,

343;

se mélent à un destin dont le fond est tra-

392;

Rzach,

col.

p. 296.

(4) Schmid-Stählin, p. 210. (5)

Rzach,

I: c.

(6)

Rzach,

ibid. ; Kullmann,

p. 221-22.

2394.

Pour

l'emploi

30

EURIPIDE

ET

LES LÉGENDES

DES

CHANTS

CYPRIENS

gique (1). Des anecdotes comme la querelle des déesses, la séduction d'Héléne, ou encore l'histoire d'Ulysse victime de sa propre ruse, apportaient au récit une touche plaisante. Ailleurs, la peinture de la guerre troyenne se faisait réaliste. Dans la dernière partie

du poéme, Stasinos montrait les miséres d'une armée enlisée dans une campagne lointaine, amenée par la lassitude, les pertes et la famine à se mutiner contre ses chefs ou à chercher dans les razzias de bœufs et le sac des villes ouvertes une compensation à son insuccès devant les murs de la cité assiégée (2). A côté des héros de l’Iliade apparaissent de nouvelles figures, un Philoctéte, un Protésilas, un Palaméde. Stasinos semble avoir mis en relief

le personnage de Páris, qu'Homére avait sacrifié à Hector. Mais c'est surtout Achille — retiré sous sa tente pendant une grande partie de l'Iliade — qui apparatt dans toute sa gloire. Partout il est à la tête des Grecs, à Aulis, en Teuthranie,

à Ténédos,

en

Troade où il multiplie les exploits (3). Si terne que l'on suppose le style des Chants Cypriens — et les fragments n'autorisent pas une telle condamnation (4) — le fond avait assez de mérites pour expliquer l'influence si forte et si constante que ces poémes ont eue sur l'imagination des poétes et des artistes, du vir? à la fin du v? 8. avant notre ère. Le naufrage presque complet des ceuvres littéraires de l'époque

archaïque ne permet de déceler cette influence que cà et là, au hasard des morceaux conservés, mais de multiples indices montrent combien le souvenir des Kypria était encore vivant au v? s. À Athènes, il est probable que leur récitation était de règle aux

Panathénées à côté de celle de l’/liade et de l'Odyssée et des autres épopées troyennes (5). La place tenue dans les Chanis Cypriens par

les légendes

attiques

ne

devait

pas

étre

étrangére

à cette

popularité, si elle n'en était pas sans doute la raison principale (6). Pindare et Bacchylide s'y référent souvent, les tragiques et méme les comiques y puisent de trés nombreux

sujets de piéces.

On a

relevé son influence sur Hérodote (7), sur Gorgias et, au début du 1v? s., sur Isocrate et sur Platon. Dans le domaine religieux, le renouveau du culte de Nemesis à Rhamnonte serait dü en partie à l'influence du poéme de Stasinos.

La rapide décadence de la poésie au 1v? s. entraîne le déclin des épopées cycliques.

Comme

Homére

(1) Aspect souligné avec raison par Welcker,

reste au centre de la vie p. 159-161.

(2) Kullmann, p. 223. (3) Cf. Κα. Bielohlawek, Das Heldenideal in der Sagendichlung

vom

Troischen

WS, 66 (1953), p. 5-10. (4) (5) (6) (7)

Cf. Schmid-Stählin, p. 210. Wilamowitz, p. 363-64. Comme le dit Bethe, p. 344-45. Cf. par exemple W. Aly, Volskmürchen

bei Herodol, p. 54 ; 67.

Kreis,

EURIPIDE

ET

LES

CHANTS

CYPRIENS

3l

littéraire et surtout de l'école, c'est surtout par rapport à l’Iliade et à l'Odyssée que sont étudiées les légendes contenues dans ces poèmes. Dès le 1v? s. commencent à se substituer au texte original

des

résumés

en

prose

(1l), et cette

littérature

mythographique

finira par évincer les épopées troyennes dont les mérites littéraires

ne pouvaient se comparer à ceux de l’Iliade et de l'Odyssée. Certes, les Kypria étaient bien connus des poétes alexandrins, Callimaque,

Lycophron, Théocrite. Ils avaient peut-étre été l'objet de travaux d'édition

(2), et Zénodote

et Aristarque

à Alexandrie,

ou Cratés

à Pergame s'en servaient pour commenter Homére, mais le grand public ne les lisait plus. Vers la méme époque, nous savons cepen-

dant qu'ils ont été traduits en latin par Ninnius (3). Le texte original se perd à une date indéterminée entre le 119 et le ve s. (4), et sans doute plutôt vers le début que vers la fin de cette période. Il est à peu prés sür que Pausanias, Athénée et Clément d'Alexandrie ne

citent

plus

les Chanis

Cypriens

que

d'aprés

des

extraits

et,

à l'époque de Quintus de Smyrne, de Tryphiodoros et de Colouthos, ils ont disparu depuis longtemps, victimes, comme tant

d'autres

œuvres

de

l'antiquité,

de

l'érudition

de

seconde

main. III. LES

LÉGENDES CHEZ

QUESTIONS

DES CHANTS EURIPIDE

DE

CYPRIENS

MÉTHODE « Μή uot λεπτῶν θίγγανε μύθων [dorf] τί

περισσὰ

φρονεῖς ; εἰ

σεμνύνεσθαι παρ᾽

μὴ

μέλλεις

ὁμοίοις. »

EuR.,

fr. 924

(Auge?)

Pour l'histoire légendaire de la guerre de Troie jusqu'au point où commence !’/liade, le poème de Stasinos est, avec celui d'Homére,

la source premiére d'Euripide. Méme

s'il a existé auparavant de

(1) Dès le v* s., les ouvrages en prose de Phérécyde,

Hellanicos, etc., ont pu con-

tribuer à cette décadence. Pour le 1v° s., les Tragodoumena d'Asclépiade de Tragile étudiaient la forme prise par les légendes dans la tragédie (cf. Wilamowitz, p. 361).

(2) Wilamowitz, p. 369 ; Schmid-Stählin, p. 198. (3) D'autres sources nomment l'auteur de cette 184,

16). Sur

Ninnius

Crassus,

cf. W.

Kroll,

traduction

8. v. Ninnius

6), RE,

Naevius

(Charis.,

XVII,

1 (1936),

col. 634. (4) A. Severyns, Recherches..., 1, 2 (1938), p. 92. Allen, p. 52-59, estime au contraire que ces poémes étaient encore lus au temps de Proclos et de Porphyre, époque oü on conservait des œuvres de Callimaque ou d'Euphorion aujourd'hui perdues. Il est

à noter que les piéces d'Euripide extérieures au « choix » commencent de leur cóté à disparaître

dés le début

du

115 8. (P. Collart,

R. Ph.,

16 (1943),

p. 31).

32

EURIPIDE

petites épopées

ET

LES

LÉGENDES

qui développaient

DES

CHANTS

CYPRIENS

un épisode

particulier, il est

certain qu'on ne les connaissait plus dans l'Athénes du ve siècle. Mais une étude qui se limiterait à l'influence des Chanis Cypriens sur le théâtre d'Euripide en atteindrait assez vite le terme et

risquerait

d'étre

d'un

mince

profit.

En

effet,

avec

cinquante vers du poéme épique conservés, il n'y a infime de déceler dans les tragédies des imitations la forme des légendes, on pourra dans les meilleurs la version de Stasinos avec celle d'Euripide. Plus

moins

de

qu'une chance littérales. Pour cas confronter souvent, il ne

sera pas possible de dire avec certitude comment le poéte épique avait

traité

le sujet,

et parfois

la difficulté augmentera

encore

méme,

s'il l'avait

traité.

Enfin,

si la tragédie correspondante

est

perdue et si on doit au préalable en reconstituer l'intrigue à l'aide des fragments et de la tradition indirecte. Il sera donc nécessaire de faire intervenir tous les témoignages intermédiaires entre Stasinos et Euripide, c'est-à-dire ceux de l'épopée tardive, du lyrisme, du théátre, des prosateurs et des artistes. Ceux-ci nous

éclaireront parfois sur l'état de la légende épique. Surtout, nous nous replacerons, autant que possible, dans les conditions méme où se trouvait le poète quand il mettait sur le chantier un de ses drames, car la matiére mythique se présentait à lui à la fois sous la forme que lui avait donnée Stasinos et sous des formes

différentes, élaborées par deux siécles d'activité littéraire. La maniére dont les légendes épiques s'offrent à nous dans ce théátre impose pour chaque cas une approche particuliére. Tantót, en effet, un épisode des Chants Cypriens forme le sujet d'un drame entier, soit conservé ( Iphigénie à Aulis), soit perdu (Alexandros,

Skyrioi, Téléphe, (Tennés), Prolésilas, Palaméde). Tantôt cet épisode constitue un motif accessoire dans une piéce qui porte sur une autre partie du cycle troyen : le plus souvent, il s'agit d'un drame conservé ((RHRhésos), Troyennes, Hécube, Cyclope, Héléne, Oresle, Andromaque, Iphigénie en Tauride), parfois d'un

drame perdu (Pheniz, Philoclele, Pélée). Tantôt enfin, la légende évoquée au passage dans les Chanis Cypriens appartient à une autre partie de la geste troyenne ou est étrangére au cycle, et il faudra chercher, soit dans les piéces conservées ( Hécube, Troyennes,

Héraclés Furieux), soit dans les pièces perdues ( Anliope, Œdipe, Thésée) qui reprennent ces mythes, si l'influence du poéme de

Stasinos est encore perceptible. Dans

tous

les cas,

le but

à atteindre

sera le méme

: établir

l'état de la légende chez Euripide, et dans la mesure du possible, chez Stasinos, afin d'apercevoir ce que le poéte tragique a conservé de la légende ancienne, examiner ensuite ce qu'il doit à des sources plus récentes, déterminer enfin les points sur lesquels il a innové

et essayer de préciser les raisons qui l'ont poussé à modifier les

EURIPIDE

traditions

reçues.

s'agit de drames

Mais

ET

LES

CHANTS

la démarche

conservés

CYPRIENS

sera

ou de drames

33

différente perdus,

selon

qu'il

et aussi selon

que le théme épique se rencontre dans une ou plusieurs piéces. Le cas privilégié où une pièce conservée traite d'ensemble un épisode des Kypria (celui d'Iphigénie à Aulis) offre à la recherche

les conditions les plus favorables et permet d'espérer les résultats les plus fructueux. Il suffit alors de suivre la marche que nous venons d'indiquer. Il en est de méme lorsqu'un motif accessoire se rencontre dans un seul des drames conservés. Quand un méme thème des Xypria apparaît occasionnellement dans plusieurs de ces piéces (ce qui se produit encore pour le

sacrifice d'Iphigénie en dehors d'Iphigénie à Aulis), on prendra celles-ci dans l'ordre chronologique. On pourra ainsi voir si la forme de la légende et l'esprit dans lequel elle est traitée différent d'un drame à l'autre, et, dans l'affirmative, si ces modifications proviennent d'un changement de sources ou doivent étre attribuées à des mobiles personnels de l’auteur. Dans le cas, assez rare par suite de l'indigence de nos fragments,

où un motif secondaire se rencontre dans une ou plusieurs des pièces perdues, il serait évidemment sans profit de reconstituer l'intrigue entière. On se contentera d'insérer le témoignage à sa place parmi

ceux

que

fournissent les pièces conservées.

Il n’en va pas de même pour les épisodes qui formaient la matière d'un drame perdu. Ici, avant toute étude, il est essentiel d'établir

aussi exactement que possible la marche de l'action. Comme

ces

reconstitutions forment une partie importante de notre táche, nous devons indiquer dans quel esprit et suivant quels principes nous avons procédé.

Et d'abord, l'entreprise vaut-elle d'étre tentée ? Il est vrai que l'étude des piéces perdues a suscité des travaux de valeur, et des savants comme Welcker, Hartung, Zielinski, Séchan et bien d'autres s'y sont illustrés. Mais beaucoup de philologues éprouvent une méfiance instinctive pour une recherche qui fait par nécessité

la part trop large à l'hypothése et ne peut aboutir qu'à des résultats toujours provisoires (1). On ne compte

tentatives isolées depuis

une .trentaine

dans ce domaine

d'années

que des

et la tendance

(1) Sur les difficultés de cette tâche, voir déjà Nauck, Euripidis lragoediae, III (1885), p. virr-xv, et TGF', p. vir : « Qui ex frustulis fortuito servatis et confisi testimoniis haud raro fallacibus oeconomiam perditarum fabularum instaurare temptant,

plerumque

aediflcia struunt solido

L. Séchan,

p. 59;

V. Martin,

fundamento

Genava,

7 (1959),

destituta p.

18-19;

ideoque H.

mox

collapsura »;

Lloyd-Jones,

Cl. A., 9

(1959), p. 284. En revanche, pour des plaidoyers en faveur des reconstitutions de piéces perdues,

énumérant

les ressources

et les procédés à utiliser,

le drame anlique (1908), p. 213-14 ; H.

Philippart,

voir H. Weil,

Humanitas,

Études sur

4 (1929), p. 112-118. 4

34

EURIPIDE

générale

est

ET

plutót

LES

de

LÉGENDES

laisser

DES

ces

CHANTS

CYPRIENS

problémes

en

sommeil,

en

attendant des documents littéraires ou artistiques nouveaux qui permettraient d'asseoir plus solidement les reconstitutions. Or, pendant cette période, les papyrus d'Égypte ont fourni des morceaux plus ou moins importants de plusieurs de nos drames troyens (Alexandros,

Skyrioi,

nous ont encouragé

Téléphe).

D'autres

considérations

encore

à nous engager dans cette voie. Bien

que la

somme des témoins utilisables ne se soit pas trés sensiblement accrue depuis trente ans, les progrés d'ensemble de la philologie nous permettent d'en faire un meilleur usage : les textes essentiels sont mieux édités, la technique de la tragédie et les particularités du drame euripidéen plus exactement définies. Enfin, par le fait que le champ de notre recherche est restreint à un petit groupe de piéces apparentées par le sujet et puisant à la méme source épique,

il sera possible

de procéder

à des confrontations

plus précises,

dont on peut espérer quelques enseignements nouveaux. De quelles ressources dispose-t-on pour ces reconstitutions ? Les fragments fournis par la tradition indirecte, plus ou moins abondants suivant les piéces, sont en général d'un faible secours.

La majorité provient de compilations ou d'anthologies (Clément d'Alexandrie,

Stobée,

Orion,

etc.)

qui

ont

surtout

recueilli

des

maximes de portée générale, donc sans lien direct avec l'action. Les citations des traités grammaticaux se limitent le plus souvent à un mot ou à un vers. Les références les plus utiles proviennent des rhéteurs, qui paraphrasent volontiers les tragiques, des

scoliastes, légende,

qui

distinguent

des mythographes,

ne contaminent

les

diverses

versions

lorsqu'ils indiquent

pas des versions

différentes,

d'une

méme

leurs sources

et

enfin des auteurs

techniques — historiens, géographes, astronomes, écrivains militaires, etc. — qui font parfois appel au témoignage de la tragédie au cours de leurs recherches.

Les fragments papyrologiques, lorsqu'ils existent, sont d'autant plus précieux qu'ils présentent en général plus d'étendue que les citations anciennes, mais des lacunes et des mutilations en altérent

" trop fréquemment le sens. Dans ce cas, nous avons rarement essayé

de les compléter, car l'expérience montre qu'au-delà de quelques lettres, on n'a plus que des chances minimes de rétablir le véritable texte.

Nous

avons encore la possibilité de suivre la trace des drames

d'Euripide chez les écrivains des siècles suivants, qui s’en inspirent souvent

sans éprouver

le besoin

de citer leur source.

Les rémi-

niscences d'Euripide ne sont pas rares chez les poètes alexandrins comme

Lycophron,

Callimaque,

Théocrite,

et les

poètes

latins,

Ovide surtout, parfois Catulle ou Virgile. Ses pièces ont été traduites ou adaptées

par les tragiques latins de l'époque

républicaine

et

EURIPIDE

ET LES

CHANTS

CYPRIENS

35

par Sénéque. Les traités de mythologie, comme la Bibliothèque d'Apollodore ou les Fables d'Hygin, reproduisent souvent la version légendaire que le succés des piéces d'Euripide avait imposée

et l'influence du poéte subsiste à travers les autres compilations de la fin de l'áge hellénique

ou, de l'époque

byzantine

qui sont

parvenues jusqu'à nous. Mais aucun de ces auteurs ne s'est fait scrupule de combiner entre elles des sources différentes et il est toujours délicat de déméler chez eux ce qui provient d'Euripide de ce qui a une autre origine. A côté des sources proprement littéraires, les documents archéologiques représentent un apport non négligeable (1). Les vases à figures rouges de la seconde moitié du v? s. attestent déjà l'influence d'Euripide, mais celle-ci est plus marquée encore par la suite, au 1v? s. à Athènes, au 1v? et au 1119 s. en Grande Grèce.

La céramique italiote, les urnes étrusques, les miroirs, la peinture pompéienne, les sarcophages grecs et romains illustrent en grand nombre les scènes les plus populaires de son théâtre (2). L'œuvre d'art reproduit parfois la scène centrale de la pièce, celle qui a le

caractère le plus dramatique, et fournit ainsi un sérieux appoint pour la reconstitution de l'intrigue. Parfois aussi l'artiste représente des scénes qui étaient seulement l'objet d'un récit de messager. Il s'efforce de donner aux personnages des gestes et une attitude qui traduisent leur caractére dans la tragédie. Cependant, là encore,

les documents

ne sont pas toujours

fidèles (3). L’artiste

ne travaille pas en général d'aprés un texte écrit. Ou bien il illustre une scène d’après ses souvenirs de la représentation, et il a plus ou moins bien compris la piéce et sa mémoire est plus ou moins fidéle : il arrive que les noms soient vagues ou erronés, qu'il manque des personnages principaux, qu'un jeu de scéne soit mal interprété. Ou bien il puise dans des traditions populaires qui ne s'inspirent que partiellement de la tragédie. Ou bien encore la reproduction est au second degré, d'autres œuvres d'art s'interposant entre le tragique et lui-méme. Or il est certain que les motifs théátraux tendent à se déformer rapidement dans la céramique industrielle et la tradition des ateliers. Le peintre de vases se considére comme libre d'ajouter ou de retrancher en fonction des nécessités propres à son art. Ainsi, il dispose à sa manière des personnages dans l'espace qu'il doit décorer, il comble les vides avec des divinités, des figures secondaires ou allégoriques absentes de la tragédie. (1) Sur l'ensemble de la question, cf. Séchan, p. 51-57 ; 534-542 ; 576-578. (2) Sur ces différents types de représentations flgurées on trouvera une d'ensemble

et une

bibliographie dans l'ouvrage

de Séchan,

p. 10-31 ; 534-542.

étude Citons

pour la peinture pompéienne K. Schefold, Die Troiasage in Pompei, Mél. Byvanck (1954), p. 211-224. (3) Séchan, p. 54-56 ; E. Pottier, Études d'art el d'archéologie (1937), p. 475 sqq.

36

EURIPIDE

I] arrive

encore

ET LES

LÉGENDES

qu'il imagine

DES

une

CHANTS

CYPRIENS

composition

synthétique

en

fondant plusieurs scénes dramatiques en une seule. Aussi les documents figurés, tout en apportant une contribution précieuse, parfois irremplacable, à ce travail de reconstitution, doivent toujours étre interprétés en tenant compte des textes littéraires. Th. Zielinski (1) a montré qu'un examen attentif de ces derniers, en particulier des drames attiques, pouvait révéler des variantes légendaires provenant de piéces perdues. Le savant polonais a recherché dans les ceuvres conservées les « motifs rudimentaires » qui montrent chez un poéte la connaissance d'une forme antérieure

de la légende.

Tantót

il s’agit d'un doublet,

étant accompagné d'un mais qui provient d'une venir apparaît sous la que concu («consilium d'une « vaine rumeur »

motif ceuvre forme irritum que le

le motif principal

secondaire en apparence inutile, plus ancienne. Quelquefois, le soud'un dessein aussitôt abandonné »), d'une proposition rejetée ou poète dément par la voix de ses

personnages. Assez souvent, la présentation méme des faits cache une polémique de l'auteur contre l'un ou l'autre de ceux qui ont traité le sujet avant lui. Enfin, une contradiction inconsciente peut résulter du fait qu'il adopte un motif nouveau sans avoir entiérement chassé de son esprit le motif ancien.

Dans l'emploi de ces procédés, Zielinski n'a pas toujours usé lui-méme de la grande prudence qu'il préconise (2). Il les a surtout

appliqués à la recherche des thémes d'Eschyle et de Sophocle dans les piéces conservées d'Euripide. Si nous y avons parfois recours, ce sera donc surtout pour préciser un état de la légende intermédiaire entre Stasinos et notre tragique. Plus souvent, nous devrons tenir compte des habitudes d'Euripide dans le choix des thémes et la maniére de les développer. Par exemple, les sujets qui l'attirent ne sont pas les mémes aux

diverses périodes de sa carriére théátrale (3). En construisant son intrigue, 1] aime à y inclure certains types de scènes : reconnaissance, intervention d'un sauveur, agón, arrivée du deus ex machina, etc. (4). Des repéres chronologiques permettent de dire si, à une date donnée, il utilise ou non tel ressort de théâtre, tel artifice de mise en scène, (1)

Pour reconstituer les tragédies perdues de la littérature grecque, RBPhH,

6 (1927),

p. 593-602 ; 7 (1928), p. 5-19. les

(2) Cf. le cas de I' Iphigénie d'Eschyle, infra, p. 271, n. 4. Il est remarquable que travaux récents dans ce domaine émanent en majorité de philologues polonais

(S. Srebrny,

W.

Steffen, W.

Klinger,

(3) C'est sur ce principe qu'est de Schmid-Stählin (cf. p. 335-38).

(4)

auxquels

fondé

le plan

on ajoutera d'étude

B. Borecky,

d'Euripide

dans

à Prague). l'ouvrage

Il n'existe pas d'ouvrage d'ensemble sur la technique dramatique d'Euripide,

mais de très nombreuses

études

de détail (cf. infra, p. 427, n. 2). Sur l'emploi de ces

procédés chez Euripide, voir S. Trenkner,

The greek Novella (1958), p. 31-78.

EURIPIDE

ET

LES

CHANTS

CYPRIENS

37

telle ordonnance

des parties lyriques. Enfin, le poéte était tenu

par la limitation

du

nombre

des acteurs

et le partage

des róles

entre eux : on n'a pas toujours accordé assez d'attention à ces nécessités dramatiques, qui peuvent orienter le choix entre plusieurs solutions possibles. Non seulement on ne peut imaginer une scène où quatre personnages seraient présents ou parleraient, mais on tiendra compte du rythme des entrées et des sorties,

du temps minimum nécessaire à un changement de costume ou de l'impossibilité de faire jouer un róle par deux acteurs différents (1). Tels sont les moyens,

dont

aucun

n'est à vrai dire nouveau,

que nous avons mis en ceuvre pour reconstituer les piéces perdues. On ne saurait en attendre des résultats décisifs, mais ils permettront

au moins de faire un tri parmi les schémas d'intrigues possibles et d'indiquer les plus vraisemblables. dr =

=

L'étude que nous allons maintenant entreprendre se caractérise à la fois par l'abondance de la matiére mythique et les difficultés qu'on éprouve à l'ordonner par rapport à Stasinos et à Euripide.

On doit suppléer à la disparition d'un grand nombre d'œuvres littéraires par des déductions fondées sur des bases étroites. L'étude des légendes

rendue

des Chanls

souvent

ingrate

Cypriens

dans le théâtre

par le fait qu'il manque

d’Euripide

un

est

des deux

termes de la comparaison — l'épopée du cycle — et parfois méme les deux, quand le drame correspondant est perdu. L'extréme

agilité d'esprit du poéte tragique, qui prend avec la tradition légendaire des libertés grandes, ne facilite pas la tâche. Aussi débouchera-t-on beaucoup plus souvent sur des possibilités et

des vraisemblances

que

sur des certitudes.

Nous

nous

sommes

efforcé de distinguer les unes des autres et de marquer dans chaque cas le degré de probabilité de nos conclusions. Au cours de ces

recherches, nous nous sommes constamment proposé d'offrir une aide aux lecteurs d'Euripide, en leur indiquant les œuvres, souvent

peu connues, dont il s'inspire, et en mettant en évidence la maniére trés personnelle dont il les plie à ses fins dramatiques. Euripide a-t-il été un esprit puissant et original ? La réponse n'est pas

évidente.

Mais nous souhaitons faire partager au lecteur, s'il en

est besoin, l'admiration, confirmée par les longues années d’intimite avec son ceuvre, que nous éprouvons pour le génie du poéte et de l'homme de théátre. (1) Cette règle ne paraît pas comporter d'exception (cf. W. Pickard-Cambridge, The dramalic festivals of Athens (1953), p. 139-148, et en particulier 143-144).

CHAPITRE

LA

VOLONTÉ

PREMIER

DE

ZEUS

LA

VOLONTÉ

DE

ZEUS α... πάντα

γὰρ Or

ἀψόφου

βαίνων κελεύθου κατὰ δίκην τὰ θνήτ᾽ ἄγεις.» Eur.,

Troy. 887-88

A la fin d’Électre, les Dioscures apparaissaient ez machina, et, par-dessus la téte des acteurs, faisaient au public une annonce

:

Héléne qui vient d'arriver à Nauplie, n'est jamais allée chez les Phrygiens. « Zeus, envoyé

La vérité, disaient-ils, la voici :

pour un

provoquer

fantóme

discorde

d'Héléne

à

et

Ilion »

tueries

parmi

les

mortels,

avait

(1).

Le poéte présentait ainsi d'avance la curieuse légende qu'il devait mettre

en

scéne

l'année

suivante,

en

412.

Le

début

méme

de

l'expression aurait pu passer pour une simple périphrase de style homérique désignant la lutte autour de Troie, pas développé sa pensée, précisément dans le L'héroine y expose les mésaventures qui ont pour Páris de la ruse d'Héra : elle se trouve et Páris,

qui avait cru enlever la femme

si Euripide n'avait prologue d'Héléne. résulté pour elle et reléguée en Égypte

de Ménélas,

n'a conduit

en Troade qu'un fantóme à son image. Puis elle ajoute : « Par ailleurs, les desseins de Zeus sont venus ajouter à ces maux. Car il apporta la guerre à la terre hellénique et aux infortunés Phrygiens, pour

BIBLIOGRAPHIE

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p. 1074.

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u Ζεὺς

8° ὡς

ἐπῶν, From

Ilpaxrıxa

Mycenae

τῆς ᾿Ακαδ.

to Homer,

Londres,

p. 418-19.

ἔρις γένοιτο

xal φόνος

βροτῶν,

εἴδωλον ᾿Εἰλένης ἐξέπεμψ᾽ ἐς Ἴλιον.» (El. 1982-83). Au premier vers, Belhe corrigeait à tort φόνος la thése soutenue,

entre autres,

par

E.

en φθόνος.

Delebecque,

1280-83 seraient l'eeuvre d'un arrangeur tardif.

Nous ne pouvons

p. 336,

d'aprés

laquelle

accepter les vers

42

EURIPIDE

soulager la Terre,

ET

LES

LÉGENDES

notre mére,

DES

de la masse

CHANTS

CYPRIENS

des mortels qui l'oppressaient

et pour illustrer le plus vaillant des Grecs » (1).

Cette explication, toute surprenante qu'elle était, tenait assez à cœur au poète pour qu'il la reprit, quelques années plus tard, au

dénouement d'Oresie. Ici encore, c'est le deus ex machina, Apollon, qui parle : il fait savoir que, sur l'ordre de Zeus, il a soustrait Hélène au couteau du fils d'Agamemnon et l'a transportée au ciel,

où elle doit partager l'immortalité de ses frères, Castor et Pollux. De

cette apothéose

inattendue,

le dieu

donne

deux

raisons : la

premiére est qu'Héléne est la fille de Zeus ; la seconde, «c'est que les dieux se sont servis de sa beauté

pour mettre aux prises

Grecs et Phrygiens et provoquer des morts, afin d'alléger la terre outragée par les mortels sans nombre qui la couvraient » (2).

De ces trois passages, il faut rapprocher un fragment attribué avec beaucoup de vraisemblance au dénouement de l'Alezandros, représenté

en

415.

Aphrodite

apparaissait

aussi

dans

les

airs,

encourageait Páris, qui venait d'étre reconnu par ses parents, à se rendre auprés d'Héléne. Puis la déesse exposait à l'intention des spectateurs les conséquences redoutables de ce rapt et concluait en ces termes : « Car

c'est

de la Gréce,

Zeus

qui, voulant

le malheur

des

Troyens

et les épreuves

a formé ce dessein, lui, notre pére » (3).

Que ressort-il de ces différents textes ? D'abord, que la guerre de Troie avait été voulue par Zeus (4) et que son déroulement marquait l'accomplissement d'un vaste dessein du roi des dieux. Ensuite, que son but avait été de soulager par des hécatombes de guerriers la terre surpeuplée et en butte aux outrages de mortels (1) HL

36-41

:

«............. Ta 89 αὖ Διὸς βουλεύματ᾽ ἄλλα τοῖσδε συμβαίνει κακοῖς * πόλεμον γὰρ εἰσήνεγχεν ᾿Εἰλλήνων χθονὶ καὶ Φρυξὶ δυστήνοισιν, ὡς ὄχλου βροτῶν πλήθους

τε χουφίσειε

μητέρα χθόνα

γνωτόν τε θείη τὸν xpériorov ᾿Ελλάδος. » (2)

« ᾿Επεὶ θεοὶ τῷ Node καλλιστεύματι

Ἕλληνας εἰς ἕν καὶ Φρύγας συνήγαγον, θανάτους

τ᾽ ἔθηκαν,

ὡς ἀπαντλοῖεν χθονὸς

ὕδρισμα θνητῶν ἀφθόνου πληρώματος » (1639-1642). Sur l'idée qu'Héléne a été l'instrument des dieux, cf. infra, p. 170-71.

(3) Fr.

1082 :

«Zeig yàp κακὸν θέλων

(cf. le commentaire

γενέσθαι,

de Strabon,

IV,

μὲν Τρωσί,

ταῦτ᾽

ἐδούλευσεν

1, 7, p.

πῆμα δ' ᾿Ελλάδι πατήρ.»

183, qui cite ces deux

vers).

On

a tenté

de corriger le dernier mot en πατέρ (Naber) ou πότε (Schmidt), mais à tort : cf. HL 40: «μητέρα χθόνα ». Sur ces vers et leur attribution à l' Alezandros, voir infra, ch. IV, p. 135. (4)

Dans

Oreste 1639, ce sont «les dieux » qui ont concu ce projet, mais la variante

est de peu d'importance.

LA VOLONTÉ

DE ZEUS

43

impies. Enfin, que le plus beau des Grecs, Achille, et la plus belle des femmes, Héléne, avaient tenu dans ce dessein un róle de

premier plan. Or, c'est précisément ce qu'affirmait Stasinos dans les Chanis Cypriens. En effet, parmi les rares débris de ce poéme, on peut lire un passage qui se trouvait en téte, ou tout au moins au début de

l'ouvrage : « C'était au temps oü mille tribus humaines errant sur la terre (écrasaient de leur poids) la surface du vaste sein terrestre. A cette vue, Zeus prit pitié, et,

dans

ses

profonds

desseins,

il décida

nourriciére en suscitant la grande alléger son fardeau

par la mort;

de

soulager

d'hommes

querelle de la guerre et dans la Troade

la

terre

troyenne,

pour

mouraient

les héros

:

la volonté de Zeus s'accomplissait » (1).

La scolie à l' Iliade qui fait connaître les vers des Chanls Cypriens donne

une indication importante pour préciser l'esprit de ce pro-

logue du poéme épique : «On accablée par le poids des humains, parmi eux (2), demanda à Zeus Ainsi, dans les Chants Cypriens,

raconte, dit-elle, que la Terre, ei alors qu'aucune piélé n'ezislail de la soulager de son fardeau. » la mesure de clémence de Zeus

envers la Terre s'associait à une juste volonté de chátier les hommes.

Or, chez Euripide, le reproche adressé aux hommes d'« outrager » la Terre montre qu'il semblait justifier de la méme fagon que Stasinos le désir de Zeus d'infliger malheurs et épreuves aux Grecs et aux Troyens (3). On serait tenté de voir une illustration de cette idée dans un passage d'Iphigénie à Aulis, oà le poéte préte au chœur cette exclamation douloureuse : « Où reste-t-il de la pudeur ? Où l'image de la vertu garde-t-elle quelque pouvoir,

(1)

« Ἦν ὅτε μυρία φῦλα κατὰ χθόνα πλαζόμεν᾽ ἀ «νδρῶν» ἘΞ Ὁ βαθυστέρνου πλάτος αἴης. Ζεὺς δὲ ἰδὼν ἐλέησε καὶ ἐν πυκιναῖς πραπίδεσσι σύνθετο κουφίσαι ἀνθρώπων

παμβδώτορα γαῖαν,

ῥιπίσσας πολέμου μεγάλην ἔριν ᾿Ιλιακοῖο, ὄφρα χενώσειεν θανάτῳ βάρος * οἱ δ᾽ ἑνὶ Τροίῃ ἥρωες χτείνοντο ᾿ Διὸς δ᾽ ἐτελείετο βουλή» (Fr. I — sc. AD, Il. A5). La fin du v. 1 et le début du v. 2 présentent une lacune comblée de diverses facons. Au v. 6, nous adoptons avec Bethe la leçon des sc. min. : « θανάτῳ », par la mort (Severyns, p. 246, traduit le texte du Vind. 61, « θανάτου» : « la charge des mortels»). Pour

un jugement littéraire sur ces vers, cf. Chr. I. Karouzou, p. 228-29. L'auteur estime (p. 230) que Stasinos a introduit dans la légende troyenne un motif plus ancien et montre que cette recherche de la « cause première » est conforme à l'esprit de la poésie du vıı® s., en particulier de celle d'Hésiode.

(2) (3)

poids

« μηδεμιᾶς Del Grande,

de l'humanité

ἀνθρώπων

οὔσης εὐσεθείας. »

p. 34, estime, à tort à notre avis, que c'est seulement

qui constituait

dans les Chants

nous le verrons plus loin, le thème

Cypriens

une

ὕδρισμα.

Comme

hommes

qui provoque le chátiment divin est un motif trés ancien.

l'excés du

démesure

de la dégénérescence

et un

morale

des

44

EURIPIDE

ET

LES

LÉGENDES

DES

CHANTS

CYPRIENS

Quand l'impiété est souveraine et que l'intérêt des hommes

se détourne

de la vertu,

Quand l'injustice triomphe des lois, et que les mortels n'essaient point, par un effort commun, de prévenir le ressentiment des dieux ? » (1).

Ces vers succédent à la description des noces de Thétis et de Pélée, dont le théme général et beaucoup de détails sont empruntés aux

Chants Cypriens (2), et ils semblent traduire le souvenir du chátiment annoncé au début de l'épopée. Sur le prologue des Kypria, nous possédons encore d'autres indications. Proclos dit seulement que Zeus délibéra avec Thémis

plus

prolixe.

Elle nous apprend d'abord que, pour soulager la Terre, éclater la guerre thébaine, qui causa beaucoup de morts. il envisagea d'employer le feu du ciel et l'eau pour l'humanité. Mais Mómos l'en empécha et lui suggéra de

(3).

Mais

la scolie à l'Iliade est beaucoup

Zeus fit Ensuite, détruire « marier

Thétis à un mortel et d'engendrer une fille d'une grande beauté. Ces deux moyens provoquérent la guerre entre Grecs et Barbares. À partir de ce moment, la Terre fut soulagée, par suite du grand

nombre des morts ». Le motif du « plan» ou de la «volonté» de Zeus (4) devait reparaître au cours du récit, si l'on en croit un autre fragment qui appartenait sans doute à la scéne dans laquelle le poéte racontait l'entrevue de Ménélas et de Nestor après l'enlévement d'Hélène. Le vieillard déclarait en effet au mari bafoué : ^

« Zeus, l'auteur qui a produit tout cela, tu ne veux c'est que, là où il y a crainte, il y a aussi retenue » (5). (1)

« Ποῦ

pas

le nommer

:

τὸ τᾶς Αἰδοῦς

ἢ τὸ τᾶς ᾿Αρετᾶς ἔχει σθένειν τι πρόσωπον, ὁπότε τὸ μὲν ἄσεπτον ἔχει δύνασιν, & δ᾽ ᾿Αρετὰ κατόπισθεν θνατοῖς ἀμελεῖται, ᾿Ανομία δὲ νόμων κρατεῖ, καὶ «μὴ» κοινὸς ἀγὼν βροτοῖς un τις θεῶν φθόνος ἔλθῃ ; » (ZA 1089-97). (2) Cf. infra, Ch. II, p. 77 sqq. (3) L. 84. (4) W. Kullmann, p. 168, estime que le terme de βουλή désigne dans l'épopée un plan complet et précis, ce qui exclut le sens de volonté. A notre avis, le sens du mot est intermédiaire approprié.

(5)

entre

les deux,

et le terme

de dessein

serait peut-étre

le plus

a Ζῆνα δὲ τόν τ᾽ ἔρξαντα xal ὃς τάδε πάντ᾽ ἐφύτευσεν

οὐκ ἐθέλεις εἰπεῖν ^ (vx γὰρ δέος, ἔνθα καὶ αἰδώς.» (Fr. XXIII

= Plat., Euthyphr.

12a). Le dernier membre

était

en

proverbe.

Bolling,

de

Burnet

passé

conjecture

G.

M.

(v. 1 τὸν

CI.

Ph.,

23

du vers — souvent cité —

(1928),

ἔρξαντα ; v. 2 ἐθέλει

p. 63-64,

νεικεῖν),

estime

adoptant

que

une

Nestor

LA

VOLONTÉ

DE

ZEUS

45

Enfin, au terme du poéme, Proclos nous apprend que Stasinos évoquait encore la « volonté de Zeus », mais cette fois au sens plus restreint que l'expression avait au début de l’Iliade, c'est-à-dire le dessein de mettre momentanément les Grecs en difficulté et de donner ainsi un surcroit de gloire à Achille (1). C'est à l'existence de la méme expression dans les deux poémes («et la volonté de Zeus s'accomplissait ») que nous devons nos renseignements sur les Chanis Cypriens, puisque les commentateurs

de l’Iliade se sont attachés à montrer que Stasinos ne lui avait pas donné le méme sens qu' Homére (2). Avant d'en revenir à Euripide, il nous parait nécessaire de dire un mot de deux questions controversées relatives à ce préambule des Kypria. D'abord, les indications données par le scoliaste, en dehors des vers méme du poéme, sont-elles exactes ? Ensuite, quels sont au juste sur ce point les rapports des deux épopées ? Sur la première question, les deux attitudes les plus opposées sont celles d'A. Severyns et de W. Kullmann. Le premier admet que la scolie analyse fidélement le poéme, le second doute de chacune de ses affirmations et s'en

tient au témoignage rôle de Mómos,

du fragment (3). Le désaccord porte sur le

celui de Thémis, les intentions premières de Zeus,

le rappel de la guerre thébaine et l'annonce de la naissance d'Héléne. Pour y voir un peu plus clair dans cette difficile question, il est nécessaire

de préciser d'abord

que le théme

général du dieu

jaloux qui entreprend de détruire la race humaine est un théme de folklore extrémement ancien, que l'on retrouve sous des formes voisines dans la littérature de l'Inde, l'épopée de Gilgamesh, la Genése, en Égypte, en Gréce méme dans la légende de

Deucalion (4). Quatre poémes au moins utilisent ce motif : l’Iliade, les Kypria, les Travaux el les Jours et le Calalogue des Femmes.

Dans

l’Iliade

(5), le dessein

de

Zeus

apparaît

comme

momentané et en partie arbitraire : en provoquant, sur la priére de Thétis, la querelle d'Achille et d'Agamemnon, qui améne le premier à se retirer du combat,

Zeus met les Grecs en difficulté,

provoque parmi eux de lourdes pertes et les oblige à accorder au Péléide des honneurs éclatants. Dans les Kypria, nous l'avons vu, offre en exemple à Ménélas la patience d'un jardinier qui a vu ses plantations ravagées par un orage : «celui-là méme qui a tout planté ne veut pas s'en prendre à Zeus, le

responsable...». L'explication est plus ingénieuse que convaincante. (1) Procl., 1. 167-68. W. Kullmann, p. 178, toujours méflant devant le témoignage de Proclos, estime que l'auteur du résumé s'inspire ici de l'Iliade. (2) C'est l'application de la méthode méme d'Aristarque (cf. Severyns, I. c.). (3) Cf. en particulier Severyns, p. 246-47; Kullmann, p. 180. (4) Untersteiner, p. 151; Webster, p. 181; Kullmann, p. 185 ; Quellen, p. 49.

(5) A 1-7.

46

EURIPIDE

ET

LES LÉGENDES

DES

CHANTS

CYPRIENS

Zeus veut soulager la terre. Chez Hésiode (1), une partie de la race des héros ou des demi-dieux créée par Zeus tombe devant Thébes,

une autre partie à Troie, et le reste est transporté par le pére des dieux dans l’île des Bienheureux. Enfin, la version du Calalogue (2), quelque peu obscurcie par des lacunes du texte, est la suivante : aprés la naissance d'Hermione, les Olympiens étant divisés par une querelle (la querelle des déesses consécutive au jugement de Páris 7), Zeus entreprend de décimer les mortels pour détruire la race des demi-dieux et éviter qu'à l'avenir les étres divins ne s'unissent aux humains. Sans doute utilisait-il d'abord la guerre, puis il déchatnait des catastrophes naturelles sur l'humanité. Chacun des poétes a traité un méme théme par des moyens différents. Il existe donc un risque que le scoliaste ait contaminé ces divers récits. Reprenons un par un les points en litige : Kullmann écarte Mómos des Kypria parce qu'il est absent du fragment, où Zeus prend seul sa décision, uniquement par pitié pour la Terre (3).

D'autre part, son róle semble faire double emploi avec celui de Thémis. Cependant, il existe un drame satyrique de Sophocle portant le titre de Mómos,

et Pearson (4) a estimé avec vraisem-

blance qu'il formait en quelque sorte par son sujet la préface des deux autres piéces consacrées à la querelle ( Éris) et au jugement des déesses (Crisis): ces deux derniéres piéces développant des sujets tirés des Kypria, on ne voit pas autrement d'où proviendrait le sujet du Mómos. Il est à noter aussi que Mómos est le frére de Némésis, la mère d'Héléne, et d'Éris, qui provoque la dispute des déesses

(5).

Kullmann écarte aussi l'autre conseillére de Zeus. Il conserve la lecon

textuelle

de la Chreslomathie,

Thelis,

mais

dénie

toute

valeur au témoignage de Proclos sur ce point (6). Méme si l'on corrige en Thémis, Stasinos n'aurait pu considérer la déesse comme une épouse de Zeus, car c'est là une tradition hésiodique, alors que les K ypria ne connaissent qu'Héra. Ici, toutefois, les arguments

en faveur

d'une

délibération

de Zeus

et de Thémis

sont plus

(1) Trav. 156-173 (destruction des demi-dieux). Il est significatif qu'auparavant Zeus ait anéanti la « race d'argent » parce que les hommes refusaient de rendre hommage aux

immortels

(127-142).



(2) Fr. 96, 56-91. Sur ce curieux texte, voir Evelyn-White,

Hesiod (Loeb), fr. 68,

p. 199-203 et, en dernier lieu, Schwartz, p. 418-419. Beaucoup plus précédents, il paraît s'inspirer surtout de l'Iliade et des Travaux.

(3) P. 180;

182;

184. Welcker,

EC,

p. 86-87,

de ce motif, admis par Bethe, p. 228.

(4) Fr. of Soph., II, p. 77, et fr. 419-424. (5) Hés., Théog. 214 ; 225. (6) P. 182.

tardif

que

les

mettait déjà en doute l'existence

LA

VOLONTÉ

DE ZEUS

47

forts (1). L'erreur du scribe qui a écrit Thétis pour Thémis est une faute psychologique de type courant, les noces de Pélée étant mentionnées quelques lignes plus bas dans le texte de Proclos (2). Thémis, qui préside à la justice, a dans le poéme un róle allégorique

comme Némésis, la déesse qui réprime les excés humains. Elle est d'autant plus à sa place qu'elle est elle-méme fille de la Terre, qu'elle est à l'origine un doublet de Gaia et que son róle prophétique est bien connu (3). D'autre part, un texte de Platon la place à côté de Zeus comme responsable de la querelle des déesses et du jugement (4), et sur deux monuments figurés elle apparait à cóté du dieu et d'autres divinités, soit avant, soit pendant le jugement des déesses

(5). Ces raisons semblent assez fortes pour admettre

la présence de la délibération de Zeus et de Thémis au début des Kypria. Pour la liaison avec la guerre thébaine, l'absence de référence dans le court fragment conservé ne prouve rien. Si ce motif se trouve dans les Travaux el les Jours, il pouvait aussi figurer dans les Kypria qui, comme l'a montré A. Severyns, renvoient, dans un autre passage au moins, à une légende du cycle thébain (6). Enfin, on ne voit pas bien pourquoi les circonstances de la naissance d'Héléne ne seraient exposées qu'à l'endroit du poéme oü l'héroine entre en scéne et pourquoi le scoliaste d'Homére aurait de préférence utilisé le Calalogue hésiodique (7). En

définitive,

si

l'existence

de

ces

divers

thémes

dans

le

prologue des Chanis Cypriens n'est pas absolument prouvée, elle (1) L'indication de Proclos est acceptée par la plupart C. Robert, Severyns, Bethe, Untersteiner, Del Grande, etc.). (2)

Severyns,

contesté

à tort par

Kullmann,

p. 181,

des

critiques

(Hzach,

n. 1.

(3) C. Robert, p. 1074 ; Bethe, p. 295 ; 343 ; Untersteiner, p. 152-53 ; Del Grande, p. 34. Sur le rôle prophétique de Thémis, cf. J. Harrison, Themis*, 1963, p. 480 sqq.

(4) Rép.,

II, 3796 : «... θεῶν

ἔριν τε xal κρίσιν διὰ Θέμιτός τε καὶ Διός.» On

interprète parfois cette phrase comme une allusion à la Théomachie de l'Iliade (Y 4), mais plus souvent comme renvoyant au jugement de Páris (Jowett, Chambry, ad loc. ; pour d'autres références bibliographiques, cf. Kullmann, p. 181). (5) Voile brodé de Sybaris sur lequel figuraient Zeus, Thémis, les trois déesses, Apollon (Ps. Arstt., de mir. ausc., 838a 15) : cf. Kullmann, p. 182, n. 4, qui écarte avec raison l'hypothése de Latte qu'il y aurait eu dans les Kypria une Assemblée des dieux pour décider de la guerre de Troie. Une péliké de l'Ermitage (Steph., 1793) représente Thémis sur l'omphalos delphique avec Zeus, Athéna, Niké et d'autres divinités, dont Hermés, Aphrodite, Peitho (cf. H. Metzger, p. 268 ; 272). Sur un autre vase de l'Ermitage (Steph. 1807), du début du ıv® 8. (C. Clairmont ‚Das Parisurleil, Zürich, 1951 :

K 168 ; cf. Kullmann, p. 181, n. 4), Thémis et Eris assistent toutes deux au jugement des déesses.

(6) A. Ph., 49 (1925), p. 178. C. Robert (I. c., ex silentio), Schmid-Stählin, p. 207, n. 6, Kullmann,

p.

180, refusent

ce motif aux

Kypria.

(7) Kullmann, p. 183-84. Ces affirmations semblent assez gratuites. Il est à noter que I'Epilomé d'Apollodore (III, 1) explique la volonté de Zeus, selon les uns comme le désir de glorifler sa fllle, selon les autres comme le dessein d'exalter la race des demi-dieux.

48

EURIPIDE

ET

LES

LÉGENDES

DES

CHANTS

CYPRIENS

n'a rien d'impossible, et elle est beaucoup plus vraisemblable que l'hypothése contraire.

Nous passerons plus vite sur le second probléme. On connait la thése de W. Kullmann, qu'il a appliquée en particulier au motif du « Plan de Zeus » : il s'efforce de démontrer que le début de l'Iltade est inexplicable si le poète ne connaît pas déjà le sens que l'auteur des Kypria — ou des « Prákypria » — a donné à ce motif : car la promesse de Zeus à Thétis et la colére d'Achille ne sont que des moyens pour réaliser un plan préexistant à l'Iliade (1). Ce critique a relevé et étudié tous les passages du poéme

homérique

qui semblent renvoyer à ce plan (2). Nous ne contesterons pas le fait, mais les conclusions qui en sont tirées. Il est possible, en effet, qu'Homére ait combiné des traditions plus anciennes avec sa propre

invention de la promesse

de Zeus

à Thétis.

Mais il a

puisé à la méme source légendaire ancienne que Stasinos ou Hésiode, celle qui montre une divinité se proposant de décimer les mortels (3). La « volonté de Zeus » dans l'Iliade a bien pour effet de faire mourir les héros (4) et d'accroitre ainsi la gloire d'Achille

et d'Héléne (5), mais l'intention morale semble tout à fait absente de ce plan (6). Le dieu n'a ni pitié pour la Terre, ni ressentiment particulier et motivé contre les mortels, Non, à notre sens, le projet exprimé dans le prologue des Kypria est l'invention et le bien propre de Stasinos (7), et c'est à lui qu'Euripide emprunte (1) On trouvera passées en revue, p. 167-170, toutes les explications proposées par les critiques pour la Διὸς βουλή de l’Iliade. Pour d'autres motifs, la priorité des Kypria était affirmée par E. Mireaux, Les Poèmes homériques el l'histoire grecque, I1, 1949, p. 399. (2) Cette étude porte (p. 177-178) sur les passages suivants : B 3-4 ; 37-40 ; A 5255; M 13-18; 20-23; N 222-27; T 86-88; 270-74; Y 21; plus (Philol., 100 (1956), p. 132-33) E 83-87 ; P 647 ; voir, du méme auteur, Quellen, p. 227-29. (3) La priorité d'Homére est admise par la trés grande majorité des critiques (cf. les références de Kullmann, p. 185, n. 1, qui cite en particulier Welcker, Bergk, Wilamowitz, Bethe, Cauer, Bowra, Schadewalt, Snell, von der Mühll ; il serait facile

d'allonger cette liste). La promesse à Thétis se rattache elle-méme à un mythe trés ancien de lutte pour la possession du ciel (Quellen, p. 49). (4) Grecs εἰ Troyens (B 40; A 52-55 ; M 23). Voir aussi 0 81-82, mais ces vers sont suspects d'avoir été interpolés dans l'Odyssée d'après les Kypria (cf. P. von der Mühll, Mélanges Tschudi, Wiesbaden, 1954, p. 1-5). (b) En particulier B 3-4 ; I' 156-58 ; Z 357-58 ; N 348. (6) L'explication de Webster, p. 297-98, pour lequel la « volonté de Zeus» tend à gouverner le monde d'après les principes de la justice, l’/liade prouvant par l'exemple d'Agamemnon et d'Achille que les hommes sont responsables par leur folie de leurs

propres désastres, est plus ingénieuse que convaincante. (7)

Munro,

la paternité excita

JHS,

5

(1884),

de ce motif

l'ingéniosité

p.

7.

à Euripide

des exégétes

au

Welcker,

lui-même! point

EC,

p. 86,

La

aurait

«volonté

de

que l'école d'Aristarque

à maintenir le sens primitif de l'expression homérique

uns, c'était la destinée (εἱμαρμένην, interprétation

volontiers

Zeus»

attribué

de

eut quelque

l'Iliade peine

(cf. sc. AD

en A 5) : pour les

stolcienne),

pour d'autres, le

LA VOLONTÉ

quelques-uns

de ses points

DE ZEUS

49

les plus caractéristiques

: le dessein

de soulager la Terre du fardeau et de l'insolence de ses habitants, et la volonté de donner la gloire aux deux protagonistes du conflit, Achille et Hélène. Cet emprunt est pratiqué avec le souci de

mettre en évidence plutót que de cacher son imitation. Celle-ci est surtout manifeste dans le passage d'Héléne, où le poète tragique se contente de paraphraser les expressions de Stasinos (1). Elle est assez précise aussi pour confirmer les indications de témoins

plus tardifs sur le contenu du prologue des Chants Cypriens. Stasinos

ayant

à

raconter

comment

les

dieux

entrainérent

l'humanité dans la guerre apporte dés l'abord une justification morale à l'action de Zeus. Est-ce à dire qu'Euripide a adopté cette conception telle quelle et en a fait l'idée directrice de ses tragédies troyennes ? Pour répondre, il faudrait savoir plus clairement comment Stasinos accordait «la volonté de Zeus » avec les desseins personnels de chacune des divinités et les initiatives des hommes. Éris exécutait les ordres du dieu, mais Némésis tentait

de lui résister et l'action d'Aphrodite au cours du poéme pouvait s'expliquer

sans

qu'elle

eüt

conscience

de

participer

au

plan

divin. Si les Chants Cypriens proclamaient la responsabilité collective des mortels, il est peu probable qu'ils aient condamné les protagonistes du drame, que ce soit Héléne, la fille de Zeus, ou Páris, le juge des déesses.

Dans le cadre moral tracé par le plan

de Zeus, la narration épique ne devait guère renfermer de jugement sur les actes des héros (2).

Les

pièces

considére

troyennes

le déroulement

donnent-elles

l'impression

de la guerre comme

qu'Euripide

soumis à un

plan

supérieur ? Sans doute, les Immortels viennent proclamer dans son théátre

qu'ils dirigent les affaires

des

hommes

et ceux-ci recon-

naissent ici et là (3) qu'ils sont soumis à une puissance supérieure, qu'ils nomment tantôt Zeus, tantôt un dieu, tantôt les dieux, chéne

sacré

et

prophétique

de

Zeus

à Dodone...

(E 328),... pour

Homère,

Mómos

(Kypria). Par ailleurs, l'expression Διὸς βουλή ou βουλαί est courante dans toute la poésie épique et hymnique sans référence à ces légendes (M 235-236 ; 241; N 524; Y 15; [A 297]; v 127; Théog., 465 et 730 ; Trav., 79 et 99; Boucl., 318; H. Dém.,9; H. Ap., 132 ; H. Aphr., 23 ; H. Herm., 538. Mais chez Ibycos, fr. 1, 4. Page : Znv Jès

μεγαλοῖο βουλαῖς, il y a sans doute un souvenir des Kypria (cf. v. 9 : χρυ]σοέθειραν δ[ι]ὰ Κύπριδα). (1) Comparer par exemple HL 36-37: « τὰ δ᾽ αὖ Διὸς | βουλεύματα » et Kyp., fr.

I, v.

7: «Διὸς

8° ἐτελείετο βουλῇ». HL 38-39 : « πόλεμον γὰρ εἰσήνεγκεν ᾿Ελλήνων

χθονὶ | καὶ Φρυξὶ δυστήνοισιν» et Kyp.,

v. 5 : « ῥιπίσσας πολέμου μεγάλην ἔριν ᾽Ἴλια-

κοῖο». HL 39-40 : « ὡς ὄχλου βροτῶν | πλήθους τε κουφίσειε μητέρα χθόνα » et Kyp., v. 4 : « χουφίσαι ἀνθρώπων παμδώτορα γαῖαν ». (2)

Sauf sans doute

(3)

Hélène : Tr. 924 sqq. ; HL passim ; Or. 79. Ménélas : An. 680. Ulysse : Cyc. 285.

Achille

: IA

809.

Oreste

dans

les apologues de

: El. 890-91

Nestor

; Or. 418.

(cf. infra, Ch.

Hécube

XI,

: Tr. 887-88.

p. 373 sqq.).

50

EURIPIDE

tantôt le deslin

ET

LES

LÉGENDES

(1). Cependant,

DES

CHANTS

CYPRIENS

cette action divine ne revêt pas

toujours la forme sereine qui convient à l'exécution d'un dessein providentiel : elle illustre souvent les caprices, les jalousies, les injustices des dieux, qui se servent des hommes comme de pions pour se mettre l'un l'autre en échec. Elle ne suffit pas non plus à tout expliquer. Les mortels ont souvent l'impression d'étre les

victimes

d'une

fatalité

aveugle,

la

Tychè,

qui

bouleverse

leur

existence d'une manière imprévisible et sans le moindre égard pour les mérites et les démérites de chacun (2).

Euripide ne semble pas avoir non plus sérieusement pensé que la guerre de Troie

ait été précédée

d'un

déchaînement

de vices

et d'impiété chez les hommes. Pour lui, les fautes étaient surtout individuelles, et, plus d'une fois, il exprime un douloureux étonnement de voir tant de mortels expier de leurs souffrances et de

leur mort les égarements de quelques-uns (3). Nul n'a méme accordé plus d'attention que lui à ces égarements. Exergant sa réflexion sur l'origine

et les péripéties

de

la guerre,

il s'est efforcé

d'en

découvrir les causes dans le cœur des protagonistes. Il a souligné les fautes et les imprudences commises par les responsables du conflit, Héléne, Páris, Priam, Ménélas, et par les belligérants eux-mémes tout au long de la guerre. Il ne s'est pas fait faute de

rappeler que les avis d'en-haut ne leur avaient pas manqué, et qu'au prix d'un peu de sagesse et de retenue, les principaux acteurs auraient pu faire échec aux funestes desseins de Zeus. Mais la folie

de certains hommes concouru

et la légéreté de la plupart des dieux ont

à leur accomplissement.



la responsabilité

collective

posée par Stasinos, Euripide substitue donc, d'accord en cela avec son temps,

la responsabilité

arbitre des hommes « volonté de Zeus ». (1)

individuelle,

et des dieux,

et en exaltant le libre

il réduit l'importance

Dans Héléne (1660-61), les Dioscures disent : «’AM’ ἥσσονες ἦμεν τοῦ πεπρωμένου

de la

θ᾽ ἅμα

καὶ τῶν θεῶν, οἷς ταῦτ᾽ ἔδοξεν ὧδ᾽ ἔχειν.» Sur les raisons de garder la leçon des MSS, ἥσσονες (Jjocov' edd.), cf. C. Prato, Mata, 9 (1957), p. 59. Dans les passages cités d'Hélène et d'Oresle, Euripide emploie l'un pour l'autre « Zeus » et «les dieux ». On s'est efforcé de distinguer les différents mots par

lesquels le poète exprime l'idée de divinité (θεός, θεοί, δαίμων) ou du destin (τύχη, χρέων, ἀνάγκη,

μοῖρα,

πότμος),

mais

avec

des résultats souvent décevants

(cf. par

exemple G. Busch, Untersuchungen zum Wesen der τύχη in den Trag. des Eur., Heidelberg, 1937), parce que le méme terme n'a pas toujours le méme sens d'un passage à l'autre.

(2) Sur le rôle de la τύχη et l'instabilité humaine, 475 ; Or. 976; Selbslgesprüch,

cf. par exemple

Lomb., 62 (1929), p. 914 sqq. ; A. Hivier, p. 159-160 ; 223. (3)

Πές. 623;

IT

IA 161; fr. 45 (Aler.); fr. inc. 908; W. Schadewalt, Monolog und 1926, p. 256-58 ; G. Busch, o. c., p. 49 8qq. ; A. Levi, Rendic. del Inst.

Cf. par exemple

Héc. 641-43.

LA VOLONTÉ

DE ZEUS

51

Alors, pourquoi Euripide utilise-t-il plusieurs fois un motif des Kypria qui apparatt comme un élément surajouté dans son théátre ?

Pour le comprendre, il faut replacer ces évocations dans leur contexte. On notera d'abord que, dans trois de nos passages, ce sont des dieux qui parlent, au dénouement d'une piéce, pour révéler l'avenir. Dans le prologue d'Héléne, la parole est à l'héroine, mais c'est encore pour nous faire part des intentions et des actes divins (1). En effet, prologue et apparition divine au dénouement ont le méme objet : replacer un épisode particulier dans son contexte légendaire, tel personnage dans la longue chatne de héros

dont il n’est qu'un maillon, bref, tourner quelques pages de cet album

de

famille

que

constitue

pour

tous

les

Grecs

l'épopée.

Mais le deus ez machina a encore une autre fonction : aprés l'effervescence

des

passions

qui

a

caractérisé

le

nœud

du

drame,

l'épiphanie divine marque le retour au calme et à une sérénité qui est encore refusée aux humains. Le dieu leur révéle un ordre supérieur dans lequel prend place l'événement particulier qu'ils viennent de vivre (2). Or, cet ordre ne saurait mieux s'exprimer que dans

le plan de

Zeus, qui donne

les faits de la guerre troyenne, méme

son véritable

sens à tous

les plus difficiles à croire

et à accepter.

Mais il y a plus : dans les quatre piéces en question, c'est, pour tout ou partie, du destin d'Héléne qu'il s'agit. On sait l'acharne-

ment mis par Euripide à effacer l'auréole de cette femme dont la beauté

avait

provoqué

tant de désastres.

D'Homére

à Eschyle,

les poétes, méme s'ils la malmenaient, n'oubliaient pas qu'elle n'était, dans une large mesure, qu'un instrument irresponsable. Euripide, au contraire, aggrave sa faute en montrant en elle la femme lascive, impudente, futile, égoïste. Si la pièce d’Helene fait

exception, tous les personnages — à commencer par l'héroine — proclament

Dans

sa

détestable

réputation

Oresie, l'éternelle coquette

dans

le

monde

grec.

est haie de tous et contrainte

à se cacher dans son palais (3). A la fin de la piéce, son apothéose

semble donc aussi singuliére que les motifs qui l'expliquent : sa qualité de fille de Zeus, affirmée ici, a été à plusieurs reprises contestée par les autres personnages, et elle-méme l'avait mise en doute dans le prologue d'Héléne. Est-ce un titre de gloire suffisant d'avoir provoqué des morts par milliers ? « Les spectaLeurs,

écrit un

critique,

devaient

trouver

scandaleuse

la subite

(1) A. Spira, Untersuchungen zum Deus ex machina bei Soph. und Eur., Kallmüntz, 1960, p. 123, met trés justement en évidence le fait que le prologue d'Héléne est un vérilable prologue divin. (2) F. Chapouthier, Enir. Fond. Hardt, I (1952), p. 228 ; Spira, o. c., p. 97; 156 8qq. (3) Cf. infra, p. 176-77.

52

EURIPIDE

ET

LES

LÉCENDES

apothéose

de la condamnée

DES

à mort.

CHANTS

CYPRIENS

Le poéte a dà cacher, dans

la tirade d'Apollon, une de ces terribles ironies que les Athéniens ne saisissaient pas toujours. Il a voulu montrer toute l'invraisemblance de la tradition dorienne qui divinisait Héléne (1). » Souve-

nons-nous

encore

du prologue d'Héléne.

Que voyons-nous

ici et

là ? Une affirmation étrange, opposée aux traditions les mieux établies : dans un cas, Héléne à Troie est remplacée par un fantóme

à son image, forme de la légende si mal attestée dans la littérature qu'un Hérodote ne la connatt méme pas, si bizarre que le poéte doit la répéter à plusieurs reprises pour bien la faire pénétrer dans

l'esprit de ses spectateurs. Dans l'autre, Héléne est élevée de son vivant au rang des dieux, croyance locale, elle aussi contraire à la

tradition épique : dans l'Odyssée, Héléne connaissait en pays spartiate une vieillesse paisible et honorée ; d'autres récits la faisaient périr misérablement, en punition de tous les malheurs qu'elle

avait provoqués. Dans ces deux cas, Euripide enrobait la tradition surprenante,

nouvelle,

dans

un

ensemble

emprunté

aux

Chanis

Cypriens, poéme que le respect populaire associait aux épopées homériques. C'est particulièrement net pour le prologue d’Helene, où l'invention romanesque du « fantôme » est insérée entre la nais-

sance fabuleuse de l'héroine, le récit du jugement des déesses et la « volonté de Zeus » de soulager la terre et d'illustrer Achille (2). Quant

au discours

d'Aphrodite

au terme de l'Alexandros,

il était,

selon toute vraisemblance, nourri de faits empruntés aux Chanis Cypriens : construction des vaisseaux de Pâris, choix de ses compagnons de voyage, annonce de l'enlévement d'Héléne et de ses suites. En méme temps qu'elle mettait les spectateurs en garde contre les apparences heureuses de ce dénouement, Aphrodite dégageait sa propre responsabilité pour les conseils perfides qu'elle venait d'offrir : tout cela, c'était «le dessein de Zeus ».

Par ce procédé, Euripide donnait plus de poids et de créance à des formes de la légende qu'aucune raison psychologique ni morale

ne pouvait justifier (3). Aprés

cela, le spectateur restait

naturellement libre d'apprécier l'équité des actes divins : Héléne, adultére et criminelle dans Oreste, est récompensée de ses crimes

(1) H. Grégoire, éd. d'Hélène (Bude), Nolice, p. 30. J. Alsina

Clola, Estud. Clas.,

4 (1957-58), p. 168, n. 46, rejette à juste titre l'hypothèse de Seeliger, qui faisait remonter ce motif à l'Hélène de Stesichore. (2) Pour cette raison, nous écartons la thése de Premerstein (Ph., 55 (1896), p. 648) qui estimait qu'Euripide avait trouvé le motif des Kypria chez Stésichore.

(3) On trouve déjà un procédé analogue à propos de la légende nouvelle de l'apothéose de Pélée au dénouement d'Andromaque: Thétis disait au héros (1268-69) :

&......... τὸ γὰρ πεπρωμένον δεῖ o' ἐχκομίζειν ^. Ζηνὶ γὰρ δοχεῖ τάδε.»

LA

VOLONTÉ

DE

ZEUS

b3

par l'apothéose (1). Dans Héléne, l'épouse irréprochable voit s'accumuler sur sa téte des malheurs auxquels elle n'échappe que de Justesse, et la pire réputation s'attacher à son nom. La beauté et la noblesse d'áme de Páris, l'affection de ses parents, leur confiance dans Aphrodite, tout cela vaudra aux souverains de Troie le plus cruel des chátiments : là sans doute est la «terrible ironie » dont parlait le critique. Oui, dans le théátre d'Euripide, bien plus encore que dans l'épopée de Stasinos, domine l'inspiration sarcastique, nous dirions «l'humour noir » de Mómos. Une derniére remarque : le rappel de la « volonté de Zeus » ne se trouve qu'à partir de 415, et dans des drames dont la composition s'échelonne sur un petit nombre d'années : Alexandros (415), Éleclre (413), Héléne (412), Oresle (408) et Iphigénie à Aulis (écrite entre 408 et 406). Lorsqu'il s'agit d'un poéte aussi sensible qu'Euripide à ce qui se passait autour de lui, ne peut-on légitimement penser que l'actualité a attiré son attention sur le motif du vieux poéte ? L'appel pathétique à la réforme morale et à

l'union que lance le chœur dans Iphigénie à Aulis n'exprime-t-il pas l'angoisse du poéte devant la démoralisation croissante de la

Grèce, qui l'expose au «ressentiment des dieux»? Il suffira de rappeler les belles pages de Thucydide (2) et d'évoquer les scandales années

qui ont secoué

: aífaire

de

Mélos,

la vie publique affaire

des

d'Athénes

pendant

Hermocopides,

ces

révolution

oligarchique, etc. La punition des dieux est déjà en marche et la guerre s'emploie à réduire le pullulement d'une humanité insolente : pour Athénes, la peste (3), les combats incessants et le désastre de Sicile s'en sont si bien chargés que les responsables s'inquiétent des vides creusés dans la population (4). On peut croire que le poéte a été sensible à l'actualité des vers de Stasinos et qu'il a voulu les rappeler au passage à ses auditeurs.

Ainsi, un en

à plusieurs

reprises entre

415 et 406,

Euripide

utilise

groupe de motifs épiques particuliers aux Chanis Cypriens, termes assez précis pour rendre son imitation sensible à la

partie la plus cultivée de son public. Mais la « volonté de Zeus » (1) Cf. N. B. Greenberg, Harv. St., 66 (1962), p. 190 : Euripide n'approuve pas le rôle d'Apollon. Il l'introduit comme un fait et non comme un jugement moral. (2) III, 82-83. Sur les désordres moraux consécutifs à la peste d'Athènes, Thuc., II, 53; et dans les dernières années du v* 8., R. Goossens,

(3) Thuc., (4) afin

de

p. 750-51.

III, 87.

La loi de 451 sur la citoyenneté athénienne n'est plus observée strictement, combler les vides survenus dans le corps des citoyens (Goossens, p. 492 et

904, n. 34) : les v. 472-484 d'Ion semblent porter la trace de cette inquiétude. Les historiens estiment qu'il fallut de douze à quinze ans pour rétablir la situation démographique (Glotz, Histoire Grecque, 11, p. 233). Sur guerre » chez Euripide, cf. Delebecque, p. 444-45.

ce

thème

des

« malheurs

de

la

54

EURIPIDE

ET

LES

LEGENDES

DES

CHANTS

CYPRIENS

de soulager la terre de l'impiété humaine gräce à la beauté d'Héléne et à la vaillance d'Achille n'a pas chez Euripide la valeur morale que lui avait donnée Stasinos, et il arrive méme que le motif

se retourne

contre

les dieux.

Car, tout

en

servant

les fins

dramatiques du poéte, le théme du dessein de Zeus pouvait aussi offrir, en ces heures assez sombres pour Athènes, quelque consolation aux spectateurs, en rejetant dans une large mesure la respon-

sabilité de leurs échecs et de leurs souffrances sur la volonté des dieux.

CHAPITRE

LES NOCES . LA JEUNESSE

DE

DE THETIS

II

ET DE PELEE

PÉLÉE.

. THÉTIS. . LES

NOCES

. L'ENFANCE

DE

THÉTIS

D'ACHILLE.

ET

DE

PÉLÉE.

LES

NOCES

DE

THÉTIS

ET

DE

PÉLÉE

L'accomplissement du dessein de Zeus débutait par le mariage de Thétis. La Néréide unie à un mortel devait donner naissance au

plus vaillant des guerriers.

Pourquoi,

parmi

les héros,

Pélée

fut-il désigné pour jouer le róle providentiel de mari d'une divinité et de père d'Achille ? L’Iliade nous dit seulement qu'il «était trés cher au cœur des immortels » (1). Une telle raison est de celles qui

fournie

requiérent

à leur tour une

par les épopées

explication

: celle-ci était

du cycle qui contenaient

au moins

les

éléments d'une «geste de Pélée »s. Aussi, lorsque Euripide exalte les exploits de jeunesse du héros et célébre ses qualités morales, on peut penser qu'il s'inspire de ces modéles épiques.

I. LA

JEUNESSE

DE

PÉLÉE

Euripide a réservé au pére d'Achille une place d'honneur dans son théátre. Non seulement on y célébre ses hauts faits, mais lorsqu'il apparatt lui-méme sur la scéne, il se montre digne de sa réputation. C'est en homme de cœur et en défenseur de la justice

qu'il figure dans la dernière partie du Phenix

(vers 432), dans

le Pélée (avant 423) et dans Andromaque (423 ?). Les deux derniéres

pièces, il est vrai, le montrent vers la fin de sa longue vie, mais Euripide n'oublie pas que ce vieillard débile et sentencieux a été

jadis un héros assez fameux pour étre jugé digne d'épouser Thétis. La noblesse de Pélée s'explique déjà par ses origines. Dans BiBLIOGRAPHIE : B. Graef, Pel. und Thelis, zenstein, Die Hochzeit des Pel. und Thetis, H, und Thelis, I, Diss., Münich, 1912. C. Robert, CE, p. 249-261. L. Séchan, Les noces de Thelis

Arch. Jb., 1 (1886), p. 192 sqq. Reit35 (1900), p. 73-105. J. Kaiser, Peleus Gr. Heldens., I, p. 65-81. A. Severyns, et de Pélée, RCC, 32 (1932), p. 673-688.

A. Lesky (1), s. v. Peleus, RE, XIX, 1 (1937), col. 271-308. P. Philippson, Thessalische Mythologie, Zürich, 1944, p. 156-170. A. R. Sodano, La saga Peleo-Teli nell'epos arcaico..., Ann. Fac. Lett. di Napoli, 3 (1953), p. 81-104. L. Séchan, Lettres d'Hum., 14

(1955), p. 37-43. A. Lesky (2), Peleus und Thetis im frühen Epos, SIFC, p. 216-226. (1) £2 61.

27-28 (1956),

58

EURIPIDE

Iphigenie

à Aulis,

ET

LES

LEGENDES

Clytemnestre

DES

CHANTS

interroge

CYPRIENS

Agamemnon

sur

les

parents de cet Achille auquel sa fille serait promise, et le roi dévide avec quelque emphase sa généalogie : Égine, fille d'Asopos, s'unit

à Zeus et lui donna Eaque, roi d'Oenoné (Égine). Pélée fut le fils d'Eaque et lui succéda dans son palais (607-701). Le titre seul d'« Eacide » par lequel Euripide le désigne parfois (1), rappelle

le souvenir du roi d'Égine, qui s'était illustré par sa piété et son sens de la justice.

Il est cependant un endroit où Euripide paraît considérer Pélée

comme le fils d'Égine, et non comme son petit-fils : c'est dans un fragment conservé de la parodos d'Hypsipyle, oü l'héroine cite quelques-uns des Argonautes (2). Cette filiation singuliére ne se retrouve que dans les Argonauliques Orphiques (130-31). On l'a expliquée par la tradition qui faisait d'Eaque le frére de Minos et de Rhadamanthe, ses assesseurs aux enfers, et par conséquent le fils d'Europe. Égine n'était plus alors la mére d'Eaque, mais

sa femme, et la mére de Pélée. Mais un tel remaniement généalogique n'est attesté que par des témoins tardifs (3). A notre avis, l'explication est ailleurs : Menoetios, le pére de Patrocle, était d'aprés Pindare le fils d'Égine et de son mari « humain », Actor (4), cependant que Pélée était le petit-fils de la nymphe. Or ce décalage d'une génération était d'autant plus génant que Menoetios et Pélée avaient participé cóte à cóte à l'expédition des Argonautes, dont parle le chœur d'Hypsipyle, et qu'à l'image de leurs fils, Patrocle et Achille, ils étaient représentés comme des amis, des égaux en

âge (5). De là à les dire frères, il n'y avait qu'un pas (6), et ce pas avait été franchi, bien avant Euripide, dans le Calalogue hésiodique (7) : c'est la combinaison de ces deux généalogies qui explique donc sans doute l'arrangement de notre poéte. (1) An. 788 sqq. ; IA 1045. An. 647 : «né d'un père illustre ». Cf. déjà JI. II 15; Σ 433; ( 188-89. (2) Von Arnim, Suppl. Eur., p. 51, col. 3, v. 6-8; Page, GLP, p. 87, v. 59-61 : € Τὸν & τοῦ ποταμοῖο παρθ-

évog Atv!

ἐτέκνωσε IIn-

λέα.» G.

W.

Bond,

Euripides

Hypsipyle,

Oxford

1963,

reproduit

l'explication

de

Morel

pour ἐτέκνωσς, slirpis auctor fuit, mais c'est forcer le sens du verbe. (3) Servius ad En. VI, 56; explication de C. Robert, p. 75, n. 5. (4) Pd., Ol. IX, 69. (5)

Homère

(A

786)

Mais dans les Myrmidons

affirme,

il est

d'Eschyle

vrai,

que

Patrocle

était

plus

âgé

qu'Achille.

(fr. 228-29 M.), il est 1'ἐραστῆς du fils de Pélée,

ce qui suppose entre eux une faible différence d'âge. (6) Ainsi Télamon, simple ami de Pélée chez Phérécyde

(FGrH,

3 F 60), devient

son frére à partir de Pindare. Cette généalogie se retrouve chez Q. Sm., I, 502. F. Vian, ad loc. (p. 31, n. 3) estime qu'elle remonte soit à l' Alcméonide, soit à 1' Éthiopide. (7) Fr. 84 (Eust. en A335, p. 112, 44 sqq.). Sur ce fragment, cf. J. Schwartz, p. 173 et 393. Pour rattraper ce décalage d'une génération, on donnait encore pour mére

à Menoetios une fille d'Égine,

Démocratia

(sc. Pd., Ol., IX, 107).

LA JEUNESSE

DE

PÉLÉE

59

Lorsque Euripide déclare que Pélée succéda à Eaque dans son palais, il s'écarte de la tradition courante, qui racontait comment

le jeune homme avait été chassé d'Égine aprés le meurtre de son

demi-frére

Phócos.

Cette

divergence

se justifie dans

d'Iphigénie à Aulis. Ici, Agamemnon Clytemnestre

et

il s'efforce

de

le contexte

est pressé de questions par

présenter

sous

l'aspect

le

plus

honorable la famille de cet Achille que la reine considére déjà comme son gendre. Mais le poéte a évoqué ailleurs ce fácheux incident.

Dans

Andromaque,

Ménélas

vante

au

vieux

Pélée

sa

propre mattrise de soi, et il ajoute : | « Toi aussi, j'aurais voulu que tu n'eusses pas tué Phócos » (1). Ce meurtre, accompli au cours d'une compétition gymnique par Pélée avec la complicité de Télamon, avait eu une influence déci-

sive sur la destinée du héros : exilé par son pére, il avait été chercher fortune

en Thessalie,

où se déroulent la plupart de ses exploits.

Cependant, Euripide semble tout faire pour atténuer la portée de ce perfide reproche. La pointe de Ménélas est en effet fort émoussée par l'argument qui l'accompagne : pour illustrer sa propre sagesse, le roi de Sparte rappelle à l'Eacide qu'il s'abstint,

lui, de tuer Héléne

lorsqu'il la retrouva

à Troie.

Or, dans les

Troyennes, cette retenue prouve la faiblesse de Ménélas bien plus que sa grandeur d'áme. D'autre part, à la fin de cette méme

scene d'Andromaque

où la cruauté

du Spartiate

s'était heurtée

à la noble résistance de Pélée, le chœur entonnait un magnifique

éloge de l'Eacide.

Aprés

avoir loué ces grandes

familles où

la

noblesse s'appuie sur le respect absolu du droit — trait de satire

à peine déguisé contre les Atrides — il concluait : « Vieillard fils d'Eaque, j'en suis sür, avec les Lapithes, tu as combattu

les Centaures de ta lance si glorieuse ; sur la nef Argo, tu as franchi l'onde inhospitaliére des Symplégades marines dans une glorieuse expédition; et quand, jadis, sur la cité d'Ilion, l'illustre fila de Zeus eut répandu la mort,

tu participas à sa gloire lors de son arrivée aux bords de l'Eurotas » (2).

(1)

«Οὐδ᾽ ἂν σὲ Düxov ἤθελον κατακτανεῖν » (An. 687).

(2) An.

788-801

:

«'(1 γέρον Αἰακίδα,

πείθομαι xal σὺν Λαπίθαισί σε Κενταύ-

pots ὁμιλῇσαι δορὶ χλεινοτάτῳ

' καὶ ἐπ᾽ ᾿Αργῴου

δορὸς ἄξενον ὑγρὰν

ἐκπερᾶσαι ποντιᾶν Ξυμπληγάδων χκλεινὰν ἐπὶ ναυστολίαν, ᾿Ιλιάδα τε πόλιν ὅτε πάρος

εὐδόκιμος ὁ Διὸς ἵνις ἀμφέθαλε φόνῳ, χοινὰν τὰν εὔχλειαν ἔχοντ᾽

Εὐρώταν ἀφικέσθαι. »

60

EURIPIDE

ET

LES

LÉGENDES

DES

CHANTS

CYPRIENS

On ne sera pas surpris de l'insistance que met le poéte à évoquer la ἃ gloire » de Pélée dans un drame écrit en l'honneur des souverains de Molossie, qui prétendaient rattacher leur lignée à celle des Eacides. Pélée attirait encore la sympathie par son róle dans un drame aujourd'hui perdu d’Euripide, Phoenix. Cette pièce, dont le thème -

était l'aventure de jeunesse qui

fit de Phoenix

l'obligé et l'ami

du fils d’Eaque, s'inspirait d'un épisode de l'Iliade. Au Chant IX de ce poème (I 447-485), Phoenix racontait longuement ses malheurs, qu'on peut résumer ainsi : Amyntor l'Orménide, pére de Phoenix, aimait une concubine et délaissait sa femme. Celle-ci supplia son fils de séduire la jeune femme pour lui inspirer le dégoût du vieillard. Phoenix obéit, mais Amyntor maudit son fils et demanda aux dieux infernaux qu'il füt privé de postérité.

Dans un premier mouvement

de révolte, le jeune homme

voulut

poignarder Amyntor. Il renonça cependant à sa vengeance, mais malgré la surveillance des siens, il s'enfuit au bout de dix jours et se réfugia auprès de Pélée qui l’accueillit amicalement, le combla

de biens et le plaça à la tête des Dolopes. Il lui confia aussi une partie de l'éducation d'Achille. Il y avait là un beau sujet de drame qui tenta plus d'un poéte tragique, puisqu'on cite encore un Phœnir de Sophocle, et

d'autres d'Ion

et d'Astydamasle Jeune

(1). Par les fragments

ou la tradition indirecte (2), nous connaissons les principales modifications apportées par Euripide au récit homérique. D'abord,

Phoenix était innocent : il ne séduisait pas la concubine de son pére (3), mais la jeune femme, prise d'une passion non partagée pour le héros, portait contre lui une accusation mensongére de violence (4). Malgré les dénégations de Phoenix, Amyntor, dans sa rage, l'aveuglait avec une lampe ou un fer rouge (5) et le chassait de sa patrie. Phonix apparaissait sur la scène, aveugle et les véte-

ments déchirés (6). C'est alors qu'intervenait Pélée. chez

Amyntor,

il se persuadait

de l'innocence

De passage

du jeune

homme

et il lui offrait de l'emmener avec lui, lui promettant de le faire (1) Soph., fr. 718-720 (Pearson, II, p. 320-22) ; Ion (T GF', p. 739-741) ; Astydamas (ibid., p. 777). Sous le méme

titre existait aussi un drame d'Ennius

qui paraît inspiré

d'Euripide (Phenir, fr. 306-318 W.). (2) Eur., fr. 804-818 et 813a — adesp. 515. On y ajoutera les fragments trés mutilés de l'hypothésis et du premier vers donnés par le P. Ory. 2455, fr. 14, col. XVII. Sur la pièce, voir M. Croiset, R. Ph., 34 (1910), p. 216-220 ; Bates, p. 281-82 ; Schmid-

Stühlin, p. 394; E. Wüst, 8. v. Phoiniz, RE, XX,

(3) Sc. A, Il. 1 453 et Eust,

1 (1941), col. 405-06.

p. 763, 11; Souda,

s. v. ᾿Αναγυράσιος et ἐναύειν ;

Apd., IIT, 13, 8 (qui ne mentionne pas Euripide). (4) Apd., l. c.; Plat., Lois, XI, 931 b et sc. ; AP, III, 3 (inscription de Cyzique). (5) Apd. ; sc. Plat., AP, IL cc. ; Lyc., Aler. 422 et sc. Le texte du fr. 815 est très

altéré, mais Valckenaer y restituait les mots καυτήρια et πῦρ. (6) Fr. 813 et 816; Ar., Ach. 421 ; Ov., AA, I, 337.

LA

roi des Dolopes

JEUNESSE

DE

PÉLÉE

61

(1). De plus, Phoenix était guéri de sa cécité par

le bon Centaure Chiron, et tout porte à croire que c'était par l'entremise de Pélée (2). Ainsi, dans cette piéce certainement antérieure à Andromaque (3), Pélée se montrait déjà le protecteur de l'innocence persécutée et manifestait son sens de la justice et sa générosité.

Parmi les aventures du héros, Euripide a donc évoqué, outre le meurtre

de Phócos,

la participation

aux

combats

des Centaures

et des Lapithes, à l'expédition des Argonautes et à celle d'Héraclés à Troie, témoignages de sa bravoure, et son dévouement pour Phenix, marque de sa bienfaisance. Le meurtre de Phócos était connu de l'épopée. Ce motif avait

été concu lorsque Pélée, qui était à l'origine un héros thessalien, avait été représenté comme le fils d'Eaque, car il expliquait son

départ

d'Égine

et son installation

en Thessalie.

L’Alcmeonide,

poème épique postérieur aux Chants Cypriens (4) racontait cette aventure, mais on ne sait si elle était déjà mentionnée dans l’épopée de Stasinos. Pindare y consacre une allusion brève et un peu

embarrassée

: le poète se borne à laisser entendre

que la mort

de Phócos ne fut pas accidentelle et que Pélée avait prémédité son geste (5). C'est le sens méme de la réplique de Ménélas chez Euripide. Pour le chœur d'Andromaque, la scolie au vers 796 nous apprend

qu'il est imité d'un passage de Pindare : «La jeunesse de Pélée égal aux dieux resplendit de mille travaux : d'abord, avec le fils d’Alcmene, il se rendit dans la plaine de Troie, puis à la conquéte de la ceinture de l'Amazone ; et, au terme de l'illustre périple de Jason, il enleva Médée dans le palais de Colchos » (6). (1)

Apd.,

I. c. Il n'est pas impossible que Pélée

ait déjà assisté à l’« ἀγών » entre

le père et le fils (fr. 812). (2) Apd., l. c.; Prop., II, 1, 60 ; Tzetz., sc. Lyc., 421-23. Dans Mélanippe enchafnée, Poséidon guérissait l'héroine de sa cécité (Hyg., f. 186). (3) Cf. M. Croiset, !. c. La pièce semble postérieure au Pheniz de Sophocle (lerminus anle quem : 425), antérieure au premier Hippolyte (avant 428). Par comparaison

avec des drames de la même période et de sujets voisins (Sthénébée, Créloises, Crélois), Croiset place Phænix entre 440 et 432. Pour notre part, nous descendrions jusque vers

430 (430-429, Zielinski ; vers 427, R. Goossens). (4) Alcméonide, fr. 1 K (sc. MNOA An. 687) ; ef. Severyns, CE, p. 234-36 et 252. Euripide avait par ailleurs connu et utilisé ce poème (fr. 6 K et sc. TAB Or. 995). (5)

Ném., V, 14-18. Sur la participation de Télamon et le partage des responsabilités

entre les deux fréres, de méme que sur les motifs du meurtre, les témoignages anciens ne s'accordent pas. On trouvera les références rassemblées par Lesky (1), col. 274-75. La version du meurtre involontaire, qui n'apparalt qu'à l'époque alexandrine, n'est certainement pas la plus ancienne comme le pensait C. Robert (p. 78 et n. 5). (6) Fr. 195 Tu. (= sc. MA, An. 796) :

€ Πηλέος ἀντιθέου μόχθοις νεότας ἐπέλαμψεν μυρίοις * πρῶτον μὲν ᾿Αλκμήνας σὺν υἱῷ Τρώϊον ἂμ πεδίον καὶ μετὰ ζωστῆρας ᾿Αμαζόνος ἦλθεν καὶ τὸν ᾿Ιάσονος εὔδοξον πλόον ἐκτελέσαις

εἷλε Μήδειαν ἐν Κόλχων δόμοις.»

62

EURIPIDE

ET

LES

LÉGENDES

DES

CHANTS

CYPRIENS

Ce fragment, qui est assurément la source directe d'Euripide, nous permet de juger de l'imitation chez notre poéte. Dans les exploits cités par Pindare, il fait un choix. Il a emprunté au lyrique la participation de Pélée au Argonautes et à la campagne troyenne d'Héraclés.

voyage des Le premier

de ces exploits est affirmé en des termes qui semblent paraphraser ceux de Pindare (1) ; Euripide résume lui aussi toute l'expédition dans un seul épisode, mais au lieu de l'enlèvement de Médée, il choisit le passage des Symplégades, célébré ailleurs par

Pindare (2). Rappelons encore que la parodos d'Hypsipyle citait Pélée parmi les Argonautes, tradition qui peut étre ancienne, mais dont Pindare est notre plus ancien témoin. A la suite du poéte de Thébes, Euripide place pendant la jeunesse de Pélée cet

exploit que les Alexandrins ont transporté aprés son abandon par Thétis (3). Un autre poéme de Pindare rangeait Pélée parmi les compagnons d'Héraclés à Troie. Dans la VIII? Olympique, Apollon prophétisait

à Eaque que Troie serait soumise

la premiére génération et de nouveau

par sa descendance

« dés

à la quatriéme » (4). Les

scolies à ces vers soulignent que le poéte se sépare ici des autres récits, dans lesquels Télamon fut le seul des deux fréres à accom-

pagner

Héraclés en Troade,

où il devait recevoir pour captive

Hésione (5). Toutefois, nous apprenons par ailleurs que, d’après Hellanicos, tous les Argonautes avaient accompagné Héraclès

dans cette campagne (6). Mais ce motif nouveau par lequel Pindare, et Euripide à sa suite, cherchaient à rehausser la gloire de Pélée, ne s'intégra pas dans la tradition légendaire

(7).

(1) An. 794 : εἐκπερᾶσαιυ»; Pd., v. 4 : «ἐκτελέσαις ». An. 795 : εχλεινὰν ἐπὶ ναυστολίαν»; Pd., ibid. : « εὔδοζον πλόον ». Les similitudes de mètre (dactylo-trochalque)

sont

aussi

frappantes.

(2) Py., IV, 208-211. (3)

A.

Rh.,

Arg.,

I, 553 sqq. ; IV, 780;

Argon.

Orph.

376

8qq.;

1259;

Cat., 64,

1-19. Une difficulté chronologique venait de ce que, d'après la tradition courante, Pélée n'était arrivé à Iolcos qu'aprés la mort de Pélias, aux Jeux funébres duquel il avait participé (cf. Lesky (1), col. 302-03). la

(4) OI. VIII, 45-46 et sc. La première génération est celle de Pélée et de Télamon, quatrième (en partant d'Eaque), celle de Néoptoléme. Le texte de ces vers est

altéré, mais le mot παίδων implique la présence simultanée des deux frères en Troade. Sur le rôle de Télamon,

cf. INém.,

IV, 25. La

VIII*

Olympique

semble bien dater de

la méme année que la IV* Pythique citée plus haut. Q. Sm., I, 502-07,

suit la méme

tradition.

(5) Cf. Tr. 799 sqq. ; sc. Pd., OL, VIII, 60; sc. V en ἢ 487 (Zénodote). (6) Sc. Ném., 111, 64 (Hellanic., Fr. 106 Jac.). (7)

Cf.

Wilamowitz,

Pindaros,

p.

177.

Cette

tradition

se

retrouve

tardivement

chez Darés, III et V, et Q. Sm., Posthom., I, 503-05. F. Vian, Recherches sur les Poslhomerica

(1959), p. 23, pense qu'elle pourrait venir de 1' Éthiopide.

LA JEUNESSE

DE

PÉLÉE

63

A la campagne d'Héraclés contre les Amazones, Euripide substitue un épisode plus spécifiquement thessalien, le combat des Centaures et des Lapithes. Il est, à notre connaissance, le premier

qui y associe Pélée (1), et il a dà imaginer ce trait d'aprés le reste de la légende de l'Eacide. Un passage d'Iphigénie à Aulis nous apprend en effet que les Centaures étaient présents aux noces de

Thétis et de Pélée, au cours desquelles Chiron avait offert au héros la «lance si glorieuse » (2) évoquée dans les vers d'Andromaque. Or c'est précisément l'inconduite des Centaures au cours du banquet nuptial de Pirithoos qui avait provoqué la guerre. De plus, Pélée lui-même

avait dû, en d'autres

circonstances,

se défendre

contre les attaques des monstres du Pélion (3). Si le chœur rappelle enfin que Pélée avait accompagné Héraclès sur les rives de l'Eurotas (4), ce détail n'est pas choisi sans raison. On racontait, en effet, qu'au retour de Troie le fils de Zeus s'était

rendu dans le Péloponnése pour y combattre divers ennemis. En particulier, il avait chassé de Sparte un usurpateur, Hippocoon, le demi-frére illégitime de Tyndare, et rétabli ce dernier sur son tróne (5). Euripide est encore

le seul auteur qui associe Pélée à

cet acte de justice : on saisit l'intention du poéte dans ce trait terminant le slasimon d’Andromaque,

si l'on pense que le gendre

de Tyndare avait une dette de gratitude envers le héros thessalien qu'il rudoie si odieusement (6). Euripide puise donc en général dans un ensemble légendaire déjà constitué, mais il choisit dans chaque cas la version la plus appropriée à son dessein et n'hésite pas à modifier les traditions antérieures. De là des contradictions ; ainsi, tantót Pélée est le

fils d'Égine, tantót il en est le petit-fils ; tantót il est chassé d'Égine

aprés le meurtre de Phócos, tantót il succéde à Eaque dans son palais. Euripide donne une place au héros dans des légendes célèbres où il ne jouait sans doute aucun rôle avant lui, comme le combat des Centaures et des Lapithes ou la campagne d'Héraclés en Laconie. Pour le reste, il paratt s'étre surtout inspiré de Pindare. (1) Ovide (Mél., XII, 366-392) détaille ses exploits dans cette lutte. Le (ou son modéle alexandrin) a sans doute brodé sur l'indication d'Euripide.

poéte

(2) Nous traduisons, avec Méridier, δορί (An. 791) par lance plutôt que par combat. Sur le chœur d'Iphigénie à Aulis, cf. infra, p. 77 8qq. (3) Cf. infra, p. 64. (4) A condition de lire « Εὐρώταν », avec les manuscrits autres que L, qui donne la leçon Εὐρώπαν, adoptée par la plupart des éditeurs. (5) Sur la prise de Sparte

par

Héraclés,

cf. encore

Hcld.,

741-42 ; sc. MTAB,

Or.

457 ; Str., X, 2, 24; Paus., III, 10, 6 ; 15, 4-5 ; Apd., II, 7, 2. p.

(6) Cf. M. Delcourt, L’ezpedition d'Héraclès contre 127-139, dont nous résumons l'argumentation.

Sparte,

RBPhH,

88

(1929),

64

EURIPIDE

ET

LES

LÉGENDES

DES

CHANTS

CYPRIENS

On a souligné, en effet, chez ce dernier la fréquence des éloges de Pélée. Il en fait le type du héros aimé des dieux, parce qu'il unit la bravoure à la modération, le sens de la justice à la piété (1).

On ne s'en étonnera pas, quand on pensera aux liens qui unissaient Pindare à l’île d'Égine, liens personnels, liens de clientèle aussi (2).

Lorsqu'il devait louer quelque Éginéte vainqueur aux jeux, l'éloge des Eacides,

héros nationaux

d'Égine,

était presque

de rigueur.

On sent bien qu'il dispose à ce sujet d'un large ensemble de légendes dont il tire, selon ses besoins, un détail ou un autre. Celles-ci ne peuvent guére provenir d'une source littéraire unique. On a sup-

. posé qu'il avait existé une Péléide thessalienne (3), antérieure à l'Iliade et aux épopées du cycle, mais c'est une pure hypothése. Il est certain que Pindare combine entre elles des traditions orales,

recueillies en particulier à Égine, Plusieurs poèmes

et des traditions

relataient, au moins incidemment,

littéraires.

les aventures

de Pélée qui avaient précédé son union avec Thétis : ainsi les Chants Cypriens, l’Alcmeonide et le Calalogue hésiodique. Mais, à part le meurtre de Phócos, deux épisodes seulement figuraient de façon certaine dans l'épopée. Ces récits constituaient sans doute, dés l'origine, des doublets, mais ils ont été ensuite cousus

l'un à l'autre. Le premier, pour lequel notre plus ancien témoin est Phérécyde (4), racontait comment Pélée, banni d'Égine, fut accueilli à Phthie par Eurytion, qui le purifia de sa faute, et comment

il épousa la fille du roi, mais tua involontairement son beau-père à la chasse. Le second, développé dans le Catalogue (5), montre Pélée réfugié auprés du roi d'Iolcos, Acaste, et purifié par lui.

Mais le sort de Phoenix l'y attendait : la femme d'Acaste, par dépit de voir ses avances repoussées, décida de se venger. Gráce à un faux message, elle poussa la femme du héros au suicide, et elle accusa Pélée d'avoir voulu lui faire violence. Acaste ne voulait pas se souiller du sang de son hóte, mais au cours d'une partie de chasse

sur le Pélion,

(1) Cf. J. Duchemin,

il l’abandonna

Pindare poèle el prophèle,

(2) G. Méautis, Pindare le Dorien, (3) Conjecture

admise Mél.

Lesky

de W.

par quelques

Grégoire

Mannhardt,

critiques

endormi

1955,

p.

aprés lui avoir

170-173.

1962, p. 281-87. Antike

(par exemple

Wald

- und

J. Kaiser,

Feldkulte,

1877,

p. 17 sqq.;

p.

H.

52

s8qq.,

Jeanmaire,

1 (1949), p. 259), rejetée entre autres par Wilamowitz, Pindaros, p. 180 ;

(1), col. 279.

(4) Phérécyde, Fr. 15 et 615-5 Jac. ; Pd., fr. 34 Tu. ; Apd., III, 13, 1-2. Sur les variantes, qui portent en particulier sur le nom et l'origine de la première femme de

Pélée, cf. Lesky (1), col. 276-77. Pour A. Severyns, CE, p. 252, ce récit se trouvait dans l'Alcméonide, et peut-être déjà dans les Kypria. (5)

Fr.

78-79;

81;

mais

le

(fr. 83). Voir aussi Pd., Ném.,

Catalogue

connaît

aussi

la

IV, 54-61; V, 26-34 ; Apd.,

Peleus, Roschers-Ler., col. 1831-33; J. Schwartz, p. 145 ; 393-94.

Lesky

(1),

col.

277

première

union

de

Pélée

III, 13, 2-3; Bloch, s. v. sqq.;

(2),

p.

222-24;

LA

JEUNESSE

DE

PÉLÉE

65

caché son coutelas. Le héros ne dut son salut qu'à l'arrivée de Chiron, qui retrouva l'arme et lui permit ainsi de tenir téte victorieusement aux Centaures. Plus tard, Pélée tira du couple royal une

vengeance

éclatante

(1).

Dans

le

Calalogue,

cette

histoire

devait servir de prélude au récit des noces avec la Néréide. D'aprés Pindare, en effet, ce fut justement la retenue de Pélée devant la

femme d'Acaste qui lui gagna l'estime de Zeus et lui mérita l'honneur insigne d'épouser une immortelle

(2).

De ces deux aventures connues de Pindare, la première n'apparait pas dans l’œuvre conservée

d'Euripide.

Quant à la seconde,

on a cru y trouver le sujet du Pélée de notre poéte (3), qui appartiendrait avec Pheniz,

Sthénébée et les deux Hippolyle

au cycle

des pièces où l'on voit un héros victime des fureurs d'une femme amoureuse. Mais il est impossible de dire avec certitude si tel était le contenu de ce drame, ou si celui-ci ne racontait pas plutót, comme le Pélée de Sophocle (4), les malheurs du héros dans son extréme vieillesse, lorsque, avant le retour de Néoptoléme, il avait

été chassé de son tróne par Acaste et ses fils (5). Les deux opinions ont eu leurs partisans (6) : disons seulement que la seconde nous paratt la plus vraisemblable (7), ce qui n'exclut pas que l'aventure

de Pélée et d'Acaste ait été évoquée incidemment au cours du drame, soit dans le prologue, soit dans un slasimon (8).

L'enquéte sur la jeunesse de Pélée chez Euripide nous oriente (1) Pour la prise d'Ioicos, cf. Cat., fr. 81; Phérécyd., Fr. 62; Pd., Ném., III, 34; IV, 54-55. Pour une représentation figurée de la scène du Pélion, voir Milne, Bull. Metr. Mus., 5 (1946-47), p. 255-260. (2) Ném., V, 35-36. (3) Fr. 617-624 NA, p. 554-55. (4)

Pearson,

II, p. 140-47

et fr. 487-496.

(5) Cf. Tr. 1126-28 : « TAAG. Αὐτὸς δ᾽ ἀνῆχται Νεοπτόλεμος, καινάς τινας Πηλέως ἀκούσας συμφοράς, ὥς νιν χθονὸς “Axaæotoc ἐκδέδληρεν, ὁ Πελίου γόνος. » (6) Pélée et la femme d'Acaste : Welcker, Gr. Tr., p. 809 ; C. Robert, p. 71 ; SchmidStählin, p. 394-95; Pélée chassé de son royaume : Hartung, I, p. 290-97 ; Malten, H, 53 (1918), p. 169 ; Bates, p. 272-73 ; Garzya, Dion., 15 (1952), p. 114. — A. Lesky, qui penchait pour la seconde solution (1), col. 305, estime maintenant la premiére plus vraisemblable (Die Trag. Dichtung, 1956, p. 169). La scéne de la calomnie est représentée sur une hydrie à f. n. de Berlin (F 1890) : cf. Ch. Dugas, AE, 92-93 (195394), p. 176-79 (= Recueil Ch. Dugas, p. 151 sqq.). (7) Nous ne pouvons ici que résumer nos motifs

: d'abord,

on voit mal

comment

serait construite une tragédie qui se déroulerait en partie dans le palais d'Acaste et en partie dans les gorges du Pélion ; le fr. 619 oppose la sagesse d'un vieillard à l'inexpérience de la jeunesse, ce qui conviendrait à la situation de Pélée et de Néoptoléme; le rapprochement

de Pélée et de Téléphe par Aristophane

(Gren.

863)

et par Horace

(A. P., 96) suggére l'idée d'un roi exilé de son pays. (8)

On pourrait encore voir un écho de cet épisode dans le méme

chœur

d'Andro-

maque où il est dit que « dans les situations sans issue, l'aide ne manque pas aux héros bien nés » (770-71).

66

EURIPIDE

ET LES LÉGENDES

DES

CHANTS

CYPRIENS

donc la plupart du temps vers Pindare. Si l'on met à part le sujet de Pheniz, emprunté à l' Iliade, et le meurtre de Phócos, mentionné dans l'Aleméonide, les exploits célébrés dans le chœur d'Andromaque ne semblent pas avoir d'autre source que les vers du lyrique thébain

cités par le scoliaste, librement adaptés et enrichis de détails empruntés à d'autres passages de Pindare ou imaginés par Euripide. Quant à ces vers eux-mémes, il n'est pas possible de dire s'ils s'inspiraient de l'un ou l'autre des poémes épiques. Tout ce qu'il est permis d'affirmer, c'est qu'il existait une tradition épique, illustrée entre autres par les Chanis Cypriens et le Calalogue des Femmes, qui tendait à exalter un héros dont la gloire est éclipsée dans l'Jliade par celle de son fils Achille. Cette tradition se reflète dans l'œuvre de Pindare et d'Euripide. Si ce dernier a surtout

représenté Pélée affaibli par l'áge et les malheurs, il lui a donné des traits qui attiraient la sympathie et le respect : courage, esprit de décision, élévation morale, toutes qualités qui l'avaient désigné entre tous pour partager la couche d'une déesse.

II. THÉTIS L'histoire de Thétis avant ses noces n'apparatt pas chez Euripide. La déesse est surtout évoquée dans ses rapports avec Pélée et Achille, mais le poéte est toujours attentif au fait que sa nature

divine Thétis est la reprise

la met sur un plan supérieur au leur. — qui est souvent pour lui « la Néréide fille d'un dieu de la mer, Nérée (2), sur cette affinité de la déesse avec

Il aime à rappeler que » par excellence (1) — et il insiste à mainte l'élément marin (3).

En dehors de son rôle auprès des siens, elle conduit le chœur des Néréides, ses sceurs, et préside à leurs danses (4).

En tout cela, Euripide ne fait que suivre une tradition courante, BIBLIOGRAPHIE : Ajouter aux ouvrages cités en téte du chapitre : M. Mayer, s. v. Thelis, RE, VI A (1936), col. 206-242 ; U. Pestalozzi, Tetida al pie d'argento, Rendic. Ist. Lomb., Cl. di Leit., 79 (1945-46), p. 113-200. L'auteur étudie surtout les origines « méditerranéennes » et asianiques de la légende de Thétis, dont il trouve les racines en Asie Mineure et en Colchide (Thétis serait tantót Centauresse, tantót cavale, tantót Jeune

fille).

(1) An. 46; 135; 161; IT 537; IA 626 ; 819 ; 836. (2) An. 1224; 1274 ; IT 217; IA 701; 949; 1062, (3) θαλασσία : An. 17 ; ἁλία : 108 ; ἐναλία : 253; El. 450; LA 976 ; ποντία, IA 836. T. B. L. Webster, From Mycenae lo Homer, p. 126, estime que Thétis était à l'origine la déesse de la mer, et la compare à la Tiamat des légendes akkadiennes.

(4) An.1267: «Aaboüca nevrhxovra Νηρήδων x6pov», à rapprocher du vers d'Eschyle (Jugement des Armes, fr. 285 M.) : « Δέσποινα

πεντήχοντα

Nnpnôwv

κορᾶν. »

THÉTIS

67

qui n'est pourtant pas exactement la tradition homérique. Car, chez Homére, Thétis était bien une divinité marine qui accompagnait les Néréides, mais elle ne se confondait pas avec elle et l'Iliade ne donnait pas encore le nom de son père, le « Vieux de la Mer ». Ce n'est qu'à partir de la Théogonie et des poémes du cycle,

l'Éthiopide et pére est appelé plus glorieuse désormais dans On

a voulu

probablement aussi les Chanis Cypriens, que son Nérée et qu'elle-méme devient la plus belle et la des cinquante Néréides (1). Ainsi apparatt-elle la poésie lyrique et dramatique. aussi

rapporter

à Euripide

une

tradition

toute

différente, qui donnait Thétis comme la fille du centaure Chiron. Cette

Au

filiation

aurait

été indiquée

dans

Mélanippe

cours de ce drame, on racontait qu'Hippé,

la Sage

(2).

fille de Chiron,

étant enceinte des ceuvres d'Eole et sur le point de mettre au monde

Mélanippe, avait obtenu des dieux d'étre métamorphosée en jument pour échapper aux recherches de son pére : son nom recevait ainsi une explication étiologique. D'aprés un texte isolé, il aurait été dit dans la pièce d'Euripide qu'« Hippè, la fille du centaure Chiron, avait été appelée auparavant Thétis» (3). Malheureusement, ce dernier nom est mutilé dans la source latine et « Thétis » n'est qu'une conjecture fort peu vraisemblable, quoique généralement acceptée. Un certain nombre d'écrivains mineurs des ıv® et 1119 s. ont, il est vrai, connu la filiation Chiron-Thétis (4), mais rien ne

prouve en fait qu'elle était évoquée dans Mélanippe ni méme qu'Euripide en avait eu connaissance.

(1) IL, Σ 36-37 et sc. TV

la Sage,

en Σ 38; Hés., Théog., 263-64 ; 1003 sqq. ; Ethiop., ap.

Procl., Chrest., 1. 198 (cf. A. Severyns,

CE,

p

418; Homère,

III, p. 55; 86) ; Pd., Py.,

III, 92; Ném., III, 57 ; Is., VIII, 43. Chez Euripide, Nérée est le père des Néréides : Ion 1081-82; HL 1585; IT. 273-74. (2) Fr. 480-488 N*, p. 509-514; Page, GLP, p. 116-119; P. Ozy. 2455, fr. 1-2. (3) Fr. 488 (Hygin, Astronom., II, 18, p. 463) : « Euripides autem in Melanippa Hippen,

Chironis

Centauri

flliam,

ftean

(V;

fthean

MR;

Thetin

Muncker)

antea

adpellatam dicit ». C. Robert rétablit avec beaucoup plus de vraisemblance Ocgrhean, d'après Ovide, Met., II, 638, qui appelle Ocyrhoé la fille de Chiron (cf. Eratos., Calasterisma, p. 121 ; Gr. Held., p. 21, n. 2). U. Pestalozzi, p. 139 ; 142, ne paraît donc pas

fondé à affirmer d'aprés ce texte l'existence primitive d'une Thétis- Hippé. (4) Cf. sc. A. Rh., I 558, contenant une citation de Lysimaque d'Alexandrie, au L. II des Nostoi (383 F 8), d'après laquelle Suidas (602 F 7), Aristote de Chalcis (Sur

l'Eubée, 423 F 2), l'auteur des Histoires Phrygiennes (Ps. Démocrite, Vorsokr'., II, p. 210, 6) et Dionysios de Chalcis (FH G, IV, p. 394) donnaient pour mére à Achille « Thétis,

fille de Chiron » (corrigé

retrouve encore chez Dictys,

en

Sciron

I, 14; VI, 7.

par

C.

Robert,

!. c.). Cette tradition

se

68

EURIPIDE

III. LES Les exploits beauté

ET

LES

LÉGENDES

NOCES de Pélée

DE

DES

THÉTIS

lui avaient

CHANTS

ET

CYPRIENS

DE

PÉLÉE

attiré un renom

flatteur,

de Thétis l'avait mise au-dessus des autres Néréides,

la

mais

leur gloire provient avant tout d'avoir eu pour fils Achille, le plus illustre des Grecs dans la plus illustre des guerres. Aussi leur union,

d’où devait naître ce héros, était-elle un des épisodes les plus populaires de la geste troyenne, un de ceux qui ont le plus exercé pendant

des siécles l'imagination des poétes. Tout concourait à en rehausser la signification : un mortel épousait une déesse, les dieux assistaient tous ensemble

à ces noces,

mais,

au cours méme

du repas

nuptial, leur unanimité allait étre pour longtemps rompue par la querelle des déesses, point de départ du conflit voulu par Zeus.

Si Euripide a profondément senti la grandeur et la beauté de l'épisode, il à aussi été influencé

par les multiples variations

de

ses devanciers sur ce théme. Par suite, on reléve dans ses piéces des indications qui ne s'accordent pas toujours entre elles. Dans le prologue d’Andromaque, la captive de Néoptoléme évoque briévement l'union de Thétis et de Pélée, dont le cadre semble étre la Thessalie. Elle habite, dit-elle, la plaine voisine de la ville de Pharsale, «là où Thétis la marine vivait avec Pélée à l'écart des hommes,

fuyant

la foule. Le peuple thessalien appelle cet endroit « Thétideion » en l'honneur des noces

de la déesse » (1).

Mais au dénouement de la piéce, Thétis elle-méme, abandonnant la demeure de Nérée, est venue chercher son vieil époux à qui est accordée l'immortalité. Elle l'invite à se rendre « dans le creux profond de l'antique falaise du Sépias » (2),

c'est-à-dire prés du cap qui termine la cóte rocheuse de la Magnésie,

(1) An.

16-20

: «Φθίας

δὲ τῇσδε xal πόλεως Φαρσαλίας

σύγχορτα ναίω Πηλεῖ ξυνῴκει

πεδί᾽, ἵν᾽ ἡ θαλασσία χωρὶς ἀνθρώπων Θέτις

φεύγουσ᾽ ὄμιλον ^ Θεσσαλὸς δέ νιν λεώς Θετίδειον αὐδᾷ θεᾶς χάριν νυμφευμάτων.» Pour l'expression, cf. 1231 («xaplv τῶν σῶν πάρος νυμφευμάτων »). Au v. 46, le Thétideion est appelé « épuñveuux Νηρῇδος γάμων ». (2) An. 1265-66 : «... παλαιᾶς χοιράδος κοῖλον μυχόν

Inmdöog.»

LES NOCES

DE THÉTIS

ET DE

PÉLÉE

69

au pied du Pélion. Elle viendra l'y chercher avec les Néréides. Pélée répond avec respect et gratitude :« Je me rendrai dans les replis du Pélion, là oü j'ai saisi dans mes bras ton corps admirable » (1).

D'autre part, deux scolies de Tzetzés à l'Alerandra de Lycophron rapportent aussi l'union de Thétis et de Pélée au cap Sépias, mais avec deux variantes importantes. L'une dit en effet: « Selon Euripide..., Thétis poursuivie par Pélée se métamorphosa comme Protée et prit différentes formes; il la saisit sous la forme d'une seiche (sépias)

et s'unit à elle. »

Et l'autre « Euripide et d'autres

: dit que auteurs

Pélée avec

s'unit une

seule fois à Thétis

au cap

Sépias,

lui » (2).

Ces deux allégations de Tzetzés —

métamorphose

de la Néréide

en seiche et unique rapprochement de Thétis et de Pélée — ont été suspectées par certains critiques, en particulier la seconde, qui

contredit le prologue d'Andromaque en excluant le séjour du couple au Thétideion. Scheer y voyait un commentaire abusif du scoliaste au vers 1265 de cette piéce. Wilamowitz pensait que dans

les deux cas Tzetzés avait confondu le texte d'Euripide avec ses scolies et celles de Pindare qu'il utilisait concurremment (3). M. Mayer corrigeait le texte de la seconde scolie pour lui faire dire

que Pélée s'était uni à Thétis non pas «une seule fois » mais « en se saisissant d'elle » (4). En fait, il n'y a pas lieu de douter du double témoignage de Tzetzés, méme

version d'Andromaque.

s'il ne s'accorde pas avec la

En effet, le théme des métamorphoses de

Thétis est anciennement attesté et le motif du rapprochement unique semble appartenir à la forme primitive de la légende (5). On congoit qu'Euripide ait pu adopter cette version dans une

autre partie de son théátre, en l'enrichissant par une trouvaille ingénieuse, la transformation de la Néréide en seiche, qui expliquait le nom

du cap Sépias, cadre de cette union

(1) An.

(6). La rencontre de

1277-78

: «................ εἶμι Πηλίου πτυχάς, οὗπερ σὸν εἷλον χερσὶ κάλλιστον δέμας.» (2) Tzetz.,sc. Lyc. 175 et 178 (= Fr. inc. 1093). Il faut entendre, à notre sens, qu'après cette vaine métamorphose (la seule ou la dernière d'une série), la déesse reprit sa forme féminine et que le héros s'unit alors à elle.

(3) Kl. Schriften, Ch. 9. (4) "Axa corrigé en ἅρπαξ (Mayer, col. 207). (5) Cf. infra, p. 71. C'est, semble-t-il, Ja méme tradition qui se retrouve chez Ovide, Mél.,

XI,

(6) La

238-265,

sans

métamorphose

doute

en

d'après

seiche

mention d'Euripide) : sc. MNOA

est

un

intermédiaire

attestée

par

alexandrin.

plusieurs

An. 1265; sc. A.Rh., I, 582; EM

autres

textes

(sans

et EG, 8. v. Σηπιᾶς ;

sc. Dosiadas, Aulel ; Eust. en Z 428, p. 1152, 9. Sur le culte des Néréides dans la région du cap

Sépias, cf. Hdt., VII,

191.

70

EURIPIDE

ET LES LÉGENDES

DES

CHANTS

Thétis et de Pélée pouvait étre évoquée

CYPRIENS

dans quelque slasimon

du Pheniz ou des Skyrioi, mais il est beaucoup plus vraisemblable qu'elle provenait du Pélée, où l'on voyait le vieux roi chassé de son trône par Acaste et contraint de se réfugier précisément dans

une caverne du cap Sépias (1). Dans Iphigénie à Aulis, l'union de Thétis et de Pélée est peinte

de facon. bien différente. Au cours du méme dialogue dans lequel nous avons vu Agamemnon présenter sous leur meilleur jour les ancétres d'Achille, Clytemnestre demande à propos du mariage

de Pélée et de la Néréide : Cl. Ag. Cl. Ag. Cl.

— — — — —

Ag. —

«La recevait-il d'un dieu ? Ou s'en empara-t-il en dépit des dieux ? C'est Zeus qui la flanga et la lui accorda, car il était son maître. Et oü l'épousa-t-il ? Dans le sein de la mer ? Dans la demeure de Chiron, sur le Pélion aux assises saintes. C'est, dit-on, l'habitat du peuple des Centaures ? Oui,

c'est

en

cet

endroit

que

les

dieux

festoyérent

aux

noces

de

Pélée » (2).

Les termes juridiques employés par Agamemnon (3) montrent que les rites nuptiaux ont été respectés, et le dialogue entier prépare le chœur de la méme pièce, qui met l'accent sur la majesté solennelle de ces noces.

Avant d'étudier dans le détail cette belle fresque, il nous faut examiner

les

trois

versions

du

mariage

de

Thétis

et de

Pélée

données par Euripide en divers endroits de son théátre : sur une plage du cap Sépias, le héros lutte avec la déesse marine qui cherche à lui échapper par ses métamorphoses et il ne réussit que pour un moment à la soumettre à ses lois ( Pélée? ) ; sur cette méme plage, le héros s'unit à Thétis malgré sa résistance, et ensuite les deux époux vivent ensemble au Thétideion de Thessalie

(1)

Cf. supra,

(2) IA

p. 65, et Dictys, VI, 8.

702-707

:

«Κλ. Ay. Κλ. Ay. Κλ. Av.

Θεοῦ διδόντος, À βίᾳ θεῶν λαδών ; Ζεὺς ἠγγύησε καὶ δίδωσ᾽ ὁ κύριος. Tapei δὲ ποῦ νιν ; À κατ᾽ οἶδμα πόντιον ; Χείρων ἵν᾽ οἰκεῖ σεμνὰ Πηλίου βάθρα. Οὗ φασι Κενταύρειον κίσθαι γένος ; ᾿Ἐνταῦθ᾽ ἔδαισαν Πηλέως γάμους θεοί.»

Sur la présence des dieux aux noces de Pélée, cf. encore An.

1218, où le chœur dit

à Pélée : «a Μάτην δέ σ᾽ ἐν γάμοισιν ὥλδισαν θεοί ». (3) Au

vers 703,

«ó κύριος»

indique

que

Zeus

est

le

tuteur

naturel

de toutes

les déesses, et « ἐγγύησε » est le terme utilisé en parlant d'un père qui promet

sa

fille en mariage. On entend parfois par «ὁ xóptoc», «son père», Nérée : «Zeus la flança à lui et son père la lui accorda » (Well, H. Berguin, M. Delcourt), mais il s'agit plutôt d'un pléonasme de type courant (cf. Pd., /Vém., V, 34-35 ; Reitzenstein, p. 83, n. 2; Lesky (1), col 295). De méme, Weil ne nous paraît pas fondé à comprendre au v. 702 βίᾳ θεῶν, en dépit du dieu (c'est-à-dire de Nérée).

LES NOCES

DE THÉTIS

ET DE

PÉLÉE

71

( Andromaque) ; enfin, sur le Pélion a lieu le banquet des noces en présence des dieux (Iphigénie à Aulis). Le premier de ces récits ne saurait évidemment se concilier avec les deux autres. En revanche, les deux derniers ne sont pas absolument incompatibles,

car les légendes grecques associent fréquemment rapt et cérémonies nuptiales (1). On aurait alors la succession suivante : prés du cap Sépias, Pélée soumet la déesse marine. Les dieux apportent leur sanction à ce rapt. Puis les époux s'installent à proximité

de la capitale du royaume thessalien. Il est clair qu'Euripide a combiné entre elles des traditions trés diverses. La légende de Thétis et de Pélée présente en effet des couches successives. La plus ancienne a la forme d'un conte popu-

laire dont on trouve l'équivalent dans le folklore de plusieurs pays (2). Ce récit primitif, oà les Olympiens n'avaient encore aucune place, mettait aux prises deux personnages anonymes, un « démon de la montagne » (3) ou un «chasseur» (4) et une divinité des eaux qu'il avait surprise sur le rivage une nuit de pleine lune et qu'il cherchait à faire sienne de haute lutte. Celle-ci tentait en se mélamorphosant d'effrayer son adversaire et de lui échapper, mais, guidé par un sage conseiller, il tenait bon, et finalement la déesse lui cédait. Aprés leur union, ou bien elle s'enfuyait de nouveau sous les mers et ne revenait au rivage que plus tard pour y abandonner son fils (5), ou bien elle vivait quelque temps avec le héros mais finissait par le quitter pour retourner auprés des siens (6). Par la suite, on donna des noms aux acteurs de ce petit drame : Pélée, le héros du Pélion, la Néréide Thétis, le bon

Centaure Chiron et l'histoire fut intégrée, non sans difficultés, dans la biographie légendaire du héros. De nombreux détails nouveaux s’y ajoutérent alors, en particulier le motif de l'intervention des dieux. La légende était déjà bien constituée lorsque les poétes (1) Kaiser, p. 48, n. 3; Lesky (2), p. 220-21. On retrouve cette dualité dans la légende d'Harmonie et celle de Médée. Dans les Kypria, les noces d'Héléne avec Páris sont célébrées à leur arrivée en Troade. (2) Sur ce conte populaire, voir en particulier Mannhardt, Anlike Wald- und Feldkulte, p. 60 sqq. ; Graef, p. 199 sqq. ; Séchan, RCC, p. 679 sqq., et Let. d'Hum., p. 37-38 et n. 231; Lesky (1), col. 285-86 ; (2), 216 («légende du type Mélusine ») ; Philippson, p. 156 sqq. La reconstitution la plus complète en est donnée par A. Severyns, Homère, Rhodes (IV, 769-779).

III, p. 90-93, d'après Apollodore (III, 13, 5) et Apollonios de Sur un récit étroitement apparenté du folklore moderne crétois,

cf. B. Schmidt, Volskleben der Neugriechen (1871), p. 115-117, résumé par Frazer, Apollodore (Loeb), II, p. 67, n. 5, et Append., X, p. 363 eqq., qui donne d'autres paralléles. | (3)

P.

Philippson,

I. c.

(4) A. Severyns, L. c. (5) C. Robert, p. 66. (6) L. Séchan, Let. d'Hum.,

n. 245.

72

EURIPIDE

ET

LES

LÉGENDES

DES

CHANTS

CYPRIENS

épiques s'en emparèrent, et chacun selon son tempérament garda

une part plus ou moins grande du conte populaire. L'auteur de l'Iliade, qui avait placé le fils de Thétis et de Pélée au centre de son poéme, s'est efforcé d'éliminer le plus possible

d'une

légende

qui

s'accordait

mal

avec

sa

vision

du

monde

héroique ; mais on a noté des disparates dans l'image qu'il retrace de Thétis (1). La reine de Phthie a conservé bien des traits de la

divinité marine ; elle a élevé Achille jusqu'à son départ pour la guerre,

mais,

pour

le rejoindre,

elle vient

du

fond

de l'océan



elle vit chez son pére. Les dieux ont assisté à son mariage, mais elle confesse à Héphaistos qu'elle a été unie à un mortel « bien malgré elle », et une partie des critiques anciens croyaient trouver

dans ce passage une allusion à la légende de sa lutte et de ses métamorphoses (2). En fait, chez Homére, la résistance de Thétis est seulement morale (3), et, si elle s'est sentie humiliée de devoir épouser un mortel, elle s'est inclinée sans combat devant l'ordre

de Zeus. Le mariage

de Thétis et de Pélée était encore conté dans les

Chanis Cypriens, le Catalogue hésiodique, et sans doute aussi dans

l'Aegimios, qui mentionnait le divorce des deux époux. Mais nous ignorons

tout

de

la version

suivie

dans

ce dernier

poéme

(4) et

il est trés difficile de préciser la tradition adoptée par chacun des deux autres. Le cas des Chanis Cypriens est le plus embarrassant.

Nous savons que, dans l'épopée de Stasinos, Thétis s'était refusée à Zeus pour complaire à Héra qui l'avait élevée et que Zeus, dans sa colére, avait juré de la marier à un mortel (5). Nous savons

d'autre part que les noces de Thétis et de Pélée étaient célébrées en grande pompe sur le Pélion et que les Olympiens y assistaient, puisque c'est au cours du banquet nuptial qu'éclatait la querelle

des déesses. Mais que se passait-il dans l'intervalle ? Est-ce que Pélée tentait de s'emparer de la Néréide de vive force et malgré ses métamorphoses ? Les critiques sont très partagés sur ce point, (1) Il est vain de recourir pour les expliquer à l'hypothèse d'une pluralité d'auteurs ou de passages interpolés ; cf. A. Severyns, p. 94-95, et infra, p. 89-90.

(2) Z 429-435 Duchemin),

et sc. Certains

critiques

mais la plupart estiment

modernes

partagent

cet

avis

(Kaiser,

J.

que le motif de l’Iliade est différent.

(3) C'est ce que s'efforcait de démontrer l'école d'Aristarque : cf. sc. ATV en Σ 433, et Severyns, CE, p. 252-53. (4) L'Aegimios a été en général attribué à Hésiode. Cependant, il est sürement distinct du Catalogue (contrairement à l'avis de C. Robert, p. 65, n. 1) et A. Severyns

(Mus. Belge, 30 (1926), p. 119 ; CE, p. 178) le place dans la geste mythique. J. Schwartz, p. 261-64, écarte aussi l'origine hésiodique. — D'aprés le contexte, on peut supposer que l'Aegimios empruntait beaucoup au conte populaire (cf. infra, p. 76, n. 3 et 90).

(5) Fr. II (Voll. Hercul. coll. alt., VIII, 105) : « Ὁ δὲ τ]ὰ Kon (pta ποιήσας "H]oq χαρ[ιζομένη]ν φεύγειν αὐ[τοῦ rèlv γάμον, Alle δὲ ὁμ]όσαι χολω[θέντ]α διότι θνη[τῷ συ]νοικίσει.» Cf. A.Rh., IV, 790-98 ; Apd., III, 13, 5.

LES NOCES

DE THÉTIS

ET DE

PÉLÉE

73

et la majorité d'entre eux penchent pour la négative (1). Quelles sont leurs raisons ? Ils ont en général opté pour la thése de Graef,

qui distingue deux traditions : d'une part, une tradition épique, représentée par Homére, Stasinos et Hésiode — celle-ci excluait le combat de Thétis et de Pélée, et par conséquent les métamorphoses

— d'autre part, une tradition populaire, qui n'apparait dans la littérature qu'à partir de Pindare mais qui a exercé une grande influence sur les œuvres d'art. D'après celle-ci, au contraire, Pélée

triomphait grâce à l'aide de Chiron des résistances de la Néréide,

malgré ses métamorphoses. Donc, Stasinos, s'inspirant de plusieurs passages de l'Iliade (2), aurait imaginé le motif de l'amour de Zeus pour Thétis et du refus de la Néréide, causé par son respect pour Héra qui l'avait élevée. Condamnée à épouser un mortel, elle aurait accepté, non sans répugnance, l'époux choisi par Héra. Stasinos éliminait de la légende de Thétis le motif de la résistance et des métamorphoses, incompatible avec le róle d'Héra et les noces solennelles sur le Pélion, et le transportait dans la légende de Némésis, qui, dans le poème, cherchait à se soustraire au

roi des dieux en animales (3). Ces arguments

empruntant ne

nous

successivement

satisfont

guère.

plusieurs

Si on

allégue

formes que

le

théme de la lutte est en contradiction avec celui des noces solennelles — ce qui n'est pas évident — on devra bien reconnaitre qu'une

contradiction

plus grave

existe

entre

deux

passages

des

Chants Cypriens : à propos de la « volonté de Zeus », il est dit que le dieu, sur le conseil de Mómos ou de Thémis, décida de marier Thétis à un mortel pour réaliser son plan (4), tandis que, dans le fragment II, cette décision est la conséquence d'un dépit amoureux (5). À notre avis, Stasinos a combiné plusieurs traditions, méme si elles ne s'accordaient pas parfaitement entre elles (6). (1) Parmi ces derniers, on peut citer entre autres Welcker, EC, p. 132; Graef, p. 199-200 ; Kaiser, p. 19 ; Reitzenstein, p. 77-78 ; Bethe, p. 230 ; Lesky (1), col. 288 ;

292 ; (2), p. 221 ; Kullmann, p. 230-31. Parmi ceux qui pensent que les métamorphoses de Thétis figuraient dans les Kypria, on citera Rzach, col. 2380 ; Severyns, CE, p. 25253, et Homère, III, p. 90 ; Herter, 8. v. Nemesis, RE, XVI, 2 (1935), col. 2346 ; M. Mayer, col. 218; Sodano, p. 91-100.

(2) E 85; 431-34 ; £2 59-62 ; 537. (3) Ct. infra, p. 147-48. Ce point de vue est développé en particulier par Lesky (1), col. 298 ; (2), p. 221. Si nous ne le partageons pas, nous concédons à Lesky que le motif appliqué à Thétis doit étre plus ancien, les métamorphoses étant surtout l'apanage

des divinités des eaux : Protée (Od., ὃ 417), Nérée (Apd., II, 5, 11), Achéloos (id., II, 7, 5). Une sœur de Thétis, Psamathée, s'était changée en phoque pour échapper à Eaque,

d'où le nom

de son fils, Phócos.

(4) Cf, supra, p. 44. (5) Lesky lui-même (2), p. 219, admet que la présence de Zeus, amoureux évincé de Thétis, aux noces de la Néréide, était peu glorieuse pour le roi des dieux. (6) Sodano, p. 100, rappelle que les poétes cycliques semblent s'étre moins souciés qu'Homére

d'harmoniser

entre

elles les légendes

qu'ils rapportaient.

74

EURIPIDE

ET LES LÉGENDES

DES

CHANTS

CYPRIENS

Les métamorphoses de Némésis n'excluent pas celles de Thétis. Au contraire, il y aurait dans le poéme un parallélisme entre la naissance d'Achille et celle d'Héléne, Thétis et Nemesis, toutes deux divinités aimées de Zeus et instruments de son dessein,

cherchant pareillement à s'y dérober par des métamorphoses. On remarquera encore que les scolies aristarchéennes de l’Iliade (1) attribuent ce motif aux « néótéroi », terme qui désigne le plus souvent les poétes du cycle. Ensuite, la vogue de cet épisode dans les représentations figurées au vi® s. s'explique mieux par l'influence d'une œuvre littéraire célèbre que par une simple tradition populaire (2). Enfin, la présence de ce théme chez Pindare fournit un indice supplémentaire, le poéte thébain ayant connu et souvent utilisé les Chanis Cypriens (3). Nous pensons donc que, dans ce poéme,

aprés

le serment

de

Zeus

de marier

Thétis

à un

mortel,

Héra faisait agréer au roi des dieux le nom de Pélée. Chiron recevait l'ordre d'aider Pélée à mattriser la Néréide malgré sa résistance et ses

métamorphoses.

La

célébration

solennelle

des

noces

sur

le

Pélion apaisait la rancune de la Néréide et marquait l'exécution du « dessein de Zeus *.

Le papyrus

|

qui nous renseigne sur les antécédents

du mariage

de Thétis dans les Kypria ajoute qu'on trouve chez Hésiode «à peu prés le méme récit » (4). A ce qu'il semble, l'expression ne doit

pas étre prise au pied de la lettre et le critique ancien a seulement voulu dire que le Calalogue donnait aussi à Zeus un róle déterminant dans cette union (5). Les témoignages subsistants ne nous renseignent que sur le début et la fin de l'histoire, c'est-à-dire d'une part les démélés de Pélée avec la femme d'Acaste et la chasse sur le Pélion, d'autre part l'arrivée de Pélée avec sa jeune épouse

dans sa capitale avec le butin pris à Iolcos (6). Un épithalame chanté par le peuple de Phthie célébrait leurs noces auxquelles les

dieux avaient assisté et la gloire accordée au héros par le fils de Cronos (7). La confrontation de ces fragments avec les citations de Phérécyde

et de Pindare

(8) permet de penser que le don de

Thétis à Pélée était la conséquence directe de sa belle conduite vis-à-vis de la femme d'Acaste. Un tel contexte excluait dans le (1) Sc. TV en Σ 434 et Eust., p. 1152, 9. (2) Severyns, l. c.: Sodano, p. 92. (3)

Severyns,

ibid.

(4) Kyp., Fr. II = Hés., fr. 80: « Ka[l παρ᾽ ᾿Η]σιόδῳ δὲ xe[ iro 7]d παραπλήσ[ιον. » (5) Lesky entend simplement que le motif de la lutte de Thétis et de Félée était absent du Catalogue comme des Kypria. (6) Fr. 78-79 et 81. Le fr. 82 ne renvoie pas, comme le pensait Rzach, au banquet des noces. On sait maintenant par le Pap. Oxy. 2354 que ces deux vers se situaient tout &u début du poéme et avaient donc un sens plus général (cf. Schwartz, p. 385). (7) Fr. 82. Sur cet épithalame, cf. infra, p. 83 et n. 4. (8) Phérécyd., fr. 1 et 62 Jac. ; Pd., Ném., V, 25-36 ; cf. Lesky (1), col. 296.

LES

NOCES

DE THÉTIS

ET DE

PÉLÉE

75

récit hésiodique le thème de la lutte et des métamorphoses de Thétis. Dans le Calalogue, les faits semblent se dérouler dans l'ordre suivant : histoire d'Acaste, choix de Pélée par Zeus comme

époux

de Thétis, mariage solennel sur le Pélion, prise d'Iolcos et chátiment

d'Acaste

et de

sa

femme,

retour

des

époux

à Phthie

et

installation au palais royal (1). Si nous nous sommes attardé plus que de raison sur les versions anciennes de l'union de Thétis et de Pélée, c'est qu'il était important de dissocier les diverses traditions qu'Euripide utilise tour à tour ou combine trés librement. La localisation au cap Sépias remonte

sans doute à la couche la plus ancienne de la légende. Euripide est toutefois le seul auteur qui parle d'une étreinte unique de l'Eacide

et de la Néréide

et la source

de cette affirmation nous

échappe : est-ce une invention du poéte, ou bien provient-elle d'une œuvre perdue ou d'une tradition populaire ou cultuelle ? Nous inclinerions pour cette derniére solution, car nous savons par Hérodote que toute cette cóte de la Magnésie était consacrée à Thétis et aux autres Néréides (2).

Les métamorphoses de Thétis avaient été évoquées à la suite de l'épopée par Pindare et Sophocle (3), et illustrées par de nombreuses ceuvres d'art. On trouve parmi les formes prises par la Néréide celles d'un serpent, d'un lion ou d'un autre fauve, d'un oiseau, d'un fleuve, de l'eau ou du feu (4), plus rarement celle (1) Lesky (2), p. 223-24 ; Schwartz, p. 396. Nous ne tenons pas compte ici d'une autre version connue par Pindare et Eschyle, d'après laquelle Zeus (ainsi que son rival

Poséidon,

chez

Pindare)

renoncérent

à la

Néréide

à la suite

d'une

prédiction

de Thémis annonçant que le fils de Thétis devrait être supérieur à son père (Pd., Is., VIII, 28-48 ; Ném., V, 35-37 ; Eschl., Prom., 904 sqq. ; Prom. délivré, fr. 321) ; cf. Apd.,

Ill, 13, 5, qui cite cette version parmi les autres, et A. Rh., IV, 790-99, qui la combine avec celle des Kypria. Il est impossible, comme le croyait Reitzenstein, p. 84, que les deux remontent à une source unique (Bethe, p. 229 et n. 3). L'origine de la « Thémisvariante » n'est

pas

connue.

Lesky

(2),

p.

217-221,

avec

de

bons

arguments,

s'est

efforcé de démontrer qu'il s'agissait d'une version ancienne, antérieure aux Kypria et même à l'Iliade, et qui s'accordait avec le motif des métamorphoses. Nous avons développé ailleurs (REG, 69 (1956), p. 292-297) les raisons qui nous font croire à la présence de cette variante dans le récit du Catalogue. Tout au plus trouverait-on un lointain écho de cette version au v. 702 d'Iphigénie à Aulis où Clytemnestre demande si Pélée a épousé Thétis « en dépit des dieux ». (2) Hdt., VII, 191. Sur les peintures de vases représentant la lutte de Pélée et de Thétis flgure souvent un autel à l'arriére-plan (C. Robert, p. 65). (3) Pd., Ném., IV, 62-64; Soph., fr. 150 (Amants d'Achille) et 618 (Trolle); cf. Apd.,

III, 13, 5 ; Ov., Mét., XI, 221 sqq.

(4) Sur les vases, les métamorphoses sont flgurées par des animaux plus petits qui semblent venir au secours de la déesse. Liste des représentations figurées : F. Brommer, p. 242-49. Pour le coffret de Cypsélos, cf. Paus., V, 18, 5 ; pour les vases archalques, Graef,

p.

192

sqq.;

C.

Robert,

Bild

und

Lied,

p. 22-23;

44;

52;

86-87 ; 123-125;

M. Mayer, col. 226-229 ; B. Schweitzer, Mythische Hochzeiten, Sitz.-Ber. Heidelb. Ak,, 6 (1961), p. 13-19. Le motif devient plus rare au τ" 8. (H. Metzger, p. 268-69 et 273-74).

76

EURIPIDE

d'un

animal

Euripide

ET

marin

aurait

LES

(1).

imaginé

LÉGENDES

DES

CHANTS

Renchérissant

CYPRIENS

sur

la transformation

ses

de

prédécesseurs,

Thétis

en seiche,

doublement justifiée puisqu'elle évoquait une créature de la mer et qu'elle contenait une de ces explications étiologiques dont il était friand. Cependant, cette version reste isolée dans son ceuvre ; il ne l'a pas reprise dans d'autres pièces, car elle allait à l'encontre des tendances de son esprit : parallélement, en effet, aux artistes

de son temps (2), il incline à atténuer la brutalité de l'épisode primitif jusqu'à l'éliminer tout à fait dans Iphigénie à Aulis. Dans Andromaque, on trouve une allusion discréte à la lutte amoureuse, mais non pas aux métamorphoses. La méme alternance entre les deux types de scénes, qui se retrouve aussi bien chez Pindare que sur les représentations figurées, rend trés pro-

bable une dualité de sources (3). C'est le Calalogue des Femmes qui avait fourni au poéte le théme de l'installation des époux au centre de la Thessalie. Quant au Thétideion, placé par les sources anciennes tantót à Phthie ou à Pharsale méme, tantót à proximité,

Phérécyde le citait déjà comme leur lieu de résidence (4). Mais Euripide ajoute que Thétis y vivait avec Pélée «à l'écart des hommes ». Plus qu'un trait de la sentimentalité euripidéenne

(5),

nous verrions plutót dans ce détail un souvenir de la créature à demi sauvage du conte de fées primitif. Dans Iphigénie à Aulis, l'esprit est en somme celui du Calalogue

hésiodique Thétis.

: Zeus a distingué Pélée et lui a accordé la main de

On songe encore à un passage d'Alcée, qui, célébrant les

brillantes noces de Pélée, dit qu'«il avait conduit la délicate jeune fille du palais de Nérée dans la demeure de Chiron ν (6). L'accent (1) Les dauphins qui entourent parfois la Néréide semblent plutót appartenir au décor (cf. cependant M. Mayer, col. 328). Sur l'Épinétron d'Éretrie (vers 420) étudió par B. Schweitzer, c'est une sorte d'hippocampe qui semble s'élancer contre

Pélée (cf. p. 10, et PI. II). (2)

Cf.

H.

Metzger,

l. c.

(3) La lutte — sans métamorphoses — est évoquée dans la VIII* Isthmique (42-45) et la [115 Néméenne (35-36). Venait-elle de l' Aegimios, du méme récit que la « Thémisvariante » ? On ne peut le dire. (4) Phérécyde, fr. 1 Jac. (sc. MO, An. 17) ; Hellanicos, fr. 136 Jac. ; Phylarque, fr. 81 Jac. ; Pol., XVIII, 20, 6 ; Strab., IX, 5, 6 ; Plut., Pélop., 32. Sur le site archéologique (12 Km. environ au N.-E. dela Pharsale moderne), cf. F. Stáhlin, Das Hellen. Thessalie (1924), p. 141 et n. 10; P. Philippson, p. 164. (5) Comme le pense Lesky, col. 296. Le mythe de l'Aegimios (fr. 185) semble impliquer

que

mer,

Pestalozzi,

Thétis

d'Andromaque,

et Pélée

p.

vivent à l'écart, sans doute

136-138,

a attiré l'attention

dans

une

grotte au

bord

de la

sur les contradictions de l'intrigue

qui paraît supposer un lieu proche de la mer et traduirait un souvenir

de la forme ancienne de la légende. (6) Alcée, fr. 42 L. P., v. 5-11. Chez Catulle (64, 19-21), Thétis est amoureuse de Pélée et son père donne son assentiment à leur union. JA 704, où Clytemnestre demande

si les noces

passage d'Alcée.

ont

eu

lieu au

fond

᾿

des

mers,

peut

étre

une

réminiscence

du

LES

NOCES

DE

THÉTIS

ET

DE

PÉLÉE

74

mis par Euripide sur le róle de Zeus rappelle à la fois le poéme de Stasinos et celui d'Hésiode, mais toute trace de violence ou de contrainte a disparu. Le destin des Eacides semble s'étre réalisé dans la concorde et l'harmonie, sous le regard des dieux. Euripide

préparait ainsi le chant du chœur où il allait peindre les noces du héros et de la Néréide. Le slasimon succède à une scène où Achille a montré la noblesse de son caractère et a décidé de tout mettre en œuvre pour sauver

Iphigénie du danger mortel qu'elle court. Tout naturellement, les femmes d'Eubée qui forment le chœur vont chanter tour à tour les noces bénies par les dieux des parents d'Achille et les noces de sang promises à la fille d'Agamemnon, trompeusement fiancée

au fils méme de Pélée. L'épode (1), pleine du malheur d'Iphigénie, que le chœur impute à l'impiété et à l'injustice des mortels, forme une vigoureuse

antithése avec la strophe et l'antistrophe, qui ne

contiennent que des images d'harmonie et de bonheur : « Quel chant d'hyménée accompagné par la flûte libyenne, la cithare amie des danses, et les chalumeaux sonores, fit résonner ses accents, quand sur le Pélion, les Piérides aux belles boucles, lors du banquet divin, frappaient De

le sol de

leurs

voix

leurs

sandales

mélodieuses,

d'or,

elles

se rendant

célébraient

aux

Thétis

noces

et

de

Pélée|

l'Eacide,

sur

le

mont des Centaures, par la forét du Pélion. Le

Dardanide,

divine au Et,

le long

cinquante

chéres

délices

de la couche

flanc d'or des cratéres — des

plages

de

sable

de

Ganyméde

blanc



Zeus,

la

boisson

s'enlaçaient

leurs

rondes,

les

filles de Nérée fétérent les noces en dansant.

Armé de sapins et couronné de verdure, était venu des

puisait

le Phrygien.

Centaures,

vers

le banquet

des

dieux

et le cratére

l'escadron en féte de

Bacchos.

Ils s'exclamaient à grands cris : « Fille de Nérée, le fils qui va naître de toi sera une grande lumière pour la Thessalie : le devin instruit dans

l'art inspiré de Phoïbos, Chiron, nous l’a révélé. Il atteindra, avec ses Myrmidons armés de lances et de boucliers, 1a terre de Priam, et, par le feu, il ravagera son illustre pays, le corps revêtu d'une

armure

d'or, œuvre

d'Héphalstos,

dont sa

mère

divine lui aura fait présent, Thétis qui l'avait mis au monde. » Alors Néréides

les dieux

célébrérent

au noble

pére, et son hymen

les noces bienheureuses avec

(1) Pour sa conclusion, cf. supra, p. 43. (2) ZA 1036-1079 : «Τίς ἄρ᾽ ὑμέναιος διὰ λωτοῦ Λίδυος μετά τε φιλοχόρου κιθάρας

συρίγγων θ᾽ ὑπὸ καλαμοεσσᾶν ἔστασεν ἰαχάν,

de la premiére

Pélée (2) ».

str.

des

78

EURIPIDE

ET LES

LÉGENDES

DES

CHANTS

CYPRIENS

Ce beau tableau laisse l'impression d'une joie profonde et universelle, qui se manifeste par la musique, les chants, les danses, la bonne chére. Elle s'étend des immortels aux demi-dieux et aux 1040

ὅτ᾽ ἀνὰ Πήλιον al καλλιπλόχαμοι Πιερίδες ἑνὶ δαιτὶ θεῶν χρυσεοσάνδαλον ἴχνος ἐν γᾷ κρούουσαι

Πηλέως ἐς γάμον ἦλθον, μελῳδοῖς Θέτιν ἀχήμασι τόν+’ Αἰακίδαν, Κενταύρων ἐν ὄρεσι κλέουσαι Πηλιάδα καθ᾽ ὕλαν. Ὃ

δὲ Δαρδανίδας, Διὸς λέκτρων τρύφημα φίλον, χρυσέοισιν ἄφυσσε λοιβθὰν ἐν κρατήρων γυάλοις, ὁ Φρύγιος Γανυμήδης.

1050

Παρὰ δὲ λευχοφαῇ ψάμαθον εἰλισσόμεναι κύκλια πεντήχοντα κόραι γάμους

Νηρέως ἐχόρευσαν. ᾿Ανὰ δ᾽ ἐλάταισι στεφανώδει τε χλόᾳ

ant.

θίασος ἔμολεν ἱπποδάτας Κενταύρων ἐπὶ δαῖτα τὰν

1060

θεῶν κρατῆρά τε Βάχχου. Μέγα 9 ἀνέκλαγον * ὮὯ Νηρηὶ κόρα, παῖδά

σε Θεσσαλίᾳ

μέγα φῶς

μάντις ὁ φοιβάδα μοῦσαν εἰδὼς γεννάσειν Χείρων ἐξονόμαζεν,

ὃς ἥξει χθόνα λογχήρεσι σὺν Μυρμιδόνων ἀσπισταῖς Πριάμοιο κλεινὰν 1070

γαῖαν ἐκπυρώσων, περὶ σώματι χρυσέων

ὅπλων ᾿Ηφαιστοπόνων κεκορυθμένος ἔνδυτ', ἐκ θεᾶς

ματρὸς δωρήματ᾽ ἔχων

Θέτιδος, ἃ νιν ἔτικτεν.

Μακάριον τότε δαίμονες τὰς εὐπάτριδος γάμον Νηρηΐδος ἔθεσαν πρώτας

Πηλέως θ᾽ ὑμεναίους. » Le texte des mss. a subi un certain nombre de corrections de détail, sans portée réelle pour le sens (voir apparat critique des éd. Weil et Murray), sauf aux v. 1062-63, sur

lesquels voir infra, p. 82, n. 4. Notre texte est celui de Murray, sauf v. 1036 (τίν᾽ Murray,

d'après Markland);

1041

(δαιτὶ θεῶν ἔνι Πιερίδες),

où nous conservons l'ordre des

mss. avec la correction de Murray, ἐνὶ pour &v ; 1078 Nnpntôoc, leçon de L*P* (Nnpñôuv, Murray d'après Heath). D. L. Page, Aclors interpolalions... (1934), p. 181-82, considère comme interpolés les v. 1071-75 et suspecte l'authenticité de l'antistrophe, tout à fait à tort à notre

sens.

LES NOCES

DE THÉTIS

ET DE

PÉLÉE

79

Centaures ; elle déborde de la grotte de Chiron sur le Pélion tout entier, dont les sentes forestiéres voient passer de joyeux cortéges, et dont le pied, frangé de sable clair, s’anime de chœurs de danse. Chaque strophe se divise en périodes qui s'équilibrent et se répondent avec un art raffiné. L'attention du poéte se porte successivement sur chacun des groupes en féte : cortége des Piérides

et des Centaures, ronde des Néréides, banquet des dieux servis par Ganyméde, et la strophe et l'antistrophe s'organisent autour d'un chant

: celui des Muses,

qui célébre les mérites

des époux,

et celui des Centaures, qui vante l'illustre fils à nattre de leur union. Cette scéne fameuse avait été souvent évoquée avant Euripide. L'Iliade y fait plusieurs fois allusion. Les Chants Cypriens, où les noces de Thétis et de Pélée avaient une grande importance, devaient en donner une description détaillée, mais nous n'en con-

naissons presque rien. Le Calalogue des Femmes montrait l'accueil enthousiaste

du jeune

couple

par les Thessaliens

à leur arrivée

à Phthie, mais il n'est pas interdit de penser qu'il racontait aussi les noces sur le Pélion (1). Celles-ci avaient encore inspiré les poétes lyriques (Alcée, Pindare) et tragiques (Eschyle). Enfin, parallélement à la tradition littéraire et inspirées en grande partie par elle,

les ceuvres d'art illustrent dés le début du vi? s. cette scéne à grand spectacle (2). En reprenant point par point la description d'Euripide, dont les sources semblent composites, nous allons chercher dans quelle mesure il emprunte à ses devanciers.

Pour le lieu de la célébration, nos sources désignent presque toutes le Pélion, et plus précisément la caverne de Chiron (3). (1) C'est ce que pensait Wilamowitz (Pindaros, p. 74-77). Si on admet l'hypothése que le Catalogue comprenait la « Thémis-variante » (cf. supra, p. 75, n. 1), la description des noces s'ensuit nécessairement. (2) Une quinzaine de vases, du début du vi* s. à la fin du v*, plus quelques reliefs romains

(F. Brommer,

p. 241).

Sur cette scène,

cf. Graef,

p.

197

sqq. ; E.

Haspels,

BCH, 54 (1930), p. 422 sqq. ; M. Mayer, col. 230-32 ; 240-42 ; B. Schweitzer, Mythische Hechzeilen, p. 26. Sur les deux spécimens les plus anciens (1** ou 2* quart du vı® 8.) et les plus importants, le « Vase Francois » (cratére à volutes de l'atelier d'Ergotimos) et les fragments du vase de Sophilos, voir en particulier J. D. Beazley, Att. Bi. F. (1951),

p.

p. 134-140; Vaso

17-18;

27-28 ; M.

Heidenreich,

Ch. Dugas, Rev.

Frangois,

Florence,

Miltteil. des Deutsch

Arch.

Inst.,

5

(1952)

Un. Bruzelles, 9 (1956-57), p. 434 et 444 ; A. Minto, Il

1960.

(3) ZA 705 ; cf. Kyp., fr. III (sc. A et minn. en II 140) : « Κατὰ γὰρ τὸν Πηλέως xal Θέτιδος γάμον ol θεοὶ συναχθέντες εἰς τὸ Πήλιον...» Alcée, fr. 42, 9; Pd., Νέπι., V, 22; Py., 111, 90; Xén., Cyn., 1, 8; Apd., III, 13, 5, etc. Catulle est le premier à situer les noces à Pharsale

(64, 33). Les peintures de vases du

νι" s. représentent

le

cortège des dieux se dirigeant vers le palais de Pélée, mais l'hypothèse la plus vraisemblable est que les artistes ont contracté en une seule deux scènes épiques, les dieux arrivant sur le Pélion (Kypria? Catalogue?) et le cortège nuptial arrivant au palais royal (Catalogue); cf. M. Heidenreich, o. c., p. 140. Sur la caverne de Chiron,

80

EURIPIDE

ET

LES

LÉGENDES

DES

CHANTS

CYPRIENS

Depuis Homére, l'accent est toujours mis sur la présence des dieux qui honorent ces noces comme ils avaient honoré celles de Cadmos

et d'Harmonie (1). Les dieux ne sont pas ici dénombrés, mais les noms de Zeus, de Bacchos, de Phoibos, d'Héphaistos, évoqués au passage, suffisent à représenter l'assistance divine. Euripide insiste

sur la bonne chére et la boisson qui, pour le poéte des Chanis Cypriens, expliquaient sans doute la violence qu'avait prise aussitót la querelle des déesses suscitée par la présence d'Éris (2). Ganyméde, l'échanson divin, puise le vin dans les cratéres d'or. Euripide s'est ici rappelé les termes d'Homére représentant Héphaistos dans le méme office d'échanson. Le souvenir est encore souligné par la mention du dieu orfévre et forgeron à la place correspondante de l'antistrophe (3). La gracieuse image du berger troyen enlevé par Zeus est de celles qu'Euripide se platt à

emprunter à l'épopée ou à la poésie lyrique

(4). Ganyméde

est

ici « l’aimé de Zeus », selon une forme de la légende attestée dans

la littérature depuis Pindare, mais remontant sans doute au cycle (5), et que notre poéte ne manque pas de souligner chaque fois qu'il parle du jeune prince phrygien. Cependant, il se garde de mettre dans ce tableau, tout de beauté, l'accent de reproche que lui inspirait ailleurs «la honte de Zeus» (6). En plaçant ici auprès des dieux leur échanson habituel, Euripide n'a dû s'inspirer que de lui-méme. En plus d'une image gracieuse, la présence de

Ganyméde prétait à réfléchir, car le jeune Troyen célébrait une union d'où devait sortir le plus grand ennemi de Troie (7). Les

immortels

sont

encore

représentés

aux

noces

par

deux

groupes dansants, celui des Piérides et celui des Néréides. Pindare avait affirmé que les Muses étaient venues chanter sur le Pélion, cf. encore Pd., Py., IX, 29, et sur le culte qu'on y rendit plus tard au Centaure, Ps. Dicéarque, 2, 8 (GGM, I, 107), et P. Philippson, Thessal. Mythol., p. 147. (1) Pindare (Py., III, 87 sqq.) avait souligné le lien entre les deux fêtes (cf. J. Kaiser, p. 36 n. 2; B. Schweitzer, p. 25-28). Les deux scènes se sont influencées l'une l'autre, aussi bien chez les poétes que chez les artistes.

(2) IA 707 ; 1041; 1052 ; 1060-61 ; cf. Proclos, 1. 86 : « Εὐωχουμένων τῶν θεῶν» ; Il., () 63; Pd., Py., III, 93. (3) IA 1051-52 : « Χρυσέοισιν

ἄφυσσε

λοιθὰν

| ἐν

κρατήρων

γυάλοις»

et

Il.

A 598: «Olvoyórt γλυκὺ νέκταρ ἀπὸ κρητῆρος ἀφύσσων ». Comparer HH. Aphr. 206 : « Xpucfou ἐκ κρητῆρος ἀφύσσων νέκταρ ἐρυθρόν»; Eur., Tr. 820-21. Sur la présence d’H£phalstos aux noces, (E. Haspels, o. c., p. 426-30), où (4) Tr. 820 sqq. ; Cy. 586 sqq. fr. VI; Ibyc., fr. 8 P. ; Pd., OIL, (b)

CE,

Exactement

cf. Kyp., fr. III ; vase Francois ; coupe d'Euphronios Héphalstos lève sa coupe en l'honneur des mariés. ; Or. 1391-2. Cf. Il., Y 232 sqq. ; E 266-67 ; Pet. Il., I, 43-45; X, 105.

à la Petite Iliade (cf. sc.

A en Y 234 ; sc. A.Rh.,

III, 15; Severyns,

p. 142 ; 346-47). (6) Tr. 845-46 ; cf. Soph., fr. 345 P. (7) Dans le stasimon des Troyennes (820-859), l'enlèvement de Ganyméde

l'ingratitude

de Zeus,

qui a laissé périr la cité du

fils de Laomédon.

illustre

LES

NOCES

DE

THÉTIS

ET

DE

PÉLÉE

81

comme aux noces de Cadmos et d'Harmonie (1). Le motif doit étre ancien, puisque le vase Frangois fait déjà figurer dans le cortége divin les Muses conduites par Calliope jouant de la syrinx (2). Les Muses de Pindare étaient probablement les divinités béotiennes

qui vivaient sur l'Hélicon. Chez Euripide, ce sont les Piérides, habitant au pied de l'Olympe. La présence de déesses thessaliennes était particulièrement indiquée ici, et le poète souligne encore leur caractére indigéne en mettant, dans l'antistrophe, en paralléle avec leur chant, celui d'autres habitants de la région, les Centaures. Tout aussi naturelle est la présence des «cinquante filles de Nérée » aux noces de leur sceur Thétis. Ces déesses marines dansent

ici au pied du Pélion, sur les plages qui leur étaient consacrées par la piété populaire.

Leur gracieux cortége accompagnait

déjà

Thétis dans l'Iliade. Il a largement inspiré poétes et artistes, et Euripide

lui-méme

s'est plu à décrire, surtout dans les passages

lyriques, leurs danses légères sur la crête des flots ou sur le sable du rivage (3). Pindare disait que les «seigneurs de Laient aux noces (4), mais Euripide est le premier à sance à y faire figurer les Néréides. Cependant, attiques, 1l est fréquent que les Néréides assistent

la mer » assisnotre connaissur les vases au combat de

Thétis et de Pélée et à l'armement d'Achille (5). Il est possible qu'elles aient déjà été représentées dans les descriptions épiques des fétes nuptiales. Mais Euripide a pu aussi tirer librement d'un

motif décoratif trés apprécié des artistes de son temps un détail qui rehausse la beauté de la féte (6). Dans l'antistrophe, nous voyons les Centaures se joindre au (1) Pd., Py., III, 89 de Pélée, Pd., Ném., V, col. 299). (2) Méme motif sur (3) IL, Σ 37 sqq. ;

sqq. ; pour les noces de Cadmos, Théogn., 15-17 ; pour celles 22. La question de priorité est difficile à trancher (cf. Lesky (1), * le vase de Sophilos (M. Heidenreich, p. 135-36). Bacchyl., XVII, 102 sqq. ; ZA 1055-57 : « Εἱλισσόμεναι κύκλια

ἐχόρευσαν » à rapprocher

d’IT

428-9

: « Xópotg

μέλπουσιν

ἐγκυκλίοις ». Cf.

Ion

1081-85 ; Tr. 2-3 ; El. 434. Il est notable que ces quatre derniéres piéces s'échelonnent Bur cinq ans environ. On pense à l'influence de quelque ceuvre d'art célébre dans le monde grec, par exemple du « Monument des Néréides » de Xanthos, daté de 430-20 ;

cf. Ch. Picard, Sculpt. Gr., II, 2, p. 856 sqq. L'épithéte χρυσεοσάνδαλον (1042) est peut-être un souvenir de l'épithéte de Thétis ἀργυρόπεζα, dans la Théogonie (1006) et l'Odyssée

(4) Ném., Amphitrite,

(5) M.

[ὦ 92).

IV, 67. Sur les vases du vit 8. figurent Océan Nérée

Mayer,

et

Doris,

et Téthys,

Poseidon

et

Triton.

col. 226-230 ; 236-37;

M.

Heidenreich,

p. 136.

(6) Cf. L. A. Stella, Euripide lirico, À e R, 42 (1940), p. 75-76. Sur ces représentations flgurées, voir G. Herzog-Hauser, 8. v. Nereiden, RE, XVII, 1 (1936), col. 21-23;

Ch. Picard, Néréides el Sirènes, Annales Ec. H. E. Gand, 11 (1938), p. 127-53. Beazley, 0. €., p. 29, suppose que, sur le vase Francois,

mais cette des noces l'influence présentes

elles accompagnaient

Océan

et Téthys,

partie du vase est altérée. Les Néréides n'apparaissent dans nos peintures que sur des vases campaniens (Naples, 2638 et 3252 Heyd.). Est-ce sous d'Euripide ? Il est possible que, dans les récits plus anciens, les Charites, sur le vase Francois, aient dansé aux noces de Thétis (Sodano, p. 91). 7

82

EURIPIDE

ET LES LÉGENDES

banquet divin. Ils sont ici chez eux, car ils sont aussi liés à Chiron et aux l'étaient à Thétis et aux plages de la s'est couronnée de verdure, et ils

DES

CHANTS

CYPRIENS

comme le montrait la strophe, bois du Pélion que les Néréides Magnésie. Leur joyeuse troupe s'appuient sur des sapins qui

forment chez les poétes leurs armes coutumiéres, car ces étres à demi animaux ne savent pas forger les métaux ni méme façonner

le bois (1). C'est aussi « tenant des pins à pleines mains » qu'Euripide les représente dans leur lutte contre

Héraclés à travers la vallée

du Pénée, les sites du Pélion et les gorges de l'Homole (2). S'ils accourent, rappelle le poéte, c'est qu'ils sont attirés par «le banquet des dieux et le cratère de Bacchos ». De fait, leur goinfrerie et surtout leur vif penchant pour le vin, lié à leur nature bestiale, sont illustrés par quelques-uns des épisodes les plus fameux de leur

légende (3). Il est probable que la présence des Centaures aux

noces de Pirithoos, anciennement attestée, a donné au poéte l'idée

de les introduire dans cette autre grande féte thessalienne des noces de Pélée, où leur présence était du reste tout indiquée. Au

chœur

féminin

des

Piérides

célébrant

Thétis

et

Pélée,

répondait un chœur de voix mâles, celles des Centaures, dont le chant était inspiré par les prédictions de Chiron, lui-méme interpréte de la « Muse de Phoïbos » (4). Il semble que sur ce point (1) dans

Hés., Boucl., 188 ; Pd., fr. 204 Tu. : «'O le combat

des

vers 1058 : s’Ava

Centaures

et des

Lapithes),

δὲ χλωραῖς vers

ἐλάταισι τυπείς » (Cénée,

qui est peut-étre

la source

du

δ᾽ ἐλάταισι στεφανώδει τε χλόᾳ ». Cf. Apd., I1, 5, 4; A. Rh., Arg.,

I, 64, etc. On peut penser aussi à une influence des ceuvres d'art. En effet, sur les vages représentant la remise du petit Achille à Chiron, le Centaure est généralement repré-

senté portant une branche feuillue sur l'épaule (K. Friis Johansen, Achill bei Chiron, Apäyua M. P. Nilsson, 1939, p. 185 ; 188-89; 195; 197 et Abb. 2 ; 4-7). (2) HF 364-74. On placait le plus souvent la Centauromachie en Arcadie (cf. HF 182 ; P. Philippson, p. 140, n. 6). (3)

Noces

de Pirithoos ; Héraclés et Pholos.

relatif aux

noces de Pirithoos,

des coupes

et des cratères

Sur ce caractére,

et les représentations

(Roscher,

8. v. Kentauren,

figurées

cf. Pd., fr. 203 Tu.,

de

Roschers-Ler.,

Centaures col.

tenant

1052-53).

(4) Les mss. donnent au vers 1063 « παῖδες αἱ Θεσσαλαί », les « filles de Thessalie », qui fait difficulté pour le métre. Weil, en corrigeant le texte pour attribuer la prédiction qui suit aux Centaures, écrit : «La prédiction du Centaure Chiron doit étre annoncée non par les jeunes filles de Thessalie mais par les Centaures. L'enchainement des vers

1058-1061

ne laisse aucun

doute

à ce sujet .» L'argument

n'est pas décisif, car

la périodologie détermine une coupure entre 1061 et 1062. D'autre part, Chiron, l'ami des hommes, aurait pu communiquer ses prophéties aux habitants de la région. On peut donc sans invraisemblance

imaginer un chœur de Thessaliennes

(qui rappellerait

le chœur des habitants de Pharsale dans le Catalogue) répondant au chœur des Piérides. Toutefois,

deux

considérations incitent à adopter la leçon de Weil, perfectionnement

d'une conjecture de Kirchhoff, « παῖδά oe Θεσσαλίᾳ μέγα φῶς » : d'abord, le rapprochement avec l'expression «' E3448t φῶς » appliquée au méme Achille dans Electre (449) ; ensuite, l'impossibilité d'obtenir avec le texte des mss. une construction grammaticale satisfaisante et une responsio acceptable avec la strophe (il suffit au v. 1041 d'une légère retouche, ἐνὶ pour £v, déjà proposée par Murray, qui bouleverse inutilement l'ordre des mots de ce vers (cf. Hcid. 893, avec correction de Canter: « Λώτου χάρις

ἑνὶ δαιτί »).

LES NOCES

DE THÉTIS

ET DE

PÉLÉE

83

Euripide a combiné diverses traditions anciennes, dans lesquelles il n'est pas facile de voir clair. D'aprés l'Iliade, Apollon avait joué de la cithare au cours des noces (1). Pindare ajoute qu'il était entouré de la troupe des Muses (2). Leur chœur entonnait un

chant d'hyménée, commengant par Zeus et célébrant tour à tour Thétis et Pélée ; sur ce point, la similitude avec le texte d'Euripide est frappante. Mais le théme du chant des Muses, chez Pindare, était l’éloge de Pélée pour sa conduite à l'égard de la femme d'Acaste, épisode développé dans le Calalogue des Femmes (3). On peut tirer de ce fait diverses conclusions : ou bien, dans la description des noces du Calalogue, les Muses rappelaient les aventures de Pélée à Iolcos, ou bien cet éloge formait la matiére de l'épithalame entonné par les Thessaliens à l'arrivée du couple à Pharsale (4), ou bien encore Pindare a seulement emprunté au poéme

hésiodique

source

avec

immortels,

une

la

matiére

autre,

c'est-à-dire

de

ce

récit,

en

combinant

cette

qui attribuait le chant d'hyménée soit à Phoïbos,

soit aux

Muses.

aux

Or nous

savons encore par un fragment d'Eschyle que Phoibos avait prédit à Thétis au cours des noces qu'elle serait heureuse dans ses enfants, qui connaítraient une longue vie exempte de maux (5). Nous

distinguons éléments

donc distincts

dans

les traditions

: un

hyménée

anciennes des

Muses,

au des

moins

trois

prophéties

d'Apollon, et un épithalame des Thessaliens. Le dernier provient du Calalogue. Le second, les prédictions d'Apollon, qui paraissent développer les indications de l’Iliade, appartenait vraisemblablement aux Chanis Cypriens (6). Enfin, le premier, le chant des Muses, est sürement ancien aussi, puisque les Muses figurent sur les représentations figurées du vi? s., mais on peut hésiter entre le

poéme de Stasinos ou celui du corpus hésiodique (7). La juxtaposition d'Apollon et des Muses permet de penser que Pindare combine au moins deux traditions différentes. (1) £2 63.

(2) Ném., V, 22-26. (3) Ném., V, 26-37 ; Hés., fr. 78-79. (4) J. Schwartz, p. 52; 395; 570, doute de la valeur du témoignage de Tzetzés concernant cet épithalame, qu'il réduirait pour sa part à un seul vers. Il nous paraît difficile de ne pas considérer les v. 7-13,

donnés

par Tzetzés lui-même, comme le début de ce l'épisode du Catalogue comme le modéle de (5) Fr. 284 M. (attribué par Mette, aprés d'autres à la Psychostasie, aux Thalamopoioi 100 sqq. (6) Reitzenstein,

p.

76-77,

suivant

en partie par un papyrus,

en partie

chant. Reitzenstein, p. 84-85, considérait Pindare et d'Euripide. Schneider, au Jugement des Armes, par ou aux Néréides). Cf. aussi Ὁ. Sm., III,

Wilamowitz

et C.

Robert.

(7) J. Schwartz, p. 570, estime que le chant des Muses aux noces de Pélée vient d'un récit thébain des noces de Cadmos et d'Harmonie (dont dépendrait Théognis, 15-17), transporté par l'auteur du Cafalogue au peuple de Phthie. Cette antériorité est loin d'étre certaine.

84

EURIPIDE

ET

LES

LÉGENDES

DES

CHANTS

CYPRIENS

Le cas d'Euripide est plus complexe encore. Le chant des Piérides, dans la strophe, rappelle l'hyménée des Muses de Pindare ou de sa source, et aussi l'épithalame des sujets de Pélée. Mais le théme des prédictions de Phoibos n'est pas absent. Un détail peut méme

remonter à l'épopée

: sans nommer

Achille, Euripide

l'appelle «la grande lumière de la Thessalie »; dans Éleclre (449), il l'avait déjà nommé «la lumière de la Grèce ». Il y avait sans doute sous ces mots quelque expression similaire consacrée par un poéte antérieur — et nous pensons naturellement à Stasinos.

Compte tenu du róle dévolu à Achille dans le plan de Zeus, son évocation avait sa place dans la peinture des Xypria. Mais l'originalité d'Euripide est d'avoir en définitive fait exprimer ces prophéties par un chœur d'étres mortels. Dans une certaine mesure, le

chœur des Centaures correspond au chœur des Thessaliens du Calalogue. Mais celui-ci ne comportait sürement pas de prédictions. Chez Euripide, au contraire, l'avenir a été révélé aux Centaures par l'un d'eux, Chiron, qui est initié à l'art prophétique de Phoibos. Cette derniére tradition nous raméne encore à Pindare, qui le nomme

en

une

autre

circonstance

Certes, imaginer un chœur composé

le

« Centaure

inspiré»

(1).

d'étres aussi frustes que ces

habitants du Pélion était audacieux. Mais il était habile de préter ces révélations à Chiron, le protecteur de Pélée, qui devait étre

plus tard le mattre et le second pére d'Achille. Enfin, l'emploi de cet intermédiaire évitait de placer l'annonce de la gloire du héros dans la bouche méme du dieu qui allait devenir son meurtrier (2). La prophétie annongait, en termes trés généraux, qu'avec ses Myrmidons, le fils de Pélée ravagerait le pays de Priam, ce que développait en particulier la dernière partie des Chants Cypriens.

Elle ajoutait

un

d'or, fabriquées

détail

précis : il serait

par Héphaistos,

alors

qu'il aurait

revêtu

reçues

de

d'armes sa

mère

Thétis (3)J. Apparemment, Euripide rappelle ici le sujet fameux du (1) Pd., Py., IX, 38. De méme, chez Horace (Epode XIII), il y a des prédiclions du « Centaure » (Chiron). Elles émanent des Parques chez Catulle (64, 323 sqq.). Dans les deux cas, les prophéties sont à peu prés de méme nature que chez Euripide. (2) C'est sans doute pour la méme raison que Pholbos est absent des noces chez

Catulle (64, 299). (3) Ces prédictions associent donc la mère et le flls. Il existait sans doute, au temps d'Euripide, des hymnes cultuels où l'un et l'autre étaient pareillement célébrés, comparables à ceux que nous rapportent des auteurs plus tardifs. Ainsi Philostrate (Hér., XIX, 14) cite l'hymne chanté par les théories thessaliennes sur le tombeau

d'Achille à Troie (« Θέτι κυανέα, Θέτι Πηλεία, | ἃ τὸν μέγαν τέχες υἱόν |᾿᾿Αχιλλέα....»), et Héliodore (Elhiop.

III, 4), l'hymne

processionnel des Thébains

à Delphes:

« Τὰν

Θέτιν ἀείδω, χρυσοέθειρα Θέτιν, | Nnpéoc ἀθανάταν εἰναλίοιο κόραν | τὰν Διὸς ἐννεσίῃ Πηλέϊ γημαμέναν |... ἃ τὸν δουρομανῇ τόν τ᾿ "Αρεα πολέμιον | Ελλάδος ἀστεροπὰν ἐξέτεχεν λαγόνων, | δῖον ᾿Αχιλλῆα.»

LES

chant

On

XVIII

NOCES

DE

THÉTIS

ET

DE

PÉLÉE

85

de l’Jliade, et c'est à quoi le public devait penser.

peut toutefois objecter qu'Achille ne ravagea pas la Troade

avec

ces

armes:

il ne

les porta

qu'aprés

la mort

de

Patrocle

et jusqu'à sa propre mort, c'est-à-dire pendant peu de jours. Faut-il, sans trop presser le sens de notre passage, n'y voir qu'une approximation

du poéte ? Nous ne le croyons pas : en effet, dans

un chœur d’Élecire sur lequel nous aurons à revenir (1), il montrait les

Néréides

portant

des

armes,

«œuvre

d'Héphaistos », destinées au jeune homme faisait élever pour étre la lumiére

des

enclumes

«qu’un

de la Gréce,

d'or

père cavalier

le fils de Thétis

la marine ». La suite du méme chœur donne de ces armes, bouclier,

casque, lance, une description détaillée. La comparaison des deux morceaux montre de telles similitudes pour le fond, l'expression et méme le rythme, qu'il ne peut s'agir d'une coïncidence fortuite. Lorsqu'il composait le slasimon d'Iphigénie à Aulis, Euripide s'est

souvenu de ce passage lyrique, qui avait sans doute, cinq ou six ans auparavant, été particuliérement goüté de son public. Il est en méme temps resté fidéle à une forme de la légende qui s'écarte de la tradition. En effet, dans cette suite de tableaux, il manque un épisode célébre

et

attendu

: la

remise

aux

jeunes

époux

des

présents

divins. Ceux-ci étaient déjà énumérés par l’Iliade : « armes prodigieuses, étrangement belles à voir » (2), en particulier une lance (3) et des chevaux, don de Poséidon (4). Les Chants Cypriens, qui

avaient

sûrement

raconté

cette

scène,

précisaient

que

la

lance, offerte par Chiron, était l’œuvre commune d'Athéna et d'Héphaistos (5). C'est avec ces armes que le fils de Pélée s'embarquait pour la Troade. Ici, le poéte a substitué à ces présents des dieux (6) l'annonce de l'offrande des armes que fera Héphaistos au jeune Achille au jour de son départ pour la guerre.

(1) El. 434 sqq. ; cf. infra, p. 218-222. (2) E 83-84 ; cf. P 194-96. (3) II 140-144; T 387-391; Y 277; ®

162;

X

133. Le présent venait de Chiron

et la hampe était en bois du Pélion. Rien ne prouve, comme le soutenaient Bethe, p- 230, et Lesky (1), col. 292, que la lance ait été remise par le Centaure à Pélée bien avant ses noces. (4) V 277-78. En P 443-44, ils sont un don de Zeus et, en II 380-81 et 866-67, des dieux en général.

(5) Fr. III (sc. A et minn. en II 140) «... Κατὰ γὰρ τὸν Πηλέως καὶ Θέτιδος γάμον ol

θεοὶ συναχθέντες els τὸ Πήλιον ἐπ᾿ εὐωχίᾳ ἐκόμιζον Πηλεῖ δῶρα, Χείρων δὲ μελίαν εὐθαλὴ τεμὼν εἰς δόρυ πάρεσχεν. Φασὶ μὲν ᾿Αθηνᾶν ξέσαι αὐτό, “Ἥφαιστον δὲ κατασκευάσαι...» Sur la lance de Pélée, cf. An. 788 sqq. (supra, p. 58) ; El. 476 sqq. ; Télèphe (infra, p. 253). (6) Ils sont encore mentionnés par Pindare (Nem., IV, 68; Py., III, 94), mais celui-ci ne précise pas leur nature.

86

EURIPIDE

ET LES LÉGENDES

DES

CHANTS

CYPRIENS

+ M

9

Ainsi, dans les passages où il évoque le mariage de Thétis et de Pélée, Euripide met largement à contribution ses prédécesseurs. Il leur emprunte des données parfois divergentes, qu'il utilise tour à tour ou qu'il combine entre elles au mieux de son dessein poétique ou des nécessités de l'action. Les contradictions de ses sources sont

atténuées par le fait que le poète envisage les moments successifs de cette légende. Il en a retenu essentiellement trois : la résistance et les métamorphoses de Thétis, les noces solennelles sur le Pélion,

et l'installation du jeune couple dans son palais thessalien. Pour

chacun

de

ces

trois

moments,

il existait

une

tradition

qui est doublement attestée par la littérature et par l'art. Pour le premier,

les récits populaires

avaient

été recueillis

par

certains

poètes épiques, et sans doute en particulier par l'auteur des Chants Cypriens. Toutefois, avec la métamorphose de Thétis en seiche, Euripide a brodé sur ces données en inventant un détail pittoresque qui satisfaisait son goüt pour les légendes étiologiques. Pour le dernier de ces moments, la source paraît être le poème d'Hésiode. La peinture des noces présente un cas plus complexe

; une sorte

de vulgate poétique, elle aussi constituée peu à peu à partir de l'épopée, imposait

à Euripide

un certain nombre

de détails

: le

décor du Pélion, la présence des Olympiens, des Muses, des divinités marines, de Chiron, l'atmosphére joyeuse de la féte. D'autres détails étaient fournis par des sources particulières : le rôle déterminant

de Zeus (Kypria, Catalogue .(?)), le chant d'hyménée des Muses et les prophéties

d'Apollon

(Kypria),

l'épithalame

des

Thessa-

liens (Calalogue), détails qu'il combine en les modifiant comme Pindare l'avait déjà fait avant lui. De plus, l'épopée, la poésie lyrique ou les œuvres d'art, lui fournissaient toute une série de thémes poétiques, qu'il choisit pour leur valeur plastique et introduit dans une légende où ils n'avaient jusque-là rien à faire.

Par exemple, à l'/liade il prend le personnage de Ganyméde, à Pindare, le pouvoir prophétique de Chiron, à la poésie comme à l'art de appuyés sur Mais ces connaissance

son temps, les Néréides dansantes, les Centaures des pins, les Myrmidons armés de pied en cap. souvenirs livresques nous semblent vivifiés par la des lieux. La Vie d'Euripide nous apprend qu'en se

rendant en Macédoine, où il devait écrire entre autres Iphigénie à Aulis,

Euripide avait

séjourné

en

Magnésie



il s'était vu

accorder de grands honneurs (1). On a parfois suspecté ces indications et mis en doute que le siasimon de notre drame ait évoqué (1) Vita Eur., 1. 22-23 Mér.

L'ENFANCE

D'ACHILLE

87

des souvenirs personnels. Mais, s'il n'est pas contestable que les Bacchanles, par exemple, évoquent souvent les paysages de la Piérie,

il

nous

paraît

également,

à

la

lecture

du

chœur

d'Iphigénie, que le poéte a vu de ses propres yeux les plages de sable blanc de la cóte magnéte et traversé les foréts de pins qui couvraient le Pélion (1). Ce morceau constituait un remerciement

délicat du poéte à ses hótes pour toutes leurs attentions. Aussi y avait-il mis toute son habileté en méme temps que tout son cœur. Son génie propre éclate surtout dans la manière dont il répartit les éléments de la description en groupes équilibrés qui se correspondent de mille façons : l'hyménée

des Piérides trouve

un écho dans le chant des Centaures ; Ganyméde au milieu de ses vases d'or annonce Héphaïstos, échanson d'occasion et orfévre prestigieux ; aux Muses de Piérie répond «la Muse

de Phoibos s,

qui inspire Chiron ; les noms propres se font subtilement écho. Une telle adresse permet au poéte d'évoquer sans cesse la légende traditionnelle, méme lorsqu'il s'en écarte le plus : ainsi pour les armes offertes à Pélée par les dieux, auxquelles il substitue d'autres armes, plus magnifiques encore, qui seront forgées par Héphaistos

pour le jeune Achille. Ce qui est donc notable dans cette peinture, ce n'est pas le nombre des emprunts d'Euripide, déjà considérable si l'on pense que nous avons une connaissance trés lacunaire des œuvres dont il pouvait s'inspirer, mais bien son originalité, qui apparaît presque partout et qui est le fait d'un poète aussi sensible à la signification profonde de l'épisode qu'à sa beauté formelle. IV. L'ENFANCE

Ayant

D'ACHILLE

ainsi exalté les noces de Thétis et de Pélée, Euripide

est en revanche

avare de détails concernant la vie du couple et

l'enfance d'Achille. Au début d'Andromaque, nous l'avons vu, les jeunes époux se sont fixés au Thétideion, à quelque distance de Pharsale (2). Dans Iphigénie à Aulis, Clytemnestre s'informe de l'éducation de son futur gendre : «Cl.



Ag. —

Est-ce Thétis qui éleva Achille, ou le pére de l'enfant ? Ce fut Chiron,

afin qu'il n'apprit

point les pratiques

des mortels

pervers. Cl.



Oh |! sage est son maître, plus sage encore celui qui le lui remit » (3).

(1) Cf. P. Girard, REG, 17 (1904), p. 156 ; 162; M. Delcourt, La vie d'Euripide (1930), p. 211. Doutes de R. Goossens, p. 760, n. 68. Pour les paysages macédoniens dans les Bacchanles, voir Goossens, p. 743-44. (2) Cf. supra, p. 68-69 et 76, n. 4.

(3) IA 708-710 : «KA. AT. ΚΛ.

Oéri 8’ ἔθρεψεν A πάτηρ ᾿Αχιλλέα ; Χείρων, Φεῦ'

ἵν᾽ ἤθη

μὴ

μάθοι

κακῶν

βροτῶν.

σοφός γ᾽ ὁ θρέψας χὼ διδοὺς σοφώτερος. »

88

EURIPIDE

ET LES LÉGENDES

DES

CHANTS

CYPRIENS

Ainsi, Achille ne fut pas élevé par ses parents et le passage semble

indiquer que cette sage mesure fut prise par Pélée. Le prologue des Skyrioi dit que Thétis retira plus tard son fils de l'antre du Centaure pour le cacher chez le roi Lycoméde, à Skyros (1). Était-ce

d'accord avec Pélée ? La Néréide vivait-elle encore à ses côtés ?

Nous ne le savons pas. D’après un chœur d'Élecire, Achille, au

moment de partir pour la guerre, n'est pas à Skyros mais sur le Pélion, car les Néréides se dirigent vers cette montagne pour remettre les armes d'or fabriquées par Héphaistos au jeune homme

« qu'un pére cavalier élevait pour étre la lumiére de la Gréce » (2). Bien plus tard encore, nous retrouvons le fils d'Eaque parvenu à une extréme vieillesse, dans Pélée, tragédie perdue (3), et dans Andromaque : le héros vit alors solitaire, et si la déesse intervient pour le protéger, elle quitte pour cela le palais sous-marin de Nérée où elle réside avec ses sœurs. Mais le poète ne révèle ni le moment ni la raison de cette séparation. Pour la raison, toutefois,

le dénouement d'Andromaque peut le suggérer. Dans cette scéne, Thétis apparaît à Pélée accablé par les ans et par les chagrins (4). Ele

vient

«des

demeures

de

Nérée»

(5)

pour

lui

annoncer

le

destin que lui réserve Zeus : la Néréide va délivrer son époux des miséres humaines

et le rendre

immortel.

Désormais,

il habitera

le

palais de Nérée, «dieu avec une déesse». Il retrouvera Achille, lui aussi divinisé, établi par les dieux sur l'Ile Blanche, dans le Pont-Euxin (6). Le ton affectueux de Thétis exclut une mésentente profonde entre les époux. Au contraire, à plusieurs reprises dans

son discours, elle insiste sur leur communion dans l'amour qu'ils (1) Cf. infra, p. 206 et 208, (2) El. 442-451 (voir infra, p. 218 sqq.). L'expression πατὴρ ἱππότας des v. 448-49 désigne plutôt Chiron que Pélée (cf. Parmentier, ad loc., p. 209, n. 3, et infra, p. 219). (3) Cf. supra, p. 65. (4)

Le commos

qui

précède

cette scène (1166-1230)

a montré

le chagrin

de Pélée.

Il est significatif que le terme de γέρων appliqué à Pélée se retrouve sept fois en moins de 80 vers, dont deux fois dans la bouche méme de Thétis (1168 ; 1184 ; 1201 ; 1207 ;

1214 ; 1244 ; 1250) ; cf. encore 1208 : πρεσθύ. (5) 1232 ; cf. 1224. (6) An. 1253-1269. Sous cette forme, l'épisode paraît bien être une invention d'Euripide (C. Robert, p. 68, n. 1 ; Lesky (1), col. 304). Mais dans I'Éthiopide (Procl., 1. 200 Sev.), Thétis retirait le corps de son fils du bücher funèbre pour le conduire à l'Ile Blanche.

avaient J.

été

Pindare

transférés

Duchemin,

avait

avec

Pindare,

déjà

Achille

p. 45;

119;

indiqué

que

Pélée

et Cadmos,

dans

l'île des Bienheureux

173;

290).

Pour

après

(Ol.,

leur

mort,

II, 86-87 ; cf.

le róle funéraire

des

Néréides,

bien attesté en particulier dans les ceuvres d'art, voir Ch. Picard, Les Néréides funéraires du monument de Xanthos, RHR, 1931, p. 5-28. La scène finale d'Andromaque a été reconnue par Ch. Dugas (REG, 65 (1952), p. 238) sur un cratére-cloche de Madrid (L 221)

que

de Pélée. Unlersuch.

l'on

On zum

interpréte

trouvera Deus

une

en général

bonne

ex machina

comme

étude (1960),

représentant

le combat

de cette scéne dans l'ouvrage p. 96-97.

de

Thétis

d'A.

et

Spira,

L'ENFANCE

D'ACHILLE

89

portent tous deux à Achille (1). Mais la déesse éternellement jeune et belle ne pouvait s'associer durablement

à la décrépitude

avec

un mortel

voué

: c'est aussi ce qu'exprimait d'une autre facon

la fable d'Aurore et de Tithon.

C'est donc auprés de Chiron que se déroule l'enfance d'Achille, soit jusqu'à son transfert à Skyros, soit méme jusqu'à son départ pour la guerre. Il y reçoit une éducation physique et sportive dont les résultats sont attestés par le chœur d'Iphigénie à Aulis. Celui-ci

a vu avec admiration le héros « dont la course de Chiron,

légére

égale le vent,

Achille,

le fils de Thétis

et l'éléve

parmi les galets de la plage, disputer une course, tout armé, et lutter de vitesse avec un quadrige » (2).

Mais, à la pratique de la chasse et de la course, Chiron avait ajouté la solide éducation morale que souhaitait Pélée. Achille lui-même

reconnaît au cours de la pièce les bienfaits qu'il en a tirés, quand il proclame

:

« Pour moi, élevé chez le plus pieux à avoir des maniéres franches » (3).

des hommes,

Chiron,

j'ai appris

Sur la vie commune de Thétis et de Pélée, Euripide entretient la méme équivoque qu'Homére. Dés l'antiquité, les avis étaient partagés sur le point de savoir si le poéte de l'Iliade imaginait que

Thétis vivait encore

auprés

de Pélée ou si la déesse s'était

déjà séparée de son époux mortel. C'est en vain qu'on a opposé les uns aux autres un certain nombre

de passages de l'épopée

ils prouvent seulement qu'Homére connaissait sur ce point des traditions différentes qu'il n'a pas réussi à harmoniser entiére(1) An. 1236 ; 1250 ; 1260. (2)

LA

206-214

: a τὸν ἰσάνεμόν τε ποδοῖν

λαιψηροδρόμον ᾿Αχιλῇ, τὸν & Θέτις τέκε καὶ Χείρων ἐξεπόνησεν, eldov αἰγιαλοῖς παρά τε κροκάλαις

δρόμον ἔχοντα σὺν ὅπλοις " ἅμιλλαν δ᾽ ἐπόνει ποδοῖν πρὸς ἅρμα τέτρωρον. D Nous nous écartons ici sur un point du texte de Murray (᾿Αχιλῆῇα, v. 207 ; cf. El. 439) et surtout de sa colométrie (cf. W. J. W. Koster, Traiié de métrique grecque, p. 148 et n. 1; 215 et n. 1 ; 216 et n. 1).

(3) LA 926-27 : «'Eyo δ᾽, ἐν ἀνδρὸς εὐσεθεστάτου τραφεὶς Χείρωνος, ἔμαθον τοὺς τρόπους ἁπλοῦς ἔχειν. » Sur la sincérité d'Achille, cf. déjà

Il., 1 312-13.

:

90

EURIPIDE

ET

LES

LÉGENDES

DES

CHANTS

CYPRIENS

ment (1). Comme dans l'Iliade, Thétis est une mère dévouée qui se préoccupe du destin de son fils, mais elle est aussi la créature divine pour laquelle il n'existe pas de distances et qui a accés aussi bien aux demeures sous-marines qu'à l'Olympe. Le dénoue-

ment d'Andromaque fait d'autre part écho à la scéne fameuse de l’Iliade, où la déesse, après avoir rappelé devant Héphaistos ses répugnances à entrer dans le lit de Pélée, ajoute : « Et maintenant la triste vieillesse le tient couché dans son palais, affaibli, pendant que se présentent à moi de nouvelles douleurs... » (2).

Est-ce à dire qu'Euripide

ignore la légende

d'un divorce des

époux suivant de prés la naissance d'Achille ? Certes non, puisque

Sophocle et Aristophane y faisaient allusion (3), et que cette version remontait méme sûrement aux poètes cycliques. Nous savons seu-

lement

que, d’après Sophocle,

Thétis quittait Pélée

pour avoir

été insultée par lui. Il est probable que le héros surprenait la Néréide au milieu de ses tentatives pour rendre son fils immortel.

D'après l'Aegimios, avant de mettre au monde Achille, elle plongeait ses enfants dans un bassin d'eau et en avait déjà tué «un grand nombre» (4). D'aprés une tradition qui est presque certainement

celle des Chanis

Cypriens

(5), elle exposait la nuit

le petit Achille à la flamme pour détruire la part mortelle de son corps,

mais,

abandonna

surprise

par

Pélée

qui

voulut

l'en

empécher,

elle

l'enfant douze jours aprés sa naissance et ne revint

jamais auprés de lui. Cet abandon expliquait la nécessité oü s'était trouvé le héros de recourir au bon Centaure pour assurer

l'éducation de l'enfant. Mais une telle tradition était humiliante pour

Pélée

et elle

ne

s'accordait

ni

avec

l'image

harmonieuse

qu'Euripide voulait donner des parents d'Achille, aussi bien dans Andromaque que dans Iphigénie à Aulis, ni avec le séjour au Thétideion. empruntant

Aussi laisse-t-il ce point dans l'ombre, tout à Stasinos sa version de l'éducation d'Achille.

(1) Voici les principaux

en

textes : Thétis vit au fond des mers : A 357-58 ; Z 35-36 ;

cf. {1 72-74 ; Thétis a élevé Achille : A 414 ; Σ 55-58 ; elle était présente à son départ: II 222-24 ; X: 59-60 ; elle vit encore avec Pélée : II 574; Z 89-90 ; 332 ; T 422. Textes rassemblés et discutés en particulier par J. Kaiser, p. 3-6; 23-25 ; C. Robert, p. 68; A. Severyns,

CE,

p. 254-59 ; Homère

III, p. 89-90;

Lesky

Johansen, Achill bei Chiron, Ap&yua M. P. Nilsson (2) Σ 434-35. (3) Soph., fr. 151 P.; Ar., Nuées 1067-69. (4) Fr. 185 Rz’. Chez Lycophron (Alez. 178 et en avait déjà fait mourir six avant Achille.

(5) Cf.

Severyns,

CE,

p. 253-59,

d'après

sqq.

(1), col. 288-89;

(1939),

K.

et sc.) elle les exposait

les récits

Friis-

p. 200-202.

convergents

au

feu

d'Apollonios

de

Rhodes (IV, 868-79), d'Apollodore (III, 13, 6), et les nombreuses scolies aristarchéennes

relatives au divorce de Pélée et de Thétis. Ce sont ces scolies (A en II 722; A en Σ 57 et 60) qui donnent pour Achille l'âge de douze jours ; cf. encore C. Robert, p. 67, n. 4; M. Mayer, col. 217. Les doutes de Bethe, p. 231, de Friis-Johansen, p. 202-204, et de Kullmann,

comparera

p.

371,

sont

faiblement

motivés

et

ne

la légende de Demeter et de Démophon

nous

semblent

pas

justiflés.

(H. H. Dém., 239 sqq.).

On

L'ENFANCE

Celle-ci,

dans

l'/liade,

était

D'ACHILLE

91

essentiellement

le fait de

Thétis

et de Phoenix, Chiron s'étant borné à enseigner au jeune Achille la médecine (1). Dans les Chanis Cypriens, au contraire, Pélée confiait l'enfant à Chiron, scéne qui a souvent été illustrée par l'art archaique (2). De cette partie du poéme de Stasinos, il apparatt seulement que Chiron nourrissait Achille d'entrailles de lion et de la moelle des os de sangliers et d'ours (3). Il n'est pas possible

de dire si le Centaure formait l’âme et l'esprit du jeune Eacide en méme

temps

que

son corps

(4). Mais

un

autre poéme,

assez

ancien pour avoir été longtemps attribué à Hésiode, faisait aussi de Chiron un professeur de morale et donnait les préceptes qui régissalent son enseignement (5). Ce double aspect du róle éducatif de Chiron se refléte dans l’œuvre de Pindare. Il nous montre Achille, tout jeune encore,

«faisant voler son javelot comme le vent, combattant lions et sangliers et dépassant les daims à la course », mais il ajoute aussi que le Centaure « élevant cet enfant sublime, développait, par des moyens

appropriés,

toutes ses qualités morales » (6). Ailleurs,

il

cite quelques-unes des maximes que le fils de Philyre inculquait «au vigoureux fils de Pélée, privé de ses parents, qu'il élevait sur les monts », pour accroître sa piété envers les dieux et envers ses parents (7). La fière affirmation d'Achille dans Jphigénie semble encore faire écho à celle que Pindare met dans la bouche de Jason, autre disciple fameux de Chiron. Élevé dans l'antre du Centaure, il proclame : « J'ai vécu là-bas jusqu'à vingt ans sans avoir proféré un mot ni accompli un acte inconvenant » (8). (1) A 830-32. Pour Thétis, cf. supra, p. 90, n. 1; pour Phoenix, I 442 et 485-495. (2) Les documents sont étudiés par Friis-Johansen, p. 184-198 (voir aussi J. D. Beazley, AH. Bl. F. (1951), p. 10 sqq. ; Ch. Dugas, Rev.

Un. Bruxelles, 9 (1956-

57), p. 435-445, et la liste donnée par F. Brommer, p. 249-250). Le pius ancien est une amphore protoattique conservée à Berlin, du milieu du vie s. (Abb. 2, p. 183). Outre les vases, on peut citer le relief du tróne d'Amyclées (Paus., III, 18, 12). Sur ces représentations, Pélée n'est pas accompagné de Thétis et Achille est un tout jeune enfant qu'on porte dans les bras. Vers la fin du vi* s., Pélée et Thétis arrivent ensemble

chez Chiron et Achille est un Jeune garcon. L'auteur estime (p. 204-205) que ce changement serait dû à l'influence de l'Iliade. (3) Apd., III, 13, 6 (cf. Severyns, CE, p. 201 ; D. S. Robertson, The food of Achilles, Cl. R., 1940, p. 177-180 ; J. Schwartz, p. 238 et n. 10). (4) Ce n'est pas impossible, car la Titanomachie gnement de la justice (et de l'astronomie).

(fr. VI)

prétait

à Chiron

l'ensei-

(5) Sur les Χίρωνος ᾿“Ὑποθῆκαι (fr. 170-173 Rz!), cf. H. Jeanmaire, Chiron, Mél. Grégoire, 1 (1949), p. 255-265; J. Schwartz, p. 228-244. L'éducation d'Achille par Chiron

est aussi

mentionnée

dans

le Catalogue des Femmes

(fr. 96, 49-51).

Schwartz,

p. 243, admet que le poéme a pu étre greffé sur l'épisode de la remise d'Achille à Chiron. (6) Ném., III, 43-50 et 56-57. La fin de la triade précédente, consacrée à Pélée, s'inspire des Chants Cypriens. (7) Py., VI, 21-27. Les maximes qui suivent pourraient remonter directement au poème

hésiodique

(cf. Puech,

(8) Py., IV, 102-105.

ad. loc.).

92

EURIPIDE

ET

LES

LÉGENDES

DES

CHANTS

CYPRIENS

Divers témoignages montrent que les Enseignements de Chiron étaient fort connus dans l’Athènes du ve siècle (1). Ils servaient sans doute de livre de lecture dans les écoles. contribué à faire prévaloir la tradition des l'éducation d'Achille sur celle de l'/liade. On pourquoi Euripide a combiné les deux légendes

Leur popularité a Kypria relative à comprend dès lors et surtout pourquoi

il a mis l'accent sur l'enseignement moral du Centaure (2) A propos de la séparation de Thétis et de Pélée et de la jeunesse d'Achille, Euripide s'inspire donc de la tradition cyclique, mais avec beaucoup de liberté : il voile des détails déplaisants, comme

le rapide abandon du héros par la Néréide. Il insiste au contraire sur leur vie commune en Thessalie — comme dans certains passages de l' Iliade — mais en la situant au Thétideion. La présence

du temple et de l'autel de la déesse accrott l'effet dramatique, en ajoutant le sacrilége à la cruauté de Ménélas et d'Hermione. Elle légitime aussi la belle intervention de Thétis au dénouement, et, d'une manière générale, elle relève heureusement par une nuance

de surnaturel une assez sordide rivalité de gynécée. Quant à l'éducation d'Achille chez Chiron, elle devient pour Euripide une preuve de la sagesse du pére en méme temps qu'elle explique la suprématie physique et morale du fils. Le poéte a trouvé le théme

dans les Kypria, mais il a sürement été sensible à l'accent moral qu'y

meitait

le poème

hésiodique,

qu'il l'ait utilisé directement

ou à travers les adaptations de Pindare. Ainsi la figure d'Achille subit-elle dans son théátre la méme idéalisation que celle de son pére, qui s'achéve si magnifiquement à la fin d'Andromaque. Digne frére d'Hippolyte et d'Ion, Achille a passé sa jeunesse sous

la conduite du meilleur des maîtres, à l'écart des « pratiques des mortels pervers ». Euripide est connu pour avoir préféré la solitude

au contact avilissant de la foule. Aux héros selon son cœur (3), il préte la méme sagesse, ou la méme misanthropie.

On

(1) Cf. Ch. Picard, REA, 1951, p. 14 8qq. ; Schwartz, p. 244 ; Goossens, p. 705-711. remarquera en particulier les nombreuses allusions des comiques : Cratinos (Les

Chirons, fr. 228-49 Edm.); Plat. com. (fr. 191); Ar., Délaliens (Hés., fr. 172 Rz.), Oiseaux 609 (fr. 171 Rz.); Phérécrate (fr. 145-153), etc. Au ıv® &., Chiron est encore célébré comme éducateur : cf. Plat., Rép., IIT, 391c ; Xén., Bq., VIII, 23; Cyn., I, 1; 2; Ὁ, (2) R.

Goossens,

de la «pédagogie de sa vie.

I. c.,

a montré

de

plus

que

chironienne » correspondaient

les

aux

tendances

sentiments

anti-intellectualistes

du

poète

à la

fin

(3) Pâris, avant le jugement des déesses (An. 282) ; Ion, sans père et sans mère (Ion 109) ; Hippolyte, qui ne se plaît qu'au milieu de quelques amis (Hipp. 986-87).

CHAPITRE

LE

JUGEMENT

III

DES

DÉESSES

LE Les

voies

de

JUGEMENT

Zeus

sont

DES

DÉESSES

détournées,

mais

l'économie

de

ses

moyens est remarquable : le mariage de Thétis et de Pélée, qui assure la venue au monde d'Achille, va également décider du destin d'Héléne,

et par là-méme

du

sort de l'humanité.

C'est en effet

au cours du festin des noces que natt la dispute entre Héra, Athéna et Aphrodite pour le prix de la beauté. Or, sur le conseil de Zeus, cette querelle sera tranchée par la décision de Páris, qui aura pour conséquences l'enlèvement d'Hélène et la guerre entre Grecs et Troyens. Aussi ne faut-il pas s'étonner de l'importance donnée par Euripide au jugement des déesses. Elle se manifeste par le nombre et l'étendue des passages qu'il consacre à cet épisode. Dans cinq pièces conservées, Hécube, Andromaane, Les Troyennes,

Héléne,

Iphigénie

à Aulis

déesses, décrit chacun

(1), le poéte

des moments

évoque

la rivalité des

de la scéne, et en développe

les effets. Ces références se situent pour une bonne part dans des passages lyriques, chœurs ou monodies, ce qui montre combien Euripide

a été

sensible

à l'aspect

poétique

d'un

tel théme.

Il

semble méme que, loin d'en épuiser la substance, il y ait toujours trouvé

de nouvelles

beautés

et de nouveaux

sujets de réflexion,

car, à mesure que l'on parcourt les tragédies dans leur suite chronologique, les évocations du jugement de Páris se multiplient et s'élargissent. Dans Hécube (644-49), il n'y consacre qu'une courte allusion. Dans Andromaque (274-92), le tableau est plus ample. BiBLIOGRAPHIE : Türk, s. v. Paris, Hoschers-Lez., col. 1586-1592; A. Rzach, col. 2381-83. C. Robert, p. 1071-77. A. Severyns, CE, p. 261-64.

Anl.

Cl., 6 (1937), p. 6-13.

Formen,

Godesberg,

Paris (1), RE,

K.

Reinhardt,

Das

Parisurleil, dans

1948, p. 11-36 (réédition d'un art. paru en

XVIII,

4 (1949), col.

1495-1501

de discorde el jugement des Déesses, Pholbos,

et 1518-1529,

5 (1950-51

Von

1938).

A.

1607-1631. Ch. Dugas,

Werken E. Wüst,

Severyns,

— Mél. Hombert),

p.

und 8. v.

Pomme 145-172.

C. Clairmont, Das Parisurteil in der antiken Kunst, Zürich, 1951. R. Hampe, Das Parisurteil auf dem Elfenbeinkamm aus Sparta, Festschr. Schweitzer (1954), p. 77-86 et pl. 11-12. T. C. W. Stinton, Eur. and the judgemenl of Paris, Soc. Hell. St., Suppl. Paper



11,

1965

(et notre

compte

rendu

à paraître

dans

la REG).

(1) Le jugement était aussi mentionné dans l'Alerandros (fr. 10 Sn; cf. infra, p. 134). Pour le Hhésos, voir le fragment du prologue cité dans l' Argument (fr. dub. 1109, 7-9) et les vers 647-48 ; 654-55.

96

EURIPIDE

ET

LES

LÉGENDES

DES

CHANTS

CYPRIENS

Les Troyennes (924-031; 971-981) prennent cet épisode comme sujet d'une discussion entre Héléne et Hécube. Enfin, dans Héléne

et Iphigénie à Aulis, non seulement le jugement inspire à Euripide d'amples

descriptions

lyriques,

mais

il parait sans cesse présent

à la pensée des personnages (1). Il est naturel, sans doute, que ceux dont le destin a été directement commandé déesses,

comme

Hélène,

en

soient

obsédés,

par le jugement mais

cette

des

hantise

gagne les participants à la guerre de Troie, puis les victimes indirectes du conflit, comme Iphigénie, et enfin les simples observa-

teurs, comme la prétresse égyptienne Théonoé ou les choreutes. un

Parmi cette vingtaine de textes, quatre seulement présentent tableau d'ensemble étendu du jugement des déesses (2), les

autres se bornant à en retenir tel détail ou à en rappeler tel effet particulier. Dans ces quatre cas eux-mémes,

Euripide ne s'est pas

répété : non seulement il a envisagé chaque fois la scéne sous un angle différent, mais encore il en a varié la présentation formelle : chant choral dans Andromaque, agón dans les Troyennes, prologue

dans Hélène, monodie dans Iphigenie à Aulis. Tous ces passages présentent cependant entre eux une telle harmonie, ils se renforcent et se complétent si bien que l'on peut en les rapprochant obtenir

un tableau trés complet du jugement tel que l'a vu Euripide. Dans un val de l'Ida (3), Páris-Alexandre, qui fut jadis exposé sur cette montagne

par Priam

(4), méne une existence pastorale.

A quelque distance de sa ferme solitaire (5), il surveille son troupeau de bœufs et de vaches (6) tout en jouant de la flûte (7). Il ne se doute

pas

que

trois

Olympiennes

conduites

par

Hermés,

le messager de Zeus (8), se dirigent vers lui. Avant d'aborder le berger, Héra, Athéna et Aphrodite se sont arrétées auprés d'un des torrents qui ruissellent de toutes parts sur les flancs de l'Ida. Elles se sont baignées (9), puis, dans les prés en fleurs, elles ont cueilli pour s'en parer des roses et des jacinthes (10). Prétes maintenant à comparaître devant leur juge, elles se sont remises en

(1) HL

23-31;

882-86 (Théonoé)

357-59

et

363-66;

676-681;

; 1508-09 (le Chœur) ; 1A

1097-98

(Héléne);

71-72 (Agamemnon)

707

; 170-184

(Ménélas); (le Chœur)

;

574,

:

1291-1309 (Iphigénie). (2) An. 274-292 ; Tr. 924-931 et 971-981; (3) Héc. 644-45 ; An. 274-75 ; Tr. 976 ; HL (4)

IA

1285-87.

(5)

An.

281-82 ; cf. HL

(6)

An.

281

HL 23-31; IA 1291-1309. 24; IA 575; 1284.

29 ; 359.

: « Borrpa»»;

Héc.

646,

An.

« βουκόλος » ; cf. Stinton, p. 16-17.

(7) HL 358-59; IA 576-79. (8) An. 275-76 ; IA 1302. (9) An. 284-86; HL 676-78; (10) IA 1296-99.

IA

1294-95.

280

: « Bourac » ; IA

180,

1292

LE JUGEMENT

DES

DÉESSES

97

route, et marchent (1) derriére Hermés. Chemin faisant, elles font assaut d'invectives et de jactance (2). Toutes trois sont animées

d'une égale volonté de l'emporter (3) et chacune, à l'appui de sa beauté,

souligne

ses légitimes

sujets d'orgueil comme

autant de

raisons qui doivent lui obtenir la victoire. « Elles sont

fiéres, l'une,

d'inspirer

le désir,

Cypris ; l'autre,

Pallas,

de

porter la lance ; Héra, de partager la couche royale du souverain Zeus » (4).

Aussi, au moment

et où encore propre le dit

où elles se trouvent en présence de l'arbitre

celui-ci s'appréte à rendre sa sentence, comptent-elles plus sur la séduction de leurs promesses que sur leur beauté pour arracher à leur juge une décision favorable. Comme Hélène dans les Troyennes :

« Pallas offrait à Alexandre de le laisser conquérir la Grèce à la tête de ses Phrygiens. Héra lui promit l'empire d'Asie et les confins de l'Europe, s'il jugeait

en

sa

faveur.

Cypris

lui

vanta

prodigieusement

mes

attraits

et lui promit ma possession, si elle l'emportait en beauté sur les déesses » (5).

Comment, aprés cela, le berger de l'Ida aurait-il pu rendre un jugement impartial, fondé sur la seule beauté des déesses ? Ce sont leurs offres qu'il apprécia, et celle d'Aphrodite l'emporta : c'est à elle qu'il accorda le prix, s'attirant à jamais la haine des deux autres Olympiennes (6). (1) Dans Andromaque 278-79, le poète dit d'Hermés : « τρίπωλον doux δαιμόνων ἄγων τὸ καλλιζυγές », expression qu'on a parfois prise au pied de la lettre : les déesses auraient été montées sur « un char à trois chevaux » (Ammendola) ou « sur trois beaux chars» (Wecklein). Sur l'emploi purement métaphorique de cette expression et d'expressions semblables pour désigner un trio de personnages, voir les exemples rassemblés par Pearson à propos de la périphrase de Sophocle : « τριολύμπιον ἄρμα»

(fr. 511); en particulier Eur., Tr. 924 : « Τρισσὸν ζεῦγος ... τρισσῶν θεῶν ». On peut ajouter: « τριζύγοις θεαῖσι » (HL 357), « ζεῦγος τρίδουλον » (Ar., fr. 576 Edm.), etc. Τρίπωλον ἅρμα est donc un équivalent imagé du simple τρισσαί que l'on rencontre ailleurs (Héc. 645 ; HL 708). Sur les représentations flgurées, les déesses vont en général à pied. Cependant, il arrive qu'elles soient montées sur des chars : par exemple, dans le catalogue de Clairmont, K 48 (Amphore d'Erétrie à f. n.) ; K 127 (frise O. du trésor

de Siphnos); K 160 (couvercle de pyxis de Copenhague) ; K 197 (Hydrie de Naples). (2) An. 287-89. Sur quelques vases (Clairmont, p. 91), Athéna se retourne vers Aphrodite, comme pour lui parler. (3) HL 26.

(4) LA 1303-07 : « ἃ μὲν ἐπὶ πόθῳ τρυφῶσα | Ἥρα

Κύπρις, ἃ δὲ δορὶ τε Διὸς ἄνακτος

Πάλλας,

εὐναῖσι βασιλίσιν. » (5) Tr. 925-931

:

« Καὶ Παλλάδος

μὲν ἦν ᾿Αλεξάνδρῳ

δόσις

Φρυξὶ στρατηγοῦνθ᾽ Ἑλλάδ᾽ ἐξανιστάναι, "Hoa δ᾽ ὑπέσχετ᾽ ᾿Ασιάδ᾽ Εὐρώπης θ᾽ ὄρους τυραννίδ᾽ ἕξειν, εἴ σφε χρίνειεν Πάρις * Κύπρις δὲ τοὐμὸν εἶδος ἐκπαγλουμένη

δώσειν ὑπέσχετ᾽, εἰ θεὰς ὑπερδράμοι κάλλει. » (6)

An. 289-290;

HL

27-29 ; 363-65 ; 679-681 ; 880-86 ; 1097-98 ; JA

180-81 ; 580.

8

98

EURIPIDE

Avant scéne

ET LES LÉGENDES

d'aller plus

inspire

au

DES CHANTS

loin et d'examiner

poéte,

nous

nous

CYPRIENS

les pensées

demanderons

que

cette

d'abord

quels

modèles il utilise dans sa description du jugement et ce qu'il doit à chacun

d'eux.

Dans l'Iliade, le jugement des déesses n'est mentionné qu'une fois, au dernier chant du poéme. Les dieux envisagent de dérober à Achille le cadavre d'Hector : « Ce projet plut à tous, dit Homére, sauf à Héra, à Poséidon et à la Vierge aux yeux pers ; ils conservaient leurs premiers sentiments de haine contre la sainte Ilion, contre Priam et son peuple, à cause de la folie d'Alexandre qui avait fait injure à ces déesses, quand elles étaient venues dans sa bergerie et qu'il avait préféré celle qui lui apportait la douloureuse luxure » (1). Il est vrai que l'authenticité de ce passage a été souvent suspectée par les critiques depuis l'antiquité (2), mais il n'est pas douteux que les contemporains d'Euripide y voyaient une allusion à la légende rendue fameuse par le poéme

de Stasinos. C'est, en effet, aux Chanis Cypriens que remonte la célébrité de cet épisode. Le sommaire de Proclos, dans sa sécheresse, donne les grandes lignes du récit : Éris intervient pendant le banquet des noces de Pélée et provoque une querelle sur la beauté entre Athéna, Héra et Aphrodite. Sur l'ordre de Zeus, Hermès les conduit sur l'Ida afin qu'elles soient départagées par Páris-Alexandre, et celui-ci décide en faveur d'Aphrodite qui lui

a promis la main apporter

d'Héléne

à ce résumé

Lémoignages

(3). Les compléments

gráce à deux

fragments

que l'on peut

conservés et aux

littéraires et artistiques ultérieurs attestent que la

description épique ne manquait ni d'ampleur ni de beauté. Cependant, on ne rencontre plus d'allusions littéraires au jugement des déesses avant le théâtre du v® siècle. Le comique Cratinos, dans

(1) Ω 25-30. (2) Aristarque, notamment, avait athétisé ces vers et s'était efforcé de montrer que le mythe du jugement des déesses n'était pas homérique (cf. A. Severyns, CE, p. 261-64). Parmi les modernes, beaucoup ont aussi condamné ces vers (cf. AmeisHenze, ad loc.), qui auraient été insérés dans l'Iliade sous l'influence des Chants Cypriens (voir par exemple Wilamowitz, H., 65 (1930), p. 242 ; A. Severyns, Homère,

III, p. 84,

n. 4), ou évoqueralent un épisode distinct du Jugement (C. Robert, p. 1070, n. 1; H. J. Rose, Humanilas, 3 (1950-51), p. 281-85 ; R. Hampe, p. 85-86, etc.). Leur authenticité a été défendue en particulier par K. Reinhardt, p. 26-35, et W. Kullmann, p. 237244, qui estiment avec raison que le róle des trois déesses dans l'Iliade est incom-

préhensible si on ne tient pas compte du jugement (cf. Nilsson, Gnom., 14 (1938), p. 565; Wüst, col. 1496-97 ; 1500 ; Stinton, p. 2 sqq.). (3) Procl., l. 86-90. J. Harrison, Prolegomena to the study of the Greek Religion (1922 ; nous

citons

d'aprés

la réédition

de

1955),

p. 298,

n.

1, estime

que

l'auteur

des Kypria a rattaché à la guerre troyenne une légende de folklore. Le théme en serait le choix par un mortel entre des présents divinse, et les Charites, conduites par Hermès, auraient primitivement tenu la place des Olympiennes.

LE

JUGEMENT

DES DÉESSES

99

son Dionysalezandros (430 ou 429), avait traité le sujet en farce. Sophocle avait consacré deux piéces, sans doute des drames satyriques, de date indéterminée, aux deux principaux moments

de l'épisode : la Querelle ( Éris) et le Jugement (Crisis). Il avait encore évoqué celui-ci dans un morceau lyrique des Bergers (1). Cette lacune dans nos sources littéraires entre le vıı® et le ve siècle n'existe pas dans la tradition artistique. De l'époque archaïque à la fin du v? s., un grand nombre d'ceuvres d'art, des vases

surtout,

prouvent

la

popularité

du

récit

des

Chanis

Cypriens (2). Reprenons maintenant les détails de la peinture d'Euripide, en les confrontant avec les témoins qui peuvent nous renseigner sur l'état antérieur de la légende. Les Chants Cypriens liaient étroite-

ment le jugement

des déesses à l'intervention d'Éris aux noces

de Pélée, et il est à croire qu'Éris ne provoquait la querelle que sur l'ordre de Zeus (3). A la différence de Sophocle, Euripide n'a jamais évoqué directement — pas plus du reste que les artistes (4) —

ce prologue du jugement. Peut-étre le fait que l'Éris de Sophocle

avait traité le sujet de facon plaisante a-t-il détourné notre poéte d'évoquer cette partie de la légende. Un passage d'Héléne laisserait

méme croire qu'il assignait à la rivalité des déesses une cause toute fortuite. En effet, dans le duo qui suivait la reconnaissance avec

Ménélas,

l'héroine s'écriait :

« Hélas, ὁ bains, ὁ sources si terribles pour moi, où les déesses vinrent rafraîchir leur beauté, ce qui fut le prélude du jugement » (5).

(1)

Éris, tr. 199-201 ; Crisis, fr. 360-61 : Poiménis,

fr. 511.

(2) C. Clairmont compte une centaine de documents jusqu'à la fin du vi* s. et 80 environ pour le ve s. Pour le 1v* &., voir aussi H. Metzger, p. 269-271 ; 274-276. Les plus anciens témoins, l'Olpé Chigi (K 1) et le peigne en ivoire trouvé dans le temple d'Artémis

Orthia à Sparte (K

3), sont du vır® s. Sur ce dernier document,

dont on a

fait varier la date de 650 à 580, mais qui paraît être en dernière analyse d'un peu avant 600, voir en particulier R. Hampe, o. c. ; K. Reinhardt, p. 13. (3)

A. Severyns (Mél.

Grégoire,

II (1950), p. 584) ne pense pas que, dans les Chants.

Cypriens, la déesse ait joué un rôle actif : sa présence seule suffisait à faire naître la querelle. Il estime méme qu'elle avait pu se rendre invisible (Mél. Hombert, p. 157). Son róle fut ampliflé quand on inventa l'histoire de la pomme, qui semble étrangére à l'épopée (cf. infra, p. 104). (4) A. Severyns, Mél. Homberl, p. 162 : « Les documents archéologiques antérieurs à l'ére chrétienne représentent tous le jugement et non la dispute. »

(5) « "por ἐμῶν δεινῶν λουτρῶν xal χρηνῶν, ἵνα θεαὶ μορφὰν : ἐφαίδρυναν, ἔνθεν ἔμολεν κρίσις » (HL 676-78). H. Grégoire

. traduit les derniers

mots : «ce qui fut l'origine ... du jugement ». La querelle serait donc née à l'occasion d'un bain pris en commun aur l'Ida, et les déesses auraient fait appel au juge le plus proche. Mais, ailleurs, la présence d'Hermés comme guide des déesses rend cette inter-

prétation peu vraisemblable.

100

EURIPIDE

ET

LES

LÉGENDES

DES

CHANTS

CYPRIENS

Cependant, un détail laisse à penser que le róle de la Discorde n'était pas absent de son esprit : c'est l'insistance avec laquelle,

lorsqu'il s'agit du jugement, il utilise le mot « éris », la « discorde » ou la « querelle » (1). Ne suffit-il pas à éveiller, chez les spectateurs, l'idée de la déesse qui en fut l'instigatrice ? D'autre part, l'alter-

calion

des déesses

en route

vers

le lieu

étre une transposition des propos acerbes pendant le banquet nuptial des Kypria.

du

jugement

qu'elles

semble

échangeaient

La tradition constante depuis l'Iliade et les Chants Cypriens est que Páris se trouvait dans sa métairie de l'Ida lors de la venue des déesses. Suivant la légende la plus ancienne, le jeune homme gardait les troupeaux de son pére, cette táche de bouvier étant fréquemment dévolue dans l'épopée à des membres de familles royales (2). Euripide adopte au contraire une autre version, d'aprés laquelle Páris avait été exposé sur l'Ida à sa naissance et vivait

avec des bergers qui ignoraient son origine (3). Quelle que soit la provenance de cette légende, le troupeau de bœufs d'Alexandre vient de la tradition

épique,

car les artistes du vi? et du ve? s.,

s'inspirant de ce qu'ils pouvaient voir autour d'eux, le représentaient entouré de moutons et de chévres (4). Si le berger joue ici de la flûte, ce détail paratt être une invention d'Euripide : l' Iliade, en effet, connatt l'habileté de Páris à toucher la lyre et quelques artistes archaiques se sont souvenus de ce détail (5). La raison de ce changement apparatt clairement, car la mention de la syrinx

n'intervient que dans des passages lyriques, et le chœur d'Iphigénie précise que Páris « jouait des airs barbares sur la flûte phrygienne et modulait des imitations d'Olympos

» (6).

(1) An. 279 ; Héc. 644;

HL

deux passages lyriques (/A

708;

1508;

IA

1308. Le mot est méme

répété dans

183 et 587). Sur certains vases de style fleuri, Eris figure

dans la scéne du jugement (K 165 et 168). (2)

Par

exemple,

Énée

dans

les Chants

Cypriens

(Proclos,

1. 160), Anchise

dans

l'Hymne homérique à Aphrodite (34-35). ; (3) Sur cette légende, cf. infra, Ch. IV. (4) Cf. Soph., fr. 511 «μηλοτρόφῳ ». Sur les vases, les seules exceptions sont, d'après Clairmont, des vases à f. r. de style fleuri : K 171 et Καὶ 172 (Nicias et (?) Meidias) ; K 178 (postérieur à 400). Dans l'art romain, au contraire, les bœufs apparaissent le plus souvent : reliefs (K 241-242); fresques (K 262; 270); mosalque (K 272); gemme (K 282). (5) Il. T 54. Pour les vases, K 9 (amphore du Pont); K 116 (lécythe attique à

f. n.;

470-460).

La lyre

est aussi l'instrument

d'Anchise

(H.

H.

Aphr.,

80).

Päris

n'est représenté avec la syrinx que tardivement : K 264 (fresque de Pompel) ; K 253 (relief du 1v* 8.). La syrinx se retrouve chez Colouthos, Rapt. Hel., 111-112.

(6)

« Βάρθαρα

συρίζων,

Φρυγίων

αὐλῶν ᾽Ολύμπου καλάμοις μιμήματα

πνείων»

(LA 576-78).

LE

Le

poète

voulait

JUGEMENT

donc,

comme

DES DÉESSES

dans

101

la monodie

« phrygienne»

de l'Oresle, justifier le mode musical du passage. Stasinos avait donné aux préparatifs des déesses une certaine solennité. Depuis Homére, le théme de la toilette d'une divinité était du reste un lieu commun de la poésie épique : toilette d'Héra dans l'Iliade, toilette d'Aphrodite dans l'Odyssée, toilette d'Aphrodite encore dans l'Hymne homérique qui célébre son union

avec Anchise (1). Deux fragments des Chanis Cypriens, conservés par Athénée, nous montrent Aphrodite à sa toilette, revétant des vétements que les Charites et les Heures avaient imprégnés d'essences de diverses fleurs, puis se parant de couronnes fleuries avec les Nymphes et les Charites (2). Nous ne pouvons dire si,

dans le poéme, cette toilette était précédée d'un bain sur l'Ida (3), mais il est trés improbable que les trois déesses se soient baignées et parées ensemble. Euripide a pu s'inspirer sur ce point du Jugemenl de Sophocle, dans lequel Aphrodite se frottait le corps d'un onguent

parfumé

contemplait

(alors

dans

qu'Athéna

un miroir

se contentait

(4). Cette scéne

d'huile)

et se

était en tout cas

devenue assez populaire pour qu'on montrát par la suite en Troade le lieu du bain des déesses (5).

Euripide

décrit

le

cadre

du

jugement

d'une

maniére

trés

poétique : « Tout autour, l'eau limpide, les sources des Nymphes, une prairie avec sa fraiche verdure et des fleurs de roses et de jacinthes, cueillette des déesses » (6).

(1)

IL, & 166-223 ; Od., 0 362-66 (cf. aussi a 193-94) ; H. H. Aphr., 60-65.

(2) Fr. 81 sqq.

IV

et V.

Pour

la toilette

d'Aphrodite,

voir encore

Colouthos,

Rapt.

Hel.,

(3) C'est probable, car les vers conservés des Chants Cypriens (fr. IV) semblent avoir été imités par l'auteur de l' Hymne à Aphrodite, qui dit que les Charites baignérent Aphrodite

avant

(4) Fr. 361

de l'oindre d'huile

P. Chez

Callimaque,

parfumée

(v. 61-63 ; cf. aussi Od., 0 364-65).

le début

du

Bain

de Pallas

(16 sqq.) contient

un certain nombre de détails qui paraissent bien provenir de la piéce de Sophocle et donnent à penser qu'Athéna se baignait dans l'eau courante avant de se frotter d'huile

d'olive

(cf. Pearson,

II, p. 30-31).

Sur un cratére

de l'Italie méridionale,

à la Bibliothèque Nationale (cf. Ch. Dugas, p. 13 et PI. II, f. 6), Athena à une fontaine pendant que ses deux rivales se parent.

conservé

fait sa toilette

(5) Anticlide, fr. 15-16 Jac. — sc. O An. ?85 (vers 300 av. J.-C.). Dans An. 283-84, s οὐρειᾶν πιδάχων » rappelle l'homérique « πολυπίδακος Ἴδης » (cf. Kyp., fr. V, v. 5: « πολυπιδάχου

(6)

LA

Ἴδης » ; H.

H.

Aphr.,

54;

68;

1294-99 : a ἀμφὶ τὸ λευκὸν ὕδωρ,

HL

676;

IA

182 ; 1293-94).

ὅθι κρῆναι

Νυμφᾶν κεῖνται λειμών τ᾽ ἔρνεσι θάλλων χλωροῖς καὶ ῥοδόεντ᾽ ἄνθε᾽ ὑακίνθινά τε θεαῖς δρέπειν. » Ces déesses ne peuvent être, comme on l'a parfois soutenu, les nymphes des montagnes,

mais bien les trois divinités dont il est question dans le vers suivant.

102

EURIPIDE

ET LES

LÉGENDES

DES

CHANTS

CYPRIENS

La derniére expression suffit à indiquer que ces déesses sont les trois Olympiennes qui cueillent les fleurs odorantes pour en rehausser leurs charmes.

La mention de la jacinthe et de la rose,

qui figurent parmi les essences qui parfumaient la robe de Cypris dans les Chanis Cypriens, montre qu'Euripide s'est souvenu de cette peinture des appréts du jugement, mais sans doute a-t-il étendu aux trois déesses un détail que Stasinos attribuait à la seule Aphrodite (1). Depuis les Chanis Cypriens, toute la tradition littéraire et artistique met Hermès à la tête des déesses comme leur guide (2). Les vases à figures noires montrent souvent le cortége, dont l'ordre, fixé par les préséances, est celui-là méme dans lequel les divinités adresseront l'une aprés l'autre leurs promesses à Páris : derriére Hermés marche Héra, puis vient Athéna, et enfin Aphrodite. Euripide, qui intervertit l'ordre des promesses d'Héra et d'Athéna, s'est écarté sur ce point de la tradition épique (3). Dans le récit de Stasinos, Aphrodite s'avangait sur l'Ida, escortée des Nymphes et des Charites, «en chantant un beau chant» (4). Au contraire, chez Euripide, qui transporte à ce moment la querelle du banquet des noces, elle se dispute avec ses

rivales. Les motifs sur lesquels les trois déesses appuient leurs prétentions se rencontrent déjà dans l’Iliade. En effet, au cours de l'épisode de la «toilette d'Héra », celle-ci disait à Aphrodite : «Je te concède la tendresse et le désir par lequel tu domptes mortels et immortels », et en retour, Aphrodite répondait : « Je ne peux ni ne dois te refuser ce que tu demandes : tu reposes dans

les bras de Zeus le très haut » (5). Quant à Athéna, nous la voyons plusieurs fois dans le poéme se glorifier de ses mérites guerriers, entre autres aprés sa victoire sur Arés au Chant XXI (6). Stasinos

lui-méme s'était sans doute inspiré de ces passages de l'Iliade dans

(1) Kyp., fr. IV, 3-4 : «Ev θ᾽ ὑακίνθῳ ... ῥόδου τ᾽ ἑνὶ &vOst καλῷ.» Cf. fr. V, 2: « πλεξαμένη στεφάνους εὐώδεας, ἄνθεα γαίης.» Sur un stamnos de Détroit (K 135, début du v* s.), Aphrodite

se prépare, avec l'aide de deux

Heures.

Assez souvent,

il est vrai, sur les vases à figures noires, les trois déesses tiennent des fleurs à la main (Clairmont, p. 122).

(2) Parmi les documents les plus anciens, on peut citer le coffre de Cypsélos le tróne d'Amyclées (Paus., V, 19, 5 et III, 18, 12).

et

(3) Il est vrai que Proclos (1. 87-88) cite les déesses en commençant par Athéna (comme Euripide, Tr. 925 sqq.) et que cet ordre se retrouve sur quelques vases (Clair-

mont, p. 95), mais cette variante ne paraît pas significative (cf. R. Hampe, p. 83). (4) Kyp., fr. V, 5 : « καλὸν ἀείδουσαι κατ᾽ ὄρος πολυπιδάκου Ἴδης.» (5) & 198-199 et 212-13. (6) D 410 sqq. Le thème méme de la querelle des déesses se rencontre déjà dans l'Iliade (E 418 sqq. ; ® 420 sqq.).

LE JUGEMENT

sa

description

de

la

querelle

DES DÉESSES

des

103

déesses

(1).

Certains

vases

archaïques nous montrent encore la stupeur de Päris à la vue des Olympiens : il s'apprête à fuir et Hermès doit le retenir (2). Ce détail ancien et un peu naif, qui remonte presque sürement à l'épopée, a été passé sous silence par notre poète.

Proclos ne mentionne pour les Chants Cypriens que les promesses d'Aphrodite, mais il est certain que les autres déesses n'avaient pas manqué de chercher à séduire leur juge par leurs offres. On peut d'autant moins en douter que celles-ci sont rapportées sous des formes voisines par de nombreux auteurs, dont les principaux sont, en dehors d'Euripide, Cratinos, Isocrate, Hygin et le Pseudo-

Apollodore (3). D'aprés ces témoignages, Héra offrait à Páris un royaume étendu à toute l'Asie (4), ou méme à la terre entiére (5). Athéna promettait au berger bravoure et succés à la guerre. Enfin,

Aphrodite se disait capable de lui faire obtenir l'amour d'Héléne (6). Lorsque ces promesses sont rappelées dans les Troyennes, elles entrent dans le plaidoyer qu'Héléne prononce pour elle-méme en face d'Hécube et de Ménélas. Aussi subissent-elles ces altérations que

les plaideurs

athéniens

s'entendaient à apporter aux événe-

ments pour les rendre favorables à leur cause. Au royaume asiatique promis par Héra, Hélène ajoute «les confins de l'Europe », c'est-àdire essentiellement la Grèce. ἃ la valeur guerrière offerte par Athéna, elle joint la promesse d'une conquéte militaire de l'Hellade. Ceci lui permet de conclure qu'en ne se laissant pas tenter par l'une ou l'autre de ces offres, Páris a assuré par son choix «le bonheur de la Gréce » (7). Ce n'est certes pas sans un

sourire qu'Euripide préte ainsi à Héléne de prémisses adroitement déformées !

ces conclusions

tirées

(1) C. Robert, p. 1072 ; Wüst, col. 1497 ; cf. Colouthos, Rapt. Hel., 89-91. (2)

C. Robert, Arch. Hermen., p. 123 ; 132 et f. 96 ; Clairmont,

p. 94, n. 31 ; Wüst,

col. 1498 (cf. Cratinos, Dionysaler.; Ov., Hér., XV, 607-68; Colouthos, 124 sqq.). Dans l'Hymne homérique à Aphrodite (182), Anchise est lui aussi effrayé par l'apparition de la déesse. Ch. Dugas, p. 8-9, étudiant ce motif du jugement, se demande, à tort selon nous,

si ce motif

n'a pas été imaginé

par les artistes du

vi* s.

(3) Hypothesis du Dionysalerandros (P. Ozy. 663; Edmonds, Fr. alt. com. I, p. 3233) de 430-29 ; Isoc., Hél., 41 (reproduit par Luc., Deor. Dial., 20,

11-13

et Ps. Luc.,

Charid., 17) ; Hyg., f. 92; Apd., Ep., III, 2; cf. aussi Ov., Hér., XV, 81-86 ; 165-68 ; XVI, 117-118; Apul., Mét., X, 32-33; Lib., Narr., 21; Colouthos, 139-166. Il faut aussi mentionner les « préfaces» à l'Iliade des manuscrits Ambrosianus 1015 et Ottobonianus 58, étudiées par A. Severyns dans Pholbos, 5, p. 155 sqq., et Mél. H. Grégoire, II (1950), p. 586 sqq. P. Mertens, AC, 29 (1960), p. 22 et 28, a encore analysé

les prolégoménes

rien d'important (4)

Isocrate,

de quelques manuscrits homériques

pour notre Apulée,

mineurs, qui n'ajoutent

sujet.

Lucien.

(5) Apollodore, Hygin. Cratinos parle seulement d'une royauté inébranlable. (6) Cratinos dit qu'Aphrodite promettait à Päris une beauté irrésistible, mais la suite de la piéce montre que ce don avait pour objet de séduire Héléne. (7) Tr. 932-35.

104

EURIPIDE

ET LES

LÉGENDES

DES

CHANTS

CYPRIENS

Nous ignorons si la décision de Páris se manifestait dans les Kypria par un geste symbolique : Euripide ne nous en dit rien. De toute facon, il ne mentionne pas le don de la pomme, motif dont on a parfois attribué l'invention à Sophocle, ou méme à Stasinos, mais qui n’apparait dans l'art et dans la littérature qu'à une époque postérieure (1).

Il reste que dans les Chanis Cypriens, comme chez Euripide, le jugement du berger lui attirait la protection d'Aphrodite et la haine persistante de ses deux rivales (2). Ainsi le poéte cyclique expliquait-il les sentiments des trois déesses envers Páris et les

Troyens dans la poésie d'Homére. Arrétons-nous d'abord sur cet aspect purement descriptif du jugement : Euripide se montre, dans l'ensemble, fidéle à la tradition épique, celle d'Homére et celle de Stasinos. S'il néglige certains détails secondaires (ordre du cortège, effroi de Páris), s'il transfère au «jugement» un épisode de la « querelle », il reste cependant le plus souvent respectueux de la lettre du récit épique. Mais

l'esprit n'est plus tout à fait le méme. Les Chants Cypriens avaient fait de la toilette d'Aphrodite un épisode teinté de merveilleux: les vêtements

de

la déesse

étaient

l’œuvre

des

Heures

et des

Charites et une brillante escorte l'accompagnait sur l'Ida. Ici, les trois déesses sont seules et elles doivent vaquer elles-mémes à de rustiques soins de propreté, cueillir elles-mémes les fleurs dont elles se parent. Le tableau grandiose se mue en scéne de genre,

marquée de réalisme bourgeois. Quant à Páris, loin d'étre effrayé par l'apparition des déesses et de chercher à se dérober, il se préte aussitót à leur demande et suppute l'offre la plus avantageuse.

Ni les déesses, ni leur juge ne sortent grandis de leur confrontation (3). La description (1) pomme

doit-elle quelque

chose

aux

peintres

de vases ?

L'origine de ce motif est trés controversée, surtout depuis qu'on a cru voir une dans

la main

de

Páris sur le peigne

en ivoire

trouvé

à Sparte.

Un

examen

attentif a convaincu R. Hampe (p. 78-79) qu'il ne pouvait s'agir en aucun cas de ce fruit. Sur quelques vases du ve 8. (K 139, 142, 153) Héra porte un fruit qui paraît être une grenade. La pomme apparaît dans l'art à partir de la fin du ıv* s. (miroirs étrusques : K 204 et 206) et dans les textes littéraires d'époque romaine (Hygin, Lucien, Apulée). Bien que le motif soit indiqué dans l'Epitomé d'Apollodore (III, 2)

et dans le sommaire

de l'Ambros.

1015, on ne saurait le faire remonter

avec Bethe

(p. 293) à Stasinos lui-même. Sur cette question, voir Wüst, col. 1495 ; A. Severyns, Mél. Hombert, p. 158; R. Hampe, p. 83-84. Ce dernier distingue la pomme d'Eris,

motif récent, et la pomme de Pâris, qui pourrait être plus ancienne, et aurait seulement la valeur d'un symbole amoureux. (2) Sur la frise Ouest du Trésor de Siphnos à Delphes, Athéna, et sans doute Héra, dépitées, remontent dans leur char, cependant qu'Aphrodite descend du sien pour recevoir le prix. (3) Voir les remarques trés fines de Ch. Dugas, o. c., p. 12-13.

LE JUGEMENT

Cela ne paraît pas douteux.

DES DÉESSES

105

Euripide a repris les deux types de

scénes qui se partagent la faveur des artistes, le cortége des déesses qui s'acheminent vers le lieu du jugement sous la conduite d'Hermés, théme le plus fréquent dans l'art archaique, et le

jugement proprement dit, qui l'emporte de plus en plus à partir du milieu du ve s. (1). Son art s'harmonise avec celui de Meidias et des artistes du style fleuri, qui traitent avec réalisme le décor naturel : autour des personnages apparaissent les rochers, les

arbres, les plantes, le troupeau de Páris et jusqu'à son chien (2). Cependant, si l'atmosphére est la méme, c'est moins au souvenir des ceuvres d'art qu'à des motifs dramatiques qu'il faut attribuer les modifications apportées par le poéte à la donnée épique, soit qu'il justifie le ton d'une monodie en donnant à Páris une syrinx au lieu d'une lyre, soit qu'il décompose l'épisode en scénes

successives, librement raccordées entre elles, qui lui fournissent matiére à autant de tableaux de genre, soit encore qu'il se plaise à imaginer les sentiments et les prétentions des Olympiennes ainsi que leurs paroles captieuses.

!

Mais Euripide ne s'en tient pas là. Comme Hermès, une fois sa tâche terminée, il survole la scène et, à son tour, il «juge le

jugement ». Or il paratt frappé, à la fois par la disproportion qui existe entre la décision et ses conséquences, et par la légéreté criminelle avec laquelle ont agi les acteurs de la scéne, aussi bien

Páris que les déesses. Le concours a été délibérément faussé, par les concurrentes

comme

par l'arbitre

: Aphrodite

«a

acheté

au

prix de ces noces le titre de la beauté » (3). Son juge a mis la sensualité au-dessus de la puissance et de la bravoure. Les suites de

cette double faute seront désastreuses. Héléne a beau soutenir que le choix de Päris a évité aux Grecs la défaite et la servitude, que pése cet argument spécieux en face des malheurs qu'Euripide récapitule sans se lasser ? Le jugement est un point de départ : à la querelle des déesses s’enchaine la querelle des Grecs et des

Troyens. Athéna et Héra vont faire durement payer aux Phrygiens leur rancune contre Páris (4), mais les Grecs n'auront pas moins à souffrir : guerriers fauchés par milliers, foyers détruits, innocents

(1) Premier exemple sur une pyxis de New York Bilée » (vers 465).

(K 149) du « peintre de Penthé-

(2) Cf. Clairmont, p. 100-101, et K 136 ; 143 ; surtout K 165 (Hydrie de Karlsruhe, copie d'après Meidias, déjà commentée par Ch. Dugas, l. c.) et K 172 (Hydrie de Syracuse, de Meidias (?)).

(3) HL 885-86 : « πριαμένη...τὸ κάλλος..«ὠνήτοις γάμοις. » Nous préférons le texte de L à la conjecture de Pierson : « ἀνονήτοις », des noces «illusoires ». (4) An. 289-292 ; Héc. 944-48 ; Tr. 598; HL 679-680 ; 706-07 ; fr. dub. 1109, 6-11.

106

EURIPIDE

ET LES LÉGENDES

DES CHANTS

CYPRIENS

sacrifiés. Héléne méme, relativement épargnée, n'en sera pas moins un jouet entre les mains d'Héra et d'Aphrodite, acharnées à se contrecarrer. Tout cela pour un concours de beauté ! Les captives troyennes

tirent,

pour leur part,

l'amére

leçon

des

faits

:

« Les peines appellent fatalement des peines plus lourdes, cycle sans fin. Tout le peuple a vu, par l'inconscience d'un seul, les maux et la destruc-

tion atteindre les rives du Simols, avec le malheur causé par autrui. Elle a été jugée, la querelle de l'Ida entre les trois filles de bienheureux,

jugée par un berger... au prix de batailles, de massacres, I] y a aussi des gémissements Lacédémone

se

consume

et sur sa blanche porte la main : elle se lacére

en

les joues

au bord du large

pleurs

chevelure,

de la ruine de mon

dans

son

la mére

Eurotas

: une

fille de

palais;

des jeunes

et ses blessures

foyer.

gens

ensanglantent

qui sont

morts

ses ongles » (1).

Il est peu probable que l'auteur des Ghanis Cypriens ait posé en termes explicites le probléme moral soulevé par le verdict du juge des déesses. Le poéte épique

est avant tout un narrateur

:

les raisons du choix de Päris et les conséquences de sa décision devaient résulter du récit lui-méme.

En revanche, dans le drame

satyrique de Sophocle, le caractére symbolique du jugement était clairement marqué (2). Au dire d'Athénée, Aphrodite représentait le plaisir, tandis qu'Athéna personnifiait la pensée, la réflexion et la vertu. « Une fois la préférence donnée à Aphrodite, c'est-à-dire (1) Hec. 639-656 : « IIóvot γὰρ xal πόνων ἀνάγκαι κρείσσονες χυχλοῦνται * χοινὸν δ' ἐξ ἰδίας ἀνοίας

χαχὸν τᾷ Σιμουντίδι γᾷ ὀλέθριον ἔμολε συμφορά τ᾽ din’ ἄλλων. ᾿Εκρίθη δ᾽ ἔρις, ἂν ἐν Ἴdat κρίνει τρισσὰς παῖδας

ἀνὴρ

μακάρων

βούτας,

ἐπὶ δορὶ καὶ φόνῳ καὶ ἐμῶν μελάθρων λώδᾳ * στένει δὲ xal τις ἀμφὶ τὸν εὔροον Εὐρώταν Λάκαινα πολυδάκρυτος ἐν δόμοις κόρα, πολιάν τ᾽ ἐπὶ κρᾶτα τέκνων θανόντων

μάτηρ

τίθεται χέρα δρύπτεταί τε παρειάν, δίαιμον ὄνυχα τιθεμένα σπαραγμοῖς. » Les derniers vers désignent Hermione et Léda, victimes innocentes du rapt d'Hélène. L'établissement de l'avant-dernier cólon

fait difficulté.

(2) K. Reinhardt, p. 12, souligne avec raison que jamais dans la poésie ancienne l'allégorie n'est aussi serrée, bien que les tendances moralisantes y solent développées.

LE JUGEMENT DES DÉESSES

|

107

au plaisir, conclut Athénée, tout fut bouleversé » (1). Nous verrons qu'un tel symbole n'a pas été perdu pour Euripide, et qu'il s'en est servi dans la grande scène des Troyennes pour accabler

Héléne (2), comme Sophocle l'avait utilisé pour montrer la responsabilité de Páris.

Mais ici, l'attitude de notre tragique est trés différente de celle de Sophocle. Ce sont les déesses, beaucoup plus que leur juge, qui sont mises en accusation. À elles le rôle actif, les sollicitations, les promesses. Páris n'a pu se dérober, il devait choisir. Et il est significatif qu'Euripide ait insisté avec tant de force sur son état de berger, de bouvier. Que pouvait cet esprit simple et rustique en face des habiles

Olympiennes ? Écoutons

encore

ce qu'en

pense

Hécube. Elle annonce qu'elle va se faire «l'alliée des déesses », mais c'est une alliée bien dangereuse : « Pour moi, je ne pense pas qu'Héra et la vierge Pallas aient pu en venir à un tel degré

Pallas,

de folie que l'une ait vendu

ait jamais

badinage,

livré

Athénes

en

Argos

esclavage

aux

aux

Barbares

et l'autre,

Phrygiens;

c'esl par

parce qu'elles élaient vaines de leur beauté, qu'elles sont venues

sur l'Ida. Pourquoi, en effet, la divine Héra aurait-elle eu un tel désir de paraître belle ? Était-ce pour gagner un mari supérieur à Zeus ? Est-ce qu'Athéna recherchait l'union de quelque dieu, elle qui sollicita de son pére la faveur

de

rester

vierge,

Passons sur la premiére

tant

elle répugnait

au

mariage

partie de l'argumentation

? » (3).

d'Hécube,

qui

utilise un leit-motiv de l’/liade, la prédilection d'Héra pour Argos, afin de réfuter les sophismes d'Héléne (4). Mais les phrases suivantes

attaquent

sérieusement

la vraisemblance

et la portée

de tout l'épisode. Au prix d'un détail (le vœu de virginité d'Athéna), qui paraît bien être une invention d'Euripide (5), Hécube — et le poéte avec elle — réduit toute cette histoire à un frivole badinage (1) Soph., fr. 361 P. (Ath. XV, 687e et XII, 510c). (2) Tr. 988-89. Cf. infra, Ch. VI, p. 172. (3) Tr. 971-981

: «'Eyó γὰρ Ἥραν

παρθένον re Παλλάδα

οὐκ ἐς τοσοῦτον ἀμαθίας ἐλθεῖν Box,

ὥσθ᾽ ἢ μὲν "Apyoc βαρδάροις ἀπημπόλα, Παλλὰς

δ' ᾿Αθήνας

Φρυξὶ δουλεύειν ποτέ,

al παιδιαῖσι καὶ χλιδῇ μορφῆς πέρι ἦλθον πρὸς Ἴδην. Τοῦ γὰρ oóvex' ἄν θεὰ "Hpa τοσοῦτον ἔσχ᾽ ἔρωτα καλλονῆς; πότερον ἀμείνον᾽ ὡς λάϑῃ Διὸς πόσιν, À γάμον ᾿Αθάνα θεῶν τινος θηρωμένη,

À παρθενείαν πατρὸς ἐξῃτήσατο φεύγουσα λέκτρα :» (4) Δ 51-52 (Sparte, Argos et Mycénes). Aristarque utilisait précisément ces vers pour expulser le « jugement » de l’Iliade (sc. ATV en A 52; Severyns, CE, p. 261-62). Cf. sc. Tr. 976. .

(b) Nous avons essayé de montrer ailleurs (RE G, 69 (1956), p. 299-300) qu'Euripide

avait imaginé ce motif à partir des vers 25-28 de l'Hymne homérique à Aphrodite.

108

EURIPIDE ET LES LÉGENDES

de femmes

DES CHANTS

CYPRIENS

coquettes et oisives. (1) Assurément,

rien n'est plus

contraire à l'esprit des Chants Cypriens, où le jugement de Páris est voulu par Zeus et s'insére dans la suite des causes qui ménent

infailliblement à la guerre de Troie. Les divinités, méme

si elles

n'en ont pas conscience, n'y sont que les instruments dont se sert le destin. Euripide estompe au contraire le rôle d'Éris autant qu'il le peut. Le caprice des déesses est le fruit de leur seule coquetterie.

Le poéte aggrave leurs torts en mettant en relief l'acharnement avec lequel elles poussent leur avantage

auprés de Páris, sans se

soucier d'obtenir une sentence impartiale.

Elles n'hésiteront pas

non plus à faire couler des flots de sang, l'une par amour-propre, pour appuyer son triomphe, les autres par dépit, pour venger ce

qu'elles considérent comme un affront. Ces déesses ne sont donc guére mieux traitées par Euripide que celles des femmes qu'il censure avec le plus de vigueur.

par trois coquettes ! On ne peut lui-méme y songeait sans doute Athénes dans les milieux hostiles par Aristophane : la guerre du de l'enlévement

L'Europe

et l'Asie bouleversées

s'empécher de penser — Euripide — à une histoire qui tratnait à à Périclés et que nous connaissons Péloponnése aurait éclaté à cause

de trois courtisanes

(2). Ici et là, c'est le méme

effet de disproportion entre la cause et les résultats. Si ce rapprochement donne au jugement des déesses un intérét d'actualité, ce n'est pas sans rapetisser l'épisode tout entier.

Toutefois, à envisager isolément la réponse d'Hécube, on peut aboutir à une autre conclusion : le jugement des déesses ne portait pas en lui-méme les conséquences inévitables que lui préte la femme de Ménélas. L'enlévement d'Héléne peut s'expliquer, sans intervention divine, par la sensualité des deux protagonistes. De là à dire qu'il s'agit d'une tradition mensongère, répandue par les deux amants pour se décharger de leur faute sur la divinité, il n'y a qu'un pas (3). Euripide a-t-il été jusqu'à penser que le juge-

ment n'avait pas eu lieu ? Un mot, tout fugitif qu'il est, le donne à soupconner : au début de sa dernière piece troyenne,

Iphigénie

à Aulis.

de «celui

Agamemnon

évoque

l'arrivée à Lacédémone

(1) C'est aussi en tenant compte de la majesté des déesses et de leur caractére dans l’/liade qu'Aristarque écartait l'allusion au jugement (sc. BMV en ὦ 23; cf. Severyns, CE, p. 263, surtout 8 6, e, f, g). Voir aussi Varron, ap. August., Civ. Dei, XVIII, 10 ; Ov., Hér., XVI, 12-14 ; D. Chr., XI, 12-14. (2) Ar., Ach. 524-529. Le rapprochement est indiqué par Ch. Dugas, p. 11. Dans le Dionysalerandros, le jugement de Pâris était déjà utilisé à des fins polémiques contre

Périclés

(3) Au

et Aspasie.

lieu d'accabler

les déesses,

comme

il le fait ailleurs,

Euripide

tenterait

donc de les laver de leur faute et de les purifier. L'esprit de la tirade serait à rapprocher

de celui de la réplique d'Héraclés (HF 1341-1346), qui attribuait les accusations portées contre les dieux aux « misérables récits des aédes ». Cf. A. Lesky, Psychologie bei Eur., Entr. Fond. Hardt, VI, p. 130.

LE JUGEMENT

DES DÉESSES

109

qui jugea les déesses, selon ce que raconlenl les gens » (1). Cette remarque incidente d'Agamemnon, qui ne péche pas par hardiesse

d'esprit,

est d'autant plus

curieuse

que

le roi des

rois

donne

aussitót aprés une version de l'enlévement d'Héléne qui s'accorde littéralement avec ce qu'en disait Hécube dans la suite de la

tirade déjà citée (2). En se remémorant ce qu'il écrivait sept ans auparavant, Euripide n'a-t-il pas poussé à son terme logique la réflexion qui n'était qu'esquissée dans les Troyennes? Il est tentant de le penser. Ainsi, dans cet épisode encore, nous retrouvons les multiples

faces

du

génie

d'Euripide

: moraliste

et poéte

dramatique,

il

utilise le mythe du jugement de Páris comme un ressort théátral ;

c'est une des causes déterminantes de la guerre de Troie, l'incident qui va

fixer les sentiments

des déesses vis-à-vis

des peuples,

et

par suite le sort de ces derniers. A partir de cet instant, le malheur s'étendra en ondes concentriques autour des protagonistes, accablant en définitive deux et coupables. Euripide utilise aussi tableaux de genre, oü la la beauté des figures. Il mais il tranche dans le

détails

secondaires

races, frappant indistinctement innocents le jugement en poéte, dans d'admirables fratcheur du cadre naturel vient rehausser puise largement dans la narration épique, récit continu de Stasinos, il élimine les

et concentre

toute

la lumiére

sur quelques

moments choisis : le bain des déesses, leurs efforts pour se concilier leur juge, la décision de Páris. Cependant, son esprit rompu aux

méthodes critiques des sophistes ne peut s'empécher de s'interroger sur les incohérences de la tradition légendaire : il conteste la vraisemblance des motifs du jugement, discute son sens, sa portée et peut-être méme sa réalité. A sa manière, distincte de celle de Sophocle, il ouvre ainsi la voie à tous les esprits ingénieux des siécles suivants, qui, se refusant à prendre le jugement de Páris

au pied de la lettre, en donneront morales ou philosophiques (3). (1) IA

71-72.

des interprétations réalistes,

«00{Ὁνννννννννννων ὁ τὰς θεὰς xplwov ὅδ᾽, ὡς ὁ μῦθος ἀνθρώπων ἔχει.»

᾿Ανθρώπων est la leçon des manuscrits. Clément d'Alexandrie cite le texte avec ᾿Αργείων, « selon ce que racontent les Argiens », correction que la plupart des éditeurs ont acceptée,

un peu légérement, nous semble-t-il, car Clément citait sans doute de mémoire. A plus forte raison, on ne pourra conclure avec Bethe (Homer, III, p. 104) que la légende du jugement

(2)

LA

est un conte argien.

73-75 et Tr. 991-92.

(3) On en trouvera la liste dressée par Wüst, col. 1499. Par exemple, interprétation rationaliste : Anticlide, fr. 15 Jac. ; D. Chr., XX, 21-23, et Darés, VII; Ptol. Heph.,

IV (197, 3 West.). Fr., 111, 197, XXV) Fulg., II, 1.

Interprétation allégorique : Chrysippe

(sc. An. 276 = Slolc.

; Saloustios, de diis, 4 ; Proclos, Comment. Rep., II, 263,

21

Vet. Kr. ;

CHAPITRE

LA JEUNESSE

IV

DE PÄRIS : L'ALEXANDROS

L'ALEXANDROS

* Frommt's, den Schleur aufzuheben, Wo das nahe Schrecknis droht? Nur der Irrtum ist das Leben, Und das Wissen ist der Tod.» Schiller, Kassandra

Vers le temps oü le fils de Pélée et de Thétis était conduit dans l'antre du Pélion, où il devait croître en force et en sagesse sous la tutelle du Centaure, sur l'autre rive de la mer Égée, dans une

humble

métairie

de

l'Ida,

grandissait

un

adolescent

inconnu.

C'était un enfant trouvé. Les bergers qui l'avaient miraculeusement arraché à la dent des fauves l'avaient élevé comme un des leurs. Il gardait alors les troupeaux de Priam, mêlé à ses compagnons

dont il ne se distinguait que par sa beauté et son courage. Mais, du

jour



le jugement

des

déesses

vint

bouleverser

le calme

pastoral de sa vie, son sort changea du tout au tout : l'esclave fut reconnu

comme

un prince troyen,

Páris-Alexandre,

le favori

de son pére Priam, il traversa la mer pour enlever la plus belle des femmes et, bien plus tard, il décocha au fils de la déesse marine

une fléche fatale. Tel était le dessein concu par Zeus, dont l'accomplissement allait étre aidé par l'aveuglement des hommes. En

effet, l'élément

divin,

qui

domine

l'épisode

du

jugement,

s'estompe dans celui du retour de Páris à Troie. En traitant le BIBLIOGRAPHIE : Türk, 8. v. Päris, Roschers-Ler., col. 1582-86 ; 1605-06. K. Kuiper, De Alerandro Euripideo, Mn., 48 (1920), p. 207-221. W. Crönert, N GG, 1922, p. 1-17.

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dro, Diss.,

Münster,

G. Murray,

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des Eur., Philologus,

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p. 979-982.

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Powell, New Chaplers..., Oxford, 1933, p. 137-142. B. Snell, H., Einzelschr. 5 (1935), p. 1-68. C. Lefke, De Euripidis Aleran-

1936.

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97 (1948),

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1946, p. 128-138.

p. 321-335.

D. L.

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F. Scheidweiler,

L. Strzelecki, De

GLP, Zum

Senecae

54-61.

Agamemnone

Trav. Soc. Let. et Sc. de Wroclaw, 33 (1949), p. 5-25.

s. V. Páris (1), RE, XVIII, 4 (1949), col. 1484-93 ; 1501-02 ; 1515-18.

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Alerandros E.

Wüst,

B. Menegazzi,

L' Alessandro di Eur., Dion., 14 (1951), p. 172-97. A. Pertusi, ZI significato della trilogia troiana, Dion., 15 (1952), p. 257-58. D. Lanza, L'« Alessandro » e il valore del doppio

coro euripideo,

SI FC, 34 (1963), p. 230-245. T. W. C. Stinton, o. c. supra p. 95, p. 64-71. 9

114

EURIPIDE

ET

LES LÉGENDES

DES

CHANTS

CYPRIENS

sujet dans son Alexandros, Euripide a voulu saisir une fois encore l'instant du destin. Le coup de théátre décisif qui transforme le berger en prince scelle le sort de deux peuples. Car, dés le moment

oü les Troyens, croyant avoir déjoué les menaces divines, reconnurent Páris comme le fils de leur roi et lui donnérent les moyens de gagner Lacédémone, la destruction de leur cité devint inéluctable. Vers 423, Euripide avait déjà évoqué dans un slasimon d'Andromaque la naissance de Páris, l'enfant maudit. Le chœur rappelait le róle funeste du jugement des déesses, puis il s'écriait : « Que n'a-t-elle par-dessus sa téte rejeté ce Páris de l'enfanta,

avant

qu'il ne s'établit sur le roc

malheur,

celle qui

de l'Ida,

lorsque, auprés du laurier prophétique, Cassandre s'écria de tuer le grand fléau de la cité de Priam. Qui

n'entreprit-elle

pas ? Qui

parmi

les

anciens

n'est-elle

pas

allée

supplier de mettre à mort le nouveau-né ? » (1).

En 415, l'Alexandros allait reprendre le thème du destin de Páris et montrer les conséquences de l'échec de Cassandre. Cette piéce était la premiére d'une trilogie qui comprenait encore Palamède et les Troyennes (2). C'était doublement une «trilogie liée », car elle embrassait, en trois épisodes, toute la guerre de Troie, des origines au dénouement, et développait, dans chacun de ces drames si différents de matière et de ton, une méme idée, celle de la responsabilité des hommes dans leurs propres malheurs.

Les Troyennes, dernière pièce de la trilogie, montraient les conséquences immédiates de la prise de Troie, mais son sujet débordait à la fois sur le passé qui expliquait l'événement et sur l'avenir qui attendait vainqueurs et captifs. Peut-étre est-ce à ce caractère que la pièce a dû de parvenir intacte jusqu'à nous. (1) An. 293-300

:

«Εἴθε δ᾽ ὑπὲρ κεφαλὰν ἔθαλεν κακὸν & τεκοῦσά νιν { Πάριν f

πρὶν ᾿Ιδαῖον κατοικίσαι λέπας ' ὅτε νιν παρὰ

θεσπεσίῳ

δάφνᾳ

βόασε Κασάνδρα κτανεῖν,

μεγάλαν Πριάμου πόλεως λώθαν. Τίν᾽ οὐκ ἐπῆλθε, ποῖον οὐκ ἐλίσσετο δαμογερόντων βρέφος φονεύειν ; » Le v. 294 est altéré et les corrections proposées (μόρον Hermann; μῦσος vel τέρας Murray) restent conjecturales. Kuiper, p. 214, a suggéré ἐς xaxóv | &ye τεκοῦσ᾽ Alvérapıv, qui ne convient pas pour le mètre. Sur une fresque de Pompéi,

on

a cru

recon-

naître cette scène : Cassandre prophétise en présence de Priam et d'Hécube et tient sur ses genoux un tout jeune enfant (cf. dans l'ouvrage de J. Davreux cité infra, p. 115, n. 6, le n° 43). Sur le «laurier prophétique » ombrageant l'autel de Zeus Herkeios, cf. Virg., En., II, 513. Voir encore sur ce passage Stinton, p. 14 sqq. et 73-74. (2) EL, VH, II, 8.

L'ALEXANDROS

115

En revanche, l’Alexandros et le Palamède sont perdus, et l'on ne dispose pour reconstituer leur intrigue que de quelques linéaments du texte et des ressources disparates de la tradition indirecte.

Pour l’Alexandros, ces ressources semblent de prime abord assez riches : les auteurs de floriléges, en particulier Stobée, ont tiré un assez grand nombre de maximes de cette piéce que l'ordre alphabétique plaçait presque en tête dans le recueil des tragédies d'Euripide (1). Un papyrus conservé à Strasbourg et publié pour

la première fois en 1922 (2) a permis de reconnaître de nouvelles scénes du drame et de se former une idée plus précise de l'intrigue. Euripide lui-même est revenu sur cette légende dans les Troyennes

et dans plusieurs autres piéces. Il existe aussi des fragments notables de l'Alezander d'Ennius, dans lequel le tragique latin avait

imité

d'assez

prés

Euripide

(3).

On

peut

encore

utiliser

quelques passages de l' Agamemnon de Sénèque (4). Divers auteurs, mythographes, comme Apollodore et Hygin, poétes, comme Ovide, grammairiens, comme Varron, ou commentateurs, comme Servius,

ont évoqué les aventures de jeunesse de Páris (5). Enfin, une série d'eeuvres d'art étrusques (6) reproduisant la dramatique reconnaissance d'Alexandre par les siens s'ajoutent aux témoignages littéraires et prouvent le succés durable de la premiére

pièce d'une trilogie que les Athéniens, s'il faut en croire le verdict des juges du concours, ne semblent pas avoir d'abord pleinement goûtée (7).

Malgré la relative abondance des matériaux, on est loin de reconstituer avec certitude toutes les parties de l'intrigue. Les fragments conservés sont en général de caractére gnomique et proviennent pour la plupart d'une seule scéne, en sorte qu'ils ne (1) Fr. 42-64. (2) Pap. Sirasb. 2342-44, du 1er 8. av. J.-C., publié par Crönert, dont les lectures ont été améliorées et complétées par Kôrte, Lefke, Snell (qui a utilisé le travail de Lefke encore inédit), Page, Scheidweiler. (3)

Nous

citerons

ces

vers

d'après

l'édition

Warmington,

Remains

of Old

Lalin,

I* (1956), p. 234-245. (4)

Comme

l'a montré

L. Strzelecki.

(5) Apd., III, 12,5; Hyg., f. 91, qui semble reproduire assez fidélement l'intrigue de la piéce d'Euripide, soit directement (Snell, p. 64), soit à travers l'adaptation d'Ennius (Warmington, l. c.) ; f. 273 ; Ov., Hér., XVI ; Serv. ad. En., V, 370, et Mythog. Val., 11, 197. (6) Urnes étrusques et miroirs : cf. Türk, col. 1605-06 ; J. Davreux, La légende de la prophétesse Cassandre..., Bibl. Fac. Ph. el Let. de Liége, 94 (1942), p. 97-223 (dont nous reproduisons la numérotation); Wüst, col. 1515-17. (7) D'après Elien, !. c., qui s'en indigne, Euripide ne fut que second derrière Xénoclès, qui présentait une trilogie thébaine. Asclépiade de Tragile avait étudié l'Alezandros (fr. 12 Jac. = sc. A, Il. I' 325). Une inscription nous apprend que cette pièce avait encore été jouée à Tégée à la fin du ri1* 8. av. J.-C. (Lefke, p. 108).

116

EURIPIDE

ET LES LÉGENDES

DES

CHANTS

CYPRIENS

nous donnent guére de renseignements sur la marche de l'action. Le papyrus de Strasbourg comprend environ 150 vers de la piéce, mais pour plus de la moitié irrémédiablement mutilés et, pour le reste, d'une interprétation souvent conjecturale. Les versions des mythographes présentent des variantes importantes, en particulier sur la scène capitale de la reconnaissance de Päris. De fait, un sujet aussi dramatique avait été plusieurs fois porté sur le théátre, par

Sophocle avant Euripide, par Nicomaque et par Ennius aprés lui. De nouveaux motifs avaient été introduits plus tard par Euphorion, puis par Néron, dans ses Troica, d'où le caractère souvent composite des récits tardifs. Enfin, les représentations figurées, qui

s'inspirent trés probablement

d'Euripide,

ne sont pas non

plus

des guides sürs : outre qu'il n'est pas toujours facile de mettre un nom sur les figures, les artistes étrusques, peu soucieux d'exactitude, avaient l'habitude de grouper tous les personnages de la piéce dans un seul tableau synthétique. On ne s'étonnera donc pas que les divers essais de reconstitution

tentés depuis 1922 présentent de notables divergences. Si l'étude de B. Snell, qui a rassemblé et classé avec beaucoup de sagacité presque tous les matériaux disponibles, parait sur bien des points définitive, certaines de ses conclusions n'en sont pas moins discutables. En partant des travaux antérieurs, nous indiquerons comment, à notre avis, s'enchatnent les scénes qui sont indiquées par les différentes sources. Pour le papyrus de Strasbourg, plutót que de proposer des compléments qui laissent une large part à l'arbitraire, nous restituerons, quand nous le pourrons, le sens général. D'autre part, sans nous priver d'utiliser les morceaux d'attribution

incertaine et les fragments d'Ennius, qui seront indiqués en note, nous ne traduirons que les vers appartenant sans conteste à la piéce d'Euripide (1). La scéne était à Troie : au milieu du théátre, l'autel de Zeus Herkeios. Au fond, le palais de Priam et le sanctuaire d'Apollon.

Le prologue devait étre dit par Cassandre (2), comme (1)

Pour

chaque

fragment,

nous

donnerons

entre

parenthèses

la

dans le

numérotation

de Snell. Nous proposons la distribution des róles suivante : Protagoniste : Alexandre - Hector - Le Messager. Deutéragoniste : Hécube - Priam.

Tritagoniste

: Cassandre - Deiphobe - Le

Vieillard - Aphrodite.

Chœur troyen - Chœur secondaire de bergers. (2) C'est l'avis de Snell, Page, Menegazzi, Parmentier (notice des Troyennes, p. 4) ; Lefke hésite entre Cassandre et Aphrodite (mais cette derniére intervenait plutót au dénouement): Pickard-Cambridge balance entre Aphrodite et Hécube ; Stinton

propose Aphrudite ou Apollon ; d'après Scheidweiler, Hécube assisterait au monologue

L'ALEXANDROS

drame étant

d'Ennius. enceinte,

La crut

fille d'Hécube en

rêve

117

rappelait

donner

comment

naissance

à

une

celle-ci, torche

ardente (1). Bouleversé par ce songe, Priam consulta les interprétes, qui furent d'avis de supprimer l'enfant, destiné à causer la ruine de Troie. Les vers d'Andromaque cités plus haut donnent à penser que ce fut Cassandre elle-méme, inspirée par Apollon, qui expliqua le songe d'Hécube (2). Si elle ne persuada pas les Troyens de mettre l'enfant à mort sur le champ, il fut confié à un serviteur qui reçut mission de le tuer ou de l'exposer sur l'Ida (3). Cassandre devait ajouter qu'Hécube ne se consola jamais de la perte de son enfant. Depuis, : «le pied du temps

a marché » (4).

de Cassandre en personnage muet, mais aucune raison impérieuse ne justifle sa présence, comme c'est le cas pour Aethra danales Supplianies ou pour Mégara dans Héraclès Furieux.

(1) Cf. Ennius, fr. 38-39 (1 Sn): « Mater gravida parere se ardentem facem Visa est in somnis Hecuba »,

et Ascl. Tr., fr. 12; Lyc., Aler., Ov., Hér., XVI, 237-40 ; Hyg., ad En., VII, 320; X, 705 ; sc. (2) Cf. Ennius, fr. 40-48 (1 « Rex

ipse

perculsus,

:

1362-63 et sc. 86 ; 224 ; 913 ; Virg., En., VII, 319-322 ; f. 91 et 249 ; Sen., Agam., 706 ; Apd., III, 12, 5 ; Serv., MA, Eur., An. 293. Sn): Priamus

somnio

curis sumptus

mentis

metu

suspirantibus

exsacriflcat hostiis balantibus. Tum conjecturam postulat pacem petens ut se edoceret obsecrans Apollinem quo sese vertant tantae sortes somnium. Ibi ex oraclo voce divina edidit Apollon puerum primus Priamo qui foret postella natus temperaret tollere; eum esse exitium Troiae, pestem Pergamo. » Le poéte latin parle d'un oracle rendu par Apollon, mais dans son modéle grec, la piéce d'Euripide, Cassandre pouvait seulement exprimer la volonté du dieu (cf.

C. Robert, p. 980). Sur Cassandre exégéte des réves, cf. infra, p. 137, n. 4. Quelques sources citent des «interprètes de songes » anonymes (Ascl. Tr., fr. 12; Hyg., f. 91; sc. Lyc. 86), les autres des « prêtres ». D'après une tradition qui remonte à Lycophron

(v. 224-25) et Euphorion (fr. 55 P.), Priam fut conseillé par le devin Aesacos (cf. Apd., 111, 12, 5). (3) Il y a quelque flottement dans nos témoignages sur ce point, ainsi que sur le partage des responsabilités entre Priam, Hécube et le vieux serviteur chargé d'exécuter l'ordre (cf. Wüst, col. 1491-92). L'ordre d'exposer Páris semble, chez Euripide, émaner de Priam : cf. IA 1284-88 :

« Ntpó6oXov Φρυγῶν νάπος Ἴδας τ᾽ ὄρεα, Πρίαμος ὅθι ποτὲ βρέφος ἁπαλὸν Ehe

ματέρος ἀποπρὸ νοσφίσας ἐπὶ μόρῳ θανατόεντι Πάριν. » Cf. aussi Apd., /. c. Snell estime que l'exposition est plutôt le fait d'Hécube (sc. An. 293 ; sc. Lyc.

(4) pas

138).

Fr. 42 (2 Sn) : ...

certaine.

« Kal χρόνου προύθαινε πούς. » La place

du

fragment

n'est

118

EURIPIDE

ET

LES

LÉGENDES

DES

CHANTS

CYPRIENS

Le jour anniversaire de cet événement est arrivé. Hécube et Priam ont décidé de célébrer à la mémoire de leur fils une féte expiatoire, marquée par des compétitions gymniques (1). La plupart des éditeurs placent la parodos aussitót aprés le monologue de Cassandre. Cependant, dans les piéces d'Euripide, il est rare que le prologue ne comporte qu'une scéne. Il en comporte

au

moins

deux,

et le plus souvent

un

second

personnage

vient rejoindre celui qui a fait l'exposition (2). Nous pensons qu'il s'agit ici de Priam, qui sort du palais pour gagner l'emplacement des jeux. Le papyrus de Strasbourg nous donne quelques linéaments de cette scéne (3). Priam entre, sans doute porteur d'un sceptre orné d'un oiseau (4). Des quelques mots assurés cà et là (5), on peut déduire qu'au cours des jeux expiatoires (v. 2) a éclaté une violente querelle (v. 3-4), sans doute parce qu'un serviteur (v. 5) a prétendu y participer. Priam doit se háter de s'y rendre sur son char (v. 6) pour éviter que les jeunes gens ne

s'entretuent (v. 7) à l'occasion de ces jeux célébrés en l'honneur de l'enfant disparu (v. 8). Il est encore question de ces jeux funéraires et de leur róle purificateur dans les vers suivants (v. 10-13), mais le sens est trés incertain. Il paratt étre ensuite parlé d'efforts (1)

Plutôt qu'une fête annuelle (Snell), on songerait à une fête unique, par exemple

pour le vingtiéme anniversaire de la fatale naissance. (2) La deuxième scène n'est absente que des Suppliantes et des Bacchantes. Entrée d'un second personnage dans neuf des piéces conservées. (3) Fr. IIIa Cr. (16 Sn). (4) Ar., Ois., 512 (de 414). Cf. Snell, p. 34, n. 3. (5) En adoptant une partie des restitutions proposées en particulier par Scheidweiler, on lira :

2

Ἰτάσίδε θεὶς λυτη[ρίους

ἀἸθλίω[ς.

. . πι]κρὰν

πο]λλοῖς ἔριν

Ἰὼς εἰἴ]δηις, λάτρις

ἔνθε]νδε πω[λι]χκοῖς ὄχοις

Ἶντα τη[λίκ]ους θανεῖν Jév τετίμη[κ]ας τέκνων

10

αι γὰ]ρ΄ οἴπερ ἵσταν[τ]αι πόν[οι

Ἰτήνδ᾽ ἀφαγνίζεις χθόνα

xall ἐπικηδείους πόνους be ἤδη πόλιν

xp|ówot σπουδὴ «ν» λάβηι

ο]ὐδὲν ὦ «ι.» νέμων πόλιν 15

(μένων II)

ἀνάσ]τασίν τε γῆς

πορσ[ύν]οις κακῶν 19

τ]ῶι τεθ[ν]ηκότι Ἰχαλὸν τόδε.

Les compléments de Scheidweiler pour différent de celui que nous indiquons.

les débuts

des vers

donnent

un

sens assez

L'ALEXANDROS

pour éviter la subversion du pays ses malheurs (v. 14-17). Aprés Scheidweiler attribue à la réponse papyrus une lacune de 19 vers 17 autres. Ils pouvaient appartenir

et les de et à

119

pour trouver un reméde à deux derniers vers, que Priam, on trouve dans le les restes insigniflants de la fin de cette scéne ou au

début de la parodos. La composition du chœur n'est pas connue

avec certitude : il

était formé, soit de jeunes filles, soit plutôt de vieillards troyens (1). Un fragment conservé pourrait appartenir à la parodos, qui serait dans ce cas de rythme anapestique et attesterait le retour d'Euripide au mètre utilisé en particulier par Eschyle. de la mort de Páris, le chœur déclarait :

A propos

« Tous nous devons mourir, mais cette douleur nous exerce à en souffrir modérément » (2).

la sagesse

commune,

Avant la fin des jeux devaient prendre place encore deux scènes : l'une qui nous apprenait que l'enfant exposé sur l’Ida et le compé-

titeur inconnu étaient un seul et méme personnage, l'autre qui montrait toujours ouverte au cœur d'Hécube la blessure causée par la disparition de l'enfant. Nous pensons qu'aussitót aprés la parodos entrait le vieil esclave qui avait accompagné Páris aux jeux et qui connaissait son origine. Cet antique serviteur de la famille

de Priam

avait jadis reçu

l'ordre

de tuer

l'enfant,

mais,

par pitié, il l'avait seulement abandonné sur l'Ida. Beaucoup plus tard, chargé d'aller chercher parmi les troupeaux du roi le taureau destiné à récompenser le vainqueur du concours, il avait retrouvé l'enfant qu'il croyait mort, mais qui avait été recueilli et élevé par des bergers (3). D'aprés un témoignage de Varron sur Ennius, nous savons qu'Euripide avait donné une explication étymologique du double nom Päris-Alexandre. Le vieillard devait dire comment (1) Chœur

de jeunes

filles (d'après

Ennius,

fr. 59 W

(8 Sn), où Cassandre

dit :

« virginis vereor aequalis »), pour Hartung et Ribbeck ; cf. encore Pickard-Cambridge,

p. 138 ; J. Lammers, Die Doppel-und Halbchüre in der antiken Trag., Paderborn, 1931, p. 107. Chœur d'hommes pour Welcker, Lefke, Snell, Scheidweiler, Menegazzi. Les choreutes seraient ces « Troyens amis des chevaux » qu'apostrophe un des personnages de la pièce (fr. inc. 935 = 9 Sn). Ce sont sans doute des vieillards, les δαμογέροντες cités dans Andromaque (300). Un chœur de vieillards troyens serait plus indiqué pour

tenir tête au

chœur

secondaire

de bergers

(2) Fr. 46 (= 3 Sn) : « Πάντων τὸ θανεῖν

(cf. infra,

p.

127).

᾿ τὸ δὲ κοινὸν ἄχος

μετρίως ἀλγεῖν σοφία μελετᾷ.»

Snell, p. 27, pense que ces vers étaient plutót des paroles de consolation adressées par le chœur à Hécube. Crónert attribue aussi, mais sans beaucoup de vraisemblance, un petit fragment papyrologique trés mutilé (Fr. VII — 46 Sn) à la parodos. (3) D'après Apollodore (III, 12, 5), c'était le vieillard lui-même qui avait élevé Páris. La solution que nous proposons (à la suite de Snell, p. 64) s'accorde mieux avec Tr. 921 et le récit d'Hygin. Ce vieillard devait rester anonyme chez Euripide (Apd., L. c., l'appelle Agélaos ; la sc. Lyc. 138, Archélaos, et la sc. A en I' 325, Archialas).

120

EURIPIDE

ET

LES

LÉGENDES

DES

CHANTS

CYPRIENS

Páris, vivant au milieu des pátres, avait mérité par son courage — peut-être en protégeant ses troupeaux contre les brigands — le surnom d'Alexandre, le « Défenseur » (1). Sans doute disait-il aussi comment les bergers l'avaient d'abord appelé Páris, du nom de la besace dans laquelle ils l'avaient trouvé (2). Le jeune homme,

peut-étre poussé par Aphrodite, mais surtout par le désir de conserver l'animal que l'émissaire de Priam avait choisi dans son troupeau (3), s'était mis en route vers Troie. Mais, si la reconnaissance est telle que nous l'imaginons,

le vieux serviteur, sans lui

révéler sa naissance, l'avait mis en garde contre les dangers qu'il courait dans cette ville. Il l'avait prévenu qu'il ne devait ni parler de son exposition, ni chercher à connaitre ses origines, car leur

vie à tous deux dépendait d'une telle révélation. Le chœur, mis ainsi

dans

avant

le secret,

que

devait

assurer

ce dernier ne quittát

le vieillard

la scéne

pour

de

sa

discrétion,

se rendre

sur le

théátre des jeux. Ensuite,

Hécube

venait

s'entretenir

avec

le chœur

des

tristes

souvenirs qu'évoquait pour elle cette journée. Mais les consolations bavardes prodiguées par le coryphée à la reine prenaient un autre sens si la confidence du vieux serviteur lui avait révélé que le fils tant pleuré était vivant. Quelques fragments de cette stichomythie ont été conservés par la tradition indirecte. Le chœur disait : « Ainsi

aucun

homme

ne connaît

un

bonheur

complet » (4).

Il échangeait avec Hécube ces répliques : « Le chœur:

Je sais; cependant,

il faut avec le temps

faire fléchir ses

chagrins. Hécube: Il le faudrait, mais il est plus facile de le dire que de supporter son mal (5). »

(1)

Fr. 64 (17 Sn) : Varr., De L. L., VII, 82; Apd., l. c.; sc. An. 293; cf. Tr. 920-22:

« Πάριν ... ᾿Αλέξανδρόν ποτε ». Voir aussi les Prolégoménes du ms. homérique Monacensis 311, cités par P. Mertens,

AC,

29 (1960),

p. 21.

(2) «'O ἐν τῇ πήρᾳ τραφείς », sc. An. 293; cf. sc. Lyc. 183. Cette étymologie

ne

paraît pas venir de Sophocle, comme l'indique Wüst, col. 1485, puisque, d'après ce tragique, l'enfant avait été exposé dans un pot de terre (Priam, fr. 532 P., que Welcker rapportait avec beaucoup de vraisemblance à l'exposition de Pâris). I] resterait à expliquer le surnom d'Idaeos qu'Euripide accole avec une étrange insistance au nom

de Päris : « Πάριν

ὃς ᾽Ιδαῖος | ᾿Ιδαῖος ἐλέγετ᾽ ἐλέγετ᾽ ἐν Φρύγων

πόλει...» (LA 1287-

88) ; cf. An. 293-94 ; Héc. 944 ; HL 29. Est-ce le nom qu'il reçut à sa naissance, ou un surnom que lui attira son aventure (comme le pense Türk, col. 1593) ? Nous ne pouvons le préciser.

(3) codd.)

(4)

Snell, p. 64, n. 1, suggère que le fr. 82 W. d'Ennius (= 61 Sn) : « A medio (amidio purus

putus », pourrait

Fr. 45 (4 Sn) : «"Nor’

(5) Fr. 44 (5 Sn) : « «XO» «EK.»

appartenir

à la description

du taureau.

οὔτις ἀνδρῶν εἰς ἅπαντ᾽ εὐδαιμονεῖ » (cf. Tr. 509-510).

OS * ἀλλὰ κάμπτειν τῷ χρόνῳ λύπας χρεών. Χρῆν ᾿ τοῦτο δ᾽ εἰπεῖν ῥᾷον À φέρειν κακά.»

L'ALEXANDROS

121

Le papyrus de Strasbourg nous a également rendu une partie de cette stichomythie.

Bien que trés mutilé ici encore,

ce fragment

permet de saisir le sens général : « Le cheur: Hécube:

Le

Ta demeure

Mais

chœur:

je pleure

Malheureux

Hécube: Oui, nous fut notre infortune).

Le chœur:

est pleine d'enfants... le nouveau-né

Priam

savons

(que j'ai perdu).

et (malheureuse

bien,

nous

qui

mère) |!

en fümes

les victimes

(quelle

Il ne faut pas lamenter les vieilles peines avec de nouveaux

leurs.

Y

Hécube: Le

C'est un étranger,

chœur:

L'enfant,

à ce

et non qu'on

la mère

dit,

est

(qui

parle ainsi).

mort...»

(1).

D'aprés les débuts des trois vers suivants, sans doute prononcés par Hécube,

celle-ci ne semble plus trouver aucun plaisir à la vie

et apparatt comme

inconsolable (2).

À ce moment, le coryphée annonce la venue de Cassandre, sortant du temple d'Apollon : « Le chœur: Voici que j'aperçois ta fille Cassandre. Elle arrive, venant du sanctuaire étincelant...» (3).

Snell pense que la jeune

fille, en proie à un délire prophétique

inspiré par Apollon, révélait alors l'arrivée de Päris et tous les malheurs qui menagaient Troie dans la suite des temps : ainsi,

dés le début, les prédictions dominaient hypothése

nouvelle,

vigoureusement

toute la trilogie. Cette

soutenue

par

son

auteur,

résout la difficulté de donner une matiére à la scéne entre Hécube et Cassandre, et elle a emporté l'adhésion de plusieurs critiques (4). Elle contredit cependant le témoignage d'Hygin, qui place les

vaticinations

de la fille de Priam

(1) Fr. I Cr., 1-7 (6 Sn) : « «XO»

5

lors de la reconnaissance

Ἔστιν τέκνων σοι | πλ[ῆρες...

«EK»

'E[yó δὲ θρ]ηνῶ γ᾽ ὅτι βρ[ ἐφος...

«XO» «EK»

Τλήμων γε Πρίαμος x| αἱ... ‘OK ἴσμεν οἱ παθόντες

«XO»

Παλαιὰ και[νοῖΪΐς δακρ[ύοις οὐ χρὴ στένειν

(=

de

Fr. 43)

«EK» Ejelvov τις, ἡ τεκοῦσ[α «XO» ὋὉ πα]ῖς μέν, ὥς φασιν, ὥλετ᾽ [ » (2) Ibid., 8-10 : « «EK»

... ux]x&ptov τἄρα οὐκί

Ἰἐστὶ rot’ éuolll κή[δὴ τερ]πνὰς πρὸς xax[Gv|| ᾿ νῦν δ᾽» Nous complétons la fin des vers 9 et 10 avec un petit fragment (XVII Cr., 1-2 = 55 Sn) qui pourrait,

d'aprés

Snell, se placer aux

(3) Fr. I Cr., 11-124- Fr. XVII

« «XO.»

environs

des fr. 6 et 7.

Cr., 3-4 :

Καὶ μὴν δέ]δορκα παῖδα xi. naa ἤχουσα]ν ἀδύτων ὦ[ δε] ]λιπαρὶ Gv... »

σέθεν

(cf. Bacchyl., XVI, 29 : «λιπαρὸν ποτὶ δόμον ».) (4) Snell, p. 24-33. Cette hypothése est acceptée par Page, Menegazzi, Scheidweiler, Stinton.

122

EURIPIDE

ET

LES LÉGENDES

DES

CHANTS

CYPRIENS

Páris, ainsi que celui des urnes étrusques. Mais ce sont surtout des raisons d'économie théátrale qui nous aménent à l'écarter. Placée ici, cette scéne d'une grande intensité dramatique affaiblirait l'intérét des épisodes suivants. Au contraire, les prédictions

de Cassandre survenant au moment méme oü Priam et Hécube sont tout traste un celle-ci ? tible dans racontait Murray

à la joie d'avoir retrouvé leur fils prendraient par conrelief plus saisissant (1). Quel serait alors le sujet de La jeune fille, dont le trouble devait déjà étre percepson entretien avec Priam, aurait-elle eu un songe qu'elle à sa mère ? Certains mots le laisseraient penser (2).

(3), s'appuyant sur un fragment du papyrus, a émis une

autre idée : il a supposé qu'au vainqueur était promis, outre le taureau, la main de Cassandre. Cette derniére exprimerait alors sa répugnance, et l'union projetée formerait le pendant de celle qui lui est imposée dans les Troyennes. L'hypothése est ingénieuse, mais trop fragile pour qu'on puisse en faire vraiment état. Tout ce que l'on peut dire, c'est que Cassandre gardait ici cette «sage modestie de vierge » qu'Hécube elle à la fin de la piéce (4).

s'étonnera de ne plus trouver en

Venait ensuite le premier slasimon, dont rien ne permet de déterminer le théme. Pendant ce temps, les jeux se sont déroulés. Le papyrus nous présente un personnage — sans doute un Messager distinct du vieux serviteur (5) — qui fait connattre leur issue à son interlocuteur, le coryphée. Comme dans Iphigénie en Tauride (6), le choeur accueille le premier les nouvelles, avant que n'apparaisse leur principal destinataire, ici Hécube. Les vieillards apprennent donc que le berger inconnu s'est montré le plus fort et a été couronné,

à la satisfaction du public touché par son habileté et sa beauté. Priam a remis lui-méme au triomphateur la couronne, sans doute

(1) C'était l'opinion générale avant l'article de Snell (Welcker, Crönert,

Wilamowitz,

Pickard-Cambridge,

Lefke), et de nombreux

Ribbeck,

Robert,

critiques s'y sont

tenus par la suite (Schmid-Stählin, Davreux, Del Grande, Strzelecki, Schiassi, Pohlenz, Lanza). Voir en particulier les arguments de M. Pohlenz, II, p. 149-150 ; Strzelecki, p. 23; Lanza, p. 232-35. (2) Ennius, fr. 427 W. (— 12 Sn.) : Hécube: « Certains songes sont véridiques, il n'est pas obligé que tous le soient .» Warmington place le vers parmi de comédie, et l'attribution de Snell (p. 31) est trés conjecturale.

les fragments

(3) P. 132, d'après le fr. XI Cr. (= 49 Sn) où on lit : γάμῳ νιν el καὶ. Mais il peut aussi s'agir du mariage d'Hector

(4) Ennius

fr. 58 W.

(cf. Fr. 23, 17 Sn, infra, p. 124).

(8, 2 Sn). Hec.:

«Aut

ubl illa paullo ante sgpiens virginali'

modestia ? »

(5) C'est l'opinion de Snell, p. 36. Pour qui parle.

(6) 1284-1303.

Crönert,

c'est le vieil esclave lui-même

L'ALEXANDROS

193

faite de feuilles d'olivier (1). Sur ces entrefaites survient Hécube, curieuse de connattre le nom du vainqueur (2). Le Messager devait entamer

alors un récit en forme

: énumération

des participants,

Mestor, Hélénos, Déiphobe, Polités, Téléphe, Cycnos, Sarpédon, Hector, Ilionée (3)... «et bien d'autres dont la pauvreté obscurcit le nom » (4), parmi lesquels notre berger ; préparatifs du combat,

et peut-être altercation entre Päris et Déiphobe (5) ; récit de la compétition, course ou pentathlon (6). Le Messager, en terminant, devait indiquer les réactions diverses devant le succés de l'obscur berger : fureur des princes troyens, étonnement admiratif de la foule. Hécube ne pouvait que prendre le parti de ses fils contre l'intrus, fils d'une esclave.

La reine assistait sans doute à l'arrivée d'Hector et de Déiphobe (7), dont un important fragment de papyrus nous a restitué la conversation. Les deux fréres entraient en se disputant : « Le cheur: Mais j'apercois Hector et son frére, tes enfants qui rentrent des

épreuves

Déiphobe:

du

concours...

(Je

déteste)

Ils en sont

quiconque

venus

à se disputer.

a un caractére

tranchant,

mais

qui

s'émousse dans l'infortune. Heclor: (Et moi) celui qui (grossit) de faibles griefs au point de se créer des sujets de crainte. Déiphobe: (Allons), mon frère Hector, ton cœur ne souffre-t-il pas de te voir ravir le prix par un esclave ?

(1) Fr. II Cr (18 Sn) :

5 « «AIT.»

10

Κρείσσω «ν» πεφυχὼς[

«XO.»

"H καὶ στέφουσιν αὐτὸν

«ATT.»

Kal φασιν εἶναί γ᾽ ἄξιον

«ΧΟ.» «ATT.» «ΧΟ.»

'O δ᾽ ὧδε μορφῇ eris [um “ΑἈπανθ᾽ ὅσ᾽ ἄνδρα χρὴ Ἰγ᾿ἂν βουχ[όλος

«ΧΟ.» «ATT.»

᾿Αγῶνα ποῦ χ[ρινοῦσι; Πρίαμος τίθησινί

«ΧΟ.»

15 «ATT.»

El τόνδε νυκητί pa,

Ἵερὸε τ᾽ [ἐλα](δ[ oc.. » (Sn.; ταῦρος Lefke; θάλλος Page, Scheidweiler).

(2) Ennius, fr. 50-51 W. (19 Sn) : « Depuis longtemps mon âme et mes oreilles aspirent avidement à apprendre les nouvelles des jeux. » (3) Hygin (f. 273) cite les 7 premiers, parmi lesquels, au lieu du Priamide Mestor, . Nestor, fils de Nélée (Robert, p. 982, n. 3). Snell (fr. 65) attribue à l'Alezandros le Ir. adesp. 289 N° qui nomme «les Hectors et les Sarpédons ». Ovide (Hér., XV, 360) mentionne Ilionée et Déiphobe. (4) Ennius, fr. 53 W. (20 Sn), vers imité par Virgile, En. V, 302. (5)

Ennius,

fr. 52

W.

(21

Sn)

: « Il interpelle

sot ? ». Il ne comprend paa... » (6) Course : Hygin. Pentathlon : Ennius

l'homme

: « Pourquoi

badines-tu,

(adesp. 6 R. — 22 Sn), qui traduisait le

mot par quinquerlium, épreuve où un personnage «l'emportait sur tous ceux de son âge ». Ovide semble suivre la méme tradition : cf. Hér., XV, 359 : « Vario certamine ».

D'aprés Lycophron, Alez. 169-171, Páris (7) Comme le croit Snell (p. 38).

fut vainqueur

d'Hector

à la lutte.

124

EURIPIDE

Heclor: (le hair).

Tu Il n'y

ET

LES

LÉGENDES

perds par trop courage, a pas

lieu

d'avoir

DES

CHANTS

Déiphobe.

le cœur

CYPRIENS

Pourquoi

me

faudrait-il

brisé.

Déiphobe: ... Tu en prends facilement ton parti. Troyens (que tu es vaincu par un esclave) » (1).

Il sera

clair pour

les

La fin du fragment, en mauvais état, peut faire croire qu'Hector est jeune marié et que Déiphobe voit dans cette circonstance la cause de sa lácheté (2). Déiphobe, lui, ne cachera pas sa juste colére : la suite montre qu'il fera appel devant Priam de cette victoire scandaleuse. Si Hécube était encore en scéne, elle prenait à coup sür le parti de Déiphobe contre Hector. Aprés leur sortie, le chœur chantait le second slasimon.

Enfin entrait Páris.

Le héros du jour était accompagné

d'un

chœur secondaire de bergers de l'Ida (3), qui rehaussaient par leur présence et leurs chants cette arrivée habilement différée par le poète. Le coryphée du chœur principal se déclarait frappé de sa

ressemblance avec les Priamides (4). Le roi entrait ensuite et le chœur troyen l'accueillait par ces mots (1) Fr. IV Cr. (22 8n.)

:

« «XO»

:

᾿Αλλ' εἰσορῶ γὰρ] “Ἕκτορα ἐξ ἀγωνίων

Cr.

ἥκοντα μόΪχθων σύγγονόν τε παῖδε σώ, Jelc θ᾽ ἅμιλλαν ἤκουσιν λόγων. «AH.» ...... ob dtv’, ὅστις ἐστὶ δυσχερής τοῖς κακοῖσι μαλθάσσει φρένας.

ὄσίτις μίκρ᾽ ἔχων ἐγκλήματα δεινὸν νομίζει καὶ συνέστηκεν p66w. «AH.» Ἰκασίγνηθ’ "Excop, οὐκ ἀλγεῖς ppévalc

5

10

Cr.

δούλου, παρ᾽] ἀνδρὸς ἄθλα ἀπεστερημένίος ; Wil. «ΕΚΤ.»

Alav ἀθυ]μεῖς, Δηίφοθε * τί γάρ με δεῖ Wil. μισεῖν νιν ; οὔ τοι] καιρὸς ὠδινεῖν op[£]vac. Sn.

«AH.» 15

Cr.

«EKT.» «AH.»

Ju ῥαδίως φέρεις τάδε Φρ]υξὶν ἐμφανὴς ἔσει. ..ó]s; νέον φῦσαί nel

βο]ύλεται 8’ οὐ σωφρ[ονεῖν A

Page

Cr.

«XT»0l

x |x «0 »ἔστηκεν

στ]έγω γὰρ οὐ xó[Xov.»

Cr.

Il y a encore trace de deux vers. (2) Ibid., v. 17. Au prix, naturellement, d'une entorse à la chronologie de l' Iliade. Mais quel serait l'áge de Cassandre lors de la prise de Troie, si elle était déjà adolescente

à la naissance de Paris! (3) Comme dans Hippolyle et Anliope (sc. MNAB, Hipp. 58 = fr. 24 Sn). Il n'est pas sûr qu'il y ait eu un chant de parodos. Sur le rôle de ce chœur secondaire, cf. J. Lammers, Die Doppel-und Halbchôre in der antiken Trag., Diss., Paderborn, 1931, p. 106109; D. Lanza, p. 235 sqq.

(4)

Fr.

adesp.

286

(25

Sn)

: ε'ῆς Πριαμίδαισιν

ἐμφερὴς



βουκόλος » ; cf. Ov.,

Hér., XV, 51. Hartung donnait ce vers à Priam, Wilamowitz et Crónert à Hécube. L'appartenance à notre piéce n'est pas certaine, mais elle est vraisemblable. Menegazzi

voyait dans cette exclamation du

berger.

du chœur

l'indice qu'il connaissait

déjà les origines

L'ALEXANDROS « Du

côté



tu

aurais



être

125

victorieux,

tu

es malheureux,

seigneur,

et du côté où tu n'aurais pas dû l'être, tu es heureux : car, parmi les tiens, c'est

aux

esclaves

que

tu dois

la victoire,

et non

aux

hommes

libres » (1).

La présence de Déiphobe, qui accompagnait son père, provoquait entre Páris et lui une discussion Priam

en

était

l'arbitre,

et

le

qui prenait la forme d'un agón. débat

se

déroulait

selon

l'ordre

accoutumé : discours de Déiphobe, le plaignant, défense de Páris, jugement de Priam. Le débat partait sans doute d'un point de droit : un esclave peut-il participer à des jeux ? Mais il s'élargissait vite,

Déiphobe

s'en

prenant

aux

esclaves,

Páris

aux

riches.

A

défaut de pouvoir rétablir le plan du discours de Déiphobe, nous donnerons quelques-uns de ses arguments,

tels que

nous

les ont

conservés les auteurs de floriléges, surtout Stobée. Le conformiste Déiphobe affirme que les esclaves ne doivent pas chercher à sortir de leur condition, « car il n'est pas bon de posséder des esclaves supérieurs à leurs maîtres (2). » « Tu es sage, Priam. Cependant, je te le dis, un esclave qui se croit plus qu'il ne doit se croire, il n'y a pas de calamité plus grande, ni, pour une demeure,

d'acquisition

plus fâcheuse et plus inutile » (3).

« Je te l'ai démontré en

ventre,

: les esclaves sont bien

et incapable

de

rien

voir

une

méchante

race, toute

au-delà » (4).

Il faut donc les tenir par la crainte, car « existe-t-il un

esclave

qui

n'appréhende

pas

Entre eux et leur maitre, pas d'intimité

la mort ? » (5).

possible :

« Les esclaves qui ont de l'affection pour la race des maîtres déchaînent chez leurs semblables une grande guerre » (6).

(1) Fr. 47 (26 Sn) : α "Ὅθεν δὲ νικᾶν χρῆν σε, δυστυχεῖς, ἄναξ

'

ὅθεν δέ σ᾽ οὐ χρῆν, εὐτυχεῖς. Δούλοισι γὰρ τοῖς

σοῖσι

νικᾶς,

τοῖς

δ᾽ ἐλευθέροισιν

où.»

(2) Fr. 51 (28 Sn) : «........... δούλους γὰρ οὐ καλὸν πεπᾶσθαι κρείσσονας τῶν δεσποτῶν.» (3) Fr. 48 (32 Sn) : « Σοφὸς μὲν οὖν εἶ, Πρίαμ᾽, ὅμως δέ σοι λέγω δούλου φρονοῦντος μᾶλλον À φρονεῖν χρεών,

*

οὐκ ἔστιν ἄχθος μεῖζον οὐδὲ δώμασιν κτῆσις κακίων οὐδ᾽ ἀνωφελεστέρα.» Ces vers sont cités d'une manière un peu différente sur la base de l'Hermés d'Euripide de Copenhague.

Pour l'idée, voir encore

le fr. 216

fAnliope).

(4) Fr. 49 (33 Sn) : «"H»eyyov ᾿ οὕτω γὰρ κακὸν δούλων γένος ' γαστὴρ ἅπαντα, τοὐπίσω δ᾽ οὐδὲν σκοπεῖ.» Snell,

p.

40,

place

dans

ce

discours

le fr. inc.

1068

(=

31):

«Ob γάρ τις οὕτω παῖδας εὖ παιδεύσεται,

ὥστ᾽ ἐκ πονηρῶν μὴ οὐ κακοὺς πεφυκέναι. » (5) Fr. inc. 958 (62 Sn) : « Τίς δ᾽ ἔστι δοῦλος τοῦ θανεῖν ἄφροντις ὦν ;» (6) Fr. 50 (27 Sn) : « Δούλων ὅσοι φιλοῦσι δεσποτῶν γένος, πρὺς τῶν ὁμοίων πόλεμον αἴρονται uépav. »

126

EURIPIDE

ET LES

LÉGENDES

DES

CHANTS

CYPRIENS

Enfin un dernier fragment : « Les

vilains

se marient

toujours

entre

eux »

(1),

pourrait se présenter comme une protestation contre l'union prévue avec Cassandre. Le

discours

de

recourir à toutes

Déiphobe

devait étre

habilement

construit

les ressources de l'argumentation

et

sophistique.

Au début de sa réponse, au contraire, le berger Páris avouait son

inexpérience et son appréhension, tout comme un client des logographes d'Athénes : « Seigneur, la calomnie est un terrible mal pour les humains. Une langue maladroite

a souvent

il est vaincu

fait punir

un

homme

: sa

cause

a beau

étre juste,

par une langue habile » (2).

Il déclarait, visant son interlocuteur : « Je hais celui qui posséde la science de la parole sans la science de se rendre utile » (3).

Passant à son tour à l'attaque, il dénongait les riches : « La richesse est injuste, elle fausse souvent la conduite » (4). « Ce serait un bien mauvais moyen d'apprendre aux hommes le courage

que la richesse et le luxe excessif. La pauvreté, quelque triste qu'elle soit, est pour les enfants une meilleure école d'endurance Sur la folie de faire confiance

et d'énergie » (5).

à un esclave, cf. aussi le fr. 86

(Alcméon

à Psophis):

cité dans le PSI 1302. Snell rattache encore à ce développement le fr. inc. 976 (= 30), « Fréquenter les fils d'esclaves, c'est les rendre insolents. » R. Goossens, p. 535, n. 19, rapproche de ces vers le portrait de l'esclave de comédie tel que le présentent lee Grenouilles, 741-755. |

(1) Fr. 59 (29 Sn) : «’Ex τῶν ὁμοίων ol κακοὶ γαμοῦσ᾽ del.» Kaxol, dans la bouche de Déiphobe, doit avoir un sens à la fois social et moral.

(2) Fr. 56 (34 Sn) : «"Ava£, διαδολαὶ δεινὸν ἀνθρώποις κακόν, ἀγλωσσίᾳ δὲ πολλάκις ληφθεὶς ἀνήρ, δίκαια λέξας, ἧσσον εὐγλώσσου

φέρει.»

S. Luria (Aeg., 5 (1924), p. 326-330) reconnaissait dans le mot ἀγλωττία

un terme

propre à Antiphon, ce qui a été contesté par plusieurs critiques. Conclusions modérées de Lefke, p. 89-90. Sur la condamnation de la rhétorique dans l'Alerandros et dans l'ensemble de la trilogie, cf. infra, p. 141. Delebecque, p. 256, pense qu'on peut trouver dans ces vers, ainsi que dans le fr. 58, un souvenir de l'affaire de Mélos. (3) FEU (38 Sn) 5 € osuere ao oie oec Μισῶ σοφὸν

«ὄντ᾽ > ἐν λόγοισιν, ἐς 8°’ ὄνησιν οὐ σοφόν. » Nous adoptons

ici la correction de Meineke.

Pour l'idée, cf. Tr. 967-68 ; Pal., fr. 583.

(4) Fr. 55 (37 Sn) : « “ABixov ὁ πλοῦτος, πολλὰ δ᾽ οὐκ ὀρθῶς ποεῖ.» Cf. Archélaos, fr. 235 ; Polyidos, fr. 641.

(5) Fr. 54 (36 Sn) : « Kaxóv τι παίδευμ᾽ ἦν ἄρ᾽ εἰς εὐανδρίαν

ὁ πλοῦτος ἀνθρώποισιν af τ᾽ ἄγαν τρυφαί * πενία δὲ δύστηνον μέν, dXX" ὅμως τρέφει μοχθεῖν 7’ ἀμείνω τέκνα καὶ δραστηρία. » Ribbeck attribuait ce fragment au chœur de bergers, Wilamowitz au chœur principal. Pour le théme,

voir encore

le fr. 641.

L'ALEXANDROS

127

Dans un élan d'indignation, il s'écriait enfin : « Misérables, votre état d'esclaves lui donne,

à vous

ne tient pas au nom

qu'on

c'est votre destin qui vous l'a assigné » (1).

Quels que fussent ses autres arguments, Priam devait s'en déclarer satisfait et confirmer sa décision : Páris restait le vainqueur des jeux. Le roi lui accordait sa confiance et concluait : « Le temps me montrera par son comme bon ou méchant » (2).

témoignage

si je dois te reconnaître

Cette sentence ne désarmait naturellement pas l'hostilité de Déiphobe. Aprés la sortie des trois personnages, animés de sentiments divers, les deux chœurs s’affrontaient-ils en reprenant la controverse de leurs mattres ? L'hypothése, formulée par Welcker et reprise par Snell, est vraisemblable, car nous possédons les éléments de deux chants jambiques qui semblent se répondre (3). Le chœur des bergers renouvelait les attaques de Pâris contre l'orgueil des nobles : « C'est perdre ses mots que de vouloir vanter la noblesse parmi les mortels. Car jadis, aux

premiers temps

de notre existence,

quand

la terre, notre

mére, mit à part la race des humains, elle nous imprima à tous la méme apparence. Nous n'avions rien qui nous distinguait : c'était tout un pour la naissance, noblesse et roture ; mais le temps et l'usage ont créé cet orgueil. La vraie noblesse, c'est la raison et l'intelligence, présents du dieu et non de la richesse » (4). (1) Fr. 57 (38 Sn) : «'£1 παγχάχιστοι καὶ τὸ δοῦλον où λόγῳ

ἔχοντες, ἀλλὰ τῇ τύχῃ (φύσει Jacobs) κεκτημένοι. » Wilamowitz comme

(H, 62 (1927), p. 290) défend le texte traditionnel et considère la τύχη

le destin personnel

de chaque

homme.

R.

Goossens,

p. 535 ,n. 18, adopte

la

correction de Jacobs. Le poéte prend encore le parti des esclaves dans les fr. 511 ( Mélanippe); 831 (Phrizos; cf. Soph., fr. 940 P.). Voir encore infra, p. 141.

(2) Fr. 60 (39 Sn) : « Χρόνος δὲ δείξει «σ᾽», ᾧ τεκμηρίῳ μαϑὼν À χρηστὸν ὄντα γνώσομαί σ᾽ À θἄτερον. » (θάτερον Vitelll : κακόν codd.). Snell estime à juste titre que ce fragment est mieux à sa place ici qu'à la fin de la piéce. (3)

Avis contraire, cependant, de J. Lammers, o. c., p. 115, et surtout de D. Lanza,

p. 242-44, qui estime que le fr. 53, où le mot εὐγένεια aurait un sens purement moral, était chanté par le chœur principal. (4) Fr. 52 (40 Sn) : « Περισσόμυθος ὁ λόγος, εὐγένειαν el

βρότειον εὐλογήσομεν '

τὸ γὰρ πάλαι καὶ πρῶτον ὅτ᾽ ἐγενόμεθα διὰ 5

δ᾽ ἔκρινεν & τεκοῦσα γᾶ βροτούς, ὁμοίαν χθὼν ἅπασιν ἐξεπαίδευσεν ὄψιν. Ἴδιον οὐδὲν ἔσχομεν * μία δὲ γονὰ τό 7’ εὐγενὲς

10

«πέφυκε» xal τὸ δυσγενές, νόμῳ δὲ γαῦρον αὐτὸ χραίνει χρόνος. Τὸ φρόνιμον εὐγένεια καὶ τὸ συνετὸν ὃ «δὴ» θεὸς δίδωσιν, οὐχ ὁ πλοῦτος.»

128

EURIPIDE

ET

LES

LÉGENDES

DES

CHANTS

CYPRIENS

Un court fragment, lui aussi de rythme iambique, et répétant le mot « noblesse » devait appartenir à la réplique du chœur troyen : «Il n'y

a pas

de

noblesse

chez

les méchants,

mais

chez

les

honnétes

cens » (1).

Aprés la sortie du chœur des bergers, Hécube et Déiphobe revenaient en scène. À travers les vers fort altérés du papyrus, on peut comprendre qu'Hécube appelle Déiphobe à son aide : elle redoute les chuchotements des Troyens qui diront que le fils

d'une esclave a vaincu ses enfants. Elle ne peut supporter que les Troyens admirent un tel vainqueur et qu'il puisse se vanter de l'avoir emporté

sur la maison de Priam

(2). Le dialogue s'engage

alors avec Déiphobe (3) : « Déiphobe: Comment donc arriver à bon port ? Hécube: ... C'est de ta main qu'il doit périr. Déiphobe : Ce n'est certes pas sans que je le frappe qu'il gagnera l'Hadès.

Hécube : Où peut-il maintenant se trouver, avec sa couronne de victoire ? Déiphobe: Il remplit toute la ville de Troie de sa jactance (4). Hécube:

(Si tu le ramenais)

Déiphobe:

Pour

... puisqu'il

établir la colométrie

ici, il tomberait

l'emporte

dans

le filet.

sur tes enfants. »

de ce morceau,

nous

nous

sommes

inspiré de Wilamowitz

(0. c., p. 288-89) et de Snell, p. 40. Au v. 8, réquxe est ajouté par Wilamowitz, qui écrivait au v. 11 ὁ δὲ, que nous corrigeons en 6 δὴ. Wilamowitz distingue deux fragments différents.

Luria

(RhM,

78

(1929),

p. 248)

considére

les deux

derniers

vers

comme

interpolés. Sur l'influence probable d'Antiphon (fr. 5 Gernet), cf., outre Luria, Lefke, p. 89-90 ; Snell, I. c.; Goossens,

p. 511.

Pour

l'idée, voir

Soph.,

fr. 591

P.

(Teree);

Eur., Mélan. Ench., fr. 495, 40-43. (1) Fr. 53 (41 Sn) : « Οὐκ ἔστιν ἐν κακοῖσιν εὐγένεια, παρ᾽ &-

γαθοῖσι δ᾽ ἀνδρῶν

...»

Hartung avait rattaché à ce passage le fr. inc. 960, qui a été depuis complété par un papyrus (P. Ozy., IX, 1176 ; cf. D. L. Page, GLP, p. 154-55 ; fr. 63 Sn) : « Celui qui

peine

et qui

a le renom

d'un

honnéte

homme,

on l'appellera

mon

ami.

A

quol

bon, mortels, cette vaine manie d’entasser | Pensez-vous que la richesse puisse parfaire votre vertu ? Eh quoi ! Si vous possédiez gros comme le roc de l'Etna ou un bloc de Piérie en or massif dans le palais de vos pères... » (2) Fr. VIa, V, VIb, 1 (43 Sn). Les v. 1 à 10 sont réduits à quelques lettres, puis

il y a une lacune de 18 vers; au v. 29, on peut lire uóA[ot]c, au v. 30 πάρεργον : 32

« «EK»

xal τοὺς λάθραι λέγοντας δούλης γυναικὸς

μὴ νῦν ἔτ᾽ εἰσὶν Τρῶες ἀλλ᾽ [o]bx, ἰώ μοι δ[υνατὸν

35

DLP. Sn.

κεῖνον μὲν ὄντα ὅς ἐστι θαυμάζειν Φρύγας Πριάμου δὲ νικῶνθ᾽ ὡς γεραίρεσθαι δόμους.» (3) Fr. VIb.:

40

« «AH»

«EK > «AH» «ΕΚ»

Πῶς

«ἘΚ» «ΔΗ» Cf. Ennius,

ταῦτά

Y ὥστ᾽ ἔχειν καλῶς ; Sn. (e. g.)

τῇ]δὲ χειρὶ δεῖ θανεῖν. Οὐ μὴν ἄτρωτός γ᾽ εἶσιν εἰς “Αἰδου δόμους. [Ποῦ νῦΪν &]v εἴη καλλίνικ᾽ ἔχων στέφη ;

«ΔῊ»

(4)

οὖν ὀ[κέλ]λει

fr. 55 W.

Ilàv ἄστυ

πληροῖ

Τρωικὸν

γαυρούμενος.

Ἰδεῦρ᾽ * εἰς βόλον γὰρ Av πέσοι. ἐπ᾿ Gre γ᾽ ὅ[τι κρατεῖ τῶν σῶν TÉxvov. » (42 Sn)

: « Is habet

coronam

vitulans

victoria. »

Sn.

L'ALEXANDROS

129

Des trente vers suivants, il ne reste que des débris (1). Le chœur annonce alors à Hécube l'arrivée d'un nouveau personnage : c'est

Hector, qui parait chercher Páris et le Vieillard (2). Pourquoi ? Snell a supposé qu'il s'agissait d'un nouvel honneur à conférer au vainqueur. Scheidweiler a pensé à la célébration d'une féte solennelle. On a suggéré qu'il s'agissait des noces avec Cassandre. Quoi qu'il en soit, la querelle rebondissait entre les deux fréres

à propos de la participation des esclaves aux jeux. On peut restituer avec Scheidweiler, le sens des paroles de Déiphobe : « Tous

les hommes

les esclaves

libres

(se

s'y entraineraient

détourneraient

(si nous

de

la lutte),

les laissions

faire.

tandis

Nous

que

ne serions

jamais entrés) en compétition avec ses ancétres : autrefois, ils s'abstenaient, ayant

présentes

à l'esprit

(les

régles

qui)

écartaient

(tout

esclave

des

jeux) » (3).

Hector prenait, une fois encore, la défense de l'inconnu

:

« Ce n'est ni pour accroftre sa maison, ni (par esprit de lucre) qu'il a prodigué

ses efforts,

tout esclave

qu'il est. »

Hector se déclare, ici encore, soucieux de garder la modération de l'âme. Il ajoute à l'intention de son frère : «S'il l'emporte sur toi, contiens ton naturel par lequel tu te laisses dominer : car tu est trop grand seigneur. Pour moi, je (félicite ?) cet homme, car il est trés fort... » (4).

La fin du qu'Hécube

derniers semble

passage est de nouveau trés mutilée. On comprend prend le parti de Déiphobe contre Hector, mais les

mots

d'elle qu'on

appréhender

puisse

saisir sont équivoques : elle

les conséquences

fácheuses

pour

son

fils et

(1) On distingue au v. 45 ἁμμάτων ἔσω ; au v. 47 : ἐσ]τὶ δοῦλος, ἀλλ᾽ ὅμως ; au v. 49, φόνον. (2) V. 76 : Δέσποιν᾽, 6[8 ; v. 80: Εκάθη, opá[cov; v. 81: τὴν καλλίνικον ; v. 82 : πρέσθυς. (3) V. 86-90 : «'Ex[c]50epot μὲν πάν[ τες]

δο[ὕΪλοι δ᾽ ἂν foxouv| σὺν τοῖς ἐκείνων ἀπογόνοις Scheid. Πρ[ὠη)])ν 8 ἀπῆσαν μν[ἥμονες Scheid. ἀρκεῖν ἔκαστί ον...» Comparer

Eschine,

I, 138

: « Nos

-

législateurs

... en interdisant

quenter les gymnases entendaient, par la méme

aux

esclaves

loi, pousser les hommes

de fré-

libres à les

fréquenter. »

(4) V. 93-99

: « Οὔ]τ᾽

οἶκον αὔξων

οὔτ[ε

πρόθυμ᾽ ἔπρασσε δοῦλος Qv...

ὄπιν[δ᾽ ἔχω

Scheid.

ψυχῆς [ἐ]μαυτοῦ, μὴ καταί Εἰ δ᾽ ἐστὶ κρείσσω «v» σοῦ, κόλαζε τὴν φ[ύσιν, ὑφ᾽ ἧς ἐνίκω * κυριώτερος γὰρ el.

᾿Εγὼ δενεί. Ἰρω κεῖνον * εἰ γὰρ ἔστ᾽ [ἀνὴρ

χράτιστοςί ....»

. lu

130

EURIPIDE

ET

LES

LÉGENDES

DES

CHANTS

CYPRIENS

pour elle du meurtre d'un esclave, mais il est peu probable qu'elle renonce pour autant à agir (1).

Pendant

que

se déroulait le troisième siasimon,

s'étant sans

doute

assuré

préparatifs.

L'agression

la neutralité

contre

d'Hector,

les conjurés, faisaient

Páris allait provoquer

leurs

sa recon-

naissance par ses parents. Nous arrivons donc à l'épisode capital

de la tragédie. Cette scéne dramatique devait se dérouler sur le théâtre, comme dans le Cresphonle du méme poéte, où l'on voyait aussi une mére sur le point de tuer par ignorance son propre fils (2). Páris arrivait en scéne en courant, poursuivi par Déiphobe, l'épée dégainée. Il se réfugiait sur l'autel de Zeus Herkeios (3). Que se passait-il

alors ? Les

témoignages

antiques

ne

s'accordent

sur ce point, en sorte que les critiques modernes divers canevas pour la reconnaissance. Cependant, par élimination, il n'est peut-étre pas impossible d'y La véritable identité du berger peut étre établie de différentes :

pas

ont proposé en procédant voir clair. cinq maniéres

1) Par une révélation inspirée de Cassandre (Hygin. — C. Robert, Hähnle (4), Schmid-Stählin, Stinton). 2) Par Aphrodite ex machina (Parmentier, Menegazzi). 3) Par le vieux serviteur, comme dans le Cresphonle (Wilamowitz). 4) Par Alexandre lui-méme, au courant de son sort (Ennius ? ; Troica de Néron (5)).

9) Par une preuve déposés

avec

matérielle

l'enfant

lors

de

: marque l'exposition

corporelle ou hochets : (Ennius?;

Ovide;

Néron. — Welcker) (6). (1) V. 102-105 : « Οὗτος μὲν ἀεί, τέκν[ον Antpobe, xal τἄλλ’ ob O[

ῥέξεις δ᾽ ἃ λυπούμεσθα[ κτανόντες ἄνδρα δοῦλον.» (2) Fr. 456 (Plut., de esu carn., II, 5). Nous écartons pour l' Alezandros l'hypothèse d'un récit de messager adressé à Hécube et au chœur troyen (Schmid-Stählin, p. 475). Pour la démonstration qui va suivre, nous emprunterons largement à Snell, dont nous nous séparerons cependant sur un point essentiel. (3) Hygin, urnes étrusques. Pour le motif de la fuite à l'autel, trés aimé d'Euripide (Telephe, Héraclides, Hippolyte), cf. Lesky, p. 165. (4) A. Hähnle, l'NOPIZMATA, Diss., Tübingen, 1929, p. 60. (5) D'ap. Serv., ad En. V, 370; cf. Drac., Rapt. Hel, 68-71; 102-103 (combiné avec la présentation des hochets). Pour Hähnle, p. 60-61, suivant Ribbeck, ce serait déjà la version d'Ennius. (6)

Ov., Hér., XV,

90 : « per rata signa » ; Serv. et Drac., il. cc. Pour

Ennius, voir

Hàhnle, [. c. De tels signes de reconnaissance ont été utilisés par Euripide tout au long de sa carrière : Alopé (455-438), Égée (vers 432), Ion (418 *), Aug? et Hypsipyle (vers 410) ; cf. Hähnle,

o. c., p. 23-52.

L'ALEXANDROS

131

Deux de ces moyens peuvent, de plus, intervenir successivement,

l'un corroborant l'autre. C'est méme une nécessité dans certains cas. Malgré le témoignage d'Hygin, il y a peu d'apparence que, cette

fois-là,

Cassandre

ait été

crue

sur parole

par ses compa-

triotes (1). De méme pour Páris : leurs dires, à l'un ou à l'autre, devaient étre confirmés, soit par le vieux serviteur, soit par une preuve matérielle, soit par Aphrodite (2). La preuve matérielle ne peut venir qu'en second lieu, car il est bien invraisemblable qu'Hécube découvre par hasard celle-ci sur le corps de son fils. Enfin, une intervention d'Aphrodite pour empécher le meurtre ne serait pas conforme aux habitudes d'Euripide : la fonction du deus ex machina n'est pas de trancher le nœud méme de l'intrigue, mais de confirmer à la fin de la pièce les résultats acquis et de les replacer dans leur perspective légendaire.

Restent donc trois auteurs possibles de la reconnaissance : le serviteur, Euripide reprenant la scéne à succés du Cresphonle, vieille de plus de sept ans, Cassandre et Páris. Dans ces deux derniers

cas, une scéne subsidiaire

s'impose.

C'est alors que l'on peut faire intervenir les problèmes de technique dramatique et de distribution pour guider le choix. Páris et Déiphobe étant en scène, quel peut être le troisième personnage ? La

vraisemblance

penche

pour

Hécube.

Elle

a

encouragé Déiphobe et elle l'accompagne pour jouir de sa vengeance. Or la répartition des róles l'exige : Alexandre et Hector étant joués par le méme acteur, ainsi que Déiphobe, Cassandre et le vieux serviteur, seul le troisiéme

acteur,

qui joue

Hécube

et Priam, peut se joindre à eux (3). La reconnaissance ne peut donc découler que du dialogue de ces trois personnages, d'Alexandre et d'Hécube surtout. Cependant, nous ne croyons pas que la clé de cette reconnais-

sance soit donnée par le seul fragment sûr de la scène. Alexandre S'écriait : « Hélas, je vais mourir pour

(1)

les

autres

une

source

« Ergo tum quidem

f. 91). (2) Cassandre Cambridge

et

à cause de mes sentiments élevés, eux qui sont de

salut

» (4).

ei creditum est vera vaticinanti », remarque

marque

corporelle

(non sans hésitations)

: Lefke

; Cassandre

et Murray ; Pâris et hochets

et

Rose (ad Hyg.,

hochets : Pickard-

: Page.

(3) Menegazzi, p. 189-90, applique le méme principe, mais comme il estime que cet acteur jouait aussi le róle d'Aphrodite, il en conclut que la déesse arrétait le bras de

Déiphobe.

Murray,

p.

134,

a imaginé

un

type

de reconnaissance

fort ingénieux,

mais qui exige la présence simultanée de quatre acteurs en scène. (4) Fr. 58 (44 Sn) : « Οἴμοι θανοῦμαι διὰ τὸ χρησιμὸν φρενῶν ὃ τοῖσιν ἄλλοις γίγνεται σωτηρία. » L'expression χρησιμὸν φρενῶν se retrouve dans le dénouement — d'authenticité discutée — des Phéniciennes (v. 1740), appliquée à Antigone qui s'offre à accompagner son père en exil.

132

EURIPIDE

ET LES LÉGENDES

DES

CHANTS

CYPRIENS

Ces sentiments élevés qui vont causer sa perte peuvent étre soit

la fidélité à la promesse de silence donnée au Vieillard (1), soit plutót la fierté généreuse

avec laquelle, en face de Déiphobe,

il

avait défendu la cause des humbles (2). A notre avis, le point de départ de la reconnaissance est autre : nous savons par Andromaque qu'une première fois déjà Páris avait couru un danger de mort au méme endroit (3). Or Aristote cite, comme un type valable de reconnaissance par syllogisme, la tragédie par ailleurs inconnue des Phinéides, où les héroïnes, « voyant l'endroit,

en

déduisaient

leur destinée

par un

syllogisme

: leur

destinée était de mourir là, puisque c'était là qu'elles avaient été exposées » (4). De méme Päris, renseigné par le Vieillard, s'écriait qu'il ne devait donc pas échapper à son sort, qui était de mourir sur cet autel : d’où les questions d'Hécube, qui, peu à peu, introduisaient le trouble dans son esprit et arrétaient le bras de Déiphobe (5). | La reconnaissance ne devait pas s'achever par l’exhibition de hochets (6). Il est plus probable que Déiphobe était dépéché à la recherche du vieux serviteur (le méme acteur jouant les deux róles) : car à quoi bon l'avoir introduit dans la piéce, et avoir parlé de lui à plusieurs reprises dans les scénes oü il est absent, si c'était pour l'écarter du dénouement ? Le court intervalle séparant le départ de

Déiphobe

de l'arrivée du Vieillard

devait

étre rempli

par un duo lyrique, qui montrait Hécube encore partagée entre la crainte et la joie. Enfin, le vieil esclave, forcé de s'expliquer,

faisait des aveux complets, et la scéne se terminait par une explosion de joie à laquelle s'associait le chœur qui constatait : « Hécube, comme les dieux envoient les miracles les mortels et changent le sens des destins ! » (7).

à l'improviste

chez

(1) Snell, p. 51. (2) Un fragment, si toutefois il appartient bien à l’Alerandros, appuierait cette seconde interprétation. Un personnage s'écriait (fr. inc. 938 = 67 Sn): «Alors, maintenant, c'est à cause de mes paroles (ἔκατι ῥημάτων) que vous allez me tuer ? » On rattache encore à cette scène le fr. inc. 937 (66 Sn) : « Ne me tue pas, car il est sacrilége de tuer le suppliant », et le fr. adesp. 71 (68 Sn) : « J'en atteste Zeus Herkéios... » (3) An. 296-300 (cf. supra, p. 114). (4) Poét., 16, 1455a 10-12. La reconnaissance d'Oreste dans l'Iphigénie en Tauride de Polyidos était du même ordre (ibid., 1455a 7 ; 17, 1455 b 10), le héros disant que son destin voulait qu'il füt sacrifié comme l'avait été sa sœur. (5)

On

devait

avoir une

stichomythie

comme

celle qui

précéde

d'Ion (Jon, 1324 sqq.). Sur une urne étrusque (n° 23 Davreux), le bras de Déiphobe. (6)

la reconnaissance

une femme

retient

Ce détail se trouve dans un autre contexte (Hector veut tuer le berger et Páris

lui-même révèle qui il est). Il pourrait provenir de la pièce de Sophocle.

(7) Fr. 62 (13 Sn) : «'Exa6n, τὸ θεῖον ὡς ἄελπτον ἔρχεται

θνητοῖσιν, ἕλκει δ᾽ οὔποτ᾽ ἐκ ταὐτοῦ τύχας.» Welcker,

Hartung,

Nauck,

Schadewalt

placent le fragment

vers la fin de la pièce;

L'ALEXANDROS

Le

serviteur

allait répandre

133

la nouvelle

et sans

doute

chercher

Priam, pendant qu'Hécube et Páris pouvaient enfin se livrer sans contrainte à leur bonheur (1). Cependant, alors que tout s'acheminait vers un heureux dénouement, le chœur annonçait l'approche de Cassandre, sortant en

courant du temple d'Apollon : « J'entends la voix de ta fille ... c'est une bacchante en délire » (2).

Celle-ci faisait irruption préte à faire à Páris un par Hécube. A travers nous pouvons connaître

sur la scéne, brandissant une arme (3) et mauvais parti. Elle devait étre retenue les fragments de l'Alerzander d'Ennius, les grandes lignes de sa pathétique invec-

tive. Dés le début, elle devait invoquer Apollon, montrant qu'elle n'agissait ainsi que sous l'inspiration du dieu (4). Elle dénongait «la torche voilée de sang et de flammes », appelait les citoyens

à l'aide pour l'éteindre (5). Les images d'un avenir tragique se pressaient devant ses yeux : l'arrivée de la flotte grecque couvrant

la mer de ses voiles (6), la venue de la «furie de Lacédémone », Lefke et Snell y voient plutôt un avertissement de Cassandre à Hécube dans la première partie du drame.

(1) Sur les duos lyriques liés aux reconnaissances, cf. Solmsen, H, 69 (1934), p. 396.

(2) Fr. VIII Cr. (7 Sn) : «...........

κόρ]ης ἤκουσ᾽

ἔπος

β]ακχεύει ppévalc. »

Pour une pareille entrée de Cassandre, cf. Tr. 306-07, et pour l'expression, Tr. 408 :

a El un σ᾽ ᾿Απόλλων ἐξεδάχχευσεν φρένας»; 170; 367 ; Sen., Agam., 724 : «Cul bacchor furens ? ». Ces vers

pouvaient

être complétés

par

le

fr.

inc.

867

(64 Sn)

:

«'AXX

ἄγχιμος γὰρ ἧδε Dot6ela γυνή.» (3) Aucun

témoignage

littéraire ne montre

Cassandre

armée.

On

a supposé

que

la double hache qu'elle brandit sur les urnes et les miroirs étrusques était une invention des artistes exprimant l'hostilité de la prophétesse (Davreux, p. 116), ou que ce détail

résultait d'une confusion avec la scéne précédente (Lefke, p. 94). Toutefois, la femme armée ne manquant sur aucune de ces représentations (n°® 18-38 D.), nous croyons qu'elle vient directement de la scène tragique. On ne saurait reconnaître, avec Snell,

dans cette jeune femme — parfois méme représentée comme la mére de Páris. Cependant, sur la possibilité d'identifler voir les doutes exprimés par Ch. Picard, RA, 28 (1947), p. (n°4 18; 19; 25 D.), Cassandre est retenue par une femme joint (n° 19) un guerrier armé (Déiphobe ?). (4)

Fr.

une fillette (n° 35 D.) — ces flgures sur les urnes, 98. Sur plusieurs urnes (Hécube), à laquelle se

15 Sn (Ennius, fr. inc. 7 R.) :

« Sancte Apollo, qui umbilicum certum terrarum optines, unde

(5) Ennius,

superstitiosa

fr. 67-68 W.

primum

8aeva

evasit

vox

foras. »

(10 Sn) :

« Adest adest fax obvolula sanguine atque incendio ; multos annos latuit. Cives, ferte opem et restinguite |»

Comparer (6)

An. 298-300.

Id., fr. 69-72

:

* Namque mari magno classis cita texitur, exitium examen rapit ; adveniet fera velivolantibus navibus complebit manus litora. »

134

EURIPIDE

ET

LES

LÉGENDES

DES

CHANTS

CYPRIENS

conséquence du jugement des déesses (1), le corps d'Hector, lacéré pour avoir été tratné sur le sol (2), le cheval «gros de guerriers »

qui devait ruiner Pergame (3). Peut-étre y ajoutait-elle l'annonce de la mort de Troilos et de Déiphobe (4), celle de Priam (5) et le

destin promis à Hécube

:

« Tu seras une chienne, image

de l'Hécate

aux flambeaux » (6).

La reine traitait comme une maladie le délire de sa fille. Elle lui parlait avec douceur et pitié et Cassandre, à mesure qu'elle retrouvait le calme aprés l'exaltation, sentait monter en elle le découragement et la honte. Ennius nous montre sa confusion vis-àvis des vierges, ses compagnes, de sa famille, et son dégoût d'elleméme

(7). Enfin,

avant

de sortir,

sans

doute

avec

Hécube,

elle

(1) Ennius, fr. 73-75 : « Eheu videte ; judicavit inclitum

iudicium

inter

deas

tres

aliquis,

quo iudicio Lacedaemonia mulier furiarum una adveniet. » (Cf. Tr. 457). (2) Id., fr. 76-79

:

«O lux Troiae, germane Hector, quis ita cum

tuo

lacerato

corpore

miser es aut qui te sic respectantibus tractavere nobis ? » (3) Id., fr. 80-81 : « Nam maximo saltu superavit gravidus armatis equus qui

suo

partu

ardua

perdat

Pergama.»

(4) L. Strzelecki a montré que l'Agamemnon de Sénéque, v. 693-774, combinait avec des souvenirs de la piéce d'Eschyle la scéne des vaticinations de Cassandre dans l’Alezandros

(cf. Agam.,

730-31

: jugement

de

Páris;

l'héroIne de Sénéque mentionne aux v. 747-49 (cf. o. c., p. 13-16).

743-47

le destin

: mort

de Trollos

d'Hector).

et de

Or

Déiphobe

(5) Enn., fr. inc. 10 R. : « Heu heu pater, heu Hector » ; Sen., Agam., 742-43 (Strzelecki, p. 16-17). (6) Fr. inc. 968 (14 Sn), placé ici par Snell, p. 30, avec beaucoup de vraisemblance :

« Ἑκάτης ἄγαλμα φωσφόρου

κύων ἔσῃ. »

Cf. Héc. 1265 ; Tr. 429-30 ; Sen., Agam., 707-09. Sur Hécate, déesse infernale, cf. HL 569 ; Tr. 323,

et J. Davreux,

cite Perséphone

p. 43, n. 2. Un

fragment

de l'Alezandros

(63 — 60 Sn)

(ἄρρητος Κόρη).

(7) Fr. 57-66 W. (8 Sn) : « Hec. Cas.

Sed

quid

aut

ubi

Mater

oculis rapere

illa paullo optumarum

visa

est derepente

ardentibus ;

ante

sapiens

virginali'

multo

mulier

melior

modestia?

mulierum,

missa sum superstitiosis hariolationibus, neque me Apollo fatis fandis dementem invitam ciet. Virgines

vereor

aequalis,

patris

mei

meum

factum

pudet

optumi viri. Mea mater, tui me miseret, mei piget. Optumam progeniem Priamo peperisti extra me ; hoc dolet. Med

obesse, illos prodesse,

vss, Dans

les Troyennes

Hecuba

hoc dolet

(169-172), Hécube

me obstare,

pudet

illos obsequi !

piget |!»

a honte des débordements de Cassandre.

p. 27, hésite sur la place de ces vers : avant

ou aprés les prédictions ?

Snell,

L'ALEXANDROS

135

pouvait constater une fois encore avec accablement

que ses pré-

dictions se heurtaient à l'incrédulité générale (1). Cependant, la reconnaissance de Páris ne constituait pas une fin en soi. Il fallait encore montrer comment elle engageait l'avenir. C'était la táche d'Aphrodite : la déesse « volant du haut du ciel avec une couronne et des bandelettes » (2) apparaissait au-dessus

du palais ; elle annonçait à Páris (3) la protection qu'elle lui accordait et lui conseillait de háter ses préparatifs de départ. Gráce à elle, il était sür de conquérir la plus belle femme de la Gréce et de la ramener à Troie. Enfin, s'adressant aux spectateurs aprés le départ des personnages, Aphrodite révélait que cet épisode avait sa place dans le déroulement du dessein de Zeus, plus vaste et moins « Car

favorable

c'est

de la Gréce,

Zeus

qui,

aux Troyens voulant

qu'on

ne pouvait le croire :

le malheur

a formé ce dessein, lui, notre

des

Troyens

et les épreuves

pére » (4).

+

.*

+

Les Chanis Cypriens racontaient-ils le songe d'Hécube, l'exposition

de

Páris,

son

enfance

cachée

et

sa

reconnaissance ? La

question a été souvent débattue et ne comporte pas de solution süre (5). Le Sommaire de Proclos énumére les faits dans l'ordre suivant : jugement des déesses, construction des vaisseaux par Alexandre suivant les conseils d'Aphrodite, prédictions d'Hélénos, Aphrodite engage Énée à participer au voyage, nouvelles prédictions de Cassandre (6). Le départ de Pâris semble donc suivre (1) Fr. adesp. 414 (11 vain que le dieu m'a donné me proclament sage, mais (2) Fr. 54 W. (59 Sn) urnes

Sn), déjà attribué à l'Alezandros par Musgrave : « C'est en de prophétiser : ceux qui ont souffert et sont dans le malheur avant qu'ila ne souffrent, je suis folle. » : « Volans de caelo cum corona et taeniis. » Voir aussi les

étrusques.

(3) Peut-être aussi à Priam, mais non à Hécube : dans les Troyennes (989 sqq.), celle-ci déniait à Aphrodite toute intervention dans l'enlévement d'Héléne, ce qu'elle n'aurait pu faire si elle avait entendu elle-méme, dans la premiére piéce de la trilogie, les prédictions de la déesse. Snell, p. 54, soutient que le jugement des déesses n'était pas évoqué dans la pièce. Mais il était cité par Ennius, et la présence méme d'Aphrodite

venant accomplir sa promesse indique que ce jugement avait eu lieu sur l'Ida avant le départ de Páris pour Troie (cf. Strzelecki, p. 11). (4) Fr. 1082 (45 Sn). Sur ces vers, cf. supra, p. 42; Tr. 1060 sqq. ; 1240-41, et pour une telle proclamation divine à la fin de l'exodos, El. 1347-1356. Stinton, p. 68 sqq., conteste, à tort à notre avis, l'attribution à Aphrodite et pense que ces mots pouvaient être dits par Cassandre.

(5) Jusqu'au début de ce siécle, la plupart des critiques optaient pour l'affirmative (par exemple Welcker, Zöllner, Gruppe, Wentzel). L'opinion contraire a été soutenue par Wilamowitz (Kl. Schr., V, 2, 88) ; C. Robert (Bild und Lied, p. 233-38 ; Gr. Held., p. 978-79) ; E. Bethe, p. 232 sqq. ; Snell, p. 58. Cependant, pour diverses raisons, Lefke, p. 103, et Untersteiner, La Fisiologia del Milo (1946), p. 145, estiment que l’Alerandros s'inspire des Kypria. (6) L. 88-94. Bethe, p. 232, considère les prédictions de Cassandre comme un

136

EURIPIDE

ET

LES

LÉGENDES

DES

CHANTS

CYPRIENS

immédiatement le jugement. Cependant, le silence de Proclos sur les événements qui formaient le sujet de l’Alexandros est à peine

un indice, quand on sait combien son résumé est rapide et lacunaire.

Il faut

chercher

ailleurs

des

présomptions.

Welcker

(1)

pensait que l'épisode du jugement des déesses demandait l'explication de la présence de Páris sur l'Ida : mais le Priamide pouvait être là pour faire paitre les troupeaux paternels, conformément à un usage bien attesté par la poésie épique (2). Dans l'autre sens,

le fait que Stasinos

préte à Cassandre

un pouvoir prophétique

inconnu d'Homére (3) ne suffit pas à prouver la présence du théme

de la reconnaissance dans les Chanls Cypriens. C. Robert a invoqué les témoignages archéologiques : il assurait que les vases les plus anciens représentaient toujours Páris devant

les déesses en costume de fils de roi, et non de berger (4) ; mais cette régle est loin d'étre absolue. Snell tire une présomption

de

la

comparaison

des

textes

de

Proclos,

de

Darés

négative

et

de

Colouthos (5) : tous trois placent la construction des navires et le départ de Páris aussitót aprés le jugement et ne parlent pas de la reconnaissance. Mais nous avons vu ce qu'il fallait penser du

silence de Proclos. Quant à Darés et à Colouthos, quel crédit peuton accorder à ces auteurs tardifs, qui mélent des traditions aussi

diverses ? Un certain nombre d'indices nous paraissent témoigner en faveur

de la présence d'un tel épisode dans les Chants Cypriens. Euripide lui-méme nous en fournit qui ne sont pas négligeables. Tout d'abord, il est frappant de constater que la mention du jugement des déesses,

dans les chœurs surtout, amène souvent celle de l'exposition de Páris — et réciproquement — comme doublet inspiré par l'Alerandros

d'Euripide,

si les deux épisodes étaient

ce qui est d'autant

moins

probable

que,

dans la tragédie, les révélations de Cassandre précédaient la construction des vaisseaux. (1) EC, p. 90. (2) C. Robert, p. 978 et n. 3. (3) Argument de Lefke, p. 103 ; cf. Severyns, CE, p. 266. L'abondance des « thémes méditerranéens » transposés dans les Kypria et l'atmosphère « romantico-pastorale » du poème (Untersteiner, p. 144-45) ne constituent pas non plus des indices très sûrs. (4) P. 978, n. 4. Les exceptions sont relevées par Türk, col. 1608; Kuiper, p. 210; Clairmont, Das Parisurteil, p. 104 sqq. Dans Bild und Lied, p. 236, C. Robert estimait

que le chœur d'Andromaque (293 sqq.) développait une version différente et plus ancienne «sans doute celle des Kypria » : Cassandre n'aurait pas été crue et Páris serait resté à Troie.

(5) Darés, VII-VIII ; Col., Rapt. Hel., 194-201 (Snell, p. 58). Darts place des vaticinations d'Hélénos (VII) et de Cassandre (VIII) avant le départ de Páris, et de Cassandre (XI) à son retour. Pour Colouthos, Cassandre ne se manifeste qu'au retour

des vaisseaux

(ibid., 391).

L'un

et l'autre paraissent

combiner

plusieurs traditions,

dont l'une remonterait à un dithyrambe de Bacchylide (XXIII Sn) imité par Horace (Od., I, 15, et notice de Porphyrion), qui semble avoir placé les prédictions de Cassandre

à l'arrivée des deux amants à Troie (Davreux,

p. 24). On a cru reconnaître la scène

sur un kylix de Brygos (Louvre G 151 ; n° 89 D.).

L'ALEXANDROS

137

étroitement liés par la tradition (1). Il existe de toute facon plusieurs thèmes communs à l'Alezandros d'Euripide et aux Chanls

Cypriens:

l'affirmation

du

dessein

de

Zeus,

le pouvoir

prophétique de Cassandre et la protection qu'Aphrodite offrait à Páris aprés le jugement qui la mettait au-dessus de ses rivales. Or, bien avant Euripide, Pindare reliait le songe d'Hécube aux

prophéties de Cassandre lors du départ de Páris. Dans ses transports, la fille de Priam s'exclamait : « O Cronide, dieu infini dont le regard porte au loin, voici que tu accomplis l'épreuve fixée par le destin, le jour où Hécube raconta aux Dardanides la vision qu'elle avait eue, alors qu'elle portait Páris dans ses entrailles : elle

avait

qui, avec

Érinye

incendiaire

aux

cent

une rage cruelle, dévastait de fond

cru

mettre

au

monde

une

en comble

tout

Ilion » (2).

bras,

Les vers suivants font état d'une prédiction, mais, dans l'état du texte, rien ne permet d'en restituer ni le moment ni l'auteur. Ce

passage,

soulignant

le róle joué

par Zeus,

donne

à croire

que

Pindare, qui s’accordait avec les Chanis Cypriens sur les circonstances où il plaçait les prophéties de Cassandre, ss'inspirait aussi de ce poéme pour leur contenu. Nous pensons donc que les Kypria racontaient comment, à la

suite du songe d'Hécube,

les interprétes avaient conseillé de se

débarrasser de l'enfant; celui-ci fut exposé, miraculeusement sauvé par des bergers, et retrouva plus tard ses parents (3). Brodant sur ces motifs, les tragiques du ve s. ont imaginé les péripéties romanesques du retour de Päris à Troie et transposé divers élé-

ments du récit ancien. Ainsi, dans Andromaque, Euripide substitue Cassandre

aux

interprétes

des

songes

et place

ses vaticinations

aussitôt aprés la naissance de Páris (4). Dans Alexandros, il associe à la reconnaissance de Páris deux autres motifs qui n'en dépendaient pas chez Stasinos : d'une part, l'intervention d'Aphrodite; d'autre part, les prédictions de Cassandre, qui avaient lieu seulement lors du départ de la flottille troyenne

le fond méme

pour la Gréce.

Mais

du récit, à notre avis, est épique.

(1) Par exemple, An. Kypria) ; IA 1284-1309.

274-300;

Tr.

919-950

(qui

est

un

véritable

sommaire

des

(2) Pd., Péan VIII, 20-35. Le détail de « l'Érinye aux cent bras» (au lieu de la torche) ne se trouve que chez Pindare : est-ce une invention du poéte ? (3) Ce sont en somme les grandes lignes du récit d'Apollodore, III, 12, 5. Le retour de Páris à Troie serait représenté sur une coupe du Peintre de Briséis et une coupe de Brygos (cf. Stinton, p. 53-55 et Pl. V), mais l'interprétation de ces deux documents reste douteuse. (4) L'invraisemblance chronologique aurait été plus choquante dans l'épopée. I] n'est pas sür qu'il faille distinguer avec J. Davreux, p. 10-11, deux traditions à

propos de Cassandre : l'une, qui remonterait à Stasinos et qui ferait d'elle une prophétesse inspirée (Eschyle, Ag.; Bacchyl.; 428 sqq., etc.), l'autre, qui remonterait

Eur., Héc. 121; Aler.; Tr. 356 sqq. ; 408; à un autre poète cyclique, et qui lui aurait

138

EURIPIDE

ET

LES

LÉGENDES

DES

CHANTS

CYPRIENS

On n'est donc pas fondé à chercher la source d'Euripide chez un mythographe (1), chez Stésichore (2), ou méme, comme l'avait proposé C. Robert, chez Hérodote (3). En effet, d'aprés ce critique, le sujet de l’Alerandros aurait été inventé par Sophocle, qui se serait inspiré de l'enfance de Cyrus telle que la conte l'historien. Mais, comme l'a justement remarqué Pearson (4), il est peu vraisemblable que Sophocle, dont on connatt le respect pour les légendes du cycle épique, ait introduit dans l'une de ces légendes une action tragique inventée de toutes piéces. Il reste possible que le poéte ait emprunté des détails à Hérodote, car les deux histoires présentent de trés grandes ressemblances

naissance, Cyrus fut condamné

: comme

Päris, dés sa

à mort sur la foi d'un oracle et

confié à un berger chargé de le faire périr. Mais celui-ci le sauva

gráce à un subterfuge et l'éleva à son foyer comme

son propre

fils. Plus

grand-pére,

tard,

il comparut

fortuitement

devant

son

fut reconnu et repris dans sa famille (5). Mais la légende de Páris

a pu influencer celle de Cyrus, ou encore l'une et l'autre sont sorties d'un méme fonds légendaire asiatique (6). La date de l'Alexandros de Sophocle n'est pas connue et les fragments en sont peu nombreux et peu étendus (7). Il est possible que cette pièce ait précédé celle d'Euripide d'une dizaine d'années,

suggérant à ce dernier les plus anciennes allusions qu'on trouve dans son théátre au songe d'Hécube et à la jeunesse de Páris (8).

L'action devait s'accorder dans ses grandes lignes avec celle de notre piéce : les fragments nous apprennent en effet qu'« un berger » était vainqueur des gens de Troie dans un concours (9). L'enfant

avait peut-étre été exposé dans un pot de terre et nourri par une seulement

reconnu

Eur., Héc.

89) : cf. P. G. Mason,

l'art d'interpréter les présages et les songes Kassandra,

JHS,

(1) Wilamowitz, Gr. Tr. Ubers., III, p. 260, n. un temps où on ne comprenait plus qu'un fils de (2) Suggestion de M. Mayer, p. 54-58, qui reléve de Stésichore dans les Trogennes. (3) Bild und Lied, p. 237 ; Gr. Held., p. 980 ; cf. dolo, Diss., Iena, 1913, p. 7 sqq. (4)

Soph. fr., I, p. 58.

(6)

Hdt., I, 108-121.

(6) Comme

le reconnaît

C.

Robert

(Eschl., Ag.

1440;

79 (1959), p. 87.

1 : ce récit aurait été composé en roi püt être berger. de nombreuses traces de l'influence Rasch, Sophocles quid debeal Hero-

lui-même ; cf. aussi

M.

Mayer,

p. 54.

(7) Fr. 92-100 P. ; cf. Lefke, p. 23. (8) Dans Ino, piéce antérieure à 425, un personnage disait : « Que personne ne sache ce qu'il convient de taire, car une petite torche suffirait à mettre le feu à tout le massif de l'Ida, et une conversation avec un seul homme renseignerait tous les gens de la ville sur ce qu'il convient de cacher » (fr. 411 ; cf. Dictys,

III, 26, et sc. A,

Il. I' 75 (= Ascl. Tr., fr. 12 Jac.). Ensuite, on trouve des allusions entre 425 et 422 dans Andromaque

(299-300) et Hécube (pouvoir prophétique de Cassandre aux v. 121 ;

676-77 ; 827 : « φοιθάς »). (9) Fr. 92-93 P.

-

L'ALEXANDROS

139

ourse (1). $i on ajoute que, chez Sophocle, dont s'inspire partiellement Hygin, Alexandre devait étre le nom primitif de l'enfant et Páris le nom donné par les bergers, on sera arrivé au bout des con-

jectures raisonnables sur la structure de cette piéce. Le vieux berger, anonyme chez Euripide, s'appelait-il Archélaos chez Sophocle, jouait-il un róle important ? La reconnaissance se faisait-elle par les hochets ? Hector tenait-il le rôle dévolu par Euripide à Déiphobe

des

(2) ? Autant de questions que nous suggèrent les récits

mythographes,

avec

mais

auxquelles

nous

ne pouvons

répondre

certitude.

Aussi n'est-il pas facile d'apprécier l'originalité d'Euripide dans la conduite de l'action. Il est certain qu'il renouvelait la scéne de la reconnaissance. On peut aussi le créditer du motif qui avait fait descendre Páris jusqu'à Troie, l'histoire du taureau préféré, et peut-étre de l'idée d'avoir fait triompher le Priamide précisément dans les jeux qui commémoraient sa disparition. Mais son originalité a dà porter avant tout sur les caractéres. Dans les personnages de l'Alezandros qui reparaissaient au cours des Troyennes, Hécube et Cassandre, les spectateurs devaient retrouver le méme caractére, accentué dans la seconde piéce par le temps et les malheurs. Mais, dans l'Alezandros, Hécube était déjà une mère malheureuse, chez laquelle le malheur méme avait développé un

amour exclusif et ombrageux pour ses autres enfants. C'était aussi une reine arrogante, sujette aux mémes emportements vindicatifs que dans Hécube. Par bien des côtés, la Cassandre

de l'Alezandros,

comme

celle

des de un des

Troyennes, devait rappeler l'admirable figure de prophétesse l'Agamemnon d'Eschyle. Cependant, ses vaticinations avaient caractére d'autant plus pathétique qu'elles ne concernaient pas ennemis, mais des étres chers, et qu'elles intervenaient au milieu

de

la joie

générale.

Si, comme

fidèlement son modèle,

il est

Cassandre

probable,

Ennius

apparaissait d'abord

suivait

sous les

traits d'une jeune fille modeste et raisonnable avant d’être empor-

tée par la fureur prophétique

lorsque le dieu s'emparait d'elle.

(1) Fr. 98 P. ; Priamos, fr. 532 P. Comme le Cyrus d'Hérodote, il devait être élevé par la femme d'un berger (cf. fr. 99 P. ; D. Chr., XV, 10; Drac., Hel. 69). (2)

C'était la version

de Néron

dans

ses

Trolca

(Serv.,

ad En., V, 370).

Même

si

elle ne lui est pas propre, elle peut remonter par exemple à la tragédie hellénistique de Nicomaque d'Alexandrie, dont nous ne connaissons que le titre. — L'intrigue de l'Alerandros

d'Euripide

Téléphe, exposé à par des bergers. Il Le chœur était du (fr. 86-88). Il était Scaenica,

Wroclaw,

ressemblait

aussi

beaucoup

à celle des Aléades

sa naissance, comme Pâris, avait été nourri par participait à des jeux à Tégée et l'emportait sur côté des princes (fr. 84 P.) et lui reprochait sa reconnu à la suite d'une rixe avec ses oncles (cf. 1960,

p.

16-18).

de Sophocle.

une biche et élevé la noblesse locale. naissance obscure S. Srebrny, Studia

140

EURIPIDE

ET

LES

LÉGENDES

DES

CHANTS

CYPRIENS

Mais, une fois la crise passée, elle était dominée par un sentiment de malaise et de honte qui la conduisait à se déprécier elle-méme devant ses parents. Une fois encore, dans la conduite de ce caractere, Euripide manifestait sa curiosité pour les états d’äme qui impliquaient une possession démonique (1). L'opposition d'Hector et de Déiphobe représentait peut-être l'originalité la plus remarquable de la pièce : le trait essentiel

d'Hector, dans ce drame, est la modération, la sagesse pratique; grâce à elle, il distingue l'important de l'accessoire, il se garde des partis pris et rend hommage à la valeur partout où il la rencontre. Son idéalisation commence ici, elle s'achévera dans la belle oraison funèbre que prononce Andromaque dans les Troyennes (673 sqq.) Au contraire, Déiphobe apparaît comme un être

instinctif, incapable de se dominer et de juger objectivement, avec un faux sens de l'honneur fondé sur le culte de la force physique et des préjugés sociaux. Pour la premiére fois, 11 se heurte ici à Páris auquel il succédera comme mari d'Héléne. Priam

illustrait

le type

des

rois

chers

à

Euripide,

comme

le Pélée

d'Andromaque, et son entrée en scéne sur un char devait étre grandiose et chargée de sens, auprès de cet autel où le malheureux

était destiné à connattre une fin misérable. Il manifestait, en particulier dans la scéne du jugement, cette préférence instinctive et aveugle que le vieux couple garda toujours pour le plus funeste

de ses enfants. Quant à Páris, il était traité, pour une fois, avec sympathie : beau, vigoureux, altier, il gardait cependant la simplicité d'un berger qui aime son troupeau et la vie rustique, et il

montrait, à défaut d'habileté oratoire, du bon sens, du courage et de la noblesse d'esprit. Cependant, si l'on replace l’Alexandros dans le cadre de la trilogie, c'est Cassandre, l'exaltée, la folle, qui a raison contre le beau et sage Páris : la pièce des Troyennes n'est qu'une longue

revue

des malheurs

qu'elle avait prédits.

souffrances dont elle a été la cause premiére.

Hécube

y endure les

Dans le méme

décor,

prés du temple d'Apollon (329) et sur cet autel de Zeus Herkeios (17; 481-83), Priam a trouvé la mort. Au cours du drame, on

rappelle le réve d'Hécube, l'exposition de Páris (920-22) et le courroux des dieux lorsque l'enfant échappa à la mort (597), le jugement des déesses (920 sqq.). Cassandre annonce une fois encore le destin de sa mére (427-30), et la piéce se clót sur l'incendie d'Ilion, qui achève l'accomplissement du songe prophétique d'Hécube. Mais les fautes des Achéens, exposées dans Palaméde

(1) Voir Mason, p. 91-93; J. de Romilly, La crainte et l'angoisse..., p. 93-96. On pensera aux personnages de Médée, de Phèdre, d'Oreste, d'Alcméon, de Penthée.

L ALEXANDROS

141

et les Troyennes, doivent aussi attirer le malheur sur

la tête des

vainqueurs, et c’est toujours Cassandre, en proie au délire prophétique, qui annoncera les épreuves qu'ils doivent subir, sans rencontrer plus de créance auprés des Grecs qu'auprés des Troyens (1).

L’Alexandros se rattache donc étroitement aux autres drames de la trilogie. Mais, par sa structure, il s'apparente aussi à d'autres œuvres de la méme période. C'est une pièce d'intrigue, comme Ion,

Iphigénie en Tauride, Éleclre, Héléne, cette intrigue étant fondée sur une erreur et une reconnaissance. Une mére y retrouve l'enfant

qu'elle avait jadis exposé et qui avait été miraculeusement sauvé, comme dans Mélanippe particulier, comme dans

enchaînée, Cresphonle

Hypsipyle, Anliope (2). En et Ion, une mère est sur le

point de provoquer la mort de son propre fils, et la reconnaissance intervient in exiremis pour prévenir ce meurtre. Les trois scènes de

reconnaissance

ont

bien

des points communs,

encore

que

le

facteur décisif soit chaque fois différent. Les thémes développés dans la piéce sont de ceux qui sont familiers au poéte à cette époque : l'agón entre les deux fréres a sa réplique dans les Phéniciennes, avec la discussion devant Jocaste entre Étéocle, beau par-

leur, élève des sophistes, et Polynice qui parle «sans circonlocutions » le langage de l'équité (3). La condamnation de l'éloquence employée à des fins injustes, qu'on retrouve dans les autres piéces

de la trilogie, traduit la réprobation du poéte devant certains abus de la démocratie athénienne (4). Le cas de Páris invitait à discuter des problémes à la mode dans les milieux cultivés : de naissance princiére, l'enfant avait été élevé comme un esclave et au milieu des esclaves, mais il se montrait plus digne de son titre que son frére Déiphobe. Dés lors, on pouvait se demander à son propos quels sont les rapports entre la nature et l'éducation,

la richesse ou le rang social et la valeur morale (5). Les esclaves sont-ils des hommes comme les autres ? En face de Déiphobe qui représente la pensée traditionnelle, Páris exprime les idées déve-

loppées en particulier par Antiphon et courantes dans les cercles sophistiques, idées qui ont la sympathie du poéte lui-méme : (1) Sur le lien trilogique, voir, entre autres, Pertusi, p. 251 sqq. ; A. M. Scarcella, Le Troadi, Dion., 22 (1959), p. 66-70 ; Mason, o. c., p. 88-93. (2) Dans Mélanippe enchatnée, dont la date est discutée (vers 425 : Schmid-Stáhlin, Lesky ; vers 413, Zielinski, Goossens), la reconnaissance de Boiotos et Aiolos était sans

doute due à un vieux berger (cf. Page,

GLP,

p. 110). Hypsipyle et Anliope sont des

environs de 410, Cresphonle sensiblement antérieur (peu aprés 425), Ion de 418 (ἢ). Dans Antigone (vers 410), il y avait aussi une reconnaissance à l'occasion de jeux athlétiques.

(3) Phén., (4) (5)

446-585.

Pal., fr. 587 ; Tr. 966-68 ; cf. Scarcella, o. c., p. 67 ; Goossens, p. 513-515. Sur ces problèmes, voir en particulier Suppl. 911-17 ; Héc. 379-381 ; 592-602 ;

El. 371 sqq. ; IA

558-562 ; Diciys, fr. 336.

142

EURIPIDE

ET

LES

LÉGENDES

DES

CHANTS

CYPRIENS

ce ne sont pas la noblesse ou la richesse qui font la valeur d'un homme, mais ses qualités intellectuelles et morales (1). Il existe des mauvais riches et il existe aussi de bons esclaves, comme

ceux

qui

dans

apparaissent

dans

Jon,

dans

Hélène,

et

plus

tard

Iphigénie à Aulis (2).

L'aventure de Páris posait encore une autre question plus grave. Avec son visage avenant et sa noblesse d'áme, le Priamide était l'instrument de la ruine de Troie : sa beauté était aussi funeste que celle d'Héléne (3). Mais était-il personnellement coupable (4) ? En partant pour la Gréce à la recherche de la plus belle des femmes, il se conformait à l'ordre d'Aphrodite. A sa naissance, ses parents, sur la foi d'un songe, avaient fait violence à leurs sentiments

les

plus naturels : comment n'auraient-ils pas repris avec joie leur fils miraculeusement

sauvé,

surtout

avec

Les spectateurs s'étaient associés à de la piéce, ils avaient tremblé pour serait reconnu et sauvé, alors que de la Grèce, eût été de le voir périr.

la caution

d'une

déesse?

leurs sentiments; au cours la vie de Páris, espéré qu'il l'intérét de Troie, et méme Oui, le dessein de Zeus était

bien enveloppé et ses piéges bien tendus. Mais Cassandre était là

pour rappeler que les dieux laissent toujours à l'homme une chance de se sauver, s'il sait voir au-delà des apparences et ne pas prendre ses espoirs pour des réalités. A la veille de la grande aventure où Athénes allait se jeter en ce printemps de 415, sous la direction d'Alcibiade, le poéte rappelait que les événements qui paraissent les plus heureux peuvent se révéler à la longue funestes, et que les

jeunes chefs les plus brillants et les plus populaires peuvent conduire — par une malédiction inexplicable autant que par leurs imprudences personnelles — tout un peuple à sa ruine (5). (1) Goossens, p. 510-511. (2) Ion 853-55; HL 726-733; IA 867-71. Une discussion sur l'esclavage semble avoir existó aussi dans Anliope (fr. 216-18). Sur les revendications humanitaires d'Euripide en faveur des esclaves, cf. Br. Bilinski, L'Alezandre d'Ennius et les premières révolles d'esclaves, Trav. soc. Sc. et Lei. de Wroclaw, série A, 54 (1953), p. 9 sqq. (3) Voir les réflexions de Kuiper, p. 217-221; Murray, p. 135-138; Del Grande, Hybris, p. 176. (4)

Kuiper,

p. 217-19,

supposait

qu'on

voyait

au

cours

de

la

piéce

le caractére

de Páris se dégrader sous l'influence de la δολιόφρων Κύπρις (LA 1301 ; cf. aussi LA 580: « ὅτε σε κρίσις Éunve θεᾶν »), mais une telle évolution au cours du drame est trés peu vraisemblable. (5) Sur l'hostilité du poète à Alcibiade dans la trilogie, cf. Delebecque,

p. 257-261.

CHAPITRE

HÉLÈNE I. LA

NAISSANCE

1) LA NAISSANCE 2) FRÈRES II. LES

NOCES

DES

ET

LES

V

DIOSCURES

TYNDARIDES.

D'HÉLÈNE.

ET SŒURS

D'HÉLÉNE.

D’HELENE

ET

DE

MÉNÉLAS.

HÉLÉNE

I. LA

ET

LES

NAISSANCE

DIOSCURES

DES

TYNDARIDES

Dans son Éloge d'Héléne (1), Isocrate observe que Zeus eut de ses amours avec les mortelles d'innombrables fils, mais une seule

fille, Héléne. Ce fait annonce déjà la destinée unique promise à l'héroine de Sparte. Euripide, aprés avoir si bien décelé les ombres du destin autour du berceau de Páris et de celui d'Achille, devait

à plus forte raison chercher, lors de la naissance d'Héléne, les signes

qui la prédestinaient, parmi les autres Tyndarides, au róle fatal qu'elle devait jouer sur la scéne du monde. 1) LA NAISSANCE

D'HÉLENE

Héléne, apprenons-nous, était née de Léda, fille de Thestios (2). Elle avait vu le jour au foyer de Tyndare, roi de Sparte (3), et dans ses piéces les plus anciennes, Euripide ne l'appelle que «la Tyndaride » (4). C'est seulement à partir des Troyennes qu'elle commence à être dite « fille de Zeus » (5) et à partir de l'Héléne que cette

BIBLIOGRAPHIE

: E. Bethe,

s. v. Helene

C. Robert, p. 336-344 ; 1066-69.

(3), RE,

VII,

2 (1912),

Rzach, col. 2383-85. Severyns,

col. 2824

p. 233-36 ; Homer, III, p. 27-28. H. Herter, s. v. Nemesis, RE, XVI, 2 2338 sqq. F. Chapouthier, Les Dioscures au service d'une déesse, Paris, 1935, K. Kerenyi, Die Geburt der Helena, Zürich, 1945, p. 1-28 (réédition d'un dans Mnemosyne, 7 (1939), p. 177 sqq.). J. Alsina Clota, Helena de Troya, 8 (1957), p. 374-79. J. Schwartz, p. 134-35 ; 409-411 ; 420-21 ; 554-58. (1) (2) (3) (4) de

sqq.

CE, p. 266-275. Bethe,

(1935), col. p. 128-137. article paru Helmantica,

Hel. 16. LA 49; cf. HL 133; fr. 515, 5 ( Méléagre). HL 17 ; Or. 457. Achille (ZA 1032) le dit «grand parmi les Grecs ». Skyrioi, v. 1; An. 898 ; Héc. 269 ; 1278. Dans les pièces suivantes, l'appellation

« Tyndaride » se juxtapose

Tr. 34 ; El. 480; (5) Tr. 398. Il cette origine (cf. Oreste lui-méme

à

celle

de

«fllle

de

Zeus»,

suivant

l'usage

épique

HL 472 ; 614; 1179 ; 1546 ; Or. 1423 ; IA 61; 1335 ; 1417. est vrai que, dans les vers 766 sqq., Andromaque nie avec violence infra, p. 150), comme le feront, dans Oreste, Electre (249-250) et (750). 11

:

146

EURIPIDE

ET

LES

affirmation est justifiée.

LÉGENDES

En

DES

CHANTS

CYPRIENS

effet, dans le prologue de ce drame,

l'héroine se présente aux spectateurs en ces termes : « Ma

patrie

n'est

pas

obscure

: c'est

Sparte.

Mon

père

est

Tyndare.

Il existe toutefois un récit suivant lequel Zeus se serait approché en volant de ma mére Léda, sous la forme d'un oiseau : un cygne. Par la ruse, il serait parvenu à s'unir à elle, en récit est véridique » (1).

fuyant

la poursuite

d'un

aigle,

8i toutefois

ce

Dans le cours de cette piéce et, plus tard, dans Oresle, le poéte évoquera plusieurs fois cette surprenante histoire, en particulier dans des passages lyriques (2). Cependant, les doutes qu'exprimait Héléne elle-méme sur ses origines seront repris par les femmes du

chœur dans Iphigénie à Aulis. Aprés avoir rappelé qu'Héléne était « la fille d'un cygne au long cou s, elles ajoutaient : « Si toutefois cette assertion est vraie et s'il en a bien été ainsi, lorsque Zeus se fut transformé en un oiseau ailé. A moins répandu

que ces fables, gravées

hors

de

propos

ces

vaines

sur les tablettes des Piérides, n'aient idées

parmi

les hommes »

(3).

La premiére révélation apportée par le prologue d'Héléne se compléte dans la suite de la piéce par une seconde révélation tout aussi étrange. L'héroine médite sur son destin en présence du chœur et se demande

:

« Ma mère m'a-t-elle enfantée pour être un prodige parmi les hommes Car nulle femme,

une blanche Zeus » (4).

(1) HL

ni grecque

coquille,

16-21:

ni barbare,

comme

«'Hyiv

on

n'a mis au monde

le dit de

δὲ γῆ μὲν πατρὶς οὐκ

Léda

qui

?

ses petits dans

m'avait

conçue

de

ἀνώνυμος

Σπάρτη, πατὴρ δὲ Τυνδάρεως ᾿ ἔστιν δὲ δὴ

λόγος τις ὡς Ζεὺς μητέρ᾽ ἔπτατ᾽ εἰς ἐμὴν AfjBav κύκνου μορφώματ᾽ ὄρνιθος λαδών, ὃς δόλιον εὐνὴν ἐξέπραξ᾽ ὑπ᾽ αἰετοῦ

δίωγμα φεύγων, εἰ σαφὴς οὗτος λόγος.»

(2) HL 214-16; 1144-46 ; Or. 1385-87. (3) LA 794-800 : « Et δὴ φάτις ἔτυμος ὡς

ἔτυχεν, [Λήδα] ὄρνιθι πταμένῳ Διὸς ὅτ᾽ ἠλλάχθη δέμας, εἴτ᾽ ἐν δέλτοις Πιερίσιν μῦθοι τάδ᾽ ἐς ἀνθρώπους ἤνεγκαν Nous

παρὰ καιρὸν ἄλλως. D

suivons ici le Lexte établi par Murray.

(4) HL 256-59 : «"Ap’ :

ἡ τεκοῦσά u’ ἔτεκεν ἀνθρώποις τέρας ;

γυνὴ γὰρ οὔθ᾽ Ἑλληνὶς οὔτε βάρθαρος τεῦχος νεοσσῶν λευκὸν ἐκλοχεύεται,

ἐν ᾧ με Λήδαν φασὶν ἐκ Διὸς τεκεῖν.» Badham et Wieland, suivis en particulier par Murray, rejetaient les v. 257-59 comme une interpolation, mais il n'y a pas de éd. d'Héléne (Budé), note ad loc.).

motif

sérieux

de

les suspecter

(cf. Grégoire,

LA NAISSANCE

D’HELENE

147

Telle est la version de la naissance d'Héléne qu'Euripide propose aux spectateurs athéniens. La maniére dont il la présente, les réserves qu'il fait sur son authenticité, montrent qu'elle n'était pas familière au public. Dans l’Iliade, Hélène est la fille de Zeus et la sceur des Dioscures (1), mais sa mére n'est pas nommée. Si l'Odyssée cite Léda et Tyndare comme les parents des Dioscures, c'est seulement dans un passage de la Nekyia qui a le caractère d'une interpolation tardive (2). En revanche, l'auteur des Chanis Cypriens devait à son sujet

de s'étendre sur les origines d'Héléne. On a conservé un fragment de douze vers relatif à cet épisode. Le début — dont l'établissement fait difficulté — se présente ainsi : « Aprés

eux

(les

Dioscures 7),

en

Héléne, merveille pour les mortels, aux beaux cheveux, unie d'amour de la nécessité » (3).

troisième

lieu,

il

(Zeus ?)

engendra

elle que jadis mit au monde à Zeus, roi des dieux, sous

Némésis l'empire

La suite du fragment décrit la poursuite de Némésis par le dieu à travers les terres et les mers et les métamorphoses successives en

animaux marins ou en bétes sauvages, gráce auxquelles elle tentait de se dérober à son amour (4). D'autres témoignages nous apprennent qu'elle se changeait finalement en oie et que Zeus prenait à son tour la forme d'un cygne pour s'unir à elle. Le résultat de cette union était un œuf, qui fut recueilli par Léda. Les temps (1) I' 199; 236-38 ; 418 ; 426 ; cf. aussi Od. 5 184; 219 ; Ψ 218.

(2) À 298-304.

(3) Fr. VII, 1-3:

« Τοὺς δὲ μέτα τριτάτην ᾿Εἰλένην τέκε θαῦμα βροτοῖσι, τὴν ποτε χαλλίχομος Νέμεσις φιλότητι μιγεῖσα Ζηνὶ θεῶν βασιλῆϊ τέκε κρατερῆς ὑπ᾽ ἀνάγκης.»

Τοὺς δέ ne peut guère représenter que les Dioscures. Le verbe τύκτω s'employant aussi bien pour le père que pour la mère, le sujet peut être Zeus ou Némésis. Mais, dans les Kypria, Zeus n'est le père que d'un des Dioscures, et Némésis n'est la mère d'aucun des deux. Dés lors, ou bien on considére le vers comme altéré et l'on corrige τέχε en ἔχε (Hecker) ou en τρέφε (Ahrens), dont le sujet serait alors Léda, ou bien on suppose une lacune aprés le v. 1 (Welcker, Bethe, Allen). Il ne nous paraît cependant pas impossible de garder le texte recu, en comprenant ainsi le v. 1 : aprés la naissance des Dioscures, vint une froisième naissance, celle d'Hélène que Zeus engendra. (4) Fr. VII, 4-12 : « Φεῦγε γάρ, οὐδ᾽ ἔθελεν μιχθήμεναι dv φιλότητι

5

πατρὶ Διὶ Κρονίωνι ᾿ ἐτείρετο γὰρ φρένας αἰδοῖ καὶ νεμέσει * κατὰ γῆν δὲ καὶ ἀτρύγετον

μέλαν ὕδωρ

φεῦγε, Ζεὺς δ᾽ ἐδίωκε ᾿ λαδεῖν δ᾽ ἐλιλαίετο θυμῷ * ἄλλοτε μὲν κατὰ κῦμα πολυφλοίσδοιο

θαλάσσης

ἰχθύς εἰδομένη πόντον πολὺν ἐξορόθυνεν, 10

ἄλλοτ᾽ dv’ ὠκεανὸν ποταμὸν καὶ πείρατα γαίης,

ἄλλοτ᾽ dv’ ἤπειρον πολυδώλακα ' γίγνετο δ᾽ αἰεὶ Onpl', ὅσ᾽ ἤπειρος αἰνὰ τρέφει, ὄφρα φύγοι νιν.» Les vers 11-12 sont imités dans l'Hymne homérique à Aphrodite, les deux passages procédent d'un modéle commun).

4-5 (à moins

que

148

EURIPIDE

ET

LES

LÉGENDES

DES

CHANTS

CYPRIENS

révolus, Héléne brisa la coquille et vint ainsi au monde. Léda et Tyndare se chargérent de son éducation (1). Il n'est pas possible de dire à quel endroit de l'épopée Stasinos évoquait la naissance d'Héléne (2). On a souligné le caractére archaique

de

cette

légende,

paralléle

d'Achille (3). Le choix symbolique cette

Héléne

à

celle

de

la

naissance

de Némésis comme

pour laquelle Grecs et Troyens

mère de

allaient s'entre-tuer

s'harmonise avec le motif général du plan de Zeus et avec la fonc-

tion que le poéte y assigne à Thémis et à Éris (4). De plus, en conservant à Léda le róle de mére adoptive de l'héroine, l'auteur des Chanis Cypriens conciliait son récit avec la tradition sans doute plus ancienne qui la donnait comme la véritable mére d'Héléne (5). Il n'est du reste pas exclu qu'Homére ait connu les deux filiations et que son silence s'explique par le refus de choisir entre la légende par trop fabuleuse que recueillera Stasinos et une autre tradition (6).

Dans

tous les cas, Euripide

ne pouvait ignorer la généalogie

d'Héléne donnée par les Kypria.

D'où vient qu'on n'y trouve pas

d'allusion jusqu'en 412, au point méme que le poéte, avant les Troyennes, ne considère Hélène que comme la fille de Tyndare ? Et pourquoi, par la suite, tout en empruntant certains détails à cette légende, l'a-t-il si profondément modifiée ? Les textes aussi bien que les documents archéologiques nous apportent la certitude que la légende des Chanis Cypriens a joui d'une certaine vogue à Athénes entre 430 et 400. L'histoire de l'ceuf (1) Bethe (fr. 8, 1 à 8, 7) a réuni les textes qui paraissent dériver de Stasinos, mais un tri s'impose dans ces témoignages, car des traditions différentes se sont trés vite enchevétrées. L'ensemble a été bien démélé par A. Severyns, p. 266-271. On retiendra essentiellement les textes suivants, qui comportent cependant presque tous des éléments

étrangers

aux

Kypria:

Sappho,

fr. 166

LP ; Eratosth.,

Cafaster.

25 (tr. 8,

7) ; Philod., de piet. (ap. Crónert, Archiv f. Pap., I, 109, 1) (fr. 8, 1) ; Apd,, III, 10, 7 et sc. Lyc. 88 (fr. 8, 6) ; Paus.,

I, 33, 7; Eust. ad

Ii. '

368, p. 1321, 38 (fr. 8, 2).

(2) W. Kullmann, Ph., 99 (1955), p. 183-84, estime que la naissance d'Hélène n'était racontée que dans l'épisode de l'enlèvement à titre d'excursus, et que ce motif n'apparaissait pas au début du poéme, parce qu'il n'était pas lié à l'origine au plan de Zeus : ce n'était qu'une fois Héléne venue au monde que Zeus imaginait de l'utiliser pour chátier les mortels. Il nous semble au contraire que l'héroïne avait sa place marquée dès le départ dans le plan divin (cf. supra,

p. 44 8qq.).

(3) Cf. Kerenyi, p. 9-11; M. Untersteiner, La Fisiologia del Mito, p. 42-43. Les métamorphoses de Thétis ont pu servir de modèle, car la transformation en animal marin se justifie mieux pour la Néréide que pour Némésis (voir supra, p. 73, n. 3). (4)

Cf. H. Herter, col. 2344 ; Kerenyi, p. 13-15 ; 22-25 ; A. Clota, p. 375. On notera

aux v. 5-6 du fr. VII le jeu de mots dans l'expression αἰδοῖ | xal veuéoet. (5) Herter, col. 2345, considére que la légende de Léda est péloponnésienne et celle de Némésis attique. (6) Kerenyi, p. 25-28; Kullmann, Die Quellen, p. 79, n. 1; 255-56. En Γ' 156, l'expression οὐ νέμεσις ... pourrait faire allusion à cette légende. Cependant, certains critiques y voient plutôt l'origine du motif des Kypria.

LA NAISSANCE

d'Héléne

avait

fourni

D’HELENE

la matière

d'une

149

comédie,

la Nemesis

de

Cratinos, représentée à Athènes en 429 (1). Dans cette pièce, l'union de Némésis et de Zeus était placée à Rhamnonte, bourgade d'Attique où, un peu avant 430, un sanctuaire consacré à Thémis

et à Nemesis avait été restauré et orné d'ceuvres d'art (2). L'ceuf pondu par Némésis était ensuite porté, sans doute par Hermès (3),

à Léda qui le couvait elle-méme et assurait son éclosion. De l'ceuf sortait Hélène. Dans cet arrangement de la primitive donnée épique, seul Zeus se métamorphosait, la déesse Némésis gardant son apparence féminine. Une série de vases, qui sont pour la plupart de facture attique et s'échelonnent de 430 à 400 environ, illustrent cette forme de la légende (4). Sur un autel, sans doute dédié à Zeus,

parmi

les cendres

chaudes

d'un

sacrifice,

repose

un

ceuf

énorme d’où, dans certaines répliques, sort une fillette. De part et d'autre figurent une femme faisant un geste d'étonnement (Léda), un homme fait (Tyndare), souvent deux jeunes gens que leurs attributs désignent comme les Dioscures, parfois Hermés ou un assistant. Sur plusieurs de ces vases apparait un aigle, l'oiseau de Zeus, le bec pointé vers l’œuf, comme s'il se préparait à percer

la coquille pour aider l'éclosion. La scéne est assurément, comme le montrent les dates méme, en rapport avec la légende rhamnusienne de Némésis évoquée par Cratinos. Les peintres de vases se sont-ils inspirés directement de récits cultuels, d'une ceuvre d'art,

(1) Sur cette pièce, cf. Eratosth.,

Catast. 25 ; sc. Germ.,

Phaen

273, et Cratinos,

fr. 107-120 Edm. ; Rossbach, col. 128-129.

(2) Sur ce sanctuaire, cf. Paus., H.

Herter,

col. 2346-2352 ; Ch.

I, 33, 7-8;

Picard, La

Rossbach,

Sculpture

col. 124 sqq. et 147 sqq. ;

grecque, T.

II, 2 (1939),

p. 535-

541. La question de savoir si les Chants Cypriens plaçaient déjà l'union de Zeus et de

Némésis

à Rhamnonte

a été souvent

soulevée,

sans qu'il soit possible d'apporter

de réponse certaine : on ignore en effet si Némésis figurait dans ce sanctuaire au cóté de Thémis

à date ancienne.

Wilamowitz

(H,

18 (1883),

p. 262,

n.

1) estimait

que la

légende attique avait inspiré Stasinos. C'est aussi l'avis d'A. Severyns, CE, p. 270, n. 2, et de H. Herter, col. 2345. Nous croirions plutót avec Rossbach (col. 119 ; 126-28) que c'est la légende cultuelle de Rhamnonte, elle-même inspirée des Kypria, qui a contribué à localiser en Attique un épisode dont Stasinos ne précisait pas le cadre (cf. Chapouthier, BCH, 66-67 (1942-43), p. 20). Callimaque, H. Art. 232, et Ératosthéne, I. c., peuvent se référer à la légende cultuelle ou méme à la Nemesis de Cratinos aussi bien qu'à l'épopée. (3) Hyg., Asir. II, 8; Hermès est aussi présent sur les vases cités infra, n. 4. (4) La signification de l'épisode a éLé reconnue par Kékulé, Festschr. Un. Bonn, 1879, et Berl. Akad. Siiz.-Ber., 1908, I, p. 691-703 et Pl. VI-IX. Des compléments ont été apportés par F. Chapouthier, Léda devani l'œuf de Nemesis, BCH, 66-67 (194243), p. 1-21, et Beazley, Elruscan vase painting, 1947, p. 39 810. ; 53 ; 115 8qq. W. Johan-

nowsky,

Bollelino d'Arte,

à Naples et attribué

1960, p. 202 sqq., signale encore un vase

au peintre de Nicias. La série compte

trouvé

15 vases attiques,

en 1959 7 vases

étrusques et italiotes et 8 miroirs étrusques. Ces derniers représentent en général la remise de l'œuf à Léda ou Tyndare (cf. Fr. Brommer, p. 362-63).

150

EURIPIDE

ET

LES

LÉGENDES

DES

CHANTS

CYPRIENS

ou d'une ceuvre littéraire ? La question a été débattue (1), mais à défaut de certitude, bien des indices nous suggérent une source théátrale, tragédie ou comédie (2), les deux peut-étre, l'une parodiant l'autre.

Ce qui importe ici est que la légende de l’œuf de Némésis confié à Léda avait été répandue à Athénes, à la fois par les artistes et par les dramaturges, lorsque Euripide compose en 412 son Héléne. Et, à regarder les textes de prés, plusieurs indices montrent que notre poéte connaissait bien le mythe de Stasinos alors remis à la mode. Ainsi, dans les Troyennes, Andromaque s'écriait à propos

d'Héléne : « Hace de Tyndare, non, tu n'es pas la fllle de Zeus, mais, je l'affirme, nombreux sont les péres dont tu es née : les génies de la Vengeance, de la Haine, du Sang, de la Mort, et tous les fléaux que nourrit la terre. Je ne saurais prétendre

un instant que

tu es née de Zeus, démon

fatal à tant de

Grecs et de Barbares » (3).

N'y a-t-il pas là une sorte de développement du symbole proposé par les Chants Cypriens, dans lesquels la mère d'Héléne, instrument du dessein de Zeus, était la Vengeance divine personnifiée ? D'autre part, un vers d'Oresle semble rapprocher intentionnellement du nom

d'Héléne le mot « Némésis ». Le chœur y

« C'est en toute justice que la Némésis

divine a atteint

affirme :

Héléne » (4).

On comprend ainsi pourquoi, lorsque Euripide expose sa propre version de la naissance d'Héléne, il enrobe de précautions oratoires un récit qui contredisait à la fois la légende à la mode (Héléne, fille de Némésis) et celle qu'il avait paru adopter dans ses pièces précédentes (Hélène, fille de Tyndare) (5). Comment (1) Kékulé

pensait

à une

œuvre

d'art du

temple

de

Rhamnonte,

C. Robert

à

« quelque tableau du grand art » (cf. Chapouthier, o. c., p. 11 et 18).

(2) Tous les arguments ont bien été groupés par Chapouthier, o. c., p. 18 : l'existence d'un Tyndare de Nicomaque

malheureusement

et d'une Léda de Denys l'Ancien, dont nous ne connaissons

que les titres; les costumes de théâtre des Dioscures et d'Hermés

sur un vase attique, et la parodie de l'épisode dans une scéne de phlyaques d'un vase italique (n° 13). On peut ajouter une comédie d'Eubule, les Laconiennes ou Léda, et une allusion d'Asclépiade de Tragile dans ses Tragodoumena (fr. 11 Jac.).

(3) Tr. 766-771 : « Ὧ Τυνδάρειον ἔρνος, οὔποτ᾽ el Διός, πολλῶν

δὲ πατέρων

φημί σ᾽ ἐχπεφυκέναι,

᾿Αλάστορος μὲν πρῶτον, εἶτα δὲ Φθόνου, Φόνου τε Θανάτου θ᾽ ὅσα τε γῇ τρέφει κακά. Οὐ γάρ nor’ αὐχῶ Ζῆνά γ᾽ ἐκφῦσαί σ᾽ ἐγώ, πολλοῖσι κῆρα βαρθάροις "EXXnol (4) Or. 1361-62 : « Διὰ δίκας ἔθα θεῶν νέμεσις ἐς ᾿Εἰλέναν. »

τε.»

Il y a peut-être aussi un souvenir de l'{liade, I' 156. Dans les Phéniciennes 182, on trouve une invocalion à la déesse Némésis. (5) Filiation qui se trouve chez Hésiode (fr. 93), Stésichore (fr. 46 = sc. MTAB

Or. 249), Hygin,

f. 78, etc.

LA NAISSANCE

D’HELENE

151

a-t-il été amené à proposer pourtant une telle innovation ? Pour le comprendre, il faut prendre garde au caractére satyrique de la Nemesis de Cratinos : dans cette pièce, l’œuf de Nemesis d'où

sortait la fille de Zeus symbolisait la guerre du Péloponnése, dont le comique attribuait la genése à Périclés «l'Olympien » et à la courtisane Aspasie (1). Comment, dans un drame comme Hélène, où il se aurait-il

proposait de pu adopter

Cependant,

réhabiliter l'héroïne de Sparte, Euripide une généalogie aussi compromettante ?

la tradition

épique

donnant

Hélène

comme

la fille

de Zeus s'accordait trop bien avec le destin extraordinaire réservé dans cette piéce à l'héroine pour qu'il l'écartát (2). La version

qu'il propose élimine donc Némésis, dont la transformation en oie pouvait paraître au poète choquante, ou simplement ridicule. Elle élimine du méme coup le transport de l’œuf depuis Rhamnonte

jusqu'à Sparte. Zeus s'unit à Léda sur les rives de l'Eurotas, mais Euripide conserve de la tradition un certain nombre de traits sail-

lants : la métamorphose du roi des dieux en cygne, la présence de l'aigle, qui favorise ici le subterfuge, l’œuf d’où sort Hélène, enfin le róle de Léda dans l'éducation de la fille de Zeus. Doit-on faire honneur à Euripide d'une invention aussi ingénieuse ? On

serait

d'autant

plus

tenté

de l'admettre

que

cette

histoire est présentée à deux reprises comme une suggestion dont le poéte n'ose se porter formellement garant. Cependant,

un vers

d'Iphigénie à Aulis peut nous faire hésiter : lorsque, à propos de cette naissance, il parle des «fables gravées sur les tablettes des Piérides » (3), l'auteur n’indique-t-il pas lui-même qu'il doit sa légende à un poéte antérieur ? On écartera les poétes épiques : ni Homére, ni Stasinos, ni Hésiode (4) ne présentent cette version.

Parmi les lyriques, Pindare se rattache plutót sur ce point aux traditions de l'épopée, mais il y a quelques raisons de considérer Stésichore comme le modéle d'Euripide (5). Son influence sur notre tragique, qui semble à peu prés nulle avant 415, est importante dans Hélène, Oresle et Iphigénie à Aulis, les pièces justement où se trouve évoquée la fabuleuse naissance d'Hélène. Euripide lui doit le sujet de la première de ces trois pièces (6), et l’histoire de (1) Peu d'années après, dans les Prospaltioi d'Eupolis (fr. 249 Edm.), Hélène figurait encore Aspasie.

(2) Cf. par exemple

HL

45-46, oü l'héroIne dit : « Zeus ne s'est pas désintéressé

de moi. »

(3) IA 797-98 (cf. supra, p. 146). (4) D'après le fr. 92, Hésiode aurait considéré Hélène comme née de Zeus et d'une fille d'Océanos. Mais cette affirmation est certainement erronée (cf. J. Schwartz, p. 410-

411). (5) Cf. M. Mayer, p. 33-34; C. Pindare, voir infra, p. 153, n. 5.

(6) L'influence M.

Mayer.

de

Stésichore

Sur les sources

du

Robert,

p. 343;

sur

Euripide

est

drame

d'Héléne,

voir

A.

Severyns,

étudiée

dans

infra, chap.

CE,

son VI,

p. 270.

Pour

ensemble p.

188 sqq.

par

152

EURIPIDE

ET LES LÉGENDES

DES

CHANTS

CYPRIENS

Léda et du cygne est associée à plusieurs reprises à d'autres motifs légendaires

dont

l'attribution

à

Stésichore

est

certaine

ou

probable : par exemple, le suicide de Léda (1), la destruction d'Ilion (2), les imprécations contre la Tyndaride, qui rappellent par la violence du ton un fragment conservé du poète lyrique (3).

I] n'est pas exclu, cependant, qu'Euripide ait inséré dans la légende de Stésichore des traits provenant d'une autre source. Par exemple, le détail de l'aigle menagant

le cygne est placé par

Hygin (4) dans la version de Némésis et nous oriente plutôt vers la légende rhamnusienne utilisée par Cratinos. Enfin, certaines figurines attiques et béotiennes, dont les plus anciennes sont du ve s., associent au cygne un personnage féminin, dans lequel on reconnaît soit Némésis, soit Léda (5). Elles ont pu contribuer au

transfert de cette légende de la déesse à la femme de Tyndare. Quoi qu'il en soit, ce motif de la naissance d'Héléne a connu un succés aussi vif que durable, et l'on sent que, dans ses derniéres pièces, Euripide se cite lui-même

avec complaisance. A partir du

IV? s., la notoriété de cette légende s'affirme si bien que ceux méme des auteurs qui racontent l'histoire de Némésis s'empressent d'ajouter qu'on l'a rapportée à Léda (6), ou s'efforcent par tous les moyens, méme les plus singuliers, de concilier les deux

versions (7). Mais la grande majorité des écrivains et des artistes ne connaît plus que l'anecdote de Léda et du cygne (8) : témoignage remarquable d'une influence qui est bien plutót celle du

drame euripidéen que de la poésie de Stésichore. (1) HL 219; M. Mayer, p. 18. (2) Or. 1385 sqq. ; IA 773-783. Pour l'Iliou Persis de Stésichore, cf. fr. 19-28. (3) HL 1147 sqq. ; Stesich., fr. 46 (cf. aussi Or. 1305, et, pour les malheurs de Tyndare,

Or. 249-250 ; 540-41

; 750).

IL faut

toutefois

Stésichore suppose qu'Héléne est la fille de Tyndare.

remarquer

que

le passage

de

Mais on peut imaginer que, si

ces vers figuraient dans son Hélène, comme le pensait Bergk, le poète a adopté ailleurs,

par exemple dans la Palinodie, une version différente. (4) Hyg., Astr., II, 8.

°

(5) Fürtwüngler, Samml. Sabouroff, LX XI, et Ezcurs., p. 9-10; Rzach, col. 238586 ; Chapouthier, p. 20. Dans cette scène, où l'on croyait voir Aphrodite ou Léda assise sur un cygne, Fürtwüngler reconnaissait Némésis. Mais une telle confusion a pu se produire dès le v* 8.

(6) Isoc., Hél. 59; Philod., I. c.; Apd., (7)

Le

meilleur

témoignage

de

la

III, 10, 7; Hyg., Asir., II, 8, etc.

confusion

à

laquelle

ont

abouti

les

diverses

traditions est donné par les scolies de Tzetzés à Lycophron (88, 89 et 511), oà l'on ne relève pas moins de sept versions différentes de la naissance d'Hélène et des Dioscures. Les scolies MTB

à Oreste

1385

montrent

aussi que

le scoliaste ne comprenait

légende de Némésis. Sur ces tradilions, voir Eitrem, 8. v. Leda, RE, col. 1119-1120 ; C. Robert, p. 344.

XII,

plus la

1 (1924),

(8) Par exemple, le nom de Némésis ne figure pas dans les fables d'Hygin mentionnant les origines d'Hélène (f. 77-80 ; 155 ; 224 ; 240). Dans l'art, la légende de Léda et du cygne apparait au 1v* s. (grande peinture et peintures de vases, statuaire, terres cuites : cf. Eitrem, o. c., col. 1121 &qq.) et elle connaîtra une grande vogue à

l'époque

romaine.

FRÈRES

ET SŒURS

2) FRÈRES

D’HELENE

ET SŒURS

153

D’HELENE

Sur la naissance de Castor et de Pollux, Euripide est beaucoup plus avare de détails. Lorsqu'ils paraissent ou sont évoqués dans son théâtre, ils sont seulement appelés « Tyndarides », ou encore « fils de Zeus » (1), ce que leur nom de Dioscures suffit du reste

à exprimer. posées

Parfois

(2). Le

méme,

poéte

les

rappelle

deux

appellations

souvent

qu'ils

sont

sont

les

juxta-

fréres

de

Clytemnestre et d'Héléne (3) et leur róle de protecteurs de leurs sœurs

suggère

qu'ils

sont

nés

avant

elles.

Mais

il n'apparatt

jamais que leur venue au monde ait été aussi étrange que celle d'Héléne (4). Euripide a donc écarté la version de Stasinos qui établissait une distinction entre les deux jumeaux. Les Chants Cypriens disaient comment Léda les avait tous deux congus la méme nuit, mais comment l'un, Pollux, était fils de Zeus, et l'autre, Castor, fils de Tyndare, en sorte que Castor était mortel, tandis que Pollux

était immortel (5). Mais, par amour fraternel, Pollux avait obtenu de Zeus une survie alternée chaque jour pour tous deux, de préférence à une immortalité personnelle (6). En accord avec Homére (7),

Euripide ne distingue donc pas entre les deux fréres d'Héléne, fils d'une méme mére. Mais, à la différence du poéte épique qui les considérait comme de race humaine et mortelle, il suit une tradition attestée par le Calalogue hésiodique et les Hymnes homériques aux

Dioscures (1)

Les

(8), qui donne Dioscures

(2) Ainsi dans

les deux

fils de Zeus et de Léda

Oresle

jumeaux : HL

284;

comme

1680;

IA

Clytemnestre

: El. 990;

1239;

JA

fils de

1153.

1689 : «adv Τυνδαρίδαις τοῖς Διὸς ὑιοῖς ",

rappelle celle de l'Hymne homérique aux Dioscures, I, 1-2. (3) Fréres d'Héléne : Héc. 441; 943; HL 137-142; 640;

des

expression qui

1643-45.

Fréres

de

1153.

(4) La tradition qui fait sortir les Dioscures d'un œuf ou de deux semble de toute maniére

postérleure à Euripide (un ceuf pour Pollux et Héléne,

un autre pour Castor

et Clytemnestre, ce qui reflète en partie la version des Kypria: Apd., III, 10, 7; Hyg., Aslr., II, 8; un seul œuf pour les Dioscures et Hélène : Lycophron, Alez., 566 8qq. ; Hor., Sal., II, 1, 26-27). Sur ces traditions, cf. C. Robert, p. 344.

(5) Kyp., fr. VI : « Castor destin ; Pollux,

61-64 ; sc. O, Od. sans doute

lui, race

est mortel,

d'Arés,

la mort

est immortel. » Cf.

a été mise Pd.,

dans

Ném.,

son

X, 80-82;

lot par Py.,

le XI,

299 ; V en À 300 ; Eust., en À 302, p. 1686, 22. Cette version s'inspire

de la légende d'Héraclés.

(6) On admet en général qu'il y a un souvenir des Chants Cypriens dans la Nekyia de l'Odyssée (À 298-304), où les Dioscures sont les fils de Tyndare et de Léda, mais ont obtenu par une faveur particuliére de Zeus une immortalité d'un jour sur deux

(Severyns, CE, p. 280). (7) Il., T 236 aqq. (8) Hés., fr. 91 (cf. Schwartz,

p. 409-411 ; 417) ; Hymn.

1-4 (de la fin du vie ou du début du

v* &.) ; Thcr., XXII,

Hom.

Diosc.,

1 sqq., etc.

I, 1-5;

II,

154

EURIPIDE

ET

LES

LÉGENDES

DES

CHANTS

CYPRIENS

Zeus. Cette tradition, dont l'autorité a été renforcée par les honneurs divins qu'on leur rendait en Gréce à l'époque classique, convenait mieux au róle qu'Euripide leur a réservé dans son théátre (1).

Au contraire d'Héléne et des Dioscures, Clytemnestre n'est jamais chez Euripide que la file «humaine» de Léda, la « Tyndaride » (2), ce qui s'accorde avec la tradition unanime (3). Le poète semble méme parfois souligner l'opposition entre Tyndare,

pére

de Clytemnestre,

d'Hélène

(4), opposition

jusqu'au

bout

la

dont

marque.

et Zeus,

le destin

pére

des

Dioscures

et

des

deux

sœurs

porte

au

seuil

de

mort,

Clytemnestre,

la

n'aura rien à espérer de la sollicitude divine. C'est qu'elle a imité les débordements d'Héléne sans avoir l’excuse d’être la fille de Zeus et de servir son grand dessein. Un dernier texte pose pour nous une énigme.

d'Iphigénie à Aulis, Agamemnon

Dans le prologue

déclare :

« Léda, la Thestiade, eut trois filles : Phœbé, et Héléne » (5).

ma femme

Clytemnestre

Qui est cette Phobé, qu'Ovide est le seul autre auteur de l'antiquité à mentionner (6) ? Les diverses traditions ne citent que deux autres filles de Tyndare et de Léda, Timandra et Phylonoé (7). S'il existe dans la légende des Dioscures une Phœæbé, fille de Leucippos, et par conséquent niéce de Tyndare, mariée à son cousin Pollux (1)

(8), rien ne nous

Cf. infra,

autorise à la confondre

avec

la fille de

p. 195 aqq.

(2) El. 60; 989; 1018; IA 593; 1155. (3) Od., ὦ 199; Apd;, III, 10, 6; Hyg., f. 77; 80; Tzetz., sc. Lyc. 511, etc. On ne peut suivre Kerenyi, lorsque, p. 20, il tire du fr. VII, 1 des Kypria la conclusion que Stasinos faisait sortir Hélène et Clytemnestre du méme œuf. (4) EI. 989-991.

(5) LA 49-51 : «'Ey£vovro Λήδᾳ Θεστιάδι τρεῖς παρθένοι, Φοίδη Κλυταιμήστρα τ᾽, ἐμὴ Euvéopos, 2 TÉ. ἢ (6) Ov., Hér., VIII, 77: « Phoebeque soror fratresque gemelli. » Encore l'expression, dans la bouche d'Hélène, pourrait-elle à la rigueur désigner les Dioscures et la Leucippide Phoebé, femme de Pollux, donc sa belle-sceur (cf. soror dans le sens de cousine, Ov., Mét., I, 351). (7) Timandra : Hésiode, fr. 90; 93; Apd., III, 10, 6; sc. MTAB Eur., Or. 457 ; Tzetz., sc. Lyc. 511. Phylonoé : Apd., !. c. Elle est aussi identifiée par une inscription sur une coupe de Xénotimos (n° 1 du Catalogue de F. Chapouthier) auprès de Léda et de Clytemnestre, et sur une amphore tyrrhénienne (Brit. Mus., B 170) auprés des Dioscures. D'aprés Apollodore, Artémis lui accorda l'immortalité. (8) D'après Stasinos (Kyp., fr. VIII), Phoebé et sa sœur Hilaera

filles d'Apollon. Euripide,

Il était peut-être

mais plus probablement

question composé

d'elles dans

étaient en réalité

le Rhadamanthe

par Critias (cf. Diele,

Vorsokr.

attribué

à

II", fr. 12

à 15, p. 381-82 et 426-27). D'après un fragment d'hypothesis (PSI 1286, col. 2 ; cf. C. Gallavotti, RFC, XI (1933), p. 177 sqq. ; Körte, Archiv f. Pap. Forsch., 11 (1935),

FRÈRES ET SŒURS D’HELENE

155

Léda. Toutefois, bien des similitudes dans les noms, les attributions

et le culte, rapprochent les Leucippides des Dioscures (1). Notamment, dans le sanctuaire du Phoibaion de Thérapné, qui est évoqué dans un passage d'Héléne, on honorait à la fois Phoebé et les Dioscures (2). La connaissance de ce culte a-t-elle conduit Euripide à proposer cette innovation généalogique qui semble gratuite ? Ou bien, comme on l'a parfois suggéré (3), notre poéte a-t-il pris pour modèle Stésichore, auquel il emprunte le thème du serment des prétendants dans le passage d'Iphigénie? On ne peut que poser la question sans étre

à méme d'y répondre.

La naissance des enfants de Léda permet de constater une fois encore l'indépendance d'Euripide à l'égard de ses sources, et en particulier de l'épopée. Lorsqu'il s'agit de personnages de moindre conséquence dans son théátre, comme les Dioscures et Clytemnestre,

il accepte sans effort les idées courantes. Mais il aime aussi le détail rare, inattendu : ainsi lorsqu'il place la mystérieuse Phœbé aux

cótés de Clytemnestre et d'Héléne. Le cas de cette derniére est plus complexe. Tant qu'il se contente de souligner la responsabilité personnelle de l'héroine dans le désastre troyen, notre auteur ne veut voir en elle que la plus belle et la plus artificieuse des mortelles, la fille de Léda et de Tyndare. Mais plus tard vient s'imposer

à sa réflexion la grande idée du dessein de Zeus. En méme temps, il entre

dans

la controverse

qui

semble

s'étre

ouverte

alors

à

Athénes sur le cas d'Héléne (4). Celle-ci plaide elle-méme sa cause dans une scène des Troyennes et le poète paraît voler à son secours

dans Héléne. Malgré les imprécations qui montent vers elle de toutes parts, elle triomphera dans l'apothéose finale de l’Oresie. Euripide

sent alors tout le parti à tirer de l'origine divine attribuée à Héléne par l'épopée. Peut-être songe-t-il à la méme époque à utiliser les poèmes de Stésichore, où il trouve une version nouvelle, à la fois pitto-

resque, piquante et suffisamment rationalisée du récit des Kypria, que la Nemesis de Cratinos avait tourné en ridicule. Cette légende, présentée avec prudence dans l'Héléne, est sans doute accueillie p. 258), Artémis annonçait dans la scène finale qu'Héléne instaurerait un culte en l'honneur de ses fréres qui venaient de mourir et que les « fllles de Rhadamanthe » obtiendraient l'immortalité. S'agissait-il des Leucippides 7 (1) Sur les rapports cultuels des Dioscures et des Leucippides, cf. S. Wide, Lakon. Kulte, p. 330-31;

Frazer,

note

à

Apd.,

III, 11, 2;

C. Robert,

p. 311-15.

Le nom

de

Phoebé, qui rappelle celui de Pholbos, serait-il là pour faire pendant à celui d'Héléne, que

les

anciens

ont

parfois

rapproché

implicitement

Les Dioscures..., p. 140-41 ; M. Becker, Helena, (2)

HL

de

(cf.

Chapouthier,

1465-66. Sur le Pholbaion, cf. Alcman,

fr. 14b ; Paus., III, 20,2

; C. Robert,

P. 314-15 ; F. Bölte, 8. v., RE, XX, 1 (1941), col. 324-26. partageaient aussi un temple à Argos (Paus., II, 22, 5). (3) M. Mayer, p. 23. (4) Sur cette controverse,

cf. Chapouthier,

Séléné ?

1939, p. 102-106).

art. cit., p.

Dioscures et Leucippides

18-20.

156

EURIPIDE

ET

LES

LÉGENDES

DES

CHANTS

CYPRIENS

avec assez de faveur pour qu'il la reproduise plusieurs fois par la

suite, lui conférant une telle célébrité qu'elle éclipsera bientót toutes les autres représentations de la naissance d'Héléne. On regrettera sans doute de voir l'épisode des Chants Cypriens, encore

tout imprégné de souvenirs de folklore et riche de signification symbolique, s'effacer devant une simple scéne de genre illustrant l'ingénieuse lubricité du maitre des dieux. Mais un tel récit ne pouvait que plaire en cette fin du ve siècle où on ne cherche plus

dans les légendes de la mythologie une explication du monde mais des images

plaisantes

IL. LES L'unique

et le reflet des passions

NOCES

héroine

D'HÉLENE

qui püt se dire

ET

DE

humaines.

MÉNÉLAS

fille de Zeus

ne devait

pas

manquer d'attirer tous les cœurs à elle. C'est ainsi que les Chants Cypriens

faisaient

débuter

trés tót les désordres

provoqués

par

sa beauté : lorsqu'elle était encore enfant, racontaient-ils, Thésée s'éprit d'elle et, l'ayant enlevée, l'emmena avec lui en Attique. Mais elle fut reprise peu aprés par les Dioscures. Ceux-ci profitérent d'une absence de Thésée pour s'emparer du bourg d'Aphidna, où leur sœur se trouvait sous la garde d'Aethra, la mère du héros, et ils ramenérent cette derniére en esclavage à Sparte (1). Cette légende expliquait la présence d'Aethra parmi les servantes

d'Héléne à Troie, et elle a connu dans l'antiquité une certaine célébrité. Cependant, Euripide n'y a fait aucune allusion (2), et on ne s'en étonne pas : outre qu'elle donnait un róle peu avan-

tageux toute

au héros jeune

national,

n'avait

pas

cette

engagé

aventure

d'une

Héléne

encore

sa responsabilité.

Pour notre poéte, son pouvoir de séduction se manifesta d'abord quand Tyndare chercha à la marier. Dans le prologue d’Iphigenie à Aulis, Agamemnon détaille longuement cet épisode :

(1) Kyp., fr. X (sc. A et minn. en I 242) ; Alcman, fr. 21 ; Hdt., IX, 73 ; Hellanicos, fr. 134 ; 168 Jac. ; Polémon, fr. 10 Mül. ; Apd., Bibl., III, 10, 7; Ep., I, 23. Stésichore

(fr. 14) avait en outre raconté qu'Iphigénie était la fille d'Hélène et de Thésée. Sur la forme

de l'épisode

dans les Kypria,

cf. Severyns,

CE,

p. 271-74.

est habituellement considéré comme un doublet du rapt de Páris. contraire a été soutenue (cf. Krappe, Mythol.

Le rapt de Thésée

Cependant

l'opinion

Univ., p. 296 ; M. Becker, Helena, p. 147-

151; J. Alsina Clota, art. cit., p. 378-79). (2) Au contraire, même : dans Hélène (1400), l'héroïne affirme être entrée vierge dans la couche de Ménélas. L'expression τὰν λιποπάτορα (Or. 1305) ne peut guère être prise comme une allusion à cette aventure, ainsi que le suggére F. Chapouthier, éd. d'Oreste (Budé), p. 84, n. 2.

LES sa

NOCES

D’HELENE

157

«Les jeunes gens les plus fortunés de la Gréce étaient venus briguer main. De terribles menaces de mort s'élevérent : chacun tuerait ses

rivaux, s'il n'obtenait pas la jeune fille. Le cas était embarrassant son

père Tyndare.

Devait-il

ou

non

la

donner

? Comment

agir

au

pour mieux

en l'occurence ? Il lui vint alors l'idée de lier les prétendants entre eux par un serment qui unirait leurs mains et s'accompagnerait de libations versées sur les victimes brülantes ainsi que d'imprécations solennelles : quiconque

obtiendrait pour femme la fille de Tyndare

recevrait le secours de tous,

si un ravisseur enlevait Héléne et en frustrait ainsi sa couche. Ils partiraient en guerre contre lui et ravageraient sa cité, qu'il füt grec ou barbare, les armes à la main. Quand ils eurent engagé leur foi et que le vieux Tyndare les eut ainsi habilement circonvenus, il accorde à sa fille de choisir un des prétendants, celui vers lequel les souffles d'Aphrodite porteraient sa ten-

dresse. Elle choisit celui que jamais elle n'aurait dà prendre : Ménélas » (1).

D'où vient cette légende du serment des prétendants ? Elle ne se

trouve pas chez Homére, qui ne donne aucun détail sur les noces d'Hélène

et

de

Ménélas.

Dans

l'liade,

le

rassemblement

des

princes grecs autour des Atrides s'explique par leur allégeance à l'égard d'Agamemnon,

ou encore par le goût de l'aventure ou les

espoirs de butin. S'il est ici ou là question d'un serment, le contexte montre qu'il ne s'agit que de l'engagement pris par les alliés, avant de quitter Argos, de s'associer jusqu'au bout à la guerre (2). (1) IA 51-71:

«a Ταύτης ol τὰ πρῶτ᾽ ὠλδισμένοι μνηστῆρες ἦλθον 'E234B0c νεανίαι.

55

Δειναὶ δ' ἀπειλαὶ καὶ κατ᾽ ἀλλήλων φόνος ξυνίσταθ᾽, ὅστις μὴ Adbor τὴν παρθένον. Τὸ πρᾶγμα δ' ἀπόρως εἶχε Τυνδάρεῳ πατρί, δοῦναί τε μὴ δοῦναί τε, τῆς τύχης

ὅπως

Kart’ ἄριστα. Καί νιν εἰσῆλθεν τάδε : ὅρκους συνάψαι δεξιάς τε συμθαλεῖν μνηστῆρας ἀλλήλοισι καὶ δι᾿ ἐμπύρων 60

σπονδὰς καθεῖναι κἀπαράσασθαι τάδε '

ὅτου γυνὴ γένοιτο Τυνδαρὶς κόρη, τούτῳ

ξυναμυνεῖν,

εἴ τις ἐκ δόμων λαδὼν

οἴχοιτο τόν τ᾽ ἔχοντ᾽ ἀπωθοίη λέχους, κἀπιστρατεύσειν

καὶ κατασκάψειν

πόλιν

65

“Ἑλλην᾽ ᾿Επεὶ ὑπῆλθεν δίδωσιν

ὁμοίως βάρδαρόν θ᾽ ὅπλων μέτα. δ᾽ ἐπιστώθησαν --- εὖ δέ πως γέρων αὐτοὺς Τυνδάρεως πυκνῇ φρενί — ἐλέσθαι θυγατρὶ μνηστήρων ἔνα,

70

Ἡ δ' εὔλεθ᾽, ὅς σφε μήποτ᾽ ὥφελεν λαθεῖν, Μενέλαον. »

ὅποι πνοαὶ φέροιεν ᾿Αφροδίτης

φίλαι.

Au v. 68, C. Prato, Maia, 9 (1957), p. 65, a montré qu'il fallait conserver la lecon δίδωσιν des mss. (δίδωσ᾽ edd.), la succession anapeste-dactyle n'étant pas sans exemple dans

les piéces tardives

d'Euripide.

Au v. 69, au lieu de ὅτου, nous adoptons la conjecture de Lenting, ὅποι. M. Delcourt observe, à propos du v. 70, qu'Euripide utilise à dessein le verbe λαθεῖν, qui ne s'emploie normalement que pour le mari. — Sur le thème du serment des prétendants, voir encore

IA 79 ; 389-393.

(2) Par exemple en B 286-88; 339-341. Cependant, W. Kullmann, estime qu'il y a là un souvenir des serments prétés à Tyndare.

p.

137-138,

158

EURIPIDE

ET

LES

LÉGENDES

DES

CHANTS

CYPRIENS

L'histoire du serment a dà apparaître à une époque où l'on ne comprenait plus la force des sentiments qui assuraient la cohésion du

monde féodal. Elle expliquait à la fois la présence devant Ilion de rois venus de la Gréce entiére et leur persévérance malgré la durée et les rigueurs du conflit (1). Elle est assez populaire au ve s. (2),

mais il est difficile de préciser qui en eut le premier l'idée. Les deux témoignages les plus anciens remontent, l'un à Stésichore, l'autre au Calalogue hésiodique. Pour Stésichore (3), Tyndare, craignant le ressentiment des prétendants évincés, fit jurer à tous

de secourir ensemble le mari de sa fille, 81 quelque tort lui advenait du fait d'Héléne, et il choisit lui-méme Ménélas, en prenant pour critére la noblesse et la beauté. Le Calalogue des Femmes, de son

côté, contenait une liste de prétendants d'Héléne dont deux papyrus de Berlin ont fourni d'importants fragments (4). On y voit chacun des prétendants exhiber les présents qu'il offre en dot et dont les Dioscures semblent chargés de faire l'estimation. Mais un personnage

Tyndare,

plutót

que nous

qu'un

ne pouvons

des

Dioscures)

identifier (sans doute

et qui

parait

redouter

des scénes de violence, engage les prétendants à préter un serment solennel accompagné de libations : si l'un d'entre eux voulait user de violence, ils devraient s'unir pour le chátier : « Tous acceptèrent

aussitót, ajoute le poéte, chacun espérant conclure ce mariage, mais l'Atride Ménélas, cher à Arés, l'emporta sur tous pour avoir fourni les plus grands présents * (5).

Les dates relatives de l'Héléne de Stésichore et du Calalogue hésiodique des prétendants sont malaisées à établir et les avis des critiques sont partagés sur ce point (6). La priorité de Stésichore est l'hypothése la plus probable (7). Mais celui-ci a-t-il inventé le

(1) Cf. E. Bethe, p. 234 ; A. Severyns, Homère, III, p. 56; T. B. L. Webster, From Mycenae to Homer, p. 184-85. (2) Allusions

chez

Sophocle

: Aj.

1113;

Phil.

72;

fr.

144

(Rassemblement

des

Achéens ) ; Thuc., I, 9 ; au début du ıv® s., Isocrate, Hél., 40. Alexis, poète de la comédie moyenne, avait composé une pièce intitulée Les Prélendants d'Hélène, dont il ne reste presque rien (FGC,

II, p. 402-03

Edm.).

(3) Fr. 13 (sc. A, II. B 339). C'est à tort, à notre sens, que J. Schwartz, p. 55254, a contesté la valeur de ce témoignage. (4)

Fr. 94 et 96 Rz’=

(5) Fr. 96, 46-49.

G

1-5 et H, v.

J. Schwartz,

1-55

Merkelbach.

p. 553, estime

Cf. J. Schwartz,

que le morceau

d'Hésiode

I. c.

est la

source principale pour les auteurs qui ont évoqué le serment des prétendants, en particulier Isocrate et Apollodore (III, 10, 9). (6) Priorité du Catalogue: C. Robert, p. 1066 ; Schmid-Stählin, VII, 1, 1, p. 475,

n. 9 ; 483, n. 4 ; J. Alsina Clota, Estud. Clas., 4 (1957-58), p. 167 ; C. M. Bowra, Greek Lyric

Poelry*

(1961),

p.

108.

Priorité

de Stésichore

: M.

Mayer,

p. 20;

Wilamowitz,

BKT, V, 1, p. 38; Severyns, CE, p. 275 ; J. Schwartz, p. 358 ; 420-22 ; 491 ; 554. (7) J. Schwartz, en particulier p. 421-22, a bien montré les raisons qui conduisent à placer le Calalogue

des Prélendants

assez

tard dans le vi* 8.

LES

NOCES

D’HELENE

159

motif du serment ? C'était en particulier l'opinion de M. Mayer (1) ; le lyrique de Sicile ayant représenté Héléne comme

une créature

corrompue, seul un engagement solennel pouvait contraindre les Grecs à affronter de tels dangers pour la reprendre. Cependant, il n'est pas exclu que Stésichore ait lui-méme recueilli et adapté un motif épique plus ancien. On s’est demandé si le serment des prétendants n'apparaissait pas déjà dans les Chanis Cypriens. Certes, les textes sont muets sur ce point. Proclos n'en parle pas et, comme l'a remarqué Wilamowitz (2), les scoliastes ne citent à propos du serment qu'Hésiode et Stésichore. C. Robert (3) estimait de son cóté que le témoignage de la base de Rhamnonte, oü l'on voyait Héléne et Ménélas présentés à Némésis par Tyndare et Léda, réduisait le mariage d'Héléne dans les Kypria à un acte purement domestique. A ces arguments on peut répondre que l'importance du rôle joué par Héléne dans ce poéme devait conduire Stasinos à donner un éclat particulier au récit de ses noces. On a suggéré que la liste des prétendants donnée par Apollodore, qui différe sur plusieurs points de celle du Calalogue, provenait des Kypria (4). D'autre part, l'enlévement d'Héléne par Thésée formait un précédent qui justifiait des précautions extraordinaires. Il aurait été également bien dans la maniére de Stasinos de reprendre un théme de l’Iliade comme celui des serments évoqués au Chant II pour lui donner un sens nouveau. E. Bethe (5) rattachait encore aux Chants Cypriens une variante rapportée par Apollodore, suivant laquelle Tyndare aurait été tiré de son embarras par Ulysse. Celui-ci, sous condition d'obtenir pour lui-méme la main de Pénélope, aurait inspiré au roi de Sparte le subterfuge du serment (6). Stasinos pouvait expliquer ainsi pourquoi Ulysse fut obligé de recou-

rir à un artifice pour ne pas accompagner les Achéens à Troie, au lieu d'opposer un simple refus aux envoyés grecs (7) : Ulysse prisonnier du serment qu'il avait imaginé et qu'il avait prété avec les autres prétendants, c'était. une invention romanesque, (1) L. c. À. Severyns on

ne saurait oublier que

poémes du cycle. (2) O. c., p. 40. (3) P. 1067. (4) Apd., III, 10,

attribue aussi à Stésichore la paternité la dégradation

du

personnage

d'Hélène

de ce motif. Mais commence

dès les

8; cf. W. Kullmann, p. 138. Une autre liste est donnée par Hygin,

f. 81, mais elle est malheureusement

trés altérée.

(5) P. 234-35 ; cf. aussi RE, art. cit., col. 2833; Schmid-Stählin, VII, 1, 1, p. 208209 ; M. Becker, Helena, p. 31; 35; K. Bielohlawek, WS, 55 (1950-51), p. 8, n. 1. (6) Apd., III, 10, 9 ; Hyg., f. 78. Isocrate (Hél. 40), qui élimine Tyndare de l'épisode, considére

le serment

comme

une

invention

spontanée

des

prétendants.

(7) Sur l'épisode de la folie d'Ulysse, cf. infra, p. 252 et 350.

160

EURIPIDE

ET

LES

LÉGENDES

DES

CHANTS

CYPRIENS

bien dans le ton des Kypria. Ajoutons enfin que dans l’Eloge d' Héléne d’Isocrate et dans la Bibliothèque d' Apollodore le récit du serment des prétendants Stasinos (1).

est placé dans

un contexte emprunté

à

Il y a donc quelques raisons de croire que ce motif était inclus dans les Chanis Cypriens. Mais nous ne pouvons guére déceler chez Euripide que l'influence du récit de Stésichore et surtout du Catalogue des Prélendanis, qui paraît avoir joui d'une certaine célébrité. On congoit qu'il se soit refusé à attribuer cette ingénieuse trouvaille

à Ulysse dans une pièce où ce dernier est montré sous un

jour peu favorable. Il a aussi éliminé les Dioscures, dont le róle ne se justifiait guére auprés du public athénien, puisque Héléne avait son père auprès d'elle. Comme Stésichore, il donne à ce dernier

le róle principal (2), ce qui ne l'empéche pas, dans le détail de l'expression, de se souvenir du Calalogue (3). Mais il innove à son tour : d'abord, en présentant de façon vivante et dramatique les disputes à

l'état

laissant

et les menaces

virtuel

à

chez

Hélène

ses

des prétendants,

restées, semble-t-il,

prédécesseurs ; ensuite

la libre

disposition

de

sa

et

surtout,

main.

en

Revenait-il

sur ce point à un état ancien de la légende (4) ? Plus probablement, il a voulu par ce trait aggraver la responsabilité d'Héléne, puisqu'elle abandonnera plus tard un mari qu'elle avait épousé librement et par amour.

(1) 41

Isoc., Hél., 39 (retour d'Hélène

: jugement

des déesses) ; Apd.,

III,

à Sparte aprés son enlèvement 10, 7-8 (naissance

par Thésée ;

et premier rapt d'Hélène).

A. Severyns, AC, 30 (1961), p. 542, rendant compte du livre de W. Kullmann, considère comme possible l'existence du serment des prétendants dans les Kypria. (2)

Cf. aussi HL

568 ; Apd.,

III,

10, 9;

Paus.,

III, 20, 9; sc. Soph.,

Aj.

1113.

JA

391-93

(3) Comparer IA 58-60 et Hés., fr. 96, 40-42 :

« Πάϊντας δὲ μνηστῆρ[ας] ἀπήτεεν [S]ox[ux] πιστὰ [ὀϊμνύμεναί τ᾽ ἐχέλευσ[ε)] καὶ ... ἀρά]ασθαι σπονδῇ.»

On peut encore comparer pour l'idée le mot d'Agamemnon

à Ménélas,

:

«"Ὥμοσαν τὸν Tuvôdperov Ópxov ol καχόφρονες

φιλόγαμοι μνηστῆρες * ἡ δέ γ᾽ ᾿Ελπίς, οἶμαι μέν, θεός,

κἀξέπραξεν αὐτόν,

et Hés., fr. 96, 46-47 : « Tol δ' ἀπτερέως ἐπίθον[το] ἐλπόμενοι τελέειν πάντες γάμον. » Même idée chez Isocrate, Hél., 40-41. (4) L. Ghali-Kahil, Les enlèvements

d'Hélène,

p.

130,

n. 2, rapproche

son

cas

de

celui de Nausicaa, Od. ζ 282-83 (méme liberté d'Hélène chez un auteur cité anonymement par Aristote, Rhél., II, 24, 1401 b 34 ; dans un fragment tragique cité par Cicéron

(Off., III, 26, 98 = Tr. inc., fr. 31 Rib.) et chez Hygin, f. 78). Cette liberté n'était pas plus la régle dans le monde épique que dans l'Athénes du v* s. On pense au contraire à l'anecdote concernant la fondation de la colonie grecque de Massalia. Rapportée

par Aristote (Constitulion des Massalioles, d'ap. Ath., XIII, 576a), elle pouvait étre connue

à Athènes

à la fin du v® s.

LES NOCES D’HELENE

161

Si Euripide n'a pas énuméré les prétendants d'Héléne, il en a nommé un que ne connaît pas la tradition : Achille. C'est dans la scène d’Helene où l'héroine, gardant l'incognito, interroge Teucros sur le sort des principaux chefs grecs. Lorsqu'on en vient au Péléide, elle déclare : « Il se présenta jadis comme entendu dire » (1).

prétendant d'Héléne, à ce que nous avons

Comment prendre cette étrange affirmation ? Le Calalogue hésiodique précisait formellement à ce sujet : « Chiron élevait, sur le Pélion boisé, le Péléide aux pieds rapides, le héros entre tous, un enfant encore. Sans cela, ni Ménélas, cher à Arés, ni aucun autre homme sur la terre n’eüt triomphé, parmi les prétendants d'Hélène, si le vif Achille l'avait trouvée encore vierge, lorsque

du Pélion il rentra chez lui » (2). Dans les Kypria, la légende d'Achille à Skyros exclut aussi sa présence à Sparte, et l'entrevue ménagée par Thétis entre Achille et Héléne vers la fin du poéme n'aurait pas de sens si le héros connaissait déjà la Tyndaride (3). Pausanias, au terme d'un raisonne-

ment assez confus où il commente le passage d'Hésiode, aboutit à la conclusion qu'Achille n'a pu figurer parmi d'Héléne (4) M. Mayer propose comme source

d'Euripide

le poème

les prétendants de l'affirmation

de Stésichore (5). A cette hypothèse toute

gratuite, on préférera la suggestion de Wilamowitz : le poéte tragique aurait prété à Héléne un mensonge témoignant de son

« éternelle coquetterie » (6). Dans la méme piéce, le cortége nuptial d'Héléne et de Ménélas est évoqué par deux fois. C'est d'abord Ménélas qui chante « le fruit des amours de Zeus et de Léda, que, sous la lumiére des torches, les adolescents aux blancs coursiers, ses fréres, félicitérent, oui, félicitérent

jadis » (7). (1) HL 99 : « Mywnorhp

ποθ᾽

᾿Ελένης

ἦλθεν,

ὡς

ἀκούομεν. »

(2) Hés., fr. 96, 49-55. Achille est également absent des autres listes de prétendants d'Héléne. (3) Proclos, 1. 157-158. La légende des noces d'Hélène et d'Achille à l'île Leuké est en revanche un arrangement tardif (Paus., III, 19, 11; Philostr., Hér., XIX, 16; cf. M. Becker, Helena, p. 97-100). (4)

Paus., III, 24, 10-11.

p. 134-35;

Sur ce passage et ses rapports avec lefr. 96, cf. J. Schwuriz;

421. Le point de départ de la discussion est un culte local qui donnait

Achille comme le meurtrier du héros éponyme de Las, bourgade peu probable qu'Euripide ait eu à l'esprit cette obscure légende.

(5)

O. c., p. 20.

(6)

O. c., p. 39.

(7) HL 637-641 : «...

de

Laconie.

Il est

τὰ τῆς Διός τε λέκτρα Λήδας θ᾽,

ἂν ὑπὸ λαμπάδων κόροι λεύκιπποι ξυνομαίμονες ὥλδισαν ὥλθισαν

τὸ πρόσθεν.» 12

162

EURIPIDE

ET LES

LÉGENDES

DES

CHANTS

CYPRIENS

Peu aprés, le vieux serviteur du roi s'écrie à son tour : « Voici que je peux de nouveau évoquer ton hyménée et rappeler les torches que je portais en courant à cóté du quadrige ; et toi, la jeune épousée, à ses côtés sur le char, tu quittais une heureuse demeure » (1).

Nous ignorons tout du récit des noces d'Héléne dans les Chants Cypriens, mais nous savons qu'elles étaient l'objet d'un brillant tableau dans le poéme de Stésichore, dont s'était inspiré Théocrite dans son Épithalame d'Hélène (2). Outre un chant nuptial, la cérémonie

comprenait une procession,

et un fragment conservé nous

montre les assistants jetant à pleines mains les fleurs et les fruits vers le couple monté sur un char (3). C'est sans doute à cette scéne,

reproduite

par

les peintres

de vases

(4), que

pense

Euripide.

Un détail confirmerait une telle hypothése. Dans le premier passage

cité, le poéte appelle les fréres d'Héléne les adolescents «aux blancs coursiers ». Or cet adjectif rare dans la tragédie est attesté dans

les fragments

de Stésichore

(5).

Il est donc

vraisemblable

qu'Euripide s'est inspiré ici, comme dans bien d'autres passages de son Héléne, des vers du lyrique sicilien (6).

D'aprés Euripide, le jeune couple s'installe à Sparte, la ville de Tyndare (7). Il lui naît un seul enfant, une fille. Souvent Euripide s'apitoie sur le sort de la malheureuse Hermione, abandonnée par sa mére et longtemps victime de la détestable répu(1) HL

722-25 : « Νῦν ἀνανεοῦμαι τὸν σὸν ὑμέναιον πάλιν

καὶ λαμπάδων μεμνήμεθ᾽ ἃς τετραόροις ἵπποις τροχάζων παρέφερον ᾿ σὺ δ᾽ ἐν δίφροις ξὺν τῷδε νύμφη δῶμ᾽ ἔλειπες ὄλβιον.» Le

quadrige

est,

bien entendu,

un anachronisme

dans

cette

description

héroïque.

(2) Stesich., fr. 12. Sur ce point, cf. G. Kalbel, H., 27 (1892), p. 249-259. (3) Stesich., fr. 10. (4)

Pour

l'iconographie

de cet épisode,

cf.

F. Brommer,

p. 326;

L. Ghali-Kahil,

p. 114 sqq., n° 106-111, et en particulier un dinos de Smyrne attribué à Sophilos (n° 106 et Pl. 77, 1) : sur un quadrige se trouvent Castor et Pollux, sur un autre, qui le précéde, Héléne et Ménélas (à propos de ce vase, voir encore J. Boarmann, BSA, 53-54 (1958-

69), p. 152 sqq. Ce serait pour l'auteur la plus ancienne représentation des Dioscures dans l'art grec). Un tel cortège nuptial, avec les nouveaux mariés montés sur un quadrige et précédés d'un maitre des cérémonies, est du reste un théme courant de la céramique

attique

des vi* et v* s.

(5) Stesich., fr. 79; cf. Pd., Py., I, 66, qui l'applique aux Dioscures (λευχόπωλοι dans les Phéniciennes, 606). Ibycos, fr. 4, appelle λευκίππους κόρους les Molionides, des jumeaux dont la légende a bien des rapports avec celle des Dioscures. Les « blancs poulains de Zeus» sont aussi les jumeaux Amphion et Zéthos (HF 29; Anliope, v. 92 Page).

(6) Cf. M. Mayer, p. 21. (7) An. 446; 582; 889; 916; Or. 65;

457;

537 ; 626.

Une

Tr. 944; 999;

HL

seule fois (Tr. 984-86)

17; 30; apparaît

58; 472; le nom

929;

1671;

d'Amyclées,

la

vieille cité prédorienne, patrie primitive de Tyndare (cf. C. Robert, p. 332). C'est aussi à Sparte que Théocrite place Ja maison de Ménélas, que l'on montrait encore aux visiteurs au temps de Pausanias (Paus., III, 14, 6).

LES NOCES

D’HELENE

163

tation de celle-ci (1), avant de devenir l'épouse déçue et jalouse

de Néoptoléme que présente Andromaque. Au cours de cette pièce, Hermione rappelle elle-méme qu'elle fut *

à

«la seule enfant que la fille de Tyndare, Hélène, donna à son père, dans sa demeure » (2).

C'était écarter d'autres traditions anciennes qui lui donnaient un

frére plus jeune, appelé tantót Nicostratos, tantót Plisthéne (3). Euripide leur préfère le témoignage d'Homére — le plus couramment admis, semble-t-il — pour lequel Héléne et Ménélas avaient eu une fille unique (4). Cette enquéte sur l'existence d'Héléne avant sa rencontre avec

Päris, telle qu'elle est représentée dans montre que la dette du poéte vis-à-vis particulier des Chants Cypriens, est assez que racontait l'épopée, mais il s'en écarte tiques et psychologiques à la fois. Ainsi,

le théâtre d'Euripide, du cycle épique, et en faible. Il n'ignore pas ce pour des raisons dramail n'était pas indiqué de

mentionner devant un public athénien l'enlévement d'Héléne par Thésée. Dans Iphigénie, où Ulysse apparaît sous son plus mauvais

jour, le poéte ne pouvait lui attribuer l'invention du serment des prétendants. Ailleurs, la solitude d'Hermione, privée de la protec-

tion fraternelle qui, dans les tragédies d'Euripide, s'exerce d'une facon si bénéfique sur sa mére, rend son sort plus pitoyable. Cette

situation explique en partie l'amertume dont elle fait preuve dans A ndromaque, et peut-étre aussi son despotisme d'enfant unique.

Pour les noces d'Héléne et de Ménélas, Euripide s'est souvenu du Calalogue des prélendanis attribué à Hésiode, mais plus encore du poéme de Stésichore. A l'affüt de tout ce qui pourrait redonner de la jeunesse et de la vie à une matiére épique en voie d'épuisement, il a apprécié les efforts du lyrique sicilien pour renouveler (1) Héc. 651; HL 283; 689; 1476-78 ; Or. 63-65 ; IA 1201. (2) An. 898-99 : «"Hvrep μόνην γε Τυνδαρὶς τίχτει γυνή

Ἑλένη κατ᾽ οἴκους πατρί.» (3)

Nicostratos : Hés., fr. 99; Cinaethon, fr. 3 K. ; Lysimachos, fr. 12 Jac. ; Apd., III, 11, 1 ; sc. EHO, Od. 8 11.

Plisthène : sc. MNOA,

An. 898, qui cite «ὁ

τὰς Κυπριακὰς

ἱστορίας

συντάξας».

Cette citation est rangée par Allen parmi les fragments des Kypria (Fr. IX), mais il n'est pas sûr qu'il s'agisse de nos Chants Cypriens (cf. C. Robert, p. 1082 ; A. Severyns, CE, p. 380-81). Sophocle (El. 539) donne aussi à Hélène deux enfants de Ménélas avant son départ pour Troie. Nicostratos apparaît sur un skyphos d'Hiéron aux côtés de Päris et d'Hélène (C. Robert, B. und L., p. 54-55). Sur les autres enfants que cer'taines traditions donnaient encore à Ménélas et à Hélène, cf. C. Robert et A. Severyns,

ll. cc. (4) Il. Γ' 175 (où Hermione n'est pas nommée) ; Od. ὃ 13-14. Pour cette tradition, ef. Apd., I. c.; Tryphiodoros, 493 sqq. ; sc. EHQ en 8 11 et Eustathe (en ὃ 3, p. 1479, 1); Tzetz., sc. Lyc. 851, etc.

164

EURIPIDE

ET LES

LÉGENDES

DES CHANTS

CYPRIENS

les vieux mythes. Mais il ne s'est pas interdit d'innover à son tour, en présentant la premiére union d'Héléne comme un mariage d'amour ou en donnant une nouvelle preuve de la coquetterie de la Tyndaride, qui s’enorgueillit, mêm® au prix d'un mensonge, d'avoir compté parmi ses prétendants le plus illustre de tous les guerriers grecs.

CHAPITRE

L'ENLÈVEMENT I. HÉLENE

ET

PÁRIS.

II. HÉLENE

EN

ÉGYPTE

111.

MORT

ET

APOTHÉOSE

VI

D'HÉLENE

: L'HÉLÈNE. DES

DIOSCURES,

L'ENLÉVEMENT

D’HELENE

Σχέτλι᾽ "Ἔρως, Mavio σ᾽ ἐτιθηνήσαντο λαδοῦσαι ' ἐκ

I. HÉLÈNE

σέθεν

ET

ὥλετο

μὲν

᾿Ιλίου

ἀκρόπολις.

Théognis, 1231-32.

PÄRIS

Le plan de Zeus se réalise peu à peu : Héléne est unie à Ménélas, Achille grandit sous la garde de Chiron, Páris a reçu d'Aphrodite la promesse d'épouser Héléne et la déesse va lui fournir les moyens de gagner Sparte.

Toute

la machinerie divine est en place

pour

l'acte décisif qui constituera le casus belli, l'enlévement d'Héléne. Peu d'épisodes légendaires ont connu à travers l'antiquité classique une célébrité aussi grande et aussi constante, peu ont aussi vivement la réflexion des n'évoquent que cet homme et

dans

excité l'imagination des poétes et des artistes et penseurs. Les amours d'Héléne et du beau Páris des images de gráce et de volupté. Mais à cause de de cette femme, la Gréce et l'Asie s'affronteront

un conflit aux mille péripéties,

dont

le dénouement

sera

presque aussi tragique pour les vainqueurs que pour les vaincus. C'est ce qu'Euripide, pour sa part, n'a garde d'oublier. Le caractére

idyllique de l'épisode ne lui cache jamais le piége caché sous les fleurs. Dans le bref instant de leur téte-à-téte, Héléne et Páris engagent le sort des héros et des peuples. Aussi, on ne trouvera

pas chez lui un récit pittoresque et détaillé des faits, depuis le moment où Páris s'embarque pour la Grèce jusqu'à celui où les BIBLIOGRAPHIE : Türk, 8. v. Paris, Roschers-Ler., col. 1592-1598; 1634-35. C. Robert, p. 1077-1089. Rzach, col. 2385-87. M. Becker, Helena, Diss., Strasbourg, 1939. E. Wüst, s. v. Paris, RE, XVIII, 4 (1949), col. 1502-08. D. Ebener, Die Helenaszene der Troesinnen, Wissensch. Zeilschr. der Univ. Halle-W itenberg, 1953-54, p. 691722.

L. B. Ghali-Kahil,

Les

enlèvements

et le retour

d'Hélène,

Paris

1955,

364

p. et

CIV PI. (Trav. et Mém. des anciens membres étrangers de l'École fr. d'Athènes, T. X). J. Alsina-Clota,

Studia Euripidea II, Helena en Euripides, Helmant., 8 (1957), p. 197

212; Helena de Troja, ibid., p. 373-394.

168

EURIPIDE

ET LES

LÉGENDES

DES

CHANTS

CYPRIENS

deux amants pénétrent dans le palais de Priam. L'essentiel pour Euripide ne réside pas dans les circonstances, mais dans le probléme moral que pose le départ d'Héléne : celui des responsabilités. Qui est le coupable, ou, plus exactement, qui est le plus coupable,

des dieux qui ont élaboré un Une fois de plus, dans un entre la fatalité et le libre Il n'est pas une pièce d'Héléne

ne

se trouve

plan ou des hommes qui l'ont exécuté ? cas illustre entre tous, il faudra opter arbitre. troyenne d'Euripide où l'enlévement

mentionné,

mais

ces évocations

peuvent

prendre les formes les plus diverses, depuis l'allusion fugitive ou le rappel d'un détail matériel jusqu'à l'examen plus circonstancié

des gestes et des responsabilités de chacun des protagonistes. Aussi, en empruntant indistinctement à tous les drames, nous suivrons l'ordre des faits légendaires et nous indiquerons les accusations portées à mesure contre les différents responsables. Celles-ci

n'ont cependant

pas

toutes la méme

valeur

aux

yeux

du poéte, car chacun des coupables présumés s'efforce de rejeter la responsabilité sur un autre, dieu ou mortel, et la plupart des personnages d'Euripide sont habiles à manier l'ironie et le paradoxe. Il faudra donc tenir compte

de la personne qui parle, du ton et

des circonstances, pour déméler la véritable pensée de l'auteur. Nous rechercherons si cette pensée a évolué d'une piéce à l'autre et dans quelle mesure elle s'inspire des descriptions et des jugements de ses prédécesseurs. L'examen

le plus détaillé de l'enlévement

d'Héléne

se trouve

dans un agón fameux des Troyennes (1). Devant Ménélas, qui vient de retrouver Héléne à Troie et manifeste l'intention de la chátier, l'héroine demande à prononcer sa défense, cependant qu'Hécube tiendra le róle de l'accusation. La marche de cette scéne fournira un plan commode à notre étude. En puisant, le cas échéant,

dans le reste du théátre d'Euripide pour compléter

les indications qu'elle nous donne, nous aurons une idée d'ensemble des réflexions que l'épisode a inspirées au poéte. Dans les Troyennes, Hélène nomme comme les premiers responsables

de

ses malheurs

Hécube,

qui

avait

mis

au

monde

Päris,

et le vieillard, qui n'avait pas obéi à l'ordre de tuer le nouveau-

né (2) : c'est là remonter

(1)

Tr. 895-1059.

Nous

avons déjà

supra, p. 107). Sur sa signiflcation, Becker, p. 54-56 ; Schmid-Stählin, p. 711-14 ; M. Pohlenz, I, p. 369; p. 201-204 ; A. Lesky, Entr. Fond. (2) Tr. 919-922. C'est le sujet la

«trilogie

bien haut dans les causes. L'héroine

troyenne » de 415

eu l'occasion de nous

référer à cette scéne

(cf.

voir en particulier H. Steiger, Euripides, p. 61-64 ; p. 484-85 ; L. Ghali-Kahil, p. 132-134 ; D. Ebener, II, p. 151; J. Alsina Clota, Helena en Euripides, Hardt, VI (1961), p. 129-133. et le probléme de l'Alerandros, première pièce de

(cf. supra,

Ch.

IV,

p.

117

sqq.).

L'ENLÈVEMENT

incrimine

ensuite

d'Aphrodite

le

à Páris

D’HELENE

jugement

(932-37)

des

déesses

: Héléne

beauté » (1).

169

et

la

promesse

a été «vendue

pour sa

|

La construction des vaisseaux qui devaient conduire Alexandre en Grèce est une

conséquence

de la promesse

d'Aphrodite.

Mais

elle est aussi considérée comme un maillon dans la chatne des causes de la guerre. Deux fois, à une dizaine d'années d'intervalle,

Euripide a développé ce théme dans des morceaux lyriques. Hécube,

d'abord,

« Je devais

le chœur

connaître

des captives troyennes

le malheur,

Dans

s'écriait :

je devais connaître

la peine,

dès le jour où Alexandre abattit la forêt de sapins de l'Ida, pour naviguer au loin sur l'onde marine, vers la couche d'Hélène, ses rayons d'or » (2).

la plus belle des femmes

que le soleil clairs

de

Puis, par un mouvement analogue, Héléne elle-méme se lamentait, dans le drame qui porte son nom : « Hélas, hélas, quel Phrygien, ou quel homme abattit le pin, source de larmes pour Ilion,

dont le Priamide faconna le navire barbares, il vogua vers mon

venu d'une terre grecque,

fatal sur lequel,

à force

d'avirons

foyer,

vers ma funeste beauté, pour s'unir amoureusement à moi ? Et avec lui, la rusée, la meurtriére Cypris apportait la mort aux Danaens » (3). (1) Tr. 936 : « ὐμορφέᾳ πραθεῖσα ». (2) Héc. 629-637 : «’Epol χρῆν συμφοράν,

ἐμοὶ χρῆν πημονὰν γενέσθαι ἐτάμεθ᾽ ἅλιον ἐπ᾿ οἶδμα ναυστολήσων λένας

ἐπὶ λέκτρα,

τὰν

καλλίσταν ὁ χρυσοφαὴς “Ἄλιος αὐγάζει.» La forme donnée par le poéte à cet épisode, celle d'un regret concernant un événement fatal

du

passé, lui est familiére.

Il l'utilisait déjà

de la construction de la nef Argo. Cf. encore IA (3) HL 229-239 : ἃ Φεῦ φεῦ, τίς À Φρυγῶν

au début

de Médée

70.

ἢ τίς ᾿Ελλανίας ἀπὸ χθονὸς ἔτεμε τὰν δακρυόεσσαν 'Diw πεύκᾶν ;

ἔνθεν ὀλόμενον σκάφος

συναρμόσας ὁ Πριαμίδας ἔπλευσε

βαρδάρῳ

πλάτᾳ

τὰν ἐμὰν ἐφ᾽ ἑστίαν, ἐπὶ τὸ δυστυχέστατον κάλλος, ὡς ἔλοι, γάμων ἀμῶν ' & τε δόλιος,

& πολυκτόνος Κύπρις

Δαναΐδαις ἄγουσα θάνατον [IIpuxulBauc]. »

(1-6) à propos

170

EURIPIDE

Parvenu

ET LES LÉGENDES

DES

CHANTS

en Gréce, Páris est accueilli

CYPRIENS

à Sparte en hóte honoré,

«dans le palais incrusté d'ivoire » (1) de Ménélas. Mais celui-ci commet une faute insigne : il s'absente pour se rendre en Créte, en confiant le prince aux soins d'Héléne. Déjà, dans Andromaque,

Pélée lui en avait fait le reproche : « Peux-tu compter encore parmi les hommes, toi qui t'es vu ravir ta femme par un Phrygien, pour avoir laissé ta maison ouverte, sans serviteur

à ton foyer ? » (2).

Dans

les

Troyennes,

Hélène

reprend

force encore. Aprés avoir évoqué d'Aphrodite, elle s'écrie :

ce

l'arrivée

grief, de

avec

Páris

plus

de

accompagné

« Voilà, misérable, l'homme que tu as laissé dans ton palais en quittant Sparte pour voguer vers la terre de Créte » (3).

Alors, entre le Priamide et la fille de Zeus se joue une scéne muette,

magnifiquement évoquée par un passage lyrique d'Iphigénie à Aulis. Dans une apostrophe à Páris, le chœur disait : «Les yeux rivés à ceux d'Héléne, méme transporté d'amour» (4).

tu lui donnas

l'amour

et tu fus toi-

A quelle cause attribuer cette brusque flambée de passion ? A la beauté d'Héléne ? A celle de Páris ? A l'intervention d'Aphrodite ? Pour Héléne, c'est bien Cypris la grande coupable : «Il

arriva,

cette

femme

et avec (5),

que

lui une tu

déesse

veuilles

puissante,

lui donner

le mauvais

le nom

génie

d'Alexandre

ou



de

celui

de Páris. .. À quoi pouvais-je penser pour suivre un étranger loin de mon en trahissant ma patrie et ma maison » (6) ?

foyer,

(1) 1A 582-83 : εἐλεφαντοδέτων ... δόμων». L'expression s'inspire de l'Odyssée, ὃ 73. (2) An. 591-93 : « Zol ποῦ μέτεστιν ὡς ἐν ἀνδράσιν λόγου ;

ὅστις πρὸς ἀνδρὸς Φρυγὸς ἀπηλλάγης λέχος, ἄκλῃστ᾽

(3) Tr. 943-44 : «"Ov,

ἄδουλα

ὦ κάκιστε,

δώμαθ᾽

ἑστίας λιπών ;»

σοῖσιν ἐν δόμοις λιπὼν

Σπάρτης ἀπῆρας νηὶ Κρησίαν χθόνα.» Dans Iphigénie à Aulis, Agamemnon, qui ne veut pas accabler son frére, dit seulement que Páris a profité de l'absence de Ménélas (LA 76-77: a ἔκδημον λαδὼν | Μενέλαον 1).

(4) IA 583-86 : «

es

Ἑλένας

ἐν ἀντωποῖς βλεφάροισιν ἔρωτα τ᾽ ἔδωκας, ἔρωτι δ᾽ αὐτὸς ἐπτοάθης. » Nous

adoptons

grecque, (b)

ici la colométrie

proposée

par

W.

J.

W.

Koster,

Traité

de métrique

p. 97 et n. 1. Hécube,

présente

(6) Tr. 940-42

sur

et 946-47

la scéne.

: « "H20'

οὐχὶ μικρὰν θεὸν ἔχων αὑτοῦ μέτα

ὁ τῆσδ᾽ ἀλάστωρ, εἴτ᾽ ᾿Αλέξανδρον θέλεις ὀνόματι προσφωνεῖν

νιν εἴτε καὶ Ildpıv ...

τί δὴ φρονοῦσά γ᾽ ἐκ δόμων du” ἐσπόμην ξένῳ,

προδοῦσα

πατρίδα καὶ δόμους ἐμούς ;»

L'ENLÈVEMENT

D’HELENE

Et elle continue, s'adressant à Ménélas

171

:

« Chátie la déesse et montre-toi plus fort que Zeus, qui étend son pouvoir sur

les autres

divinités

mais

est

esclave

de celle-ci » (1).

Comment Héléne aurait-elle pu résister à un mariage « arrangé par les dieux » (2) ? C'est de force, conclut-elle, que Páris l'a épousée, et Ménélas est stupide s'il veut l'emporter sur la divinité (Tr. 96265). A la fin de la scène, elle affirme encore que le mal est venu des dieux (3). Si son argumentation ne semble pas sur le moment convaincre Ménélas, il faut croire qu' Héléne finissait par persuader

son mari, puisque celui-ci proclamait plus tard : «Si Héléne a eu à souffrir, ce n'est point des dieux » (4).

Dans Oresle, Héléne disait encore

par sa volonté

mais

du

fait

:

« Lorsque j'ai fait voile pour Ilion, comme je l'ai fait, d'une fatale folie envoyée par les dieux... » (5).

sous

l'empire

Dans Hélène, aussi bien l'héroine que le chœur soulignent une fois de plus la présence

d'Aphrodite

au cóté du berger

(6).

La cause est-elle entendue ? Certes non. Écoutons la réplique d'Hécube. A l'habile plaidoyer d'Héléne, la vieille reine va opposer une argumentation serrée qui vise à accabler l'épouse infidéle de Ménélas.

Elle réfute,

comme

invraisemblable,la version

donnée

par Héléne du jugement des déesses (7). Elle ne peut croire non plus que la toute-puissante

Aphrodite

ait pris la peine d'accom-

pagner Páris : « N'aurait-elle

transporter

(1)

pas

pu,

à Ilion avec

Tr. 948-950

en

restant

tranquillement

dans

les

cieux,

te

toute la ville d'Amyclées ? » (8).

: « Τὴν θεὸν κόλαζε xal Διὸς χρείσσων γενοῦ, 6c τῶν μὲν ἄλλων δαιμόνων ἔχει κράτος, κείνης δὲ δοῦλός ἐστι.»

Nous avons montré ailleurs que ces vers s'inspiraient de l' Hymne homérique à Aphrodite,

36-48 (RE G, 69 (1956), p. 299-300). La toute-puissance d'Aphrodite est déjà proclamée dans l’/liade, € 198-199.

Pour l'expression, comparer An. 631, où Pélée dit à Ménélas :

«"Hocov

(2) Tr. 953 : « θεοπόνητα λέχη.» (3)

Tr. 1042 : « τὴν

νόσον

(4) An. 680 : « Ἑλένη

τὴν

πεφυκὼς

τῶν

δ᾽ ἐμόχθησ᾽

Κύπριδος

...»

θεῶν."

οὐχ ἑκοῦσ᾽, ἀλλ᾽ ἐκ θεῶν.»

L'argument qui accompagne cette déclaration annonce l'agón des Troyennes (An. 681-83; Tr. 932-34). (5) Or. 78-79 : «a. ..... ἐπεὶ πρὸς "Daov

un

de ceux

d'Héléne

ἔπλευσ᾽ ὅπως ἔπλευσα θεομανεῖ πότμῳ. » (6) HL

237-39 (cf. supra,

p. 169) et 1121

( « πομπαῖσιν

(7) Tr. 962-982 (cf. supra, Ch. III, p. 107-109).

᾿Αφροδίτας »).

(8) Tr. 985-86 : «Οὐκ dv μένουσ᾽ dv ἦσυχός γ᾽ ἐν οὐρανῷ αὐταῖς ᾿Αμύχλαις «σ᾽» ἤγαγεν πρὸς Ἴλιον ;»

dans

172

EURIPIDE

ET

LES

LÉGENDES

DES CHANTS

CYPRIENS

Héléne a succombé à la beauté de Páris (1). Mais ce n'est pas seule-

ment le charme de son visage qui l'a séduite, la réalité est moins glorieuse : « En le voyant avec ses vétements barbares, tu ne t'es plus possédée » (2).

Cette explication inattendue, Euripide la donne deux fois encore, en termes voisins. Il la présente sous une forme humoristique dans le Cyclope, où le chœur des satyres déclare : «La traîtresse ! A la vue des chausses brodées qu'il avait autour des jambes et du harnachement d'or qui s'étalait sur son col, elle a perdu la téte et planté là Ménélas, ce brave petit homme » (3).

Sur un ton plus sérieux, Agamemnon disait encore dans le prologue d’Iphigenie à Aulis: « Revêtu

d'une

robe

splendide,

tout

l'amant ravit l'amante, et il emmena

éclatant

d'or et de luxe

barbare,

Héléne vers ses étables de l'Ida » (4).

A ce motif déjà peu honorable, Hécube ajoute encore deux accusations supplémentaires. Hélène, en premier lieu, est une impudique : « À sa vue, ton esprit est devenu Cypris. Toutes les folies d'amour prennent, chez les mortels, le nom d'Aphrodite : c'est à juste titre que le nom de la déesse commence comme le mot aphrosyné » (5).

Ainsi, Aphrodite n'est plus que le symbole de la passion déréglée (1) Tr. 987. (2) Tr. 991-92 : ε Ὃν

εἰσιδοῦσα βαρδάροις ἐσθήμασι

χρυσῷ τε λαμπρὸν ἐξεμαργώθης φρένας.» (3) Cyc. 182-86 : « Τὴν προδότιν, À τοὺς θυλάκους τοὺς ποικίλους

περὶ τοῖν σκελοῖν ἰδοῦσα καὶ τὸν χρύσεον κλῳὸν φοροῦντα περὶ μέσον τὸν αὐχένα ἐξεπτοήθη, Μενέλεων, ἀνθρώπιον λῷστον, λιποῦσα. » Le Cyclope est probablement antérieur aux Troyennes, mais ce n'est pas sûr. R. Hampe (Paris oder Helena, Mus. Helv., 8 (1951), p. 145) a cru trouver dans les vers 185-86 un écho parodique des vers de Sappho (fr. 16, 7-8 LP) :

. α« Ἑλένα [τὸ]ν ἄνδρα

τὸν lera

χαλλ] ποι] σ᾽...»

Mais c'est d'autant

plus douteux

que la reconstitution est incertaine.

(4) IA 73-76 : «’AvOnpds μὲν εἱμάτων στολῇ

χρυσῷ δὲ λαμπρός, βαρθάρῳ χλιδήματι,

ἐρῶν ἐρῶσαν ᾧχετ᾽ ἐξαναρπάσας

“Exévnv πρὸς Ἴδης βούσταθμ᾽....» Les « étables de l'Ida » sont ici une pure clause de style. Pour l'expression, on rapprochera

des

v. 73-74,

Tr. 991-92.

(5) C'est-à-dire déraison.

Tr. 988-990 :

α Ο σὸς δ᾽ ἰδών νιν νοῦς ἐποιήθη Κύπρις * τὰ μῶρα γὰρ πάντ᾽ ἐστὶν ᾿Αφροδίτη βροτοῖς,

καὶ τοὔνομ᾽ ὀρθῶς ἀφροσύνης ἄρχει θεᾶς.»

L'ENLÈVEMENT

D'HÉLÉNE

173

qui avait envahi le cœur d'Héléne (1). Car, si elle-même s'absout

finalement, tous ceux qui la connaissent dénoncent sa perversité, jusqu'à

ses proches,

son pére,

sa sceur,

son

mari.

Les

termes

de

mauvaise, méchante, sont monnaie courante à son propos (2). Clytemnestre avoue que c'est une impudique (3), Andromaque affirme qu'elle « aime les hommes » (4), et Pélée déclare qu’ «elle est allée faire la féte avec un jouvenceau

en terre étrangère » (5).

Ménélas, qui l'a traitée de scélérate dans la scène des Troyennes, reconnaît, dans Iphigénie à Aulis, qu'il trouverait facilement une meilleure épouse (6).

Fascinée Héléne,

par les vêtements

au dire d'Hécube,

de Päris,

aurait encore

entraînée

par les sens,

cédé à la cupidité

« En terre argienne où tu vivais, tu avais de petits moyens.

:

Mais en quit-

tant Sparte pour la cité phrygienne oü l'or coule à flots, tu comptais qu'elle fournirait au débordement de tes dépenses. Le palais de Ménélas ne suffisait pas à ton luxe effréné » (7).

À cette soif de richesse s'ajoute la vanité : « Il fallait à tes excès le palais d'Alexandre, tu voulais voir les barbares prosternés à tes pieds; voilà ce qui comptait pour toi » (8).

(1) Il ne faut pas comprendre avec B. Meissner, Mythisches und Ralionales in der Psychologie der euripideischen Tragödie (1951), p. 137, que Cypris s'est glissée dans le nous d'Hélène. Hécube écarte Aphrodite et substitue à la causalité mythique une

causalité humaine : cf. fr. inc. 1018 : ε'ἷΟ νοῦς γὰρ ἡμῶν ἐστιν ἐν ἑκάστῳ θεός » ; Tr. 886: « Ζεύς... εἴτε νοῦς βροτῶν νυ; cf. A. Lesky, Zur Problematik des Psychologischen in der Trag. des Eur., Gymnas., 67 (1960), p. 14-15. Dans Andromaque

(631), il en va de même

lorsque Pélée accuse Ménélas d'avoir été « vaincu par Cypris ». Sur le déréglement de l'esprit féminin, voir encore Hipp. 164. (2) Pélée : An. 595 (« πασῶν κακίστην ») ; 608 ; 621. Le Cyclope : Cyc. 280. Oreste : IT 566 ; Or. 248. Pylade : Or. 741. Tyndare : Or. 521. Ménélas : 1A 488. Clytemnestre : IA 1169. (3) El. 1027 : « μάργος».

(4) An. 229 : «th (5) An.

603-04

: «

φιλανδρίᾳ » ; cf. Cyc. 181 : a πολλοῖς ...

ἤδεται

γαμουμένη ».

ἐξεκώμασεν

νεανίου μετ᾽ ἀνδρὸς εἰς ἄλλην χθόνα.» (6) Tr. 881 : εμιαιφονωτάτης »; IA 485-86.

(7) Tr. 993-97 : «'Ev μὲν γὰρ "Ἄργει ulxp! ἔχουσ' ἀνεστρέφου, Σπάρτης δ᾽ ἀπαλλαχθεῖσα τὴν Φρυγῶν πόλιν χρυσῷ ῥέουσαν ἤλπισας καταχλύσειν δαπάναισιν " οὐδ᾽ ἦν ἱκανά σοι τὰ Μενέλεω

μέλαθρα ταῖς σαῖς ἐγκαθυδρίζειν τρυφαῖς.» Dans

Héléne,

927-28,

l'héroIne

évoque

encore

le bruit

d'aprés

lequel

elle avait

aban-

donné son mari pour aller « vivre dans les demeures remplies d'or des Phrygiens ». Sur la φιλοπλουτία d'Hélène, voir aussi Plut., Conj. praec., 21, p. 140 F. (8) Tr. 1020-22 : «’Ev τοῖς ᾿Αλεξάνδρου γὰρ ὕθδριζες δόμοις

καὶ προσκυνεῖσθαι βαρθδάρων ὕπ᾽ ἤθελες ᾿ μεγάλα

γὰρ

ἦν σοι.»

174

EURIPIDE

ET LES

LÉGENDES

DES

CHANTS

CYPRIENS

Euripide prend-il au sérieux cette accusation d'Hécube ? Pour s'en assurer, il suffit de voir le rôle que tient Hélène dans la pièce d'Oresle: rentrée à Sparte, la reine continue à vivre sa vie de princesse orientale au milieu des trésors arrachés à Troie, des miroirs, des parfums et des étoffes somptueuses. Autour d'elle se presse une foule de servantes et d'eunuques phrygiens (1). Oreste lui-méme ne manque pas de le souligner : « La Gréce est une demeure

trop petite pour elle » (2).

Dans son plaidoyer, Héléne avait invoqué comme excuse la con-

trainte morale qu'elle avait subie, la force irrésistible d'Aphrodite. Feignant de s'étre méprise sur cet argument,

Hécube répliquait :

« Bon : mon fils usa de la force, dis-tu, pour t'emmener ? Mais qui s'en est apergu à Sparte ? As-tu poussé un cri ? Pourtant, le jeune Castor et son frère étaient là. Ils n'avaient pas encore pris place parmi les astres » (3).

Ménélas déclare un peu plus tard : « Ton avis s'accorde avec le mien : c'est de son plein gré qu'elle a quitté mon palais pour une couche étrangére. Pour Cypris, c'est par vanité qu'elle la met en cause » (4).

Dans d'autres passages, Cassandre et Électre affirment aussi qu'Héléne a suivi Páris librement (5). Mais le séducteur n'est-il pas au moins aussi coupable que celle qu'il a séduite ? A lire les drames d'Euripide, il ne le semble pas. Ménélas est seul à dénoncer dans l'enlévement de sa femme une offense aux lois de l'hospitalité (6). Héléne trouve au Priamide d'ingénieuses

Justifications

(7).

Le

héros

sympathique

de

(1) Or. 1112 ; 1416-17 ; 1426-1436.

(2) Or. 1114 : « "Ἑλλὰς αὐτῇ σμικρὸν οἰκητήριον.» (3) Tr. 998-1001 : « Εἶεν * βίᾳ γὰρ παῖδα φῇς «σ᾽» ἄγειν ἐμόν * τίς Σπαρτιατῶν ἤσθετ᾽, f) ποίαν βοὴν ἀνωλόλυξας, Κάστορος νεανίου τοῦ συζύγου τ᾽ Er’ ὄντος, οὐ κατ᾽ ἄστρα πω ;»

(4) Tr. 1036-39 : «'Euol σὺ συμπέπτωχας ἐς ταὐτὸν λόγου, ἑκουσίως

τήνδ᾽

Ex δόμων

ἐλθεῖν

ἐμῶν

ξένας ἐς εὐνάς, χὴ Εὐύπρις κόμπου χάριν λόγοις ἐνεῖται.» On

ἃ douté

du sérieux de la conviction

exprimée

ici par Ménélas

(cf. Becker,

p. 55,

n. 8). A notre avis, il est momentanément persuadé par Hécube, mais c'est un faible et il sera bientôt repris par Hélène. (5) Tr. 373; El. 1065; cf. aussi IA 270-71. (6) Tr. 865-66 : « ὃς ἐξ ἐμῶν | δόμων δάμαρτα ξεναπάτης ἐλύσατο. » Ménélas ajoute que, lui du moins, il a expié sa faute. Dans Iphigénie en Tauride, 13-14, l'outrage est mentionné,

mais non le coupable.

d'une Grecque par un Barbare de

Páris devient

Dans

Iphigenie à Aulis, l'accent est mis sur le rapt

(1266 ; 1275 ; 1380-82)

: la responsabilité personnelle

celle de toute 8a race.

(7) Tr. 932-34 (cf. supra, p. 103). Cassandre reconnaît que son union avec la fille de Zeus l'a rendu célébre (Tr. 398-99).

L'ENLÈVEMENT

D’HELENE

175

l'Alezandros est déchargé de toute accusation : les coupables, ce sont ceux qui l'ont épargné à sa naissance, ce sont les divinités qui l'ont égaré. Ainsi le chœur d'Iphigénie à Aulis déclare : « C'est le jugement

des déesses

qui

t'a rendu

fou

et t'a conduit

en

Gréce » (1).

Il est vrai qu'à plusieurs reprises il est tenu pour responsable de

la

prise

de

Troie

(2),

mais

c'est

parce

qu'il

a

introduit

dans sa patrie l’eÉrinye», la «réprouvée », la «malédiction », l’« opprobre de l’Hellade » (3). Ainsi, Héléne a trahi sa maison, sa patrie (4), les siens, et elle

a suivi le Troyen sur son navire. Sans s'attarder aux détails du retour de Páris, Euripide le résume d'une phrase, dans un chœur d'Héléne: «Lorsque, il arriva,

amour,

courant

il arriva

Héléne,

de

à

travers

les

Lacédémone,

ce Páris, l'époux

houles

marines

il apportait

sur

aux

sinistre, conduit

sa

Priamides

nef

barbare,

ton funeste

par Aphrodite » (5).

Que l’enlèvement d'Héléne ait été suivi d'un mariage célébré à Troie, c'est ce qui ressort de nombreux passages où il est question des «noces » d'Héléne. Ainsi, dans Hécube, le chœur s'écriait à

propos de cette union : «non pas un mariage, mais un désastre, ceuvre d'un génie vengeur » (6).

De méme, Andromaque déclare : « Lorsque Páris introduisit Héléne dans la chambre nuptiale, ce n'était pas une épouse, mais une malédiction pour la haute Troie» (7).

Ces noces ne sont jamais mentionnées sans étre déplorées. Presque toujours, elles regoivent une épithéte péjorative : Héléne elle(1) ZA 580-81 : «.... σε κρίσις ἔμηνε θεᾶν, & à "Ελλάδα πέμπει.» Cf. An. 289-90. (2) Par exemple,

Héc. 641 sqq. ; 943-49;

Tr. 597-98 ; Or. 1364-65.

(3) Or. 1389 (ἐρινύν) ; cf. Alez., supra, p. 133;

Tr.

1213

(ἄταν) ; Or. 1584 (τὴν Ἑλλάδος μιάστορα ; cf. Tr. 132-133).

(θεοστυγής) ; An.

(4) Tr. 947 ; [Rh.] 910-11 ; cf. Or. 649-650 ; 1305 :

« τὰν λιποπάτορα λιπόγαμόν θ᾽.»

(5) HL 1117-1121: « "Or ἔδραμε ῥόθια πεδία βαρβάρῳ πλάτᾳ ὅτ᾽ ἔμολεν ἔμολε, μέλεα Πριαμίδαις ἄγων Λακεδαίμονος ἄπο λέχεα σέθεν, ὦ “Ἑλένα,

Πάρις αἰνόγαμος

πομπαῖσιν ᾿Αφροδίτας. »

(6) Héc. 948-49 : «..... οὐ γάμος ἀλλ᾽ ἀλάστορός

τις οἰζύς.»

(7) An. 103-04 : «᾿Ἰλίῳ αἰπεινᾷ Πάρις οὐ γάμον ἀλλά τιν᾽ ἄταν ἠγάγετ᾽ εὐναίαν ἐς θαλάμους "EAX£vav. »

103

176

EURIPIDE

ET LES LÉGENDES

DES

CHANTS

CYPRIENS

méme les dit injustes, honteuses (1). Dans Iphigénie à Aulis, leurs conséquences funestes, en particulier pour les Atrides (2) et pour

Iphigénie (3), sont dénoncées avec insistance. * *&

"9

Si l'on examine maintenant les drames dans leur ordre chronologique, on ne distinguera guére de changement dans la pensée d'Euripide. D'Hécube à Iphigénie à Aulis, l'évocation des faits matériels tient bien moins de place que la recherche des responsabilités, et les plus lourdes sont toujours celles qui pésent sur Héléne. C'est avant tout à elle qu'on attribue les malheurs des Phrygiens et des Grecs (4). Tout au plus peut-on dire que la condamnation s'aggrave et se motive plus précisément de piéce en piéce. Dans Hécube, le bláme associe encore Páris et Héléne. Dans Andromaque, les reproches se partagent entre la Tyndaride, type de la Spartiate aux moeurs reláchées, et son láche et méprisable époux (b). Les Troyennes marquent une étape importante dans la conception

Héléne,

de l'enlévement

que les autres personnages,

: toute la faute retombe

Cassandre,

Hécube,

sur

Andro-

maque, le Coryphée, Ménélas lui-méme, condamnent tour à tour. Le plaidoyer de l'héroine s'appuie sur la légende épique, qui est

encore acceptée pour l'essentiel dans les piéces précédentes. Héléne montre l'influence du jugement des déesses et le rôle des dieux, en particulier d'Aphrodite, elle développe le théme de la beauté souveraine et irresponsable (6). Mais cette conception est vigoureusement battue en bréche par Hécube, qui exonére les dieux de toute faute par une critique rationaliste et montre que c'est dans l’âme d'Héléne qu'il faut chercher la cause des événements. Si Éleclre et Iphigénie en Tauride ne contiennent que peu d'allusions à l'enlévement, celles-ci sont toutes défavorables à l'héroine.

Oresle offre une image d'Héléne qui s'accorde avec les propos d'Hécube et comporte aussi une sorte d'explication a posleriori de (1) HL 668 (ἀδίκων) ; 697

(αἰσχροῖς).

Dans

cette

pièce,

on

le sait,

Hélène

est

innocente.

(2) IA 467-68 ; 1253-54. (3) LA 1236-37 ; cf. IT 356; 566 ; El. 1027-29. (4) Par exemple, les malheurs des Phrygiens : Πές. 443;

Tr. 773;

[Rh.] 912-14;

ceux des Grecs : Tr. 369 ; Or. 743 ; 1305 ; IA 1334-35 ; ceux des combattants en général :

Tr. 892-93; Or. 1135-36 ; 1142. (5)

Sur la présence

possible de ce motif dans le Protésilas, voir infra, p. 325, n. 6.

Le caractère de Ménélas dans le théâtre d'Euripide a été étudié par E. M. Blaiklock, The

Male Characters... (1952), p. 74-85. (6) Pour ce dernier thème, voir Héc. 269; 442; 635; Tr. 772-73; 891-94 ; 936; HL 237. Ce sont uniquement Hélène et Ménélas qui mettent en avant de tels arguments.

L'ENLÈVEMENT

D’HELENE

177

l'interprétation que la vieille reine avait donnée de son enlévement :

égoiste, frivole, vaine, assoiffée de luxe, la fille de Tyndare est détestée de tous, et méme ses proches (1) renoncent à la défendre. D'autre part, le ton de comédie qui caractérisait par moment l'agón des Troyennes se retrouve dans les scènes où Hélène figure en personne, ou dans les propos qui sont tenus sur elle (2). Enfin,

dans Iphigénie à Aulis, on voit succomber une nouvelle victime de son inconstance et de la passion égoiste de Ménélas. Reste, il est vrai, une piéce aberrante

: Héléne.

Dans

ce drame,

Euripide a trouvé le moyen de rendre l'héroine entiérement innocente, puisque Páris n'a enlevé qu'un fantóme à son image. Nous

nous interrogerons plus loin sur les origines et le sens de cette légende, sur le degré de sérieux aussi qu'a apporté le poéte à la

développer

(3).

Nous

retiendrons



imméritées, sans doute —

seulement

ici

les

insultes

qui continuent à pleuvoir sur elle

tout au long de la piéce. Quelle réputation elle s'est acquise dans

tout le monde

grec!

a causés

les hommes ! Entre

parmi

Quels ravages son rapt — autres,

même

fictif —

le suicide de Léda

et,

croit-on, celui des Dioscures, les morts par milliers devant Troie et dans la cité mise à sac, les courses errantes de Ménélas et des autres chefs achéens. Mais, d'une autre

manière

encore,

cette

pièce

illustre

la

réflexion d'Euripide sur l'enlévement d'Héléne. Le poéte a toujours paru frappé par la disproportion existant entre le rapt d'une seule femme et ses conséquences (4). Souvent, dans son théâtre, des personnages affirment que Ménélas et les Grecs n'auraient pas dû entrer en guerre à cause d'elle (5), et qu'une femme aussi peu

digne

d'estime

ne méritait pas de tels sacrifices.

Deux

mondes

s'opposant au sujet d'une Héléne, quelle dérision ! Avec la tragédie d'Hélène, un nouveau pas est franchi : la cause de cette guerre

de dix ans n'est méme

pas une femme infidéle, mais le fantóme

d'une femme. Cette pièce où les dieux ont repris le premier rôle et conduisent toute l'action réduit à sa véritable proportion l'enlévement d'Héléne en tant que cause déterminante de la guerre de Troie : un piége tendu par la divinité et dans lequel est venu

donner l'aveuglement des hommes.

Euripide, dans sa' méditation

(1) Cf. G. Perrotta, SIFC, 6 (1928), p. 102 sqq. ; N. B. Greenberg, (1962), p. 162. Ménélas reste cependant dominé par elle (Or. 742).

(2)

R. Goossens, p. 637.

(3)

Voir

infra,

SI., 66

p. 193.

(4) Cf. par exemple, 1024-28; HL 72-74. (5)

Harv.

An.

362-63;

605-06;

Cyc. 283-84;

Tr. 368-69 ; 864-65;

El.

Téléphe, fr. 722 (Agamemnon) : cf. infra, p. 232 et 234, n. 5 ; An. 607-09 (Pélée) ;

Cyc. 283-84

(Cyclope) ; Or.

521-22

(Tyndare);

648-650;

717

(Oreste);

IA

389-390

(Agamemnon). 13

178

EURIPIDE

ET LES LÉGENDES

DES CHANTS

CYPRIENS

sur l'origine des guerres, renforce par cet exemple sa conviction de l'inanité de la plupart des causes de conflit entre les peuples (1). + +

Le thème de l'enlèvement d'Hélène constitue un des motifs centraux du cycle troyen, puisque le but de la guerre des Achéens est la restitution à Ménélas de l’héroïne et des trésors ravis avec

elle. L'Iliade s'y réfère sans cesse, mais le plus souvent sous de brèves allusions. Au contraire, partant des indications riques, Stasinos avait composé un récit continu et détaillé important épisode, dont Proclos nous a conservé les grandes Rappelons ce morceau

forme homéde cet lignes.

:

«Sur Hélénos

les conseils d'Aphrodite (Páris) se construit une flottille. Puis leur prédit l'avenir, et Aphrodite engage Énée à naviguer avec

lui.

Cassandre

Et

fait

des

révélations

sur

l'avenir.

Alexandre

gagne

Lacédémone, oü il est regu en hóte par les fils de Tyndare ; et ensuite à Sparte, où l'accueille Ménélas. Au cours du festin, Hélène reçoit des cadeaux d'Alexandre. Ensuite, Ménélas fait voile vers la Créte, aprés avoir recommandé à Héléne de fournir aux besoins de leurs hótes jusqu'à ce qu'ils prennent congé. C'est alors qu'Aphrodite jette Héléne dans les bras d'Alexandre. Leur union consommée, ils embarquent tout ce qu'ils peuvent de richesses et, la nuit venue, ils s'éloignent par mer. Une tempéte leur est envoyée par Héra. Alexandre aborde à Sidon et s'empare de la ville. Il fait voile vers Ilion, où il célèbre ses noces avec Hélène » (2).

En suivant point par point ce sommaire, par

les

références

homériques

et

complété

éclairé s'il y a lieu par

les

textes

qui

s'inspirent des Chanis Cypriens, nous verrons d'abord, dans le domaine des faits, ce qu'Euripide doit à Stasinos. Nous reprendrons ensuite d'ensemble le probléme l'enlévement d'Héléne.

des diverses responsabilités dans

Une constatation préliminaire s'impose : méme à travers le sec résumé de Proclos, le récit de Stasinos apparatt comme

beaucoup

plus

que

les piéces

les

prédictions

riche

de

d'Euripide.

A

détails première

concrets

et de

péripéties

vue,

ce dernier

a omis

d'Hélénos et de Cassandre, le róle d'Énée, le séjour de Páris chez les Dioscures, l'offre des présents à Héléne, l'union des amants à

Sparte, le vol des trésors, les péripéties du retour (3). Cependant, dans certains cas, l'omission n'est qu'apparente, soit qu'Euripide ait transposé un détail dans le temps, soit qu'il y fasse allusion indirectement, soit enfin qu'il ait repris la donnée épique sous une

forme nouvelle. (1)

Sur le caractère

pacifiste de la pièce, cf. infra, p. 194

(2) Proclos, 1. 91-105 (cf. supra, p. 16). (3)

Sur ce dernier

point,

cf. toutefois

infra, p.

181.

et n. 1.

L'ENLÈVEMENT

D'HÉLÉNE

179

C'est ainsi qu'Euripide avait porté à la scéne les vaticinations de Cassandre, et sans doute aussi montré Aphrodite invitant Páris à se constituer une flottille pour se rendre en Gréce, mais il plagait ces événements aussitôt aprés la reconnaissance

d'Alexandre (1). Comme chez Stasinos, la construction de ces vaisseaux était la conséquence directe du jugement des déesses et de la promesse d'Aphrodite. Homére mentionnait déjà

incidemment

les navires

de

Páris

à propos de la mort de leur constructeur. C'était un habile artisan, aimé

d'Athéna,

Il avait,

Phéréclos,

fils de Tecton

et petit-fils d'Hármon.

dit le poète,

« pour Alexandre construit les bonnes nefs, cause de tous les maux, fléau pour les Troyens, fléau pour lui-méme qui ne savait rien des décrets des dieux » (2).

Les deux passages d'Euripide relatifs à cet épisode développent l'idée homérique que ces navires «étaient la cause de tous les maux».

Mais

ils s'inspirent

sans

doute

aussi

de

Stasinos,

qui

avait dà décrire l'abattage des pins et la mise en chantier des vaisseaux (3). Une note d'Aristarque nous confirme l'intérét porté par Stasinos à la personne de leur constructeur (4). Euripide

suggérait que la flotte avait été construite par un Grec (5). Était-ce

déjà Stasinos qui, se fondant sur la consonance grecque des noms de cette famille, attribuait à Phéréclos une origine hellénique ? C'est assez vraisemblable, d'autant que la tradition ancienne dépeignait les Troyens comme étrangers aux choses de la mer (6). Euripide ne parle pas du séjour de Páris chez les Dioscures,

(1) (2) noms (3) Alez., (4)

A la fin de l'Alezandros (cf. supra, Ch. IV, p. 135). E 62-64. P. Mazon, ad loc., reléve à juste titre le caractére symbolique des de Tecton et d'Harmon (le « Charpentier » et l'« Ajusteur »). Sur la construction des vaisseaux à l'aide des pins du Mont Phalacros, cf. Lyc., 24 ; Ov., Hér., XV, 107-110 ; Darés, VIII. Sc. AD en Γ 443; sc. A en E 60; BL en E 62 ; cf. sc. Lyc. 93. Selon le critique

alexandrin, l'auteur des Chants Cypriens appelait Phéréclos le constructeur des navires,

alors que l'interprétation de la phrase homérique conduisait à donner ce róle à son père Harmonidés (cf. A. Severyns, CE, p. 265-66). Quoi qu'il en soit, le nom de Phéréclos s'était imposé dans la tradition : Lyc., Alez., 97 et sc.; Nic., Ther. 268; Apd., Ep., III, 2;

Ov.,

Hér.,

XV,

21-22,

etc.

Dans

Hélène

(233),

le verbe

συναρμόσας

rappelle

“Ἄρμων, «l'Ajusteur ». (5) HL Phéréclos

230. L'intervention d'Aphrodite (comme

plus que, chez (6)

Cf.

Ch.

dans

semblent le croire C. Robert,

les Kypria p. 1078,

Euripide (Héc. 631-34), la participation Vellay,

Le

règne

de Laomédon,

Classica

n'exclut pas le róle de

et E. Wüst,

col.

1502),

de Páris aux travaux. εἰ Mediaevalia,

VIII

pas

.

(1946),

p. 72-74. Hellanicos (fr. 142 Jac.), qui reproduit souvent des traditions épiques, rapportait un oracle conseillant aux Troyens de s'abstenir de la navigation et de s'adonner à l'agriculture, de peur de causer leur ruine et celle de leur cité.

180

EURIPIDE

ET LES

LÉGENDES

DES

CHANTS

CYPRIENS

mais il prend soin de souligner qu'ils étaient encore présents en Laconie à l'époque de l'enlévement (1). Chez Homére, Ménélas était-il absent lors du rapt d'Héléne ? Le poéte ne le dit pas expressément. On a cru pouvoir le déduire d'un passage où l'Atride invective les ravisseurs qui lui ont enlevé sa femme et ses trésors, « alors qu'ils avaient été recus amicalement chez

elle », déclare-t-il, comme

Mais

l'argument

n'est

racontaient comment

pas

si lui-méme

décisif.

Les

était alors absent

Chanis

Cypriens,

(2).

eux,

Ménélas avait été obligé de partir inopiné-

ment pour la Crète, sans doute pour assister aux obsèques de son

grand-père Catrée (3), confiant ses hôtes aux soins d'Hélène. Sur ce point, Euripide se conforme donc à la version du cycle. Mais lorsqu'il fait dire à Pélée que Ménélas a laissé sa maison « ouverte,

sans serviteurs », il s'agit manifestement d'une exagération sophistique qui lui appartient en propre. Dans

l'épopée,

aprés

le

départ

de

Ménélas,

Páris

séduisait

Héléne et les amants s'enfuyaient, accompagnés de deux des servantes de la reine de Sparte, en emportant avec eux de riches trésors. Ceux-ci sont souvent mentionnés tuent, presque autant que la femme de guerre (4). Au contraire, Euripide ignore trésors, qu'il écarte sans doute comme un tives, et concentre son intérêt sur le seul

dans l'Iliade et constiMénélas, l'enjeu de la délibérément le vol des trait de mœurs primicas d'Héléne.

Stasinos avait placé la premiére union des deux amants à Sparte méme,

avant

leur départ.

En

cela,

il s'opposait

à Homére

qui

l'avait située dans l'tlot de Cranaé (5). Si Euripide ne prend pas position sur ce point, il introduit cette île dans la nouvelle version du mythe que propose son Héléne. Les anciens ne s'accordaient pas sur l'emplacement de Cranaé, localisée tantót au large de Gythéion, prés de la cóte de Laconie, tantót à Cythére ou à Salamine (6). On l'identifiait encore avec l’île d'Héléné, située (1)

Tr.

d'Aphrodite épisode.

1000-01.

mais

Peut-étre

aussi

aussi

résidence

la mention

des

d'Amyclées

Dioscures,

(Tr.

atteste-t-elle

986),

le

lieu

souvenir

de

culte

de

cet

(2) N 626-27. Cf. Eschl., Ag. 410 sqq., et la note de P. Mazon. Cette tradition se retrouve par la suite (Ov., Hér., XV, 299 ; Dict., I, 3; Darés, IX ; sc. Tr. 943), mais

on ne peut concéder IA 76).

à Wüst, col. 1503, que c'est celle que suit Euripide (Tr. 943;

(3) Apd., Ep. III, 2. Catrée était le père d'Aéropé, mère de Ménélas. L'Iliade mentionnait déjà les liens d'hospitalité unissant Ménélas au Crétois Idoménée, neveu

de Catrée (T' 230-33). Autres explications des motifs du voyage en Crète : Alcid., Ul., 17-18 ; Ptol. Heph., V, p. 192, 28 West. ; Dict., I, 1; Tzetz., Antehom., 100-101. (4) I' 70; 91; 282; 285; 458; H 350; 363; 389-390; N 626; X 114. (5) I' 445. (6) Au large de Gythéion : Paus., III, 22, 1; à Cythére : sc. BT et Eust. (p. 433, 20)

en Γ' 445 ; à Salamine : Lyc., Aler. 110 et sc.; cf. St. Byz., s. v. Kpavarf). Il est possible

L'ENLEVEMENT

D'HELENE

181

au sud-ouest de l'Attique, à proximité du cap Sounion. Cette explication se trouvait chez Hécatée, qui la justifiait en disant qu'au retour de Troie Ménélas et Héléne y avaient fait leur premiére escale en terre grecque

(1). Euripide affirme à son tour l'identité

Cranaé-Héléné,

mais

declare-t-ıl

la voix

par

il l'explique des

autrement.

Dioscures,

avait

Lorsque enlevé

Hermés, Hélène

de

Sparte en se conformant aux ordres de Zeus, il s'était. d'abord

posé, avant de gagner l'Égypte, dans « cette fle qui monte la garde le long de l'Acté : les mortels lui donneront désormais le nom d'Héléne, puisqu'elle t'a recue quand tu fus enlevée de ton palais » (2).

Par un tel ailion, propre à satisfaire l'amour-propre des Athéniens, le poéte confirmait la légende de la « nouvelle Héléne » qu'il venait de leur proposer, et en méme temps il résolvait de facon originale un petit probléme de géographie homérique. Sur le retour de Päris et d'Héléne dans les Kypria, on rencontre des témoignages contradictoires. D'aprés Proclos, Héra suscitait

une tempéte qui Jetait la flotte troyenne sur la cóte de Sidon et Páris s'emparait de la ville (3). Au contraire, Hérodote affirme que les Troyens avaient accompli le trajet en trois jours, par vent favo-

rable et mer calme (4). Malgré l'accord du résumé de Proclos et de l'Epilomé d'Apollodore, qui garantit en général l'origine épique de la version qu'ils exposent, il semble qu'on doit admettre avec la grande majorité des critiques l'exactitude de l'affirmation que le drame satyrique de Sophocle, 'EXévnc γάμος, dont nous ne savons que peu de choses, ait eu pour cadre Cranaé (Pearson, I, p. 126-129). Mais méme ceci admis, nous ignorons où Sophocle plaçait cet flot. (1) Hécatée, fr. 128 Jac. Sur cette identification,

Γ 445; Str., IX, 1, 22; St. Byz., l. c.; Mela,

(2) HL 1673-75 :

cf. encore

sc. ABT

et Eust.

en

II, 109; sc. Lyc. 112.

« Dpoupóv παρ᾽ ᾿Ακτὴν τεταμένην νῆσον λέγω,

Ἑλένη τὸ λοιπὸν ἐν βροτοῖς κεκλήσεται, ἐπεὶ χλοπὰς σὰς ἐκ δόμων ἐδέξατο.» Mae J, Duchemin (L'fle d'Hélène dans la tragédie d' Euripide, REG, 53 (1940), p. 163171) a suggéré qu'Euripide identiflait l'île avec celle de Pharos, dans le site où il place

l'action d'Héléne, mais cette hypothése se heurte à des difficultés (signalées déjà par l'auteur) qui la rendent peu vraisemblable : cf. L. Ghali-Kahil, p. 298 et n. 2. Les vers d'Euripide s’inserent dans un contexte épique : dessein de Zeus (1669), apothéose d'Hélène et des Dioscures, transfert de Ménélas aux [168 des Bienheureux. Le nom

de Páris apparait au v. 1672.

E. Delebecque,

p. 344-45, suppose avec beaucoup

de

vraisemblance que ces vers évoquent un fait d'actualité, l'ile d'Héléné ayant dà, à ce moment de la guerre du Péloponnése, étre fortiflée comme l'était le cap Sounion, afin de protéger la navigation athénienne. (3) Proclos, 1. 103-04 ; cf. encore Apd., Ep. III, 4; Dict., I, 5. D'après les scolies ABN en Z 291 et Apollodore, par ce détour, Páris avait cherché à se dérober à ses poursuivants éventuels,

(4) Darés,

Hdt., X.

II, 117

=

Kyp.,

fr. XII ; cf. Alcid.,

Ul.,

18-19;

Colouthos,

389-390 ;

182

EURIPIDE ET LES LÉGENDES DES CHANTS

CYPRIENS

d'Hérodote (1). L'expression d'Euripide lui-méme, qui montre les navires de Páris « courant à travers la houle marine » (2), introduit encore une présomption en faveur d'un retour facile et rapide des vaisseaux troyens.

Enfin, lorsque Euripide parle des noces d'Héléne à Troie, il se souvient sans doute de l'épisode correspondant des Chanls Cypriens, qui a laissé quelques traces dans les textes et les représentations figurées (3). Comment les prédécesseurs d'Euripide envisageaient-ils les responsabilités dans l'affaire du rapt d'Héléne ? A ce point de vue, les épopées homériques présentent un tableau complexe (4). Héléne, il est vrai, ne cesse de déplorer sa faute : « Ah, dit-elle à

Priam, comme j'aurais dà préférer le trépas cruel, le jour où j'ai suivi ton fils jusqu'ici, abandonnant ma chambre nuptiale, mes proches, ma fille si choyée, mes aimables compagnes » (5). Mais les Troyens eux-mémes ne semblent pas lui en tenir rigueur : témoins les vieillards sur le rempart (6). Priam affirme : « Tu n'es cause de rien ; les dieux sont cause de tout ; ce sont eux qui ont déchatné cette guerre, source de pleurs, avec les Achéens» (7). Héléne a bien suivi le bel Alexandre de son plein gré, mais elle ne pouvait pas plus, à Sparte, résister à la toute-puissante

Aphrodite, protectrice déclarée du prince troyen, qu'elle ne le peut à Troie (8). Enfin, l'héroine représente la beauté souveraine qui courbe tous les hommes

ravages qu'elle cause

sous sa loi et n'est pas responsable des

(9).

(1) L'interpolation avait pu être introduite dans les Kypria aprés Hérodote pour tenter d'accorder les versions de Stasinos et d'Homére (Z 289-292) et donner un pendant aux

pérégrinations

d'Hélène

et de

Ménélas

après la prise

de

Troie (8 227

sqq.) ; cf.

Welcker, EC, p. 93-96 ; C. Robert, p. 1083-85 ; L. Ghali-Kahil, p. 30; ou encore la source commune d'Apollodore et de Proclos (Bethe) est indépendante des Chanis Cypriens (W. Kullmann, p. 203-206). (2) HL 1117. La méme impression ressort d'Eschl., Ag. 691-92. (3) Eschl., Ag. 705 sqq., où le détail du chant d'hyménée entonné par les Priamides peut provenir de ce poéme. Le cortége des noces de Páris et d'Héléne apparalt sur

un cratère du corinthien moyen (Métropol. Mus. n° 27.116, L. Ghali, n° 112, p. 117-18 et Pl. XL, 1). Cet épisode ne paraît cependant pas avoir été le sujet des Noces d'Hélène de Sophocle

comme

le pensait

Hartung

(cf. Pearson,

!. c., et note au fr. 183).

(4) L'étude la plus détaillée sur ce point est celle de M. Becker, p. 8-28. (5) I' 173-75. Ces vers, déjà paraphrasés par Alcée (fr. 283, 7-9 LP) et Sappho (fr. 16, 9-11), sont sans doute la source de Tr. 947. Cf. aussi Γ 404 ; Z 344-45 ; 355-56;

N 764 ; 8 145-46 ; 261-64. (6) I' 156-58. Il n'en existe pas moins à Troie une certaine hostilité contre Hélène : les vieillards

souhaitent

qu'elle

s'en

aille,

et dans

l'émotion

qui

la saisit

devant

la

dépouille d'Hector, elle s'écrie que « tous les Troyens l'ont en horreur » (£) 775). (7) T 164-65; cf. (2 770-72; Ψ 222, et les affirmations d'Hélène, Z 349 sqq.; 357-58.

Les Grecs croient aussi à l'innocence d'Héléne

(B 356).

(8) Cf. E 349 et tout l'épisode I' 383-420, en particulier les v. 399-402. (9) C'est le sens du discours des vieillards troyens, I' 154 sqq. Il est rare qu'elle

L'ENLÈVEMENT

D’HELENE

183

Bien que les deux amants soient également les victimes d’une malédiction

envoyée

par les dieux

(1), Páris

est beaucoup

plus

sévèrement traité par Homère. Non seulement Ménélas appelle le chátiment de Zeus sur l'homme qui a osé enfreindre les lois sacrées de l'hospitalité (2), mais les Troyens eux-mémes dénoncent sa turpitude : « Päris de malheur, oh ! le bellátre, coureur de femmes

et suborneur », l'appelle Hector (3). Les deux partis l'accusent à l'envi d'étre la cause de leurs souffrances et souhaitent sa mort (4). Les Chanis Cypriens paraissent avoir mis l'accent sur deux des motifs homériques

: celui du róle des dieux et celui de la beauté

souveraine. Tous deux tendaient à décharger les deux héros de leurs responsabilités. Leur union était nécessaire à l'accomplissement du plan de Zeus. Aphrodite promettait Hélène à Pâris, mettait le Troyen sur le chemin de Sparte, réunissait les deux amants et protégeait leur fuite. Páris lui-méme ne pouvait résister aux attraits d'Hélène, dont la séduction irrésistible s’exergait sur

tous les hommes. Ayant résolu autrement qu'Homére le probléme moral de l'enlévement d'Héléne, le poète pouvait s'abandonner au plaisir de conter leurs aventures sans avoir à porter un jugement sur leur conduite. Quelques-uns de ces motifs épiques se retrouvent chez Euripide, mais surtout dans la bouche d'Héléne et de Ménélas : lorsque ‚Helene met en avant pour s'absoudre la volonté des dieux et la puissance d'Aphrodite, lorsqu'elle incrimine l'absence de Ménélas,

lorsque celui-ci dénonce l'outrage infligé par Alexandre au dieu protecteur des hótes, ils puisent leurs arguments dans l'épopée. A un moindre degré, le poète tragique a utilisé le thème de la beauté souveraine

dont

les effets

échappent

à la volonté

de

celle

qui

l'incarne. Mais les attaques les plus vives contre l'Argienne, celles qui tiennent le plus à cœur au poète, sont étrangères à l'esprit des épopées

homériques

et des Chanis

Cypriens.

En effet, plus de deux siécles de littérature avaient altéré la sereine

beauté

de

cette

figure

légendaire.

l'héroine avait commencé avant méme

La

dégradation

de

les Kypria. Déjà dans les

poémes du cycle, en particulier dans la Pelile Iliade, sa légende comprenait des épisodes peu honorables : elle aidait Ulysse men-

diant à pénétrer dans la ville et à massacrer des Troyens (5), et, recoive des reproches, et ceux-ci sont plus sentimentaux que moraux : T 325 (Achille),

E 68-69 (Eumée). (1) idée. (2) (3) (4) (5)

Le même mot, ἄτη, se trouve en Z 356 et en ὃ 261. ZA 580 s'inspire de la même T' 351-54; N 622-27. Γ 39. Τ' 46-57 ; 99-100; Z 282-85; Proclos, 1. 224-27

H 390.

(Petile Iliade).

184

EURIPIDE

ET

LES

LÉGENDES

DES

CHANTS

CYPRIENS

autour du cheval de Troie, elle imitait la voix des femmes de ceux

qui se cachaient dans ses flancs (1). Cette attitude tranchait avec le róle un peu passif qui était le sien chez Homére et chez Stasinos, et ajoutait à son caractére une nuance de duplicité, voire de perfidie. Dans le méme poéme, Ménélas jugeait sa femme assez coupable pour dégainer contre elle son épée lors de la prise de Troie (2). Suivant la voie ainsi indiquée, d'autres poétes incriminérent ouvertement les mauvaises mœurs d'Héléne. C'est ainsi qu' Hésiode

expliquait l'inconduite des filles de Tyndare par le ressentiment d'Aphrodite

contre

leur

pére

(3).

Stésichore,

dans

son

Heéléne,

reprenait cette explication. Considérant la Tyndaride, la « femme aux trois maris », comme une simple mortelle, il l'accusait d'avoir volontairement abandonné Ménélas et d'avoir ainsi provoqué la

grande

guerre

troyenne

(4). C'était aussi ce que pensait

Alcée.

Sans nier la responsabilité des dieux, il établissait entre Thétis et Héléne une comparaison désavantageuse pour cette derniére, dont la trahison était cause de la prise de Troie (5).

Páris n'en est pas disculpé pour autant. Plusieurs poétes lyriques, Alcman,

Alcée,

Sappho,

Ibycos,

condamnent

la conduite

de celui

qui a été «traitre à son hóte » (6). Ainsi, le róle des dieux dans cette aventure passe au second plan, tandis que s'affirme la culpabilité humaine d'Héléne et de Páris. Sans doute, Hésiode et Stésichore, Alcée et Sappho n'oublient pas de mentionner l'influence d'Aphrodite sur le comportement d'Héléne, mais Cypris est moins dans leurs vers la divinité qui régit les mortels que le symbole de la beauté et de l'amour triomphant de tous les obstacles (7). C'est au nom de cet amour que (1)

Od., 8 274-79.

Cette anecdote, glissée dans un tout autre contexte,

paraît bien

inspirée par la Petite Iliade (cf. Severyns, CE, p. 335-37). (2) Pel. Il., fr. XVII (14), et Ibycos, fr. 15 l'agón des Troyennes. Peut-être, dans l'épopée, Grecs venus de Ténédos le signal de l'attaque 8 (1957), p. 384. (3) Hés., fr. 93. La légende est développée

P. C'est le thème de la scène qui ouvre était-ce aussi Hélène qui donnait aux contre la cité (cf. Alsina Clota, Helm., par Pausanias,

III,

15,

11.

(4) Stés., fr. 46 : « Kelva (= Κύπρις) | ...διγάμους τε xal τριγάμους τίθησι | καὶ λιπεσάνορας. » Comparer Eur., Or. 1305 : « Τὰν λιποπάτορα λιπόγαμόν 0 » ; Or. 249-250. Un fragment anonyme

(adesp. 96 P.), attribué à Stésichore par Bergk et Diehl, qualifle

Hélène de πολυνείκης. (9) Alc., fr. 42; 283, 3-8 LP, et Page, Sappho and Alcaeus, p. 275-78 ; Bowra, Greek Lyric Poelry*, p. 169. (6) « ξειναπάτης », Ibycos, fr. 1, 10 P. ; Alc., fr. 283, 5, adjectif repris par Euripide,

Tr. 866 : (7)

«άμαρτα ξεναπάτης ἐλήσατο. » Cf. encore Aleman,

fr. 77 P.

Alc., l. c., et surtout Sappho, fr. 16, 6-12 LP ; cf. Page, o. c., p. 56. Cette évolution

s'achève

dans

qu'Euripide

les

Troyennes

a voulu

(988-990).

ridiculiser dans

Il en donne seulement de l'héroine.

une

Il est excessif

de

dire avec

ces vers l's Aphrodite

interprétation

psychologique,

G.

Goossens,

l'a voulu » de qui

tourne

au

p.

75,

Sappho. détriment

L'ENLÈVEMENT

D’HELENE

185

Sappho — à la différence des autres poétes lyriques — exempte l'héroine de tout reproche. Mais, à propos de l'enlévement d'Héléne, c'est d'Eschyle qu'Euripide

semble

avoir le plus profondément

médité

la lecon.

Dans l'Agamemnon reparaissent, il est vrai, des motifs épiques, comme l'idée que Páris a violé les lois édictées par Zeus Hospitalier et que

Ménélas,

en cherchant

à le punir,

est l'instrument

de la

justice divine (1). Parfois aussi, le poéte tragique semble considérer Hélène,

avec

une

sorte

d'horreur

sacrée,

comme

la

dépositaire

irresponsable d'une beauté au pouvoir funeste (2). Mais, le plus souvent, il traite celle qui n'est plus pour lui que la fille de Tyndare

en épouse coupable, complice d'Alexandre (3). Digne sœur de Clytemnestre (4), elle est «celle qui fut à plus d'un homme » (5). Aussi, les Atrides ont été fous d'entratner la Gréce dans une telle guerre pour Héléne (6). Eschyle a exprimé avec une force singuliére

l'idée souvent reprise par Euripide de la disproportion entre cette simple femme et les désastres qu'elle a provoqués, en particulier pour des étres qui lui étaient tout à fait étrangers (7).

Une derniére ceuvre doit étre mise en rapport avec l'agón des Troyennes : c'est l’Eloge d'Hélène de Gorgias (8). La date ne peut

en

étre

fixée

avec

certitude.

On

admet

cependant

qu'elle

est

proche de celle des T'royennes (9) et la similitude des arguments parait prouver que le poéte tragique et le rhéteur ont rivalisé

d'ingéniosité sur le méme

théme. La comparaison des deux mor-

ceaux conduit à penser que l’Éloge d’Helene est le plus ancien et que la scène des Troyennes constitue une réponse au plaidoyer de (1) Ag. 60-62 ; 362-66 ; 399-402 ; 534 ; 701-713 (au v. 712, « Πάριν τὸν αἰνόλεκτρον » annonce HL

1120 : «Πάρις αἰνόγαμος ») ; 748, 1156 ; Cho. 935-36. Cf. aussi Myrmidons (?),

fr. 223a, 4-6 : « .... ἑΕλλάδος λοχαγέταις

οἴπερ Me]véAeo τὴν βίαιον ἁρπαγὴν

γυναικὸς ἐκ]πράσσουσι Πρ[ι]αμ[(]]1δὴν Πάριν.» (2) Ag. 737-743. Héléne n'est pas seulement une femme, c'est une appellation reprise par Euripide (Or. 1389). Son pouvoir est comparé

Érinye (749), à celui d'Até

(735-36) et d'Éris (1460-61). (3) Ag. 406-08 ; 688-692 ; 803 ; 1454. (4) Ag. 1470-71.

(5) Ag. 62 : « πολυάνορος ἀμφὶ γυναικός » (cf.

Eur.,

An.

229 : « τῇ φιλανδρίᾳ »).

(6) Ag. 450-51 ; 822-23. (7) Ag. 62-67; 448; 686-87; 717-749 ; 804 ; 823-24; 1455-56 ; 1464-66. (8) Les éditions les plus récentes sont celles de O. Immisch (1927), avec commentaire ; L.

Radermacher,

Artium

Scriptores

(1951),

p. 52-57 ; Diels,

Vorsokraliker,

1I",

p. 288-294. L'authenticité du discours, longtemps mise en doute, est maintenant admise en général. (9) Avant 415 : M. Pohlenz, II, p. 151 ; H. Grégoire, éd. d'Héléne (Budé), p. 2829 ; L. Ghali, p. 145, n. 5 ; M. L. Orsini, Dioniso, 19 (1956), p. 82-88. Entre 415 et 412 : E. Preuss, De Euripidis Helena, und Aufsálze, 1905, p. 88.

Leipzig, 1911, p. 9 sqq. Aprés 412 : I. Bruns,

Vortráge

186

EURIPIDE

ET LES

LÉGENDES

DES

CHANTS

CYPRIENS

Gorgias (1). En effet, dans son discours, le sophiste entreprenait de

laver

l'héroine

de

tout

bläme.

Recherchant

les explications

possibles de son enlévement, il en trouvait quatre : la volonté du destin et des dieux — motif des Kypria —, la violence, la persuasion ou l'amour (2). Puis il passait en revue ces quatre motifs pour conclure que, dans tous les cas, la responsabilité d'Héléne n'était pas engagée. Parmi ces quatre mobiles, Euripide a passé sous silence la persuasion par le «logos », idée particulièrement

chére au rhéteur Gorgias, mais qui n'avait pas pour lui un attrait aussi fort. Deux autres sont discutés pour étre finalement rejetés : l'intervention d'Aphrodite, invoquée par Héléne et jugée invraisemblable par Hécube, et l'hypothése d'un enlévement réalisé par la force, aussitót écarté qu'évoqué Reste l'amour,

la passion.

par la reine de Troie (3).

Celle-ci, dit Gorgias,

peut naître

de la

vision des êtres ou des objets, et ıl développe longuement cette idée par des exemples. «Si donc, conclut-il, le regard d'Héléne,

pénétré de plaisir par l'aspect physique d'Alexandre, a fait nattre dans

son

cœur

l'ardeur

et

le

désir

amoureux,

faut-il

s'en

étonner ? » (4). Euripide a fait sienne cette observation si fine, et il a insisté à plusieurs reprises sur le róle joué par la vue du beau Páris dans l'éclosion du sentiment d'Héléne (5). En revanche, il a écarté la conclusion qu'en tirait Gorgias. Car, pour le sophiste, que l'amour soit un dieu, Éros, plus fort que les hommes, ou qu'il constitue « une maladie humaine, un oubli de l'áme » (6), il annihile la responsabilité, de telle sorte qu'Héléne ne saurait étre tenue pour coupable. Euripide a retenu le trait d'observation psychologique,

mais

il n'y voit pas

une raison

suffisante

pour

absoudre

l'héroine. Enfin, à la beauté de Páris, le poéte tragique associe celle de ses riches vétements phrygiens, qui ont également contribué à la séduction

chez

d'Héléne.

Euripide.

Ce motif se rencontre

Il est introduit comme

pour la premiére

fois

une plaisanterie dans le

Cyclope, ce qui pourrait faire croire à une origine comique, mais il

est donné sérieusement dans les Troyennes et Iphigénie à Aulis.

(1) Voir en particulier les arguments d'H. Grégoire et de M. L. Orsini, Il. cc.

(2) El. d' Hél., 6. (3)

C. Robert,

p.

1078, pense

mitive de la légende. n'apparaît

qu'à

la

fin du

Troyennes d'Euripide. (Aler.,

qu'Héléne

était enlevée

de force dans la forme

pri-

Mais, mis à part un vers de l'Iliade (B 356), cette conception ve s., et comme

Pour la premiére

106 sqq. ; cf. Serv.

ad.

En.,

une

hypothèse,

fois, Lycophron

chez

Gorgias

et dans

la présente comme

les

un fait

I, 651).

(4) El. d’Hel., 19. (5) Cf. Tr. 988 : «'O σὸς δ᾽ ἰδών νιν νοῦς ἐποιήθη Κύπρις ν; 991 : «dv εἰσιδοῦσαυ ; Cyc. 183 : «ἰδοῦσα »; IA 583-85 : α' Ελένας[ἐν ἀντωποῖς βλεφάροισιν | ἔρωτα δέδωκας.» (6) El. d'Hél.,

19.

L'ENLÈVEMENT

D'HÉLÉNE

187

Une telle insistance permet de penser qu'il s'agit d'une invention

du poéte lui-méme. Peut-étre lui a-t-elle été inspirée par le souvenir des beaux présents offerts dans les Kypria par Alexandre à son arrivée à Sparte (1), ou encore par quelque fresque ou peinture de vase figurant de riches Phrygiens dans leur costume national (2). Cet épisode illustre bien les rapports d'Euripide avec les Chants Cypriens. On sent qu'il n'ignore rien du récit de l'enlévement d'Héléne contenu dans le poéme de Stasinos. Mais il est rare qu'il se laisse aller au plaisir de la narration pour elle-méme. Si parfois il reproduit tel quel un trait de l'épopée, le plus souvent il commente,

il discute,

il juge.

Il choisit parmi

les épisodes,

écartant

ceux qui le génent ou qui lui semblent dépourvus d'intérét pour son propos. Les faits sont insérés dans les véhémentes controverses qui

opposent

les

acteurs

et

les

victimes

de

l'enlévement.

Ils

prennent ainsi une coloration morale différente dans la bouche de chacun de ceux qui cherchent à déterminer les causes et les conséquences

et

qui

en

tirent

argument

pour

condamner

ou

pour

absoudre les protagonistes. Héléne et Ménélas s'en tiennent en général au point de vue d'Homére et de Stasinos, mais les autres personnages ne s'en satisfont pas plus que le poète. A travers les opinions diverses exposées d'áge en áge par les lyriques, les tragiques, les rhéteurs, sur cet événement légendaire si lourd de conséquences, Euripide puise avec éclectisme les éléments d'une démons-

tration. D'un bout à l'autre de l'épisode, il reléve un enchatnement de fautes individuelles — certaines, celles des « Spartiates » Héléne

et Ménélas, plus lourdes que d'autres — dont aucune ne suffit pourtant à expliquer ou à justifier une si grande guerre avec son cortége de ruines et de souffrances. Mais cette discussion n'est jamais abstraite ou gratuite. A travers l'enlévement d'Hélène, cause majeure de la guerre de Troie, ce sont les causes de la guerre du Péloponnése que l'esprit du poéte cherche à percer avec un dou-

loureux acharnement. ἃ ce titre, l'épisode mythologique illustre les préoccupations les plus actuelles d'Euripide et de son public.

(1) Wilamowitz, Tertgesch. d. gr. Bukoliker, p. 189, pensait que déjà dans les Kypria Héléne était séduite par la splendeur orientale de Páris, mais le riche costume phrygien du héros n'apparaît dans les représentations de la rencontre des deux amants qu'à l'extrême fin du v* s., en partie, sans doute, sous l'influence d'Euripide, et non

au milieu du siècle, comme le soutenait à tort C. Robert, p. 1080 et n. 1 : cf. L. Ghali, p. 176, et les nos 128 ; 130 ; 132 ; 133 ; 139 ; 141 ; 147 ; 148 ; 159, etc. (2)

Sur une

hydrie

attique

de Carlsruhe

(Clairmont,

K

165), du dernier

quart

du

v* s., représentant le jugement des déesses, Pâris est vêtu d'un magnifique vêtement phrygien (cf. Ch. Dugas, Ant. CI., 6 (1937), p. 11-12 et Pl. II, f. 5).

188

EURIPIDE

ET

LES

II. HÉLÈNE Nous

LÉGENDES

EN

DES

CHANTS

CYPRIENS

ÉGYPTE : L'HÉLÈNE

avons voulu traiter à part le mythe

de l'enlèvement

tel

qu'il apparaît dans Hélène, parce qu'il diffère du tout au tout de la légende

traditionnelle

acceptée

dans

ses grandes

lignes par le

poète à travers les autres pièces troyennes. L'essentiel de ce mythe est annoncé en quelques mots par les Dioscures à la fin d’Électre: pas

« Hélène revient du palais de Protée. Elle a quitté l'Égypte et ne s'est rendue en Phrygie. Zeus, pour provoquer discorde et tueries parmi

les mortels,

Dans

avait

envoyé

le prologue

un

fantóme

d'Héléne,

d'Héléne

à Ilion » (1).

représentée l'année suivante,

en 412,

l'héroine expose en détail sa surprenante aventure. Aprés avoir rappelé le jugement des déesses et l'arrivée du prince troyen à Sparte, elle ajoute : « Héra, irritée de n'avoir pas vaincu les autres déesses, flt croire à Pâris qu'il partageait ma couche alors qu'il n'embrassait que du vent. Elle lui donna, non pas ma personne, mais un fantóme animé, à ma ressemblance, qu'elle composa d'un fragment de ciel. Le roi, fils de Priam, crut donc me posséder, mais ce n'est qu'une ombre vaine, ce n'est pas moi » (2).

Il en résulte que Grecs et Phrygiens ne se battent que pour «un nom », car, continue-t-elle « Hermés (Zeus,

en

m'enleva,

effet,

ne

dans

s'était

pas

: les replis

de

désintéressé

l'éther, de

cachée

moi),

dans

et m'établit

une

nuée

ici,

dans

BIBLIOGRAPHIE : M. Mayer, p. 6-19. A. von Premerstein, Ph., 55 (1896), p. 634653. J. Vürtheim, Stesichoros' Fragmente und Biographie, Leyde, 1919, p. 64-72. C. Robert, p. 1085-86. V. Pisani, Elena e l'eidólon, Riv. di Filol., 56 (1928), p. 476-499. M. Becker, Helena, p. 70-93. Schmid-Stlählin, p. 501-05 ; 512-15. Wüst, 8. v. Paris, RE, XVIII, 4 (1949), col. 1506-08. H. Grégoire, Euripide, V (Budé), 1950, Notice

d'Hélène, p. 30-36. E. Delebecque, p. 326 sqq. L. Ghali, Les Enlévemenls el le retour d'Hélène, 1955, p. 285-301. J. Alsina Clota, La « Helena » y la « Palinodia » di Stesicoro, Est. Clas., 4 (1957-58), p. 157-175 ; id., Helmantica, 8 (1957), p. 206-09 ; 385-390. J. Schwartz, p. 550-56. C. M. Bowra, Greek Lyric Poelry*, Oxford, 1961, p. 107-112. (1) ΕἸ. 1280-83 :

«

Πρωτέως

yxp

ἐκ δόμων

ἤχει λιποῦσ᾽ Αἴγυπτον οὐδ᾽ ἦλθεν Φρύγας. Zeug δ᾽, ὡς ἔρις γένοιτο καὶ φόνος βροτῶν, εἴδωλον ᾿Εἰένης ἐξέπεμψ᾽ Sur

les deux

(2) HL

derniers

vers,

31-36 : « Ἥρα

cf. supra,

Ch.

ἐς "Daov. »

I, p. 41.

δὲ μεμφθεῖσ᾽ obvex' où νικᾷ θεάς,

ἐξηνέμωσε τἄμ᾽ ᾿Αλεξάνδρῳ λέχη, δίδωσι δ᾽ οὐκ ἔμ᾽, ἀλλ' ὁμοιώσασ᾽ ἐμοὶ

εἴδωλον ἔμπνουν οὐρανοῦ ξυνθεῖσ' ἄπο Πριάμου τυράννῳ παιδί * καὶ δοκεῖ μ᾽ ἔχειν, κενὴν δόκησιν, οὐκ ἔχων.»

HÉLENE

189

la demeure de Protée, élu par lui comme le plus sage de tous les mortels : je devais y garder intact le lit de Ménélas » (1).

Au cours du drame, quelques détails complétent le récit l'enlévement. Dans un passage lyrique, l'héroine déclare : « Héra

envoya

le fils de Maia

aux

pieds rapides.

Je coupais de frais pétales de roses, dont je remplissais ma les porter à Athéna Chalkioikos, lorsqu'il m'entraina

à travers

de

l'éther jusqu'à

ce pays

robe,

pour

d'infortune » (2).

Hermés, nous l'avons vu (3), avant d'atteindre l'Égypte s'était arrêté en route dans «l'ile d'Hélène », auprès des côtes de l'Attique.

Gardée par le vertueux Protée, puis par son moins vertueux fils, Théoclyménos, Hélène reste ainsi en terre égyptienne, prés de l’île de Pharos. La piéce raconte comment elle retrouva Ménélas, jeté sur la cóte par une tempéte au retour de Troie, et comment — la véritable Hélène s'étant substituée au fantôme auprès du

roi de Sparte — les deux époux parvinrent à déjouer la vigilance jalouse de Théoclyménos et à s'embarquer tous deux pour rentrer en Laconie. Mais nous nous bornerons ici à chercher les sources

de

la nouvelle

version

de l'enlèvement

d'Hélène

proposée

par

Euripide et à montrer comment le poète les a mises en œuvre. Homère connaissait déjà un séjour d'Hélène en Égypte : c'était au retour de Troie que les cinq navires de Ménélas étaient poussés sur les côtes de l'Égypte. Les époux étaient bien reçus à Thèbes. Ensuite,

dans

l'île

de

Pharos,

Ménélas

obtenait,

grâce

à

l'aide

d'Eidothée, de pouvoir consulter Protée, le « Vieux de la Mer», sur son avenir (4). Sans doute, les circonstances étaient toutes différentes de celles qu'a imaginées le poéte tragique, mais Homére lui fournissait déjà plusieurs données : la présence de Ménélas en

(1) HL 44-48 : « Λαδὼν δέ μ᾽ Ἑρμῆς ἐν πτυχαῖσιν αἰθέρος νεφέλῃ καλύψας --- οὐ γὰρ ἠμέλησέ μου Ζεύς — τόνδ᾽ ἐς olxov Πρωτέως ἱδρύσατο, πάντων προχρίνας σωφρονέστατον βροτῶν, ἀκέραιον ὡς σώσαιμι Μενέλεῳ λέχος. » (2) HL 242-47 : «"Hpa τὸν ὠκύπουν

ἔπεμψε Μαιάδος γόνον * ὅς με χλοερὰ δρεπομέναν

ἔσω πέπλων ῥόδεα πέταλα, Χαλκίοικον ὡς ᾿Αθάναν μόλοιμ᾽, ἀναρπάσας δί᾽ αἰθέρος τάνδε γαῖαν εἰς ἄνολθον. » (3) Cf. supra, p. 181. (4) Od. y 300; 8 83;

227-230 ; 351-585.

190

EURIPIDE

ET

LES

LÉGENDES

DES

CHANTS

CYPRIENS

Égypte, les noms de Protée et d'Eidothée (1), le site de l'île de Pharos (2). La création par les dieux d'un fantóme

à l'image d'un autre

être est attestée dans des récits anciens. On trouve déjà de telles

substitutions dans l'Iliade, dans la légende d'Endymion chez Hésiode, dans celle d'Ixion chez Pindare (3). C'est au Calalogue hésiodique que remonterait, d'après une scolie à Lycophron, le motif du fantôme d'Hélène (4). Bien que la valeur de ce témoignage soit parfois contestée (5), il n'y a pas de motif absolu de l'écarter (6). Comme il n'y a pas de raison de penser qu'Hésiode tirait parti de cette invention pour innocenter

Héléne, il est probable que les dieux ne substituaient une fausse Héléne à la vraie qu'aprés son enlévement par Páris, mais il est vain de rechercher, comme on l’a parfois tenté (7), dans quel contexte

le Calalogue

plagait cet épisode.

La source principale de la légende d'Euripide doit étre recherchée dans la Palinodie de Stésichore (8). Utilisant peut-étre la légende hésiodique, le poéte d'Himére lui donnait un tout autre sens. Alors que, dans son Héléne, il avait repris la légende traditionnelle en mettant l'accent sur la culpabilité de l'héroine, il affirmait dans la Palinodie qu'Héléne était innocente et qu'elle ne s'était pas embarquée sur le navire de Páris. Celui-ci n'avait emporté qu'un fantóme, et c'était pour ce fantóme que les Troyens et les Grecs (1) préfére (2) (3)

Sur la forme de l'hypocoristique Elô& (HL 11), cf. Pisani, p. 484-85. Euripide l'appeler Théonoé. HL 5. Énée : Il., E 449-451; Agénor : ᾧ 600-01 ; Endymion : Hés., fr. 148; Ixion:

Pd., Py.,

II, 36-40 : dans ces deux derniers cas, les héros tentent de s'unir à un fan-

tóme d'Héra. Cf. S. Trenkner, The Greek Novella, p. 43. (4) Hés., fr. 266 (sc. paraphr. Lyc. 822, p. 71 Sch.). Le scoliaste dit qu'« Hésiode fut le premier à faire intervenir le fantôme d'Hélène ». (5) En particulier par Seeliger, Die Überlieferung der gr. Heldensagen bei Stesichoros, Meissen, 1886, p. 8, n. 2; Wilamowitz, Sappho und Simonides, p. 141, n. 1. D'autree

auteurs ont suggéréde corriger dans la scolie "Holodog en Στησίχορος (M. Mayer, p.

6,

suivant

Markscheffel)J.

Sans

se

prononcer

formellement,

d'autres

encore

sont

sceptiques sur la valeur de la scolie (Pisani, p. 477 ; Delebecque, p. 327 ; 332 ; Grégoire, p. 34, n. 2; J. Schwartz, p. 552; Goossens, p. 571). (6) C'est l'avis de Premerstein, p. 634; 638; C. Robert,

p.

1086 ; Becker,

p. 70-

71; Pohlenz, II, p. 159; L. Ghali, p. 287 ; J. Alsina Clota, Helmant., p. 381 ; Bowra, p. 89. (7)

Il est confirmé par le nouveau document cité infra, p. 191. L. Ghali, p. 287 (d'après Holzinger, comm. à Lyc., Alex. 820 sqq.), croit retrouver

chez Lycophron la version hésiodique : les dieux substituent un fantóme à Héléne aprés son enlèvement par Pâris. L'héroIne est transportée en Égypte. Aprés la prise de Troie, le fantóme échappe à Ménélas en disparaissant dans les airs et l'Atride retrouve sa femme en Égypte au cours de son voyage de retour. (8) Stésich., fr. 15 P. (où on trouvera commodément rassemblés tous les témoignages

directs et indirects) et 16.

HÉLÉNE

191

s'étaient battus pendant dix ans (1). Cependant, les témoignages anciens ne nous disent pas où se trouvait la véritable Hélène pendant tout ce temps. A cette question, les critiques modernes ont apporté les réponses les plus diverses : Héléne avait été transportée

en Égypte, comme chez Euripide (2) ; Hélène se trouvait dans l'tle des Bienheureux

(3); Héléne aurait été transformée en étoile (4).

Pour certains méme, Stésichore serait resté dans le vague sur ce point (5). Un document récemment publié apporte un témoignage en faveur de la première de ces hypothèses. Dans un fragment de commentaire

sur papyrus, on lit à propos

de la Palinodie:

« bläme Homère parce qu'il a représenté à Troie Helene et non pas son fantôme, et dans l'autre il bláme Hésiode. En effet, il

y a deux

Palinodies

différentes, dont l'une commence

par : « Viens

encore, déesse amie des chants», l'autre par : « Vierge aux ailes d'or s, comme l'a indiqué Chamaeléon. Pour sa part, Stésichore dit que le fantóme alla à Troie, mais qu'Héléne resta auprés de Protée » (6).

Ce témoignage, important à plus d'un égard (7), paratt appuyé sur des documents sérieux, comme le montre la mention du péripatéticien Chamaeléon, et il n'y a guére de motif de le mettre en

doute. Il prouve, ce qui était généralement admis, que Stésichore s'opposait à la fois

à Homére, puisqu'il affirmait que seul un fan-

(1) Plat., Phèdre, 243a ; Rép. IX, 586c; D. Chr., XI, 40; Arstd., XLV, 54 (II, 72D.). (2) Seeliger, o. c., p. 4; Premerstein, p. 646; Robert, B. u. L., p. 25; Gr. Held., p. 1086, n. 3; M. Mayer, p. 7-9. (3) D'après Conon, Narr. 18; en particulier l'avis de Welcker.

(4) D'après (5)

Pisani,

Hor.,

Ep. XVII,

p. 479 ; Becker,

noncer (Schmid-Stühlin, (6)

Fr.

16

Page

III,

19,

11 ; sc.

40-44 : cf. Vürtheim,

p. 75 sqq.

D'autres

Plat., Phédre

243a.

C'était

p. 58-59 ; 70; Bowra, p. 109.

critiques préfèrent

ne pas se pro-

p. 476 ; L. Ghali, p. 288-89).

(cf. P.

Page, p. 35-37) :

Paus.,

Ory.,

XXIX

«

(1963),

2506,

fr. 26a,

et le commentaire

de

[μέμ-

φεται τὸν “Ὅμηροίν ὅτι 'E5

λέ]νην ἐποίησεν ἐν T{polæ καὶ οὐ τὸ εἴδωλον αὐτῆϊς, Ev

τε τῇ] ἑτέρᾳ τὸν 'Hetob[ov μέμ[φεἾται * δίτται γάρ εἰσι παλινῳδ[ίαι δια]λλάττουσαι, καί ἐ10

στιν À μὲν ἀρχὴ ᾿ α δεῦρ᾽ αὖτε θεὰ φιλόμολπε », τῆς BE « χρυσόπτερε

παρθένε»,

ὡς

ἀνέγραφε Χαμαιλέων ᾿ αὖτὸς δ]έ φησίιν] ὁ Ernolyopols τὸ μὲν εἰἴδωλο]ν ἐλθεῖν ἐς

15

Τροίαν, τὴν δ' Ἑλένην π[αρὰ τῷ Πρωτεῖ καταμεῖν[αι. »

(7) C'est la premiére indication que nous ayons sur l'existence d'une double Palinodie (cf. Page, o. c., p. 37-38).

192

EURIPIDE

ET

LES

LÉGENDES

DES

CHANTS

CYPRIENS

tóme d'Héléne était présent à Troie, et à Hésiode, puisque dans la Palinodie l'héroine était innocente. Le fragment papyrologique nous apprend de plus que la véritable Héléne était en Égypte auprés de Protée. Comme le remarque Page, cette indication, qui se

retrouve chez le scoliaste d'Aristide et chez Tzetzés, oblige à croire ces derniers quand ils disent que l'Héléne de Stésichore avait accompagné Páris par mer jusqu'en Égypte (1). C'est là seulement

que

s'était opérée

la substitution,

maitre dans l'art des métamorphoses.

dont

l'auteur

était

Protée,

Si la dette du poéte tragique

à l'égard de Stésichore est donc importante,

Euripide ne s'en est

pas moins trés librement inspiré de son récit. Sans

d'une

mentionner

tradition

l’« Aphrodite avoir enlevé

le fantóme

recueillie

d'Héléne,

auprès

des

Hérodote

prêtres

Étrangère » à Memphis (2). Dans ce Hélène, Pâris fut jeté par la tempête

se fait l'écho

égyptiens

de

récit, après sur la côte

d'Égypte, prés de la bouche canopique du Nil. Dénoncé par un de ses serviteurs au gouverneur Thónis, il fut conduit à Memphis et traduit devant le roi Protée. Celui-ci flétrit sa conduite et ne

le laissa partir qu'en retenant Héléne et les trésors, afin de les rendre par la suite à leur légitime possesseur. Bien que les Troyens eussent affirmé n'avoir chez eux ni Héléne ni les trésors, les Grecs

assiégérent la ville et la prirent. Mais, ne trouvant pas à Troie ce qu'ils y cherchaient, ils envoyérent Ménélas auprés de Protée qui lui réserva le meilleur accueil et lui rendit sa femme. Sur la provenance du récit d'Hérodote, les avis sont trés partagés. Il ne semble pas qu'il puisse dépendre directement de Stésichore (3),

car il y manque le motif essentiel du fantôme.

De toute manière,

il est singulier qu'Hérodote, qui cite Homére et les Chanls Cypriens, ne mentionne pas le poète de Sicile (4). On a avancé aussi le nom d'Hécatée (5), qui serait l'auteur d'une version rationalisée de la légende du fantóme, mais rien n'est moins certain (6). Il n'y a pas lieu de douter qu’Herodote ait réellement recueilli cette version (1) Elle n'avait donc pas été enlevée par Hermés, comme le croyait Premerstein, p. 646. (2) Hdt., II, 113-118. (3) Contrairement à l'avis de Seeliger, p. 8; de Robert, B. u. L., p. 25 ; de Pohlenz, I, p. 408. (4) Aucune explication satisfaisante ne peut étre donnée de ce silence. L'hypothése d'H. Grégoire, o. c., p. 36, pour lequel la Palinodie est un faux, postérieur aux débuts de la guerre du Péloponnèse, n'est guère acceptable. (5) Cf. Diels, H., 22 (1887), p. 411 sqq. ; de Sanctis, Riv. Fil., 16 (1936), p. 12 sqq. ; Ph. E. Legrand, Hérodote, II (Budé), p. 32 ; Pohlenz, !. c. Cette influence est considérée comme possible par Schmid-Stählin, p. 502 ; L. Ghali, p. 295.

(6)

Hécatée a pu cependant fournir

à Hérodote quelques précisions d'ordre géogra-

phique. On trouvera les principales références réunies par Ph. (qui en tire, à notre sens, des conclusions erronées).

E. Legrand,

l. c., n. 3

HÉLÉNE

193

sur place, sinon auprès de « prêtres égyptiens », au moins dans les milieux gréco-égyptiens de Memphis qui ont pu combiner des traditions locales avec des motifs homériques (1). Elle a pu nattre d'un

rapprochement

entre

Aphrodite-Astarté

et

Hélène.

Le

caractére moralisant et apologétique en est évident (2) : Protée y tient le beau rôle, Páris est condamné, mais l'attitude d'Hélène semble surtout passive. Que conclure de ces témoignages ? Si Euripide, comme on l'admet communément,

de Stésichore

a combiné

dans l'intrigue d'Héléne des souvenirs

et d'Hérodote,

la part du

premier

l'emporte

de

beaucoup sur le second. L'historien a été mis à contribution pour

parfaire la couleur locale égyptienne de la piéce, mais en ce qui concerne l'enlevement méme d'Héléne, son influence est faible, puisque dans la tragédie Héléne est innocente et Páris n'a pas

abordé en Égypte. Tout au plus a-t-il assimilé le « Vieux de la mer » homérique à un Pharaon (3), mais cette innovation pouvait venir d'Hécatée, ou méme de Stésichore. Il est également douteux

qu'Euripide se soit ici inspiré de Gorgias (4) : les deux auteurs se rejoignent dans leur commune intention d'innocenter Héléne, mais

chacun se sert de moyens qui lui sont propres. Le poéte a utilisé avant tout le récit de Stésichore, qu'il a complété par des motifs tirés de l'Odyssée et des Chants Cypriens, en particulier celui de

la volonté de Zeus indiqué dans le prologue de la piéce (5). Le motif de l'enlévement d'Héléne par Hermés rappelle aussi un passage de l'Hymne homérique à Aphrodile, poème dont il s'était déjà inspiré dans les Troyennes (6). Toute la pièce repose sur le postulat de l’innocence d'Héléne.

. Mais il est difficile de préciser à quelles intentions profondes du poéte répond ce « rachat », si inattendu dans son théátre. Euripide s'est-il sérieusement appliqué à réhabiliter l'héroine qu'il avait tant malmenée jusqu'alors et à l'idéaliser au point d'en faire une nouvelle Pénélope (7) ? Ou bien s'est-il amusé à soutenir une thése (1) Premerstein, p. 634. Becker, p. 83-84 ; Legrand, I. c. Mais il est très douteux, comme le pense Premerstein, que la légende recueillie à Memphis soit d'origine laconienne. On ne croira pas non plus avec Pisani, p. 489-490, qu'Hérodote ait appliqué de son

propre

chef à Héléne

un conte

local

égyptien.

(2) Voir en particulier Legrand, p. 32-33. (3) H. Grégoire, o. c., p. 35. (4) C'est la thése de Preuss (cf. supra, p. 185, n. 9). (5)

Plutôt

directement

qu'à

travers

Slésichore,

comme

le

pense

Premerstein,

p. 648. Mais le poéte sicilien avait pu motiver son récit par le désir d'Héra de faire piéce à Aphrodite. (6) H. H. Aphr., 117-125. Pour les souvenirs de ce poème dans les Troyennes, voir notre article, REG, 69 (1956), p. 298-300. (7) Ce point de vue est vigoureusement défendu

dans la Notice de l'édition d'Hélène

d'A. Y. Campbell, Liverpool, 1950 ; cf. aussi Becker, p. 88-92 ; Schmid-Stählin, p. 50304 ; Delebecque, p. 332. 14

194

EURIPIDE

ET

LES

LÉGENDES

DES

CHANTS

CYPRIENS

paradoxale et à rivaliser ainsi d'ingéniosité avec un sophiste comme

Gorgias ? La

légende

arriére-pensées

de la «nouvelle

politiques ?

Plusieurs

Héléne»

cache-t-elle

historiens

l'ont

des

affirmé ;

les tendances pacifistes et «spartophiles» (1) qui apparattraient dans cette piéce, représentée peu aprés le désastre de Sicile, traduiraient de la part d'Euripide le souhait d'un rapprochement entre Sparte et Athénes.

Pour

d'autres critiques,

au

contraire,

Héléne

serait

une ceuvre de pur divertissement, qui viserait à distraire le public des tristes réalités du moment. Cette sorte de féérie exotique, riche en situations romanesques,

en scénes de comédie

(2) et en

rebondissements théátraux, ne serait qu'un exercice de virtuosité sans portée politique ou morale. En fait, le choix d'un tel sujet paraît répondre à des intentions

diverses. Malgré les apparences, nous l'avons vu (3), la leçon de la piéce avait sa place dans le développement de la pensée d'Euripide sur les origines des guerres. Le «combat pour une ombre»

de

la légende

stésichoréenne

pouvait

faire

réfléchir

les

Athéniens sur la vanité des causes du conflit actuel. L'enlévement d'Héléne par Hermès permettait encore de renouveler la psychologie

traditionnelle de l'héroine. L'image d'une Héléne accablée par la mauvaise réputation qu'elle s'était acquise parmi les Grecs avait peut-étre été esquissée par Sophocle (4). Mais il était piquant de

montrer de plus, en faisant d'Héléne le personnage le plus estimable

de la piéce, que cette réputation était injustifiée.

Il entre

une part de jeu dans cette présentation de la « nouvelle Héléne », comme le montre le ton souriant de certaines scénes. Mais le transfert de l'épisode dans la lointaine Égypte, dont les mœurs et les légendes paraissaient si étranges aux Grecs (5), atténuait son

invraisemblance.

De

plus,

Euripide

a mis tout son art à faire

(1) Sur le paciflsme dans Héléne, cf. Becker, p. 88; Delebecque, p. 326-337; Goossens, p. 572. Sur les sympathies pour Sparte, Delebecque, p. 328 sqq. ; L. Ghali, p. 296. (2) Sur le romanesque dans Héléne, cf. Rivier, Essai sur le tragique d'Euripide, p. 176 sqq. Le caractère comique de la pièce a été souvent souligné, en particulier par Steiger, Ph. (1907), p. 200 sqq.; Kuiper, Mn., (1926), p. 180 sqq., et surtout par A. Maniet, LEC, 15 (1947), p. 305-322 ; cf. aussi Goossens, p. 572. Sans aller aussi

loin qu'A.

Maniet,

nous pensons qu'Euripide

a lâché la bride à sa fantaisie et que,

s'il n'a pas pris trés au sérieux cette « réhabilitation » d'Hélène, il a exploité toutes les possibilités scéniques, et aussi dialectiques, d'un sujet à l'ordre du jour parmi les sophistes. L'intrigue offre de nombreuses ressemblances avec celle d’/phigenie en Tauride, dont la date est incertaine, mais qui pourrait étre de peu antérieure (414 ou 413) : thémes du sauveur, du roi barbare berné, du retour de Grecs exilés dans leur patrie (cf. 5. Trenkner, The Greek Novella, p. 50-55 ; 59-64).

(3) Supra, p. 177. (4) Fr. 178 P. (Revendicalion d'Héléne). (5) Le róle de Théoclyménos emprunte des traits à la légende de Busiris.

L'APOTHÉOSE

DES

DIOSCURES

195

accepter ce conte à son public, en y insérant notamment des motifs

traditionnels tirés de l'Odyssée et des Chants Cypriens. Il lui conférait ainsi la saveur plus familière des vieilles légendes épiques.

III. MORT

ET

APOTHÉOSE

DES

DIOSCURES

D'accord avec toute la tradition, Euripide affirme que Castor et Pollux étaient vivants et présents en Laconie lors de l'enlévement d'Hélène (1), mais qu'ils disparurent peu de temps après. Que leur était-il arrivé ? Au début d'Héléne, l'héroine le demande

à Teucros, et ce dernier lui fait part du double récit qui a cours à ce sujet parmi astres,

les

les Grecs

Dioscures

sont

: d'aprés les uns, métamorphosés devenus

des

dieux;

selon

en

d'autres,

l'inconduite de leur sceur les a poussés au suicide (2). Dans le cours du drame, Héléne déplore à plusieurs reprises cette mort dont, bien qu'innocente,

elle est la cause

(3).

La version du suicide des Dioscures ne se rencontre que dans Héléne. En revanche, celle de l'apothéose, indiquée pour la premiére

fois dans les Troyennes, figure à plusieurs reprises dans le théâtre d'Euripide (4). Elle reçoit méme une confirmation éclatante au dénouement d'Héléne, oà les Jumeaux, apparus ez machina sous leur forme «humaine », confirment que Zeus les a mis au rang des dieux (5). Vivant dans le ciel, parmi les astres, Castor et Pollux surveillent et protégent leur sceur (6). Mais leur rôle de protecteurs (7) est plus large encore. A travers l'éther, ils volent au secours des marins en péril, apaisent les tempétes et conduisent les navires à bon port (8), à condition toutefois que ceux qui les montent aient l'àme pure (9). C'est pourquoi les mortels invoquent leur protection, aussi bien en Gréce

que

sur les cótes inhospitaliéres

de la Tauride,

et leur offrent

BIBLIOGRAPHIE : Voir en particulier : Bethe, s. v. Dioskuren, RE, V, 1 (1903), col. 1087-1123. C. Robert, p. 306-328. F. Chapouthier, Les Dioscures au service d'une déesse, Paris, 1935, p. 131-143. (1) Tr. 1000-01. (2) HL 137-142. (3) HL 206-211; 220-21; 284-85 ; 720-21. (4) Tr. 1001; El. 312-13; 991-92; HL 1496-98; (5) HL 1659. (6)

HL

Phoibos, (7)

1658;

ils n'y

1664-65.

restent

Sans

s'opposer

cependant

pas

au

IA

meurtre

indifférents

768-69. de

(El.

Clytemnestre,

voulu

par

1242-43).

Le qualificatif de σωτῆρες,, le verbe σῴζω reviennent souvent

993 ; 1348; HL 1500; 1658 ; 1664 ; Or. 1637. (8) El. 1241-42 ; 1347-48 ; HL 1495-1505 ; 1663-65 ; Or. 1689-90. (9) EI. 1349-1356.

à leur sujet : El.

196

EURIPIDE

ET

LES

LÉGENDES

DES

CHANTS

CYPRIENS

libations saintes et festins rituels (1). A deux reprises dans le théâtre d'Euripide, il est annoncé qu'aprés sa mort, Héléne sera associée à ses fréres, dans leurs fonctions tutélaires comme dans les honneurs qui leur sont rendus (2). La version du suicide et celle de l'apothéose sont l'une et l'autre étrangères aux Chanis Cypriens. Dans l'épopée, les Dioscures, peu

aprés avoir accordé l'hospitalité à Páris, enlevaient les troupeaux d'Idas et de Lyncée, mais Castor était tué par Idas et Pollux le

vengeait

en

massacrant

ses deux

cousins.

Zeus

leur accordait

ensuite l'immortalité, alternativement un jour chacun (3). Euripide

a écarté cette légende : comme

ils étaient chez lui égaux par la

naissance (4), Castor et Pollux sont égaux dans la mort et béné-

ficient également et simultanément de l'apothéose. Cependant, le «double récit» dont parle Teucros

correspond

pour l'essentiel aux deux traditions opposées relatives à la dispa-

rition des Dioscures. Suivant la premiére, qui est celle d'Homére, les fréres d'Héléne ont connu le sort commun

à tous les mortels.

Dans l'épisode de la Teichoscopie, le poéte déclare en effet : au

« C'est la glébe, source de vie, sol méme de leur patrie » (5).

qui

les retient

dans

leur

Lacédémone,

Il est vrai que ni Homére, ni aucun autre auteur ne disent qu'ils se

sont

suicidés.

Mais

l'idée

que

la

conduite

d'Héléne

avait

déshonoré ses frères se trouve déjà dans le méme épisode de l' Iliade. L'héroine, n'apercevant pas ses fréres parmi les combattants, s’ecriait : « N'ont-ils donc pas quitté, pour suivre l'armée, l'aimable Lacédémone ? Ou aprés l'avoir suivie jusqu'ici sur ses nefs marines, serait-ce qu'ils se refusent maintenant à s'enfoncer dans la mélée, par peur des mots ignominieux ou infamants qui sont leur lot désormais ? » (6).

Exploitant une telle suggestion, Euripide la pousse à l'extréme

en déclarant que la honte a pu provoquer le suicide des Dioscures comme

il a été la cause de celui de Léda

(7).

(1) IT 272; HL 1668-69. (2) Dans Hélène (1666-69) et Oreste (1635-37 ; 1683-1690). (3) Procl. 1. 106-109; Kyp., fr. XI; Pd. Ném., X, 55-90; Py., XI, 61-64; Apd., III, 11, 2; Virg., En., VI, 121 ; Ov., Fasles, V, 715-720 ; Luc., D. D., 26, 1; sc. AD en Γ 243. Sur cette légende, cf. A. Severyns, CE, p. 275-281, et Ant. Cl., 1 (1932), p. 261-271. Sur la mort des Dioscures, cf. aussi un fragment du Rhadamanlhe, pièce attribuée à Euripide, supra, Ch. V, p. 154, n. 8. Dans les Troyennes 132, l'expression

Kaoropı λώδαν appliquée à Hélène ne paraît pas renvoyer à la légende des Kypria. (4) Cf. supra, Ch. V, p. 153. (5) IL, Τ 243-44. Homère ne donne aucune explication sur la cause de leur mort. D'aprés une tradition tardive rapportée par Darés (XI), partis à la poursuite des

fugitifs, ils auraient disparu dans une tempête au large de Lesbos. (6) I' 239-242. (7)

HL

133-136. Cette version ne se retrouve non plus nulle part.

L’APOTHEOSE

DES

DIOSCURES

197

La seconde version, celle de l'immortalité, qui apparait sous une forme mitigée dans les Kypria, s'accorde avec le.culte que les Grecs rendaient aux Dioscures dés l'áge archaique. On vénérait en eux les «dieux sauveurs» (1), et c'est à ce titre qu'ils apparaissent au dénouement d’Electre et d'Hélène pour veiller au salut

de leur neveu et de leur sœur. Mais leur protection s'étendait plus particulièrement sur les gens de mer, ainsi que le prouvent à la fois un poème d'Alcée et l'Hymne homérique aux Dioscures, qui n'est sûrement pas postérieur au début du v® s. et peut être sensiblement plus ancien (2). Dans ce róle, ils étaient ordinairement représentés comme des cavaliers montés sur de blancs coursiers,

et cette image reparaît chez Euripide lui-même (3). Mais il était naturel d'imaginer que ces fils de Zeus, dieux de lumiére, apportaient aux marins en danger cette lumiére, qui était pour eux le salut. Ainsi les étoiles apparaissent comme l'atribut des Dioscures dés le temps des guerres médiques. A Delphes, les Éginétes avaient consacré aux Jumeaux des étoiles

d'or aprés Salamine, de méme Lysandre aprés Aegos-Potamos (4). Dans les siècles suivants, et surtout à l'époque romaine, les deux

étoiles se multiplieront

sur les monuments

figurés, ajoutées ou

méme substituées à la représentation « humaine » des Dioscures (5). Les textes littéraires portent témoignage de cette croyance.

Alcée paraît attribuer à ces dieux les manifestations lumineuses du « feu Saint-Elme », lorsqu'il les montre « bondissant sur la cime des máts » et « apportant dans la nuit la lumiére aux noirs vaisseaux » (6). (1) L'expression de θεοὶ σωτῆρες est relativement rare dans les inscriptions votives (Bethe,

col.

1094).

Pour

les textes,

cf.

HH

Diosc.,

6;

fr. lyr.

109c

(=

Terpandre,

fr. 4 Bgk.) ; fr. tr. adesp. 14 N". Pour leur rôle, voir l'anecdote contée par Simonide (fr. 5 P.). (2) Sur la date de l'Hymne aux Dioscures, cf. J. Humbert, Hymnes homériques (Budé), p. 250-51. D. Page, Sappho and Alcaeus, 1955, p. 265-68, n'exclut pas qu'il soit antérieur au poème

d'Alcée (fr. 34a LP), avec lequel il est étroitement apparenté

par l'inspiration, ainsi que l'Hymne aux Dioscures de Théocrite

(XXII,

8 sqq.). Sur

ce rôle des Dioscures, voir encore Isoc., X, 61 ; Plat., Euthyd. 293a, et les trés nombreux

témoignages p. 23

d'époque

romaine.

Pour

les monuments

flgurés,

voir

F. Chapouthier,

sqq.

(3) HL chevaux

1495; des

1665;

Dioscures,

cf. HH. supra,

Diosc.,

Ch. V,

p.

I, 18; Alcée,

fr. 34a,

6, et sur

les blancs

167.

(4) Hdt., VIII, 22; Plut., Lys., 18. Cf., F. Chapouthier, p. 142. (5) Cf. F. Chapouthier, passim, et en particulier p. 98. Bethe,

col.

1096,

pense

qu'à l'origine ils n'étaient pas représentés par des astres particuliers, mais plus tard ils furent identifiés aux Gémeaux (cf. C. Robert, p. 323). (6) Alcée, fr. 34a, 9-12 ; cf. D. Page, l. c. Cette explication du «feu Saint-Elme »

est traditionnelle à l'époque romaine (Luc., Navig. 9 ; [Charid.) 3). Pour la représentation astrale des Dioscures, cf. encore Call., Bain de Pallas, 24-25 ; Polémon,

fr. 76a

Mül. ; Prop., I, 17, 18; Hor., Od., I, 3, 2; 12, 27-32 ; Ov., Met., VIII, 372, etc.

198

EURIPIDE

ET

LES

LÉGENDES

DES

CHANTS

CYPRIENS

On a suggéré aussi avec quelque vraisemblance que l'apothéose

des Dioscures et leur transformation en astres était évoquée dans la Palinodie de Stésichore et déjà associée à la métamorphose d'Héléne (1), qui partageait leurs honneurs dans certaines cités doriennes comme Agrigente et Sparte (2). Ce serait donc à des sources non seulement cultuelles mais aussi littéraires qu'Euripide aurait emprunté ces évocations des Dioscures. Il en avait tiré un parti patriotique en montrant les Jumeaux

divins

soucieux

de

protéger

les

vaisseaux

athéniens

croisant dans les mers lointaines (3). En effet, les Dioscures n'étaient pas seulement adorés en pays dorien, où on leur offrait des repas rituels, les théoxénies (4).

A Athénes aussi, on leur rendait un culte :

ils y avaient leur sanctuaire, l'Anakeion, et leur féte qui associait jeux hippiques, sacrifices et banquets (5). Protecteurs des marins athéniens, dieux sauveurs que leurs fonctions rendaient particuliérement propres au rôle de deus ex machina, les Dioscures avaient encore d'autres titres à la faveur d'Euripide. Celui-ci, qui dénonce plus d'une fois l'insensibilité et la malfaisance des Olympiens, accorde sa confiance aux dieux jeunes, à ceux qui se penchent avec

sympathie sur les humains et les assistent dans l'épreuve (6). Une telle sympathie se manifeste à la fin d'Oresle, où Castor, aprés avoir discrétement marqué sa réprobation devant la conduite d'Apollon, déclare qu'il fait partie de ces habitants du ciel « qui éprouvent de la compassion pour toutes les miséres humaines » (7). (1) Vürtheim, Siesichoros, p. 68-70; 72; Bowra, Greek Lyric Poeiry*, p. 110. (2) Pour Agrigente, cf. Pd., Ol., III, 1-2; pour Sparte, Bethe, col. 1106. (3) El. 1347-48. (4)

Cf. Pd., OL, III, 1-2 ; 39-40 et sc. ; Bacchyl., fr. 21 Sn. ; Bethe,

col. 1109-1110.

(5) L'Anakeion d'Athénes avait été décoré par Polygnote et Micon de fresques illustrant la légende des Dioscures. Sur les Anakeia, cf. Lys., fr. XVII, 3 (Budé); Ath., VI, 235b ; Eust. ad

Od.

α 399,

p. 1425,

62 ; Bethe,

col.

1102;

F. Chapouthier,

p. 132-134. Les Dioscures avaient aussi une place dans les mystères d’Eleusis (Bethe, col.

1101).

(6) Comme l'Artémis d'Hippolyle ou la Thétis d'Andromaque. Cf. H. E. Mierow, CI. J., 22 (1926-27), p. 41-42 ; F. Chapouthier, Enir. Fond. Hardt, I, p. 221-23. (7) El. 1329-1330.

CHAPITRE

LA

PREMIERE

I. LE II.

LES

PREMIER

III.

EXPÉDITION

RASSEMBLEMENT

SKYRIOI.

Appendice:

TÉLÈPHE.

LES

ARMES

VII

D'ACHILLE.

ET

CONTRE

L'EXPÉDITION

DE

TROIE MYSIE.

LA

PREMIÈRE

I. LE

EXPÉDITION

PREMIER

ET

CONTRE

TROIE

RASSEMBLEMENT

L'EXPÉDITION

DE

MYSIE

Entre l'enlévement d'Héléne et le moment où les Grecs prirent pied en Troade, l'épopée homérique plaçait un intervalle de dix ans (1). Il appartenait aux successeurs d'Homére et en particulier à l'auteur des Chanis Cypriens, qui embrassait dans une narration

continue les préliminaires de la guerre troyenne, de remplir par des faits ce long espace de temps. Stasinos s'y efforçait, non seulement en étirant les épisodes traditionnels et en ménageant des temps morts, mais encore en intercalant entre eux de nouveaux événements. Ainsi, aprés que Ménélas eut été visiter un à un

tous les chefs grecs et que ceux-ci se furent lentement rassemblés avec

leurs armées

dans le port d'Aulis, une premiére

aboutissait finalement en Mysie, oà les Grecs le roi du pays, Téléphe. Après l'échec de cette l'armée grecque rentrait dans sa patrie et s'y une longue période d'inaction, puis les Grecs se

expédition

guerroyaient avec première tentative, dispersait. Suivait rassemblaient pour

un nouveau départ qui, cette fois, devait les conduire en Troade.

Dans cette série d'événements, Euripide a trouvé deux sujets de drames : les Skyrioi racontaient comment Achille était amené à se joindre à l'armée grecque, et Téléphe comment le roi de Mysie, qui avait été blessé au combat par Achille, obtenait plus tard sa guérison de son adversaire méme. Laissant de cóté pour l'instant ces deux drames, nous indiquerons d'abord, à l'aide du résumé de Proclos, les épisodes successifs développés dans cette partie des Chanis Cypriens et nous examinerons les traces qu'ils ont pu laisser dans le théátre d'Euripide. Iris va

trouver

Ménélas

en

Créte

pour

lui révéler

le rapt

d'Héléne.

De retour chez lui, l'Atride se concerte avec son frére et décide de préparer

une

expédition

pour

reprendre

Héléne.

(1) N 765 : Hélène est à Troie depuis vingt ans; B 134 : les combats en Troade sont

entrés

dans

leur

dixiéme

année.

202

EURIPIDE

ET

LES

LÉGENDES

DES

CHANTS

CYPRIENS

Ménélas rend visite à Nestor qui lui conte diverses aventures propres à le consoler (1). Les

deux

fréres

parcourent

la

Gréce

afin

de

rassembler

herolques

les chefs.

A

Ithaque, Ulysse simule la folie pour ne pas participer à la guerre, mais il est démasqué Premier

par

rassemblement

A la suite d'un L'expédition

que Le

Palaméde.

prodige, traverse

les Achéens roi

du

la mer

prennent

pays,

Téléphe,

à Aulis

Calchas

(2),



les

et débarque

pour marche

Grecs

sacriflent

aux

dieux.

leur révèle l'avenir. par erreur

la Troade. à leur

en

Teuthranie

Ils se mettent

rencontre.

Au

(3),

à la ravager.

cours

du

combat,

Téléphe tue Thersandre, blesse Patrocle, mais reçoit lui-même une blessure incurable

d'Achille.

A leur retour, les Grecs sont dispersés par une tempête

(4).

Cette partie des Kypria se terminait par le mariage d'Achille et de Déidamie à Skyros et la guérison de Téléphe par le méme Achille à Argos, puis par le second rassemblement à Aulis. L'épisode central de l'expédition

de Mysie n'a été évoqué

par

Euripide que dans le Télèphe, où il formait le point de départ de l'intrigue. Partout ailleurs, le poéte tragique suit la tradition de l'Iliade, qui ne semble connaitre qu'un seul rassemblement à Aulis et un seul départ de l'armée. Ainsi, dans le prologue d’/phigenie à Aulis, où l'on rencontre plusieurs

motifs

des

Chanis

Cypriens

(serment

des

prétendants,

jugement des déesses, enlévement d'Héléne), Agamemnon déclare : « Ménélas, sous l'aiguillon du désir, parcourt l’Hellade, invoquant les serments prétés jadis à Tyndare, qui obligent à secourir les victimes de

l'injustice. Dés lors, les Grecs bondissent sur leurs pieds et revétent leur armure pour se rendre ici, au détroit d'Aulis, de vaisseaux, de boucliers, de chevaux et de

avec un nombreux chars » (5).

appareil

(1) Ces récits, tirés de cycles légendaires autres que le cycle troyen, seront étudiés

infra, Ch. XI. (2) Le « Vase de Ménélas », antérieur au début du νι" s., représente l'Atride conduisant à son frère les héros qui affluent pour participer à la guerre (cf. R. Hampe, Frühe

Griechische Sagenbilder in Boölien,

1936,

p. 80).

(3) La Mysie, ainsi nommée d'après son roi Teuthras (cf. infra, p. 227). (4) D'après Proclos, I. 100-130. Sur cette partie des Kypria, cf. Rzach, col. 2387-88. Il est certain que bien des épisodes secondaires ont été omis par Proclos. En particulier,

la narration devait comprendre une consultation der Mühll, Mélanges Tschudi, 1954, p. 4-5).

(5) LA 77-83:

«

d'Agamemnon

à Delphes

(P. von

*O dt καθ᾽ ᾿Ελλάδα οἰστρήσας πόθῳ Öpxoug παλαιοὺς Τυνδάρεω μαρτύρεται, ὡς χρὴ βοηθεῖν τοῖσιν ἠδικημένοις. Τοὐντεῦθεν οὖν “Ἕλληνες ἄξαντες ποσίν, τεύχη λαθόντες στενόπορ᾽ Αὐλίδος βάθρα

ἤχουσι τῆσδε, ναυσὶν ἀσπίσιν θ᾽ ὁμοῦ ἵπποις τε πολλοῖς ἄρμασίν τ᾽ ἠσκημένοι. »

Au v. 77, nous adoptons la correction de Toup, πόθῳ (μόρῳ P ; δρόμῳ Markland, Nauck,

LE

PHEMIER

RASSEMBLEMENT

D'Aulis, ils gagneront la Troade

203

sous la direction de Calchas,

comme dans l’Iliade, et il n'est question ni de la Mysie ni de Téléphe.

Cependant, comme Stasinos, Euripide donne aux deux Atrides le róle principal dans le rassemblement et la conduite de l'armée. Déjà, dans Andromaque,

Pélée disait

à Ménélas :

«Là-dessus, c'est à cause d'elle (Hélène) que tu as rassemblé grande masse de Grecs pour les mener contre Ilion ! » (1).

Dans Iphigénie à Aulis, Agamemnon son

« Et on m'a choisi comme frére » (2).

une

si

dit encore :

général à cause de Ménélas,

puisque

je suis

Le chœur du méme drame, en décrivant la flotte du roi de Mycénes, confirme

cette

dualité

« Avec

lui commandait

Dans

un

passage

de

commandement:

son

frére,

comme

d'Héléne,

un

Ménélas

ami

uni

à un

ami » (3).

souligne

l'empressement

soit dit sans me vanter —

ne fut plus impor-

avec lequel les Grecs l'ont suivi : « À mon

tante

que

d'un

tyran,

sens nulle armée —

celle que j'embarquai je la dirigeai

en

pour

chef

Troie.

accepté

par

Sans

recourir

la jeunesse

aux de

violences

Gréce » (4).

Dans Iphigénie à Aulis, Ménélas ajoute que le pouvoir supréme dut étre brigué par Agamemnon et que cette charge lui fut confiée par les Grecs à la suite d'une véritable « campagne électorale » (5).

Ainsi, tout en conservant des motifs épiques comme le serment des prétendants et la quéte des chefs par les Atrides, Euripide a subtilement modifié dans cet épisode le climat de l'épopée. Il met l'accent sur l'enthousiasme avec lequel les Grecs ont répondu à l'appel d'Agamemnon

et de Ménélas,

alors que, dans les Kypria,

Murray; alii alia) ; au v. 80, la leçon donnée par Aristote, ποσίν (δορί codd.). Pour le motif du serment des prétendants, cf. supra, p. 157 sqq., et Apd., Ep., III, 6 : Agamemnon «envoie un messager à chacun des rois, leur rappelant les serments qu'ils avaient prétés ».

(1) An. 605-06 : « Κἄπειτ᾽ ἐκείνης oóvex' ᾿Ἑϊλλήνων ὄχλον τοσόνδ᾽ ἀθροίσας ἤγαγες πρὸς Ἴλιον ;» (2) LA 84-85 : « Κἀμὲ στρατηγεῖν Txárat Μενέλεω χάριν εἴλοντο, σύγγονόν Ye.» Le texte du v. 84 est corrompu

et aucune

des corrections

proposées

n'est pleinement

satisfaisante, mais il est probable que seul le mot x&c« est altéré. (3) 1A 268-69 : « Σὺν δ᾽ ἀδελφὸς ἦν

ταγός, ὡς φίλος φίλῳ.»

Le texte des mss. porte ἤλδραστος, conservé en général par les éditeurs. Nous avons préféré la correction de Markland, ἀδελφός (Μενέλαος Grégoire). Cf. infra, p. 294, n. 1.

(4) HL 393-96 : « Πλεῖστον γὰρ οἶμαι — καὶ τόδ᾽ οὐ κόμπῳ λέγω — στράτευμα κώπῃ διορίσαι Τροίαν ἔπι,

τύραννος οὐδὲν πρὸς βίαν στρατηλατῶν, ἑκοῦσι δ᾽ ἄρξας ᾿Ελλάδος νεανίαις.» (5)

IA

337-345 ; cf. R. Goossens,

RBPRH.

(1943),

p. 192-197,

et infra, p. 289.

204

EURIPIDE

ET

LES

LÉGENDES

DES

CHANTS

CYPRIENS

Ulysse au moins (1) cherchait à se dérober à ses obligations. A la différence d'Homére, sinon de Stasinos, il donne à Ménélas un róle

important dans la conduite de la guerre. Enfin, il confére un caractére électif au pouvoir des Atrides. Ces divers changements ne répondent pas à une intention unique

: l'enthousiasme des Grecs, en particulier dans

Iphigénie

à Aulis, s'accorde avec le caractère de « croisade » panhellénique que revét la guerre de Troie dans cette piéce (2). Le libre choix de Ménélas et d'Agamemnon accroit leurs responsabilités dans les fautes commises au cours de la guerre, puisqu'un chef élu peut toujours se démettre en faveur d'un plus digne ou plus habile que lui. Enfin, en calquant l'organisation de l'armée achéenne sur celle

des

armées

athéniennes

de

son

temps,

Euripide

trouvait

l'occasion de critiquer un ordre de choses qui obligeait les stratéges à briguer les suffrages de leurs concitoyens par des procédés démagogiques. On notera encore que l'histoire de la folie simulée d'Ulysse était peut-être rappelée dans Palamède (3) afin d'expliquer l'antagonisme

entre les deux

héros et qu'elle

a probablement

suggéré

au poéte tragique un des motifs de Téléphe (4). Mais il a surtout retenu deux épisodes : l'entrée d'Achille dans la guerre et la guérison du roi de Mysie, sujets des Skyrioi et du Téléphe.

II. LES

SKYRIOI « Οὕτως

οὔ τί πη

(5) ἔστι Διὸς Hésiode,

νόον ἐξαλέασθαι. »

Tr. εἰ J., 105.

Ce drame emprunte son titre à la petite tle de Skyros, une des Sporades du Nord, située à peu de distance des cótes de la Magnésie et de l'Eubée.

Suivant la légende,

c'est chez le roi de cette île,

(1) Le cas de Cinyras de Chypre était analogue à celui d'Ulysse (sc. BL à I'II., À 20), mais on ne peut dire si cette légende figurait dans les Kypria (cf. Severyns, CE,

p. 312, n. 5). (2) Cf. infra, p. 289.

(3) Cf. infra, p. 356. (4) Cf. infra, p. 252. BIBLIOGRAPHIE : C. Robert, p. 1106-1110. L. Séchan, Nuove Hypotheseis di drammi Euripidei, RFIC, 11 (1933),

p. 584; 606. Gallavotti, p. 177-188, et PSI, XII,

1286 (1951), p. 195-96. A. Korte, Euripides' Skyrier, H., 69 (1934), p. 1-12. E. Bickel, Die Skyrier des Euripides und der Achilles des Livius Andronicus, Rh. M., 86 (1937), p. 1-22. Schmid-Stählin, p. 354-55. (5) Le titre est confirmé par le Catalogue du Pirée (IG?, II*, 2363). La tradition indirecte donne tantót Skyrioi, tantót Skyriai (fr. 685 et 686).

LES

SKYRIOI

205

Lycoméde, qu'Achille encore enfant avait été caché sous des vétements de fille, afin d'étre soustrait à la mort qui l'attendait devant Troie. Mais ces précautions furent impuissantes à déjouer le destin.

La

ruse

d'Ulysse

et les instincts

belliqueux

d'Achille

lui-méme l'emportérent sur la prudence maternelle de Thétis et sur l'amour passionné que la fille du roi, Déidamie, avait conçu pour lui. Le Péléide devait rejoindre à Aulis l'armée achéenne à la veille du premier départ pour la Troade.

Cet épisode romanesque a joui dans l'antiquité, et surtout depuis l'époque hellénistique, d'une popularité à laquelle la piéce d'Euripide

dans

n'est sürement

le gynécée,

son

pas étrangére.

intrigue

avec

La vie d'Achille

Déidamie

caché

dont le fruit fut

Néoptoléme, la ruse qui permit aux Grecs de reconnaitre le jeune

héros, autant de motifs sur lesquels ont brodé poétes, rhéteurs et artistes, et que reproduisent les récits des mythographes et les commentaires des scoliastes (1). Mais pour abondantes que soient

ces sources, elles nous fournissent des renseignements complexes et souvent contradictoires, révélant l'existence de plusieurs traditions, toujours plus enchevétrées à mesure qu'on s'éloigne de l'époque classique. Les fragments subsistants du drame d'Euripide sont trés minces (2). On peut encore se servir, comme

l'a montré

Bickel, des quelques vers conservés de l'Achilles de Livius Andronicus. Mais il demeurait impossible d'isoler avec certitude la version adoptée par notre auteur avant la découverte d'un papyrus du i? siècle contenant l'hypolhésis du drame. Bien que réduit

au premier vers et à l'analyse d'une partie du prologue, ce document donne quelques indications décisives et dont l'exactitude est garantie par l'analyse fidèle du Rhésos qu'il contient aussi. Voici ce qu'il nous apprend au sujet de la piéce :

(1) Principaux textes : Bion, Id. II; Lyc., Alez., 276-282 ; Hor., Od., I, 8, 13-16 ; 11, 5, 21-24 ; Ov., AA, I, 681-704 ; Mél., XIII, 162-169 ; Stat., Ach., I, passim ; Anth. Lal., 198 Riese; Apd., Bibl., III, 13, 8; Hyg., f. 96; Philstr., Imag., I ; Niceph., Progymn., 11, 1 ; Liban., Or., LXIV, 68 (III, p. 373 F.) ; sc. Il. en 1 668; T 326 et Eust. en I 662, p. 782, 46. Pour les représentations flgurées, les anciens mentionnent des peintures de Polygnote

XXXV,

à Athènes

(Paus.,

134) et Théon de Samos (El.,

I, 22, 6), d'Athénion

de Maronée

(Pl., HN,

V. H., IT, 44) ; allusions à d'autres ceuvres :

Philstr., !. c. ; Ach. Tat., VI, 1 ; Aristen., Ep., II, 5. Il n'existe pas de répertoire récent des œuvres conservées. Celui d’Overbeck (Her. Gal., p. 287-293), avec 21 nes, pourrait être plus que doublé : on citera deux vases atliques du ve s. (cf. infra, p. 214, n. 5),

deux étuis de carquois trouvés en Russie, du méme siècle (C. Robert, Nekyia, p. 37), de nombreux

reliefs de sarcophages (C. Robert, Sark. Rel, II, no*20-42) ; des peintures

murales (Helbig, Camp. 39

(1881),

p.

127-28)

Wandg.,

n°® 1296-1303) ; des mosalques à Sparte (Arch. Zt.,

et à Palmyre

(Strygowski,

Or.

Rom.,

Pl.

I). La

scène

la plus

souvent reproduite est celle de la reconnaissance. Viennent ensuite : Achille au gynécée et le départ d'Achille,

(2)

Fr. 682-86, auxquels on peut joindre les fr. inc. 880 et 885 et le fr. adesp. 9.

206

EURIPIDE

ET

LES

« Thétis, informée du l'expédition contre Troie confiant

à

Lycoméde,

savoir

qui

il

souverain

était,

pas

se mettre

naturellement

Devenu

CYPRIENS

fils Achille, l'avait soustrait à des vétements féminins et en le Skyros.

Celui-ci

adulte,

celui-ci

élevait

séduisit

Les gens d'Agamemnon,

en campagne

Ulysse»

de

CHANTS

sa

fille,

Déidamie, et il placa Achille en sa compagnie,

surprise et la rendit mére. à ne

DES

destin de son en lui donnant

orpheline de mère, nommée sans

LÉGENDES

sans

: ils avaient

Achille,

dépéchérent

été avisés...»

Déidamie

par

invités par un oracle Dioméde

«et

(1).

Là s'arréte ce texte, mais on y apprend déjà que, dans la piéce, l'initiative de cacher le jeune héros venait de Thétis, que Déidamie était orpheline et sans doute fille unique, que Lycoméde n'était pas dans la confidence du déguisement d'Achille, enfin que les envoyés grecs étaient Dioméde et Ulysse : autant de détails sürs qui peuvent nous servir de critéres pour choisir entre les diverses formes de la légende rapportées par les autres sources. Une simple

confrontation améne aussitót à écarter, parmi les récits les plus développés, les scolies à l'Iliade et la fable d'Hygin (2). Au contraire, on constate une correspondance frappante entre l'Aypolhésis

et le texte d'Apollodore, et certains accords de détail avec les versions d'Ovide, de Nicéphore et de Philostrate. Quant à l'Achilléide de Stace (3), qui développe l'épisode d'Achille à Skyros avec un grand luxe de détails, c'est une sorte de vulgate combinant entre elles les principales sources dans un exposé suivi, mais non exempt de contradictions. Il ne sera donc pas impossible de découvrir dans tel motif de l'Achilléide, surtout s'il semble superflu ou méme génant, un souvenir euripidéen. Si l'on peut dés lors se représenter l'intrigue de la piéce d'une (1) Gallavotti, p. 177 sqq. ; cf. Körle, p. 1-4 ; Gallavotti, PSI, XII, 1286, p. 195-96 :

« Θέτιδος τοῦ παιδὸς ᾿Αχιλέως

[τὴν εἱμαρ]μένην ἐπε[γ]νωκυίας τῇ[ς ἐπὶ τὸ Ἴλι]ον

στρατείας αὐτὸν ἀ[ πεῖργε περιθα]λοῦσα κόρης ἐσθῆτα καὶ παρέθε]το Auxounde τῷ

Σκυρίω[ν δυνά]στῃ. Τρέφων δ᾽ ἐκεῖνος θυγατέρα] μητρὸς ὀρφανὴν ὄνομ[α ΔηιδάμειἾ]αν ταύτῃ συνεπαρθένευε[ν αὐτὸν ἀ]γνο[᾿οὐμενον ὅς ἐστιν. 'Ο δ[ὲ γεγὼς τέλει]ος [ὑπο]κλέψας

τὴν Δηιδά[μειαν eh ἐπ]οίησεν. Οἱ δὲ περὶ τὸν ᾿Αγαμέ]μνον[α χ)ρησμῶν αὐτοὺς κχἰ ελευόν]των χ[ωρ]ὶς ᾿Αχιλέως μὴ πίοιεῖσθαι] τὴν στί ρα]τεί[α]Ἱν ἀ{ πέσ]τε[ιλαν τὸν] Διομή[δην] καὶ ν[ὴ Δία τὸν ᾿Οδυσσέα]

καταν[ο]ήσαν τες...»

La plupart des compléments sont du premier éditeur. Körte complète la dernière phrase : « τὸν ᾿Αχιλέα παρὰ Λυχομήδει τρέφεσθαι ». Un autre papyrus (W. Schubart, Griechische Liter. Pap., 1950, n° 21), du v* s., est donné par l'éditeur plutôt comme une hypothésis

des Skyrioi

de Sophocle

que des Skyrioi

d'Euripide.

Mais ce texte est

extrémement mutilé. L. Alfonsi (Aeg., 33 (1953), p. 299-303) a montré que rien ne s'oppose à y voir une référence à la pièce d'Euripide. Il est question d'un oracle (ἐξέTEGE

xpnloués,

l. 1-2);

Ulysse

(et un

autre

personnage)

se rendent

chez Lycomède

où ..... est élevé (1. 5-12) : il peut s'agir aussi bien du départ pour la guerre d'Achille que de celui de Népotoléme, sujet de la pièce de Sophocle. Au reste, le texte du papyrus

peut n'être pas une hypothésis, mais un commentaire à I'Jlíade (Snell) ou un recueil mythologique

sur les exploits d'Ulysse

(Alfonsi).

(2) Sc. BD Gen en T 326 ; Hyg., f. 96.

(3) Ed. O. A. W. Dilke, Cambridge, 1954.

LES

facon

un peu

SKYRIOI

moins arbitraire que

207

ne le faisait Hartung,

il y a

un siécle, la marge d'incertitude reste assez large pour qu'on ait proposé des restitutions sensiblement différentes. Parmi les rares fragments conservés des Skyrioi, le seul qui soit vraiment significatif a orienté les critiques dans deux directions différentes. Ces trois vers, où l'on s'accorde à reconnaitre un fragment de dialogue entre la nourrice de Déidamie et Lycoméde, nous apprennent que la princesse est dangereusement malade et que son pére s'inquiéte

de connattre la nature de son mal (1). Or, si ce mal de Déidamie est purement physique, s'il s'agit en fait des douleurs d'un accou-

chement clandestin que la nourrice s'efforce de cacher au roi, il est légitime de penser que Lycoméde ne sait pas encore qui il abrite en réalité sous son toit. L'intrigue tournera donc autour de la

reconnaissance

d'Achille,

qu'elle

résulte

de

cette

naissance

imprévue (2) ou de l'arrivée inopinée des Grecs. Au contraire, si la maladie de la princesse est purement morale, on l'attribuera au chagrin de voir Achille prét à la quitter pour rejoindre l'armée grecque. Dans ce cas, la naissance de Néoptoléme est probablement

antérieure au début de la piéce. Passé le premier mouvement de colére, Lycoméde a été heureux de trouver en Achille un gendre qui lui succéderait sur le tróne de Skyros. Avec l'arrivée des envoyés grecs qui réveille les instincts belliqueux d'Achille, la question sera de savoir si le héros va partir avec eux pour Aulis ou rester dans sa nouvelle famille. On réintégrera à la rigueur dans cette trame la scéne de la reconnaissance, en disant qu'Achille, vaincu par les priéres de Lycoméde et de Déidamie, a repris ses habits féminins pour tromper les Grecs; mais cette scéne n'aura plus qu'une importance accessoire. On sera plutót tenté de l'éliminer et d'admettre que le départ d'Achille résulte du seul revirement psychologique

du héros (3).

Mais comment imaginer qu'Euripide ait pu renoncer à la péripétie de la reconnaissance d'Achille par les Grecs, déjà fameuse avant lui et qui le sera encore bien plus par la suite ? Comment croire méme

qu'il en ait affaibli la portée en supposant Lycoméde instruit de tout ce qui concerne le héros ? Du reste, les témoignages qui se rapprochent le plus de l’hypothésis ne nous orientent pas dans ce sens. La reconnaissance doit étre une surprise, non seulement pour les Grecs, mais pour Lycoméde. Elle n'exclut pas qu'ensuite Achille soit partagé entre des sentiments opposés. Aprés avoir fait sa paix avec son beau-pére, il reste libre de résister à l'invite des Grecs. Il peut céder aux priéres du roi et de Déidamie, et décider de rester

à Skyros. (1)

Fr. 682 ; cf. infra, p. 209.

(2) C'est en gros la version de Gallavotti et de Körte, acceptée par Lesky, p. 170. (3) C'est la thèse de Bickel.

208

EURIPIDE

ET LES LÉGENDES

DES

CHANTS

CYPRIENS

Ce préalable établi, essayons à notre tour de tracer les grandes

lignes de l'action (1). Le prologue était dit par la nourrice, confidente et complice de Déidamie (2). Elle commengait, ainsi que l'indique le papyrus, par une apostrophe à Héléne : « Fille

de Tyndare,

Laconienne... » (3).

La nourrice s'en prenait sans doute à la responsable de la guerre de Troie, et, par contrecoup, des malheurs de la fille de Lycomède.

En effet, pour soustraire son fils à la mort qui lui était promise devant Troie, Thétis était venue le chercher dans l'antre de Chiron,

l'avait habillé en fille et l'avait caché à Skyros dans le palais du roi de l’île, veuf et père d'une fille unique (4). Lycoméde, qui n'avait pas été mis dans la confidence, fit élever la protégée de Thétis avec sa fille. Les années passérent, et Achille, profitant de la promiscuité, déflora Déidamie par surprise (5). La jeune fille, sans doute aprés un long débat intérieur (6), renonga à dénoncer son séducteur à son pére et s'abandonna à son amour. Elle se trouva enceinte. Lorsque l'action commence, la naissance — qui doit étre enveloppée d'un profond secret — est imminente ou vient

juste de se produire. Or, au méme moment est arrivée une mission grecque conduite par Ulysse et Dioméde. achéens sont en quéte d'Achille qu'un oracle a déclaré sable au succés de l'entreprise contre Troie et dont la

dans l’île Les chefs indispenprésence

(1) La distribution pourrait étre la suivante : Protagoniste : Achille, la Nourrice, Dioméde. Deuléragoniste : Ulysse, Déidamie. Trilagoniste

: Lycoméde,

(le Messager),

Thétis.

(2) Körte, Bickel : cf. Stace, Ach., I, 669-670 : «...unam placet addere furtis| altricem sociam ». La nourrice apparaît sur certaines représentations flgurées de la scene de reconnaissance (étui de carquois ; sarcophages n?* 20 et 21). On comparera le prologue de Médée et celui d'Eole (cf. infra, p. 217). (3) Hypoth., 1. 10 : « "(2 Τυνδαρεία παῖ Λάκαινα... » Gallavotti complète le membre

de phrase ainsi : Μενέλεω | δάμαρ ; Körte préfère : rai " Λάκαινα | δυσσεδής. (4) Sur cet épisode, et en particulier sur le rôle de Thétis : Hypoth.; Apd., III, 13, 8; Hyg., f. 96; Hor., Od., I, 8, 13 sqq. ; Ov., Mét., XIII, 162-63 ; Stace, Ach., I, 198

sqq. ; Philstr.,

Imag.,

I, 2; Anlh.

Lat.,

198,

44 sqq.;

Niceph.,

Progymn.,

II, 1.

D'après Apollodore, Achille était alors âgé de 9 ans. Seule l’hypothésis présente Deidamie comme

fille unique

et orpheline

de

mère.

Les

autres

textes

reproduisent

la version

la plus commune attribuant à Lycoméde plusieurs filles. (5) Hypoth.; Ovide (AA, I, 698-99) laisse entendre qu'il usa de la force; Stace (Ach., I, 593 &qq.) précise que l'union se produisit lors d'une fête de Bacchus.

(6) Cf. Stace, Ach., I, 665-67 : « Quid faciat ? Casusne suos ferat ipsa parenti seque simul juvenem premat, fortassis acerbas hausurum

poenas ? »

LES SKYRIOI

209

à Skyros leur a été dénoncée (1). La piéce s'ouvre ainsi sur un double et terrible danger. Lycoméde apparatt alors, peut-étre alerté par les gémissements

de Déidamie. N.—

«Ta

L. —

Qu'a-t-elle

Il s'inquiéte auprés de la nourrice qui lui répond :

fllle est malade

et souffrirait-elle

? Quel d'une

et en danger.

est le mal

qui l'accable ? Aurait-elle

pris

froid

pleurésie ? » (2).

La nourrice, pressée de questions, finissait-elle par avouer la vérité (3) ? Nous croyons plutót qu'elle ne livrait pas le secret de Déidamie et qu'elle réussissait à écarter Lycoméde du gynécée. Cette partie de la piéce devait encore comporter l'arrivée d'Ulysse et de Dioméde et leur réception par le roi, deux scénes dont l'Achilléide peut nous donner une idée (4). Elle suivait sans doute l'entrée du chœur, composé de sujets du roi, ces Skyrioi qui ont donné son titre à la tragédie (5). Accueillis par le chœur, puis par Lycoméde qui leur offrait l'hospitalité, les Grecs entraient dans le palais pour participer au banquet offert par le roi en leur honneur (6).

Après un siasimon devait intervenir la reconnaissance d'Achille. Comment se produisait-elle et comment était-elle mise en scène ? Trois formes de reconnaissance nous sont proposées par nos sources et se trouvent reprises toutes trois, non sans quelque gau-

cherie, dans le poéme de Stace. Pour les uns (7), Ulysse avait mélé aux présents destinés aux filles du roi — corbeilles, fuseaux, quenouilles, diadémes, thyrses — quelques armes. En choisissant,

à la différence de ses compagnes, la lance et le bouclier, Achille se serait ainsi trahi. Le but de ce stratagéme étant de distinguer le (1) Hypoth.; Apd.; Hyg.; Philstr., U. cc. La révélation vient de Calchas chez Stace (526-535). D'aprés celui-ci (689 sqq.), les Achéens arrivaient à Skyros le soir de la naissance.

(2) Fr. 682 : «—'H —

παῖς vocet cou κἀπικινδύνως ἔχει.

Πρὸς

τοῦ ; τίς αὐτὴν πημονὴ

δαμάζεται ;

Μῶν xguuóc αὐτῆς πλευρὰ γυμνάζει χολῆς ;» Littéralement : « Serait-ce un refroidissement de la bile qui tourmente ses poumons ? » Hartung joignait sans grande vraisemblance à ce fragment le vers suivant (fr. inc. 906) : « Ῥῦχος δὲ λεπτῷ χρωτὶ πολεμιώτατον. » (3) C'est en particulier l'avis de Gallavotti, qui insère ici les fr. 683 et 684 (cf. infra, p. 211).

(4) Ach., I, 709-749.

(5) Si l'on suppose un dialogue entre Dioméde et Ulysse, qui révélait la ruse que ce dernier comptait employer pour amener Achille à se trahir, la scéne devait étre antérieure à l'arrivée du chœur. (6) Stace, 755 sqq. (7) Ov., Mét., XIII, 165-67 ; Stace, 819 sqq.; sc. BD Gen en T 326; Niceph., I. c. ; Tzetz., sc. Lyc. 276 ; Helbig, n° 1299. 15

210

EURIPIDE

héros au milieu

ET LES

LÉGENDES

des nombreuses

DES

CHANTS

CYPRIENS

filles de Lycoméde,

il est ici à

écarter. Une seconde version (1) accorde un róle décisif à l'éloquence d'Ulysse : enflammé par les récits de combats du héros et par la gloire qu'il

promettait

aux

vainqueurs

de Troie,

fouaillé

aussi par les allusions à la lácheté de ceux qui resteraient à l'écart de la guerre, Achille découvrait spontanément sa vraie nature et décidait d'accompagner les Grecs. Enfin, selon d'autres (2), au cours de la réception, Ulysse faisait brusquement sonner de la trompette. Au milieu de l'effroi général, Achille, rejetant ses vétements et saisissant les armes qui se trouvaient dans la salle,

se révélait ainsi par sa bravoure. Cette derniére scéne, fréquemment évoquée à partir de l'époque alexandrine par les écrivains et les artistes (3), paraît venir du drame d'Euripide. Les discours captieux d'Ulysse, précédant ce coup de théátre, avaient déjà pu remuer le cœur du Péléide. Mais l'essentiel, comme le prouve le raccourci

de l'expression chez Apollodore, était la sonnerie de trompette. L'action était-elle présentée sur le théátre ? C'est bien douteux, car elle aurait demandé une mise en scéne et un déploiement

d'acteurs incompatible avec les usages de la tragédie. On entendait la trompette résonner dans la coulisse, mais la scéne méme devait

étre l'objet d'un récit. De qui et à qui ? Si on écarte l'expédient banal d'un serviteur racontant l'événement au chœur,

que deux personnages

disponibles

: la nourrice

on ne voit

et Déidamie.

Il

est vrai que le délai est un peu court entre la naissance de Pyrrhus et l'apparition de la jeune femme sur la scéne, si l'accouchement a

eu lieu au cours du drame. prologue,

celui-ci,

Mais, méme

la parodos,

un

épisode

s'il précéde et

un

de peu le

slasimon

rem-

plissent un temps de théátre raisonnable (4). Ou bien le début de l'épisode était occupé par un dialogue entre la nourrice et Déidamie, interrompu par une sonnerie de trompettes, puis, quelques instants plus tard, par l'arrivée d'un serviteur venu de l'intérieur du palais.

Ou bien encore Déidamie conversait avec le coryphée, et c'était la nourrice elle-méme qui accourait pour annoncer que tout était perdu : Achille s'était trahi en s'emparant des armes par une

impulsion irréfléchie et il avait fait des aveux complets devant les Grecs et Lycoméde. Tout était à craindre de la fureur et du désespoir de ce dernier. (1)

Déidamie

s'enfuyait et Achille pouvait appa-

Stace, 785-802 ; 867-874. Ce motif joue un rôle chez Ovide,

(2) Apd., l. c.; : Stace, 724 (qui appelle Hygin,

Philostrate,

ll. cc., combinent

le trompette

le premier

Mél., XIII,

168-69.

Agyrtés) ; 875 sqq. Libanios,

et le troisième

motif.

(3) Le trompette est un des personnages les plus constants dans les représentations figurées hellénistiques

et romaines

(Helbig,

n°*

1296-97;

34 ; 39 ; 42). (4) Dans l'Augé d'Euripide, l'héroïne paraissait naissance de Téléphe (cf. Körte, p. 6, n. 6).

Robert,

également

n°s 20-24;

sur la scène

26;

33;

aprés la

LES

SKYRIOI

211

raître, tel qu'on le voit sur les fresques pompéiennes ou sur les sarcophages, ses voiles flottant autour de lui, mais brandissant les armes achéennes (1). Encore tout bouillant de la scéne qu'il

venait de vivre, il proclamait son intention de partir pour la Troade. De son côté, Lycomède, à la fin de cet épisode ou au début du suivant, devait manifester sa colére contre le séducteur de sa

fille et contre sa fille elle-méme, mais aussi son profond chagrin. C'est de lui qu'émaneraient ces améres réflexions : « Hélas, quelles disparités dans le destin des mortels : les uns connaissent la

réussite,

pendant

que

les

autres

sont

en

butte

à

de

cruels

malheurs,

bien qu'ils honorent les dieux et qu'ils conduisent toute leur vie d'une facon stricte et réfléchie, dans la justice et purs de tout déshonneur » (2).

Il est probable que le courroux de ce roi débonnaire

(3) cédait

rapidement place à l'embarras. Oserait-il faire un éclat et s'en prendre au fils de Thétis ? Un personnage, sans doute le coryphée, lui donnait ce conseil sentencieux : «Les

sages

dissimulent

leurs

tares

domestiques » (4).

La réconciliation entre le roi et le Péléide ne devait pas tarder. Elle était sans doute ménagée

par l'intervention et les priéres de

Déidamie et elle était le sujet d'une scéne entre les trois personnages (5). Cependant, ayant accepté le fait accompli, Lycoméde devait user de toute son autorité pour convaincre son gendre de rester à Skyros.

Mais

c'est surtout chez

Déidamie

que le héros

trouvait l'opposition la plus passionnée à son départ. Peut-étre méme mélait-elle à ses priéres la menace de se venger, si elle

(1) Voir en particulier les belles peintures de la strada d'Olconio (Helbig, n° 1296) et de la Casa dei Dioscuri (n° 1297). Le modèle en serait le tableau d'Athénion de Maronée (C. Robert, p. 1109 et n. 3). Les reliefs de sarcophages groupent en une seule scène, outre les protagonistes du drame, le trompette, les sœurs de Déidamie, parfois

le petit Néoptoléme, d'autres chefs grecs, Agamemnon, Nestor ou Phoenix, etc. (2) Fr. 684 : «dei, τῶν βροτείων ὡς ἀνώμαλοι τύχαι.

Οἱ μὲν γὰρ εὖ πράσσουσι, τοῖς δὲ συμφοραὶ σχληραὶ πάρεισιν εὐσεδοῦσιν εἰς θεοὺς xal πάντ᾽

ἀκριδῶς κἀπὶ φροντίδων

βίον

οὕτω δικαίως ζῶσιν αἰσχύνης ἄτερ.» La construction des deux derniers vers est un peu compliquée

mais est admissible.

La tentative de Gallavotti, qui insére le fr. 683 entre les v. 3 et 4, ne nous paraît pas

trés heureuse. (3) Dans l’Achilléide, le méme

poéme,

des

Ulysse

traces

d'un

l'appelle

«regum

courroux

guére (cf. 665-67 ; 907 ; 912; 919-920). (4) Fr. 683 : « Zopol δὲ avyxpürrouaiv Wagner

attribuait ce vers à la nourrice.

de

placidissime » (729).

Lycoméde

οἰκείας

que

I1 y a, dans

le contexte

ne justifle

βλάβας. »

Pour l'idée, cf. Eschl., Ag. 548.

(5) Stace, 920 : « (Déidamia) opposito genitorem avec le reste du développement (cf. Körte, p. 11).

placat Achille », détail qui jure

212

EURIPIDE

ET LES

LÉGENDES

DES

CHANTS

CYPRIENS

était abandonnée, sur le petit Pyrrhus qu'elle tenait dans ses bras dans l'espoir d'émouvoir son amant (1). Mais à l'influence de l'amour s'opposait l'éloquence entratnante d'Ulysse. C'est à ses propos qu'on a rapporté quelques fragments de piéce ou méme

d'auteur inconnu

:

« Ce n'est pas parmi les femmes que les jeunes gens doivent s'illustrer, mais le fer à la main et au milieu des armes » (2). «Quant

à

toi,

qui

laisses

s'éteindre

le

flambeau

éclatant

de

ta

race,

tu t'occupes à filer alors que ton père est le premier parmi les Grecs | » (3).

Achille ne pouvait résister longtemps à de tels reproches. Sa décision était donc prise lorsque apparaissait sa mére Thétis (4), sans doute soucieuse d'empécher Lycoméde et surtout Déidamie de se porter à des actes extrémes. Se résignant désormais à l'inévitable (5), la Néréide venait apporter au dénouement la sanction divine, tout en donnant quelques ordres pratiques : l'enfant nommé Pyrrhus prendrait désormais le nom de Néoptoléme, rappelant que son pére était parti jeune à la guerre (6). Il serait élevé à Skyros par Déidamie et Lycoméde. Cependant, Pélée serait averti des événements et invité à lever des troupes pour accompagner Achille (7). (1) C'est ce que Bickel (p. 1; 11-14) déduit d'un vers de l'Achilles de Livius Andro-

nicus :



«Si malas imitabo, tum tu pretium pro noxa dabis » (Livius, fr. 1 Warmington). Déidamie menaçait Achille d'imiter le geste cruel de Médée. Dans l'Achilléide (908), c'est pour fléchir Lycoméde qu'Achille lui présente son flls. L'enfant apparaît sur plusieurs représentations flgurées, étui de carquois, sarcophages (nos 33; 34; 35), coffret (Overbeck, n° 13), tantôt pressé contre les jambes d'Achille, tantôt entre les bras de sa mére : le héros le regarde alors et semble hésiter à partir (cf. Bickel, p. 9).

(2) Fr. inc. 880 : « Οὐκ ἐν γυναιξὶ τοὺς νεανίας χρεὼν ἀλλ᾽ ἐν σιδήρῳ κἀν ὅπλοις τιμὰς ἔχειν.» Ce vers a été attribué aux Skyrioi par Bergk et Wecklein..

(3) Fr. adesp.

9 = 683a Sn:

« Σὺ δ᾽ à τὸ λαμπρὸν φῶς ἀποσδεννὺς γένους, ξαίνεις, ἀρίστου πατρὸς Ελλήνων γεγώς ;»

Plutarque, qui cite par deux fois ces vers, dit qu'ils viennent des Skyrioi (cités sans nom d'auteur) et qu'ils sont adressés par Ulysse à Achille. Pour l'expression λαμπρὸν φῶς, cf. supra, p. 82, n. 4. A la même scène peut se rattacher le fr. inc. 885 : «' AArOtc,

ὦ παῖ τῆς θαλασσίας θεοῦ ; » (Hartung,

I, p. 280;

Körte, p. 9, n. 2).

(4) On peut objecter que l'apparition du deus ez machina ne se rencontre pas dans le groupe des pièces les plus anciennes auquel appartiennent les Skyrioi (cf. infra, p. 216) : le premier exemple certain est celui d'Hippolyle (428). Mais Thétis, qui avait conflé Achille à Lycoméde, peut apparaltre ici seulement sous une forme

humaine

(à la différence du dénouement

d’Andromaque).

(5) Dans l'Achilléide, I, 684 sqq., Thétis renonce à détourner le navire conduisant Ulysse à Skyros, parce que Zeus lui interdit de « certas fatorum vertere leges ».

(6) Sc. BTD en T 326 ; Philstr. (cf. infra, p. 214, n. 1). D'aprés Hygin (f. 96), les fllles de Lycoméde avaient appelé Achille Pyrrha (la Blonde). (7) Stat., Ach., I, 921-22.

LES SKYRIOI

213

La légende d'Achille à Skyros remontait-elle à l'épopée ? Étaitelle évoquée dans les Chants Cypriens? On ne peut répondre avec une égale certitude à ces deux questions. Cependant, la genése de

l'épisode se laisse entrevoir. Dans l’/liade, c'est au palais de Pélée qu'Ulysse

et Nestor viennent

à l’armée

(1).

« Néoptoléme

Mais,

dans

semblable

chercher

un

aux

autre

Achille

pour

passage,

dieux»,

le

fils

le conduire

le héros qu'on

lui

évoque éléve

à

Skyros (2). La « haute Skyros », ville d'Enyeus, conquise par Achille, est encore nommée ailleurs dans l' Iliade (3). D'autre part, l'Odyssée

rappelle Skyros

qu'Ulysse

avait

été

lui-méme

pour le conduire au camp

chercher

des Achéens

Néoptoléme

devant Troie

à (4).

Ces passages ont soulevé chez les anciens des discussions dont on retrouve de nombreuses traces dans les scolies : la Skyros d'Homére

était-elle l'tle de la mer Égée ou une ville de Phrygie (5) ? A quel moment Achille s'en est-il rendu maitre ? Était-ce avant la guerre

ou pendant le séjour de l'armée à Aulis, au retour de Mysie, ou pendant la campagne de Troade (6) ? Il n'est pas sûr que les conti-

nuateurs d'Homére aient su mieux que nous la version à laquelle se référait le poète.

chronologie

de

Mais,

l'/liade

comme

et celle

118 s’efforçaient

de

l'Odyssée,

d'accorder

ils ne

la

pouvaient

admettre que Néoptoléme fût né dans les dix années précédant le

sac d'Ilion, dont il est le héros, et accessoirement qu'il fût le fils d'une captive. Aussi, l'auteur de la Petite Iliade imagina qu'après l'expédition de Mysie, Achille avait été jeté par la tempéte à Skyros et avait épousé la fille du roi, dont il avait eu Néoptoléme-Pyrrhus (7). On arrivait ainsi à une chronologie acceptable à la rigueur. Un nouveau

progrés

fut apporté

par une

fable qui reculait la nais-

sance de Néoptoléme jusqu'au temps du premier rassemblement à Aulis. Devait-on cette invention à Stasinos ? L'examen des scolies homériques

a conduit A. Severyns

à le démontrer avec une trés

grande vraisemblance (8) et à isoler le texte qui semble reproduire le plus fidèlement la version des Chants Cypriens: (1) A 765 sqq. (2) T 326-27.

Le second

de ces vers était athétisé

par Aristarque.

(3) I 667-68. (4) À 506-09. (5) (6)

Sc. A, AD, LT en I 668. Avant la guerre : Philstr., Hér.,

XIX,

2;

pendant

le séjour

à Aulis

: sc. LT

en I 668 (c'est la version retenue par A. Severyns pour l'Iliade) ; au retour de Mysie : Petile

Iliade

(cf. infra) ; pendant

la campagne

de Troade

: sc. A

en

I 668.

(7) Petile Iliade, fr. IV. L'expédition de Mysie ayant eu lieu deux ans aprés l'enlévement

d'Hélène,

Néoptoléme

pouvait

avoir

17 ans à la prise

de Troie

(C.

Robert,

p. 1160). (8)

A. Severyns,

CE, p. 285-301

; Homère,

III, p. 60-62. E. Bethe,

Theban. Helden-

lieder, 81, avait admis l'existence de l'épisode d'Achille à Skyros dans les Kypria (mais il se rétracta par la suite : Homer, II (1922), p. 234, n. 14). Cf. aussi D. Breslove,

214

EURIPIDE

ET

LES

LÉGENDES

DES

CHANTS

CYPRIENS

« Pélée, sachant par avance que le destin d'Achille était de mourir à Troie, alla trouver le roi Lycoméde à Skyros, et lui confla Achille. Le roi donna à celui-ci des vétements de femme et le fit élever comme une jeune fllle avec ses filles. Aprés l'oracle révélant que Troie ne serait pas prise sans Achille, les Grecs députérent à Pélée Ulysse, Phoenix et Nestor. Pélée nia que son fils füt chez lui. Ils se rendirent alors à Skyros et soupconnant qu'Achille était élevé avec les vierges, sur le conseil d'Ulysse, ils laissérent tomber devant leurs appartements des armes ainsi que des corbeilles avec des instruments de tissage. Les jeunes filles s'élancérent vers les corbeilles et leur contenu, mais Achille s'empara des armes. Pris ainsi sur le fait, il participa à la guerre. Auparavant, vivant dans l'intimité des jeunes filles, il avait déshonoré une fille de Lycoméde, Déidamie, qui eut de lui Pyrrhus, appelé plus tard Néoptoléme car, encore jeune, il combattit dahs l'armée grecque aprés la mort de son pére (1)... L'histoire chez les cycliques » (2).

Stasinos incorporait du reste à son récit celui de la Pelile Iliade, car le mariage solennel qui n'avait pu avoir lieu avant le départ précipité d'Achille était célébré dans l'ile de Skyros à l'issue de l'expédition de Mysie (3). Le tableau de Polygnote montrant «Achille vivant à Skyros avec les jeunes filles » (4) et les autres ceuvres d'art du v? s. traitant le méme sujet (5) témoignent du succès obtenu par l'invention romanesque

de

Stasinos.

Elle avait

peut-étre

influé

à son

tour

sur la légende du départ de Néoptoléme, telle que l'avait contée Sophocle dans ses Skyrioi (6). How old were Achilles and Neoplolemus?, Cl. J., 39 (1943-44), p. 159-161. D'autres critiques ont estimé que les Chants Cypriens reproduisaient purement et simplement la version de la Petite Iliade: Fleischer, 8. v. Achilleus, Roschers-Lez., I, col. 26 ; 28; C. Robert, p. 1108 ; Kullmann, p. 133 ; 191-92 ; 196-97 ; 371, qui admet seulement que l'histoire des fllles de Lycoméde est « prétragique ». R. Pfeiffer, Ph., 88 (1933), p. 5, estime qu'elle est étrangére à l'épopée. (1) Ce détail est en contradiction avec le fr. XIV des Kypria (Paus., X, 26, 4), qui dit que Phœnix appela le fils d'Achille Néoptoléme « parce qu'Achille était encore jeune quand il partit pour la guerre ». De méme la sc. BTD en T 326. Le détail rapporté ici vient probablement de la Pelite Iliade. (2)

Sc. BD

Gen

en T 326.

La

dernière

phrase

ne se trouve

que dans

les scolies D

et Gen. Édition critique complète de ces scolies par A. Severyns, Eustathe et le Cycle épique, RBPhH, 7 (1928), p. 448-450. Hygin, f. 96, donne les grandes lignes de cette version, mais emprunte des détails à une vulgate qui doit beaucoup à Euripide. (3) Proclos, 1. 130-131. Il est probable que, lors de son premier départ, Achille avait quitté Skyros avant la naissance de son fils. (4) Paus., I, 22, 6. Cf. C. Robert, Bild und Lied, p. 34. (5) Outre les deux étuis de carquois qui paraissent être inspirés de l’œuvre de Polygnote (cf. Escher, 8. v. Achilleus, RE, I (1893), col. 243), deux vases représentent

le départ d'Achille en présence des filles de Lycoméde : une coupe de Tarquinia attribuée à Brygos et un stamnos de l'Ermilage, œuvre d'Hermonax (480-450) ; cf. Séchan, p. 188-190; Ch. Dugas, BCH, 58 (1934), p. 286-87; Hev. Un. Bruz., 9 (1956-57), p. 436 et 445. Une coupe de Douris du Cabinet des Médailles (538 ; cf. Beazley, ARV, p. 428/16)

illustrerait aussi cet épisode,

mais ce n'est pas certain.

(6) Si, comme le suggére Pfeiffer (Ph., 88 (1933), p. 6-7), le jeune Néoptoléme était caché par les Skyriens (parmi les bergers ?) pour échapper aux envoyés grecs.

LES

SKYRIOI

:

215

Tout en gardant l'essentiel du récit épique, Euripide y a introduit des changements qui répondent à plusieurs préoccupations : mettre les faits en accord avec les traditions légendaires suivies par le poéte dans d'autres piéces, simplifier l'histoire pour obtenir

en particulier l'unité de multipliant les péripéties dépendre plus étroitement Ainsi, c'est à Thétis, et

lieu, accroitre l'intérét dramatique en et en les resserrant dans le temps, faire l'action des caractéres et des sentiments. non plus à Pélée que revient l'initiative

de cacher Achille à Skyros. Dans les Chants Cypriens, la séparation des époux laissait à Pélée toute la responsabilité de l'éducation d'Achille. Euripide niait, au contraire, leur mésentente :. selon lui,

c'était

d'un

commun

accord

qu'ils

avaient

confié

leur

fils

à

Chiron (1). N'était-il pas en outre plus naturel que la déesse Thétis

connüt

la

menace

suspendue

sur

Achille

et

s’efforgät

de

la

détourner (2) ? Une fois Pélée éliminé de la légende, l'épisode de l'ambassade à Phthie devient superflu. Parmi les envoyés des Grecs,

Euripide substitue à Nestor, personnage sans utilité dramatique, et à Phoenix, connu par l’Iliade comme l'ami de Pélée et le précepteur d'Achille, le hardi Dioméde, compagnon de prédilection

d'Ulysse dans les entreprises difficiles. La réduction des membres de la famille royale présente aussi bien des avantages dramatiques : si Déidamie n'a pas de sœurs, il y a moins de personnages ; si elle n'a pas de mére, il lui est plus facile de cacher la naissance

avec l'aide de sa nourrice. L'ignorance oü était Lycoméde de la véritable nature du jeune Achille entraînait une nouvelle péripétie. Cette situation rendait impossible la reconnaissance par les présents d'armes, mais Euripide l'a remplacée par l'ingénieux subterfuge de la trompette, qui permettait une reconnaissance sans signes matériels, uniquement provoquée par les sentiments du héros. Nous avons là une variante de ce qu'Aristote appelle « reconnaissance par le souvenir » (3) : dans une situation imprévue, le personnage se trahit par l'émotion qu'il manifeste. Cependant, en laissant un róle important aux armes, l'innovation s'insérait si adroitement dans la trame épique que les écrivains postérieurs ont souvent

fondu les deux scénes. Enfin, les répercussions de l'événement dans l'âme des protagonistes donnaient matière à de belles scènes de débats, où l'affection paternelle de Lycoméde, l'amour de Déidamie

ct l'amour même d'Achille entraient en conflit avec le désir de gloire du héros. Aussi a-t-on porté sur cette piéce les jugements les plus divers : (1) Cf. supra, p. 90-92. (2)

Philostrate

(Imag.,

I, 2) dit que

Moires. (3) Arstt., Poél.,

16,

1454

b 36.

Thétis

avait

appris

de

Nérée

la décision

des

216

EURIPIDE

ET LES

LEGENDES

DES

CHANTS

CYPRIENS

on en a tour à tour souligné le ton bourgeois, presque comique, en mettant l'accent sur le róle de Lycoméde (1), et le caractére pathétique en insistant sur celui de Déidamie, la compagne que le guerrier quitte à la veille d'une guerre dont il ne reviendra pas (2). C'est une piéce d'amour, mais c'est aussi une piéce d'intrigue, un drame romanesque auquel le déguisement d'Achille conférait un

certain piment (3). Comme dans l’Alexandros, le destin de Troie qui était en Jeu, mais ce s'effacer dans l'esprit des spectateurs devant des personnages. Seul Achille était guetté par

c'était en définitive grand motif devait le destin individuel la mort, mais aupa-

ravant une immense gloire lui était promise, et son fils obtiendrait

la victoire finale qui lui était refusée par le destin. Peut-on dater les Skyrioi? A défaut de renseignements anciens et d'indices fournis par la métrique, on a cherché des éléments de comparaison dans les autres drames d'Euripide et dans les Skyrioi de Sophocle. Bickel a mis en paralléle les Skyrioi et Médée (431), oü la situation

de l'héroine abandonnée

de Déidamie, et dont Il a souligné les liens épisode est traité dans À son avis, les Skyrioi

par Jason rappelle celle

le prologue est dit aussi par la Nourrice. unissant la légende de Jason — dont un les Péliades (455) — avec celle de Pélée. se rangeraient donc dans le cycle des pre-

miéres piéces d'Euripide (4). Pour Kórte, ce drame serait antérieur

à celui de Sophocle qui porte le méme titre et pour lequel le lerminus anle quem est des environs de 450 (5). Son argumentation est cependant fragile : à son avis, le départ d'Achille pour la guerre,

plus célébre et plus dramatique que le départ de Néoptoléme, aurait nécessairement été traité le premier. Est-ce sür ? Le départ de Néoptoléme, nous l'avons vu, était raconté dans l'épopée, et le sujet était profondément

émouvant,

puisque

le jeune

homme

allait remplacer sur le champ de bataille un pére dont Déidamie pleurait encore la mort récente. Pourquoi Euripide n’aurait-il pas, comme il l'a fait à plusieurs reprises, cherché à rivaliser avec Sophocle en traitant, sous le méme titre, un sujet trés voisin et aussi dramatique (6) ? En effet, si l'intrigue du drame de Sophocle est mal connue, le peu qu'on en sait révéle de grandes similitudes avec notre drame : les Skyriens essayaient par un artifice de dérober (1) Hartung, I, p. 277 (2) Bickel, p. 16.

(3) L'équivoque alexandrins

de

et romains,

et 281;

cette

Gallavotti,

situation

a

été

qui en ont souligné

p.

185.

largement

le caractére

exploitée

par

les

poétes

érotique.

(4) Bickel, p. 15-16 ; cf. aussi Goossens, p. 15. (5)

Körte,

p.

12, d'après

Pfeiffer,

o. c., p.

15 : quelques

à 450 montrent en effet les adieux de Néoptoléme

vases de peu

postérieurs

à Lycoméde.

(6) Si l'on suppose que la pièce d'Euripide est antérieure à celle de Sophocle, on devra la placer entre 455, date des Péliades, et 450, ce qui laisse une marge assez étroite.

LES SKYRIOI

217

Néoptoléme aux envoyés grecs, Ulysse encore, mais accompagné cette fois de Phoenix. Leur tentative ayant échoué, Lycoméde s'efforgait de dissuader son petit-fils de partir et l'accent était mis sur le sort tragique de Déidamie (1). En admettant qu'Euripide ait laissé s'écouler quelques années avant de traiter une légende aussi proche de celle-ci à tous les points de vue, on n'est pas forcé pour autant de descendre au-delà de la date de Médée, car le sujet des Skyrioi suggére d'autres rapprochements avec des piéces anciennes d'Euripide : avec Prolésilas (vers 438) et Alcesle (438), où l'on assiste à la séparation forcée de jeunes époux qui s'aiment ;

avec les Créloises encore (438), où l'on voit une fille pére pour s'étre livrée à un amour illégitime (2). les pièces d'Euripide, c'est de l'Eole que les Skyrioi le plus. Dans cette piéce, le prologue, dit sans doute

chátiée par son Mais, de toutes se rapprochent par la Nourrice,

racontait la liaison incestueuse de Macarée et de Canacé, enfants du roi Eole, et annonçait la naissance imminente d'un enfant, fruit de leur faute. Celui-ci venait au monde au cours de la piéce (3). La Nourrice, cherchant à faire sortir clandestinement l'enfant du

palais, était surprise per le roi qui découvrait ainsi la vérité. La piéce se terminait plus tragiquement que la nótre, par le suicide de Canacé, et sans doute par celui de Macarée. On voit par ces quelques traits la parenté d'action avec les Skyrioi. Malheureusement, la date de la piéce est inconnue : nous savons qu'elle était antérieure à 423 et qu'elle jouit d'une célébrité jugée scandaleuse par Aristophane. Elle pourrait étre d'assez peu postérieure aux Skyrioi, dont elle développe une situation jusqu'à ses conséquences extrémes (4).

Ajoutons que les opérations militaires en Eubée, dans les îles du Nord de l'Égée et en Thrace, trés actives en 447-446, ne s'inter-

rompirent guére pendant la décennie suivante. Elles purent amener un regain d'intérét pour cette petite tle, colonie d'Athénes et reláche commode pour ses escadres. Skyros était du reste déjà chère au cœur des Athéniens, puisqu'elle était liée au grand souvenir de Thésée. Aucun de ces rapprochements n'est en luiméme décisif, mais leur nombre nous oriente vers une période (1) Sur cette pièce, cf. Pearson, 11, p. 191-93 et fr. 553-561; L. Séchan, p. 185192,

et surtout

Pfeiffer, Die

Zxóptot

des

Sophocles,

Ph., 88 (1933),

les représentations flgurées, Ch. Dugas, BCH, 58 (1934), p. 281-290. (2) Körte, p. 12, retient aussi avec raison comme un argument pour

p.

1-15;

pour

une dale assez

ancienne des Skyrioi le rôle patriotique d'Ulysse. (3) Cf. l'hypothésis d'Eole donnée par le P. Ory. 2457, 25-26 :

« Ἢ 8° ἔγκυος γενη[θεῖσα τὸν τόχον ἔχρυπτεν τῷ νοσεῖν τρ.[...»

ibid., 34 : «... τὸ μὲν γεννηθὲν ἡ τροφὸς al... » (4) Sur l’Eole d'Euripide, cf. Séchan, p. 233-39 ; Bates, p. 205-00 ; Schmid-Stählin,

p. 408-09 ; P. Ozy. XVII (1962), p. 72-73 (E. G. Turner).

218

EURIPIDE

ET

LES

LÉGENDES

DES CHANTS

CYPRIENS

relativement ancienne de la carriére dramatique d'Euripide, entre

440 et 430 (1).

APPENDICE

: LES

ARMES

D'ACHILLE

A la fin des Skyrioi, il est probable qu'Achille s'embarquait directement de Skyros pour Aulis avec les envoyés grecs (2) et qu'Euripide suivait sur ce point la tradition des Chanis Cypriens.

Dans Iphigénie à Aulis, au contraire, il est dit qu'Achille arrive de Pharsale, la capitale du royaume de son pére (3) : le poéte adopte dans la pièce la version homérique, qui paraît ignorer l'épisode d'Achille à Skyros et les deux rassemblements séparés par la campagne de Mysie, et il s'inspire ici de l'Iliade (4). Mais une troisième forme de la légende apparatt dans un siasimon d' Éleclre, qui s'écarte également de la tradition commune à propos de l'armement d'Achille. Aprés une strophe qui décrit la navigation de la flotte grecque en route vers Troie, escortée par les Néréides et les dauphins (5), l'antistrophe remonte un peu dans le temps pour évoquer une autre scéne : « Les

Néréides,

et les armes,

quittant

ceuvre

Le long du

des

la pointe

enclumes

de l'Eubée,

d'or

apportaient

le bouclier

d'Héphaistos.

Pélion et des vallons qui bordent

le saint Ossa, séjour des

Nymphes,

elles cherchaient le jeune homme qu'un pére cavalier élevait pour étre la lumiére de la Gréce, le fils de Thétis la marine, l'alerte champion des Atrides » (6). (1)

Nous

(2) A

proposerions la chronologie suivante Skyrioi de Sophocle : vers 450 Skyrioi d'Euripide : vers 435 Eole : avant 430.

moins

que,

pour

respecter

la tradition

:

homérique,

Achille ne se soit rendu

d'abord en Thessalie afin de prendre congé de Pélée. (3)

LA

812.

Pharsale

est substituée

associées dans Andromaque, (4) 1 253; 439; A 766.

à la

Phthie homérique.

16.

Les deux villes sont

|

(5) Cf. infra, p. 301. (6)

El. 442-451

: « Νηρῇδες δ᾽ Εὐθοῖδας ἄκρας λιποῦσαι 'Hoalorou χρυσέων &xpóvov

μόχθους ἀσπιστὰς ἔφερον τευχέων, 445

ἀνά τε Πήλιον ἀνά τε πρυμνὰς "Ὄσσας ἱερᾶς νάπας Νυμφαίας σκοπιᾶς,

xépov ματεῦσ᾽ ἔνθα πατὴρ ἱππότας τρέφεν ᾿Ελλάδι φῶς,

450

Θέτιδος εἰνάλιον γόνον, ταχύπορον

Le

texte

du

passage

est altéré.

Au

πόδ᾽ ᾿Ατρείδαις.»

v. 446,

nous

écrivons

avec

Murray,

ἱερᾶς

(ἱεράς

LES

ARMES

D'ACHILLE

219

Si l'établissement du texte présente certaines difficultés, le sens général

du

passage

est

cependant

assuré,

d'autant

plus

qu'il

s'accorde avec celui d'un slasimon d'Iphigénie à Aulis, où il est annoncé que Thétis remettra à son fils des armes d'or forgées par Héphaistos lorsqu'il partira pour la Troade (1). Cette légende présente de curieuses particularités : d'abord, au moment du rassemblement

d'Aulis, Achille se trouve encore chez Chiron, qui

l'a élevé. Ensuite, ces armes sont distinctes de celles qui avaient été remises par les dieux à Pélée au jour de ses noces et que son fils porta en Troade jusqu'à ce qu'Hector s'en emparát sur le corps de Patrocle (2). Elles sont distinctes aussi, naturellement, de la

panoplie forgée par Héphaïstos au Chant XVIII Enfin,

si les Néréides

viennent

d'Eubée,

de l'Iliade (3).

c'est donc

dans

cette

île, et non sur l'Olympe (4), que seraient situées les forges du dieu. D'où vient cette légende ? H. Grégoire (5) proposait de rattacher

le chœur d'Élecire au sujet des Skyrioi. Il corrigeait à cet effet le texte de ce slasimon pour lui faire dire que les Néréides, parties des côtes d'Eubée, avaient « manqué Skyros » (6), où le « père cavalier », c'est-à-dire Pélée, avait caché son fils pour le soustraire aux risques

des

combats.

Les

filles de

Nérée

le cherchent

donc

en vain en

Thessalie, afin de lui remettre les armes étincelantes qui devaient l'inciter à participer à la guerre troyenne. Cette interprétation, si elle résout certaines des difficultés du texte (7), en soulève de

bien plus graves. Car comment expliquer que les Néréides divines ne sachent pas où Thétis — l'une d'entre elles — a caché son fils ? Comment croire qu'elles tiennent le róle tentateur dévolu dans la piéce à Ulysse et qu'elles cherchent à déjouer les efforts de leur sceur pour sauver Achille ? Enfin, comment concilier le projet des codd.) et au v. suivant σκοπιᾶς (oxomds codd.), accordé à "Occas (pour l'expression, cf. HL 1324 : ᾿Ιδαιᾶν Νυμφᾶν σχοπιάς). Au v. 448, κόρον ματεῦσ᾽ est une correction peu satisfaisante de Hermann, adoptée faute de mieux par la plupart des éditeurs

pour l'incompréhensible κόρας μάτευσ᾽ des mss. (l'interprétation : « oculos circumferunt », proposée

de

participe

Théocrite,

par Ammendola,

ionienne

XXIX,

15

d'un (?).

force le sens du verbe) ; ματεῦσαι

verbe Pour

ματέω

(pour

la conjecture

ματεύω)

de Grégoire,

que

serait

une

l'on trouverait

forme

chez

cf. infra, n. 6.

(1) Cf. supra, p. 85. (2)

Cf. supra,

p. 85-86.

(3) Sur ces deux armures,

cf. Ph. J. Kakridis, Achilleus'

Rüslung,

H., 89 (1961),

p. 288-297. (4) Comme dans l'{liade, Z 142-43. (5)

Sur

(6)

En écrivant aux v. 447-48 : « Νυμφαίας

un

chœur d'Euripide,

LEC,

7 (1938),

p. 321-330.

σκοπιᾶς

lxópou ματῶσ᾽.» (7) La forme ματεῦσ᾽ et l'opposition des mots πρυμνάς.. νάπας et Nuupalas σκοπιάς (cf. supra, p. 218, n. 6). L'auteur note que la seconde expression s’appliquerait fort bien à la «haute Skyros » d'Homére (I 668), île sur laquelle existait dans l'antiquité un sanctuaire des Nymphes (BCH, 3 (1879), p. 678).

220

EURIPIDE

ET

LES

LÉGENDES

DES

CHANTS

CYPRIENS

parents d'Achille de le dérober au danger avec l'affirmation que Pélée

le fait élever

pour

étre

«la

lumiére

de

la Gréce ». Cette

formule se justifie si l'on évoque l'éducation du jeune héros auprés de Chiron, et non sa vie cachée dans le gynécée de Lycoméde.

Il ne semble donc pas qu'on puisse intégrer la légende en question dans l'action des Skyrioi. Elle ne 8e retrouve pas ailleurs dans les textes littéraires. Le seul que l'on puisse invoquer est un passage

de l’Heroicos de Philostrate (1) : il y est dit qu'Achille n'a pas eu deux armures, mais une seule, qu'il porta jusqu'à sa mort, et que

celle-ci lui avait été procurée par sa mére lors du rassemblement à Aulis. Il ajoute cependant que ces armes n'étaient nullement de fabrication divine (2). Le seul trait à retenir est donc la remise de l'armure par Thétis à Achille au moment où il partait pour la guerre, et Philostrate pourrait l'avoir emprunté à Euripide.

Une autre indication est fournie par les représentations figurées. Le transport des armes d'Achille par les Néréides est un motif aimé

des

peintres

de vases du v* et du ıv® siècles (3). La

plus

ancienne œuvre connue est le coffret de Cypsélos (4). Quelques vases du second quart du νϑ s. (5) montrent Thétis, seule ou avec d'autres Néréides, transportant à pied les armes du héros. A partir du milieu du siécle se substitue à cette représentation le motif de la cavalcade marine : Thétis et ses sceurs, montées sur des

tritons, des dauphins, des chevaux marins, ou d'autres animaux plus ou moins fantastiques, portent en particulier le bouclier, le casque et la lance du héros (6), c'est-à-dire les trois armes qui sont (1) Hér., XIX, (2) Philostrate différente de celle de Thésée. Mais il

3-4. mentionne le séjour d'Achille à Skyros, mais d'une maniére bien d'Euripide : le Péléide aurait conquis Skyros pour venger la mort aurait en définitive fait sa paix avec Lycoméde et aurait épousé

sa fille.

(3) L'étude compléte du motif jusqu'à l'époque romaine n'a pas été reprise depuis le travail

d'Heydemann,

une soixantaine bijoux,

Nereiden

de documents

mil

den

Waffen

(vases, sarcophages,

monnaies, intailles), dont

des Achilles,

1879,

qui

comptait

terres cuites, fresques,

une dizaine seulement

antérieurs à 400.

bronzes,

Pour le v*

et le début du ıv® 8., ce nombre pourrait être sensiblement augmenté : cf. Weizsächer, B. V. Nereiden, Roschers-Lez., col. 224-27 ; K. Fr. Johansen, Iliaden (1934), p. 156 aqq. ; H. Kenner, Wien. Jahresh., 33 (1941), p. 1-24; D. von Bothmer, Bull. Boslon, 47 (1949), p. 84-90 ; F. Brommer, p. 270-72. (4)

Paus., V, 19,8 : les Néréides, montées sur deux chars aux chevaux ailés, reçoivent

l'armure des mains d'Héphalstos. (5) Cf. S. Carouzou, Ath. Mit., 62 (1937), p. 115-116 ; H. Kenner, o. c., p. 22. (6) Le document le plus ancien est constitué par des fragments d'un grand cratére de Vienne,

de style polygnotéen,

des environs de 450 : CVA,

Wien

Univ.,

Pl. XXIV

et p. 35-38 (H. Kenner). On en rapprochera un lécythe aryballique du Metropolitan Museum de New York (G. Richter, R. f. vases, n° 139, Pl. 143), où le motif de la cavalcade est associé à la veillée funébre du corps de Patrocle, et les fragments d'un vase d'Oxford

(Beazley, RFV',

II, p. 1293), tous deux des environs de 420 ; des fragments

LES ARMES

D'ACHILLE

221

décrites dans la suite du slasimon d’Électre (1). Ce motif aboutit au milieu du ıv® siècle à la conception du célèbre groupe de Scopas représentant

la

chevauchée

marine

de

Thétis

et des

Néréides,

œuvre qui a exercé une grande influence sur l'art des époques suivantes (2). On a parfois donné à ce groupe une signification funéraire : l'artiste se serait proposé d'illustrer l'établissement d'Achille dans l'tle des Bienheureux

aprés sa mort (3). Il est plus

probable qu'il s'agit, comme dans les œuvres d'art du ve siècle, de la remise des armes forgées par Héphaïstos au Chant XVIII de l’Iliade. Toutefois, dans le poème d'Homére, Thétis seule ces armes par la voie des airs de l'Olympe

transportait au bord de

l'Hellespont (4). Le motif du transport par mer a dà apparattre au moment où on a localisé les forges d'Héphaistos à Lemnos (5). H. Kenner, étudiant les représentations figurées du v? s., a suggéré,

en se fondant sur une fable d'Hygin, que le motif pourrait venir de l’Iliade Tragique d’Eschyle

(6). Bien que cette opinion ait été

contestée (7), elle nous semble assez vraisemblable. L'hypothése de l'influence d'une œuvre de la grande peinture n'est pas non plus à écarter (8). Mais ceci ne rend pas compte du double transfert opéré par Euripide

: transfert dans l'espace, de la Troade aux cótes thessa-

liennes, et dans le temps, du siège d'Ilion au départ des Grecs.

de Bonn : CVA, Bonn, Pl. 31, 1 et 3, et p. 36-37 (Greifenhagen), entre 420 et 400 ; enfin, un vase fragmentaire d'Olynthe conservé à Salonique (Metzger, n° 41), de la fin du ve ou du début du iv* s. (1)

El.

452-477.

Ce

thème

épique

(bouclier

d'Achille

dans

l'Iliade,

Bouclier

d'Hésiode) se retrouve chez Eschyle (Sept., 375 &qq. : emblémes de boucliers) et peut-être dans l'Eurypyle de Sophocle (bouclier de Néoptoléme : cf. Philstr., Imag., 11, et Pearson, I, p. 149). (2) Pline, HN, XXXVI, 26. Sur ce groupe, antérieur à 350, et son influence sur les œuvres d'art conservées, voir en particulier Ch. Picard, Manuel, IVe s., II, p. 673678. (3) L. Urlichs, Skopas' Leben und Werke, p. 134 sqq. ; 150 aqq. (4) Z 616-617. (5) Sur les rapports d’Höphalstos et de Lemnos, cf. Il., A 593 ; Od., 0 283-84. Cette localisation était attribuée par Aristarque aux «νεώτεροι» (sc. Q en 0 274; cf. sc. min. en Ὦ 753), et A. Severyns, fragments incertains du cycle épique.

CE,

p. 202,

range

cette référence

parmi

les

(6) Hyg., f. 106. Allusions au transport des armes par les Néréides : Plaute, Epidic., 34-36. Voir le fr. 237 M. des Néréides d'Eschyle. (7)

En

particulier par Y. Béquignon,

de 450 trop basse pour

traduire

RA, 23-24

(1945), p. 149, qui trouve la date

une influence d'Eschyle

et estime que

les artistes

ont simplement brodé sur le motif de l'Jliade. Mais le passage du type ancien (Néréides

isolées et à pied) au type nouveau (cortège marin des Néréides) nous paraît un indice assez fort. (8) Cf. H. Metzger, p. 293.

222

EURIPIDE

ET

LES

LÉGENDES

DES

CHANTS

CYPRIENS

A propos du premier, H. Grégoire a rappelé que les Néréides étaient l'objet d'un culte particulier sur la cóte du Pélion et en Eubée méme,

et

qu'Héphaistos

était

honoré

à

Chalcis,

dont

le nom

rappelait pour les anciens les fonctions de forgeron du dieu (1). De plus, d’après l’Jliade, Héphaïstos avait vécu neuf ans dans la grotte sous-marine de Thétis (2). Il a donc pu exister une tradition

localisant ses ateliers dans quelque site des cótes d'Eubée. Il est plus difficile d'expliquer les raisons du transfert de l'épisode dans le temps ; est-ce une libre invention d'Euripide, à la recherche

d'un motif poétique à introduire

la

destiné à orner le slasimon

description

des

armes

qui

suit?

d'Iphigénie à Aulis reprend-il seulement un théme

d'Éleclre et Le

passage

bien accueilli

d' Elecire, ou Euripide avait-il aupardvant développé ce conte dans une œuvre perdue, par exemple dans Pélée (3), pièce antérieure à 423 ? Il est impossible de se prononcer. Le retour dans les deux morceaux de l'expression «lumiére de la Gréce » (4) appliquée à Achille fait penser à une réminiscence littéraire, mais rien ne permet de désigner l’œuvre — si elle existe — dont s'inspire le poète. III. TÉLEPHE

Téléphe, fils d'Héraclés et de l'Arcadienne Augé, avait eu une existence

fertile en péripéties.

Mis au monde

clandestinement,

il

n'avait alors échappé à la mort que par miracle. Aprés bien des aventures, ce pur fils de la Gréce était devenu souverain du royaume asiatique de Mysie. Comme tel, il avait lutté contre les Achéens (1) H. Grégoire, o. c., p. 328. Pour le culte des Néréides sur les cótes thessaliennes, cf. supra, p. 75 ; pour leur culte en Eubée, H. Grégoire, ibid. Pour Héphalstos, Eustathe, ad Dion. Perieg., p. 243 Bernhardy ; H. Grégoire, ibid.

(2) X 394-409. (3) Sur cette pièce, cf. supra, p. 65 sqq.

(4) Voir aussi supra, p. 212, le fr. adesp. 9 (Skyrioi?):

« Τὸ λαμπρὸν φῶς.»

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1886.

Wilamowitz,

Sophocles Achäerversammlung,

B. K.

T., V, 2 (1906),

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9 (1928),

p. 95-145.

Schwenn,

s. v. Telephos

(1), RE,

V

A

(1934),

col. 362-69. H. W. Miller, Eur.'s Telephos and ihe Thesmophoriazusai of Arislophanes, Cl. Ph., 42 (1948), p. 174-183. E. W. Handley - J. Rea, The Telephus of Euripides, Univ. of London, Inst. of Class. Studies, Bull. Suppl. 5 (1957). F. Stoessl, Euripides, Die Tragódien und Fragmente, I, Zürich, 1958, p. 31-42. F. C. Górschen, Dioniso, 33 (1959), p. 106-111, et 35 (1961), p. 5-15.

TÉLÉPHE

223

qui envahissaient son pays et avait été blessé par Achille. Cette blessure ne pouvant étre guérie que par son auteur, le roi mysien dut se rendre par la suite chez ses adversaires afin d'obtenir du

Péléide le soulagement de ses maux. C'est ce dernier épisode qui constituait le sujet du Téléphe d'Euripide, représenté en 438 avec les Créloises, Alcméon à Psophis et Alceste (1). L'histoire de Téléphe avant tout la tragédie fut, en effet, un de ses jeunesse, ses aventures

avait été contée par attique qui assura sa héros de prédilection mysiennes formérent

l'épopée, mais c'est popularité. Téléphe (2). Sa naissance, sa le sujet de plusieurs

drames. Toutefois, aucun épisode de sa vie ne fut plus porté à la scéne que celui de sa guérison par Achille. Outre la piéce d'Euripide, il inspira le Téléphe

d'Eschyle,

le Rassemblemenl

des Achéens

de

Sophocle, d'autres tragédies encore (3). Ces drames furent parodiés par les poètes comiques (4) et imités par les tragiques latins, en particulier Ennius et Accius, qui composérent l'un et l'autre un

Téléphe (5). En dehors du théátre, les diverses traditions concernant le héros sont souvent évoquées par les auteurs anciens. Les

aussi

aventures

un

de Téléphe

sujet aimé

des

dans

artistes

le camp

: plusieurs

argien

vases

constituérent

attiques

du

v? et du ıv® siècle, des vases italiotes, de nombreux reliefs d'urnes

et de miroirs étrusques prouvent le durable succés de cet épisode (6). On dispose donc, pour reconstruire le drame perdu d'Euripide, de matériaux relativement abondants. On est toutefois géné par l'existence d'autres versions du méme épisode, dans l'épopée et

surtout dans la tragédie. Bien que le drame exercé

une

influence

dominante

sur

la

de notre

tradition,

poéte ait

il n'est

pas

(1) Deuxième argument d'Alceste. Euripide obtint la seconde place derrière Sophocle. (2) Cf. Arstt., Poél., 13, 1453 a 21. (3) Sur les piéces d'Eschyle et de Sophocle, cf. infra, p. 246 sqq. On cite encore un Télèphe d'Agathon (T GF', p. 764) et un de Moschion (ibid., p. 812), mais les sujets exacts n'en sont pas connus.

(4) Outre les pièces d'Aristophane (infra, p. 225), on connaît le Téléphe de Deino-

lochos, éléve d'Épicharme (fr. 6, p. 150) et celui de Rhinton (fr. 11, p. 187 Kaibel). Allusions à Téléphe dans la comédie moyenne : Amphis, Pianos, fr. 30, 6-7 (II, 376 Edm.) ; Alexis, Parasite, fr. 178 (II, 460) ; Timoclès, Dionysiazousal (Il, 604 Edm.). Une statuette de Münich représente Téléphe sous une forme parodique (M. Bieber, History

of greek and

roman

thealer, p. 178).

(5) Ennius, Telephus, fr. 339-348 Warm. (= I-VIII Rib.*); Accius, Telephus, fr. 339-348 Warm. (= I-VIII Rib.*). (6) Pour les représentations flgurées, voir C. Robert, Bild und Lied, p. 146-48 ; C. Pilling, p. 77-104 ; Schmidt, col. 304-308; L. Séchan, p. 509-512; H. Metzger, p. 287-88 ; F. Brommer,

p. 334-35. Étude spéciale sur les frises de Pergame, C. Robert,

Arch. Jb., 2 (1887), p. 244 sqq., et 3 (1888), l'ouvrage de L. Giannacari,

et 4 PI.

p. 45 sqq. Nous

n'avons pu consulter

L'Episodio di Oreste e Telefo nell'arte, Rome,

1942,

16 p.

294

EURIPIDE

ET

LES

LÉGENDES

DES

CHANTS

CYPRIENS

toujours facile de déméler dans les textes ce qui remonte à Euripide et ce qui vient de ses prédécesseurs ou de ses rivaux, d'autant plus que les récits tardifs contaminent souvent les diverses versions. Aussi, avant d'aborder la reconstruction du Télèphe, est-il néces-

saire de recenser briévement les documents disponibles et d'apprécier le degré de confiance que l'on peut accorder à chacun d'eux. Les fragments conservés par la tradition indirecte sont au nombre d'une trentaine (1). Mais ils ont été sensiblement enrichis par l'apport de plusieurs papyrus. Un papyrus de Milan (2) a fourni une partie du prologue. Un papyrus d'Oxyrhynchos récemment

publié par E. W.

Handley

et J. Rea (3), présente un

double intérét : d'une part, il offre une cinquantaine de fragments, tous malheureusement fort mutilés, et certains réduits à un petit nombre de lettres, mais dont on peut cependant tirer quelques précisions importantes pour l'intrigue ; d'autre part, une coincidence textuelle avec un papyrus de Berlin (4) prouve que ce dernier, qui offre une trentaine de vers attribués depuis le premier éditeur au Rassemblement des Achéens de Sophocle, contient en réalité un morceau du Télèphe d'Euripide. Enfin, un papyrus de Manchester (b), lui aussi assez mutilé, présente une trentaine de vers qui appartiennent soit à la piéce de Sophocle, soit à celle d'Euripide. On peut utiliser aussi les fragments d'Ennius et d'Accius, mais avec précaution. En effet, si l'on admet en général que le Téléphe d'Ennius était une adaptation de la piéce d'Euripide, les avis sont beaucoup plus partagés sur la piéce d'Accius (6). Il n'est pas interdit de penser qu'ici comme ailleurs le poéte latin a procédé par contamination en puisant à la fois dans le drame d'Euripide et dans celui d'Eschyle ou de Sophocle. L'influence d'Euripide sur les représentations figurées semble l'emporter à partir du début du ıv® siècle. Les œuvres d'art illustrent deux scénes importantes de la tragédie : elles montrent, d'une part, Téléphe réfugié sur un autel avec le petit Oreste qu'il menace

de

son

épée

et entouré

par les Achéens,

d'autre

part,

Achille guérissant le héros en ráclant sur sa blessure la rouille de sa célébre lance. Malheureusement, elles ne nous renseignent pas sur le reste du drame. (1)

Fr. 696-727

(plus quelques fragments

(2) Pap. Mediol. 1 (cf. infra, p. 227). (3) Maintenant P. Ozy. XXVII, 2460

incertains).

(1962).

(4) P. Ozy. 2460, fr. 18-20 et P. Berol. 9908, col. II (cf. infra, p. 241-42), publié par Wilamowitz

en

1906.

(5) Pap. of the John Rylands Library, III, 482. Cf. infra, p. 240. (6) Ainsi, Leo, Srebrny, Schwenn, Stoessl, ont estimé qu'Accius s'inspirait Sophocle ; Geel, Ribbeck, Pollack, Séchan, d'Eschyle; Hartung, d'Euripide.

de

TÉLÈPHE

229

Quant aux récits des mythographes, au premier rang desquels il faut mettre Apollodore et Hygin (1), ils sont d’une utilisation délicate. En effet, si ces auteurs connaissaient tous la pièce célèbre

d'Euripide, aucun n'en donne la substance à l’état pur. Même la narration d'Hygin, sur laquelle les critiques se sont appuyés avec le plus de confiance, omet un trait essentiel chez Euripide,

le déguisement

de Téléphe

en mendiant.

On

est donc

réduit à

puiser cà et là dans ces récits rassemblant des éléments d'origine diverse, et il est impossible de suivre aveuglément un guide unique.

Reste Aristophane. A elles seules, les scolies de ses comédies nous ont transmis la moitié des fragments conservés du Téléphe, témoignant ainsi de l'attrait exercé sur le poète comique par un

drame qui datait pourtant de son enfance. Mais Aristophane ne s'est pas borné à utiliser les pompeuses expressions de la tragédie

pour en tirer en passant des effets de contraste. Dans deux piéces, les Acharniens et les Thesmophories (2), il a transporté sur la scéne comique des tirades, des situations et méme des suites de scénes directement empruntées au Téléphe. Les scolies nous signalent un certain nombre de ces emprunts, mais tout porte à croire qu'il y

en avait d'autres. On est donc fondé à s'aider assez largement de ces deux pièces pour reconstruire l'action du Télèphe (3). Toutefois, ici encore, la prudence reste de régle : dans les deux comédies, les scénes parodiées ne se succédent pas dans le méme ordre. Les vers du Téléphe peuvent étre mis volontairement hors de place, être mélés à des citations d'autres drames [d'Euripide et accommodés au sujet et au rythme propre de la comédie : Aristophane savait qu'une parodie trop littérale finit par lasser, alors que le rire natt de l'inattendu d'une citation (4).

On s'explique donc qu'au début de ce siécle, Wilamowitz ait pu dire que l'on avait écrit à l'infini sur le Téléphe d'Euripide, mais que les certitudes restaient minces (5). Depuis ce temps, de nou-

velles découvertes papyrologiques et des études plus approfondies du matériel déjà connu ont permis de préciser les contours de la piéce, mais les désaccords entre les diverses reconstitutions posées restent nombreux et profonds. (1) Apd.,

Ep., III, 19-20;

aussi apparaître

chez

Dictys,

Hyg.,

f. 101. Quelques

pro-

souvenirs d'Euripide semblent

II, 3-10.

(2) Respectivement datées de 425 et 411. (3) Outre les études de Rostagni et de Miller citées dans la bibliographie, on mentionnera : Starkie, éd. des Acharniens, Londres, 1909, Ezcursus VI, p. 249-251 ; A. C. Schlesinger, TAPhA, 67 (1936), p. 303 sqq. ; H. Erbse, Eranos, 52 (1954), p. 96-99. (4) E. W. Handley, p. 23-25, a bien montré avec quelle liberté Aristophane parodie Euripide. Toutefois, il nous semble trop sceptique sur les possibilités de tirer parti

des deux comédies en question.

(5) ©. c., p. 69.

16

226

EURIPIDE

ET LES

LÉGENDES

DES

CHANTS

CYPRIENS

Quelques principes peuvent, le cas échéant, guider le choix entre plusieurs possibilités. On se rappellera que les piéces d'Euripide conservées pour cette époque, comme Alceste et Médée, présentent une structure assez simple (1). Le dialogue à trois personnages y est relativement rare (2). Le nom et le nombre des personnages

sont maintenant à peu prés assurés, et, comme

cer-

tains épisodes bien connus nous permettent de savoir quels sont ceux qui se trouvent ensemble sur la scéne, on pourra tenir compte de la distribution des róles entre les trois acteurs (3). Enfin, en dehors des fragments d'Euripide, et à la rigueur de ceux d'Ennius, les autres sources entreront en compte pour déterminer la forme de l'intrigue, mais non les paroles exactes prononcées par les

personnages. La scéne est à Argos, devant le palais d'Agamemnon (4). Sur le théátre se dresse un autel consacré à Apollon Lycien (5). Au début du drame, entre Téléphe. Il est vétu d'une robe de mendiant (6),

il porte une besace (7). Il boite et s'appuie sur un báton (8). A son arrivée, il déclame le prologue :

(1) La méme Pheniz,

observation s'applique à des pièces telles que Prolésilas, les Skyrioi,

toutes antérieures à 428.

(2) Cf. G. F. Listmann, Die Technik der Dreigespräche in der gr. Tragödie, Diss., Giessen, 1910 (le groupe Alcesie-Médée est celui où le dialogue à trois est le plus rare). (3) Nous proposons la distribution suivante : Protagoniste : Téléphe, Ménélas. Deutéragoniste : Portier, Agamemnon, Achille. Tritagoniste : Clytemnestre, Ulysse, Messager. (4) Fr. 713. La tradition qui fait d'Argos, et non de Mycénes, la capitale d'Agamemnon n'est pas homérique, mais elle est ancienne et peut remonter aux épopées cycliques (cf. infra, p. 245, n. 6). Dans Électre, 1-3, Argos est aussi donnée comme le point de départ de la flotte grecque. (5) Cf. Fr. 700, et H. Metzger, Apollon « Lycien » et Téléphe, Mél. Picard, 11 (1949), p. 746-751. Argos possédait un temple d'Apollon Lykeios (Soph., El. 6-7 et sc.; Paus., II, 19, 3; Plut., Pyrrh., 31). (6) A. Rostagni, p. 140 sqq., a supposé (d’après les Fr. 698 ; 707 ; Ar., Ach. 435 sqq. ; Thesm. 93-94) que le travestissement en mendiant était suggéré à Télèphe par Clytemnestre et se réalisait seulement au cours de la pièce, mais c'est peu vraisemblable. (7) Sur les haillons de Télèphe, cf. Ar., Ach. 437 sqq., et passim ; Apd., Ep., III, 20; Poll., IV, 117 ; les peintures de vases (L. Séchan, p. 519 et fig. 521) et les urnes étrusques.

Une telle unanimité ne justifle guére les doutes de Handley, p. 29, qui pense que Téléphe était seulement vétu de sombre. Naturellement, Aristophane brode sur ce théme quand il donne à Téléphe un bonnet phrygien (.Ach. 439), quand il nous apprend que le corbillon ou la besace (Ach. 453, Nuées 922 et sc. ; sc. Lys. 14) contient des épluchures (Ach. 469) et une écuelle et une cruche félée (Ach. 459 et 463). Cependant le Fr. 726 (duxtnp) peut indiquer un de ces ustensiles. (8) Le báton de mendiant : Ach. 448. Téléphe boiteux : Ach. 429. Sur certaines représentations flgurées (vases, urnes étrusques) on distingue un bandage sur la cuisse du

héros.

TÉLÉPHE

227

« Terre de ma patrie, domaine que Pélops se tailla, salut à toi. Salut aussi à toi, qui hantes les roches d'Arcadie aux durs frimas, Pan, dont je me flatte de descendre. Car Augé, fllle d'Aléos, m'ayant eu d'Héraclés de Tirynthe, me mit au monde en secret. Je reconnais le Mont Parthénion,

où Ilithye délivra ma mère de ses douleurs et où je vins au monde.

Ensuite,

j'ai bien souffert... Mais j'abrégerai mon propos. Je gagnaila plaine mysienne.

J'y retrouvai ma mére, je m'y établis, et je recus le pouvoir des mains de Teuthras de Mysie. Téléphe est le nom que me donnent les habitants du pays Moi, un

mysien, car c'est en un iel refuge lointain que j'ai édifié ma vie. Grec, je commandais à des Barbares, sans ménager ma peine,

entouré de troupes nombreuses, avant que sa marche vers les plaines de Mysie... » (1).

l'armée

achéenne

n'infléchtt

Au cours des violents combats qui avaient suivi le débarquement achéen

en

Mysie

(2), Achille

avait

atteint

Téléphe

à la jambe

d'un coup de lance et la plaie avait résisté à tous les traitements. Le blessé avait donc été consulter un oracle voisin, celui d'Apollon (1)

« Ὦ γαῖα πατρίς, ἣν Πέλοψ ὁρίζεται,

χαῖρ᾽, ὅς τε πέτραν ᾿Αρκάδων δυσχείμερον Πὰν ἐμδατεύεις, ἔνθεν εὔχομαι γένος. Αὔγη γὰρ ᾿Αλέου παῖς με τῷ Τιρυνθίῳ

5

10

τίχτει λαθραίως ᾿Ηρακλεῖ * σύνοιδ᾽ ὄρος Παρθένιον, ἔνθα μητέρ᾽ ὠδίνων ἐμὴν ἔλυσεν Εἰλείθυια, γί γννομαι δ᾽ ἐγώ. Καὶ πόλλ᾽ «ἐνμόχθησ᾽, ἀλλὰ συντεμῶ λόγον. Ἦλθον δὲ Μυσῶν πεδίον, ἔνθ᾽ εὖ γρὼν ἐμὴν μητέρα κατοικῶ, καὶ δίδωσί μοι κράτη

Τεύθρας ὁ Μυσός, Τήλεφον δ᾽ ἐπώνυμον καλοῦσί u' ἀστοὶ Μυσίαν κατὰ χθόνα * τηλοῦ γὰρ

15

οἰκῶν

βίοτον ἐξιδρυσάμην.

"Ἕλλην δὲ βαρδάροισιν ἦρχον ἐκπονῶν πολλοῖς σὺν ὅπλοις πρίν «γ᾽» ᾿Αχαϊκὸς μολὼν στρατὸς τὰ Μυσῶν ne]dl’ ἐπί ι]Ἰστρωφᾷ «ποδί».»

-7 ... Ἐϊλείθυια = Fr. 696 ; 1-16 = P. Mediol. 1; 13 = Fr. inc. 884, 9 : εὑρὼν Goosns ; 14 : npxerextovov II, ἦρχον D. L. Page; ἐκπονῶν Grégoire;

15 : πολλοισινεμ-

ὅλοιεν IT, corr. Calderini ; 16 : ἐπεστρώφα Körte ; ἐπιστρωφᾷ Handley ; ποδί Goossens. Sur le papyrus de Milan, cf. Calderini, Aegyptus, G. Goossens,

Chr. d’Eg.,

11 (1936), p. 511-13;

M.

15 (1935), p. 239-245 (éd. pr.) ;

Norsa,

La

scrillura

lelleraria

greca

(1939), p. 9 et Pl. 4; D. L. Page, Gr. Lil. Pap., p. 130 sqq. ; Handley-Rea, p. 18-19. Sur les sources de ce récit, cf. infra, p. 245-247. Pour les v. 1-2, comparer le prologue d'Oineus, Fr. 558, 1-3. Aux v. 11-13, nous avons rendu tant bien que mal le jeu de mots

étymologique Τηλέφου ... τηλοῦ οἰκῶν. G. Daux et J. Bousquet, R. A., 1942-43, I, P. 119;

II, p. 36, rapprochent le v. 14 d'un texte d'oracle trouvé à Delphes.

Il s'agit

de la réponse que reçut Agamemnon avant le départ pour la Mysie. Le chef de l'expé-

dition est mis en garde contre un «"E22«v βαρδαρόφωνος», qui est à coup sûr Téléphe. Ce texte a été gravé au 11° 8. av. J.-C. et semble d'inspiration pergaménienne,

mais on

ne peut savoir dans quelle mesure il est plus ancien. On pourrait aussi comprendre ce vers 14 : « Je fus le premier Grec à dépenser ma peine pour des Barbares » (cf. Goossens, o. c., p. 512). Le papyrus se termine par quatre lignes trés mutilées, qui ne semblent plus appartenir à la piéce. (2) A ce récit pourraient se rapporter deux fragments d'Accius (631-32 et 633), qui nous paraissent cependant mieux placés plus loin dans la piéce (cf. infra, p. 234, n. 6).

228

EURIPIDE

ET

LES

LÉGENDES

DES

CHANTS

CYPRIENS

Lycien (1). La réponse fut que seul celui qui l'avait blessé pouvait

le guérir (2). Téléphe décida alors de partir pour la Gréce, oü l'armée achéenne

était

revenue

entre

temps

aprés

avoir

reconnu

son

erreur. Il s'agissait pour lui d'approcher Achille : entreprise dangereuse, car les Achéens gardaient un vif ressentiment de leur échec en

Mysie.

Aussi,

pour

courir

moins

de

risques,

Téléphe

a-t-il

dépouillé les insignes de la royauté : « J'ai

quitté

mon

royaume,

le corps

enveloppé

dans

les guenilles

du

miséreux, remédes contre le sort » (3).

Peut-étre doit-on placer aussi dans le monologue réflexions suivantes :

de Téléphe les

« À quoi me sert, en effet, ma richesse, si je suis malade ? Je préférerais gagner petitement mon existence, au jour le jour, et vivre chez moi à l'abri de la souffrance, plutót que d'étre riche et malade » (4).

Donc, dans ce costume de mendiant, le plus propre à émouvoir

la pitié (5), il s'est rendu à Argos où, aprés une période de découragement

et d'inaction,

d'Agamemnon

pour

les

chefs

achéens

envisager

une

se

sont

nouvelle

réunis

autour

tentative

contre

Troie (6). L'occasion est favorable pour approcher Achille et tenter (1) Les témoignages antiques attribuent tous l'oracle à Apollon. Certains précisent qu'il s'agit de l'oracle delphique (sc. Nuées 919). Mais déjà C. Robert (p. 1152), suivi par

Schmid-Stählin,

p. 352,

pensait

ici au

célèbre

sanctuaire

asiatique

d'Apollon

à

Patara. H. Metzger, (o. c., p. 750) a repris cette thése avec de nouveaux arguments archéologiques. Notons que prés de l'endroit où la tradition plaçait le débarquement des Achéens en Mysie, à Grynéion, se trouvait un « μαντεῖον ἀρχαῖον » d'Apollon, sans

doute

en rapport

avec

Delphes

(cf.

Daux

et Bousquet,

o. c., p. 34,

n.

1).

(2) «Ὁ τρώσας ἰάσεται ». Sur les références à cette prédiction passée en proverbe, cf. C. Robert, p. 1139, n. 2. (3)

Enn.,

Fr.

3414- Fr. 697, qui se recouvrent partiellement : Enn. 341 : « Regnum reliqui saeptus mendici stola. »

Fr. 697 : « Πτώχ᾽

ἀμφίθληστρα σώματος λαδὼν ῥάκη,

ἀλκτήρια τύχης.»

Pour l'expression du v. 1, cf. HL

1079 : εἀμφίδληστρα σώματος ῥάκη ». Les mots

ἀλκτηρία τύχης (ἀρκτήρια codd.) ont été diversement corrigés {ψύχους Dobree, αἰχμῆς Ribbeck, etc.). Mais ne peut-on entendre τύχης au sens de coup du sorl, mauvaise fortune?

(4) Fr. 714 : « Τί γάρ με πλοῦτος ὠφελεῖ νόσον ; Zulxp' ἂν θέλοιμι καὶ καθ᾽ ἡμέραν ἔχων

ἄλυπος οἰκεῖν μᾶλλον À πλουτῶν νοσεῖν. » Pour la place de ce fragment, nous suivons Welcker οἱ Hartung.

Handley,

p. 29-31,

le mettrait plutót dans la scéne entre Clytemnestre et Téléphe. Pilling, Wecklein et Brizi le situent aprés la reconnaissance de Téléphe. On ne peut suivre Geel, Welcker, Jahn, Hartung et Brizi, qui joignaient à ces vers le fr. inc. 892 : ces considérations sur

la frugalité et le luxe n'ont rien à faire ici. (5)

Ach. 384 —

siazousai,

fr.

(6) Apd.,

436. Sur l'aspect

6, 9-11.

Ep.,

III,

19.

pitoyable

de Télèphe,

cf. encore Timoclès, Diony-

TÉLÉPHE

229

d'obtenir, gráce à une fable adroitement construite, la guérison promise par l'oracle (1). Pour cela, il faut d'abord pénétrer dans le

palais ; Téléphe s'exhorte au courage (2) et conclut : « Il me faut aujourd'hui n'en point avoir l'air » (3).

paraître

mendiant,

être

ce

que

je suis

mais

Ce jour décidera de sa vie ou de sa mort (4). Il frappe donc à la porte du palais et engage le dialogue avec un portier ou une servante (5). C'est du moins ce qu'on peut déduire de deux scènes des Acharniens et des T'hesmophories (6), où se trouvent insérées nombre d'expressions tragiques (7), et qui présentent une marche paralléle. Téléphe avait beau se faire insistant, il ne pouvait s'introduire dans le palais. Cette scène

complétait peut-étre l'exposition en indiquant le désaccord qui régnait entre les chefs réunis au palais sur la reprise de la campagne contre Troie. Elle justifiait en tout cas l'arrivée de Clytemnestre. En effet, attirée

par

l'altercation

(8), la reine

apparaissait

à

son tour sur le seuil de la demeure (9). Téléphe implorait alors sa protection (10). Le plus probable est qu'il lui révélait son véritable nom et toute son histoire. L'habile parleur parvenait si bien à (1) Cf. sc. Dem., (2)

Parodie

Cour., 72.

probable

(3) Fr. 698 :

de

ces exhortations,

Ach.

« Aet γάρ ue δόξαι πτωχόν

488-89.

[εἶνάι τήμερον],

εἶναι μὲν ὅσπερ εἰμί, φαίνεσθαι δὲ μή.» Le vers 1 (= Ach. 440) a dû être déformé par Aristophane et ne peut être restitué avec certitude. (4) Cf. Ar., Thesm. 76-77. (5) L'existence de cette scène est admise par la plupart des critiques depuis Hartung. On

peut

comparer

HL

435-482,

courte. (6) Ach. 394-406 ; Thesm. (7)

Parodies

du

style

mais la scöne

du

Télèphe

devait être beaucoup

plus

36-70.

tragique

dans

Thesm.

41-42;

50;

58

(cf.

Miller,

p.

177);

Ach. 402 et 408. Cf. aussi Ach. 449-450 ; 456 ; 460-61, et enfin 471-72 (— Fr. 568): « Car je suis trop importun, moi qui ne me rends pas compte que les rois me haïssent ».

Le

scoliaste

d'Aristophane

Symmaque,

ila venaient

du

attribue

ces

Téléphe,

ce qui suggére

vers

à l'Oineus,

mais

au moins

ajoute

que,

une situation

d'après analogue

dans notre pièce (cf. Handley, p. 31). On pourrait aussi avec Starkie, p. 249, insérer dans

cette

scène

le fr. inc.

1003 : « Ade πηκτὰ

δωμάτων

», parodié

par Aristophane,

Ach. 479. (8) On a parfois supposé qu'elle venait offrir un sacrifice à Apollon, d'après Ach. 238241; Thesm. 39 sqq. (9) L'existence d'une

critiques depuis Clytemnestre

Hartung.

scéne

Téléphe-Clytemnestre

Cependant

ne jouait aucun

Wecklein,

dans

est

admise

par

la

plupart

des

ses deux articles, pensait que

rôle dans la pièce, et C. Robert,

p. 1057, n. 8, estimait

que la reine ne paraissait qu'après la reconnaissance de Téléphe. Pour l'enchaînement des deux scènes, comparer

Eschl., Cho. 653-673.

(10) Cf. Thesm. 179-180 ; 183. Si Thesm. heurtait d'abord à un refus.

195-199

parodie cette scéne, Téléphe

se

230

EURIPIDE

ET LES LÉGENDES

DES CHANTS

CYPRIENS

ranger la reine de son cóté qu'elle lui proposait elle-méme un expédient destiné à fléchir son époux (1) : si Téléphe n'obtenait pas des chefs grecs ce qu'il désirait, s'il se trouvait en danger, il devait saisir le petit Oreste et se réfugier avec lui sur l'autel d'Apollon Lycien.

Le

fils d'Agamemnon

áce auquel auprés

il obtiendrait

que

serait

entre

ses

mains

le roi s'entremtt

en

un

otage

sa faveur

d'Achille.

Il fallait sans doute un puissant motif pour que Clytemnestre se ftt l'alliée d'un ennemi des Grecs. La plupart des critiques qui donnent à la reine un róle dans le drame ont estimé que la pitié était un mobile insuffisant. Ils se sont fondés sur une allégation de Dictys (2), selon lequel c'est à Argos qu'aurait été consommé

le sacrifice poussée

d'Iphigénie,

par

un

pour

profond

déduire

ressentiment

que à

Clytemnestre

l'égard

de

son

était mari,

responsable d'un tel acte de barbarie (3). Quelques indications, dont aucune n'est décisive, viennent appuyer cette hypothèse (4). Tout en la retenant, nous croyons plutót que le roi, sans repousser absolument l'exigence des dieux, n'a pas encore pris sa décision

et que la colére de Clytemnestre la pousse à répondre à la menace qui pèse sur sa fille en hasardant la vie de son fils, le précieux héritier du tróne (5).

Deux des fragments conservés peuvent appartenir à cette scéne. Ils contenaient des encouragements adressés au héros par Clytemnestre : « Il est nécessaire de se donner du mal quand « De l'audace ! méme

on veut réussir » (6).

si les dieux t'allouent une dure épreuve » (7).

(1) D'aprés Aristophane, on pourrait penser que ce plan était proposé par Téléphe. Mais on préférera les indications concordantes d'Hygin et du Fr. 699. Handley, p. 31, estime que le héros ne faisait que des révélations partielles à Clytemnestre et s'introduisait dans le palais sous un prétexte (soins à recevoir ou nouvelles à donner à Agamemnon). (2) Dictys, II, 7. (3) Pilling, p. 47-48 ; 53; Séchan, p. 507 et 513; Rostagni, p. 141. (4)

Le

Fr.

727

a été

parfois

interprété

dans

ce sens,

Clytemnestre

disant

: « Je

hais le détestable fils d'un époux détesté » (Hartung, Pilling, Séchan, Rostagni). Cependant voir infra, p. 239. Sur la dispute d'Agamemnon et de Ménélas, cf. infra, n. 5 et p. 231. (5)

On

comprendrait

mieux,

dans

ce cas, les raisons de la querelle d'Agamemnon

avec son frére. Le Fr. 347-48 d'Ennius pourrait faire allusion à Iphigénie. Dictys (II, 9) signale une dispute entre Achille et Agamemnon en ces Lermes : « Achilles regi indignatus, quod propter flliam renueret profectionem... » Les auditeurs pouvaient penser

&u destin promis plus tard à Oreste.

(6) Fr. 701:

« MoxOziv ἀνάγκη

τοὺς θέλοντας εὐτυχεῖν.»

Aprés Hartung, Brizi place ce vers à la fin de la pièce, comme une réflexion du chœur. (7) Fr. 702 : « Τόλμα cu x&v τι τραχὺ νείμωσιν θεοί.» Pour

le Fr.

699,

adressé

par

Téléphe

à Clytemnestre,

il appartenait

à notre sens

à

TÉLÉPHE

231

L'intrigue se trouve nouée quand apparait le Chœur, formé, soit de chefs achéens, soit plutót de vieillards d'Argos (1). Le sujet

de la parodos ne peut étre déterminé avec certitude. Quelques indications laissent cependant à penser qu'il s'agissait, comme dans Iphigénie à Aulis, d'une description du camp grec (2). L'ordre

des

scénes

dans

l'épisode

suivant

fait

difficulté.

Il

comprenait certainement un grand discours de Téléphe déguisé devant les chefs argiens et une querelle des Atrides, mais celle-ci était-elle antérieure au discours ou naissait-elle au contraire de ce

discours ? Les deux théses ont été soutenues (3). À notre sens, au début du premier épisode Agamemnon et Ménélas sont en scéne et se disputent (4). La situation de l'armée est difficile : les Achéens manquent d'un guide qui puisse les conduire avec certitude en Troade (5). Les dieux exigent sans doute de plus le sacrifice d'Iphigénie. Aussi Agamemnon, découragé, parle-t-il d'abandonner la lutte, alors que Ménélas réve toujours de reprendre Héléne et insiste pour que son frére s'incline devant la volonté des dieux. La querelle prend vite un tour violent, que souligne la forme anapestique des vers conservés. Aux conseils de Ménélas, le chef de l'expédition réplique : « Tu as regu propre » (6).

Sparte,

une scène ultérieure comme dans le Fr. * Caedem Enfin, Clytemnestre

gouverne-la;

mais

Mycénes

nous

appartient

en

(cf. infra, p. 239). Les craintes de Téléphe pouvaient s'exprimer 339 d'Ennius : caveo cum vestitu, squalida saeptus stola. » concluait peut-être la scène par le vœu contenu dans Ach. 457 :

« Εὐδαιμονοίης, ὥσπερ ἡ μήτηρ ποτέν (allusion au destin d'Augé).

(1) Le

Fr. 703 est adressé

aux

ε ἄνδρες ᾿Εἰλλήνων ἄχροι ». Ceux-ci

pouvaient,

il est vrai, être incarnés par deux acteurs et des figurants (Handley, p. 32). On notera que, dans Palamède, c'était un chœur de soldats qui arbitrait l'agón entre les chefs. Cependant, les Fr. 712-713 semblent adressés aux citoyens d'Argos : cf. P. Ory 2460, fr. 1, 8 sqq. (anapestes). (2) Handley, p. 32, suggére de situer ici deux fragments de rythme anapestique : .Acc., 611-12 : « Jamjam stupido Thessala somno pectora languent senentque » (cf. Dict., II, 7 : «in eo otio »). et Fr. inc. inc. 32-33

* Omnes Attica

:

Danai

atque

Mycenenses,

pubes. »

(3) A l'opposé de la plupart des critiques, Rostagni, p. 145, et Handley, p. 3335, placent la querelle aprés le discours de Téléphe. (4) Cf. Dictys, II, 7. (5) Sur cette difficulté, cf. Apd., Ep., III, 19. Hygin, f. 101, parle d'un oracle d'après lequel « sans Téléphe pour guide, on ne saurait prendre Troie ». Il est probable qu'il jouait

un róle dans

vraisemblance,

notre piéce.

C. Robert,

p. 1056, n. 2, soutient,

sans grande

que c'est une invention du mythographe.

(6) Fr. 723 : « Σπάρτην

ἔλαχες, κείνην

κόσμει *

τὰς δὲ Μυκήνας ἡμεῖς ἰδίᾳ.»

Comparer Soph., Ajaz 1102 : « Σπάρτης ἀνάσσων ἦλθες, οὐχ ἡμῶν κρατῶν.» L'incertitude

232

EURIPIDE

ET LES

LÉGENDES

DES

CHANTS

CYPRIENS

Et encore : « Va où tu veux, je ne me perdrai pas pour ton

Hélène » (1).

L'un des deux frères s'écriait à l'adresse du chœur « O citoyens

Ménélas,

d'Argos,

vous

entendez

ce qu'il peut

:

dire ! » (2).

indigné, quittait la scéne (3). Il était remplacé

Ulysse qui accueillait Téléphe avec Agamemnon

par

et les choreutes.

En effet, gráce à Clytemnestre, le faux mendiant était

à méme

de présenter sa requête et d'implorer des Grecs la guérison promise par l'oracle. Il s'excusait d'abord humblement de son audace : «Ne pauvre

vous indignez point contre moi, chefs suprémes de la Grèce, mendiant, j'ose prendre la parole devant des notables » (4).

Puis il entamait le récit de ses malheurs.

si,

Il se présentait comme

un marchand ruiné et maltraité sans raison par les Mysiens : « Dirigeant mes rameurs, je débarquai en Mysie où je reçus le coup parti d'un bras ennemi... en poursuivant les brigands et en les pressant de ma

lance » (5).

La mention de la Mysie amenait les chefs grecs à le questionner sur Téléphe, et il répondait : «Je

connais

originaire

d'un

un

Mysien,

autre

Téléphe,

pays...»

qu'il

soit

Mysien

de

722 :

«"I0'

ὅποι χρήζεις

ou

(6).

où l'on est sur la date d'Ajar ne permet pas de dire lequel des deux l'autre (cf. K. Reinhardt, Sophokles, 3° éd., 1947, p. 244-45).

(1) Fr.

naissance

poètes a imité

' οὐκ ἀπολοῦμαι

τῆς σῆς ᾿Ελένης εἵνεκα.» (2) Fr. 713 : « Ὦ πόλις "Apyouc, κλύεθ᾽ ola λέγει.» Pour le premier hémistiche, cf. Phén. 613. Pour le second, qui, d'aprés le scoliaste d'Aristophane (Cav. 809), viendrait de Médée, cf. Med. 168. On peut rattacher à cette scene le fr. 347-48 d'Ennius,

attribué à Agamemnon

:

«... Verum quorum liberi leto dati sunt in bello, non lubenter haec enodari possunt. » (Allusion au sacrifice d'Iphigénie ?). Le chef de l'armée pouvait aussi dire à son frère (Acc., fr. 627) : « Studiumque iteris reprime ». Hartung, enfin, attribuait au chœur le fr. inc. 975, de rythme anapestique :

« Χαλεποὶ πόλεμοι γὰρ ἀδελφῶν.» (Pour l'idée, cf. IA 376-77). (3) Handley, p. 35, suggère que le Fr. inc. 918 pouvait être dit par Ménélas avant son départ. Il nous paraît cependant mieux placé ailleurs (cf. infra, p. 236). (4) Fr. 703 : «Mn uot φθονήσητ᾽, ἄνδρες “Ελλήνων ἄκροι, εἰ πτωχὸς ὧν τέτληκ᾽ ἐσθλοῖσιν λέγειν.» (5) Fr. 705: « Κώπης ἀνάσσων χἀποδὰς εἰς Μυσίαν ἐτραυματίσθην πολεμίῳ βραχίονι...» + Fr. 705a Sn. : «λήστας ἐλαύνων καὶ κατασπέρχων δορί.» Handley, p. 31 et 34, et Stoessl, p. 37, placent ce récit dans la scéne avec Clytemnestre.

Au méme

passage doit appartenir le fr. 629-630 d'Accius : LEPEP Remisque nixi properiter navem in fugam transdunt subter saxa ad laevam, qua mons mollibat mare. »

(6)

Fr. 704, 1-2 : « Ol8' ἄνδρα Muodv Τήλεφον

... εἴτε δὲ

Muodc «γεγὼς» ἦν εἴτε κἄλλοθέν ποθεν.»

Un

des Grecs —

demander

TÉLÈPHE

233

est-ce Ulysse ? —

l'interrompait alors pour lui

:

« Comment...

reconnaître Téléphe ? » (1).

Sans doute se faisait-il fort de décrire celui qu'il représentait comme son agresseur. Il ajoutait que, selon un oracle, seul Achille pouvait le guérir, et il sollicitait cette faveur. Il concluait par un vers à double sens : « Que tout aille bien pour moi ; quant à Téléphe,

qu'il ait le sort que je

pense » (2).

Cette nouvelle victime du roi de Mysie devait étre bien accueillie. Quant

au nom

de Téléphe,

il provoquait

une

tempéte

d'impré-

cations. Ulysse rappelait tous les maux que le Mysien avait infligés aux Grecs (3). A ce récit, le fils d'Héraclés sent l'indignation monter

en lui. Tenant téte à Ulysse, il se targue de démontrer l'injustice des Achéens à l'égard du roi Téléphe. En vain les Grecs et Agamemnon s'élévent-ils contre tant d’insolence, le mendiant maintient ses prétentions avec fermeté : « Agamemnon, quand bien méme un homme, brandissant une hache, serait Lout prét à la laisser retomber sur ma nuque, je ne me tairais pas, pour

peu

que

j'aie de justes

arguments

à rétorquer »

(4).

Le «long discours» (5) qu'il entame alors a été l'objet d'une double parodie d'Aristophane, dans les Acharniens (496-555) et les T hesmophories (466-519). Les deux tirades, de Dicéopolis défendant les Lacédémoniens et du parent d'Euripide plaidant pour le poéte Cependant, si le sens de la citation est certain, son exactitude littérale ne l'est pas, car les vers sont reconstitués d'aprés la scolie en prose d'Olympiodore au Gorgias,

521 b (Pilling et Wecklein complétent autrement ces deux vers ainsi que le suivant).

(1) Fr. 704,3: En

prétant

L. Séchan,

... Τήλεφος γνωρίζεται ;» vers

à un

Grec,

nous

nous

inspirons

d'une

suggestion

de

p. 515.

(2) Fr. 707: (3)

«Πῶς

le dernier

« Καλῶς ἔχοι μοι " Τηλέφῳ δ᾽ ἁγὼ φρονῶ.»

Sur le paralléle entre le discours d'Ulysse et la réplique de Téléphe, cf. Thesm.

545 et Fr. 706, 3 : εἀντειπεῖνν, et le Fr. 715 où Ulysse est nommé comme le rival en éloquence de Téléphe. De plus, Aristide (II, p. 19 Dind.) disait : « Un des poétes représente Téléphe réfutant Ulysse à partir des paroles méme que celui-ci adressait à Téléphe. » Sur cet agón, cf. J. Duchemin, L'agón dans la tragédie, 1945, p. 103.

(4) Fr. 706 : «'Avyáueuvov, οὐδ᾽ εἰ πέλεκυν ἐν χεροῖν ἔχων μέλλοι τις εἰς τράχηλον ἐμθαλεῖν ἐμόν,

σιγήσομαι δίκαιά γ᾽ ἀντειπεῖν ἔχων. » Cette image son

bon

est longuement

droit, s'engage

parodiée dans les Acharniens,

à parler

οὐ

Dicéopolis,

«la tête sur le billot » et accomplit

affirmant

littéralement

sa

promesse (Ach. 317-18 ; 365-69 ; 486-87). (5) Ach. 416 : «$ójotw μαχράν ». Cf. aussi l'Argument des Acharniens. H. Erbse, Eranos, 52 (1954), p. 96-97, propose, à tort selon nous, de placer cette tirade aprés la reconnaissance

et la fuite

à l'autel

de

Téléphe.

234

EURIPIDE

ET

LES

LÉGENDES

DES

CHANTS

CYPRIENS

tragique, contiennent de nombreux vers ou lambeaux de vers du Téléphe. De plus, elles suivent à peu prés le méme plan, qui est celui de notre discours. Le mendiant se donne donc pour táche de réfuter les arguments d'Ulysse. Il débute par des précautions oratoires. La colère des Grecs est bien explicable et l'on comprend que leur bile déborde contre Téléphe (1). Du reste, lui aussi a des raisons de le détester (2).

Cependant, puisque nous sommes entre Grecs, dit-il, nous pouvons bien reconnaître certains faits (3). Quelles raisons avons-nous de l'accuser (4) ? Remontant ensuite aux origines d'une si grande guerre, il montre qu'elles sont dérisoires : toute cette expédition pour trois personnes : une femme infidéle, un berger troyen, un mari trompé (5). Là-dessus, une immense armée se rassemble et, sans provocation, se jette sur la Mysie qu'elle commence à ravager. Téléphe se porte au-devant des Grecs pour protéger ses sujets du massacre, et c'est la bataille, le fracas des boucliers, le sang qui

coule (6) : « On dira : « Il ne fallait pas... » Mais que fallait-il faire, dites-moi ? » (7).

Qu'auraient débarqué

fait les

Grecs

si une

armée

mysienne

avait

ainsi

sur leurs cótes ?

« Seriez-vous restés paisibles en vos demeures ? Non, mille fois non ! » (8).

(1)

Thesm.

466-68.

Le verbe « ἐπιζεῖν » se retrouve dans

Thesm.

468 et

Ach.

321.

(2) Thesm. 470 ; Ach. 509. (3) Thesm. 471-72 ; Ach. 504 et 513. (4) Thesm. 473; Ach. 514. (b) C'est du moins ce qu'on peut tirer des Acharniens 528-29 (« ainsi se déclencha la guerre [du Péloponnése] entre tous les Grecs, pour trois catins »). On en rapprochera Acc., fr. 609-610 : « Quantam Tyndareo gnata et Menelai domus molem excitarit belli pastorque Ilius. »

Handley, p. 35, pense que Téléphe reprochait à Ménélas d'avoir entratné les Grecs dans la guerre pour une querelle privée. A notre sens, la critique est plus générale et Louche tous les Grecs. Sur les vers d'Aristophane, cf. Rostagni, p. 146-48, qui estime que l'histoire des trois catins a été inventée par le poéte comique pour mettre son argumentation

en

accord

avec

celle

d'Euripide,

celui-ci

ayant

pu

mettre

en

relief

l'idée d'offenses réciproques entre Grecs et Barbares (cf. Hdt., I, 1-5) en rappelant par

exemple

le rapt

de

Médée.

Rien

n'est moins

sûr.

(6) Ach. 539. Cf. Acc., fr. 631-32 : «..... Aere atque ferro fervere insignibus florere »,

et fr. 633 : « Flucti cruoris volverentur

Mysii. »

(7) Fr. 708 : «'Epei τις, où χρῆν ᾿ ἀλλὰ τί ἐχρῆν εἴπατε.» ll y a peu

de raisons de suspecter avec

Nauck,

Buchwald

et Handley,

la seconde

partie du vers. Pour la familiarité du ton, comparer Or. 665. Chez Dictys, II, 5, Téléphe

expliquait aux Achéens la conduite qu'ils auraient dü tenir en Mysie.

(8) Fr. 709: Cf. Ach.

541-42.

« Καθῆσθ'

àv ἐν δόμοισιν ; ἢ πολλοῦ γε δεῖ.»

TÉLÈPHE

Ils se seraient défendus

239

les armes à la main

:

« Que Télèphe n'est-ce alors, nous n'avons pas le sens commun » (1).

point

notre

avis ? Ou

Par suite, n'agissons-nous pas mal avec lui (2) ? Notre attitude n'est pas logique : « Là-dessus,

nous

voici en colére,

quand

nous

avons

subi

moins

de mal

que nous n'en avons causé | » (3).

Les moins penser chœur

Grecs ne devaient guère apprécier un tel discours, que personne. Mais, d'aprés les Acharniens (4), que les auditeurs étaient divisés. Le chœur — ou — exprimait son admiration pour l'éloquence du

et constatait

et Ulysse on peut un demimendiant

:

«A vrai dire, Ulysse n'a pas le monopole de la subtilité. la nécessité, méme un lourdaud devient savant » (5).

A l'école de

Certains reconnaissaient méme la justesse de ses propos (6). Parmi eux se trouvait sans doute Agamemnon, que son découragement portait à rendre justice aux adversaires des Grecs. Nous placerions volontiers ici un vers dans lequel Ulysse se serait indigné de l'attitude du roi d'Argos : « Quoi ! malheureux, tu vas te laisser convaincre par cet homme ! » (7).

La majorité, entratnée par le roi d'Ithaque, adressait à l'orateur invectives et menaces. Plus encore que ses arguments, c'était l’audace de ce misérable mendiant qui indignait les Grecs (8).

(1) Fr. 710 : «.......... τὸν δὲ Τήλεφον οὐχ οἰόμεσθα ; νοῦς ἄρ᾽ ὑμῖν οὐχ ἔνι.» Le sens de ce fragment peut se compléter d'aprés le passage d'Aristophane (Ach. 55556) et la citation d'Aristide (II, 19 Dind.). (2) Thesm. 517-18.

(3) Fr. 711 : «....... (4) Ach.

- παθόντες 557-565.

Elta δὴ θυμούμεθα οὐδὲν

μεῖζον

À δεδρακότες :»

(5) Fr. 715 : «Ob, τἄρ᾽ ᾿Οδυσσεύς ἐστιν αἰμύλος μόνος ' χρεία διδάσκει, x&v βραδύς τις f, σοφόν.» Pour l'expression du v. 2, cf. fr. 663 (Sthénébée). (6) Ach. 560-61. (7) Fr. 717 : «Τί δ᾽ ὦ τάλας ; où τῷδε πείθεσθαι μέλλεις ; » Ce vers est généralement placé, soit dans l'épisode flnal oü il serait dit par Achille (Pilling, Séchan, Brizi, Starkie), soit dans la querelle d'Ulysse et de Ménélas (Handley, Stoessl). (8) Ach. 558; cf. Enn., fr. 340 : « Palam muttire plebeio piaculum est », et infra, p. 239, n. 4.

236

EURIPIDE

ET

LES

LÉGENDES

DES

CHANTS

CYPRIENS

Seul et publiquement, il avait osé parler en faveur de l'ennemi mortel des Achéens (1)! « Il insulte notre cité toute entiére » (2),

s'exclamaient-ils. Téléphe avait beau invoquer la justice, le bon droit, dénoncer la mauvaise

foi de ses adversaires

: devait-il étre

puni pour avoir dit ce qu'il considérait comme juste (3) ? Seule la protection

d'Agamemnon

lui évitait un

chátiment

immédiat.

Ulysse se retirait, la menace à la bouche, tandis que Téléphe proclamait,

impavide

:

« Qu'aprés cela, ils complotent tant qu'ils veulent et qu'ils mettent tout en ceuvre contre moi : le bien et la justice seront mes alliés et on ne

me verra jamais en échec » (4).

Ainsi,

à la

fin de la scène,

mais il n'a pas été reconnu et Ulysse a des soupgons à son plupart hostiles, mais il reste des partisans et Agamemnon Sur l'épisode

suivant,

des menaces

pèsent

sur Télèphe,

il ne s'est pas dévoilé. Seul peut-étre égard. Les Grecs lui sont pour la libre de ses mouvements, il compte le protége.

celui de la reconnaissance,

les critiques

sont profondément divisés. Comment s'opérait-elle ? Avait-elle lieu devant les spectateurs ou dans les coulisses ? Quel en était l'auteur ?

La

fuite à l'autel du Mysien

portant

le petit Oreste

était-elle

représentée sur la scéne ou décrite par un messager ? La réponse

à cette derniére question commande dans une large mesure la restitution de tout l'épisode. Dans la premiére hypothése, la présence

de

Clytemnestre

portant

son

fils paraît

nécessaire

dés

le

début de la scéne de reconnaissance (5). Dans la seconde, seule est (1)

Thesm. 544-45.

(2) Fr. 712:

a"Aracav

ἡμῶν τὴν πόλιν xaxoppoOet. »

Ces mots peuvent étre dits par Ulysse (cf. Handley, p. 36, qui rapproche les paroles d'Agamemnon à Teucros dans Ajax 1226 sqq.). Cf. Enn., fr. 343 : « Et civitatem video Argivum incendere. »

(3) (4)

Thesm. 542-45 ; Ach. 562-63. Fr. inc. 918 (Ar., Ach. 659-662, et sc.) :

« Πρὸς ταῦθ᾽ ὅ τι χρὴ xal παλαμάσθων καὶ πᾶν ἐπ᾽ ἐμοὶ τεκταινέσθων τὸ γὰρ εὖ μετ᾿ ἐμοῦ

*

καὶ τὸ δίκαιον σύμμαχον ἔσται, χοὐ μή ποθ᾽ ἁλῶ κακὰ πράσσων.» Ces vers sont attribués au Téléphe par la plupart des critiques (Bergk, Brizi, Buchwald, Handley,

Stoessl),

mais,

compte

tenu

de leur rythme

anapestique,

on les place géné-

ralement dans la scéne de la querelle des Atrides, qu'ils soient prononcés par Ménélas (Handley,

p. 35)

ou

par

approuvé par Handley, (5)

Agamemnon

(Stoessl,

p. 40).

Dans

ce contexte,

propose de lire aux v. 1-2 : παλαμάσθω

Il est peu probable,

comme

le pensait

Wilamowitz,

Buchwald,

... τεχταινέσθω.

p. 69-70, que Téléphe

aille

saisir l'enfant à l'intérieur du palais (comme Dicéopolis va prendre le panier de charbon dans les Acharniens,

327 sqq.).

TÉLÈPHE

requise l'intervention

d’Agamemnon

237

et d'Ulysse

(ou de l'un des

deux). Contre

l'opinion commune,

a été proposée Webster.

par

E. W.

Elle ne nous

l'hypothése

Handley

d'un récit de messager

(1), sur une

suggestion

de

paratt pas à retenir pour les raisons sui-

vantes : elle fait bon marché de la mise en scéne parodique de cette situation, à la fois dans les Acharniens et dans les Thesmophories,

et des peintures de vases représentant Téléphe et Oreste sur l'autel. Aux difficultés alléguées pour la mise en œuvre dramatique de l'épisode, on objectera que l’Alexandros offrait une péripétie analogue et qui se déroulait certainement sous les yeux des spectateurs (2). Enfin, comment penser qu'Euripide aurait escamoté

l'effet dramatique d'un tel coup de théátre en se contentant de le faire raconter par un témoin ? Pour la méme

raison, nous ne

croyons pas non plus que la reconnaissance de Téléphe avait lieu derriére la scéne (3). Ceci dit, le déroulement exact de l'action est difficile à préciser. Welcker et Pilling (4) pensaient qu'aprés le second siasimon

Téléphe était de nouveau en scéne. Il exposait ses inquiétudes sur la réussite de son plan — en termes voilés, puisque le chœur n'était pas dans la confidence (5). Clytemnestre rejoignait alors son protégé et l'avertissait d'un danger qui le menagait (6). Les deux conjurés prenaient alors leurs dispositions : la reine tenait

dans ses bras le petit Oreste pour que Téléphe püt s'en saisir en cas de besoin. Il est certain que, dés le début de l'épisode, la situation du mendiant devenait précaire. D'aprés les T'hesmophories (7) et les

nouveaux fragments d'Oxyrhynchos, il semble qu'un personnage venait signaler au chœur la présence d'un espion troyen dans le camp et l'exhorter à se mettre à la recherche de l'ennemi

(1) O. c., p. 37. L'hypothése de Górschen (p. 14-15) est, elle, franchement absurde : Agamemnon, laissant dans le palais son flls aux mains de l'étranger armé, se précipilerait sur la scène pour raconter au chœur ce qui vient de se passer | Cette hypothèse

s'appuie sur une reconstitution du texte par la combinuison des fr. 11, 12, 13 et 29 du P. Ozy. 2460, tentative qui nous parait n'aboutir à rien de certain. (2) Cf. supra, Ch. IV, p. 130 sqq.

(3) Ains ique le suppose Brizi, p. 143. (4) Welcker, p. 484 ; Pilling, p. 57. (5) Ach. 443-44 indique nettement que Téléphe prononce devant le chœur des paroles à double sens destinées à le duper. Cela pourrait s'appliquer à cette scéne et à Ia suivante. (6) Lys. 709-713 contient des traits parodiques pouvant venir de cette scène

(Lys. 706 — Fr. 699). (7) Thesm. espion).

574

sqq.

(arrivée de Clisthenes) ; 598 sqq. et 655 sqq. (recherches d'un

238

EURIPIDE

ET LES

LÉGENDES

déguisé (1). Nous penserions

DES

CHANTS

CYPRIENS

à Agamemnon plutót qu'à Ulysse (2) : la

perspicacité de ce dernier a pu lui inspirer des soupçons à propos de cet étrange mendiant qui lui avait tenu téte dans l'épisode précédent,

soupçons dont il aurait fait part au roi d'Argos (3). Celui-ci décidait de soumettre le mendiant à un nouvel interrogatoire (4), en pré-

sence de Clytemnestre déjà en scéne ou revenue sur ces entrefaites. Ses soupcons apparaissaient dans les paroles qu'il adressait à la reine : « C'est un méchant

qui a fait de toi son protecteur » (5).

Nous ne savons pas exactement comment le faux mendiant était confondu : ou bien il essayait de se dérober à ces questions et son attitude le dénongait (6); ou bien ses paroles trahissaient son identité ; ou encore, comme l'avait supposé Wecklein (7), dans un sursaut de fierté Téléphe révélait lui-méme son nom. Quoi qu'il en soit, cette révélation provoquait des mouvements hostiles. Téléphe s'écriait en se tournant vers l'autel du dieu : «Ὁ

Phoïbos,

Apollon

Lycien,

que

me

réserves-tu

encore ἢ » (8).

Se voyant perdu (9), il mettait alors son projet à exécution. Laissant tomber sa robe pour libérer ses mouvements (10), il saisissait le petit Oreste et bondissait sur l'autel d'Apollon Lycien. Là, il tirait un couteau dont il dirigeait la pointe vers la gorge de

(1)

P.

Ozy.

2460,

Fr.1,

8

9

10

fr.

Quelques

mots

]. πόλιν μαστεύωμ|εν

seulement

vuu-uu- 7 ς ; τί δοκεῖ * πῶς

hane

11 Fr.14,1

1; 14.

sont

lisibles.

On

notera

Av

ἄρισίτον;

juxo[c]eoetv. χρή. Ἰ]μαστήρ. Sur le thème

de la recherche d'un espion, cf. Rhésos,

674 sqq. (2)

Le Fr. 1, 6 : ἡμᾶς

οἷς μέλει

τί

pourrait,

comme

le

signale

Handley,

p.

35,

appuyer cette hypothèse. (3) Plusieurs critiques (Weckler, Ribbeck, Vogel, Wecklein) estiment en effet avec raison qu'Ulysse devait jouer un róle important dans la reconnaissance de Téléphe. On pourrait même imaginer qu'il le démasquait lui-même et le laissait à la garde du chœur pour aller chercher Agamemnon (Thesm. 652-54). Mais il n'y a pas lieu de multiplier les scénes. On ne peut plus, comme le pensait Miller, p. 181-82, faire une place à Achille dans cette partie de la piéce. — Siles Fr. d'Accius 613-18 s'inspirent de la pièce, le Chœur exprimait des soupçons hors de la présence de Télèphe. (4) Cf. Thesm. 626 ; Ach. 110; Cav. 1232 (Cav. 1240 = Fr. 700).

(5) Fr. 721 : « Kaxóc τίς ἐστι προξένῳ

σοι χρώμενος.»

Le verbe προξενῶ se retrouve dans Thesm. 576. (6) Thesm. 610; 689. (7) O. c. (1879), p. 219, d'aprés Ach. 595 sqq.

(8) Fr. 700 : « Ὦ Φοῖδ᾽ "Απολλον Λύχιε, τί ποτέ μ' ἐργάσῃ ; » (cf. Thesm. 71). (9) Thesm. 609. (10) C'est ainsi qu'il

apparaît

sur

les

représentations

flgurées, vases

étrusques. Sous la robe, il dissimulait une arme, épée ou coutelas.

et

urnes

:

TÉLÈPHE l'enfant (1), qu'il danger (2).

menaçait

de

239

tuer

si

sa

propre

vie

était

en

Agamemnon, dans un premier mouvement de fureur, dégainait lui-méme son épée. Mais, à la vue de l'arme de Téléphe pointée sur son enfant, Clytemnestre se jetait entre les deux hommes pour éviter l'irréparable (3). Toutefois, ni les menaces du Chœur, stupéfait de l'audace de Téléphe (4), ni la colére d'Agamemnon, ni les supplications de la reine ne fléchissaient d'abord le roi de Mysie (5).

Il refusait, en jurant par Apollon, son protecteur, de rendre l'enfant (6). Il briserait l'arrogance du roi (7). Au reproche de vouloir se venger sur un innocent, il répondait : « Je hais l'exécrable

flls d'un homme

que j'exécre » (8).

Il rappelait que la vie de l'enfant était entre les mains de sa propre mére (9). C'était à elle de plaider sa cause. Nous lisons le premier vers de son adjuration : « Souveraine

de mes

actes et de mes

desseins... » (10).

(1) Pour le jeu de scéne, cf. Thesm. 689 sqq. ; Ach. 331 sqq., tations flgurées : vases : L. Séchan, p. 509-512 ; H. Metzger, p. Piling, p. 97-100, et surtout Schmidt, col. 306, qui distingue l'épisode; frise de Pergame : C. Robert, Arch. Jb., 2 (1887), facile de préciser comment Téléphe s'emparait de l'enfant : dans est arraché des bras de sa mère ; dans les Ach. 330,

et surtout les représen288 ; urnes étrusques : les divers moments de p. 245-46. Il n'est pas les Thesm. 691, l'enfant

Dicéopolis va chercher son otage

dans une autre pièce; Hygin, f. 101, dit qu'il enlève Oreste de son berceau. Enfin la frise de Pergame (inspirée d'Euripide, selon C. Robert) et les urnes étrusques figurent une nourrice ou une servante tendant les bras vers l'enfant. (2) Nauck considérait comme directement tirés de Télèphe les v. 693-95 des Thes-

mophories : &........

ἐνθάδ' ἐπὶ τῶν μηρίων

πληγὲν μαχαίρᾳ τῇδε φοινίας φλέδας καθαιματώσει βωμόν.» Cf. Ach. 326 ; 331 ; 335. (3) Clytemnestre ne manque que sur un petit nombre de documents, en particulier sur la frise de Pergame. (4) Dans ces parages devait se placer le Fr. 6 du Papyrus d'Oxyrhynchos: cf. v. 1:

πτωχὸς ὧν οὐ πτωχὸς...

Pour l'expression πτωχὸς &v, cf. Fr. 703; Ach. 558 ; 578 ; 593. (5) Cf. Thesm. 695-725 (et pour les traits de parodie dans ces vers, Miller, p. 183); Ach. 334 sqq. (6) Thesm. 748 (cf. aussi 269). (7) Thesm. 704.

(8) Fr. 727 (Paiz 528 et sc.) : «᾿Απέπτυσ᾽ ἐχθροῦ φωτὸς ἔχθιστον τέκος.» Sur ce fragment diversement interprété, cf. supra, p. 230, n. 4, et Séchan, p. 507, n. 4 et 514, n. 2. Nous suivons ici une suggestion de Haym, adoptée par Brizi, p. 137. (9) Thesm. 731-32.

(10) Fr. 699 (Ar., Lysist. 706) : «"Avyxcax πράγους τοῦδε καὶ βουλεύματος. » Si l'on devait y joindre, comme le proposait Valckenaer, le v. 707: « Τί μοι σκυθρωπὸς ἐξελήλυθας δόμων ; », il faudrait évidemment chercher sa place ailleurs (au début de l'épisode 1). Mais Nauck a écarté ce vers à juste titre. Il n'est même pas exclu, comme le signale Handley, p. 23, quele vers ait été détaché de son contexte et que chez Euripide, 11 faille lire: «" Avxaaa, πράγους...» (cf. ΤΟ ΑΝ, fr. 704). Sur le sens ἀ' ἄνασσα avec ici

la nuance d'instigatrice ou directrice, cf. Séchan, p. 508.

240

EURIPIDE

ET LES LÉGENDES

DES

CHANTS

CYPRIENS

Clytemnestre devait obtenir en définitive gain de cause, avec d'autant plus de facilité que, peu auparavant, Agamemnon s'était montré sensible aux arguments du faux mendiant. Il s'engageait solennellement, en présence de Clytemnestre, à s'entremettre auprés d'Achille afin d'obtenir que celui-ci guérit son ancien adversaire (1). Téléphe consentait alors à lâcher son épée (2),

à rendre l'enfant à sa mère et à quitter l'autel. Ainsi se terminait cette scéne dramatique. Après un siasimon, un probléme

restait encore à régler avant

l’arrivée attendue d'Achille : obtenir du roi mysien, en échange de sa guérison, qu'il acceptát de guider les Grecs jusqu'à la Troade (3). Le papyrus d'Oxyrhynchos nous livre des fragments d'une stichomythie qui doit appartenir à cette scéne. Téléphe objectait ses liens de parenté avec Priam (4). Son interlocuteur, sans doute Ulysse, associant la persuasion à la menace (5), obtenait finalement l'assentiment du roi. D'aprés certains critiques, la fin de la scéne serait donnée par un papyrus de Manchester où le premier éditeur voyait un morceau

du Rassemblement des Achéens de Sophocle (6). Le texte est si mutilé qu'il présente des difficultés d'interprétation inextricables. Nous nous bornerons à ce qui est à peu prés sür : le personnage (1)

Cf. Hyg., f. 101 : «facile cum

eo in gratiam redierunt ». C'est à cet engagement

que nous rattachons, avec Pilling et Brizi, le fr. 345-46 d'Ennius : « Te ipsum hoc oportet profiteri et proloqui advorsum illam mihi. » (2) Ach. 342.

(3) Cf. P. Ozy. 2460, fr. 9, 3, où l'on doit sans doute lire : χρησμ[ός (allusion à l'oracle rendu aux Grecs). Dans les vers suivants, il est sürement question de la blessure de Téléphe :

v. 5 : x |oXóv

v. 6: π͵ότερά σ᾽ ἔτρωσαν [ L'oracle apparaitrait

aussi dans le P. Orgy. 2455,

fr. 12

(Hypothésis

de Téléphe?).

On lit :

1. 157 : &]ri «[6]v χρησμὸν l. 158 : ἀπέσ]τειλεν * μαθὼν δ[ὲ] τοὺΪς 1. 160 : ἡγ)]εμόνα δεῖ ποιῆσ[αι κ]αὶ... (4) Fr.

Téléphe

10,

1-2 : «—

m οὖν σ᾽ ἀπείργει Τὸ μὴ προδοῦναι ...»

« — Qui t'empéche alors (de nous guider 7) — (Le désir) de ne pas trahir (ma parenté). » était le beau-frére de Priam par sa femme Astyoché, la mére d'Eurypyle.

(5) Fr. 10, v. 6 οὐ on lit : Ἰκλαίω[ν] πλανήσει |. Dans les restes de la stichomythie, on lit les noms d'Ulysse et d'Agamemnon, mais mutilés, de sorte qu'il n'est pas sür que l'un ou l'autre soit au vocatif. Le nom d'Ulysse flgure aussi dans le Fr. 25, 3. (6)

Pap.

Ryland,

the Greek and Latin

III,

482.

Papyri...

Sur

ce

papyrus

III (1938),

édité

par

C.

H.

Roberts,

91 et Pl. IV, voir aussi Page,

Catalogue

GLP,

of

n° 21;

T. B. L. Webster, Ryland's Bull., 22 (1938), p. 543 ; B. Snell, Gnom., 15 (1939), p. 538; Körte, Archiv,

14 (1941), p. 116-117 ; Handley,

p. 20-22 et 38.

TÉLÈPHE

241

qui parle (Ulysse ?) invite Télèphe à se rendre auprès des navires pour tenir le rôle de conseiller de la flotte grecque (1), lui rappelant que, comme citoyen, il n'est plus sous le coup du « décret » (qui

interdisait l'accés du camp aux étrangers ?) (2). Aprés une réplique de deux ou trois vers de Téléphe, le choeur, sur un rythme anapestique, enjoignait à une escorte d' accompagner l'étranger «qui devait commander un navire » (3). L'attribution, à notre avis, reste incertaine. En sa faveur, on peut noter que le róle de guide de Téléphe sera évoqué dans les vers du slasimon suivant conservés par le papyrus de Berlin. Mais les indices stylistiques orientent beaucoup moins que pour ce dernier du cóté d'Euripide (4). Il n'est pas évident que le « décret » appartienne au contexte de notre piéce. Surtout, le départ du héros mysien pour le port rend difficile son retour dans l'épisode

suivant, où il semble bien qu'il plaidait lui-même sa cause devant Achille (5). Nous

sommes

sur

un

terrain

plus

sür

avec

le fragment

de

Berlin (6) qui contient la fin du siasimon et le début du dernier épisode.

Voici d'abord

a... les rafales rivages troyens.

du

le chant choral :

Notos

ou

Et toi, installé au gouvernail, le passage

en

droite

ligne

vers

du

Zéphyre

nous

pousseront

jusqu'aux

tu montreras à l'Atride placé à la proue Ilion.

Car c'est le pays de Tégée — la Grèce et non la Mysie —

qui t'a donné

le jour pour naviguer avec nous, par une faveur divine, et guider nos rames sur la mer »

(7).

(1) P. Ryl., 4 : mi

να[ζυταῖ ς καὶ χ[υ]δερνη[ταῖς τάδε

(2) Id., 10-11 :

μὲν [σύ uBovXo|s] ἐλθὲ τῷ [στόλῳ ἀστὸς γὰρ] ὡς

εἴσ᾽, ὃν τὸ] κηρύκειον o[0] δάκνει πλέον. : σ]ὺν ohne τ[ῷ] μὲν ξείνῳ

(3) Id., 16-18

συμπλε]ῖν πομποὺ[ς] παρατασσέσθω να]υαρχός τις Fahne ἔσται. (4) Cf. Handley, p. 22. (5) Le point du probléme est trés objectivement donné par Handley, p. 38. Celui-ci, qui penche pour l'attribution à Euripide, suggère qu'il y avait encore un sfasimon aprés la scène Achille-Ulysse. Mais, comme il nous paraît difficile que la pièce se soit terminée avec l'acceptation du Péléide, elle serait alors étirée à l'excés.

(6) P. Berlin 9908. Sur ce morceau, attribué jusqu'à Handley au Rassemblement des Achéens de Sophocle, voir en particulier Wilamowitz, B. K. T., V, 2 (1906), p. 6472 ; Pearson, Fr. 142 ; Page, GLP, n° 3, p. 12-15 ; Handley-Rea, p. 11-14 et 38. Les Fr. 18, 19 et 20 du Papyrus d'Oryrhynchos comportent quelques lettres de la plupart

de ces vers (5 à 6 lettres en moyenne), assez tout au moins pour prouver leur appartenance

au

drame

d'Euripide.

(7) P. Berlin, col. II, 1-10 (les restes de la col. I, portant les vers précédents, sont insigniflants),

et P. Ozy., fr. 18-19

:

an νότ[ου À] ζεφύρ[ο]ιο δίνα πέμψει ΤΊ]ρῳάδας dx τάς. ἘΡῚ

242

EURIPIDE

Ulysse,

ET LES

LÉGENDES

DES

CHANTS

qui était resté présent pendant

CYPRIENS

le slasimon,

accueillait

alors Achille : « ACHILLE — Arriverais-tu tout juste, toi aussi, de ta patrie que baigne la mer? Où est l'assemblée de nos amis ? Que tardez-vous ? Vous ne devez pas rester immobiles, inactifs| ULysse — La décision est prise de Tu es venu bien à propos, fils de Pélée.

partir et les chefs

s'en occupent.

ACHILLE — Pourtant il n'y a sur le rivage ni équipe de rameurs ni revue de troupes. ULysse —

Il y en aura à l'instant. Car il faut se hâter à point.

ACHILLE — Toujours vous étes nonchalants, toujours à tarder. Chacun reste là à faire mille harangues et le travail n'avance nulle part. Pour moi, vous le voyez, je suis arrivé, prét à agir, avec l'armée des Myrmidons et je vais mettre à la voile sans m'occuper des Atrides et de leurs retards » (1).

Les quelques traces des vers suivants dans le papyrus prouvent au moins qu'une stichomythie s'engageait entre Achille et Ulysse. Ce dernier devait exposer au Péléide les dispositions prises par Agamemnon et tenter de le persuader de guérir Téléphe et de Σύ τε π[ηδ]αλίῳ παρεδρεύ[ων

5

φράσε[ις τῷ] κατὰ πρῷρα[ν

εὐθὺς ᾿Ι[λίο]υ πόρον ᾿Ατρει[δᾶν ἰ]δέσθαι.

Σὲ γὰρ Τε[γ]εᾶτις ἡμῖν, 10

Ἕλλας οὐ[χ]ὶ Μυσία, τίκτει ναύταν σύν τινι δὴ θεῶν καὶ πεμπτῇρ᾽ ἁλίων ἐρετμῶν. »

1 δεινα II corr. Murray. 9 Cf. Enn., fr. 344 : « Deumque de consilio credo hoc itiner conatum modo. » Il y a sans doute là une allusion à l'oracle dont il était parlé dans la scène précédente, (1) P. Berlin, 11-24 et P. Ozy., fr. 19-20 :

€ «AX.» — Μῶν xal σὺ καινὸς ποντίας ἀπὸ χθονὸς ἥχεις, ᾿Οδυσσεῦ ; Ποῦ στι σύλλογος φίλων ;

Τί μέλλετ᾽ ; οὐ χρῆν ἥσυχον κεῖσθαι πί ό]δα. «OA.»

-- Δοκεῖ στρατεύειν καὶ μέλει τοῖς ἐν τέλει dd * ἐν δέοντι δ᾽ ἦλθες, ὦ παῖ Πηλέως.

«AX.»



— ’AM

«AX.»



15

20

Οὐ μὴν ἐπ᾽ ἀκταῖς γ᾽ ἐστὶ κωπήρης οὔτ᾽ οὖν ὁπλίτης ἐξετάζεται παρών.

στρατός,

αὐτίκα * σπεύδειν γὰρ ἐν καιρῷ χρεών.

Alel πότ᾽ ἐστε νωχελεῖς καὶ μέλλετε, ῥήσεις θ᾽ ἕκαστος μυρίας καθήμενος

λέγει, τὸ δ᾽ ἔργον [οὐ]δαμοῦ πορεύεται. Κ[ἀγ]ὼ μέν, ὡς ὁρᾶ[ τΊ]ε, δρᾶν ἕτοιμος ὧν ἥκω, στρατός τε Μ[υρ͵)μιδών, καὶ πλεύσ[ζομαι

Ἶων ᾿Ατρειδαί

Ἰμελλήμ[ατα. »

21 περαίν[εται P. Ozy. 2460, fr. 20, 4. 24 τὰ τῶν ᾿Ατρειδᾶν οὐ μένων μελλήματα Page cl. ZA 818.| On comparera, thème

des v. 22-24,

IA

812-818.

pour le

TÉLÈPHE

l’accepter comme

243

guide des Achéens.

L'entreprise était difficile

et digne d'Ulysse : l'engagement pris par Agamemnon

ne liait pas

pour autant l'ombrageux chef des Myrmidons. Téléphe avait blessé son ami Patrocle avant d'étre lui-méme atteint par la fameuse lance (1), et l'on connatt le caractére rancunier du héros. Il apparatt qu'Ulysse ne parvenait pas à triompher de la résistance d'Achille et que Téléphe devait plaider sa cause lui-méme devant son ennemi (2). Le nom de Téléphe provoquait la colére du Péléide (3). Il s'écriait : « Qu'il périsse

de male

mort!

Ce sera un bonheur

pour

la Grèce » (4).

Ulysse essayait de le raisonner : «Le

moment

est venu

pour

toi où la raison

doit l'emporter

sur la

colére » (5).

Au

plaidoyer de Téléphe appartenaient ces quatre vers :

« Pour toi, céde à la nécessité et ne va pas combattre les dieux. Aie le courage de me regarder en face et reláche ton orgueil. Vois-tu, souvent la divinité abaisse les plus grandes fortunes pour les rétablir ensuite » (6). (1) Voir l'intérieur de la coupe de Sosias du Musée de Berlin (fln du vie s.) ; Furtwängler-Reichold, Pl. 123; G. Nicole, La Peinture des vases grecs, Pl. XVIII. X (2) II ne semble pas qu'Agamemnon ait joué un rôle dans cette réconciliation, comme le pensaient Pilling, p. 59, et Séchan, p. 567, n. 2, non plus que Calchas, qui, chez Apollodore (Ep. III, 20), confirme l'interprétation de l'oracle concernant le guide

des Achéens. La présence de Calchas est douteuse pour Brizi, i. c., et Handley, p. 39. Ce dernier semble pencher pour deux scénes successives à deux personnages. Nous croyons plutót qu'Ulysse assistait en tiers à la scéne entre Achille et Téléphe. (3) Un fragment d'Accius semble prouver que le Péléide mettait en doute la valeur de l'oracle : Acc. 624 : « Pro certo arbitrabor sortis oracla adytus augura ? » Comparer l'attitude sceptique d'Achille, ZA 956-58.

(4) Fr. 720: « Κακῶς ὅλοιτ᾽ ἄν ^ ἄξιον γὰρ ᾿Εἰλλάϑδι.» [ὅλοιτ᾽ ἄν est la leçon des mss, reprise par Buchwald : ὁλοίατ' Nauck ; ὅλοιτ᾽ οὖν Jahn). Cf.

Enn.

342.

Rostagni,

p.

136,

pensait

que

ce souhait émanait

de Téléphe et visait

Hélène. Handley, p. 34, le met dans la bouche de Ménélas, maudissant Páris ou Télèphe.

(5) Fr. 718: Le

vers

«Ὥρα

pourrait

σε θυμοῦ κρείσσονα γνώμην ἔχειν.»

encore

étre

dit

par

Téléphe

dans

la

scéne

Accius 623 : « Proinde istaec tua aufer terricula atque animum

(6) Fr. 716:

α Σὺ 5 τόλμα χάλα. ταπείν᾽

«... Nam et 621-622

:

« Nam

Cf.

aussi »

εἶχ᾽ ἀνάγκῃ xal θεοῖσι μὴ μάχου * δὲ προσθλέπειν με xal φρονήματος Τά τοι μέγιστα πολλάχις θεὸς ἔθηκε καὶ συνέστειλεν πάλιν.»

Le P. Ory 2460, fr. 32, contient fragmenta d'Accius 619-620 : eripere

suivante.

iratum conprime.

quelques lettres centrales des v. 2-4. A cause des

si a me regnum

Fortuna

quivit, at virtutem

hujus demum

atque opes

nec quivit »,

miseret, cujus nobilitas miserias

nobilitat », on a proposé de rattacher

« ἮἯ

aussi à ce passage le fr. inc.

1066 (sc. Ach.

τοῖς ἐν οἴκῳ χρήμασιν λελείμμεθα,

$ 9 εὐγένεια καὶ τὸ γενναῖον μένει.»

472)

:

244

Un

EURIPIDE

autre

obéir aux « Eh

point

ET LES LÉGENDES

irritait l'orgueil

DES

CHANTS

d'Achille

CYPRIENS

: l'armée

devait-elle

ordres d'un Asiatique?

quoi,

nous,

des

Grecs,

nous

faire esclaves

des

Barbares ! » (1).

Mais — suprême argument — Télèphe rappelait qu'il n'était Mysien que d'adoption et qu'il était le fils d'Héraclés et de l'Arcadienne Augé. Par ses priéres et ses promesses (2) jointes aux exhortations d'Ulysse, il finissait par fléchir Achille. Cependant, celui-ci objectait encore qu'il ignorait la médecine (3). Il appartenait à Ulysse d'indiquer le véritable sens de l'oracle : ce n'était

pas le Péléide qui était la cause de la blessure, mais sa lance. C'était elle qui guérirait Téléphe. Il est peu probable que la guérison füt représentée sur la scéne. Elle était plutôt racontée par un Messager (4), soit au Chœur,

soit encore à Agamemnon. Un vers nous a conservé le trait principal de cette cure miraculeuse. Le mal de Téléphe, disait le Messager, «est apaisé par la poudre détachée de la lance » (5).

Il est possible enfin que Téléphe ainsi guéri soit venu dire sa joie et se mettre à la disposition d'Agamemnon pour guider l'armée grecque jusqu'aux cótes de Troade (6). (1) Fr. 719:

«“Ἑλληνες ὄντες βαρδάροις δουλεύσομεν : »

Comparer fr. 696, 1-4; 1A 1400. (2) Cf. Apd., Ep., III, 20; Hyg., f. 101 171 ; Plut., de inim. util., 6 ; Anth. Lat., 184, ne s'engage à guider les Grecs qu'aprés sa (3) Handley, p. 39, pense que le fr. 13 cette partie de la piéce. On lirait:

; Hor., Epodes, XVII, 8; Ov., Mét., XIII, 9 R. Chez Hygin et Dictys (II, 10), Téléphe guérison. du Papyrus d’Ozyrhynchos se situait dans

v. 2: τ]έχνη γε ul

v. 4 : ob]x ἀξιώσω v. 5: ] φίλτατ᾽ὦ v. 6 : στ]είχοντι νῦν

v. 7 : ἰδ]οῦ πορεύο[μαι (4) Wilamowitz, p. 70. (5) Fr. 724 : « Πριστοῖσι λόγχης θέλγεται ῥινήμασιν.» Sur ce mode de guérison, cf. Apd., Hyg., il. cc.; Prop., II, 1, 63; Ov., Pont., II, 2, 26 ; Mél., XII, 112; RA, 47-48 ; Plin., X XV, 42; XXXIV, 152 ; Anth. Lal., 184, 10. S'agissait-il de la rouille (explicitement mentionnée par Apollodore et Pline) ou de limaille de bronze, comme en utilisaient les médecins (Hippocrate, Ggnaec., I, 78, VIII, p. 186 Littré) ? Le vers d'Euripide plaiderait pour la seconde interprétation (cf. cependant

infra, p. 252 et n. 5). Représentations

figurées : tableau de Parrhasios,

sans doute inspiré d'Euripide (Plin., XXXV, 71 : Téléphe, Achille, Agamemnon, Ulysse) ; frise de Pergame (Téléphe, Achille, Agamemnon, Ulysse, Dioméde, Nestor, Patrocle) ; un beau miroir étrusque inspiré d'un modéle grec (Pilling, p. 102 : Téléphe, Achille,

Agamemnon).

(6) Apd., Hyg., Il. cc., sc. A Gen. Il. A 59. Le court fr. 725 (Aoyatov olrov) ne peut être localisé. Quant aux fr. inc. 882, 885, 888 et 915, attribués à notre drame par l'un ou l'autre critique, ils ne semblent pas y avoir leur place.

TELEPHE

245

Autant qu'il nous est possible de l’affirmer, Téléphe n'apparaît

pas dans les poèmes les plus anciens du cycle troyen. L’Iliade lignore (1). En revanche, les exploits de son fils Eurypyle aux côtés des Troyens et sa mort de la main de Néoptoléme formaient un épisode de la Pelile Iliade (2). A propos de son entrée dans la

guerre, le poéte disait comment Priam avait dû vaincre les résistances d'Astyoché, mére du héros, par le don d'une grappe d'or (3).

Ce détail prouve que Téléphe était déjà mort à cette date. Il prouve peut-étre encore que Téléphe s'était engagé vis-à-vis des Grecs à ne pas secourir son beau-frére Priam (4). Mais cela ne suppose pas nécessairement, comme le pensait Bethe (5), la présence dans la Petite Iliade du motif de la blessure et de la guérison de Téléphe

par Achille. Stasinos, méme s'il a utilisé un conte local, l'a remodelé afin de méler le héros à la guerre de Troie depuis le débarquement des Grecs en Mysie jusqu'à leur arrivée en vue d'Ilion. Sa présence contribue

à l’enchainement

logique

des faits : débarquement

en

Mysie, blessure de Téléphe, retraite des Grecs, tempéte qui cause leur dispersion et leur désarroi, nouveau rassemblement (6), guérison de Téléphe qui est choisi comme guide de la flotte vers la Troade, abstention ultérieure dans la guerre du roi de Mysie et des siens, malgré leurs liens de parenté avec Priam. De plus, le duel de Téléphe et d'Achille préfigure celui qui mettra aux prises leurs fils, Eurypyle et Néoptoléme. Mais nous ignorons si l'épopée mentionnait ses origines grecques (1) Il est bien douteux, comme le pense Kullmann (p. 141 ; 265-67), que l'auteur de l'Jliade ait connu la légende de Téléphe (cf. A. Severyns, AC, 30 (1961), p. 543). (2) Procl., 1. 219-220 Sev., et P. I., fr. VII. La Nekyia de l'Odyssée (X 519-521) mentionne Téléphe comme le pére d'Eurypyle tué devant Troie. Cet épisode formait le sujet de l'Eurgpyle de Sophocle, dont un papyrus (P. Ozy. 1175) donne de nombreux vers, malheureusement trés mutilés. Sur ce drame, cf. Pearson, I, p. 146-49 et fr. 206222 ; Page, GLP, n° 4, p. 16-21 ; Brizi, Aeg., 8 (1927), p. 29 sqq. ; S. Srebrny, Studia scaenica (1960), p. 28-38. (3) P. I., fr. VI ; cf. Severyns, CE, p. 342-47. Acousilas (fr. 40 Jac.) racontait aussi cette histoire, apparemment d'après la Pelile Iliade. (4)

Cf. sc. Il. A Gen

en A 59. Chez

Dictys

(II, 5), Téléphe

invoque

ses

liens de

parenté avec Priam pour ne pas prendre les armes contre lui. (5) P. 238-240. Bethe croyait à l'existence d'une « petite épopée » qui aurait placé toute l'histoire en (6) Bethe, ibid., transporté à Argos Cependant, toutes

Teuthranie. estime que la guérison avait lieu à Aulis et que l'épisode a été par les tragiques quand ils y ont fait intervenir le petit Oreste. nos sources, à commencer par Proclos, ne mentionnent qu'Argos

comme lieu de cet épisode (cf. Severyns, CE, p. 294). Un rassemblement, au moins partiel, à Argos, considérée par Stasinos comme la capitale d'Agamemnon, a pu précéder la concentration

à Aulis.

246

EURIPIDE

et les circonstances

ET

LES

LÉGENDES

de son

arrivée

DES

plus

référence à sa généalogie traditionnelle apparatt appartenant sans doute au Calalogue hésiodique ment chez Hécatée qu'on trouve racontées dramatiques de sa naissance en Arcadie et de

dans (1), les son

un fragment et c'est seulecirconstances adoption par

Teuthras (2). Au contraire,

existence

épisodes

Mysie.

CYPRIENS

La

les différents

en

CHANTS

de son

ancienne

mouve-

mentée ont souvent inspiré les auteurs tragiques d'Athénes : sa naissance en Arcadie et son exposition dans l'Augé (3) d'Euripide et

peut-être

dans

un

drame

satyrique

de

Sophocle

intitulé

Téléphe (4), les conditions de son départ de Gréce et de son installation en Mysie dans les Mysiens (5) d'Eschyle, les Aléades (6) et les Mysiens (7) de Sophocle, enfin sa guérison par Achille dans

les deux Téléphe d'Eschyle (8) et d'Euripide et le Rassemblement des Achéens de Sophocle (9). Mysiens et Téléphe d'Eschyle formaient trés probablement, avec une troisiéme piéce non identifiée (10), une trilogie. Les piéces de Sophocle paraissent de leur cóté avoir été groupées dans une tétralogie. Cette Téléphie, dont l'existence a été confirmée par une inscription d'Aixoné (11), comprenait, avec les Aléades, les Mysiens et le Rassemblement des Achéens (12), un drame satyrique, Télèphe, qui devait raconter la naissance du héros (13). La Téléphie n'était pas placée trés loin dans le temps (1) P. Ozy. 1359, Fr. I, 5-13 (Hés., fr. 80 Trav. — M 1 Merk.). C. Robert, p. 11391140, attribuait ces vers à une Atlantias épique. Sur leur contenu, cf. infra, p. 247. Quelques vers plus loin, il est fait allusion à la lutte de Téléphe contre les Grecs. (2) Fr. 29 Jac. — Paus., VIII, 4, 8-9, et commentaire (Ia, p. 326-27) ; cf.

infra,

p. 247. (3) Fr. 265-281, 264a et 265a Sn. (4)

Cf. infra, n.

(5) (6) (7) (8) (9)

Fr. Fr. Fr. Fr. Fr.

13.

411-416 M. 77-91 P. 409-418 P. 405-410 M. 142-148 P. (dont il faut maintenant retrancher le fr. 142 qui est le Papyrus

de Berlin du Téléphe d'Euripide). Pour le Papyrus Ryland, cf. infra, p. 250. (10) Mette, p. 259, propose Iphigénie; Zielinski, Tragod., p. 250 sqq., M ysiens, Iphigénie et Palaméde.

associait

(11) Sur l'inscription d'Aixoné (Halae Aixonidés) et sur la Téléphie en général, cf. Pickard-Cambridge, dans J. U. Powell, New Chaplers..., III (1933), p. 76-82; M. Fromhold-Treu, H., 69 (1934), p. 324-338 ; P. Mazon, Mél. Navarre (1935), p. 303 ; A. Szantyr, Ph., 93 (1938), p. 280-324 ; Schmid-Stählin, VII, I, 2, p. 424-25 ; S. Srebrny, 0. C., passim.

(12)

L'hypothése d'A. Szantyr pour lequel la Téléphie était une

trilogie

purement

arcadienne composée d'Augé (?), des Aléades et des Afysiens est d'autant moins satisfaisante qu'elle repose sur un postulat invraisemblable : la tragédie attique n'aurait jamais établi de lien entre la première partie de l'existence de. Téléphe et sa blessure par Achille (p. 297-303). (13) C'est l'inscription d'Aixoné qui donne cette piéce comme un drame satyrique, mais on en possède en tout et pour tout un mot (fr. 580 P.). Sur son sujet, cf. Pearson, II, p. 220 ; Srebny, o. c., p. 10-11 ; 39-40.

TÉLÉPHE

247

du Télèphe d' Euripide (1), et il y a quelques raisons de penser qu'elle

était de peu postérieure à ce drame. Quoi qu'il en soit, Euripide pouvait donc passer rapidement dans le prologue de sa piéce sur la jeunesse de Téléphe, dont les aventures étaient bien connues de son public. Cependant, si rapide que füt son exposé, le poéte devait choisir entre les diverses ver-

sions qui circulaient. D'où vient celle qu'il adopte ici ? Ce n'est pas celle du papyrus épique, car d'aprés celui-ci Augé,

fille adoptive de Teuthras,

était élevée à la cour de Laomédon

et c'était là qu'Héraclés s'éprenait de la jeune fille et lui donnait

un fils. On doit écarter de méme le récit d'Hécatée où la mère et l'enfant étaient jetés ensemble à la mer par Aléos dans un coffre, qui, par la protection d'Athéna, dérivait heureusement jusqu'à

l'embouchure du Caique. Le roi du pays, Teuthras, épousait Augé et adoptait Téléphe (2). En revanche, dans les versions tragiques qui sont à l'origine de la vulgate mythographique, non seulement la naissance de

Téléphe avait lieu en Arcadie, mais la mére aussitót séparés.

et l'enfant étaient

Il existe cependant deux variantes principales :

dans l'une, Augé, enceinte de Téléphe, avait été livrée par son pére à Nauplios pour étre mise à mort. Elle avait accouché en chemin sur le Parthénion et abandonné là le nouveau-né, avant

d'étre vendue

au loin par le roi de Nauplie, qui conciliait ainsi

ses intéréts et sa pitié (3) ; dans l'autre, Augé accouchait à Tégée méme (4). Le roi Aléos exposait l'enfant dans la montagne et se

préparait

à mettre

à mort L1

sa fille. Mais

Héraclés,

aprés

avoir

retrouvé et reconnu son fils, arrivait à temps pour sauver la jeune femme.

La seconde version est celle de l'Augé d'Euripide (5). La premiére

(1) P. Mazon, I. c., pense qu'elle est postérieure d'au Fromhold-Treu, o. c., p. 324; 337-38, apporte d'autres riorité d'Euripide.

Cependant,

L. Séchan

moins six ans au Télèphe. raisons d'admettre l'anté-

et D. L. Page estimaient que le Rassemble-

ment était antérieur au Téléphe. En revanche, l'Augé d'Euripide a été représentée après 415.

Zielinskl

(o. c., p. 239)

et aprés lui Goossens,

p. 596, la situent

vers 411-410.

(2) Cf. aussi Str., XIII, 1, 69; St. Byz., 8. v. TeuOpavía ; sc. Pd., OL, . C'est évidemment une réplique de la légende de Danaé. (3)

IX,

108a.

DS., IV, 33, 7; 11. Avec quelques variantes, Alcid., Ul., 13-16 (Nauplios envoya

ensemble Augé et Téléphe chez Teuthras) ; Hyg., f. 99 (Augé s'enfuit d'elle-même en Mysie). : (4) Dans le temple d'Athéna dont elle était la prétresse : Apd., II, 7, 4; III, 9, 1;

Paus.,

VIII,

48,

7 (qui

introduisent

cependant

Nauplios

dans

la légende).

(5) On admet en général que l'argument du drame est donné par Moses Chorenensis, Progymn., 111, 3. Héraclés reconnaissait son fils grâce à un anneau d'or qu'il avait donné à Auge. Sur cette pièce, cf. C. Robert, p. 1142 ; L. Séchan, p. 512 ; Bates,

C. Brizi, p. 117-118.

p. 227-230 ;

248

EURIPIDE

ET LES

LÉGENDES

DES

CHANTS

CYPRIENS

est celle qui semble suivie dans le prologue de Télèphe, n'est pas possible de dire si elle remonte à Sophocle, à ou à une épopée (1). Téléphe avait donc été exposé, miraculeusement nourri biche et élevé par des bergers. Plus tard il était reconnu

mais il Eschyle par une par son

grand-pére Aléos (sujet des Aléades), mais, pour expier le meurtre de ses oncles, il se rendait en Mysie (sujet des Mysiens d'Eschyle

et de Sophocle). Tout cela est résumé en trois mots dans le prologue de Téléphe : « J'ai bien souffert ». La rencontre du héros et de sa mére

et

son

adoption

par

Teuthras,

reflétent

les

traditions

courantes (2). Le seul trait d'originalité est le jeu de mots étymologique sur le nom de Téléphe (3). La campagne de Mysie était évoquée dans le dialogue, et sans doute aussi dans les parties lyriques. Malheureusement, rien ne permet de dire dans quelle mesure le poète utilisait le récit des Chanis

Cypriens (4).

Comment Stasinos traitait-il l'épisode qui forme le sujet propre du Téléphe d'Euripide ? Proclos le résume en deux phrases : « Ensuite

Téléphe,

sur

l'avis

d'un

oracle,

se rend

en

Argolide.

Il est guéri par Achille pour qu'il guide la flotte jusqu'à Troie » (5). Ces

renseignements

complétés,

un

peu

courts

en particulier gráce

(1) Wernicke, RE

peuvent

à un vase

Il, 2 (1896), s. v. Auge,

heureusement

attique

étre

antérieur au

col. 2300, estime qu'Euripide suit ici

la version d'Hécatée (ce qui est faux, nous l'avons vu) et que celle-ci venait de l'épopée,

Kypria

ou

Petile

Iliade.

Pour

prouver

l'ancienneté

de la légende,

il s'appuie

sur

l'existence à Tégée d'un sanctuaire d'Athéna Ilithye « ἐν γόνασιν » situé à l'endroit oü Augé avait donné naissance à Téléphe (Paus., VIII, 48, 7). La mention d'Ilithye chez Euripide (v. 7) n'est sûrement pas fortuite, mais rien ne prouve que la légende cultuelle ait été utilisée dans l'épopée. — Le même critique pense (col. 2301) que les Aléades de Sophocle reproduisaient la version de Nauplios ; de même

Brizi, p. 104-

105. Fromhold-Treu, o. c., p. 104-105, penche pour l'autre version ; la notice de Pearson à cette piéce (I, p. 46-48) est trés confuse.

En fait, il n'y a rien d'assuré sur ce point.

(2) G. Goossens, Chr. d'Eg., 1936, p. 513, pense que son adoption fut la conséquence de ses exploits à la tóte des Mysiens, comme chez Mais on trouve chez ce dernier une forme trés différente de la légende, sans doute aux Mysiens de Sophocle. (3) Sur l'étymologie traditionnelle « ἀπὸ τῆς τρεφούσης ἐλάφου », cf. 7; 11; Apd., II, 7, 4; III, 9, 1, et C. Robert, p. 1141, n. 5. (4)

par Teuthras Hyg., f. 100. qui se réfère DS., IV, 33,

Rappelons ici les principaux épisodes attestés dans l'épopée : sac de Teuthrania

par les Grecs, arrivée de Téléphe, qui repousse avec ses troupes les envahisseurs jusqu'à la mer. Téléphe tue Thersandre, fils de Polynice, et blesse Patrocle, qui, seul avec Achille, avait tenu bon contre lui. Achille repousse finalement Téléphe qui, dans sa

fuite, se prend le pied dans un sarment de vigne et tombe — victime du ressentiment de Dionysos. Achille le blesse d'un coup de lance à la cuisse. Puis les Grecs, ayant reconnu

leur erreur, se rembarquent (cf. sc. ἃ Gen en A 59; Apd., Ep., III, 17-18). Sur tout cet épisode, cf. C. Robert, p. 1148-1152, et Severyns, CE, p. 291-95. Le róle de Téléphe dans la guerre de Mysie est évoqué plusieurs fois par Pindare (Js., V, 41-42; VIII, 50; Ol., IX, 70-75 ; X, 19 (1)). (5)

Procl., 1. 132-34

Sev.

TÉLÈPHE

249

Télèphe d'Eschyle (1). Lorsque le héros pénétrait dans le palais d'Agamemnon,

Achille,

encore

irrité contre

lui, menacait

de

le

tuer. Il se réfugiait sur l'autel domestique. Patrocle et Nestor intervenaient et fléchissaient Achille qui guérissait Téléphe, sans doute de la méme façon qu'il avait guéri Patrocle en Mysie, c'est-àdire grâce à la connaissance des simples qu'il avait acquise auprès de Chiron

(2). En contrepartie,

le Mysien

promettait

de conduire

les Grecs en Troade (3) et de ne pas assister Priam (4). L'action du Téléphe d'Eschyle est mal connue, excepté toutefois un point important : d'accord avec Clytemnestre, Téléphe saisissait le petit Oreste avant de se réfugier au foyer du palais (5). Cette attitude rendait plus émouvante la supplication qu'il adressait alors à Agamemnon. Faut-il en conclure que le chef des Achéens se montrait plus hostile à Téléphe qu'Achille lui-méme ? Clytemnestre était-elle mue par la seule pitié ou espérait-elle trouver en la personne du roi de Mysie un négociateur entre Grecs et Troyens (6) ? On ne peut rien affirmer à ce sujet. Ce qui est sür, c'est que les sentiments des protagonistes étaient élevés. Téléphe, en particulier, gardait -une grande dignité malgré sa blessure et sa déchéance et n'atteignait son but que par les procédés les plus honorables (7). Presque tout moyen de reconstituer l'intrigue du Rassemblemenl des Achéens de Sophocle manque depuis l'attribution certaine du Papyrus de Berlin (et l'attribution possible du Papyrus Ryland) au Téléphe d'Euripide (8). Des fragments restants, on peut juste (1) Coupe de Hiéron, du début du v* $., conservée à Boston; cf. Polack, Zwei Vasen ... Hierons, 1900, Pl. I (Pfuhl, Malerei..., f. 447) ; C. Robert, p. 1152-53 ; Séchan, p. 121, n. 6 ; Schwenn, col. 366. Pour les textes littéraires : Apd., Ep. III, 19-20 (avec quelques détails empruntés à d'autres sources) ; sc. A Gen. en A 59. (2) Cf. Ov., Am., II, 9, 8; sc. Dém., Cour., 72. Dictys, II, 10 associe pour cette cure Machaon

et Podalire à Achille.

Le motif de la lance, rejeté par C. Robert,

I. c.,

est cependant conservé par A. Severyns (CE, p. 295). Malgré son caractére folklorique, nous pensons qu'il a été introduit dans la légende par Euripide (cf. infra, p. 252). (3) Calchas intervenait-il pour confirmer par son témoignage inspiré le choix de Téléphe comme guide ? C. Robert le nie. Cependant, sur la coupe de Boston, le héros semble chercher la protection d'un devin (7) qui s'avance vers lui. (4) Sc. A Gen. en A 59, thème qui doit venir de la Petite Iliade (cf. supra, p. 245). (5) Sc. Ar., Ach. 332 ; péliké de Vulci, des environs de 450 (Brit. Mus., E 382) :

cf. Séchan, f. 37. Sur cette pièce, cf. Séchan, p. 121-27 ; Brizi, p. 101-05; Cambridge, p. 81; Schmid-Stählin, VII, I, 2, p. 259.

Pickard-

(6) C. Robert, 1. c. (7) Metzger, p. 746. Les rapports de cette tragédie avec l'histoire — ou la légende —

de Thémistocle chez Adméte ont été depuis longtemps reconnus (cf. Thuc., I, 136-37 ; Plut., Thém., 24; Nep., Thém., 8). Ceci conduit L. Séchan à dater la pièce de peu aprés 471. (8) La reconstitution de Srebrny, p. 19-28, est également périmée, l'auteur ayant eu connaissance trop tard du travail de Handley-Rea (cf. p. 40, n. 92).

250

EURIPIDE

ET LES LÉGENDES

DES

CHANTS

CYPRIENS

.

inférer qu'Agamemnon, sans doute en présence du chœur, procédait à une sorte d'appel ou de recensement des rois qui avaient juré de prendre part à l'expédition (1). Si l'on fait entrer en ligne de compte

le Papyrus

Ryland,

on

l'aspect misérable de Téléphe —

peut

penser

comme

que

ce n'était

chez Euripide —

pas

mais

une « proclamation » (2) écartant tous les étrangers du camp qui rendait difficile son entrevue avec les chefs. Le papyrus suggére

encore

que

ceux-ci

obtenaient

d'Achille

la promesse

de guérir

Télèphe en l'absence du Mysien envoyé auprès de la flotte (3) et que le départ des navires avait lieu de nuit (4). Mais on ne saurait

aller au-delà de ces hypothéses déjà fragiles (5). Malgré ces incertitudes, on peut indiquer un certain nombre de motifs empruntés

par Euripide

à ses devanciers.

On

remarquera

tout d'abord que le poéte reste relativement fidéle aux données et à l'affabulation des Chants Cypriens. Dans les deux œuvres, Téléphe

blessé se rend à Argos,

auprés d'Agamemnon.

En

butte

à l'hostilité des Achéens, il doit se réfugier sur un autel. Des chefs de l'armée s'entremettent entre Achille et lui pour obtenir sa guérison. En conséquence, Téléphe, et non Calchas comme chez Homère (6), conduira les Grecs en Troade. Il y a seulement change-

.ment dans les figures : au lieu d'Achille, c'est, chez Euripide, Agamemnon qui le menace de mort; au lieu de Patrocle et de Nestor, c'est Ulysse qui joue le róle de médiateur. Cette importance nouvelle donnée

à Agamemnon, Euripide la trouvait dans le drame

d'Eschyle. Mais surtout, il a emprunté à la dramaturgie de ce poéte une donnée essentielle, l'alliance entre Clytemnestre et le suppliant, et le recours au petit Oreste pour fléchir plus sürement le roi. La conséquence de cette péripétie — probablement déjà chez

Eschyle — était de ménager dans l'action deux actes successifs : réconciliation de Téléphe, d'abord avec Agamemnon, puis avec Achille (7). (1) Fr. 144. (2) Sur ce κηρύκειον (v. 11) et l'ensemble du fragment, cf. supra, p. 240. Webster, Bull. J. Ryland Lib., 22 (1938), p. 543, pensait qu'il devait y avoir un rapport entre

cette proclamation et l'oracle concernant le guide des Achéens. (3) Pap. Ryl., v. 1-6; 16-19. (4) En rappelant les v. 5 : r]apó[v Ex vux[ tóc, et 12 : où 5 ἐξά]γοις ἂν τῆσδ᾽ ἀφ᾽ ἑσπέρας γνάθου (ἀφ᾽ ἑσπέρας: « when evening falls » Page) du Fr. 143, où il est question de navigation paraison : cf. Pearson, (5) Dâns Eurypyle, élait rappelée à propos

nocturne (mais peut-étre seulement comme terme d'une comad loc.). il semble qu'à deux reprises au moins la guérison de Télèphe de la mort de son fils, l'une et l'autre ayant été causées par

la lance d'Achille (fr. 210 P., 26-27, et 211, 11-12) ; cf. Srebrny, p. 30-31. (6) ZE, A 68-72, et sc. A Gen. en A 59, et A en A 71. (7) L'arrivée d'Achille fait rebondir l'action dans la seconde partie du drame. Pour ce procédé technique, on peut comparer l'arrivée de Thésée dans Hippolyte, celle d'Oreste dans Andromaque.

TÉLÈPHE

Mais

les

nouveautés

introduites

251

dans

l'action

par

Euripide

vont en modifier profondément le caractère. La première et la plus importante par ses conséquences est le déguisement de Téléphe

en mendiant. Dans les Kypria comme chez Eschyle — et sans doute aussi chez Sophocle — le héros ne semble pas s'étre caché d'étre Téléphe. la plus grande pitié qu'inspire de ses propos,

Chez Euripide, il va dissimuler et mentir pendant partie du drame. Il jouera devant les Grecs de la sa condition, mais il les surprendra par l'autorité car il parlera tantót en mendiant, tantót en roi,

jetant le trouble et la division parmi eux (1). Tout au long de cette partie, ses paroles à double sens créeront un lien de complicité entre

les spectateurs

et lui-méme

: le public

attendra

et appré-

hendera tout à la fois l'instant oü il se découvrira. Ce déguisement aménera encore une situation inédite, celle d'un personnage présentant incognito sa propre apologie. D'où a pu venir l'idée de ce déguisement ? Sans doute le Téléphe

d'Eschyle avait abandonné l'appareil d'un roi, lorsque, le front et les vétements souillés par la cendre du foyer, il suppliait Agamemnon. Sans doute aussi les rois mendiants ne sont pas rares dans le théátre d'Euripide, comme Aristophane l'a souligné dans une plaisante « scéne des portraits » (2). La trilogie méme de

438 parait en avoir présenté deux autres exemples (3). Mais il s'agit ici d'un expédient destiné à tromper des adversaires. Or, c'est à un tel stratagéme qu'avait eu recours celui qui est précisément dans la premiére partie de la piéce l'adversaire de Téléphe : Ulysse. Pour pénétrer à Troie sans étre reconnu, celui-ci s'était

accoutré en mendiant. Comme but

gráce

à la complicité

de

Télèphe, il avait pu atteindre son la femme

d'un

des

chefs

ennemis,

Héléne. L'épisode d'Ulysse mendiant, dont l'Odyssée et la Pelile Iliade présentaient chacune

une version

(4), a sans doute

fourni

à l'esprit ingénieux d'Euripide ce motif riche en possibilités dramatiques.

Autre nouveauté : le róle important donné à Ulysse dans l'intrigue. Il est le porte-parole des Grecs lorsqu'il expose leurs griefs à l'égard du roi de Mysie. Il intervient probablement dans la reconnaissance de Téléphe, 1] mène à bien sa réconciliation avec Achille, il élucide au moins un des deux oracles qui com(1) Wilamowitz, p. 70. (2) Ach. 418-434. (3) Thyeste, dans les Crétoises (cf. sc. Ach. 433) et Alcméon, dans l' Alcméon à Psophis (cf. fr. 78a Sn. : il semble que celui-cl, comme Téléphe, exposait son plan au public dans le prologue) ; sur cette derniére piéce, voir Schadewalt, H., 80 (1952), p. 46-66. (4) Od., 8 242-264 ; Procl., I. 224-27 Sev. Cf. Severyns, CE, p. 347-49. Cet épisode est évoqué dans Hécube (239-250). On pensera aussi au déguisement d'Ulysse à Ithaque dans l'Odyssée.

252

EURIPIDE

ET

LES

LÉGENDES

DES

CHANTS

CYPRIENS

mandent l'action. S'il n'a pas le beau róle dans sa controverse avec le faux mendiant, 1l sait faire taire son amour-propre pour mettre

ses dons d'intelligence et de diplomatie au service de l'intérét général. Ce caractére d'Ulysse est celui qui lui est prété par le poéte dans les piéces de cette période, comme les Skyrioi et Philocléle (1).

L'introduction probable d'un théme épique, celui du sacrifice d'Iphigénie, avancé dans le temps et transporté d'Aulis à Argos, a pour but de justifier l'attitude de Clytemnestre. Il explique l'aagreur de la reine contre son époux, mais aussi les hésitations et le découragement d'Agamemnon et sa colére contre Ménélas, qui insiste pour poursuivre la guerre (2). Le ressort est à la fois politique et humain. Ensuite,

le fait que,

dans

le drame,

le

petit

Oreste

risque

la

mort modifie profondément la donnée d'Eschyle. Chez lui, en effet,

l'enfant ne courait aucun danger dans les bras de Téléphe. Tout laisse à penser que s'est greffé ici un motif épique. Dans les Chants

Cypriens, lors du rassemblement des héros; on voit Palaméde user vis-à-vis d'Ulysse du méme moyen de chantage : le fils de Laerte feint la folie pour ne pas accompagner les Achéens, et Palaméde, pour le confondre, saisit le petit Télémaque et fait mine de le frapper de son couteau ; Ulysse

céde alors et accepte

de suivre

les Grecs (3). Selon toute vraisemblance, cet épisode, qui ne devait pas étre trés éloigné dans les Kypria de l'histoire de Téléphe, a suggéré à Euripide le théme qu'il développe ici. Ce changement a pour résultat de provoquer une cascade de coups de théâtre :

situation critique de Téléphe, danger de mort d'Oreste, revirement de Clytemnestre. Le pathétique se trouve par là fortement accentué

Un

(4).

autre motif nouveau

est celui d'Apollon

Lycien.

Le dieu

protége le destin de Téléphe aussi bien en Asie qu'à Argos, et son

intervention assure un lien plus étroit entre les deux patries du héros, la Gréce et la Mysie. Enfin, la guérison magique par l'objet méme qui a provoqué la blessure est un théme de folklore (5), dont l'utilisation est ici (1) On Agamemnon

peut

aussi

dans

rappeler

l'Ajaz

de

le

rôle

Sophocle

de

conciliateur

d'Ulysse

entre

Teucros

et

(1316-1380).

(2) Ces motifs se retrouvent dans Iphigénie à Aulis, oü Euripide a refait en particulier la scène entre les Atrides (ZA 318 sqq.). Le thème de la querelle entre Agamemnon et Ménélas est du reste épique (Nosloi ap. Procl., 1. 279-280 Sev. ; Apd., Ep., VI, 1). (3) Procl., 1. 119-121 Sev, Sur cet épisode, cf. infra, Ch. X, p. 356. Le rapprochement avait déjà été indiqué par C. Robert, p. 1091, n. 5. Avec des variantes, ce moyen

de pression sera utilisé dans Andromaque (4)

Sur le pathétique

du

Télèphe,

(309 sqq.) et Oresie (1533 sqq.).

cf. Séchan,

p. 505,

n. 2.

(5) C. Robert, p. 1059, rappelle à ce propos les deux gouttes de sang de Gorgó (Ion 1003 sqq.), dont l'une guérit et l'autre tue. Sur la guérison par les semblables,

TÉLÉPHE

particulièrement heureuse.

253

En effet, la lance d'Achille n'est pas

une simple arme de guerre, elle participe du divin puisque plusieurs dieux se sont associés pour la fabriquer (1). Il semble bien qu'il faut attribuer à l'ingéniosité d'Euripide une trouvaille qui s'est

imposée avec éclat dans la tradition. A ces changements dans l'intrigue s'ajoutent des transformations dans la peinture des caractéres. Ainsi, Téléphe n'apparaît plus comme le roi majestueux d'Eschyle (2), qui garde dans l'infortune sa noblesse d'attitude et de sentiments. Il n'a pas seulement emprunté leurs haillons aux mendiants. Il montre aussi l'obséquiosité et la faconde propre à ces pauvres héres qui doivent leur

subsistance à l'agilité de leur langue. Il est le mendiant « boiteux,

quémandeur,

intarissable,

foudre

d'éloquence »,

dont se moque Aristophane (3). On disait, cependant, que de tous

les fils d'Héraclés, Téléphe

était celui qui ressemblait le plus à

son père (4). Peut-être à travers certaines de ses attitudes transparaissaient le courage et la fierté du fils d'Alcméne, mais sa souplesse et son talent d'intrigue l'apparentaient plus encore au fils de Laerte. Comme Ulysse, il cherchait à atteindre son but par la ruse et

l’éloquence. Celle-ci l'emporte méme chez lui sur celle-là. C'est la démangeaison de la parole au moins autant que le sentiment de la justice qui le pousse à plaider une cause difficile devant un auditoire mal disposé. Aprés celui de Téléphe, le caractére le plus intéressant et le plus neuf était sans doute celui de Clytemnestre. On a suggéré que le

lien entre les piéces de 438 était l'étude du caractére féminin (5). voir les exemples cités par Frazer, éd. d'Apollodore, II, p. 188 : le plus proche de notre cas est la guérison magique par le devin Mélampous de l'impuissance d'Iphiclos grâce à la rouille du coutelas qui était indirectement la cause de cette impuissance

(Apd., I, 9, 12; cf. I. LôMer, Die Melampodie

(1963), p. 35 et 37). Pline (HN, XXV,

42) dénature l'épisode en expliquant la guérison par les vertus curatives de la rouille. (1) Cf. supra, Ch. II, p. 85. (2) Séchan, p. 125.

(3) Ach. 429. Sur les deux traits essentiels de Téléphe, mendiant et sophiste, cf. J. Schmidt, col. 288. Cependant J. Strohm, Gnom., 32 (1960), p. 600, remarque avec raison qu'en 438 l'enseignement de l'éloquence judiciaire est encore peu répandue à Athènes : c'est certainement ici une de ses premières manifestations au théâtre.

Mais dans les Nuées, 921-922, l'&8txoc λόγος est plus ou moins identifié à Téléphe. (4) Paus., X, 28, 8. Cette ressemblance était marquée sur les frises de Fergume (C. Robert, p. 1140, n. 1). | (5) Vogel, Scenen eur. Trag., p. 95 sqq.; Pilling, p. 46; Séchan, p. 508; Brizi, p. 104-105. W. Schadewalt (H., 80 (1952), p. 64, n. 1) le nie, mais il reconnaît (p. 6566) qu’Alceste et les Créloises montraient jusqu'où une femme peut aller pour aider un homme qui a réussi à gagner sa sympathie ou son amour. Ce critique a bien montré,

p. 63-66, les thémes

communs

aux piéces de la tétralogie : en particulier, Thyeste,

Alcméon et Téléphe sont des rois en exil, victimes des dieux, malades de corps et d'âme : tous trois (ainsi qu'Adméte) sont obligés de ruser avec la destinée et de s'abaisser.

254

EURIPIDE

ET LES

LÉGENDES

DES

CHANTS

CYPRIENS

Dans son attitude de mére souffrante, exaspérée contre un époux qu'elle accusait d'avoir comploté la mort d'un de ses enfants, elle ne sortait pas du róle que lui attribuait la tragédie (1). Mais

Euripide a tiré de cette haine des effets neufs : pour faire souffrir Agamemnon, elle n'hésite pas à exposer la vie de leur unique fils (2). Cependant, quand ce danger abstrait se matérialise sous ses yeux, son sentiment maternel reprend brusquement le dessus :

réaction naturelle et vraie qui traduit une profonde connaissance du cœur

humain.

L'Agamemnon de Téléphe semble préfigurer celui d'Iphigénie à Aulis:

il est

autoritaire

et indécis,

influençable,

mais,

comme

tous les faibles, capable à l'occasion de brusques emportements. Ménélas sacrifie tout à son désir de retrouver Héléne. Achille est l'homme d'action qui déteste les discours et méprise les barbares. C'est aussi l'homme des longues rancunes. Tel aussi on le retrouve dans Iphigénie. Notons enfin, à propos du petit Oreste, combien Euripide

aime

à cette époque

faire parattre sur scéne de jeunes

enfants (3). Ces différents traits conférent à la piéce d'Euripide une physio-

nomie bien particuliére, un climat qui n'est ni celui de l'épopée ni celui de la tragédie d'Eschyle. Ils visent pour la plupart à rapprocher le drame de la réalité quotidienne. Le roi se fait mendiant. L'assemblée des chefs devient un auditoire friand de discours ingénieux. Les personnages simples et nobles de l'épopée nourrissent maintenant des sentiments troubles et mélés. Mensonge, déguisement, chantage odieux, tout devient bon pour obtenir le succés. Le style soutenu tend à céder la place au langage de la vie quotidienne ou à la rhétorique des assemblées (4). Les réflexions et les intérêts politiques envahissent l'action (5). Cependant, cette transformation n’est pas pure décadence. Aux anciennes beautés

de la tragédie, Euripide en substitue de nouvelles : vérité plus grande des caractères et des mœurs, pathétique plus intense des coups de théâtre, romanesque

des situations et des événements,

touches d'exotisme. Pièce d'intrigue, et d'intrigue fort animée, Téléphe n'est pas un simple jeu théátral. Il suffit de rappeler les (1) Depuis l'Agamemnon d'Eschyle jusqu'à Iphigénie à Aulis. (2) Comme le remarquait E. Howald, Untersuchungen ... (1914), p. 20, on retrouve le méme

conflit dans

Médée,

mais avec une solution différente.

(3) Cf. Alcesle, Médée, les Skyrioi. C'était probablement, comme dans cette piéce, un róle muet, si méme l'enfant n'était pas flguré par une poupée. Le petit Oreste reparaltra dans /phigenie à Aulis. Bien d'autres points rapprochent encore les deux piéces, en particulier l'opposition Grecs-Barbares et le dénouement : miracle final et départ

de la flotte.

(4) Cf. Hor., A. P., 95-97. (5) Wilamowitz, p. 71.

TÉLÉPHE

255

thèmes de l'agón qui en constitue la scène centrale : l’origine des guerres et la légitimité de la guerre défensive, le droit d’un Barbare à défendre sa patrie contre les Grecs. Six ans avant le début de la guerre du Péloponnèse apparaissent déjà dans son théâtre des questions sur lesquelles le poète ne cessera de méditer jusqu'à la

fin de sa vie. Par tous ces traits, notre piéce est sans doute plus « moderne »

de ton que les autres drames euripidéens de cette époque. Pour cette raison, elle a pu déconcerter les spectateurs de 438 et s'attirer les brocards

d'Aristophane.

Mais

ces innovations

ont

fortement

contribué à assurer au Téléphe d’Euripide, dés la fin du v® s., un prestige et une audience dont nous mesurons toute l'antiquité.

les effets à travers

CHAPITRE

VIII

LE RASSEMBLEMENT

D’AULIS

ET

LE

SACRIFICE

I LE SACRIFICE A AULIS. 11. IPHIGÉNIE III. LA

PARODOS

D'IPHIGÉNIE

D'IPHIGÉNIE

CHEZ

EURIPIDE

AVANT

IPHIGÉNIE

A AULIS. D'IPHIGÉNIE

A AULIS.

18

LE RASSEMBLEMENT D’AULIS ET LE SACRIFICE D'IPHIGÉNIE Aprés tant d'épreuves, les alliés rassemblés à Aulis pouvaient espérer

prendre

la mer sans

encombres

et parvenir

rapidement

en Troade. C'était compter sans la divinité : sur le rivage méme de l'Euripe, celle-ci allait encore imposer aux Achéens une cruelle épreuve. En effet, Artémis, déesse protectrice de la contrée, retenait les vents favorables. Pour les laisser souffler de nouveau,

elle exigeait qu'on lui sacrifiát Iphigénie, la fille atnée du chef de l'expédition. Il n'y avait sans doute pas, dans tout le cycle troyen, d'épisode qui

füt plus

propre

n'offrait l'exemple humains

les plus

à étre

d'un

porté

sur la scéne

tragique.

Aucun

conflit aussi cruel entre les sentiments

profonds

et les exigences

de la raison d'État.

La portée du choix imposé au pére de la jeune fille, libre d'accepter ou de refuser ce sacrifice, la présence à Aulis de tous les héros achéens, l’innocence et la grâce de la victime, tout concourait à attirer sur un tel sujet l'intérét des auteurs dramatiques. Aussi,

non seulement les trois grands tragiques d'Athénes se sont plus à évoquer le drame d'Aulis dans leurs piéces troyennes, mais encore chacun

d'eux l'a pris pour sujet d'un de ses drames.

Des trois,

seule subsiste l'Iphigénie à Aulis d'Euripide. C'était peut-étre le BIBLIOGRAPHIE : Celle-ci est considérable. Nous ne citons ici que les études qui nous ont été le plus utiles. Kjellberg, s. v. Iphigeneia, RE, IX, 2 (1916), col. 2588-2622. C. Robert, p. 10951106. Th. Zielinski, Tragoudemon libri ires, Cracovie, 1925, p. 241-285. L. Séchan, p. 369-378. A. Severyns, CE, p. 295-298. L. Séchan, Le sacrifice d'Iphigénie, REG, 44

(1931),

p. 368-426.

D.

L.

Page,

Actor's

Interpolalions

in greek

Tragedy,

Oxford,

1934, p. 122-216. W. H. Friedrich, Zur Aulischen Iphigenie, H., 70 (1935), p. 73-100. Schmid-Stählin, p. 520-21; 631-656. A. Rivier, p. 76-86. A. Bonnard, Iph. à Aulis, tragédie el poésie, Mus. Helv., 2 (1945), p. 87-107. V. Frey, Betrachtungen zur Euripides' aulischer Iph., ibid., 4 (1947), p. 39-51. M. Pohlenz, p. 459-468 ; Erlaut., p. 181-85. W. H. Friedrich, Euripides und Diphilos, Münich, 1953, p. 89-109. E. Valgiglio, L'Iflgenia in Aulide di Eur., RSC, 4 (1956), p. 179-202 ; 5 (1957), p. 47-72. S. Cecchi, L'esodo dell’ Ifigenia in Aulide, RSC, 8 (1960), p. 69-87. H. Vretska, Agamemnon in Euripides' Iph. Aulis, WS, 74 (1961), p. 18-39. R. Goossens, p. 674-714. H. Funke, Aristoteles zu Euripides! Iph. in Aulis, H., 92 (1964), p. 284-299.

260

EURIPIDE

ET

LES

LÉGENDES

DES

CHANTS

CYPRIENS

plus beau. C'est en tout cas celui qui a joui chez les anciens de la plus grande popularité. Mais il est impossible de le comprendre

et de l'apprécier pleinement sans tenir compte,

dans la mesure

où nous pouvons nous en faire une idée, des Iphigénie perdues d'Eschyle et de Sophocle, étapes importantes dans l'histoire de la légende entre l'épopée et la tragédie d'Euripide. Dans le théátre de ce dernier, les allusions au sacrifice d'Iphigénie

restent longtemps rares et bréves. Elles deviennent plus nombreuses dans Éleclre, et surtout dans Iphigénie en Tauride (1), qui contait le destin ultérieur de l'héroine, sauvée de la mort par Artémis. Mais c'est seulement à l'extréme fin de sa vie qu'Euripide écrivit son Iphigénie à Aulis (2), comme s'il avait

voulu attendre que se füt estompé le souvenir des drames d'Eschyle et de Sophocle avant de se risquer à son tour à traiter le méme sujet. Et entre cette derniére piéce et ses drames précédents, on constate de profondes différences dans la présentation de la légende. La raison en est évidente : tant que le théme du sacrifice d'Iphigénie n'était pour le poéte qu'un motif accessoire, il était enclin à accepter l'une ou l'autre version de ses prédécesseurs. Mais, en reprenant l'épisode dans son ensemble, il a cherché à donner à la légende une forme dramatique nouvelle. Aussi réservons-nous pour l'instant le cas d'Iphigénie à Aulis, afin d'étudier d'abord l'épisode tel qu'il apparaît dans le reste du théâtre d'Euripide.

I LE

Fait

SACRIFICE AVANT

inattendu,

c'est

D'IPHIGÉNIE CHEZ EURIPIDE IPHIGÉNIE A AULIS sur

le

róle

de

Ménélas

dans

la

mort

d'Iphigénie que semble en premier lieu s'étre porté l'intérét du poéte. A plusieurs reprises, l'époux d'Héléne est accusé d'avoir été l'instigateur de cet acte barbare. Dans Andromaque, Pélée le lui reproche en ces termes : « Quelle violence tu as exercée

sur ton

frére, en le poussant

à égorger

(1) Électre est de 413. La date d'Iphigénie en Tauride est très contestée. En dernière analyse, on n'a guère le choix qu'entre les années 414 (entre les Trogennes et Élecire) ou 411 (aprés Héléne). Indépendamment des autres raisons, le traitement du mythe d'Iphigénie dans la pièce nous fait pencher pour la seconde de ces deux dates.

(2) Euripide était mort en 406, sans doute pendant l'été, en Macédoine. Le drame a dû être représenté à Athènes aux Dionysies de 405, par les soins d'Euripide le Jeune, avec Alcméon

à Corinthe et les Bacchantes (sc. Ar.,

Gren. 67).

LE

sa fille — bien sottement méchante femme ! » (1).

Dans les Troyennes, et Agamemnon : « Ce

sage

général

SACRIFICE



D’IPHIGENIE

tant

tu

Cassandre

a sacrifié

craignais

partage

l'objet

le

plus

261

de

ne

le bláme cher

au

pas

retrouver

entre plus

ta

Ménélas

exécrable,

en

abandonnant à son frère la joie de son foyer, pour lui rendre sa femme ! » (2).

Dans Élecire, le point de vue de Clytemnestre est le méme : un tel

sacrifice est excusable lorsqu'il s'agit de sauver sa patrie ou sa maison, mais Agamemnon ne se trouvait pas dans une telle extrémité (1024-26).

Et elle ajoute :

« En fait, Héléne était dépravée et son mari n'a pas su chátier sa trahison : voilà pourquoi il a fait mourir ma fille ! » (3).

Dans ce dernier drame, le sacrifice d'Iphigénie est surtout considéré sous l'angle de Clytemnestre : c'est un outrage que lui a infligé Agamemnon, et, ajouté à d'autres, il justifie à ses yeux le meurtre du roi (4). Elle considére encore ses captives troyennes

comme une sorte de compensation qu'on lui a donnée pour la perte de sa fille (1001-02). Elle stigmatise la duplicité de son mari, car, prétend-elle, dés son départ d'Argos il était résolu à accomplir le sacrifice : « Cet homme

persuada

ma

fille qu'elle allait épouser

le palais et la conduisit à Aulis, oü sur l'autel et moissonna la blanche

était retenue joue de mon

Achille : il quitta

la flotte. Là, il l'étendit Iphigénie » (5).

Électre affirme au contraire que le sacrifice ne fut décidé que plus tard, pendant l'attente des Achéens. à sa mére

Elle déclare

en effet

:

« Avant méme

que la mort de ta fille ne füt décidée, et à peine ton mari

(1) An. 624-26 : &...... εἰς ἀδελφὸν ol’ ἐφυθρίσας, σφάξαι χελεύσας θυγατέρ᾽ εὐηθέστατα ᾿ οὕτως ἔδεισας μὴ οὐ κακὴν δάμαρτ᾽ ἔχῃς. » Une pointe analogue est lancée par Oreste à Ménélas (Or. 658-59). Pour une évocation plus ancienne de la légende du sacrifice, dans Télèphe, voir supra, p. 230 sqq. (2) Tr. 370-72 : « 'O δὲ στρατηγὸς ὁ σοφὸς ἐχθίστων ὕπερ τὰ φίλτατ᾽ ὥλεσ᾽, ἡδονὰς τὰς οἴκοθεν

τέκνων ἀδελφῷ δοὺς γυναικὸς οὔνεκα. » (3) El. 1027-29 : « Νῦν δ᾽ οὔνεχ᾽ Ἑλένη μάργος ἦν 6 τ᾽ αὖ λαθὼν ἄλοχον κολάζειν προδότιν οὐκ ἠπίστατο,

τούτων ἕκατι παῖδ᾽ ἐμὴν διώλεσεν. » (4)

El. 1030-31

; voir aussi 29.

(5) El. 1020-23 : « Κεῖνος δὲ παῖδα τὴν ἐμὴν ᾿Αχιλλέως λέκτροισι πείσας ὥᾧχετ᾽ ἐκ δόμων ἄγων πρυμνοῦχον Αὖλιν ἔνθ᾽ ὑπερτείνας πυρᾶς λευκὴν διήμησ᾽ ᾿Ιφιγόνης παρηΐδα. »

202

EURIPIDE

avait-il boucles

ET

LES

LÉGENDES

DES

quitté sa demeure, que déjà tu blondes de tes cheveux » (1).

CHANTS

CYPRIENS

arrangeais

devant

le miroir

les

Dans Iphigénie en Tauride, l'héroïne ne cesse de revivre en pensée le jour fatal oà elle fut conduite

au supplice qui est à l'origine

de sa situation actuelle. Dés le prologue, on trouve un récit détaillé des faits : « Prés des tourbillons de l'Euripe, dont les flots sombres sont sans cesse agités dans un sens et dans l'autre par des souffles continuels, mon pére croit m'avoir, pour Héléne, immolée à Artémis dans les fameux vallons d'Aulis. C'est là en effet qu'une flotte hellénique de mille vaisseaux s'était rassemblée à l'appel du roi Agamemnon. Il entendait donner aux Achéens la couronne de la victoire remportée sur Ilion, venger l'injure faite aux noces d'Héléne et satisfaire Ménélas. Un terrible obstacle, l'absence de vents, empéchait de mettre à la voile. Il consulte alors la flamme des victimes, et Calchas lui dit : « Toi qui diriges en chef cette campagne de la Gréce, Agamemnon, tu ne pourras quitter le rivage avec ta flotte avant que ta fille Iphigénie n'ait été immolée en offrande à Artémis. Tu avais fait le vœu que le plus beau produit de l'année serait sacriflé à la déesse porte-flambeau. Or, sous ton toit, ta femme Clytemnestre mit au monde une fille (c'est à moi que Calchas attribuait le prix de la beauté) ; c'est elle que

tu

dois

sacrifler.

» Puis,

gráce

aux

ruses

d'Ulysse,

ils m'enlévent

à

ma mére sous prétexte d'épouser Achille. J'arrive à Aulis. Malheureuse ! soulevée au-dessus du bücher, j'allais mourir sous le couteau, mais Artémis me dérobe aux Achéens, mettant à ma place une biche. Elle me transporte par l'éther brillant et m'établit dans ce pays des Taures » (2). (1) ΕἸ. 1069-1071 : «... τῆς θυγατρὸς πρὶν κεκυρῶσθαι σφαγὰς νέον τ᾽ ἀπ᾿ οἴκων ἀνδρὸς ἐξωρμημένου, ξανθὸν κατόπτρῳ πλόκαμον ἐξήσκεις κόμης.» (2) IT 6-30 : « "Hv ἀμφὶ δίναις ἃς θάμ' Εὔριπος πυχναῖς αὔραις ἑλίσσων κυανέαν ἄλα στρέφει,

ἔσφαξεν ‘Exévnc οὔνεχ᾽, ὡς δοκεῖ, πατὴρ ᾿Αρτέμιδι κλειναῖς ἐν πτυχαῖσιν Αὐλίδος.

10

᾿Ενταῦθα γὰρ δὴ χιλίων ναῶν στόλον "Ελληνικὸν συνήγαγ᾽ ᾿Αγαμέμνων ἄναξ, τὸν καλλίνικον στέφανον ᾽Ιλίου θέλων λαθεῖν ᾿Αχαιοῖς, τούς θ᾽ ὑδρισθέντας γάμους

18

Ἑλένης μετελθεῖν, Μενέλεῳ χάριν φέρων. Δεινῆς δ᾽ ἀπλοίας πνευμάτων τ᾽ οὐ τυγχάνων, ἐς ἔμπυρ᾽ ἦλθε, καὶ λέγει Κάλχας τάδε.

« Ὦ τῇσδ᾽ ἀνάσσων ᾿Ἑλλάδος στρατηγίας,

᾿Αγάμεμνον, οὐ μὴ ναῦς ἀφορμίσῃ χθονός, πρὶν ἂν κόρην σὴν ᾿Ιφιγένειαν "Apres

20

246p σφαγεῖσαν ᾿ ὅ τι γὰρ ἐνιαυτὸς τέκοι χάλλιστον ηὔξω φωσφόρῳ θύσειν θεᾷ. Παῖδ᾽ οὖν ἐν οἴχοις σὴ λυταιμνήστρα δάμαρ τίχτει (τὸ καλλιστεῖον εἰς ἔμ᾽ ἀναφέρων) ἣν χρή σε θῦσαι. » Καί μ᾽ ᾽Οδυσσέως τέχναις

25

μητρὸς παρείλοντ᾽ ἐπὶ γάμοις ᾿Αχιλλέως. ᾿Ελθοῦσα δ᾽ Αὐλίδ᾽ ἡ τάλαιν᾽, ὑπὲρ πυρᾶς μεταρσία ληφθεῖσ᾽

30

ἐκαινόμην ξίφει *

ἀλλ᾽ ἐξέκλεψεν ἔλαφον ἀντιδοῦσά μου "Άρτεμις ᾿Αχαιοῖς, διὰ δὲ λαμπρὸν αἰθέρα πέμψασά u’ ἐς τήνδ᾽ (xev Ταύρων χθόνα.»

LE SACRIFICE

Dans le cours du drame, d'Aulis, où, dit-elle,

D'IPHIGÉNIE

263

Iphigénie évoque encore cette journée

«les Danaens, me saisissant comme une génisse, m'égorgeaient, le sacrificateur étant mon propre père. Hélas, je ne puis oublier ces maux. Que de fois j'ai tendu les mains vers son menton |! Que de fois je me suis attachée aux genoux

de mon

père, en lui disant : « Mon

je te dois ! En cet instant où tu me

père, quelles affreuses noces

fais mourir,

ma

mère

et les Argiens

chantent l'hyménée, tout le palais retentit des sons de la flûte ; et moi, je péris par tes mains. C'est donc Hades, et non le fils de Pélée, cet Achille

que tu me proposais pour époux, et, sur ce char, c'était vers des noces de sang

que

tes ruses

m'attiraient |» (1).

D'autres souvenirs se pressent encore dans son esprit : son départ joyeux d'Argos, dans ses voiles de fiancée, alors qu'elle comptait revenir bientôt embrasser les siens (372-77) ; sa séparation d'avec

le petit Oreste

(230-35 ; 834-35) ; le bain nuptial que

sa

mére avait préparé pour elle (818-19) ; son arrivée en char dans la « sablonneuse Aulis » oà l'attendaient, croyait-elle, les fétes de son mariage (214-17 ; 370-71; 856-59). Dans ses derniers instants,

elle avait formé le vœu qu'aprés sa mort l'on portät à Argos, à défaut de son corps, la boucle de cheveux que le sacrificateur venait de couper sur son front (820-21). Il est vrai qu'Artémis l'a sauvée, mais elle n'en éprouve pas moins une rancune tenace contre ceux qui ont causé son malheur : avant tout, Héléne et Ménélas (2), mais aussi Calchas, dont elle Le v. 15 a suscité d'innombrables conjectures dont aucune n'est pleinement satisfaisante. Nous adoptons la leçon des mss. (avec la correction de Barnes, 8’ pour τ᾽). H. Grégoire conserve le texte de L et P, mais semble traduire comme s'il adoptait la correction de Witschel, admise par Murray et Platnauer, te τυγχάνων : « Des vents funestes retenant au port la flotte » (comp. Thuc.,

II, 85, 6). Nous voyons dans ce vers

une construction elliptique δεινῆς δ᾽ ἀπλοίας «τυγχάνων» πνευμάτων + οὐ τυγχάνων, la seconde partie expliquant la premiére : « Se heurtant à une funeste impossibilité de naviguer, parce qu'il n'obtenait pas de vents. » Sur la version suivie ici, voir infra, Ρ. 272, n. 9. Au v. 24, nous gardons avec Murray et Platnauer la leçon des mss., τέχναις

[τέχναι Lenting). (1) IT 359-371 : « OÙ u’ ὥστε μόσχον Δαναΐδαι χειρούμενοι

360

365

ἔσφαζον, ἱερεὺς 8° ἦν ὁ γεννήσας πατήρ.

Οἴμοι * κακῶν γὰρ τῶν τότ᾽ οὐκ ἀμνημονῶ, ὅσας γενείου χεῖρας ἐξηκόντισα γονάτων τε τοῦ τεκόντος ἐξαρτωμένη, λέγουσα τοιάδ᾽ * « ὮὯ πάτερ, νυμφεύομαι νυμφεύματ᾽ αἰσχρὰ πρὸς σέθεν μήτηρ δ᾽ ἐμὲ κατακτείνοντος ᾿Αργεῖαί τε νῦν ὑμνοῦσιν ὑμεναίοισιν, αὐλεῖται δὲ πᾶν μέλαθρον ἡμεῖς δ' ὀλλύμεσθα πρὸς σέθεν. “Αἰδὴς ᾿Αχιλλεὺς ἦν ἄρ᾽, οὐχ ὁ Πηλέως,

370 (2)

dv μοι προσείσας πόσιν, ἐν ἁρμάτων ὄχοις ἐς αἱματηρὸν γάμον ἐπόρθμευσας δόλῳ. »

IT 8; 354-58 ; 523 ; 525. De

méme,

Oreste (566).

264

EURIPIDE

ET LES

LÉGENDES

DES

CHANTS

CYPRIENS

se réjouit d'apprendre la mort, Ulysse, à qui elle souhaite une fin misérable (531-35), et méme l'ensemble des Danaens (1). Sa haine s'étend-elle à Achille ? Il ne le semble pas, car, lorsqu'elle s'informe auprés d'Oreste du destin du Péléide et qu'il lui répond : « Il n'est plus, vaines furent ses noces d'Aulis »,

elle déclare seulement « Noces

trompeuses,

: comme

le savent

leurs victimes » (2).

Parole équivoque, mais dont le contexte établit le sens : Iphigénie semble

croire

qu'Achille,

comme

elle-méme,

a eu

à souffrir de

l'oracle proclamé par Calchas et des machinations d'Ulysse. Fait plus curieux, elle ne semble guére en vouloir non plus à Agamemnon, ce pére qui, comme elle le note pourtant avec insistance, a égorgé de ses mains sa propre fille (3). Elle a pour lui des

paroles de pitié. Lui aussi a été une victime. S'apitoyant sur elleméme,

elle s'écrie :

« Infortunée,

et infortuné

et la compassion

le pére qui l'a tuée » (4),

pour l'égarement

passager d'un

pére malheu-

reux (5) l'emporte en elle sur l'amertume. Enfin, malgré la substitution

Iphigénie

morte

de la biche, tous les Grecs croient

: c'est ce qu'elle

déclare

(175-76 ; 771),

c'est

aussi ce que lui confirme Oreste (564 ; 831). Nul ne sait qu'Artémis

l'a sauvée et qu'elle est vivante au pays des Taures. De l'ensemble des pièces antérieures à Iphigenie à Aulis se dégage donc une conception cohérente du sacrifice d'Iphigénie. Résumons-la

à grands traits.

Agamemnon ayant formulé un vœu imprudent qu'il n'a pas su ou voulu tenir, Artémis se venge en retenant les vents qui doivent pousser vers la Troade la flotte grecque concentrée à Aulis. Calchas révéle alors que la déesse exige le sacrifice d'Iphigénie. Agamemnon cède aux prières de Ménélas et des autres Grecs. Ulysse souffle au roi une ruse destinée à provoquer la venue de sa fille à Aulis sans éveiller les soupcons de Clytemnestre, et se charge de la mettre

en ceuvre

(1) IT 359-360. geance

(6). Achille semble

tenu

à l'écart du complot.

Le bouvier va encore plus loin qu'Iphigénie dans l'esprit de ven-

(338-39).

(2) IT 538-39 : «ΟΡ. Οὐκ ἔστιν * ἄλλως λέκτρ᾽ ἔγημ᾽ ἐν Αὐλίδι. ID. Δόλια γάρ, ὡς ἴσασιν οἱ πεπονθότες.» (3) IT 8; 211; 360; 565; 784-85 ; 852-53 ; 1083.

(4) IT 565 : « Τάλαιν᾽ ἐκείνη χὼ κτανὼν αὐτὴν πατήρ. 5» (5) Cf. 211 ; 853. (6) Les vers 1020-23 d' Éleclre présentent une variante : Iphigénie se trouve déjà à Aulis, où elle a accompagné Agamemnon. Il peut s'agir en ce cas d'une autre version

LE

SACRIFICE

D'IPHICÉNIE

265

Clytemnestre est trompée. Iphigénie, joyeuse, prend hátivement congé de sa mére et de son jeune frére et gagne Aulis en char.

A son arrivée au camp, elle est conduite à la mort malgré ses supplications. Les Grecs, usant de violence, l'étendent sur l'autel et son père la sacrifie lui-même. Mais au moment où il va la frapper,

Artémis lui substitue une biche et la transporte en Tauride. Cependant, tous les Grecs la croient morte et Clytemnestre conçoit un ressentiment mortel contre Agamemnon, qu'elle rend responsable de ce meurtre. Telle est la forme que prend la légende dans les piéces d'Euripide

antérieures à Iphigénie à Aulis. S'agit-il de la version des Kypria, d'une

des

versions

tragiques,

ou

bien

Euripide

a-t-il

combiné

des éléments d'origine différente ? Pour répondre à cette question, il est nécessaire de préciser ce qu'on aujourd'hui disparues.

L'épisode

du

sacrifice

d'Iphigénie

peut savoir de ces œuvres

semble

avoir

été

imaginé

par Stasinos. Homére évoque le rassemblement des Grecs à Aulis (1),

mais il ne parle pas de la jeune

fille. La connatt-il méme ? Le

poéte cite trois filles d'Agamemnon, Chrysothémis, Laodicé et Iphianassa, mais il ne semble pas qu'on puisse identifier cette derniére avec Iphigénie (2). La critique moderne admet en général de l'épisode, dans laquelle Agamemnon avait réellement promis sa fllle à Achille et se proposait de célébrer le mariage à Aulis. Ou bien encore Clytemnestre déformait les faits dans son désir de charger son mari, suivant un procédé dont les plaidoyers de personnages euripidéens offrent plus d'un exemple (cf. An. 592-93; Tr. 925-931). Une troisième explication serait que nous avons là un souvenir estompé du Télèphe,

dans lequel il semble que le sacrifice d'Iphigénie était résolu p. 230). (1)

B 305

sqq.

à Argos méme (cf. supra,

C'est, bien entendu, le seul rassemblement,

puisque

Homére

parait

ignorer l'expédition de Mysie. (2) I 145. Cependant Lucréce (I, 85) et certains scoliastes de l' Iliade (sc. D en I 145) identiflaient Iphigénie et Iphianassa. Tel n'était pas l'avis d'Aristarque (sc. BTLV en A 106 ; sc. A en I 145), tel n'est pas non plus l'avis de la plupart des critiques modernes

(D. M. Monro, JHS, 1884, p. 8; Kjellberg, Platnauer, éd. d'Iphigénie en Tauride, 1938, Homère,

III,

p.

55).

On

trouve

toutefois

col. 2621; L. Séchan (1931), p. 379; p. x ; A. Severyns, CE, p. 296-97, et

l'opinion

contraire

chez

quelques

autres,

en particulier W. Kullmann, p. 198-199, qui estime qu'Homeére connaissait le sacrifice d'Iphigénie

(voir

aussi

les auteurs

qu'il cite p.

198,

n.

1, auxquels

on

peut

ajouter

Zielinski, p. 242-43). Il s'appuie pour cela sur A 70-72 ; 106-108 ; I 144-148 et A 320 sqq. (Talthybios et Eurybate

escortent Briséis chez Agamemnon,

comme,

dans

les Chants

Cypriens, Talthybios et Ulysse conduisaient Iphigénie). Stasinos donnait quatre filles à Agamemnon, ajoutant Iphigénie aux noms cilés en I 145 (Kyp., fr. XV ; sc. Soph., El. 157). Sophocle suivait cette tradition (El. 157). Dans les pièces les plus anciennes, Euripide ne mentionne qu'Iphigénie et Electre (El. 15; IT 374; 562). Dans Oreste et Iphigénie à Aulis, il y ajoute Chrysothémis, personnage de l'Élecire de Sophocle (Or. 23; IA 737; 1164 ; 1447), reconstituant le trio homérique Chrysothémis, Laodice-Électre et Iphianassa-Iphigénie (qu'il appelle encore Iphigoné dans El. 1023 ; mais Hésiode l'appelait déjà lui-méme Iphimédie : cf. infra, p. 268).

266

EURIPIDE

ET LES

que Stasinos a combiné

LÉGENDES

DES CHANTS

CYPRIENS

dans son récit des éléments épiques et

des légendes cultuelles, empruntées en particulier à un cycle constitué autour du sanctuaire d'Aulis et de celui de Brauron en

Attique.

Iphigénie aurait été à l'origine une divinité, supplantée

ensuite par Artemis (1), mais c'est l'auteur des Kypria qui aurait

eu l'idée d'en faire la fille d'Agamemnon et qui aurait imaginé toute la mise en scéne de l'épisode, en s'appuyant sur plusieurs passages de l'Iliade (2).

Rappelons d'abord le résumé de l'épisode donné par Proclos : « Et

pendant

à Aulis,

que,

Agamemnon,

pour au

la seconde cours

d'une

fois,

l'expédition

chasse,

abat

une

était biche;

concentrée du

coup,

il se vante d'avoir fait mieux qu'Artémis. La déesse, irritée, pour empécher l'appareillage, envoie des tempétes en mer. Calchas leur dit la colére de la déesse et ordonne qu'Iphigénie soit sacrifiée à Artémis. On la fait donc venir sous prétexte d'épouser Achille et on prépare le sacrifice. Mais Artémis la dérobe, la transporte chez les Taures et la rend immortelle, aprés avoir remplacé la jeune fille par une biche à l'autel » (3).

D'autres témoignages viennent étoffer ce résumé.

De la faute

d'Agamemnon, les textes anciens donnent deux explications : ou bien, comme le dit Proclos, il s'agit d'une faute volontaire, une

parole

de

vantardise

Agamemnon

a commis

injurieuse

à l'égard

d'Artémis,

ou

bien

un sacrilége involontaire en abattant une

biche de la déesse dans un bois qui lui était consacré. Les deux motifs se trouvaient-ils combinés chez Stasinos ? Le résumé de Proclos n'interdit pas cette hypothése, que fortifie leur présence simultanée dans un passage de l' Élecire de Sophocle donné par le scoliaste comme s’inspirant des Chanis Cypriens. L'héroine y déclarait : « Mon pére, un jour, à ce qu'on raconte, se délassant dans l'enclos saint de la déesse, y léve un cerf cornu à la robe tachetée, et, tout en l'abattant, laisse échapper un mot présomptueux sur le beau coup qu'il vient de faire » (4).

(1) Cf. Wilamowitz, H, 18 (1883), p. 256-57 ; S. Reinach, REG, 28 (1915), p. 1-15; Kjellberg, col. 2599 sqq. ; L. Séchan (1931), p. 368-374 ; E. Bethe, III, p. 240. (2) A 70; 106 ; B 303 sqgq. ; I 144-49. La consonance des noms (Iphianassa/Iphige-

neia) 8 dû faciliter le rapprochement. (3) Procl., 1. 135-143 Sev. (4)

ΕἸ. 566-69, trad.

son impiété

Mazon.

Électre cherche

n'en est pas moins double

à atténuer la faute de son père, mais

(meurtre

sacrilége et vantardise injurieuse).

Les deux motifs sont aussi réunis chez les auteurs suivants : Hyg., f. 98; Apd., Ep., III, 21 ; sc. Il. A (Ar.) en A 108; sc. MTAB à Or. 658. Le premier motif seul chez

Callimaque, H. Art., 263-64 ; le second seul : Dictys, I, 19 ; Myth. Vat., I, 20 ; II, 202 ; Nonnos, Dionys,, XII, 115; Serv. ad En., II, 116 (c'est-à-dire seulement des sources tardives). La scolie à l'Iliade et Dictys parlent d'une chèvre sacrée; cette variante semble étrangère aux Kypria (Zielinski, p. 244 ; A. Severyns, CE, p. 296, n. 2), mais

il n'est pas exclu qu'elle soit ancienne (allusion possible chez Eschyle, Ag. 232).

LE SACRIFICE

La

tempéte

par laquelle

D'IPHIGÉNIE

se manifeste

267

la colére

de la déesse

est évoquée dans de nombreux textes (1). Il est possible que, dans

la parodos de l’Agamemnon, le tableau si réaliste de l'inaction de l'armée grecque et de ses funestes effets emprunte également certains traits à l'épopée (2). Calchas expliquait le présage et la volonté de la déesse, comme

dans l’Iliade il interprétait,

à Aulis méme,

le

signe du serpent et des passereaux (3). Agamemnon faisait venir Iphigénie à Aulis sous le prétexte de la donner en mariage à Achille (4), mais on ignore si Ulysse était déjà l'auteur de ce subter-

fuge. Tout au moins, il devait accompagner Talthybios à Argos (5), oü la jeune fille se séparait de Clytemnestre. Quant à Achille, il est impossible de savoir dans quelle mesure il était associé à cette intrigue. Iphigénie était conduite de force à l'autel pour y étre sacrifiée. On a parfois mis en doute la fin du résumé de Proclos relatif au salut de la jeune fille, à son transport en Tauride et au don de l'immortalité que lui avait accordé Artémis. On objectait que l'existence de la Tauride n'avait pu étre connue avant la colonisation de cette région par les Grecs (6). Mais, méme sans recourir à l'hypothése que la Tauride était pour Stasinos un pays lointain

et à demi fabuleux (7), on peut admettre que les marchands grecs

(1)

Eschl.,

Ag.

188;

198-99;

1418;

Virg.,

En.,

II,

116;

Hyg.,

f. 98;

Ov.,

Mél.

XII, 24 ; Paus., VIII, 28, 4; Tzetz., Antehom., 183. C'est le sens qui parait en général devoir

être donné

sources. (2) Ag.

au

mot

ἄπλοια,

impossibilité

de naviguer,

employé

par les

autres

188 sqq. : « L'énervement des Achéens..., les retards funestes, la famine,

les mouillages périlleux, la dispersion des équipages, l'usure des coques et des câbles »

(trad. Mazon). Palaméde aurait alors inventé le jeu de dés pour distraire les héros de leur inaction (cf. infra, p. 297). (3) B 299-332. (4) Certains critiques, il est vrai, ont mis en doute sur ce point la valeur du témoignage de Proclos (C. Robert,

Bild und Lied, p. 222;

E. Bethe,

III, p. 241).

Mais

un

motif dont la présence est aussi constante dans la tradition littéraire nous parait remonter à l'épopée, d'autant plus que Stasinos a pu en prendre l'idée dans l'Iliade (I 141), oü Agamemnon

offrait en mariage à Achille une de ses filles (sur les rapports

des Kypria avec la Presbeia de l'Iliade, cf. Wilamowitz, H, 18 (1883), p. 250; D. B. Monro, JHS, 5 (1884), p.8-9. Ces rapports devraient étre inversés pour W. Kullmann, p. 199). Par la suite, on imagina qu'Achille et Iphigénie avaient été réunis aprés leur mort sur l'Ile Blanche (Nicandre, ap. A. Lib., 27) ou Néoplolème était leur fils (Douris, fr. 88 Jac. ; Lycophr., Aler., 323-24).

encore

que

(5) Apd., Ep., III, 22. Il s’agit probablement de la légende épique (Zielinski, p. 256 ; Kullmann, l. c.),

à moins qu'Ulysse n'ait été ajouté à Talthybios à cause du rôle impor-

tant qu'il jouait dans les versions tragiques de l'épisode. (6) Bethe, III, p. 241; D. B. Monro, Il. c. Les premières fondations de colonies en Chersonése Taurique ne sont pas antérieures au début du vie 8. (J. Bérard, el la colonisation grecque (1960), p. 105-106).

(7) Zielinskl, p. 248.

L'erpansion

268

EURIPIDE

ET

LES

LÉGENDES

DES

CHANTS

CYPRIENS

ont fréquenté ces parages bien avant de s'y implanter recueilli des traditions cultuelles locales (1).

et y ont

Ainsi, bien que notre connaissance de l'épisode du sacrifice d'Iphigénie dans les Chanis Cypriens reste incompléte, on voit qu'Euripide a respecté dans ses grandes lignes la tradition épique : faute d’Agamemnon entraînant la colère d'Artémis qui retient les Grecs au port, explication inspirée de Calchas et décision prise par Agamemnon de sacrifier sa fille, subterfuge du mariage destiné à attirer la jeune fille à Aulis sans sa mére (2), substitution de la biche et transport d'Iphigénie en Tauride (3). Toutefois, un certain nombre de motifs euripidéens s'ajoutent ou méme s'opposent à ceux des Kypria. On sera tenté d'en chercher l'origine soit chez d'autres poétes, épiques ou lyriques, soit chez

les tragiques, Eschyle et Sophocle. Le Calalogue hésiodique mentionnait incidemment

le sacrifice

d'Iphigénie à propos de la descendance de Léda. Un passage récemment rendu par un papyrus confirme et compléte ce que l'on savait par ailleurs : la jeune fille, que l'auteur appelle Iphimédie,

avait été immolée sur l'ordre d'Artémis avant le départ de l'expédition

qui devait

reconquérir

Héléne

(4). Mais

la déesse

l'avait

sauvée et avait frotté son corps d'ambroisie pour la rendre immortelle. Elle était alors devenue «celle que les tribus des hommes qui vivent sur la terre appellent maintenant l'Artémis des carrefours », c'est-à-dire Hécate (5). Cette version diffère doublement de celle d'Euripide, car elle implique l'immortalité de la fille d’Agamemnon et exclut son transfert chez les Taures. Un

(1)

Sur l'élément indigène de cette légende, cf. Wilamowitz, o. c., p. 251 ; A. Basch-

makoff, Origine tauridienne du mythe d’Iphigenie, BA GB, 64 (1939), p. 9-21. En assurant le salut de l'innocente Iphigénie, l'auteur des Kypria voulait peut-être aussi moraliser la légende. (2) Peut-être l'évocation

du voyage

en char d'Iphigénie

et de son arrivée

à Aulis

s'inspire-t-elle du récit épique. (3)

La

version

de l'Iphigénie

en

Tauride

exclut cependant

l'immortalité

accordée

à l'héroïne. Ce motif, comme celui méme du transport en Tauride, ne s'est pas imposé dans la tradition

antérieure

(4) P. Oxry. XXVIII

à notre

poéte (cf. infra, p. 273).

(1962), 2482,

v. 11-14 :

«᾿Ιφιμέδην

μὲν σφάξαν ἐυχνή[μ]ιδες ᾿Αχαιοί ᾿Αρτέμιδος χρυσηλακ]άτ[ου κελαδείνης * Ἴλιον σ᾽φύρου ᾿Αργειώ[ν]ης.» "Apysıovn, au v. 14, désigne Hélène. (5) Ibid., v. 19-20 : « Τὴ]ν δὴ νῦν καλέουσιν ἐπὶ y|0ovl φῦλ᾽ ἀνθρώπων "Άρτεμιν

elvoBl(nv

d

etie

ione

Cf. aussi Fr. 100 RHz* (Philod., de piet., 24 G.; Paus., I, 43, 1). Sur Hécate-Enodia, cf. Hpc., Morb. Sacr., 1 ; Soph., fr. 535 ; Eur., Jon 1048 ; HL 570; Th. Kraus, Hekale,

Heidelberg,

1960, p. 57-83.

LE

SACRIFICE

D'IPHIGÉNIE

269

mot du prologue d'Iphigénie en Tauride semble cependant montrer qu'Euripide ne l'ignorait pas (1). D'aprés le témoignage de Philodéme, Stésichore avait suivi la version hésiodique pour la métamorphose d'Iphigénie en Hécate.

Une autre précision vient d'étre apportée par un nouveau document papyrologique (2) : le prétexte d'un mariage avec Achille, expliquant l'arrivée d'Iphigénie au camp, aurait été emprunté par Euripide au lyrique sicilien. Malheureusement, comme ce

motif se trouvait déjà chez Stasinos et a sürement été repris par les tragiques, il est difficile de dire sur quel point notre poéte s'inspirait de Stésichore plus que des autres sources. Par ailleurs, l'idée de faire du sacrifice d'Aulis un des mobiles principaux du meurtre d'Agamemnon par Clytemnestre a des chances de venir, au moins indirectement, de Stésichore. En effet, dans la XI* Pylhique, où le traitement du mythe semble s'inspirer surtout

de l’Orestie du poète d'Himére, Pindare est le premier à envisager le sacrifice d'Iphigénie, «immolée au bord de l'Euripe, loin de sa patrie », comme une des causes probables du «ressentiment au bras terrible » de Clytemnestre. Mais il ne présente cette idée que sous la forme dubitative qui convient à une légende encore mal

accréditée (3). Certains critiques (4) attribuent aussi à Stésichore l'explication de la faute d'Agamemnon par ce motif de folklore du vœu imprudent. Elle n'est pas attestée avant Iphigénie en Tauride. Cependant, l'Epilomé d'Apollodore ajoute aux causes de la colére d'Artémis données par les Chanis Cypriens une autre

raison : Atrée, aprés avoir promis de sacrifier à la déesse le plus beau de ses agneaux, s'était abstenu d'immoler une béte à la toison d'or qu'elle avait fait naître dans son troupeau (5). Ce motif, qui provient sans doute de l’Alcméonide (6), doit constituer le (1) IT 21, où Euripide donne à Artémis l'épithéte de φωσφόρος, qui est habituellement celle d'Hécate (cf. HL 569 ; Fr. 968 ; Ar., Fr. 594 Edm. ; Thesm. 858 ; Nausicrat., fr. 2 K.). (2)

P. Oxy.

XXIX

(1963), 2506

(commentaires

de poétes lyriques),

fr. 26, col.

II,

25-27 : Εὐριπίδ]ης δὲ καὶ τὴν ᾿Ιφ[ιγένειαν ἐ]ποίησε γαμουμέ[νην ᾿Αχυλεῖ] ... Voir Stésich., fr. 38 et 40 Page.

(3) Py., XI, 22-23b. Elle serait donc

A. Puech

antérieure

de

(éd. Budé,

16 ans

insistance (150-51; 248-254 ; 1432-33; El. 530

1509;



1524-29;

ce thème

était repris avec

1555-59). Cf. aussi Soph.,

sqq.

(4) C. (1883),

II, p. 152) date cette Pythique de 474.

à l'Agamemnon,

Robert,

Bild und

p. 255-56 ; O.

Lied, p. 170-71;

Krausse,

De Euripidis

M.

Mayer,

Aeschyli

p. 27;

instauratore

Wilamowitz,

H,

18

(1905), p. 113-114.

(5) Apd., Ep., III, 21 ; cf. II, 10. (6) A. Severyns, CE, p. 229-231. Euripide raconte ailleurs l'histoire de l'agneau d'or (Or. 811 sqq. ; 998 sqq.), mais en attribuant le prodige à Hermès, père de Myrtilos,

le cocher de Pélops. Or la scolie TAB à Oreste 995 précise que ce récit remontait à l'Alcméonide et que Phérécyde (fr. 133 Jac.) nommait Artémis à la place d'Hermès.

270

EURIPIDE

ET

LES

LÉGENDES

DES

CHANTS

CYPRIENS

point de départ de l'explication donnée, soit par Stésichore (1), soit plutót par Euripide : celui-ci a pu imaginer d'imputer au fils une faute qui répétait celle du pére (2).

Les fragments de l'Iphigénie d'Eschyle transmis par la tradition indirecte sont insignifiants (3). Quelques morceaux donnés par des papyrus ont parfois été attribués à cette piéce : l'un (4) contient une invocation à Zeus et le souhait, pour les guerriers alliés à Ménélas, d'une «heureuse réconciliation ». Certains critiques (5) pensent qu'il s'agit d'une réconciliation avec Artémis et estiment qu'on a là un fragment du prologue d'Iphigénie, dit par Calchas, mais il est beaucoup plus probable qu'il appartient à l'une des piéces de l'Achilléide (6). Deux autres morceaux sont rangés par Mette parmi les fragments de l'Iphigénie: dans l'un (7), Achille mentionnerait

le prétexte

dont

on avait usé

pour

faire venir à

Aulis la malheureuse princesse. Dans l'autre (8), Iphigénie mourante encouragerait les siens en les priant de ne pas pleurer. Mais l'un comme

l'autre sont trop mutilés pour que l'attribution soit

certaine, et l'on peut, avec des compléments différents, les assigner à d'autres piéces. C'est dire que tout essai de reconstruction — le plus hardi étant celui qui avait jadis été tenté par Th. Zielinski (9) — reste trés aléatoire. . On peut au moins supposer que la situation initiale s'accordait

avec celle qui est présentée dans l'Agamemnon: quand l'armée se trouve rassemblée à Aulis, Artémis, irritée contre les aigles de Zeus qui ont dévoré une hase pleine, contrecarre les projets de (1) Compte tenu d'un passage de Lycophron (Alez. 326-29), qui, selon une interprétation rien moins que certaine de Wilamowitz, l. c., rattachait le sacrifice d'Iphigénie au vceu de Pélops. (2) En revanche, le motif épique est celui qu'on trouve pour expliquer la mort d'Actéon dans les Bacchanles, 337-340. (3) Fr. 134-141 M., mais seul le fr. 141 (un vers!) appartient sûrement à la pièce. (4) P. Ozy. 2253 — 223a M. (5) R. Stark, H, 82 (1954), p. 372-75 ; I. Kakridis, Acme, 8 (1955), p. 91. H. LloydJones, Aeschyles (Loeb), II, p. 582-84, n'exclut pas formellement cette hypothése. (6) Snell, Gnom., 25 (1953), p. 437 ; Lloyd-Jones, l. c.; Mette.

(7) P. Ozy. 2256, fr. 76 = Fr. 137 M. On lit : v. 2.

v.3 v.7

Ἰδὲ θεσφάτων

Ἰτὴν νυμφευ[τρίαν

᾿γαμήλιος[

Mais Görschen, Gymn., 62 (1955), p. 201-02, place ces vers dans les Diclyoulcoi ! (8) P. Ory. 2256, fr. 88 = Fr. 139 M.: v. 2 Juluverv

v. 3

ἄϊΪπλοια καὶ

v. 4 v.6

δακ]ρύση«ι»ς μηδ εὐ]κλεί[α

Mais il est plus probable qu'il s'agit du Philoctèle, comme

(comparer d'Eschyle, p. 87-88 ; (9) O.

v. 2 dans 105, c., p.

le pensent Snell et Gürschen

et Fr. 400 M.). Sur ces trois fragments, cf. M. F. Galiano, Les papyrus Proceedings of ihe IXth Inlernal. Congress of Papyrology, Oslo, 1961, n. 206 ; 90, n. 102. 250-263.

LE SACRIFICE

D'IPHIGÉNIE

271

son père en déchatnant des vents contraires (1). Comme

ceux-ci

empéchent les Grecs de gagner le large, Calchas révéle que la déesse réclame pour laisser partir l'expédition le prix du sang : Iphigénie devra étre immolée. Agamemnon, torturé par ses sentiments de pére, hésite longtemps. Enfin, pressé par les chefs achéens, égaré par une ambition coupable ou seulement conscient de ses devoirs envers les dieux et envers l'armée (2), il finit par céder. On a quelques motifs de croire que Clytemnestre accompagnait sa fille, mandée à Aulis sous le prétexte d'épouser Achille, qui,

sans

cela,

refusait

de

s'embarquer,

qu'elle

s'opposait

au

sacrifice (3), et qu'Achille lui-méme, à qui Iphigénie avait réellement été promise, tentait de défendre la jeune fille les armes à la main (4), mais il n'y a là rien d'assuré. Pour le dénouement, nous revenons sur un terrain moins mouvant. L'Agamemnon rappelle comment Iphigénie est immolée en

dépit de ses priéres : soulevée de terre, baillonnée, elle est conduite à l'autel, sacrifiée par son propre pére (5). Nul ne sait que la jeune fille a été sauvée par la déesse. Clytemnestre reste profondément ulcérée de la mort de sa fille. Zielinski pense qu'Achille se réconciliait avec les chefs sur la promesse de compensations futures (6). Que retrouve-t-on de ce schéma dans les piéces d'Euripide que nous avons étudiées ? Dans le cadre général qui vient du récit épique, on remarque l'insistance du poéte sur le róle de Calchas, qui exigeait le sacrifice, et des chefs, qui en pressaient l'accomplissement; en revanche, Achille apparatt plus comme une victime (1) Ag. 114 sqq. ; 188 et 192. (2) Ag. 198-227. E. Fraenkel, Dioniso, commune

12 (1949), p. 3-16, combat l'interprétation

« qui rabaisse le caractére d'Agamemnon

chez Eschyle » (p. 13). A son avis,

il n'y a pas trace d'ambition dans le cœur de l'Atride, qui doit choisir entre deux devoirs moraux également élevés et n'ignore pas que, quoi qu'il fasse, il sera puni. Ce serait pour cette raison qu'Eschyle aurait abandonné le motif traditionnel de la faute d'Agamemnon en lui substituant l'histoire des deux aigles et de la hase pleine. (3) Cf. fr. 141 M. On peut encore supposer que Clytemnestre et sa fille se trouvaient déjà à Aulis, si le projet de mariage était antérieur à l'oracle (cf. Friedrich (1953), p. 101). (4) Motif parallèle dans les Myrmidons, fr. 225, 1 sqq. M.; Zielinski, p. 255-56. Cet auteur, appuyant sa reconstitution sur des représentations figurées (urnes, vases étrusques, miroirs) suppose que Clytemnestre s'efforçait, avec l'appui de Palaméde, de déjouer les intrigues de Ménélas et d'Ulysse, mais ses arguments sont trés fragiles. (5)

Ag. 228-246.

Comme

dans l'épopée,

Agamemnon

est lui-même

le sacrificateur

(cf. 209-211 ; 224-25 et la note de P. Mazon ad loc.). Eschyle a pu s'inspirer dans cette admirable description d'une œuvre picturale (L. Séchan, El. Trag. Gr., p. 12). Ainsi, indépendamment l'un de l'autre, T. Tosi, AeR, 17 (1914), p. 24-29, et P. Maas, CIQ.,

45 (1951), p. 94, ont rapproché du récit d'Eschyle une amphore à figures noires du British Museum représentant le sacrifice de Polyxéne (comme Iphigénie, la jeune fllle est soulevée horizontalement au-dessus de l'autel, qu'elle arrose de son sang ): voir infra, p. 370, n. 3. (6) Ainsi s'expliquait le sacrifice de Polyxéne : cf. Lyc., Alez., 323 sqq.

272

EURIPIDE

que comme

ET

LES

un bourreau,

LÉGENDES

DES

CHANTS

et Iphigénie montre

CYPRIENS

de la mansuétude

pour un pére qui l'aimait tant et qui a cédé à la contrainte et à un moment d'égarement (1) ; quant à Clytemnestre, la rancune qu'elle éprouve depuis le sacrifice explique en partie son crime. Euripide s'est aussi inspiré de la peinture pathétique du sacrifice tel que le représente l'Agamemnon, et, de méme que son prédé-

cesseur, il affirme que les Grecs ont tout ignoré du salut d'Iphigénie. C'est donc au moins autant les sentiments que les faits matériels qui semblent avoir été retenus par le poéte dans le théátre d'Eschyle (2). _ Malgré l'existence de matériaux un peu plus abondants (3), il est encore plus difficile de reconstituer l'intrigue de l'Iphigénie de Sophocle. Quelques fragments papyrologiques (4), là encore d'attribution incertaine, ne permettent guére de préciser l'action. Mais

l'agón qui, dans Élecire, oppose Clytemnestre à sa fille (5), les récits des mythographes théátre d'Euripide

(6) et les « motifs rudimentaires» tirés du (7) fournissent quelques indications süres ou

probables.

On peut penser que Sophocle suivait d'assez prés les Chants Cypriens. C'est en tout cas à cette épopée qu'il empruntait le motif de la faute d'Agamemnon (8). La vengeance d'Artémis se manifestait

par un

calme

plat, qui ne permettait

aux

Grecs

de

faire voile ni vers la Troade ni vers leurs patries respectives (9). Aprés la révélation de Calchas, Ménélas devait exercer une forte pression sur son frére pour l'amener à se plier aux exigences de la (1)

Eschyle

l'affection (2) On Euripide (3) Fr. (4)

avait

mis l'accent

sur les longues

hésitations

qui l'unissait à sa fille (208 ; 228 ; 243-46). trouvera une liste de rapprochements dans Aeschgli instauratore, 1905, p. 113-115. 305-315 P.

(1) Pap.

Brit.

Mus. 2560

du

roi (205-227)

l'ouvrage

d'O.

(Milne, n° 78) : 28 débuts de trimétre.

et sur

Krausse,

De

Les premiers

vers 80nt adressés au héraut Talthybios, quí est pressé de parler : les allusions à un mariage (v. 14-15; 21; 23-24), à un acte impie (v. 3 θεοῖς ἀθέμιστος), peut-être à

un meurtre

(v. 26 : χ[ε]ύθηι σιδήρωι),

(ef. Pickard-Cambridge,

rendent

dans J. U. Powell,

New

l'attribution Chapters...

assez

III (1933),

vraisemblable p. 154-55).

(2) Pap. Bril. Mus. 486b (Milne, n° 79), 17 débuts de vers appartenant à un dialogue oü apparaissent les noms de Talthybios (?), de Calchas, d'Agamemnon et d'Ajax de Locres. C. E.

Fritsch, Neue Fragmente

des Aischylos

und Sophokles,

Hambourg,

1936,

P. 41, suggérait aprés Pickard-Cambridge, I. c., l'Iphigénie de Sophocle, mais on peut légitimement hésiter entre cette pièce et l'Ajar de Locres du méme auteur. (5) El. 516-633. (6) En particulier Hyg., f. 98, et Apd., Ep., III, 21-22. (7) Voir Th. Zielinski, p. 264-273 ; W. H. Friedrich, (1935), p. 96-100. (8) Cf. supra, p. 266. (9) Soph., El. 564 ; 573-74. Malgré l'avis de R. G. Bury, Proc. of the Camb. Philol. Assoc., 178 (1941-45), p. 5, il ne nous semble pas possible d'interpréter autrement

ces vers, non plus que le v. 15 d’IT.

LE SACRIFICE

D’IPHIGENIE

273

déesse (1). Enfin, Clytemnestre jouait un rôle dans la pièce (2), et Ulysse devait conduire l'intrigue : c'était sans doute lui qui inventait le subterfuge du faux mariage, qui obtenait l'accord d'Agamemnon (3) et d'Achille (4), et qui se chargeait de la mise

en ceuvre. On a suggéré que l'action de la piéce se déroulait, non plus à Aulis, mais au palais du roi (5) : Ulysse, accompagné de Dioméde (6), venait y réclamer Iphigénie à sa mére au nom d'Agamemnon, et au dénouement un messager (Talthybios ?) arrivé du camp apprenait à Clytemnestre le sacrifice de sa fille (7). Bien que cette hypothése se heurte à certaines objections (8), elle ne nous parait cependant pas à écarter. Nous retrouvons chez Euripide quelques thémes sophocléens : culpabilité d'Agamemnon ; absence de vents ; insistance de Ménélas ;

róle décisif d'Ulysse. Si Sophocle avait situé son intrigue à Argos ou à Mycénes, c'est encore à lui qu'Euripide avait emprunté les motifs des adieux joyeux d'Iphigénie à Clytemnestre et à Oreste et du départ de la jeune fille sans sa mére vers le camp achéen : le prologue d'Iphigénie en Tauride s'accorderait donc dans ses

grandes lignes avec la dramaturgie de Sophocle.

Un dernier point est à remarquer : dans toutes ces piéces d'Euripide, méme dans Iphigenie en Tauride, les Grecs croient

qu'Iphigénie est morte, malgré le miracle de la biche. Il y a là une anomalie sur laquelle un critique a justement attiré l'attention (9). Comment

se fait-il, en effet, que l'intervention de

la déesse n'ait éveillé aucun doute, aucune réflexion dans l'esprit des assistants ? C'est sans doute qu'Euripide a combiné deux traditions : celle des Chants Cypriens, qu'il adopte dans la pièce, (1) (2) (3) (4)

El. 537 ; 545 ; 576-78. Fr. 305; 307? ; 310 ? ; Hyg. et Apd., IL. cc. Cf. Ov., Mél., XIII, 187-192 ; Vretaka, p. 19. Welcker, Gr. Tr., I, p. 107-108 ; Zielinski, p. 269 ; Friedrich

Les rôles d'Achille et d'Ulysse méme Ulysse dans Philocléte.

(5) Ov., Mét., XIII, p. 89-90. (6) Hyg., f. 98.

seraient

comparables

193-94 ; Zielinski,

p. 272;

à ceux

Friedrich

de

(1935),

p. 96-97.

Néoptoléme

(1935),

p. 96;

et du

(1953),

(7) Pap. 78 Milne. Friedrich (1935), p. 98-100, rapproche le destin d'Iphigénie ainsi traité de celui de Polyxéne : dans les Troyennes de Sénéque (865 sqq.), sans doute d'après un modèle grec, la fille d'Hécube était conduite à l'autel sous le prétexte d'épouser Pyrrhus. (8) Probléme des allées et venues entre Argos et Aulis, caractère stagnant de l'action : de plus, l'intervention d'Ulysse auprés d'Agamemnon et d'Achille ne pouvait qu'être rapportée sous forme de récits (d'Ulysse à Dioméde ?). (9) A. O. Hulton, Eur. and the Iphigenia legend, Mn., 15 (1962), p. 364-68. 19

274

EURIPIDE

ET LES

LÉGENDES

DES

CHANTS

CYPRIENS

et une tradition plus répandue, acceptée par Pindare, Sophocle et Eschyle, d’après laquelle Iphigénie avait réellement été sacrifiée à Aulis (1). Aussi, tout en développant la donnée épique, Euripide

n'a pas voulu éliminer la tradition dominante chez ses prédécesseurs, d'autant plus qu'elle présentait certains avantages dramatiques. Mais il les a conciliées assez habilement pour que la contradiction qu'elles comportaient ait pu passer à peu près inapercue. II. IPHIGÉNIE

A

AULIS

(2)

Si, dans les piéces étudiées jusqu'ici, la part d'invention personnelle d'Euripide est trés restreinte, il faut s'attendre à ce qu'il n'en soit plus de méme dans un drame où, reprenant le sujet dans

son ensemble, le poéte devait chercher à le renouveler, soit par une

combinaison

originale des éléments

fournis par la tradition,

soit par des innovations portant sur l'intrigue et sur les caractéres. Mais avant toute étude se pose une question préalable. Iphigénie à Aulis, écrite sans doute pendant le séjour d'Euripide en Macédoine (3), fut représentée à Athénes dans l'année qui suivit la mort du poéte, par les soins de son fils (4). Le poéte avait-il

eu le temps de terminer sa piéce ? Sinon, quelle est l'étendue des compléments apportés pour la représentation ? Sommes-nous méme

sûrs de lire intégralement

la pièce de 405 ? Ce problème,

bien souvent débattu par les philologues depuis un siécle (5), est d'importance pour notre étude. En effet, à quoi bon rechercher dans cette ceuvre la pensée et l'art d'Euripide, si, pour une part notable, elle n'est pas de la main du poète et se montre infidèle à son dessein ? Ce n'est pas ici le lieu d'entrer dans le détail de cette

difficile question, ni méme (1) Cf. à

414;

M.

cf.

Pohlenz,

II, p.

Pearson,

II,

p.

d'énumérer les anomalies de fond et

161-62. Cependant, 327-28;

Platnauer,

le Chrysès p.

xii)

de Sophocle

paraît

(antérieur

supposer

le

séjour

d'Iphigénie en Tauride, mais il n'est pas sür que le sujet soit celui que donne f. 120-121. (2)

Parmi

les nombreuses

utilisé celles d'England Willem*

(Liège,

éditions

(Londres,

1930), de S. Rossi? (Turin,

Cecchi (Florence, 1959). (3) Printemps ou été 408 — mettant

commentées

1891), de Weil

l'astronomie

au

service

de

la

piéce,

1946), d'Ammendola?

été (?) 406. A. Rome, de l'histoire

nous

avons

(Sep! tragédies*..., Paris

littéraire,

Mél.

(Turin,

Mercati,

s'appuie

Hygin, surtout

1899), de 1959)

et de

1946, p. 13-26,

sur les v. 6-9

pour

dater le prologue de la fin de juillet 409, E. Delebecque, p. 387, croit la piéce inspirée par les événements politiques de l'été et de l'automne seconde moitié de cette méme année.

408 et daterait la pièce de la

(4) Sc. Ar., Gren. 67 ; Souda, 8. v. Εὐριπίδης. (5) On trouvera un bon historique de la question dans l'article de S. Cecchi, p. 73-76.

IPHIGÉNIE

A AULIS

270

de forme, les indices internes et externes qui ont conduit les critiques à rejeter des portions plus ou moins étendues de la piéce. La gamme des solutions proposées est du reste extrémement large entre ceux qui ne reconnaissent dans le drame tel que nous le lisons qu'un petit nombre de compléments apportés à l'eeuvre pour la représentation (1) et ceux qui croient y discerner des traces de double recension, des remaniements importants et des apports

successifs

échelonnés

depuis

la

représentation

de

405

jusqu'à

l'époque byzantine (2). Il n'est pas douteux, cependant, que les excés de l'hypercritique ont été provoqués par la connaissance des conditions particulières dans lesquelles ce drame a vu le jour. A examiner sans préjugés les points controversés, il est certain

qu'il y a eu cà et là des remaniements (3) ou des lacunes comblées par

une

autre

main

que

celle

du

poéte,

mais,

à notre

sens,

ces

modifications affectent plus la forme que le fond. La mise en ceuvre de la légende et l'agencement de l'intrigue, dans la piéce que nous

lisons, ne doivent rien qu'au génie d'Euripide (4). Nous adopterons pour notre étude le plan suivant : nous examinerons d'abord les éléments légendaires et les situations dramatiques empruntés par Euripide à ses devanciers, Stasinos, Eschyle et Sophocle. Nous distinguerons, le cas échéant, les motifs

principaux, c'est-à-dire ceux qui sont incorporés à l'intrigue et y jouent un róle important, et les motifs secondaires, c'est-à-dire ceux que, plus ou moins consciemment, Euripide a pris dans les œuvres antérieures, sans leur donner cependant une place de

W.

(1) Cette position conservatrice est en particulier adoptée par H. Weil, L. Séchan, H. Friedrich, E. Valgiglio. Voir aussi J. Meunier, Pour une lecture candide de l'Iphi-

génie à Aulis, Musée Belge, 1927, p. 21-35 ; 101-110 ; 135-155. (2) Voir par exemple l'édition d'England, dont les conclusions sont en partie adoptées par G. Murray (OCT). L'effort critique pénétrant, maia trop radical dans ses conclusions, de D. L. Page aboutit à exclure de notre drame plus du tiers des vers (548 sur 1629), considérés comme des interpolations d'origines diverses : poétes attiques,

metteurs en scéne, acteurs, écrivains byzantins; Greco-Italica (1930), p. 39-71, et S. Cecchi influencé par la thèse de Page.

(3)

voir aussi R. Cantarella, Riv. Indo-

(en particulier p. 80), qui nous semble trop

Un des problèmes les plus graves est celui du prologue — ou des deux prologues—

en anapestes

(1-48 et 115-163)

et en Iambes

(49-114).

Outre qu'une telle combinaison

est insolite, il y a une contradiction difficile à résoudre entre les v. 105-107 et 124-26. Mais aucune des innombrables solutions proposées n'est pleinement satisfaisante (voir pour un bon état de la question E. Valgiglio, p. 179-182; E. Fraenkel, Studi U. E. Paoli,

1956, p. 298-304). Comme l'a bien montré Friedrich, p. 73-74 ; 86-96, les deux parties du prologue se complétent et sont toutes deux nécessaires à l'intelligence de la piéce. L'hypothése, admise par beaucoup de critiques, d'une tentative d'Euripide le Jeune ou d'un poète du 1v* s. pour fondre deux essais authentiques d'Euripide, nous paraît

la plus vraisemblable (cf. Lesky, p. 198). (4) Nous réservons ici la question du

dénouement,

(p. 281-283). On trouvera aussi plus loin des remarques point de vue de notre sujet, des problémes particuliers.

que

nous

étudierons

sur la parodos,

à part

qui pose,

du

276

EURIPIDE

ET LES

LÉGENDES

DES

CHANTS

CYPRIENS

premier plan, soit qu'ils se trouvent en contradiction avec les données retenues, soit qu'ils n'apparaissent que pour étre critiqués et rejetés, comme autant d'invraisemblances qu'Euripide reprocherait à ses prédécesseurs. Nous reprendrons ensuite l'ensemble

du drame pour apprécier l'originalité propre d'Euripide, qu'il s'agisse de la marche de l'action ou de la peinture des caractéres. Les événements antérieurs au sacrifice d'Iphigénie sont maintes fois évoqués dans le drame, non seulement dans le prologue, mais

encore dans les parties lyriques et méme A

ce

propos,

les

Chants

Cypriens

contribution (1), avec, ici ou empruntés à Stésichore (2). Ainsi, Agamemnon

au cours des épisodes. particulièrement

là, quelques

Dans le prologue en iambes qui se retrouvent encore quelques-unes

Stasinos.

sont

déclare

détails

sans

mis

à

doute

expose le sujet de la piéce des données du poéme de

:

« L'armée rassemblée et réunie à Aulis, nous restons là sans pouvoir prendre la mer. Dans notre embarras, le devin Calchas nous révéle un oracle : Iphigénie, ma propre fille, doit être sacrifiée à Artémis, qui habite ces lieux. Alors, nous pourrons traverser et anéantir les Phrygiens, si nous la sacrifions. Sinon, il n'en ira pas ainsi » (3).

(1) Origines de Pélée et récit de ses noces avec Thétis (697-707 ; 1036-1079) ; naissance d'Hélène (793-800) ; jeunesse d'Achille et éducation par Chiron (209 ; 708-710 ; 926-27) ; jeunesse de Páris (573-79 ; 1284-1298) ; jugement des déesses (71-72 ; 181-84 ; 580; 1299-1309); enlèvement d'Hélène (73-77; 178-180; 270-72 ; 581-85; 1382) et noces avec Páris (467-68) ; quéte des chefs et rassemblement à Aulis — avec omission de la campagne de Mysie (77-83). (2) Par exemple, pour la naissance d'Hélène (793-800) et peut-être le serment des prétendants (51-71; 391-93). Pour l'épisode du mariage de Clytemnestre et de

Tantale et le meurtre de ce dernier par Agamemnon

(1148-1156), Euripide est notre

source la plus ancienne, mais l'a-t-il inventé de toutes pièces (Schmid-Stählin, p. 638, n. 1) ? C'est peu probable. A. Severyns, CE, p. 421, s'est demandé s'il ne figurait pas dans le cycle. M. Mayer, p. 31-33, pense plutót à Stésichore, mais sans donner de raison bien précise. Indiquons deux indices, si fragiles soient-ils : au v. 1154, il est question des «chevaux resplendissants des Dioscures », or Stésichore (fr. 1 Page) parlait de ces chevaux qu'ils avaient reçus d'Héra. Toute la suite de la tirade évoque

la vengeance de Clytemnestre, sujet de l'Orestie du poète lyrique. E. Valgiglio, p. 53, rapproche le meurtre du fils de Tantale de celui d'Astyanax dans les Troyennes. (3) 7A 87-93 : «'HOpotouévou δὲ καὶ ξυνεστῶτος στρατοῦ ἥμεσθ᾽ ἀπλοίᾳ χρώμενοι κατ᾽ Αὐλίδα.

Κάλχας δ᾽ ὁ μάντις ἀπορίᾳ κεχρημένοις ἀνεῖλεν ᾿Ιφιγένειαν ἣν ἔσπειρ' ἐγὼ ᾿Αρτέμιδι θῦσαι τῇ τόδ᾽ οἰκούσῃ πέδον, καὶ πλοῦν τ᾽ ἔσεσθαι καὶ κατασκαφὰς Φρυγῶν

θύσασι, μὴ θύσασι δ᾽ οὐκ εἶναι τόδε.» Nauck

et Murray

ont condamné

le dernier vers. Cependant,

une telle insistance est

conforme aux habitudes tragiques (cf. par exemple 1007) aussi bien qu'au style oraculaire. Pour l'idée et l'expression, on rapprochera IT 15-20. Sur cet oracle, voir aussi

358-59;

879.

IPHIGÉNIE

A AULIS

277

Aprés avoir bien hésité, déclare-t-il, il résolut d'obéir à l'oracle, et, pour attirer Iphigénie à Aulis, il usa du prétexte d'un mariage : Achille, a-t-il fait savoir à Clytemnestre, ne consent à se joindre

à l'expédition que s'il reçoit la jeune fille pour épouse (1). Tout au long du drame, des motifs venant des Chanis Cypriens, soit directement, soit à travers des imitations tragiques, s'insérent dans une action qui s'écarte du récit épique. Par exemple, l'exigence d'Artémis ne semble pas ici motivée par une faute d'Agamemnon. Pourtant, quand celui-ci soupirait, dans les anapestes du prologue : a tantôt

quelque

infraction

au

culte

des

dieux

vient

bouleverser

notre

vie » (2),

le spectateur n’etait-ıl pas tenté d'évoquer la version épique acceptée par Sophocle et par Euripide lui-méme dans ses autres drames ? Le poéte met aussi l'accent sur la longueur du séjour des Achéens à Aulis (660) et sur la lassitude de l'armée, qui menace de se débander (3). Il porte sur la scéne l'arrivée de la jeune victime à Aulis, seulement racontée dans Iphigénie en Tauride (4) : autant de souvenirs probables des Kypria. Dans l'épopée comme chez les tragiques, les Grecs usaient de violence pour sacrifier Iphigénie et Agamemnon levait le couteau sur sa propre fille. Euripide a corrigé ces données qu'il jugeait sans doute par trop barbares, mais leur souvenir n'est pas entiérement effacé. Ainsi, il est plusieurs fois annoncé dans le drame qu'Agamemnon va immoler son enfant de ses propres mains (5).

Iphigénie elle-méme s'attend à étre saisie par des gardes en armes et trainée par les cheveux jusqu'à l'autel (6).

(1)

ZA 99-105.

Le motif avait sans doute été repris par Eschyle, et sûrement par

Sophocle.

(2) LA 24-25 : « Τότε μὲν τὰ θεῶν οὐκ ὀρθωθέντ᾽ ἀνέτρεψε

βίον.»

(3) JA 352-53 ; 814-18. Il est possible (d'après Eschl., Ag. 212-213) que dans l'épopée Agamemnon ait alors songé à licencier l'armée (cf. J.A 94-96 ; 495), suivant un motif

qui apparaît plusieurs fois dans l'/liade (B 110 sqq. ; 1 17 8qq. ; & 65 sqq.). Pendant le siège de Troie, d'après les Kypria, les Grecs avaient encore failli se rembarquer et renoncer à la guerre (Procl., I. 159-160 Sev. ; cf. W. Kullmann, Mus. Helv., 12 (1955), p. 253-273). On rapprochera JA 814-818 d'un fragment papyrologique du Télèphe

(cf. supra,

p. 242), notamment

/A 809 et v. 9; 818 et v. 24.

(4) LA 590-630 ; cf. 147-151 ; 420-23. (5) LA 873; 875 ; 883 ; 1177-78 ; 1185. Même si celte affirmation n'est pas à prendre au pied de la lettre (L. Séchan, p. 418), l'expression n'en rappelle pas moins de trés prés certains vers d'Eschyle ou d'Euripide lui-méme, dans les piéces oü il acceptait cette donnée : comparer par ex. IA 875 et El. 1023, IT 852-53 ; LA 1178 et IT 360;

665 ; IA 1185 et Eschl., Ag. 1417. (6) LA 1361 ; 1365-66 ; 1458.

278

EURIPIDE

ET LES LÉGENDES

DES

CHANTS

CYPRIENS

Tels sont les éléments de la piéce qui peuvent remonter aux Chanis

Cypriens.

Ils sont,

on

le voit,

peu

nombreux.

Certains

ne jouent dans l'action qu'un róle effacé, et la plupart avaient déjà été mis en ceuvre par Eschyle ou Sophocle. L'influence directe de la dramaturgie d'Eschyle apparatt plus importante. Tout d'abord, dans Agamemnon, l'exigence d'Artémis n'était

pas

motivée

par

une

faute

personnelle

de

l'Atride.

La

colére de la déesse ne le visait pas directement. S'il était coupable, c'était, semble-t-il, d'avoir accepté sans critique les paroles du devin et de s'étre résolu à un acte monstrueux, alors que celui-ci constituait seulement une condition mise par la divinité au succés des Achéens (1). Il en est de méme ici : la faute de l'Atride ne commence qu'à l'instant où, sur la foi de Calchas, il a accepté l'idée du sacrifice, et oà il prend ses mesures pour l'exécuter (2).

La présence de Clytemnestre aussi un motif eschyléen

des

deux

Iphigenie

à Aulis auprés de sa fille serait

(3), et, si l'on en croit Zielinski, l'action

présenterait

de

nombreux

points

communs,

en particulier la révélation de la ruse d'Agamemnon à la reine et à Achille et les vains efforts de l'un et de l'autre pour s'opposer au sacrifice (4). Du moins, le motif épique de l'emploi de la violence contre Iphigénie était repris avec force par Eschyle et celui de la vengeance de Clytemnestre, qui tient une place importante dans la seconde moitié du drame d’Euripide, s'inspirait de l'épisode

final de l'Agamemnon (5). Enfin, l'émouvante priére de la jeune fille à son pére devait développer les supplications de l'héroine dans l'Iphigénie d'Eschyle (6). On peut encore relever un certain nombre de motifs secondaires empruntés au méme

poéte. Ainsi, on rencontre une fois le théme

(1) Ag. 186-87 ; 200-01; voir P. Mazon, note au v. 199. Interprétation différente du passage par E. Fraenkel (cf. supra, p. 271, n. 2) : il n'en reste pas moins que l'attitude d'Agamemnon est vigoureusement condamnée par le chœur (218-221). Dans /phigenie à Aulis, à défaut de l'Atride, c'est Achille qui met en doute la prophétie de Calchas (95558). (2) Mais, chez Euripide, Agamemnon ne prend conscience de l'horreur de cet acte qu'après avoir pris sa décision (LA 136 ; 398-99), et non avant, comme chez Eschyle (Ag. 207-211). (3) Euripide semble souligner l'invraisemblance de la tradition contraire, qui était celle de l'épopée et de Sophocle : cf. 457-59; 728-736. Pour Friedrich (1953), p. 106, le verbe ἀγάγοις d' LA 885 traduirait un souvenir de la version où Clytemnestre accompagnait elle-même sa fille à Aulis (au contraire, v. 100 : πέμπειν ; 119 : στέλλειν ;

362 : ἀποστέλλειν). J. C. Kamerbeek, Entr. Fond. Hardt, VI (1961), p. 13, estime que le «tableau de genre » de l'arrivée de Clytemnestre et d'Iphigénie peut s'inspirer de l'arrivée de l'Atride dans l'Agamemnon d'Eschyle. (4) Voir supra, p. 271. (5) ZA 1173-1193 ; 1369-70 ; 1454-55 ; 1616-18 ; cf. Ag. 1412-18 ; 1521-29 ; 1553-59. (6) IA 1211-1252 (cf. 462-64), et Ag. 228.

IPHIGÉNIE A AULIS

279

eschyléen des navires retenus à Aulis par des vents contraires (1). La version d’après laquelle Agamemnon aurait réellement promis sa fille à Achille avant le rassemblement d'Aulis a également laissé ici quelques traces. Sans doute le roi prend-il soin de préciser que le Péléide n’est au courant de rien et que ce projet, connu seule-

ment de quelques chefs, n'est qu'un leurre destiné à tromper Clytemnestre (2). Mais le vieux serviteur semble tenir un moment le mariage pour acquis (134-35), l’armée paraît, elle aussi, au courant de l'affaire (430 ; 435-39) et Achille, tout en s'en défendant,

entre avec beaucoup de naturel dans son róle de « fiancé » (3). Dans la piéce d'Euripide, les adversaires principaux d'Agamemnon sont Achille et Clytemnestre. Cependant, le roi semble redouter plus que tout l'intervention des trois personnages qui partagent avec lui son secret, Calchas, Ulysse et Ménélas (107). En

fait, non seulement Ménélas s'efforce d'empécher son frére de

sauver Iphigénie, mais encore, comme celui-ci résiste, il le menace « d'avoir recours à d'autres moyens et d'autres amis » (4). S'il ne nomme pas ces derniers, il est évident qu'il s'agit de Calchas et d'Ulysse. A la fin de la méme scène, Agamemnon, qui s'est entre temps réconcilié avec Ménélas, lui fait part des dangers qu'il appréhende : il craint que Calchas ne révéle l'oracle à tous les

Grecs, ou encore que le «fils de Sisyphe », Ulysse, par ambition personnelle, ne souléve l'armée contre les Atrides afin de les contraindre

à accomplir le sacrifice

(5).

En

Calchas,

Ulysse

par

la suite

ni

n'interviennent

fait, ni Ménélas,

dans

ni

l'action,

mais la menace n'en persiste pas moins et pése sur la conduite d'Agamemnon (6). Iphigénie s'attend méme à voir Ulysse prendre la téte des soldats qui la conduiront à la mort (7). On est donc

fondé à croire que ces trois personnages jouaient un róle effectif (1) ZA 1322-23 (vers suspectés par Page, p. 187). (2) Agamemnon insiste sur ce point à deux reprises dans le prologue en anapestes (105 ; 128-132). La bévue du vieillard est donc étrange, et on en a tiré argument contre l'authenticité du prologue. Il y a au moins quelques altérations à la jonction des anapestes et des Iambes (Friedrich (1935), p. 73-74 ; Pohlenz, II, p. 122). Il n'en reste pas moins qu'Euripide veut souligner un fait essentiel à l'action et probablement nouveau pour le public. H. Weil (note à 1A 1294-27) mentionne dans Oreste (731 et 757) une inconséquence

du méme

genre.

(3) LA 935-36 ; 1354-56 ; 1404-05 ; 1410-15. (4) LA 413-14, vers rejetés par plusieurs éditeurs et suspectés par Page, p. 158, à tort à notre

(5)

sens

IA 518-535.

(cf. Weil,

ad loc.).

Sur Ulysse «fils de Sisyphe », cf. Eschyle, fr. 286 M.

des armes); Soph., Aj. 190; Philoct. 417; Cgc. 104 ; IA 1362. Sur cette appellation,

(Jugemeni

625; 1311; Fr. 567 (Syndeipnoi) ; Eur., cf. H. Grégoire, Bull. Ac. Roy. Belg., 19

(1933), p. 87-97. La crainte qu'exprime Agamemnon d'étre attaqué jusque dans les murs de Mycénes ne constitue sans doute qu'une amplification due à Euripide. (6)

Sur ce ressort, cf. Vretska,

(7) IA

1362-67.

p. 22.

280

EURIPIDE

ET LES

LÉGENDES

DES

CHANTS

CYPRIENS

chez les prédécesseurs d'Euripide. Cela parait vrai en particulier de l'Iphigénie d'Eschyle.

Un autre motif secondaire est de nature à renforcer cette hypothése : plus loin dans la piéce, Achille révéle à Clytemnestre qu'il a failli étre lapidé par les Grecs pour avoir pris contre eux le parti

d'Iphigénie. Il se propose cependant de faire une seconde tentative avec une poignée de soldats fidéles, mais le revirement d'Iphigénie met fin à ce projet (1). Il est tentant d'admettre, avec Zielinski,

que dans le drame d'Eschyle le héros allait jusqu'au bout de son dessein et se heurtait aux Grecs, conduits par Ulysse, qui le lapidaient

(2).

On

peut

méme

discerner

dans

un

autre

passage

une intention polémique dirigée contre la piéce d'Eschyle. Aprés avoir offert son aide à Clytemnestre,

Achille lui propose un plan

d'action raisonnable : la reine essaiera de fléchir son époux par ses priéres et c'est seulement en cas d'échec de sa part qu'Achille emploiera la force. Il conclut par ces mots : « Ainsi, l'armée

par la raison

ne saurait

plutôt que

me

blámer,

si je réussissais dans

cette affaire

par la force » (3).

Ceci rend vraisemblable, comme

le croyait Zielinski (4), l'existence

dans le drame d'Eschyle d'une scène où Achille se jetait impulsivement contre les Grecs sans essayer d'abord la conciliation. Si sur certains points les rapprochements que nous avons esquissés restent conjecturaux, il apparatt néanmoins qu'Euripide a tiré

un grand parti de l'Agamemnon d'Eschyle, et sans doute aussi de son Iphigenie, tant dans la construction de l'intrigue que dans la peinture des sentiments et des caractéres. (1) JA 1345-1361 (voir encore 1371-73; 1392-94 ; 1426-1432). (2) Zielinski suppose encore que le petit Oreste apparaissait déjà dans la piéce d'Eschyle, comme dans son Téléphe (qui aurait été la premiére piéce de la trilogie, ce qui n'est guère vraisemblable). Rien ne permet de l'affirmer. Chez Euripide, sa présence est un élément poétique propre à accroltre l'émotion (cf. 418 ; 603 ; 621-24 ; 1119; 1241-45; 1450-52), comme celle du petit Eumélos dans Alceste (393 sqq.). Wecklein et England considéraient tous les passages où il figure comme des interpola-

tions. Ces

Page,

p. 210,

parle

« ampliflcations » sont

a emprunté ce théme (cf. IT 373).

seulement en

fait

bien

d'amplification bréves!

à une scéne d'adieu —

de

Il nous

épique

ou

son

róle

paraît

speclaculi

probable

tragique —

causa.

qu'Euripide

située à Argos

(3) 1020-21 : « Στρατός 7’ ἂν où μέμψαιτό μ᾽ el τὰ πράγματα λελογισμένως πράσσοιμι μᾶλλον ἣ σθένει." E. M. Blaiklock,

The male characlers of Eur.,

oü se traduirait « une prudence

1952, p. 119,

interpréte

qui contraste avec l'héroisme pompeux

mal

ces

mots

des vers précé-

dents ». Euripide n'a pas voulu donner là un trait de ridicule à Achille. Le mot AsAoviouévws

pourrait

qualifier

sa conduite

dans

l'ensemble

du

drame

(Schmid-Stählin,

p. 636). (4) P. 258. Mais il a tort, à notre sens, de placer la scène Agamemnon-Clytemnestre avant la scéne Agamemnon-Achille.

IPHIGÉNIE

Sa

dette

à l'égard

de

A AULIS

Sophocle

281

est-elle

aussi

importante ?

Euripide retient de la version sophocléenne le motif de l’absence complète de vent, qui rend plus difficile encore la situation

d'Agamemnon (1) et l'insistance de Ménélas pour obtenir de son frére le sacrifice d'Iphigénie (2). Si, comme il est probable, l'Achille de Sophocle était amené à préter son nom pour assurer la réussite du plan concu par Ulysse, on aurait chez Euripide une trace de ce motif dans un autre contexte. En effet, Achille, protestant contre la duplicité du roi, s'écriait : « Il aurait dû me demander mon nom pour attirer son enfant. Clytemnestre aurait trés volontiers consenti à me donner sa fille en mariage, et je l'aurais remise aux Grecs, si le départ pour Ilion en avait dépendu. Je n'aurais pas refusé ce service à la cause commune de mes compagnons d'armes » (3).

Ajoutons que, dans la scène où elle affronte son mari, Clytemnestre emploie un argument qui se trouvait déjà dans l’Électre de Sophocle: s’ıl fallait, dit-elle, une victime

se dévouer en immolant

à la déesse, c'était à Ménélas

Hermione

de

(4).

Ainsi, l'imitation de Sophocle, quoique moins marquée que celle

d'Eschyle, n'est pas négligeable dans Iphigénie à Aulis. Avant de voir maintenant les moyens employés par Euripide pour renouveler

un sujet déjà souvent traité, il faut nous arrêter un instant sur la scéne finale du drame, qui contient en particulier la description du sacrifice d'Iphigénie. En effet, cette partie pose des problémes d'authenticité plus délicats qu'aucune autre. Nous ne pouvons songer ici à étudier la question en détail (5). Indiquons seulement (1) 10-11; 88; 352; 813. Le motif se retrouve plusieurs fois par la suite (Ov., Met., XIII,

183;

Hyg.,

f. 261;

Paus.,

IX,

19, 7; sc. MTAB

Or.

658,

etc.). Chez

Euripide,

Agamemnon s'est-il d'abord refusé à obéir à la déesse ? L'Atride l'affirme (94-96), mais Ménélas le nie (358-362). Dans le premier passage, on pourrait discerner un souvenir de la pièce de Sophocle, dans laquelle le père d'Iphigénie sacrifice qu'après l'intervention d'Ulysse.

ne se résolvait

au

(2) 97-98 ; 317-414. (3) LA 962-67 : « Χρῆν δ᾽ αὐτὸν αἰτεῖν τοὐμὸν ὄνομ᾽ ἐμοῦ πάρα, θήραμα παιδός * ἡ Κλυταιμήστρα δ᾽ ἐμοὶ

μάλιστ᾽ ἐπείσθη θυγατέρ᾽ ἐκδοῦναι πόσει. "Ἔδωκα τἂν "“λλησιν, εἰ πρὸς Ἴλιον

ἐν τῷδε ἔκαμνε νόστος ^ οὐκ ἠρνούμεθ᾽ dv τὸ κοινὸν αὔξειν ὧν μέτ᾽ ἐστρατευόμην. » C'était peut-être déjà la version des Kypria. On pourrait aussi songer à une scène où Achille intervenait directement auprès de Clytemnestre (comme le de Sophocle auprés de Philoctéte) : cf. W. H. Friedrich (1953), p. 98-99.

(4) ZA

Néoptoléme

1199-1202. Cf. Soph., El. 537, et Eur., Or. 659. Clytemnestre suggère aussi

(1197-99) un tirage au sort entre les chefs achéens : c'était déjà, dans un autre contexte, la proposition avancée par Iolaos (Hcid. 543-46). (5) Principales études critiques de l'erodos: Zielinski, p. 280-84 (l'erodos actuel

a été forgé d'après une « hypothésis » de l’Iphigenie de Sophocle) ; Kjellberg, col. 2614 (l'exodos

actuel

est antique

mais

post-alexandrin);

C.

Robert,

p.

1101-02

(il s'agit

282

EURIPIDE

ET LES LÉGENDES

DES

CHANTS

CYPRIENS

les principales imperfections relevées dans l’erodos tel que nous le lisons : liaison maladroite de l'épisode avec les scènes précédentes et incohérence des gestes et des attitudes des participants au sacrifice (1), fautes de métrique et de syntaxe, accumulées surtout aprés le v. 1577 (2), nombreuses réminiscences d’Hecube (3),

incertitudes de la tradition manuscrite (4), existence d'un fragment appartenant à une autre forme de l'exodos (5), désaccord de notre morceau avec les descriptions littéraires et surtout artistiques qui passent pour s'en inspirer (6). Aussi, dans leur majorité, les critiques

considérent-ils l'épilogue que nous lisons comme il aurait été substitué (par Euripide le

apocryphe (7) :

Jeune ?) au morceau authen-

tique, peut-étre laissé inachevé par le poéte, et ce texte méme, mal conservé

et complété

dans les manuscrits,

à l'époque

byzantine

aurait été de nouveau

remanié

(8). D'autres ont au contraire

pris la défense de notre exodos et se sont efforcés de réfuter les arguments de ses détracteurs (9). Il est certain que, sous sa forme d'une

œuvre

byzantine) ; D. L. Page,

p. 191-204 ; 210-15

(notre erodos est en partie

du 1v* s., en partie byzantin) ; Schmid-Stählin, p. 651-53 (adoptant à peu près l'avis de Page); E. Valgiglio, p. 70-72 (développement par un adaptateur d'un canevas euripidéen) ; S. Cecchi, p. 69-87, avec édition critique des v. 1532-1629 (texte incomplet d'Euripide

remanié

par

un

contemporain,

interpolations

antérieures

à

l'édition

d'Aristophane de Byzance, corrections byzantines). Dans les deux derniéres études, on trouvera un historique de la question et une bibliographie. (1) En particulier, la part active prise par Achille au sacrifice aprés sa promesse des v. 1430-32. L'épisode est aussi maladroitement soudé au précédent (Cecchi, p. 80). (2)

Cf. Page,

p.

191-199 ; S. Cecchi,

p. 78-79 ; 83-87.

(3) Sacrifice de Polyxéne (Héc. 518-582) : L. Séchan (1931), p. 392-95 ; E. Valgiglio, p. 71;

S. Cecchi, p. 81.

(4) Voir l'apparat critique de Murray au vers 1568 ; S. Cecchi, p. 70 ; 78. (5) Cf. infra, p. 283, n. 1. (6) Ainsi pour la description de Lucréce (1, 84-100), qui traduit pourtant un vers de notre pièce (94 et /A 1220). Les représentations flgurées sont nombreuses, mais aucune ne s'accorde sur tous les points avec notre erodos. Pour ce probléme, cf. T. Tosi, Rappresenianze dei sacrifizio d'Iflgenia, dans Sludi e materiali di archeologia e numis-

malica, Milan, 1912, réimp. dans Scritli di Filol. e di Archeol., Florence, 1957, p. 116148; Kjellberg, col. 2618-2622 ; C. Robert, p. 1102-04; E. Löwy, Jahresh. des Óst. Arch. Inst. in Wien, 24 (1929), p. 1-41; L. Séchan, p. 369-378 ; (1931), p. 378-420; D. L. Page, p. 201-02; K. Weitzmann, Hesperia, 18 (1949), p. 177-192. La question la plus difficile concerne le tableau de Timanthe, du début du rv* s. (cf. Cic., Or., XI, X

74; Aelna, 595-96; Pline, HN, XXXV, 73; Quint., II, XIII, 13; V. Max., VIII, 11, 6). Pour E. Löwy, Timanthe connaissait le dénouement authentique mais a utilisé aussi des Lraditions antérieures. L'erodos actuel aurait été inspiré en partie par le tableau de Timanthe. Discussion détaillée de cette théorie par L. Séchan (1931), p. 392-420. Selon la conclusion prudente de Schmid-Stählin, p. 655, les représentations figurées ne permettent

pas

de résoudre

le probléme

de l'épilogue.

(7) On en trouvera la liste dans les études de Valgiglio, p. 70-71 ; S. Cecchi, p. 7274. Toutefois, ils différent sur l'endroit où finit le texte authentique (1509 : England;

1531 : Pearson ; 1539 : Nauck ; 1577 : Wecklein, Murray, etc.). (8) Voir (9)

par exemple

Par exemple,

A. Lesky,

p. 199.

H. Weil, P. Roussel, REG,

28 (1915), p. 248-49,

L. Séchan,

E. Valgiglio, p. 72, admettent que le canevas au moins est euripidéen.

o. c.,

IPHIGÉNIE

actuelle,

l'authenticité

du

A AULIS

morceau

283

est

douteuse,

au

moins

à

partir du v. 1578, où les défaillances de la tradition manuscrite aggravent

encore

l'incertitude.

L'important

pour notre sujet est

de savoir si les altérations touchent le fond en méme temps que la forme. Doit-on supposer, comme on l'admet en général, que dans l'erodos authentique Artémis, apparaissant ex machina, annoncait, en présence de Clytemnestre, qu'elle substituerait à Iphigénie une «biche cornue » et que sa fille serait sauvée et transportée

en Tauride (1) ? Ceci nous paratt peu probable : il est nécessaire, pour que le ressentiment de Clytemnestre conserve sa raison d'étre,

que

l'intervention

divine

reste

enveloppée

de

voiles,

et

Euripide n'était pas obligé ici de reprendre le motif d'Iphigénie en Tauride. Il suffisait que l'armée grecque crût la jeune fille épargnée par la sollicitude d'Artémis et transportée chez les dieux. Nous

pensons donc que notre dénouement ne trahit pas pour l'essentiel les intentions d'Euripide. Il correspond dans ses grandes lignes — sacrifice de la biche et apothéose d'Iphigénie — à la légende des Chanis Cypriens. La description du sacrifice par un messager

est un procédé qui avait sans doute été utilisé par les autres tragiques (2). C'est aussi à eux que le poéte avait emprunté

le motif

de la participation d'Achille au sacrifice (3). Par ailleurs, le fait que la victime allait volontairement au sacrifice, principale innovation d'Euripide, modifiait profondément le caractére de la scène. Cette innovation est loin d’être la seule que présente Iphigénie

à Aulis. Tout au long de la pièce, le poète ne s’est pas contenté d'assembler différemment les éléments légendaires fournis par la tradition,

mais il a imaginé

d'autres situations et d'autres

péri-

péties qui s'enchatnent l'une à l'autre pour former une action riche en surprises et en rebondissements. Si le « métier » d'Euripide se manifeste avec éclat dans l'agencement de l'intrigue, il n'apparait pas

moins

personnages, d'Homére,

dans

la peinture

quoique révèle

aisément

cependant

des caractères,

reconnaissable

des aspects

car chacun

pour

un

des

lecteur

encore insoupçonnés

de

sa physionomie morale. (1) D'après le fr. 857 N! (El, HA, VII, 39) :

« "EAagov 8' ᾿Αχαιῶν χερσὶν ἐνθήσω φίλαις κεροῦσσαν, ἣν σφάζοντες

αὐχήσουσι

σὴν

σφάζειν θυγατέρα. » Cf. D. Page,

p. 204 ; Schmid-Stählin,

p. 652-53 ; S. Cecchi,

p. 78-79.

(2) A. O. Hulton, Mn., 15 (1962), p. 366-68, souligne la clarté et la cohérence du récit de messager (1540-1612). (3)

Il a pu

utiliser

lui-même

le récit

du

sacrifice

de

Polyxéne

dans

Hécube.

La

contradiction dans l'attitude d'Achille (1568-1576) suggére un emprunt à une tradition plus ancienne (cf. Blaiklock, o. c., p. 121).

284

EURIPIDE

ET LES

LÉGENDES

DES

CHANTS

CYPRIENS

Cette habileté apparaît dès le prologue. Les messagers divers qui, dans les œuvres antérieures, étaient envoyés à Argos pour en ramener Iphigénie, sont remplacés par une lettre d'Agamemnon (1), et c'est l'envoi d'une autre lettre contredisant la premiére qui constitue la premiére péripétie du drame (2). C'est donc le

pére de la jeune fille, et non Ulysse, qui conduit l'intrigue. Euripide ne se prive pas de faire sentir l'influence du « fils de Sisyphe » à l'arriére-plan, mais son absence sur la scéne dans une tragédie

d'Iphigénie a dà apparaitre aux spectateurs athéniens comme une innovation

frappante

(3). D'autre

part,

prenait

seul sa décision aprés un

ensuite

fermement.

l'Agamemnon

d'Eschyle

débat intérieur et s'y tenait

Ici, le roi a cédé

à la pression

de

son

frére,

d'Ulysse et de Calchas, et le poéte le saisit en quelque sorte au moment

où, revenu à

lui (4), il se rend compte

de l’abime où il

allait tomber et tente de réparer son erreur. Ainsi s'ouvre trés heureusement la premiére partie de la piéce, qui constitue propre-

ment le drame d'Agamemnon (5). L'interception de cette lettre par Ménélas s'ensuit

entre

les deux

fréres

constituent

(6) et la scéne qui

aussi

deux

péripéties

nouvelles. L'opposition dans un agón des deux Atrides, dont l'un sera le principal bénéficiaire du sacrifice tandis que l'autre en sera la victime, outre son caractére trés dramatique, offrait le moyen de souligner l'indécision et la faiblesse de caractére d'Agamemnon. Le remplacement d'Ulysse par Ménélas comme principal partisan du sacrifice d'Iphigénie donne un accent plus personnel à leur discussion (7). Euripide a encore ménagé dans cet épisode deux coups de théátre successifs : l'arrivée d'un messager, '

joyeux de d'Iphigénie

pouvoir annoncer (414-439), ce qui

la venue réduit à

de Clytemnestre et néant la précaution

(1) 98 sqq. ; 360-62. (2) 107 844. Pour le procédé et l'expression, on comparera IA 113-114 et IT 760-61. Ce moyen romanesque

Sthénébée remarquera

(T GF*, encore

de la lettre se trouve encore employé dans Hippolyte (856 8qq.),

p. 567-68) que

et Palaméde

la pièce

(lettre supposée

commence

de

nuit,

comme

: voir infra, p. 348). Hécube

On

et Électre.

(3) Friedrich (1953), p. 90-91. (4) Friedrich, o. c., p. 96, compare sur ce point Agamemnon à Admète ( Alc. 935 sqq.). (5) Zielinski, p. 274; Friedrich (1935), p. 82-86. Nous ne pouvons admettre la thése de V. Frey, qui estime qu'Agamemnon est de bout en bout le héros principal de la pièce : les péripéties seraient formées par les obstacles qu'il franchit un à un

(résistance

intérieure,

puis

oppositions

d'Achille, d'Iphigénie) jusqu'au

Nous

doutons

successives

de

Ménélas,

sacriflce, qui constituerait en somme

fort que ce soit l'impression

finale qu'Euripide

de

Clytemnestre,

le « happy

end ».

a voulu laisser à son

public.

(6) ZA 303-316. Le v. 311 rappelle II., B 265-68 (Ulysse et Thersite). (7) Le motif de la discorde entre les Atrides apparaissait déjà dans le Télèphe d'Euripide (cf. supra, p. 231). Comparer en particulier IA 331 et Tél., Fr. 723. Sur cette scène, voir Schmid-Stählin,

p. 634-35. Friedrich (1935), p. 85, compare Agamem-

non à Oreste : tous deux sont inférieurs à leur táche par faiblesse de caractére.

IPHIGÉNIE

A AULIS

285

d'Agamemnon et le plonge dans le désespoir (441-468) ; ensuite, le revirement de Ménélas, qui, devant ce désespoir, est gagné par

la pitié, renonce au sacrifice et encourage Agamemnon à résister aux autres chefs (1). C'est cette fois au tour d'Agamemnon de lui montrer qu'une telle résistance est impossible (506-542). Ainsi, dans cette premiére partie, Euripide a ingénieusement multiplié les coups de théátre. Les deux scénes qui suivent l'arrivée de Clytemnestre, d'Iphigénie et d'Oreste semblent aussi d'une conception originale. Le dialogue d'Agamemnon et d'Iphigénie (631-685), tout en soulignant la

tendresse mutuelle du pére et de sa fille, opposait la joie innocente de la jeune princesse à la douleur de son pére, dans un échange de répliques où chacun des mots d'Iphigénie transperçait le cœur de son interlocuteur et où le public sentait profondément le tra-

gique des réponses à double sens de l'Atride. Clytemnestre torturait aussi son époux en multipliant les questions sur le mariage projeté (697-703) et en opposant les raisons les plus légitimes aux efforts d'Agamemnon pour la séparer de sa fille et la renvoyer à Argos (714-741).

L'épisode suivant, où Clytemnestre et Achille sont instruits du complot qui se trame, est aussi trés habilement mené. Il s'ouvre sur un malentendu, Clytemnestre accueillant Achille comme son futur gendre, alors que le héros ignore tout du mariage qui doit

l'unir à Iphigénie (2). Le choix du vieux serviteur dévoué à Clytemnestre pour dévoiler le plan des Achéens est fort heureux : il permet l'économie d'un personnage nouveau, et aussi l'économie d'une scéne, puisque la reine et Achille apprennent simultanément la vérité (855-916) (3).

Dans sa détresse, Clytemnestre implore le secours d'Achille, qui explique dans une longue tirade pourquoi il prendra Iphigénie sous sa protection (4). En s'écartant de ses devanciers (5), Euripide (1)

LA 491-505. L. Parmentier, Bull. Ac. Belg., 11 (1926), p. 270-73, pense que le

revirement

de Ménélas est pure

hypocrisie,

puisque,

comme

la suite

le montre,

rien

ne peut plus en fait empécher le sacriflce. Mais la lettre du texte ne justifle guére une telle hypothèse. A. Bonnard, p. 94-95, a excellement montré que l'action de la pièce marche en zigzags, par actions et réactions successives : tous les personnages s'emploient,

à un moment méme temps.

ou à un autre, à sauver

Iphigénie,

mais ils échouent

faute d'agir en

(2) 819-854. Pour la marche de l'épisode, qui annonce la comédie nouvelle, voir E. Valgiglio, p. 48. H. Strohm, Euripides' Intlerprelalionen... (1957), p. 139, rapproche ce passage des scénes tradilionnelles de reconnaissance. (3) LA 855-916. Dans Alcméon à Psophis, c'était aussi un serviteur qui ruinait le plan de son maitre en le révélant à Phégée (cf. Bates, p. 309).

(4)

ZA 919-974. Pour Achille comparé au Pylade d'Oreste comme type du « sauveur »

euripidéen, cf. Schmid-Stählin, p. 633. (5) Le fait qu'Achille a été tenu à l'écart du complot est singulier. C'était peut-être un trait de haute politique d'Agamemnon, mais Euripide a trés heureusement indiqué

286

EURIPIDE

ET LES LÉGENDES

DES CHANTS

CYPRIENS

n'était pas à l'aise pour justifier l'attitude d'Achille, qui sacrifiait ainsi ses intéréts les plus immédiats.

Il n'avait pour cela aucun

motif, ni juridique, puisque Iphigénie ne lui était rien, ni amoureux, car le héros

prend

soin de remarquer

qu'il n'aime

pas la jeune

fille (1). Toute l'argumentation d'Achille répond donc à un effort original d'Euripide. Le Péléide déclare obéir d'abord à une sorte d'engagement de droit, déjà mis en avant par Clytemnestre (2). Dans la mesure où Iphigénie a déjà accompli certains rites prépa-

ratoires au mariage, elle a imposé à Achille des devoirs. D'autre part, le nom du héros a été prononcé, c'est ce nom, à défaut de sa personne, qui est indirectement cause de la mort d'Iphigénie (3) ; aussi l'honneur d'Achille est-il engagé au salut de la jeune fille (4). À ces arguments de raison s'ajoutent des mobiles sentimentaux :

pitié pour deux femmes malheureuses (5), ressentiment à l'égard des Atrides et de Calchas qui se sont servis de son nom (6). Mais ce dernier motif n'est pas, comme on pourrait s'y attendre, le plus important pour déterminer sa conduite. En effet, au cours de ces deux scénes, c'était un nouvel Achille

qu'Euripide

présentait

aux

Athéniens,

un

Achille

au

goüt

du

jour (7). Du héros homérique, il a gardé la fierté, la franchise, et,

pour une part, la susceptibilité et l'obstination. Mais il n'y a plus trace

chez

jeune

lui d'égoisme,

homme

d'irritabilité,

chevaleresque

femmes (8), accessible à la modération et la mattrise de trés attaché à son honneur, tivité. Enfin, bien qu'il se

est

poli,

de

fougue

timide

méme

Ce

avec

les

compassion. Il prise par-dessus tout la soi. S'il est, comme le héros de l'épopée, il n'en est pas moins capable d'objectargue d'étre simple et direct, il sait

raisonner et argumenter d'une maniére subtile

admet

irréfléchie.

(9). Méme

si l'on

que l'Achille épique s'est «civilisé» dans la tragédie

du

ve 8. (10), il n'a jamais aussi parfaitement incarné qu'ici les vertus dans le prologue que le vieux serviteur, avec son gros bon sens, avait mieux les réactions

d'Achille que

le roi, avec

toute sa

prévu

finesse (124-135).

(1) 959-960 (réminiscence de l'Iliade, 1 395-400). Friedrich (1953), p. 102-104, estime que le poéte veut éviter que le róle d'Achille ne fasse plus ou moins double emploi

avec celui d'Agamemnon.

(2) 904-910 ; 936. à Argos

(1915), (3) (4) (5) (6) (7) (8) (9)

le voile

Iphigénie a été couronnée

nuptial.

Sur la valeur

de cette

(905). D'après IT 372, elle a revêtu ἐγγύησις,

cf. P.

Roussel,

REG,

28

p. 239-241. 908. Le mot ὄνομα est répété en 910; 938 ; 947 ; 962 (cf. déjà 128). 906-907 ; 935-941 ; 944-47 ; 1003-04. 932-34 ; 942-43. 945-956 ; 961; 968-69. Sur ce point, voir surtout l'étude trés fouillée de R. Goossens, p. 691-709. 11 se rapproche par là d'autres héros d'Euripide, comme Hippolyte et Ion. Sophistique méme, dit E. Valgiglio, p. 51.

(10) Peut-étre déjà chez Ion de Chios et Agathon (cf. Goossens, p. 695 et n. 59-60). A. R. Bellinger, Achilles’ son and Achilles, Yale Class. St., 7 (1939), p. 1-13, a montré ce que l'Achille d'Iphigénie à Aulis devait au Néoptoléme de Philoctete. Il ne nous paraît

IPHIGÉNIE

prisées chez

un jeune

homme

A AULIS

287

par la bonne

société athénienne

du temps.

Au début de l'épisode suivant, après avoir confondu son mari (1098-1145), Clytemnestre, dans une longue tirade, s'efforce de le détourner de sacrifier sa fille. Par un retournement dont la piéce offre plus d'un exemple, de ses arguments de la

nous avions déjà entendu la plupart bouche d'Agamemnon. D'autres sont

empruntés à Eschyle. Ce qui est original, cependant, c'est le début du morceau,

oü la reine se définit elle-méme

comme

une épouse

irréprochable et une mére modéle (1). Euripide n'a peut-étre pas imaginé

le premier le contraste

entre la Clytemnestre vertueuse

avant le sacrifice et la Clytemnestre maîtresse d’Egisthe et meurtrière de son mari aprés, mais il est peu probable qu'il ait été auparavant

aussi vigoureusement

marqué.

Il nous est difficile de préciser la part d'originalité que comporte la pathétique supplication d'Iphigénie à son pére (2). En revanche,

c’est Euripide qui a entièrement imaginé le revirement d'Iphigénie, par lequel l'héroïne ne se contente pas de dominer sa révolte et son horreur pour s'incliner devant l'inévitable, mais se porte méme de son plein gré au-devant d'une mort qui doit assurer à l'armée

grecque

la victoire sur Ilion (3). Ce revirement,

condamné

par

Aristote (4) comme la marque d'une inconséquence de caractére, a été parfois blámé par les critiques modernes (5). Ils y voient un

motif arbitrairement introduit dans la légende par Euripide, et les arguments par lesquels Iphigénie explique sa décision seraient déplacés dans sa bouche (6). L'héroine est présentée tantót comme une froide raisonneuse (7), tantót comme

la dupe naive des belles

paroles d'Agamemnon (8). Mais il est difficile de ratifier ces Jugements sévéres : par cette offrande de sa vie, que préparaient les pas possible de voir, comme Mierow (CI. W., 29 (1936), p. 115) et Blaiklock (The male characters, p. 119), du ridicule dans la figure de l'Achille euripidéen. Tout au plus noterait-on chez lui un peu d'infatuation juvénile. (1)

1147-1165.

E. Valgiglio, p. 48, souligne le caractère bourgeois de toute la scène.

(2) 1211-1252. On peut comparer JA 1211-14 et Alc. 357-360. L'évocation du petit Oreste (1241-45) doit étre un motif original. (3) 1368-1401. Pour le souci de gloire d'Iphigénie, cf. 1378-79 ; 1383-84 ; 1398-99. Sur son revirement comparé à celui de Néoptoléme dans le Philoctète, Bellinger, o. c., p. 11-12. (4) Arstt., Poél., 15, 1454a 31-33. (5) Par exemple W. Zürcher, Die Darslellung..., 1947, p. 184-85 ; Goossens, p. 687; et surtout

H.

Funke,

p. 292-299.

(6) Funke, p. 292-295. (7)

Goossens,

I. c.

(8) Si l'on considére que le motif panhellénique (cf. infra, p. 289) est pure hypocrisie dans la bouche du roi, comme le soutiennent A. Bonnard, p. 95 ; Blaiklock, p. 119-120 ; Pohlenz, p. 462; Funke, p. 288.

288

EURIPIDE

ET

LES

LÉGENDES

DES

CHANTS

CYPRIENS

scénes précédentes et le caractére méme de la jeune fille (1), elle se montre la plus jeune et la plus touchante sceur des jeunes femmes d'Euripide qui se sont dévouées pour le salut d'autrui, Alceste, la fille d'Erechthée, Macarie (2), et aussi la compagne d'infortune de Polyxéne, victime comme elle des Achéens. L'héroisme d'Iphigénie provoque l'admiration d'Achille, une admiration oü l'on sent poindre un sentiment plus tendre : invention exquise, à peine indiquée d'une main légère par le poète (3). Derniére touche ajoutée par Euripide au caractére de la jeune fille : le souci d'excuser son pére et de réconcilier ses parents, par

un effort poursuivi jusqu'au départ pour l'autel, afin d'éviter que sa mort ne creuse entre eux un abime de haine (4). Ainsi Iphigénie s'oublie-t-elle jusqu'au bout pour ne penser qu'au bonheur des siens. La décision héroique de la jeune fille confére une grande noblesse

à sa sortie

de scéne,

qu'elle

effectue

seule et librement,

aprés

avoir accordé sa voix à celle du chœur qui entonne le thréne funéraire (5). Dans le récit du Messager, le geste d'Agamemnon, qui, au lieu de participer activement au sacrifice, se voile le visage, parait bien une invention d'Euripide, passée ensuite dans les

représentations

figurées (6). L'attitude d'Iphigénie, qui s'avance

d'elle-méme à l'autel sans que nul ne la touche et qui garde spontanément un silence de bon augure, prolonge l'impression donnée par son départ (7). Il nous reste à mentionner un dernier procédé dont Euripide (1) Cf. Rivier, p. 82-86 ; B. Snell, The discovery of the mind (1956), p. 131 ; Lesky, p. 197-198. (2) L'antithése entre le sacriflce d'un seul et le salut de tous était déjà marquée



par la mère de la victime —

14-21),

et par

magniflée

Macarie

(Hcld.

par l'importance

dans

591-92,

donnée

Érechihée (comparer à rapprocher

à l'expédition

d'/A

IA

1386-1390 et Fr. 360,

1398-99),

panhellénique.

mais

elle

Comparer

est

ici

aussi le

sacrifice de Ménécée dans les Phéniciennes, 991 sqq. Sur le thème général du sacrifice volontaire chez Euripide, voir l'étude de Johanna Schmitt, Freiwilliger Opfertod bei Eur., Giessen, 1921 ; S. Trenkner, The Greek Novella, p. 69-77. (3) 1405-1432. La geste d'Achille était féconde en amours malheureuses : Déidamie,

Iphigénie, Briséis, Polyxéne

(dans les récits tardifs), autant de femmes dont la mort

ou

les vicissitudes du destin l'avaient prématurément séparé. (4) 1369-1370 ; 1454-57. (5) 1467-1509. Sur l'ordonnance de ce passage, qui semble altéré, cf. L. Séchan, p. 419. Cependant Kranz, Slasimon, p. 310, estime la conduite de la scène trés caractéristique du style tardif d'Euripide. (6) 1547-1550. Ce geste était reproduit dans le tableau de Timanthe (cf. supra, p. 282, n. 6). E. Petersen, Die altische Tragódie (1915), p. 364-65, a rappelé qu'il marquait pour les personnages d'Euripide le dernier degré de la douleur (Held. 604; Suppl. 986; Héc. 487).

(7) « Devotio » d'Iphigénie par elle-même : 1552-1560. Pour le theme de l'evoruiæ, cf.

1467-69 ; 1560 ; 1564.

IPHIGÉNIE

A AULIS

289

s’est servi pour renouveler son sujet : insérer dans la trame de la légende des allusions à la vie politique de son temps.

Le premier

de ces motifs s'intégre assez mal à l'action. Parmi les reproches que Ménélas adresse à son frére, il y a celui de s'étre montré humble

et affable alors qu'il briguait le commandement

de l'expédition,

mais d'étre devenu hautain et distant depuis qu'il a obtenu cette charge (337-348). A juste titre, on a vu dans cette description anachronique de la «campagne électorale» d'Agamemnon une

satire des mœurs politiques de l'Athénes contemporaine (1). Mais ce procédé va plus loin, car les ressorts méme de l'intrigue s'en trouvent modifiés. Tout au long de la piéce, le roi se trouve dans

la situation inconfortable d'un stratége élu : il appréhende les manceuvres du démagogue Ulysse et il subit les pressions d'une armée

turbulente,

travaillée

par

des

meneurs

(2).

Sa

conduite

semble donc moins obéir à la cause premiére qu'est l'oracle d'Artémis qu'à une cause seconde, la peur que lui inspirent ses alliés (3). Un autre motif occupe une place importante dans la derniére partie du drame. Si, jusque-là, l'expédition troyenne semblait essentiellement viser à rendre une épouse infidéle à son mari, Agamemnon

lui propose désormais un but plus noble : mettre un terme au rapt d'épouses grecques, libérer la Gréce tout entiére de la menace que font peser sur elle les Barbares, bref, assurer par une expédition panhellénique la supériorité de l'Hellade sur l'Asie (4). Pour

quelques critiques, ce ne serait là qu'un beau prétexte sous lequel le chef de l'armée dissimulerait des fins égoistes (5). Pour d'autres, au contraire, une telle conception de la guerre se dégagerait peu

à peu dans l’âme d'Agamemnon (6). Pour certains, enfin, ce serait un simple expédient du poéte destiné à justifier le sacrifice d'Iphigénie (7). Quoi qu'il en soit, l'insistance d'Euripide sur une (1)

H. Grégoire, Bull. Ac. Roy. Belg.,

22 (1943), p. 192 sqq. ; E. Delebecque,

19 (1933), p. 103-105 ; R. Goossens, RBPRH,

p. 378-382.

Il est douteux que l'allusion vise

précisément Alcibiade : Euripide dénonce d'une facon générale la démagogie des poliLiciens d'Athénes (E. Valgiglio, p. 63). (2) Méme Achille ne peut imposer 8a volonté à ses Myrmidons (1352-53).

(3) Sur cette pression de la masse dans le drame, voir H. Diller, Entr. Fond. Hardt, VI,

"f

p. 101 ; 107-08. (4) Ce théme, esquissé

Πανελλήνων

Iphigénie

ἄναξ),

(1380-81;

par

Ménélas

est développé

1384;

1386-89;

(370-72;

par

1397;

voir

aussi

le Messager

au

v. 414

Agamemnon

(1259-1275)

1400-01).

mot “Εἰλλάς revient ensuite

Le

et repris par

comme un leit-motiv (1406 ; 1420 ; 1446 ; 1456 ; 1502 ; 1554). On comparera les v. 140001 et Télèphe, Fr. 719; Dém., Ol., III, 24. Comme le note Friedrich (1953), p. 93, Agamemnon tient sur ce point le rôle dévolu par les prédécesseurs d'Euripide à Ulysse. (5) Voir les auteurs cités supra, p. 287, n. 8.

(6) W. H. Friedrich (1935), p. 85; F. Wassermann, TAPhA, 80 (1949), p. 185-86 ; HR. Goossens, p. 685. (7) V. Frey, p. 45-46; H. Vretska, p. 36-37. L'explication nous semble un peu courte. 20

:

290

EURIPIDE

ET LES LÉGENDES

DES CHANTS

CYPRIENS

conception de la guerre de Troie aussi étrangère à l'épopée ne peut

s’expliquer seulement par des raisons psychologiques ou dramatiques. Visiblement, il utilise la légende pour donner aux Grecs un conseil actuel : qu'ils mettent fin à leurs divisions, qu'ils réunissent toutes leurs forces pour marcher contre le Barbare et chátier son orgueil. Le Barbare, aucun des spectateurs ne pouvait 8'y tromper, c'était le Grand Roi. Devant l'épuisement des cités dans les derniéres années de la guerre du Péloponnése, Euripide a senti renaître le péril oriental et il a voulu lancer un dernier et solennel avertissement aux Grecs de l'un et l'autre camp. De fait,

pendant plus de vingt ans encore aprés la fin de la guerre, les Perses seront les arbitres de la politique grecque, et cette unité que le poéte presse les cités de réaliser leur sera finalement imposée

de l'extérieur, par ces souverains de Macédoine dont l'un prendra, deux générations plus tard, la téte de l'expédition panhellénique contre le Grand Roi (1). ^ =

+

Iphigénie à Aulis présente pour notre étude un intérêt particulier. C'est la dernière pièce troyenne d'Euripide, aboutissement des réflexions de toute une vie sur la guerre de Troie et sur ses protagonistes. En effet, autour d’un épisode particulier, se trouve évoqué l'ensemble de la guerre, depuis ses origines jusqu'à la victoire finale (2). Le poéte utilise largement les légendes du cycle, en particulier celles qui étaient contées par Stasinos, en les agrémentant

de détails empruntés à des poétes lyriques, comme Stésichore. Cependant, il est souvent difficile de préciser si ces emprunts sont directs ou indirects, Eschyle et Sophocle ayant puisé avant lui à

la source épique pour mettre en scéne l'ápre épisode d'Aulis. Ils avaient déjà placé au centre de leur piéce la douleur et la révolte des parents de la jeune fille et introduit dans l'intrigue de nouveaux personnages, Ulysse, Ménélas, Achille. Dernier venu, Euripide a tiré parti de ces innovations, en empruntant plus encore, semble-t-il, à Eschyle qu'à Sophocle. Mais il s'est écarté plus

qu'eux de la ligne épique, en imaginant de nouvelles péripéties et de nouveaux débats de conscience. En particulier, au drame d'Agamemnon et au drame de Clytemnestre, il a ajouté celui d'Iphigénie elle-méme. (1) E. Delebecque, p. 372-75 ; 377-78 ; R. Goossens, p. 682-87. L'idée de la lutte des Grecs contre les Barbares, développée dans le Discours Olympique de Gorgias, devait étre répandue dans l'entourage d'Archélaos de Macédoine, à Pella oü le poéte a vécu ses dernières années (Schmid-Stählin, p. 654 ; E. Valgiglio, p. 59-60). (2)

C'est

en particulier

la fonction

des

passages

lyriques

(pour la prise de

Troie,

cf. 762 sqq.). Les Phéniciennes illustrent aussi cet élargissement de la tragédie.

IPHIGÉNIE A AULIS

291

Les transformations les plus profondes qu'il apporte au récit traditionnel concernent les caractères et les mœurs. La cruelle exigence de la déesse s'applique en effet à des êtres mal défendus contre la souffrance. Ménélas ne songe qu'à retrouver son Héléne. Agamemnon est un pére tendre et faible en méme temps qu'un ambitieux

aimante,

sans

envergure

Clytemnestre,

(1),

une

Iphigénie,

épouse

une

enfant

irréprochable

douce

et une

et

mère

passionnée berçant encore dans ses bras son dernier-né (2). Cette famille unie et heureuse, où la mère et la fille se croient à la veille

d'un mariage qui comble les vœux de tous, ce « fiancé » si noble et si bien élevé, offraient aux spectateurs une image familiére. Les Athéniens de 405 étaient d'autant plus enclins à compatir à leurs souffrances qu'eux-mémes, avec le relâchement des liens de la société patriarcale, tendaient chaque jour davantage à placer le bonheur individuel avant les intéréts de la communauté. Dans cette atmosphére de drame bourgeois, le sacrifice humain exigé par la déesse paraissait atroce, d'autant qu'il était inexplicable. Si Agamemnon n'avait commis aucune faute, pourquoi Artémis imposait-elle

aux

Grecs

cette

option

tragique

: renoncer

aprés

tant d'efforts et de sacrifices à l'expédition contre Troie, ou acheter le succès par la mort d'une innocente et la ruine d'un foyer ἢ On se serait attendu à voir Euripide stigmatiser la conduite de la divinité, comme il l'avait fait dans Ion et dans Oresle, oà pourtant, comme ici, les dieux sauvaient en définitive leur victime (3). Mais il n'en est rien. Aucun personnage ne s'éléve contre l'ordre divin (4). Chacun le subit comme une de ces grandes catastrophes (1) B. Snell, Aischylos und das Handeln im Drama (1928), p. 152, reproche à ce propos à Euripide d'avoir avill les héros homériques. Sans doute Euripide aime-t-il à représenter des « héros » faibles et écrasés par leur destin (V. Frey, p. 48 ; E. Valgiglio, p. 197). Mais, de plus, F. M. Wassermann (TAPhA, 80 (1949), p. 174-186) a bien montré que les incertitudes d'Agamemnon, tiraillé entre l'ambition personnelle, les joies familiales et les exigences de la cause panhellénique, reflétaient les faiblesses d'une époque de transition et de crise. Sur le personnage d'Agamemnon, voir encore Blaiklock, The male characters..., p. 115-117; Kamerbeek, Enir. Fond. Hardi, VI, p. 22 ; Vretska, passim (et en particulier p. 25-26, où l'auteur montre que 1᾿ αἰδώς explique pour une grande part la conduite du roi) ; Funke, p. 287. (2) ΠῚ y a bien aussi de l'emportement et de l'orgueil dans la conduite de Clytemnestre, mais Rivier, p. 81-82, nous paraît forcer l'interprétation de son caractère en l'expliquant tout entier par le souci de défendre sa propre gloire et de triompher de son mari.

(3) Voir les réflexions de J. Girard, REG, Achilles'son and Achilles, p. 4-5. (4)

Cf.

Vretska, absence humain Nous ne

A.

Rivier,

p. 84-85 ; 152;

18 (1904), p. 175-185, et de Bellinger,

Wassermann,

p. 23-24. Dans sa brillante étude, d'Artémis dans la pièce. De là à dire » ou un succédané de la τύχη, il n'y le suivrons pourtant pas jusque-là.

o. c., p.

180-82 ; Lesky,

p.

196;

A. Bonnard, p. 88-90, souligne l'étrange que la déesse n'est qu'un « alibi du cœur a qu'un pas, qu'il franchit sans hésiter. Il est vrai que, dans les derniéres piéces

d'Euripide, θεός et τύχη deviennent de plus en plus des synonymes (cf. E. Valgiglio,

292

EURIPIDE

ET

LES

LÉGENDES

DES CHANTS

naturelles

dont

serait.

absurde

de

il

discuter

la légitimité

survivre

avec

et auxquelles

CYPRIENS

chercher

la

cause

ou

de

on s'efforce simplement

de

les siens.

Dans un tel climat moral, le motif épique de l'oracle d'Artémis devenait inintelligible. De méme, la justification du sacrifice d'Iphigénie fournie par l'épopée n'était pas acceptable pour Euripide. Si, sur le plan individuel et en quelque sorte privé, la guerre

de Troie n 'avait pour but que de rendre à son mari une femme infidéle, non, elle ne saurait justifier de telles souffrances : telle

est la conviction du poéte dans les piéces antérieures, telle est l’idée qui domine la première partie du drame. Le seul motif légitime, Euripide le trouve en projetant dans le passé l'ombre du présent

: s'il s'agit de chátier une

bonne

fois l'insolence des

Barbares et d'affermir l'indépendance et la primauté de la Grèce, alors, un tel sacrifice, si douloureux qu'il soit, n'est pas vain. Pendant longtemps, le poéte s'était placé du cóté des Troyens, embrassant

la

cause

des

vaincus

contre

leurs

vainqueurs

(l).

Iphigénie à Aulis marque le terme du glissement par lequel Euripide prend — ou reprend (2) — une claire conscience de la supériorité de la race et de la culture helléniques. S'élevant au-dessus des querelles de cité à cité, il propose aux Grecs un but

exaltant, qui seul assurera la grandeur de leur commune patrie. La légende d'Iphigénie ainsi envisagée pouvait avoir une profonde résonance dans l’äme des spectateurs. Mais, à considérer les choses de plus prés, on s’apergoit du danger qu'un tel traite-

ment fait courir au mythe, et par là méme à la tragédie. Car, à force

de rapprocher

les personnages

de l'humanité

moyenne,

de

réduire l'univers héroique à l'échelle de la société contemporaine et de ne voir dans les légendes du passé que la préfiguration de l'actualité, le poéte finit par oublier que, sorti de son contexte épique, le mythe n'est plus qu'un artifice. Il exige des héros assez forts pour porter sur leurs épaules un destin pesant, soumis à des régles morales qui sont celles du monde épique, et qui affrontent en champ clos, seuls et maîtres d'eux-mêmes, des dieux dont les exigences leur sont connues. Ces conditions disparues, il reste loisible d'écrire des piéces de théátre, drames ou comédies, piéces

d'intrigue ou de caractéres, mais ce ne seront plus des tragédies. p. 189-191). Cependant, on sollicite à notre avis la pensée d'Euripide en affirmant qu'il ne

condamne pas la divinité, mais la croyance des hommes dans son pouvoir malfaisant. Euripide n'est pas Lucréce, et ce n'est pas pour lui la seule superstition qui cause le malheur des hommes. (1) Ainsi dans Téléphe, Andromaque, Hécube, et dans la trilogie troyenne de 415.

(2) Le théme de la supériorité des Grecs sur les Barbares est plus marqué dans les pièces les plus anciennes (sur la trilogie de 431, par exemple, voir RH. Goossens, p.

104), mais il ne s'estompe

H. Bacon,

Barbarians

jamais

in Greek

entiérement

Tragedy

(voir les réflexions rassemblées

(1961), p. 151-52).

par

LA

III. LA

PARODOS

PARODOS

203

D'IPHIGÉNIE

A

AULIS

Cette parodos comprend une triade (164-230) suivie de trois couples de strophes (231-302). Elle contient la description du camp grec d'Aulis par les femmes de Chalcis qui forment le chœur. L'authenticité de ce morceau, et notamment de la seconde moitié,

a été souvent mise en doute. L'ensemble, a-t-on dit, est plus long que dans aucune autre piéce d'Euripide. De plus, les vers 231-302 renferment des indications qui sont en désaccord avec le Calalogue

des Vaisseauz de l' Iliade et ils se signalent par la pauvreté du vocabulaire et du style, la faiblesse de la versification et les défaillances de la responsio métrique (1). Ces arguments sont-ils assez forts pour entratner la condamna-

tion de la seconde partie de ce chœur ? La plupart des éditeurs n'en ont pas jugé ainsi (2). En effet, au reproche relatif à la longueur du

morceau,

on

peut

répondre

que

dans

ses

derniéres

piéces

Euripide s'inspire volontiers d'Eschyle et de ses vastes ensembles lyriques (3). Si on constate dans les trois derniéres couples des divergences avec Homére, il en va de méme, comme nous le verrons,

de la première

partie.

Restent

la médiocre

qualité

poétique

(4)

et les difficultés métriques, sensibles surtout dans la derniére couple, où la responsio est perturbée par la chute de plusieurs vers (5). L'hypothése la plus vraisemblable est qu'Euripide luiméme n'a pas mis la dernière main à ce chœur. Complété par

BIBLIOGRAPHIE : T. W. Allen, Cl. Rev. (1891), p. 364 sqq. ; The Homeric Catalog of Ships (1921), p. 22 sqq. W. Schmid, Die Quelle des homer. Schiffskatalogs, Ph., 80 (1925), p. 67 8qq. ἃ. Murray, The Rise of the Greek Epic* (1934), p. 179, n. 1. D. L. Page, Aclor's Interpolations... (1934), p. 141-47. G. Mac Cracken, Topographica in Eur., Mn., 3* ser., 9 (1941), p. 164. H. Grégoire, Le Catalogue des navires dans la parodos

d’Iphigenie à Aulis, Bull. Ac. Rog. Belg., 34 (1948), p. 16-31. W. Kullmann, p. 63-68 ; 118-121 ; 137-157. (1) Pour un examen critique détaillé, voir D. L. Page, p. 141-146. (2) Hermann et Dindorf condamnaient les v. 231-302, qui sont conservés en particulier dans les éditions de Nauck, de Weil, de Murray. (3)

Cf. Weil, note au v. 231.

La parodos

des Bacchantes

compte

106 vers.

(4) L. A. Stella, AeR, 42 (1940), p. 72, rappelle à ce propos que la poésie d'Euripide reste

conventionnelle

et froide

quand

le poéte

cherche l'inspiration dans des motifs

trop éloignés de sa sensibilité. L'auteur cite encore la description des armes d'Achille dans Électre (452 8qq.). (5) Altérations notamment aux v. 171 et 234 ; 286. Lacunes probables ou possibles aprés 261 et 274 ; 282 ou 284. On ne peut admettre l'explication de Kranz, Sfasimon, P. 240, pour lequel la fin de ce chœur ne serait pas antistrophique mais irrégulière,

structure qui traduirait l'influence du néo-dithyrambe.

294

EURIPIDE

ET LES LÉGENDES

DES

CHANTS

CYPRIENS

un poéte moins habile (Euripide le Jeune ?), il a de plus été transmis jusqu'à

nous

sous

une

forme

fautive.

construction soignée, les deux parties se complétent d'une maniére qui ne permet mettre en doute leur équilibre (1). L'imitation homérique est évidente dans ceau, qu'il s'agisse de la première partie où

Mais

il présente

une

correspondent et se pas, à notre sens, de l'ensemble de ce morsont décrits les prin-

cipaux chefs achéens, les deux Ajax, Protésilas, Dioméde, Mérion,

Ulysse, Nirée, Achille, Eumélos, ou bien de la seconde qui passe en revue les contingents grecs (2), en donnant quelques précisions sur leurs chefs et le nombre de leurs vaisseaux et en décrivant les

emblémes de ceux-ci (3). Si le poète se sert principalement du Calalogue des Vaisseaux, il ne se fait pas faute d'emprunter des détails à d'autres chants du (1) D. L. Page, au début du 1v* s., Mais si la première Oresle), on ne voit

tout en estimant que la seconde partie ne saurait être postérieure la considère comme un complément ajouté à la parodos authentique. partie se sufllsait à elle-même (67 vers, pour 66, par exemple, dans pas pourquoi un poète — Euripide le Jeune ou un autre — y aurait

ajouté une pareille amplification, à une époque de déclin du lyrisme choral dans la tragédie (H. Grégoire, p. 18). Wilamowitz, Griechische Verskunst, p. 282 sqq., a bien

souligné l'unité métrique de l'ensemble. (2) L'affirmation contraire de G. Mac Cracken, l. c., n'est pas recevable : en gros, les deux tiers des peuples mentionnés dans le Catalogue homérique se trouvent représentés. Tous, à part les Myrmidons et les Énianes, appartiennent à la premiére moitié de ce Calalogue. De cette partie ne manquent que quelques peuples : 1° les Minyens d'Orchoméne,

absorbés

dès le vırı® s. par

les Béotiens ; 2° les Eubéens

: l'omission

est singuliére pour des femmes de Chalcis ; d'aprés W. Schmid, p. 67, et H. Grégoire, p. 22, le poéte manifesterait ainsi son ressentiment contre des alliés infldéles, mais cela s'accorde mal avec le choix d'un chœur d'Eubéennes ; ne serait-ce pas précisément le choix d'un tel chœur qui aurait rendu inopportune ici la mention des guerriers d'Eubée ? 3° les Arcadiens, dont le rôle dans l' Jliade est à peu près nul ; 4° les Étoliens. Si l'on garde le texte des manuscrits, il n'y a aucune mention des Lacédémoniens et de leur chef (oubli voulu,

pour

W.

Schmid).

Mais,

au v. 268, la leçon “Aëpæotog

est

suspecte : elle était défendue par G. Murray, qui estimait que le poète avait adopté une version épique harmonisant celle de la Thebalde avec celle d'Homére (B 570-72). Mais Adraste

comme

appartenait à la génération de la guerre thébaine, et il ne figure pas ici,

dans la Thébaide

(v. 242-47).

La correction

(cf. A. Severyns, de Markland,

CE,

ἀδελφός

p. 217-18),

en tant que roi d'Argos

(ou celle d'H. Grégoire,

p. 23, n. 1,

Μενέλαος) paraît s'imposer (cf. H. Weil, ad loc; Kranz, o. c.,p. 314) : le rôle de Ménélas comme adjoint d'Agamemnon est souligné dans d'autres passages de la pièce (84-85; 356), et ce motif préparait la scène suivante. La mention de l'enlèvement d'Hélène (270-72)

rappelle

l'Iliade,

B

589-590.

Weil

suppose

ingénieusement

que

la

faute

a

été provoquée par l'intrusion dans le texte d'un mot δάμαρτος, tiré d'une glose au v. 270. La lacune probable de deux vers aprés 272 devait étre complétée par le nombre des návires conduits par Ménélas (soixante dans l’/liade, B 587).

(3) Pour ce thème, qui doit correspondre à une mode du temps, voir des armes d'Achille (El. 452-477) et celle des emblémes de boucliers (Phén. 1104-1138, d'après Eschl., Sept. 375 sqq.). Le motif des figures venir des Myrmidons d'Eschyle (fr. 212 M. — Ar., Gren. 932 et sc.), et du char ailé de Pallas (250-51) des Euménides 404-05.

la des de la

description sept chefs poupe peut description

LA PARODOS

poème

homérique

(1).

En

295

particulier,

dans

l'énumération

des

contingents grecs, il semble combiner l'ordre géographique du Calalogue (2) avec un ordre tactique indiqué par d'autres passages de l'/liade (3), comme

si la place des vaisseaux

rangés

en un vaste demi-cercle autour de la baie d'Aulis était le méme que dans le camp des navires sur la gréve de Troade. Jusque-là, il n'y a rien d'anormal, car le poéte était libre de choisir et de disposer à son gré les données de l'Iliade. Les auditeurs grecs ne pouvaient que prendre plaisir à retrouver sous cette forme lyrique des souvenirs familiers de l'épopée. Cependant, à regarder les choses de plus prés, on constate que sur un certain nombre de points Euripide, s'écarte délibérément d'Homére. Ainsi, il évoque

Palaméde,

héros étranger à l'Iliade;

Chiron comme l'éducateur sportif d'Achille chef aux Athéniens un fils de Thésée (5), aux

il considére

(4); il donne pour Epéens, Eurytos (6),

aux Phocidiens et aux Locriens, Ajax fils d'Oilée (7) ; il attribue

aux Argiens cinquante vaisseaux au lieu de Tone vage (8), aux Athéniens soixante au lieu de cinquante (9), aux Enianes douze au lieu de vingt-deux (10). D'où peuvent provenir ces changements ? De l'utilisation d'une source distincte de l'Iliade ou de raisons propres au poète tragique ? On a soutenu l'une et l'autre thése. Dans le premier cas, cette source pourrait étre un texte élargi (1) Par exemple, 192-194 et N 701-02 (les deux Ajax); 202-03 et N 328 (Mérion). La description de la lutte de vitesse entre Achille et le quadrige conduit par Eumélos (206-230) s'inspire des Jeuz Funèbres, où se distingue le fils d'Admète (' 288 sqq. ; comparer en particulier 216-220 et ' 362-63). Le quadrige est un anachronisme (chez Homère, le char d'Eumélos est tiré par deux jumenta : cf. B 763-67). On trouve aussi

des souvenirs de la course de chars de l'Électre de Sophocle (709 sqq.) : 1A 221-24 et El. 720-22 ; 743-44. (2) Par exemple, Béotiens, Phocidiens, Locriens (B 494-535) ; Mycéniens, moniens,

Pyliens

(B 569-602).

G. Mac

Cracken,

o. c., pense

que

Lacédé-

c'est aussi un ordre

géographique que se proposait de suivre l'auteur de la parodos, mais il reconnait que cela souléve de nombreuses difficultés. (3) Les Myrmidons à l'aile droite et les Salaminiens d'Ajax à l'aile gauche (23637; 289-292 : sens probable, malgré l’altération du passage ; cf. © 223-26, en contradiction, pour Ajax, avec B 557) ; les Phocidiens voisins des Béotiens (261 et B 525-

26). (4) 209. Cf. supra, p. 91. (b)

247-49

(au lieu de Ménesthée,

fils de Pétéos,

B 552).

(6) 282. D'aprés B 618-620, les Épéens ont quatre chefs, dont un fils d'Eurytos. (7) 261-64. En B 517-526 et 527-535, les contingenta et les chefs sont distincts. Il est probable, cependant, qu'après le v. 262 il y avait une lacune de deux vers (indiquée par LP, niée par L*P®). (8) 242 et B 568. (9) 248 et B 556. (10) 277 et B 748. Il est vrai que, dans l' Iliade, il s'agit des Énianes et des Perrhèbes, les deux contingents ayant le même chef, Gouneus.

296

EURIPIDE

ET LES

LÉGENDES

DES

CHANTS

CYPRIENS

et non classique du Calalogue des Vaisseaux, où se seraient glissées en particulier des interpolations d'origine attique (1), ou plutót un Calalogue venant d'un autre poéme épique. On admet en général

que le dénombrement de l’Iliade a eu un modèle plus ancien, et un certain nombre de critiques ont estimé qu'il pouvait s'agir d'une liste des forces grecques rassemblées à Aulis (2). En effet, on constate dans le Calalogue homérique de curieuses anomalies : étrangeté du cadre maritime pour une revue de l'armée grecque,

différences et contradictions avec le reste du poéme, emploi bizarre de l'imparfait qui évoque un mouvement — arrivée ou départ —

plutót que la stabilité d'un camp installé depuis neuf ans, mention de héros comme Philoctéte et Protésilas, disparus avant l'établissement de l'armée grecque en Troade (3). Par ailleurs, nous possédons d'autres dénombrements, plus ou moins complets, des contingents grecs et, le plus souvent, cette liste est donnée à

l'occasion du rassemblement à Aulis (4). L'existence d'un poéme antérieur à Homére est probable, mais plus probable encore est celle d'un tel dénombrement dans les Chanis Cypriens, qui racontaient en détail la concentration de l'armée à Aulis et contenaient par

ailleurs, comme l’Iliade, un Calalogue des Troyens (5). Il serait sans doute excessif d'admettre, ainsi qu'on l'a parfois soutenu (6), que la liste des Kypria a été insérée au Chant II du poème homérique avec les modifications nécessaires. Mais notre parodos elleméme plaide en faveur de l'existence paralléle de deux dénombrements distincts, l'un dans l'/liade, l’autre dans les Chanis

Cypriens

(7). Plusieürs motifs de cette derniére épopée

figurent

(1) C'était l'hypothèse formulée par T. W. Allen (1891), mais elle nous paraît peu vraisemblable. (2) Sur le probléme trés controversé des sources du Calalogue homérique, on

trouvera un état de la question dans l'ouvrage de V. Burr, NENN KATAAOT'OZ Klio, Beih. 39 (1944), p. 6 sqq., et dans celui de W. Kullmann, p. 64-65. Sous des formes diverses, la thése d'un catalogue des participants à la guerre de Troie antérieur à celui de l'Iliade a été soutenue par B. Niese, Die homerische Schiffskalalog..., Kiel, 1873 ; W. Schmid ; G. Murray ; A. Severyns, Homère, III, p. 12 ; V. Burr, o. c., p. 107 sqq.; P. von der Mühll, Kritisches Hypomnema... (1952), p. 51 sqq.; Gerry, The poel of the Iliad (1952), p. 55; W. Kullmann, p. 139-140.

H.

T.

Wade-

(3) Voir G. Murray ; P. Mazon, Introd. à l'Iliade, p. 152-53; W. Kulmann, p. 157, n. 3. G. Jachmann, Der homerische Schiffskatalog und die Ilias, Köln et Opladen, 1958, qui prend vigoureusement parti contre l'existence d'un modèle antérieur à l'Iliade, ne réfute qu'une partie de ces objections (voir en particulier p. 190-91).

(4) Apd., Ep., III, 11-14 ; Hyg., f. 97 ; Dictys, I, 17 ; Darés, XIV. Voir T. W. Allen (1921), p. 22-31. (5) Proclos, 1. 169 Sev. (6) C'était la thése de W. Schmid, acceptée par G. Murray. (7) C'est ce que pensait T. W. Allen (1921), p. 23-24. W. Kullmann, p. 121, n. 1, reproche cependant à Murray et à Allen d'avoir accordé trop de valeur au passage d'Euripide pour la reconstruction de l'épopée.

LA

PARODOS

297

ici (jugement des déesses : 181-84 ; enlévement d'Héléne : 178-180 ; 270-72) et certaines divergences avec Homére portent précisément

sur des points où Stasinos se séparait de lui. Ainsi, l'auteur des Kypria, qui avait donné un róle important à Palaméde, lui avait

attribué l'invention du jeu de dés, et cela probablement à Aulis méme

(1).

Il expliquait

la

rapidité

à

la

course

d'Achille

par

l'entratnement auquel Chiron l'avait soumis dans son enfance (2). Enfin, ayant largement accueilli dans son poéme les traditions attiques, il avait dû, à la suite de l'Iliou Persis (3), placer les fils de Thésée à la téte du contingent des Athéniens, et peut-étre aussi grossir le nombre de leur vaisseaux (4). Si l'hypothése d'un emprunt d'Euripide aux Kypria est donc probable, elle laisse cependant encore bien des points sans explication. On peut se demander en particulier pourquoi, parmi les

Achéens, Euripide a porté son choix sur tel peuple ou tel héros de préférence à d'autres, plus importants ou plus célébres. Pourquoi, par exemple, célébrer des peuplades relativement obscures, comme

les Énianes,

les Épéens,

les Taphiens,

ou mettre

à la téte

des Béotiens un héros de second plan comme Léitos ? H. Grégoire (5) a estimé qu'il fallait chercher dans cette description des intentions politiques précises. Le poète se serait proposé d'exalter les cités et les peuples alliés d'Athénes, les lieux qui rappelaient à ses auditeurs des souvenirs glorieux, et

aussi de leur suggérer l'idée que la ligue panachéenne formée par Agamemnon préfigurait en quelque sorte la ligue athénienne dont les membres

avaient combattu

de la guerre du Péloponnése.

à leurs cótés depuis le début

Sa démonstration est inégalement

convaincante. Elle est satisfaisante pour expliquer certains choix : (1) Dans son Palamède, Sophocle plaçait cette invention à Aulis (fr. 479 P. et note au v. 4); cf. aussi Soph., fr. 429 (Nauplios); Philstr., Hér., X, 2. D'autres (Polémon, d'après Eust., ad JI., B 308, p. 228, 6) la situaient en Troade, au cours d'une

famine.

Des

indices permettent

de croire

que

l'armée

achéenne

avait

déjà

eu des

difficultés pour se ravitailler au cours de son attente à Aulis (cf. Eschl., Ag. 188 ; Apd.,

Ep., III, 10, qui place la mention des Œnotropes (voir infra, p. 356-58) entre l'épisode de la folie d'Ulysse et le Catalogue des Grecs). 11 est donc probable que Sophocle suivait sur ce point la légende des Kypria. Palaméde jouant aux dés apparait fréquemment dans les représentations flgurées à date ancienne, en particulier dans la Nekyia de

Polygnote (Paus., X, 31, 1); cf, Rzach, col. 2389-2390. (2) Cf. supra, p. 91. (3) Procl., 1. 271-72 ; I. P., fr. IV, qui cite Acamas. Les Chanis Cypriens devaient raconter comment Acamas et Démophon, encore tout jeunes, avaient échappé aux

Dioscures quand ceux-ci s'étaient emparé d'Aphidna (Apd., Ep., I, 23). (4) Avec 60 vaisseaux, les Athéniens auraient eu le contingent le plus nombreux aprés

celui

de

Mycénes.

Dans

l'Jliade,

trois

flottes

seulement

dépassent

ce chiffre

celle d'Idoménée (non citée ici), celle de Nestor (citée, mais sans indication numérique) et celle de Dioméde

(5) P. 22-30.

(réduite

de 80 à 50 navires).

:

298

EURIPIDE

ET LES LÉGENDES

DES

CHANTS

CYPRIENS

par exemple, celui de Léitos, héros de Platées (1), la mention des

Énianes,

des Argiens et des Thessaliens,

qui avaient rendu

à

date récente des services à Athénes, l'éloge d'Ajax de Salamine. Elle paratt plus forcée dans certains cas : ainsi lorsque ce critique affirme que l'évocation de Thronion (264) rappelait une victoire de 431, et celle de la Pylos de Nestor,

le succés de Sphactérie.

Enfin, ni les Épéens, ni les Taphiens, ni les Phocidiens n'avaient depuis

sans

nombre

d'années

apporté

une

aide

parler de

plusieurs

détails

épineux

effective

qu'H.

à Athénes,

Grégoire

laisse

de cóté (2).

Ainsi, les intentions de notre parodos sont complexes. Son lyrisme transpose deux genres distincts de la poésie épique, le genre descriptif et le genre catalogal. En puisant des détails à la fois dans l’Iliade et dans les Kypria, Euripide a voulu montrer dans

un

vivant

tableau

comment

les héros

achéens

occupaient

leurs loisirs forcés sur la plage d'Aulis (3). Mais en méme temps, et à partir des mémes sources, il a cherché à composer à son tour une sorte de Calalogue des

Vaisseaux,

et, comme

l'étendue dont

il disposait le forgait à faire un tri parmi les données épiques, sur certains points il a été guidé dans son choix par des raisons de diplomatie et de patriotisme athénien. (1) Paus., IX, 4, 3. (2) La substitution leur nom n'apparaissait quer par l'obscurité de C'est un des Molionides

du Locrien Ajax aux chefs Phocidiens (263) — si toutefois pas dans la lacune signalée aprés le v. 261 — pourrait s'explices derniers. Le cas d'Eurytos (282) est plus embarrassant. ou Molions, fils putatifs d'Actor. Il appartient à la génération

de Nestor (A 709-752 ; V" 638-642) et toutes nos sources le font mourir de la main d'Héraclés (Pd., Ol., X, 28-34 ; Apd., Bibl., II, 7, 7, etc.). Aurait-on fait avant Euripide

de ces jumeaux divins, fils de Poséidon, des contemporains des Dioscures, dont ils se rapprochent par tant de traits ? Ou notre Eurytos serait-il un descendant de la victime d'Héraclés ? Enfin, les douze vaisseaux des Énianes (277) peuvent venir d'une source qui distinguait les contingents Énianes et Perrhébes (cf. supra, p. 295, n. 10), mais ils peuvent aussi servir simplement de pendant aux douze vaisseaux des Salaminiens cités dans l'antistrophe (293). (3) Sur notre parodos considérée comme un modèle d'ecphrasis, cf. P. Friedlaender, Johannes von Gaza (1912), p. 24-25.

CHAPITRE

DU

DÉPART

IX

D’AULIS

AU DÉBARQUEMENT

EN

TROADE

I. L'ESCALE A TÉNÉDOS : TENNES. 11. L'ABANDON 111. LE

DE

PHILOCTETE

DÉBARQUEMENT

EN

: PHILOCTETE.

TROADE

: PROTÉSILAS.

DU

DÉPART

D'AULIS

AU

DÉBARQUEMENT

EN

TROADE

Aprés une si longue attente, aprés tant de traverses, les Grecs quittaient enfin le mouillage d'Aulis. Poussés par un vent favorable,

les équipages

joyeux

cinglaient vers les cótes de Troade.

Dans un slasimon d' Élecire, on trouve une peinture gracieuse de cette navigation

:

« Navires glorieux,

brables,

vous voguiez jadis vers Troie de vos avirons innom-

en cortège dansant

parmi

les Néréides.

Alors, le dauphin ami de la flûte proues aux sombres éperons,

bondissait

en

cercle

autour

de vos

escortant le fils de Thétis, Achille aux sauts légers, qui suivait Agamemnon vers la Troade

et les rives du Simols » (1).

L'élan irrésistible qui porta la flotte achéenne d'un bord à l'autre de la mer Égée est encore évoqué par Hécube dans une monodie des Troyennes : « Navires

aux

proues

rapides

qui

gagniez

à

force

de

rames

la

sainte

Ilion, par la mer de pourpre et les ports hospitaliers de l’Hellade, avancant aux accents abhorrés du péan et à la voix des flûtes harmonieuses,

vous

avez déroulé les cordages que l'Égypte

et vous les avez —

hélas —

vous apprit à tresser,

fixés aux rives des baies de Troade » (2).

(1) EI. 432-441 : « Κλειναὶ νᾶες, al ποτ᾽ ἔδατε Τροίαν τοῖς ἀμετρήτοις ἐρετμοῖς

πέμπουσαι χοροὺς μετὰ Νηρηΐδων, ἵν᾽ ὁ φίλαυλος ἔπαλλε δελ-

φὶς πρῴραις κυανεμδόλοις εἰλισσόμενος, πορεύων

τὸν τᾶς Θέτιδος

χοῦφον ἅλμα ποδῶν ᾿Αχιλῇ σὺν ᾿Αγαμέμνονι Τρωίας ἐπὶ Σιμουντίδας ἀκτάς.» Snr la colométrie de 436-37, voir A. Dain, Traité de métrique suite de ce chœur, voir supra, p. 218.

(2) Tr. 122-130 : « Πρῷραι ναῶν ὠκεῖαι, ἥλιον ἱερὰν at, κώπαις δι᾿ ἄλα πορφυροειδέα καὶ λιμένας ᾿Ἑλλάδος εὐόρμους

grecque, p. 219. Pour la

302

EURIPIDE

ET

LES

LÉGENDES

DES

CHANTS

CYPRIENS

On trouve dans ces vers un reflet de la tradition épique, qui ne relate pas d'incident nautique au cours de la traversée (1), bien que certains détails rappellent plutót les usages maritimes du temps d'Euripide (2). Mais, dans ce beau raccourci lyrique, le poéte passe volontairement sous silence des épreuves d'un autre genre que, d'aprés cette tradition, les Grecs avaient subies avant de s'établir en Troade. En vue méme de la cóte, l'armée devait livrer combat pour prendre pied dans la petite tle de Ténédos,

dont le roi, Tennés, était tué par Achille. Aussitót aprés, à l'occasion d'une cérémonie religieuse, un des héros, Philoctéte, était mordu par un serpent et les Grecs le transportaient dans l’île de Lemnos, oü ils l'abandonnaient. Enfin, pour un motif futile, éclatait une premiére et violente querelle entre Achille et les Atrides. Une fois franchi le dernier bras de mer, le débarquement sur le sol troyen allait encore coüter aux Grecs un de leurs chefs, le Thessalien Protésilas. Mort douloureuse pour l'armée, mais plus encore pour la jeune femme qu'il avait laissée dans sa patrie et qui devait finalement le rejoindre dans l'Hadeés. L'euvre perdue d'Euripide comprenait trois drames qui se rapportaient

à ces événements

: l'un,

Tennés,

avait pour héros

le roi de Ténédos; Philocléle, dont le sujet appartenait pour l'essentiel aux Posihomerica, évoquait la blessure et l'abandon du héros à Lemnos; Prolésilas montrait le trépas du premier Grec tombé sur le sol troyen et ses suites funestes (3). En étudiant successivement ces trois piéces, nous essaierons de déterminer plus exactement leur sujet et la forme que le poéte a donnée aux légendes épiques.

αὐλῶν παιᾶνι στυγνῷ συρίγγων τ᾽ εὐφθόγγων φωνᾷ βαίνουσαι, πλεκτὰν Αἰγύπτου παιδείαν ἐξηρτήσασθ᾽, αἰαῖ, Τροίας ἐν κόλποισιν... » La

monodie

qui

débute

par

ces

vers

n'est

pas

antistrophique,

comme

le pensait

L. Parmentier, mais irréguliére (cf. A. Pertusi, Dion, 15 (1952), p. 269, n. 23). (1) Procl., 1. 144 Sev. ; Apd., Ep., III, 23. La méme impression ressort d'un passage d'Ibycos (Fr. 1 P., 27-31). (2) Ainsi pour les éperons

la

navigation

côtière

d'un

l'autre, le chant du péan au départ, le mouvement

des

navires,

pour

des rames

rythmé

par la flûte.

On ne peut s'empécher d'évoquer à propos de ces vers le départ des grandes athéniennes vers la Sicile, de 415 à 413 (cf. en particulier Thuc., VI, 32).

port

à

flottes

(3) Il manque chez Euripide le motif épique de la querelle d'Achille et d'Agamemnon (Kyp., fr. XVI Al. = fr. adesp. 2 B. ; cf. P. von der Mühll, Mél. Tschudi (1954), p. 2-3), sujet des Syndeipnoi de Sophocle (éd. Pearson, T. II, p. 198 &qq. et fr. 562-571).

TENNÈS

I. L'ESCALE Dans

la légende

A

303

TÉNÉDOS

troyenne,

Tennés

: TENNÉS

(1) avait

un

róle paralléle

à celui de Téléphe. Comme le roi de Mysie, il défendait l'accés de son territoire contre les envahisseurs achéens, mais, moins heureux

que Télèphe, il périssait de la main d'Achille. Un Tennes figurait dans le recueil des ceuvres d'Euripide, mais dés l'époque alexan-

drine on soupgonnait ce drame d’être apocryphe (2), et la plupart des critiques modernes, à la suite de Wilamowitz, l'ont attribué à Critias (3). De toute maniére, il n'en subsistait jusqu'à ces derniéres années qu'un fragment insignifiant, et dont l'appartenance méme à la piéce n'était pas certaine (4). Cependant, deux papyrus du 11? siécle récemment publiés ont confirmé l'existence de la piéce et précisé

son

sujet

(5).

Dans

l'ignorance



nous

sommes

des

motifs qui avaient conduit les critiques anciens à contester son authenticité,

nous

nous arréterons

un instant sur elle.

Deux épisodes de la vie de Tennés pouvaient étre portés sur la scéne

: l'aventure

de jeunesse

qui provoquait

son établissement

à Ténédos et son opposition aux Achéens, qui devait lui étre fatale. Tennés était le fils de Cycnos, roi de Colone, une bourgade de la cóte troyenne située en face de Ténédos (6). Par son pére, il était petit-fils de Poséidon (7), et par sa mère

BIBLIOGRAPHIE : Welcker,

Procleia, petit-fils

Gr. Tr., p. 499-500. R. Wagner, Curae mythographicae...

(1891), p. 192-196. Höfer, s. v. Tenes, Tennes, Roschers-Lez., col. 363-65. C. Robert, p. 386-87. A. Lesky, s. v. Tennes, RE, IX A (1934), col. 502-06. Ch. Vellay, II, p. 411-14.

(1) Les témoignages anciens se partagent entre les orthographes Τένης et Τέννης. La seconde forme, préférée par Wagner, p. 193, n. 1, et Lesky (cf. col. 502) est confirmée par les papyrus (P. Ozy. 2455,

fr. 14, col. XIII,

179-180, et 2456, 1. 11).

(2) Vita Eur., 1. 35 Mér. (3) Wilamowitz, Vorsokraliker',

II,

Analecia p.

381.

Euripidea, D'après

p.

161;

Wilamowitz,

cf. Nauck, Tennés

TGF*®,

p. 578;

Diels,

formait avec Rhadamanthe,

Pirithoos et Sisyphe une tétralogie qu'il date des années 411-405. (4) Fr. 695 : « Φεῦ, οὐδὲν δίκαιόν ἐστιν ἐν τῷ νῦν γένει. » « Hélas, il n'y a aucune

justice dans la génération

actuelle. » Le vers

est

donné

par

Stobée, Flor., 2, 17, et est attribué par deux des mss. au Téménos d'Euripide. (5) P.

Ozy.,

XXVII

(1962),

2455

(Hypothéseis

de pièces

d'Euripide),

fr.

14, col.

XIII, 1. 172-183; 2456 (Lisles de piéces d'Euripide), 1. 11. (6) Str., XIII, 1, 19; Con., Narr. 28; DS., V, 83; Paus., X, 14, 2. Ce personnage, sans doute distinct à l'origine du Cycnos, allié de Priam, tué par Achille après le débarquement en Troade, fut assez rapidement confondu avec lui (voir les références données par Engelmann, Roschers-Lez., s. v. Kyknos, col. 1695-96). (7) Paus., 1. c.; sc. AD à l'Il., A 38; Souda, s. v. Τενέδιος ἄνθρωπος.

304

EURIPIDE

ET

LES

LÉGENDES

DES

CHANTS

CYPRIENS

de Laomédon (1). Du méme mariage était née une fille, Hémithéa (2). Procleia étant morte, Cycnos épousa en secondes noces Phylonomè,

fille de Tragasos (3), et celle-ci tomba amoureuse de son beau-fils. Ses avances ayant été repoussées, elle accusa Tennés d'avoir voulu lui faire violence et le joueur de flüte Molpos appuya ses accusa-

tions auprés de Cycnos par un témoignage mensonger (4). Le roi enferma alors son fils et sa fille dans un coffre qu'il fit jeter à la

mer (5). Mais, gráce à la protection de la divinité (6), le coffre fut déposé par le flot sur la gréve de l'tle alors nommée Leucophrys, et qui fut plus tard appelée d'aprés son nom Ténédos (7). En effet, Tennés et Hémithéa avaient été recueillis par les habitants de l'île, qui avaient offert la royauté au jeune homme (8). Ayant appris tardivement la vérité, Cycnos tira vengeance des coupables :

le joueur de flüte fut lapidé et Phylonomé enterrée vivante (9). Mais il ne réussit pas pour autant à faire la paix avec ses enfants : d'aprés la tradition la plus courante, Tennés refusa de l'accueillir

sur son fle (10). Cycnos

était encore sur le continent quand

les

(1) Apd., Ep., III, 24; Tzetz., sc. Lyc. 232-33. D'après Pausanias, I. c., le père de Procleia était Clytios. (2) Con., Apd., Paus., Souda, Tzetz., ll. cc.; sc. BLT en A 38; Serv., sc. à l'En., II, 21. D'autres l'appellent Leucothéa

(sc. AD

en A 38 et Eust., ad loc., p. 33, 22) ou

Amphithéa (Hécat., fr. 139 Jac.). (3) On trouve les deux formes Phylonomé Eust. en A 38, Tzetz.). Le nom

et Philonomé

(Apd., Paus., sc. AD

et

de son pére, Tragasos (Apd., Tzetz.) doit se rattacher

à la ville de Tragasae en Troade (Wagner, p. 193, n. 1 ; pour Lesky, col. 504, Cragasos, donné

par Pausanias, serait au contraire le nom

primitif). Les scolies AD

et Eustathe

donnent, comme

variante du nom de la seconde femme de Cycnos, Polyboia ; les sc.

BLT

Calycè.

l'appellent

(4) Plut., Quaest. Gr., 28 (297d), Tzetz., Il. e. Apollodore l'appelle Eumolpos. Arstt., Const. des Ténédiens,

fr. 170 Mül. ; Heracl.

Pont., Const. des Ténédiens,

III, 213 Mül. ;

Lyc., Alez., 234-35 ; DS., mentionnent le joueur de flûte sans le nommer. (5) Con. ; Apd., III, 25 ; Paus. ; sc. BLT en A 38 ; Souda; Eust. ; Tzetz. ; Apostolios, XVI, 25. Heracl. Pont., DS., Zenob., VI, 9, et les sc. AD ne font pas mention

d'Hémithéa. C'est par amour

fraternel que celle-ci avait demandé

à partager le sort

de Tennés (Con., Souda, Apostolios). On croyait reconnaître cette scène sur un skyphos

de Nola conservé à Naples (3.140 Heyd.), de la période 430-420 (voir Höfer, col. 364, avec les références plus anciennes, et encore K. Clairmont, AJ A, 57 (1953), p. 93, n. 6), oü il s'agit en réalité de Persée et de Danaé (A. B. Cook, Zeus, III, p. 458, n. 2 ; Schauenburg, Perseus, p. 9; Beazley, Atlic. vase paintings in...Boston, II, p. 12 ; A. CambitoglouA. D. Trendall, Apulean red-figured vase-painters of the plain style (1961), p. 7 et n. 9. (6) DS. Dans les sc. AD, le sauveur est Poseidon, chez Eustathe, Diké.

(7) Str., XIII, 1, 46, Con., DS., Apd., Paus., X, 14, 2-3, sc. AD, BLT en A 38, Tzetz., Souda, Eust., Apostolios. (8) Con., DS., sc. AD en A 38, Eust., Tzetz.

D'aprés

Héraclide du Pont, Apollodore

(III, 23) et Servius, il colonisa l'île et rassembla les habitants (συνοικίζει DS.). (9) Apd., III, 25; Tzetz. (10) Con., Paus., X, 14, 3-4. Certains expliquaient ainsi le proverbe Τενέδιος πέλεκυς, Tennés ayant tranché d'un coup de hache le cáble qui retenait le navire de son pére

au rivage de 116 (aut:es explications : Arstt., Heracl. Pont., Zenob., Souda s. v. Tevé810; ἄνθρωπος

et

Τενέδιος

Euvryopos,

Apostolios).

Seul

Tzetzès

(sc.

Lyc.

232-33;

TENNES

Achéens

y débarquérent,

305

et il devait périr lui aussi de la main

d'Achille, peu de temps aprés son fils (1). Sur les circonstances de la mort de Tennés, on rencontre deux

versions différentes. D'aprés Apollodore (2), il tenta de s'opposer au débarquement des Achéens en langant des pierres sur les navires et Achille le tua d'un coup d'épée dans la poitrine. D'aprés un autre

récit plus romanesque, Achille rencontra dans l'ile la belle Hémithéa et voulut l'enlever. Mais celle-ci s'enfuit et, au cours de la poursuite amoureuse, Tennés, en se portant au secours de sa sceur, fut tué par le Péléide (3). Quant à Hémithéa, ou bien elle réussit à se sauver (4), ou bien elle mourut avec son frére dela main d'Achille (5),

ou bien encore elle fut engloutie par la terre (6). Mais il est un point sur lequel s'accordent la plupart des sources : Achille avait été mis

en garde par sa mère, qui l'avait averti que Tennés était le protégé d'Apollon ; s'il tuait le roi de Ténédos, il encourrait la colére du dieu et mourrait à son tour (7). Thétis avait méme placé auprès de son fils un serviteur, dont la fonction était de le prévenir à temps pour l'empécher de commettre ce meurtre (8). Aussi Achille, aprés avoir reconnu sa faute, tuait-il le serviteur négligent (9), avant de faire à Tennés des funérailles solennelles (10). Plus tard, les Ténédiens consacrérent un hérôon à leur fondateur. En souvenir de ses malheurs, l'accés en était interdit aux joueurs de flûte et il n'était pas permis d'y prononcer le nom d'Achille (11). Lequel de ces deux événements était le sujet du Tennès attribué à Euripide ? En l'absence d'autre certitude, on pouvait légitimement hésiter entre l'un et l'autre, tous deux se prétant à 241) dit que Cycnos vint vivre avec ses enfants à Ténédos, mais il sollicite, semble-t-il, le texte de Lycophron,

où il est seulement

dit que Cycnos,

comme

ses enfants,

doit

mourir de Ja main d'Achille. (1) Kypria (Procl., 1. 150 Sev.).

(2) Ep., III, 26; cf. DS., Paus., X, 14, 4. (3) Plut.; Tzetz. (4) Plut. (b) Lyc., Alez., 232-39. (6) Tzetz. (7) Apd., Ep., III, 23 et 26 ; Tzetz., sc. Lyc. 232-33 et 241. Plutarque dit seulement qu'Apollon honorait Tennès. L'arrangement qui fait du héros le fils putatif de Cycnos et

le

flis réel du dieu

doit étre tardif.

Il semble

en rapport

d'Apollon à Ténédos (Il., A 38 ; 452 ; Str., VIII, 6, 22; XIII, 27, etc. ; cf. M.

Mayer,

avec le culte particulier

1, 46; Apd., Ep., III,

p. 50).

(8) Lyc., Aler., 240-42; Plut.; Tzetz., sc. Lyc. 232-33 et 241; Eust. en À 521, p. 1697, 54. Tzetzès l'appelle Mnémon, sans doute par une erreur sur le passage de Lycophron, oü le mot parait (9) Lyc., Plut., Tzetz.

étre un nom

commun.

(10) Plut. (11)

Heracl.

Pont.;

DS.;

Plut.

Sur le culte

de Tennés

à Ténédos,

voir

aussi

Cic.,

de Nat. deor., III, 15, 39. 21

306

EURIPIDE

ET

LES

LÉGENDES

DES

CHANTS

CYPRIENS

l'élaboration tragique. Mais l'hypolhésis du papyrus d'Oxyrhynchos — quoique mutilée — ne laisse plus maintenant de doute. Elle est venue confirmer la conjecture de Welcker (1), d'aprés laquelle

la tragédie Les

phrases

graphes

illustrait l'aventure conservées

de jeunesse

de ce résumé

du

montrent

fils de Cycnos. que

les mytho-

et les scoliastes ont pris leurs renseignements

tragédie à propos de cette légende peu connue. aprés plusieurs phrases trés mutilées :

dans

la

On lit, en effet,

« L'ayant enfermé (dans un coffre...) aprés avoir pris pour témoin (de ces calomnies un joueur de flüte).. (Cyenos) se repentit lorsqu'il apprit que Tennès était arrivé sain et sauf sur l'île située en face. Sur l'invitation d'Apollon, il donna à l'île le nom de Ténédos et mit à mort sa femme qui lui

avait

menti » (2).

Si ce résumé ne permet évidemment pas de reconstituer l'intrigue, il montre au moins qu'à la fin de la piéce Apollon apparaissait ez machina. C'était lui — et non les habitants de l'tle — qui imposait le nom de Ténédos à la nouvelle patrie de Tennés. Les autres

détails correspondent aux grandes lignes de la version donnée par nos témoins, d'Héraclide du Pont aux commentateurs et parémiographes byzantins, dont les divergences montrent cependant qu'ils puisent à d'autres sources. Jusqu'où remonte cette légende et quel est le modèle du poète tragique ? Il est difficile de le dire. Le récit de la mort de Tennés devait figurer dans les Chants Cypriens. L'épisode se trouve dans

l' Épilomé d’Apollodore et, si le Sommaire de Proclos mentionne

sans autre détail le débarquement à Ténédos, le contexte semble bien présupposer la mort du roi. En effet, les deux récits de mythographes placent dans l’île la blessure de Philoctète, qui avait lieu soit au cours d'un banquet, soit au cours d'un sacrifice à Apollon (3). L'une et l'autre de ces circonstances semblent liées (1) (2)

P. 500, aprés Heyne. P. Ozy. 2455, fr. 14, col. XIII

:

172

αι ὁ βα[σιλεύς ........ ] γυναικὸς

175

ἀπΊοθανί εῖν

&o9 » BOR POR

& P BON POR

Ἰχλείσας

BOR BOB POR

BOR

BO

κυ

BOR

WW

[εἰς λάρνακα

μ]άρτυρα τῶν [διαθολῶν αὐλήτην ποιη-

σάμενος * Tal

μετεμέλη[σε Κύχνωι 1] ἐπεὶ τ[ὸ]ν T[£]v180

νην ἤκουσεν ἐπὶ τὴ[ν ἀ]ντίπερα νῆσον

σεσῶσθαι

᾿ προσειπόΪν]τος δ᾽ ᾿Απόλλωνος

τὴν μὲν νῆσον Τένεδον προσηγόρευσεν,

τ]ὴν δὲ ψευσα μέν]ην γυναῖκα ἀπέκτεινεν. Tous les compléments sont d'E. G. Turner (cf. p. 61-62). (3)

Sur cette

variante,

cf. infra,

p. 313-14.

TENNES

307

à la défaite et à la mort du roi de Ténédos, qu'il s'agisse de réjouissances aprés la victoire ou d'un rite destiné à apaiser la colére du dieu protecteur de Tennés. Ce sacrifice tendrait encore à prouver que le théme de la prédiction de Thétis à Achille vient également du poéme de Stasinos (1).

Cette légende parait avoir formé le sujet d'une piéce d'Eschyle, qui portait peut-être également le titre de Tennès (2). Dans un fragment papyrologique récemment publié (3), un personnage qui se présente comme

un ambassadeur grec vient inviter le «roi des

Ténédiens», dans l'intérêt de son peuple, de lui-même et des Argiens, à ne pas engager la lutte avec les arrivants. On imagine aisément la suite. Tennés

ne tenait pas compte

de cet avertisse-

ment, et, dans le combat qui s'engageait, il mourait de la main d'Achille. Il est possible que le sujet de la tragédie ait comporté aussi la blessure et l'abandon de Philoctéte (4). On ne peut exclure l'hypothése que Stasinos racontait dans un

excursus la mésaventure de jeunesse du roi de Ténédos, car celle-ci expliquait pourquoi le pére et le fils vivaient alors séparés, Cycnos se trouvant en Troade méme, oü il devait bientót étre tué par Achille. Bien que les deux épisodes soient juxtaposés dans l' Épilomé

d'Apollodore,

l'exposé

des antécédents

de Tennés,

qui

forme un tout cohérent et se détache facilement du contexte (5), semble

cependant provenir d'une autre source.

Cette légende combine assez artificiellement un certain nombre de thèmes de folklore : on y trouve à la fois le « Putipharmotiv », le théme de la punition par l'abandon sur la mer dans un coffre qui est conduit par la divinité jusqu'au rivage (6), l'arrivée surna-

turelle du héros éponyme

suivie de la fondation d'un état par

(1) M. Mayer, p. 216; W. Kullmann, p. 269, 310-12, qui estime que plusieurs passages de l'Iliade se réfèrent implicitement à cet oracle (P 406 sqq. ; D 275 sqq., etc.). Wagner, p. 193 sqq., pense au contraire que c'est une invention plus récente. (2) Voir sur ce point notre article, Le « Tennés » (?) d'Eschyle εἰ la légende

de

Philoctète, LEC, 32 (1964), p. 3-9 (où il faudrait corriger à la p. 6 ce qui concerne le sujet du Tennès euripidéen, compte tenu du papyrus d'Oxyrhynchos). (3)

P. Ory. 2256, fr. 53 =

Fr. 390 M. Sur ce morceau, voir H. J. Mette,

Gymnasium,

62 (1955), p. 394 ; 401-06, et notre article, p. 3-5. (4) Ce Tennés pourrait, à notre avis, faire partie avec les Héraclides et Philoctélie, d'une trilogie consacrée à la légende de Philoctéte. (5) Apd., Ep., III, 24-25. Cf. Wagner, p. 195 ; Lesky, col. 506. (6) Voir par exemple les légendes de Danaé et d'Augé. Dans cette méme partie de la mer Égée, Thoas, le-père d'Hypsipyle, avait été lui aussi mis à la mer dans un coffre — pour échapper à la fureur des Lemniennes — et transporté par le flot des côtes de

Lemnos jusqu'en Tauride. Rhoeo, mère d'Anios, était aussi jetée dans un coffre et une de ses sœurs,

Molpadia,

transportée

par Apollon

en Chersonése,

recevait

du

dieu

le

nom d'Hémithéa. Sur ce motif, cf. E. Cosquin, Rev. Quesl. Hisl., n. s., 39 (1908), p. 370 sqq. ; A. B. Cook,

Zeus,

II, 1 (1925),

p. 670-71.

même coffre ne porte à la fois deux adultes.

Mais

dans aucune

de ces légendes

le

308

EURIPIDE

ET

LES

LÉGENDES

DES

CHANTS

CYPRIENS

synoecisme, enfin le motif de l'amour fraternel poussé jusqu'à l'héroisme (1). Une telle combinaison ne doit pas étre trés ancienne, mais on ne peut dire si l'auteur du Tennes l'a tirée directement du

folklore local ou d'un ouvrage appartenant à la littérature florissante au vie et ve s. des « fondations de villes » (2). Au reste, les légendes de Ténédos ne devaient pas être ignorées

de l'Athénes du v® siècle. Cette petite tle était un des plus anciens et des plus fidéles membres de la Confédération athénienne. L'importance relative de son tribut indique qu'en plus de son minuscule territoire elle devait étendre son pouvoir sur une partie

de la « pérée » troyenne (3). On congoit que, dans le cours de la guerre du Péloponnése, un poéte athénien ait voulu honorer l'alliée fidéle en mettant en scéne son héros national. La légende de Tennés, comme l'avait remarqué Welcker, illustre

un des thémes de prédilection d'Euripide, que l'on retrouve dans Bellérophon, Phenix, Sihenebee et les deux Hippolyle. Est-ce un indice en faveur de l'authenticité de la piéce ? Ce serait le cas si l'on pouvait admettre une date relativement ancienne, car aucun des

drames

mentionnés

ci-dessus

ne

semble

postérieur

à

428.

Si l'on s'en tient à la période de 411-405 proposée par Wilamowitz, il est difficile d'y voir l’œuvre d'Euripide, et on pourra l'attribuer à Critias, désireux d'encourager, en ces temps difficiles pour Athénes, la fidélité exceptionnelle des Ténédiens. II. L'ABANDON

DE

PHILOCTÈTE

Laissé par les Grecs à Lemnos,

en Troade

: PHILOCTÉTE

Philoctéte fut ramené

par eux

dans les derniers mois de la guerre, à la suite d'un

oracle révélant que la ville ne pouvait étre prise sans l'arc et les

fléches d'Héraclés, restées aux mains de son compagnon d'armes. (1) Tennés et Hémithéa sont rangés dans les φιλάδελφοι (Myth. Gr., p. 345, 12 West.). La légende de la mort d'Hémithéa doit être un développement — peut-être alexandrin — de ce motif. (2) Il est probable qu'il existe un rapport entre cette légende et les monnaies anciennes de l'ile, qui portent sur une face un Janus comportant un visage masculin et un visage féminin el sur l'autre une double hache : cf. A. B. Cook, o. c., p. 654-673; Lesky, col. 504 ; Fiehn, s. v. Tenedos, RE, IX A (1934), col. 495. C. Robert, p. 386-87,

estimait que la légende était sortie d'une interprétation erronée de ces deux visages, qui étaient à l'origine ceux de Zeus et de Héra, la double hache ayant de son côté donné naissance aux divers proverbes sur « la hache de Tennés ». Il est douteux que la légende ait une telle origine, mais l'existence de ces monnaies a dû contribuer à son expansion (cf. Cook, o. c., p. 672-73). (3) Fiehn, o. c., col. 497. BiBLIOGRAPHIE

figurata, Florence,

: L. A. Milani, Il mito di Filottete nella letteratura classica e nell'arte

1879. Türk, s. v. Philokletes, Roschers-Ler., col. 2314-2320 ; 2328-

PHILOCTÈTE

309

Cette aventure formait le sujet des trois Philocieie d'Eschyle, d'Euripide et de Sophocle. Chacun de ces drames décrivait les circonstances dans lesquelles le héros avait été mordu par un serpent au cours de la traversée et abandonné par l'armée, seule

partie de la légende que nous ayons à examiner ici. Pour le dernier en date, le Philoctèle de Sophocle

(409),

cet

examen ne présente aucune difficulté, puisqu'il s'agit d'une piéce conservée. En revanche, des deux autres drames, celui d'Eschyle,

dont nous ignorons la date, et celui d'Euripide, représenté en 431 avec Médée, Diclys et les Moissonneurs, la tradition indirecte n'a sauvé que peu de fragments (1). Il s'y ajoute quelques morceaux

sur papyrus : lambeaux d'une hypothésis pour Eschyle (2), également hypothésis mutilée pour Euripide (3). Seule cette dernière apporte une précision utile à notre sujet, mais l'essentiel de notre connaissance doit être tiré d'autres sources : d'abord, les deux discours de Dion, Comparaison des irois Philocléle d'Eschyle, de Sophocle el d'Euripide (LII), et Philocléle (LIX), ce dernier étant une paraphrase du début de la piéce d'Euripide ; ensuite, les mythographes et scoliastes qui, sans se référer précisément à l'un

ou l'autre des tragiques, rapportent les différentes traditions relatives à la blessure et à l'abandon de Philoctéte. D'aprés Dion, le héros d'Euripide racontait lui-méme comment il avait été atteint par le malheur alors qu'il s’employait pour le salut

et

la victoire

commune.

Il montrait,

en

effet,

aux

Grecs

l'autel de Chrysé oü ils devaient sacrifier pour vaincre leurs ennemis — condition absolue mise par les dieux à leur succés contre les Troyens — lorsqu'il fut mordu par une vipére (4). La blessure 2331. Tümpel, s. v. Chryse 2) et 10), RE, III, 2 (1899), col. 2486-89. P. Corssen, Der ursprüngliche Verbannungsort des Ph., Ph., 66 (1907), p. 346-360. R. C. Jebb, notice de l'édition du Philoctèle de Sophocle, Cambridge,

1908, p. x-xvi1 ; xxx-xL. C. Robert,

p. 1093-95. L. Séchan, p. 486-89 et 604, Schmid-Stählin, p. 374-75. M. Untersteiner, Gli Eraclidi e il Filottele di Eschilo, Florence, 1942, p. 95-180. E. M. Hooker, The sanctuary and altar of Chryse

in allic red-figure vase paintings,

JHS,

70 (1950), p. 35-

41. Fr. Stoessl, Euripides, Die Tragüdien, 1 (1958), p. 145-153. W. Kullmann, p. 269-271. (1) Pour Eschyle, fr. 391-404 M.; pour Euripide, fr. 787-803 N* (plus 790a et 799a

Sn.).

On

signale

encore

au

v* s. un

Philoctèle d'Achaeos

(Nauck,

p. 755)

et un

de Philoclés (Souda, 8. v. Φιλοκλῆς). (2) P. Ozy. 2256, fr. 5 = fr. 392 M. F. C. Goerschen, Gymnasium, 62 (1955), p. 20006, a cherché à attribuer au Philoctèle d'Eschyle d'autres fragments papyrologiques où on lirait les noms de Chrysé et de Lemnos ses restitutions sont peu convaincantes.

(3) P. Ozy. 2455, fr. 17, col. XVIII-XIX,

(P. Ozy.

2256,

88 ; 2246,

v.

18), mais

1. 246-266. Cf. infra, p. 311.

(4) Dion, LIX, 9. E. M. Hooker, o. c., étudie une série de cinq vases attiques, s'échelonnant des environs de 430 au début du ıv® 8., et qui représentent l'autel de

Chrysé. L'aspect trés particulier de cet autel, fait de pierres entassées, suggère une description littéraire, qui pourrait étre celle que donne Philoctéte dans la piéce d'Euripide.

310

EURIPIDE

étant

douloureuse

ET LES

LÉGENDES

et incurable,

DES

CHANTS

CYPRIENS

il fut abandonné

par ses alliés

à Lemnos (1). Dans la piéce, Philoctéte tenait Ulysse pour respon-

sable de son abandon et il semble qu'Ulysse lui-méme était conscient de mériter ce reproche (2). Les renseignements fournis par le sophiste de Pruse appellent à leur tour d'autres questions : comment Philoctéte connaissait-il

l'emplacement de l'autel de Chrysé ? Où se trouvait cet autel ? D'où provenait le serpent ? Il faut aller chercher les réponses dans des textes qui ne se référent pas directement à Euripide. Nous apprenons

que l'autel de Chrysé avait été élevé par Jason et les

Argonautes en route pour la Colchide (3). Héraclés, qui participait à cette expédition, avait,ä son tour sacrifié sur le méme autel alors qu'il se rendait en Asie, sans doute au cours de sa grande campagne

contre Troie, accompagné d'une troupe de héros qui comprenait le jeune Philoctéte (4). Ainsi s'explique que ce dernier ait à son tour servi de guide aux Achéens, car ceux-ci connaissaient seulement la prescription divine qui leur était imposée : offrir un sacri-

fice à Chrysé.

Telle doit étre la version

adoptée

par Euripide.

Mais où se trouvait ce sanctuaire ? Les anciens ne s'accordaient pas sur ce point : les uns situaient l'autel de Chrysé sur la petite

116 du méme nom, à quelque distance de la côte orientale de Lemnos (5), d'autres dans l'tlot de Néa ou Néai (6), d'autres encore à Lemnos méme (7). Parmi ces traditions, celle qui concerne Néa a peu d'autorité et semble tardive (8). On pouvait étre tenté d'adopter pour Euripide la localisation à Lemnos, car c'est la version

suivie

par

Hygin

dans

sa fable

de

Philoctèle,



il parait

(1) Ibid., 2-3. (2) Ibid., 3; 9. (3) Dosiadas, Aulel (AP, XV, 26), 5; 9-15; Aulel B', 26 ; Philostr., Imag.,

17, 2.

(4) Philostr., !. c.; Arg. melr. Soph. Phil., 3 et sc. Phil. 194. Certains mythographes placent l'expédition de Troade, non au début, mais à la fin des travaux d'Héraclés : cf. Apd., Bibl., II, 6, 4 ; DS., IV, 32. Ce sacrifice est représenté sur la série des vases étudiés par E. M. Hooker, qui montrent devant l'autel et la statue de culte, outre Héraclés et Philoctéte, Iolaos ou Lichas.

(5) Se. Phil. 194 ; Tzetz., sc. Lyc., Alex. 911 ; cf. aussi Soph., Lemniennes, fr. 384 P. ; Paus., VIII, 33, 4; Eust., en B 723, p. 329, 45. (6) Autel B' ; St. Byz. et Souda, s. v. Néou. (7) Hyg., f. 102 ; sc. A (Ar.) en B 722 ; Eust. en B 724, p. 330, 10. Certaines notices donnent Chrysè comme une «ville d'Apollon près de Lemnos » (St. Byz., 8. v. ; sc. Phil. 194) : y a-t-il là un souvenir de cette tradition ou une confusion avec la ville de Troade du méme nom ? D'après la sc. B en B 721, on situait encore cet autel dans l'île d'Imbros.

(8) Les deux

îles de Chrysé et de Néai

déclare que l'flot Neae, historique. Pausanias, on avait découvert en un serpent d'airain et

placé /. c., 72 av. l'arc

sont parfois confondues.

Pline (II, 202)

entre Lemnos et l' Hellespont, avait été englouti à l'époque dit la méme chose de Chrysé. Dans les mêmes parages, J.-C. un flot désert portant les restes d'un autel de Chrvysé, et la cuirasse de Philoctéte (Appien, Mithr., I, 77).

PHILOCTÈTE

s'inspirer surtout de notre pièce, comme

311

le montre

la correspon-

dance avec Dion Chrysostome sur deux points précis (1). Cependant, l'hypolhésis récemment publiée ne laisse plus de doute : Euripide, imité en cela par Sophocle, plaçait la blessure de Philoctéte dans l’île de Chrysè (2). L'accident survenu au héros, dont les conséquences devaient

étre si graves pour les Achéens, ne pouvait étre le fait du simple hasard. Les anciens en ont donné diverses explications, qui mettent

Loutes en cause la divinité. Dans la piéce de Sophocle, on distingue les traces de plusieurs traditions différentes. D'aprés Néoptoléme, Philoctéte

aurait

eu

le

tort

de

vouloir

s'introduire

dans

le

sanctuaire en plein air de Chrysé et aurait été blessé par le serpent qui en était le gardien (3). On a vu là le souvenir d'une légende ancienne



Philoctéte,

l'e Ami

du

Gain»,

était ainsi

puni

de sa

tentative de vol (4). Dans un autre passage du drame, le méme Néoptoléme incrimine la «cruelle» Chrysé, comme si la déesse était elle-méme responsable du malheur de Philoctéte (5). Certains

critiques en ont déduit que Chrysé était à l'origine une divinité indigéne, protectrice de la région. C'est ainsi que les Argonautes et Héraclés avaient dû la fléchir pour franchir sans dommage cette

partie de la mer Égée. Prenant fait et cause pour les Troyens,

elle cherchait à retarder le destin de Troie en mettant Philoctéte

hors de combat (6). Dans le méme passage du Philoctèle, Néoptoléme (1) Hyg., f. 103 : «...quem expositum pastor regis Actoris nomine Iphimachus Dolopionis filius nutrivit » et Dion, LII, 8 : «'O Εὐριπίδης τὸν "Axropa εἰσάγει ἕνα

Λημνίων ὡς γνώριμον τῷ Φιλοκτήτῃ προσίοντα. » D'après ce dernier texte, Milani a proposé de corriger la phrase d'Hygin en « pastor regis Iphimachi

nomine Actor... »,

correction acceptée par Rose dans les notes de son édition. Cf. Türk, col. 2318 ; Tümpel,

col. 2489 ; Corssen, p. 354-55. L'autre correspondance auprès d'Ulysse. (2) P. Oxy. 2455, fr. 17, col. XVIII :

247

est la présence

de Dioméde

..ea[...]ae Φιλοχτ[η]τί........ Jo:

λεὺς ᾿ [..]ec ἐν τοῖς τόποις [ἐν οἷς ἐδ]η-

Compléments

250

χθη ᾿ περιαλγῇῆ 8° αὐτὸν γενόμ]ενον ἐπὶ τὴν παρακειμένῃν A[fluvov δια-

258

xpö|vjov διέζησεν ἀτυχῶν ὡς dv βίον ἔχ[ων] τὸν ἔλεον τῶν ἐντυγχανόντων...

RE

de Turner.

Nous

εἴασαν * ὁ δὲ] τὸν δεκαετῇ

avons corrigé quelques fautes d'orthographe du scribe

(e. g. 249 περιαλγῆι ; 251 wxaxv ; 253 ελαιον). L'indication de l'hypoihésis s'accorde avec l’Argument métrique du Philoctète de Sophocle (v. 1: "Ev Χρύσῃ) qui se rapporte en fait à la piéce d'Euripide.

Pour

Sophocle,

cf. Phil. 269-70.

(3) Phil. 1326-28. (4) Cf. M. Untersteiner, p. 97 sqq. ; L. Radermacher, Zur Philokleisage, Mél. Grégoire (1949), p. 504 sqq. L'impiété de Philoctète serait alors la cause de son abandon. (5) Phil. 194. (6) Jebb, p. xt; C. Robert, p. 1094. On l'a parfois identiflée à la déesse thrace Bendis, dont le nom signiflerait la « brillante » (cf. grec Chrysè, la « Dorée »). Sur un

312

EURIPIDE

ET

LES

LEGENDES

DES

CHANTS

CYPRIENS

déclare encore que les dieux se sont servis de ce moyen pour éviter que l'arc d'Héraclés ne fût bandé contre Troie avant l'heure (1).

Ailleurs, le ressentiment de Chrysé est expliqué par le souvenir de l'injure que lui avait infligée Philoctéte en repoussant l'amour de cette nymphe lors de son premier passage dans l’île, ce qui semble une invention plus tardive (2). Enfin, Hygin dit que le serpent avait été suscité par Héra, dont la rancune visait celui

qui avait osé mettre le feu au bücher d'Héraclés, anéantissant ainsi le corps du héros et lui permettant d'accéder à l'immortalité. Ce dernier motif pourrait étre celui qui a été retenu par Eschyle (3), mais il est malheureusement impossible de dire si Euripide l'avait

repris ou s'il avait adopté l'un ou l'autre de ceux qui précédent. Quel était, dans notre piéce, le róle exact d'Ulysse dans l'aban-

don de Philoctéte? Il était sürement l'exécutant. Était-il encore

l'instigateur de cet acte ? Hygin et Apollodore attribuent la décision à Agamemnon (4). Sophocle semble partager la responsabilité

entre les Atrides et Ulysse (5). Peut-étre faut-il chercher la version d'Euripide chez Ovide et Quintus de Smyrne (6) : d'aprés ces auteurs, la proposition d'abandonner Philoctéte aurait été avancée par Ulysse devant l'assemblée des Achéens. L'ayant fait approuver, il aurait recu d'Agamemnon l'ordre de déporter au loin Philoctéte, l'odeur de sa blessure étant intolérable aux Grecs (7). Mais 1l aurait exécuté sa mission avec une particulière cruauté, ne laissant à Philoctéte ni nourriture ni vétements de rechange (8). Dans quelle mesure la version d'Euripide, dont nous avons essayé des vases représentant l'autel de Chrysé (Vienne, inv. 1144, de la fin du v* s.), la déesse porte une couronne radiée et une robe constellée. Plusieurs autres témoignages rap-

prochent Chrysé d'Athéna

(Arg. metr. Phil.

et Eust. en B 724), rapprochement associé aux deux déesses.

sans

1; sc. Phil.

doute

favorisé

1327; sce. ABDL par

la présence

en B 722 du

serpent

(1) Phil. 196-200. (2) Sc. Phil. 194 ; Tzetz., sc. Lyc. 911. Le caractère alexandrin de cette légende est admis par C. Robert, p. 1094 ; L. Radermacher, p. 505. Cependant, M. Untersteiner, p. 140, y verrait plutôt la transposition d'un motif ancien, le parédre de Chrysè.

Philoctète étant à l'origine

(3) Cf. infra, p. 315. (4) Hyg., f. 102 ; Apd., Ep., III, 27. (5) Phil.

5-6;

257-58;

1023-28

: Ulysse

et les Atrides

semblent

par la suite avoir

cherché à se rejeter mutuellement la responsabilité de cet acte. Sophocle devait connaftre

sur ce

point

des

traditions

différentes.

(6) Ov., Mét., XIII, 45-46 ; 313-15;

OS., Poslhom., V, 195-96.

(7) La puanteur de la plaie est un des thémes les plus constants de la légende : cf. Procl, Apd., Hyg., Il. ce.; Soph., Phil. 876 ; 890-91 ; 1032. Aux v. 8-11, le poète ajoute que les gémissements du héros empéchaient l'accomplissement du sacrifice

à Chrysé. (8) D. Chr., LI1X, 5; 11; cf. aussi QS., semblance, Sophocle corrige cette donnée

IX, 359 sqq. Sans doute pour plus de vrai(Phil. 273-75).

PHILOCTETE

313

de préciser les grandes lignes, s'inspire-t-elle des récits antérieurs ? Pour le déterminer, il nous faut examiner maintenant

la forme de

cet épisode dans l'épopée, puis dans la tragédie d'Eschyle. Homére connatt l'abandon de Philoctéte, et aussi sa présence devant Troie. Dans le Calalogue du Chant II, on lit en effet : « Cependant souffrances.

Philoctéte

Il est

est couché

à Lemnos

la

dans

divine,

Achéens ; il y souffre de la plaie cruelle



son

fle,

l'ont

en

proie

à de

abandonné

qu'il doit

à une

les

hydre

dures fils

des

maudite.

Il est là, couché dans l'affliction. Mais l'heure est proche, où les Argiens prés de leurs nefs vont se ressouvenir de sire Philoctéte » (B 721-25, trad.

Mazon).

Malheureusement,

par allusion,

sans

comme

bien

souvent,

Homère

procède

préciser ni le lieu ni les circonstances

ici

de la

blessure, et les commentaires des scoliastes ne permettent pas de déterminer à coup sûr la version de l’/liade (1). Philoctéte pouvait

avoir été blessé à Lemnos méme, comme à Chrysé ou à Ténédos. 1l apparatt seulement que les principaux chefs de l'armée étaient présents à Lemnos lorsque le héros y fut laissé et que son abandon n'eut pas le caractére cruel qu'il revét dans la tragédie (2).

Les Chanis Cypriens offraient un récit plus circonstancié de cet événement, si l'on s'en rapporte aux témoignages de Proclos et d'Apollodore

(3), dont les récits s'accordent,

à un détail près.

Tous deux situent la blessure à Ténédos, aprés le débarquement des Achéens : soit au cours d'un banquet (Proclos), soit pendant un sacrifice à Apollon (Apollodore), Philoctéte était mordu par un serpent d'eau. Les Achéens

ne pouvant

supporter l'odeur de

la plaie, il était conduit à Lemnos. Apollodore ajoute : par Ulysse, sur l'ordre d’Agamemnon, mais ce détail peut avoir été emprunté par le mythographe à la vulgate, influencée par la tragédie attique (4). Il reste à choisir entre l'indication de Proclos et celle (1) On ne peut conclure avec certitude de ce passage et de la sc. A en B 722 que Philoctéte était blessé à Lemnos méme, comme le pense A. Severyns (Homére, III,

p. 299), et qu'Aristarque

opposait la version d'Homére,



le héros restait de son

plein gré, à la version cyclique, où il souffrait des douleurs morales de l'abandon. Il n'y a rien, en fait, dans les vers d'Homére qui marque un désaccord avec les Chants

Cypriens (cf. W. Kullmann, p. 270). (2)

Cf.

©

229

sqq.

Kullmann

estime

que,

dans

l'/liade

comme

dans

les Kypria,

Loute l'armée accompagna Philoctéte à Lemnos, mais il pouvait s'agir d'une délégation comprenant quelques-uns des principaux chefs. D'aprés Philostrate, Hér., V, 2, certains des hommes de Philoctéte restérent à Lemnos pour prendre soin de lui. On dit encore qu'il fut confié aux prêtres d'Héphaistos, la boue de l'ile étant souveraine contre les

morsures de serpent (Philstr., !. c. ; sc. ABDL

Gen. en B 722 ; Eust. en B 724), mais il

est douteux que cette explication remonte à l'épopée. (3) Procl., 1. 144-45 ; Apd., Ep., III, 27 ; cf. aussi Porphyre,

p. 329, 45. (4)

A. Severyns,

o. c., p. 300.

ap.

Eust.

en B 723,

314

EURIPIDE

ET

LES

LÉGENDES

DES

CHANTS

CYPRIENS

d'Apollodore. On notera d'abord qu'il s’agit d'un choix entre deux moments successifs d'une méme cérémonie plutót qu'entre deux circonstances qui s'excluent l'une l'autre, un sacrifice étant

généralement suivi d'un banquet (1). E. Bethe (2) a suggéré, non sans vraisemblance, qu'il s'agissait dans l'épopée d'un sacrifice expiatoire

mort

offert par les Achéens

de Tennés.

Le banquet

pour

apaiser

Apollon

aprés

la

marquait aussi la victoire sur les

Ténédiens, et il était sans doute l'occasion de la colére d'Achille

contre Agamemnon, que le Péléide accusait «de l'avoir invité trop tard » (3). A défaut de preuve formelle, les vraisemblances penchent pour le banquet : l'euphorie aurait-elle pu y régner, si le sacrifice qui le précédait s'était terminé tragiquement ? D'autre

part, il était bien dans l'esprit des Kypria que le banquet fût ponctué par deux péripéties, l'une et l'autre lourdes de conséquences : blessure de Philoctéte et naissance de l’inimitie entre Achille et Agamemnon (4). Le récit d'Apollodore représenterait un compromis du mythographe, ou de sa source, entre la version des Chants Cypriens et une autre version, ancienne elle aussi,

qui placait la blessure au cours d'un sacrifice à Chrysé. Que cette derniére version soit ancienne, c'est ce que prouvent les représentations figurées remontant au milieu du ve s. — et donc antérieures aux drames d'Euripide et de Sophocle (5). On

y voit Philoctéte qui vient d'étre blessé. Il est au milieu de ses compagnons qui le soutiennent, en face de la statue et de l'autel

de Chrysè. Certains critiques, à la suite de Corssen (6), en ont conclu qu'il fallait considérer la tradition



Philoctéte

était blessé

et

abandonné dans l'ilot désert de Chrysé comme la version méme des Chanis Cypriens. Si les témoignages combinés de Proclos et (1) Comparer par ex. Procl., I. 144-45 : εεὐωχουμένων « Ὡς ἔθυσάν τε xal εὐωχήθησαν...».

αὐτῶν»,

et Hdt., I, 31:

(2) P. 242. Cf. supra, p. 306. (3) Procl, l. 146-47 ; Kyp., tr. XVI (adesp., fr. 2 Bethe). Sur la nature exacte de cel épisode, qui pose de difficiles problémes, cf. Rzach, col. 2390; Pearson, notice

des Syndeipnoi de Sophocle (II, p. 198-201) ; P. von der Mühll, Mél. p. 2-3; W.

Tschudi (1954),

Kullmann, p. 271-72. L'affront infligé à Achille lors du banquet de Ténédos

ne viendrait-il pas du ressentiment d'Agamemnon à la suite du meurtre malencontreux de Tennès ? (4) Voir l'épisode des noces de Thétis et de Pélée. (5) Stamnos à figures rouges de Campanie (Louvre, G 413), attribué à Hermonax, el cratère en calice du peintre d'Altamira (Louvre, G 432); cf. Hooker, p. 35; 41. On y ajoutera un skyphos d'argent trouvé en 1920 au Danemark, du 1** s. av. J.-C.,

mais qui se rattacherait

à un modèle du ve 8. (K. J. Johansen, Hoby Fundet (1923),

p. 133 sqq., Pl. IX et f. 4-5 ; L. Séchan, p. 489, n. 6). On trouvera une liste des autres représentations figurées de la blessure de Philoctète (surtout des gemmes et des scara-

bées) dans les études de Milani, p. 61 sqq. ; Türk, col. 2328-2331 ; L. Séchan, p. 486-89. (6) P. 375 sqq., thèse qui semble implicitement admise par HR. C. Jebb, p. x-xı, el L. Séchan,

p. 486

et 604.

PHILOCTÈTE

d'Apollodore

Corssen, Iliade.

suffisent

à notre

315

sens

pour

infirmer

la

il reste possible que cette légende remonte Celle-ci

racontait

le retour

de

Philoctète

thèse

de

à la Pelile

devant

Troie,

et elle pouvait, en rappelant à ce propos l'accident survenu

au

héros, en présenter un récit différent de celui des Kypria (1). Mais, que cette version soit ou non d'origine épique, il est plus

probable que les vases attiques ont été inspirés par une tragédie contemporaine. Serait-ce celle d'Eschyle (2) ? C'est ce qu'a essayé

de démontrer M. Untersteiner (3). A son avis, Philocléle formait la suite des Héraclides, oà le héros apparaissait comme une sorte d'arbitre entre Héraclès et Héra. Pour avoir préféré son compagnon

humain à la volonté divine, il était puni par Héra, qui suscitait contre lui un serpent — moyen que la déesse avait employé en d'autres temps, avec moins de succés, contre Héraclés lui-méme. Untersteiner est donc amené à retenir pour la tragédie d'Eschyle

le motif du sacrifice à l'autel de Chrysé, dont Philoctéte devait la connaissance

à son

amitié

de jeunesse

avec

Héraclés.

Chrysé

elle-méme n'était alors que l'exécutrice de la volonté d'Héra (4). Cette hypothése nous paratt trés vraisemblable. Mais, dans ce cas, où

Eschyle

situait-il l'autel

de la déesse ? On

peut

hésiter

entre l’île de Chrysé, s'il suivait purement et simplement la tradition qui fait intervenir la divinité éponyme, ou Ténédos, si le poète tentait de concilier cette tradition avec le récit des Chants Cypriens. On retiendra de préférence cette derniére localisation si,

comme nous le pensons (5), on admet que l'action du Tennés associait les récits de la mort du roi de Ténédos et la blessure de Philoctète. Il subsiste

sans

doute

histoire » de la légende

beaucoup

d'incertitudes

de Philoctète,

sur

la

mais cet aperçu

« pré-

laisse à

penser que les trois tragédies attiques présentaient des malheurs

du héros des images moins dissemblables qu'on ne l'a dit. (1) Procl., 1. 211-213 Sev. ; W. « précyclique ». Bacchylide

Kullmann,

(fr. 7 Sn.)

avait

p. 371, considère cette version comme aussi

traité

de la légende

de

Philoctete,

mais nous ignorons sous quelle forme il présentait son abandon. (2)

L. Séchan,

p. 486, n. 4, écarte cette hypothèse,

sans doute

à cause de la date

de ces représentations flgurées, qui sont postérieures à la mort d'Eschyle. Mais nous ignorons la date de son Philociète, et la pièce a pu être reprise par la suite.

(3) P. 92;

139-148. Voir aussi sur ce point notre article, LEC,

32 (1964), p. 7-9.

Pour M. Untersteiner, la tragédie d'Eschyle serait de peu postérieure à 475, date où les barbares furent chassés de Lemnos, et aurait été adaptée par Accius, dans son

Philoctète. On est tenté de penser que le poète latin avait contaminé les pièces d' Eschyle et d'Euripide, ce qui expliquerait, si son drame était la source de la fable d'Hygin, le caractére composite de la version du mythographe. (4) Ou bien encore Chrysé n'était pour rien dans la vengeance d'Héra, si on rattache

à Eschyle les peintures de vases oü la déesse léve les bras au ciel, en signe d'effroi, en

voyant

le serpent

(5) Cf. H. J. Mette,

mordre

Philoctéte.

Gymnasium,

62 (1955), p. 394, et notre article, p. 7-9.

316

EURIPIDE

Euripide Chants

ET

semble

Cypriens.

LES

LÉCENDES

s'étre Une

tout

des

DES

CHANTS

CYPRIENS

à fait écarté

de la donnée

invraisemblances

majeures

de

des cette

donnée se trouve éliminée par le transfert de cet épisode de Ténédos à proximité de Lemnos, car un aussi long retour en arriére ne se

justifiait

pas,

s'il s'agissait

seulement

de

blessé dont la plaie était malodorante.

Le

se

débarrasser

passage

d'un

à travers

un

étroit bras de mer y suffisait (1). L'explication du sacrifice à Chrysè par un oracle rendu aux Achéens doit remonter à Eschyle ou à son modèle (2). Il ne semble pas que l'épopée ait donné à Ulysse un rôle déterminant

Dioméde

dans

l'abandon

était chargé

acquittait

du

de ramener

apparemment

sans

héros.

Dans

la Pelile

Iliade,

Philoctéte en Troade

que

celui-ci

opposát

la

et s'en moindre

résistance (3). L'accent a dà étre mis sur la responsabilité du fils de Laerte quand on imagina — et ceci est peut-étre l'apport propre

d'Eschyle — de le substituer dans ce róle à Dioméde (4). Euripide a sans doute aggravé sa responsabilité en lui attribuant la proposition de déporter Philoctéte et en insistant sur sa cruauté dans

l'accomplissement de sa mission. Enfin, pour corriger une inconséquence dont Eschyle ne s'était pas soucié, le fait que Philoctéte avait pu subsister pendant prés de dix ans dans une totale solitude, il lui avait donné pour protecteur un berger de l'ile (5). Sur ce point,

il faut le reconnaitre, Euripide a mieux respecté les vraisemblances que Sophocle lui-méme, qui représente, pour les besoins de sa cause, la riche Lemnos comme une fle déserte, au moins dans la partie habitée par Philoctéte (6), et qui y fait vivre le héros dix ans

tout seul, avec le faible appoint des vétements et des provisions laissés auprés de lui par les Achéens. Pour autant que l'on puisse restituer l'épisode de la blessure et de l'abandon de Philoctéte chez Euripide, on voit donc que le

poéte a obéi dans le choix des détails à quelques idées directrices : élimination

des

invraisemblances

de

la

donnée

traditionnelle,

intégration plus poussée dans la légende troyenne (1)

Il en va

Chrysé

de méme

à Lemnos

comme

de la version dans (2)

Ce

pendant

pourrait

chez

Sophocle.

une véritable

laquelle Philoctéte

Cependant, traversée

(nécessité du

il se représente

(Phil. 269-271),

était transporté de Ténédos

étre l'auteur de la Pelite

Iliade,

le passage

souvenir

de

probable

à Lemnos.

qui aurait imaginé de donner un

au sacriflce d'Aulis.

(3) Welcker, EC, II, p. 238, ajoutait au passage de Proclos (1. 212 Sev.) σὺν ' O8vcctt, d'après Apd., Ep., V, 8, mais il n'est pas sûr que dans ce dernier texte il n'y ait pas

un souvenir

de la tragédie

(4) Cf. E. Bignone,

Sofocle,

(cf. Severyns,

Serta

Leodensia

III, p. 212-13;

M.

Untersteiner,

(1930),

p. 312).

p. 149-153.

Dans la

pièce d'Euripide, Dioméde accompagne Ulysse (D. Chr., LII, 14), comme lors de l'ambassade à Skyros pour rechercher Achille, mais on ignore quel était son róle. (5) Cf. supra, p. 311, n. 1. Le chœur de la pièce d'Euripide, comme celui de la

piéce d'Eschyle, (6)

était formé

Phil. 2; 221

; 301, etc.

d'habitants

de Lemnos

(D. Chr., LII,

6-7).

PROTÉSILAS

317

sacrifice à Chrysé), aggravation de la faute des Achéens, et surtout d'Ulysse. Si celui-ci s'emploie dans la piéce pour le bien commun, il paraît surtout dominé par l'ambition (1). Il n'est pas encore assez endurci pour ne pas ressentir quelque honte de son attitude passée à l'égard de Philoctéte (2), mais ses propos démagogiques dans l'assemblée des Achéens et sa cruauté à l'égard d'un

faible annoncent le personnage profondément antipathique qu'il deviendra dans le théâtre d'Euripide à partir d' Hécube (3).

III. LE

DÉBARQUEMENT

EN

TROADE

: PROTÉSILAS

« Mightier far Than

strenght

of nerve

and

sinew,

or the sway

Of magic potent over sun and star Is love, though oft to agony distrest, And though his favourite seat be feeble woman's breast. » Wordsworth,

Laodamia,

86-90.

Le sang d'Iphigénie versé sur l'autel d'Aulis avait seul rendu possible le départ des Grecs. C'était encore un sacrifice, mais d'une autre sorte, qui assurait le succés du débarquement en terre

asiatique : le Thessalien Protésilas était le premier chef à sauter sur le sol ennemi, et aussi le premier à tomber sous les coups des

Troyens. que

Cette mort émouvante,

le sacrifice

d'une

certes, mais moins dramatique

vierge innocente,

constituait seulement

le

point de départ du Prolésilas d'Euripide. L'action du drame se déroulait en Thessalie, où le héros avait laissé sa jeune femme, Laodamie,

qu'il

avait



quitter

peu

aprés

ses noces

pour

se

joindre aux Grecs. Le poéte montrait comment l'amour des deux

(1) D. Chr., LIX, (2) D. Chr., LIX, (3) Héc. 131-139 ; col. XIX, 1. 265-66), Lrainte pour ramener

1-2; Eur., 3-4. 218 sqq. Ulysse use Philoctéte

Phil., fr. 788. D'après la fin de l'Agpolhésis (P. Oxy. 2455, fr. 17, non seulement de la persuasion mais aussi de la conen Troade. Sur l'abaissement du héros dans Philoctéle

et dans le reste du théâtre d'Euripide,

voir

R. Goossens,

p. 99-102 et p. 124, n. 131.

BiBLIOGRAPHIE : Welcker, Gr. Tr., p. 494-499. Hartung, I, p. 268-277. M. Mayer, H., 20 (1885), p. 101-134. R. Wagner, Curae Mylhographicae (1891), p. 198-203. Türk, 8. v. Prolesilas, Roschers-Lez., col. 3155-3171. Höfer, 8. v. Laodameia, ibid., col. 182728. C. Buonamici, La leggenda di Protesilao e Laodamia, Pise, 1902. L. Radermacher,

Silz.- Ber. Ak. Wien, 182, 3 (1916), p. 18-23 ; 99-111. C. Robert, p. 61-63. Wilamowitz, SIFC, N.S.,7 (1929), p. 89-94. G. Herzog-Hauser, Mél. Boisacq(1937), p. 471-78. SchmidStühlin,

p. 353-54.

J. Babelon,

Rev.

Numism.,

13 (1951),

p. 1-11.

d' Hum., 12 (1953), p. 1-27. G. Radke, 8. v. Prolesilas, RE, XXIII,

L. Séchan,

Lettres

1 (1957), col. 932-39.

318

EURIPIDE

ET

LES

LÉGENDES

DES

époux survivait à la mort et comment

CHANTS

CYPRIENS

les dieux infernaux per-

mettaient à Protésilas de reparaitre pour quelques heures dans son palais. Mais aprés cette réunion, Laodamie, incapable de

supporter une dans l’Hades.

seconde

séparation,

rejoignait

bientôt

son

mari

De ce drame si romanesque de l'amour conjugal, il ne reste qu'une douzaine de fragments (1), moins de vingt vers en tout. Il subsiste heureusement d'autres témoignages littéraires dus aux

scoliastes et aux mythographes, et aussi aux poétes latins, en particulier aux élégiaques, qui trouvaient dans ce mythe un exemple touchant de constance amoureuse. Il s'y ajoute quelques représentations figurées (2), parmi lesquelles deux sarcophages romains

qui pourraient bien s'inspirer de la tragédie Le sujet n'a pas été traité par les autres ce qui semblerait étre de nature à faciliter drame. Mais nos témoins, tous postérieurs à été influencés par les poétes alexandrins qui

d'Euripide. tragiques grecs la reconstruction l'ére chrétienne, avaient conté à

(3), du ont leur

facon ce roman d'amour (4), et par les tragiques latins qui avaient mis en scéne la légende (5). Beaucoup plus tardives encore, les notices de Servius, d'Eustathe ou de Tzetzés sont souvent mélées

et confuses. S'il est donc

possible

de distinguer

les grandes

lignes

de la

piéce d'Euripide, il est beaucoup plus difficile d'en retracer l'action

scéne par scéne. Malgré les efforts de la critique depuis l'époque de

Welcker

et

d'Hartung,

cette

reconstitution

bonne part conjecturale. L'action se déroulait à Phylaké,

reste

pour

ville de Thessalie,

une

capitale

(1) Fr. 647-657 et 6463. (2)

I1 s'agit

d'un

sarcophage

de

Santa

Chiara

de

Naples

(reproduit

par

Türk,

col. 3167) et d'un sarcophage du musée Pio Clementino du Vatican (Türk, col. 3170), auxquels s'ajoute

un relief stuqué

Sur les représentations Wilamowitz,

J. Babelon,

trouvé

flgurées, outre o. c., voir

ἃ.

dans l'insula sacra (Wilamowitz,

Türk,

col. 3165-3171,

M.

Richter,

A.

Buonamici,

Catalogue

of Greek

p. 89-90).

p. 77-101, Sculptures

(1954), p. 22-23. (3) Sur les Poiménés de Sophocle, cf. infra, p. 330, n. 2. (4) C. Robert, p. 61, pense que les exploits de Protésilas en Mysie étaient célébrés dans un poème hellénistique de Pergame. Mais, sur les amours du héros, nous n'avons aucun Lemoignage assuré datant de cette époque. L'influence alexandrine est cependant certaine sur les poètes latins (Catulle, Ovide), les mythographes (Apollodore, Hygin) et les scoliastes. Du Protésilas d'Héliodore (1*r 8. ap. J.-C.), qui était une épopée, nous

avons un vers (St. Byz.,8. v. Φυλάκη) ; de celui d'Harmodios de Tralles (début du 1er s.), nous ne connaissons que le titre. (5) En particulier Laevius, dont l'erotopaegnion, Prolesilaodamia, est connu par quelques fragments (fr. 2-6 Mueller ; cf. H. de la Ville de Mirmont, Le Poele Laevius (1900), p. 42-48). Du Prolésilas de Pacuvius et de celui de Titius, on ne connaît que le titre. Sur la première de ces deux pièces, voir M. Valsa, Marcus Pacuvius poéle tragique

(1957), p. 45, et R. Argenio, RSC, 7 (1959), p. 15. Ovide se serait inspiré de ces deux drames

dans

sa XIII* Héroide.

PROTÉSILAS

319

du royaume de Protésilas (1), dans le palais royal oà Laodamie, la jeune femme du héros, vivait en compagnie de son pére Acaste.

Nous ne savons pas qui prononçait le monologue initial. Le plus probable est que c'était une divinité, capable de connattre les événements de Troade

et ceux de Thessalie, le monde

des enfers

et celui des hommes. C. Robert a avancé avec une certaine vraisemblance le nom d'Aphrodite (2). La déesse devait raconter les malheurs des deux époux : à peine étaient-ils mariés depuis

un jour (3) qu'ils avaient dü se séparer. En effet, Protésilas, ancien prétendant d'Héléne (4), s'était joint aux autres chefs achéens tenus par leur serment de secourir Ménélas. Les cérémonies du mariage avaient été interrompues.

Il semble en particulier que le

héros n'avait pas offert de sacrifice à Aphrodite et que, pour cette raison, la déesse poursuivait les époux de sa colére (5). Sous l'effet de cette malédiction, ou simplement par irréflexion ou par désir de gloire, Protésilas n'avait pas tenu compte d'un oracle annonçant

que le premier Grec qui mettrait le pied sur le sol troyen périrait (6). Lançant son navire en avant de la ligne grecque, il bondissait à terre (7), justifiant ainsi son nom de Protésilas, le « premier du

peuple » (8). Mais, dans la mélée, il tombait sous les coups d'un (1) Sur Phylaké, cf. Il. B 700; Hés., Cat., fr. 94, 34-36 ; Pd., Is., 1,59; Ov., AA, 111, 17 ; Tr., V, 14, 39. (2) P. 63, hypothése acceptée par Mayer, p. 120; Séchan, p. 13. Hartung, p. 270, proposait

l'ombre

de

Protésilas.

dit par Laodamie. (3) Sc. Arstd., III, p. 671 (4)

Hés., I. c.;

Hyg.,

Buonamici,

p.

29-30,

pense

que

le

prologue

était

Dind. ; Mayer, p. 104.

f. 81.

(5) Catul., 68b, 75-76 ; 79-80 ; Eust. ad Il. B 701, p. 325, 22 ; cf. Buonamici, p. 4344 ; Séchan, p. 12 ; Radke, col. 935. Dans la légende d'Adméte rapportée par Apollodore (Bibl., I, 9, 15), qui paraît remonter au Catalogue hésiodique, la mort prématurée du héros était causée par l'oubli d'un sacriflce à Artémis lors de ses noces (cf. A. Lesky, Alkestis (1925), p. 37-38 ; Méridier, Notice d'Alceste, p. 47). D'après la scolie à Aristide et Ausone (Epigr. 41), tes époux n'avaient vécu qu'un jour ensemble ; d'après Catulle, l. c., prés d'une année. (6) Hyg., f. 103; Ov., Hér., XIII, 93-96 ; Tzetz., sc. Lyc. 245 ; 530-31; Anlehom., 248 ; Eust. en B 695, p. 325, 2 sqq., où Mayer, p. 104,

du prologue : « « Χρησμοῦ

pensait

retrouver

δοθέντος πρῶτον ἐν Τροίᾳ πεσεῖν | τὸν...

un fragment

προπηδήσαντα

τῆς νεώς ...» (pour Wilamowitz, il s'agirait d'un fragment d'hypothésis métrique). D'après Eustathe, ad Od. À 521, p. 1697, 60, citant l'historien Phainias (ıv*-ı1® 8.), l'oracle visait personnellement

(7) Hyg.,

Protésilas et avait été rendu

Eust., I. cc.; cf. aussi Apd.,

19 ; sc. Arsid., de son vaisseau An. 1139 et sc. (8) Eust. en

Ep.,

III, 30;

à son

Dictys,

pére

Phylacos.

II, 11;

Luc., DM,

I. c.; Tzetz., Antehom., 222 &qq. ; Chil., II, 52, 762. Le bond d'Achille sur la terre troyenne avait aussi été célébré par la légende : cf. Eur., MNOA ; Antimaque, fr. 59; Tzetz., sc. Lyc. 245. B 695, p. 325, 4 sqq. ; Et. Magn., p. 73, 11. Hyg., f. 103, et Ausone,

Epitaph. 12, semblent rattacher ce nom à la racine du verbe σαλεύω || salio : «le premier à sauter».

Hygin

déclare que, de son

vivant,

le héros

portait

le nom

de

Iolaos.

Sur

les diverses étymologies anciennes et modernes du nom de Protésilas, cf. Buonamici, p. 7-8; Séchan, p. 4 et 12; Radke, col. 938 ; A. Carnoy, Dicl. Elymol. de la Mythol. (1957), p. 174.

320

EURIPIDE

ET

LES

LÉGENDES

DES

CHANTS

CYPRIENS

Troyen, trés probablement Hector (1). Pourtant, méme aprés avoir bu l'eau du Léthé, le héros descendu aux enfers n'avait pas oublié Laodamie et souffrait cruellement de leur séparation (2).

Cette dérogation à la régle commune d'Aphrodite

(3),

ou

simplement

s'expliquait par la rancune

par

la

force

surnaturelle

de

l'amour (4). Protésilas avait alors supplié les divinités des enfers de le laisser remonter sur la terre auprés de sa femme, füt-ce pour quelques

heures.

Peut-être

promettait-il

d'achever

les rites omis

en l'honneur d'Aphrodite et de ramener Laodamie avec lui aux Enfers (5). Toujours est-il qu’Hades et Perséphone, émus d'un tel amour, accordaient au héros cette permission (6). Aphrodite devait

annoncer le retour prochain, mais éphémére, de Protésilas. Aprés le monologue d'exposition, il est probable que Laodamie apparaissait en scéne, accompagnée d'une servante ou de sa nourrice (7). Certains traits de la description de Laodamie par les poétes latins peuvent s'inspirer de cette scéne. Depuis qu'elle est séparée de Protésilas, la douleur a páli son teint, elle ne se soucie plus de sa beauté, de ses vétements, elle est toute à son chagrin, malgré les exhortations de son entourage (8). Cependant, nous ne

pensons pas qu'elle connaissait alors de fagon certaine la mort de son mari (9) : ou elle était agitée par la crainte des dangers et des hasards de la guerre, ou plutót le bruit de la mort de Protésilas

était parvenu jusqu'à Phylaké, mais la jeune femme, se fiant à un oracle qu'elle interprétait de facon favorable, se refusait encore à y ajouter foi (10). On peut penser qu'à ce moment elle était (1)

C'est le nom

qui est retenu par la tradition la plus répandue

: Soph., Poiménès,

fr. 497 ; Dem. Sk. ap. Tzetz., sc. Lyc. 530 ; Hyg., f. 103; Ov., Hér., XIII, 63; Mét., XII, 67 ; Apd., Ep., III, 30; Luc., DM, 23; autres traditions, cf. infra, p. 328, n. 2.

(2) (3) (4) (5)

Darts, XIX ; OS., I, 817-18,

etc. Sur les

Luc., DM, 23. Eust. en B 701, p. 325, 25. Luc., L c. La premiére promesse est suggérée par Türk, col. 3158. Pour la seconde,

cf.

Luc., L c.

(6) Plut., Amat., 67. D'aprés d'autres

17; Luc., l. e.; sc. Arsld.; Eust., l. c.; Tzetz., Chil., II, 52, 763témoignages

(Hyg., f. 103;

aurait été due aux prières de Laodamie.

Serv., ad En. VI, 447), cette faveur

Hartung,

p. 270, et Schmid-Stáhlin, p. 353,

retiennent cette tradilion pour notre piece (Radke, col. 935, combine les deux), mais elle nous paraît venir d'une autre version (cf. Mayer, p. 120). Le sarcophage de Naples ınontre Protésilas recevant son congé d'Hadés et de Perséphone (Mayer, p. 109; Wilamowitz, p. 92).

(7)

Hartung,

(8)

Laevius, fr.

p. 271;

Mayer,

p. 125 (d'aprés les représentations

5 M. : « Gracilenti

flgurées).

colorem

Ex hoc gracilans flt. » Cf. Ov., Hér., XIII, 2; 35-36 ; Nonnos, Dionys., XXIV,

195-98.

(9) Contre l'avis de Hartung et Mayer, adopté par Schmid-Stählin, l. c. (10) C'est l'avis de C. Robert, p. 63, suivi par Höfer, Wagner, Buonamici et Séchan. Sur cel oracle équivoque, cf. Catul., 68b, 85-86 : « Quod scibant Parcae non longo

tempore abisse, | Si miles muros isset ad Iliacos. » Le fr. 650 :

PROTÉSILAS

321

bouleversée par un songe : l'ombre de son mari lui était apparue pendant la nuit, et cette apparition était de nature à lui inspirer les plus sombres pressentiments (1). Elle quittait donc la scéne en

annonçant

son

intention

d'offrir

un

sacrifice

aux

dieux

en

faveur de Protésilas. Deux autres thémes pouvaient encore étre évoqués par Laodamie dans cette scéne : le souvenir des fétes nuptiales et du

trop bref bonheur de la jeune épousée (2) ; d'autre part, la crainte qu'elle éprouvait de se voir supplantée dans le cœur de Protésilas par quelque captive troyenne (3). A cette scène succédait la parodos (4). Le chœur était sans doute composé de femmes de Phylakè, les «matres Phylaceides »

d'Ovide

(5). Le premier épisode devait s'ouvrir sur un dialogue

entre Acaste et un serviteur. Celui-ci, venu apporter des fruits à Laodamie pour qu'elle pût célébrer son sacrifice, avait regardé par une fente de la porte et aperçu la jeune femme tenant un « Πόλλ' ἐλπίδες ψεύδουσι καὶ λόγοι βροτούς » x Beaucoup d'espoirs et de paroles sont trompeurs pour les mortels », pourrait étre une remarque de la Nourrice ou du Coryphée.

(1) Cf. Ov., Hér., XIII, 109: «Sed tua cur nobis pallens occurrit imago ? κυ; Buonamici, p. 30. D'aprés une tradition qui semble distincte de celle-ci (plus ancienne d'aprés Radermacher, p. 107-108, plus récente, d'aprés Mayer, p. 106-107), Protésilas apparaissait à Laodamie chaque nuit et celle-ci finissait par mourir, consumée d'amour pour ce fantóme (cf. Prop., I, 19, 9-10 ; Eust. en B 701, p. 325, 35 sqq. ; Tzetz., Chil., II, 52, 775-76 ; traces de cette version 447). Radermacher voit là le souvenir

chez Ovide, RA, 723-24 ; Serv., ad En., VI, d'une légende folklorique de « vampirisme ».

Il est à remarquer qu'à Éléonte, l'ombre de Protésilas apparaissait parfois à ses fld&les (Philstr., Hér., III, 4 sqq.). (2) Laevius, fr. 2 : « In eum inruunt, cacchinos

Ioca, dicta fusitantes Lasciviterque ludunt. » Nous

donnons

le texte proposé

par L.

Havet

(cf. H. de la Ville de

Mirmont, p. 45),

qui ajoute le v. 3 aux deux premiers. Id., fr. 3: * Complexum

Operiuntur

somno

ac suavi

corpora

quie

Dicantur. »

Cependant,

ces deux fragments pourraient encore décrire la réunion des époux aprés

le retour de Protésilas des enfers (cf. infra, p. 324). (3) Laevius, fr. 6 : « Num quaepiam alia de Ilio

Asiatico

ornatu

adfluens

Aut Sardiano ac Lydio Fulgens decore et gratia Pellicuit. »

Cf. Welcker, p. 495 ; Mayer,

p. 132 ; Schmid-Stählin, p. 354, n. 1; Séchan, p. 19.

(4) Welcker, G. Herzog-Hauser et Séchan pensent qu'avant la parodos arrivait encore un messager annonçant la mort de Protésilas. Mais, à notre avis, Laodamie

doit rester dans l'incertitude jusqu'au justifle sa méprise (cf. infra, p. 324). (5) Hér., XIII, 35.

retour

du

héros échappé

des enfers,

ce qui

322

EURIPIDE

homme

ET

LES

LEGENDES

DES

CHANTS

CYPRIENS

entre ses bras (1). Il accourt pour prévenir Acaste, qui se

prépare à faire irruption dans la chambre et à surprendre Laodamie avec ce qu'il croit étre son amant. On rattache à cette scéne un vers où le serviteur déclarait : « Car la religion ne permet pas qu'un être impur porte la main sur cette demeure » (2).

Après une courte absence, le roi revenait en scène avec sa fille. Il s'était aperçu avec stupeur que l'objet de la tendresse de

Laodamie était en réalité une statue de Protésilas, que la jeune femme entourait d'un culte délirant, tantót la serrant contre elle avec transport (3), tantót l'honorant comme une image divine

par des offrandes et des sacrifices (4). Cette statue avait pu étre déjà mentionnée dans le prologue, soit par Aphrodite, soit par Laodamie elle-même, mais il est plus probable que la surprise d'Acaste en était une aussi pour les spectateurs. Laodamie devait expliquer à son pére comment elle avait fait sculpter secrétement cette effigie aprés le départ de Protésilas, comme

un dérivatif à sa douleur (5). Le roi, ému

par le chagrin

de sa fille, lui prodiguait de vaines consolations

(6). Persuadé,

(1) Hyg., f. 104, qui place cependant cet épisode aprés la seconde disparition de Protésilas (de méme Hartung, p. 274-75 ; Radermacher, p. 105; Schmid-Stählin, p. 353). Pour les raisons de modifler ainsi l'ordre du récit d'Hygin, cf. Hofer, col. 1828 ; Mayer, p. 116-17; Wilamowitz, p. 91; Herzog-Hauser, p. 476 ; Séchan, p. 15. Le serviteur est sans doute le « claustritumnus » évoqué par Laevius, fr. 4.

(2) Fr. 648 : « Οὐ γὰρ θέμις βέδηλον ἅπτεσθαι δόμων. » Le serviteur s’excusait d'avoir regardé par une fente de la porte au lieu d'entrer (Mayer, p. 115; C. Robert, p. 63), ou encore il répétait une défense que Laodamie lui avait adressée (Schmid-Stählin, p. 353). Hartung, p. 270, attribuait le vers à Protésilas de retour des enfers ; Welcker

et Wagner

de la chambre. Sur une situation voir infra, p. 334.

à Hermés

analogue

montant la garde devant la porte

à celle-ci dans les Créloises d'Euripide,

(3) Ov., Hér., XIII, 152-58; Hyg., f. 104; Apd., Ep., III, 30; Stat., Silv., II, 7,

124-131;

Tzetz.,

Chil.,

II, 52, 772-73;

du Cabinet des Médailles (n° 149;

Eust. en

150 Bab.)

B

701,

montrent

p. 325,

35.

Deux

camées

Laodamie tenant embrassée

l'image de Protésilas (J. Babelon, p. 6-7). Sur le thème de l'elxévoc ἐρῶν, cf. SchmidStählin,

p. 353, n. 9.

(4) Hyg., Stat., Il. cc. ; Philstr., Imag., II, 9, 6. Pour les sarcophages, cf. M. Mayer, p. 126-129; Buonamici, p. 79-83; 93-94. Plusieurs de ces sources nous invitent à penser que le culte de Laodamie

avait un caractère bacchique

(Stat., Philstr., il. ce.;

Plut., Amat., 17, et surtout les reliefs des sarcophages) ; cf. Mayer, p. 114 ; 123 sqq.; Buonamici, p. 82 ; 92-93 ; Radermacher, p. 102 sqq. Wilamowitz, p. 93-94, et à sa suite Radke, col. 935, le nient sans raison décisive. (5)

Ov.,

Hér.,

XIII,

151-52.

D'après

Apollodore,

I. c., elle n'aurait

été

modelée

qu'après la mort de Protésilas. C'était une effigie de cire (Ov., l. c.; RA, 723 ; Hyg., f. 104). Wilamowitz, p. 93, pense qu'elle est représentée sur le sarcophage par un buste placé sur une tablette fixée au mur.

(6) Ov., Hér., XIII, 25-30.

du Vatican

PROTÉSILAS

quant

à

lui,

que

son

gendre

323

était

mort,

Acaste

déclarait :

« Il a subi un sort tel que celui qui t'attend et qui nous attend tous » (1).

Et encore : « Tu

n'as

rien

dit



de

surprenant

: mortel,

il devait

connaitre

le

malheur » (2).

Acaste lui proposait de se remarier (3), avec l'espoir que sa fille lui donnerait les descendants qu'elle n'avait pu lui donner de son

premier

mariage,

mais

la jeune

femme

repoussait

cette

offre avec horreur : elle resterait fidèle, que son époux fût vivant ou mort (4). Sans doute la discussion s'aigrissait-elle et Acaste, furieux de l'obstination de sa fille, s'écriait alors : « Il faudrait que le lit d'une femme füt commun (à plusieurs hommes) » (5).

Au paroxysme de la scène, Acaste menagait sa fille d'en finir en Jetant au feu cette vaine image, qui lui faisait plus de mal que de bien (6). C'est en face de cette menace que Laodamie devait jeter ce beau cri : « Je ne saurais abandonner cet objet qui m'est cher, méme

s'il est privé

de vie» (7).

(1) Fr. 649 : « Πέπονθεν οἵα xal où xal πάντας μένει.» (Cf. Hartung, p. venir d'un autre p. 496, attribuait la nouvelle de la

(2) Fr. 651:

274; Schmid-Stählin, p. 353). Cette constatation pourrait encore personnage, le Coryphée ou la Nourrice (Séchan, p. 14). Welcker, ce fragment, ainsi que les fr. 650 et 651, au Messager qui apportait mort du héros

« Οὐ θαῦμ᾽ ἔλεξας θνητὸν ὄντα δυστυχεῖν.»

(3) Eust. en B 701, p. 325, 29. Bien que le contexte ne soit pas euripidéen, la plupart des commentateurs (à l'exception de Wilamowitz, p. 91) ont admis ce thème pour notre pièce (Mayer, p. 107; Türk, col. 3160; Radermacher, p. 105-06 ; C. Robert, p. 63). Pour le motif du remariage dans d'autres pièces d'Euripide de la même époque, voir infra, p. 333.

(4) Eust., I. c.

(5) Fr. 653 : « Κοινὸν γὰρ slvat χρῆν γυναικεῖον λέχος.» Ce p. si la

vers a été diversement compris. Nous suivons ici l'interprétation de L. Séchan, 11 : Acaste veut dire que le fait d'avoir plusieurs maris atténuerait son chagrin l'un d'eux mourait. Dite par Acaste, soit comme une boutade, soit dans le feu de colére, une telle remarque, assez peu tragique de ton, donnerait une idée du caractére

de ce personnage.

Sur l'actualité

de cette

réflexion, cf. Th.

Gomperz,

Penseurs

de la

Gréce, T. II de la trad. francaise, p. 537 et n. 3. Hartung, p. 273, placait le vers dans la scène entre

(6)

Protésilas

et Acaste.

Hyg., f. 104 : «ne diutius torqueretur ».

(7) Fr. 655 : a Οὐκ ἄν προδοίην καίπερ ἄψυχον φίλον.» D'aprés

Schmid-Stühlin,

p.

353,

ce

serait

une

protestation

mort. Le contexte de la citation (D. Chr., XXXVII, la statue. De ce contexte,

de

46) montre

fldélité



Protésilas

bien qu'il s'agit de

Hartung et Wagner ont cru pouvoir tirer un autre fragment

de la pièce : « "(2 λόγων ἐμῶν | σιγηλὸν ὡς εἴδωλον où φαίνῃ κλύειν ; » (Hartung) « "(1 τῶν ἐμῶν σιγηλὸν εἴδωλον λόγων | οὕπω φανεῖ ; » (Wagner).

ou

324

EURIPIDE

Il est menace profond Après

ET

LES

LÉGENDES

DES

CHANTS

CYPRIENS

probable qu'Acaste se retirait sans mettre encore sa à exécution, laissant Laodamie en proie à un trouble (1). le premier slasimon se plagait le retour de Protésilas

sur la terre et l'entrevue des deux époux.

Le héros était accom-

pagné par Hermés (2). Ce n'était pas un fantóme, mais bien un étre de chair, dans toute la gloire de sa jeunesse et de sa beauté, que les dieux d'en bas lui avaient rendues pour quelques heures (3). Dés son arrivée, il recevait un touchant témoignage de l'amour fidéle que lui portait Laodamie, car il surprenait la jeune femme en train d'honorer sa statue par des offrandes (4), ou méme de la serrer

étroitement entre ses bras (5). La vue de Protésilas plongeait Laodamie dans une joie qui l'anéantissait presque (6). Sans doute croyait-elle

que

les rumeurs

relatives

à sa mort

étaient

fausses

et que son mari lui revenait vivant de la Troade (7). Protésilas, par pitié, n'osait pas à ce moment lui révéler la vérité (8). La joie

des deux époux, méme si elle était teintée de tristesse chez l'un d'eux, devait s'exprimer par un chant lyrique. Il est peu probable qu’Acaste apparüt dans cet épisode (9), tout entier consacré à la joie et à l'amour. Les cérémonies des noces, interrompues par le brusque départ de Protésilas pour la guerre, étaient alors reprises : des sacrifices et un banquet (10), suivi de quelques heures d'intimité entre les époux, remplissaient le temps occupé par le second siasimon. Le

troisiéme

épisode

commengait

à l'heure

de

la séparation.

(1) Hófer, col. 1829, suppose ingénieusement que Protésilag survenait au moment où Acaste cherchait à arracher la statue à sa fille. Mais cette hypothèse ne s'accorde pas avec le témoignage des représentations figurées. (2) Cf. fr. 646a (infra, p. 325) ; Hyg., f. 103; Apd., Ep., III, 30; Luc., DM, 23; sarcophage de Naples (Mayer, p. 125 ; Buonamici, p. 80-81) ; Welcker, p. 497 ; C. Robert, p. 63 ; Schmid-Stählin, p. 353 ; Séchan, p. 16. On rapprochera de cette scène l'arrivée d'Alceste conduite par Héraclés (Alc., 1008 sqq.). Comme Alceste, Protésilas, sur le sarcophage, est voilé (Wilamowitz, p. 93). (3) Luc., I. c.; Séchan, p. 16. Hartung, p. 270, est seul à penser qu'il s'agit d'une ombre, comme l'ombre de Polydore dans le prologue d'Hécube. (4) Sur le sarcophage de Naples, la venue de Protésilas semble interrompre un sacrifice de Laodamie (cf. Mayer, p. 125 et 128; Buonamici, p. 81-82). (5)

Eust.

en B 701, p. 325, 26.

(6) Sur le sarcophage

de Naples,

elle est écroulée à terre, le regard

Protésilas (Buonamici, I. c.). (7) Apd., I. c.; Höfer, col. 1828 ; Buonamici, (8) Hartung, p. 272 ; Séchan, p. 15.

(9) Comme

tourné

vers

p. 52; C. Robert, p. 63, n. 1.

le pensait Mayer, p. 116.

(10) Dans le Prolésilas d'Anaxandride, poète de la comédie moyenne (fr. 41 Edm.), était décrit un copieux banquet de noces (cf. Mayer, p. 102 ; 118; Türk, col. 3158;

Séchan, p. 17 et n. 107). Les fr. 2 et 3 de Laevius (voir supra, p. 321, n. 2) pourraient appartenir à une description (donnée par le chœur ?) de ces instants de liesse.

PROTÉSILAS

325

Protésilas révélait à Laodamie les conditions mises par les dieux à leur réunion. Sur la demande de son mari (1), la jeune femme acceptait de le suivre aux enfers (2). Mais averti de cette funeste

résolution, Acaste devait intervenir, et dans une scène d'agón, le mari et le pére de Laodamie opposaient leurs droits respectifs, celui du pére et celui de l'époux, sans doute hors de la présence de

l'héroine. Acaste avait lieu de stigmatiser l'égoisme de Protésilas (3) et il s'opposait à une détermination qui le privait de tout espoir de descendance. Malheureusement, les deux seuls fragments conservés qui paraissent appartenir à cette scène sont peu significatifs. Dans le premier, Protésilas s'adressait à Acaste en ces termes : « C'est à bon donné

droit que

je te nomme

mon

beau-père,

puisque

tu m'as

ta fille » (4).

Dans l'autre, le héros répliquait aux reproches du roi : « Lorsque,

de deux

interlocuteurs,

l'un est en colére, celui qui s'abstient

de répliquer est le plus sage » (5).

A la fin de la discussion, le héros devait s'incliner devant les argu-

ments de son beau-pére (6). Aprés la scéne déchirante des adieux avec Laodamie (7), Hermés reparaissait et invitait Protésilas à l'accompagner dans l'Hadés, en lui disant : « Suis moi seulement,

je te conduis » (8).

(1) Voir supra, p. 320, n. 5; Philstr., Hér., 2; Eust. en B 701, p. 325, 25. Sur le sarcophage de Naples (cóté droit), Laodamie est en face de Protésilas et tient un

poignard (2)

qui laisse présager son suicide.

L'épithéte

de « comes » revient

sans cesse chez

Ovide

à propos

de Laodamie

:

cf. Hér., X1II, 163; Am., II, 18, 38; AA, III, 17; Tr., I, 6, 20; Pont., III, 1, 109. (3) Comme Phérès en face d'Adméte (Alc. 675-733 ; cf. aussi 621). (4) EP 847 : Wen "Abtoc δ᾽ ἐμὸς

γαμθρὸς κέκλησαι, παῖδά μοι ξυνοιχίσας. » v. 1 ἄξιως Küster, Dindorf.

(5) Fr. 654 : « Δυοῖν λεγόντοιν, θατέρου Guuouuévou, ὁ μὴ ἀντιτείνων τοῖς λόγοις σοφώτερος.» (6) Il se peut

également

qu'ait été posée

sabilités dans la mort de Protésilas

un Dialogue des Moris de Lucien

dans cet agón

la question des respon-

(Herzog-Hauser, -p. 476 ; Séchan,

(19), ce probléme

est débattu

p. 17-18).

Dans

: aprés qu'aient été

successivement mis en cause Héléne, Ménélas, Páris, Éros, l'imprudence et l'amour de la gloire de Protésilas, ce dernier incrimine en dernier ressort le Destin et la Fatalité (sur ce dernier motif, cf. Catul., 68b, 85 ; Ov., Mét., XII, 66). La culpabilité d'Héléne,

de Ménélas et de Päris (cf. encore Ov., Hér., XIII, 43-48 ; Philstr., Her., 2) est un lieu commun chez Euripide. (7) Représentée sur le sarcophage du Vatican : Laodamie est sur son lit, accablée de désespoir;

Wilamowitz,

Protésilas,

à ses pieds, se tient la téte dans

p. 93). Buonamici,

p. 92, pense à tort que

les mains

(Mayer,

le personnage

p.

masculin

128;

est

Iphiclos ou Acaste.

(8) Fr. 646a : « "Emov δὲ t μοῦνον ἀμπρεύοντί μοι.» (Phot.,

95,

15) : cf. R.

Reitzenstein,

Der Anfang

d. Lex.

d. Phol.

(1907),

p. 95. Mais

326

EURIPIDE

ET

LES

LÉGENDES

DES

CHANTS

CYPRIENS

Le héros quittait le palais, laissant sa jeune femme désespérée. C'est peut-étre à ce moment que son pére, ayant trouvé Laodamie seule et tenant encore dans ses bras la statue, exécutait sa menace

et faisait jeter au feu cette effigie malfaisante (1). Privée de cette ultime consolation, la jeune femme,

qui s'était

résignée à ne pas suivre son mari, comprenait qu'elle avait eu tort et que la vie n'était désormais

plus possible pour elle. Révoltée

par le geste d'Acaste, elle décidait de passer outre à ses ordres (2) et un fragment trés mutilé nous la montre méditant sur le genre de mort qu'elle allait choisir. Elle se demandait si elle se percerait la gorge ou si elle se jetterait de la margelle d'un puits dans la nappe

d'eau souterraine (3). Aprés le dernier slasimon devait venir le récit de la mort de Laodamie. Un Messager — peut-être le Serviteur du premier épisode — la racontait au chœur et au roi Ácaste. Comment mourait-elle ? Nos sources ne s'accordent pas sur ce point et on a le choix entre deux versions (4) : ou bien elle se jetait dans le

bücher sur lequel se consumait la statue de Protésilas (5), ou bien elle se poignardait (6). L'une et l'autre de ces versions ont trouvé des partisans parmi les critiques modernes (7). La seconde, mieux la forme μοῦνον n'est pas attestée chez Euripide et on n'a pas jusqu'à ce jour proposé de correction satisfaisante. Wilamowitz, p. 92 et n. 1, place ce vers à l'arrivée de Protésilas, L. Séchan, p. 17 et n. 102, de facon plus convaincante, à son départ. Sur le sarcophage du Vatican, on voit le héros qui suit Hermés et met le pied dans la barque

de Charon (Mayer, p. 128; Buonamici, p. 94). (1) Hyg., f. 104. Certains critiques (Höfer, col. 1828; C. Robert,

p. 63) estiment cependant

pièce, où Acaste s'en tenait à la menace. On p. 202, d'aprés lequel Dionysos intervenait l'institution d'un culte à Protésilas : l'emploi probable à cette époque, et de toute facon du drame, (2)

Cf. Ov.,

Hér.,

XIII,

Buonamici,

que c'est là un développement

28 : « Indignor

p. 48;

55-57 ;

étianger à notre

ne peut retenir l'hypothèse de Wagner, alors pour arréter Acaste et annoncait du deus er machina par Euripide est peu Il fallait que Laodamie mourüt à la fin

miserae

non licuisse mori. »

(3) Fr. 656 : « ...oa λαιμὸν À πεσοῦσ᾽ ἀπ᾽ ἰσθμίου χευθμῶνα πηγαῖον ὕδωρ.» v. 1 παίσασα Nauck. δήσασα Walker. v. 2 «φρέατος (4)

Il faut

p. 105-106) n.

ἐς» en

κευθμῶνα écarter

une

πηγαῖόν troisième

«θ᾽ »ὔδωρ (bien

Nauck.

qu'elle

soit retenue

par

Radermacher,

: celle où l'héroïne mourait de chagrin et de langueur (cf. supra, p. 321,

1).

(5)

Hyg., f. 104.

(6) Apd., III, 30 (ε ἐφόνευσεν ») ; Eust. en B 701, p. 325, 29; Tzetz., Anlehom., 233-34 ; Chil., II, 52, 777-79. Pour le sarcophage de Naples, cf. supra, p. 325, n. 1.

(7) Bücher

: Welcker,

p. 498;

Hartung,

p. 276;

Herzog-Hauser,

p. 478 ; Schmid-

Stählin, p. 353 ; J. Rabelon, p. 5; Lesky, p. 161. Poignard : M. Mayer, p. 117; 121; Buonamici, p. 53; C. Robert, p. 63; Séchan, p. 14-15. La similitude avec la moit

d'Évadné dans les Suppliantes est un argument à double tranchant : Euripide a pu refaire une scéne analogue dans un drame d'une quinzaine d'années postérieur. Mais

PROTÉSILAS

327

attestée, nous paraît être celle d'Euripide : Laodamie, aprés avoir revétu ses vétements de noces et le visage joyeux à la pensée de rejoindre son époux (1), se plongeait une arme dans la poitrine.

La piéce devait

se clore par les manifestations

du désespoir

d'Acaste (2). On a pensé que le corps de Laodamie apparaissait sur la scéne, porté par des serviteurs ou gráce à l'artifice drama-

tique de l'eccycléme. ἃ cette scène, Hartung rattachait le vers : « Enfants,

quels

sortiléges

vous

exercez

sur l'esprit

des

hommes »

(3).

Ces mots étaient prononcés soit par Acaste, soit plutôt par le chœur,

qui faisait l'éloge funébre de Laodamie en ces termes : « Quiconque

met sur le méme

plan toutes les femmes

et les bláme

toutes

ensemble est un sot et non un sage. Car, dans le nombre, telle se trouvera méchante, mais telle autre aura la noble résolution de celle-ci » (4).

Un dernier probléme se pose : quelle était la durée des événements représentés dans la piéce, et par conséquent quelle était la

durée du séjour de Protésilas sur la terre ? Les sources anciennes se

partagent

entre

trois

heures

(5)

et

une

journée

(6).

Cette

inversement, le rapprochement si fréquemment indiqué par les anciens entre Évadné et Laodamie — auxquelles vient souvent s'ajouter Alceste (cf. Hyg., f. 243; 256; Ov., AA, III, 17-22 ; Plut., Amal., XVII ; Philstr., Hér., III, 6 ; Tzetz., ll. cc., etc.) — peut

avoir suggéré cette version

ou simplement

entraîné l'erreur d'Hygin

(cf. Mayer,

p. 111-112). (1) Tzetz., Il. cc. Sur le côté gauche du sarcophage de Naples, Protésilas et Laodamie, réunis dans la mort, sont debout devant le trône d'Hadés. De méme sur le sépulcre de l'insula sacra étudié par Wilamowitz, p. 90. (2) Comparer le désespoir de Créon devant le corps de sa fille dans Médée 1207 sqq.

(3) Fr. 652 : « « ὮὯ παῖδες, olov φίλτρον ἀνθρώποις φρενός.» (ol παῖδες, Schmidt). Cf. Med. 1095-96 : « ETO' ἡδὺ βροτοῖς, παῖδες τελέθουσ"...»

εἴτ᾽

ἀνιαρὸν

(4) Fr. 657 : «"Ocacu δὲ πάσας συντιθεὶς ψέγει λόγῳ γυναῖκας ÉEñc, σκαιός ἐστι χοὐ σοφός * πολλῶν γὰρ οὐσῶν, τὴν μὲν εὑρήσεις κακήν,

τὴν 9 ὥσπερ αὕτη λῆμ᾽ ἔχουσαν εὐγενές.» Ces vers, transmis 9773) publiés par donnant seulement On en rapprochera

par Stobée, sont reproduits sur deux papyrus de Berlin (9772 et Wilamowitz, Berl. Kl.-Terte, V, 2 (1907), p. 129-130 (le second les v. 2-4), avec une variante insigniflante au v. 4 (#ôe pour αὔτη). l'éloge d'Alceste par le chœur (Alc. 418 ; 442) et par Phérés (615-16).

Pour l'idée en général, cf. Jon 398-400 ; Alc. Psophis, fr. 78. On de Laodamie dans les textes suivants : Ov., Tr., I, 6, 19-20;

trouve encore l'éloge V, 14, 39-40; Hyg.,

f. 256 ; Philstr., Hér., III, 6; Tzetz., Antehom., 237 sqq. (5) Hyg., f. 103; 104. Chez Minucius Felix, Oct., XI, 8, ce chiffre n'est rétabll que par conjecture. C. Robert, pour un drame s.

p. 63, n. 4, accepte

cette durée

qu'il trouve

« convenable

(6) Luc., DM, 23 ; Stat., Silv., II, 7, 120 ; sc. Arsid., III, p. 671. Ausone, Épigr., 41, compare

les deux

nuits

qui furent

accordées

aux

époux

avant

et aprés

la mort

de Protésilas. Sur le sarcophage de Naples, les figures d'Hélios et de Sélénè entourent la scéne du retour du héros, comme

126).

pour marquer cette durée

(cf. Mayer, p. 118-121 ;

328

EURIPIDE

ET

LES

LÉGENDES

DES

CHANTS

CYPRIENS

derniére indication nous semble la plus acceptable, non seulement parce qu'elle émane des sources les plus nombreuses et les plus dignes de foi, mais encore parce qu'un espace de trois heures est

bien court s'il doit comprendre des sacrifices, un banquet nuptial et

les

mutuelles

L'action

preuves

commence

d'amour

au matin

que

(1), peu

se

donnent

avant

les époux.

que Protésilas ne

remonte des Enfers, et il y retourne au matin suivant. La seule difficulté est que l'un des slasima doit, par convention, représenter

à lui seul une grande partie du temps départi au héros pour son séjour chez les vivants.

Que nous apprennent les témoignages épiques sur Protésilas ? Homére connait le héros et évoque sa fin prématurée. Dans le

Catalogue de l' Iliade, aprés avoir énuméré les cités dont les contingents obéissaient au «belliqueux Protésilas », Phylaque, Itón, Antrón, Ptéléon, il ajoute :

Pyrase,

« Mais la terre noire désormais le tient. Il ne reste plus de lui à Phylaque qu'une épouse aux joues déchirées et un palais inachevé : un Dardanien l'a tué, alors qu'il sautait de sa nef, le tout premier des Achéens » (2).

Homère ajoute qu'il a été remplacé par son frère cadet, Podarcès,

«fils d'Iphicle, le Phylacide » (3). C'est le navire (1) D'après Laodamie.

Hygin,

Cependant,

f. 104, c'est au M. Mayer,

matin

que

de Protésilas,

le serviteur apporte des fruits à

p. 117 sqq., pensait plutót que la piéce commengait

le soir et se déroulait en grande partie de nuit.

(2) B 699-702 : «.... τότε δ' ἤδη ἔχεν κάτα γαῖα μέλαινα ᾿ τοῦ δὲ καὶ ἀμφιδρυφὴς ἄλοχος Φυλάκῃ ἐλέλειπτο

καὶ δόμος ἡμιτελής ᾿ τὸν δ᾽ ἔκτανε Δάρδανος ἀνὴρ νηὸς ἀποθρῴσκοντα πολὺ πρώτιστον ᾿Αχαιῶν.» Ces vers avaient posé aux anciens deux problèmes : 1° La signification des mots « δόμος ἡμιτελήῆς » (cf. sc. ABDL en B 701 ; Eust., p. 325, 12 sqq. ; Buonamici, p. 9-11). On donnait à l'expression tantót un sens concret : maison inachevée (sc. A (Didyme); Luc., DM., 19, 1), tantôt un sens allégorique : maison veuve, privée d'un époux (ulyαμος) ou d'enfants (ἄτεκνος : sc. ad loc.). Catulle, 68b, 74-75, en traduisant par «domum |

inceptum frustra », rappelait l'oubli du sacrifice à Aphrodite. 2° L'identité du Δάρδανος ἀνήρ meurtrier de Protésilas (sc. AD

en B 701 ; Eust., p. 325, 36 sqq. ; Mayer,

p.

103;

Robert, p. 62; Radke, col. 933-34). On avait proposé divers Dardaniens : Euphorbe (II 807) : cf. sc. AD, Eustathe, d'aprés Porphyre ; Énée (B 819) : sc. AD, Eust., p. 326, 5, d'après Palaephatos ; Dictys, II, 11 ; son fils Achate : sc. AD, Eust., [. c. et en À 521, p. 1697, 63 ; un certain Dardanos (Eust.) ; enfin Hector lui-même (Dem. Sk., d'après Tzetz., sc. Lyc. 530, et Eust. en B 701, p. 326, 7, corrigeait la fin du v. 701 en « φαίδιμος

"Extop »), identification qui parait avoir été combattue par Aristarque (sc. À en B 819; cf

Severyns,

CE,

p. 118 ; 303) et a été défendue sans grand

Der homerische Schiffskalalog 185, n. 1. (3) B 704-08 ; cf. N 698.

(1958),

p.

120-22;

cf. W.

succès par G. Jachmann,

Kullmann,

p.

111

et n. 4;

PROTÉSILAS

329

placé sur le rivage au premier rang des vaisseaux grecs, qu'Hector tente d'abord d'incendier (1). Homére connaissait donc les circonstances de la mort de Protésilas, s'il ne nommait pas son meurtrier. Il savait que son union avait été de courte durée et qu'il laissait

en Thessalie une veuve inconsolable. Mais celle-ci n'a pas de nom et ne paraît pas avoir encore de légende personnelle.

Les Chants Cypriens développaient les indications succinctes de l'Iliade. Ils devaient s'étendre plus longuement sur le débarquement des Achéens courte phrase :

en

Troade.

Proclos

résume

l'épisode

en

une

« Ils débarquent à Ilion : les Troyens les repoussent, et Protésilas tombe sous

les coups

d'Hector » (2).

Il est possible d'étoffer cette bréve indication en y ajoutant des détails dont la présence est au moins probable dans les Chanis Cypriens. Les Grecs hésitaient à débarquer, car ils connaissaient

l'oracle d'aprés lequel le premier guerrier qui mettrait le pied sur le sol troyen devait périr (3). Protésilas, dont l'héroisme s'était déjà manifesté au cours de la guerre de Mysie (4), sautait aussitót

sur

le rivage

(5),

et

aprés

avoir

tué

un

certain

nombre

de

barbares (6), il tombait sous les coups d'Hector, premiére victime

des combats en sol troyen (7). Une indication de Pausanias montre que

Stasinos

avait développé

le théme

homérique

de la douleur

(1) N 681; O 704-06 ; II 286 ; Eust. en B 695, p. 323, 10. (2) L. 147-48 Sev. (3) Sur cet oracle, cf. supra, p. 319, n. 6. Sans doute, l'existence de l'oracle dans les Kypria n'est pas absolument certaine (cf. Rzach, col. 2390), mais elle est trés

probable. C. Robert, p. 62, le considère comme ancien. Wagner, P. Mazon (IL, T. I, p. 57, n. 2) et Radke (col. 933) admettent qu'il vient de cette épopée (il semble qu'Achille avait été spécialement mis en garde sur ce point par sa mére). Il reste possible qu'Euripide en ait modifié la forme pour qu'il s'appliquát plus précisément à Protésilas. 30,

(4) Philstr., Hér., II, 14-15. Sur la fresque de la Lesché des Cnidiens (Paus., X, 3), Polygnote avail représenté Protésilas auprés d'Achille, avec lequel, d'aprés

Philostrate, il avait rivalisé de bravoure dans la campagne (5) Kyp.,

fr.

XVII



Paus.,

IV,

2,

7.

Le

saut

de

contre Téléphe.

Protésilas

était

représenté

sur un relief de l'Héróon de Trysa (milieu du ve 8.), sans doute d'après la tradition épique (cf. Benndorf, Das Heroon von Gjübaschi-Trysa, p. 204-05 ; Türk, col. 3167). (6) Cette aristie est indiquée par Apollodore, Ep., III, 30, et Hygin, f. 114. (7)

On

a parfois

contesté

que la désignation

d'Hector



qui

était un

Troyen

et

non un Dardanien — remontät aux Kypria (E. Bethe, Homer, 111, p. 30; HerzogHauser, p. 472; Kullmann, p. 111 et 184-85). D'aprés ces auteurs, elle viendrait seulement

des Poiménés

de Sophocle

(fr. 497

P.).

Mais ces doutes nous semblent

peu

fondés en face du témoignage direct de Proclos, et du témoignage indirect d'Aristarque (cf. Severyns,

CE,

p. 303),

compte

tenu

aussi

de la

fidélité

habituelle

de

Sophocle

aux données du cycle et du fait que le nom d'Hector est de loin le plus répandu dans la vulgate mythologique (voir supra, p. 320, n. 1). Ce nom avait pu étre suggéré à Stasinos par les vers Ὁ 704-706 de l' Iliade, dans lesquels Hector est le premier à tenter d'incendier le navire du héros.

330

EURIPIDE

ET

LES

LÉGENDES

DES

CHANTS

CYPRIENS

de la veuve du héros. Celle-ci, dans les Chanis Cypriens, se nommait Polydora et était fille de Méléagre et de Cléopatra, et par sa mére, petite-fille d'Idas et de Marpessa. Elle se pendait à l'annonce de cette mort (1).

Les Kypria évoquaient-ils aussi la résurrection passagére de Protésilas ? L. Séchan inclinerait à le croire à cause du caractére romanesque

de ce poéme, dont il donne des exemples (2). Un tel

indice est bien fragile. Ce que l'on peut au moins affirmer, c'est que cette légende n'a sürement pas été créée de toutes piéces par Euripide. Son origine est ancienne, et il faut aller la chercher dans le fond si riche des mythes et des cultes thessaliens. En effet, parmi les héros du cycle troyen, Protésilas est un de ceux dont on sent le plus clairement qu'avant méme d'étre vénéré

comme

roi et comme

objet d'une dévotion

guerrier, il l'a été comme

populaire.

« démon s,

Sans doute, tant à Phylaké de

Thessalie, où il avait un temple (3), qu'à Éléonte de Chersonése,

oü se trouvait son tombeau (4), on honorait en lui le vaillant chef tombé devant Troie. Mais les rites n'étaient pas ceux d'un simple culte funéraire, de méme que ses pouvoirs d'outre-tombe

excédaient curieusement ceux d'un chef de guerre. A Éléonte, en particulier, suivant des témoignages relativement tardifs mais qui paraissent remonter à un état ancien, il protégeait les marins,

veillait sur les jardins et les vignes, aidait par ses oracles les amoureux et les athlétes, guérissait les animaux domestiques et un certain nombre (1)

Fr.

Cléopatra

de maladies humaines XVII

(Paus.,

IV,

et sa grand-mère

2,

(5).

7). Pausanias

maternelle

remarquait

que

s'étaient

toutes

Marpessa

Polydora, trois

sa

pendues

mère par

désespoir de la mort de leur mari. A. Severyns, CE, p. 302-03, pense que cet épisode formait un lien entre les Chants Cypriens et la Minyade, où était développée la légende de Méléagre.

Mayer,

p. 134, rappelle

les similitudes

entre le destin des deux héros.

(2) P. 9. Il existe trés peu de témoignages littéraires sur Protésilas entre l'épopée et Euripide. Le Catalogue hésiodique ne mentionne le héros qu'en passant (en le donnant comme fils d'Actor, et non d'Iphiclos comme Homère). Les Poiménés de Sophocle (fr. 497-521 P.) racontaient le débarquement en Troade et la mort de Pıot£silas, tué

par Hector, et de Cycnos, tué par Achille, mais il est douteux que l'histoire de la veuve de Protésilas ait pu y être développée (cf. Pearson, II, p. 148). Au reste, la date de la piéce est inconnue : Wilamowitz (H, 61 (1926), p. 282-84) et W. Buchwald (Studien

zur Chronol. der all. Tragödie (1939), p. 48) la rapprochent, pour le sujet et la structure, du Rhésos — antérieur à Alcesie pour Buchwald — mais aucune conclusion certaine ne peut étre tirée de ce rapprochement. (3) Pd., Is., I, 58-59 et sc. D'après le scoliaste, on y célébrait des jeux funèbres en son honneur (cf. Buonamici, p. 68; Séchan, p. 4; Radke, col. 937-38). Il était aussi honoré dans la toute proche Thébes de Phthiotide (C. Robert, p. 61; Séchan,

ibid.). (4) Hdt., VII, 33; IX, 116; 120; Thuc., VIII, 102 ; Str., XIII, 1, 31 ; Antiphilos de Byzance (A. P., VII, 141) ; Pl., HN, IV, 49 ; XVI, 238; Paus., I, 34, 2; III, 4, 6; Philstr.,

Hér.,

passim,

etc.

Sur

son

culte

à

Skionè

de

Chalcidique,

cf.

Buonamici,

p. 68-70 ; C. Robert, p. 61 ; Babelon, p. 3. (5) Philstr., Hér., 2; II, 1-8. Mayer, p. 124 ; Buonamici, p. 72-73; Séchan, p. 5;

PROTÉSILAS

Le « démon » Protésilas possédait

cultuels.

Même

lorsqu'on

331

donc

l’eut revêtu

de

nombreux attributs

de l'armure

achéenne

et

intégré dans le cycle troyen, sa légende dut en garder des traces.

Ce sont elles qu'on retrouve chez Euripide, qui s'inspire sans doute d'un récit déjà élaboré. Protésilas meurt, puis renaît pour une courte durée, et meurt de nouveau en entratnant avec lui sa parédre. Ce passage alterné

de la vie à la mort rappelle deux types de divinités étroitement associées

:

divinités

chthoniennes

et

démons

de

la

végéta-

tion (1). Il suffira d'évoquer le mythe éleusinien de Déméter, Coré et Hadés (2), ceux d'Attis et d'Adonis (3), celui de Dionysos Zagreus (4). Dans tous ces cas, le culte célébre le passage de la mort hivernale au renouveau printanier. Le plus souvent, ce sont les déplorations rituelles d'une parédre, déesse de la fécondité elle aussi, qui, au printemps, tirent le dieu de son insensibilité de l'hiver. Parfois méme la déesse, avec les fidéles du dieu, entoure

le lit funéraire

où repose l'image du défunt,

et leurs offrandes

contribuent avec les priéres et les incantations à le ramener à la

vie. Ce culte, surtout dans le cas de divinités d'origine orientale ou thrace, peut avoir des caractéres qui l'apparentent aux orgies bacchiques (5). Le point de départ de la légende développée dans Prolésilas doit étre un rituel de cet ordre : la statue à laquelle Laodamie consacre des offrandes de fruits et qu'elle entoure d'un culte bacchique reprend vie — ou tout au moins ces rites forcent le dieu à se réincarner — mais seulement pour un temps limité.

La conduite de Laodamie évoque encore d'autres pratiques trés anciennes, peut-étre préhelléniques, qui ont laissé des traces dans les textes du v* siécle : l'usage des statues de remplacement qui sont le substitut du mort ou de l'absent, comme celles d'Héléne dont Méné-

las peuple la solitude de son palais ou celle qu'Adméte se propose de faire exécuter par d'habiles artistes à la ressemblance d'Alceste (6). 21;

Radke, col. 937.

Il paraît difficile cependant

(Hyg., f. 103) à la racine de (1)

ἰάομαι, comme

de rattacher son autre nom

d'Iolaos

le suggère G. Herzog-Hauser, p. 475.

Surla valeur symbolique des noms de villes appartenant au royaume de Protésilas

dans l' Iliade, B 695-97, cf. Herzog-Hauser, p. 472-75 ; Séchan, p. 20. Radke, col. 987, considére les éléments chthoniens comme les plus importants dans celte légende. (2) Demeter avait un temple à Pyrasos, dans le royaume de Protésilas (IL., B 695-

696

: cf. C.

Robert,

p. 64;

Herzog-Hauser,

l. c.). Sur une

Phthiotide (fin du 1v* 8. ou début du rr1*) montrant

monnaie

de Thèbes

de

au revers le saut de Protésilas sur

le rivage troyen, le droit porte une effigie de Déméter (3) Cf. Radermacher, p. 102 sqq. ; Séchan, p. 23.

(Babelon, p. 7).

(4) Éléonte et Skioné étaient en bordure du domaine thrace, dont ce culte semble originaire (cf. Mayer, p. 123 ; Robert, p. 64 ; Herzog-Hauser, p. 475 ; Séchan, p. 23-24). (5) Mayer, Radermacher, Séchan, Il. cc. Sur le culte bacchique de Dionysos Zagreus,

cf. Eur., Bacch. (6)

120 sqq. ; Crélois, fr. 472,

Eschl., Ag., 416-19

(où cependant

E. Fränkel conteste tout lien avec les motifs

332

EURIPIDE

ET

LES

LÉGENDES

DES

CHANTS

CYPRIENS

On comprend dés lors comment de tels éléments ont pu se com-

biner avec la légende épique qui décrivait la mort du héros à la fleur de l'áge et le désespoir de sa jeune veuve. L'assimilation se trouvait réalisée, au moins en partie, dans les Chanis Cypriens où le nom de Polydora, «celle qui comble de dons », évoque une

épithéte

de la Terre

nourricière,

et où la mort

par pendaison

rappelle un rite bien connu pour les divinités de la végétation (1). On ne peut en conclure avec certitude que l'essentiel de la légende traitée par Euripide — la résurrection et la seconde mort du héros — figurait déjà dans le poéme de Stasinos, ni méme que le drame

d'Euripide avait un sens étiologique, en expliquant l'origine de cérémonies célébrées au v® siècle dans divers sanctuaires en l'honneur du héros thessalien (2). En revanche, il est certain qu'Euripide n'ignorait pas ces pratiques cultuelles et qu'il en a tiré parti pour l'agencement de sa pièce.

Ainsi donc, dans notre drame, l'oracle relatif au débarquement en Troade, la mort du héros et le suicide de sa veuve appartiennent aux Chanis Cypriens. La courte résurrection de Protésilas peut avoir la méme origine. Elle est en tout cas ancienne. En revanche, le nom de Laodamie apparait pour la premiére fois chez Euripide et l'origine ne peut en étre déterminée. Polydora avait une ascendance étolienne et péloponnésienne. Laodamie, comme Protésilas, est une pure Thessalienne et descend des souverains d'Iolcos (3). Il est à noter que plusieurs légendes rapprochaient déjà les deux dynasties d'Iolcos et de Phylaké. La sœur d’Iphiclos, Alcimede, avait épousé Aeson, frére de Pélias, le grand-pére de Laodamie (4).

Pélias était le pére d'Alceste, qui avait accepté de mourir à la place d'un mari trés aimé, mais, plus heureuse que Protésilas, avait échappé à l'Hadés pour reprendre jusqu'au terme normal de son d'Alceste et de Prolésilas) ; Eur., Alc. 348-354.

Il est à noter que dans les deux cas

des visions nocturnes apportent l'image fugitive du disparu (Ag., 420-426 ; Alc. 35456). Sur ces κολοσσοί — dont on discute la fonction initiale, érotique selon les uns,

funéraire selon les autres — cf. L. Ghali-Kahil, Les Enlèvements d'Hélène, p. 127; S. Trenkner, The Greek Novella, p. 69. T. B. L. Webster, From Mycenae lo Homer (1958), p. 87, qui les compare à la statue d'Enkidu dans l'épopée de Gilgamesh. (1) On pensera au culte d'Artémis ᾿Απαγχομένη (Preller, Gr. Myth., I, p. 305),

aux légendes d'Érigone (ibid., p. 668), d'Ariane et d'Hélène (ibid., p. 338, n. 4 ; 687; Ch.

Picard,

Les religions préhelléniques

(1949),

p.

187-88 ; M.

P.

Nilsson,

Gesch.

Gr.

Rel.*, 1 (1955), p. 315). (2)

Comme

le pensent

Mayer,

p.

125 ; Séchan,

p. 24.

(3) Il existait diverses heroines du nom de Polydora, mais la plus connue était la fille de Pélée et d'une héroïne dont le nom variait suivant les auteurs (cf. Il., II 173-178 et sc. A, T, BLV en II 175 ; Hés., fr. 83; Apd., Bibl., III, 13, 1; Severyns, CE, p. 252, qui pense que sa légende se trouvait dans l' Alcméonide et les Chants Cypriens (voir supra, p. 64). Laodamie était, dans l' Iliade (Z 195-205), le nom de la fille de Bellérophon, mére de Sarpédon, qui périt victime de la colére d'Artémis.

(4) Stésich., fr. 61 P.; Phérécyde, fr. 104 b Jac.

PROTÉSILAS

333

existence sa place parmi les mortels (1). Cette parenté, à la fois de famille et de destin, explique peut-étre la généalogie proposée

par Euripide pour la femme de Protésilas. * *

Aucun

témoignage

ancien,

=

aucun

indice

externe

ne nous

ren-

seignent sur la date de Prolésilas. Cependant, la comparaison avec d'autres piéces d'Euripide pour le sujet, la technique dramatique et les thémes, nous permet de fixer cette date à quelques années prés. Les rapprochements sont particuliérement évidents avec trois des drames de la tétralogie de 438, Alcesle, les Créloises

et Alcméon à Psophis. Nous avons signalé chemin faisant un certain nombre de correspondances entre Alcesle et Prolésilas. Nous pouvons maintenant les reprendre d'ensemble et les compléter. Protésilas et Adméte sont tous deux des princes thessaliens, dont les cités sont proches

l'une de l'autre. Le destin les a tous deux condamnés à étre séparés par une mort prématurée de l'épouse qu'ils chérissent. Tous deux obtiennent par la force de leur amour une réunion temporaire ou durable avec l'étre aimé. Tragédies de l'amour conjugal, les

deux piéces exaltent la tendresse poussée jusqu'à l'héroisme des deux jeunes femmes, dont le chœur célèbre les louanges. La simi-

litude des sujets entraîne celle des situations dramatiques : citons par exemple le paralléle des scénes Phérés-Adméte et AcasteProtésilas, le retour du séjour des morts d'Alceste conduite par

Héraclés et de Protésilas conduit par Hermés. Il y a plus curieux encore : certains thèmes seulement ébauchés dans Alcesie prennent toute leur importance dans Prolésilas : ainsi pour le projet d'Adméte de faire exécuter une statue d'Alceste et de la placer sur la couche

nuptiale (2), l'éventualité d'un remariage du héros qui n'est évoquée que pour étre repoussée avec horreur (3), le regret qu'éprouve Adméte de n'étre pas mort en méme temps que sa femme (4), l'impossible souhait exprimé successivement par Adméte et par le chœur de pouvoir descendre aux Enfers pour y fléchir Hadès et Perséphone et ramener Alceste à la lumière (5).

Inversement, d'autres thémes appartenant au fonds ancien de la (1) Pélias, pére d'Alceste, était encore le cousin germain de Phylacos, grand-pére de Protésilas ; les deux familles remontaient à un ancétre commun, Éole. (2) Cf. supra, p. 331. (3) Voir supra, p. 323, et Alec. 305 ; 328 sqq. ; 371-73 ; 463-65 ; 1087 sqq. (4) Alc. 895-902. Au v. 382, Admète dit à Alceste : « Emméne-moi avec

nom des dieux, emméne-moi aux Enfers |» (5) Alc. 357-362 ; 455-59.

toi, au

394

EURIPIDE

ET

LES

LÉGENDES

DES

CHANTS

CYPRIENS

légende d'Adméte et d'Alceste, mais absents du drame d’Euripide, se retrouvent dans la légende de Protésilas et de Laodamie telle que le poéte l'a contée : ainsi, dans le récit hésiodique, Adméte était condamné à mourir encore jeune pour avoir oublié lors de ses noces de sacrifier à Artémis (1), et Coré obtenait d'Hadeés le

retour d'Alceste à la lumiére (2). Dans notre piéce, le méme oubli à l'égard d'Aphrodite provoquait la méme

vengeance de la déesse

et Coré s'entremettait une fois encore pour réunir les deux époux. Ces rencontres ne prouvent pas absolument que les deux piéces sont rapprochées dans le temps, d'autant plus que certaines peuvent venir des sujets eux-mémes, le poéte ayant puisé l'un et l'autre

dans

le folklore

thessalien

qu'il en va souvent

(3). L'expérience

ainsi chez Euripide

montre

cependant

(4). D'autres

rapproche-

ments avec les pièces de la trilogie de 438 nous confirmeraient encore dans cette idée. Ainsi, dans les Créloises, Catrée chassait sa fille en la remettant à Nauplios aprés l'avoir convaincue d'avoir pris

un amant d'origine servile (5) : motif principal qui devient un motif secondaire dans la méprise du premier épisode. Dans Alcméon à Psophis, on voyait le dévouement — cette fois mal récompensé —

de la femme du héros envers son mari, et on peut signaler deux rapprochements

d'expressions

singuliers

entre

des

fragments

de

chacune de ces piéces (6). Une derniére indication est à tirer du róle de l'élément dionysiaque dans Prolésilas. Laodamie, nous l'avons vu, semble

étre une adoratrice du Dionysos

thrace, inci-

demment évoqué dans Alcesle (967-68). La jeune femme s’adonne à ce culte bacchique

qui est pratiqué

par d'autres

héroines

de

piéces d'Euripide datant de cette période, comme Ino, dans la piéce qui porte son nom (7). Nous sommes donc conduit à dater Prolésilas des environs de 438. Avant ou aprés ? Il est difficile de choisir. Disons qu'à notre avis Alcesie, où se trouvent (1) (2) (3) (4) p.

Cf. supra, p. 319, Apd., Bibl., III, W. Buchwald, o. Cf. E. Howald,

à l'état d'ébauches

n. 5. 9, 15. c., p. 47 ; A. Lesky, p. 161. Untersuchungen..., p. 21-32;

Pohlenz,

tant de thèmes

II, p.

115;

Goossens,

15.

(5) Sur ce thème des Créloises, cf. Soph., Aj., 1295-97 et sc. ; Ar., Gren., 849 et sc. (6) Sur l'action d'Alcméon à Psophis, cf. Schadewalt, H, 80 (1952), p. 46-63. On rapprochera, pour la pensée, du fr. 657 de Protésilas, le fr. 78 (cf. supra, p. 327, n. 4) et surtout, pour l'expression, du fr. 647 (supra, p. 325), le fr. 72, où Alcméon disait

à Phégée

:

« Xaip', ὦ γεραιέ

* τὴν τε παῖδ᾽ ἐκδοὺς ἐμοὶ

γαμθρὸς νομίζῃ καὶ πατὴρ σωτήρ τ᾽ ἐμός.» Les deux fragments sont du reste cités dans le même passage de Photios (Lez. p. 410, 3 el 7) et par la Souda, s. v. πενθερά. (7) Hygin, f. 4 (Ino Euripidis). Zielinski date la pièce des environs de 440. Voir aussi le chœur des Crelois, fr. 472. Cf. M. Mayer, p. 123.

PROTÉSILAS

335

pleinement utilisés dans Prolesilas, a pu précéder de peu d'années

ce dernier drame (1). composés les Skyrioi. de la méme

Nous le situerions à l'époque où furent Et pourquoi n'aurait-il pas fait partie

trilogie ? Dans

les deux

piéces,

la guerre

de

Troie

séparait deux étres qui s'aimaient, dans les deux piéces, les héros partaient pour étre victimes des combats. Les sujets étaient assez proches et les intrigues assez différentes pour figurer sans difficulté

dans le méme

ensemble trilogique (2). * »

nsn

De l'épisode guerrier conté par les Chanis Cypriens

et mis en

scéne dans les Poiménés de Sophocle, Euripide a surtout retenu les répercussions sentimentales. Sans doute, comme dans les autres piéces troyennes de cette époque, le point de départ est-il fourni

par une condition que les dieux ont mise au succés de la campagne contre Troie. Mais, à la différence de Télèphe, des Skyrioi ou de Philoctèle, la solution de ce probléme ne forme pas le nœud de la tragédie. Le ressort politique, essentiel pour Télèphe et Philocléle, ne joue ici aucun róle. Les perturbations introduites par la guerre

dans la vie conjugale et familiale, qui constituent un motif secondaire de Téléphe et un des motifs principaux des Skyrioi, sont ici au centre du drame. L'action se déroule tout entiére dans l'intimité du palais royal, endeuillé par le départ du chef de famille et par les menaces que le destin a suspendues sur sa téte. Méme s'il n'est

pas sûr qu'Euripide ait emprunté aux Chanls Cypriens la péripétie principale de la piéce —

le retour de Protésilas sur la terre pour

quelques heures — il l'a tirée du méme puisé l'histoire de Polydora,

fonds où Stasinos

avait

celui des croyances populaires de la

Thessalie, terre de magie et de sorcellerie oà le monde d'en haut et celui d'en bas se mêlent plus qu'en aucune autre région de la

Grèce. A cet épisode d'un sombre romanesque, Euripide a ajouté de nouveaux motifs : soupcons injustifiés d'Acaste (3), culte de la statue du héros (4), refus de Laodamie d'envisager un nouveau (1) Par un raisonnement inverse (le théme de la statue, essentiel dans Prolésilas et seulement esquissé dans Alcesle) Wilamowitz, p. 91, penchait pour l'antériorité de

notre piéce. (2) Sur la date probable des associait Prolésilas et les Skyrioi placait en 435.

(3) Radermacher,

Skyrioi, cf. supra, Ch. VII, p. 217. Déjà Hartung (avec Œdipe et Éole) dans la méme tétralogie, qu'il

p. 100-101, a rapproché de notre pièce un récit romanesque de

Phlégon de Tralles (p. 57, 15 sqq. Keller) où se trouve un quiproquo analogue à celui du premier épisode de Proiesilas et a signalé une influence possible de cette pièce. (4) Wilamowitz, p. 94, cite un exemple paralléle — mais indépendant d'Euripide,

à son avis —

tiré des Mélamorphoses

d'Apulée, VIII, 7.

336

mariage. mettre

EURIPIDE

Chacun

ET

des

en relief un

LES

LÉGENDES

moments caractère

DES

CHANTS

de cette de

femme,

CYPRIENS

intrigue celui

est destiné

de Laodamie.

à Si

Protésilas a donné son nom à la piéce, c'est probablement par une nécessité matérielle, le nom de Laodamie n'étant guére familier aux Athéniens. La jeune femme n'en tient pas moins le róle principal, comme c'est le cas dans Alcesle et dans Médée. Devant la toile de fond grandiose de la guerre de Troie, Euripide nous introduit dans l'intimité d'un couple dont l'amour conjugal triomphe de toutes les séparations. Héraclés était le deus ex machina qui ramenait Alceste des Enfers et la rendait

à Adméte. Ici, c'est Protésilas

lui-même qui obtient des dieux infernaux de revenir pendant quelques heures sur la terre, mais la réunion définitive des époux dans l'Hadés ne doit rien qu'à la force et à la constance de leur amour.

CHAPITRE

LA

CAMPAGNE

X

AVANT

L'ILIADE

PALAMEDE

23

LA Entre

CAMPAGNE le combat



AVANT

L’ILIADE : PALAMÉDE

tombait

Protésilas

et la fin des

Chanis

Cypriens se plagaient un certain nombre d'épisodes, que Proclos résume ainsi : « On

ramasse

les morts.

Une ambassade est envoyée aux Troyens, pour réclamer Hélène et ses richesses. Ceux-là n'ayant pas accepté, les Grecs se préparent à mettre le siége.

Puis ronde.

ils battent

Et aprés

l'arriére-pays

cela, Achille

et saccagent

désire contempler

également

Héléne;

un

les villes

à la

rendez-vous

leur

est ménagé par Aphrodite et Thétis. Ensuite, comme les Achéens s'apprétaient à rembarquer, Achille les retient. Puis il s'en va pourchasser le bétail d'Énée; il dévaste Lyrnessos, Pédasos

et nombre

Patrocle

conduit

de cités voisines. Lycaon

Il assassine Trolle.

à Lemnos

et l'y vend

comme

esclave,

Du butin recueilli, Achille recoit par privilége Briséis, tandis que Chryséis échoit

à Agamemnon.

Vient

ensuite

la mort

de Palaméde.

Et la volonté de Zeus qui, à quitter l'alliance des Grecs. Et le catalogue

pour soulager les Troyens,

de ceux qui combattirent

pousse

Achille

aux cótés des Troyens

(1). »

De cette longue suite d'événements, qui avaient fourni à Sophocle

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(1947),

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A.

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340

EURIPIDE

ET

LES

LÉGENDES

DES

CHANTS

CYPRIENS

plusieurs sujets de pièces (1), Euripide n'a retenu que l'épisode de la mort

de Palaméde

(2), déjà porté à la scéne par ses deux

grands devanciers (3). Il subsiste seulement treize fragments de son Palaméde, encore ceux-ci présentent-ils peu d'intérét pour la reconstitution

de

l'intrigue

(4).

On

doit donc,

une

fois

encore,

recourir aux témoins indirects, essentiellement des mythographes et des scoliastes. Mais, une fois écartées les traditions qui viennent directement de l'épopée et les arrangements romanesques de basse époque, on se trouve en face de plusieurs versions légendaires,

qui semblent toutes d'origine tragique. La difficulté consiste donc à rendre à chacun ce qui lui appartient et à déterminer ainsi l'action du Palamède d'Euripide. On peut distinguer, en effet, quatre narrations différentes, bien

qu'elles renferment certains éléments communs et que nos sources les aient parfois indüment contaminées. Pour la commodité de la discussion, nous les numéroterons de (I) à (IV).

I) Un premier récit de la mort de Palaméde est donné par l’Epitome d'Apollodore, qui, nous le savons, s'écarte ici franchement des Chants Cypriens (5). D’après Apollodore, Ulysse désirait se venger de Palaméde qui l'avait démasqué à Ithaque alors qu'il simulait la folie pour ne pas participer à la guerre (6). Il procéda de la facon suivante : ayant fait prisonnier un Phrygien, il l'obligea à écrire sous sa dictée une lettre à Palamède. Cette lettre, signée de Priam, prouvait que le héros trahissait la cause achéenne. Puis

il enterra secrètement de l'or sous la tente de Palaméde (7) et jeta la lettre dans

le camp.

Agamemnon

la lut, trouva

Palaméde aux soldats pour étre lapidé comme

l'or et livra

trattre.

(II). Un second récit est donné concurremment, mais avec quelques variantes, par Hygin et Servius (8). Outre l'affaire (1) 23 et (2) mots (3) et fr.

Outre le Palaméde, on peut citer la Revendicalion d'Héléne (Pearson, I, p. 121fr. 176-180) et Troile (II, p. 253 sqq. et fr. 618-635). Les exploits d'Achille sur le 80] troyen sont tout juste rappelés en quelques dans JA 1067-1070. Eschyle, Palamède (fr. 302-305 M.) ; Sophocle, Palaméde (Pearson, II, p. 231 sqq. 478-481). Il existait aussi d'Astydamas le Jeune un Palamède (T GF*, p. 777),

dont nous ne savons rien.

(4) Fr. 578-590. (5) Apd., Ep., III, 7-8. Pour le récit des Chanis Cypriens, cf. infra, p. 357. (6) Sur cet épisode, cf. infra, p. 356. Méme raison de la vengeance d'Ulysse : Hyg., f. 105; Ov., Met., XIII, 57; Tzetz., sc. Lyc. 386. D'autres auteurs déclarent cette histoire mensongère : Philstr., Hér., X, 2; Cic., Off., III, 26, 97-98 ; Eust. en « 118,

p. 1956, (7) (8)

18.

Cf. aussi Hyg., 1. c.; Ov., Mét., XIII, 58; Polyen, I, Prooim., 12. Hyg., f. 105; Serv. ad En., II, 81. Le récit de Servius est reproduit presque mot

pour mot par une scolie à l'Achilléide de Stace, 93, et deux fables des Mylhographi Vaticani (1, 35 ; II, 200).

PALAMÈDE

d'Ithaque,

Ulysse

341

en voulait encore à Palaméde

pour une autre

raison : celui-ci avait réussi à ravitailler l’armée achéenne au cours d’une famine, alors que lui-même avait échoué dans la même entreprise

(1). Ulysse

adressait à Agamemnon

un de ses soldats,

qui prétendait avoir eu un songe révélant la nécessité de déplacer le camp pour une journée. Le roi attachait foi à cette révélation et prenait les mesures nécessaires (2). Ulysse en profitait pour enfouir de nuit, seul et secrètement, une grande quantité d'or à l'emplacement de la tente de Palaméde (3). La méme nuit, il

donnait mais

à un esclave

phrygien

une lettre à remettre

il avait pris la précaution

d'envoyer

à l'avance

à Priam, un

de ses

hommes, qui tuait le Phrygien à sa sortie du camp. Le lendemain, au retour de l'armée, un soldat trouvait la lettre sur le cadavre

du prisonnier et la portait

à Agamemnon. Elle se présentait comme

une missive de Priam à Palaméde : le souverain de Troie remerciait le héros de ses services (4), lui rappelait son engagement de livrer

le camp achéen, et lui promettait autant d'or qu'il en avait déjà recu et enterré sous sa tente (5). Palaméde était convoqué au Conseil. Devant ses dénégations, Ulysse, sous couleur de l'aider à se disculper, proposait de fouiller les lieux (6). On découvrait l'or sous la tente de Palaméde et les chefs achéens, convaincus de sa culpabilité, le livraient à l'armée, qui le lapidait.

Servius et les auteurs qui dépendent de lui ne s'écartent notablement

d'Hygin

que sur un point : le camp

achéen n'était pas

déplacé, mais Ulysse corrompait un serviteur de Palaméde

pour

introduire secrétement l'or sous sa tente. Ce détail, comme

on le

verra, se retrouve dans la troisiéme version, à laquelle il a probablement été emprunté. (III). Le troisiéme récit vient pour l'essentiel d'une longue scolie de l'Oresle d'Euripide (7). Jaloux des nombreuses inventions

de Palaméde, dont avait grandement bénéficié avaient rendu le héros trés populaire parmi (1)

Ulysse,

envoyé

en

Thrace

pour

chercher

des

vivres,

l'armée et qui les Grecs (8),

était

revenu

les

mains

vides. Palaméde, parti à son tour, rapportait au contraire une quantité considérable de blé. Ce second motif est ajouté au premier par Serv., sc. Stat. et Myth. Vat., I, 35. (2)

Hygin

seul.

(3) Voir aussi les références citées supra, p. 340, n. 7. (4) Servius. (5)

Hygin.

Les autres sources disent seulement que la lettre mentionnait

secrétement à Palaméde. (6) Servius. (7) Sc. MTAB, Or. 432. (8 Méme explication de Antehom.,

297-302 ; Greg.

la jalousie

Naz.,

Or.

IV,

d'Ulysse: 107

(qui

Philstr., attribue

Hér., cette

X,

3-5

jalousie

l'or remis

; Tzetz., aux

Grecs

en général) Xénophon (Mém., IV, 2, 33) dit moins précisément qu'Ulysse jalousait la sagesse de Palaméde ; de méme, Quintus de Smyrne (V, 198-99).

342.

EURIPIDE

ET LES

LÉGENDES

DES

CHANTS

CYPRIENS

Agamemnon, Ulysse et Dioméde méditaient sa perte (1). Ils s’emparérent d'un esclave asiatique qui apportait de l'or à Sarpédon et le forcérent à écrire une lettre en caractéres phrygiens (2). Signée du nom de Priam, elle était adressée à Palaméde et prouvait la trahison de ce dernier. Ils tuérent ensuite l'esclave et corrom-

pirent un serviteur de Palaméde, pour qu'il placát sous le lit de son maître accusérent L'ordre fut méme facon

à la fois la lettre et l'or phrygien (3). Eux-mémes le héros de trahison devant l'assemblée des chefs. donné de fouiller sa tente. Le récit se termine de la que les précédents.

(IV). Une derniére version est au rhéteur Alcidamas (4). Ulysse y le procés de trahison intenté à qu'aucune querelle personnelle ne

donnée dans l'Ulysse attribué tient le róle de l'accusateur dans Palaméde. Aprés avoir affirmé l'a jamais opposé à l'accusé (5),

il présente ainsi les faits. Au cours des combats devant le camp grec, un archer troyen lança une flèche contre Palaméde, mais

celle-ci tomba prés d'Ulysse. Teucros la ramassa et constata que, cachées par l'empennage, des lettres étaient gravées sur le bois. Elles formaient un court message adressé par Páris-Alexandre à Palaméde : « Tout ce dont tu as convenu avec Téléphe te sera accordé.

Mon

pére

te donne

Cassandre

en

mariage,

comme

tu

l'as demandé. Mais accomplis ce qui te revient au plus tót ». Ulysse produisait sur ce point le témoignage de ses compagnons d'armes, tout en s'excusant de ne pouvoir présenter

la fléche elle-méme,

qui avait été utilisée par Teucros (6). Il ajoutait deux autres indices de la culpabilité de Palaméde : celui-ci avait récemment dessiné un trident sur son bouclier pour se faire reconnaitre de ses ennemis (7). D'autre part, Ulysse se disait certain qu'une réponse de Palaméde était gravée sur le bois du javelot lancé par le héros en direction de l'archer troyen qui avait décoché la fléche (8). De ces quatre versions, quelle est celle qui reproduisait l'intrigue de la piéce d'Euripide ? Il nous paratt d'abord qu'il faut écarter celle d'Alcidamas, bien qu'elle ait été retenue par A. Pertusi dans la plus récente des études consacrées à ce probléme. Pertusi (1) Cf. encore sc. MTAB, Or. 434. Apollodore (Ep., VI, 9), Philostrate (Hér., X, 6) et Libanios (Ep., X, p. 712) citent seulement Agamemnon et Ulysse. (2)

Méme

motif chez

Apollodore

(Ep., III, 8) dans la version (I).

(3) Dans la version (II), Ulysse enfouit seulement l'or; chez Tzetzés (Antehom., 370-71), Ulysse et Agamemnon cachent seulement la lettre. (4) Nous citons ce texte d'après l'édition de L. Radermacher, Artium Scriplores, Vienne,

1951, p. 141-47.

(5) 8 4. (6)

8 5-8.

(7)

8 9. Palaméde

(8) 8 6; 10.

était le petit-fils de Poséidon

(cf. infra, p. 345 et n. 4).

PALAMEDE

343

s’appuie sur les motifs suivants : d’abord, le discours d’Alcidamas, éléve de Gorgias, serait de peu d'années postérieur à la piece

d'Euripide ; mais cette raison pése d'autant moins que la plupart des critiques refusent la paternité de l’œuvre à ce sophiste et lui

assignent une date plus tardive (1). Ensuite, la substitution de Páris à Priam comme auteur supposé de la lettre à Palaméde et l'offre de la main

de Cassandre

avaient

pour objet de resserrer

le lien trilogique. En particulier, la promesse

de Priam excitait

nécessairement contre Palaméde la jalousie d’Agamemnon, que les Troyennes (255) nous montrent très épris de Cassandre (2).

Ce dernier argument est ingénieux, mais il suppose que l'auteur du discours, quel qu'il soit, s'était borné à composer une sorte d'hypolhésis en prose de la pièce d’Euripide. N'est-il pas beaucoup plus probable que l'explication qu'il donne ici — et qu'il est seul à donner — prétend rivaliser en ingéniosité et en vraisemblance

avec celles des tragiques, dont elle utilise cependant certains éléments ? Ainsi, le lancement de la flèche rappelle le jet du message dans le camp de la version (I), et le motif des lettres gravées dans le bois s'inspire de l’expedient d'Oiax dans la pièce d'Euripide (3). La connaissance de la trilogie de 415 a pu aussi suggérer au sophiste le róle qu'il donne ici à Páris et à Cassandre. Si l'on écarte la version d'Alcidamas, il reste trois récits, qui

présentent tous un caractére dramatique évident, et il est tentant de penser que chacun d'eux reproduit l'intrigue du Palamède d'un des trois grands tragiques. C'est ce qu'ont estimé la plupart des critiques. Toutefois, Wagner donnait un contenu différent au drame d'Eschyle, en se fondant sur un vers conservé qui ne pouvait

étre dit que par Nauplios (4). Comme il jugeait invraisemblable l'arrivée du pére de Palaméde en Troade au cours de la piéce, il en concluait qu'Eschyle avait transporté l'épisode en Gréce, à Aulis ou en Eubée

(5), ce qui excluait le motif de la trahison.

(1) Cette condamnation s'appuie sur les différences de ton et de style avec les autres œuvres conservées d'Alcidamas; cf. F. Blass, Atl. Beredsamkeit, 11% (1892), p. 359 sqq.; Brzoska, s. v. Alkidamas (4), RE, I, 2 (1894), col. 1536. L'authenticité est encore rejetée catégoriquement par E. Vogt, RAM, 102 (1959), p. 214, n. 55. Blass nous paraît fondé à admettre que l'Ulysse est du début du ıv® s., mais le jugement qu'il porte sur ce discours



au moins

pour ]e fond



nous semble

d'une

sévérité

excessive. (2) Le reste de l'intrigue serait à chercher soit chez Hygin (II), soit chez le scollaste d'Oreste (III), qui 8e référeraient, l'un à Eschyle, l'autre à Euripide. L'argumentation de Pertusi est rejetée par P. G. Mason, JHS, 79 (1959), p. 89. (3) Voir infra, p. 353. (4) P. 178-79. Il s'appuie sur le fr. 181 du Palamède d'Eschyle (= 305 Mette) : « Quel tort t'avait fait mon fils pour le tuer ? » (5) D'après la scolie d'Oreste, certains auteurs plaçaient la mort de Palaméde au cap Géreste, en Eubée.

344

EURIPIDE

ET LES

Mais cet argument sources,

Nauplios

LÉGENDES

DES

CHANTS

CYPRIENS

est faible, puisque, d'aprés plusieurs de nos se

rendit

précisément

au

camp

achéen

pour

demander justice aprés la condamnation de son fils (1). Méme s'il apparaissait aussitót aprés la mort de Palaméde, une telle entorse

à la vraisemblance était moins de nature à géner Eschyle que ses successeurs. La tentative de Wagner pour rattacher la piéce d'Euripide,

soit à la version

(I), soit à la version

(II), pour

la

raison qu'un fragment évoque des veilleurs de nuit, n'est pas non plus trés heureuse (2). Car, si Hygin est seul à indiquer expressément qu'une partie de l'action se déroule de nuit, les autres récits ne

l'excluent

pas pour

autant.

Enfin,

l'ordre de subtilité

et de

complexité croissantes dans lequel Wagner range les trois versions —

(III), puis (I), enfin (II) —

Le

classement

proposé

est assez arbitraire.

par C. Robert

(3) est différent,

et il

nous semble serrer de plus prés la réalité. Ce critique estime que la version (I), où la lettre est simplement jetée dans le camp, est la plus simple : ce serait celle d'Eschyle. La version (II), plus

complexe, serait celle de Sophocle. Enfin on trouverait la « touche » d'Euripide dans certains détails de la version (III), comme la lettre écrite en «caractéres

phrygiens » et les marques

prouvant

l'origine barbare de l'or trouvé dans la tente de Palaméde. On pourrait, il est vrai, concéder à Wagner que les versions (I) et (II), oü le héros est inculpé sans qu'Ulysse ait à intervenir directement,

témoignent

d'une

plus

grande

ingéniosité

que

la version

(III),

oü les complices doivent lancer leurs accusations avant qu'aucune

preuve ne soit apportée. Mais le bref résumé donné par le scoliaste d'Oresle ne fournit pas les indices — qui pouvaient étre tout à fait plausibles — allégués par les conjurés pour justifier leurs soupçons. Nous ajouterons quelques considérations qui appuient l'hypothése de C. Robert. Dans les deux premiéres versions, le motif de la

jalousie d'Ulysse est tiré de la légende épique : Ulysse ment à se plaindre de Palaméde, qui l'a convaincu et l'a entrainé malgré lui dans la guerre. Dans la au contraire, c'est une basse envie à l'égard d'un

a personnellede simulation version (III), homme plus

utile à l'armée et plus populaire que lui-méme qui pousse Ulysse

à le perdre. On reconnait bien là le caractére de l'Ulysse euripidéen (4), qui met au-dessus de tout la faveur de la masse. Le fait qu’Agamemnon trempe dans ce crime ne surprend pas non plus, si l'on pense à son rôle dans les Troyennes. Il est à remarquer enfin

(1) (2)

Apd., Ep., VI, 8; sc. Or. 432 ; Tzetz., sc. Lyc. 386 et 1093. P. 180. II s'agit du fr. 589 : cf. infra, p. 347 et n. 5.

(3) P. col.

1133.

Ce classement

est accepté

en particulier par Wüst,

1930, et E. D. Phillips, AJPh, 78 (1957), p. 271. (4) Sur ce caractére odieux, cf. Tr. 282-87.

8. v. Odysseus,

PALAMÈDE

345

que cette dernière pièce associe étroitement les deux hommes, en montrant les malheurs que les dieux leur infligeront après leur départ de Troade (1). Une constatation d'un autre ordre peut encore aider notre choix : un des fragments

conservés

du

drame

se trouve

dans

l'Héroicos

de Philostrate. Or le récit de Philostrate s'accorde avec la scolie d'Oresle sur plusieurs points essentiels, comme le motif de la vengeance d'Ulysse, la complicité d'Agamemnon et la nature de la ruse

employée

(2). Ceci

achévera

version (III) s'inspire du Palamede

de nous

d'Euripide.

convaincre

que

la

On pourra donc

compléter les indications de la scolie d'Oresle en puisant dans l’Heroicos de Philostrate, avec prudence, il est vrai, car le sophiste

ne se fait pas faute d'insérer dans la trame de son récit toutes sortes d'enjolivures et de broderies romanesques. Est-il possible, à l'aide de ces éléments,

d'indiquer l'action de

la piéce scéne par scéne et de situer les fragments conservés ? Le seul essai de reconstitution détaillée qui ait été tenté, celui de Hartung, est d'autant moins satisfaisant que ce critique s'est

aidé presque uniquement de l'Héroicos de Philostrate et des Anlehomerica de Tzetzés, qui contaminent sur certains points les diverses traditions. Moins ambitieux que lui, nous essaierons, à l'aide d'une documentation

trop souvent

disparate, d'indiquer la marche

générale

de l'action et les scénes probables ou simplement possibles. Toute l'intrigue de la premiére partie de la piéce est trés incertaine. Quel pouvait étre le personnage du prologue ? Palaméde lui-méme, estimait Hartung (3). On pourrait aussi penser à Oiax, le frére du héros, ou encore à une divinité, comme Poséidon, pére de Nauplios et par conséquent aieul de Palaméde (4). Quel qu'il

füt, il devait indiquer les causes de la haine vouée à Palaméde par Ulysse. Peut-étre était-il question du stratagéme qui avait permis de démasquer l'imposture de celui-ci à Ithaque. Mais, d'aprés la scolie d'Oresle, Ulysse avait d'autres raisons de jalouser Palaméde. Ainsi, quand, à Aulis, les Grecs avaient été éprouvés par une famine, celui-ci avait mis fin aux querelles concernant le (1)

Respectivement

(2)

Philostrate, X,

à la version (III) est dispositions qu'il avait (3) P. 252. (4) Apd., Bibl., II, distinguent le fils de le père de Palaméde. Sur le rôle de ce dieu

Tr. 457-461 et 431-443. 6, procède

sur ce dernier

point par allusion,

mais

la référence

évidente, lorsqu'il dit : «(Ulysse) exposa (à Agamemnon) les arrêtées au sujet du Phrygien el de l'or qu'il avait pris sur celui-ci. » 1, 5. D'autres mythographes, pour des raisons chronologiques, Poséidon (Nauplios I) de son arrière-petit-fils (Nauplios II), Poséidon apparaissait aussi dans le prologue des Troyennes. dans la vengeance de Nauplios, cf. Philstr., Hér., X, 11.

346

EURIPIDE

ET

LES

LÉGENDES

DES

CHANTS

CYPRIENS

partage des provisions par l'emploi des «lettres phéniciennes » (1). La scolie cite encore péle-méle plusieurs inventions de Palamède

qui avaient été profitables aux Grecs : le jeu de dés (2), les poids et mesures (3), le jeton de vote, les signaux de feu, l'organisation des gardes de nuit, les jeux de dames et d'osselets (4). Il est possible aussi que certains exploits de Palaméde rapportés par des auteurs

tardifs expliqué

proviennent

de la méme

et interprété

une éclipse

source.

Ainsi,

Palaméde

avait

de soleil qui avait terrifié les

Grecs (5). Plus tard, le camp ayant été envahi par une bande de loups de l'Ida, il avait pronostiqué une épidémie de peste imminente et dicté aux Achéens les mesures à prendre pour échapper

au fléau (6). Toutes ces interventions avaient valu à Palamède une immense popularité dans l'armée achéenne (7). Ulysse, battu à plusieurs reprises devant l'assemblée par un adversaire plus jeune, plus ingénieux et de meilleur conseil que lui, en avait congu une profonde rancune et un vif désir de vengeance

Comment

(8).

s'y prenait-il ? Il lui fallait tout d'abord

l'appui, et méme

la complicité d’Agamemnon.

s'assurer

On peut supposer,

d'aprés Philostrate, qu'une scéne entre les deux rois montrait les procédés employés par Ulysse pour exciter la colére du chef de l'armée contre son ennemi (9). La trop grande popularité de Palaméde était déjà de nature à inquiéter l'ombrageux Atride (10). Philostrate raconte qu'en l'absence de Palaméde, parti guerroyer avec Achille en Troade et dans les 1168 voisines, Ulysse révélait à Agamemnon

que

le Péléide visait le commandement

suprême

et que le fils de Nauplios était son agent le plus actif. Tous deux (1) Il s'agissait donc moins de l'invention des lettres (cf. infra, p. 349) que de celle des nombres (cf. fr. adesp. 470, p. 350). Sur la famine des Grecs à Aulis, voir supra, Ch. VIII, p. 267, n. 2. (2)

Cf. Soph., Nauplios, fr. 429 P. ; Alcid., UI., 22 ; Paus., X, 31,1

; sc. Ar., Ass. F.,

987, etc. (3) Soph., Nauplios, fr. 432, 2 ; Gorg., Pal. 30 ; Alcid., I. c.; Philstr., Hér., X, 1. (4) Signaux de feu : Soph., Nauplios, fr. 432, 6 ; Gorg., L. c. ; Alcid., Ul., 22 ; D. Chr., XIII, 21. Organisation des gardes de nuit (cf. infra, p. 347 et n. 5) : Soph., fr. 432, 9. Jeu de dames : Soph., Nauplios, fr. 429 ; Palamède, fr. 479 ; Eur., IA 198 ; Gorg. et Alcid., il. cc. ; Philstr., Hér., X, 2; Eust. en B 308 (p. 228, 2-8) et en α 107 (p. 1396, 63-97, 2). Osselets : Sid., XXIII, 491. (5) Philstr., Hér., X, 2. Tzetzès (Aniehom., 311-322) place l'épisode pendant la lraversée et parle seulement de «signes célestes ». (6) Philstr., Hér., X, 4-5; Tzetz., Antehom., 323-343. (7) Tzetz., Aniehom., 287-296. Sur la popularité de Palaméde, voir aussi Gorg., Pal., 16. (8) Philstr., Hér., X, 2; 3; 5; Tzetz., Antehom., 301-03.

(9) Philstr., Hér., X, 3: « Πρεσθύτερος νέου τοῦ Παλαμήδους ἡττηθεὶς ἐπετείχιζεν αὐτῷ ᾿Αγαμέμνονα, ὡς πρὸς τὸν ᾿Αχιλλέα τοὺς ᾿Αχαιοὺς μεθιστάντι. » (10) Dans le récit de Dictys, Agamemnon est à plusieurs reprises forcé de se démettre en faveur d'autres chefs, dont Palaméde (cf., par exemple, I, 16; 19). De méme chez Darés, XXV sqq.

PALAMÈDE

347

gardaient par-devers eux une partie du butin, dont ils se servaient pour gagner à leur cause les autres chefs. Il conseillait donc à Agamemnon de rappeler Palamède au camp, afin de le séparer d'Achille, et il lui exposait le plan qu'il avait conçu pour perdre

le héros auprés des Grecs. Convaincu par les accusations mensongéres, mais plausibles, d'Ulysse, Agamemnon acceptait son offre et envoyait un messager à Palaméde (1). La plupart des critiques admettent que le chœur était formé de

guerriers

grecs

(2).

Quelques-uns

ont

pensé

à un

chœur

de

captives troyennes (3), à cause d'un fragment qui doit provenir de la parodos ou d'un siasimon: . la chevelure

de

Dionysos,

qui,

à travers

l'Ida,

prend

ses

ébats

avec

sa mére aimée, aux sons joyeux des tambourins » (4).

Ces vers seraient, en effet, mieux placés dans la bouche de femmes comme celles qui constituent le chœur des Phéniciennes ou des Bacchanles. La présence d'un chœur de soldats pose aussi un

probléme pour le déroulement de l'action. Car, si le complot contre Palaméde était conçu avant la parodos, sa mise en œuvre devait faire l'objet. de l'épisode suivant et ne pouvait avoir pour témoins ceux-là méme qui auraient à juger le héros. Cependant,

ces objections ne nous semblent pas décisives. La présence de soldats, porte-parole de l'armée, semble bien nécessaire au cours du

« procès » de Palaméde.

scénes,

le

choeur était

On

écarté

peut du

penser

théátre

exemple une garde à monter, si, comme se déroulait en partie la nuit (5).

que,

sous

un

pour

certaines

prétexte,

par

il est probable, l'action

(1) Hér., X, 5-6. (2) Welcker,

p. 501;

Hartung,

p. 252;

Parmentier,

p. 8.

(3) Wilamowitz (Herakles, I, p. 115), suivi par Schmid-Stählin. Wilamowitz suppose qu'il s'agissait de femmes du pays, capturées alors qu'elles allaient célébrer sur l'Ida le culte de Dionysos, et il rappelle à ce propos le chœur des Phéniciennes.

Il attribue

aussi à ce chœur le Fr. 588 (cf. infra, p. 353). (4) Fr. 586 : « ΤΘύσαν Διονύσου

χομάν, ὃς dv’ Ἴδαν τέρπεται

σὺν ματρὶ

φίλᾳ

τυμπάνων «ἐπ᾽» ἰαχαῖς.» 1 Θύσαν Nauck : οὐ σὰν codd. Θύσταν Schmidt. 2 xoudv Parmentier (cf. Phén. 787 ; Bacch. 150) : xopäv vel xopävos codd. κόραν Nauck

ἱκόμαν Wil. 4 «ἐπ᾽» ἰαχαῖς Nauck ; cf. Ion 498-99 (« συρίγγων On a Vom de la pour

ὑπ᾽ αἰόλας

ἰαχᾶς ») : ἰάκχοις codd.

parfois aussi proposé de rattacher au Palaméde le fr. inc. 910 (cf. W. Nestle, Mythos zum Logos (1942), p. 330, n. 115), un passage lyrique oü 8e trouve l'éloge science, qui détourne l'homme des pensées injustes ou honteuses. Il est vrai que, la pensée et l'expression, ce morceau 8e rapproche de Gorg., Pal., 31. Mais cette

science, qui est définie ici comme une « physique », n'est pas la sagesse concrète et pratique qui caractérise Palaméde. (5) Le fr. 589 fait allusion à ceux qui inspectent de nuit les postes de garde, en

348

EURIPIDE

ET

LES

LÉGENDES

DES

CHANTS

CYPRIENS

C'est le cas pour la scène où Ulysse interrogeait un prisonnier troyen, apprenait qu'il était chargé de remettre à Sarpédon de l'or envoyé par Priam, et le contraignait à écrire « en caractéres phry-

giens » la fausse lettre de Priam à Palaméde (1). De méme pour la scéne oü il donnait à l'un des siens — sans doute son ami et complice habituel Dioméde — l'ordre de suivre secrétement le prisonnier et de le tuer (2). De méme enfin pour la scène où il apprenait,

probablement

à Agamemnon, comment il avait soudoyé un esclave

de Palaméde,

afin qu'il dissimulát la lettre et l'or sous le lit de

son maitre (3). Dans l'épisode suivant devait se placer le retour du héros, accueilli par le chœur et l'un ou l'autre des chefs grecs, Ulysse ou

Agamemnon.

Pour

une

scéne

du

méme

type,

on

songera

à

l'arrivée d'Achille dans le camp grec d'Argos et à sa réception par Ulysse

au

cours

du

Télèphe

(4).

Il semble

qu'une

contestation

s'élevait déjà dans cette partie de la piéce entre les deux hommes de ressource de l'armée grecque sur leur utilité respective, en particulier pour venir à bout de la guerre. Palaméde devait s'engager à inventer des machines propres à surmonter la résistance des

Troyens (5). Cette prétention ne pouvait qu'inciter plus vivement encore

le «fils de Sisyphe » à se débarrasser sans

tarder de son

dangereux rival. | Comment en venait-on à accuser Palaméde ? La scolie d'Euripide dit seulement

que les conjurés

«se présentèrent

pour

accuser

le

agitant une clochette pour se faire reconnaître. R. Goossens, p. 243, pense que l'atmosphère de guerre et de siège rappelait celle du Rhésos, que ce critique place, on le sait, une dizaine d'années avant

Palamède.

(1) Sc. Or. 432. La conduite de cet épisode pouvait préfigurer la scène fameuse d'Oreste entre le héros et l'esclave phrygien (Or. 1369-1526). (2) La scolie d'Oreste dit seulement : «ils le tuent ». Euripide a dû s'inspirer sur ce point de la version (II). Si Dioméde participait au complot, ce róle lui convenait fort bien : dans la Dolonie, c'était lui qui tuait Dolon (Il., K 455-57). (3)

Pour l'insertion de ce motif chez certains témoins de la version (II), oü l'esclave

cache seulement l'or, cf. supra, p. 341. Chez Tzetzés (Antehom., 370-71), il ne cache que 18 lettre. (4) Cf. supra, Ch. VII, p. 242.

(5) Cf. Philstr., Hér., X, 7: «El δὲ xal ἀψύχων μηχανημάτων δεῖσθε, ἤδη ἡγεῖσθε τὴν Τροίαν τό γε ἐπ᾽ ἐμοὶ κεῖσθαι. » A cette scène pourrait appartenir le fr. 582 (Ar., Gren., 1446-48), dont on ne sait s'il reproduit textuellement les vers d'Euripide :

« El τῶν πολιτῶν οἷσι νῦν πιστεύομεν, τούτοις ἀπιστήσαιμεν, οἷς δ᾽ οὐ χρώμεθα, τούτοισι χρησαίμεθ᾽, ἴσως σωθεῖμεν ἄν.» « Si les citoyens qui ont maintenant notre confiance nous devenaient suspects et si ceux dont nous n'usons pas étaient utilisés, peut-être trouverions-nous le salut.»

Cet appel à un changement de méthodes et de chefs ne pouvait qu'indisposer Ulysse et Agamemnon. Le caractère sophistique du style est souligné par Schmid-Stählin, p. 477. E. Delebecque, p. 258, et R. Goossens, p. 515, estiment, non sans vraisemblance, qu'Euripide avait donné à ces vers une portée politique précise.

PALAMÈDE

349

héros de trahison et demandérent qu'on fouillát sa tentes. Ils devaient au moins fournir pour cela un prétexte. On pourrait imaginer quelque chose de ce genre : Dioméde, chargé de porter l'accusation, déclarait avoir vu dans l'obscurité un Phrygien sortant de la tente de Palaméde. Il l'avait suivi et tué alors qu'il s’eloignait du camp (1). Un tel rapport devait provoquer une enquéte et un interrogatoire de Palaméde. C'est à cette scéne d'agón que semblent appartenir la plupart des fragments conservés de la piéce. Avait-elle lieu avant ou aprés la perquisition dans la tente du héros ? Plus probablement avant, car une fois découverts la lettre et l'or, la discussion n'avait plus de sens : Palaméde pouvait bien protester de son innocence, personne ne le croyait désormais. Donc, aprés la dénonciation de Dioméde, Agamemnon envoyait chercher le suspect, afin qu'il présentát sa défense devant les chefs et le chœur. Ulysse portait l'accusation. Agamemnon préludait à l'interrogatoire par ces mots : « Depuis longtemps déjà, je voulais t'interroger, m'en détournaient » (2).

mais

mes

occupations

Nous ne savons pas exactement comment l'accusation était présentée, mais les fragments montrent que, comme souvent chez

Euripide, le débat s'élargissait : c'était toute la conduite du héros qui était mise

en cause.

Dans

son

plaidoyer,

Palaméde

exaltait

l'inventeur, le «sage », dont les découvertes sont bénéfiques pour tous

les hommes

:

« Chefs d'armée, nous pouvons bien en étre des milliers. Mais des sages, il n'en saurait naftre qu'un ou deux sur un long espace de temps » (3).

Parmi

ses propres inventions,

il insistait sur l'écriture,

dont il

contre

les con-

montrait l'utilité : « Seul,

j'ai instauré

des remédes

l'oubli

: en

établissant

sonnes, les voyelles, les syllabes, j'ai initié les hommes des lettres. Ainsi, quand

on sait exactement

on est absent et qu'on

à la connaissance

a franchi l'étendue marine,

tout ce qui se passe au loin, chez soi. Un mourant fait

(1) Le fr. 590, « Éu&oAx » peut désigner les « verrous» qui ferment camp (cf. Il., () 446) ; pour ce sens du mot, voir Eur., Phen. 114.

la porte

du

Soph.,

OC

(2) Fr. 579 : a Πάλαι πάλαι δή σ᾽ ἐξερωτῆσαι θέλων, σχολή μ᾽ ἀπεῖργε.» v. 1 Πάλαι

1628

πάλαι

Nauck

cl. Rhes.

: Aule πάλαι vel πάλαι codd.

attribuait

ce

vers

(3) Fr. 581:

à

Ulysse;

« Στρατηλάται

396 ; Ar., Ois.

Λάρτιε πάλαι

Hartung,

p. 253,

921;

Eur.,

Hartung,

Med.

Bergk.

à Agamemnon

1116;

Welcker,

p. 502,

questionnant

Ulysse.

τἂν μυρίοι γενοίμεθα,

σοφὸς δ᾽ ἂν εἷς τις ἢ δύ᾽ ἐν μακρῷ χρόνῳ.» Schmid-Stählin, /!. c., rappelle à ce propos le fr. 182 N! (= 304 M.) du Palamède d'Eschyle, oü sont évoquées les inventions militaires du héros. Welcker, p. 509, attribuait ces vers à Oiax ; Hartung, p. 254, à Ulysse ou à Agamemnon raillant l'ambition et l’orgueil de Palaméde et d'Achille. R. Goossens, p. 515, estime que ces mots montrent

le mépris dans lequel

Euripide tient les stratéges athéniens de cette époque.

350

EURIPIDE

ET

LES

LÉGENDES

DES

CHANTS

CYPRIENS

connaître par écrit à ses fils comment il partage sa fortune et l'héritier sait ce qu'il reçoit. Les maux que causent aux hommes les disputes auxquelles ils se laissent aller, une tablette les tranche, et elle ne permet pas le mensonge » (1).

Avec autres

un moindre degré de certitude, on peut rapporter deux fragments

au méme

discours.

Le premier n'est pas

nom-

mément attribué à Euripide : « Ensuite, pour toute la Gréce et ses alliés, je réglai l'existence, qui était jusqu'alors confuse et semblable à celle des bétes. Tout d'abord, jinventai le nombre ingénieux, découverte éminente entre toutes» (2).

(1) Fr. 578:

« Τὰ τῆς ye λήθης péouax’ ὀρθώσας μόνος,

ἄφωνα φωνήεντα συλλαδὰς τιθεὶς ἐξηῦρον ἀνθρώποισι γράμματ᾽ εἰδέναι,

ὥστ᾽ οὐ παρόντα ποντίας ὑπὲρ πλακὸς 5

κἀκεῖ κατ᾽ οἴχους πάντ᾽ ἐπίστασθαι καλῶς,

παισίν 7’ ἀποθνήσχοντα χρημάτων μέτρον γράψαντ᾽ ἐνισπεῖν, τὸν λαβόντα δ᾽ εἰδέναι. “Α δ᾽ εἰς ἔριν πίπτουσιν ἀνθρώποις κακὰ δέλτος διαιρεῖ, κοὐκ ἐᾷ ψευδῆ λέγειν. » v. 7 Ὑράψαντ᾽ ἐνισπεῖν Gomperz γράψαντας εἰπεῖν codd., Nauck. Pour l'expression λήθης φάρμακα du v. 1, cf. Gorg., Pal., 30 : εΤράμματά re, μνήμης ὄργανον » ; Plat., Phédre, 275 a-b. Pour l'invention des lettres par Palaméde, cf. Stésich., fr. 36 ; D. Chr.,

XIII, 21; Philstr., Hér., X, 1; sc. Or. 432, etc. Pour la distinction des consonnes et des voyelles et la formation

des syllabes,

Luc., Jud.

voc. 5; Thém.,

Or.

IV, p. 60a ;

Athanas., Adv. gent., 18. Dans le Prométhée, 460-61, c'est au Titan qu'Eschyle attribuait les « γραμμάτων συνθέσεις | μνήμην ἁπάντων ». Mais la scolie au v. 458 ajoute qu'il avait ailleurs désigné Palaméde comme leur inventeur (fr. 303a M.). Dans les v. 4-5, il n'est pas interdit de penser qu'Euripide préparait l'épisode du message d'Oiax à la fin de la piéce. L'affirmation du v. 9 était aussi contredite par la suite de l'intrigue.

(2) Fr. adesp. 470 : « "Ereıra πάσης ᾿Εἰλλάδος xal ξυμμάχων βίον διῴκησ' ὄντα πρὶν πεφυρμένον θηρσίν θ᾽ ὅμοιον. Πρῶτα μὲν τὸν πάνσοφον ἀριθμὸν ηὔρηκ᾽ ἔξοχον σοφισμάτων. » L'attribution de ces vers est trés débattue. Hermann les placait à la suite du fr. 578 (de même que Welcker, p. 501). La majorité des éditeurs et des critiques, depuis Wachsmuth, tendent maintenant à les rapporter au Palaméde d'Eschyle (fr. 303b M.) : cf. Wilamowitz, Kl. Schriften, I, 200; A. Kleingünther, ΠΡΩΤῸΣ ETPETHE (1933), p. 66 sqq. ; Schmid-Stählin, p. 477, n. 4; W. Nestle, Vom Mythos zum Logos (1942), p. 330, n. 115 ; F. Heinimann, Nomos und Physis (1945), p. 149 et n. 8; Jaeger, Paideia, I (trad. Highett), p. 253 et n. 40. Mais aucun argument n'est décisif. En faveur de l'attribution à Eschyle, on peut citer la scolie au Promélhée 458 (fr. 303a M. : cf. supra, n. 1), et un trés singulier rapprochement d'expression entre les v. 3-4 de notre

fragment et Prom. 459-460 :

« Kal μὴν ἀριθμόν, ἔξοχον σοφισμάτων

ἐξηῦρον αὐτοῖς.» En revanche, la rencontre n'est pas moins singuliére entre les v. 2-3 et Eur., Suppl. 201-

02 : « Alvà 8' ὃς ἡμῖν βίοτον ἐκ πεφυρμένου xal θηριώδους θεῶν διεσταθμήσατο. »

Pour l'expression, cf. encore HF 188 : «Τὸ πάνσοφον δ᾽ εὕρημα.»

Enfin, un passage

de Platon (Hép., VII, 522d — fr. 303c M.) qui semble se référer implicitement à ces vers, donne à penser que ces mots de Palaméde étaient adressés à Agamemnon, ce qui s’accorderait avec la situation de notre scène. Pour l'invention des nombres par Palaméde, voir en outre Soph., Nauplios, fr. 432, 2 ; Gorg., Pal., 30 ; Alcid., Ul. 22, etc.

PALAMÈDE

Le

second

est bien

d'Euripide,

351

mais

l'attribution

au

Palamède

est hypothétique. Il semble se rapporter à la découverte saisons, que certaines sources attribuent aussi au héros :

des

« Les deux volets égaux de l'aimable automne et du printemps... » (1).

Ulysse n'était pas déclarait en effet : « Celui

désarmé

par

dont les paroles sont belles,

cette mais

éloquente

dont

apologie.

les actes

auxquels

Il elles

s'appliquent sont laids, je ne le louerai jamais pour sa sagesse » (2).

A l'entendre, cette sagesse de Palaméde n'était qu'une apparence et il prétendait que le héros n'était pas moins attaché à l'argent

que les autres hommes « Agamemnon,

:

tous les hommes

trouvent de la beauté aux dons de la

fortune. Sur ce point, ils sont unanimes. Tous, qu'ils soient amis des arts ou s'en tiennent écartés, c'est pour les richesses qu'ils peinent, et celui qui en a le plus est le plus sage » (3).

Devant l'indécision des juges, Ulysse devait ramener la discussion sur un

terrain

plus solide et proposer,

pour laver Palaméde

de

tout soupçon, de faire fouiller sa tente (4). La scène restait libre pendant le temps d'un slasimon, puis c'était le retour de l'accusé et

des

chefs,

porteurs

des

piéces

à

conviction

: lettre

et

or

(1) Fr. inc. 990 : « Φίλης 7’ ὀπώρας διπτύχους ἧρός τ᾽ ἴσους.» Le commentaire de Plutarque, qui cite ce vers, indique bien qu'il s'agit de la division des

mois

entre

les

saisons.

Hartung,

p. 257,

l'attribusit

au

Palaméde.

Pour

cette

invention, cf. Soph., Nauplios, fr. 432, 11 ; Philstr., Hér., X, 1.

(2) Fr. 583:

«"Oong λέγει μὲν εὖ, τὰ 3° ἔργ᾽ ἐφ᾽ οἷς λέγει αἴσχρ᾽ ἐστὶν αὐτοῦ, τὸ σοφὸν obx αἰνῶ ποτε.»

Cf.

Hartung,

p. 258;

Schmid-Stühlin,

p. 477.

Welcker,

p. 502,

attribuait

ces

mots

à Palaméde, ainsi que Stanford, p. 98, qui estime que cette réflexion, comme les fr. 584 et 585 (voir infra, p. 352), est dirigée contre Ulysse. Cette condamnation de la σοφία immorale

qu'est la rhétorique reparaît plusieurs

fois chez

Euripide,

surtout

dans les

pièces de la fin de sa vie (cf. R. Goossens, p. 710). Pour la pensée, on comparera Alez., fr. 61; Tr., 967-68 ; fr. 905.

(3) Fr. 680: ï

«᾿᾿Αγάμεμνον, ἀνθρώποισι πᾶσιν αἱ τύχαι μορφὴν ἔχουσι, συντρέχει δ᾽ ἐς ἕν τόδε " τούτων δὲ πάντες, οἵ τε μουσικῆς φίλοι ὅσοι τε χωρὶς ζῶσι, χρημάτων

ὕπερ

μοχθοῦσιν, ὃς δ᾽ dv πλεῖστ᾽ ἔχῃ σοφώτατος.» Au v. 1, certains mss. présentent pour αἱ τύχαι la variante χρήματα, qui semble bien une glose (cf. ἔχουσι au v. 2). Pour ce sens de τύχαι, voir Held. 866. Au v. 3, les mss. donnent τούτου (préféré par Nauck) et τούτων. L'attribution à Ulysse est

de

Valckenaer,

ap.

Hartung,

p.

255;

voir

aussi

Schmid-Stählin,

1. c. Welcker,

p. 509, donnait ces mots à Palaméde. Sur l'accusation lancée contre Palaméde d'avoir trahi par cupidité, voir Gorg., Pal., 15. (4) L'hypocrisie d'Ulysse est dénoncée par Servius et les Mylhographi Vaticani : elle serait bien dans le caractère de l'Ulysse euripidéen.

352

EURIPIDE

ET

LES

LÉGENDES

DES

CHANTS

CYPRIENS

phrygien (1). Le sort de Palamède était dés lors fixé. Il'était con-

damné à mourir lapidé. Il y a sans doute un souvenir de la tragédie d'Euripide chez Philostrate, qui montre le héros, les mains liées, adressant d'ultimes paroles aux Grecs (2). Deux fragments doivent provenir de cette scène, fois son innocence :



« Oui, un seul juste l'emporte

Palaméde

proclamait

sur mille hommes

une

dernière

injustes, s'il a de son

cóté les dieux et la justice » (3).

Et

encore

:

« Car le juste seul peut garder, parmi les mortels comme parmi les dieux, une gloire impérissable » (4).

Palaméde quittait la scéne la téte haute, sans s'abaisser à gémir ou à supplier ses juges. Philostrate paraphrase peut-étre les derniers mots du héros, lorsqu'il lui fait dire : « Vérité, je te plains, car tu es morte avant moi » (5).

Un autre slasimon s'écoulait avant qu'un messager ne vint raconter la mort de Palaméde. Le héros avait subi stoiquement la lapidation (6). Il trouvait aprés sa mort un défenseur. Impuis(1) L'idée que l'or, à certains signes qu'il portait, révélait une origine phrygienne, est suggérée aussi bien par la scolie d'Oreste que par Polyen, I, Prooim., 12: « βαρθαρι-

xóv χρυσίον. » (2) Hér., X, 7. Cf. Tzetz., Aniehom., 382. Libanios, De Socratis silenlio, 28 (V, p. 141 F.), dit qu'avant sa mort «il lui fut permis d'écrire et de parler». Welcker, p. 507-08, pensait méme que Palaméde adressait aux Grecs avant de mourir un véritable « discours sur l'échafaud », dont aurait fait partie le fr. 588 (cf. infra, p. 353). O. Krausse, De Eurip. Aeschyli instauratore (1905), p. 182, estimait que le héros avait alors un entretien avec son frère Oiax, à qui il conseillait de faire connaître ces événements à son père. Mais il est difficile de dire si Oiax apparaissait sur la scène avant le dernier épisode (cf. Howald, Untersuchungen, p. 61). Del Grande, p. 180-81, estime qu'il jouait un rôle important, qu'il compare à celui de Teucros dans AÁjaz; c'est une pure

hypothése.

(3) Fr. 584 : « Εἷς τοι δίκαιος μυρίων οὐκ ἐνδίχων κρατεῖ τὸ θεῶν τὴν δίχην τε συλλαθών. » Cf. Welcker, p. 509;

Hartung, p. 256 ; Schmid-Stählin, I. c.

(4) Fr. 585 : « Τοῦ γὰρ δικαίου x&v βροτοῖσι x&v θεοῖς ἀθάνατος ἀεὶ δόξα διατελεῖ μόνου.» L'attribution au Palaméde, qui n'est pas certaine, a été proposée par Meineke. Il est bien difficile de voir dans ces vers, comme le suggére E. Delebecque, p. 257, une allusion à la cruauté d'Alcibiade lors du sac de Mélos |

(5) Philstr., X,

8: «’Eieö σε, ἀλήθεια * σὺ γὰρ ἐμοῦ προαπόλωλας. »

(Jacobs, ap. Welcker, p. 505; 507; Hartung, p. 259). Cf. aussi Tzetz., Antehom., 385 ; Chil., III, 172, oü il est précisé que Palaméde mourut sans colére. (6) Sur ce genre de mort, toutes les sources citées sont d'accord ; cf. encore D. Chr., XIII, 21; Tzetz., sc. Lyc. 384 et 1093. D'après Hygin, toute l'armée s'associa au châtiment de Palaméde. Philostrate (Hér., X, 7) et Tzetzés (Antehom., 383-84) disent

qu'il fut l'œuvre des seuls contingents du Péloponnèse et de Cephallénie (c'est-à-dire des troupes des trois conjurés), beaucoup de soldats conservant pour le héros, malgré la gravité de sa faute, un reste d'estime et d'affection.

PALAMEDE

353

sant à empécher l'exécution de la sentence, son frere Oiax apparaissait pour flétrir l'injustice de sa condamnation et se porter

garant de son innocence (1). C'est sans doute lui qui s'adressait au chœur dans la fameuse monodie ont conservé un fragment : « Vous

Muses,

avez

tué,

vous

avez

tué,

dont plusieurs

Danaens,

auteurs nous

l'ingénieux

rossignol

des

qui ne faisait nul tort à personne » (2).

Oiax se dressait contre Ulysse, dénongant devant les Grecs «l'homme terrible et la parole impudente par lesquels ils s'étaient laissés abuser » (3). Il est probable qu'Agamemnon avait interdit d'ensevelir le corps de Palaméde (4) et qu'Oiax protestait contre cette interdiction, comme Teucros dans l’Ajar de Sophocle (5). Mais, impuissant à

obtenir satisfaction, il en était réduit à l'expédient que rapportaient Aristophane et son scoliaste : il gravait sur des rames le récit de la mort de que l'une ou l'autre se trouvait son pére Du fait qu'ici ce

Palaméde et les jetait à la mer, avec l'espoir parviendrait jusqu'aux rives de l'Eubée, où Nauplios (6). n'était assurément pas Ulysse, comme dans

l'Ajaz, qui intercédait en faveur de son ennemi mort, il appartenait (1) Sur la présence d'Oiax en Troade, cf. Eur., Or. 432-33 ; Philstr., X, 10 ; Dictys, I, 1 ; Souda, 8. v. Παλαμήδης. Sur son rôle après la mort de Palaméde, Eur., ibid. ; Ar., Thesm. 769-780 et sc. 771. C'était sans doute à ce propos que Palaméde était cité au L. II de l'Orestie de Stésichore (fr. 36 P.) ; cf. J. Vürtheim, Slesichoros, p. 46. (2) Fr. 588 : « ’Exdver’ ἐκάνετε τὰν

πάνσοφον, ὦ Δαναοί, τὰν οὐδέν᾽ ἀλγύνουσαν ἀηδόνα μουσᾶν. » Cf.

Hartung,

p. 260;

viennent ni au chœur

n. 1). Bien entendu,

Parmentier, (Welcker,

p. 8;

Schmid-Stählin,

p. 477. Ces mots

p. 507), ni à Palaméde lui-même

ne con-

(C. Robert, p. 1135,

Euripide ne pouvait faire allusion dans ces vers, comme l'ont cru

certains critiques anciens (cf. Argum.

Isocr. Busiris; DL., II, 44), à la mort de Socrate.

Mais il est possible que certains disciples du philosophe aient repris les vers d'Euripide à cette

occasion.

(3) Philstr., Hér., XI:

«..xal τὰ ἐφεξῆς

μᾶλλον,

ἐν οἷς φησι

(Εὐριπίδης) καὶ ὅτι

πεισθέντες ἀνθρώπῳ δεινῷ καὶ ἀναιδεῖ λόγῳ ταῦτα δρασεῖαν. » (4) Philstr., p. 259. (5)

faisait

Hér.,

X,

7; Tzetz.,

Anlehom.,

Soph., Aj. 1052 sqq. (cf. Parmentier,

allusion

à l'histoire

d'Aéropé,

mére

386-89;

Welcker,

p. 509;

Hartung,

p. 8). Dans cette scène (1295-97), Teucros

d'Agamemnon,

dans

laquelle

Nauplios

avait tenu un rôle décisif (c'était le sujet des Créloises d'Euripide, représentées en 438). (6) Thesm. 769 sqq. et sc. 771. La monodie qui suit doit faire de larges emprunts

aux vers d'Euripide

: « O mes mains, il s'agit maintenant d'entreprendre une tâche

ingénieuse. Allons, planchettes polies, recevez les entailles du ciseau, messagéres de mes peines ... Partez, hátez-vous par toutes les mers, ici, là ... » (Thesm. 776-784).

Sur ce geste, cf. encore la Souda ; Libanios, !l. cc. Del Grande, p. 180, interprète librement

le témoignage

de la Souda

en disant

qu'Oiax

avait

gravé

son

message

sur les

rames d'un navire sur le point de revenir dans sa patrie : de méme Bates, p. 271. 24

354

EURIPIDE

ET

LES

LÉGENDES

DES

CHANTS

CYPRIENS

sans doute à un dieu d'exiger pour le corps de Palaméde les hon-

neurs funébres. La conjecture de Welcker, qui désignait pour ce rôle Hermès, le protecteur des inventeurs, a été généralement admise (1). Peut-étre le dieu précisait-il le lieu de sa sépulture, sur la cóte de Troade regardant Lesbos, en face de Méthymne et du mont Lépétymnos, à l'endroit oà plus tard on montrait la tombe du héros et où on lui rendait un culte (2). Il devait aussi laisser prévoir la colére d'Achille devant le meurtre d'un de ses amis les plus chers (3). Enfin, il tirait à l'intention des spectateurs la lecon de ce drame

seulement

judiciaire,

la justice

qui rejoignait celle de la trilogie

divine,

offensée

par ce complot

: non

criminel,

chátierait les principaux coupables, Ulysse, Agamemnon et Dioméde (4), mais encore tous les Grecs, complices de ce forfait,

en seraient également punis lorsqu'ils prendraient le chemin

du

retour. Aux effets de la tempéte promise par les dieux au début des Troyennes (5) s'ajouteraient ceux de la vengeance de Nauplios,

qui attirerait

les vaisseaux

sur les brisants

du

cap

Capharée,

oü ils se fracasseraient avec leurs équipages (6).

Le nom de Palaméde ne figure ni dans l'Iliade ni dans l'Odyssée. C'est méme, comme le remarque Kullmann (7), le seul chef important qui soit absent des épopées homériques. À cela, deux raisons possibles : ou bien ce héros est une création des poétes cycliques,

comme

le déclare Strabon,

peut-étre

d'aprés Aristarque

(8), ou

(1) Welcker, Hartung, Schmid-Stählin, il. cc. (2) Sur la tombe de Palaméde, cf. Lyc., Alez. 1098 ; Philstr., Hér., X, 11; Vit. Apoll., IV, 13; Tzetz., sc. Lyc. 386 et 1097 ; Ch. Vellay, p. 164-65. Chez Philostrate, I. c., et Tzetzés, Aniehom., 350 sqq., c'est Ajax qui enterre Palaméde malgré la défense d'Agamemnon. Hartung, p. 260, suggére plutót le nom d'Oiax. (3) Philstr., Hér., X, 8. Tzetzés (Homerica, 6) met cette mort en rapport direct avec la retraite d'Achille. (4) Les malheurs d'Ulysse et d'Agamemnon étaient encore prophétisés dans les Troyennes (cf. supra, p. 345 et n. 1). Ceux de Dioméde étaient contés dans les Nostoi, et certains auteurs anciens les expliquaient par l'intervention de Nauplios (cf. infra, p. 361,

n. 2).

(5) Tr. 87 sqq. Pertusi, p. 262, souligne le lien entre la fin de Palamède et le prologue des Troyennes, « pivot de la pensée religieuse et morale d'Euripide dans la trilogie ». (6)

Cf.

Del Grande,

p.

180-81,

et sur cet épisode,

volr

Eur.,

HL

767 ; 1126-1131.

(7) P. 165. (8) Str., VIII, 6, 2. Il rapporte la tradition selon laquelle Nauplios et ses fils auraient été

créés

par

les νεώτεροι.

« Car

Homère,

ajoute-t-il,

n'aurait

omis

de

mentionner

ni Palaméde, qui avait montré tant de sagesse et d'intelligence et avait péri victime d'une ruse coupable, ni Nauplios, qui avait provoqué un tel massacre au cap Capharée. » La mention des νεώτεροι rappelle le procédé d'exégése d'Aristarque.

PALAMÈDE

355

bien Homère a volontairement évité de qu'il connaissait. Pour quelles raisons ἢ modernes n'ont été à court d'explications. dait que c'était une condition mise par

parler d’un personnage Ni les anciens ni les Philostrate (1) prétenUlysse aux révélations

qu'il avait faites au poéte. La Souda (2) rapporte que les ceuvres

poétiques de Palaméde furent détruites par les descendants d'Agamemnon, et qu'ainsi Homére ignora jusqu'à son existence. Les explications des modernes sont plus sérieuses. Par exemple, de l'avis de Kullmann (3), Homére, qui avait donné un relief exceptionnel à la figure d'Ulysse, dans l’Iliade et plus encore dans l'Odyssée, a délibérément effacé de son univers héroique le rival en ruse et en sagesse du roi d'Ithaque. Ce critique a recherché les passages des épopées homériques qui supposeraient chez leur

auteur la connaissance de la légende de Palaméde en quelque

: une preuve,

sorte négative, serait l'absence, dans le Calalogue des

Vaisseauz, de toute référence à Nauplie, la patrie de Palaméde, importante comme débouché et port de l'Argolide (4). La complicité

d'Ulysse et de Dioméde dans le meurtre de Palaméde expliquerait leur amitié dans l'Iliade, où rien ne la justifie (5). Le chant de l'Épreuve comporterait des réminiscences d'un épisode antérieur, où Palaméde jouait un rôle important (6). Enfin, Kullmann cite trois passages de l'Odyssée, dont deux avaient déjà été rattachés par les anciens à la légende de ce héros : l'un ferait allusion à la folie simulée d'Ulysse (7), le second à l'histoire des Œnotropes (8), le dernier, qui contient une allusion énigmatique à une querelle entre Achille et Ulysse, serait à mettre en rapport avec la mort

de Palaméde

(9). Cependant,

(1) Hér., II, 19;

on doit

reconnaître

qu'aucun

de

Vit. Apoll., IV, 16.

(2) S. v. Παλαμήδης. (3) P. 165-66. Mus.

Cf. R. von Scheliha, Patroclos (1943), p. 101 sqq. ; P. Philippson,

Helv., 4 (1947-48), p. 8 sqq. ; B. Marzullo,

Il Problemo Omerico (1952), p. 80 sqq.

(4) P. 166 et 301 ; cf. Van der Valk, Festschr. Zucker (1954), p. 362. (5) P. 166; 214; 302. On pensera encore au rôle de Dioméde dans le rapt du Palladium, épisode de la Pelile Iliade, mais l'auteur tient cette épopée pour postérieure aux Chants Cypriens (ce qui nous semble contestable : voir supra, p. 25). Stanford,

o. c., p. 257,

n. 8, explique

cette amitié

par le fait que

l'Étolie,

patrie du

père de Dioméde, Tydée, était proche du royaume d'Ulysse : la raison n'est pas très convaincante. (6) W. Kullmann, Mus. Helv., 12 (1955), p. 269. Il s'agit de l'expédition de Palaméde qui lui permit de conduire les CEnotropes en Troade. (7)

€ 115-119. Bien qu'il ne considérát pas ces vers comme

authentiques, Aristarque

semble s'être opposé à ceux qui y voyaient une allusion à l'épisode des Kypria (cf. Severyns, CE, p. 283-85). (8) X 162-165. Pour l'opinion d'Aristarque, ici encore, cf. Severyns, p. 309-313. (9) 0 75.

La

suggestion

(cf. Stanford, p. 257, n. 2;

est de J. A.

Kullmann,

Davison,

Gótl.

Gel. Anz.,

208

(1954),

p. 44

p. 301, n. 1). Cela nous paraît d'autant plus

douteux que la mort de Palaméde, dans les Kypria, se produit

à un moment

de famine

356

ces

EURIPIDE

passages

ET LES

n'impose

LÉGENDES

comme

DES CHANTS

une

CYPRIENS

conclusion

nécessaire

l'idée

qu'Homére connaissait le rôle de Palaméde dans la guerre de Troie. Il est cependant trés probable que Nauplios et ses fils avaient une légende trés ancienne, dont les racines plongeraient jusque dans le monde créto-mycénien (1). Mais ils ne semblent pas avoir

été introduits dans le cycle troyen avant les Chants Cypriens (2). D'aprés le résumé de Proclos et nos autres sources, Palaméde avait un rôle de premier plan dans trois épisodes de ce poème : la folie simulée d'Ulysse à Ithaque, le ravitaillement de l'armée gráce aux (Enotropes, et enfin la famine au cours de laquelle il

trouvait la mort. L'épisode de la folie d'Ulysse peut étre reconstitué pour l'essentiel gráce à Proclos et Apollodore (3). Lorsque les Achéens se rendirent à Ithaque pour enróler Ulysse, celui-ci, qui ne voulait pas partir pour la guerre, simulait la folie. Palaméde, convaincu du caractére mensonger de cette folie, arracha le petit Télémaque du sein de Pénélope et tira son épée comme s'il voulait le tuer. Ulysse se trahit en manifestant sa crainte pour son enfant. Il dut se joindre à l'expédition contre Troie.

Il est plus difficile de préciser la forme de l'épisode des (Enotropes dans les Kypria et le róle qu'y jouait Palaméde. Les Œnotropes étaient les filles d'Anios, roi-prétre de Délos. Elles avaient recu de Dionysos le pouvoir de transformer tout ce qu'elles touchaient, l'une en vin, l'autre en blé et la troisiéme en huile (4). Les Grecs avaient eu l'occasion d'apprécier leurs dons quand,

au cours de leur premiére traversée au départ d'Aulis, ils avaient fait escale à Délos (5). Il y a lieu de penser qu'au cours de la famine (cf. infra, p. 357) et que la querelle, d'après le passage de l'Odyssée, se produit à l'occasion d'un banquet ! Le ressentiment d'Achille aprés la mort de Palaméde est un motif qui apparaît pour la première fois chez Philostrate (le fr. 479 P. de Sophocle ne peut étre interprété dans ce sens). Il a quelque chance de remonter à Euripide, mais rien

ne permet de dire s'il remonte aux Kypria. Pour une autre interprétation de ce passage de l'Odyssée, voir P. von

der Mühll, Mél.

Tschudi

(1954), p. 1-5.

(1) A. Severyns, p. 285, est d'avis que Palaméde est une création de Stasinos. Mais la thèse défendue par E. D. Phillips, AJPh., 78 (1957), p. 267-78, nous paraît plus juste : cet inventeur de l'écriture serait un représentant de la civilisation crétomycénienne, célébré comme le continuateur de cette culture au Moyen Age postmycénien. La légende d'Anios appartiendrail au méme domaine (ibid., p. 275).

(2) C. Robert, p. 1127. (3) Procl., I. 119-121 Sev. ; Apd., supra,

p. 252).

Ep.,

III, 7; A. Severyns, p. 283-85

(voir aussi

:

(4) Sc. Lyc. 570 — Kyp., fr. XX ; Apd., Ep., III, 10. (5) Sc. Lyc. 570 ; Eustathe, en € 162 (p. 1517, 52)et en A 20 (p. 827, 39) (d'après Lycophron). La scolie à Lycophron cite à la fois Phérécyde (fr. 140 Jac.) et les Chants Cypriens. Anios, qui connaissait par ses dons prophétiques le Lerme assigné aux Grecs pour la prise de Troie, leur avait proposé de rester neuf ans à Délos, oü ils seraient nourris par ses fllles, et de ne gagner la Troade que la dixiéme année, mais Agamemnon

PALAMEDE

357

qui avait éprouvé l'armée pendant le second séjour à Aulis, Palaméde, dont l'ingéniosité s'était signalée à cette occasion (1), avait eu l'idée de faire venir les filles d'Anios pour fournir des vivres aux Grecs (2). D'aprés certaines traditions, dont le témoin le plus ancien est Lycophron (3), les Œnotropes avaient également ravitaillé l'armée en Troade. Tzetzés dit qu'au cours d'une famine Palaméde

conseilla

de

recourir

d'Agamemnon,

les ramena

aux

filles

d'Anios

il se rendit à Délos,

dans le camp

achéen.

et

s'empara

sur

l'ordre

des jeunes

que,

filles et

Établies à Rhoetée, elles nour-

rirent l'armée et la sauvérent ainsi du désastre

(4).

Il nous paraît beaucoup plus douteux que cette dernière histoire ait figuré dans les Chanis Cypriens. Grâce à Pausanias, nous savons en effet comment, dans l'épopée, mourait Palamède : il était noyé

par Dioméde et Ulysse alors qu'il se dirigeait vers le large pour aller à la péche (5). Comme les héros homériques ne mangent pas habituellement de poisson, on en a conclu que l'armée grecque était une fois encore menacée de famine (6). Que faisaient alors les CEnotropes ? Et trois famines successives conjurées toutes trois par Palaméde, c'est beaucoup, méme pour une épopée cyclique qui ne redoutait pas les « doublets » légendaires (7). Nous pensons avait refusé, Welcker, EC, p. 108 sqq., pensait que cet épisode ne flgurait pas dans les Kypria. O. Immisch, Rh. Mus., 44 (1881), p. 299-304, a montré par de bons arguments qu'il s'insérait

harmonieusement

dans

le contexte

du

poéme.

Cf. aussi

Eisele,

s. v.

Oinotrophoi, Roschers- Lez., col. 800 ; Rzach, col. 2393 ; C. Robert, p. 1131 ; A. Severyns, CE, p. 309-313. Stasinos rattachait sans doute son récit au passage de l'Odyssée (T 16265) où Ulysse mentionne son escale à Délos au cours du voyage vers la Troade. (1) Au moins par l'invention du jeu de dames, destiné à distraire les guerriers de leurs soucis, et qui semble d'origine épique

(cf. supra,

p. 346).

Sur le partage

des

vivres (motif qui est sans doute postérieur à l'épopée), cf. supra, p. 346, n. 1. (2) C'est sans doute ainsi qu'il faut interpréter le fr. 479 du Palaméde de Sophocle. La notice concernant

les CEnotropes

est placée dans l'Épitomé d'Apollodore

(III, 10)

juste avant le premier rassemblement à Aulis, mais dans un développement qui paraît consacré à Palaméde (III, 7: folie simulée d'Ulysse ; III, 8 : mort de Palamède ; III,

9: ambassade chez Cinyras : cf. infra, p. 359, n. 5). Dictys, I, 23, parle du ravitaille-

ment de l'armée à Aulis par les fllles d'Anios, mais sans mentionner Palaméde. (fr.

(3) Lyc., Aler., 581-83. Apparemment, 188 Pf. et comm. ad loc.).

le méme

motif se trouvait chez Callimaque

(4) Tzetz., sc. Lyc. 581. Le séjour des CEnotropes en Troade dans la scolie au v. 580 et par Eustathe, en A 20. (5) Paus., X, 31, ὃ = Kyp., fr. XXI. Proclos, 1.

166,

se

est aussi mentionné

borne

à mentionner

le

fait sans autre détail. C'était un des tout derniers épisodes des Chanls Cypriens. (6) C. Robert, p. 1130; A. Severyns, CE, p. 224. Pour les difficultés alimentaires des Greca en Troade, voir supra, p. 341, n. 1, et aussi Thuc., I, 11 et sc. ; Call., fr. 697

Pf. ; Euph., fr. 62 Pow. ; D. Chr., XI, 78; Dict., II, 41; Darés, XIX ; XXVI, (7) W. Kullmann, p. 224. Dans son article du Museum

etc.

Helvelicum (cf. supra, p. 355,

n. 6), cet auteur, qui estime au contraire que l'épisode flgurait dans les Kypria, le reconstitue ainsi : la famine entraîne une mutinerie domptée par Achille et Nestor. Ce dernier conseille à Agamemnon d'enlever les CEnotropes et Palaméde est chargé de cette mission. Mais les indices sur lesquels il appuie cette reconstitution sont trés fragiles.

358

EURIPIDE

ET LES

LÉGENDES

DES

CHANTS

CYPRIENS

que l'épisode des Œnotropes en Troade est venu s'ajouter beaucoup plus tard à la geste de Palaméde, peut-étre méme seulement à l'époque alexandrine (1). Quoi qu'il en soit, les divers épisodes épiques dans lesquels apparaît Palaméde posent des questions auxquelles il est malaisé de répondre. Un probléme préalable est soulevé par une référence de

Mnaséas

à une

Palamédie

épique,

dans

laquelle

se trouvait

invoquée (ou simplement nommée) la muse Hymno (2). Cette Palamédie était-elle un poéme distinct, une partie des Chanis Cypriens, ou bien le renseignement fourni par Mnaséas est-il erroné ? Chacune

de ces

trois

solutions

a eu

ses partisans

(3).

La plus vraisemblable, à notre avis, est celle que proposait déjà Welcker : ce nom a dà étre donné à la partie des Chants Cypriens qui racontait la mort du héros

(4) et rappelait à cette occasion

ses précédents exploits, en particulier à Ithaque et à Aulis. Si la Palamédie était précédée d'une invocation à la Muse, celle-ci était destinée à souligner l'importance et la solennité de cette portion du récit (5). Nous aimerions aussi savoir pour quel motif Ulysse tuait Palaméde : ceci pose tout le probléme du caractére du fils de Laerte dans les Chanls Cypriens. Car, s'il avait cherché à se dérober à la guerre, c'était assurément

parce qu'il savait qu'il n'en revien-

drait qu'au bout de vingt ans, pauvre, solitaire tous (6). Mais comment Stasinos interprétait-il Y voyait-il un signe de lácheté et de vice (7), ou au de sentiments plus honorables, affection conjugale,

et méconnu de cette attitude 7 contraire l'effet amour paternel

et filial (8)? Quant au meurtre de Palaméde, était-il présenté comme une simple vengeance personnelle, un acte de sauvagerie

toute primitive, ou au contraire comme une mesure d'intérét public, Palaméde étant par exemple soupconné de trahir les (1) Dans une version qui semble remonter à Simonide (fr. 32 P.), c'était Ulysse et Ménélas qui tentaient d'enlever les filles d'Anios, mais celles-ci, réfugiées à Andros, étaient métamorphosées en colombes par Dionysos (cf. Ov., Mét., XIII, 650 8qq. ; Serv.,

ad

En.,

III, 80;

Tzetz., sc. Lyc.

8. V. Odysseus, Roschers-Ler., col. 618).

580

et 581 ; sc. EPQ

Lycophron,

en

€ 164;

J. Schmidt,

Alez., 580, fait allusion à cette

métamorphose.

(2) Kinkel, EGF, p. 32. (3) Respectivement : (1) Wilamowitz, Die Il. und Homer, p. 328; Ch. Vellay, p. 157; (2) Welcker, EC, p. 111 ; (3) E. Bethe, p. 226-27, et la majorité des critiques modernes.

(4) Cf.

par

exemple

la

Dolonie

ou

la

Patroclie

de

l'Iliade,

la

Télémachie

de

l'Odyssée, etc.

(5) Pour cet usage épique, (6) Od., B 171-76. (7) Welcker,

(8) Stanford,

EC,

cf. par exemple

Il.,

B 484;

Hés.,

Théog., 965-66.

p. 148.

p. 82. M.

dans l'attitude d'Ulysse la vendetta ou la razzia,

Untersteiner, La

Fisiologia del Milo

un trait caractéristique mais non la guerre.

du

héros

(1946), p. 160, voit

méditerranéen,

qui

aime

PALAMEDE

Grecs,

ou encore de miner le moral

359

de l'armée et de la détourner

de poursuivre la guerre (1) ? Pour répondre à ces questions, il faudrait mieux connaître la place et les exploits respectifs d'Ulysse et de Palaméde dans les Chants Cypriens. À parcourir le résumé de Proclos et les autres témoignages

relatifs

au

poème

de

Stasinos,

il n'apparatt

pas

qu'Ulysse y ait tenu un róle bien important et bien glorieux. Peut-être imaginait-il le serment des prétendants (2), qui se retournait finalement contre lui-même. Il découvrait Achille caché

parmi

les filles de Lycomède

(3). Peut-être

intervenait-il

dans

l'intrigue qui aboutissait à la mort d'Iphigénie (4) ; il participait aux ambassades infructueuses auprés de Cinyras de Chypre (5) et auprés des Troyens (6) ; il assassinait Palaméde. Ce ne sont pas là prouesses négligeables, mais les succés y alternent avec les

échecs. Nous sommes loin des exploits de l’Jliade, encore bien plus de ceux de l'Odyssée. Palaméde, lui, tirait les Grecs d'embarras dans au moins trois circonstances critiques. D'aprés ces épisodes,

il devait apparaître dans le poème comme une sorte de rival heureux d'Ulysse en sagesse et en ingéniosité. Stasinos aurait donc pris le contre-pied d'Homére et rabaissé un héros que les poèmes homériques

avaient tant exalté (7). Il est dés lors probable que,

dans les Chanis Cypriens, Palaméde succombait sous l'effet de la jalousie et de la rancune d'Ulysse. Quant à Dioméde, avait-il de son cóté à se plaindre de son voisin de Nauplie ? Nous ne le savons

pas, mais nous croirions plutót qu'en vertu de son amitié bien connue pour Ulysse, il l'assistait simplement dans sa vengeance. Si ces déductions sont justes, la conception de l'Ulysse euripidéen — dans le Palaméde comme dans d'autres piéces — devait beaucoup au poéme de Stasinos. Il n'en va pas de méme pour (1) Voir les réflexions de Stanford, p. 83-84. Certains auteurs anciens s'expriment comme

8i Palaméde

avait réellement trahi. Quant au pacifisme du héros, qui en ferait

un pendant grec d'Anténor, il apparaît chez Virgile, qui assure qu'il succomba sous une fausse accusation « quia bella vetabat » (En., II, 84), mais ce trait ne nous paraît pas remonter à l'épopée. La question peut cependant se poser pour la pièce d’Euripide

(voir infra, p. 363). (2) (3)

Voir supra, Voir supra,

Ch. V, p. 159. Ch. VII, p. 214.

(4) Voir supra, (5)

Apd.,

Ep.,

Ch. VIII,

blement dans les Kypria. à Agamemnon, n'envoya cuite | (Eust. en À 20, p. Palaméde qui se rendit à (6) Procl., 1. 152-53. (7)

Welcker,

p. 267.

III, 9. Wagner,

EC,

p.

On sait qu'un 827, 39 Chypre

p.

181-82,

a montré

que

l'épisode

figurait

proba-

comment Cinyras, ayant promis cinquante vaisseaux seul navire réel et quarante-neuf « flctifs » en terre ; sc. T, ibid.). Alcidamas, Ul., 20, déclare que ce fut et qu'il y fut corrompu par Cinyras.

148 ; D. B.

Monro,

JHS,

5 (1884),

p. 9. Déjà

Pelile Iliade avait rabaissé Ulysse et exalté Dioméde dans l'épisode Palladium (cf. Severyns, CE, p. 352; Serta Leodensia (1930), p. 322).

l'auteur

du

de la

rapt

du

360

EURIPIDE

ET LES

LÉGENDES

DES

CHANTS

CYPRIENS

l'intrigue de ce drame. Sans doute, le motif des succés de Palaméde dans le ravitaillement de l'armée devait y figurer. Mais les circonstances du « meurtre judiciaire » qu'il décrit sont bien éloignées de la barbare simplicité de l'épisode épique. Il faut sauter par-dessus

la tragédie attique jusqu'au roman

de Dictys pour trouver une

transposition du théme de l'épopée. Dans ce récit, en effet, Ulysse

et Dioméde puits

feignent d'avoir découvert

abandonné.

Ils demandent

un trésor au fond d'un

à Palaméde

d'y

descendre

et,

lorsqu'il est au fond, ils l'écrasent sous des pierres (1). En revanche, le théme de l'erreur judiciaire n'apparatt que chez les tragiques. Avec des variantes de détail, l'histoire de la machination dont se rend coupable Ulysse est connue d'Eschyle et sans doute, à la

méme époque, de Pindare (2). Il est cependant probable qu'elle était plus ancienne. Palaméde était au moins mentionné dans les Nosloi, l' Aegimios et dans l'Oreslie de Stésichore (3), mais rien ne

permet de dire si ce motif figurait dans l'une ou l'autre de ces ceuvres. L'essor de la légende de Palaméde a dà étre lié à la prospérité d’Argos, qui avait cherché, au vri? s., à établir son hégémonie politique et artistique sur tout le Péloponnése. N'était-ce pas à son roi Phidon que l'on attribuait l'établissement d'un systéme de poids et mesures et l'institution de la monnaie (4) ? Palaméde,

lui, s'était Stésichore, auparavant sage d'une

vu attribuer l'invention de l'écriture, du moins depuis et, petit à petit, toutes les découvertes que l'on regardait comme le don d'une divinité. Eschyle traduit le pasconception à l'autre, puisque les mêmes inventions

étaient revendiquées dans son théátre, tantót par Prométhée, tantôt par Palamède. Le peu que nous savons des pièces plus anciennes qui avaient trait à la légende de ce héros, Palaméde d'Eschyle, Ulysse Fou,

Palaméde et Nauplios de Sophocle (5), montre qu'Euripide a suivi (1)

Dictys,

II,

(2) Fr. 211 un

moins

15.

Turyn.

sage

que

Pour

un

Pindare

parallèle

historique,

disait de Palaméde

lui sur le terrain

de la sagesse,

cf.

Plut.,

Vie

d'Alez.,

12.

que c'était un sage, vaincu ce qui

exclut

la version

par

épique.

Dans son Philoctèle (431), Euripide avait déjà adopté la version d'après laquelle Palaméde

avait

péri

victime

d'Ulysse,

(D. Chr., LIX, 8-9). (3) Nostoi, fr. I (1) = Apd.,

qui

l'avait

faussement

Bibl., II, 1, 5; Aegimios

accusé

(cf. supra, p. 353, n. 1). Welcker,

de

trahir

(ibid.); Stésich., fr. 36 P.

p. 503, suivi par Schmid-Stählin, p. 477, n. 2, estime

que la version tragique a été inspirée par le récit de la mort d'Ésope (Hdt., Ar., Guépes, 1446 sqq.). (4)

Hdt.,

VI,

127;

Ephor.,

Cf. Kleigünther, I. c. ; W.

l'armée

fr.

Nestle,

176 Jac. ; Arstt.,

fr. 481

Rose;

Paus.,

II, 134;

VI,

22,

2.

Vom Mythos zum Logos, p. 330.

(5) Pour 1"᾽Οδυσσεὺς μαινόμενος, cf. Pearson,

II,

p. 115-116

et fr.

462-67.

Sur

le probléme posé par l'existence dans nos sources de deux titres, Ναύπλιος πυρχαεύς et Ναύπλιος καταπλέων, cf. ibid., p. 80-83 et fr. 425-438. Parmi les nombreuses hypo-

PALAMEDE

361

une tradition bien établie, aussi bien en exaltant son ingéniosité et ses inventions (1) qu'en décrivant les circonstances de sa mort et en annonçant la vengeance de Nauplios.

Les sources indirectes laissent à penser qu'Euripide s'est surtout inspiré du drame d'Eschyle. Comme

chez ce dernier, Ulysse force

un Phrygien à écrire une lettre attribuée à Priam et adressée à Palaméde, puis il tue son prisonnier. Comme

chez Eschyle encore,

l'or est ensuite caché dans la tente de sa victime. Mais l'intrigue est ici plus complexe, car Ulysse a recours à des complices pour mener à bien sa ruse : Agamemnon, Dioméde (2) et un serviteur de Palaméde s'acquittent d'une partie des táches qu'il accomplissait

à lui seul dans le drame eschyléen. Lettre et or portent la marque phrygienne, ce qui rend la preuve plus accablante pour Palamède. Enfin, aprés la mort de Palaméde, l'intervention ultérieure de Nauplios est rendue possible par le stratagéme d'Oiax, qui tient, avec plus de vraisemblance, le róle attribué par Eschyle à son pére. Ce dernier, méme prévenu avec beaucoup de retard, aura

tout le temps de préparer sa vengeance, si du moins on admet l'efficacité du moyen employé par Oiax, sans manifester le scepticisme et l'ironie d'un Aristophane... Malgré ces différences de détail, l'action des trois piéces devait offrir beaucoup de points communs. L'originalité d'Euripide résidait plus, sans doute, dans l'esprit que dans les faits. Subtilité

rhétorique dans la discussion et fort accent mis sur la leçon morale caractérisaient

cette

pièce

«sans

femme»,

que

les

Athéniens

jugérent froide (3). La conclusion rejoignait celle des deux autres thèses présentées,

la plus vraisemblable

de deux épisodes de la vengeance

est qu'il s'agit de pièces distinctes traitant

de Nauplios, le naufrage de la flotte grecque au cap

Capharée, et les intrigues auprès des femmes de héros grecs pour les rendre inflidèles à leurs maris. (1) Voir supra, p. 346, les références au fr. 578 ; pour les fr. 470 et 990, p. 350-51. (2) Euripide aurait sans doute pu faire l'économie du personnage de Diomède, dont le róle semble assez mince dans la piéce. Sa présence s'expliquerait non seulement par son intervention dans l'épisode épique, mais encore par la légende d'après laquelle il était, comme Ulysse et Agamemnon, victime des intrigues de Nauplios : selon cer-

taines sources (Apd., Ep., VI, 9 ; Tzetz., sc. Lyc. 386 et 1093) c'était celui-ci qui avait poussé à l'adultére Aegialée, femme de Dioméde, et ruiné ainsi sa maison. D'aprés une suggestion de Holzinger (ap. Lycophron, 606) reprise par A. Severyns, CE, p. 376, cet aspect de la vengeance de Nauplios aurait pu être évoqué, à titre d'anticipation, par les Chants Cypriens. Ceci nous paraît d'autant plus douteux que la tradition

cite parmi les victimes de Nauplios, non seulement Agamemnon,

Ulysse et Dioméde,

mais aussi Idoménée (Apd., Ep., VI, 9-10). Si la légende du cap Capharée nous semble devoir être attribuée aux JNosloi, qui racontaient la tempête (Procl, I. 294-95) et mentionnaient Nauplios (fr. I All. et B.), l'autre motif pouvait venir, par exemple,

soit des Nostoi, soit de l'Orestie de Stésichore, qui parlait de Palaméde (fr. 36 P.). (3) Ar., Thesm., 848 : Euripide « τὸν Παλαμήδη ψυχρὸν ὄντ᾽ αἰσχύνεται ».

362

EURIPIDE

ET

LES

LÉGENDES

DES

CHANTS

CYPRIENS

pièces de la trilogie. Les torts des Troyens, exposés dans l’Alexandros (1), recevaient leur cruelle sanction dans les Troyennes. Mais cette piéce rappelait que les Grecs devaient à leur tour expier

leurs fautes : non seulement le meurtre injuste de Palaméde, mais l'attentat sacrilége d'Ajax contre Cassandre, l'union impie d'Agamemnon avec la méme Cassandre, le meurtre d'Astyanax froidement

de Troie.

prémédité

par

Et, de méme

Ulysse,

la destruction

que tous les Troyens

des sanctuaires

étaient solidaires

des fautes de leurs rois, tous les Grecs s'étaient souillés aux crimes

de leurs chefs dont ils avaient exécuté les ordres iniques, tuant les innocents, épargnant les coupables comme Ajax ou Héléne, brülant les temples (2). Tous encouraient donc la colére des dieux protecteurs de l'innocence et des lois morales éternelles.

Sans nul doute, Euripide s'était employé dans son Palaméde à rendre aussi inexcusable que possible le crime perpétré par Ulysse et ses complices. Plus encore que ses prédécesseurs, il avait ennobli et exalté le caractére du héros, tandis qu'il noircissait ceux d'Ulysse (3) et d'Agamemnon. Ce dernier, faible, jaloux de son autorité, crédule, était un jouet entre les mains d'Ulysse, qui

l'utilisait sans vergogne pour se débarrasser d'un rival génant. Le conflit se circonscrivait en fait entre Ulysse et Palaméde : d'un cóté, l'homme public, avant tout soucieux de la faveur populaire, habile certes, mais d'un savoir-faire limité au maniement des

foules, et utilisant les procédés politiques les plus vils ; de l'autre, l'homme de pensée, l'inventeur dont les découvertes assurent le progrés de l'humanité, le sage. Entre les deux, Euripide n'hésite pas.

Il est probable,

comme

on l'a suggéré

(4), qu'il avait

mis

beaucoup de lui-méme dans ce drame. Comme Palaméde, le poéte s'était heurté à l'incompréhension et à la jalousie du vulgaire. Il avait eu à se défendre contre les attaques d'un Cléon (5), à subir les railleries des auteurs comiques, auxquelles il n'était sürement

pas resté insensible. Mais, s'il en avait surtout souffert moralement, d'autres penseurs qu'il aimait avaient dû, devant les attaques des démagogues,

prendre le chemin

de l'exil pour échapper

à la

mort : tel avait été le destin d'un de ses mattres, le sage Anaxagore. Tel était le sort qui menagait Protagoras (6). (1) Cf. supra, Ch. III, p. 140 8qq. (2) Cf. Tr. 71; 82-91; 95-97. Talthybios n'exprime qu'une faible désapprobation devant

la conduite

d'Agamemnon

(411-16).

(3) Cf. R. Goossens, p. 514-15, qui parle à propos des trois derniéres piéces de la tétralogie (le drame satyrique, Sisyphe, illustrant sans doute la généalogie corinthienne d'Ulysse) d'une « Odyssée haineuse ». (4) Cf. Schmid-Stählin, p. 476-77. (5) (6)

Satyros, Vie d'Eur., X, 1. G. Glotz, Hist. Gr., II, p. 430-31

; Goossens,

p. 514 ; 744 sqq.

PALAMÈDE

363

Faut-il aller plus loin et penser que, dans le drame, le crime de Palamède aux yeux de partisans de la guerre à outrance comme Ulysse et Agamemnon était de défendre la cause de la paix? Euripide s'était-il servi de son héros pour exprimer les tendances pacifistes

qui

l'opposaient

alors

à

certains

hommes

politiques

d'Athénes (1) ? Les indices dont nous disposons sont trop fragiles pour l'affirmer et pour prétendre, comme on l'a fait, que le conflit de Palaméde et d'Ulysse reflétait celui de Nicias et d'Alcibiade (2). Rien ne permet non plus de croire que Palaméde engageait, par exemple, ses compagnons à rentrer chez eux ou à négocier avec leurs ennemis. Mais il serait bien dans la maniére du poéte que ce sage à la téte froide, tout en mettant ses talents au service de la cause commune, eüt exprimé des réserves sur la légitimité de la guerre entreprise par les Grecs (3), ou un désaccord sur le traitement qu'Agamemnon et Ulysse se proposaient d’infliger aux ennemis aprés la victoire (4).

S'il est douteux qu'Euripide ait tenu dans cette piéce

à marquer

son choix entre le parti de la paix et le parti de la guerre, i! paraît certain qu'il a voulu exprimer ‚son aversion pour certaines pratiques des hommes publics de son temps et dénoncer les dangers que faisaient courir à la cité les « vendettas » privées de ses chefs.

Le cadre donné par le poéte à son drame, dont la scéne centrale, le jugement de Palaméde, évoquait par un anachronisme voulu un de ces grands procés politiques que l'Ecclésia était appelée à trancher, était propice aux allusions contemporaines. Le rappel

du droit des gens avait sa raison d'étre au lendemain de l'injuste sac de Mélos, à la veille de l'affaire des Hermocopides et de l'invasion

athénienne

en

Sicile.

Comme

la

voix

de

Cassandre,

hélas,

celle d'Euripide ne fut pas entendue, et le peuple refusa méme au

poéte la victoire qu'il nous semble pourtant avoir méritée. (1) Welcker, p. 504 ; Parmentier, p. 7; Del Grande, p. 179-180 ; Goossens, p. 514. (2)

Welcker,

Il. c. Voir E. Delebecque,

p. 257-59,

qui estime aussi (p. 259-261)

que

les Troyennes censuraient certains aspects de la politique, et méme de la vie privée d'Alcibiade. (3) Voir la condamnation de la guerre dans les Troyennes, 400-02. (4) Cf. Tr. 721 sqq. ; 764 ; 1158-1160.

CHAPITRE

AUTRES

ÉPISODES

XI

LÉGENDAIRES

MENTIONNÉS DANS I. ÉPISODES

DES

LES

1) La

MonT

pe

MORT

D'ASTYANAX.

POLYxèNe.

ÉTRANGÈRES

1) ANTIOPE. 2) OEDIPE. 3) LA FoLie D'HÉRACLÈS. 4) THÉSÉE ET ARIANE.

5) Le VIN

CYPRIENS

POSTHOMERICA.

2) LA

11. LÉGENDES NESTOR.

CHANTS

CONSOLATEUR.

AU

CYCLE

TROYEN

: LES

APOLOGUES

DE

AUTRES MENTIONNÉS

ÉPISODES DANS LES

Dans la poésie d'Homére,

LÉGENDAIRES CHANTS CYPRIENS

des légendes empruntées à d'autres

cycles ou à d'autres périodes des temps héroiques viennent souvent

se greffer sur le récit principal.

Tantót,

par exemple,

le poéte

remonte dans le passé de ses héros ou de leur famille, tantót une

association s'établit dans son esprit entre un fait présent et un événement légendaire ancien, tantót encore il anticipe en quelques mots sur le sort réservé dans l'avenir à l'un de ses personnages (1).

Ces moyens, qui doivent remonter aux origines méme de la poésie épique, donnaient en quelque sorte une troisiéme dimension au récit. Ils permettaient aussi de rappeler les liens unissant les différentes dynasties de héros et d'évoquer d'autres poémes connus des auditeurs. On s'attendra

d'autant

plus

à les retrouver

dans

les

Chanis

Cypriens que leur auteur pouvait se référer non seulement à l’Iliade et à l'Odyssée, mais encore à de nombreuses épopées appartenant au cycle troyen et thébain, à la geste d'Héraclés, de Thésée et de beaucoup d'autres héros. Mais la plupart de ces évocations étaient nécessairement assez bréves, car le poéte avait à traiter une matiére considérable dans une ceuvre sensiblement plus courte que l'Iliade ou l'Odyssée. D'autre part, la nature de nos sources, qu'il s'agisse du sommaire de Proclos ou de la poignée

de citations offertes par la tradition indirecte, ne nous permet de déceler ce procédé que dans un petit nombre de cas. Enfin, comme ces légendes avaient été en général développées dans d'autres poémes épiques, il est difficile de discerner dans quelle

mesure dans

Stasinos les

cas,

du

leur

avait

reste

peu

donné

une

nombreux,

forme oü

ces

originale. mémes

Aussi, légendes

figurent aussi dans le théátre d'Euripide, il sera particuliérement malaisé de mesurer la dette du poéte tragique à l'égard de Stasinos. Il nous faut cependant, au terme de notre étude, passer rapidement en revue ces épisodes, en commengant par ceux qui avaient trait (1) Pour ce dernier 359-360 ; (1 732-35.

procédé,

voir

par

exemple

B

724-25 ; M

9-35;



277-78;

X

368

EURIPIDE

ET LES LÉGENDES

DES CHANTS

CYPRIENS

aux Poslhomerica, et figuraient donc dans les Chanis Cypriens à titre d'anticipation, et en examinant ensuite ceux qui provenaient d'autres cycles légendaires.

I. ÉPISODES 1.

DES

LA

MORT

POSTHOMERICA DE

POLYXÈNE

La mort de Polyxéne, fille de Priam et d'Hécube, était une des conséquences de la prise de Troie, et Euripide en a parlé dans les

deux pièces qu'il a consacrées à ces événements tragiques : Hécube et les Troyennes

(1). Or,

qui nous apprend de Stasinos

c'est

précisément

une

scolie

que cette mort était annoncée

d'Hécube

dans l'épopée

:

«L'auteur

des

Chanis

Cypriens

raconte

que

Ulysse et Dioméde lors de la prise de la ville, par Néoptoléme, comme l'a écrit Glaucos » (2).

Polyxéne, mourut

et

blessée fut

par

ensevelie

A quel endroit du poéme le destin final de Polyxéne était-il évoqué ?

E. Bethe (3) estimait que c'était au début des Xypria, où Stasinos avait annoncé à l'avance les combats devant Troie et la destruction de la ville, mais l'existence d'un tel développement dans le poème est des plus douteuses (4). R. Fórster offrait le choix entre deux épisodes bien attestés : celui des prophéties d'Hélénos et de Cassandre avant le départ de Páris, ou celui dela mort de Troilos (5). BiBLioGRAPHIE : R. Förster, H., 17 (1882), p. 193-201, et 18 (1883), p. 475-78. Türk, 8. v. Polyrena, Roschers-Ler., col. 2718-2742. T. Tosi, Jl sacrificio di Polissena, AeR, 17 (1914), p. 19-38 (repris dans Scritli di Filol. e Archeol., Florence, 1957, p. 154168). Rzach, col. 2394. C. Robert, p. 1276-79.

213, et 8. v. Polyrena, RE, XXI,

E. Wüst,

Gymnasium,

56 (1949), p. 203-

2 (1952), col. 1840-1850.

(1) Héc. 35-46 ; 92-628 ; Tr. 39-40 ; 260-270 ; 622-631.

(2) Fr. XXVI = sc. MA, Héc. 41: «'O δὲ τὰ Κυπριαχκὰ ποιήσας ᾿Οδϑυσσέως καὶ Διομήδους ἐν τῇ τῆς πόλεως ἀλώσει τραυματισθεῖσαν

φησὶν ὑπὸ ἀπολέσθαι,

ταφῆναι δὲ ὑπὸ Νεοπτολέμου, ὡς Γλαῦκος γράφει.» La sc. A, qui attribue à tort la méme version à Ibycos (voir p. 370, n. 1), ajoute : «Τλαῦχος ἐν τῇ προηγήσει ({πορθήσει Schwartz) ». S'agit-il de Glaucos de

Rhégium

? Est-ce l'ouvrage cité dans l'Argument

des Perses, I. 1 (« Γλαῦκος ἐν τοῖς περὶ Αἰσχύλου Il est impossible

de l'affirmer formellement

μύθων »), comme

: cf. Jacoby,

8. v.

le pensait Hiller ?

Glaukos

(36), RE,

VII,

1 (1910), col. 1418. (3)

H.,

26

(1891),

p.

595-96.

A

ce passage,

Bethe

rapportait

aussi

les

fr.

XIV,

sur Néoptoléme, et XXII, sur Eurydice, femme d'Énée. (4) Cf. O. Gruppe, Jahresber., 22 (1894), p. 89-90 ; Rzach, col. 2394. (5) P. 476-77. Le premier de et Rzach, ll. cc., le second à C. que les prédictions de Cassandre l'annonce de la mort de Troilos

ces épisodes paraissait le plus vraisemblable à Gruppe Robert, p. 1277, n. 1, et Wüst, p. 207. Il est à noter dans l’Alerandros d'Euripide comportaient peut-être (voir supra, p. 134).

LA MORT

DE POLYXÈNE

369

On pourrait encore proposer une troisiéme partie du poéme, celle où était contée la mort de Palaméde. En effet, les deux meurtres avaient les mêmes exécutants, Ulysse et Dioméde, et tous deux

présentaient le méme caractére de cruauté : l'un s'exercait sur un compagnon

incapable

d'armes

de

sans

méfiance,

se défendre.

l'autre

L'attitude

des

sur

une

deux

jeune

hommes

fille

aurait

contrasté avec celle des autres Grecs qui avaient pour la plupart

épargné la vie des femmes de Troie, destinées comme captives entre les vainqueurs. Cependant, c'est encore vers l'épisode de la que les possibilités penchent le plus fortement. seule scène des Chants Cypriens où il soit sûr que fille. A défaut de témoignages

à étre réparties mort de Troilos C'est en effet la figurait la jeune

littéraires anciens,

une belle série

de vases attiques à figures noires a permis de reconstituer ainsi le récit épique : Polyxéne, accompagnée de son jeune frére Troilos, sortait de la ville pour se rendre à la fontaine. Là, tous deux étaient surpris par Achille, qui s'était posté en embuscade.

Mais,

tandis que le Péléide rejoignait et tuait Troilos, Polyxéne réussissait à gagner la ville saine et sauve (1). A cette occasion Stasinos pouvait annoncer que le destin de la jeune fille était de périr sous les coups d'Ulysse et de Dioméde dans la nuit de la prise de Troie et qu'elle serait alors ensevelie par le propre fils d'Achille. De toute facon, le témoignage du scoliaste d'Hécube sur la mort de Polyxéne.n'est pas à mettre en doute (2) : Ulysse et Dioméde étaient associés pour plusieurs aventures que racontaient les autres

épopées

troyennes

/3), et l'existence

de cette version

est confirmée par des représentations figurées anciennes qui montrent Polyxéne poursuivie par des guerriers en armes (4). (1)

Sur

les

représentations

flgurées

de

cet

épisode,

cf.

Türk,

col.

2723-2733

et

fig. 1-9 ; Ch. Motta, RA, 50 (1957), p. 25-44. Le récit des Chants Cypriens a été reconstitué par C. Robert,

Gymn.,

p. 206-09,

p. 1122-24 ; cf. encore

qui signale une légende

A. Severyns,

CE,

p. 305-06,

et E. Wüst,

parallèle dans la geste thébaine

(Tydée

surprenant Isméne et Périclyménos devant les portes de Thébes). (2) Welcker, EC, II, p. 164 ; 248, et Wilamowitz, Hom. Unters., p. 181, n. 27, esti-

maient, sans grande raison, que l'expression 6 τὰ Κυπριακὰ ποιῆσας ne désignait pas l'auteur des Chants Cypriens. Il est encore moins satisfaisant de corriger Polyzéne en Palaméde!

Förster, p. 478, remarque

à juste titre que l'expression

doit pas étre prise au pied de la lettre : Dioméde à ce moment, mais la jeune fille a pu être frappée (3) Par exemple, la mort de Palaméde, celle de (4) Il s'agit d'une amphore à f. n. du Louvre (E Mus. F 160) représente symétriquement Cassandre poursuivie

par un jeune guerrier grec

du scoliaste ne

et Ulysse se trouvaient ensemble par l'un ou l'autre (cf. Il., K 478). Dolon, et le rapt du Palladium. 703). Un cratère de Lucanie (Brit. poursuivie par Ajax et Polyxéne

(Néoptoléme 7) : cf. Türk,

col. 2733-34 ; Wüst,

RE, col. 1848. F. Hauser (Jb. d. arch. Inst., 1913, p. 275 sqq.) croyait encore trouver une représentation de cette scène sur un sarcophage

du vi* 8. conservé à Berlin, mais

T. Tosi, p. 34-36, a bien montré qu'il était impossible d'interpréter ainsi ce relief. 25

370

EURIPIDE

ET LES LÉGENDES

DES CHANTS

CYPRIENS

Cette forme de la légende n'en apparait pas moins tout à fait isolée. Dans la version commune, celle qu'on trouvait dans l'Iliou Persis épique, dans celle de Stésichore, chez Ibycos (1) et dans la

tragédie (2), Polyxéne avait été immolée par les Grecs sur le tombeau d'Achille peu avant leur départ de Troade. Suivant une tradition attestée au moins depuis Stésichore et Ibycos et reprise par les tragiques, Néoptoléme sacrifiait Polyxéne de sa propre main sur la tombe de son pére (3). Le seul point de contact entre les deux

versions

épiques

est

l'existence d'un lien entre Polyxéne et Achille. Car on ne voit pas, dans les Chants Cypriens, la raison qui aurait poussé Néoptolème

à donner à la jeune fille une sépulture décente, si ce n'est le souci de répondre à un vœu — exprimé ou non — de son père. Sur la nature de ce lien, les traditions les plus anciennes sont muettes :

ou bien Stasinos développait déjà un tardifs, celui de l'amour inspiré au l'épisode de la fontaine ; mais une la marque de l'époque hellénistique

motif attesté chez des auteurs Péléide par Polyxéne lors de telle explication porte plutót (4). Ou bien encore, les Grecs

considéraient qu'à cette occasion Achille s'était acquis en quelque

sorte des droits sur la Jeune fille dans le futur partage du butin (5). (1) Iliou Persis: Procl., 1. 274 Sev. Pour Stésichore, on a le témoignage de la Table Iliaque (fr. 28, IX P. : cf. Jahn, Bilderchr., p. 37, sc. 76 ; Forster, p. 195 ; Tosi, p. 3132, etc.). Ibycos, fr. 26. On a parfois attribué aussi ce motif à d'autres poèmes qui font état d'une apparition de l'ombre d'Achille aux Achéens en Troade (Pel. Il., ap. Proclos, 1. 218 Sev. ; Nostoi, ibid.,1. 291-93 ; Sim., fr. 52 P.), mais si le lien entre les deux thèmes est prouvé par des œuvres d'art dès le vie 8, (cf. Tosi, p. 24 8qq.), on ne sait de quel poéme s'inspirent les artistes. Le premier témoignage littéraire assuré se trouve dans

la Polyrène de Sophocle (fr. 523 P.). Cf. aussi Héc. 37-41 ; 94-95 ; 109-115. (2) Sophocle, Polyrène (Pearson, II, p. 161-63 et fr. 522-28) ; Euripide, Troyennes et Hécube.

(3) Stésich., Ibyc., IL. cc. ; Eur., Héc. 224 ; 523 sqq. Pour les représentations figurées, et notamment

l'amphore

attique

à f. n. du

British

Museum,

cf. T. Tosi,

f. 1; C. Robert, p. 1277, n. 3; C. Fontinoy, ACI, 19 (1950), p. 394-95. p. 1277, estime que celte tradition vient des épopées cycliques.

p. 24-28

C.

et

Robert,

(4) R. Förster, p. 199 et 477, O. Gruppe, Gr. Myth., p. 694, n. 2, et Rzach, col. 2394, retiennent cependant ce motif pour les Xypria. Pour son caractère alexandrin, cf. C. Robert, p. 1279 ; E. Wüst, p. 209 et col. 1843. Les auteurs tardifs (Dictys, Libanios, Malalas, etc.) avaient brodé sur ce thème. Polyxéne était promise en mariage à Achille et celui-ci, attiré dans le temple d'Apollon Thymbréen, était assassiné par Páris el

Déiphobe.

Il semble que le meurtre de Troilos dans les Xypria avait déjà lieu prés de

ce temple

(Severyns,

(5) C. Fontinoy,

CE,

ACI,

p. 305;

Wüst,

19 (1950),

p. 208).

p. 383-396,

a souligné,

à propos

de la version

traditionnelle de la mort de Polyxéne, son caractère de « sacrifice nuptial », chez Euripide (Héc. 612), mais trés marqué chez Lycophron (Aler., 323-24) et dans les Troyennes de Sénéque (voir aussi E. J. Jonkers, Hermeneus, 26 (1955), 111). Tout en admettant l'origine alexandrine de ce motif, l'auteur y voit

ancien jeune

théme homme

indo-européen, non

marié.

celui du sacriflce d'une jeune

esquissé surtout p. 104un trés

fille sur la tombe

d'un

J LA MORT D'ASTYANAX

371

Le héros n'avait pas vécu assez pour en profiter de son vivant, mais, soit par une décision de l'Assemblée, soit sur l'avis de Calchas, soit encore aprés une intervention surnaturelle d'Achille (1), les

Achéens une

décidaient de lui accorder par le sacrifice de Polyxéne

sorte

divergence

de

compensation

des traditions

posthume.

Ainsi

s'expliquerait

la

: alors que dans la vulgate les mánes

d'Achille étaient satisfaites, le meurtre perpétré par Ulysse et Dioméde dans la chaleur du combat rendait impossible l'accomplissement du sacrifice. Néoptoléme en était réduit à rendre à la jeune fille les honneurs funébres et à l'ensevelir, sans doute à proximité de la tombe de son pére. Il n'apparatt donc pas que la légende des Chanls Cypriens ait

eu une influence directe sur l'un ou l'autre des drames d'Euripide. Tout au plus peut-on relever dans Hécube le róle déterminant d'Ulysse dans la décision des Achéens d'immoler Polyxéne et dans

le sacrifice lui-méme (2). Mais ce róle était déjà mis en évidence par Stésichore (3), et Euripide n'avait pas besoin du précédent épique pour préter ici encore à ce « madré, astucieux, flatteur du peuple » un comportement odieux. 2.

Dans Andromaque, du fils d'Hector, « Astyanax,

LA

MORT

séduisant

D'ÁSTYANAX

il n'est fait qu'une rapide allusion à la mort

précipité du haut des remparts » (4),

aprés la prise de Troie par les Grecs. Mais cet épisode constituait une des péripéties importantes des Troyennes. Alors qu'Hécube se flattait de l'espoir que son petit-fils reléverait un jour sa patrie (5), Talthybios venait annoncer, non sans quelque embarras, à la vieille reine et à sa fille la décision prise par les Grecs de mettre l'enfant (1) A l'époque impériale, on montrait ce tombeau à l'intérieur de Troie (QS., XIV, 320-26 ; cf. F. Vian, Recherches..., p. 118). Pour la « préhistoire » de la légende, cf. E. Wüst, p. 210-212 : Polyxéne serait la parédre d'un Apollon dieu des morts, et Achille succomberait sous la vengeance de cette divinité chthonienne, irritée de la mort de son protégé Troilos. Tout ceci reste évidemment trés hypothétique. (2) Héc. 131-142 ; 218 sqq. (3) Sur la Table Iliaque, il assiste au sacrifice accompli par Néoptoléme au

côté

de Calchas. C. Robert, p. 1278, estime que dans l'épopée c'était déjà Ulysse qui conseillait de sacrifler Polyxéne. BIBLIOGRAPHIE

: Kern,

Ph.,

75

(1919),

p.

183-190.

Rzach,

CE, p. 365-69.

(4) An. 10: (5)

a ῥιφθέντα πύργων ᾿Αστυάνακτ᾽ ἀπ᾽ ὀρθίων. »

Tr. 702-05.

col.

2394.

Severyns,

372

EURIPIDE

ET LES

LÉGENDES

DES

à mort. Son message, haché par d'Andromaque, était le suivant : « Ulysse

l'emporte

devant

CHANTS

les

tous les Grecs

en disant qu'il ne fallait pas laisser grandir mais le précipiter du haut des remparts

CYPRIENS

interruptions

haletantes

assemblés... le fils d'un

pére

si grand...

de Troie » (1).

Sur le genre de mort d'Astyanax, Euripide suivait la tradition épique unanime. Dans l'/liade, par une de ces anticipations que nous

avons

déjà

relevées,

Andromaque

exprimait

la crainte

de

voir les Grecs se venger ainsi des maux que leur avait causés Hector (2). L'événement lui-même était conté à la fois dans l'Iliou Persis et dans la Pelile Iliade, avec des différences qui nous ont été rapportées par les anciens. D'aprés Arctinos, cette mort était l’aboutissement d'une décision générale des Grecs — peut-être conseillés par Ulysse. En tout cas, c'était ce dernier qui était chargé de précipiter l'enfant du haut des murs (3). Dans la Pelile Iliade,

cet

acte

était au

de Néoptoléme,

contraire

le fait d'une

initiative

cruelle

qui, arrachant l'enfant à sa nourrice, le saisissait

par le pied et le précipitait dans le vide (4). Dans Andromaque, le dessein d'Euripide n'était évidemment pas

de charger Néoptoléme de ce crime et il ne précise pas quel en avait été l'auteur.

Dans

les Troyennes,

il convenait à son propos

d'en

rendre Ulysse coupable; aussi adopte-t-il, nous l'avons vu, la version de l'Iliou Persis. Mais les mots méme de Talthybios font écho à un vers des Chants Cypriens : « Sot est celui qui tue le père et laisse vivre les enfants ! » (5).

(1) Tr. 721; 723; 725 : « Nix δ᾽ ᾽Οδυσσεὺς ἐν Πανέλλησιν λέγων ... λέξας ἀρίστου παῖδα μὴ τρέφειν πατρός, ... ῥίψαι δὲ πύργων δεῖν σφε Τρωικῶν ἄπο.» (2) 734-37. (3) Proclos, 1. 268 Sev. ; IP, fr. II (15) (= sc. MOA, An. 10); Apd., Ep., V, 23; Hyg., f. 109; Severyns, p. 365-66. (4) Pel. Il., fr. XIX (13) (sc. Lyc. 1268, qui nous a conservé onze vers du poème, et Paus., X, 25, 9). Stésichore (fr. 25 P.) racontait aussi la mort d'Astyanax, mais il est difficile de savoir quelle était la version qu'il avait adoptée. Dans les représentations figurées anciennes, Néoptoléme tue Astyanax en se servant du corps de l'enfant comme d'une massue (cf. Ch. Motta, RA, 50 (1957), p. 25 sqq.).

(5) Kyp., fr. XXV

: « Νήπιος ὃς πατέρα κτείνων παῖδας καταλείπει.»

Le vers est cité par Clément d'Alexandrie, Strom., VI, 2, 19, sous le nom de Stasinos, et par Arstt., Rhél., I, 15, 1376 a 7; Pol., XXIII, 10, 10, et d'autres auteurs plus tardifs. Pour l'idée, voir aussi Hdt., I, 155. Aprés Müller, Welcker, EC, II, p. 252,

estimait que l'attribution de Clément d'Alexandrie était erronée et attribuait ce vers à l'auteur de l'Iliou Persis, mais nous n'avons pas de raison particulière de croire ici à une

erreur.

Une

telle affirmation

s'accordait

avec

ce que

nous

savons

par ailleurs

du caractère d'Ulysse dans les Chants Cypriens (voir supra, p. 359, et Kern, p. 189-190).

LES APOLOGUES

DE

NESTOR

373

Si le contexte de ce vers nous échappe, il y a tout lieu de croire que Stasinos, qui n'ignorait pas la légende de l'Iliou Persis, appli-

quait ces mots à Hector et Astyanax et les mettait dans la bouche d'Ulysse, apparemment dans une discussion entre les chefs sur le sort qui serait réservé aux vaincus aprés la prise de Troie. Cette

maxime de philosophie politique convenait trop bien au caractére cynique

d'Ulysse,

tel

qu'il

est tracé

dans

les

Troyennes,

pour

qu' Euripide le laissát perdre. A travers la paraphrase, les auditeurs pouvaient reconnaitre au passage une expression sans doute déjà proverbiale.

II. LÉGENDES ÉTRANGÈRES AU CYCLE LES APOLOGUES DE NESTOR Le sommaire

de Proclos

ne nous

renseigne

TROYEN

:

sur les digressions

des Chanis Cypriens portant sur des légendes étrangéres au cycle troyen que lorsque celles-ci ont une certaine ampleur et marquent un arrét important dans le cours du récit. Il ne mentionne en fait qu'un seul exemple, celui des récits de Nestor à Ménélas. D'aprés la Chreslomalhie, aussitôt informé par Iris de l'enlévement d'Héléne,

Ménélas regagne son palais et se concerte avec son frére. Il rend ensuite visite à Nestor, et, au cours de cette visite, « celui-ci, dans fait

violence

une à

la

l'histoire d'CEdipe,

digression, fille

de

lui raconte

Lycurgue,

la folie d'Héraclés,

fut

comment

Épopeus,

massacré ; il lui

ainsi

que

le roman

pour avoir

raconte

de

aussi

Thésée

et

Ariane » (1).

Qu'il s'agisse là d'une digression, et méme d'une longue digression, cela ne surprendra pas si l'on pense aux interminables discours dont est prodigue le Nestor homérique, et en particulier au verbeux récit de ses exploits de jeunesse qu'il inflige à Patrocle au Chant XI de l' Iliade (2). Mais ces histoires ont-elles une raison

d'étre

à ce moment du poéme ? Certains critiques modernes l'ont

nié : ils y ont vu un pur bavardage, le discours de Nestor à Patrocle ayant fourni à Stasinos un modèle dont il s'est maladroitement

inspiré. L'accumulation de légendes diverses constituerait un signe de plus qui trahit l'épigone (3). D'autres se sont demandés au contraire s'il n'existait pas un lien entre les récits de Nestor et la (1) L. 114-117 Sev. (2) A 656-803. Digression plus bréve en A 260-273. (3)

Cf. Bethe,

p. 206 ; Heubeck,

Der Odyssee-Dichter und die Ilias,

1954, p. 89-90.

Déjà Wilamowitz, Hom. Unters., p. 149, doutait que ces récits fussent « en situation ». Bethe, L. c., l'admettait cependant pour la punition d'Épopée, mais le niait pour les trois autres récits, qui auraient été purement poétiques et sans rapport avec Ménélas.

374

EURIPIDE

ET LES LÉGENDES

situation de Ménélas

DES CHANTS

(1) : ces apologues

CYPRIENS

n'étaient-ils pas choisis

par Nestor pour leur valeur exemplaire et pour le réconfort qu'ils pouvaient apporter à un homme abattu par un pénible coup du sort ? Cela paraît beaucoup plus probable, surtout si l'on se rappelle les soucis moralisants qui se manifestent dans les Chants Cypriens.

Certaines de ces histoires, celle d'Épopée, pour sujet des enlévements

amoureux

celle de Thésée, ont

qui se terminent mal pour

le ravisseur. C'est aussi un amour coupable qui entraine le chátiment d'Œdipe (2). Il y a donc lieu de croire que les contes de Nestor ne sont pas choisis au hasard, qu'ils n'ont pas un simple rôle d'ornement ou de remplissage (3). Allons méme plus loin : cette similitude dans les situations n'est-elle pas de nature à nous

fournir le fil d'Ariane qui nous permettra, à travers le dédale des formes diverses d'une méme légende, d'atteindre plus facilement la version choisie par Stasinos ? L'étude de ces quatre récits présente d'autant plus d'intérét qu'en face de chacun d'eux on peut placer au moins une piéce

d'Euripide, perdue ou conservée, qui traite le méme sujet. Il y a sans doute peu de chances que les apologues de Nestor constituent la source principale du poéte tragique, qui pouvait consulter à propos de ces légendes bien d'autres sources et en particulier

des poèmes plus longs et plus détaillés, mais dans la mesure où nous pourrons reconstituer ces récits (4), nous y trouverons peutétre des détails utilisés par Euripide, méme dans un contexte différent. (1) Voir par exemple Welcker, EC, p. 98-99 ; R. Oehler, Mythol. Exempla in d. älteren

gr. Dichlung,

Aarau,

1925,

p.

31-33;

M.

Untersteiner,

La

Fisiologia

del

Milo,

1946, p. 227-28 ; W. Kullmann, p. 96 et n. 5 (cependant, ce dernier, fidèle à son système, pense

que

les récits des Chants

Cypriens

ont offert un

modèle

à l'auteur de l'Jliade).

(2) Pour le cas de la folie d'Héraclés, qui est plus embarrassant, voir infra, p. 381 866. (3) Cette valeur exemplaire du mythe n'est pas inconnue d'Homére : ainsi la longue digression de Phœnix relative à Méléagre (I 524-599) a pour but de montrer à Achille les dangers de l'obstination. Voir sur cet emploi R. Oehler, o. c., p. 5-31, et surtout p. 23-25 (discours de Nestor). (4) Il faut signaler ici une hypothèse de Wilamowitz (Hom. Untersuchungen, p. 149150), qui, si elle était fondée, serait d'une grande aide pour cette reconstitution. Le

critique,

remarquant

que

les

quatre

héroines

des

récits

de

Nestor,

Antiope,

Epicaste-Jocaste, Mégara et Ariane, figuraient dans la Calabase de la Nekyia odysscenne (respectivement À 260-65 ; 271-280; 269-70; 321-25), tenue en général pour une des parlies les plus « jeunes» du poéme, estimait que l'auteur de ce morceau s'était inspiré des Chants Cypriens. Mais cette hypothèse, déjà combattue par F. Blass (Interpolationen in Homer (1906), p. 265) est démentie dans un cas précis (cf. infra, p. 377, n. 1j. La source du passage de l'Odyssée, pour le fond comme pour la forme, paraît être pour l'essentiel le Culalogue des Femmes (cf. R. Merkelbach, Untersuch. zur Odyssee (1951), p. 188-89; D. Page, The Homeric Odyssey (1955), p. 35-38; J. Schwartz, p. 537-548).

ANTIOPE

1.

375

ANTIOPE

Le premier récit de Nestor concernait les malheurs d'Épopée, séducteur

de

la

fille de

Lycurgue-Lycos

(1), Antiope. La brève

indication de Proclos, confrontée avec ce que nous savons par ailleurs de la légende de l'héroine (2), permet d'imaginer ainsi les grandes lignes de ce récit : Épopée, roi de Sicyone, sans doute au cours d'un séjour en Béotie au palais de Lycos (3), séduit la fille de ce dernier, Antiope, et l'enléve (4). Lycos marche avec une armée sur Sicyone, s'empare de la ville, tue Épopée, et rentre

chez lui, emmenant la jeune femme, qui sera punie de sa faute. Antiope était également l'héroine d'un drame d'Euripide dont les fragments conservés sont assez importants et dont l'intrigue est connue pour l'essentiel (5). L'action d'Anliope se déroulait trés longtemps aprés la mort d'Épopée, puisque, dans cette piéce, l'héroine retrouvait adolescents Amphion et Zéthos qu'elle avait

mis au monde et abandonnés sur le Cithéron au cours de son retour de Sicyone. Cependant, ses malheurs passés faisaient sürement l'objet d'un récit, soit dans le prologue, soit plutót dans la scène où Antiope, sans avoir encore reconnu ses fils, sollicitait leur pitié et leur aide en leur exposant sa triste destinée (6). Fille

de Nyctée, elle avait été aimée de Zeus. Enceinte du dieu et contrainte de s'enfuir de chez elle devant la colére et les menaces BIBLIOGRAPHIE

: E.

Graf,

Die

Anliopesage

bis

auf Euripides,

Diss.

Halle,

1884.

Wernicke, s. v. Aniiopa (1), RE, I, ἃ (1894), col. 2495-97. C. Robert, I, p. 114-117. Van

der Kolf, s. v. Nycleus,

(1)

D'aprés

les

autres

RE,

XVII,

sources,

2 (1937), col.

Heym

corrigeait

1511-13.

dans

le

passage

de

Proclos

«Λυκούργου en Aóxou. Mais on retrouve la méme alternance Lycourgos-Lycos pour le héros homonyme, roi de Némée et père d'Opheltés (Lycourgos, passim; Lycos,

Hyg., f. 74 ; 273). Il doit s'agir d'un hypocoristique du type Νικόλαος Νικός (cf. Maas, H, 23 (1888), p. 614). On comparera le cas d'Ei8o8éa|El8c (Εἰδοθέα, Od., ὃ 366 ; Elo, Eur., HL 11). (2) Cf. par exemple Apd., Bibl., III, 5, 5 ; Paus., II, 6, 1-3; Hyg., f. 7; sc. A. Rh., IV, 1090. (3) Dans la légende qui semble la plus ancienne, Lycos et son frére Nyctée habitaient la ville d'Hyria, prés d'Aulis : cf. Hés., fr. 132; Apd., l. c. On ne peut dire si, dans les Kypria, les deux frères étaient établis à Thèbes, comme dans la légende postérieure (cf. Graf, p. 7-8, qui distingue à l'origine un récit sicyonien et un récit thébain).

(4) Trace de cette version chez Pausanias (II, 6, 2) : « Ταύτην οὐκ οἶδα εἴτε γυναῖκα αἰτήσας εἴτε θρασύτερα ἐξ ἀρχῆς βουλευσάμενος ᾿Εἰπωπεὺς ἁρπάζει.» (5) Fr. 179-227 N*, auxquels il faut ajouter un important fragment papyrologique (Pap. Lit. de Londres, n° 70 Milne ; cf. Page, Gr. Lil. Pap., p. 60-70) et quelques vers

fournis par la tradition indirecte (voir le supplément de Snell aux T GF', p. 5-6). Pour l'action du drame, L. Séchan, p. 291-307 ; Schmid-Stáhlin, p. 559-563 ; Page, o. c., p. 61-63; U. Haussmann, Zur Anliope des Eur., MDAI, 73 (1958), p. 50-72. (6)

Séchan,

p. 294 et 299 ; Page,

p. 62-63;

Haussmann,

p. 53-54.

376

EURIPIDE

ET LES LÉGENDES

DES

CHANTS

CYPRIENS

de son père, elle fut recueillie par Épopée, qui l'emmena à Sicyone et l'épousa. Nyctée, brisé par le chagrin, mourut peu de temps aprés, mais non sans avoir fait promettre à son frére Lycos, alors établi sur le tróne de Thébes, de tirer vengeance de sa fille et d'Épopée. Lycos s'empara de Sicyone, tua Épopée et emmena

Antiope prisonniére. C'est pendant ce retour que celle-ci donna le jour à deux jumeaux et dut les laisser sur le Cithéron, où ils furent recueillis par un berger. Les circonstances, on le voit, sont assez différentes dans les

deux versions. Chez Stasinos, Antiope est la fille de LycurgueLycos, et non sa niéce, et elle est séduite par Épopée au lieu d'étre recueillie par lui enceinte de Zeus. La situation morale est ainsi tout autre. Antiope et Épopée sont coupables et Lycurgue, fort

de son droit paternel, exerce sur eux une vengeance cruelle, mais légitime. Il ne semble pas que Zeus ait eu une. place dans ce récit,

où Amphion et Zéthos — s'ils étaient mentionnés — devaient étre considérés comme les fils d'Épopée (1). Chez Euripide, au contraire, Épopée et Antiope étaient des victimes innocentes : le

premier payait de sa vie sa générosité ; la seconde était successivement le jouet du puisqu'elle subissait

caprice divin et de pendant de longues

la cruauté humaine, années les mauvais

traitements que lui infligeaient Lycos et sa femme Dircé. Ce n'était qu'au dénouement du drame qu'elle obtenait — aprés combien de souffrances ! — la protection du roi des dieux. Antiope retrou-

vait ses fils qui prenaient le pouvoir à Thébes. Hermés intervenait in exiremis pour assurer la vie sauve au frère de Nyct£e, exécuteur de ses ordres, tandis que

Dircé, dont rien n'excusait les cruautés,

subissait une mort atroce. Si incomplétement que nous connaissions ces deux récits, il ne

semble donc pas qu'Euripide ait beaucoup emprunté à Stasinos : les deux versions n'ont en commun que la mort d'Épopée de la main

de Lycos,

fait que leur fournissait sans doute la tradition,

et peut-étre les circonstances de la naissance d'Amphion et Zéthos. De toute maniére, aussi haut que l'on remonte, la légende béotienne d'Antiope comporte de notables variantes, puisqu'on reléve, tant (1)

Graf,

p.

10. Amphion

et Zéthos

sont

généralement

considérés

comme

les fils

de Zeus (Od., À 261-62 ; Catalogue hésiodique, qui contenait I' Éhée d'Antiope (fr. 132) ; Phérécyd., fr. 416 et 124 Jac.). Cependant, le poète épique Asios, dans ses Généalogies (tr. 1, p. 203

K.)

dit que l'un était le fils de Zeus et l'autre d'Épopée.

Ce compromis

(qui a son paralléle dans la légende des Dioscures) résulte sans doute d'un effort pour concilier deux traditions différentes, l'une qui faisait des fondateurs de Thèbes les fils de Zeus, l'autre qui les considérait comme les fils d'Épopée, donc comme des descen-

dants de Poséidon. La premiére, comme le souligne Pausanias (II, 6, 3), est évidemment plus glorieuse et devait faire autorité à Thébes et en Béotie. C. Robert, p. 114115, estime que la naissance des jumeaux et leur abandon sur le Cithéron étaient déjà

mentionnés

dans les Kypria,

le Catalogue et chez Asios.

(EDIPE

377

pour le nom du pére de l'héroine que pour celui du pére des jumeaux, au moins trois traditions différentes (1). A celles-ci devaient correspondre des formes diverses de ses aventures. Selon son habitude, Euripide a choisi, sans doute en la modifiant encore, celle qui soulignait le mieux le contraste entre l'innocence d'Antiope et

d'Épopée et la culpabilité de Lycos et de Dircé, celle aussi qui

laissait peser jusqu'au dénouement un reproche sur l'insouciance de Zeus (2). On a remarqué de grandes ressemblances pour le sujet, l'esprit et l'intrigue, entre Anliope et un autre drame d'Euripide, Ion, qui est antérieur de quelques années (3) : le souvenir de cette piéce a pu exercer une influence déterminante sur le choix de la version adoptée par le poéte et méme sur les changements qu'il y a apportés. 2. (ΕΡΙΡΕ

Nous

méme

savons

que

la pièce

d'Euripide

(4) avait à peu

près le

sujet que l'Oedipe-Roi de Sophocle, qui l'avait sürement

précédée (5). Nous connaissons méme

lesquels

l'intrigue

se différenciait

quelques-uns des détails par

de

celle

qu'avait

bâtie

son

prédécesseur (6). Mais ici aucune comparaison n'est possible avec (1) Antiope, fille du dieu-fleuve Asopos : Od., À 260 ; Asios, l. c. ; fille de Lycourgos : Chants Cypriens; fille de Nyctée : Hés., fr. 132 (cf. J. Schwartz, p. 68; 381). Pour Phérécyde, les témoignages sont contradictoires : fr. 41 c (Asopos ?) ; fr. 124 (Nyctée).

Jacoby (2)

penche pour Asopos; Cf.

les

v.

11-14

du

A. Severyns,

fragment

p. 237, pour Nyctée.

papyrologique,

dans

lesquels

Amphion

flétrit

l'égolsme du dieu. La jalousie de Dircé était aussi un des ressorts essentiels de la piéce. C'est peut-étre le souvenir dela légende ancienne, dans laquelle la patrie d'Antiope était Hyria,

qui a conduit

le poéte

à la localiser dans

la bourgade

quasi homonyme

d'Hysiae, au pied du Cithéron où se déroulait l'intrigue (cf. C. Robert, p. 115, n. 1). (3) Antiope se place entre 412 et 408 (cf. Haussmann, p. 50). R. Goossens, p. 647, estime qu'elle a pu être jouée en 408, avec Hypsipyle et Oreste. Howald, Untersuchungen,

p. 70, rapproche pour la technique Antiope d'Hypsipyle, mais pense qu'elle est antérieure à cette dernière pièce. Quant à la date d'Jon, les estimations varient grandement suivant les critiques. Ce drame peut être de 418, mais ne paraît en tout cas pas postérieur à 412. BiBLIOGRAPHIE : C. Robert, Oidipous, I, p. 305 sqq. ; Gr. Held., p. 898-99. L. Séchan, p. 434-441. E. G. Turner, P. Oxy., XXVII (1962), p. 81-83. (4) Fr. 540-557, auxquels on doit maintenant ajouter le fr. 1049 et les fr. adesp. 378 et 541, ainsi que des fragments papyrologiques récemment publiés (P. Ory. 2459). (5) L'CEdipe ne peut être trés antérieur à 415 (cf. Turner, p. 83), mais a dà précéder

les Phéniciennes

(410/409).

(6) Par exemple, CEdipe était aveuglé par les compagnons de Lalos, soit pendant la pièce, soit méme au cours de l'échauffourée où il tuait son père (Turner, p. 82-83). Periboea, la veuve de Polybe, apparaissait sur la scène et jouait un rôle dans la recon-

naissance, ainsi que le vieillard qui avait exposé le nouveau-né. Un personnage décrivait la première apparition de la Sphinx et donnait le texte de l'énigme (P. Ozy. 2459, fr. 1-2). Enfin un dialogue (sans doute entre Jocaste etCEdipe) portait sur les avantages et les inconvénients du mariage et les mérites et les démérites des femmes (fr. 543-548).

378

EURIPIDE

ET

LES

LÉGENDES

DES

CHANTS

CYPRIENS

le récit des Kypria, car nous ne savons absolument pas comment Nestor présentait son sujet (1). Il y a tout lieu de penser qu'il se contentait de résumer, à propos de cette légende fameuse, l'une ou l'autre des épopées de la geste thébaine (2). 3.

LA

FOLIE

D'HÉRACLÈS

La mention de ce conte parmi les récits de Nestor est d'autant plus intéressante qu'il correspond au sujet d'une pièce conservée d'Euripide, Héraclès Furieuz. Proclos, il est vrai, ne fournit aucun

détail sur la forme donnée par Stasinos à une légende dont l'évolution avant Euripide est assez obscure. Une chose est certaine, c'est qu'elle était évoquée

par Stésichore, et aussi par Panyassis

d'Halicarnasse dans ses Héracleia (3). Pausanias, qui nous donne ce

renseignement,

ajoute

que

les

Thébains

montraient

de

son

temps la tombe des enfants d'Héraclés et que les récits de Stésichore et de Panyassis s'accordaient à peu prés avec la tradition thébaine. Il ne précise pas la forme qu'elle revétait, mais le contexte montre qu'elle correspondait pour l'essentiel avec le récit d'Euripide : Héraclés, au cours d'une crise de folie furieuse, avait

massacré les enfants que sa femme Mégara lui avait donnés. Pausanias ajoute que les Thébains montraient encore la pierre dont Athéna s'était servie pour plonger le héros dans une profonde

léthargie au moment où il s'apprétait encore à tuer Amphitryon : ce détail cultuel était déjà connu d'Euripide, qui y fait allusion dans son drame (4). Sur le genre de mort des enfants d'Héraclés

dans la légende ancienne, Phérécyde rapportait que le héros avait précipité ses cinq enfants dans le feu. Cette indication est confirmée par Apollodore et par un vase d'Asstéas un motif secondaire (6). (1)

L'hypothése

de M.

Untersteiner,

(5). Euripide

La Fisiologia del Milo

en a tiré

(1946), p. 228, d'aprés

laquelle Nestor donnait pour cause de la ruine d'CEdipe l'enlévement de par Laïos (sujet du Chrysippe d'Euripide) est hautement improbable. (2)

Severyns,

CE,

Chrysippe

p. ?11.

BIBLIOGRAPHIE : Wilamowitz, Herakles (1895) — II* (1959), p. 81-87; 108-112. O. Gruppe, 8. v. Herakles, RE, Suppl.-B. III (1918), col. 1018-1020. C. Robert, p. 627-

631.

Krischan, 8. v. Megara,

(3) (4)

RE,

XV,

1 (1931), col. 146-152.

Stésich., fr. 53 P., et Panyassis, fr. 22 K. (Paus., IX, 11, 2). HF 1001-08. Sur le sens primitif de cet aition, voir O. Gruppe,

(5) Phérécyd.,

fr.

14

Jac.;

Apd.,

Bibl,

II, 4,

12.

Le

vase

col.

d'Asstéas

1019.

(Madrid

n? 11094, vers 350) est reproduit en particulier par M. Bieber, The History of the Greek and Roman Thealer (1960), p. 130, fig. 479 a-b. On suivra difficilement C. Robert, p. 628, lorsqu'il estime que dans l'état le plus ancien de la légende Héraclés jetait

ses enfants au feu avec l'espoir de les rendre immortels (cf. Pohlenz, (6)

femme

Dans

lI'Héraclés

Furieur

et les enfants d'Héraclés

(240-46),

Lycos

lui-même

menace

(motif paralléle, An. 257).

II, p. 125). de

brûler

vifs

la

LA FOLIE

D'HÉRACLES

379

Tout autre est cependant la version illustrée par Pindare. Le poéte, évoquant les fétes célébrées de son temps à Thébes en l'honneur des fils d'Héraclés, présente ceux-ci comme «les huit guerriers

armés

d'airain

que

Mégara,

fille de

Créon,

lui donna

pour fils » (1). L'expression ne peut évidemment s'appliquer à de jeunes

enfants

: elle suppose

que

les fils d'Héraclés

sont morts

à l’âge adulte, et probablement dans un combat contre les ennemis de la cité (2). Comment expliquer ce désaccord ? Nous savons qu'il a existé diverses traditions relatives à la mort des fils d'Héraclés (3). A son habitude, Pindare a dû choisir celle qui était la plus glorieuse, à la fois pour Héraclés et pour ses fils (4). Mais était-ce celle qui était la mieux accréditée à Thébes de son temps ? Et dans quelle mesure

la

croyance

populaire

Pindare

et Pausanias,

a-t-elle

évolué

à

Thébes

en particulier sous l'influence

entre

du drame

d'Euripide (5) ? A ces questions, nous ne pouvons guère apporter de réponse assurée. Ce que nous retiendrons, c'est que la légende transmise en particulier par Phérécyde était bien attestée avant l'Héraclés

Furieur.

A l'aide d'autres textes, on peut la préciser ainsi. Au

début de sa carrière, Héraclés habitait encore Thèbes où 1] avait

épousé Mégara, fille du roi Créon (6). Il venait de remporter une victoire sur les Minyens (7), lorsque Héra, jalouse de sa gloire, provoqua en lui un accés de folie au cours duquel il jeta dans un brasier qu'il avait lui-méme allumé les enfants nés de son union avec Mégara. Quant à la jeune femme, elle réussit à échapper (8).

Banni de Thébes à la suite de ce crime, il dut pour l'expier se mettre au service d'Eurysthée (9). Quelle est l'origine de cette légende ? On a cru parfois en trouver (1) Pd., Is., IV, 63-64. (2) L'adjectif employé par Pindare, χαλχοάρας (épithète de Memnon, /s., V, 41) ne peut signifier qu'« aux armes d'airain », bien que la scolie le glose par βιαιοθανόντας. (3) Cf. sc. Pd., Is., IV, 104. D'après Lysimaque (fr. 5 Jac.), certains racontaient qu'ils avaient été tués trattreusement par des étrangers. mort Lycos, ou Augias (ibid.). La tombe des enfants

On accusait encore de leur d'Héraclés est mentionnée

par Euripide, HF 1360-61 ; 1419. Voir aussi Paus., lI. c. (4) Cf. K. Fehr, Die Mythen bei Pindar (1936), p. 57. C. Robert, I. c., estime cependant, à tort à notre avis, que chez Pindare aussi Héraclés était le meurtrier de ses flis, qu'il tuait tous les huit à coups de fléches ou de massue. (5)

Comme

le suggère

Wilamowitz,

p. 86.

(6) Cf. Od., À 269-270. (7)

Apd.,

l. c.;

DS.,

IV,

10. Cette

victoire

est

évoquée

dans

l'Héraclès

Furieuz,

50 ; 220-21 ; 560. (8) Apd.; Ps.-Moschos, IV (Megara). Sur le vase d'Asstéas, Mégara épouvantée s'enfuit vers la porte. (9) Wilamowitz, p. 108. Cf. Apd., I. c.; DS., IV, 11 ; Ps.-Moschos, IV, 41 sqq.

Chez Apollodore, Héraclés s'exile volontairement de Thebes, mais ce n'est sans doute pas le motif ancien

(Pohlenz,

II, p. 124).

380

EURIPIDE

ET LES LÉGENDES

DES

CHANTS

CYPRIENS

le point de départ dans un autre épisode qui se situait vers la fin de la vie d'Héraclés. Hérodore rapporte, en effet, que le héros fut deux fois atteint de folie (1). La seconde fois, cette folie se tournait contre Eurytos, le roi d’(Echalie, et les siens : ou bien, comme le rapporte Apollodore, Héraclés, dans un accès de

démence,

précipitait du haut des remparts de Tirynthe

le fils d'Eurytos,

venu

lui réclamer du bétail volé

Iphitos,

(2) ; ou

bien,

comme le pensait C. Robert, c'était la folie qui le poussait, au cours de la prise d'CEchalie, à jeter du haut des murs de la cité les fils d'Eurytos (3). Ce trait aurait été rapporté dans le poéme épique de la Prise d'Gzchalie, ceuvre de Créophylos de Samos, qui aurait

ainsi fourni le modéle de notre épisode. A vrai dire, aucune de ces deux hypothèses ne nous paraît devoir étre retenue. Le motif du meurtre d'Iphitos à Tyrinthe est ancien : il est évoqué dans l'Odyssée et chez Phérécyde (4), mais Héraclés agit en pleine connaissance de cause, soit pour conserver les bétes

dérobées, soit pour se venger d'Eurytos. Il est trés probable que l'excuse de la folie fut imaginée sensiblement plus tard, sur le modèle de l'épisode conté dans les Chants Cypriens, afin d'atténuer chez Héraclés un trait de sauvagerie toute primitive (5). Quant à la scéne de la prise d'CEchalie (6), aucun texte ancien ne spécifie que

le héros avait tué les fils de son ennemi

dans

une crise de

démence. Il faut donc, à notre avis, écarter toute influence du poéme

de Créophylos sur la genése de notre épisode et avouer que nous en ignorons l'origine. Peut-on,

(1) F. (2)

en

revanche,

apporter

quelques

Gr. Hist., 31 F 32 : cf. Jacoby, comment.

Apd.,

Bibl., II, 6, 1. Apollodore

précisions

sur

son

aux Fr. 32 et 37.

(II, 6, 3) explique par ce meurtre la captivité

d'Héraclés chez Omphale (cf. aussi DS., IV, 31, 5-8; sc. MV à l'Od., o 22, etc.). (3) Cf. Apd., II, 7, 7. C. Robert, p. 583, n. 2, estime que cet épisode pouvait être le sujet du récit de Nestor, Héraclés, dans sa folie, ayant méme failli tuer Iole, la femme

qu'il aimait : c'est d'autant plus improbable qu'aucun texte ne dit qu'il menaca à cette occasion.

Iole

(4) Od., 9 22-30 ; Phérécyde, F. 82b Jac. (cependant, un doute subsiste sur la version suivie par Phérécyde, car le fr. 82a situe la mort des fils d'Eurytos lors de la prise d'Oechalie : cf. Jacoby, comment. ad loc.). (5) D'après Apollodore (II, 6, 1), Eurytos et ses fils alléguaient, pour refuser la

main d'Iole à Héraclés, leur crainte de voir le héros tuer plus tard ses enfants, comme il avait tué ceux de Mégara (cf. encore sc. Soph., Trach. 264). Sophocle ne semble pas connaître ce motif. Tout au moins, il explique la colère d'Héraclés par d'autres motifs

(Trach. 260-273 ; 351-365). (6) Sur cette scéne dans l'épopée de n'est pas possible de savoir si ce poème et l'autre étaient placés par la tradition parfois attribués au Poéte lui-même (pour l'édition

Allen,

p.

144-46).

Créophylos, cf. A. Severyns, p. 191-92. Il était antérieur aux Chanis Cypriens. L'un ancienne dans la dépendance d'Homére et l'OlxaA(laq ἅλωσις, voir les lestimonia de

LA

FOLIE

D'HÉRACLES

381

contenu en recherchant le lien qui devait exister entre ce conte et

les

autres

apologues

de

Nestor?

Certains

critiques

(1)

ont

estimé que cette histoire n'aurait pas eu de sens pour Ménélas si Nestor ne l'avait placée déjà dans le méme contexte qu'Euripide. En effet, le but du vieillard était de montrer qu'un amour criminel entratne le chátiment du coupable. Par conséquent, le personnage

de Lycos figurait dans les Chants Cypriens. Pour Welcker, les faits se

déroulaient

ainsi

: profitant

de

l'absence

d'Héraclés,

Lycos

voulait faire violence à Mégara. Le héros survenait à temps pour l'arréter et le chátier,

mais sa fureur homicide une fois déchatnée

aboutissait au meurtre de ses fils et à la ruine de son bonheur domestique. Ainsi, concluait le critique, Nestor consolait Ménélas... Piétre consolation, à vrai dire, plus propre au contraire à redoubler l'angoisse du héros (2)! Et puis, ce n'était pas la vengeance d'Héraclés qui était le sujet du récit de Nestor, mais sa folie criminelle : on sent trop bien qu'Euripide a artificiellement cousu ensemble deux histoires différentes. La seconde seule paraît à

retenir pour les Chanis Cypriens. A notre avis, le rapport entre Nestor devait comparer le subit par Héra à celui qui avait été Aphrodite. Tous deux avaient

les deux situations était autre : accès de folie envoyé à Héraclès suscité dans l'àme de Páris par commis un crime inoui, l'un en

tuant ses propres enfants, l'autre en enlevant le femme de son hóte. La punition d'Héraclés, soumis à la suite de ce crime à un long et cruel esclavage, exposé à mille dangers, offrait une leçon

propre à réconforter Ménélas. Peut-étre aussi la folie d'Héraclés avait-elle eu pour effet son abandon par Mégara (3). Nestor laissait-il encore espérer à son interlocuteur que Páris serait lui-méme

abandonné par celle qu'il aimait ? Tels nous paraissent donc étre la ligne générale et le sens du conte de Nestor, sans que nous puissions déterminer exactement les embellissements ou modifications que les autres poétes, en particulier Stésichore, lui ont apportés (4).

W.

(1) Welcker,

EC,

p. 98-99;

Kullmann,

p. 258

et n. 2.

M.

(2) On peut ajouter que le théme

Untersteiner,

La

Fisiologia

del

Milo,

p. 228;

d'une violence érotique exercée par Lycos

sur

Mégara n'apparaît que tardivement (Tzetz., sc. Lyc. 38). Chez Senéque, Herc. f., 344 sqq., le tyran veut épouser Mégara surtout pour affermir son pouvoir. (3) DS., IV, 31, 1; Apd,, II, 6, 1; Plut., Amal. 9 : Héraclés donnait lui-même

Mégara à Iolaos. D'après une autre version rapportée par Pausanias (X, 29, 6-7), Héraclés l'avait répudiée parce qu'elle était stérile : de toute maniére, il fallait faire place nette dans sa vie pour les légendes de Déjanire et d'Iole (cf. C. Robert, p. 630). (4) Pour O. Gruppe, col. 1018, Stésichore aurait le premier ajouté au théme de la folie d'Héraclés le meurtre de ses enfants. Mais les deux motifs doivent être liés dès l'origine.

382

EURIPIDE

ET

LES LÉGENDES

DES

CHANTS

CYPRIENS

Quels sont les principaux changements introduits dans la légende par Euripide ? Tout d'abord, l'épisode de la folie a été transporté du début à la fin de la vie d'Héraclés, puisque l'absence du héros est motivée par l'exécution du dernier des travaux imposés par Eurysthée : l'enlévement du chien Cerbére (1). Toute la perspective s’en trouve changée : non seulement la carrière d'Héraclés ne débute pas par un crime affreux, mais encore c'est volontairement que le

fils d'Alcméne s'est mis au service d'Eurysthée, pour obtenir par ses travaux le retour d'Amphitryon dans sa patrie (2). Fils dévoué, bienfaiteur de l'humanité, au terme d'une existence vouée à purger la terre de ses brigands et de ses monstres, le héros est victime

d'une ultime cruauté d'Héra. La situation y gagne beaucoup en pathétique

humain

(3).

Les événements qui précédent la scéne de la folie semblent aussi étre de l'invention d'Euripide. Il a en particulier créé de toutes piéces le personnage de Lycos : la maniére dont il insiste sur son origine prouve que les spectateurs ne le connaissaient pas.

Le poéte en fait le descendant de l'autre héros thébain du méme nom, l'oncle et l'oppresseur d'Antiope. Comme son ancétre, ce Lycos

est un usurpateur originaire d'Eubée

(4). L'Anliope étant

trés sensiblement postérieure à l'Héraclés Furieux (5), il nous semble trés probable qu'il a tiré son Lycos du conte qui figurait chez

Stasinos

tout

à cóté

de

celui

de la folie d'Héraclés.

Ceci

nous paraît entraîner deux conséquences : d'une part, Euripide a bien connu et utilisé le récit de Nestor, méme s'il y a apporté des modifications profondes. D'autre part, Lycos-Lycurgue avait un róle peu

sympathique

dans

l'épopée,

comme

son descendant

dans notre tragédie (6). Un autre changement concerne le genre de mort des enfants. Euripide, qui réduit leur nombre à trois (7), les fait mourir non

n.

(1) HF 22 sqq. ; 425 sqq. ; cf. Wilamowitz, p. 110 sqq. ; Schmid-Stählin, p. 432, 3. Il peut y avoir dans cette chronologie un souvenir de la «seconde folie»

d'Héraclés,

si toutefois ce théme

(2) HF 16-20. (3) Cf. J. de Romilly,

est antérieur à notre drame.

L'évolution du pathétique... (1961), p. 103.

(4) HF 26-34. Lycos I venait exactement de la rive béotienne de l'Euripe (cf. supra, p. 375, n. 3). L'Eubée était aussi, d'aprés certaines traditions, la patrie d'un autre ennemi d'Héraclés, Eurytos (Hécat., fr. 28 Jac. ; Apd., Bibl., II, 6, 2; Str., IX, 5, 17;

cf. Severyns, CE, p. 188-191). (5) Sur la date d’Anliope, cf. supra, p. 377, n. 3. Celle d' Héraclàs Furieuz est discutée, mais la piéce est probablement des environs de 424 (cf. R. Goossens, p. 390, n. 1). (6) Le public ne devait donc pas être surpris de voir ce Lycos brutaliser lui aussi une

femme

sans

protecteur.

(7) HF 971-1000. Sur les diverses traditions relatives au nombre et au nom de ces enfants, cf. sc. Pd., Is., IV, 63 ; O. Gruppe, o. c., col. 1093 ; C. Robert, p. 627-28. Le chiffre de cinq

est donné

par Phérécyde.

LA

FOLIE

D'HÉRACLES

383

pas dans un brasier mais sous les flèches d'Héraclés (1). Sans doute cela lui paraissait-il plus conforme à la vraisemblance. Mais

surtout, cet arc, gráce auquel, comme Amphitryon le souligne avec force au début du drame (2), Héraclés avait remporté ses plus belles victoires, devient l'instrument du crime qui ruine son existence.

Enfin, Mégara elle-méme n'échappe pas à ses coups. Ainsi le malheur du héros est-il plus complet, sa solitude plus totale lorsqu'il reprend ses sens (3) : il ne lui resterait plus alors d'autre issue que le suicide, si, par un coup de théâtre inattendu, le héros dorien atteint d'une souillure irrémédiable et abandonné par les siens n'était recueilli par Thésée, le héros athénien, qui donnait ainsi

la mesure de son humanité et de son dévouement. Les modifications qu'Euripide apporte à la donnée légendaire s'expliquent donc par le róle et la physionomie qu'il a voulu donner à Héraclés dans sa piéce (4). Il a cherché à rendre son aventure plus

vraisemblable et surtout à accroître le caractère dramatique de l'action. Pour cela, il a accentué le contraste entre la gloire d'un Héraclés en pleine possession de sa force et de sa volonté et l'abjection d'un Héraclés terrassé par la folie (5). Injustement persécuté par les dieux, le héros parvenait dans le dernier épisode à surmonter son infortune et 1] se hissait au niveau moral d'un Thésée,

auprés duquel il allait finir ses jours : ainsi Euripide annexait-il à Athénes le grand héros de Tirynthe et de Thébes, au mépris de toutes les traditions qui le faisaient mourir en terre dorienne, sur le bücher de l'CEta.

(1) HF 969 sqq. ; 1000. Ce détail a prévalu dans la vulgate : Ps.-Moschos, IV, 13; DS., IV, 11 ; Tzetz., sc. Lyc. 38. Héraclés tue cependant un de ses fils avec

(992-94). (2) HF

174-205. Cela n'exclut pas que la polémique

sa

massue

sur l'arc soulevée par Lycos

ait un caractère d'actualité (cf. Parmentier, Nolice, p. 12-13). (3) D'autant plus, comme le note Goossens, p. 346, que Mégara n'est plus la première

en date des épouses d'Héraclés, Mégara,

qui

paraft

étre

une

mais la derniére —

innovation

d'Euripide,

et en fait, la seule. La mort de est

donc

beaucoup

plus

qu'un

simple artifice dramatique en vue de se débarrasser d'un personnage pour lequel le poète n'aurait plus disposé d'acteur (cf. Pickard-Cambridge, The dramatic feslivals

(1953), p. 144). (4) (5)

Sur ce point, voir Zürcher, Die Darstellung des Menschen, p. 90 sqq. La cause de cette folie est purement extérieure (jalousie d'Héra), et non inté-

rieure, comme on l'a parfois soutenu (voir sur ce point A. Rivier, Essai sur le tragique d'E. (1944), p. 116 8qq. ; 197). On n'en retrouve pas moins ici l'intérét d'Euripide pour ces aliénations de l'esprit humain qui jettent les héros dans le malheur et la souffrance (Oreste, Penthée, Agavé) : cf. J. de Romilly, o. c., p. 101-07. Sur le rôle du palhos dans la piéce, caractéristique de la « période moyenne » d'Euripide, voir Schadewalt, Monolog,

p. 253.

384

EURIPIDE

ET

LES

4.

Le

dernier

récit

de

LÉGENDES

DES

THÉSÉE

ET

Nestor

était

CHANTS

CYPRIENS

ARIANE

particulièrement

propre

à

réconforter Ménélas, puisqu'il évoquait un enlèvement amoureux qui n'avait pas porté

chance

à son auteur.

Il était bien

connu,

en effet, que Thésée avait été promptement séparé d'Ariane aprés avoir quitté la Créte avec elle à la suite du meurtre du Minotaure. Mais,

sur

les

circonstances

s'accordaient

de

pas, et parmi

cette

séparation,

les

les diverses traditions

anciens

il nous

ne

faut

rechercher celles qui ont le plus de chance de provenir des Chants

Cypriens. Ceci nous conduira à écarter les versions suivant lesquelles Minos donnait de bonne gráce sa fille au prince d'Athénes (1), ou encore celles qui expliquaient l'abandon d'Ariane par l'inconstance de Thésée (2) : 1] fallait, dans le conte de Nestor, que

les deux amants fussent séparés contre füt ainsi puni. Quels sont les récits condition ? On pensera d'abord au l'Odyssée — généralement considéré

leur gré et que le séducteur qui peuvent remplir cette passage de la Nekyia de comme une interpolation

tardive — qui montre Ariane aux Enfers. À son propos, le poète précisait: « Thésée, qui l'emmena de la Créte aux coteaux d'Athénes la sacrée, n'en connut pas l'amour. Dionysos l'accusait. Artémis, dans Dia, dans l'île

entre-deux-mers,

Dans

cette

la perça

premiére

de ses flèches » (3).

version,

évoquée

ici d'une

maniére

assez

énigmatique et sur laquelle il nous faudra revenir, c'était la mort

qui séparait Thésée d'Ariane, une mort provoquée par les dieux. BIBLIOGRAPHIE : R. Wagner, 8. v. Ariadne, RE,

Il, 1 (1895), col. 803-810. C. Robert,

p. 680-89. A. Severyns, p. 281-83. H. Herter, H., 91 (1942), p. 228-235. (1) Par exemple, celle de Philochore, fr. 17 Jac. (cf. Herter, p. 232-34) ; cf. aussi A. Hh., III, 997 sqq. ; Hyg., Astr., II, 5; probablement aussi celle d'Ion de Chios (Plut., Thés., 20, 2; Paus., VII, 4, 8), d'aprés laquelle Ariane aurait eu de Thésée deux fils (sans doute nés en Crète) : cf. C. Robert, p. 688, n. 2; Herter, p. 230. (2) Hés., fr. 105 (attribué par un des témoins à l'auteur de | Aegimios)

(3) À 322. 25:

«........

ἦν ποτε (ϑησεὺς

ἐκ Κρήτης ἐς γουνὸν ᾿Αθηνάων ἱεράων ἦγε μέν, οὐ δ᾽ ἀπόνητο * πάρος δέ μιν "Ἄρτεμις ἔκτα Aly ἐν ἀμφιρύτῃ Διονύσου μαρτυρίῃσι. » V.

Bérard

condamnait

Uniersuch.,

p.

149-150,

ces vers comme

considérait

une

« surinterpolation ». Wilamowitz,

le passage

comme

une

«interpolation

Homer.

attique >»,

opinion rejetée par Bergk et Wagner, col. 804. Ce dernier retranchait seulement le v. 325 (mentionnant l'ile de Dia et Dionysos). En fait, ces vers ne semblent pas sensi-

(c'est-à-dire l'évocation de Tyro,

Antiope,

Alcmène, Mégara, Épicaste, Chloris, Léda). Pour le probléme général des des récits de Nestor avec la Nekyia de l'Odyssée, voir supra, p. 374, n. 4.

blement

plus

«récents » que

le contexte

rapports

THÉSÉE

ET ARIANE

385

D'après un autre récit, reproduit dans l’Epitome d’Apollodore,

Thésée, aprés avoir enlevé Ariane, avait débarqué

la nuit dans

l’île de Naxos. Là, Dionysos, amoureux de la jeune fille, la déroba

et la conduisit

à Lemnos, où il s'unit à elle et lui donna quatre

fils. Thésée quitta l’île désespéré et, tout à son chagrin, il oublia de changer les voiles de son navire, provoquant ainsi la mort

d'Égée (1).

En somme,

chacun

de ces deux

récits convenait au but que

s'était fixé Nestor et rien ne s'oppose à ce que l'un ou l'autre provienne des Chanis Cypriens: celui de la Nekyia figure dans un

ensemble

dont

l'origine

épique

est certaine.

Quant

à celui de

l' Épilomé, il appartenait à un ouvrage qui constitue une de nos meilleures sources des épopées du cycle troyen. Cependant, un troisiéme récit a plus de chances encore de nous offrir une solution satisfaisante. Il se rattache pour une part à celui de la Nekyia, mais il est mis sous le nom de l'historien

Phérécyde,

qui

reproduit

souvent

des

légendes

épiques.

On

le

trouve sous sa forme la plus complète dans une longue scolie homérique (2), elle-méme complétée et confirmée par d'autres scolies d'inspiration aristarchéenne et par Eustathe (3). Plusieurs de ces sources insistent sur le fait qu'on trouve cette version chez les néóléroi, terme souvent employé pour qualifier les poétes du cycle.

Dans cette forme de la légende, Ariane, aprés avoir aidé Thésée dans son entreprise contre le Minotaure, notamment en lui fournissant le peloton de laine qui devait lui permettre de se guider

dans le labyrinthe, accompagna le héros sur son navire. Le scoliaste continue ainsi son récit : « Parti en pleine nuit, Thésée débarqua dans l'île de Dia (4) et s'endormit sur le rivage. Athéna lui apparut alors et lui ordonna d'abandonner Ariane et de

gagner

Athènes

(5).

Il obéit

aussitôt.

Comme

Ariane

se lamentait,

Aphrodite se montra à elle et la consola : elle serait la femme de Dionysos et connafltrait la gloire. Le dieu apparut à son tour, s'unit à elle et lui offrit (1) Apd., Ep., I, 9-10; cf. DS., IV, 61. Plutarque,

Thés., 20, 3-6, rapporte encore

un récit chypriote d'aprés lequel Ariane, jetée par la tempéte dans l'ile avec Thésée, y mourut en couches, pour le plus grand chagrin du héros. Mais cette histoire, attribuée à Paeon d'Amathonte, auteur certainement postérieur à Alexandre (cf. O. Seel, 8. v.

Paion 4), RE, XVIII, 2 (1942), col. 2401-03), paratt avoir été artiflciellement rattachée au

mythe

de Thésée.

(2) Sc. MV en À 322 (Phérécyde, Fr. 148 Jac.). Sur l'expédition de Thésée en Créte, cf. encore Phérécyde, Fr. 149-150 ; 153. (3) Se. ΒΟΥ en À 325 ; Eust., en À 324 (1688, 48). (4) Sans doute un flot au large de la Crète (cf. St. Byz., s. v. Δία). Plus tard, on identifla Dia avec Naxos (DS., IV, 61 ; Plut., Thés., 20, 8 ; sc. BO en À 325 ; sc. Théoc., II, 45, etc.). Phérécyde disait aussi (Fr. 150) que Thésée, avant de partir, avait crevé

les coques des navires crétois pour empêcher (5)

La

scène

est

représentée

sur

un

vase

2179 Fürt.) ; cf. encore la fresque de Pompéi,

d'éventuelles poursuites. à figures rouges de style sévère (Berlin,

n° 1217 Helb. 26

386

EURIPIDE

ET LES LÉGENDES

DES

CHANTS

CYPRIENS

une couronne d'or que les dieux mirent plus tard au rang des astres pour faire pour

plaisir à Dionysos. Mais, dit-on, elle-méme fut tuée par Artémis avoir perdu sa virginité. L'histoire se trouve chez Phérécyde.»

Certains détails surprennent un peu. Il y a contradiction entre

l'amour de Dionysos pour Ariane et la mort subite que lui envoie Artémis. Cette difficulté a conduit F. Jacoby (1) à suspecter ce témoignage

et à en retrancher les éléments empruntés,

à son avis,

à la vulgate, c'est-à-dire en particulier l'amour de Dionysos pour Ariane.

Mais,

insistent

sur

comme

distingue

de celle de la Nekyia,

le

le remarque

motif

par

lequel

A.

Severyns

la

version

(2),

des

qui est précisément

les

scolies

néóléroi

se

cet amour

d'un dieu pour une héroine elle-méme éprise d'un mortel. Nous retrancherions donc plutót de la scolie la derniére phrase ; celle-ci semble étre une addition, soit du scoliaste, soit de Phérécyde

lui-même, se rapportant à la version de la Nekyia (3). Ainsi, nous nous trouvons en face de deux récits principaux, l'un où Ariane est punie et meurt, l'autre où elle est consolée par l'amour de Dionysos. Le premier, qui est celui de la Nekyia, exige une explication complémentaire. Pourquoi Dionysos dénongait-il Ariane à Artémis ? Certains critiques modernes (4) ont suggéré que dans la version primitive la fille de Minos avait d'abord été aimée de Dionysos et que le dieu était poussé par la jalousie. Les anciens avaient proposé d'autres raisons, qui ne sont pas forcé-

ment celles qui étaient sous-entendues dans le passage homérique : Thésée et Ariane auraient été coupables de s'étre unis dans un lieu consacré

(5), ou simplement

la jeune fille aurait failli

à son vœu

de virginité (6). En revanche,

dice (7),

le récit de Phérécyde,

débarrassé de son appen-

a de grandes chances de s'inspirer des Chanis Cypriens.

(1) Comment. ad loc., p. 426. Déjà Wagner, col. 803, rejetait en bloc la scolie. C'est sans grande raison que Jacoby retranche aussi l'histoire du fil d'Ariane (Thésée aurait vaincu le Minotaure avec l'aide d'une divinité, Poseidon ou Athena). (2) P. 282. (3) La dernière phrase dépend d'un φασί qui semble renvoyer à une tradition différente.

Elle

pourrait

cependant

provenir

aussi

de

Phérécyde,

dont

Jacoby

note

la prédilection pour les légendes homériques, et qui aurait contaminé les deux versions. (4) C. Robert, p. 680-81, qui cite Hés., Théog., 947 sqq.; Eur., Hipp. 339, où Ariane n'est nommée que comme femme de Dionysos (cf. aussi sc. A. Rh., III, 997). L'explication, admise par V. Bérard, a été reprise par J. Bérard (Homère (Pléiade), p. 1010). (5) Un bois sacré (sc. BO en À 325) ou le téménos de Dionysos (sc. V). Parallèle dans

la légende

d'Atalante

(Apd.,

Bibl.,

III, 9, 2).

(6) Phérécyd., Fr. 148; Eust. en À 324. Nombreux parallèles (Calli sto, Éméthéa, Polyphonté, Rhodopé), surtout dans (7) A. Severyns, Il. c., attribue la

au récit des Kypria.

la poésie alexandrine. totalité de la scolie à Phérécyde, c'est-à-dire

THÉSÉE

ET ARIANE

387

Il est bien dans l'esprit de ce poéme, puisque Thésée avait déjà été décrit comme

le séducteur d'Héléne et qu'Aphrodite

guidait

et conseillait Páris et Hélène dans leur aventure (1). Enfin, la leçon en était claire : Thésée ne tirait aucun profit de l'enlévement d'Ariane et devait regagner sans elle sa patrie. Cette séparation provoquait méme indirectement la mort d'Égée. Si l'apologue de

Nestor

n'était

peut-étre

pas

pleinement

réconfortant

pour

Ménélas, celui-ci pouvait en tout cas espérer que Päris ne profiterait pas plus que Thésée de son larcin et que la belle Héléne, à défaut de revenir à son époux, aurait l'insigne honneur d'étre aimée par un dieu ! Notons

enfin que, si l'on en croit la scolie, les

Kypria présentaient pour la première fois le motif de d'Ariane », qui figurait peut-étre dans le T'hésée de et qui connaîtra un si grand succès dans la poésie Peut-on maintenant préciser les rapports de ce

« la couronne Sophocle (2) hellénistique. récit avec le

Thesee d'Euripide (3) ? Les aventures du héros en Crète en formaient le sujet et la péripétie centrale devait étre le combat

avec le Minotaure /4). Quoi qu'on en ait dit (5), il est à peu prés certain qu'Ariane y tenait un róle important, qu'elle aidait Thésée par amour et qu'elle s'enfuyait secrétement avec lui. On a suggéré, étant donné que le drame devait appartenir à la méme trilogie que le premier Hippolyle, que Phédre y apparaissait et que ses amours avec Thésée y étaient annoncées (6). Mais, tant que l'action

de la piéce, et surtout son dénouement (7), ne seront pas mieux (1) Severyns, I. c., qui rappelle aussi le rôle de Dionysos dans l'épisode des combats Mysie. (2) D'aprés un nouveau fragment papyrologique de cette piéce (dont on ne possédait jusque-là que deux mots : fr. 246 P.) publié par E. G. Turner, P. Ozy., XXVII (1962), en

2452, fr. 2, v. 18 sqq., et comm., p. 16-17..Le motif apparaissait peut-être dans l'art dès le νι 8. (cf. C. Robert, p. 676 et n. 2; 682). (3) Fr. 381-390 +386a (Snell, Suppl., p. 8) et fr. inc. 997, qui coïncide avec un fragment papyrologique (P. Ozy. 2461, ibid., p. 100-103). Un morceau de stichomythie (entre Thésée et Ariane ?) contient une description du Minotaure. Cependant, pour ce dernier fragment, on peut hésiter entre Thésée et les Crélois. Sur l'action du Thésée, voir Bates, p. 301-02 ; Schmid-Stählin, p. 378 ; Herter, p. 234-35. La pièce est antérieure à 422 (sc. Ar., Guépes, 313).

(4) L. Séchan, p. 324-25, rattache à cette piéce la scéne évoquée déjà par Bacchylide (XVII) et plusieurs vases, dont la belle coupe d'Euphronios du Louvre (Pottier, Cal., p. 935, des environs de 490), où Thésée plongeait au fond de la mer pour

y rechercher l'anneau

de Minos.

Cela semble

douteux.

(5) M. Mayer, p. 62; C. Robert, p. 742-43; L. Séchan, p. 325, n. 1. La piéce se serait terminée par le mariage de Thésée et de Phédre, avec l'accord de Minos. (6) Herter, I. c. (7) Bates, I. e., suppose qu'Athéna intervenait ex machina pour arrêter la poursuite ordonnée par Minos, ce qui rappellerait un motif du récit de Phérécyde, mais c'est

une pure hypothèse. — On ne peut guère tirer parti du vers 339 d' Hippolyte, où Phédre

disait : « Σύ 7’, & τάλαιν᾽ ὅμαιμε, Διονύσου δάμαρ.» malheureuse,

soit parce

qu'elle

a été

abandonnée

Ariane par

peut

Thésée

être qualifiée de

(version

commune),

388

EURIPIDE

ET

LES

LÉGENDES

DES

CHANTS

CYPRIENS

connus, il sera impossible de préciser si Euripide s'était ou non inspiré du récit de Nestor dans les Chanis Cypriens. 5.

Mentionnons

LE

VIN

CONSOLATEUR

enfin un court fragment des Kypria

appartenant

au méme épisode. Au cours de la visite de Ménélas, Nestor offrait du vin au malheureux époux d'Héléne, en accompagnant son offre de cette réflexion : « Le vin, vois-tu, Ménélas, fut donné

le meilleur moyen

par les dieux aux mortels comme

de dissiper leurs soucis » (1).

Certes, l'idée sera souvent reprise, en particulier dans un vers de Théognis (2), où l'écho de ce passage est direct. Il peut y avoir

cependant plus qu'une rencontre fortuite, lorsque, dans les Bacchanles, Tirésias déclare, à propos du jus de la grappe découvert et offert aux hommes

par Dionysos

« Il délivre les malheureux

mortels

:

de leurs

chagrins,

chaque

fois qu'ils

s'abreuvent à la liqueur de la vigne. Elle leur donne, avec le sommeil, l'oubli des maux quotidiens, et il n'existe pas d'autre remède à leurs peines » (3).

L'enquéte que nous venons de mener aboutit le plus souvent, il faut

le reconnaitre,

à des

résultats

conjecturaux

ou

purement

négatifs. Pour la mort de Polyxéne, Euripide n'a pas tenu compte de la version des Kypria, version aberrante et sans possibilités théâtrales. Pour les légendes d’(Edipe et d'Ariane, nous connaissons trop mal le récit épique et les tragédies correspondantes pour nous faire une opinion, Mais les quelques résultats positifs prouvent

au moins que l'apport des Chanis Cypriens à l’œuvre d'Euripide n'est pas strictement limité aux épisodes des Anlehomerica. Cette soit parce que son mariage avec Dionysos ne l'a pas empéchée de mourir (version de la Nekyia). Il n'y a guère de raison d'associer à la pièce d'Euripide la fresque du temple de Dionysos Éleuthéreus (Paus., I, 20, 3) représentant Thésée quittant Ariane endormie, cependant que le dieu s'approche de la jeune femme, car sa date est tout à fait incertaine (voir Hitzig-Blümner, comment. ad loc.).

(1) Kyp., fr. XIII : « Olvóv τοι Μενέλαε θεοὶ ποίησαν ἄριστον

θνητοῖς ἀνθρώποισιν ἀποσκεδάσαι μελεδῶνας. » (2) Théogn. 883 : « « Τοῦ Panyassis, fr. 14, 4 K.

πίνων

ἀπὸ

μὲν χαλεπὰς

σκεδάσεις

(3) Bacch. 280-83 : «...... ὃ παύει τοὺς ταλαιπώρους

μελεδῶνας. » Cf. aussi

βροτοὺς

λυπῆς, ὅταν πλησθῶσιν ἀμπέλου ῥοῆς, ὕπνον τε λήθην τῶν καθ᾽ ἡμέραν κακῶν

δίδωσιν, οὐδ᾽ ἔστ᾽ ἄλλο φάρμακον πόνων. »

LE

VIN

CONSOLATEUR

389

influence peut se limiter à une remarque incidente, comme pour le vers concernant Astyanax et peut-étre pour la réflexion sur le pouvoir

consolateur

du

vin.

Deux

cas

sont

plus

intéressants,

celui des malheurs d'Antiope et celui de la folie d'Héraclés. Il n'est pas douteux, à notre sens, qu'Euripide a connu les deux apologues des Kypria, mais pour atteindre à plus d'efficacité dramatique, il en a profondément modifié les données, à la fois en y mélant des variantes tirées d'autres sources et en imaginant lui-méme des circonstances nouvelles. On retiendra surtout, dans Anliope et dans Héraclés Furieuz, la présence des deux usurpateurs de la méme lignée, tous deux appelés Lycos, mais dont l'un était

fourni par les Chants Cypriens (méme si son rôle et son caractère se trouvaient

modifiés),

et l'autre était inventé

de toutes piéces

à partir du premier. Dans deux situations comparables à bien des égards, ils incarnaient le tyran cruel et láche, qui abuse de sa force sur des femmes et des enfants sans défense, mais se voit finalement

puni par ceux dont il avait usurpé les pouvoirs.

CONCLUSION

I. LES LÉGENDES DES CHANTS DE L'ŒUVRE D'EURIPIDE.

CYPRIENS

II. EURIPIDE ET SES SOURCES. 1) L'Iliade. 2) Les Chanis Cypriens. 3) 4) 5) 6) 7)

III. LES IV.

LES AUTRES POÈMES Les LYRIQUES. Les TRAGIQUES. Divers. CONCLUSION.

PROCÉDÉS

EURIPIDE,

LE

ÉPIQUES.

D'ADAPTATION. MYTHE

ET

L'ACTUALITÉ.

DANS

LE

DÉROULEMENT

CONCLUSION Dans les chapitres qui précédent, l'étude des légendes tirées des Chants Cypriens à travers l'oeuvre d'Euripide a été purement

analytique.

Nous

avons

pris les épisodes dans l'ordre méme



l'épopée les présentait et, à propos de chacun d'eux, nous nous sommes posé principalement quatre questions : la source premiére d'Euripide est-elle le poéme des Chanis Cypriens et, dans l'affir-

mative, rejeté

qu’a-t-il ? Ensuite,

conservé quelles

de son sont

ses

modèle, autres

qu'a-t-il sources

modifié

ou

d'inspiration.

En troisiéme lieu, quelle est la part d'innovation du poéte dans le traitement de ces légendes ? Enfin, peut-on indiquer ou suggérer les raisons qui l'ont conduit à choisir telle forme du mythe ou à

modifier la version traditionnelle ? Au terme de cette recherche, il convient maintenant d'esquisser la synthèse des résultats obtenus. Pour cela, il est tout d'abord nécessaire de changer de perspective et de passer de la chronologie

des événements épiques à la chronologie des drames d'Euripide. On recherchera à quels moments de sa carriére théátrale le poéte a tourné plus particuliérement son attention vers les légendes des

Chanis Cypriens et quels genres d'épisodes l'ont alors attiré. On récapitulera ensuite les emprunts d'Euripide à ses diverses sources

(épopée, lyrisme, tragédie, prose, contes populaires, ceuvres d'art) et les procédés dont il a usé pour adapter et renouveler les traditions relatives au monde des héros. Enfin, les résultats obtenus par l'étude approfondie d'un groupe limité de légendes permettront

d'envisager le probléme plus général de la place du mythe dans la pensée

d'Euripide.

On

cherchera

ce

qu'il

représente

pour

le

poéte. On tentera aussi de préciser dans quelle mesure et à quelles conditions il peut lui permettre d'exprimer ses sentiments sur la marche du monde et sur la destinée de l'homme. I. LES LÉGENDES DES CHANTS CYPRIENS DANS LE DÉROULEMENT DE L'ŒUVRE D'EURIPIDE

Pour mesurer la place des Anlehomerica dans l’ensemble des tragédies d'Euripide, il est nécessaire de distinguer deux genres de piéces : celles dont le sujet est un épisode troyen antérieur à

394

EURIPIDE

ET LES

LÉGENDES

DES CHANTS

CYPRIENS

l'Iliade et celles qui ne mentionnent qu'au passage un motif des Kypria

dans

un autre contexte.

Au premier genre appartiennent Telephe, les Skyrioi, Proltésilas, Alexandros, Palaméde et Iphigénie à Aulis (1). Chronologiquement, ces drames

forment

trois groupes

: Téléphe, Skyrioi et Protésilas

(438-435 environ) (2) ; Alexandros et Palaméde (415) (3) et Iphigénie à Aulis (406). Tous ont au moins un caractére commun : leur action se situe à un moment oü le déroulement de la guerre marque un temps d'arrét et oà les hommes sont en mesure de faire obstacle au plan de Zeus. Dans chacun de ces épisodes, il pourrait arriver

que la guerre füt évitée, ou que l'expédition achéenne devint impossible, ou encore que le succés final se trouvát compromis. Si Páris avait succombé sur l'autel de Zeus Herkeios, soit à sa naissance, soit avant d'étre reconnu, si méme ses parents s'étaient

refusés à lui rendre ses droits, Héléne n'aurait pas été enlevée (Alexandros). Si Achille était resté caché parmi les filles de Lycoméde, Ilion n'aurait pas été prise (Skyrioi). Si Téléphe ne leur avait montré le chemin, les Grecs n'auraient pas atteint

la Troade (Téléphe) et ils n'auraient méme pas quitté Aulis si Iphigénie n'avait été immolée (Iphigenie à Aulis). Enfin, ils n'auraient pu prendre pied sur la cóte asiatique si Protésilas ne s'était volontairement sacrifié (Prolesilas). Le cas de Palaméde peut paraitre différent, mais il semble bien que, dans l'esprit du

poéte, la mort injuste de Palaméde retarde à tout le moins la prise de Troie en méme temps qu'elle compromet le retour des héros. Le caractére commun de toutes ces piéces est donc de regarder l'avenir. Tantót ce motif constitue le théme central de la piéce,

tantôt il n'est qu'accessoire, mais il n'est jamais absent. Peut-on

maintenant

distinguer

des

différences

entre

les trois

groupes chronologiques que nous avons indiqués et une évolution de l'un à l'autre ? On objectera peut-étre qu'il est arbitraire de vouloir préciser l'esprit de pièces qui, à l'exception d'Iphigénie à Aulis, ne nous sont connues que par de brefs fragments. Cependant, le choix méme des sujets et la maniére de conduire l'intrigue révèlent des changements dans les conceptions du poète. Ainsi, dans les drames les plus anciens, l'accent est mis sur le caractére anecdotique de l'épisode et sur ses conséquences pour ceux qui y sont directement mélés. Mais de plus en plus l'aventure personnelle est replacée dans le contexte de la guerre de Troie (1) Nous ne tenons pas comple ici de Phenir (antérieur à 425, que nous daterions des environs de 430) et de Philoctèle (431), pour la partie qui concerne la blessure et l'abandon du héros. (2) Héraclès Furieux (vers 423) se place entre ce groupe et le suivant. (3)

(Tennés)

et Anliope

(vers 410)

peuvent

s'intercaler ici.

LES LÉGENDES

DES

CHANTS

CYPRIENS

395

et le poéte souligne ses répercussions sur le destin des deux peuples qui

s'affrontent.

Quelques

exemples

feront

comprendre

cette

évolution. Il est remarquable que la plus ancienne piéce troyenne d'Euripide, Téléphe, et la derniére, Iphigénie à Aulis, se situent par leur sujet presque au méme point dans l'histoire de la guerre de Troie, c'est-à-dire peu avant le départ des Grecs pour la Troade. Dans les deux cas, il s'agit d'assurer le succès de la traversée et la plupart des

personnages

sont

les

mêmes

:

Agamemnon

et

Ménélas,

Clytemnestre, Achille, le petit Oreste. Mais, dans le premier drame,

l'aventure

personnelle

de

Téléphe

occupe

le premier

plan.

La

question essentielle que se pose le spectateur est celle-ci : le roi mysien

desarmera-t-il

la rancune

des

Achéens

et obtiendra-t-il

sa guérison de son ennemi Achille ? Ce n'est que subsidiairement qu'il est amené à se demander : les Achéens, gráce à Téléphe, parviendront-ils à atteindre la Troade ? Dans Iphigénie à Aulis, le destin de l'héroine est sans doute profondément angoissant,

mais du début à la fin celui-ci est mis en balance avec le sort de l'expédition. C'est ce dernier qui se joue dans l'àme d'Agamemnon, de Ménélas, d'Achille, et finalement d'Iphigénie elle-méme. Rien ne vient détourner l'esprit du spectateur de ce dilemme : ou bien Iphigénie sera sacrifiée par son propre pére, malgré sa beauté, sa tendresse, son innocence, ou l'armée, réunie pour aller punir

un séducteur et venger l'insulte faite à la Gréce, restera impuissante sur le rivage d'Aulis. La grandeur de l'enjeu donne à l'épisode

tout entier une signification qui dépasse de trés loin son caractére d'anecdote,

ou méme

de simple

drame

humain.

C'est au contraire cet aspect anecdotique qui apparaît à plein dans les pièces de 438-435.

Dans

Télèphe comme dans les Skyrioi,

la premiére moitié du drame se déroule en marge de la guerre de Troie et du dessein de Zeus. Le poète veut nous intéresser au sort

du roi mysien blessé qui s'est introduit incognito au milieu de ses ennemis et aux dangers courus par Déidamie qui vient de mettre au monde l'enfant d'Achille à l'insu de son pére. Il est vrai que le point de départ des Skyrioi était la volonté des dieux, qui avaient

lié le sort de Troie à celui d'Achille. Mais ce motif restait à l'arriéreplan. L'intérét dramatique résidait avant tout dans la séparation

forcée des deux amants à l'instant méme où leur mutuelle tendresse pouvait

se manifester au grand jour.

La

piéce s'achevait sur la

perspective du destin glorieux et tragique promis à Achille et sur le sacrifice de Déidamie qui allait désormais vouer toute son existence au petit Néoptoléme. Dans Prolésilas, seule la mort du héros

a un rapport direct avec le destin de Troie. Le reste du drame peint l'amour et la fidélité conjugale éprouvés par les malheurs de la guerre et les exigences paternelles.

396

EURIPIDE

Un

autre

ET LES

LÉGENDES

point commun

DES

CHANTS

CYPRIENS

unit ces trois piéces

: le grand

róle

qu'y tiennent le merveilleux et les péripéties romanesques. Non qu'Euripide renonce tout à fait à ces ressources par la suite, mais sa maniére

se caractérisera

de plus en plus

par

l'économie

des

moyens et la recherche des coups de théátre qui naissent spontanément des faits et des caractères. Dans Telephe, au contraire, l'action

tourne autour d'une guérison miraculeuse, dans Prolésilas autour d'un mort auquel les dieux ont permis de revenir pour quelques heures sur la terre. Les déguisements jouent un grand róle : celui de Téléphe, celui d'Achille, on pourrait ajouter celui de Protésilas,

puisque Laodamie croit voir un vivant dans celui qui n'est qu'un habitant des enfers. Les motifs et les péripéties romanesques abondent

: par exemple,

le culte passionné

que la jeune

femme

rend à l'image de son mari et la méprise qui en résulte, les conséquences inattendues de l'expédient de Téléphe, la ruse d'Ulysse chez

Lycoméde.

De plus, on voit dans ces trois drames

l'ingéniosité humaine

triompher de tous les obstacles et remettre le destin en marche. Dans Télèphe, elle s’exerce doublement : d'abord, par l'entremise

du héros qui conçoit et exécute le plan qu'il a imaginé pour forcer les Achéens à lui octroyer sa guérison ; qui parvient à convaincre Achille de lui indique le moyen matériel de le ingéniosité s'accomplit non seulement

ensuite, par l'action d'Ulysse, pardonner à son ennemi et guérir. Gráce à cette double l'oracle d'Apollon à Téléphe,

mais aussi le dessein de Zeus, puisque l'Héraclide s'engage à guider les Grecs jusqu'en Troade. Dans les Skyrioi, c'est encore l'ingéniosité

d'Ulysse qui viendra à bout du déguisement d'Achille.

La

ruse

humaine l'emportera sur les précautions de la déesse Thétis, mais, là encore, s'accomplira le dessein de Zeus. Dans Prolésilas, il n'y a pas à proprement parler de subterfuge. Pourtant, c'est la volonté

humaine qui obtient des dieux une exception aux lois qui régissent les mortels,

et le suicide

deux époux

par-delà la mort.

de

Laodamie

consacre

la réunion

des

Ainsi, les piéces troyennes de 438-435 mettent au premier plan des destins individuels de héros qui aspirent au salut et au bonheur, en particulier au bonheur

possible à l'homme

conjugal.

Euripide

y montre

qu'il est

de diriger ce destin en faisant usage de ses

facultés inventives, ou à tout le moins en fléchissant les dieux par ses priéres. Les conséquences de cette activité sont en général bénéfiques, à la fois pour celui qui agit et pour la communauté

(Téléphe, Skyrioi (1)). Cet optimisme relatif n'empéche cependant pas Euripide de montrer les problémes généraux que posent ces (1)

Ces

victimes

succés (Acaste,

ne

sont

pas

Déidamie).

obtenus

sans

provoquer

des

souffrances

el

faire

des

LES

LÉGENDES

DES

CHANTS

CYPRIENS

397

destins individuels et d'esquisser déjà certaines réflexions qui prendront une place de plus en plus importante dans les piéces des périodes suivantes.

Ainsi, le grand agón de Téléphe analysait

l'origine des guerres et affirmait les droits d'un peuple devant une agression injuste. Prolésilas et les Skyrioi développaient les conséquences malheureuses des hostilités pour les non-combattants, en particulier pour les femmes des héros entraînés dans de lointaines

campagnes

(1).

Les deux pièces de 415, Alexandros et Palamède, se situent par leur sujet aux deux extrémités des légendes des Chanis Cypriens : l'une à l'origine du conflit, alors que rien d'irréparable ne s'est encore produit, l'autre aprés neuf années de guerre, peu de temps avant que ne débute l'action de l'Iliade. Toutes deux s'ordonnent autour d'un personnage central qui court un risque mortel. L'un, Páris, y échappe pour le malheur des Troyens, et l'autre, Palaméde, y succombe pour le malheur des Grecs. On aperçoit aussitôt une différence essentielle avec les piéces du premier groupe. Alors que, dans celles-ci, les hommes étaient maîtres d'orienter leur destin vers le bonheur en assurant celui de la communauté à laquelle ils appartenaient, dans les tragédies de 415, les forces mauvaises dominent et les hommes ne sont plus capables de les surmonter. Ils s'imaginent servir heureusement leurs intérêts, sans s'apercevoir que par leur action ils attirent sur eux-mémes et sur les leurs des catastrophes à plus ou moins longue échéance (2). Certes, le poéte raconte toujours l'aventure personnelle de héros qui

agissent,

souffrent,

luttent

devant

nous,

et celle-ci

comporte

des péripéties et un dénouement, heureux ou malheureux.

Mais ce

dénouement n'est pas une fin en soi. Il est provisoire et ne prend tout son sens que replacé dans l'ensemble de la guerre de Troie.

Le choix méme du sujet de l’Alexandros est à cet égard significatif. La cause de la guerre devait être l’enlèvement d'Héléne par le beau Páris. Avertis par un présage, ses parents ont essayé une premiére fois d'infléchir le destin en exposant l'enfant à sa naissance. Mais celui-ci a été sauvé contre toute attente et le hasard va le remettre vingt ans plus tard en face de sa famille. Malgré les présages, malgré les prophéties de Cassandre, il retrouvera sa place au foyer de ses parents et, de ce fait, il pourra se rendre auprés d'Héléne. Tout le drame est tourné vers l'avenir : désormais, le sort de Priam, d'Hécube, de Troie tout entiére est associé à celui de Páris. La piéce consacre le divorce entre ceux qui (1)

Le

cas

de

Laodamie

posait

de

surcroît

le probléme

des

droits

respectifs

de

l'individu et de la famille : Acaste avait-il le droit d'imposer à la jeune veuve un second mariage

pour assurer la continuité

de la race ?

(2) C'est encore le cas pour Héraclés, dans Héraclés Furieux.

398

EURIPIDE

ET LES LÉGENDES

DES

CHANTS

CYPRIENS

comprennent le sens des événements, c'est-à-dire les dieux et leur prophétesse, et ceux qui ferment les yeux par faiblesse, par lácheté, pour

l'amour

d'un

fils ou

d'une

belle

femme.

Les

Troyens

se

réjouissent du salut du beau et brave Páris, l'enfant perdu et retrouvé, et le public aurait dü s'associer à leur joie bien naturelle, 81 Aphrodite ne leur avait rappelé au dénouement le dessein de Zeus. Dans Palamede, la situation est inversée mais le résultat est le méme : le personnage qui attire la sympathie, le bienfaiteur

de l'humanité, est victime de la jalousie mesquine de ses rivaux. Ici, ce n'est plus le hasard qui conduit l'action, mais une volonté implacable tendue vers son but. Ulysse déploie ses ruses comme dans les Skyrioi, mais celles-ci sont mises cette fois au service d'une ambition égoiste à laquelle tout est subordonné, méme le bien

public.

Il tire parti de tout : événements

fortuits,

suscepti-

bilités et rancunes de ceux qui l'entourent, patriotisme de l'armée, dupée par ses stratagémes. Mais, à terme, les résultats effaceront

son triomphe du moment.

L'absence de l'habile Palaméde retar-

dera la prise de Troie. Sa mort injuste sera cause de l'affaiblissement de l'armée, de la division de ses chefs, et en dernier ressort

du naufrage de la flotte sur les écueils du cap Capharée. Ainsi, à travers l'intrigue, c'est toujours le fil de la guerre

de Troie que l'on voit courir. L'aveuglement des hommes permet qu'elle éclate et en aggrave les conséquences. Les vices se donnent carriére : convoitise amoureuse de Páris, ambitions et jalousies des chefs grecs. Partout régne le désaccord : entre Cassandre et Priam, Hector et Déiphobe, comme entre Agamemnon et Achille,

Ulysse et Palaméde, et les conséquences de ce désaccord atteindront l'ensemble des peuples. Le sens de ces deux piéces ne se percoit pleinement que dans le cadre de la trilogie : les Troyennes

montrent

l'achèvement

des

malheurs

que

l’Alexandros

laissait

prévoir pour Priam et pour Ilion. Mais l’exemple de Palamède aide à comprendre comment les vainqueurs peuvent se porter à de tels excès et pourquoi les dieux se retourneront contre eux. Dans ces deux pièces, il y a autant d'action que dans celles du premier groupe, mais moins de romanesque et de merveilleux. Une fois admise la donnée, les péripéties découlent du caractére et des sentiments des personnages : courage de Päris, raison

d'Hector opposée à la démesure de Déiphobe, orgueil maternel d'Hécube et faiblesse de Priam, jalousie d'Agamemnon, esprit d'intrigue d'Ulysse. Chacun obéit à ses instincts et met son intérêt personnel avant celui de la communauté. Dernière pièce enfin : Jphigénie à Aulis. Comme Pâris, Iphigénie

est un de ces étres de qui dépend à un moment donné le sort de deux peuples. Mais ici la menace à conjurer ne se situe pas dans

un avenir indéterminé. Si Iphigénie n'est pas sacrifiée hic el nunc,

LES

LÉGENDES

DES

CHANTS

CYPRIENS

399

le sort de l'expédition grecque est compromis. A l'inverse de Priam et d'Hécube, Agamemnon fera mourir sa fille, mais ceci ne signifie pas qu'il est plus soumis aux ordres des dieux et qu'il fait passer l'intérét commun avant ses sentiments de père. Il n'est capable ni de prendre une décision ferme, ni de s'y tenir. Devant l'ordre arbitraire de la déesse, il tente vainement

de com-

poser avec les intéréts et les sentiments des autres, et surtout de se mettre d'accord avec lui-méme. Aprés de longues hésitations, il s'est résolu à sacrifier sa fille, et pour cela, à user de tromperie.

Revenu à des sentiments plus humains, il cherche à annuler sa ruse par une autre, mais il échoue pitoyablement. Ses manceuvres sont dévoilées à ceux qui devaient les ignorer et qui se dressent alors contre lui. Cependant, toutes les tentatives pour sauver Iphigénie se trouvent successivement paralysées : Ménélas se range au parti d'Agamemnon quand il est déjà trop tard, Clytemnestre et Iphigénie se heurtent à la tardive obstination du chef de famille,

Achille est réduit à l'impuissance par ses propres soldats. Le hasard ne joue qu'un róle restreint : les péripéties résultent des démarches opposées des personnages,

dont aucun n'est assez fort

pour faire prévaloir sa volonté, et le merveilleux n’apparait que dans le miracle final, imposé par la tradition. Ainsi Euripide semble étre encore descendu d'un degré dans le pessimisme : la grandeur n'est qu'un fardeau, les chefs, parvenus à leur rang par l'intrigue, ne sont pas à la hauteur de leur táche. L'homme

renonce à faconner son destin et s'abandonne aux exigences incompréhensibles de la divinité. La seule note d'optimisme est donnée par l'union de tous les Grecs, rassemblés pour une grande œuvre militaire et politique qui consacrera le triomphe définitif de l’Hellène sur le Barbare. Plus encore que toute autre piéce troyenne, Iphigénie à Aulis se place dans la perspective de la guerre de Troie. Non seulement l'action est située à l'instant décisif du départ de la flotte, mais encore, par le jeu du dialogue et des parties lyriques, le poéte évoque tous les grands moments passés et à venir de cette guerre : noces de Thétis et de Pélée, jugement des déesses, jeunesse d'Achille,

naissance, noces et enlévement d'Héléne, débarquement en Troade et prise d'Ilion.

Résumons donc à grands traits le sens de l'évolution que nous avons discernée dans les piéces consacrées aux débuts de la guerre de Troie. Tout d'abord, un effacement progressif de l'anecdote individuelle traitée pour elle-méme, au profit de l'épisode significatif, situé et expliqué dans le cadre de la guerre de Troie. Ensuite, dans l'intrigue, la disparition du merveilleux, fils du miracle ou du hasard, remplacé par une succession logique de faits découlant des caractéres.

En troisiéme lieu, une conscience de plus en plus

400

EURIPIDE

ET

LES

LÉGENDES

DES

CHANTS

nette du peu de pouvoir qu'a l'homme

CYPRIENS

sur sa propre

destinée.

Dans un premier temps, le héros se détourne du bonheur de la collectivité et ne vise plus que son propre succés. Mais, dans une seconde étape, sa volonté s’affaiblit, se perd dans le chassé-croisé des intérêts et des sentiments de ses semblables et des caprices divins, et ne lui laisse plus que le róle d'une victime désarmée et souffrante

de lui-méme

et d'autrui.

Enfin,

l'action

des

dieux

est

de moins en moins claire. En 415, la divinité apparatt encore comme la garante des lois morales, mais en 406 rien ne paratt plus justifier ses exigences.

L'exemple d’Iphigenie à Aulis laisse à penser que les autres piéces troyennes dont nous venons de parler étaient riches en références aux divers épisodes des Chants Cypriens. Mais les indications sont d'autant plus rares que les maigres fragments parvenus Jusqu'à nous n'appartiennent presque jamais aux morceaux

lyriques. De méme, la perte des premiers drames troyens, Phoniz (vers 432), Philocléle (431) et Pélée (avant 423) ne nous permet pas

de mesurer la fréquence de ces motifs dans la partie la plus ancienne du théátre d'Euripide. Mais à partir de 424, les renseignements deviennent plus abondants gráce aux piéces conservées, les

plus

Troyennes

riches

en

allusions

étant

Andromaque

(424-23),

les

(415), Électre (413), Hélène (412) et Oresle (408). Les

indications sont moins nombreuses dans Hécube (423-22), le Cyclope (vers 415 ?) et Iphigénie en Tauride (412-411). Une premiére constatation : les épisodes légendaires traités dans des piéces perdues ne sont plus évoqués par la suite, comme si le poéte s'en était délivré et ne souhaitait pas se citer lui-méme.

Ainsi

pour les aventures

de Téléphe,

d'Achille et de Déidamie,

de Protésilas, de Phoenix et de Philoctete (1). L'enfance de Páris, à laquelle il est fait plusieurs fois allusion avant 415 (2), n'est plus évoquée aprés cette date. D'autres motifs apparaissent tardivement et dans un groupe de piéces qui se suivent de prés. On peut citer ceux de la volonté de Zeus, de l'apothéose des Dioscures (des Troyennes à Oresle), ou encore la version nouvelle de la naissance d'Hélène proposée avec insistance des Troyennes à Iphigénie

à Aulis. Il semble donc qu'à certaines époques des thémes poétiques se sont particuliérement imposés à Euripide. Tantót il a rendu la vie à des légendes anciennes un peu oubliées, tantót on a l'impression qu'il les a fraîchement découvertes chez des auteurs peu connus. | Certains motifs courent au contraire à travers l’œuvre du poète (1) Protésilas et Philoctéte sont juste d'Iphigénie a Aulis. (2) Dans Ino, Ilécube et Andromaque.

mentionnés

au

passage

dans

la

parodos

LES

LÉGENDES

DES

CHANTS

CYPRIENS

401

et il paraît prendre plaisir à les évoquer à toute époque. Ainsi, entre autres, pour les exploits de jeunesse de Pélée, le jugement des déesses, les noces d'Héléne et son enlévement, le sacrifice

d'Iphigénie. Dans l'emploi de ces motifs, une double distinction nous parait

nécessaire, selon leur róle dans les diverses parties de la tragédie, et selon leur forme aux différentes époques de sa vie. Le récit légendaire peut tout d'abord avoir un caractére

ment

narratif ou décoratif.

Il revét le plus souvent

pure-

cet aspect

dans les prologues, où le poète aime à remonter aux origines lointaines de la situation actuelle et à dévider le fil des généalogies avec plus de complaisance que la stricte nécessité ne l'exige (1). Il apparatt encore dans les grands morceaux de lyrique chorale, qui semblent développés pour eux-mémes, indépendamment de l'action. Dans d'autres cas, le traitement est en quelque sorte mixte. La légende fournit au poéte l'occasion de peindre un beau tableau, mais il ne peut s'empécher de méditer sur le sens profond de l'épisode. Le plus souvent, il montre combien la scéne aimable qu'il vient de décrire contraste avec les funestes conséquences qui doivent en découler. Ainsi pour la naissance d'Héléne, le jugement des déesses, la construction des vaisseaux de Páris ou l'enlévement

de la femme

de Ménélas.

Une

telle présentation

des mythes

est

conforme aux habitudes tragiques. Elle convient d'autant mieux à Euripide qu'elle s'accorde à la fois avec ses penchants d'artiste et avec l'esprit d'analyse qui le porte sans cesse à dépasser les apparences pour atteindre les réalités humaines.

Enfin, dans les parties dialoguées, les faits légendaires ne sont mis en avant que pour servir d'arguments à l'appui d'une démons-

tration. Le plus souvent, il s'agit de déterminer une responsabilité et c'est en termes

de bien

et de mal

humaines sont appréciées. Si l'on se place maintenant

dans

que les actions divines et

le déroulement

de l’œuvre

tragique d'Euripide, peut-on distinguer des différences suivant les époques entre ces trois maniéres de traiter le mythe ? Il semble

d'abord

que

de plus que

les descriptions

lyriques

d'offrir un tableau

qui ne se proposent

agréable

rien

tendent à se multiplier

dans les derniéres piéces. On a l'impression qu'à cette époque s'est constitué

une

sorte

de

répertoire

des

lieux

communs

poétiques

et décoratifs, oà le poéte puise à sa fantaisie (2). Ces tableaux

VI

(1) Cf. J. C. Kamerbeek, (1961), p. 10.

Myihe et réalité dans l'œuvre d' Euripide, Entr. Fond. Hardt,

(2) W. Kranz, Stasimon (1933), p. 254, voit dans cet emploi du mythe l'influence du dithyrambe contemporain. 27

402

EURIPIDE

ET

LES

LÉGENDES

DES

CHANTS

CYPRIENS

tendent à se détacher du contexte du drame, avec lequel ils ne conservent qu'un lien ténu. Citons parmi ces motifs celui des exploits de jeunesse de Pélée et de son union avec Thétis, ceux de la naissance

d'Héléne

et de ses noces

avec

Ménélas,

celui

du

départ de la flotte grecque vers la Troade. Le procédé de la description lyrique assorti de réflexions est utilisé de facon à peu prés constante d'Andromaque à Iphigénie à Aulis. Au contraire, en ce qui concerne la manière d'aborder le mythe dans le dialogue, l'agón, et méme parfois le prologue, on peut remarquer une évolution sensible chez Euripide. Dans ses piéces les plus anciennes, il prend comme point de départ le mythe sous la forme que lui a donnée la tradition poétique anté-

rieure. Il y applique sa réflexion pour en déterminer le sens, la portée, et analyser le rôle des dieux et des héros qui en sont les acteurs. Par exemple, dans Andromaque, la présentation du jugement des déesses et de l’enlèvement d'Héléne est conforme au récit épique, mais le poéte l'interpréte pour apprécier la part

respective

de

responsabilité

de

Páris,

d'Héléne

et de

Ménélas.

Dans l'agón des Troyennes, au contraire, le méme probléme est repris, mais Hécube et Héléne apportent l'une et l'autre aux données légendaires des modifications qui leur permettent de s'en servir

pour étayer leur plaidoyer. On pensera à la maniére dont Héléne déforme les promesses des trois déesses à Páris afin de prouver que le choix du fils de Priam a été heureux pour la Gréce ! Mais on trouve

dans

les derniéres

piéces

troyennes

un autre

procédé

plus subtil, qui se substitue à celui de l'agón ou au commentaire du coryphée ou d'un acteur. L'exposé des faits ne s'accompagne d'aucune appréciation, mais ceux-ci sont présentés de telle maniére qu'ils dictent au spectateur le jugement moral à porter

sur les personnages. Par exemple, dans Iphigénie à Aulis, celui-ci condamnera

la conduite

d'Héléne

(71-77) ou celle d’Agamemnon

(337-348), alors qu'il louera la prudence de Pélée et le noble caractére de son fils (701-710). On peut déjà remarquer la variété des fonctions du mythe dans le théátre d'Euripide. En face de lui, l'esprit mobile du poéte

oscille entre deux attitudes extrémes, selon qu'il est avant tout sensible

à son

aspect

poétique

et dramatique

ou

au

probléme

qu'il pose pour l'humanité. Vers la fin de sa vie, il semble que ce second point de vue l'emporte. Le poéte se persuade toujours plus

de la responsabilité de l'homme et en méme temps de son impuissance à échapper aux conséquences de ses fautes. Toutefois, étre par réaction, l'artiste qui est en lui se détourne de vision pessimiste de la condition humaine pour ne plus voir la légende que son caractère de beauté sereine. Ces constatations préliminaires nous serviront par la

peutcette dans suite,

L'ILIADE

quand

nous

générale

essaierons

de

dans le systéme

403

situer le mythe

d'une

théátral et la pensée

manière

d'Euripide.

plus Mais,

pour donner à cette étude une base concréte, il nous faut auparavant indiquer la part respective des différentes sources auxquelles puise le poéte lorsqu'il met en scéne les légendes des Anlehomerica.

II. EURIPIDE

ET

SES

SOURCES

1. L'ILIADE. L'Iliade était le plus ancien et de loin le plus célèbre des poèmes troyens. Ses récits avaient fixé les lignes générales de la geste de Troie, les noms et la biographie de ses héros, leurs caractères et leurs rapports. Son prestige littéraire était incontesté. Il est donc naturel qu'Euripide ait subi trés fortement l'influence du Poète, comme Stasinos lui-même, dont l’Iliade a été la principale source. Le poéme d'Homére offre déjà, au moins esquissés, les thémes de la volonté de Zeus, des noces de Thétis et de Pélée, du jugement des déesses, de l'enlévement d'Héléne. Il présente des détails trés précis, comme la construction des vaisseaux de Páris, et ébauche un partage des responsabilités entre Páris, Héléne et les dieux dans

le rapt qui provoque

la guerre

troyenne.

Parmi

les autres

motifs qu'on retrouve chez Euripide, on peut citer l'abandon de Philoctéte à Lemnos, la mort de Protésilas et le désespoir de sa veuve.

Il n'en reste pas moins que, pour notre étude, l'épopée

homérique reste une source secondaire. En effet, quand

Homére

évoque les événements légendaires antérieurs à l'Iliade, il procède

le plus souvent par allusion. L'ampleur qu'Euripide donne à ces épisodes l'améne donc en général à s'inspirer des récits plus étendus et plus détaillés des Chants Cypriens. Certes, il est des cas où le poète tragique s'en tient à la version d'Homére, parce que son sujet le demande, ou simplement pour faire court. Par exemple, il ne distingue pas entre le destin des deux Dioscures, il ne veut connattre qu'un seul enfant de Ménélas,

Hermione, ou encore, dans certaines de ses piéces, il semble ignorer l'expédition de Mysie. Mais quand il y a désaccord entre les deux épopées, c'est le plus souvent la version des Chanis Cypriens qu'il choisit. Ainsi, dans son théátre, Achille a été élevé par Chiron, et non par Phoenix, le père de Thétis est Nérée et non l'anonyme

Vieux

de

la Mer,

Páris

et Héléne

escale

en

Phénicie,

les Grecs

ont

ont

mené

gagné une

Troie

première

sans

faire

campagne

malheureuse contre Téléphe avant de se retrouver pour la seconde fois à Aulis,

Iphigénie

a été sacrifiée,

Palaméde

a joué

un

róle

404

EURIPIDE

ET

LES

LÉCENDES

DES

CHANTS

CYPRIENS

important dans l'armée achéenne avant d'étre assassiné par ses compagnons

d'armes,

Cassandre

était douée

du pouvoir

prophé-

tique, Protésilas est tombé sous les coups d'Hector, et non d'un Dardanien, etc. (1). Donner la préférence à Stasinos n'était pas pour autant manquer

de respect

à Homère.

Pour la plupart, les spectateurs du ve s.

ne distinguaient certainement pas avec autant de süreté que les exégétes modernes les versions des deux poétes épiques. Quand

les Chanis Cypriens paraissaient développer les bréves allusions de l’Iliade, ils bénéficiaient du prestige et de l'autorité qui s’attachaient aux poèmes homériques. En cas de désaccord manifeste,

il

y

avait

quelque

hardiesse

à

choisir

la

version

adoptée par Stasinos. A voir le soin avec lequel Euripide distingue les légendes de l'/liade de celles des Kypria, il est certain qu'il faisait lui-méme

nettement la distinction entre les deux

poémes.

Il en allait ainsi pour le public cultivé, qui devait étre attentif à ces variations sur les motifs homériques traditionnels. Euripide ne s'est du reste nullement privé de mélanger les traditions, comme dans la parodos d'Iphigénie à Aulis, où il insére des éléments tirés du Calalogue des Navires et d'autres passages de l’Iliade dans une description qui paraît inspirée pour l'essentiel des Chanls Cypriens.

2.

Moins

renommés

LES

CHANTS

CYPRIENS.

que l'/liade, les Kypria

n'en ont pas moins

exercé sur les poètes et les artistes du vri? au ve s. une influence

qui se mesure encore à mille indices, bien que la plupart des ceuvres de cette période aient aujourd'hui disparu. Cette influence s'expliquait non seulement par les liens étroits du poéme de Stasinos avec l’Iliade, mais encore par la diversité et le caractère romanesque des légendes qu'il renfermait. Les témoignages littéraires et artistiques donnent méme à penser que les Chanls Cypriens avaient connu un regain de popularité à Athénes dans la seconde moitié , du v® siècle. La large place accordée par Stasinos aux légendes attiques pouvait expliquer en partie cet engouement. Sophocle a trés largement exploité les ressources des K ypria dans ses tragédies

et ses drames satyriques. De son cóté, Euripide y a puisé un certain nombre d'idées de pièces nouvelles : les Skyrioi et Prolésilas, dans

la première partie de sa carrière; plus tard, Héraclés Furieux et Anliope, où il est le premier à mettre en scène deux légendes (1) A. Severyns (Homère, 111, p. 55 sqq.) a fort exactement récapitulé les à propos desquels les récits des néóléroi — au premier rang desquels il faut

l'auteur des Chants Cypriens —

s'écartent de ceux d'Homére.

points placer

LES

CHANTS

CYPRIENS

405

figurant dans les Chanls Cypriens, que ceux-ci constituent ou non sa source principale. C'est encore un passage de l'épopée qui lui a fourni le point de départ d'Iphigénie en Tauride. Dans une série

d'autres drames, on retrouve des données empruntées aux Kypria par l'un ou l'autre de ses grands devanciers, ou méme par les deux. C'est le cas pour Téléphe, Palaméde et Iphigénie à Aulis. C'est sans doute aussi le cas pour Alerandros, où la matière, déjà traitée par Sophocle, semble d'origine épique.

En plus des sujets de pièces, les Chants Cypriens ont offert à Euripide un grand nombre de motifs particuliers, qui se trouvent incorporés dans des tragédies consacrées à d'autres épisodes de la geste troyenne.

Dans

certains

cas, un

détail

précis prouve

qu'il

s'agit d'un emprunt direct aux Kypria. Ainsi pour l'un des motifs majeurs de ce poéme, la Volonté de Zeus, qui se retrouve dans un

groupe de piéces rapprochées dans le temps. Ainsi encore, lors de la scéne du jugement, pour la description de la toilette des déesses et le sens des promesses qu'elles adressent à Páris. De méme, dans le récit de l'enlévement d'Héléne, pour l'épisode de la cons-

truction

des

vaisseaux

(1)

et

pour

la

présence

d'Aphrodite

au côté d'Alexandre. La parodos d'Iphigénie à Aulis utilise, semble-t-il, un dénombrement des Achéens réunis au bord de l’Euripe qui figurait dans les Chants Cypriens. Enfin, avec une intrigue trés différente, le Palaméde d'Euripide a conservé un

détail épique, l'association de Dioméde et d'Ulysse dans le meurtre du fils de Nauplios. Mais trés souvent aussi un motif des Chanis Cypriens est entré dans la tradition et a inspiré d'autres poétes. Il devient alors malaisé de distinguer entre les emprunts directs d'Euripide à sa

source épique —

si mal connue

de nous —

et les éléments qui

proviennent de ses successeurs. Cette difficulté se présente à propos de thémes tels que ceux de la lutte amoureuse de Thétis et de Pélée et des métamorphoses de la déesse marine, des noces sur le Pélion en présence des dieux, de l'éducation d'Achille par

Chiron, peut-étre aussi à propos du serment des prétendants. Cette liste d'épisodes n'épuise pas la dette d'Euripide à l'égard de Stasinos. A côté des motifs repris purement et simplement par le poéte tragique, il y a tous ceux qu'il a adaptés. Il est rare, en

effect, qu'il

emprunte

à ses devanciers

une

donnée

légendaire

sans y apporter quelque changement : il modifie la situation initiale, la marche de l'intrigue, les caracteres, il introduit de nouveaux personnages, il ajoute, retranche, transpose. Les exemples abondent de cette utilisation indirecte des Chants Cypriens. (1) On trouve déjà une allusion à cet épisode semblent avoir été tirés par Euripide des Chants

dans l'Jliade, mais certains détails Cypriens (cf. supra, p. 179).

406

EURIPIDE

ET LES LÉGENDES

DES CHANTS

CYPRIENS

Il peut d'abord s'agir d'un simple transfert dans le temps. Ainsi,

chez Stasinos, les dieux offraient des armes à Pélée le jour de ses noces avec Thétis. Ces armes, dans un siasimon d’Iphigenie à Aulis,

sont devenues des présents remis à Achille au jour de son départ pour la guerre de Troie. La dispute des trois déesses, qui survenait au cours du banquet des noces, est transportée par Euripide à leur arrivée sur le lieu du jugement. Les prédictions de Cassandre, qui prenaient place dans l'épopée au moment où Páris s’embarquait pour se rendre en Grèce, figurent dans Alexandros aussitôt aprés la reconnaissance du jeune prince par ses parents, c'est-à-dire avant méme la construction des navires. Contrairement à la tradition épique, Euripide affirme que Ménélas était parti pour la Créte avant l'arrivée de Páris à Sparte. La morsure de Philoctéte

par un serpent est transférée de l'escale de Ténédos

à celle de

Lemnos.

Certains changements sont plus complexes. taient comment

Les Kypria racon-

les dieux mettaient pour la premiére fois face à

face Achille et Héléne sur la terre troyenne, bien aprés le début de la guerre. Mélant volontairement les temps, le poéte fait dire à son héroine qu'Achille a jadis compté parmi ses prétendants. ' Certains motifs ne sont que partiellement acceptés. Ainsi, dans Iphigénie en Tauride, Euripide conserve le théme épique de l'enlévement miraculeux de la jeune fille et son transfert en Tauride,

mais il écarte le don d'immortalité qu'elle recevait d'Artémis. La guérison de Téléphe par Achille vient des Kypria, mais le poéte substitue à l'action naturelle des simples une cure merveilleuse par la rouille de la lance. D'autres

allusions

aux

Chants

Cypriens

sont

plus

détournées

encore. Par exemple, Euripide ne parle pas du séjour de Páris chez les Dioscures, mais cet épisode est présent à sa pensée lorsqu'il affirme que Castor et Pollux étaient à Sparte au moment de l'enlévement. Il passe sous silence les présents de Páris, qui semblent

pourtant avoir joué un róle important dans le récit épique de la séduction d'Héléne, mais il insiste sur la richesse du prince troyen, qui apparaissait jusque dans sa mise et qui contribua fort, si on l'en croit, à tourner la téte de la femme de Ménélas. A l'origine de la querelle des déesses, Stasinos plaçait la déesse Éris. Il n'en est pas question chez Euripide, mais quand le poéte évoque la scéne du Jugement, il use avec trop de complaisance du nom commun éris — la querelle — pour qu'on ne voie pas là un écho voulu du motif épique. De méme, s'il a écarté la version ancienne

de la naissance d'Héléne au profit d'une autre plus récente, il a médité sur le sens symbolique du récit de Stasinos qui représentait Héléne, le fléau de Troie et de la Gréce, comme la fille de la déesse Némésis.

LES CHANTS

CYPRIENS

407

Un autre type de modification consiste à transposer un motif des Chanis Cypriens d'une légende à une autre. Dans un des récits de

Nestor,

Lycourgos-Lycos

était

l'oppresseur

d'Antiope,

et

Euripide lui-même a mis ce personnage en scène dans son Aniiope. Mais auparavant, dans Héraclès Furieuz, il a créé de toutes pièces un autre Lycos, modelé à l'image de ce tyran odieux et voué au méme sort : lui aussi, pour avoir persécuté des innocents, subit

finalement un chátiment exemplaire. Enfin, on ne Euripide a évoqué dans son théátre l'épisode de la d'Ulysse lors de la quéte des prétendants (1), mais des Kypria paraît lui avoir donné l'idée du coup fameux de Télèphe, où le héros mysien s'empare du et léve sur lui son couteau.

peut dire si folie simulée cette scéne de théâtre petit Oreste

Une autre série d'exemples montre bien la liberté avec laquelle

le poète en use à l'égard des récits des Chanls Cypriens. Il s'agit des cas oà un motif tiré de ce poéme est tantót mis en avant, tantót au contraire passé sous silence ou remplacé par un autre. L'exemple

le plus célébre de ces variations se trouve dans la piéce d'Héléne, où

Euripide

abandonne

tout à coup

la version

traditionnelle

de

l'enlévement et déclare que l'héroine a été transportée par les dieux

en Égypte,

cependant

que

Páris ne conduisait à Troie qu'un

fantóme à sa ressemblance. Pour rester des Kypria, l'union de Thétis et de Pélée Dans une pièce perdue ( Pélée? Phaniz?), le théme épique des métamorphoses de ajoutant méme une invention personnelle, la métamorphose

de Thétis

en seiche

dans le domaine strict offre un cas significatif. Euripide avait développé la déesse marine, en y de caractére étiologique,

(sépias).

Au

dénouement

d'Andromaque, il n'est pas question de métamorphoses et on ne trouve plus qu'une allusion discréte à la lutte que le héros a soutenue contre la Néréide au cap Sépias. Enfin, dans Iphigénie à Aulis, il n'apparatt nullement que Thétis ait cherché à se soustraire à cette union. Bien au contraire, les noces sont célébrées en grande

pompe sur le Pélion, en présence de tous les dieux. L'épisode du rassemblement à Aulis fournit encore un bon exemple de ces variations concertées. Le sujet méme du Téléphe suppose qu'il y avait eu deux départs de l'armée grecque, le premier aboutissant en Mysie, le second conduisant les Achéens en Troade, et que,

pour ce second départ, Téléphe était le guide des Achéens. Mais, dans Iphigénie à Aulis comme dans l’Iliade, il n'y a qu'un seul rassemblement

des héros, un seul départ,

et le devin

Calchas se

charge de mener la flotte à bon port. Certains motifs que la légende (1) Cette anecdote figurait peut-être quelque part dans son Palaméde, car, dans la tradition antérieure, elle expliquait la haine vouée par Ulysse au fils de Nauplios, mais

les fragments

sont

muets

sur

ce

point.

408

EURIPIDE

ET

LES

LÉGENDES

DES

CHANTS

CYPRIENS

traditionnelle plaçait à Aulis — en particulier les conditions mises par les dieux au départ des Grecs — semblent avoir été intégrés

à l'action du Telephe et transportés en Argolide. Dans les autres piéces troyennes, le poéte suit assez exactement la version épique

du sacrifice d'Iphigénie. Mais en traitant le sujet à la fin de sa vie dans Iphigénie à Aulis, 1l rejette ou modifie la plupart des données

légendaires qu'il avait jusqu'alors acceptées : la faute d'Agamemnon — dont il avait donné ailleurs une explication nouvelle — est ici passée sous silence ; les Grecs sont retenus par le calme plat et non par la tempéte ou des vents contraires ; Achille devient le protecteur d'Iphigénie ; enfin, celle-ci s'offre volontairement au couteau du sacrificateur qui n'est plus Agamemnon. Le sujet de Philoctèle implique

fait escale

que les Achéens

en

route

vers

Troie

ont

à Lemnos, mais dans Élecire et les Troyennes, il semble

que la flotte grecque se soit rendue en droite ligne de Gréce en Troade (1). La

meilleure

preuve

du goüt manifesté

par le poéte

pour

les

légendes des Chants Cypriens réside dans le petit nombre des épisodes épiques qui n'ont pas laissé de traces, d'une maniére ou d'une autre, dans son théátre. Et là encore, il est raisonnable de penser qu'une meilleure connaissance des piéces perdues, en particulier des morceaux lyriques, permettrait de réduire cette

liste : l'enlévement d'Héléne enfant par Thésée ; les prédictions

d'Hélénos avant le départ de Páris et la présence d'Énée auprés de ce dernier

pendant

le rapt;

le róle des

Dioscures,

auxquels

Euripide ménage un destin trés différent de celui que leur donnait Stasinos ; l'union des deux amants à Sparte méme ; la querelle des

chefs

à Lemnos.

La

derniére

partie

du

poéme

contait les péripéties de la guerre en Troade,

semble

épique,

qui

avoir été

peu exploitée par le poéte, encore qu'une connaissance plus com-

pléte de Prolésilas et de Palaméde aménerait peut-étre à réviser ce jugement. Dans l'état où nous la lisons, l’œuvre d'Euripide ne contient aucune allusion aux épisodes de la mort de Cycnos, de la tréve et de l'ambassade achéenne à Troie, aux exploits d'Achille

sur le continent et dans les iles avoisinantes. Ainsi, pour le fond au moins, l'influence des Kypria semble l'emporter de beaucoup chez Euripide sur celle de l'Iliade. Cette influence est par elle-méme trés sensible, qu'elle se manifeste directement ou à travers des intermédiaires lyriques ou tragiques. Mais plus remarquable encore que le nombre des emprunts est la maniére d'emprunter du poéte. Les cas oü il se contente de repro-

duire une légende des Kypria sont loin d'étre les plus fréquents. (1) À propos de la naissance de Téléphe, Euripide différentes dans le prologue du Telephe et dans Augé.

suivait

encore

des

traditions

LES

CHANTS

CYPRIENS

409

Presque toujours, le motif prend dans la tragédie une autre couleur ou un autre sens. Parfois Euripide l'extrait de son contexte épique

pour le transporter dans un autre temps, autre

en

situation.

sorte

que

Parfois

derriére

encore,

le

il semble

motif

un autre lieu ou une le rejeter,

conservé

mais

transparaisse,

il fait

comme

l'écriture à demi effacée d'un palimpseste, la légende de l'épopée. Ainsi, Euripide adresse en quelque sorte un signe d'intelligence à son public. Il lui fait comprendre que, pour des raisons poétiques ou dramatiques, il a été amené à présenter les faits d'une maniére différente, mais que la version de Stasinos n'est pas absente de sa pensée.

Ce n'est pas seulement la connaissance de la tragédie qui bénéficie de cette confrontation, mais aussi celle de l'épopée. Car malgré les changements que le poéte tragique apporte aux données

des Chants Cypriens, on peut tirer de son œuvre des indications sur ce poéme qui viennent confirmer ou compléter celles des fragments, de la Chreslomathie et des sources indirectes. L'examen de divers passages tragiques fournit, par exemple, des raisons supplémentaires de croire à l'existence dans les Kypria d'épisodes

ou de motifs absents du résumé de Proclos, comme et

la

reconnaissance

l'histoire.d'Achille pas dans

à Stasinos

de

Páris,

le

serment

des

l'exposition

prétendants

et

à Skyros. Certains détails qui ne, reparaissent

les autres sources

semblent

: l'origine grecque

aussi devoir

étre attribués

du constructeur des vaisseaux

de

Páris, le róle important de Ménélas auprés d'Agamemnon, non seulement dans le rassemblement des Acheens, mais encore dans le commandement

de l'armée, le caractére de Lycos dans l'histoire

d'Antiope. Le théátre d'Euripide confirme encore l'origine épique de traits légendaires fournis par la tradition indirecte : il suggère que le motif de la volonté de Zeus avait dans l'épopée une valeur morale, que l'épisode des noces de Pélée comprenait des prédictions

d'Apollon

à propos d'Achille, que Palaméde

inventait le jeu de

dames à Aulis et avait un rôle important dans le ravitaillement de l'armée en Troade, que Stasinos décrivait l'arrivée d'Iphigénie en char dans le camp achéen et mentionnait l'oracle prédisant la mort du premier Grec qui mettrait le pied sur le rivage troyen. Il atteste qu'un vers isolé du poème se rapporte bien à la mort d'Astyanax, et complète les indications de nos autres sources sur les promesses des déesses et sur la construction des vaisseaux de Páris, sur la guérison de Télèphe, sur le séjour des Grecs à Aulis. Il conserve enfin certains traits de la légende épique d'Héraclés et de Protésilas. Méme si dans aucun de ces cas le témoignage d'Euripide n'est absolument décisif, il permet au moins d'accroitre le nombre des hypothéses raisonnablement fondées sur

le contenu des Chanis Cypriens.

410

EURIPIDE

3.

ET

LES

LES

LÉGENDES

AUTRES

DES

POEMES

CHANTS

CYPRIENS

ÉPIQUES.

A côté des Chants Cypriens et méme de épopées n'occupent qu'une place restreinte

l'Iliade, les autres parmi les sources

d'Euripide. Il n'y a rien là que de normal, puisque ces poèmes ne touchent que par accident aux légendes des débuts de la guerre de Troie. Ainsi, on ne peut guére noter de renvois à l'Odyssée, sauf peut-être à quelques passages de la Nekyia généralement considérés comme interpolés.

Parmi les épopées cycliques, l'Aleméonide paratt s'étre proposé de relier entre elles les gestes thébaine et troyenne. Utilisée en d'autres occasions

meurtre

de

par Euripide

Phócos

par

Pélée,

(1), elle lui fournit le détail du

et le motif

légendaire

du

vœu

imprudent L'influence

d'Atrée qu'il transpose dans l'histoire d'Iphigénie. des épopées troyennes proprement dites est des plus

restreintes.

L'épisode

d'Ulysse

mendiant

dans

la Petile

Iliade

a pu suggérer au poéte le déguisement de Téléphe. A l'Iliou Persis remonte sans doute l'idée de placer un fils de Thésée à la téte du

contingent

athénien

devant

Troie.

Il est moins

sûr qu'il faille

attribuer aux Nosloi le thème de la querelle des Atrides, développé

successivement dans Télèphe et Iphigénie à Aulis. S'il n'apparatt pas qu'Euripide se soit inspiré de la T'héogonie, il a connu et utilisé le Calalogue des femmes et les autres poémes du recueil hésiodique. Mais il est souvent difficile de préciser si cette utilisation a été directe ou indirecte, car les mémes motifs reparaissent chez les lyriques, en particulier chez Pindare, et chez les tragiques. Bien que l'Aegimios, le plus souvent attribué à Hésiode (2), ait traité de la légende de Thétis et de Pélée, il ne semble pas qu'Euripide s'en soit servi. En revanche,

le souvenir

des Enseignemenis de Chiron, poème populaire à Athènes au v? s., est présent dans plusieurs passages oü il est question de la jeunesse d'Achille. Le récit des noces de Pélée emprunte un certain nombre

de détails à la description du Calalogue des Femmes. C'est probablement de lui que vient le motif de l'installation des jeunes époux

à Phthie. L'épithalame chanté par les Thessaliens à l'arrivée du couple dans cette ville est transporté par Euripide à la cérémonie méme du Pélion. D'une maniére générale, la peinture des noces combine des traits empruntés aux Kypria et au Calalogue. Ainsi que le poéte épique, Euripide considére l'un et l'autre des Dioscures (1)

Sc. TAB

à Or. 995 ; cf. A. Severyns,

CE,

p. 229.

(2) A. Severyns, CE, p. 224-25, le place dans la geste mythique. J. Schwartz, ( Pseudohesiodeia, p. 261-64), sans se prononcer formellement, paraît se ranger à cet avis.

LES LYRIQUES

comme

411

les fils de Zeus. Bien que le Calalogue ait pu lui fournir

le motif du serment des prétendants, on ne sait s'il l'a emprunté au poème hésiodique ou aux Chanis Cypriens. Enfin, le généalo-

giste évoquait l'enfance de Téléphe et les aventures d'Antiope, mais on connait trop mal la version qu'il présentait dans ces deux cas pour mesurer la dette d'Euripide à son égard. Parmi les épopées plus tardives, on peut seulement rappeler que le théme de

la folie d'Héraclés Panyassis.

figurait au début

du v? s. dans l’œuvre

de

Enfin, dans quelques cas, notre information ne remonte pas plus

haut que les premiers historiens, en particulier Phérécyde.

Mais

comme ce dernier avait recueilli dans ses ouvrages un grand nombre

de traditions épiques, il est probable qu'Euripide s'est inspiré des poémes originaux plutót que des compilations de ce logographe. 4. LES

LYRIQUES.

L'apport des lyriques chez Euripide, sans étre aussi important que

celui de l'épopée,

d'entre eux,

Stésichore

n'est

pas négligeable,

surtout

pour

deux

et Pindare.

On a tantót amplifié, tantót au contraire nié la dette du poéte à l'égard du lyrique sicilien (1). Celle-ci est surtout marquante dans

les ceuvres

de la derniére

décennie,

l'avait apprécié, et peut-étre méme Il est certain,

en particulier,

comme

si Euripide

ne

découvert, que tardivement.

que l'Oreslie de Stésichore

est une

des sources du poète tragique dans les pièces où il traite du destin

des enfants d'Agamemnon, Élecire et Oresie. Les poèmes consacrés à l'héroine de Sparte, Héléne et la Palinodie (2), n'étaient pas moins

connus de lui. Au premier se rattache le thème du serment des prétendants,

la

description

des

noces

d'Héléne

et

de

Ménélas.

Les attaques violentes que ce poéme contenait contre la Tyndaride ont alimenté les diatribes d'Euripide contre l'épouse infidéle de Ménélas. La Palinodie a fourni de son cóté le sujet de la tragédie d'Hélène. Stésichore, prétendant qu'Héléne n'avait pas accompagné

Páris en Troade, déclarait que Grecs et Troyens s'étaient battus pour un fantóme. Ce témoignage, associé à celui d'Hérodote et à des souvenirs homériques, avait inspiré à Euripide le récit des aventures égyptiennes de la « nouvelle Héléne ». (1) M. Mayer, De Euripidis Mythopoeia

capila duo, Berlin,

la part trop large à l'influence de Stésichore sur Euripide.

négative

de

H. Grégoire

(notice de l'édition d'Hélène

1883, a peut-être fait

Mais la position totalement

(Budé),

p. 30 sqq.)

n'est pas

Lenable. (2) Ontrouvera une bonne étude sur ces deux ceuvres dans l'article de J. Alsina Clota,

Estudios Classicos, 4 (1957-58), p. 162-175.

412

EURIPIDE

ET LES LÉGENDES

DES CHANTS

CYPRIENS

Dans d'autres cas, il est plus difficile de préciser si la poésie de Stésichore est la source d'Euripide. Par exemple, on sait que le lyrique avait traité l'épisode de la folie d'Héraclés, mais on ignore sous quelle forme. D'autres motifs se rencontraient chez lui, mais ils ont été repris ensuite, soit par Pindare, soit par les tragiques. Ainsi, le poéte d'Himére semble avoir été le premier à attribuer l'invention de l'alphabet à Palaméde, à prétendre qu'Iphigénie

fut attirée à Aulis sous le prétexte d'étre unie à Achille et à présenter son sacrifice comme le mobile du meurtre d'Agamemnon. Il reste enfin une série de thèmes euripidéens dont on ignore

l'origine et dont on a attribué, avec plus ou moins de vraisemblance, la paternité

à Stésichore

: citons

l'union

de Léda

et de

Zeus métamorphosé en cygne, le premier mariage de Clytemnestre avec

Tantale,

d'Iphigénie.

le nom

de

A défaut

Phobé

donné

de preuve,

une

à

une

sœur

présomption

d’Electre

et

peut se tirer

du fait que ces motifs se trouvent souvent mélés chez Euripide à d'autres dont l'appartenance à l’œuvre de Stésichore est assurée. D'Ibycos, on peut seulement retenir un qualificatif de Päris qui se rencontre dans les Troyennes. Aleman, Alcée et Sappho ont contribué dans leurs poémes à la vaste discussion instituée depuis

Homére sur les responsabilités des hommes et des dieux dans l'enlévement d'Héléne. Les poétes de Lesbos ont insisté en particulier sur les facteurs

humains,

beauté

d'Héléne

et passion

des

amants, et le róle d'Aphrodite a pris chez eux une valeur symbolique. Enfin, Terpandre et Alcée ont illustré la légende cultuelle représentant les Dioscures sous la forme de divinités tutélaires, légende que notre poéte a adoptée dans plusieurs de ses piéces (1). De tous les lyriques, c'est Pindare qui semble avoir tenu le

premier rang

dans

les sources

d'Euripide.

Tout

au

moins,

son

œuvre, bien mieux connue de nous et nourrie de traditions épiques, permet des comparaisons plus nombreuses. Celles-ci concernent surtout les légendes de Pélée et d'Achille. Ce n'est pas surprenant

quand on songe aux liens de Pindare avec l'ile d'Égine, patrie des Eacides. Aussi est-ce un morceau du lyrique thébain qui est paraphrasé dans un slasimon d'Andromaque célébrant les exploits

de jeunesse de Pélée. C'est peut-être le méme poète qui lui suggère une allusion au meurtre de Phócos. C'est encore à lui qu'il demande des compléments aux récits épiques quand il évoque l'union de Thétis et de Pélée sous ses diverses formes : une lutte amoureuse entre le héros de Phthieet la déesse marine aux multiples métamorphoses, ou bien des noces présidées par les dieux dans la caverne

(1)

Bacchylide

sauveurs.

a, de

son

côté,

condamné

la faute

de

Päris

et célébré

les

Dioscures

LES TRAGIQUES

413

de Chiron, au cours desquelles les Muses exécutent un chant d'hyménée. Dans le méme morceau, la description des Centaures se rendant aux noces s'inspire d'un passage de Pindare placé dans un autre contexte. ἃ la suite de l'épopée, Pindare s'est encore plu à montrer le jeune Achille recevant son éducation physique et morale du Centaure Chiron. Enfin, il est apparemment le premier auteur à évoquer le songe prophétique d'Hécube révant qu'elle donnait naissance à une torche enflammee. Dans d'autres cas oü l'on reléve des thémes communs à Pindare et à Euripide, le poéte lyrique constitue seulement un relais entre l'épopée et la tragédie

: citons à titre

d'exemple

l'origine

divine

des Dioscures, le róle du sacrifice d'Iphigénie dans le crime de Clytemnestre, l'invention des lettres par Palaméde. Pindare a pu aussi contribuer à documenter Euripide sur le culte des Dioscures dans les cités doriennes ou sur celui de Protésilas à Phylakè. Ainsi, Euripide a souvent été amené à compléter ou à corriger les légendes des Chants Cypriens par des emprunts aux poètes lyriques. On ne sera pas surpris que cette influence se manifeste

surtout

dans

les passages

choraux,

les deux

genres

de lyrisme

étant étroitement apparentés. Parmi les représentants de cette poésie, Euripide a surtout distingué Stésichore et Pindare, mais pour des raisons assez diflérentes. Le premier, que Simonide associait à Homére dans une méme admiration (1), était célébre pour les changements hardis qu'il avait introduits dans les légendes épiques. Les anciens louaient aussi les soins qu'il apportait à la peinture des caractéres (2). L'un et l'autre de ces talents étaient de nature à séduire notre poéte. Les mérites de Pindare sont d'un ordre différent aux yeux d'Euripide. Il semble avoir été plus

respectueux des légendes épiques, qu'il reproduit souvent sans les modifier. mieux

Il lui arrive

appropriée

à ses

cependant vues

ou

de de

leur passer

préférer sous

une

silence

variante un

trait

qui le choque. Mais il s'est efforcé de traduire en images la beauté des mythes, tout en dégageant leur sens profond et les lecons éternelles qu'ils offrent aux hommes. 5. LES

TRAGIQUES.

Du lyrisme à la tragédie attique, la transition est d'autant plus aisée que Pindare a été le contemporain d'Eschyle et que tous deux semblent parfois s'étre donné la réplique à propos d'un méme mythe. Mais les poétes tragiques d'Athénes étaient plus (1) Fr. 59 P. L'auteur du Trailé du Sublime l'appelle « ὁμηρικώτατος » (XIII, 3).

(2) Cf. DH., Cens. Vet., 11, 7 ; Quint., X, 1, 62.

414

EURIPIDE

ET

LES

LÉGENDES

DES

CHANTS

CYPRIENS

limités dans le choix de leurs sujets par les exigences scéniques. Travaillant sur le méme fonds légendaire relativement restreint, les prédécesseurs d'Euripide, nous l'avons vu, ne lui avaient laissé que peu de légendes nouvelles à traiter parmi celles des Chanis

Cypriens.

Heureusement,

les usages n'interdisaient ni la reprise

de sujets déjà portés à la scéne, ni les emprunts à une tragédie antérieure, à condition que le drame nouveau gardát un certain air d'originalité. Il est donc naturel que la dette d'Euripide à l'égard d'Eschyle et de Sophocle soit importante. Mais c'est surtout au premier de ces deux poétes qu'il semble avoir demandé des

modéles. Dans beaucoup de cas, Eschyle reproduit sans changement notable les légendes de l'ancienne épopée, de sorte qu'il est difficile

de dire si Euripide s'inspire du poéte tragique ou de sa source. Ainsi pour le róle de Zeus dans les noces de Thétis et de Pélée (Calalogue des Femmes? ; Pindare) et pour certains détails de l'enlévement

d'Héléne

: absence

de

Ménélas,

retour

des

amants

à Troie sans escale et par mer calme, noces de Páris et d'Héléne célébrées au palais de Priam ( Kypria). En se conformant à la tradi-

tion épique et lyrique, Eschyle met l'accent sur le crime de Páris. Mais plus personnelle et originale est la maniére dont il fait ressortir

la faute propre d'Héléne : sur ce point, Euripide s'est visiblement inspiré

de

lui.

l'Agamemnon, des

Chanis

La

peinture

également

Cypriens,

du

sacrifice

d'Iphigénie

qu'offre

fidéle dans ses grandes lignes au récit

est reproduite

dans

Iphigénie

en

Tauride.

Mais Eschyle méle à l'exposé des faits des réflexions qui inspireront son

successeur,

lorsqu'il

montrera

que

la

faute

d'Agamemnon

a commencé seulement avec l'acceptation de l'oracle. Le probléme que ce sacrifice pose à la conscience humaine sera encore évoqué sous ses divers aspects dans Iphigénie à Aulis, en particulier au cours des discussions d’Agamemnon avec Ménélas et avec

Clytemnestre. Comme Pindare (et peut-être déjà Stésichore), Eschyle rattache le meurtre d'Agamemnon au drame d'Aulis et explique la rancune de Clytemnestre par l'ignorance oü elle se trouvait

du

salut miraculeux

de

la jeune

de ce motif apparatt au dénouement l'authenticité,

emblémes un morceau

il est vrai,

des vaisseaux

est

fille.

Un

souvenir

d'Iphigénie à Aulis, dont

discutée.

dans la parodos

Enfin,

la description

des

de cette piéce rappelle

célébre des Myrmidons.

Dans le prologue du Télèphe, les antécédents du héros semblent empruntés à l'action des Mysiens. Surtout, le drame d'Euripide doit au Télèphe d’Eschyle deux l'alliance qui se noue entre le surtout le geste de Téléphe qui en tenant dans ses bras le

des motifs essentiels de son intrigue : héros de Mysie et Clytemnestre, et se réfugie sur l'autel des suppliants petit Oreste. Peut-être dans son

LES TRAGIQUES

415

Tennés (?), ou en tout cas dans le prologue de Philocléle, il avait raconté la morsure de l'ancien compagnon d'Héraclés par uu serpent d'eau et son abandon par les Grecs. Il y a donc de bonnes

chances qu'Euripide tienne de lui le théme du sacrifice des Grecs à Chrysé. Enfin, c'est encore Eschyle qui semble avoir introduit dans la légende de la mort de Palaméde la modification essentielle dont s'inspirera Euripide, c'est-à-dire le théme de l'intrigue ourdie

par Ulysse au moyen d'une fausse lettre écrite par un prisonnier phrygien et de l'or caché secrétement sous la tente du héros. Les deux poétes s'accordaient pour placer l'éloge des inventions de Palaméde dans la bouche méme du héros.

Ainsi,

en traitant les légendes

des Chanis Cypriens,

il arrive

souvent qu'Euripide se rencontre avec Eschyle. Si ces rencontres tiennent parfois à l'existence d'une source épique commune, c'est en général la version dramatique qui prévaut chez notre

poéte sur celle de l'épopée. On doit penser, en effet, que dans beaucoup de cas Eschyle a été le premier auteur tragique à apporter

aux légendes du cycle les changements qu'elles exigeaient pour étre portées à la scéne. C'était une sorte de seconde création, qui allait à son tour servir de point de départ à ses successeurs. De plus, assez de temps

s'était écoulé entre les piéces troyennes

d'Eschyle et celles d'Euripide traitant les mémes sujets pour que les emprunts du jeune poète au grand aîné fussent peu apparents

aux yeux des spectateurs. Ces emprunts ne sont du reste pas des plagiats, car les situations et les caractéres différents donnent une

autre valeur aux motifs hérités d'Eschyle. Il arrive méme à Euripide de polémiquer contre le vieux poéte et de montrer qu'il présente les faits d'une maniére invraisemblable ou simpliste. Il n'en reste pas moins que l'influence d'Eschyle sur Euripide a été considérable, sur le double plan de la technique dramatique et de la réflexion sur les mythes. Tous deux ont recherché les situations propices aux effets de théátre et aux scénes à grand spectacle (1). Mais chacun à sa maniére s'est aussi efforcé de montrer la signification

religieuse et humaine des légendes anciennes, en posant les problémes en termes d'actualité. Le cas de Sophocle est un peu différent. S'il était plus notre poéte, la plus grande partie de leur carriére théátrale se simultanément et l'influence s'exerce dans les deux sens. souvent, Euripide reprend des sujets traités par Sophocle,

âgé que déroule Le plus mais le

contraire n'est pas sans exemple (Telephe, Philocléle). Sophocle âgé imite les procédés dramatiques et lyriques d'Euripide. D'autre part, il a exploité plus systématiquement qu'Eschyle la matière (1) und

Pour Eschyle, voir eu particulier le livre de K. Reinhardt, Aischylos als Regisseur Theologe, 1949.

416

EURIPIDE

ET

LES

LÉCENDES

DES

CHANTS

CYPRIENS

des Chants Cypriens. Si ses nombreuses pièces troyennes — tragédies et drames satyriques — étaient mieux connues et plus sürement datées, il est probable que les rapprochements avec Euripide seraient notablement plus nombreux. La piéce d'Euripide qui doit le plus à Sophocle est sans doute son Alerandros. La marche de l'action semble la méme dans les

deux piéces : le petit Páris était exposé

sur l'Ida à la suite d'un

oracle ; nourri par une béte sauvage, il était trouvé et élevé par des bergers ; une circonstance fortuite le conduisait à Troie où il était. finalement reconnu par ses parents et retrouvait sa place parmi les siens. La légende du sacrifice d'Iphigénie, au moins

dans les piéces antérieures à Iphigénie à Aulis, est présentée sous la forme que lui avait donnée Sophocle. Comme lui, Euripide attribue à Iphigénie et Électre une sœur du nom de Chrysothémis. Comme lui, il montre les vaisseaux retenus au port par le calme

plat, Ménélas faisant pression sur son frére, Clytemnestre proposant de sacrifier Hermione à la place d'Iphigénie et celle-ci attirée à Aulis sous le prétexte mensonger d'épouser Achille.

D'autres

motifs

du

théâtre

de

Sophocle

se retrouvent

chez

Euripide, mais transposés. Ainsi, la situation de Néoptoléme, héros des Skyriot de Sophocle, caché parmi les bergers de Lycomede, préfigure la situation de son père Achille, héros des Skyrioi

d'Euripide, caché dans le gynécée du roi de Skyros. Le revirement de Philoctéte, dans la piéce de Sophocle, antérieure de peu d'années à Iphigénie à Aulis, a peut-être fourni un modèle pour le revire-

ment

de

l'héroine

de

ce

drame.

La

description

du

quadrige

d'Eumélos, dans la parodos de la méme piéce d'Euripide, s'inspire de celle du quadrige d'Oreste, dans l' Éleclre de Sophocle. La scene d’Ajax où les Atrides promulguaient la défense d'enterrer le héros parait

avoir

eu son

pendant

Enfin, de nombreux

dans

le Palaméde

thémes communs

de notre

poéte.

à Sophocle et à Euripide

peuvent s'expliquer par une source commune.

Celle-ci est l'épopée

de Stasinos pour la lutte de Thétis et de Pélée et les métamorphoses

de la déesse marine, le róle d'Éris dans la querelle des déesses et leur toilette sur l'Ida avant le jugement, la faute d'Agamemnon qui provoquait la colére d'Artémis, le transport d'Iphigénie par la déesse en Tauride (Chrysés), la mort de Protésilas des mains

d'Hector. D'autres motifs semblent tirés d'une source plus récente, comme l'influence du sacrifice d'Iphigénie sur les sentiments de Clytemnestre à l'égard de son mari (Eschyle, Pindare), le róle

symbolique d'Aphrodite dans le destin de Páris et d’Helene (Alcée, Sappho) et les diverses inventions de Palaméde (Stésichore, Eschyle).

Ainsi, plus encore que les thémes eschyléens, ceux de Sophocle sont l'objet de remaniements de la part d'Euripide. Il ne se prive

DIVERS

417

pas d'utiliser les innovations de son devancier lorsqu'elles peuvent lui étre utiles, mais il montre en méme temps son indépendance. Il emprunte le détail plutót que l'ensemble et il transporte situations et arguments,

soit d'un autre cycle de légendes au cycle troyen,

soit d'un épisode à l'autre des Kypria (1). 6. DIVERS.

Les

sources

d'Euripide

ne

sont

pas

exclusivement

poétiques.

Cet homme d'une vaste lecture a parfois tiré parti, dans la mise en forme des légendes des Chants Cypriens, d'ouvrages de prose qui ne concernaient pas directement ou principalement les mythes troyens. C'est le cas en particulier pour les Histoires d'Hérodote (2). On a rapproché à juste titre le récit de l'enfance de Cyrus chez Hérodote de celui de l'enfance de Páris chez Euripide, mais cette influence peut s'étre exercée seulement à travers l’Alexandros

de Sophocle. En revanche, il est certain que la version « égyptienne » de l'enlévement d'Héléne telle que l'avait rapportée l'historien, combinée

avec

la Palinodie

de Stésichore,

lui a fourni de nom-

breux matériaux pour la construction de son Hélène. A propos de l'expédition contre Troie, Euripide s'est trés probablement souvenu d'une page de la préface des Hisloires. On y trouve les deux arguments successivement développés dans la premiére et la seconde moitié d’Iphigénie à Aulis: déraisonnable, si elle n'avait pour but que de rendre

une

femme

infidéle à son mari,

cette expédition était au contraire pleinement justifiée si elle représentait un effort concerté de la Gréce pour mettre fin aux empiétements des Barbares. Ce théme du panhellénisme, qui constitue évidemment un anachronisme dans le contexte épique de la piéce, formait une des idées politiques maîtresses du sophiste Gorgias, qu'Euripide a connu et dont il a pu, dans ses derniéres années, subir l'influence

directe au cours de son séjour en Macédoine. On sera tenté aussi de trouver le reflet de l’Hélène de Gorgias dans la scène des Troyennes où l'héroine plaide sa propre cause en utilisant les arguments mémes qu'avait utilisés l'orateur, arguments qu'Euripide

réfute ensuite par la bouche d'Hécube. Enfin, dans la méme trilogie, il est possible que le plaidoyer de Palamède s'inspire du discours par lequel Gorgias avait exalté les multiples inventions attribuées au héros. (1) On ne peut signaler aucune référence aux tragiques mineurs, dont les fragments sont à vrai dire trés peu nombreux. (2) Hérodote mentionne le culte des Néréides au cap Sépias et celui de Protésilas à Éléonte, mais Euripide a pu en avoir une connaissance directe. 28

418

EURIPIDE

ET

LES

A côté des sources

LÉGENDES

proprement

DES

CHANTS

CYPRIENS

littéraires d'Euripide,

il faut

ménager une place aux traditions cultuelles. Il n'est pas toujours facile de les distinguer des précédentes, car les écrivains, et surtout

les poétes, se sont employés à répandre les récits élaborés dans l'ombre des sanctuaires locaux ou panhelléniques. Si Euripide ne semble pas avoir été un grand voyageur, il a pu connattre par ses concitoyens

ou

par

des

étrangers

séjournant

à Athénes

les

particularités de certains rituels d'autres régions et les récits qui s'y rattachaient. On pensera au culte de Thétis au Thétideion de Thessalie,

à celui de Palaméde

sur la cóte sud de Troade,

voire à

celui de Tennés à Ténédos. Le poéte mentionne encore les rites du culte des Dioscures, associés ou non à celui d'Héléne, dans les pays doriens et à Athénes méme. Il tire parti en homme de théátre du culte d'Apollon Lycien à Argos et en Mysie, peut-étre du culte de la déesse Chrysé et du héros Philoctéte dans certaines tles de la Méditerranée

orientale,

enfin

du

culte

d'Héraclés

à Thébes.

Le

drame le plus nourri d'éléments rituels paraît être Prolésilas, oü affleurent, sous le travestissement dramatique, des données religieuses trés anciennes issues de Thessalie, alliées à des pratiques dionysiaques. Ainsi, indépendamment de tout jugement métaphysique ou moral sur les dieux, Euripide fait appel aux traditions émanant des sanctuaires, qui se mélent aux mythes élaborés de la poésie, les prolongeant et leur donnant une résonance plus grande. Tantót elles permettent au poéte de renouveler une légende épique (Andromaque, Prolésilas), tantót elles donnent naissance à une péripétie dramatique ou ennoblissent une action trop humaine

(Héléne, Téléphe), tantót enfin elles offrent, au dénoue-

ment de l'intrigue, une explication étiologique qui relie le passé à des croyances et des rites toujours vivants (Oreste).

Reste cuvres

une d'art.

derniére Euripide,

source

d'inspiration

possible,

celle

des

nous l'avons vu, aime à scruter le sens

profond des légendes, mais l'artiste qui est en lui se montre sensible aux possibilités d'évocations qu'elles renferment. Autant qu'un intellectuel, c'est un visuel (1). Il est donc légitime de se demander quelle est sa dette à l'égard de l'art de son temps. En fait, si dans quelques passages on a pu discerner chez lui l'influence d'une œuvre d'art déterminée (2), on atteint rarement une certitude à propos des légendes des Chanls Cypriens. On connaît, il est vrai, deux œuvres de la grande peinture du v? s. qui illustrent des thémes épiques traités par Euripide : Polygnote (1) Cet aspect de l'art d'Euripide a bien été mis en lumiére dans l'ouvrage d'E. Petersen, Die attische Tragödie als Bild- und Bühnenkunst, Bonn, 1915.

(2) Cf. par exemple p. 21-23.

pour Hélène,

375-385, la notice de l'édition Grégoire (Bude), ;

CONCLUSION

419

avait peint Achille chez les filles de Lycoméde et Oiax et ses fréres luttant contre Oreste, mais rien ne prouve que le poéte se soit souvenu de ces fresques célébres plutót que des légendes poétiques qui les avaient inspirées. Beaucoup des Chanis Cypriens étaient depuis longtemps

d'autres épisodes populaires parmi

les peintres, comme l’atteste la céramique figurée. Le « Vase Frangois » par exemple, montre le cortége des dieux se rendant aux noces de Thétis et de Pélée, et une riche série de vases illustre la lutte du héros et de la déesse marine, avec ou sans métamor-

phoses de celle-ci. Sur le tróne d'Amyclées était figuré Achille auprés de Chiron. Le jugement des déesses, la rencontre de Páris et d'Héléne et l'enlévement sont connus par des séries iconographiques qui ont été l'objet d'études récentes. Les vases attiques montrent souvent les « Dioscures aux blancs coursiers» et il existe quelques représentations de Philoctéte mordu par le serpent devant l'autel de Chrysé. Mais, s'il est vrai que l'art contemporain exerce une influence indiscutable sur les procédés descriptifs d'Euripide, composition, choix et disposition des personnages, et en particulier des personnages secondaires, décor, lumiéres et couleurs (1), on ne peut citer avec certitude une scéne, ou méme un détail caractéristique qui s'inspirerait d'une œuvre d'art, soit conservée, soit connue par le témoignage des anciens. Une seule exception, peut-être : on sait que le cortège des Néréides constituait un des motifs aimés par les peintres et les sculpteurs.

Lorsque, dans un beau slasimon d'Élecire, Euripide montre les Néréides portant les armes d'Achille, il est probable qu'il suit alors une tradition artistique plutót que littéraire. 7. CONCLUSION.

Cette enquéte sur les sources d'Euripide dans sa représentation des légendes des Chanis Cypriens n'aboutit — et ne peut aboutir —

qu'à des résultats partiels et trop souvent conjecturaux. Il subsiste nécessairement de larges zones d'ombre, car nous ignorons quels étaient au juste les ouvrages que renfermait la fameuse bibliothéque du poéte et nous connaissons trés mal la plupart, parmi les plus importants, de ceux qui s'y trouvaient à coup sür. Une autre cause d'incertitude vient du fait que la majorité de ces légendes ont été l'objet de reprises constantes chez les poétes du vii? au v® s., sans qu'il soit toujours possible de déterminer les variantes propres à chacun d'eux. Il est alors difficile de préciser à quel stade de son développement Euripide a saisi un mythe pour (1) Ct. infra, p. 436-439.

420

EURIPIDE

ET LES LÉGENDES

DES

CHANTS

CYPRIENS

le faire entrer dans un de ses drames. Compte tenu de ces restric-

tions, nous pouvons déterminer trois groupes de sources principales, épopée, poésie lyrique, tragédie attique, en comparaison desquelles les autres sont presque négligeables. L'œuvre d'Euripide témoigne d'une connaissance approfondie de l'épopée, et non seulement de la poésie homérique, mais encore

des poémes du cycle. Le cas échéant, Euripide distingue nettement les légendes de l’/liade de celles des Kypria et donne en général la préférence aux secondes. Parfois, il les reproduit sans les altérer,

mais le plus souvent il accueille les changements que d'autres leur avaient fait subir ou en introduit lui-méme de nouvelles. Les Chanis Cypriens constituaient dés le début du v? s. une mine de sujets pour les poétes dramatiques. Tout en étant moins répandus que les poémes d'Homére dans la masse du public, ils étaient loin d'étre ignorés

: le caractére allusif de bien des réfé-

rences du poéte aux légendes des Kypria montre qu'il se savait sur un terrain connu.

En moins

allait-il de méme sûr, mais

lorsqu'il s'inspirait des lyriques ? C'est

il n'était pas nécessaire

que le public reconnüt

l'emprunt. En effet, le poéte demandait moins à Stésichore ou à Pindare de lui fournir le cadre général ou les grandes lignes d'une légende que des détails pittoresques ou un jugement moral. L'influence de Stésichore n’apparaît qu'assez tardivement dans son

ceuvre, mais elle semble plus importante qu'on ne l'a dit dans les piéces postérieures à 415. Euripide lui est redevable de variantes légendaires nouvelles dont il agrémente ses descriptions lyriques, et surtout du motif central de son Hélène. , Parmi les tragiques, il doit beaucoup à Eschyle, dont il a pu voir représenter les pièces dans son enfance et sa jeunesse, à un moment où les impressions

théâtrales

sont particulièrement

profondes

et

durables. Il lui arrive de critiquer ou de corriger les pratiques un peu naïves du vieux poète, mais il a étudié de près sa technique et il tend à revenir dans sa vieillesse à certains des procédés eschyléens. Si éloignés qu'ils soient par l'esprit, Eschyle et Euripide ont bien des affinités, qu'il s'agisse de construire une intrigue ou de montrer le sens caché d'un mythe. Avec Sophocle, les rapports d'Euripide sont d'un autre ordre : c'est l'atné, paré du prestige de ses réussites, mais aussi le rival qui a tant de fois barré au poéte le chemin du succés. Tous deux ont souvent traité à quelques années d'intervalle les mémes légendes et il n'y a pas entre eux de désaccord important sur la maniére de les mettre en scène. Aussi les emprunts réciproques sont-ils nombreux, qu'il

s'agisse de situations, de caractéres ou de procédés dramatiques. Euripide, des deux, est le plus grand débiteur, mais il marque tou-

jours par quelque changement son originalité propre et c'est surtout

LES

PROCÉDÉS

D'ADAPTATION

421

par son attitude intellectuelle en face du mythe qu'il se distingue de son rival.

D'une manière générale, c'est moins l'importance de ses sources que l'indépendance

d'Euripide à leur égard qui est remarquable.

Une

donnée légendaire n'a jamais pour lui force contraignante.

Elle

doit entrer

dans

cette

construction

originale

qu'est

un

de

ses drames. C'est donc la donnée qui devra se plier aux exigences du poète et non l'inverse. Comment le poète procède-t-il dans ce cas ? C'est ce qu'il nous faut maintenant examiner plus en détail.

III. LES

PROCÉDÉS

D'ADAPTATION

Aristote disait que le poéte tragique doit «inventer lui-méme et faire un bon usage des données de la tradition » (1). Il résumait

ainsi la double táche assignée à l'auteur dramatique : adapter à la scene les légendes traditionnelles en tenant compte

des régles et

des exigences propres de la tragédie et y ajouter des situations et des

péripéties

nouvelles

de

son

invention.

Des

trois

grands

tragiques, c'est sans doute Euripide qui a le plus également réparti ses efforts entre les deux obligations définies par l'auteur de la Poélique.

Les

«données

exigences,

de

la

tradition»

avaient

elles-mêmes

auxquelles le poéte ne pouvait se soustraire.

leurs

Elles lui

imposaient le cadre légendaire et la ligne générale des faits, les noms des héros et leur caractére, le sens dans lequel devait s'exercer l'action des dieux. Il est certain qu'Euripide a subi fortement l'ascendant de ces traditions, et l'on ne voit guére qu'un exemple — celui de la «nouvelle Helene» — où il se soit dressé contre elles. Encore, dans ce cas, pouvait-il invoquer d'autres garants poétiques. Mais il n'en conservait pas moins beaucoup de liberté dans les détails, ceux-ci étant subordonnés à l'intrigue et au róle

dévolu aux personnages. Il ne faut donc pas chercher dans l'eeuvre d'Euripide une tradition légendaire unique et sans contradictions.

Dans une large mesure,

c'est le sujet du drame qui détermine le contexte mythologique. Ainsi, tantót le poéte tient compte de l'expédition de Mysie parce qu'elle constitue le point de départ de son drame ( Téléphe), tantôt au contraire il admet implicitement la version homérique qui passe sous silence cet épisode (Iphigenie à Aulis). Dans Hélène, (1) « Abröv 1453b 25-26.

δὲ εὑρίσκειν δεῖ xal τοῖς παραδεδομένοις χρῆσθαι

καλῶς » Poft. 14,

422

EURIPIDE

ET

LES LÉGENDES

DES

CHANTS

CYPRIENS

l'héroïne affirme qu'Achille comptait parmi ses prétendants, ce qu'exclut le sujet des Skyrioi. Suivant les piéces, Achille, pour rejoindre l'armée, part de Skyros, de Pharsale ou du Pélion.

Lorsqu'un

motif

ne

doit

avoir

qu'un

róle secondaire

dans

l'intrigue, Euripide accepte souvent la version la plus répandue, en général celle qui remonte à Homère, ou bien encore celle qui avait été popularisée à Athénes par la tragédie. C'est le cas, par exemple, pour les origines, la mort et le sort d'outre-tombe des Dioscures, et, dans les piéces les plus anciennes, pour la naissance

d'Héléne ou le sacrifice d'Iphigénie. Mais s'il rencontre par la suite une forme de la légende qui lui apparait plus chargée de sens ou plus pittoresque — comme le conte de Léda et du cygne — il n'a aucun scrupule à l'adopter. Et quand ce qui n'était qu'un motif secondaire devient le sujet méme de son drame, comme dans Iphigénie à Aulis, il en remanie complétement les données. Cette extréme liberté dans le choix des formes de la légende conduit le poéte à adopter, suivant les passages, des partis trés différents. Il lui arrive de se contenter d'une source unique. Souvent, par exemple, les légendes des Chanis Cypriens s'appellent l'une l'autre, en sorte que des morceaux particuliérement chargés de matière mythologique, prologues, siasima, tirades du deus er machina, offrent une grande unité d'origine et de ton. Ceci permet dans certains cas de conclure à l'origine épique d'un motif dont

l'appartenance aux K ypria n'est pas assurée. Mais, ailleurs, Euripide introduit dans un développement inspiré de l'épopée un détail emprunté à une autre source, poéme épique ou lyrique, ou encore tradition cultuelle. Par exemple, dans Iphigénie en Tauride, le motif du vœu imprudent d'Agamemnon vient de l’Alcméonide, où il appartient à la geste d'Atrée. Dans l'histoire de Philoctète, au contraire, la geste d'Héraclés fournit au poéte son motif principal, le sacrifice

à Chrysé, et il garde peu de choses de la version

des Kypria. La description des noces de Thétis et de Pélée rassemble des

éléments

trés

divers

empruntés

à

Homére,

à

Stasinos,

au

Calalogue hésiodique, à Pindare. A propos de la légende des Dioscures, de celles de Protésilas ou de Téléphe, des détails inspirés par le culte de ces héros ou par des contes folkloriques s'entremélent aux éléments proprement épiques.

locaux

Cet usage semble parfois répondre à une intention précise. Euripide, surtout dans ses derniéres années, se montre friand de variantes légendaires rares, dont l'origine, difficile à préciser, n'est en tout cas pas épique. Mais souvent le poéte a soin de les encadrer

dans

des

motifs

anciens,

comme

s'il voulait

leur

conférer

l'autorité qui s'attachait aux épopées d'Homére et du cycle troyen. Parmi ces versions nouvelles, on peut citer celle de l'enlévement de

la Tyndaride telle qu'elle est exposée dans le prologue d’Helene,

LES

PROCEDÉS

D'ADAPTATION

423

entre un récit conforme à la tradition du jugement des déesses et un récit non moins canonique de l'expédition achéenne et du siége de Troie. On peut encore citer la version — sans doute stésichoréenne — de la naissance d'Héléne, le récit du mariage de Clytemnestre et de Tantale dans Iphigénie à Aulis, l'annonce de l'apothéose d'Héléne à la fin d'Oresle. A plusieurs reprises, le motif épique qui semble servir de garant à ces innovations est celui du «dessein de Zeus», emprunté aux Chanis Cypriens. Il peut arriver aussi que les données de la tradition n'apparaissent dans la tragédie que pour étre discutées et finalement rejetées au profit d'autres explications. Par exemple, dans l'agón des Troyennes, le poète, par la voix d'Hécube, met en doute la réalité du jugement des déesses et du rôle d'Aphrodite dans l’enlèvement d'Héléne. Ou bien encore les motifs anciens affleurent dans

une présentation nouvelle de la légende. Tantót ils sont consciemment utilisés comme motifs secondaires, tantót ils semblent reparaître d'une manière en quelque sorte indépendante de la volonté de l'auteur et s'harmonisent mal avec la forme qu'il a choisi de donner à la légende. Iphigénie à Aulis, la seule piéce conservée qui traite d'ensemble

un épisode

des Kypria,

présente

plusieurs

exemples de ces emplois variés du mythe. Sans revenir sur les autres procédés de transposition ou de combinaison des faits légendaires qui ont été examinés précédemment, en particulier à propos des Chanis Cypriens (1), il importe maintenant

de rechercher

les raisons

pour lesquelles

le poéte

a

éliminé ou modifié les données traditionnelles. Il est des cas où, entre la version homérique et celle des Xypria,

il choisit la première parce que c'est à la fois la mieux connue et la plus adaptée à son sujet. Ainsi, tion de l'enlévement d'Héléne, il élimine certains au récit de Stasinos, qui ne lui étaient d'aucun dictions d'Hélénos, qui faisaient plus ou moins

plus simple, la dans la descripdétails propres profit : les prédouble emploi

avec celles de Cassandre, la présence au cóté de Páris d'Énée, dont le rôle dans l'épopée ne semble pas avoir été important, le séjour du fils de Priam chez les Dioscures, épisode sans portée sur la séduction d'Héléne. Lorsqu'il présente au dénouement d'Oresle les deux Dioscures divinisés, il n'a aucun intérét à évoquer

la version d'aprés laquelle un seul d'entre eux était fils de Zeus. Dans le contexte d'Iphigénie à Aulis, le rappel du premier rassemblement

et de

l'expédition

de

Mysie

n'aurait

pu

qu'émousser

l'effet dramatique. Enfin, le caractére donné à Hermione dans Andromaque s'expliquait mieux si elle était l'enfant unique de Ménélas, contrairement à la version des Chanis Cypriens. (1) Cf. supra, p. 406-108.

424

EURIPIDE

ET

LES

LÉGENDES

DES

CHANTS

CYPRIENS

D'autres traits sont écartés parce qu'ils sont choquants ou absurdes. L'enlévement d'Héléne enfant par Thésée n'ajoutait

rien à la gloire du héros athénien. Le róle que le Calalogue des Femmes attribuait aux Dioscures dans le mariage de la Tyndaride était celui qu'un public athénien s'attendait à voir tenu par le pére de la jeune fille (1). L'union d'Héléne et de Páris à Sparte méme était aussi de nature à choquer les spectateurs. Le vol des trésors de Ménélas, commis par le Priamide avec la complicité

d'Héléne, tenait une place importante aussi bien dans l’Jliade que dans les Chanls Cypriens, mais un tel acte était beaucoup plus répréhensible pour les contemporains d'Euripide que pour ceux d'Homére : aussi le poète se garde-t-il d'en parler. A la brutalité de Dioméde et d'Ulysse, qui, dans les Kypria, précipitaient Palaméde dans la mer où il se noyait, Euripide substitue un type de vengeance non moins cruel, mais plus raffiné. A propos

de la folie d'Héraclés, il estompe le trait barbare des enfants jetés vivants par leur pére dans le palais en flammes. Enfin, il situe la blessure de Philoctéte prés de Lemnos, oü il avait été abandonné, et non à Ténédos, afin de supprimer une invraisemblance de la donnée épique. Le souci de la vraisemblance, beaucoup plus vif chez les contem-

porains d'Euripide que chez ceux d'Homére, pouvait étre encore heurté par le merveilleux, qui tient une si grande l'épopée. On s'attendrait à voir le poète tragique

place dans bannir des

légendes ce merveilleux,

en général

d'autant plus qu'il cherche

à leur donner une forme plus rationnelle et à rapprocher les héros de l'humanité courante. En fait, l'attitude d'Euripide est trés nuancée. Cet élément était trop intimement intégré à beaucoup

de mythes pour qu'il fût possible de l'éliminer. D'autre part, il offrait des ressources poétiques ou dramatiques dont un auteur de théátre ne pouvait se priver. Euripide utilise donc fréquemment le merveilleux, mais en atténuant certains de ses aspects. A cet

égard, il serait moins proche de Stasinos que d'Homére, qui écarte lui aussi les légendes par trop fabuleuses.

maniére d'Héléne. diverses

Un bon exemple de la

d'agir du poéte se rencontre à propos de la naissance Chez formes

Stasinos, animales,

Némésis et

poursuivie

finalement

celle

par d'une

Zeus oie.

prenait L'ceuf

de Némésis était transporté à Sparte et confié à Léda qui en sur-

veillait l'éclosion. Euripide substitue à ce récit une version qui renferme encore une métamorphose, mais d'un type plus conven-

tionnel, celle de Zeus en cygne. Léda devient la véritable mére (1)

Dans le méme

passage d'Iphigénie à Aulis (51-69), il attribue l'idée du serment

des prétendants à Tyndare, sous un jour odieux.

et non à Ulysse, parce que la pièce montre ce dernier

LES

PROCÉDÉS

D'ADAPTATION

425

d'Héléne et la vallée de l'Eurotas le lieu unique de sa conception et de sa naissance. Ainsi, à la différence d' Homére, le poète tragique — qui s'inspire sans doute de Stésichore — conserve à cette naissance un caractére merveilleux, mais il estompe les traits qui

apparentaient la version de Stasinos à un conte folklorique (1). C'est pourtant à un tel conte que fait penser le récit de la métamorphose de Thétis en seiche, qui figurait dans une piéce perdue. Ce cas particulier s'explique sans doute par le goüt d'Euripide pour les explications étiologiques. Mais, dans Andromaque comme dans Jphigénie à Aulis, où il représente Thétis et Pélée comme un couple qu'unit une affection toute humaine, on ne trouve plus d'allusion aux métamorphoses de la déesse marine. Dans Iphigénie en Tauride, il ne reproduit que la moitié du prodige conté dans les Kypria : Iphigénie a bien été sauvée par Artémis et transportée en Tauride, mais

elle n'a pas reçu le don d'immortalité,

comme

le disait Stasinos. Là encore, Euripide se réserve de présenter au dénouement un ailion, qui atténuera et humanisera le merveilleux en le reliant à la religion vivante : le destin d'Iphigénie est de mourir

en Attique, à Brauron, oü un sanctuaire et certaines pratiques cultuelles perpétueront son souvenir. L'histoire du «fantóme» d'Héléne, la résurrection passagére de Protésilas, la guérison miraculeuse

de

Téléphe,

tirées

par

Euripide

de

sources

étrangéres

à l'épopée, montrent que le poéte n'hésitait pas à introduire dans ses piéces des éléments de merveilleux provenant des légendes anciennes, et méme

à fonder sur eux toute l'intrigue.

A côté de ces emprunts aux données traditionnelles, les innovations

sont nombreuses

et importantes

dans

son

théátre.

Certes,

il n'est pas possible d'imaginer toutes les raisons qui ont conduit le poète à modifier les récits légendaires. Les goûts personnels, le hasard d'une lecture ou d'un incident de la vie quotidienne, mille

autres

facteurs

ont

pu jouer.

Cependant,

certaines

de ces

raisons apparaissent au moins comme vraisemblables. Il y a d'abord celles qui tiennent à la nature de la source. La Poélique d'Aristote donne une analyse justement célébre des différences inéluctables

entre

le traitement

d'une

méme

légende

dans l'épopée et dans la tragédie (2). Le poéte tragique doit choisir un épisode présentant par lui-méme une unité, le resserrer dans le temps et dans l'espace. Il est limité pour le nombre de ses person-

nages. Soit le cas des Skyrioi : la nécessité de localiser toute l'action à Skyros entratne l'obligation pour le poéte de résumer dans le (1) Un autre procédé consiste à décrire un prodige tout en exprimant des doutes sur sa réalité. Euripide l'emploie plusieurs fois à propos de l'histoire de Léda. Pour un autre exemple, cf. Hcld. 847-863. (2) Cf. en particulier Poet., 18, 1456a 10 sqq.

426

EURIPIDE

ET LES

LÉGENDES

DES

CHANTS

CYPRIENS

prologue les vaines démarches à Phthie des Grecs en quéte d'Achille. Plusieurs personnages sont supprimés, comme les sceurs et la mére de Déidamie. Ulysse n'a plus qu'un seul compagnon au lieu de deux. Enfin, Euripide est conduit à placer dans une méme journée la naissance clandestine de Néoptoléme, la reconnaissance d'Achille et son départ pour la guerre (1). Dans Protésilas, bien que le héros soit tombé en Troade, toute l'action se déroule dans le palais de Phylakè et ne dure qu'un jour. Le choix du palais d'Ágamemnon

à Argos comme

lieu du Téléphe permet au poéte de faire figurer

à la fois la famille

royale

et les chefs achéens

dans

une

action

que l'épopée plaçait au camp d’Aulis. Inversement, dans Iphigenie à Aulis, le poéte introduit Clytemnestre

et Oreste dans le camp

achéen sous un prétexte plausible, mais inconnu des poétes épiques. D'autres innovations s'expliquent par le fait qu'entre l'épopée et Euripide s'interposaient un ou plusieurs drames attiques. La mise en ceuvre des légendes épiques au nous l'avons vu, certaines retouches qui débat à notre poéte. Mais, en sens inverse, antérieur sur le méme sujet l'obligeait à

théátre avait nécessité, s'étaient imposées sans l'existence d'un drame présenter autrement la

donnée initiale, l'intrigue, les personnages, bref à renouveler l'intérét en montrant les faits sous un jour différent. Plus un sujet avait été traité par les tragiques avant lui, plus Euripide aura donc tendance à s'écarter de la version ancienne. Ceci peut se vérifier à propos de Téléphe, de Palaméde et d'Iphigénie à Aulis. Ainsi, il s'efforce souvent de corriger ce que la dramaturgie d'Eschyle pouvait avoir d'un peu simpliste, non sans y mettre parfois une pointe de polémique. Dans Palaméde, oà il semble suivre en général le récit d'Eschyle, il ajoute deux détails, les caractéres phrygiens de la fausse lettre adressée au héros et les marques phrygiennes gravées sur l'or dissimulé dans la tente, qui rendent ces témoignages plus accablants. Le moyen original par lequel, dans la méme piéce, Oiax annonce à son pére le sort de

Palaméde explique la vengeance de Nauplios, sans qu'il soit nécessaire d'introduire celui-ci sur le théátre, comme l'avait imaginé Eschyle.

Dans Philoclèle, Euripide donne

un berger comme

com-

pagnon et protecteur au héros au lieu de l'abandonner tant d'années à une solitude totale. Afin d'empécher le sacrifice d'Iphigénie, Achille indique sagement qu'il faut user de persuasion auprès d'Agamemnon avant d'employer la force, alors que chez Eschyle

les deux moyens étaient sans doute utilisés dans l'ordre inverse. Une meilleure connaissance des piéces perdues permettrait probablement de multiplier de tels exemples. (1) Protésilas

a dü, lui aussi, quitter Laodamie

le jour méme

de leurs noces. Le

poète obtient grâce à ce resserrement dans le temps des effets dramatiques plus intenses.

LES

PROCÉDÉS

D'ADAPTATION

427

Mais les nouveautés dans le théátre d’Euripide tiennent surtout à la maniére

genre

dont le poéte congoit la tragédie, aussi bien comme

poétique

que

comme

moyen

d'exprimer

ses

sentiments

personnels. Le classement des éléments de la tragédie établi par Aristote (1)

peut fournir un cadre commode à cette étude. Le critique distingue, en effet, dans toute tragédie la fable, les caractéres, le chant,

le

spectacle, la pensée et l'élocution. Nous laisserons seulement de côté ce qui concerne l'élocution, c'est-à-dire proprement la forme. Nous examinerons d'abord les innovations en rapport avec la technique dramatique, la peinture des caractéres, le spectacle et le lyrisme, réservant pour une derniére partie celles qui ont trait

à la pensée, en donnant à ce mot un sens plus large que l'auteur de la Poétique et en y comprenant l'attitude intellectuelle du poète

à l'égard des mythes. La technique dramatique d'Euripide a été souvent jugée avec sévérité (2). On a reproché au poéte de n'avoir pas su organiser

sa matiére ni mattriser les diverses tentations de son esprit mobile afin de donner

unité et cohérence

critiques soulignent en revanche Eschyle

et Sophocle,

qui

à l'action. Les auteurs de ces

la simplicité de l'intrigue chez

concentrent

l'attention

du

spectateur

sur l'essentiel, c'est-à-dire les efforts et les souffrances de l'homme

soumis aux lois inexorables des forces surnaturelles. Euripide ferait en

général

la part

trop

large

aux

rebondissements

de

l'action,

à l'anecdote, au romanesque. De fait, les piéces troyennes donnent l'impression qu'Euripide accorde souvent plus d'intérét aux effets scéniques particuliers qu'à la ligne générale de l'intrigue. Ceci tient en particulier à la multiplicité des ressorts de l'action. Aux interventions des dieux, aux efforts des hommes pour s'y opposer ou s'y soustraire et pour imposer leur volonté

aux autres, s'ajoute le róle imprévisible du

hasard. De quelque maniére qu'on juge le résultat, c'est sans doute dans le dosage de ces trois éléments — dosage variable suivant les sujets et les époques de l'art d'Euripide — que réside pour l'établissement de l'intrigue la maniére propre du poéte. L'exemple du Télèphe montre comment ces divers ressorts agissent tour à tour. Le point de départ est l'oracle d'Apollon. (1) Poét., 6, 1450a 9-10. (2) Cf. entre autres W. Schadewalt, Monolog und Selbsigespräch, 1926, p. 94; A. Rivier, Essai sur le tragique d' Euripide, 1944, p. 21 ; A. Lesky, Die tragische Dichtung der Hellenen, 1956, p. 202. Il n'existe pas d'ouvrage d'ensemble sur la technique dramatique d'Euripide : cf. E. Howald, Untersuchungen zur Technik der euripideischen

Tragódien (sur l'évolution du drame) ; Schmid-Stáhlin, p. 771-790, et la bibliographie détaillée de J. Alsina Clota (Studia Euripidea I, Helmantica, 8 (1957), p. 3-15).

428

EURIPIDE

ET LES

LÉGENDES

DES

CHANTS

CYPRIENS

Le héros sait que « celui qui l'a blessé le guérira », mais c'est à lui de découvrir un moyen d'atteindre un but en apparence inaccessible

: désarmer l'hostilité des Achéens

et obtenir de l'inflexible

Achille un geste d'humanité en sa faveur. Il imagine un plan pour y parvenir. La chance lui fera rencontrer à point nommé une alliée inattendue dans la personne méme de la femme d'Agamemnon. Sa propre présence d'esprit le sauvera au moment méme où il courra le plus grand danger. Il faudra encore le concours d'un autre esprit ingénieux, celui d'Ulysse, pour élucider complétement

l'oracle. Enfin, gráce à la guérison miraculeuse de Téléphe, les Achéens trouveront un guide pour les conduire en Troade et surmonteront ainsi l'obstacle qui les arrétait. La reconnaissance de l'empire des dieux sur le destin des mortels est la loi fondamentale de l'univers héroique, et le poéte tragique doit

nécessairement

la reconnaître.

La

plupart

de

nos

drames

partent d'un oracle et en développent les conséquences, qu'il s'agisse de l’Alexandros, de Téléphe, des Skyrioi, d' Iphigénie à Aulis, de Philocléle ou de Prolésilas.

Dans

tous ces cas, la volonté

des

dieux s'est fait connaitre aux hommes. Ils sont avertis de ce qu'ils doivent faire, ou éviter de faire, pour atteindre leur but ou échapper

au malheur. Parfois la divinité leur laisse le choix des moyens. Parfois encore, elle exige un acte précis : le sacrifice d'un enfant (Alexandros, Iphigénie à Aulis), la mort d'un héros (Prolésilas). Toute l'action dépend. alors de l'accomplissement de cet ordre. Dans

d'autres

cas, il n'y a pas d'avertissement

héros doit expier une

faute commise

formel,

par lui-méme

mais

le

ou par ses

parents. Tel est peut-être le sort de Protésilas ou de Philoctète,

et à coup sür celui d'Héraclés ou d'Agamemnon (1). C'est aussi celui d'héroines comme Héléne ou Iphigénie, que la volonté des dieux, méme si elle se montre en définitive favorable, ne soustrait ni aux risques, ni aux souffrances.

Si les ordres divins s'expriment le plus souvent par un oracle, il peut arriver que le dieu lui-méme vienne au début de la piéce

instruire les spectateurs de ses intentions, ainsi que le font par exemple Athéna et Poséidon dans les Troyennes. Ce procédé est fort rare dans les piéces que nous avons étudiées : on ne peut citer que Prolésilas, dont Aphrodite

pronongait peut-étre

le prologue.

Il est également rare qu'un dieu intervienne au cours méme de l'action : dans Prolésilas encore, Hermès accompagnait le héros à son retour sur la terre et, dans Héraclés Furieuz,

venaient souvent,

Iris et Lyssa

faire connaitre et exécuter les volontés d'Héra. Plus la divinité apparait er machina au dénouement. Ce

procédé n'est pas attesté avec certitude avant 431 et semble donc (1) Dans les piéces antérieures à Iphigénie à Aulis.

LES

PROCÉDÉS

D'ADAPTATION

429

à écarter pour des pièces comme Télèphe, Prolésilas et les Skyrioi, mais il est possible qu'Hermés ait figuré dans la derniére scéne de Palamède et certain qu'Aphrodite concluait l'action de l'Alezandros, de la méme maniére que les Dioscures divinisés dans Électre et Apollon dans Oresle. Cependant, le rôle du deus ex machina

n'est pas essentiellement dramatique, puisque en général l'intrigue est déjà dénouée à son arrivée. Aprés la crise, le dieu en tire les

enseignements, rétablit le cours normal des choses et dévoile aux mortels un peu de l'avenir, proche ou lointain, en particulier gráce aux explications étiologiques (1). C'est encore un moyen pour le poéte de rappeler la toute-puissance des dieux sur l'humanité. L'action des dieux est donc déterminante dans ces piéces. On ne voit guère qu'un drame où l'intrigue reste purement humaine :

Palaméde.

Cependant,

dans les limites

fixées par le surnaturel,

le libre arbitre et l'ingéniosité des hommes

peuvent se déployer :

à eux de trouver un expédient pour fléchir un ennemi (Telephe), pour découvrir un héros caché (Skyrioi), un guide connaissant la route de Troade (Téléphe) ou l'emplacement de l'autel de Chrysé ( Philocléle). Cet effort de l'homme pour trouver les voies qui lui

permettront

d'atteindre

son

but est au

premier

plan

dans

le

drame euripidéen et lui donne son climat particulier. En effet, le héros exerce toute son ingéniosité dans la recherche de subterfuges hors du commun : déguisement, soit pour ruser avec le destin ( Skyrioi ), soit pour l'accomplir (Telephe), lettres supposées ( Pala-

mède) ou mensongéres (Iphigenie à Aulis) (2), plans complexes combinant les pressions morales et les moyens matériels ( Skyrioi, Palamède).

Mais l’exécution

des plans humains

ne va pas sans à-coups,

car ils se développent dans un monde rempli d'inconnu et d'imprévu. Leur effet est traversé par les interférences d'un hasard

tantót complice,

tantót

ennemi,

qui provoque

des événements

inattendus, suscite des dangers, renverse les situations et dénoue

des crises en apparence sans issue (3). C'est lui — aidé par le poéte — qui crée des rencontres

romanesques,

parfois piquantes,

parfois

douloureuses : ainsi Téléphe, le faux mendiant, est amené à prononcer

l'apologie

Alexandre,

du

fils de

roi

Euripides,

1960;

de

lui-même.

dans

des jeux

Untersuchungen zum Deus er machina

bei Sophokles

Priam,

(1) Sur ce rôle, cf. A. Spira, und

de

J. C.

Mysie,

remporte

Kamerbeek,

Mythe

c'est-à-dire

la victoire

el réalité dans

l'œuvre

d'Eur.,

Entr.

Fond. Hardi, VI (1961), p. 11-12. (2) Procédé qui est déjà utilisé dans Hippolyte. (3) Cette place de la τύχη chez Euripide a été étudiée par G. Busch, Untersuchungen zum

Wesen der τύχη

0. c., p. 157-58; p. 296-97.

in den Tragödien

des Eur.,

K. Reinhardt, Die Sinneskrise

Heidelberg,

1937 ; cf. aussi A. Rivier,

bei Eur., Eranos Jahrb., 26 (1957),

430

EURIPIDE

ET

LES

LÉGENDES

DES

CHANTS

CYPRIENS

funébres qui commémorent sa disparition. La plus fidéle des épouses, Laodamie, se voit accusée d'adultére. Achille doit quitter Déidamie le jour méme où leur naît un enfant et où Lycoméde vient de l'accepter pour gendre. D'autres rencontres sont plus subtiles : par exemple, le Troyen Ganyméde s'empresse aux noces

de Thétis et de Pélée, alors que c'est le point de départ des malheurs de sa patrie, et Palaméde,

inventeur

de l'écriture,

est condamné

par le témoignage d'une lettre. Cette recherche des contrastes joue un róle déterminant dans la construction de l'intrigue. Le poéte s'efforce d'agencer les faits

légendaires de maniére à aboutir à certains types de situations dont il a pu expérimenter toute la vis iragica. Donnons quelques exemples. Ignorant le destin que leur réservent les dieux (1), les hommes luttent surtout les uns contre les autres

et, dans

cette lutte, ils font grand

méprises

qui

déterminant. vérité

: ainsi

en

résultent

Les

interlocuteurs

quand

usage de la tromperie.

constituent

un

peuvent

Clytemnestre,

facteur

tous

trompée

dramatique

deux par

Les

ignorer

la

Agamemnon,

salue en Achille l'époux promis à sa fille. Plus souvent, l'un des deux seulement l'ignore, ce qui offre une antithése tragique : ainsi quand Agamemnon accueille à Aulis Iphigénie et Clytemnestre qu'il

s'était

efforcé

d'en

écarter;

quand

Laodamie

aperçoit

Protésilas qu'elle croit de retour de la guerre ; lorsque Palaméde affronte sans inquiétude les accusations d'Ulysse. La vérité finit par éclater avec une force qui bouleverse non seulement leurs sentiments, mais leur destin méme.

Parmi les coups de théátre, un des plus fréquents est celui qui résulte d'une reconnaissance. La reconnaissance, pièce maîtresse de

la tragédie d'intrigue, apparatt dans des drames anciens, comme les Skyrioi et Télèphe, aussi bien que dans Alerandros. Dans les trois cas, le motif était fourni à Euripide par la tradition, mais il lui donne le plus d'éclat possible et souligne sa portée pour l'avenir. Cette révélation se double souvent d'un danger de mort, dans l'instant qui la précède ( Alexandros) ou qui la suit ( Télephe). Accompagné ou non de reconnaissance, le danger de mort entratne de nouvelles péripéties : soit la fuite vers l'autel (Alexandros, Télephe), soit l'apparition d'un sauveur. Celui-ci est exceptionnellement le deus ex machina, comme dans Oresle, mais plus souvent un mortel ; ainsi, dans Héracles Furieux, successivement Héraclès est le

sauveur des siens et Thésée le sauveur d'Héraclés. Dans le premier (1)

Sur ce rôle de 1 ἄγνοια dans la tragédie, cf. Arstt., Poél., 14, 1453b 35 sqq. L" A yvora

personniflée prononcait le prologue de la Fille aux cheveux coupés de Ménandre. Cette ignorance des héros de la tragédie engendre l'erreur, Até, dont le róle a été souligné par F. Robert, dans Le Thédire tragique (1962), p. 61. Voir encore S. Trenkner, The Greek Novella, p. 41 8qq.

LES

PROCÉDÉS

D'ADAPTATION

431

de ces deux cas, le salut apporté par Héraclés n'est que provisoire, comme celui qu'Épopée offrait à Antiope, Achille à Iphigénie, et méme Hadès à Protésilas. Ni la cause ni l'effet de ces péripéties ne sont purement matériels. Souvent, celles-ci résultent des sentiments et des passions des personnages, et elles déterminent en eux à leur tour des revire-,

ments qui infléchissent la marche des faits. Nulle piéce n'est plus significative à ce propos qu'Iphigénie à Aulis, oà on peut croire à plusieurs reprises que la jeune fille sera sauvée par suite du changement de résolution des principaux personnages. L'intrigue de Téléphe était aussi caractérisée par les brusques revirements psychologiques de Clytemnestre, d'Agamemnon, d'Achille. Les transformations les plus frappantes sont celles qui portent des étres jeunes et nobles à sacrifier leur propre vie pour un bien qui leur parait plus grand. Ainsi, Laodamie se tue pour rejoindre plus vite dans l'Hadés celui qu'elle aime et Iphigénie accepte de s'immoler à la grandeur de son pére et de sa patrie. Il n'est donc pas possible de dissocier l'examen de l'action de celui des caractéres.

Le probléme

général que posent les person-

nages d'Euripide a suscité ces derniéres années d'importantes et pénétrantes études, sans étre — et de loin — épuisé. On a discuté notamment les questions de savoir si le poéte a porté plus d'attention à l'établissement de l'intrigue qu'à l'analyse psychologique, s'il a su peindre de véritables personnalités ou seulement des états de conscience, s'il a été capable de tracer l'évolution d'un caractére (1).

A toutes ces questions, les piéces dont il ne subsiste que des fragments ne permettent guére de répondre. La seule qui soit conservée, Iphigénie à Aulis, suggère quelques remarques. D'abord, le poéte a donné à chacun des principaux personnages, Agamemnon, Ménélas, Clytemnestre, Achille,

Iphigénie, des traits de caractére

bien marqués et qui, sans rompre avec les données de la tradition, les renouvellent sensiblement. Ensuite, il n'y a pas, dans le drame,

un personnage central auquel l'attention du spectateur serait sans cesse attachée. On a pu dire qu'à un drame d'Agamemnon succédait un drame de Clytemnestre, puis un drame d'Iphigénie. On ne saurait non plus parler d'évolution psychologique. Les personnages procédent par changements brusques qui ne sont

pas

ou

ne

sont

guére

motivés.

Ainsi,

le

fameux

revirement

(1) Citons en particulier W. Zürcher, Die Darstellung des Menschen im Drama des Eur., Bâle 1947 ; B. Meissner, Mythisches und Rationales in der Psychologie der euripideischen Tragödie, Göttingen 1951; E. M. Blaiklock, The male characters of Euripides, Wellington 1952; A. Lesky, Psychologie bei Eur., Entr. Fond. Hardl, VI (1961), p. 123-150.

432

EURIPIDE

d'Iphigénie,

ET

LES

critiqué

silence de l'héroine,

LÉGENDES

par

Aristote,

présente

DES

CHANTS

CYPRIENS

est précédé

et absente

trés

long

tout à la fois. On

d'un

peut

penser que sa décision est préparée par un travail intérieur de la raison et des forces profondes de l'áme, mais rien ne s'en manifeste à l'extérieur. Les revirements d'Agamemnon ou de Ménélas, d'un genre un peu différent, apparaissent conséquences d’impulsions diverses : événements

comme les nouveaux,

arguments d'un interlocuteur, passions et sentiments informulés. Certains de ces faits extérieurs sont dus uniquement au hasard, comme l'arrivée de Clytemnestre et d'Iphigénie que le vieux serviteur n'a pu joindre à temps, ou la rencontre de Clytemnestre et d'Achille, d'autres sont le résultat d'une volonté consciente, comme celle d'attirer Iphigénie dans le camp d'Aulis. De toute manière, ils retentissent fortement sur des âmes faibles, incertaines d'elles-mémes. Par suite, les conflits intérieurs peuvent porter successivement le méme personnage à des décisions opposées, comme c'est le cas pour Agamemnon et Iphigénie (1). Les effets

de ces décisions éveillent à leur tour des sentiments qui conduisent à de nouveaux

actes. Euripide

s'est particuliérement intéressé à

ces phénomènes d'action et de réaction des faits et des sentiments les uns

certaine

sur les autres

à travers un

fragmentation

de

sa

caractére.

psychologie,

motivé par le contexte du moment

Il en résulte

chaque

acte

une

étant

(2). Parfois le poéte apparait

aussi comme le témoin attentif du comportement de ses personnages, sans étre

à méme

d'en expliquer les motifs,

qui ont leur

source dans la partie confuse et irrationnelle de l'áme. Ces réserves faites, la marche de l'intrigue, dans Iphigénie à Aulis, est étroite-

ment dépendante des divinité se limite à la Telle nous apparatt des plus belles de ses

sentiments des personnages et le róle de la donnée initiale. l'attitude du poéte dans la derniére et une piéces. En est-il de méme dans les drames

troyens antérieurs ? Il est bien difficile de le dire. On a l'impression



peut-être n'est-ce qu'une impression —

plus

anciennes

l'intérêt

psychologique

était

que dans les pièces moins

dispersé

: il

se concentrait particuliérement sur Laodamie, dans Prolésilas, à un moindre degré sans doute sur Téléphe dans la piéce du méme nom, et se partageait entre Achille et Déidamie dans les Skyrioi (3). (1) A. Lesky, en particulier, a bien montré cette instabilité des sentiments et du caracLére chez les personnages d'Euripide. Dans un article de Gymnasium (67, 1960, p. 10-26), il montre comment le poète a pris conscience de la «labilité » des éléments de l'âme. (2) Zürcher, o. c., insiste — peut-étre à l'excés — sur ce point (cf. p. 182 sqq.). Il n'y a pas seulement, à notre avis, des motifs psychologiques distincts chez les personnages d'Euripide, mais de véritables personnalités, et des caractéres. A. Lesky, p. 147, emploie assez heureusement

(3) Howald

l'expression de « psychologie ponctuelle ».

(Untersuchungen..., p. 40 sqq.) place vers 425

(Hécube, Andromaque)

la période de prédominance absolue de la flgure centrale sur les personnages secondaires.

LES

PROCÉDÉS

D'ADAPTATION

433

Il paraît déjà plus diffus dans les pièces de 415. Dans Alezandros, non seulement le héros mais encore Hector, Déiphobe, Hécube et Cassandre attiraient à tour de rôle l'attention. Dans Palamède,

les caractéres d'Ulysse et d'Agamemnon avaient été mis en relief par le poéte au moins autant que celui du héros de Nauplie. Si l'on compare les piéces d'Euripide avec leurs sources, on remarquera un effort pour doter de traits de caractére individuels des personnages dont la figure morale était restée jusque-là floue ou conventionnelle. Ainsi pour Iphigénie, sans doute simple instru-

ment du destin dans l'épopée, et dont la tragédie ne paraît avoir d'abord

souligné

premier,

dans

qu'un

Iphigenie

seul trait, l'amour à Aulis,

filial. Euripide

à lui attribuer,

est le

avec de délicats

raffinements de sensibilité, ce pur héroisme qui l'améne, aprés un

sursaut de l'instinct de conservation, à offrir sa vie pour assurer le triomphe de la Gréce sur les barbares. C'est lui qui imagine, dans Alexandros, d'opposer les caractères d'Hector et de Déiphobe

au cours d'une scéne que nous a conservée le papyrus de Strasbourg. C'est la couleur morale qu'il veut donner à un caractére qui guide parfois son choix entre diverses variantes légendaires ou explique certaines innovations. Ainsi, lorsqu'il affirme, contre toute la tradition, qu'Héléne, libre de choisir entre les prétendants,

s'est décidée

par amour

pour Ménélas, il rend son adultére

plus

impardonnable encore. A l'inverse, en expliquant l'exil d’Heracles et sa soumission à Eurysthée par le dévouement du héros envers les siens, il rehausse le caractere du fils de Zeus, et en attribuant

à Pélée des exploits de jeunesse inconnus de la tradition, il marque encore mieux sa supériorité morale sur Ménélas.

Des motifs psychologiques autant que dramatiques conduisent encore

que

le poéte

à substituer

des

lui offraient ses modéles.

personnages

Par

nouveaux

exemple,

dans

à ceux

l'ambassade

grecque à Skyros, Ulysse était accompagné chez les devanciers d'Euripide par Phoenix et Nestor. A ces vieillards, connus pour leur éloquence lénifiante, il substitue le hardi Dioméde, compa-

gnon

d'aventures

sans s'embarrasser

habituel

d'Ulysse.

de scrupules

A eux

le plan

deux,

ingénieux

ils exécutent congu

par le

fils de Laerte pour démasquer Achille. Dioméde et Ulysse étaient déjà dans l'épopée les meurtriers de Palaméde, mais Euripide leur adjoint un complice inattendu : Agamemnon lui-méme, le chef de l'armée, dont il explique la conduite par un motif épique connu, sa jalousie à l'égard d'Achille. C'est encore Ulysse qu'il substitue à Ménélas dans Télèphe, où les mérites traditionnels du héros d'Ithaque trouvent leur plein emploi : il rivalise d'éloquence avec Téléphe, il exerce ses talents de diplomate auprés d'Achille,

et d'exégéte en interprétant l'oracle d'Apollon

au lieu et place

du devin Calchas. 29

434

EURIPIDE

ET LES

LÉGENDES

DES

CHANTS

CYPRIENS

La recherche des contrastes est une autre des causes qui expliquent les retouches apportées au caractére des héros. Ainsi, l’emportement et l'arrogance de Déiphobe dans Alexandros s'opposent, d'une part à la modération d'Hector, d'autre part au comportement modeste mais ferme de Páris. Téléphe devient chez Euripide un brillant disciple des sophistes parce que le poéte veut en faire l'égal en éloquence d'Ulysse. L'ingénieux Palaméde, rival

de

ce

méme

Ulysse

dans

l'épopée,

prend

désormais

une

figure morale toute autre : il incarne le savant désintéressé qui fait bénéficier tout le peuple de ses inventions, en face du politicien dont l'égoisme est funeste à l'intérét public. C'est pour rehausser

Héraclés

qu'Euripide

a créé

de toutes

piéces

le cruel

usurpateur Lycos, qui a hérité tous les vices de son ancétre, l'oppresseur d'Antiope. Pour expliquer ces changements, il faut enfin tenir compte de l'usure de certains caractéres à travers l'épopée, le lyrisme et la tragédie. Le poéte ne peut les rendre intéressants qu'en les présentant sous un jour nouveau. Par exemple, Ulysse, que l'Odyssée avait tant exalté, finit par devenir le type méme

impudent bien

du démagogue

et néfaste à sa cité. Cette évolution avait commencé

avant

Euripide,

mais

le

poéte

la

conduit

à

son

terme.

Iphigénie, la victime passive de l'épopée, se transforme en héroine. Par une métamorphose plus singuliére encore, Clytemnestre, la femme

adultére et criminelle, se mue en une épouse et une mére

irréprochables.

Elle dénonce

arrachée

à son premier mari

Pourtant,

le chef supréme

comme

un

pauvre

homme,

en Agamemnon

et a tué le fils né de cette union.

des Achéens

apparatt dans

inférieur à sa táche

misére morale. Ces quelques

exemples

montrent

qu'il

l'opinion

répandue

d'aprés

laquelle

trop

un brutal, qui l'a la piéce

et rongé

y a lieu Euripide

de

par sa

nuancer a

voulu

rabaisser les héros épiques (1). La recherche des contrastes et de la nouveauté, méme paradoxale, l'a conduit à ennoblir un certain nombre d'entre eux, en leur attribuant des mérites et des exploits

inconnus de la tradition ou en passant sous silence des épisodes peu glorieux de leur geste. Tel est le cas de Pélée, d'Hector, de Páris, de Palaméde, d’Heracles, de la femme de Protésilas, d'Antiope, de

Clytemnestre ou d'Iphigénie, et méme, à l'occasion, d'Hélène. D'autres, il est vrai, sont chargés de vices qui les mettent au-dessous du niveau de l'humanité moyenne, comme Agamemnon, Ménélas, Ulysse et, en général, Héléne. (1) C'était l'opinion dominante au début du siécle (Verrall, Steiger, etc.). Cf. encore H. E. Mierow, A. J. Ph., 52 (1931), p. 347; Cl. W., 29 (1936), p. 114-116. Sur cette question,

voir J. C. Kamerbeek,

o. c., p. 20-22.

LES PROCÉDÉS

D'ADAPTATION

435

Il reste qu'au-delà de ces différences morales, les personnages d'Euripide ont un certain air de famille. Les anciens avaient déjà observé qu'ils offraient une image moins héroique que ceux d'Eschyle et de Sophocle, mais où les spectateurs se reconnaissaient mieux. Ce réalisme dans la peinture des caractères est lié, nous le verrons (1), à l'idée que le poéte se fait du mythe. Son résultat le plus apparent est que peu des personnages jouissent de la plénitude des forces physiques ou morales, qui est l'apanage

d'un Ulysse, par exemple, dans l'épopée, ou de l’Étéocle d'Eschyle, ou encore de l'(Edipe de Sophocle. Méme les meilleurs d'entre eux sont faibles de quelque façon : débilité physique due à l’âge (Pélée, Priam) ou à une défaillance passagère (Téléphe, Héraclès, Oreste), infériorité des femmes ou des esclaves, qui tient à leur condition, infirmité morale surtout. Il est des caractéres fonciérement médiocres (Agamemnon, Ménélas) ou corrompus (Héléne,

Ulysse, Lycos), mais chacun a son point faible dont il souffre, comme il souffre des limites que les autres mettent à ses désirs. Car, plus encore que des dieux, dont les ordres mystérieux viennent de trés loin, les hommes se sentent dépendants d'autrui. C'est particuliérement vrai des femmes et des jeunes filles, tenues dans une étroite tutelle par leur pére (Laodamie, Déidamie, Iphigénie) ou leur mari (Clytemnestre, Hermione), mais les rois eux-mémes

ne sont guére plus libres : si Ménélas dépend d'Agamemnon et des prétendants, Agamemnon dépend à son tour de son frére, de ses compagnons, de l'armée. Ulysse ne peut agir qu'indirectement, à travers Agamemnon et l'assemblée des chefs. Téléphe est soumis au bon vouloir des Achéens. Achille lui-méme ne réussit

pas à imposer sa volonté aux Myrmidons.

La conscience de ces

limites les rend plus sujets aux hésitations, aux défaillances, plus sensibles aux raisonnements, à la pression sociale. De T'éléphe à Iphigénie à Aulis, Euripide met toujours plus l'accent sur leurs

échecs et leurs souffrances. ἃ des scènes d'action succèdent des scènes d'accablement où domine le pathétique (2) : c'est Laodamie à qui la mort arrache une seconde fois son époux, Déidamie séparée pour toujours d'Achille, Iphigénie, victime innocente de la raison d'état, mais aussi Palaméde, condamné à mourir sur des apparences mensongères, Héraclés, terrassé par l'injuste châtiment des dieux,

Agamemnon, impuissant à sauver sa fille. Dans le choix des personnages appelés à former le chœur, Euripide se conforme le plus souvent à la pratique de ses devanciers. Le poéte les prend dans l'entourage naturel du protagoniste : (1) Voir

infra,

p. 453-55.

(2) Cf. J. de Romilly, L'Évolulion du pathétique d'Eschyle à Euripide, Paris, 1961, en particulier p. 90-141.

436

EURIPIDE

soldats achéens,

ET LES

LÉGENDES

DES

CHANTS

CYPRIENS

par exemple, dans ces piéces militaires que sont

Téléphe et Palaméde, sujets du roi dans Alezandros ou les Skyrioi, ou femmes de Phylaké dans Prolésilas. Ils incarnent l'opinion publique, dont Euripide a souvent marqué le róle dans les déterminations de ses personnages (1). On peut toutefois citer deux nouveautés. Dans Alexandros, il a opposé au chœur de vieillards

troyens, représentant les soutiens fidéles de la dynastie régnante, un chœur de bergers qui défendent leur champion, Páris. Ceci lui permet d'élargir la querelle entre Alexandre et Déiphobe en un débat de portée sociale, où sont défendus les droits des petites gens et des pauvres contre les prétentions des nobles et des riches.

D'autre part, dans /phigenie à Aulis, les femmes du chœur sont introduites en quelque sorte de l'extérieur. Ces visiteuses venues d'Eubée assistent en spectatrices à un conflit dramatique dans lequel elles n'ont pas à s'immiscer : « neutres » entre les partisans du sacrifice d'Iphigénie et ses adversaires,

elles expriment seule-

ment leur sympathie de femmes devant le sort cruel d'Iphigénie. Ce procédé, dont Euripide use plus volontiers dans ses piéces de la derniére période (2), lui permet de concentrer tout l'intérét dramatique sur les acteurs, et aussi, gráce à l'attitude objective du chœur, de donner toute sa résonance humaine aux actions et

aux sentiments des personnages. Euripide n'a pas borné ses soins à l'intrigue et aux caractéres. Comme Eschyle, il a attaché beaucoup d'intérét à l'aspect visuel et à la mise en scéne de ses piéces. C'est encore l'origine de certaines innovations. Le poéte aime à surprendre son public en lui présentant les héros sous une apparence inattendue, à faire impression sur sa sensibilité par des scénes à grand spectacle ou des tableaux touchants, ou à déployer la pompe des cérémonies solennelles (3).

Nous nous bornerons ici à quelques exemples. Téléphe en mendiant, Achille en habits de fille, Páris en berger se présentent sous un déguisement d'autant plus piquant qu'il contraste avec leur véritable personnalité. L'arrivée de Clytemnestre et d'Iphigénie en char au milieu du camp d'Aulis offrait un tableau majestueux qui faisait ressortir le tragique de la situation. Parmi les scénes de caractére rituel, on peut citer celle oà l'on voyait Laodamie adorant la statue de Protésilas, ou le départ d'Iphigénie, couronnée

(1)

Sur

ce

point,

cf.

H.

Diller,

Umuvell

und

Masse

als dramalische

Fakloren

bei

Eur., Entr. Fond. Hardl, VI, p. 87-105. (2) Il est plus accentué encore dans les Phéniciennes, où les femmes du chœur ne sont méme plus des Grecques. On trouve encore un chœur d'étrangéres dans Iphigénie en Tauride, Hélène et les Bacchanies. (3)

d'E.

Sur cet aspect du théâtre d'Euripide, voir les remarques éparses dans l'ouvrage

Petersen, Die attische

Tragödie

als Bild- und

Bühnenkunst,

Bonn,

1915.

LES

PROCÉDÉS

D'ADAPTATION

437

de fleurs, vers le lieu de son sacrifice. Euripide se plait encore à montrer sur le théátre des enfants en bas áge, le plus souvent dans les bras de leur mére ou de leur nourrice : ainsi le petit Néoptoléme dans les Skyrioi, Oreste dans Téléphe et Iphigénie à Aulis, les

enfants d'Héraclés dans Héraclés Furieuz (1). Le méme sens du spectacle se retrouve dans d'autres tableaux, qui ne sont pas mis directement sous les yeux des spectateurs mais

forment

le sujet de grandes

fresques

chorales

ou de morceaux

lyriques enchássés dans les épisodes (2). Euripide manifeste là un talent original. Dans ces parties de la tragédie, Sophocle s'intéresse moins à l'aspect visuel des mythes qu'à leur caractére moral. Le pittoresque n'en est pas absent, mais il se manifeste surtout par la hardiesse des images, par les comparaisons et les traits vivement colorés qui les émaillent. Euripide accorde plus d'importance à la composition générale du tableau, aux couleurs, aux jeux de la lumiére, aux détails concrets qui donnent l'impression de la vie. Il ajoute aux descriptions épiques et lyriques des

détails qu'il tire de l'observation de la nature ou des ceuvres d'art de son temps, ou encore simplement d'une imagination toujours active. Ainsi apparait derriére les personnages le décor de leurs aventures (3) : autour de Páris et des trois déesses, les fraîches prairies émaillées de fleurs, les sources de l'Ida, le Simois aux remous argentés, les troupeaux du fils de Priam ; autour de Thétis et de Pélée, les profondes foréts de pins du Pélion et, au loin, les plages de sable clair ; l'éclat des torches brille dans l'obscurité aux noces d'Héléne ; la facade du palais de Ménélas, avec ses incrustations

d'ivoire, sert de cadre à la première rencontre d’Helene et de Päris.Le

poéte

aime

le

chatoiement

des

couleurs,

l'or,

l'argent,

les

nuances du pelage des chevaux, la verdure et, pour faire contraste,

le rouge du sang. poétiques

figures

Il insére dans : Piérides,

ces tableaux de gracieuses et

Néréides,

Centaures

couronnés

de

feuillages, Ganyméde, l'échanson des dieux, les dauphins bondissant autour des navires. Il se plaît aussi à décrire les lents mouvements processionnels qui contribuent à créer une atmosphére de

joie religieuse

: arrivée des Muses

et des Centaures

aux noces

de Pélée, cortége de noces d'Héléne, etc.

(1) Des enfants apparaissent aussi dans Alceste, Médée, Andromaque, les Troyennes ; cf. Petersen, o. c., p. 274. F. Chapouthier, Euripide et l'accueil du divin, Entr. Fond. Hardl, 1 (1952), p. 219, ajoute qu'ils contribuent à l'atmosphère de pureté et de sacriflce des scénes oü ils flgurent.

(2) Sur le lyrisme d'Euripide, cf. en particulier W. Kranz, Sfasimon, L. A. Stella, Euripide lirico, A.e.R., 42 (1940), p. 3-34 ; 69-96. (3) Cf. R. Goossens, p. 572-73.

Berlin, 1933 ;

438

EURIPIDE

ET LES LÉGENDES

DES

CHANTS

CYPRIENS

La musique qui accompagnait le chant choral est évoquée à l'intérieur méme de celui-ci. Le berger Páris module sur sa flûte des mélodies phrygiennes. C'est encore cet instrument qui rythme les rames des navires achéens. La flûte libyenne s'unit à la cithare et à la syrinx lors des noces de Thétis et de Pélée et conduit les chants

et les danses.

Les ovations

des

Dioscures

accompagnent

le cortége nuptial d'Héléne. Ainsi, toutes les sensations concourent à l'harmonie de l'ensemble (1). Ne songe-t-on pas encore à une fresque de type

polygnotéen

à

propos de la description du camp d'Aulis, dans la parodos d'Iphigénie? Les chefs achéens sont répartis par groupes harmonieux, au repos ou en mouvement : ici, les deux Ajax ; là, Protésilas

assis en face de Palaméde ; plus loin, Dioméde et Mérion lancent le disque, Achille dispute une course avec le char d'Eumélos. On évoque aussi l'art des peintres de vases lorsque le poéte présente, devant la facade richement ornée du palais de Ménélas, Páris aux vêtements éclatants debout devant Hélène et buvant l'amour dans ses yeux, ou bien encore Cassandre «rejetant ses boucles blondes, les cheveux ornés d'une couronne de laurier verdoyant »(2).

L'originalité d'Euripide dans ces tableaux résulte de la combinaison d'éléments de toute origine. Les descriptions succinctes de l'épopée sont enrichies par des notations empruntées au lyrisme choral sous ses diverses formes : grande tradition dorienne illustrée par Stésichore, Pindare, Bacchylide,

avec, ici ou là, des

souvenirs de la poésie plus intime d'Alcée ou de Sappho, cantica de la tragédie attique, néo-dithyrambe (3). Les nouvelles tendances de la musique, plus colorée et plus sensuelle, ne sont pas non plus sans influence sur l'atmosphére des tableaux. Mais Euripide a voulu aussi rivaliser avec les arts plastiques de son temps. Comme les peintres — et en particulier les peintres de vases — il a semé libéralement dans ses tableaux des personnages décoratifs, Muses,

Néréides, Ganyméde, figures bacchiques. Il a montré des quadriges lancés au galop, des cortéges dansants. Au bestiaire du temps, il emprunte les Sphinx, les Chiméres, les Centaures. Il décrit les emblémes des armes ou les figures de poupe des navires (4). Cette maniére de composer ne va pas sans quelque disparate. Ainsi, au temps d'Homére, les vaisseaux ne portaient pas de (1) Sur les scènes de fête dans les parties chorales, cf. Kranz, o. c., p. 240-43 ; F. Chapouthier, o. c., p. 208-09. (2) IA 758-760. (3) Pour l'influence du néo-dithyrambe sur le lyrisme d'Euripide, cf. en particulier Schoenewolf, Der jungattische Dithyrambos, Giessen, 1938, p. 37 sqq. (4) Sur cette influence de l'art du temps, cf. E. Petersen, o. c., p. 311; W. Kranz, 0. €., p. 257-58 (mélange de réminiscences épiques et d'éléments empruntés aux œuvres

d'art contemporaines) ; L. A. Stella, o. c., p. 75-76.

LES

PROCÉDÉS

D'ADAPTATION

439

figures de poupe et ne naviguaient pas au son de la flûte, les héros ne conduisaient pas de quadrige et il n'est pas dit que les noces d'Héléne aient comporté un défilé nocturne sur un char, comme c'était l'usage au ve s. Mais de tels anachronismes ne génaient pas plus le poéte que son public.

En définitive, c'est la liberté qui nous parait caractériser le mieux l'art d'Euripide dans ces tableaux lyriques. Liberté, d'abord, dans le cadre de la tragédie. Un certain nombre de ces peintures, il est vrai, paraissent directement inspirées au chœur par les événements dont il est le témoin. Parfois aussi les choreutes ont soin de se justifier à l'avance : dans Iphigenie à Aulis, les

Eubéennes expliquent les circonstances qui les ont conduites à visiter le camp achéen. Dans Électre, c'est un étranger rencontré à Nauplie qui a décrit aux Argiennes les armes d'Achille. Il arrive aussi que le chœur, en rapportant une légende dont il a pu lire ou entendre le récit, indique nettement qu'il ne le prend pas à son compte (1). Mais souvent aussi il n'est que le porte-parole du poéte,

qui

a choisi

et développé

une

scéne

légendaire

pour

sa

beauté propre, sans trop se soucier de son rapport avec le sujet du drame. A l'intérieur méme des morceaux lyriques, on reléve la méme liberté dans la juxtaposition des thémes, le mélange des temps, le fréquent appel à l'anticipation, l'insertion dans le tableau de paroles au style direct (2). Cette richesse un peu foisonnante contraste

avec

la rigueur de l'intrigue

téres, en particulier rieur d'un épisode. marchant vers le jugement de Páris

et le réalisme

des carac-

lorsque le chant lyrique est intercalé à l'intéPar exemple, on a pu s'étonner qu'Iphigénie bücher décrive dans une longue monodie le (3). Ces «surplus de mythologie », selon le

mot de J. C. Kamerbeek

(4), apparaissent le plus souvent dans les

derniéres piéces, comme le montre l'examen des parties chorales d'Iphigénie à Aulis. Ainsi, jusqu'à la fin de sa vie, Euripide a goûté, en artiste et en peintre, la beauté des légendes qu'il s'est proposé de faire revivre sur la scéne et de traduire en images. Le souci de renou-

vellement qui caractérise son théátre ne procéde donc pas, comme on a eu trop tendance

à l'affirmer,

de considérations

purement

intellectuelles. Il n'en est pas moins vrai que le mythe, par sa nature et sa substance morale, pose à l'esprit du poéte divers problémes dont il nous reste enfin à parler. (1) Kranz, o. c., p. 260-61. (2) Sur ces procédés, qu'on retrouve dans le néo-dithyrambe et qui proviennent de la lyrique chorale, cf. Kranz, p. 253 866. ; L. A. Stella, p. 70 sqq. (3) E. Petersen, l. c. (4) ©. c., p. 8; 39. M. Delcourt, Studi U. E. Paoli (1956), p. 222-23, a bien souligné l'élargissement du paysage mythique au fur et à mesure des tragédies d’Euripide,

440

EURIPIDE

ET

LES

IV. EURIPIDE,

LÉGENDES

LE

DES

CHANTS

MYTHE

ET

CYPRIENS

L'ACTUALITÉ

« EYP. "Ἔπειτα τουτοισὶ λαλεῖν ἐδίδαξα... οἰκεῖα πράγματα εἰσάγων, οἷς χρώμεθ᾽, οἷς ξύνεσμεν.» Ar.,

D'une

manière

un

peu

arbitraire,

nous

Gren.,

n'avons

954 ; 959.

jusqu'à

maintenant envisagé le mythe que sous son aspect formel, celui d'un récit légendaire que le poéte adapte pour la scéne de maniére à en faire ressortir l'intérêt esthétique, dramatique ou psycholo-

gique. Mais dans la mesure où chaque mythe illustre une forme particulière des rapports qui peuvent

s'établir entre les dieux et

les hommes ou entre des étres humains, il est aussi chargé d'une signification religieuse, renferme reste applicable préte en fonction de ses l'écho. Ainsi, le sens de forme. Ces changements

morale et intellectuelle. La leçon qu'il à chaque génération, mais celle-ci l'interpropres croyances, dont les poétes se font la légende ne change pas moins que sa sont particuliérement sensibles dans la

seconde moitié du v? s., où, sous l'influence des philosophes et des sophistes, la critique de la religion traditionnelle et des mythes

se développe

dans

les milieux

cultivés.

Euripide

lui-méme

a

été l'ami de quelques-uns des plus célébres de ces novateurs — Anaxagore, Protagoras — et on sait la place qu'occupent dans

son théátre les problémes et les idées de son temps. Il convient donc de se demander quelle est l'attitude intellectuelle d'Euripide en face du mythe. Quel degré de créance lui accorde-t-il ? Construit-il son drame autour du mythe épique, ou bien celui-ci n'est-il qu'un prétexte qui permet au poète d'exposer ses idées, non seulement sur les grands problémes humains, mais aussi sur

les événements contemporains et la conduite des affaires publiques ? Dans

les études

consacrées

à Euripide

au début

de ce siécle,

il était surtout considéré comme le poète des « lumières », dont le but principal était la prédication philosophique et l'exposition d'un systéme du monde inspiré des doctrines des sophistes. Critique, moraliste, philosophe, Euripide n'aurait utilisé la tragédie que comme une machine de guerre contre les croyances tradition-

nelles

(1).

Il n'aurait mis en scène les légendes

(1) Sur le rationalisme 2* P.

éd. 1913; Decharme,

W. Eur.

d'Euripide,

cf. A. W.

Verrall, Eur.

Nestle, Eur., der Dichter der el l'esprit de son théâtre, 1893;

und seine Persónlichkeit,

1912.

L'opinion

courante

anciennes

que

the ralionalisi,

1895;

griechischen Aufklärung, 1901; H. Steiger, Eur., seine Dichlung

est bien représentée par l'article

LE

pour

les dénigrer,

MYTHE

pour

ET

montrer

L'ACTUALITÉ

tout

ce

441

qu'elles

comportaient

d'absurde et d'immoral. Il serait à ce titre un des principaux responsables de la cassure qui s'établit à la fin du v* s. entre le mythe et la religion vivante, et aussi de la décadence de la tragédie au IV? s., par la destruction était formé.

de la matière

méme

dont le drame

De

tels jugements résultent d'une erreur de perspective que des travaux ultérieurs ont permis de redresser. Car le mythe ne peut étre assimilé au dogme de nos religions révélées, et on ne saurait préter à Euripide le masque de Voltaire. Le mythe grec n'est pas nécessairement lié aux croyances et aux pratiques religieuses (1). Il sort parfois d'un récit cultuel, mais plus souvent encore d'un conte populaire, d'un fait historique ou de l'imagination d'un poéte. Ce n'est pas un dogme, puisque aucune adhésion

n'est exigée du fidéle à telle forme particuliére d'une légende susceptible d'étre indéfiniment remodelée au cours des áges. Son évolution est soumise aux influences collectives et individuelles les plus diverses, modification des structures sociales, des croyances et des modes de pensée, lois propres à chaque genre poétique, tempérament personnel du poéte. Méme si Euripide

a douté de la réalité des légendes qu'il met en scéne, on ne saurait l'accuser, avec un critique du xix? s. (2), d'avoir « péché contre le mythe », comme l'hérétique qui péche contre une Vérité révélée. Il n'est pas non plus un pur rationaliste. Le définir ainsi, c'est simplifier abusivement la complexité d'un esprit mobile et qui ne

fuit pas les contradictions (3). Le scepticisme du poéte à l'égard du mythe ne se manifeste que d'une maniére épisodique. Euripide n'a

certainement

pas

eu

le sentiment

d'une

pénible

contrainte

dans l'obligation faite à l'auteur tragique de ne mettre en scéne que des légendes de la mythologie. Nous avons vu qu'il en a senti

à lextréme

la beauté et qu'il les a parfois méme

évoquées avec

une surabondance gratuite. Allons plus loin. On n'a nullement l'impression qu'il doute de la réalité de la guerre de Troie comme de Dieterich, RE, VI, 1 (1907), col. 1277-1280. C'est encore dans une large mesure celle de W. Jaeger, Paideia, I, p. 342 ; 351 sqq. de l'éd. anglaise, de L. H. G. Greenwood, Aspecls of Euripidean Tragedy, Cambridge, 1953, et méme de R. Goossens (voir en particulier p. 80-81; 140; 155-160). (1) Voir sur ce point les remarques

trés pertinentes

de

E.

Howald,

Tragódie, Tubingen, 1927, en particulier p. 6 sqq., et de J. Alsina Troya, Helmantica, 8 (1957), p. 374-75. (2)

K.

O.

Müller,

cité par Jaeger,

Mythos

und

Clota, Helena de

o. c., p. 357.

(3) Sur Euripide, poéte des contradictions, cf. F. Chapouthier, Eur. el l'accueil du divin

(1952), p. 206. L'étude

de E. R. Dodds,

Eur. the irrationalist,

Cl. R., 43 (1929),

p. 97 sqq., a tracé la voie à de nombreux chercheurs qui ont montré toutes les insuffisances de l'explication rationaliste appliquée aux idées, à la technique théâtrale et à la peinture des caractéres chez Euripide.

442

EURIPIDE

ET

LES

LÉGENDES

DES

CHANTS

CYPRIENS

fait historique ou des grandes lignes du récit qu'en donnaient les épopées du cycle troyen.

Il n'en reste pas moins mythe

diffère

que l'attitude d'Euripide

profondément

en face du

de celle de ses devanciers

(1). Les

divergences portent surtout, à notre avis, sur deux points. L'un concerne le róle traditionnel des dieux : comme dramaturge, il est enclin à l'accepter, mais, lorsqu'il y réfléchit, ce róle souléve pour

son

esprit

de

graves

objections

intellectuelles

et morales.

Les

insuffisances de cette explication l’entraînent à chercher d'autres

motifs aux actes des héros. Le second a trait au sens de la tragédie : Euripide éprouve le sentiment que les aventures légendaires n'ont

d'intérét que dans la mesure oü elles peuvent toucher les hommes de son temps, en leur montrant dans le passé l'image du présent. Il arrive que ce principe oriente le choix méme du sujet. Il amène

aussi le poéte à donner aux héros et à la société épique des traits qui sont ceux

naturellement,

des hommes

il

prête

et de la cité

aux

grecque

personnages

des

du v* s. Tout

préoccupations

actuelles, qu'ils expriment dans les termes dont on se servait dans

la société cultivée à laquelle Euripide appartenait par sa formation. Examinons ces divers points de plus prés, en nous appuyant sur les exemples fournis par les légendes des Chanis Cypriens. Et d'abord, le róle des dieux. Ceux-ci, nous l'avons vu, interviennent fréquemment dans son théátre, soit par leurs oracles, soit méme en apparaissant dans le cours de la piéce. Ce sont eux qui conduisent

les actions

humaines.

Sans

doute

ne

faut-il

pas

accorder

une

importance décisive au motif du « plan de Zeus » qui, dans l'épopée,

domine toute la guerre de Troie, car son emploi parait poétique et décoratif plutót qu'il ne traduit le sentiment profond du poéte.

Il n'en reste pas moins que l'effet de la volonté de Zeus est reconnu dans tel événement particulier et que les péripéties du conflit troyen sont attribuées pour une large part à la querelle des déesses

et à leur antagonisme, en particulier à l'opposition d'Héra et d'Aphrodite. Toute la pièce d'Hélène tourne autour des souffrances que leur caprice a infligées à l'héroine. Dans les épreuves injustes qui frappent Héraclés, Thésée et le héros lui-méme sont d'accord pour reconnaitre la vengeance d'Héra, dont Philoctéte est peut-étre aussi la victime. Une telle motivation des faits légendaires ne pouvait, en effet,

étre écartée, parce qu'elle était une partie essentielle du mythe, et aussi de la tragédie. L'univers épique implique l'intervention continuelle des dieux dans les affaires humaines. Il ne saurait non plus y avoir de sentiment tragique si l'on n'admet pas la (1) Cf. 1. C. Kamerbeek, Mythe el réalité dans l'œuvre d'Eur., Entr. Fond. Hardl, VI (1961), p. 1-25 ; A. Rivier, L'élément démonique chez Eur. jusqu'en 428, ibid., p. 42-53.

LE

MYTHE

ET L'ACTUALITÉ

443

toute-puissance de la divinité sur les mortels (1). Euripide l'a bien senti, qui s'est plu à montrer les hommes égarés par les rebondissements inattendus de cette volonté et écrasés par ses effets imprévisibles. Mais l'action divine, dans la mesure où elle offense souvent

la logique ou la morale, pouvait choquer les sentiments d'un Grec du v® siècle, et surtout d'un Grec éclairé. Eschyle, et à un moindre

degré Sophocle, àvaient dü affronter ce probléme et tenter de le résoudre par des moyens qui leur étaient propres. Mais Euripide a été plus sensible encore qu'eux à ces difficultés et à ces contradictions.

D'oà,

par

instants,

des

hésitations,

des

doutes,

des

révoltes des personnages et du chœur, qu'il est difficile de ne pas interpréter comme

des protestations

du poéte lui-méme.

l'incertitude est exprimée discrétement, comme

Tantót,

si celui qui parle

entendait marquer qu'il ne prend pas à son compte la légende qu'il reproduit (2) : ainsi pour le déguisement de Zeus en cygne.

Parfois, c'est un refus exprimé sur un ton véhément : ainsi dans le passage souvent cité d'Héraclés Furieur où Héraclès rejette les traditions poétiques qui prétaient aux dieux des amours coupables et des violences mutuelles, ou encore dans la tirade des T royennes oà Hécube se refuse à considérer l'enlévement d'Héléne

comme la suite inévitable du jugement des déesses. Ceci veut-il dire qu'au fond de lui-méme Euripide ne croit pas à la réalité des dieux de la mythologie, ou ne leur accorde qu'une sorte de croyance de poète, comparable au sentiment que pouvait éprouver

un Racine en composant Andromaque ou Phédre? On l’a parfois soutenu, comme on a soutenu, plus rarement il est vrai, qu'Euripide

n'avait pas connu d'inquiétude métaphysique et qu'il avait adhéré sans effort aux croyances traditionnelles concernant les mythes (3). Nous ne saurions aborder ici le difficile probléme de la religion d'Euripide, qui a suscité tant de conclusions divergentes. Disons seulement

que

l'explication

des

malheurs

humains

par

le róle

des dieux ne lui paratt pas toujours acceptable ni suffisante (4). Elle n'est pas acceptable, dans la mesure oü elle heurte en lui l’idée qu'il se fait de la justice divine. Elle n'est pas suffisante, parce qu'elle accorde trop peu à la liberté et à la causalité humaines. Ainsi, soit à cóté des motifs traditionnels, soit à leur place, Euripide en propose d'autres, qu'il tire de sa connaissance de l’äme et de ses ressorts. Rien n'est plus caractéristique de cette dualité d'explications que l'agón des Troyennes, dans lequel le point de vue d'Héléne sur l'origine de la guerre traduit — non sans quelques (1) Cf. A. Rivier, p. 193; Kamerbeek, o. c., p. 10. (2) Voir les références rassemblées par Schmid-Stählin, (3) F. Chapouthier, o. c., p. 235.

p. 704, n. 1.

(4) Pour de bons états de la question, voir A. Lesky, p. 210-11, et Mme J. Duchemin, dans Le Thédire tragique, Paris, 1962, p. 37-48.

444

EURIPIDE

ET

LES

LÉGENDES

DES

CHANTS

CYPRIENS

retouches sophistiques — la causalité du monde de l'épopée, où tout dépend des dieux, alors que le point de vue d'Hécube illustre la doctrine « moderne » de la responsabilité humaine (1). C'est au

second

type

d'explication

que

s'intéresse

surtout

le

poéte,

non seulement parce qu'il est le plus neuf, mais aussi parce qu'il lui paraît le plus instructif et le plus vrai. Dans son théâtre, l'homme est mesure de toute chose, et en particulier de son propre destin.

Les décrets des dieux s'imposent à lui, mais sans lui ôter sa liberté. Celle-ci est d'abord une liberté de choix : Páris a pu choisir entre les déesses, Priam et Hécube ont eu deux fois à choisir entre la vie et la mort de leur fils, Héléne a librement choisi d'épouser

Ménélas, et plus tard de suivre Páris. C'est ensuite la liberté des moyens à employer pour atteindre le but marqué par la divinité : pensons à Téléphe, ou à l'Ulysse des Skyrioi. Euripide, il est vrai, a pressenti que cette liberté n'était pas totale, que l'homme était

dans une large mesure déterminé par son hérédité, son éducation, son

caractére,

ses

passions.

L'hérédité

explique

en

partie

la

fourberie d'Ulysse « fils de Sisyphe » ou la cruauté d'Agamemnon, fils d'Atrée. La noblesse d'Achille dans Iphigénie à Aulis résulte non seulement de son ascendance maternelle (et aussi paternelle),

mais encore des enseignements de Chiron. L'ambition et la jalousie poussées au paroxysme conduisent Agamemnon et Ulysse jusqu'au crime. L'éternelle coquetterie d'Hélène, son goût pour l'or et pour

la puissance, permettent de comprendre pourquoi elle a suivi Páris jusqu'à Ilion. L'intérét que porte le poéte à l'enchatnement des causes psychologiques le conduit à montrer chez ses héros le germe des passions qui se déploieront au cours de la guerre. La geste troyenne était toute remplie des querelles de chefs, dont les éclats boule-

versaient les deux camps. ces épisodes

fameux.

Le public d'Athénes

Euripide

s'est

plu

connaissait bien

à montrer

l'origine

de

tels conflits de personnes, dont l'effet avait été si important pour le sort des peuples. Ainsi, dans Alezandros, on voit s'affronter pour la première fois Päris et Déiphobe, qui seront les époux successifs d'Héléne. Dans deux de ses pièces, Télèphe et Iphigénie à Aulis, le poéte dresse l'un contre l'autre Agamemnon et Ménélas : ces conflits mineurs préfigurent la grande querelle qui les opposera

aprés la prise d’Ilion, au point qu'ils quitteront séparément la Troade. Le dissentiment d'Achille et d'Agamemnon, qui sera au cœur de l'Iliade, est annoncé dans certaines scènes de Télèphe, d'Iphigénie à Aulis et de Palaméde. De méme, la haine qui conduira Clytemnestre à assassiner son mari apparait en germe dans Iphigénie à Aulis. (1) A. Pertusi, Il significalo della trilogia troiana di Eur., Dioniso, 15 (1952), p. 265.

LE

MYTHE

ET

L'ACTUALITÉ

445

Les actes humains s'en trouvent éclairés, mais non pas excusés. Des exemples comme ceux d'Achille ou d'Ulysse montrent que les

hommes peuvent orienter leurs facultés et leurs passions mémes, soit vers le bien, soit vers le mal. Ils sont donc responsables, devant les dieux et plus encore devant leurs semblables. Les dieux

d'Euripide qui

conservent

s'exercent

parfois

en partie leurs attributions de justiciers, au

dénouement

de la piéce, mais

ils ont

perdu le droit d'étre les garants absolus de la morale. C'est par rapport à leur prochain et à la société que les héros seront jugés. Ainsi s'amenuise dans la tragédie l'élément divin. Il se réduit

le plus souvent à une exigence initiale — donnée sans aucune justification dans Iphigénie à Aulis — devant laquelle les hommes sont placés et réagissent suivant leur caractére. Les sentiments, les actes, les souffrances humaines, voilà ce qui intéresse Euripide plus que la raison d'étre de l'ordre divin. Cette attitude n'est pas sans danger : la disparition du sens du surnatürel ne peut être compensée que par un profond intérêt

humain. Dans les parties de la tragédie où ne dominent ni l’un ni l'autre — prologue, fresques chorales — le mythe perd de sa vie et de sa substance. Le monde des légendes, où le poète se meut à

l'aise, tend à devenir un univers artificiel, littéraire (1). L'évolution sera achevée chez les poétes alexandrins et les élégiaques latins, qui traitent l'univers épique comme une sorte de répertoire de personnages et de situations auquel on se référe pour illustrer le présent. Mais la réalité du monde des héros s'estompe déjà chez Euripide, et il entre une part de jeu dans la description qui en est faite.

Le meilleur

exemple

de ce traitement

est sans

doute

celui de la «nouvelle Hélène », dont la vraisemblance ne dépasse pas le niveau d'une convention théátrale. Sous l'influence des sophistes, Euripide a également pris cons-

cience de ce fait qu'il n'est de vérité que subjective constatation,

sur

laquelle

se

fonde

l'éloquence

(2). Cette

judiciaire,

est

introduite par le poéte dans le domaine du mythe. Dans l'agón, les faits mythiques se transforment en arguments. Colorés et déformés par la passion de celui qui les allégue en sa faveur, ils prennent ainsi une vie nouvelle. Mais ce qui est une pente naturelle de l'esprit humain aboutit parfois à l'artifice. C'est le cas dans l'agón des Troyennes, où Hélène déforme les promesses des trois déesses

à Páris pour les besoins de son argumentation. Si encore, Ménélas serait parti avant l'arrivée du en laissant sa maison ouverte à tous les vents. à Aulis, Agamemnon prétend que s'il ne sacrifie pas (1) Cf. Kamerbeek, o. c., p. 10. (2) W. Jaeger, Paideia, I, p. 348.

on l'en croyait fils de Priam, Dans Iphigénie sa fille, l'armée

446

EURIPIDE

ET

LES

LÉGENDES

DES

CHANTS

CYPRIENS

grecque le poursuivra jusque sous les murailles d'Argos. L'aboutissement de cette tendance, c'est la pièce à thèse, où le mythe tout entier perd sa réalité et n'est que le prétexte d'une démonstration. Euripide est un auteur dramatique trop avisé pour tomber dans

cette erreur, mais il lui arrive de la cótoyer,

par exemple

dans les Troyennes et dans Hélène. Tout en gardant sa réalité, le mythe peut enfin apparaître aux yeux du poéte comme le miroir de la réalité contemporaine. A partir de 432, la réalité la plus pressante

pour les Athéniens est

la guerre qui oppose leur cité et leur empire à Sparte et à ses alliés. Mais les esprits lucides reconnaissaient déjà plusieurs années avant

cette date les causes du conflit latent entre les deux grandes cités. 51 l'on remonte encore dans le temps, les cinquante ans qui séparent les guerres médiques

de la guerre du Péloponnése

et qui ont vu

l'extraordinaire expansion d'Athénes ont été marqués par des combats incessants de la cité contre ses ennemis proches et lointains. Or, c'est la guerre qui est au centre de l'épopée des Kypria, une guerre à la fois défensive et offensive, envisagée depuis ses origines les plus reculées, dans sa lente préparation et son développement progressif, dans ses mille péripéties, dans ses conséquences

à la fois individuelles et collectives. Plus on avance dans la guerre et plus Euripide semble frappé par les similitudes des deux conflits,

au point que la guerre de Troie devient comme la figuration mythique de la guerre du Péloponnése (1l). En particulier, se pencher sur les causes divines et humaines de celle-là est le moyen

de mieux comprendre l'enchatnement des faits qui a permis à celle-ci d'éclater. Dans ce sens, on a pu rapprocher la tragédie d'Euripide de l’œuvre historique de Thucydide (2). Tous deux se proposent moins de décrire que d'instruire. La différence est

que Thucydide offre une explication du présent valable pour une situation analogue dans l'avenir, tandis qu'Euripide offre une explication du passé légendaire valable pour le présent ou un avenir immédiat. Naturellement, la pensée du poéte sur la guerre a évolué pendant les trente années qui séparent la composition de Télèphe de celle d'Iphigénie à Aulis. Le choix méme des épisodes des Chanis Cypriens qu'il met successivement en scéne et la maniére de les traiter rendent assez bien compte de cette évolution. Les trois drames antérieurs à 432 montrent l'accomplissement d'une condi(1) Sur ce point, voir E. Delebecque, passim, et spécialement p. 445 sqq. (2)

Voir l'étude de J. H.

Finley,

Eur.

and

Thucydides,

H. St. Cl. Ph.,

49 (1938),

p. 23-68. Cette comparaison est aussi un des thèmes préférés de la sophistique (J. Alsina Clota, Helmantica, 8 (1957), p. 211-12) et elle apparatt dans la comédie (R. Goossens, p. 586, n. 44).

LE MYTHE

ET

L'ACTUALITÉ

447

tion posée par les dieux au succés des Achéens : présence d'Achille dans l'armée, découverte d'un guide connaissant la route de Troade, sacrifice de Protésilas. C'est donc sous l'angle du succés des Achéens

que sont envisagés les débuts du conflit troyen (1). Euripide ne semble pas montrer d'hostilité de principe à une juste guerre. Il fait méme proclamer par Téléphe la légitimité de la lutte défensive. Toutefois, le roi de Mysie dénonce déjà la futilité des motifs d'une si grande expédition et la légéreté avec laquelle les Grecs se sont jetés sur son pays. L'attitude d'Ulysse et des Grecs prouve aussi qu'un peuple en guerre ne peut plus apprécier objectivement les faits. On trouve encore dans ces piéces l'annonce de ce qui sera le théme majeur des drames plus tardifs : celui des souffrances que provoque la guerre, non seulement chez les combattants, mais encore dans leur famille. A des titres divers, Téléphe, Déidamie et Lycoméde, Protésilas, Laodamie et Acaste sont des victimes d'un conflit qui les meurtrit dans leur chair et dans leur cœur,

dans leur légitime espoir de bonheur et de descendance (2). Avec le groupe des piéces des années 425-420, le point de vue change. Ce n'est pas seulement parce que l'action d'Andromaque et d'Hécube (3) se situe aprés la chute de Troie et que les protagonistes appartiennent au camp

des vaincus : 1] est alors normal

que l'accent soit mis sur les malheurs de la guerre. Mais le poéte se penche avec insistance dans ces deux piéces, surtout à travers

les parties chorales, sur les causes de cette guerre et sur la responsabilité de ceux qui l'ont provoquée. C'est le motif de «l'origine des malheurs » (4), que le chœur croit trouver tantôt dans la faiblesse d'Hécube qui a épargné son fils à sa naissance, tantôt dans le jugement des déesses, tantót dans la construction des navires

de

Páris.

Quant

aux

responsabilités,

examinées

d'une

maniére générale ou à propos d'un malheur particulier, elles sont

partagées

entre

les

protagonistes

humains

: Hécube,

Hélène,

fléau de Troie mais aussi cause de la mort d'Achille, Páris. Ménélas

lui-méme est coupable : il n'a pas surveillé suffisamment sa femme, il a causé la ruine de Troie pour un motif bien mince et il a poussé Agamemnon à sacrifier sa propre fille. Dans ces deux piéces, presque toutes les références aux légendes des Kypria (1) (2) ce que (3)

tournent autour des fautes humaines

qui ont amené

Delebecque, o. c., p. 443-44. Ce théme apparatt donc avant méme le début de la guerre, contrairement à dit Delebecque (p. 445 ; cf. encore p. 460-61). Les parties chorales des deux piéces sont étroitement apparentées (cf. M. Pohlenz,

IT, p. 122-123). Leur examen conduit Pohlenz à la conclusion qu'Hécube est antérieure à Andromaque d'un à trois ans. (4) Sur ce motif chez Euripide, cf. A. Garzya, Dioniso, 14 (1951), p. 136, n. 12;

M. Delcourt, dans Studi U. E. Paoli (1956), p. 222.

448

EURIPIDE

ET LES LÉGENDES

DES

CHANTS

CYPRIENS

la guerre, et il n'est guére question du róle des dieux. Cependant, à la méme

époque,

à propos

des malheurs

d'Héraclés,

le poéte

pose de façon aigüe le probléme de la justice divine, puisque le héros est victime du ressentiment d'Héra sans avoir rien fait pour le provoquer.

La trilogie de 415 reprend avec plus de détail et d'insistance cette recherche des fautes et des coupables. Sans doute, les dieux

gardent une part de la responsabilité que leur poètes épiques : Aphrodite elle-même rappelle d’Alexandros que le salut de Páris entre dans le Euripide n'oublie pas le róle du jugement des

assignaient les au dénouement plan de Zeus et déesses. Mais il

récapitule sans se lasser les erreurs humaines : les premiers respon-

sables sont Priam et Hécube, puis le vieillard qui a exposé Páris au lieu de le tuer, Phéréclos,

le constructeur des navires troyens,

Ménélas, Páris qui s'est laissé conduire par sa sensualité. La faute

d’Helene est la plus grave, car elle a suivi Páris de son plein gré, non seulement par amour, mais par déréglement, par cupidité, par vanité. Le poéte la déclare méme coupable de la mort de

Castor et de celle d'Iphigénie. Mais — motif nouveau — le peuple troyen tout entier est fautif pour ne pas avoir ajouté foi aux paroles de Cassandre : la faute collective vient s'ajouter aux fautes individuelles. D'autre part, ce n'est plus seulement le poéte qui

accuse.

Les

protagonistes

discutent entre

eux



Hélène,

Hécube,

Ménélas

: les uns portent l'accusation



en

et essaient de

démonter le mécanisme de la faute, les autres s'analysent et essaient de se justifier. Avec Palaméde, c'est un autre théme qui vient s'ajouter au premier et qui s'épanouira dans les Troyennes :

la guerre est mauvaise en elle-même. A côté des souffrances des Troyens, le poéte rappelle les souffrances des Grecs guerroyant en terre

lointaine

et les

conséquences

morales

de

cet

état

de

choses: la désunion dans les foyers et les rivalités sans frein entre les chefs, qui conduisent à des crimes dont les dieux et les hommes se feront les vengeurs. Là encore, la responsabilité collective s'ajoute aux forfaits personnels. Cette perversion fatale

explique les excés des Grecs aprés la victoire, jusqu'aux dieux protecteurs de leur cause.

qui indigneront

Aprés 415, le ton ne change plus. Dans Électre, Iphigenie en Tauride, Oresle, Iphigénie à Aulis, l'accent sera toujours mis sur les malheurs de la guerre et la responsabilité humaine. Hélène, oü le róle des dieux dans la souffrance des deux peuples est souvent

rappelé, ne fait exception qu'en apparence (1). Le poéte affirme que les hommes ont eu tort de se laisser prendre au piége divin et d'engager

le combat

pour

un

motif

futile,

au

lieu

de

(1) Nous nous écartons sur ce point de l'avis de E. Delebecque, p. 447.

régler

LE

leur

querelle

par

des

MYTHE

ET

L'ACTUALITÉ

négociations.

En

449

général,

les

évocations

gracieuses des légendes cycliques — naissance d'Héléne, jugement des déesses, noces de Thétis et de Pélée —

sont suivies du récit

des catastrophes qui en découlent. Toutefois, un théme nouveau apparaît dans la dernière partie d'Iphigénie à Aulis, où l'expédition troyenne est présentée comme une guerre panhellénique, dirigée contre les empiétements des Barbares. Vue sous cet angle,

la guerre de Troie trouve une justification. Euripide semble revenir aprés un long chemin à la conception homérique qui stigmatisait le ravisseur d'Héléne, mais dans un esprit bien différent. Car le conflit ne résulte plus d'une querelle de princes. L'enlévement de la femme de Ménélas n'est que le signe de l'insolence des

Barbares contre laquelle se dresse la Gréce toute entiére. La lutte qui s'engage de peuple à peuple, et presque de continent à conti-

nent, a pour but de faire triompher la supériorité intellectuelle et morale, l'ordre et la justice des Grecs sur la démesure et l'orgueil des Orientaux (1). Cette analyse montre l'évolution et l'approfondissement de la pensée d'Euripide sur la guerre de Troie à mesure que se déroule autour de lui la guerre du Péloponnése. De plus en plus, il considére la première comme la préfiguration de la seconde et 1] utilise les légendes troyennes pour instruire et conseiller les Athéniens dans le présent. Ainsi le théme épique a-t-il été enrichi et vivifié par

les expériences de combats

améres

des Athéniens

durant

vingt-cinq

années

presque incessants.

Le probléme des causes et des responsabilités est au premier rang dans l'esprit d'Euripide. Les épopées cycliques lui imposaient l'explication divine : volonté de Zeus, querelle des déesses et intervention de l'un ou l'autre des Olympiens

à chaque

carrefour sur

le chemin de la guerre. Il en méconnatt d'autant moins l'importance qu'il a pu assister lui-méme à l'éclosion d'une guerre que la grande majorité de ses concitoyens ne voulaient pas, et sentir cette

force

inéluctable

qui

déjoue

les calculs

des

gens

raisonnables.

Mais cette explication est loin de lui suffire, et, avec toujours plus

de vigueur,

il bláme

l'aveuglement,

le parti-pris et la folie de

quelques protagonistes. Il dénonce aussi la crédulité de la masse, trop prompte à suivre les passions de ses chefs. Mais, sur ce dernier point, il est partagé entre deux sentiments contraires. Tantôt il

considère

les

Troyens

comme

décision de Priam et d'Hécube,

coupables

d'avoir

et les Grecs comme

approuvé

la

responsables

du sacrifice d'Iphigénie, de la condamnation de Palaméde et des autres

crimes

des chefs.

Tantót,

au

contraire,

il semble

de la disproportion qui existe entre la faute d'un quelques-uns et le chátiment de tout un peuple. (1) Cf. Delebecque,

frappé

seul ou de

p. 407-409.

30

450

EURIPIDE

ET

LES

LÉGENDES

DES

CHANTS

CYPRIENS

A la manière de Thucydide, Euripide s'efforce de rétablir l'enchatnement exact des faits (1). Il distingue notamment entre les causes occasionnelles et les causes réelles du conflit troyen. La

maniére

dont

il congoit le prologue

lui permet

de remonter

aux causes les plus anciennes pour mieux montrer comment elles se lient l'une à l'autre. Il se penche sur ce qu'on pourrait appeler les occasions perdues, c'est-à-dire les moments où la guerre aurait pu étre évitée, ou plus tard arrétée, si les hommes avaient fait

preuve d'un peu de sagesse et de clairvoyance. Les images du passé et du présent se superposent toujours plus dans la description des malheurs entrainés par la guerre. Les héros sont arrachés à

leur foyer et à leurs amours ( Prolésilas, Skyrioi) et fauchés dans les combats à la fleur de l’âge (Prolésilas, Palaméde). Chaque étape du conflit apporte son lot de souffrance et de mort : l'enlévement

d'Héléne,

Mysie

de

(Telephe),

l'île

de

fatal

à Léda

et aux

le rassemblement

Chrysé

(Philocléle),

Dioscures,

d'Aulis

le

l'expédition

( Iphigénie),

débarquement

en

de

l'escale

Troade

( Prolésilas) et le long siège d'Ilion (Palaméde). Les victimes ne se trouvent pas seulement sur le champ de bataille, mais dans les

cités grecques oü les parents pleurent sur les guerriers qui sont tombés et où les mères, les femmes, les sœurs ou les filles de héros

(Léda,

Laodamie,

Iphigénie)

sont parfois entratnées

dans

cette

ronde de mort.

En dehors méme des maux qui sont la rangon inévitable de la guerre, celle-ci illustre l'instabilité de la condition humaine. En quelques heures, elle brise le bonheur d'un couple, elle transforme un chef que les soldats aimaient et estimaient en un trattre qui va mourir lapidé, une jeune

princesse choyée

promise à un heureux mariage l'autel d'Artémis. Elle peut faire un mendiant, et réciproquement. cieux du destin — ou de la volonté rien

n'est stable

renverser

en un

: royauté,

par ses parents et

en une victime pantelante sur d'un berger un prince et d'un roi Bref, elle aiguise les effets caprides dieux — et montre qu'ici-bas

popularité,

bonheur,

elle peut

tout

moment.

Mais il y a plus grave encore. Que l'on compare le tableau de l'armée achéenne dans Iphigénie à Aulis avec celui qu'on trouve dans Palamède. Sur les bords de l'Euripe, on admire la splendide ordonnance du corps expéditionnaire achéen et les chefs sürs d'eux-mémes qui s'entrainent pour la victoire. Quelques années plus tard, auprès de l'Hellespont, le spectacle est moins flatteur :

des troupes déjà diminuées par les pertes, éprouvées par les privations et la maladie, des chefs aigris, jaloux de leur autorité menacée,

qui se coalisent pour abattre un rival au mépris des intéréts de (1) Cf. J. H. Finley, o. c., p. 32.

LE

MYTHE

ET

L'ACTUALITÉ

451

tous. Ainsi, une guerre ne produit rien de bon, surtout si elle se prolonge, méme pas les máles vertus que chantaient un Homére et un

Eschyle.

Elle corrompt

l'homme

en exaltant

ses passions

mauvaises : ambition, jalousie, esprit d'intrigue (1). Elle conduit l'individu et la cité à des fautes, voire à des crimes : meurtres d'innocents comme Iphigénie et Palaméde, invasion de territoires

« neutres » comme la Mysie. Cette dégradation de la moralité et de l'esprit public qu'Euripide a pu constater autour de lui, il la projette dans le monde légendaire, où les fautes humaines encourent une double punition : celle des dieux, vengeurs du sang innocent, mais aussi celle des hommes, dont la rancune poursuivra les coupables. Agamemnon succombera sous les coups de Clytemnestre et la flotte grecque sera attirée par Nauplios sur les récifs du cap Capharée. Le tableau qu'offre Euripide de la guerre de Troie est donc poussé au noir et s'assombrit encore au fur et à mesure que passent

les années. Dans les drames les plus anciens, elle est envisagée dans ses perspectives victorieuses. Mais trés vite disparaît le théme de la guerre fraiche et joyeuse, avec ses exploits et ses joies viriles, qui tient une place importante dans la vision homérique. Le poéte récapitule la somme de souffrances et de ruines qu'elle provoque à la fois chez les vaincus et chez les vainqueurs. Euripide, qui se place tantót dans le camp grec, tantót dans le camp troyen, montre qu'ici ou là les erreurs, les fautes, et aussi les souffrances sont les mémes, parce que l'homme est partout le méme. En effaçant les différences entre Grecs et Troyens, il rapproche encore la guerre de Troie de cette sorte de guerre civile entre peuples grecs dont il est le témoin. Il regrette qu'elle ait pu naître et en conseille l'arrét négocié tant qu'il n'est pas trop tard.

A partir de 415, son pessimisme se transforme en pacifisme. Sous la fiction troyenne, il ne reconnaîtra la légitimité de la guerre que tout à la fin de sa vie, à condition que celle-ci unisse tous les Grecs

réconciliés

comme tels, l'hellénisme.

contre

pour

la

les

défense

barbares,

des

cette

fois-ci

valeurs

les

plus

caractérisés

hautes

de

On a souvent essayé d'aller plus loin et de rechercher dans le

théâtre

d'Euripide

le reflet

des

événements

contemporains

et

l'opinion du poéte à leur propos. Par le truchement des personnages, il aviserait ses compatriotes de ce qu'Athénes peut attendre de ses amis et de ses ennemis et leur suggérerait les mesures les plus

favorables aux intéréts de la cité. On aurait donc de véritables piéces

à clef. Ces

Athéniens (1)

Cf.

E.

de

Spartiates,

la légende

M. Blaiklock,

The

Argiens,

Corinthiens,

représenteraient male characters...

(1952),

pour p.

102.

une

Thébains

part

ou

leurs

452

EURIPIDE

ET

LES

LEGENDES

DES

CHANTS

CYPRIENS

descendants du v? s., face aux problémes politiques qui se posaient alors à eux. De méme,

le

génie

spartiate,

de Sisyphe»

Ménélas, Héléne ou Hermione incarneraient

avec

ses

la politique

vertus

et

de Corinthe,

ses

vices,

Oreste

Ulysse

«fils

celle d'Argos,

et

ainsi de suite. Mieux encore, sous le masque de certains héros épiques, on discernerait les traits d'hommes politiques contemporains,

Périclés, Cléon, Nicias, Alcibiade.

Deux

ouvrages

impor-

tants en langue frangaise ont été consacrés récemment à une telle recherche (1). Lorsqu'on examine dans le détail leurs conclusions à propos de chacune des piéces troyennes, on constate que les divergences l'emportent largement sur les points d'accord. L'entreprise est hérissée de difficultés, car si nous connaissons dans ses grandes lignes la politique intérieure et extérieure d'Athénes, bien des détails nous échappent encore et nous ignorons

presque tout de l'histoire politique des autres cités de la Gréce. Surtout, nous ne pouvons nous représenter les dispositions d'esprit

des Athéniens d'une maniére assez süre pour pouvoir affirmer que les spectateurs apercevaient des intentions politiques précises dans les passages où nous croyons en distinguer (2). A. Pertusi (3) a bien montré par l'exemple de la trilogie de 415 les insuffisances

de l'interprétation historique : Euripide a-t-il voulu détourner les Athéniens de l'expédition de Sicile (Delebecque), blámer les cruautés commises lors du sac de Mélos (Murray), ou bien s'est-il élevé contre la politique de Corinthe (Grégoire) ? On ne saurait jurer

que

l'un

de

ces

trois

desseins,

ou

méme

les trois,

étaient

absents de l'esprit du poéte lorsqu'il composait sa trilogie (4). Mais là n'est pas l'essentiel. Et il y a bien des thémes dans chacun de ces drames qu'on ne saurait rattacher à aucun événement contemporain.

Ceci ne signifie pas, bien au contraire, qu'Euripide se détourne de l'actualité et renonce au róle de conseiller et d'éducateur que l'Eschyle des Grenouilles réservait au poéte tragique (5). Dans le

choix méme du sujet, les faits et les problémes contemporains jouent un róle non négligeable : ainsi, par exemple, lorsque le poéte choisit de traiter une légende de Skyros ou de Ténédos. Mais il dépasse le fait particulier pour rappeler quelques grandes vérités : une entreprise lointaine comporte de grands périls ; les vainqueurs ne doivent pas abuser de leur pouvoir ; la plupart des querelles humaines peuvent se régler par des négociations ; la guerre n'est (1) E. Delebecque, Eur. et la guerre du Péloponnèse, 1951; R. Goossens, Eur. Athènes [1955], publié en 1962. (2) T. B. L. Webster, Diogéne, 5 (1954), p. 121. (3) Il significato della irilogia troiana di Eur., Dioniso, 15 (1952), p. 251-53. (4) R. Goossens, o. c., p. 520-534, fait successivement état de ces trois motifs.

(5) Ar.,

Gren., 1055.

el

LE

MYTHE

ET

L'ACTUALITÉ

453

pas plus profitable aux vainqueurs qu'aux vaincus ; les Grecs sont supérieurs aux barbares ; dans la cité, les excés des démagogues

et le désaccord des chefs sont pernicieux pour le peuple tandis que l'union

sert les intéréts de tous, etc.

Parce qu'il a conscience de son appartenance à sa cité et qu'il en est fier, Euripide exalte le passé d'Athénes, en modifiant au besoin les légendes traditionnelles : par exemple, il introduit le héros national,

Thésée,

au dénouement

d’Heracles Furieux;

dans

la parodos d'Iphigénie à Aulis, il place les fils de ce méme Thésée à la téte du contingent athénien. Un ailion peut aussi étre utilisé à des fins patriotiques : ainsi lorsqu'il situe un épisode de la légende d'Héléne sur le sol de son pays, en identifiant l’île attique d’Helene avec la Cranaé d'Homére. | Afin que la lecon politique soit plus convaincante, le poète a tendance à rapprocher la société d'Homére de celle de son temps. Un probléme comme celui de la responsabilité collective ne se

posait pas dans le monde épique, où les grands décidaient souverainement sans consulter le peuple. Au contraire, dans la tragédie,

l'autorité est partagée.

Le peuple, qu'incarnent sur la scéne les

choreutes, approuve ou critique ses chefs, et leurs décisions n'ont

force de loi qu'avec son accord. L'essence méme

du pouvoir a

changé : souvent, comme les magistratures de la démocratie, il est conféré par une élection. Ainsi, d'aprés Euripide, c'est par un

véritable plébiscite que les Atrides ont été mis à la téte des Achéens librement réunis et coalisés. Dans Iphigénie à Aulis, Ménélas s'étend sur ce qu'on a appelé la «campagne électorale » d'Agamemnon. Le comportement du roi de Mycénes évoque les

promesses d'un homme politique athénien briguant la fonction de stratége et prompt à tourner le dos à ses électeurs aprés avoir obtenu ce qu'il désirait. L'armée achéenne, dans Téléphe, Palaméde, Iphigénie à Aulis, est à l'image de ces corps de soldats-citoyens devant lesquels les

chefs devaient rendre compte de leurs actes et qui pesaient, parfois de facon décisive, sur leurs décisions. Achille lui-méme est obligé de céder devant ses Myrmidons.

La grande discussion du Télèphe

et le procés de haute trahison de Palaméde se déroulent dans un climat qui est moins celui des conseils de chefs de l'Iliade que celui des tribunaux ou de l'assemblée d'Athénes. Ces anachronismes permettent au poéte de dénoncer les fautes des démagogues, dont Ulysse présente dans certaines piéces l'image achevée, et certains vices de la démocratie, que des observateurs comme Aristophane et Thucydide dénongaient à la méme époque en termes voisins (1). Les personnages d'Euripide sont en harmonie avec la société (1) J. H. Finley, o. c., p. 36 ; 42 ; 46-47.

454

EURIPIDE

ET

LES

LÉGENDES

DES

CHANTS

CYPRIENS

qui les entoure. Leur nom et certains traits traditionnels de leur caractére viennent bien de l'épopée. Mais ce caractére porte plus encore témoignage de la profonde et rapide transformation des mœurs dont Athènes a été le théâtre dans la seconde moitié du v? s. (1). Ils différent presque

autant des personnages

d'Eschyle

que de ceux d'Homére. Cette époque de transition est surtout marquée par l'affaiblissement des contraintes religieuses, familiales et sociales. La volonté des dieux, les intéréts du genos et de la cité ne

sont

plus

pour

l'individu

des

impératifs

absolus.

Il cherche

à s'émanciper en affirmant sa liberté, son droit à la vie, au bonheur,

à une puissance sans limite. Le monde héroique, généralement pénétré de la foi en la toute-

puissance divine, a connu des contempteurs des dieux comme Tantale, Sisyphe, Salmonée ou Ixion. Mais trés rares sont les raisonneurs ou les sceptiques. Au contraire, les personnages d'Euripide sont enclins à douter de l'influence des dieux de l'Olympe

sur les affaires humaines ou à critiquer leurs actes en fonction d'un idéal de justice supérieur. L'Hécube des Troyennes trouve invraisemblable

le récit du jugement

des déesses, l'Achille d'Iphigénie

à Aulis manifeste son scepticisme à propos de l'oracle d'Artémis, Clytemnestre fille

sur

doute

l'autel

du

que

la déesse

sacrifice,

ait miraculeusement

Thésée

et

Héraclés

se

sauvé

sa

demandent

s'il est possible que les dieux aient commis les turpitudes que leur prêtent les poètes. Bref, ils sont partagés, comme Euripide

lui-même et beaucoup de ses contemporains, entre les croyances religieuses traditionnelles, sur lesquelles s'appuient les légendes, et une conception plus épurée des dieux, fondée sur la justice.

A cet égard, leurs hésitations et leurs doutes reflètent au moins autant ceux des Athéniens cultivés du temps que la pensée personnelle du poéte.

La crise morale n'atteint pas moins la famille, comme en témoigne l'action de Prolésilas. Aprés la mort de son mari, Laodamie n'accepte plus de se plier aux volontés de son pére Acaste, le chef du genos. Elle refuse d'assurer la continuité familiale en se rema-

riant et préfére suivre son mari dans la mort. L'agón qui s'institue dans la piéce entre Protésilas et Acaste ne traduit pas seulement

le conflit de deux générations, mais celui de deux types de société, la société archaïque et celle qui s'instaure à la fin du v? s. et que

peindront un Lysias, un Xénophon, un Ménandre. Les rapports juridiques cédent le pas aux sentiments naturels et la famille se réduit à la cellule élémentaire : le couple et ses enfants. Ce carac-

tére du théátre d'Euripide explique pour une part sa vogue au (1) Voir à ce sujet K. Reinhardt, Die Sinneskrise p. 279-313.

bei Eur., Eranos Jb.,26 (1957),

LE MYTHE

ET L'ACTUALITÉ

455

IV* s., auprés d'un public qui aimait à retrouver dans la comédie nouvelle une niennes (1).

image

des

mœurs

familiales

et

conjugales

athé-

Ce sont précisément les légendes centrées autour de ce probléme du couple qui ont eu la faveur d'Euripide dans les piéces antérieures à 425, comme Prolésilas, les Skyrioi, peut-étre Thésée, et un peu plus tard dans Andromaque. Les sentiments familiaux jouent

aussi

un

rôle

dans

Télèphe,



sont

esquissés

certains

thémes qui seront développés dans Iphigénie à Aulis. L'affection mutuelle d'Iphigénie et.de ses parents est au centre de ce dernier drame : le poéte y puise le moyen de renouveler son sujet en utilisant comme ressorts de l'action des sentiments que son public était à méme de partager. Chacun des membres de la famille y fait valoir ses droits d'étre humain, Iphigénie, sa légitime aspiration

à la vie et au bonheur, Clytemnestre, mère, et Agamemnon de paler familias.

ne

peut

sa dignité d'épouse et de

imposer

sans

débat

son

autorité

Chez Euripide, comme dans l'Athénes de son temps, les passions, qui ne sont plus contenues par la rigueur des lois divines ou humaines, vont jusqu'au bout d'elles-mémes : Téléphe est prét à sacrifier le petit Oreste pour atteindre son but, Laodamie aban-

donne Acaste à sa solitude pour rejoindre Protésilas dans la mort, Agamemnon immole Iphigénie à son amour du pouvoir et Ménélas l'y encourage

pour retrouver Héléne,

Ulysse trame la mort d'un

rival politique. Mais cette volonté de puissance n'est pas l'expression de caractéres héroiques. Les personnages d'Euripide ne sont pas

soutenus

par

une

armature

morale

en

rapport

avec

leurs

appétits. Comme les contemporains du poéte, souvent désaxés par l'affaiblissement des anciens cadres sociaux, ils tátonnent dans leur

recherche du bonheur et du pouvoir. Il leur arrive de suivre des voies tortueuses et d'étre peu délicats dans le choix de leurs moyens. Il en résulte

souvent

des échecs et des souffrances,

dont ils s'in-

dignent douloureusement. Comme le peuple d'Athénes, ils ne voient pas que ces épreuves sont la conséquence inévitable de leurs injustices et de leurs fautes (2).

Enfin, Euripide se platt à introduire dans le mythe la discussion de problémes généraux qui étaient alors débattus dans les cercles cultivés. Il s'agit parfois de véritables digressions, insérées avec quelque

artifice dans

(1) Voir Münich,

en

particulier

la trame l'ouvrage

de

de la piéce W.

H.

(3). Dans

Friedrich,

d'autres

Euripides

und

cas,

Diphilos,

1953.

(2) Cf. J. de Romilly, L'évolution du pathétique..., p. 122-129. (3) Comme la discussion d'Héraclès Furieux.

sur

la

valeur

de

l'archer

et

de

l'hoplite

au

début

456

EURIPIDE

ET LES

LÉGENDES

DES

CHANTS

CYPRIENS

ces controverses découlaient tout naturellement du sujet. Ainsi, les drames

où apparaissaient

un couple amenaient

à traiter une

question d'actualité, celle de la condition de la femme. siennes les idées de certains sophistes,

Faisant

Euripide, malgré sa répu-

tation de misogyne, a souvent plaidé en faveur des femmes dans une société qui ne leur reconnaissait que peu de droits

(1). Non

seulement il a tracé de délicats portraits de jeunes filles, d'épouses et de méres, comme

Iphigénie, Laodamie, Clytemnestre

( Téléphe ;

Iphigénie), mais dans une pièce au moins, Prolésilas, il a soutenu la cause d'une veuve fidéle au souvenir de son mari. En instaurant au cours du drame un débat sur le remariage des veuves de guerre, il touchait

encore

à un

probléme

d'actualité,

car

les

grandes

entreprises militaires et coloniales qui avaient fondé la puissance d'Athénes avaient, à plus d'une reprise, abouti à des pertes trés lourdes en citoyens, périlleuses pour l'essor démographique de la cité. La condition de la femme n'était qu'un cas particulier d'un probléme ses faces d'un étre entre la

plus vaste, que la pensée du temps a retourné sous toutes : celui des rapports qui existent entre la valeur personnelle humain et la condition sociale oü il se trouve, c'est-à-dire Nature et la Loi (2). Dans la société archaique, la loi et

la coutume

attribuaient à chacun,

esclave, paysan

ou citadin, homme

riche ou pauvre, ou femme,

citoyen

ou

Grec ou Barbare,

une place fixée dans la hiérarchie des valeurs. Les sophistes, en affirmant

à la

suite

des

philosophes

ioniens,

d'Héraclite

et de

Pythagore, que la nature humaine est une et que tous les hommes se ressemblent, ébranlaient l'ordre social ancien. Euripide se fait l'écho de ces controverses. Ainsi dans Alexandros, où un esclave

— ou prétendu tel —

participe à des jeux athlétiques avec des

hommes libres, des princes méme, et remporte la victoire. Le probléme juridique de la participation des esclaves aux jeux,

tranché par la négative dans la Gréce classique, se trouve d'abord évoqué. Mais le débat s'élargit : les esclaves peuvent-ils intellectuellement

et moralement

surpasser

les hommes

libres,

sont-ils

perfectibles par l'éducation (3)? Plus généralement encore qu'est-ce que la noblesse ? La distinction du noble et du roturier s'appuie-t-elle sur autre chose que le pouvoir et la richesse? Les pauvres n'ont-ils pas des droits aussi légitimes que les riches ? On voit tout l'enjeu d'un tel débat. Il est peu probable qu'il ait abouti

dans

le

drame

à

des

conclusions

précises.

La

légende

(1) Voir R. Goossens, p. 84-89. (2) Voir F. Heinimann, Nomos und Physis, Bâle, 1945. Ce probléme est lié à celui de l'Étre et de l'Apparence,

qui est central dans des pièces comme

Télèphe et Hélène.

(3) Sur les progrès de la condition des esclaves dans l'Athénes du ve s., cf. Glotz, La Grèce au V* s. (P. U. F.), p. 260-61 ; 285-86.

LE

MYTHE

ET

L'ACTUALITÉ

n'apportait pas de solution, puisqu'en

457

fait Páris n'était pas un

esclave, mais un fils de roi. L'important pour le l'aventure du Priamide lui permettait d'instituer Dans le Téléphe, vingt ans plus tót, c'est un qu'il avait abordé. Il s'agissait aussi du droit des

poéte était que cette discussion. probléme voisin gens, mais plus

sur le plan politique que social. Le faux mendiant revendiquait le droit —

qui lui était contesté —

de soutenir une juste cause,

méme devant des grands de ce monde.

Il démontrait ensuite que

les Mysiens, c'est-à-dire un peuple barbare, étaient fondés à se défendre contre une attaque injuste des Grecs. C'était soutenir, comme le faisait à la méme époque un Antiphon, que la loi est la

méme

pour tous : par suite, l'injustice d'un Grec à l'égard d'un

barbare restait une injustice. Là encore, il se révélera que Téléphe n'est ni un mendiant, ni un barbare, mais un roi, fils d’Heracles. Le principe général n'en reste pas moins posé. Quant aux barbares,

Téléphe n'est pas la seule pièce où Euripide prend leur défense. Depuis longtemps déjà les Grecs d'Ionie ou d'Occident avaient appris à nuancer le dogme de la supériorité hellénique. Et ce ne sont pas de pures raisons dramatiques qui ont poussé le poéte à doter certains Troyens — Andromaque, Cassandre, Hécube, Hector — de sentiments plus nobles que les Grecs auxquels ils s'opposent (1). Mais il n'y a chez lui aucun esprit de systéme et, à l'occasion, l'esclave phrygien du Palaméde — comme celui

de l'Oresle — incarne la lâcheté proverbiale de l'Asiatique. C'est seulement dans Iphigenie à Aulis que le sentiment traditionnel de la supériorité du Grec sur le barbare est appuyé sur des raisons précises, qui reflétent sans doute les idées exprimées à la méme époque par Gorgias.

Une autre question, liée aux précédentes, et qui a dominé toute la seconde

Peut-elle

moitié

modifier

du v® s., est celle de l'éducation,

la nature

profonde

de

de la paideia.

l'étre?

La

question

était posée à propos des esclaves dans Alexandros, sans que nous

puissions dire quelle était alors l'opinion du poéte. L'ensemble de son théátre laisse à penser qu'il n'a pris que progressivement conscience de l'importance de l'éducation (2). Son róle est en tout cas souligné par Achille dans Iphigénie à Aulis. C'est à l'enseignement de Chiron que le héros attribue son amour de la vérité, et Agamemnon précise que cette éducation a été d'autant plus fructueuse

qu'elle a été donnée

dans

la solitude,

«à

l'écart des

(1) H faudrait nuancer l'opinion d'E. Delebecque, p. 403-06, qui estime que le mépris d'Euripide pour les barbares a été constant dans toute son œuvre. Le livre d'Helen H. Bacon, Barbarians in greek Tragedy, New Haven, 1961, ne tient pas non plus compte de ces personnages. (2) Cf. J. H. Finley, o. c., p. 36 ; A. Lesky, Psychologie bei Eur., Entr. Fond. Hardl,

VI (1961), p. 146-47.

458

EURIPIDE

ET

LES

LÉGENDES

DES

CHANTS

CYPRIENS

hommes pervers ». On est tenté de voir dans ce détail l'expression des goüts personnels du poéte, qui n'aimait guére se méler à la

foule. Euripide développe encore ses idées sur la vie à propos du probléme général débattu dans le Palaméde. L'agón le posait ainsi : qui est le plus utile à l'état, du penseur qui se tient à l'écart

de la vie publique, mais fait bénéficier l'ensemble de ses concitoyens de ses conseils et de ses inventions, ou de l'homme d'action

qui dirige un peuple ou une armée ? La préférence du poéte n'est pas douteuse : dans la piéce, Palaméde, le sage inventeur, sert mieux sa patrie qu'Agamemnon et Ulysse, les démagogues, qui ne visent que leur intérét personnel et trompent le peuple pour mieux l'asservir. Les anciens avaient déjà senti que le procés de Palaméde avait des résonances contemporaines, mais ils en avaient fait une application erronée au procés de Socrate. Sans doute Euripide pensait-il à certains de ses amis, comme Protagoras, dont les hardiesses de pensée avaient attiré l'animosité de la masse, excitée par les démagogues. Mais il plaidait aussi pour lui-méme,

car dans

ses tragédies,

fruits

de

ses

méditations

soli-

taires, il offrait aux Athéniens des conseils de sagesse sans recher-

cher la popularité à leurs dépens. Ainsi, il arrive que la personnalité de l'auteur perce à travers

le mythe. Mais, d'une maniére plus générale, chacune des modifications qu'il apporte à la légende refléte les tendances de son esprit. Les légendes épiques lui fournissent l'occasion de jeter un pont entre le passé et le présent. L'épopée troyenne, dans son fond et dans sa forme, est repensée en fonction des événements et du

milieu contemporain. L'entreprise était difficile de concilier deux mondes que tant de traits opposaient l'un à l'autre et de ménager l'intérêt dramatique sans sacrifier l'intérét d'actualité (1). Le contraste le plus aigu concernait la motivation des actes humains : l'épopée plaçait au premier rang l'influence des dieux, qui réduisait

l'initiative et la responsabilité de l'individu. Au contraire, Euripide met

en évidence

le processus

de l'esprit par lequel l'homme

se

décide librement et endosse ainsi la responsabilité de son acte. Mais il n'a pu renoncer totalement à la conception traditionnelle

dans la poésie d'Homére à Eschyle, et il juxtapose la cause divine, qui tend à devenir purement formelle, et la cause humaine, qui est à ses yeux la cause première. Représentant le héros comme

un Athénien

de son temps, il analyse les diverses composantes

passionnelles ou rationnelles de ses actes. Il montre comment ses

conséquences échappent à la volonté de celui qui agit et se traduisent en souffrances et en malheurs, étendus de proche en proche à tout le peuple. (1)

Voir

sur ce point

p. 98-100 ; 111-12.

les réflexions

de

B. Snell,

The

discoverg

of the mind,

1953,

LE MYTHE

ET L'ACTUALITÉ

459

C'est là sans doute le trait le plus original du génie d'Euripide, celui qui en a fait le plus « moderne » des trois grands tragiques, aux yeux de ses contemporains comme aux yeux des critiques de notre époque. Mais une telle maniére d'aborder le mythe n'est pas sans danger pour l'intégrité de celui-ci. Dans la mesure où l'intérêt se détourne des dieux pour se fixer sur l'homme, premier respon-

sable de son destin, l'équilibre sur lequel reposait le monde héroique se trouve rompu. Le présent l'emporte sur le passé. Le mythe, sorti de son cadre originel, prend tantót l'aspect purement décoratif qu'il revétira dans la poésie hellénistique, tantót la valeur symbolique à laquelle s'attachent les sophistes, précurseurs des philosophes du 1v* s. Les héros des Chanls Cypriens incarnent désormais des types d'humanité éternelle. Leur guerre n'est pas seulement

le prototype de la guerre du Péloponnése, mais de toute guerre. L’effort du poète pour redonner vie aux légendes anciennes par l'apport de l'expérience de son temps aboutit à creuser un fossé qui ne sera plus comblé entre deux types de réalités, les réalités poétiques du monde légendaire, fondées sur une aventure particulière d'une époque révolue, et les réalités psychologiques et sociales, fondées sur le destin de l'homme dans le monde du devenir.

BIBLIOGRAPHIE

BIBLIOGRAPHIE Nous ne citons ici qu'un petit nombre d'ouvrages généraux utilisés tout au long de notre étude. Le lecteur trouvera une bibliographie spéciale au début de chaque chapitre ou partie de chapitre. L'énoncé du titre complet est précédé, s'il y a lieu, de l'abréviation employée. Bates — BATES (W. N.), Euripides, a student of human naiure, Philad. Un. Pensylv. Press, 1930. Bethe

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Epische

Kyklus,

Griechischen

1841.

II, Bonn,

Tragódien,

I:

INDICES I. AUTEURS ANCIENS. II. INDEX GENERAL.

3l

INDEX

I. AUTEURS

ANCIENS

(Les chiffres en caractéres gras indiquent les passages oü les textes sont cités). Accius (Warmington) Telephus 609-633 223,5

609-610

234,5

611-12 613-18 619-20 623 624 627 629-630 631-32

231,2 238,3 243,6 248,5 243,3 282,2 238,5 227,2

234,6 633

227,2

234,6 Philocléle

315,3

ACHAEOS (Nauck) Philoctèle 309,1 ACHILLES TATIUS VI,1 205,1 ACOUSILAS fr. 40

(Jacoby) 246,3

Aelna 595-96

282,0

ALCÉE (Lobel-Page) fr. 34a 197,2 34 a, 6 197,3

6 9 10 13-16 17-18 18-19 20 22 ALCMAN (Page) fr. 14 b 21 : 77

342,8 342,7 342,8 247,3 180,3 181,4 359,5 348,2 ;,3;4 350,2 155,2 156,1 184,6

Alcméonide (Kinkel) fr. 1 61,4 6 61,4 ALEXIS (Edmonds) Parasite fr. 178 223,4

ANAXANDRIDE

184,5

283,5 283,7-9

184,6 ; 7 182,5

Anth. Pal. 111, 3

42

184,5

42,5-11 42,9

ALCIDAMAS Ul. 4 5-8

76,6 79,3

(Radermacher) 342,5 342,6

ANTIPHON fr. 5

60,4; 5

ANTICLIDE (Jacoby) fr. 15-16 101,5 15 109,3

127,4

ANTONIUS

LIBERALIS

27

267,4

APOLLODORE (Frazer) Bibliothèque I, 9,12 9,15 II, 1,5 4,12 5,4 5,11 6,1 6,2 6,3 6,4 7,2 7,4

(Edmonds)

283,3-8

197,6

(Kinkel) 319,7

ANTIPHILOS de BYZANCE A.P., VII, 141 330,4

Prétendanis d'Hélène 158,2 AMPHIS (Edmonds) Planos fr. 30,6-7 223,4 Prolésilas fr. 41 324,10 Anth. Lat. (Riese) 184,9 244,2 184,10 244,5 198 205,1 198,44... — 208,4

34 a,9-12

ANTIMAQUE fr. 59

7,5 7,7 III,

5,5 9,1 9,2 9,15 10,6 10,7

252,5 319,5 345,4 360,3 378,5 379,7; 82,1 73,3 380,2; 381,3 382,4 380,2 310,4 63,5 247,4 248,3 73,3 380,3 375,22; 247,4 248,3 386,5 334,2 154,3; 148,1 152,6

9

b

3

7

468

EURIPIDE

10,7-8

156,1 160,1

10,8

159,4

10,9

11,1 11,2 12,5

ET

LES

LÉCENDES 20

158,5 159,6 160,2 163,3 ; 4 155,1 ; 196,3 115,5 117,1;2;3

21 21-22 22 23

119,3

13,1 13,1-2 13,2-3 13,5

13,6 13,8

120,1 137,3 332,3 64,4 64,5 71,22; 5 75,1; 3 79,3 90,5 91,3 60,3;4;5 61,1; 2 205,1 208,4

[APOLLODORE]

Épitomé I,

9-10 23

II, 10 III, 1 2

4 6 7 7-8 8 9 10

11-14 17-18 19 19-20

385,1 156,1 297,3 269,5 47,7 103,3 104,1 179,4 180,3 181,3 202,5 356,3 357,2 340,5 342,2 357,2 357,2 359,5 297,1 356,4 357,2 296,4 248,4 228,6 231,5 225,1 249,1

24 24-25 25 26 27

30

DES

CHANTS

226,7 243,2 244,2 266,4 269,5 272,6 273,2 267,5 302,1 304,8 305,7 304,1 ; 2 307,5 304,5 ; 305,2; 305,7 312,4 ; 7 313,3 319,7 320,1

322,3; 324,2 ; 326,6 329,6 316,3 372,3 252.9 344,1 342,1 361,2 361,2

V,8 23 VI, 1 8 9 9-10 APOLLONIOS

de RHODES

Argonauliques

I, 64 82,1 553... 62,3 III, 997... . 384,1 IV, 769-779 71,2 780 62,3 790-98 72,5 790-99 75,1 868-879 90,5

Scolies

(Wendel)

I, 558 582 III, 15 997 IV, 1090

67,4 69,6 80,5 386,4 375,2

APOSTOLIOS (LeutschSchneidewin) XVI, 25 304,5 APPIEN

Mith. I, 77

310,8

CYPRIENS

APULÉE Mél. VIII, 7 X, 32-33

Argonauliques 130-31 376 1259 ARISTENETE Ep. II,5

335,4 103,3

Orphiques 58 62,3 62,3 205,1

AELIUS ARISTIDE (Dindorf) II, 19 72 Sc. 111,671

ARISTOPHANE Ach. 110 238-41 317-18 321 326 327... 330 331 331... 334... 335 342 365-69 384 394-406 402 408 416 418-434 421 429 435... 437... 439 440 443-44 448 449-50 453 456 457 459 460-61 463 469

233,3 235,1 191,1 319,3;5;7 320,6 327,6 238,4 229,8 233,4 234,1 239,2 236,5 239,1 239,2 239,1 239,5 239,2 240,2 233,4 228,5 229,6 229,7 229,7 233,5 251,2 60,6 226,8 253,3 226,6 226,7 226,7 229,3 237,5 226,8 229,7 226,7 229,7 230,7 226,7 229,7 226,7 226,7

AUTEURS

471-72 479 486-87 488-89 504 509 513 514 524-29 528-29 539 541-49 555-56 557-565 558 560-61 562-63 578 593 595... 659-662 Sc. 332 433

229,7 229,7 233,4 229,2 234,3 234,2 234,3 234,4 108,2 234,5 234,6 234,8 235,1 235,4 235,8 239,4 235,6 236,3 239,4 239,4 238,7 286,4 249,5 251,3

472

243,6

659-662

236,4

Ass. F., Sc. 987 Cav. 1232 1240 Sc. 809 Gren. 741-755 849 863 932 954 959 1055 1446-48

346,2 238,4 238,4 232,2 125,6 334,5 65,7 294,4 440 $40 452,5 848,5

Sc.

260,2

67

849 932 Guépes 1446... Sc. 313 Lysisirala 706 707 709-713

Sc. 919 922

118,4

921

349,2 239,8 239,8

609

Paiz 528 Sc. 528 Thesm.

421,1 430,1 287,4

16, 1454b36 1455a7 1455a10-12

215,3 132,4 132,4

17, 1455b10 18, 1456a10...

132,4 425,2

229,6

23, 1459b1-2

23,4

39... 41-42 50 ; 58 71

229,8 229,7 229,7 238,8

1459b2 1459b2-4 Rhét. I, 15, 137627

10,2 5 372,5

II, 24, 1401b34

160,4

229,4

93-94 179-180 183

220,6 229,10 229,10

195-99

229,10

269

239,6

466-68 470 471-72 473 517-18 542-45 D44-45 545

234,1 234,2 234,3 234,4 235,2 236,3 236,1 233,3

574... 598...

237,7 237,7

609 610 626 652-54

238,9 238,6 238,4 238,3

655...

237,7

689 689... ;691

238,6 239,1

693-95

Sc.

92,1

14, 1453b25-26 1453b35... 15, 1454a31-33

36-70

76-77

387,3 237,6 239,10 239,10 237,6

228,1 226,7

Oiseaux 512

274,4 334,5 294,3 360,3

469

ANCIENS

239,9

Consi. Masaalioles 160,4 Consi. Ténédiens fr. 170 Mull. 304,4 fr. 481 Rose 360,4

[De mir. ausc.] 838215 ARISTOTE (Jacoby) F. 2

239,7

ATHÉNÉE

239,9 239,6 353,6 353,1 353,6 861,8

858

269,1

226,7

Nuées 921-22 922 1067-69

253,3 226,7 90,3

9, 1451b21 13, 1453a21

376,1 377,1

ATHANASE

731-32 748 769... 769-780 776-784 848

Gent.

18

350,1

VI, 235 b VII, 277 c VIII, 334b

198,5 8,3 28,6

347e XII, 510c XIII, 576 a XV, 682 d

81 107,1 160,4 15,6

687

107,1

23,6

353,1 ; 6

6, 1450a9-10

SAINT

e

AUGUSTIN

Civ.

Dei

XVIII, 10

:

31,1

(Kinkel)

704

Délaliens 92,1 Fr. 576 (Edm.) 97,1 594 269,1

TRAGILE

150,2 115,7 117,1 : 138,8

Généalogies fr. 1

Adv.

Sc. 14

de

fr. 11 12

Asros

CHALCIS 67,4

Tragodoumena

239,5

ARISTOTE Pott.

de

ASCLÉPIADE (Jacoby)

695-725

771

47,5

108,1

AUSONE

427,1

Epigr.

41

319,5

5,1

223,2

Epitaph.

12

319,8

470

EURIPIDE

BaccHvLipE

(Snell)

XVI, 29 XVII, 102... XVII XXIII fr. 7 21 ΒΙΟΝ Id. 1I

121,3 81,3 387,4 136,5 315,1 198,4 205,1

CALLIMAQUE Bain de Pallas 16... 24-25

H. Art.232

263-64 fr. 188 Pf. 697 . CATULLE 64,1-19 19-20 33 299 323... 68b,74-75 76-76 79-80 85 85-86 Cerlamen Hom.

101,4 197,6

149,2 266,4 357,3 357,6 62,3 76,6 79,3 84,2 84,1 328,2 319,5 819,5 325,6 820,10 et Hes.

(Allen) L. 256 258

23,2 23,2

CnunRvsiPPE (Arnim) III, 197, XXV 109,3 CICERON Nat. Deor. III, 16,39

of.

305,11

III, 26,97-98 340,6 98 160,4 Or. XXI, 74 282,6

CINAETHON fr. 3 CLÉMENT

(Kinkel) 163,3

D'ALEXANDRIE

Strom. I, 21, 131 VI, 2,19 Sc. Proir. II, 30 IX, 782 COLOUTHOS Rapt. Hel. 81...

26,3 372,5 14,1 23,5

101,2

ET LES

LÉGENDES

89-91 111-12 124... 139-166 194-201 389-390 391

DES

CHANTS

103,1 100,5 103,2 103,3 136,5 181,4 136,5

CYPRIENS 16 17 19

346,10 296,4 266,4 346,10 357,2 225,1 234,7

23 II, 3-10 5

245,4

CONON Narr.

18 28

ConNÉLIUs Thém. 8

7

191,3 303,6 304,2

9 10

Népos 249,7

11

CRATINOS (Edmonds) Chirons fr. 228-49 92,1 Dionysalez. 103,2 ; 3 Némésis fr. 107-120 149,1 DARES

15 41 III, 26 VI,

7

67,4

8

70,1

Dıopore

III; V VII VII-VIII VIII IX X XI

62,7 109,3 136,5 179,3 180,2 181,4 136,5 196,5 296,4 320,1 357,6 346,10 357,6

XIV XIX XXV... XXVI

Sc. Cour.

72

[Democrite]

Hist. Phryg.

229,1

(Diels)

67,4

Denvs d'HALICARNASSE Cens. Vel.

[DicéARQUE] 2,8 DicTvs$

413,2

(Müller) 79,3

1,1

180,3

3 5

353,1 180,2 181,3

14

SICILE 379,7

11

379,9

11 61 V, 83 DiocENE

383,1 381,3 380,2 310,4 247,3 248,3 247,3 248,3 385,1; 4 303,6

LAËRCE

II, 44 IV, 20

353,2 8,2

Dion 289,4 249,2

Il, 7

de

IV, 10

31,1 5-8 32 33,7

DEINOCHOLOS (Kaibel) Téléphe fr. 6 223,4 DÉMOSTHÈNE Ol. III, 24

230,2 231,2 ;:4 230,5 244,2 249,2 319,7 328,2 360,1 357,6 138,8

67,4

CHRYSOSTOME XI, 12-14 108,1 40 191,1 78 357,6 XIII, 21 346,4 350,1 352,6 XV, 10 139,1 XX, 21-23 109,3 XXXVII, 46 323,7 LII 309 6-7 316,5

8

311,1

14

316,4 309 317,1 310,1 310,2

LIX 1-2 2-3 3

AUTEURS 3-4 5 8-9 9

317,2 312,8 360,2 309,4 310,2 312,8

11 D:0oNYs10s

Telephus

(Müller) ' IV, p. 394

534

fr. 339-348

de CHALCIS

67,4

548

341

686-87

340

688-692

339 342 343

691-92

344

717-749

345-46

735-36

701-713 705...

347-48

737-743

DosiADAS

748

Aulel

5 9-15 [Autel B',26 Sc. Aulel

Dourıs

310,3 310,3 310,3;6 69,6

(Jacoby)

fr. 88 DRACONTIUS 68-71 69 102-03 ELIEN

471

ANCIENS

II,8

H.A.

44 IX, 15 VII, 39.

267,4

69-72 73-75

p. 121 I, 138

Ag. 60-62 62

62-67 114...

114,2 115,7 205,1 23,1 288,1

117,1 117,2 123,2 123,5 123,4 135,2 128,4 184,7 122,4 119,1 95,1

183,6

183,8 95,1

184,1 76-79 B0-81 82

184,2 134,3 120,3

fr. inc. 427

122,2

fr. inc. 7 Rib. 133,4 10 Rib. 184,5 fr. adesp. 6 Rib. 123,6 Phoeniz

fr. 306-318 W.

25

148,1 149,1 67,3

60,1

150-51

186-87 188

188... 192 198-99 198-227 199 200-01 205-227 207-211 208 209-211 212-13 218-221 224-25 228 228-246 232 243-46 248-254 362-66 399-402 406-08 410... 416-19 420-26 448 450-51

803 804

822-23 823-24

1156 129,3

1412-18

1417

ESCHYLE

130,5 139,1 130,5; 6

Ennıus (Warmington) Alexander

fr. 38-39 40-48 50-51 52 53 54 55 57-66 58 59 67-68

Calaster.

EscHINE

(Hercher)

V.H.

749

ÉPHORE (Jacoby)

185,1 185,5

185,7 271,1 269,3 278,1 267,1 271,1 297,1 267,2 271,1 267,1 271,2 278,1 278,1 272,1 278,2 272,1 271,5 277,3 278,1 271,5 272,1 278,6 271,5 266,4 272,1 269,3 185,1 185,1 185,3 180,2 331,6 331,6 185,7 185,6

1418 1432-33

1440 1454

1455-56 1460-61

1464-66 1470-71

1509 1521-29 1524-29

1553-59 1555-59 Cho. 653-673 935-36 Euménides 404-05 Perses Prométhée 459-60

850,1 75,1

460-61 904... Sc. 458 Sept. 375... Fragments

350,1 ;

221,1 (Mette)

Iphigénie fr. 134-141 137 139 141 Pap. Ozy. 2253 (ἢ) 2256,76 (1) 2256,88 (1)

270,3 270,7 270,8 270,3 271,3 270,4 270,7 270,8

472

EURIPIDE

Jug. Armes fr. 284

68,4

286 Myrmidons fr. 212 223a

279,5 294,3 270,4

223a,4-6

185,1

225,1 228-29 M ysiens fr. 411-16 Néréides fr. 237 Palamède fr. 302-05 303a ὃ 303b304 305 Philoctéle fr. 391-404 392 400 Pap. Ozy. 2256,5 2246 (1)

271,4 58,5 246,5 221,6 340,3 350,1; 2 350,2 349,3 343,4 309,1 309,2 270,8 309,2 309,2

(?)

309,2

Prom. Délivré

fr. 321 75,1 Télèphe fr. 405-410 246,8 Tennès (7) fr. 390 307,3 (Pap. Ozy. 2256,53)

Éthiopide Pap. Ozy. 1611,2

27,5

1611, (?)

27,5

Elymologicum

Magnum

(Gaisford) p. 73,11

: 319,8

327,30

14,1

EvsBuLE (Edmonds) Laconiennes

ou

Léda

150,2

EuPHORION fr. 55 62 EvuPoris

(Powell) 117,2 357,6

(Edmonds)

Prospaliioi fr. 249

LES

LÉGENDES

DES

EURIPIDE

83,5

285

2256,88

ET

151,1

Alceste 305 328... 348-354 354-56 357-360 357-362 371-73 382 393... 418 ; 442 455-59 463-65 615-16

621 ; 675-733 895-902 935... 967-68 1008... 1087... Andromaque 10 16 16-20

333,3 333,3 331,6 331,6 287,9 333,5 333,3 333,4 280,2 327,4 333,5 333,3 327,4

325,3 333,4 284,4 334 324,2 333,3 871,4 218,3 68,1

17

66,3

46

66,1

68,1 103 103-04 108 135 : 161 229 253 257 274-75 274-292 274-300 275-76 278-79 279 280 ; 281 281-82 282 283-84 284-86 287-89 289-90 289-292 293... 293-94

175,3 175,7 68,3 66,1 173,4 185,6 66,3 378,6 96,3 95 96,2 137,1 96,8 97,1 100,1 96,6 96,5 92,3 101,5 96,9 97,2 97,6 175,1 105,4 136,4 120,2

CHANTS

CYPRIENS 293-300 ; 294 114,1 296-300 132,3 298-300 133,5 299-300 138,8 300 119,1 309... 252,3 362-63 177,4 446 ; 582 162,7 591-93 170,2 592-93 264,6 995 173,2 603-04 178,5 605-06 177,4

203,1 607-09 608 621 624-26 631 647 680 681-83 687 770-71 788-801 788... 791 794 795 889 898 898-99 916 1139 1166-1230 1168 ; 1184 1201 ; 1207 1208 ; 1214

1218 1224

1231 1232 1236 1244 ; 1250 1250 1253-69 1260 1265-66 1267 1268-69 1274

177,5 173,2

AUTEURS

17

276 285 293

687 796 898 1139 1265 Bacchanles

120... 150 280-83 337-340 Cyclope

104 181 182-86 183 280 283-84 285 586... Électre 1-3 15 29 60 312-13 371... 432-441 434 434... 439 442-451 447-48 448-49 449 450 452... 452-57 476... 480 890-91 989 989-991 990

68,1

372,3 76,4 109,3 101,5 117,1; 120,1 ; 61,4 61 61,6 163,3 319,7 69,6

991-92 993 1001-02 1018 1020-23

631-34 635 639-656

641... 641-43

644

Co

Sc. 10

+

1277-78

473

ANCIENS

1023

644-45 644-49

1024-26 1024-28 1027 1027-29 1030-31 1065 1069-1071 1239 1241-42 1242-43 1280-83 1282-83 1329-1330 1347-48 1347-356 1348 1349-356 Hécube 35-46 37-41 89 92-628 94-95 109-115 121 131-39 131-142 218...

224 239-250 269 379-381 441 44? 443 487 518-582 523... 592-602 612 623 629-637

645 ‚646 651 676-77

827 943 943-49

944 944-48 948-49

1265 1278

Sc.

41

Héléne

passim 5 11 16-21 17 23-31 24 26 27-29 29 30 31-36 36-37 36-41 38-39 39-40 40 44-48 45-46 58 ^ 72-74 99 133 133-36 137-142 206-211 214-16

EURIPIDE

219 220-21 229-239 230 233 237 237-39 242-47 256-59 283 284 284-85 357 357-59 358-59 359 363-65 363-66 375-385 393-96 435-482 472 568 569 570 614 637-641 640 668 676 676-78 676-681 679-680 679-681 689 697 706-07 707 708 720-21 722-25 726-733 767 880-86 882-86 885-868 927-28 929 1079 1097-98 1117

152,1 195,3

169,8 179,5 179,4 176,6 171,6

189,2 146,4 163,1 153,1 195,3 97,1 96,1 96,7

ET

LES

LÉGENDES

DES

CHANTS

1117-1121 1120 1121 1126-1131 1144-46 1147... 1179 1324 1400 1465-66 1476-78 1495 1495-1505 1496-98 1500 1508 1508-09 1546 1585 1643-45 1658 1659 1660-61 1663-65 1664 1664-65 1665 1666-69 1668-69 1669 1671 1672

175,58 185,1 171,6 354,6 146,2 152,3 145,4 218,6 156,2 155,2 163,1 197,3 195,8 195,4 195,7 100,1 96,1 145,4 67,1 153,3 195,6 195,5 50,1 195,8 195,7 195,6 197,3 196,2 196,1 181,2 162,7 181,2

1673-75

181,2

1680

153,1

Héraclès Furieuz 16-20 382,2 245.55 382,1 26-34 382,4 29 162,5 50 379,7 174-205 383,2 182 82,2

188

850,2

220-21 240-46 364-374 425... 560 969... 971-1000 992-94 1000 1001-08 1341-46 1360-61

379,7 378,6 82,2 382,1 379,7 383,1 382,7 383,1 383,1 378,4 108,3 379,3

CYPRIENS 1419

379,3

Héraclides 543-46 591-92 604 741-42 847-863 866 893

281,4 288,2 288,6 63,5 425,1 351,3 82,4

Hippolyte |.

164

173,1

339

386,4

856... 986-87

887,7 284,2 92,3

Sc.

124,3

58

Ion 130,6 141,2

109 398-400 472-484 498-99 853-55 1003... 1048 1081-82 1081-85 1324... Iphigénie 1-48 6-9 10-11 24-25 49 49-51 49-114 51-69 51-71 58-60 61 70 71-72

71-77 73-75

92,3 327,4 53,4 347,4 142,2 252,5 268,5 67,1 81,3 132,5 à Aulis 275,3 274,3 281,1 277,2 145,2 154,5 ; 424,1 275,3 424,1 157,1 276,2 160,3 145,4 169,2 96,1 109,1 276,1 402 109,2

73-76

172,4

73-77 76 76-77 77-83

276,1 180,2 170,3 208,5 276,1

AUTEURS

79 84-85 87-93 88 94-96 97-98 98... 99-105 100 105 105-07 107... 113-14 115-163 119

124-26 124-135 128 128-132 134-35 136 147-151 161 164-230 170-184 171 178-180 180 180-81 181-84 182 183 192-94 198 202-03 206-214 206-230 207 209 216-220 221-24 231-302 234 2306-37 242 249-47 247-49 248 250-51 261 261...

961-64 262... 263 268 268-69 270 270-71 270-72

475

ANCIENS

295,7 295,7 298,9 294,9 203,9 294,9 174,5 276,1 294,9 272... 294,2 274... 293,5 277 295,10 298,2 282 295,6 298,2 282... 293,5 984... ; 986 293,5 289-999 295,3 293 298,2 303-316 ;311 284,6 317-414 281,9 318... 259,9 331 284,7 337-345 203,5 337-348 289 402 352 281,1 359-53 277,3 356 294,9 358-59 276,3 358-362 281,1 360-62 284,1 362 278,3 370-72 289,4 376-77 232,2 389-90 177,5 389-393 157,1 391-93 160,3 276,2 398-99 278,2 413-14 279,4 414 289,4 414-439 284 418 280,2 420-23 277,4 430 ; 435-39 279 441-468 285 457-59 278,3 462-64 278,6 467-68 176,2 276,1 485-86 173,6 488 173,2 491-505 285,1

495 506-542 518-535 658-562 573-79 574 575 576-78 576-79 580

580-81 581-85 582-83 583-85 583-86 587 590-630 593 603 607-701 621-24 626 631-685 660 697-703 697-707 701 701-710 702 702-07 703 704 705 707 708-710 714-741 728-736 737 758-760 762... 768-69 773-783 793-800 794-800 797-98 809 812 812-18

276,1;2 148,3

151,3 49,3 277,3 218,3 242,1

EURIPIDE

813 814-18 818

ET

281,1 277,3 242,1 277,3 819 66,1 819-854 285,2 836 66,1; 3 855-916 285,3 867-871 142,2 873 277,5 875 277,5 879 276,3 883 277,5 885 278,3 904-910 ;905 286,2 906-07 286,4 908; 910 286,3 919-974 285,4 920-27 89,8 276,1 9392-34 286,5 935-36 279,3 935-941 286,4 936 286,2 938 286,3 942-43 286,5 944-47 286,4 945-56 286,6 947 286,3 949 66,2 955-58 278,1 956-58 243,3 959-960 286,1 961 286,6 962 286,3 962-67 281,3 968-69 286,6 976 66,3 1003-04 286,4 1007 276,3 1020-21 280,3 1032 145,3 1036-1079 77,2 276,1 1041 80,2 82,4 1042 81,3 1045 58,1 1051-52 80,3 1052 80,2 1055-57 81,3 1058 82,1 1058-1061 82,4 1060-61 80,2 1061-62 82,4

LES

LEGENDES

1062 1063 1067-1070 1089-1097 1098-1145 1119 1147-1165 1148-1156 1153 1154 1155 1164 1169 1173-1193 1177-78 1185 1197-99 1199-1202 1201 1211-14 1211-1252

DES

66,2 82,4 340,2

CHANTS

CYPRIENS

1362-67 1365-66 1368-1401 1369-1370

279,7 277,6 287,3 278,5 288,4

1371-73

280,1

1378-79

287,3

1380-81

289,4

1380-82 1382 1383-84 1384

174,6 276,1 287,3 289,4

1386-89

289,4

1386-1390

288,2

1392-94

280,1

1397

289,4

1398-99

287,3

1400

288,2 244,1

1400-01

289,4

1404-05

279,3

1406 1410-15 1417 1420 1426-1432 1430-32

289,4 279,3 145,4 289,4 280,1 282,1

1446

289,4

1405-1432 1220 1236-37 1241-45 1253-54 1259-1275 1266 1275 1284 1284-88 1284-98 1284-1309 1285-87 1287-88 1291-1309 1292 1293-94 1294-95 1294-99 1296-99 1299-1309 1301 1302 1303-07 1308 1322-23 1334-35 1335 1345-1361 1352-53 1354-56 1361 1362

288,3

1447

265,2

1450-52

280,2

1454-55

278,5

1454-57

288,4

1456 1458 1467-69 1467-1509 1502 1509 ; 1531 1532-1629 1539

289,4 277,6 288,7 288,5 289,4 282,7 281,5 282,7

1540-1612

283,2

1547-1550 1552-1560 1554 1560 ; 1564 1568-1576 1577 1616-18

288,6 288,7 289,4 288,7 283,3 282,7 278,5

fr.inc. 857

283,1

Iphigénie

6-30 8

en

Tauride

262,2 623,2

264,3

AUTEURS

13-14 15 15-20 21 175-76 211 214-17 217 230-35 272 273-74 338-39 354-58 356 359-60 359-371 360 370-71 372 372-77 373 374 428-29 475 523 525 531-35 537 538-39 562 564 565 566

760-61 771 784-85 818-19 ; 820-21 831 834-35 852-53 853 856-59 1083 1284-1303 Médée

1-6 168 1095-96

1116

1207... Oresle 23 63-65 65 78-79 79 248 249-250

418 432-33 457 521 521-22 537 540-41 626 648-650 649-650 658-59 659 665 717 731 741 742 743 700 707 811... 976 998... 1112 1114 1135-36 1142 1305

1361-62 1364-65 1369-1526 1385... 1385-87 1389 1391-92 1416-17

477

ANCIENS

327,2

1423

1426-1436

265,9 163,1 162,7 171,6

49,3 173,2 145,5 152,3 184,4 49,3 353,1 145,3 162,7 173,2 177,5 162,7 152,3 162,7 177,5 175,4 261,1 281,4 234,7 175,5 279,9 173,2 177,1 176,4 145,5 152,3 279,2 269,6 50,2 269,6 174,1 174,2 176,4 176,4 152,3 156,2 175,4 176,4 184,4 150,4

175,2 348,1 152,2 146,2 175,3 185,2 80,4 174,1

1533

1584 1635-37

1637 1639

1639-1642 1683-1690

1689 1689-90 Sc. 249

432

434

457 658 995

1385 Phéniciennes 114 182 446-585 606 613 787 991... 1104-1138 1740 [Rhésos] 396 647-48 654-55 674... 910-11 912-14 Supplianlies 201-02 286 911-17 Troyennes 2-3 34 39-40 71 82-91 B7... 95-97 122-130

478

EURIPIDE

132 132-33 169-172 170 260-270 282-87 306-07 323 367 368-69 369

196,3 175,3 134,7 133,2 368,1 344,4 133,2 134,6 137,4 133,2 177,4 176,4

ET

LES

LÉGENDES

920-22 921

932-35 936

261,9

174,5 145,6 174,7 363,3 411-16 428... 429-430 431-443 457 457-461 509-10 597-98 598 622-631 702-05 721 721... 723 72b 704 766... 766-771 772-73 773 799... 820-21 820-859 845-46 864-65 865-66 866 881 886 887-88 891-94 892-03 895-1059 919-950

940-42 943 943-44 944 946-47 947 948-950 953 962-982 966-68 967-68

DES

120,1 119,3 97,1 49,3 96,2

CHANTS

CYPRIENS

180,2 107,4

Sc. 943 976 Fragmenis Alcméon

(Nauck) à Psophis

fr. 72 78 78a 86 PSI 1302 Alerandros

fr. 42-64 42 43 44 45

46

976 984-86 985-86 986 987 988 988-89 988-90 989... 991 991-92 993-97 998-1001 999 1000-01 1001 1020-22 1036-39 1042 1060... 1126-28 1158-60 1213 1240-41

115,1 117,4 121,1 120,5 50,2

120,4

119,2

47

125,1

48

125,3

49 50 61

125,4 125,6 125,2

52

127,4

53 971-981

334,6 327,4 334,6 251,3 125,6 125,6

54

127,3

128,1

126,5

55

126,4

56

126,2

57 58

127,1 126,2

181,4 59

126,1

60

127,8

61

126,3

351,2 62 132,7 63 134,6 64 120,1 fr. inc. 867 183,2 935 119,1 937 132,2 938 132,2 958 125,5 960 128,1 (Pap. Ozy. 1176) 128,1

968 976 1068 1082 fr. adesp. 71 286

194,6 125,6 125,4 42,3

135,4

132,2 124,4

AUTEURS

289 414

123,3 135,1

Pap. Sir.

115,2

fr. 1,1-7 8-10 11-12 II IIIa 2-19 IV

121,1 121,2 121,8 128,1 118,3 118,5 124,1 ;

V

128,2 128,2

b

128,2 ;

c

129,1 129,2 ;

130,1

VII VIII

119,2 133,2

XVII, 1-2 3-4

121,2 121,3

XI

122,3

Alopé 130,6 Anliope fr. 179-227 216 216-18

141,2 375,b 125,3 142,2

Pap. Londres

(70 Milne)

375,5

11-14

377,2

92

162,5

Archelaos fr. 235

126,4

Augé fr. 265-281 fr.inc. 994 264a; 265a

130,6 246,3 81 246,3

Cresphonte fr. 456 Crélois

fr. 472

Epeios 10,3

141,2 130,2

331,5

Hypsipyle (Page)

130,6 141,2 58,2

59-61 Ino fr. 411

138,8

Mélanippe la Sage 141,2 fr. 480-88 67,2 488 67,3 Mélanippe enchalnde fr. 495,40-43 127,4 511 127,1

Peide fr. 617-024 619

145,2 377,4 377,6 377,4 377,4 377,4 377,4 377,6

Oineus

fr. 558,1-3 Palaméde fr. 578

227,1

578-590 579 580 581

850,1 ; 2 361,1 340,4 949,9 851,3 949,8

582

348,5

583

126,3

10 fr. 788 317,1 787-803 309,1 790a 309,1 799a 309,1 Pap. Ozy. 2455,17 col. XVIII-XIX 309,3

911,2 317,3 Phoniz fr. 804-18 812 813

141,5

130,6

Éole Pap. Ozy. 2457 217,8

590 fr. inc. 905 910

344,2 347,5 849,1 351,2 347,4

990

851,1

60,6 60,2

fr. 831

60,2

127,1

Polyidos fr. 641

126,4 ; 5

Protésilas fr. 646a

318,1

647

324,2 825,8

647-657 648

925,4 334,6 318,1 822,2

649

328,1

650

351,2 852,4 947,4 141,4 347,3 352,2

589

60,5

816 813a

Phrizos

352,8 586 587 588

815

col. XVII

351,2

585

60,2 61,1 60,6

Pap. Ozy. 2455,14

351,2 584

10 65,3 65,7

Philoctète

353,2

Diciys

É gée

361,1

Méléagre

fr. 515,5 Œdipe fr. 540-557 6543-48 fr. inc. 1049 fr. adesp. 378 541 Pap.Ozy.2459 1-2

361,1 346,1

350,2

fr. 360,14-21 288,2

334,7 fr. 336

fr. adesp. 470

Érechthée

2342-44

VIa

ANCIENS

820,10

323,1

651

323,1; 2

652

827,8

653

828,5

654 655

325,5 828,7

656

328,3

657

327,4

334,6 Pap.

Berlin

9772

327,4

9773

327,4

480

EURIPIDE

[Rhadamanthe)

PSI 1286 Skyrioi Hypoth.

ET

LES

LÉGENDES

711

196,3 154,8 208,1

712

713

208,8 ; 4

714 715

682-86

145,4 207,1 209,2 205,2

683

209,8

fr. 682

685 686 fr. inc. 880

885 906

fr. adesp. 9

Sthénébée

fr. 663

13

232,2

19

231,1 236,2 226,4 231,1

29

:937,1

211,2 204,5 204,5

720 721

289,4 243,4 238,5

205,2

722

177,5

718 719

212,2

205,2

133

208,2

74 725

212,8 205,2

212,3 022.4

243,5 244,1

282,1

281,6

an

944,5 244,6

He

892 (11)

228,4

296.6

915 (??)

244,6

999.9

918

232,3

296,4

229,7 248,6

701

238,4; 8 230,6

Pap. Berlin 9908

224,5

232,4

Pap. Mediol. 1 224,2

239,4

708 709 710

282,2

241,6; 7 242,1 227,1

Pap. Ozy.

2455,12 2460 1 6

|

,

306,2

r

RE]

2456

9 10 11-13

240,3 224,3 231,1 237,1 238,1 238,2 239,4 240,3 240,4 ; 5 237,

303,1; 5 di: 387,3

Mei

HN,

387,

Fragments fr. inc. 908

— 50,2

Pap. Ozy. 2461 387,3

SES

?

1003 ( 1066 (ἢ

3

2455

" uu"

239,10 226,5

707

Ozy.

14, col. XIII 303,1 ; 5

289,8

2271

939,8 9331 232,5 233,4 233,3 226,6 233,2 234,7 234,8 235,1

Pap.

303.4

232,5

244,6 227,1

240,6 941,1-8

fr. 695

705a

229,7

243,6

[Tennès]

Thésée fr. 381-390

tr. 568 (t)

239,10

482 (?)

226,7 930,4

fr. inc. 882 (??) 884

230,7 231,1

32 Pap. Ryland

726 797

700

705 706

241,6

25

230,1; 7

1-2 3

238,1 241,6 241,7 224,4

235,7

975 (ἢ

704

244,8

717

237,6 ,

702 703

14 18 18-19 18-20

716

ma | Si

699

235,8

242,1 241,6 242,1 240,5

235,5

WT 698

CYPRIENS

19-20 20

284,2

Télèphe fr. 696

CHANTS

228,4 235,5 236,1 243,6

211,2 ; 4 209,3

684

DES

1093

fr. dub.

1109,6-11

69,2

105,4

F9

999)

Sc. Praep. 39,3

Evang. 14,1

EUsÉBE

EUSTATHE A 38,p. 33,22 304,2; 3

335, B 308,

112,44 58,7 228,2-4 346,4 6

695,

701,

2971

323,10

329,1

325,2

319

325,4... 325,12 325,92 25

6

319,8 328,2 319,5 320,3: 6 325,1 26 324,5 29 323,3; 4 326,6 36...321,1 322,3

AUTEURS 36...328,2 326,5 328,2 7 723,

328,2

329,45

310,5 313,3

724,

333,10

T 445,

433,20

I

763,11 782,46 827,39

453, 662, A 20,

310,7 311,6 313,2 180,6 181,1 60,3 205,1 356,5

357,4

359,5

X428, Y' 368, α 107, 399, 6 3, C 162, A 302, 324,

1152,9 1321,38 1396,631397,29 1425,62 1479,1 1517,52 1686,22 1688,48

521,

1697,54

69,6 74,1 148,1 346,3 198,5 163,4 356,5 153,5 385,3 386,6 305,8

HELLANICOS

197,1

HÉRODORE

109,3

Gorcıas (Radermacher) El. Hél. 6 186,2 19 186,4 ; 6 Pal. 15 351,3 16 346,7 30

346,3 ; 4

850,1 ; 2

31 GRÉGOIRE

de

Or. IV,

107

HÉCATÉE tr. 28 29 128 139

347,4

NAZIANCE

341,8

(Jacoby)

'

382,4 246,2 181,1 304,2

HÉLIODORE

Ethiop. III,4

(Pap.

(Jacoby)

fr. 32

380,1

HERODOTE I,1-5

234,5

31

65,1 74,6 74,6 ; 7 83,4

Théog. 214 225 263-64 465 730 947... 965-66 1003... 1006

184,3

Trav. 79 99

105

204

127-142 156-173

46,1 46,1

tr. 78-79

64,5

99 100

319,1 158,4 180,8 161,4 100,8 158,5 91,5 161,2 46,2 163,3 268,5

105

384,2

132

375,3 376,1 377,1 190,3 91,5 92,1 92,1 190,4

96 40-42 46-47 46-49 49-51 49-55 56-91

82,1 48,7

48,7 48,7

158,4

34-36

23,2

46,5 46,5 67,1 48,7 48,7 386,4 358,5 67,1 81,3

150,5 154,7

94

(Allen)

Boucl. 188 318

74,7 64,5 332,3 58,7 154,7 153,8 151,4

93

138,5 372,5 192,2 25,83 181,4 360,3 360,4 330,4 69,6 75,2 197,4 156,1 330,4 330,4

L.203

Ozy. 2354)

84 90 91 92

814,1

108-121 155 I1,113-18 115-17 117 134 VI,127 V11,33 191

Calal. (Rzach*) 84,3

64,5

83

HÉsIODE

FULGENTIUS 11,1

74,4

8l

82

PONT

Const, Ténédiens 111,213 304,4

[Vila Hom.]

14

du

80

(Müller)

Fr. Tr. Adesp. (Nauck)

1956,18

83,3

62,6 156,1 76,4 179,6 156,1

HÉRACLIDE

340,6

63 328,2 «€ 118,

74,6

(Jacoby

fr. 106 134 136 142 168

VIII,22 IX,73 116 120

60 319,6

481

ANCIENS

148 170-73 171 172 266 fr. 80 Trav.

74,4

Pap. Ory. 1359 246,1 2482,11-14 268,4

19-20

[Aegimios] fr. 185

268,5

76,5 90,4

HiPPOCRATE (Littré) Gynaec. 1,78 244,5 Morb. Sacr.1

268,5

HOMÈRE Iliade A 1-7

45,5 32

482

EURIPIDE

38 68-72 70 70-72 106 106-08 260-273 320... 357-58 414 452 593 598 B 3-4 37-40 40 110... 134 265-68 286-88 299-332 303... 305... 339-341 356

ET

LES

LÉGENDES

154... 156

305,7 250,6

266,2 265,2 266,2

156-57 156-58 164-65 173-75 175 199 230-33 236... 236-28 239-242 243-44 282 ; 285 351-54

265,2 273,8

265,2 90,1 90,1 305,7 221,5

80,8 48,2 ; 5

48,2 48,4 277,3

383-420

201,1 284,6 157,2 267,3 266,2 265,1 157,2 182,7

404 418 ; 426 445 458

A 61-52 E

186,3 484 494-535 517-526 525-26 527-535 552 556 557 568 569-602 870-72 587 ; 58990 618-620 695-96 695-97 699-702 700 704-08 721-25 724-25 748 763-67 819 39 46-57 54 70; 91 99-100

358,5

295,2 295,7 295,3

295,7 295,5 295,9

295,3 295,8

62-64

266-67 349 418... 449-451 Z

195-205

282-85 289-292 344-45 349... 355-56 356 357-58

295,2

294,2

294,2 295,6 331,2 331,1 328,2

319,1 328,3 313 367,1 295,10 295,1 328,2 183,3 183,4 100,5 180,4 183,4

H 350 ; 363 389-390 390 Θ 223-26 229... I7... 141 144-48 144-49 145 253 312-13 395-400 439 442 447-485 485-495 524-509 667-68

DES

CHANTS

182,9 148,6 150,4 48,5 182,6 182,7 182,5 163,4 147,1 180,3 153,7 147,1 196,6 196,5 180,4 183,2 182,8 182,5 147,1 180,5 180,4 107,4 179,2 80,4 182,8 102,6 190,3 332,3 183,4 182,1 182,5 182,7 182,5 183,1 48,5 182,7 180,4 180,4 183,4 295,3 313,2 277,3 267,4 265,2 266,2 265,2 218,4 89,3 286,1 218,4 91,1 60 91,1 374,3 213,3

CYPRIENS

668 K 455-57 478 A 52-55 656-803 709-752 765... 766 786 830-32 M 9-35 13-18 20-23 23 235-306 ; 241 N 222-97 328 348 524 622-27 626 626-27 681 698 701-02 E65... 83-87

219,7 348,2 369,2 48,2; 4 373,2 298,2 213, 218,4 58,5 91, 367,1 48,2 48,2 48,4 48,7 48,2 295,1 48,5 48,7 183,2 180,4 180,2 329,1 328,3 295,1] 2773 48,2

171,1 212-13 102,5 O 704-06 — 329,1;7 II 15 58,1 140-44 865,3 173-78 332,3 222-904 90,1 286 329,1 380-81 85,4 574 90,1 807 328,2 406... 443-44 647 X 35-36 36-37 37... 55-58 59-60 83-84 85 89-90 142-43

307,1 85,4 48,2 90,1 67,1 81,3 90,1 90,1 85,2 73,2 90,1 219,4

72-74 446 537 732-35 734-37 764 765 770-72, 775 Sc. Iliade A 5

38 59

295,1 298,2 98,1 73,2 57,1 80,2 83,1 90,1 349,1 73,2 367,1 372,9 182,5 201,1 182,7 182,6 43,1

48,7 303,7 304,2-8 244,6 245,4

819

248,4 249,1 ; 4 250,6 250,6 265,2 266,4 158,3 328,2 310,7 310,7 311,6 313,1 ; 2 328,2 138,8 156,1 196,3 115,7

119,3

De

188-89 275... 277-78 410... 420... 600-01 X 114 133 359-360 Y 277-78 288...; 362-63 638-642 (1 25-30 59-62 61 63

722

5

Φ 162

48,2 182,9 209,7 213,2 85,3 90,1 47,4 48,7 48,2 80,4 85,3 85,3 58,1 307,1 367,1 102,6 102,6 190,3 180,4 85,3 367,1 85,4

106 108 339 701

mp σι to

270-74 325 326 326-27 387-91 422 Y 4 15 21 232... 277

B

m

T 86-88;

90,1 222,2 72,2 73,2 58,1 90,2 221,4

με

332 394-409 429-435 431-34 433 434-35 616-17

483

ANCIENS

179,4 180,6 181,1 107,4 179,4 179,4 181,3 265,2 60,3 205,1 213,5 ; 6 204,1 359,5

83 145-46 184 ;219 227... 227-230 242-264 261 261-64 274-79 351-585 366 417 ζ 162-65 282-83 6 75 81-82 283-84 362-66 364-65 À 260 260-65 261-62 269-270 271-280 297 298-304

79,8

57 60 429-435 433 434 T 326

Y 234

(1 23 487 753 Odyssée B 171-76 Y 300 8 13-14 73

85,5 332,3 90,5 67,1 90,5 90,5 72,2 72,3 74,1 205,1 206,2 209,7 212,6 214,1 ; 2 80,5 108,1 62,5 221,5 358,6 189,4 163,4 170,1

v E c o y ω

321-25 322-25 506-09 619-521 127 68-69 328 193-94 22-30 218 222 92 115-19 199

Sc. Odyssée 5 11 C 164 0 274

189,4 182,5 147,1 182,1 189,4 251,4 183,1 182,5 184,1 189,4 375,1 73,3 355,8 396,5 160,4 355,9 48,4 221,5 101,1 101,3 377,1 374,4 376,1 374,4 379,6 374,4 48,7 147,2 153,6 374,4 684,8 213,4 245,2 48,7 182,9 48,7 101,1 380,4 147,1 182,7 81,3 355,7 154,3 163,3 ; 358,1 221,5

299; 300

153,5

322 325

385,2 385,3 386,5 380,2

o 22 H. H. Aphrodile

4-b 23

147,4 48,7

4

AUTEURS

484

EURIPIDE 25-28 34-35 36-48 54 60-65 61-63 68 80 117-125 182 182 206

ET LES

LÉGENDES 92 96

107,5 100,2 171,1 101,5 101,1 101,3 101,5 100,5 193,6 103,2 103,2 80,3

97 98

99 100 101

H. H. Apollon 132

48,7

H. H. Déméler 9 239...

48,7 94,2

H. H. Dioscures I,1-2 1-5 18 I1,1-4 6

102 153,2 153,8 197,3 153,8 197,1

103

H. H. Hermés 538 48,7 HORACE A. P. 95-97 96 Od. 1,3,2 8,13... 13-16 12,27-32 15 II, 5,221-24 Epod. XIII XVII,8 40-44 Sal. 11,1,26-27

HyciN

104

91

103,3 205,1 206,2 208,4 212,6 214,2 296,4 266,4 267,1 272,6 273,2; 6 247,3 248,2 225,1

231,5

239,1 240,1 244,2 310,7 312,4; 7 311,1 319,6-8 320,1; 6 324,2 327,5 330,5 322,1-5

326,1 ; 5 327,5 328,1 105 340,6-8 341,22; 5 343,2 106 221,6 109 372,3 114 329,6 120-21 274,1 155 152,8 186 61,2 224 ; 240 152,8 243 326,7 249 117,1 256 326,7 327,4 261 281,1 273 115,5 123,3 375,1

334,7 375,2 375,1 154,3 152,8 150,5 159,6

80 81

CHANTS

CYPRIENS Isycos

(Page)

fr. 1,4

48,7

10 27-31 4 8 15 26

160,4 154,3 159,4 319,4 115,5 117,1; 2 131,1

fr. II (15)

372,3

IV

297,3

Ion (Nauck) Phoniz

18

384,1 149,3 152,4 ; 6 153,4 67,3

60,1

ISOCRATE Hél.

16

145,1

39

160,1

40

158,2 159,6

40-41 41 59

160,3 103,3 160,1 152,6

61

197,2

Kypria (Allen) I (1)

21 23,7 43,1

49,1 II (2)

21 23,4

72,5 ΠῚ (3)

73 74,4

21

23,5

79,8 IV (4)

3-4 V (5)

2 5

VI (6)

Aslronom.

II,5 8

184,6 302,1 162,5 80,4 184,2 370,1; 3

Iliou Persis (Allen)

823,6 254,4 65,7 197,6 208,4 205,1 197,6 136,5 205,1 84,1 244,2 191,4 153,4

(Rose)

Fabulae 4 7 74 77 77-80 78

DES

VII (7)

1-3 4-12

80,3 B5,5 21 23 101,2; 102,1 21 101,2

102,1

101,5 102,4

21

23,5 153,5 21 23

147,8 147,4

3

AUTEURS

5-6 VIII (9) IX

148,4 21 23,5 154,8 21 23,5

163,3

X

8,1-7

XI (11)

3 4 5 6 LísxNioM

148,1

21

156,1

21

XIII (12) XIV (13)

196,3 21

ἌΥῚ ad.)

XVIII(18) ΧΙΧ (19) XX (17)

XXII (20) XXIII(22) XXIV (21)

21

LUCIEN Deor.

'

ἐς 3

2-6

820...

190,7

205,1

1098 1362-63

354,2 117,1

20,11-13

26,1

Jud. Voc. 5

23,5 329,5 330,1 21 21 23,5 21

Mort. Dial. 19 19,1 23

23,0

Navig.

hes ;

[Charid.]

,

E 3 21

,

23,4; 7

9

3

toc UCRÉCE

1,84-100

85 94

LvcorHRoN

τῷ .

Alez. 24 97

321,2 324,10 318,5

Sc. Lyc. et Tzetzés Sc. Paraph. 822 190,4

381,2 383.1

86

1171 .9

88

1481

106...

89

152,7

103,3

93

179,4

350,1

Us τ

a ΕἸΤᾺ

319,7 325,6 328,2 320,1-6 324,2 ; 3 327,6

119.3 692 69.2 δ ἢ 183 1909 094 1171 23233 ὁ

196,3

97

1794

178 178

304,1; 2; 10

197,6

305,7,8

234-35 304,4 103,3

372.5 ,

413,1

197,3

17

44,5 21

361,2

152,7 Dial.

314,3 21

Prolesilaodamia

fr. 2

342,1

606

Alex. 38

XIII, 3

rid

XXVI (24) hr 2 Laevius (Müller)

357,3

Traité du Sublime

265.9

60,5

358,1

Or. III, p. 373

153,4

580

[Loncın]

21

23,5

SAY (93)

712

566...

581-83

888,1

396,4

EE)

P.

326-29

305,8 205,1 267,4 271,6 370,5 270,1

,

Livius (Warmington) Achilles fr. 1 212,1



XVII (15)

ins

Ep. X,

240-42 276-282 323-324

422

le. 4 =

214,1 XV (14)

821,2 324,10 322,1 320,8 821,8

(Forster)

Vids nd

23,5

XII (10)

"P5rsé

Decl.

485

ANCIENS

282,6

265,2, 282,6

241

304,10

245 076

— 319,0;7 209.7

94 386

855, 340,8 2441

305,7; 8

(Scheer)

,

354,2

361,2 179,3 179,4

186,3

110 169-171

180,6 123,6

178...

90,4

224-95 232-39 234-35

117,2 305,5 304,4

421-23 422

511

530

61,2 60,5

152,7

154,3; 7 320,1

. 328,2

530-31 319,6 570 366,4; 6 580 357,4

486

EURIPIDE 358,1 357,4 358,1

581

851 911

163,4 310,5

312,2

913 1093

117, 344,1

1097 . 1268

352,6 361,2 354,2 372,4

LvstAs (Gernet-Bizos) fr. XVII,3 198,5 LYSIMAQUE fr. 5 8 12

(Jacoby) 379,3 67,4 163,3

MELA

II,109 Mınucıus

181,1 FELIX

Oct. X1,8

327,5

[Moscuos] Mégara 13 4l..

379,8 383,1 379,9

Moses CHORENENSIS Progymn. III,3 247,6 Mylh. Gr. (Westermann) 345,12 308,1 Myth. Val. (Bode) I,20 266,4 35 340,8 341,1 11,197 115,5 200 340,8 202 266,4 NAUSICRATES

(Koch)

fr. 2

269,1

NICANDRE Ther.

268

179,4

NICÉPHORE

Progymn. 11,1

205,1 208,4 209,7

Nonnos Dionys. XII,115 XXIV,195-98

ET

LES

LÉGENDES

Nostoi

(Allen)

fr. I(1)

OLYMPIODORE

Sc. Gorgias 521 b OviDE

AA 1,337 681-704 698-99 III,17 17-22 Am.

DES

11,9,8

18,38 Fastes

V,715-720 Hér.

VIII,77 XIII 2 25-30 28 35 35-36 43-48 63 93-96 109 151-52 ᾿ 152-58 163 XV,21-22 51 67-68 81-86 90 107-110 165-68 299 359 360 XVI 12-14 117-18 237-240

Mét. 1,351 11,638 VIIL,372

360,3 361,2

CHANTS

CYPRIENS

112 366-392 XIII,45-46 57 162-63 162-69 165-67 168-69 171 183 187-192 193-94 313-15 650...

244,5 63,1 312,6 340,6 208,4 205,1 209,7 210,1 244,2 281,1 273,3 273,5 312,6 358,1

Pont. 11,2,26 I11,1,109

244,5 325,2

RA

Tr. I,6,19-20 20 V,14,39 39-40

PANYASSIS Héracleia fr. 14,4 22

327,4 325,2 319,1 327,4

(Kinkel)

388,2 378,3

PAUSANIAS 1,20,3 22,6

33,7 7-8 34,2 43,1 11,6,1-3 2 3 19,3 22,5 111,4,6 10,6 14,6 15,4-5 11 18,12 19,11

266,4 320,8

244,5 322,5 321,1

47-48 723 723-24

20,2 9

387,7 - 205,1

214,4 148,1 149,1 330,4 268,5 375,2 975,4

376,1 226,5 155,9 330,4 63,5 162,7 63,5 184,3 91,9 102,9 161,3 191,3 155,2 160,2

AUTEURS

22,1 24,10-11 IV,2,7

180,6 161,4 329,5 330,1 V,18,5 75,4 19,5 102,2 8 220,4 V1,22,2 360,4 V11,4,8 384,1 28,4 267,1 33,4 310,5; 8 48,7 247,4 248,1 IX,4,3 298,1 9,5 23,2 11,2 378,3 379,3 19,7 281,1 X, 14,2 303,6 ; 7 304,1; 2 2-3 304,7 3-4 304,10 4 305,2 25,9 372,4 26,4 214,1 28,8 253,4 29,6-7 381,3 30,3 329,4 31,1 297,1 346,2 2 357,5 Petite Iliade (Allen) fr. IV (5) 213,7 VI (6) 80,4 245,3 VII (7) 245,2 XVII (14) 184,2 XIX (13) 372,4 PHERECRATE (Edmonds) fr. 145-53 92,1 PHERECYDE fr. 1

(Jacoby) 74,8 76,4 lb 64,4 14 378,5 4lc 376,1 377,1 60 58,6 61 ab 64,4 62 65,1 74,8 82 ab 380,4 104 b 332,4 124 376,1

133 140 148 149-150 150 153 PHILOCHORE

377,1 269,6 356,5 385,2 386,6 385,2 385,4 385,2

(Jacoby)

384,1

fr. 17 PHILODEME

(Gomperz)

de piel.

148,1 152,6 268,5

PHILOSTRATE Hér. 2 II,1-8 II, 14-15 19 III,2 ἄς. 6 v,2 X,l

2

3 3-5 4-5 5 5-6 6

7

848,5

8

862,5

10 11 XI XIX,2 3-4 14 16

PHILOSTRATE

Imag.

354,3 353,1 345,4 354,2 853,3 213,6 220,1 84,8 161,3

Vila Apoll. 354,2 355,1

LE

I 2 11 17,2 11,9,6

JEUNE

205,1 208,4 215,2 221,1 310,3; 4 322,4

PHLEGON de TRALLES (Keller) fr. 57,15 335,3 PHoTios Lez. 95,15

325,8

410,3

334,6

7

334,6

PHYLARQUE 330,4 330,5 330,5 329,4 355,1 325,1; 6 321,1 326,7 327,4 313,2 346,3 350,1 351,1 297,1 340,6 346,4;5;8 346,8; 9 341,8 346,6 346,8 347,1 342,1 345,2 302,2 ; 6 353,4

IV,13 16

487

ANCIENS

(Jacoby)

fr. 81 PINDARE Is. 1,58-59 59 1V,63-64 V,41 41-42 VIII,28-48 42-45 43 50 Ném. 111,34 35-36 43-50 56-57 57 IV,25 54-55 54-61 62-64 67 68 V,14-18 22 22-26 25-36 26-34 26-37 34-35 35-37 X,55-90 80-82 Ol. 1,43-45 11,86-87 I11,1-2 39-40

76,4 330,3 319,1 379,1 382,7 379,2 248,4 75,1 76,3 67,1 248,4 65,1 76,3 91,6 91,6 67,1 62,4 65,1 64,4 75,3 81,4 85,6 61,5 79,3 81,1 83,2 74,8 64,5 83,3 70,3 65,2 75,1 196,3 153,5 80,4 88,6 198,2 :; 4 198,4

488

EURIPIDE

VIII,45-46 IX, 69 70-75 X,19 28-34 105 Péan VIII,20-35

Py. 1,66

11,36-40

62,4 58,4 248,4 248,4 298,2 80,4 137,2 162,5 190,3

ET

LES

LÉGENDES

12 a 521 b Lois X1,931

232,6 b

191,3 ComiQuE

fr. 191

PLAUTE Epidic. 34-36 11,202 IV,49 XVI,238 XXV,42 XXXIV,152 XXXV,71 73 134 XXXVI,26

221,6 310,8 330,4 330,4 244,5 252,5 244,5 244,5 282,6 205,1 221,2

Vies Alez. 12 Lys. 18 Pélop. 32 Pyrrh. 31 Them. 24 Thes. 20,2 3-6 8

60

Amat.

108 a

360,1 197,4 76,4 226,5 249,7 384,1 385,1 385,4

9

381,3

17

320,6

PLATON Euthyd. 293 a

Eulhyph. 12 a Lois

322,4 326,7

Conj. Praec. 21

173,7

De esu carn.11,5

130,2

De inim. ulil. 6

244,2

Quaesl. Gr. 28 304,4 PoLEMON (Müller)

b

191,1 350,1 47,4 92,1 350,2 131,1

fr. 10 76 a POLLUX IV,117 POLYBE XV111I,20,6

XXIII,10,10

ProcLos Chresi. (Allen) P. 96,33-97,8 97,8-11 14 15-17

L. 81 (Severyns) B4 84-169 86 87-88 88-94 91-105 100-130 103-04 106-09

14,1 27,4 23,8 23,1

15,6 44,3

16 ; 18 ; 20 80,2 98,3

102,3 135,6 178,2 202,4 181,3 196,3

114-17

373,1

119-121

252,3

130-31

214,3

132-34

248,5

135-143 144 144-45

266,2 302,1 313,3

356,3

314,1

Moralia

IX,107

340,7

852,1

86-90

PLUTARQUE

VIII,45-46

Phédre 243a . 275 a-b Rép. 11,379 c 111,391 c VII,522 d 1X,586 c

92,1

PLINE

Ném. 111,64 Ol. 111,39-40

XI,931

60,4 ;

Phédre PLATON le (Edmonds)

Sc. Pindare Is. 1,58-59 IV,104

12

23,7

Gorgias

HN

CYPRIENS POLYEN Prooim.

Sc. Platon

243 a

Fr. (Turyn) 34 195 195,4 203 204 211 221

CHANTS

Euthyph.

111,87...

89... 90 92 93 94 IV,102-05 208-211 V1,21-27 IX,29 38 X1,22-23 b 61-64

DES

156,1 197,6 226,7 76,4

372,5

146-47 147-48 150 151-169 152-53 157-58 159-160 160 166 167-68 169 198 200 211-13 212 218 219-220 224-27 268 271-72 279-280 291-93 294-95

314,3 329,2 305,1 339,1 359,6 161,3 277,3 100,2 357,5 45,1 296,5 67,1 88,6 315,1 316,3 370,1 245,2 183,5 251,4 372,3 297,3 252,2 370,1 361,2

Comment. Plal. Rép. II, 263,21 Kr. 109,3

AUTEURS PROPERCE

8l

I,17,18 19,9-10 II,1,60 63

197,6 321,1 61,2 244,5

PTOLEMEE HÉPHESTION (Westermann) IV,197,3 109,3 V,192,28 180,3

VI,56 447

QUINTILIEN II, XIII,13 X, 1,62 QuiNTUS

de

V11,320 X,705

282,6 413,2 SMYRNE

Posihom.

1,502 58,6 502-07 62,4 503-05 62,7 817-18 — 320, 111,100... 83,5 V,195-96 312,6 198-99 341,8 1X,359... 312,8

340,8 341,1;4;6 266,4 358,1 115,5 130,5; 6 139,2 58,3 320,6 321,1 117,1 117,1

116 III,80 V,370

SIDOINE

APOLLINAIRE

XXIII,491 SIMONIDE fr. 5 32 52

Ajax

RHINTON (Kaibel) Telephe {r. 11 223,4 SALOUSTIOS

SAPPHO

109,3

184,7 172,3 182,5 148,1

SATYROS Vie d'Eur. X,1

362,5

SÉNÈQUE le TRAGIQUE Agam. 693-774 134,4 706 117,1 707-09 134,6

724

133,2

730-31 742-43 743-47 746-49

134,4 134,6 134,4 134,4

Herc. F. 344... Troyennes 865...

381,2 370,5 273,7

SERVIUS Sc. En. I,651 11,21

1316-1380 Sc. 1113 1297

(Lobel-Page)

fr. 16,6-12 7-8 9-11 166

186,3 304,2

197,1 358,1 370,1

SOPHOCLE

XIV,320-26 371,1

de diis 4

346,4

(Page)

190 1052... 1102 1113 1226... 1295-97

279,5 , 353,5 231,8 158,2 236,2 334,5 353,5 252,1 160,2 334,5

El. 6-7 157 516-633 530... 537 539 545 564 566-69 573-74 576-78 709... 720-22 743-44 Sc. 6-7 157 OC 1628 Phil. 2 5-6 8-11 72

489

ANCIENS

226,5 265,2 272,5 269,3 273,1 281,4 163,3 273,1 272,9 266,4 272,9 273,1 295,1 295,1 295,1 226,5 265,2 349,2

194 198-200 221 257-58 269-270 269-271 273-75 301 417 ; 625 876 ; 890-91 1023-28 1032 1311 1326-28

311,5 312,1 316,6 312,5 311,2 316,1 312,8 316,6 279,5 312,7 312,5 312,7 279,5 311,3

Arg. Mel.

310,4 311,2; 6 310,4;5;7 312,2 311,6

Sc. 194 1327 Trach. 260-273 351-365 Sc. 264 Fragments

380,5 380,5 380,5 (Pearson)

Aléades

77-91 84 ; 86-88 Alezandros 92-100 92-93 98 ; 99 Rass. Achéens [142] 142-48 143 144

246,6 139,2 138,7 138,9 139,1 241,6 246,9 250,4 158,2 250,1

Pap. Ryland

482 (?) Am. Achille 150 151

250,2 ; 4 75,3 90,3

Revend. Hélène 176-180 340,1 178 194,4 Noces

d'Héléne

183

180,6 182,3

Eris

316,6 312,5 312,7 158,2

199-201

46 99,1

Eurypyle 206-222

245,2

490

EURIPIDE

ET

LES

LEGENDES

210,26-27 250,5 211,11-12 250,5 Pap. Ory. 1175 245,2

Polyzene 522-28 523

Thésée 246

Priam 387,2

Pap. Ozy. 2452,2

387,2

Iphigénie 305 305-315 307 ; 310

273,2 272,3 273,2

Pap.

Br.

Mus.

486 b (1) 2560 (?) Colchidiennes 345

272,4 272,4 273,7 80,6

Jugement 360-61 361 Lemniennes 384

46 99,1 101,4 107,1

268,5

Skyrioi 553-561

217,1

Syndeipnoi

562-571 567

246,13

Térée 591

127,4

Troilos 618-635 618

340,1 75,3

409-418

246,7

718-720 fr. inc. 940

Mômos 419-424

46,4

425-438 429 432,2 6 9 11 Ul. fou 462-67 Pal. 478-481 479

Pélée 487-496 Poiménès 497-521 497 511

360,5 297,1 346,2 ; 4 346,3 350,2 346,4 346,4 351,1

302,3 279,5

Télèphe 580

65,4 330,2 320,1 329,7 97,1 99,1

100,4

STÉPHANE

de

BYZzANCE

Koava/,

Νέαι Τευθρανία Φυλάκη STÉSICHORE

(Allen) 23,1 23,2

Lez, 8.v.

᾿Αναγυράσιος ἐναύειν

327,6 322,3; 4

s.v. Δία

SOUDA

Vila Hom. L. 36 44-48

209,1 209,4 210,2 211,3 209,6 210,1 209,7 210,1 210,2 211,3 212,1 211,3 211,5 212,7 340,8 341,1

Silv. 11,7,120 124-131

61,3 60,1 127,1

60,3 60,3

385,4

180,6

181,1 310,6 : 7 247,2 318,4

(Page)

Jeux de Pélias fr. 1

276,2

Hélène fr. 10 12 13 14 15-16

162,3 162,2 158,3 156,1 190,8

Εὐριπίδης

274,4

Νέαι

310,6

Παλαμήδης

353,1; 6

16 191,6 (Pap. Oxy. 2506)

πενθερά

355,2 334,6

Iliou Persis fr. 19-28

360,5 340,3 297,1 346,4 355,9 357,2

CYPRIENS

689... 709-749 724 729 755... 785-809 819... 867-874 875... 907 908 912:919-20 920 921-22 Sc. 93

120,2 139,1

Rhizolomoi 535

310,5

Nauplios

CHANTS

370,2 370,1

532

Pheniz

Mysiens

DES

Πολέμων Τενέδιος ἄνθρωπος

303,7 304,2;

ξυνήγορος 304,10 Φιλοκλῇς STACE Ach. T (Dilke) 1,198... 526-535 593... 665-67 669-670 684...

25

8,2

28, IX 10

152,2

72,4

370,1; 3

Oreslie fr. 36

309,1

350,1 353,1

360,3 205,1 208,4 209,1 208,5 208,6 211,3 208,2 212,5

361,2

38

269,2

40

269,2

(Pap. Ozxy. 2506) 46

150,5 152,3

184,4 53

378,3

AUTEURS 61 79 adesp.96(?) STRABON IV,1,7 VI111,6,2 22 IX,1,22 5,6 17 X,, 2,24 XIII,1,19 31 46 69

332,4 162,5 184,4 42,3 354,8 305,7 181,1 76,4 382,4 63,5 — 303,6 330,4 304,7 305,7 247,2

Suıpas (Jacoby) F7

67,4

TERPANDRE (Page) adesp. 109c (?) 197,1 THÉMISTIUS Or. IV,60 a THÉOCRITE XXII,1... 8... XXIX,15 Sc. II,45 THÉOGNIS 15-17

350,1 153,8 197,2 218,6 385,4

883

81,1 83,7 888,2

THUCYDIDE 1,9 11 136-37

158,2 357,6 249,7

11,53

53,3

85 111,82-83 87 V1,32 VIIL102 Sc. 1,11

262,2 53,2 53,3 302,2 330,4 357,6

Tımocı&s (Edmonds) Dionysiazousai 223,4 fr. 6,9-11 228,5 Titanomachie (Allen) fr. VI 91,4 TRYPHIODOROS 493... TZETZES Aniehom. 100-01 183 200 oss 233-34 237... 248 287-296 297-302 301-03 311-322 323-343 350... 370-71 382 383-84 385 386-89

163,4

180,3 267,1 319,7 326,6 ; 7 327,1 327,4 319,6 346,7 341,8 346,8 346,5 346,6 354,2 342,3 348,3 352,2 352,6 352,9 353,4

Chil. 11,52,762 763-67 772-73 775-76 777-79 111,172 X111,637-640

319,7 320,6 322,3 321, 326,6 352,5

Iw

23,7

VALÈRE MAXIME VIII,11,6 282,6 VIRGILE En. 11,84 116 513 V,302 VI,121

359,1 267,1 114,1 123,4 196,3

V11,319-322

117,1

Vita Eur. (Méridier) L. 22-23 86,1 35

303,2

XÉNOPHON

Bq. VIII,23

92,1

Cyn. 1,1 2 5 8

92,1 92,1 92,1 79,3

Mém. IV,2, 33 ZgNOBIOS

341,8

(Leutsch-Schnei-

dewin)

Homerica 6

491

ANCIENS

354,3

VI,9

304,5

II. —

ACAMAS



297, 3.

Armes

81;

ACASTE 64-65;

70;

74-75;

319;

321-27;

333;

83;

335;

396, 1; 397, 1 ; 447 ; 45455. ACCIUS

223-24 ; 315, 3.

ACHATE 328, 2.

INDEX

GÉNÉRAL

d'Achille

85;

88;

312-14;

218-222;

253 ; 293, 4; 294, 3; 406 ; 419 ; 439. ACTÉON

422;

270, 2.

ACTOR 58.

284,4; 319,5; 325,3; 331; 333-34 ; 336.

73, 4.

ADONIS

ACHILLE

331.

6 ; 28-30 ; 43 ; 45 ; 48-49 ; ADRASTE 92; 54; 57; 59-60; 66; 294, 2. 68; 70; 72; 74; 77; 84-85 ; 95 ; 98 ; 145 ; 148 ; AEGIALÉE 161; 164; 182,9; 202; 361, 2. 204 ; 223-24 ; 226, 3; 227Aegimios 28; 230; 233; 235,7; 72 ; 76, 3; 384, 2 ; 410. 238, 3; 240-44 ; 246, 12 ; 248-251 ; 253-54 ; 261-64 ; AÉROPÉ 180, 3; 353,5. 266-69; 271; 273; 277288; 290-901; 294; 297; AESACOS 301-02; 305; 307; 314; 117,2. 319,7; 329-330; 339; AESON 346; 348-49; 354-56; 332. 357,7; 359; 369-371; 374,3; 399; 402; 406- AETHRA 08; 412; 422; 426-28; 24; 26,1; 116,2; 156. 430-35 ; 438; 444 ; 447; AGAMEMNON 453-54 ; 457. —

Jeunesse

d’Achille

25; 87-92; 113; 167; 399 ; 403 ; 410 ; 413 ; 419. — Achille à Skyros 26; 201-02; 204-217; 394-96 ; 398 ; 409; 416; 419 ; 422 ; 430 ; 433 ; 436.

45;

48,6;

58-59;

451;

AGATHON 5,1; 223,3

ACTOR 2) 311,1; 330, 2. ADMÈTE

ACHÉLOOS

426;

447; 458.

|)

339-342;

70;

109; 170,3; 172; 9202. 04; 206; 211,1; 226; 227,1 ; 228-233 ; 235-240 ; 242; 243,2; 244; 249252 ; 254 ; 259 ; 261-274 ; 276-281 ; 284-291; 294, 2;“; 297; 301; 302,3;

341;

346-351; 353-55 ; 357, 7 ; 359,5; 361-63; 373; 395 ; 398-99; 402; 40809; 412; 414; 416; 428;

430-35;

453;

455;

; 286, 10.

AGAVÉ 383, 5. | AGÉNOR 190, 3.

| AJAX, fils d'Oilée 272,4; 294-95; 298,2; 362; 369,4; 438. AJAX,

fils de Télamon

294-95 ; 298 ; 354, 2 ; 438. ALCÉE 79 ; 184 ; 197 ; 412 ; 416 ; 438. ALCESTE 288; 324,2; 326,7; 327,4; 331-34; 336. ALCIBIADE 142;

289,1;

363;

ALCIDAMAS 343. ALCIMÉDÉ 332. ALCMAN 184 ; 412. ALCMÈNE 61. ALCMÉON 140,

1 ; 253,5

; 334.

452.

INDEX

133 ; 140 ; 154, 8 ; 155,1 ;

Alcméonide

27,3; 58,6; 269; 332,3;

64; 410;

66; 422.

ALÉOS

ALEXANDRE

195,6; 198; 230; 238; 252;

(voir

418;

427-29;

433.

375-76

ARGO,

378 ; 383.

109,7:

171 ; 180, L. ,

ANAXAGORE 362 ; 440. ANCHISE

348;

100, 1-5 ; 102 ; 103, 2. 140; 145,5; 150; 176 ; 372 ; 457.

355;

418;

ANDROMAQUE

173;

426;

360;

408;

439;

451.

332,3;

373-74;

884-87;

356-57.

6 : 265, ? ; 313,

359,1.

329,7;

ANTIOPE

384,3; 382 ; 409 ; 411; 407;

375-771 ;

389; 431 ; 434.

126, 2 ; 127, 4 ; 141 ; 457.

385.

ARISTOPHANE 23,3; 225; 453.

353;

24;

24;

156.

(CYPRIS)

28-29 ; 42;

49;

52;

53 ; 95-109 ; 116,2 ; 120; 131; 131,3; 135-37; 142; 152,5; 157; 167;

176;

182-84; 186;

178-79;

193; 193,

5; 319-320 ; 322 ; 328,2 ; 334; 339; 381; 385-87; 398; 405; 412; 423; 428-29 ; 442 ; 448. APOLLON 42 :47,5;52,62-77;80;

86;

117;

121;

Allanlias

246, 1. ATRÉE

269 ; 410 ; 422 ; 444. ATTIS

222:

227;

345 ; 356;

409; 436;

358;

426; 430; 438; 450.

407;

432;

AURORE

154,7-8;

259;

262-

89.

BaccnHos, culte (voir Dionysos) BACCHYLIDE 30; 412,1;

406 ; 416 ; 425 ; 450 ; 454.

BELLÉROPHON

bacchique

438.

332, 3.

ASCLÉPIADE

BENDIS

SE, 1.

311,6.

ASOPOS

Βέοτιε, Béotiens 295, 2-3 ; 375.

377, 1.

ASPASIE 151.

BRAURON

24;

ASTYANAX

26:

94A;

AuLis (Rassemblement à) (voir aussi Quête des Chefs) 24 ; 29-30 ; 201-02 ; 205; 213 ; 259-298 ; 301 ; 316,

271; 272; 276-78 ; 283 ; 289; 291-92; 319,5; 332,3; 334; 384; 385;

58;

280,7;

379, 3.

2; 361;

15 ; 20 ; 27 ; 427 ; 432. ARTÉMIS

169-174;

1 ; 328,2;

354;

APHIDNA

APHRODITE

; 221,

ARISTOTE

ANTIPHON

ATHÈNES, Athéniens 53-54; 108; 142; 148150; 198; 291; 384-85; 446 ; 451-58.

AUGIAS

108, 1 ; 179 ; 213,2

ANTÉNOR

247;

246-48 ; 307, 6.

20 : 27 : 31: 45,2; 48,7 ; 72,3; 74; 90,5; 98,2;

ANIOS

189;

AUGÉ

ARIANE

ARISTARQUE

358, 1.

95-108;

331.

388.

ANDROS

82-83;

169, 2;

59-62;

ARGOS, ARGOLIDE, Argiens 107; 155,2; 157; 202; 226; 228; 230-32; 250; 961; 263; 267; 273; 280,2; 984; 295; 298;

AMYNTOR 60.

ARGONAUTES

6; 58; 310-11.

AMYCLÉES

240, 4 ; 245.

294, 3; 311,6 ; 378 ; 385 ; 387, 7; 428.

102.

AMPHITRYON

JEUNE

ASTYOCHÉ

85;

ARÉS

; 377, 2.

LE

340,3.

ATHÉNA

26.

AMPHION

60,1;

386, 5.

ARCTINOS

61-63.

ASTYDAMAS

ATALANTE

ARCADIE, Arcadiens 227; 246-47; 294,2.

Päris)

AMAZONES

24;

226-27; 305-06;

310, 7; 313-14 ; 370-71; 409;

227 : 947-48.

29;

493

GÉNÉRAL

28:

276,1;

3971-73 ; 389;

409.

362 ;

266 ; 425.

BRISÉIS

29;

265,2:

288,2;

339.

494

EURIPIDE

ET

BusrRiS 194, 5. CADMOS (voir aussi Harmonie) 88, 6. CALCHAS 28-29;

202-03;

209,1;

250;

262-68;

243,2;

270-72; 276; 2778-79; 284 ; 286 ; 371 ; 407 ; 433. CALLIMAQUE 23,6; 27;

31;

34.

CALLISTO 386, 6. CANACÉ 217.

CAPHARÉE

(Cap)

354; 360,5; 398 ; 451.

361,2;

CASSANDRE 29 ;114 ;116-18 ; 121-22 ;

124,2;

126;

142 ; 174

; 176

342-44; 369,4;

129-140; ; 178 ; 261 ;

362-63; 397-98;

368; 404;

406 ; 433; 438 ; 457. Calalogue des femmes 26,3; 27; 29; 64; 72;

74-76 ; 79-82,

84;

86;

190 ; 268;

158-161;

4 ; 83-

184;

319, 5; 330, 2;

374,4; A410-11; 422 ; 424. Catalogue

66;

des

414; Troyens

( Kypria) 29;

296;

339.

LES

LÉGENDES

DES

CHANTS

CYPRIENS

CHAMAELÉON 191.

CLÉON

Chants Cypriens 7-8; 10-11; 14: 16-81; 33; 43-49; 61; 64; 6667 ; 72-74 ; 79-80 ; 83-86 ; 91-92 ; 98-104 ; 106 ; 108 ; 135-37; 147-48; 150; 159-163; 178-183; 18687 ; 192-93 ; 195-97 ; 201-

CLÉOPATRA 330.

362;

02 ; 213-15 ; 248 ; 250-51 ;

265-66 ; 268-69 ; 272-73; 276-78; 283; 296-98; 306; 313-16; 329-330; 332; 335; 340; 356-59; 361,2; 367-374; 378; 380-81; 384-89; 393; 400 ; 403; 404-09 ; 410; 413-16 ; 418-420 ; 422-25 ; 449; 446-47; 459. CHARITES 81, 6 ; 98, 3 ; 101-02 ; 104. CHARON 325, 8.

CLYTEMNESTRE 58-59; 70-75,1; 76,6; 87; 153-55; 173; 185; 195,6; 222,3,6; 229230; 232; 236-39; 249; 251; 3953-54; 261-62; 264-605; 267; 269; 27173; 276,1; 278-281; 283; 285-88; 2990-91; 395; 399; 412-14; 416; 423; 426; 428; 430-32; 434-36 ; 444 ; 451; 45455. COLOUTHOS 31. Construction

CHIRON 25,1; 28; 61; 63; 65; 67; 70-71; 73-74; 7679; 82; 84; 86-87; 8992 ; 101; 167 ; 208 ; 215; 219-220; 249; 276,1; 295 ; 403 ; 405 ; 413 ; 419; 444 ; 457,

418-19;

ConÉ (voir phone) 331 ; 334. ConINTHE, 451-52. 180-81

;

98-99 ;

CRÉON 2) 379-380.

CENTAURES 59-61 ; 63-65 ; 70 ; 77-79 ; 81-82; 84; 86-87; 413; 437-38.

CHRYSOTHÉMIS

CÉPHALLÉNIE 352, 6.

CINYRAS

CERBÉRE

CITHÉRON 375-77.

382.

CHALCIS 292:

CRÈTE 170; 178; 180; 384 ; 387 ; 406.

CHYPRE

24.

31 ; 34.

149-151;

357,2

155.

CRÉOPHYLOS 380.

416.

CLÉMENT

453.

CRATINOS

CHRYSIPPE 378, 1.

204,1;

Persé-

CRATÈS 31.

CATULLE 34.

265;

aussi

CRANAË

CRÉON 1) 327, 2.

180 ; 334.

vaisseaux

Corinthiens

CHRYSÉIS 339.

CATRÉE

des

de Páris (voir aussi Phéréclos) 52; 135-36; 169; 17879 ; 409 ; 447.

Cheval de Troie 134 ; 184.

CHRYSÈ 310-17; 415; 422 ; 429 ; 450.

452.

; 359.

201 ;

CRITIAS | 154, 8 ; 303 ; 308.

Cycle épique D'ALEXANDRIE

6;

64;

14-16;

67;

23,2;

367.

26-27;

INDEX

Épéens

DiOSCURES

CYCNOS

193;

495

GENERAL

303-04;

306;

330,

ou

29;

41-42;

50,1;

106 ; 147; 149; 153-58 ; 158-163; 174; 177-79; 181; 188; 195-88; 276, 1;297,3;298,2; 376,1; 400; 403; 406; 408; 410; 412-13; 418-19;

2 ; 408. CvPRIOS

24;

CYPRIAS

23. CYRUS

138 ; 417.

422-24 ; 429 ; 438 ; 448;

DANAÉ

247,2;

304,5;

307, 6.

295 ; 297-98.

ÉPicASTE (voir Jocaste) Épigones 23,2;

27.

ÉPOPEUS

373-77 ; 431.

ÉRIGONE

450.

332,

1.

Débarquement en Troade (voir aussi Euripide, Profésilas) 27 ; 317 ; 319 ; 399.

DIRCÉ

Erıs (voir aussi Jugement

376.

des déesses — Querelle des déesses) 49 ; 80 ; 99-100; 29 ; 46;

DÉIDAMIE

DoLores

29; 202;

205-217;

288,

2; 395; 400; 426; 430; 432 ; 435 ; 447. DÉIPHOBE

128-184 ; 139-141; 370, 4; 398; 433-34; 436;

348,2;

369, 3.

104,1; 108; 2; 406 ; 416.

60-61. 58-59;

Éc£ÉE 385;

63;

ESCHYLE

(voir

Hélène

en

Égypte)

DEMETER

EiDpoTHÉE/E1DÓ 189-190.

90, 5 ; 331. DÉMOCRATIA

ÉLECTRE

58, 7.

145,5; 174; 261; 265;

DÉMOPHON 90,5; 297,3.

416.

ÉLÉONTE 321,1;

L'ANCIEN

150, 2.

330;

417,2.

DEUCALION

331,4;

386, 6.

Dra

ÉNÉE

304, 6. D10MÉDE

206; 208-09; 215; 244, 5; 273; 294; 297,4; 311,1; 316; 342; 34849; 354-55; 357; 359361; 368-69; 371; 405;

424 ; 433 ; 438. Dionysos, siaque

culte

diony-

77; 80; 248,4; 322,4; 326,1; 331; 334; 34748 : 356 ; 358, 1; 385-89 ;

25,1; 100,1; 135; 178; 190, 3; 328, 2 ; 339 ; 368, 3; 408; 423.

Énianes 295;

297-98.

ENNIUS

115-17 ; 119; 130; 34; 224; 226. Enseignements 92 ; 410. ÉOLE 333,

conservées



Agamemnon 134,4; 139; 185; 27072; 278; 280-81; 287; 414. — Pièces perdues — Dictyoulcoi 270, 7. Héraclides 307, 4; 316.

Myrmidons 414.

190.

Dik£&

Pièces

280 ; 284 ; 290.

ENDYMION

384-85.

452.



Iphigénie 246, 10 ; 260 ; 270 ; 278-

ÉMÉTHÉA

45.

418.

7,1; 7-9; 13; 36; 79; 119; 293; 418-16; 420; 49b; 427; 435; 443;

387.

ÉcvPrE

356-57.

185,

325, 6.

73,3.

58-59; 61; 63-64; 412.

DÉLOS

148;

Eros

EAQUE

ÉGINE

444.

Denvs

DoLon

1.

133-

de Chiron

Mysiens 246 ; 248 ; 414. Palamède 246, 10 ; 343-44 ; 360-61 ; 426. Philoctèle 270,8; 315 ; 415.

307,4;

309;

Télèphe 223 ; 246 ; 249-253 ; 280, 2 ; 414. Tennès (1) 307 ; 315 ; 415.

496

EURIPIDE

ET

ÉsoPE

LÉGENDES

DES

CHANTS

CYPRIENS

114; 122 ; 139-140 ; 148 ; 292, 1 ; 343 ; 345, 4 ; 354, 4,5; 362; 370,2; 372; 398; 400; 402; 408; 412; 417; 423; 4928; 437,1; 443; 448; 454.

Hélène

95-96 ; 141-42 ; 150 ; 177 ; 188-195 ; 400 ; 407 ; 411 ;

360, 3. ÉTÉOCLE

417-18;

141; 435.

442;

Éthiopide 7;

LES

14;

24,6;

58,6; Eusée,

26;

62,7;

67;

28;

88,6.

77; 204; 217-19; 294,2; 343,5; 382,1; 436; 439.

222; 353;

436,2;

450,2.

Héraclés Furieux

978-883; : 397,2;

430;

Eubéens

421;

445;

389; 404;

437;

394,2;

407;

428;

443;

448;

455, 3. Hippolyte

EUBULE 150, 2.

Ion

EUGAMMON

Iphigénie à Aulis 70-71 ; 76-77 ; 85-87 ; 90-

24.

91;

EuMÉE

EuMÉLos 294 ; 416 ; 438. EUPHORBE

328, 2.

254,1;

Parodos

EURIPE

293-98 ; 400,1;

262 ; 269.

Andromaque

71; 76; 87-88; 90; 92; 95-96; 117; 137; 140; 212,4; 292,1; 372; 402;

407;

412;

418 ; 425 ; 432, 3; 437, 1 ; 447. Bacchantes 87; 993,3; 436, 2.

404-05;

347;

388;

Cyclope 400.

Électre

141: 260: 284,2: 400 : 408; 411; 419: 429; 439 - 448.

Hécube 95; 139; 282; 283,3; 284,2; 292,1; 324,3; 370, 2 ; 400 ; 432, 3 ; 447.

Exodos

282-88. Iphigénie en Tauride 122; 141; 194,2; 260; 277; 283; 400; 405-06; 414; 422: 495; 436, 2; 448. Médée 208,2;

216-17;

226;

309;

336;

254,2,3;

437, 1. Oreste

42 ; 101; 279,2 ; 285,4; ?91; 294,1; 377,3; 400; 411; 418; 423; Phéniciennes 141; 3988,29; 230,2; 347; 377,5; 436, 2.

[Rhesos] 205 ; 330, 2 ; 347, 5.

416; 436;

Alopé 130, 6. Antigone 141, 2. Anliope 124,3; 141; 375-77; 382; 389; 394,3; 404. Augè

210,4;

246-47;

Bellérophon 308. Chrysippe 378, 1. Créloises 217; 223; 5; 322,2;

251,3; 333-34.

253,

Cresphonle

130-31 ; 141. Diclys 309.

Égée 130, 6. 208,2;

Troyennes

109;

217.

Hippolyte 65; 124,3; 387.

Hypsipyle 58; 62; 377, 3.

Suppliantes 326, 7.

107;

405-06;

428-430; 433-34; 444; 448; 456-57.

Éole

429 ; 430 ; 448 ; 457.

95-96 ; 103;



Alcméon à Psophis 223; 251,3; 285, 3 ; 33334.

130,6; 408, 1.

416 ; 438 ; 453.

EURIPIDE — Pièces conservées — Alceste 217; 223; 226; 253,5; 254,3; 330,2; 331,4; 333-36 ; 437, 1.

perdues

397-98;

260; 274-298; 394-95; 399-400; 402; 404-08; 410; 414 ; 416-17 ; 42123 ; 425-26 ; 428-29 ; 43133; 435-37; 439; 44446 ; 448-450 ; 453-57.

182, 9.

400;

377.

95-96 ; 142;

Piéces

Alerandros 113-141 ; 216 ; 237 ; 292, 1; 362; 368,5; 394;

212,4; 308. 141-42 ; 291;



284,2 ; 308;

130,6;

Ino 138, 8; 400, 2.

141;

INDEX Mélanippe 141.

431; 433; 435-37 ; 444; 446; 450; 453; 455-57.

enchatnée

Mélanippe la Sage

[Tennés]

Œdipe 335, 2 ; 377-78.

T hésée

Palamède



Thèmes



Actualité

803-08;

140;

204;

231,1;

394;

397-98 ; 405 ; 408; 416; 490; 499; 433; 444; 448; 450; 453; 457-58.

323,5; 88;

222;



216, 6. Philoctèle

252 ; 809-817 ; 335 ; 394, 1; 400 ; 408 ; 415 ; 426 ; 428-29 ; 450.



Phenir 226,1;

65-66;

308;

70;

394,1;

400 ; 407. Protésilas 176-5; 217; 226,1; 817836 ; 394-97 ; 404; 408;

418; 426; 428-29 ; 432 ;

436 ; 450 ; 454-56. [Rhadamanthe] 154,8; 303,3. [Sisyphe] 303,3;

362, 3.

— généraux —

348,5;

349,3;

Agôn 36; 125; 168-173; 35; 255; 284-85; 349-352 ; 397 ; 402 ; 436 ; 443-45; 454; 58. Aitia 69; 76;

86-87;

416;

233325; 423; 456-

437-39.

Merveilleux 396; 398-99;

424-25.

Messagers (récits de) 122-23 ; 208, 1; 210 ; 226, 237 ; 244;

284 ; 288;

321, 4 ; 323, 1 ; 324 ; 352, —

Musique 100-01 ; 105 ; 438.

— Mythe —

Nourrices

206-210;

217;

320-21 ;

329, 1.





Oracles, songes 75,1; 117; 206; 208; 227-28 ; 244; 262; 264; 266; 276; 291; 308-09; 316; 319-321; 329,3; 332 ; 428-29 ; 442.

Anachronismes 162, 1; 295, 1 ; 302 ; 363 ; — Pacifisme 194 ; 363. 417 ; 438-39 ; 453. — Panhellénisme — Autel (fuite à 1") 204; 290-92; 399; 417; 130; 238-39; 249; 430. 449 ; 451. — Chœur 119; 231; 321; 347-48; — Personnages 431-37. 435-30. — s Putiphar-motiv » — Chœur secondaire 60; 64-65; 304-05; 307. 124 ; 127-28 ; 436. Cultes,

légendes

cul-



131;

36; 130-32; 141; 209210; 215; 236-38; 377, 6 ; 430. — Responsabilité 168-178 ; 50; 113-14; 401-02 ; 182-87; 362; 447-48 ; 453.

tuelles

418 ; 422. —

Deus ez machina 36; 41-42; 51;

432 ; 436-37;

428 ; 430.

455.

Télèphe 201-02; 204; 222-255; 264,6; 277,3; 284,7; 292,2; 335; 348; 39497; 405; 407-08; 410; 414-15 ; 418; 421; 426-

Lyrisme

3;

332;

212, 4 ; 326, 1 ; 376 ; 422 ;

Sthénébée 61,3; 65; 284,2; 308.

du

402-03 ; 440-459.

3; 336; 394-97; 404; 416 ; 422 ; 425 ; 428-430 ;

450;



495 ; 453.



Skyrioi 70; 88; 201; 205-217; 219; 226,1; 252; 254,

personnels

401-02;

352,4; 383,2; 442; 445-458.

400;

Péliades

60-61;



Guerre du (voir aussi Péloponnèse) 54; 204; 274,3; ?89290; 297-98; 302,2;

Pélée

65; 70; 407.

394,3.

887 ; 455.

899-303;

Goûts

92; 362; 458.

Moissonneurs 309.

114;

Femme (situation de la) 322; 378,1; 456.

poéte

303, 4.

284,2;

— —

Téménos

67.

57;

497

GÉNÉRAL





Dieux, religion, destin 9 ; 49-50; 52-54 ; 127,1; 400 ; 428 ; 442-451 ; 454.

Éducation 88-92; 141-42; 286-87; 457-58. — Esclaves (voir Serviteurs)



Reconnaissance

Rhétorique

126 ; 141 ; 253-54 ; 351, 2. —

Sacrifice

volontaire

288. —

Sauveur

(thème

36; 194,2; 4; 430.

du)

270,4;

285, 33

498 —



EURIPIDE

ET

Serviteurs 117; 119-120 ; 122 ; 12526; 129-132; 139; 14142; 162; 169; 226,3;

229;

279;

285;

321-22;

326; 432;

328,1; 435; 448;

377,6; 456-57.

EURIPIDE LE JEUNE 274-75; 282 ; 294.

106;

HARMONIE

71,1;

151;

425.



398;



EURYSTHEE 379 ; 382-83 ; 433. EURYTION

64. EunvTOS 295 ; 298,2 ; 380 ; 382, 4.



417;

GOUNEUS 295, 10.

Péloponnése

Hapes, l'Hadés 128; 263; 320; 327,1; 331-32; 336 ; 431. DE

325; 334;

TRALLES

423;

433;

447-49;

454;

29; 42; 48-54; 59; 9598; 103; 105-07; 133; 140; 142; 154, 6 ; 155,1; 156; 195-96 ; 203; 208; 231; 243,4; 251; 254; 260-61; 263; 268; 289; 319; 325,6; 331-32; 339; 362; 387; 394; 402-03 ; 416-17 ; 423-24 ; 498; 433-34; 438; 44245 ; 447-48 ; 452-53 ; 455. —





Naissance 29; 44-45; 47; 51-52; 74; 145-152; 156; 276, 1,2; 401-02; 406; 422; 494-25 ; 449.

avec

(voir aussi Prétendants)

Revendication

Apothéose 51-58 ; 181,

HÉLÈNE

Serment

187-196;

113;

202;

148,2;

276,1;

d'Hélène 3; 191; 196 ;

(tle d')

HÉLÉNOS 29 ; 123; 135 ; 178 ; 368 ; 408 ; 423.

41, 1. HÉMITHÉA 304-05 ; 307-08. HÉPHAIÏSTOS 72;

77;

88 ; 90;

80;

84-85;

87-

218-222 ; 313, 2.

HÉRA 41; 46; 72-74; 95-109; 178; 181; 188-89; 193, δ; 276,1; 308,2; 312; 315; 379; 381-82; 428; 442 ; 448. HÉRACLÈS

6;

25,1;

59-63;

82;

222;

227;

247;

298,2;

308;

310-

12; 315; 324,2; 336; 367; 373-74; 883 ; 389; 397,2; 411-12 ; 415 ; 418;

333; 878» 409; 422;

153,5;

253;

des

— Enlèvement par Paris 11; 20,4; 22,3; 25,1; 108;

d'Hélène

181; 189 ; 453.

Ménélas

156-164; 262; 401-02; 411; 433; 438-39.

52;

188417;

198 ; 423.

Enlèvement par Thésée 24; 29; 156; 159; 163; 408 ; 424. Noces

181; 411;

339 ; 359 ; 408.

HELLANICOS

GLAUCOS 368, 2.

Päris

425 ; 445.

HÉLÈNE

GANYMEDE 77-80 ; 86-87 ; 430 ; 43738.

399;

Héléne en Égypte

HELIODORE 318, 4.

326, 7.

(voir aussi Euripide, Actualité) 10-11; 53; 108; 151; 187; 194; 234,5; 9255; 290 ; 308 ; 363 ; 448-453 ; 459.

avec

HÉGÉSIAS/HÉGÉSINOS 23.

ÉVADNÉ

GORGIAS 30 ; 186 ; 193-94 ; 290, 1; 343 ; 417 ; 457.

Noces

41; 52-53; 195; 407;

368; 371; 398-99; 402; 443-44; 457.

397;

71,1; 175-76 ; 178; 182 ; 276, 1 ; 414 ; 424.



413;

297;

401-02; 3406-07; 412; 414 ; 419 ; 423 ; 443 ; 449.

96; 103; 107-09; 117124; 128-29; 131-35; 138-140; 168-69; 17174; 176; 186; 301;

240, 4.

CYPRIENS 294,2;

HÉcUBE

EURYPYLE

318, 4.

d')

83, 4.

329-330; 371-73; 404 ; 433-34 ; 457.

368, 3.

HARMODIOS

(Noces

80-81;

CHANTS

HÉCATÉE 181 ; 192.

EURYDICE

du

DES

HÉCATE 134 ; 268.

EURYBATE 265, 2.

Guerre

LÉGENDES

HECTOR 30; 98; 122,3; 123-24; 129-131; 132,6; 134; 139-140 ; 183; 219 ; 320 ;

Spectacle 415 ; 437-38.

EUROTAS 59; 63;

LES

424 ; 423; 442; —

448;

430;

433-35;

454.

Enfants d'Héraclés 378-79; 382-83; 437.

HERMES 96-99 ; 102-03 ; 105 ; 149 ; 181 ; 188-89 ; 192, 1 ; 193-

INDEX

94; 269,6 ; 322,2; 32425; 333 ; 364 ; 376 ; 429. HERMIONE

46;

92;

182;

281;

493;

435;

106;

162-63;

403;

416;

452.

30; 52; 411; 417.

138;

HOoMOLE 82.

IoLAos 2) 319, 8 ; 330, 5.

HonAcE

IoLcos

62,3; 332.

27. HYGIN

22; 35; 103; 130-31 ; 225.

HÉRODOTE

192-93;

Hymne

(Voir aussi Aegimios, Catalogue des Femmes, Enseignemenis de Chiron) 24; 29; 43,1; 45; 4748; 73; 410-11. HÉSIONE

115;

121;

homérique à Aphro-

193. aux

Dioscures

HYMNO

11; 24; 28-29; 33; 77; 96 ; 156, 1; 176-77 ; 230-

31; 252; 259-292 ; 317; 368,2;

370;

412.

96; 104; 107; 113-14; 117; 119; 124; 169; 172 ; 346 ; 416 ; 437.

63. HiPPOLYTE

92;

120,2.

HoxERE, poésie 6-7; 14-15; 72-73; 80; 148; 153; 179-180;

homérique 22; 28-30; 89; 104; 157; 163;

183-84;

196;

Odyssée

386 ; 410 ; 434.

IPHIGONÉ

180, 3;

380. 297,4 ; 361,2.

310, 7.

Inscriptions 115,7; 125,3; 246. IoLAos 1) 310,4.

208.

IPHITOS

IDOMÉNÉE

ILE Des BIENHEUREUX (Île Blanche) — Îliade 46; 88; 161,3; 181,2; 10-11 ; 14-15 ; 25-26 ; 28 ; 267,4; 221. 30-31; 45; 48; 57; 64; 66-67; 79; 81; 83; 85- IL1oN (voir Troie). 86; 89-92; 98; 100-02; 107; 147; 157; 159; ILIONÉE 123. 178; 180; 190; 196; 213; 219; 245; 265-66; Iliou Persis 293-96 ; 298; 313; 3287; 14; 15,1; 26; 28; 29; 354-55; 359; 367; 372-73; 410. 397; 3408-04; 407-08; IMBROS 420 ; 424; 444; 453. 10; 14; 26; 28-31; 52; 101 ; 147 ; 189-190 ; 193 ; 195 ; 213; 251; 354-55; 359 ; 367; 374, 4 ; 384,3;

398-99;

455-56.

265,2; 330.

201 ; 355-56 ; 367 ; 373.



394-05;

401; 403; 408-09; 41214 ; 416 ; 422 ; 426 ; 428 ; 430-36 ; 439 ; 448 ; 450;

IPHIMÉDIE

InAS

196;

359;

265, 2.

IDAEOS

286,8.

328 ; 330,

IPHIGÉNIE

IDA

HiPPOCOON

325,7;

2; 332.

HiPPÉ

67.

CHIOS

252,5;

377,2. IBvcos 184;

DE

286, 10.

IPHICLOS

358.

HysıaE

HILAERA 154, 8.

Ion

265.

375, 3 ; 377,2.

HEURES 101 ; 104.

83;

IPHIANASSA

197.

HYvRIA

62.

74-75;

IoLE

Ion

homérique

Hymne

64;

92 ; 286, 8.

dite 27 ; 101;

Hésiope

499

GÉNÉRAL

204,5;

Irıs

201 ; 373 ; 428. IsMÉNE

369,1. ISOCRATE

30;

103.

Ixıon

190 ; 454. JASON

6; 61; 91; JOCASTE

141; 384, 3.

216;

374,4;

310.

377,6;

Jugement 26.

des armes

Jugement

des déesses

11; 29;

22,3; 46-47;

25; 27,2; 52; 95-109;

500

EURIPIDE

113-14; 134-36; 169; 175-76 ; 179 ; 202; 276,1; 297; 03; 405-06; 419; 437; 439; 443-44; 49 ; 454. —



Querelle 30; 46; 95 ; 98-100 416 ; 442 ;

ET

140; 188; 401423; 447-

des déesses 68; 72; 80; ; 102-04 ; 406 ; 449.

Toilette des 96; 101-02;

déesses 104; 109;

405 ; 416. —

LÉGENDES

LA108

LAODAMIE

1)

(voir

aussi

Polydora)

917-336 ; 396-97 ; 426,1; 430-31; 435-36; 447; 450; 454-56. 2)

LAODICÉ 265.

LAOMÉDON

247 ; 304.

LiviUS

63;

avec les

82.

LÉDA

145-155 ; 159; 161; 177 ; 196; 268; 384,3; 412; 422 : 424 ; 450.

ANDRONICUS

MEMPHIS

205.

192-93.

Locriens 295.

MÉNANDRE 430, 1 ; 454.

LYCAON

MÉNÉCÉE

339.

288, 2.

LYCOMÈDE

MÉNÉLAS

88; 206-217; 220,2; 394-96 ; 416; 430; 447.

31;

34.

LvcunRcuE/Lvcos 373;

375-77;

1) 382;

389;

407 ; 409 ; 435. 2)

378,6; 379,3; 381-82; 389 ; 407; 434-35. LvcuncuE/Lvcos

375, 1. LvNcÉE

196.

LÉPÉTYMNOS 354.

(Mont)

LESCHÈS

26.

LeuciPPos, Leucippides 29; 154-55.

294,2; 319; 331; 358,1;

MÉNESTHÉE

LvssA

MENOETIOS

295, 6.

428.

58.

MACARÉE

MÉRION

294 ; 438.

MACARIE

MESTOR

288.

123.

MACÉDOINE B6 ; 274 ; 290 ; 417.

Mınos

58;

MAGNÉSIE

68;

82;

86;

204.

MARPESSA

387,4,5,7.

384-85 ; 387. Minyade 330, 1. Minyens 294,2;

160, 4, MÉDÉE

61 ; 71, 1 ; 140, 1 ; 219, 1; 234, 5. MÉGARA

116,2;

384;

MINOTAURE

75;

MASSALIA

221; 302; 307,6: 310: 313 ; 315-16 ; 339 ; 385; 403 ; 406; 408; 424.

289-291; 325,6;

LvRNESSOS 339.

330.

LEMNOS

28-29 ; 44; 50; 59; 61; 63; 92; 99; 103; 156104; 167-68; 170-74; 176-78; 180-84; 187; 189; 192; 201-04; 226, . 3; 231-32 ; 234,5; 235, 7; 236,4; 243,4; 252; 204; 260-64; 270; 27273; 279; 281; 284-85;

373; 381; 384; 387; 395 ; 399; 402-03; 406; 409; 411; 414; 416; 494; 431-35; 444-45; 447-48; 452-53; 455.

3)

LéiTos

297-98.

CYPRIENS MEMNON 379, 2.

(voir Ténédos).

217.

Lapithes (Combat Centaures) 61;

CHANTS

LEUCOPHRYS

LvcuncuE/Lvcos

377,6 ; 378, 1.

LAODAMIE 332, 3.

DES

LYCOPHRON

Promesses des déesses 97-99 ; 102-05 ; 107 ; 109 ; 169; 179; 183; 402; 405 ; 409; 445.

59;

LES

379.

MNASÉAS 357. MoLossıE 60.

374,4;

MÉLANIPPE

MoLPros 304-06.

67.

Mômos

29;

MÉLÉAGRE 330 ; 374,

978-988.

3.

73.

44-48;

48,7;

53;

INDEX

ORION

NÉRON

MOSCHION

116;

223, 3. MUSES 77-79 ; 81; 83-84 ; 86-87 ; 146; 151; 353; 358; 413; 437-38. MvcENEs, Mycéniens 226,4; 231; 273; 5; 295,1; 297, 4.

279,

Myrmidons 77 ; 84 ; 86 ; 242 ; 289,2;

294, 2 ; 295, 3 ; 435 ; 453.

130;

34.

139, 1.

NESTOR

211,1;

OssA

213-15;

244,5;

249-250; 297,4; 357,7; 373; 381; 433. —

298; 388;

Récits de Nestor 97-28 ; 44; 49,2; 202; 979-74; 378; 381-82; 384-85 ; 387-88 ; 407.

NICIAS

227;

246 ; 418.

232;

241;

NICOMAQUE 116; 139,1;

218. OvIDE

34 ; 115 ; 130. PACUVIUS

318, 5. PAEON

D'AMATHONTE

385, 1. PALAMÉDE

363 ; 452.

MYSIE

292;

901

GÉNÉRAL

150, 2.

28-30 ; 202 ; 252 ; 266, 4 ; 271,4; 295; 297; 889363; 369; 394; 397-98; 403; 405; 407,1; 412-

NICOSTRATOS Expedition de Mysie 13 ; 415 ; 418 ; 424 ; 426 ; 163. 28: 30; 201-03; 213; 430; 433-35; 438; 449218; 227-28; 234-35; NIRÉE 451; 458. 245 ; 248 ; 265,1; 276,1; 294. 318, 4 ; 329 ; 387, 1 ; 403 ; Noces de Thétis et de Pélée Palamédie 358. 407 ; 421; 423; 450-51; 27,1; 44; 47; 57; 65; 457 68-87; 95; 98-99; 276, Palladium (rapt du) 1; 314,4; 399; 402-03 ; 355,5; 359,5; 369,3. NAUPLIE. 405 ; 407 ; 409-410 ; 412 ; 355 ; 359 ; 439. 414; 419; 4?2; 430; PAN NAUPLIOS 227. 437 ; 449. 247 ; 334 ; 343 ; 345 ; 352,



2; 353-54; 423 ; 451.

356;

361;

7; 14; 23,2; 26-28; 360; 410.

NAUSICAA

24,6;

NvcTÉE

160, 3.

375.

Naxos

ŒCHALIE 380-81.

385. Νέα, NÉAI 311.

(EpiPE 373-74 ; 377-78 ; 388.

NÉMÉSIS

24; 29-30; 46-47; 49; 73-74; 147-152: 159; 406 ; 424. NÉOPTOLÈME

62,4 ; 65; 68; 163 ; 20607 ; 210-17 ; 267, 4 ; 273, 4,7;

PANYASSIS

Nostoi

9286,10;

287,3;

312 ; 368-371 ; 395 ; 416; 426 ; 437. NEREE

66-68 ; 70,3; 73,3; 88 ; 215, 2; 403.

76;

Néréides

66-68; 75; 79; 81; 8586; 218-222 ; 301; 417, 2; 419; 437-38.

CENOTROPES 29 ; 297, 1; 855-58. OrAx 343 ; 345 ; 849-858 ; 36162; 419; 426.

378 ; 411. PARIS

(voir aussi Jugement des déesses, Hélène-enlèvement par Páris) 29-30 ; 41-42 ; 49-50 ; 53 ;

92, 3; 95-142 ; 145 ; 156, 1; 163; 107-185; 4; 325,6; 342-43; 370,4; 381; 387; 397-98 ; 403; 409;

243, 368; 394; 411;

414;

416;

429;

434; 457.

436-38;

OMPHALE 380, 2.

PARTHÉNION 227 ; 247.

ORESTE 132,4; 140,1; 145,5; 174 ; 224 ; 230; 236-39; 249-250 ; 252 ; 254 ; 261, 1; 263-65; 273; 280,2; 285; 287,2; 291; 383, 5; 395; 407 ; 414 ; 416; 419; 426; 435; 437; 452 ; 455.

PATROCLE

424;

444-45;

(Mont)

98 ; 58; 202 ; 219 ; 243; 244, 5 : 248, 4 ; 250 ; 339 ; 373.

PAUSANIAS

22 ; 31. PÉDASOS

339.

502

EURIPIDE

ET

PELEE (voir aussi Noces de Thétis

et de Pélée) 29; 87-92;

140;

170;

171,1; 173; 180; 203; 212; 214-15; 260; 332, 3; 401-02; 405; 410;

412; 416; 425; 433-34. —

LÉGENDES

CHANTS

PHÉRÉCLOS (voir aussi Construction des vaisseaux) 179; 448. PHÉRÉCYDE

31,1; PHÉRÈS 325,3;

64.

333.

69-70;

72;

77-

82; 87; 113; 161 ; 218; 222; 405; 407; 410; 422 ; 437.

296;

808-817;

302;

400;

270,1.

PÉNÉE

159 ; 193 ; 356. 140,1;

295.

PERSÉPHONE

(voir

aussi

134, 6; 320; 333.

Pelite Iliade 7; 13-14; 23,2; 25-28 ; 183 ; 214-15; 248, 1; 251; 315-16;

355,5;

359,7;

372 ; 410. PHAINIAS

PHAROS 181,3;

189-190.

PHARSALE

68 ; 76 ; 79, 3 ; 82-83 ; 87; 218 ; 422. PHÈDRE

140,1; 387.

141. 386, 6. POLYXÈNE

PHoIBos

28;

(volr Apollon)

282, 3; 283, 3 ; 288 ; 888871; 388.

PHRYNICHOS 5, 1.

273,7;

31, 4.

64; 71-72; 74-76; 215; 218,3; 410; PHYLACOS 319,6;

271,5,6;

PoRPHYRE

PHTHIE

328;

PHYLAKÉ 318; 320-21; 332 ; 413.

319, 6.

POLYNICE

POLYPHONTE

155.

Coré)

324, 3. 132, 4.

PHOÏBAION

452.

POLYDORE

PoLvipos

PÉRIBOEA

PÉnRIcLÉS 108 ; 151;

aussi

330 ; 332 ; 335.

400 ; 403 ; 433.

377, 6.

(voir

Laodamie)

28 ; 60-61 ; 64 ; 91 ; 211, 1; 214-15; 217; 374,2;

383,5.

328.

POLYDORA

PHŒNIx

PENTHÉE

PODARCÈS

PoLvBE 377, 6.

Phinéides 132.

410 ; 412.

PÉNÉLOPE

163.

123.

345.

PHocos 59-61 ; 63-64 ; 66 ; 73, 3;

82.

PLISTHÈNE

PoLiTÈs

PHILOSTRATE

Phocidiens 269,6;

PIRITHOOS (voir Lapithes). 30.

442.

PÉLION 63-64;

30; 62-66; 73-75; 78; 84; 86; 88,6; 91-92: 137; 269; 379; 410;

PLATON

403; 406; 415-16; 41819; 422; 424; 427-28;

62,3 ; 332.

PINDARE

438.

327,4;

306-07;

|

CYPRIENS

411-18 ; 416 ; 420 ; 422 ;

411.

PHILOCTÉTE 26,1; 30;

Péléide

PÉLIAS

DES

PHIDON 360.

Jeunesse de Pélée 57-66 ; 276, 1; 433.

P£Lors 227;

LES

PHYLONOÉ

154. PHYLONOMÉ

304 ; 306. PIÉRIDES (voir Muses).

79; 4926.

PosÉIDON 61,2; 75,1; 85; 98; 298, 2 ; 303; 342, 7; 345 ;

376,1;

333,1.

428.

PRIAM 328;

330;

50; 77; 116-187;

96; 98; 131-85;

113; 140;

168; 240; 249; 340-43;

348; 435;

361; 368; 397-98; 444; 448-49.

Prise d'Œchalie 380. PROCLÉIA

303.

INDEX

503

GENERAL

Athönion 205,1; 211, 1.

Pergame : Frise 223,6; 239, 1, 3; 253, 4.

PROMÉTHÉE 350,1 ; 360.

Brygos

Rhamnonte

PROTAGORAS

Douris 214, 5.

Sparte : Peigne en ivoire 25,1; 99,2; 104,l.

Euphronios 80, 3; 387, 4.

Trysa : Frise 329, 5.

Hermonax

Vatican : Table Iliaque 370,1; 371,3.

ProcLos

16-21;

31, 4.

362 ; 440 ; 458. PROTÉE

69;

73,3;

188-193.

PROTÉSILAS 30 ; 294 ; 296 ; 302 ; 817400,1; 394-95; 836; 403-04 ; 409; 413; 417, 2; 422; 425-26; 428; 430; 436; 438; 446-47; 454-55.

214,5;

329,4;

PyYrasos

PYRRHUS

Sophilos 79,2;

Néoptolème).

Quête des chefs (voir aussi Rassemblement à Aulis) 25; 157; 201-04. DE SMYRNE

REPRÉSENTATIONS

FIGU-

12 ; 22 ; 25 ; 85-88 ; 65, 1,

79;

81-83;

88,6; 91; 97,1,2; 99105; 114-16; 122; 130,

3; 132,5; 149; 152;

133,3; 154,7;

136; 162;

182; 187; 205,1; 208, 2; 910-11; 214,5; 216, 5; 217,1; 220-21; 22324 ; 226, 7,8; 237; 238, 10; 239,1,3; 248-49 ; 271,4,5 ; 282 ; 288 ; 297, 1;304,5;309,4;311,6; 314-15 ; 318 ; 320, 6 ; 32227 ; 369,1; 372,4; 387, 2,4,7; 418-18; 437-38. — Artistes — Assteas 378; 379, 8.

Monument

des

88, 6.

Vases

Olpé Chigi 25; 99,2.

214 ; 297,1;

418-19;

438.

419.

Vase de Ménélas 202, 2. RHADAMANTHE

58.

81,2.

Sosias 243, 1. Théon

205, 1.

RÉES

74-75;



Scopas 221.

328 ; 331,2.

l'Héróon

Vase Frangois 79,2; 81; 81,6;

Polygnote 22 ; 905,1;

PvLos, Pyliens 295, 2.

6;

81, 3;

Meidias (1) 100, 4; 105.

Parrhasios 244, 5.

173, 2 ; 285, 4.

:

de

Néréides

249,1.

100, 4 ; 149, 4.

PYLADE

QuiNTUS 3l.

Xanthos

Hiéron

73, 3.

(voir

314,5.

Nicias

P8AMATHÉE

: Base

159.

214,5.

Timanthe 282, 6 ; 288, 6. Xénotimos

154, 7.

P.

d'Altamira 314, 5. P. de Penthésilée 105, 1. — Oeuvres — — Reliefs Amyclées : Tróne de Bathyclés

22 ; 91,2 ; 419. Calydon : Métope 25, 1. Delphes : Trésor de Siphnos 97, 1; 104,2. Olympie : Coffret de Cypsélos

22; 220.

RHAMNONTE 24; 30; 159.

149;

151-52;

RHODOPÉ

386, 6. RHOEO 307, 6. RHOETÉE

357. SALMONÉE 454, SAPPHO 184;

412;

416;

438.

SARPÉDON

123;

332,3;

342;

348.

SCIRON

67, 4. SÉNÈQUE

35;

115;

370,5.

SÉPIAS (Cap) 68-71 ; 407 ; 417,2.

Serment des prétendants 155 ; 157-161 ; 163 ; 20203; 276,1; 319; 405; 409-411. SICYONE 375-76.

359;

504

EURIPIDE

ET

LES

LÉGENDES

SIDON 178 ; 181.

Mysiens

SIMONIDE

Palamède

413.

343.

SISYPHE 454.

Poiménès

SKIONÉ

Rassemblement

SkvRos (voir aussi Achille à Skyros) 88-89; 161; 202; 205217; 218-19; 316,4; 359; 409; 419; 422; 425 ; 433;

452.

— Pièces conservées — Ajax

; 352, 2; 353 ; 416.

Électre

Telegonie 330,2;

des

2940-41;

7;

335.

Achéens

246-47;

Skyrioi 206, 1;

214 ; 216-17 ; 416.

Téléphe 246 ; 415. Lacédémoniens

108;

114;

145-46;

151; 156; 162; 167; 170; 173-75; 178; 180Bl; 183; 187-88; 194; 196; 198; 231; 295,1; 406; 408; 424-25; 45152. SPHINX ; 438.

Pièces

perdues



de Locres

Aléades 139,1;

248.

Alerandros 116; 132,6; 416-17.

Chrysés 416.

198;

106.

59 ; 62. TALTHYBIOS

276,1;

267;

272-73 ;

Eurypyle 250, 5.

Iphigénie 272;

281,5.

201-04;

303;

394-95; 400; 403; 406all; 414; 422; 425; 498-29; 432; 434-36; 444 ; 447 ; 455. TÉNÉDOS,

28;

Ténédiens

30;

313; 424;

184,2; 802-08 ;

315; 452.

406;

418;

TENNÉS

302;

808-08;

314;

418.

TERPANDRE

(voir

Mysie!.

TEUTHRAS

202,3;

227;

246-48.

Thébalde 23,2;

Geste

27;

294, 2.

Thebaine

412;

Tu&ses, Thébains 369,1; 375-76; 383; 418; 45l.

378-79;

Tuèses de Phthiotide 330,3; 331,2.

371-72.

423;

454.

TAURIDE, Taures 195; 262; 264-66; 274,1; 283; 406; 425.

THÉMIS

929; 44-47; 73; 79,1; 148-49.

Taphiens 298.

99,

222-255;

44-47 ; 369, 1 ; 378.

TANTALE

101;

123;

210,4;

(voir aussi Alcmeonide, Epigones, Thebalde)

34.

362, 2;

Éris

260;

190-94;

269-270 ; 276 ; 290 ; 360 ; 370-71; 381; 411-18; 416-17 ; 420; 423; 425; 438.

265,2;

274,1; Crisis 99;

184;

158-

SYMPLÉGADES

138-39 ;

TÉLÈPHE 26; 28;

TEUTHRANIE 155;

STOBÉE

246;

252 ; 356.

161; 195-96; 236, 2; 252, 1; 342; 352, 2 ; 353.

STÉSICHORE 138; 151-52;

163;

TÉLÉMAQUE

TEUCROS

23-24.

Philoctèle 273,4; 286,10; 287,3; 309-311; 315-16 ; 415.

27.

TERRE (cÉ) 42-43 ; 46 ; 48.

STACE STASINOS

Œdipe-Roi 377.

14; 24,6;

412.

377,6

206.

266 ; 416.

Ajar

59 ; 62.

249-250.

63;

247.

TÉLAMON

Spartiates,

SOPHOCLE 7,1; 7-9; 36; 104 ; 107; 109; 223, 1; 278 ; 278, 3; 281; 290; 339; 404; 418-17 ; 420 ; 427 ; 435; 437 ; 443.



241;

SPARTE-LACÉDÉMONE,

458.

CYPRIENS

TÉGÉE

223:

330, 4 ; 331, 4.

231,6

CHANTS

246-48.

318,3;

SOCRATE 353,2;

DES

75,1;

THÉMISTOCLE

268; 416;

249, 7. THÉOCLYMÉNOS 22, 3;

194,5;

369,

1.

INDEX

446 ; 450 ; 453.

31 ; 34.

THYESTE

THÉONOË

251,3;

96 ; 190, 1.

154. TiRÉSIAS 388.

THERSANDRE

202 ; 248, 4.

THÉSÉE (voir aussi Hélène, — enlévement par Thésée) 6; 25,1; 217; 220,2; 367; 373; 888-88; 430; 442 ; 453-54. THESSALIE

68;

76;

78;

84-86 ; 218, 2 ; 298 ; 317; 319; 329-330; 332-35; 410 ; 418. THÉTIDEION 70-71; 76; 418.

86;

90;

92;

29;

44-48;

92; 212 ; 307; 403 ;

161; 205-06; 208; 215 ; 218-222 ; 305 ; 329,3; 339; 396; 418.

66-87;

Métamorphoses

Thétis 69-76 ; 86; 412; 416; THoas 307, 6. THRACE

341, 1. THRONION

298.



TiITHON

89. Tırıus

318, 5.

TROIE (Ilion) 59 ; 62-63; 98; 113; 116; 120; 128; 142; 174-76; 178; 183; 188; 192; 262 ; 397 ; 444. —

Prise de Troie 28; 85; 114; 134; 150; 152; 175; 183-84 ; 192; 213; 362; 368; 371-73;

394;

397;

399;

447.

TRofLos

THÉTIS



253,5.

TIMANDRA

THÉRAPNÉ 155.

61;

262; 264; 267; 271,4; 273; 279-280 ; 284 ; 289291; 294; 310; 312-13; 316-17 ; 340-42 ; 344-49 ; 351-363 ; 368-69 ; 371-72 ; 396; 398; 405; 410; 415; 424; 426; 428; 430; 433-350; 444-45; 447; 452-53; 455; 458.

THUCYDIDE

THÉOCRITE

59;

505

GÉNÉRAL

87-

de

148,3; 407; 419; 425.

22,3; 25,1; 369; 371, 1.

134;

339;

TRAYPHIODOROS

31. TvchHÉ

50;

429,3.

1.

TYNDARE

63; 2;



145-159; 184-85;

162; 202;

173, 208.

ULYSSE 7; 14; 26; 28-30; 160; 163; 226,3; 2732-36; 238; 2940-44; 2750-53;

fou

Ulysse mendiant 183 ; 251 ; 410.

VIRGILE

34. ZÉNODOTE

31. ZEUS

29; 65; 70; 73-77 ; 80; 86; 88; 96-98; 102; 107; 114; 116; 130; 132,2; 140; 153-54; 156; 161; 181; 185; 188; 195-97; 212,5; 270; 308,2; 375-77;

394; 291,4;

TYDÉE 369,

Ulysse

202; 204; 252; 297,1; 340; 345; 355-56; 358, 4; 407, — Ulysse à Skyros 205-212 ; 214-15 ; 219.

412;

414;

423-24;

443. — Volonté Zeus

ou

dessein

28-20;

41-54;

57;

de

68;

73-74 ; 84; 95; 99; 108; 113; 135; 137; 142; 148 ; 150; 154-55; 167; 181,2; 188; 193; 339; 394-96 ; 398; 400; 403; 405;' 409; 423; 442; 448-49.

TABLE

TABLE

DES

MATIÈRES

INTRODUCTION I. Position du problème.........................,... II. Les Chanis Cypriens et leur fortune littéraire........ III. Les légendes des Chants Cypriens chez Euripide. . Questions de méthode............................

31

CHAPITRE PREMIER. — La volonté de Zeus.................

39

CHAPITRE II. — Les noces de Thétis et de Pélée............ I. La jeunesse de Pélée............................. II. Thétis......................................... III. Les noces de Thétis et de Pélée.................... IV. L'enfance d’Achille...............................

55 07 66 68 87

CHAPITRE III. — Le jugement des déesses.................

93

CHAPITRE

Ὁ 14

IV. — La jeunesse de Páris : L’Alexandros.......

111

CHAPITRE V. — Hélène et les Dioscures...................

143

I. La naissance des Tyndarides......................

145

1) La naissance d’Hélène....................... 2) Frères et sœurs d’'Hélène..................... II. Les noces d'Hélène et de Ménélas..................

145 153 156

CHAPITRE VI. — L'enlévement d’Hélène.................. I. Hélène et Pâris.................................. II. Hélène en Égypte : l'Hélène....................... III. Mort et apothéose des Dioscures...................

165 167 188 195

CHAPITRE VII. — La première expédition contre Troie.......

199

I. Le premier rassemblement et l'expédition de Mysie... ll. Les δι ρεδεις ὡς cessa esos eus errant rn ww Appendice : Les armes d’Achille................. III. Télephé.s o as ees 2.38 UE de nds DANCE u

201 204 218 222

510

EURIPIDE

ET

LES

LÉGENDES

DES

CHANTS

CYPRIENS

CHAPITRE

VIII. —

Le rassemblement d'Aulis et le sacrifice

d'Ibhisénie.::. 25 νων ον co ar ES ran CE I. Le sacrifice d'Iphigénie chez Euripide avant Iphigénie SUI

somme munem mer

260

II. Iphigenie à Aulis................................ III. La parodos d'Iphigénie à Aulis....................

274 293

CHAPITRE

IX.

o as Qe



Du

des Dora

départ

En

d'Aulis

dede

257

au

débarquement

en

Troade.............................................. I. L'escale à Ténédos : Tennès....................... II. L'abandon de Philoctéte : Philoctèle................ III. Le débarquement en Troade : Prolésilas.............

299 303 308 317

CHAPITRE X. — La campagne avant l'Iliade : Palamede.....

337

CHAPITRE XI. — Autres épisodes légendaires mentionnés dans les Chants Cypriens................................... I. Épisodes des Posthomerica......................... 1) La mort de Polyxène........................ 2) La mort d'AsLyánax. 88 na E τὸν II. Légendes étrangéres au cycle troyen : les apologues de NoNEoP eon ru 2.0.0 u EUR DOUANES URGE

373

1) Antiope....................................

379

2) KEdipe. συν τούς ur 3) La folie d'Héradlés. oov

sui ERXUDR EN du à as an ex eras

377 378

4) Jhéses οὖ APER esa waren von nte warn cae 5) Le vin consolateur...........................

384 388

GONCEUSION us css

an mms

mascara

meurent

menus

365 368 368 371

à

391

I. Les légendes des Chants Cypriens dans le déroulement de l'oeuvre d'Eünpide,.s css ses cover ves eer s

393

II. Euripide et ses sources............................

403

1) LIlade eB som sos ERROR XAR a 2) Les Chants Cypriens...... s u cos os 3) Les autres poèmes épiques....................

403 404 410

4) Les lyriques................................

411

D) Les rHglqueE.

413

D) DIVEB

cs των

2599 ics EXG ἐκεῖ RE ERE Sons max are

EX ENS

EUN

7) Conclusions ir cese eus cues cesis exe were III. Les procédés d’adaptation......................... IV. Euripide, le mythe et l'actualité. ..................

417

419 421 440

TABLE

OO

RC

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INDICES............

RT

MATIÈRES

cam

cce

IL Auteurs ankiens.:;

II. Index général: TABLE

DES

DES

MATIERES

uuu 243.45

3:52 2: 2.4:

511

cine νυν εν εν νιν more RR

hm

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463 465

25

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467

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492

ACHEVÉ

SUR

D'IMPRIMER

EN MARS 1966 LES PRESSES DE

L'IMPRIMERIE LIMOGES

A.

BONTEMPS

(FRANCE)

DÉPÔT

LÉGAL:

IMPR.

Îe TRIMESTRE 1966

N. 6105, Éprr.

u. 1237