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French Pages 256 [240] Year 2018
Né au Nord-Est du Tchad, Ahmad TABOYE est enseignant chercheur au département de lettres modernes à l’Université de Ndjamena. Il a publié chez L’Harmattan le Panorama critique de la littérature tchadienne d’expression française. Émergence de la production de la littérature en langue française au Tchad est son second ouvrage critique.
Etudes africaines Série Littérature
Illustration de couverture : Germination – production, Adji Moussa ISBN : 978-2-343-13658-5
25,50 €
Ahmad Taboye
Ce travail constitue la publication de notre thèse présentée à l’Université de Ouagadougou 1, Joseph Ki-Zerbo, intitulée : « Naissance d’une littérature nationale : L’exemple du Tchad. » sous la direction du Professeur SANOU Salaka. À la lumière de la sociocritique, nous visons à présenter ici une monographie attendue mais pas encore réalisée sur la production de la littérature au Tchad. Notre travail ne vise pas à donner une étude de style, de poétique des textes des auteurs tchadiens, nous tenons à présenter la production dans les circonstances de son émergence par rapport d’abord à l’émergence de l’État-nation indépendant, à parler de sa fondation, de sa constitution, de son évolution et de son développement, mais aussi de ses auteurs, de sa diffusion, de sa réception et de ses conditions dans les instances de promotion et de valorisation. Il est question également de préciser la place de cette production de la littérature dans le programme d’enseignement général, dans les médias, dans les revues spécialisées et dans la recherche universitaire. Nous essayons de présenter au lecteur la production de la littérature au Tchad dans ses dimensions les plus précises possible pour nous, afin de lui permettre de s’en approprier et de lui donner la place qui lui revient dans le concert des littéraires nationales d’Afrique.
Série Littérature
Ahmad Taboye
Émergence de la production de la littérature en langue française au Tchad
Émergence de la production de la littérature en langue française au Tchad
Etudes africaines
Émergence de la production de la littérature en langue française au Tchad
Émergence de la production de la littérature en langue française au Tchad
Collection « Études africaines » dirigée par Denis Pryen et son équipe
Forte de plus de mille titres publiés à ce jour, la collection « Études africaines » fait peau neuve. Elle présentera toujours les essais généraux qui ont fait son succès, mais se déclinera désormais également par séries thématiques : droit, économie, politique, sociologie, etc. Dernières parutions Kossi FANAGNO, Essai d’ethnopsychiatrie, Psychiatrie et psychologie avec les traditions des peuples, 2018. Dédé WATCHIBA, Evaluation systémique de la politique publique en matière de lutte contre le sida en RDC, 2018. Sidy BA, Le péril de la pollution sur le fleuve Niger, 2018. Bernard-Gustave TABEZI PENE-MAGU, Justin KYANGA ASSUMANI & Augustin ASSANI NZOGU, Evaluation des enseignants par les étudiants en RD Congo, Est-ce la remise en cause de la liberté académique ?, 2017. Sariette et Paul BATIBONAK (dir.), Marché médiatique de la guérison divine au Cameroun, 2017. Jacqueline NKOYOK, Les processus de démocratisation des années 1990 et la sociogenèse des crises et dérives en Afrique, 2017. Vincent MOUTEDE-MADJI, Exploitation pétrolière et mutations spatio-économiques dans le Logone oriental (Tchad), 2017. Martin Fortuné MUKENDJI MBANDAKULU, Introduction à la bioéco-philosophie, De la philosophie brune à la philosophie verte, 2017. Sidy TOUNKARA, La multifonctionnalité de l’agriculture « périurbaine » au Sénégal, Intégrer les déchets organiques dans le système productif maraîcher, 2017. Guy Noël KOUARATA, Manuel de phonologie des langues bantoues du Congo, 2017. Abdourahamane OUMAROU LY, Partis politiques, démocratie et État de droit en Afrique : l’exemple du Niger, 2017. Désiré BALABALA, Le mariage coutumier chez les Budu en République Démocratique du Congo, 2017. Ibrahima TRAORÉ, L’État de droit dans les Républiques du Mali et du Sénégal, 2017. Nathalie VUMILIA NAKABANDA, La protection de la veuve en République Démocratique du Congo, Quelle effectivité ?, 2017.
Ahmad TABOYE
ÉMERGENCE DE LA PRODUCTION DE LA LITTERATURE EN LANGUE FRANÇAISE AU TCHAD
© L’Harmattan, 2018 5-7, rue de l’École-Polytechnique ; 75005 Paris http://www.editions-harmattan.fr ISBN : 978-2-343-13658-5 EAN : 9782343136585
DÉDICACE À tous les étudiants des universités du Tchad Et à tous ceux qui attendent l’émergence de la production de la littérature au Tchad.
REMERCIEMENTS Nous tenons à exprimer notre profonde gratitude à tous ceux qui ont contribué à la réalisation de ce travail. Nous pensons en priorité aux professeurs : – Salaka Sanou – Alain Joseph Sissao Et à – Mlle Fatou Ghislaine Sanou – Adji Moussa Et à ceux et celles qui nous ont aidé : – Hawa Tantine, mon épouse – Taboye Younous, mon fils – Nabil Fadli et – LéaPrévost, mes autres enfants
Introduction générale Le Tchad en tant qu’État « moderne » hérité de la colonisation a souffert d’une instabilité chronique et n’a connu de paix acceptable que depuis la fin de la guerre de février 2008. C’est en réalité à partir de 2010 et plutôt fin 2011 qu’il a amorcé sa renaissance. Dans le cadre de cette normalisation, de cette refondation-renaissance, tous les domaines de la reconstruction des bases du pays et de la nation (le social, le culturel, le politique, l’économique, le juridique et l’administratif…) ont démarré et présentent des contours identifiables. La littérature, la forme la plus élaborée de la culture, reste encore peu visible. Il importe donc de définir les contours de l’institution de la littérature du Tchad, sa structure, ses composantes, ses instances, ses auteurs, les œuvres et leur réception. L’émergence de la littérature nous conduit à épouser le concept de la sociologie de la littérature de Pierre Bourdieu, et de l’institution littéraire telle que définie par Jacques Dubois, étant entendu que la littérature n’est pas seulement le fait d’un surdoué illuminé, mais la création d’un auteur produit de sa société qui œuvre à améliorer l’esprit et les représentations de ce qui l’entoure et ce qui constitue et se produit pour cette société. La littérature, donc, doit être comprise comme sédimentation de plusieurs contingences culturelles, historiques, politiques, économiques et sociales qui concourent à son émergence, à son impression-édition, à sa composition, à sa diffusion, à sa promotion, à ses instances de valorisation qui la particularisent comme espace social spécifique avec ses enjeux et son autonomie. La sociologie de la littérature se propose d’étudier la littérature comme un fait social. Pierre Bourdieu considère 9
que le monde social dans nos sociétés modernes se divise en « champs », ce qui veut dire que les différentes activités sociales sont constituées en sous-espaces sociaux (champs politique, économique, artistique, culturel…) ainsi le champ littéraire. Ces différents champs sont hiérarchisés et leur importance vient des compétitions auxquelles se livrent les agents sociaux qui les composent. Pascale Casanova dans La République mondiale des lettres1parle de l’œuvre émergente comme : « pour prolonger la métaphore de Henry James “La superbe complexité” de l’œuvre mystérieuse pourrait trouver son principe dans la totalité invisible et pourtant offerte, de tous les textes littéraires à travers et contre lesquels elle a pu se construire et exister, et dont chaque livre apparaissant dans le monde serait un des éléments. Tout ce qui s’écrit, se traduit, se publie, se théorise, se commente, se célèbre serait l’un des éléments de cette composition. Chaque œuvre comme “motif”2, ne pourrait donc être déchiffrée qu’à partir de l’ensemble de la composition. Elle ne jaillirait dans sa cohérence retrouvée qu’en lien avec tout l’univers littéraire…Chaque livre écrit dans le monde et déclaré littéraire serait une infime partie de l’immense “combinaison” de toute la littérature mondiale ». Ainsi donc, une littérature émerge dès qu’il y a une production dans une société, de textes à visée esthétique avec un auteur qui signe son œuvre de son nom propre et dont participent des institutions et des individus qui produisent, consomment et jugent. Mais il ne faut pas considérer qu’une littérature émergente est une littérature nouvelle, née pour la première fois toute seule. Il y a forcément des contingences globales culturelles, 1
Édition du Seuil, 1999 et octobre 2008, p. 20. Henry James, Le motif dans le tapis, Arles, Actes Sud, 1997, traduit par E. Vialleton. 2
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politiques, historiques et sociales qui ont occasionné sa survenue. On pourrait donc dire que l’institution littéraire du Tchad est l’émanation et l’une des conséquences du champ littéraire francophone africain. Aussi, notre démarche, à travers la sociologie de la littérature et du concept de l’Institution littéraire, prendra en compte tout d’abord l’analyse monographique des littératures émergentes et donc de la question de l’émergence politique et l’émergence littéraire, c’est-à-dire l’émergence de l’État-nation en Afrique, véritable cadre et matrice d’émergence de la fondation, de l’évolution et du développement de l’Institution de la production littéraire. En partant de l’histoire de la formation de l’État, de son évolution, nous parlerons de la fondation et du développement de la production littéraire, de son cadre de reconnaissance et de valorisation jusqu’au niveau actuel de son action. À la lumière de l’histoire littéraire africaine, les Tchadiens n’ont pas publié d’œuvre littéraire avant l’indépendance du pays. Les premières œuvres de la production littéraire du Tchad ont été publiées en 1962 par Palou Bebnone et Joseph Brahim Seïd3 qui ont été relayés par des auteurs plus jeunes autour des années 80. Cette situation s’explique par l’histoire chaotique et le statut particulier du Tchad. C’est un territoire qui s’est fait progressivement, au hasard de la définition des frontières arbitraires posées par les colons pour constituer les États voisins. C’était un espace vague, au cœur de l’Afrique qui a réuni autour de trois grands royaumes « le Ouaddai, le Baguirmi et le Kanem Bornou », des peuplades éloignées 3
Palou Bebnone avec La dot, kaltouma et Mbang Gaourang, pour le concours théâtral interafricain de RFI en 1962 et Joseph Brahim Seïd avec un récit : Un enfant du Tchad, Présence africaine, 1962 et aux Éditions SEGEREP, l’Afrique actuelle, 1967 (collection dossiers littéraires de l’Afrique actuelle, 1).
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par l’espace et la tradition. Tout cela n’a pas pu favoriser très tôt la constitution d’un pays avec ses institutions fondatrices. L’Institution littéraire du Tchad se présente par rapport à une production, des auteurs, des œuvres avec des instances de production et de diffusion… que nous tenterons de présenter dans la suite de notre travail. Il nous apparaît que l’émergence de l’État-nation héritée de la colonisation à travers la conquête coloniale a précédé l’émergence de la littérature d’expression française du Tchad comme il faut préciser aussi que l’histoire littéraire et l’émergence de la littérature se confondent avec l’émergence de l’État-nation au Tchad et en Afrique. Il est établi que la littérature africaine d’expression européenne a fait ses débuts bien avant les années 50 avec des œuvres importantes : Force-bonté4de Bakary Diallo en 1926, Karim5, roman sénégalais de Ousmane Socé en 1935, Doguicimi6de Paul Hazoumé en 1938. Même si les années 50 sont un repère important dans l’histoire littéraire africaine, on doit considérer aussi que 1980 a constitué un tournant essentiel dans l’évolution thématique et poétique de la littérature francophone d’Afrique et que la littérature nationale émergente est l’un des nouveaux horizons. Nous avons eu l’idée de travailler sur la littérature tchadienne, quand nous avons terminé nos études de deuxième cycle en littératures francophones. Nous projetions de déposer une thèse de doctorat sur la littérature tchadienne, mais les événements de notre pays nous ont obligé à l’exil et nous avons dû prendre notre mal en patience et parer au plus pressé, c’est-à-dire nous 4
Paris, Larose, 1926. Paris, Nel, 1935. 6 Paris, Larose, 1938. 5
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occuper de notre petite famille. De retour au Tchad, nous avons repris l’enseignement à l’université et nous avons remarqué que les choses n’avaient pasévolué. Nous avons alors décidé de reprendre notre projet initial. Avec le réconfort de nos étudiants qui rêvent eux aussi de l’émergence d’une littérature nationale, nous avons repris notre projet de thèse. Notre objectif est d’apporter des éclaircissements sur tout ce qui est écrit par des Tchadiens et qui relève de la littérature, de faire connaître l’histoire de cette littérature, les auteurs, les œuvres, afin d’apporter une modeste analyse critique pour ouvrir la voie. Ce travail ne vise pas à faire l’étude de style, de poétique sur les textes de la production des auteurs tchadiens, nous cherchons avant tout à montrer, à faire voir, à mettre à proximité, à vulgariser, à présenter un corpus, à faire exister une monographie, à la rendre disponible et opérationnelle pour le lecteur et les étudiants, d’autant plus que cette production littéraire n’est pas assez visible, faute de travail critique ou de présentation publiés sur la littérature du Tchad. Le contenu des textes des auteurs tchadiens fera l’objet d’articles d’études scientifiques, où nous aurons l’occasion de proposer un travail de style, de poétique, à publier par la suite pour servir d’application à cette monographie que nous proposons ici. Nous visons aussi à encourager les étudiants tchadiens et surtout ceux des facultés des lettres et sciences humaines des Universités du Tchad, à choisir des sujets de mémoires de recherche en littérature tchadienne. À ce niveau où se pose pour nous la question essentielle de construire cette problématique de l’émergence de la littérature du Tchad, nous avons fait une découverte cruciale, celle d’un ouvrage : La littérature
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burkinabè. L’histoire, les hommes7, les œuvresdu Professeur Salaka Sanou. Cet ouvrage a été pour nous un repère important. Il pose la même question que nous nous posons, le même objectif : l’émergence d’une littérature nationale. Une méthode : l’histoire littéraire en rapport avec les productions et les hommes qui en sont les auteurs. C’est ainsi que, grâce à nos relations avec un ami universitaire burkinabé, nous avons pu joindre le Professeur Salaka Sanou qui a accepté de diriger nos travaux. Ce travail se présente en trois parties. La première partie : littérature et identité nationale, présente le Tchad, fait connaître son histoire ancienne, contemporaine et la problématique des conflits sociopolitiques qui explique la gestation difficile de l’Étatnation et les conditions de l’émergence de la littérature d’expression française, c’est aussi pour nous permettre de mieux poser les questions de notre recherche, à savoir la sociologie de la littérature, l’institution littéraire et le champ littéraire puis le concept des littératures nationales. Elle cherche également à définir et à clarifier les concepts clefs de l’identité, de la culture, de la nation et de l’État-nation. Elle essaie de préciser le rapport entre l’identité nationale et l’identité littéraire. Et de parler de l’écriture et de l’existence d’un projet national d’écriture chez les écrivains africains et les auteurs tchadiens. Puis à partir de l’Anthologie publiée par Léopold Sédar Senghor en 1948, des anthologies nationales et de la revue Notre librairie qui a commencé à parler de l’histoire littéraire africaine amontré le processus de construction des littératures nationales. Le concept de littérature nationale est le terme clef, c’est la raison pour laquelle nous allons suivre son évolution dans la conscience des écrivains africains, 7
PULIM, Limoges, 2000.
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depuis un repère important de la littérature francophone d’Afrique.
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La deuxième partie : l’état de la production littéraire au Tchad. Il s’agit, à travers l’histoire de l’émergence de l’État, de parler des fondements et de la constitution de la production littéraire au Tchad, des hommes et des œuvres, d’analyser les langues de l’écrit, des instances de diffusion, de promotion et de valorisation mais aussi de la biobibliographie des auteurs et enfin de la réception des œuvres. La troisième partie : l’analyse des genres, les principaux thèmes. Il s’agit de présenter brièvement le traitement des genres dans les œuvres mais aussi de mettre en exergue les thèmes principaux et récurrents de la production littéraire au Tchad, de parler donc du traitement du thème du pouvoir, de la littérature orale, du traitement des traditions orales, source et mémoire d’inspiration de la littérature écrite moderne, du thème des personnages. C’est pourquoi le premier chapitre ne comporte qu’un seul point dans cette dernière partie, étant entendu que le Panorama critique de la littérature tchadienne en langue française8traite largement de tous les genres. Le résultat que nous attendons c’est tout d’abord de combler un vide. La littérature tchadienne est peu présente dans les anthologies et revues consacrées à la littérature des États africains francophones. Il n’existe que deux livres de critique littéraire de Marcel Donon Bourdette sur la production des Tchadiens : – Les Enfants des brasiers, L’Harmattan, 2000 (œuvre critique sur la poésie tchadienne) ; – La Tentation autobiographique, L’Harmattan, 2002 (œuvre critique sur l’autobiographie). Il y a pourtant des écrivains tchadiens crédibles, puisque certains se sont confirmés en publiant plusieurs grands ouvrages. Beaucoup d’autres ont été reconnus dans 8
Éditions L’Harmattan, Paris, 2016.
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les résidences d’écriture et les concours internationaux de littérature.
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Nous avons répertorié plus d’une centaine d’œuvres littéraires, ce qui paraît insuffisant. Mais dans le contexte du Tchad, ce chiffre est assez significatif. Pour composer un corpus de la littérature tchadienne, nous avons procédé de la manière suivante : au commencement, il a fallu rechercher, retrouver et organiser tout ce qui est écrit par les Tchadiens et qui concerne la littérature. Au cours des investigations, nous avons trouvé beaucoup de textes, mais pas assez de choses sérieuses. Nous nous sommes rendu jusqu’à la bibliothèque de Radio France Internationale qui nous a renvoyé à la bibliothèque multimédia de Limoges où les manuscrits ont été déposés. Mais, pour pouvoir disposer de certaines œuvres restées à l’état de tapuscrit, il nous a fallu user de stratagèmes. Nous avons utilisé la formule de prêts interbibliothèques. À ce niveau de nos recherches, il nous a semblé faire une exhumation ; ces œuvres retrouvées étaient en train de disparaître sans laisser de trace. Notre investigation terminée, il s’est posé à nous la question de la définition des critères de sélection des ouvrages ainsi rassemblés. Nous avons opté pour les œuvres publiées par des maisons d’édition reconnues, puis celles retenues dans le cadre des concours littéraires internationaux, comme le concours théâtral interafricain et le Concours de la meilleure nouvelle de langue française de Radio France Internationale. Nous avons aussi pris en compte les œuvres produites lors de résidences d’écriture et publiées. Notre objectif étant de ne garder que les œuvres retenues après l’avis d’un comité scientifique et académique. Ainsi, nous avons sélectionné près de quatrevingt-dix œuvres littéraires écrites en cinquante-trois ans par une cinquantaine d’auteurs. Nous avons d’abord travaillé sur chacune des œuvres et produit une note de lecture. Le but était de faciliter et de 18
mettre à proximité ces ouvrages qui n’existaient pas toujours sur les rayons des bibliothèques et des librairies. Nous avons ensuite fait un classement par genre et par auteur et nous avons confronté le corpus ainsi constitué au concept de l’émergence d’une littérature nationale, étant donné qu’il est difficile de séparer la littérature de la culture. Nous avons essayé de poursuivre l’évolution du concept de littératures nationales et de la nation depuis cette période, représentée dans l’Anthologie de Senghor, jusqu’à l’émergence des anthologies dites nationales et de la revue Notre Librairie. Nous avons aussi cherché à savoir si les anthologies nationales africaines et si les œuvres littéraires écrites par des auteurs tchadiens portent aussi sur un projet national d’écriture. Notre démarche s’apparente, dans une certaine mesure, et surtout du point de vue du regroupement des œuvres et des auteurs, à la démarche de conception des anthologies tant sur les raisons que sur les objectifs communs qui consistent à faire voir, à mettre disponibles, à vulgariser des corpus qui n’existaient pas auparavant. Nous avons également essayé d’ouvrir quelques pistes de réflexion sur la thématique de la production littéraire du Tchad. Notre travail tel qu’il se présente attend des approfondissements que nous nous proposons de présenter dans la suite de notre travail.
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PREMIÈRE PARTIE
LITTÉRATURE ET IDENTITÉNATIONALE
Chapitre I Problématique et méthodologie I.1- Présentation du pays La présentation du Tchad, de son histoire et des conflits armés au début de cette partie de notre travail vise à faire connaître le pays mais aussi à mieux appréhender la gestation de l’État-nation qui a constitué le préalable à l’émergence de la littérature du Tchad en langue française. L’émergence de la littérature du Tchad nous amènera à parler du concept de la sociologie de la littérature et donc du champ littéraire de Pierre Bourdieu et de l’institution de la littérature de Jacques Dubois. La définition des concepts comme la culture, la nation, l’État et l’État-nation nous aidera à mieux cerner le rapport entre l’identité nationale et l’identité littéraire. Nous parlerons aussi de l’écriture et du projet national d’écriture chez les écrivains africains et les auteurs tchadiens. Puis nous poursuivrons le processus de construction des littératures nationales à partir de l’Anthologie de L. S. Senghor, des anthologies nationales et de la revue Notre Librairie. Le Tchad se situe en plein cœur de l’Afrique et fait donc partie de la sous-région de l’Afrique centrale. Il est limité au nord par la Libye, à l’est par le Soudan, au sud par la République centrafricaine, au sud-ouest par le Cameroun et à l’ouest par le Nigeria et le Niger. C’est un pays totalement enclavé. Le port le plus proche est celui de Douala au Cameroun. De par sa position géographique et son enclavement, le pays est soumis à tous les aléas économiques et frontaliers. Le Tchad constitue un point de
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passage entre l’Afrique du Nord et l’Afrique noire. Sa capitale est N’Djamena. D’une superficie de 1 284 000 km², le Tchad s’étend sur 1 700 km du nord au sud et 1 000 km d’est en ouest. C’est le 5e plus vaste pays d’Afrique après le Soudan, l’Algérie, la République démocratique du Congo et la Libye. Les langues sont très nombreuses et regroupées en une douzaine de groupes linguistiques. Le français et l’arabe sont les deux langues officielles. Le français est largement utilisé dans les agglomérations et par les élites. L’arabe sert de langue véhiculaire tandis que le sara joue le même rôle dans la zone méridionale du pays. Les parties septentrionale et centrale ont pour religion l’islam implanté au Tchad depuis le XIe siècle, mais propagé dans les campagnes à partir des XVIe et XVIIe siècles. Au sud se concentrent les chrétiens catholiques et protestants. Les religions traditionnelles sont encore vivaces tant au nord qu’au sud. L’histoire ancienne Le Tchad précolonial se compose de trois grands royaumes : l’Ouaddaï au nord-est, le Kanem-Bornou au nord-ouest et le Baguirmi au centre et sud-ouest. Les trois royaumes constituent, chacun en ce qui le concerne, un État ethnico-national, parce que chacun est doté d’un instrument de coercition, d’un appareil de pouvoir (directif et administratif), consolidé par les liens lignagers, territoriaux et personnels. Le sentiment ethnique et l’idéologie ethnico-nationale assurent la cohésion et l’identité de chaque royaume. Ces royaumes coexistent en se faisant perpétuellement la guerre et en se jouant de la vassalité. Il leur est arrivé, entre le XVIe et le XIXe siècle, de contrôler ensemble les routes des esclaves menant au nord. C’est au cours de cette période que le Ouaddaï a 24
dominé tous ces royaumes et en fit ses vassaux. Ainsi, le Tchad précolonial comptait trois États ethnico-nationaux qui, à un moment donné, ont constitué un empire sous l’emprise du Ouaddaï. Rabah, le grand conquérant qui avait soumis le Kanem et le Baguirmi, n’avait pas réussi à conquérir le royaume du Ouaddaï. À l’arrivée des colons français, les royaumes sahéliens étaient structurés. La colonisation s’est appuyée sur les populations du Sud face à la résistance opposée par les royaumes islamisés du Sahel. Les expéditions françaises font leur jonction au bord du fleuve Chari. L’esprit ethnique, clanique, tribal résiste à la politique d’assimilation. Rabah a décidé d’entrer en guerre contre la France. Trois missions françaises seront dès lors envoyées au Tchad : La première est partie d’Alger avec le commandant Lamy et un colon algérien Fourreau ; La deuxième a été envoyée du Soudan avec Jaolland et Meynier ; La dernière du Congo avec Émile Gentil. Mais ces expéditions ne sont pas arrivées à faire la reconquête du Tchad d’un seul coup. Tous les trois royaumes, dans un sursaut nationaliste, se sont opposés aux Français. La France a fait face à une gestion difficile en prenant possession du territoire du Tchad. Le sentiment ethnico-national n’avait pas disparu, il s’est même transformé en sentiment ethnique qui a survécu et coexisté avec le nouveau système, le modèle occidental d’un État structuré et élaboré ailleurs. Le commandant Lamy et Rabah ont été tués le 22 avril 1900 à Kousseri (Cameroun). Après la mort de Rabah et du commandant Lamy, les hostilités se sont prolongées encore durant une quinzaine d’années. Le Ouaddaï ne se ralliera qu’en 1913 et le Borkou-Ennedi-Tibesti ne sera soumis qu’en 1916. Le futur territoire du Tchad est devenu colonie française 25
seulement en 1920. C’est à partir de cette date que nous pouvons parler du début de l’imposition de l’État-nation voulu par le colon et qui s’appellera Tchad. Le 26 août 1940, le territoire du Tchad s’est rallié le premier à la France libre du général de Gaulle sous l’impulsion du général Félix Éboué. Après la Seconde Guerre mondiale, les populations du Nord et du Centre ont pris conscience de leur mise à l’écart. En 1956, la loicadre Gaston Deferre a accordé une autonomie interne aux anciennes colonies. Le 26 octobre 1958, l’Assemblée territoriale a opté pour le statut d’État membre de la Communauté. Le 28 novembre 1958, le Tchad est proclamé République et le 11 août 1960, il devient indépendant avec comme président, François Tombalbaye. L’histoire contemporaine Le Tchad semble s’être constitué en faveur des frontières tracées au gré des tiraillements des colonisations française, allemande et anglaise. Cet espace, resté donc comme une clairière en plein cœur de l’Afrique, est devenu le Tchad. Une anecdote raconte que le Tchad veut dire « tout ça là », « toute cette étendue-là », en langue arabe du Chari Baguirmi, région de l’actuel N’Djamena. Le colon, confronté à cette immensité, aurait demandé aux habitants des rives du lac Tchad : « Tout ça, c’est à vous ? » Les habitants auraient répondu : « Oui, tchatta ké ! » est à nous, en faisant de grands gestes des bras pour montrer toute l’étendue. Ce territoire a été divisé en 14 préfectures et sous-préfectures et administré par les Français jusqu’à l’indépendance en août 1960. Les différents régimes qui se sont succédé ont conservé ce découpage jusqu’à l’avènement de la démocratie et de la décentralisation à partir de décembre 1990. Le Tchad actuel compte 23 régions, 72 départements, 244 sous26
préfectures et environ 800 cantons. L’État du Tchad dans ses frontières actuelles est une création de la colonisation européenne. Mais l’espace tchadien possède une histoire riche et relativement bien connue. Il est sans doute un des berceaux de l’Humanité avec la découverte de Toumaï (hominidé). C’est ainsi que les écrivains africains traitent de ces identités multiples en train de se faire avec un certain réalisme ou de l’humour, ou encore de violence dans leurs œuvres de fiction. L’écriture des Africains rend compte de l’aventure de la modernité, dont les écrivains ne peuvent s’empêcher de montrer l’étendue. Georges Ballandier, dans Le Détour : pouvoir et modernité9, affirme que « La modernité est une aventure, une aventure vers des espaces sociaux et culturels, pour une large part, inconnus, une progression dans un temps de rupture, de tensions et de mutations. Il faut apprendre à devenir les explorateurs de ce temps-là, afin de ne pas lui être totalement soumis et consentir à une impuissance qui remplacerait le pouvoir par le hasard10. » Il va de soi que pour Ballandier parler de modernité, c’est parler aussi de pouvoir. La responsabilité consiste à assumer, à gérer le présent en vue d’un destin meilleur. N’est-ce pas le rôle aussi de l’écrivain qui, à travers le texte, reprend le contexte culturel qui est le sien pour le transcrire, le faire voir, s’en imprégner pour mieux l’assumer ? Il jette le pavé dans la mare, crée la situation véritable qui appelle des solutions. L’importance de la modernité et du pouvoir est une préoccupation permanente, dans la mesure où les États-nations sont en perpétuel devenir. Dans la littérature tchadienne comme dans toutes les littératures d’Afrique, le thème du pouvoir et les thèmes qui s’attachent à la gestion de la modernité
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Paris, Fayard, 1985, 270 p. Idem, 22.
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foisonnent. Nous verrons plus tard dans quelle mesure ils sont traités dans les écrits des Tchadiens. Le pouvoir politique et les conflits armés Devenu République autonome en 1958, le Tchad a accédé à l’indépendance le 11 août 1960 sous la présidence de François Tombalbaye. Celui-ci a dû bientôt faire face à la révolte des populations du Nord en majorité musulmane. Ce qui l’a amené à solliciter l’aide des troupes françaises en 1968. Après l’assassinat de Tombalbaye en 1975, le pouvoir revient au général Félix Malloum qui a cédé la place au nordiste Goukouni Oueddeï à la suite de la première bataille de N’Djamena en 1979. En 1980, la seconde bataille de N’Djamena a permis à Goukouni Oueddeï d’évincer son rival, Hissein Habré, avec l’aide décisive des troupes libyennes. En 1990, Hissein Habré a été chassé du pouvoir par Idriss Déby Itno qui est en place et qui préside à la destinée du pays. Ce régime démocratique bénéficie aujourd’hui du soutien de la France et de la communauté internationale face aux divers mouvements de rébellion qui seraient plus ou moins encouragés par le Soudan voisin, en liaison avec le conflit du Darfour. Le nouveau chef de l’État, dans sa déclaration du 4 décembre 1990, a ouvert la porte à la démocratie multipartite. Ainsi, le nouveau régime s’est doté d’abord d’une Charte nationale promulguée le 28 février 1991. Elle a mis en place le pouvoir provisoire qui, en dépit de nombreux événements douloureux tant internes qu’externes, a conduit le pays à la Conférence nationale souveraine (CNS), forum tant attendu par le peuple tchadien. De ces conclusions, une Charte de transition régissant la vie nationale et un cahier des charges servant de programme politique du gouvernement ont été élaborés. La Charte de transition met en place trois 28
organes de transition : le président de la République, le Premier ministre et le Conseil supérieur de la transition (Parlement provisoire). Par ailleurs, elle fixe la période de transition à un an avec possibilité de la reconduire une seule fois. La démocratisation initiée par la déclaration du 4 décembre 1990 a ouvert la voie à la création des partis politiques, à l’émergence d’une presse libre et au développement des associations de la société civile. La réorganisation de l’appareil de l’État, les tentatives visant à assainir la crise économique, financière et les tensions sociales ont lourdement pesé sur la période de transition fixée par la CNS. C’est ainsi que les acteurs politiques issus de cette CNS ont usé de l’article 108 en prorogeant deux fois la période de transition d’une année chacune. À l’issue de cette transition, l’on débouchera sur la mise en place des nouvelles institutions issues des élections libres et transparentes. Le Tchad était un État unitaire fortement centralisé. Cette centralisation de pouvoir de décision est l’un des maux dont souffre le pays depuis son indépendance, et la CNS (Conférence nationale souveraine) a préconisé une forte décentralisation avec possibilité de division administrative du pays en régions ou départements. Le type de régime retenu par la CNS pour régir la société tchadienne est un système parlementaire rationalisé, séparant les pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire. La CNS a reconduit la plupart des prérogatives antérieures du président de la République. Il est le chef de l’État, chef suprême des Armées et celui de l’Administration. Il assure la continuité de l’État. Il est le garant de l’unité nationale, de l’indépendance nationale, de la magistrature, de l’intégrité territoriale et du respect des traités et accords dont le Tchad est partie prenante. Il préside également le conseil des ministres.
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I.2- Problématique et méthodologie Le Tchad, État indépendant depuis 1960, a toujours vécu dans une instabilité chronique à cause de la difficile maîtrise de l’État-nation en gestation. C’est seulement à partir de 2008, dernière guerre de positionnement entre les entités politico-militaires et le pouvoir légitime qu’il est rentré dans la phase décisive de normalisation et a amorcé sa renaissance. Dans cette renaissance-refondation qui restructure les instances fondatrices de l’État, toutes les institutions constitutives de l’État ont commencé leurs fondations, fonctionnent bien et contribuent à consolider les piliers d’un Tchad émergent, mais l’institution de la littérature, expression la plus élaborée de la culture des communautés du Tchad, n’est pas encore assez visible. Il nous apparaît donc nécessaire et très important d’essayer de travailler sur l’émergence de la littérature du Tchad. La littérature, activité intellectuelle de l’écrivain, luimême produit de la société, reflète partiellement ou en totalité la réalité de son milieu, à travers des représentations, émanation de toute la société. La littérature, en cela, ne peut être l’œuvre d’un illuminé, d’un érudit ou d’un surdoué. La littérature est une construction, une constitution, un ensemble d’instances qui font d’elle une exception et une distinction par rapport aux normes existantes. Elle contribue à améliorer les conditions socio-politiques-historiques du groupe social, puisqu’elle tente d’apporter une critique sur cette réalité pour mieux la voir et la dépasser. À ce titre la littérature, en tant qu’institution fondatrice et constituante, mérite et doit être connue, décrite et précisée dans sa formation, son évolution et ses projections ; de même il est nécessaire de faire connaître ceux qui la font, les œuvres qui la représentent et toutes les instances de sa promotion et de 31
sa valorisation. L’émergence de la littérature en langue française au Tchad nous conduit à adopter la problématique de la sociologie de la littérature de Pierre Bourdieu et le concept de l’institution de la littérature de Jacques Dubois. Pierre Bourdieu (1930-2002) est le sociologue français le plus connu de la deuxième moitié du XXe siècle. Sa pensée est dominée par l’analyse des mécanismes de reproduction des hiérarchies sociales. Les activités sociales dans nos sociétés modernes, selon Bourdieu, se divisent en « champs ». Ce qui signifie que les activités sociales conduisent à la constitution de sous-espaces sociaux : Le champ artistique, économique, politique… Le champ littéraire, comme les autres champs, se dote d’une autonomie relative envers la société et le dynamisme de ces champs provient de la lutte à laquelle se livrent ses agents pour garder une position dominante et autonome vis-à-vis des autres espaces sociaux. Jacques Dubois, Professeur émérite à l’université de Liège, avec L’Institution de la littérature11 a apporté une dimension nouvelle dans la compréhension de la littérature : la compréhension de la littérature dans sa matérialité, la littérature débarrassée de ses mythes et de ses rituels. Il a examiné la littérature comme un fait social dans son processus de construction, avec ses instances de diffusion, de promotion et de valorisation. R. Escarpit, Professeur à l’Université de Bordeaux, publie un Que sais-je ?en 1958 et fonde en 1960 le Centre de sociologie des faits littéraires. Il déclare que « la littérature ne se définit pas par des faits internes à l’œuvre mais par son usage non utilitaire ». Il semble ainsi privilégier l’aspect externe de l’œuvre sur son aspect interne. Il avait publié aussi des enquêtes quantitatives sur 11
Éditions Nathan-Labor, Paris/Bruxelles, 1978.
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les processus de production et de consommation du livre pris dans leur dimension économique. C’est peut-être pour cela qu’Alain Viala en 199312 fait remarquer que « l’entreprise de Robert Escarpit était mieux acceptée parce que périphérique, elle respectait la hiérarchie des objets : l’interprétation des textes demeurait l’apanage des critiques, les sociologues ne se préoccupant que des faits littéraires. » Mais Fabrice Thumerel fait remarquer : « Parce qu’elle (la sociologie du champ littéraire) tente de dépasser les antinomies entre interne et externe, objectivisme et subjectivisme, et qu’elle entend rendre compte à la fois de la production […] et de la réception des œuvres, des objets littéraires […] la sociologie du champ littéraire se présente comme une approche totalisante de la 13 littérature . »Comme il cite aussi Jean Rohou, l’historien de la littérature qui s’inscrit dans la lignée de Bourdieu en préconisant : « (Une sociologie historique de la pratique littéraire)après avoir indiqué que cette expression de pratique littéraire est préférable à celle de vie littéraire et de phénomène littéraire, qui semblent désigner une chose existant par et pour elle-même, comme à celle de vie littéraire qui vise le seul résultat14. » La réflexion sur la littérature comme phénomène social est ancienne, elle remonte à Montesquieu avec De l’esprit des lois (1748) et à Germaine de Staël avec De la littérature considérée dans ses rapports avec les
12 Cité par Fabrice Thumerel dans son préambule au Champ littéraire français au XXe siècle, éléments pour une sociologie de la littérature, Armand colin/VUF, 2002. 13 Le champ littéraire français au XXe siècle, éléments pour une sociologie de la littérature, Armand Colin/VUF, 2002. 14 Idem, préambule au Champ littéraire français au XXe siècle, éléments pour une sociologie de la littérature, Armand Colin/VUF, 2002.
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institutions sociales (1800)15. Mais elle s’est fondée en France comme discipline adoptant des méthodes scientifiques autour de Durkheim à la fin du XIXe siècle. Elle a aussitôt provoqué des confrontations avec les défenseurs de la tradition littéraire traduisant ainsi la concurrence entre les écrivains et les sociologues pour le monopole sur le discours social. La littérature est définie en général, comme suit : le mot français « littérature » vient du mot latin litteratura dérivé de littera qui veut dire « lettre », au sens de signe graphique servant à transcrire une langue… Il apparaît au début du XIIe siècle avec un sens technique de « chose écrite » puis évolue à la fin du Moyen Âge vers le sens de « savoir tiré des livres », avant d’atteindre au XVIIe-XVIIIe siècle son sens principal actuel : ensemble des œuvres écrites ou orales comportant une dimension esthétique. Jean-Paul Sartre, dans Qu’estce que la littérature ?16, répond à trois questions : Qu’estce qu’écrire ? Pourquoi écrire ? Pour qui écrire ? Il développe sa conception engagée de la littérature. Pour Sartre, en intellectuel engagé, la littérature ne pouvait se comprendre sans engagement de la part de l’écrivain, personnage important qui doit montrer le bon chemin à la société. Mais la littérature est toujours vécue dans ses croyances, comme un mythe, création d’un illuminé et qu’il n’y a entre l’écrivain et l’œuvre aucune interférence autre que le seul génie de l’auteur. Pascal Durand dans sa contribution aux Champs littéraires africains17(textes réunis par Romuald Founkoua et Pierre Halen avec la collaboration de Katharina Stadtler) en comparant l’apport de la biographie 15
Gisèle Sapiro, « Littérature – sociologie de la littérature », Encyclopédie Universalis (en ligne), consulté le 20 juin 2014. http://www.universalis.fr 16 (Essai) Éditions Gallimard, collection : La blanche, 1948. 17 Éditions Karthala, 2001.
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traditionnelle à la théorie des champs, déclare en parlant de la théorie des champs symboliques dans Les règles de l’art, genèse et structure du champ littéraire18de Pierre Bourdieu, « qu’elle constitue sans doute le meilleur antidote aux illusions du discours biographique ordinaire. » Cela « avalise une vision individualiste de la production littéraire et tend à faire de l’écrivain l’impulsion première et l’acteur presque exclusif du phénomène textuel… » Et il soutient : « Si l’auteur construit l’œuvre comme une fiction, l’œuvre elle-même construit une fiction de l’auteur et d’autre part, qu’entre ces deux fictions s’interpose ou s’enclave l’espace à l’intérieur duquel l’œuvre et l’auteur se sont réciproquement construits –à savoir l’espace littéraire, luimême partie englobée de l’espace social général ». Apportant même une nuance de complémentarité entre la théorie des champs symboliques de Bourdieu et L’Institution littéraire de Jacques Dubois. « Je propose, pour ma part, de réserver le mot d’Institution à l’infrastructure du système ; maisons d’édition et de diffusion, revues, journaux, cénacles très ritualisés, académies ; et de réserver par contre le terme de “champ” à tout ce qui, dans l’espace littéraire, relève du relationnel et de l’interactionnel, allant du système de dispositions intégrées par les agents à la mise en œuvre de ces dispositions dans des prises de positions esthétiques définies19. » Bernard Mouralis de l’Université de Cergy-Pontoise, dans Pertinence de la notion de champ littéraire en littérature africaine20, démontre l’intérêt et l’importance du choix de l’analyse en champ pour les littératures africaines, en partant de la vision globalisante de la 18
Paris, Seuil, coll. Libre examen, 1992. Les champs littéraires africains, Éditions Karthala, 2001. 20 Ibidem. 19
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critique au sujet des littératures africaines, considérées comme une réaction, une opposition généralisée au fait colonial et souligne plutôt la complexité dans leur spécificité de ces études littéraires africaines, d’où l’intérêt de l’analyse en champ. C’est pourquoi Adrien Huannou, dans son ouvrage La question des littératures nationales21,déclare : « On observe sur la question des littératures nationales d’Afrique noire, deux courants critiques : le premier, le plus ancien que nous qualifions de “Panafricaniste”, perçoit le champ littéraire africain comme un tout et ne tient pas compte de ce que chaque État africain constitue une entité autonome à la fois sur le plan politique, économique et culturel ; le second courant, apparu dans les années 70, considère qu’il existe en Afrique autant de littératures nationales que d’États. » Pour ce qui est de la littérature émergente du Tchad, nous adhérons au second courant critique tout en considérant que le courant « Panafricaniste » représente les mouvements de la négro-renaissance et de la négritude et jusqu’à plus tard, les littératures de combat contre le colonialisme. La production littéraire du Tchad est ainsi une littérature nationale dans la mesure où elle est née après l’indépendance, dans le cadre de l’État-nation. Le traitement de chaque littérature nationale doit se faire donc en tenant compte de sa spécificité historique, politique, économique et culturelle comme émanation d’un État à part entière et faisant partie des littératures nationales d’Afrique. C’est dans cette perspective que nous inscrivons notre réflexion sur le phénomène littéraire au Tchad. L’émergence de la littérature du Tchad intervient dans le cadre singulier d’une rupture, celle d’avec la tradition littéraire de l’Afrique mythique, l’Afrique mère, la nation mère, berceau de l’homme noir, représentée 21
Éditions CEDA, Abidjan, 1989, p. 14-30.
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principalement par les courants de la négro-renaissance et de la négritude. C’est du point de vue de la fondation de la production littéraire au Tchad, de son développement, de son évolution et de sa pérennisation mais aussi de son édition, de sa diffusion, de ses instances de reconnaissance et de valorisation et en partant surtout de l’émergence de l’Étatnation dans sa gestation complexe et difficile, comme préalable à l’émergence du champ littéraire que notre démarche adopte la théorie des champs de Pierre Bourdieu et de l’Institution littéraire de Jacques Dubois. Aussi l’État en gestation, dès sa fondation à la mort du commandant Lamy et du résistant Rabah, a poursuivi son évolution, son développement et sa structuration, dans le cadre administratif, politique, économique, militaire mais aussi et surtout dans le cadre de l’éducation. L’éducation est d’autant plus importante que l’on ne saurait développer un pays avec une population d’ignares, même si ce n’était pas l’objectif véritable de la colonisation. L’introduction de l’école en langue française dès 1923 à Mao et 1927 à Abéché a contribué à la formation d’agents qualifiés pour suppléer le colonisateur et a permis de produire des cadres capables de créer des textes de fiction, d’histoire… L’un des rôles principaux de l’État c’est aussi de consolider l’éducation, la culture, la littérature étant donné que la littérature est la forme la plus élaborée de la sensibilité culturelle des peuples. Aussi, l’émergence de l’État a précédé l’émergence de la littérature, qu’elle a aidée à se fonder, à évoluer, à se développer et à pérenniser. Nous allons nous employer à montrer l’émergence de la production de la littérature en partant de l’émergence de l’État, puis de poursuivre le développement de cette production nationale, dans la partie II de ce travail. Notre démarche est l’approche monographique des littératures 37
émergentes comme proposée dans le programme du RELIS (Réseau d’Études Littéraires du Sahel) de l’Université de Ouagadougou, proposée par le Professeur Salaka Sanou, en tant que cadre d’étude et de promotion. Salaka Sanou écrit : « On peut dire que c’est avec les indépendances de ses États que l’Afrique naît véritablement au monde, qu’elle s’impose à la communauté internationale…C’est ainsi que, petit à petit, avec l’émergence du continent lui-même émergeront des États aux destins différents et souvent opposés22. » La littérature émergente du Tchad intervient dans le cadre de l’État moderne indépendant, hérité de la colonisation. C’est donc d’une littérature nationale dont il s’agit. Littérature nationale pas parce qu’émanation du territoire Tchad, mais parce qu’elle rend compte aussi de réalités autres que celles jusqu’ici décrites par la littérature africaine francophone. Une littérature qui passe du général au particulier, celle des destins singuliers issus de préoccupations nouvelles, celle d’une Nation nouvelle qui se forme, se compose et se constitue. Faisant suite dans son analyse, Salaka Sanou poursuit : « En Afrique, l’actualité littéraire impose à l’analyste des auteurs, des œuvres et des pays dont la présence est d’autant plus remarquable qu’ils étaient absents du champ littéraire auparavant. » La littérature nationale, la littérature émergente du Tchad n’est pour autant pas une création nouvelle née un jour, quelque part au Tchad. Elle est la résultante du champ littéraire africain francophone qui, bien avant et après les années 50, a créé les précédents et les conditions d’un champ littéraire africain francophone, lui-même
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« Études littéraires africaines et littératures émergentes : Quelles méthodes ? » Analyse consultée dans le Journal des africanistes, mis en ligne en mars 2012 : http://africanistes.revues.org/2801
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émanation du champ littéraire français et du champ littéraire universel .Ici intervient la question du décentrement et de la périphérie. Il est établi que la littérature francophone prend ses marques d’après les normes de Paris. La France est le centre intellectuel francophone par rapport auquel sont reconnues et promues ou rejetées toutes œuvres d’écrivains francophones. La littérature émergente reste marquée donc par ces deux caractéristiques fondamentales : l’hétérogénéité et la périphérie ou le décentrement. L’hétérogénéité s’explique par le fait que chaque littérature nationale en Afrique a ses spécificités. Il n’y a donc pas de modèle unique applicable aux littératures dans les pays africains. Le décentrement peut être compris comme un processus par lequel le paysage littéraire se transforme et développe à la périphérie de nouvelles notions littéraires, comme les littératures émergentes mais qui restent attachées au même centre. C’est ainsi que Pierre Soubias, de l’Université de Toulouse-Le Mirail, dans son article : « La question du destinataire dans Les Soleils des indépendances » d’Ahmadou Kourouma23, explique les difficultés d’édition du manuscrit « des soleils ». Pour lui, Kourouma aurait écrit un roman sans se soucier du fait qu’il ne fait pas partie du cénacle, qu’il est de formation scientifique et qu’il avait une personnalité d’insoumis et d’exilé. Il n’a pu être édité que grâce à « la marge » car c’est au concours de la francophonie à Montréal qu’il a été sélectionné puis racheté par Le Seuil à la presse universitaire de Montréal. Les champs littéraires en francophonie prennent la dénomination d’aire : l’aire du Québec, l’aire de la Belgique, l’aire du Maghreb et l’aire de l’Afrique noire. C’est aussi de là que vient le conditionnement géographique d’une certaine littérature négro-africaine, 23
Les champs littéraires africains, Éditions Karthala, 2001.
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maghrébine…comme si la francophonie sert à donner des ancrages hors de France aux autres littératures qui s’expriment en français et tient surtout à les identifier comme telles. C’est pourquoi Paul Aron de l’Université libre de Bruxelles, dans sa contribution aux Champs littéraires africains de Romuald Fonkoua et Pierre Halen, relève que « la francophonie, fait littéraire international, reste centrée sur le champ littéraire français » et que les champs littéraires minorés continuent d’exister dans le système mais aussi par rapport au décentrement parisien. Il explique par ailleurs la spécificité du champ littéraire français par la singularité de son organisation : –Géographiquement, Paris n’a pas d’équivalent dans les cultures germanique, anglo-saxonne ou hispanique, c’est « l’effet capitale propre à Paris ». –Institutionnellement à cause de la concentration des structures de production, de légitimation et de la consécration dans un seul lieu. –Culturellement à cause de la relation des écrivains et les fondements symboliques du pouvoir qui ont survécu à tous les aléas de la vie politique. –Linguistiquement, parce qu’en uniformisant les règles de la langue écrite, presque tous les traits dialectaux sont minimisés. Au regard de ce qui précède et pour rester dans le cadre des littératures émergentes, les études littéraires africaines ou la critique africaine gagneront en analyse si elles adoptent la méthode proposée par Salaka Sanou à travers la présentation du Réseau d’ÉtudesLittéraires Sahélienne (RELIS) de l’Université de Ouagadougou, dans le même article24. Il propose : « Notre analyse sera axée sur l’étude 24
« Études littéraires africaines et littératures émergentes : Quelles méthodes ? »
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des relations entre émergence politique et émergence littéraire d’une part et d’autre part des propositions d’approches qui nous permettront de présenter le RELIS comme cadre de promotion des littératures émergentes du Sahel. » Pour Salaka Sanou, l’examen du programme de recherche du RELIS dégage trois axes théoriques qui peuvent rendre compte valablement « de la réalité et de la nature des littératures émergentes d’Afrique. » –l’approche monographique et il s’agit ici des littératures émergentes au pluriel, c’est la perspective des littératures nationales ; –l’histoire littéraire nationale ; –la perspective comparatiste. L’approche monographique prend en compte « trois points d’analyse qui sont l’institution, les cadres de promotion et la connaissance de l’écrivain. » L’histoire littéraire nationale des pays émergents cherche à « analyser les effets (négatifs ou positifs) de l’histoire politique du pays, de la mise en place de l’institution littéraire, la contribution de l’État et aussi des écrivains à ce processus. » En France, la constitution de l’institution de la littérature semble visible à travers des repères distincts : la littérature du Moyen Âge a bien marqué son temps, puis la littérature du XVIe siècle, à travers la Renaissance avec des grands noms comme Du Bellay, Ronsard, Rabelais…inaugure son ère propre. Au XVIIIe siècle, le romantisme, en s’opposant au classicisme, impose sa place et sa spécificité avec des règles différentes. Et de la fin du XVIIIe au XIXe et au XXe, le symbolisme, le surréalisme…dénoncent les valeurs de tout ce qui précède et défendent leurs propres apports. Mais l’autonomie véritable s’est amorcée, selon Alain Viala dans Naissance
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de l’écrivain25 à partir du XVIIe siècle avec la création de l’Académie française et sa législation littéraire spécifique mais aussi grâce à la professionnalisation de la fonction de l’écrivain, dans la mesure où on reconnaît désormais l’œuvre comme le fruit d’une production et comme une valeur marchande. Pierre Bourdieu considère que l’autonomisation du champ littéraire a évolué au cours du XIXe siècle et a atteint son apogée à la fin du siècle lors de l’intervention d’Émile Zola à l’occasion de l’affaire Dreyfus, « lorsqu’elle a imposé les valeurs de son champ au champ politique26 ». Fabrice Thumerel déclare dans Le champ littéraire français du XXe siècle27, que « tandis que Pierre Bourdieu rapproche cette notion (champ littéraire) de celle de “République des lettres” définie par Bayle au début du XVIIIe siècle, Pascale Casanova élargit cette République des lettres à l’échelle du globe,[…]cette République des lettres n’est pas une construction abstraite et théorique, mais un univers concret bien qu’invisible : ce sont des vastes contrées de la littérature, l’univers où s’engendre ce qui est déclaré littéraire. Ce qui est jugé digne d’être considéré comme littéraire, où l’on dispute des moyens et des voies spécifiques à l’élaboration de l’art littéraire. » La littérature émergente du Tchad est donc née dans le sillage du champ littéraire francophone d’Afrique dont elle peut être considérée comme la périphérie, comme le champ littéraire francophone africain, québécois et belge, qui sont en décentrement avec le champ littéraire français. 25
Les éditions de Minuit, 1985. Joseph Jurt, original beifrag erschenen in. 2001, Literary and society, KEUNEN BART hrsg, ort. Peter Lang/Bruxelles, 2001, Encyclopædia Universalis, consulté en 2007. 27 Fabrice Thumerel, Le champ littéraire français du XXe siècle, éléments d’une sociologie de la littérature, Armand Colin/VUEF, 2002. 26
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Il convient alors de décrire l’institution de la littérature du Tchad comme une construction en processus, depuis l’avènement de la colonisation, de l’acquisition de la langue française avec l’ouverture de la première école au Tchad, puis la publication des ouvrages précurseurs en 196228 et la constitution suivie d’une production littéraire au Tchad. Il faut observer aussi qu’au regard du processus de l’émergence de l’institution des littératures en Afrique et de son développement, l’histoire de l’État émergent, l’histoire littéraire et l’émergence de la littérature se confondent. Ils participent d’un seul et même processus, celui de la constitution de l’État-nation en Afrique. Romuald Founkoua dans Les champs littéraires africains29écrit : « l’étude des littératures africaines n’est sans doute pas un domaine très ancien parmi les disciplines qui relèvent des humanités… du moins si l’on entend par l’expression de “littératures africaines” celles qui, rédigées dans des idiomes hérités de la colonisation, mais aussi bien dans des langues du continent, procèdent d’une langue qu’on peut qualifier de moderne… Par cet adjectif, entendons qu’elles sont dues à l’autorité d’un individu singulier, qui les marque de son nom propre, qu’elles sont écrites plutôt qu’orales, qu’elles sont aussi imprimées et donc susceptibles d’être largement diffusées (vendues, achetées, distribuées). Par-là, elles ont pour fin d’être lues, d’une lecture qui, dans l’actualisation de sa performance, fait intervenir à nouveau un individu, et elles deviennent enfin l’objet d’une critique, qui, en principe, se 28
Palou Bebnone avec Kaltouma, La dot et Mbang Gaourang, trois pièces de théâtre publiées dans le cadre du concours théâtral interafricain de Radio France internationale. Un enfant du Tchad, une autobiographie de Joseph Brahim Seïd, chez Présence africaine.
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Éditions Karthala, 2001.
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consacre à en analyser aussi objectivement que possible la teneur esthétique avant de les pérenniser, le cas échéant, dans la mémoire culturelle30 ». C’est à partir de l’avènement des indépendances que nous pouvons parler d’émergence de la littérature nationale. Même si l’on part de la prise de conscience des Afro-Américains et des Africains de France (la négro-renaissance et la négritude), c’est après les indépendances seulement que les écrivains africains ont entrepris de s’occuper principalement des problèmes de proximité, de tous les jours et à l’intérieur de territoires précis appelés Sénégal, Cameroun, etc. Il est clair qu’à l’avènement des indépendances, il y a eu comme un passage du général au particulier. On est passé de l’identité de l’Africain où l’Afrique est la nation-mère, à la recherche d’une identité plus particulière, de nations parcellaires, à l’intérieur de l’Afrique mère, celle de l’Étatnation, l’État hérité de la colonisation. La colonisation a divisé l’Afrique en territoires États qui se veulent nations. Cette forme de l’État imposée fait qu’elle a conditionné la forme de la nation à travers toutes ses manifestations dont la littérature écrite en langues européennes. Ainsi, chaque habitant d’un État se trouve conditionné dans la recherche et l’acquisition d’une nouvelle citoyenneté qui est celle de l’État-nation indépendant. Continuons à affirmer avec Salaka Sanou que : « le lien entre littérature et histoire dans les pays émergents est comme un cordon ombilical : autant l’État en tant qu’institution suprême d’une Nation, d’un pays participe à la mise en place d’une littérature nationale…Autant la littérature est un ferment du renforcement du sentiment national31. » Au Tchad comme en Afrique, c’est la forme de l’État qui a précédé l’émergence de la littérature. La 30
Idem, avant-propos. Études littéraires africaines et littératures émergentes : Quelles méthodes ? 31
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gestation de l’État nouveau dans ses conditions, ses contours, ses structures politiques, administratives, économiques, culturelles et sociales donne naissance à des comportements, à des positionnements, à des orientations telles que l’acceptation de l’école occidentale et donc l’acquisition des langues et de l’écriture, nouveaux traits identitaires qui rentrent dans la composition de cette forme du nouvel État. La littérature francophone du Tchad est née avec les indépendances africaines, ce qui la place dans le cadre très restreint de l’État africain indépendant qui marque déjà une rupture avec le concept de la littérature « négro-africaine », qui se place, lui, dans le cadre globalisant de l’Afrique-mère. C’est une rupture qui s’inscrit dans une « aventure », parce qu’elle constitue le passage d’une identité raciale, générale de l’homme noir à l’identité des destins particuliers, individuels rattachés à l’appartenance à des États indépendants. La littérature n’est donc pas seulement un mythe, elle n’est pas seulement le fruit du talent d’un génie aux idées lumineuses, la littérature est loin d’être l’expression innée d’êtres d’exception, mais elle est un aboutissement de processus multiples qui sont les contingences historiques et culturelles d’une communauté, l’idéologie de l’époque de l’écrivain, l’environnement humain et social. Elle répond à des besoins de concrétisation, de visibilité, de diffusion, d’instances de valorisation et de promotion pour être reconnue comme telle. Elle se développe et développe ses propres modes de fonctionnement. La littérature est une institution comme le démontrent Jacques Dubois dans L’Institution de la littérature32, et Salaka Sanou dans La Littérature burkinabè : l’histoire, les hommes, les œuvres33. Si l’auteur écrit et signe son 32
Les Éditions Labor, Collection « Espace Nord », Bruxelles 2005. PILUM (Presses universitaires de Limoges), Collection « Francophonies », 2000. 33
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œuvre de son nom, il se pose, pour lui, la question aussi de son profil propre, de l’édition, de la diffusion et du public dont dépend la réception de l’œuvre. En effet, pour être reconnue, la littérature a besoin d’instances de reconnaissance, de légitimation et de valorisation comme les revues littéraires, les émissions radiophoniques et télévisées, les conférences littéraires, l’introduction dans les programmes d’enseignement général. Pour ce qui est de la littérature francophone du Tchad, encore jeune, émergente et très peu diffusée, elle a besoin tout d’abord de maisons d’édition et de diffusion puis d’instances de reconnaissance et de promotion. Il faut dire aussi que le livre n’est pas encore devenu un objet familier et usuel que l’on peut trouver dans les milieux de vie de chaque famille tchadienne. C’est aussi un comportement, une mentalité à acquérir et à développer. La suite de notre analyse consistera donc à suivre dans la deuxième partie de notre travail, l’évolution de ces institutions : En partant de l’État en formation puis de la littérature, depuis l’époque coloniale de l’Afrique à l’avènement des États africains indépendants.
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Chapitre II Rapport entre l’identité nationale et l’identité littéraire II.1 - L’identité nationale et l’identité littéraire Le rapport entre l’identité nationale et l’identité littéraire au Tchad et en Afrique francophone s’appréhende dans le contexte colonial et par le fait que l’émergence d’une littérature se comprend à travers la gestation d’un État en formation où la littérature fonctionne comme un indicateur, un signe de la constitution d’une culture qui se compose et se consolide en exprimant justement ces deux entités émergentes qui s’auto-influencent. Cette littérature écrite émergente d’Afrique est donc tributaire des États émergents issus de la décolonisation. Il faut savoir que cette littérature est, entre autres, la conséquence de l’acquisition de la langue de l’écriture et des contingences historiques, culturelles, politiques intégrées au contact du colonisateur européen. La définition des termes clefs que sont l’identité, culture, nation, État-nation est d’autant plus importante qu’elle permet d’entrevoir la complexité de leur interpénétration, d’en saisir les nuances et de préciser les niveaux de leur intégration dans le cadre de l’émergence de l’État-nation et de l’institution de la littérature. L’identité nationale L’identité est difficile à cerner. Gottlob Frege (1894), dans Encyclopædia Universalis, observe : « puisque toute 47
définition est une identité, l’identité elle-même ne saurait être définie. L’identité vient du latin identitas, d’idem (le même), ce qui veut dire qu’une chose est la même qu’une autre, que deux ou plusieurs choses ne sont qu’une ou sont comprises sous une même idée34. »Le concept de l’identité est un terme où se rejoignent les approches les plus contradictoires. Nous retiendrons, dans un premier temps, la définition générale : Sous le terme identité, plusieurs idées se rassemblent. L’identité est attachée à la notion de permanence, de maintien de repères fixes, constants, échappant aux changements pouvant affecter le sujet ou l’objet, par le cours du temps. En deuxième lieu, l’identité s’applique à la délimitation qui assure de l’existence à l’État séparé, permettant de circonscrire l’unité, la cohésion totalisatrice indispensable au pouvoir de distinction. Enfin, l’identité est un des rapports possibles entre deux éléments par lequel est établie la similitude absolue qui règne entre eux, permettant de les reconnaître comme identiques. Ces trois caractères vont ensemble : constance, unité, reconnaissance du même35. L’identité des Noirs en Afrique est ressentie comme géographique, raciale, originelle, mais aussi comme image de soi et des autres. Selon Freud, l’identité prend son importance en liaison avec autrui comme objet d’amour ou de haine, de plaisir ou de déplaisir36…L’identité est en constante évolution, et comme tel, on peut considérer qu’elle a pu investir des objets tout le long de l’histoire de l’Afrique. Le contact 34 https://fr.wiktionary.org/wiki/identit%C3%A9, consulté le 2/03/2015. 35 Article écrit par Annie Collovald, Fernando Gil, Nicole Sindzingre, Pierre Tap dans EncyclopædiaUniversalis, 2012, version électronique, titre : « Identité et Signification de l’identité ». 36 Article écrit par Pierre Kaufmann dans Encyclopædia Universalis 2012, version électronique, suite de l’article sur : « Identité et Signification de l’identité ».
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avec le colonisateur a pu provoquer des traumatismes, mais également intégrer de nouveaux traits que l’on peut observer dans le comportement des Africains aujourd’hui. L’identification est un fait psychologique de l’autre, à la fois symbolique et imaginaire, parce qu’il s’agit de reconnaître autrui, de l’incorporer par rapport à sa propre identité. L’identité nationale est le sentiment qu’éprouve une personne à faire partie d’une nation. L’identité « désigne aussi l’ensemble des caractéristiques communes entre les personnes qui se reconnaissent comme appartenant à une même nation »37. La culture La culture, c’est globalement l’ensemble des habitudes d’un groupe humain donné. La culture, ce sont les règles, les comportements, les manifestations, la littérature, la religion, la philosophie, la(es) langue(s), ses représentations, ses valeurs… Lors de la conférence mondiale sur les politiques culturelles, à Mexico en 1982, l’UNESCO définit la culture comme suit : « La culture dans son sens le plus large, est considérée comme l’ensemble des traits distinctifs, spirituels et matériels, intellectuels et affectifs, qui caractérisent une société, un groupe social ou un individu. Subordonnée à la nature, elle englobe, outre l’environnement, les arts et les lettres, les modes de vie, les droits fondamentaux de l’être humain, les systèmes de valeurs, les traditions, les croyances et les sciences. » Une autre définition de la culture lors du premier séminaire de Makourkou au Burkina Faso en 1985, sur la culture nationale, mérite d’être retenue : « La culture est un ensemble de formes, de manières ou méthodes, matérielles ou immatérielles, concrètes ou abstraites, par lesquelles les 37
Définition du dictionnaire Larousse.
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hommes de façon individuelle ou collective, manifestent, expriment d’une part leurs rapports avec leur environnement et d’autre part entre eux. […] ». La culture participe de l’identité dans ce qu’elle a de permanent, de discriminant, mais aussi d’intégrateur. Elle rejoint et participe du concept de la nation définie par Georges Burdeau, dans Encyclopædia Universalis. Ce n’est pas une réalité concrète, mais une idée […], si personne n’a vu la nation, on sait par expérience quelle est l’ampleur des sacrifices qu’il lui arrive d’exiger et que ses membres lui consentent […] elle est une idée, une représentation que les individus se font de l’être collectif, que tous ensemble ils constituent, en définitive, un mythe […], l’idée de nation s’enracine dans la différence. La cohésion n’est acquise qu’au prix d’une opposition flagrante ou virtuelle à tout ce qui est étranger38. La question qui se pose est la suivante : peut-on dissocier la littérature de la culture, et la culture du concept de l’identité, l’identité du concept de la nation ? Ce sont des concepts qui s’auto-influencent, qui se recoupent… ils participent de l’intégration solidaire de l’individu dans la société, de son identification par rapport à lui-même et par rapport aux autres, de son implication dans le processus de la formation et de consolidation de l’État et de la Nation. La nation, l’État-nation Pour apporter d’autres définitions et mieux cerner l’idée de nation, retenons la définition la plus répandue, celle d’Ernest Renan en 1882 dans Qu’est-ce qu’une Nation ? Il met en lumière les divers éléments de cohésion d’une nation. La race, la langue, l’affinité religieuse, la 38
Article écrit par G. Burdeau, dans Encyclopædia Universalis version électronique 2012, titre : « État ».
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géographie, les intérêts économiques, les nécessités militaires… une nation est une âme, un principe spirituel […], c’est l’aboutissement d’un long passé d’efforts, de sacrifices et de dévouements ; avoir des gloires communes dans le passé, une volonté commune dans le présent, avoir fait des grandes choses ensemble, vouloir en faire encore, voilà les conditions essentielles pour être un peuple39. Cette définition rappelle celle de Georges Burdeau. La nation, c’est cet Être mythique, imaginaire qu’un peuple se donne en face des autres peuples. C’est une manière de se situer par rapport à autrui, une manière d’être dans sa communauté propre et une manière d’être dans la communauté internationale. L’idée de nation était représentée au Moyen Âge par la « patria », c’est-à-dire, le pays de ses pères, sa ville natale. Elle s’est maintenue comme une collectivité territoriale. Elle a évolué pour désigner un groupe d’hommes auxquels on attribue une origine commune, selon Isodore de Seville. La nation désignera par la suite une communauté venue d’ailleurs et que la langue insolite permet de distinguer des autochtones à tel point que les écoles de l’université de Paris s’appelaient des nations (la française, la normande, la picarde, l’anglaise…). On glisse de plus en plus du sentiment d’appartenance à la chrétienté au sentiment d’appartenance au domicile. Le droit du sol l’emporte sur le droit de race. L’idée de la nation moderne est apparue en France, très tôt chez les intellectuels, qui considèrent que le royaume de France constitue une patrie pour le peuple. Si la nation permet de consolider le groupe, elle permet aussi d’organiser sa cohésion grâce au pouvoir qu’elle tend souvent à sacraliser. L’idée de nation est le plus sûr élément du consensus, elle porte en elle une représentation du futur dont le pouvoir apparaît le garant. Une nation, pour vivre et durer, a besoin d’un pouvoir fort 39
Article écrit par Maxime Rodinson dans Encyclopædia Universalis.
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qui innove, en s’appuyant sur l’héritage des générations précédentes pour recréer un avenir meilleur. « Une nation, c’est à travers l’image d’un passé, la vision d’un destin. »40 Continuons d’affirmer avec Georges Burdeau cité par maxime Rodinson dans son article dans Encyclopædia Universalis : « De cette perspective, le pouvoir est l’instrument de l’hypothèque prise sur l’avenir…, c’est à ce mélange d’héritages et d’ambitions que la nation doit sa force ». Nous sommes rentrés dans une nouvelle aventure que le Tchad, comme tous les États francophones, intègre à son histoire contemporaine. « L’État-nation est un concept théorique, politique et historique, désignant la juxtaposition d’un État, en tant qu’organisation politique à une nation, c’est-à-dire des individus qui se considèrent comme liés et appartenant à un même groupe. C’est donc la coïncidence entre une notion d’ordre identitaire, l’appartenance à un groupe, la nation, et une notion d’ordre juridique, l’existence d’une forme de souveraineté et d’institutions politiques et administratives qui l’exercent, l’État. »41 Le dictionnaire de langue française définit l’État-nation comme : « Assemblage d’un État à une population se reconnaissant dans celui-ci. » « L’État-nation » moderne doit être appréhendé comme un ensemble dynamique, en formation ; il est composé d’entités non homogènes. Il donne naissance à une culture à la fois authentique et moderne qui s’est faite à la faveur des contingences, à la faveur de son histoire, où le vécu quotidien est écartelé entre la tradition occidentale et l’héritage ancestral. Voilà pourquoi on peut parler d’une prise de conscience sociale mais aussi littéraire ; et c’est pourquoi les œuvres des 40 41
Article écrit par Marcel Prélot dans Encyclopædia Universalis. http://fr.wikipédia.org/wiki/Etat-nation
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auteurs tchadiens s’attachent davantage et majoritairement à des thèmes qui s’intéressent à la politique et à l’unité en vue de l’union nationale. Cette recherche de l’union va, chez certains auteurs, jusqu’à prôner la conspiration contre l’ordre traditionnel et social établi. La conspiration prend souvent la forme de la métaphore du mariage pour engendrer l’enfant ou les enfants de l’espoir qui préfigurent la réalisation de l’idéal commun, à savoir l’union nationale, à tous les coups. Nous sommes tentés de dire avec Georges Ballandier que la littérature tchadienne épouse l’aventure de l’État moderne issu de la colonisation, et donc la remise en question dudit État dans la mesure où son imposition est à la base de tous les clivages et de toutes ses manifestations : rébellions, dictatures, guerres civiles, recherche de partition… qui expliquent et qui justifient les revendications des Africains et donc des Tchadiens, comme un traumatisme, comme une plaie que l’on gratte jusqu’à la guérison.
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II.2 - Les Africains et l’écriture littéraire L’écriture des Noirs, dès le début semble rechercher à réhabiliter l’identité véritable de l’homme noir. Les AfroAméricains et plus tard les Africains de la diaspora en Europe, dans une réaction générale à l’Occident, semblent viser les repères les plus marquants de l’histoire africaine. D’abord la traite négrière qui a donné naissance à des mouvements aussi importants que le mouvement de la négritude, la création de revues littéraires telles que L’Étudiant noir, Légitime Défense et Présence africaine, mais aussi à la parution d’un grand nombre d’ouvrages de combat en réaction à l’Occident. Puis la colonisation, la décolonisation et l’avènement des indépendances, autour des années 1960, une littérature de combat a vu le jour faisant suite à l’engagement général des Africains. Les années 1980 ont marqué un grand tournant dans la littérature d’Afrique d’expression occidentale, aussi bien dans la thématique que dans la poétique donnant naissance à des « nouvelles écritures africaines ». Des générations d’écrivains se sont succédé depuis des décennies et ont marqué par leurs créations l’histoire de la littérature africaine, jusqu’à ces jeunes écrivains qui n’ont connu ni la traite négrière ni la colonisation ni même les indépendances africaines et qui se réclament d’une Afrique des États indépendants. Dans les écrits des Afro-Américains et des Africains, l’identité nègre apparaît historiquement comme une identité raciale et culturelle dont l’Afrique est le berceau. La nation chez les précurseurs de la Negro Renaissance est, au départ et jusqu’à l’avènement de la colonisation et des indépendances africaines, l’Afrique mère, l’Afrique mythique. L’identité nègre est aussi une quête de la liberté et de la dignité d’être noir. Elle est donc ressentie comme un espace géographique, un espace originel, une 55
appartenance raciale, mais aussi comme une image de soi et d’autrui. La conscience de l’identité nationale était une manière d’être et de se situer face à l’Occident colonisateur. À titre indicatif, il faut rappeler que la situation de l’Afrique peut se comprendre, en gros, à travers trois repères. Le premier est la traite négrière qui a enlevé plus de cent millions de jeunes hommes et de jeunes femmes. Ils ont été déportés aux Amériques en passant par l’Europe pour constituer une main-d’œuvre pour les multiples plantations et contribuer à construire ce qui est devenu de nos jours, les États-Unis d’Amérique. La prise de conscience des petits-fils de ces AfroAméricains a induit une autre prise de conscience, celle de tous les intellectuels noirs résidant en Europe. Nous retiendrons, pour ce qui nous concerne, l’importance d’Âmes noires de William E. B. Du Bois. Il fut le premier Américain noir à avoir cherché à décomplexer les siens en leur indiquant clairement la conduite à tenir. Il s’agissait pour lui de s’assumer en tant que Noir et de valoriser la culture noire. Il se revendique comme Noir pour la première fois et demande à tous les siens de se sentir fiers de leur couleur et de porter leur différence comme une richesse. Désormais, le thème fédérateur devient l’engagement. Il a été relayé par d’autres Afro-Américains comme Langston Hugues qui a influencé beaucoup les Africains de France, Claude MacKay qui a écrit ses premiers poèmes en créole antillais, Countee Cullen qui a osé évoquer un Christ à la peau noire. René Maran, ce Martiniquais administrateur des colonies en poste en Oubangui-Chari (actuelle République centrafricaine), a publié en 1921 Batouala, véritable roman nègre42 et obtenu le prix Goncourt. Son livre a 42
Éditions Albin Michel, Paris, 1938.
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gommé tous les clichés de la littérature coloniale. Il s’est permis de décrire les Noirs tels qu’ils sont et il a osé surtout leur attribuer une pensée et un point de vue. Il les a autorisés à porter aussi un regard sur le Blanc. Ce roman a fait un grand scandale et a coûté à son auteur sa carrière administrative. Il y avait eu aussi l’école haïtienne qui, à la suite des Négro-américains, s’est opposée à une certaine littérature dans les Antilles. Il existait donc aux Antilles une littérature entretenue par les autochtones et qui n’est que la pâle copie de la littérature française. On peut citer parmi les détracteurs de cette littérature Roger Dorsinville qui a abandonné la prosodie classique et opté pour le vers libre. Jean François Brière réclame la solidarité de la race et le cri de révolte. Jacques Roumain, avec son roman Gouverneur de la rosée43, encore qualifié de plus beau roman des Antilles, était un diplomate qui a vécu longtemps en Europe mais son œuvre est restée enracinée dans son pays. On dit qu’il a écrit des poèmes tellement agressifs qu’il a influencé Césaire, Damas, Birago Diop et même Senghor. On peut dire que, tout en se réclamant d’une identité collective, d’une communauté raciale et culturelle, d’une appartenance objective (Afrique) ou de destin (nègre, juif, etc.), les Négro-américains, les mouvements littéraires nègres de France et surtout le mouvement de la négritude, se sont fortement manifestés avec Senghor, Césaire et Damas. En France, les intellectuels noirs ont commencé par s’exprimer à travers des revues. La revue Légitime défense des étudiants martiniquais n’a paru qu’une seule fois. Elle a permis à ces étudiants d’exprimer le malaise d’être noirs tel qu’il est défini par l’Occident. Elle se réclamait des écrivains noirs américains et des surréalistes. Elle rejetait la parodie de la vie des maîtres blancs et 43
Éditions Mémoire d’Encrier, Montréal, Québec, 2007.
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prêchait la valorisation de l’inspiration nègre et des écrivains africains de Paris. Ensuite, L’Étudiant noir, avec la publication de certains articles importants de Césaire, de Senghor, de René Maran, inaugure presque la négritude. Un programme pour la jeunesse noire sera réalisé par Césaire dans son Cahier d’un retour au pays natal44publié en 1939. Les deux auteurs fondent leur conception de l’homme noir : « nul ne peut changer de faune », dit Césaire. « L’âme de la brousse dont l’homme noir… est l’émanation », selon Senghor. Mais L’Étudiant noir a eu le mérite de réunir pour la première fois tous les Noirs de Paris. Le mouvement d’unité des Noirs de toutes les origines amorcé dans L’Étudiant noir se trouve concrétisé à travers la revue Présence africaine qui donnera également naissance à une maison d’édition qui existe encore aujourd’hui. C’est autour d’Alioune Diop que se sont réunis des personnalités comme Bernard B. Dadié, Rabemananjara, Paul Niger et Guy Tirlien, avec le retour de Césaire de la Martinique, de Senghor et la réapparition de Damas après la guerre. La revue a paru pour la première fois en décembre 1947, à Dakar et à Paris. Elle a été constamment soutenue par les intellectuels français tels que Sartre, Michel Leiris, Georges Ballandier. Le mérite de Présence africaine a été surtout de se tourner davantage vers l’Afrique alors que jusque-là on regardait vers les Antilles. Elle a dépassé aussi le cadre francophone pour s’intéresser aux écrivains noirs anglophones comme Richard Wright et Peter Abrahams. L’activité d’Alioune Diop a surpassé l’envergure de la revue pour donner naissance à une maison d’édition africaine : les éditions Présence africaine. Légitime défense – L’Étudiant noir – Présence africaine, c’est un processus qui sonne comme la concrétisation d’un idéal. Ce qui signifie peut-être faire 44
Présence africaine, Paris, 1939.
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exister la race noire, sa culture, son histoire comme composantes de l’humanité. Le deuxième repère a été la colonisation, autre épreuve que subira l’Afrique. L’usurpation du destin des Africains politiquement, administrativement économiquement et socialement en faisant table rase des réalités indigènes est devenue un autre traumatisme qui s’ajoute aux clivages structuraux qu’a vécus le continent. Et l’engagement, de planétaire devient continental, régional ou étatique. Cette période a donné naissance à une forme de littérature de combat pour la libération, pour l’indépendance. Des auteurs comme Ferdinand Oyono, Eza Boto (devenu Mongo Beti par la suite), Sembène Ousmane, Cheikh Hamidou Kane rendent compte du malaise par des romans devenus classiques : Le Vieux nègre et la médaille45, Ville cruelle46, Les Bouts de bois de Dieu47 et L’Aventure ambiguë48pour ne citer que ceuxlà. Toutes les formes d’imposture, de caricature et de clichés sont décriées. On pourra parler ici d’une première génération d’écrivains qui avaient osé dénoncer la colonisation en parlant concrètement des réalités africaines. Le troisième repère est la décolonisation, l’avènement des indépendances africaines. Le thème majeur est désormais le désenchantement. Désenchantement parce que les indépendances sont attendues avec beaucoup d’espoir, mais comme l’a si bien écrit Ahmadou Kourouma, Les indépendances sont tombées sur l’Afrique comme une nuée de sauterelles49. Et la déception est à la
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Oyono Ferdinand, Éditions Julliard, Paris, 1979, 187 p. Mongo Beti, Eza Boto, Paris, Présence africaine 1971, 223 p. 47 Sembène Ousmane, Paris, Presse Pocket, 1995. 48 Cheikh Amidou Kane, Paris, Hatier, 1961. 49 Les Soleils des Indépendances, Paris, Seuil, 1970. 46
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mesure de l’attente. Les Soleils des indépendances50 marquent bien cette période de « bâtardises » qui jette Fama, le prince héritier du Horodougou, dans l’avilissement et la mendicité, le transformant en charognard comme tous les parasites, à l’affût des aumônes. Sa survie dépend de sa hâte. Il devait arriver à temps dans les places funéraires pour ne pas se trouver obligé de disputer sa part aux mendiants. Kourouma comme Yambo Ouloguem semblent bien représenter une deuxième génération d’écrivains en introduisant même une nouvelle poétique dans leur écriture. Kourouma écrit en français malinkisé. Les indépendances sont arrivées avec leur cortège de néocoloniaux, de despotes, d’opportunistes, de malintentionnés, etc. Nous pouvons citer des œuvres comme Le Mandat51 de Sembène Ousmane, La Carte du parti52 de Noël Nétonon Ndjékéry… Une autre génération d’écrivains africains n’a connu ni la traite négrière, ni la colonisation et très peu d’écrivains ont connu les indépendances africaines. Ils sont les purs produits de l’Afrique nouvelle, celle des États indépendants en formation. Leur écriture de rupture s’approprie la langue française en lui faisant subir des traitements à saveurs locales, elle met en scène des situations et des personnages différents des modèles imposés européanisant. Elle répond à des exigences d’une époque et à des formes de sociétés nouvelles. À partir des années 90, on peut parler d’une troisième génération représentée par des écrivains comme Sony Labou Tansi. Puis suivent d’autres comme Alain Mabanckou, Kossi Efoui, Sami Tchak, Fatou Diome, Boniface Mongo Mboussa, Abderaman Waberi, Calixthe 50
Ahmadou Kourouma, Paris, Seuil, 1970. Sembène Ousmane, Présence africaine, Paris, 1966, 90 p. 52 Ndjékéry Nétonon Noël, Paris, Éditions Hatier, Monde noir, 1983. 51
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Beyala que le Professeur Jacques Chevrier appelle la génération de la « Migritude ».Certains auteurs se disent écrivains tout simplement et récusent tout catalogage. D’autres revendiquent d’être des écrivains français parce qu’ils écrivent en français, ou écrivains sénégalais, camerounais… Ce sont là les manifestations légitimes des générations qui assument leur époque et entendent la marquer par leur culture, leur identité, leur différence et leur originalité. Les auteurs tchadiens sont venus à l’écriture en 1962, soit deux ans après l’indépendance du pays. Ils appartiennent à la génération des écrivains issus de la nouvelle Afrique, celle des États libérés de la colonisation. Leur écriture est une écriture de rupture, parce qu’elle ne prend que des préoccupations de leur époque ; une thématique nouvelle, celle de la maîtrise de l’État-nation avec tous les clivages qui le caractérisent, elle s’inscrit dans la suite, comme partout ailleurs en Afrique, comme un nouvel horizon à la littérature d’Afrique. C’est ainsi que depuis l’époque des précurseurs comme Joseph Brahim Seïd, Palou Bebnone, de celle de la génération des concours internationaux, des résidences d’écriture, jusqu’aux jeunes qui à partir de 1980 ont écrit des nouvelles œuvres, l’institution littéraire au Tchad fait son chemin et continue de se consolider. Des questions se posent désormais : qu’est-ce qu’écrire pour les Africains et les Tchadiens, comment et pourquoi ? Depuis le début, écrire pour les Africains, c’est peut-être transcrire les valeurs de l’oralité, reconstruire, concrétiser la civilisation du verbe. Aussi l’écriture prend-elle souvent la forme des chants, des légendes, des contes. Même le roman épouse les formes de la littérature orale. Nous pensons aux Soleils des indépendances d’Ahmadou Kourouma ou, pour rester au Tchad, à Koulsy Lamko et à Baba Moustapha qui s’inspirent des réalités tchadiennes, 61
puis les réadaptent ou les allient aux formes de la littérature écrite. Pour les Africains, la littérature est également une reconquête de leur identité d’abord originelle, puis plurielle parce qu’enrichie par d’autres traits acquis grâce aux contingences. C’est une démarche souvent identitaire dans la mesure où elle cherche à réhabiliter une culture, celle du Noir et à le situer dans l’humanité. Cette écriture se fait par la nation. Elle rattache le Noir à ses valeurs les plus profondes et les plus immédiates. Elle permet de le situer dans sa propre communauté et par rapport à la communauté internationale. Elle se fait par la nation, mais aussi pour la nation. Cette écriture qui se charge de décrire l’identité originelle n’est pas seulement tournée vers le passé. Elle cherche à intégrer le Noir dans les valeurs contemporaines de la nouvelle Afrique et dans les valeurs de l’humanité tout entière. Autrement, elle se détache de cette image d’une identité raciale, mythique pour s’intéresser à la quête d’un moi individuel, particulier, émanant des États-nations modernes. Sewanou Dabla, dans Les nouvelles écritures africaines53, parle du tournant opéré par les romanciers africains à partir des années 7080, son analyse porte sur deux aspects essentiels : une nouvelle orientation sur le plan thématique et une autre sur le plan poétique. Sur le plan thématique, c’est de l’Afrique des États indépendants ; l’écrivain ne se préoccupe plus de cette situation de dualité, un Occident oppresseur et méchant face à une Afrique colonisée et à libérer. Il s’occupe de problèmes immédiats, du quotidien, de la réalité de la société nouvelle. Sur le plan poétique, l’orientation de la nouvelle génération des romanciers africains prend en compte « la structure du récit et l’onomastique des personnages », entre autres, respectant ainsi les nouvelles réalités littéraires en Afrique. « Les 53
L’Harmattan, 1986.
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nouvelles configurations des réalités africaines » doivent tenir compte des pratiques littéraires propres à chaque pays d’Afrique. Il s’agit, dans le cadre de ce travail, de démontrer que l’écrivain, produit d’une culture, d’une identité, crée sciemment ou à son insu, des œuvres de fiction qui rendent compte de cette culture. Il s’agit de démontrer comment la création littéraire, « carrefour de signes », rend compte des valeurs culturelles nationales et de voir quels sont les mécanismes, les procédés utilisés par l’artiste pour intégrer ces valeurs dans l’écriture. Les personnages, l’histoire, les genres sont autant d’ancrages référentiels qui fonctionnent comme autant de représentations, de stéréotypes de la culture du Tchad. L’écrivain puise dans le contexte tchadien pour représenter la réalité fondée sur la conscience d’une communauté. La question qui se pose est la suivante : peut-on dissocier la littérature de la culture ? La culture du concept de l’identité ? L’identité du concept de la nation ? À la lumière de l’histoire de la littérature écrite africaine en langues européennes (français, anglais, portugais), la littérature semble être une transcription ou une réécriture des traditions orales, donc une transcription de la culture54. L’Afrique est globalement le continent de la civilisation de l’oralité. Aussi l’écriture en langues européennes est-elle une découverte tardive parce qu’elle est un fait de la colonisation. L’écriture est devenue, par conséquent, un nouvel instrument d’expression et de communication, un nouveau trait culturel et identitaire de l’Afrique moderne. L’écrivain africain a mis à profit 54
Voir les travaux de Mohamadou Kane, Georges Ngal, Amadou Koné, Sissao Alain sur la question de l’utilisation de la littérature orale comme source d’inspiration de la littérature contemporaine en Afrique.
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l’opportunité et il s’en est servi pour transcrire, écrire, réécrire l’histoire et la culture de l’Afrique. L’écrivain africain s’inspire de sa sensibilité de Noir, de sa propre représentation du monde, de ses contes, de ses légendes, de ses mythes, de ses croyances et de ses valeurs pour créer des œuvres de fiction. Tous les genres littéraires rendent compte de la sensibilité orale et des représentations africaines dont ils sont tributaires. Les personnages semblent être des archétypes, des actants intemporels qui permettent d’inscrire les valeurs de la société traditionnelle et moderne de l’Afrique dans les valeurs de l’humanité, d’où l’importance des mythes africains55 qui rejoignent les mythes de l’humanité. La littérature est l’une des expressions les plus sérieuses, les plus nobles et les plus riches de la culture. Pour sortir des déterminismes disciplinaires et de leurs jargons, disons que la culture est l’ensemble des règles qui régissent la vie d’un groupe, sa ou ses langues, ses croyances, son art, sa littérature, ses mythes, ses légendes, ses contes, les représentations de soi, des autres et du réel, les différentes organisations (dans tous les domaines), les différentes manifestations de sa sensibilité, de sa spécificité. Il n’y a pas de peuple sans culture et le Tchad possède sa culture, ses cultures. La culture représente toutes ces expressions du groupe humain qui l’identifie à lui-même en le particularisant, en plus de tout ce qui permet de l’intégrer dans un groupe plus large. La culture participe ainsi de la notion d’identité dans ce qu’elle a de discriminatoire et paradoxalement d’intégrateur. On parle également des cultures qui font la Culture, par exemple, les innombrables cultures régionales qui donnent 55
Ouvrage de Mircia Eliade, Aspects du mythe et l’article de Jacques Chevrier : Chevrier (Jacques), « L’écriture du mythe dans Au bout du silence, de Laurent Owondo » in Nouvelles du Sud, Littératures africaines : Dans quelles langues ? Paris/Yaoundé, Silex, 1997.
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naissance dans leur reconstruction à la culture nationale. Il ne faut cependant pas oublier que l’ensemble des cultures nationales, et à l’échelle d’un continent, peuvent faire une civilisation, suprême expression des cultures. Pour en revenir à la littérature du Tchad, prenons succinctement l’exemple de quelques œuvres d’auteurs tchadiens pour illustrer nos propos. • Ndo Kela ou l’initiation avortée56de Koulsy Lamko Cette pièce, par sa composition, sa structure aussi bien que par le traitement du thème de l’initiation, est une véritable synthèse de deux cultures : l’une africaine tchadienne et l’autre européenne. En effet, Koulsy Lamko allie les structures du théâtre traditionnel grec aux structures de la société traditionnelle africaine tchadienne. Il substitue les veillées nocturnes dans un village du Guéra aux actes classiques d’une pièce de théâtre. Il réunit un griot animateur de ces veillées, un chœur et un coryphée, puis d’autres symboles du théâtre grec et le culte du margaye (culte religieux du centre du Tchad). Ce subtil dosage est peut-être un clin d’œil pour montrer que Koulsy Lamko assimile les origines religieuses du théâtre grec au Margaye, un mythe traditionnel religieux. Le traitement du thème de l’initiation utilise le fond culturel hadjaraye (ethnie du centre du Tchad). Il utilise le margaye, le statut des anciens, les traditions orales pour en démontrer la saturation, l’inefficacité, le dépassement, la stérilité, d’où la nécessité de les remplacer par le « Ndo » des jeunes, la nouvelle folie, la nouvelle initiation, la révolte. Cette révolte consiste à exorciser la misère par le travail et la conscientisation du citoyen. Une démarche profondément marxisante, un autre trait culturel européen. Ainsi Koulsy Lamko s’abreuve aux sources de la culture africaine tchadienne qu’il semble vouloir réadapter 56
Éd. Lansman, Théâtre, Belgique, 1993.
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à son époque (plurielle) pour mieux l’inscrire dans la civilisation de l’universel. • Moussa Bégoto57 de Ali Abderahman Haggar La pièce raconte les difficultés d’adaptation de Moussa Bégoto à sa situation de fonctionnaire tchadien. Moussa Bégoto représente, à tous points de vue, le fonctionnaire tchadien type d’aujourd’hui. Il l’est dans ses attitudes, dans son expression physique et verbale. C’est donc un actant, véritable émanation de la réalité, du vécu tchadien et des nouveaux traits acquis de la rencontre avec l’Occident. L’onomastique est également tchadienne : Bégoto signifie qui n’a pas de domicile, le « homeless », le sans domicile fixe. Bégoto s’appelle aussi Moussa, c’est-à-dire Moïse. L’alliance de Bégoto et de Moïse nous autorise à considérer que cet actant est aussi intemporel. Nous sommes tentés de croire que Moussa Bégoto traduit chez Ali Abderahman Haggar l’une des allégories de l’humanité : il assimile le personnage de Moussa à Moïse errant et conduisant le peuple hébreu à la terre promise. La terre de Moussa Bégoto serait-elle le Tchad ? Moussa Bégoto nous conduit tout droit aux grandes allégories, aux grands personnages des mythes de l’humanité : Sisyphe, Atlas. Au-delà de la condition tchadienne, c’est bien la condition humaine qui est visée. N’oublions pas que l’homme est cet éternel migrant de passage quand il a perdu l’Éden depuis le péché originel. • La Malédiction58 de Ouaga Ballé Danaï Baldet, père de Myriam et d’Etsa, excommunié et chassé du village, se retrouve en ville. Myriam, partie étudier, rencontre, pendant ses pérégrinations et dans sa 57
Pièce de théâtre inédite, jouée plusieurs fois dans les centres culturels de N’Djamena. 58 Paris, L’Harmattan, théâtre, 1998.
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détresse, Etsa son frère qu’elle ne connaissait pas. Il s’ensuivra une grossesse. Etsa sera tué. De retour au pays, Myriam se fait arrêter et condamner à mort en même temps que son père. Pendant leur exécution, naîtra le fils de l’inceste mais avenir de la lignée. La Malédiction est une pièce douloureuse, profonde. C’est un immense cri d’espoir, un appel au dialogue et à l’unité des peuples de Sindou. Myriam la merveilleuse, la vertueuse, la splendide Vénus fait penser à Nédjma59de Kateb Yacine ; Nedjma, la Salombo déflorée, l’incestueuse et fatale empêtrée dans les origines ancestrales du Nador (Algérie du Nord-Est.) C’est une vision multiple des origines considérées plutôt comme une réalité à assumer. C’est la recherche de l’identité, une démarche qui commence par les raisons premières des clivages. Elle n’occulte aucune vérité, elle pousse à l’exhiber pour bien s’en imprégner et mieux l’assumer. L’espoir final, la naissance de l’héritier de la lignée maudite ou présumée telle, la poésie des propos, la sémantique et les images, tout ceci contribue à rendre plus supportable cette œuvre chargée de violence inhérente à l’espace du Sindou et à ses natifs. Ici la malédiction du Sindou s’apparente à la malédiction qui accable l’Homme. Toutefois, il reste l’espoir de la vie qui continue. Voici encore une autre allégorie de l’humanité. Elle préfigure l’expiation du péché originel, la damnation de la famille Baldet sur fond de l’interminable guerre de libération. L’œuvre finit sur la prise de conscience de la situation véritable de l’homme et le refus de la fatalité, de la résignation. L’enfant de Myriam est l’espoir. Il appelle à se redresser, s’assumer et s’accepter pour continuer à vivre. La famille Baldet montre trois personnages, trois parcours qui suivent leur destin jusqu’à une fin commune, la fatalité, l’inceste, le drame, le tragique. Un tragique mû 59
Éd. Seuil, Paris, 1956.
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en naissance de l’enfant de la malédiction, de l’espoir qui signifie assumer son identité et perpétuer la lignée. • Le souffle de l’harmattan60de Baba Moustapha L’harmattan est le vent de la moisson en Afrique ; il mûrit le grain. L’harmattan est devenu ici un agent de destruction, d’où la débâcle écologique, sociale et politique qui s’ensuit même si le grain, Haroun et Ganda sont des personnages que l’on rencontre au début de leur vie et que l’on retrouve mûris par les épreuves de l’histoire douloureuse du Tchad. Ils sont déstabilisés, désillusionnés, séparés. Il en ressort l’archétype bicéphale du Tchadien (le nordiste et le sudiste). Il nous reste cependant l’espoir de cette œuvre profondément optimiste. Sous l’apparente amitié en filigrane qui constitue l’espoir d’une normalisation, l’œuvre peut être lue comme un immense champ sémantique de la maladie, de la déchéance, de la décrépitude, de la destruction tant du point de vue de la nature, de la société que de la politique. C’est une véritable autopsie d’une crise. En définitive, les écrivains tchadiens, comme tous les auteurs de leur génération, s’occupent des problèmes de proximité, des préoccupations de leur temps (sociaux, culturels, politiques). Il transparaît dans leurs écrits qu’ils s’inspirent de leur terroir, de leurs origines culturelles et ils ne peuvent s’empêcher de faire ressentir la dimension de transformation qu’ils ont subie. La culture est en perpétuel devenir. Elle est toujours à venir et rien ni personne n’est statique ou définitif. Chacun sera ce que deviendra sa société, ce que sera le monde.
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Saint-Maur-des-Fossés, Sépia, 2000.
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II.3 - Le projet national d’écriture La question de savoir s’il existe un projet national d’écriture chez les auteurs tchadiens semble se justifier. Les auteurs tchadiens et dans tous les genres, prennent en compte : – l’espace national ; – l’image de la nation ; – les personnages, ensembles de référentiels comme ancrages de la réalité tchadienne ; – la référence à la situation sociopolitique du pays ; – les diagnostics et les solutions envisagées. L’espace national Dans Le souffle de l’harmattan de Baba Moustapha et Sang de kola61de Noël Nétonon Ndjékéry, deux romans écrits par deux écrivains considérés comme précurseurs, l’option nationale transparaît dans le choix de l’espace national comme espace de la fiction. En effet, Baba Moustapha met le pays en prise avec l’environnement, luimême sous l’action de l’harmattan devenu agent prédateur. Le choix de l’espace national commence par Ras-al fil, ville de province située entre la région du ChariBaguirmi et la région du Kanem où vivent les familles respectives de Haroun et de Ganda, les deux personnages principaux du roman. Les familles de Haroun et de Ganda sont chassées de la province vers la capitale N’Djamena par la sécheresse occasionnée par l’action de l’harmattan sur la nature. Ce vent de fin de saison des pluies qui contribue à mûrir le grain se transforme en monstre et ensevelit les plantes et les animaux, tuant en eux la vie et privant ainsi les hommes de leurs milieux naturels et de 61
L’Harmattan, Paris, 2001.
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leurs moyens de survie. Puis commence pour les deux jeunes garçons et leur famille un déplacement à l’intérieur du pays jusqu’à la capitale où l’harmattan, omniprésent, mine la vie sociale de l’intérieur. La mise à l’épreuve des structures de la société devient l’occasion de convoquer la guerre civile de février 1979. N’Djamena est à feu et à sang. Tout le monde attaque tout le monde comme dans une malédiction généralisée. Décidément, l’harmattan est un véritable poison. Après les structures naturelles, familiales et sociales, voici que les structures étatiques explosent. Baba Moustapha semble ici expliquer les clivages structuraux qui ont amené le désordre par les fondements mêmes de la vie, c’est-à-dire par la nature même qui rend malade tout le pays. Le plus significatif dans cette œuvre, c’est donc la prise en compte de tout le pays, de tout l’espace national. L’auteur ne s’est pas contenté de décrire simplement l’action du vent sur la nature et les hommes, il a préféré lui donner une dimension nationale : c’est tout le Tchad qui est concerné comme dans une autopsie, c’est le corps du pays qui est éprouvé. La guerre civile qui a failli diviser le Tchad semble être l’aboutissement d’un processus naturel, long et imparable. L’antagonisme et le dualisme se trouvent à tous les niveaux de la vie des hommes. L’écriture de Baba Moustapha épouse ici les conditions de l’homme. Le souffle de l’harmattan s’inscrit bien dans un projet national d’écriture dans la mesure où il dénonce cette situation de violence qu’il semble vouloir expliquer par la condition de l’Homme. La solution qu’il induit semble être la prise de conscience pour revenir à des sentiments qui favoriseraient le réalisme en vue d’une reconstruction salutaire. Sang de kola, premier roman de N. N. Ndjékéry, campe l’action dans les environs immédiats de 70
N’Djamena, dans le village de Yelileh, village symbole, semblable à tous les villages du pays au plus fort de la guerre civile. Il met à l’épreuve toute la communauté dans toutes ses composantes : du simple villageois, à la mère de famille, au père, à l’enfant jusqu’au chef. Et comme dans une expérience chimique, Yelileh, comme N’Djamena, devient le laboratoire comme dans Le souffle de l’harmattan. Les êtres deviennent des pauvres choses sujettes à toutes les faiblesses et sont incapables de s’affranchir de la malédiction qu’est la guerre. C’est une situation que N. N. Ndjékéry assimile à une démarche qui appelle à l’exorcisme, d’où la nécessité de la purification par le feu de Yelileh et de certains personnages. Il y a aussi le châtiment pour faute car il y a des responsables qui ont contribué à créer cette situation. L’image de la nation, la situation sociopolitique L’idée de la nation en Afrique et au Tchad semble être saisie à travers l’image de l’État. Sans doute à cause de l’histoire mouvementée de l’Afrique et très précisément à cause de la colonisation. L’Afrique des nations ne s’est pas encore vraiment formée à l’arrivée des Occidentaux. L’État hérité de la colonisation a été imposé et cela s’est fait sur les ruines des structures de la société africaine. En faisant table rase de ce qui existait comme structures traditionnelles administratives, politiques et sociales, le modèle occidental conçu et perfectionné en Europe a été adopté de force comme nation, d’où la justification de l’État-nation pour l’Afrique. Les causes de ce traumatisme et ses corollaires (la colonisation, en remontant plus loin à la traite négrière) sont vécus comme un tout complexe qui prend la forme des États africains actuels dont la gestion et l’acceptation deviennent une véritable « aventure de la modernité » et dont les multiples créations littéraires ne 71
sont que des aspects. Presque toutes les œuvres parlent de la forme de l’État, de sa gestion, des conflits et des guerres civiles qu’il occasionne. Le rejet donc de ce modèle imposé de l’extérieur démontre que la nation reste encore à confectionner. C’est pourquoi des auteurs comme Nocky Djédanoum et Marie-Christine Koundja vont jusqu’à rêver d’une fusion biologique pour réaliser l’unité nationale et réaliser l’union finale. Le projet national d’écriture est très présent chez des auteurs comme Nocky Djédanoum avec sa pièce Illusions62 et chez Marie-Christine Koundja avec son roman Al Istifakh ou l’idylle de mes amis, et se double d’une urgence. En effet, le mariage est utilisé comme une métaphore de l’unité dans ces deux textes. Illusions met en scène un jeune couple formé d’une nordiste musulmane et d’un sudiste chrétien, Fatimé et Ndouba Idi. Ils s’aiment et désirent s’unir. Seulement leurs familles respectives s’opposent à ce projet, le jugeant contraire à leurs traditions et à leurs religions. Alors, le couple opte pour la transgression. Les deux amoureux décident de mettre tout le monde devant le fait accompli. Ils engendrent un enfant qu’ils nomment Sunor. Sunor à lui seul est un projet national parce qu’il exprime la concrétisation d’un idéal. Sunor est un nom composé de deux contraires : Su veut dire le sud et Nor veut dire le nord du pays ; c’est un oxymore, qui aspire à concrétiser l’unité des deux régions antagonistes du pays. Le mariage et la naissance, métaphores de l’union, utilisent le fait accompli et la conspiration contre l’ordre traditionnel établi pour se réaliser. De même Al Istifakh ou l’idylle de mes amis63prône la conspiration contre les familles des jeunes Allatoïdji et de Fatimé, avec la complicité d’Issa, le frère de Fatimé et d’Abdoulaye, l’ami intime d’Allatoïdji. La 62 63
Concours théâtral interafricain, RFI, 1984. Clé, Yaoundé, 2001.
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conspiration des amis contre les anciens qui se comportent comme les défenseurs acharnés des traditions et des religions antagonistes dont ils sont réellement prisonniers, fonctionne comme un antidote contre la partition du pays. Nocky Djédanoum et Marie-Christine Koundja poussent le désir de l’unité des communautés du nord et du sud du pays jusqu’à la fusion biologique en bousculant tous les clivages, y compris les clivages juridiques. Le contrat de confiance entre les amis pour concrétiser l’union est un véritable substitut à l’acte de mariage officiel. Sans chercher à réduire toute la création de Koulsy Lamko à cette idée qui consiste à dire qu’il souhaite fertiliser les traditions ancestrales pour les mettre en conformité avec l’époque actuelle et les rendre plus productives, nous pouvons affirmer que son œuvre transpire le pays tout entier. Dans une écriture de la douleur, il visite les traditions ancestrales du pays Mbaye, sud du Tchad, pour mieux en montrer les limites et cherche à les fertiliser pour les mettre en conformité avec son époque, époque plurielle. Il les rend ainsi plus réalistes et plus productives. Koulsy Lamko prend volontiers la posture du défenseur des sansvoix et tombe ainsi dans la perpétuelle errance et le tragique. Son imaginaire d’écorché vif laisse transparaître des visions qui passent par une relecture des mythes et des légendes et tout cela, en vue d’une ré-initiation pour la maîtrise de la société actuelle, société qu’il souhaite multiple, plurielle. C’est certainement sa façon à lui d’intégrer son pays dans le concert des nations modernes. Dans un autre genre et dès l’avènement de la littérature tchadienne écrite d’expression française, Joseph Brahim Saïd, dans Au Tchad sous les étoiles64, recueil de quatorze contes, a projeté l’unité nationale. Tous les quatorze 64
Présence africaine, Paris, 1962.
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contes viennent chacun d’une des régions du Tchad. Les deux premiers parlent de l’origine du peuple du Tchad et surtout du désir de concorde entre les fils de ce peuple. Il s’agit de La Tribu des Alifa et de Djingué ou la sagaie de la famille. Les quatorze contes sont racontés pendant une seule veillée au cours de laquelle l’auteur invite les peuples du monde entier à y participer afin de partager l’humanisme, la sagesse et la grandeur du peuple du Tchad à travers toutes les régions qui le composent. Il nomme son pays de fiction Tchad. À la lumière de l’histoire contemporaine du Tchad, Joseph Brahim Seïd restera un auteur visionnaire. Il avait su parler du Tchad dans sa diversité à une époque passée et prévoir ou deviner la déchirure future apportée par la guerre civile de février 1979. L’unité nationale était donc toujours une préoccupation. La production littéraire autobiographique tchadienne est essentiellement politique. Tous les autobiographes ont écrit pour dénoncer l’adversité politique, la dictature et la gestion calamiteuse du pays. S’il y a eu des autobiographies pures, elles ont toujours été précédées de la biographie politique. Antoine Bangui Rombaye, dans un chapitre de Prisonnier de Tombalbaye, annonce la parution de sa biographie pure, Les Ombres de Kôh. Zakaria Fadoul Khitir a d’abord écrit Loin de moi-même avant d’être obligé, par son emprisonnement, à écrire Les Moments difficiles qui relatent sa vie de prisonnier politique malgré lui. Quoi qu’il en soit, la nécessité de dire le « je » semble venir ici et se confondre avec l’avenir du pays. Ahmed Kotoko dans Le Destin de Hamaï… rapporte dans ses mémoires une longue période de l’histoire du Tchad qui va de la colonisation à l’indépendance. L’histoire du « je » est indissociable de l’histoire du pays. Ahmed Kotoko se pose comme un témoin privilégié des
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péripéties que les deux pays qui lui sont chers, à savoir le Cameroun et le Tchad, ont connues. Par ailleurs, Antoine Bangui-Rombaye et son ami Michel N’Gangbet Kosnaye, dans une démarche similaire, ont entrepris de dénoncer la dictature du premier président du Tchad, François Tombalbaye. Ils se posent en témoins de cette période où Tombalbaye, en maître absolu, abuse de l’autoritarisme en menant la vie dure à tous ses collaborateurs. Les deux auteurs poussent la dénonciation jusqu’à proposer des solutions. Ils fustigent, refusent et rejettent la forme du pouvoir et de l’État tel qu’il est légué par les colons et proposent des modèles qui restent souvent simplistes comme la démocratisation. Ici intervient le projet d’écriture. Tous les biographes visent à prévenir et à se souvenir de la gestion du pays tout en initiant des orientations pour une meilleure gouvernance nationale. Le poète est le porte-parole des sans-voix. Les poètes comme Abdias Delremeri et Moïse Mougnan en ont fait leur cheval de bataille. En dénonçant le silence complice et traitant de lâches tous ceux qui ne veulent pas réagir, ils en appellent tous les deux à l’aide les icônes africaines comme Sankara, Kwame Nkrumah… Ils cherchent à attirer l’attention sur la misère du peuple et aspirent à en devenir les porte-voix. Chez Moïse Mougnan, l’indignation, l’impuissance et l’incompréhension du poète continuent quand bien même il compte le nombre déjà important des respectables libérateurs africains : « Le sang de mon pays a assez coulé … Sang de plus de 200 millions d’Africains qui Faisaient pousser Colonialement dans les Antilles les plantations de café
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Et de coton…65 Sang que l’on donne comme chair à canon à Hitler Sang dont on trace la destinée de Washington, Londres Paris… » Après revient le souvenir de la guerre civile de N’Djamena au Tchad le 12 février 1979. Ce souvenir ravive la douleur et stimule la nostalgie du pays qui s’exprime par des rêves. « Mon enfance S’est brusquement arrêtée au premier coup Tiré sur les enfants de mon pays Me poussant ainsi à franchir les paysages Humiliants du désespoir. Nous étions plus de 500 mille à partir …» Et Abdias Derlemari refuse le silence lâche et complice dont ils accusent d’ailleurs tous leurs citoyens et même la France pour faire de la poésie le mode d’expression supérieur. Ils outrepassent les limites du pays même pour atteindre l’Afrique. La poésie devient chez eux la parole obligatoire sans laquelle il n’y aura pas de salut. Quelle représentation profonde de la France dans le for intérieur du poète ? Voici comment s’expriment l’indignation, le dépit, l’incompréhension et l’impuissance à travers un jeu d’opposition : Quelle nourrice…/ pus (au lieu de lait) Où le pasteur… / qui mène son troupeau dans les sols arides Dieu…/ haine à ses fidèles ? L’apostrophe, le tutoiement ajoutent l’intensité du désir de convaincre cette France : « Dites… Dites-moi. » 65
Extrait de « Des mots à dire », un recueil de poèmes de Moïse Mougnan.
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Finalement, le poète ne se révolte pas contre la France mais montre sa déception et son dépit, comme pour convaincre. Sa conviction et la peine qu’il a de vivre son rapport à la France, et qui nuit à la sous-France, n’épargne pas la France : Souffrance de sous-France Ça saoule la France66.
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Extraits de « Cri sonore », recueil de poèmes de Nebardoum.
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Derlemari Abdias La guerre civile du Tchad est devenue un traumatisme que tous les écrivains tchadiens ont exprimé. N. N. Ndjékéry en a parlé dans toutes ses œuvres et plus encore dans Sang de kola où il a poussé l’analyse à tous les niveaux de la société. Le souffle de l’harmattan de Baba Moustapha en fait l’une des composantes du drame tchadien et l’associe à la condition du Tchadien et donc de l’Homme. La sécheresse du Sahel devient cette malédiction, ce prédateur inévitable que tous les habitants de cette bande climatique doivent subir et qui expliquerait leur vie de tous les jours. C’est une situation qui permet de comprendre également les clivages et tous les comportements des hommes. Dans l’opposition qui sépare les étudiants de l’université de N’Djamena, « Boutons dorés » et « Ségheir Ben Cheikh » représentent bien les deux communautés rivales du Tchad. Les quartiers nord et les quartiers sud de N’Djamena concrétisent, bien au-delà de l’action de l’harmattan, le risque de partition du pays. Au même titre, des auteurs comme Nocky Djédanoum et Marie-Christine Koundja, dans leur recherche obsessionnelle de l’union, font allusion à la situation réelle du Tchad et préconisent des comportements et des solutions. Les analyses des situations chez Baba Moustapha, Noël Nétonon Ndjékéry, Nocky Djédanoum, Marie-Christine Koundja et aussi chez tous les biographes visent des recherches de solutions pour l’avènement d’une société meilleure au Tchad. Si des romanciers comme Baba Moustapha et Noël Ndjékéry préconisent une situation de retour à l’amélioration de la situation conflictuelle à travers l’amitié (Haroun et Ganda), l’amour (Ganda et Zénabaye) ou l’exorcisme des maudits et la purification des 78
coupables, Marie-Christine Koundja et Nocky Djédanoum aspirent au passage à l’acte et conseillent la conspiration contre l’ordre traditionnel établi, en poussant l’audace jusqu’au désir de la fusion biologique des enfants des deux communautés opposées du Tchad pour réaliser l’union nationale. Dans leurs analyses de la situation politique, certains auteurs écrivent sur la gestion de l’État et préconisent des solutions de bonne gouvernance, de changement de mentalités… Ce ne sont pas là les seules références à la situation sociopolitique. Les personnages Dans la littérature tchadienne, il apparaît un type de personnage, personnage bicéphale qui est devenu symbole du Tchad double ou du Tchad à deux têtes, le nordiste et le sudiste qui représentent le Tchad du Sud et le Tchad du Nord. Dans Le souffle de l’harmattan, Ganda représente le personnage sudiste et Haroun représente le personnage nordiste, tous deux nés de la guerre civile qui a failli diviser le pays en deux parties. Au plus fort du conflit qui précède l’éclatement de la guerre, chacun d’entre eux se dote des attributs, symbole de sa propre communauté. Ganda va à l’initiation et porte un « ngol », sorte de bâton représentant l’arme de l’initié et qui lui servira à protéger sa société et ses valeurs profondes. Haroun, lui, porte une gandoura appelée « cadre du nord », symbole de la résistance du Nord au pouvoir sudiste. Dans Al Istifakh ou l’idylle de mes amis de MarieChristine Koundja et dans Illusions de Nocky Djédanoum, les personnages principaux sont du Nord et s’appellent, Abdoulaye et Fatimé, ils sont musulmans, Ndouba Idi et 79
Allatoïdji sont du Sud et sont chrétiens ou animistes. Ils sont évidemment mis dans une situation d’antagonisme qui les empêche de s’unir, étant donné que les valeurs culturelles de leurs communautés respectives sont opposées. C’est une situation qui est vécue comme un défi et qui trouvera sa solution dans la conspiration contre l’ordre établi qui permettra l’union biologique, à travers la naissance d’un enfant issu d’un couple mixte ou l’union d’un sudiste et d’une nordiste. Le diagnostic et les solutions envisagées Il nous semble qu’il existe bel et bien des projets d’écriture affichés ou sous-jacents sur le pays, sur la nation d’autant plus que l’unité nationale reste toujours un objectif à atteindre. Le Tchad est un pays instable et la guerre civile est devenue, depuis plus de quarante années, un système de positionnement pour les groupes antagonistes en vue de la prise du pouvoir. C’est un traumatisme qui appelle le concours de tous les citoyens pour s’en débarrasser. La plupart des écrivains tchadiens ont écrit sur le pouvoir et la guerre civile. Et ils s’intéressent au pays dans son ensemble. Les auteurs tchadiens, produits de leurs cultures, écrivent sciemment ou à leur insu des œuvres de fiction qui rendent compte de leur sensibilité, de leur représentation du réel, de leur spécificité. Ils sont l’émanation d’une certaine éducation, d’une tradition qui fait qu’ils ne sauraient en être exempts. La thématique dont ils traitent est donc tributaire de leurs préoccupations intimes. L’imaginaire de chaque auteur fait apparaître sa propre représentation à laquelle il ajoute une certaine préférence ou orientation, sa philosophie propre du réel pour améliorer sa société. Il apparaît bien, à travers la production des Tchadiens, un projet national d’écriture que l’on retrouve dans le 80
choix de l’espace national comme espace de fiction en référence à la situation sociopolitique réellement vécue et des personnages, ces ensembles de référentiels qui sont reconnaissables comme étant des archétypes de l’homme tchadien. Il s’ajoute à cela cette volonté des auteurs tchadiens de proposer des solutions pour arriver à la paix, à l’unité en vue de l’union nationale. L’union nationale est d’autant plus présente que les solutions recherchées par certains auteurs sont urgentes et poussent à la transgression.
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Chapitre III Le processus des littératures nationales en Afrique La construction des littératures nationales en Afrique semble épouser tout d’abord et dans la démarche, le processus de la recherche de la réhabilitation de l’identité nègre que nous avons déjà évoqué plus haut, dans le chapitre sur« l’écriture des Africains ». Beaucoup d’universitaires comme Lilyanne Kasteloot ou le Professeur Jacques Chevrier ont démontré et contribué à inscrire la création des Africains dans une thématique spécifique aux Noirs et à l’Afrique mais Adrien Huannou, Bruno Gnaoulé-Oupoh et Pius NGandu Nkashama, Locha Matéso et bien d’autres critiques rattachent la question des littératures nationales aux États africains, au concept de la nation africaine indépendante. L’Anthologie de L. S. Senghor suivie de la parution des anthologies nationales d’auteurs africains semblent avoir confirmé et affermis le processus. Puis la revue Notre Librairie, en consacrant des numéros spéciaux à la littérature de certains États africains, est venue poser la question des littératures nationales d’Afrique. Il importe aussi de préciser ici que l’institution littéraire du Tchad, née seulement en 1962 et sujet de notre travail, n’a fait l’objet d’aucune anthologie ou d’aucun numéro dans la revue Notre Librairie.
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III.1 - De l’Anthologie de L. S. Senghor aux anthologies nationales En 1948, Senghor publie son Anthologie de la nouvelle poésie nègre et malgache aux Presses universitaires de France. C’est une anthologie qui marque une rupture avec la littérature française. Elle réunit les poètes les plus incisifs et les plus anti-français. Elle constitue une véritable émancipation vis-à-vis de la France. Publiée quelque temps après la parution de la revue Présence africaine, cette anthologie a milité en faveur de la reconnaissance d’une littérature négro-africaine. La contribution de Jean-Paul Sartre (sous forme de préface) qu’on dit « peu disposé à faire des préfaces » a consacré le divorce avec la littérature française et a délivré l’acte de naissance de cette littérature de sensibilité nègre. JeanPaul Sartre, en très brillant intellectuel, a contribué à mettre à la portée du public lecteur, plus que Senghor luimême ne l’a fait, une littérature nouvelle avec toute sa dimension : son contenu, sa forme et sa diffusion. JeanPaul Sartre, dans la préface où il parle d’Orphée noir, fait ressortir le caractère différent et profondément nègre de l’inspiration et de la sensibilité des écrivains noirs. L’Anthologie de Senghor réunit en effet des auteurs d’une origine commune, mais aussi d’une seule race dans un seul ouvrage. On trouve chez tous ces auteurs une thématique récurrente. La thématique est un ensemble de lieux communs qui circulent d’un auteur à l’autre ou d’une époque à l’autre. Aussi, dans l’Anthologie de Senghor, on rencontre des thèmes qui revendiquent une identité nègre, la mémoire collective, le passé, les ancêtres, l’Afrique, l’émotion nègre, l’« Afrique cambriolée », le refus de l’assimilation… mais aussi la raison occidentale. Lilyan Kesteloot publie à la suite des anthologies de Langston Hugues, de Damas et de Senghor, L’Anthologie 85
négro-africaine67 qui prend en compte la littérature des Noirs de 1948 à 1981. C’est un ouvrage important dans la mesure où il complète le travail de L. S. Senghor sur la littérature africaine francophone en y ajoutant la littérature écrite dans les autres langues occidentales. Faisant sans doute suite à sa thèse de doctorat Les Écrivains noirs de langue française : naissance d’une littérature présentée à l’Université libre de Bruxelles en 1961, son anthologie présente des preuves d’une maturité et d’une profondeur d’analyse qui font d’elle incontestablement une chercheuse incontournable. Son ouvrage, en partant de l’époque de la prise de conscience et de la négritude, retrace les différentes phases du développement de la littérature négro-africaine et classe les œuvres par genre et par thème. C’est un travail très enrichissant et indispensable pour les chercheurs, les étudiants et pour tous ceux qui s’intéressent à la littérature négro-africaine. Jacques Chevrier, en publiant Littérature nègre68, a aussi orienté et enrichi les analyses dans cette littérature. En posant tout d’abord la question : quelle langue pour la littérature africaine ? Et en parlant « d’oralité feinte », il déclare : « Comme le fait A. Kourouma, et bien d’autres, il faut qu’un jour la parole se libère, quitte à créer une langue parallèle au français pour donner sa lettre de noblesse à une littérature africaine nouvelle. Cela permettra à l’écrivain africain de trouver son propre public de lecteurs et de réception, terreau nécessaire à la pérennisation d’une littérature69. » Puis il ajoute qu’il n’y a pas de disjonction entre l’artiste africain et la vie de tous les jours : L’artiste africain est parfaitement intégré à sa communauté 67
Panorama critique des prosateurs, poètes et dramaturges noirs du XXe siècle, Vanves, EDICEF, 1992. 68 J. Chevrier, Littérature nègre, Armand Colin, 1984. 69 Ibid.
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d’origine au sein de laquelle il occupe toujours une fonction précise : en même temps qu’il prononce la parole efficace pour forger le fer, ou encore moissonner la récolte, capturer un animal sauvage, il manifeste la cohésion et la cohérence des valeurs culturelles de son clan. Nous pouvons affirmer avec Jacques Chevrier que « c’est certainement A. Kourouma qui a poussé le plus loin et avec le plus de succès, cette tentative d’intégration d’éléments narratifs empruntés à l’oralité dans un roman de facture occidentale »70.C’est pour cela qu’il consacre tout un chapitre pour parler du passage de la tradition orale à la littérature écrite. Des conseils d’expert sur le degré de faisabilité des travaux en matière de transcription des traditions orales permettent d’orienter les chercheurs et les étudiants. La question des littératures nationales n’est pas oubliée. Mais il existe cependant deux versions de la littérature nègre et entre les deux versions, le point de vue de Jacques Chevrier sur les littératures nationales a considérablement varié. C’est ce que constate et déclare Adrien Huannou dans son ouvrage La question des littératures nationales71 : « Dans la dernière version en date de sa Littérature nègre parue chez Armand Colin en 1984, Jacques Chevrier fait le point de la question des littératures nationales africaines, à sa manière qui est nécessairement trop rapide (p. 230-233) ». Parti des analyses de Frantz Fanon sur la culture nationale dans Les damnés de la terre, il en vient aux définitions de la nation selon l’Académie française et selon Renan, puis constate « une très nette tendance, chez les critiques et les commentateurs, africains ou non africains, à envisager le phénomène selon l’angle national », avant d’affirmer que « cette approche nationale du phénomène littéraire ne fait 70
Idem. Éditions CEDA, 1989, Abidjan, p. 42-43.
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cependant pas l’unanimité dans les rangs des écrivains, et certains ne cachent pas leur méfiance à l’égard d’une démarche qui risque soit de tourner au nationalisme, soit de marginaliser encore davantage l’Afrique, soit de cumuler les deux inconvénients. » Ce qui fait dire à Adrien Huannou que ce n’est pas aux pouvoirs publics de reconnaître d’abord les littératures nationales, ce qui serait faux et dangereux. C’est au grand public d’une nation de reconnaître sa littérature et ses écrivains. Et Jacques Chavrier affirme par ailleurs qu’au Nigeria il existe « plusieurs littératures nationales, empruntant selon le territoire d’où elles émanent, l’anglais, le yorouba, le haoussa ou l’arabe ». Adrien Huannou précise que la langue n’est pas un critère valable pour la détermination de la « nationalité littéraire ». Le fondement de la littérature nationale, c’est la nation et non la langue. Selon toujours Adrien Huannou, le même Jacques Chevrier, dans un article « L’écrivain africain devant la langue française », paru dans le numéro 53 (mai - juin 1980) de la revue Notre Librairie affirme : « On assiste en effet, depuis quelques années, en particulier dans un certain nombre de pays à la mise en place de véritables littératures nationales en langue française… moins universelles dans leur projet que la littérature nègre des années cinquantesoixante. »Après avoir soutenu qu’il n’existe qu’une seule littérature africaine, Jacques Chevrier a fini par reconnaître l’existence des littératures nationales africaines : « On peut estimer qu’une littérature existe à partir du moment où elle met à la disposition du lecteur un certain nombre d’œuvres spécifiques, de par leur thématique, leur écriture, leur enracinement dans une culture et des modèles dont elle s’inspire pour lui ajouter le sentiment national et l’intérêt que lui portent les nationaux et les étrangers puis la langue d’expression. »
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Dans le même numéro de Notre Librairie intitulé « Naissance de la critique » (p. 73-95), Locha Matéso apporte presque la même affirmation :« C’est par un abus de langage qu’il est convenu de parler sans nuances de “littérature africaine”. On oublie ainsi les profondes dissemblances qui caractérisent les thèmes et les techniques d’écriture des auteurs africains. »Il reste ainsi partisan de l’approche nationale72. Jacques Chevrier a aussi spécifié que dans le cas des anthologies nationales, le problème des théories n’a pas été posé. Elles se contentent de présenter les auteurs par pays. La raison est peut-être la volonté des auteurs des Anthologies de chercher à regrouper des œuvres et des auteurs d’un même milieu pour faire exister un corpus, le faire voir, le vulgariser pour mieux l’identifier mais pas de faire des études de style ou de poétique. Quoi qu’il en soit, les littératures nationales ont vu le jour dans une rupture avec la littérature africaine telle que définie par le courant « panafricaniste », cette vision globalisante qui militait pour une unité de race, d’identité, de culture, de politique et d’économique contre un Occident colonisateur. Les littératures nationales sont l’émanation des nations nouvelles et indépendantes d’Afrique. Elles doivent être considérées comme des littératures émergentes, des nouveaux développements de la création à la périphérie de la littérature africaine, dans un cadre nouveau et particulier à chaque État africain indépendant.
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La question des littératures nationales, CEDA, Abidjan, 1989, p. 43-45.
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III.2 - Les anthologies nationales De l’Anthologie de Senghor aux anthologies nationales, il y a aussi comme un passage du général au particulier. Les anthologies écrites par J. Chevrier et par L. Kesteloot confirment, en l’approfondissant, l’idée d’une littérature spécifique aux Noirs et aux autres peuples francophones (Maghreb, océan Indien…). Et les travaux d’Adrien Huannou, de Bruno Gnaoulé Oupoh, de Pius NGandu Nkashama, de Mukala Kadima Nzuji, de Séwanou Dabla et de bien d’autres critiques ont démontré l’émergence et l’ancrage des « nouvelles écritures africaines » qui s’inscrivent dans une rupture avec le courant panafricaniste et disent clairement la spécificité de chaque littérature nationale africaine. Il n’y a donc pas de traitement global, similaire à toutes les littératures nationales d’Afrique. Chaque littérature nationale en Afrique doit être traitée dans un cadre comparatiste avec les autres littératures nationales mais aussi et surtout, dans un cadre spécial de la production des œuvres et des auteurs de sa nation d’origine. C’est pourquoi, dès l’avènement des indépendances, on assiste à des velléités d’un genre encore plus circonscrit. On parle de littérature sénégalaise, congolaise, nigériane, consignées dans des anthologies. On passe ainsi de la quête d’une identité collective, raciale et culturelle à une quête d’identité nationale, individuelle, celle des destins particuliers. C’est une autre rupture : de l’identité du Noir en général, on passe à l’identité qui se rattache à l’État-nation occidentalisé, hérité de la colonisation qui est l’État africain moderne. Si l’on considère historiquement l’évolution du concept de nation chez les Noirs, il semble se dessiner des étapes dans la mentalité et dans sa progression. Il y a d’abord la prise de conscience des Négro-américains due à la traite 91
des Nègres. Ensuite la colonisation et les Noirs d’Afrique emboîtent le pas aux Négro-américains. Ces contingences ont engendré des comportements qui ont trouvé leur apogée dans un engagement général et dans le mouvement de la négritude. Puis l’ère des indépendances a stimulé un autre type de comportement (politique) suivi du désenchantement. L’Afrique attend de grands changements et pourtant la déception a été générale. Faisant suite aux anthologies de la littérature négroafricaine écrite par les spécialistes de la littérature nègre, les anthologies nationales présentent la spécificité de regrouper des auteurs issus d’un même territoire. Ce regroupement représente, comme nous venons de l’indiquer plus haut, une exigence profonde d’une conscience d’identité commune et ce n’est pas un hasard. Quoi qu’il en soit, les anthologies correspondent à un territoire et sont l’émanation d’une histoire. Elles décrivent un certain nombre de réalités spécifiques à ce territoire avec, en tout cas, une volonté unitaire qui rompt avec l’idée de la nation, version appartenance raciale. Elles mettent en jeu de nouveaux concepts, les concepts d’une nouvelle identité, celle issue de l’État-nation moderne. L’Anthologie de la littérature congolaise d’expression française publiée en 1977 par Jean-Baptiste Tati-Loutard fut la première, contrairement à l’Anthologie de Senghor, à parler de littérature nationale dans le cadre d’un État africain indépendant. Elle est suivie et prolongée en 1979 par le Panorama critique de la littérature congolaise contemporaine de Roger Chemain et d’Arlette ChemainDegrange, deux enseignants français résidant au Congo. Ce travail de Jean-Baptiste Tati-Loutard et de Roger et Arlette Chemain est en réalité l’aboutissement de ce processus initié par Senghor depuis 1948. Ce processus a 92
continué à susciter des réactions apparues lors du festival des arts nègres de Dakar en 1966 au sujet du premier article de Senghor « Ce que l’homme noir apporte » qui a trait aux bases théoriques de la négritude, et lors du festival d’Alger en 1969 qui a donné l’occasion au Béninois Stanislas Adotevi de s’attaquer à la théorie culturelle et politique de la négritude senghorienne, et au Congolais Henri Lopès de s’opposer à la vision essentiellement raciale de la négritude. Cependant, l’importance de cette anthologie de la littérature congolaise est d’avoir regroupé pour la première fois des écrivains d’un même État africain, puis d’avoir apporté des précisions sur la création littéraire au Congo. On y apprend que la première œuvre écrite en langue européenne a été publiée en 1954 et que l’essor véritable de cette littérature a commencé une année après avec notamment Tchicaya U Tam’si. C’est la revue culturelle Liaison, organe de liaison des centres culturels de l’Afrique centrale (ancienne AfriqueÉquatoriale française – AEF), qui fit la promotion des us et coutumes en publiant des poèmes, des contes, des légendes… du Moyen-Congo, de l’Oubangui-Chari et du Tchad. La revue a donné l’impulsion à une effervescence littéraire qui ne s’arrêtera plus. De ce point de vue et comme le précisait si bien Jacques Chevrier, l’anthologie de Jean-Baptiste Tati-Loutard ne s’occupe pas de la critique des œuvres qu’elle présente. Elle se contente de présenter les auteurs et de livrer un extrait de leurs ouvrages. Elle répond sans nul doute aux mêmes raisons que nous avons évoquées plus haut. Elle essaie de regrouper des auteurs et des œuvres d’une même origine, pour les faire exister et les faire voir. Le Panorama critique de la littérature congolaise contemporaine de Roger et Arlette Chemain, tout en s’efforçant d’être le plus
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complet possible, propose des études et des analyses fouillées sur la thématique.
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III.3 - La revue Notre Librairie La revue Notre Librairie, revue des littératures du Sud, maintient pendant longtemps l’analyse sur les littératures nationales en leur consacrant pour commencer des numéros d’analyse générale puis trois numéros théoriques, avant de consacrer un numéro spécial à certains pays africains qui ont réussi à constituer un corpus de création. Les trois numéros théoriques 83, 84 et 85 sont intitulés : Littératures nationales : 1. Mode ou problématique Littératures nationales : 2. Langues et frontières Littératures nationales : 3. Histoire et identité Le premier numéro a traité trois grands thèmes : 1. Nation, État, conscience nationale, nationalisme : des concepts ambigus. Ce thème a vu l’intervention des professeurs Elikia Mbokolo, Jacques Chevrier, M. a M. Ngal et Adrien Huannou. 2. Des appartenances multiples et complexes avec les interventions de M. a M. Ngal, Marie Clotilde Jacquery, Lilyan Kesteloot et Bernard Magnier. 3. Nation et cultures avec Abderrahman Ayoub, Ghislain Ripault, Tahar Bekri, Catherine Mazauric, Bernard Magnier, Aduke Grace Adebayo et Alain Ricard. Ce premier numéro a permis de publier entre autres des articles sur le concept des littératures nationales en posant la question de savoir s’il s’agit d’une mode ou d’une problématique véritable. Il a été également l’occasion d’un débat animé par le professeur Jacques Chevrier sur le concept d’écriture nationale et ethnique. Il a permis de s’interroger avec M. a M. Ngal sur les racines et terres d’élection à travers un article sur la nationalité, la
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résidence, l’exil ou avec Tahar Bekri sur l’existence de la littérature tunisienne… Le deuxième numéro est consacré à la langue dans la problématique des littératures nationales. La question de la langue de la littérature, de la langue de l’écriture a été posée par le professeur Jacques Chevrier au cours du débat qu’il a animé dans le cadre de cette revue. Ensuite N. Tidjani Serpos s’interroge sur la langue du malaise ou le malaise de la langue. Bernard Steichen s’entretient avec Massa Makan Diabaté sur le thème de la langue narguée par la parole. Dans le deuxième thème sur l’espace littéraire, Bernard Mouralis parle de pays réels ou pays d’utopie pour désigner le pays et la langue de la création. Le troisième numéro, sous le titre général d’Histoire et identité, présente la problématique des littératures nationales par rapport aux contingences historiques à travers trois thèmes. Il pose la problématique de la relation entre l’identité nationale (rapport à l’État) et l’identité littéraire. Il pose clairement la question de savoir s’il existe une identité littéraire avant la constitution de l’État africain moderne dans son aspect écrit. Il semble se dégager l’idée de l’existence d’une conscience nationale très souvent parcellaire qui a constitué le terreau des conflits actuels. Il apparaît clairement que l’État issu de la colonisation se veut aussi nation. Ainsi, l’acceptation de la forme de l’État et la gestion maladroite de l’État précèdent la formation de la nation qui, moins qu’ailleurs dans le monde, n’existe pas encore. C’est ainsi que Janos Riesz présente l’analyse des œuvres d’entre les deux guerres dans son article « Le Refus du nationalisme, le nationalisme du refus73 ». Denise Brahimi et Charles Bonn présentent une lecture de la littérature algérienne 73
Article de Janos Riesz dans la revue Notre Librairie n° 85, (Histoire et identité) sur le rapport entre l’identité nationale ou le rapport à l’État et l’identité littéraire.
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d’avant et d’après la guerre. Si les numéros théoriques de Notre Librairie ont permis de poser la problématique des littératures nationales, les numéros spécialisés par pays ont fonctionné comme des anthologies dans la mesure où ils semblent aussi vouloir faire exister et faire voir cette littérature d’expression française qui en a tant besoin. L’examen de quelques numéros nous permettra peut-être de nous en convaincre. On y trouve souvent des allusions à la littérature originelle d’Afrique, la littérature orale, puis une description de la littérature d’expression occidentale par rapport à sa genèse et à ses précurseurs, sa spécificité, sa thématique, son répertoire. Ces numéros spéciaux visent certainement à identifier les littératures des Étatsnations d’Afrique, à les faire reconnaître et à les faire voir. La revue Notre Librairie a posé la problématique des littératures nationales mais n’a pas permis de répondre clairement à la question. L’émergence des littératures nationales en Afrique, de sa fondation, de son évolution et de son développement est tributaire de l’émergence de l’État indépendant africain, issu de la colonisation occidentale. Si l’on considère l’histoire littéraire d’Afrique depuis les origines, les littératures nationales en Afrique constituent une rupture dans la mesure où elles sont nées avec l’émergence des États indépendants et se placent donc dans une thématique plus circonscrite, celle de nouveaux États. Le numéro de janvier-mars 198774 sur la littérature de la Côte d’Ivoire semble partir de l’histoire des peuplements et présente les traditions orales pour arriver à l’acquisition de l’écriture, contingence due au contact avec la colonisation. Un état des langues est exposé à travers la relation à l’oralité, l’histoire et la littérature écrite. Elle justifie ainsi la place importante de l’oralité dans les 74
Notre Librairie n° 86 sur la Littérature de Côte d’Ivoire, 1. (La mémoire et les mots.)
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œuvres littéraires ivoiriennes. Le numéro met en évidence la volonté du colon de chercher à diviser les Ivoiriens sur la base des langues et des ethnies. On apprend que la littérature ivoirienne en langue française est âgée de plus de cinquante ans et qu’elle doit beaucoup au théâtre de Bingerville et à l’École normale supérieure William Ponty de Dakar. Le numéro double, de mars-mai 1988, est consacré à la littérature congolaise. Il signale l’importance de l’anthologie de Jean-Baptiste Tati-Loutard comme étant un ouvrage qui a contribué à présenter la preuve de création de dix-huit auteurs, travail analysé et approfondi dans le Panorama critique de la littérature congolaise contemporaine de Roger et Arlette Chemain75. Ce numéro est très fourni sur l’histoire, le milieu naturel, le peuplement et aussi la bibliographie du Congo. Il y apparaît un foisonnement d’œuvres d’art, un très grand nombre d’auteurs depuis les précurseurs jusqu’aux plus jeunes. Il va de soi que l’ancienne capitale de l’AEF, pas seulement Brazzaville, mais le Congo des deux rives, fait l’honneur de ses ressortissants par sa littérature. De grands noms de la francophonie comme Jean-Baptiste TatiLoutard, Tchicaya U Tam’si, Guy Menga, Sylvain Bemba, Sony Labou Tansi… contribuent à illuminer cette partie de l’Afrique centrale. Le numéro présente des extraits d’œuvres dans tous les genres en précisant leurs apports à la promotion de la littérature congolaise francophone. La place déterminante des centres culturels français et l’existence d’espaces de lecture et de promotion du livre ont été également soulignées. Le numéro 101 est consacré à la littérature burkinabé à travers le roman, le théâtre, la nouvelle et la littérature orale avec des comptes rendus d’ouvrages et d’interviews d’écrivains burkinabé. Ainsi, à l’occasion d’une table 75
Présence africaine, Paris, 1979, 237 p.
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ronde des jeunes écrivains burkinabé, organisée sous la direction du professeur Salaka Sanou, la question a été posée aux écrivains de savoir si la littérature orale avait une influence sur leur manière d’écrire. Pour le romancier Patrick Ilboudo, cela ne fait l’ombre d’aucun doute : « Je suis citoyen de l’oralité, c’est pour cette raison que j’essaie d’émailler mes écrits avec force proverbes, comme on peut le constater dans Le Procès du muet et Les Carnets secrets d’une fille de joie. Ces proverbes sont des trésors parce qu’ils ramassent en peu de mots l’essentiel de la pensée. J’ai beaucoup aimé Les Soleils des indépendances parce que ce roman suit la structuration de la parole de l’oralité »76.Quant au romancier Jacques Prosper Bazié, il considère que l’influence de la littérature orale découle du contact avec son milieu social qui baigne dans l’oralité. Le constat que l’on peut faire est que le roman burkinabé est caractérisé par une esthétique qui découle du réalisme de la tradition77. Le numéro 107 d’octobre-novembre 1991 parle du Niger et le présente par rapport à son histoire, sa diversité culturelle et linguistique, et à son image dans la littérature française métropolitaine. Puis, par un choix de thématiques, le numéro explore les traditions orales au Niger et la force de la parole. Le chapitre III expose la littérature du Niger par genre (l’épopée, le théâtre, le conte, le roman et le conte nomade…). Et un autre chapitre présente des notes de lecture sur des œuvres d’auteurs nigériens.
76
Cf. Interview, « Miroir et mémoire, vigile et voleur de mots »in Notre Librairie N° 101, littérature du Burkina Faso, 77 Alain Joseph Sissao, La littérature orale moaaga comme source d’inspiration de quelques romans burkinabè, thèse de Doctorat, Université Paris XII– Val-de-Marne, 1995, p. 56 (page citée) sur 734 p.
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La littérature béninoise est honorée dans le numéro 124 d’octobre-décembre 1995. Adrien Huannou présente son pays en faisant référence à sa littérature orale et aux précurseurs comme Félix Couchoro et Paul Hazoumé. On apprend ici que la presse a joué un rôle important dans l’essor de la littérature béninoise puisqu’elle a servi de support en édition et de stimulateur. C’est une littérature riche de tous les genres. Un article entier a été réservé à Olympe Bely-Quenum « le plus dense et le plus marquant » des écrivains béninois, aussi bien par le nombre de ses publications que par son engagement et la profondeur de sa réflexion sur les problèmes de l’intégration de l’Africain dans l’aventure de la modernité. Le numéro publie enfin des notes de lecture sur les œuvres d’auteurs et une large bibliographie du corpus béninois. En lisant les numéros spécialisés de Notre Librairie sur les pays africains, on ne rencontre pas vraiment de différences de traitement des littératures nationales par rapport aux traitements que font les anthologies. Le souci semble être le même que dans les anthologies : identifier ces littératures à un espace État-nation, reconnaître et faire voir cet espace. Il est certain que les bibliographies et les notes de lecture servent de repères pour faciliter la lecture d’œuvres souvent introuvables. Mais la revue se présente comme un manuel, un usuel très pratique et plus accessible que ne l’est une anthologie. Ces numéros spéciaux de Notre Librairie posent tout de même la question des littératures nationales sous l’angle national et consacrent les littératures nationales d’Afrique comme tributaires de la nation, de l’histoire, de la constitution des États indépendants africains. Ils consacrent également la rupture avec la littérature africaine de la critique panafricaniste. Il nous semble important aussi de préciser que la revue Notre Librairie, en dehors de quelques
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articles écrits sur Koulsy Lamko78 et Noël Nétonon Ndjékery79, n’a consacré aucun numéro à la production littéraire du Tchad. Il faut préciser par ailleurs qu’il n’est pas facile de rendre compte du très grand nombre d’anthologies publiées depuis longtemps et bien avant l’avènement des littératures dites nationales. Le rôle d’une anthologie est de regrouper des auteurs, des œuvres et des thèmes pour faire la promotion d’une littérature. De ce point de vue, il y a eu plusieurs dizaines d’anthologies. En ce qui concerne l’Afrique, c’est la curiosité exotique, folklorique qui a permis de proposer quelques exemplaires comme l’anthologie de Blaise Cendrard qui voulait donner une image aux découvertes extraeuropéennes. Cependant, des auteurs, comme Ahmadou Hampaté Bâ, le représentant des traditions orales à l’ONU, ont contribué à exhumer les légendes, les mythes, les traditions et les coutumes du monde noir. Par ailleurs, plusieurs inventaires ont été publiés : Le Livre d’or de la poésie française du poète Pierre Seghers en 1962, Le Dictionnaire de la poésie française contemporaine en 1968 de J. Rousselet, puis Trésor de la poésie universelle de Roger Caillois et Jean Clarence Lambert. Il faut noter que ces derniers ouvrages ne se sont pas vraiment intéressés à la production des Noirs. C’est plutôt Serges Brindeau avec La Poésie française de langue française (1973) qui a consacré une partie de son ouvrage au monde noir. Selon Locha Mateso80, c’est l’anthologie publiée par la Fédération internationale des professeurs de français (FIPF) qui a introduit pour la première fois le terme de « francophonie ». Elle place la production des Noirs comme une participation, une contribution et une garantie 78
Notre Librairie, numéro 146, octobre, décembre 2001. Revue Cultures Sud, numéro 170, « Découverte : 20 auteurs du sud. » 80 Hatier, Paris, 1987. 79
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à la promotion du patrimoine francophone. Voilà qui place l’anthologie africaine dans la veine générale de la francophonie et contribue forcément à la promotion de la littérature négro-africaine, cette littérature en langues européennes qui doit se faire connaître et se faire voir comme la version écrite de la littérature du monde noir. La qualification même d’africaine ou de négro-africaine cantonne la production africaine dans une certaine particularité, une certaine différence vis-à-vis de la littérature française et oriente la création des Noirs vers l’Afrique-mère. En fait, depuis l’Anthologie de Senghor, elle ne cesse de se circonscrire de plus en plus dans des domaines plus précis et explique l’évolution de la production des Noirs vers les littératures nationales issues des États-nations d’Afrique. Il reste maintenant à dépasser le cadre très souvent descriptif et la forme en répertoire de la création des Africains pour produire des études et des analyses comme avec La question des littératures nationales de Adrien Huannou, Les nouvelles écritures africaines de Swanou Dabla ou le Panorama critique de la littérature congolaise contemporaine de Roger et Arlette Chemain qui aborde la littérature avec plus de profondeur. Examinons quelques anthologies africaines et pour éviter de faire une espèce de catalogue, nous avons choisi trois titres : – L’Anthologie de la littérature gabonaise publiée chez Hatier en 1993 par Jean-Pierre Goursaud, Nicolas MbaZué et François Martel ; – L’Histoire de la littérature camerounaise publiée par Romain Kouka en 1983 ; – La Littérature béninoise de langue française publiée en 1984 chez Karthala par Adrien Huannou. L’anthologie gabonaise annonce, dès l’avant-propos, qu’elle vise à faire découvrir une littérature méconnue et non à faire un inventaire. Elle signale également que les 102
auteurs ont choisi une présentation thématique pour démontrer autour d’un même sujet si les différents auteurs se rapprochent et se confrontent. C’est sans doute une façon, pour eux, d’éviter la présentation en catalogue des extraits et des biographies d’auteurs. L’anthologie publie à la fin un index d’auteurs. L’anthologie camerounaise semble avoir suivi le même chemin, mais elle a gardé le souci de faire une présentation en deux grands chapitres : quelle est la nature de la littérature traditionnelle camerounaise ? Peut-on procéder à un regroupement analytique des auteurs et des ouvrages de la littérature camerounaise moderne ? L’ouvrage définit la littérature orale dans une large mesure et la présente par rapport à ses différents genres puis la littérature écrite. Il en donne également une définition, les caractéristiques et l’évolution. Il publie la liste des maisons d’édition, une biographie d’auteurs camerounais modernes et une biographie des personnages qui ont influencé la vie littéraire camerounaise en annexe. L’Anthologie de la littérature béninoise est divisée en quatre parties, de sa genèse jusqu’en 1983. Elle souligne au passage l’importance de la presse pour la promotion de la littérature écrite et de « l’esprit de Ponty ». Elle publie aussi une bibliographie et un index des noms d’auteurs cités, des titres, des matières et des thèmes. Comme l’a si bien dit Jacques Chevrier, de façon générale, aucune anthologie africaine ne s’occupe de théorie littéraire, même si on note çà et là des volontés de s’organiser autrement pour éviter de tomber dans les catalogues. Des ouvrages critiques sur l’ensemble de la production de tout un pays sont plutôt rares. Les anthologies se contentent très souvent de rassembler et de présenter des écrits d’auteurs de même nationalité comme s’il suffisait de les montrer pour se convaincre de leur appartenance à un pays qui existe. Ceci s’explique 103
probablement par la volonté des auteurs des Anthologie de vouloir tout d’abord faire voir, de montrer, de vulgariser la production de chacun des pays indépendants d’Afrique, comme c’est aussi notre cas dans ce travail, dans une certaine mesure et dans le sens de regroupement des textes et des auteurs que nous proposons ici, mais que nous essayons d’approfondir en partant de la fondation, du développement et à l’évolution de cette production littéraire. Pour ce qui est du Tchad, nous pensons que ce travail que nous présentons servira aussi à identifier la production de la littérature francophone du Tchad, à la faire connaître et à la faire voir. Comme nous le disions plus haut, c’est une littérature encore peu connue du grand public parce qu’elle n’est pas bien diffusée et il n’existe pas de travail d’analyse vraiment effectué sur cette littérature. Nous espérons que les quelques pistes que nous ouvrons serviront de thèmes de réflexion pour les jeunes chercheurs. Nous avons essayé de poursuivre l’évolution de l’identité littéraire à travers la production des Africains, depuis la négro-renaissance à nos jours. La partie suivante nous permettra de parler de l’institution littéraire au Tchad en la présentant par rapport à son histoire, à sa production, à la langue de l’écriture, aux auteurs mais aussi à travers la réception de l’œuvre.
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DEUXIÈME PARTIE
L’ÉTAT DE LA PRODUCTION LITTÉRAIRE AU TCHAD
Chapitre IV La production littéraire au Tchad Cette deuxième partie de notre travail vise à présenter la production de la littérature au Tchad en partant des premières œuvres, bases des fondements de cette production et le développement de cette création, puis les langues d’écriture, dans un premier temps. Les auteurs et les œuvres à travers le classement des écrivains de leur bio-biographie, de leurs publications, dans un deuxième temps. Et pour finir, la réception des œuvres à travers l’état de l’édition, de la présence dans le programme d’enseignement, dans les médias et les autres instances de valorisation, de la critique littéraire et de la recherche universitaire.
IV.1 - Les fondements de la production Clément Moisan dans Qu’est-ce que l’histoire littéraire ?81cite Roland Barthes qui répondait à la question : « Pourquoi écrit-on l’histoire littéraire ? » « Pour enseigner. L’histoire littéraire est d’abord et avant tout un outil d’enseignement, donc un moyen de transmission de connaissances qui, en raison de cette situation inconstitutionnelle, devient un mode d’éducation dans tout le sens du mot éducation… Comme il s’agit d’un enseignement, on peut facilement comprendre qu’en tout premier lieu, l’histoire littéraire a pour but d’ordonner et de donner un sens aux faits…aux écrivains et aux œuvres
81
PUF, Paris, 1987.
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qui font l’objet d’un récit ou d’une narration82. » Clément Moisan précise que l’histoire littéraire a besoin d’être construite pour ensuite être ordonnée, c’est-à-dire traduite dans des structures concrètes pour être interprétée, c’est-àdire valorisée. L’histoire de l’émergence d’un État comme le Tchad constitue un préalable, un précédent à l’émergence de la littérature. La littérature est tributaire de l’histoire de la gestation de l’État-nation en devenir. On peut parler de l’histoire du Tchad à partir des événements suivants : le 22 avril 1900, sur la rive gauche du fleuve Chari, trois expéditions françaises venues de Brazzaville (Afrique centrale), de Dakar (Afrique de l’Ouest), d’Alger (Afrique du Nord) font leur jonction et tuent Rabah, un résistant à la colonisation occidentale dans cette partie du continent. La mort de Rabah et du commandant Lamy, l’un des chefs des expéditions françaises, donne naissance, sur la rive droite du fleuve Chari, à la ville de Fort-Lamy, ville fondée autour du camp militaire, au lieu du tombeau du commandant Lamy. Fort-Lamy changera de nom et deviendra en juillet 1973, N’Djamena, actuelle capitale du Tchad, et ce, en faveur de la révolution culturelle et sociale (MNRCS) instaurée par le premier président, François Tombalbaye. Ce dernier cherchait à obliger les Tchadiens à abandonner la culture des Occidentaux et de revenir à l’authenticité nationale. Nous pouvons dire aussi que c’est à partir du 22 avril 1900, que la colonisation française a fondé Fort-Lamy autour de quelques petits villages proches, à savoir « Djamb angato », « Djamb al bahar », « Mardjane dafagh », « Gardolé », « Blabline » et « Bololo », avant de procéder à la conquête du territoire entier qui ne sera maîtrisé et pacifié que 26 ans après. Ce long temps de conquête s’explique par la résistance des 82
Clément Moisan, Qu’est-ce que l’histoire littéraire ?, chapitre II, p. 97.
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populations, surtout celle de la partie nord du territoire qui considère la colonisation comme une christianisation et contraire à ses valeurs musulmanes. La colonisation au Tchad a été donc longue et violente, et le colonisateur s’est appuyé sur les populations du sud pour asseoir son administration et disposer de ses auxiliaires et de ses bras armés. Tout cela n’a fait qu’exacerber les clivages et constituer le terreau de la guerre civile qui a déjà éclaté dès 1963 dans la capitale et dont la mauvaise gestion par le premier président, François Tombalbaye, à travers son parti unique (le PPT-RDA) a conduit à la création des mouvements de rébellions comme le FROLINAT (Front de libération nationale du Tchad), et a plongé le pays dans la guerre civile du 12 février 1979. Il faut dire que le Tchad n’a pas connu de stabilité ni de cohésion durable pour construire un pays avec des institutions fondatrices et viables pour son développement. Dans cette émergence chaotique, bancale et violente de cet État qui va devenir indépendant, l’administration malgré tout, s’installe, pose ses jalons et sa structure. La première école en langue française a été créée, entre autres actions à Mao, capitale du royaume du Kanem au nord-ouest du pays en 1923 avec 11 élèves dont une fille puis à Abéché dans le nord-est en 1927. Pendant cette lente et longue acquisition de la langue et de l’écrit, des auxiliaires de l’administration coloniale ont été formés mais aussi et surtout des enseignants. Pendant que s’opère la constitution du nouvel État et se consolident ses institutions, quelques intellectuels, une élite, commencent à émerger. Au fur et à mesure que se constitue l’administration coloniale pour fonder son modèle de gouvernance et sa possession du territoire qui allait s’appeler Tchad, l’école en langue française a fait son œuvre et des auxiliaires de l’administration. Puis des intellectuels qui publieront les premiers ouvrages de 109
fiction à partir de 1962. Soit soixante-deux ans après le début de la colonisation et seulement deux ans après l’indépendance du Tchad (le 11 août 1960), deux intellectuels commettent les premières œuvres de fiction. Ce sont Palou Bebnone83et Joseph Brahim Seïd84 qui délivrent l’acte de naissance de l’Institution de la littérature au Tchad. Ils seront rejoints et renforcés par des auteurs qui continuent à écrire jusqu’aujourd’hui. La suite de notre travail présentera l’institution de cette littérature émergente dans sa constitution.
83
Palou Bebnone avec trois pièces de théâtre : La dot, Kaltouma et Mbang Gaourang… 84 Joseph Brahim Seïd avec un récit autobiographique : Un enfant du Tchad, Présence africaine, Paris, 1962.
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IV.2 - La constitution de la production de la littérature au Tchad Une littérature existe dès qu’il y a des textes à visée esthétique dans une production constituée grâce à une ou plusieurs langues d’écriture et d’usage reconnues dans tout l’espace national. Au Tchad, la première œuvre littéraire n’a été publiée qu’en 1962, soit deux ans après l’indépendance du pays. La création de la première école occidentale en 1923 à Mao est un repère important dans l’acquisition de la langue de l’écriture. Une date qui compte également en histoire littéraire. De 1923 à 1962, voilà le temps mis par les quelques cadres pour maîtriser la langue française et produire la première œuvre de fiction. La littérature d’expression française compte plus de quatre-vingts œuvres de fiction dans tous les genres. La langue française est acquise à la faveur du fait colonial et à travers l’imposition de l’école occidentale. La littérature du Tchad en langue européenne, comme les littératures des nations africaines indépendantes, s’inscrit dans une rupture par rapport à l’évolution de l’idée de la nation dans la conscience des écrivains négro-africains. Parce qu’elle s’inscrit dans la quête du moi individuel, particulier, celui se réclamant de l’État-nation hérité de la colonisation. La littérature du Tchad est jeune. Elle existe seulement depuis une cinquantaine d’années, c’est-à-dire dès les premières heures des indépendances africaines. Le Tchad est tributaire de la tradition orale comme la plupart des États africains francophones. Sa littérature est riche en mythes, légendes, contes, poèmes, folklores… véhiculés par des griots détenteurs de traditions séculaires. Le Tchad a développé une littérature issue de la tradition orale par son potentiel de langues et son grand nombre d’ethnies comme partout en Afrique. Ces différentes formes que prend la littérature orale du Tchad sont 111
rassemblées par des linguistes et des associations de l’Église du Tchad. La radio nationale tchadienne se fait le porte-parole en transmettant par la voie des ondes les chants, poèmes et folklores qui viennent de toutes les régions du pays. Les écrivains tchadiens en langue française, en empruntant les genres conventionnels de la littérature occidentale écrite, profitent de ses bases conceptuelles pour transcrire la culture et contribuer ainsi à reconstruire des tranches d’identité nationale. La littérature tchadienne est très récente. C’est une littérature jeune et en pleine structuration. Jeune parce que la première publication date seulement de 1962. Ce sont Bebnone Palou et ensuite J. B. Seïd qui ont inauguré la littérature écrite. Elle est en pleine structuration parce que les principales œuvres des auteurs tchadiens sont presque toutes primées aux concours littéraires internationaux de RFI. Le Tchad n’a pas encore produit d’auteur de la carrure d’un Ahmadou Kourouma, Cheik Hamidou Kane, Sony Labou Tansi, Mongo Béti… mais beaucoup de jeunes auteurs, à travers le monde, écrivent et produisent des œuvres reconnues que nous nous proposons de présenter dans la suite de notre travail. Au Tchad même, des jeunes sont passés à l’acte. Nous pensons à Ali A. Haggar avec Le Mendiant de l’espoir et Le Prix du rêve, Zakaria Fadoul avec Loin de moi et bien d’autres peu connus parce qu’ils sont encore fragiles, balbutiants, mais le germe est là et l’espoir aussi. Ces velléités montrent clairement l’importance de l’attente quant à l’émergence d’une littérature nationale tchadienne. Nous proposons plus loin un répertoire d’œuvres d’écrivains tchadiens. Il nous semble plus simple de les classer par genre. L’objectif est de permettre à tous ceux et à toutes celles que la littérature tchadienne intéresse d’opérer aisément un choix. Tous les genres sont représentés. 112
Le contact de l’Afrique avec l’Occident a eu pour conséquence l’acquisition des langues européennes. Les intellectuels se saisissent de l’écriture comme d’un instrument pour concrétiser la civilisation de l’oralité. L’écrivain s’est mis à transcrire le fond de la tradition orale qu’il a essayé d’organiser pour le (ré)écrire. L’Afrique est composée désormais d’ensembles soudés par la langue : on parle de l’Afrique francophone, lusophone, anglophone… On parle également de la littérature francophone pour désigner les productions littéraires issues de ces grands espaces géographiques où le français est la langue officielle et la langue du savoir. Le concept de la francophonie, c’est cette assemblée culturelle, politique et littéraire de ces hommes et femmes originaires de ces grandes aires de la planète qui ont le français en commun. Il convient ici de désigner la littérature francophone par rapport à son implantation géographique : la littérature francophone est l’ensemble qui se compose de cinq espaces francophones. Ce sont les espaces africain, maghrébin, de l’océan Indien, du Québec et une partie de l’Europe (France, Luxembourg, Belgique, Suisse…).À l’intérieur de l’espace africain appelé aussi espace négro-africain, la littérature tchadienne s’inscrit dans la droite ligne de l’évolution de la thématique de la production des Noirs (Afro-Américains et Africains). Elle fait partie des littératures nationales, comme l’indique Jacques Chevrier dans Littérature nègre. Les écrivains issus des territoires africains indépendants sont, pour la plupart, nés après l’esclavage et après la colonisation. Certains d’entre eux sont nés hors d’Afrique, au Canada, en Amérique (génération de la Migritude). Ils n’ont donc pas les mêmes préoccupations que leurs aînés précurseurs. Leurs écrits traitent des thématiques de proximité, s’occupent de clivage relatif à la gestion, à la maîtrise de ces nouvelles sociétés à l’intérieur d’un territoire-État qui 113
se veut Nation. Ils sont en prise avec la gestation de ces cultures multiples dont la littérature, qui composent désormais ces États-nations nouveaux. Il en est ainsi de la production de Noël Nétonon Ndjékéry dans Sang de kola, de Baba Moustapha dans Le souffle de l’harmattan, de Koulsy Lamko dans toute sa création romanesque, théâtrale, poétique, ou encore de Nimrod qui vit en France mais dont la création reste attachée aux problèmes de la société tchadienne contemporaine. En remontant au début de la littérature francophone d’Afrique, nous constatons qu’au commencement, la prise de conscience des écrivains négro-africains, la littérature n’a été qu’un seul cri, un appel qui est demeuré le même dans toutes les aires francophones et particulièrement. L’engagement fut le thème fédérateur, et ce, jusqu’à l’avènement des indépendances des États africains. L’écriture (des Africains en langues étrangères) se détache de l’engagement et de ses corollaires (souffrance, exaltation des valeurs ancestrales, louanges de l’homme noir…) pour s’occuper des problèmes de proximité. L’écriture ensuite du désenchantement face au néocolonialisme représenté par les gouvernants autochtones voit le jour. Une nouvelle thématique apparaît. On fustige la cupidité des fonctionnaires, le népotisme, la gabegie, etc., on parle de la mort programmée de la classe traditionnelle dirigeante et de la naissance d’un nouveau type de pouvoir. Peut-on alors parler de littérature nationale pour ce qui concerne la littérature tchadienne ? La réponse est évidemment oui. Cette question grave appelle les concepts de culture, d’identité, de nation et de civilisation, d’instances de légitimation de cette littérature, prix littéraires, etc. que nous avons tenté de traiter dans le dernier chapitre de la première partie de cette thèse.
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IV.3 - Les langues de l’écriture littéraire Il y a deux langues officielles et d’écriture au Tchad, le français et la langue arabe. Dans le cadre de la création littéraire, les deux langues n’ont pas le même impact et de ce fait, il convient d’apporter quelques précisions pour éclairer le lecteur. La langue française est la première langue officielle, la langue du savoir apprise à l’école créée par la colonisation, la langue des relations nationales et internationales. Elle est aussi la langue de l’écrit et donc de l’écriture littéraire. Elle est majoritairement parlée et acceptée sur toute l’étendue du territoire. Nous avons démontré plus haut comment est acquise la langue française et comment a évolué l’apprentissage qui a entraîné la formation des enseignants et des auxiliaires de l’administration, puis une élite a émergé et a permis donc la création des premières œuvres de littérature au Tchad. Il y a donc une grande visibilité de la production littéraire francophone, comme nous l’avons démontré plus haut et comme nous le démontrerons dans la suite de notre travail. Ce qui autorise à parler de littérature tchadienne d’expression française. La production littéraire d’expression française est représentée dans tous les genres et compte beaucoup d’ouvrages que nous présenterons dans le chapitre IV-3, qui suivra. Grâce à l’école imposée et implantée progressivement à travers le territoire, le français a évolué normalement et est devenu la première langue de l’administration, la première langue officielle et la première langue de l’écriture littéraire. C’est pourquoi nous enseignant francophone, nous avons choisi de proposer de faire ce travail sur la production francophone de la littérature du Tchad. Nous sommes d’abord francophones et nous ne pouvons pas faire un travail exhaustif sur la production arabophone. 115
Avant l’avènement de la langue française et son développement puis son rayonnement qui l’ont conduite à devenir la première langue officielle et la première langue de l’écrit, la langue arabe était enseignée, uniquement dans la région du Nord, dans les madrasas (école en arabe) pour former des élèves musulmans. L’arabe, langue vernaculaire, comme toutes les langues nationales du pays, est parlée dans la quasi-étendue du territoire, ce qui lui a donné le statut de langue véhiculaire, parce que majoritaire. Les Tchadiens instruits en langue arabe n’ont pas vraiment pu produire suffisamment d’œuvres de fiction pour faire exister une littérature tchadienne d’expression arabe. Dans les années 2000, le colloque des écrivains, association qui cherche à faire la promotion de la production littéraire au Tchad, avait confié à un universitaire arabophone un travail qui devrait produire un répertoire des œuvres en langue arabe. Le travail est fait et une anthologie de la production littéraire du Tchad d’expression arabe a été éditée. On parle prioritairement de poésie plutôt que des autres genres. Et l’on n’arrive pas à faire une lecture de cette production. Cette anthologie n’a pas été traduite et les œuvres qu’elle contient restent inconnues du public même arabophone. Il n’y a donc pas de visibilité de la production littéraire d’expression arabe du Tchad. Cependant, des écoles et des universités en langue arabe existent. Mais au niveau des intellectuels, la langue arabe connaît beaucoup de difficultés qui pourraient expliquer le manque de visibilité d’une production littéraire arabophone. Il faut d’abord désacraliser la langue arabe, la débarrasser de son manteau religieux et en faire la langue du savoir. Ce qui pose problème, c’est que la langue arabe est la deuxième langue officielle du Tchad et qu’une grande partie du peuple est arabophone et se revendique comme tel, qui a sa culture et 116
revendique également sa littérature. Le problème des langues d’écriture est politique et le retard de la langue arabe n’est pas encore résolu. Pour avoir été l’une des premières revendications de l’opposition nordiste. La langue arabe est rejetée par la population du sud du pays. L’arabe reste difficile à faire accepter comme langue de savoir au même titre que le français. Même les langues secondes (anglais, allemand, russe) sont plus tolérées. Ceci s’explique, semble-t-il, par les origines du malaise national de l’acceptation de l’État Tchad (État-nation) dans toutes ses frontières par tous les Tchadiens. À ce titre, la langue arabe constitue au même titre que la langue française un complexe structurel qui n’est que la partie visible et souvent moins révélée d’un autre clivage plus profond : l’antagonisme islam-christianisme qui cache le clivage Nord-Sud. Cette résistance, consciente ou inconsciente à la langue arabe, n’est pas le seul fait des sudistes. Les nordistes et les arabophones eux-mêmes ne favorisent pas l’essor de la langue arabe et adoptent souvent un comportement vindicatif qui reflète beaucoup de complexes. Ils contribuent à conforter les détracteurs de langue arabe dans leurs idées en leur servant le spectacle vivant de leur incompatibilité.
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Chapitre V Les auteurs et les œuvres Ce chapitre cherche à classer les auteurs par catégories, à faire leur bio-biographie et à présenter leur production.
V.1 - Le classement des écrivains Nous pensons classer par catégorie les auteurs en présentant d’abord les précurseurs, c’est-à-dire ceux qui ont écrit les premières œuvres de fiction en langue française dès 1962. Ce sont Palou Bebnone et Joseph Brahim Seïd. Les adeptes des concours internationaux et des résidences d’écriture, comme Koulsy Lamko et Nocky Djédanoum, ont été aussi d’un apport important. Les catégories suivantes sont présentées par rapport à l’importance numérique de la production et la diversité de production par auteur selon les genres. En raison de leur importance dans l’émergence de la littérature au Tchad, les deux premières catégories méritent d’être précisées. Si les précurseurs ont lancé la production littéraire, les concours internationaux et les résidences d’écriture ont donné beaucoup de dynamisme à la création littéraire, à commencer par Palou Bebnone qui dès 1962 a écrit pour RFI. Quelques années plus tard, Koulsy Lamko, le plus prolifique des auteurs tchadiens, a publié presque sans discontinuer dans tous les genres et Nocky Djédanoum par le biais du festival culturel « Fest’Africa » a également écrit des ouvrages. Nous considérons l’œuvre du point de vue de l’importance de la production. Quantitativement, le théâtre est le genre qui a le plus grand nombre d’œuvres, suivi de la nouvelle, puis des récits autobiographiques. Ce fait semble s’expliquer par la pratique des concours 119
internationaux proposés par Radio France internationale (RFI), une tradition héritée de l’école William Ponty de Dakar. En effet, l’école supérieure William Ponty organisait des concours de création d’œuvres littéraires afin de détecter et de faire valoir les talents. Le concours théâtral interafricain et le concours de la meilleure nouvelle de langue française ont servi largement de catalyseur dans le développement de la production des pièces de théâtre et de nouvelles chez les auteurs tchadiens. L’écriture autobiographique fut d’abord tributaire du fait politique puisque tous les autobiographes ont écrit par dépit pour dénoncer les régimes successifs du Tchad. Même ceux qui ont écrit des autobiographies pures ont d’abord écrit pour dénoncer les régimes politiques et proposer des solutions pour une meilleure gestion du pays. En effet la catégorie des précurseurs a inauguré l’écriture littéraire et les concours internationaux de RFI (Le concours théâtral interafricain et le concours de la meilleure nouvelle de la langue française) puis les résidences d’écriture à Limoges mais aussi les résidences d’écriture « par devoir de mémoire pour le Rwanda » ont réuni autour du festival « Fest’Africa » des auteurs africains et tchadiens dont Koulsy Lamko et Nocky Djédanoum qui ont donc donné un élan important à la littérature au Tchad. Les auteurs tchadiens peuvent donc être classés dans sept catégories : • Les précurseurs ; • Les auteurs des concours internationaux et des résidences d’écriture ; • Les autobiographes ; • Les romanciers ; • Les nouvellistes ; • Les poètes ; • Les conteurs. 120
Les précurseurs Palou Bebnone est le véritable précurseur de la littérature écrite en langue française au Tchad. Il a publié la première œuvre écrite La Dot en 1962. Cette pièce de théâtre n’a pas pu être exploitée parce qu’elle est restée introuvable même dans la bibliothèque multimédia de Limoges où RFI dépose tous ses manuscrits. Il semble qu’elle traite de la peinture sociale et la pièce cherche à informer sur certaines pratiques qui entravent la bonne marche de la société parce qu’elles détournent les valeurs sociales au profit des égoïsmes individuels. Par ailleurs, L’œuvre de Palou Bebnone présente deux aspects bien distincts : l’analyse du tissu social avec Kaltouma et La Dot, et le thème du pouvoir avec Mbang Gaourang, roi du Baguirmi. La vision sociale de Palou Bebnone se concentre sur la famille. Il fait une analyse proche du couple conjugal classique, le mari et la femme à travers les liens qui les unissent, le contrat du mariage et de « la dot ».Le pouvoir est traité dans sa seule pièce M’bang Gaourang, roi du Baguirmi. Il s’agit d’une reprise de l’histoire ancienne du Tchad, de l’histoire du royaume du Baguirmi, troisième royaume par son importance. La pièce est une fresque qui présente une succession de tableaux. Ils semblent donner une réécriture de l’histoire avec la volonté manifeste de représenter un roi juste, humain, réaliste, tolérant et proche de son peuple. Palou Bebnone est resté très moralisateur, tant du point de vue de la famille, du social que du traitement du pouvoir. Joseph Brahim Seïd Il se distingue très tôt avec son recueil de 14 contes : Au Tchad sous les étoiles, la deuxième œuvre écrite par un Tchadien, écrite en 1962, la même année que La Dot 121
de Palou Bebnone. Il confirme son talent en publiant un récit autobiographique, Un enfant du Tchad, en 1967 chez Segerep à Paris. Joseph Brahim Seïd meurt en laissant beaucoup d’œuvres inédites que sa famille n’a pas su sauver. Il a laissé son immense bibliothèque à l’université du Tchad, devenue université de N’Djamena. Baba Moustapha Baba Moustapha est d’abord dramaturge. Sur sept de ses œuvres produites, quatre sont des pièces de théâtre. Le Maître des djinns et Achta ou le drame d’une fille mère portent sur scène les problèmes de la société et analysent les valeurs de l’éducation, des tabous sociaux et leur utilisation par certaines personnes malintentionnées. Elles s’en servent pour faire du chantage ou s’imposer à des personnes naïves dans le but de leur soutirer des biens ou d’obtenir une faveur. Makarie aux épines et Le Commandant Chaka85 font une représentation des maîtres du pouvoir. Il s’agit de la satire politique, de la dérision d’un dictateur et de ses courtisans. Le Commandant Chaka est une analyse plus poussée, plus sérieuse du phénomène des révolutions progressistes qui ont suivi les indépendances africaines. Le génie du dramaturge pousse la réflexion jusqu’aux raisons premières des clivages qui inscrivent la lutte pour l’émancipation dans la reconstruction identitaire. Le pouvoir est décrit dans ce qu’il a de réaliste mais aussi d’excessif. Il ressort de la vision de Baba Moustapha deux tendances : la dictature gouvernante sur fond d’opportunisme social et la dictature révolutionnaire dite progressiste qui demande un décodage plus en profondeur de la société, une relecture identitaire. Nous retrouvons cette vision double chez Baba Moustapha, dans ses nouvelles La Couture de Paris et 85
Clé, Yaoundé, 1983.
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Sortilèges dans les ténèbres86, et également dans son seul roman posthume, Le souffle de l’harmattan. Ce roman semble réunir l’essentiel de son expérience où toutes les tendances de son écriture (le social, l’écologique, le politique…) se révèlent sans doute parce qu’il évoque le cadre national tchadien en proie à l’obsédant harmattan, véritable prédateur, allégorie de la destruction. L’harmattan devient l’agent destructeur qui mine de l’intérieur tous les organes de la société, du pays et de la nation. Noël Nétonon Ndjékéry Dans toutes ses pièces de théâtre, Noël Nétonon Ndjékéry traite presque exclusivement du thème du pouvoir. Bois, mon cher ami, bois ! porte sur scène la ville de Moundou à travers le destin du docteur Barnabas pendant la dictature et l’emprise de la police politique. Goudangou ou les vicissitudes du pouvoir, pièce de théâtre qui met en scène une République de l’Afrique, probablement le Tchad, sous la conduite d’un dictateur, lui-même à la merci des puissances occidentales (Ostanie et Estanie). On y reconnaît facilement le profil bicéphale de la guerre froide, l’Ouest et l’Est, ces puissances qui fomentent des coups d’État sous la direction de jeunes officiers idéalistes. La pièce finit par la chute du pays dans la violence sur fond de tribalisme. Ce sont là les maux qui minent et gangrènent l’Afrique de cette époque. Si la plupart des auteurs tchadiens ont écrit sur le pouvoir, Noël Nétonon Ndjékéry est resté jusqu’à sa dernière publication, Sang de kola, très attaché au thème du pouvoir. Le pouvoir est une plaie encore ouverte et l’on ne vit pas sans toucher sa plaie ; il faut bien en guérir. Il reste l’écrivain du pouvoir par excellence. 86
Manuscrit, 1980.
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Les adeptes des concours internationaux et des résidences d’écriture Les concours littéraires internationaux et les résidences d’écriture ont joué un grand rôle dans la formation, la reconnaissance et la diffusion des œuvres de plusieurs auteurs. Dont Koulsy Lamkoet Nocky Djédanoum. Koulsy Lamko est davantage dramaturge à tempérament de poète que seulement nouvelliste, conteur ou romancier. Il a produit à lui seul une dizaine de pièces de théâtre. Elles laissent apparaître une écriture de la douleur qui s’exprime par des symboles et des mythes, sous une mixité culturelle, plurielle. Son imaginaire est celui d’un écorché vif qui recherche la solution aux problèmes de la société en recréant des visions qui passent par une relecture de la tradition orale et de la vie quotidienne. Son rôle est celui du poète porte-parole des sans-voix. Il se place volontiers dans le tragique tout comme ses personnages qui n’ont de destin qu’individuel. Dans Le Camp tend la sébile, pièce publiée en 1993, la représentation des réfugiés échappés de N’Djamena est une lente descente dans les abîmes de la douleur. Si la guerre chasse les réfugiés de la capitale, les conditions du camp ajoutent à leur déchéance physique, celle morale et sociale. Leur vie est faite de déception, de résignation, de suicide et de meurtre. Ils deviennent un simple numéro inscrit sur une toile de tente. Les lamentations, les cris, les pleurs couvrent la voix du reporter impuissant. Elles transforment la pièce en cérémonie funèbre. La douleur c’est aussi le quartier des « accroupis prêts à être déguerpis » représentés dans Tout bas, si bas ! (1995) où le mal de vivre oblige le père de famille à vivre perché sur la branche d’un arbre et la grand-mère à rechercher l’avenir dans l’eau d’une calebasse. Cette exploration de la 124
douleur s’accompagne d’une relecture des traditions orales et de la vie quotidienne. Ndo Kela ou l’initiation avortée nous ramène aux sources de la société. C’est à Bagoua, un village africain, que commence l’aventure des jeunes. Leur « folie » consiste à revisiter les traditions pour en refuser la sagesse. Il s’agit d’un préapprentissage collectif. Voilà qui nous ramène à la nouvelle démarche, le travail de tous pour exorciser la misère. Les « accroupis » représentent la misère et le mal-être du peuple ordinaire. Ils sont à la périphérie, en situation de nomades. Ils sont « au fond de la raque », sans aucun espoir. Alors pour tromper la misère et changer le sort, une fillette invente le mensonge. L’invention de la fillette est la naissance de « l’enfant au bras pyrogravé », l’envoyé de Dieu qui transformerait la vie, le mythe universel. Il appartient à toutes les traditions et à toutes les sociétés. C’est le rêve qui expliquerait la condition humaine, d’où l’impossible confirmation de son existence. Sankadi dans Ndo Kela…, à la tête des jeunes révolutionnaires, invite tous les siens à plonger dans les entrailles de la « termitière géante » et à « l’attaquer à mains nues ». Cela symbolise la profondeur, l’enracinement, la constance, le foisonnement et la pérennité dans les traditions. C’est une « folie » qui épouse le retour aux origines de la société, la dérision des traditions et du statut des sages pour recréer l’avenir. Le Margaye et la termitière représentent toute la dimension de la société traditionnelle qui devra être refondue dans des valeurs étrangères acquises. Ici, la dimension culturelle plurielle préfigure l’avenir. Dans Mon fils de mon frère, pièce de théâtre, il s’agit encore d’une visite des traditions. Cette fois pour les railler, faire la dérision des croyances ancestrales qui sont tout simplement frappées de stérilité. La stérilité du groupe des anciens sera contournée et peutêtre guérie grâce au courage du groupe des femmes qui a osé braver les interdits. Les interdits consistent pour les 125
femmes à faire irruption dans le cercle des anciens et des hommes lors des cérémonies, en plus, l’une des femmes, Boulo, déclame : « Nous avons violé l’homme serpent, nous avons offert nos intimités chaudes aux assauts de l’impuissance… Telko, infirmité de vos consciences faites chair… vous êtes tous des stériles »87.Cette volonté persistante de fertiliser les traditions ancestrales vient du désir radical du changement, du renouvellement de la société pour la mettre en conformité avec son époque. Pour réintégrer la nouvelle termitière, il y a un autre symbole : le papillon qui caractérise le personnage du voyageur dans Papillon de nuit, pièce parue dans Exils (1994). Il signifie la métamorphose, la légèreté, l’inconstance mais aussi la polyvalence, l’adaptation à toutes les situations. Il aspire à faire prendre conscience, à dénoncer la situation qui prévaut pour initier des solutions. Le rôle du voyageur dans Le Camp tend la sébile est aussi celui du reporter dans Tout bas, si bas ! et celui de Sankadi dans Ndo Kela…Il est le poète dans la cité, poète porte-parole des sans-voix. Il est présenté comme un fou, un déstabilisé. Dans ses divagations, il chante une mère polyandre trahie par ses fils. C’est une mère « veuve en mouvement » qui, en attente de la « semence du sauvetage, doit jouir de l’inceste pour enfanter l’espoir ». Cette vision pourrait s’apparenter à celle de Nedjma de Kateb Yacine. Le personnage du reporter se définit comme un réfugié étranger en exil. Son rôle est de diffuser le mensonge pour entretenir le rêve. Il reste toujours un trafiquant de fables. Le reporter sera tué pour n’avoir pas pu prouver l’existence du mensonge universel. La voix du poète dans le camp sera couverte par les lamentations et les cris des pleureuses. Sankadi mourra pour avoir osé
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Extrait de « Mon fils de mon frère » théâtre, de Koulsy Lamko..
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« attaquer la termitière géante »88. Dans tous les cas, l’avenir du dramaturge-poète bascule dans le tragique. L’écriture de Koulsy Lamko, en revenant aux origines de la société, passe par la relecture des mythes et des symboles. Elle bouscule les structures de la société traditionnelle qu’elle refond dans les formes conventionnelles des genres. En attendant, le dramaturge-poète erre et écrit dans le but de réintégrer la « termitière géante ». Il perpétue ses métamorphoses, ses cris de douleur et de détresse. Cette œuvre est un chemin de croix pour le supplicié poète, qui demeurera longtemps inconsolé. Nocky Djédanoum Nocky Djédanoum est journaliste de formation. Il vivait à Lille où il a fondé, avec la collaboration de Maïmouna Koulibaly sa compagne, le festival Fest’Africa dont il est le directeur artistique depuis 1994.Il a écrit pour le concours théâtral interafricain de RFI une pièce, Illusions, primée en 1984 et diffusée sur les antennes dans le cadre de l’émission Première chance sur les ondes. L’Aubade des coqs, une deuxième pièce de théâtre encore inédite, a été déjà jouée en 1997 à Lille, à Abidjan et à N’Djamena. Il prépare une troisième pièce, Les Sextirpateurs qui marquera sûrement son temps. Nocky Djédanoum compte parmi les jeunes espoirs de la littérature du Tchad. Illusions est la pièce du refus de la partition de la société et partant de la nation dans son ensemble. Elle ose forcer à l’union par la solution proposée, le fait accompli. L’Aubade des coqs semble, quant à elle, plus désillusionnée, peut-être plus réaliste, parce qu’elle propose la pratique de l’art, du rêve et de l’utopie, de la rééducation de la nouvelle génération à la 88
Extrait de « Mon fils de mon frère » théâtre, de Koulsy Lamko.
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création artistique aussi, dans le but de conserver et de perpétuer la mémoire du passé. Qui n’aura pas su cultiver son passé n’aura pas d’avenir. Partant de l’importante production des œuvres théâtrales, il nous semble utile de parler ici de l’activité théâtrale et de son développement. Le théâtre est sûrement l’activité artistique la plus pratiquée au Tchad. Un grand nombre de compagnies de théâtre existent au pays, travaillent et se produisent souvent dans un amateurisme qu’elles ont du mal à dépasser. Quelques-unes de ces compagnies qui ont réussi à participer à des festivals à l’étranger ont pris goût et ont acquis de l’expérience grâce aux échanges culturels. Il reste malheureusement qu’elles ne s’occupent pas toujours des pièces produites par les dramaturges tchadiens. Ceci est dû pour la plupart du temps au dénuement. Les compagnies à la recherche de promoteurs acceptent tout ce qu’on leur propose. Les pièces tchadiennes attendent donc d’être adaptées et mises en scène pour être jouées devant leur propre public. Un regard en arrière permet de remarquer que depuis la guerre civile, N’Djamena seule semble être capable d’offrir aux comédiens un espace de scène et de production. Toutefois, depuis les années 1970, il se jouait certaines pièces. En 1978, Achta ou le drame d’une fille mère a été beaucoup représentée et diffusée sur les ondes de Radio-Tchad. Pendant ces années-là et celles qui précédaient la guerre civile, un engouement important avait emporté les Tchadiens et avait atteint même les familles les moins disposées à aller regarder jouer une pièce de théâtre. Les œuvres de Baba Moustapha, celles de N. N. Ndjékéry, de Palou Bebnone, de Koulsy Lamko et de Maoundoé Naïndouba ont été largement jouées à N’Djamena et en province, surtout après la guerre. Les pièces de Baba Moustapha, de Ndjékéry et de Koulsy Lamko ont été largement représentées à N’Djamena par
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presque toutes les compagnies de la capitale. Il en a été de même pour les pièces de Palou Bebnone. L’Étudiant de Soweto de Maoundoé Naïndouba a été la pièce qui a le plus eu de succès avec Achta ou le drame d’une fille mère de Baba Moustapha. Elle a été jouée à N’Djamena, en province et en Afrique. Illusions et L’Aubade des coqs de Nocky Djédanoum ont été jouées à N’Djamena, mais aussi à Lille en France par le Théâtre du Nord. La Malédiction de Ouaga Ballé Danaï a été jouée à sa parution à Abidjan. De nouvelles compagnies ont vu le jour et projettent de faire la promotion des dramaturges, des pièces et des comédiens tchadiens, tout en restant ouvertes sur la promotion du théâtre francophone. Les nouvellistes Maoundoé Naindoubaavait annoncé avant son décès, la parution de deux nouvelles : La double détresse et La lèpre mais qui n’ont jamais paru. Nous nous permettons seulement d’annoncer la nouvelle. Nétonon Ndjékéry La Carte du parti89 Ici, N. N. Ndjékéry dénonce le régime du parti unique qui a longtemps sévi en Afrique et pose le problème de renouvellement de générations pour la naissance d’une Afrique moderne. Il y a d’un côté le parti unique dirigé par des hommes d’une autre génération, les vieux. Ils sont méfiants, jaloux, envieux et cupides. Ils ne tolèrent pas la différence et moins encore la compétence et les tentatives de renouveau. D’un autre côté, il y a la nouvelle 89
Hatier, Monde noir, Poche, 1980.
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génération représentée ici par Belembaye, jeune cadre formé en Europe, plein d’énergie et de bonnes initiatives pour son pays. Mais également par son épouse, infirmière qualifiée, jeune et belle. Il n’en fallait pas plus pour coûter la prison au jeune Belembaye. La Descente aux enfers90 Tout se passe comme dans un châtiment divin. Absakine et Maryam ressemblent au couple mythique (Adam et Ève). Après le péché originel, Dieu se fâche et expulse le couple de son Éden. L’expression « descente aux enfers » définit bien la volonté d’une vision biblique de l’événement. Selon les Livres saints, l’enfer est multiple et composé de degrés de plus en plus affreux. La déchéance d’Absakine et de Maryam va jusqu’à la séparation du couple et à la mort du mari. Les Trouvailles de Bemba91 Les Trouvailles de Bemba est une nouvelle retenue dans le cadre du troisième concours de la meilleure nouvelle de langue française de RFI en février 1976. Le cadre naturel du village de Bémoundou est un véritable paradis qui s’accommode très mal du quotidien de la communauté, de l’imposition de la culture du coton (l’or blanc) ou encore de l’abus d’autorité des soldats, bras exécutants du pouvoir. Baba Moustapha Baba Moustapha a écrit deux nouvelles : La Couture de Paris, et Sortilèges dans les ténèbres. Sortilèges dans les ténèbres reste introuvable et nous regrettons de ne pas pouvoir l’exploiter. 90
Ibid. Hatier, Monde noir, Poche, 1977.
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La Couture de Paris s’attelle à faire voir la problématique de l’impossible développement d’une Afrique elle-même en formation. Le développement est un processus qui se prépare sûrement et mûrement, pédagogiquement et progressivement. C’est pour cela qu’il ne reste à nos deux artisans que la fascination, la publicité ou encore des modèles lointains et inaccessibles. Koulsy Lamko Regards dans une larme Retenue dans le cadre d’un concours de nouvelles intitulé « km 31 » lancé par Africa n° 1 pour faire le bilan des trente années d’indépendances africaines, cette nouvelle permet à Koulsy Lamko de nous donner à lire ses douleurs à travers une larme. Aurore Le poète fou, porte-parole des sans-voix, amorce à son retour auprès de sa mère une succession de souvenirs qui nous amènent aux premières erreurs du pouvoir de Tombalbaye. Aurore nous ramène à la source des clivages. Koulsy Lamko plonge le lecteur dans ses souvenirs. Il se rappelle les événements de Mangalmé, ces représailles contre un village Moubi au centre-est du Tchad par l’armée gouvernementale. C’était l’étincelle qui avait mis le feu à la poudre de la guerre civile. Les autobiographes Au sujet de ce genre, Joseph Brahim Seïd est le précurseur en publiant le premier récit autobiographique : Un enfant du Tchad92, que nous n’avons pas pu exploiter, faute de disponibilité. 92
Éditions Ségérep, 1962.
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Antoine Bangui Il est l’auteur de Prisonnier de Tombalbaye et Les Ombres de Kôh, deux récits autobiographiques publiés chez Hatier. Prisonnier de Tombalbaye est le récit du séjour carcéral enduré par l’auteur soupçonné de complot politique contre le président Tombalbaye. Les Ombres de Kôh est le récit autobiographique pur, celui qui raconte la vie de son auteur. Il a fait des études en France et a enseigné les mathématiques. Sa carrière politique débute en 1961. Il collabore pendant plus de dix ans avec le président François Tombalbaye. Il devient plusieurs fois ministre avant d’être suspecté comme opposant puis emprisonné. Sa carrière politique explique certainement et a motivé son récit. Michel N’Gangbet Kosnaye Les tribulations d’un jeune Tchadien est le seul récit publié par Michel N’Gangbet Kosnaye. Son livre semble reprendre les deux récits de son ami Antoine Bangui. Le récit politique et le récit autobiographique purs coexistent. Il a été administrateur civil puis plusieurs fois ministre. Il a été aussi suspecté comme Antoine Bangui, emprisonné et libéré comme lui en faveur du coup d’État militaire de 1975. Kosnaye a publié un essai politique chez Karthala en 1984, Peut-on encore sauver le Tchad ? Mahamat Hassan Abbakar Instituteur bilingue, Un jeune Tchadien en aventure relate ses mésaventures d’exil.
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Il quitte le Tchad pour rejoindre le Frolinat. Mais son aventure le conduira plutôt au contact du monde. Il apprendra alors à mieux gérer les hommes et les difficultés. Il finira ses pérégrinations en obtenant des diplômes supérieurs en droit. Magistrat, il exerce avec dévouement et compétence ses fonctions. Il dirige depuis quelques années une commission d’enquête sur les crimes et détournements commis par l’ex-président Hissein Habré. Il est le président de l’association des juristes tchadiens. Mahamat Hassan Abbakar publia plusieurs articles juridiques, en collaboration avec d’autres magistrats. Ahmed Kotoko Sa biographie est entièrement consignée dans son récit autobiographique posthume. Le Destin de Hamaï, ou le long chemin vers l’indépendance du Tchad, publié chez L’Harmattan en 1990.On y découvre un Ahmed Kotoko très attaché à son pays de cœur, le Tchad, d’où il sera expulsé et déchu de sa nationalité par le premier président François Tombalbaye. Il n’exercera pas moins des fonctions importantes dans son pays de naissance, le Cameroun. Il fera une très bonne carrière de diplomate. Il meurt à Kousseri en face de N’Djamena, le 7 octobre 1988. Zakaria Fadoul Khitir Il commence sa carrière littéraire en même que ses études supérieures qui le conduisent tour à tour à Kinshasa, à Dakar et en France. Linguiste de formation, il obtient un doctorat de 3e cycle sur l’enseignement du français et de l’arabe au Tchad. Il a publié deux ouvrages autobiographiques, Loin de moi-même et Les Moments difficiles et un essai, Le chef, le forgeron et le faki chez Sépia. Loin de moi-même est un récit de son état 133
psychologique, au début de ses études supérieures, où il était vraiment en déperdition et à la recherche de luimême. Les moments difficiles racontent son emprisonnement dans les geôles du président dictateur Hissein Habré, tandis que Le chef, le forgeron et le faki, écrit bien plus tard revient sur la société traditionnelle Zakhawa de son enfance. Hinda Déby Itno Hinda Mahamat Abderahim Acyl, épouse Déby Itno, est la Première dame du Tchad. La main sur le cœur, publié chez les Éditions continentales, Paris, 2008, est une autobiographie. Elle y parle d’elle, de sa jeunesse, de sa famille, de ses études et surtout de son destin exceptionnel qui l’a conduite à rencontrer et à épouser un président de la République : le président Idriss Déby Itno. Les romanciers Un constat s’impose : le roman est apparu très récemment dans la production littéraire du Tchad. La plupart des romans écrits par des Tchadiens sont publiés entre 1998 et 2002. Ali Abdel-Rhamane Haggar en est le précurseur avec Le Mendiant de l’espoir. À partir de 2002, le genre romanesque semble confirmer sa présence de plus en plus constante dans la production tchadienne en langue française. Le roman étant le genre le plus connu et le plus courant, comment expliquer ce retard, et pourquoi cet élan tardif ? Ali Abdel-Rahmane Haggar Ali Abdel-Rhaman Haggar a écrit plusieurs ouvrages dont certains sont encore inédits : Je veux la paix 134
(théâtre), Tribalisme au diable (théâtre), Être le beau du ministre (théâtre), et Moussa Bégoto ou le drame d’un fonctionnaire93.Humaniste et militant des droits de l’homme, il est un fervent partisan de la non-violence. Le Mendiant de l’espoir est le premier roman d’Ali AbdelRhaman Haggar publié par le Centre Al-Mouna au Tchad en 1999.Le deuxième tome du Mendiant de l’espoir intitulé Le Prix du rêve est déjà sorti. Ces deux textes font partie d’une trilogie. Baba Moustapha Ce roman posthume, Le souffle de l’harmattan semble réunir l’essentiel de son expérience où toutes les tendances de son écriture (le social, l’écologique, le politique…) se révèlent sans doute parce qu’il évoque le cadre national en proie à l’obsédant harmattan, véritable prédateur, allégorie de la destruction. L’harmattan devient l’agent destructeur qui mine de l’intérieur tous les organes de la société, du pays et de la nation. Noël Nétonon NDjékéry Auteur de plusieurs pièces de théâtre et de nouvelle d’abord, il a publié en 2001, Sang de kola, un roman chez L’Harmattan. Sang de kola rappelle la guerre civile de N’Djamena et campe l’histoire dans un village des environs. La profanation du village à « l’aube des chiens », le viol de toutes les femmes, l’humiliation de tout le monde ne trouvera son dénouement que dans l’exorcisme, la purification et le châtiment des coupables. Chroniques tchadiennes, dernier récit, sont construites en flash-back : Les 4 premiers chapitres rapportent la fin de l’histoire de Souloulou et de Haïtara, leur désaccord et leurs 93
Ce sont des manuscrits non édités et non exploités.
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altercations. Du chapitre 5 au chapitre 10, c’est le temps de la narration. Le récit du début de la rencontre de Souloulou avec Haïtara. Le chapitre 11 c’est la suite du chapitre 4, il reprend le temps de l’histoire. Il conclut sur la fin des événements relatifs au crime de Manda, à la libération du tamarinier, à la disparition de Haïtara et à la condamnation à mort de Souloulou. C’est la fin du sortilège, la fin de l’infirmité, la fin aussi de la vie de tous les maudits, de Souloulou, de Haïtara, et l’avènement d’une aube nouvelle, d’un nouveau départ. Koulsy Lamko La Phalène des collines Une phalène erre à la recherche d’une sépulture, à la recherche d’un ensevelissement, à la recherche de son apaisement. Fred R. est un réfugié à la recherche d’une patrie d’exil sur cette terre des hommes. Pelouse, une script-girl engagée aux côtés des enquêteurs pour photographier et rendre compte des événements du Rwanda, est par ailleurs à la recherche de la dépouille de sa tante tuée au cours du génocide. Ce sont là des parcours d’errance qui nous conduisent à travers le pays des mille collines et nous éclairent sur la mémoire d’un pays et de tout un peuple tout au long du roman. La Phalène des collines écrite par devoir de mémoire des hommes « est un parcours intérieur au travers des mots, une recomposition de moi-même, une lutte contre les spectres de tous genres », disait l’auteur dans son texte de remerciements. Ce parcours est aussi celui de la phalène à la recherche de l’éternel repos, celui de Pelouse pour retrouver la mère patrie, celui de Muyango pour arrêter le deuil et se débarrasser de sa « souillure de désespérance ». Mais il est aussi celui de Fred R. qui, « aboutissant aux ruelles des bas quartiers qui s’embranchent sur les artères propres que l’on bitume », a préféré continuer son errance. C’est lui le 136
réfugié éternel sur cette terre des hommes. Errer, sachant que la vie est comme le jeu de marelle pratiqué par la petite fille de huit ans. La vie consiste à répondre à la question suivante : comment maîtriser le temps, ce comptable impitoyable dont l’aboutissement est la mort ? Où se plante l’éternité ? La réponse est sans doute dans la persévérance à laquelle appelle Muyango, dans son poème lu par Pelouse. IBUKA, c’est-à-dire : Souviens-toi ! Ne jamais oublier, ne rien attendre non plus. L’espoir, c’est l’éternelle régénérescence dans les métamorphoses. Dans un dernier conseil du poète fou, il dit : « Laisse plutôt à la vie nouvelle tapie dans les bourgeons une goutte de sève… » Nimrod Les Jambes d’Alice C’est le premier roman de Nimrod, poète et essayiste tchadien, publié chez Actes Sud en février 2001, dans la série Afrique dirigée par Bernard Magnier. Dans le flot des réfugiés fuyant N’Djamena en guerre, un jeune professeur de français reconnaît les silhouettes d’Alice et de Harlem, jeunes basketteuses. Alice était son élève et objet de ses fantasmes les plus secrets. Fasciné par les jambes d’Alice et de Harlem, il suit leur mouvement jusqu’à leur rencontre peu avant Koundoul, ville à la périphérie de N’Djamena. Le Départ94 L’histoire commence par le déménagement de la famille du narrateur de Sara-de-Guaule à Chagoua, deux quartiers périphériques de N’Djamena. Le narrateur se souvient déjà d’un autre déplacement, un autre départ qui avait amené la famille de la ville de Bongor à Fort-Lamy, 94
Récit, Actes Sud, Paris, 2005, 102 p.
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actuelle N’Djamena. Envahi par l’inconnu que constitue pour lui le quartier de Chagoua, il scrute le pont qui enjambe le Chari et qui se dessine sur le fond bleu du lointain, cet infini, cet horizon. Zakaria Fadoul Khitir Le chef, le forgeron et le faki95est une chronique d’une petite chefferie tchadienne confrontée à l’arrivée de l’islam. Récit en 9 chapitres portant chacun un titre, il ne fait aucune mention ni au récit ni au roman. Après lecture de l’ouvrage, il nous semble qu’il s’agit d’un essai ethnologique sur la communauté béri du nord-est du Tchad dont l’auteur est fils du chef. Zakaria Fadoul Khitir nous présente une communauté traditionnelle composée de trois niveaux. « Au sommet se situait le chef (tagnaw) et sa lignée, au milieu “les gens ordinaires” et en bas, les Mays… les forgerons ». Marie Christine Koundja Al Istifakhou l’idylle de mes amis96 Composée de 17 parties d’inégales longueurs, l’œuvre construit sa trame sur la force de l’amitié, de l’amour de l’autre et du conjoint. Elle est l’occasion pour MarieChristine Koundja de poser une dénonciation et une analyse méthodique des clivages, des complexes qui minent la société tchadienne et l’empêchent de progresser vers l’unité nationale. Le couple atypique de Fatimé et d’Allahtoidji semble être un véritable défi à l’ordre social établi. La solution réside dans la transgression et ce sont les jeunes qui osent s’émanciper. Ils s’entendent et mettent leurs parents devant le fait accompli. Le mariage entre la fille et le fils de deux communautés antagonistes devient la métaphore de l’union et de l’unité. 95 96
Sépia, Saint-Maur-des-Fossés, 2005, 120 p. Clé, Yaoundé, 2001.
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Ouaga-Ballé Danaï Mon amour, l’autre97 Ce roman est un véritable procès de la vie, procès de la condition de l’Africain d’aujourd’hui. Que représentent la femme, la mère, la femme amante ? La femme semble être un symbole identitaire, une recherche des origines. La mère, c’est peut-être aussi l’Afrique. Les trois récits entrelacés et alternés rendent compte de la multiplicité de cette identité qui attend une reconstitution dans la mèreAfrique retrouvée. Ghazali Mahamat Idriss Aïda Né à Alger en 1978, il regagne le Tchad en 1990 où il obtient une licence en anglais. Passionné de la littérature fantastique, Aïda est son premier roman. Aïda est un texte écrit dans une langue simple, sobre plutôt standard qui livre le parcours d’un désespéré, étranger à sa communauté, inadapté à sa famille et à toute autre situation sociale. C’est finalement le parcours d’un atypique, tant son inconscient commande à son action violente. Mouimou Djékoré Pays natal La Valse des truands Le Candidat au paradis refoulé Docteur en agronomie, il publie un recueil de poèmes Pays natal et La Valse des truands98, et un roman : Le Candidat au paradis refoulé99. C’est un roman composé 97
139, L’Harmattan, Paris, 2005.
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L’Harmattan, Paris, 2004 (roman). 138, Éditions, Héros dans l’ombre au Congo.
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de 10 chapitres sans titre. Le récit débute par la rencontre d’une part de Dinaye, le représentant de l’Assou universelle, société des invisibles qui habitent dans l’audelà, « société ouverte » parce que la sagesse, la largesse, la générosité, la rigueur, la justice, l’équité et la responsabilité y sont de mise, et d’autre part de Mayndo, un visible terrien banal et membre d’une « société fermée » caractérisée par la négligence, l’irresponsabilité, la délinquance sexuelle génétique empêtrée dans ses coutumes et traditions rétrogrades. Ahmad Taboye Le Patriarche Enseignant-chercheur au département de Lettres modernes à l’université de N’Djamena. Le Patriarche est le premier roman d’une trilogie à finir, sur la quête de la construction nationale. À travers la métaphore du mariage et de la polygamie, la quête de la cinquième femme, interdite par les traditions et la religion, transforme cette dernière en femme vision toujours désirée et recherchée mais jamais acquise. La femme vision ou la femme Nation, sera aussi toujours recherchée et désirée par les générations futures. Les poètes Les principales œuvres dans le genre poésie sont écrites par Nimrod Bena Djangrang. La production poétique de Nimrod se compose de trois recueils qui s’inscrivent dans une progression. Les trois titres Silence des chemins, Pierre, poussière et Passage à l’infini se lisent comme un cheminement, un parcours entre les deux extrêmes, comme dans les deux infinis : de l’infiniment petit à l’infiniment grand de Pascal. Silence des chemins donne une description, des indications où le poète essaie 140
d’appréhender le silence dans ses différents aspects. Il essaie de rendre compte de ce silence à travers des chemins du refus que le poète assimile à la démarche créatrice. Le chemin semble rencontrer des nuances d’un silence présence, des bruissements qui semblent être des fêlures, des amorces, des ouvertures dans « le silence totalitaire ».Pierre, poussière donne à lire l’existence à travers la mort puis nous replonge dans la certitude en ce silence présence comme une permanence. Enfin, le poète assimile la quête du silence à la quête poétique. Il y a une volonté de mettre dans le même parcours la recherche du silence, la recherche du sens de la vie et la recherche de la création artistique, la quête du mot, du sens en poésie. Passage à l’infini s’inscrit comme dans l’aboutissement du cheminement. C’est plus l’exploration des correspondances entre le monde visible et le monde invisible qui prévaut. Dans ce jeu de fragments de miroir, d’un monde visible, correspondant à l’infiniment petit et d’un infiniment grand appréhendé à travers les réminiscences furtives, le silence et la création artistique semblent se laisser apprivoiser dans des figures fluides, sans cesse répétées, comme dans l’éternel recommencement de la vie. Moïse Mougnan Le Rythme du Silence Des mots à dire Moïse Mougnan a publié deux recueils de poèmes aux Éditions d’Orphée à Montréal, Bibliothèque nationale du Québec, en mai et décembre de l’année 1987. Le Rythme du Silence et Des mots à dire refusent le silence que le poète qualifie de complice et de lâche. Il lui préfère le cri et les mots pour dénoncer la dictature, le racisme, l’esclavage, etc. Le poète appelle les hommes à l’écouter et à abandonner leur indifférence. Cet appel 141
s’adresse au monde entier. Il se veut le porte-parole des opprimés, des humiliés. Il porte en lui la souffrance de sa communauté et la raison semble venir pour lui de l’image même du Noir qui le singularise. Il devient « unique » comparé aux hommes qui font le monde. Loin de se résigner, il continue de dénoncer, de crier, d’écrire et de faire appel aux grands hommes de l’Afrique mythique et actuelle. Il appelle Chaka, Sankara.En attendant, Moïse Mougnan choisit l’engagement et s’adresse à tous ceux qui « ont des mots à dire » comme lui et même à « ceux qui assassinent le soleil et la lune » et à qui il dit : « La main du bourreau finira toujours par pourrir ». Nébardoum Abdias Derlemari Cri sonore100 Le recueil de poèmes a paru à Montréal aux Éditions d’Orphée au Canada en mai 1987. Cri sonore est le premier ouvrage littéraire de Nébardoum Derlemari Abdias. C’est une œuvre engagée. Elle dénonce la situation catastrophique d’un pays, le Tchad. Le poète ne fait pas que dénoncer l’imposture, la dictature. Il accuse aussi le monde et l’Afrique d’indifférence et de complicité. Il refuse de se résigner et crie son incompréhension et son impuissance. Il continue d’espérer et l’espoir pour lui réside dans la poésie. C’est là qu’il crie sa douleur et sa déception. Koulsy Lamko Ce sont deux poèmes parus dans Exils, un recueil composé de trois œuvres dontPapillon de nuit101 (théâtre) et Aurore (nouvelle). Exils a été publié par les éditions Le bruit des autres, Solignac en 1994.Ces deux poèmes se rencontrent également dans d’autres œuvres de Koulsy 100 101
Éditions d’Orphée, Montréal, Canada en mai 1987. Première partie de « Exils », théâtre, Solignac, 1994.
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Lamko. La Danse du lab apparaît dans la pièce Mon fils de mon frère102où la communauté du village est aux prises avec l’incertitude et le désordre quant à son avenir. Les danseurs du lab sont ces jeunes hommes nouvellement initiés, sortant de l’épreuve, imbibés de valeurs traditionnelles, morales et sociales… Ils sont en quête d’une compagne pour parfaire leur personnalité et leur part de responsabilité. Terre, bois ton sang ! C’est la complainte des morts revenants, des morts errants comme la phalène des collines, ce fantôme de reine violée et assassinée dans des conditions terribles par un prêtre au Rwanda et qui erre à la recherche d’une sépulture, à la recherche de son repos éternel. Nocky Djédanoum Nyamirambo porte le nom d’un des quartiers de Kigali, la capitale du Rwanda. Nyamirambo veut dire amoncellement de cadavres, colline ou montagne de cadavres, et cela bien avant même le génocide de 1994. C’est aussi un quartier populaire, cosmopolite. Il est celui des mosquées. Pourquoi ce nom donc ? Est-ce un présage ? Lisons ce qu’en dit Nocky Djédanoum. Ce recueil de poèmes a été écrit dans le cadre du projet « Rwanda, écrire par devoir de mémoire ». Le projet a été initié et réalisé par le festival des arts et médias d’Afrique, le Fest’Africa en 2000 et publié aux éditions du Figuier au Mali pour le compte de Fest’Africa.
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Éd. Lansmann, Belgique, 1990.
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Les conteurs Le conte est le genre le plus partagé par les hommes sous tous les cieux. C’est aussi le genre de la tradition orale. Le conte reste cependant très peu abordé par les auteurs tchadiens même s’il est par ailleurs très présent dans les œuvres. Sa présence est diffuse. Beaucoup d’écrivains s’y réfèrent ou y font allusion. Il n’y a donc que trois auteurs qui ont écrit des contes en tant que genre. Il s’agit de Joseph Brahim Seïd, Koulsy Lamko et Nébardoum Derlemari Abdias. Joseph Brahim Seïd a été le précurseur avec Au Tchad sous les étoiles103dans ce genre, en plus de beaucoup d’autres contes inédits publiés à compte d’auteur. Mais on retiendra aussi Koulsy Lamko avec Le Repos des masques, conte en illustration à l’album photo d’Alain Turpeau, Édition Marval, 1995. Nébardoum Derlemari Le Caïman solitaire Écrit et publié en 2001 dans la collection Conte/météorite à l’édition « Bouton d’or Acadie ». Le livre de conte est illustré par Denise Plaquette. Le Caïman solitaire se présente comme un petit livre pour jeunes, facile à lire et agréable à regarder, tant les dessins qui l’agrémentent sont suggestifs de l’histoire racontée. Les illustrations suivent la progression du conte. Il porte la dédicace : « Aux enfants du pays »,il se compose de 4 chapitres qui indiquent l’apparition des différents personnages et contribuent à aider le jeune lecteur à trouver les repères et suivre la progression de l’histoire. 103
Présence africaine, Paris, 1962.
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V.2 - Biobibliographie d’auteurs Nous essayons ici de présenter les auteurs en donnant leur étatcivil, leurs publications mais aussi leur situation professionnelle et sociale. Baba Moustapha est né en 1952 à Bogo au Nord Cameroun, zone frontalière avec N’Djamena. Après avoir obtenu son diplôme à l’ENA de N’Djamena en 1975, il entreprend des études de droit en France où il trouve la mort. Il a été l’auteur de plusieurs pièces de théâtre, dont Le Maître des djinns104,montées par l’Office des radios et télévisions françaises (ORTF).C’est tout adolescent que Baba Moustapha a commencé à écrire le théâtre. Si l’une de ses premières comédies, Le Maître des djinns, a connu une renommée internationale, c’est avec une œuvre plus grave, Makarie aux épines105, qu’il devait obtenir à vingt ans le grand prix du concours théâtral interafricain. Le Commandant Chaka, prix spécial du jury au onzième concours théâtral interafricain, est la dernière œuvre dramatique d’un auteur qui, parallèlement, s’est brillamment essayé à la nouvelle et au roman. Palou Bebnone Alors qu’il était directeur du collège d’enseignement général de Koumra (sud du Tchad), Palou Bebnone animait un centre culturel et dirigeait une troupe de théâtre qu’il avait créée. Cette troupe jouait à la fois des pièces classiques et modernes. Palou Bebnone avait aussi créé une revue, L’Homme-Lion, qui publiait des contes, de relations de traditions orales et des comptes rendus de débats organisés par l’association des jeunes. Il a participé à des stages de formation culturelle en 1963 au ministère de la Coopération à Paris. Il est mort à Bongor dans des 104 105
Clé, Yaoundé, 1977. Nouvelles Éditions Africaines, Clé, Yaoundé, 1972, 116 p.
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conditions très difficiles, après la guerre civile du Tchad en fin de l’année 1979. L’œuvre de Palou Bebnone présente deux aspects bien distincts : l’analyse du tissu social avec Kaltouma et La Dot, et le thème du pouvoir avec Mbang Gaourang roi du Baguirmi. C’est le précurseur de la littérature écrite en langue française au Tchad. Il a publié sa première pièce La Dot en 1962. Cette pièce reste toujours introuvable, même dans la bibliothèque multimédia de Limoges où RFI dépose tous ses manuscrits. Joseph Brahim Seïd Est né le 27 novembre 1927 à Fort-Lamy. Fils d’un ancien combattant des troupes de la libération de la France, il a fait ses études primaires à Fort-Lamy, puis se rend à Brazzaville pour compléter sa formation. Il est envoyé par la suite au collège de la Sainte-Famille du Caire en Égypte. Il réussit au baccalauréat en 1949.Arrivé en France, Joseph Brahim Seïd obtient une licence en droit en 1955, à Lyon, puis un brevet de l’école nationale de la France d’outre-mer. Il termine ses études à Paris par une thèse en droit. Joseph Brahim Seïd exerce son métier de magistrat des années durant et a été nommé ambassadeur du Tchad, puis ministre de la Justice et garde des Sceaux. Il s’est distingué par son recueil de contes Au Tchad sous les étoiles106. Il a confirmé son talent en publiant un récit autobiographique, en 1967, chez Ségérep, titré Un enfant du Tchad. Joseph Brahim Seïd meurt en laissant beaucoup d’œuvres inédites que sa famille n’a pas pu sauver. Au Tchad sous les étoiles est l’une des premières œuvres de fiction écrite par un Tchadien. Ce recueil de contes est aussi le seul du genre.
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Présence africaine, Paris, 1962.
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Koulsy Lamko Koulsy Lamko est né en 1959 à Dadouar, dans le Guéra, où sa famille a suivi son père affecté dans la région. Il est titulaire d’un diplôme d’études approfondies (DEA) de textes et langages, et d’un certificat d’entrepreneur culturel puis d’un doctorat sur l’émergence d’un « théâtre de la participation » en Afrique noire francophone. Il s’est installé au Burkina Faso depuis 1993 où il a enseigné et est devenu cadre de conception à l’Institut des peuples noirs. Il a créé en 1994 une agence d’animation culturelle de projets « Kaléido-culture ». Koulsy Lamko devient, tour à tour, comédien, assistant et metteur en scène à L’atelier théâtre burkinabé. Il a participé à plus d’une quinzaine de créations collectives. Il a également animé de très nombreux ateliers d’écriture. Koulsy Lamko est le plus productif et le plus prolifique des auteurs tchadiens. Il a écrit dans tous les genres. Il est davantage dramaturge à tempérament de poète plutôt que seulement nouvelliste, Koulsy Lamko est conteur et romancier. Il a produit à lui seul environ une dizaine de pièces de théâtre. Ces pièces laissent apparaître une écriture de la douleur qui s’exprime à travers des symboles et des mythes, sous une mixité culturelle plurielle. Son imaginaire est celui d’un écorché vif, qui recherche la solution aux problèmes de la société en recréant des visions qui passent par une relecture de la tradition orale et de la vie quotidienne. Son rôle est celui du poète porte-parole des sans-voix. Il se place volontiers dans le tragique, tout comme ses personnages qui n’ont qu’un destin individuel. Dans Le Camp tend la sébile107, pièce publiée en 1993, la représentation des réfugiés échappés de N’Djamena, est une lente descente dans les abîmes de la douleur. Si la guerre chasse les réfugiés de la capitale, les conditions du 107
Éd. Lansmann, Belgique, 1993.
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camp ajoutent à leur déchéance physique une déchéance morale et sociale. Leur vie est faite de déception, de résignation, de suicide et de meurtre. Ils deviennent un simple numéro inscrit sur une toile de tente. Les lamentations, les cris, les pleurs couvrent la voix du reporter impuissant. Ils transforment la pièce en cérémonie funèbre. La douleur c’est aussi le quartier des « accroupis prêts à être déguerpis », représentés dans Tout bas, si bas !108 Quartier où le mal de vivre oblige le père de famille à vivre perché sur la branche d’un arbre, et la grand-mère à rechercher l’avenir dans l’eau d’une calebasse. Cette exploration de la douleur s’accompagne d’une relecture des traditions orales et de la vie quotidienne. Ndo kela ou l’initiation avortée109, nous ramène aux sources de la société. C’est à Bagoua, village africain, que commence l’aventure des jeunes. Leur « folie » consiste à revisiter les traditions pour en refuser la sagesse. C’est un préapprentissage collectif. Voilà qui nous ramène à la nouvelle démarche : le travail de tous pour exorciser la misère. Les « accroupis » représentent la misère et le mal-être du peuple ordinaire. Ils sont à la périphérie, en situation de nomades. Ils sont « au fond de la raque », sans aucun espoir. C’est pourquoi pour tromper la misère et changer le sort, une fillette invente le mensonge. L’invention de la fillette, c’est la naissance de « l’enfant au bras pyrogravé », l’envoyé de Dieu qui transformera la vie, c’est le mythe universel. Il appartient à toutes les traditions et à toutes les sociétés. C’est le rêve qui explique la condition humaine, d’où l’impossible confirmation de son existence. Sankadi, dans Ndo kela, à la tête des jeunes révolutionnaires, invite tous les siens à plonger dans les entrailles de la « termitière géante » et à « l’attaquer à mains nues ». La termitière symbolise la 108 109
Éd. Lansmann, Belgique, 1995. Éd. Lansmann, Belgique, 1993.
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profondeur, l’enracinement, la constance, le foisonnement et la pérennité dans les traditions. Et cette façon de faire est une « folie » qui épouse le retour aux origines de la société, la dérision des traditions et du statut des sages, pour recréer l’avenir. Le Margaye et la termitière représentent toute la dimension de la société traditionnelle, qui devra être refondue dans des valeurs étrangères acquises. Ici, c’est la dimension culturelle plurielle qui préfigure l’avenir. Dans Mon fils de mon frère110, pièce de théâtre, il s’agit encore d’une visite des traditions, mais cette fois, pour les railler, faire la dérision des croyances ancestrales, qui sont tout simplement frappées de stérilité. La stérilité du groupe des anciens sera contournée et peut être guérie grâce au courage du groupe des femmes qui osent braver les interdits. Les interdits ici consistent pour les femmes à faire irruption dans le cercle des anciens et des hommes lors des cérémonies, mais aussi ce que déclame l’une des femmes, Boulo, « nous avons violé l’homme serpent, nous avons offert nos intimités chaudes aux assauts de l’impuissance… Telko, infirmité de vos consciences faites chair…vous êtes tous des stériles. » Cette volonté persistante de fertiliser les traditions ancestrales, vient du désir radical de changement, de renouvellement de la société pour la mettre en conformité avec son époque. Pour réintégrer la nouvelle termitière, un autre symbole : le papillon qui caractérise le personnage du voyageur, dans Papillon de nuit, pièce parue dans Exils (1994). Le papillon signifie la métamorphose, la légèreté, l’inconstance mais aussi la polyvalence, l’adaptation à toutes les situations. Il aspire à faire prendre conscience, à dénoncer la situation qui prévaut pour initier des solutions. Le rôle du voyageur dans Le Camp tend la sébile, est aussi celui du reporter dans Tout bas, si bas ! et celui de Sankadi, dans Ndo kela…c’est le poète dans la cité, poète 110
Éd. Lansmann, Belgique, 1990.
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porte-parole des sans-voix. Il est présenté comme un fou, comme un déstabilisé. Dans ses divagations, il chante une mère polyandre trahie par ses fils. Le personnage du reporter se définit comme un réfugié étranger en exil. Son rôle est de diffuser le mensonge pour entretenir le rêve. Il reste toujours un trafiquant de fables. Le reporter sera tué pour n’avoir pas pu prouver l’existence du mensonge universel. La voix du poète dans le camp sera couverte par les lamentations et les cris des pleureuses. Sankadi mourra pour avoir osé « attaquer la termitière géante » ; dans tous les cas, l’avenir du dramaturge-poète bascule dans le tragique. L’écriture de Koulsy Lamko, en revenant aux origines de la société, passe par la relecture des mythes et des symboles. Elle bouscule les structures de la société traditionnelle qu’elle refond dans les formes conventionnelles des genres. En attendant, le dramaturgepoète erre et écrit dans le but de réintégrer la « termitière géante ». Il perpétue ses métamorphoses, ses cris de douleur et de détresse. Cette œuvre est un chemin de croix pour le supplicié poète, qui demeurera longtemps inconsolé. Maoundoé Naïndouba Maoundoé Naïndouba est né le 19 mai 1948 à Bénoye dans le Logone occidental. Il est marié et père de huit enfants. Il entre à l’école primaire de Bénoye où il obtient son certificat d’études primaires et élémentaires (CEPE) en 1962. Puis il fait ses études secondaires au lycée Adoum Dallah de Moundou de 1963 à 1968.Il réussit au brevet d’études du premier cycle (BEPC) en 1968 et passe le concours d’entrée à la section préparatoire de l’école normale supérieure d’Afrique centrale (SPENSAC). Titulaire du baccalauréat A4 en 1970, il entre à l’école normale supérieure d’Afrique centrale (ENSAC) de 150
Brazzaville d’où il sort nanti d’un certificat d’aptitude et professionnel pour les collèges d’enseignement général (CAPCEG), option histoire-géographie / français en 1972. Major de sa promotion, il est admis sur titre à entrer à la section des professeurs des lycées et collèges. Maoundoé Naïndouba exerce toujours sa carrière d’enseignant dans plusieurs lycées et collèges. Il a été tantôt chef d’établissement, tantôt professeur chargé des cours. Il a enseigné l’histoire au lycée Félix Éboué de N’Djamena. Écrit pour le concours théâtral interafricain et publié en 1981 chez Hatier, L’Étudiant de Soweto111. Maoundoé Naïndouba est décédé à Moundou le 13 janvier 2003. Noël Nétonon Ndjékéry N. N. Ndjékéry est né le 25 décembre 1956 à Moundou au Logone occidental. Il a fait des études de mathématiques, puis a suivi une formation en informatique. Il exerce actuellement comme informaticien chez Bobst SA (Prilly/Lausanne), en Suisse où il réside avec sa famille. Auteur de plusieurs pièces de théâtre Goudangou ou les vicissitudes du pouvoir112et Bois, mon cher ami, bois !de nouvelles dont La descente aux enfers et tout récemment, Chroniques tchadiennes113. Il a aussi publié Sang de kola, un roman chez L’Harmattan. Nocky Djédanoum Il est né le 10 juillet 1959 à Gounou-Gaya dans le Mayo-Kabby au Tchad. Il a écrit, pour le concours théâtral interafricain de RFI, une pièce, Illusions, primée en 1984, et diffusée sur les 111
Il a reçu un accueil très satisfaisant, et a été joué par l’une des troupes la plus prestigieuse de RFI. 112 Tchad et Culture, N’Djamena 1980. 113 Éd. Al Mouna, N’Djamena 2006.
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antennes, dans le cadre de l’émission : première chance sur les ondes. Illusions est la pièce du refus de la partition de la société, et partant de la nation dans son ensemble. Elle ose forcer à l’union, par la solution proposée : le fait accompli. L’Aubade des coqs, une deuxième pièce de théâtre encore inédite, est déjà jouée en 1997 à Lille, à Abidjan et à N’Djamena. Cette pièce semble, elle, plus désillusionnée, peut-être plus réaliste, par ce qu’elle propose l’art, le rêve et l’utopie, mais aussi la rééducation de la nouvelle génération, pour conserver et perpétuer la mémoire du passé. Qui n’aura pas su cultiver son passé, n’aura pas d’avenir. Il prépare une troisième pièce Les sextirpateurs114. Marie-Christine Koundja Marie-Christine Koundja est née le 30 mars 1957 à Iriba dans le Biltine. Elle vient d’une famille mixte. Ses parents appartiennent aux deux communautés opposées du Tchad : celle du Sud et celle du Nord. Elle est donc issue d’une union clivée comme les deux enfants d’Allatoïdji et de Fatimé dans Al Istifakh ou l’idylle de mes amis. Marie-Christine est mariée et mère de quatre enfants. Elle est diplomate et exerce actuellement à l’ambassade du Tchad à Yaoundé au Cameroun. Ouaga-Ballé Danaï Danaï Ouaga-Ballé est né à Sarh au Tchad. Après des études supérieures à l’Université nationale de Côte d’Ivoire, il obtient un doctorat de 3ecycle en littérature comparée. Il est enseignant et exerce aujourd’hui à Franceville au Gabon où il vit.
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Manuscrit de pièce de théâtre jouée dans le cadre du Fest’Africa, 2003.
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La Malédiction est sa première pièce de théâtre publiée chez L’Harmattan en 1998. Il a également publié son premier roman Mon Amour, l’autre en 2002. Ali Abdel-Rhamane Haggar Ali Abdel-Rhaman Haggar est né le 11 mars 1960 à Abéché (Tchad). Titulaire d’un DEA d’économie, d’un doctorat d’État en planification et d’un brevet international d’administration publique (ENA/France), Ali AbdelRhaman Haggar est maître de conférences à l’université de N’Djamena. Il a exercé en outre des fonctions politiques et administratives importantes. Il a été successivement secrétaire général du Parlement provisoire pendant la transition, conseiller aux relations internationales à la présidence, secrétaire général à la présidence de la République et enfin administrateur provisoire de la Société nationale sucrière du Tchad (SONASUT). Ali AbdelRhaman Haggar a écrit plusieurs ouvrages dont certains sont encore inédits : Je veux la paix (théâtre), Tribalisme au diable (théâtre), Être le beau du ministre (théâtre), et Moussa Bégoto ou le drame d’un fonctionnaire115. Humaniste et militant des droits de l’homme, il est un fervent partisan de la non-violence. Le Mendiant de l’espoir est le premier roman d’Ali Abdel-Rhaman Haggar publié par le Centre Al-Mouna au Tchad en 1999. Le deuxième tome du Mendiant de l’espoir intitulé Le Prix du rêve est déjà édité. Ces deux textes font partie d’une trilogie.
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Ce sont des manuscrits non édités et non exploités.
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Ghazali Mahamat Idriss Aïda116 Né à Alger en 1978, il regagne le Tchad en 1990 où il obtient une licence en anglais. Passionné de la littérature fantastique, Aïda est son premier roman. Mouimou Djékoré Né le 11 décembre 1956 au Tchad, docteur en agronomie, il publie un recueil de poèmes Pays natal et La Valse des truands, Le Candidat au paradis refoulé117 Ahmad Taboye Le Patriarche118 Ahmad Taboye est né le 23 avril 1958 à Biltine en terre arabe nomade du nord-est du Tchad. Il se définit comme fils de Bédouinmais élevé en ville et instruit à l’école des « nassara » et au « massid », médersa locale comme il en existe dans cette région du pays et du Ouaddaï. Après des études primaires et secondaires à Abéché et à N’Djamena, il poursuit ses études universitaires des premier et deuxième cycles à Tunis. Au cours d’un long exil en France où il enseigne le français au collège et au lycée, il poursuit ses études de troisième cycle à Paris. Enseignantchercheur au département de Lettres modernes à l’université de N’Djamena, il a été pendant trois ans, le représentant des hommes de lettres, arts et culture au sein du Haut conseil de la communication (HCC). Il a été le directeur du livre et de la promotion littéraire au ministère de la Culture. Il entre au gouvernement et devient ministre de l’Enseignement supérieur, de la Recherche scientifique et de la Formation professionnelle en mars 2009. Il est actuellement Conseiller à l’éducation, à l’enseignement 116
Lettres du monde arabe, L’Harmattan, 2005. L’Harmattan, 2005. 118 Édition le colloque des écrivains, N’Djamena, 2010. 117
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supérieur et à la recherche scientifique, à la culture, à la jeunesse et à la formation à la présidence de la République du Tchad. Le Patriarche est le premier roman d’une trilogie, dans la même veine, à finir. Le récit autobiographique Antoine Bangui Antoine Bangui-Rombaye est né en 1933 à Bodo dans le Logone oriental. Il a fait des études en France et a enseigné les mathématiques. Sa carrière politique débute en 1961. Il collabore pendant plus de dix ans avec le président François Tombalbaye. Il devient plusieurs fois ministre avant d’être suspecté comme opposant puis emprisonné. Il sera libéré à la faveur du coup d’État militaire du 13 avril 1975. Il occupera le poste d’ambassadeur du Tchad en Roumanie. Il a exercé également à l’Unesco jusqu’à sa mise à la retraite en 1993. Il est actuellement exilé politique à Paris. Michel N’Gangbet Kosnaye Michel N’Gangbet Kosnaye est né le 22 mars 1938 à Béboto dans le Logone oriental. Licencié en sciences économiques à l’université de Grenoble en France, N’Gangbet Kosnaye est administrateur civil de son État et a été plusieurs fois ministre. Suspecté comme Antoine Bangui d’être instigateur de différents « coups », Kosnaye connaît aussi la prison. Il est libéré comme Bangui à la faveur du coup d’État militaire de 1975.Il a publié un essai politique Peut-on encore sauver le Tchad ? Chez Karthala en 1984.
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Mahamat Hassan Abbakar Mahamat Hassan Abbakar est né vers 1952 à Abéché. Instituteur bilingue, il quitte le Tchad pour rejoindre les structures extérieures du Frolinat. Mais son aventure le conduira plutôt au contact du monde. Il apprendra alors à mieux gérer les hommes et les difficultés. Il finira ses pérégrinations par l’obtention des diplômes supérieurs en droit. Magistrat, il exerce avec dévouement et compétence ses fonctions. Il dirige depuis quelques années la commission d’enquête sur les crimes et détournements commis par l’ex-président Hissein Habré. Il est le président de l’association des juristes tchadiens. Zakaria Fadoul Khitir Zakaria Fadoul Khitir est né en 1946 à Iriba dans le Biltine. Ses études supérieures le conduisent tour à tour à Kinshasa, à Dakar et en France. Linguiste de formation, il obtient un doctorat de 3e cycle sur l’enseignement du français et de l’arabe au Tchad. Il a publié deux ouvrages autobiographiques, Loin de moi-même et Les Moments difficiles et un essai, Le chef, le forgeron et le faki chez Sépia. Ahmed Kotoko El-hadj Ahmed Kotoko est né le 18 octobre 1918 à Goulfey au Cameroun. Sa biographie est entièrement consignée dans son récit autobiographique posthume. De ce récit, on découvre un Ahmed Kotoko très attaché à son pays de cœur, le Tchad, d’où il sera expulsé et déchu de sa nationalité. Il n’exercera pas moins des fonctions importantes dans son pays de naissance, le Cameroun. Il fera une très bonne carrière de diplomate. Il meurt à Kousseri en face de N’Djamena, le 7 octobre 1988.
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Hinda Déby Itno Hinda Mahamat Abderahim Acyl, épouse Déby Itno, Première dame du Tchad, est née le 2 avril 1980 à N’Djamena. Hinda Déby Itno a étudié la finance et la comptabilité à l’Institut du génie appliqué (IGA) de Rabat au Maroc en 2003 après avoir passé son baccalauréat scientifique, série D au lycée collège Sacré-Cœur de N’Djamena en 1999, et obtenu son diplôme de technicien supérieur (BTS) en finance et banque à l’Institut d’administration et des études commerciales (IAEC) de Lomé au Togo en 2001. Sa formation est parachevée par plusieurs stages, notamment à la Banque des États de l’Afrique centrale (BEAC) à partir de 2001. En novembre 2003, elle intègre en qualité de chef comptable le ministère de la Santé publique, au Projet de renforcement du système de santé et d’appui à la lutte contre le VIH/Sida et les maladies épidémiques (PRESALVSME).Le 2 octobre 2005, elle épouse le président de la République, chef de l’État tchadien. La poésie Nimrod Silence des chemins119 donne une description, des indications, où le poète essaie d’appréhender le silence dans ses différents aspects. Il essaie de rendre compte de ce silence à travers des chemins du refus que le poète assimile à la démarche créatrice. Puisque le chemin semble rencontrer des nuances d’un silence présence ; des bruissements qui semblent être des fêlures, des amorces, des ouvertures dans « le silence totalitaire ».Pierre poussière donne à lire l’existence à travers la mort, puis nous replonge dans la certitude en ce silence présence, 119
La Pensée Universelle, Paris, 1987.
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comme une permanence. Enfin, le poète assimile la quête du silence à la quête poétique. Il y a une volonté de mettre dans le même parcours la recherche du silence, la recherche du sens de la vie et la recherche de la création artistique ; la quête du mot, du sens en poésie. Passage à l’infini120 s’inscrit comme dans l’aboutissement du cheminement. C’est plus l’exploration des correspondances entre le monde visible et le monde invisible qui prévaut. Dans ce jeu de fragments de miroir, d’un monde visible, correspondant à l’infiniment petit, et d’un infiniment grand appréhendé à travers les réminiscences furtives, le silence et la création artistique semblent se laisser apprivoiser dans des figures fluides, sans cesse répétées, comme dans l’éternel recommencement de la vie. Nimrod est aussi romancier et essayiste. Après Les Jambes d’Alice121, il publia Le Départpuis Tombeau de Léopold Sédar Senghor122et En saison123. Nébardoum Abdias Derlemari Nébardoum Derlemari Abdias est né le 8 novembre 1967 à N’Djamena (Tchad). Il s’intéresse très tôt aux études littéraires pour lesquelles il abandonne les études scientifiques. Il montre un penchant poussé pour la poésie qu’il considère comme une arme pour délivrer les opprimés. C’est ce qui explique son engagement. Il a fait des études de droit au Canada où il vit actuellement avec sa famille. Nébardoum est politologue, diplômé des sciences sociales des universités canadiennes. Chercheur et artiste polyvalent, son travail s’illustre par différentes publications. Dans son dernier 120
Cognac, Obsidiane, 1999. Actes Sud, Paris, 1989. 122 Éditions Le temps qu’il fait, Cognac, 2003. 123 Suivi de « Pierre, poussière », Obsidiane, Belgique, 2004. 121
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ouvrage intitulé Contribution à une pensée politique de développement pour le Tchad124, l’auteur s’intéresse à la redéfinition du champ des relations internationales et propose d’explorer la « diplomatie de population » au détriment de la « diplomatie d’États ». Les recherches antérieures de Nébardoum ont porté sur l’étude critique de l’instabilité politique dont l’impérieuse résolution constitue un préalable à tout projet sérieux de développement. Le Labyrinthe de l’instabilité politique au Tchad125, traite de cette question. Décriant systématiquement toute forme d’injustices structurelles, Nébardoum a publié Olympe, un panégyrique à la mémoire de la pionnière guillotinée pendant la Révolution française et une réflexion sur les « grandes lignes des enjeux du discours féministe pour l’Afrique noire » dans Femme et pouvoir126, Nébardoum intervient très souvent dans les grands débats de la société canadienne par ses analyses dans Immigration et souveraineté : Tous ont peur du lendemain127, En Black et noir128, etc. Nébardoum a plusieurs ouvrages en édition dont Le Caïman solitaire, Moncton, éditions Bouton d’orAcadie, automne 2001. Moïse Mougnan N’Djékornondé Moïse Mougnan est né à N’Djamena (Tchad) le 17 novembre 1964. Il est le fils d’André Mougnan, un homme politique connu. Ce dernier s’opposa pendant longtemps à François Tombalbaye, premier président du Tchad, et mourut en détention. Moïse Mougnan a publié deux recueils de poèmes aux Éditions 124
Éditions L’Harmattan, Paris, 2000. L’Harmattan, Paris, 1998. 126 Éditions de l’Acadie, Moncton, 1995. 127 Le Devoir, Montréal, le 12 mars 1997. 128 Le Devoir, Montréal, le 10 mars 1996. 125
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d’Orphée à Montréal, Bibliothèque nationale du Québec, en mai 1986 et décembre 1987. Porte-parole des opprimés, des humiliés, il porte en lui la souffrance de sa communauté et la raison semble venir pour lui de l’image même du Noir qui le singularise. Il devient « unique » comparé aux hommes qui font le monde. Mais il refuse de se taire, il continue de dénoncer, de crier, d’écrire et de faire appel aux grands hommes de l’Afrique mythique et actuelle. Il appelle Chaka, Sankara… Il n’attend pas. Moïse Mougnan choisit l’engagement et s’adresse à tous ceux qui « ont des mots à dire » comme lui, et même à « ceux qui assassinent le soleil et la lune » et à qui il dit : « La main du bourreau finira toujours par pourrir. »
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V.3 - La production de la littérature au Tchad La production des auteurs est donnée ici par genre et par auteur, accompagnée des références bibliographiques. Le théâtre Le précurseur dans ce genre a été Palou Bebnone dont les œuvres suivantes sont restées la propriété de RFI : Palou Bebnone La Dot129, l’avant-scène, interafricaindeRFI, Paris 1961. Kaltouma130, l’avant-scène, interafricain de RFI, Paris 1965. Mbang Gaourang II131
concours
théâtral
concours
théâtral
Baba Moustapha Makarie aux épines132 Le Commandant Chaka (1983), Clé – Yaoundé, 1977 Le Maître des djinns133 Achta ou le drame d’une fille-mère134. Noël Nétonon Ndjékéry Goudangou ou les vicissitudes du pouvoir135. Bois, mon cher ami, bois136. 129
L’avant-scène, Concours théâtral interafricain – RFI, Paris, 1962 L’avant-scène, Concours théâtral interafricain – RFI, Paris, 1965, 39 p. 131 Manuscrit. 132 Clé – Yaoundé, 1972,116,p. 1. 133 Clé–Yaoundé, 1977. 134 Manuscrit, 1980. 135 Publications de la revue Tchad & Culture, mais restées à l’état de manuscrits (pièces de théâtre). 130
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Maoundoé Naindouba L’Étudiant de Soweto137. Koulsy Lamko Mon fils de mon frère138. La ziggourat de Babel139. Comme des flèches140. Ndo kela, ou l’initiation avortée141. Tout bas, si bas142. Le Camp tend la sébile143. Papillon de nuit [théâtre]144dansExils. Nocky Djédanoum Illusions145. L’Aubade des coqs146. Ouaga-Ballé Danaï La Malédiction147. Ahmad Taboye Au pays des démocrates ou la débrouillardise148. 136
Publications de la revue Tchad & Culture, mais restées à l’état de manuscrits (pièces de théâtre). 137 Théâtre suivi de trop c’est trop de Protais Asseng, Hatier, Monde noir, Poche, Paris, 1981, 160 p. 138 Éd. Lansmann, 1990. 139 Manuscrit, 1991. Éditions Héros dans l’ombre au Congo. 140 Éd. Lansmann, 1996, 37 p. 141 Éd. Lansmann, 1993, 70 p. 142 Éd. Lansmann, 1995, 42 p. 143 Éd. PULIM (Presse de l’Université de Limoges), 1993, 41 p. 144 Le bruit des autres [poésie], Solignac, 1994, 59 p. 145 Concours théâtral interafricain, RFI, 1984. 146 Inédit, représentée à Lilles, 1997, à Abidjan et à N’Djamena. 147 L’Harmattan, 1998, 64 p. 148 Éditions du Colloque des écrivains, N’Djamena, 2004, 105 p.
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La nouvelle Maoundoé Naindouba La Double détresse149. La Lèpre150. N. N. Ndjékéry Les Trouvailles de Bemba151. La Descente aux enfers152. La Carte du parti153. Baba Moustapha Sortilèges dans les ténèbres154. La Couture de Paris155. Koulsy Lamko Regard dans une larme156. Aurore157. Le récit autobiographique Joseph Brahim Seïd Un enfant du Tchad158. Antoine Bangui 149
Manuscrit (1973). Manuscrit (1978). 151 Éd. Hatier, Monde noir, Poche, Paris, 1977. 152 Éd. Hatier, Monde noir, Poche, Paris, 1982. 153 Éd. Hatier, Monde noir, Poche, Paris 1983. 154 Manuscrit (1980). 155 Éd. Hatier, Monde noir, Poche, Paris 1980. 156 Nouvelle, Mondia,1990 et Saint-Maur-des-Fossés, Sépia, 1992. 157 Nouvelle, in Exil, 1994. 158 Éditions Ségérep, 1962. 150
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Les Ombres de Kôh159. Prisonnier de Tombalbaye160. Michel N. Kosnaye Les Tribulations d’un jeune Tchadien161. Mahamat Hassan Abbakar Un Tchadien à l’aventure162. Ahmed Kotoko Le Destin de Hamaï, ou le long chemin vers l’indépendance du Tchad163. Zakaria Fadoul Khitir Loin de moi-même164. Les Moments difficiles165. Madame Hinda Déby Itno La Main sur le cœur166. Le roman Baba Moustapha Le souffle de l’harmattan167. N.N. Ndjékéry Sang de kola168. 159
Hatier, Monde noir, Poche, Paris, 1982. Hatier, Monde noir, Poche, Paris, 1980. 161 L’Harmattan, Paris, 1993. 162 L’Harmattan, Paris, 1990. 163 L’Harmattan, Paris,1990. 164 L’Harmattan, Paris, 1989. 165 Sépia, Saint-Maur-des-Fossés, 1998. 166 Éditions continentales, Paris, juillet 2008. 167 Sépia, Saint-Maur-des-Fossés, 2000. 168 L’Harmattan, 2001. 160
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Nimrod Bena Djangrang Les Jambes d’Alice169. Le Départ170. Ali Abdel-Rhamane Haggar Le Mendiant de l’espoir171. Le Prix du rêve, Centre Al-Mouna, Tchad (2003). Marie-Christine Koundja Al Istifakh ou l’idylle de mes amis172. Koulsy Lamko La Phalène des collines173. Ouaga-Ballé Danaï Mon amour, l’autre174. Zakaria Fadoul Khitir Le chef, le forgeron et le faki175. Ghazali Mahamat Idriss Aïda176. Mouimou Djékoré Le Candidat au paradis refoulé177. 169
Actes Sud, 2001. Actes Sud, 2005. 171 Éditions du Centre culturel Al-Mouna, Tchad, 1998. 172 Clé, Yaoundé, 2001. 173 Éd. Kuljaama, 2000, université nationale du Rwanda, Serpent à plumes, 2002. 174 L’Harmattan, Paris, 2002. 175 L’Harmattan, Paris, 2004. 176 L’Harmattan, Paris, 2005. 177 L’Harmattan, Paris, 2005. 170
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Ahmad Taboye Le Patriarche178. La poésie Nimrod Silence des chemins179. Pierre, poussière180. Passage à l’infini181. Moïse Mougnan Le rythme du silence182. Des mots à dire183. Nébardoum Derlemari Abdias Cri sonore184. Koulsy Lamko La Danse du Lab185. Terre, bois ton sang !186 Nocky Djédanoum Nyamirambo187. 178
N’Djamena, éditions SAO, 2006, réédition Colloque des Écrivains N’Djamena, 2011. 179 Éditions la pensée universelle, 1987. 180 Éditions Obsidiane, 1989. 181 Éditions Obsidiane, 1999. 182 Éditions d’Orphée, Montréal, 1986. 183 Montréal, Éditions d’Orphée, 1987. 184 Éditions d’Orphée, Montréal, 1987. 185 Poème chanté et dansé par les initiés dans le cadre de la pièce de théâtreMon fils de mon frèreet repris dans Exils, Solignac, 1994. 186 Idem. 187 Mali, éditions Le Figuier, 2000 et Fest’Africa, 2000 à Lilles en France.
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Le conte Joseph Brahim Seïd Au Tchad sous les étoiles188. Koulsy Lamko Le Repos des masques189. Nébardoum Derlemari Le caïman solitaire. Écrit et publié en 2001 dans la collection conte/météorite à l’édition « Bouton d’or Acadie ». Le livre de conte est illustré par Denise Plaquette.
188
Présence africaine, Paris, 1962. Conte en illustration à l’album photos d’Alain Turpeau, Éditions Marval, 1995.
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Chapitre VI La réception des œuvres Nous allons dans ce chapitre évoquer les problèmes de l’édition, de diffusion, des instances de promotion et de valorisation, mais aussi la présence dans le programme d’enseignement, dans les médias, les revues spécialisées et la recherche universitaire. « La réception de l’œuvre est inséparable de l’évaluation qui en est faite. La sociologie de la littérature doit prendre pour objet les modes de hiérarchisation de cet espace à travers la sélection qu’opèrent les classements réalisés par la critique, la presse, la diffusion et les modes de consécration divers : chiffre de vente, succès critique, consécration institutionnelle, prix littéraire »190. « La réception est médiatisée par les modalités de la publication et de la diffusion. Le paratexte (préface, postface), le support (presse, article dans une revue spécialisée, brochure, livre), la place et l’environnement dans le support (dans la page de journal ou la collection), tous ces éléments de la publication conditionnent la réception. Une préface peut orienter la réception indépendamment des intentions de l’auteur191. »
190
Gisèle Sapiro, « Littérature–Sociologie de la littérature », Encyclopédie Universalis (en ligne), consulté le 9 mars 2015, http//www.universalis.fr 191 Gisèle Sapiro, Idem.
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VI.1 - L’état de l’édition Il n’existe pas de maison d’édition avec un comité de lecture au Tchad. Des imprimeries privées comme IDT (Imprimerie du Tchad), AGB (Abba Goni Bichara), Aubaine Graphic, Abba Press… remplissent la fonction de publication de documents de toutes sortes et acceptent de publier à compte d’auteurs les œuvres de fiction qui leur sont proposées. Le Centre d’appui à la recherche (CNAR) est une institution sous tutelle de l’université et elle sert entre autres à diffuser les publications de la recherche paléontologique, archéologique… Le CNAR publie et diffuse plus les documents scientifiques que littéraires ou de sciences humaines. Beaucoup d’auteurs publient chez L’Harmattan et chez les éditeurs à l’étranger. La Bibliothèque nationale vient d’être créée, il yacinq ans seulement et le dépôt légal a été institué. Mais il n’y a pas encore de personnel qualifié pour la prise en main de cette institution et ses instances fondatrices. Des archivistes, des médiathéquaires et des conservateurs devraient être formés pour contribuer à sauver la mémoire dans ce pays. Même l’université du Tchad ne dispose pas encore de numéro de répertoire ISBN pour lui permettre de gérer et de conserver ses publications scientifiques. La politique de l’État en matière culturelle ne permet pas encore de prendre en compte les produits artistiques et culturels qui devraient bénéficier de l’exonération douanière ou fiscale. Publier au Tchad est donc un chemin de croix pour tous les amoureux de la littérature et de l’écriture. Les rares parutions à compte d’auteurs coûtent très cher et les auteurs sont souvent jeunes et sans emploi.
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Par ailleurs, le prix du livre reste inaccessible. Mais il faut souligner que le livre et l’activité de la lecture ne sont pas vraiment les préoccupations prioritaires. Des livres scolaires sont édités dans des ateliers du ministère de l’Éducationnationale mais les manuels scolaires restent encore insuffisants pour le nombre sans cesse très grand des élèves. Les librairies-papeteries vendent plus des journaux, des magazines, des documents de loisir que véritablement des ouvrages techniques ou de littérature. La réception des œuvres littéraires est très limitée. Elle reste réservée aux enseignants, aux élèves et étudiants en classe d’examen en dehors des écrivains euxmêmes. L’activité littéraire et artistique est timide et ne se développe pas vraiment. Si l’on peut parler de la littérature émergente du Tchad, le manque de maison d’édition, le manque d’engouement pour la recherche, la critique et l’analyse des enseignants et universitaires n’aident pas à une grande visibilité de la production littéraire du Tchad. Le développement de la lecture et de la politique commerciale du livre, de l’inscription dans les programmes scolaires et universitaires, la création des cercles de lecture et des concours et résidences d’écriture, le développement de tribunes littéraires dans les médias, permettront à cette jeune littérature émergente de sortir de ses frontières et de se faire connaître comme une littérature nationale à part entière. En Afrique, et particulièrement au Tchad, l’on n’est pas encore parvenu à diffuser des collections comme Lagarde et Michard en faveur des programmes d’enseignement.
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VI.2 - La présence dans le programme d’enseignement, les médias et des revues spécialisées Quatre auteurs restés classiques seulement ont été véritablement introduits dans le programme général de l’enseignement secondaire. Ce sont Joseph Brahim Seïd, Baba Moustapha, Noël Nétonon Ndjékéry et Maoundoé Naïndouba, les premiers auteurs connus, alors que la production francophone compte plus de quatrevingtsœuvres. À l’Université de N’Djamena, le département de Lettres modernes a introduit l’enseignement de la littérature du Tchad comme module depuis plus de quinze ans, mais ce module reste comme un cours magistral et sans grande visibilité. Un cours hebdomadaire intitulé : Littérature du Tchad et identité nationaleest dispensé comme un cours d’initiation à la production littéraire du Tchad. La littérature du Tchad est enseignée soit à travers l’étude des œuvres intégrales ou alors par genre ou par thème. L’enseignement semble viser la vulgarisation des œuvres trouvées çà et là plutôt que de faire un travail d’approfondissement. Très souvent des cours sur la connaissance des genres ou sur une œuvre intégrale ou sur un auteur…sont donnés. Il yaun grand besoin de la connaissance et d’un travail de profondeur sur la production littéraire au Tchad. La présence dans les médias Des émissions télévisées et radiodiffusées ont vu le jour et ont donné lieu à des échanges et des débats mais elles n’ont pas survécu à l’instabilité des équipes techniques des médias au Tchad. Nous pensons à des émissions comme : « À livre ouvert » et « La culture tout simplement ». « À 173
livre ouvert » était une émission de trente minutes. Elle s’attachait à vulgariser la littérature, à expliquer, à mettre à proximité le concept de littérature et elle s’employait également à faire connaître les auteurs et leurs œuvres. Elle cherchait à initier à la production littéraire au Tchad. Nous avons été informés que « À livre ouvert » devrait revenir dans les prochains mois sur les antennes d’une chaîne privée. « La culture tout simplement » avait vocation à parler très simplement, en des termes abordables et plus clairs de la culture. Elle essayait de décrire aux téléspectateurs, en quoi consiste la culture et quelles sont les institutions de la culture dans le domaine public et que doit-on en attendre ? Elle posait la question de savoir :qu’est-ce qu’une culture nationale et qu’est-ce qu’une politique nationale de la culture ? Il passe depuis une année et demie une émission télévisée dénommée « L’agora des lettres » puis elle a été remplacée par une deuxième émission dénommée « Les belles lettres » qui passe encore aujourd’hui sur les antennes de la télévision nationale. Aucune de ces deux émissions n’a parlé d’un auteur connu, n’a présenté un ouvrage d’auteur confirmé ou même invité sur son plateau un artiste écrivain. Elles invitent souvent des jeunes qui ont écrit sur la politique, sur des points de vue… en tout cas, il ne nous a jamais été donné de regarder parler littérature, un auteur sur une œuvre. La présence dans les revues spécialisées Il existe des revues culturelles spécialisées et publiées régulièrement dans le pays comme la revue Tchadet Culture, initialement tenue par l’église et maintenant, propriété du CEFOD (Centre d’étude et de formation pour le développement). Le CEFOD encadre et forme dans tous les domaines mais publie également tous les manuels 174
politiques, de droit, de science, de société… Il abrite la bibliothèque la plus complète possible au Tchad. La revue Tchadet Culture a contribué à publier des œuvres comme Goudangou ou les vicissitudes du pouvoir et Bois, mon cher ami, bois ! de Noël Nétonon Ndjékéry. Elle continue de nos jours à publier des analyses ou à présenter des nouvelles publications. La revue Carrefour est la publication du centre culturel Al-Mouna, un centre religieux de N’Djamena. Cette revue a connu des années d’activité. Près d’une décennie. Elle était animée par des écrivains comme Noël Nétonon Ndjékéry, Ali Abdel Rhaman Haggar, Gali Ngoté Gata, Ahmad Taboye, des communicateurs comme et Gata Nder, Moussa Doumgor… Des études sur des textes d’auteurs tchadiens sont régulièrement publiées. Elle servait de point de rencontre, d’échange, de débat, de conférence… La revue constitue un lieu de correction et de proposition de manuscrits. Le centre Al-Mouna a contribué à publier beaucoup de textes littéraires, d’histoire, de politique, de sociologie… Le centre Al-Mouna continue à consolider et à rapprocher les communautés.
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VI.3 - La critique littéraire et la recherche universitaire Il n’y a pas vraiment de travaux de critique littéraire connus, sur la production des écrivains tchadiens. Les deux ouvrages de Marcel Bourdette-Donon, un coopérant technique enseignant en français, Les Enfants des brasiers192, et La Tentation autobiographique193, publiés chez L’Harmattan en 2000 et 2002 ont été relayés par quelques articles d’universitaires dans des revues littéraires comme la revue Carrefour ou Tchad et Culture… que nous venons de présenter. Des articles critiques sur les publications d’auteurs comme Nimrod ou Koulsy Lamko, Noël Nétonon Ndjékéry paraissent en France dans la revue Notre Librairie et à Mexico mais qui restent inconnus du public tchadien. La première publication de Marcel Donon Bourdette, Les enfants des brasiers présente les poètes tchadiens : Nimrod, Moïse Mougnan, Nébardoum Abdias Derlemari… Il y parle d’imaginaires poètes et de thématique. Mais La tentation autobiographique s’occupe uniquement des récits autobiographiques et de ses auteurs. Il apparaît clairement que Bourdette cherche à prouver que le récit autobiographique constitue la genèse de la création littéraire au Tchad. Tel n’est pas notre avis et voici notre modeste réaction à cette affirmation. Il convient de lever ici une équivoque. En lisant La Tentation autobiographique… de Marcel BourdetteDonon, il nous apparaît une méconnaissance évidente de la production de la littérature au Tchad, de la part de l’auteur qui fait un jugement très hâtif sur une seule 192 193
L’Harmattan, Paris, 2000, 384 p. L’Harmattan, 2002, 381 p.
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composante de la production. Les premières œuvres écrites en langue française au Tchad sont La Dot de Palou Bebnone et Au Tchad sous les étoiles de Joseph Brahim Seïd. Elles datent de 1962, soit cinq ans avant Un Enfant du Tchad, publié en 1967 chez Ségérep. L’écriture autobiographique ne peut donc pas constituer la genèse de la littérature francophone au Tchad. Ce sont plutôt la dramaturgie, la nouvelle puis le conte qui donnèrent naissance à la littérature écrite au Tchad. – Par exemple à la page n° 26, il est écrit : « Et Naïndouba Maoundoé publie une nouvelle : L’Étudiant de Soweto, en 1978. » – L’Étudiant de Soweto n’est pas une nouvelle. C’est une pièce de théâtre, primée au neuvième concours théâtral interafricain de RFI, avec une autre pièce Trop c’est trop de Protais Asseng. – Puis à la page n° 120 : « Hormis le pâle récit initiatique et romancé de Seïd, Bangui n’a pas de véritables devanciers… » Bourdette a probablement lu Un enfant du Tchad de Joseph Brahim Seïd, pour pouvoir porter un jugement aussi net. – Une question se pose alors. Est-ce parce que ce récit est pâle, comme il le dit, que Bourdette a préféré ne pas le prendre en compte, ou alors ne le considère-t-il pas comme une œuvre littéraire ? – Dans tous les cas, il devrait donner une lecture de cette œuvre qu’il semble rejeter. Cette œuvre est certes épuisée, mais pour des spécialistes comme Bourdette, qui l’ont lue, elle devrait constituer le point de départ de la littérature autobiographique. – On comprend mieux que l’absence d’Un enfant du Tchad soit appréciée par Bourdette. Il espère faire croire à ses lecteurs que l’écriture autobiographique est la genèse véritable de la littérature écrite au Tchad.
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– La méconnaissance de Bourdette est également confirmée dans sa façon de nommer les auteurs tantôt par leur prénom, tantôt par leur nom, et parfois par les deux. – Il y a aussi des explications fantaisistes comme celle qu’il donne du nom de Zakaria Fadoul Khitir. – La littérature autobiographique est certes en quantité très importante. Mais, elle n’est pas la plus riche ni la plus intéressante, ni même la plus prometteuse dans la perspective de l’écriture. – Il y a parmi nos autobiographes, un auteur comme Antoine Bangui qui a écrit deux récits autobiographiques : Prisonnier de Tombalbaye et Les Ombres de Kôh et qui montre une aisance remarquable dans l’écriture. Il possède incontestablement un vrai talent d’écrivain. – La description chez lui est très recherchée et l’image est très significative. Il laisse transparaître également une culture importante dans les exemples qu’il donne. – Chez tous les biographes tchadiens, dire le « je », exprime une prise de position sur un fait politique. Par ces biais, l’écrivain extériorise ses ressentiments et finalement propose un projet de société. – Les œuvres autobiographiques des Tchadiens laissent ressortir clairement que l’élément politique est l’aspect le plus déterminant. Aucun auteur n’a écrit une autobiographie dénuée de tout sens politique. Souvent l’autobiographie politique a précédé l’autobiographie « pure », si on peut l’exprimer ainsi. Pour appuyer cette affirmation, prenons Prisonnier de Tombalbaye. C’est dans sa biographie politique qu’Antoine Bangui annonce à travers un chapitre : « Maké et Mbaikolé » sa prochaine création : Les Ombres de Kôh. Il fait allusion à ce prochain ouvrage qui est une histoire de sa propre vie, et qui présentera Bangui enfant, adolescent, mais aussi l’histoire de sa famille, de sa communauté et de son village.
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La recherche universitaire au Tchad concerne les mémoires de licence, de maîtrise, ou de master souvent sous le conseil très directif des enseignants, eux-mêmes à la recherche des contours de cette institution littéraire émergente. Liste de sujets de thèse et de projets de mémoires en licence et en master portantsur la littérature tchadienne 1/- Samy Passalet Frédéric : Littérature tchadienne : prise de conscience politique et culturelle d’un écrivain dans Un Tchadien à l’aventure de Mahamat Hassane Abakar, année académique 1992-1993, sous la direction de Bédoumdje N.D. Mémoire de licence. 2/-Badaindigué Daido Nathan : La présence de l’oralité dans la littérature tchadienne d’expression écrite : cas de Les Ombres de Kôh d’Antoine Bangui, année académique 2010-2011, sous la direction deDr Ngaodandé Réoutag Ilro, Projet de recherche en Master I. 3/- Djétoda Koulanoudji : L’image de Tombalbaye chez Antoine Bangui dans Prisonnier de Tombalbaye, année académique 2010-2011, sous la direction du Dr Ngaodandé Réouatg Ilro, Projet de recherche en Master I. 4/-Djamadjibeye Bonheur : Regards sur le génocide rwandais dans La Phalène des collines de Koulsy Lamko et L’aîné des orphelins de Tierno Monénembo, année académique 2011-2012, sous la direction de Dr Eynem Lapate, Projet de recherche en vue de l’obtention de la maîtrise de lettres. 5/- Abdallah Saleh Lambaye : Le discours politique dans Discours du président de Laring Baou, année académique 2010-2011, sous la 180
direction de Dr Eynem Lapate, Projet de recherche de mémoire niveau Master I. 6/- Galapna Édouard Rassou : Narcissisme et écriture du moi dans Prisonnier de Tombalbaye d’Antoine Bangui, année académique 20102011, sous la direction du Dr Ngaodandé Réoutag Ilro, Projet de recherche Master I. 7/- Keunréba Daba : Le milieu carcéral dans Prisonnier de Tombalbaye d’Antoine Bangui, année académique 2010-2011, sous la direction du Dr Ngaodandé Réoutag Ilro, Projet de mémoire Master I. 8/- Ngaodandé Réoutag Ilro : Récits d’enfance entre deux mondes : Les Ombres de Kôh de Antoine Bangui, L’Enfant de Jules Vallès, Portrait de l’artiste par lui-même, James Joyce, année académique 1999-2000 à l’Université de N’Djamena, sous la direction du Dr Aziza Soliman, Mémoire de Maîtrise en littérature comparée. 9/- Ngaodandé Réoutag Ilro : Regards croisés sur quatre autobiographes tchadiens : Prisonnier de Tombalbaye de Antoine Bangui, Loin de moi-même de Zakharia Fadoul Khitir, Les Jambes d’Alice de Bena Djangrang Nimrod, Le souffle de l’harmattan de Baba Moustapha, année académique 2002-2003,sous la direction de Danielle Risterucci, Maître de conférences, Université d’Orléans en France, Mémoire de Master. 10/- Ngaodandé Réoutag Ilro : Des mots de douleur, des mots d’espérance : Regards croisés ; regards pluriels sur le théâtre tchadien, année académique 2007-2008 à l’Université d’Orléans en France, sous la direction du Professeur Bernard Ribemont, Doctorat nouveau régime en littérature comparée.
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L’analyse dans cette deuxième partie de notre travail cherche à cerner l’institution de la littérature au Tchad dans sa réalité et sa pratique. Nous avons ainsi présenté la littérature émergente du Tchad par rapport à l’histoire de sa production, par rapport à sa fondation, à sa constitution et son développement à travers l’émergence de l’État, les langues d’écriture, les auteurs, les œuvres et la réception des œuvres. La partie suivante nous permettra de présenter l’analyse des genres et les principaux thèmes dans les œuvres de la production littéraire au Tchad.
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TROISIÈME PARTIE
L’ANALYSE DES GENRES, LES PRINCIPAUX THÈMES
Chapitre VII L’étude des genres Cette dernière partie cherche à faire l’étude des œuvres de la production de la littérature au Tchad classées par genre et à mettre en exergue les thèmes récurrents et majoritairement traités par le plus grand nombre d’auteurs. L’objectif visé est de faire voir des œuvres très peu présentes dans les rayons des bibliothèques et des librairies et moins visibles du public. Tous les genres sont représentés dans la production littéraire tchadienne. Quantitativement, on compte un grand nombre de pièces de théâtre. Presque tous les auteurs s’y sont essayés et tous les thèmes y sont également traités, notamment la peinture sociale, le pouvoir, le conflit armé, l’histoire ancienne et récente du Tchad, le thème de la malédiction…Vient ensuite le récit autobiographique. Récits où l’auteur parle de sa propre vie, de ce qu’il a vécu et où il parle à la première personne, oùil dit « je ». Là également, beaucoup d’écrivains se sont adonnés à l’exercice. Il y est question de récits qui développent la construction de la personnalité sur fond de recherche des origines, des traditions orales (Les Ombres de Kôh)194 ou encore du développement de la personnalité à l’épreuve des événements politiques et tragiques du Tchad (Prisonnier de Tombalbaye195, Un Tchadien à l’aventure196,Le Destin de Hamaï197). Ils y parlent de leur vécu dans l’univers carcéral, dans les prisons politiques du premier président François Tombalbaye. 194
Antoine Bangui. Antoine Bangui. 196 Mahamat Hassan Abbakar. 197 Ouaga Balle. 195
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Certains, comme Ali Abderhamane Haggar, présentent le parcours parsemé deressentiments et de souvenirs d’un jeune où transparaît une dérision de la situation du Tchadien et du Tchad, mais aussi de l’Africain en général. La nouvelle prend la troisième position par ordre d’importance de la production. Des thèmes aussi précis que la guerre civile, l’exil forcé des populations de N’Djamena chassées par les combats. Le cortège de dégradation, de spoliation, de dépossession et d’avilissement vécu dans les camps de réfugiés (La Descente aux enfers), la mégalomanie, la tyrannie, la jalousie, la dictature des agents de l’administration dans les camps, la révolte et la libération des prisonniers politiques (La Carte du parti), la misère intellectuelle et matérielle, la débrouillardise dans un monde en pleine mutation, l’attraction de l’artificiel, les mirages de la modernité traités dans La Couture du Pariset bien d’autres thèmes qu’on retrouve dans La Lèpre, La Double détresse, Les Trouvailles de Bamba, Sortilèges dans les ténèbres198. Le conte, genre très présent en Afrique, est souvent évoqué à travers tous les autres genres, mais très peu traité par les Tchadiens. Seuls Joseph Brahim Seïd avec son recueil Au Tchad sous les étoiles, Koulsy Lamko avec Le Repos des masques199etNébardoum Derlemari Abdias avec Le caïman solitaire, ont publié des contes. La poésie est également peu pratiquée. Un seul poète, Nimrod, avec Silence des chemins, Pierre, Poussière et Passage à l’infini200, fait véritablement de la poésie. C’est 198
Koulsy Lamko, Éditions Marval, 1995 (conte en illustration à l’album photos d’Alain Turpeau). 199 Nimrod, La pensée universelle, Paris 1987. 200 Nimrod, Cognac, Obsidiane, 1999.
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un poète de renommée internationale qui donnera à la poésie tchadienne sa place dans le monde des lettres. Koulsy Lamko dans Exils201et dans certaines de ses pièces s’est essayé à la poésie. Le roman est un phénomène récent mais qui s’est vite développé chez les Tchadiens. En effet, N. N. Ndjékéry a publié son premier grand roman Sang de kola en 1998. Il y est question de la guerre civile qui a ravagé N’Djamena et ses environs puis le Tchad. Koulsy Lamko avec La Phalène des collines202 a tout simplement honoré son engagement au Rwanda, il a écrit par « devoir de mémoire ». Les Jambes d’Alice203, premier roman très poétique de Nimrod, est sorti chez Actes Sud en janvier 2001, Le Départ204, un autre roman de Nimrod,estsorti en 2005 toujours chez Actes Sud. Marie-Christine Koundja a publié AlIstifakh, l’idylle de mes amis en 2001. Mais de nos jours, il se précise un engouement pour la production d’œuvres de fiction. Beaucoup de jeunes s’essaient dans tous les genres, seulement leurs productions restent encore invisibles par manque d’expérience et de formation véritable. Ali Abdel Rahmane Haggar continue d’écrire, Le Mendiant de l’espoir205 est le premier roman publié par un auteur tchadien. Le tome 2 du Mendiant de l’espoir est intitulé Le Prix du rêve206. Zakaria Fadoul avec Loin de moi-même207et Les Moments difficiles semble encore capable de récidiver. 201
Koulsy Lamko, Serpent à plume, 2002 Théâtre, et « le Bruit des autres »poésie, Solignac, 1994. 203 Nimrod, Actes Sud, Paris, janvier 2001. 204 Nimrod, essai, Actes Sud, Paris, 2005. 205 Ali Abdel Rahmane Haggar, Éditions Al-Mouna, N’Djamena, 1998. 206 Ali Abdel Rahmane Haggar, Éditions Al-Mouna, N’Djamena, 2002. 202
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Beaucoup d’autres jeunes écrivent. À N’Djamena, des manuscrits inédits attendent d’être reconnus. Après cette brève présentation de la production dans l’ordre quantitatif de la création, nous allons essayer d’analyser la thématique par genre pour donner à voir et à lire des œuvres qu’on ne trouve pas facilement.
207
Zakaria Fadoul Khitir, L’Harmattan, Paris, 1989.
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Chapitre VIII Les principaux thèmes VIII.1 - Le traitement du thème du pouvoir Le thème du pouvoir a fasciné presque tous les écrivains tchadiens. Il apparaît à la lecture des œuvres de la plupart des auteurs tchadiens trois types de traitement de ce thème. Dans un premier temps, les Tchadiens ont pris en compte l’histoire ancienne en donnant une analyse des royaumes qui ont constitué le territoire originel du pays. Ils s’en sont préoccupés en explorant les raisons des premiers clivages. Ensuite, certains se sont attelés à faire le procès des différentes manifestations de la dictature, tandis que d’autres dénoncent la guerre civile et ses méfaits. Tout ceci donne une lecture des différents aspects du pouvoir au Tchad. On constate cependant que l’évocation de l’histoire passée n’a concerné que quatre auteurs qui ont essayé vraiment de faire cette analyse. En effet, Palou Bebnone, dans Mbang Gaourang, roi du Baguirmi, a porté son attention sur deux faits importants : d’abord la mort de Rabah le conquérant qui projetait de construire un empire au Tchad en soumettant tous les grands royaumes du pays, puis la conquête du Tchad par les expéditions françaises qui ont affronté et tué Rabah. Dans la réalité, Rabah est mort au combat contre les trois expéditions françaises qui ont fait leur jonction sur la rive gauche du Chari, fleuve qui fait frontière entre le Tchad et le Cameroun. Àl’emplacement de la ville de Kousseri. Il est mort en même temps que le principal chef des expéditions françaises, le commandant Lamy qui a donné son nom à la 189
ville de Fort-Lamy, devenue N’Djamena en 1975. Il a été blessé, achevé et décapité par les Français et non pas mort par désespoir en se donnant la mort, parce que acculé par Padja, comme l’écrit Palou Bebnone dans cette pièce. Mbang Gaourang est le nom des rois du royaume du Baguirmi et l’histoire dont il est question dans cette pièce correspond bien à l’histoire véritable du Tchad. La société de la pièce correspond bien à la société réelle du Tchad. La pièce est aussi novatrice à bien des égards. Elle l’est par les velléités d’émancipation par rapport aux coutumes et traditions baguirmiennes. Le roi prend des décisions et bouscule tous les tabous. Il destitue son chef de guerre, le remplace par un roturier et finit par accepter tous les écarts que se permettent ses sujets. Il va jusqu’à pardonner aux conspirateurs qui visaient à lui arracher son pouvoir. L’allusion à la mort de Rabah marque une indépendance par rapport à l’Histoire réelle du Tchad. Dans la pièce, Rabah se donne la mort parce qu’il est acculé et humilié par Padja. Cette contre-vérité historique s’explique-t-elle par la simple liberté du créateur, ou est-elle une volonté de Palou Bebnone de vouloir disculper le royaume du Baguirmi devant l’Histoire ? On sait que le royaume du Baguirmi a collaboré avec les Français pour tuer Rabah. Il reste cependant ce côté généreux de Palou Bebnone. Le roi est magnifié. Il possède un visage humain, il est tolérant, grand. Il y a là un désir ou une volonté de faire, peut-être, deBaguirmi l’exemple central de l’unité, un pouvoir modèle qui sauverait le Tchad futur. Dans Le Commandant Chaka, pièce profonde, Baba Moustapha part de l’époque des révolutions progressistes qui asuivi l’époque des indépendances africaines et remonte aux origines tribales et sociales lointaines des peuples pour élucider les raisons des premiers conflits et des clivages. Baba Moustapha semble nous dire que les raisons des problèmes véritables de la société et du pays 190
sont à chercher dans notre passé. Ce sont des clivages originels comme ceux qui opposèrent les tribus sœurs et rivales du clan Kapunku. Ce sont donc des barrières identitaires. La tribu Kuntu représentée dans la pièce par Matari et la tribu Muntu représentée par Grace ne sont en réalité que la révélation des liens plus profonds, la révélation aussi d’une lecture plus réaliste. Elles sont aussi l’expression du désir d’une unité franche, une unité brisée par l’amour de Grace pour un étranger au clan Kapunku, le jeune Chaka, alors qu’elle était promise à Matari. La haine de Matari pour Chaka est donc fondée. C’est pourquoi elle se trouve propulsée au niveau de la gestion même du pouvoir national. Matari, ministre de l’Intérieur, tisse une intrigue qui consiste à miner son adversaire de l’intérieur, c’est-à-dire utiliser le propre fils du rebelle pour le détruire. Mais sa mauvaise foi sera contrecarrée par le fils de Chaka, le capitaine José Muana. Celui-ci saura assumer, dans un sursaut responsable, le rôle du X manquant, de « l’inconnu qui réconciliera le peuple avec lui-même » et sauvera le pays. Le Commandant Chaka est une autre lecture du problème de gouvernance des nouveaux États africains indépendants. Il semble vouloir nous signifier que la solution aux problèmes identitaires est primordiale et fondamentale. C’est un préalable pour mieux gérer les clivages politiques. Ouaga Ballé Danaï dans sa pièce de théâtre La Malédiction assimile les malheurs du peuple du Sindou, pays imaginaire, à la malédiction qui a toujours frappé les hommes. Il prend le sort de la famille Baldet comme exemple de ces lourdeurs et croyances qui fonctionnent dans la société comme des tabous. L’homme est quelquefois victime des valeurs morales, familiales et autres repères d’éducation qui façonnent et réglementent 191
son comportement dans la société. Ce sont autant de lourdeurs qu’il est incapable de maîtriser, de réfléchir et dont il ne peut s’émanciper. La Malédiction rappelle Le Maître des djinns de Baba Moustapha où les tabous sociaux tels que le statut de la mère, le sein maternel… sont souvent utilisés pour servir des intérêts personnels ou pour s’imposer à un membre de la famille. Myriam Baldet, en n’acceptant pas le favoritisme que pratique le ministère de tutelle de son pays d’origine qui en remplace à l’étranger Myriam et ses amis par de nouveaux étudiants proches des autorités au pouvoir, alourdit son destin déjà trop chargé. Elle est bien née par un acte incestueux et elle est devenue l’amante éphémère de son propre frère avec lequel elle a engendré un enfant. Ce cumul de lourdeurs fait de Myriam la maudite existentielle ou présumée telle à l’image de l’homme, mais aussi à l’image de sa société. Voilà pourquoi l’enfant de l’imposture devient l’espoir qui sauvera une lignée appelée à disparaître. Ici aussi, on constate chez Ouaga Ballé Danaï que le traitement du pouvoir pousse à une autre lecture de la société et rappelle Baba Moustapha dans Le Commandant Chaka. Cette lecture suppose la prise en charge des problèmes propres au groupe afin de les assumer et de refuser la fatalité pour la transformer en dynamique sociale et politique dans l’espoir d’un avenir meilleur. Pour contourner les stratégies séculaires des communautés antagonistes du Tchad, celles du nord et du sud, Marie-Christine Koundja, dans Al Istifakh ou l’idylle de mes amis, choisit de marier deux jeunes représentant chacun l’un des groupes à l’insu de leurs parents. Cette conspiration des jeunes, espoir du lendemain, cherche à forcer les Tchadiens à l’unité par le lien du mariage. C’est une métaphore de l’union.
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Illusions de Nocky Djédanoum refuse le tribalisme, le régionalisme, le clanisme, et les rejette en mettant en scène Ndouba Idi, un sudiste et Fatimé, une nordiste. C’est aussi une conspiration qui vise à forcer les deux communautés. Mais Illusions dépasse le lien du mariage et consacre l’unité par la conspiration en donnant naissance à Suno. Suno, ce mot programme, est à lui tout seul un oxymore qui tient. C’est l’union des deux contraires. Dans sa nouvelle Les Trouvailles de Bemba, N.N. Ndjékéry a créé l’une des métaphores du pouvoir la plus significative. Il remonte au pouvoir colonial. En effet « la trouvaille » concentre en elle tous les attributs du pouvoir colonial. Le pouvoir n’est visible que par la chose, « la trouvaille » et les soldats, bras exécutants. « La trouvaille » est à l’état de symbole de telle sorte que même Bemba qui la possède n’arrivera jamais à la comprendre et à en jouir. Les soldats sont l’incarnation répugnante du pouvoir colonial. D’ailleurs, en perdant la chose, Sarzan perd aussi sa parcelle de pouvoir y compris sur le caporal qui était son subordonné. Cette chose contribue comme toujours chez Ndjékéry à gommer le visage du pouvoir, à le remplacer. Elle se transforme en agent destructeur du village. Elle explose comme un malentendu dans un grand bruit en liquéfiant Bemba et les siens, celui-ci ayant cru au pouvoir magique structurant et enrichissant de la chose et n’ayant pas pu prévoir son pouvoir destructeur. L’autre forme de pouvoir qui mine la vie du village de Bémoundou qui signifie « Moundou la maison » est encore un clin d’œil de Ndjékéry à sa ville natale. C’est celle du chef Kalimbaye qui abuse de son autorité au point de disputer une jeune femme à Bemba. L’opposition entre les deux hommes apporte la zizanie et la malédiction car elle enlève la confiance qui existait entre les administrés. Autour du chef, les agriculteurs et les pêcheurs 193
s’affrontent. Bemba se trouve dans la position de celui qui recherche tous les moyens pour gagner sa proposée. Ainsi, la zizanie à la base du pouvoir sur la communauté se trouve amplifiée par les clivages incontrôlés. On rejoint La Malédiction de Ouaga-Ballé Danaï : l’homme est très souvent lui-même l’artisan de sa propre malédiction. La dictature La majorité des auteurs tchadiens expriment un traumatisme : La dictature et ses différentes manifestations. Ainsi N. N. Ndjékéry dans Goudangou ou les vicissitudes du pouvoir et Bois, mon cher ami, bois ! donne à lire le portrait du dictateur que reconnaîtra tout Tchadien ayant vécu cette époque des premières années des indépendances jusqu’aux années 1970. Comme toujours chez N.N. Ndjékéry, le pouvoir est sans visage. Il est simplement évoqué, caricaturé. On le reconnaît à travers des indices ou par rapport à des agents représentants. Le personnage de Madina, la maîtresse du dictateur, et l’anecdote du mouton noir nous renseignent sur l’époque visée dans Goudangou ou les vicissitudes du pouvoir. Ils nous indiquent qu’il s’agit bien de Kaltouma Ngenbang et de François Tombalbaye, le premier président du Tchad, dans les années 1970. Tombalbaye avait accusé sa maîtresse Kaltouma Ngenbang de chercher à l’empoisonner et d’user des fétiches pour l’éliminer. Elle aurait enterré un mouton noir sur les conseils du marabout à cette fin. Le dictateur est un personnage extravagant, grossier, ridicule, repoussant et poltron. Il apparaît toujours apeuré et soupçonne tout le monde. Il n’hésite pas à condamner son épouse pour conspiration sans chercher à comprendre parce que Madina, dans sa machination, a manœuvré pour le monter contre elle. Le pouvoir semble ici représenté par Madina, c’est elle qui fait toutes les manipulations pour atteindre son objectif. Elle devient la 194
complice des puissances étrangères et c’est ainsi qu’elle finit par se faire étrangler par Goudangou. Dans sa pièce de théâtre Bois, mon cher ami, bois ! N. N. Ndjékéry associe les destins du docteur Masra et de son ami Djokido au destin de Moundou, ville du sud du Tchad dont il est natif, sous la dictature de Tombalbaye et de sa police politique. Ndjékéry semble nous signifier que quelle que soit la position adoptée par l’homme sous la dictature, les rapports au pouvoir restent conflictuels et souvent tragiques. En effet, le docteur Masra, avec son engagement jusqu’à la limite de sa vie pour la justice et son ami Djokido qui a choisi de se suicider par l’alcool, par lâcheté, parce qu’il a peur d’affronter la police politique, finissent tous deux par disparaître. Dans tous les cas, leurs destins restent une fin tragique. C’est une vision qui rejoint celle de Barka et de Niobé dans Makarie aux épines de Baba Moustapha où il est question de l’engagement pour assumer son destin. Le destin réside dans l’action mais aussi dans la lâcheté, dans la nonaction. Makarie aux épines etBois, mon cher ami, bois ! se rejoignent à tous les niveaux parce qu’elles évoquent toutes les deux la même époque, le même dictateur Tombalbaye, les femmes du parti unique au pouvoir, les fameuses « présidentes », ces personnages extravagants, ridicules, repoussants, excentriques qui caractérisent, par leur manège permanent et leur folklore, la dictature de Tombalbaye. Barka mourra sur un malentendu. Il voulait montrer à Gorlok « une épine » qu’il essayait de sortir de sa poche. Mais Niobé survit en promettant d’arrêter de boire, mais aussi pour que la mort de Barka ne se transforme pas en victoire du destin, ce destin contrefait et perverti par la
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dictature. Il fallait donc une action pour transformer le destin. La Carte du parti, nouvelle de N.N. Ndjékéry, fait le procès du pouvoir postcolonial, dans ce qu’il a d’artificiel et d’opportuniste. Le destin d’un jeune couple d’étudiants rentrés au pays après de pénibles études bascule dans les épreuves et le tragique à cause de la jalousie du directeur du ministère et de la convoitise du ministre même pour la jeune étudiante. Une machination est ourdie par le directeur. Une carte du parti unique déchirée et soigneusement mise dans la poche du jeune cadre suffit à le condamner à « quinze ans de sûreté ». C’est le temps nécessaire pour lui voler sa femme et le déposséder de sa personnalité. Mais, le jour de la relaxe des prisonniers à la faveur d’une grâce présidentielle, l’étudiant prisonnier transforme l’événement en émeute en se jetant sur l’ex-ministre devenu Premier ministre pour l’étrangler. Il provoque la panique générale, les soldats tirent sur les prisonniers. C’est le tragique, c’est la débandade. Koulsy Lamko exprime sa déception face au pouvoir issu des indépendances par une suite de griefs douloureux, qu’il accompagne d’un comique de situation dans une nouvelle titrée Regards dans une larme208.Lors des festivités pour célébrer les indépendances, les hommes sont décrits comme des clowns, des pantins et les femmes ont la démarche ridicule des canes dont les pattes auraient accroché un fil à quenouille. Dans Aurore, il nous ramène à la source des clivages. Koulsy Lamko plonge le lecteur dans ses souvenirs. Il se rappelle les événements de Mangalmé, les représailles contre un village Moubi, une ethnie du Centre-Est du Tchad par l’armée gouvernementale. C’était l’étincelle qui avait mis le feu à la poudre de la guerre civile. C’est une dénonciation très 208
Mondia, 1990 et Sépia, Saint-Maur-des-Fossés, 1992 (Nouvelle).
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explicite du dictateur et de sa gestion du pays, une manière peut-être pour Koulsy Lamko de situer les responsabilités du pouvoir central. Cette démarche contraste dans la nouvelle avec l’image de la mère, l’amour de la mère, avec la quiétude que provoque l’évocation de la mère. Cela rappelle Le Repos des masques, conte écrit en illustration à l’album photo d’Alain Turpault où le retour dans la matrice maternelle permet de retrouver la paix, la sérénité et le sens même de la vie chez Koulsy Lamko. La poésie de Nébardoum Derlemari Abdias et de Moïse Mougnan est aussi engagée et que militante. C’est une poésie qui aspire à dénoncer d’abord la guerre civile et la dictature. Elle refuse le silence et la résignation qu’elle traite de complaisants, de complices et de traîtres. Elle en appelle à la solidarité de tous les hommes de la terre. Elle s’appuie sur une Afrique au passé glorieux et sur des personnages symboles comme Sankara, Kwame Nkrumah. La poésie devient ainsi un cri immense qui part de la terre et monte au ciel. Elle transforme les mots en pleurs, en une sorte de clameur, véritable expression de la douleur d’un peuple supplicié. Le récit autobiographique représente le mieux la dénonciation et le dépit politique. Dans ce genre, c’est l’adversité politique qui a présidé au désir de se dire pour dénoncer l’injustice. En effet, tous les biographes ont été emprisonnés pour complot politique. L’univers carcéral, en les soustrayant de la vie quotidienne, en les dépossédant de leur liberté, leur a donné l’occasion de redécouvrir le monde du pouvoir et d’en dénoncer les excès et les méfaits. Le témoignage sur les traitements subis en prison, les ressentiments et les points de vue sur la société et la gestion politique deviennent plus déterminants.
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Antoine Bangui donne un témoignage saisissant de cette période de folie qui a précédé la mort du premier président du Tchad dans Prisonnier de Tombalbaye. Il nous livre un témoignage sérieux d’autant plus qu’il en était la victime. La versatilité, la duplicité d’un président qui devient de plus en plus soupçonneux en fabriquant des complots dont il accable ses adversaires ou ceux qu’il juge gênants sont rendues par Bangui dans leur stricte réalité. Les témoignages détaillés de Bangui nous font revivre toutes les péripéties, les angoisses et les rares moments d’espoir du prisonnier. Le traitement inhumain subi par des pauvres êtres jetés là parce qu’ils ont osé s’adresser directement au président, ou alors jugés trop intelligents parce qu’ils ont des relations avec les Occidentaux, et donc potentiellement dangereux, suffit à signer leur arrêt de mort. Michel N’Gangbet Kosnaye rapporte les mêmes témoignages qu’Antoine Bangui dans son ouvrage Tribulations d’un jeune Tchadien209. Cela s’explique par le fait que les deux auteurs sont de la même génération, issus de la même ethnie et des mêmes traditions. Ils sont tous les deux de la tribu Gor, une tribu du sud du Tchad. Ils ont vécu sous le même régime, celui de Tombalbaye. Ils sont tous les deux cadres et mariés à des Européennes, et la jalousie accumulée à cause de la capacité de discernement des deux auteurs a fait le reste. Le « je » et « le moi » passent par la douleur carcérale et aspirent à donner à lire comme dans un livre ouvert leurs conditions de misère en prison. Mais ils ajoutent à cela la prise de conscience d’un piège politique implacable, ce qui les autorise à proposer des solutions pour l’avenir de la communauté.
209
L’Harmattan, Paris, 1993.
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Les Moments difficiles210 de Zakaria Fadoul Khitir constitue également un témoignage très réaliste du traitement des prisonniers politiques sous Hissein Habré. L’auteur décrit tout simplement et au jour le jour ses impressions, ce qu’il a vu, ce qu’il a vécu, sa misère et celle de ses compagnons, leurs inquiétudes, leurs agonies et leur mort. Mahamat Hassan Abbakar rapporte, quant à lui, une période très nettement identifiable dans l’histoire récente du Tchad dans Un Tchadien à l’aventure. Il s’agit de la période des années 1977-1978 qui se prolonge jusqu’à la fin de la guerre civile. C’est une période durant laquelle tout le Nord aspirait à rejoindre le Frolinat. Son aventure est celle de tous ces jeunes qui, pour la plupart, ne sont jamais revenus. Lui en a tiré de l’expérience dans la vie et des diplômes. Son expérience est d’autant plus éprouvante et marquante qu’elle l’a conduit dans plusieurs pays et lui a fait traverser plusieurs continents. Si le fait politique a été à l’origine de ses aventures, il n’a pas vraiment fait de la politique. Il s’est plutôt battu pour sa survie et la quête de l’adaptation dans chaque nouveau milieu a canalisé toute son énergie. Ahmed Kotoko a écrit à travers son propre destin, une page charnière de l’histoire du Tchad relatée dans Le Destin de Hamaï ou le long chemin vers l’indépendance du Tchad211. En commençant son récit dans les dernières décennies de la colonisation, il n’oublie pas les années des indépendances, années des inimitiés et nous amène à l’État tchadien souverain. Ahmed Kotoko fait de ses mémoires un témoignage historique. L’histoire de la vie de l’homme se confond avec l’histoire de son pays.
210 211
Sépia, Saint-Maur-des-Fossés, 1998. L’Harmattan, Paris, 1989.
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Tous les récits autobiographiques des Tchadiens font apparaître une chronique de l’histoire politique du Tchad que l’on pourrait facilement reconstituer. Cette chronique amorcée depuis l’époque coloniale par Ahmed Kotoko a été reprise et poursuivie par Antoine Bangui et les autres autobiographes, et ce, à travers les différents rebondissements politiques qu’a connus le Tchad. La guerre civile La guerre civile fut le point de départ de la déchirure, de la tentative de partition du Tchad en deux régions bien distinctes, le Nord et le Sud. N. N. Ndjékéry illustre avec réalisme sa dénonciation de la guerre qui a éclaté à N’Djamena en février 1979 dans La Descente aux enfers. Cette nouvelle met à l’épreuve de la guerre Absakine et son épouse. Vivant heureux chez eux, ils sont réveillés par une explosion et des rafales de mitraillette, puis par des secousses. Le mur de leur chambre s’écroule les obligeant à fuir à la recherche de l’aide du marabout Aboubakar. Ce dernier est décrit comme un saint, presque comme un dieu. Le moment le plus intéressant est la description du domicile du saint homme. C’est un point central dans le quartier, un lieu protégé qu’aucune Ballé n’a touché. Il est le nombril du quartier, le havre de paix, la bouée de sauvetage attendue. Mais à leur grande surprise, le couple découvre le marabout aussi « mort qu’un pied de table », baignant dans son sang. C’est à croire que Dieu les a abandonnés. C’est là que commencent le désespoir du couple et leur fuite hors de N’Djamena en feu. La rue leur présente la réalité de la guerre dans ce qu’elle a de vrai, de macabre. C’est la mise en scène d’une bataille de rue où Ndjékéry pousse le réalisme très loin. On sent l’odeur du sang, de l’urine et des viscères d’un corps déchiqueté. À Kousseri, 200
ville camerounaise loin de N’Djamena, la perte du domicile s’accompagne de la perte de la dignité morale et physique du couple qui va jusqu’à la mort d’Absakine. La guerre est la dépossession de la personnalité, de son humanité, de sa vie d’un être humain. C’est la bêtise humaine par excellence, semble nous dire Ndjékéry. Le roman illustre le mieux le rejet de la guerre civile. Dans Le souffle de l’harmattan, Baba Moustapha pousse la logique jusqu’à l’assèchement des cœurs des hommes, des cœurs des Tchadiens, justifiant ainsi la guerre civile qui éclate à N’Djamena. Il fait de ce vent de moisson un vent de débâcle dans un Sahel en pleine désertification. Une sorte de fatalité pousse les communautés les unes contre les autres. La méfiance, la suspicion, les réflexes de conservation identitaires s’installent et la guerre éclate. La ville de N’Djamena devient le symbole de la partition et une de ses principales avenues se transforme en frontière la divisant en quartiers nord et quartiers sud. Le choix politique devient le choix du camp que fait chaque Tchadien. Et ne pas faire de choix oblige chacun à rester dans le camp d’origine de sa communauté. Dans tous les cas, on fait un choix politique. Le souffle de l’harmattan rappelle Pierre, poussière de Nimrod. Ici aussi la nature combat l’homme à sa façon. Elle lui rend en quelque sorte la monnaie de change en le privant de son environnement et en le plaçant dans l’hostilité. Pierre, poussière installe le silence de la pierre comme une permanence, vestige du passé sur la terre. Mais ce silence, dans sa pérennité, reste une présence d’autant plus que de la pierre à la poussière, c’est toute l’histoire de la vie qui est racontée. Il n’y a pas de mort car elle est l’aboutissement d’un processus qui est lui-même le départ d’une autre forme de vie. La vie est l’éternel recommencement. Cette vision existentielle explique la
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représentation de la vie chez Nimrod. Il semble ramener la guerre à l’essence de l’Homme, à sa nature. Ce qui nous renvoie à une autre œuvre de Nimrod, Les Jambes d’Alice. Dans ce magnifique roman, Nimrod a préféré chanter la beauté de la femme, l’amour en tournant résolument le dos à la guerre. Le narrateur, comme tous les réfugiés, fuit N’Djamena en feu et cette fuite devient l’occasion pour lui de dénoncer cette calamité à sa façon. La guerre est très peu traitée dans l’œuvre. Elle est évoquée à la faveur des visites du narrateur dans certains lieux et des apparitions du capitaine Doumbaye. On peut cependant soupçonner que le chapitre IX de l’œuvre cherche à célébrer la victoire de l’armée tchadienne sur les Libyens dans le nord du Tchad. Dans tous les cas, l’amour de la femme et du prochain sont mis au premier plan, reléguant très loin la haine et la guerre qui sont en réalité les premières raisons du déplacement des réfugiés. En décidant d’évoquer simplement la guerre et en lui préférant l’amour des hommes, en opposant l’amour à la haine, Nimrod cherche à exprimer plus profondément encore son rejet de la guerre. Sang de kola de N.N. Ndjékéry considère la profanation du village symbole de Yelileh par des soldats comme une malédiction, comme un sort à exorciser, c’est pourquoi la réconciliation est impossible et appelle au préalable la vengeance et les sacrifices. Il fallait que les responsables soient trouvés, reconnus et châtiés. C’est un appel à la normalisation, au rétablissement pour reconstituer la communauté désorganisée, déstabilisée. Ndjékéry met à l’épreuve toute la communauté, les individus, les familles, les groupes du pouvoir, etc. La purification finale du village marque la volonté du narrateur et son souhait d’une guérison définitive sûre et durable. C’est une lecture très profonde et sérieuse des 202
raisons de la guerre civile qui appelle des solutions véritables. La paix est à ce prix. Ce livre grave reprend le même thème que Le souffle de l’harmattan de Baba Moustapha mais il pousse l’analyse plus loin dans les fondements mêmes de la société en explorant les raisons de l’impossible apaisement. Le Mendiant de l’espoir d’Ali Abdel Rhamane Haggar définit Youssouf comme un Tchadien par rapport à la Congolaise. Sa fierté d’être Tchadien est d’autant plus grande qu’il a honte du privilège dont il a bénéficié en obtenant une bourse parce qu’il a des parents qui l’ont soutenu. Il a tellement honte de lui que les hublots de l’avion qui le transportait vers la Russie se transforment en immenses yeux pour le railler. Tout au long du roman, Youssouf ne cesse de comparer la Russie et sa grandeur au Tchad et aux autres pays d’Afrique. Il reste très déçu par les Africains qui « chargent des casseroles dans des jets privés » et son dégoût pour les diplomates « Diplomates, mon œil ! » est encore plus profond. Cela le conforte dans sa conviction de préférer le retour chez lui : « On n’est mieux que chez soi. » Le Prix du rêve212, deuxième tome du Mendiant de l’espoir213, consacre effectivement le retour de Youssouf et de ses camarades au pays après leurs études. Ces pauvres mendiants de l’espoir reviennent « cadres », c’està-dire des têtes censées apporter la science aux hommes et le savoir-faire pour développer la société. Mais c’est ici que commence la dure réalité du pays pour eux. Ils rentrent chez eux par le poste-frontière de Nguéli, fêlure significative où se lira sans complaisance la gestion politique et administrative calamiteuse et maladroite du pays. Tribalisme, favoritisme, népotisme, opportunisme et 212 213
Éd. Al Mouna, N’Djamena, 2002. Éd. Al Mouna, N’Djamena, 1998.
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apparition de nouveaux personnages, véritables clichés des acteurs du Tchad d’aujourd’hui, sont passés au peigne fin. La société civile reçoit l’hommage à travers une présentation très réelle de la CNS, cet événement qui a été à la base de la démocratisation en Afrique après la chute du mur de Berlin. Ali Abderhamane Haggar a sans nul doute voulu se souvenir de cette tribune pour rappeler à tout le monde les engagements pris pour la gestion juste et équitable de la société. C’est un hommage qui va jusqu’à immortaliser ses camarades en les décrivant physiquement et en les nommant sans aucun artifice. En campant son roman dans cette période charnière qui met fin à l’époque des dictatures, Ali Abderhamane Haggar marque le point de départ d’un Tchad nouveau même s’il est encore dans les projections. Ouaga Ballé Danaï dans Mon amour, l’autre, comme dans un appel, recherche la reconstruction de l’identité à travers la femme et le recoupement des multiples visages de celle celle-ci. Il situe le récit dans un État d’Afrique qui ressemble au Rwanda et au Burundi dans la composition ethnique, et similaire au Tchad par la complexité des conflits. Les Koutoulousis et les Kabanas, les deux ethnies opposées, pourraient bien représenter les nordistes et les sudistes au Tchad. Les premiers et les seconds se jouent des intrigues dans une position préméditée pour s’imposer les uns aux autres. L’implication d’une puissance étrangère et des organismes humanitaires internationaux font penser à la France et aux ONG pendant la guerre civile. La recherche des solutions aux problèmes politiques du pays passe par une lecture identitaire des clivages et la redéfinition des responsabilités. Le traitement du pouvoir est l’un des thèmes les plus présents dans la littérature tchadienne. En effet, les auteurs ont exprimé leur vision de la gestion du pays dans tous les genres. Chacun a fait une lecture de sa représentation du 204
pouvoir et a donné une lecture qui lui est propre en indiquant une nouvelle vision ou des orientations qu’il désire donner de la société. Nous pouvons observer que plusieurs d’entre eux comme Baba Moustapha, Palou Bebnone, Ouaga Ballé Danaï, Noël Nétonon Ndjékéry, Marie-Christine Koundja… sont remontés au passé de la société tchadienne et à l’époque de la colonisation pour faire une lecture plus réaliste des premiers clivages dans les communautés et rechercher puis préconiser des solutions. D’autres comme Koulsy Lamko, Antoine Bangui, Michel N’Gangbet Kosnaye, Zakaria Fadoul Khitir… ont préféré fustiger la dictature, ce système de pouvoir qui a suivi les indépendances africaines. Le dictateur est tour à tour vu sous des aspects négatifs et loufoques ou tout simplement absent comme chez Ndjékéry. Il est évoqué, ne possède jamais de visage. La guerre civile est devenue un véritable traumatisme. Elle est dénoncée avec vigueur pour être rejetée. Elle est d’autant plus présente qu’elle constitue la plaie que tout le monde gratte en attendant d’en guérir.
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VIII.2 - L’intertextualité « L’écriture… Ces transcriptions, ces adaptations diffusent la connaissance du patrimoine oral, l’universalisent, l’adaptent aux nouvelles conditions sociohistoriques de l’Afrique…Les genres oraux, contes, légendes, épopées et devinettes, constituent la mémoire collective de cette littérature, la source où s’abreuve la littérature émergente en langue occidentale : “Les armes miraculeuses” »214. Les traditions apparaissent dans les écrits des Tchadiens et se présentent comme l’expression des coutumes, des rites, des mythes, des légendes, des contes qui régissent et règlent la vie de la communauté originelle, ancienne, ancestrale. C’est pourquoi il est encore plus difficile de séparer la culture de la littérature. En Afrique noire, la littérature prend toujours deux formes : une littérature d’expression orale en langues nationales transmise de bouche à oreille et de génération en génération, et une littérature d’expression écrite en langues européennes, née de la rencontre avec l’Occident, c’est-àdire de la colonisation. En effet, l’Afrique est le continent de la parole. La plupart des communautés africaines ne possédant pas l’écriture exprimaient et expriment leurs cultures grâce au verbe. L’histoire de la société, des familles, toutes les manifestations religieuses, funéraires, l’éducation, etc. se font par la parole dispensée par des hommes et par des femmes appelés griots dans certaines communautés. Ces personnes sont nommées communément au Tchad « botchani » pour les hommes et « hakkama » pour les femmes, et même désignés par le terme « doukou » plutôt péjoratif qui signifie parasites. Dans tous les cas, ils ont 214
Sanou Salaka, La littérature burkinabè, l’histoire, les hommes, les œuvres, PULIM, 2001.
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pour rôle de conserver la mémoire collective. Ils gardent de père en fils la tradition de transmettre aux générations futures l’histoire, la sagesse et les enseignements des anciens. L’écriture est devenue un nouveau trait identitaire de l’Afrique moderne. L’écriture de l’artiste africain est tributaire de l’oralité. Il est forcément le produit de sa société, de sa culture. Il part de sa propre sensibilité, de sa propre représentation, de ses mythes, de ses légendes, de ses contes, de ses rites, de ses coutumes pour créer des œuvres de fiction. Son imaginaire laisse apparaître ainsi une multiplicité de cultures qui préfigurent la culture de l’universel. Si l’on considère que la littérature est l’une des expressions les plus sérieuses, les plus nobles et les plus riches de la culture d’un groupe humain, elle représente un ensemble de règles, sa ou ses langues, ses croyances, son folklore, son art, sa représentation de soi et de l’autre, la perception du réel, les différentes manifestations de sa sensibilité… Il n’y a pas de peuple sans culture. Voilà pourquoi la culture participe de la notion complexe de l’identité, de la nation et de la civilisation. La culture regroupe les différentes manifestations et apparences d’un individu et d’une communauté qui le particularisent mais qui l’intègrent paradoxalement dans un ensemble plus large. Le temps des contes Pour illustrer le traitement des traditions orales dans la littérature tchadienne, il nous semble plus aisé de commencer par le recueil de quatorze contes de Joseph Brahim Saïd. Au Tchad sous les étoiles nous donne à lire une fresque étoilée qui ouvre le Tchad dans toute son étendue sur le monde pendant une seule veillée à laquelle l’auteur invite les hommes de la terre entière, à assister. Il n’oublie aucune région du pays ni aucun moment de l’histoire qu’il agrémente de la sagesse et des 208
enseignements des uns et des autres. La volonté de l’auteur est de magnifier, sans doute, son pays et de le mettre dans une position transcendantale, en témoignent le ciel et les étoiles. Mais il a surtout voulu inscrire son œuvre sous le signe des traditions orales. Son univers est raconté par les enseignements et les sagesses de ses habitants issus euxmêmes de toutes les régions du pays le temps d’une veillée étoilée. Ce recueil pourrait être considéré comme un seul conte. C’est une véritable mosaïque, un symbole de l’unité. Chaque conte constitue une parcelle colorée et lumineuse qui participe dans la justice et le bien au tableau général qu’est le Tchad. En privilégiant les contes cosmogoniques qui commencent et terminent l’œuvre, Joseph Brahim Seïd a voulu démontrer qu’il préfère mettre en avant et consolider les légendes et les mythes fondateurs de la société. De ce fait, l’œuvre commence par le mythe de l’ancêtre Sao qui signifie concorde. La légende présente la tribu des Alifa dans une situation de débâcle qui ressemble à une apocalypse à laquelle ils doivent échapper. Ils sont sauvés par le géant Sao. L’invraisemblable allié à la réalité fera la suite. L’alliance de la tribu des Alifa et de celle de Sao donnera naissance au peuple Kotoko, peuple très connu entre le Tchad et le Cameroun. Le conte le plus visionnaire reste Djingué ou la sagaie de la famille. Il représente la volonté de l’auteur de voir la discorde muée en concorde. « Djingué » qui symbolise la pomme de discorde sera enlevée par les douze jeunes gens issus des deux tribus du même clan qui la planteront bien loin de la zone du conflit. Ils transformeront ainsi le nouveau lieu d’implantation de la sagaie en lieu fondateur des peuples Mongo-Sara, du sud et du centre du Tchad. Le royaume de l’Ouaddaï, le plus grand dans l’histoire du pays, n’a pas été oublié. À travers l’histoire de la vie du 209
roi Saboun, Joseph Brahim Seïd nous fait revivre l’apogée et le déclin du royaume. Ce sont là des contes ascendants si nous tenons compte des situations de troubles et de débâcle du début qui évoluent en situations reconstruites et améliorées. La série des contes pédagogiques qui est au centre de l’ouvrage met en exergue la sagesse, la grandeur et le bon sens des hommes. Elle semble cependant reporter les vices et les qualités des hommes à leur condition humaine. Ainsi pour consacrer les croyances des peuples du Tchad et au sujet de l’éclipse de la lune, le conte finit par cette formule : « Les hommes du Tchad et leurs enfants, pleins d’inquiétudes et d’angoisses, recommencent dans la nuit un geste mille fois millénaire, pour obtenir la délivrance de la lune. » Joseph Brahim Seïd a su nous faire aimer le Tchad à travers ses mythes, ses légendes, ses croyances et ses enseignements que véhicule son lumineux recueil. Dans le même genre, Le Repos des masques de Koulsy Lamko allie le mythe de l’homme et le conte pour nous signifier que la vie n’est qu’un éternel recommencement. En plaçant son personnage dans la quête de l’outre215 qui se trouve entre les branches jumelles d’un arbre, il nous fait prendre le chemin inverse mais nous installe dans la recherche de l’origine de l’homme. C’est un autre mythe fondateur. Ici, le personnage fait des rencontres au cours de son long voyage. Il passe par une vision qui lui prédit des apparitions qui sont en réalité les propres fantômes de l’homme qu’il doit savoir éviter ou maîtriser pour retrouver la quiétude en entrant dans l’outre qui suppose le masque où il va se reposer. Le fleuve, le caïman, le lion et 215
Espèce d’ustensile fait à base de peau de mouton et servant à conserver l’eau dans les contrées arides ; outre au sens de gourde. Dans Le repos des masques, outre signifie matrice maternelle où se développe le fœtus.
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le python sont ces fantômes de l’homme qui sont comme les photos en clair-obscur du photographe Alain Turpault et qui accompagnent le conte. L’outre entre les branches jumelles et l’arbre est la matrice originelle qui suppose l’éternel retour mais aussi l’éternel repos. Ce sont des symboles qui disent le parcours pour arriver à la vie, à la mort et de nouveau à la vie. Les traditions ancestrales Les traditions nous renvoient à une autre œuvre gigantesque de Koulsy Lamko, La Phalène des collines. En suivant l’envol et les haltes de la phalène, émanation du corps d’une reine, violée et assassinée dans une église, on entreprend un voyage au-dessus d’un immense tombeau à ciel ouvert : le Rwanda du génocide. La phalène à la recherche de sa sépulture, de son apaisement pour le repos éternel, nous fait revivre toute l’étendue du génocide comme dans un flash-back. À la fin du roman, on retrouvera la foule des revenants en présence desquels le poète fou et la call-girl, nièce de la reine assassinée, accompliront le rituel du sacrifice dans un cimetière. La sérénité est ainsi retrouvée. Le poète fou et la fille du bar du café de la muse pourront enfin s’accoupler et engendrer l’enfant de l’espoir. On rejoint là un moment cher à Koulsy Lamko qui est présenté dans ses deux poèmes fétiches La Danse du Lab et Terre, bois ton sang ! qui rappellent son autre œuvre Mon fils de mon frère. La Phalène des collines est une œuvre touffue. Elle concentre tout l’imaginaire et rappelle toute la production de Koulsy Lamko. L’auteur a l’habitude de dire de luimême : « Je crois aux traditions ancestrales. »Il est certainement le plus représentatif des auteurs tchadiens dans le traitement des traditions orales. Ceci est d’autant 211
plus vrai que sa pièce Ndo kela ou l’initiation avortée, tout en partant des traditions, elle en fait une lecture à la lumière de l’actualité de l’Afrique moderne, cherche à la dépasser pour proposer une réinitiation, la « nouvelle folie » des jeunes amis de Sankadi. Cette nouvelle démarche ne refuse pas les anciens et la tradition mais elle essaie de les inscrire dans une synthèse des cultures pour les rendre plus fertiles. L’œuvre met la scène sous l’arbre à palabres lors d’une veillée animée par un conteur et assisté d’un chœur et d’un coryphée dans le cadre d’une seule pièce. L’espace théâtral est le Guéra (région du centre du Tchad) avec son culte ancestral religieux « le Margaye » que la « nouvelle folie » doit soumettre à une démarche marxisante, dans l’espoir de sauver la communauté de la famine et de la dépendance économique. Koulsy Lamko n’oublie pas la société européenne représentée par le chœur et le coryphée en mettant en avant le culte ancestral religieux africain. Il cherche, peut-être, à nous signifier ainsi qu’il est à l’image du monde, c’est-à-dire la synthèse de plusieurs cultures. Pour poursuivre dans le genre théâtral, prenons la pièce de Baba Moustapha, Le Commandant Chaka216. Pour résoudre les problèmes de l’État africain moderne, l’auteur suggère qu’il faut remonter à l’origine de la société traditionnelle pour en comprendre le fonctionnement et diagnostiquer les raisons premières qui expliqueraient les clivages actuels. Autrement, retrouver et comprendre les raisons premières des révoltes africaines avant de proposer des solutions, des remédiations. Grace, la fille de la tribu Muntu a été promise à Matari, un fils de la tribu Kuntu, pour renforcer le clan Kapunku. Mais Grace est amoureuse d’un certain Chaka, roturier et extérieur au clan Kapunku. La discorde est semée et plus 216
Clé, Yaoundé, 1983 (théâtre).
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tard Matari se retrouvera ministre de l’Intérieur dans un gouvernement dictatorial contre lequel Chaka se rebelle. Les enfants issus de l’union de Grace et de Chaka ne connaissent pas encore que le rebelle est leur géniteur et se trouvent mêlés à la bataille. Argélia, la fille, se révolte contre le gouvernement et soutient les rebelles, tandis que son frère, le capitaine Mouana José, devient un officier intègre et loyal du pouvoir. Matari, n’ignorant rien de la situation, tisse des intrigues et cherche à détruire son adversaire de l’intérieur en utilisant son fils contre lui. Dans cette affaire, il y a deux inconnus à découvrir. L’équation consiste à trouver qui est Chaka et qui est l’inconnu qui réconciliera le peuple avec lui-même. Le capitaine Mouana José est bien l’élément manquant car il retrouvera son père Chaka, reconnaîtra en Matari le jeune Kuntu amoureux de sa mère et sauvera la situation en récupérant la révolution. Cette lecture ramène le conflit aux origines premières. Ce qui signifie l’état des lieux des clivages originels pour guérir les maux actuels. Palou Bebnone a construit un roi juste, loyal et tolérant, un roi magnifié et renforcé par sa liberté à l’égard des traditions ancestrales et de la tradition en général dans Mbang Gaourang, roi du Baguirmi. Il a bousculé tous les tabous royaux en nommant un roturier, un inconnu comme chef de guerre. Il a pris l’option de faire tout ce que les traditions interdisent. Il a accepté de parler à un eunuque et il a même gracié tous les conspirateurs contre son pouvoir. Cette façon de faire est-elle une liberté d’artiste, une générosité ou un message pour dire que les traditions doivent être renouvelées, réhabilitées et mises en conformité avec l’époque ? Dans sa pièce Illusions, Nocky Djédanoum s’attaque au statisme exclusif régional et tribal des deux communautés qui composent le Tchad, à savoir celle du 213
nord et celle du sud. Il place un couple fait d’une jeune nordiste et d’un jeune sudiste dans une situation de conspiration. Leur stratégie consiste à mettre leurs deux familles, les deux communautés devant le fait accompli, en engendrant un enfant à l’insu de tous. L’enfant du défi prendra le nom de Suno qui signifie l’unité des deux contraires. Plus qu’un symbole, c’est un oxymore qui tient tout seul, donc la réalisation d’un idéal. C’est aussi le thème que ne manque pas de reprendre Marie-Christine Koundja dans son roman AlIstifakh ou l’idylle de mes amis. Elle utilise également le mariage des enfants de deux communautés opposées comme métaphore de l’unité. Il s’agit aussi d’une conspiration à l’insu des parents mais cette fois avec la complicité d’Abdoulaye, le grand frère de la jeune fille. Pour en revenir à Nocky Djédanoum, L’Aubade des coqscherche à mettre l’art et la culture au service de la communauté comme rempart contre la perte de la mémoire collective, contre l’oubli. Dans cette pièce qui parle de la crise de la culture du coton qui tue la vie dans un village, Nocky Djédanoum préconise l’exercice de l’art pour sauver l’âme du peuple, pour sauver sa valeur intrinsèque. La formation en art d’une société donnée permet de lutter contre l’oubli et conserve les valeurs collectives. Voilà pourquoi la jeune Ménodji est initiée à la fabrication et à la reconnaissance des masques. L’imaginaire des auteurs francophones du Tchad demeure ancré dans la société traditionnelle d’origine. Les traditions orales restent donc la principale source d’inspiration pour la création des œuvres de fiction. Les traditions et le pouvoir Le récit autobiographique contribue également au traitement de la tradition orale. Antoine Bangui est rassuré
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du fond de sa prison, dans Prisonnier de Tombalbaye217, à l’idée que ses enfants ont été présentés au totem ancestral par leur grand-père et qu’ils ont assisté au sacrifice des deux poulets offerts à Maké et Mbaikolé pour les remercier. Les traditions sont aussi présentes dans son second récit Les Ombres de Kôh218. Les habitants du village invisible de Kôh, le double du village des vivants, surveillent et régulent la vie des hommes. Les habitants se sont même fâchés quand le petit Bangui, de retour de ses études en Europe, a omis de faire une offrande à Maké et Mbaikolé. Ils lui ont envoyé une fièvre qui sera d’ailleurs très vite guérie parce qu’ils ont pardonné au petit-fils. Les traditions sont d’autant plus présentes que Bangui, tout aussi instruit et imprégné de la raison des Blancs, n’arrive pas à se séparer de ces mythes et légendes qui ont façonné sa personnalité. Il en est de même de Michel N’Gangbet Kosnaye dans Tribulations d’un jeune Tchadien. L’auteur rappelle à quelque détail près les mêmes dispositions et les mêmes comportements qu’Antoine Bangui. Dans Loin de moi-même de Zakaria Fadoul Khitir, le personnage est en proie au désarroi et à l’inquiétude à chaque fois qu’il s’éloigne du milieu familial et traditionnel. Les parcelles de sa personnalité sont éparpillées entre l’ici rassurant et l’ailleurs inconnu et oppresseur, étrange, hallucinant parce que justement contraire au traditionnel habituel. Ainsi, ramener « le moi » vers lui-même suppose l’ancrer dans son milieu naturel et traditionnel. Les traditions orales dans l’œuvre d’un Tchadien sont indissociables de son identité, de sa personnalité d’homme issu au départ de la civilisation de parole et non de l’écrit. Aussi, toute la production littéraire des Tchadiens parle 217 218
Hatier, Monde noir, Poche, Paris, 1980. Hatier, Monde noir, Poche, Paris, 1982.
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des traditions orales, certes de façon différente à chaque fois, car tout être est différent dans sa personnalité, son imaginaire et dans le traitement qu’il projette de faire du réel, du quotidien. Il ressort de l’analyse des textes des auteurs du Tchad que l’artiste est profondément ancré dans les traditions orales, socle et source d’inspiration oùil s’abreuve pour créer des œuvres de fiction, de son terroir, dans ses origines mais qu’il reste aussi conscient d’être le produit du monde modelé par les contingences supérieures telles que l’Histoire du continent, du pays, des régions, des familles et de l’humanité. Cet homme, désormais complexe, depuis que son chemin a rencontré celui du colonisateur occidental, ne peut être compris seulement par rapport à sa culture d’origine. Il a acquis forcément d’autres traits identitaires qui se sont ajoutés à sa culture première et qui font de lui cet homme pluriel comptable aussi des valeurs universelles de l’Homme.
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VIII.3 - Les personnages : les récurrences significatives On définit en général le personnage comme chacune des personnes qui figure dans une œuvre littéraire et qui doit être incarnée par un acteur ou une actrice. C’est un concept technique du point de vue littéraire, une construction que l’on obtient à partir d’un ensemble de référentiels, de dotations, d’attributions. Il correspond à une représentation mise dans une situation donnée. Il répond à une certaine lecture d’un contexte dans lequel l’artiste souhaite le placer. C’est un actant au sens théâtral du terme et qui permet de concrétiser le procédé de distanciation avec la personne physique de l’acteur. Le personnage est l’être humain représenté dans une œuvre d’art. Il désigne aussi le rôle que l’on joue dans la vie. Dans la production littéraire au Tchad, le personnage prend plusieurs aspects. Un certain nombre d’œuvres traitent principalement du personnage bicéphale, à savoir le nordiste et le sudiste. Certaines œuvres représentent le personnage du dictateur tandis que d’autres mettent en avant le personnage agent de la guerre ou montrent le rôle du personnage dans la société. Les personnages comme références de l’ancrage Un personnage bicéphale Dans N’Djamena, ville réceptacle de ce qui reste de la société et des hommes, soumise au souffle de l’harmattan omniprésent, devient comme une ville cobaye à autopsier. Elle sera divisée en deux parties : nord et sud. L’avenue Charles de Gaulle est la frontière incrustée sur le corps de 217
la ville, la trace du scalpel, la limite au-delà de laquelle aucun habitant d’un « camp » n’est autorisé à passer dans l’autre camp. Chacun reste dans sa zone. Chaque partie de la ville est sous le contrôle d’un groupe politico-militaire qui veille à l’homogénéité régionale de la population. La dualité de la ville impose la dualité des personnages également. Au nord, on est musulman avec tout ce que cela suppose comme apparence et comportement. Un nouveau type de costume est apparu, la gandoura « cadre du nord ». Au sud de N’Djamena, on est sudiste, chrétien ou animiste. N’Djamena est devenue une ville duelle et le Tchadien un personnage bicéphale. Les personnages principaux du Souffle de l’harmattan219, Haroun et Ganda, bien qu’amis d’enfance et de jeux, sont présentés par rapport à leurs noms et à leurs origines comme un sudiste pour l’un et un nordiste pour l’autre dès le début du roman. Ils le sont également par rapport à leur religion. Haroun est nordiste et musulman, ce que n’est pas son compagnon Ganda, sudiste et chrétien. Ganda est envoyé au village pour subir une initiation aux valeurs du Sud. Il est revenu avec un symbole, un bâton d’initié, qui s’appelle « ngol » et qu’il porte à la main de façon permanente. Ces personnages ainsi transformés, particularisés, sont la cristallisation de la partition du Tchad qui se cherche dans ses origines. Ainsi, Allatoïdji le sudiste et Fatimé la nordiste conspirent avec la complicité du grand-frère de cette dernière contre leurs deux familles en contractant un mariage à l’insu de tout le monde. Les deux familles rejettent cette union en prétextant la perte de leurs valeurs culturelles et religieuses respectives. Les personnages sont tous dotés de leurs préférences et de leurs apparences propres qu’ils cherchent toujours à préserver. Rigides, 219
Un roman de Baba Moustapha.
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statiques, ils sont ainsi faits et s’excluent en excluant l’autre. Marie-Christine Koundja dans Al Istifakh préconise le mariage contracté sans le consentement des familles des deux prétendants comme une métaphore forcée et imposée de l’unité. D’ailleurs, les enfants nés de ce lien détourné portent les noms de Victoire et Espoir. Ce qui rappelle Illusions de Nocky Djédanoum qui rejette de la même façon la séparation du pays en deux parties et reprend le même procédé en allant plus loin cette fois-ci. Il fait engendrer un enfant à l’insu des familles des deux amoureux et fait ainsi de l’enfant du défi la cristallisation d’un idéal. Il l’appelle Suno, ce qui signifie sud-nord, un oxymore le nord et le sud étant les deux contraires dans les signes cardinaux, deux parcelles du même pays mais unis dans l’enfant engendré. Ndouba Idi le sudiste chrétien et Fatimé la nordiste musulmane forcent leurs parents et le pays à l’unité. Le personnage c’est aussi le personnage du dictateur dans la production des Tchadiens. Le dictateur occupe une place prépondérante et devient avec le thème de la guerre, un véritable traumatisme. Le personnage du dictateur Le dictateur Gorlok qui a dirigé le pays né des indépendances africaines dans Makarie aux épines220 et ses « présidentes », les femmes du parti unique, sont des personnages grossiers, ridicules, repoussants, extravagants, insolents, hautains, suffisants à tel point que le peuple ne peut lever la tête et revendiquer quoi que ce soit. Les opposants comme Ziréga et Niobé qui souhaitent voir les statuettes, décor de leur salon se transformer en 220
Une pièce de théâtre de Baba Moustapha.
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vraies gazelles et cesser ainsi de servir d’objets exotiques, qui servent seulement à divertir les invités, sont obligés de cultiver l’espoir d’un changement providentiel. Makarie est un pays des « épines » que l’on essaie de balayer pour les éradiquer. Le personnage principal de la pièce, Barka, mourra sur un malentendu. Il essaie de sortir une épine de sa poche pour la montrer à Gorlok dans le but de le persuader de la situation. Dans Le Commandant Chaka221, le dictateur est encore aussi repoussant, grossier obscène, loufoque, brutal et maladroit. Il cultive le culte de la personnalité et garde une apparence et une attitude de dictateur tel qu’on en a connu en Amérique latine. Goudangou ou les vicissitudesdu pouvoir222représente la même époque et le même dictateur qu’il désigne comme un homme hésitant, inconstant et poltron. Il condamne sa propre femme sur une machination de sa maîtresse. Cette dernière lui a fait croire que son épouse et le ministre de l’Intérieur conspiraient contre son pouvoir et attentaient à sa vie. Comme dans toutes ses pièces, Noël Nétonon Ndjékéry cherche à gommer le visage du dictateur. Il est juste évoqué par rapport à un événement ou à une situation. Il n’apparaît en personne que très peu. Il est tellement effacé que sa maîtresse Madina, autre visage des « présidentes », le supplante partout et tisse toutes les intrigues. Elle finit par le perdre et se perdre elle-même. Dans une autre pièce223, Ndjékéry dénonce le même dictateur à travers le destin de deux personnages classiques de la société, le docteur Barnabas et son ami Djokido. Le présidentdictateur n’est présent que par le piédestal de sa statue 221
Une autre pièce de Baba Moustapha. Une pièce de Noël Nétonon Ndjékéry. 223 Bois, mon cher ami, bois, pièce de N. N. Ndjékéry. 222
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déboulonnée au Carrefour de la mort. C’est un rond-point où se produisent toujours des accidents de la route et le nombre des victimes augmente chaque fois d’une personne. Barnabas s’acharne à détruire le piédestal maudit comme pour effacer les traces du dictateur. Il cherche aussi à découvrir et à faire éclater la vérité sur la mort d’un opposant politique. Son ami Djokodo, lui, par peur de la dictature et de la police, a pris l’apparence du soulard. Il a ainsi choisi de se cacher derrière sa lâcheté et de noyer ses problèmes dans l’alcool. S’engager pour transformer son destin ou le fuir par lâcheté renvoient au même résultat, la disparition morale et physique. Dans une dictature, il n’y a pas d’apparence qui vaille. Si Niobé a survécu et a cessé de boire pour préserver la mémoire de Barka et lutter contre le destin, Djokidoa disparu, effacé par le dictateur. La production autobiographique des auteurs tchadiens est tributaire du fait politique et présente aussi une lecture du dictateur et de la dictature. Antoine Bangui nous décrit un président224 versatile, rancunier, comploteur et de mauvaise foi. Il devient finalement un comédien politique. Il est comme un prestidigitateur et n’hésite pas à habiller d’un complot les opposants qui gênent son régime. Les simulations d’interrogatoires donnent l’impression d’un tribunal de sorciers. Le décor rouge et isolé, le folklore et les manèges des compagnons et des gendarmes du président, les parodies d’enlèvement et de déportations des prisonniers laissent penser à une machination qui relève de la mise en scène comme dans une pièce de théâtre. Chez Antoine Bangui, le dictateur est carrément nommé. Il s’appelle Tombalbaye.
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Prisonnier de Tombalbaye, récit d’Antoine Bangui.
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Il en est de même chez Ahmed Kotoko225 où le personnage de Tombalbaye est présenté dans ses débuts en politique. Sa présence est insistante tout le long du parcours de Hamaï jusqu’à l’indépendance du Tchad. Il apparaît déjà suffisant, malin et comploteur. Il a toujours joué des alliances pour tenter d’effacer ses adversaires et les supposés comme tels. Gabriel Lisette et Félix Éboué en ont fait les frais. Ahmed Kotoko, pour avoir approché le colonisateur de trop près, est soupçonné et devient un éventuel opposant. Tombalbaye l’arrête, le déporte dans le désert au nord du pays puis le déchoit de sa nationalité tchadienne. Sa volonté est d’effacer Ahmed Kotoko du Tchad. La signification des personnages : les agents de la guerre Un autre type de personnage apparaît sous les traits d’agent de la guerre, autre forme de traumatisme dû à la guerre civile. La guerre est une calamité au pouvoir destructeur, annihilateur, déstabilisateur. Elle met les hommes devant leur impuissance et les désunit. Ainsi, Noël Nétonon Ndjékéry met à l’épreuve la communauté paisible d’un village226. Le village de Yelileh est agressé et profané toute une nuit par un groupe de bandits armés. C’est une bande caricaturée et présentée comme des bandits sans scrupules, violents, habillés en soldats. Ils se sont attaqués à tous les symboles de la communauté. Ils ont humilié le chef Ndo en violant sa femme et la femme de son fils sous ses yeux. Tous les hommes et les femmes ont subi les mêmes violences. Ces êtres à l’apparence maléfique ont jeté la malédiction sur le 225
Le destin de Hamaï ou la longue marche vers l’indépendance du Tchad, récit d’Ahmed Kotoko. 226 Sang de kola.
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village. L’impuissance devant ces êtres a semé la stérilité dans tous les sens. Les habitants de Yelileh apparaissent désormais vils, dépossédés d’eux-mêmes, hésitants, incapables de décisions et inféconds, donc inaptes à perpétuer la communauté. Cette situation a donné la possibilité à des personnages, auparavant insignifiants, de prendre des initiatives et de prétendre même au pouvoir. Personne ne semble n’être épargné car tous les membres de la communauté sont concernés. Sang de kola, roman de Noël Nétonon Ndjékéry dénonce la guerre civile de N’Djamena dans une autre de ses nouvelles227. La guerre est représentée par les explosions des roquettes et des grenades qui détruisent la maison d’Absakine et de son épouse. Dans la rue, Absakine et Maryam rencontreront les combattants, agents de la guerre, bras exécutants, en action. Un bras se détend au-dessus d’un balcon et jette une grenade sur une troupe de soldats de passage dans la rue. Le carnage qui s’ensuivra sera rendu avec un réalisme tel que le lecteur a l’impression de sentir l’odeur du sang et des urines émanant des corps déchiquetés. Cette mise en scène personnalise la guerre et la rend plus détestable. Les deux personnages, Absakine au nom évocateur qui signifie « l’homme au couteau » et son épouse, deviennent de pauvres êtres en errance. Ils quittent N’Djamena en feu et se retrouvent de l’autre côté, au Cameroun. Leur déchéance se poursuivra jusqu’à la séparation du couple et à la mort d’Absakine. Ouaga-Ballé Danaï campe son histoire dans la forêt tropicale qui fait penser au Rwanda et au Burundi. Il conduit le lecteur jusqu’aux camps de réfugiés qui ressemblent à des camps de concentration nazis. Les agents de la guerre sont visibles par les Ballés traceuses qui zèbrent le ciel, dès le début du roman, par l’avion 227
La descente aux enfers, une pièce de N. N. Ndjékéry.
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militaire qui transporte le personnage principal devenu médecin humanitaire qui vole au secours des Kabanas assiégés par les Koutoulousis. Les agents de la guerre, ce sont aussi ces soldats qui tirent sur tout ce qui bouge et que l’on ne voit pas. Ce sont ces gens qui ont posé les mines sur lesquelles l’enfant a sauté. C’est aussi ce soldat qui a tiré dans la nuit sur un réfugié qui se réchauffait au feu du camp. Les agents de la guerre, ce sont encore tous ces soldats grouillants dans les camps et qui tuent, violent, humilient dans un cynisme qui consiste à inventer un jeu de la mort. Pour fuir la souffrance, les réfugiés cherchent la mort en accourant au plus vite au coup d’un sifflet pour être choisis parmi les premiers comme candidats au poteau d’exécution. Ces agents de la déshumanisation composent la guerre, véritable machine d’anéantissement de l’homme. Le rôle du personnage dans la société Le personnage dans la production littéraire tchadienne se présente aussi comme agent dénonciateur des méfaits sociaux. Baba Moustapha se sert de personnages très représentatifs de la perversion des valeurs et des tabous sociaux qu’il qualifie de « djinns »228, c’est-à-dire des esprits maléfiques, parce qu’ils représentent le mal. En mettant en scène un couple jeune et crédule, il nous désigne un autre échantillon, un type de personnage social. La mère de Dansou est le modèle de la personne malintentionnée. Elle sait user des valeurs de l’éducation qu’elle a reçue. Elle utilise la place de la mère et du sein maternel pour exercer du chantage sur sa propre fille et la pousser à soutirer de l’argent de son gendre. Elle utilise ainsi son statut de mère pour s’imposer et son sein pour 228
Les maîtres de Djinns, pièce de Baba Moustapha.
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maudire sa pauvre fille. Comme les valeurs de l’éducation sont taboues et sacrées, l’effet est immédiat. Pour obtenir le silence de Dansou, Hassan, ami de Moussa, mari de Dansou, joue au faiseur de discorde, en usant de ses biens matériels et de ce qu’il sait des conversations entre Dansou et sa mère car il écoute aussi aux portes. Le personnage supérieur est Tidjani, mari de Dansou et ami sincère de Moussa. Il soumet les « djinns » et en devient le maître. Tidjani utilisera les mêmes croyances et les mêmes tabous pour faire tomber la mère et Hassan dans leur propre piège. Tout est bien qui finit bien. Moussa a ouvert les yeux et récupéré sa femme. C’est une certaine lecture de la société des années 1970, mais qui reste encore d’actualité. La Couture de Paris229, l’auteur met à nu des personnages en prise avec leur époque, celle des premières années des indépendances. Ils ne sont pas préparés, pas instruits ni formés. Ils gardent des références qu’ils ne maîtrisent pas. Thomas et Yacoubou sont deux artisans couturiers du marché de N’Djamena. Ils sont d’abord présentés par rapport à l’aménagement de leur atelier. La fabrication d’une enseigne dévoile leur manque de savoirfaire. Mais leur incompétence apparaît surtout dans leur incapacité à maîtriser et à coudre la robe de Myriam, la nymphe d’Oum-Hadjar. Maryam confrontée à une société nouvelle, elle est obligée d’aller chercher le bon modèle pour s’habiller à travers un magazine étranger. Mais elle oblige aussi les deux apprentis tailleurs à simuler leur rôle et ils ne réussiront pas d’ailleurs à confectionner cette robe. Ils découvrent le nom à inscrire sur l’enseigne de leur atelier en voyant la couverture d’un magazine parisien « La couture de Paris » que leur présente Maryam. La robe qui 229
Hatier, Monde noir, Poche, Paris 1980.
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sortira de cet atelier et du travail de ces artisans transformera la jeune fille en dindon. Il s’ensuivra une séance d’essayage digne d’une représentation théâtrale. Ces deux comiques de situations présagent de l’état de mauvaise formation, d’improvisation et de bricolage qui caractérisent le personnage qui est obligé de mentir, de tromper son client pour gagner sa vie quotidienne. Il ne réussira pas encore son développement. L’examen du personnage dans la production littéraire des Tchadiens fait apparaître, selon les époques, des personnages à la recherche de leurs origines, de leur identité, à travers des clivages structuraux, les dénonciations de la guerre et les méfaits de la dictature. Cette réalité duelle des personnages, le nordiste et le sudiste restent une préoccupation à assumer pour être améliorée et maîtrisée. La recherche de la régulation de la société n’est pas perdue de vue. Elle est représentée par une certaine relecture des traditions qu’il faudra des fois fertiliser en leur ajoutant les semences de la modernité, la caricature et la dénonciation de la perversion des tabous éducatifs et sociaux ; elle est portée par un certain type de personnages. L’impréparation et la mauvaise formation du personnage rendent incapables ces personnages d’assurer le développement économique et social, d’où l’improvisation, le bricolage. Tous ces archétypes, tous ces personnages démontrent qu’il subsiste encore beaucoup de difficultés qui les empêchent de se réaliser et de réaliser l’unité. L’analyse des genres et des thèmes les plus couramment traités par presque tous les auteurs, se justifie par la volonté de rendre plus disponible, plus visible cette production de la littérature.
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Conclusion générale En raison de l’invisibilité et de l’absence presque totale de travaux sur la production littéraire tchadienne orale et écrite, nous avons voulu présenter un document de description et de vulgarisation. La difficulté de traitement d’un tel sujet a été pour nous, le risque de tomber dans un certain militantisme, un certain chauvinisme et peut-être de tomber aussi dans le doute méthodologique en opérant un choix qui exclurait certaines œuvres que l’on jugera non conformes. Le travail vise à montrer, à faire connaître et à promouvoir une production littéraire d’auteurs qui viennent d’un pays où il n’est pas facile d’écrire, de publier pour faire exister une institution aussi importante et fondatrice que la littérature, du fait de l’instabilité politique chronique qui a toujours caractérisé le Tchad. Parler de la production littéraire du Tchad revient à faire des investigations, rechercher des œuvres, les répertorier, les analyser, les classer avant de les confronter au concept de la littérature, des genres. Et se poser des questions : Sur la problématique et sur la méthode, puis existe-t-il un projet national d’écriture ? Si oui, comment ? Nous avons essayé de répondre positivement à ces interrogations tout au long de notre travail. En partant des motivations qui nous ont poussés à proposer ce travail, nous avons exploré l’évolution de l’identité littéraire en Afrique, à travers certains repères. Ce parcours nous a amené de la traite négrière à l’origine de la prise de conscience des Négro-américains jusqu’à l’avènement des indépendances en passant par la colonisation. Les indépendances ont alors donné naissance aux États-nations africains, cadres des littératures nationales qui s’expriment par rapport à une identité
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particulière circonscrite à l’intérieur des frontières, des limites de ces entités-nations. La sociologie de la littérature nous est apparue comme le meilleur instrument pour analyser l’émergence d’une littérature nationale à travers l’histoire et l’émergence de l’État-nation dont est issue cette Afrique nouvelle, l’Afrique des indépendances. Le concept de littératures nationales, la publication des anthologies générales d’abord, des anthologies négroafricaines ensuite, des anthologies nationales, émanation des États africains indépendants, appuyés par une série de numéros de la revue Notre Librairie, ont servi de guide à notre réflexion. Le Tchad, dans sa reconstruction sociale, économique et politique, doit aussi reconstruire son identité nationale tout simplement, dont la littérature, la forme la plus élaborée de sa culture. La littérature et la culture étant les vrais moyens pour parler à un peuple de lui-même. Notre travail a consisté dans la première partie à la présentation au lecteur, du pays à travers son histoire ancienne, contemporaine et à travers les conflits sociopolitiques pour aider à comprendre l’instabilité chronique dans laquelle a émergé l’État, socle de l’émergence de la production de la littérature. Puis nous nous sommes posé les questions de notre problématique : La sociologie de la littérature, l’institution de la littérature, le concept des littératures nationales et l’émergence de la littérature. Nous avons aussi essayé de définir des termes clefs comme la culture, l’identité, l’État et l’État-nation qui participent et s’auto-influencent pour l’émergence de la littérature, comme forme suprême de la culture. Nous nous sommes posé également la question de l’écriture et du projet national d’écriture chez les auteurs africains et tchadiens avant de poursuivre le processus de construction des littératures nationales chez ces mêmes auteurs. 228
La deuxième partie vise à présenter l’état de la production de la littérature du Tchad en donnant à lire son fondement à travers les premières œuvres produites, son développement, ses langues d’écriture. Puis les auteurs par rapport à un classement et à leur bibliographie et les œuvres et leur réception en parlant de l’édition, de la présence dans le programme d’enseignement, des instances de diffusion, de promotion et de valorisation mais aussi dans la critique et la recherche universitaire, pour une meilleure visibilité. Dans la dernière partie, nous avons cru utile et indispensable de présenter la production du point de vue de l’analyse des genres et des thèmes récurrents, pour mieux montrer une production très peu connue parce que souvent absente des rayons des librairies et des bibliothèques et dans la critique. Arrivée plus tard dans le cercle des littératures francophones, la littérature tchadienne est née seulement en 1962. Elle s’inscrit dans le cadre de l’État-nation africain indépendant issu de la décolonisation. Elle se place alors forcément dans une ère nouvelle qui est celle d’une nouvelle génération d’écrivains africains que le Professeur Jacques Chevrier appelle la génération des écrivains de la « Migritude ». Ces nouveaux écrivains nés après les indépendances des États africains et qui, pour la plupart sont nés aussi en Europe, aux États-Unis, au Canada et partout dans le monde. Ce sont aussi ces générations issues des populations des migrants, même si tous les auteurs tchadiens ne sont pas des exilés. Cet état de fait place la littérature tchadienne aussi dans ce qu’on appelle communément une littérature nationale. Elle se trouve donc dans un champ d’influence spécifique plus circonscrit, aussi bien du point de vue de l’espace, du temps que du point de vue de la thématique, parce qu’elle s’intéresse à des questions immédiates qui ne sont pas 229
celles que se posait l’Africain du temps de la traite négrière ou de la colonisation. L’écriture des auteurs tchadiens semble privilégier une thématique plus circonscrite, à l’intérieur d’un territoire auquel ils appartiennent, à l’intérieur de l’État africain nouveau, émanation des indépendances et donne l’impression de s’attacher principalement au fait politique qui devient presque une obsession, tant l’unité du pays est importante. C’est la plaie à guérir, la préoccupation majeure à réaliser, le préalable à tout autre processus. Ainsi, il dévoile une thématique récurrente, d’un auteur à un autre, qui devient insistante comme la guerre civile, l’adversité politique, la dictature avec ses corollaires de personnage bicéphale du Tchadien (le nordiste et le sudiste). Il nous apparaît que seuls la poésie et le roman semblent s’émanciper de cette thématique récurrente, obsédante et proposent une création qui rejoint des valeurs plus libérées. Les adeptes de ces deux genres échappent à la « fatalité » tchadienne même s’ils s’en inspirent souvent et ont écrit des romans profonds, bien construits qui font des études fouillées des problèmes qu’ils examinent. Si l’on considère que la plupart des auteurs tchadiens restent cantonnés dans des préoccupations nationales, que principalement tout semble tourner autour des thématiques de la guerre civile, de la dictature, du pouvoir et de la gestion de l’État ou encore des clivages constitutifs qui balkanisent la société et que la recherche de l’unité en vue de l’union nationale, même par la conspiration contre l’ordre traditionnel établi est recommandée, il ne reste pas moins qu’une littérature digne de ce nom ne peut exister et ne doit exister que quand elle sort des chemins battus, du quotidien immédiat pour parler des valeurs de l’universel. Nous ne disons pas que la littérature tchadienne ne fait pas cela, mais nous affirmons qu’elle ne le fait pas encore 230
assez même si les Nimrod, Koulsy Lamko, Baba Moustapha, Noël Nétonon Ndjékéry…le font plus souvent. La littérature du Tchad, comme toutes les littératures de son époque, « ces nouvelles écritures africaines », devrait prendre une orientation similaire à celle des littératures des nations africaines modernes et s’inscrire dans une démarche nouvelle comme celle de la « nouvelle génération ». Cette génération qui prend le visage d’un Kagni Alem, d’un Kossi Efoui ou d’un Abdourahman Waberi, etc. Ces auteurs tout en assumant le passé francophone, et sans vraiment ou toujours réclamer la mort des pères fondateurs, n’ont connu ni l’esclavage, ni la colonisation, ni d’ailleurs la décolonisation. Ils sont souvent issus de l’immigration et sont sujets à l’exil. Ils vivent dans les banlieues du monde, s’interrogent sur leur identité et leur avenir. Certains d’entre eux disent qu’ils sont d’Afrique mais aussi d’ailleurs. Ils se réclament pluriels et refusent d’être enfermés dans des désignations telles qu’écrivains de « littérature négro-africaine ». Ils se positionnent comme appartenant tout simplement à la littérature francophone ou française. D’autres se revendiquent seulement de là où ils vivent et disent souvent « Je suis d’ici » et attendent qu’on leur reconnaisse le droit du sol comme socle de la nationalité. D’autres encore se disent simplement Français, Italien, Allemand…Ces hommes et ces femmes ont en commun l’époque actuelle où le monde entier se cherche ; ils assument leurs responsabilités, empêtrés dans des clivages inextricables. Ils s’interrogent sur leur existence, sur le sens de la vie quotidienne et leur écriture fait apparaître leurs déchirements. Elle donne à la littérature une thématique nouvelle comme celle de Sami Tchak ou de Boniface Mongo Mboussa… et que l’on appréhende à travers le traitement qu’ils font de la langue française par 231
exemple. Ils s’approprient le français et même la structure des œuvres et les personnages, sont traités dans l’innovation. Les auteurs tchadiens devraient donc assumer chacun leur époque et participer à la nouvelle dynamique de la création en apportant leur contribution et en consolidant la littérature du Sahel et la littérature africaine. Dès les premières heures de l’indépendance du Tchad, Palou Bebnone avec Kaltoumaet La dot et Joseph Brahim Seïd avec Un enfant du Tchad, se sont occupés des difficultés des sociétés empêtrées dans les traditions et les coutumes et en prise aux nouvelles valeurs sociales. Puis avec Au Tchad sous les étoiles et Bang Gaourang II, ils ont dépassé la critique sociale pour lui ajouter la critique politique en ciblant les clivages des origines comme le tribalisme, le clanisme, le régionalisme et le confessionnalisme pour leur préférer l’unité et la concorde dans un Tchad grand et fort. D’autres comme Baba Moustapha, Noël Nétonon Ndjékéry, Maoundoé Naïndouba, Koulsy Lamko et Ouaga-Ballé Danaï, dans leurs pièces théâtrales et leurs nouvelles, ont continué l’œuvre commencée par leurs prédécesseurs et se sont chargés de poser des questions de plus en plus ponctuelles et urgentes pour contribuer ainsi à remédier aux difficultés structurelles et à apporter des solutions positives quant à la gestion et à la maîtrise de la nouvelle société tchadienne. Le traitement qu’ils font de la littérature est tributaire du terreau traditionnel et la langue même de l’écrit passe très souvent par l’école des langues des origines. Les noms des personnages et l’espace et les lieux, démontrent et confirment l’authenticité de cette littérature écrite par des auteurs qui ne répondent plus systématiquement d’un modèle préétabli ou d’une influence thématique orientée. Les poètes comme Nimrod, Koulsy Lamko, Moïse Mougnan et Derlemari Abdias, pratiquent une poésie qui 232
s’inspire des réalités, coutumes, traditions et représentations locales et d’époque. Les romanciers et essayistes traitent des sujets qui parlent de la mal-gouvernance, de la guerre civile, de la dégradation de l’environnement et de son impact sur la vie civile du Sahel. Tout ceci est bien ancré dans la réalité bien connue par les lecteurs et qui parle à leur sensibilité. Le conte, bien que moins présent en tant que genre, est évoqué dans toutes les productions. Ainsi, Koulsy et Joseph Brahim Seïd et d’autres écrivent des contes qui remplissent bien leur rôle éducatif et pédagogique. Depuis plus d’une cinquantaine d’années, les Tchadiens écrivent et continuent d’écrire dans tous les genres, et des jeunes talents soutiennent et poussent des velléités des créations littéraires tous les jours pour la consolidation de cette institution littéraire.
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Bibliographie générale Ouvrages généraux Chemain R. et Arlette, Panorama critique de la littérature congolaise contemporaine, Présence africaine, Paris, 1979. Chevrier, Jacques, Anthologie de la littérature nègre, Armand Colin, Paris, 1984. Littérature africaine : histoire et grands thèmes, Hatier, Paris, 1987. Littérature d’Afrique noire de langue française, Nathan, Paris, 1999. Littérature nègre, Armand Colin, Paris, 1999. Cornevin, Robert, Le Théâtre en Afrique noire et à Madagascar, Le livre africain, Paris, 1970. Littératures d’Afrique noire de langue française, PUF, Paris, 1976. Casanova, Pascal, La République mondiale des Lettres, Seuil, Paris, 1999. Dabla Séwanou, Nouvelles écritures africaines. Romanciers de la seconde génération, L’Harmattan, Paris, 1986. Dubois, Jacques, L’Institution de la littérature, Nathan, Paris ; Labor, Bruxelles, 1978. Escarpit, Robert, La Littérature et le social. Éléments pour une sociologie de la littérature, Flammarion, Paris, 1970. Fonkoua, Romuald et Halen, Pierre, Les Champs littéraires africains, Karthala, Paris, 2001. Garnier, Xavier, La Magie dans le roman africain, PUF, Paris, 1999. 235
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Antériorité des civilisations nègres : mythe ou vérité historique ? Présence africaine, Paris. Les Fondements économiques et culturels d’un État fédéral d’Afrique noire, Présence africaine, Paris. Nations nègres et cultures, Présence africaine, Paris. Ki-Zerbo, Joseph, L’Afrique hier et demain, Hatier, Paris. MBokolo, Elikia, L’Afrique au XXe siècle, le continent convoité, Seuil, Collection Point, Paris. Vidrovitch, Catherine C., L’Afrique noire, permanences et ruptures, Payot, Paris, 1985.
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Annexe Œuvres critiques publiées sur la littérature du Tchad Bourdette-Donon, Marcel, Les Enfants des brasiers, L’Harmattan, Paris, 2000. La Tentation autobiographique, L’Harmattan, Paris, 2002. La production littéraire du Tchad Pièces de théâtre Bebnone, Palou, La Dot, Fort-Lamy, 1962. Kaltouma, Fort-Lamy, 1965. Mbang Gaourang II, Fort-Lamy, 1965. Danaï, Ouaga-Ballé, La Malédiction, L’Harmattan, théâtre, Paris, 1998. Djédanoum, Nocky, Illusions, Concours théâtral interafricain, RFI, 1984. L’Aubade des coqs, inédit. Représentée à Lille en1997, à Abidjan et à N’Djamena. Lamko, Koulsy, Comme des flèches, Éd. Lansman, théâtre, Bruxelles, 1996. La Ziggourat de Babel, Éd. Lansman, Bruxelles, 1991. Le Camp tend la sébile, Éd. Lansman, théâtre, Bruxelles, 1993. Mon fils de mon frère, Éd. Lansman, Bruxelles, 1990. Ndo Kela ou l’initiation avortée, Éd. Lansman, théâtre, Bruxelles, 1993. Papillon de nuit in Exils (œuvre en trois parties), Solignac, 1994. 243
Tout bas, si bas, Éd. Lansman, théâtre, Bruxelles, 1995. Moustapha, Baba, Achta ou le drame d’une fille-mère, N’Djamena, 1980. Le Commandant Chaka, Clé, Yaoundé, 1983. Le Maître des djinns, Clé, Yaoundé, 1977. Makarie aux épines, Clé, Yaoundé, 1972. Naïndouba, Maoundoé, L’Étudiant de Soweto, Hatier, Monde noir, Poche, Paris, 1981. Ndjékéry, Nétonon Noël, Bois, mon cher ami, bois ! Édition Tchad & Culture. Goudangou ou les vicissitudes du pouvoir, Édition Tchad & Culture. Taboye, Ahmad, Au pays des démocrates, Éditions du Colloque des écrivains, N’Djamena, 2010. Nouvelles Naïndouba, Maoundoé, La Double détresse, 1973. La Lèpre, N’Djamena, 1978. Ndjékéry, Nétonon Noël, La Carte du parti, Éd. Hatier, Monde noir, Poche, Paris, 1983. La Descente aux enfers, Éd. Hatier, Monde noir, Poche, Paris, 1982. Les Trouvailles de Bemba, Éd. Hatier, Monde noir, Poche, Paris, 1977. Moustapha, Baba, La Couture de Paris, Éd. Hatier, Monde noir, Poche, Paris, 1980. Sortilèges dans les ténèbres, N’Djamena, 1980. Lamko, Koulsy,
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Regard dans une larme, Mondia, 1990,et Sépia, SaintMaur-des-Fossés, 1992. Aurore, in Exils, (œuvre en trois parties) ; Papillon de nuit (théâtre) ; Le bruit des autres, Solignac, 1994. Récits autobiographiques Abbakar, Mahamat Hassan, Un Tchadien à l’aventure, L’Harmattan, Paris, 1990. Bangui, Antoine, Les Ombres de Kôh, Hatier, Monde noir, Poche, Paris, 1982. Prisonnier de Tombalbaye, Hatier, Monde noir, Poche, Paris, 1980. Hinda Déby Itno, La Main sur le cœur, Éditions Continentales, Yaoundé, juillet 2008. Khitir, Zakaria Fadoul, Loin de moi-même, L’Harmattan, Paris, 1989. Les Moments difficiles, Sépia, Saint-Maur-des-Fossés, 1998. Kosnaye, Michel N’Gangbet, Les Tribulations d’un jeune Tchadien, L’Harmattan, Paris, 1993. Kotoko, Ahmed, Le Destin de Hamaï ou le long chemin vers l’indépendance du Tchad, L’Harmattan, Paris, 1989. Seïd, Joseph Brahim, Un enfant du Tchad, Éditions Ségérep, 1962. Romans Danaï, Ouaga-Ballé, Mon amour, l’autre, L’Harmattan, Paris, 2002. Haggar, Ali Abdel Rhamane, 245
Le Mendiant de l’espoir, Al-Mouna, N’Djamena, 1998. Le Prix du rêve, Al-Mouna, N’Djamena, 2002. Koundja, Marie-Christine, Al Istifakh ou l’idylle de mes amis, Clé, Yaoundé, 2001. Lamko, Koulsy, La Phalène des collines, Éd. Kuljaama, Butaré – Kigali 2000, Le Serpent à plumes, Kigali, 2002. Moustapha, Baba, Le souffle de l’harmattan, Sépia, Saint-Maur-desFossés, 2000. Ndjékéry, Nétonon Noël, Sang de kola, L’Harmattan, Paris, 2001. Nimrod, Les Jambes d’Alice, Actes Sud, Paris, 2001. Le Départ, Actes Sud, Paris, 2005. Mahamat Idriss, Aïda, L’Harmattan, Paris, 2005. Khitir, Zakaria Fadoul, Le chef, le forgeron et le faki,L’Harmattan. Ndjékoré, Mouimou, Candidat au paradis refoulé, L’Harmattan, Paris. Taboye, Ahmad, Le Patriarche, Les éditions du Colloque des écrivains, N’Djamena, 2008. Poésie Abdias, Nébardoum Derlemari, Cri sonore, Édition d’Orphée, Montréal, 1987. Djédanoum, Nocky, Nyamirambo, Éditions Le figuier, Bamako, 2000 et Fest’Africa, France, 2000. Lamko, Koulsy, La Danse du Lab, in Exils, 1994. Terre, bois ton sang ! in Exils, 1994. 246
Mougnan, Moïse, Le Rythme du silence, Éditions d’Orphée, Montréal, 1986. Des mots à dire, Éditions d’Orphée, Montréal, 1987. Nimrod Passage à l’infini, Obsidiane, Cognac, 1999. Pierre, poussière, Obsidiane, Cognac, 1989. Silence des chemins, La Pensée universelle, Paris, 1987. Contes Abdias, Nébardoum Derlemari, Le Caïman solitaire. Lamko, Koulsy, Le Repos des masques, Éditions Marval, 1995. Seïd, Joseph Brahim, Au Tchad sous les étoiles, Présence africaine, Paris, 1962.
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Table des matières Introduction générale ................................................... 09 PREMIÈRE PARTIE : LITTÉRATURE ET IDENTITÉ NATIONALE ................................................................. 21 Chapitre I : Problématique et méthodologie............... 23 I.1 : Présentation du pays ............................................. 23 I.2 : Problématique et méthodologie ............................ 31 Chapitre II : Rapport entre l’identité nationale et l’identité littéraire ......................................................... 47 II.1 : Identité nationale et identité littéraire ............... 47 II.2 : Les Africains et l’écriture littéraire ................... 55 II.3 : Le projet national d’écriture .............................. 69 Chapitre III : Le processus des littératures nationales en Afrique ........................................................................... 83 III.1 : De l’Anthologie de L.S. Senghor aux Anthologies nationales........................................................................ 85 III.2 : Les Anthologies nationales ................................ 91 III.3 : La revue Notre Librairie ..................................... 95 DEUXIÈME PARTIE : L’ÉTAT DE LA PRODUCTION LITTÉRAIRE ................................................................. 105 Chapitre IV : La production littéraire au Tchad ...... 107 IV.1 : Les fondements de la production....................... 107 IV.2 : La constitution de la production ...................... 111 IV.3 : Les langues de l’écriture ................................... 115 Chapitre V : Les auteurs et les œuvres ........................ 119 V.1 : Le classement des écrivains ................................ 119 V.2 : La biobibliographie des auteurs ......................... 145 V.3 : La production littéraire au Tchad ...................... 161
Chapitre VI : La réception des œuvres........................ 169 VI.1 : L’État de l’édition ............................................... 171 VI.2 : La présence dans le programme d’enseignement, les médias et des revues spécialisées............................. 175 VI.3 : La critique littéraire et la recherche universitaire ......................................................................................... 177 TROISIÈME PARTIE : L’ANALYSE DES ŒUVRES, LES PRINCIPAUX THÈMES ................................................ 183 Chapitre VII : L’étude des genres .............................. 185 Chapitre VIII : Les principaux thèmes ....................... 189 VIII.1 : Le traitement du thème du pouvoir .............. 189 VIII.2 : L’intertextualité ............................................... 207 VIII.3 : Le thème du personnage : les récurrences significatives ................................................................... 217 Conclusion générale ...................................................... 227 Bibliographie générale ................................................. 235 Annexe ............................................................................ 243
Le Tchad aux éditions L’Harmattan
Dernières parutions
Forced to flee Stories of asylum seekers from Darfur, Sudan
Tubiana Marie-José – Translated from the french by Philip O’Prey
I only met those who managed to get through. Those who witnessed the attacks on their villages, the burning down of their homes. Those who buried their dead. Those who were caputured, imprisoned or tortured. Those who crossed the Sahara. Those who worked illegally in Libya to pay for the crossing of the Mediterranean. Those who do not speak the language of the country whre they arrive. Who are these men and sometimes women who ask for asylum in France ? (10.00 euros, 114 p.) ISBN : 978-2-343-12413-1, ISBN EBOOK : 978-2-14-004123-5 Quand les hommes en armes s’imposent aux politiques Tchad (1975-1982)
Haggar Bichara Idriss
À partir de 1975, les hommes en armes s’imposent aux politiques sur la scène tchadienne, plongeant le peuple dans le désarroi. Les militaires tout comme les rebelles issus du Frolinat sont à l’origine d’un chaos qui va durer des décennies, mettant à mal l’unité nationale. Cette situation génère dans le pays des guerres civiles, l’ingérence des puissances étrangères et une instabilité politique chronique sur lesquelles des conférences nationales et internationales n’auront que très peu de prise. (Coll. Pour mieux connaître le Tchad, 22.50 euros, 208 p.) ISBN : 978-2-343-12283-0, ISBN EBOOK : 978-2-14-004069-6 Le Tchad de nos rêves La saveur de l’espoir
Ndiaye Yousra A., Ndiaye Bouchra A.
Ce livre constitue la vision de deux jeunes Tchadiennes nées au milieu des années 1980 et qui, sur la base des expériences qu’elles ont vécues au Tchad et ailleurs, veulent apporter leur pierre à l’édification d’une société tchadienne plus juste et débarrassée des nombreux maux qui la minent et la divisent. (12.50 euros, 128 p.) ISBN : 978-2-343-11621-1, ISBN EBOOK : 978-2-14-003451-0
Partis, pouvoir et opposition au Tchad : la démocratie à l’épreuve Une analyse de l’antagonisme partisan dans le système politique
Ramadji Alfred - Préface de Michel Hastings
Comme toute question politique, celle des partis, du pouvoir et de l’opposition passionne autant l’opinion publique que les praticiens de la politique eux-mêmes. Il est ainsi fréquent de les voir s’offusquer, s’indigner et s’interroger : « Y a-til une opposition dans ce pays ? », « À quoi sert-elle ? », « À quoi servent ces multiples partis politiques ? », etc. Voici un regard global sur la dynamique politique du Tchad, il apporte un éclairage stimulant sur ses vraies logiques de fonctionnement. Comment parvenir à une meilleure mobilisation idéologique ? L’affrontement partisan au Tchad offre-t-il une alternative claire, un espace de choix aux électeurs tchadiens ? (Coll. Études africaines, 28.00 euros, 268 p.) ISBN : 978-2-343-10968-8, ISBN EBOOK : 978-2-14-003189-2 Les Ngambayes Une société de la savane arborée du Tchad
Maikoubou Dingamtoudji
Les Ngambayes forment l’une des populations de la savane arborée à l’extrême sud du Tchad. Ce livre parle de tout ce qui les entoure, de la terre et du fleuve, des différents types de végétation et du climat. On y découvre aussi leurs coutumes, leurs traditions, leur langue, leurs croyances et leurs pratiques magiques ainsi qu’un grand nombre de renseignements sur le territoire ngambaye, son organisation politique, sa monnaie, son artisanat, sa richesse naturelle et beaucoup d’autres détails surprenants. (Coll. Études africaines, 24.00 euros, 254 p.) ISBN : 978-2-343-03837-7, ISBN EBOOK : 978-2-336-37346-1 Dictionnaire pratique du français du Tchad
Djarangar Djita Issa
Ce dictionnaire est conçu pour permettre à l’utilisateur de s’exprimer en français tout en continuant à regarder le monde et à penser dans les langues tchadiennes : avec lui, le français devient langue tchadienne. Pour le touriste de passage comme pour l’étranger qui vit au Tchad, posséder cet ouvrage c’est déjà mettre un grand pays en poche pour un tourisme linguistique et culturel. Pour l’enseignant et l’apprenant, il est un outil pédagogique qui leur donne les moyens de se comprendre. (Coll. Études africaines, 39.50 euros, 416 p.) ISBN : 978-2-343-04070-7, ISBN EBOOK : 978-2-336-35476-7 Tchad les partis politiques et les mouvements d’opposition armés de 1990 à 2012
Haggar Hissein Idriss
Le multipartisme intégral, tel qu’il existe au Tchad, ne rime pas forcément avec démocratie et a donné naissance à plus de 150 partis n’ayant aucune influence sur la vie politique. Afin d’éviter que le pays ne sombre dans un chaos généralisé et incontrôlable, l’auteur propose une démocratie éducative et constructive en
limitant le nombre des partis politiques. Une fois la démocratie bien enracinée auprès des populations par la formation, l’éducation et le civisme et rendue possible l’alternance politique par les urnes, la limitation se fera d’elle-même. (Coll. Pour mieux connaître le Tchad, 31.00 euros, 302 p.) ISBN : 978-2-343-04796-6, ISBN EBOOK : 978-2-336-36481-0 Pour le Tchad Récit au cœur de la révolution
Medella Youssouf Moussa Préface de Hassan Mahamat Abbas
Ce livre porte un jugement sans complaisance sur certains événements de la révolution tchadienne. L’auteur, actuellement chef de canton de Médéléa (Kanem), et coordinateur adjoint des autorités traditionnelles du Tchad, ancien membre du Front de Libération Nationale, a été ministre, conseiller chargé de mission à la présidence, ambassadeur au Soudan, puis promu général de brigade en 2006. Il dévoile ici des informations historiques inédites et des secrets qui éclairent les zones obscures de cette période dite « de révolution ». (Coédition Al Mouna, 19.00 euros, 190 p.) ISBN : 978-2-343-03025-8, ISBN EBOOK : 978-2-336-38095-7 Turbulences d’une vie d’enfant dans la société tchadienne
Bechir Mahamat Mahamat Nour Préface de Khayar Oumar Defallah
Ce livre est le témoignage d’un monde qui, peut-être, n’existe plus. On y découvre le courage, la solidarité, et la résistance contre ce qui n’est pas juste. C’est également un témoignage d’amour aux parents qui ont su rester dans la dignité et le respect des valeurs positives qui fondent les relations entre les membres d’une famille et d’une société humaine à la tchadienne ! Il peut, par ailleurs, aider les jeunes et les adultes à y déceler cette recherche éternelle du temps qui passe, afin de défricher l’avenir qu’ils laisseront en héritage à leurs descendants. (Coédition Al Mouna, 27.00 euros, 266 p.) ISBN : 978-2-343-08197-7, ISBN EBOOK : 978-2-14-001418-5 Les Ngam Histoire et culture
Ramsès Nanalmadine
Cette étude présente les Ngam, une communauté ethnique se trouvant dans deux pays à cause des frontières nationales héritées de la colonisation. Il s’agit de la République centrafricaine et du Tchad. Cet ouvrage est présenté sous forme de chapitres qui regroupent des sujets autour de thématiques homogènes : la question de l’origine de cette communauté, les mythes et légendes, les pratiques sociales, les rites, l’organisation politico-administrative sociale et économique, les pratiques artistiques et les grandes figures Ngam. (Coédition Al Mouna, 19.50 euros, 180 p., Illustré en noir et blanc) ISBN : 978-2-343-05744-6, ISBN EBOOK : 978-2-14-001422-2
conflits (Les) sociaux aux rivages du lac Tchad dus à la régression du niveau des eaux Le cas des populations du canton de Bol (nouvelle édition)
Ndadoum Nadmian
Le lac Tchad, quatrième en Afrique et septième dans le monde, a connu une régression rapide dans les quarante dernières années. La raréfaction des ressources en terres cultivables et en eau ainsi que le manque de coopération entre les acteurs impliqués dans la gestion des ressources en eau du lac expliquent la recrudescence des conflits entre cultivateurs, éleveurs et pêcheurs. Qui sont ces acteurs ? Quels rôles jouent-ils ? Comment communiquent-ils les uns avec les autres ? (Coédition Al Mouna, 12.00 euros, 106 p.) ISBN : 978-2-336-30973-6, ISBN EBOOK : 978-2-336-36510-7 Des grottes du Darfour à l’exil Chronique d’une lutte inachevée
Haggar Hissein Idriss – Préface d’Acheikh Ibn-Oumar
De juin 1992 à 1995, une guérilla oppose l’armée tchadienne, épaulée par les Soudanais, aux combattants du Conseil national de redressement du Tchad, dirigé par le colonel Abbas Koty Yacoub. Ce petit groupe armé, retranché dans les grottes du Darfour, mena une résistance acharnée et courageuse contre le régime dictatorial et clanique du président Idriss Déby, avec des moyens dérisoires. Ce sont les mouvements de ces combattants, leur vie quotidienne jalonnée d’attentes, d’emprisonnements et de combats, que décrit cette chronique. (Coll. Pour mieux connaître le Tchad, 31.00 euros, 302 p.) ISBN : 978-2-336-29162-8, ISBN EBOOK : 978-2-296-51599-4 La bataille de N’Djamena – 2 février 2008 Récit
Koulamallah Abderaman
Abderaman Koulamallah raconte ici la folle chevauchée motorisée de plus de 1000 kilomètres, qui a permis la prise de N’Djamena, le 2 février 2008, à laquelle il a participé au cœur d’une coalition rebelle déterminée à renverser Idriss Déby, ainsi que les événements qui ont suivi, et le repli de l’expédition. La victoire de N’Djamena, fait d’armes exceptionnel, a surpris tout le monde, mais l’expédition a fini en repli. Que s’est-il passé ? Comment expliquer ce gâchis ? (18.00 euros, 282 p.) ISBN : 978-2-343-05077-5, ISBN EBOOK : 978-2-336-36771-2
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