École de Rouen. Les peintres impressionnistes et postimpressionnistes 9782354670795

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French Pages 128 [126] Year 2011

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École de Rouen. Les peintres impressionnistes et postimpressionnistes
 9782354670795

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Les intres impressionnistes et g~sf pressionnistes

François Lespinasse François Lespinasse, depuis trente-cinq ans, fait des recherches sur les peintres rouennais et !'École de Rouen. Il a tenu une galerie à Rouen, tout en publiant une quinzaine d'ouvrages sur ces artistes (L'École de Rouen 1980, Angrand, Lebourg, Delattre, Pinchon .. . ). Professeur à l'IDETH de Versailles, consultant durant dix ans au Wildenstein Institute pour le catalogue raisonné d'Albert Lebourg, François Lespinasse a été commissaire de plusieurs expositions (Frechon, Pinchon, École de Rouen ... ) membre du comité scientifique du Festival Normandie Impressionniste en 2010, et, de l'exposition « Rouen, une ville pour !'Impressionnisme » au Musée des Beaux-Arts de Rouen, auteur d'un essai sur François Depeaux (1853-1920) dans le catalogue. Actuellement, il prépare la correspondance d'Albert Lebourg (1849-1928).

Au nom de l'Association des Amis de !'École de Rouen que j'ai l'honneur de présider, je tiens ici à remercier la ville de RueilMalmaison pour avoir pris l'initiative d'organiser cette exposition qui met en valeur ces peintres impressionnistes et postimpressionnistes qui ont fait la renommée de !'École de Rouen. Je remercie également les musées et prêteurs privés grâce auxquels nous présentons un ensemble de haute tenue et qui nous permettent ainsi de faire partager aux visiteurs des instants d'étonnement et d'émotion.

Jean Claude Delahaye

Atelier Grognard Un site empreint d'histoire et un lieu d'exception

:r Atelier Grognard, situé à 100 mètres du Château de la Malmaison, accueille les expositions organisées par le service des Affaires culturelles de la Ville de Rueil-Malmaison. Ancienne fabrique de plaques de cuivre, zinc et étain pour la gravure en taille douce et la photogravure, l'Atelier Grognard a été construit au xixe siècle en pleine époque Eiffel. Ce lieu préserve le charme et le caractère des sites industriels reconvertis avec le respect des matériaux d'origine : le fer et le verre. Cet espace dispose d'une superficie de plus de 600 m 2 composés de deux grandes salles, dont la première est éclairée par une verrière, et d'un hall d'accueil très spacieux. Un parking est situé à proximité afin d'en faciliter l'accès. Depuis 2004, Monsieur Patrick Ollier, Maire de Rueil-Malmaison, décidant de faire de l'accès de tous les Rueillois à l'art moderne et contemporain l'un des axes de sa politique culturelle, a choisi cette salle pour être le lieu d'accueil des plus prestigieuses expositions dans ce domaine : les grands formats de la collection du fonds régional d'art contemporain d'île-de- France, la collection d'art contemporain de la Société Générale, l'art photographique d'André Kertész, de Jacques-Henri Lartigue, de Marc Riboud, les œuvres de Dali, de Chagall, du peintre-graveur Weisbuch, des peintres visionnaires, de Leonor Fini, les gravures et sculptures de Miro, Reflets de la Seine impressionniste, l'œuvre gravé de Jean Dubuffet.

Les peintres impressionnistes et postimpressionnistes

Catalogue de l'exposition à Rueil-Malmaison du 21 janvier au 18 avril 2011 Peintres Impressionnistes et postimpressionnistes de !'École de Rouen

Comité d'organisation Commissariat :

Général: Colette Bal-Parisot, Chargée de mission arts plastiques (service des affaires culturelles de la Ville) Scientifique : François Lespinasse, historien d'art Mairie de Rueil-Malmaison :

Patrick Ollier, Ministre chargé des Relations avec le Parlement Olivier de la Serre, Maire-Adjoint, délégué à la politique culturelle Dominique Bourouf, Directeur général adjoint des services Florence Joterat -Jacquier, Chef de service des affaires culturelles Communication :

Direction de la communication de la Mairie de Rueil-Malmaison Relations presse :

Véronique Janneau, agence Observatoire Valérie Baroth, mairie de Rueil-Malmaison Scénographie :

Freshgarden design, Nancy

BNP PARIBAS REALESTATE

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Office de Tourisme - de Rueil-Malmaison

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Les peintres impressionnistes et postimpressionnistes

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La ville de Rueil-Malmaison et le commissaire d'exposition expriment leur plus vive reconnaissance et remercient :

Les collectionneurs privés et les musées : Alain Tapié, Conservateur en Chef des Musées de Lille, Jacques-Sylvain.Kl~Jn, Président du Festival Normandie Impressionniste, Alain Tourret, Président de la Collection Peindre en Normandie, Pierre Larock de la Galerie Larock-Granoff d'Honfleur, Laurent Salomé et Catherine Régnault du Musée des Beaux -Arts de Rouen, Annette Haudiquet du Musée des Beaux-Arts du Havre, Michel Natier du Musée de Louviers et la municipalité, Jeanine Bussières et la municipalité de Draguignan. Monsieur Jean-Claude Delahaye, président de l'association des Amis de l'École de Rouen et les membres de l'association qui ont accepté de participer à ce grand projet. Dominique Langlois, photographe.

Nos partenaires : BNP Paribas Real Estate, l'Office de Tourisme de Rueil-Malmaison

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Préface ... ... .. .. .. . ... . .... . ....... . .. .. ........... . .... 7 Introduction . .. .. .. .. . .. . . . ... . ... . ...................... 9 La Seine . .... . ... . .. . ..... . ............... . ... ... .. . .. ... 15 Le Port de Rouen . ........ . ... . ... . ........ . .. . ... ... 44 Le Pré aux loups .. .. ... .. .. .. .. .. .. . . . . ....... . .. ... . 54 La ville aux cent clochers_.... .. . ... . ....... ............... 62 La rue de !'Épicerie . .. . . . ... . .. . ... ... . .. ... . .. .. .. . .. 86 La campagne ... .. . ... . ... .. .. ............... . ... . .. ... . 97 Bibliographie ......... . ... . ... .. .. .. .. ... .. . ... . .. . .... 125 Index ........... . .. . ..... ·. .. . .... . .. .. .. .. ... . ... . .... 126

École de Rouen 5

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r exposition qui s'est déroulée en 2008/2009 à l'Atelier Grognard, Reflets de la Seine impressionniste », soulignait l'intérêt de la ville de Rueil-Malmaison pour son patrimoine historique et culturel des bords de Seine. Cet événement sera l'occasion pour notre ville de poursuivre son engagement à valoriser les arts plastiques. «

Cette nouvelle exposition qui se tient du 20 janvier au 18 avril 2011, à l'Atelier Grognard est consacrée aux peintres impressionnistes et postimpressionnistes qui ont constitué l'École de Rouen. En rendant hommage à ces artistes, nés ou ayant vécu à Rouen, nous sommes heureux de permettre au public de découvrir, à travers leurs œuvres, l'attachement de ces artistes à leur région et leur habileté à capter les effets de la brume ou de la lumière en transcrivant sur leur palette toute la gamme de nuances du ciel et du fleuve. Je tiens, comme maire de la ville de Rueil-Malmaison, à adresser mes chaleureux remerciements à tous les passionnés qui ont travaillé sur ce projet et à tous les collectionneurs qui ont accepté de prêter leurs tableaux ainsi que les musées, de Rouen, du Havre, de Draguignan et de Louviers et l'association Peindre en Normandie. Monsieur François Lespinasse a grandement contribué à la réalisation de ce catalogue grâce à ses connaissances très approfondies de cette école et je tiens à lui rendre hommage. La participation de l'association des Amis de l'École de Rouen, composée de passionnés, a joué un rôle prépondérant et notamment son président, monsieur Jean-Claude Delahaye ainsi que les adhérents qui ont contribué, par leurs prêts, à cette remarquable exposition.

Patrick Ollier Maire de Rueil-Malmaison Ministre chargé des Relations avec le Parlement

École de Rouen 7

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orsque les premiers contacts ont été établis entre les s_ervices culturels de la ville de Rueil-Malmaison et l'Association des Amis de l'Ecole de Rouen en vue de l'organisation d'une exposition consacrée aux peintres impressionnistes et postimpressionnistes de l'École de Rouen, l'exceptionnelle exposition « Rouen, une ville pour l'Impressionnisme » qui s'est tenue durant l'été 2010 au musée des Beaux-Arts de Rouen ne s'était pas encore révélée aux près de 240 000 visiteurs qui l'ont admirée. Cela démontre l'actualité du thème retenu pour être proposé aux visiteurs de l' Atelier Grognard et ainsi les surprendre par la qualité des œuvres présentées.

L

Il n'est pas inutile de rappeler les deux manifestations qui ont précédé ces expositions : Durant l'année 1948 eut lieu une exposition « Les peintres normands et l'École de Rouen, de Jouvenet à Lebourg » puis, durant l'été 1949 se déroula au musée de Rouen : « Les peintres normands de Lebourg à Othon Friesz » sous l'égide de M.F. Guey, son directeur. L exposition comportait 488 numéros dont 18 Lebourg, 35 Delattre, 21 Lemaitre, 38 Pinchon ... mais Monet, Gauguin, Pissarro n'étaient pas du voyage. Un petit catalogue avec sept reproductions complétait cette présentation. En 1996, avec 88 numéros fut présenté: « I.:École de Rouen, de l'impressionnisme à Marcel Duchamp ». La présence d'une œuvre de Monet, de Pissarro, de Van Gogh, de Seurat et de 14 tableaux et créations de Marcel Duchamp voulait affirmer l'existence de cette école. Il fallut donc attendre 2010 pour se rendre à l'évidence : la légitimité de ces artistes est une vérité. Quatre artistes : Charles Angrand, Joseph Delattre, Charles Frechon, Léon Jules Lemaitre, les trois mousquetaires selon la belle expression du journaliste Eugène Brieux le 26 avril 1889 dans Le Nouvelliste à Rouen avec un article intitulé « Les Impressionnistes à Rouen », furent actifs dès 1880. C'est un point d'histoire de l'art extrêmement important, qui va permettre de nouvelles recherches et découvertes dans un cadre enfin solidement et historiquement identifié. Un autre artiste, Albert Lebourg (1849-1928) qui exposa à deux reprises avec le groupe Impressionniste en 1879 et 1880 était lui aussi présent et les œuvres exposées ne pouvaient que laisser présager d'autres manifestations pour mettre encore un peu plus en évidence ses qualités. Le siècle nouveau, fort riche en événements artistiques n'allait pas être en reste sur ce plan. L exposition de 2010 à Rouen montrait l'arrivée de Robert Antoine Pinchon, qui, aux côtés de Pierre Dumont, allait être le porte-parole des événements parisiens, créer les XXX, (groupe de peintres et de littérateurs) et la société normande de peinture moderne. Pour mieux comprendre la montée en puissance de l'École de Rouen, il est École de Rouen 9

François Depeaux.

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essentiel de rappeler le rôle joué par les deux journalistes rouennais, Georges Dubosc (1854-1927), auteur de nombreux ouvrages et de plus de 6 000 articles dans Le Journal de Rouen et Ernest Morel (1854-1918), journaliste à La Dépêche de Rouen et de Normandie, ainsi que la place occupée par la galerie Legrip dénommée « À l'Ami des Arts » 59 rue de la République à Rouen, maison fondée en 1807 ... La vitrine de la boutique sera le refuge de tous les artistes, avant que M. Legrip installe, place Saint-Amand, une salle d'exposition en décembre 1904 dont le premier exposant sera Charles Frechon. Une étude sur le collectionneur et mécène François Depeaux (1853 -1920) met en évidence son influence locale incontournable. Il a constitué une collection des plus considérables (12 Monet, 46 Sisley... parmi 600 à 700 tableaux) mais a aussi apporté son aide déterminée et efficace à deux artistes rouennais, Joseph Delattre et Robert Pinchon sans omettre Lebourg. Et n' oublions jamais, en 1909 son geste d'une générosité unique à savoir le don de 53 œuvres (Monet, Sisley, Renoir, FantinLatour, Guillaumin ... ), au Musée des Beaux-Arts de Rouen, après avoir été obligé de mettre en vente, pour raisons personnelles, une partie de sa collection en 1901 puis en 1906. L exposition de l'Atelier Grognard, avec près de cent tableaux, donne un éclairage des plus précieux et « recadre » les peintres de l'École de Rouen, expression du journaliste Arsène Alexandre, employée pour la première fois dans les colonnes du Figaro du 22 décembre 1902 pour présenter l'exposition de Joseph Delattre chez le marchand Durand-Ruel à Paris, organisée par François Depeaux. :C exposition de Rueil-Malmaison connaît le soutien exceptionnel du Musée des Beaux-Arts de Rouen, mais aussi du Musée de Louviers, du Musée du Havre et du Musée de Draguignan, ainsi que de l'association Peindre en Normandie. De nombreuses autres œuvres, venant de collections particulières, seront exposées pour la première fois. Trois parties permettent d'examiner ces artistes, tous nés avant 1900 dans un contexte précis : La Seine et le port de Rouen, la ville aux cent clochers dont la rue de !'Épicerie, puis la campagne. Guy de Maupassant (1850-1893), écrivain, normand, ami du père de Robert Antoine Pinchon, a donné une des plus belles descriptions du paysage rouennais résumant bien ces trois parties. Au début du Horla, un de ses contes, il décrit la ville vue depuis les hauteurs de Canteleu : « On dominait l'immense vallée, longue et large, que le fleuve clair parcourait d'un bout à l'autre avec de grandes ondulations. On le voyait venir de là-bas, taché par des îles nombreuses, et décrivant une courbe avant de traverser Rouen. Puis, la ville apparaissait sur la rive droite, un peu noyée dans la brume matinale, avec des éclats de soleil sur ses mille clochers légers, pointus ou trapus, frêles et travaillés comme des bijoux géants, ses tours carrées ou rondes coiffées de couronnes héraldiques, ses beffrois, ses clochetons, tout le peuple gothique des sommets d'églises que dominait la flèche aiguë de la cathédrale, surprenante aiguille bronze, laide, étrange et démesurée, la plus haute qui soit au monde ... » Pour qui ne connaîtrait pas Rouen, cette page en donne une vision superbe avec ses trois composantes. Les trois mousquetaires sont particulièrement bien représentés. Le premier, Léon Jules Lemaitre (1850 -1905) a eu le mérite, étant boursier de la ville de Rouen pour suivre ses études à l'École des Beaux-Arts de Paris, d'informer ses compagnons de la révolution picturale qui se livrait dans Paris, capitale des arts de l' époque. Une œuvre très ancienne montre un bord de Seine remarquable et très impressionniste. Après avoir été tenté par le divisionnisme sur l'insistance de Charles Angrand, il

va abandonner cette technique trop astreignante et ne peindre, durant dix ans que des vues de Rouen dans une tonalité grise superbe, comme le montrent quatre tableaux, tout à fait caractéristiques. Le bouillonnant Joseph Delattre est un des éléments majeurs de ce quatuor. Il va connaître des débuts difficiles, et en 1896 la création de l'Académie libre de la rue des Charrettes va lui permettre de vivre avec 80 francs par mois. Dans ce cénacle vont défiler les élèves du Maître qui va se retirer à Petit-Couronne, village en aval de Rouen sur la rive gauche où il décède en 1912. Deux tableaux montrent parfaitement cette ambiance si caractéristique. Charles Angrand, avec un seul tableau, Le Pont de pierre de 1881, chef-d'œuvre de la période rouennaise montre que l'artiste est à la pointe du combat impressionniste à Rouen (son œuvre peint très limité, moins de cent table~ux, rend ce tableau d'autant plus précieux et intéressant) . Le dernier de ces trois mousquetaires, Charles Frechon est lui aussi très bien représenté. Umportante rétrospective du Musée des Beaux-Arts de Rouen en 2008 a permis de mieux apprécier cet artiste et son œuvre. L ensemble présenté ici est très homogène et l'espace « Quatre saisons » qui lui est consacré, est toujours un régal pour les yeux. C'est une grande chance que de pouvoir réunir une vingtaine de toiles de ces quatre artistes exécutées entre 1881 et 1900 pour mieux apprécier le mouvement artistique rouennais de cette époque. N'oublions pas qu'à cette période, Paul Gauguin s'est installé pour trois cents jours à Rouen en 1884, que Claude Monet est venu peindre sa série de Cathédrales en 1892-1893. Alfred Sisley s'est rendu à Rouen à deux reprises à la demande de François Depeaux en 1893 et 1894. Camille Pissarro fit quatre séjours: 1883, à deux reprises en 1896 et un dernier en 1898. L'artiste a peint à Rouen soixante-neuf tableaux. Dans cette double décennie, Albert Lebourg est tout aussi Rouennais que Parisien (c'est en 1892 qu'il possède simultanément un atelier à Rouen et Paris). Il vient d'exposer avec le groupe des Impressionnistes en 1879 et 1880 et commence à être reconnu. Il est très présent dans l'exposition avec des œuvres rouennaises, mais aussi parisiennes. Albert Lebourg est par excellence le peintre de la Seine de Paris au Havre sans oublier Rouen. Le salon municipal des Beaux-Arts de Rouen, créé en 1833 est le lieu où tous ces artistes se retrouvent. Il n'est pas toujours aisé d'y figurer mais c'est un laboratoire intéressant où, par exemple, Charles Angrand fait figurer son premier tableau exécuté selon la méthode de Seurat en octobre 1886 ! Henri Vignet, avec trois œuvres montre lui aussi tout l'intérêt qu'il porte à sa ville natale et ses tableaux sont de saisissants témoignages d'une ville qui va terriblement souffrir lors du second conflit mondial. Les élèves de l'Académie libre de la rue des Charrettes et du Cercle de Petit Couronne sont présents : Léon Suzanne, Maurice Vaumousse, Marcel Couchaux, Narcisse Guilbert, Maurice Louvrier, Narcisse Hénocque avec des œuvres typiques. Parmi les artistes nés entre 1880 à 1890, trois peintres se distinguent. Il s'agit de Pierre Dumont, Robert Antoine Pinchon et Eugène Tirvert.. Ils vont apporter un courant novateur et bousculer les règles artistiques locales. Magdeleine Hue, femme peintre, adepte de la couleur, montre un port de Rouen plein de force. Le Rouennais, Pierre Hodé, qui méritera prochainement une grande exposition, tant son talent et ses qualités sont importantes, est également présent. Déroutant, au École de Rouen 1 1

premier abord, après ses œuvres de jeunesse de Rouen et de Paris, il montre dans sa vue de Bougival ce que vont être les dix années suivantes avec notamment des œuvres synthétistes de la plus haute tenue. Cinq artistes ferment la marche : Alfred Dunet, Michel Frechon, Jean Thieulin, Pierre Le Trividic et Léonard Bordes. Nés entre 1890 et 1900 et ayant ainsi échappé au premier conflit mondial, ils vont apporter dans la ville un courant nouveau et montrer de réelles qualités. Actifs entre les deux conflits, ils vont surprendre la ville tout juste remise des frasques de Delattre et Angrand et du duo Dumont et Pinchon. Les thèmes et sujets seront pour l' essentiel les mêmes que leurs aînés. Michel Frechon se distingue en utilisant pour seule arme son bâtonnet de fusain pour représenter au mieux la cathédrale de Rouen, les ruelles et cours avec leurs maisons à colombages. Comme l'écrivait Georges Dubosc, dans le catalogue demandé par François Depeaux, pour présenter 43 tableaux à Swansea, Pays de Galles en 1914 pour l'exposition « L'École de Rouen, ses peintres et ses ferronniers » : « L'École de Rouen est née, certes, de l'attrait qu'exerce sur tous les artistes, la vieille cité d'art, dont elle arbore le nom, mais plus encore de l'atmosphère, de l'ambiance aérienne, légèrement brumeuse et humide, qui enveloppe toutes les rives de la Seine et se condense magiquement à ce détour du fleuve, dans un cercle de coteaux et de forêts. C'est cette atmosphère, fine, argentée, mobile et changeante, suivant les caprices de la lumière, mettant chaque chose à son plan et à sa valeur, qui, en cet endroit, donne à la vision un charme si profond, et vraiment indéfinissable. » Pour notre plus grand plaisir, François Depeaux, Georges Dubosc, Ernest Morel et la famille Legrip ont défendu, soutenu, encouragé les peintres de l'École de Rouen. Nous les retrouvons, aujourd'hui à l' Atelier Grognard. C'est un moment rare. François Lespinasse

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École de Rouen 13

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ans La Seine et ses bords de 1836, Charles Nodier écrit dans ce livre illustré de vignetttes par Marville et Faussereau: « ... La Seine! le fleuve roi de la reine des cités, le fleuve français qui n'a pas appuyé son urne sur une terre étrangère, comme le Rhône et le Rhin ; qui ne va pas en transfuge enrichir nos voisins du trésor de ses eaux, comme l'Escatùt et comme la Meuse ; qui descend de nos montagnes et se perd dans notre océan, sans avoir fécondé d'autres plaines, sans avoir baigné d'autres villes, sans avoir miré d'autres ciel!» et de poursuivre pour expliquer l'osmose parfaite qui existe entre le fleuve et la cité rouennaise : « Cette ville aux flancs boisés, aux frais boulevards, au vaste port, c'est Rouen, le Paris du vieux Rollon. La Seine fléchit pour la première fois sous le poids des vaisseaux. Elle s'enfle d'orgueil, elle accélère sa course, elle est impatiente de sentir les eaux de la mer se confondre avec les siennes ... » Le côté quelque peu désuet et nostalgique de cette description du fleuve n'est pas sans charme. Et tant de choses ont changé depuis 1836 ! Dans les cinquante années qui ont suivi, le fleuve, d'Argenteuil au bassin du commerce au Havre, en passant par Giverny, va donner naissance à un des aspects les plus importants de la peinture : Llmpressionnisme, puis la venue de Seurat va bousculer les notions nouvelles à peine établies et reconnues par le grand public, avec le Néo-Impressionnisme; Derain en compagnie de Vlaminck vont jeter de la dynamite et donner naissance au Fauvisme. Ce fleuve a un réel pouvoir d'attraction et génère la création au plus haut degré. Le fleuve naît dans la Côte d'Or, à 473 mètres d'altitude près de Saint Germain-laFeuille ou Saint-Germain-Source-Seine et après un parcours long de 776 kilomètres se jette dans la Manche. Quel a été le pouvoir d'attraction de la Seine sur les peintres rouennais et de l'École de Rouen? Honneur au plus ancien : Albert Lebourg, né en 1849, sur les bords de la Risle, affluent de la rive gauche qui se jette peu avant l'estuaire, est le peintre qui a le plus décrit ce cours. Depuis Charenton, où la Marne vient grossir les eaux de la Se~~~ jusqu'à Honfleur sur la rive gauche et le Havre, rive droite, Albert Lebourg, n . . . . . . . a trouvé des milliers de motifs, dont il faudra, un jour, réunir un cent des plus ~ significatifs pour mesurer réellement sa force. Le fleuve n'a pas échappé à Léon Jules Lemaître, à Rouen ou à Paris, il en connaît le charme. Charles Angrand en 1888, aux côtés de Georges Seurat peint la Seine à Courbevoie (collection Larock) sublime réussite et, un an plus tard, entreprend : Une symphonie grise: mon motif, un coin de Seine (collection Petit Palais, Genève) son chef-cl' œuvre. Les deux autres mousquetaires Charles Frechon et Joseph Delattre sont attirés eux aussi, le second surtout, car au cours de ces dix années, le motif de la Seine à Petit-Couronne est omniprésent. Pour les élèves et amis de Delattre, la Seine est un motif récurrent : Suzanne, Vaumousse, Couchaux, Bradberry, Guilbert, Louvrier, Hénocque, posent avec plaisir le chevalet pour saisir brumes et effets de soleil en toutes saisons avec brio. C'est aussi le cas de Segers et Delaunay. Pour Magdeleine Hue, Dumont, Pinchon, Hodé, il s'agit d'un de leurs motifs favoris durant toute leur carrière. Quant à Dunet, Michel Frechon, Thieulin, Le Trividic, Bordes, un examen attentif de leur production montre la puissance d'attraction et de quêtes de sujets venant du fleuve et comme le dit le proverbe : « Plus on connaît son pays, plus on l'aime et mieux on le sert».

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La Seine 17

Léon Jules Lemaître 1s50-1905 _ _ Bords de Seine, effet du matin .. __________ ___ _ _ _ Sous le règne de Louis XII, le comte de Longueville, uni à la baronnie d'Auffay, forma un duché qui fit retour à la couronne en 1694. Il ne reste de l'ancien château de Longueville-sur-Scie qu'une enceinte de murailles (XI•, XIV• et XV• siècle). Cette vallée étroite et chargée d'histoire vit naître Léon Jules Lemaître le 14 octobre 1850. Après sa scolarité, il devient clerc de notaire et se lasse de la copie du tabellionnage. Il décide son père à l'envoyer suivre les cours de l'Académie de peinture et de dessin. Il est doué, reçoit le prix du département en 1872. Il obtient une bourse pour l'École des Beaux-Arts de Paris où il va rester jusqu'au 21 mars 1879, date à laquelle le conseil municipal de Rouen lui suspend son allocation. Il est probable que Léon Jules Lemaître eut vent des expositions du groupe impressionniste dont la première manifestation eut lieu en 1874. C'est un adepte du pleinairisme et à chacun de ses séjours à Rouen, il se fait le porte-parole de ce mouvement auprès de Charles Angrand, Charles Frechon, Joseph Delattre. Il réalise des études dans l'île Lacroix, dans l'île Duboc et sur les bords de Seine, et aussi des scènes de canotage. Dans la peinture exposée, l'admiration de Léon Jules Lemaître pour Camille Corot ( 17961875) est évidente. Cette toile est importante par ses dimensions inhabituelles et rares chez Léon Jules

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Lemaître. Très peu de tableaux de jeunesse nous sont connus. Ernest Morel ( 1 854-1918) ecrivait : « ... Lemaître apporta dans le petit groupe de jeunes talents nouvellement éclos au soleil de l'art, les théories de !'École Impressionniste, il joua auprès d'eux le rôle d'un prophète, d'un initiateur. Il fut l'apôtre de la religion du plein air auprès de Delattre, Frechon, de Decoprez. Il va les persuader d'ouvrir toutes grandes les fenêtres par lesquelles on regarde la nature, il leur communique son enthousiasme ; il paya d'exemple, fut banni, conspué ... » Il tente le Salon en 1883 mais est refusé, et va se contenter, pour gagner sa vie, de copies et de portraits. Après avoir été conquis par les idées du groupe impressionniste, il est gagné par la persuasion de Charles Angrand qui l'invite à tenter la méthode de Seurat. Lemaître, installé à Paris, avait rallié ses amis Rouennais, Angrand, exerce une action identique. Le concours de la Société des amis des arts, qui se tient à Rouen au musée, du 15 octobre au 15 novembre 1889, est pour les trois mousquetaires (qui en réalité sont quatre : Angrand, Delattre, l'occasion Frechon, Lemaître), d'épater le bourgeois. Ils vont adresser des oeuvres divisionnistes à cette exposition et vont être l'objet de sarcasmes et de railleries. Lemaître, déçu, abandonne cette

technique et va devenir durant dix ans le peintre attitré de la ville. Avec un dessin excellent, il va fixer sur de petits panneaux d' acajou, le plus souvent, tous les coins pittoresques de la ville et les monuments civils, palais de justice, et religieux (cathédrale, église SaintMaclou, église Saint-Vincent) et la rue Saint-Romain, la rue Damiette, la rue Gros-Horloge ... Il participe à !'Exposition nationale et coloniale de Rouen, en 1896. Jérôme Doucet, beau-frère d'Eugène Murer, écrit : « Lemaître a des gris d'une finesse exquise, insaisissable ; nul mieux que lui n'a su rendre les vieux monuments dans leur brume particulière, et ses toutes petites toiles sont des petits bijoux qu'on accroche avec plaisir à ses murs ... » Lors de la trente-cinquième Exposition municipale des BeauxArts de Rouen en 1 897, il adresse deux toiles : Dieppe, l'avant-port et Le Quai du Pollet. Ce second lot, non réclamé à la loterie, le tableau devient, de par le règlement, la propriété du musée de Rouen et Léon Jules Lemaître est le premier des trois lmpressionnis.tes à figurer au musée. Au début du siècle, Léon Jules Lemaître à la suite d'un accident vasculaire cérébral, cesse de peindre, et il décède le 6 juin 1905, à l'âge de cinquante-quatre ans.

Bords de Seine, effet du matin 1881 huile sur toile signée en bas à gauche 50 x 73 cm Musée de Louviers Legs Constant Roussel

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Bord de Seine, Croisset 1888 huile sur toile signée en bas à droite 27 x 46 cm Collection Les Amis de l'École de Rouen

Léon Jules Lemaître 1s50-1905 - - Bord de Seine, Croisset __ Léon Jules Lemaître a placé son chevalet en aval de Rouen, à cinq kilomètres - à vol d'oiseau - de la place de la Cathédrale, sur la rive droite de la Seine, à Croisset. Le village est connu pour avoir représenté la résidence d'Été de Gustave Flaubert ( 1821-1880). La propriété de l'écrivain fut rachetée, puis ... rasée. Il ne subsiste que le « gueuloir » d'où l'auteur regardait la Seine. À la place de cette propriété fut installée« la distillerie de Croisset», en exploitation depuis le 1"' avril 1882, qui emploie cent-dix person-

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nes et produit deux cents hectolitres d'alcool pur par jour, qui sont en grande partie chargés sur les navires à voiles . Le gueuloir est visible à gauche de la distillerie, ensuite, nous voyons la chapelle-SainteBarbe. Au-dessus du fleuve, s'étend la forêt de Roumare, qui borde la Seine jusqu'au village du Val-de-laHaye. Ce petit tableau a été exécuté vers 1888, époque où Léon Jules Lemaître a été tenté par la méthode de Seurat dont Charles Angrand lui a enseigné tous les bienfaits . La Seine occupe toute la moitié infé-

rieure, la touche, sans être « divisée» est très vibriste, le contra_?te apparaît plus dense avec la bande verte de Id colline crayeuse, très colorée à cet endroit. Dans la partie droite, l'artiste a placé une animation qui donne une belle ambiance à cette petite peinture . Il a créé un bon équilibre en ajoutant dans la partie gauche un petit voilier.

Le Quai de Bercy 1889 huile sur toile signée en bas à droite 46

x 75 cm

Collection particulière

Albert Lebourg 1849-1928 _ _ Le Quai de Bercy Albert Lebourg est né le l er février

1849 à Montfort-sur-Risle, petit village normand en pleine campagne. Son père est greffier de la Justice de Paix du canton de Montfort, mais aussi géomètre. Il est âgé de cinquante et un ans et s'est remarié à Florence Gueulette, âgée de 35 ans. Ses premières impressions du monde et de la vie sont celles du milieu rural. L'enfant fréquente l'école communale jusqu'à l'âge de douze ans puis poursuit ses études au Lycée d'Evreux. À Montfortsur-Risle il rencontre parfois l'artiste rouennais Victor Delamare ( 18111868) ; il ne lui donnera pas de leçons mais il sera impressionné par « ses superbes dessins, si bien établis et si bien colorés, rien que d~ blanc et du noir ». À l'heure du choix d'un métier, le père souhaite voir son fils entrer dans I' administration, et plus précisément à l'entretien des lignes aux Chemins de Fer de l'Ouest, mais la carrière le tente peu et il souhaite se tourner vers l'architecture. Grâce à un ami, il rencontre M. Drouin, architecte et professeur de dessin linéaire à l'Académie de Peinture

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et de Dessin de Rouen. Il va prendre pension et décide de se tourner vers une carrière artistique à l'Académie de Peinture et de dessin, sous la direction de Gustave Morin (1809-1886). Dès 1869, le palmarès atteste de ses premiers succès dans la section de dessin d'après nature. Un an plus tard, c'est la guerre et le Conseil de Révision de Bernay le réforme. Aux côtés de Philippe Zacharie (18491915) les deux élèves font preuve de remarquables dons mais Albert Lebourg trouve sur les rives de la Seine, ou les quais de Rouen, ses premiers motifs de « plein air ». Il participe au 23• Salon municipal de Rouen en 1872. À ce même salon, figurent des œuvres de Corot, Monet, Pissarro, Sisley. Il brosse une vue du pont suspendu de Rouen et l'expose dans la vitrine de la galerie Legrip où elle est remarquée par M. Laperlier, ancien intendant des armées d'Afrique, venu prendre les eaux à Forges les Eaux. Il invite l'artiste à venir professer à Alger ; il accepte et va se rendre en Algérie de

À son retour, grâce à Eugène Vidal (peintre rencontré à Alger), il fait la connaissance du marchand Portier, des collectionneurs comme le docteur Filleau et Paul Paulin avec lequel il va se lier d'amitié. Albert Lebourg est présent à la quatrième exposition du groupe d'Artistes Indépendants en avril 1879, et, l'année suivante où il fait un important envoi : vues d'Alger, de Rouen et Paris et des dessins au fusain. Il séjourne à partir de 1880 à Dieppe et son envoi, en 1883, est admis au Salon. Sur les conseils de Paul Paulin, il va se rendre en Auvergne, à ClermontFerrand, près de Pont-du-Château . Il y retourne l'année suivante et prépare deux grandes toiles dont - en 1886 La Neige en Auvergne (150 x 265 cm - Musée des Beaux-Arts de Rouen, salle Depeaux) est acceptée et reçoit de larges éloges dans la presse, en particulier, d'Octave Mirbeau. Mais c'est à Paris et à Rouen que Lebourg trouve avec la Seine, ses motifs préférés comme Le Quai de Bercy.

1872 à 1877. La Seine 2 1

...

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Les Bords de la Seine, Paris 1890-1892 huile sur toile signée en bas à droite 24 x 42 cm Collection particul ière

Albert Lebourg 1849-1928 - - Les Bords de la Seine, Paris _ - _ - ___ .. ___ ___ _ _ _

Albert Lebourg

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Rares sont les œuvres d'Albert Lebourg avec un ton aussi clair et une atmosphère aussi sereine. L'artiste a utilisé un bleu clair très dilué qui donne à cette toile parisienne une ambiance de grande quiétude. Un tableau du même motif se trouve dans l'important ouvrage de Léonce Bénédite, conservateur du Musée du Luxembourg, et édité par les Galeries Georges Petit en 1923, p. 85. Albert Lebourg n'a pas souhaité mettre de chalands au premier plan, il

privilégie les deux personnages qui rompent le calme enjoué de cette petite toile dans laquelle le peintre semble exprimer un moment de bonheur privilégié, ce qui n'est pas courant chez lui. Toujours en proie au doute, éternellement insatisfait, ici nous trouvons une toile riante et éclatante de luminosité, exécutée dans les années 1890-1892.

Le Pont de Suresnes 1895-1900

huile sur toile signée en bas à gauche 41 X 66 cm Collection Laro ck·Granoff

Albert Lebourg 1849-1928 __ Le Pont de Suresnes Il est possible d'affirmer, grâce à une lecture attentive du catalogue de l'œuvre d'Albert Lebourg par Georges Bergau.d dans l'ouvrage écrit par Léonce Bénédite en 1923 et publié par les Galeries Georges Petit à la rubrique « Paris n° 550 à 859 et« Environs de Paris, n° 860 à 1.190», qu'aucun des ponts qui enjambent la Seine n'a échappé à l'œil attentif du peintre. Situé entre la commune de SaintCloud en amont et Puteaux en aval,

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le pont et ses environs deviennent un motif de choix pour l'artiste. Albert Lebourg écrit: « ... C'est là une mine de motifs et de très beaux paysages. Ces pays avaient été très ravagés par la guerre de 1870, mais il y avait déjà vingt ans que c'était passé et les arbres avaient pu reprendre un nouvel essor et étaient en plein dans leur végétation. Toute cette partie des environs de Paris est assez tranquille. Ce sont des parages qui ont été déjà visités par

Sisley, par Monet et par Pissarro.» (L. Bénédite, Albert Lebourg p.128). Comme dans tous ses tableaux, l'artiste a apporté un soin tout particulier au ciel, il connaît parfaitement l'atmosphère qui règne dans ce secteur où tout n'est que fluidité. Un peu d'animation augmente l'intérêt de cette toile peinte par une belle journée d'été.

La Seine 23

Notre-Dame de Paris, vue de la Cité 1899-1900 huile sur toile signée en bas à droite, localisée 68,5 x 31,5 cm

Albert Lebourg 1849-1928

Musée Malraux, le Havre © Florian Kleinefen

__ Notre-Dame de Paris, vue de la Cité __ _ Dans l'inédite correspondance d'Albert Lebourg, se trouve, le mercredi 18 décembre 1901, une lettre à son ami Félix Roux ( 1853-1923) : « ... Aujourd'hui en mettant de l'ordre dans les papiers, ouvert une lettre venant du musée du Havre - j'avais cru à une invite à une exposition et je ne les ouvre même pas. Enfin, j'ouvre celle du timbre à trois sous et daté du 10 seulement, le conservateur m'annonce qu'il a acquis pour le musée un tableau de moi : une Notre-Dame de Paris et me demande· mon lieu de naissance afin qu'on puisse mettre : 24

né le 1er janvier 1849 à Montfort-surRisle, mort à ... Il me dit que je serai entouré de MM. Monet, d'Espagnat, Maufra, Boudin (études) et Gagliardini - tous Impressionnistes ... » Albert Lebourg fait donc son entr~e dans ce musée bâti en 1845, dans un style classique. Le 10 décembre 1899, Louis Boudin, frère de l'artiste offre à la ville soixante études et centquatre-vingts panneaux. Le don généreux a été précédé du don de l'américain Taylor et de plusieurs autres amateurs. Avant l'achat en 1903 par

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le musée de deux toiles à Camille Pissarro, puis en 1911 de trois œuvres de Claude Monet pour la somme symbolique de 3000 Francs,

(Londres, le Parlement ; Les Tours de Westminster ; Falaises à Varengeville; Nymphéas), le musée du Havre montre un intérêt certain pour les œuvres des Impressionnistes. Comme l'écrit si justement Pierre Angrand dans son Histoire des musées de Province : « ... Si à Rouen, le présent comporte avec soi une forte dose de passé, au Havre, le présent contient toujours de l'avenir. »

Le Petit Bras de la Seine au Bas-Meudon 189 5 huil e sur toil e signée en bas à gauche 40

x 65 cm

Collec ti on particulière

Albert Lebourg 1849-1928 __ Le Petit Bras de la Seine au Bas-Meudon Dès son retour d'Algérie, Albert Lebourg va fixer les motifs multiples qu'offre la Seine et ce, en toutes saisons.. Il accorde un intérêt tout particulier à cet endroit paisible qu'est le Bas-Meudon ; les motifs sont nombreux et ont attiré les peintres. Notons la présence de Paul Huet dès 1 816 qui prenait là des cours de dessin chez Deltil, ancien élève de David. À partir de 1 892 Lebourg va posséder deux ateliers, l'un rouennais, quai de Paris et un autre à Paris, 60, rue de Clichy. Le site du Bas-

Meudon, bien que relativement éloigné, continuera à l'atelier ; il écrit: « ... À partir de cette époque ( 1892) je me livre entièrement à l'étude du paysage en faisant surtout des toiles de petites dimensions et des choses faites directement et le plus rapidement possible. Je vais peindre beaucoup au bord de la Seine, du côté de Courbevoie, de Puteaux, de Suresnes où je prends le bateau pour aller vers Paris, en m'arrêtant à Sèvres, Saint-Cloud, au Bas-Meudon à des époques où l'on voit par les tableaux qu'ils y

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ont fait, que c'était alors merveilleusement beau. J'ai assisté à la destruction du Bas-Meudon . » Cette peinture est tout à fait caractéristique des bords de Seine qui ont fait la juste réputation de l'artiste . Un tableau intelligemment construit, un remarquable traitement du ciel et un très beau rendu de l'eau.

La Seine 25

Albert Lebourg 1849-1928 - - Croisset, bord de Seine Croisset, bord de Seine 1900-1905

huile sur toile signée en bas à droite 50 X 80

cm

Collection particulière

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En 1901 la Société nationale des Beaux-Arts, dont la première exposition s'est tenue en 1891, absente de la scène artistique en 1900, revient au premier plan de l'activité artistique parisienne. Elle dispose d'un nouveau lieu d'exposition sous les verrières du Grand Palais construit pour la cinquième Exposition Universelle, close le 12 novembre 1900. Ouverte le 22 avril 1901, à cette dixième exposition, Albert Lebourg,

sociétaire, adresse cinq tableaux : Le

Soir, Le Matin, La Neige, Temps de pluie, et Après-midi d'automne. Temps de pluie le numéro 535 est La Seine à Croisset, environs de Rouen, temps de pluie. Ce tableau est acheté par la ville de Paris et destiné au musée du Petit Palais, où il est conservé de nos jours. L' œuvre reproduite, ici, est de même veine et tout à fait remarquable avec un ciel somptueux tout à fait caractéristique de l'atmosphère des bords du fleuve .

Albert Lebourg 1849-1928 __ Bords de Seine ,. __ _ Léon Roger-Milès, critique, écrit dans le Figaro Illustré, numéro 198 de septembre 1906 : « Il n'y a plus guère de mérite à déclarer qu'Albert Lebourg est un des peintres les plus remarquables de l'âge contemporain': depuis 1904, à peu près, la louange est unanime à son endroit, et ceux-là même qui, il y a huit ans, passaient indifférents au Salon de la Nationale devant les envois du maître

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et trouvaient inopportune ou déplacée l'admiration que je professais dès longtemps pour son labeur robuste et délicat tout à la fois, ceuxlà désormais sont les plus enthousiastes et cela peut-être, parce qu'ils n'ont qu'une compréhension imparfaite du magnifique effort d'art accompli par le peintre ... » Cent ans plus tard, Albert Lebourg est-il à sa juste place ?

Bords de Seine 1900-1905

huile sur toile signée en bas à gauche 50 X 73 cm Collection particulière

La Seine 27

Bord de Seine 1905-1910 huile sur toile Signée en bas à drQite 41 x 65 cm Collecti on particulière

Joseph Delattre

1s53-1912

_ - Bord de Seine - - __ En mars 1902, Joseph Delattre quitte Rouen pour une excursion dominicale : il rejoint Petit-Couronne en chemin de fer. L'artiste aimait à raconter que ce jour-là, il avait découvert la campagne, mais surtout le vaste plan d'eau, les coteaux de Biessard sur la rive gauche du fleuve . Il décide de se fixer là et va passer en cet endroit paisible les dix dernières années de sa vie. Son motif préféré sera le bord de Seine, en toutes saisons, à différentes heures de la journée. 28

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La cale du passeur, le café Billard, les coteaux de Biessard, l'île au Voide-la-Haye, autant de sujets qui vont faire de Delattre le Maître de PetitCouronne. Tempérament inquiet et quelque peu provocateur, Joseph Delattre avait bien du mal à percer à Rouen ; il écrit à son fidèle ami Angrand en novembre 1904 : « Je suis toujours aussi inquiet. C'est toujours la même chose au fur et à mesure que les enfants grandissent. Ce que c'est dur d'être toujours à courir après la pièce

de cent sous. Cette année, j'ai travaillé d'arrache-pied et cependant n'ai à peu près produit que des bouts, n'ayant jamais le temps de terminer mes toiles ... » Ce Bord de Seine avec des gris magistraux est un parfait exemple de ces « bouts » si réussis. La lumière si particulière du bord de Seine est ici parfaitement rendue et attire vers elle bon nombre d'amateurs. Joseph Delattre rendait le 6 août 1912 son dernier soupir, à PetitCouronne.

Gribane sur la Seine à Petit-Couronne Ca 1905-1910

hui le sur toile signée en bas à gauche 43 x 63 cm Collec ti on particulière

Joseph Delattre

1ssS-1912

__ Gribane sur la Seine à Petit-Couronne.. On ne dira jamais assez combien l'existence de Joseph Delattre fut difficile. Une lettre inédite à Edmond Mathieu en date du 28 août 1903 - l'artiste est depuis dix-sept mois à Petit-Couronne mérite d'être citée in extenso : « Mon vreux Mathieu, Depuis quinze jours seulement le médecin m'a permis de me remettre au travail, mais quoique j'ai beaucoup travaillé, le temps si variable ne m'a pas permis de terminer aucune des toiles que j'ai commencées et voilà

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trois mois que je n'ai absolume·nt rien produit. Je viens te demander s'il te serait possible de nous prêter vingt francs. Ne considère pas ma demande comme un tapage et sois certain que je te rendrai ce Louis le plus tôt possible, d'ici trois semaines ou un mois au plus tard. Aujourd'hui j'ai vendu une bribe 20 F et mardi, nous devons impitoyablement payer nos contributions ... » Entre mars 1902 et août 1912, Joseph Delattre a peint de nombreux

bords de Seine ; celui-ci est particulièrement intéressant avec son ciel rosé, son massif d'arbres avec le point lumineux. Les toiles réalisées à Petit-Couronne sont en nombre, les plus importantes, mais Joseph Delattre a peint depuis 1880, et les vingt premières années de production mériteraient une étude approfondie : la période de Déville et celle de Rouen avec l'Académie de la rue des Charrettes.

La Seine 29

Maurice Vaumousse

1876-1961

- - Bord de Seine _ - - - ______ _ Le 16 août 1905, dans les colonnes de La Dépêche de Rouen et de Normandie, Ernest Morel, journaliste fait paraître un article intitulé « Le cercle de PetitCouronne ». Joseph Delattre est installé depuis deux ans dans la petite localité et le journaliste d'écrire : « ... Le maître paysagiste y a attiré quelques jeunes artistes, ses amis ou ses élèves, qui viennent périodiquement lui rendre visite ... La personnalité de Delattre domine le cénacle. Pour tous ces jeunes, il est le maître incontesté. Quand son organe, voilé, mais néanmoins aigu résonne dans la salle du "Cercle" tout le monde fait silence . C'est que l'autorité de son talent et de son expérience s'impose ... » et Morel de poursuivre : « Les principaux membres de cette intéressante colonie artistique Louvrier, Guilbert, Hénocque, Suzanne, deux autres jeunes Vaumousse et Cizalette ... » Dans ce grand format avec de superbes tons d'automne, peint à Petit-Couronne non loin de la cale et du café du Passage, qui appartient à la famille Billard, Vaumousse rend un bel hommage à son Maître. Lorsqu'il fréquente le « Cercle » le

jeune artiste connaît déjà Delattre puisqu'il a rejoint l'Académie libre de la rue des Charrettes fondée en 1896. Cependant Vaumousse embrasse aussi une carrière de violoniste depuis 1901 au Théâtre des arts de Rouen et l'été, il travaille au casino de Vichy. Toute sa vie sera partagée entre musique et peinture. Né à Paris le 20 octobre 1876, sa première exposition particulière se déroule, après sa première saison à Vichy, à la salle Legrip. Il participe à la première exposition du Salon des artistes rouennais en 1907, dont il sera un fidèle exposant. Mobilisé lors de la guerre de 1914, i I part corn me interprète et revient à Rouen début 1919. Entre les deux guerres, il expose au Salon des artistes indépendants de Paris en 1929, 1930, 1931, ainsi qu'à la galerie Sélection et à Rouen. Jusqu'en 1939, il conserve son poste de violoniste à Vichy. Lors du second conflit mondial son domicile rouennais est détruit, il se fixe, ensuite, rue Martainville . Après la guerre il voyage en Espagne, à Venise, à Londres et décède à Rouen le 25 novembre

1961.

Bord de Seine 1907

huile sur toile signée en bas à droite 60 X 92 cm Collection particulière

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La Seine 31

Le Coteau d'Amfreville (près de Rouen) 1908

huile sur toile signée en bas à gauche 81 X 100

cm

Musée de Draguignan

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Robert Antoine Pinchon 1886-1943 __ Le Coteau d'Amfreville (près de Rouen) _ Lorsque le 28 février 1914 le Salon des artistes rouennais ouvre ses portes, pour fermer le 29 mars, au musée des Beaux-Arts de Rouen, il est à sa huitième exposition annuelle. Ce salon est dû à la volonté de deux hommes : Marcel Delaunay (1876-1958) et Paul Mascart (1874-1956). La première exposition s'est tenue au Musée des Beaux-Arts de Rouen en 1907. Robert Antoine Pinchon a participé à la première manifestation avec six toiles, puis en 1908, 1909, 1912, 1913 et 1914 , où il accroche parmi 560 numéros dans la section peinture : 412 La Carrière, Amfreville-laMi-Voie ; 413 Neige ; 414 Dégel ; 4 15 Glaçons au Pont aux Anglais ; 416 Eglise de Triel (Oise) ; 417 Le Pont à Triel (Oise). L'envoi de Robert Antoine Pinchon, âgé de vingt-six ans, est salué dans la presse par Ernest Morel dans La

Dépêche de Rouen et de Normandie du 27 mars 1914: « A ceux qui ne soupçonnent pas l'intensité de couleur que les jeux variés de la lumière peuvent communiquer à une surface blanche, nous conseillons d'aller

regarder attentivement la toile de M . Robert Pinchon .. . Recherchant un peu l'allure décorative, Le Coteau d'Amfreville, est une belle page lumineuse au possible ... » et Georges Dubosc lui écrit dans le Journal de Rouen du 23 mars : « Très savamment déposé sur le panneau l'ensemble des toiles brossées par M. Robert Pinchon est un des plus complets qu'il ait exposé ; chacune des toiles - grandes ou petites - est en effet mise en page avec un goût de composition et un sens décoratif très avertis ... » L'hommage des critiques est unanime et la carrière de Pinchon, à ce moment-là est absolument tracée, le succès est au rendezvous, mais une catastrophe va briser cet élan en pleine ascension : La déclaration de la Première Guerre mondiale, cinq mois plus tard. Le village d' Amfreville La-Mi-Voie, situé sur la rive droite de la Seine, est bien connu par l'artiste, c'est précisément l'endroit où réside depuis 1912 François Depeaux et sa seconde épouse, depuis qu'ils ont quitté leur demeure de l'avenue du Mont-Riboudet pour la maison dont

------ --- -le collectionneur négociant armateur a hérité de ses parents. La toile est remarquablement équilibrée : frondaisons dans presque toute la moitié gauche, la partie droite se divise en un premier plan : la berge, puis le fleuve ; la colline avec sa balafre crayeuse, et le ciel. C'est un tableau caractéristique de l' œuvre peint de l'artiste, qui oubliera ces audaces une fois rescapé du premier conflit mondial.

Robert Antoine Pinchon

La Sei ne 33

Pierre Hodé 1889-1942 - - Paris, le Pont Marie Paris, le Pont Marie 191 8 huile sur toile signée en bas à droite 60 x 73 cm Collection particulière

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De 191 8 date la série des Ponts de Pa ris, de Montmartre et des Natures mortes aux nappes blanches. Il est bon de rappeler qu'à Paris, il séjourne au « Bateau Lavoir » où il retrouve son vieil ami Pierre Dumont mais côtoie en même temps Agero, Juan Gris et fréquente Pierre Varenne. Sa peinture se ressent de ses fréquentations, l'artiste cherche une facture qui lui est propre,

il veut tourner la page avec la peinture rouennaise . Pierre Dumont a tenté de secouer la capitale normande, mais il est retourné dans sa ville natale . Il a réussi à convaincre Pierre Hodé de le rejoindre. Ce dernier va créer une facture et un chromatisme bien à lui. Cette recherche est évidente dans ce Pont Marie gris-bleu, annonciateur de futures découvertes .

La Seine à Bougival

Pierre Hodé

1923-1925 huile sur toile signée en bas à droite et titrée au dos

1889-1942

60 X 73

__ La Seine à Bougival_ Dès 1869, Bougival et ses environs, exercent sur les artistes un attrait indiscutable. Claude Monet désireux de s'éloigner de la capitale sans toutefois trop s'en éloigner s'y installe ; à deux pas, Alexandre Dumas, le romancier russe Tourgueniev réside chez la cantatrice Pauline Viardet. Citons encore Georges Bizet et son épouse (la cousine de Ludovic Halévy), Camille Saint-Saëns. Au début du siècle, le duo André Derain et Maurice de Vlaminck va réaliser quelques unes de leurs plus belles toiles «fauves» entre Bougival et Chatou .

cm

-------- - -- - - ---- -Collection parti culière

Pierre Hodé n'est pas insensible à ce lieu de villégiature si proche de Paris. Vers 1923-1925, date de réalisation, il commence à structurer ses toiles, il abandonne la touche classique, comme dans Le Pont Marie. Il serre son dessin, affirme les volumes et donne à l'ensemble un aspect hiératique. La partie gauche avec la maison blanche très sèche aux volumes bien dessinés est contrebalancée par le remorqueur à droite aux tons sombres, le bouquet d'arbres, note peu courante, et les frondaisons dans la partie supérieure habillent le tableau avec science.

Cette peinture ouvre une période tout à fait remarquable dans l'œuvre peint de l'artiste, qui va réaliser de très belles séries : Port de Rouen et de

Dieppe, La Lieutenance à Honfleur, Notre-Dame de Paris, natures mortes et compositions très équilibrées. Il expose ses œuvres au Salon des artistes indépendants et au Salon d'automne de Paris, et à Rouen . Il réalise deux grandes tories pour l'exposition de 1937. Il cesse de peindre. Il décède le 15 novembre 1942. Ce peintre, de grand talent, mérite une rétrospective importante.

La Seine 35

La Seine et Notre-Dame de Paris

Adrien Segers

50 X 65

- - La Seine et Notre-Dame de Paris .. _ Cette vue parisienne est, à ce jour, la seule connue ; l'artiste qui habitait à Rouen place Barthélémy a peint de nombreuses fois le portail de l'église Saint-Maclou, et les vieilles rues de la ville. à la campagne, il avait plaisir à se rendre à Léry-Poses dans l'Eure, à Saint-Adrien, au pied des falaises crayeuses qui dominent la Seine et à Saint-Aubin-sur-mer. Comme l'écrit son ami et collègue belge Emile Tilmans dans la rubrique nécrologique du catalogue du Salon de printemps de 1951 : « Son Art est toujours resté d' une objectivité absolue. Les aventures, les modes du jour ne l'ont jamais tenté. Son œuvre est de ce fa it d' une homogénéité par-

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1918 huile sur toile, signée en bas à gauche

1876-1950

cm

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faite». Ces lignes amicales sont en parfait accord avec cette toile aux tonalités grises délicates et au dessin rigoureux. C'est le premier conflit mondial qui a fait venir Adrien Segers, né à Ixelles, près de Bruxelles, le 17 octobre 1876. Après ses études, il s'oriente vers la décoration et la peinture ; il parfait ses connaissances en Hollande, à Paris et à Londres, se fixe à Bruxelles puis, en 1912, à Nieuport. Lors des bombardements de Nieuport, Adrien Segers s'enfuit et s'arrête à Rouen, comme une importante colonie de réfugiés Belges. Très vite, il gagne la sympathie du milieu artistique rouennais et monte sa pre-

Collection Larock-Granoff

mière exposition le 1er avril 1915 à Rouen. Il est présent, lors du décès du poète, Emile Verhaeren. Il expose au neuvième Salon des artistes rouennais et en sera un fidèle exposant. Il devient un élément solide du paysage artistique rouennais. Entre les deux guerres, il restera fidèle à sa ville d'adoption, il est installé sur la place Saint-Maclou. Son atelier devient un lieu de rencontres pour les artistes et il se lie tout particulièrement avec le poète Francis Yard . Il produit peu mais vend régulièrement, ce qui explique l'absence d'exposition particulière. Sa production est traitée en une pâte épaisse et des coloris francs. Il décède le 14 juillet 1950.

Les Andelys, bord de Seine 1923-1924

Pierre Dumont 1884-1936 _ - Les Andelys, bord de Seine .... En 1924, Pierre Dumont, âgé de quarante ans, est au sommet de son art. Avant la première guerre mondiale, il a créé les XXX, et la société normande de peinture moderne. Avec cinq manifestations, cette société bouleverse la scène artistique rouennaise. La ville de Rouen n'en a cure et cent ans après un bilan historique et artistique s'impose . Verra-t-il le jour ? En 1914, Pierre Dumont est réformé et s'engage en faveur des artistes mobilisés en organisant deux expositions importantes à Rouen. À la fin de la guerre, il expose chez

huile sur toile signée en bas à droite 81X100cm

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Terrisse pour la deuxième fois et le succès étant au rendez-vous, une relative aisance se dessine enfin. Durant l'année 1924, il voyage en Picardie, en Normandie et s' aventure jusque dans le Midi, à Marseille, qui est le sujet de toiles très lumineuses. Lors de son séjour dans le Vexin normand, il découvre à Gasny, près de Vernon, une maison qu'il achète. De cette époque heureuse sont conservées des toiles claires avec une belle touche grasse virgulée, qui dégagent un réel plaisir de peindre et une joie de vivre, après ce terrible conflit.

Collection particulière

Dans cette toile, peinte aux Andelys le long du quai de Seine, (aujourd'hui Quai Pa ul Signac) se profile l'ombre bienveillante de son mécène Georges Sporck. Cette toile, d'un beau format, est caractéristique du moment de plénitude que connaît l' artiste jusqu'en 1927, où Pierre Dumont frappé par la maladie va connaître une fin de vie tragique. Il meurt le 9 avril 1936 à Paris.

La Seine 37

Narcisse Hénocque

1879-1952

_ - Bord de Seine _ -

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Le Bord de Seine de Narcisse Hénocque est tout à fait représentatif de la production de l'artiste entre les deux guerres. Le peintre a trouvé une facture, un style bien à lui ; ses motifs se trouvent essentiellement en amont de Rouen , vers le Pont aux Anglais et à Eauplet, avec l'île de Gad . Cette île très verdoyante sera rattachée à la rive gauche après la Seconde Guerre mondiale .

Bord de Seine 1925-1930 signée en bas à droite 46 x 61 cm Collection particulière

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La Seine 39

Brume du matin sur la Seine

Narcisse Hénocque

1930-1 935 huile sur toile signée en bas à droite 73 x 92 cm

1879-1952

Collection particulière

__ Brume du matin sur la Seine Narcisse Hénocque a parfaitement bien saisi l'atmosphère brumeuse qui existe sur les bords du fleuve, il a été très attentif aux leçons de son maître Joseph Delattre ( 1858-1912) et a su comprendre cette lumière très particulière . Exécuté entre 1930 et 1935, ce tableau est l'archétype même des oeuvres recherchées par les amateurs. Qui était ce peintre ? Né le 15 décembre 1879, à MontSaint-Aignan, sur les hauteurs de Rouen, après des études primaires, à

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treize ans le jeune garçon entre à la compagnie Ancienne Mutuelle. Il y fera carrière complète. Attiré par la peinture, il a la chance de rencontrer, alors qu'il peint dans le jardin Solferino à Rouen, Joseph Delattre qui lui propose de suivre les cours de l'Académie libre de la rue des Charrettes, ouverte depuis 1896. Le jeune homme accepte et va devenir un des disciples les plus consciencieux. En 1902, Joseph Delattre quitte Rouen, avec sa famille pour

s'installer à Petit-Couronne et Narcisse Hénocque restera très proche du Maître de Petit-Couronne jusqu'à son décès en 1912 . Hénocque participe au premier Salon des artistes rouennais, en 1907 ; il en sera un fidèle exposant. À cette époque, il commence à se détacher de l'influence de son Maître. Après la guerre 19 14-1918, il expose régulièrement chez Legrip avec des bords de Seine et des fleurs . Il décède à Rouen en 1952

Bord de Seine

Georges Bradberry 1879-1959 _ _ Bord de Seine _ ____ _

1937 pastel signée en bas à gauche

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44

x 54 cm

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Collection particulière

La Seine 41

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Maurice Louvrier 1s1s-1952 __ Les Ponts de Rouen Peintre, acteur, critique, auteur, Maurice Louvrier est un personnage complexe . Né à Rouen le 11 octobre 1878, élevé par ses grands parents, il fai t une partie de ses études au lycée Corneille, puis à !'École Supérieure et Professionnelle. Il fréquente I' Académie libre de la rue des Charrettes de Joseph Delattre, où il devient l'am i de Marcel Couchaux. En 1898, il rencontre Camille Pissarro lors de son dernier séjour à Rouen . Ses débuts datent de cette époque . Maurice Louvrier côtoie aussi, à Blainville-Crevon, Francis Yard, de deux ans son aîné, poète et écrivain . En compagnie de Couchaux, il tente sa chance à Paris, auprès du père Thomas qui, finalement va lancer Utrillo. À cette époque, il est aussi acteur au Théâtre Normand et n'apparaît comme peintre que dans la manifestation des XXX, créée par Pierre Dumont chez Legrip en novembre 1907. L'artiste participe aux manifestations de la société normande de peinture moderne, écri t dans Rouen Gazette.

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Mobilisé en 1914, il est muté dans le génie et participe aux expositions à Rouen durant la guerre . Après la guerre, il reprend durant un an le chemin du Théâtre Français et va s'adonner ensuite entièrement à la peinture. Il expose à la galerie Moderne, au Salon des artistes rouennais de 1920 à 1926. En 1926, il tente l'aventure parisienne à la galerie Drouant avec quarante toiles. l 'exposition connaît le succès avec un achat officiel, il y retournera une seconde et dernière fois en 1933 . De l'entre-deux guerres datent les meilleures toiles de l'artiste (place Saint-Hilaire, Pont Boieldieu ou pont aux piles blanches), comme dans cette vue des ponts de Rouen avec les docks en fond. L'ensemble est solidement construit et a une forte présence. Les tonalités sont sourdes . Grâce au généreux don de Georges Sporck en 1934, il voit trois de ses œuvres figurer au musée de Rouen, après un premier achat en 1921 . L'artiste expose chez Legrip et en 1937, 1938 à la Maison de la culture.

Les Ponts de Rouen 1935-1936 huile sur toile signée en bas à droite 73 x 92 cm Collection particulière

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La Seine 43

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Joseph Delattre 1858-1912 _ - Rouen, quai de Paris Le 6 janvier 1904, le musée de Louviers, grâce a u legs de Constant Roussel (1814-1903), devient l'un des rares musées en France, après le musée du Luxembourg, à montrer des œuvres impressionnistes. Certes, il n'y a pas d 'œuvres de Monet, Sisley, Pissarro, mais le musée reçoit quatre Charles Frechon, deux Delattre, cinq Lemaître. Constant Roussel avait installé sa propre galerie dans sa propriété près de SaintPierre-du-Vauvray, non loin de Louviers. Un petit catalogue publié en 1903 comporte quatre cent dix-neuf numéros. Constant Roussel avait acheté avec ce Port de Rouen, un sujet classique que

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l'artiste a traité plusieurs fois avec des fortunes différentes ; dans le tableau exposé, le premier plan est important avec de nombreuses touches vertica les, le peintre a ajouté quelques notes ascendantes avec la tour Saint-Romain et la flèche de la cathédrale ainsi que quelques mâts de bateaux ; la présence de la Seine sur la droite augmente la luminosité de l'ensemble. Ainsi le musée de Louviers, dont les débuts sont constitués par un rassemblement de pièces archéologiques, fut réorganisé en 1872 et devint ainsi, grâce à de multiples dons, un intéressant musée de l'Eure.

Rouen, quai de Paris 1900-1902 huile sur toile signée en bas à droite 38 x 61 cm Musée de Louviers Legs Constant Roussel

La Sei ne 45

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Albert Lebourg 1849-1928 __ Rouen, quai Gaston-Boulet Rouen, quai Gaston Boulet 1900-1905 huile sur toile signée en bas à droite 39 x 63 cm Collecti on particulière

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C'est un ciel comme Eugène Boudin en a représenté des centaines ; ici, Albert Lebourg s'est installé à Rouen, quai GastonBoulet, entre le quai du Havre et le quai de Boisguilbert. L'artiste est parti avec son matériel depuis son domicile et a planté son chevalet tout simplement le long du quai. Il a placé au centre deux personnages, à leur gauche un cargo venu décharger du bois. Toute l'attention de Lebourg s'est portée sur le ciel. Une fois n'est pas coutume, la Seine n'apparaît pas et c'est le ciel bien caractéristique

avec cette fluidité si particulière qu'Albert Le bourg transcrit mag istralement. Peu d'artistes ont rendu à ce point l'atmosphère brumeuse qui règne sur le port de Rouen ; il faudra un jour se rendre à l'évidence, aligner une série de vingt à trente toiles de ce motif des quais de Rouen, pour apprécier la qualité des ciels de Lebourg. Ils sont différents des œuvres de Camille Pissarro mais ont, eux aussi, une excellente tenue.

Depuis l'atelier, Rouen

Albert Lebourg 1849-1928 __ Depuis l'atelier, Rouen ..

1917 huile sur toile signée, datée en bas à gauche 75 x 102 cm

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Durant le premier conflit mondial, Comme le fit Camille Pissarro, depuis sa chambre de l'Hôtel le port de Rouen connaît une intense d'Angleterre, 7-8 cours Boïeldieu à activité. Rouen devient la base princiRouen, lors de ses séjours en 1896 pale de l'armée anglaise, et aussi la et 1898 (l'endroit même où Claude première région d'accueil des réfuMonet s'était installé lors de ses cam- giés Belges. Une importante colonie pagnes rouennaises de 1892- de marins d'origine étrangère (Maro1893), Albert Lebourg a peint cette cains, Annamites, Chinois) s'installe vue de la Seine et du Rouen rive-gau- pour faire fonctionner les usines de che depuis la fenêtre de son appar- guerre et favoriser le déchargement tement au 2, qua i du Havre. Le des bateaux du port. Albert Lebourg domicile du peintre rouennais est · fuit cette activité et reste à son domipresque à équidistance du pont cile pour brosser cette grande toile Boïeldieu ( le pont aux piles blan- où le ciel est très largement traité et ches) et du pont transbordeur. occupe la moitié du tableau .

Collection Larock-Granoff

Frappé par une hémiplégie fin septembre 1920, il écrit à son biographe Léonce Bénédite ( 18591925), auteur de l'ouvrage de 1923 : « ... de ma chambre où je suis déjà depuis de si longs mois et · assis dans un fauteuil d'où je ne puis même pas me lever, je vois d'ici, par-delà les toits de la ville, un bout de colline qui fait ma joie ... et audessus, le ciel d'un bleu fin un peu fouetté de bleu plus cendré et sous lequel des nuages éclairés du soleil se détachent sans dureté ... »

La Seine 47

Voiliers, pont tranbordeur

Pierre Hodé

1920 huile sur toile signée, localisée en bas à gauche 73 x 92 cm

1889-1942

- - Voiliers, pont tranbordeur Pierre Hodé est, en fait, le nom d'artiste de Georges Ducenne. Il naît à Rouen le 8 janvier 1889 où son père est employé de commerce à la maison d'alimentation Bonet et sa mère couturière . Née Blanche Aurélie Hodé, celle-ci est originaire de SaintNicolas-d' Aliermont, bourgade des environs de Dieppe, célèbre pour la fabrication d'horloges élégantes à l'aspect particulier. Grâce à un texte écrit en 1939 par Pierre Hodé lui-même, et adressé à son ami Jean Texcier, nous pouvons suivre ses premières années : École communale puis, à quinze ans, il travaille sur le port de Rouen comme petit commis - on dirait de nos jours « pointeau » - (il relève le nombre de bennes de charbon sur les « charbon-

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niers » anglais de Newcastle). Depuis l'âge de quatorze ans, il dessine et commence à peindre. A dix-sept ans et demi, il trouve un emploi à la préfecture de la SeineInférieure. L'été, il part le matin vers cinq heures afin de peindre sur le port ou vers Croisset et peint le dimanche. Il effectue un court séjour à Londres où il rejoint Pierre Muller. A vingt ans, il se voit refusé aux artistes rouennais. Entretemps, il joue de petits rôles au Théâtre Français . Pierre Hodé fréquente alors le milieu artistique local, il devient l'ami de Robert Antoine Pinchon et de Pierre Dumont qui va créer la Société des XXX, puis la Société normande de peinture moderne où il va exposer en 1913 et 1914. Lors de la dernière

Coll ection particuli ère

manifestation, il est membre du comité et secrétaire. La guerre bouleverse cet homme généreux et sensible. Il participe aux expositions « Pour nos soldats, pour nos artistes » et« Pour leurs mutilés ». Fin 1915, il abandonne son emploi à la préfecture et gagne Paris. Il part sur le front et en août 1916 paraît un opuscule sur le « Robec », texte de Maurice Lemoine - son collègue à la préfecture de Rouen - orné de dixhuit dessins de Pierre Hodé. Vers la fin des hostilités il est gazé, envoyé à l'hôpital Chaptal où il va attendre sa proposition de réforme . Elle survient en septembre, Pierre Hodé recommence à peindre.

Rouen, cargo à quai

Magdeleine Hue 1882-1944

1930-1935 huile sur toile signée en bas à gauche 72 X 93 cm

- --- - - - - - - Col lecti on particuli ère

_ - Rouen, cargo à quai .. - - - - - - - Née à Bernay dans l'Eure où ses parents sont commerçants, le 31 octobre 1889, après de bonnes études, elle décide de venir à Rouen pour suivre les cours de !'École des Beaux-Arts. Ses parents acceptent, mais il lui faut attendre d'avoir vingtcinq ans. Elle loge chez son oncle, pharmacien, place Saint-Marc, grand ami de Pinchon et de Guilbert. Sa première apparition est pour l'exposition « Pour nos soldats, pour nos mutilés » en décembre 1915. Elle participe aux autres manifestations artistiques pendant la guerre et, doucement, elle prend place sur la scène artistique rouennaise.

En juin 1919, elle montre, dans la très accueillante vitrine Legrip, quelques toiles et l'année suivante, elle réalise sa première exposition personnelle. Les sujets de prédilection de l'artiste sont les natures mortes et les fleurs, les vues de Rouen et du port, les fêtes foraines. Elle participe entre les deux guerres où Salon des artistes rouennais, expose chez Legrip, et envoie aussi des œuvres au Salon d' Automne à Paris . Elle bénéficie des conseils de Robert Antoine Pinchon, dont elle devient la marraine de ses enfants. Lors des deux expositions de la Maison de la Culture à Rouen en 1936 et 1937, elle est présente. Habitant à Bihorel,

elle assiste Robert Antoine Pinchon domicile de Bois dans son Guillaume dans ses derniers jours de 1943 et elle décède le 17 avril 1944. Dans la toile de Magdeleine, c'est l'exacte réalité des propos de Célestin Milvaque qui transparaissent : « Elle avait su, toute seule, creuser son sillon, et elle plantait son chevalet quand ça lui chantait, où ça lui chantait ... Elle était indépendante et exprimait franchement sa pensée, ce qui est rare et fort peu apprécié par les temps qui courent. » Ce cargo en déchargement est bien à l'image de cette femme originale.

La Seine 49

Voilier à quai

Narcisse Guilbert 1878-1942

1935 huile sur toile signée en bas à droite 67 x 77 cm

- -- - ------- -- -- -Collection particul ière

__ Voilier à quai . _ ___ _ Dans le catalogue de l'exposition rétrospective Guilbert, André Watteau écrit : « ... Nous avons affa ire, avec Guilbert, à l'un de ces artistes privilégiés dont la vie simple, laborieuse et droite, ne peut donner naissance à aucune légende, qu'elle se veuille dorée ou

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maudite. À une époque où les superlatifs de la critique s'emploient à abrutir le spectateur, c'est pour le moins reposant ... » Tel est le cas de cette toile, qui a le mérite de montrer dans le port de Rouen la confrontation de la marine à voile et à vapeur.

Narcisse Guilbert regarde vers l'aval, et donne une large place au ciel, mais le trois-mâts, sujet dominant, occupe le centre de la toile et impose par la puissance sa masse .

Rouen, le port et le pont transbordeur 1935-1937 huile sur toile, signée en bas à droite 60 x 81 cm

Robert Antoine Pinchon 1886-1943 - - Rouen, le port et le pont transbordeur En 1935, quand paraît, aux éditions Henri Delafontaine, l'ouvrage de Lucie Delarue-Mardrus, Rouen, avec des illustrations de Robert Antoine Pinchon, Rouen est le seul port de France qui ait dépassé 10 millions de tonnes de trafic en un an. [ ... ] le trafic de Rouen se maintient au premier rang des ports français avec plus de 8 500 000 tonnes, avant Marseille. Quoi d'étonnant à ce que Robert Antoine Pinchon plante son chevalet

Musée des Beaux-Arts de Rouen Don de Mme Marcel Nicolle (1958)

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devant les trois éléments majeurs de la ville : la cathédrale, le pont transbordeur et le port. Ainsi que l'écrit Lucie Delarue-Mardrus : « C'est à travers une véritable forêt de grues de fer que l'on voyage sur les quais de la rive gauche, à Rouen ; et sur la rive droite, leur envahissement squelettique se reproduit, aussi dense à partir de l'infortuné Pavillon Flaubert, à Croisset. .. » À l'époque où l'artiste réalise ce tableau très rouennais, Robert

Antoine est à l'apogée de son art: en 1909, lors de la donation Depeaux au musée de la ville, il est représenté avec quatre tableaux. La galerie Legrip à Rouen, la galerie Reitlinger à Paris lui assurent une sorte de renommée, il a été élu en 1932 membre de la docte et savante assemblée de l'Académie des Belles Lettres et Sciences de Rouen, il préside la Société des artistes rouennais et fait preuve d'une autorité et d'un respect certains.

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Pierre Le Trividic 1898-1960 _ _ Le Port de Rouen _ __ _ Pierre le Trividic est un artiste prolixe : parmi les milliers de dessins, croquis, illustrations, aquarelles, un sujet retien t tout particulièrement son attention et revêt un attrait très fort auprès de ses amateurs : le port de Rouen, avec son animation et les deux édifices phares de la ville : le pont transbordeur et la cathédra le de Rouen . Traitée avec brio, cette aquarel le est une belle page rouennaise, c'est le résultat d'un artiste très doué, excellent dessinateur, remarquable observateur et analyste des événements de toutes natures de sa ville natale . L'artiste s'est placé rive droite, il a enserré la cathédrale et le pont transbordeur entre les deux cargos , au pied des dockers roulent des tonneaux de vin en provenance d'Algérie . La page est lumineuse, pleine de vie, traitée avec des coloris chauds. Pierre Le Trividic est né à Rouen, le 12 avril 1898, boursier, il fait

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ses études au lycée Corneille où il montre des aptitudes pour le dessin tout à fait surprenantes . Il va suivre ensuite les cours de l'école des Beaux-Arts dans la section architecture où il emporte tous les premiers prix. Il est mobilisé en avril 1917 et revient à Rouen en 1919. Sa première apparition sur la scène artistique rouennaise se fait avec l'illustration du livre d'Edward Montier, Les Fontaines de Rouen . Il prend part aux manifestations artistiques et aux expositions à la galerie Moderne, Prigent, Legrip et au salon des artistes rouennais et normands aux côtés de Bordes, Michel Frechon, Alfred Dunet et Jean Thieulin. En 1931, il entreprend un voyage au Spitzberg et à son retour à Rouen, il donne des dessins pour les journaux locaux, en particulier Rouen-Gazette. Il assiste aux audiences au palais de justice, à la Foire Saint-Romain, suit les matchs

de football, le cirque avec les clowns, mais aussi les réunions politiques. Il transcrit tous ces événements pour le plus grand plaisir des rouennais. Il devient pour le remarquable et très entreprenant éditeur local, Henri Defontaine, un magnifique illustrateur pour les ouvrages de Jean de la Varende, Alphonse Allais et Marion Gilbert. Après la Seconde Guerre mondiale, il voyage en Normandie et dans le Cantal et fait un long séjour à Dieppe. Il continue d'exposer et exécute une dernière lithographie en 1957 : Le logis des Corrodas à Rouen, détruit pendant la Seconde Guerre mondiale. Il meurt le 23 juin 1960.

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Le Port de Rouen 1935-1937 a.qua.relie gouachée s1gnee en b . 54 X 73 cm as a gauche Collection particulière

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Rouen, le Pré aux loups

Charles Frechon 1856-1929 _ - Rouen, le Pré aux loups _ Cette vue de Rouen avec la Seine est un des plus beaux tableaux de l'œuvre peint de Charles Frechon, qui comporte environ 850 numéros . Parmi ceux-ci une centaine a dispa· ru lors de la destruction totale de la maison familiale de Blangy-surBresle en 1940 et à Rouen de la collection Loisel. Exécuté vers 1893-1894, cette vue rouennaise tout à fait emblématique est remarquablement lumineuse.

1893·1894 huile sur toile signée en bas à droite 43 X 56 cm

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L'artiste a adapté la leçon de Seurat que lui a fait connaître son ami Angrand. La composition est audacieuse, quelques lignes verticales, les mâts, les immeubles du quai de Paris donnent une grande densité à la partie droite de la toile . La Seine, dans la partie gauche, traitée avec ses petites virgules argentées donnent une luminosité rare, qui n'est pas sans rappeler la toile de Charles Angrand : La Seine à l'aube, 1889, collection Petit

Musée de Louviers

Palais Genève. Le vibrisme (ou chro· mo-luminarisme) trouve parfaitement son appellation dans une toile comme celle-ci. Le traitement du ciel avec ses petites touches croisées est aussi très caractéristique des tableaux de cette période dont Charles Frechon va s'écarter lentement. Notons aussi, la force de la couleur préférée de l'artiste : le bleu.

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Le Pré aux loups, Rouen 1900-1905 huile sur toile signée en bas à droite 54 x 81 cm Col lection particulière

Albert Lebourg 1849-1928 -- _ Le Pré aux loups, Rouen Ce site rouennais est l'un des motifs préférés d'Albert Lebourg avec le chevet de Notre-Dame de Paris. Lorsqu'il choisit d'habiter à la fois à Paris et à Rouen, il s'installe 9, quai de Paris, à Rouen. De son domicile (situé sous la Tour de Beurre de la cathédrale, sur le tableau) il voit la côte SainteCatherine, l'église Saint-Paul, la boucle de la Seine où se trouvent de nombreuses péniches et l'île

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Lacroix et au fond, les collines de Bonsecours. Sur le tableau, le peintre regarde vers l'ouest: de gauche à droite nous trouvons l'île Lacroix, le Pont de Pierre, les immeubles du quai de Paris, à droite, la cathédrale. L'artiste accorde dans tous ses tableaux une importance toute particulière au ciel, traité parfois en larges touches brossées ou avec de grosses volutes nuageuses, plus en pâte.

------ --- - - - Il aime ce site, il le peint en toutes saisons avec un brio tout particulier pour la neige.

Rouen, le Pré aux loups soleil couchant

Robert Antoine Pinchon 1886-1943 _ - Rouen, le Pré aux loups, soleil couchant Robert Antoine Pinchon est né le 1er juillet 1886. Le 27 avril 1905 se tient la première exposition particulière du jeune prodige à la galerie Legrip, place Saint-Amand, à Rouen. Le remarquable peintre qu'il est déjà n'a pas encore dix-neuf ans ; l'examen du catalogue de cette exposition montre qu'il bénéficie du soutien du négociant, armateur, collectionneur, François Depeaux (1853-1920) et plusieurs titres de ses tableaux nous

sont connus, grâce à un précieux document photographique qui nous permet de les retrouver dans leUr présentation au public. Le Pré aux loups, soleil couchant en fa it partie. Elle montre l'assimilation des œuvres impressionnistes vues chez François Depeaux ; rappelons que dans la seule grande galerie, spécialement construite à son domicile 35, avenue du Mont-Riboudet, figurent trente-deux Sisley ... Robert

1904-1905 huile sur toile signée en bas à gauche 50 x 73 cm Co ll ect ion particuli ère

------ --- -Antoine Pinchon connaît aussi l'œuvre de Delattre et de Frechon . Il est étonnant par la diversité de factures dont il est déjà capable car, à cette même exposition figure Le Pont aux Anglais, véritable chef-d'œuvre, entré au Musée des Beaux-Arts en 1909, plus empâté. Un exceptionnel artiste prend pied avec cette première manifestation dans le monde des arts .

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Narcisse Guilbert 1878-1942 - - Rouen, le Pré aux loups, neige . Tout le mérite en décembre 1969, d'avoir montré en sa parisienne galerie, le peintre rouennais Narcisse Guilbert, revient à André Watteau . En effet, il fut le premier à montrer, dans la capitale, après la Seconde Guerre mondiale un ensemble d'œuvres de cet artiste. Un précieux catalogue montre quarante tableaux, où la Seine est présente dix-neuf fois. C'est dire l'importance du fleuve pour l'artiste . Dans le tableau du Pré aux loups, belle impression hivernale, l'artiste est aussi à l'aise que dans ses impressions printanières de pommiers en fleurs où il excelle. C'est un peintre de plein air, il aime pardessus tout peindre sur le motif et ic i le rendu de la neige est particulièrement saisissant ; il n'est pas difficile d'imaginer les problèmes rencontrés par le peintre, les pieds dans la neige et le froid pour mener à bien sa toile de format 25. Qui est Narcisse Guilbert ? C'est dans un modeste hameau ,

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Bouville, à quinze kilomètres à l'ouest de Rouen , que naît Narcisse Guilbert. Son père est menuisier, la famille quitte le village en 1 887 et s'installe à Mont-Saint-Aignan, où son père meurt en 1890. Le jeune garçon est placé comme coursier-livreur chez Thiéry-Martin, importante maison d'habillement de la place. À dix-sept ans il s'inscrit aux cours du soir de l'École des Beaux-Arts, mais rejoint l'année suivante l'Académie libre de Joseph Delattre, qu'il préfère à l'enseignement de Philippe Zacharie . Ses premièrès peintures sont exposées dans la vitrine Legrip. En 1907, se tient la première exposition de la Société des artistes rouennais, où il figure avec quatre tableaux (dont deux bords de Seine). Il est remarqué par le collectionneur Henri Perrot ( 1854-1921), antiquaire et personnage haut en couleurs, et François Depeaux. À la galerie Legrip, place SaintAmand en février 1908 se tient sa

première exposition particulière. Cette fois, Emile Borries décide de prendre en mains la carrière du peintre en l'aidant financièrement, comme l'a fait François Depeaux pour Delattre et Pinchon. Survient la guerre, l'artiste est mobilisé dans l'artillerie lourde, il échappe à la gigantesque tuerie et retrouve sa famille en janvier 1919. Entre les deux guerres, Narcisse Guilbert peut se consacrer à son art entièrement. Il tente l'aventure parisienne à la galerie Marbeuf en 1920, avec des toiles d'Etretat, site qu'il aime tout particulièrement, mais aussi des vues rouennaises. Il ne va pas renouveler cette incursion et va se contenter d'une exposition annuelle chez Legrip et au Salon des artistes rouennais . L'été, il villégiature sur la côte d'Albâtre : Veules-les-Roses, Varengeville, Étretat et Saint-Aubin. Sa dernière exposition se tient en mai 1941 chez Legrip, il décède le 23 février 1942.

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Rouen, le Pré aux loups, neige 1935 65 X 81

cm

huile sur toile signée en bas à gauche Col lection particu lière

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Léonard Bordes 1898-1969 __ Rouen, péniches et pêcheurs au Pré aux loups _ Léonard Bordes est le peintre le plus prolifique de !'École de Rouen (10 à l 2 000 tableaux) . Ses débuts ont lieu en 1913 et Léonard Bordes va peindre jusqu'en 1969. Comme Dumont, Vaumousse, Bordes est né à Paris et comme ce dernier, il va embrasser une double carrière : musicien et peintre. Musicien, né dans une famille remarquable, son oncle, Charles, est l'un des fondateurs de la Schola cantorum, son père Lucien est violoniste de talent, et le parrain de Léonard est Vincent d'lndy. Sa première apparition sur la scène artistique se situe en l 916 lors de I' exposition « Pour leurs mutilés ». Il est mobilisé en avril 1917 et reste sous l'uniforme jusqu'au printemps 1920. Entre les deux conflits, Léonard Bordes va exposer au Salon des artistes rouennais, puis à la galerie Moderne, Prigent, Cendret. Durant l'été, sa saison de violoncelliste se déroule au casino de Fécamp jusqu'au début du second conflit mondial. Après la guerre, il poursuit sa double carrière peignant avec une immense ardeur. Léonard Bordes meurt le 4 février 1969 à Rouen. Ce bord de Seine est caractéristique de la période 1950-1955 où la facture est très enlevée, peu de pâte, et une ambiance dominante grise, assez triste où les deux pêcheurs animent l'ensemble.

Rouen, péniches et pêcheurs au Pré aux loups 1950

huile sur panneau signée en bas à gauche 50 X 61 cm Coll ection Larock·Granoff

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La Seine 61

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LrA ville.. rAvx vie..vx V\i\OhVV\i\thh, rAvx l5lï,e.., llrAhGle..,, rAv frA"l 5lorie..vx ; V\i\fAÏ( fAV"i lfA ville.. fAVX lrAr5e.., e..r pe..lle.., rve..,, fAVX v(Îht( fvV\i\fAhre..,, fAVX 1vfAÎ( thGOV\i\prÜ ~e.. V\i\fArG~fAh~i,e..t

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ans son ouvrage Histoire de Rouen (E. Augé, éd. Rouen, 1884) Achille Lefort (18341912) écrit : « . .. Sur les bords de ce beau fleuve coulant lentement aux pieds de hautes collines, enserrant dans les ondulations argentées de ses eaux des îles verdoyantes, sëlève la capitale de la Normandie. La ville aux vieux monuments, aux églises élancées, au passé glorieux ; mais aussi la ville aux larges et belles rues, aux usines fumantes, aux quais encombrés de marchandises. La Seine qui l'embellit, l'enrichit en même temps, elle lui prépare une prospérité corn merciale dont vous verrez l'immense développement et dont profitera la France ... » Rouen se situe dans la vallée de la Seine entre Paris et Le Havre et sa situation est remarquable, le fleuve décrit une large boucle au pied de collines dont l'altitude est d'environ une centaine de mètres. La cité s'étend entre le pied des collines et le fleuve ainsi que sur la rive opposée. Elle fut importante dès le Moyen Âge, puis connut une remarquable prospérité économique avec le commerce du textile et le développement du port fluvial. Sa population passa cie 106 000 habitants en 1881 à 125 000, le plus haut pic, en 1911 pour s'établir de nos jours à 111 000 habitants en 2007. Cette ville est surtout connue pour ses remarquables édifices religieux (la cathédrale avec son fier clocher haut de 152 mètres, l'église Saint-Ouen, l'église Saint-Maclou et l'église Saint-Laurent .. . ) ce qui fait qu'avant la Révolution française, la cité comptait près de cent clochers ; les édifices publics sont eux aussi fort importants et le Palais de Justice est le plus significatif. Notons que la ville qui a subi des dommages considérables au cours de la Seconde Guerre mondiale, toute la partie située entre la Seine et la cathédrale précisément fut détruite, possède encore deux mille maisons à colombages. Sur le plan artistique, cette cité a vu le passage des plus grands artistes. Dès la fin du blocus napoléonien, les artistes anglais ont envahi la Normandie et tous ont séjourné à Rouen : Turner, Cotman, Bonington, Cox, Crome, Callow, puis Géricault, Corot, les Romantiques, Huet, Delacroix, Jongkind, pour arriver aux Impressionnistes, Monet en 1872, et 1892 et 1893 pour la série des façades de cathédrale, Pissarro en 1883, 1896 et par deux fois en 1898, Gauguin durant trois cents jours en 1884. Dubois-Pillet en 1887. Puvis de Chavannes en 1890. Boudin en 1895. Mentionnons Paul Signac en 1899 et 1923, 1924. Vallotton en 1901, Maurice Denis en 1904, Marquet en 1912. Albert Lebourg et tous les peintres de !'École de Rouen ont trouvé en cette ville magnifique des centaines de motifs et cette exposition permet de les retrouver. Citons les vers de Victor Hugo : Amis! Cèst donc Rouen, la ville aux vieilles rues Aux vieilles tours, débris de races disparues La ville aux cent clochers carillonnant dans l'air Le Rouen des châteaux, des hôtels, des bastilles Dont le front hérissé de flèches et d'aiguilles Déchire incessamment les brumes de la mer. Victor Hugo À mes amis L. B et S. B in Les Feuilles d'automne, 1831.

La ville aux cent clochers 65

Rouen, le pont de pierre 1881 huile sur toile signée en bas, à gauche, datée, localisée 80 x 124 cm

Charles Angrand 1854-1926 __ Rouen, Je pont de pierre Criquetot-sur-Ouville, petit village cauchois situé à égale distance des méandres de la Seine et des falaises du Pays -de-Caux, voit naître Charles Angrand le 1e, avril 1854. Son père est instituteur et va souha iter voir son fils embrasser cette même voie. Il suit de bonnes études et vient à Rouen en octobre 1 873 comme répétiteur ; il obtient, l'année suivante son brevet et devient maître répétiteur, puis en 1 87 5, aspirant répétiteur. La peinture attire Charles Angrand et il tente une demande de bourse

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Coll. Peindre en Norm andie © Philippe Fuzeau

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pour l'École des Beaux-Arts de Paris en 1879, mais celle-ci lui est refusée. Il côtoie Philippe Zacharie (18491915), peintre académique et conventionnel, professeur à l'École des Beaux-Arts et au Lycée Corneille . En 1881, il adresse au Salon La mort du Duc d'Orléans (N° 2438), c'est dire toute la distance qui sépare les deux artistes . _Dans la correspondance avec ses parents, Charles Angrand écrit : « ... Je finis en ce moment mon musée et je commence un paysage

de la gare Saint-Sever. J'espère que ces deux choses seront finies pour la date officielle ... je fais de bonnes journées maintenant. Mon temps est réglé : le matin avant le déjeuner, à la gare, après au musée .. . » Sur le chemin de la gare Saint-Sever (située rive-gauche) l'artiste passe sur le pont de pierre et la vision très rouennaise devait aboutir à cette rare vue urbaine que le jeune homme exposait lors de la distribution des prix en juillet 1881.

Rouen depuis la côte de Bonsecours

Joseph Delattre

1858-1912

1898-1900 huile sur toil e signée en bas à droite 38 x SS cm

- ----- - ---- -· Collection particulière

_ - Rouen depuis la côte de Bonsecours Il serait inexact d'écrire que Joseph Delattre a encombré les cimaises des marchands et des galeries . L'artiste a exposé trois fois et il faudrait plus exactement noter : François Depeaux a engagé Joseph Delattre à montrer à trois reprises sa production : une première fois, brûlant les étapes rouennaises, le négociant - armateur - collectionneur le fait exposer à la prestigieuse galerie Durand-Ruel, à Paris du 23 avril au 5 mai 1900, avec quarante tableaux ; une seconde fois, dans ces mêmes locaux du 1 8 au 31 décembre 1902, avec vingt-

quatre tableaux. À Rouen, Joseph Delattre aura une seule exposition particulière à la salle Legrip, place Saint-Amand du 13 au 28 février 1905, avec trente toiles. L'examen des livrets de ces expositions montre que la vue de Rouen depuis Bonsecours est un motif que l'artiste aime. Dans sa première exposition parisienne, trois œuvres représentent ce site : N° 30 - Vue

de Rouen depuis Bonsecours, effet de soir (Coll. P. Toutain) ; N° 31 Vue de Rouen prise de Bonsecours (Coll. Gaston Boulet) ; N° 37 - Vue de Rouen prise de Bonsecours.

Dans la seconde, notons : N° 16 -

Rouen et le Pont aux Anglais {Vue prise de Bonsecours) à vendre 1 000 F. Dans l'exposition rouennaise : N° 8 - Vue de Rouen prise

du funiculaire. Dans la toile exposée, exécutée vers 1898/1900, l'mtiste a placé la cathédrale au centre de la toile, le premier plan sombre renforce l'effet du soir puis vient le Pont aux Anglais et la ville aux cent clochers, baignée dans des gris très subtils qui donnent une note générale très douce.

La ville aux cent clochers 67

Léon Jules Lemaître 1s50-1905 _ Rouen, la rue du Gros-Horloge.. La rue du Gros Horloge à Rouen a les faveurs de Léon Jules Lemaitre. C'est un monument emblématique dans la ville qui était au début du x1xe siècle la ville la plus monumentale de France. Le beffroi a été construit en 1389, il abrite deux cloches du x111e siècle, la CacheRibaud et la cloche d'argent. L'arcade reliant cette tour à l'ancien hôtel de ville et portant sur ses deux faces les cadrans d'horloge date de 1511. Le côté ouest est le plus pittoresque, il est complété par une fontaine monumentale élevée en 1732, dont sur le groupe principal figure Alphée et Aréthuse. Dans le tableau du musée de Louviers, offert par Constant Roussel en 1904, l'animation est typique des tableaux de l'artiste : le petit pâtissier, une élégante, un fiacre. Nous retrouvons dans l'autre tableau des personnages semblables, une même atmosphère humide, le pavé est remarquablement traité, et la dorure sur le cadran, le drapeau donnent une note colorée. Ce côté de l'édifice est rarement traité, le format de I' oeuvre très peu large, renforcé par I' élégance du beffroi montre l'étroitesse des rues bordées de maisons à colombages de la ville. Dans le tableau du musée du Rouen, l'artiste regarde vers l'église Saint-Ouen, il montre un aspect assez semblable à la rue de !'Épicerie avec la cathédrale, mais Saint-Ouen, tout en ayant les dimensions d'une cathédrale (137 m de long et 33 m de large sous la voûte), possède une tour centrale de 82 mètres de haut.

Rouen, la rue du Gros-Horloge 1890-1892 huile sur panneau signée en bas à gauche 41 X 16 cm Collecti on particuli ère

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Léon Jules Lemaître

Rouen, la rue du Gros-Horloge 1890-1892

huile sur panneau localisée, datée en bas à gauche 32 X 23 cm Musée de Louviers, legs Constant Roussel

Rue des Boucheries, Saint-Ouen à Rouen 1890-1892

huile sur bois signée en bas à gauche 33 x 20 cm

Rue Damiette 1890

huil e sur bois signée en bas à gauche 32x15cm Collection parti cu lière

Musée des Beaux-Arts de Rouen

La ville aux cent clochers 69

Rouen, la rampe Beauvoisine 1888

huile sur carton signée en bas à gauche

Charles Frechon 1856-1929 - - Rouen, la rampe Beauvoisine Avant de devenir le « peintre des quatre saisons» Charles Frechon découvre Rouen, les ponts et la Seine, ses boulevards, sa cathédrale dont il ne fera qu'un unique tableau . Exécuté vers 1888-1889, ce tableau aux dominantes bleues bénéficie d'une lumière automnale, la touche est encore classique, I' apport neo-impressionniste ne se man ifeste pas encore. Comme l'écrit Laurent Salomé dans le catalogue de

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la rétrospective de 2008 au Musée des Beaux-Arts de Rouen : « Définir la peinture de Frechon n'est donc pas une tâche facile . Sa production, [ ... ] est profondément déroutante, de nature à provoquer les réactions les plus contrastées. Frechon est un personnage paradoxal : il éveille des soupçons de facilité et de séduction tout en affirmant, si l'on y regarde de plus près, une véritable radicalité; peintre de plein air, il tra-

28 X 37

cm

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Musée de Louviers

vaille dehors mais pas trop loin de sa maison, captant au plus près ses moindres sensations, il développe une palette improbable, transposant le cher motif dans des tons qui sont parmi les artificiels de son époque. » On mesure ainsi, le considérable intérêt de ces rétrospectives, véritables « remises à jour et à niveau» d'artistes longtemps ignorés, voire méprisés .

Rouen, boulevard Cauchoise 1902 huile sur toile signée en bas à droite 60 x 73 cm

Charles Frechon 1856-1929 __ Rouen, boulevard Cauchoise Les vues urbaines rouenna ises de Charles Frechon ne sont pas très nombreuses, la ville n'est pas son sujet de prédilection : c'est un homme de la campagne. Ses témoignages urbains n'en sont que plus intéressants. Ici, l'artiste a placé son chevalet boulevard Cauchoise, en regardant vers la place éponyme : il s'est placé sur le côté droit, au-dessus du carrefour de la rue de Crosne et tourne le dos à la Seine et au pont transbordeur.

Musée de Louviers

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La présence des tramways jaunes remonte à 1896, date à laquelle les premières voitures à traction électrique ont fonctionné, faisant suite au tramway hippomobile à impériale. Est-ce de la part du peintre un clin d'œil au négociant-armateur François Depeaux dont la mère résida de 1891 à 1910, date de son décès, au 25 boulevard Cauchoise ? Comme l'écrit le professeur J-P. Choline, dans Les Bourgeois de

Rouen, une élite urbaine au XIX" siècle:

« Les beaux quartiers de Rouen en

cette fin du XIX" siècle. Bourgeois, le Nord Ouest, puissamment revalorisé [ .. .] les alentours du boulevard Cauchoise, surtout côté faubourg (rue Le Nôtre, Stanislas Girardin, du Contrat Social ... » C'est aussi dans ce quartier que vivait à ses débuts Charles Frechon avant de gagner la rue Coquerel à Mont-Saint-Aignan.

La ville aux cent clochers 7 1

Façade de la cathédrale de Rouen 1910 huile sur toile, signée en bas à droite 100 x 89 cm Musée des Beaux-Arts de Rou en. © Photographies Catherine Lancien

Pierre Dumont 1884-1936 __ Façade de la cathédrale de Rouen Le musée des Beaux-Arts de Rouen possède dans ses riches collections huit œuvres du turbulent Pierre Dumont. Un achat fait en 1959 représente une Rue de /'Épicerie, un don de Mme Vaumousse en 1951, une Façade de la cathédrale de Rouen et, en 1921, fut acheté à I' artiste, un tableau de fleurs. Cinq tableaux de l'artiste furent offerts par Georges Sporck, qui eut aussi un élan généreux avec le musée d'Honfleur, en 1934. Le musicien adressa au musée les cinq œuvres suivantes : Château-Gaillard, L'Église Saint-Vincent de Rouen (détruite durant la Seconde Guerre mondiale), Vase de fleurs, et deux Façades de cathédrale de Rouen. Qui est ce très chaleureux donateur ? Georges Sporck ( 1 870-1943) est entré dès l'âge de sept ans au Conservatoire de Musique de Paris,

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puis est passé à l'école Niedermeyer où il remporte les prix de solfège, piano et d'orgue ; il revient au Conservatoire en 1884 et, s'étant marié en 1894, il se voit écarté du Concours de Rome. Remarquable pédagogue et professeur des plus recherchés, il publia L'Édition analytique des Classiques. Amateur des peintres de !'École de Rouen, il achète des œuvres à Pierre Dumont, mais aussi à Hodé, Louvrier, Pinchon, Cyr, Couchaux. Vivant l'été aux Andelys, il rencontre Signac, Clary, Lebasque, Guillaumin. En 1934 il fait, un quart de siècle après François Depeaux, un important don au Musée des Beaux-Arts de Rouen dont cinq tableaux de Pierre Dumont et, en particulier cette

Façade de fa cathédrale de Rouen. Il fallait toute l'audace de Pierre Dumont pour tenter un semblable défi

après Monet. Vouloir peindre la façade après Claude Monet est évidemment très audacieux, mais cette peinture s'inscrit dans un élan novateur que veut insuffler le très turbulent Dumont ; seule une exposition avec les œuvres antérieures à la guerre de 1914 permettra de montrer toute la force de ce jeune peintre. Son ami Camille la Broue écrit à son sujet : « ... Son activité est proverbiale dans le monde des sociétés de peintures régionales. Sei force de création n'a d'égale que sa puissance de destruction. Il fut à sa fondation l'un des membres les plus actifs de la Société des artistes rouennais ; le courage et l'acharnement qu'il mit à la servir n'eurent de comparables que !'achar: nement et le courage qu'il dépensa à la désorganiser ... »

La ville aux cent clochers 73

Vue de Rouen, depuis les toits de la cathédrale 1912 huile sur toile signée, datée en bas à gauche 81 x 57 cm Coll ection Larock-Granoff

Henri Vignet 1857-1920 __ Vue de Rouen, depuis les toits de la cathédrale 74

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Henri Vignet 1857-1920 Rouen, la rue Gros-Horloge 1919-1920 huile sur toile signée en bas à droite 65 x 27 cm Col lecti on particulière

La Cour d 'Albane, Rouen 1920 huile sur toile signée, datée en bas à droite 73 x 92 cm Collection particul ière

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Henri Vignet 1ss7-1920

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- - La Cour d'Albane, Rouen .. Ainsi que l'écrit Laurent Salomé, conservateur des Musées de Rouen, dans le monumental catalogue

Rouen, une ville pour /'Impressionnisme : « La personnalité d'Henri Vignet est caractéristique de Rouen, fin de siècle et de son milieu « artiste » mêlant un goût raffiné, érudit et léger, à des prétentions légères ... » Dans cette peinture, exécutée l'année de son décès, Henri Vignet a choisi U[1 motif qu'il pouvait observer quotidiennement; en effet, l'artiste résidait rue Saint-Romain, au numéro 70, à côté du ferronnier d'art Ferdinand Marrou (18361917), qui avait réalis~ les quatre clochetons entourant la flèche de la cathédrale ainsi que les ornementations du Palais de la Bénédictine à Fécamp, entre autres. Sur la gauche se trouve la maison du xv• siècle qui faillit être détruite au début du siècle dernier, il fallut toute l'autorité de la Société des Amis des monuments rouennais (créée en 1 886) sous la direction de Georges Dubosc ( 1856-1927), pour qu'elle ne soit pas démolie.

Henri Vignet a privilégié ce petit coin de verdure qui jouxte la cathédrale, connu dans ses cartes postales très recherchées. Il a placé une quinzaine de personnages animant remarquablement cette peinture. Qui est Henri Vignet? Henri Vignet est né en 1 857, à Rouen. Il va suivre les cours de l'Académie de peinture et de dessin sous la direction de Lebel (18341908) et avec Philippe Zacharie (1849-1915). Il rencontre Joseph Delattre, devient l'ami de Georges Dubosc et de Charles Frechon. Henri Vignet est le décorateur du « Cabaret du Clair de Lune », situé au pied de la côte Sainte-Catherine, à Rouen. L'artiste participe au Salon municipal de Rouen, décore les panneaux du cirque Rancy, adresse des dessins pour le calendrier normand. Il est le portraitiste attitré de la ville de Rouen . En 1897, Henri Vignet expose à Rouen chez Lambin (beaufrère d'Albert Lebourg), fournisseur de matériel pour artistes et d' appareils de projection. Puis, il part pour Paris en 1899 mais reste très alla-

ché à sa ville natale et après avoir réalisé une série de cartes postales parisiennes et une vente de ses œuvres à l'Hôtel Drouot, il revient à Rouen en 1909. Il a exposé à la Société nationale des Beaux-Arts à Paris, en 1902, 1903, 1904 et 1905. À la galerie Legrip, il va exposer régulièrement avec Charles Frechon. L'artiste entreprend un voyage dans le Midi, pousse jusqu'à Venise et montre à son retour, ses œuvres à la galerie Legrip. Il bénéficie de l'achat de tableaux de la part de François Depeaux qui offre d'ailleurs un portail de cathédrale à la ville de Swansea. Durant le premier conflit mondial, il participe aux expositions en soutien aux troupes, ainsi que chez Legrip. À la fin du terrible conflit, il est affaibli, réalise un album de douze lithographies La Bouille, avec un texte de Georges Dubosc. Fuyant les rigueurs de l'hiver, il décide de partir pour Grasse, mais décède à Nyons, dans la Drôme le 25 décembre 1920.

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Narcisse Guilbert 1878-1942 _ - Le Marché, place de la Haute-Vieille- Tour Cette très importante peinture de Narcisse Guilbert, mise en dépôt par la famille Guilbert en 1938 au musée des Beaux-Arts de Rouen fut offerte en 1947, après le décès du peintre survenu le 23 février 1942 à Rouen. Elle est, de nos jours, en dépôt dans la salle des mariages de la mairie de Rouen. Lors de la grande rétrospective « Rouen disparu » qui eut lieu au musée des Beaux-Arts de Rouen du 4 octobre au 9 novembre 1947, Narcisse Guilbert est présent avec six œuvres numérotées 106 à 1 12 :

L'Îie Lacroix, Péniches sous la neige, Les Quais sous la neige, Le Marché de la Haute-Vieille-Tour (la toile cicontre), Le Saint-Firmin dans le port de Rouen, La Rue de /'Épicerie par temps de pluie. Cette splendide exposition est l'occasion de faire le point et un triste bilan des dramatiques événements connus par la ville durant le second conflit mondial. Comme l'écrit dans la préface du catalogue l'architecte rouennais Pierre Chirol ( 1881-1953) remarquable connais-

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seur de la ville : « Sur 105 rues anciennes dont la visite était recommandée par Georges Dubosc en 1920, 36 sont détruites et parmi les plus aimées : les rues du Bac, de !'Epicerie, des Fourchettes, de la Vicomté, de la Savonnerie, le marché aux balais, la Haute et la Basse-Vieille-Tour où de dressaient les derniers avant-soliers ... » Pour réaliser cette peinture, Narcisse Guilbert s'est installé à l'étage supérieur de l'immeuble de la Bourse du Travail. En effet, la place de la Haute-Vieille-Tour forme un fer à cheval ouvert vers l'ouest où se situe l'édifice prénommé. Celui-ci fut réalisé par l'architecte Louis Trintzius (1861-1933) devenu architecte de la ville en 1889 et nommé ensuite directeur des travaux de la ville et directeur des jardins. Ce bâtiment fut inauguré en juillet 1904 et les fresques des deux pilastres, hauts de 16 mètres, étaient dus à une autre célébrité rouennaise : Paul Baudouin (18441931 ). Ce monument sera détruit en 1948.

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Narcisse Guilbert domine l'important marché de la place de la Haute-Vieille-Tour et un édifice de la Renaissance situé au dessus du passage qui relie les places de la Haute et Basse-Vieille-Tour. Autrefois, avait lieu chaque année le jour de I' Ascension, la cérémonie de « la levée de la Fierté » (ou Chasse) de Saint-Romain. À cette occasion, depuis le XII• siècle jusqu'en 1790 était gracié un condamné à mort, en souvenir de la légende de la Gargouille où saint Romain, aidé précisément d'un condamné à mort, avait délivré Rouen de cet animal effrayant. Cette toile est donc un témoignage des plus intéressants. Notons que la Fierté a résisté aux terribles ravages des 9-10 et 11 juin ~ 940, où quinze hectares au cœur historique de Rouen furent détruits. Avec ce tableau, Narcisse Guilbert devient un digne peintre témoin de son temps.

Le Marché, place de la Haute-Vieille-Tour 1914 huile sur toile signée en bas à droite 130 x 162 cm Musée des Beaux-Arts de Rouen Don de Mme Guilbert (1947)

La ville aux cent clochers 79

Rouen, rue Eau de Robec 1930 aquarelle signée en bas à gauche 73 X 63

cm

Collecti on particulière

Hippolyte Madelaine 1s11-1966 __ Rouen, rue Eau de Robec .. Dans son ouvrage Entre Robec et Aubette, l'historien René Delsalle écrit à propos de cette rivière : « L'existence du Robec a été perçue, au temps de l'électricité, du supercarburant, de l'eau courante et du tout-à1'égoût, comme une intolérable atteinte à l'hygiène. L' ignoble petite Venise dénoncée par le fils du docteur Achille Flaubert, le caractère sordide des quartiers est de la ville traversés par ce ruisseau malodorant, ne préparaient pas les Rouennais à lui rendre justice .. . » De nombreux artistes ont, par contre, trouvé motifs avec ce ruisseau. Citons Claude Monet avec Le Ruisseau de Robec, 1872 (Musée d'Orsay) Albert Lebourg, les graveurs Maxime Lalanne, Emile Nicolle, et tous les peintres de !'École de Rouen. Hippolyte Madelaine, vint habiter, à partir de 1920 rue des Faulx, rue qui est parallèle à la rue Eau de Robec et face à l'église Saint-Ouen . Cette rue, vers 1870, était le fief des teinturiers et des marchands de draps, Jules Adeline (1845-1909) écrivain, graveur en donne la meilleure description : « ... Les teinturiers rouennais contribuaient à donner à la rue un aspect tout spécial. Toutes leurs maisons, surtout du côté de l'eau disparaissaient sous les grandes pièces de toiles suspendues à des perches s'avançant dans le vide» . Au temps du lycée de Rouen, Flaubert habita la rue et a écrit dans Madame Bovary : « La rivière comme une

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ignoble petite Venise, coulait en bas sous lui, jaune, violette, ou bleue, entre ses ponts et ses grilles ... » La rivière fut recouverte, et les brocanteurs et antiquaires prirent la suite des drapiers et la rue devint un nouveau motif pour les artistes comme le prouve cette belle feuille d'Hippolyte Madelaine. Hippolyte Madelaine est né, dans le département de l'Eure, à Saint-Ouende Thouberville, le 6 avril 1871 . De famille modeste, sa mère épicière, son père travaille aux chemins de fer. Enfant, il est passionné par le dessin, étudie le soir à l'École des Beaux-Arts. Il se marie et part en Argentine ! Les fonds viennent à manquer et le jeune ménage rentre en France. li s'installe à Barentin et devient employé aux Chemins de Fer. Vers 1900, il fait de l'illustration et en 190 l vient habiter à Petit-Couronne. Il devient, l'année suivante voisin de Joseph Delattre qui l'encourage et va devenir un excellent aquarelliste. En mars 1905, il expose six dessins et aquarelles dans la vitrine Legrip, puis en 1907 participe au premier Salon des artistes rouennais. L'artiste découvre la Bourgogne et va partager son année entre Plombières-les-Dijon et Rouen . Il peint à Talant, Fontaine-lesDijon . li est fidèle aux expositions du Salon des artistes rouennais. Survient la guerre, il est mobilisé dans l'infanterie territoriale. Après la guerre il expose régulièrement salle Legrip. En 1936, le 13 juillet,

il ne peut résister à l'appel du large et part à Tahiti et revient en février 1937 pour repartir en octobre et revient définitivement en juillet 1938 ; il montre ses aquarelles tahitiennes chez Legrip. Après la Deuxième Guerre mondiale, en 1948, il cesse ses fonctions de professeur à l'École des Beaux-Arts de Rouen, où il a exercé dix ans. Il va peindre jusqu'à l'âge de 85 ans et meurt, à son domicile, rue des Faulx le 20 décembre 1966.

Rouen, la Tour Saint-Romain 1950-1955 fusain signé en bas à gauche 75 x 95 cm Collection particulière

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Michel Frechon 1892-1974 _ - Rouen, la Tour Saint-Romain Si Charles Frechon ( l 856-1929) est le peintre des quatre saisons, son fils Michel est l'artiste rouennais qui a le mieux représenté la cathédrale dans un registre aussi difficile que peu commercial : le noir et blanc. Troisième enfant du ménage qui en comptera sept, le jeune garçon dessine très tôt sous la conduite de son père qui, après quelques hésitations, voit son fils s'engager dans une carrière artistique et suivre les cours de l'École des Beaux-Arts de Rouen à partir de 1915. Le 20 décembre 1917, le jeune artiste reçoit le Prix Pellecat. Un an plus tard, il expose dans la vitrine de la galerie Legrip, des fusains. Il va utiliser ce mode d'expression jusqu'à la fin de ses jours. En 191 9, il expose dans la salle Legrip de .la place Saint-Amand, salle que son père Charles a inaugurée quinze ans plus tôt. C'est sa première exposition particulière: « Intérieurs d'églises ». Durant cinquante ans, Michel Frechon allait mettre en place un remarquable inventaire de toutes les églises de Rouen avec ce matériau ingrat qu'est le fusain. Avec une détermination sans faille, l'artiste n'allait pas se tourner vers d'autre moyen d'expression, une courte incursion vers la peinture à l'huile entre 1922 et 1925 l'en dissuadera définitivement.

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Après une série de personnages et de nus sur des grands formats, Michel Frechon va se tourner presque définitivement vers le paysage rouennais, en particulier avec la cathédrale de Rouen pour motif principal. L'imposante nef, les magnifiques piliers de ce somptueux édifice vont devenir, à l'aide de son bâton de fusain, l'objet de toute son attention. Avant la Seconde Guerre mondiale, quelques voyages dans les Vosges et dans la vallée de Chamonix (1933-1934) agrémentent son existence à part entière, qui devient très difficile avec les grèves de 1936, puis le second conflit mondial. Les ravages que connaît « la ville aux cent clochers » sont l'objet de fusains dramatiques, en particulier les ruines de l'église Saint-Vincent et le vaste champ de ruines, qui existe entre la Seine et la cathédrale, est l'objet de visites quotidiennes de l'artiste. Il aimerait voir cet immense terrain devenir un parc pour admirer son monument préféré. Entre 1939 et 1945 la cathédrale et la Tour Saint-Romain (et la ville entière) allaient connaître des événements d'une gravité exceptionnelle. Après le 19 avril 1944, la ville va connaître la « semaine rouge » avec des bombardements intensifs (30 mai - 5 juin) et le 1"' juin, la

cathédrale prend feu. Le toit en hache de la Tour Saint-Romain s'effondre entraînant les cloches, dont la « Jeanne-d'Arc », d'un poids de vingt tonnes. La cathédrale sera rouverte au culte le 24 juin 1956. Michel Frechon a fixé le monument, la Tour Saint-Romain avec une grande élégance, le dessin est parfait, il est le meilleur dessinateur des artistes rouennais. Les contrastes sont forts et le rendu de la pierre particulièrement saisissant. Les uns après les autres, Michel Frechon voit ses amis artistes disparaître, Bradberry en 1959, Thieulin et Le Trividic en 1960, Madelaine en 1966, Bordes en 1969. Il s'éteint le 22 juin 1974.

La ville aux cent clochers 83

Rouen, place de la Basse-Vieille-Tour 1919 huile sur toile signée en bas à gauche Contresignée, localisée au dos 50 x 65 cm

Jean Thieulin 1894-1960 __ Rouen, place de la Basse-Vieille-Tour_ Il s'agit du 14 juillet 1919. La France fête la victoire et à travers tout le pays, ce 14 juillet est l'objet d'une animation considérable, en particulier à Paris . Jean Thieulin peint ce tableau à l'âge de vingt-cinq ans. Jolie prouesse d'Henri Perrot (18541922) antiquaire, protecteur des artistes rouennais, qui possède une collection très importante. Ce personnage, haut en couleurs, décide

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Collection particulière

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les 6 et 7 décembre 1920, de vendre une partie de sa collection, à savoir : Pierre Dumont (vingt-cinq toiles), Narcisse Guilbert (quarantedeux toiles), Maurice Louvrier (dix toiles), Robert Pinchon (trente-neuf toiles) et Jean Thieulin est présent avec vingt -cinq toiles ! Un précieux catalogue est réalisé avec un envoi de Maurice Louvrier et de Francis Yard où il est écrit : « .. . Jean Thieulin, peintre nerveux,

à l'intelligence subtile et réfléchie,

auquel les épris d'art ne manqueront pas d'accorder leur confiance .. . » Cette peinture pleine de joie est un très intéressant document rouennais car on y retrouve la façade de l'Alhambra, inspirée des canons de I' Art Nouveau, au fond, et dont l'architecte Victorien Lelong est directeur de l'École des Beaux-Arts de Rouen .

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