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French Pages 596 Year 2020
Dictionnaire Étymologique Roman (DÉRom) 3
Beihefte zur Zeitschrift für romanische Philologie
Herausgegeben von Éva Buchi, Claudia Polzin-Haumann, Elton Prifti und Wolfgang Schweickard
Band 443
Dictionnaire Étymologique Roman (DÉRom) 3 Entre idioroman et protoroman Édité par Éva Buchi et Wolfgang Schweickard
ISBN 978-3-11-065282-6 e-ISBN (PDF) 978-3-11-065426-4 e-ISBN (EPUB) 978-3-11-065290-1 ISSN 0084-5396 Library of Congress Control Number: 2020933693 Bibliographic information published by the Deutsche Nationalbibliothek The Deutsche Nationalbibliothek lists this publication in the Deutsche Nationalbibliografie; detailed bibliographic data are available on the Internet at http://dnb.dnb.de. © 2020 Walter de Gruyter GmbH, Berlin/Boston Printing and binding: CPI books GmbH, Leck www.degruyter.com
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In memoriam Max Pfister (1932–2017)
Comment citer le DÉRom 1. Citation du dictionnaire en ligne 1.1. Dans la bibliographie DÉRom = Buchi, Éva/Schweickard, Wolfgang (dir.), Dictionnaire Étymologique Roman (DÉRom), Nancy, ATILF, ‹http://www.atilf.fr/DERom›, 2008–. 1.2. Dans le corps du texte [Nom de famille du/des rédacteur(s)] [année de publication de la première version] [– année de publication de la version actuelle (si différente)] in DÉRom s.v. [lemme] Exemples : Celac 2009–2014 in DÉRom s.v. */aˈɡʊst-u/ [ou, si pertinent :] Celac 2009–2014 in DÉRom s.v. */aˈɡʊst-u/ (version du 13/10/2014) Groß/Schweickard 2011–2014 in DÉRom s.v. */ˈdɔrm-i-/ [ou, si pertinent :] Groß/Schweickard 2011–2014 in DÉRom s.v. */ˈdɔrm-i-/ (version du 30/08/2014) 2. Citation du DÉRom 1 2.1. Dans la bibliographie DÉRom 1 = Buchi, Éva/Schweickard, Wolfgang (edd.), Dictionnaire Étymologique Roman (DÉRom). Genèse, méthodes et résultats, Berlin/Munich/Boston, De Gruyter, 2014.1 2.2. Dans le corps du texte [Nom de famille du/des rédacteur(s)] [année de publication de la première version (si antérieure à 2014) –] 2014 in DÉRom 1 s.v. [lemme] Exemples : Celac 2009–2014 in DÉRom 1 s.v. */aˈɡʊst-u/ Groß/Schweickard 2011–2014 in DÉRom 1 s.v. */ˈdɔrm-i-/
|| 1 Ce format de citation s’applique seulement si le corps du texte contient des renvois à des articles du dictionnaire ; si ce n’est pas le cas, le segment « DÉRom 1 = » tombe. https://doi.org/10.1515/9783110654264-202
VIII | Comment citer le DÉRom
3. Citation du DÉRom 2 3.1. Dans la bibliographie DÉRom 2 = Buchi, Éva/Schweickard, Wolfgang (edd.), Dictionnaire Étymologique Roman (DÉRom) 2. Pratique lexicographique et réflexions théoriques, Berlin/Boston, De Gruyter, 2016.2 3.2. Dans le corps du texte [Nom de famille du/des rédacteur(s)] [année de publication de la première version (si antérieure à 2016) –] 2016 in DÉRom 2 s.v. [lemme] Exemples : Maggiore 2015–2016 in DÉRom 2 s.v. */s-treˈm-e-sk-e-/ Richter/Reinhardt 2015–2016 in DÉRom 2 s.v. */ˈmεnt-a/ 4. Citation du DÉRom 3 4.1. Dans la bibliographie DÉRom 3 = Buchi, Éva/Schweickard, Wolfgang (edd.), Dictionnaire Étymologique Roman (DÉRom) 3. Entre idioroman et protoroman, Berlin/Boston, De Gruyter, 2020.3 4.2. Dans le corps du texte [Nom de famille du/des rédacteur(s)] [année de publication de la première version (si antérieure à 2020) –] 2020 in DÉRom 3 s.v. [lemme] Exemples : Cadorini 2019 in DÉRom 3 s.v. */ˈker-a/ Crifò 2019 in DÉRom 3 s.v. */ˈbalti-u/
|| 2 Ce format de citation s’applique seulement si le corps du texte contient des renvois à des articles du dictionnaire ; si ce n’est pas le cas, le segment « DÉRom 2 = » tombe. 3 Ce format de citation s’applique seulement si le corps du texte contient des renvois à des articles du dictionnaire ; si ce n’est pas le cas, le segment « DÉRom 3 = » tombe.
Table des matières Éva Buchi et Wolfgang Schweickard Avant-propos | XI
I Partie théorique et méthodologique 1 Réflexions soulevées par la pratique lexicographique Victor Celac 1.1 À partir de l’expérience de révision du DÉRom. Les articles */ˈkɔrd-a/ et */ˈruɡ-i-/ face à l’étymologie roumaine | 3 Jérémie Delorme 1.2 Du niveau protoroman au niveau microroman, et vice versa. Le DÉRom au prisme d’un microglossaire francoprovençal | 23 Xavier Gouvert 1.3 Un chaînon manquant de la reconstruction romane : le protofrancoprovençal | 67 Jan Reinhardt 1.4 Addenda Aragonensia | 105 Steven N. Dworkin 1.5 Lexique héréditaire et perte lexicale. Considérations sur la base des étymons reconstruits dans le cadre du DÉRom | 125 Jean-Paul Chauveau 1.6 Reconstruire la polysémie en protoroman ? | 145 Yan Greub 1.7 Comment toucher la synonymie en protoroman ? | 165
X | Table des matières
Romain Garnier 1.8 De quelques lexèmes protoromans à initiale b- problématiques | 185 Maria Reina Bastardas i Rufat et Julen Manterola 1.9 Pour un traitement digne du 21e siècle des emprunts du basque au protoroman dans le DÉRom | 217 2 Codification des principes rédactionnels Marco Maggiore 2.1 Considérations sur la structure XML des articles du DÉRom | 243 Gilles Toubiana 2.2 L’évolution de la cartographie du DÉRom | 261
II Partie lexicographique 1 Articles | 275 2 Abréviations et signes conventionnels | 469 Victoria Costa, Pascale Baudinot et Jessika Perignon 3 Bibliographie | 479
Avant-propos Ce troisième volume du Dictionnaire Étymologique Roman (DÉRom) est dédié à la mémoire de Max Pfister, qui, en dépit de ses réserves quant à l’orientation méthodologique du projet, en a été un compagnon de route fidèle et dévoué : s’il nous manque beaucoup, le souvenir de sa droiture intellectuelle et de sa force de travail presque surhumaine constitue une formidable motivation pour l’équipe. Les particularités définitoires du DÉRom n’ont guère changé depuis la publication du DÉRom 2 il y a quatre ans :1 attachement profond à une linguistique véritablement panromane, se situant à l’opposé de l’hyperspécialisation galopante qui caractérise le paysage académique actuel, renouveau méthodologique par le recours à la reconstruction comparative, enfin formation de la relève. Concernant ce dernier point, nous sommes heureux de pouvoir annoncer que les huit post-doctorants que nous avions engagés à Nancy et à Sarrebruck grâce aux subventions (2008–2010 et 2012–2014) du Programme franco-allemand en sciences humaines et sociales de l’Agence nationale de la recherche (ANR) et de la Deutsche Forschungsgemeinschaft (DFG) sont restés attachés au projet de façon pérenne. Les signatures de l’ensemble de ces jeunes chercheurs apparaissent en effet dans le présent volume : Victor Celac (chapitre consacré au roumain), Jérémie Delorme (chapitre consacré au francoprovençal), Xavier Gouvert (chapitre consacré au protofrancoprovençal), Christoph Groß (articles */ˈβen-a/ [en collaboration], */βɛsˈsik-a/ et */ˈruɡ-i-/), Marco Maggiore (article */ˈkresk‑e‑/ et chapitre consacré à la structure XML des articles), MihaelaMariana Morcov (articles */doˈl-or-e/ et */ˈpɔt-e-/ [en coll.]), Jan Reinhardt (articles */ˈβakk-a/ [en coll.], */ˈɛβul-u/, */ˈɸlor-e/, */ˈɸɔli-u/ et */saˈbuk-u/ et chapitre consacré à l’aragonais) et Uwe Schmidt (articles */ˈkɔrd‑a/ et */ˈmastik-a-/). En outre, comme en témoignent les articles */arˈiet-e/, */ˈɡland-e/, */molˈton-e/, */ˈpɪr-u/2 et */ˈrusk-a/, de même qu’une vidéo accessible sur le site web du projet,2 le DÉRom continue à fournir le cadre d’un apprentissage pratique pour des étudiants du European Master in Lexicography (EMLex) de l’Université de Lorraine. Enfin, le volume présente le résultat du travail rédactionnel engagé lors de la 2e École d’été franco-allemande en étymologie romane (2014) par deux || 1 Buchi, Éva/Schweickard, Wolfgang (edd.), Dictionnaire Étymologique Roman (DÉRom) 2. Pratique lexicographique et réflexions théoriques, Berlin/Boston, De Gruyter, 2016. 2 Chepurnykh, Nikolay/Gotkova, Tomara/Hegmane, Žanete/Mikhel, Polina, Romance etymology, comparative reconstruction, and lexicography : the compilation of a « Dictionnaire Étymologique Roman » (DÉRom) entry, Nancy, ATILF, ‹http://www.atilf.fr/DERom/derom_pe. php›, 2018. https://doi.org/10.1515/9783110654264-204
XII | Avant-propos jeunes chercheurs qui ont entre-temps rejoint l’équipe : Vladislav Knoll (*/ɪnˈβit-a-/ et */konˈβit-a-/) et Machteld Meulleman (*/ˈtɛmpus/). Nous pensons avoir progressé, collectivement, ces dernières années : avec l’expérience, l’application de la grammaire comparée à la matière romane semble devenir de plus en plus naturelle, même si nous sommes encore loin d’une « reconstruction sans peine » telle qu’envisagée par Guillaume Segerer.3 En particulier, les rédacteurs ont acquis une certaine aisance dans la rédaction des commentaires étymologiques, qui se proposent notamment deux buts : d’une part, de retracer les différentes étapes de raisonnement parcourues dans la reconstruction phonologique, morphologique, sémantique et (micro-)syntaxique des étymons, d’autre part, de confronter le résultat de la reconstruction comparative avec les données du latin écrit, afin de situer les étymons protoromans au sein du latin global.4 Cela dit, le nombre de problèmes résolus est sans doute inférieur à celui des problèmes encore à affronter : les débats animés lors des Ateliers DÉRom, dont le dernier en date, le seizième, a réuni les 28/29 octobre 2019 vingt-neuf personnes à l’ATILF, en témoignent. L’esprit qui anime ces ateliers montre que le DÉRom représente une formidable aventure scientifique, mais aussi humaine : les liens entre les déromiens des quatre coins de l’Europe (et au-delà) et de tous âges, des chercheurs qui étaient souvent à l’origine davantage des spécialistes de telle ou telle langue romane plutôt que de véritables Vollromanisten, sont durables. Un beau symbole en est constitué par le fait qu’un ancien post-doctorant français et une ancienne stagiaire allemande du projet sont aujourd’hui mariés, et qu’ils ont donné à leur fils le prénom d’un ancien post-doctorant roumain. Le sous-titre Entre idioroman et protoroman de ce troisième volume du DÉRom contient deux termes techniques qui méritent sans doute une brève explication. Si la linguistique romane n’a pas attendu le lancement de notre projet pour opérer avec la (ou une) notion de protoroman, il faut rappeler que nous attribuons à ce terme un sens précis, distinct de celui que lui prêtent la majorité des romanistes, qui en général situent diachroniquement le protoroman entre le latin et les langues romanes. La particularité du DÉRom consiste à ne pas définir le terme à l’intérieur de la linguistique romane, mais à y voir l’application à la branche romane du terme protolangue usuel en linguistique historique générale. Partant du principe qu’une protolangue est, selon la définition
|| 3 Segerer, Guillaume, RefLex : la reconstruction sans peine, in : Pozdniakov, Konstantin (ed.), Comparatisme et reconstruction : tendances actuelles, Faits de langues 47 (2016), 201–213. 4 Cf. Dardel, Robert de, La valeur ajoutée du latin global, Revue de linguistique romane 73 (2009), 5–26.
Avant-propos | XIII
classique de Lyle Campbell, « (1) the once spoken ancestral language from which daughter languages descend ; (2) the language reconstructed by the comparative method which represents the ancestral language from which the compared languages descend »,5 le terme protoroman renverra donc dans un premier temps à la protolangue reconstruite par la méthode comparative qui représente la langue ancestrale parlée autrefois dont descendent les parlers romans (sens 2 de Campbell), puis, par extension, à la langue ancestrale parlée autrefois dont descendent les parlers romans dans son ensemble (sens 1 de Campbell). Il est important de souligner que nous nous situons dès lors dans un modèle de la simultanéité entre protoroman et latin écrit, qui relèvent tous les deux du latin global. Pour ce qui est du terme technique idioroman, il a vu le jour au sein même du projet ;6 nous lui accordons le sens de ‘ce qui relève d’un ou de plusieurs idiome(s) roman(s) en particulier’ dans ses emplois adjectivaux et ‘niveau d’analyse constitué par un ou plusieurs idiome(s) roman(s) en particulier’ quand il est utilisé comme substantif. D’une certaine manière, on peut donc dire que le DÉRom remplace la dichotomie classique « latin versus roman », qui ne laisse guère au protoroman qu’une place de transition entre les deux entités, par la dichotomie « protoroman versus idioroman » rendue nécessaire par l’arrimage de l’étymologie romane à la linguistique générale.7 Nos remerciements les plus chaleureux s’adressent à l’ensemble des contributeurs de ce volume, tous bénévoles, dont nous saluons l’engagement désintéressé : les auteurs et réviseurs des articles lexicographiques, les auteurs des chapitres théoriques et méthodologiques, enfin les responsables de l’encadrement informatique, de la bibliographie et de la cartographie. Nous voudrions aussi remercier vivement Christine Henschel, Ulrike Krauß, Florian Ruppenstein, Katja Schubert et Simone Hausmann de la maison d’édition
|| 5 Campbell, Lyle, Historical linguistics. An introduction, Cambridge, MIT Press, 32013 [11998], 109. 6 Cf. Buchi, Éva/Schweickard, Wolfgang, Romanistique et étymologie du fonds lexical héréditaire : du REW au DÉRom (« Dictionnaire Étymologique Roman »), in : Alén Garabato, Carmen/Arnavielle, Teddy/Camps, Christian (edd.), La romanistique dans tous ses états, Paris, L’Harmattan, 2009, 97–110 (ici 101). 7 Cf. Buchi, Éva, Cent ans après Meyer-Lübke : le « Dictionnaire Étymologique Roman » (DÉRom) en tant que tentative d’arrimage de l’étymologie romane à la linguistique générale [intervention à la table ronde « 100 anys d’etimologia romànica : el REW de Meyer-Lübke : 1911–2010 »], in : Casanova Herrero, Emili/Calvo Rigual, Cesáreo (edd.), Actas del XXVI congreso internacional de lingüística y de filología románicas (Valencia 2010), vol. 1, Berlin/Boston, De Gruyter, 2013, 141– 147.
XIV | Avant-propos De Gruyter, dont le professionnalisme et l’humanisme – deux qualités a priori pas si faciles à conjuguer – nous ont permis de préparer le manuscrit du livre dans des conditions agréables. Nancy et Sarrebruck, le 20 janvier 2020
Éva Buchi et Wolfgang Schweickard
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I. Partie théorique et méthodologique
1 Réflexions soulevées par la pratique lexicographique Victor Celac
1.1 À partir de l’expérience de révision du DÉRom Les articles */ˈkɔrd-a/ et */ˈruɡ-i-/ face à l’étymologie roumaine
1 Introduction L’orientation méthodologique du Dictionnaire Étymologique Roman (DÉRom), dont l’approche est foncièrement comparatiste et reconstructionniste,1 comporte un certain nombre d’avantages, parmi lesquels le fait que les étymons protoromans reconstruits constituent des unités lexicales pourvues de propriétés phonologiques, sémantiques et morphosyntaxiques bien établies et sont donc des lexèmes « en chair et en os », tandis que les étymons traditionnellement mis en avant dans les ouvrages de référence comme le REW3 ressemblent davantage à des « étiquettes » un peu abstraites.2 La notion de déclinaison étymologique, conçue comme « la différence entre les résultats de recherche de la méthode traditionnelle, latinisante, et ceux de la reconstruction comparative » (Buchi 2014, 262), permet de se rendre compte que le recours à la reconstruction comparative dans le domaine de l’étymologie romane aboutit souvent à des
|| 1 Cf. les deux ouvrages précédents issus du projet : Buchi/Schweickard (2014 et 2016). 2 Nous remercions Ana-Maria Barbu, Gheorghe Chivu et Iulia Mărgărit (Institut de Linguistique « Iorgu Iordan – Al. Rosetti », Bucarest), Mioara Dragomir (Institut de Philologie « A. Philippide », Iaşi) et Christoph Groβ (Université de la Sarre, Sarrebruck) pour les notes de relecture stimulantes sur les versions antérieures de ce texte, dont une a servi de base à une communication que nous avons présentée le 29 mai 2015 au 6e Symposium international de linguistique organisé à l’Institut de Linguistique « Iorgu Iordan – Al. Rosetti » de Bucarest. || Victor Celac, Académie roumaine, Institut de linguistique « Iorgu Iordan – Al. Rosetti », Calea 13 Septembrie 13, RO-050711 Bucarest, [email protected]. https://doi.org/10.1515/9783110654264-001
4 | Victor Celac résultats intéressants inaccessibles à la méthode traditionnelle (cf. notamment Buchi/Chauveau/Gouvert/Greub 2010 et Buchi 2014). La solidité des résultats du DÉRom, fondées en première approche surtout sur la rigueur des analyses qu’il met en avant, dépend forcément aussi de la fiabilité des données romanes convoquées pour la reconstruction. Il s’ensuit que deux tâches essentielles incombent au rédacteur et aux réviseurs d’un article du dictionnaire : dans un premier temps, ils doivent s’assurer par tous les moyens disponibles de l’existence réelle des unités romanes potentiellement disponibles pour la reconstruction, puis il leur revient d’établir leur caractère héréditaire. Dans ce qui suit, nous illustrerons ces deux étapes du travail rédactionnel sur la base de deux articles : */ˈkɔrd-a/ s.f. ‘boyau ; corde d’un arc ; corde d’un instrument de musique ; corde ; tendon’ (cf. Schmidt 2018/2019 in DÉRom s.v.) et */ˈruɡ-i-/ v.intr. ‘rugir ; gronder’ (cf. Groß 2019 in DÉRom s.v.), pour lesquels nous avons assuré la révision pour le domaine roumain.3
2 Un cas relativement simple : */ˈkɔrd-a/ L’article */ˈkɔrd-a/ s.f., signé par Uwe Schmidt, se distingue par une riche polysémie de l’étymon, qui présente pas moins de cinq sens reconstruits à partir des données romanes : ‘boyau’ (I.), ‘corde d’un arc’ (II.1.), ‘corde d’un instrument de musique’ (II.2.), ‘corde’ (III.1.) et ‘tendon’ (III.3.). Dans ce qui suit, nous nous focaliserons exclusivement sur le sens ‘corde d’un instrument de musique’. Une première version de cet article contenait un cognat dacoroumain et un cognat aroumain dans la subdivision II.2. des matériaux : « dacoroum. coardă [s.f. ‘tortis de boyau ou d’un autre composant tendu sur le corps d’un instrument de musique et qu’on actionne pour produire un son, corde d’un instrument de musique’] (dp. 1691/1697, CorbeaDictiones 63 ; DA ; Tiktin3 ; EWRS ; Cioranescu n° 2187 ; MDA ; DELR ; ALR SN 1280), aroum. coárdă (DDA2) ».
Les ouvrages de référence cités confirment en effet, sans aucun doute possible, l’existence de cette unité lexico-sémantique dans les deux variétés diatopiques en question du roumain – encore fallait-il s’assurer de son caractère héréditaire. Malheureusement, les dictionnaires historiques du roumain ne sont d’aucun secours pour répondre à une telle question, qu’ils ne se posent même pas : à
|| 3 Cf. déjà Coluccia (2014) pour des réflexions sur le processus de révision au sein de l’équipe du DÉRom.
1.1 À partir de l’expérience de révision du DÉRom | 5
l’instar de ce qui a été identifié comme une pratique courante de la lexicographie historico-étymologique de toutes les langues du monde (cf. Buchi 2016, 346), ils se contentent d’une étymologie globale du type « dacoroum. coardă < lat. chorda », sans rentrer dans les détails de l’origine de la polysémie du vocable. Ainsi, même les ouvrages de référence de la linguistique historique roumaine jugent dépourvu d’intérêt de déterminer systématiquement le statut génétique (donc étymologique) des différents sens des vocables polysémiques traités. Il existe bien des exceptions, mais elles demeurent tout à fait sporadiques (ainsi, quelquefois, dans le Candrea-Densusianu, dans le DA et dans le DELR). Heureusement, une exception de ce genre relevée dans le DELR (volume paru en 2018) nous avertit que certains sens de dacoroum. coardă (ceux du domaine de la musique, des mathématiques, de l’anatomie et du sport) sont calqués sur fr. corde et ne sont donc pas héréditaires : « cu sensurile din muz., mat., anat., sport, după fr. corde ». Dès lors, le DÉRom se devait de prendre position par rapport à cette affirmation du DELR : dacoroum. coardă ‘corde d’un instrument de musique’ et aroum. coárdă ‘id.’ sont-ils héréditaires ou bien constituent-ils des calques sémantiques du français intervenus à époque moderne ? Afin de tenter de répondre à cette question, nous avons examiné les attestations textuelles disponibles de tous les points de vue pertinents et avons consulté plusieurs collègues spécialistes, que nous remercions chaleureusement pour leur aide : Iulia Mărgărit, dialectologue, Cristian Moroianu, étymologiste, enfin Manuela Nevaci et Nicolae Saramandu, dialectologues et locuteurs natifs de l’aroumain. Après une étape de réflexion et d’incertitude, nous avons abouti à la conclusion que ni dacoroum. coardă ‘corde d’un instrument de musique’ ni aroum. coárdă ‘id.’ ne sont héréditaires. Les principaux arguments qui nous amènent à cette conviction sont d’essence historique, textuelle et dialectologique. Dacoroum. coardă ‘corde d’un instrument de musique’ est attesté pour la première fois dans le dictionnaire latin-roumain de Teodor Corbea (1691/1697), resté sous forme de manuscrit jusqu’à son édition par Alin-Mihai Gherman en 2001, puis, peu de temps après, dans le roman allégorique Istoria ieroglifică (1704/1705) de Dimitrie Cantemir. Ce dernier, un polyglotte réputé, maîtrisait très bien le latin. Pour cette raison, il nous semble probable qu’aux 17e/18e siècles, dacoroum. coardă ‘corde d’un instrument de musique’ constitue un calque du latin. Puis le lexème réapparaît au 19e siècle, à une époque marquée par une intense occidentalisation du roumain (littéraire) : il est attesté de façon continue à partir de Iancu Văcărescu (1812/1819, Cârstoiu 1985, 106). Pour cette période, un calque du français, tel que proposé par le DELR, nous semble plausible, d’autant que Văcărescu connaissait bien cette langue : il avait traduit plusieurs ouvrages français. Cette analyse est
6 | Victor Celac corroborée par les variétés populaires et dialectales du dacoroumain, qui recourent majoritairement au slavonisme strună s.f. (dp. 1500/1510 [date du ms.], Psalt. Hur.2 113, 211) pour désigner une corde d’un instrument de musique (ALR SN 1280 [mold. transylv. maram. ban.] ; cf. aussi DLR [polysémie et phraséologie]). Le type coardă, restreint à une aire assez compacte (ALR SN 1280 [munt. olt. ban.]), se dénonce comme le résultat de l’influence de la langue littéraire. Pour ce qui est d’aroum. coardă du même sens, c’est un terme figurant dans des sources textuelles aroumaines récentes, tributaires d’une influence dacoroumaine : on y verra un calque du dacoroumain.
3 Un cas plus complexe : */ˈruɡ-i-/ 3.1 Présentation Lors de la rédaction de son article */ˈruɡ-i-/ (inf. */ruˈɡ-i-re/) v.intr. ‘rugir ; gronder’, dont le corrélat du latin écrit de l’Antiquité est rugire, Christoph Groß nous a sollicité pour identifier les possibles cognats roumains qui pourraient participer à la reconstruction dudit étymon. Cette demande nous a poussé à entreprendre une recherche qui s’est avérée plus complexe qu’on aurait pu se l’imaginer a priori. Suite à nos investigations, nous pensons pouvoir affirmer que le roumain ne connaît pas de continuateur de protorom. */ˈruɡ-i-/. Les verbes dacoroum. rugi et aroum. (a)rugíre, que les ouvrages de référence (REW3 s.v. rūgīre, EWRS, Cioranescu no 7279 etc.) mentionnent comme des issues héréditaires de cet étymon, représentent, en réalité, un ensemble de faits linguistiques tout à fait hétérogènes : il s’agit tantôt (en aroumain) d’un emprunt au protoslave, tantôt (en dacoroumain littéraire du 19e et du début du 20e siècles, avec trois possibles attestations isolées du 17e siècle) d’un emprunt savant (latinisme, italianisme ou gallicisme), tantôt, enfin, de formes évolutives d’un autre verbe héréditaire (quelques rares attestations en dacoroumain dialectal du 20e siècle, ainsi que trois possibles attestations isolées du 17e siècle – les mêmes qui peuvent s’analyser aussi comme des emprunts). Dans ce qui suit, nous présenterons le cheminement de nos réflexions.
1.1 À partir de l’expérience de révision du DÉRom | 7
3.2 Présumée issue aroumaine Plusieurs ouvrages de référence (EWRS ;4 REW3 s.v. rūgīre ; Pascu 1, 41 ; Cioranescu no 7279) considèrent aroum. (a)rujéaşte ‘(il) hennit’ (inf. [a]rujíre)5 comme un lexème héréditaire. En réalité, on est en face d’un emprunt à protosl. rŭžati v.intr. ‘hennir’, comme l’indique Papahagi in DDA2 (cf. aussi Graur 1937, 112 : « mazed. [= aroum.] arujire ; du bulgare »). Hormis l’écart sémantique (‘hennir’ vs. ‘rugir’), sans doute pas insurmontable en tant que tel, il existe un obstacle rédhibitoire d’ordre phonétique : protorom. */-ɡi-/ aboutit régulièrement à /-dzi-/ en aroumain : */fuˈɡ-i-re/ > fudzíre ‘fuir’ (cf. Capidan 1932, 330 pour d’autres exemples).6
3.3 Présumée issue dacoroumaine Dacoroum. rugi v.intr. ‘rugir’ est en général considéré comme un lexème héréditaire, cf. Cihac 1 ; EWRS ; Tiktin1–3 ; REW3 s.v. rūgīre ; CADE ; DLRM ; Ciorănescu no 7279 et NDU. Le DLR, dont le volume en question remonte à 1975, voit toutefois dans ce verbe un emprunt au latin, analyse reprise par le MDA. De son côté, le DEX1–2/3, suivi par le DEXI, suggère une étymologie double pour rugi : « cf. lat. rugire, fr. rugir ». Du point de vue diasystémique, le DLR considère le verbe comme vieilli et régional ; tandis que le DEX1 et le DEX2 le qualifient comme livresque, les éditions plus récentes de ce dictionnaire (DEX2/2 et DEX2/3) le désignent comme rare, alors que le DEXI fait l’économie de toute indication d’usage.
|| 4 Dans ses Însemnările, Puşcariu (1995 [1905–1948], 90) maintient son opinion, tant concernant le verbe aroumain que le verbe dacoroumain, ce qui est significatif, car dans beaucoup d’autres cas, à travers ces notes en marge de son exemplaire de l’EWRS, Puşcariu revient sur ses propositions étymologiques initiales. 5 L’infinitif est dépourvu de presque toute valeur verbale en aroumain (cf. Saramandu 1984, 460 et Kramer 1989, 429–430) ; normalement, en conformité avec la pratique du DDA2, la forme citationnelle est la première personne du singulier. Toutefois, étant donné le sémantisme de ce verbe, qui signifie ‘hennir’, nous préférons citer la forme de la troisième personne du singulier : (a)rujeáşte ‘(il) hennit’ (tous les deux DDA2, le second avec prothèse idioromane, fréquente en aroumain), malgré DDA2, qui lemmatise (a)rujéscu ‘(je) hennis’. 6 Nous remercions Manuela Nevaci pour ses éclaircissements sur ce point. D’un autre point de vue, aroum. (a)rujéaşte ‘(il) hennit’ représente un parallèle de même origine de dacoroum. rânji v.intr. ‘montrer ses dents ; grogner ; ricaner’.
8 | Victor Celac Pour s’orienter dans le maquis des opinions étymologiques et pour saisir le vrai statut de ce verbe, nous avons entrepris d’en inventorier les attestations disponibles, puis de les analyser. Il apparaît que ces attestations se laissent facilement départager en trois ensembles, qui amènent à qualifier le lexème tantôt de vieilli, tantôt de livresque, tantôt enfin de régional ; du point de vue de la fréquence, il s’agit clairement d’un verbe rare. L’étude que nous avons réalisée a consisté, d’une part, dans le dépouillement d’environ 200 dictionnaires et glossaires roumains de toutes les époques (principalement ceux cités dans la bibliographie du DLR), d’autre part dans une recherche transversale dans un large corpus électronique – il s’agit d’une ressource interne de l’Institut de Linguistique « Iorgu Iordan – Al. Rosetti » de l’Académie Roumaine – des textes roumains de tous les temps, qui compte environ 2000 titres. Il est vrai que la présence d’un lexème dans des sources exclusivement lexicographiques, à l’exclusion de textes non métalinguistiques, doit être considérée avec circonspection : il peut s’agir d’une illusion d’optique, les données étant parfois reprises d’un dictionnaire à l’autre par inertie, sans que les unités en cause soient fonctionnelles durant les époques en question. Emil Suciu a ainsi formulé un avertissement dans ce sens : « [Î]n ceea ce priveşte dicţionarele trebuie remarcat faptul că unele au preluat în mod automat cuvinte ieşite din uz înregistrate în lucrări lexicografice anterioare, fără să precizeze că este vorba de termeni învechiţi. În astfel de cazuri, în care existenţa în mai multe dicţionare a unui cuvânt nu este susţinută de prezenţa acestuia în texte, circumspecţia ne îndeamnă să considerăm, de obicei, drept sursă de atestare numai prima lucrare lexicografică în care termenul este înregistrat » (Suciu 2009, 49).
Il est donc impératif de distinguer soigneusement et d’évaluer séparément les attestations de première main (textuelles et/ou dialectales), relevées pour ainsi dire dans leur milieu naturel, où les unités lexicales sont utilisées dans des buts communicatifs purs, et les attestations secondaires (lexicographiques), où les unités sont soumises, en fonction du programme des lexicographes en question, à une analyse plus ou moins scientifique.
3.3.1 Attestations lexicographiques Dans ce qui suit, la série des onze dictionnaires de référence du roumain de la fin du 19e et du 20e siècles cités ci-dessus (Cihac, EWRS, Tiktin1–3, CADE, DLRM, Ciorănescu, DLR, DEX1-2/3, MDA, NDU et DEXI) sera complétée par huit dictionnaires remontant au 17e, au 19e et au début du 20e siècle : Anon. Car. [ca 1650],
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Bobb (1823), Stamati (1852), Bariţiu/Munteanu (1853), Laurian/Massim (1876), Barcianu (11868–31900), Gheţie (1896) et Alexi (21905 [11894]), auxquels nous ajouterons Cihac (1870), déjà cité, afin que le tableau du cheminement de rugi à travers les dictionnaires des différentes époques soit le plus complet possible. La plus ancienne attestation lexicographique de rugi que nous ayons relevée se trouve dans le premier dictionnaire roumain-latin, connu sous le nom de Anonymus Caransebesiensis, daté de ca 1650 : « [dacoroum.] rugesc – [lat.] rugio » (Anon. Car. 116). Puis on passe au Dicţionariu rumânesc, latinesc şi unguresc de Bobb (1823), qui présente les données suivantes : « rugesc [lat.] ‘rugio’, rugire [lat.] ‘rugitus’, rugesc ca asinu [‘(je) brais comme un âne’], rugesc spre el [lat.] ‘irrugio’ ». En en jugeant surtout sur la base des contextes illustratifs, crées ad hoc par le lexicographe, il doit s’agir chez ce pionnier parmi les lexicographes latinomanes (cf. Seche 1966, 28–29) d’un emprunt forgé artificiellement. L’entrée brüllen (‘rugir’) du dictionnaire allemand-roumain de Stamati (1852) propose les équivalents roumains « rugi, rage, răcni, mugi » (‘rugir, hurler, beugler’], avec la précision « (despre lei, boi etc.) » ( ‘en parlant des lions, des bœufs etc.’). Ce lexicographe se distingue par l’introduction de nombreux latinismes et gallicismes ; en voici quelques exemples : – crimen s. ‘amende’ (s.v. Brüche, Brüchte : « crimen ; gloabă în bani » [‘crimen ; amende pécuniaire’]) ; – floghistic adj. et/ou s. ‘(relatif à la) matière combustible’ (s.v. Brennstoffig : « (în hemie) materie arzătoare ; floghistic » [(en chimie) ‘matière combustible ; phlogistique’]) ; – feralbariu s.m. ‘ferblantier’ (s.v. Klempner : « feralbariu, tinichigiu » [‘ferblantier’] ; calque structurel d’après fr. ferblantier) ; – pondu s. ‘poids’ (s.v. Klender : « pondu (greutate) » [‘poids’]). Pour cette raison, le verbe rugi s’analyse chez Stamati, selon toute probabilité, comme un latinisme ou un gallicisme. Bariţiu/Munteanu (1853), un autre dictionnaire allemand-roumain, donne s.v. brüllen les mêmes équivalents roumains que Stamati (1852), sauf qu’ils sont cités à la troisième personne du singulier : « rugeşte, rage, răcneşte, mugeşte », suivis d’une précision similaire à celle de Stamati : « (leul, boul şcl.) » [‘le lion, le bœuf etc.’]. Tous ces éléments représentent des indices clairs que Bariţiu et Munteanu se sont inspirés du dictionnaire de Stamati. Pour en revenir à Cihac 1 (1870), il présente le verbe (s.v. rugesc) comme un élément héréditaire, tout en lui adjoignant un certain nombre de supposés cognats romans (it. ruggire, occit. rugir, fr. ru(g)ir, esp. rugir et port. rugir), dont
10 | Victor Celac certains sont en réalité des emprunts, cf. Reinheimer Rîpeanu (2004) et Groß 2019 in DÉRom s.v. */ˈruɡ-i-/ n. 2–5. On peut supposer que Cihac a repris le verbe de Bobb (1823). Laurian et Massim (1876) s.v. rugire définissent « a sbera, a striga cu putere, mai vârtos vorbind de leu » (‘rugir, crier avec force, surtout en parlant des lions’) et proposent plusieurs exemples forgés : leul rugeşte, şi oamenii furioşi rugesc ca leii (‘le lion rugit, et les hommes furieux rugissent comme des lions’), rugeşte un biet bătut de durere (‘un malheureux battu crie de douleur’), ce rugiţi la noi ca nişte tigri ? (‘pourquoi rugissez-vous contre nous comme des tigres ?’), rugeşte şi bietul asin (‘le pauvre âne brait aussi’). Comme pour Bobb (1823), on est en face d’un élément introduit artificiellement dans la nomenclature d’un dictionnaire réputé comme un champion de la latinomanie (cf. Seche 1966, 131–180), dont les auteurs se sont peut-être inspirés de Bobb et/ou de Cihac. Le dictionnaire roumain-allemand de Barcianu (21886–31900) indique, s.v. rugésc, l’infinitif a rugí et le participe passé rugít et traduit par all. brüllen. Le dictionnaire roumain-hongrois de Gheţie (1896) enregistre lui aussi notre verbe : « rugesc IV ‘bög, bömböl, ordít’ [‘rugir, hurler’] ». Enfin, le dictionnaire roumain-allemand Alexi (21905 [11894]) propose, s.v. rugí, l’équivalent all. brüllen. Très probablement, Barcianu (21886–31900), Gheţie (1896) et Alexi (21905 1 [ 1894]) ont inclus ce verbe dans leurs dictionnaires en s’inspirant de la nomenclature de Cihac (1870) et/ou de celle de Laurian/Massim (1876) ; pour ce qui est de la première édition de Barcianu (11868), antérieure à Cihac (1870) et à Laurian/Massim (1876), elle ne contient pas le verbe.
3.3.2 Attestations littéraires Le DLR, le dictionnaire historique de référence du roumain, contient, outre des renvois aux dictionnaires de Bobb (1823), Barcianu (31900), Gheţie (1896) et Alexi (21905 [11894]), mentionnés ci-dessus, deux attestations textuelles de rugi. La plus ancienne d’entre elles, qui est aussi citée par EWRS, Tiktin1–3, Cioranescu no 7279, MDA et NDU, provient de l’ouvrage Viaţa şi petreacerea svinţilor (1682–1686) de Dosoftei, métropolite de Moldavie : « şi, cum ne deadem în laturi, adecă doi lei groznici veniră reapede din pustie şi cădzură la picioarele lui rugind de i să-nchinară » (‘nous nous retirâmes, et voilà que deux effroyables
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lions surgirent en rugissant, tombèrent à ses pieds et s’inclinèrent devant lui’, Dosoftei, V. S. 81).7 La seconde attestation du DLR a été relevée dans Tocilescu (1900, vol. 2, 624), un recueil de matériaux folkloriques, dans une formule incantatoire destinée à chasser la maladie relevée dans le village Drăgăneşti (département Teleorman, Munténie) : « tu izdate, Spurcate, Blestemate, Nu mugi ca bou, Nu râma ca porcu, Nu rugea ca câinele. Tu să ieşi cu durerile, Cu junghiurile » (‘toi, affreux et maudit malaise, ne mugis pas comme un bœuf, ne vermille pas comme un cochon, n’hurle pas comme un chien ; pars, avec les douleurs, avec les élancements’). Nos propres recherches ont permis de verser quatre attestations supplémentaires du verbe rugi au dossier, dont la première provient, comme l’attestation la plus ancienne, de Dosoftei. Elle fait partie d’une traduction interlinéaire du latin incluse dans Parimiile preste an : « Zbierătoriu atunce groaznic sunet bucinul va da din ceriu, [...] / Lumii năvarnic rău rugind şi osînde fiitoare, [...] / Ş-a Tartarului prăpaste va ivi pămîntul căscînd, [...] / Şi veni-vor toţîi craii la Domnul nainte-n giudeţ » (1683, Dosoftei, P. A. 287).
En latin, la ligne correspondant au vers où figure rugind est la suivante : « Orbis grande malium rughiens et damna futura » [‘Orbis grande malum rugiens et damna futura’, cf. Dosoftei, P. A. 288 n. 447]
La deuxième attestation dénichée par nous est tirée d’un ouvrage d’Ion HeliadeRădulescu (1802–1872), un écrivain, traducteur, journaliste et homme politique roumain : « leul îşi are gâtlejul şi plămânii spre a rugi, taurul spre a mugi, calul spre a nichieza » (‘la gorge et les poumons du lion sont faits pour rugir, ceux du taureau, pour mugir, ceux du cheval, pour hennir’, 1868, Heliade, O. 2, 370 = DLR s.v. mugi). La troisième attestation est due à l’historien Vasile Alexandrescu Urechia (1834–1901), qui traduit du grec moderne un panégyrique de la plume de Scarlat Slătineanu, publié en 1789 et adressé au prince Nicolae Mavrogheni de Valachie (1786–1790) : « el în imperiu este ca o floare odoriferantă, mare şi ilustru nu numai în Dacia. Şi un leu rugind de l-ar vedea, se va îmblânzi » (‘il est, dans l’empire, comme une fleure odoriférante, il est grand et illustre non seulement en Dacie. Même un lion rugissant s’apprivoisera en le voyant’] (Urechia 1892, vol. 3, 558).
|| 7 Nous avons vérifié cette citation dans l’édition princeps de 1682–1686.
12 | Victor Celac Enfin, la quatrième attestation provient de Barbu Delavrancea (1868–1918), prosateur, dramaturge et orateur, dans un discours tenu en 1907 à l’Athénée de Bucarest sur le poète italien Giosuè Carducci, qui venait de décéder. Plus précisément, il s’agit d’une traduction en prose d’un sonnet de Carducci : « eşti tu, Kleber, cu genele zbârlite, leu rugind... ? » (‘et toi, Kléber, es-tu un lion rugissant, avec tes cils hérissés ?’, 1907, Delavrancea, O. 5, 459). Étant donné la rareté des attestations disponibles de ce verbe, il nous semble utile de signaler aussi celles de ses dérivés, deux substantifs abstraits présentant le sens ‘rugissement’. Le premier, rugíre s.f., figure chez le poète symboliste Alexandru Macedonski (1854–1920) : « flăcările [iadului] sporesc... rugiri, hohotiri, şuierări, din când în când ţipete » (‘les flammes [de l’enfer] augmentent... des rugissements, des éclats de rire, des sifflements, de temps en temps des cris’, DLR s.v. rugire). Quant à rúget s.n., il apparaît chez le prosateur Calistrat Hogaş (1847– 1917) : « cât pe ce să zguduie masa şi pe toţi cei dimprejur cu rugetul de leu al râsului său » (‘il a failli ébranler la table et tous ceux qui étaient autour avec le rugissement de lion de son rire’, DLR s.v. ruget).
3.3.3 Attestations dialectales Pour ce qui est des attestations dialectales, il faut commencer par dire que les atlas linguistiques, qu’ils soient généraux (ALR et ALR SN) ou régionaux, ne fournissent aucune donnée pour le verbe rugi. Plus récemment, c’est Teofil Teaha (2011) qui signale des données dialectales qui, selon lui, prouveraient qu’on a affaire à un lexème héréditaire. L’auteur fait état de deux attestations enregistrées prés de la ville de Beiuş (département Bihor, Crişana), dans le nord-ouest du domaine dacoroumain. La première attestation a été recueillie personnellement par Teaha dans le village de Delani : « să ştii, măi muiere, că vaca asta umblă după boi, că rujéşte tare mult şi nu mai stă locului să pască, umblă tăt rujínd întruna » (‘que tu saches, ma chère : cette vache cherche toujours les bœufs, elle mugit toujours et elle ne veut pas du tout se reposer et paître, elle court toujours en mugissant’, Teaha 2011, 121). L’autre attestation provient du glossaire d’une monographie consacrée au village de Meziad (Miheş/Miheş/Miheş Papiu 2009) : « a rugi ‘a rage [= mugir]’ » (Teaha 2011, 122).
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3.3.4 Analyse des attestations dacoroumaines Les attestations lexicographiques de Bobb (1823), Stamati (1852), Bariţiu/ Munteanu (1853), Laurian/Massim (1876), Barcianu (1886), Gheţie (1896) et Alexi (21905 [11894]) et les attestations textuelles de Heliade-Rădulescu (1868), Urechia (1892) et Delavrancea (1907) représentent certainement des emprunts savants, les dérivés rugire chez Macedonski et ruget chez Hogaş s’y rattachant également. Toutefois, même si l’analyse de ces données comme des emprunts est hors de doute, leur origine précise nous semble moins claire : en conformité avec ce que l’on sait sur le contexte culturel des auteurs en question, on peut supposer que chez Bobb et Laurian/Massim, il s’agit plutôt d’un latinisme, chez Stamati, Macedonski et Urechia, plutôt d’un gallicisme, et chez Heliade-Rădulescu, plutôt d’un italianisme. Le fait que le verbe rugi se réfère à des sons émis par des animaux plutôt qu’à une notion liée à la vie intellectuelle ne s’oppose pas à son analyse comme un élément savant. Les auteurs qui fournissent des attestations du verbe – notamment Heliade-Rădulescu, Laurian/Massim, Delavrancea et Macedonski – étaient des intellectuels de premier rang, qui voulaient imposer une certaine exemplarité dans l’usage langagier. Le verbe usuel rage v.intr. ‘rugir’, fréquent dans le registre familier, était perçu comme à la limite de la vulgarité, et ne leur convenait donc pas : c’est pourquoi ils ont eu besoin de l’emprunt rugi. Cet emprunt savant trouve par ailleurs des parallèles en français, en occitan, en espagnol et en galégo-portugais, qui présentent tous un latinisme, tandis que le catalan connaît un emprunt à l’espagnol (cf. Groß 2019 in DÉRom s.v. */ˈruɡ-i-/ n. 2–5). En revanche, l’attestation tirée de l’incantation pour guérir une maladie et celles relevées par Teaha se prêtent à une explication tout à fait différente. À notre avis, il faut les rapprocher de dacoroum. rage v.intr. ‘beugler, mugir (bovidés) ; rugir (lions) ; hurler (hommes)’ (< protorom. */ˈraɡ-e-/, cf. REW3 s.v. ragĕre), qui connaît une variante (plus rare) răgí, rîgí (râgí selon la réforme de l’orthographe de 1993),8 issue d’un changement de flexion. Voici les attestations qui se laissent ramener à cette variante : (1) « Iată că vrăjmaşul vostru, dracul, ca leul răgind îmblă încungiurând, căutând pre cine să înghiţă » (‘et voila que votre ennemi, le diable, va tout autour, en rugissant comme un lion et en cherchant à avaler n’importe qui’, 1567/1568, Coresi, T. Ev. 74).
|| 8 L’alternance consonantique [ʤ] ~ [ʒ] (dans răgi ~ râji, rugi ~ ruji etc.) est régulière dans plusieurs dialectes dacoroumains.
14 | Victor Celac (2) « Şi îndată să apropie la urechea taurului de-i şopti şi într-acelaş ceasu au răgit ca un dobitoc ş-au murit » (‘et tout de suite il s’approcha du taureau et lui chuchota à l’oreille, et aussitôt le taureau mugit comme une bête et mourut’, 1678/1689, chronographe anonyme,9 Ştrempel 1999, vol. 2, 298). (3) « Iară hirişiia cea mai chiară [a Bivolului] îi ieste totdeauna a răgi şi nepărăsit a mugi » (‘la manière la plus prégnante d’être [de Bivolul (NP < bivol s.m. ‘buffle’)] est de toujours mugir’ et « biholul într-acesta chip a răgi începu » (‘le buffle commença à mugir ainsi’, tous les deux av. 1704/1705, Cantemir, Istoria ieroglifică, Cândea 2003, 764 et 766). (4) « Ducă-se [boala] de pe om în codrii pustii... unde... vacă neagră nu râjeşte, secure nu ciocăneşte » (‘que [le malaise] laisse cet homme et qu’il parte dans les forêts inhabitées, là où la vache noire ne mugit pas, où la hache ne frappe pas’, 1899, Bihor, formule incantatoire, DLR s.v. ráge). (5) « Ce răgeşti, tu văcuţă, / Ce mugeşti, tu văcuţă ? – Cum n-oi răgi, / Cum n-oi mugi... ? » (‘pourquoi mugis-tu, ma petite vache... ? – Comment pourrais-je ne pas mugir... ?’, 1904/1913, Maramureş, formule incantatoire, Datcu 21968 [11924], vol. 2, 408 ; cf. l’alternace avec le synonyme mugi). (6) « Ce răgeşti […], Suraio ? » (‘pourquoi mugis-tu […], Suraia [nom d’une vache] ?’, 1925, Maramureş, formule incantatoire, DLR s.v. ráge). (7) Enfin, ALR SN 297, « (le bœuf, la vache) mugit », enregistre dans quatre points (Transylvanie, Maramureş, Crişana) des formes de type răgeşte.
Les données recueillies par Teaha pour rugi (cf. ci-dessus 3.3.3) s’articulent bien avec cet ensemble d’attestations du type răgi/râji : au niveau référentiel, le sujet désigne toujours une vache, au niveau paradigmatique, la voyelle du radical n’est jamais accentuée dans les formes attestées, ce qui explique son instabilité (răgeşti, râjeşte), enfin, la répartition géographique des types rugi et răgi/râji se superpose partiellement (Maramureş et Crişana). Nous pensons donc que les données publiées par Teaha attestent un verbe rugi homonymique de l’emprunt savant traité ci-dessus, qui ne présente aucun lien ni avec protorom. */ˈruɡ-i-/ ni avec lat. rugire. En effet, nous y voyons une forme évoluée du verbe rage ‘beugler ; rugir ; hurler’ (< protorom. */ˈraɡ-e-/, cf. REW3 s.v. ragĕre), à travers les stades intermédiaires suivants : ráge > răgí (changement de flexion) > râgí/râjí (fermeture en [i̵] de la voyelle devenue non accentuée) > rugí/rují (arrondissement en [u]). On notera que le changement de conjugaison et l’arrondissement de la voyelle ([ə] > [i̵] > [u]) ont pu être favorisés par une analogie avec le synonyme dacoroum. mugi v.intr. ‘beugler, mugir (bovidés)’ (< protorom. */ˈmuɡ-i-/, cf. REW3 s.v. mūgīre).
|| 9 Cf. Dragomir (2007 et 2008), qui examine les hypothèses avancées au fil du temps et aboutit à la conclusion que l’auteur de ce chronographe est Nicolae Milescu Spătarul.
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Pour ce qui est plus particulièrement de l’arrondissement de [ə] et [i̵] à [u] en position atone, les exemples suivants, où on a affaire à des évolutions phonétiques spontanées, représentent des parallèles : – întâmpina (gén.) ~ tâmpina (veilli, rég.) v.tr. ‘aller au-devant (de qn) ; rencontrer ; accueillir’ > întumpina ~ tumpina (formes vieillies et rares signalées sporadiquement depuis le 17e siècle, cf. DLR s.v. tîmpina, ScribanDicţionaru s.v. întîmpin et DA s.v. întâmpina) ; – răşină s.f. ‘résine’ (gén.) > râşină > ruşină (les deux dernières formes sont rares, cf. DLR s.v. răşină) ; – răşlui v.tr. ‘rogner’ (gén.) > ruşui, ruşei, ruşii (les trois dernières formes sont rares, cf. DLR s.v. răşlui) ; – şirin s.n. ‘antenne des vaisseaux à voiles ; tronc de sapin long et mince’ (mold. ; < turc seren) > *şârin > şurin (toutes les formes sont rares ; cf. Suciu 2009, 248 ; 2010, 704 et DLR s.v. şirin) ; – şişanea s.f. ‘type de fusil allongé utilisé autrefois’ (< turc şişane, vieilli) > şâşanea > şuşanea (c’est cette dernière forme qui est usuelle dans la langue actuelle ; cf. Suciu 2009, 248 ; 2010, 706 et DLR s.v. şuşanea) ; – tâmpit adj. ‘émoussé, ébreché ; sot, idiot, ahuri’ (gén.) > tunchit (mold. [compétence personnelle]). Le fait qu’il existe aussi l’évolution inverse ([u] > [ɨ]) plaide pour le caractère spontané de ce phénomène : – bucată s.f. ‘morceau, pièce, bout’ (gén.) > bâcată (mold., cf. ScribanDicţionaru) ; – bulci s.n. ‘foire’ (< hongr. bulcsú ; vieilli et rare, cf. DA s.v. bâlciu et DELR) > bâlci (gén.). Pour ce qui est de l’attestation relevée par le DLR dans une formule incantatoire citée par Tocilescu (1900), « nu rugea ca câinele » (cf. ci-dessus 3.3.2), elle exhibe un changement de flexion, ce qui n’étonne guère dans ce type de textes, remplis de toutes sortes de bizarreries lexicales et morphologiques (cf. Densusianu 1968 et Rosetti 1975). À notre avis, il faut y voir également une forme évolutive à partir de rage et non pas, comme le propose Densusianu (1968, 272 n. 2), une bévue du correcteur pour *rupea (< rupe), la leçon correcte devant être selon lui « nu rupea ca câinele » (‘ne romps pas comme un chien’), hypothèse difficile à défendre pour des raisons sémantiques. Quant à l’attestation tirée du Dictionarium Valachico-Latinum de ca 1650 (Anon. Car.), il peut s’agir soit d’un latinisme occasionnel, soit d’une occurrence de la forme évoluée de rage ‘mugir’. L’auteur était forcément un bon connaisseur
16 | Victor Celac du latin, ce qui pourrait orienter vers un latinisme, d’autant que le dictionnaire en contient un certain nombre, comme artic ‘article’, mod ‘mode, manière’ ou encore probă ‘preuve’ (cf. Chivu in Anon. Car. 59). De plus, le lexicographe connaissait bien le verbe latin rugire, qu’il utilise dans sa métalangue comme équivalent de dacoroum. recnesc (= răcnesc) ‘(je) hurle’ (ibid. 114) et de zbier ‘id.’ (ibid. 132). Toutefois, rugi serait alors le seul latinisme verbal d’Anon. Car., ce qui peut peut-être compter comme un argument en faveur de l’hypothèse d’une forme évolutive à partir de rage ‘mugir’. Rappelons dans ce contexte que les formes răgi, râgi/rîgi, qui se rattachent sans aucun doute possible à rage remontent déjà au 16e siècle. L’attestation de Dosoftei, P. A. (« Lumii năvarnic rău rugind ») que nous avons versée au dossier semble constituer un emprunt ponctuel au latin, vu qu’elle est tirée d’une traduction interlinéaire (l’original porte lat. rughiens, à lire rugiens), sans parler du fait que Dosoftei est connu pour ses latinismes.10 Par voie de conséquence, on peut voir dans l’attestation de Dosoftei, V. S. (« doi lei groznici […] rugind »), largement exploitée par la lexicographie (cf. cidessus 3.3.2), le même latinisme. Toutefois, il pourrait tout aussi bien s’agir d’une occurrence de la forme évolutive à partir de rage, surtout que le même texte de Dosoftei connaît aussi la variante răgi (le chaînon intermédiaire dans la série des transformations supposées par nous : rage > răgi > râgi > rugi), qui se réfère également à un lion : « mirosându-i mormântul dinpregiur, mugind cu jeale, deacii răgi [leul] tare deasupra mormântului svântului » (‘le lion renifla la tombe du saint tout autour, puis se mit à mugir avec affliction et à rugir fortement au-dessus de la tombe’, Dosoftei, V. S. 293). Qui plus est, dans un autre texte de Dosoftei, le Psaltirea slavo-română, daté de 1680, figure la forme râgiĭam ‘(je) hurlais’ (Dosoftei, P. S. R. 72 ; cf. aussi 466 [glossaire]), que le DLR cite s.v. rage, affirmant ainsi que râgiĭam s’inscrit dans la série évolutive que nous postulons (rage > răgi [> râgi > rugi]). En réalité, les deux hypothèses en lice – latinisme ou création interne sur rage – pourraient sans doute être réconciliées. Compte tenu du fait que Dosoftei emploie toute une série de verbes paronymiques, tous présentant le sens ‘rugir’ – rugi, răgi/râgi et rage (Dosoftei, P. V. 287) –, on peut penser que l’emprunt au
|| 10 Pour les latinismes dans la langue de Dosoftei, cf. Moraru (1997, 412), Ivănescu (2000, 584), Manea (2006, 422–423) et Dragomir (2008, 86–96). En outre, l’importance non négligeable de l’élément latin savant chez cet auteur ressort aussi des nombreux dérivés créés par lui à partir de radicaux latins (ainsi înformuire, furmuit, neînformuit ou plăzmătareţ, plăzmător, plăzmui, plăzmuire) et au nombreux calques d’après le latin (par exemple nematerialnic, nemăculat, nefigurat, tous Dragomir 2014).
1.1 À partir de l’expérience de révision du DÉRom | 17
latin, dans le contexte des vers interlinéaires de Dosoftei, P. A., a été favorisé ou même déterminé par l’association avec răgi/râgi, que Dosoftei connaissait de la langue de son époque. En d’autres mots, rugi peut représenter, dans les textes de Dosoftei, le résultat d’une fusion d’un emprunt à lat. rugire avec la formation idioromane roumaine sur rage (răgi/râgi).11
3.4 Synthèse Nous pouvons donc affirmer que selon toute probabilité, protorom. */ˈruɡ-i-/ v.intr. ‘rugir ; gronder’ n’a pas été continué en roumain, à la différence de son parasynonyme */ˈraɡ-e-/ v.intr. ‘mugir’ (cf. REW3 s.v. ragĕre, qui cite des issues en roumain et en français, auxquelles s’ajoutent des dérivés qui attestent indirectement un héritage perdu en sarde et dans quelques dialectes italiens).12 Aroum. (a)rujéaşte ‘(il) hennit’ représente un emprunt à protosl. rŭžati v.intr. ‘hennir’. Pour ce qui est du dacoroumain, nous avons vu que sous le chapeau du lemme rugi, les ouvrages de référence rassemblent des attestations qui ne forment pas un seul et unique lexème, mais se rattachent pour partie à un emprunt savant et pour partie à une formation idioromane sur dacoroum. rage ‘rugir’. Rappelons que c’est notamment une attestation de Dosoftei qui est traditionnellement citée à l’appui de l’analyse de dacoroum. rugi comme un élément héréditaire (EWRS ; Tiktin1–3 ; Cioranescu no 7279 ; NDU). Toutefois, en ouvrant la perspective à l’ensemble des attestations que nous avons réunies ici, il apparaît qu’il est quasiment exclu que l’attestation chez Dosoftei représente un lexème héréditaire. Ce résultat de nos recherches a donné lieu à la note 1 de l’article */ˈruɡ-i-/. Qu’il nous soit permis, pour finir, de proposer quelques améliorations pour le traitement lexicographique futur de dacoroum. rugi. Très probablement, c’est l’aspect savant des dérivés rugire s.f. (chez Macedonski) et ruget s.n. (chez Hogaş) qui a incité les auteurs du DLR à qualifier le verbe, contrairement à la doxa, comme un emprunt au latin. Cette solution étymologique est correcte dans le sens que rugire et ruget se rattachent à l’emprunt savant rugi. Mais dans les données || 11 En raison de l’écart sémantique (‘hennir’/’rugir’), nous pensons pouvoir exclure l’hypothèse d’un emprunt à aroum. (a)rujéaşte ‘(il) hennit’, même s’il devait apparaître que Dosoftei était, comme certains auteurs le pensent (cf. Onu in Herodot2 648 ; Ivănescu 2000, 584), d’origine aroumaine. 12 Les corrélats du latin écrit de ces deux verbes sont attestés rarement et tardivement. Malgré les incertitudes qui persistent quant à leur origine (cf. Ernout/Meillet4 s.v. rugiō et s.v. ragiō ; OLD s.v. rūgiō ; IEEDLatin s.v. rūgiō), il s’agit bien de lexèmes d’origines différentes.
18 | Victor Celac citées par le DLR s.v. rugi, seuls les dictionnaires de Bobb, Gheţie, Barcianu et Alexi attestent cet emprunt savant. Pour une éventuelle seconde édition du dictionnaire, on pourra y ajouter les attestations que nous versons ici au dossier : Stamati (1852), Bariţiu/Munteanu (1853), Laurian/Massim (1876), HeliadeRădulescu (1868), Urechia (1892) et Delavrancea (1907). En outre, il serait utile de préciser que le doute est permis pour les attestations d’Anon. Car. et de Dosoftei, qui pourraient représenter tant le latinisme que la formation roumaine. Pour ce qui est de l’attestation de Tocilescu (1900) que le DLR recense s.v. rugi, elle doit en être séparée, car elle ne représente pas le latinisme, mais la formation interne à partir de rage, tout comme les attestations recueillies par Teaha, qui représentent donc son point de rattachement lexicographique. En roumain actuel, l’emprunt savant rugi n’est guère utilisé, ni même connu. Rappelons que les dernières attestations textuelles de ce verbe et de ses dérivés datent du début du 20e siècle (Macedonski, Delavrancea, Hogaş). Les dictionnaires de la langue actuelle comme le DEX2/3 pourraient donc tout à fait se dispenser de l’enregistrer.
4 Conclusion Dans la mesure où le projet DÉRom traite, dans ses premières phases, essentiellement des étymons réputés (plus ou moins) panromans, comme */ˈann-u/ s.m. ‘an’ (cf. Celac 2008–2014 in DÉRom s.v.), */ˈman-u/ s.f. ‘main’ (cf. Groß/Schweickard 2012–2017 in DÉRom s.v.) ou encore */ˈplak-e-/ v.tr.indir. ‘plaire’ (cf. Andronache 2014–2019 in DÉRom s.v.), on a pu objecter qu’il s’agit là d’étymons déjà bien établis, qui ne valent pas la peine d’être reconsidérés (Kramer 2011, 196). Toutefois, l’approche du DÉRom, fondé sur la reconstruction comparative, offre des résultats dignes de toute attention, car ils font souvent des pas significatifs en avant par rapport aux résultats de l’étymologie romane traditionnelle. Nous croyons avoir démontré, par l’intermédiaire des deux cas examinés dans ce chapitre (*/ˈkɔrd-a/ et */ˈruɡ-i-/), que la fiabilité de l’analyse du DÉRom, la précision avec laquelle on arrive à identifier et à décrire les étymons protoromans (output) dépend, de manière significative, d’une bonne maîtrise des données romanes appelées à la reconstruction (les données en input). Ceci étant, le DÉRom, avec ses exigences relatives aux données romanes sur lesquelles il s’appuie, peut servir comme un stimulateur sui generis pour certains ouvrages de référence en cours d’élaboration – et nous pensons notamment aux deux grands chantiers en cours de la linguistique historique roumaine, le DELR et la refonte du DA. Nous émettrons donc le souhait que ces deux dictionnaires puissent
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profiter au maximum des perspectives ouvertes par le renouvellement méthodologique initié par le DÉRom, en particulier pour ce qui est de l’attention portée à l’étymologisation individuelle de chaque unité lexico-sémantique.
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1.1 À partir de l’expérience de révision du DÉRom | 21
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Jérémie Delorme
1.2 Du niveau protoroman au niveau microroman, et vice versa Le DÉRom au prisme d’un microglossaire francoprovençal
1 Introduction Comment les particularités d’un parler francoprovençal individualisé (considérons par exemple celui du Grand-Bornand, en Haute-Savoie) s’articulent-elles sur le type francoprovençal (c’est-à-dire sur le francoprovençal typique, ou sur le francoprovençal en général), tel qu’il est établi dans le cadre d’un dictionnaire d’étymologie panromane comme le Dictionnaire Étymologique Roman (DÉRom) en vue d’alimenter en données le travail de comparaison-reconstruction dont procèdent les étymons consituant les entrées de ce dictionnaire ?1 Comment la cohérence de cette articulation de l’extrêmement particulier sur l’extrêmement général, donc du microroman sur le panroman, est-elle garantie ? Et en quelle mesure les écarts observés entre le parler du Grand-Bornand, tel qu’il a été décrit au travers de plusieurs enquêtes conduites depuis les années 1900 jusqu’aux années 2010, et cette construction abstraite qu’est le francoprovençal typique du DÉRom, ne ruinent-ils pas l’édifice de ce dictionnaire ?
|| 1 Le chapitre qui s’ouvre reprend en partie le thème et le titre d’une communication (« Du niveau panroman au niveau microroman, et vice versa : tests de réversibilité entre les sources francoprovençales de l’étymologie romane, le Dictionnaire Étymologique Roman (DÉRom) et un groupe de parlers francoprovençaux du haut Genevois ») prononcée à l’occasion du 27e Congrès international de linguistique et de philologie romanes, tenu à Nancy du 15 au 20 juillet 2013. Le corpus d’articles du DÉRom alimentant cette communication (72 articles publiés en ligne à la date du 24 juin 2013) a été ici mis à jour (il passe à 177 articles) ; la dimension introductoire de cette communication, qui entendait faire de ces tests de réversiblité l’argument d’une présentation des principes du DÉRom à un public non familier, a été ici abandonnée (en matière d’introduction à l’art déromien, les deux précédents volumes du DÉRom – cf. Buchi/ Schweickard 2014 et 2016 – en disent assez). Enfin, le caractère illustratif de cette présentation originelle, tributaire d’une démonstration souscrivant au format d’une communication de congrès, ne s’impose plus dans le chapitre d’un volume collectif ; on adoptera donc ici, sous le régime de l’exhaustivité, le format d’un petit glossaire. || Jérémie Delorme, Glossaire des patois de la Suisse romande (GPSR), av. DuPeyrou 4, CH-2000 Neuchâtel, [email protected]. https://doi.org/10.1515/9783110654264-002
24 | Jérémie Delorme Il ne semble possible de répondre à ce triple questionnement (lequel, au fond, revient à s’interroger sur la représentativité qu’exerce le francoprovençal typique à l’égard des parlers francoprovençaux dans leur diversité, et, à l’inverse, sur l’exemplarité d’un parler francoprovençal quelconque au sein de l’ensemble des parlers francoprovençaux) qu’en évaluant les convenances logiques régissant, dans chacun des 177 articles du DÉRom publiés à ce jour,2 l’hypothèse d’intension qui se situe au fondement de l’étiquetage déromien des langues non élaborées : les étiquettes glottonymiques du DÉRom désignent des idiomes fonctionnant comme langues-toits par rapport à divers parlers auxquels on forme implicitement l’hypothèse que peut s’appliquer le phénomène lexical (ou, parfois, grammatical) attesté par la langue-toit qui les abrite.3 Cette évaluation sera formulée ici au travers d’un glossaire établissant les convergences et les écarts entre le parler du Grand-Bornand et le francoprovençal en général, et distribué entre les modes d’articulation principaux qui régissent ces convergences et ces écarts : Cas où le parler du Grand-Bornand est à l’exemple du francoprovençal en général : (1) si le parler du Grand-Bornand continue un type protoroman T, on doit s’attendre à ce que celui-ci soit continué par le francoprovençal en général ; (2) à l’inverse, si le francoprovençal en général ne continue pas T, on doit s’attendre à ce que le parler du Grand-Bornand ne le continue pas. (3) Non-congruence entre certaines variétés francoprovençales et le parler du Grand-Bornand (et exemplarité du parler du Grand-Bornand par rapport à certaines variétés francoprovençales) : si seule une variété francoprovençale continue un type protoroman T, mais qu’elle n’abrite pas le parler du GrandBornand, on ne doit pas s’attendre à ce que celui-ci continue T ; cela revient à dire que le parler du Grand-Bornand, ne continuant pas T, est exemplaire de la variété francoprovençale ou des variétés francoprovençales qui, ne continuant pas non plus T, l’abritent. (4) Non-implication du francoprovençal en général sur le parler du GrandBornand : il n’est pas nécessaire qu’un type protoroman T soit continué par le francoprovençal en général pour s’attendre à ce qu’il le soit spécialement par le
|| 2 Articles publiés en ligne à la date du 31 août 2019. 3 Pour les détails du programme lexicographique gouvernant la rédaction des articles du DÉRom, on se reportera au Livre bleu (la couverture de l’ouvrage original, recueil à l’usage interne des participants au projet, plusieurs fois réédité et augmenté, était bleue), dans sa version la plus récente (en ligne ; on consultera notamment les mises à jour, respectivement en date des 11 et 20 août 2019, de Celac 2016 et de Morcov 2016).
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parler du Grand-Bornand ; cela revient à dire que le parler du Grand-Bornand peut ne pas être exemplaire du francoprovençal en général. Toute entorse à ces quatre relations élémentaires (principe d’exemplarité [1], principe de représentativité [2], principe de non-congruence [3], principe de nonimplication [4]) conduirait à renoncer à l’hypothèse d’intension structurant le DÉRom. Pour valider cette hypothèse, et donc s’assurer de la bienfacture de l’édifice déromien, il ne semble dès lors être d’autre solution que d’examiner si, pour chacun des 398 types protoromans4 reconstruits par le DÉRom au travers de sa nomenclature de 177 articles, les rapports qu’il est possible, sur la base de la documentation disponible, d’établir entre le parler du Grand-Bornand et le francoprovençal en général souscrivent à ces quatre relations logiques. On s’est aperçu que les modalités régissant ces quatre relations constituaient les bases d’un ordre de logique mathématique qui a été reformulé, voilà plus de trois siècles et demi, par les Messieurs de Port-Royal (Arnauld/Nicole 1992 [1662]). Les modes de syllogisme correspondant à ces quatre relations – DARAPTI, CELARENT, CESARE, BOCARDO dans la terminologie mnémotechnique forgée par Arnauld et Nicole – étant tous de type conclusif, donc propres à appuyer ou rejeter de manière décisive la validité de notre hypothèse d’intension, la logique de Port-Royal s’applique bien à la démonstration que le DÉRom est fondé, en tout cas en ce qui concerne l’intégration de données issues de langues non élaborées au travail de comparaison-reconstruction, sur des bases solides (ou, du moins, obéissant aux règles de cette logique). Le microglossaire que l’on se propose de construire, à trois niveaux (protoroman/francoprovençal typique/parler du Grand-Bornand), se verra dès lors réparti entre les quatre modes conclusifs DARAPTI, CELARENT, CESARE et BOCARDO (cf. ci-dessus), dont chacun commande un sous-glossaire dont les articles ont la prétention d’appuyer (sinon de rejeter) la validité de l’hypothèse structurante, et donc de conclure. Au préalable, on précisera la structure de ce microglossaire (section 2) et l’on énoncera l’inventaire des sources des données francoprovençales et, spécialement, bornandines qui l’incarnent (section 3). Chacun de ces quatre sous-glossaires (section 4) sera introduit par une notice sommaire s’ouvrant sur une définition combinant une citation de l’exemple canonique fabriqué par Arnauld et Nicole pour illustrer chacun des modes conclusifs à une citation de l’énoncé qu’ils ont forgé pour en décrire le mécanisme, continuée par un paragraphe d’application et s’achevant sur quelques observations.
|| 4 C’est-à-dire les 398 « étymons directs » (cf. Celac 2016, 266), répartis entre 177 articles.
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2 Structure Dans le glossaire qui suit, les articles du DÉRom, réduits à l’essentiel (autant que possible dans le respect des normes rédactionnelles propres à ce dictionnaire), servent d’amorces : ce qui n’intéresse pas les données francoprovençales et l’équation étymologique qui les lie à leur étymon protoroman direct est évacué, tandis que les données spécifiques au parler du Grand-Bornand font l’objet d’une nouvelle rubrique (introduite par un carreau noir : « ♦ »). Chaque article, à l’image de l’article ci-dessous, se décompose donc en un bloc protoroman, un bloc francoprovençal, un bloc bornandin et éventuellement un renvoi interne. */ˈauɡuila/ s.f. ‘aigle’ (sous */ˈakuila/, type V. [évolutif > */ˈauɡuila/]) > frpr. ˹uʎə˺ m./f. (ALF 13 ; Gauchat/Muret in GPSR 1, 201–204 ; FEW 25, 72a). ♦ Gborn. [ˈau̯ ʎe] (TappoletEnquête no 170). – En revanche, gborn. [ˈaɔ̯ ɡle] (id.) est sans doute tributaire de fr. aigle (< protorom. */ˈaikula/, sous */ˈakuila/, type II. [évolutif > */ˈaikula/]), tandis que gborn. [ˈeɡʎo] m. (DelormeEnquêtes) en est emprunté. Gborn. [ˈavʎə] f. (?) (PailletGrandBornand 22) intrigue ; confusion avec [ˈavʎə] s.f. ‘abeille’ (DelormeEnquêtes), [ˈavʷʎə] (PoulatGrand-Bornand 125) ? Le témoin de PailletGrand-Bornand ne désignant l’abeille qu’au moyen du composé [ˈmyθ a ˈmjer] (PailletGrand-Bornand 24), peut-être suscité par la question de l’enquêtrice (mouche à miel), on ne peut complètement exclure que ce témoin ait nourri une confusion paronymique entre [ˈavʎə], qu’il n’aurait plus su relier à ‘abeille’, et [ˈau̯ ʎe] ‘aigle’. – Cf. ci-dessous (127).
2.1 Bloc protoroman Le bloc protoroman est constitué de quatre éléments : (1) Mot-forme représentant l’étymon protoroman direct (« */ˈauɡuila/ »). (2) Catégorie grammaticale (« s.f. »). (3) Signifié (« ‘aigle’ »), réduit ici à une simple glose (on le retrouvera sous forme de définition componentielle [‘oiseau de proie diurne (famille des Aquilidés) de très grande taille (d’une envergure très étendue, au bec crochu du bout, aux tarses emplumés, aux serres puissantes et doué d’une vue perçante)’] dans l’article du DÉRom correspondant). (4) Éventuellement, signifiant de l’étymon fournissant le lemme de l’article du DÉRom dont est extrait l’étymon direct (« sous */ˈakuila/ ») et/ou indication et intitulé du type que ce dernier représente (« type V. [évolutif > */ˈauɡuila/] »).
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2.2 Bloc francoprovençal Ce bloc de présentation des données francoprovençales sur lesquelles le DÉRom appuie la reconstruction de l’étymon direct est introduit par l’opérateur d’équation étymologique (« > »). Il peut contenir jusqu’à cinq éléments : (1) Étiquette glottonymique (« frpr. »). (2) Signifiant du cognat francoprovençal impliqué dans la reconstruction de l’étymon direct (« ˹uʎə˺ »). (3) Si elle diffère, catégorie grammaticale du cognat, sous une formulation réduite à l’expression des traits qui la différencient (« m./f. »). (4) Éventuellement, son signifié, s’il diffère du sens étymologique (cf. article no 40 : « ‘emprunter’ »). (5) Sa référence bibliographique (« ALF 13 ; Gauchat/Muret in GPSR 1, 201– 204 ; FEW 25, 72a »).
2.3 Bloc bornandin Ce bloc de présentation des données propres au parler du Grand-Bornand est introduit par un carreau noir (« ♦ ») ; il regroupe jusqu’à cinq éléments : (1) Étiquette glottonymique (« gborn. »). (2) Signifiant de l’unité bornandine que subsume le type francoprovençal analysé dans le bloc précédent (« [ˈau̯ ʎe] »), éventuellement accompagné de variantes (cf. article no 26 : « [ˈerba] (TappoletEnquête nos 76, 328* ; PoulatGrandBornand 69 et passim ; PailletGrand-Bornand 29 ; DelormeEnquêtes), [ˈɪrba] (TappoletEnquête no 76), [ˈɛrba] (PailletGrand-Bornand 58) »), énoncées dans l’ordre chronologique des sources ; le symbole « Ø » signale qu’il n’est pas retrouvé de cognat dans le parler du Grand-Bornand (cf. article no 105). Plusieurs notations phonétiques propres aux parlers du Grand-Bornand ont été simplifiées ; en particulier, on retiendra que : – [a] en position finale posttonique correspond généralement à [ɐ] ; [e] et [o] dans la même position à [ɘ] et [ɞ] respectivement ; – [ə] représente une voyelle mi-ouverte (voire pré-ouverte) et centrale, arrondie ou non ; [œ] peut tendre vers [ø] ; – [ã] vaut pour une articulation postérieure et arrondie ([ɒ̃ ]), [ɛ̃ ] pour diverses articulations non-arrondies et mi-ouvertes ou pré-ouvertes ([ɛ̃ ], [ɐ̃ ], [ʌ̃ ] etc.) ; – le trait de longueur (noté [ː]) n’est pas mentionné, sauf dans le cas de voyelles toniques d’oxytons ou de voyelles atones ; – [r] réunit [r], [ɾ], [ʀ], [ʁ], [x] ; – [d̪ ] représente une occlusive interdentale.
28 | Jérémie Delorme (3) Éventuellement, son signifié, s’il diffère du sens étymologique (cf. article no 86 : « ‘péché’ »). (4) Sa source (« TappoletEnquête no 170 »). (5) Éventuellement, derrière un tiret demi-cadratin (« – »), une ou plusieurs remarques servant à expliquer une irrégularité ou justifier la mise à l’écart d’une ou de plusieurs variantes (« En revanche, gborn. [ˈaɔ̯ ɡle] (id.) est sans doute tributaire de fr. aigle (< protorom. */ˈaikula/, sous */ˈakuila/, type II. [évolutif > */ˈaikula/]), tandis que gborn. [ˈeɡʎo] m. (DelormeEnquêtes) en est emprunté. Gborn. [ˈavʎə] f. (?) (PailletGrand-Bornand 22) intrigue ; confusion avec [ˈavʎə] s.f. ‘abeille’ (DelormeEnquêtes), [ˈavʷʎə] (PoulatGrand-Bornand 125) ? Le témoin de PailletGrand-Bornand ne désignant l’abeille qu’au moyen du composé [ˈmyθ a ˈmjer] (PailletGrand-Bornand 24), peut-être suscité par la question de l’enquêtrice (mouche à miel), on ne peut complètement exclure que ce témoin ait nourri une confusion paronymique entre [ˈavʎə], qu’il n’aurait plus su relier à ‘abeille’, et [ˈau̯ ʎe] ‘aigle’ »). On ne se prive pas, le cas échéant, de citer en entier ou en partie toute analyse tirée des articles du DÉRom, pourvu que son auteur explique une irrégularité ou justifie un rejet (cf. article no 97 : « ‹La forme de cette issue n’est pas régulière ; elle a probablement subi l’influence analogique de ront prés. 3 (cf. von Wartburg in FEW 10, 574a n. 1)› » (Morcov 2014–2015 in DÉRom s.v. */ˈrʊmpe/ n. 4 [version du 12/11/2015]) ›).
2.4 Renvoi interne Placé en fin d’article derrière un tiret demi-cadratin, il signale les articles dont l’entrée est représentée par un étymon direct procédant du même lemme étymologique (cf. article no 48 : « Cf. ci-dessous (167) et (168) »).
3 Sources 3.1 Sources obligatoires de l’étymologie francoprovençale La bibliographie de consultation et de citation obligatoires (sources qui doivent être consultées systématiquement pour l’établissement des données francoprovençales dans un article du DÉRom, et qui, si elles se révèlent pertinentes, doivent être citées obligatoirement dans cet article) comprend quatre références (cf. Morcov 2016, 349) :
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(1) FEW = Wartburg, Walther von, et al., Französisches Etymologisches Wörterbuch. Eine darstellung des galloromanischen sprachschatzes, 25 vol., Bonn/Heidelberg/Leipzig-Berlin/Bâle, Klopp/Winter/Teubner/Zbinden, 1922– 2002. – 164 citations (79,2 %).5 (2) GPSR = Gauchat, Louis/Jeanjaquet, Jules/Tappolet, Ernest, et al., Glossaire des patois de la Suisse romande, Neuchâtel/Paris, Attinger, 1924–. – 83 citations (40,1 %). (3) HafnerGrundzüge = Hafner, Hans, Grundzüge einer Lautlehre des Altfrankoprovenzalischen, Berne, Francke, 1955. – 74 citations (35,7 %). (4) ALF = Gilliéron, Jules/Edmont, Edmond, Atlas linguistique de la France (ALF), Paris, Champion, 1902–1910. – 106 citations (51,2 %).
3.2 Autres sources de l’étymologie francoprovençale Nous avons relevé 43 sources non obligatoires pertinentes pour les cognats francoprovençaux cités dans les 177 articles publiés sur le site web du DÉRom : (1) AIS = Jaberg, Karl/Jud, Jakob, Sprach- und Sachatlas Italiens und der Südschweiz, 8 vol., Zofingen, Ringier, 1928–1940. – Deux citations (1,0 %). (2) AlexAlbZ = Zufferey, François, Perspectives nouvelles sur l'Alexandre d'Auberi de Besançon, Zeitschrift für romanische Philologie 123 (2007), 385–418. – Quatre citations (1,9 %). (3) ALFSuppl = Gilliéron, Jules/Edmont, Edmond, Atlas linguistique de la France (ALF). Supplément, Paris, Champion, 1920. – Trois citations (1,4 %). (4) ALJA = Martin, Jean-Baptiste/Tuaillon, Gaston, Atlas linguistique et ethnographique du Jura et des Alpes du Nord (francoprovençal central), 3 vol., Paris, Éditions du CNRS, 1971–1978. – 19 citations (9,2 %). (5) ALLy = Gardette, Pierre, Atlas linguistique et ethnographique du Lyonnais, 5 vol., Lyon/Paris, Institut de linguistique romane des Facultés catholiques/Éditions du CNRS, 1950–1976. – Seize citations (7,7 %). (6) ALTFr = Duraffour, Antonin/Gardette, Pierre, Atlas linguistique des Terres froides, Lyon, Bibliothèque de la Faculté catholique des lettres, 1935. – Une citation (0,5 %). (7) BjerromeBagnes = Bjerrome, Gunnar, Le patois de Bagnes (Valais), Stockholm, Almqvist & Wiksell, 1957. – Une citation (0,5 %).
|| 5 L’univers statistique au sein duquel s’entendent ce nombre et ce pourcentage correspond aux 207 types protoromans reconstruits par le DÉRom et continués par le francoprovençal.
30 | Jérémie Delorme (8) CCSSavoyards = Centre de la culture savoyarde, Quand les Savoyards écrivent leurs patois, Conflans, Centre de la culture savoyarde, 1997. – Une citation (0,5 %). (9) CharbotDauphiné = Gariel, Hyacinthe (ed.), Dictionnaire de la langue vulgaire qu'on parle dans le Dauphiné par Nicolas Charbot, Grenoble, Edouard Allier, 1885 [1710–1719]. – Une citation (0,5 %). (10) ChenalValdôtain2 = Chenal, Aimé/Vautherin, Raymond, Nouveau dictionnaire de patois valdôtain, Quart, Musumeci, 1997. – Une citation (0,5 %). (11) DAO = Baldinger, Kurt, Dictionnaire onomasiologique de l’ancien occitan, 10 fasc., Tübingen, Niemeyer, 1975–2007. – Trois citations (1,4 %). (12) DAOSuppl = Baldinger, Kurt, Dictionnaire onomasiologique de l’ancien occitan. Supplément, 10 fasc., Tübingen, Niemeyer, 1980–2007. – Une citation (0,5 %). (13) DevauxEssai = Devaux, André, Essai sur la langue vulgaire du Dauphiné septentrional au Moyen Âge, Paris/Lyon, Welter/Cote, 1892. – Huit citations (3,9 %). (14) Devaux,RLaR 55 = Devaux, André/Ronjat, Jules, Comptes consulaires de Grenoble (1338–1340), Revue des langues romanes 55 (1912), 145–382. – Cinq citations (2,4 %). (15) DocLyonnais = Durdilly, Paulette (ed.), Documents linguistiques du Lyonnais (1225–1425), Paris, Éditions du CNRS, 1975. – Dix citations (4,8 %). (16) DocMidiM = Meyer, Paul, Documents linguistiques du Midi de la France, Ain, Basses-Alpes, Hautes-Alpes, Alpes-Maritimes, Paris, Champion, 1909. – Une citation (0,5 %). (17) DuraffourGlossaire = Duraffour, Antonin, Glossaire des patois francoprovençaux, Paris, Éditions du CNRS, 1969. – 24 citations (11,6 %). (18) EscoffierLyonnais = Escoffier, Simone/Vurpas, Anne-Marie (ed.), Textes littéraires en dialecte lyonnais. Poèmes, théâtre, noëls et chansons (XVIe– XIXe siècles), Paris, Éditions du CNRS, 1981. – Quatre citations (1,9 %). (19) GardetteÉtudes = Gardette, Pierre, Études de géographie linguistique, Strasbourg/Paris, Société de linguistique romane/Klincksieck, 1983. – Une citation (0,5 %). (20) Gignoux,ZrP 26 = Gignoux, Louis, La terminologie du vigneron dans les patois de la Suisse romande, Zeitschrift für romanische Philologie 26 (1902), 129– 168. – Une citation (0,5 %). (21) Girardin,ZrP 24 = Girardin, Joseph, Le vocalisme du fribourgeois au XVe siècle, Zeitschrift für romanische Philologie 24 (1900), 199–248. – Une citation (0,5 %).
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(22) GirRossDécH = Hackett, W. Mary (ed.), Girart de Roussillon. Chanson de geste, 3 vol., Paris, Picard, 1953–1955. – Trois citations (1,4 %). (23) GononDocuments = Gonon, Marguerite, Documents linguistiques du Forez (1260–1498), Paris, Éditions du CNRS, 1974. – Trois citations (1,4 %). (24) GononPoncins = Gonon, Marguerite, Lexique du parler de Poncins, Paris, Klincksieck, 1947. – Une citation (0,5 %). (25) GononTestaments = Gonon, Marguerite, La Langue vulgaire écrite des testaments foréziens, Paris, Les Belles Lettres, 1973. – Une citation (0,5 %). (26) Guigue,R 35 = Meyer, Paul/Guigue, Georges, Fragments du grand livre d’un drapier de Lyon (1320–1323), Romania 35 (1906), 428–444. – Une citation (0,5 %). (27) KläuiNebel = Kläui, Hans, Die Bezeichnungen für ‘Nebel’ im Galloromanischen, Aarau, Sauerländer, 1930. – Une citation (0,5 %). (28) MargOingtD = Duraffour, Antonin/Gardette, Pierre/Durdilly, Paulette (edd.), Les œuvres de Marguerite d’Oingt, Paris, Les Belles Lettres, 1965. – Douze citations (5,8 %). (29) NagyFaetar = Nagy, Naomi, Faetar, Munich, LINCOM, 2000. – Une citation (0,5 %). (30) PailletGrand-Bornand = Paillet, Chantal, Le parler du Grand-Bornand (Haute-Savoie), mémoire de maîtrise, Paris, Université de Paris-Sorbonne, 1976. – Une citation (0,5 %) ; cf. ci-dessous 3.3. (31) PfisterRoussillon = Pfister, Max, Lexikalische Untersuchungen zu Girart de Roussillon, Tübingen, Niemeyer, 1970. – Une citation (0,5 %). (32) Philipon,R 13 = Philipon, Édouard, Phonétique lyonnaise au XIVe siècle, Romania 13 (1884), 542–590. – Une citation (0,5 %). (33) Philipon,R 22 = Philipon, Édouard, Les parlers du Forez cis-ligérien aux XIIIe et XIVe siècles, Romania 22 (1893), 1–44. – Deux citations (1,0 %). (34) Philipon,R 30 = Philipon, Édouard, Morphologie du dialecte lyonnais aux XIIIe et XIVe siècles, Romania 30 (1901), 213–294. – Quatre citations (1,9 %). (35) ProsalegMussafia = Mussafia, Adolf/Gartner, Theodor (edd.), Altfranzösische Prosalegenden aus der Hs. der Pariser Nationalbibliothek Fr. 818. I. Theil, Vienne/Leipzig, Braumüller, 1895. – 18 citations (8,7 %). (36) ProsalegStimm = Stimm, Helmut, Altfrankoprovenzalische Übersetzungen hagiographischer lateinischer Texte aus der Handschrift der Pariser Nationalbibliothek fr. 818, I. Prosalegenden, Mayence/Wiesbaden, Akademie der Wissenschaften und der Literatur in Mainz/Steiner, 1955. – 23 citations (11,1 %). (37) PuitspeluLyonnais = Puitspelu, Nizier du, Dictionnaire étymologique du patois lyonnais, Lyon, Georg, 1887–1890. – Une citation (0,5 %).
32 | Jérémie Delorme (38) SeifertProparoxytona = Seifert, Eva, Die Proparoxytona im Galloromanischen, Halle, Niemeyer, 1923. – Une citation (0,5 %). (39) SommeCode = Royer, Louis/Thomas, Antoine (edd.), La Somme du Code. Texte dauphinois de la région de Grenoble, Paris, Imprimerie Nationale, 1929. – 19 citations (9,2 %). (40) TuaillonPoèmes = Tuaillon, Gaston (ed. et trad.), Laurent de Briançon, trois poèmes en patois grenoblois du XVIe siècle : ‹Lo Batifel de la gisen›, ‹Lo Banquet de le faye›, ‹La Vieutenanci du courtizan›, Grenoble, Centre alpin et rhodanien d’ethnologie, 1996. – Trois citations (1,4 %). (41) VilliéBeaujolais = Villié, Émile de, Glossaire du patois de Villié-Morgon en Beaujolais, Genève/Lille, Droz/Giard, 1950. – Une citation (0,5 %). (42) VitaliLatein = Vitali, David, Mit dem Latein am Ende ? Volkssprachlicher Einfluss in lateinischen Chartularen aus der Westschweiz, Berne/Berlin/Bruxelles, Lang, 2007. – Une citation (0,5 %). (43) VurpasCarnaval = Vurpas, Anne-Marie (ed.), Le Carnaval des gueux. Œuvres complètes de Guillaume Roquille (1804–1860) en patois de Rive-de-Gier, Lyon, Presses Universitaires de Lyon, 1995. – Une citation (0,5 %).
3.3 Sources bornandines Les seuls ouvrages lexicographiques traitant (très sporadiquement) du parler du Grand-Bornand sont le Dictionnaire savoyard de Constantin et Désormaux (1902)6 et la Flore populaire de la Savoie de Constantin et Gave (1908). On ne retrouve dans ces ouvrages, sous l’étiquette du parler du Grand-Bornand, aucun des 398 types protoromans reconstruits par le DÉRom et continués par le francoprovençal. Les quatre sources suivantes, que nous donnons dans l’ordre de leur établissement, se sont en revanche révélées utiles pour notre glossaire : (1) TappoletEnquête = enquête effectuée par Ernst Tappolet en 1901 ; cahiers avec questionnaire préimprimé déposés au bureau du Glossaire des patois de la Suisse romande (ms. 8.6). – 37 citations (35,6 %).7
|| 6 Le Grand-Bornand y est siglé « 4Tg ». 7 L’univers statistique au sein duquel s’entendent ce nombre et ce pourcentage correspond aux 104 types protoromans reconstruits par le DÉRom, continués par le francoprovençal et retrouvés dans le parler du Grand-Bornand.
1.2 Du niveau protoroman au niveau microroman, et vice versa | 33
(2) PoulatGrand-Bornand = Poulat, Chantal, Patois du Grand Bornand, mémoire de maîtrise, Lyon, Université Lyon II, 1975. – L’enquête date de 1974. – 80 citations (76,9 %). (3) PailletGrand-Bornand = Paillet, Chantal, Le parler du Grand-Bornand (Haute-Savoie), mémoire de maîtrise, Paris, Université de Paris-Sorbonne, 1976. – L’enquête date de 1975. – 59 citations (56,7 %) ; cf. ci-dessus 3.2. (4) DelormeEnquêtes = enquêtes conduites depuis 1999 par Jérémie Delorme, qui distingue cinq variétés diatopiques (parlers de Bornand, du Bouchet [majoritaire], du Chinaillon, de la Forclaz, des Mouilles). Les signifiants sont cités, dans les articles du glossaire, sous leurs variantes du Bouchet. C’est aussi sur cette variété qu’on cale, à défaut d’issues attestées, la postulation des attendus réguliers d’un étymon (cf. article no 40 : « On attendrait régulièrement protorom. */ˈlakte/ > gborn. *[ˈlæi̯] »). – 91 citations (87,5 %).
4 Glossaire 4.1 Mode DARAPTI 4.1.1 Définition « La divisibilité de la matière à l’infini est incompréhensible : La divisibilité de la matière à l’infini est très-certaine : Il y a donc des choses très-certaines qui sont incompréhensibles » (Arnauld/ Nicole 1992 [1662], 185). « Les deux termes de la conclusion étant attribués dans les deux prémisses à un même terme qui sert de moyen, on peut déduire les modes affirmatifs de cette figure [au principe que] lorsque deux termes peuvent s’affirmer d’une même chose, ils peuvent aussi s’affirmer l’un de l’autre pris particulièrement » (Arnauld/Nicole 1992 [1662], 186) : si l’on peut affirmer du parler du GrandBornand qu’il est un parler francoprovençal, et d’un type protoroman T qu’il est continué par le parler du Grand-Bornand, alors l’on peut affirmer que ce type T est continué par (au moins) un parler francoprovençal.
4.1.2 Application Si le parler du Grand-Bornand continue tel type protoroman T : Et sachant que le parler du Grand-Bornand est un parler francoprovençal :
34 | Jérémie Delorme Alors il existe (au moins) un parler francoprovençal qui continue T. Cela revient à dire, par généralisation, que le type T est représenté soit par le francoprovençal (généralisation maximale, s’il apparaît que T est continué par des parlers modernes dont la distribution dans l’aire francoprovençale ne présente pas de limitation nette), soit par une variété diatopique du francoprovençal avec laquelle le parler du Grand-Bornand entre dans un rapport d’inclusion (généralisation minimale, s’il apparaît que le type est continué par des parlers modernes dont la distribution dans l’aire francoprovençale présente une restriction majeure). Des six étiquettes qui, impliquant une restriction diatopique du francoprovençal, sont occasionnellement employées dans les articles publiés du DÉRom (« frpr. orient. », « SRfrpr. », « aost. », « sav. », « frpr. occid. », « lyonn. »), seules deux s’appliquent à la situation du Grand-Bornand (« frpr. orient. » et « sav. »). Toutefois, même si le principe d’une généralisation minimale du parler du GrandBornand aux variétés orientale ou savoyarde du francoprovençal est acceptable sur le principe, on n’en retrouve aucun exemple dans le DÉRom en son état actuel : les rares types étiquetés « frpr. orient. » et « sav. » n’ont pas de correspondant en bornandin.
4.1.3 Observations Parmi les 104 types protoromans qui souscrivent au syllogisme en DARAPTI, soit 26,1 % des types structurant l’inventaire actuel du DÉRom, six sont continués dans le parler du Grand-Bornand par des lexèmes présentant des particularités d’évolution importantes, non retrouvées dans les issues francoprovençales typiques énoncées derrière l’étiquette « frpr. », et témoignant de faits d’évolution d’incidence plus ou moins locale. Ces lexèmes font généralement, dans les articles du glossaire, l’objet d’un commentaire sur l’irrégularité du phénomène : (1) Gborn. [ˈur] s.m. ‘août’ < protorom. */aˈɡʊstu/ ; (6) gborn. [ˈabro], [ˈɒbro] s.m. ‘arbre’ < protorom. */ˈarbore/ ; (23) gborn. [drœˈmi], [drɔˈmi] v. intr. ‘dormir’ < protorom. */dɔrˈmire/ ; (29) gborn. [ˈfere], [ˈferə], [ˈfer] v. tr. ‘faire’ < protorom. */ˈɸakere/ ; (43) gborn. [ˈθea] s.f. ‘chair ; viande’ < protorom. */ˈkarne/ ; (70) gborn. [ˈmjeːr], [ˈmiə̯r], [ˈmjer], [ˈmjɛr] s.m. ‘miel’ < protorom. */ˈmɛle/. En outre, seize types sont continués dans le parler du Grand-Bornand par des lexèmes présentant des variantes dont la forme, inexpectée, paie plus ou moins sûrement un tribut au français, voire lui semblent ou lui sont empruntés. Ce fait est signalé dans un commentaire :
1.2 Du niveau protoroman au niveau microroman, et vice versa | 35
(2) Gborn. [ˈaɔ̯ ɡle] s.f. ‘aigle’ < protorom. */ˈauɡuila/ × fr. aigle ; (2’) gborn. [ˈeɡʎo] s.m. ‘aigle’ < fr. aigle ; (3) gborn. [ˈama] s.f. ‘âme’ < protorom. */ˈanima/ × fr. âme ; (5) gborn. [aˈvril] s.m. ‘avril’ < protorom. */aˈprile/ × fr. avril ; (19) gborn. [ˈveːr], [ˈvɛr] adj. ‘vert’ < protorom. */ˈβɪrde/ × fr. vert ; (31) gborn. [feˈvri] s.m. ‘février’ < protorom. */ɸeˈβrariu/ × fr. février ; (31’) gborn. [fevriˈe] s.m. ‘février’ < fr. février ; (39) gborn. [ˈɡro] adj. ‘gros’ < protorom. */ˈɡrɔssu/ × fr. gros ; (43) gborn. [ˈθɛra] s.f. ‘chair ; viande’ < fr. chair ; (44) gborn. [θaˈtɛɲ] s.f. ‘châtaigne’ < protorom. */kasˈtania/ × fr. châtaigne ; (53) gborn. [kaˈrɛm] s.m. ‘carême’ < (protorom. */kuaˈresima/) × fr. carême ; (65) gborn. [ˈmetrə] s.m. ‘maître’ < protorom. */maˈɡɪstru/ × fr. maître ; (66) gborn. [ˈmɛ] s.m. ‘mai’ < protorom. */ˈmaiu/ × fr. mai ; (68) gborn. [ˈmars] s.m. ‘mars’ < fr. mars ; (78) gborn. [ˈmyr] s.f. ‘mûre (fruit de la ronce)’ < fr. mûre ; (97) gborn. [ˈrãprə] v. tr. ‘labourer’ < protorom. */ˈrʊmpere/ × fr. rompre. C’est l’enquête exploitée dans PailletGrand-Bornand qui fournit le gros de ces variantes tributaires ou empruntées. Deux autres variantes semblent toutefois d’origine indigène : (57) Gborn. [laˈθi] v.tr. ‘laisser’ < [laˈsi] ‘laisser’ × [laˈθi] ‘lâcher’ ; (100) gborn. [eˈkri] v.tr. ‘écrire’ < [eˈkrirə] + remorphologisation. Enfin, trois types sont continués, autant en francoprovençal typique que dans le parler du Grand-Bornand, par des lexèmes dont la forme, témoignant du même accident dans ces deux idiomes, appelle un commentaire : (46) Frpr. ciri s.f. ‘cire’, gborn. [ˈsirə] < */ˈkera/ ; (97) frpr. rontre v.tr. ‘briser’, gborn. [ˈrãtrə] < protorom. */ˈrʊmpere/ ; (100) frpr. ecrire v.tr. ‘écrire’, gborn. [eˈkrirə] < protorom. */ˈskriβere/.
4.1.4 Glossaire (première série) Voici la liste des 104 items qui relèvent du syllogisme en DARAPTI : (1) */aˈɡʊstu/ s.m. ‘août’ > frpr. ˹ou˺ (dp. 1303 [ost], FEW 25, 910b ; Jeanjaquet in GPSR 1, 483–487 ; ALF 47). ♦ Gborn. [ˈur] (PoulatGrand-Bornand 64 ; PailletGrand-Bornand 54 ; DelormeEnquêtes). Sur la rhotique finale adventice, cf. GPSR 1, 486b (à compléter par FEW 25, 912a). (2) */ˈanima/ s.f. ‘âme’ (type I. [sens abstrait]) > frpr. ˹árma˺ (dp. ca 1180, FEW 24, 581b ; Tappolet in GPSR 1, 335–338 ; ALF 1754). ♦ Gborn. [ˈarma] (DelormeEnquêtes). – En revanche, gborn. [ˈama] (PoulatGrand-Bornand 244) est tributaire de fr. âme. Sur la coexistence en francoprovençal, parfois dans un même patois, des types arma et ama, cf. Tappolet in GPSR 1, 337b (« le type arma est le seul indigène en [Suisse romande, où il occupe les régions de patois
36 | Jérémie Delorme archaïques, tandis] que ama a pénétré sous l’influence du fr., surtout par l’intermédiaire de l’Église »). (3) */ˈannu/ s.m. ‘an’ > frpr. an (dp. déb. 13e s., SommeCode 21 = FEW 24, 623a ; Gauchat in GPSR 1, 373–378 ; HafnerGrundzüge 88 ; ALF 39). ♦ Gborn. [ˈã] (TappoletEnquête no 209 ; PoulatGrand-Bornand 63 et passim ; PailletGrandBornand 89 et passim ; DelormeEnquêtes). (4) */aˈprile/ s.m. ‘avril’ > frpr. avri (dp. 1339 [auril], Devaux,RLaR 55, 238 = FEW 25, 59a ; Tappolet in GPSR 2, 170–172 ; ALF 104). ♦ Gborn. [aˈvri] (PoulatGrand-Bornand 64, 406 ; DelormeEnquêtes). – En revanche, gborn. [aˈvril] (PailletGrand-Bornand 90) est tributaire de fr. avril (prononcé [il]). (5) */ˈarbore/ s.m. ‘arbre’ (type II.1.a. [masculin innovant, ‘id.’, sans dissimilation]) > frpr. ˹arbro˺ (dp. 13e s., HafnerGrundzüge 83 ; Aebischer/ Jeanjaquet in GPSR 1, 569–574 ; ALF 51, 52). ♦ Gborn. [ˈabro] (TappoletEnquête nos 84, 131, 328* ; PoulatGrand-Bornand 339 ; PailletGrand-Bornand 18 et passim), [ˈɒbro] (PoulatGrand-Bornand 88 et passim ; DelormeEnquêtes). « Le mot [...] a pris par analogie la terminaison o, caractéristique habituelle, en fr[anco]prov[ençal], des masc[ulins] à finale conservée » (Aebischer/Jeanjaquet in GPSR 1, 573a). Sur « la disparition par dissimilation de l’r de la syllabe initiale », cf. ib. – Cf. ci-dessous (131). (6) */ˈarma/ s.f. ‘arme’ > frpr. [ˈarma] (dp. 1ère m. 13e s., SommeCode 73 ; Tappolet/Muret in GPSR 1, 618–619 ; FEW 3, 819a ; ALF 614). ♦ Gborn. [ˈarma] (PoulatGrand-Bornand 300 ; DelormeEnquêtes). (7) */ˈauɡuila/ s.f. ‘aigle’ (sous */ˈakuila/, type V. [évolutif > */ˈauɡuila/]) > frpr. ˹uʎə˺ m./f. (ALF 13 ; Gauchat/Muret in GPSR 1, 201–204 ; FEW 25, 72a). ♦ Gborn. [ˈau̯ ʎe] (TappoletEnquête no 170). – En revanche, gborn. [ˈaɔ̯ ɡle] (ib.) est sans doute tributaire de fr. aigle (< protorom. */ˈaikula/, sous */ˈakuila/, type II. [évolutif > */ˈaikula/]), tandis que gborn. [ˈeɡʎo] m. (DelormeEnquêtes) en est emprunté. Gborn. [ˈavʎə] f. (?) (PailletGrand-Bornand 22) intrigue ; confusion avec [ˈavʎə] s.f. ‘abeille’ (DelormeEnquêtes), [ˈavʷʎə] (PoulatGrand-Bornand 125) ? Le témoin de PailletGrand-Bornand ne désignant l’abeille qu’au moyen du composé [ˈmyθ a ˈmjer] (PailletGrand-Bornand 24), peut-être suscité par la question de l’enquêtrice (« mouche à miel »), on ne peut complètement exclure que ce témoin ait nourri une confusion paronymique entre [ˈavʎə], qu’il n’aurait plus su relier à ‘abeille’, et [ˈau̯ ʎe] ‘aigle’. – Cf. ci-dessous (127). (8) */ˈbaβa/ s.f. ‘bave’ > frpr. ˹báva˺ (Tappolet/Jeanjaquet in GPSR 2, 294– 295 ; FEW 1, 194a). ♦ Gborn. [ˈbɒva] (PoulatGrand-Bornand 99), [ˈbava] (PailletGrand-Bornand 28 ; DelormeEnquêtes). (9) */ˈβakka/ s.f. ‘vache’ > frpr. ˹[ˈvatsə]˺ (dp. 1225 [ms. ca 1375 ; vachi], HafnerGrundzüge 82 ; FEW 14, 97a ; ALF 1349). ♦ Gborn. [ˈvaθ] (TappoletEnquête
1.2 Du niveau protoroman au niveau microroman, et vice versa | 37
no 137 ; PailletGrand-Bornand 58 et passim), [ˈvaθə] (PoulatGrand-Bornand 229 et passim ; PailletGrand-Bornand 26 et passim ; DelormeEnquêtes). (10) */ˈbarba/ s.f. ‘barbe’ (sous */ˈbarba/1, type I. [‘id.’]) > frpr. barba (dp. ca 1220/1230, ProsalegStimm 23 ; Tappolet/Jeanjaquet in GPSR 2, 244–245 ; ALF 111). ♦ Gborn. [ˈbarba] (PoulatGrand-Bornand 202 et passim ; PailletGrand-Bornand 91 ; DelormeEnquêtes). (11) */ˈβat/ v.intr. ‘(il) va’ (sous */ˈβade/, type II.1. [évolué, verbe plein]) > frpr. ˹va˺ (dp. 1220/1230 [vais prés. 2], ProsalegStimm 94 ; SommeCode 38 ; GononDocuments 20, 21 ; MargOingtD 100, 134 ; Tappolet in GPSR 1, 283–291 ; FEW 14, 116b). ♦ Gborn. [ˈvɒ] (PoulatGrand-Bornand 64 et passim ; DelormeEnquêtes), [ˈva] (PailletGrand-Bornand 75). (12) */ˈβat/ v.aux. (+ infinitif) ‘(il) commence (à faire qch.)’ (sous */ˈβade/, type II.2. [évolué, verbe semi-auxiliaire inchoatif-ingressif]) > frpr. ˹va˺ (GPSR 1, 286 ; BjerromeBagnes 110 ; PailletGrand-Bornand 157 ; CCSSavoyards 70 ; NagyFaetar 40). ♦ Gborn. [ˈva] (PailletGrand-Bornand 28 et passim), [ˈvɒ] (DelormeEnquêtes). (13) */ˈβat/ v.semi-aux. (+ gérondif) ‘(il) fait continuellement’ (sous */ˈβade/, type II.3. [évolué, verbe semi-auxiliaire coextensif]) > frpr. va (GPSR 1, 286–287 [rare ; dans des dictons] ; PailletGrand-Bornand 154, 157). ♦ Gborn. [ˈva] (PailletGrand-Bornand 154, 157). – La version de l’article du DÉRom en date du 31 août 2019 donne encore, à la rubrique du francoprovençal : « SRfrpr. va (GPSR 1, 286-287 [rare ; dans des dictons]) ». L’attestation bornandine, que nous portons ici à la connaissance des auteurs de cet article, ne justifie pas de restreindre la continuation du type à la Suisse romande, et c’est donc dans le sens d’un élargissement qu’on reformule ci-dessus la rubrique du francoprovençal. (14) */ˈbattere/ v.tr. ‘battre’ (sous */ˈbatte/) > frpr. batre (dp. 1220/1230, HafnerGrundzüge 82 ; Tappolet in GPSR 2, 288–289 ; FEW 1, 290b–297b ; ALFSuppl 189). ♦ Gborn. [ˈbatrə] (PoulatGrand-Bornand 199, 216 ; PailletGrandBornand 55 ; DelormeEnquêtes). (15) */ˈβendere/ v.ditr. ‘vendre’ (sous */ˈβende/) > frpr. ˹vindre˺ (dp. déb. 14e s. [vendre], DocLyonnais 188 = HafnerGrundzüge 89 ; FEW 14, 232a ; HafnerGrundzüge 89, 126, 128, 131 [vendre] ; ALF 1358 ; ALLy 1247*). ♦ Gborn. [ˈvɛdrə] (PoulatGrand-Bornand 144, 365 ; PailletGrand-Bornand 114, 167 ; DelormeEnquêtes). (16) */ˈβɛntu/ s.m. ‘vent’ > frpr. [vẽ] (dp. 1220/1230 [vent], ProsalegStimm 47 ; FEW 14, 255b ; ALF 1369). ♦ Gborn. [ˈvɛː] (TappoletEnquête no 101 ; DelormeEnquêtes), [ˈvɛ] (PoulatGrand-Bornand 58 et passim ; PailletGrandBornand 6).
38 | Jérémie Delorme (17) */βɪndɪˈkare/ v.tr. ‘venger’ (sous */ˈβɪndika/, type II. [‘id.’]) > frpr. vengier (dp. 1220/1230, HafnerGrundzüge 63 ; FEW 14, 467b). ♦ Gborn. [vɛˈði] (PoulatGrand-Bornand 236, 260 ; DelormeEnquêtes). (18) */ˈβinu/ s.n. ‘vin’ > frpr. vin s.m. (dp. 1er qu. 13e s., DocLyonnais 9 ; FEW 14, 478b ; HafnerGrundzüge 74). ♦ Gborn. [ˈvɛ̃ ] (TappoletEnquête no 14 ; PoulatGrand-Bornand 88 et passim ; PailletGrand-Bornand 81, 82 ; DelormeEnquêtes). (19) */ˈβɪrde/ adj. ‘vert’ > frpr. vɛrt (dp. 1361, FEW 14, 507a). ♦ Gborn. [ˈvar] (PoulatGrand-Bornand 87 et passim ; DelormeEnquêtes). – En revanche, gborn. [ˈveːr] (TappoletEnquête no 17) et [ˈvɛr] (PailletGrand-Bornand 17) ne semblent pas indigènes ; ils pourraient être tributaires d’un autre parler francoprovençal ou de fr. vert. (20) */βoˈlare/ v.intr. ‘voler’ (sous */ˈβɔla/) > frpr. volar (dp. 1ère m. 13e s. [volant prés. 6], SommeCode 64 ; FEW 14, 599a). ♦ Gborn. [vɔˈla] (PailletGrandBornand 23, 56), [vɔˈlʌ] (DelormeEnquêtes). (21) */ˈdɛke/ num. card. ‘dix’ > frpr. ˹dies˺ (dp. ca 1280, HafnerGrundzüge 111 ; FEW 3, 34b ; Knecht in GPSR 5, 781–783 ; ALF 412). ♦ Gborn. [ˈdi] (TappoletEnquête no 88 ; PoulatGrand-Bornand 63 et passim ; PailletGrand-Bornand 101 et passim ; DelormeEnquêtes). (22) */ˈdɛnte/ s.f. ‘dent’ (type II. [féminin innovant]) > frpr. din (dp. 16e s. [dentz pl.], TuaillonPoèmes 30 ; FEW 3, 40b ; Casanova in GPSR 5, 325). ♦ Gborn. [ˈdɛː] (TappoletEnquête no 99 ; DelormeEnquêtes), [ˈdɛ] (PoulatGrand-Bornand 71 et passim ; PailletGrand-Bornand 13 et passim). (23) */dɔrˈmire/ v.intr. ‘dormir’ (sous */ˈdɔrmi/) > frpr. ˹dormí˺ (dp. ca 1520 [drumy], Casanova in GPSR 5, 874 ; FEW 3, 140b ; ALF 418). ♦ Gborn. [drœˈmi] (PoulatGrand-Bornand 161 et passim ; DelormeEnquêtes), [drɔˈmi] (PailletGrand-Bornand 74). « Des formes métathésées se sont imposées dans la plus grande partie du domaine francoprovençal, cf. Casanova in GPSR 5, 874 ; ALF 418 » (Groß/Schweickard 2011–2014 in DÉRom s.v. */ˈdɔrmi/ n. 3 [version du 30/08/2014]). (24) */ˈdʊa-s/ num. card. f.pl. acc. ‘deux’ (sous */ˈdʊi/, type II.2. [féminin pluriel accusatif]) > frpr. ˹dues˺ (dp. 1220/1230, ProsalegStimm 109 ; GPSR 5, 555 ; FEW 3, 181a ; ALF 396). ♦ Gborn. [ˈdavə] (TappoletEnquête no 261 ; PoulatGrandBornand 75 et passim ; PailletGrand-Bornand 16 et passim), [ˈdave] (TappoletEnquête no 261 ; DelormeEnquêtes). – Cf. ci-dessous (25) et (110). (25) */ˈdʊos/ num. card. m.pl. acc. ‘deux’ (sous */ˈdʊi/, type I.2. [masculin pluriel accusatif]) > frpr. ˹dous˺ (dp. 1220/1230, ProsalegMussafia 5, 44 ; GPSR 5,
1.2 Du niveau protoroman au niveau microroman, et vice versa | 39
555 ; FEW 3, 181a ; ALF 396). ♦ Gborn. [ˈdu] (TappoletEnquête no 261 ; PoulatGrand-Bornand 63 et passim ; PailletGrand-Bornand 27 et passim ; DelormeEnquêtes). – Cf. ci-dessus (24) et ci-dessous (110). (26) */ˈɛrba/ s.f. ‘herbe’ > frpr. [ˈεrba] (FEW 4, 404a ; ALF 686). ♦ Gborn. [ˈerba] (TappoletEnquête nos 76, 328* ; PoulatGrand-Bornand 69 et passim ; PailletGrand-Bornand 29 ; DelormeEnquêtes), [ˈɪrba] (TappoletEnquête no 76), [ˈɛrba] (PailletGrand-Bornand 58). (27) */eskolˈtare/ v.tr. ‘écouter’ (sous */esˈkolta/, type I. [‘id.’]) > frpr. ˹escoutar˺ (dp. 2e m. 12e s. [escoltar], FEW 25, 1048b ; ALF 444). ♦ Gborn. [ekyˈta] (PailletGrand-Bornand 92), [ekyˈtʌ] (DelormeEnquêtes). – Cf. ci-dessous (133), (134) et (144). (28) */ˈɸaβa/ s.f. ‘fève’ > frpr. ˹fava˺ (dp. ca 1375, DocLyonnais 83 = DAO n° 881 ; FEW 3, 339a ; Liard in GPSR 7, 380 ; ALF 561). ♦ Gborn. [ˈfava] (PoulatGrand-Bornand 86 et passim ; PailletGrand-Bornand 15 ; DelormeEnquêtes). (29) */ˈɸakere/ v.tr. ‘faire’ (sous */ˈɸake/, type I. [originel]) > frpr. faire (dp. 1er qu. 12e s. [fayr], AlexAlbZ 413 ; FEW 3, 346b ; HafnerGrundzüge 115 ; Voillat in GPSR 6, 23–111 ; ALF 529). ♦ Gborn. [ˈfere] (TappoletEnquête no 172), [ˈferə] (PoulatGrand-Bornand 67 et passim ; DelormeEnquêtes), [ˈfer] (PailletGrandBornand 6 et passim). Sur la voyelle tonique, au lieu de [æi̯] régulièrement attendu, cf. Voillat in GPSR 6, 107a. – En revanche, gborn. [ˈfɛr] (PailletGrandBornand 20 et passim) est tributaire de fr. faire. (30) */ˈɸame/ s.f. ‘faim’ (sous */ˈɸamen/, type II.1. [recatégorisation féminine, ‘id.’]) > frpr. ˹fan˺ (dp. 1220/1230 [fam, fan], ProsalegMussafia 97, 225 = HafnerGrundzüge 71 ; Liard in GPSR 7, 18–21 ; FEW 3, 406a ; ALF 527). ♦ Gborn. [ˈfã] (TappoletEnquête nos 167, 207 ; PoulatGrand-Bornand 99 et passim ; PailletGrand-Bornand 21, 80 ; DelormeEnquêtes). – Cf. ci-dessous (145) à (147). (31) */ɸeˈβrariu/ s.m. ‘février’ > frpr. fèvrāi (dp. 1326 [fevrer], Gassman in GPSR 7, 384–387 ; FEW 3, 441b–442a ; HafnerGrundzüge 98 ; ALF 562). ♦ Gborn. [fœˈvri] (PoulatGrand-Bornand 64). – En revanche, gborn. [feˈvri] (TappoletEnquête no 182 ; DelormeEnquêtes) est tributaire de fr. février, tandis que [fevriˈe] (PailletGrand-Bornand 90) en constitue en emprunt. (32) */ˈɸenu/ s.n. ‘foin’ (sous */ˈɸenu/ ~ */ˈɸɛnu/, type I. [*/ˈɸenu/]) > frpr. ˹fein˺ s.m. (dp. ca 1295, HafnerGrundzüge 75 ; FEW 3, 455a ; Huber in GPSR 7, 593–605 ; ALF 586). ♦ Gborn. [ˈfɛː] (TappoletEnquête no 54 ; DelormeEnquêtes), [ˈfɛ] (PoulatGrand-Bornand 70-73 et passim ; PailletGrand-Bornand 28, 60). (33) */ˈɸɔlia/ s.f. ‘feuille’ (sous */ˈɸɔliu/, type II. [neutre pluriel > féminin en */a/]) > frpr. ˹[ˈfoʎe]˺ (dp. 1220/1230 [foilli], ProsalegMussafia 68 = HafnerGrundzüge 101 ; FEW 3, 677b ; Liard in GPSR 7, 366 ; ALF 559). ♦ Gborn. [ˈfɔʎə]
40 | Jérémie Delorme (TappoletEnquête no 328* ; PoulatGrand-Bornand 91, 307 ; DelormeEnquêtes), [ˈfɔj] (PailletGrand-Bornand 63). – Cf. ci-dessous (112). (34) */ˈɸonˈtana/ s.f. ‘source ; fontaine’ > frpr. fontana (dp. 1220/1230, ProsalegMussafia 212 = HafnerGrundzüge 71 ; DAO n° 207 ; FEW 3, 696b ; ALF 592 ; 1104 p 928, 938 ; 1256). ♦ Gborn. [fãˈtãna] (PoulatGrand-Bornand 164, 264 ; PailletGrand-Bornand 75, 123 ; DelormeEnquêtes). (35) */ˈɸratre/ s.m. ‘frère’ (type I.1. [originel, ‘id.’]) > frpr. frare (dp. ca 1220/1230, HafnerGrundzüge 135 ; Liard in GPSR 7, 973 ; FEW 3, 763b ; ALF 1826). ♦ Gborn. [ˈfrarə] (TappoletEnquête no 112 ; PoulatGrand-Bornand 288 et passim), [ˈfrare] (TappoletEnquête no 112), [frɒˈrə] (PoulatGrand-Bornand 187, 188), [ˈfrar] (PailletGrand-Bornand 105), [ˈfrʌrə] (DelormeEnquêtes). – Cf. ci-dessous (36). (36) */ˈɸratre/ s.m. ‘chrétien ; moine’ (type I.2. [originel, ‘id.’]) > frpr. frare (dp. 1286/1310, MargOingtD 142 ; Liard in GPSR 7, 975). ♦ Gborn. [ˈfrʌrə] ‘celui qui appartient à certaines congrégations ou certains ordres religieux’ (DelormeEnquêtes). – Cf. ci-dessus (35). (37) */ˈɸrɔnte/ s.m. ‘front’ (type I. [masculin originel]) > frpr. ˹frõ˺ (dp. ca 1454 [affront < à front loc. adv./prép. ‘dans l’alignement (de)’], Liard in GPSR 7, 1062 ; FEW 3, 819a ; ALF 614). ♦ Gborn. [ˈfrã] (PailletGrand-Bornand 91 ; DelormeEnquêtes). (38) */ˈɡrassu/ adj. ‘gras’ (type I. [‘id.’]) > frpr. ˹gras˺ (dp. 1338/1339, Devaux,RLaR 55, 218 ; DuraffourGlossaire n° 4370). ♦ Gborn. [ˈɡra] (PoulatGrandBornand 121 et passim ; PailletGrand-Bornand 28 et passim ; DelormeEnquêtes). (39) */ˈɡrɔssu/ adj. ‘gros’ > frpr. ˹gros˺ (dp. 1339/1340 [gros], Devaux,RLaR 55, 292 ; FEW 4, 274a ; HafnerGrundzüge 61 ; DuraffourGlossaire n° 4508 ; ALF 659). ♦ Gborn. [ˈɡru] (TappoletEnquête no 242 ; PoulatGrand-Bornand 56 et passim ; PailletGrand-Bornand 24 et passim ; DelormeEnquêtes). – En revanche, gborn. [ˈɡro] (PailletGrand-Bornand 60, 111) est tributaire de fr. gros. (40) */ɪmprumuˈtare/ v.ditr. ‘emprunter ; prêter’ (sous */ɪmˈprumuta/) > frpr. ˹inprontà˺ ‘emprunter’ (dp. 1321 [empromtiet prét. 3], Guigue,R 35, 432 = HafnerGrundzüge 81 ; Liard in GPSR 6, 339–340 ; FEW 4, 606ab ; DuraffourGlossaire n° 3571). ♦ Gborn. [ɛprãˈtæ] v. intr. ‘emprunter de l’argent’ (PoulatGrand-Bornand 212 [part. p.]). (41) */kanˈtare/ v.intr. ‘chanter’ (sous */ˈkanta/) > frpr. ˹tsantá˺ (dp. 1294 [chantar], MargOingtD 136 ; FEW 2, 220b ; Marzys in GPSR ; ALF 233, 1777). ♦ Gborn. [θãˈta] (TappoletEnquête no 114 ; PailletGrand-Bornand 92), [θãˈtæ] (PoulatGrand-Bornand 203 et passim), [θãˈtʌ] (DelormeEnquêtes). (42) */ˈkapra/ s.f. ‘chèvre’ > frpr. chievra (dp. 1375 [chevra], DocLyonnais 85 ; FEW 2, 294b–303b ; Burger in GPSR 3, 541–545 ; HafnerGrundzüge 28, 63-64, 68 ;
1.2 Du niveau protoroman au niveau microroman, et vice versa | 41
ALF 272). ♦ Gborn. [ˈθivra] (TappoletEnquête no 138 ; PoulatGrand-Bornand 119 et passim ; PailletGrand-Bornand 36 et passim ; DelormeEnquêtes). (43) */ˈkarne/ s.f. ‘chair ; viande’ > frpr. ˹[tsɛ:r]˺ (dp. 1220/1230 [cher], HafnerGrundzüge 83 ; FEW 2, 383b ; Burger in GPSR 3, 262 ; ALF 1383). ♦ Gborn. [ˈθea] (TappoletEnquête no 164). La finale [ea] évoque quelques formes de Suisse romande voisine (notamment en [ɛə] ; cf. Burger in GPSR 3, 263a et, sur l’origine de cette ‘brisure’, 3, 265b). – En revanche, gborn. [ˈθɛra] (TappoletEnquête no 164) pourrait être un emprunt au français (< chair), avec remorphologisation. (44) */kasˈtania/ s.f. ‘châtaigne’ (sous */kasˈtania/ ~ */kasˈtɪnia/, type I. [*/kasˈtania/]) > frpr. chatagni (dp. déb. 13e s. [chastanes pl.], SommeCode 7 ; DAO n° 641 ; Schüle in GPSR 3, 424–427 ; FEW 2, 463a ; ALF 251). ♦ Gborn. [θɒˈtɒɲə] (PoulatGrand-Bornand 89), [θɒˈtaɲə] (DelormeEnquêtes). – En revanche, gborn. [θaˈtɛɲ] (PailletGrand-Bornand 19) est tributaire de fr. châtaigne. (45) */kaˈtena/ s.f. ‘chaîne’ > frpr. ˹tsə(i)na˺ (dp. 1372 [cheyna ‘chaîne d’un tissu’], Marzys in GPSR 3, 258 ; HafnerGrundzüge 77 ; FEW 2, 498b ; ALF 221). ♦ Gborn. [ˈθɛna] (TappoletEnquête no 53 ; PoulatGrand-Bornand 139, 164 ; PailletGrand-Bornand 47, 63 ; DelormeEnquêtes). (46) */ˈkera/ s.f. ‘cire d’abeille’ (type I. [sens primaire ‘id.’]) > frpr. ciri (dp. 1220/1230, ProsalegMussafia 78 ; HafnerGrundzüge 70, 129 ; FEW 2, 604b–605a ; Burger in GPSR 4, 74–75 ; ALF 293). ♦ Gborn. [ˈsirə] (PoulatGrand-Bornand 126 ; DelormeEnquêtes). « Nous suivons Burger in GPSR 4, 75 pour ne pas séparer frpr. ciri des cognats ici réunis, au motif que */r/ précédé d’une voyelle antérieure entraîne régulièrement la palatalisation de */a/ final (cf. HafnerGrundzüge 129), en dépit de von Wartburg 1939 in FEW 2, 605a, CĒREUS 2, qui rattache le lexème au féminin de l’adjectif de relation de */ˈkera/ » (Cadorini 2020 in DÉRom s.v. */ˈkera/ n. 2, ici 348 [version du 13/02/2020]). – Cf. ci-dessous (163). (47) */ˈklaβe/ s.f. ‘clé’ > frpr. cla (dp. 1286/1310, MargOingtD 136 ; Burger in GPSR 4, 106–109 ; FEW 2, 764a ; HafnerGrundzüge 17, 168–169 ; ALF 301). ♦ Gborn. [ˈkjaː] (TappoletEnquête no 104), [ˈkʎa] (TappoletEnquête no 104 ; PoulatGrand-Bornand 151 et passim ; DelormeEnquêtes), [ˈkja] (PailletGrandBornand 70). (48) */ˈkɔrda/ s.f. ‘corde’ (type II. [sens métaphorique ‘id.’]) > frpr. ˹kórda˺ (dp. 1220/1230 [corda], ProsalegStimm 119 ; Schüle in GPSR 4, 308 ; ALF 325). ♦ Gborn. [ˈkurda] (TappoletEnquête no 233 ; PoulatGrand-Bornand 66 et passim ; DelormeEnquêtes). – Cf. ci-dessous (167) et (168). (49) */ˈkredere/ v.tr. ‘croire’ (sous */ˈkrede/, type I. [sens abstrait]) > frpr. creire (dp. 1ère m. 13e s., SommeCode 79 ; FEW 2, 1298b–1300a ; HafnerGrundzüge
42 | Jérémie Delorme 31 ; Marzys in GPSR 3, 581–585). ♦ Gborn. [ˈkrai̯rə] (DelormeEnquêtes). – Cf. cidessous (114). (50) */ˈkreskere/ v.intr. ‘croître’ (sous */ˈkreske/, type I. [verbe intransitif]) > frpr. creitre (dp. ca 1220/1230 [crestra], ProsalegStimm 55 ; HafnerGrundzüge 123 ; FEW 2, 1323b ; ALF 362). ♦ Gborn. [ˈkretre] (TappoletEnquête no 43), [ˈkretrə] (PoulatGrand-Bornand 240, 425 ; DelormeEnquêtes), [ˈkrɛtrə] (PailletGrand-Bornand 154). – Cf. ci-dessous (169). (51) */ˈkuando/ adv. ‘quand’ (type I. [adverbe interrogatif]) > frpr. ˹kã˺ (FEW 2, 1416b ; HafnerGrundzüge 88 ; ALJA 1620). ♦ Gborn. [ˈkã] (PoulatGrandBornand 341 ; DelormeEnquêtes). (52) */ˈkuando/ conj. subord. ‘lorsque’ (type II. [conjonction de subordination]) > frpr. ˹kã˺ (dp. 1220/1230 [qant, quant], ProsalegStimm 9, 12 ; FEW 2, 1416b ; HafnerGrundzüge 88 ; ALF 1109). ♦ Gborn. [ˈkã] (PoulatGrand-Bornand 58 et passim ; DelormeEnquêtes). (53) */kuaˈresima/ s.f. ‘carême’ > frpr. [kaˈrei̯ma] (dp. 1276 [quareima], DevauxEssai 81 ; MargOingtD 100 ; FEW 2, 1389a–1391a ; Schüle in GPSR 3, 87– 89 ; HafnerGrundzüge 94 ; ALF 200 ; ALLy 893 ; ALJA 1524). ♦ Gborn. [kaˈrema] (PoulatGrand-Bornand 208), [kaˈrɛma] (PoulatGrand-Bornand 311). – En revanche, gborn. [kaˈrɛm] m. (PailletGrand-Bornand 108) est tributaire de fr. carême, à moins qu’il ne lui soit emprunté ; « le francoprovençal connaît à date ancienne seulement le féminin, et c’est sous l’influence du français que le masculin s’est implanté » (Dębowiak 2016 in DÉRom s.v. */ kuaˈresima / n. 5 [version du 11/07/2016]). (54) */kuɛˈrire/ v.tr. ‘chercher’ (sous */ˈkuɛre/, type II.1. [flexion innovante, ‘id.’]) > frpr. querir dp. 1389, DevauxEssai 99 ; FEW 2, 1408ab ; ALF 22 ; DuraffourGlossaire n° 5024). ♦ Gborn. [ˈkri] ‘(aller) chercher’ (PoulatGrandBornand 91 et passim ; PailletGrand-Bornand 29 ; DelormeEnquêtes). – Cf. cidessous (170). (55) */ˈkulu/ s.m. ‘cul’ > frpr. cu (dp. ca 1520, Schüle in GPSR 4, 652 ; FEW 2, 1506a ; ALF 372). ♦ Gborn. [ˈky] (TappoletEnquête no 311 ; PoulatGrand-Bornand 205 et passim ; PailletGrand-Bornand 9 et passim ; DelormeEnquêtes). (56) */laˈβare/ v.tr. ‘laver’ (sous */ˈlaβe/ ~ */ˈlaβa/, type II. [dominant]) > frpr. ˹lavå˺ (dp. 1ère m. 13e s. [lavar], SommeCode 40 ; FEW 5, 213b ; HafnerGrundzüge 21 ; ALF 754 ; ALLy 627 ; ALJA 1823-1824). ♦ Gborn. [laˈvæ] (PoulatGrand-Bornand 118 et passim), [laˈva] (PailletGrand-Bornand 35, 138), [laˈvʌ] (DelormeEnquêtes). (57) */lakˈsare/ v.tr. ‘laisser’ (sous */ˈlaksa/, type I.1. [*/ˈlaksa/]) > frpr. laissier (dp. 1220/1230, HafnerGrundzüge 63 ; ALF 745). ♦ Gborn. [laˈsi]
1.2 Du niveau protoroman au niveau microroman, et vice versa | 43
(TappoletEnquête no 145 ; PoulatGrand-Bornand 78 et passim ; DelormeEnquêtes). – En revanche, gborn. [laˈθi] (PailletGrand-Bornand 30 et passim [mais [ˈlas] prés. 3]) pourrait avoir été attiré par [laˈθi] ‘lâcher’ (DelormeEnquêtes) < protorom. */laksɪˈkare/. (58) */leˈβare/ v.tr. ‘lever’ (sous */ˈlɛβa/, type III.1. [emploi transitif, ‘id.’]) > frpr. ˹levar˺ (dp. ca 1220/1230 [levá part. p. f.], ProsalegStimm 52 ; HafnerGrundzüge 21, 23, 27, 28 ; DuraffourGlossaire n° 5857 ; FEW 5, 267b). ♦ Gborn. [lœˈvæ] (PoulatGrand-Bornand 202), [lœˈva] (PailletGrand-Bornand 21, 84), [lœˈvʌ] (DelormeEnquêtes). – Cf. ci-dessous (59) et (173). (59) */leˈβare/ v.pron. ‘se lever’ (sous */ˈlɛβa/, type III.2. [emploi pronominal, ‘id.’]) > frpr. ˹levar˺ (dp. ca 1220/1230 [leva tei ! imp. 2], ProsalegStimm 52 ; DuraffourGlossaire n° 5857 ; FEW 5, 276a). ♦ Gborn. [lœˈvʌ] (PoulatGrand-Bornand 56 [[ˈlevə] prés. 3], 64 [id.] ; DelormeEnquêtes). – Cf. cidessus (58) et ci-dessous (173). (60) */ˈlɔku/ s.m. ‘lieu’ > frpr. ˹luà˺ (dp. ca 1225 [lué], SommeCode 3 ; HafnerGrundzüge 112 ; FEW 5, 392b ; ALF 460 p 988). ♦ Gborn. [ˈʎwa] (TappoletEnquête no 254 [[y ˈʎwa də] ‘au lieu de’]). (61) */ˈlɔnɡe/ adv. ‘loin’ > frpr. ˹[lwẽ]˺ (dp. 1ère m. 13e s. [loing], SommeCode 39 ; FEW 5, 402a ; DuraffourGlossaire n° 5988 ; ALF 780). ♦ Gborn. [ˈʎwɛ] (PoulatGrand-Bornand 202 et passim), [ˈjwɛ] (PailletGrand-Bornand 11), [ˈʎwɛː] (DelormeEnquêtes). (62) */ˈlɔnɡu/ adj. ‘long’ > frpr. ˹lõ˺ (dp. 1267 [longy f.], HafnerGrundzüge 34 ; DuraffourGlossaire n° 5946). ♦ Gborn. [ˈlã] (PoulatGrand-Bornand 91 et passim ; PailletGrand-Bornand 72 et passim ; DelormeEnquêtes). (63) */ˈluna/ s.f. ‘lune’ > frpr. ˹luna˺ (dp. 1220/1230, HafnerGrundzüge 80 ; FEW 5, 446b ; ALF 788). ♦ Gborn. [lˈna] (TappoletEnquête no 316 ; PoulatGrandBornand 62 et passim ; PailletGrand-Bornand 16 et passim ; DelormeEnquêtes). (64) */maˈɡɪstra/ s.f. ‘maîtresse’ > frpr. [ˈmaitra] (dp. 16e s. [mecza], FEW 6/1, 35a). ♦ Gborn. [ˈmetra] (PoulatGrand-Bornand 143). (65) */maˈɡɪstru/ s.m. ‘maître’ > frpr. ˹metro˺ (dp. 1220/1230 [maistre], ProsalegMussafia 148 = HafnerGrundzüge 135 ; FEW 6/1, 34a ; ALF 802). ♦ Gborn. [ˈmetro] (DelormeEnquêtes). – En revanche, gborn. [ˈmetrə] (PoulatGrand-Bornand 127 et passim) est tributaire de fr. maître. (66) */ˈmaiu/ s.m. ‘mai’ > frpr. ˹may˺ (dp. 13e s., DocLyonnais 17 ; HafnerGrundzüge 115, 116 ; FEW 6/1, 61a–64b ; ALF 792 p 978, 979, 985, 987– 989). ♦ Gborn. [ˈme] (PoulatGrand-Bornand 64 et passim ; DelormeEnquêtes). – En revanche, gborn. [ˈmɛ] (PailletGrand-Bornand 90) est tributaire de fr. mai. (67) */ˈmanu/ s.f. ‘main’ (type I. [singulier]) > frpr. man (dp. 1220/1230, HafnerGrundzüge 71 ; FEW 6/1, 285a ; ALF 796–797). ♦ Gborn. [ˈmã]
44 | Jérémie Delorme (TappoletEnquête no 206 ; PoulatGrand-Bornand 177 et passim ; PailletGrandBornand 80 et passim ; DelormeEnquêtes). (68) */ˈmartiu/ s.m. ‘mars’ > frpr. ˹mar˺ (dp. 1322, DocLyonnais 567 ; FEW 6/1, 390a–394b ; ALF 821). ♦ Gborn. [ˈmær] (PoulatGrand-Bornand 64), [ˈmʌr] (DelormeEnquêtes). – En revanche, gborn. [ˈmars] (PailletGrand-Bornand 90) est un emprunt (< fr. mars). (69) */mastiˈkare/ v.tr. ‘mâcher’ > frpr. ˹mätšyi˺ (FEW 6/1, 455a ; DuraffourGlossaire n° 6243 ; ALTFr 222). ♦ Gborn. [maˈθi] (PoulatGrand-Bornand 281 ; PailletGrand-Bornand 80), [mɒˈθi] (DelormeEnquêtes). (70) */ˈmɛle/ s.m. ‘miel’ (type III. [masculin restauré]) > frpr. ˹miel˺ (dp. ca 1220/1230 [mel], ProsalegStimm 89, 126 = HafnerGrundzüge 23 ; FEW 6/1, 646b– 647b ; HafnerGrundzüge 23–24, 26–29 ; ALF 852). ♦ Gborn. [ˈmjeːr], [ˈmiə̯r] (TappoletEnquête no 67), [ˈmjer] (PoulatGrand-Bornand 126 et passim ; PailletGrand-Bornand 24 ; DelormeEnquêtes), [ˈmjɛr] (PailletGrand-Bornand 79). Sur [r] final, cf. Keller 1919, 157. – Cf. ci-dessous (176). (71) */ˈmɛnte/ suff. ‘(suffixe formateur d’adverbes de manière)’ (sous */ˈmɛnte/, type III. [suffixe]) > frpr. ˹[-mẽ]˺ (dp. 1220/1230 [soulament], ProsalegStimm 23, 29 ; HafnerGrundzüge 138–139 ; Casanova in GPSR 5, 898). ♦ Gborn. [ˈmɛ] (PoulatGrand-Bornand 350), [ˈmɛː] (DelormeEnquêtes). – Cf. cidessous (178). (72) */ˈmɛrla/ s.f. ‘merle’ (sous */ˈmɛrula/, type II. [évolué]) > frpr. [ˈmεrla] (FEW 6/2, 36a ; ALJA 978 ; DuraffourGlossaire n° 6171). ♦ Gborn. [ˈmerla] (PailletGrand-Bornand 22). – Cf. ci-dessous (179). (73) */molˈtone/ s.m. ‘bélier’ (type I. [‘id.’]) > frpr. ˹mouton˺ (FEW 6/3, 205b ; ALF 124 ; ALJA 715 ; ALLy 314). ♦ Gborn. [mɔu̯ ˈtɔ̃ ] (PoulatGrand-Bornand 117, 118 ; DelormeEnquêtes). – Cf. ci-dessous (74) et (132). (74) */molˈtone/ ‘bélier châtré’ (type II. [‘id.’]) > frpr. ˹mouton˺ (dp. 1339/1340 [per 1. quart de moton et 1. de pieci de bo], DevauxEssai 58 ; FEW 6/3, 206a ; ALJA 716). ♦ Gborn. [mɔu̯ ˈtɔ̃ ] (PoulatGrand-Bornand 117 et passim [généralement pl. ‘ovins’] ; DelormeEnquêtes [id.]), [mao̯ ˈtɔ̃ ] (PailletGrandBornand 35). – Cf. ci-dessus (73). (75) */monˈtania/ s.f. ‘région montagneuse ; montagne’ > frpr. montagni (dp. ca 1220/1230 [montaigni], ProsalegStimm 24, 48, 50, 52 ; GononPoncins ; FEW 6/3, 100b–101a ; DAOSuppl n° 169 [montagny] ; ALF 874). ♦ Gborn. [mɔ̃ ˈtaɲə] ‘alpage’, rarement ‘région montagneuse ; montagne’ (PoulatGrand-Bornand 65 et passim, [mɔ̃ ˈtaɲ] (PailletGrand-Bornand 8 et passim), [mɔ̃ ˈtaɲa] (PailletGrandBornand 8, 30), [mãˈtaɲə] (DelormeEnquêtes). La forme en [-a] de PailletGrandBornand présente une remorphologisation.
1.2 Du niveau protoroman au niveau microroman, et vice versa | 45
(76) */ˈmɔnte/ s.m. ‘montagne’ > frpr. mon (dp. 1er qu. 13e s. [mont ; vieilli], DocLyonnais 7 ; FEW 6/3, 84a). ♦ Gborn. [ˈmã] (PoulatGrand-Bornand 254, 312 ; DelormeEnquêtes [‘ressaut dans un versant’]). (77) */mosˈtrare/ v.ditr. ‘montrer’ (sous */ˈmostra/ ~ */ˈmossa/, type I. [*/mosˈtra/]) > frpr. ˹motrā˺ (dp. 1ère m. 13e s. [mostrar], SommeCode 14 ; FEW 6/3, 94b ; HafnerGrundzüge 19 ; ALF 1637 p 977). ♦ Gborn. [muˈtra] (PailletGrandBornand 43), [muˈtrʌ] (DelormeEnquêtes). (78) */ˈmʊra/ s.f. ‘mûre (fruit de la ronce)’ (type I. [‘id.’]) > frpr. ˹moura˺ (FEW 6/3, 154b ; ALF 892). ♦ Gborn. [ˈmɔrə] (PoulatGrand-Bornand 89 [pl.]). – En revanche, gborn. [ˈmyr] (PailletGrand-Bornand 18) est un emprunt (< fr. mûre). – Cf. ci-dessous (182). (79) */ˈnɪβe/ s.f. ‘neige’ (type I. [originel]) > frpr. nei (dp. 3e qu. 12e s., GirRossDécH 100, 136 [cf. PfisterRoussillon 580–581] ; DevauxEssai 81 ; FEW 7, 156a ; HafnerGrundzüge 31, 168 ; ALF 903). ♦ Gborn. [ˈnai̯] (TappoletEnquête no 22), [ˈnæi̯] (PoulatGrand-Bornand 58 et passim ; DelormeEnquêtes), [ˈna] (PailletGrand-Bornand 6, 7). (80) */ˈnɪɡru/ adj. ‘noir’ > frpr. ner (dp. 1220/1230, ProsalegMussafia 180 ; HafnerGrundzüge 126, 129 ; FEW 7, 129b). ♦ Gborn. [ˈnæi̯] (PoulatGrand-Bornand 56 et passim), [ˈnæi̯r] (DelormeEnquêtes). (81) */ˈnɪttu/ adj. ‘luisant ; lisse’ (sous */ˈnɪtidu/, type II. [syncopé]) > frpr. ˹net˺ (dp. 1220/1230 [‘pur’], ProsalegStimm 28 ; ProsalegMussafia 216 ; FEW 7, 147b ; HafnerGrundzüge 123). ♦ Gborn. [ˈnœ] ‘lisse’ (DelormeEnquêtes). (82) */ˈnodu/ s.m. ‘nœud ; nœud du bois’ (type I. [originel]) > frpr. ˹nu˺ (dp. 1220/1230 [nou ‘nœud (sens métaphorique)’], ProsalegMussafia 231 ; ALLy 63 ; ALJA 524, 1275 ; FEW 7, 171b ; DuraffourGlossaire n° 6771 ; HafnerGrundzüge 53– 54). ♦ Gborn. [ˈnɒu̯ ] (TappoletEnquête no 262), [ˈnao̯ ] (PoulatGrand-Bornand 72 et passim ; PailletGrand-Bornand 60 et passim [95 [nɔː] ‘nœud (de cravate)’]), [ˈnɒo̯ ] (DelormeEnquêtes). (83) */ˈpane/ s.m. ‘pain’ (type III. [masculin restauré]) > frpr. pã (dp. 1220/1230 [pan], HafnerGrundzüge 71 ; FEW 7, 544a ; ALF 964). ♦ Gborn. [ˈpã] (TappoletEnquête nos 208, 260 ; PoulatGrand-Bornand 135 et passim ; DelormeEnquêtes). (84) */ˈparte/ s.f. ‘part’ > frpr. part (dp. ca 1220/1230, HafnerGrundzüge 83 ; FEW 7, 669a ; ALF 19, 1886). ♦ Gborn. [ˈpar] (TappoletEnquête no 133), [ˈpʌr] (DelormeEnquêtes). (85) */pekˈkare/ v.intr. ‘pécher ; se tromper’ (sous */ˈpɛkka/) > frpr. ˹[peˈʧa]˺ (dp. 1220/1230 [pechont prés. 6], ProsalegMussafia 101 ; FEW 8, 98b ; DuraffourGlossaire n° 7185). ♦ Gborn. [pœˈθi] (DelormeEnquêtes).
46 | Jérémie Delorme (86) */pekˈkatu/ s.n. ‘péché ; erreur’ > frpr. ˹pechie˺ s.m. (dp. 1220/1230 [‘péché’], ProsalegMussafia 100, 153 ; HafnerGrundzüge 63 ; FEW 8, 99a ; DuraffourGlossaire n° 7185). ♦ Gborn. [pœˈʃa] ‘péché’ (PailletGrand-Bornand 5), [pœˈʃʌ] (DelormeEnquêtes). (87) */ˈpesu/ s.m. ‘poids’ (type II.4. [recatégorisation, ‘id.’]) > frpr. ˹pei˺ (dp. 1ère m. 13e s. [‘masse’], SommeCode 30 ; DevauxEssai 85 ; VurpasCarnaval 130). ♦ Gborn. [ˈpæi̯] (PoulatGrand-Bornand 164 ; DelormeEnquêtes), [ˈpɒ] (PoulatGrand-Bornand 75, 114 [ˈpa]). – Cf. ci-dessous (187) et (188). (88) */planˈt-aɡine/ s.m. ‘plantain’ (type III. [recatégorisation]) > frpr. ˹[plãˈtẽ]˺ (FEW 9, 19b ; ALF 1027). ♦ Gborn. [plãˈtɛ] (PailletGrand-Bornand 13). (89) */ˈpɔnte/ s.m. ‘pont’ (type III. [masculin restauré]) > frpr. ˹pont˺ (dp. e 2 m. 13e s., Philipon,R 22, 44 = HafnerGrundzüge 92 ; FEW 9, 168b ; ALF 1060). ♦ Gborn. [ˈpã] (TappoletEnquête no 260 ; PoulatGrand-Bornand 67, 252 ; PailletGrand-Bornand 9 ; DelormeEnquêtes). (90) */presˈtare/ v.ditr. ‘prêter’ (sous */ˈprɛsta/, type II. [dominant]) > frpr. ˹pretâ˺ (dp. 1ère m. 13e s. [prestar], SommeCode 16 ; FEW 9, 314a ; ALF 1681). ♦ Gborn. [preˈtæ] (PoulatGrand-Bornand 212), [preˈtʌ] (DelormeEnquêtes). (91) */ˈprɛtiu/ s.n. ‘prix’ > frpr. ˹pri˺ s.m. (dp. ca 1150/1180 [preiz], GirRossDécH 29 ; PfisterRoussillon 632 ; FEW 9, 370b ; HafnerGrundzüge 109– 111, 158-159 ; ALF 1094). ♦ Gborn. [ˈpri] (DelormeEnquêtes). (92) */ˈrankidu/ adj. ‘rance’ > frpr. ˹rãso˺ (FEW 10, 53b ; DuraffourGlossaire n° 7805 ; ALJA 701). ♦ Gborn. [ˈrãs] (PailletGrand-Bornand 78). (93) */ˈrapa/ s.f. ‘rave’ (sous */ˈrapu/, type II.2. [remorphologisation et recatégorisation, extension de sens]) > frpr. rava (dp. 1322, GononDocuments 141 ; GononTestaments 147 [ravez pl.] ; EscoffierLyonnais 26 [rave pl.] ; FEW 10, 69a– 69b ; ALF 1133). ♦ Gborn. [ˈrava] (PoulatGrand-Bornand 86 et passim ; DelormeEnquêtes). (94) */resˈpɔndere/ v.tr./intr. ‘répondre’ (sous */resˈpɔnde/, type I. [sens concret]) > frpr. ˹répondre˺ (dp. 1220/1230, ProsalegStimm 84 = HafnerGrundzüge 92 ; FEW 10, 310a). ♦ Gborn. [reˈpãdrə] (DelormeEnquêtes). – Cf. ci-dessous (120) et (192). (95) */reˈtʊndu/ adj. ‘rond’ (type I. [originel]) > frpr. rion (dp. av. 1310, HafnerGrundzüge 154-156 ; FEW 10, 520a ; ALF 1581). ♦ Gborn. [rˈjã] (PoulatGrand-Bornand 135 et passim ; DelormeEnquêtes). – Cf. ci-dessous (121). (96) */ˈrɔta/ s.f. ‘roue’ > frpr. ˹[ˈrua]˺ (dp. 1378 [rua], HafnerGrundzüge 46– 48 ; FEW 10, 490a ; ALF 1170). ♦ Gborn. [ˈrwa] (TappoletEnquête no 227 ; PoulatGrand-Bornand 62 et passim ; PailletGrand-Bornand 46, 112 ; DelormeEnquêtes).
1.2 Du niveau protoroman au niveau microroman, et vice versa | 47
(97) */ˈrʊmpere/ v.tr. ‘briser’ (sous */ˈrʊmpe/, type I. [emploi transitif, ‘id.’]) > frpr. rontre (dp. 1433/1434, HafnerGrundzüge 145 ; FEW 10, 565b ; ALF 1162). ♦ Gborn. [ˈrãtrə] (DelormeEnquêtes). « La forme de cette issue n’est pas régulière ; elle a probablement subi l’influence analogique de ront prés. 3 (cf. von Wartburg in FEW 10, 574a n. 1) » (Morcov 2014–2015 in DÉRom s.v. */ˈrʊmpe/ n. 4 [version du 12/11/2015]). – En revanche, gborn. [ˈrãprə] ‘labourer’ (PailletGrand-Bornand 52) est tributaire de fr. rompre. – Cf. ci-dessous (193). (98) */ˈsale/ s.f. ‘sel’ (type II. [féminin innovant]) > frpr. sal (dp. ca 1220/1230, ProsalegStimm 11 = HafnerGrundzüge 17 ; FEW 11, 76b ; ALF 1213 ; ALFSuppl 205). ♦ Gborn. [ˈsa] (TappoletEnquête no 194 ; PailletGrand-Bornand 40 et passim), [ˈsæ] (PoulatGrand-Bornand 101 et passim), [ˈsʌ] (DelormeEnquêtes). (99) */saluˈtare/ v.tr. ‘saluer’ (sous */saˈluta/) > frpr. salua (dp. av. 1535 [salua prét. 3], EscoffierLyonnais 53 ; FEW 11, 126b). ♦ Gborn. [saˈlwʌ] (DelormeEnquêtes). (100) */ˈskriβere/ v.tr. ‘écrire’ (sous */ˈskriβe/) > frpr. ecrire (dp. 1er qu. e 12 s. [escrit part. p.], AlexAlbZ 411 ; Voillat in GPSR 6, 109 ; FEW 11, 331b ; ALF 446). ♦ Gborn. [eˈkrirə] (PoulatGrand-Bornand 197, 425 ; DelormeEnquêtes). « La forme de l’infinitif apparaît refaite sur lire dès les plus anciens textes (GirRossDécH 131, 437) » (Groß 2013–2016 in DÉRom s.v. */ˈskriβe/ n. 5 [version du 10/12/2016]). Gborn. [ɛˈkri] (PailletGrand-Bornand 101, 172) présente, du moins à l’infinitif, une remorphologisation. (101) */taˈliare/ v.tr. ‘couper’ (sous */ˈtalia/) > frpr. taillier (dp. 1220/1230, ProsalegStimm 31 = HafnerGrundzüge 63 ; FEW 13/1, 40b ; ALF 1907). ♦ Gborn. [taˈʎi] (PoulatGrand-Bornand 94 et passim ; DelormeEnquêtes), [taˈji] (PailletGrand-Bornand 18). (102) */ˈtɛndere/ v.tr. ‘tendre’ (sous */ˈtɛnde/, type II. [‘id.’]) > frpr. [ˈtẽndre] (ALF 1294 ; FEW 13/1, 196ab). ♦ Gborn. [ˈtɛdrə] (PoulatGrand-Bornand 56, 247 ; DelormeEnquêtes). (103) */toˈnare/ v.impers./intr. ‘tonner’ (sous*/ˈtɔna/, type I. [originel]) > frpr. tonar (FEW 13/2, 23a–24b ; HafnerGrundzüge 78 ; ALF 1315). ♦ Gborn. [tãˈnæ] (PoulatGrand-Bornand 264). – Cf. ci-dessous (123). (104) */tremˈlare/ v.intr. ‘trembler ; avoir peur’ (sous */ˈtrɛmula/, type II. [syncopé]) > frpr. ˹trẽblé˺ (dp. 1220/1230 [tremblar], ProsalegStimm 22 ; FEW 13/2, 241b ; ALF 1330 ; cf. HafnerGrundzüge 137–138). ♦ Gborn. [trɛˈblæ] (PoulatGrandBornand 432), [trɛˈblʌ] (DelormeEnquêtes). – Cf. ci-dessous (204).
48 | Jérémie Delorme
4.2 Mode CELARENT 4.2.1 Définition « Nul voleur impénitent ne doit s’attendre d’être sauvé : Tous ceux qui meurent après s’être enrichis du bien de l’Église, sans vouloir le restituer, sont des voleurs impénitents : Donc nul d’eux ne doit s’attendre d’être sauvé » (Arnauld/Nicole 1992 [1662], 180). « Ce qui est nié d’une idée prise universellement, est nié de tout ce dont cette idée est affirmée » (Arnauld/Nicole 1992 [1662], 181) : puisque l’on peut nier que tel type protoroman T soit continué en francoprovençal, mais affirmer que le parler du Grand-Bornand est un parler francoprovençal, alors l’on peut nier que T soit continué dans le parler du Grand-Bornand.
4.2.2 Application Si le francoprovençal ne continue pas tel type protoroman T : Et sachant que le parler du Grand-Bornand est un parler francoprovençal : Alors le parler du Grand-Bornand ne saurait continuer T.
4.2.3 Observation Dans la mesure où le contenu du sous-glossaire qui se rattache à ce mode se réduit à la simple notation des 191 types protoromans non continués par le francoprovençal, et, à plus forte raison, non retrouvés dans le parler du GrandBornand, on renonce à faire l’énoncé de cette deuxième série.
4.3 Mode CESARE 4.3.1 Définition « Nul menteur n’est croyable : Tout homme de bien est croyable : Donc nul homme de bien n’est menteur » (Arnauld/Nicole 1992 [1662], 183). « Ce qui est nié d’une idée universelle, est aussi nié de tout ce dont cette idée est affirmée, c’est-à-dire de tous les sujets de cette idée » (Arnauld/Nicole 1992
1.2 Du niveau protoroman au niveau microroman, et vice versa | 49
[1662], 183) : nier que le parler du Grand-Bornand soit inclus dans une variété V du francoprovençal, c’est aussi nier que le parler du Grand-Bornand continue un type protoroman T dont on affirmerait qu’il ne serait continué que dans V.
4.3.2 Application Si le parler du Grand-Bornand n’est pas inclus dans telle variété V du francoprovençal : Et sachant qu’il existe un type protoroman T qui n’est continué que dans V : Alors T n’est pas continué dans le parler du Grand-Bornand. Autrement dit, si l’on restreint la composante francoprovençale d’un article du DÉRom à une variété particulière de cet idiome, et que le parler du GrandBornand ne présente pas de rapport d’inclusion avec cette variété, on ne peut s’attendre à ce que le parler du Grand-Bornand continue le type protoroman dont l’article établit la reconstruction.
4.3.3 Observations 19 types protoromans répondent au syllogisme en CESARE, soit 4,8 % des types structurant l’inventaire actuel du DÉRom. Douze d’entre eux se limitent à l’ancien francoprovençal, variété qui exclut le parler du Grand-Bornand, attesté seulement depuis le début du 20e siècle (ainsi TappoletEnquête [1901], cf. cidessus 3.3, Constantin/Désormaux 1902 et Constantin/Gave 1908) ; sept autres se cantonnent à des variétés diatopiques du francoprovençal (francoprovençal de Suisse romande ; francoprovençal sud-oriental ; francoprovençal de la Vallée d’Aoste ; francoprovençal occidental ; francoprovençal de la région lyonnaise) qui, de même, excluent le parler du Grand-Bornand.
4.3.4 Glossaire (troisième série) Voici la liste des 19 items qui relèvent du syllogisme en CESARE : (105) */ˈbaltiu/ s.m. ‘bande de terrain dominant une dépression’ (sous */ˈbaltiu/, type II.2. [masculin, ‘id.’]) > aost. baws ‘bande de gazon dans les rochers’ (AIS 425a p 143). ♦ Gborn. Ø. On attendrait régulièrement protorom. */ˈbaltiu/ > gborn. *[ˈbofo].
50 | Jérémie Delorme (106) */ˈbɪβere/ v.tr. ‘boire’ (sous */ˈbɪβe/) > afrpr. beivre (1220/1230 – 13e/14e s., ProsalegStimm 90 ; Philipon,R 30, 249 ; FEW 1, 348a). ♦ Gborn. Ø : gborn. [ˈbai̯re] (TappoletEnquête no 20), [ˈbai̯rə] (PoulatGrand-Bornand 141 et passim ; DelormeEnquêtes), [ˈbajr] (PailletGrand-Bornand 28 [en parlant d’animaux]), [ˈbɛr] (PailletGrand-Bornand 28 et passim) ne présentent pas la forme étymologique, laquelle, « évincée par frpr. ˹beyre˺ (dp. 1286/1294, Aebischer/ Gauchat in GPSR 2, 454 ; MargOingtD 142, 154 ; HafnerGrundzüge 31, 33 ; ALF 142), semble avoir subi l’influence analogique de crájre ‘croire’ » (Groß/ Schweickard 2010–2014 in DÉRom s.v. */ˈbɪβe/ n. 6 [version du 02/08/2014]). On attendrait régulièrement protorom. */ˈbɪβere/ > gborn. *[ˈbai̯vrə]. (107) */βiˈnakia/ s.f. ‘marc de raisin’ (type I. [singulier]) > aost. vinace (FEW 14, 479b). ♦ Gborn. Ø. On attendrait régulièrement protorom. */βiˈnakia/ > gborn. *[vˈnafə]. (108) */ˈβɔstru/ adj. poss. ‘votre’ (type I. [*/ˈβɔstru/]) > afrpr. vostre (1220 – 1230 [c.s.], HafnerGrundzüge 135 ; FEW 14, 349b ; cf. ALF 1569). ♦ Gborn. Ø. « Seule la forme du cas sujet de l’ancien francoprovençal constitue un continuateur régulier de l’étymon (< */ˈβɔster/), tandis que la forme du cas régime, et donc celle transmise à la langue moderne et contemporaine, porte la marque de l’analogie avec le possessif de la quatrième personne nostron, qui est lui-même analogique de la forme de la première personne mon (cf. Hasselrot,MélWalberg) » (Aresti/Dworkin 2016–2018 in DÉRom s.v. */ˈβɔstru n. 1 [version du 07/08/2018]). Or, gborn. [ˈvutro] (PoulatGrand-Bornand 331 ; PailletGrand-Bornand 142 ; DelormeEnquêtes), issue régulièrement attendue de protorom. */ˈβɔstru/, est la forme du masculin singulier du pronom possessif, laquelle, à la faveur d’une extension catégorielle, paraît avoir évincé une forme en [õ] (*[vˈtrõ] ?) du masculin singulier de l’adjectif possessif, retrouvée dans plusieurs parlers voisins (cf. Constantin/Désormaux 1902 s.v. vtron). (109) */dɪskaβallɪˈkare/ v.tr. ‘faire cesser d’être en position de chevauchement’ (sous */dɪskaˈβallika/, type II. [‘id.’]) > SRfrpr. dètsəvœudzi ‘séparer (ce qui est imbriqué, superposé, emboîté)’ (Marguerat in GPSR 5, 117 [Valais]). ♦ Gborn. Ø. On attendrait régulièrement protorom. */dɪskaβallɪˈkare/ > gborn. *[deθvɒo̯ ˈði]. (110) */ˈdʊi/ num. card. m.pl. nom. ‘deux’ (type I.1. [masculin pluriel nominatif]) > afrpr. dui (1220/1230 – 14e s., ProsalegMussafia 6, 229 ; SommeCode 12 ; MargOingtD 114 ; FEW 3, 181a ; GPSR 5, 555). ♦ Gborn. Ø : étymon continué dans le parler du Grand-Bornand seulement à travers le type I.2. [masculin pluriel accusatif]. On manque de parallèles pour postuler l’issue régulièrement attendue de protorom. */ˈdʊɪ/ dans le parler du Grand-Bornand. – Cf. ci-dessus (24) et (25).
1.2 Du niveau protoroman au niveau microroman, et vice versa | 51
(111) */ekˈsire/ v.intr. ‘sortir’ (sous */ˈɛksi/) > afrpr. issir (1ère m. 13e s., SommeCode 22 ; FEW 3, 295b). ♦ Gborn. Ø : type évincé par des continuateurs de protorom. */sorˈtire/ > gborn. [surˈti] (PoulatGrand-Bornand 63 ; DelormeEnquêtes). On attendrait régulièrement protorom. */ekˈsire/ > gborn. *[iˈsi]. (112) */ˈɸɔliu/ s.m. ‘feuille’ (type I. [neutre singulier > masculin]) > afrpr. fuel ‘feuille de papier’ (1338/1340 [fueyls de paper pl.], Devaux,RLaR 55, 288 ; HafnerGrundzüge 108). ♦ Gborn. Ø : étymon continué dans le parler du GrandBornand seulement à travers le type II. (neutre pluriel > féminin en */a/). Il semblerait qu’on attende régulièrement protorom. */ˈɸɔliu/ > gborn. *[ˈfɔ]. – Cf. ci-dessus (33). (113) */ˈɸuɡere/ v.intr./tr. ‘fuir’ (sous */ˈɸuɡe/, type I. [flexion en */ˈe/]) > SRfrpr. fuirè (Godat in GPSR 7, 1097). ♦ Gborn. Ø. On attendrait régulièrement protorom. */ˈɸuɡere/ > gborn. *[ˈfwirə]. – Cf. ci-dessous (150). (114) */ˈkredere/ v.ditr. ‘prêter’ (sous */ˈkrede/, type II. [sens concret]) > afrpr. creire ‘confier (qch. à qn)’ (hap. 1ère m. 13e s. [creit prés. 3], SommeCode 12). ♦ Gborn. Ø : étymon continué dans le parler du Grand-Bornand seulement à travers le type I. (sens abstrait). – Cf. ci-dessus (49). (115) */ˈlakte/ s.m. ‘lait’ (type II. [changement de genre > masculin]) > frpr. occid. ˹[lɑ]˺ (dp. ca 1220/1230 [lait], ProsalegStimm 49 ; FEW 5, 110a ; ALF 746). ♦ Gborn. Ø : type évincé de la plupart des variétés non occidentales du francoprovençal par des continuateurs de protorom. */lakˈtɛllu/ s.m. > gborn. [laˈfe] (TappoletEnquête no 86 ; PoulatGrand-Bornand 98 et passim ; PailletGrand-Bornand 26 et passim ; DelormeEnquêtes) ; cf. FEW 5, 114a. On attendrait régulièrement protorom. */ˈlakte/ > gborn. *[ˈlæi̯]. (116) */lauˈdare/ v.tr. ‘louer’ (sous */ˈlauda/) > afrpr. luar (déb. 13e s. [loa part. p.], HafnerGrundzüge 155). ♦ Gborn. Ø : type non retrouvé ; dans ce sens, le parler du Grand-Bornand connaît [vãˈtʌ] (DelormeEnquêtes) ; cf. FEW 14, 155a. On attendrait régulièrement protorom. */lauˈdare/ > gborn. *[ˈlwʌ]. (117) */ˈlumine/ s.m. ‘lumière’ (sous */ˈlumen/, type III.1.b.) > afrpr. lumen (fin 16e s., TuaillonPoèmes 126 ; cf. DevauxEssai 216 ; SeifertProparoxytona 92). ♦ Gborn. Ø : type non retrouvé ; dans ce sens, le parler du Grand-Bornand connaît [lˈmirə] (PoulatGrand-Bornand 168 ; DelormeEnquêtes) ; cf. FEW 5, 445b. On attendrait régulièrement protorom. */ˈlumine/ > gborn. *[ˈlõ]. (118) */oˈrare/ v.ditr. ‘prier ; supplier’ (sous */ˈora/) > afrpr. orar v.tr. ‘prier’ (hap. 1220/1230, ProsalegStimm 23 = HafnerGrundzüge 53). ♦ Gborn. Ø : type évincé par protorom. */preˈkare/, « qui devai[t] être dans un rapport de (para)synonymie avec lui (cf. FEW 7, 385ab) » (Videsott 2020 in DÉRom s.v. */ˈora/, ici 403 [version du 14/02/2020]), > gborn. [praˈyi] (PoulatGrand-Bornand
52 | Jérémie Delorme 210 ; DelormeEnquêtes). On attendrait régulièrement protorom. */oˈrare/ > gborn. *[ɔˈrʌ]. (119) */plaˈkere/ v.tr.indir. ‘plaire’ (sous */ˈplake/) > afrpr. plaisir (1220/1230 [plaisie impf. 3], ProsalegMussafia 22 ; FEW 9, 1b ; HafnerGrundzüge 70, 115, 158-161, 188–189). ♦ Gborn. Ø : gborn. [ˈplere] (TappoletEnquête no 173), [ˈplerə] (PoulatGrand-Bornand 426 ; DelormeEnquêtes) présente une réfection analogique : « en français moderne et contemporain, [l’]issue régulière a été évincée par plaire [...], d’origine analogique (cf. MeyerLübkeGLR 2, § 125 ; FouchéVerbe 165-166 ; BourciezPhonétique § 116, remarque II. ; LaChausséeMorphologie 231)[ ;] le francoprovençal, l’occitan et le gascon présentent – probablement sous l’influence du français – la même réfection, plus tardive ou plus rare ([...] frpr. plaire (dp. 1286/1310 [playre], MargOingtD 116 ; FEW 9, 1b ; ALF 1672) » (Andronache 2014–2016 in DÉRom s.v. */ˈplake/ n. 6 [version du 11/07/2016]). On attendrait régulièrement protorom. */plaˈkere/ > gborn. *[plai̯ˈzi]. (120) */resˈpɔndere/ v.tr. ‘correspondre (à)’ (sous */resˈpɔnde/, type II.1. [sens abstrait ‘correspondre’]) > afrpr. respondre (av. 1310 [respondeit impf. 3], MargOingtD 106). ♦ Gborn. Ø : étymon continué dans le parler du Grand-Bornand seulement à travers le type I. (sens concret). – Cf. ci-dessus (94) et ci-dessous (192). (121) */roˈtʊndu/ adj. ‘rond’ (sous */reˈtʊndu/, type II.1. [attraction de */ˈrɔta/]) > afrpr. raond (1er qu. 13e s., Philipon,R 22, 40). ♦ Gborn. Ø : étymon continué dans le parler du Grand-Bornand seulement à travers le type I. (originel). On attendrait régulièrement protorom. */roˈtʊndu/ > gborn. *[ˈrwã]. – Cf. ci-dessus (95). (122) */ˈsparɡere/ v.tr. ‘disperser’ (sous */ˈsparɡe/, type I. [‘id.’]) > lyonn. epady (hap. 17e s., FEW 12, 133b). ♦ Gborn. Ø. On attendrait régulièrement protorom. */ˈsparɡere/ > gborn. *[eˈpard̪ rə]. (123) */troˈnare/ v.impers./intr. ‘tonner’ (sous */ˈtɔna/, type II. [avec insertion expressive de */r/]) > frpr. sud-orient. tronar (FEW 13/2, 23b ; ALF 1315 p 975, 985, 986, 987 ; AIS 396 ; ALJA 29 p 61, 62, 63, 64, 72, 76, 77, 78, 84, 86 ; ALLy 780*). ♦ Gborn. Ø : étymon continué dans le parler du Grand-Bornand seulement à travers le type I. (originel). On attendrait régulièrement protorom. */troˈnare/ > gborn. *[trãˈnʌ]. – Cf. ci-dessus (103).
1.2 Du niveau protoroman au niveau microroman, et vice versa | 53
4.4 Mode BOCARDO 4.4.1 Définition « Il y a des colères qui ne sont pas blâmables : Toute colère est une passion : Donc il y a des passions qui ne sont pas blâmables » (Arnauld/Nicole 1992 [1662], 186). « Lorsque de deux termes l’un peut être nié et l’autre affirmé de la même chose, ils peuvent se nier particulièrement l’un de l’autre » (Arnauld/Nicole 1992 [1662], 186) : puisque l’on peut nier que le parler du Grand-Bornand continue tel type protoroman T continué en francoprovençal (ou en francoprovençal oriental, ou en savoyard), mais donc affirmer que ce même type est continué par ailleurs en francoprovençal (ou en francoprovençal oriental, ou en savoyard), aussi peuton nier que tout parler francoprovençal (ou francoprovençal oriental, ou savoyard) continue T.
4.4.2 Application Il est des cas où le parler du Grand-Bornand ne continue pas tel type protoroman T, continué en francoprovençal (ou dans la variété orientale ou savoyarde du francoprovençal) : Et sachant que le parler du Grand-Bornand est un parler francoprovençal (et aussi francoprovençal oriental, et aussi savoyard) : Alors il est des cas où tous les parlers francoprovençaux (ou francoprovençaux orientaux, ou savoyards) ne continuent pas T. Autrement dit, la continuation d’un type protoroman par le francoprovençal n’implique pas nécessairement que ce type soit continué dans toutes les variétés que le francoprovençal, langue-toit, abrite, et, à plus forte raison, le soit par le parler du Grand-Bornand.
4.4.3 Observations Sur 84 types protoromans qui souscrivent au syllogisme en BOCARDO, soit 21,1 % des types structurant l’inventaire actuel du DÉRom, 79 qui sont continués par le francoprovençal en général ne le sont pas par le parler du Grand-Bornand ; cinq autres qui sont continués par des variétés francoprovençales abritant le parler du Grand-Bornand (francoprovençal oriental [cf. articles nos 125, 178, 180] ;
54 | Jérémie Delorme francoprovençal parlé en Savoie [cf. articles nos 175, 198]) ne sont pas non plus continués par ce parler.
4.4.4 Glossaire (quatrième série) Voici la liste des 84 items qui relèvent du syllogisme en BOCARDO : (124) */ˈaɡru/ s.n. ‘territoire d’un animal sauvage’ (type II.3. [‘id.’]) > frpr. ˹[ˈɑːra]˺ s.f. ‘nid d’aigle’ (Tappolet in GPSR 1, 228). ♦ Gborn. Ø : « les continuateurs de protorom. */ˈaɡru/ ont rencontré partiellement ceux de protorom. */ˈaria/ (cf. RohlfsAger), phénomène qui a pu être favorisé par l’existence (non directement reconstructible) d’un pluriel de type */ˈaɡra/ » (Alletsgruber 2014–2019 in DÉRom s.v. */ˈaɡru/ [version du 05/02/2019]), ce qui expliquerait la remorphologisation et la recatégorisation qui affectent le résultat de */ˈaɡru/ en francoprovençal (ainsi qu’en français, en occitan et en catalan [et peut-être en gascon]) ; on attendrait dès lors */ˈaɡru/ > gborn. *[ˈera]. – « La plus grande partie de la Gaule ne connaît que le sens II.3. [c’est-à-dire ni ‘champ’, ni, marginalement, ‘territoire rural’ et ‘portion du finage’], probablement parce qu’elle a généralisé précocement */ˈkampu/ dans le sens I. » (Alletsgruber 2014–2019 in DÉRom s.v. */ˈaɡru/ n. 9 [version du 05/02/2019]) ; le sens ‘champ’ est en effet assumé en bornandin par une issue de cet étymon, [ˈθã] (TappoletEnquête no 212 ; PoulatGrand-Bornand 244 et passim ; PailletGrand-Bornand 51 ; DelormeEnquêtes). (125) */aˈketu/ s.m. ‘vinaigre’ (sous */aˈketu/1) > frpr. orient. ˹azi˺ ‘mélange de petit-lait aigri et de vinaigre qu’on emploie dans la fabrication du sérac comme agent de coagulation de l’albumine contenue dans le sérum’ (FEW 24, 101b ; ALF 1397 p 985). ♦ Gborn. Ø : les issues francoprovençales sont restreintes à une partie orientale du domaine (SRfrpr. aost. sav. [cf. */aˈketu/1 n. 4]) qui, au vu de la distribution des attestations (cf. détails dans le FEW et l’ALF), n’exclut pas la région du Grand-Bornand. L’agent de coagulation employé traditionnellement au Grand-Bornand à la fabrication du sérac était un mélange de petit-lait aigri et d’une infusion de plantes acides, dont le nom n’a pas été retrouvé. On attendrait régulièrement protorom. */aˈketu/ > gborn. *[æi̯ˈzæi̯]. (126) */ˈakru/ adj. ‘aigre’ > frpr. ˹éro˺ (dp. 17e s., FEW 24, 95a ; Gauchat/Muret in GPSR 1, 204–205 s.v. aigre ; HafnerGrundzüge 115). ♦ Gborn. Ø : gborn. [ˈeɡrɔ] adj. ‘aigre’ (PoulatGrand-Bornand 274 ; DelormeEnquêtes) est un emprunt adapté (< fr. aigre [contra PoulatGrand-Bornand 274]). On attendrait régulièrement protorom. */ˈakru/ > gborn. *[ˈerɔ].
1.2 Du niveau protoroman au niveau microroman, et vice versa | 55
(127) */ˈakuila/ s.f. ‘aigle’ (type I. [originel]) > frpr. ˹aʎə˺ (Gauchat/Muret in GPSR 1, 201–204 ; FEW 25, 72a ; ALF 13). ♦ Gborn. Ø : étymon continué dans le parler du Grand-Bornand seulement à travers le type V. (évolutif > */ˈauɡuila/). On manque de parallèles pour postuler assez sûrement l’issue régulièrement attendue de protorom. */ˈakuila/ dans le parler du Grand-Bornand (> *[ˈaʎə] ?). – Cf. ci-dessus (7). (128) */ˈalia/ s.f. ‘ail’ (sous */ˈaliu/, type II. [neutre pluriel > féminin]) > frpr. [ˈaji] (FEW 24, 333b ; ALF 17). ♦ Gborn. Ø. On attendrait régulièrement protorom. */ˈalia/ > gborn. *[ˈaʎə]. – Cf. ci-dessous (129). (129) */ˈaliu/ s.m. ‘ail’ (type I. [neutre singulier > masculin]) > frpr. ˹[ˈaʎ]˺ (dp. ca 1300 [ex pl.], Philipon,R 13, 569 ; FEW 24, 333ab ; Jeanjaquet in GPSR 1, 217– 219 ; HafnerGrundzüge 87 ; ALF 17, 1775, 1831). ♦ Gborn. Ø : gborn. [ˈajə] s.m. (PoulatGrand-Bornand 85, 86 ; DelormeEnquêtes) est tributaire de fr. ail à moins qu’il n’en soit un emprunt, avec [ə] paragogique (cf. gborn. [ˈdœjə] < fr. deuil, gborn. [foˈtœjə] < fr. fauteuil). On attendrait régulièrement protorom. */ˈaliu/ > gborn. *[ˈa]. – Cf. ci-dessus (128) et ci-dessous (141). (130) */aˈnɛllu/ s.m. ‘anneau’ (type I.1. [masculin originel, ‘id.’]) > frpr. ˹anɛ˺ (dp. 1316/1344 [anel], DocLyonnais 58-59 ; FEW 24, 554b ; Tappolet in GPSR 1, 433). ♦ Gborn. Ø : type non retrouvé ; dans ce sens, le parler du Grand-Bornand connaît [bɔˈkʎə] s.f. (DelormeEnquêtes ; cf. FEW 1, 591a. On attendrait régulièrement protorom. */aˈnɛllu/ > gborn. *[aˈne]. (131) */ˈarbore/ s.m. ‘pièce maîtresse’ (type II.3.a. [masculin innovant, ‘id.’, sans dissimilation]) > frpr. ˹arbro˺ (dp. 15e s., HafnerGrundzüge 83 ; Aebischer/ Jeanjaquet in GPSR 1, 569–574). ♦ Gborn. Ø : étymon continué dans le parler du Grand-Bornand seulement à travers le type II.1.a. (masculin innovant, ‘arbre’, sans dissimilation). – Cf. ci-dessus (6). (132) */aˈrete/ s.m. ‘bélier’ (sous */arˈiete/, type II. [strate plus récente]) > frpr. ˹arei˺ (dp. 16e s., TuaillonPoèmes 160 ; DuraffourGlossaire n° 437 ; FEW 25, 218a ; ALF 124 p 818, 912, 921 ; ALLy 314 [ALLy 5, 314 : « arè est un type vieilli, en recul »] ; ALJA 715 p 65, 67, 81). ♦ Gborn. Ø : type non retrouvé ; dans ce sens, le parler du Grand-Bornand continue protorom. */molˈtone/. On attendrait régulièrement protorom. */aˈrete/ > gborn. *[aˈræi̯]. – Cf. ci-dessus (73). (133) */askʊlˈtare/ v.tr. ‘écouter’ (sous */asˈkʊlta/, type I. [‘id.’]) > frpr. ˹acoutar˺ (dp. 2e m. 12e s., FEW 25, 1046b ; Liard in GPSR 6, 104–106). ♦ Gborn. Ø : type non retrouvé ; dans ce sens, le parler du Grand-Bornand continue protorom. */eskolˈtare/. On attendrait régulièrement protorom. */askʊlˈtare/ > gborn. *[ɒkɔu̯ ˈtʌ]. – Cf. ci-dessus (27) et ci-dessous (134) et (144). (134) */askʊlˈtare/ v.tr. ‘suivre’ (sous */asˈkʊlta/, type II. [‘id.’]) > frpr. ˹acoutar˺ (FEW 25, 1046b ; Liard in GPSR 6, 104–106). ♦ Gborn. Ø : type non
56 | Jérémie Delorme retrouvé ; dans ce sens, le parler du Grand-Bornand connaît [ˈʃwivrə] (DelormeEnquêtes ; cf. FEW 11, 488b. – Cf. ci-dessus (27) et (133) et ci-dessous (144). (135) */auˈdire/ v.tr. ‘entendre’ (sous */auˈdi/) > frpr. ˹oir˺ (dp. 1220/1230, FEW 25, 837b ; HafnerGrundzüge 58, 118 ; ALF 466). ♦ Gborn. Ø : type non retrouvé ; dans ce sens, le parler du Grand-Bornand connaît [ɛˈtɛdrə] (DelormeEnquêtes) ; cf. FEW 4, 741a. On attendrait régulièrement protorom. */auˈdire/ > gborn. *[ˈwi]. (136) */ˈβena/ s.f. ‘veine’ > frpr. ˹véina˺ (FEW 14, 226b ; ALF 1356). ♦ Gborn. Ø (continué mais non retrouvé ?). On attendrait régulièrement protorom. */ˈβen-a/ > gborn. *[ˈvɛna]. (137) */βesˈsika/ s.f. ‘vessie’ (sous */βesˈsika/, type I. [‘id.’]) > frpr. ˹vesyò˺ (ALLy 1116 ; ALF 1380). ♦ Gborn. Ø (continué mais non retrouvé ?). On attendrait régulièrement protorom. */βɛsˈsika/ > gborn. *[veˈsi]. (138) */ˈbruma/ s.f. ‘brouillard (surtout brouillard sur mer)’ (type III. [‘id.’]) > frpr. brõma ‘pluie très fine qui résulte de la condensation du brouillard, bruine’ (KläuiNebel 35 ; Desponds in GPSR 2, 862–863 s.v. brume ; ALF 181). ♦ Gborn. Ø : gborn. [ˈbrymə] (PoulatGrand-Bornand 56) est un emprunt adapté (< fr. brume). On attendrait régulièrement protorom. */ˈbrum-a/ > gborn. *[ˈbrõma]. (139) */doˈlore/ s.f. ‘douleur physique ; douleur morale’ (type II. [féminin innové]) > frpr. ˹doulou˺ (dp. 1220/1230 [dolor], ProsalegMussafia 187 ; HafnerGrundzüge 53, 54 ; Casanova in GPSR 5, 904–905). ♦ Gborn. Ø. On attendrait régulièrement protorom. */doˈlore/ > gborn. *[doˈlɔu̯ ]. (140) */ˈdɔlu/ s.n. ‘douleur morale’ (type II. [‘id.’]) > frpr. ˹dœ˺ s.m. (dp. ca 1520, Müller in GPSR 5, 553). ♦ Gborn. Ø. – Cf. ci-dessous (141). (141) */ˈdɔlu/ s.n. ‘deuil’ (type III. [‘id.’]) > frpr. ˹dœ˺ s.m. (dp. 1457, Müller in GPSR 5, 552 ; FEW 3, 121a). ♦ Gborn. Ø : gborn. [ˈdœjə] (PoulatGrand-Bornand 200), [ˈdœj] (PailletGrand-Bornand 104) est un emprunt (< fr. deuil). On attendrait régulièrement protorom. */ˈdɔlu/ > gborn. *[ˈdy]. – Cf. ci-dessus (140). (142) */ˈɛβulu/ s.m. ‘hièble’ > frpr. [ˈibʎo] (FEW 3, 202a [SRfrpr.]). ♦ Gborn. Ø. On attendrait régulièrement protorom. */ˈɛβulu/ > gborn. *[ˈiblɔ]. (143) */ˈɛdera/ s.f. ‘lierre’ (type I. [*/ˈɛdera]) > frpr. ˹ira˺ (dp. 1434/1436 [iry], HafnerGrundzüge 129 ; PuitspeluLyonnais ; FEW 4, 396b–397a ; ALF 768 ; ALLy 464 ; ALLy 5, 332). ♦ Gborn. Ø : gborn. [ˈljɛr] (PailletGrand-Bornand 63) est un emprunt (< fr. lierre). On attendrait régulièrement protorom. */ˈɛdera/ > gborn. *[ˈira]. (144) */eskolˈtare/ v.tr. ‘suivre’ (sous */esˈkolta/, type II. [‘id.’]) > frpr. ˹escoutar˺ (Liard in GPSR 6, 104–106 ; FEW 25, 1048b). ♦ Gborn. Ø : type non retrouvé ; dans ce sens, le parler du Grand-Bornand connaît [ˈʃwivrə]
1.2 Du niveau protoroman au niveau microroman, et vice versa | 57
(DelormeEnquêtes) ; cf. FEW 11, 488b. Étymon continué dans le parler du GrandBornand seulement à travers le type I. (‘écouter’). – Cf. ci-dessus (27), (133) et (134). (145) */ɸaˈmina/ s.f. ‘faim’ (sous */ˈɸamen/, type III.1. [remorphologisation en */a/, ‘id.’]) > frpr. ˹famena˺ (dp. 1696, Liard in GPSR 7, 141). ♦ Gborn. Ø : étymon continué dans le parler du Grand-Bornand seulement à travers le type II.1. (recatégorisation féminine, ‘faim’). On attendrait régulièrement protorom. */ɸaˈmina/ > gborn. *[famˈna]. – Cf. ci-dessus (30) et ci-dessous (146) et (147). (146) */ɸaˈmina/ s.f. ‘famine’ (sous */ˈɸamen/, type III.2. [remorphologisation en */a/, ‘id.’]) > frpr. ˹famena˺ (FEW 3, 406a ; GPSR 7, 140–141). ♦ Gborn. Ø. – Cf. ci-dessus (30) et (145) et ci-dessous (147). (147) */ɸaˈmina/ s.f. ‘désir’ (sous */ˈɸamen/, type III.3. [remorphologisation en */a/, ‘id.’]) > frpr. ˹famena˺ (GPSR 7, 141). ♦ Gborn. Ø. – Cf. ci-dessus (30), (145) et (146). (148) */ˈɸiliu/ s.m. ‘fils’ > frpr. ˹fi˺ (dp. 1er qu. 12e s. [fil], AlexAlbZ 412 ; FEW 3, 521a ; Gassmann in GPSR 7, 459 ; HafnerGrundzüge 178, 179 ; ProsalegStimm 55, 59 [fil] ; DuraffourGlossaire n° 3777). ♦ Gborn. Ø : type non retrouvé ; dans ce sens, le parler du Grand-Bornand connaît [ɡarˈsõ] s.m. (DelormeEnquêtes ; cf. FEW 17, 616a) et [ˈfjy] s.m. (DelormeEnquêtes ; cf. FEW 3, 520a). On attendrait régulièrement protorom. */ˈɸiliu/ > gborn. *[ˈfi]. (149) */ˈɸranɡere/ v.tr. ‘briser’ (sous */ˈɸranɡe/) > frpr. freindre (dp. ca 1220/1230 [franiam prés. 4], ProsalegMussafia 217 = Philipon,R 30, 252 ; FEW 3, 752b ; Huber in GPSR 7, 1000–1001). ♦ Gborn. Ø. On attendrait régulièrement protorom. */ˈɸranɡere/ > gborn. *[ˈfrɛ̃ d̪rə]. (150) */ɸuˈɡire/ v.intr./tr. ‘fuir’ (sous */ˈɸuɡe/, type II. [flexion en */ˈi]) > frpr. fuir (dp. 1ère m. 13e s., SommeCode 13 ; FEW 3, 836b ; DuraffourGlossaire n° 4079 ; GPSR 7, 1097–1100). ♦ Gborn. Ø. On attendrait régulièrement protorom. */ɸuˈɡire/ > gborn. *[ˈfwi]. – Cf. ci-dessus (113). (151) */ˈɡɛneru/ s.m. ‘gendre’ (type I. [originel]) > frpr. ˹dzindro˺ (dp. 1430/1432 [gindre], Müller in GPSR 8, 234 ; FEW 4, 96a ; HafnerGrundzüge 74 [gindro]). ♦ Gborn. Ø : type non retrouvé ; dans ce sens, le parler du GrandBornand connaît [ˈbjo ˈfjy] s.m. (TappoletEnquête no 84 ; DelormeEnquêtes). On attendrait régulièrement protorom. */ˈɡɛneru/ > gborn. *[ˈðɛdro]. (152) */iaˈkere/ v.intr. ‘être couché ; se trouver’ (sous */ˈiake/) > frpr. gisir (dp. 1220/1230 [geit prés. 3], ProsalegStimm 49 ; HafnerGrundzüge 70 ; Flückiger in GPSR 8, 301–303 ; FEW 5, 1a [SRfrpr. aost.] ; ALF 329, 1519). ♦ Gborn. Ø. On attendrait régulièrement protorom. */iaˈkere/ > gborn. *[ðai̯ˈzai̯]. (153) */kaβalliˈkare/ v.intr. ‘être en selle’ (sous */kaˈβallika-/, type I.1. [‘id.’]) > frpr. tsevaodzi (dp. 1411/1412 [chavouchiron prét. 6], Marzys in GPSR 3,
58 | Jérémie Delorme 531 ; FEW 2, 6a). ♦ Gborn. Ø. On attendrait régulièrement protorom. */kaβalliˈkare/ > gborn. *[θvɒo̯ ˈði]. – Cf. ci-dessous (154), (155) et (156). (154) */kaβalliˈkare/ v.tr.dir. ‘chevaucher’ (sous */kaˈβallika-/, type I.2. [‘monter (un cheval ou un autre animal)’]) > frpr. tsevaodzi (dp. 1225 [ms. ca 1375 ; chavauche prés. 3], DocLyonnais 85 = HafnerGrundzüge 171 ; GPSR 3, 531). ♦ Gborn. Ø. – Cf. ci-dessus (153) et ci-dessous (155) et (156). (155) */kaβalliˈkare/ v.tr.dir. ‘être à califourchon (sur)’ (sous */kaˈβallika-/, type II. [‘id.’]) > frpr. tsevaodzi (GPSR 3, 531). ♦ Gborn. Ø. – Cf. cidessus (153) et (154) et ci-dessous (156). (156) */kaβalliˈkare/ v.tr.dir. ‘saillir’ (sous */kaˈβallika-/, type III. [‘s’accoupler (avec une femelle)’]) > frpr. tsevaodzi (GPSR 3, 532). ♦ Gborn. Ø. – Cf. ci-dessus (153), (154) et (155). (157) */kaˈβallu/ s.m. ‘cheval’ > frpr. [tsåˈva] (dp. 1ère m. 13e s. [chaval], SommeCode 21 ; FEW 2, 8b–9a ; HafnerGrundzüge 82 ; Marzys in GPSR 3, 522– 526 ; ALF 269 ; ALLy 311 p 58, 59, 60). ♦ Gborn. Ø : gborn. [θˈvo] (TappoletEnquête no 196 ; PoulatGrand-Bornand 73 et passim ; PailletGrand-Bornand 44 et passim ; DelormeEnquêtes) appartient aux « formes du domaine francoprovençal de type [tsəˈvo], [tsiˈvo] [qui] représentent des pluriels dont le vocalisme initial manifeste une influence française (cf. GardetteForez 190-194) » (Cano González 2009–2014 in DÉRom s.v. */kaˈβallu/ n. 1 [version du 26/07/2014]). On attendrait régulièrement protorom. */kaˈβallu/ > gborn. *[θˈvʌ]. (159) */kaˈdere/ v.intr. ‘tomber’ (sous */ˈkade/, type II. [flexion en */ˈe/]) > frpr. ˹tsái˺ (dp. 1ère m. 13e s. [cheir], SommeCode 104 ; FEW 2, 24ab ; HafnerGrundzüge 68 ; Marzys in GPSR 3, 604–609 ; ALF 1311 ; ALJA 133). ♦ Gborn. Ø : type non retrouvé ; dans ce sens, le parler du Grand-Bornand connaît [tãˈbʌ] (DelormeEnquêtes) ; cf. FEW 13/2, 404a. On attendrait régulièrement protorom. */kaˈdere/ > gborn. *[ˈθai̯]. (159) */ˈkapu/ s.m. ‘tête’ (sous */ˈkaput/, type II.1. [recatégorisation, sens concret]) > frpr. chie (dp. 1294, MargOingtD 148 ; HafnerGrundzüge 63–65, 68–69, 168). ♦ Gborn. Ø : type non retrouvé ; dans ce sens, le parler du Grand-Bornand connaît [ˈteta] (DelormeEnquêtes) ; cf. FEW 13/1, 272a. On attendrait régulièrement protorom. */ˈkapu/ > gborn. *[ˈθi]. – Cf. ci-dessous (160). (160) */ˈkapu/ s.m. ‘extrémité’ (sous */ˈkaput/, type II.2. [recatégorisation, sens abstrait]) > frpr. chie (dp. ca 1220/1230, HafnerGrundzüge 65). ♦ Gborn. Ø : type non retrouvé ; dans ce sens, le parler du Grand-Bornand connaît [θaˈvõ] s.m. (DelormeEnquêtes) ; cf. FEW 2, 337b. – Cf. ci-dessus (159). (161) */ˈkarpina/ s.f. ‘charme’ (sous */ˈkarpinu/, type II. [remorphologisation]) > frpr. charpena (Burger in GPSR 3, 379–380 ; FEW 2, 407a ; ALF 241
1.2 Du niveau protoroman au niveau microroman, et vice versa | 59
[général] ; ALLy 448 ; ALJA 530 [Jura [ˈtsarna]]). ♦ Gborn. Ø. On attendrait régulièrement protorom. */ˈkarpina/ > gborn. *[θarpˈna]. – Cf. ci-dessous (162). (162) */ˈkarpinu/ s.m. ‘charme’ (type I. [changement de genre]) > frpr. charpeno (dp. 1571 [charpenoz], Burger in GPSR 3, 379–380 ; FEW 2, 406b ; ALF 241 p 50 ; ALLy 448). ♦ Gborn. Ø : gborn. [ˈθarmo] (PailletGrand-Bornand 64) est un emprunt adapté (< fr. charme). On attendrait régulièrement protorom. */ˈkarpinu/ > gborn. *[θarpˈno]. – Cf. ci-dessus (161). (163) */ˈkera/ s.f. ‘cérumen (cire d’oreille)’ (type III.1. [sens métaphorique, ‘id.’]) > frpr. ciri (Burger in GPSR 4, 74–75). ♦ Gborn. Ø : étymon continué dans le parler du Grand-Bornand seulement à travers le type I. (‘cire d’abeille’). – Cf. cidessus (46). (164) */kɪrˈkare/ v.tr. ‘tourner autour (de) ; parcourir ; fouiller ; chercher’ (sous */ˈkɪrka/, type II. [sens restreint, ‘tourner autour (de)’ > ‘parcourir’ > ‘fouiller’ > ‘chercher’]) > frpr. ˹serčí˺ ‘chercher’ (dp. 1402 [serchie], Burger in GPSR 3, 509–511 ; HafnerGrundzüge 63–69 ; ALF 22). ♦ Gborn. Ø : gborn. [θarˈθi] (PoulatGrand-Bornand 217, 417 ; DelormeEnquêtes) présente une irrégularité ; la forme régulièrement attendue *[farˈθi] « a été affectée par une assimilation des consonnes intitiales de syllabe » (Heidemeier 2016 in DÉRom s.v. */ˈkɪrka/ n. 1 [version du 01/09/2016]). GBorn. [θɛrˈθi] (PailletGrand-Bornand 98) est tributaire de fr. chercher. (165) */klaˈmare/ v.tr. ‘appeler’ (sous */ˈklama/, type II. [emploi transitif ‘id.’]) > frpr. clamar (Berlincourt in GPSR 4, 94). ♦ Gborn. Ø. On attendrait régulièrement protorom. */klaˈmare/ > gborn. *[kʎaˈmʌ]. – Cf. ci-dessous (166). (166) */klaˈmare/ v.préd.tr. ‘proclamer’ (sous */ˈklama/, type III. [emploi prédicatif transitif ‘id.’]) > frpr. clamar (FEW 2, 729a–730b ; GPSR 4, 94). ♦ Gborn. Ø. – Cf. ci-dessus (165). (167) */ˈkɔrda/ s.f. ‘corde d’un arc’ (type I.2. [premier sens métonymique]) > frpr. ˹kɔrda˺ (Schüle in GPSR 4, 311). ♦ Gborn. Ø (continué mais non retrouvé ?) : étymon continué dans le parler du Grand-Bornand seulement à travers le type II. (sens métaphorique ‘corde’). – Cf. ci-dessus (48) et ci-dessous (168). (168) */ˈkɔrda/ ‘corde d’un instrument de musique’ (type I.3. [second sens métonymique]) > frpr. corda (dp. déb. 12e s., AlexAlbZ 413 ; GPSR 4, 311). ♦ Gborn. Ø (continué mais non retrouvé ?). – Cf. ci-dessus (48) et (167). (169) */ˈkreskere/ v.tr. ‘accroître’ (sous */ˈkreske/, type II. [verbe transitif]) > frpr. creitre (dp. 1286/1310 [creisit prét. 3], MargOingtD 106 ; Knecht in GPSR 4, 598 ; FEW 2, 1323b). ♦ Gborn. Ø : étymon continué dans le parler du Grand-Bornand seulement à travers le type I. (verbe intransitif). – Cf. ci-dessus (50).
60 | Jérémie Delorme (170) */ˈkuɛrere/ v.tr. ‘chercher’ (sous */ˈkuɛre/, type I.1. [flexion originelle, ‘id.’]) > frpr. querre (dp. 1220/1230, ProsalegMussafia 98 ; FEW 2, 1408a ; HafnerGrundzüge 23, 28, 95 ; ALF 22 ; DuraffourGlossaire n° 5024). ♦ Gborn. Ø : étymon continué dans le parler du Grand-Bornand seulement à travers le type II.1. (flexion innovante, ‘chercher’). On attendrait régulièrement protorom. */ˈkuɛrere/ > gborn. *[ˈkerə]. – Cf. ci-dessus (54). (171) */lamˈbruska/ s.f. ‘vigne sauvage ; fruit de la vigne sauvage’ (sous */laˈbruska/ ~ */laˈbrʊska/, type II.1.1. [avec épenthèse d’une consonne nasale, féminin originel, */lamˈbruska/]) > frpr. ˹[lãˈbrüθi]˺ (FEW 5, 108b). ♦ Gborn. Ø. On attendrait régulièrement protorom. */lamˈbruska/ > gborn. *[la͂ ˈbryθə]. – Cf. ci-dessous (172). (172) */lamˈbrʊska/ s.f. ‘vigne sauvage ; fruit de la vigne sauvage’ (sous */laˈbruska/ ~ */laˈbrʊska/, type II.1.2. [avec épenthèse d’une consonne nasale, féminin originel, */lamˈbrʊska/]) > frpr. lambrochi ‘grappe de raisin à laquelle il n’y a que quelques grains’ (FEW 5, 108b). ♦ Gborn. Ø. On attendrait régulièrement protorom. */lamˈbrʊska/ > gborn. *[la͂ ˈbrɔθə]. – Cf. ci-dessus (171). (173) */leˈβare/ v.tr. ‘enlever’ (sous */ˈlɛβa/, type I. [emploi transitif, ‘id.’]) > frpr. ˹levar˺ (FEW 5, 278a). ♦ Gborn. Ø : étymon continué dans le parler du Grand-Bornand seulement à travers les types III.1. (emploi intransitif, ‘lever’) et III.2. (emploi pronominal, ‘se lever’). – Cf. ci-dessus (58) et (59). (174) */luˈkire/ v.intr. ‘briller’ (sous */ˈluke/, type II. [flexion en */ˈi]) > frpr. ˹luire˺ (dp. ca 1220/1230 [luisit parf. 3], Philipon,R 30, 252 ; FEW 5, 429a). ♦ Gborn. Ø. On attendrait régulièrement protorom. */luˈkire/ > gborn. *[ˈʎwi]. (175) */lʊkˈtare/ v.intr. ‘lutter’ (sous */ˈlʊkta/) > sav. llièti (FEW 5, 438b ; cf. HafnerGrundzüge 101–109). ♦ Gborn. Ø. On manque de parallèles pour postuler l’issue régulièrement attendue de protorom. */lʊkˈtare/ dans le parler du Grand-Bornand. (176) */ˈmɛle/ s.f. ‘miel’ (type II. [féminin innové]) > frpr. miar (VilliéBeaujolais = DardelGenre 14 ; ChenalValdôtain2 s.v. më ; ALLy 368 p 34, 37 ; ALJA 799 [Isère míya]). ♦ Gborn. Ø : étymon continué dans le parler du Grand-Bornand seulement à travers le type III. (masculin restauré). – Cf. ci-dessus (70). (177) */ˈmɛnta/ s.f. ‘menthe’ > frpr. ˹menta˺ (FEW 6/1, 730a ; ALF 837). ♦ Gborn. Ø : type non retrouvé ; dans ce sens, le parler du Grand-Bornand connaît [ˈbomo] s.m. (DelormeEnquêtes) ; cf. FEW 1, 226a. On attendrait régulièrement protorom. */ˈmɛnta/ > gborn. *[ˈmɛta]. (178) */ˈmɛnte/ s.f. ‘esprit’ (type I. [sens abstrait]) > frpr. orient. men ‘mémoire’ (FEW 6/1, 708a). ♦ Gborn. Ø : étymon continué dans le parler du Grand-Bornand seulement à travers le type III. (suffixe). – Cf. ci-dessus (71).
1.2 Du niveau protoroman au niveau microroman, et vice versa | 61
(179) */ˈmɛrlu/ s.m. ‘merle’ > frpr. [ˈmεrlo] (dp. 1352, DevauxEssai 21, 234, 353 ; FEW 6/2, 35b ; DuraffourGlossaire n° 6171 ; ALLy 518* ; ALJA 978). ♦ Gborn. Ø : type évincé du Grand-Bornand par un continuateur de protorom. */ˈmɛrl-a/. On attendrait régulièrement protorom. */ˈmɛrlu/ > gborn. *[ˈmerlo]. – Cf. cidessus (72). (180) */ˈmɪliu/ s.m. ‘milliet’ (type I. [*/ˈmɪliu/]) > frpr. orient. ˹[ˈmœ]˺ (dp. 1487 [mit], GPSRMs ; FEW 6/2, 83a ; ALF 860 p 60, 954, 973 [type récessif : encore SRfrpr. sav.]). ♦ Gborn. Ø. On attendrait régulièrement protorom. */ˈmɪliu/ > gborn. *[ˈmœ]. (181) */ˈmʊlɡere/ v.tr. ‘traire’ (sous */ˈmʊlɡe/, type I. [originel]) > frpr. [ˈmwedre] (FEW 6/3, 198b–199a ; ALF 1323 p 956, 967 ; ALLy 378 p 46 ; ALJA 679 p 38, 42, 46). ♦ Gborn. Ø : type non retrouvé ; dans ce sens, le parler du GrandBornand connaît [ˈtrerə] (DelormeEnquêtes) ; cf. FEW 13/2, 179a. On manque de parallèles pour postuler l’issue régulièrement attendue de protorom. */ˈmʊlɡere/ dans le parler du Grand-Bornand. (182) */ˈmʊra/ s.f. ‘mûre (fruit du mûrier)’ (type II. ‘id.’) > frpr. ˹mura˺ (dp. 1633 [mora], FEW 6/3, 152b). ♦ Gborn. Ø : étymon continué dans le parler du Grand-Bornand seulement à travers le type I. (‘fruit de la ronce’). – Cf. ci-dessus (78). (183) */ˈmʊstu/ s.n. ‘jus de raisin dont la vinification n’a pas commencé ou n’est pas terminée’ > frpr. [ˈmuː] s.m. ‘vin doux’ (Gignoux,ZrP 26, 142). ♦ Gborn. Ø. On attendrait régulièrement protorom. */ˈmʊstu/ > gborn. *[ˈmɔ]. (184) */nomɪˈnare/ v.tr. ‘nommer’ (sous */ˈnomina/) > frpr. ˹noumar˺ (dp. ère 1 m. 13e s. [nonna part. p.], SommeCode 56 ; FEW 7, 179b). ♦ Gborn. Ø. On attendrait régulièrement protorom. */nomɪˈnare/ > gborn. *[na͂ ˈnʌ]. (185) */ˈnɔra/ s.f. ‘bru’ (sous */ˈnʊru/, type II.2. [vocalisme analogique, avec remorphologisation]) > frpr. nora (FEW 7, 246a [norå] ; ALJA 1334 p 53, 64, 84 ; DuraffourGlossaire n° 6750 ; HafnerGrundzüge 44 [Faeto nnōrə]). ♦ Gborn. Ø : type non retrouvé ; dans ce sens, le parler du Grand-Bornand connaît [ˈbala ˈfʎœ] (DelormeEnquêtes). On attendrait régulièrement protorom. */ˈnɔra/ > gborn. *[ˈnɒo̯ ra]. (186) */ˈpalu/ s.m. ‘pieu’ > frpr. pau (dp. ca 1220/1230 [pauz pl.], ProsalegMussafia 229 ; FEW 7, 524b ; HafnerGrundzüge 17 ; VitaliLatein 557 ; ALF 434 [‘échalas’]). ♦ Gborn. Ø. On attendrait régulièrement protorom. */ˈpalu/ > gborn. *[ˈpʌ]. (187) */ˈpesu/ s.m. ‘charge’ (type II.1 [recatégorisation, ‘id.’]) > frpr. ˹pei˺ (HafnerGrundzüge 31 ; FEW 8, 204a). ♦ Gborn. Ø : étymon continué dans le parler du Grand-Bornand seulement à travers le type II.4. (recatégorisation, ‘poids’). – Cf. ci-dessus (87) et ci-dessous (188).
62 | Jérémie Delorme (188) */ˈpesu/ s.m. ‘balance’ (type II.3 [recatégorisaiton, ‘id.’]) > frpr. ˹pei˺ (dp. 1338/1339, Devaux,RLaR 55, 199 ; DocLyonnais 215 ; FEW 8, 205a ; ALF 108). ♦ Gborn. Ø. – Cf. ci-dessus (87) et (187). (189) */ˈpɪra/ s.f. ‘poire’ (sous */ˈpɪru/2, type II.2. [féminin avec pluriel régulier]) > frpr. ˹[ˈpεra]˺ (FEW 8, 572b ; DuraffourGlossaire n° 7048 ; ALF 1047 ; ALLy 470 ; ALJA 465). ♦ Gborn. Ø : type non retrouvé ; dans ce sens, le parler du Grand-Bornand connaît [ˈpri] s.m. (PoulatGrand-Bornand 88 et passim ; PailletGrand-Bornand 19 ; DelormeEnquêtes), de même famille ; cf. FEW 8, 575a. On attendrait régulièrement protorom. */ˈpɪra/ > gborn. *[ˈpai̯ra]. – Cf. ci-dessous (190). (190) */ˈpɪru/ s.m. ‘poire’ (sous */ˈpɪru/2, type I.2.b. [masculin avec pluriel régulier]) > frpr. ˹pœr˺ (FEW 8, 572b [> fr. rég. (17e s.)] ; DuraffourGlossaire n° 7048 ; GardetteÉtudes 704–706 ; ALF 1047 ; ALJA 465 p 40, 54). ♦ Gborn. Ø. On attendrait régulièrement protorom. */ˈpɪru/ > gborn. *[ˈpai̯r]. – Cf. ci-dessus (189). (191) */ˈponere/ v.tr. ‘poser’ (sous */ˈpone/, type I. [‘poser’]) > frpr. ˹poná˺ (dp. ca 1723, EscoffierLyonnais 164 ; FEW 9, 161a ; ALF 1059). ♦ Gborn. Ø. « Contrairement au français, à l’occitan et au gascon, le francoprovençal, qui connaît un continuateur de */ˈɔβa/ v.tr. ‘pondre’ (cf. FEW 7, 449ab, ŌVUM et n. 14), n’atteste pas d’issue de */ˈpone/ dans le sens ‘pondre’. Du coup, cet idiome a maintenu, contrairement à ses parlers voisins, le continuateur de protorom. */ˈpone/ dans le sens originel ‘poser’ » (Rinaldin 2016 in DÉRom s.v. */ˈpone/ n. 5 [version du 30/09/2016]). Pour le sens ‘pondre’, le parler du Grand-Bornand ne connaît pas de continuateur de protorom. */ˈɔβa/, mais la locution [ˈferə luˈʒ wa] (PoulatGrand-Bornand 123), littéralement ‘faire les œufs’. (192) */resˈpɔndere/ v.tr. ‘être responsable (de)’ (sous */resˈpɔnde/, type II.2. [sens abstrait ‘id.’]) > frpr. ˹répondre˺ (dp. 1658 [repondou prés. 1], EscoffierLyonnais 74 ; FEW 10, 311b). ♦ Gborn. Ø : étymon continué dans le parler du Grand-Bornand seulement à travers le type I. (sens concret). – Cf. ci-dessus (94) et (120). (193) */ˈrʊmpere/ v.tr. ‘défricher’ (sous */ˈrʊmpe/, type II [‘id.’].) > frpr. rontre (FEW 10, 568a). ♦ Gborn. Ø : étymon continué dans le parler du GrandBornand seulement à travers le type I. (emploi transitif, ‘briser’). – Cf. ci-dessus (97). (194) */saˈbuku/ s.m. ‘sureau’ (type I.1. [originel]) > frpr. saü (dp. av. 1723 [seu], CharbotDauphiné XLVI ; HafnerGrundzüge 162 [sav.] ; FEW 11, 6b–7a ; ALF 1270). ♦ Gborn. [saˈwi] (DelormeEnquêtes) présente une irrégularité ; cf. FEW 11, 10b n. 2. On attendrait régulièrement protorom. */saˈbuk-u/ > gborn. *[saˈwy]. – Cf. ci-dessous (197).
1.2 Du niveau protoroman au niveau microroman, et vice versa | 63
(195) */saˈɡɪtta/ s.f. ‘flèche’ (type I. [sens primaire]) > frpr. ˹sayeta˺ (dp. 3e qu. 12e s., GirRossDécH 415 ; FEW 11, 58b [‘pièce de tissu coupée en pointe’]). ♦ Gborn. Ø. On attendrait régulièrement protorom. */saˈɡɪtt-a/ > gborn. *[saˈjœta]. (196) */ˈsalβia/ s.f. ‘sauge’ > frpr. ˹sarvə˺ (dp. av. 1722 [sarvi], FEW 11, 132b ; ALF 1195). ♦ Gborn. Ø : gborn. [ˈsoð] (PailletGrand-Bornand 13) est un emprunt adapté (< fr. sauge). On attendrait régulièrement protorom. */ˈsalβia/ > gborn. *[ˈsarðə]. (197) */samˈbuku/ s.m. ‘sureau’ (sous */saˈbuku/, type II. [avec épenthèse d’une consonne nasale]) > frpr. ˹sambü˺ (FEW 11, 8b ; DuraffourGlossaire n° 8339 ; ALJA 538). ♦ Gborn. Ø. On attendrait régulièrement protorom. */samˈbuk-u/ > gborn. *[sa͂ ˈby]. – Cf. ci-dessus (194). (198) */streˈmire/ v.intr. ‘trembler ; s’effrayer’ (sous */streˈmeske/, type II.1. [conjugaison en */ˈi/, emploi intransitif]) > sav. ẹtrəmi ‘frissonner’ (FEW 13/2, 238a). ♦ Gborn. Ø. On attendrait régulièrement protorom. */s-treˈm-i-re/ > gborn. *[etrœˈmi]. (199) */ˈsʊrdu/ adj. ‘sourd’ > frpr. ˹sor˺ (dp. 1ère m. 13e s. [sorz c.s.], SommeCode 82 ; FEW 12, 452a ; ALF 1258). ♦ Gborn. Ø : gborn. [ˈʃɔr] (TappoletEnquête no 282 ; PailletGrand-Bornand 92 [[ˈsɔr] 130] ; DelormeEnquêtes), [ˈʃor] (PoulatGrand-Bornand 161 et passim) semble se rattacher, avec les types « lorr. [ˈʃur], frpr. centr. [ˈʃor], gasc. [ˈʃurd], [...] à protorom. */sˈsʊrdu/ (cf. von Wartburg in FEW 12, 456b) » (Maggiore 2014 in DÉRom s.v. */ˈsʊrdu/ n. 2 [version du 31/08/2014]). On attendrait régulièrement protorom. */ˈsʊrdu/ > gborn. *[ˈsɔr]. (200) */ˈtɛndere/ v.ditr. ‘présenter’ (sous */ˈtɛnde/, type I. ‘id.’) > frpr. tendre (dp. 1220/1230 [tenderont prét. 6], ProsalegStimm 28 ; FEW 13/1, 196b). ♦ Gborn. Ø : étymon continué dans le parler du Grand-Bornand seulement à travers le type II. (‘tendre’). (201) */ˈtɪlia/ s.f. ‘liber du tilleul’ (type I.2. [originel, ‘id.’]) > frpr. [ˈtœʎœ] (DuraffourGlossaire n° 9120 ; FEW 13/1, 328b–329a). ♦ Gborn. Ø. On attendrait régulièrement protorom. */ˈtɪlia/ > gborn. *[ˈtœʎə]. – Cf. ci-dessous (202). (202) */ˈtɪliu/ s.m. ‘tilleul’ (sous */ˈtɪlia/, type II.1. [secondaire, ‘id.’]) > frpr. ti (dp. 14e s. [teil], DAO n° 531 ; FEW 13/1, 327b ; ALF 1303). ♦ Gborn. Ø : type non retrouvé ; dans ce sens, le parler du Grand-Bornand connaît [tiˈjœl] (PailletGrandBornand 64), qui est un emprunt (< fr. tilleul). On attendrait régulièrement protorom. */ˈtɪliu/ > gborn. *[ˈtœ]. – Cf. ci-dessus (201). (203) */tiˈtione/ s.m. ‘tison’ (type I. [‘id.’]) > frpr. ˹tezon˺ (dp. 1276 [tison], DevauxEssai 70 ; FEW 13/1, 356ab ; ALF 1721). ♦ Gborn. Ø : gborn. [tiˈzɔ̃ ]
64 | Jérémie Delorme (PoulatGrand-Bornand 167, 407 ; PailletGrand-Bornand 77) est un emprunt (< fr. tison). On attendrait régulièrement protorom. */tiˈtione/ > gborn. *[tœˈzõ]. (204) */tremʊˈlare/ v.intr. ‘trembler ; avoir peur’ (sous */ˈtrɛmula/, type I. [originel]) > frpr. ˹tremolá˺ (FEW 13/2, 241b). ♦ Gborn. Ø : étymon continué dans le parler du Grand-Bornand seulement à travers le type II. (syncopé). – Cf. cidessus (104). (205) */ˈuadu/ s.m. ‘gué’ (sous */ˈβadu/, type II.2. [avec changement de genre probable et innovation phonologique]) > frpr. gua (dp. ca 1290, GononDocuments 17 ; MargOingtD 134 ; HafnerGrundzüge 39 n. 1 ; DocMidiM 54 ; FEW 17, 438b–439a). ♦ Gborn. Ø. On attendrait régulièrement protorom. */ˈuadu/ > gborn. *[ˈɡʌ]. (206) */ˈʊnɡere/ v.tr. ‘oindre’ (sous */ˈʊnɡe/) > frpr. oindre (dp. 1220/1230 [‘enduire d’onguent’], ProsalegMussafia 175 = HafnerGrundzüge 123 ; Girardin,ZrP 24, 232 = FEW 14, 36a ; Philipon,R 30, 253 ; HafnerGrundzüge 122, 124 ; ALF 294 p 988 [‘cirer (souliers)’] ; ALFSuppl 156 p 731, 733, 743). ♦ Gborn. Ø. On attendrait régulièrement protorom. */ˈʊnɡere/ > gborn. *[ˈwɛd̪ rə]. (207) */ˈʊnktu/ s.n. ‘saindoux’ (type I.1. [‘id.’]) > frpr. ˹oint˺ s.m. (FEW 14, 28b ; GPSRMs). ♦ Gborn. Ø : type non retrouvé ; dans ce sens, le parler du GrandBornand connaît [ˈɡresə ˈmɔla] s.f. (PoulatGrand-Bornand 169). On attendrait régulièrement protorom. */ˈʊnktu/ > gborn. *[ˈwɛː].
5 Conclusion Des 207 types protoromans pour lesquels le DÉRom établit une postérité francoprovençale, 104 sont continués dans le parler du Grand-Bornand (cf. ci-dessus 4.1), tandis que 103 ne le sont pas (cf. ci-dessus 4.3 et 4.4) ; les 192 types pour lesquels le DÉRom n’établit pas de postérité francoprovençale ne sont pas continués dans le parler du Grand-Bornand (cf. ci-dessus 4.2). Ces convergences (4.1, 4.2) et ces écarts (4.3, 4.4), énoncés sous la forme de syllogismes conclusifs, illustrent quatre relations élémentaires dont la validité n’a jamais pu être mise complètement en défaut : (1) Principe d’exemplarité (DARAPTI) : parmi les issues des 104 types vérifiant cette relation, quinze comportent des variantes qui ont été écartées en raison de leur caractère emprunté (au français) ou nettement francisé (cf. articles nos 2, 3, 5, 19, 29, 31, 39, 43, 44, 53, 65, 66, 68, 78, 97). L’article no 13, consacré à */ˈβat/ v.semi-aux. (+ gérondif) ‘(il) fait continuellement’), s’est révélé dans un premier temps contradictoire avec ce principe ; pour l’y conformer, nous en avons proposé une réécriture.
1.2 Du niveau protoroman au niveau microroman, et vice versa | 65
(2) Principe de représentativité (CELARENT) : aux 191 types non continués par le francoprovençal ne correspond aucune issue bornandine ; les seules correspondances observées relèvent du régime de l’emprunt (cf. ci-dessus 4.1., 4.3. et 4.4., plusieurs articles). (3) Principe de non-congruence (CESARE) : des types que certaines variétés francoprovençales sont seules à continuer, le parler du Grand-Bornand ne continue pas ceux que seules continuent des variétés qui ne l’abritent pas. (4) Principe de non-implication (BOCARDO) : tout ce qui est francoprovençal n’est pas bornandin. Nous gageons que l’hypothèse vérifiée dans ce chapitre, celle des relations harmonieuses établies entre le traitement déromien du francoprovençal et les données de l’une de ses microvariétés, peut s’appliquer à toute langue romane non élaborée et à toute microvariété de cette langue.
6 Bibliographie Cf. aussi ci-dessus la section 3 ainsi que, pour les citations (même allusives) des articles du DÉRom, la bibliographie générale du dictionnaire (Costa/Baudinot/Perignon dans ce volume).
Arnauld, Antoine/Nicole, Pierre, La logique ou l’art de penser, Paris, Gallimard, 1992 [1662]. Buchi, Éva/Schweickard, Wolfgang (edd.), Dictionnaire Étymologique Roman (DÉRom). Genèse, méthodes et résultats, Berlin/Munich/Boston, De Gruyter, 2014. Buchi, Éva/Schweickard, Wolfgang (edd.), Dictionnaire Étymologique Roman (DÉRom) 2. Pratique lexicographique et réflexions théoriques, Berlin/Boston, De Gruyter, 2016. Celac, Victor, Normes rédactionnelles, in : Buchi, Éva/Schweickard, Wolfgang (edd.), Dictionnaire Étymologique Roman (DÉRom) 2. Pratique lexicographique et réflexions théoriques, Berlin/Boston, De Gruyter, 2016, 257–327. Constantin, Aimé/Désormaux, Joseph, Dictionnaire savoyard, Paris/Annecy, Bouillon/Abry, 1902. Constantin, Aimé/Gave, Pierre, Flore populaire de la Savoie, Annecy, Abry, 1908. Costa, Victoria/Baudinot, Pascale/Perignon, Jessika, Bibliographie, in : Buchi, Éva/ Schweickard, Wolfgang (edd.), Dictionnaire Étymologique Roman (DÉRom) 3. Entre idioroman et protoroman, Berlin/Boston, De Gruyter, 2020, 477–580. DÉRom = Buchi, Éva/Schweickard, Wolfgang (dir.), Dictionnaire Étymologique Roman (DÉRom), Nancy, ATILF, ‹http://www.atilf.fr/DERom›, 2008–. Keller, Oskar, Der Genferdialekt dargestellt auf Grund der Mundart von Certoux. 1. Teil : Lautlehre, Zurich, Leemann, 1919. Morcov, Mihaela-Mariana, Bibliographie de consultation et de citation obligatoires, in : Buchi, Éva/Schweickard, Wolfgang (edd.), Dictionnaire Étymologique Roman (DÉRom) 2. Pratique lexicographique et réflexions théoriques, Berlin/Boston, De Gruyter, 2016, 329–359.
Xavier Gouvert
1.3 Un chaînon manquant de la reconstruction romane : le protofrancoprovençal 1 Introduction En conclusion du texte programmatique qui pose les bases du Dictionnaire Étymologique Roman (DÉRom) et en fixe le cadre théorique et méthodologique, Jean-Pierre Chambon émet le vœu suivant :1 « Au-delà, il conviendrait en premier lieu, me semble-t-il, d’appliquer aux parlers romans la méthode comparative : rien qu’elle, telle quelle, et, pour tout dire, dans sa sèche simplicité. Aussi curieux que cela puisse paraître, c’est là, pour un romaniste, une conquête assez ardue. Bien que la révision du protoroman de Hall fasse certainement partie de cette tâche, il serait de bonne méthode de ne pas négliger la reconstruction des protolangues intermédiaires. Ce serait là revenir aux objectifs de Trager […] auxquels Hall avait en pratique renoncé. La grammaire comparée (romane) ne saurait en effet abandonner une partie de son programme, lequel comporte l’établissement des parentés, mais aussi de leurs degrés, et la reconstruction de l’ancêtre commun, mais aussi celle des stades intermédiaires. Elle devrait oser reconstruire, par exemple, le protogascon ou le protofrancoprovençal, êtres linguistiques inédits entièrement à découvrir. » (Chambon 2007, 68 ; cité par Swiggers 2014b, 50).
Admise, depuis Schleicher,2 comme une évidence chez les comparatistes et les diachroniciens de la plupart des familles de langue du monde, la nécessité de la
|| 1 Le présent chapitre constitue le développement d’une communication présentée au XXVIIIe Congrès international de linguistique et de philologie romanes (Rome, 18–23 juillet 2016). Nous devons à feu Max Pfister, à Andres Kristol et à Jean-Pierre Chambon une grande reconnaissance pour les remarques et les critiques précieuses dont ils nous ont fait part à la suite de cet exposé. 2 Cf. les premières lignes du Compendium (Schleicher 41876 [11861], 1) : « Die grammatik bildet einen teil der sprachwißenschaft oder glottik. Dise selbst ist ein teil der naturgeschichte des menschen. Ire methode ist im wesentlichen die der naturwißenschaften überhaupt […]. Eine der hauptaufgaben der glottik ist die ermittelung und beschreibung der sprachlichen sippen oder || Xavier Gouvert, ATILF (CNRS/Université de Lorraine), B.P. 30687, F-54063 Nancy Cedex, [email protected]. https://doi.org/10.1515/9783110654264-003
68 | Xavier Gouvert « reconstruction des protolangues intermédiaires », autrement dit du subgrouping (‘sous-groupement’, ‘groupement phylogénétique’ ou simplement ‘phylogénèse’), est à peu près ignorée de la romanistique traditionnelle. Ce n’est pas à dire que les fondateurs et les maîtres de la discipline se soient désintéressés du classement interne des idiomes romans. Au contraire, des notions classificatoires toujours en vigueur telles que ostromanisch, westromanisch, galloromanisch sont en circulation depuis Diez (1836/1838) : mais il s’agit là d’étiquettes purement géographiques3 et non génétiques. L’idée même que l’histoire de la famille soit susceptible d’une modélisation de type schleichérien (généalogique) paraît exclue du cadre conceptuel des pères de la linguistique romane. Il n’est pas difficile de saisir les causes intellectuelles d’un tel « angle mort ». Les modèles traditionnellement en vigueur en linguistique et en philologie romanes – notamment l’idée d’une fragmentation du « latin vulgaire » coïncidant avec la fin de l’Empire d’Occident – sont eux-mêmes surdéterminés par des représentations historiques, plus ou moins conscientes, qui excluent la perspective phylogénétique. De Meyer-Lübke à Wartburg et au-delà, on retrouve l’image obsédante de la déchéance ou de la désagrégation brutale du latin (avec en arrière-plan sa forme littéraire de l’époque augustéenne), celle d’une implosion, de l’émiettement anarchique d’une unité de langue et de civilisation, et, dans le même temps, d’une hybridation de la latinité avec des éléments allogènes (slaves en Orient, germaniques en Occident) : toutes choses qui amènent à concevoir l’apparition des langues romanes comme un événement contingent, involutif, conditionné par un ou plusieurs accidents de nature extralinguistique.4 Le contraste est frappant avec la vision évolutive, arborescente et organiciste, en un mot naturaliste (« nach einem natürlichen systeme », écrivait Schleicher) qui orienta l’Indogermanistik au moins jusqu’aux
|| sprachstämme, d.h. der von einer und der selben ursprache ab stammenden sprachen und die anordnung diser sippen nach einem natürlichen systeme » (‘La grammaire est une branche de la linguistique ou glottique. Celle-ci est à son tour une composante de l’histoire naturelle de l’homme. Sa méthode est essentiellement celle des sciences de la nature […]. L’une des tâches principales de la glottique est le classement et la description des familles de langue, ou rameaux linguistiques, c’est-à-dire des langues dérivant d’une seule et même protolangue, et la classification de ces rameaux selon un système naturel’). 3 Ou plus exactement de classes « géophilologiques », induites par la répartition des langues romanes littéraires, voire, dans le cas du « galloroman » ou de l’« italoroman », de catégories politico-culturelles. 4 Sur cet aspect de l’épistémologie de notre discipline, on consultera avec profit les travaux récents de Michel Banniard (notamment Banniard 2011 pour la bibliographie).
1.3 Un chaînon manquant de la reconstruction romane : le protofrancoprovençal | 69
Néogrammariens : là, au contraire, s’est imposée une conception généalogique, tributaire d’une toute autre vision de l’histoire des langues, c’est-à-dire par la représentation d’un déplacement de peuples (Völkerwanderung), donc d’une dissémination.5 Dans le cas d’une masse parlante formant un continuum et qui n’était pas censée s’être déplacée (les locuteurs du latin du Bas-Empire), la pertinence du modèle phylogénétique ne s’est donc pas imposée aux premiers théoriciens de notre discipline. De manière plus décisive, la phylogénèse des langues romanes a sans doute été la victime de l’orientation dialectologique des études romanes depuis un siècle et demi. En un sens, elle ne s’est pas relevée de la controverse de Meyer et d’Ascoli, ni surtout de la sentence définitive de Gaston Paris.6 Dans la conscience théorique, si ce n’est dans l’inconscient, de maint romaniste, hantée par le fantôme de la « muraille imaginaire » des dialectes, résonne encore, n’en doutons pas, l’évocation de « la vaste tapisserie dont les couleurs variées se fondent sur tous les points en nuances insensiblement dégradées » (Paris 1907 [1888], 435–436). D’autre part, le modèle schmidtien, la Wellentheorie, a trouvé dans le domaine roman un champ d’application précoce et fructueux : la notion d’onde linguistique est immédiatement tangible pour quiconque s’intéresse, par exemple, à la géographie linguistique de l’Italie ou de la France. Or, la conséquence immédiate de l’adoption de la Wellentheorie est la disparition des concepts de dialecte et de frontière linguistique et le rejet du Stammbaummodell. Dans cette perspective, étudier la parenté des composants d’un continuum linguistique apparaît comme une opération vaine, car sans objet : on ne saurait faire l’histoire des « dialectes », mais seulement des traits linguistiques (cf. Paris 1881, 606). Si, donc, l’existence réelle d’un ancêtre commun, qu’on l’appelle latin, latin vulgaire, roman commun ou protoroman, et la possibilité de le connaître – peu importe par quelle méthode – ne sauraient être niées par aucun praticien de la romanistique, on ne peut en dire autant des « stades intermédiaires » et des parentés successives. Aujourd’hui même, pour qui se consacre aux atlas linguistiques, aux éditions de textes médiévaux ou même à l’histoire du lexique, l’existence au sein de la Romania d’entités géolinguistiques discrètes, || 5 Il est évident que l’idée de généalogie des langues se rattache heuristiquement à celle de la migration des peuples « indogermaniques », selon la terminologie alors consacrée. On se souvient d’ailleurs des mises en garde de Saussure (1972 [1906–1911], 286–287) contre la croyance des premiers indo-européanistes en un strict déterminisme migration-fragmentation linguistique. 6 Pour l’historique de cette querelle, cf. Goebl (2002, 34 n. 6 et 7) ; pour une synthèse rétrospective, cf. Barbato (2018).
70 | Xavier Gouvert susceptibles d’un appariement génétique, n’a rien d’une évidence : nul doute qu’elle ne passe, aux yeux de la plupart des dialectologues de notre domaine, pour une hypothèse gratuite, sinon pour une chimère. Faisant nôtres les desiderata de Jean-Pierre Chambon, il nous apparaît donc qu’une tâche nécessaire et urgente de la linguistique historique romane est la reconstruction des « chaînons manquants » entre la langue-mère et les rameaux historiques de notre famille. Dans la mesure où il s’inscrit volontairement dans un changement de paradigme scientifique (ou plus justement dans une mise à niveau de l’étymologie romane avec celle des autres familles de langue), le projet DÉRom est sans doute le cadre privilégié pour une telle tâche. Nous voudrions donc dans les pages suivantes poser quelques jalons pour la reconstruction d’une protolangue intermédiaire de la famille romane : le protofrancoprovençal.
2 L’arbre généalogique : un modèle obsolète ? Non seulement le modèle de l’arbre généalogique remonte aux origines de la linguistique historique, mais il est remarquable que la notion même de phylogénie a émergé en linguistique au même moment – voire quelques années plus tôt – qu’en biologie : « The use of genealogical trees for the representation of language families is nearly as old as the discipline of historical linguistics itself ; it was first proposed by August Schleicher in 1853, six years before Darwin proposed a tree model in evolutionary biology […]. It has since been the dominant method of visualising historical relationships among languages, and for good reason : its simple structure allows any hypothetical representation of a language family to be interpreted unambiguously as a set of claims about the sequence of demographic and social events that actually occurred in the histories of the communities involved » (Kalyan/François 2018, 59).
En dépit de son succès, la remise en cause du Stammbaummodell, on le sait, ne date pas d’hier. Depuis l’émergence de la Wellentheorie (Schmidt 1872), les critiques de la conception phylogénétique de l’histoire des langues n’ont pas manqué, et les modèles alternatifs de sous-groupement se sont succédé ; le tout dernier exemple en date est, à notre connaissance, l’Historical Glottometry (Kalyan/François 2018), qui propose une modélisation ensembliste et non ramifiée des relations génétiques. Il est donc permis de s’interroger sur la pertinence du modèle arborescent, non seulement pour l’histoire de la famille romane, mais pour l’histoire des langues en général.
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On trouvera dans plusieurs ouvrages récents un aperçu sur les problèmes posés par le modèle phylogénétique en linguistique historique (Luraghi/Bubenik 2010, 70–86 ; Ringe/Eska 2013, 256–280). Sur le plan théorique, les limites de la représentation généalogique et de la notion même de « parenté linguistique » sont parfaitement connues. Elles tiennent à un fait universellement observable : l’indépendance mutuelle des changements linguistiques et, conséquemment, le chevauchement des lignes d’isoglosse. Considéré abstraitement, le choix de tel ou tel trait linguistique pour déterminer des apparentements entre des espaces linguistiques apparaît dès lors comme parfaitement arbitraire. On a donc pu affirmer, non sans raison, que les « dialectes » et les « langues » n’existaient que dans l’esprit de l’observateur et du descripteur et qu’ils étaient créés par lui – « c’est le point de vue qui crée l’objet » (Saussure 1972 [1906–1911], 23). C’est cette idée qui faisait dire à Lüdtke (1971, 70), dans la lignée de Gaston Paris : « le terme de francoprovençal ne désigne pas une donnée (ou un ensemble de données), mais plutôt une notion. Cela veut dire que le francoprovençal a les frontières qu’on lui assigne à titre de définition. Le francoprovençal tout court n’existe pas ». De fait, toute délimitation du francoprovençal (ou du français, ou du catalan, ou de n’importe quelle variété diatopique incluse dans le continuum roman) nous apparaît comme arbitraire en synchronie : preuve en est que la notion et le terme même de « francoprovençal » sont des constructions de la linguistique moderne, absentes de la conscience et du sentiment des locuteurs et ignorées par eux jusqu’à l’extinction de cette langue. Nous défendrons ici l’idée que le « sous-groupement » des variétés diatopiques n’a de sens qu’en diachronie. La pertinence du modèle génétique et de la reconstruction des « nœuds intermédiaires » dépendent de notre connaissance de la succession et de la chronologie des changements linguistiques.
3 Comment naît une langue On doit à Yan Greub (2004) un exposé particulièrement éclairant sur la notion de « naissance » d’une langue d’un point de vue phylogénétique. On y trouve la formule axiomatique suivante, que nous reprendrons à notre compte : « dès le moment où deux zones ne font plus que diverger, c’est qu’elles sont des espaces linguistiques distincts » (Greub 2004, 16). Cet axiome, qui fonde la classification des langues sur une base strictement historique, permet d’écarter les objections empiriques habituellement liées à l’intercompréhension (actuelle) entre les
72 | Xavier Gouvert dialectes ou son absence, et il fournit la justification théorique du subgrouping. Nous tirons de cette définition les corollaires suivants : (1) Si, à un moment t, un changement linguistique spécifique x parvient à se propager sur une aire A, alors A doit appartenir à un espace linguistique unique ε à cette époque (quelle que soit la variation interne de A au moment t). Autrement dit, toute innovation (spécifique et commune) prouve l’existence de la branche le long de laquelle elle se produit.7 (2) Lorsque A et ε ne sont pas coextensifs, A est un espace linguistique différencié (et forme une « branche ») au sein de ε si et seulement si aucun changement postérieur à x ne se propage sur une aire intersectant A. En d’autres termes, pour dater la séparation de deux sous-ensembles linguistiques, on remonte jusqu’à la première divergence de la série, c’est-à-dire à ce qu’on ne sait qu’a posteriori devoir être la première divergence.8 L’ensemble de ce raisonnement est assis sur le principe dit « de Leskien », en vertu duquel le subgrouping des langues ou des variétés apparentées repose sur les innovations communes, non sur les conservations communes ni sur les innovations indépendantes (Fox 1995, 220 ; Greub/Chambon 2008, 2500).
4 Pour une approche cladistique 4.1 Cadre conceptuel La primauté accordée aux concepts de divergence évolutive et d’innovation commune revient à appliquer à la linguistique historique le modèle de l’analyse cladistique. Développée en systématique biologique depuis les travaux précurseurs de Hennig (1950), la cladistique est aujourd’hui, on le sait, le modèle
|| 7 En dépit de son évidence, cette proposition n’est valable, dans les faits, que dans un contexte purement monolingue. En situation diglossique, au contraire, il n’est pas rare qu’un changement affectant l’une des deux variétés en contact (en principe, la plus prestigieuse) atteigne également l’autre, et donc qu’une innovation se produise dans deux branches séparées, voire dans deux familles indépendantes (cas du Sprachbund ou « aire de convergence »). 8 Ce principe implique l’impossibilité, pour l’observateur contemporain, de définir des ensembles linguistiques à partir de changements récents ou a fortiori en train de se produire dans une aire dialectale donnée : on ne saurait prévoir, en effet, si l’aire d’un changement en cours ne sera pas recoupée par celle d’un changement futur. La méthode phylogénétique, telle que nous l’entendons, ne s’applique donc qu’à des faits suffisamment anciens pour être constatables. Au demeurant, la même restriction s’applique, à notre connaissance, à la méthode cladistique en biologie (où la spéciation n’est pas observable dal vivo).
1.3 Un chaînon manquant de la reconstruction romane : le protofrancoprovençal | 73
dominant en biologie évolutionniste et dans les sciences du vivant en général. Sa robustesse théorique et son intérêt pratique font que ce modèle est, en principe, applicable à tout ensemble phénoménologique où interviennent les notions de diversification historique et de classification évolutive. L’histoire des langues en fait partie : l’intégration de l’analyse cladistique à la linguistique historique suscite actuellement des ralliements nombreux, et elle a produit des résultats remarquables pour plusieurs familles de langues (un récent aperçu en est donné par Cabrera 2017). Compte tenu du peu de familiarité qu’entretient la romanistique avec ce domaine de recherche et de la dimension didactique assumée par le projet DÉRom, nous ne croyons pas inutile d’en rappeler brièvement les notions élémentaires.9 La cladistique, ou reconstruction phylogénétique, est fondée sur la notion d’homologie. On n’établit de relations de parenté que sur la base du partage des états évolués des caractères (ou homologies). Lorsqu’une nouveauté évolutive apparaît chez un organisme, elle est transmise à tous ses descendants. On peut donc tenir le raisonnement suivant : lorsque plusieurs organismes partagent une même innovation (homologie), ils l’ont héritée d’un même ancêtre, qui leur est propre. Il importe donc d’identifier les différents états d’un caractère, et de distinguer l’état primitif de l’état évolué. Six notions centrales caractérisent cette approche : (1) Clade (ou taxon). – Un clade est un groupement monophylétique, c’està-dire un ensemble d’individus dont tous les membres descendent d’un ancêtre commun. Une « famille linguistique » est, par définition, un clade, dont chaque branche, ou sous-famille, est elle-même un clade. La représentation graphique d’un clade est appelé cladogramme (ou arbre phylogénétique). (2) Plésiomorphie. – Un caractère plésiomorphe (ou ancestral) est un trait appartenant à l’ancêtre commun et qui n’a pas subi de modification au cours du temps. S’il est commun à plus d’un taxon — c’est-à-dire qu’au moins une autre branche a hérité de ce caractère, qui a par ailleurs muté dans une ou plusieurs autres branches —, il constitue une symplésiomorphie. Sous le nom de « trait conservateur », ce concept, on le sait, est usuel en linguistique historique. (3) Apomorphie. – Un caractère apomorphe (ou dérivé) est, à l’inverse, un trait nouveau résultant d’un changement intervenu chez l’ancêtre commun d’un taxon. La grammaire comparée emploie dans le même sens, depuis Leskien, le terme d’« innovation exclusivement partagée ». L’existence du même caractère || 9 Pour un exposé complet de la méthode cladistique, on consultera avec profit Darlu/Tassy (1993). L’ouvrage le plus à jour en la matière est la somme de Lecointre/Le Guyader (2016/2017) ; l’application de la méthode à d’autres domaines que le vivant n’y est cependant pas abordée.
74 | Xavier Gouvert apomorphe dans plusieurs taxons (qui définit leur appartenance au même clade) est appelée synapomorphie. Cette notion correspond en linguistique à celle d’Abstandsprache popularisée par Kloss (1976). Si le même caractère est apparu indépendamment dans plusieurs taxons (par convergence ou parallélisme évolutif), il s’agit d’un phénomène appelé homoplasie. (4) Holophylie (ou monophylie stricte). – Un groupe holophylétique est un ensemble de taxons partageant une synapomorphie et regroupant, par conséquent, un ancêtre commun et la totalité de ses descendants. (5) Paraphylie. – Un ensemble est dit paraphylétique s’il ne regroupe pas tous les descendants d’un ancêtre commun qu’il contient. Un tel ensemble peut refléter soit une symplésiomorphie (un ou plusieurs descendants ayant conservé le caractère ancestral, tandis que les autres ont innové), soit un phénomène de réversion (réapparition du caractère ancestral au sein d’un groupe synapomorphe). (6) Principe de parcimonie. – Plusieurs scénarios évolutifs peuvent être établis à partir d’un même ensemble de taxons et de caractères. Le scénario retenu comme valide est le plus parcimonieux, c’est-à-dire celui qui suppose le moins de transformations évolutives. Pour des raisons théoriques aussi bien que pratiques, l’analyse cladistique exclut comme invalides les groupements paraphylétiques (qui n’ont pas de valeur démonstrative pour l’établissement des parentés). Ce fait est resté longtemps ignoré des praticiens de la linguistique historique romane : au regard du principe de parcimonie, des sous-groupements tels que l’« italoroman », le « galloroman », l’« ibéroroman », de même que le « rhétique » ou l’« occitan », sont invalides, car fondés sur une proximité géographique ou typologique, mais dépourvus de signification génétique.
4.2 Définition cladistique du francoprovençal Selon la méthode que nous nous proposons d’illustrer, il est donc crucial de déterminer au moins un trait apomorphe (c’est-à-dire une innovation exclusivement partagée) qui puisse définir, de manière nécessaire et suffisante, la branche francoprovençale de la famille romane. Pour reprendre les termes de Greub (2004, 17), « si l’on parvient à dater les changements qui ont formé tous les traits définitoires (qu’on a déterminés auparavant), alors, à la date du dernier changement, l’individuation de la langue – telle qu’elle est définie par ailleurs – est acquise ».
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Parmi les traits définitoires du francoprovençal, les premiers sont (nécessairement) communs à une ou plusieurs langues affines ; le dernier est original et individualisant. Citons, dans l’ordre chronologique : (1) La confusion des timbres *[e] et *[ɪ] : trait définitoire du ROMAN CONTINENTAL, commun à toutes les branches romanes à l’exception du sarde. (2) La confusion des timbres *[o] et *[ʊ] : trait définitoire du ROMAN ITALOOCCIDENTAL, commun à toutes les branches romanes à l’exception du sarde et du roumain. (3) La sonorisation puis la spirantisation des consonnes intervocaliques : trait définitoire du ROMAN OCCIDENTAL, commun (entre autres) à l’italien septentrional, au français, au francoprovençal, au catalan, à l’espagnol et au portugais. (4) La diphtongaison de *[a] tonique libre précédé d’une consonne palatale ou palatalisée (loi de Bartsch) : trait définitoire du ROMAN SEPTENTRIONAL, commun au français et au francoprovençal. (5) Le passage de *[a] atone à [i] en position finale et libre : ce changement est reconnu, depuis Hasselrot (1966), comme le trait définissant exclusivement le FRANCOPROVENÇAL. Il détermine l’aire géographique de cette langue, dans les limites de laquelle se diffuseront d’autres changements (éventuellement isotopes de celui-ci),10 mais que n’intersecte aucune ligne d’isoglosse plus récente. Ces cinq traits constituent donc la série de changements qui mènent historiquement du protoroman commun au protofrancoprovençal. Le trait 5 est le point de divergence à partir duquel le francoprovençal forme un espace linguistique différencié : à partir de la date de ce changement, aucune innovation ne franchira plus les limites de cet espace (dans un sens ni dans l’autre). Or, il est démontrable (Greub 2004) que le changement a# > i# (trait 5), exclusivement francoprovençal, s’intègre à une série cohérente de changements phonétiques qui partent tous du centre de cet espace pour s’étendre sur une aire plus ou moins vaste. Ainsi le changement a > ie (loi de Bartsch, trait 4), qui affecte toute la Romania septentrionale, participe-t-il de la même tendance articulatoire que a# > i#. D’autre part, le changement ien > in (type chien > chin), consécutif à la loi de Bartsch, atteint les mêmes limites que a# > i# (les frontières du francoprovençal). Enfin, le changement e > i en position interne (type cheval > chival) n’affecte que la région lyonnaise, à la fin du Moyen Âge, et il reste ignoré des parlers francoprovençaux périphériques. Cette série de changements se propage donc, à proprement parler, de manière ondulatoire, à partir d’un foyer unique (qui s’identifie à la zone LyonVienne), mais avec des résultats diatopiques variables. L’extension décroissante || 10 Citons en particulier le passage de *[aʊ̯] à *[ɔ], puis *[uɔ̯] (Haudricourt/Juilland 21970 [11949]).
76 | Xavier Gouvert de chaque trait matérialise la perte d’influence progressive du foyer (Lyon et Vienne) sur l’espace roman septentrional.
4.3 Représentations graphiques 4.3.1
Arbre généalogique (Stammbaum)
La phylogénèse d’une famille linguistique est susceptible de plusieurs représentations graphiques. L’arbre généalogique (Stammbaum) est le modèle le plus trivial et le plus ancien. Il est conçu généralement, mais non nécessairement, comme une succession d’embranchements bifides. Suivant ce schéma (cf. ci-dessous figure 1), le protofrancoprovençal peut être représenté comme l’un des deux rameaux subordonnés à l’embranchement protoroman septentrional, l’autre étant le protofrançais ; le protoroman septentrional est lui-même l’une des deux branches du protoroman occidental etc.
Figure 1 : La place du protofrancoprovençal dans l’arbre généalogique des langues romanes
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4.3.2 Cladogramme On appelle cladogramme un « graphe connexe non cyclique » figurant les relations de parenté entre les clades (Lecointre/Le Guyader 2016, vol. 1, 21). La racine du cladogramme représente l’ancêtre hypothétique ; les nœuds à l’intersection de trois segments représentent un événement évolutif. Conformémement au principe de Leskien, chacun de ces nœuds doit correspondre à la première innovation spécifique et commune de l’une des deux branches subordonnées – la branche apomorphe. L’autre branche, non innovante, représente un subgroup résiduel ou plésiomorphe, au sein duquel une nouvelle apomorphie peut ultérieurement se produire. Un cladogramme sommaire de la famille romane, fondé sur les changements linguistiques que nous pouvons ordonner chronologiquement, prendrait la forme suivante :
Figure 2 : Cladogramme simplifié de la famille romane
La racine de l’arbre est ici le protoroman (commun). Le premier nœud (en partant de la racine) correspond à la séparation du protoroman de Sardaigne : le sousgroupe résiduel forme le protoroman continental (Straka 1956, 256 ; Dardel 1985, 268 ; Stefenelli 1996, 84). Le deuxième nœud sépare le protoroman de Dacie,
78 | Xavier Gouvert ancêtre du roumain, du protoroman italo-occidental (Straka 1956, 258 ; Stefenelli 1996, 84). Le troisième représente l’individuation du protoroman occidental, le résidu formant l’italoroman stricto sensu (excluant l’italien septentrional). Le long de la branche occidentale apparaît un quatrième nœud, marquant la séparation du protoroman septentrional (Straka 1956, 261). On voit que, dans ce schéma, la différenciation successive du « galloroman » du nord, du gascon et de l’ibéroroman doit laisser un sous-groupe plésiomorphe, « occidental résiduel » : c’est de ce résidu que sortiront le gallo-italien et le catalan, le reste constituant l’« occitan » au sens phylogénétique, c’est-à-dire une entité « négativo-passive » issue de différents degrés de plésiomorphie (Chambon/Olivier 2000, 104–105 ; Greub/Chambon 2008, 2505). En outre, le fait que le français et le francoprovençal se définissent tous deux par des innovations n’empêche pas que l’un des deux (sans doute le francoprovençal) se soit différencié plus tôt et que l’autre ait été provisoirement plésiomorphe (puisqu’il est invraisemblable que les innovations françaises et francoprovençales aient été exactement simultanées). Un tel cladogramme dépend directement des données de la chronologie relative, et il en est le reflet : c’est l’ordre et la succession des changements linguistiques qui permettent de définir les sous-groupes depuis la racine jusqu’aux sommets. Cette chronologie peut, le cas échéant, être absolutisée par des indices matériels (issus de la philologie, de l’épigraphie ou de la numismatique, lesquels ne peuvent d’ailleurs fournir que le terminus ad quem des événements linguistiques).
4.3.3
Diagramme de Venn
La phylogénèse d’une famille linguistique peut également être représentée par un diagramme ensembliste, qui fait apparaître l’enchâssement des classes et leurs éventuelles intersections. L’intérêt de cette figuration est de rendre visible la propagation des ondes de changement et leur chevauchement. Son inconvénient est de donner une image aplatie de la structure génétique : la représentation de la profondeur temporelle doit être récupérée par un artifice graphique (épaisseur ou style de ligne, par exemple). Nous proposons dans la figure 3 de la page suivante une ébauche de ce que pourrait être le diagramme de Venn de la sous-famille romane occidentale. Pour chaque protolangue de niveau intermédiaire, il est possible d’indiquer la date présumée de la séparation de la branche et l’innovation spécifique et commune qui la définit.
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Figure 3 : Diagramme de Venn de l’ensemble roman occidental
5 Le francoprovençal : progrès (limités) d’une définition 5.1 Critères définitoires Peu d’idiomes, du moins dans la famille romane, offrent au diachronicien et au dialectologue une situation plus propice à la réflexion sur les « frontières dialectales » et la parenté des langues que le francoprovençal. Depuis sa « découverte » retentissante par Ascoli, l’étude de cette langue est intimement mêlée aux avancées scientifiques de la dialectologie. Son faible rayonnement littéraire et culturel aux époques anciennes, son inexistence en tant que tel dans la conscience de ses
80 | Xavier Gouvert locuteurs et l’absence de toute dynamique unifiante ou normative au cours de son histoire font du francoprovençal une entité géolinguistique « à l’état pur » – c’est-à-dire exempte de toute surdétermination extralinguistique (sociale, politique, littéraire ou autre). « Je crois », écrivait Hasselrot (1966, 258), « que, dans la Romania, aucun domaine linguistique ne se laisse délimiter avec pareille précision et à l’aide d’oppositions phonématiques d’un tel rendement ». Dans ces conditions, on devrait s’attendre à un consensus omnium sur le statut de cette langue, sur sa délimitation spatiale et, avant tout, sur sa définition. Or il n’en est rien : à en croire la masse des écrits de vulgarisation (imprimés et en ligne) ou même certains des travaux de recherche les plus récents, l’identité du francoprovençal au sein de la famille romane, aussi bien que la justification même du concept de langue francoprovençale, ne semble pas avoir une assise scientifique aussi ferme que, par exemple, celle du sarde ou du catalan.11 Il est spécialement frappant que le francoprovençal soit encore, comme au temps d’Ascoli, presque toujours défini négativement, par contraste avec les évolutions françaises/oïliques, alors même qu’il constitue une entité génétique positive, remarquablement définissable par une série d’innovations communes et spécifiques (au sens de Leskien).12 Quoi qu’on en ait pu dire, il n’y a aucun argument solide, en effet, pour remettre en cause le critère définitoire de la palatalisation de */a/ atone, qui est proprement l’innovation spécifique et commune au domaine francoprovençal –
|| 11 Ainsi le manuel d’Allières (2001), dans la pure tradition des romanistes français, présente-til le francoprovençal comme une « zone interférentielle » définie par « deux faisceaux d’isoglosses » dont l’un « rattache le frpr. au domaine d’oïl » et l’autre « lui fait partager des traits d’oc » (Allières 2001, 249) ; « enfin », concède l’auteur, « quelques [isoglosses] de tracé triangulaire cernent l’originalité indéniable de l’aire » (ibid.). Le premier volume de la vaste synthèse de Tuaillon (2007), consacré à la « définition et délimitation » du francoprovençal et aux « phénomènes remarquables » censés le caractériser, s’articule autour de l’idée, chère à l’auteur, que « le francoprovençal est un produit de la latinisation de la Gaule non méridionale qui, en refusant les innovations linguistiques de l’époque carolingienne, s’est détaché du domaine d’oïl » (Tuaillon 2007, 20). Le manuel de Glessgen (2007) se contente d’indiquer, de manière quelque peu énigmatique : « à lˈintérieur de la Galloromania, les variétés parlées du francoprovençal occupent une position intermédiaire. Les frontières sont moins nettes avec les variétés dialectales d’oc et d’oïl que celles qui séparent l’occitan et le français » (Glessgen 2007, 57). 12 Le récent colloque francoprovençal de Neuchâtel (6–8 novembre 2019), dû à l’initiative de la regrettée Federica Diémoz et de Yan Greub, est fort opportunément venu rafraîchir les idées. On se reportera en particulier à la communication de Chambon et Greub (à paraître).
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ou, pour mieux dire, à la branche francoprovençale de la famille romane.13 Tout discours scientifique sur cette langue doit donc tenir pour acquise la définition hasselrotienne : le francoprovençal est la langue romane qui a changé *[a] atone en [i], en position finale (et, sous certaines conditions, en position prétonique). Ce changement phonétique est datable de la fin du 6e ou du début du 7e siècle, d’après la chronologie relative appuyée sur des témoignages scripturaires. Toute région qui a connu ce changement appartient par définition au domaine francoprovençal ; toute région qui l’ignore en est exclue. L’intérêt du critère de discrimination hasselrotien est qu’il repose sur une incontestable mutation phonétique : il est en cela conforme au principe de Leskien. Ce dernier point a été contesté par Lüdtke : l’objection opposée à Hasselrot était que « nous ignorons l’extension géographique que ce phénomène innovateur [i.e. le changement a > i] avait à l’époque prélittéraire. Dans ces circonstances on ne saurait exclure qu’il ait été commun à la totalité ou à une partie du domaine français » (Lüdtke 1971, 71). Un tel argument nous paraît controuvé : la proposition selon laquelle le domaine d’oïl aurait connu le changement a > i avant de neutraliser [i] final (en schwa) étant irréfutable en l’absence de tout témoignage, elle ne peut être avancée pour inverser la charge de la preuve et invalider le critère de Hasselrot.14 La francoprovençalité ne se résume d’ailleurs pas au changement *[a] > [i] final : elle est constituée par une série d’innovations originales et diverses, mais
|| 13 On se reportera, pour le détail de l’argumentation chronologique, à la démonstration définitive de Greub (2004) et à la synthèse de Greub et Chambon (2008). 14 L’idée de Lüdtke a été consciencieusement défendue par Tuaillon : le [i] final atone serait un trait « protofrançais » qui aurait disparu du domaine d’oïl « à l’époque mérovingienne, ou tout au plus carolingienne » (Tuaillon 2007, 123). L’argumentation développée par Tuaillon est, à dire vrai, assez confondante : « ces palatalisations vocaliques », écrit l’auteur, « ont fait partie des choses normales et possibles à une époque où il est vraiment trop tôt pour parler de francoprovençal ou même de langue d’oïl. Ces palatalisations vocaliques ont affecté le latin parlé à l’époque mérovingienne, ou tout au plus carolingienne. Elles ont été conservées intactes par le francoprovençal » (ibid.). L’auteur ne fournit guère la preuve que de telles palatalisations aient existé, par exemple, en wallon ou en poitevin. Le caractère péremptoire de l’affirmation s’accompagne d’ailleurs d’un brouillage des notions de latin, de protoroman et de langues romanes (qu’est-ce que le « latin parlé à l’époque carolingienne » : celui des clercs dans les scriptoria ?), il exclut tout raisonnement par chronologie relative et rend impossible la réflexion sur l’émergence des langues : si le francoprovençal n’existe toujours pas « à l’époque carolingienne », quand existe-t-il ? — Le fait que des formes en [i] final atones se rencontrent, au Moyen Âge, au-delà des frontières du francoprovençal (moderne) indique précisément que celles-ci ont reculé (en territoire bourguignon) devant les parlers de type français (cf. sur ce point Gouvert à paraître).
82 | Xavier Gouvert qui se trouvent toutes bornées par les limites géographiques du changement *[a] > [i] final. Au nombre de ces innovations, on inclura notamment le traitement de *[a] palatalisé devant nasale (type */ˈkan-e/ > [tsĩ]), le changement *[a] > [i] à l’initiale (type */kaˈβall-u/ > [tsiˈval]), la rhotacisation de *[l] devant labiale et le changement *[e] > [ej] en hiatus (type */ˈfet-a/ > [ˈfeja]). Le francoprovençal n’est pas un ensemble diatopique « négativo-passif » (i.e. plésiomorphe), qui se définirait par une nébuleuse de traits conservateurs. Il n’est pas davantage un « protofrançais » cristallisé. Tout au contraire : le francoprovençal peut être conçu comme un exemple-type d’Abstandsprache, c’est-àdire le produit d’une dynamique propre et d’une série corrélée de changements précoces, qui le séparent positivement des aires limitrophes.
5.2 Régression et nivellement évolutifs L’application de la méthode phylogénétique/cladistique au subgrouping ne saurait ignorer, ni exclure, la possibilité que les traits innovatifs disparaissent au cours de l’évolution linguistique. Loin d’être exceptionnels, les cas de régression évolutive – on parlerait en biologie d’« involution » – sont un fait banal dans l’histoire des langues. Ici encore, le francoprovençal offre une série d’exemples de grande valeur méthodologique. Un cas d’école relativement simple est le traitement de *[ɔ] tonique libre. À s’en tenir aux données dialectales contemporaines et aux documents médiévaux, le francoprovençal semble en effet connaître une évolution de *[ɔ] particulièrement capricieuse, conforme tantôt à celle du français (diphtongaison), tantôt à celle de l’occitan (non-diphtongaison). On rencontre ainsi, dès les premiers monuments de la langue, les formes diphtonguées afrpr. alue, fuer, ˹nueu˺, suer, ˹ueu˺, superposables à (a)fr. aleu, feur, neuf, sœur, œuf (Hafner 1955, 39–40). Mais les corrélats de fr. bœuf, cœur, meule, neuve, peut ne présentent, à la même époque, aucune trace de diphtongaison : afrpr. bou, cor, mola, nova, pot. Pour l’observateur, il semble donc que le changement n’ait pas eu lieu dans ces dernières formes, qui seraient « plésiomorphes ». Cet état de fait paradoxal, resté inexpliqué jusqu’à Hafner, résulte, comme l’a prouvé cet auteur, d’une sorte d’illusion d’optique évolutive. Le protofrancoprovençal a bien connu, dans les mêmes conditions que le protofrançais, la diphtongaison spontanée de *[ɔ] : la différence des résultats provient d’un changement ultérieur – mais assez ancien pour être rendu invisible dans les plus anciens textes : la monophtongaison conditionnée de *[uɔ̯ ], aboutissant à [o]. En amont des exemples cités, il faut donc poser protorom. sept. *[ˈaluɔ̯ ðo], *[ˈfuɔ̯ ro], *[ˈsuɔ̯ ror], *[ˈuɔ̯ we], mais aussi *[ˈbuɔ̯ we], *[ˈkuɔ̯ re], *[ˈmuɔ̯ la], *[ˈnuɔ̯ va], *[ˈpuɔ̯ t]
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etc., ancêtres communs des formes françaises et francoprovençales. C’est au stade protofrancoprovençal que *[ˈfuɔ̯ ro], *[ˈsuɔ̯ ror] évoluent (par action dissimilatrice de la voyelle finale) vers *[ˈfuɛ̯ ro], *[ˈsuɛ̯ ror] (> afrpr. fuer, suer), tandis que *[ˈbuɔ̯ we], *[ˈkuɔ̯ re] deviennent (par monophtongaison) *[ˈbowe], *[ˈkore] (> bou, cor). Un cas différent, mais non moins fréquent, est celui où un changement ancien est dissimulé par l’action de l’analogie. Il s’agit alors d’un fait morphologique, dont les effets ne sont pas sans conséquence sur la détermination des aires linguistiques. Depuis les travaux fondateurs de Gardette (1941), on sait que la frontière du francoprovençal et de l’occitan dans les monts du Forez est déterminable par un faisceau d’isoglosses remarquablement serré, voire linéaire. Il est bien connu, notamment, que les changements a# > i#, ɛ > iɛ, p > v, d > Ø, ɡ > i̯ et plusieurs autres suivent exactement la même ligne entre la Loire et le Puy-de-Dôme. Or, en un point précis du massif forézien, le faisceau d’isoglosses bifurque, dessinant une petite zone intermédiaire aux confins des deux départements (le plateau de Noirétable), zone comprenant une demi-douzaine de localités. Sur la foi des parlers contemporains, Gardette et ses successeurs ont tenu pour acquis que le plateau de Noirétable appartenait au « Forez provençal », c’est-à-dire au dialecte auvergnat et au domaine occitan. De fait, les parlers en question semblent ignorer la loi de Bartsch, ainsi que le -i final de féminin, et ils ont, sur le plan du vocalisme au moins, une allure nettement auvergnate, cf. Noirétable [ˈdʁitɔ] ‘droite’, [pəˈpidɔ] ‘pépie’, [ˈvaʃɔ] ‘vache’ en face de frpr. (Saint-Thurin) [ˈdʁeti], [pəˈpja], [ˈvaʃi] etc. (Gardette 1941, 153–157). Mais à y regarder de près et en s’interrogeant sur la dynamique évolutive des idiomes, on peut légitimement se demander si l’état présent ne résulte pas d’un fait, relativement ancien, d’alignement morphologique. Le fait est que les lois d’évolution du francoprovençal ont entraîné l’apparition d’une double série de féminins singuliers, en -a (type mola) et en -i (type vachi) – neutralisée en -es au pluriel. Or, la présence de la finale -i, d’abord conditionnée phonétiquement (par la précession d’une palatale) et donc prévisible, a cessé de l’être dès lors que les articulations palatales ont disparu ou changé de nature (*[ˈdrei̯tʲi] devenant [ˈdʁeti], *[ˈvaʨi] devenant [ˈvaʃi] etc.), ce qui s’est produit presque partout. Dès lors, l’opposition /a/ ~ /i/ en finale, dont la rentabilité était pratiquement nulle, et le maintien d’une double série de féminins ont bien pu être sentis comme. superfétatoires En pratique, donc, le fait que le changement *a > i final ait eu lieu dans tel parler peut fort bien être rendu invisible, par exemple, par le changement de timbre de i final ou par son amuïssement – et le cas est effectivement bien
84 | Xavier Gouvert documenté. Il est également possible que l’action de l’analogie produise un nivellement qui occulte l’évolution phonétique de certains parlers (Tuaillon 2007, 69–76). On aboutit alors à ce phénomène paradoxal qu’un parler « oïlique » ou « occitan » du point de vue synchronique peut fort bien être, historiquement, francoprovençal.
6 Le protofrancoprovençal : jalons pour une reconstruction 6.1 Méthode de la reconstruction Sur le plan de la méthode et de son application, la reconstruction d’une protolangue intermédiaire – en l’occurrence le protofrancoprovençal – ne diffère pas de celle de la protolangue-souche – ici le protoroman. Comme toute protolangue, le protofrancoprovençal est accessible par la grammaire comparée de ses continuateurs, c’est-à-dire par les parlers francoprovençaux contemporains, directement observables. Qu’on l’applique au niveau phonétique, phonologique, morphologique, lexical ou syntaxique, la démarche reconstructive consiste en une série d’opérations qui s’articulent nécessairement en trois étapes :15 (1) l’identification des corrélats (ou triangulation), c’est-à-dire la mise en correspondance d’une série de segments (ou de combinaisons de segments) dans une série d’idiomes (ou « branches »), et la présomption de leur identité génétique ; (2) l’établissement de l’hypothèse évolutive expliquant le rapport entre ces corrélats (conçus ipso facto comme les reflets divergents d’un état antérieur unitaire) ;16 (3) la formalisation synthétique de cette hypothèse évolutive par une rétroprojection (« unité-ancêtre », c’est-à-dire proto-segment, protophonème, protomorphe, protomorphème ou proto-syntagme), matérialisée par une notation conventionnelle (identifiée par l’astérisque initial et plus ou moins réaliste ou abstraite selon les choix théoriques du praticien).
|| 15 Nous renvoyons, pour la discussion sur la méthode reconstructive et les problèmes théoriques qu’elle pose, à Swiggers (2014a ; 2014b). 16 Dans le cas des unités de première articulation, pour lesquelles on reconstruit un signifiant et un signifié, il s’agit en fait d’une double hypothèse évolutive (formelle et sémantique).
1.3 Un chaînon manquant de la reconstruction romane : le protofrancoprovençal | 85
Quand cette procédure est appliquée à un nombre significatif d’unités, on obtient le tableau brut (et par définition incomplet) d’un proto-système linguistique. L’observation d’un tel tableau permet d’y reconnaître des régularités, mais également des faits structurellement lacunaires ou aberrants ; par induction et extrapolation (appuyées sur la typologie), on peut alors saisir des évolutions et des états successifs au sein même du système rétroprojeté, c’est-à-dire opérer une reconstruction interne.
6.2 Nombre et nature des données comparées S’agissant d’une protolangue intermédiaire, le choix des cognats intervenant dans le processus reconstructif se présente autrement que dans le cas de la langue-mère. L’étude génétique du francoprovençal repose en effet sur une myriade de données dialectologiques et philologiques brutes, non hiérarchisées et épistémiquement peu élaborées. Ce que nous savons du francoprovençal moderne provient très majoritairement, d’une part, de matériaux lexicographiques de qualité très variable et, d’autre part, d’atlas linguistiques dont un seul est doté d’un appareil critique et interprétatif (le volume 5 de l’ALLy). De fait, le francoprovençal n’a été systématiquement décrit et étudié que dans ses bordures occidentale (le Forez, couvert par les travaux de Gardette et de ses disciples) et orientale (la Suisse romande, couverte par le GPSR). En toute rigueur, la reconstruction du protofrancoprovençal est donc fondée sur la comparaison de la totalité des formes affines recueillies dans la lexicographie et l’atlantographie du domaine : essentiellement le FEW, le GPSR, le glossaire de Duraffour (1969), l’ALF, l’ALLy et l’ALJA, soit environ un demi-millier de localités ou points d’enquête. Certains parlers revêtent cependant une importance plus particulière pour la comparaison du fait de leur conservatisme : c’est le cas des patois marginaux de l’est du domaine (neuchâtelois, fribourgeois, haut-valaisan, parlers de la basse vallée d’Aoste et des vallées piémontaises, mauriennais).
6.3 Témoignage de l’ancienne langue Cette source directe se double du témoignage des textes francoprovençaux anciens (antérieurs à ca 1875), qui est donc fourni par la philologie (médiévale et moderne). On ne saurait perdre de vue que ce témoignage est indirect, puisque médiatisé par le canal écrit : sur le plan théorique, le code écrit ne peut jamais
86 | Xavier Gouvert être tenu pour un décalque de l’oralité synchrone et, sur le plan pratique, on sait que les systèmes graphiques usités pour le francoprovençal ancien ne reflètent que très imparfaitement sa phonologie et laissent dans l’ombre de nombreux faits de seconde articulation. Le témoignage des textes médiévaux, principalement celui des grandes scriptæ régionales par lesquelles l’ancien francoprovençal nous est connu entre le 13e et 15e siècle,17 n’en est pas moins primordial, puisque les états anciens de la langue complètent et précisent la reconstruction de premier niveau obtenue par la comparaison des cognats modernes. Antérieurement à l’émergence des scriptæ vernaculaires, l’ancien francoprovençal nous est accessible indirectement par le prisme de la scripta latina rustica, variété intermédiaire de latin mise en évidence dans de nombreux documents de la Gaule méridionale entre ca 550 et l’an mil. La nature même de cette scripta (non vernaculaire et littérairement élaborée) fait qu’elle est exploitable comme réactif, mais non comme matériau de base pour la reconstruction.18
6.4 Protofrancoprovençal et Romania submersa Un troisième témoignage, indirect lui aussi, est celui des emprunts lexicaux et onomastiques faits au francoprovençal, à date ancienne, par une langue de contact – en l’occurrence le haut allemand dans ses différentes variétés. La plupart de ces matériaux nous sont fournis par la toponymie de la Suisse alémanique : on sait que la germanisation de cette région s’est accomplie graduellement entre le 7e et le 15e siècles, ce qui a conduit à la « cristallisation » de nombreux noms de lieux sous leur forme paléofrancoprovençale. Beaucoup d’exemples de ce cas de figure ont été élucidés par Kristol (2002 ; 2003 ; DTS ; voir également, pour la zone rhénane, la synthèse de Haubrichs/Pfister 2014). Nous ne pouvons citer que quelques exemplaires suggestifs (sauf indication contraire, les formes anciennes sont tirées du DTS) : (1) All. Bözen (Argovie), Boze 1284, Bötzen 1303/1308 < protofrpr. */poˈʦin/ < protorom. */poˈti-an-u/ ‘domaine de Potius, villa Potiana’. L’Umlaut initial garantit la présence de */i/ dans la deuxième syllabe, donc un traitement purement francoprovençal (*/-ˈi-an-u/ > /-ˈin/). || 17 Suivant la nomenclature du FEW, il s’agit de l’ancien neuchâtelois, l’ancien fribourgeois, l’ancien vaudois, l’ancien valaisan, l’ancien savoyard, l’ancien genevois, l’ancien bressan, l’ancien lyonnais, l’ancien forézien et l’ancien dauphinois. 18 Pour une description et une analyse de la scripta latina rustica (en domaine occitan), cf. Carles (2011, 344–355).
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(2) All. Bünzen (Argovie), Bunzina 1259 < protofrpr. */punˈʦin-a/ < protorom. */ponˈti-an-a/ ‘villa Pontiana’. Même traitement que dans le cas précédent. (3) All. Herznach (Argovie), Hércina 1143 < protofrpr. */arʦiˈnai/ < protorom. */arkiaˈn-ak-u/. Même traitement, ici en syllabe prétonique. (4) All. Gempen (Soleure), Gempenon 1277 < protofrpr. */camˈpaɲ-i/ < protorom. */kamˈp-ani-a/ ‘champ ouvert, campagne’. (5) All. Gampelen (Berne, fr. Champion) < protofrpr. */campiˈʎoːn/ < protorom. */kamp-elˈl-ion-e/ ‘petit champ’. À propos de ce dernier cas, Kristol (2002, 234) fait remarquer qu’« il est impossible que le nom de Gampelen ait été emprunté avant le IXe siècle », et il en déduit qu’« au moment où la population germanophone s’installe dans la région et emprunte ce nom de lieu, la palatalisation du [k] devant [a] n’a pas encore eu lieu ». La conclusion ne nous paraît guère soutenable en ces termes : d’un point de vue articulatoire, palatalisation ne signifie pas « affrication », et il est certain que la palatalisation de */k(+a)/ en protofrancoprovençal est passée par le stade [c] (occlusive palatale) avant de produire une affriquée palatale [ʨ], puis une postalvéolaire [ʧ]. Les palatales étant un ordre de phonèmes inconnu de l’ancien haut allemand, il est logique et prévisible que le */c/ protofrancoprovençal ait été rendu par le phonème allemand le plus proche, à savoir l’occlusive vélaire /k/ (notée à l’initiale) : preuve en est le transcodage protofrpr. */ɟ/ → all. /ɡ/ dans */ˈɟɛneva/ ‘Genève’ > all. Genf. Nous admettrons, par conséquent, que le changement *[c] > *[ʨ] est, au moins pour le nordest du francoprovençal, postérieur au 9e siècle. (6) Le nom du Rhône est afrpr. Roen, Roin (Hafner 1955, 122), en face de suissall. (der) Rotten [ˈrɔttə], (der) Rottu [ˈrɔtto], [ˈrɔttu] (SchweizIdiotikon 6, 1793–1794 ; Bergier 2013 in DHS s.v. Rhône). On peut reconstruire sur cette base un protofrpr. *[ˈroːðen], emprunté par les germanophones avant l’amuïssement de [ð] intervocalique (transcodé en ahall. */d/ > suissall. /t/), donc avant ca 900 (La Chaussée 19893 [19741], 196) – datation justifiée par la notoriété du référent. L’analyse des témoignages tirés de l’exonymie doit cependant être menée avec précaution : les toponymes empruntés sont sujets à des réfections morphologiques qui peuvent altérer leur forme héréditaire et donc masquer le vocablesource. Ainsi les noms de lieux formés avec le suffixe prédial protorom. */-ˈak-u/ (> afrpr. -ai, -ieu) sont-ils toujours représentés, en zone alémanique, par des formes en -ach (type Dornach, Martinach). Une reconstruction naïve amènerait à poser une finale protofrpr. *[-ˈaç] ou *[-ˈæç] dans le prototype de toutes ces formes – ce qui serait un mirage. D’une part, en effet, la confrontation de la chronologie absolue admise pour l’évolution de */-ˈak-u/ avec l’histoire de la migration alémanique exclut qu’une réalisation du type *[-ˈaç] ait pu exister à l’époque
88 | Xavier Gouvert présumée de l’emprunt (14e siècle pour le Haut-Valais). D’autre part, l’analyse étymologique montre que la finale all. -ach a été substituée à la finale originelle dans la plupart des cas qui nous intéressent. De toute évidence, all. Bülach (Zurich), Pulacha 811, Puillacha 828, ne peut pas remonter à une forme originale en [-aχ] : l’Umlaut initial impose la présence de *[i] dans la syllabe subséquente, donc un primitif *Büli(ch). Or, la forme archaïque [ˈbyːli] est précisément attestée, dans le dialecte zurichois, à côté de la forme officielle [ˈbyːlaχ] (DTS 200). On reconstruira donc ahall. */ˈpuːli/ < protofrpr. */puˈʎiɛ/ < protorom. */paulˈi-ak-u/ (cf. fr. Pouilly). Le même raisonnement peut s’appliquer aux exemplaires suivants : all. Gempenach (Fribourg, fr. Champagny) < protofrpr. */campaˈnjiɛ/ < protorom. */kamp-anˈi-ak-u/ ; all. Giebenach (Bâle-Campagne), Gibennacho 1246 < protofrpr. */ɟimiˈnjiɛ/ (?) < protorom. */ɡemɪnˈi-ak-u/ (cf. fr. Gémigny) ; all. Martinach (Valais, fr. Martigny) < afrpr. Martignie < protorom. */martinˈi-ak-u/ ; all. Zurzach [ˈʦʊːrʦi] (Argovie), Wrzacha 600/700, pour *(zu) Urzich < protofrpr. */urˈʦiɛ/ < protorom. */orˈti-aku/. Dans tous ces noms, il est patent que la finale /-aχ/ résulte d’une substitution analogique : la finale frpr. */-ˈiɛ(u)/ a été sentie comme un corrélat d’all. /-aχ/, qui formait une classe toponymique particulièrement nombreuse. Le cas de Martigny/Martinach suggère d’ailleurs que ces noms en -ach sont des formes « de chancellerie », dont la germanisation est intentionnelle.
6.5 Reconstruction phonologique Nous proposons ici une esquisse de reconstruction du système phonologique protofrancoprovençal, en nous fondant principalement sur les deux opera magna de la phonétique dialectale et historique du francoprovençal, les Phénomènes généraux de Duraffour (1932) et les Grundzüge de Hafner (1955). Les scénarios évolutifs que nous exposons s’appuient en partie sur les analyses structurales de Haudricourt et Juilland (21970 [11949], notamment 31–68 et 99–105).
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6.5.1 Voyelles simples On reconstruit en protofrancoprovençal un système à dix voyelles définies par les corrélations d’aperture, de lieu d’articulation, d’arrondissement et de quantité : antérieures
postérieures
non arrondies brève fermées
*i
moyennes
*e
quasi-ouvertes
*ɛ
ouvertes
longue
arrondies brève
longue
brèves
longue
*u *eː
*o
*oː
*ɔ *a
*aː
À la différence du protofrançais, le francoprovençal primitif possède une voyelle fermée postérieure arrondie, */u/, mais aucune antérieure arrondie du type [y] ; le changement [u] > [y] s’est produit, en francoprovençal, à date littéraire (Philipon 1911 ; Haudricourt/Juilland 21970 [11949], 109, 118). Le trait de quantité n’est pertinent que pour les voyelles ouvertes et moyennes ; */ɛ i ɔ u/ sont quantitativement neutres. Ce système vocalique n’est maintenu tel quel que dans de très rares parlers francoprovençaux modernes. Presque partout, */aː/ est devenu une voyelle postérieure, arrondie et plus ou moins fermée, du type [ɒ], [ɔ] ; mais les textes médiévaux attestent invariablement un timbre ouvert, et ils ne distinguent pas les deux /A/ (celui de chantar, pra est noté comme celui de drap, vachi). Les voyelles longues */eː/ et */oː/ sont, en général, reflétées par des diphtongues issues de [ei̯] et de [ou̯ ], respectivement, avec des aboutissements très variés. Il est en pratique impossible de se prononcer sur le statut phonologique de */eː/ et */oː/ en protofrancoprovençal : le témoignage de l’ancienne langue est extrêmement ambigu, puisque les scriptæ lyonnaise et dauphinoise des 13e–14e siècles rendent ces deux phonèmes tantôt par , (tela, amor), tantôt par , (teila, amour). À tout le moins peut-on affirmer que les diphtongues afrpr. [ei̯] et [ou̯ ] n’étaient pas perçues comme biphonématiques.
6.5.2 Diphtongues On reconstruit en protofrancoprovençal une large gamme de polyphtongues, issues de diverses coalescences vocaliques et identiques à celles du
90 | Xavier Gouvert protofrançais : douze diphtongues – qui sont toutes descendantes – *[ai̯ au̯ ɛu̯ ei̯ eu̯ iɛ̯ iu̯ ɔu̯ oi̯ ou̯ ui̯ uɔ̯ ] et quatre triphtongues *[iɛ̯ ĭ iɛ̯ ŭ uɔ̯ ĭ uɔ̯ ŭ]. Comme en protofrançais, d’ailleurs, le statut phonologique de ces segments est pratiquement indécidable : il est tout aussi légitime de les interpréter comme des phonèmes complexes que comme des séquences de plusieurs phonèmes. Le seul critère exploitable, dans ce cas précis, est morphologique : c’est l’existence d’alternances vocaliques dans les flexions et dans la dérivation. Soient les formes verbales afrpr. levár (inf.) ~ líevo (ind. prés. 1), ovrár ~ úevro : les diphtongues ouvrantes [iɛ̯ ] et [uɛ̯ ] alternant régulièrement avec une voyelle simple ([e] et [o], respectivement), il paraît économique de les considérer comme la réalisation de phonèmes uniques, c’est-à-dire */iɛ/ et */uɔ/ : antérieure
postérieure
*iɛ
*uɔ
Les autres polyphtongues n’entrant dans aucune alternance (sous réserve de ce que nous avons dit de [ei̯] et [ou̯ ], cf. ci-dessus 6.5.1), on préférera les exclure de l’inventaire phonématique et reconstruire */a+i/, */iɛ+i/ etc. 6.5.3 Consonantisme Le tableau consonantique du protofrancoprovençal comporte, selon notre reconstruction, vingt-trois phonèmes, dont sept couples avec corrélation de voisement : bilabiales labioden- dentales tales occlusives
*p *b
palatales
vélaires *k *ɡ
*ʦ *ʣ *f *v *m
postalvéolaires
*t *d
affriquées fricatives nasales
alvéolaires
*ʨ *ʥ
*s *z *[ɲ](1)
*n
constrictives
*j
vibrante simple
*ɾ
vibrante multiple
*r
*w
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bilabiales labioden- dentales tales latérales fricative latérale
alvéolaires *l
postalvéolaires
palatales
vélaires
*ʎ *cʎ
(1) La latérale nasale, proscrite à l’initiale, peut s’interpréter comme une articulation biphonématique */nj/.
Le problème des affriquées. — Nous attribuons au protofrancoprovençal un couple d’affriquées palatalisées */ʨ ʥ/ (au lieu de simples postalvéolaires */ʧ ʤ/). Cette restitution est fondée sur le traitement des initiales che- et ge- de l’ancien francoprovençal. Celles-ci passent régulièrement à chi- et gi- dans une large partie du domaine (types cheval > chival et genest > ginest), ce qui implique une action palatalisante et fermante de la consonne précédente – laquelle était donc nécessairement palatale. Comme ce changement se constate dans de nombreux lexèmes empruntés au moyen français (alyonn. chival, chivest), il faut supposer que certaines régions francoprovençales avaient encore */ʨ ʥ/ à la fin du 14e siècle. On sait, au moins depuis la publication de l’ALF, qu’une large bande de territoire galloroman s’étendant du Périgord (ALF p 624) jusqu’à la haute vallée d’Aoste (p 986) possède, ou a possédé, les affriquées [ʦ] et [ʣ] là où le français a [ʃ] et [ʒ]. Rappelons que ce [ʦ] secondaire – nous le noterons /ʦ2/ – est parfaitement distinct du /ʦ/ primaire, issu de */tj/, */kj/ et */k(+E)/ protoromans (celui d’afr. force, face, cent). Il provient de la palatalisation dite « française » et répond à protorom. */k(+a)/ (type champ : [ʦã]), */(pp+)j/ (type hache : [aʦ]) et */k(+E)/ tardif (type bouchet : [boˈʦe]). Sur la dynamique et l’aire d’expansion de /ʦ2/ en galloroman, peu de choses ont été écrites, à notre connaissance, depuis l’étude fondamentale de Dauzat (1928), et l’on voudra bien se reporter à celle-ci pour le détail des faits qui nous intéressent ici. Le fait essentiel est le suivant : à une époque postérieure à l’an 1200, le francoprovençal et une grande partie de l’occitan septentrional ont substitué aux anciennes affriquées postalvéolaires des affriquées alvéolaires. Que l’ancien francoprovençal ait possédé d’abord, comme l’ancien français, les chuintantes [ʧ] et [ʤ], la chose – quoique ignorée ou contestée par plusieurs francoprovençalistes éminents –19 est établie depuis Muret (1912, 52–53), sur la foi
|| 19 Ainsi Tuaillon (2007, 52) ne craint-il pas d’évoquer « les deux résultats de la palatalisation de C+A [en galloroman] », ni d’avancer que « la palatalisation du C devant A est passée par les
92 | Xavier Gouvert des toponymes alémaniques empruntés au roman lors de la germanisation du Valais, au 15e siècle.20 Elle est d’ailleurs démontrable par un raisonnement de chronologie relative : si */k(+a)/ avait donné directement /ʦ2/ en protofrancoprovençal (par exemple dans */ˈkamp-u/), ce phonème aurait dû fusionner avec /ʦ1/ (par exemple dans */ˈkɛnt-u/), et l’on aurait eu la même initiale dans le type cent et dans le type champ – ce qui ne se constate pratiquement nulle part en galloroman.21 Le changement [ʧ] > [ʦ] a donc affecté une aire extrêmement large, qui inclut certes le francoprovençal, mais s’étend bien au-delà de ses limites communément admises : cette aire inclut non seulement le nord de l’amphizone francoprovençale (« vivaro-alpin », Ardèche, Drôme, Hautes-Alpes), mais aussi le Velay, la haute et la basse Auvergne, ainsi que le Bas-Limousin jusqu’à la Dordogne. Aréologiquement, la zone /ʦ2/ apparaît clairement comme une mutation de la zone /ʧ/ : « Les tʃ », écrit fort justement Dauzat (1928, 80), « ne se rencontrent que dans les régions arcaïques, réduits souvent à l’état d’îlots plus ou moins rongés, spécialement dans les montagnes, – ou en bordure des limites linguistiques, à l’opposé des centres de poussée qui se sont développés dans les plaines ». « En jetant un coup d’œil sur la carte », note encore l’auteur des Essais de géographie linguistique, « et en rendant par la pensée au ts le domaine que lui a pris plus tard le ʃ, Lyon s’avère comme le grand foyer de l’évolution tʃ → ts » (Dauzat 1928, 80–81). Si la conclusion de Dauzat se révélait exacte, si Lyon était donc bien le foyer unique du changement [ʧ] > [ʦ] irradiant dans l’ensemble du domaine nord-occitan, ce sont non seulement les limites, mais la notion même du francoprovençal admise depuis Ascoli qu’il conviendrait de révoquer : à sa place, on devrait légitimement poser un « macro-francoprovençal » tentaculaire, augmenté du vivarais-dauphinois, de l’auvergnat et du limousin. De deux choses l’une, en effet : ou bien le /ʦ/ nord-occitan est d’origine lyonnaise, ce qui implique que le dialecte lyonnais ait été un idiome suffisamment prestigieux, vers le début des Temps modernes, pour concurrencer le français dans toutes les
|| premiers stades [kj], [tj] ; la divergence qui a suivi cette première étape a donné des [ʧ] et au sud, dans l’aire du francoprovençal, des [ts] ». Ses vues sont partagées, par exemple, par Stich (1998, 40) et d’autres vulgarisateurs de la matière francoprovençale. 20 Les exemples en sont nombreux et bien documentés (cf. Tschablen, Tschalmeten, Tscharboniry). Rappelons encore que les parlers valaisans contemporains ne connaissent que le résultat [ts]. 21 On pourrait évidemment faire l’hypothèse – toute gratuite – que *[ts] primaire soit passé très précocement à *[s], avant le changement *k(+a) > ts (donc à date prélittéraire), mais cette hypothèse serait infirmée par la masse des textes ancien-francoprovençaux, qui n’attestent nulle part aucune confusion entre et ou .
1.3 Un chaînon manquant de la reconstruction romane : le protofrancoprovençal | 93
villes du Massif-Central, poussant son influence jusqu’aux confins du Périgord, de la Combraille et du Gapençais – c’est là ce qu’imaginait Dauzat – ; ou bien, au contraire, l’attraction linguistique de Lyon (et de Vienne) a cessé de s’exercer, dès le 7e siècle, sur les régions non francoprovençales, et en ce cas le changement [ʧ] > [ʦ] nord-occitan s’est produit indépendamment de toute influence lyonnaise. C’est cette seconde hypothèse que nous admettons. La carte 748, ‘laitue’, de l’ALF montre en effet que le changement [ʧ] > [ʦ], dans les produits de la palatalisation de */kt/, est attesté dans tout le domaine provençal, notamment maritime, et que le type /laˈʦyga/ s’étend jusqu’aux portes d’Arles et de Marseille (Ronjat 1930, vol. 1, 91–92 § 51 ; 171 § 311). En somme, le changement [ʧ ʤ] > [ʦ ʣ] apparaît comme un fait phonétique trivial et comme un développement très commun dans les parlers galloromans, mais qui a connu son extension maximale en francoprovençal moderne. Dans notre domaine, ce changement peut être daté du dernier siècle du Moyen Âge, d’après le témoignage des exonymes alémaniques (cf. all. Zivizach 1497 = frm. Givisiez [Fribourg], DTS 390). Les latérales palatales. — Le consonantisme protofrancoprovençal se distingue, en outre, de celui du protofrançais par l’existence d’une affriquée latérale palatale (non voisée), */cʎ/. Nous la reconstruisons sur la base des réalisations, extrêmement variées – [tl], ͜ [ʨ], [cç], ͜ [cʎ], ͜ [ç], [ʎ], [çʎ], [xʟ] etc. –, que présentent les parlers modernes (cf. les issues de protofrpr. */ˈcʎaː/ ‘clef’ ou de */ˈcʎɔʨi/ ‘cloche’, ALF 301, 302). Duraffour (1932, 238–242) a montré que le francoprovençal se séparait nettement, sur ce point, du français central : si certains patois actuels connaissent la séquence [kl], c’est qu’ils l’ont empruntée au français, comme le prouvent plusieurs cas d’hypercorrections. Le fait que l’ancien francoprovençal note systématiquement le segment correspondant par (cla, clochi) n’est guère significatif et n’indique pas une réalisation semblable à celle du français : il s’agit d’un digramme dont l’usage est comparable à celui de pour [ɲ]. On a d’ailleurs des attestations de pour */cʎ/ dans l’ancienne langue (afrpr. Souchins ‘Souclin [Ain]’, Duraffour 1932, 241). Symétriquement, la graphie médiévale (dans glaci, egleisi) ne peut avoir noté que */ʎ/ (protofrpr. */ˈʎaʦi/ ‘glace’, */eˈʎiɛizi/ ‘église’, cf. ALF 453, 647) ; la toponymie recèle de nombreux cas de transposition par fr. Gl- d’un Li- primitif (type Gletterens < Lieterins [Fribourg], DTS 393).
94 | Xavier Gouvert 6.5.4 Prosodie Le protofrancoprovençal possédait, à l’image de tous ses descendants, un accent d’intensité (stress accent) mobile et libre. Comme dans la plupart des langues romanes historiquement attestées à l’exception du français moderne, la loi de limitation prosodique autorisait des lexèmes oxytons (*/ʨanˈtaːr/ > afrpr. chantar) et paroxytons (*/ˈvaʨi/ > afrpr. vachi). Il existait également, au moins dans le plus ancien état de la langue, des proparoxytons : protofrpr. */ˈbalsemo/ ‘baume’, */ˈʥiɛneva/ ‘Genève’, */ˈʥoːveno/ ‘jeune’, */ˈɔrfeno/ ‘orphelin’, */ˈseːnevo/ ‘moutarde’, */ˈʨarpena/ ‘charme (Carpinus)’. Cet état n’est pas conservé dans les parlers modernes : à date prélittéraire, les proparoxytons ont été éliminés soit par apocope (*/esˈtiɛveno/ > afrpr. Estieven),22 soit par métatonie (recul de l’accent). La physionomie de nombreux vocables s’est, de ce fait, notablement modifiée. Ainsi le nom du chanvre (Cannabis sativa), issu de protorom. */ˈkanap-u/, est-il reflété dans les parlers modernes tantôt par des formes paroxytones (SRfrpr. [ʦeˈnɛvo], Jura [ʦeˈnevu], HSav. [θɛˈnavo], [ˈθɛnvə], Ain [θəˈnɛvo], Loire [ˈʃnɛvo]), tantôt par des oxytons (Neuchâtel [ʧnɛv], Savoie [θəˈnœv], Isère [ʃənəˈvo]) ; l’ancienne langue a chenevo, dont l’accentuation est indécidable. Sur cette base, Hafner (1955, 124–125) suppose un afrpr. *[ˈʧɛnəvo], devenu *[ʧɛˈnəvo] par métatonie. Cette reconstruction pose toutefois un difficile problème de chronologie relative. On sait en effet que le francoprovençal change régulièrement *[a] tonique libre en [i] entre palatale et nasale (type */ˈkan-e/ > chin ‘chien’, */meˈian-a/ > meina ‘moyenne’), que ce traitement est général et ancien (attesté au 6e/7e siècle, Greub 2004, 18) et concomitant avec la loi de Bartsch. Une base */ˈkanap-u/ aurait donc dû aboutir, en toute rigueur, à protofrpr. **/ˈʨinevo/, d’où afrpr. *[ʧiˈnəvo], frpr. **[θiˈnəvo] etc. Comme la forme chinevo n’apparaît pas avant le 15e siècle, Hafner suppose que seule la première étape de la palatalisation de *[a] a pu se produire (*[a] > [ɛ]), mais que le processus ne serait pas allé jusqu’à son terme (d’où chenevo). Selon nous, les lexèmes afrpr. chenevo et chinevo ne peuvent pas être héréditaires : ce sont des formes refaites sur les dérivés chenaveri ‘chenevière’, chenavà ‘chènevis’, eux-mêmes influencés par le phonétisme français (< mfr. cheneviere, chenevis) ; comme l’avait déjà conclu Gardette (1941, 192), « le traitement K + A initial > cha- est le traitement phonétique [en francoprovençal] et […] les che- et les chi- sont des formes importées ». Le nom authentiquement francoprovençal du chanvre est chanevo, bien attesté en || 22 Qui est, semble-t-il, le traitement savant ou semi-savant.
1.3 Un chaînon manquant de la reconstruction romane : le protofrancoprovençal | 95
dauphinois depuis le 13e siècle et appuyé par les dérivés anciens chanavà, chanaver, Chanaveri ~ Chavaneri (très fréquents en toponymie). En conséquence, puisque le *[a] initial de */ˈkanap-u/ ne s’est pas palatalisé, on peut admettre que la métatonie francoprovençale (*[ˈʨanəvo] > *[ʨaˈnəvo]) est antérieure à l’effet de Bartsch, donc au milieu du 6e siècle : elle doit être contemporaine de la syncope des proparoxytons (qui a produit fr. chanvre) et sans doute corrélée phonotactiquement à celle-ci.23
6.6 Reconstruction morphologique Nous ne pouvons donner ici qu’un bref aperçu des phénomènes morphologiques qui particularisent le protofrancoprovençal au sein de la famille romane. Si l’on est fort bien renseigné sur le système de la langue médiévale – depuis la Morphologie de Philipon (1901) et, plus récemment, depuis l’étude de Stefania Maffei Boillat (2015) –, une morphologie comparée des variétés francoprovençales modernes fait absolument défaut (en dépit des travaux précurseurs de Brigitte Horiot et de Jean-Baptiste Martin).
6.6.1 Morphologie nominale Le protofrancoprovençal ayant conservé la différenciation de timbre des voyelles finales atones, il s’est formé cinq classes de noms et d’adjectifs qualificatifs (Philipon 1901, 219–227) : (I) masculins en */-o/, type */ˈazn-o/ (< protorom. */ˈasin-u/) ; (IIa) féminins en */-a/, type */ˈtɛr-a/ (< protorom. */ˈtɛrr-a/) ; (IIb) féminins en */-i/, type */ˈvaʨ-i/ (< protorom. */ˈβakk-a/) ; (III) masculins et féminins consonantiques, type */ˈmur/ (< protorom. */ˈmur-u/) ; (IV) masculins et féminins imparisyllabiques, type */ˈuɔm/ ~ */ˈuɔmen/ (< protorom. */ˈɔmo/ ~ */ˈɔmɪn-e/). Les anciens thèmes en */-e/ où la finale s’était maintenue ont été versés dans la classe I ou dans les classes IIa/IIb, selon leur genre : protorom. */ˈarbor-e/ s.f.
|| 23 C’est le refus de certains groupes consonantiques induits par la syncope qui aurait provoqué, par compensation, le recul de l’accent sur la pénultième : *[ˈbalsəmo] > **[ˈbalsmo] (groupe [lsm] proscrit), d’où *[balˈsəmo]. D’autre part, notre reconstruction implique qu’une forme comme sav. [ˈθɛnvə] ‘chanvre’ est sortie de *[θɛˈnəvə] (comme sav. [ˈfarna] de *[faˈrina]).
96 | Xavier Gouvert ‘arbre’ > protofrpr. */ˈarbr-o/ s.m. ; */ˈfɛβr-e/ s.f. ‘fièvre’ > */ˈfiɛvra/ ; protorom. */ˈpulik-e/ s.f. ‘puce’ > protofrpr. */ˈpulʣ-i/ ; protorom. */ˈi̯ʊβen-e/ adj. ‘jeune’ > protofrpr. */ʥoˈven-o/ m. ~ */ʥoˈven-a/ f. ; protorom. */ˈfraɡil-e/ adj. ‘frêle’ > protofrpr. */ˈfraʎ-o/ m. ~ */ˈfraʎ-i/ f. L’ancien francoprovençal atteste une déclinaison bicasuelle, dont l’état originel se laisse saisir en dépit des substitutions analogiques. Le système le plus ancien que nous puissions atteindre est le suivant :
Singulier
Pluriel
I
IIa
IIb
III
IV
Sujet
*/ˈazn-os/(1) */ˈfaːvr-e/(2)
*/ˈtɛr-a/
*/ˈvaʨ-i/
*/ˈmur-s/
*/ˈuɔm/
Régime
*/ˈazn-o/
*/ˈtɛr-a/
*/ˈvaʨ-i/
*/ˈmur/
*/ˈuɔmen/
*/ˈtɛr-es/
*/ˈvaʨ-es/
*/ˈmur/
*/ˈuɔmen/
*/ˈtɛr-es/
*/ˈvaʨ-es/
*/ˈmur-s/
*/ˈuɔmen-s/
(3)
Sujet
*/ˈazn-o/
Régime
*/ˈazn-os/
(1) Type général. (2) Thèmes en */-r-/ (< protorom. */-er/). (3) Substitution de */-o/ à la finale héritée */-e/ (< protorom. */-i/).
À côté de ces cinq paradigmes généraux existaient des types anomaux qui ont survécu en ancien francoprovençal : type */ˈpaːr-e/ ‘père’ (< protorom. */ˈpatr-e/), désinences */-e/, */-e/, */-es/, */-es/ ; type */ˈpiɛɾ-o/ ‘Pierre’ (< protorom. */ˈpɛtr-u/), désinences */-os/, */-on/, */-ons/, */-ons/ ; type */ˈput-a/ ‘putain’ (< protorom. */ˈputid-a/), désinences */-a/, */-an/, */-ans/, */-ans/ ; type */ˈblanʨ-i/ ‘Blanche’ (< protorom. occid. */ˈblank-a/), désinences */-i/, */-in/, */-ins/, */-ins/.
6.6.2 Morphologie pronominale et déterminative Le système des pronoms personnels s’écarte de celui du protofrançais sous l’aspect du vocalisme (Philipon 1901, 227–238 ; Horiot 1971, 125–147 ; 1972, 43 ; Martin 1974a, 85–116 ; Martin 1974b) ; il témoigne, pour les personnes 3 et 6, de plusieurs remodelages dont il est difficile de saisir tous les détails.
1.3 Un chaînon manquant de la reconstruction romane : le protofrancoprovençal | 97
Pronoms personnels P1
Clitique
Tonique
Sujet
*/ʥo/
*/ˈʥoː/
Régime
*/me/
*/ˈmeː/
P2
Sujet
*/tu/
*/ˈtu/
Régime
*/te/
*/ˈteː/
P3 masculin
Sujet
*/el/
*/ˈel/
Régime
*/lo/
*/ˈlui/
P3 féminin
Sujet
*/iʎi/ ~ */eʎi/ (1)
*/ˈiʎi/ ~ */ˈeʎi/ (1)
Régime
*/la/
*/ˈliɛi/ (2)
P4
*/nos/
*/ˈnoːs/
P5
*/vos/
*/ˈvoːs/
P6 masculin P6 féminin
Sujet
*/el/
*/ˈel/
Régime
*/los/
*/ˈels/
Sujet
*/iʎes/ ~ */eʎes/
*/ˈiʎes/ ~ */ˈeʎes/
Régime
*/les/
(1) D’une base protorom. */ˈɪll-i-a/. (2) D’une base protorom. */ɪll-ˈɛ-i/.
La flexion de l’article défini distingue deux genres, deux nombres et deux cas (cf. tableau de la page suivante). Le cas sujet féminin singulier (protorom. */ɪll-a/) a été remodelé sur le masculin (< protorom. */ɪll-i/ ; Philipon 1901, 218–219 ; Martin 1972 ; Horiot 1972, 43). Articles définis Masculin Singulier Pluriel
Féminin
Sujet
*/li/
*/li/
Régime
*/lo/
*/la/
Sujet
*/li/
*/les/
Régime
*/los/
*/les/
La gamme des prépositions articulées n’existe qu’au masculin (Philipon 1901, 218–219 ; Horiot 1972, 22–26) : il n’y a pas de forme contractée féminine (contrairement au système français, où l’analogie est intervenue).
98 | Xavier Gouvert
Prépositions articulées Masculin */a+/
Féminin */de+/
*/a+/
*/de+/
Singulier
*/al/
*/del/
*/a la/
*/de la/
Pluriel
*/als/
*/dels/
*/a les/
*/de les/
La flexion de l’adjectif possessif (possessif clitique) comporte certaines originalités (Philipon 1887, 25 ; 1893, 17 ; 1901, 227–231 ; 1909, 124 ; cf. le tableau de la page suivante). Les plus notables sont les formes de 4e et 5e personnes au cas régime masculin singulier : le morphème */-on/ y apparaît comme un alignement analogique sur les formes P1, P2 et P3. On sait que ce trait est une innovation originale et commune du francoprovençal (Hasselrot 1938 et 1966).
1.3 Un chaînon manquant de la reconstruction romane : le protofrancoprovençal | 99
Adjectifs possessifs Masculin
P1 P2 P3 P4 P5
Féminin
Singulier
Pluriel
Singulier
Pluriel
*/mos/
*/mi/
*/mi/
*/mes/
Régime
*/mon/
*/mos/
*/ma/
*/mes/
Sujet
*/tos/
*/ti/
*/ti/
*/tes/
Régime
*/ton/
*/tos/
*/ta/
*/tes/
Sujet
*/sos/
*/si/
*/si/
*/ses/
Régime
*/son/
*/sos/
*/sa/
*/ses/
Sujet
*/nostre/
*/nostri/
*/nostri/
*/nostres/
Régime
*/nostron/
*/nostros/
*/nostra/
*/nostres/
Sujet
*/vostre/
*/vostri/
*/vostri/
*/vostres/
Régime
*/vostron/
*/vostros/
*/vostra/
*/vostres/
Sujet
P6
*/lor/
Les démonstratifs s’organisent en deux séries morphologiques, exprimant l’opposition sémantico-référentielle proximité/éloignement et remontant aux bases protoromanes (régionales) */(ek)k-ˈɪll-/ et */(ek)k-ˈɪst-/ ; le neutre a une forme atone issue de */(ek)ki-o/ (Philipon 1901, 233–234 ; Horiot 1971, 125–147 ; 1972, 49–66 ; Martin 1976). Démonstratifs Singulier
Pluriel
Masculin
Féminin
Neutre
Sujet
*/ˈʦil/ */ˈʦist/
*/ˈʦiʎi/ */ˈʦisti/
*/ʦo/ ~ */ʦen/
Régime
*/ˈʦel/ ~ */ʦeˈlui/ */ˈʦela/ */ˈʦest/ ~ */ʦesˈtui/ */ˈʦesta/
Sujet
*/ˈʦil/ */ˈʦist/
*/ˈʦeles/ */ˈʦestes/
Régime
*/ˈʦelos/ */ˈʦestos/
*/ˈʦeles/ */ˈʦestes/
*/ˈʦel/ */ˈʦest/
6.6.3 Morphologie verbale Le système verbal du francoprovençal commun est marqué par l’évolution particulière du vocalisme, notamment atone, qui singularise cette langue par
100 | Xavier Gouvert rapport à son voisinage galloroman (pour une vue d’ensemble et une restitution des paradigmes de l’ancienne langue, cf. Philipon 1901, 238–294 et Maffei Boillat 2015, 91–101 ; pour la problématique générale, Martin 1979). Nous ne pouvons ici qu’évoquer, en guise d’exemple, quelques traits verbaux du protofrancoprovençal. Parmi les phénomènes remarquables accessibles à la reconstruction, il convient de citer : – L’existence de deux paradigmes issus de la conjugaison I protoromane, conséquence de la palatalisation de *[a] (Philipon 1901, 262 ; Martin 1979, 169– 190) : flexion « dure », type */ʨanˈtaːr/, */ˈʨanta/ (< protorom. */ˈkant-a-/), et flexion « molle », type */lanˈʦiɛr/, */ˈlanʦi/ (< protorom. */ˈlanki-a-/). – La désinence de P1 indicatif présent */-o/, étendue à tous les paradigmes à l’exception des deux auxiliaires : protofrpr. */ˈʨant-o/ ‘(je) chante’, */fin-ˈis-o/ ‘(je) finis’, */ˈvend-o/ ‘(je) vends’. – La désinence de P4 */-ˈaːm/ ~ */-ˈeːm/ généralisée : protofrpr. */ʨant-ˈaːm/ ‘(nous) chantons’, */fin-is-ˈeːm/ ‘(nous) finissons’, */vend-ˈeːm/ ‘(nous) vendons’ ; /ʨant-aɾ-ˈeːm/ ‘(nous) chanterons’ etc. – La désinence de P6 indicatif présent */-ont/, étendue à tous les paradigmes : protofrpr. */ˈʨant-ont/ ‘(ils) chantent’, */fin-ˈis-ont/ ‘(ils) finissent’, */ˈvend-ont/ ‘(ils) vendent’. – L’indicatif imparfait alternant les morphèmes */-ˈaːv-/ et */-i-/, combinés avec les désinences de présent : protofrpr. */ʨant-ˈaːv-o/, */-ˈaːv-es/, */-ˈaːv-et/ (sg.) ; */ʨant-av-ˈaːm/, */-av-ˈaːʦ/, */-ˈaːv-ont/ (pl.) ; */ˈvend-in/, */-i-es/, */-i-et/ (sg.) ; */vend-i-ˈaːm/, */-i-ˈaːʦ/, */ˈvend-i-ont/ (pl.).
7 Conclusion Ce bref coup d’œil jeté sur la phonologie et la morphologie protofrancoprovençales montre assez l’ampleur du sujet et, croyons-nous, la nécessité de reconstruire les synchronies intermédiaires entre la souche et les rameaux de la famille romane. Bien loin de ce qu’une vision simpliste de notre discipline pourrait laisser croire, la finalité de la grammaire historique n’est pas de résorber la diversité évolutive dans l’unité et l’homogénéité (supposées) de l’ancêtre commun ; et il est évident que les systèmes intermédiaires qui forment les « nœuds » de l’arbre phylogénétique ne se déduisent pas mécaniquement du système de la languemère. Ils impliquent une réorganisation et des remodelages structurels complexes et non prévisibles. La reconstruction du protoroman (commun) n’épuise donc pas le programme de la grammaire comparée des langues romanes : on peut soutenir qu’elle n’en constitue que la première phase. À cet égard, la grammaire
1.3 Un chaînon manquant de la reconstruction romane : le protofrancoprovençal | 101
historique et comparée des parlers francoprovençaux, selon la méthode reconstructive, reste encore à écrire.
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1.3 Un chaînon manquant de la reconstruction romane : le protofrancoprovençal | 103
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Jan Reinhardt
1.4 Addenda Aragonensia 1 Introduction Si nous proposons ici des additions aragonaises aux articles déjà parus du DÉRom, c’est d’une part pour faire suite à une suggestion d’Eduardo Blasco Ferrer (2016, 539),1 d’autre part en raison d’un intérêt pour l’aragonais né récemment au sein même de l’équipe du projet. En effet, une commission, constituée de Maria Reina Bastardas i Rufat, Myriam Benarroch, Steven N. Dworkin, Vladislav Knoll, José Antonio Saura Rami, Matthieu Segui, Pierre Swiggers et du signataire de ce chapitre, a éte chargée de faire des propositions concernant le statut et le traitement de l’aragonais au sein du dictionnaire. Lors du 14e Atelier DÉRom, qui a réuni l’équipe les 18/19 novembre 2016 à Nancy, la commission a présenté ses conclusions, dont la principale consistait à proposer à l’assemblée d’accorder désormais à l’aragonais, en conformité avec sa position génétique au sein de la Romania, le statut d’idiome obligatoire.2 Cette proposition a été validée par les participants de l’atelier, qui ont chargé José Antonio Saura Rami, maître de conférences à l’Université de Saragosse et éminent spécialiste de l’aragonais, d’assurer la révision des données aragonaises dans les articles à venir. La décision d’accorder à l’aragonais le statut d’idiome obligatoire n’avait toutefois pas de caractère rétroactif, ce qui justifie l’existence du présent chapitre. Les déromiens ont aussi suivi les propositions de la commission quant à la sélection des sources aragonaises à répertorier dans la bibliographie de consultation et de citation obligatoires (cf. Morcov 2016, publié avant que l’aragonais ne rejoigne la catégorie des idiomes obligatoires) ; nous les commentons dans le paragraphe suivant.
|| 1 Blasco Ferrer fait également des propositions pour le traitement du sarde au sein du DÉRom, que nous ne discuterons cependant pas ici. 2 De ce fait, le DÉRom opère à présent avec les idiomes obligatoires suivants : sarde, dacoroumain, istroroumain, méglénoroumain, aroumain, végliote, istriote, italien, frioulan, ladin, romanche, français, francoprovençal, occitan, gascon, catalan, aragonais, espagnol, asturien, galicien et portugais (ou galégo-portugais). | Jan Reinhardt, Universität Hamburg, Institut für Romanistik, Überseering 35, Postfach 11, D-22297 Hambourg, [email protected]. https://doi.org/10.1515/9783110654264-004
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2 Sources Suite aux propositions de la commission « Aragonais », six sources aragonaises ont été versées à la bibliographie de consultation et de citation obligatoires du DÉRom : deux éditions de textes médiévaux (TilanderVidal [ca 1250] et TilanderFueros [ca 1300]),3 deux dictionnaires modernes (NagoreEndize et, en l’absence de données pertinentes relevées dans cet ouvrage, AndolzAragonés5) et deux atlas linguistiques (l’ALPI et l’ALEANR, ce dernier pour quatre points d’enquête : Ansó [Hu 101], Echo [Hu 102], Bielsa [Hu 200] et Gistaín [Hu 202]).4 Pour nos propres relevés, nous avons enrichi cet ensemble de sources obligatoires par trois ressources portant sur l’ancien aragonais : le glossaire d’un texte médiéval (A lexicon of the fourteenth-century Aragonese manuscripts of Juan Fernández de Heredia, MackenzieAragonese) et deux bases de données : The electronic texts and concordances of medieval Navarro-Aragonese manuscripts (ETNAM) et le Corpus diacrónico del español (CORDE), qui contient des textes aragonais. Parmi ces neuf items, trois se sont avérés particulièrement riches et précieux, mais chacun d’entre eux présente aussi des particularités auxquelles il a fallu faire attention. (1) Le Endize de bocables de l’aragonés de Francho Nagore Laín (NagoreEndize, 1999) est l’inventaire le plus riche pour l’aragonais moderne (alto aragonés) et présente pour la plupart des données des formes, des définitions (ou en tout cas des gloses rapides), des références et des localisations précises. Il se base sur des glossaires antérieurs, et les lemmes conservent leur forme originelle ; chaque entrée est suivie d’un lemme central ou typisé, marqué par une flèche (→), qui ne correspond cependant pas toujours à une forme attestée. Les toponymes apparaissent dans leur forme aragonaise. (2) Le Diccionario aragonés, aragonés-castellano, castellano-aragonés de Rafael Andolz (AndolzAragonés5, 52004 [11977]) est principalement un dictionnaire d’aragonais contemporain, mais il contient aussi des matériaux anciens, marqués soit par « ant[icuado] doc[umental] », soit par « ant[icuado]
|| 3 Nous avons consulté TilanderVidal à travers CORDE et TilanderFueros à travers ETNAM. 4 Nous citons l’ALEANR par numéros des cartes (mapas), exceptionnellement par numéros de cartes suivis d’un astérisque, pour faire référence aux données non cartographiées que contiennent les láminas. Nous avons écarté les données manifestant une castillanisation (plus ou moins) complète (ainsi pour la carte 308, ‘ail’, qui ne connaît que ajo) ; il reste cependant des cas problématiques, qui pourraient être des castillanismes ou des catalanismes (ainsi pour la carte 1581, ‘dix’, où prédomine diez, et qui a deu près de la frontière linguistique catalane).
1.4 Addenda Aragonensia | 107
Til[ander] », et cela dans les deux parties, aragonaise-espagnole et espagnolearagonaise. La seconde partie est très utile quand le romaniste peu familier avec l’aragonais recherche des lexèmes aragonais dont l’initiale diffère de celle de (la majorité de) leurs cognats (cf. par exemple le cas de chedra, liedra, yedra ‘lierre’, ci-dessous s.v. */ˈεder-a/). Malheureusement, la correspondance entre les deux parties est loin d’être parfaite : il y a des cas comme pecat s.m. ‘péché’, qui ne se trouve que dans la partie aragonaise-espagnole, alos que la partie espagnolearagonaise fournit seule pecadó s.m. ‘pécheur’. De la même manière, on trouve poner en sal loc. v. ‘garder pour longtemps’ seulement dans la partie aragonaiseespagnole, mais sal de compás loc. nom.f. ‘cristal de sel’ exclusivement dans la partie espagnole-aragonaise. À condition de consulter chaque fois les deux parties, ce désavantage ne pèse pas trop lourd, dans la mesure où l’information est complémentaire. Ce qui est plus grave, c’est que cette dernière peut être contradictoire, ainsi par exemple pour les désignations de l’ail : si nous lisons dans la partie aragonaise-espagnole all (« Occitán, Peralta de la Sal ») et allo (« Valle de Bielsa, Benasque, Graus »), c’est all (« Peralta de la Sal »), allo (« Benasque, Valle de Bielsa ») et porro (« Graus ») qu’on trouve dans la partie espagnole-aragonaise : la correspondance entre les deux paries n’est pas complète (Graus connaîtrait-il deux désignations de la plante ?). En outre, les toponymes sont mentionnés sous leur forme espagnole. Ces désavantages nous incitent à préférer NagoreEndize à AndolzAragonés5. (3) Enfin, pour le Lexicon of the 14th-century Aragonese manuscripts of Juan Fernández de Heredia de Jean Gilkison Mackenzie (MackenzieAragonese, 1984), les problèmes ne résident pas dans le dictionnaire lui-même, mais dans ses sources, les traductions et les compilations de Juan Fernández de Heredia (1308– 1396). En effet, on a caractérisé ces textes comme « casi [la] única muestra […] de literatura aragonesa y, de todos modos, con una castellanización lingüística que permite vislumbrar el retroceso dialectal aragonés » (Saralegui 1992, 39). À ces castillanismes s’ajoutent en outre des catalanismes (cf. MackenzieAragonese XXIV-XXVI). Pour autant, il aurait été regrettable de se passer de cet inventaire précieux, qui contient par exemple les lexèmes typiquement aragonais (cf. Lindenbauer/Metzeltin/Thir 21995 [11994], 90) acollir (acuellieron prét. 6), fillo ou encore onso. Nous datons les données tirées directement de MackenzieAragonese de la 2e moitié du 14e siècle (le 4e quart du 14e siècle aurait été encore plus précis) ; quand nous citons un texte hérédien particulier à travers ETNAM ou CORDE, nous reprenons la dates précise fournie par CORDE (ainsi 1376/1396 pour le recueil Rams de flors).
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3 Addenda 3.1 Matériaux Le contrôle des données aragonaises pouvant prétendre à enrichir les 151 articles du DÉRom publiés sur la page web du projet à la date du 1er décembre 2017 conduit aux résultats suivants : (1) */ˈaɡr-u/ (cf. Alletsgruber 2014–2019 in DÉRom s.v.) : pas de continuateur relevé dans les dictionnaires, probablement remplacé par ceux de */ˈkamp-u/ (arag. cambo, campo, ALEANR 1520), cf. la note 9 de l’article. (2) */aˈɡʊst-u/ (cf. Celac 2009–2014 in DÉRom s.v.) : ajouter arag. ˹agosto˺ s.m. ‘août’ (dp. 2e m. 14e s., MackenzieAragonese ; AndolzAragonés5 ; NagoreEndize). (3) */aˈket-u/1 (cf. Delorme 2013–2017 in DÉRom s.v.) : pas de continuateur relevé dans les dictionnaires. (4) */aˈket-u/2 (cf. Delorme 2013/2014 in DÉRom s.v.) : ajouter arag. ˹azeto˺ adj. ‘acide’ (dp. 2e m. 14e s. [azedo], MackenzieAragonese ; NagoreEndize). (5) */ˈakr-u/ (cf. Groß 2015/2016 in DÉRom s.v.) : ajouter arag. ˹agro˺ adj. ‘aigre’ (dp. 2e m. 14e s., MackenzieAragonese ; AndolzAragonés5 ; NagoreEndize). (6) */ˈakuil-a/ (cf. Greub 2014–2019 in DÉRom s.v.) : ajouter arag. ˹aguila˺ s.f. ‘aigle’ (dp. ca 1300 [agyla], TilanderFueros = ETNAM ; MackenzieAragonese ; NagoreEndize) sous I (cf. déjà arag. [aγíla], cité dans la note 4), même si un castillanisme n’est pas exclu (cf. toutefois la note 5 de l’article, qui considère cat. àguila comme probablement héréditaire). (7) */ˈali-u/ (cf. Reinhardt 2010–2018 in DÉRom s.v.) : on peut ajouter arag. ˹allo˺ s.m. ‘ail’ (AndolzAragonés5 ; NagoreEndize) sous I. et arag. ˹alla˺ s.f. ‘id.’ (AndolzAragonés5 s.v. aja ; NagoreEndize [alla ‘poireau’]) sous II. (8) */aˈnɛll-u/ (cf. Groß 2016/2017 in DÉRom s.v.) : ajouter arag. ˹aniello˺ s.m. ‘anneau’ (dp. ca 1300, TilanderFueros = ETNAM ; MackenzieAragonese ; AndolzAragonés5 ; NagoreEndize s.v. anillo). (9) */ˈanim-a/ (cf. Schmidt 2010–2019 in DÉRom s.v.) : ajouter arag. alma s.f. ‘âme’ (dp. ca 1250, TilanderVidal = CORDE ; TilanderFueros = ETNAM ; MackenzieAragonese ; NagoreEndize). (10) */ˈann-u/ (cf. Celac 2008–2014 in DÉRom s.v.) : ajouter arag. ˹año˺ s.m. ‘an’ (dp. ca 1250 [anno], TilanderVidal = CORDE ; TilanderFueros = ETNAM ; MackenzieAragonese s.v. anyo ; AndolzAragonés5 ; NagoreEndize). (11) */aˈpril-e/ (cf. Celac 2009–2014 in DÉRom s.v.) : ajouter arag. abril s.m. ‘avril’ (dp. 2e m. 14e s., MackenzieAragonese ; NagoreEndize).
1.4 Addenda Aragonensia | 109
(12) */aˈpril-i-u/ (cf. Celac 2009–2016 in DÉRom s.v.) : pas de continuateur relevé dans les dictionnaires. (13) */ˈarbor-e/ (cf. Álvarez Pérez 2014–2019 in DÉRom s.v.) : ajouter aarag. arbor s.m. ‘arbre’ (ca 1300 – 2e m. 14e s., ETNAM ; MackenzieAragonese s.v. arbol) sous II.1.a., arag. ˹abre˺ ‘id.’ (AndolzAragonés5 s.v. abre, albre ; NagoreEndize) sous II.1.b., arag. ˹árbel˺ ‘id.’ (dp. ca 1300 [arbol], TilanderFueros = ETNAM ; MackenzieAragonese s.v. arbol ; AndolzAragonés5 ; NagoreEndize) sous II.1.c. et aarag. arbre s.m. ‘mât’ (2e m. 14e s., MackenzieAragonese) sous II.2.a. (14) */ˈarm-a/ (cf. Crifò 2016 in DÉRom s.v.) : ajouter arag. arma s.f. ‘arme’ (dp. ca 1250, TilanderVidal = CORDE ; TilanderFueros = ETNAM ; MackenzieAragonese ; NagoreEndize). (15) */asˈkʊlt-a-/ (cf. Schmidt/Schweickard 2010–2016 in DÉRom s.v.) : ajouter arag. ˹ascuitar˺ v.tr. ‘écouter’ (dp. 2e m. 14e s., MackenzieAragonese s.v. escuchar ; AndolzAragonés5 ; NagoreEndize) sous I. (16) */ˈaud-i-/ (cf. Groß/Schweickard 2010–2015 in DÉRom s.v.) : ajouter arag. ˹oyir˺ v.[tr.] ‘entendre’ (dp. 2e m. 14e s., MackenzieAragonese ; AndolzAragonés5 ; NagoreEndize). (17) */ˈbaβ-a/ (cf. Groß/Schweickard 2009–2015 in DÉRom s.v.) : ajouter arag. baba s.f. ‘bave’ (NagoreEndize). (18) */ˈβad-e-/ (cf. Buchi/Delabarre/Fister/Huguet/Hütsch/Juroszek/Moisson/Pausé 2016–2019 in DÉRom s.v.) : ajouter arag. ˹ba˺ prés. 3 ‘(il) va’ (dp. ca 1250 [ua], TilanderVidal = CORDE ; ETNAM ; NagoreEndize) sous II.1. et, pour l’auxiliaire du prétérit périphrastique (cf. note 18 de l’article, qui sera à compléter par Schlieben-Lange 1971, 163–165), arag. va (NagoreEndize). (19) */ˈβad-u/ (cf. Alletsgruber 2011–2016 in DÉRom s.v.) : ajouter arag. ˹bado˺ s.m. ‘gué’ (dp. 2e m. 14e s., MackenzieAragonese [vado] ; NagoreEndize) sous II.1. (20) */ˈbarb-a/1 (cf. Schmidt/Schweickard 2010–2016 in DÉRom s.v.) : ajouter arag. barba s.f. ‘barbe’ (dp. 2e m. 14e s., MackenzieAragonese ; AndolzAragonés5 ; NagoreEndize) sous I. et barba ‘menton’ (dp. 2e m. 14e s., MackenzieAragonese ; NagoreEndize) sous II. (21) */ˈbarb-a/2 (cf. Schmidt/Schweickard 2010–2014 in DÉRom s.v.) : pas de continuateur relevé dans les dictionnaires. (22) */ˈbatt-e-/ (cf. Blanco Escoda 2011–2016 in DÉRom s.v.) : ajouter arag. ˹bater˺ v.tr. ‘battre’ (dp. ca 1300, TilanderFueros = ETNAM ; MackenzieAragonese s.v. batir ; AndolzAragonés5 ; NagoreEndize) dans les matériaux et arag. batir ‘id.’ (AndolzAragonés5 ; NagoreEndize) dans la note 3.
110 | Jan Reinhardt (23) */ˈβend-e-/ (cf. Groß 2014 in DÉRom s.v.) : ajouter arag. ˹bender˺ (dp. ca 1250 [uender], TilanderVidal = CORDE ; TilanderFueros = ETNAM ; MackenzieAragonese s.v. uender ; AndolzAragonés5 ; NagoreEndize). (24) */ˈβɛnt-u/ (cf. Tamba 2016 in DÉRom s.v.) : ajouter arag. ˹biento˺ s.m. ‘vent’ (dp. ca 1250 [uiento], TilanderVidal = CORDE ; MackenzieAragonese s.v. uiento ; AndolzAragonés5 s.v. ben ; NagoreEndize). (25) */ˈbɪβ-e-/ (cf. Groß/Schweickard 2010–2014 in DÉRom s.v.) : ajouter arag. ˹beber˺ v.tr. ‘boire’ (dp. ca 1250 [beuer], TilanderVidal = CORDE ; MackenzieAragonese s.v. beuer ; AndolzAragonés5 ; NagoreEndize). (26) */βiˈn-aki-a/ (cf. Delorme 2010–2019 in DÉRom s.v.) : pas de continuateur relevé dans les dictionnaires. (27) */ˈβɪndik-a-/ (cf. Celac 2010–2016 in DÉRom s.v.) : ajouter ˹bengar˺ v.tr. ‘venger’ (dp. 2e m. 14e s., MackenzieAragonese s.v. uengar ; NagoreEndize) sous II. (28) */ˈβin-u/ (cf. Delorme 2011–2015 in DÉRom s.v.) : ajouter arag. ˹bino˺ s.m. ‘vin’ (dp. ca 1250 [uino], TilanderVidal = CORDE ; TilanderFueros = ETNAM ; MackenzieAragonese s.v. uino ; AndolzAragonés5 ; NagoreEndize). (29) */ˈβɔl-a-/ (cf. Baiwir 2014/2015 in DÉRom s.v.) : ajouter arag. ˹bolar˺ v.intr. ‘voler’ (dp. ca 1250 [uolando gérond.], TilanderVidal = CORDE ; TilanderFueros = ETNAM ; MackenzieAragonese ; AndolzAragonés5). (30) */ˈβɔstr-u/ (cf. Aresti/Dworkin 2016–2018 in DÉRom s.v.) : ajouter arag. ˹buestro˺ adj. poss. ‘votre’ (dp. ca 1250 [uuestro], TilanderVidal = CORDE ; MackenzieAragonese s.v. uostro ; AndolzAragonés5 ; NagoreEndize) sous I. et ˹bueso˺ ‘id.’ (AndolzAragonés5 ; NagoreEndize) sous II. (ou éventuellement, si on a des doutes sur son caractère héréditaire, dans la note 2). (31) */ˈbrum-a/ (cf. Birrer/Reinhardt/Chambon 2013–2018 in DÉRom s.v.) : ajouter arag. ˹broma˺ s.f. ‘brouillard’ (AndolzAragonés5 ; NagoreEndize) sous III. (32) */ˈdɛke/ (cf. Benarroch 2008–2014 in DÉRom s.v.) : ajouter arag. ˹deu˺ num. card. ‘dix’ (dp. 2e m. 14e s. [diez], MackenzieAragonese ; AndolzAragonés5 ; NagoreEndize ; ALEANR 1581). (33) */ˈdεnt-e/ (cf. Groß/Schweickard 2011–2019 in DÉRom s.v.) : ajouter arag. ˹dient˺ s.m. ‘dent’ (dp. ca 1250, TilanderVidal = CORDE ; MackenzieAragonese ; AndolzAragonés5 ; NagoreEndize) sous I. et ˹dient˺ s.f. ‘id.’ (dp. 2e m. 14e s., MackenzieAragonese ; AndolzAragonés5 ; NagoreEndize) sous II. (34) */dɪs-kaˈβall-ik-a-/ (cf. Hütsch/Buchi 2014 in DÉRom s.v.) : ajouter aarag. descaualgar v.intr. ‘descendre de selle’ (2e m. 14e s., MackenzieAragonese). (35) */ˈdɔl-u/ (cf. Morcov 2014–2019 in DÉRom s.v.) : ajouter aarag. duelo s.m. ‘douleur morale’ (2e m. 14e s., MackenzieAragonese) sous II., arag. duelo ‘deuil’ (dp. 2e m. 14e s., MackenzieAragonese ; NagoreEndize) sous III.1. et duélo ‘manifestation de deuil’ (NagoreEndize) sous III.2.
1.4 Addenda Aragonensia | 111
(36) */ˈdɔrm-i-/ (cf. Groß/Schweickard 2011–2014 in DÉRom s.v.) : ajouter arag. ˹dormir˺ v.intr. ‘dormir’ (dp. ca 1250 [duerme prés. 3], TilanderVidal = CORDE ; TilanderFueros = ETNAM ; MackenzieAragonese ; AndolzAragonés5 ; NagoreEndize). (37) */ˈdʊ-i/ (cf. Benarroch 2014–2016 in DÉRom s.v.) : ajouter arag. dos num. card. m.pl. ‘deux’ (dp. ca 1250, TilanderVidal = CORDE ; TilanderFueros = ETNAM ; MackenzieAragonese ; NagoreEndize) sous I.2. et aarag. duas/dues f.pl. (2e m. 14e s., MackenzieAragonese) sous II.2. (38) */ˈεder-a/ (cf. Reinhardt 2010–2017 in DÉRom s.v.) : ajouter arag. ˹yedra˺ s.f. ‘lierre’ (dp. 2e m. 14e s., MackenzieAragonese ; AndolzAragonés5 ; NagoreEndize). (39) */ˈɛks-i-/ (cf. Lichtenthal 2010–2014 in DÉRom s.v.) : ajouter arag. ˹exir˺ v.intr. ‘sortir’ (dp. ca 1300, TilanderFueros = ETNAM ; MackenzieAragonese ; AndolzAragonés5 ; NagoreEndize). (40) */ˈεrb-a/ (cf. Reinhardt 2010–2014 in DÉRom s.v.) : ajouter arag. ˹yerba˺ s.f. ‘herbe’ (dp. ca 1250 [hyerba], TilanderVidal = CORDE ; TilanderFueros = ETNAM ; MackenzieAragonese ; AndolzAragonés5 s.v. erba, yarba ; NagoreEndize). (41) */esˈkolt-a-/ (cf. Schmidt/Schweickard 2010–2014 in DÉRom s.v.) : ajouter arag. ˹escuitar˺ v.tr. ‘écouter’ (dp. 2e m. 14e s. [escuytar], MackenzieAragonese s.v. escuchar ; AndolzAragonés5 ; NagoreEndize ; ALEANR 1548) sous I. (42) */ˈɸaβ-a/ (cf. Reinhardt 2012–2017 in DÉRom s.v.) : ajouter arag. faba s.f. ‘fève’ (dp. 2e m. 14e s. [faua], MackenzieAragonese ; AndolzAragonés5 ; NagoreEndize). (43) */ˈɸak-e-/ (cf. Buchi 2009–2014 in DÉRom s.v.) : ajouter arag. fer (dp. ca 1250, TilanderVidal = CORDE ; TilanderFueros = ETNAM ; MackenzieAragonese ; NagoreEndize ; ALEANR 1642*) sous I. et éventuellement aarag. far ‘id.’ (2e m. 14e s., MackenzieAragonese s.v. fazer) sous II. (44) */ˈɸamen/ (cf. Buchi/González Martín/Mertens/Schlienger 2012–2019 in DÉRom s.v.) : ajouter arag. fame s.f. ‘faim’ (1376/1396 [genre ?], ETNAM ; NagoreEndize)5 sous II.1., arag. fambre ‘id.’ (dp. 1385/1396, ETNAM ; NagoreEndize) sous IV.1. et aarag. fambre ‘famine’ (1376/1396, ETNAM) sous IV.2. (45) */ɸeˈβrari-u/ (cf. Celac 2009–2014 in DÉRom s.v.) : ajouter arag. ˹febrero˺ s.m. ‘février’ (dp. 2e m. 14e s., MackenzieAragonese ; AndolzAragonés5 ; NagoreEndize).
|| 5 Une seconde attestation de fame est douteuse : elle fait probablement partie d’un nom propre (asdrubal et fame ano, 1377/1399, MackenzieAragonese = ETNAM).
112 | Jan Reinhardt (46) */ˈɸen-u/ ~ */ˈɸɛn-u/ (cf. Reinhardt 2008–2014 in DÉRom s.v.) : ajouter arag. feno s.m. ‘foin’ (dp. 1385/1396, ETNAM ; AndolzAragonés5) sous I. (47) */ˈɸili-u/ (cf. Bursuc 2011–2014 in DÉRom s.v.) : ajouter arag. fillo s.m. ‘fils’ (dp. ca 1250, TilanderVidal = CORDE ; TilanderFueros = ETNAM ; MackenzieAragonese ; NagoreEndize). (48) */ɸonˈt-an-a/ (cf. Groß 2015 in DÉRom s.v.) : ajouter aarag. fontana s.f. ‘fontaine’ (2e m. 14e s., MackenzieAragonese). (49) */ˈɸranɡ-e-/ (cf. Morcov 2013/2014 in DÉRom s.v.) : pas de continuateur relevé dans les dictionnaires.6 (50) */ˈɸratr-e/ (cf. Bursuc 2014–2016 in DÉRom s.v.) : ajouter arag. ˹frayre˺ s.m. ‘moine’ (dp. 2e m. 14e s., MackenzieAragonese ; AndolzAragonés5 s.v. flera ; NagoreEndize s.v. flaire ; ALEANR 1534) sous I.2. (51) */ˈɸuɡ-e-/ (cf. Jatteau 2012–2014 in DÉRom s.v.) : ajouter arag. ˹fuir˺ v.intr. ‘fuir’ (dp. ca 1250, TilanderVidal = CORDE ; TilanderFueros = ETNAM ; MackenzieAragonese s.v. foyr ; AndolzAragonés5 ; NagoreEndize) sous II. (52) */ˈɡrass-u/ (cf. Dworkin/Maggiore 2014–2016 in DÉRom s.v.) : l’article cite déjà arag. gras adj. ‘fertile’ sous II. et aarag. graso adj. ‘gras’ dans la note 4. Ces données pourraient être enrichies ainsi : arag. gras adj. ‘gras’ (dp. 14e s., CORDE ; NagoreEndize), à remonter sous I., et gras ‘fertile’ (FiggeAnlautsonorisation 108 ; NagoreEndize) sous II. (53) */ˈɡrɔss-u/ (cf. Dworkin/Maggiore 2015/2016 in DÉRom s.v.) : ajouter aarag. ˹grosso˺ adj. ‘gros’ (MackenzieAragonese s.v. gros, groso, grosso, grueso, gruesso). (54) */ˈiak-e-/ (cf. Videsott 2014/2015 in DÉRom s.v.) : ajouter arag. ˹chasé˺ v.intr. ‘être couché’ (dp. ca 1250 [iazer], TilanderVidal = CORDE ; TilanderFueros = ETNAM ; MackenzieAragonese s.v. iazer ; AndolzAragonés5 ; NagoreEndize). (55) */ɪm-ˈprεst-a-/ (cf. Maggiore 2014 in DÉRom s.v.) : ajouter aarag. emprestar v.ditr. ‘prêter’ (ca 1250 – 2e m. 14e s., TilanderVidal = CORDE ; MackenzieAragonese) sous I. (56) */ɪm-ˈprumut-a-/ (cf. Maggiore 2014–2016 in DÉRom s.v.) : pas de continuateur relevé dans les dictionnaires. (57) */ɪn-kaˈβall-ik-a-/ (cf. Jactel/Buchi 2014/2015 in DÉRom s.v.) : ajouter aarag. ˹encaualgar˺ v.intr. ‘monter en selle’ (2e m. 14e s., MackenzieAragonese) sous I.1. (58) */kaˈβall-a/ (cf. Cano González 2009–2018 in DÉRom s.v.) : pas de continuateur relevé dans les dictionnaires. || 6 Nous n’avons pas retrouvé arag. frañer, -ir cité (sans précision de source) par REW3 s.v. frangĕre.
1.4 Addenda Aragonensia | 113
(59) */kaˈβall-ik-a-/ (cf. Jactel/Buchi 2014–2018 in DÉRom s.v.) : ajouter aarag. ˹caualgar˺ v.intr. ‘être en selle’ (ca 1250 – 2e m. 14e s., TilanderVidal = CORDE ; TilanderFueros = ETNAM ; MackenzieAragonese) sous I.1. (60) */kaˈβall-u/ (cf. Cano González 2009–2014 in DÉRom s.v.) : ajouter arag. ˹caball˺ s.m. ‘cheval’ (dp. ca 1300 [cauallo], TilanderFueros = ETNAM ; MackenzieAragonese s.v. cauallo ; AndolzAragonés5 ; NagoreEndize). (61) */ˈkad-e-/ (cf. Buchi 2008–2016 in DÉRom s.v.) : ajouter arag. caire v.intr. ‘tomber’ (AndolzAragonés5 ; NagoreEndize) sous I., ˹cayer˺ ‘id.’ (dp. ca 1250 [cayer], TilanderVidal = CORDE ; TilanderFueros = ETNAM ; MackenzieAragonese ; AndolzAragonés5 ; NagoreEndize ; ALEANR 1453) sous II. et ˹kaír˺ ‘id.’ (dp. 2e m. 14e s., MackenzieAragonese ; ALEANR 1453) dans la note 14. (62) */ˈkant-a-/ (cf. Schmidt/Schweickard 2015/2016 in DÉRom s.v.) : ajouter arag. ˹cantá˺ v.intr. ‘chanter’ (dp. ca 1250 [cantar], TilanderVidal = CORDE ; MackenzieAragonese s.v. cantar ; AndolzAragonés5 ; NagoreEndize). (63) */ˈkaput/ (cf. Schmidt/Schweickard 2015–2019 in DÉRom s.v.) : ajouter arag. cap s.m. ‘tête’ (dp. 2e m. 14e s., MackenzieAragonese s.v. cabo ; AndolzAragonés5 ; NagoreEndize) sous II.1. et cabo ‘extrémité’ (dp. ca 1250, TilanderVidal = CORDE ; MackenzieAragonese ; AndolzAragonés5 ; NagoreEndize) sous II.2. (64) */ˈkarn-e/ (cf. Groß/Schweickard 2010–2014 in DÉRom s.v.) : ajouter arag. ˹carne˺ s.f. ‘chair’ (dp. ca 1250, TilanderVidal = CORDE ; TilanderFueros = ETNAM ; MackenzieAragonese ; AndolzAragonés5 ; NagoreEndize). (65) */ˈkarpin-u/ (cf. Medori 2008–2019 in DÉRom s.v.) : pas de continuateur relevé dans les dictionnaires. (66) */ˈkasi-u/ (cf. Delorme 2011–2014 in DÉRom s.v.) : ajouter arag. queso s.m. ‘fromage’ (dp. ca 1250, TilanderVidal = CORDE ; MackenzieAragonese ; NagoreEndize) – dont le caractère héréditaire paraît, en raison de sa datation ancienne, antérieure à celle de formache, assez probable – dans les matériaux, et formache s.m. ‘id.’ (AndolzAragonés5 ; NagoreEndize) dans la note 3. (67) */kasˈtani-a/ ~ */kasˈtɪni-a/ (cf. Medori 2010–2017 in DÉRom s.v.) : ajouter arag. castaña s.f. ‘châtaigne’ (NagoreEndize) sous I. (68) */kaˈten-a/ (cf. Groß 2010–2014 in DÉRom s.v.) : ajouter arag. cadena s.f. ‘chaîne’ (dp. ca 1300, TilanderFueros = ETNAM ; MackenzieAragonese ; NagoreEndize). (69) */ˈkɪrk-a-/ (cf. Heidemeier 2016 in DÉRom s.v.) : ajouter aarag. cercar v.tr. ‘tourner autour (de)’ (ca 1300 –2e m. 14e s., TilanderFueros = ETNAM ; MackenzieAragonese) sous II.
114 | Jan Reinhardt (70) */ˈklaβ-e/ (cf. Maggiore 2014–2016 in DÉRom s.v.) : ajouter arag. ˹clau˺ s.f. ‘clé’ (dp. 2e m. 14e s., MackenzieAragonese ; AndolzAragonés5 ; NagoreEndize ; ALEANR 771). (71) */ˈklam-a-/ (cf. Mertens/Budzinski 2012–2019 in DÉRom s.v.) : ajouter arag. clamar v.tr. ‘appeler’ (dp. ca 1250, TilanderVidal = CORDE ; TilanderFueros = ETNAM ; MackenzieAragonese ; AndolzAragonés5 ; NagoreEndize) sous II. et aarag. clamar v.préd.pron. ‘s’appeler’ (2e m. 14e s., MackenzieAragonese) sous IV.2. (72) */ˈkred-e-/ (cf. Diaconescu/Delorme/Maggiore 2014 in DÉRom s.v.) : ajouter arag. ˹creyer˺ v.tr. ‘croire’ (dp. ca 1250, TilanderVidal = CORDE ; TilanderFueros = ETNAM ; MackenzieAragonese ; AndolzAragonés5 ; NagoreEndize) sous I. (73) */ˈkresk-e-/ (cf. Maggiore 2011–2019 in DÉRom s.v.) : comme cet article, déjà publié dans le DÉRom 1 (492–495), sert d’illustration au chapitre de Marco Maggiore du présent volume (cf. ici 241–258), il a été ajouté à la nomenclature lexicographique du recueil. En prévision de cette republication, les données aragonaises, dont l’intégration est désormais obligatoire (cf. ci-dessus 1), y ont été ajoutées. (74) */ˈkuand-o/ (cf. De Blasi 2015/2016 in DÉRom s.v.) : ajouter arag. ˹cuan˺ adv. ‘quand’ (dp. ca 1250 [quando], TilanderVidal = CORDE ; TilanderFueros = ETNAM ; MackenzieAragonese s.v. quando ; AndolzAragonés5 ; NagoreEndize) sous I. (75) */kuaˈresim-a/ (cf. Dębowiak 2016 in DÉRom s.v.) : ajouter aarag. cuaresma s.f. ‘carême’ (2e m. 14e s., MackenzieAragonese). (76) */ˈkuɛr-e-/ (cf. Maggiore 2012–2015 in DÉRom s.v.) : ajouter arag. ˹querer˺ v.tr. ‘vouloir’ (dp. ca 1250, TilanderVidal = CORDE ; TilanderFueros = ETNAM ; MackenzieAragonese ; AndolzAragonés5 ; NagoreEndize) sous I.2. et ˹querír˺ ‘id.’ (AndolzAragonés5 ; NagoreEndize) sous II.2. (77) */ˈkul-u/ (cf. Groß/Schweickard 2010–2014 in DÉRom s.v.) : ajouter arag. ˹cul˺ s.m. ‘cul’ (2e m. 14e s. [culo], MackenzieAragonese ; AndolzAragonés5 ; NagoreEndize). (78) */ˈlaβ-e-/ ~ */ˈlaβ-a-/ (cf. Grande López/Maggiore 2016 in DÉRom s.v.) : ajouter arag. ˹llabar˺ v.tr. ‘laver’ (2e m. 14e s. [lauar], MackenzieAragonese ; AndolzAragonés5 ; NagoreEndize) sous II. (79) */laˈbrusk-a/ ~ */laˈbrʊsk-a/ (cf. Reinhardt 2011–2017 in DÉRom s.v.) : en l’absence d’un continuateur aragonais direct, ajouter le dérivé arag. lambrusquera s.f. ‘vigne’ (NagoreEndize 3) en note sous II.1.1. (80) */ˈlaks-a-/ (cf. Florescu 2010–2016 in DÉRom s.v.) : ajouter aarag. lexar v.tr. ‘laisser’ (ca 1250 – 2e m. 14e s., TilanderVidal = CORDE ; TilanderFueros =
1.4 Addenda Aragonensia | 115
ETNAM ; MackenzieAragonese) sous I.1. et arag. ˹dixar˺ ‘id.’ (dp. ca 1250 [dexar], TilanderVidal = CORDE ; MackenzieAragonese s.v. dexar ; AndolzAragonés5 s.v. dejar ; NagoreEndize) sous II. (81) */ˈlakt-e/ (cf. Delorme 2011–2014 in DÉRom s.v.) : ajouter arag. ˹lleit˺ s.m. ‘lait’ (dp. 2e m. 14e s. [leche], MackenzieAragonese ; AndolzAragonés5 ; NagoreEndize) sous II. et aarag. leyt ‘id.’ (ca 1250 – ca 1300, TilanderVidal = CORDE ; TilanderFueros = ETNAM) sous III. (82) */ˈlaud-a-/ (cf. Videsott 2015/2016 in DÉRom s.v.) : ajouter aarag. loar v.tr. ‘louer’ (ca 1250 [loado part. p.] – 2e m. 14e s., TilanderVidal = CORDE ; MackenzieAragonese). (83) */ˈlaur-u/ (cf. Reinhardt/Richter 2011–2017 in DÉRom s.v.) : pas de continuateur relevé dans les dictionnaires. (84) */ˈlɛβ-a-/ (cf. Guiraud 2011–2014 in DÉRom s.v.) : ajouter arag. ˹lebar˺ v.tr. ‘prendre’ (dp. 2e m. 14e s. [leuar], MackenzieAragonese; AndolzAragonés5 ; NagoreEndize) sous II., aarag. ˹lebar˺ v.tr. ‘lever’ (2e m. 14e s., MackenzieAragonese) sous III.1., ˹lebar˺ v.pron. ‘se lever’ (2e m. 14e s., MackenzieAragonese) sous III.2. et arag. ˹lebar˺ v.tr. ‘transporter’ (dp. ca 1250 [leuar], TilanderVidal = CORDE ; TilanderFueros = ETNAM ; MackenzieAragonese s.v. leuar ; AndolzAragonés5 ; NagoreEndize) sous IV. (85) */ˈlɪmpid-u/ (cf. Dworkin/Maggiore 2014–2016 in DÉRom s.v.) : ajouter arag. ˹llimpio˺ adj. ‘pur’ (dp. ca 1250 [limpio], TilanderVidal = CORDE ; MackenzieAragonese s.v. limpio ; AndolzAragonés5 ; NagoreEndize). (86) */ˈlɔk-u/ (cf. Gouvert 2011–2016 in DÉRom s.v.) : ajouter arag. lloc s.m. ‘village’ (AndolzAragonés5 ; NagoreEndize) dans les matériaux et mentionner arag. lugar s.m. ‘lieu’ (AndolzAragonés5 ; NagoreEndize) dans le commentaire. (87) */ˈlɔnɡ-e/ (cf. Dworkin/Maggiore 2014/2015 in DÉRom s.v.) : ajouter arag. ˹lluen˺ adv. ‘loin’ (dp. ca 1300 [luen], TilanderFueros = ETNAM ; MackenzieAragonese ; AndolzAragonés5 ; NagoreEndize). (88) */ˈlɔnɡ-u/ (cf. Dworkin/Maggiore 2014–2016 in DÉRom s.v.) : ajouter aarag. luengo adj. ‘long’ (ca 1250 – 2e m. 14e s., TilanderVidal = CORDE ; TilanderFueros = ETNAM ; MackenzieAragonese). (89) */ˈluk-e-/ (cf. Grüner 2014–2019 in DÉRom s.v.) : ajouter arag. ˹llusí˺ v.intr. ‘briller’ (dp. 2e m. 14e s. [luzir], MackenzieAragonese; AndolzAragonés5 s.v. lucir; NagoreEndize) sous II. (90) */ˈlʊkt-a-/ (cf. Maggiore 2015–2019 in DÉRom s.v.) : ajouter arag. ˹lutiar˺ v.intr. ‘lutter’ (dp. ca 1250 [luitar], TilanderVidal = CORDE ; MackenzieAragonese s.v. luchar ; AndolzAragonés5 s.v. luchar ; NagoreEndize).
116 | Jan Reinhardt (91) */ˈlumen/ (cf. Georgescu 2014–2019 in DÉRom s.v.) : ajouter arag. ˹llum˺ s.f. ‘lumière’ (dp. 2e m. 14e s. [lume], MackenzieAragonese s.v. lumbre ; NagoreEndize) sous II.2. et ˹llumbre˺ ‘id.’ (dp. 2e m. 14e s., MackenzieAragonese s.v. lumbre ; AndolzAragonés5 ; NagoreEndize) sous III.2.b. (92) */ˈlun-a/ (cf. Cadorini 2012–2014 in DÉRom s.v.) : ajouter arag. ˹lluna˺ s.f. ‘lune’ (dp. 2e m. 14e s. [luna], MackenzieAragonese ; AndolzAragonés5 ; NagoreEndize). (93) */maˈɡɪstr-a/ (cf. Kroyer/Reinhardt 2014 in DÉRom s.v.) : ajouter arag. maestra s.f. ‘maîtresse’ (2e m. 14e s., MackenzieAragonese). (94) */maˈɡɪstr-u/ (cf. Kroyer/Reinhardt 2014 in DÉRom s.v.) : ajouter arag. ˹maestro˺ s.m. ‘maître’ (dp. ca 1250 [maiestros pl.], TilanderVidal = CORDE ; TilanderFueros = ETNAM ; MackenzieAragonese s.v. maestre ; AndolzAragonés5 ; NagoreEndize). (95) */ˈmai-u/ (cf. Celac 2009–2016 in DÉRom s.v.) : ajouter arag. ˹may˺ s.m. ‘mai’ (dp. ca 1250 [mayo], TilanderVidal = CORDE ; TilanderFueros = ETNAM ; MackenzieAragonese s.v. mayo ; AndolzAragonés5 ; NagoreEndize). (96) */ˈman-u/ (cf. Groß/Schweickard 2012–2017 in DÉRom s.v.) : ajouter arag. ˹man˺ s.f. ‘main’ (dp. ca 1250 [mano], TilanderVidal = CORDE ; TilanderFueros = ETNAM ; MackenzieAragonese ; AndolzAragonés5 ; NagoreEndize). (97) */ˈmart-i-u/ (cf. Celac 2009–2019 in DÉRom s.v.) : ajouter arag. ˹mars˺ s.m. ‘mars’ (dp. 2e m. 14e s. [març], MackenzieAragonese ; AndolzAragonés5 ; NagoreEndize). (98) */ˈmεnt-a/ (cf. Richter/Reinhardt 2015/2016 in DÉRom s.v.) : arag. menta s.f. ‘menthe’ (NagoreEndize) est-il héréditaire ? Ne faudrait-il pas attendre *mienta, cf. le couple méntres ~ mientras adv. ‘pendant’ [NagoreEndize] < */dʊˈmintri) ? (99) */ˈmεnt-e/ (cf. Groß 2011–2019 in DÉRom s.v.) : ajouter aarag. -ment ‘(suffixe formateur d’adverbes de manière)’ (ca 1250 [sauiament] – 2e m. 14e s., TilanderVidal = CORDE ; TilanderFueros = ETNAM ; MackenzieAragonese) sous III. (100) */ˈmɛrl-u/ (cf. Albrecht 2016–2019 in DÉRom s.v.) : pas de continuateur relevé dans les dictionnaires. (101) */ˈmɛrul-a/ (cf. Albrecht 2016 in DÉRom s.v.) : ajouter arag. ˹miarla˺ s.f. ‘merle’ (AndolzAragonés5 ; NagoreEndize). (102) */ˈmɪli-u/ (cf. Reinhardt/Brüffer/Grasi/Popp/Schröder 2016–2018 in DÉRom s.v.) : ajouter arag. millo s.m. ‘millet’ (dp. ca 1250, TilanderVidal = CORDE ; TilanderFueros = ETNAM ; MackenzieAragonese ; AndolzAragonés5 ; NagoreEndize).
1.4 Addenda Aragonensia | 117
(103) */ˈmɪnu-a-/ (cf. Videsott 2014 in DÉRom s.v.) : ajouter arag. ˹minguar˺ v.intr. ‘diminuer’ (dp. ca 1250 [mingoar], TilanderVidal = CORDE ; MackenzieAragonese ; AndolzAragonés5 ; NagoreEndize). (104) */monˈt-ani-a/ (cf. Celac 2012–2014 in DÉRom s.v.) : ajouter arag. ˹montaña˺ s.f. ‘montagne’ (dp. 2e m. 14e s. [montanya], MackenzieAragonese ; NagoreEndize). (105) */ˈmɔnt-e/ (cf. Celac 2010–2014 in DÉRom s.v.) : ajouter arag. ˹mon˺ s.m. ‘montagne’ (dp. ca 1250 [mont], TilanderVidal = CORDE ; MackenzieAragonese s.v. mont ; AndolzAragonés5 ; NagoreEndize). (106) */ˈmostr-a-/ ~ */ˈmoss-a-/ (cf. Videsott 2016 in DÉRom s.v.) : ajouter arag. mostrar v.tr. ‘montrer’ (dp. ca 1250, TilanderVidal = CORDE ; TilanderFueros = ETNAM ; MackenzieAragonese ; NagoreEndize). (107) */ˈmʊlɡ-e-/ (cf. Delorme 2014/2015 in DÉRom s.v.) : la section I. de l’article contient déjà « arag. sept. muyi (DECat 5, 844) », que l’on peut enrichir en arag. ˹muyir˺ v.tr. ‘traire’ (AndolzAragonés5 s.v. ordeñar ; NagoreEndize). En outre, ajouter arag. ˹muñir˺ v.tr. ‘traire’ (AndolzAragonés5 s.v. ordeñar ; NagoreEndize) sous II. (108) */ˈmʊr-a/ (cf. Reinhardt 2014–2017 in DÉRom s.v.) : ajouter arag. ˹mora˺ s.f. ‘mûre’ (dp. 2e m. 14e s., MackenzieAragonese ; NagoreEndize ; ALEANR 301) sous I. (109) */ˈmʊst-u/ (cf. Delorme 2011–2018 in DÉRom s.v.) : ajouter arag. ˹most˺ s.m. ‘moût’ (dp. ca 1250 [mosto], TilanderVidal = CORDE ; TilanderFueros = ETNAM ; AndolzAragonés5). (110) */ˈnap-u/ (cf. Delorme 2011–2019 in DÉRom s.v.) : ajouter arag. ˹napo˺ s.m. ‘navet’ (AndolzAragonés5 ; NagoreEndize). (111) */ˈnɪβ-e/ (cf. Delorme 2011–2016 in DÉRom s.v.) : ajouter arag. ˹nieu˺ s.f. ‘neige’ (dp. 2e m. 14e s. [nieue], MackenzieAragonese ; AndolzAragonés5 ; NagoreEndize ; ALEANR 1344) sous II. (112) */ˈnɪtid-u/ (cf. Dworkin/Maggiore 2015/2016 in DÉRom s.v.) : ajouter aarag. neto adj. ‘lisse’ (2e m. 14e s., MackenzieAragonese) sous II. (113) */ˈnod-u/ (cf. Dworkin/Maggiore 2014/2015 in DÉRom s.v.) : ajouter arag. ˹nugo˺ s.m. ‘nœd’ (dp. 2e m. 14e s. [nudo], MackenzieAragonese ; AndolzAragonés5 ; NagoreEndize ; ALEANR 1541) sous II. (114) */ˈpal-u/ (cf. Hegner 2015–2019 in DÉRom s.v.) : ajouter arag. ˹palo˺ s.m. ‘pieu’ (dp. ca 1250, TilanderVidal = CORDE ; TilanderFueros = ETNAM ; MackenzieAragonese ; NagoreEndize). (115) */ˈpan-e/ (cf. Delorme 2011–2014 in DÉRom s.v.) : ajouter arag. ˹pan˺ s.m. ‘pain’ (dp. ca 1250, TilanderVidal = CORDE ; TilanderFueros = ETNAM ; MackenzieAragonese ; AndolzAragonés5 ; NagoreEndize) sous III.
118 | Jan Reinhardt (116) */ˈpart-e/ (cf. Velasco 2011–2014 in DÉRom s.v.) : ajouter arag. ˹part˺ s.f. ‘part’ (dp. ca 1250, TilanderVidal = CORDE ; TilanderFueros = ETNAM ; MackenzieAragonese ; NagoreEndize). (117) */ˈpɛkk-a-/ (cf. Ney/Maggiore 2014 in DÉRom s.v.) : ajouter arag. ˹pecar˺ v.intr. ‘pécher’ (dp. ca 1250 [peccar], TilanderVidal = CORDE ; MackenzieAragonese s.v. peccar ; NagoreEndize). (118) */pekˈk-at-u/ (cf. Ney/Maggiore 2014/2015 in DÉRom s.v.) : ajouter arag. ˹pecat˺ s.m. ‘péché’ (dp. ca 1250 [peccado], TilanderVidal = CORDE ; TilanderFueros = ETNAM ; MackenzieAragonese s.v. peccado ; AndolzAragonés5). (119) */ˈpes-u/ (cf. Morcov 2014–2016 in DÉRom s.v.) : ajouter arag. ˹peso˺ s.m. ‘poids’ (dp. ca 1250, TilanderVidal = CORDE ; TilanderFueros = ETNAM ; MackenzieAragonese ; NagoreEndize) sous II.4. (120) */ˈplak-e-/ (cf. Andronache 2014–2019 in DÉRom s.v.) : ajouter aarag. plazer v.tr.indir. ‘plaire’ (ca 1250 – 2e m. 14e s., TilanderVidal = CORDE ; TilanderFueros = ETNAM ; MackenzieAragonese) dans les matériaux et arag. agradar ‘id.’ (NagoreEndize) dans la note 9. (121) */planˈt-agin-e/ (cf. Delorme 2012–2018 in DÉRom s.v.) : l’article mentionne déjà « arag. ˹plantaina˺ s.f. ‘espèce de plante du genre Plantago à feuilles lancéolées et à longue hampe (Plantago lanceolata L.), plantain lancéolé’ (1596, CalvoCirurgia 679, 680, 681 ; DCECH 4, 574 ; NagoreEndize 3, 1170 ; 4, 1483) ». Cette donnée pourrait être enrichie par une mention d’AndolzAragonés5 et d’ALEANR 1499. (122) */ˈpon-e-/ (cf. Rinaldin 2016 in DÉRom s.v.) : ajouter arag. ˹poner˺ v.tr. ‘pondre’ (AndolzAragonés5 ; NagoreEndize) sous II. et arag. ˹ponerse˺ v.pron. ‘se coucher (d’un astre)’ (dp. 2e m. 14e s., MackenzieAragonese ; NagoreEndize) sous III. (123) */ˈpɔnt-e/ (cf. Andronache 2008–2017 in DÉRom s.v.) : « arag. ˹puent˺ s.m. ‘pont’ (dp. 14e s., Pascual,ACILR 26/1, 153) » se trouve déjà dans l’article, sous III. On peut y ajouter aarag. puent s.f. ‘pont’ (ca 1250 – 2e m. 14e s., TilanderVidal = CORDE ; ETNAM) sous II. et préciser la donnée sous III. en arag. ˹puen˺ s.m. ‘id.’ (dp. 2e m. 14e s. [puent], MackenzieAragonese ; Pascual,ACILR 26/1, 153 [puent] ; AndolzAragonés5 ; NagoreEndize ; ALEANR 1414 [genre ?]). (124) */ˈprεst-a-/ (cf. Maggiore 2014 in DÉRom s.v.) : ajouter arag. prestarse v.pron. ‘être utile’ (AndolzAragonés5 ; NagoreEndize) sous I. et prestar v.ditr. ‘prêter’ (dp. ca 1300 [prestados part.p. m.pl.], TilanderFueros = ETNAM ; MackenzieAragonese ; NagoreEndize ; ALEANR 1110) sous II. (125) */ˈprεti-u/ (cf. Groß 2015/2016 in DÉRom s.v.) : ajouter arag. ˹preu˺ s.m. ‘prix’ (AndolzAragonés5 ; NagoreEndize) et introduire une note pour préciser
1.4 Addenda Aragonensia | 119
qu’aarag. precio ‘id.’ (ca 1250 – 2e m. 14e s., TilanderVidal = CORDE ; MackenzieAragonese) semble être un emprunt à l’espagnol. (126) */'rankid-u/ (cf. Dworkin/Maggiore 2014–2016 in DÉRom s.v.) : ajouter arag. ˹rancio˺ adj. ‘passé’ (NagoreEndize). (127) */'rap-u/ (cf. Delorme 2013–2019 in DÉRom s.v.) : ajouter ˹rau˺ s.m. ‘queue’ (dp. 2e m. 14e s. [rabo], MackenzieAragonese ; AndolzAragonés5) sous I.2. et éventuellement – il pourrait s’agir d’un emprunt à l’espagnol – rabo s.m. ‘navet jaune’ (NagoreEndize) sous I.1. (128) */resˈpɔnd-e-/ (cf. Videsott 2014/2015 in DÉRom s.v.) : ajouter arag. ˹responder˺ v.tr. ‘répondre’ (dp. ca 1250, TilanderVidal = CORDE ; TilanderFueros = ETNAM ; MackenzieAragonese ; AndolzAragonés5 ; NagoreEndize) sous I. (129) */reˈtʊnd-u/ (cf. Hegner 2011–2015 in DÉRom s.v.) : ajouter arag. ˹redono˺ adj. ‘rond’ (dp. ca 1250 [redondo], TilanderVidal = CORDE ; MackenzieAragonese s.v. redondo ; AndolzAragonés5 ; NagoreEndize) sous I. et ˹rodono˺ (AndolzAragonés5), en raison de son caractère tardif, avec cat. rodó dans la note 6. (130) */ˈrod-e-/ (cf. Videsott 2013/2014 in DÉRom s.v.) : ajouter aarag. roder v.tr. ‘ronger’ (2e m. 14e s., MackenzieAragonese). (131) */ˈrɔt-a/ (cf. Groß 2012–2019 in DÉRom s.v.) : ajouter arag. ˹roda˺ s.f. ‘roue’ (dp. ca 1250 [rueda], TilanderVidal = CORDE ; MackenzieAragonese s.v. rueda ; AndolzAragonés5 ; NagoreEndize). (132) */ˈrʊmp-e-/ (cf. Morcov 2014/2015 in DÉRom s.v.) : ajouter arag. ˹romper˺ v.tr. ‘briser’ (dp. ca 1250, TilanderVidal = CORDE ; TilanderFueros = ETNAM ; MackenzieAragonese ; AndolzAragonés5) sous I. et arag. ˹romper˺ v.tr. ‘défricher’ (AndolzAragonés5 ; NagoreEndize) sous II. (133) */sa'ɡɪtt-a/ (cf. Delorme 2011–2018 in DÉRom s.v.) : ajouter arag. ˹sayeta˺ s.f. ‘flèche’ (dp. ca 1250 [saieta], TilanderVidal = CORDE ; TilanderFueros = ETNAM ; MackenzieAragonese ; AndolzAragonés5 ; NagoreEndize) sous I. (134) */'salβi-a/ (cf. Reinhardt 2011–2017 in DÉRom s.v.) : ajouter arag. ˹selva˺ s.f. ‘sauge’ (AndolzAragonés5 s.v. saubia ; NagoreEndize s.v. salbia ; ALEANR 292). (135) */'sal-e/ (cf. Yakubovich 2011–2019 in DÉRom s.v.) : ajouter arag. sal s.f. ‘sel’ (dp. 2e m. 14e s., MackenzieAragonese ; AndolzAragonés5; NagoreEndize ; ALEANR 847) sous II. (136) */sa'lut-a-/ (cf. Videsott 2015 in DÉRom s.v.) : ajouter arag. ˹saludar˺ v.tr. ‘saluer’ (dp. 2e m. 14e s., MackenzieAragonese ; NagoreEndize). (137) */'s-βɔl-a-/ (cf. Baiwir 2014–2016 in DÉRom s.v.) : pas de continuateur relevé dans les dictionnaires.
120 | Jan Reinhardt (138) */'skriβ-e-/ (cf. Groß 2013–2019 in DÉRom s.v.) : ajouter arag. ˹escribir˺ v.tr. ‘écrire’ (dp. ca 1250 [escriuir], TilanderVidal = CORDE ; TilanderFueros = ETNAM ; MackenzieAragonese s.v. screuir ; NagoreEndize). (139) */'sparɡ-e-/ (cf. Morcov 2014–2019 in DÉRom s.v.) : ajouter arag. esparcir ‘étendre’ (NagoreEndize). (140) */s-per-'laβ-a-/ (cf. Maggiore 2016 in DÉRom s.v.) : pas de continuateur relevé dans les dictionnaires. (141) */s-tre'm-e-sk-e-/ (cf. Maggiore 2015/2016 in DÉRom s.v.) : éventuellement mentionner arag. estremezo s.m. ‘tremblement’ (NagoreEndize) dans une note sous I.1. (142) */'sʊrd-u/ (cf. Maggiore 2014 in DÉRom s.v.) : ajouter arag. ˹sordo˺ adj. ‘sourd’ (dp. 2e m. 14e s., MackenzieAragonese ; AndolzAragonés5 s.v. sort ; NagoreEndize ; ALEANR 998 p 606) dans les matériaux et éventuellement arag. xordo ‘id.’ dans la note 2 ou 3. (143) */'tali-a-/ (cf. Videsott 2015/2016 in DÉRom s.v.) : ajouter arag. ˹tallar˺ v.tr. ‘couper’ (dp. ca 1300 [tallara fut. 3], TilanderFueros = ETNAM ; MackenzieAragonese ; AndolzAragonés5 ; NagoreEndize). (144) */'tɛnd-e-/ (cf. Schauwecker 2016 in DÉRom s.v.) : ajouter arag. tender v.tr. ‘étendre’ (dp. ca 1250 [‘déployer’], TilanderVidal = CORDE ; MackenzieAragonese ; NagoreEndize) sous III. (145) */'tɪli-a/ (cf. Valenti 2015–2019 in DÉRom s.v.) : ajouter arag. tella s.f. ‘tilleul’ (AndolzAragonés5 ; NagoreEndize) sous I.1. (146) */ti'tion-e/ (cf. Jactel/Buchi 2012–2015 in DÉRom s.v.) : ajouter arag. ˹tisón˺ s.m. ‘tison’ (dp. 2e m. 14e s. [tizon], MackenzieAragonese ; AndolzAragonés5 ; NagoreEndize ; ALEANR 822) sous I. (147) */'tɔn-a-/ (cf. Mertens 2014/2015 in DÉRom s.v.) : ajouter arag. ˹tronar˺ v.impers. ‘tonner’ (dp. 2e m. 14e s., MackenzieAragonese ; AndolzAragonés5 ; NagoreEndize) sous II. (148) */'trɛm-e-/ (cf. Maggiore 2015–2019 in DÉRom s.v.) : ajouter aarag. tremer v.intr. ‘trembler’ (ca 1250 [tremescan subj. 6] – 2e m. 14e s., TilanderVidal = CORDE ; MackenzieAragonese) sous I. (149) */'trem-ʊl-a-/ (cf. Maggiore 2015–2019 in DÉRom s.v.) : ajouter arag. ˹tremolar˺ v.intr. ‘trembler’ (AndolzAragonés5 ; NagoreEndize ; ALEANR 1122) sous I. et mentionner arag. ˹temblar˺ ‘id.’ (dp. 2e m. 14e s., MackenzieAragonese ; NagoreEndize ; ALEANR 1122), qui constitue probablement un castillanisme, dans la note 3. (150) */'ʊnɡ-e-/ (cf. Celac 2014 in DÉRom s.v.) : mentionner arag. untar v.tr. ‘oindre’ (dp. ca 1300 [untaras fut. 2], TilanderFueros = ETNAM ;
1.4 Addenda Aragonensia | 121
MackenzieAragonese ; AndolzAragonés5 s.v. untá ; NagoreEndize) dans le deuxième paragraphe du commentaire. (151) */'ʊnk-t-u/ (cf. Videsott 2012–2015 in DÉRom s.v.) : ajouter arag. unto s.m. ‘substance comestible dont on induit le pain’ (NagoreEndize) sous I.1. et arag. ˹unto˺ ‘onguent’ (dp. 2e m. 14e s., MackenzieAragonese ; AndolzAragonés5 s.v. unte) sous II.
3.2 Commentaire La décision d’accorder à l’aragonais le statut d’idiome obligatoire dans le DÉRom (cf. ci-dessus 1) aura également une incidence sur la rédaction du commentaire des articles. En effet, ce dernier commence systématiquement par une description de la composition de la série de cognats incitant à reconstruire tel ou tel étymon : « tous les parlers romans sans exception présentent des cognats conduisant à reconstruire… », « toutes les branches romanes présentent des cognats conduisant à reconstruire… », « à l’exception de x, y et z, toutes les branches romanes présentent des cognats conduisant à reconstruire… » etc. Pour ne citer qu’un exemple concret, la première phrase du commentaire de l’article */ˈaɡr-u/ (cf. Alletsgruber 2014–2019 in DÉRom s.v.) se lit ainsi : « À l’exception du végliote, du frioulan et du ladin, toutes les branches romanes présentent des cognats conduisant à reconstruire protorom. */ˈaɡr-u/ s.n. ‘étendue de terre propre à la culture, champ ; étendue de la surface terrestre située à la campagne, territoire rural’ ».
L’intégration de l’aragonais dans le champ de vision des déromiens amènera à formuler à l’avenir, dans des cas comme celui-ci, où l’aragonais ne fournit pas de cognat (cf. ci-dessus 3.1) : « à l’exception du végliote, du frioulan, du ladin et de l’aragonais ».
4 Conclusion Il est sûrement trop tôt pour tirer des conclusions définitives, surtout au niveau étymologique, de ces ajouts, mais on peut déjà apercevoir quelques tendances. L’intégration de données aragonaises dans les articles du DÉRom provoque surtout l’élargissement de certaines aires linguistiques, que les anciennes versions des articles en question sous-estimaient : soit depuis l’ouest (ainsi gascon et aragonais ou occitan, catalan et aragonais), soit à partir de l’est (par exemple aragonais, espagnol, asturien et galégo-portugais). Des constellations
122 | Jan Reinhardt géolinguistiques (cf. Reinhardt 2016 pour cette notion) plus originales peuvent cependant aussi apparaître, ainsi pour le type */ˈkuɛr-i-/ v.tr. ‘vouloir’ (cf. Maggiore 2012–2015 in DÉRom s.v. */ˈkuɛr-e-/ II.2.), qui ne connaît des continuateurs qu’en italien septentrional et en aragonais, deux variétés romanes dont la convergence ne peut être que fortuite. Enfin, on pourrait se poser la question de savoir si la situation géologique et climatologique du Haut-Aragon n’y est pas pour quelque chose dans certaines absences (cf. par exemple ci-dessus */βiˈn-aki-a/, que l’on pourrait mettre en lien avec l’absence de viticulture dans la région).
5 Bibliographie ALEANR = Alvar, Manuel/Llorente, Antonio/Buesa, Tomás/Alvar, Elena, Atlas lingüístico y etnográfico de Aragón, Navarra y Rioja, 12 vol., Madrid/Saragosse, CSIC/Institución Fernando el Católico, 1979–1983. ALPI = Navarro Tomás, Tomás (dir.), Atlas lingüístico de la península ibérica, Madrid, Consejo Superior de Investigaciones Científicas, 1962. AndolzAragonés5 = Andolz Canela, Rafael, Diccionario aragonés. Aragonés-castellano, castellano-aragonés, Saragosse, Mira Editores, 52004 [11977]. Blasco Ferrer, Eduardo, New directions for historical Romance lexicography, Romance philology 70 (2016), 537–557. CORDE = Real Academia Española, 2002–. Corpus diacrónico del español (CORDE), Madrid, Real Academia Española, 2002–, . DÉRom = Buchi, Éva/Schweickard, Wolfgang (dir.), Dictionnaire Étymologique Roman (DÉRom), Nancy, ATILF, 2008–, . DÉRom 1 = Buchi, Éva/Schweickard, Wolfgang (edd.), Dictionnaire Étymologique Roman (DÉRom). Genèse, méthodes et résultats, Berlin/Munich/Boston, De Gruyter, 2014. ETNAM = Nitti, John/Kasten, Lloyd (edd.), The electronic texts and concordances of medieval Navarro-Aragonese manuscripts, cédérom, Madison, Hispanic Seminary of Medieval Studies, 1997. Lindenbauer, Petrea/Metzeltin, Michael/Thir, Margit, Die romanischen Sprachen. Eine einführende Übersicht, Wilhelmsfeld, Egert, 21995 [11994]. MackenzieAragonese = Mackenzie, Jean Gilkison, A lexicon of the fourteenth-century Aragonese manuscripts of Juan Fernández de Heredia, Madison, Hispanic Seminary of Medieval Studies, 1984. Maggiore, Marco, Considérations théoriques et pratiques autour de la structure XML d’un article du DÉRom, in : Buchi, Éva/Schweickard, Wolfgang (edd.), Dictionnaire Étymologique Roman (DÉRom) 3. Entre idioroman et protoroman, Berlin/Boston, De Gruyter, 2020, 241– 258. Morcov, Mihaela-Mariana, Bibliographie de consultation et de citation obligatoires, in : Buchi, Éva/Schweickard, Wolfgang (edd.), Dictionnaire Étymologique Roman (DÉRom) 2. Pratique lexicographique et réflexions théoriques, Berlin/Boston, De Gruyter, 2016, 329–359.
1.4 Addenda Aragonensia | 123
NagoreEndize = Nagore Laín, Francho, Endize de bocables de l’aragonés. Seguntes os repertorios de lugars y redoladas de l’Alto Aragón, 4 vol., Huesca, Instituto de Estudios Altoaragoneses, 1999. Reinhardt, Jan, Les constellations géolinguistiques dans le DÊRom, in : Buchi, Éva/Schweickard, Wolfgang (edd.), Dictionnaire Étymologique Roman (DÉRom) 2. Pratique lexicographique et réflexions théoriques, Berlin/Boston, De Gruyter, 2016, 97–105. REW3 = Meyer-Lübke, Wilhelm, Romanisches Etymologisches Wörterbuch, Heidelberg, Winter, 3 1930–1935 [11911–1920]. Saralegui, Carmen, Aragonés/Navarro. Evolución lingüística externa e interna, in : Holtus, Günter/Metzeltin, Michael/Schmitt, Christian (edd.), Lexikon der Romanistischen Linguistik (LRL), vol. 6/1, Tübingen, Niemeyer, 1992, 37–54. Schlieben-Lange, Brigitte, Okzitanische und katalanische Verbprobleme. Ein Beitrag zur funktionellen synchronischen Untersuchung des Verbalsystems der beiden Sprachen (Tempus und Aspekt), Tübingen, Niemeyer, 1971. TilanderFueros = Tilander, Gunnar, Los fueros de Aragón según el manuscrito 458 de la Biblioteca Nacional de Madrid, Lund/Londres/Paris/Leipzig, Gleerup/Oxford University Press/Droz/Harrassowitz, 1937. TilanderVidal = Tilander, Gunnar, Vidal Mayor : Traducción aragonesa de la obra « In excelsis Dei thesauris » de Vidal de Canellas, 3 vol., Lund, Ohlsson, 1956.
Steven N. Dworkin
1.5 Lexique héréditaire et perte lexicale Considérations sur la base des étymons reconstruits dans le cadre du DÉRom
1 La perte lexicale et la reconstruction comparative En 1992, Arnulf Stefenelli a offert avec son livre Das Schicksal des lateinischen Wortschatzes une analyse innovatrice, en examinant de façon raffinée et puissante la stabilité lexicale qui caractérise la transition lexicale entre le latin et les langue romanes. La stabilité lexicale se définit dans ce contexte comme la survie des lexèmes individuels du latin dans les idiomes qui sont les continuateurs directs de la langue parlée de Rome et de son Empire. Bien sûr, ces lexèmes ont tous subi des changements phonologiques, morphologiques et/ou sémantiques. L’analyse de la stabilité lexicale implique aussi, à l’inverse, l’examen des éventuelles pertes lexicales. Stefenelli a choisi comme échantillon de base les mille substantifs, adjectifs et verbes les plus fréquents du latin d’après deux dictionnaires de fréquence du latin classique confectionnés d’une part par Gardner (1970) et d’autre part par Delatte, Evrard, Govaerts et Denooz (1981). Il a divisé les unités lexicales latines transmises aux langues romanes par voie orale en trois catégories : celles qui sont continuées dans toutes les régions de la Romania européenne, celles qui ont survécu dans la plupart de ces régions, et celles qui n’ont persisté que dans une ou deux régions, catégories respectivement étiquetées par lui comme « panromanisch », « interromanisch » et « teilromanisch ». Ce chapitre se propose comme but d’effectuer une étude similaire (cf. aussi Dworkin 2016) sur le sort – le maintien ou la perte – d’une sélection des issues des bases protoromanes reconstruites jusqu’à ici par l’équipe du DÉRom dans des articles lexicographiques qui se trouvent en ligne sur le site web du projet (‹http://www.atilf.fr/DERom›) et, en version imprimée, dans le DÉRom 1 ou le DÉRom 2 (Buchi/Schweickard 2014 et 2016) ou dans le présent volume. Nous
|| Steven N. Dworkin, University of Michigan, Department of Romance Languages, Ann Arbor, US-Michigan 48109, [email protected]. https://doi.org/10.1515/9783110654264-005
126 | Steven N. Dworkin cherchons à identifier les bases protoromanes qui n’ont laissé aucun continuateur documenté dans certaines variétés romanes et d’analyser la répartition géographique de ces pertes. On exclut ici les pertes idioromanes, celles qui se sont produites au cours de l’histoire documentée de chaque parler roman en particulier. La première étape du DÉRom visait à reconstruire un demimillier de bases protoromanes réputées avoir persisté dans l’ensemble des régions romanes. Le point de départ était constitué de la liste des environ 500 étymons, notés sous la forme de leurs corrélats en latin écrit de l’Antiquité, que Iancu Fischer (1969) avait dressée sur la base des lexèmes latins identifiés comme « panromans » par Ernout et Meillet dans leur Dictionnaire étymologique de la langue latine (41959 [11932]). La perspective de ces auteurs se bornait aux langues romanes nationales : ils avaient laissé de côté des idiomes comme le sarde, le végliote, le frioulan, le ladin (dolomitique) ou encore le romanche. Comme nous le verrons ci-dessous, les recherches réalisées par l’équipe du DÉRom ont montré que plusieurs des bases reconstruites en partant de la liste de Fischer, à en juger par leur documentation ancienne et leurs variétés vivantes, n’ont pas survécu dans certaines des branches linguistiques qui remontent en dernière analyse au protoroman commun (ou protoroman stricto sensu). La reconstruction comparative est un outil de grande valeur, mais elle n’est pas une baguette magique capable de résoudre ou d’éclaircir tous les détails du passé linguistique de n’importe quelle famille linguistique. Elle ne peut pas reconstruire de façon directe les traits linguistiques structurels et lexicaux qui ont disparu sans laisser de trace dans les parlers qui constituent leurs continuateurs. Tandis que les innovations partagées, qu’elles soient phonologiques, morphologiques ou lexicales, peuvent aider à reconstruire la fragmentation linguistique du protoroman, les pertes qui se sont produites avant la première documentation de chaque idiome roman n’ont pas cette même fonction. La protolangue reconstruite offre une image incomplète et, jusqu’à un certain point, déformée ou dénaturée de la réalité linguistique du passé : la méthode comparative « est incapable de récupérer l’état ancestral dans toute sa densité » (Swiggers 2014, 56). On définit souvent la protolangue comme la dernière étape dans le processus évolutif de la langue-mère juste avant sa fragmentation. Mais si cette protolangue prétend refléter une langue jadis vivante, elle sera nécessairement dotée d’un passé qui contenait des unités linguistiques qu’on ne peut plus reconstruire. Dans la reconstruction comparative, la qualité du produit, la protolangue, dépend de la quantité et surtout de la qualité des cognats employés dans le processus reconstructif. La protolangue est un concept abstrait, dont la structure peut changer si on finit par découvrir de nouveaux items à ajouter à une série de cognats donnée. Le linguiste doit agir avec beaucoup de caution quand nos connaissances de
1.5 Lexique héréditaire et perte lexicale | 127
l’histoire extralinguistique et de la nature des processus de changement linguistique semblent contredire ou mettre en question les résultats de la reconstruction comparative. Les romanistes jouissent d’une situation privilégiée en disposant d’une riche documentation de plusieurs registres écrits du latin et d’une connaissance ample de l’histoire extralinguistique de l’Empire romain. Il faut profiter de tous les matériaux disponibles qui aident à renforcer les analyses linguistiques diachroniques. Swiggers (2014, 49) a raison d’opposer le protoroman, un objet reconstruit et « abstrait », au latin parlé, une donnée concrète. Dans ce chapitre, nous emploierons le terme de protoroman pour désigner les unités reconstruites (et, jusqu’à un certain point, abstraites) qui apparaissent en transcription phonologique comme lemmes dans le DÉRom, tandis que nous nous servirons du glottonyme latin pour désigner les systèmes linguistiques parlés et écrits dans l’Empire romain. Au sein du latin global, le protoroman renvoie ainsi à l’ancêtre commun des parlers romans tel que nous pouvons le reconstruire par la méthode comparative, tandis que nous utiliserons le terme de latin parlé pour désigner l’ancêtre commun des parlers romans tel qu’il a réellement existé. L’analyse aréologique des bases protoromanes reconstruites pose des problèmes méthodologiques et analytiques difficiles. Nous avons déjà mentionné l’impossibilité de postuler de façon sûre l’existence dans un idiome donné d’un continuateur d’une base qui est tombé en désuétude sans laisser de trace écrite. Néanmoins, l’absence d’une issue d’une base protoromane dans une région donnée ne signifie pas nécessairement que la base en question était inconnue du lexique protoroman à la base du ou des parler(s) en question. Dans de tels cas, on ne peut jamais écarter la possibilité qu’un continuateur de cette base ait fait partie des variétés romanes en question avant de céder le pas devant un rival lexical sans laisser signe de vie même dans la documentation la plus ancienne. On verra dans ce qui suit que le végliote, le frioulan, le ladin et le romanche, par exemple, sont des variétés romanes où souvent on ne retrouve pas d’issues documentées des bases protoromanes examinées jusqu’ici par le DÉRom. Ce sont des idiomes où le contact avec d’autres parlers romans (notamment des variétés d’italien septentrional et de toscan) et non romans (germaniques et slaves) a joué un rôle très important dans l’histoire de leurs lexiques.1 De plus, la première documentation de ces parlers est assez tardive. Puisque la documentation végliote est assez exiguë, nous ne tiendrons pas compte, dans les analyses qui suivent, de l’absence de cette branche au sein des continuateurs d’une base protoromane
|| 1 On consultera Marcato (2015) pour les différentes strates lexicales du frioulan, Pellegrini (1989) et Salvi (2020) pour celles du ladin et Liver (2012) pour celles du romanche.
128 | Steven N. Dworkin donnée.2 À l’exception d’un texte très court de la fin du 13e siècle, dont l’inventaire lexical est fort réduit, les premiers documents frioulans datent du 14e siècle (Vicario 2015, 36). Pour ce qui est du ladin, ses premiers textes ne remontent qu’au 17e siècle (Videsott 2020). Mis à part trois textes médiévaux courts, la tradition littéraire des variétés romanches commence avec une traduction du Nouveau Testament datée d’environ 1560.3 La plupart des premiers textes en question sont de type administratif et ne contiennent qu’un vocabulaire assez limité, qui ne permet pas de toucher du doigt l’ampleur du lexique des langues en question. Par conséquent, on ne peut jamais savoir avec certitude si un lexème donné s’est éteint dès le latin parlé régional ou pendant les longs siècles prélittéraires obscurs de l’histoire de l’idiome roman en question. Dans bien des cas, les bases protoromanes qui se sont éteintes désignaient des réalités concrètes de la vie rurale et agricole, thème peu abordé dans les premiers textes romans, qui nous fournissent nos seules connaissances du lexique du passé lointain. Ce sont des champs sémantiques dont les lexèmes du latin parlé ont souvent été concurrencés par des concurrents locaux, qu’il s’agisse d’emprunts à des substrats, des adstrats ou des superstrats ou de créations internes de la protolangue. Au cours de leur évolution, les lexiques du végliote, du frioulan, du ladin et du romanche ont à leur tour emprunté des unités lexicales aux autres parlers romans et aux idiomes germaniques et slaves avec lesquels ils sont entrés en contact. Dans les paragraphes qui suivent, nous essaierons, dans la mesure du possible, d’identifier les rivaux lexicaux qui auront évincé les issues attendues des bases protoromanes en cause. Si le corrélat du latin écrit de la base reconstruite est usuel durant toute l’Antiquité, il semble raisonnable de postuler que le lexème était connu dans au moins quelques registres du latin parlé de l’époque impériale. On peut tirer quelques conclusions analytiques – sans doute provisoires – de la répartition spatiale (présence ou absence) des issues des bases protoromanes. Ainsi, dans les cas où on ne peut pas identifier de continuateurs d’une protoforme dans une ou deux région(s) seulement, il est probable que cette dernière a fait partie du lexique de la langue parlée commune de l’Empire roman, et qu’elle est || 2 Les bases protoromanes suivantes du DÉRom ne font pas état d’issues végliotes : */ˈagr-u/, */ˈakr-u/, * /ˈakuil-a/, */ˈarm-a/, */ˈaud-i-/, */ˈbaβ-a/, */ˈβad-e-/, */ˈβad-u/, */ˈβɪndik-a-/, */ˈbrum-a/, */doˈl-or-e/, */ˈdɔl‑u/, */ˈεks-i-/, */ˈϕrang-e-/, */ˈϕug-e-/, */ˈɡland-e/, */ˈiak-e-/, */imˈprεst-a-/, */kaˈstani-a/ ~ */kasˈtɪni-a/, */ˈkɪrk-a-/, */ˈkuεr-e/, */ˈlɔng-e/, */ˈlʊkt-a-/, */ˈmεnt-a/, */ˈnɪtid-u/, */ˈpɛrsik-u/1, */ˈpɛrsik-u/2, */ˈpon-e-/, */ˈprεti-u/, */saˈlut-a-/, */ˈtεnd-e-/, */ˈtɪli-a/, */ˈtrεm-e-/, */ˈtrεm-ul-a-/ et */ˈʊnk-t-u/. Inversement, Mihăescu (1993, 107–108) offre une liste des bases qui ont survécu seulement (ou principalement) en « dalmate ». 3 Pour tous ces parlers, on trouve des unités lexicales romanes insérées dans quelques textes rédigés en latin ou dans des variétés germaniques.
1.5 Lexique héréditaire et perte lexicale | 129
tombée en désuétude comme phénomène local et à époque idioromane dans quelques régions, avant les premiers textes en langue vernaculaire romane. Inversement, dans les cas où les issues d’une base protoromane ne sont documentées que dans des variétés romanes de la Sardaigne et de la péninsule Ibérique (les premiers territoires hors de l’Italie qui ont reçu le latin) et/ou de la Dacie (une région de romanisation et de latinisation tardives), c’est-à-dire dans des territoires éloignés du centre linguistique de l’Empire romain, il est possible que la base ait joui initialement d’une diffusion plus ample dans les territoires centraux, dans lesquels elle a fini par céder le pas devant la pression de ses concurrents lexicaux, soit des innovations locales, soit des emprunts. Dans tous ces cas, il est très difficile de déterminer (même de façon approximative) les dates auxquelles ces pertes lexicales prélittéraires se sont produites. Les normes rédactionnelles du DÉRom ne permettent pas de tenir compte des dérivés lexicaux, des anthroponymes et des toponymes délexicaux et des emprunts des langues non romanes comme matière première du processus reconstructif, quoique ces données puissent être signalées et commentées dans des notes en bas de page et, le cas échéant, dans le commentaire. Bien que ces unités ne puissent pas servir à la reconstruction phonique ou sémantique de la base protoromane en cause, elles peuvent fournir des preuves indirectes de la présence dans une aire donnée d’un étymon qui n’a pas laissé d’issues indépendantes documentées dans les variétés romanes locales. Concernant les dérivés idioromans, leur témoignage sera particulièrement précieux dans les cas où leur base dérivationnelle a disparu sans laisser de trace écrite : leur existence permet d’affirmer que le simple, qui constitue alors un cognat pour ainsi dire virtuel, a existé dans une couche chronologique plus ancienne du parler roman considéré. En l’absence d’un cognat sarde, les auteurs des articles du DÉRom attribuent en général la reconstruction de l’étymon non pas au protoroman commun, mais seulement à une strate plus tardive de la protolangue, le protoroman continental, postérieur à la séparation du sarde du tronc commun. Le DÉRom n’est pas en mesure d’attribuer une date au protoroman continental, mais se contente de renvoyer de façon provisorie à la datation établie par Straka (1956, 256 : « au plus tard vers la fin du IIe siècle ») sur la base de la chronologie relative des changements phonétiques. Bien que ces changements phonétiques aient abouti à un nouveau système phonologique, on ne peut pas parler, en réalité, d’une nouvelle langue : il s’agit simplement d’une variété (ou plus précisément d’un ensemble de variétés) historiquement et géographiquement déterminée(s) au sein du diasystème protoroman. Afin de bien comprendre la signification de l’attribution d’un étymon au protoroman continental plutôt qu’au protoroman commun, il faut rappeler qu’il s’agit là d’une affectation « prudente », « minimale », dans le
130 | Steven N. Dworkin sens où nous pouvons postuler avec certitude l’existence de l’étymon en question pour la strate du protoroman continental, mais pas pour une strate plus ancienne de la protolangue. À l’exception de quelques cas tout à fait particuliers (dérivé d’un étymon lui-même datable du protoroman continental, emprunt à une langue de substrat locale), l’inverse n’est toutefois pas vrai : dans l’immense majorité des cas en question, aucun indice ne permet d’affirmer que l’étymon que nous sommes en mesure de reconstruire pour le protoroman continental n’a pas déjà pu exister en protoroman commun, et dans bien des cas, il est même tout à fait probable que c’était bien le cas. Nous savons ainsi que la Sardaigne est restée une partie de l’Empire romain jusqu’à environ 450. Si le corrélat du latin écrit de la base protoromane reconstruite démontre une vitalité dans les textes de l’époque classique, avant la séparation linguistique de la Sardaigne, il paraît logique de postuler sa présence (au moins dans quelques registres) dans la langue parlée de tout l’Empire romain, y compris de la Sardaigne. Il semble peu vraisemblable qu’une base protoromane qui connaît des continuateurs dans la péninsule Ibérique, où le latin est arrivé en 218 avant Jésus-Christ, n’ait pas fait partie de la réalité de la langue parlée apportée par les Romains à la Sardaigne seulement deux ou trois décennies plus tôt, même si les données (incomplètes) fournies par la documentation sarde n’appuie pas la reconstruction d’une telle base protoromane pour la protolangue parlée dans l’île. En revanche, il est tout à fait possible d’imaginer que tel item lexical colporté par les Romains en Sardaigne n’y a pas pris racine. Nous souhaitons attirer l’attention sur une question de méthode qu’il ne sera pas possible de traiter en détail ici. Toutes les régions de langue romane ont conservé au moins quelques unités lexicales protoromanes dépourvues de cognats ailleurs dans la Romania (cf. Dworkin 2016, 585–586 pour des exemples concrets et la bibliographie). Ces cas de figure constituent un sérieux défi pour la grammaire comparée. Nous n’en proposerons qu’un exemple comme illustration, sans entrer dans les détails. Esp. feo adj. ‘laid’ (dp. ca 1200 [aussi hedo en ancien espagnol], DCECH 2, 880) et port. feio ‘id.’ (dp. 1162 [feo], DELP3) constituent une petite série de cognats qui permet de reconstruire protorom. */ˈϕed-u/ adj. ‘laid’. En l’absence d’autres cognats – contrairement à ce qui est affirmé par MeyerLübke in REW3 s.v. foedus, sard. feu et cors. feo ne sont pas héréditaires, mais constituent des emprunts à l’espagnol (cf. Wagner in DES et Faré n° 3406) –, la reconstruction comparative ne permet d’attribuer */ˈϕed-u/ qu’à une strate relativement tardive (et géographiquement restreinte) du protoroman, celle qui constitue l’ancêtre commun direct de l’espagnol et du portugais. Or, les renseignements fournis par les dictionnaires latins (TLL, OLD, IEEDLatin) indiquent clairement que le corrélat écrit de */ˈϕed-u/, lat. foedus adj. ‘laid’, était
1.5 Lexique héréditaire et perte lexicale | 131
connu durant toute l’Antiquité (depuis Plaute), ce qui veut dire qu’il existait à l’époque du protoroman commun, quoique la méthode comparative n’appuie pas la reconstruction de */ˈϕed-u/ à ce niveau chronologique.
2 Le témoignage des dérivés des bases protoromanes Examinons quelques cas instructifs à propos de la valeur analytique des dérivés des simples qui font défaut dans un territoire donné. L’article */ˈnɪɡr-u/ adj. ‘noir’ (cf. Dworkin/Baudinot 2019 in DÉRom s.v.) signale qu’à l’exception du sarde et du végliote,4 toutes les branches romanes présentent des cognats conduisant à la reconstruction de cette base protoromane, dont le corrélat du latin écrit est niger. La désignation sarde de cette couleur est nigeḍḍu, adjectif qui remonte à protorom. */nɪˈɡ-ell-u/ (cf. REW3 s.v. nĭgĕllus ; DES). Outre en sarde, ce dernier étymon a survécu comme adjectif chromatique en ancien occitan, et comme substantif secondaire, présupposant l’adjectif chromatique, en italien et en français (cf. von Wartburg 1953 in FEW 7, 128b-129a, NĬGĔLLUS ; DELI2 s.v. niello ; Nocentini 2010 s.v. niello). Or, comme protorom. */nɪˈɡ-ell-u/, reconstructible pour la strate du protoroman commun, constitue un dérivé de */ˈnɪɡr-u/ (Ernout/Meillet 41959 [11932] s.v. niger), luimême seulement reconstructible pour la strate plus récente du protoroman continental, on peut en conclure que */ˈnɪɡr-u/ existait déjà à l’époque du protoroman commun (ou protoroman stricto sensu). Dans de tels cas, le témoignage du dérivé est très précieux pour la reconstruction (interne) du simple. La reconstruction de protorom. */ˈbalti-u/ s.n. ‘accessoire long et étroit utilisé pour lier ; bande de terrain dominant une dépression’ s’appuie sur des cognats de « la branche roumaine (dacoroum. aroum.) et [de] six idiomes de la Romania italo-occidentale (it. frioul. romanch. occit. cat. port.) » (Crifò 2019 in DÉRom s.v.). En l’absence d’un cognat sarde, cet étymon ne peut donc être daté lui aussi que du protoroman continental. Mais il s’agit bien du protoroman continental commun, non restreint géographiquement : par exemple, l’absence de continuateurs en espagnol et en asturien ne signifie nullement que le protoroman
|| 4 Cf. */ˈnɪɡr-u/ n. 9 : « Le lexème de base pour désigner cette couleur en végliote est fosc (BartoliDalmatico 309, 484 ; FisherVegliote 47 ; < */ˈɸʊsk-u/). Quant à son synonyme niar (IveVeglia 152), il représente un emprunt au vénitien (cf. BartoliDalmatico 169 § 144 ; ElmendorfVeglia [“< Ital nero”]) ».
132 | Steven N. Dworkin continental du centre de l’Ibérie n’aurait pas connu ce vocable. En effet, s’appuyant sur des cognats de plusieurs parlers de la Romania italo-occidentale (et du roumain), protorom. */ˈbalti-u/ peut être reconstruit pour le protoroman italo-occidental dans son ensemble. Pour ce qui est de l’absence de continuateurs en espagnol et en asturien, elle doit simplement être mise sur le compte d’une perte idioromane, intervenue antérieurement aux premiers textes vernaculaires. Si besoin était, un indice supplémentaire de l’existence de */ˈbalti-u/ dans la protolangue du centre de l’Ibérie pourrait être trouvé dans le dérivé */balˈt-ani-u/, qui connaît un continuateur en asturien (cf. von Wartburg 1923 in FEW 1, 226b–227a, BALTEUS II et García Arias in DELLA s.v. “balzán”). Mais le témoignage du dérivé n’est pas vraiment indispensable dans des cas de ce type. Un autre exemple du même cas de figure est fourni par protorom. */ˈkasi-u/ s.n. ‘fromage’ (cf. Delorme 2011–2014 in DÉRom s.v.), qui est continué dans les parlers romans « à l’exception du frioulan, du ladin, du romanche, du français, du francoprovençal, de l’occitan, du gascon et du catalan, où les issues de la base ont été évincées par des issues de */ϕorˈm-atik-u/, néologisme du protoroman régional sans corrélat dans le latin écrit ». Comme l’auteur de l’article l’explique très justement en raisonnant au niveau des continuateurs de protorom. */ˈkasi-u/ et de */ϕorˈm-atik-u/ plutôt qu’au niveau de ces protolexèmes eux-mêmes, le processus de concurrence, puis de sélection, est intervenu à époque idioromane et non pas protoromane. S’appuyant sur des cognats des branches sarde, roumaine et italo-occidentale, */ˈkasi-u/ peut être reconstruit sans équivoque pour le protoroman commun (ou protoroman stricto sensu) : il s’agit là d’un résultat de recherche solide et incontestable. Les esprits qui en douteraient malgré tout pourraient éventuellement trouver un indice supplémentaire du caractère ancien de */ˈkasi-u/ dans les dérivés */kasˈi-ari-a/ s.f. ‘clisse à fromage’,5 */kasˈi-ari-u/ adj. ‘relatif au fromage’6 et */kasˈi-ɔl-u/ s.m. ‘petit fromage’,7 qui se sont maintenus y compris dans des idiomes dépourvus de continuateurs du simple. Mais là encore, le témoignage des dérivés n’est pas nécessaire, dans la mesure où la reconstruction du simple pour le protoroman commun est assurée, et que les pertes lexicales
|| 5 Cf. REW3 s.v. caseāria, von Wartburg 1938 in FEW 2, 456b–457a, CASEUS II 2 a et Salamanna/Bork 2011 in LEI 12, 1006–1013, CĀSEĀRIUS 2 a. 6 Cf. von Wartburg 1938 in FEW 2, 456b, CASEUS II 1 et Salamanna/Bork 2011 in LEI 12, 1006, CĀSEĀRIUS 1. 7 Cf. REW3 s.v. caseŏlus, von Wartburg 1938 in FEW 2, 456b, CASEOLUS et Salamanna 2011 in LEI 12, 1035–1041, CĀSEOLUS.
1.5 Lexique héréditaire et perte lexicale | 133
ne sont jamais qu’un phénomène idioroman, sans valeur heuristique pour l’attribution de l’étymon à une variété particulière (diatopique ou autre) de la protolangue.
3 La perte lexicale en sarde Une poignéee de bases protoromanes reconstruites dans le cadre du DÉRom ne connaissent pas de continuateur en sarde. Pour la reconstruction comparative, cette situation est particulièrement embarrassante, car dans l’immense majorité des cas, aucun critère ne permet de déterminer si cette absence de continuateur signifie que le protosarde n’a pas connu le lexème, auquel cas l’étymon a été formé (ou emprunté) en protoroman continental, ou si le protosarde a bien connu un continuateur de l’étymon, qui aura alors disparu sans laisser de trace écrite ou orale en sarde, auquel cas l’étymon existait dès le protoroman commun (ou protoroman stricto sensu). En tout état de cause, en l’absence d’un cognat sarde, un étymon donné ne peut être reconstruit que pour la strate du protoroman continental. Comme nous l’avons expliqué précédemment (cf. ci-dessus 1), dire que tel étymon ne peut être reconstruit que pour le protoroman continental ne signifie toutefois nullement qu’il remonte nécessairement à cette strate de la protolangue : à supposer qu’il s’agit d’une simple perte lexicale idioromane sarde, l’étymon en question aura bien appartenu au protoroman commun. Cette différence entre ce que la méthode comparée est en mesure d’affirmer (« en tout cas protoroman continental ») et ce qu’elle n’a aucun droit d’exclure comme possibilité (« peut-être déjà protoroman commun ») est très importante, et les formulations dans les commentaires des articles du DÉRom gagneraient certainement à être plus explicites à cet égard. Protorom. */ˈbrum-a/ s.f., dont le sens originel (conservé en italien et en frioulan) était ‘hiver’, ne connaît ainsi pas de continuateur en sarde (cf. Birrer/Reinhardt/Chambon 2013–2018 in DÉRom s.v.). Dans la plupart des parlers romans, les continuateurs de */ˈbrum-a/ désignent le givre ou le brouillard, sens exprimés dans les variétés sardes par árθana (que Wagner in DES tend à analyser comme un continuateur d’un emprunt à une langue préromane), néula (< */ˈnɛbul-a/, cf. DES) et néƀiđa (probablement un hellénisme, cf. DES s.v. néula). Protorom. */ˈkad-e-/ v.intr. ‘tomber’ (cf. Buchi 2008–2016 in DÉRom s.v.) ne présente pas non plus de continuateur en sarde, ce qui amène l’auteure de l’article à s’exprimer ainsi :
134 | Steven N. Dworkin « Dans plusieurs domaines linguistiques, des compétiteurs sont venus concurrencer, et dans certains cas évincer, les représentants de protorom. */ˈkad-e-/ ‹tomber›, que l’on suppose originellement (quasi) panprotoroman (à l’exclusion sans doute du protoroman régional de Sardaigne) : protorom. */ˈrʊ-e-/ (> sard. rúere v.intr. ‹id.›, DES) […] ».
À notre avis, la rédactrice n’est peut-être pas assez prudente dans sa formulation. Il est vrai que ‘tomber’ se dit rúere en sarde (< */ˈrʊ-e-/, cf. REW3 s.v. rŭere ; DES ; von Wartburg 1962 in FEW 10, 542b, RŬĔRE), qui connaît aussi le synonyme korriare, d’origine inconnue pour Wagner in DES.8 Toutefois, cela ne signifie pas forcément que */ˈkad-e-/ n’a jamais connu de continuateur sarde. En effet, il nous semble peu vraisemblable que cette base puisse avoir fait partie de la langue parlée de la péninsule Ibérique tout en étant absent de celle de la Sardaigne, territoire colonisé seulement deux ou trois décennies avant la péninsule Ibérique (cf. ci-dessus 1). En outre, le corrélat du latin écrit, cadere, est connu depuis Ennius, bien avant la diffusion de la langue hors de l’Italie, ce qui rend probable sa présence dans la langue apportée par les Romains à leur colonie en Sardaigne.9 Sans qu’il soit possible de l’affirmer avec certitude, l’hypothèse d’une perte lexicale à époque idioromane semble pouvoir être privilégiée dans les cas où les correspondants sémantiques sardes des étymons en question représentent des emprunts et/ou des créations internes. Ainsi, on ne connaît pas d’issue héréditaire de protorom. */ˈlaud-a-/ v.tr. ‘louer’ (cf. Videsott 2015/2016 in DÉRom s.v.), tandis que sard. laudare (« latinismo italiano », DES) et alaƀare (< espagnol, DES) s’analysent comme des emprunts. De la même manière, */ˈlʊkt-a/ v.intr. ‘lutter’ (cf. Maggiore 2015–2019 in DÉRom s.v.) est dépourvu d’un continuateur en sarde, idiome qui connaît l’italianisme lottare (DES) et les formations idioromanes kíngere (évolution sémantique, DES) et kintare (dérivé, DES s.v. kíntu).
|| 8 Peut-être à rattacher à protorom. */korˈrɔt-a-/ v.intr. ‘tomber’ (cf. REW3 s.v. *corrŏtāre, von Wartburg 1945 in FEW 2, 1227b–1228b, *CORRŎTARE et romanch. crodar/cruder/curdar cidessous 4. 9 L’existence d’un continuateur sarde du dérivé */sˈkad-e-/ est très incertaine : tandis que Meyer-Lübke in REW3 s.v. *excadēre, von Wartburg 1930 in FEW 3, 263a, *EXCADERE (implicitement) et Wagner in DES analysent iskarèssere v.tr. ‘oublier’ comme un hispanisme, Blasco Ferrer (1984, 40) y voit une issue autochtone.
1.5 Lexique héréditaire et perte lexicale | 135
4 La perte lexicale en frioulan, en ladin et en romanche Un certain nombre de bases protoromanes reconstruites dans le cadre du DÉRom ne connaissent pas de continuateur en frioulan (ainsi */ˈagr-u/, */aˈket-u/2 [adj.], */βiˈn-aki-a/, */ˈβɪndik-a-/, */ˈiak-e-/, */ɪn-kaˈβall-ik-a-/, */ˈkasi-u/, */laˈbrusk-a/ ~ */laˈbrʊsk-a/, */ˈmεnt-a/), en ladin (*/ˈaɡr-u/, */aˈket-u/2 [adj.], */ˈβad-u/, */βiˈn-aki-a/, */ˈβɪndik-a-/, */dɪs-kaˈβall-ik-a-/, */ˈεks-i-/, */ˈϕranɡ-e-/, */ˈɸuɡ-e-/, */ɪn-kaˈβall-ik-a-/, */kaˈβall-ik-a-/, */ˈkad-e-/, */ˈkasi-u/, */laˈbrusk-a/ ~ */laˈbrʊsk-a/, */ˈlɪmpid-u/, */ˈlʊkt-a-/, */ˈtrεm-e-/) et/ou en romanche (*/aˈket-u/2 [adj.], */ˈakr-u/, */ˈbrum-a/, */dɪs-kaˈβall-ik-a-/, */ˈdɔl‑u/, */ˈεks-i-/, */ˈϕranɡ-e-/, */ɪn-kaˈβall-ik-a-/, */ˈkad-e-/, */ˈkasi-u/, */ˈkuand-o/, */laˈbrusk-a/ ~ */laˈbrʊsk-a/, */ˈlɪmpid-u/, */ˈmεnt-a/, */ˈpon-e-/, */ˈtrεm-e-/). Si un étymon n’est pas continué dans un seul de ces trois idiomes, tandis que les deux autres en présentent des issues, on peut en déduire qu’il s’agit d’une perte lexicale intervenue à époque idioromane. En effet, quelle que soit l’origine phylogénégique précise du frioulan, du ladin et du romanche – une question non résolue à ce jour –, personne ne conteste que leur ancêtre (indirect) commun est une variété de la protolangue qui est distincte du protosarde et du protoroumain, que le DÉRom appelle, faute de mieux, protoroman italo-occidental. Or, un étymon reconstruit sur la base de plusieurs cognats de la Romania italooccidentale relève (au moins) du protoroman italo-occidental ; il s’ensuit qu’au tout début de leur existence, l’ensemble des parlers italo-occidentaux connaissaient un continuateur de l’étymon en question. C’est le cas des protolexèmes suivants : Protorom. */ˈβad-u/ s.[n. ou m.] ‘gué’ (cf. Alletsgruber 2011–2016 in DÉRom s.v.) connaît des continuateurs partout (cf. frioul. vau et romanch. vât) sauf en végliote et en ladin. Cette dernière langue ne semble d’ailleurs pas connaître de désignation du gué. Salvi (2020, 100) signale l’absence d’issues de la base */ˈβad-u/ dans la toponymie ladine. La base */ˈɸuɡ-e-/ v.intr./tr. ‘partir en toute hâte pour échapper à une menace ; chercher à éviter (qch. ou qn)’ (cf. Jatteau 2012–2014 in DÉRom s.v.) a laissé des issues héréditaires en frioulan (fuî) et en romanche (fügir/fugir), mais pas en ladin, qui connaît l’italianisme fugi (Kramer/Kowallik in EWD). Il est évident que cet italianisme a remplacé le continuateur vernaculaire de la base protoromane. La reconstruction de protorom. */kaˈβall-ik-a-/ v.intr. ‘être sur le dos d’un cheval ; monter (un cheval ou un autre animal, notamment de monture) ; être
136 | Steven N. Dworkin positionné de manière à avoir la jambe gauche d’un côté (de qch.) et la droite de l’autre côté ; s’accoupler (avec une femelle)’ (cf. Jactel/Buchi 2014–2018 in DÉRom s.v.) se fonde sur des cognats de toutes les branches romanes sauf le roumain, le végliote et le ladin (cf. frioul. cjavalgjâ et romanch. chavalgiar). En ladin, c’est la locution jì a ćiaval ‘chevaucher’ (EWD s.v. ćiaval) qui a remplacé le continuateur non attesté. Pour ce qui est de */ˈkuand-o/ adv./conj. subord. ‘quand’ (cf. De Blasi 2015/2016 in DÉRom s.v.), il connait des continuateurs partout sauf en romanche. Comme le précise l’auteure de l’article, il s’agit là aussi d’une perte lexicale intervenue à époque idioromane : « Malgré FEW 2, 1417b (qui interprète mal un passage de Gartner in GröberGrundriss2 1, 616 n. 1 et de GartnerHandbuch 263), l’issue de protorom. */ˈkuand-o/ n’est pas attestée en romanche ; elle a été remplacée à époque prélittéraire par romanch. cura < protorom. */ˈku-a ˈor-a/ (DRG 4, 551-553 ; cf. REW3 s.v. hōra ; HallPhonology 45) ».
Le ladin n’atteste pas de continuateur de protorom. */ˈlʊkt-a-/ v.intr. ‘lutter’ (cf. Maggiore 2015–2019 in DÉRom s.v.), étymon qu’il a remplacé par l’italianisme combate, le germanisme strite et la formation interne (par évolution sémantique) bate (tous EWD). Quand deux sur les trois idiomes en question, le frioulan, le ladin et le romanche, n’attestent pas de continuateur d’un étymon donné, on peut quand même conclure à une perte intervenue à époque idioromane, à condition qu’il existe des continuateurs dans d’autres parlers remontant au protoroman italooccidental : le végliote, l’istriote, l’italien, le français, le francoprovençal, l’occitan, le gascon, le catalan, l’aragonais, l’espagnol, l’asturien et/ou le galégoportugais. C’est le cas de l’ensemble des items suivants : Protorom. */ˈaɡr-u/ s.n. ‘champ ; territoire rural’ (cf. Alletsburger 2014–2019 in DÉRom s.v.) ne connaît pas de continuateur ni en frioulan10 ni en ladin, langues qui se servent d’issues de */ˈkamp-u/ (cf. REW3 s.v. campus) : frioul. ciàmp (DESF) et lad. ćiàmp (EWD). À noter que */ˈaɡr-u/ a été fortement concurrencé par */ˈkamp-u/ : dans la péninsule Ibérique, acat. agre, aesp. ero et aport. agro ont cédé le pas devant la famille de */ˈkamp-u/, et */ˈaɡr-u/ s’est spécialisé dans le sens ‘territoire d’un animal sauvage’ dans une partie du domaine (cf. Alletsburger in DÉRom s.v. */ˈaɡr-u/ II.3.).
|| 10 D’après Marcato (2015, 416), le toponyme frioulan Daèl remonte au diminutif agellum formé sur ager.
1.5 Lexique héréditaire et perte lexicale | 137
Un cas particulier est représenté par protorom. */ˈβɪndik-a-/ v.tr. ‘guérir ; venger’ (cf. Celac in DÉRom 2010–2016 s.v.) : si ni le frioulan ni le ladin ne connaissent un continuateur de cet étymon, le ladin atteste un dérivé idioroman qui témoigne indirectement de l’existence prélittéraire du simple : « Le fascian présente les dérivés dejveneèr (par erreur graphié devjeneèr dans le EWD) v.tr. ‹venger› et desveneár (les deux Kramer/Boketta in EWD s.v. vindiché), qui attestent indirectement une issue héréditaire de */ˈβɪndik-a-/. Dans les autres variétés du ladin, le cognat héréditaire a été évincé par l’italianisme vindiché v.tr. ‹id.› (dp. 1763 [vendichè], EWD) » (DÉRom s.v. */ˈβɪndik-a-/ n. 5).
Protorom. */ˈεks-i-/ (Lichtenthal 2010–2014 in DÉRom s.v.) connaît des continuateurs dans l’ensemble des branches romanes à l’exception du végliote, du ladin et du romanche, plusieurs d’entre eux s’étant toutefois éteints au cours de l’histoire des langues individuelles (afr. eissir, afrpr. issir, aesp. aast. agal./aport. exir) ou perdant du terrain à l’heure actuelle (occit. eissir et cat. exir). Les pertes lexicales à date prélittéraire (végliote, ladin et romanche) et celles qui sont observables à travers les données textuelles participent d’un même mouvement. En effet, dans la mesure où la reconstruction de */ˈεks-i-/ s’appuie sur des cognats des (macro-)branches sarde, roumaine et italo-occidentale, le verbe est reconstructible pour le protoroman commun (ou protoroman stricto sensu). Dès lors, son absence en ladin et en romanche ne reflète jamais qu’une perte postérieure à la fragmentation linguistique de la Romania. Tandis que le ladin a opté pour la locution jì fora, littéralement ‘aller dehors’ (comm. pers. Paul Videsott), le romanche se sert du verbe sortir, un emprunt de l’italien ou du français (HWBRätoromanisch). La situation est similaire à celle de */ˈβɪndik-a-/ pour protorom. */ˈϕranɡ-e-/ v.tr. ‘briser’ (cf. Morcov 2013/2014 in DÉRom s.v.), que des cognats de toutes les branches romanes, à l’exception du végliote, du ladin et du romanche (cf. frioul. franzi), incitent à reconstruire, et pour lequel le ladin fournit un dérivé interne précieux : « Gherd. sfrànyer v.tr. ‹briser› (Kramer/Kowallik in EWD ; Gsell,Ladinia 13/1, 154) représente un préfixé idioroman d’une issue ladine disparue de protorom. */ˈɸranɡ-e-/ » (DÉRom s.v. */ˈϕranɡ-e-/ n. 3).
En outre, le ladin connaît un verbe que l’auteure de l’article ne semble pas avoir relevé, mais qu’on peut considérer, malgré l’évolution sémantique idioromane dont il témoigne, comme un cognat de la série de cognats en question : lad. frënje v.tr. ‘frotter ; pousser’ (dp. 1879, Kramer/Kowallik in EWD). Pour ce qui est du
138 | Steven N. Dworkin sens ‘briser’, il est véhiculé en frioulan et en ladin par des continuateurs de */ˈrʊmp-e/ (cf. Morcov 2014/2015 in DÉRom s.v.). Protorom. */ˈkad-e-/ v.intr. ‘tomber’ (cf. Buchi 2008–2016 in DÉRom s.v.) n’a pas laissé de représentants documentés en ladin et en romanche. C’est le verbe tomè < */ˈtʊmb-a-/ v.intr./tr. ‘faire la culbute ; faire culbuter’, qui remonte en dernier lieu à une onomatopée (cf. von Wartburg 1967 in FEW 13/2, 408b, TUMB-), qui s’est imposé en ladin. En romanche, la communauté linguistique a opté pour crodar/cruder/curdar < protorom. */korˈrɔt-a-/ (cf. DÉRom s.v. */ˈkad-e-/ n. 9), pour lequel le latin écrit n’offre pas de corrélat écrit. Quoique la base */ˈlɪmpid-u/ adj. ‘clair’ (cf. Dworkin/Maggiore 2014–2016 in DÉRom s.v.) soit continuée par frioul. limpi, elle n’a pas laissé d’issues en ladin et en romanche. Protorom. */ˈmεnt-a/ s.f. ‘menthe’ ne connaît pas de continuateurs en frioulan et en romanche, qui présentent des emprunts (cf. Richter/Reinhardt 2015/2016 in DÉRom s.v. */ˈmεnt-a/ n. 3 et 4). Étant donné la large diffusion de la plante désignée par cet étymon, il est peu probable qu’il existe un lien entre les régions où elle est autochtone et les territoires où sa désignation est héréditaire. Ce qui est sûr, c’est qu’ici comme pour les cas traités ci-dessus, les emprunts auront évincé à date prélittéraire les continuateurs héréditaires. Enfin, protorom. */ˈtrεm-e-/ v.intr. ‘trembler ; avoir peur’ (cf. Maggiore 2015– 2019 in DÉRom s.v.) est absent en ladin et en romanche. Un cas intéressant est constitué par */laˈbrusk-a/ ~ */laˈbrʊsk-a/ s.v. ‘vigne sauvage ; fruit de la vigne sauvage’ (cf. Reinhardt 2011–2017 in DÉRom s.v.), qui ne connaît de continuateur dans aucun des trois idiomes considérés : ni en frioulan, ni en ladin, ni en romanche. Dans l’hypothèse où ces trois parlers remonteraient à un ancêtre commun exclusif – disons le « proto-rhéroroman » –, il serait possible que cette absence commune soit pertinente, et que la perte lexicale ait eu lieu dans cette protolangue intermédiaire plutôt que individuellement, à époque idioromane, dans chacune de ces trois langues. Mais tout porte à croire qu’une telle protolangue intermédiaire n’existe pas, et que le frioulan, le ladin et le romanche ont donc perdu leur issue (non attestée) de */laˈbrusk-a/ ~ */laˈbrʊsk-a/ au cours des premiers siècles de leur existence, antérieurement aux premiers témoignages écrits. Rappelons par ailleurs que la vigne sauvage est caractéristique des régions méditerranéennes : la non-transmission de */laˈbrusk-a/ ~ */laˈbrʊsk-a/ dans les parlers romans des régions alpines n’a rien d’étonnant.
1.5 Lexique héréditaire et perte lexicale | 139
5 La perte lexicale dans les idiomes de la péninsule Ibérique Les idiomes parlés dans la péninsule Ibérique, parmi lesquels le DÉRom exploite le catalan, l’aragonais, l’espagnol, l’asturien, le galicien et le portugais (ou, en termes génétiques, le galégo-portugais), ne remontent pas, selon l’état actuel de nos connaissances, à une protolangue intermédiaire spécifique ; ils ne forment donc pas une branche de l’arbre phylogénétique roman. Dès lors, même quand un étymon ne présente de continuateur dans aucun des parlers de l’Ibérie, il ne s’ensuit pas qu’il était inconnu des variétés de protoroman italo-occidental parlées dans la péninsule. On peut donc partir du principe que dans les cas réunis ci-dessous, les pertes lexicales en question sont en principe intervenues à époque idioromane. La reconstruction de protorom. */arˈiet-e/ s.m. ‘mouton mâle apte à la reproduction, bélier’ (cf. Buchi/Hernández Guadarrama/Khomiakova/Patel/ Yesmakhanova/Akka 2019 in DÉRom s.v.) s’appuie sur des cognats relevés en roumain, en italien, en romanche, en français, en francoprovençal et en occitan. La méthode de la reconstruction comparée ne permet donc d’attribuer cet éymon, pour lequel aucun continuateur sarde n’est connu, qu’au stade du protoroman continental. Toutefois, comme */arˈiet-e/ est hérité du proto-indo-européen, une reconstruction en quelque sorte interne permet de le postuler pour la strate du protoroman commun (ou protoroman stricto sensu) déjà (cf. section 2 du commentaire de l’article). L’absence de continuateurs sur la péninsule Ibérique est donc à considérer comme un phénomène secondaire. Ce phénomème est-il intervenu dans les différents parlers de la péninsule à époque idioromane ? Il serait alors parallèle au déclin d’afr. aroi et d’aocc. aret face au type bélier (dérivé d’afr. belin, d’origine néerlandaise, cf. von Wartburg 1968 in FEW 15/1, 90b–93a, BELLE). Les auteurs de l’article privilégient l’hypothèse d’une concurrence, puis d’une sélection dès le protoroman (sans doute italo-occidental) régional (cf. section 4.2 du commentaire). Si aucun critère ne semble permettre de trancher de façon définitive dans un sens ou dans l’autre, les concurrents victorieux de */arˈiet-e/ en territoire ibéroroman sont bien connus : il s’agit d’une part de */marˈron-e/ ou */marˈrokk-u/ (cf. occit. marre, gasc. maar, cat. marrà, arag. mardano, aesp. marueco, aport. maroco), d’origine préromane, d’autre part d’esp. carnero et port. carneiro, que Meyer-Lübke in REW3 s.v. caro, -nis et Coromnias et Pascual in DCECH 1, 879–880 considèrent comme des dérivés idioromans, tandis que Machado in DELP3 les rattache à « lat. *carnāriu- ».
140 | Steven N. Dworkin Protorom. */ˈlɔk-u/ s.m. ‘lieu’ (cf. Gouvert 2011–2016 in DÉRom s.v.) s’est maintenu dans la quasi-totalité des parlers romans, mais pas en espagnol, où lugar (< */loˈkal-e/, cf. REW3 s.v. lŏcālis) a évincé à époque idioromane – mais avant que la tradition textuelle ne commence – le continuateur du simple. Il est difficile de mettre la main sur la raison de cette disparition. Corominas et Pascual in DCECH 3, 710 émettent l’hypothèse que la collision homonymique du substantif *luego avec luego adv. ‘ensuite’ (< */ˈlɔk-o/, cf. REW3 s.v. lŏco) aurait entraîné la perte de celui-là. Mais cette homonymie n’a pas empêché la coexistence du substantif et de l’adverbe logo en ancien portugais : la différence syntaxique et fonctionnelle des deux homonymes aurait réduit au minimum la possibilité de confusion dans le discours. Protorom. */ˈprεti-u/ s.n. ‘prix’ (cf. Groß 2015/2016 in DÉRom s.v.) ne connaît pas de continuateur en espagnol : « Esp. precio et ast. preciu ne sont pas héréditaires : “tomado por vía semiculta del lat. prĕtĭum” (DCECH 4, 631 ; cf. aussi REW3 et DGLA). Pour ce qui est d’aesp. prez s.m./f. ‹gloire›, que MeyerLübkeGRS 1, § 156, 509 et von Wartburg in FEW 9, 374b considèrent à tort comme un cognat des données ici réunies, il s’agit d’un occitanisme (cf. Kasten/Cody ; DCECH 4, 631) » (DÉRom s.v. */ˈprεti-u/ n. 8).
Là encore, il s’agit d’une perte intervenue à époque idioromane : l’issue originelle *preço aura cédé le pas au latinisme precio (et, secondairement, à l’occitanisme prez ‘estime ; valeur ; mérite’). Jusqu’ici, aucun spécialiste n’a réussi à expliquer de façon convaincante pourquoi l’espagnol a opté pour un emprunt au latin aux dépens du lexème héréditaire. Protorom. */ˈʊnɡ-e-/ v.tr. ‘oindre’ (cf. Celac 2014 in DÉRom s.v.) ne connaît pas de continuateur espagnol ; esp. ungir est un latinisme (cf. DCECH 5, 715). L’espagnol connaît surtout le verbe untar, que Meyer-Lübke in REW3 s.v. ŭnctum considère comme un dérivé idioroman, tandis que Corominas et Pascual in DCECH 5, 715 y voient, avec plus de probabilité, une issue de */ˈunk-t-a-/. Quoi qu’il en soit, on peut penser que la raison de la perte de */ˈʊnɡ-e-/ en domaine espagnol est due au moins en partie à un conflit homonymique avec le continuateur de */ˈiʊnɡ-e-/ v.tr. ‘joindre’ (cf. REW3 s.v. jŭngĕre), aesp. unzir ~ uñir (> esp. uncir). Pour terminer, nous mentionnerons deux cas problématiques. En effet, le statut héréditaire des lexèmes espagnols et portugais qui pourraient constituer des continuateurs de protorom. */ˈɡrass-u/ adj. ‘gras ; fertile’ (cf. Dworkin/ Maggiore 2014–2016 in DÉRom s.v.) et */ˈrankid-u/ adj. ‘rance’ (cf. Dworkin/ Maggiore 2014–2016 in DÉRom s.v.) soulève des questions. À première vue, on pourrait penser que toutes les branches romanes présentent des cognats qui
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conduisent à la reconstruction de ces bases. Néanmoins, la documentation tardive d’esp. graso et rancio, dans des traductions de la fin du 14e siècle de sources catalanes et aragonaises, suggère la possibilité d’emprunts orientaux. De façon semblable, port. grasso ne se trouve pas avant la deuxième moitié du 16e siècle, et c’est un lexème rare, ce qui nous a amené (Dworkin 2015, 358) à proposer d’y voir un emprunt à l’espagnol. Au Moyen Âge, port. ranço ne se documente qu’une seule fois, dans les Cantigas de Santa Maria, un texte poétique du 13e siècle dans lequel un emprunt à l’ancien occitain ne surprendrait pas. Néanmoins, ranço suit les évolutions phonétiques qu’on attendrait de la base */ˈrankid-u/ : nous devons conclure que le statut héréditaire de ces deux lexèmes espagnols et portugais est une question qui reste ouverte.
6 Conclusion Ce chapitre n’offre qu’une approche provisoire aux problèmes posés par la perte lexicale dans le domaine du lexique héréditaire roman. Il se base sur un échantillon limité des étymons reconstruits dans le cadre du projet DÉRom, et ses analyses et conclusions restent forcément partielles. Jan Reinhardt (2016) avait introduit le concept de « constellation géolinguistique » en décrivant sur la base des données du DÉRom des filiations lexicales récurrentes entre groupes de variétés romanes. L’analyse de Reinhardt est fondée sur des issues des bases protoromanes qui se sont maintenues ; ce chapitre s’en distingue en s’intéressant aux constellations géolinguistiques créées par les pertes lexicales qui se sont produites entre l’époque du protoroman commun et l’époque historique (documentée) de chaque variété romane. La plupart des spécialistes en étymologie et lexicologie diachronique romanes ont négligé le phénomène de la perte lexicale. Ce chapitre se proposait d’illustrer la valeur analytique de l’étude de la perte lexicale à l’échelle panromane pour raffiner notre application de la méthode comparative aux faits romans et pour mieux comprendre la vitalité et le dynamisme des processus du changement lexical.
7 Bibliographie Blasco Ferrer, Eduardo, Storia linguistica della Sardegna, Tübingen, Niemeyer, 1984. Buchi, Éva/Schweickard, Wolfgang (edd.), Dictionnaire Étymologique Roman (DÉRom). Genèse, méthodes et résultats, Berlin/Munich/Boston, De Gruyter, 2014.
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1.5 Lexique héréditaire et perte lexicale | 143
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Jean-Paul Chauveau
1.6 Reconstruire la polysémie en protoroman ? 1 Introduction Les remarques qui suivent, et qui font suite à de précédentes réflexions autour de la reconstruction sémantique conduites dans le cadre du DÉRom (Buchi 2012 ; Chauveau 2014 ; 2016), sont nées au cours de la révision des articles réunis dans ce volume avant leur publication, soit que les reconstructions sémantiques aient paru trop restreintes au vu de la riche ramification romane, soit que, au contraire, le polysémisme retenu pour le protoroman y ait semblé forcé. Les discussions avec les auteurs de ces articles ont, selon les cas, abouti à des aménagements ou bien, dans les cas où il n’a pas été possible d’arriver à un consensus entre rédacteur et réviseur, au maintien des propositions initiales. C’est dire qu’on ne dispose pas encore d’une solution universellement valable et que, pour essayer de déterminer des règles susceptibles de guider les choix, il est nécessaire de s’imposer un examen soigneux sur un certain nombre de cas litigieux. Il faut distinguer la reconstruction sémantique d’étymons protoromans dépourvus d’un corrélat en latin écrit de l’Antiquité (des “étymons non attestés” selon la terminologie classsiquement employée en linguistique romane), comme en étymologie indo-européenne (ci-dessous 2), et celle d’étymons disposant d’un corrélat en latin écrit de l’Antiquité (des “étymons attestés” dans la terminologie traditionnelle), comme c’est le cas de la plupart des unités du lexique des idiomes romans, qui remontent en général à des étymons protoromans dont le corrélat du latin écrit de l’Antiquité est bien représenté dans la documentation qui a survécu (ci-dessous 3). La méthode à suivre est a priori la même. La seule différence est qu’on doit, dans le second cas, s’astreindre méthodologiquement à reconstruire l’étymon à partir des cognats romans, sans tenir aucun compte, au départ, de ce qu’on sait de son corrélat (correspondant) dans le latin écrit de l’Antiquité, quant à sa forme, son sens et ses emplois. On reconstruit sa forme en appliquant strictement les régularités des évolutions phonétiques aux cognats des parlers romans. Le plus souvent on aboutit à un point de départ unitaire pour tous les cognats ; dans les cas plus complexes, on est obligé de supposer plusieurs points
|| Jean-Paul Chauveau, ATILF (CNRS/Université de Lorraine), B.P. 30687, F-54063 Nancy Cedex, [email protected]. https://doi.org/10.1515/9783110654264-006
146 | Jean-Paul Chauveau de départ concurrents dont les relations pourront ou non être expliquées par la linguistique tant romane que latine. Pour la reconstruction sémantique, la procédure aboutit dans le cas le plus simple à un sémème unitaire, mais assez souvent les cognats ont connu un riche développement sémantique, au sein duquel il faut faire des choix. C’est là que commencent les difficultés. Les langues romanes, du fait que la connaissance et la pratique du latin n’ont jamais cessé dans certains milieux, ont connu divers processus de relatinisation. Les lexèmes héréditaires ont été concurrencés, parfois mêmes supplantés, par des emprunts au latin. C’est le phénomène des doublets, du type hôtel/hôpital (cf. en dernier lieu Python 2015), qui se comptent par centaines et qui se dénoncent d’euxmêmes le plus souvent. Mais un autre type de relatinisation a affecté le sémantisme de nombreuses unités lexicales romanes, et celui-ci est beaucoup plus insidieux. Le bilinguisme des clercs médiévaux et leur pleine conscience, très souvent, de l’équivalence du mot roman et de son étymon latin a pu les entraîner à calquer l’emploi du roman en latin, ce qui en faisait du latin de cuisine, et, inversement, du latin en roman, ce qui donnait du plus haut style et donc des chances pour le lexème de s’implanter en roman avec ce nouveau sens. En outre, les langues romanes ne sont pas de purs conservatoires, et pendant le long millénaire de leur existence elles ont largement innové, notamment sur le plan sémantique. La reconstruction est couramment confrontée au problème de déterminer jusqu’où faire remonter la polysémie constatable dans les différents idiomes romans. Et l’on peut voir par quelques-uns des articles rassemblés dans ce recueil que la méthode à suivre se cherche encore.
2 Étymons non dotés d’un corrélat en latin écrit La simplicité invite à examiner d’abord le cas des séries de cognats romans dont l’étymon protoroman ne connaît pas de corrélat en latin écrit de l’Antiquité. Cette nouvelle tranche du projet DÉRom offre quelques cas d’étymons sans correspondance dans la documentation du latin de l’Antiquité, qui sont donc à considérer, au sein du latin global, comme des particularismes de l’oral. Les cas des emprunts du protoroman à une autre langue qui n’en a pas livré de documentation non plus de son côté sont particulièrement intéressants dans ce contexte. La question d’une resémantisation d’origine savante ne se pose pas dans un tel cas ; il suffit donc d’examiner l’ensemble des sens de toute la documentation romane pour les hiérarchiser et déterminer ce qui relève des développements idioromans à partir du ou des sémème(s) originel(s).
1.6 Reconstruire la polysémie en protoroman ? | 147
2.1 */molˈton-e/ Cela concerne par exemple protorom. */molˈton-e/ (cf. Buchi/Chepurnykh/ Gotkova/Hegmane/Mikhel 2019 in DÉRom s.v.), un régionalisme dépourvu de corrélat en latin écrit de l’Antiquité. Seul le latin médiéval fournit des attestations, et leur variation formelle indique que ce sont autant d’emprunts aux langues romanes déjà constituées. Les données romanes, sans aucune équivoque, imposent un point de départ */molˈton-e/. Mais le mot est connu, dans les langues romanes qui en possèdent des cognats, sous trois sens : ‘mouton mâle apte à la reproduction, bélier’, ‘mouton mâle non apte à la reproduction, du fait de la castration’ et ‘animal de ferme à poil bouclé et herbivore que l’on élève pour sa laine et sa chair (Ovis aries L.), mouton’. Protorom. */molˈton-e/ peut donc en théorie avoir été aussi bien la dénomination générique de cette espèce animale que celle du mâle reproducteur ou celle du mâle non reproducteur. Une telle variété a toutefois peu de chances d’être originelle : il est très peu probable qu’un seul vocable ait pu dénommer un individu unique, le mâle reproducteur du troupeau, en même temps que tous les membres du troupeau, mâles et femelles, adultes et jeunes. Il convient alors d’interroger les données pour distinguer les éventuels sens secondaires du sens primaire, et – question centrale dans notre contexte –, pour départager le(s) sens attribuable(s) à l’étymon (i.e. le[s] sens protoroman[s]) et les sens qui se sont éventuellement développés dans les différents idiomes romans (i.e. les sens idioromans). Chacun des sens constatés n’a pas la même expansion. Tandis que le sens ‘bélier’ couvre le nord de l’Italoromania, la Galloromania et le catalan, le sens générique est limité à la Galloromania. Et ce terme – strictement géographique : rappelons que le DÉRom n’assigne pas au « galloroman » le statut de protolangue intermédiaire – est encore trop extensif, car il faut faire une analyse pondérée des matériaux. Sur la carte 886, ‘(un troupeau) de moutons’, de l’Atlas linguistique de la France (ALF), le type ˹mouton˺ règne à travers tout l’espace, avec, de ci de là, quelques aires éparses où l’on rencontre les types ˹brebis˺, ˹ouaille˺, ˹feye˺, c’est-à-dire des désignations originelles de la femelle adulte, et un type générique ˹aver˺ (< */ˈaβ-e-/, cf. REW3 s.v. habēre). La situation est fondamentalement différente si l’on se tourne vers les atlas linguistiques régionaux, qui se sont donné pour but de récolter des matériaux authentiques, en évitant autant que possible l’enquête par traduction à partir de la métalangue des relevés dialectaux, en l’occurrence le français. Par exemple, les deux atlas français du domaine francoprovençal excluent que le sens générique de mouton soit autochtone dans leur domaine. Le commentaire de la carte 716, ‘mouton’, de l’Atlas linguistique et ethnographique du Jura et des Alpes du Nord (ALJA) affirme à propos du mot-titre : « Ce mot contrairement au français ne sert pas de collectif.
148 | Jean-Paul Chauveau Il peut désigner un mouton châtré ou la viande de mouton ». L’Atlas linguistique et ethnographique du Lyonnais (ALLy), quant à lui, adjoint à la liste 313*, ‘(un troupeau de) moutons’, un commentaire sans ambiguïté : « Les réponses que nous avons enregistrées nous ont montré que, malgré la carte 886 de l’ALF, qui a partout une forme patoise de mouton, la plus grande partie de notre domaine parle de troupeau de brebis et non de troupeau de moutons (parce que, en fait, ce sont des brebis qu’on élève). […] Cependant dans quelques localités on nous a donné : troupeau de moutons, réponse calquée peut-être sur la question française ».
Ce sens générique n’est donc pas francoprovençal, mais décalqué du français. Pour le nord-occitan, l’Atlas linguistique et ethnographique du Massif Central (ALMC) comporte une carte 485, ‘l’espèce ovine’, qui rassemble les dénominations génériques aver, fedun, lanat, bestia de lana, ou bien la dénomination de la femelle, et parmi lesquelles il n’y a que deux attestations isolées de [muˈtu]. De plus, celles-ci ne se rencontrent que dans la locution [lu truˈpɛl dǝ muˈtu], qui est exactement le même calque du français troupeau de moutons qu’en francoprovençal. Ces quelques comparaisons, jointes à l’absence de cartes de la dénomination générique dans le reste du domaine occitan, suffisent à montrer que le sens générique pour mouton est un phénomène qui est propre au français, d’où il a pu se répandre ici ou là dans les autres parlers de France : son explication est à chercher en français plutôt qu’en protoroman. Ce sens générique, propre au français, est vraisemblablement né dans le lexique des consommateurs plutôt que dans celui des éleveurs. Les étals des bouchers ne vendent, à se fier aux étiquettes, que du mouton et de l’agneau, comme du bœuf et du veau ou du porc et du porcelet, mais jamais de brebis, ni de vache, ni de truie. Le substantif mouton a d’abord dénommé la chair des ovins, comme l’anglais mutton (vs. sheep), pour les consommateurs qui, dans une évolution ultérieure, en ont fait le nom générique des ovins. Si l’on examine le lexique des producteurs, qui sont les fournisseurs de la boucherie, dans une zone où l’élevage ovin est resté traditionnel, on peut faire une constatation intéressante. Les cartes 514 et 515, ‘ovins suivant âge’, de l’Atlas linguistique et ethnographique du Languedoc occidental (ALLOc) listent des dénominations des ovins d’un an, de deux ans, de trois ans et de quatre ans qui sont différenciées selon le sexe des animaux. Les dénominations masculines et féminines sont générales pour les ovins d’un an, mais les masculines deviennent plus rares pour les ovins de deux ans, rarissimes (quatre exemples seulement) pour ceux de trois ans et exceptionnelles (un seul exemple) pour ceux de quatre ans. Les troupeaux d’ovins sont essentiellement constitués de brebis, qui sont gardées tant qu’elles peuvent agneler, tandis que les mâles châtrés sont vendus aux bouchers dès
1.6 Reconstruire la polysémie en protoroman ? | 149
qu’ils ont atteint l’âge adulte. Voilà qui justifie, par la dominance, l’emploi de ˹mouton˺ comme terme de boucherie et celui de ˹troupeau de brebis˺ par les éleveurs. Il est totalement exclu d’attribuer le sens générique ‘mouton’ à protorom. */molˈton-e/ : ce sens ne représente qu’un usage secondaire, une généralisation à partir du lexique des professionnels de la production de viande, les éleveurs et les bouchers. Il ne reste plus pour le protoroman que les sens de ‘mouton mâle apte à la reproduction, bélier’ et ‘mouton mâle non apte à la reproduction, du fait de la castration’, puisque le sens générique est une modalité secondaire issue de ce dernier sens en français, donc à époque idioromane, avec diffusion secondaire, pour des raisons sociolinguistiques évidentes, en occitan et en gascon. Le point commun entre les sens ‘bélier’ et ‘bélier castré’, qu’on doit retenir pour le protoroman, est ‘ovin adulte de sexe mâle’, et c’est ce sens qui peut être postulé pour le stade antérieur. La fixation de la dénomination générique sur le reproducteur ou sur l’animal de boucherie est fonction des configurations lexicales propres aux différents idiomes, selon que s’est maintenu ou non protorom. */arˈiet-e/ (cf. Buchi/Hernández Guadarrama/Khomiakova/Patel/ Yesmakhanova/Akka 2019 in DÉRom s.v. et REW3 s.v. aries, -ēte/arēte) ou bien que se sont implantées de nouvelles dénominations (cf. DÉRom s.v. */arˈiet-e/, commentaire 4.2 ; REW3 1200 s.v. Widder). L’intérêt de cette reconstruction du sens primitif comme ‘ovin adulte de sexe mâle (de plein exercice ou d’exercice empêché)’ est que celui-ci convient également au prototype celtique (cf. IEEDCeltic s.v. *molto-). Cet exemple illustre la nécessité de dégager le sens primitif des sens développés secondairement, pour établir avec sécurité le point de départ sémantique, de même que les règles d’évolution phonétique permettent de restituer la forme initiale.
2.2 */ˈrusk-a/ On peut aussi assigner à cette opération de reconstruction sémantique un rôle plus complexe, comme l’illustre le cas de protorom. */ˈrusk-a/, un emprunt au gaulois (cf. Buchi/Abbass/Daloz/Dilubenzi/Kneib/Lee/Pierrot/Zenia 2019 in DÉRom s.v.). Le corrélat du latin écrit de l’Antiquité de ce lexème protoroman n’est attesté que très tardivement (en 512/515), sous la forme rusca. On partira de l’article du FEW (cf. von Wartburg 1962 in FEW 10, 581a–586a, RŪSCA), qui, encore maintenant, fournit le recueil le plus vaste et le plus structuré des données issues
150 | Jean-Paul Chauveau de cet étymon. Le tableau des sens pris par le vocable dans les idiomes parlés sur le territoire de l’ancienne Gaule, qu’il est bien sûr impossible de faire remonter tous au prototype, s’y organise en quinze subdivisions : ‘écorce d’arbre’ (I 1 a α), ‘tan’ (I 1 a β), ‘ruche d’abeilles’ (I 1 b α a’), ‘carcasse de bateau’ (I 1 b α b’ α’), ‘nasse pour la pêche’ (I 1 b α b’ β’), ‘bande plissée d’étoffe’ (I 1 b α b’ γ’), ‘corbeille’ (I 1 b β), ‘forme à fromage’ (I 1 b γ), ‘cuvier à lessive’ (I 1 b δ a’), ‘tonneau’ (I 1 b δ b’), ‘mesure de grains’ (I 1 b ε), ‘châssis de meule de moulin’ (I 1 b ζ), ‘traîneau’ (I 1 b η), ‘morve’ (I 1 b θ) et ‘carcasse de porc’ (I 1 b ι). Une solution pourrait être de focaliser la recherche sur les sens les plus anciennement attestés, notamment ceux qui sont documentés dès l’époque médiévale : ‘écorce d’arbre’ (12e siècle), ‘ruche d’abeilles’ (13e siècle), ‘corbeille’ (13e siècle), ‘mesure de grains’ (13e siècle) et ‘tan’ (14e siècle), et de laisser à l’arrière-plan ceux qui ne sont pas documentés avant l’époque moderne – ‘carcasse de bateau’ (17e siècle) et ‘nasse pour la pêche’ (17e siècle) – et surtout ceux qu’on ne retrouve pas avant l’époque contemporaine : ‘bande plissée d’étoffe’ (19e siècle), ‘forme à fromage’ (19e siècle), ‘cuvier à lessive’ (19e siècle), ‘morve’ (19e siècle), ‘carcasse de porc’ (19e siècle), ‘tonneau’ (20e siècle), ‘châssis de meule de moulin’ (20e siècle) et ‘traîneau’ (20e siècle). Toutefois, choisir l’ancienneté comme critère décisif, c’est peut-être accorder trop d’importance à la mise par écrit de dénominations d’objets techniques. Si l’on prend en compte le nombre de cognats romans concernés, on obtient un tableau différent. Par exemple, le sens ‘cuvier à lessive’, attesté depuis le 19e siècle seulement, se retrouve, pour le simple ou des dérivés, en occitan de France et de Calabre, en gascon et en aragonais : une telle convergence ne peut pas être un effet du hasard. D’autre part, les datations sont déterminées par les relevés qui ont été faits dans les ouvrages lexicographiques. De nouveaux relevés sont susceptibles de reculer l’apparition de certains sens. Par exemple, le sens de ‘carcasse de bateau’ n’est documenté jusqu’ici que depuis 1643, par un des premiers dictionnaires de marine. Mais le hasard des documents permet d’en produire un exemple de 1408 : Item, lesd. officiers de mad. dame sont contraires à eulx mesmes par la forme et maniere qu’ilz ont esploicté ou fait dud. vaisseau, car ilz ne voulirent riens demander en la ruche dud. vaisseau (Cartulaires des Sires de Rays, DMF s.v. ruche3). Ce sens technique est donc déjà d’époque médiévale. Il est préférable de dresser un tableau selon l’organisation sémantique interne des attestations : I. ‘écorce d’arbre’ II.1. Sens hyponymiques : ‘écorce d’arbre du genre quercus, écorce de chêne ; tan’ ; ‘écorce d’arbre du genre quercus suber, écorce de chêne-liège ; objet en liège’
1.6 Reconstruire la polysémie en protoroman ? | 151
II.2. Sens métonymiques : ‘objet confectionné originellement en écorce’ : ‘forme à fromage’, ‘ruche d’abeilles’, ‘cuvier à lessive’1 II.3. Sens métaphoriques : ‘contenants artificiels’, tels que ‘mesure de grains’, ‘corbeille’, ‘carcasse de bateau’, ’nasse pour la pêche’ ; ‘contenants naturels’, tels que ‘carcasse de porc’, ‘balle de céréale’, ‘gousse’ etc.
Cela permet de relier l’ensemble des sens attestés à un point de départ unique, en n’éliminant que les sens tertiaires comme ‘bande d’étoffe plissée ou froncée qui sert à accompagner et décorer une pièce de vêtement’ (dp. 1818, TLF s.v. ruche), qui est une métaphore sur la base du sémème ‘gaufre de cire constituée d’alvéoles remplis du miel que fabriquent les abeilles, rayon de miel’ (FEW 10, 582ab), ou bien des étymologisations erronées, comme la section I 1 b θ « Rotz u.ä. » (‘morve’ et similaires) : « Berr. reuche f. ‘morve’ RD, Allier rüš (ALF 1857 p 902, 903), Varennes ruche, Uchon rheuche. Ablt. Allier rüšœ adj. ‘morveux’ (p 902), rüšu (p 903). – Tarn rusco ‘crasse sur la peau d’un animal’. Aveyr. ‘croûtes de lait d’un enfant’ » (FEW 10, 584a).
Ces données sont à joindre à ang. russe s.f. ‘humeur sécrétée par la muqueuse nasale et qui pend au nez par gouttes, roupie’, centr. reuche, Bourbon, Varennes ruche et leurs congénères et dérivés, d’origine inconnue (FEW 21, 419b, ‘roupie’). La procédure retenue n’intègre ainsi pas seulement quelques sémèmes sélectionnés selon leur plausible ancienneté, mais tient compte de toutes les potentialités développées par le sémème initial. L’intérêt spécifique d’un tel examen global envisagé sous l’angle des figures de langue intervenant dans le développement sémantique, c’est qu’il se prête à la comparaison, l’outil méthodique cardinal de la grammaire comparée. Puisqu’il s’agit d’une pièce rapportée dans le lexique protoroman, on peut comparer */ˈrusk-a/ s.f. ‘écorce d’arbre’ à son synonyme non marqué au sein du latin global, à savoir protorom. */ˈkɔrtik-e/ ~ lat. cortex, de formation interne au latin (cf. Ernout/Meillet4 et IEEDLatin s.v. cortex). Cela a pour principal avantage de mettre en évidence une structuration semblable entre celle établie ci-dessus et celle que l’OLD donne à l’article cortex, -icis s.m./f. : 1. ‘the outer covering of a tree, bark’ ; b ‘a piece of bark’ 2. (spec.) ‘the bark of the cork-tree, cork’ ; b ‘a piece of cork used as a float by swimmers or for supporting nets’ ; c ‘a piece of cork used as a stopper for a jar, a cork’
|| 1 Cf. Krüger (1939, 333–339), où on découvrira, à propos de ce dernier instrument, « wie erst vom Standpunkt der sachlichen Anschauung aus die Geschichte der Wörter die notwendige Aufhellung erhält » (ibid. 333).
152 | Jean-Paul Chauveau 3. ‘the tough outer coating of anything’ : a ‘the skin or rind (of a fruit), the husk (of grain), etc.’ b ‘the shell (of an egg)’ ; ‘the carapace of a turtle, etc.’ c ‘the chrysalis (of an insect)’
Non seulement l’ensemble des sens attestés dans les parlers romans se rattache à un unique sémème originel, ‘enveloppe détachable du bois d’un arbre, écorce’, mais la structuration sémantique de l’étymon, emprunté du gaulois, s’accorde parfaitement avec celle de son synonyme de formation latine. Cette double caractéristique permet de comprendre que */ˈrusk-a/ a entièrement suppléé */ˈkɔrtik-e/ dans une vaste région de la Romania italo-occidentale : d’une certaine manière, un signifiant s’est substitué à un autre, la structure sémantique restant inchangée. Il est utile de reconstituer toute la gamme sémantique, parce qu’elle permet de reconnaître toutes les potentialités du point de départ, qui sont les mêmes que celles du synonyme non marqué cortex. Cet emprunt préroman n’a pas été introduit pour dénommer une réalité nouvelle, ni pour véhiculer seulement l’un des sens déjà couverts par cortex, mais cette dénomination régionale italo-occidentale a totalement supplanté la dénomination latine originelle, au sens prototypique aussi bien que dans les instanciations secondaires ou éventuellement ultérieures de celui-ci.
3 Étymons dotés d’un corrélat en latin écrit 3.1 Deux options possibles A priori, la méthode à suivre doit être la même pour les séries de cognats romans dont l’ancêtre commun connaît un corrélat en latin écrit de l’Antiquité qui appartient au lexique latin le plus commun. C’est parfaitement le cas lorsque la relation entre une unité lexicale latine et ses continuateurs romans n’a encore jamais été établie. Les études romanistiques ont rendu ce cas de figure de plus en plus rare, sans toutefois l’éliminer. Mais le plus souvent le corrélat en latin écrit de l’étymon est parfaitement connu, et bien décrit par la lexicographie latine. Le romaniste ne peut pas faire comme s’il ignorait le latin, et il ne peut pas s’empêcher de voir tous les liens entre roman et latin. Mais le latin est resté langue d’enseignement et langue du culte jusqu’à l’époque contemporaine, et les différents idiomes romans n’ont pas cessé de faire des emprunts lexicaux au latin. Le non-respect des régularités de l’évolution phonique dénonce de manière totalement sûre les emprunts formels, mais les règles catégoriques pour identifier les emprunts sémantiques (calques) font défaut. On peut voir que, dans ces conditions, les pratiques varient selon que les auteurs décident que la seule certitude soutenable est le sens non figuré porté par un ensemble de
1.6 Reconstruire la polysémie en protoroman ? | 153
continuateurs réguliers d’un étymon protoroman ou bien qu’ils admettent que, dans certaines conditions, des sens figurés observables dans les différents parlers romans peuvent être reconstruits en protoroman.
3.2 Le choix du monosémisme 3.2.1 */ˈβɪrd-e/ Le sens chromatique ‘qui est d’une couleur semblable à celle des feuilles au printemps, vert’ de protorom. */ˈβɪrd-e/ (cf. Dworkin/Baudinot 2018–2019 in DÉRom s.v.) est poursuivi dans tous les idiomes romans. Mais des sens figurés, tels que ‘non mûr’, ‘sans expérience’, ‘non réalisé’ et ‘vigoureux’, y sont aussi attestés, dès l’époque médiévale pour certains parlers, de même que la documentation latine de l’Antiquité connaît des sens figurés comparables. Il n’est pas impossible, pour ceux de ces sens qui sont les plus communs et les plus anciennement attestés, qu’il y ait une continuité depuis le protoroman jusqu’aux langues romanes contemporaines. Mais il est de fait qu’il y a une symbolique des couleurs largement partagée entre les langues européennes, romanes et non romanes, qui fait penser que de tels emplois figurés peuvent aussi bien être des permanences que des recréations idioromanes : en une ou deux décennies, à peu près tous les mouvements et partis politiques d’Europe attachés à la défense de la nature ont pris comme emblème la couleur verte et l’ont intégrée à leurs dénominations. De ce fait, les données n’imposent nullement la reconstruction protoromane d’un quelconque sens figuré pour */ˈβɪrd-e/. Celle-ci reste seulement possible et donc, pour respecter la méthodologie, les auteurs de l’article y ont renoncé.
3.2.2 */ˈβen-a/ Une autre façon de faire est de reconstituer un sémème originel susceptible de convenir à différentes réalités, comme celui proposé pour protorom. */ˈβen-a/ s.f. : ‘conduit filiforme (notamment sanguin), veine’ (cf. Groß/ Schweickard 2018–2019 in DÉRom s.v.). Le sens anatomique est présent dans tous les idiomes romans, et la formulation de la définition lui donne pour ainsi dire la préséance, mais celle-ci assure, dès le départ, l’existence potentielle de sens apparentés par des métaphores, tels ‘filet d’eau souterrain’ ou ‘filon de métal’, comme en attestent différents parlers romans très tôt, aussi bien que le latin écrit de l’Antiquité. La permanence de la connaissance du latin, de même
154 | Jean-Paul Chauveau que le fait que des langues non romanes affectent à un même signifiant le sens anatomique et de tels sens figurés (cf. all. Ader s.f. ‘vaisseau sanguin ; prédisposition ; nervure d’une feuille ; nervure tubulaire d’un insecte ; filet coloré et sinueux formant un dessin dans le bois ; filon de métal’, Duden), ne permettent pas de trancher entre héritage protoroman et développements idioromans. À la différence des auteurs de l’article */ˈβɪrd-e/, qui renoncent à attribuer au lexème protoroman des sens figurés, les auteurs de celui-ci en laissent ouverte la possibilité.
3.3 Le choix du polysémisme 3.3.1 */ˈruɡ-i-/ Deux sens, ‘émettre un bruit fort et menaçant (d’un fauve), rugir’ et ‘produire un bruit rauque et puissant (d’une chose), gronder’, sont distingués pour protorom. */ˈruɡ-i-/ (cf. Groß 2019 in DÉRom s.v. et Celac ici 6–18), l’ancêtre commun d’une petite série de cognats limitée à quelques idiomes de la Romania italo-occidentale (italien, français, aragonais, espagnol et asturien). Ce bisémantisme est général et précoce partout où le type lexical est attesté. Le parallélisme est censé exclure des métaphores indépendantes, d’autant plus que le corrélat en latin écrit de l’Antiquité de protorom. */ˈruɡ-i-/ connaît également ces deux sémèmes, même si, comme le précise le commentaire, « le lexème n’est devenu usuel qu’en latin chrétien et s’est diffusé à partir de la Vulgate et des écrits de saint Jérôme ». Il faut toutefois bien constater qu’un parallélisme sémantique semblable se rencontre pour les verbes latins grundīre/grunnīre (OLD) ou ululāre (OLD), par exemple, de même que pour leurs continuateurs romans (cf. REW3 s.v. grŭndīre/*grunjare ; ŭlŭlāre/*ŭrŭlāre ; von Wartburg 1947 in FEW 4, 290a–293b, GRŬNDĪRE ; 1957 in FEW 14, 13a–15b, ŬLŬLARE), qui peuvent se dire du comportement d’animaux, de choses ou d’humains. La fréquence de tels parallélismes ne contribue pas à les ancrer au départ des verbes romans, dans la protolangue. On a un même parallélisme avec les verbes fr. bramer, cat. esp. port. bramar, qui se disent à la fois du cri de quelques animaux (bœuf, âne, cerf etc.) et du bruit de la mer ou du vent (cf. REW3 s.v. BRAMMŌN ; von Wartburg 1969 in FEW 15/1, 240a–242b, *BRAMMÔN). Il est sûr que l’emploi à propos du déchaînement des éléments est métaphorique et secondaire, et il est possible que le développement de ce sens soit indépendant dans les différents idiomes romans, comme c’est sûr pour le français, où le latinisme mugir v.intr. a le même bisémantisme, et dans les deux cas tardivement (cf. Jänicke 1966 in FEW 6/3, 191b–192a, MŪGĪRE II), en
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renouvellement d’afr. muire v.intr. ‘mugir (d’un animal) ; retentir (du tonnerre)’ (BrendanW 50, 60). La même motivation a pu donner lieu à des formations parallèles et isolées telles que, par exemple, vén. (Garda) baiâr v.abs. ‘hurler longtemps (en parlant du vent qui avance sur le lac)’ (Schweickard/Lupis/Pfister 1993 in LEI 4, 414, *BAII 1 b) à partir d’it. baiar v.abs. ‘émettre son cri (en parlant d’un chien), aboyer’ (LEI 4, 406, *BAI- I 1 a) dans le domaine italoroman, ou encore, en domaine galloroman, fr. burler v.impers. ‘faire une violente tempête de neige’ (rég., DRF s.v.), burle s.f. ‘vent violent et froid, qui souffle en tempête du nord ou du nordouest, balayant en congères la neige qui tombe et la neige au sol, caractéristique des hauts plateaux du Velay, du Vivarais et du Pilat’ (rég., ibid.), qui dépendent de frpr. occit. burlá v.intr. ‘pousser son cri (en parlant d’un bovidé), beugler’ (cf. Lagueunière 2006, 9). Si des idiomes peuvent développer indépendamment et, parfois, à plusieurs reprises des innovations sémantiques parallèles, la certitude du maintien d’un bisémantisme de la protolangue s’en trouve fragilisée. Comme on a pu le voir, les articles */ˈβɪrd-e/, */ˈβen-a/ et */ˈruɡ-i-/ adoptent trois stratégies différentes de reconstruction sémantique. En l’absence de preuves indubitables qu’on soit fondé à faire remonter les sens figurés au protoroman, ou bien on s’en tient strictement au monosémisme, ou bien on accorde au protoroman un sémème potentiellement porteur du polysémisme ultérieur, ou, enfin, on attribue au protoroman, en plus du sens premier, le point de départ des sens figurés les plus largement documentés dans les idiomes romans.
3.3.2 */ˈker-a/ Avec l’article */ˈker-a/ (cf. Cadorini 2019 in DÉRom s.v.), on voit même tenter une reconstruction plus diversifiée. Le commentaire de l’article caractérise la procédure qui a été suivie par rapport à celle qui règne dans les dictionnaires étymologiques par son opposition au monosémisme que ceux-ci attribuent à l’étymon. L’article, en effet, distingue du sens primaire ‘substance sécrétée par les abeilles pour bâtir l’intérieur de la ruche, cire (d’abeille)’ un sens métonymique : ‘appareil cylindrique aux parois en cire d’abeille dont la flamme sert pour éclairer les alentours’, et des sens métaphoriques : ‘sécrétion des glandes sébacées des oreilles de l’homme, cérumen (cire d’oreille)’ et ‘sécrétion sur le bord des paupières de l’homme, chassie’. La reconstruction jusqu’au protoroman de ces sens s’appuie essentiellement sur le nombre des cognats romans et sur leur dispersion à travers tout l’espace roman.
156 | Jean-Paul Chauveau Toutefois, il faut bien reconnaître que la documentation historique des dénominations métaphoriques est tardive et même, le plus souvent, récente, et que des dénominations concurrentes leur sont antérieures, comme it. cerume (dp. ca 1698, LEI 13, 985, CĒRA I 1 a [classé à tort parmi les dérivés]) et fr. cérumen (dp. 1762, TLF ; FEW 2, 597a), empruntés de latméd. cerumen, -inis s.n. ‘id.’ (1275, W. de Saliceto, Ars chirurgica, MltWb) : on peut imaginer que le type ˹cire˺ était le terme que les médecins utilisaient dans leurs interactions avec les patients, réservant it. cerume, fr. cérumen, esp. cerumen (dp. 1728, « derivado culto de cera », DCECH 2, 40) et leurs correspondants à la communication entre spécialistes. Au sens de ‘cierge’, les issues de */ˈker-a/ ne représentent qu’une dénomination secondaire qui n’a nulle part réussi à éliminer les continuateurs de */ˈker-i-u/, dérivé de */ˈker-a/, dans ce même sens (cf. REW3 s.v. cēreum ; von Wartburg 1939 in FEW 2, 604b–605a, CĒREUS ; Cascone 2014 in LEI 13, 1105–1109, CĒREUS II 1 b), et relèvent pour une bonne part du vocabulaire ecclésiastique, dont le latin est resté la langue d’usage en Europe occidentale jusqu’à l’époque contemporaine. Or, latchrét. cera s.f. ‘cierge’ (dp. Lactance [déb. 4e s. apr. J.-Chr.], TLL 3, 853) s’est maintenu en latin médiéval mérovingien et carolingien (Niermeyer/VanDeKieft), d’où il a très bien pu être emprunté. Pour ces deux types de sens figurés, la continuité depuis le protoroman reste ainsi fragile : il pourrait s’agir de réimplantations, précoces ou tardives, sous l’influence de la langue ecclésiastique ou médicale.
4 À la recherche de critères Il est parfois possible de dépasser ces pratiques optionnelles. Il faut pour cela disposer d’autres configurations, où la comparaison permet de mettre au jour des arguments décisifs.
4.1 La comparaison à l’intérieur de la famille lexicale : */ɪnˈβit-a-/ Il suffit quelquefois de ne pas limiter la reconstruction à un seul vocable de la protolangue, mais de l’étendre à d’autres unités de la famille lexicale en cause. Les parallélismes ou les concurrences et les remodelages apportent des informations qui permettent de sortir de l’indécision. Meyer-Lübke in REW3 s.v. invītāre n’accorde au verbe latin que le sens de ‘prier (qn) de venir en un lieu ou de prendre part à (qch.), inviter’ (« einladen »),
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mais après la liste de ses issues romanes, un commentaire indique que presque partout le verbe signifie ‘provoquer, défier’, ‘enchérir (au jeu)’ et que, pour distinguer les deux sens, le sens primitif a été confié à un nouveau préfixé [*]CONVITARE (« das Verbum bedeutet fast überall ‘herausfordern’, ‘bieten’ (im Spiele), für die lat. Bedeutung ist CONVITARE 2200 eingetreten »). Semblablement, von Wartburg 1952 in FEW 4, 802b, ĬNVĪTARE n’accorde que le sens de ‘inviter’ à l’étymon et attribue aux parlers galloromans le développement de la gamme sémantique (‘engager à [qch.]’, ‘exciter à faire [qch.]’, ‘provoquer’, ‘défier [qn] au jeu’ etc.). Le panorama roman (cf. Knoll 2018–2019 in DÉRom s.v. */ɪnˈβit-a-/) manifeste que le sens de ‘agir sur (qn) pour qu’il fasse (qch.)’ – ou une spécification de celui-ci en termes de jeu telle que ‘faire monter le prix (de qch.), enchérir’ ou ’mettre (une somme d’argent) en enjeu, miser’ – est attesté dans onze idiomes, du roumain au portugais, c’est-à-dire dans l’ensemble des parlers attestant le sens ‘inviter’ à l’exception de l’istriote et de l’aragonais, de même qu’en ladin et en portugais. Une telle convergence ne peut pas être traitée comme le résultat d’autant d’évolutions idioromanes indépendantes. D’autre part, la reconstruction d’un synonyme (partiel) de */ɪnˈβit-a-/, */konˈβit-a-/ ‘inviter’ (cf. Knoll 2019 in DÉRom s.v.), se recommande sur la base de dix cognats romans (sarde, italien, français, occitan, gascon, catalan, aragonais, espagnol, asturien, galégo-portugais). Protorom. */konˈβit-a-/ est issu par greffe préfixale de */ɪnˈβit-a-/, et sa fortune peut être attribuée à l’ambiguïté sémantique de ce dernier. Une si vaste diffusion et si ancienne (elle est attestée presque partout dès le 12e ou le 13e siècle) doit représenter une formation précoce, donc clairement protoromane. Comme le dit l’auteur de l’article */ɪnˈβit-a-/, « l’application de la méthode comparative à cette famille lexicale invite à rompre avec la vision monosémique de son étymon et à postuler l’existence d’un sens secondaire ‘agir sur (qn) pour qu’(il) fasse (qch.), inciter’ dès le protoroman ». En termes de latin global, on remarquera que le corrélat en latin écrit de l’Antiquité de */ɪnˈβit-a-/, lat. invito, atteste aussi le sens secondaire : « i. q. excitare, hortari, provocare, instigare » (dp. Térence [163 av. J.-Chr.], TLL 7/2, 230-231). Le verbe */ɪnˈβit-a-/ a donc connu dès le protoroman deux sens. La meilleure preuve en est leur dualité conflictuelle, qui a provoqué des conséquences précoces et durables. Dans ce cas précis, la reconduction au protoroman du polysémisme des données romanes n’est plus seulement plausible, la précocité visible de ses répercussions à l’intérieur de la famille lexicale permet de l’assurer.
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4.2 La comparaison intra-romane : */ˈbalti-u/ Comme on l’a dit, le développement d’un polysémisme semblable parallèlement dans plusieurs idiomes romans n’est pas une rareté. Ce fait peut faire douter de la nécessité de reconstructions polysémiques, mais il peut aussi, à l’inverse, la conforter. Dans une première rédaction, l’article */ˈbalti-u/ (cf. Crifò 2019 in DÉRom s.v.) regroupait deux sémèmes extrêmement divergents : ‘objet circulaire dont la fonction consiste à fixer quelque chose’ et ‘rocher escarpé dominant une dépression’. Tels qu’ils sont décrits, ces deux sémèmes n’ont, à première vue, aucun point commun. Le premier de ces sens (‘objet circulaire dont la fonction consiste à fixer quelque chose’) était donné comme le sémème qui se réalise dans un certain nombre de parlers romans par des sens étroitement spécialisés : – ‘bande placée autour de la taille (notamment pour maintenir un vêtement), ceinture’ ; – ‘pièce d’étoffe légère dont les mariées se couvrent la tête, voile de mariée’ ; – ‘pièce d’étoffe dont se coiffent les vieilles femmes, fichu’ ; – ‘corde que l’on met aux jambes des animaux pour limiter leur déplacement, entrave’ ; – ‘palissade végétale utilisée pour protéger ou diviser un terrain, clôture’ ; – ‘espèce de corde utilisée pour soulever des poids ou des marins sur un navire’ ; – ‘botte de céréales coupées et liées, gerbe’ ; – ‘ensemble de menues branches liées en faisceau, fagot’ ; – ‘cordon étroit utilisé pour attacher quelque chose, lacet’ ; – ‘bande de cuir ou d’étoffe passée sur l’épaule qui permet de fixer ou de porter un objet, bretelle de porte-faix’. L’essentiel des réalités dénommées sont des objets destinés à entourer et lier des parties du corps des humains ou des animaux domestiques, ou pour enclore un espace ou encore pour soulever des fardeaux. Les sens ‘gerbe’ et ‘fagot’ sont des sens métonymiques : ‘ce qui lie’ > ‘ce qui est lié’. Il y a une cohérence globale de cet ensemble. La reconstruction ne peut aller plus loin qu’une approximation, mais, dans cette version, elle était cependant plus précise que n’y oblige la communauté des sens romans. Comme toutes les dénominations se réfèrent à des objets, il est probable que le primitif concernait un objet. Mais que celui-ci ait été ‘circulaire, en forme de cercle’, rien ne contraint de le supposer. Que la ceinture ou le fichu ou l’entrave, par exemple, soient disposés autour des parties du corps
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humain ou animal pour les enserrer, il ne s’ensuit pas que ce seraient des objets circulaires : c’est la disposition qu’on leur donne qui est circulaire. Si ce sème ‘circulaire’ a été introduit dans la définition du primitif, on imagine que ce fut pour organiser la structuration avec l’autre sens primitif, ‘rocher escarpé dominant une dépression’, celui-ci étant mis en relation, suite à von Wartburg 1923 in FEW 1, 227a, BALTEUS, avec lat. balteus s.m. ‘large allée servant de palier dans les amphithéâtres, pourtour’ (dp. 1er s. apr. J.-Chr., TLL 2, 1712), peut-être par rapprochement avec it. circo s.m. ‘cercle, ceinture (d’une montagne, d’une paroi rocheuse, d’un arbre)’ (Cascone 2016 in LEI 14, 729, CIRCUS II 1), frm. cirque ‘plaine de forme plus ou moins circulaire creusée dans les flancs d’un massif montagneux’ (TLF). Le commentaire indiquait que ce second sémème, limité à l’italien, l’occitan et le catalan, était secondaire par rapport au premier, qui concerne aussi la zone italo-occidentale, mais englobe en plus le domaine roumain. Et ce nouveau sens était traité « comme une métaphore lexicalisée de type ‘objet circulaire’ > ‘espace circulaire’ », dénommant, dans le lexique des montagnards, des configurations de terrains. La meilleure voie pour reconstituer des évolutions sémantiques reste la comparaison. De même que des séries parallèles d’évolutions phoniques permettent d’établir des règles d’évolution, des exemples parallèles de doubles sens permettent d’établir la plausibilité d’un changement de sens. C’est ce qu’avait déjà fait Jaberg (1936, 47–49) pour les représentants de BALTEUS en Italie. Il avait mis en évidence l’existence de types lexicaux utilisés, selon les régions, comme dénominations d’objets vestimentaires ou bien d’une corniche au flanc d’une roche, d’une banquette de gazon entre deux à-pic etc. (cf., par exemple, von Wartburg 1939 in FEW 2, 683ab, CĬNGULA I 2 b et II 1 ; von Wartburg 1931 in FEW 3, 425b, FASCIA II 4 ; Russo/Besse/Hohnerlein 2015 in LEI 14, 353–354, 355, 358, 360, 361, CINGULUM/CINGULA I 11 e, I 2 g, I 21 e, I 3 e et I 4 e). Ce qui caractérise ces objets, qu’il s’agisse de ceintures, de bandes ou de bandelettes, c’est leur longueur opposée à leur étroitesse. Leur forme motive métaphoriquement leur emploi topographique, alors que c’est à l’utilisation de ces accessoires vestimentaires pour attacher et fixer que se rattachent les sens secondaires comme ‘bretelle’, ’ lien de gerbe ’ ou encore ‘corde utilisée pour soulever des poids’. En conséquence, les deux sémèmes sont devenus respectivement : ’accessoire long et étroit utilisé pour lier’ et’ bande de terrain dominant une dépression’ dans la version finale de l’article */ˈbalti-u/. La comparaison romane permet d’articuler de façon assurée les deux sémèmes reconstruits. Il reste à les caler dans le temps. L’ancienneté du sens topographique se déduit 1) de sa dispersion géographique, 2) de la précocité de ses attestations en italien, en occitan et en catalan,
160 | Jean-Paul Chauveau mais aussi 3) de ce que ce sens est porté par les deux formes : I.2. */ˈbalti-a/ s.f. et II.2. */ˈbalti-u/ s.m. qui permettent de reconstituer le prototype comme */ˈbalti-u/ s.n. ’accessoire long et étroit utilisé pour lier ; bande de terrain dominant une dépression’. La conjonction de la reconstruction sémantique et de la reconstruction morphologique permet de faire remonter le sens topographique avant la disjonction formelle, donc de l’attribuer au protoroman. Bien sûr, une semblable métaphore est attestée en latin de l’Antiquité, avec balteus s.m.’ large allée servant de palier dans les amphithéâtres, pourtour’, mais celle-ci ne peut qu’illustrer l’antiquité potentielle de ce type de métaphore, sans toutefois la prouver, car les dénominations topographiques romanes ne lui sont pas liées ; la procédure technique de la reconstruction comparative est donc indispensable.
4.3 La comparaison extra-romane : */ˈkɔrd-a/ On se priverait de ressources utiles en circonscrivant le champ de la comparaison à l’intérieur du domaine roman, comme le montrera l’exemple suivant. L’article */ˈkɔrd-a/ (cf. Schmidt 2018/2019 in DÉRom s.v.) fait remonter cinq sens à l’étymon protoroman : le sens originel ‘intestin d’un animal, boyau’, deux sens métonymiques : ‘tortis de boyau ou d’un autre composant tendu aux extrémités d’un arc pour faire ressort, corde d’un arc’ et ’tortis de boyau ou d’un autre composant tendu sur le corps d’un instrument de musique et qu’on actionne pour produire un son, corde d’un instrument de musique’, et deux sens métaphoriques : ‘tortis de matières souvent textiles servant à attacher (qch.), corde ’ et ‘partie amincie d’un muscle par laquelle celui-ci prend insertion sur un os, tendon’. Ce qui justifie ce choix d’attribuer ces cinq sémèmes au protoroman, c’est la couverture générale du domaine roman documentée depuis les premiers témoignages écrits des différents idiomes romans par ce type lexical pour les quatre sens figurés. Seul le sens originel ‘boyau’ est rare, mais on comprendrait mal qu’il puisse être issu secondairement de l’un ou l’autre des autres sens, tandis que l’inverse est assez clair, puisque l’on sait que les boyaux, à date ancienne, ont été utilisés pour fabriquer des cordes d’instruments de musique ou des cordes d’arcs. La vitalité des sens métonymiques et métaphoriques a étouffé le sens premier dans la quasi-totalité des parlers romans, qui a disparu ou bien s’est cantonné dans des dérivés. Il est de règle de ne pas faire intervenir le latin écrit dans la reconstruction des ancêtres communs des séries de cognats romans. Soit. Mais, puisqu’on se tourne volontiers vers le protoceltique quand le protoroman a emprunté un lexème au gaulois (cf. ci-dessus 2.1 et 2.2), pourquoi serait-il interdit à la reconstruction romane de faire référence à la reconstruction indo-européenne
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pour établir le développement sémantique antérieur à la période romane ? L’Antiquité a connu trois lexèmes apparentés : lat. chorda, gr. χορδή et hitt. karad- ‘intestins’. Le substantif latin est visiblement emprunté au grec (Ernout/Meillet4), mais les lexèmes grec et hittite forment une (petite) série de cognats. Et le latin aussi bien que le grec connaissent le sens de ‘boyau, tripe’ et, par métonymie, des désignations de préparations culinaires qu’on en tirait, ce qui s’accorde avec le sens du correspondant hittite (cf. Chantraine ; TLL 3, 1017). Les langues de l’Antiquité s’accordent sur ce sens anatomique : la reconstruction romane et celle des langues indo-européennes convergent sur un même sémème primitif. Et le sens métonymique de ‘corde d’un instrument de musique’ est bien documenté en latin et en grec, comme en roman. La seule différence entre les sens attestés dans le latin de l’Antiquité (TLL 3, 1017–1019) et ceux reconstruits pour le protoroman est le sens de ‘tendon’. On ne peut pas faire l’économie d’une comparaison intra-romane. Le sémème ‘tendon’ est largement attesté parmi les représentants romans de */ˈkɔrd-a/, mais il l’est tout autant, selon les idiomes, par ceux de */ˈnɛrβ-u/ (cf. REW3 s.v. nĕrvus ; von Wartburg 1953 in FEW 7, 100b–103b, NĔRVUS) et */ˈnɛrβ-i-u/ (cf. REW3 s.v. nĕrvium ; von Wartburg 1953 in FEW 7, 100a, NERVIUM). Il est nécessaire de reconstituer l’histoire de cette concurrence onomasiologique. La comparaison indo-européenne indique nettement que nervus est la dénomination latine originelle, étant donné ses cognats en grec, en avestique et en sanscrit (cf. Ernout/Meillet4 ; Chantraine ; Pokorny). Qu’elle ait été concurrencée dès l’Antiquité par le type */ˈkɔrd-a/ ne peut être exclu, étant donné la synonymie avec lat. nervus ‘tendon ; corde d’instrument ; corde d’arc’, mais il est douteux que l’extension de */ˈkɔrd-a/ au sens de ‘tendon’ se soit maintenue en concurrence avec la dénomination originelle, conservée à travers la majeure partie de l’espace roman, de la période protoromane jusqu’à l’époque contemporaine. Il est vraisemblable que l’introduction dans la langue commune à partir du Moyen Âge, pour les représentants de */ˈnɛrβ-u/ et */ˈnɛrβ-i-u/, du sens propre à la langue médicale de lat. nervus s.m. ‘chacun des filaments qui mettent les diverses parties du corps en communication avec le cerveau et la moelle épinière, nerf’ a perturbé la situation. Cette concurrence sémantique à l’intérieur des parlers romans aura favorisé les représentants de */ˈkɔrd-a/, d’autant plus facilement que latméd. chorda s.f. ‘nerf ; tendon’ est attesté du 9e au 13e siècle (cf. MltWb). D’ailleurs, les attestations des représentants de */ˈkɔrd-a/ ‘tendon’ ne remontent pas plus haut que la fin du 13e siècle. Les comparaisons intra-romane et extra-romane convergent : les dénominations romanes primaires du tendon sont en continuité avec celles de l’Antiquité, et elles ont été concurrencées secondairement par les représentants de */ˈkɔrd-a/, dont
162 | Jean-Paul Chauveau l’ancrage au sens de ‘tendon’ n’a sûrement pas connu en protoroman l’extension qu’il a prise par la suite dans les langues romanes. La décision d’un éventuel protoroman */ˈkɔrd-a/ ‘tendon’ ne pourra donc se faire que par la comparaison avec les articles */ˈnɛrβ-u/ ‘tendon’ et */ˈnɛrβ-i-u/ ‘tendon’, dont on peut recommander la rédaction dans une prochaine phase du projet DÉRom.
5 Conclusion Il est possible que la reconstruction de polysèmes en protoroman reste indécise dans bon nombre de cas, étant donné la survie savante du latin et l’imbrication entre les langues communes et la langue des clercs. La rigueur méthodologique commande de ne pas forcer les données et de laisser ouverte la possibilité d’un polysémisme, en indiquant qu’on n’a pas trouvé d’argument décisif pour faire remonter à la période protoromane tel ou tel sens figuré, malgré sa fréquence ou sa dispersion spatiale. La comparaison fournit cependant des éléments importants pour éclairer les choix. Les lexèmes sont rarement isolés et appartiennent à des familles lexicales qu’il est utile d’envisager globalement, car il y a des relations internes à la famille qui peuvent être utiles pour la reconstruction étymologique lorsqu’on peut démontrer leur précocité. Semblablement, l’examen de la concurrence onomasiologique à l’intérieur des langues romanes est une ressource indispensable pour la reconstruction. Enfin, la reconstruction romane est focalisée sur une étape de l’histoire linguistique. Mais celle-ci prend la suite de l’étape antérieure, la reconstruction indo-européenne, avec laquelle elle a partie liée et qui peut lui fournir des éléments éclairants (cf. Garnier 2016). L’élargissement du champ de la comparaison peut apporter des éléments décisifs que ne peut atteindre une reconstruction étroite qui se limiterait au seul type lexical dont on veut établir l’étymon.
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Yan Greub
1.7 Comment toucher la synonymie en protoroman ? 1 Introduction Les articles lexicographiques du Dictionnaire Étymologique Roman (DÉRom), en plus de leur apport individuel, peuvent contribuer à notre connaissance du fonctionnement des parlers romans par la comparaison qu’on peut établir entre eux ; dans ce chapitre, nous essaierons d’utiliser les articles parus comme matériel pour servir à l’étude de la synonymie en protoroman. Parmi ces articles se trouvent un certain nombre de couples (et deux triplets et un quadruplet) de synonymes. Ils sont assez nombreux pour présenter plusieurs configurations différentes, qui seront décrites ici, mais pas assez nombreux pour que l’on puisse déterminer dans quelle mesure les observations générales que nous serons amené à exposer peuvent être généralisées à l’histoire de la synonymie romane dans son ensemble. Les articles parus jusqu’à présent exposent, pour certains d’entre eux, les conclusions que leur synonymie complète ou partielle avec un autre étymon invite à tirer sur l’histoire de leur développement. Nous commencerons par rassembler les descriptions des cas particuliers,1 avant d’en extraire des observations transversales.
2 Les cas de synonymie dans la partie publiée du DÉRom 2.1 */arˈiet-e/ et */molˈton-e/ Protorom. */arˈiet-e/ s.m. ‘mouton mâle apte à la reproduction’ (cf. Buchi/Hernández Guadarrama/Khomiakova/Patel/Yesmakhanova/Akka 2019 in || 1 Sauf indication contraire, ces descriptions reposent entièrement sur les matériaux et les commentaires des articles publiés du DÉRom. || Yan Greub, ATILF (CNRS/Université de Lorraine), B.P. 30687, F-54063 Nancy Cedex, [email protected]. https://doi.org/10.1515/9783110654264-007
166 | Yan Greub DÉRom s.v.) s’oppose à */molˈton-e/ s.m. ‘mouton mâle apte à la reproduction ; mouton mâle non apte à la reproduction’ (cf. Buchi/Chepurnykh/Gotkova/ Hegmane/Mikhel 2019 in DÉRom s.v.) par le sémantisme et par la répartition géographique. L’opposition sémantique porte principalement sur le couple ‘châtré’/‘non châtré’. Protorom. */molˈton-e/ étant très limité dans son extension géographique et l’ayant toujours été (il s’agit d’un emprunt au gaulois, qui ne s’est pas étendu au-delà des Gaules cisalpine et transalpine), la concurrence entre ces deux étymons n’existe que dans les territoires anciennement gaulois (auxquels il faut ajouter quelques extensions). En Gaule et dans le reste de la Romania, */arˈiet-e/ est en concurrence avec d’autres lexèmes, non discutés ici, qui sont souvent eux aussi d’origine pré-romane ; il en ressort que la concurrence entre les deux lexèmes remonte probablement au moment même de la diffusion du latin en Gaule. L’opposition sémantique entre les deux vocables a plusieurs aspects : monosémie de */arˈiet-e/ contre bisémie de */molˈton-e/ (dont une seule unité lexico-sémantique constitue un synonyme de */arˈiet-e/) ; répartition des deux unités dans une opposition sémantique entre les sens ‘châtré’ et ‘non châtré’ ; liaison entre la différenciation sémantique et une répartition diastratique. Sur ce dernier aspect, l’article */arˈiet-e/ note que le besoin d’une désignation propre pour l’ovin mâle non châtré n’est fort que là où le référent est très présent, c’est-à-dire dans les communautés où les bergers jouent un rôle majeur ; le besoin de distinguer l’animal châtré et l’animal non châtré par l’emploi de deux lexèmes distincts a donc des chances d’être rapidement limité à des couches diastratiques étroites. Le sens ‘animal élevé pour sa laine et sa viande, mouton’ semble être limité à */molˈton-e/, et est analysé ici comme un développement idioroman (et endémique) sur la base du sens ‘mouton châtré’ ; dans ce cas encore, */molˈton-e/ serait associé à un référent plus fréquent et pour lequel le besoin de disposer d’une désignation serait moins limité diastratiquement. Dans l’évolution de sa répartition avec ses synonymes, et en particulier avec */molˈton-e/, */arˈiet-e/ se démontre récessif. Selon les idiomes envisagés, sa présence est limitée géographiquement, ou il n’apparaît plus qu’indirectement, en particulier suite à des spécialisations sémantiques.
2.2 */asˈkʊlt-a-/ et */esˈkolt-a-/ Protorom. */asˈkʊlt-a-/ v.tr. ‘percevoir volontairement par la voie auditive ; accueillir avec faveur (les paroles de qn)’ (cf. Schmidt/Schweickard 2010–2016 in DÉRom s.v.) et */esˈkolt-a-/ v.tr. ‘id.’ (cf. Schmidt/Schweickard 2010–2014 in DÉRom s.v.), parfaitement synonymes, se distinguent par leur répartition dans
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l’espace. Le premier, en */as-/, est presque général et ne manque (sauf en végliote) qu’en occitan, gascon et catalan ; le second, en */es-/, est limité aux parlers romans de la Gaule et de l’Ibérie (il progresse dans cette dernière). Ce dernier est de formation plus récente, et issu du premier ; là où il s’implante, il n’élimine pas toujours celui-ci, mais cette élimination a eu lieu dans la région la plus proche du foyer de l’innovation, la Narbonnaise.
2.3 */doˈl-or-e/ et */ˈdɔl-u/ À de rares exceptions près, */doˈl-or-e/ s.m. ‘douleur’ (cf. Morcov 2019 in DÉRom s.v.) et */ˈdɔl-u/ s.n. ‘douleur ; (manifestation de) deuil ; compassion’ (cf. Morcov 2014–2019 in DÉRom s.v.) se trouvent partout dans la Romania, et sont donc partout en concurrence. Quoi qu’il en soit de leur apparentement étymologique effectif, les deux unités sont perçues comme liées morphologiquement ; cette proximité est évidente pour l’ensemble des idiomes romans à haute époque, et pour une partie d’entre eux au moins encore à une date plus tardive. La répartition entre les deux unités se fait souvent, dans les idiomes historiques, sur une opposition sémantique. Au niveau protoroman, on est amené à reconstruire une diversité sémantique nettement plus grande pour */ˈdɔl-u/ s.n. ‘sensation pénible dans une partie du corps, douleur physique ; état d’âme pénible dû à des circonstances objectives, douleur morale ; affliction provoquée par la mort d’un être chéri, deuil ; signes extérieurs de l’affliction provoquée par la mort d’un être chéri, manifestation de deuil ; sentiment qui rend sensible au malheur d’autrui, compassion’ que pour */doˈl-or-e/ s.m. ‘sensation pénible dans une partie du corps, douleur physique ; état d’âme pénible dû à des circonstances objectives, douleur morale’. Le premier, qui est le plus riche sémantiquement, est presque absent de la documentation écrite latine, malgré la date de formation très ancienne que peut lui attribuer la reconstruction ; il se manifeste donc comme appartenant à une couche diastratique restreinte et basse, puisqu’il n’a pu dépasser l’oral qu’exceptionnellement. Cette opposition entre les deux unités dans leur positionnement diastratique n’a cependant pas de conséquence visible dans leur répartition dans la documentation historique.
2.4 */ɪnˈβit-a-/ et */konˈβit-a-/ Protorom. */ɪnˈβit-a-/ v.ditr. ‘prier (qn) de venir en un lieu ou de prendre part à (qch.) ; agir sur (qn) pour qu’(il) fasse (qch.)’ (cf. Knoll 2018/2019 in DÉRom s.v.) est synonyme, pour son sens ‘inviter’, de */konˈβit-a-/ (cf. Knoll 2019 in DÉRom
168 | Yan Greub s.v.). Le deuxième sens reconstruit pour le protoroman, ‘inciter (qn) à faire (qch.)’, repose sur une grande diversité sémantique dans les cognats romans, dont le sens tourne autour de ‘défier’, ‘enchérir au jeu’ ou encore ‘pousser (qn) à une action plus téméraire que celle qu’il accomplirait normalement’. Dans ses deux sens, */ɪnˈβit-a-/ est récessif, durant le deuxième millénaire surtout. Son élimination se fait par la concurrence avec */konˈβit-a-/ et par celle d’emprunts à lat. invitare. Au départ, les deux synonymes ont sans doute été différenciés sociolinguistiquement. Dans leur concurrence, */konˈβit-a-/ a dû être favorisé par le sens de son préfixe, renforçant celui de l’unité lexicale, ainsi que par sa monosémie, face à la bisémie de */ɪnˈβit-a-/.
2.5 */ˈlaβ-e/ ~ */ˈlaβ-a/ et */s-per-ˈlaβ-a-/ Protorom. */ˈlaβ-e/ ~ */ˈlaβ-a/ v.tr. ‘nettoyer (qch./qn) avec de l’eau ou un autre liquide’ (cf. Grande López/Maggiore 2016 in DÉRom s.v.), deux types synonymiques traités dans un article unique, et */s-per-ˈlaβ-a/ v.tr. ‘nettoyer à fond (qch./qn) avec de l’eau ou un autre liquide’ (cf. Maggiore 2016 in DÉRom s.v.) sont reliés par leur quasi-synonymie. La relation entre les deux types simples est de synonymie stricte (mais cf. ci-dessous), tandis qu’il semble possible de reconstruire un sens différent pour le préfixé, dont les continuateurs signifient cependant majoritairement ‘laver’. La répartition géographique entre les deux types simples s’interprète sûrement comme une opposition entre types récessif et extensif ; il paraît aussi assuré qu’ils remontent chacun à une haute Antiquité. L’histoire du latin montre qu’ils ont connu une opposition valencielle, non reconstructible toutefois pour le protoroman, état de langue pour lequel il faut les considérer comme strictement synonymes. Protorom. */s-per-ˈlaβ-a-/ est une formation régionale entrant dans une petite série d’unités partagées par le roumain et l’Italie méridionale (la Sicile y est ici comprise). Le sens compositionnel qu’on peut attribuer à l’unité lexicale reconstruite, sur la base de la valeur d’intensification expressive de la préfixation (‘laver à fond’), est attesté en sicilien ; sa reconstruction n’est cependant pas complètement assurée, car elle n’est pas le seul point de départ possible pour les sens conservés, qui se répartissent principalement entre ‘laver’, ‘laver à fond’ et ‘rincer’. Ce dernier sens, par exemple, pourrait être attribué à l’étymon si l’on renonçait à donner à sa préfixation une valeur expressive. Le commentaire propose une histoire sémantique dans laquelle, sur la base de la distinction originelle, */s-per-ˈlaβ-a-/ aurait d’abord perdu sa différence sémantique spécifique par rapport au simple, avant que la coexistence avec ce dernier provoque une restriction secondaire à des sens spécialisés et liés à des
1.7 Comment toucher la synonymie en protoroman ? | 169
aspects particuliers de la vie matérielle (et simultanément à une dispersion sémantique). En roumain, c’est à l’inverse le simple, limité à des emplois diastratiquement marqués, qui aurait perdu son statut de lexème central.
2.6 */ˈmɛrul-a/ et */ˈmɛrl-u/ Protorom. */ˈmɛrul-a/ s.f. ‘oiseau ayant un plumage sombre et un bec fort et arqué qu’on connaît pour son chant (Turdus merula L.), merle’ (cf. Albrecht 2016 in DÉRom s.v.) et */ˈmɛrl-u/ s.m. ‘id.’ (cf. Albrecht 2016–2019 in DÉRom s.v.) sont non seulement synonymes, mais dans un rapport morphologique étroit. La concurrence d’un féminin en */-a/ et d’un masculin en */-u/ pour désigner l’oiseau remonte à une haute Antiquité (elle est déjà signalée par Varron), et correspond au départ à une distinction diastratique, le masculin étant condamné et restreint à un registre plus bas, tandis que le féminin semble être une unité non marquée. Le statut légitime du masculin est gagné tardivement. La répartition géographique des types */ˈmɛrul-a/, */ˈmɛrl-a/ (type évolué de ce dernier, cf. */ˈmɛrul-a/ II.) et */ˈmɛrl-u/ conduit à analyser */ˈmɛrl-u/ comme dérivé directement de la forme syncopée */ˈmɛrl-a/, tandis qu’il n’y a pas d’argument en faveur de la reconstruction d’une protoforme **/ˈmɛrul-u/ non syncopée. L’existence de ces divers types se réalise dans une concurrence, sur une partie du domaine, entre les formes en */-u/ et en */-a/ ; la régularisation au profit de l’une ou de l’autre est un processus plus tardif, qui se joue au niveau idioroman. Dans les parlers romans, */ˈmɛrl-u/ est d’extension plus restreinte que ses concurrents. On ne reconstruit pas d’autre sens en protoroman.
2.7 */ˈmɔnt-e/ et */monˈt-ani-a/ Les continuateurs de */ˈmɔnt‑e/ s.m. ‘importante élévation de terrain, montagne’ (cf. Celac 2010–2014 in DÉRom s.v.) et */monˈt‑ani‑a/ s.f. ‘territoire caractérisé par d’importantes élévations du terrain, région montagneuse ; importante élévation de terrain, montagne’ (cf. Celac 2010–2014 in DÉRom s.v.) restent coprésents dans une large part de la Romania durant une longue période. Les deux items se distinguent d’une part par leur sémantisme, */monˈt‑ani‑a/ ajoutant à son sens commun avec */ˈmɔnt‑e/ (‘montagne’) un autre sens (‘région montagneuse’), d’autre part par leur positionnement diastratique, */monˈt‑ani‑a/ étant, à haute époque, propre à la variété basse. Dans la plupart des idiomes romans, la proximité sémantique entre les deux unités a conduit à une résolution de leur concurrence par l’élimination de l’une d’elles. La conservation par
170 | Yan Greub l’italien d’une opposition sémantique entre ‘région montagneuse’ et ‘montagne’ apparaît comme une exception.
2.8 */ˈnap-u/ et */ˈrap-u/ Protorom. */ˈnap-u/ s.m. (cf. Delorme 2011–2019 in DÉRom s.v.) et */ˈrap-u/ s.n. (cf. Delorme 2013–2019 in DÉRom s.v.) désignent tous deux le navet (Brassica rapa subsp. rapa L.). Les termes de la concurrence entre les deux unités sont décrits complètement dans les commentaires aux deux articles : */ˈrap-u/ est récessif face à */ˈnap-u/ extensif ; */ˈrap-u/ tend à prendre d’autres sens, tandis que son concurrent est plus stable sématiquement. La concurrence entre les deux items peut se résoudre par l’élimination de l’un d’eux (*/ˈrap-u/ dans la Romania orientale ; */ˈnap-u/ dans la Romania centrale) : l’autre conserve alors normalement le sens ‘navet’. Les deux unités peuvent aussi se maintenir ; dans ce cas, c’est */ˈnap-u/ qui conserve le sens ‘navet’, tandis que */ˈrap-u/ prend un sens soit métaphorique (‘baudroie’, ‘queue’), soit générique (‘rave’). Protorom. */ˈrap-u/ s.n. a subi une recatégorisation et une remorphologisation ; il est représenté par deux types : */ˈrap-u/ s.m. et */ˈrap-a/ s.f., présents ensemble dans le nord de l’Italie et dans le Frioul (ici avec une répartition sémantique secondaire) et répartis sinon dans la Romania centrale et orientale. Il y a donc là une deuxième synonymie, sous-ordonnée à l’opposition */ˈnap-u/ – */ˈrap-u/.
2.9 */ˈprɛst-a-/, */ɪm-ˈprɛst-a-/, */ɪm-ˈprumut-a-/ et */ˈkred-e-/ Les quatre vocables */ˈprɛst-a-/ v.intr./ditr. ‘être assez valable pour servir (à qn/qch.) ; mettre (qch.) à la disposition (de qn) pour un temps déterminé’ (cf. Maggiore 2014 in DÉRom s.v.), */ɪm-ˈprɛst-a-/ v.ditr. ‘mettre (qch.) à la disposition (de qn) pour un temps déterminé’ (cf. Maggiore 2014 in DÉRom s.v.), */ɪm-ˈprumut-a-/ v.ditr. ‘obtenir (qch.) (de qn) pour un temps déterminé ; mettre (qch.) à la disposition (de qn) pour un temps déterminé’ (cf. Maggiore 2014–2016 in DÉRom s.v.) et */ˈkred-e-/ v.tr./ditr. ‘tenir (qch.) pour vrai ; considérer (qn) comme digne de foi ; mettre (qch.) à la disposition (de qn) pour un temps déterminé’ (cf. Diaconescu/Delorme/Maggiore 2014 in DÉRom s.v.) entretiennent des rapports croisés de synonymie. Nous nous intéressons ici aux sens ‘mettre à la disposition de, prêter’ (reconstructible pour les quatre unités) et ‘obtenir pour un temps déterminé, emprunter’ (reconstructible pour */ɪm-ˈprumut-a-/ et attesté
1.7 Comment toucher la synonymie en protoroman ? | 171
pour certains continuateurs de */ɪm-ˈprɛst-a-/). On note qu’il s’agit de sens opposés réciproquement. Le sens ‘emprunter’ de */ɪm-ˈprɛst-a-/ n’est connu qu’en Gaule : il s’agit d’un développement sémantique récent et idioroman, par influence paronymique de */ɪm-ˈprumut-a-/ ; là où il s’est développé, il a éliminé le sens originel. À peu près au moment où apparaît ce sens nouveau de */ɪm-ˈprɛst-a-/ disparaît en Gaule le sens ‘prêter’ de */ɪm-ˈprumut-a-/. Tardivement, se stabilise donc en Gaule une situation dans laquelle le préfixe */ɪm-/ est associé (dans cette série lexicale) au sens ‘emprunter’. Il est remarquable que cette série de synonymes n’ait pas ou peu de corrélats exacts dans le latin écrit de l’Antiquité. Un corrélat approximatif de */ɪm-ˈprumut-a-/, impromutuare, apparaît très tardivement dans les textes, */ɪm-ˈprɛst-a-/ en est absent, le correspondant de */ˈprɛst-a-/ ne connaît le sens ‘prêter’ que de façon tout à fait secondaire dans un ensemble sémantique beaucoup plus large. Enfin, credere possède bien le sens ‘prêter’ dans le latin écrit de l’Antiquité, mais c’est dans les parlers romans que la présence de ce sens est faible ou inexistante : les auteurs de l’article */ˈkred-e-/ reconstruisent le sens ‘mettre (qch.) à la disposition (de qn) pour un temps déterminé’ pour le protoroman, mais les parlers romans historiques (essentiellement d’Italie et de Gaule) attestent surtout ‘prêter de l’argent à intérêt, faire crédit’ (le TLIO ne connaît que les sens ‘avancer [de l’argent]’ et ‘accorder un délai [pour un paiement]’, et non ‘prêter [un objet]’). Si le sens de départ est bien ce dernier, il faut poser à un moment une spécialisation sémantique qui aura séparé */ˈkred-e-/ des trois autres unités examinées ici. La concurrence entre ces trois dernières peut être décrite ainsi (cf. commentaire de l’article */ɪm-ˈprumut-a-/) : en roumain, */ɪm-ˈprumut-a-/ possède les deux sens ‘prêter’ et ‘emprunter’, tandis que les deux autres unités sont absentes ; ces deux sens sont aussi connus en italien du nord et en romanche, tandis que les parlers de la Gaule tendent à perdre le sens ‘prêter’, qu’ils ont d’abord connu. Dans la plupart des variétés romanes (sauf le roumain et le végliote, qui n’ont de continuateurs d’aucune de ces unités, et le français, abordé ci-dessus), le sens ‘prêter’ est exprimé aussi bien par */ˈprɛst-a-/ que par */ɪm-ˈprɛst-a-/. Les parlers de l’Italie du nord et le romanche associent les trois items au sens ‘prêter’. On en déduit qu’anciennement les trois unités ont coexisté, avant que les différents parlers développent des solutions différentes à cette concurrence originelle : généralisation de */ɪm-ˈprumut-a-/ (roumain), coexistence de */ˈprɛst-a-/ et */ɪm-ˈprumut-a-/ avec spécialisations sémantiques (parlers de la Gaule), marginalisation (parlers de l’Italie et romanche) ou disparition complète (végliote, istriote, parlers de l’Ibérie) de */ɪm-ˈprumut-a-/.
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2.10 */ˈtrɛm-e-/, */ˈtrɛm-ul-a-/ et */s-treˈm-e-sk-e-/ Au rapport synonymique entre le type de base */ˈtrɛm-e-/ v.intr. ‘trembler ; avoir peur’ (cf. Maggiore 2015–2019 in DÉRom s.v.), son dérivé par suffixation */ˈtrɛm-ul-a-/ v.intr. ‘id.’ (cf. Maggiore 2015–2019 in DÉRom s.v.) et son dérivé par préfixation (et infixation flexionnelle) */s-treˈm-e-sk-e-/ v.intr./tr./pron. ‘trembler ; s’effrayer’ (cf. Maggiore 2015/2016 in DÉRom s.v.) s’en ajoute un autre, qui concerne le type de base et le préfixé et implique des changements flexionnels (*/ˈtrɛm-a-/, cf. */ˈtrɛm-e-/ II. ; */s-treˈm-i-sk-e-/, cf. */s-treˈm-e-sk-e-/ II.), et un troisième, qui touche le seul type de base et dépend d’une variation sur la consonne initiale (*/ˈkrɛm-e-/, cf. */ˈtrɛm-e-/ III. ).2 La situation de concurrence est donc notablement complexe, et implique des unités et des types étroitement apparentés. Le type originel */ˈtrɛm-e-/ a été attaqué de deux côtés, par */ˈtrɛm-ul-a-/ d’une part et par */ˈtrɛm-a-/, sa variante flexionnelle, probablement influencée elle-même par */ˈtrɛm-ul-a-/, d’autre part. Sous sa forme de base, il est nettement récessif, tandis que */ˈtrɛm-ul-a-/ a fini par devenir le type dominant. Quant à */s-treˈm-e-sk-e-/, dans l’ensemble sémantico-valenciel classé sous I.1. et II.1. (v.intr. ‘trembler ; s’effrayer’), pour lequel il est en concurrence avec les deux autres unités lexicales envisagées, il est récessif, ou présent sous la forme de témoignages isolés, et l’on peut se demander s’il n’a pas toujours été minoritaire par rapport à ses concurrents.
3 Observations transversales Les cas présentés ci-dessus conduisent à essayer de reconnaître quelques régularités, qui touchent en particulier : – les rapports entre la synonymie et la polysémie d’un des participants au moins au couple (ou triplet ou quadruplet) synonymique (3.1) ; – la concurrence, dans les ensembles synonymiques, entre des types étroitement reliés entre eux, en particulier un simple et un affixé, des formations parallèles sur une base commune ou des paronymes (3.2) ; – la direction des changements sémantiques, vers une distinction plus nette ou vers une indistinction (3.3) ;
|| 2 Ce type français, occitan et gascon est vraisemblablement dû à un croisement avec un lexème gaulois. La forme particulière de sa différenciation avec le type de base est donc due à une cause spéciale.
1.7 Comment toucher la synonymie en protoroman ? | 173
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la liaison de ces différentes caractéristiques avec le caractère récessif ou expansif des participants à la relation synonymique (3.4) ; les conditions du maintien d’une opposition synonymique (3.5).
Nous nous interrogerons enfin sur la durée des tendances évolutives, ou en d’autres termes sur le rythme des évolutions observables au niveau roman (3.6).
3.1 Synonymie et polysémie Sur les dix ensembles (essentiellement des paires) synonymiques observables dans la partie actuellement publiée du DÉRom, plusieurs présentent des cas de polysémie.3 Les continuateurs de */mol'ton-e/ (cf. ci-dessus 2.1) peuvent posséder le sème ‘non châtré’ ou le sème ‘châtré’, ou encore, à certains moments de leur histoire, aucun des deux (sens ‘mouton mâle’, sans précision). Ces différents sens ont pu vivre en concurrence en un même lieu et au même moment. Les deux sens ne sont cependant pas toujours conjoints, et l’article du DÉRom penche pour un sens premier ‘bélier’ remplacé progressivement (il est récessif) par le sens ‘bélier châtré’. La synonymie avec */ar'iet-e/ n’est donc que partielle, et ne touche qu’un des sens de */mol'ton-e/. Dans le cas de la paire */ˈdɔl-u/ – */doˈl-or-e/ (ci-dessus 2.3), on doit reconstruire pour chacun de ses deux éléments une polysémie, et plusieurs sens sont partagés par les deux vocables. Dans l’histoire de ces unités, la répartition entre elles se fait sur des critères sémantiques, et correspond à une réduction de la polysémie originelle. Protorom. */monˈt-ani-a/ a connu, contrairement à son synonyme */ˈmɔnt-e/ (ci-dessus 2.7), un sens autre que ‘montagne’ : ‘ région montagneuse’, reconstructible pour le protoroman ; la distinction entre les deux sens s’est perdue dans la plupart des langues romanes. On se trouve dans une situation semblable à celle de l’opposition */ar'iet-e/ – */mol'ton-e/ décrite ci-dessus, avec une synonymie seulement partielle, l’un des termes de la paire synonymique possédant seul un sens.
|| 3 Pour la reconstruction de vocables polysémiques en protoroman, cf. le chapitre de Jean-Paul Chauveau dans le présent volume (ici 145–164).
174 | Yan Greub Pour le type */s-per-ˈlaβ-a-/ (ci-dessus 2.5), on ne peut parler de polysémie, celle-ci n’étant pas reconstructible pour l’étymon, mais plus probablement le résultat de développements ultérieurs, en partie d’ailleurs reliés à la concurrence avec */ˈlaβ-e-/ ~ */ˈlaβ-a-/. Le groupe */ˈprɛst-a-/ – */ɪm-ˈprɛst-a-/ – */ɪm-ˈprumut-a-/ – */ˈkred-e-/ (cidessus 2.9) est en concurrence synonymique pour les deux sens ‘prêter’ et ‘emprunter’. Ces deux sens sont présents ensemble pour l’une des unités, */ɪm-ˈprumut-a-/, et la polysémie a été acquise postérieurement dans une partie du domaine roman par les continuateurs d’une autre unité, */ɪm-ˈprɛst-a-/. Les deux autres items connaissent eux aussi une polysémie, mais elle est indépendante du fonctionnement du groupe synonymique. Les deux éléments de la paire */asˈkʊlt-a-/ – */esˈkolt-a-/ (ci-dessus 2.2) partagent les deux sens que le DÉRom reconstruit pour eux en protoroman, ‘percevoir volontairement par la voie auditive’ et ‘accueillir avec faveur (les paroles de qn)’. La polysémie des deux unités n’intervient pas dans l’histoire de leurs rapports, la répartition ne se faisant pas sur un critère sémantique. La paire */ɪnˈβit-a-/ – */konˈβit-a-/ (ci-dessus 2.4) présente un cas de polysémie asymétrique qui rappelle le cas de l’opposition */ar'iet-e/ – */mol'ton-e/, une seule des deux unités reconstruites possédant un second sens. Le cas de */ˈnap-u/ – */ˈrap-u/ (ci-dessus 2.8) est différent, la polysémie de */ˈrap-u/ n’apparaissant que postérieurement au stade protoroman reconstruit, pour lequel l’auteur de l’article admet la monosémie de chacune des deux unités. On a donc un cas semblable à celui de */s-per-ˈlaβ-a-/. Enfin, la dernière opposition synonymique considérée (*/ˈtrɛm-e-/ – */ˈtrɛm-ul-a-/ –*/s-treˈm-e-sk-e-/, ci-dessus 2.10) concerne des unités polysémiques qui partagent toutes deux sens (ou du moins deux sens proches). Dans l’histoire de leur développement, et contrairement à ce que nous venons d’observer pour la paire */asˈkʊlt-a-/ – */esˈkolt-a-/, la différenciation entre ces deux sens a pu jouer un rôle. Au bilan, on observe donc que la nette majorité des ensembles synonymiques examinés est associée à la polysémie d’un de leurs membres au moins, et que dans la plupart des cas cette polysémie connaîtra une évolution liée au rapport synonymique.
3.2 Proximité formelle Plusieurs associations synonymiques regroupent des vocables dont la proximité n’est pas seulement sémantique, mais aussi formelle. On peut distinguer les cas de figure suivants :
1.7 Comment toucher la synonymie en protoroman ? | 175
(a) Les groupes */ˈlaβ-e/ ~ */ˈlaβ-a/ – */s-per-ˈlaβ-a-/ (ci-dessus 2.5), */ˈmɔnt-e/ – */monˈt-ani-a/ (ci-dessus 2.7), */ˈprɛst-a-/ –*/ɪm-ˈprɛst-a-/ (ci-dessus 2.9) et */ˈtrɛm-e-/ – */ˈtrɛm-ul-a-/ – */s-treˈm-e-sk-e-/ (ci-dessus 2.10) associent des simples et leurs dérivés. (b) Les paires */asˈkʊlt-a-/ – */esˈkolt-a-/ (ci-dessus 2.2), */ɪnˈβit-a-/ – */konˈβit-a-/ (ci-dessus 2.4) et */ˈmɛrul-a/ – */ˈmɛrl-u/ (ci-dessus 2.6), ainsi que */ˈlaβ-e/ – */ˈlaβ-a/ (types traités dans un seul article du DÉRom, déjà présent dans la catégorie (a) ; ci-dessus 2.5) associent des types morphologiquement liés, mais d’une autre manière (que ce soit par transcatégorisation ou alternance flexionnelle). (c) Enfin, la paire */ˈdɔl-u/ – */doˈl-or-e/ (ci-dessus 2.3), qui associe des paronymes non apparentés étymologiquement, a été traitée par les locuteurs comme appartenant au cas (a) – et doit donc être analysée comme telle dans le cadre de notre description. Échappent seuls à cette situation de proximité formelle la paire */ar'iet-e/ – */mol'ton-e/ (ci-dessus 2.1), le groupe */ˈprɛst-a-/ – */ɪm-ˈprɛst-a-/ – */ɪm-ˈprumut-a-/ – */ˈkred-e-/ (mais le groupe de synonymes contient aussi un dérivé qui a connu un croisement avec un autre participant à la relation synonymique ; ci-dessus 2.9) ainsi que la paire paronymique */ˈnap-u/ – */ˈrap-u/ (ci-dessus 2.8). On voit donc que, très majoritairement, la synonymie est associée à une proximité formelle nettement perceptible au stade protoroman (ou dans le cours du développement ultérieur).
3.3 Direction des changements sémantiques À partir d’un point de départ protoroman donné, les paires (ou groupes) synonymiques ne conservent pas toujours une relation stable : les changements sémantiques peuvent alors aller vers une distinction ou, si l’un des éléments au moins possède au départ un sens distinct, vers une confusion. Les items suivants relèvent du premier cas (différentiation) : – */ar'iet-e/ – */mol'ton-e/ (ci-dessus 2.1), avec perte par */mol'ton-e/ du sens ‘bélier non châtré’ ; – */ˈdɔl-u/ – */doˈl-or-e/ (ci-dessus 2.3), avec répartition et spécialisation du sens de */ˈdɔl-u/ ; – */ˈnap-u/ – */ˈrap-u/ (ci-dessus 2.8), avec acquisition d’autres sens par */ˈrap-u/ là où les deux unités se maintiennent ;
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*/s-per-ˈlaβ-a-/ (ci-dessus 2.5), après la perte de sa différence sémantique spécifique (aboutissant à une confusion), aurait connu secondairement une spécialisation ; le triplet */ˈtrɛm-e-/ – */ˈtrɛm-ul-a-/ – */s-treˈm-e-sk-e-/ (ci-dessus 2.10) connaît, tardivement et au niveau idioroman, une répartition entre les sens ‘trembler’ et ‘craindre’ (sur laquelle les articles en question ne donnent pas d’information détaillée, cette répartition n’intéressant pas la reconstruction) ; enfin, le cas de la paire */ɪnˈβit-a-/ – */konˈβit-a-/ (ci-dessus 2.4) est légèrement différent, l’abandon par les descendants de */ɪnˈβit-a-/ du sens commun (‘inviter’) ne se faisant que partiellement au profit de */konˈβit-a-/, et l’autre sens de l’unité (‘inciter’) n’étant pas nettement renforcé par l’abandon du premier (l’unité est récessive dans ses deux sens).
Deux items seulement relèvent du second cas (confusion) : – */ˈmɔnt-e/ – */monˈt-ani-a/ (ci-dessus 2.7), avec tendance à la perte du sens spécifique ‘territoire montagneux’ ; – */s-per-ˈlaβ-a/ (ci-dessus 2.5), avant de connaître plusieurs restrictions sémantiques à des emplois spécialisés, serait passé par un mouvement de rapprochement sémantique et de confusion avec le simple */ˈlaβ-a-/. Les paires */asˈkʊlt-a-/ – */esˈkolt-a-/ (ci-dessus 2.2) et */ˈmɛrul-a/ – */ˈmɛrl-u/ (ci-dessus 2.6) ne connaissent pas d’évolution sémantique. Le groupe */ˈprɛst-a-/ – */ɪm-ˈprɛst-a-/ – */ɪm-ˈprumut-a-/ – */ˈkred-e-/ (cidessus 2.9) présente une situation complexe impliquant les sémèmes opposés ‘prêter’ et ‘emprunter’. C’est la répartition entre ces antonymes qui semble directrice plus que la concurrence synonymique. Il ressort de l’examen de ces dix cas que l’appariement synonymique est essentiellement instable : outre les répartitions géographiques et les diverses restrictions d’emploi, l’association créée par la synonymie ne parvient en règle générale pas à se maintenir. Le cas normal est celui d’une différentiation, qui permet aux différents items de se maintenir par une répartition des positions sémantiques, mais on observe aussi des écrasements, avec perte de vitalité d’une des unités impliquées au moins. Ces écrasements peuvent entraîner l’abandon de distinctions sémantiques.
1.7 Comment toucher la synonymie en protoroman ? | 177
3.4 Conditions de la récession ou de l’expansion Les analyses proposées par les auteurs des articles considérés ici distinguent régulièrement le caractère expansif ou récessif des vocables décrits. Nous rassemblons ci-dessous les indications sur les conditions dans lesquelles les situations de concurrence synonymique se règlent au profit de l’un de leur participants plutôt qu’un autre. Protrom. */ar'iet-e/ est récessif, géographiquement comme du point de vue de sa restriction sémantique à des emplois spécialisés ; il s’oppose au départ à */mol'ton-e/, expansif, par sa monosémie et son sens hyponymique (*/mol'ton-e/ a aussi un sens hyperonymique). La concurrence entre */asˈkʊlt-a-/ et */esˈkolt-a-/ n’est pas générale dans la Romania ; le second type, de formation plus récente, a un centre de diffusion identifiable (la Narbonnaise), et l’on peut suivre son expansion : dans la zone la plus proche de son centre, il élimine son concurrent, ailleurs il peut se trouver en concurrence avec lui, et plus loin ne pas réussir à s’implanter. Il est donc expansif, mais avec une force relativement faible ; cette expansion se poursuit au deuxième millénaire. Le sens ‘douleur’ de */ˈdɔl-u/ peut être récessif, du fait de sa concurrence avec */doˈl-or-e/. La récession est associée ici au vocable le plus diversifié sémantiquement (mais tous les deux sont polysémiques) ; elle est seulement moderne ; elle ne se produit pas partout (dans certains idiomes, c’est */doˈl-or-e/ qui disparaît). Dans le couple */ɪnˈβit-a-/ –*/konˈβit-a-/, le premier est récessif, en particulier durant le second millénaire ; plusieurs causes sont assignées à cette situation, en particulier le sens véhiculé par ce qui est senti comme un préfixe dans */konˈβit-a-/, qui rend l’unité analysable et la renforce, et la bisémie de */ɪnˈβit-a-/, qui n’aurait donc pas agi seule. Protorom. */ˈlaβ-e/ et */ˈlaβ-a/ sont des synonymes stricts ; le premier est récessif et a laissé très peu de résultats attestés. Le contraste de dynamisme entre les deux types dépend de l’appartenance du second à la catégorie morphologique dominante : celle des verbes en */-ˈa-/. Le processus de régression de l’un ou l’autre élément du couple */ˈmɛrul-a/ – */ˈmɛrl-u/, qui n’a lieu qu’à époque moderne, est un phénomène idioroman. Au départ, */ˈmɛrl-u/ est d’extension réduite, et a donc connu d’abord une phase d’expansion. La concurrence entre */ˈmɔnt-e/ et */monˈt-ani-a/ s’est presque toujours résolue au profit de l’une des deux unités, par abandon de leur distinction sémantique. La seconde n’aurait acquis le sens participant à la synonymie que secondairement (mais durant la période de communauté romane) et serait
178 | Yan Greub expansif avec ce sens. En revanche, */ˈmɔnt-e/ est régressif à l’époque moderne dans une grande partie du domaine, de façon peut-être liée à son phonétisme réduit. Protorom. */ˈnap-u/ est expansif face à */ˈrap-u/ ; lorsque les deux unités se maintiennent, c’est le premier qui conserve leur sens de base commun, tandis que */ˈrap-u/ ne se maintient que par sa spécialisation dans des sens secondaires. Le caractère expansif de */ˈnap-u/ s’est manifesté après le moment où les zones sud-occidentale (Ibérie) et nord-occidentale (Gaule) et sud-orientale (Dacie) présentaient déjà des traits d’individuation, mais peu après ce moment ; */ˈnap-u/ a pu être récessif dans un second temps (cf. commentaire à */ˈnap-u/). La coexistence originelle entre */ˈprɛst-a-/ et ses différents concurrents a abouti à la généralisation de */ɪm-ˈprumut-a-/ en roumain, à la coexistence des continuateurs de */ˈprɛst-a-/ et */ɪm-ˈprumut-a-/ dans les parlers de la Gaule et à la disparition de */ɪm-ˈprumut-a-/ dans la plupart des parlers romans. Protorom. */ɪm-ˈprumut-a-/ est donc majoritairement, mais pas exclusivement, récessif. Protorom. */ˈtrɛm-e-/ est récessif face à */ˈtrɛm-a-/ et */ˈtrɛm-ul-a-/, qui appartiennent tous les deux à la catégorie morphologique dominante (pour un cas parallèle, cf. ci-dessus */ˈlaβ-e-/ – */ˈlaβ-a-/). Le dérivé */s-treˈm-e-sk-e-/ est récessif dans l’ensemble sémantico-valenciel qu’il partage avec ses concurrents, et a donc peut-être tendu à se spécialiser sur les schémas valentiels qui lui étaient propres. Le nombre de cas examinés empêche de tirer des conclusions sur les tendances évolutives en général, mais il est possible de proposer quelques observations : – Le caractère récessif n’est pas attaché exclusivement à une unité monosémique ou polysémique : si */ar'iet-e/ et */ˈmɔnt-e/ sont monosémiques et récessifs, */konˈβit-a-/ est monosémique et expansif, et */s-treˈm-e-sk-e-/ est polysémique et récessif. Il semble donc délicat, dans l’état actuel de l’avancement de nos travaux, d’utiliser le critère de la monosémie ou de la polysémie d’un vocable pour déterminer la cause du triomphe d’une unité sur une autre. – L’appartenance à un modèle morphologique dominant semble être une cause d’expansion plus forte que les causes dépendant de l’organisation sémantique. – Les dérivés plus récents sont dans la plupart des cas plus expansifs que leurs bases dérivationnelles. Protorom. */s-treˈm-e-sk-e-/ est une exception de ce point de vue, mais son caractère récessif se manifeste en particulier dans sa spécialisation dans les sens qui lui sont propres, et dépendrait donc de la polysémie (laquelle donne un moyen de résoudre la concurrence).
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Dans un certain nombre de cas, nous ne parvenons pas à proposer d’explication à l’évolution de la situation de concurrence. Cependant, la résolution de la concurrence passe souvent par une réorganisation sémantique aboutissant à la disparition de la synonymie originelle, en particulier par répartition des sens.
3.5 Les conditions du maintien d’une concurrence synonymique La résolution du rapport de concurrence aboutit à la disparition de la synonymie dans de nombreux cas, que ce soit par répartition sémantique entre les unités ou par exclusion d’une d’elles dans un parler (ce qui se manifeste, au niveau panroman, par la répartition des unités dans l’espace). Dans quelles conditions la synonymie est-elle susceptible de se maintenir ? Le caractère reconnaissable ou analysable des rapports formels entre des concurrents ne constitue en tout cas pas un obstacle au maintien de la synonymie, bien au contraire : */asˈkʊlt-a-/ et */esˈkolt-a-/, */ɪnˈβit-a-/ et */konˈβit-a-/, */ˈmɛrul-a/ et */ˈmɛrl-u/, */ˈmɔnt-e/ et */monˈt-ani-a/, */ˈprɛst-a-/ et */ɪm-ˈprɛst-a-/, enfin le groupe */ˈtrɛm-e-/ – */ˈtrɛm-ul-a-/ – */s-treˈm-e-sk-e-/ conservent des superpositions synonymiques, ainsi que */ˈdɔl-u/ et */doˈl-or-e/ (dont les rapports de proximité formelle sont peu visibles à époque historique dans plusieurs idiomes romans), tandis que les couples */ar'iet-e/ – */mol'ton-e/ et */ˈnap-u/ – */ˈrap-u/ n’en ont pas. Pour ce qui est du groupe */ˈlaβ-e-/ ~ */ˈlaβ-a-/ – */s-per-ˈlaβ-a-/, il pourrait connaître une superposition synonymique en roumain. Dans les cas de maintien d’une concurrence synonymique, la polysémie semble assez limitée au départ, ou s’éteint au cours de l’histoire : les continuateurs de */ɪm-ˈprɛst-a-/ et */ɪm-ˈprumut-a-/ sont monosémiques dans les parlers où ils sont synonymes ; la répartition entre */ˈmɛrul-a/ et */ˈmɛrl-u/ est au plus une opposition entre le mâle et la femelle de la même espèce ; la différence entre les sens ‘montagne’ et ‘territoire montagneux’ de */monˈt-ani-a/ a probablement pu être négligée dans certains parlers (qui n’ont pas d’unité lexicale consacrée spécifiquement au second sens). Pour leur part, */asˈkʊlt-a-/ et */esˈkolt-a-/ ont identiquement deux sens étroitement liés, que l’on pourrait conceptualiser comme un complexe sémantique unitaire, et n’ont pas connu de diversification ; c’est aussi en partie le cas dans le groupe de */ˈtrɛm-e-/. La polysémie de */ɪnˈβit-a-/ se maintient en occitan et dans les parlers de l’Ibérie (quoique le DÉRom ne connaisse pas d’exemple du sens ‘inciter’ en aragonais), tandis que */s-treˈm-e-sk-e-/ connaît plusieurs catégories sémantico-valencielles.
180 | Yan Greub Enfin, */ˈdɔl-u/ et */doˈl-or-e/ maintiennent leur synonymie dans plusieurs parlers pour le sens ‘douleur physique’, mais la perdent pour le sens ‘douleur morale’. La monosémie pourrait donc être associée de façon privilégiée au maintien stable d’une synonymie, mais pas de façon exclusive. Soulignons pour finir que dans la plupart des cas, le maintien de la synonymie est limité à un certain nombre de parlers à l’intérieur de l’ensemble roman : même lorsque les forces qui s’opposent au maintien de la synonymie ne sont pas assez fortes pour aboutir partout à son élimination, elles peuvent être agissantes.
3.6 Durée des évolutions Les évolutions discutées ici se déroulent dans une histoire longue, qui englobe tant le protoroman que les idiomes romans qui en sont issus. Parmi les synonymes examinés, voici ceux pour lesquels il est possible de dégager des indications chronologiques : – Protorom. */ar'iet-e/ (ci-dessus 2.1) nous apparaît, à époque historique (donc à travers ses continuateurs), comme déjà diminué par les concurrences dans lesquelles il s’est trouvé. L’état marginalisé dans lequel il se situe se manifeste dans plusieurs parlers romans, encore à date récente. – L’expansion de */esˈkolt-a-/ aux dépens de */asˈkʊlt-a-/ (ci-dessus 2.2), quoique relativement modérée, se poursuit tardivement, puisqu’elle a abouti à l’élimination de son concurrent dans l’Ibérie au cours du deuxième millénaire. – Le sens ‘douleur physique’ de */ˈdɔl-u/ (ci-dessus 2.3) apparaît dans des aires latérales (à l’échelle romane) ou conservatrices ; dans des parlers centraux (français et dialectes d’oïl), on peut cependant encore suivre sa disparition progressive durant le deuxième millénaire. – Le développement du sens ‘emprunter’ de */ɪm-ˈprɛst-a-/ (ci-dessus 2.9) est un phénomène propre à la Gaule, datant de la fin du Moyen Âge et indépendant de l’histoire romane du vocable ; elle ne nous concerne donc pas ici, non plus que la restriction sémantique associée qu’y subissent les descendants de */ɪm-ˈprumut-a-/. Ce cas mis à part, la restriction géographique de protorom. */ɪm-ˈprumut-a-/ et le règlement de ses rapports avec ses concurrents sont acquis au moment où ils nous apparaissent dans la documentation et ont donc eu lieu assez rapidement. – À travers ses continuateurs, */ɪnˈβit-a-/ (ci-dessus 2.4) apparaît comme récessif au second millénaire, pour des raisons diverses, mais entre autres du fait
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de la concurrence avec */konˈβit-a-/, c’est-à-dire en raison d’un rapport dynamique établi très certainement au début du premier millénaire. La concurrence entre */ˈmɛrul-a/ et */ˈmɛrl-u/ (ci-dessus 2.6) se règle de manière idioromane : on ne peut donc observer au sens propre la durée d’une évolution. L’obtention par */ˈmɛrl-u/ d’un statut légitime est un phénomène qui s’étend dans une durée assez longue au cours de la première moitié du premier millénaire, mais nous ne pouvons l’observer que par la documentation écrite latine, ce qui réduit la valeur et l’utilité de cette donnée. Dans une grande partie de la Romania occidentale, */ˈmɔnt-e/ (ci-dessus 2.7) est vieilli, ce qui doit être interprété comme une manifestation du fait que la concurrence avec les descendants de */monˈt-ani-a/ est encore en cours de solution. Le sens ‘région montagneuse’ de ce dernier s’est éteint, dans certaines régions, à époque historique. Le règlement d’une partie des faits de concurrence entre */ˈnap-u/ et */ˈrap-u/ (ci-dessus 2.8) peut être assigné à une période relativement brève, qui se termine assez rapidement (au moment de l’emprunt de */ˈnap-u/ par le vieil anglais, avant le 5e siècle, la répartition est déjà acquise en grande partie), peu de temps après sa période de grande activité (la dynamique d’expansion de */ˈnap-u/ a joué à un moment où plusieurs grandes zones présentaient déjà des traits d’individuation, cf. commentaire à */ˈnap-u/). À une date plus récente, */ˈnap-u/ a connu une dynamique inverse (récessions idioromanes). La concurrence entre les synonymes */ˈtrɛm-e-/, */ˈtrɛm-ul-a-/ et */s-treˈm-e-sk-e-/ (ci-dessus 2.10) s’est stabilisée après la fin du Moyen Âge dans certaines parties de la Romania.
Des schémas évolutifs cohérents dans tout l’espace de la Romania européenne se sont donc achevés pendant le deuxième millénaire ou durent parfois même encore. Dans un certain nombre de cas, il semble que le rapport de force entre deux synonymes se résolve assez tôt (à époque préhistorique en tout cas), mais que les conséquences de la situation d’infériorité ainsi créée continuent à produire des effets durant plusieurs siècles sur les unités récessives. Ce n’est donc que du point de vue structurel le plus général que l’on peut parler alors d’un rapport dynamique de très longue durée entre synonymes, au niveau roman, puisque les causes directement agissantes sont différentes selon les moments. Les rédacteurs du DÉRom ont cependant été amenés à poser, dans certains cas, une succession d’évolutions différentes s’étant déroulées assez tôt durant la période de circulation à longue distance des impulsions linguistiques, c’est-à-dire à envisager des
182 | Yan Greub retournements de tendance relativement rapides. Il nous semble toutefois difficile de déterminer si les cas de synonymie traités par le DÉRom montrent un changement général de rythme évolutif entre le début du premier millénaire et les périodes plus récentes.
4 Conclusion Les observations qui précèdent conduisent à quelques brèves remarques générales, qui concernent en particulier la méthode et par conséquent la validité de nos remarques. Tout d’abord, la paronymie et la proximité morphologique ont une influence sur l’histoire des relations de synonymie. Cette influence peut remonter très haut, puisque dans le cas de */ˈnap-u/ la synonymie semble être entraînée par la paronymie, si l’on admet (cf. Delorme 2011–2019 in DÉRom s.v. */ˈnap-u/ n. 6) que la restriction au sens ‘navet’ (et son acquisition ?) a été provoquée par la paronymie. Ensuite, il apparaît que la relation structurelle entre lexèmes que crée la synonymie est un facteur déstabilisant, ou dynamique, qui tend à entraîner des réorganisations d’un champ lexical. On observe cependant que les critères sémantiques ne peuvent que difficilement être liés régulièrement à un caractère expansif ou récessif des partenaires à la relation synonymique, et ne permettent pas non plus de prédire sûrement le maintien ou non d’une paire de synonymes. Notre présentation a voulu tenir compte à la fois des conditions de formation d’une relation synonymique et de l’évolution de celle-ci une fois qu’elle est installée. Les deux types d’observations portent sur des moments différents, et l’évolution de la relation s’étend sur une très longue période. Sur cette seconde question, il est possible que le type de données dont on dispose entraîne un biais dans l’analyse. En effet, les sens ou les unités lexicales dont on saisit la disparition sont surtout ceux qui disparaissent le plus tardivement, et en tout cas assez tard pour apparaître dans la documentation écrite conservée. Nous pourrions avoir été conduit par cette particularité de notre documentation à surestimer la place des processus de récession les plus longs, et le rythme du règlement de la concurrence pourrait nous apparaître de façon générale comme très lent par le résultat d’une déformation de l’échantillon. L’image que nous nous formons du caractère récessif ou non d’une unité lexicale, voire d’un vocable polysémique, dépend en bonne partie, et peut-être de façon exagérée, de la forme de cette récession à l’époque historique des langues romanes, soit essentiellemement lors du second millénaire. Il y a dans cette documentation à la fois un avantage direct – en plus de permettre et de
1.7 Comment toucher la synonymie en protoroman ? | 183
justifier la reconstruction, les matériaux du DÉRom permettent d’observer des faits de transformation historique – et un risque : ces matériaux sont examinés directement, et les faits atteints pas cette observation ne le sont donc pas de la même façon que ceux que nous atteignons par la reconstruction.
5 Bibliographie DÉRom = Buchi, Éva/Schweickard, Wolfgang (dir.), Dictionnaire Étymologique Roman (DÉRom), Nancy, ATILF, ‹http://www.atilf.fr/DERom›, 2008–. TLIO = Beltrami, Pietro G./Leonardi, Lino (dir.), Tesoro della Lingua Italiana delle Origini, Florence, CNR, ‹http://tlio.ovi.cnr.it/TLIO›, 1998–.
Romain Garnier
1.8 De quelques lexèmes protoromans à initiale b- problématiques 1 Introduction Quand il est affaire d’étymologie latine, les lexèmes à initiale b- sont les plus problématiques, et le stock assez considérable qu’on en dénombre ne fait que s’accroître jusqu’aux derniers moments de la latinité, avec l’émergence diffuse et souterraine d’éléments reconstructibles par ailleurs pour le protoroman.1 En réalité, la plupart de ces vocables obscurs se dénoncent comme relevant d’une variation ‘vulgaire’ – ou, pour employer la terminologie de Koch et Oesterreicher (ainsi 2008, 2575–2576), comme appartenant à l’immédiat communicatif – vis-àvis de l’idiome standard, ce dont atteste le fait même que l’on puisse les reconstruire en protoroman. Faute de songer à rattacher le latin (écrit) non standard d’époque ancienne aux faits plus tardifs, qui en consignèrent les déviances par appauvrissement de la tradition littéraire, on a cru tout devoir expliquer par des emprunts, mais sans pouvoir identifier leur source : on a beaucoup recouru à cet expédient fort commode, lequel n’a fait que produire une foule de chimères. L’histoire du lexique du latin global (cf. de Dardel 2009), qui englobe tant le latin écrit de l’Antiquité que le protoroman reconstruit sur la base des idiomes romans, est ainsi habitée de cet encombrant bestiaire. Dans ce qui suit, nous nous pencherons tour à tour sur des lexèmes protoromans témoignant d’une variation à l’intérieur du latin global (ci-dessous 2), des lexèmes obscurs d’émergence protoromane (ci-dessous 3), enfin sur des emprunts au substrat celtique (ci-dessous 4), qu’ils soient de celticité établie (4.1) ou méconnue (4.2).
|| 1 Ce chapitre fait suite à des réflexions développées dans Garnier (2016b). || Romain Garnier, 63 avenue Parmentier, F-75011 Paris, [email protected]. https://doi.org/10.1515/9783110654264-008
186 | Romain Garnier
2 Lexèmes protoromans témoignant d’une variation au sein du latin global 2.1 Protorom. */ˈbad-a-/ ‘béer ; avoir la bouche ouverte’ L’étymon traditionnellement avancé pour tenir compte d’it. badare v.intr. ‘faire attention’, fr. béer ‘avoir la bouche largement ouverte’, occit. badar ‘id.’ et leurs congénères – ainsi que, indirectement, des (nombreuses) créations internes (idioromanes) qu’ils ont générées – est *batāre (cf. Meyer-Lübke in REW3 s.v. *batāre [glosé par ‘ouvrir la bouche’] ; Schweickard/Pfister 1995 in LEI 5, 229–271, BATĀRE [qui glosent ‘ouvrir grand la bouche’] et Chauveau 2006c, 88–89 [qui glose ‘bâiller’]). Lat. *batāre est en général expliqué comme d’origine onomatopéique : « Schallwort » (Meyer-Lübke in REW3 s.v. *batāre), « de bat [onomatopée imitant le bruit du bâillement] est dérivé un dénominatif *batō, -ās ‘bâiller’ » (Ernout/Meillet4 s.v. bat), « probabilmente di origine onomatopeica » (Schweickard/Pfister 1995 in LEI 5, 268), « à partir de lattard. bat, onomatopée imitant le bruit du bâillement » (Chauveau 2006c, 88). Cette analyse remonte en dernier lieu à la tradition lexicographique latine. Ainsi relève-t-on chez Charisius : « bat : sonus ex ōre cornicinis » (‘bat : son que fait avec sa bouche le joueur de cor’, GLK 1, 239). On notera que la totalité des données connues présente le consonantisme /-d-/ (ou Ø < /d/), jamais /-t-/, de sorte que l’ancêtre commun de la série de cognats ne peut être reconstruit que sous la forme */ˈbad-a-/, avec une sonore au lieu de la sourde. Il faut néanmoins préciser que les cognats romans appartiennent très majoritairement – à l’exception des données, peu nombreuses, de l’italien centro-méridional, pour lesquelles on peut aisément supposer un emprunt à l’italien septentrional (cf. Lausberg 1976, vol. 1, 308 § 379 ; cf. aussi 299–300 § 362) – à la Romania occidentale, où protorom. */-t-/ intervocalique évolue régulièrement en /-d-/ (Lausberg 1976, vol. 1, 307 § 378). Un étymon */ˈbat-a-/ serait donc tout à fait plausible. Nous avons proposé (Garnier 2016a, 407–408) de renoncer à voir dans ce groupe une formation déonomatopéique sur bat qui imite le bâillement. Selon nous, le verbe *batāre, lattard. régional *badāre ‘bâiller’ requiert l’existence d’un
1.8. De quelques lexèmes protoromans à initiale b- problématiques | 187
déverbal lat. *im-pat-āx adj. ‘béant ; qui ouvre la bouche’ (sur *im-pat-eō),2 sonorisé en *im-bat-āx en vertu de la lex digitus (Garnier 2016a, 95).3 On en a tiré un dépréverbé *batāx, qui a produit à son tour *batāre v.intr. ‘béer ; avoir la bouche ouverte’, par analogie avec le couple uorāx adj. ’qui dévore ; vorace’ : uorāre v.tr. ’dévorer’.
2.2 Protorom. */bakˈkill-u/ s. ‘bâton’ vs. lat. baculum, diminutif bacillum Soit le substantif latin baculum s.n. ‘bâton (tordu)’, diminutif bacillum s.n. ‘baguette’, qu’on rapproche (Ernout/Meillet4 ; IEEDLatin) d’irl. bacc s.m. ‘courbure ; objet courbe (faucille, crochet, bâton recourbé)’ et de gall. bach s.m./f. ‘crochet’. On est accoutumé d’ajoindre au dossier les données germaniques : néerl. pegel s.m. ‘cheville ; piquet ; épingle ; broche ; glaçon’ < protogerm. *pagila- s.m. (censément issu d’un étymon *bak-elo-), ainsi que gr. βάκτρον s.n., βακτηρία s.f., diminutif βακτήριον s.n. ‘bâton’. On sait par ailleurs que le protoroman reflète une forme à géminée */bakˈkill-u/ s. ‘bâton’ (cf. REW3 s.v. bacĭllum/baccĭllum ; von Wartburg 1923 in FEW 1, 201ab, BACILLUM [« alle rom. formen gehen auf BACCILLUM zurück »] ; Coluccia/Fanciullo/Glessgen/Bork 1993 in LEI 4, 257–269, BAC(C)ILLUM/ BAC(C)ELLUM), que l’on reconstruit sur la base de cognats comme log. bakkiḍḍu s.m. ‘id.’ et s’oppose par là au consonantisme de lat. bacillum s.n. ‘petit bâton’, qui a perdu sa géminée en vertu de la lex mamilla (soit latstand. bacillum < *baccillum).
|| 2 Soit le type de lat. per-tin-āx adj. ‘qui tient bien’ (sur per-tin-eō). Il est également possible de partir d’un nom d’action neutre en -āculum (*impat-āculum > *imbatāculum → *badāc-lum s.n. ‘bâillement’, postulé par le dénominatif *badāculāre/*badāclāre, qui donne directement fr. bâiller), voir aussi la glose bataclat : (h)alat (CGL 5, 492, 46 ; 562, 21) ‘respirer, exhaler’ (< *‘avoir la bouche ouverte’ ?). Noter que – du moins virtuellement – lang. badalh s.m. ‘bâillement’ reflète protorom. */baˈdakl-u/. 3 Dans le phonostyle le plus bas de la langue, il ne fait guère de doute que des lénitions précoces ont pu s’observer, et ce, dès l’époque républicaine. Il existe même certaines formes qui ne nous sont pas autrement connues que sous leur prononciation la plus relâchée : ainsi lat. digitus, -ī s.m. ‘doigt’, dont le corrélat protoroman est */ˈdıɡit-u/. Selon nous, digitus est le postverbal parasynthétique inverse de *indig-itāre v.tr. ‘indiquer, montrer du doigt’, qui est l’avatar d’un fréquentatif latstand. *indic-itāre, formé sur in-dic-āre ‘indiquer’. On dérive de ce verbe le postverbal athématique index s.m./f. ‘indicateur’, et l’expression index digitus (Hor. S. 2, 8, 26) se réduit par ellipse à index s.m. ‘index’ (CIC. Att. 13, 46, 1).
188 | Romain Garnier Cet amas de faits disparates n’explique rien du tout, et le postulat même de son apparente unité4 emprunte à une doctrine très faible : un parler inconnu aurait fourni une base *bak-/*bakk- s. ‘courbure’ diversement adaptée :5 il n’y a guère d’apparence qu’une telle langue ait jamais existé. On en serait réduit à supposer l’existence d’un idiome mystérieux (et non indo-européen) qui aurait fourni des vocables au germanique commun et au celtique insulaire comme au latin classique – et ce, sans solution de continuité jusqu’aux premiers monuments des langues romanes. Ainsi qu’on va le voir, le protoroman permet de faire le départ entre ces trois groupes. À notre avis, il faut admettre que protogerm. *pagila-1 s.m. ‘cheville ; clou’ représente un emprunt à latsubstand. *pagilus1 (= latstand. *pangulus, avec perte de la nasale implosive6 et généralisation non standard de la distribution primitive -ulus ([-ǝwłus]) vs. *-ilī ([ǝjli:]). Pour le sens, on doit songer au tour lat. clāuum pangere ‘planter un clou’ (LIV. 7, 3, 5). En regard de ce thème latsubstand. *pagilus1 ‘cheville ; clou’ a pu exister un homophone latsubstand. *pagilus2 s.m. ‘givre ; glaçon’, qui serait lui-même un emprunt à un lexème grec qu’on peut restituer comme *πάγελος s.m. ‘id.’ (cf. παγερός adj. ‘glacé, glacial ; congelé’, Bailly), en rapport avec πήγνυμαι v.tr. passif ‘se solidifier’ (parfait πέπηγα ‘être compact’, Bailly s.v. πήγνυμι III), cf. πάχνη s.f. ‘givre ; gelée blanche’ (Bailly). Ainsi que nous l’avons récemment proposé (Garnier 2017, 76), le grec a dû posséder un présent *βάζω v.intr. ‘marcher’. Par sentiment d’une gutturale originelle (aoriste *-άξαι), on a forgé un nomen instrumenti *βακτήρ s.m. ‘bâton de marche’,7 reflété par ses dérivés secondaires βακτηρία s.f. ‘bâton pour la marche ; bâton (insigne de juge)’ (Bailly ; cf. βακτηρία· ῥάϐδος HSCH.) et || 4 Toutes ces unités (et d’autres encore) sont assemblées par Pokorny s.v. *bak-. 5 Ainsi Kroonen in IEEDGermanic (s.v. *pagila- s.m. ‘measuring stick’) : « in view of the European distribution of the word and the phonologically abberrant alternation between *bak- and *bakk-, it is unlikely that we are dealing with an Indo-European word » et de Vaan in IEEDLatin : « since *b was very rare in PIE, and Celtic shows an unexplained geminate, we are probably dealing with a loanword from an unidentified source ». 6 La nasale implosive était faiblement articulée en latin, au point d’être parfois totalement omise dans un phonostyle bas ou bien relâché. Les graffiti obscènes de Pompéi conservent ‘lingis’ ou bien ‘mentula’ (Väänänen 31981, 63). C’est ainsi qu’on doit expliquer le doublet lig-ula vs. ling-ula s.f. ‘cuiller’ (< *‘lécheuse’), ainsi que le substantif plébéien fig-ulus, -ī s.m. ‘potier’, qui est l’équivalent d’un quasi-participe à valeur de nom d’agent *fing-ulus ‘pétrisseur’ (Garnier 2016a, 101–102) et ne saurait refléter une forme héritée *dʱig̑ ʱ-ló- (pace de Vaan in IEEDLatin s.v. fingō). 7 Le suffixe de nom d’agent -τήρ produit aisément des noms d’instruments : à preuve, le type ὑπο-ϐα-τήρ s.m. ‘piédestal’ (IG VII, 3073). Noter βατηρία s.f. ‘bâton’ chez Hérodien (8, 60). Signalons enfin que Nicandre (Ther. 377) emploie βατήρ au sens de ‘bâton’.
1.8. De quelques lexèmes protoromans à initiale b- problématiques | 189
βακτήριον s.n. ‘petit bâton’ (Bailly). Rien ne renvoie à la notion de courbure dans ce groupe, qui est – selon toute vraisemblance – d’émergence grecque. Le celtique insulaire reflète un thème *bakko- : virl. bacc s.m. ‘courbure ; objet courbe (faucille ; crochet ; bâton recourbé ; angle ; coin ; coin clôturé d’un champ)’ et gall. bach s.m./f. ‘crochet ; cheville’ (IEEDCeltic). Noter ici le dérivé secondaire virl. baccach adj. ‘boiteux ; estropié ; infirme’ (LEIA B–3), qui présente le reflet du suffixe protocelt. *-āko-, à l’instar de gall. bachog adj. ‘crochu’. La notion de courbure est fondamentale : on n’en peut rien rapprocher en vieux celtique continental.8 Selon Pokorny, ce pourrait être un dérivé inverse de lat. baculum s.n. ‘bâton’ (réserves dans le LEIA B–3). On peut aussi admettre, en latin non standard, un adjectif *baccus ‘recourbé’. Selon nous, la racine sous-jacente est celle de lat. uatius adj. ‘qui a les jambes arquées, les pieds tournés en dedans’ (VARR.+, OLD), uatāx adj. ‘aux jambes en X’ (*LUCIL. 801, OLD), dont il existe un doublet uatrāx (cf. OLD s.v. uatax). Ces dérivés présupposent l’existence d’un verbe lat. *uāre v.intr. ‘se courber’ (< protoind.-eur. *u̯ éh2-i̯e/o-) remontant à la racine proto-ind.-eur. *u̯eh2- (LIV2 663),9 reconstruite sur la base de hitt. u̯ēḫmi, u̯aḫḫanzi ‘se tourner’ et de lat. uārus adj. ‘cagneux’ (< proto-ind.-eur. *u̯éh2-ro-). Le couple stāre ‘se tenir debout’ : statim adv. ‘sur le champ’ aurait produit par analogie *uāre v.intr. ‘se courber’ : *uatis.f. ‘courbure’ (réfection apophonique pour l’attendu **ūti- < proto-ind.-eur. *uh2-tí-). Le témoignage des faits romans vient à l’appui de cette reconstruction : pour tardif qu’il soit, il doit être tenu pour fondamental. Le verbe protorom. */ˈβask-a-/ ‘se (dé)tourner’ (cf. REW3 s.v. vascāre), reflété par esp. bascar v.intr. ‘avoir du dégoût’, postule latsubstand. *uāscāre ‘se détourner (avec horreur ou dégoût)’, luimême dénominatif d’un adjectif *uāscus qui peut prétendre à quelque antiquité :
|| 8 Ainsi Matasović in IEEDCeltic s.v. *bakko-, qui précise que nous avons ici sans doute affaire à un Wanderwort. Discussion chez Delamarre (2019, 105), qui mentionne des anthroponymes gaulois formés sur une souche *bakk- (NP gaul. Baccos, *Su-baccos) en reconnaissant que – dans certains cas – il peut s’agir de formes expressives à géminée d’une souche *bāg- : ainsi le NP Subacus (Bavay, CAG 59-02), qui peut s’interpréter comme */suba:go-/, litt. *‘au bon hêtre’ ou */subakko-/ ‘au bon bâton’, où l’on reconnaît le préfixe gaulois su- ‘bon’ (< proto-ind.-eur. *h1s-u-, cf. gr. εὐ-, véd. su-). Le thème *bāgo- ‘hêtre’, d’où ‘arme en bois de hêtre’, puis ‘combat’, est par ailleurs très bien documenté dans l’anthroponymie gauloise (Delamarre 2019, 106). 9 Il faut renvoyer ici à l’étude très complète de Jacques (2013, 80), qui restitue un ancien nom d’action proto-ind.-eur. *u̯óh2-mo- s.m. ‘courbure’ pour rendre compte de véd. vā́ma- adj. ‘gauche’ et rapproche lumineusement lat. uārus adj. ‘cagneux’ (< proto-ind.-eur. *u̯éh2-ro-) de skrclass. vārā s.f. ‘prostituée’ (< *‘dépravée’).
190 | Romain Garnier il faudrait ici partir d’un neutre sigmatique proto-ind.-eur. *u̯éh2-e/os- ‘action de se tourner’, base d’un dérivé secondaire *u̯eh2-es-kó- ‘qui se détourne’. Le thème lat. *uati- s.f. ‘torsion, courbure’ a pu produire un dénominatif *uatiō, *uassus (< *uatitus) v.tr. ‘tordre, donner une courbure’ (pour la forme, cf. patior, passus ‘souffrir’). Une variante préverbée *con-uessus adj. ‘déformé ; tordu ; courbé’ (cf. per-pessus [pér.pǝssus]) se dissimule dans lat. conuexus [kǫ́ :.wǝssus] s.m. ‘courbe, courbé’ – où n’est qu’une graphie savante pour /ss/, ainsi qu’il appert de nassa s.f. ‘nasse’ (doublet hypercorrect naxa) – vs. cōnexus ‘attaché, lié ensemble’ [kǫ́ :.nǝssus] (< *con-nassus) (cf. Garnier 2016a, 140). En latin standard, le groupe *-n=u̯- a été sporadiquement évité par la nasalisation de con-. Ce même thème lat. *uati- s.f. ‘torsion, courbure’ possédait un dénominatif *uati-culāre v.tr. ‘tordre’, lequel se syncopait presque immanquablement en *uacculāre. On peut admettre que le bétacisme précoce serait attribuable à ce que nous avons proposé de nommer la lex imbēcillus : {*-n-u̯ - > -mb-} (Garnier 2016a, 98).10 On pourrait admettre latsubstand. *com=bacculāre v.tr. ‘donner une forme tordue’, dont *bacculum (diminutif bacillum < *baccillum) serait en propre le postverbal. L’ancêtre de log. bakkiḍḍu s.m. ‘bâton’ (< protorom. */bakˈkill-u/) est un dialecte où la première géminée a été analogiquement réintroduite en infraction avec la lex mamilla.11 Cette réfection implique nécessairement un simple *bacculum, non baculum (CIC.+). Rappelons que bacillum s.n. ‘petit bâton’ est attesté depuis Afranius (IEEDLatin). La forme baculum du latin standard doit donc représenter une réfection de type *bacculum : bacillum → baculum : bacillum, tandis qu’une partie des parlers souterrains et non littéraires avaient procédé à rebours, produisant latsubstand. *bacculum : *baccillum. L’on peut désormais comprendre pourquoi certains parlers du nord de l’Italie supposent une forme aberrante protorom. */ˈbakk-ul-u/ en regard de l’habituel */ˈbak-l-u/ (> it. bacchio). Notons que Meyer-Lübke in REW3 s.v. bacŭlum s’en étonnait ainsi : « die auf Norditalien beschränkte Bildung bakk- ist nicht verständlich ». On sait par ailleurs que ceux des parlers romans qui concordent avec le latin scripturaire () ont produit un dédiminutif protorom. */ˈbak-u/ s.m. ‘bâton’ rétroformé sur */ˈbak-l-u/ (Garnier 2016a, 363). Les données celtiques, qui postulent
|| 10 Sur le type uaccillāre v.intr. ‘tituber’ (LUCR.), on formait *in-u̯ eccillans adj. ‘vacillant, chancelant’, dont le ‘néo-primitif’ était *in-u̯ eccillus, qui passait phonétiquement à *imbeccillus ‘faible’ avant l’effet de la lex mamilla. De son côté, fr. embler ‘fondre sur sa proie’ reflète un étymon latsubstand. *imbolāre (< latstand. in-u̯ olāre). 11 Cf. lat. mamilla s.f. ‘mamelle’ (< *mamm-illa) en regard de mamma, mammula.
1.8. De quelques lexèmes protoromans à initiale b- problématiques | 191
un dédiminutif latsubstand. *baccus s.m. ‘courbure, objet de forme courbe’ (virl. bacc, gall. bach), s’éclairent par là d’un jour nouveau.
2.3 Protorom. */ˈbalti-u/ s.n. ‘accessoire long et étroit utilisé pour lier’ L’article */ˈbalti-u/ reproduit dans ce volume (Crifò 2019 in DÉRom s.v. ; cf. aussi REW3 s.v. baltěus ; von Wartburg 1923 in FEW 1, 226b–227b, BALTEUS ; Marinucci/Pfister 1994 in LEI 4, 970–993, BALTEUS/BALTEUM) traite d’un étymon bisémique. Dans le sens ‘accessoire long et étroit utilisé pour lier’, ce dernier se reconstruit sur la base de cognats présentant des sens aussi divers que ‘ceinture’, ‘bretelle’, ‘corde’, ‘lacet’, ‘gerbe’, ‘fagot’, ‘clôture’, ‘entrave’, ‘fichu’ ou encore ‘voile de mariée’.12 Son corrélat en latin écrit de l’Antiquité est balteum, -i s.n. ‘ceinture (surtout bande de cuir portée en écharpe pour soutenir l’épée ou le sabre, baudrier)’ (TLL 2, 1711), dont la variante balteus n.m. (ibid.) connaît également un corrélat protoroman reconstructible (cf. Crifò 2019 in DÉRom s.v. */ˈbalti-u/ II.). Varron tenait le lexème pour d’origine étrusque (« vocabulum tuscum esse Varro tradit apud Charisium […], sed postea (ling. 5, 116) vocis originem in lingua latina invenisse sibi visus est », TLL 2, 1711), hypothèse à laquelle Walde/Hofmann3 s.v. balteus/balteum semble accorder quelque crédit (« nach Varro bei Char. gramm. I 77, 9 etruskisch »), bien que cette langue ne possédât point de sonores. L’on peut songer ici à un postverbal *baltiu- s.n./m. (gén. balteī) tiré d’un préverbé latsubstand. *amb-altiāre ‘soulever à l’aide d’une sangle’, où l’on reconnaît le préverbe archaïque amb- ‘des deux côtés’, resegmenté par la suite en *am-baltiāre ‘placer (la charge) sur le balteum (‘sangle ; baudrier’)’.
3 Lexèmes obscurs d’émergence protoromane 3.1 Protorom. */ˈbaɡ-a/ s.f. ‘bagages’ (parfois pl. tantum) Une série de cognats constituée de lexèmes comme it. baga s.f. ‘peau d’animal cousue en forme de sac qui sert à transporter des liquides, outre’ et occit. baga || 12 Pour le développement du sens – clairement secondaire – ‘bande de terrain dominant une dépression’, cf. Crifò 2019 in DÉRom s.v. */ˈbalti-u/ I 2 b et II 2 et surtout Chauveau ici 158–160.
192 | Romain Garnier s.f. ‘ensemble des objets que l’on emporte avec soi en voyage, bagages’, incitent à reconstruire protorom. */ˈbaɡ-a/ s.f. ‘bagages’ (cf. REW3 s.v. *baga [qui glose ‘tuyau’] ; von Wartburg 1923 in FEW 1, 204ab, *BAGA [« ursprüngliche bed. (…) unklar »] ; Fanciullo 1993 in LEI 4, 383–405, *BAGA [qui glose ‘outre’]).13 L’origine de protorom. */ˈbaɡ-a/ est incertaine : « Ursprung unbekannt » (Meyer-Lübke in REW3 s.v. *baga), « Herkunft […] unklar » (von Wartburg in FEW 1, 204b), « l’origine della base è oscura […]. Non si può dire che i problemi etimologichi siano tutti risolti » (Fanciullo in LEI 4, 404–405). On pourrait partir d’un verbe latsubstand. *amb-ag-āre v. ‘charger les bagages’ (duratif en -ā- d’un verbe *amb-agere ‘charger le bât des deux côtés de la mule’), dépréverbé en *bagāre, d’où procède un postverbal *baga s.n.pl. ‘bagages’, réinterprété en protorom. */ˈbaɡa/ s.f. ‘bagages’.14 Ainsi que nous l’avons proposé (Garnier 2016a, 262–263), le nom verbal *amb-ag-ium s.n. (qui serait à *amb-ag-āre ce que sacri-fic-ium est à sacri-fic-āre) donne un dénominatif *amb-agii̯āre, qui passait à *amb-āiāre ‘porter sur son dos’ (= *amb-ai̯iā ̯ re) par résolution du glide. On en a alors tiré un verbe diminutif *ambāi-ul-āre resegmenté en *am-bāiulāre, d’où procède le type bāiulāre v.tr. ‘porter un fardeau’, corrélat de protorom. */ˈbaiul-a-/ (cf. REW3 s.v. bajŭlāre ; Calò/Pfister 1993 in LEI 4, 454–455, BĀIULĀRE ; Chauveau 2006a). Ce dernier est à son tour la source du postverbal bāiolus/bāiulus, -ī s.m. ‘portefaix’, corrélat de protorom. */ˈbaiul-u/ (cf. REW3 s.v. bajŭlus ; Calò/Lupis/Pfister 1993 in LEI 4, 456–510, BAIULUS/BAIULA ; Chauveau 2006b). Ce groupe n’est point séparable du fréquentatif sigmatique *amb-āxāre de *amb-agere, réflété par un déverbatif amb-āx-ium s.n. ‘*chargement ; monceau’ (P.-FEST. 24, 11, Lindsay 1913). On comparera en outre protorom. */ˈbast-u/ s.m. ‘bât’ et */ˈbast-a/ s.f. ‘panier de bât’ (ci-dessous 3.7), qui reposent sur un fréquentatif *bāstāre v.tr. ‘charger (sur le bât)’, issu par fausse coupe de *am-bāstāre ← *amb-āstāre < *amb-āxitāre (fréquentatif dérivé de *amb-āxāre).
|| 13 Cf. aussi la famille lexicale germanique non définitivement élucidée de visl. pakki s.m. ‘ballot de vêtements’, angl. pack s. ‘assemblage de plusieurs objets liés ensemble, paquet’ (« app. immediately from Flemish, Dutch, or Low German », OED2) et leurs congénères, dont on trouve aussi des reflets dans les langues romanes (cf. von Wartburg 1958 in FEW 16, 612b–615b, PAK). 14 On peut admettre que l’accusatif pluriel en était latsubstand. *bagās, à la manière du type balneum s.n. ‘bain’, accusatif pluriel balnea, recaractérisé – dès Cicéron – en balneās (Garnier 2016a, 119).
1.8. De quelques lexèmes protoromans à initiale b- problématiques | 193
3.2 Protorom. */baˈk-aki-a/ ‘débauchée, fille de mauvaise vie’ L’étymologie de la série de cognats formée d’afr. baiasse s.f. ‘servante’, occit. bagassa ‘prostituée’ et leurs congénères (cf. notamment REW3 s.v. *bacassa/*bagassa ; von Wartburg 1923 in FEW 1, 196b–197a, *BACASSA ; Crevatin/Pfister 1993 in LEI 4, 510–514, *BAK- I 1) n’a pas été établie de façon définitive : « woher ? » (REW3 s.v. *bacassa/*bagassa), « Etymologie noch dunkel » (von Wartburg in FEW 1, 197a), « orig. incerta » (Cortelazzi et Zolli in DELI2), « de origen incierto » (Corominas et Pascual in DCECH 1, 455), « es parteix d’una base *BACASSA (o *BAGASSA), d’origen incert però en tot cas pre-romà » (Coromines in DECat 1, 545 s.v. bagassa). Comme souvent, c’est le critère sémantique qui sera déterminant dans l’établissement de l’étymologie de cette famille lexicale. On prête traditionnellement le sens ‘jeune fille ; servante’ (REW3) ou, explicitement dans le sens inverse, ‘servante ; jeune fille’ (FEW ; DCECH) à l’étymon, mais les études les plus récentes partent du principe que le sens originel devait être ‘femme dont le métier consiste à avoir des rapports sexuels avec autrui, prostituée’ (cf. Crevatin/Pfister in LEI 4, 531 et DECat 1, 545). C’est aussi dans ce sens qu’un membre de la série de cognats a été emprunté par le latin médiéval, cf. DuCange s.v. bagasea, qui glose par prostibulum, scortum (‘prostituée’). Afr. baiasse, occit. bagassa et leurs congénères ne peuvent pas être séparés de protorom. */ˈbakk-a/ s.f. et */ˈbakk-u/ s.m. ‘bassin, cuvette’ (ci-dessous 3.3), ni de protorom. */bakkaˈl-ar-e/ s.m. ‘garçon’ (ci-dessous 3.4). Tout ce groupe obscur et réputément gaulois (cf. REW3 s.v. *bacca/*baccu : « gall. ? ») doit emprunter à une variété de latin très peu conventionnelle : à notre avis, sur le tour Bacchum ministrāre loc. v. ‘servir le vin’, la langue familière a pu produire un verbe latsubstand. *baccāre ‘épancher, déverser (du vin dans un cratère)’. Rappelons que le cratère des Anciens (gr. κρᾱτήρ) est ‘un vaisseau de grande capacité, contenant du vin et de l’eau, dont on remplissait les verres à boire qu’on passait ensuite à chaque convive’ (Rich 1883, 200). Dès l’Antiquité, on formait un dérivé secondaire de genre neutre : *baccar, *baccāris s.n. ‘grand vase à vin ou à eau’. En latin parlé, la forme à géminée *baccāris se simplifiait15 en bacāris (cf. REW3 s.v. bacar ; Pfister 1992 in LEI 4, 139–
|| 15 C’est ce que nous avons proposé de nommer la lex later {*-V̄ˈCV́̄ - > *-V̆C.ˈCV́̄ - > -V̆.ˈCV́̄ -} (Garnier 2016a, 99). Le nom de la brique en latin (later) est sans étymologie : selon nous, il est possible de partir de l’adjectif lātus ‘allongé’ (< protoital. *stlā-tó-). On en tirait un dérivé secondaire *lāˈt-ālis passant à *latˈt-ālis (en vertu de la lex littera), lequel se dissimilait en *latˈt-āris dont la géminée se simplifiait en *laˈt-āris, et dont le nominatif aboutissait
194 | Romain Garnier 140, *BAC[C]AR), de la même manière que latsubstand. *mucḗre (< *muccēre < latstand. mūcēre), d’où procède un indicatif *muci̯ō (< *muceō en hiatus), sur lequel on refait – par analogie – un infinitif *mucīre (protorom. */ˈmʊk-i-/), source directe de fr. moisir (cf. REW3 s.v. mūcēre ; von Wartburg 1966 in FEW 6/3, 181b–183b, MŪCĒRE).16 Sous la forme , le substantif familier *baccar, *baccāris s.n. ‘grand vase à vin ou à eau’ (décliné *bac[c]ar, *bac[c]aris) est bien attesté par les glosateurs, ainsi que ses dérivés : bacar : uas uinarium simile bacrioni (P.-FESTUS 28, 3, Lindsay 1913) bacarium : uas aquarium (CGL 4, 487, 41 ; 590, 7 ; 599, 2) bacarium : uas uinarium (CGL 5, 270, 44 ; 591, 56) bacario : πορνοδιάκονος (CGL 2, 28, 5) bacario (« πορνοδιάκονος qui eiusmodi uas meretriculis lauantibus ministrabat », DuCange s.v. bacca ‘urceum’) : ‘jeune esclave au service des prostituées chargé de remplir l’eau du baquet pour leur bain’ (= aquāriolus s.m. ‘jeune garçon de bain’)17
C’est dans ce contexte culturel qu’il convient sans doute d’interpréter protorom. */baˈk-aki-a/ s.f. ‘débauchée, fille de mauvaise vie’. Selon Heidemeier (2014, 222), le suffixe protorom. */-ˈaki-[a]/ (corrélat de lat. -āce[a]) recèle une valeur nettement péjorative – ou bien augmentative – et accuse aussi une grande productivité : selon l’auteure, il a dû connaître une très grande fortune dans le technolecte des agriculteurs. Je pense qu’on doit y rajouter le technolecte des maisons de plaisir, qui fleurissaient à Rome. Sur un verbe latsubstand. *baccāre v.tr. ‘verser ; servir (le vin)’, on a pu former un quasi-nom d’agent épicène *baccāx s.m./f. ‘échanson(ne)’, dont le féminin aurait été recaractérisé en *baccāc-ea > *bacācea s.f. ‘servante (dans un bordel)’, d’où procède protorom. */baˈk-aki-a/ s.f. ‘débauchée, fille de mauvaise vie’.18 || phonétiquement à *latar s.m. ‘brique’. Le pluriel later-ēs est formé de façon analogique sur le nominatif, non sur le thème. Cette loi s’étend à lat. atrōcem (< *at.ˈtrōcem < *āˈtrōcem). 16 On notera protorom. */ˈmʊk-id-u/ adj. ‘moite’, variante (en général expliquée par un croisement avec mustum) de */ˈmukid-u/, corrélat exact de lat. mūcidus (cf. REW3 s.v. mūcīdus; von Wartburg 1966 in FEW 6/3, 183b–184b, MŪCĬDUS). 17 Cf. aquārius s.m. ‘esclave employé aux bains, qui apportait l’eau, la versait sur le baigneur et remplissait le labrum’ (Rich 1883, 43). Lat. labrum désigne un large bassin plat posé à même le sol, où l’on prenait son bain. 18 On notera occit. bagas s.m. ‘garçon (en mauvaise part) ; grivois’ (< *‘homme qui court après les prostituées’ ; Mistral), lequel est en propre un masculinatif, c’est-à-dire un masculin rétroformé sur un féminin, ici bagasso s.f. ‘catin’. Pour le sens, on peut en rapprocher le dérivé bagassié s.m. ‘ribaud, ruffien, débauché’ (Mistral), qui est formé à l’aide du suffixe issu de protorom. */-ˈiari-[u]/, corrélat de lat. -iāri[us].
1.8. De quelques lexèmes protoromans à initiale b- problématiques | 195
3.3 Protorom. /'bakk-a/ s.f. et */ˈbakk-u/ s.m. ‘bassin, cuvette’ Meyer-Lübke in REW3 s.v. *bacca/*baccu consacre une notice aporétique à fr. bâche s.f. ‘réservoir à eau’, frpr. bache ‘petit bateau’, occit. bac s.m. ‘auge en pierre ou en bois’ et leurs congénères. Il définit l’étymon (double) par ‘réservoir à eau’, tout en se demandant s’il n’est pas d’origine gauloise. De son côté, von Wartburg 1923 in FEW 1, 197b–198b, BACCA, *BACCUS supprime l’astérisque devant le substantif féminin (attesté « in lt. glossen »), mais maintient l’hypothèse étymologique (« wohl keltischen ursprungs »). En réalité, l’hypothèse d’un emprunt à une langue celtique – étant donné que la série de cognats est galloromane, seul le gaulois pourrait entrer en ligne de compte – est inutile. Nous proposons au contraire de voir dans */ˈbakk-a/ s.f. et */ˈbakk-u/ s.m. ‘bassin, cuvette’ des dérivés postverbaux sur latsubstand. *baccāre ‘épancher, déverser (du vin dans un cratère)’ (cf. ci-dessus 3.2).19
3.4 Protorom. */bakkaˈl-ar-e/ s.m. ‘garçon’ Le signifiant de l’étymon d’it. baccalare s.m. ‘palefrenier’, afr. bacheler ‘jeune homme’ et leurs cognats a préservé la géminée */-kk-/, cf. Meyer-Lübke in REW3 s.v. *baccalāris (« Bursche »), von Wartburg 1923 in FEW 1, 198b–199a, *BACCALARIS (« die herkunft von *BACCALARIS ist ganz unbekannt ») et Pfister 1992 in LEI 4, 125–131, *BACCALARIS/*BACCALARIUS (« servo ; giovane » ; « baccalaris […] e […] baccalarius […] risalgono probabilmente ad una base celtica bakk‘giovane’ »). On pourrait admettre une banale suffixation secondaire sur *baccar, *baccāris s.n. ‘grand vase à vin ou à eau’ (cf. ci-dessus 3.2) : latsubstand. *ba-car-āris s.m. ‘échanson, garçon qui sert à boire’ – ici encore à valeur de quasinom d’agent – dissimilé en *baccal-āris ~ */bakkaˈl-ar-e/ s.m. ‘échanson ; garçon’. On notera que la connotation est bien moins péjorative que pour le féminin */baˈk-aki-a/ ‘prostituée’ (cf. ci-dessus 3.2).
|| 19 Cf. par ailleurs le dérivé secondaire *baccīnum ~ protorom. */bakˈk-in-u/ s.n. ‘bassin’ (REW3 s.v. baccīnum ; von Wartburg 1923 in FEW 1, 199b–201a, *BACCINUM ; Calò/Pfister 1992/1993 in LEI 4, 181–194, BAC[C]INUM).
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3.5 Protorom. */ˈbarr-a/ s.f. ‘barre’ Sur la foi d’it. barra, fr. barre, occit. cat. esp. port. barra s.f. ‘barre’, on pose traditionnellement un étymon lat. *barra : Meyer-Lübke in REW3 s.v. *barra (‘barre transversale’), von Wartburg 1923 in FEW 1, 255b-261a, *BARRA (‘barre transversale’), Marinucci/Pfister 1994 in LEI 4, 1578–1627, *BARRA (‘barre’). L’origine de */ˈbarr-a/ n’est pas encore élucidée (FEW 1, 260 : « der ursprung von *BARRA ist noch unbekannt »). Von Wartburg in FEW 1, 260b envisage la possibilité d’un croisement entre gaul. *barros s.m. ‘pointe ; extrémité ; tête’ (IEEDCeltic s.v. *barro- ; Delamarre 2019, 112) et, pour justifier le genre, lat. vāra s.f. ‘bâti (dans une machine de guerre) ; bâton fourchu ; chevalet (de scieur de bois)’ (Gaffiot), corrélat de protorom. */ˈβar-a/. Meyer-Lübke in REW3 semble donner crédit à cette étymologie (« wahrscheinlich »),20 et Guiraud (1982, 81) la développe sous la forme de plusieurs variantes. Pour ce qui est Marinucci et Pfister in LEI 4, 1626, ils se contentent de caractériser l’étymon comme d’origine préromane (« voce preromanza »), sans donner davantage de précisions, mais écartent la possibilité d’un lien avec lat. vāra. Or, le recours à gaul. *barros ou à un autre étymon de substrat n’est pas nécessaire. En effet, sur latsubstand. *uāra/*uarra s.f. ‘traverse’, qui est en propre la substantivisation de l’adjectif lat. uārus/*uarrus ‘tordu’, il faut supposer un dénominatif *com-barrāre ‘placer une barre transversale pour fermer’ (< *con-u̯arrāre), avec une autre illustration de la lex imbēcillus {*-n-u̯ - > -mb-} (Garnier 2016a, 98), dont */ˈbarr-a/ représente le dérivé postverbal.
3.6 Protorom. */ˈbassi-a-/ ‘abaisser’ et */ˈbass-u/ adj. ‘bas’ Sur la base d’itmérid. basciare v.tr. ‘faire descendre à un niveau inférieur, abaisser’, fr. baisser, occit. baisar et leurs cognats, on reconstruit protorom. */ˈbassi-a-/ v.tr. ‘abaisser’ (cf. REW3 s.v. *bassiāre ; von Wartburg 1923 in FEW 1, 272a–274a, *BASSIARE ; Calabrò/Pfister 1995 in LEI 5, 1–18, *BASSIĀRE). Parallèlement, la reconstruction de protorom. */ˈbass-u/ adj. ‘qui a peu de hauteur, bas’ se recommande à partir d’une série de cognats constituée entre autres d’it. basso adj. ‘bas’, fr. bas et occit. bas (cf. Meyer-Lübke in REW3 s.v. bassus, von Wartburg 1923 in FEW 1, 274a–276a, BASSUS et Calabrò/Pfister 1995 in LEI 5, 19–96, BASSUS). L’origine de ces deux lexèmes protoromans est obscure. Contrairement à la communis opinio (von Wartburg in FEW 1, 275b ; Calabrò/Pfister in LEI 5, 95),
|| 20 REW1 : « gall. barros […] paßt begrifflich nicht ».
1.8. De quelques lexèmes protoromans à initiale b- problématiques | 197
nous ne pensons pas qu’un rapport avec lat. bassus adj. ‘gras’ et *bassus, -ūs s.m. ‘embonpoint’ soit probable. Il faut peut-être supposer l’existence d’un emprunt au verbe technique gr. ἐμϐάπτω, ἐμϐάψαι v.tr. ‘*plonger (dans la teinture)’ (cf. Bailly s.v. ἐμϐάπτω ‘plonger, tremper [dans]’), qui donnerait quelque chose comme *imbapsāre v.tr. ‘teindre ; plonger dans la teinture’, d’où *imbassāre avec traitement précoce du groupe -ps- en -ss- (Garnier 2016a, 93).21 Sur un participe parfait im-bass-ātus ‘plongé’, on a pu former un décausatif (une sorte d’antipassif) de type *bassus adj. ‘situé en bas’. Il s’agirait donc d’un terme issu du technolectes des teinturiers.
3.7 Protorom. */ˈbast-u/ s.m. ‘bât’ et */ˈbast-a/ s.f. ‘panier de bât’ Sur la foi d’it. basto s.m. ‘dispositif que l’on attache sur le dos de certains animaux pour leur faire porter une charge, bât’, occit. cat. bast, esp. basto (= lat. clītellæ s.f.pl. ‘bât sur lequel étaient portés les paniers’),22 on reconstruit protorom. */ˈbast-u/ s.m. ‘bât’ (cf. REW3 s.v. *bastum [‘bât’] ; von Wartburg 1923 in FEW 1, 279–281a, *BASTUM [‘bât’] ; Cornagliotti/Pfister 1995 in LEI 5, 178–200, *BASTUM [‘bât ; selle ; type de grande selle en bois’]). L’origine de protorom. */ˈbast-u/ s.m. ‘bât’ n’a pas encore été entièrement élucidée (REW3 : « Ursprung unbekannt »). Von Wartburg in FEW 1, 280b y voit un dérivé de *BASTARE (« ist von *BASTARE eine neue abl[ei]t[ung] gebildet worden, *BASTUM [eig[entlich] ‘die trage’] »), étymologie très recevable, à condition de postuler un sens non reconstructible (‘porter’) pour *bastare, ce que von Wartburg fait sur la foi du sémantisme de *bastum et de celui de l’étymon présumé de *bastare, gr. βαστᾶν (cf. FEW 1, 277b, *BASTARE). Cette étymologie est acceptée par Cornagliotti/Pfister in LEI 5, 200 : « è probabile che il termine sia deverbale di *BASTĀRE (forse dal gr. βαστᾶν = βαστάζειν ‘portare’, sebbene alcuni studiosi, p.es. Corominas, propendano per un etimo preromano ».
|| 21 Sur la foi du substantif cassis, -is s.m. ‘filet’, qui est le postverbal d’un verbe *cassiāre (laqueīs) ‘prendre au filet’ (< *capsiāre), on peut admettre un traitement précoce du groupe *-psen -ss-, ainsi qu’il s’observe dans le latin épigraphique vulgaire de Pompéi, où Väänänen (31981, 64) relève ‘ipse’ et ‘ipsa’. Nous avons proposé d’identifier ce phénomène à propos du tour plautinien labōre dēlāssātum (PL. Asin. 872) valant *labōre dē-lāps-ātum ‘écroulé de fatigue’, source du décausatif lāssus adj. ‘las’ (Garnier 2016a, 272). 22 À en croire von Wartburg in FEW 1, 280b (étymologie non reprise par le TLF), fr. bât ne fait pas partie de la série de cognats, mais a été emprunté au Moyen Âge (à l’occitan ?).
198 | Romain Garnier Du point de vue morpho-sémantique, il est important de noter que les parlers romans attestent aussi le type d’occit. basta s.f. ‘espèce de panier qu’on met au nombre de deux sur les bêtes de somme’, que l’on peut analyser avec von Wartburg in FEW 1, 280b n. 4 (« wohl aus dem alten neutr. pl. entstanden, da die last naturgemäß immer aus zwei körben bestand ») comme issu du pluriel */ˈbast-a/. Ce sémantisme est par ailleurs aussi attesté pour lat. clītellæ s.f.pl. La possibilité d’un emprunt au grec est plausible, mais le verbe βαστᾶν (= βαστάζειν) ‘transporter’ n’existe qu’en grec moderne – ce qui n’est pas un argument diriment, mais pose néanmoins problème. Il a pu se former précocement un dérivé verbal inverse *βαστάω sur βαστάζω d’après des couples comme att. σχάω v.tr. ‘fendre’, qui semble primitif, alors qu’il est en fait une formation secondaire (plus récente) d’ion.-att. σχάζω (cf. Garnier 2017, 60–61). Les faits protoromans pourraient s’expliquer par */ˈbast-a-/ v.tr. ‘charrier, transporter’, verbe issu de latsubstand. *bastāre, lui-même adapté de gr. *βαστάω v.tr. ‘transporter’. Cela dit, la sémantique de ‘paniers de bât’ semble évoquer le préverbe latin amb- ‘des deux côtés’ : à titre d’hypothèse alternative, on peut supposer l’existence, en latin substandard, d’un neutre *bāstum au sens de ‘chargement ; bât’ au singulier23 et ‘paniers de bât’ au pluriel (*bāsta, acc. *bāstās). Nous proposons d’analyser ce dernier comme un dérivé postverbal de *bāstāre v.tr. ‘charger (une bête de somme) en lui mettant les deux paniers de part et d’autre, bâter’ (amb-), lui-même obtenu par dépréverbation fautive de *am-bāstāre, qui représente un ancien *amb-āstāre < *amb-āxitāre, composé des éléments amb- ‘des deux côtés’ et d’un dérivé fréquentatif de la racine latine *ag- ‘mener, conduire’, soit un fréquentatif *āctāre/*āxāre v.tr. ‘transporter, charrier’ (cf. lat. *amb-ag-ium s.n. ‘bât, bagages’, ci-dessus 3.1).24
3.8 Protorom. */basˈton-e/ s.m. ‘bâton’ Sur la base d’it. bastone s.m. ‘morceau de bois long et allongé, bâton’, fr. bâton et leurs congénères, Meyer-Lübke in REW3 pose un étymon *bastum ‘bâton’, analysant l’ensemble des données romanes comme des dérivés idioromans. De ce fait, l’existence de *bastum est sujette à caution, comme le reconnaît Meyer-Lübke luimême : « ob das spät überlieferte BASTUM oder BASTA lat. ist, bleibt fraglich, mit || 23 DuCange s.v. bastum ‘clitellæ, sagma’ donne pour ce lemme la définition : sagma, sella, quam uulgus bastum uocat, super quo componuntur sarcinæ (‘chargement d’une bête de somme, bât, qui se dit bastum en langue vulgaire, sur lequel on range les bagages’). 24 Pour la phonétique, on peut mentionner fr. tâter < protorom. */tasˈt-a-re/, qui remonte à latsubstand. *tāstāre (< *tāxitāre).
1.8. De quelques lexèmes protoromans à initiale b- problématiques | 199
rom. bastone könnte es auf einen germ. männlichen n-Stamm hinweisen ». Von Wartburg 1923 in FEW 1, 279ab, BASTUM, qui accepte cet étymon bastum en lui ôtant l’astérisque, car le substantif est attesté à travers un hapax du 4e siècle (cf. TLL 2, 1783), souligne lui aussi le problème morphologique, sans toutefois y apporter une solution. C’est avec Cornagliotti 1995 in LEI 5, 124–176, *BASTŌ (« lat. volg. *BASTO, -ONIS »), et encore davantage avec Matthey 2006,25 qu’on parvient à un étymon convaincant, que l’on notera */basˈton-e/ en protoroman, pour cette famille lexicale.26 Reste à établir l’origine de protorom. */basˈton-e/ s.m. ‘bâton’. Tandis que le REW3 s.v. *bastum ne propose aucun rattachement ultérieur, von Wartburg in FEW 1, 279b suggère un éventuel rapport de bastum avec *bastare (« vielleicht ist es wie *BASTUM ‘saumsattel’ mit *BASTARE zu verknüpfen »), hypothèse reprise avec plus de conviction par Cornagliotti in LEI 5, 175 (« BASTUM […], derivato da BASTARE ‘portare’ »). Du point de vue sémantique, cette hypothèse ne va néanmoins pas de soi, ce qui laisse de la place pour des étymologies alternatives. Celle que nous proposons part d’it. bastonare v.tr. ‘donner des coups de bâton à (qn)’ (dp. ca 1260), fr. bâtonner (dp. déb. 13e s.) et leurs congénères (cf. LEI 5, 146 et n. 35 ainsi qu’it. bastonata s.f. ‘volée de coups de bâton’ et ses congénères, LEI 5, 150 et n. 38). Il est en effet utile de rappeler que lat. bastum désigne un bâton à battre, ce en quoi il se distingue du bâton de marche (baculum). On peut ici songer à un lien avec protorom. */ˈbatt-e-/ v.tr. ‘battre’ (cf. Blanco Escoda 2011–2016 in DÉRom s.v.), dont le signifiant manifeste la même simplification que pour le type de lattard. cardēlis s.m. ‘chardonneret’ en regard de lat. carduēlis. Noter aussi protorom. */batˈt-ali-a/ (< fr. bataille), qui est l’avatar de lat. bā-tuālia s.n.pl. ‘escrime’. Le participe parfait lat. bāttūtus ‘frappé’ correspond à protorom. */batˈt-u-t-u/ (cf. fr. battu), mais il a pu aussi exister, dans la langue souterraine de l’oralité, un paradigme refait *bāttere, *bāstus ‘rosser, battre de verges’, avec réintroduction parasite de la dentale (on attendrait ici *bāsus, comme l’on a
|| 25 « Compte tenu de la valeur augmentative du suffixe -o, -ōnis en latin (type mēlum ‘pomme’, mēlo ‘melon’), l’origine du mot bâton (et de ses équivalents dans toutes les langues romanes) s’explique par la forme suffixée *basto, -ōnis, déjà latine, sur le radical bastum, hapax du 5e s. ». 26 Il est possible que protorom. */basˈton-e/ soit issu par changement de classe flexionnelle de lat. bastum, peut-être par une volonté de distinguer ce substantif de la famille de */ˈbast-u/ s.m. ‘bât’ (cf. ci-dessus 3.7).
200 | Romain Garnier ē-uāsus ‘qui s’est enfui’ en regard du présent ē-uādere). Ce type de participe parfait avec dentale abusive est déjà documenté en latin de l’Antiquité, ainsi lat. com-ēsus ‘dévoré’ (PL., CAT.) et son doublet com-ēstus (CIC.).27 Ce verbe ‘plébéien’ (et pour cause !) *bāttere, *bāstus v.tr. ‘rosser, battre de verges’ a pu fournir une locution *bāstum dare ‘flanquer une rossée, donner une bastonnade’, avec un nom d’action latsubstand. *bāstum s.n. ‘action de battre, rossée’, concrétisé en substantif à la faveur d’une telle construction. La forme aurait été recaractérisée comme substantif concret par l’adjonction du suffixe augmentatif -ō, -ōnis, lequel était en perte de motivation dans les derniers moments de la latinité (cf. lattard. sabulō vs. sabulum ‘sable’, latsubstand. *mentō ‘[gros] menton’ > fr. menton [subspécifié]). On notera aussi que c’est une stratégie qui permet d’évincer les neutres mentum et sabulum.
3.9 Protorom. */bı-ˈram-ik-a/ s.f. ‘griffe ; main ; branche’ Pour rendre compte de roum. brîncă s.f. ‘main’, it. branca ‘griffe ; pince’, fr. branche ‘tige secondaire d’un arbre qui se développe à partir du tronc’ et de leurs cognats, nous songeons, plutôt que l’étymon protorom. */ˈbrank-a/ communément invoqué (REW3 s.v. branca ; von Wartburg 1927 in FEW 1, 496a–498a, BRANCA ; Salamanna/Lupis/Tancke 2000 in LEI 7, 117–164, BRANCA), à rétablir la vieille explication de Neumann (1881, 386), non retenue par Thurneysen (1884, 48), qui reconstruit latsubstand. *bi-rām-ica s.f. ‘embranchement’ (d’où ‘griffe, main’ et ‘branche’). La celtomanie de Thurneysen lui fait rapprocher virl. brac/bracc s.m. ‘main’, mais il s’agit là d’un emprunt à lat. brachium s.n. ‘bras’ (LEIA B–75), et les lemmes présumément protocelt. **branko- s.m. ‘main’ et **brankā s.f. ‘branche’ n’existent pas en celtique insulaire. Il existe à la vérité une souche *branco- (de sens inconnu) dans l’onomastique gauloise, cf. NP Branchus (à Rome) et Brancus (nom d’un roi allobroge), dérivé *Branc-ati- dans le NP Brancatius (à Aquileia), rapprochés – à titre d’hypothèse – par Delamarre (2019, 148) de lit. rankà s.f. ‘main’ (< proto-ind.-eur. *u̯ronk–éh2), mais – comme le concède l’auteur – le passage de *u̯ r- à br- n’est pas sûr : il en existe de nombreux contre-exemples, comme gaul. Vritus et Vrassia. || 27 Autre exemple (cf. Garnier 2016a, 121) : esp. it. visto ‘vu’ vs. lat. uīsus. Noter tout particulièrement lat. infēstus adj. ‘dirigé contre ; ennemi, hostile’ (gouvernant le datif), réfection d’un plus ancien *infēsus, qui représente ici la forme phonétique (car lexicalisée) prise par le participe parfait in-fensus ‘irrité ; hostile, animé contre’ (gouvernant aussi le datif). Le verbe de base est in-fend-ere v.tr. ‘accuser ; attaquer’ (CGL 2, 82, 6 : infendere : ἐπιτεῖναι, ἐγκληματίσαι ‘se porter vers ; accuser’).
1.8. De quelques lexèmes protoromans à initiale b- problématiques | 201
À notre avis, il faut renoncer à l’idée de ‘branche’ ou de ‘main’ – ce qui du reste n’offrait guère d’omineuses perspectives onomastiques : le nom de personne gaulois Branc(h)us ne semble pas être lié étymologiquement à la famille de roum. brîncă, it. branca et fr. branche. Il faut ici rapprocher virl. barae, barann s.f. ‘colère, fureur ; hostilité ; combat’ (thème en -n), dérivé secondaire barnech/bairnech adj. ‘irrité’ (< protocelt. *bar-n-iko-), cognat de gall. bar et baran- ‘colère ; passion’ (LEIA B–17). Plutôt qu’un rapprochement avec la racine proto-ind.-eur. *bʱerhx- v.tr. ‘frapper ; percer’ (lat. feriō ‘frapper’, forāre ‘percer’, vangl. borian ‘forer’), ou bien (ce qui est pire encore) avec la racine proto-ind.-eur. *gu̯ erh2- v.intr. ‘être lourd’ – proposition d’Eric Hamp (1978, 10) –, nous songeons ici à la racine *bʱerh2- v.intr. ‘se précipiter avec fougue’ (LIV2 81), qui se prolonge dans lat. furere v.intr. ‘être en fureur’, véd. bhur-aṇ-yá-ti ‘être agité’ (Rigvéda, cf. van Nooten 1994) et bhūr-ṇi- adj. ‘impétueux’ (Atharvavéda, cf. Whitney/Lanman 1905), lequel remonte à un abstrait proto-ind.-eur. *bʱr̥h2-ní- s. ‘impétuosité, fureur’, qui donnait protocelt. *brā-ni- s.f. ‘fureur ; hostilité’, et sur lequel on a formé un banal dérivé secondaire *brāni-ko- (syncopé en gaul. *Brancos ‘Hostilius’). Virl. barae, barann s.f. ‘colère, fureur ; hostilité ; combat’ reflète protocelt. *bar-ḗn+-s, *bar-n- (< proto-ind.-eur. *bʱr̥h2-én-), sur lequel on a formé à nouveau un dérivé *bar-n-iko- adj. ‘irrité’ (virl. barnech/bairnech). Gall. baran s.m. ‘colère ; passion’ (< protocelt. *bar-an-o-s) est superposable – mais sans doute parallèle – à véd. bhur-aṇ-a- adj. ‘fougueux’ (< proto-ind.-eur. *bʱr̥h2-en-ó-).
4 Emprunts au substrat celtique L’équipe du DÉRom a récemment commencé à s’intéresser au lexique protoroman d’origine celtique. Deux entrées du présent volume, notamment, sont consacrées à des emprunts au gaulois : Buchi/Chepurnykh/Gotkova/Hegmane/ Mikhel 2019 in DÉRom s.v. */molˈton-e/ et Buchi/Abbass/Daloz/Dilubenzi/ Kneib/Lee/Pierrot/Zenia 2019 in DÉRom s.v. */ˈrusk-a/. Dans ce qui suit, nous présentons un ensemble d’étymons qui mériteraient à notre avis d’être traités dans ce cadre.
202 | Romain Garnier
4.1 Lexèmes de celticité établie 4.1.1 Protorom. */ˈbask-a/ s.f. ‘hotte ; filet’ L’origine en dernier lieu gauloise d’oïl. bâche s.f. ‘hotte ; filet en osier de forme conique pour prendre les poissons ; grosse toile dont on recouvre les charrettes’ (cf. fr. dial. bachot) et bâchoue ‘id.’ et de leurs congénères est acceptée par la grande majorité des auteurs (cf. la riche discussion chez Schmidt 2009, 239–243). Il existe toutefois des différences d’opinion dans le détail. Pour Meyer-Lübke in REW3 s.v. bascauda, le type bâchoue est d’origine gauloise certaine, tandis que les unités de type bâche « bedürfen begrifflich genauerer Erklärung ». Von Wartburg 1923 in FEW 1, 267a–268a, BASCAUDA analyse bâche, reprenant une hypothèse évoquée par Meyer-Lübke in REW1 (« vielleicht Rückbild. »), comme une rétroformation à partir de bâchoue. Pour ce qui est de Sauder et Pfister 1994 in LEI 4, 1751–1753, *BASK-, ils distinguent deux points de départ : tandis qu’ils rattachent le type bâche à *bask- (« prerom. »), ils semblent ne pas mettre en doute le rattachement du type bâchoue à bascauda. Enfin, Schmidt (2009, 242) opte clairement pour deux étymons : celt. *bask-ā ‘ruban’ (> bâche) et gaul. *bask-audâ ‘écuelle’ (> bâchoue). En tout état de cause, les cognats du type bâche incitent à reconstruire protorom. (régional) */ˈbask-a/ s.f. ‘hotte ; filet’,28 un emprunt au gaulois. Nous avons par ailleurs proposé (Garnier 2018, 122–123) d’adjoindre au dossier un lexème d’origine celtique de Transalpine : lat. baxeæ s.f.pl. ‘chaussures à semelle de corde’ (Plaute ; < lépont. *baχsiyā s.f. ‘sparterie’), qui présente une métathèse : *baχsi- (< protocelt. *baski- ‘artefact tressé’). Contrairement à ce que suggère Schmidt (2009, 242), protocelt. *bask-ā ne saurait remonter à proto-ind.-eur. *bʱn̥ dʱ-sk̑-éh2 s.f. ‘lien’, car protocelt. */n/ voyelle donne */an/ et non pas */a/. On peut partir de *bʱeh1dʱ- v.tr. ‘presser ; serrer’ (LIV2 68). Cette racine a pu donner un neutre sigmatique *bʱéh1dʱ-e/os- s.n. ‘fascine, paquet, fagot’ (cf. véd. sa-bādh-as-), source d’un dérivé secondaire *bʱh1dʱ-s-kó- adj. ‘lié, empaqueté, mis en fagot’, dont *bʰh1dʰ-s-k-í-h2 s.f. ‘bande, fagot, fascine’ serait l’amorce de lat. fascis (hypercorrect pour *fascia) et de protocelt. *baski-.
|| 28 L’étymon « *baskj-o- » proposé par Gamillscheg2 s.v. bâche2 présente l’avantage de mieux cadrer avec les données celtiques, mais la série de cognats dont il s’agit de reconstruire l’ancêtre commun ne contient que des unités du genre féminin ; il faudrait donc sans doute postuler *bask-iyā.
1.8. De quelques lexèmes protoromans à initiale b- problématiques | 203
4.1.2 Protorom. */ˈbau-a/ s.f. ‘boue, saleté, fange’ Fr. boue s.f. ‘mélange de terre ou de poussière et d’eau formant une couche sale sur le sol’, occit. bouvo et leurs cognats incitent à reconstruire protorom. */ˈbau-a/ s.f. ‘boue’ (cf. REW3 s.v. baua ; von Wartburg 1924 in FEW 1, 302ab, BAWA), un paronyme de protorom. */ˈbaβ-a/ s.f. ‘salive visqueuse qui s’échappe de la bouche d’une personne ou de la gueule d’un animal, bave’ (cf. Groß/Schweickard 2009–2015 in DÉRom s.v.), un substantif formé dans le langage enfantin d’origine onomatopéique. Protorom. */ˈbau-a/ est d’origine celtique (REW3 et FEW 1, 302a : « gall. »), cf. gall. baw s.m. ‘boue ; saleté ; ordure’ < protocelt. *bowos. À l’origine, il s’agit vraisemblablement du nom du bovin, et désigne en propre la bouse, à l’instar de protorom. */boˈβ-aki-a/ s.f. ‘fumier des bœufs’ (< */ˈbɔβ-e/ s.m. ‘bœuf’, Heidemeier 2014, 222). Avec un autre suffixe, il y a protosl. *govьnò s.n. ‘merde’, reflété par slav. govno s.n. ‘merde ; fumier ; ordure’ (IEEDSlavic s.v. *govьnò), et, au degré zéro, skr. gū-tha- s.m. ‘excréments’, guváti ‘déféquer’, dans la langue technique karṇa-gūtha- s.m. ‘cérumen’ (litt. ‘saleté des oreilles’), dont le second membre est à rapprocher d’avest. gūϑa- s.n. ‘saleté’. Il faut ici partir de proto-ind.-eur. *gu̯ ou̯-éh2 s.coll. ‘troupeau de bovins’, base d’un dérivé *gu̯ ou̯-h2-ó- ‘fumier des bœufs’ (> protocelt. *bowos)29 et d’un autre dérivé *gu̯ u-h2-téh2 ‘fumier des bœufs’ qui produit à son tour un dérivé *gu̯ u-h2-t-h2-ó- s.m./n. ‘saleté ; ordure’ (litt. *‘relevant du fumier’).
4.1.3 Protorom. */ˈbεd-u/ s.m. ‘fosse ; canal’ Une série de cognats composée entre autres d’itsept. ⸢bedo⸣ s.m. ‘canal d’irrigation’ et de fr. bief ‘canal qui conduit l’eau d’un cours d’eau sur une roue hydraulique pour la faire tourner’ amène à reconstruire protorom. */ˈbεd-u/ s.m. ‘fosse ; canal’ (cf. Meyer-Lübke in REW3 s.v. bedo- ; von Wartburg 1924 in FEW 1, 312a– 313a, *BEDU ; Zamboni 1995 in LEI 5, 819–825, *BEDO-). Les auteurs s’accordent à dire que protorom. */ˈbεd-u/ est d’origine gauloise (REW3, FEW 1, 312a et LEI 5, 819 : « gall. » ; Delamarre 2003, 70 s.v. bedo-) ; l’étymon correspond à gall. bedd s.m., bret. bez s.f. et corn. beth ‘fosse’ (IEEDCeltic s.v. *bedo-), dont l’ancêtre commun est formé sur la racine proto-ind.-eur. *bʱedʱhx- v. ‘fouiller le sol ; creuser’ (cf. lat. fodiō, fossa). || 29 Pour *gu̯ > *b, cf. Ernout/Meillet4 s.v. bōs : « traitement dialectal de *gw- > b-, attesté en oscoombrien ».
204 | Romain Garnier 4.1.4 Protorom. */ˈbεkk-u/ s.m. ‘bec’ Protorom. */ˈbεkk-u/ s.m. ‘bec’, reflété entre autres par log. biccu s.m. ‘bec’, it. becco et fr. bec (cf. REW3 s.v. *bẹccus ; von Wartburg 1924 in FEW 1, 304b–311b, BECCUS ; Schweickard/Bork/Pfister 1995 in LEI 5, 667–758, BECCUS), est d’origine celtique certaine (REW3 : « gall. » ; FEW 1, 310b : « wird von Sueton ausdrücklich als gallisches wort gegeben und ist sonst im lt. nicht belegt » ; LEI 5, 757 : « di probabile origine celtica »). L’étymon celtique en est *bekkos s.m. ‘bec ; museau’ (IEEDCeltic s.v. *bek(k)o-), d’où bret. beg s.m. (abret. bec). Lat. beccus s.m. ‘bec (d’un coq)’ se retrouve déjà chez Suétone (Vit. 18). Il s’agit sans doute d’une formation expressive sur √beg- v.tr. ‘briser’ (virl. do.beig), soit protocelt. *bekko- (< *beg-ko- ‘piqueur’).
4.1.5 Protorom. */ˈbεnn-a/ ~ */ˈbεnd-a/ s.f. ‘corbeille ; chariot à caisse tressée’ Des données comme itsept. benna s.f. ‘caisse d’osier du chariot’ et fr. benne ‘chariot d’osier à quatre roues servant au transport des personnes chez les Gaulois’ incitent à reconstruire protorom. */ˈbɛnn-a/ s.f. ‘corbeille ; chariot à caisse tressée’ (cf. REW3 s.v. *bĕnna [‘corbeille ; chariot à caisse tressée ; traîneau à nacelle’] ; von Wartburg 1924 in FEW 1, 325a–329b, BENNA [‘espèce de chariot’] ; Schweickard/Pfister 1996 in LEI 5, 1171–1182, BENNA [‘grande corbeille ; chariot à caisse tressée’]). Protorom. */ˈbɛnn-a/, dont le corrélat en latin écrit de l’Antiquité est benna s.f. ‘chariot à caisse d’osier’ (P.-FEST. 29, 24, Lindsay 1913), représente clairement un emprunt au gaulois (REW3 : « gall. » ; FEW 1, 329a : « es handelt sich zweifellos um ein wort keltischen ursprungs » ; LEI 5, 1181 : « voce di origine celtica »). Quant au type de tosc. benda, SRfrpr. benda, il n’est pas à analyser, en dépit de von Wartburg in FEW 1, 329a n. 3 et Schweickard/Pfister in LEI 5, 1172 n. 3 (« -dipercorretto [-nn- > -nd-] »), comme d’origine idioromane. Il reflète au contraire un étymon celtique *bend-ā (Delamarre 22003, 66) plus conservateur, car non encore assimilé en -nn-. La racine sous-jacente est proto-ind.-eur. *bʱendʱ- v.tr. ‘lier, attacher’ (cf. got. bindan). Enfin, fr. banne s.f. ‘charrette’ (base du diminutif fr. bagnole s.f. ‘maisonnette ; wagon de chemin de fer ; voiture’), que la tradition romaniste rattache au même étymon (REW3 ; FEW 1, 325a ; LEI 5, 1182), reflète en réalité un étymon concurrent : gaul. *band-ā/*bann-ā sur degré zéro (< proto-ind.-eur. *bʱ n̥ dʱ-éh2 coll.
1.8. De quelques lexèmes protoromans à initiale b- problématiques | 205
‘ensemble de liens ; artefact tressé’). Pour ce thème gaul. *banda/*banna, voir Delamarre 22003, 66.
4.1.6 Protorom. */ˈbεti-u/ s.m. ‘bouleau’ Protorom. */ˈbεti-u/ s.m. ‘bouleau’ se reconstruit sur la base d’une série de cognats composée notamment d’afr. biez s.m. ‘bouleau’, occit. bes et esp. biezo (cf. REW3 s.v. *bettiu, -a ; von Wartburg 1924 in FEW 1, 345b–347a, *BETW- ; Zamboni 1996 in LEI 5, 1380–1396, BETULLA). S’il n’y a pas de consensus sur le signifiant de l’étymon, ce dernier représente un parangon de la celticité (REW3 : « gall. » ; FEW 1, 345b : « kelt. » ; DCECH 1, 11 : « de origen céltico » ; LEI 5, 1393 : « voce certamente celtica »). Il n’est pas nécessaire, comme le fait Meyer-Lübke in REW3, de poser une ancienne géminée, au vu d’afr. biez, occit. bes et esp. biezo, qui se laissent ramener à un étymon protorom. */ˈbεti-u/. On notera par ailleurs virl. beithe s.m. ‘bouleau’ (peut-être aussi ‘buis’, LEIA B–28, sur la foi d’une glose bethe : buxus arbor), qui reflète directement un étymon protocelt. *bet-yo- (IEEDCeltic s.v. *betu-).
4.1.7 Protorom. */bırˈr-ıtt-a/ s.f. et */bırˈr-ıtt-u/ s.m. ‘espèce de couvre-chef’ Les séries de cognats – difficiles à établir avec certitude en raison de la possibilité d’emprunts intraromans – autour d’it. berretta s.f. et berretto s.m. ‘espèce de couvre-chef’ incitent à reconstruire protorom. */bırˈr-ıtt-a/ s.f. et (ou tout au moins ou) */bırˈr-ıtt-u/ s.m. ‘espèce de couvre-chef’. La tradition romaniste, qui a tendance à mettre en avant des approximations d’étymons attestées en latin écrit plutôt que de véritables étymons qui se recommandent par l’application de la grammaire comparée, opte toutefois unanimement pour un prototype birrus (cf. REW3 s.v. birrus ; von Wartburg 1925 in FEW 1, 376ab, BIRRUS ; Pfister/Crevatin 1997 in LEI 6, 1–33, BIRRUS), accordant de ce fait à l’ensemble des données romanes le statut de dérivés idioromans, hypothèse que la convergence romane unanime rend hautement improbable. L’origine gauloise de protorom. */bırˈr-ıtt-a/ s.f. et/ou */bırˈr-ıtt-u/ s.m. ne fait pas de doute (cf. REW3 : « gall. » ; FEW 1, 376b : « wahrscheinlich stammt es aus dem kelt. » ; LEI 6, 33 : « è un termine di origine gallico »). De son côté, lat. birrus s.m. ‘manteau court à capuche’ (JUV.+) désigne un vêtement typiquement gaulois. DuCange explique que latméd. birretum (adaptation de fr. béret) est le diminutif d’un nom de vêtement à capuche, et désigne la
206 | Romain Garnier capuche elle-même, ou bien toute sorte de couvre-chefs (capitis tegmen), portés par les docteurs, insigne ducal, mitre d’évêque. Il rapporte la notice de l’Accademia della Crusca à propos d’it. berreta : « copertura del capo, diversa dal cappello, che si fa in varie foggie, e di diversi drappi ». L’origine en est protocelt. *birros adj. ‘court’ (cf. IEEDCeltic s.v. *birro-), dont le détail est obscur : on ne peut supposer un ancien *r vocalique, car ce dernier évolue en ar au contact de s (cf. de Bernardo Stempel 1987, 24). Selon nous, il faut partir de la racine proto-ind.-eur. *bʱerhx- v.tr. ‘perforer’ (cf. ci-dessous 4.2.1 et 4.2.2). Nous proposons de poser un thème sigmatique proto-ind.-eur. *bʱérhx-is- s.n. ‘coupure’, dont il existe un dérivé secondaire en germanique : vangl. byris s.f. ‘lime’ (< protogerm. *bur-is-ō s.f.), qui est apparenté, selon Kroonen in IEEDGermanic, au verbe faible de la classe II borian v.tr. ‘forer’ (< west. *bur-ō-jan). Ce verbe est formé sur un thème faible proto-ind.-eur. *bʱr̥hx-is-, qui devait être associé au thème fort proto-ind.-eur. *bʱérhx-is- au sein d’un paradigme alternant. Pour aboutir aux faits celtiques, il convient de se débarrasser de l’inopportune laryngale : nous proposons de partir d’un ancien privatif de type proto-ind.-eur. *ń̥ -bʱr(hx)-is-to- adj. ‘non coupé ; indemne, intact’, avec application de ladite loi νεογνός, soit proto-ind.-eur. *VCR(H)V- (gr. νεογνός s.m. ‘nouveau-né’ < proto-ind.-eur. *neu̯o-g̑n(h1)-ó-). En toute rigueur, on attend ici protocelt. *am-bris-to- adj. ‘non brisé ; infrangible’, qui aurait pu donner naissance à une néo-racine celtique de forme *bris- v.tr. ‘couper, briser’ (cf. virl. brissid v.tr. ‘briser’ < protocelt. *bristiye/o-), source de l’adjectif *bris-o- > *birso> *birro- ‘court’, reflété en celtique insulaire par virl. berr adj. ‘court ; bref (se dit également du temps et du lieu)’, base du dénominatif virl. berraid v.tr. ‘tonsurer’. Noter en outre virl. brisc adj. ‘fragile’, qui reflète un protocelt. *bris-kó- adj. ‘qui se brise facilement’ (LEIA B–90).
4.1.8 Protorom. */ˈbʊkk-u/ s.m. ‘bouc’ Une série de cognats composée notamment de « piém. boch, Arbedo bok » (FEW 1, 590a), fr. bouc s.m. ‘mâle de la chèvre’ et romanch. occit. cat. boc amène à reconstruire sans hésitation protorom. */ˈbʊkk-u/ s.m. ‘bouc’. L’extension méridionale de la série rend presque impossible un rattachement à afrq. bukk tel que proposé par Meyer-Lübke in REW3 s.v. bukk/Bock. Nous suivons donc von Wartburg 1928 in FEW 1, 587a–590b, *BUCCO- pour considérer protorom. */ˈbʊkk-u/ comme un emprunt au gaulois (FEW 1, 587a : « gall. »), plus précisément à gaul. *buccos (< protocelt. *bukko-), cf. virl. boc, gall. bwch
1.8. De quelques lexèmes protoromans à initiale b- problématiques | 207
(IEEDCeltic s.v. *bukko-).30 Nous n’excluons pas pour autant que le lexème protoroman ait pu bénéficier, secondairement, de la confluence avec son équivalent francique homophone (FEW 1, 590b : « als die Franken das land eroberten, vereinigte sich ihr gleichlautendes und gleichbedeutendes BUKK mit dem bereits vorhandenen wort » ; analyse acceptée par Schorta in DRG 2, 407). Nous suivons donc von Wartburg 1928 in FEW 1, 587a–590b, *BUCCO- et Preisinger/Schweickard/Pfister 1998 in LEI 6, 484–495, *BOKK-/*BŪKK- pour considérer protorom. */ˈbʊkk-u/ comme un emprunt au gaulois (FEW 1, 587a : « gall. » ; LEI 4, 494 : « forme celtiche […] probabilmente »).
4.2 Lexèmes de celticité méconnue 4.2.1 Protorom. */ˈbalm-a/ ~ */ˈbarm-a/ s.f. ‘grotte’ Une série de cognats contenant notamment itsept. barma ~ balma s.f. ‘grotte’, afr. baume, frpr. barma, occit. balmo et cat. balma permet de reconstruire protorom. */ˈbarm-a/ ~ */ˈbalm-a/ s.f. ‘grotte’, la seconde forme étant seule mise en avant par la tradition romaniste (cf. Meyer-Lübke in REW3 s.v. *balma ; von Wartburg 1923 in FEW 1, 223a–224a, *BALMA ; Coromines in DECat 1, 604–608 ; Pfister 1993 in LEI 4, 910–913, *BALMA). L’origine de protorom. */ˈbarm-a/ ~ */ˈbalm-a/ est discutée (cf. la synthèse dans LEI 4, 912–913) : « ligur. oder kelt. » (REW3) ; « BALMA ist eine abl[ei]t[ung] des kelt. stammes BAL- vermittelst des häufigen suffixes -MA » (FEW 1, 223b) ; « d’origen pre-romà i d’etimologia incerta, potser indoeuropea, si bé a penes és possible de precisar si es formaria en cèltic, en lígur o en sorotàptic, més aviat aquest i no el primer » (DECat 1, 604) ; « prelat. » (LEI 4, 910). Pour le sémantisme, il faut mentionner l’étude de détail de Scheuermeier (1920, 13–14), selon qui barme désigne des sortes « d’enfoncements dans le roc, qui résultent ordinairement de l’érosion d’un terrain plus tendre, recouvert d’un banc plus dur formant le toit de la grotte ». Au vu de la variation protorom. */ˈbarm-a/ ~ */ˈbalm-a/, nous suggérons que le vocable ait été emprunté en latin même, où seul a pu s’opérer une dissimilation
|| 30 La formulation de Coromines in DECat 2, 15 (« en definitiva és versemblant que sigui d’origen onomatopeic però heretat d’una llengua pre-romana i probablement indoeuropea, però és molt insegur que sigui el cèltic, i encara menys pot ser una llengua germànica ») n’est pas particulièrement éclairante.
208 | Romain Garnier de type latsubstand. *barma, gén. pl. *balmārum (< *barmārum). Les divers parlers romans auraient recueilli les membra disjecta de ce paradigme instable. À ce prix, il devient loisible de poser un étymon gaul. *bar-mā < *barr-mā < protocelt. *bars-mā (< proto-ind.-eur. *bʱr̥hx-s-méh2 ‘fissure, cavité’). Le postulat d’un ancien cluster */-rs-/ est nécessaire pour rendre compte de la vocalisation par *CarC d’une ancienne sonante voyelle (cf. la discussion chez de Bernardo Stempel 1987, 45–47) ; le dernier état de la question figure chez Zair (2012, 82).31 La racine verbale sous-jacente est proto-ind.-eur. *bʱerhx- v.tr. ‘perforer’ (LIV2 80).32 Le rapprochement opéré par Schmidt (2009, 169) avec lat. ualua s.f. ‘*ouverture, porte’ (en fait, plurale tantum ualuæ ‘battants de porte’) ne convient ni pour la forme ni pour le sens. Ce terme est évidemment apparenté à lat. uoluō v.intr. ‘tourner, pivoter’.
4.2.2 Protorom. */barˈrank-a/ s.f. ‘gorge, ravin’, */barˈrank-u/ s.m. ‘terrier de renard’ et */barˈrınk-u/ s.m. ‘puits naturel dans les terrains calcaires ; précipice, ravin’ Meyer-Lübke in REW1 s.v. pharanx rattachait, de façon dubitative (« zweifelhaft »), la série de cognats formée de piém. barranca, surs. vraunka, cat. barranc et esp. et port. barranco au grec. Von Wartburg 1923 in FEW 1, 261b–262a, *BARRANCA (‘ravin’), qui verse en outre des données francoprovençales, occitanes et gasconnes au dossier, rejette l’origine grecque et, suivant en cela une proposition de Jud, considère l’étymon comme d’origine préromane. On pourrait penser que Meyer-Lübke s’est laissé convaincre par l’argumentation du FEW, car la troisième édition de son dictionnaire ne contient plus d’article *pharanx, et les matériaux en question sont classés s.v. *barranca ‘ravin’. Il ne se prononce toutefois pas explicitement sur l’appartenance linguistique de *barranca, et son commentaire est plutôt sibyllin : « Die eigentliche Heimat des Wortes ist die
|| 31 Comme exemple du traitement régulier de proto-ind.-eur. *CR̥ H.CCV- > *CaRCV- (et non *CRā.CV), l’auteur mentionne protocelt. *bardo- s.m. ‘barde’ (< proto-ind.-eur. *gu̯ r̥ hx-dʱh1-ó- ‘qui compose des louanges [ou des blâmes]’). Selon nous, la syllabation de la sonante longue s’explique comme proto-ind.-eur. *CR̥ H.CCV- > *CǝR(H).CCV- > *CǝR.CCV- > *CaR.CCV- > protocelt. *CaRCV-, bien différemment de la même sonante longue en séquence non obstructive *CR̥ H.CV- > *CRǝH.CV- > *CRaH.CV- > protocelt. *CRāCV- : à preuve protocelt. *brātu- s.m. ‘jugement’ (virl. bráth), qui procède de proto-ind.-eur. *gu̯ r̥ hx-tú- ‘estimation (des hommes), parole qualifiante ou bien disqualifiante’. 32 Voir aussi ci-dessus 4.1.7 et ci-dessous 4.2.2.
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iberische Halbinsel, die Ausstrahlung in den Ostalpen auffällig und schwach Wartburg ». Le lexème figure chez DuCange : barrancus, vox Hispanica (barranco), locus cauus, iter tortuosum, impeditum (‘barrancus : mot espagnol (barranco), anfranctuosité, chemin tortueux, difficile’). Il faut en outre citer lang. barranc s.m. ‘terrier de renard ; ravin ; terre inculte et déserte’ (« étym. prélatin barr + anca », Alibert) et son doublet barenc ‘puits naturel dans les terrains calcaires ; précipice’ (Alibert) ~ barrenc ‘ravin, précipice, gouffre ; sol de marais desséché, fondrière ; petit lac’ (« étym. prélatin barr + enc », Alibert). L’analyse la plus récente de cette série de cognats est fournie par Crevatin et Zamboni 1994 in LEI 4, 1627–1630, *BARRANCO/*BARRANCA (‘sillon ; ravin’), qui, tout en enrichissant considérablement les matériaux italoromans (notamment pour l’italien septentrional et pour l’italien méridional extrême), caractérisent l’étymon comme prélatin. L’étymon *uărr-ānicus posé par Schmidt (2009, 220) sur le thème du nom de la barre (cf. ci-dessus 3.5) ne peut rendre compte des sens ‘cavité ; gouffre ; puits naturel’ : on n’évolue pas aisément du sens de ‘sillon, ravin’ (réputément tiré de ‘ligne ; barre’) à celui de ‘grotte’. En revanche, les acceptions ‘sillon’, ‘puits’ et ‘grotte’ peuvent procéder de la notion de ‘fente dans le sol/la roche’. On notera que le doublet *uărr-ĭncus posé par Schmidt (2009, 220) présenterait un suffixe totalement ignoré du latin. Tout ce qui existe en latin, c’est le type iuuencus adj. ‘jeune’ (dialectal pour *iuuincus attendu), formé sur un ancien thème en *-n- de forme *iuuen- (lequel se prolonge dans iuuenis). On peut reconstruire ici un étymon proto-ind.-eur. *h2i̯u-h3n̥-kó- (cf. protogerm. *ju(wu)nga- ‘jeune’, IEEDGermanic). À notre avis, il faut encore ici partir de la racine proto-ind.-eur. *bʱerhx- v.tr. ‘perforer’, qui devait produire un neutre sigmatique de flexion protérodynamique, soit proto-ind.-eur. *bʱérhx-s- s. ‘crevasse, fissure’, loc. 1 *bʱr̥hx-és- → loc. 2 *bʱr̥hx-s-én, d’où protocelt. *barséni, avec vocalisation protocelt. *CaRC de la sonante longue d’après les formes du paradigme qui présentaient un cluster *bars-n- (< proto-ind.-eur. *bʱr̥hx-s-n-), et peut-être aussi à cause de la présence du *s qui suit. On peut reconstruire, pour le protoceltique, un paradigme alternant de type nom. *bars-ḗn-s, loc. *bars-eni, instr. pl. *bars-an-bis. Sur les formes alternantes de ce paradigme, on a formé des dérivés secondaires en vélaire : protocelt. *bars-an-ko- (> gaul. *barranco-) et protocelt. *bars-en-ko- (> gaul. *barrinco-) ‘cavité ; terrier ; puits naturel ; précipice, ravin ; sillon’.
210 | Romain Garnier 4.2.3 Protorom. */ˈbεrti-u/ ~ */ˈbrεti-u/ s.m. ‘corbeille’ Des cognats italiens septentrionaux, français et occitans (et, secondairement, catalans, espagnols et portugais) incitent à reconstruire protorom. (régional et tardif) */ˈbεrti-u/ ~ */ˈbrεti-u/ s.m. ‘corbeille’ (cf. REW3 s.v. *bertium, bretium [« ‘Korb’, ‘Wiegenkorb’, ‘geflochtene Wiege’ »] ; von Wartburg 1924 in FEW 1, 336b–338b, *BERTIARE [« wiegen »] ; Zamboni 1996 in LEI 5, 1264–1268, *BERTIUM [« cesta di vimini intrecciati »]). Cet étymon ne connaît pas de corrélat en latin écrit de l’Antiquité, mais le latin médiéval fournit une attestation berciolum du 8e siècle (FEW 1, 338a), qui s’interprète comme un emprunt au dérivé roman berceau s.m. ‘petit lit qui permet de balancer légèrement les enfants nouveau-nés pour les endormir’. Pour expliquer l’étymon qu’ils proposent pour ces cognats (et leurs dérivés), les auteurs partent traditionnellement d’un emprunt au gaulois, ou du moins à une langue préromane : « die Tatsache, daß auch andere verwandte Ausdrücke gallisch sind, und die geographische Verbreitung weisen auf gallischen Ursprung hin » (Meyer-Lübke in REW3) ; « diese verbreitung legt gallischen ursprung nahe » (von Wartburg in FEW 1, 338a) ; « prelat. (forse celtico) » (Zamboni in LEI 5, 1267). Pour von Wartburg in FEW 1, 338a, le point de départ est gaul. *bertā- v.tr. ‘balancer’, qu’il reconstruit sur la base d’irl. bertaim v.tr. ‘secouer ; balancer’. Mais l’auteur reconnaît lui-même que cette étymologie ne permet pas de rendre compte de */-i-/ : « die dabei vorausgesetzte umbildung von *BERTARE > *BERTIARE bedarf allerdings noch näherer untersuchung ». Nous proposons plutôt de partir de gaul. *bretion s.n. ‘corbeille’,33 qui peut être la substantivisation d’un participe passif protocelt. *bri-tyo- ‘porté’ forgé sur le degré zéro de la racine protocelt. *ber- v.tr. ‘porter ; emporter’. Pour le sens, cf. le parallèle gr. φορμός s.m. ‘corbeille’ face à gr. φέρω v.tr. ‘porter’. Le participe passif ici posé trouve un cognat dans virl. brethae ‘porté’ (< protocelt. *bri-tyos), du même type que clithe part. p. ‘caché’ (< protocelt. *kli-tyo-), sur le degré zéro d’une racine protocelt. *kel- v.tr. ‘cacher’ (Pedersen 1913, 2, 408–410). Sur ce thème de passif, il y a des cas de substantivisation, cf. virl. altae s.m. ‘enfant placé dans une famille d’accueil’ (< protocelt. *al-tyo- part. p. ‘nourri’) et
|| 33 Avec l’ouverture sporadique de *i bref en *e bref au contact d’un r, ainsi dans gaul. vercobretos (< *ver-co-bri-tu-) s.m. ‘juge suprême’, en regard de la forme non altérée gaul. Kοβριτουλω, de *co-britu-lo- ‘co-juge’ (Delamarre 2019, 156). Noter en outre les datifs pluriels gaul. atrebo ‘patribus’ et matrebo ‘mātribus’, qui reflètent protocelt. *ɸatri-bos (< proto-ind.-eur. *ph2-tr̥ -bʱ-os) et *mātri-bos (< *mah2-tr̥ -bʱ-os).
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virl. snechtae s.m. ‘neige’ (< protocelt. *sniχ-tyo-), formations étudiées par de Bernardo Stempel (1999, 445–446). Si la variante protorom. */ˈbεrti-u/ ne remonte pas à une simple métathèse (en gaulois ou bien en protoroman), on peut supposer ici l’influence d’un autre thème celtique : protocelt. *ber-tā s.f. ‘charge ; fardeau ; fagot’ (virl. bert), qui était fait sur le degré plein de la racine. Les deux thèmes auraient fourni des verbes dénominatifs : gaul. *bertā- v.tr. ‘transporter ; porter’ et *bretiā- ‘porter (dans une corbeille)’, qui auraient pu être à l’origine, par croisement, d’un protorom. */ˈbεrti-a-/ (cf. l’étymon proposé par von Wartburg in FEW 1, 336b).
4.2.4 Protorom. */ˈbɔrni-u/ adj. ‘borgne’ Meyer-Lübke in REW3 classe fr. borgne,34 it. bornio,35 occit. et cat. borni, de même qu’une variante borli, sous un étymon *bornius [‘borgne’] d’origine inconnue (« woher ? »). De son côté, von Wartburg 1928 in FEW 1, 569ab, BRUNNA 14 rattache la série de cognats à un étymon gotique dont le sens originel est ‘fontaine’, le commentaire de l’article (FEW 1, 571b) proposant de voir dans le sémème ‘caverne’ traité dans FEW 1, 567ab, BRUNNA 4 le point de départ du sémème ‘borgne’. Toutefois, von Wartburg n’a pas repris cet étymon dans la partie consacrée aux germanismes du FEW (Ø FEW 15/1, 310b, page parue en 1969).36 On peut donc partir du principe que von Wartburg aura accepté la proposition étymologique de Hubschmied, selon qui l’étymon de cette famille lexicale n’est pas à attribuer au gotique, mais au gaulois, cf. Baldinger 1988, 227, n. 1 : « Nach Vorschlag von J. U. Hubschmied ist der Ansatz nicht got., sondern gall. *BRUNNA (briefliche Mitteilung von G. Hoffert, 26. 5. 83) » (cf. aussi LEI 5, 1260). Pour ce qui est de Coromines in DECat 2, 123, il considère cat. borni adj. ‘borgne’ et ses congénères comme « d’origin incert, probablement pre-romà », et il tient pour possible un lien avec les données présentant le sens ‘caverne’ classées dans FEW 1, 567ab, BRUNNA 4. Enfin, Aprile, Tancke et Pfister 1996 in LEI 5, 1238–1262, *BERN- ; *BORN- ; BERÑ-/*BARÑ- ; *BORÑ- parlent d’un étymon préroman dont || 34 Selon TLF s.v. borgne1, voici les acceptions anciennes de l’adjectif : ‘qui louche (des deux yeux)’ (1165/1170), ‘qui ne voit que d’un œil’ (ca 1180), ‘sombre’ (1573), d’où cabaret borgne (1680). On saisit par là le double sens de lat. cæcus, ‘aveugle’ et ‘invisible, qu’on voit mal’ (cf. corpora cæca chez Lucrèce). 35 Plus précisément, itsept. borgno adj. ‘borgne ; ignorant ; impartial ; eccessivement affectueux’ (REP). 36 On peut voir une confirmation de l’abandon de l’étymologie germanique dans le fait que Morlicchio 2015 in LEI Germanismi 1, 1393 ne fournit pas non plus d’article *BRUNNA.
212 | Romain Garnier l’origine lointaine pourrait être proto-ind.-eur. *bʱr̥ - adj. ‘proéminent ; gonflé’ (LEI 5, 1260), qui doit plutôt être posé comme *bʱr̥ s-ó- adj. (cf. protocelt. *barsom. ‘tête, sommet’). À notre avis, Hubschmied avait raison de chercher l’origine de cette famille lexicale en gaulois. Nous avons en effet suggéré récemment à Xavier Delamarre (cf. Delamarre 2019, 141 s.v. *bornios) la possibilité de poser un étymon gaulois pour ce groupe obscur, d’autant qu’il existe un nom de personne gaulois *Bornios ‘Leborgne’ épigraphiquement attesté : Camalvs Borni f(ilivs) hic sitvs est (‘Ci-gît *Camalos, fils de *Bornios’, CIL 2, 2484).37 Le lexème gaulois à l’origine de cet anthroponyme remonte à protocelt. *borniyo-, dérivé secondaire d’un *bor-ni- s.f. ‘action de crever, percer’ (< proto-ind.-eur. *bʱor(hx)-ní-), qui a pour cognat exact lit. barnìs s.f. ‘querelle, rixe’ et slav. branь s.f. ‘guerre ; combat, bataille’. Les sens sont réalignés respectivement sur lit. bárti-s v.pron. ‘se battre ; se disputer’ et slav. brati sę v.pron. ‘combattre’. Le nom d’action putatif protocelt. *bornis s.f. ‘action de crever, percer’ doit de même avoir été réindexé sémantiquement sur un verbe, ou mieux sur une locution verbale de type ‘crever un œil, éborgner’.
5 Conclusion Cette étude n’aspire point à l’exhaustivité : en esquissant à grands traits les lignes de force de la résistance à l’exégèse étymologique, qui est considérable en protoroman, nous avons voulu ouvrir de nouvelles pistes, en associant des vues nouvelles sur le latin non standard et la si prolifique dérivation inverse, dont l’effet s’observe sans discontinuité tout au long de la latinité, affectant jusqu’aux emprunts. Nous avons cru pouvoir évoquer sommairement la complexité de la reconstruction des étymons celtiques (en l’occurrence gaulois) des emprunts en protoroman, en examinant plusieurs dossiers qui méritaient quelques précisions. Nul doute qu’il se trouve bien d’autres familles lexicales d’origine celtique dans l’ancêtre commun des parlers romans : manquent ici */ˈbrin-u/ s.m. ‘brin’ (cf. REW3 s.v. brīnos [« gall. »]), */ˈbʊnd-a/ s.f. ‘fond’ (cf. FEW 1, 626a-627b, *BUNDA [« gall. »]) et bien d’autres encore. Tout cela mérite un réexamen approfondi et systématique, dont nous espérons avoir prouvé la pertinence et fait entrevoir la richesse. L’étude du lexique protoroman n’est pas sans incidence sur la gram-
|| 37 Aquæ Flaviæ, aujourd’hui Chaves, district de Vila Real, région Nord du Portugal (municipe fondé sous Trajan).
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maire comparée indo-européenne : nous songeons aux nombreux reflets de la racine proto-ind.-eur. *bʰerhx-, ainsi qu’à des lexèmes comme gaul. *barmā s.f. ‘grotte’ et *bornios adj. ‘borgne’.
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216 | Romain Garnier Zair, Nicholas, The reflexes of the Proto-Indo-European laryngeals in Celtic, Leyde/Boston, Brill, 2012.
Maria Reina Bastardas i Rufat et Julen Manterola
1.9 Pour un traitement digne du 21e siècle des emprunts du basque au protoroman dans le DÉRom 1 Introduction Il y a une cinquantaine d’années, Joan Coromines proposait un ambitieux programme de compétences linguistiques au chercheur désireux d’étudier la toponymie catalane : ce dernier devait non seulement maîtriser le catalan et sa grammaire historique, mais aussi « les altres llengües emparentades i la lingüística romànica en general », le latin, le grec, l’arabe, les langues germaniques, les langues celtiques, et avoir connaissance des « estudis seriosos, i orientats històricament, sobre la lingüística basca » (Coromines 1965, 17–20).1 Nous ignorons combien de toponymistes rempliraient aujourd’hui ces exigences, que Coromines aurait sans doute élargies aux linguistes travaillant sur la linguistique historique catalane en général. À ces exigences, il faudrait par ailleurs ajouter d’autres connaissances (ainsi les langues slaves et l’albanais) pour qui aspire, comme le font les collaborateurs du DÉRom, à l’étiquette de Vollromanist(inn)en. Néanmoins, si les déromiens ambitionnent certainement d’être ou de devenir des romanistes complets, il est difficilement envisageable qu’ils deviennent des experts d’une telle quantité de familles de langues si diverses, et encore moins de leurs grammaires historiques. Heureusement, nous disposons aujourd’hui, à la différence de l’époque de Coromines, des moyens techniques nous permettant un travail en équipe efficace et rapide. Le DÉRom a, de ce fait, pu établir un large réseau de collaborateurs qui apportent chacun leur expertise dans un domaine précis. Si la constitution et le maintien depuis plus de dix ans de ce réseau de spécialistes peut sans doute être
|| 1 Ces remarques sont tirées du texte refondu d’une conférence prononcée en 1932 (cf. Coromines 1965, 5) ; nous ignorons si elles étaient déjà présentes dans la version orale originelle. D’ailleurs, Lausberg (1965, 12–19) propose également un programme assez ambitieux aux linguistes romanistes. || Maria Reina Bastardas i Rufat, Universitat de Barcelona, Gran Via de les Corts Catalanes 585, E-08007 Barcelone, [email protected] et Julen Manterola, Euskaltzaindia/Académie de la langue basque, Pedro Asua 2, E-01008 Gasteiz, [email protected]. https://doi.org/10.1515/9783110654264-009
218 | Maria Reina Bastardas i Rufat et Julen Manterola considéré comme une des réussites majeures du projet, il reste des aires où on peut, et on doit, encore progresser.
2 Analyse des pratiques actuelles 2.1 Généralités Le basque est une de ces aires où des progrès sont possibles ; c’est même sans doute l’aire, ou du moins une des aires, où la marge de progression est la plus grande. Rappelons que les auteurs des articles du DÉRom sont invités à citer dans le commentaire, habituellement en note, les langues qui ont emprunté le lexème protoroman qui forme l’étymon des données romanes traitées : « 4.5 Emprunts extraromans. Facultatif. – Le cas échéant, on insère une indication concernant les emprunts à l’étymon faits par des langues non romanes. En règle générale, cette information sera entièrement ou partiellement reléguée en note » (Celac 2016, 302). Les emprunts au protoroman du basque devraient donc figurer dans le commentaire, ou dans des notes au commentaire, dans les articles concernés. Une évaluation sur la base des 175 articles qui étaient publiés sur le site web du DÉRom (‹http://www.atilf.fr/DERom›) à la date du 1er juillet 2019 nous permet de tirer quelques conclusions et de proposer des démarches à suivre à l’avenir par l’équipe du DÉRom. Une recherche en mode plein texte2 de la séquence ‹bsq.›, abréviation de basque (Celac 2016, 320), dans les articles en ligne a généré sept résultats : */ˈβɪndik-a-/ v.tr. ‘guérir ; venger’, */ˈɸrɔnt-e/ s.m. ‘front’, */ˈmart-i-u/ s.m. ‘mars’, */ˈmεnt-e/ s.f. ‘esprit ; tempe ; manière’, */ˈpal-u/ s.m. ‘pieu’, */ˈpes-u/ s.n. ‘charge ; unité de poids ; balance ; poids ; monnaie’ et */saˈɡɪtt-a/ s.f. ‘flèche ;
|| 2 Le moteur de recherche du site web du DÉRom ne prévoit pas d’autre possibilité technique pour identifier les unités lexicales appartenant à une langue non romane dans les articles du dictionnaire. La recherche a été élargie aux séquences ‹basque›, ‹basques› et ‹basq.› pour dépister d’éventuels emprunts qui n’auraient pas été étiquetés par une abréviation ou qui l’auraient été par une abréviation erronée. Cette démarche ne s’est pas avérée inutile : dans la mesure où le schéma XML est très peu contraignant dans le commentaire et dans les notes – on y trouve essentiellement du texte libre, cf. Maggiore ici 253–256 –, des erreurs rédactionnelles sont toujours possibles. En fait, elle nous a permis d’apporter des corrections formelles minimes à deux articles.
Pour un traitement digne du 21e siècle des emprunts du basque au protoroman | 219
courson ; éclair’.3 L’analyse de ces sept articles nous a permis de constater que le DÉRom cite le basque deux fois à partir du Dictionnaire Basque-Français et Français-Basque de Lhande (1926) (s.v. */ˈpes-u/ et */saˈɡɪtt-a/), quatre fois à partir du FEW (s.v. */ˈɸrɔnt-e/, */ˈmart-i-u/, */ˈmεnt-e/ et */ˈpal-u/) et une fois à partir du DECat (s.v. */ˈβɪndik-a-/). Il faut noter, bien entendu, que ni le FEW ni le DECat ne sont des dictionnaires de basque et qu’ils renvoient, à leur tour, à d’autres sources. Le FEW cite, dans deux des quatre articles concernés (*/ˈmart-i-u/ et */ˈpal-u/), sa source canonique pour le basque,4 le Diccionario Vasco-Español-Francés d’Azkue (1905/1906), et, dans les deux autres cas, un article de Rohlfs paru initialement en 1927 (*/ˈɸrɔnt-e/ et */ˈmεnt-e/).5 Pour ce qui est du DECat, Coromines renvoie à la Fonética histórica vasca de Mitxelena, qu’il cite dans sa seconde (et dernière) édition de 1977. Sans trop entrer dans les détails, on peut constater que le DÉRom cite, pour la plupart des cas, le basque de seconde main et, dans tous les cas, à travers des sources qui sont aujourd’hui dépassées : il s’agit souvent d’ouvrages datant du premier tiers du vingtième siècle. De plus, il faut signaler que la glose sémantique de l’emprunt cité peut, dans ce type de procédé, avoir transité de l’espagnol (source première) à travers l’allemand (FEW) au français (DÉRom), ce qui, comme on peut s’en douter, aura pu faire perdre quelques nuances, ainsi dans le cas de l’article */ˈmεnt-e/ (cf. cidessous 2.2). Un autre problème concerne l’exhaustivité des emprunts basques répertoriés dans le DÉRom : dans la plupart des cas (cinq sur sept), c’est un ouvrage de linguistique romane, le FEW ou le DECat, qui a attiré l’attention du rédacteur sur l’existence de ces lexèmes basques. En l’absence d’une telle source « de proximité », des emprunts au protoroman du basque ont facilement pu échapper aux auteurs du DÉRom. Par exemple, bsq. abuztu s. ‘août’, apiril s. ‘avril’ et maiatz s. ‘mai’, parmi bien d’autres, auraient pu trouver leur place dans les articles correspondants du dictionnaire, mais comme le FEW, notamment, ne les mentionne pas, ils se trouvent pour ainsi dire dans l’angle mort du processus rédactionnel. Le nombre d’articles du DÉRom citant des emprunts du basque pourrait donc être augmenté de façon significative.
|| 3 Entre l’inventaire établi par Jérémie Delorme en juin 2016 (cf. Delorme 2016, 116 et n. 9) et juillet 2019, seul l’article */ˈɸrɔnt-e/ a rejoint la liste des articles mentionnant un emprunt protoroman en basque. 4 Cf. le renvoi à cette source depuis l’abréviation basq. dans la liste des abréviations géolinguistiques du FEW (Chauveau/Greub/Seidl 32010 [11929], 18). 5 Dans le dernier de ces cas, Rohlfs cite à son tour un article de Meyer-Lübke (1923) ; cf. cidessous 2.2.
220 | Maria Reina Bastardas i Rufat et Julen Manterola
2.2 Étude de cas : les romanistes face à bsq. men et mentu L’article */ˈmεnt-e/ s.f. ‘esprit ; tempe ; manière’ (cf. Groß 2011–2019 in DÉRom s.v.) contient une note 17, accrochée au commentaire, qui se lit comme ceci : « si bsq. men ‘sentence’ et mentu ‘jugement’ semblent, en raison de leur sémantisme, empruntés à l’acrolecte latin, bsq. mendu ‘caractère’ pourrait bien représenter un emprunt à la langue orale (cf. FEW 6/1, 708b) ». Nul doute que Christoph Groß, l’auteur de cet article, a relevé bsq. men et mentu dans le FEW, où on lit : « bask. men ‘urteilsspruch’ und mentu ‘urteil’ gehören wohl zur ältesten lat. lehnwortschicht im baskischen, die auf die militärische und juristische verwaltung des neueroberten landes zurückgeht » (Baldinger 1968 in FEW 6/1, 708b, MENS). La source – explicitement nommée – de cette affirmation sur le caractère juridique de men et mentu est Rohlfs (1927, 66). Or, Rohlfs donne une idée erronée du sémantisme de ces deux lexèmes. Dans son article, il tire argument d’emprunts comme bsq. errege s. ‘roi’, populu s. ‘peuple’ ou lege s. ‘loi’ pour se prononcer sur l’ancienne organisation politique et militaire de l’aire basque. Il introduit dans la même discussion les lexèmes men et mentu, en leur attribuant les sens juridiques « Urteilsspruch » et « Urteil » respectivement, ce qui n’est pas correct.6 Rohlfs reprend ces emprunts et l’hypothèse étymologique les rattachant à lat. mente de Meyer-Lübke (1923, 470), qui leur attribue le sens « sentencia, arbitrio, alcance, potencia, poder, seriedad, formalidad » (pour men) et « juicio, entendimiento » (pour mentu). Il est clair que Rohlfs a mal interprété la signification du substantif polysémique juicio dans le discours de Meyer-Lübke, qui devrait se traduire ici par jugement (dans le sens de ‘faculté de juger’, all. Urteilsvermögen) et non pas par sentence (all. Urteil). Les détails concernant l’origine de la signification erronée « sentencia », qui nous renverrait elle aussi au lexique judiciaire, sont un peu plus complexes. Meyer-Lübke avait trouvé bsq. men et mentu dans le dictionnaire d’Azkue (1905/1906). Ce dictionnaire consigne le lexème roncalais mentu avec le sens de « juicio, entendimiento », repris par Meyer-Lübke (et mal interprété par Rohlfs). Quant au sémantisme prêté à men, il semble que Meyer-Lübke a repris la sixième (« potencia, poder »), la septième (« arbitrio, alcance ») et la huitième (« seriedad, formalidad ») parmi les acceptions fournies par Azkue (qui proviennent de sources différentes et appartiennent à des dialectes différents),
|| 6 La version espagnole de cet article définit plus correctement men par « facultad, potencia » et mentu par le substantif polysémique, et du coup ambigu, « juicio » (Rohlfs 1933, 330).
Pour un traitement digne du 21e siècle des emprunts du basque au protoroman | 221
en leur ajoutant, pour une raison qui nous échappe, le sens « sentencia » (‘sentence’, all. Urteilsspruch) non recensé par Azkue. En conclusion, on peut dire que ni bsq. men ni bsq. mentu ne présentent le sens de ‘sentence’, qu’il convient donc de considérer comme un sens fantôme. Ce dernier, qui prend son origine dans une mauvaise interprétation par Rohlfs d’un texte de Meyer-Lübke, a fini par trouver son chemin dans les colonnes du FEW, puis dans celles du DÉRom. En outre, il est difficile d’accepter que men et mentu constituent des emprunts à lat. mente, hypothèse déjà présente chez Meyer-Lübke (1923, 470). Précisons que l’interprétation étymologique de ces deux unités lexicales n’est pas encore établie par les bascologues. Pour commencer, il n’est pas inutile de rappeler que le statut philologique même de bsq. mentu ‘jugement’ est assez faible : l’OEHEl ne recense qu’un seul exemple, appartenant à un dialecte latéral et datant seulement du 20e siècle, par opposition aux dizaines d’exemples de men parsemés dans presque toute l’aire basque depuis le 16e siècle. Du point de vue sémantique (cf. OEHEl), les différents sens de men (‘puissance ; autorité ; pouvoir sur l’autre’ [assez général], ‘instant, moment’ [quelques auteurs septentrionaux], ‘obéissant, docile’ [biscayen, guipuscoan, haut-navarrais], ‘faculté, capacité’ [quelques auteurs du 20e siècle]) et de sa variante occidentale ben (‘sérieux ; grave’) ne se rapprochent pas facilement des sens de lat. mens (‘faculté intellectuelle ; esprit ; disposition d’esprit ; courage ; Mens [déesse de la raison]’ selon Gaffiot). Du point de vue formel, l’hypothèse lat. mente > bsq. men et mentu pose de graves problèmes phonétiques : il faudrait expliquer l’adaptation de lat. /-e/ en bsq. /-u/, qui ne connaît pas de parallèle. Il est donc tout à fait possible que roncalais mentu s. ‘jugement ; bon sens’ soit lié à un autre étymon. En effet, le basque (biscayen, guipuscoan, haut-navarrais) connaît aussi mentu, mendu s. ‘opération par laquelle on insère sur une plante un bourgeon pris à une autre plante, greffe’, dont les usages métaphoriques peuvent se rapprocher du sens ‘caractère ; inclination ; propension’ attaché à bsq. (biscayen) mendu. Ainsi, mentu gaistoa ‘jeune homme pervers’ (OEHEl s.v. mentu1 ; avec gaizto ‘mauvais’), qui s’expliquerait à partir de ‘mauvaise greffe’, n’est pas très loin d’un éventuel ‘(jeune homme à) mauvaise inclination’. Il nous semble donc possible de suivre Meyer-Lübke (1923, 480) quand il rapproche bsq. mentu, mendu s. ‘greffe’ d’arag. empeltre s.m. ‘greffe’ et de cat. empeltar v.tr. ‘greffer’, hypothèse sanctionnée par l’autorité de Mitxelena (1955, 288 ; 1990, 157).7 || 7 Mitxelena ne rentre pas dans les détails de l’explication phonétique, mais on peut sans problème imaginer l’évolution suivante : à partir d’une protoforme */ɪm-ˈpelt-a-/ (cf. REW3 s.v. *impeltare ; von Wartburg 1951 in FEW 4, 582b–583b, *ĬMPELTARE ; DECat s.v. empeltar), le préfixe
222 | Maria Reina Bastardas i Rufat et Julen Manterola Enfin, on ne peut pas exclure tout à fait l’hypothèse d’une formation men + -tu (suffixe de participe passé), à partir de laquelle on obtient régulièrement mendu en biscayen et mentu en roncalais ; nous devrions accepter une lexicalisation de la forme participiale (évolution assez courante), mais il resterait à préciser les détails sémantiques d’une telle dérivation participiale de men ‘puissance ; obéissant ; sérieux’. Toutes ces considérations sont à prendre avec la plus grande précaution ; il est cependant clair que l’option envisagée par le FEW et héritée par le DÉRom doit être actualisée.
3 Propositions de remédiation À partir du constat des deux faiblesses mentionnées du DÉRom par rapport aux emprunts du basque (citations de seconde main ou de sources pas actuelles ; absence de citations nécessaires), nous proposons les démarches suivantes aux rédacteurs.
3.1 Identification des emprunts Nous recommandons aux rédacteurs du DÉRom de s’appuyer, pour l’établissement de la nomenclature des emprunts que le basque a faits au protoroman, sur trois ressources, dont deux préexistaient à nos réflexions sur le traitement du basque dans le dictionnaire, tandis que la troisième a été élaborée spécialement à son intention. En premier lieu, il convient de consulter l’index intitulé « Latín y románico », élaboré par Manuel Agud, de la Fonética histórica vasca de Koldo Mitxelena (1990, 451–456). Il faut toutefois tenir compte du fait que cette liste ne comprend pas tous les lexèmes basques d’origine latine ou romane traités par Mitxelena, mais uniquement ceux mentionnés explicitement comme tels ; elle ne comprend donc pas les étymons latino-romans sous-entendus dans son discours étymologique, qui peut par moments être assez allusif. Par exemple, Mitxelena (1990, 225) cite, dans un
|| im- est tout d’abord réanalysé et supprimé, comme dans protorom. */ɪn-ˈsert-a-/ (cf. REW3 s.v. insertāre) > bsq. txertatu v.tr. ‘greffer’. L’évolution subséquente serait alors *peltare > *meltatu > bsq. mentatu v.tr. ‘greffer’, avec adaptation morphologique régulière en -tu et les phonétismes *p- > m- et *-l- > -n-, qui peuvent s’expliquer à l’intérieur du basque. Dans cette hypothèse, mentu s. ‘greffe’ s’expliquerait facilement comme un substantif déverbal régulier.
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paragraphe débutant par « A juzgar por los préstamos latino-románicos, las antiguas oclusivas.... », « bip(h)er p(h)iper ‘pimiento’ (lat. piper) », « bert(h)ute birtute ‘virtud’ » et « bake pake ‘paz’ » : si piper figure dans l’index, virtute(m) et pace(m), non mentionnés explicitement, en sont absents. Une deuxième publication dont on peut recommander la consultation, voire la lecture, aux déromiens, c’est l’article El elemento latino-románico en la lengua vasca de Koldo Mitxelena (1974). Cet article est important, car il donne des informations sur des aspects de la phonétique historique basque qui permettent de se faire une idée sur le problème, très complexe, de la datation des emprunts latinoromans du basque et, partant, de la distinction entre emprunts au protoroman et emprunts aux idiomes romans. Enfin, nous proposons dans une annexe à ce chapitre (cf. ci-dessous 8.1) la liste des emprunts au protoroman du basque des articles prévus par la nomenclature actuelle du DÉRom. Comme cette dernière est évolutive, notre liste ne couvrira pas tous les cas de figure, mais elle rendra, espérons-nous, des services pour la majorité des articles actuellement en ligne et de ceux dont la rédaction est prévue pour les années à venir.
3.2 Présentation lexicographique des emprunts Pour ce qui est de la présentation lexicographique des emprunts ainsi identifiés, les déromiens pourront s’appuyer notamment sur deux ressources. Premièrement, il conviendra de consulter obligatoirement la version électronique de l’Orotariko Euskal Hiztegia (OEHEl). Il s’agit d’une version améliorée et mise à jour du Orotariko Euskal Hiztegia/Diccionario General Vasco de Mitxelena, dont les seize volumes avaient été publiés entre 1987 et 2005. À noter que la version papier du dictionnaire (OEH) figure déjà dans la bibliographie du DÉRom, mais une recherche plein texte dans les articles en ligne fait apparaître que cette source n’est encore citée dans aucun article publié : elle aura été exploitée pour un ou plusieurs article(s) en cours de rédaction. Sans être un dictionnaire étymologique, l’OEH(El) donne parfois des indications étymologiques. Mais, même en l’absence d’informations diachroniques, la ressource sera précieuse pour les déromiens, ne serait-ce que pour l’établissement du signifiant et du signifié exacts des emprunts. L’interface de l’OEHEl est en basque, mais c’est l’espagnol qui fonctionne comme métalangue du dictionnaire, ce qui en facilitera l’exploitation par les romanistes. Nous esquissons ici une introduction simplifiée à l’utilisation de la ressource. La copie d’écran de la page suivante (figure 1) reproduit l’interface d’interrogation du dictionnaire tel qu’elle apparaît lors de son ouverture.
224 | Maria Reina Bastardas i Rufat et Julen Manterola
Figure 1 : Interface d’interrogation de l’OEHEl
Pour une recherche basique, il suffit de saisir l’emprunt basque (par exemple arima [s. ‘âme’]) dans la case « Bilaketa » (‘recherche’) marquée par le numéro 1 dans la figure ci-dessus et d’appuyer sur la touche « Entrée » du clavier de l’ordinateur pour que s’affiche l’article correspondant. Ce dernier contient des informations précises sur le sémantisme, la diffusion et la variation dialectales, la documentation ancienne et, dans les cas favorables comme celui-ci, l’étymologie du vocable. Il est possible aussi de faire des recherches sur les définitions (rédigées en espagnol) du dictionnaire, en cochant la case intitulée « Definizioetan » (‘dans les définitions’), indiquée ici par une flèche, ce qui pourra être utile dans les cas où la forme précise du lexème basque n’est pas connue du rédacteur. Une interrogation sur alma mène ainsi au même article arima, mais aussi à plusieurs autres unités lexicales qui contiennent le terme alma dans leur définition. La case « Adibidetegia » (‘base de données d’exemples’), marquée par le numéro 2, sert à faire des recherches dans les sources primaires qui forment la base du dictionnaire ; cette fonctionnalité sera probablement rarement utilisée par les romanistes. Enfin, sous « Ikus halaber » (‘voir aussi’), ci-dessus numéro 3, l’utilisateur a accès à un ensemble d’informations métalexicographiques consacrées a l’OEH(El). On y trouve des explications, en basque, à propos de l’organisation des entrées lexicales (« Sarreren egitura ») et du langage de requête et de ses opérateurs (« Erabiltzeko argibideak »), mais aussi des documents PDF téléchargeables, rédigés en espagnol, qui forment le paratexte le
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plus immédiatement utile du dictionnaire : « Erreferentzia bibliografikoak » (‘références bibliographiques’), « Laburdurak » (‘abréviations’) et « Osorik hustutako testuen zerrenda » (‘sources, textes dépouillés complètement’). La case « Bilaketa » (‘recherche’) n’est aucunement réservée à des recherches sur des lexèmes basques : en réalité, elle fournit la porte d’entrée à une recherche en mode plein texte du dictionnaire. Les déromiens qui voudraient vérifier si un étymon protoroman donné a été emprunté par le basque pourront ainsi utiliser cette case pour entrer dans le dictionnaire à partir du lexique espagnol, ou même français. Par exemple, afin de tester si l’OEHEl contient un lexème basque emprunté à protorom. */ˈpʊti-u/ s.m. ‘cavité profonde pratiquée dans le sol pour atteindre une nappe d’eau souterraine, puits’ (cf. REW3 s.v. pŭteus ; von Wartburg 1959 in FEW 9, 626a–632a, PŬTEUS), le rédacteur francophone pourra initier une recherche sur puits, qui générera le résultat suivant :
Figure 2 : Exemple d’interrogation de l’OEHEl : fr. puits bsq. putzu
Le champ « Definizioetan » (‘dans les définitions’), marqué par le numéro 1 dans la copie d’écran ci-dessus, affiche le résultat « (0) », ce qui est attendu, la métalangue du dictionnaire étant l’espagnol et non pas le français. En revanche, le champ « Sarrera osoan » (« recherche plein texte »), matérialisé par le numéro 2, indique que fr. puits apparaît dans seize articles du dictionnaire. Parcourir ces seize articles à la recherche d’une mention de lat. puteu(s) serait sans doute un peu fastidieux – sans pour autant constituer une tâche insurmontable –, mais
226 | Maria Reina Bastardas i Rufat et Julen Manterola son intuition de linguiste pourra probablement guider le rédacteur pour écarter rapidement des candidats comme barna, ferredot ou encore itsutu et pour identifier putzu comme l’entrée pertinente, qui contient en effet la mention « Etim. De lat. puteu ». Le résultat recherché pourra être atteint encore plus rapidement, et plus complètement, en utilisant des opérateurs de recherche. En l’occurrence, une recherche sur l’expression « puteu* » mène à deux articles, tous les deux pertinents : mutio s. ‘puits (des salines)’ (« Etim. Relacionado probablemente con lat. puteus ») et putzu s. ‘puits’, déjà mentionné. Inutile de dire que le succès dépendra de l’habileté du rédacteur à concevoir des expressions de recherche les plus précises possible. À côté de l’OEHEl, on pourra citer le cas échéant l’Euskal Hiztegi HistorikoEtimologikoa (EHHE), le dictionnaire historico-étymologique basque réunissant 200 familles de mots, dont la moitié environ sont des emprunts. Nous proposons ci-dessous (cf. annexe 2), à l’intention notamment des romanistes et des latinistes, la liste des emprunts au protoroman et aux langues romanes que contient cette ressource récente.
4 Emprunts au protoroman ou à un idiome roman ? Tout au long de son histoire, le basque a fait des emprunts lexicaux aux idiomes avec lesquels il a été en contact sur son territoire, du protoroman à l’espagnol et au gascon modernes. Il n’est pas aisé, même pour les spécialistes, de dater ces emprunts, et donc d’en assigner les étymons soit à la protolangue, soit à une langue romane issue de la protolangue. Dans la perspective du DÉRom, il sera crucial de déployer des efforts dans le but de distinguer les emprunts au protoroman des emprunts à une langue romane, seuls les premiers ayant droit de cité dans les articles (« les emprunts à l’étymon faits par des langues non romanes », Celac 2016, 302 ; cf. aussi Delorme 2016, 115–118). Or, pour le basque notamment, mais aussi pour d’autres langues emprunteuses, il est souvent assez difficile de trancher, et le DÉRom attribue probablement çà et là par erreur des emprunts au protoroman qui sont en réalité des emprunts à un idiome roman. Une difficulté supplémentaire réside dans le fait que le basque a pu emprunter, en raison du contact linguistique romano-basque ininterrompu, à la fois un lexème protoroman et un continuateur roman de ce lexème, ce qui a généré des variantes formelles qu’il convient d’analyser dans le détail (cf. l’exemple de */ˈpal-u/ sous 5).
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5 L’apport des emprunts basques à la connaissance du protoroman S’il est peu probable que les données basques arrivent à avoir une influence décisive sur la reconstruction d’un étymon protoroman, il est vrai qu’elles peuvent dans quelques cas contribuer à peaufiner nos connaissances, ou du moins à les confirmer. Dans certains de ces cas, il s’agit d’emprunts à l’air très archaïque, que ce soit pour leur côté formel ou sémantique. Par exemple, le consonantisme de bsq. lege s. ‘loi’ (OEHEl) (< */ˈleɡ-e/), errege ‘roi’ (OEHEl) (< */ˈreɡ-e/) et bake ‘paix’ (OEHEl) (< */ˈpak-e/) témoigne d’un emprunt à une époque assez ancienne, avant que la consonne vélaire ne se soit palatalisée et spirantisée au contact de */-e/, un processus que de La Chaussée (1989, 44 ; 54) date de la première moitié du 3e siècle. Sur le plan sémantique, des emprunts tels que nekatu v.tr. ‘fatiguer’ (OEHEl), sans signe de l’évolution presque générale de lat. necare ‘tuer (particulièrement sans effusion de sang)’ > ‘tuer par immersion, noyer’, sont des exemples typiques de la conservation de valeurs sémantiques archaïques. Dans de tels cas, les emprunts au protoroman relevés en basque se verront mis à contribution, au-delà d’une simple mention en note, dans le commentaire étymologique des articles en question. De toute façon, malgré ses difficultés, une recherche sur les aspects formels et sémantiques des emprunts du basque au protoroman mérite d’être entreprise, et pourra fournir quelques résultats intéressants. Il conviendra, pourtant, de toujours consulter les spécialistes. Dans ce qui suit, nous donnons trois exemples d’articles déjà publiés du DÉRom pour lesquels le recours au basque, et notamment à sa phonologie historique, s’avère rentable. Premièrement, nous proposons d’introduire une note dans l’article */ˈβɪndik-a-/ v.tr. ‘guérir ; venger’ (cf. Celac 2010–2016 in DÉRom s.v.) dont le texte pourrait être : « Bsq. mendekatu v.tr. ‘venger ; mériter’ (dp. 1545, OEHEl) est un emprunt relativement ancien, comme le prouve le traitement des consonnes (cf. Mitxelena 1990, 238–239, 268) ; en revanche, les voyelles prétoniques montrent que l’emprunt date d’une époque où l’étymon avait déjà */-e-/ < */-ɪ-/ ~ */-i-/ (cf. Mitxelena 1974, 188) ».
Dans le cas présent, le plus intéressant serait peut-être de faire noter l’existence de la variante basque mendikatu (OEHEl), qui témoigne d’une époque protoromane où l’évolution */i/ > */e/ de la deuxième syllabe n’avait pas encore eu lieu.
228 | Maria Reina Bastardas i Rufat et Julen Manterola L’hypothèse alternative d’une dissimilation basque /e-e/ > /e-i/ est invraisemblable au vu de ce que l’on sait de la phonétique historique de cette langue. En conséquence, on pourrait ajouter à la formulation initiale : « toutefois, la variante mendikatu (OEHEl) montre un vocalisme protoroman plus ancien ». Pour l’article */ˈpal-u/ s.m. ‘pieu’ (cf. Hegner 2015–2019 in DÉRom s.v.), on pourrait introduire la note suivante : « Bsq. maru s. ‘poteau’ (OEHEl ; Mitxelena 1974, 196) est un emprunt ancien, comme le montre le traitement des consonnes initiale et intérieure (cf. Mitxelena 1990, 238–239, 268–269, 311) ». En revanche, on s’abstiendra de citer bsq. palo/palu s. ‘pelle ; bâton ; coup’ (dp. 1807, OEHEl), qui se dénonce comme un emprunt tardif à l’espagnol par sa forme avec /-l-/ et la conservation de la consonne initiale, de même que par sa datation tardive.8 Pourtant, on pourrait peut-être évoquer bsq. paro s. ‘poteau’ (Labourd [PyrénéesAtlantiques], OEHEl), déjà cité par von Wartburg en 1954 in FEW 7, 529b, PALUS, qui montre une adaptation au système basque de la consonne intérieure (mais pas celle de l’initiale), ainsi que la finale en /-o/, ce qui le dénonce comme un emprunt plus tardif au protoroman que maru. L’article */ˈrɔt-a/ s.f. ‘roue’ (cf. Groß 2012–2019 in DÉRom s.v.), enfin, bénéficierait de l’ajout d’une note dont le texte pourrait être : « bsq. errota s. ‘moulin’ (dp. 1652 [attestations plus précoces dans l’onomastique], OEHEl) est un emprunt ancien au protoroman ». Le sémantisme de cet emprunt semble s’être développé en basque (‘roue’ > ‘roue du moulin’ > ‘moulin’), même s’il est attesté dans le parler roman de Navarre (rueda s.f. ‘moulin’, 1246, DCECH 5, 87 n. 2)9 : selon toute probabilité, il s’agit dans ce texte d’un calque ponctuel du basque. Pour ce qui est de bsq. sept. arroda, arruda, arrota s. ‘roue’ (OEHEl), il semble s’agir d’un gasconnisme (< gasc. ˹arròda˺ ; cf. Mitxelena 1990, 156 : « el timbre de la vocal puede servir de guía en alguna ocasión, ya que el gascón ha generalizado a en todos los casos »). Enfin, bsq. errueda s. ‘roue’ et ses variantes errobera et errubera (OEHEl) constituent sans doute des emprunts à esp. rueda. Inversement, on peut espérer que, dans certains cas, le DÉRom apportera des résultats qui pourront nourrir les recherches sur le basque.
|| 8 Il faut toutefois rappeler que, compte tenu des caractéristiques de la documentation basque, la datation seule ne fournit pas un critère décisif. 9 La référence fournie par le DCECH est erronée : le document de la collection diplomatique du prieuré de l’ordre de Saint-Jean de Jérusalem attestant rueda s.f. ‘moulin’ porte le numéro 310 et non pas le 316, cf. García Larragueta (1957, 304–305).
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6 Conclusion Il y a une dizaine d’années, l’indo-européaniste Ignasi-Xavier Adiego, professeur à l’Université de Barcelone, proposait (Adiego 2008) une révision de trois traits phonétiques des langues romanes traditionnellement attribués à l’influence substratique des langues de l’Italie ancienne. Ses conclusions étaient que la romanistique partait d’idées qui, souvent, avaient été abandonnées ou corrigées par les spécialistes des langues italiques, mais que les romanistes, n’ayant pas pris connaissance de ces progrès, continuaient à considérer comme valides. Il estimait qu’il convenait « que els romanistes facin periòdicament una ullada a les possibles novetats que es puguin haver produït en relació amb aquestes possibles llengües de substrat ; si no, es corre el risc de debatre sobre dades incompletes o fins i tot errònies i obsoletes » (Adiego 2008, 105). Ces réflexions s’appliquent tout autant aux langues emprunteuses des étymons protoromans cités dans le DÉRom : possiblement à toutes, mais tout particulièrement au basque. Avec l’aide précieuse et indispensable des spécialistes, il convient que les romanistes « jettent un coup d’œil » (pour reprendre la formule d’Adiego) sur les avancées actuelles de la linguistique des langues ayant été en contact avec le protoroman : la fertilisation croisée qui deviendra ainsi possible sera bénéfique pour tout le monde.
7 Bibliographie Adiego, Ignasi-Xavier, Les llengües de la Itàlia antiga com a substrat, in : Moran, Josep (ed.), Del llatí al romanç, com hem emplenat el buit ?, Barcelone, Institut d’Estudis Catalans, 2008, 97–107. Azkue, Resurrección María de, Diccionario Vasco-Español-Francés, 2 vol., Bilbao, Resurrección María de Azkue, 1905/1906. Buchi, Éva/Schweickard, Wolfgang, Conception du projet, in : Buchi, Éva/Schweickard, Wolfgang (edd.), Dictionnaire Étymologique Roman (DÉRom). Genèse, méthodes et résultats, Berlin/Munich/Boston, De Gruyter, 2014, 5–38. Celac, Victor, Normes rédactionnelles, in : Buchi, Éva/Schweickard, Wolfgang (edd.), Dictionnaire Étymologique Roman (DÉRom) 2. Pratique lexicographique et réflexions théoriques, Berlin/Boston, De Gruyter, 2016, 257–327. Chauveau, Jean-Paul/Greub, Yan/Seidl, Christian (edd.), Französisches Etymologisches Wörterbuch. Eine darstellung des galloromanischen sprachschatzes von Walther v. Wartburg †. Complément, Strasbourg, Éditions de linguistique et de philologie, 32010 [11929]. Coromines, Joan, Estudis de toponímia catalana, 2 vol., Barcelone, Barcino, 1965/1970. DCECH = Corominas, Joan/Pascual, José Antonio, Diccionario crítico etimológico castellano e hispánico, 6 vol., Madrid, Gredos, 1980–1991.
230 | Maria Reina Bastardas i Rufat et Julen Manterola DECat = Coromines, Joan, Diccionari etimològic i complementari de la llengua catalana, 10 vol., Barcelone, Curial, 1980–2001. Delorme, Jérémie, Le protoroman mis en carte : guide de lecture, in : Buchi, Éva/Schweickard, Wolfgang (edd.), Dictionnaire Étymologique Roman (DÉRom) 2. Pratique lexicographique et réflexions théoriques, Berlin/Boston, De Gruyter, 2016, 107–161. DÉRom = Buchi, Éva/Schweickard, Wolfgang (dir.), Dictionnaire Étymologique Roman (DÉRom), Nancy, ATILF, ‹http://www.atilf.fr/DERom›, 2008–. EHHE = Lakarra, Joseba/Manterola, Julen/Segurola, Iñaki, Euskal Hiztegi Historiko-Etimologikoa, Bilbao, Euskaltzaindia/Académie de la langue basque, 2019. Ernout/Meillet4 = Ernout, Alfred/Meillet, Antoine, Dictionnaire étymologique de la langue latine. Histoire des mots, Paris, Klincksieck, 41959 [11932]. FEW = Wartburg, Walther von, et al., Französisches Etymologisches Wörterbuch. Eine darstellung des galloromanischen sprachschatzes, 25 vol., Bonn/Heidelberg/Leipzig-Berlin/ Bâle, Klopp/Winter/Teubner/Zbinden, 1922–2002. Gaffiot = Gaffiot, Félix/Flobert, Pierre, Le Grand Gaffiot. Dictionnaire latin-français, Paris, Hachette, 32000 [11934]. García Larragueta, Santos, El Gran Priorado de Navarra de la orden de San Juan de Jerusalén (siglos XII–XIII), 2 vol., Pamplune, Diputación Foral de Navarra/Institución « Príncipe de Viana », 1957. Kasten/Cody = Kasten, Lloyd A./Cody, Florian J., Tentative dictionary of medieval Spanish, New York, The Hispanic Seminary of Medieval Studies, 22001 [11946]. La Chaussée, François de, Initiation à la phonétique historique de l’ancien français, Paris, Klincksieck, 31989 [11974]. Lausberg, Heinrich, Lingüística románica, 2 vol., Madrid, Gredos, 1965/1966. Lhande, Pierre, Dictionnaire Basque-Français et Français-Basque, Paris, Gabriel Beauchesne, 1926. Meyer-Lübke, Wilhelm, Romanobaskisches, Revista internacional de los estudios vascos 14 (1923), 463–485. Mitxelena, Koldo [Luis Michelena], Compte rendu de « Diccionario crítico etimológico de la lengua castellana, por J. Corominas. Vol. II, CH-K. Editorial Gredos. Madrid, 1954 », Boletín de la Real Sociedad Vascongada de Amigos del País 11/2 (1955), 283–298. Mitxelena, Koldo [Luis Michelena], El elemento latino-románico en la lengua vasca, Fontes linguae Vasconum. Studia et documenta 6/17 (1974), 183–210. Mitxelena, Koldo [Luis Michelena], Fonética histórica vasca, Donostia/San Sebastián, Gipuzkoako Foru Aldundia/Diputación Foral de Guipúzcoa, 1990 [= 21977 ; 11961]. OEH = Michelena, Luis, Orotariko Euskal Hiztegia/Diccionario general vasco, 16 vol., Bilbao, Euskaltzaindia/Académie de la langue basque, 1987–2005. OEHEl = Mitxelena, Koldo [Luis Michelena], Orotariko Euskal Hiztegia/Diccionario general vasco, Bilbao, Euskaltzaindia/Académie de la langue basque, ‹https://www.euskaltzaindia.eus/index.php?option=com_oehberria&task=bilaketa&Itemid=413&lang=eu›, 6 2019– [12009 ; OEH : 1987–2005]. REW3 = Meyer-Lübke, Wilhelm, Romanisches Etymologisches Wörterbuch, Heidelberg, Winter, 3 1930–1935 [11911–1920]. Rohlfs, Gerhard, Baskische Kultur im Spiegel des lateinischen Lehnwortes, in : Schädel, Bernhard/Mulertt, Werner (edd.), Philologische Studien aus dem romanischgermanischen Kulturkreise. Karl Voretzsch zum 60. Geburtstag und zum Gedenken an seine erste akademische Berufung vor 35 Jahren, Halle, Niemeyer, 1927, 58–86.
Pour un traitement digne du 21e siècle des emprunts du basque au protoroman | 231
Rohlfs, Gerhard, La influencia latina en la lengua y cultura vascas, Revista internacional de los estudios vascos 24/3 (1933), 323–348 [traduction de Rohlfs 1927].
8 Annexe 1 : matériaux basques pertinents pour les articles (publiés et prévus) du DÉRom Nous avons conçu cette annexe comme un guide préliminaire servant à l’identification des données basques qu’il serait intéressant de mentionner dans les articles du DÉRom, notamment en tant qu’emprunts aux lexèmes protoromans qui forment leurs lemmes étymologiques. Partant de la version en ligne (datée du 23 août 2019) du document « 4. Nomenclature » du Livre bleu, le fascicule de ressources interne du DÉRom (cf. Buchi/Schweickard 2014, 13), nous avons élaboré trois listes. La première réunit les emprunts dont le phonétisme présente un ou des trait(s) archaïque(s) et/ou qui sont attestés sur l’ensemble du territoire basque, deux critères qui rendent probable leur origine protoromane plutôt qu’idioromane,10 ou bien qui présentent des caractéristiques particulièrement intéressantes pour la connaissance du lexique protoroman. On relève dans cette liste des emprunts qui, malgré leur caractère général et/ou ancien, n’offrent pas d’intérêt particulier pour la protolangue des langues romanes (ainsi [h]arma, konparatu, konprenitu, kosta, parte, prestatu, prezio, sentitu ou encore triste) ; nous les avons néanmoins inclus pour des raisons d’exhaustivité. La deuxième liste inventorie les lemmes étymologiques que le basque n’a pas empruntés, mais pour lesquels on relève un lexème basque qui appartient à la même famille étymologique. Enfin, la troisième liste répertorie les emprunts récents (et souvent peu répandus, en général limités à un ou deux dialecte[s]) du basque à des continuateurs romans (occitans, gascons/béarnais, aragonais ou espagnols) d’étymons protoromans. Ces deux dernières listes ne seront sans doute pas directement utiles dans la perspective du DÉRom, mais pourront rendre des services à l’étymologie idioromane (cf. Buchi/Schweickard 2014, 17 pour ce terme technique développé dans le cadre du projet).
|| 10 Il ne s’agit toutefois pas de critères absolus : on ne peut pas exclure que certains de ces lexèmes aient été empruntés à un parler roman en particulier, présentant un phonétisme archaïque, et se soient diffusés par la suite à l’ensemble du territoire basque.
232 | Maria Reina Bastardas i Rufat et Julen Manterola La liste des variantes formelles et des sémèmes des emprunts basques que nous fournissons n’est pas exhaustive : seuls ceux qui pourraient être significatifs pour l’établissement de l’étymon protoroman ont été inclus. Pour des informations plus spécifiques, le lecteur est invité à se reporter à l’OEHEl.
8.1 Lexèmes basques probablement empruntés au protoroman Étymons protoromans
Emprunts basques probables
*/ˈaβ-e-/
abere s. ‘animal (domestique)’ (général)
*/aˈer-e/
aire, aide s. ‘air’ (général)
*/aˈɡʊst-u/
abuztu s. ‘août’ (presque général ; en revanche, les variantes aboztu, agoztu, agostu etc. appartiennent à des couches idioromanes successives)
*/alˈtar-e/
aldare, altare s. ‘autel’ (général)
*/ˈanɡel-u/
angeru, aingeru s. ‘ange’ (général)
*/ˈanim-a/
arima, anima s. ‘âme’ (général)
*/aˈpril-e/
apiril, apirile, aprile s. ‘avril’ (général)
*/ˈarbor-e/
arbola, arbole, arbore s. ‘arbre’ (général)
*/ˈark-u/
arku, arko s. ‘arc’ (très répandu)
*/ˈarm-a/
(h)arma s. ‘arme’ (général)
*/ˈaud-i-/
aditu v.tr. ‘entendre ; comprendre ; faire attention (à), regarder ; sentir’ (presque général ; /au-/ > /a-/ représente une évolution interne du basque)
*/ˈβas-u/
baso s. ‘verre’ (général)
*/ˈβen-a/
mea s. ‘minéral ; mine’ (presque général si l’on considère les deux acceptions)
*/βesˈsik-a/
bixiga, bixika, bexiga, puxika s. ‘vessie ; cloque’ (très répandu)
*/ˈβɪndik-a-/
mendekatu v. ‘se venger ; mériter’, bendekatu, mendikatu (il est possible d’établir une chronologie relative : on dirait que le lexème a été emprunté avant que le changement VkV > VgV n’ait eu lieu, mais après l’évolution i-i > e-e, qui ne peut pas s’expliquer à l’intérieur du basque)
*/ˈβɪrd-e/
berde, ferde, perde adj. ‘vert’ (général)
*/ˈdik-e-/
deitu v.tr. ‘appeler’ (général ; < protorom. */ˈdɪk-t-u/ part. p.)
*/doˈl-or-e/
dolore s. ‘douleur ; regret’ (autrefois général, mais moins usité aujourd’hui)
*/ˈdɔl-u/
dolu s. ‘regret’, ‘deuil’ (surtout septentrional)
Pour un traitement digne du 21e siècle des emprunts du basque au protoroman | 233
Étymons protoromans
Emprunts basques probables
*/ˈɸaβ-a/
baba s. ‘fève ; callosité’ (général)
*/ˈɸil-u/
(b)iru, firu s. ‘fil’ (très répandu ; emprunté à plusieurs reprises)
*/ˈɸlor-e/
lore s. ‘fleur’ (presque général)
*/ˈɸɔrt-e/
bortitz adj. ‘fort ; violent’ (douteux : emprunté soit au nominatif */ˈɸɔrt-is/ – mais les emprunts au nominatif appartiennent à des catégories sémantiques bien précises –, soit à un lexème roman comme aoccit. afortitz, cas sujet, selon l’OEHEl ; cf. aussi le nom propre médiéval Borte)
*/ˈɸrɔnt-e/
boronte, boronde s. ‘front’ (oriental ; ancien)
*/ˈɸrukt-u/
fruitu, frutu s. ‘fruit’ (géneral)
*/ˈɸʊnd-u/
hondo s. ‘fond’ (général)
*/ˈɸʊrk-a/
urka s. ‘fourche’ (assez répandu ; peut-être intéressant pour établir des chronologies relatives pour */ˈɸ/ > /h/ > Ø et */ʊ/ > /o/)
*/ˈɡran-u/
garau(n) s. ‘grain’, pron. indéf. ‘aucun’ (général si l’on considère les deux parties du discours)
*/ˈɡʊl-a/
gura s. ‘envie, désir’ (presque général ; selon OEHEl, peut-être emprunté au latin médiéval)
*/ˈɡʊst-u/
gustu, gostu s. ‘goût’ (général)
*/ˈiɔk-a-/
jokatu v.intr. ‘jouer (en pariant) ; se comporter’ (général)
*/ˈiɔk-u/
joko, joku s. ‘jeu’ (général)
*/ˈkamp-u/
kanpo s. ‘extérieur’ (général), ‘champ’ (méridional), kanpu s. ‘champ ; pré’ (deux textes localisés dans la province d’Alava)
*/ˈkant-a-/
kantatu v.intr. ‘chanter’ (général)
*/kasˈtani-a/ ~ */kasˈtɪni-a/
gaztaina s. ‘châtaigne’ (général)
*/'kastiɡ-a-/
gaztigatu (variante ancienne), kastigatu (variante moderne) v.tr. ‘avertir [désuet] ; punir’ (général)
*/kaˈten-a/
kate(a) s. ‘chaîne’ (général ; avec des variantes qui témoignent d’une action constante des formes romanes)
*/ˈkatt-u/
katu, gatu s. ‘chat’ (général)
*/ˈkɛl-u/
zeru, zeiru, zeuru s. ‘ciel’ (général ; probablement généralisé à travers la religion chrétienne)
*/ˈker-a/
zira, xira s. ‘cire ; imperméable’ (très répandu si l’on considère les deux acceptions)
*/ˈkompar-a-/
konparatu, gonbaratu v. ‘comparer’ (général)
*/kom-ˈprend-e-/
konprenitu v.tr. ‘comprendre ; inclure’ (assez répandu)
*/konˈβent-u/
komentu, konbentu s. ‘couvent’ (général)
*/konˈβit-a-/
gonbidatu, gomitatu v.tr. ‘convier’ (général)
234 | Maria Reina Bastardas i Rufat et Julen Manterola
Étymons protoromans
Emprunts basques probables
*/ˈkɔntra/
kontra postposition/adv. ‘contre’ (général)
*/ˈkɔrd-a/
korda s. ‘corde ; chapelet’ (très répandu si l’on considère les deux acceptions)
*/koˈron-a/
koroa s. ‘couronne’ (général)
*/ˈkort-e/
gorte, korte s. ‘tribunal ; cour du roi ; parlement ; écurie’ (général)
*/ˈkɔst-a/
kosta s. ‘littoral’ (général)
*/kuaˈresim-a/
garizuma s. ‘carême’ (général)
*/ˈkʊpp-a/
kopa, gopa s. ‘coupe’ (dp. 16e s.)
*/ˈlaks-a-/
laxatu, lazatu v. tr./intr. ‘(se) relâcher’ (septentrional ; avec = [ʃ]), laja v.tr. ‘laisser’ (Guipuscoan ; avec [x])
*/ˈlak-u/
laku s. ‘lac’ (trés répandu)
*/ˈlaud-a-/
laudatu v.tr. ‘louer’ (général, même si historiquement il a été moins utilisé par les auteurs du sud)
*/ˈleɡ-e/
lege s. ‘loi’ (général)
*/ˈlɔk-u/
leku s. ‘lieu’ (général ; le vocalisme peut s’expliquer à partir d’une forme protoromane régionale à diphtongue *lueku ; cf. aesp. lueco adv. ‘soudainement’, DCECH 3, 710)
*/maˈɡɪstr-u/
maizter s. ‘locataire’ (emprunt au nominatif */maˈɡɪster/, phénomène bien connu pour les noms de métier, cf. Mitxelena 1974, 203, avec évolution sémantique propre au basque)
*/ˈmais/
maiz adv. ‘souvent’ (assez répandu)
*/ˈmai-u/
maiatz s. ‘mai’ (général ; < [calendas] maias ; peut-être emprunt savant)
*/ˈmalli-u/
mailu s. ‘marteau’ (général ; selon OEHEl, emprunté à l’aragonais)
*/ˈman-ik-a/
mahuka, mainka, maunga s. ‘manche’ (général)
*/ˈmarmor-e/
marmole, marmore s. ‘marbre’ (attesté dans tous les dialectes depuis le 17e siècle)
*/ˈmart-i-u/
martxo, martxu, martzo s. ‘mars’ (presque général, usité de tous temps) ; marti s. ‘mars’ (forme propre au biscayen, depuis les premiers textes)
*/ˈmεnt-a/
menda s. ‘menthe’ (très répandu)
*/ˈmill-e/
mila num. card. ‘mille’ (général ; < */ˈmill-a/ pl.)
*/ˈmir-a-/
miratu v. ‘observer ; examiner’ (attesté surtout chez les auteurs orientaux)
*/ˈmʊkk-u/
muki, muku s. ‘morve ; mèche’
*/ˈmur-u/
murru s. ‘mur’ (avec /-rr-/ irrégulier)
*/ˈmut-a-/
mudatu, mutatu v. ‘changer’ (général)
*/ˈmut-u/
mutu adj. ‘muet’ (général)
Pour un traitement digne du 21e siècle des emprunts du basque au protoroman | 235
Étymons protoromans
Emprunts basques probables
*/ˈpak-e/
bake s. ‘paix’ (général, ancien)
*/ˈpal-u/
maru s. ‘poteau’ (dialectal ; évolution probable : */ˈpal-u/ > *baru > maru)
*/paˈret-e/
paret(e) s. ‘mur’ (presque général)
*/ˈpart-e/
parte s. ‘part, partie’ (général)
*/pekˈk-at-u/
bekatu s. ‘péché’ (général ; /b-/ initial oriente vers un emprunt au protoroman ; quant à la variante pekatu, elle peut s’expliquer à l’intérieur du basque ; on ne relève pas de formes avec occlusive sonore de type *bekadu)
*/ˈpɛrsik-u/
mertxika, muxika s. ‘pêche’ (assez répandu)
*/ˈpes-u/
pizu, pisu s. ‘poids’, adj. ‘lourd’ (presque général ; malgré l’initiale sourde – l’évolution régulière aurait été */p-/ > /b-/ –, le /-s-/ témoignant de l’ancienneté de l’emprunt)
*/ˈpin-u/
pinu, pino s. ‘pin’ (très répandu)
*/ˈplak-e-/
laket adj. ‘agréable’, s. ‘plaisir’ (septentrional ; < */ˈplak-e-t/ prés. 3)
*/ˈprεst-a-/
prestatu v.intr. ‘se préparer’, tr. ‘prêter’ (général si l’on considère toutes les acceptions)
*/ˈprεti-u/
prezio s. ‘prix’ (général)
*/ˈpʊti-u/
putzu, butzu s. ‘puits’ (centre-oriental ; cf. la variante médiévale buitzu), pozo (occidental) ; cf. aussi le nom propre médiéval Mutio, probablement un semicultisme selon EHHE
*/ˈram-u/
erramu s. ‘laurier ; dimanche des Rameaux' (général ; très peu d’exemples au sens de ‘branche’ ou ‘bouquet’)
*/ˈrɔt-a/
errota s. ‘moulin’ (général)
*/ˈsaβat-u/
zapatu s. ‘samedi’ (biscayen ; /-p-/ ne peut s’expliquer qu’à partir d’un étymon présentant une consonne géminée)
*/saˈɡɪtt-a/
zagita s. ‘flèche’ (peu répandu, limité surtout à quelques textes anciens, mais phonétisme archaïque)
*/ˈsakk-u/
zaku s. ‘sac’ (général)
*/ˈsali-ke/
zarika s. ‘saule ; genêt’ (dialectal, assez répandu)
*/ˈsan-u/
xahu adj. ‘net, propre’ (surtout oriental)
*/ˈsɛnt-i-/
sentitu, senditu v.tr. ‘sentir ; entendre’ (général)
*/ˈsɪnap-e/
ziape, zeape s. ‘moutarde’ (surtout oriental, mais a été recueilli aussi, avec un autre sens, en biscayen)
*/ˈskriβ-e-/
izkiriatu v.tr. ‘écrire’ (les évolutions */s-/ > /z/ et */-kri-/ > /-kiri-/ peuvent être considérées comme des signes d’ancienneté), eskribitu v.tr. ‘écrire’
236 | Maria Reina Bastardas i Rufat et Julen Manterola
Étymons protoromans
Emprunts basques probables
*/soˈror-e/
serora, serore, seror, sorore s. ‘nonne ; diaconesse’ (général si l’on considère les deux acceptions)
*/ˈsɔrt-e/
zorte s. ‘chance’ (oriental ; emprunt ancien, contrairement à la variante méridionale suerte < esp. suerte)
*/ˈspat-a/
ezpata s. ‘épée’ (général, ancien)
*/ˈstʊpp-a/
iztupa, eztupa s. ‘étoupe’ (oriental)
*/ˈtɛmpus/
denbora s. ‘temps’ (général ; < */ˈtɛmpor-a/ pl., à moins qu’il s’agisse, comme l’envisage OEHEl, d’un emprunt au latin médiéval)
*/ˈtrist-e/
triste adj. ‘triste’ (général)
8.2 Lexèmes basques appartenant à la famille étymologique d’étymons protoromans Étymons protoromans
Lexèmes basques appartenant à la même famille étymologique
*/ˈβend-e-/
benta s. ‘auberge’ < esp. venta ‘auberge’
*/ˈβɛnt-u/
mendebal s. ‘ouest’ < mfr. oïl. vent d’aval loc. nom.m. ‘vent de l’ouest’ (FEW 14, 139b, VALLIS I 2 a ; cf. esp. vendaval s.m. ‘vent violent’)
*/ˈdɛke/
dekuma s. ‘dîme’ (oriental ; en raison de l’occlusive /k/, emprunt à protorom. */ˈdɛk-im-a/) ; detxuma, detxema ‘id.’ (septentrional ; en raison du consonantisme, plutôt emprunt à un idiome roman)
*/ˈɸen-u/ ~ */ˈɸɛn-u/
pentze, euntze s. ‘pré’ serait lié à cet étymon selon Mitxelena (1990, 492)
*/ˈɸili-u/
ilhoba s. ‘neveu’ s’expliquerait selon EHHE comme un dérivé en -ba (suffixe basque bien connu) d’un emprunt non attesté à gasc. hilhòu s.m. ‘filleul’
*/ˈɡrass-u/
grasa s. ‘graisse’ (16e–18e s. ; très peu usité)
*/ˈlumen/
lumera s. ‘(graisse de) baleine’ (< aesp. lumnera < « lat. luminaria », Kasten/Cody s.v. luminaria)
*/ˈmʊst-u/
muztio s. ‘moût’, busti v.tr. ‘mouiller’, que l’on rapproche habituellement de lat. musteus
*/resˈpɔnd-e-/
errespondatu, erresponditu v.tr. ‘répondre’ (oriental, peu répandu) fait face à arrapostu, errepostu, errapostu s. ‘réponse’ (septentrional) et errepuesta, errepusta (assez répandus) ; en raison de la diphtongue, errepuesta doit représenter un emprunt à l’espagnol
Pour un traitement digne du 21e siècle des emprunts du basque au protoroman | 237
Étymons protoromans
Lexèmes basques appartenant à la même famille étymologique
*/ˈrʊmp-e-/
gorroto s. ‘haine’ (général chez les auteurs méridionaux et assez répandu chez les auteurs septentrionaux ; sans doute emprunt à aesp. corroto s.m. ‘mortification’, lui-même continuateur de protorom. */korˈrʊp-t-u/, cf. REW3 s.v. *corrŭptum et DCECH 2, 708a s.v. escorrozo ainsi que Ernout/Meillet4 s.v. rumpō)
*/ˈtali-a-/
taila s. ‘impôt ; ‘taille’, tailu s. ‘taille ; manière’ et taxutu v.tr. ‘organiser ; modeler ; fabriquer ; ordonner’
8.3 Lexèmes basques empruntés à des continuateurs romans d’étymons protoromans Étymons protoromans
Emprunts basques à des continuateurs romans de ces étymons
*/aˈbante/
abant(e), abanti s. ‘marche (à la rame)’ (très peu répandu, dialectal, appartient au lexique maritime)
*/aˈnɛll-u/
anillo s. ‘bague’ (biscayen, attesté au 20e siècle)
*/ˈbaβ-a/
baba s. ‘bave’ (très peu répandu, dialectal)
*/ˈbatt-e-/
batitu v.tr. ‘battre’ (très peu usité, recueilli dans un dictionnaire du 18e siècle)
*/ˈbɛn-e/
bien adv. ‘bien’ (dialectal, très peu usité, attesté au 20e siècle comme interjection)
*/ˈblastim-a-/
blasfematu v.intr. ‘blasphémer’ (utilisé presque exclusivement dans des textes religieux)
*/ˈbɔn-u/
bueno interj. ‘bon’ (attesté depuis la fin du 19e siècle), bon ‘bon’ (attesté depuis le 20e siècle)
*/ˈbrum-a/
gurma s. ‘brume’ (biscayen, attesté au 20e siècle)
*/deˈrekt-u/
deretxo, dretxo adj. ‘droit’ (assez répandu)
*/dɪsˈkarrik-a-/
deskargatu v.tr. ‘décharger’ (assez répandu, attesté surtout dans des textes septentrionaux)
*/ˈdɔmn-u/
Domu Santu loc. nom. ‘Toussaint’
*/ˈɸamen/
hamitu, hamikatu adj. ‘affamé’ (septentrional)
*/ˈɸlamm-a/
halama s. ‘flamme’ (septentrional)
*/ˈɸʊt-e/
futitu v.intr. ‘se foutre’ (septentrional)
*/ieˈnɪper-u/
inapuru (dialectal), ipuru, epuru, unpuru (dialectal)
*/ˈiʊdik-e/
juje s. ‘juge’ (septentrional ; < fr. juge)
*/kaˈβall-u/
kaballo s. ‘cheval’ (emprunt remontant au 20e siècle relevé dans quelques parlers biscayens)
238 | Maria Reina Bastardas i Rufat et Julen Manterola
Étymons protoromans
Emprunts basques à des continuateurs romans de ces étymons
*/kaˈmɪsi-a/
kamisa s. ‘chemise’ (attesté au 18e siècle dans le sens ‘chemisier de femme’)
*/ˈkarr-u/
karro, karru s. ‘chariot’ (attesté depuis le 16è siècle, mais peu répandu)
*/kiβɪˈtat-e/
ziudade s. ‘cité’ (peu usité, surtout littéraire, mais attesté déjà au 16e siècle)
*/ˈkɪrk-a-/
zerkatu v.tr. ‘entourer ; assiéger’ (peu usité ; probablement emprunté à esp. cercar), xerkatu v.tr. ‘chercher’ (septentrional, très usité ; emprunté à gasc. cercà)
*/ˈluk-e-/
luzitu, luzidu v. ‘arborer ; briller ; se distinguer’ (dialectal, attesté au 20e siècle)
*/maˈɡɪstr-a/
maistra s. ‘enseignante’ (probablement emprunté à esp. maestra)
*/mɪˈnut-u/
minutu s. ‘minute’ (attesté depuis le 17e siècle)
*/paˈɡ-an-u/
paganu, pagano, pagan s. ‘païen’ (dialectal)
*/pasˈtor-e/
pastore s. ‘berger’ (biscayen)
*/ˈpɛkt-u/
petxu s. ‘poitrine’ (dialectal)
*/planˈt-aɡin-e/
plantain s. ‘plantain’ (oriental)
*/ˈpopl-u/
populu, poplu s. ‘peuple’ (septentrional ; populu est très probablement un emprunt savant)
*/ˈpɔrt-a/
borta s. ‘porte’ (oriental)
*/ˈprim-u/
primu, premu s. ‘héritier’ (septentrional)
*/ˈseb-u/
ziho, zigo s. ‘suif ; chandelle’ (septentrional)
*/ˈsɛd-e-/
xedatu v.tr. ‘établir ; disposer’ (septentrional)
*/ˈsɪɡn-u/
zeinu s. ‘cloche ; signe’ (septentrional)
*/ˈsɪkk-u/
siku adj. ‘sec’ (biscayen), seku, seko
9 Annexe 2 : les emprunts latino-romans du basque d’après l’EHHE La liste suivante répertorie la plupart des lexèmes basques empruntés au protoroman (ou exceptionnellement au latin écrit) et/ou à un ou des parler(s) roman(s) qui ont été traités dans l’Euskal Hiztegi Historiko-Etimologikoa (EHHE), le dictionnaire historico-étymologique basque. Plutôt que de tenter de coller aux définitions précises du dictionnaire, auquel on se reportera pour plus de détails, nous nous contentons dans ce tableau d’une glose française rapide.
Pour un traitement digne du 21e siècle des emprunts du basque au protoroman | 239
À titre d’orientation, nous fournissons une rapide indication sur l’étymon ou les étymons de chaque lexème basque. Il faut bien noter que ces étymons ne constituent pas toujours la source directe des unités lexicales basques, mais sont plutôt à considérer comme des étiquettes globales : bien souvent, la situation est plus complexe qu’il n’y paraît, et il n’est pas rare que plusieurs langues prêteuses soient envisageables. Dans ces cas, le lecteur est invité à se reporter au texte du dictionnaire pour en connaître les détails. Lexèmes basques
Étymons de ces lexèmes Langues d’appartenance selon EHHE de ces étymons selon EHHE
abade (abadia, abadesa) s. ‘prêtre’
abad(e)
ancien espagnol
abagadaune s. ‘occasion’
a vegada
ancien espagnol
abendu s.‘décembre’
adventus
latin
aberats adj. ‘riche’
averaiz/averais ou *averat-s, averos
ancien français ou ancien occitan
abere s. ‘animal’
habere
latin
abuztu s. ‘août’
a(u)gustus
latin
aditu v.tr. ‘entendre’
auditum
latin
ahul adj. ‘faible’
ahoulà
gascon
ahutz s. ‘gueule’
faux
latin
aingeru s. ‘ange’
angelus
latin
aizkora s. ‘hache’
asciolam
latin
alhatu v.intr. ‘paître’
haler
galloroman
antsia s. ‘envie’
ànsia
occitan
antsia s. ‘envie’
anxia
latin
apaiz s. ‘prêtre’
abbas
latin latin
apal adj. ‘bas ; humble’
ad vallem
babes s. ‘abri’
pavés
espagnol
bagai adj. ‘paresseux’
bagàn
béarnais
bakant adj. ‘seul ; rare’
vacant
français
bake s. ‘paix’
pacem
latin
balea s. ‘balleine’
ballaena
latin
baratu v.tr./intr. ‘mettre ; s’arrêter’
parare
latin
barkatu v.tr. ‘pardonner’
parcere
latin
bazka s. ‘fourrage’
pascere
latin
bedeinkatu v.tr. ‘bénir’
benedicare
latin
240 | Maria Reina Bastardas i Rufat et Julen Manterola
Lexèmes basques
Étymons de ces lexèmes Langues d’appartenance selon EHHE de ces étymons selon EHHE
beila s. ‘vigile ; veillée’
veylla
ancien occitan
belu adj. ‘tard’
velo
espagnol
berandu adj. ‘tard’
velando
espagnol
berna s. ‘jambe’
perna
latin
bigira s. ‘veillée’
vigilia
latin
bortitz adj. ‘fort ; dur’
afortitz ou fortis
ancien occitan ou latin
damu s. ‘regret’
damnum
latin béarnais
deitoratu v.tr. ‘déplorer’
deytorar
deitu v.tr. ‘appeler’
deito
aragonais
dolu s. ‘deuil’
dolus
latin
dorre s. ‘tour’
torre ou tor
occitan ou espagnol
eliza s. ‘église’
eclesia
latin vulgaire
eme s. ‘femelle’
hemne
béarnais
endore s. ‘maire’
tenedor
ancien espagnol
erraz adj. ‘facile’
rahez
ancien espagnol
errege s. ‘roi’
rege(m)
latin
erregina s. ‘reine’
regina(m)
latin
estakuru s. ‘excuse’
obstaculum
latin
eztei s. ‘noce’
hesteya
béarnais
faltsu adj. ‘faux’
falso
espagnol
fede s. ‘foi’
fidem
latin
festa s. ‘fête’
fĕsta
latin
fidatu v.tr. ‘avoir confiance’
fidà
gascon
garba s. ‘gerbe’
garba
ancien occitan
gartzeta s. ‘occiput’
garceta
espagnol
gauza s. ‘chose’
causa(m)
latin
gorroto s. ‘haine’
corroto
ancien espagnol
hanka s. ‘jambe’
anca
ancien occitan
harea s. ‘sable’
arena(m)
latin
horma s. ‘glace ; mur’
forma(m)
latin
ingude s. ‘enclume’
ĭncūdem
latin
inguru postposition ‘autour’
ingȳrō
latin
itxura s. ‘apparence’
hechura
espagnol
jostatu v.intr. ‘jouer’
jostar
ancien occitan
Pour un traitement digne du 21e siècle des emprunts du basque au protoroman | 241
Lexèmes basques
Étymons de ces lexèmes Langues d’appartenance selon EHHE de ces étymons selon EHHE
kirol s. ‘sport’
quirola
ancien espagnol
kristau/giristino s. ‘chrétien’
christianum
latin
kutxa s. ‘coffre, bahut’
hutica
latin médiéval
leinu s. ‘lignée’
*lineum
latin
madarikatu v.tr. ‘maudire’
maledicere
latin
maiatz s. ‘mai’
kalendas maias
latin
mairu s. ‘païen’
maurus
latin
maiz adv. ‘souvent’
magis
latin
maizter s. ‘locataire’
magister
latin
makila s. ‘bâton’
bac(c)illum
latin
mesede s. ‘faveur’
merced
espagnol
mutil s. ‘garçon’
mutilus, putillus
latin
mutio s. ‘puits’
pŭteus
latin
negu s. ‘hiver’
neu
béarnais
neke s. ‘fatigue’
necare
latin
ohore s. ‘honneur’
honorem
latin
olio s. ‘huile’
olio
ancien espagnol ou aragonais
oroit s. ‘souvenir’
horehèyt
gascon
oste prép. ‘après ; derrière’
post
latin
paradisu s. ‘paradis’
paradisum
latin
polit adj. ‘beau’
polit
occitan
portu/bortu/mortu s. ‘(col de) montagne ; pâtis de montagne’
portus
latin
putzu s. ‘puits’
pŭteus
latin
sano adv. ‘très’
sano
espagnol
solas/jolas s. ‘parole ; jeu’
solaz ou solatz
espagnol ou occitan
trebatu v.tr. ‘s’entraîner’
treverse
ancien espagnol
tresna s. ‘outils’
tresnar
ancien espagnol
umil adj. ‘humble’
humil
ancien espagnol, ancien français ou béarnais
urratu v.tr. ‘user’
burra
latin
uzta s. ‘récolte’
aoustà
béarnais
xahu adj. ‘propre’
sanus
latin
zama s. ‘poids’
sagma
latin
242 | Maria Reina Bastardas i Rufat et Julen Manterola
Lexèmes basques
Étymons de ces lexèmes Langues d’appartenance selon EHHE de ces étymons selon EHHE
zamari s. ‘bête de somme’
sagmarius
zeru s. ‘ciel’
*[tselu] (< caelum)
protoroman
zirol s. ‘cordonnier’
cerol
catalan ou portugais
latin tardif
2 Codification des principes rédactionnels Marco Maggiore
2.1 Considérations sur la structure XML des articles du DÉRom 1 Introduction À la différence de ses prédécesseurs, dont le plus éminent est le Romanisches Etymologisches Wörterbuch de Wilhelm Meyer-Lübke (REW3 ; 31930–1935 [11911– 1920]), le Dictionnaire Étymologique Roman (DÉRom), lancé en janvier 2008, est élaboré entièrement par voie informatique : ses articles sont saisis directement en langage XML (dans le logiciel oXygen), ce qui permet, grâce au schéma et à la feuille de style élaborés par Gilles Souvay, l’informaticien du projet, leur publication à la fois sur le site internet de l’ATILF (‹www.atilf.fr/DERom›) et sous forme papier (cf. DÉRom 1 et DÉRom 2). Dans ce chapitre, qui fait suite aux considérations de Gilles Souvay et Pascale Renders publiées dans le DÉRom 1 (Souvay/Renders 2014), nous fournissons une présentation synthétique du schéma XML du DÉRom et de son fonctionnement sur le site. Nos développements, assez détaillés, s’appuient sur l’exemple concret de l’article */ˈkresk-e-/ v.intr./tr. ‘croître ; accroître’ (cf. Maggiore 2011–2019 in DÉRom s.v., DÉRom 1, 492–495 et ici 363–367).1 Le choix de cet article, que nous avons rédigé pendant notre post-doctorat à l’ATILF, est dû à des raisons purement pratiques : il va de soi que toutes les entrées du DÉRom ont la même structure informatique et reposent sur le même schéma XML sous-jacent. L’utilisation du langage XML permet de contrôler de manière rigoureuse le respect de la structure lexicographique de chaque article. Nos considérations seront structurées en deux parties complémentaires : dans un premier temps, nous observerons la structure lexicographique intrinsèque d’un article du DÉRom (cf. aussi Celac 2016 et Kneib 2016, 196–214),
|| 1 L’article */ˈkresk-e-/ bénéficie d’une republication dans le DÉRom 3 pour que le lecteur puisse s’y reporter aisément lors de la lecture du présent chapitre. || Marco Maggiore, Istituto Opera del Vocabolario Italiano (OVI), Consiglio Nazionale delle Ricerche, Via di Castello 46, I-50141 Florence, [email protected]. https://doi.org/10.1515/9783110654264-010
244 | Marco Maggiore pour, dans un second temps, montrer comment cette dernière se reflète dans le schéma XML.
2 Structure lexicographique 2.1 Présentation Un article du DÉRom peut se subdiviser en sept sections, dont six sont obligatoires : le lemme (ci-dessous 2.2), les matériaux (2.3), le commentaire (2.4), la bibliographie (2.5), les signatures (2.6) et la date de mise en ligne (2.7) ; une dernière section, facultative, est consacrée aux notes (2.8).
2.2 Lemme La première section, dévolue au lemme, exprime la base étymologique reconstruite dans l’article. Elle se compose de trois parties : le signifiant, la catégorie grammaticale et le signifié. Il est important de rappeler que le DÉRom présente une caractéristique particulière concernant la notation du signifiant des étymons : étant donné qu’il ne s’agit pas de mots du latin écrit, mais de protolexèmes reconstruits sur la base de séries de cognats romans, leur signifiant est présenté en notation phonologique, à l’aide des symboles de l’alphabet phonétique international (IPA), placé entre barres obliques et précédé d’un astérisque, en l’occurrence */ˈkresk-e-/. Comme nous le verrons plus tard, ce choix méthodologique entraîne des conséquences pour la structure XML des articles. La catégorie grammaticale est exprimée par une abréviation, dans notre cas « v.intr./tr. », c’est-à-dire ‘verbe intransitif et transitif’. Enfin, le signifié de l’étymon est exprimé sous la forme d’une définition componentielle introduite entre guillemets : ‘rendre progressivement de l’ampleur ; faire augmenter en extension ou en volume’. Considéré de manière globale, le lemme synthétise ainsi le résultat de la reconstruction comparative réalisée par l’auteur de l’article, en énonçant les caractéristiques phonologiques, (micro-)syntaxiques et sémantiques de l’étymon.
2.1 Considérations sur la structure XML des articles du DÉRom | 245
2.3 Matériaux Dans cette section de l’article, une ou plusieurs série(s) de cognats romans, c’està-dire un ou des ensemble(s) de données lexicales reconductibles à une ou plusieurs base(s) étymologique(s) commune(s), est ou sont enregistrée(s), chaque cognat occupant une place prédictible. La section consacrée aux matériaux peut consister en un seul bloc de données ou bien être subdivisée en plusieurs paragraphes, comme c’est le cas de l’article */ˈkresk-e-/, qui comporte deux subdivisions sémantico-valenciellement motivées, consacrées respectivement au verbe intransitif signifiant ‘croître’ (I.) et au verbe transitif signifiant ‘accroître’. Chaque subdivision exhibe une liste ordonnée de cognats, et pour chacun de ces cognats, le lecteur est en mesure de repérer un certain nombre d’informations, exprimées à travers la même structure figée. Observons d’abord le premier cognat enregistré dans le premier paragraphe, le verbe intransitif sarde krèskere : « sard. krèskere v.intr. ‘prendre progressivement de l’ampleur, croître’ (DES ; PittauDizionario 1) »
On pourrait subdiviser cet item en deux parties informationnelles : celle qui précède les parenthèses et celle qui apparaît à l’intérieur de ces dernières. Quatre éléments peuvent apparaître avant les parenthèses : l’étiquette géolinguistique du cognat (« sard. »), son signifiant (« krèskere »), sa catégorie grammaticale (« v.intr. ») et son signifié (« ‘prendre progressivement de l’ampleur, croître’). Le premier de ces éléments, marqué en gras, est un glottonyme spécifiant l’idiome – qu’il s’agisse d’une langue nationale, d’un dialecte local ou de tout autre type de parler – dont relève le cognat. Puis le signifiant du cognat est indiqué, sous sa forme citationnelle, donc, dans le cas des verbes, en principe sous la forme de l’infinitif. Le signifiant, qui constitue pour ainsi dire le nom du cognat – car on peut faire référence à ce dernier à travers le premier –, est édité en italique s’il est de tradition écrite (« krèskere »), tandis que dans le cas de cognats enregistrés seulement sous leur forme orale, on recourt à la notation phonétique (entre crochets carrés). Le troisième élément précédant les parenthèses est la catégorie grammaticale, synthétisée dans ce cas par l’abréviation « v.intr. » (‘verbe intransitif’). Le signifié, enfin, est présenté sous la forme d’une définition componentielle (‘prendre progressivement de l’ampleur’), suivie d’une glose rapide (‘croître’). Les deux premiers éléments, le glottonyme et le signifié, apparaissent de manière obligatoire pour tous les cognats, tandis que les deux derniers, la catégorie grammaticale et le signifié, sont absents de la structure de surface de l’article si leur valeur coïncide avec
246 | Marco Maggiore celle du cognat précédent. Cela se vérifie, dans notre exemple concret, pour tous les cognats qui suivent le sarde, y compris le cognat français, qui figure en douzième position dans la série de cognats : « fr. croître (dp. ca 1100 [creistre], RolS2 142 = TLF ; Gdf ; FEW 2, 1323b ; TL ; AND2 s.v. crestre ; DMF2012 ; ALF 362) »
Le fait que la catégorie grammaticale « v.intr. » et le signifié ‘prendre progressivement de l’ampleur, croître’ fournis explicitement pour le cognat sarde soient les seuls à apparaître dans ce paragraphe signifie implicitement que tous les cognats qui y sont listés partagent cette valence et cette valeur sémantique avec le cognat sarde placé au début de la liste. Passons à présent à l’information présentée à l’intérieur des parenthèses. Si nous comparons à nouveau le cognat sarde avec le cognat français, nous remarquons encore une fois des différences. Cette fois, c’est le cognat français qui est pourvu de plus d’information que le sarde, puisqu’il comporte une date de première attestation (« dp. ca 1100 »), puis, entre crochets carrés, la forme de cette attestation (« [creistre] »). Il ne s’agit pas là d’éléments obligatoires : ils ne sont fournis que s’ils sont pertinents. Ainsi, la date de première attestation de certains cognats est tellement récente que sa mention ne ferait qu’alourdir le bloc des matériaux, sans apporter une plus-value informationnelle quelconque. C’est le cas du verbe sarde, dont nos sources ne fournissent pas d’attestations antérieures au 19e siècle. En revanche, des séries d’abréviations bibliographiques sont associées à chaque cognat. Ces abréviations renvoient à des sources, qu’elles soient de consultation obligatoire (cf. Morcov 2016) ou facultative, dépouillées durant le processus rédactionnel. Si une date de première attestation est indiquée, la source qui la contient est citée en premier ; pour le reste, la séquence des sources suit un ordre (chronologique) préétabli, de la plus ancienne à la plus récente. En résumé, la section des matériaux fournit un ensemble d’informations assez complet : elle liste les idiomes qui attestent des lexèmes permettant d’établir une série de cognats donnée, elle précise le signifiant de ces cognats, leur catégorie grammaticale et leur signifié ; elle nous informe, le cas échéant, sur la date de leur première attestation, en précisant si nécessaire la forme de cette dernière ; enfin, elle présente une liste de sources consultables par qui voudrait en savoir plus. Comme on peut s’en douter, l’ordre de citation des cognats dans chaque paragraphe de l’article n’est pas dû au hasard : il existe un ordre de citation spécifique déterminé par les normes rédactionnelles du dictionnaire (cf. Celac 2016, 291–295), qui établit que le premier cognat cité doit être, s’il existe, le sarde,
2.1 Considérations sur la structure XML des articles du DÉRom | 247
puis le dacoroumain, puis l’istroroumain etc., jusqu’au dernier, le portugais (ou, le plus souvent, le galégo-portugais). Des idiomes peuvent être absents de la liste, (s’ils n’attestent pas de lexème pouvant être rattaché à la série de cognats donnée), mais ils ne peuvent pas apparaître dans un ordre arbitraire : le sarde doit toujours précéder le dacoroumain, et le portugais ne peut pas être suivi par l’italien. La série des cognats est précédée obligatoirement par le signifiant de l’étymon direct auquel elle est reconduite, dans le cas présent le mot-forme (infinitif) */ˈkresk-e-re/, une entité moins abstraite que celle portée dans le lemme (*/ˈkresk-e-/) : à partir d’une série d’infinitifs romans, on ne peut que reconstruire, dans un premier temps, un infinitif protoroman. Le seul élément qui peut précéder le signifiant de l’étymon direct, c’est le titre du paragraphe, qui n’apparaît que dans les cas où la section des matériaux contient au moins deux subdivisions. En l’occurrence, ce titre se lit ainsi : « I. Verbe intransitif : ‘croître’ ».
2.4 Commentaire Troisième section d’un article du DÉRom, le commentaire étymologique se compose au minimum de deux alinéas de texte, dont le premier explicite la reconstruction de l’étymon protoroman porté dans le lemme, tandis que le second compare le résultat de la reconstruction comparative avec les données du latin écrit. En fonction de la complexité d’un article, d’autres paragraphes peuvent s’y ajouter, par exemple pour expliquer sa structure interne ou pour aborder une question de reconstruction (phonologique, sémantique, morphologique ou syntaxique) qui frappe la base protoromane faisant l’objet de l’analyse. Le premier paragraphe du commentaire décrit de façon plus ou moins synthétique la ou les série(s) de cognats sur le(s)quel(s) se fonde la reconstruction et énonce de façon explicite le résultat de cette dernière : « Tous les parlers romans sans exception présentent des cognats incitant à reconstruire protorom. */ˈkresk-e-/ v.intr. ‘prendre progressivement de l’ampleur, croître’, tr. ‘faire augmenter en extension ou en volume, accroître’.
L’étymon y est mentionné sous la même forme que dans le lemme : signifiant, catégorie grammaticale, signifié. Toutefois, tandis que dans le lemme, chaque signifié est introduit par une définition componentielle, cette dernière est ici complétée, comme dans les matériaux, par une rapide glose, qui se réduit en général à un seul mot (‘croître’, ‘accroître’).
248 | Marco Maggiore Un deuxième alinéa obligatoire, souvent placé à la fin du commentaire, aborde la question des rapports entre la base protoromane reconstruite et son corrélat en latin écrit : « Le corrélat de I. en latin écrit, crescere v.intr. ‘croître’, est connu durant toute l’Antiquité (dp. Caton [* 234 – † 149], TLL 4, 1176), tandis que le latin écrit de l’Antiquité ne connaît pas de corrélat du type II. En revanche, le sens principal de crescere, ‘naître, venir au monde’, usuel durant toute l’Antiquité (dp. Ennius [* 239 – † 169], TLL 4, 1176), est étranger aux cognats romans (cf. aussi DOLR 1, 56-57) ».
Le commentaire de l’article */ˈkresk-e-/ contient en outre un autre paragraphe, inséré entre ces deux paragraphes obligatoires, dont la finalité principale consiste à expliquer la structuration de l’article. D’une manière générale, il est important de préciser que bien que la structure interne du commentaire soit assez peu contrainte et qu’il n’existe pas de limite en termes de longueur, le rédacteur doit respecter un certain nombre de normes de rédaction et de mise en forme du texte (emploi des italiques, format de citation des références bibliographiques etc.).
2.5 Bibliographie La quatrième section d’un article du DÉRom occupe la bibliographie. Il s’agit d’une liste de références bibliographiques, classées par ordre chronologique, qui portent sur des questions générales (« Romania en général ») liées à la base protoromane traitée, tandis que les références qui concernent les idiomes romans individuels sont enregistrées dans la section « Matériaux ». À noter que certaines sources sont citées dans ce paragraphes d’une manière différente par rapport à la section des matériaux. C’est par exemple le cas du Französisches Etymologisches Wörterbuch (FEW), dont la référence est ici plus riche et plus explicite (« von Wartburg 1945 in FEW 2, 1323a-1330a, CRĒSCĔRE ») que dans les matériaux (« FEW 2, 1323a »).
2.6 Signatures Introduite par le titre « Signatures » (en gras), la cinquième section rend compte des diverses contributions apportées par les chercheurs impliquées dans l’élaboration de l’article. Il s’agit souvent de vingt à vingt-cinq personnes, surtout des membres de l’équipe du DÉRom, mais aussi, exceptionnellement, des experts
2.1 Considérations sur la structure XML des articles du DÉRom | 249
extérieurs au projet sollicités par les rédacteurs : cette section témoigne du caractère éminemment collaboratif de l’entreprise. Les contributeurs peuvent se rattacher à trois profils différents : la sous-section « Rédaction » explicite le nom de l’auteur (ou des auteurs) de l’article. Suit la sous-section « Réviseurs », qui liste toutes les personnalités intervenues dans la révision du travail, en apportant des observations sur des problèmes soulevés par des parlers romans en particulier ou sur l’analyse générale. La troisième soussection, intitulée « Contributions ponctuelles », rend compte d’apports plus circonscrits à l’élaboration de l’article, comme la mise à disposition de photocopies ou de scans de matériaux bibliographiques ou des observations sur des aspects formels ou marginaux.
2.7 Dates de publication Dans cette section, la date à laquelle l’article a été publié pour la première fois sur le site internet du DÉRom est indiquée (« Première version : 24/06/2011 »). Une deuxième date, qui peut être identique à la première ou en être différente, indique le moment où les dernières modifications ont été effectuées dans l’article (« Version actuelle : 20/12/2019 »). Les raisons d’une correction postérieure à la mise en ligne initiale d’un article peuvent être variées ; dans la plupart des cas, il s’agit de révisions internes ou de corrections suggérées dans un compte rendu.
2.8 Notes La dernière section dans la structure d’un article du DÉRom, la seule optionnelle, est consacrée aux notes. Ces dernières apportent des informations sur des points de détail ou abordent des questions secondaires par rapport à l’objet du commentaire étymologique. Par exemple, la note 2 de l’article */ˈkresk-e-/ explique pourquoi les deux séries de cognats assemblées dans l’article contiennent, à côté de cognats comme sard. krèskere ou fr. croître, dont le rattachement à */ˈkresk-e-re/ ne pose aucun problème, des items comme esp. crecer (accentué sur la dernière syllabe), qui suggéreraient, en première approche, plutôt la reconstruction de **/kresˈk-e-re/ : « 2. En espagnol, asturien et galégo-portugais, les verbes remontant à la classe flexionnelle en */ˈ-e-/ sont passés à celle remontant à */-ˈe-/, exceptionnellement aussi à celle remontant à */-ˈi-/ (cf. MeyerLübkeGLR 2, § 126 ; LausbergLinguistica 2, § 788) ».
250 | Marco Maggiore Avec le commentaire, les notes constituent la seule section susceptible de contenir des paragraphes de texte. Elles peuvent se rattacher, à l’aide d’un appel de note, aux matériaux et au commentaire étymologique.
3 Reflet de la structure lexicographique dans le schéma XML 3.1 Présentation Après avoir exposé la structure lexicographique d’un article du DÉRom, nous passons à présent au schéma XML, qui est le reflet informatique de cette structure. Nous effectuerons notre présentation du point de vue d’un linguiste qui utilise le système de rédaction XML sans prétendre être un expert en traitement automatique des langues. La figure 1 ci-dessous, qui a été générée par copie du début de l’article */ˈkresk-e-/ sous XML, donne une idée de la structure arborescente du schéma. Après des informations concernant l’encodage informatique du document, le texte enchaîne des paires de balises (comme ‹Article› ~ ‹/Article›), qui peuvent être imbriquées entre elles (ainsi ‹Lemme› ~ ‹/Lemme› dans ‹Article› ~ ‹/Article›), et du contenu textuel (ainsi « prendre progressivement de l’ampleur », contenu de la paire de balises ‹Signifie› ~ ‹/Signifie›).
ˈkresk-e- v.intr./tr. prendre progressivement de l'ampleur faire augmenter en extension ou en volume
I. Verbe intransitif : « croître » ˈkresk-e-re
sard. krèskere v.intr. prendre progressivement de l'ampleur, croître
2.1 Considérations sur la structure XML des articles du DÉRom | 251
DES PittauDizionario 1
Figure 1 : Début de la structure arborescente du schéma XML de l’article */ˈkresk-e-/
Conformément à la métalangue du projet, les balises portent (en principe) des noms en français. Leur séquence définit la structure XML des articles, dont sept paires de balises fondamentales constituent en quelque sorte l’ossature : ‹Lemme› ~ ‹/Lemme› ‹Materiaux› ~ ‹/Materiaux› ‹Commentaire› ~ ‹/Commentaire› ‹Bibliographie› ~ ‹/Bibliographie› ‹Signatures› ~ ‹/Signatures› ‹MiseEnLigne› ~ ‹/MiseEnLigne› ‹Notes› ~ ‹/Notes›
À l’intérieur de ces balises fondamentales, d’autres types de balises peuvent être insérés. Leur agencement n’est pourtant pas libre : la plupart du temps, une paire de balises donnée ne peut apparaître que dans un contexte bien particulier. Par exemple, la paire de balises ‹cognats› ~ ‹/cognats› ne peut se présenter qu’à l’intérieur de la paire de balises plus englobante ‹Materiaux› ~ ‹/Materiaux›, tandis que les balises ‹reference› ~ ‹/reference› peuvent apparaître à l’intérieur de ‹Materiaux› ~ ‹/Materiaux›, ‹Commentaire› ~ ‹/Commentaire›, ‹Bibliographie› ~ ‹/Bibliographie› et ‹Notes› ~ ‹/Notes›.
3.2 Lemme Avant de rentrer dans le vif du sujet, il est important de rappeler que les balises XML, dont le rôle est principalement structurel, représentent en même temps, à travers la feuille de style en cascade (fichier CSS [Cascading Style Sheet]) associée au schéma, une balise de formatage : elles véhiculent donc aussi des informations quant à l’affichage des articles sur le site web du DÉRom et, par voie de conséquence, dans les volumes papier du dictionnaire. Par exemple, la balise ‹Lemme› est associée à un affichage de son contenu en gras et en taille plus grande que le reste de l’article. Trois éléments obligatoires apparaissent dans le champ délimité par la paire de balises ‹Lemme› ~ ‹Lemme› : ‹Signifiant› ~ ‹/Signifiant›, ‹catgramm› ~ ‹/catgramm› et ‹Signifie› ~ ‹/Signifie›.
252 | Marco Maggiore La feuille de style prépare le plus possible le travail du rédacteur. La paire de balises ‹Signifiant› ~ ‹/Signifiant› génère ainsi automatiquement un astérisque et une barre oblique avant et une barre oblique après le contenu qui y est inséré, ce qui évite des oublis lors de la rédaction et simplifie la saisie. Les balises ‹Signifiant› et ‹Signifie› ne sont pas frappées de restrictions quant à leur contenu : elles acceptent du texte libre. En revanche, la balise ‹catgramm› (‘catégorie grammaticale’) requiert l’emploi d’une abréviation appropriée (en l’occurrence, « v.intr./tr. »), choisie dans une liste prédéterminée. L’usage d’une valeur inattendue, c’est-à-dire d’une abréviation de catégorie grammaticale qui ne serait pas prévue par les normes rédactionnelles, sera marqué comme une erreur (soulignée à l’aide de petits points rouges) par l’éditeur XML. Une caractéristique distinctive de la balise ‹Signifie›, c’est qu’elle peut être répétée plusieurs fois, ce qui permet de caractériser un étymon comme (bi- ou) polysémique. C’est le cas de */ˈkresk-e-/, qui est formé de deux unités lexicosémantiques : un verbe intransitif signifiant ‘croître’ et un verbe transitif signifiant ‘accroître’ : prendre progressivement de l'ampleur faire augmenter en extension ou en volume
Grâce à la feuille de style, qui supplée les guillemets et le point-virgule séparant les deux sémèmes, la définition de l’étymon s’affichera donc ainsi : ‘prendre progressivement de l’ampleur ; faire augmenter en extension ou en volume’.
3.3 Matériaux La section dévolue aux matériaux constitue la partie structurellement la plus complexe de l’article. Elle contient de manière obligatoire au moins une occurrence de la paire de balises ‹subdiv› ~ ‹/subdiv›. L’article */ˈkresk-e-/ en contient deux, la première entourant toutes les informations afférentes au verbe intransitif signifiant ‘croître’, la seconde délimitant toutes celles concernant le verbe transitif au sens ‘accroître’. Les deux subdivisions s’ouvrent chacune par un premier élément, délimité par les balises ‹titre› ~ ‹/titre›, qui marque le titre du paragraphe en question (ainsi « I. Verbe intransitif ‘croître’ »). Il s’agit d’un élément optionnel, qui peut être supprimé sans affecter la validité du schéma XML, car aucun titre n’est prévu pour les articles dont les matériaux ne sont pas subdivisés en plusieurs soussections. Les rédacteurs sont conscients du fait que les articles dont les données sont agencées dans plusieurs subdivisions (séparant des types phonologiques,
2.1 Considérations sur la structure XML des articles du DÉRom | 253
morphologiques, sémantiques etc.), l’introduction de titres est obligatoire, afin de rendre explicite la structure des matériaux pour le lecteur. Le premier élément obligatoire à l’intérieur de la paire de balises ‹subdiv› ~ ‹/subdiv› – qui succède, dans le cas présent, à la balise dévolue au titre de la subdivision –, est la paire de balises ‹etym› ~ ‹/etym›. Il s’agit d’une indication rapide de l’étymon, sous la forme de son signifiant. Cette balise a une fonction proche de celle de la balise ‹Signifiant› du lemme, mais concerne seulement le signifiant de l’ancêtre commun de la série de cognats réunie dans la subdivision en question. Dans la version finale de l’article, ce signifiant s’affiche entre barres obliques, précédé d’un astérisque et suivi du symbole ‘supérieur à’ (« > »), qui marque la descendance des cognats par rapport à l’étymon. Tous ces symboles sont générés de manière automatique par la feuille de style. Après la balise dévolue à l’étymon direct intervient la paire de balises ‹cognats› ~ ‹/cognats›, qui contient la série de cognats réunie dans la subdivision en question. À ce propos, il est intéressant de rappeler que le nom initialement attribué à cette balise, lors de l’élaboration du schéma XML en 2008, était ‹issues›. Or, une des caractéristiques majeures du projet DÉRom réside, en raison de son ancrage méthodologique dans la grammaire comparée, dans son orientation « bottom up » plutôt que « top down ».2 Pour cette raison, l’équipe a décidé il y a quelques années (vers 2015, si nos souvenirs sont bons) de remplacer ‹issues› par ‹cognats›. En effet, si les deux noms sont factuellement corrects, cognat semble plus approprié, dans la mesure où les lexèmes réunis dans une subdivision forment dans un premier temps une série de cognats permettant de reconstruire leur ancêtre commun, l’étymon, et que c’est seulement en vertu de cette reconstruction que, dans un second temps, les lexèmes cités dans cette subdivision peuvent être considérés comme des issues (ou des continuateurs) de l’étymon. Le champ délimité par la paire de balises ‹cognats› ~ ‹/cognats› doit obligatoirement contenir l’élément ‹premier.cognat› ~ ‹/premier.cognat›, qui peut être suivi d’un nombre illimité d’éléments ‹cognat› ~ ‹/cognat›. Cela tient au fait que le premier cognat de la série de cognats – qui, très exceptionnellement, peut être le seul (cf. par exemple Greub 2014–2019 in DÉRom s.v. */ˈakuil-a/ III.2.) –, est balisé d’une manière différente des autres. La structure des balises ‹premier.cognat› et ‹cognat› diffère en effet par le fait que pour la seconde, l’apparition des balises incluses ‹catgramm› et ‹signifie› est optionnelle, || 2 Cf. Buchi/Schweickard (2009, 104) : « par cette pratique originale, le DÉRom se démarque clairement du REW : là ou ce dernier répondait à la question du devenir du lexique latin (classique), le DÉRom se pose clairement celle de l’origine du lexique roman ».
254 | Marco Maggiore l’information qu’elles véhiculent étant implicite si elle est identique à celle du cognat précédent (cf. ci-dessus 2.3). On a donc : ‹premier.cognat› ‹idiome› ‹/idiome› ‹signifiant› ‹/signifiant› ‹catgramm› ‹/catgramm› ‹signifie› ‹/signifie› ‹refbibl› ‹/refbibl› ‹/premier.cognat›
Mais : ‹cognat› ‹idiome› ‹/idiome› ‹signifiant› ‹/signifiant› [‹catgramm› ‹/catgramm›] [‹signifie› ‹/signifie›] ‹refbibl› ‹/refbibl› ‹/cognat›
Appliquée à sard. krèskere et fr. croître (cf. ci-dessus 2.3), la structure (simplifiée pour ce qui est des références bibliographiques) se présente ainsi : ‹premier.cognat› ‹idiome›sard.‹/idiome› ‹signifiant›krèskere‹/signifiant› ‹catgramm› v.intr.‹/catgramm› ‹signifie›prendre progressivement de l’ampleur, croître‹/signifie› ‹refbibl›DES […]‹/refbibl› ‹/premier.cognat› ‹cognat› ‹idiome›fr.‹/idiome› ‹signifiant›croître‹/signifiant› ‹refbibl›dp. […]‹/refbibl› ‹/cognat›
Pour ce qui est de la paire de balises ‹refbibl› ~ ‹/refbibl›, elle peut accueillir un ou plusieurs élément(s) ‹unerefbibl›,3 subdivisé(s) en un nombre illimité de balises ‹reference›. Ces dernières forment le cœur du dispositif bibliographique du DÉRom, puisqu’elles assurent le lien, sur le site web du projet, entre les sigles (abréviations) et les références bibliographiques qui leur sont associées (cf. Costa/Baudinot/Perignon ici 477–580). En cliquant sur un sigle, le lecteur de l’article en ligne est ainsi redirigé sur une page présentant l’ensemble des informations bibliographiques pertinentes. Il s’agit certainement là de l’un des plus grands avantages de l’adoption du langage XML pour l’encodage des articles. Par ailleurs, il faut souligner encore une fois que les balises XML sont aussi, en raison de l’association du schéma avec la feuille de style, des balises de formatage. Par exemple, la balise ‹idiome› génère automatiquement un formatage en gras, tandis que la balise ‹signifiant› (à ne pas confondre avec ‹Signifiant›, à l’initiale majuscule, qui peut apparaître seulement dans le lemme), sélectionne en principe l’italique. En outre, chaque sigle bibliographique est
|| 3 La juxtaposition de deux paires de balises ‹unerefbibl› ~ ‹/unerefbibl› est extrêmement rare : elle ne concerne que des cas où il est indispensable de présenter les références bibliographiques dans plusieurs paquets.
2.1 Considérations sur la structure XML des articles du DÉRom | 255
associé à un formatage spécifique. Par exemple, la séquence « AND2 s.v. crestre » dans le cognat français sera transformée automatiquement en « AND2 s.v. crestre », avec le nombre 2 en indice et la deuxième partie de la référence en italique. Assez régulièrement, les rédacteurs sont amenés à apporter une précision à la mention de la première attestation d’un cognat donné. Pour ce faire, ils ont recours à la paire de balises ‹precision› ~ ‹/precision›, qui peut s’insérer entre la mention de la date de la première attestation (‹/date›) et celle de sa source (‹reference›). L’appel de cette balise génère une zone de texte délimitée par des crochets carrés, où le rédacteur peut introduire les précisions souhaitées. Nous avons dû procédér ainsi pour fr. croître, car la première attestation de ce cognat se présente sous une forme différente de la graphie moderne (creistre), de sorte que la précision était obligatoire (cf. Celac 2016, 286). Pour que creistre apparaisse en italique, nous lui avons appliqué la balise de formatage ‹hi› (« highlighting »). Il s’agit de la seule balise de formatage prévue par le schéma, et elle nécessite une précision, que ce soit « bold » (‘gras’), « italic » (‘italique’), « smallcaps » (‘petites capitales’), « subscript » (‘en indice’), « superscript » (‘en exposant’) ou « underscore » (‘souligné’, option non prévue pour les parties des articles du DÉRom gérées par les rédacteurs). L’absence de précision sera interprétée comme une erreur par le système de contrôle XML. En outre, le rédacteur a la possibilité d’ajouter d’autres précisions, par exemple des informations diatopiques, après n’importe quelle référence bibliographique, en utilisant la balise optionnelle ‹precisionreference›.
3.4 Commentaire La structure XML du commentaire est beaucoup plus simple que celle de la section consacrée aux matériaux. Elle peut être résumée comme suit : ‹Commentaire› ‹p› ‹/p› ‹p› ‹/p› […] ‹/Commentaire›.
Le commentaire peut accueillir un nombre illimité de paragraphes de texte, délimités chacun par une paire de balises ‹p› ~ ‹/p›. Cette section fonctionne ainsi comme un espace de texte très libre, où le rédacteur peut développer les résultats de son analyse, poser les bonnes questions et, si possible, y répondre. Trois paires de balises, ‹etymsignifiant› ~ ‹/etymsignifiant›, ‹etymsignifie› ~ ‹/etymsignifie› et ‹correlatlatin› ~ ‹/correlatlatin›, méritent d’être mentionnées ici. La balise ‹etymsignifiant›, qui apparaît au moins une fois, dans le premier paragraphe du commentaire, contient le même contenu que la balise ‹Signifiant›
256 | Marco Maggiore rattachée au lemme : il s’agit de la forme de l’étymon protoroman reconstruit. En revanche, la présentation matérielle est différente de celle du lemme : si le signifiant est, ici aussi, marqué par un astérisque et des barres obliques, il n’apparaît ni en gras ni dans une taille de police plus grande. La balise ‹etymsignifie› apparaît elle aussi au moins une fois, de même dans le premier paragraphe du commentaire. À la différence de la balise ‹Signifie› du lemme, qui ne contient qu’un élément, à savoir une définition componentielle, la balise ‹etymsignifie› se subdivise en deux sous-balises : ‹analytique› pour la même définition componentielle et ‹glose› pour une glose rapide. Cette dernière balise permet de faire des recherches sémantiques sur le site du dictionnaire, à travers un moteur de recherche qui indexe les éléments balisés ‹glose›. La balise ‹correlatlatin›, enfin, marque les corrélats en latin écrit de l’Antiquité des bases protoromanes reconstruites. Cette balise est associée, elle aussi, au moteur de recherche du site web. Elle permet ainsi de consulter le DÉRom à travers le latin (classique), ce qui est très utile pour les romanistes de formation traditionnelle, comme le souligne Harald Völker : « Durante el congreso de Innsbruck, la presentación de la elaboración del nuevo diccionario etimológico románico DÉRom por Éva Buchi y Wolfgang Schweickard desencadenó una discusión animada provocada por la decisión de no indicar como entrada de los articulos un étimo del latín clásico, sino un étimo protorrománico reconstruido. Es cierto que los editores alegaron buenos argumentos lingüísticos para esta decisión – pero sigue existiendo un contra-argumento de tipo práctico : Una entrada tendría que servir – entre otras finalidades – de interfaz entre los conocimientos del usuario y las informaciones del diccionario. Y los conocimientos aun del lingüista regular normalmente no implican los étimos protorrománicos reconstruidos. La hipertextualización del DÉRom ofrece una salida a este problema porque posibilita más de una categoría de entrada : Además del étimo protorrománico puede establecerse un segundo tipo de entrada ‹mot de référence en latin classique› que contenga el lexema del latín clásico que formalmente precedía el lexema románico en cuestión. Así es el usuario quien selecciona su entrada preferida » (Völker 2010, 393).
Une balise optionnelle utilisée couramment dans le commentaire (ainsi que dans les notes) est ‹RenvoiInterne›, qui gère les références croisées, à travers un lien informatique, entre articles du dictionnaire. Les rédacteurs peuvent aussi renvoyer dans le commentaire à tout type de référence bibliographique, en utilisant la balise ‹reference›. La balise ‹hi› est disponible pour formater des parties de texte, ainsi, par exemple, pour mettre en italique les abréviations latines cf. et s.v. Pour sa part, la balise ‹table› permet d’introduire, dans le cas d’analyses plus complexes, de l’information sous forme de tables (cf. Buchi/Delabarre/Fister/Huguet/Hütsch/Juroszek/Moisson/Pausé 2016–2019 in DÉRom s.v. */'βad-e-/).
2.1 Considérations sur la structure XML des articles du DÉRom | 257
La balise ‹appelnote› (qui peut être appelée aussi dans la section consacrée aux matériaux) insère un appel de note sous forme de nombre en exposant, auquel se rattache une note (cf. ci-dessous 3.8). Le rédacteur doit toutefois surveiller la correspondance entre l’ordre des appels de note et la séquence des notes elles-mêmes : les deux entités sont insérées manuellement, sans connection structurelle prédéterminée entre elles, ce qui semble constituer une limite du schéma. Mais, comme nous serons amené à le préciser dans ce qui suit, le site web du DÉRom met à disposition des auteurs des articles des outils performants qui permettent de détecter les erreurs possibles (cf. ci-dessous 4).
3.5 Bibliographie Le champ délimité par la paire de balises ‹Bibliographie› ~ ‹/Bibliographie› consiste en une liste de sigles bibliographiques, étiquetés à l’aide de la balise déjà commentée précédemment ‹reference› (cf. ci-dessus 3.3). La structuration informatique de cette section est donc très simple. À noter que le contenu de la balise ‹reference› consacrée au Romanisches Etymologisches Wörterbuch (REW3) est exploité par le moteur de recherche du site web du DÉRom, qui permet ainsi de faire des recherches sur les entrées du REW3.
3.6 Signatures La section délimitée par la paire de balises ‹Signatures› ~ ‹/Signatures› contient obligatoirement les balises suivantes : ‹signaturesRedaction› (pour le[s] auteur[s] de l’article), ‹signaturesRevision› (pour les experts ayant révisé l’article du point de vue d’un domaine linguistique en particulier ; cette balise prévoit des sousbalises par domaines géographiques), ‹signaturesRevisionFinale› (pour les réviseurs ayant révisé l’article dans son ensemble) et ‹signaturesContributions› (pour les chercheurs ayant apporté une contribution ponctuelle à l’article). Chacune de ces catégories de signatures peut recevoir plusieurs occurrences des balises indissociables ‹prenom› et ‹nom› ; ces dernières sont exploitées par le moteur de recherche en ligne, qui permet ainsi de faire des recherches par contributeur dans l’ensemble des articles.
258 | Marco Maggiore
3.7 Dates de publication La paire de balises ‹MiseEnLigne› ~ ‹/MiseEnLigne› gère la mention des dates de publication des différentes versions de l’article. Elle inclut obligatoirement deux balises : ‹Version1› et ‹VersionActuelle›, qui sont toutes les deux exploitées par le moteur de recherche.
3.8 Notes Enfin, la paire de balises ‹Notes› ~ ‹/Notes› délimite le champ consacré aux notes, qui est facultatif, et ne peut recevoir qu’une succession de balises ‹uneNote›, qui sont numérotées automatiquement. La structure de ces dernières est très simple : ‹uneNote› ‹p› ‹/p› […] ‹/uneNote›
À l’intérieur de la paire de balises ‹p› ~ ‹/p›, qui délimite des paragraphes, du texte libre peut être inséré. Ce dernier peut accueillir toutes les balises optionnelles utilisables aussi dans le commentaire. Ainsi, pour reprendre l’exemple de la note 2 de l’article */ˈkresk-e-/ (cf. ci-dessus 2.8), les balises ‹hi› (« highlighting »), ‹reference› (renvoi à une source) et ‹sequenceprotoromane› (suite de phonèmes, morphème ou lexème protoroman) y trouvent leur emploi :
En espagnol, asturien et galégo-portugais, les verbes remontant à la classe flexionnelle en -ˈe- sont passés à celle remontant à-ˈe-, exceptionnellement aussi à celle remontant à -ˈi- ( cf. MeyerLübkeGLR 2, § 126 ;LausbergLinguistica 2, § 788).