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20 Des formes d’association nouvelles entre les individus modifient sans cesse la réalité sociale chinoise. En dépit de l’indétermination et de l’incertitude qui dominent, des actes volontaires de coordina tion sont accomplis chaque jour. D’une part, ils mettent à l’épreuve pactes et promesses ; d’autre part, ils confirment ou invalident les obligations et les engagements qui importent. Derrière l’apparente disparité des lieux ou des histoires évoquées, les contributions réu nies dans cet ouvrage s’attachent à retracer de tels épisodes d’action concertée. Ecrites par des chercheurs chinois et français, elles pren nent appui sur des matériaux d’enquête, tant historique qu’ethno graphique. Les textes donnent ainsi à voir comment ceux qui s’asso cient, de façon parfois fugace, parfois stabilisée, retravaillent les arrangements sociaux, précisent le sens et la portée des institutions, testent des répertoires d’action et contribuent à redéfinir des façons de tenir ensemble. Six d’entre eux sont écrits en français et deux autres en langue anglaise.
Isabelle Thireau est sociologue, directrice de recherche au CNRS et directrice d’études à l’EHESS. Membre du Centre d’Etudes sur la Chine Moderne et Contemporaine, elle est l’auteur de nombreux ouvrages et articles sur la Chine au XXe siècle.
De Proche en proche 20 Isabelle Thireau ( éd. ) De Proche en proche
Schweizerische Asiengesellschaft Société Suisse-Asie
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Isabelle Thireau (éd.)
ISBN 978-3-0343-1208-0
Peter Lang www.peterlang.com
Ethnographie des formes d’association en Chine contemporaine
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DE PROCHE EN PROCHE
MONDES DE L’EXTRÊME-ORIENT WORLDS OF EAST ASIA WELTEN OSTASIENS Vol. / Band 20
Edité par / Edited by / Herausgegeben von WOLFGANG BEHR DAVID CHIAVACCI EDUARD KLOPFENSTEIN ANDREA RIEMENSCHNITTER PIERRE-FRANÇOIS SOUYRI RAJI C. STEINECK NICOLAS ZUFFEREY
PETER LANG Bern · Berlin · Bruxelles · Frankfurt am Main · New York · Oxford · Wien
DE PROCHE EN PROCHE Ethnographie des formes d’association en Chine contemporaine
ISABELLE THIREAU (ÉD.)
PETER LANG Bern · Berlin · Bruxelles · Frankfurt am Main · New York · Oxford · Wien
Information bibliographique publiée par « Die Deutsche Nationalbibliothek » « Die Deutsche Nationalbibliothek » répertorie cette publication dans la « Deutsche Nationalbibliografie » ; les données bibliographiques détaillées sont disponibles sur Internet sous ‹http://dnb.d-nb.de›.
Photographie de la couverture : Gravure sur bois. FENG Shanyun ( artiste né en 1949 dans la province du Shaanxi )
ISSN 1660-9131 rel. ISBN 978-3-0343-1208-0 rel.
ISSN 2235-5766 eBook ISBN 978-3-0351-0517-9 eBook
© Peter Lang SA, Editions scientifiques internationales, Berne 2013 Hochfeldstrasse 32, CH-3012 Berne, Suisse [email protected], www.peterlang.com Tous droits réservés. Cette publication est protégée dans sa totalité par copyright. Toute utilisation en dehors des strictes limites de la loi sur le copyright est interdite et punissable sans le consentement explicite de la maison d’édition. Ceci s’applique en particulier pour les reproductions, traductions, microfilms, ainsi que le stockage et le traitement sous forme électronique. Imprimé en Hongrie
Pour Elisabeth
Sommaire
Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 11 ISABELLE THIREAU Mandatory organization and incapacity to act together: governance techniques of Dazhai under Mao . . . . . . . . . . . . 23 CHANG SHU Le corps qui subit, le corps qui atteste: le pacte secret des habitants de Xiaogang . . . . . . . . . . . . . . . 51 HUA LINSHAN Alliances et conflits, ruptures et réconciliations: les élections villageoises à Qiejiazhuang . . . . . . . . . . . . . . . . . 87 LIU XIAOJING Traduit par ISABELLE THIREAU Décider ensemble du développement local: le cas du musée des Arts et Traditions populaires de Nianpan (Shaanxi) . . . . 123 CAROLINE BODOLEC Agir ensemble à Dongcun, ou le surgissement caché du politique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 153 ISABELLE THIREAU Unpacking reconciliation: cultural dynamics in a public controversy in Shenzhen . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 195 LIU CHUN BRENDA Organisations informelles et formelles de migrants Hui et Ouighours à Canton . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 223 ELISABETH ALLÈS Action liante et lien agissant: le «système de responsabilité par objectifs» . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 241 WANG HANSHENG et WANG YIGE Traduit par VICTOIRE SURIO Les auteurs . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 315
Introduction ISABELLE THIREAU
Ce livre a pour origine les discussions menées avec des collègues chinois, sociologues ou anthropologues, qui faisaient le constat de la diversité des formes d’actions communes, des initiatives collectives, souvent fluides, parfois fugaces, qui traversent aujourd’hui la société chinoise1. Au cours de ces moments très variés, marqués autant par des désaccords que par la reconnaissance d’obligations mutuelles, se stabilisaient des façons partagées de voir la réalité sociale. En bref, ces formes d’action semblaient atténuer la très grande indétermination qui caractérise la société chinoise actuelle, une indétermination à la fois sémantique et normative qui a d’autant plus de mal à être combattue qu’elle ne peut s’exprimer sur la place publique. D’où l’idée de mettre en place un programme de recherche conjoint portant sur l’étude de moments volontaires de coordination ou, pour reprendre l’expression d’Hannah Arendt, de moments d’action concertée. L’objectif n’était donc pas de travailler sur des organisations non officielles et de prolonger une littérature déjà abondante qui s’efforce de saisir ainsi la renaissance d’une société civile ou d’une sphère publique en Chine. Notre visée était plutôt d’observer des processus d’action, d’association et de coordination, c’està-dire de localiser des épisodes pendant lesquels la question posée 1
Une première version de ces contributions a été présentée lors d’un colloque international qui s’est tenu à Paris les 30 et 31 mars 2009. Les textes présentés ont été discutés par Daniel Cefaï, Alain Cottereau, Nicolas Dodier, Aminah Mohammad-Arif, Fang Ling, Wang Li, Xiaohong Xiao-Planès et Zhang Ning. Cette introduction doit beaucoup à leurs remarques et à leurs suggestions. Nous remercions également Victoire Surio pour sa traduction du texte de Liu Xiaojing ainsi que pour le travail d’harmonisation et d’édition réalisé, avec Christophe Barré, sur une première version de ce manuscrit. Cette collaboration et ce programme scientifiques ont été soutenus par l’Agence Nationale de la Recherche Scientifique (2006-2009).
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aux acteurs sociaux était bien celle de vivre et d’agir ensemble, que ces épisodes soient éphémères ou qu’ils contribuent à l’émergence de formes plus pérennes et stabilisées. Plusieurs enquêtes ont ainsi été menées pendant trois ans dans le cadre de ce programme qui, fruit de tâtonnements multiples, se révèlent à l’arrivée très variées. Ces enquêtes sont parfois consacrées au monde rural. Hua Linshan revient sur le processus de distribution des terres accompli en cachette vers la fin des années 1970 par les habitants du village de Xiaogang (Anhui), avant que cette expérience ne soit érigée en modèle national et diffusée dans tout le pays, ouvrant la voie au processus de réformes économiques. Caroline Bodolec décrit les multiples initiatives qui ont conduit des habitants du district de Yanchuan (Shaanxi) à créer un musée privé, le Musée de la culture populaire du haut plateau de loess de Nianpan. Liu Xiaojing observe comment les appartenances et allégeances locales ont été mobilisées mais aussi affectées par l’organisation des premières élections villageoises dans une localité de la province du Hebei. D’autres enquêtes concernent le monde urbain. Brenda Liu Chun a suivi pendant trois ans le déroulement et l’issue d’une action collective menée à Shenzhen par plusieurs centaines de résidents luttant contre un projet de construction qui menaçait leur environnement. D’autres encore évoquent ceux qui vont et viennent entre ces deux mondes, souvent de plus en plus étroitement imbriqués: les migrants. C’est ainsi qu’Isabelle Thireau a étudié les développements d’une association créée par des migrants dans la banlieue de Pékin et non marquée par une origine territoriale, linguistique ou religieuse commune, alors qu’Elisabeth Allès a travaillé sur les formes associatives plurielles, ancrées dans des dispositifs d’organisation variés, adoptées par des Ouighours et des Hui installés à Canton (Guangdong). Sa disparition brutale, alors que cet ouvrage était en chantier, nous a tous bouversés. Nous lui dédions ce livre. Deux dernières contributions encadrent ces articles. La première, rédigée par Chang Shu, analyse des formes de coordination non pas volontaires mais imposées: les moments de travail collectif accomplis à Dazhai, à l’époque où cette brigade de production constituait un modèle prôné dans toute la Chine. En étudiant la difficulté, avant 1979, de véritables actions concertées, ce texte permet de mieux
Introduction
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appréhender les enjeux qui se nouent autour des moments de coordination déclinés dans le reste de l’ouvrage. Le second, signé de Wang Hansheng et de Wang Yige, occupe une place centrale dans l’architecture de ce livre, car il décrit le mode d’évaluation actuel des fonctionnaires chinois et le «système de responsabilité de gestion par objectif» sur lequel il s’appuie. Il dessine ainsi les relations de coopération, d’instrumentalisation et d’interdépendance qui se mettent en place entre administrateurs et administrés, relations dans lesquelles s’inscrivent les processus d’association analysés. Si nous avons partagé de nombreuses lectures tout au long de ces trois ans, aucune approche méthodologique particulière n’a été donnée comme consigne commune. On peut cependant souligner, au-delà du travail de collecte d’archives et de documents écrits, audelà du recours au travail d’observation et d’entretien, l’importance attachée par l’ensemble des auteurs à la communication. Que cette communication soit verbale ou pas, qu’elle se déroule dans le cadre d’échanges plus ou moins formalisés entre enquêteurs et enquêtés ou au cours de conversations entendues et interprétées par rapport à des événements ou à des activités en cours. Certains d’entre nous ont tenu des journaux de terrain, se réclamant de manière explicite de travaux sur l’enquête et sur la communication ethnographique comme ceux de Jeanne Favret-Saada2; d’autres se sont plutôt rapprochés d’une ethnographie de la communication, telle qu’elle a été appliquée à des situations civiques ou politiques par Nina Eliasoph3. On peut également citer l’usage fréquent de la méthode biographique pour restituer les trajectoires familiales, scolaires, professionnelles ou institutionnelles des individus; saisir dans leur complexité ce qu’Alfred Schütz appelait des «situations biographiques»4 avec leurs variations dans l’espace et dans le temps, avec leur dimension émotionnelle et stratégique, avec leurs projets, leurs sédimentations et leurs accidents. 2
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Jeanne Favret-Saada, 1977, Les Mots, la Mort, les Sorts. La Sorcellerie dans le Bocage. Paris, Gallimard; avec Josée Contreras, 1981, Corps pour corps. Enquête sur la sorcellerie dans le Bocage. Paris, Gallimard. Nina Eliasoph, 1998, Avoiding Politics: How Americans produce Apathy in Everyday Life. Cambridge, Cambridge University Press. Alfred Schütz, 1973 et 1974, The Structures of the Life-World. Evanston, Northwestern University Press, vol. 1 et 2.
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Le propos de cet ouvrage est limité; les enquêtes menées ne concernent que des pans très fragmentaires de la réalité chinoise. Il nous semble pourtant qu’il esquisse un programme de recherche méritant d’être poursuivi, celui des figures éthiques, juridiques et politiques utilisées aujourd’hui par les membres de la société pour redéfinir, en dépit des obstacles importants qu’ils rencontrent, des modalités de coopération. S’associer et se coordonner sont en effet des actions qui non seulement affectent la réalité sociale chinoise mais contribuent à lui conférer une certaine solidité. Il s’agit d’actions au cours desquelles des individus se réunissent autour de la définition et de la résolution de problèmes identifiés comme communs; réinterprètent et réaffirment les allégeances et les obligations qui les lient à leurs proches; révisent la perception qu’ils ont de leurs prédécesseurs et de ceux, plus lointains, situés à l’extérieur d’un même milieu d’interconnaissance. Il s’agit également de moments pendant lesquels ceux qui s’associent retravaillent les arrangements sociaux, précisent le sens et la portée des institutions, sélectionnent et mettent à l’épreuve des répertoires et des dispositifs d’action, donnant ainsi naissance à des formes partagées, matérielles ou pas. Les textes réunis sont très divers; ils soulignent le statut hétérogène des visées poursuivies par les individus et les groupes observés, comme la manière dont ces visées se rejoignent ou s’opposent, se combinent ou sont redéfinies. Ils permettent néanmoins de dégager un certain nombre de conclusions. On peut souligner, tout d’abord, l’importance des face-à-face et des espaces au sein desquels ils se déroulent. Les coordinations observées sont en effet accomplies dans des espaces physiques particuliers pouvant être désignés comme communs, quoique de façon parfois non exclusive, aux personnes impliquées. S’associer pose ainsi la question des lieux possibles de cette association, au vu des contraintes qui pèsent en Chine sur les initiatives privées, sur les organisations non officielles ou sur les rassemblements sur la place publique. Si les villages, aux frontières clairement circonscrites, peuvent être assez facilement le lieu d’actions communes de la part de ceux qui en partagent le territoire (même si le degré d’engagement des habitants varie), les quartiers résidentiels clôturés en milieu urbain, privés mais communs à ceux qui les habitent, offrent également un espace pouvant être investi pour des visites entre voisins, des échanges d’information, des mo-
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ments de concertation, des réunions internes, des élections, des assemblées auxquelles participent éventuellement experts, avocats ou journalistes. Il s’agit là, comme le montre Brenda Liu Chun, d’espaces extérieurs aux foyers qui, cependant, ne constituent pas des espaces publics au sens littéral du terme. Ailleurs, des lieux qui accueillent déjà des activités communes (une mosquée) ou des activités commerciales ouvertes par définition à tout public (un restaurant) peuvent également être utilisés comme espace de rencontre et de coordination, et jouer le rôle de bureaux de substitution pour une association réunissant plusieurs milliers d’entrepreneurs privés. Le souci de trouver un lieu n’étant pas susceptible de susciter l’inquiétude des autorités locales conduit même certains individus à créer un commerce (par exemple, un supermarché) avec notamment pour objectif de permettre, en toute tranquillité, les face-à-face qui sont au fondement des moments de coopération visés. Il en résulte que la nature des lieux investis et celle des formes associatives qu’ils abritent peuvent relever de sphères très hétérogènes, des lieux de culte ou marchands accueillant, par exemple, des actions de solidarité ou d’assistance à autrui. Cette importance attachée à un espace physique partagé s’accompagne parfois de l’investissement important consacré aux échanges qui se déroulent dans des espaces plus virtuels, allant d’espaces privés (échanges de SMS) à des espaces publics (prises de position sur des forums publics), en passant par la création de sites Internet particuliers, éventuellement communs à ceux qui partagent un même espace physique (une résidence fermée). Ces face-à-face permettent l’expression et la reconnaissance réciproque d’une forme d’intersubjectivité, aussi minimale ou incertaine soit-elle, pour fonder la coordination. Cette intersubjectivité, qui repose sur une expérience de soi et d’autrui indissociable d’une situation historique et des faits sociaux qui la caractérisent, est associée dans plusieurs contributions à l’expérience des corps. Les auteurs analysent en effet la compréhension mutuelle revendiquée qui prend appui sur une expérience partagée (la famine, la mendicité) et se manifeste comme une donnée immédiate dans un processus de coordination se passant de longs épisodes de concertation. D’autres montrent comment ceux qui agissent décrivent l’expérience physique qui est la leur pour justifier leurs projets d’association («Nous vivons dans des villages où nous ne pouvons pas nous tenir debout»
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disent ainsi les migrants rencontrés par Isabelle Thireau) ou manifestent leur souci de préserver leur santé physique. Cette attention souvent portée aux corps et à leur matérialité est indissociable de celle accordée à la communication, langagière ou pas, volontaire ou involontaire. Partant d’un même constat – la nécessité d’articuler, pour comprendre ces moments de concertation, ce que les gens disent et ce qu’ils font mais aussi de voir comment ils agissent, ou sont empêchés d’agir, avec les mots –, les contributions réunies déclinent des situations très différentes. Il y a celles, décrites par Chang Shu, où le langage domine sans qu’il y ait véritablement communication puisque la parole est non seulement imposée mais déconnectée des situations particulières qu’elle est censée qualifier. Il y a celles d’où le langage est largement absent car la communication s’établit autrement. Il y a celles, enfin, où le langage revisite des catégories passées, utilise des manières plurielles de qualifier une même action pour faire surgir des formes de légitimité variées, procède à des emprunts venus de l’étranger. Plusieurs auteurs analysent également comment les formes de communication adoptées orientent les modes de coordination; mais aussi comment, en retour, les transformations que ces formes subissent sont utilisées comme autant de critères pour évaluer le succès des actions entreprises. Les textes rassemblés soulignent, enfin, l’importance particulière des promesses, pactes et engagements conclus. Se lier et promettre, s’associer et signer un contrat […], quand les hommes réussissent à conserver intact le pouvoir jailli entre eux au cours d’une action particulière quelconque, c’est déjà engager le processus de fondation […]. Il y a dans la capacité de faire des promesses et de les respecter un élément de la capacité de l’homme à bâtir un monde5,
dit Hannah Arendt. De fait, il nous semble qu’un vaste domaine de recherche, que nous n’avons fait ici qu’entrevoir, mériterait d’être déployé: celui des promesses et des engagements qui confectionnent aujourd’hui le tissu de la société chinoise et qui sont étroitement liés à ce que veulent faire, mais aussi à ce que peuvent faire, les acteurs sociaux pour stabiliser une compréhension et des obligations 5
Hannah Arendt, 1983, La Condition de l’Homme moderne. Paris, CalmannLévy, coll. Pocket Agora, p. 225.
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mutuelles, pour constituer un groupe sans prendre appui sur des formes juridiques qui se trouvent bien souvent hors de leur portée. Les textes réunis soulignent la diversité des «nous» qui se manifestent lors des moments d’association observés, une diversité née des périmètres très variés de l’association, des processus de redéfinition dont ils font parfois l’objet, de la possibilité ou non d’extension de la coordination à un autrui anonyme et lointain. La pluralité de ces figures ne peut, à l’évidence, être dissociée de la réalité sociale chinoise telle qu’est appréhendée par ceux qui agissent mais aussi telle qu’elle s’impose à eux. L’espace villageois, par exemple, qui recouvre à Dazhai comme Xiaogang une sous-unité de la structure collectiviste que représentaient les communes populaires, désigne d’emblée l’espace des expériences et des enjeux communs. Pourtant, les habitants d’un même village peuvent aujourd’hui se coordonner pour accueillir les objets et les formes matérielles (un musée par exemple) nés d’initiatives associant des membres de la localité à des personnes situés à l’extérieur, voire à des individus résidant hors de Chine dans le cas analysé par Caroline Bodolec. Le «nous» qui émerge ainsi, loin d’être limité à ceux qui partagent un même territoire, se présente plutôt comme un réseau assez lâche, ouvert à la coopération avec des personnes partageant un même objectif: ici, la préservation de la culture du nord de la province du Shaanxi. Il peut, à l’inverse, nous renseigner sur les loyautés et les oppositions internes qui, de façon effective, structurent une entité présentée aux observateurs extérieurs comme homogène. C’est ainsi que Liu Xiaojing décrit les multiples appartenances et relations qui se chevauchent et se recomposent pour orienter les alliances conclues au sein d’un village en vue des élections locales. Les «nous» qui se constituent nous renseignent donc sur la prégnance, la porosité ou l’organisation interne d’entités administratives présentées comme seules fondatrices d’un intérêt commun. Ils débordent de façon croissante les frontières de telles entités et révèlent bien souvent un découplage entre statuts ordinaires et engagement dans l’association. Ils rassemblent en ville des individus détachés de leurs mondes communautaires et qui se concertent autour de problèmes dont ils perçoivent, au-delà de leurs affinités linguistiques ou géographiques, le caractère collectif. Ils rassemblent également des résidents de quartiers voisins, s’agrégeant au cours d’un processus d’action collec-
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tive proposant des définitions successives de l’intérêt commun tout en en appelant à la mobilisation d’un public6. En d’autres termes, qu’il s’agisse de parler uniquement pour soi ou d’invoquer un bien commun susceptible d’englober de nouveaux groupes au cours du processus d’association; qu’il s’agisse de parler pour soi et pour plus faible que soi, en effectuant un va-et-vient entre solidarité et assistance à autrui; ou de composer entre, d’un côté, des visées de bien public, des demandes de relations égalitaires et de dignité personnelle et, de l’autre côté, l’appartenance à un groupe particulier, les formes de coordination étudiées concernent de façon croissante un «nous» qui ne préexistait pas au moment de coordination observé, un «nous» qui, loin d’être figé et circonscrit, est susceptible d’une ouverture et d’une extension. Les espaces localisés où se déroule l’essentiel des activités de coordination fonctionnent alors comme des «plate-formes», pour reprendre l’expression de certains migrants, plutôt que comme des lieux fermés et circonscrits, «plateformes» où se mettent en place de nouvelles formes de familiarité, de nouveaux modes de constitution de la confiance, de nouvelles modalités de sanction lorsque celle-ci est trahie. Les dispositifs d’organisation, on l’a vu, sont très variés, allant du pacte conclu en secret par les représentants des dix-huit foyers de Xiaogang et analysé par Hua Linshan à la création conjointe d’une association, d’un bureau et d’une organisation syndicale rassemblant plusieurs milliers d’entrepreneurs. Non seulement des personnes partageant une même appartenance peuvent faire le choix de dispositifs très différents, comme le montre Elisabeth Allès, mais une même situation peut prendre appui sur la coexistence, l’imbrication et l’influence réciproque de formes hétérogènes: l’action des migrants étudiée dans la banlieue de Pékin aboutit ainsi à la création, côte à côte, d’un jardin d’enfants soutenu par une ONG internationale, d’un commerce relevant d’une éthique de la solidarité et d’un restaurant à but lucratif. La complexité qui en résulte est encore accrue par la variété des répertoires d’action mobilisés. Des actions perçues par l’observateur extérieur comme pertinentes par 6
John Dewey, 1927, The Public and Its Problems. New York, Henry Holt. Sur la notion de public, voir notamment Daniel Cefaï et Dominique Pasquier (eds), 2003, Les Sens du public. Paris, PUF.
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rapport à la situation sont bien sûr accomplies: le partage d’un même alcool, par exemple, pour sceller un engagement mutuel, ou le recours au droit pendant un processus d’action collective. Des gestes jouissant d’une certaine familiarité sont utilisés de façon attendue (la pétition adressée aux plus hautes autorités du pays), parfois avec une visée nouvelle (les visites informelles rendues à leurs voisins par les candidats aux élections villageoises). Mais certaines des actions menées s’inscrivent dans un répertoire en apparence étranger à la situation: tel l’appel à une prière commune pour désigner le rassemblement de propriétaires mécontents au pied d’une résidence privée. De plus, ces actions convoquent parfois des poèmes et chants empruntés de l’étranger puis revisités en Chine dans des contextes très diversifiés. Elles prennent appui, enfin, sur des règles, des conventions ou des usages inventés par les associés eux-mêmes. Cet ancrage des dispositifs d’organisation dans plusieurs sphères, l’hétérogénéité des répertoires utilisés et les liens très divers qu’entretiennent entre eux dispositifs et répertoires, dessinent une situation d’autant plus complexe qu’elle est caractérisée par l’attention très grande accordée par ceux qui s’associent au degré de visibilité des actions accomplies. Les moments de coordination observées sont tous traversés par une même question à laquelle des réponses différentes sont données: qu’est-ce qui peut être donné à voir? Et à qui? Des associations doivent, pour se maintenir, prendre appui sur des manifestations ostentatoires accomplies sous le regard des seuls associés, alors que d’autres ne peuvent être protégées, voir réussir, qu’en acquérant une forme de visibilité à l’extérieur. Ceux qui se coordonnent ne cessent ainsi de s’interroger sur le type de transparence qui doit exister entre eux, sur la nature et sur le degré de publicité qu’ils veulent conférer à leurs initiatives. Les choix adoptés, que manifestent notamment les modes d’organisation et d’action retenus, sont souvent réévalués et révisés au quotidien. Et pourtant, si les processus observés sont fragiles, composites, plus ou moins visibles et donc difficiles à saisir, ils dessinent des logiques de rationalité et de légitimité et stabilisent des visées communes ainsi que les arrangements sociaux susceptibles de les exprimer. Cette complexité des moments d’association observés est incompréhensible si l’on fait fi des relations, directes ou indirectes, établies avec les pouvoirs publics. L’action de l’Etat et de ses représen-
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tants est évoquée dans toutes les contributions rassemblées ici. Elle est parfois citée pour expliquer certaines des motivations des moments d’association observés: mettre en œuvre une directive nationale ou contester au contraire une décision officielle, répondre à une demande des autorités locales ou pallier à leurs insuffisances. Mais elle est surtout mobilisée pour expliquer les formes composites que ces moments revêtent du fait des relations très contrastées, faites de dissymétrie et de réciprocité, de coopération et d’instrumentalisation, d’agrément et de répression, qui existent entre ceux qui s’associent et les pouvoirs publics. Ces relations sont d’autant plus compliquées que les représentants des différents échelons du pouvoir administratif et politique sont susceptibles de ne pas agir de façon identique, des attitudes divergentes pouvant même se manifester au sein d’un même échelon. Les enquêtes menées relèvent toutefois l’interdépendance croissante établie entre les uns et les autres, ceux qui s’associent pouvant difficilement persévérer sans avoir l’aval des pouvoirs locaux, ces derniers ayant besoin en retour de ceux qui ont entrepris de se coordonner pour atteindre les objectifs qui leur sont fixés. Cette relation d’interdépendance est renforcée par le système d’évaluation des fonctionnaires mis en place depuis quelques années. Ce système, décrit pour la première fois dans la littérature par Wang Hansheng et Wang Yige, qui privilégie les buts à atteindre sans trop se soucier des moyens adoptés, qui établit un lien étroit entre l’action des administrés et les appréciations portées sur ses administrateurs, semble toutefois menacer plus qu’il ne les consolide les relations très instables établies entre les uns et les autres. «Les relations avec le gouvernement, c’est comme si on marchait sur l’arête d’une montagne», dit le dirigeant d’une association locale de défense du patrimoine historique. «Mais il faut que tu imagines une arête tellement étroite qu’on ne peut pas être deux à avancer côte à côte»7. Marquées par la volonté de ne pas manifester de visées politiques alors même qu’elles font parfois surgir parfois, de façon soudaine et précaire, des collectivités politiques, les formes d’association décrites dans cet ouvrage attestent cependant d’activités collectives d’apprentissage, d’imagination et de jugement grâce auxquelles se constituent de nouvelles manières de tenir ensemble. 7
Entretien avec Lao Ming, Tianjin, 15 janvier 2011.
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Bibliographie ARENDT Hannah, La Condition de l’Homme moderne. Paris, Calmann-Lévy, coll. Pocket Agora, 1983, p. 225. C EFAI Daniel et Dominique Pasquier (eds), Les Sens du public. Paris, PUF, 2003. DEWEY John, The Public and Its Problems. New York, Henry Holt, 1927. ELIASOPH Nina, Avoiding Politics: How Americans produce Apathy in Everyday Life. Cambridge, Cambridge University Press, 1998. FAVRET SAADA Jeanne, Les Mots, la Mort, les Sorts. La Sorcellerie dans le Bocage. Paris, Gallimard, 1977. FAVRET SAADA Jeanne et Josée Contreras, Corps pour corps. Enquête sur la sorcellerie dans le Bocage. Paris, Gallimard, 1981. SCHUTZ Alfred, The Structures of the Life-World. Evanston, Northwestern University Press, vol. 1 et 2, 1973 et 1974.
Mandatory organization and incapacity to act together: governance techniques of Dazhai under Mao CHANG SHU
Introduction This chapter takes an approach contrary to the following contributions in this book. I will examine the necessary conditions for establishing and maintaining group bonds by looking at how such conditions may be disabled by a powerful political force. More pointedly, I will try to analyze how people can be prevented from “acting together in pursuit of common interests1” – or “acting in concert2”. This chapter is based on my fieldwork at Dazhai village. It is a small mountainous village in Shanxi Province, north China. It became famous in 1964 when Mao Zedong, the leader of the Chinese Communist Party (CCP), set it up as a national model village since he considered it best accord with his ideal mode of socialist governance. From 1964 to 1978, the state mobilized all of Chinese peasants into the fifteen-year movement of “Learning from Dazhai in Agriculture”. Mao even appointed the semi-illiterate village Party branch secretary Chen Yonggui as the vice premier to take charge of national agricultural work. I collected a great deal of official documents about Dazhai and the villagers’ oral accounts of their life experiences during the Maoist period. These data show that at that time there were no unofficial forms of association among villagers except the ubiquitous CCP-led 1 2
Charles Tilly, 1978, From Mobilization to Revolution. Reading, AddisonWesley, p. 7. Hannah Arendt, 1966, The Origins of Totalitarianism. New York, Harcourt, Brace & World, p. 474.
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organizations in the village. Dazhai thus offers a good case to study why and how cooperation and concerted action are made impossible, and reversely, what factors are essential for such patterns of interaction to occur. It must be admitted that choosing a national model village as field site has both advantages and disadvantages. The benefit is that the Party’s control practice was performed at Dazhai in a rather intensive and dramatic way and such an extreme case provides a favorable opportunity for the researchers to observe and analyze the process of acting together. But on the other side, due to the intensity of the control imposed by the Party, my findings in this case study do not represent the average situation of other places in China but reflect the general mechanisms by which the CCP pushed people into its organizational system and excluded unofficial forms of association and cooperation.
Social Atomization and Mandatory Organization In her brilliant book, The Origins of Totalitarianism, Hannah Arendt has given an incisive analysis on totalitarianism in Soviet Russia and Nazi Germany. Although her analysis could not be strictly applied to Maoist China and although the extent to which Mao’s regime belonged to the camp of totalitarianism remains a controversial issue, some of her findings were echoed by Mao’s governance practice. Among them, her statement about social atomization is closely relevant to the discussion here. Judged by the literal meaning of the word, “atomization” is an antonym of “acting in concert”. In Arendt’s term, social atomization means the making of the atomized and individualized masses as the basis for totalitarian movements – in Germany, it was the natural result of World War I when class structure was deconstructed; in Russia, Stalin artificially created the atomized society by repeated purges and class liquidation to destroy all social and family ties3. As a result, atomized and 3
Idem op. cit., p. 316-326.
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isolated individuals lost their group identity and each of them had to join totalitarian organizations to derive “his sense of having a place in the world only from his belonging to a movement, his membership in the party4”. As shown in Arendt’s book, in parallel with social atomization, another essential feature of totalitarianism was to organize the atomized masses into totalitarian organizations by means of an official all-embracing ideology and widespread use of state terror. As she points out, the totalitarian states involved completely isolated individuals into “endless movement” to act for a common goal, so as to realize “total domination” which strived to “organize the infinite plurality and differentiation of human beings as if all of humanity were just one individual5.” The similar process also happened in Maoist China. By taking state-society relation as a framework, some China scholars have argued that the totalitarian state replaced society during the Maoist period6. But to speak more concretely, what replaced society was not the state in the abstract sense, but the forces of the masses organized by the Party. At the basic level of society, as illustrated by Dazhai case, there were several levels of organizations incorporating people into the Party-controlled framework. The core was the village Party branch, which held administrative power and organized all public activities. The Communist Youth League as the assistant and back-up force of the CCP recruited young people who had won the trust of the Party. All youths were required to join village militia and labor teams such as the Youth Commando Team which undertook urgent work in busy seasons. Women belonged to the Women’s Federation. Adults were also incorporated into the Peasant Association. Children joined the Youth Pioneers, and those who were under the age of nine joined the team of Little Red Guards during the Cultural Revolution. Almost every4 5 6
Idem op. cit., p. 324. Idem op. cit., p. 438. For a review of studies along this line, see Chang Shu, 2002, “‘Shehui’ de chuchang – dangdai Zhongguo shehui yanjiu fanshi shuping” (The presence of ‘society’: review of contemporary paradigms of Chinese studies), Beijing daxue yanjiusheng xuezhi, 68-69, p. 172-183.
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one belonged to an organization except “class enemies”, which included five black categories of people: landlords, rich peasants, antirevolutionaries, bad people, and rightists. Despite the fact that they and their family members were excluded from the above legitimate organizations, they suffered from the strictest control by being put under surveillance of all other villagers and enjoyed least freedom in speech and acts. In this sense, we can say that they were affiliated to an organization of class enemies or surveillance. Judged from the outlook, the high degree of organization was a hallmark of Chinese society under Mao. Then how can we explain the apparent paradox that an atomized society was also a society with an omnipresent and omnipotent organizational structure? The key to explain this puzzle lies in the mandatory nature of the Maoist structure. Among all of the organizations mentioned above, only the CCP and the Youth League had the procedure of application for membership, a process in which people expressed their willingness to join. All the others lacked this procedure and people were incorporated into organizations no matter if they were willing or not. And they did not have the right to quit. Contrary to voluntary organization under normal circumstances which social actors took the initiative to form or to join, this type of mandatory organizing process was characterized by the fact that the state forced social members to join predesigned organizations. People were passively organized rather than actively self-organizing, and they had no choice but to accept the fate of being organized. Then we need to further think about why and how they were situated in such a passive and powerless condition. One of the decisive factors was the fierce state violence that went beyond common sense, as illustrated by Mao Zedong’s notorious directive of “killing 0.1 percent of people” soon after the CCP took over national power7. The cruelty went beyond everyone’s expectation: any previous governors in China seldom killed their 7
Zhonggong zhongyang wenxian yanjiu shi (ed.) (Central Party Literature Research Office), Mao Zedong wenxuan (Selected manuscripts of Mao Zedong), 1999, Vol. 6. Beijing, Zhonggong zhongyang wenxian chubanshe, p. 158159, 117-124.
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subjects according to a certain percentage. The Maoist state handled human life by following a scientific and digital principle. What it demonstrated was not the whim of killing, but its unprecedented self-confidence of sacrificing the life of certain people for the more important goal of communist ideology which, as Arendt points out incisively, asserted that it grasped the laws of history and the future of human society and thus provided legitimacy for state violence8. Such state violence was focused on specific targets. One of main targets was composed of the leaders of previous social networks such as lineages, religious organizations, associations formed through geographical or career links, and so on. They suffered various levels of attack. They were executed, sentenced into prison, struggled and beaten, paraded through the streets for public humiliation, or held in custody and put under surveillance. The storm of violence destroyed all social networks and artificially created the atomized individuals, who faced up state terror directly without any intermediary organizations to protect them and buffer disastrous effects. Situated lonely in the panic of state violence beyond everyone’s imagination, they felt unable to protect themselves and completely powerless. It was under this context that the Maoist state successfully organized the masses into its organizational framework. The whole process could be defined as the succession of several interrelated phenomena: state violence → deconstruction of original social networks → social atomization → mandatory organization. Throughout this process, the basic conditions to enable people to act together were completely destroyed. I will draw from Hua Linshan’s framework to analyze the CCP’s practice of establishing mandatory organizations and excluding unofficial group bonds, as illustrated by Dazhai case. He argues that any anti-official collective action needs to possess simultaneously three key elements – ideas, leadership, organization – and that such action are impossible as long as any one of these three elements is destroyed by the government9. In my view, his interpretation is also
8 9
H. Arendt, op. cit., p. 461-464. Hua Linshan, Huanghe, 1978, Vol. 3, p. 14-32.
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applicable in the study of group bond (which constitutes the essential prerequisites of collective action) no matter if it is voluntary or involuntary connection between multiple individuals. Further, I will interpret these elements as “resources for acting together”. The party-state in Maoist China monopolized the resources to construct organizations serving its governance goal, whereas the masses were totally deprived of resources to build group bonds beyond its control. In other words, the deeper and wider state-imposed mandatory organization entrenched in society: the more resources it owned, the less likely unofficial group bonds could survive.
Organizations: the seizure and consolidation of social networks In Dazhai village, about two thirds of villagers are surnamed Jia. Other villagers with minor surnames are mostly descendants of migrants who were too poor to survive in their native villages and moved into Dazhai to make a living. Chen Yonggui was among them. Born in a destitute family in a village fifteen kilometers away from Dazhai, he was brought to Dazhai by his father and adopted by a Jia family, and then he continued to live there. Before the CCP took power in this region, Jia lineage was the main social group of the village. Other villagers with minor surnames did not have their own lineage organization, but they were not excluded from community activities. For example, Chen Yonggui was the backbone of local religious rituals and performance teams, and even the village head of the puppet regime (which was locally called “puppet representative”) when the Japanese occupied the region. When the CCP initiated its control in Xiyang County where Dazhai is located, the villagers experienced two ordeals of unexpected violent storm. First, when Japan surrendered in 1945, Dazhai became one of the liberated areas administrated by the CCP. The Party launched a mass campaign to punish the traitors who had worked for Japan. A violent storm with passionate nationalism as
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a moral ground spread all over the county. As elderly villagers recall, the method of executing traitors was rather terrifying: every non-traitor adult took a turn at throwing stones at the traitors until they died. Even Chen Yonggui himself was tied up at that time since he had been a “puppet representative”. Being worried that he would also be beaten to death, he entrusted his young son to the care of the new village head assigned by the CCP. This head, Chen’s good friend who grown up with him since childhood, exonerated him from any responsibility so that he could escape from deadly punishment. The second violent storm was land reform which took class struggle as a moral ground. The above-mentioned state terror under Mao’s directive of “killing 0.1 percent of people” followed closely. Then why did Mao impose such brutal and terrifying purges? As Du Runsheng who took charge of national land reform campaign recalled, Mao’s main aim in launching land reform was not to privatize and distribute land equally, but to restructure the basic levels of society10. (Actually during land reform Mao had already begun to prepare the collectivization campaign and the reclamation of land as collectively-owned property11.) In other words, the state aimed at organizing the peasants into the CCP-controlled system by way of distributing land to entrench its power into every village-level local life world. Considering that even during the Civil War (1945-1949) (in which the CCP eliminated millions of soldiers of the Nationalist Party) Mao had never launched such a largescale purge, it might be inferred that he thought a greater degree of terror was needed to reconstruct basic structure of Chinese society than to seize state power. As shown in Dazhai practice, the violent storms at this level not only destroyed existing social networks, but more importantly, they made every social member aware of the absolute power of the CCP and threw them into a condition of complete impotence (and we could draw from the theory of psychology and term this phe10
11
Du Runsheng, 2005, Du Runsheng zishu: Zhongguo nongcun tizhi biange zhongda juece jishi (Personal Account of Du Runsheng: records of significant policy decision on Chinese rural institution reform). Beijing, Renmin chubanshe, p. 20. Mao Zedong wenxuan, op. cit., p. 420, 422.
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nomenon as “post-disaster syndrome”). Beyond the Party, there were no other coexistent formal social forces. And such a unique and absolute power force imposed a devastating violence. At this moment, in order to avoid being the victim of violence, it was impracticable and irrational for people to resist the power – actually one of outcomes of this radical violence was to drive the masses to the “despair of resistance” – and the only option was to identify with the one who imposed such violence and stand at his sides to redeem safety. Or in other words, they took the strategy of taking part in the revolution to avoid being attacked. Here, Chen Yonggui’s personal experience was a relevant case. After narrowly escaping from death during the campaign of punishing traitors, he responded to the Party’s call much more actively than any other villager. He always took the lead of acting upon Party directives regardless of personal losses during the series of campaigns such as supporting the front during the Civil War, carrying out land reform, establishing mutual aid team, selling grains to the state under the policy of unified purchase and sale. Based on his active performance, he was approved to join the Party and exempted from the risk of political persecution. It must be noted that every time new persons joined the terrorimposers’ side, they automatically expanded the energy of the group and imposed increasing pressure upon those who stayed outside. Even though they joined primarily for safety redemption, the objective (and also unintended) consequence of their action was to accelerate others to successively modify their own stances. This mode of self-involving, irresistible “passive complicity” finally involved everyone into the CCP control system. Under this context, Dazhai villagers identified with the Party and strived to participate in the various CCP-led organizations. Besides experiencing a common basic need for safety, different categories of people also had specific motives to join such organizations. Poor peasants appreciated the Party’s principle of distributing land to them; lower-middle, middle, and upper-middle peasants did not gain much from land reform but stood on the Party’s side to avoid political persecution; people with minor surnames wanted to get on the stage of the new political power and transform their former marginality; landlords and rich peasants had no chance to change their status of class enemies, but their family members hoped
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to gain the Party’s forgiveness by showing loyalty. All of them needed to join the CCP-led organizations or otherwise it would be quite dangerous for them. Thus, the Party found itself in an advantageous position to form its supports at the basic level. According to the data I collected, the structure of the organizations the CCP built in rural areas was a pyramid structure mixed with innumerable personal networks, rather than the “onion-like structure” of totalitarian movements that Arendt has discovered in other two countries12. Take Dazhai as an example. The village Party branch was the administrative force. From top to bottom, the highest leader was the Party branch secretary, the next level were formed by the members of the branch committee, then came the Party members, and the final level was constituted by those who did not belong to the Party branch but were closely attached to it such as the Youth League members and other activists aspiring to join the Party. Mass organizations had a similar differentiated structure. The top leaders were the members of the Party branch committee, the second level was constituted by the CCP and Youth League members, the third by the activists, the lowest by the ordinary members. Within both Party branch and mass organizations, members in every upper and lower levels were linked by various private personal ties, such as ties of blood, affinity, love, friendship. In a local life world where people had lived together for many generations, it was almost impossible to find a person having no personal ties with others. When the CCP started its project of constructing grass-root organizations, Mao Zedong explicitly demanded that the Party should control a group of social members who took up ten to twenty percent of the total population to form a “basic force” to reconstruct basic levels of society13. The implementation of Party directives always relied on the key roles assigned to these people: they took the lead of supporting official directives with words and deeds, and involved other members in their local units to follow them and 12 13
H. Arendt, op. cit., p. 364-368, 412-413. Zhonggong Zhongyang guanyu shencha ganbu de jueding (Central Party Committee resolution on investigating cadres), August 15, 1943.
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act upon the Party’s call. I define this process as the “embodiment of political directives”. Those belonging to this group were usually named as activists by the Party. I thus identify them as the stratum of activists14. The construction of such an activist stratum was a key feature of Maoist governance mode15. It was Mao’s novel and specific contribution to totalitarianism. Without this stratum as a governing tool, Chinese modern history would have been rather different. Its role was conspicuously demonstrated by Dazhai practice. Whenever the Party branch carried out a directive, the common procedure was the following one: the secretary first unified the opinions of Party branch committee members, and then transmitted the order to all the other Party members as well as non-Party activists; Party members and activists took the lead of acting upon the order and mobilized others to follow. They first mobilized their close relatives and friends. As long as each of them had two close relatives or friends, more than forty percent of the local people could be involved in the first wave of mobilization. When the number of people involved reached a certain degree, they imposed irresistible pressure on the others. Almost with no exception, the final result was that all villagers were involved to act upon the Party’s call. According to my interviews, the activists always tried their best to do whatever the Party wanted. For instance, they took the lead of working hard in the fields, beating class enemies in struggle sessions, criticizing people who made anti-official speeches or deeds in criticism sessions, speaking about their thoughts of Party directive or Mao’s works in political study sessions; they also supervised ordinary people and 14
15
I am greatly inspired by Hua Linshan’s original study on how activists assisted the CCP to govern society and how the masses were correspondingly divided into a “stratum of advance people” and a “stratum of ordinary people”. According to his analysis of abundant urban-based CCP documents, on average activists took up fifteen percent of people in local units. See Hua Linshan, 1994, “Les causes sociales de l’essor du mouvement rebelle”, Notes de recherche et documents n° 9. Paris, Centre de recherches et de Documentation sur la Chine contemporaine, Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales. For a full discussion on this issue, see Hua Linshan, 1994, op. cit.; Chang Shu, 2004, Unbalanced interaction in the narrow choice space: a case study of Chinese mass movement. Master’s thesis. Tsinghua University, P. R. China.
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informed on dissenting words or deeds to the cadres. It was the very existence of this stratum of people that turned the Party’s claim to maintain its “flesh-and-blood ties with the people” into a working reality and enabled the Party’s power to be firmly embedded into every local life world as well as the bottom of society. As shown in Dazhai case, the CCP built its organizational system in the village with three sets of people as core forces: the Party members, Youth League members, activists. Unlike the ordinary villagers passively incorporated into this system, these people joined it voluntarily and became active elements. They also penetrated into mass organizations and filled the role of leaders and backbones, and ensured that all mass organizations would form networks within the Party’s control. The Party monopolized all organizational resources and disabled people to develop group bonds or forms of interaction out of its control. As one of my key informants in Dazhai confessed, “At that time, you didn’t dare to unite with other people to resist Party policies since you never knew who would report it to the cadres. You didn’t dare to speak anything bad”16. Finally, considering the great ratio of activists at Dazhai – they took up almost twenty to thirty percent of the villagers – one might be curious at why so many people wanted to become activists and what benefits they could gain. They did not get many material benefits and usually even needed to sacrifice their own material benefits. When I interviewed some villagers who had previously been activists, they often explained their motives to join that group by stressing their belief in communist ideology and loyalty to the Party. It was true to a certain degree, but I also found that a very important benefit enjoyed by the activists was that the Party would not impose political persecution on them (and they became the assistants of persecutors to avoid being persecuted). The CCP leaders explicitly demanded that activists should be free from any attacks17. Obviously, 16 17
ZSX, interview, April 11, 2008. I use pseudonyms for the names of the interviewees in order to protect them from any potential political risk. Jianguo yilai Zhonggong zhongyang guanyu gongren yundong wenjian huibian (Collection of Central Party Committee documents on workers’ movements since the establishment of PRC), 1988. Beijing, Zhongguo Gongren chubanshe, p. 1098, 1314.
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the wish to escape from the state terror was a main psychological factor driving villagers into the camp of activists. What happened since the end of the Maoist era also provided a valuable counter-evidence. When the CCP gave up class struggle and people did not need to face up state terror generated during turbulent mass campaigns, the stratum of activists dissolved automatically and instantly. Nobody would like to be part of these “secondary cadres” who often suffered material losses and experienced resentment from ordinary people since they had often offended them by informing on, criticizing, and even beating the victims of political violence. Therefore, it can be assessed that creating terror was a very efficient measure for the Party to contend for and monopolize organizational resources. The existence of a stratum of activists and its efficient role in Maoist governance could be regarded as the “bonus of terror”. Within such a configuration, there was little space for any unofficial group bonds to survive.
Leaders: the monopoly of capable people resources Mao Zedong specifically emphasized that the Party should attract social members who were fair, prestigious, and talented. The former two features referred to one’s moral appeal, and the last referred to one’s personal ability. Generally, leaders in a local world emerged from people owing these characteristics, who were limited resources in the region. Thus, Mao’s directive was meant to monopolize local resources of capable people. Mao’s governance practice proved that at that time the partystate had absolute advantages in contending for capable people. On the one hand, the CCP-led organizations were the only formal organizations to provide positions for those who had talents of leadership and aspiration to dedicate themselves to bringing benefits to local community and whole society, and they could only achieve their goals via the channel of Party-led organizations. On the other hand, the state launched fierce attacks on capable people that it could not manipulate. A considerable part of the victims of
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large-scale purges under above-mentioned Mao’s directive of “killing 0.1 percent of people” at the early stages of Maoist regime were previous leaders of existing social groups. Some were killed, and others were sentenced into prison or put under supervision. Under this pressure, few people would dare to stand in a position contrary to the Party. Even though some people did do so, they were severely attacked and could not have any influential social effects. From Chen Yonggui’s life course, we can see that the Party was rather flexible – not confined to strict criteria – when recruiting capable people to work for it. Judged by the Party’s standard of political status, a person like Chen Yonggui who had been village head during the Japan-governed times and joined traitor organization was definitely unqualified to be recruited as an activist. But Chen had a set of characteristics exactly needed by the Party. He was smart and capable in many aspects. For instance, he was very articulate and good at giving speech; he liked to join and organize public activities; he was a strong laborer and expert in farming; he liked to help others even at the cost of sacrificing his own interests and thus enjoyed high prestige among poor villagers; and he always acted upon the Party’s directives enthusiastically regardless of personal losses. Zhang Huaiying, the secretary of the Party branch of the region which administrated Dazhai, appreciated Chen’s character so much that he approved Chen’s application for joining the Party in 1948 with the excuse that his incorporation into Japanese organization was a secret task assigned by the Party. As Zhang recalled in his memoirs, at that time, he thought it would be a pity if the Party did not incorporate such a talented person like Chen18. His rule-breaking decision was also driven by his ambition of seeking for political achievement by cultivating Dazhai as an experimental site of socialist collectivization with Chen’s assistance. But he was not alone in appreciating Chen’s abilities and concealing his inglorious history. When Mao Zedong selected Dazhai as his favorite
18
Zhang Huaiying, 1998, Liaotian Lu (Records of chat). Wuhan, Changjiang wenyi chubanshe, p. 160-164. See also Ying Quan, 1996, Chen Yonggui zhuan (Biography of Chen Yonggui). Wuhan, Changjiang wenyi chubanshe, p. 1925.
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model, the Central Party Committee ignored Chen’s embarrassing history, defined it as a “normal historical problem” and put him in an important position. Chen’s “historical spot” became a Party secret. Ironically, Chinese peasants learned from Dazhai for almost two decades, but they did not know that its leader Chen Yonggui had worked for Japan. The Party not only demonstrated considerable flexibility in competing for capable people, but also showed arbitrariness when attacking potentially capable rivals. At Dazhai, over the whole Maoist period, there had never appeared any non-governmental leaders in a real sense. Only two people could be regarded as authentic representatives of folk opinions. (Here, I do not mean representative in Luc Boltanski’s sense. His definition of “representative” already connotes the leadership in a group19.) In 1954 and 1957, each of them publicly spoke out their doubts about Party policies and then became victims of severe punishment. One of them was Li Erhuo. When he was young, he was drafted by the Japanese army to serve soldiers and feed horses. Later, he joined the CCP-led Chinese People’s Liberation Army (PLA). He took part in many battles and was injured. Some years later, he returned to Dazhai as a demobilized soldier with a certificate of disability. He was proud of his glorious experience of “having shed blood for revolution” and considered himself as someone who had a right to speak out. In 1953, when village cadres implemented collectivization, he publicly expressed his doubts about the efficiency of collective production, doubts quite commonly shared among middle peasants. Chen Yonggui, who had already become village Party branch secretary charged him of “undermining collectivization”. Chen required him to admit his mistakes household by household and after a while, sent him to prison with the accusation that he had worked for the Japanese. He was imprisoned for three years, and after he was released and returned
19
Philippe Corcuff, 2000, Xin shehuixue (Les nouvelles sociologies). Chinese trans. by Qian Han. Beijing, Shehui kexue wenxian chubanshe, p. 111-113.
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to the village, he was put into supervision for two decades as a class enemy20. The other one was Zhao Qifu. He was also a demobilized soldier from the PLA and had joined the Party when he stayed in the army. In 1957, he complained in public about Chen Yonggui’s wrongdoings such as forcing villagers to sell excessive grains to the state and let people suffer from starvation. Actually he had been fooled by Chen to speak so bluntly. Inspired by Mao’s efficient exercise of encouraging intellectuals all over the nation to propose criticism to the Party and then labelling them as class enemies, Chen decided to adopt the same strategy. He asked a county official – who was stationed in Dazhai to assist village cadres’ work – to announce that he would be removed from the post of village secretary due to some mistakes and to mobilize villagers in order to reveal his wrong words and deeds. A few villagers fell into the trap and spoke out their opinions, and among them, Zhao Qifu was a main complainer. But when they talked, Chen hid himself under a window outside the meeting room and overheard everything. Later, all of them were punished and Zhao suffered most severely. He was charged as a rightist walking on the bourgeois road and dismissed from the Party. Then he became a marginal person in the community and suffered contempt for dozens of years21. After such successive attacks, there were no representatives in the village to express villagers’ opinions, let alone village leaders. We can infer that speech itself is a preliminary political action and if there is no space for public speech, then any collective action will be impossible. Also, it should be noted that one’s capability is generated by action, just as one’s reputation must be established 20
21
See Qin Huailu, 1993, Zha bai maojin de fu zongli Chen Yonggui (Chen Yonggui: Vice Premier with white towel on his head), Beijing, Dangdai Zhongguo chubanshe, p. 33-34; Tan Chengjian, 1998, Dazhai: Zhongguo mingcun jishi (Dazhai: records of a famous village in China). Zhengzhou, Zhongyuan nongmin chubanshe, p. 39-43. JBQ, interview, March 21, 2004. Also see Wu Si, 2009. Chen Yonggui: Mao Zedong de nongmin (Chen Yonggui: The peasant of Mao Zedong) (consulted on 03/03/2009); Liu Dehuai, 1997, Dazhai chu le ge Chen Yonggui (Chen Yonggui arising from Dazhai), manuscript, p. 190-196.
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by one’s actions. Without spaces to perform or organize activities beyond the Party’s control, ordinary villagers could not cultivate related capabilities and prestige. In other words, there were no readily available resources that the party-state and society competed for. Rather, some of the basic conditions that support the process of generating social resources were destroyed, and thus such resources could not be generated. On the contrary, within the village Party branch, the conditions for generating capable people were abundant. Multiple CCP-led organizations in the village needed plenty of leaders and backbones, and thus provided broad spaces and chances for the Party-selected people to develop their abilities and establish their prestige. In my life history interviews of those who rose from ordinary people to the position of cadres, the whole process of incorporating capable people into the Party’s work could be divided into the steps of recruiting, training, employing and generating full abilities. In a rural community where people lived together for generations, they knew each other quite well. The village Party committee members were quite familiar with every villager’s character and capability, and they summoned those who had good abilities or reputation to gather around the committee and developed them into activists. (At that time, nobody would refuse the chance of being an activists since, as I discussed before, one of the great benefits of being enrolled into the stratum of activists was to protect oneself and also one’s family members from political terror. Moreover, it was not wise to refuse the Party’s call. In my fieldwork, I have not found any case of refusing to be activists.) The Party committee members gave special training to the activists and let them work as leaders or backbones of mass organizations. Some of them were approved to join the Party or promoted into the position of cadres. From my interviews, I noted that activists incorporated both the best and worst people in the villagers’ opinions. The best were local capable people, as mentioned above. The worst were those who liked to sow discord, inform on people, and commit violence. Dazhai had quite a big stock of activists. The percentage of activists among the villagers was much higher than the average ratio at national level. Almost all people with good abilities (in terms of intelligence, morality, bodily strength, and so on) were recruited as an
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activist. There were few qualified people left to work for any nongovernmental forces. This was another subtle effect of Mao’s mode of governance relying on such a stratum of activists.
Ideas: the embodiment of hegemonic discourse and the monopoly of local moral resources Compared with people’s external behavior, their inner thoughts and ideas are unobservable. Therefore, it is much harder to control one’s ideas than one’s behavior. But it seems that since ancient times Chinese authorities have been self-taught – far earlier than Foucault’s discovery of discursive power – in the act of managing discourse to control unobservable and unfathomable ideas. A common method they employed was to punish dissenters for their words. Mao Zedong coined his own governance mode by combining the experience of his ancient predecessors with governance theories and techniques from the West – especially those adopted from Marx to Stalin. He once proudly claimed that his method was “Marx plus Qin Shihuang”22. But in fact his claim was far too modest. His achievement in thought control was unprecedented. He not only employed the common method of all of his ancestors or Western counterparts – which could be described as a defensive warfare to eliminate dissents via state violence and to prohibit people from communicating their ideas freely so as to defend state authority – but he also launched an offensive attack to penetrate deeply into people’s minds and transform their thoughts, a process proclaimed by the Party as “making revolution in one’s innermost soul”. The army which Mao Zedong employed to fight for this offensive battle was the group of activists he constructed. At Dazhai, activists were evenly distributed among different categories of people in terms of age, gender, and surname. They were embedded
22
Xie Tao, 2007, “Minzhu shehui zhuyi moshi yu Zhongguo qiantu” (The Mode of democratic socialism and the future of China), Yanhuang Chunqiu, vol. 2.
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into all areas of local life world. In their daily life, they interacted intensively and continuously with their closest circles of life, including their family members and neighbors. As we know, this daily interpersonal interaction is a basic condition for generating intersubjectivity. In terms of numbers, activists constituted a small minority in local populations. Then how could they win this battle? How could the Party control the many with the few? The secret of their success lied in the fact that the style of interaction between these two sides was rather unbalanced and unequal, a style which I term as “pseudointeraction”23. It means that the two interacting parties did not have equal power and the result of interaction was predetermined by the powerful party before the start of the interacting process. This mode of interpersonal contact had the external form and appearance of interaction but lacked its essence – a true interaction in normal situations is indeed a process by which the two sides mutually influence each other and form ideas they both accept24. The power imbalance between the two sides of such pseudointeraction was huge. One side was the powerfully organized and institutional Party force. It had hundreds of millions of Party members, Youth League members, and activists. It also controlled millions of army soldiers and policemen. Dazhai villagers, as well as all Chinese people, had a clear sense of the tremendous power of the Party and of its severe brutality when employing violence apparatus to punish dissents. The other side consisted of single individuals without organizations or institutions to protect them from the terror of state violence. Each of them was isolated and felt that he or she belonged to the absolute minority. (They existed as the smallest number “1”.) In the sphere of political action, they were atomized individuals deprived of the capability of “acting in concert”25. But in the sphere of private life, they lived in the family (as a unit composed of several people) and were not completely atomized. Considering the family ties, we might call them “moleculized” rather 23 24 25
Chang Shu, 2004 ibid. See e. g., Herbert Blumer, 1969, Symbolic interactionism Englewood Cliffs, Prentice-Hall. H. Arendt, op. cit., p. 474.
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than “atomized” individuals. (I will discuss the political and social value of “moleculization” in another chapter.) But it did not change their powerless status in political action on the contrary, it even worsened the situation. Since they had to take the safety of their family members into account, it caused them to be cautious and restrained. The absolute imbalance in power between the Party-selected activists and the ordinary people led to the inequality of discursive rights between the two sides. It was a key premise for the stratum of activists to partly fulfill the difficult task of thought warfare during their daily interactions with fellow villagers. As the villagers recall during the Maoist times, activists and their core force – the members of the CCP and of the Youth League – articulated the official discourse uniformly and frequently in both public forums (such as political study and criticism sessions) and private daily life. Therefore, every villager’s ears were filled with official discourse every day. In this sense, one could say that activists played a decisive role to achieve the “embodiment of political discourse”. They served as the medium through which official discourse was able to penetrate into every local life world at the basic levels of society. An accompanying phenomenon was that all arguments contrary to the official discourse were prohibited and remained unspoken. It was also risky to talk about anti-official opinions in private, since activists (and even their family members) were a pervasive force of supervision and they reported to the cadres when overhearing any objections or complaints26. As Dazhai villagers recalled, they feared to be denounced not only by activists but also by nonactivists who revealed secrets for private reasons. For example, some wanted to be upgraded into the rank of activists and thus denounced others in order to gain the trust of cadres and accumulate social credit for promotion; some reported on others in order to offset their own previous mistakes by behaving in officially unapproved 26
Some villagers who had been “iron girls” and militiamen during the Maoist period told me that at that time they often squatted covertly under the windows of villagers’ houses and eavesdropped, and informed to Chen on those who said anti-official words in private conversation.
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manners. Anyone who spoke anti-official words – which were officially labeled as “reactionary”, “weird”, “black”, or “discouraging” words – would suffer from criticism and punishment. Whenever village cadres found someone had expressed such words, they would organize criticism sessions as soon as possible. This rapid response aiming at criticizing and redressing wrong words – and wrong ideas implied in these words – was summarized as one of Dazhai cadres’ tips for transforming villagers’ thoughts: “Never put off thought work to the next day”. From official documents about Dazhai and villagers’ oral accounts, I collected plenty of criticism cases. For example, a man told me his experience of being criticized in the early 1970s when he was young. One morning, as he was eating breakfast in the field with several elderly villagers, he said he would also have been able to go through the bitter life old people had suffered in the old society if he had lived at that time. He was accused of lacking respect to the elderly peasants and of challenging the classic rhetoric of “recalling the past bitterness and thinking of the current sweetness” which the CCP used to justify the legitimacy of socialism. Another villager present that day reported his words to Chen Yonggui, and at the same evening, Chen called him to publicly admit his mistakes during a criticism session. Criticism sessions which all villagers were required to attend were held every two or three days. The members of core organizations – Party branch and Youth League – held the sessions more frequently than ordinary villagers to ensure everyone’s ideas were on the right track. As village cadres claimed in a work report, the Party’s discursive and thought control was carried out at Dazhai in every moment of daily life. When one said anything disaccording with Maoist thoughts and exposing bourgeois ideas, anyone witness would criticize him instantly27.
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To quote their words, “Capitalism could not succeed in Dazhai. It was not because we had any superior skills, but just because we had hundreds of eyes to stare at and hundreds of mouths to chatter about bad people and bad things!” See Dazhai: dousi pixiu de guanghui yangban 1967 (Dazhai: brilliant model of fighting with selfishness and criticizing revisionism).
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No matter it was during criticism sessions or in daily life, anyone who was criticized for bad words had to admit his mistakes and anyone who was present had to publically criticize such mistakes. (In my fieldwork, I tried but failed to find a person who would claim not to have acknowledge the mistakes he was accused of. The reasons were that, as some villagers explained, nobody could endure community pressure and political threat that would follow.) This step of admitting and criticizing mistakes –“criticism and selfcriticism” in the typical CCP term – was very important for thought reform since it deprived the anti-official discourses and ideas expressed in public from any legitimacy. Political study sessions were another type of meeting that required every attendant to voice their opinions. It was held at least once a day, when people took a rest in the field after dinner. The procedure was the following one: the cadres announced the political themes, and then the Party members, the Youth League members, and the other activists took the turn to express their opinions. A villager who was an activist at that time told me, “You must try to be the first one to talk and set an example for everybody else”28. At last, ordinary villagers were given the floor. They usually repeated what the former people had said, no matter if they truly believed or not in these words. Obviously, the function of such daily meetings which required everybody to attend and speak was to infuse official discourse into everyone’s daily public life and thus consolidate its social popularity and legitimacy. On the other hand, under such a strict discursive control, villagers avoided using officially-unapproved discourse in their public life (outside their families) to prevent being the target of a public denunciation. Thus, the Party successfully prohibited the public emergence and circulation of anti-official discourses and ideas. In the daily interactions with other villagers (and especially with all activists and their close relatives), every villager had to express official and pro-official discourses and as a result, official discourses and ideas became the sole voice everyone could hear in public life.
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GXK, interview, March 20, 2004.
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This was the social atmosphere which various levels of the CCP officials – from the top leader Mao Zedong down to local unit cadres such as Chen Yonggui – endeavored to create. This context made the Party’s ambitious aim of transforming people’s thoughts possible. Let us go into a specific case and get a close understanding of Dazhai villagers’ life experience in that social and historical context. One of Dazhai’s unique achievements as a national model was the villagers’ amazing amount of labor accomplished. According to an official report, in this small village that had only over eighty laborers, they “built over 180 stone embankments, quarried 130,000 cubic meters of rock and moved an average of 1,760 basket-loads of rock per worker each year” during the first ten years of their farmland construction29. Even though the state supported Dazhai with many aids in money, manpower, machines and more else, the villagers themselves also did a lot of hard work. Their intensive amount of labor caused a high ratio of injuries and deaths: for instance, four villagers died in work, and dozens of them suffered fracture. Later, many villagers who had participated in such overloading labor developed various diseases and bodily deformations when they turned old. This indicates that the past workload had gone beyond the endurance limit of human body. But no data shows that they were forced by any naked violence to join labor. In the work reports, the village Party branch always claimed that such involvement in collective labor was achieved by educating people with Maoist thoughts. To a certain degree, this claim is supported by my interviews with the villagers. The data I collected shows that at the beginning most villagers disagreed with farmland construction since they doubted the feasibility of building big terraces in barren mountains with primitive tools and scarce labor. Chen Yonggui started with controlling the villagers’ words to transform their thoughts. He refuted dissenting viewpoints and placed them into the categories of unspeakable words. For example, regarding some villagers’ argument that such
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Wen Yin and Liang Hua, 1977, Dazhai: The Red Banner. Peking, Foreign language Press, p. 108.
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a project was impracticable since none of their ancestors had been able to achieve it, Chen replied that people could succeed thanks to collective strength under socialism and whoever dissented was antisocialist. Some villagers objected that they would suffer a lot if they worked that way. But Chen tuned to class struggle: “Who is afraid of hard work? Only landlords and rich peasants fear it30!” Then, according to this logic, whoever dared to mention his worries would be charged as standing in the same line with class enemies and punished31. As villagers’ arguments were criticized and rendered unspeakable and illegitimate, their objections to hard work became unjustifiable. Meanwhile, the village Party branch employed activists who took up almost thirty percent of laborers – Chen Yonggui mentions in a work report that at the beginning there had been more than twenty laborers supporting farmland construction – to do the thought work of other villagers and explain the merits of this project. They achieved such a task during their daily contacts with others. And every activist has his/her own pre-assigned work objectives. According to the Party’s mass work guidelines, every Party member was put in charge of several people in local units to do their thought work and persuade them to support Party policies. For example, in Wu Jiaping Village adjacent to Dazhai, every Party member, Youth League member and activist was in charge of five villagers. Dazhai had a much bigger team of those groups of people and they worked much more efficiently since on average each of them just needed to take responsability for two villagers. Their work objectives were the people who had close relationships with them, such as their close relatives, friends, or those who were indebted to them from previous favors and thus were more easily inclined to agree with them. An activist firstly persuaded one of his two work objectives (a process officially termed “one helping another to form a red pair”) and then they worked together to persuade the other one to “make a common progress”. When each activist had successfully mobilized one person, these two groups of people took up over 30 31
Wu Si, 2009. (consulted on 21/04/2009). JBG, interview, July 16, 2005.
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sixty percent of all laborers. This majority imposed a pressure on the remaining villagers, and the pressure kept expanding correspondingly as the number of involved people increased and as the number of people left behind decreased. Moreover, the Party showed great perseverance in doing this sort of thought work and it would never stop until it had reached its goals. The village Party branch not only resorted to group pressure to force villagers to agree with its directives, but it also paid great attention to including moral grounds in the sphere of discourse and imposing moral pressure on the individuals. This was achieved without much difficulty since the Party completely controlled social discourse. The village Party branch devised for activists a repertoire of arguments justifying its directives. These arguments had both political and moral compelling power. For example, as mentioned before, Chen Yonggui associated the villagers’ attitudes toward hard work with their class origins and defined anyone who objected to it as class enemies or as their sympathizers. He mentioned that only landlords and rich peasants were afraid of hardship while poor peasants with good class origins did not. It implied that those who feared hardships were enemies of people, politically and morally despised as non-persons by local community. The Party also used many elements from traditional Chinese morality to defend the legitimacy of its directives. For example, Chen invoked the time-honored merits of diligence and hard-working spirit in Chinese culture to justify farmland construction. (It should be noted that even though traditional Chinese morality also includes other ideas – such as care for health, balance between work and rest, taking a middle rather than an extreme course – which negated overloading work, but these ideas were not allowed to be publicly invoked. It thus ensured that the system of moral appropriation could be established and maintained.) Another factor was that, when the whole village was a collective laboring and accounting unit, anyone who did not work hard would be regarded as taking advantage of others and embezzling others’ labor outcome, a selfish behavior highly devalued in traditional Chinese morality. This also created a moral pressure on everyone. Activists used such a discourse relying on a political and moral compelling power when interacting with the other villagers who were unable, as a consequence, to refute it on legitimate grounds.
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Let’s imagine the feelings of a non-activist villager who was surrounded by the activists’ mobilization and education. First, he could not refute them on legitimate grounds since anti-official ideas could not be publically expressed, while activists could develop various sets of arguments justifying Party policies. In this context, he could only choose to agree tacitly or to express his consent explicitly, a situation shared by all others. As a result, a uniform voice of supporting hard work invaded the public life of villagers. He might have guessed that some other villagers were as reluctant as he was, but he could not communicate with others and did not exactly know how many people shared the same feeling. When everybody claimed to support hard work, it was hardly possible for him to deny the legitimacy of such a common decision. In other words, except for very few people, it was very hard for a person to insist on his views when they contradicted the voices of all community members. Usually he could not help doubting if he was right and gave up. Another significant factor to urge people to agree to Party policies was that activists not only used words to mobilize people: they also used their own bodies to set behavioral examples. At Dazhai, activists transformed the discourse of supporting farmland construction into real physical action. They took the lead of working hard in the fields and all other villagers who had supported such a commitment had to follow them. (The activists took the lead in burdensome and dangerous work. They paid a great cost as far as their health is concerned. For instance, three of the villagers who died in accidents during overloading work were activists.) A consequence of this practice was that when every villager had already put hard work into real acts, their opinions about whether to support or object to hard work lost practical value. Very few people would still insist on their original objections when they actually were engaged in labor, a project lasting for dozens of years. In other words, we can see that the Party branch controlled public discourse through its powerful and skillful use of political terror as well as of the groups of activists, forbidding the villagers to communicate their ideas freely and to transform their thoughts into particular projects or actions. As villagers could not publically communicate any ideas beyond or contrary to official ideology, they lacked the capacity to
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generate any anti-official consent between individuals, and could not establish group bonds or concerted action beyond the Party’s control. As we know, group bonds must be established on the basis that certain people share their opinions on a certain range of issues. The Party not only obstructed the expression of any existing antiofficial ideas, but also prevented the formation of any new antiofficial ideas. It left little space for generating any form of association beyond the official system.
Conclusion In summary, this chapter develops two main arguments. First, in order to act together resources are needed by individuals which at least include three key elements: ideas, leadership, organization. If any of these is lacking, it is impossible to develop forms of cooperation and concerted action. The Maoist governance mode as illustrated by Dazhai experience was a case in which the powerful Party-state monopolized all kinds of resources to establish mandatory organizations and forced the masses to join them, whereas the society was deprived of all needed resources to build unofficial group bonds. Second, such resources are usually generated through specific mechanisms rather than readily available. During the Maoist era, the party-state did not compete with the society for any already available resources. It destroyed the key elements needed to generate such resources. They thus became unavailable to build forms of social relationships and exchanges that would extend beyond its control.
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Le corps qui subit, le corps qui atteste: le pacte secret des habitants de Xiaogang* HUA LINSHAN
À la fin des années 1970, le village de Xiaogang, situé dans la province de l’Anhui, comptait vingt foyers qui réunissaient en tout cent quinze personnes. Qui plus est, des personnes que les cadres locaux décrivaient alors dans leurs rapports administratifs comme des paysans arriérés et incultes1. C’est pourtant au sein de ce groupe restreint, dont les membres étaient apparemment dépourvus de ressources particulières, qu’une action concertée a été accomplie en décembre 1978 qui transgressait le système collectiviste mis en place depuis vingt ans et âprement défendu par les dirigeants chinois: les terres cultivées ont été distribuées aux foyers, le système d’exploitation collectiviste a été localement défait. Cette action avait été précédée de la conclusion d’un pacte par lequel les représentants de chaque famille s’engageaient à garder leur initiative secrète, manifestant ainsi leur reconnaissance des obligations et des responsabilités qui, désormais, les lieraient. En un bel exemple de réversibilité historique, l’action alors menée par les paysans de Xiaogang et qui relevait de la déviance sera, quelques mois plus tard, officiellement reprise, célébrée et diffusée dans l’ensemble du pays, signalant le lancement du processus de réformes. Ceux qui, à la suite de ces événements, évoqueront et analyseront le cas de Xiaogang retiendront surtout le statut de modèle national soudain accordé à ce petit village autrefois inconnu. Soulignant *
1
Cette étude n’aurait pu être accomplie sans l’appui scientifique du groupe de recherche dirigé par le professeur Wang Hansheng à l’Université de Pékin. Sans les séjours sur le terrain effectués à deux reprises par des chercheurs de ce groupe, ce travail n’aurait pu voir le jour. Qu’ils en soient tous ici remerciés. Zheng Yefu et al. (eds.), 2007, Beida Tsinghua Renda shehuixue suoshi lunwen xuanbian (Recueil 2007 de mémoires de master de sociologie des universités de Beida, Tsinghua et Renda). Jinan, Shandong renmin chubanshe, p. 347.
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volontiers le rôle de précédent attribué à cette localité, ils resteront en revanche muets sur le processus ayant conduit ses habitants à prendre une initiative alors totalement prohibée. Pourtant, en ce mois de décembre 1978, les paysans de Xiaogang ont accompli une action qui était tout sauf banale. Ils ont en effet testé la validité de formes sociales alors imposées par un pouvoir politique qui poursuivait une visée totalitaire. Puis, au moment opportun, ils ont lancé une action se fondant sur leur propre définition et appréciation de la situation. Ni l’usage dominant du recours à la force ni celui d’un langage imposant une compréhension pervertie de la réalité sociale n’ont pu les empêcher d’agir comme il leur semblait légitime de le faire. Ce texte a pour objet de reconstituer l’expérience qui a été celle des habitants de Xiaogang afin de mieux comprendre les sources de l’initiative commune entreprise, une initiative hasardeuse puisqu’elle ne sera considérée que bien plus tard comme la réponse pertinente aux problèmes généraux rencontrés dans les campagnes chinoises, une initiative également difficile à saisir car elle n’a pas été accompagnée de discours, de justifications explicites ou de moments de concertation directement observables.
Les enjeux d’une promesse mutuelle Voici très brièvement les faits et les interrogations qu’ils suscitent. Un soir, vers le milieu du mois de décembre 1978, les représentants des vingt foyers du village se sont réunis, non pas dans l’une des salles communes où étaient débattues d’ordinaire les affaires de l’équipe de production que formait Xiaogang, mais dans une habitation paysanne2. Qui plus est, la seule habitation qui possédait à l’avant une salle éloignée des pièces où dormaient les membres de la 2
La date approximative de cette réunion a été identifiée à partir des souvenirs des habitants de Xiaogang présents ce soir-là. Il est impossible aujourd’hui d’en désigner la date exacte, et les historiens chinois ont donc recours à cette formule vague de la mi-décembre pour évoquer le moment de ce pacte.
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maisonnée. Il s’agissait en effet de tenir cette rencontre – et surtout son contenu – dans le plus grand secret. Ceux qui étaient réunis ont alors adopté à l’unanimité la décision de distribuer aux foyers les terres, les outils et les bêtes possédés dans le cadre du système de propriété collectiviste qui présidait alors. Ils ont ensuite apposé leurs empreintes sur une feuille de papier où trois engagements avaient été consignés par écrit, manifestant ainsi leur promesse de les respecter. Ils ont enfin eu recours à la forme traditionnelle par laquelle dans la Chine ancienne ceux qui couraient les routes concluaient éventuellement un pacte de loyauté: ils ont partagé un même alcool pour consolider leur serment de ne pas trahir et confirmer la compréhension qu’ils avaient les uns et les autres des obligations mutuellement contractées3. D’après les souvenirs de ceux qui étaient présents ce soir-là, les engagements pris étaient les suivants4. Tout d’abord, chacun promettait, une fois les récoltes finies, de remettre à l’État la quantité de grains qui devait lui être vendue dans le cadre des dispositions officielles en vigueur. Chacun s’engageait également à verser à la commune populaire, via la brigade de production, les grains dus pour assurer le fonctionnement de cette structure collectiviste. Deuxièmement, il était décidé «de mettre en lumière le groupe de production et de garder le foyer dans l’ombre», c’est-à-dire de ne pas dévoiler à des personnes extérieures au village la distribution des terres et autres moyens de travail aux foyers. Le texte précisait même que celui qui ne saurait pas tenir sa langue ne serait plus considéré comme un être humain. Enfin, les présents faisaient le serment, si jamais l’un des responsables du village venait à être jeté en prison à la suite de cette décision commune, d’aider les membres de sa famille à travailler leurs terres et d’élever ses enfants jusqu’à l’âge de dix-huit ans.
3 4
Entretien avec YXC, Xiaogang, 1er juin 2007. Dans les études historiques consacrées à Xiaogang, le contenu du pacte est décrit de manière très similaire, avec certaines différences dans les termes utilisés. Nous prenons ici appui sur l’ouvrage publié par le musée du village de Xiaogang. Xia Yurun, 2005, Xiaogang cun yu da baogan (Le village de Xiaogang et les contrats d’exploitation passés avec les foyers), [s. l.]. Huangshan chubanshe, p. 118.
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Le deuxième engagement était de loin le plus important. Il s’agissait en effet de dissimuler le fait que les habitants de Xiaogang venaient tout simplement de saper les fondements du système d’économie collective mis en place dans les campagnes chinoises par Mao après plusieurs années de révolution. De fait, l’expression «mettre en lumière le groupe de production et garder le foyer dans l’ombre» signifiait qu’il fallait clamer haut et fort que le travail de production était confié à des groupes rassemblant plusieurs familles et cacher le fait qu’il était en réalité réparti entre les foyers. Or, il ne s’agissait pas là d’une simple question d’échelle: une différence de nature fondamentale séparait les deux systèmes. Mao a toujours défendu le principe selon lequel les communes populaires reposaient sur «trois niveaux de propriété»: la commune, la brigade et l’équipe de production, et sur «une base»: l’équipe de production en tant qu’unité comptable inférieure5. Pendant la première phase de collectivisation, c’est-à-dire entre 1958 et 1960, l’unité comptable était la commune populaire. Ce système, associé au Grand Bond en avant, ayant causé la terrible famine qui a sévi entre 1958 et 1961, une concession a été faite aux paysans: les communes ont été réformées et l’unité comptable a été transférée – dans un premier temps au niveau de la brigade puis, dans un second temps, à celui de l’équipe de production. Mais toute tentative ultérieure pour abaisser le niveau de gestion au-dessous de l’équipe a été impitoyablement réprimée. Du vivant de Mao, «mettre en lumière le groupe de production», c’est-à-dire accorder à cet échelon inférieur à celui de l’équipe une quelconque visibilité et, pire encore, «garder le foyer dans l’ombre», ce qui signifiait attribuer en cachette une importance économique au foyer domestique, étaient donc des actions entièrement prohibées. En 1978, la province de l’Anhui a été frappée par une sécheresse sans précédent; Mao avait disparu plus d’un an auparavant, Deng Xiaoping était réhabilité et avait récupéré une partie de son 5
Les communes populaires sont créées en Chine en 1958. On y trouve à la base l’équipe de production, qui sur le terrain équivaut à un hameau ou à un village. Elle rassemble en moyenne 20 à 50 familles. Au-dessus se trouve la «grande équipe de production», appelée à l’étranger «brigade de production», qui réunit de 150 à 200 familles. Vient enfin la commune populaire, une organisation à vocation économique, administrative, sociale, éducative et militaire.
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pouvoir. Afin d’augmenter la productivité des paysans en ces temps de calamités naturelles, le comité du Parti de la province autorisa le lancement d’une expérience appelée la mise en place de «contrats de production passés avec les groupes» (baochan daozu वӗࡠ㓴): l’équipe de production cessa d’organiser directement le travail agricole, confiant celui-ci à des unités inférieures appelées groupes de production. Chaque groupe réunissait une dizaine de foyers. Lorsque les groupes produisaient plus que les quantités de céréales fixées par l’équipe, ils pouvaient conserver 60 % des surplus. Si ces quantités n’étaient pas atteintes, les paysans devaient trouver de l’argent pour racheter des grains et dédommager l’équipe6. Il est certain que ce système de production appelé par certains «le système de propriété des trois niveaux et demi» représentait un degré de collectivisation moindre que le dispositif précédent, qui avait l’équipe de production pour niveau inférieur. Néanmoins, l’équipe continuait à y jouer un rôle majeur: elle assignait aux groupes les objectifs à atteindre et rassemblait le produit des récoltes avant d’en redistribuer une partie aux foyers pour leur propre consommation. De plus, le groupe de production demeurait une entité collective, aussi restreinte soit-elle. L’organisation économique continuait donc à être celle d’un système de production collectiviste. Le village de Xiaogang a été l’un des villages sélectionnés pour procéder à une telle expérimentation. Toutefois, en quelques jours, les deux groupes de production initialement formés donnèrent naissance à quatre groupes puis, sans en avertir les autorités directement supérieures, à huit groupes. Le processus de division interne ne s’arrêta pas là puisque les villageois décidèrent dans la foulée de distribuer aux foyers tous les moyens de production de l’équipe et de garder cette initiative secrète en concluant le pacte évoqué plus haut. Sur le plan pratique, chaque foyer travaillait donc désormais les parcelles de terre qui lui avaient été attribuées sans remettre à l’équipe le produit des récoltes. Une fois versé à l’État et à la commune populaire le montant des récoltes exigé – comme tous s’engagaient à le faire en vertu du premier point de l’accord conclu –, le 6
Wang Lixin, 1989, Anhui dabaogan shimo (Début et fin des contrats d’exploitation passés avec les foyers dans l’Anhui). Beijing, Kunlun chubanshe, p. 201.
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reste de la production revenait au foyer. Dans le système instauré par les habitants de Xiaogang, l’équipe de production perdait donc tout rôle dans l’organisation de la production. Si elle demeurait de nom, elle était vidée de son contenu. Telle est la différence fondamentale qui distinguait la situation mise en place à Xiaogang de toutes les formes d’expérimentation jusqu’alors autorisées de façon ponctuelle, qu’elles portent le nom de «champs à responsabilité» (zeren tian 䍓ԫ⭠ ), de «contrats de production passés avec les groupes» ou de «contrats de production passés avec les foyers» (baochan daohu वӗࡠᡧ). Les paysans de Xiaogang étaient parfaitement conscients du fait qu’ils ne venaient pas d’instaurer un simple système de «contrats de production passés avec les foyers», et désignaient le système adopté du terme de dangan (অᒢ), ce qui signifie tout simplement «exploiter les terres de manière individuelle7». Comparées au système de production privé qui existait avant la collectivisation, les nouvelles exploitations familiales différaient uniquement sur deux points: les paysans n’avaient pas la propriété des terres qu’ils cultivaient, et ils devaient respecter le prélèvement d’une partie des récoltes par la structure collectiviste. C’est bien pourquoi des dirigeants locaux évoqueront quelques mois plus tard cette évolution en disant qu’il s’agissait tout simplement «d’un retour à la situation d’avant la Libération»8. C’est en raison de cette distinction fondamentale que le deuxième point du pacte a été rédigé: personne ne devait ébruiter ce qui avait été mis en place. Celui qui se hasarderait à le faire ne serait plus considéré comme un être humain. Cette dernière formule, en apparence toute rhétorique, avait des effets dissuasifs très concrets. Lorsqu’un paysan chinois dit d’autrui qu’on n’a plus besoin de le considérer comme un homme ou comme un être humain, cela signifie qu’il ne bénéficie plus de la protection que la morale impose aux hommes d’accorder à d’autres hommes. Autrement dit, il se trouve soudain à la merci d’exactions et de traitements prohibés entre êtres humains. Ce point, énoncé clairement dans le pacte, indiquait donc 7 8
Zhang Guangfa, 1995, Gaige fengyun zhong de Wan Li (Wan Li dans le processus de réforme). Beijing, Renmin chubanshe, p. 201. Wang Lixin, op. cit., p. 103.
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à chacun ce qui adviendrait s’il s’avisait de ne pas tenir parole. D’où les promesses exprimées par les représentants des familles alors que tous buvaient au même alcool, confirmant l’engagement de chacun à se montrer loyal envers les autres. Comme l’expliquent des habitants de Xiaogang: À l’époque, conclure de tels pactes c’était comme la loi. Celui qui aurait prêté serment de la sorte et qui en aurait parlé à l’extérieur, comment faire autrement que de le passer à tabac9?
Et, de fait, nul, parmi les 115 personnes que comptait alors le village, n’a ébruité la décision commune qui venait d’être prise. Enfin, le troisième point consigné dans le document signalait que les habitants de Xiaogang étaient parfaitement conscients du fait qu’en agissant de la sorte ils ébranlaient les fondements du système collectiviste instauré et se plaçaient dans l’illégalité. Ils anticipaient même l’envoi en prison des responsables de l’équipe de production qui avaient pris la tête du mouvement. Si le caractère illégal de l’opération menée ne les arrêtait pas, chacun était néanmoins l’auteur d’une promesse particulière dont les bénéficiaires étaient cette fois les chefs du village, tous s’engageant de façon égale à cultiver leurs terres et à élever leurs enfants jusqu’à l’âge adulte. Soulignons que de telles craintes étaient fondées sur des précédents, les exemples de paysans durement sanctionnés pour de telles initiatives étant légion. Les études menées par des historiens chinois révèlent ainsi que, dans la seule province de l’Anhui, plusieurs centaines de milliers de paysans ont été punis pendant les années 1960 et les années 1970 pour avoir conclu dans leurs équipes des «contrats d’exploitation avec les foyers10», ce chiffre dépassant les quatre millions de personnes pour l’ensemble du pays11. Le secrétaire du comité du Parti de la province de l’Anhui a lui-même été limogé en 1961 pour avoir pris une telle initiative. L’exemple le plus connu demeure cependant celui du président de la République, Liu Shaoqi, mis au ban par Mao pour avoir, entre autres délits, encouragé la 9 10 11
Entretien avecYLH, Xiaogang, 7 juin 2007. Wang Lixin, op. cit., p. 64. Lin Zhijun, 1996, Lishi bu zai paihui (L’histoire ne piétine plus). Beijing, Renmin chubanshe, p. 91.
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mise en place du système dit «sanzi yibao» (й 㠚 а व) dans les campagnes, le deuxième terme de la formule désignant les contrats d’exploitation passés avec les foyers. Et personne n’ignorait, en cette fin des années 1970, que Liu Shaoqi avait été jeté en prison et qu’il y était décédé. Dans les entretiens réalisés aujourd’hui à Xiaogang, ceux qui ont été les acteurs de ces événements racontent d’ailleurs que le destin de Liu Shaoqi revenait souvent dans leurs conversations alors qu’ils s’apprêtaient à signer leur pacte. Le sort funeste de ce haut dirigeant du Parti était également brandi par les autorités locales pour effrayer les paysans qui, comme ceux de Xiaogang, pouvaient être tentés de se détourner de la voie officielle 12. Quant aux trois responsables de l’équipe de production, ils étaient convaincus que la prison les guettait, et c’est cette anticipation qui a conduit l’un d’entre eux, Yan Hongchang, à placer son nom en premier sur la liste des signataires pour endosser la principale responsabilité de cette action commune, l’autre dirigeant de l’équipe, Yan Junchang, ayant plus d’enfants que lui à sa charge 13. Quelques jours après que les habitants de Xiaogang eurent conclu leur pacte secret, Yan Hongchang se rendit d’ailleurs à une réunion à laquelle l’avaient convoqué les autorités du district, persuadé d’être arrêté une fois arrivé sur place. Sa crainte se révéla infondée, mais en rentrant à Xiaogang, il aperçut les habitants massés à l’entrée du village qui guettaient son retour, redoutant de ne pas le voir revenir14. En dépit d’une telle menace, les paysans de Xiaogang ont maintenu leur projet, ce qui ne peut manquer de soulever un certain nombre de questions.
12 13 14
Wang Lixin, op. cit., p. 154. Xia Yurun, op. cit., p. 154. Entretiens avec YFC et YHC, Xiaogang, 6 juillet 2006; entretien avec YFC, Xiaogang, 8 juillet 2006.
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Une action concertée illégale et jugée néanmoins légitime Tout d’abord, l’action entreprise, qui non seulement était illégale mais qui bouleversait de surcroît les fondements du système collectiviste établi dans les campagnes chinoises, a été menée à l’unanimité par ce groupe de paysans. Elle constitue un exemple de résistance exceptionnel dans l’histoire des sociétés communistes, et l’on peut penser que pour mettre sur pied une opération aussi complexe et périlleuse un travail important d’organisation, de mobilisation et de concertation a été nécessaire. Or, de façon surprenante, les deux séries d’entretiens menées à Xiaogang par les chercheurs chinois avec lesquels nous avons collaboré n’ont pas permis d’identifier un tel moment15. La première vague d’entretiens, réalisée en 2006 pendant trois séjours consécutifs à Xiaogang, n’a pas permis de reconstituer des épisodes spécifiques au cours desquels certains auraient cherché à persuader les autres de se lancer dans l’aventure. Dans le souvenir des paysans, une telle étape n’a tout simplement pas existé. Plusieurs évoquent une formule chinoise, yi hu bai ying (аબⲮᓄ ), qui signifie littéralement qu’il suffit qu’une personne lance un appel pour que cent autres aussitôt y répondent afin de souligner que l’idée, une fois lancée, a rencontré l’adhésion de tous16. D’autres indiquent que personne n’avait besoin d’être persuadé tant il était évident pour tous que c’était là ce qu’il fallait faire. Lors de la seconde vague d’entretiens, effectuée au cours des années 2007 et 2008, à l’occasion également de trois nouveaux séjours à Xiaogang, il a été possible d’identifier des moments pendant lesquels les représentants des foyers ont échangé des informations et se sont mis d’accord. Chaque fois cependant il s’agissait de moments 15
16
Il ne m’a pas été possible de me rendre à Xiaogang. J’ai donc travaillé avec deux étudiantes chinoises de l’Université de Pékin qui ont rédigé chacune un mémoire de master, Zhao Huixing et Lu Yuxia. Un rendez-vous téléphonique a été pris presque tous les jours avec elles pendant leurs différents séjours sur le terrain pour discuter des problèmes rencontrés et prendre des décisions pour le lendemain. La collaboration avec Lu Yuxia a été particulièrement étroite, des séances de travail à Pékin ayant eu lieu avant comme après ses séjours à Xiaogang. Entretien avec YGW, Xiaogang, 10 juin 2006.
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très brefs, pendant lesquels les discussions et les moyens de mobilisation mis en œuvre apparaissent extrêmement épars et furtifs. Ceux qui ont pris l’initiative de cette transformation ne semblent donc pas avoir été confrontés à la nécessité d’accomplir un travail de mobilisation intense. L’un d’entre eux, Yan Hongchang, dit aujourd’hui que tous les paysans partageaient le même sentiment et qu’il suffisait de quelques mots pour que chacun sache à quoi s’en tenir. Il indique aussi qu’avant la réunion tenue en secret en décembre 1978, il ne faisait aucun doute pour lui que chaque famille y enverrait un représentant et que tous les présents signeraient le document préparé. Il ajoute enfin qu’il s’est écoulé moins de vingt jours entre la première division de l’équipe en deux groupes de production et cette réunion17. Les échanges menés lors des moments de repos quotidiens ou au hasard des rencontres ont donc été très limités18. De brèves discussions, peu structurées, plutôt dispersées et tenues pendant moins de vingt jours, ont donc suffi pour mettre sur pied une action commune qui allait pourtant à l’encontre du système légal imposé dans l’ensemble du pays et qui rassemblait tous les foyers du village. Face à pareille réalité, dont il n’y a pas lieu de douter, on est amené à se demander quels sont les événements ou les situations que nous devons tenter d’appréhender pour saisir le processus qui a abouti à la conclusion d’un tel pacte. En d’autres termes, quelle est l’expérience, antérieure à cette soirée de décembre 1978, qui doit être évoquée afin de comprendre pourquoi la décision prise s’est imposée, à tous, avec une telle évidence et avec une telle force? De plus, le fait que tous les représentants de l’entité que constitue Xiaogang aient apposé leurs empreintes sur le document préparé, qu’ils aient échangé promesses et serments de loyauté, souligne que chacun non seulement s’engageait dans l’action mais était prêt à en assumer la responsabilité. Autrement dit, la décision adoptée, et notamment la formation, de fait, d’exploitations familiales, bénéficiait à l’intérieur du groupe, d’une évaluation positive partagée: il s’agissait bien d’un geste valide, du moins pour la communauté concernée. Et ceux qui nuiraient à cette décision en la rendant visible 17 18
Entretien avec YHC, Xiaogang, 6 juillet 2006. Lu Yuxia, op. cit., p. 51-54.
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à autrui s’exposaient à subir ostracisme et autres sanctions. D’où la nécessité de s’interroger sur cette orientation commune, sur le jugement de validité apparemment évident qui était conféré à une action pourtant sans précédent. Il convient ici de signaler que le village de Xiaogang n’était en rien un village spécifique, regroupant éventuellement des éléments marginaux venus de différentes régions de Chine ou des personnes considérées comme déviantes. Il s’agissait d’un lieu d’interconnaissance dont la vie normative n’était pas différente, a priori, de celle observée dans les centaines de milliers d’autres villages chinois. Et pourtant, en ce moment particulier, les habitants de Xiaogang ont à l’unanimité reconnu comme légitime une action qui était alors officiellement désignée comme parfaitement illégitime. (Quelques mois plus tard, cette différence allait disparaître, l’initiative prise dans ce village particulier connaissant un processus de légitimation et étant étendue à l’ensemble des régions du pays, signalant le coup d’envoi du processus de réformes.) Quel est le processus qui a conduit les paysans de cette communauté à juger une forme d’organisation si particulière comme valide, au point de la mettre en place en dépit des risques encourus – l’espace concerné par cette action étant clairement circonscrit et opposé à un espace extérieur pour des raisons cependant essentiellement de sécurité et non pas de périmètre de validité? D’autant que les habitants de Xiaogang n’ont pas pu alors justifier leur action en prenant appui sur la parole officielle puisque celle-ci invalidait au contraire les exploitations familiales. De même, leurs connaissances semblent avoir été limitées concernant les formes qui prévalaient avant l’arrivée au pouvoir du Parti communiste, en 1949. En tout cas, ils n’ont pas mobilisé celles-ci pour légitimer leur initiative. Du coup, cette dernière n’a pas pu se fonder sur des repères explicites, sur un vocabulaire et sur des catégories stabilisés: en d’autres termes, elle n’était en rien, à l’époque, une recette typique appliquée à une situation typique19. Ce qui conduit à s’interroger sur les sources de validation de cette décision commune.
19
Alfred Schutz, 1962, «Equality and the meaning structure of the social world», Collected papers, 2, Studies in Social Theory. La Haye, Martinus Nijhoff.
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Une dernière question, enfin, découle directement de la précédente. La redistribution de tous les moyens de production aux foyers était parfaitement contraire à l’organisation de production collectiviste instaurée par Mao. Pour asseoir la légitimité de la première, il fallait donc contester celle de la seconde. Comment s’est déroulé ce processus dans la pratique? Les dirigeants communistes chinois ont toujours accordé une très grande importance au contrôle de la pensée à travers notamment celui du langage. Leur réussite dans ce domaine surpasse celle des pays communistes d’Europe de l’Est ou de l’Union soviétique. En outre, Mao considérait la lutte des classes et l’économie collective comme les deux piliers du communisme chinois. Après plusieurs décennies du nouveau régime, la suprématie et la légitimité de l’économie collective ne pouvaient être ouvertement contestées. Même Deng Xiaoping, afin de pouvoir procéder à des réformes économiques, aura pour stratégie de «ne pas débattre» ce point. Et pourtant, les paysans de Xiaogang ont, par leur action, invalidé de façon explicite le système existant. D’où la nécessité pour esquisser une réponse à ces différents questionnements de nous tourner vers le passé, et plus précisément vers les événements vécus par les paysans de Xiaogang avant cette année 1978.
Des corps éprouvés: souffrances et illégitimité morale Interrogés aujourd’hui sur la vie qui était la leur avant que, par un pacte secret, des exploitations individuelles aient été mises en place, les habitants de Xiaogang évoquent tous, quelle que soit la singularité de leurs récits, deux expériences qui ont revêtu un caractère extrême et qui ont causé des souffrances physiques et psychiques jugées intolérables. Pendant la famine qui a marqué les années 1958-1961 – une famine due aux excès du mouvement de collectivisation dans les campagnes comme au mouvement du Grand Bond en avant –, 67 personnes, soit 38 % de la population villageoise de l’époque, ont
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péri20. Parmi les 115 personnes qui, en 1978, vivaient à Xiaogang, toutes celles qui avaient alors vingt ans ou plus ont été affectées par la mort d’êtres chers et par la faim au cours de ces trois années de famine. Toutes ont vu la torture infligée à certains de leurs proches par le manque de nourriture et ses effets. Si l’on considère plus particulièrement ceux qui ont apporté le soutien le plus actif à la mise en place de ces exploitations, la liste des pertes qu’ils ont subies pendant la famine est impressionante: Yan Xuechang, l’instigateur de la réunion au cours de laquelle la décision de redistribuer les terres a été prise, a perdu neuf membres de sa famille; Yan Lihua, celui chez qui la réunion s’est tenue, a perdu six membres de sa famille et il en était, de fait, le seul survivant; Yan Hongchang et Yan Junchang, qui ont organisé le mouvement, le second étant l’un des responsables de l’équipe de production, ont également vu disparaître toute leur famille, soit en tout sept personnes; Yan Lixue, comptable de l’équipe, a perdu un proche; Guan Tingzhu, qui a été le premier à lancer l’idée d’une telle opération, en a vu mourir trois. Lui-même a ensuite fait de la prison pendant cinq ans. Aucun des vingt foyers du village n’a été épargné. Aux souffrances psychiques entraînées par la perte d’autant de proches s’est ajoutée, pour ceux qui ont survécu, l’expérience de la faim21. Sans pouvoir entrer ici dans une description trop détaillée, il faut noter que Xiaogang n’est pas un village pauvre, localisé dans une région montagneuse, confronté à des conditions objectives particulièrement difficiles. Il s’agissait avant 1949 d’un village d’une aisance matérielle que l’on pourrait qualifier de moyenne. Pendant la réforme de 1950, aucun propriétaire foncier n’y a été identifié mais, à l’inverse, quatre foyers seulement ont été considérés comme relevant de la catégorie des paysans pauvres et ont reçu à ce titre quelques biens possédés par les paysans les plus riches du village. C’est sans doute la domination numérique de paysans «moyenpauvres» et «moyen-riches», selon la terminologie officielle alors en vigueur, qui explique que le village se soit tenu à l’écart du mouvement de formation de groupes d’aide mutuelle après la réforme 20 21
Lu Yuxia, op. cit., p. 20-21. Idem, op. cit.
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agraire; puis, en 1953, de celui qui visait à la création de coopératives dites semi-socialistes: Xiaogang a intégré en effet directement en 1955 une coopérative dite socialiste lorsqu’une telle transformation est devenue obligatoire22. Ajoutons que si les quatre foyers qui ont reçu des terres et des instruments aratoires au moment de la réforme agraire ont fait preuve pendant quelques temps d’activisme politique, mettant même sur pied le seul groupe d’aide mutuelle du village, certains de leurs membres commettront tous par la suite des actions qui les conduiront en prison ou les rangeront parmi les ennemis de classe. Du coup, à partir du milieu des années 1950, il n’existait dans ce village ni cadres du Parti, ni membres du Parti ou de la Ligue de la Jeunesse communiste, ni activistes politiques. Après ces trois années de famine et jusqu’à la fin des années 1970, les membres de cette petite localité ont tous fait pour survivre l’expérience d’une seconde situation jugée intolérable sur le plan physique mais également psychique: la mendicité. Aucune des 115 personnes recensées à Xiaogang en 1978 n’a échappé à ce sort: même les bébés et les enfants en bas âge ont été emmenés sur les routes pour essayer de trouver les moyens de les nourrir23. La raison de cette infortune a été attribuée par ces paysans au système de production collectiviste qui existait alors, et plus précisément à la baisse de productivité agricole qu’il suscitait ainsi qu’à l’interdiction faite aux foyers de poursuivre des activités artisanales qui représentaient pourtant avant 1949 une partie importante du revenu domestique. D’après les archives et les documents officiels, entre 1962 et 1977, les habitants du village disposaient en moyenne de 450 grammes de grains par jour les années fastes et de 144 grammes 22
23
Quelques mois après la réforme agraire dont la loi date du 28 juin 1950, des mesures gouvernementales encouragent la création d’équipes d’aide mutuelle d’abord saisonnières puis permanentes. Le 16 décembre 1953, le Comité central adopte une «Décision sur le développement des coopératives de production». De caractère transitoire, elles regroupent 20 à 50 familles et leurs participants conservent la propriété de leurs terres. En 1955, plusieurs textes de référence organisent la mise en place des coopératives dites socialistes: réunissant 100 à 250 familles, elles ne tiennent plus compte que du seul travail fourni pour calculer la rémunération des foyers. Entretien avec DYL, Xiaogang, 7 juillet 2007; entretien avec YHC, Xiaogang, 6 juillet 2007.
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les années les plus mauvaises24. Pendant les années les meilleures, il manquait selon les critères établis par les autorités locales trois mois de grains; pendant les années difficiles, il en manquait dix. Comme le raconte un paysan: «À cette époque, chaque année on avait faim, chaque année on devait partir mendier quelques mois25.» Dans la mémoire des habitants de Xiaogang, partir ainsi mendier dans des régions plus ou moins lointaines, mais toujours distantes du village, était une expérience à la fois douloureuse et pénible. «En allant mendier, on a connu tant de peines et de souffrances que c’est difficile à t’expliquer26.» Tous racontent qu’ils ne mangeaient jamais chaud, dormaient dans les champs ou sous des abris de fortune. Yan Xuechang a évoqué ainsi longuement l’un des groupes qu’il a emmené mendier un hiver, et décrit leur cheminement dans la neige avec des chaussures en paille tressées pour essayer d’atteindre des villages: «Nos pieds étaient comme deux carottes, complètement gelés. On avait très mal à chaque pas27.» La fatigue physique était bien plus importante que lors du travail au sein de l’équipe de production: On partait à chaque fois pour quinze jours, en transportant pas mal de choses, on portait plusieurs kilos sur le dos! On était très fatigués, beaucoup plus fatigués qu’en restant au village. Si tu ne te dépensais pas pour trouver de la nourriture, si tu te la coulais douce comme lorsque tu travaillais la terre au village, tu ne trouvais rien28.
Aux souffrances physiques s’ajoutait la perte de face qu’entraînait le fait d’être obligé de mendier ainsi pour survivre. C’est sans doute le sentiment d’indignité personnelle alors ressenti qui demeure aujourd’hui le souvenir le plus vif. Les paysans de Xiaogang semblent ne pas pouvoir oublier les injures quotidiennes qui les accueillaient, les villageois qui les renvoyaient dès leur arrivée. «Ce qu’ils disaient de nous, c’était vraiment pas agréable à entendre, mais pourtant il fallait bien l’accepter.» «Quand tu mendies, non seulement tu perds 24 25 26 27 28
Wu Jingmei et Xia Yurun, 1986, Gujin Fengyang (Fengyang hier et aujourd’hui), p. 228. Entretiens avec YMC, XSY, YTS, Xiaogang, 1er juin 2007. Entretien avec YLH, Xiaogang, 1er juin 2007. Entretien avec YXC, Xiaogang, 1er juin 2007. YGW, notes d’observation, carnet de terrain numéro 4.
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la face, mais tu la perds complètement.» «Si on avait eu à manger ne serait-ce que deux repas de bouillie de riz par jour au village, on ne serait jamais partis mendier29.» Celui qui a pris la tête du mouvement de 1978, Yan Hongchang, se souvient qu’à la naissance de sa fille aînée, il ne restait dans sa maison pour toute nourriture que trois ou quatre livres de taros et plus du tout de grains. N’ayant pas d’argent, il lui était impossible d’acheter des céréales à l’État. Il est donc parti mendier avec sa femme et sa fille. Arrivé près de la localité où ils se rendaient, ce paysan n’a pas pu continuer à avancer, se refusant à aller au devant des injures et des critiques. Je me suis arrêté, j’ai creusé un trou dans la terre et je me suis caché dedans […]. J’y suis resté plusieurs jours. J’avais envie de me suicider. […] Je trouvais que continuer à vivre ainsi n’avait aucun sens. Il n’y avait plus rien à manger à la maison, je n’avais pas la force d’aller mendier, quelle situation pouvait être pire que celle-là pour un chef de famille?
Heureusement un paysan de la région le découvrit dans sa cachette, l’encouragea à ne pas mettre fin à ses jours et lui proposa un travail que personne ne souhaitait faire: aller chercher sous la surface gelée d’un lac des racines de lotus. Pour deux jin de ramassés, il touchait deux centimes30. Yan Honchang raconte: «J’avais le corps gelé, tellement gelé que souvent je n’arrivais plus à sortir de l’eau, je voulais me hisser et retourner sur la berge mais mes jambes ne répondaient pas31.» Il dit aussi: «Mais mendier, c’était vraiment la honte, n’importe quel travail était préférable32.» Voir des proches mourir de faim, avoir faim soi-même et mendier constituent donc des expériences qui ont marqué les formes d’engagement et d’attention à la vie des paysans de Xiaogang. Si l’on ne comprend pas les souffrances qu’ils ont vécues, dans leur 29 30 31 32
Entretien avec DYL, Xiaogang, 7 juin 2007. Le jin est la livre chinoise. Li Youlin, «Yan Hongchang de shengming» (La vie de Yan Hongchang), Renwu Zhoukan, 2004, 12, 45-51. Guo Xiaoling, «Shenqing de tudi, Anhui Xiaogang cun Yan Hongchang» (Un attachement profond pour cette terre: Yan Hongchang du village de Xiaogang). Posté le 13/11/2005. Disponible sur: (consulté le 21/03/2006).
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chair et dans leur esprit, et le fait que celles-ci ont été éprouvées comme un mal devant être combattu, il est difficile de comprendre qui ils étaient en cette fin d’année 1978, l’expérience qui avait été la leur et les actions qu’ils ont en conséquence menées. Insistons sur le caractère partagé de cette expérience par tous les adultes présents au village, cette année-là, les plus jeunes ayant simplement vécu l’épreuve de la mendicité. Les souffrances éprouvées ne pouvaient pas être justes: ce sentiment émanait à Xiaogang non pas de principes généraux ou de réflexions abstraites, mais d’une expérience commune, à la fois personnelle et concrète, qui n’avait pas besoin de mots pour se manifester. Dès lors, le recours à la parole n’était pas un passage obligé pour le formuler ou le communiquer aux autres membres du groupe. Cette expérience a ainsi développé chez ceux qui l’ont éprouvée une connaissance particulière qui désignait de facto comme illégitimes les décisions ou les modes d’organisation considérés comme responsables de la situation. D’où le rejet du système d’économie collectiviste mis en place dans les campagnes chinoises. Toutefois, ce rejet n’a pas été formulé de façon explicite. Les documents officiels retrouvés dans les archives ainsi que les entretiens menés à Xiaogang montrent en effet qu’aucun des habitants n’a été à l’époque sanctionné pour avoir exprimé des propos dits réactionnaires, c’est-à-dire contraires à l’idéologie officielle. Aucun n’a fait le récit des souffrances vécues. Ils ont simplement, une fois la famine passée, adopté sans en parler des pratiques qui manifestaient le sens qu’ils donnaient à la situation qui leur était imposée: ils n’ont montré aucun empressement à travailler la terre, n’ont accordé aucune protection aux biens appartenant à la collectivité, les utilisant au contraire à tort et à travers. Ce qui explique les résultats extrêmement faibles obtenus dans le domaine agricole. D’après un rapport interne publié au début des années 1980, le produit de quatre années de récoltes à Xiaogang pendant la période collectiviste était inférieur à celui d’une année de récolte après la mise en place d’exploitations individuelles, toutes sortes d’initiatives et de modes de gestion des parcelles familiales expliquant un tel bond33.
33
Xia Yurun, op. cit. p. 78.
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Cette compréhension personnelle et directe – ancrée dans une expérience physique développée par les villageois de Xiaogang – du caractère illégitime du système imposé peut, peut-être, être rapportée au terme chinois wu (ᛏ ), formé par la clé du cœur et par celle qui signifie «moi», «je», qui désigne une prise de conscience directe, se passant du détour par la parole ou par la déduction logique. S’il s’agit là sans doute d’un usage quelque peu abusif de ce terme, il nous semble être néanmoins utile pour désigner le processus observé à Xiaogang: le fait que les souffrances subies aient été perçues comme illégitimes et invalidées sans que des mots aient été prononcés pour fonder et communiquer ce constat. En France, un auteur comme Paul Ricœur a souligné le lien entre la souffrance imposée à autrui et la notion de mal, soulignant l’usage d’un même mot dans la langue française pour parler du mal commis et du mal souffert, liant le mal aux attaques portées contre l’intégrité physique et psychique des individus et indiquant que «pour l’action, le mal est avant tout ce qui ne devrait pas être, mais doit être combattu34». Quelle que soit l’analyse menée, et les mots qui la soutiennent, il est certain que les paysans de Xiaogang ont réagi à deux expériences jugées intolérables en refusant de s’associer à ce qu’ils avaient identifié comme la source du mal, en cessant d’agir comme on attendait qu’ils le fassent, avant de se décider à faire disparaître en cachette le fondement du système collectiviste en vigueur: l’équipe de production.
Une parole officielle invalidée Dans le même temps, les paysans de Xiaogang ont considéré comme non pertinente une parole officielle qui désignait une réalité sociale que contredisait leur expérience personnelle. Dans les archives officielles des années 1960 et 1970, on trouve mention des appréciations officielles portées sur les habitants du 34
Paul Ricœur, 2004, Le Mal, Avant-propos de Pierre Gisel. Paris, Labor et Fides, p. 24.
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village. Celles-ci soulignent par exemple que ces derniers «ont pris en horreur, à un degré extrême, le système d’économie collectiviste et ne semblent absolument pas croire ou espérer que celui-ci puisse marcher35». Une revue interne du Parti dit des membres de Xiaogang qu’ils «représentent un bel exemple de déviance capitaliste36». Après la période dite de la «grande famine» (1958-1961), le village de Xiaogang a été désigné comme formant l’équipe de production la plus arriérée sur le plan politique de toute la commune populaire à laquelle il appartenait. Non seulement cette équipe de production connaissait une chute de productivité régulière et n’avait aucun grain à vendre à l’État, mais ce dernier était chaque année confronté à la nécessité de voler au secours de ses membres en leur remettant des céréales. Pendant plus de dix ans, les autorités locales n’ont jamais abandonné l’espoir de transformer le caractère «arriéré» de cette localité, et elles ont déployé toutes sortes de tentatives pour tranformer la pensée de ses habitants. À partir de 1963, première année au cours de laquelle le gouvernement du district a dépêché une équipe de travail pour corriger les «champs à responsabilité» mis en place dès cette époque, Xiaogang n’a cessé de recevoir la visite d’équipes de travail de tout genre. Entre 1972 et 1977, de telles équipes ont été présentes chaque année au village. Les tâches concrètes menées par ces équipes étaient invariablement les mêmes: convoquer des assemblées dites de grande critique révolutionnaire, organiser des séances d’études politiques et de transformation de la pensée, mais aussi des séances de lutte, de chants révolutionnaires, et autres moments collectifs de ce type. Toutes ces activités prenaient appui sur la parole, sur l’usage d’un vocabulaire spécifique pour désigner les acteurs, les actions, ou les situations, ainsi que leur orientation positive ou négative. Cette parole et ce vocabulaire étaient utilisés, répétés, inlassablement.
35
36
Wang Jingjin, 1989, Xiangcun san shi nian, Fengyang nongcun shehui jingji fazhan shilü (1949-1983) [Trente ans au village: histoire du développement économique et social des villages du district de Fengyang (1949-1983)]. Beijing, Nongcun duwu chubanshe, p. 134. Idem., p. 338.
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Au cours de l’année 1974, une équipe de travail constituée de dix-huit personnes est arrivée dans ce village qui comptait alors dix-neuf foyers. Ce qui veut dire qu’à l’exception d’un jeune homme célibataire, toutes les familles ont dû accueillir un membre de l’équipe auquel a été confié la responsabilité d’accomplir un travail idéologique quotidien auprès des membres de la maison. Le chef de l’équipe de travail cette année-là était le dirigeant de l’organisation de défense populaire de la commune populaire. Il a annoncé en arrivant au village: Vous autres, à Xiaogang, cela ne va pas, vous suivez la voie capitaliste! À partir d’aujourd’hui, nous allons vous prendre par le nez de la main gauche, et de la main droite nous allons utiliser les couteaux et les fusils du prolétariat pour vous obliger à revenir sur la voie socialiste37.
Cette équipe est restée sur place pendant presque toute une année, pratiquant à la fois le recours à la violence et l’organisation de séances de travail obligatoires pour forcer les villageois à parler, et à utiliser pour ce faire la langue qui leur était imposée. En vain. Non seulement ceux-ci n’ont pas fait état d’une pensée réformée mais ils ont persisté dans leur refus de dépenser leur énergie pour la collectivité, la production agricole connaissant une nouvelle baisse cette annéelà38. Que ces tentatives de transformation idéologique aient échoué trouve confirmation dans le fait que, quelques mois après le départ, en 1977, de la dernière équipe de travail, les paysans de Xiaogang se réunissaient en secret pour répartir les terres entre les foyers. Ils s’avançaient ainsi encore plus avant sur «la voie capitaliste» en essayant de se défaire localement du système collectiviste officiel. L’usage spécifique fait du langage, un langage obligatoire et omniprésent prenant appui sur un vocabulaire exclusif pour donner sens aux situations et juger du bien fondé des actes d’autrui, s’est donc révélé impuissant à ébranler l’expérience directe, intime, qui avait été faite par les habitants de Xiaogang des réalités rencontrées. À l’inverse, ce langage et ce vocabulaire ont été associés au système considéré comme étant à la source du mal et ils ont perdu toute efficacité. On peut dire que, face à une expérience aussi extrême et 37 38
Xia Yurun, op. cit., p. 58. Idem, p. 86.
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incontestable que celle vécue par les habitants de Xiaogang, l’espace accordé à la parole pour orienter la compréhension des situations et poser une certaine réalité sociale s’est trouvé considérablement réduit. En pareil cas, l’adage selon lequel «à force de répéter des mensonges ils finissent par devenir réalité» ne se réalise pas. Et, de fait, comment le système de propagande officiel et l’usage spécifique qu’il faisait de la langue auraient-ils pu convaincre les habitants de Xiaogang de «la suprématie du système collectiviste» alors qu’une famine sans précédent avait succédé à la disparition du système d’exploitation privé tel qu’il existait autrefois? Comment les paysans concernés pouvaient-ils concilier ce qu’ils avaient vécu et les engagements de ceux qui leur répétaient que «dans la société nouvelle mise en place, nul ne mourra de faim»? Soulignons que pour d’autres individus qui n’ont pas été confrontés à de telles situations, cette langue et ce vocabulaire exclusifs ont fini par imposer en Chine une certaine réalité sociale – aussi éloignée du réel soit-elle –, ou plutôt une forme de supraréalité. Les habitants de Xiaogang eux-mêmes ont cru en certains mensonges de l’État, notamment lorsque ceux-ci allaient dans le sens de ce qu’ils avaient vécu et éprouvé, comme les délits imputés à Liu Shaoqi, jugé officiellement coupable d’avoir saboté le système d’économie collectiviste dans les campagnes. Et une partie de la population chinoise a accepté les explications officielles concernant les causes d’une famine que nul ne pouvait ignorer: des catastrophes naturelles de différentes natures, mais aussi le revirement de l’Union soviétique à l’égard de la Chine – la version officielle de la rupture sino-soviétique est affichée de façon particulièrement explicite en 1958 lors des débats idéologiques concernant la Yougoslavie – ont été publiquement avancés. En l’absence de tout autre élément d’information, ces facteurs ont été acceptés par nombre d’individus. Autrement dit, la situation rencontrée dans les campagnes n’a pas conduit, partout, à la remise en cause des communes populaires et du mode d’organisation particulier du travail agricole qu’elles imposaient. Parmi ceux qui ont alors ajouté foi aux explications officielles, certains ont même subi la famine et ses effets mais rarement, il est vrai, dans les proportions que les habitants de Xiaogang ont connu. En effet, s’il ne s’agit pas d’établir ici un lien de causalité mécanique entre les dégâts causés par la famine et les réactions de contestation
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au système collectiviste en place, ni de prétendre que le degré de souffrance et l’intensité de la lutte contre les sources de celle-ci sont en règle générale proportionnels, il faut cependant rappeler que 38 % de la population de Xiaogang a péri pendant les trois années concernées, alors que ce chiffre a été de 14,43 % pour l’ensemble de la province de l’Anhui, pourtant durement touchée39, et qu’il a évolué entre 1,54 % et 6,15 % pour les autres régions de Chine40. Dans les villes chinoises, alimentées en grains par l’État, le taux de décès dus à la famine a été proche de 0 %. Les pertes et les souffrances des habitants de Xiaogang dépassent donc nettement, en intensité, celles rencontrées par la moyenne des localités chinoises, l’écart entre l’expérience vécue par les paysans de Xiaogang et celle de la population citadine chinoise étant encore plus marqué. Il apparait donc normal que dans les régions où le nombre de disparus a été faible, voire inexistant, les explications avancées par le gouvernement chinois pour justifier la situation aient été entendues alors qu’elles ont été impuissantes à justifier les faits observés à Xiaogang. L’efficacité du langage pour donner sens au réel ne peut donc qu’être ébranlée lorsque l’expression verbale est profondément, et sans conteste, contredite par l’expérience directe et intime que les individus font du réel. Et il n’est sans doute pas anodin que les quelques villages qui, comme Xiaogang, ont constitué les précédents officiellement revendiqués des réformes mises en place à partir de la fin des années 1970, c’est-à-dire les villages qui ont pris à un moment donné des décisions jugées illégales concernant l’exploitation des terres collectives, soient tous localisés dans la pro39
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Dans la province de l’Anhui, où le village de Xiaogang est situé, 4 390 000 personnes auraient péri pendant ces trois années de famine, un chiffre qui place l’Anhui au deuxième rang des provinces les plus touchées en nombre absolu, la province du Sichuan venant en premier. Mais l’Anhui est la province la plus affectée si l’on tient compte du taux de mortalité. On peut lire à ce propos le texte publié par Zhi Yuan, in Forum du site Fengyang junshi. [en ligne]. Message du 03/04/2009. Disponible sur (consulté le 10/09/2009). Le taux de mortalité dû à la famine dans l’ensemble de la Chine n’a pas été rendu public par les autorités, et les chiffres qui circulent varient considérablement selon les estimations, allant de plus de dix millions à quarante millions de morts.
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vince de l’Anhui, qui a connu le taux de mortalité le plus élevé pendant la dite «grande famine» (1958-1961), ou dans la province du Sichuan, qui a connu le plus grand nombre de morts en valeur absolue.
Une initiative sans précédent: refus de la souffrance et légitimité morale Face aux faits dont ils ont été victimes, les habitants de Xiaogang ont entrepris d’agir pour diminuer les souffrances éprouvées. Mais aussi celles qui s’annonçaient. Le pacte conclu en décembre 1978 a été en effet précédé d’une sécheresse qui a persisté pendant plusieurs mois dans toute la province de l’Anhui et qui annonçait une nouvelle famine. Et c’est dans un tel contexte que Yan Hongchang a été choisi comme nouveau chef de l’équipe de production, un jour de septembre 1978. Yan raconte qu’un paysan âgé, du nom de Guan Tingzhu, lui a alors expliqué qu’il espérait bien qu’avec ce choix les vœux de tous se réaliseraient. Interrogé sur ces vœux, Guan Tingzhu a répondu: pouvoir manger deux fois par jour de la bouillie de riz et ne plus avoir à mendier. Yan Hongchang souligne l’émotion qu’il a alors ressentie: Les gens n’avaient pas de désirs très élevés, c’était aussi simple que cela: manger de la bouillie de riz deux fois par jour, ne plus mendier. Je me suis retenu pour ne pas pleurer. Je suis rentré à la maison et je n’ai pas réussi à dormir pendant deux jours. […] Puis j’ai pris ma décision, je leur ai dit que j’allais essayer de faire en sorte que chacun mange à sa faim41.
C’est alors que, reprenant une idée évoquée par Guan Tingzhu, et avec le soutien d’un autre responsable de l’équipe, Yan Junchang, Yan Hongchang décide de distribuer les terres et les instruments aratoires aux foyers42. D’où venait la légitimité de ces deux demandes, 41 42
Entretien avec YHC, Xiaogang, 6 juillet 2006. Entretien avec YHC, Xiaogang, 6 juillet 2007, avec YXC; Xiaogang, 1er juin 2007; avec YLH, Xiaogang, 1er juin 2007.
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une légitimité telle qu’elles ont emporté la décision de Yan Hongchang non seulement d’accepter de devenir chef de l’équipe de production mais de prendre une initiative illégale? Pour des paysans vivant dans un tel environnement, dire que l’on souhaite manger deux fois par jour de la bouillie de riz, une sorte de porridge pouvant comporter beaucoup d’eau et peu de riz, cela revient à dire que l’on souhaite simplement ne pas mourir de faim, au sens littéral. Cela ne veut pas dire que l’on ne connaîtra pas la faim, car la diète habituelle dans les villages chinois est de «trois repas secs» par jour, c’est-à-dire de trois repas accompagnés de riz ou autres céréales alimentaires non dilués dans de l’eau ou dans une soupe. Deux repas quotidiens à base de ce porridge: tel était, avant 1949, le montant des secours apportés en temps de famine par les autorités locales ou par les organisations charitables afin d’éviter que certains paysans ne périssent. Les paysans de Xiaogang souhaitaient donc simplement écarter la perspective de leur propre mort et ne pas trop connaître les affres de la faim. Ils n’étaient pas en quête d’un certain bien-être mais voulaient plutôt repousser des souffrances trop importantes. Quant au second vœu, ne plus avoir à mendier, il s’agissait de faire cesser une situation qui portait atteinte au sentiment de dignité personnelle, qui attirait mépris et injures de la part d’autrui tout en relevant en apparence d’une action volontaire puisqu’il fallait aller de maison en maison et solliciter les habitants, le caractère ostentatoire de la démarche entreprise ajoutant encore à l’indignité ressentie. Là aussi, le souhait des paysans était de mettre à distance un certain type d’expérience plutôt que de convoiter un bien. Ces deux demandes étaient, de plus, extrêmement faibles: elles avaient pour objet le maintien d’une intégrité physique et d’un respect de soi en deçà desquelles leur humanité même était menacée; elles visaient à passer de souffrances intolérables à des souffrances jugées plus acceptables. D’où le caractère incontestable de leur validité morale et l’impossibilité de les récuser. En mettant en place des exploitations familiales à Xiaogang, ceux qui résidaient sur ce territoire prévenaient simplement la perspective d’une famine ou de la mendicité. Et ils le faisaient sans que cette décision nuise à autrui, un aspect important qui a été alors formulé de façon explicite. L’un des parti-
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cipants à la réunion aurait même dit: «Si ceux de Xiaogang cessent d’avoir besoin de mendier, ce sera positif pour ceux qui mendient43» Lutter contre le mal, qui plus est contre le mal subi, revêtait donc bien d’emblée une forme de légitimité. Et c’est le sentiment de cette légitimité qui a poussé les paysans de Xiaogang à agir de façon illégale, à conclure le pacte par lequel ils mettaient en place un système tout à fait contraire à celui qui était officiellement prescrit. Cette légitimité était renforcée du fait que leur décision ne nuisait pas à ceux qui leur étaient extérieurs – ni à l’État, ni à la collectivité devant recevoir la quantité de grains qui leur revenait comme précisé dans leur premier engagement, ni aux autres paysans. Autrement dit, les paysans de Xiaogang ont pris appui sur une expérience vécue, pourrait-on dire, dans leur chair, pour attester des souffrances subies et identifier comme mauvaises les causes de ces souffrances. Ils ont ensuite agi sans avoir besoin du recours à la parole pour fonder une action morale: celle visant à se débarrasser de ces mêmes causes. La légitimité morale accordée aux actions qui vise à mettre à distance les causes des souffrances éprouvées est une question qui a été traitée par de nombreux auteurs. Elle n’a pas toujours été distinguée de la légitimité morale associée à la poursuite de biens désirés ou convoités. Malgré l’enchevêtrement des actions visant à désigner les biens à conserver et les maux à rejeter, et les liens que toutes deux tissent entre soi et autrui, il n’en demeure pas moins que la validité d’un processus présenté comme une «quête du bonheur», quête que les utilitaristes ont parfois associée au corps pour justifier la recherche du confort et du bienêtre, et celle d’un processus conduisant au rejet de situations imposant des souffrances physiques et psychiques, ne sont pas identiques. Parmi les auteurs qui ont porté directement un éclairage sur ces distinctions, on peut évoquer ici de nouveau Paul Ricœur, qui traite du problème du mal moral et de son imputation, mais qui signale aussi et surtout que la souffrance, tout en faisant l’homme victime, légitime également la lutte contre le mal comme l’un des fondements de la morale44. Ou les travaux d’Alain Cottereau, qui souligne, dans
43 44
Entretien avec YHC, Xiaogang, 2 juin 2007. P. Ricœur, op. cit.
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un article devenu aujourd’hui une référence majeure, que les sociétés fonctionnent plus à la répulsion qu’à l’attraction45. Mais on doit évoquer également ici la pensée confucéenne, qui privilégie de façon exclusive la formule négative de la Règle d’Or lorsqu’elle affirme: «Ce que tu ne voudrais pas qu’il te soit fait, ne le fais pas à autrui», et qui souligne ainsi à quels critères il faut soumettre les maximes de l’action: limiter les dérives possibles de l’interaction en limitant son propre pouvoir sur autrui, mais en refusant également la violence qu’autrui vous impose. Cette formule contribue à accorder une validité particulière à l’action des paysans de Xiaogang, qui ont agi, avant tout, pour refuser ce qui leur était fait, pour rejeter les souffrances qui s’annonçaient.
Entre expérience passée, anticipations et espoirs Les liens entre les différentes temporalités de l’action Une expérience personnelle, mais partagée, a donc permis la formation de perceptions et d’appréciations communes. Loin de s’effacer avec les années, cette expérience semble avoir fait au contraire l’objet d’un processus de sédimentation et de stabilisation: elle est devenue un élément central du sens de la réalité sociale développé par les habitants de Xiaogang, et a orienté l’action qu’ils ont ensemble accompli. Toutefois, le caractère valide reconnu par tous les foyers concernés par cette action ne suffit pas pour expliquer que celle-ci ait été effectivement menée à bien. Plusieurs facteurs, ancrés dans des temporalités différentes, se sont en effet conjugués pour encourager les habitants de Xiaogang à agir en cette fin de l’année 1978. Comme nous l’avons signalé plus haut, la province de l’Anhui connaît cette année-là une sécheresse très importante. D’après les archives administratives, celle-ci a débuté en 1977, au tout début 45
Alain Cottereau, 1999, «Dénis de justice, dénis de réalité: remarques sur la réalité sociale et sa dénégation», in Pascale Gruson et Renaud Dulong (dir.), L’expérience du déni. Paris, Maison des Sciences de l’Homme.
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de l’hiver, et elle est très marquée entre les mois de mars et septembre 1978. Une sécheresse terrible s’annonce donc, plus dangereuse que toutes celles qui ont été jusqu’alors consignées dans les annales de la province et qui se sont produites en général après quatrevingts jours sans pluie46. Confrontés à une telle situation, les habitants de Xiaogang ont anticipé ce qui allait se produire à la lumière des années de famine vécues entre 1958 et 1961. Cette évocation du passé pour interpréter l’avenir leur a fait augurer des dégâts encore bien pires que ceux qu’ils avaient subis autrefois. Le souvenir des souffrances passées a alors surgi dans les conversations. «Au village, les plus vieux disaient que si ça devait continuer, ce serait terrible, qu’on ne pourrait pas éviter qu’il y ait des morts, comme au début des années 196047.» Les craintes exprimées par certains ont alors très vite été reconnues par d’autres comme fondées et, comme l’expliquent aujourd’hui des villageois, l’angoisse et la peur se sont emparées de tous les habitants de Xiaogang. Pour tous, l’histoire allait se répéter, une conviction d’autant plus forte que ceux qui évoquaient la famine passée en avaient été témoins et victimes. Il est impossible de prouver aujourd’hui que certains auraient effectivement péri de faim à Xiaogang si les terres n’avaient pas été redistribuées aux foyers48. Une chose est sûre: les dirigeants locaux n’ont pas fait état d’une telle éventualité, que ce soit dans les rapports rédigés à l’époque ou dans les entretiens aujourd’hui réalisés avec eux. De même, les difficultés provoquées par la sécheresse n’ont pas suscité de situation incontrôlable, même s’il est confirmé que les autorités chinoises ont alors réalisé des achats massifs de céréales pour faire face à une éventuelle catastrophe. Il n’en demeure pas moins que les paysans de Xiaogang ont alors procédé à une définition particulière de leur situation, qui n’était ni fausse ni vraie, mais qui était orientée tout autant par la perception qu’ils avaient 46 47 48
Wang Lixin, op. cit. p. 6. Entretien avec YLH, Xiaogang, 1er juin 2007. Pour faire face à un éventuel manque de céréales, le gouvernement chinois a procédé à des importations en utilisant ses devises étrangères. Mais il ne semble pas que la famine ait frappé des régions chinoises cette année-là. Du Runsheng, 2005, Du Runsheng zishu: Zhongguo nongcun jizhi biange zhongda jueci jishi (Du Runsheng raconte: les grandes mesures politiques de la réforme des structures villageoises en Chine). Beijing, Renminchubanshe, p. 102.
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de certains événements que par leur manque de connaissance d’autres éléments, ou leur manque de confiance dans ces derniers. La perspective de voir nombre d’entre eux mourir de faim était pour eux bien réelle et il fallait donc agir pour l’écarter. Face à l’avenir très sombre qui s’annonçait, les membres du village ont décidé de sauter le pas. Comparés au sort qui les attendait, les sanctions et les risques encourus par une distribution des terres illégale semblaient moins terribles. D’autant plus que la sécheresse avait également frappé d’autres provinces, comme celles du Shandong et du Jiangsu, et mendier devenait de plus en plus risqué et aléatoire. «La situation était difficile pour tous, et ce n’était pas facile d’aller mendier chez les autres49.» En outre, le Conseil des affaires de l’État a alors transmis une directive ordonnant de procéder, dans tout le pays, à des actions visant à encercler et à expulser les mendiants des localités où ils vagabondaient. À l’exception de la ville de Shanghai et de quelques autres régions, tous les gouvernements territoriaux ont entrepris de faire la chasse aux mendiants50. Les paysans de Xiaogang ne pouvaient plus se tourner vers cet expédient: il leur fallait adopter d’autres formes d’action pour rester en vie. C’est ce qu’ils ont fait, dans un contexte politique où, de plus, un certain assouplissement pouvait être observé. Interrogé sur les raisons pour lesquelles ils ne sont pas passés à l’action plus tôt, l’un des paysans qui a pris l’initiative de la distribution des terres répond: «On n’osait pas. À l’époque, Mao était encore vivant51.» Un autre paysan raconte, à l’inverse, qu’il a eu le sentiment que «le gouvernement s’était adouci en 1978», car aucune équipe de travail n’avait été envoyée cette année-là dans le village52. Très vite, d’autres signaux sont venus s’ajouter à celui-ci. En septembre 1978, une directive du comité du Parti de la province de l’Anhui a permis aux structures collectivistes de prêter des terres aux foyers pour pallier les effets de la sécheresse53. Un mois plus tard, Xiaogang a 49 50 51 52 53
YGW, notes d’observation, cahier numéro 4. Lin Zhijun, op. cit, p. 27. YGW, notes d’observation, cahier numéro 7. Zheng Yefu, op. cit., p. 345. Xia Yurun, op. cit., p. 114.
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reçu l’autorisation, à titre expérimental, de répartir le travail entièrement prohibées du temps de Mao, étaient soudain encouragées à l’initiative des autorités. Ce qui était hier impossible est ainsi devenu possible, une situation qui a ébranlé les frontières autrefois tracées entre conduites autorisées et conduites interdites. Les risques encourus ont alors paru diminuer, permettant à Yan Hongchang et Yan Xuechang de se rencontrer pour discuter du projet de répartition des terres entre les foyers. Le premier aurait indiqué qu’il n’était pas impossible qu’un tel projet soit accepté par les autorités dans le contexte nouveau qui s’annonçait; le second aurait avancé que si une telle possibilité demeurait faible à ses yeux, ceux qui en prendraient l’initiative seraient tout au plus jetés en prison sans encourir la peine capitale54. «On se disait qu’au pire ils nous enverraient dans un camp de réforme par le travail où on aurait deux repas par jour, même si c’était deux repas de porridge, et au moins on ne mourrait pas de faim55.» Anticipant au présent, et de manière identique, les conséquences à venir d’une distribution des terres aux foyers, les habitants de Xiaogang n’ont pris aucune initiative pendant plusieurs années. Mais, en cette fin de l’année 1978, ils ont saisi ce qui leur est apparu comme une opportunité, une opportunité d’autant plus précieuse face aux dangers qui s’annonçaient. La sécheresse n’est donc pas véritablement l’élément qui a fait agir les paysans de Xiaogang. Elle s’est produite dans nombre de villages de la province de l’Anhui où les paysans n’ont procédé à aucune transformation du système en place. Ce sont plus précisément les conséquences anticipées de cette sécheresse, imaginées et interprétées à la lumière d’événements passés que l’on peut qualifier de traumatisants, et l’apparition conjointe d’un nouvel espace de possibilités suscitant des espoirs hier interdits, qui ont contribué à les faire agir comme ils l’ont fait. Le fait de prévoir que certains étaient condamnés à mourir de faim tout en entrevoyant la possibilité d’échapper à un tel sort a constitué le véritable facteur qui a encouragé l’action entreprise. Il souligne l’importance de ces formes de considérations orientées vers l’avenir, une importance renforcée par 54 55
Entretien avec YHC, Xiaogang, 6 juillet 2006. Idem.
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le sentiment de responsabilité que ces considérations assignent de façon inéluctable à ceux qui les accomplissent. En bref, pendant ces mois de novembre et de décembre 1978, les paysans de Xiaogang ont été confrontés à un dilemme. Soit ils restaient sans rien faire et une situation proche de celle qu’ils avaient vécu au début des années 1960 risquait de se reproduire: non seulement ils en subiraient les conséquences, avec leurs enfants, mais une telle situation serait à mettre sur le compte de leur passivité. Soit ils cherchaient à se prémunir d’un tel avenir en prenant une initiative et en s’organisant pour mener celle-ci à bien. Au cours du processus qui les a conduit jusqu’à la confection d’un pacte secret, ils ont donc effectué un cheminement ponctué de deux grands détours: ils ont interprété au présent des faits éprouvés dans le passé pour augurer de ce qui pouvait advenir; ils ont ensuite apprécié et comparé les conséquences des différents cours d’action qu’ils pouvaient envisager en essayant d’identifier celui qui entraînerait pour tous les souffrances les moins grandes. Ils se sont ensuite engagés dans la voie ainsi identifiée.
Les nouveaux dirigeants de Xiaogang Pour compléter cette évocation des principaux éléments qui ont conduit les habitants de Xiaogang à agir ensemble comme ils l’ont fait, il faut sans doute mentionner un dernier fait: à la fin de cette année 1978, Yan Hongchang, un membre du village qui travaillait depuis de nombreuses années à l’extérieur, a été forcé par les autorités locales (pour des raisons que nous ne pouvons ici développer) à revenir à Xiaogang56. Aussitôt après son retour, en septembre 56
Idem. D’après son récit, Yan Hongchang avait obtenu l’autorisation de quitter le village et d’aller de façon illégale chercher du travail à l’extérieur en échange du versement à l’équipe d’une somme de 15 yuans par mois. Pour le forcer à revenir, cette somme a été portée en 1978 à 45 yuans, puis à 120 et enfin à 140 yuans, les membres de sa famille étant de plus privés de leurs rations de grains alimentaires. Privé des moyens de survivre, il est rentré effectivement à Xiaogang.
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1978, les villageois l’ont élu à l’unanimité chef de l’équipe de production et c’est à ce titre qu’il a décidé, deux mois plus tard, de procéder en secret à la distribution des terres57. Les autorités du district de Fengyang, où le village Xiaogang est situé, ont été profondément étonnées qu’un individu ose ainsi prendre la tête d’une action tellement contraire au système officiel. Plus de vingt ans plus tard, les anciens cadres interrogés tiennent tous à peu près le même discours indigné à propos de Yan Hongchang et des autres responsables villageois: Leurs chefs c’étaient tous des canailles, des gredins qui ne craignaient pas qu’on leur coupe la tête ou d’aller la prison! Ils n’accordaient aucune importance à la politique du Comité central, ils ne pensaient qu’à eux et à avoir assez à manger! Leur chef? Un voyou, une canaille sans aucune conscience politique58!
De fait, pour des responsables administratifs et politiques familiers des méthodes de gouvernement et de contrôle mises en place, qui savaient pertinemment que toute personne prenant la tête d’un acte de contestation ou de rébellion serait châtiée sans pitié et risquait la mort ou la prison, l’action de Yan Hongchang et des siens était et demeure toujours incompréhensible. Elle ne peut relever que d’individus déviants, se comportant sans foi ni loi. Or, les discussions menées avec Yan Hongchang indiquent que celui-ci n’a accepté d’être élu chef de l’équipe de production qu’après mûre réflexion. Il partageait le pronostic des autres membres du village concernant ce qui risquait d’advenir du fait de la sècheresse qui sévissait en 1978: Il était inévitable qu’il y ait des morts […]. Si on continuait comme ça, le problème qui nous guettait n’était pas de ne pas manger à notre faim, c’était bel et bien de voir certains d’entre nous mourir de faim. On ne pouvait pas écarter cette éventualité, le risque était bien là59.
Ce risque revêtait une signification particulière pour ce paysan qui avait vécu la famine du début des années 1960 et avait vu disparaître 57 58 59
Entretien avec YHC, Xiaogang, 6 juillet 2006. YGW, notes d’observation, cahier numéro 1. Entretien avec YHC, Xiaogang, 6 juillet 2006.
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alors sept membres de sa famille. Au cours des entretiens, Yan Hongchang a spécialement insisté sur la responsabilité spécifique qui incombait face à une telle situation au chef de famille, lui qui avait été autrefois tenté de se suicider parce qu’il ne pouvait pas nourrir sa femme et sa fille. D’où sa détermination: «J’avais une seule pensée: je ne pouvais pas reculer (nao ᆜ)60.» Dans le dialecte local, le verbe nao, ici traduit par «reculer», signifie battre en retraite, se montrer poltron ou lâche. Utilisé à la forme négative, il désigne une action extrêmement courageuse, de type héroïque. Toutefois, le caractère légitime de la conduite envisagée par Yan Honchang ne provenait pas seulement de la validité reconnue au sacrifice accompli par un chef de famille pour protéger les siens: il était également conforté par les principes moraux officiellement revendiqués, qui commandaient de placer les intérêts du groupe audessus des intérêts personnels. Yan Hongchang savait en effet qu’il prenait des risques individuels pour essayer d’épargner à tout le village une famine annoncée. «Ce que j’ai fait, c’était pas seulement pour moi […]. C’était pour les gens de Xiaogang, pour qu’on ait tous quelque chose à mettre dans notre bol61.» Et les présents rapportent aujourd’hui qu’il aurait dit pendant la réunion: «Même si je dois mourir, cela vaut le coup si chacun a de quoi manger62.» D’où le sentiment qui était le sien d’agir de façon juste. Une action qui était pour les uns le fait d’une canaille ou d’un gredin était, pour son auteur et ceux qui le soutenaient, un geste de bravoure et un acte moral. Comment s’explique une distorsion aussi grande entre ces deux interprétations? Il faut sans doute signaler qu’aucun des cadres locaux qui étaient alors en exercice ne semble avoir fait le lien entre la sécheresse de 1978 et le développement d’une famine susceptible de causer des morts. Une telle possibilité était pour eux inenvisageable: elle n’existait pas et ils ne voyaient donc pas ce qui constituait pour les paysans un risque bien réel. Cette incompréhension des craintes qui motivaient l’action des paysans les a conduit, en retour, à voir en ces derniers de simples voyous auxquels il était impossible de faire entendre raison. 60 61 62
Idem. Idem. Wang Lixin, op. cit., p. 152.
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Plusieurs facteurs expliquent que les cadres locaux ne pouvaient pas voir ce que voyaient les paysans. Tout d’abord, ils n’avaient pas partagé l’expérience extrême des habitants de Xiaogang qui avaient vu, quelques décennies plus tôt, périr plus d’un tiers d’entre eux. Leur âge, ou leur statut pour les plus âgés, les avaient tenus à l’écart d’une telle épreuve. Des rapports internes, montrent en effet qu’en cas de famine en Chine, les premiers à être atteints sont les paysans, puis viennent les ouvriers et enfin les cadres. Pour ce qui est de la grande famine qui a sévi entre 1958 et 1961, nous n’avons pas de récits indiquant que des ouvriers ou des cadres soient morts de faim, tout simplement parce que l’État garantissait la consommation en grains des membres de ces deux couches sociales. De plus, les cadres exerçaient alors un monopole sur la distribution des ressources existantes. Eux et leurs proches disposaient ainsi des moyens d’éviter de connaître un manque de nourriture prolongé. En 1978, les cadres en poste dans l’administration locale n’avaient donc pas fait l’expérience intime de la faim. Contrairement aux habitants de Xiaogang, pareille expérience n’entrait pas dans leur qualification de la situation présente. D’où leur incompréhension des raisons qui poussèrent les habitants de ce village à agir comme ils l’ont fait. Cette incompréhension était d’autant plus forte que le contrôle politique très étroit exercé sur les prises de parole avait détruit les modes de communication ordinaires, et la possibilité notamment de partager son expérience avec autrui. La compréhension mutuelle que permettent les échanges langagiers ordinaires était empêchée par le système mis en place depuis des décennies, qui faisait du langage une arme non seulement de mobilisation mais également de contrôle politique et social. L’espace des propos spontanés se trouvait très réduit, et si les cadres eux-mêmes étaient confrontés à des contraintes très fortes pour exprimer ce qu’ils ressentaient, des individus comme les paysans étaient tout simplement privés de paroles publiques63. Ils ne pouvaient pas tenir ouvertement de propos écrits ou oraux contraires à la parole officielle. Ils ne pouvaient pas proclamer, par exemple, qu’ils craignaient de mourir de faim. Et comme ils ne pouvaient le dire, ce facteur échappait aux cadres 63
Isabelle Thireau et Chang Shu, 2007, «La parole comme arme de mobilisation politique», Etudes rurales, 179, p. 35-58.
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locaux, demeurant d’autant plus invisible à leurs yeux que ceux-ci ne possédaient pas une telle expérience en réserve. C’est ainsi qu’ils sont devenus des gouvernants ou des administrateurs aveugles, un prix à payer lorsque la parole est ainsi contrainte.
Conclusion Le tournant linguistique opéré dans les sciences sociales a suscité un intérêt croissant pour le rôle de la parole dans la formation de l’intercompréhension. Il a soutenu toute sorte d’analyses concernant le pouvoir de parler et de nommer la réalité sociale détenu par certains, la parole empêchée des autres. En 1978, les habitants de Xiaogang ont accompli ensemble une action qui a été considérée ultérieurement comme la réponse pertinente à la situation rencontrée alors qu’il s’agissait au moment des faits d’une initiative totalement prohibée. Cette action a été menée dans une situation où dominait le recours à la parole pour imposer des interprétations absolues. Toutefois, elle n’a pas consisté à prendre le contre-pied de cette parole, à la nier ou à la contester. Se situant sur un tout autre plan que celui du débat ou de la controverse, elle a été orientée par une expérience à la fois singulière et partagée des corps, par les souffrances physiques et psychiques endurées pendant vingt ans par les paysans concernés. Placés à la suite de cette expérience dans une situation biographique particulière, confrontés à un problème pratique à l’approche des nouvelles souffrances anticipées, ceux-ci ont, dès qu’ils en ont entrevu la possibiflité, agi pour repousser les maux annoncés. Ils ont exprimé ainsi leur incapacité à considérer la parole officielle comme valide pour donner sens à la réalité vécue et orienter leurs conduites. L’expérience des paysans de Xiaogang – qui ont mobilisé dans le cours de leur action, et dans un même mouvement, différentes temporalités – et l’histoire de ce qu’ils ont accompli, soulignent l’importance des certitudes ou des évidences sur lesquelles l’action repose et que nul ne peut contester car elles ne peuvent être mises en doute (qui pouvait prétendre que les paysans de Xiaogang n’avaient
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pas enduré les affres de la faim?). Elles soulignent également l’importance de formes d’initiatives concrètes, mais souvent invisibles, qui ne relèvent pas véritablement de l’action justifiée. Il s’agit plutôt d’actions concertées qui apparaissent à leurs auteurs comme les seules pertinentes en raison de la compréhension du réel qui est la leur, une compréhension façonnée par les expériences vécues. Des actions concertées auxquelles ils tiennent d’autant plus lorsque des questions de vie ou de mort sont en jeu. Des actions concertées qui ont contribué à limiter, du moins en Chine et pendant ces décennies, ce qu’Hannah Arendt a appelé la désolation du monde64. D’après l’enquête que nous avons pu mener, il semble que les paysans de Xiaogang n’ont pas pris la parole face à des propos officiels aussi puissants. Ils n’ont pas eu recours aux mots pour critiquer et contester le système mis en place. Ils n’ont pas revendiqué leur action de façon explicite par peur de représailles, mais aussi parce qu’ils n’en avaient pas besoin pour asseoir, entre eux, la légitimité de leur entreprise. Ayant mis à l’épreuve, au travers d’expériences antérieures particulières, la pertinence du système proposé, ils en ont tiré un jugement d’invalidité; ils ont ensuite agi, sans pouvoir avancer de raisons ou de justifications, et sans même avoir besoin de le faire, considérant que leur action relevait d’une évidence normative.
Bibliographie ARENDT , Hannah. 1990. La nature du totalitarisme. Traduction française de M. de Launay. Paris, Payot. C OTTEREAU, Alain. 1999. «Dénis de justice, dénis de réalité: remarques sur la réalité sociale et sa dénégation», in Pascale GRUSON et Renaud DULONG (dir.), L’expérience du déni. Paris, Maison des Sciences de l’Homme, p.159-189. DU, Runsheng. 2005. Du Runsheng zishu: Zhongguo nongcun tizhi biange zhongda jueci jishi (Du Runsheng raconte: Les mesures importantes de la réforme des structures rurales en Chine). Beijing, Renmin chubanshe. 64
Hannah Arendt, 1990, La nature du totalitarisme, traduction française de M. De Launay. Paris, Payot.
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HUA LINSHAN
GUO , Xiaoling. 2005. «Shenqing de tudi, Anhui Xiaogang cun Yan Hongchang» (Un attachement profond pour cette terre: Yan Hongchang du village de Xiaogang). Posté le 13/11/2005 sur le site: , consulté le 21/03/2006. LI, Youlin, «Yan Hongchang de shengming» (La vie de Yan Hongchang), Renwu Zhoukan, 2004, 12, 45-51. LIN , Zhijun. 1996. Lishi bu zai paihui (L’histoire ne piétine plus). Beijing, Renmin chubanshe. LU, Yuxia. 2008. Mémoire et action. Mémoire de master de sociologie, Université de Pékin, soutenu en juin 2008. R ICŒUR, Paul. 2004. Le Mal. Avant-propos de Pierre Gisel. Paris, Labor et Fides. SCHUTZ, Alfred. 1964. «Equality and the meaning structure of the social world», Collected papers, 2, Studies in Social Theory. La Haye, Martinus Nijhoff. THIREAU, Isabelle et C HANG, Shu. 2007. «La parole comme arme de mobilisation politique», Études rurales, 179, p. 35-58. WANG Jingjin (dir.). 1989. Xiangcun san shi nian: Fengyang nongcun shehui jingji fazhan shilü (1949-1983) [Trente ans au village: Histoire du développement économique et social des villages du district de Fengyang (1949-1983)]. Beijing, Nongcun duwu chubanshe. WANG , Lixin.1989. Anhui dabaogan shimo (Début et fin des contrats d’exploitation passés avec les foyers dans l’Anhui). Beijing, Kunlun chubanshe. WU, Jingmei et XIA, Yurun. 1986. Gujin Fengyang (Fengyang hier et aujourd’hui). [s. l.], Huangshan chubanshe. XIA, Yurun. 2005. Xiaogang cun yu da baogan (Le village de Xiaogang et les contrats d’exploitation passés avec les foyers). [s. l.], Anhui renmin chubanshe. Z HANG, Guangfa. 1995. Gaige fengyun zhong de Wan Li (Wan Li dans le processus de réforme). Beijing, Renmin chubanshe. Z HENG, Yefu, C HEN , Yuan et PAN, Suiming (eds.). 2007. Beida Tsinghua Renda shehuixue shuoshi lunwen xuanbian (Recueil 2007 de mémoires de master de sociologie des universités de Beida, Tsinghua et Renda). Jinan, Shandong renmin chubanshe. Z HI, Yuan. 2009. In Forum du site Fengyang junshi. [en ligne]. Message du? 2009. Disponible sur (consulté le 10/09/2009).
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Alliances et conflits, ruptures et réconciliations: les élections villageoises à Qiejiazhuang LIU XIAOJING
À la fin du mois d’octobre 2000, les premières élections jamais tenues dans le village de Qiejiazhuang, situé dans la province du Hebei, connurent enfin leur dénouement. Après avoir été retardées à plusieurs reprises et avoir fait l’objet de trois tours de scrutin, elles aboutissaient à l’élection d’un habitant nommé Qie Baoer au poste de responsable «suppléant» du comité «provisoire» des affaires villageoises. Contrairement à ce que certains avaient pu souhaiter, craindre ou anticiper, ce résultat ne signalait en rien l’affaiblissement de l’autre instance de pouvoir, la cellule locale du Parti. Bien au contraire, il était l’aboutissement des actions et manœuvres très variées accomplies par les membres de la cellule pour que leur position ne soit pas menacée. Le contexte dans lequel ces élections se sont déroulées est le suivant: en 1998, la loi dite Organique, expérimentée depuis le mois de juin 1988, a été révisée et officiellement promulguée. Le principe de l’élection, par les villageois, des membres du comité des affaires villageoises, instance de pouvoir placée sous la direction locale du Parti, a été alors étendu à l’ensemble du pays. L’année suivante, de nombreuses provinces promulguèrent les directives formelles devant encadrer le déroulement de ce processus électoral, souvent désigné comme «l’élection du chef du village». C’est ainsi qu’au cours de l’été 1999, les autorités de la province du Hebei rendirent publique une telle réglementation. L’innovation institutionnelle que ces élections représentaient a parfois été saluée comme le premier pas de l’instauration d’un système démocratique chinois, attirant pendant plusieurs années l’attention de nombreux chercheurs et commentateurs étrangers1. 1
Il existe un nombre très important de publications en chinois sur les élections villageoises. Je ne citerai qu’une sélection d’articles et d’ouvrages en langue anglaise. Daniel Kelliher, 1997, «The Chinese debate over village self-
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Pour les habitants comme pour les membres de la cellule du Parti de Qiejiazhuang, cette élection constituait un événement inattendu en dépit des débats qui, depuis près d’une décennie, entouraient la loi Organique. Les uns et les autres se trouvèrent donc soudain engagés dans un processus inédit qui, de plus, devait être mis en œuvre très rapidement. Ce texte a pour objet de retracer comment les différents protagonistes locaux ont interprété ces élections, participé aux débats et discussions qui les ont entourées, et mis en place des plans d’action très divers pour les organiser et les infléchir. Plus précisément, mon propos est d’identifier comment, alors que chacun s’apprêtait à accomplir ce geste individuel que constitue la participation à un vote, des formes d’action concertée, des associations et des alliances impliquant fatalement leur envers – des tensions et des conflits – se sont manifestées au sein de ce groupe d’interconnaissance particulier.
Les tergiversations du secrétaire du Parti Pendant les années 1940, le district de Taixing, qui administre le village de Qiejiazhuang, constituait une base communiste de lutte contre le Japon. Depuis, le destin de ce village n’a jamais cessé d’être placé sous la direction du Parti communiste. Comme nous l’ont dit plusieurs paysans pour expliquer leurs projets personnels et justifier ce qu’ils pouvaient ou ne pouvaient pas entreprendre: «Ici, quel que soit le problème, c’est le Parti qui décide.» government», The China Journal, 37, p. 63-90; Li Lianjiang, 2001, «Elections and popular resistance in rural China», China Information, XV, 2, p. 119; Kevin J. O’Brien, 2002, «Collective action in the Chinese countryside», The China Journal, 48, p. 139-154; Melanie Manion, 2006, «Democracy, community, trust: the impact of Chinese village elections in context», Comparative Political Studies, 39-3, p. 301-324; Jude Howell, 2007, «Village elections in China: recent prospects, new challenges», Etudes rurales, 179, p. 213-234; Melanie Manion, 2008, «When communist party candidates can lose, who wins? Assessing the role of local People’s Congresses in the selection of leaders in China», The China Quartely, 195, p. 607-630.
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En 2000, au moment des faits, le secrétaire de la cellule du Parti Qie, l’un des personnages principaux de l’affaire qui nous occupe, exerçait ses fonctions depuis plusieurs années. Cet homme, âgé d’une cinquantaine d’années, appartient au groupe de parenté qui, depuis le milieu du XXe siècle, contrôle les affaires politiques du village. Ce groupe est composé de deux entités, les «Qie de la cour d’en haut» et les «Qie de la cour d’en bas» (que nous appellerons désormais par souci d’économie les «Qie des cours d’en haut et d’en bas»). Ces deux segments lignagers possèdent des ancêtres communs, leurs liens sont étroits, les succès de l’un rejaillissent sur l’autre: leurs membres forment donc une communauté distincte au sein du village. Les Qie ont très tôt manifesté leur soutien au Parti communiste chinois. Ils ont commencé à le faire alors que celui-ci n’était pas encore arrivé au pouvoir, certains d’entre eux ayant rejoint la 8e armée de route ou participé à la guérilla communiste. Du coup, la liste est longue des Qie qui, après 1949, ont exercé les fonctions de cadres moyens ou supérieurs au niveau du district, et le contrôle des Qie sur la cellule locale du Parti ne s’est jamais démenti au cours de ces dernières décennies. Selon les dispositions officielles, toute personne souhaitant entrer au Parti doit en effet être recommandée par deux membres et être agréée par la cellule locale. À Qiejiazhuang, cette règle a eu pour conséquence de confier aux «Qie des cours d’en haut et d’en bas» les moyens nécessaires pour contrôler l’appartenance locale au Parti. Au moment des faits évoqués, il existait ainsi trente membres du Parti à Qiejiazhuang, parmi lesquels on comptait une majorité de Qie, ou de parents par alliance de ces derniers. En conséquence, le Secrétaire Qie, à l’instar de ses prédécesseurs, avait toute latitude pour décider des affaires, grandes ou petites, du village. Il a été cependant confronté, en 2000, à cet événement inconnu de ceux qui l’avaient précédé dans ses fonctions: il devait, sous l’injonction des échelons supérieurs, organiser les premières «élections démocratiques». La première étape de ce processus s’est déroulée dès le mois de février 2000, quand le comité du Parti du bourg a donné l’ordre de procéder à des élections pour former les nouvelles cellules du Parti au niveau villageois. Chaque membre du Parti avait droit de vote; aucune liste de candidats n’était établie à l’avance; celui qui obtiendrait le plus grand nombre de voix serait nommé secrétaire de la
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nouvelle cellule. Ce mode de désignation différait largement de celui qui existait jusqu’alors et qui voyait le niveau supérieur du Parti décider de la composition des cellules et du choix de leur secrétaire. Autre changement: si la cellule comptait jusque-là cinq membres, elle était désormais réduite à trois personnes, à savoir le secrétaire et ses deux adjoints. Le Secrétaire Qie a jugé que ce type d’élections était «acceptable» dans la mesure où tous les votants appartenaient au Parti et étaient donc «de la famille», selon ses propres dires. Il devait ajouter: «En plus, l’élection concernait peu de personnes, c’était facile à gérer.» Il a même affirmé, non sans fierté: À l’époque, je ne m’en suis pas occupé. Les gens du Parti du bourg sont venus, ils ont fait imprimer les bulletins, ils ont convoqué les membres du Parti, ils ont surveillé le vote. Vingt-cinq des trente membres du Parti du village étaient présents et ont voté, ce qui représentait 80 % des votants. Il y a eu un premier tour sans candidat annoncé qui a permis de désigner six personnes. Puis un deuxième vote sur ces six noms pour désigner le secrétaire et ses deux adjoints.
Les résultats de ce vote démocratique ont été sans surprise: le Secrétaire Qie a été élu et donc prolongé dans ses fonctions; quatre des cinq autres candidats n’étaient autres que ses adjoints au sein de la cellule précédente, et deux d’entre eux ont été élus au sein de la nouvelle instance locale du Parti2. En juin 2000, alors que ces élections venaient de se dérouler sans encombre, la cellule du Parti tout juste formée a reçu la consigne d’organiser les élections du comité des affaires villageoises. En vertu de la loi Organique, tout individu âgé de plus de dix-huit ans avait droit de vote lors de ce scrutin. Les candidats pouvaient se désigner par une déclaration spontanée. Les trois noms qui remporteraient le plus grand nombre de suffrages composeraient le nouveau comité et le nom qui rallierait la majorité des votants (la majorité absolue était requise) serait celui du chef du nouveau comité. C’était la première fois dans l’histoire de la République populaire de Chine que de telles élections étaient organisées et le Secrétaire Qie n’a pas caché son manque d’enthousiasme face à un tel changement. 2
Entretien avec le Secrétaire Qie, Qiejiazhuang, 7 décembre 2001.
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En effet, s’il était indiqué clairement dans la loi Organique que la cellule du Parti conservait un rôle dirigeant sur le comité des affaires villageoises – ce qui signifiait que les membres du comité ne pouvaient agir sans l’aval des représentants locaux du Parti –, le nouveau système entraînait néanmoins des incertitudes jusqu’ici inconnues concernant l’identité de ceux qui seraient élus et que le Secrétaire Qie serait en conséquence amenés à «diriger». Il devait expliquer plus tard: «Malgré tout, il y avait plus de cinq cents personnes qui allaient voter, ce n’était pas rien, le résultat était fatalement incertain.» À ses yeux, ce n’était pas très «responsable» de désigner ainsi le chef du comité villageois3. Il a donc pris une série d’initiatives visant à retarder les élections, obligeant au report de celles-ci à trois reprises. J’ai d’abord essayé de convaincre les échelons supérieurs du Parti de retarder le scrutin. Je leur ai dit que ce n’était pas sérieux, que beaucoup de secrétaires du Parti venaient tout juste de prendre leurs fonctions, qu’il fallait attendre un peu. Mais ils n’ont rien voulu entendre.
Le Secrétaire Qie a alors pris le parti de s’absenter du village, arguant d’affaires personnelles à régler qui l’obligeaient à quitter la province du Hebei. Or, sans sa présence sur place, rien ne pouvait être entrepris en vue des élections. Son absence ne pouvant toutefois se prolonger trop longtemps, il est revenu au village et a alors tout simplement annoncé qu’«il n’y [aura] pas de vote4». Les craintes du Secrétaire Qie et des autres membres dirigeants des «Qie cours d’en haut et d’en bas» étaient liées au fait que, en dépit de la réussite économique de leur groupe de parenté, de sa cohésion et du réseau de relations sociales étendu que ses membres pouvaient mobiliser à l’intérieur mais aussi à l’extérieur du village, nombreux étaient les Qie qui, du fait même de leur succès, avaient quitté le village pour s’installer dans des villes telles que Shijiazhuang ou Pékin. S’ils représentaient un atout important pour appuyer les initiatives économiques ou politiques de leurs parents restés au village, ces anciens habitants n’avaient plus leur certificat de résidence (hukou) au village et ne disposaient donc pas de droit de vote. Il en 3 4
Idem. Idem, entretien avec Qie Liujun, Qiejiazhuang, 19 novembre 2001.
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résultait que les Qie de Qiejiazhuang ne représentaient pas la majorité de la population villageoise et n’étaient donc pas assurés de l’emporter en cas de vote5. La tenue d’élections locales relevant toutefois d’une décision qui, de façon ultime, avait été prise par le Comité central, il était impossible aux représentants inférieurs du Parti de s’y opposer durablement. En septembre 2000, les autorités villageoises reçurent l’ordre de ne plus reporter le scrutin mais d’y procéder au contraire au plus vite, laissant peu de temps aux Qie pour s’organiser. Le Cinquième Oncle Qie devait d’ailleurs expliquer que le Secrétaire Qie avec tous ses reports et ses hésitations «s’était montré trop insouciant et avait commis une erreur, plaçant les Qie dans une situation difficile6». Du coup, un délai très court fut donné également aux habitants du village qui, tout en étant extérieurs à ce groupe de parenté, souhaitaient toutefois se concerter et s’organiser afin de présenter des candidats aux élections. De fait, la suite des événements confirmera ce qu’avait prédit le Secrétaire Qie: ces élections impliquaient un groupe trop large pour que leur déroulement, et notamment la liste des candidats, puisse être entièrement contrôlé par le Parti – ou par les Qie, les deux groupes se recouvrant largement –, des situations inattendues ne cessant de surgir les unes après les autres.
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Grâce aux relations politiques dont ils disposent, nombre de membres des «Qie des cours d’en haut et d’en bas» sont parvenus à transférer leur certificat de résidence (hukou) à l’extérieur du village. C’est le cas d’une grande partie des «Qie de la cour d’en haut», installés à Shijiazhuang ou à Pékin. Par exemple, le père et les frères et sœurs du Secrétaire Qie sont désormais officiellement enregistrés à Pékin En revanche, la plupart des «Qie de la cour d’en bas» qui sont partis possèdent un certificat de résidence dans la capitale du district; peu d’entre eux ont pu s’installer à Pékin. Entretien avec le Cinquième Oncle Qie, Qiejiazhuang, 6 décembre 2007.
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Des candidatures non anticipées Il est vrai que l’insuccès des efforts déployés par le Secrétaire Qie, à trois reprises, pour retarder les élections, a été interprété par les habitants de Qiejiazhuang comme signalant que les échelons supérieurs du Parti avaient réellement l’intention de procéder à des élections et de désigner par un tel scrutin le chef du comité villageois. Il est apparu soudain possible de respecter le rôle dirigeant reconnu au Parti tout en participant à cette procédure nouvelle et sans obéir en tout point au secrétaire de la cellule locale. Pour la première fois depuis soixante ans, les membres locaux du Parti n’exerçaient plus un contrôle sans partage sur les affaires du village. Plusieurs habitants se sont alors enhardis à agir sans en référer au préalable aux membres de la cellule et telle est exactement la situation que les «Qie des cours d’en haut et d’en bas» ne voulaient pas voir advenir. À l’origine, dans l’esprit du Secrétaire Qie, il n’était nullement nécessaire d’organiser un premier tour de scrutin pour désigner la liste des candidats retenus: il suffisait, pour établir celle-ci, de désigner comme candidats les deux membres du Parti appartenant aux «Qie des cours d’en haut et d’en bas» qui avaient été des candidats malheureux lors de l’élection, au mois de février, de la nouvelle cellule du Parti, et de leur adjoindre une femme du même groupe de parenté7. Puisque les échelons supérieurs de l’administration et du Parti voulaient absolument des élections, une liste avec les seuls noms de ces trois candidats devait faire l’affaire. Si, comme par le passé, les habitants de Qiejiazhuang s’en remettaient à la cellule pour gérer les problèmes locaux, ils voteraient pour cette liste et l’affaire serait jouée8. Pourtant, de façon tout à fait inattendue, trois habitants du village ont présenté leur candidature sans avoir sollicité l’aval de la cellule du Parti. Le premier était l’un des entrepreneurs les plus riches du village, le patron d’usine Zhang; le deuxième était Qie Baoer, un Qie qui appartenait à une branche collatérale des «Qie des cours 7 8
Il était en effet exigé par la nouvelle réglementation la présence d’une femme au moins au sein du comité des affaires villageoises. Entretien avec le Secrétaire Qie, Qiejiazhuang, 7 décembre 2001.
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d’en haut et d’en bas» et qui était donc lié à ce groupe de parenté tout en lui étant extérieur; le troisième, surnommé Petit Guo, s’appelait en réalité Guo Qing et était un paysan reconnu par les villageois comme possédant un niveau de culture plus élevé que la moyenne. Ces trois noms étaient ceux de personnes qui, tout en manifestant des compétences et des qualités très variées – et même si elles n’avaient jamais eu l’occasion d’exercer des fonctions officielles –, bénéficiaient toutes d’une forme de reconnaissance à Qiejiazhuang depuis les réformes lancées au début des années 1980. Avant de revenir plus en détail sur chaque candidat, il convient sans doute de souligner que, jusqu’au début de ces réformes, Qiejiazhuang était un village essentiellement tourné vers l’agriculture. D’après les archives locales, il s’agissait même d’un village réputé pour sa pauvreté pendant les années 1950 et 1960, et qui ne parvenait pas à assurer sa propre consommation en grains alimentaire9. Cependant, avec les réformes économiques, Qiejiazhuang avait connu un début d’industrialisation. En 1995, le village comptait ainsi officiellement plusieurs dizaines d’entreprises de différentes tailles; la valeur globale de la production annuelle agricole et industrielle atteignait dix-neuf millions de yuans, plus de 95 % de cette somme provenant des activités industrielles et commerciales10. Qiejiazhuang était alors devenu, pour la ville de Shijiazhuang comme pour le district de Taixing, un village modèle ayant atteint une prospérité moyenne. Face à ce développement économique, le prestige social de ceux qui étaient capables de développer des activités autres que l’agriculture s’est affirmé. La position des chefs d’entreprise était d’autant plus importante que ceux-ci embauchaient une partie de la main d’œuvre villageoise, transformant la plupart des paysans locaux en ouvriers et employés. L’émergence d’un groupe composé de chefs de foyer qui tenaient des commerces, des ateliers ou des usines du village n’avait cependant rien d’antagonique avec l’influence de l’or9
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Archives du district de Z. (Province du Hebei), Doc. Z99650, «Guanyu Z. xian miandui de shengchan wenti» (A propos des problèmes de production rencontrés dans notre district de Z.), 3 mars 1964. Il s’agit toutefois de chiffres proposés dans un rapport produit par la cellule du Parti de Qiejiazhuang, à l’usage des autorités du Parti du district (10 janvier 1996).
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ganisation locale du Parti: les deux entités étaient étroitement enchevêtrées et ne formaient en réalité qu’une seule et même communauté. Par exemple, en 2000, les patrons des quatre entreprises les plus prospères du village étaient: le Secrétaire Qie en personne; Liu Zhiqi, un membre de la cellule du Parti et un «gendre» des Qie comme on le désignait parfois, c’est-à-dire qu’il avait épousé une fille Qie – il était également l’un des meilleurs amis du Secrétaire Qie, au point que leurs deux entreprises n’utilisaient qu’une seule patente commerciale; Qie le Quatrième, un cousin germain du côté paternel du Secrétaire Qie, également fils du Troisième Oncle Qie qui n’était autre que le précédent secrétaire du Parti. Le dernier d’entre eux, et le seul à ne pas appartenir au Parti, était le Patron Zhang, celui-là même qui avait présenté sa candidature spontanée aux élections. Celui-ci était toutefois le fils adoptif de l’ancien secrétaire du Parti. Il avait épousé une fille Qie, et aimait volontiers se présenter lui aussi publiquement comme «un gendre des Qie», devant en partie sa réussite économique au soutien de son père adoptif. Force est de reconnaître qu’il était – et demeure toujours – très difficile de développer une entreprise quelque peu profitable dans ce village sans l’accord et l’appui de la cellule du Parti. Considérons maintenant de façon plus détaillée les trois candidats, en commençant par le Patron Zhang. Les relations entre celui-ci et le Secrétaire Qie étaient plutôt cordiales. De plus, le Patron Zhang avait pu faire usage de ses moyens matériels pour établir de bonnes relations avec les cadres du bourg et du district. Du coup, il avait été repéré par les autorités du Parti à ces deux échelons comme une personne à recruter pour «apporter du sang neuf au Parti» et s’apprêtait à intégrer celui-ci11. Il bénéficiait, enfin, du soutien de l’une des personnalités les plus respectées des «Qie des cours d’en haut et d’en bas», le Cinquième Oncle Qie. En conséquence, quel que soit le point de vue adopté, il est incontestable que le Patron Zhang était un proche de la cellule locale du Parti. C’est précisément pour cette raison que le Secrétaire Qie n’a pas apprécié qu’il prenne l’initiative, sans avoir sollicité son accord au préalable, de se présenter aux élections. D’après les habitants du village avec lesquels j’ai pu discuter, le Patron Zhang souhaitait sans doute, par cette 11
Entretien avec le Cinquième Oncle Qie, Qiejiazhuang, 8 décembre 2001.
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candidature, modifier la position sociale qui était la sienne au village. En effet, son père avait été accusé de mauvais comportement politique pendant les années 1960 et avait été condamné à effectuer une peine de prison avant la disparition de Mao. Le fils avait alors rejoint la couche sociale la plus basse du village, celle composée des membres des «cinq catégories noires»: il avait subi des discriminations quotidiennes, s’était vu confier les tâches collectives les plus ingrates et avait été privé de tout droit à la parole. En dépit de sa réussite économique obtenue pendant les années 1990, il n’avait pas réussi à modifier la perception que la plupart des membres du village avaient de lui. Comme l’a dit un jour le Secrétaire Qie au cours d’une conversation: «Quand il était petit, le Patron Zhang n’était rien! Il n’arrivait pas à se tenir debout! N’importe qui pouvait s’en prendre à lui12!» Un autre Qie, membre du Parti, m’a expliqué: «Autrefois, on lui a mené la vie dure, alors maintenant il n’a qu’une idée en tête: essayer de se rapprocher des rouges13.» Le terme «rouge» désigne précisément à Qiejiazhuang ceux qui sont proches du Parti et qui ont fait fortune, même si celle-ci est limitée, en développant des activités non agricoles. Le Patron Zhang n’a jamais accepté de m’expliquer quelles furent réellement les motivations qui le poussèrent à présenter sa candidature aux élections. Il m’a simplement confié, une fois les élections passées: «Avec ces élections, j’ai pris une bonne leçon14» exprimant ainsi son regret de s’être présenté sans avoir obtenu l’accord de la cellule du Parti. Ce constat contrastait avec l’engagement intense et manifeste qui avait été le sien pendant tout le processus et qui a fait dire un jour à un membre du Parti: «À l’époque, il était sûr d’être élu15.» Avant d’évoquer le deuxième candidat, Qie Baoer, il convient de signaler un processus dont nombre d’articles et d’ouvrages se sont fait l’écho: après les réformes économiques et les transformations politiques inaugurées à la fin des années 1970, des formes sociales passées, combattues après l’arrivée au pouvoir du Parti communiste 12 13 14 15
Entretien avec le Secrétaire Qie, Qiejiazhuang, 7 décembre 2001. Entretien avec le Vieux Qie, Qiejiazhuang, 19 décembre 2000. Entretien avec le Patron Zhang, 18 décembre 2001. Entretien avec le Vieux Qie, Qiejiazhuang, 19 novembre 2000.
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chinois en 1949, ont retrouvé droit de cité. Placées dans un environnement inédit, profondément altérées, elles ont contribué néanmoins à réorienter les liens sociaux et à redéfinir les modes de gestion des affaires communes dans les villages chinois. Parmi ces formes, se trouvent les structures lignagères et claniques, avec toute la diversité des histoires et des évolutions qu’elles ont connues selon les régions. Ainsi, c’est sous la pression des membres les plus influents de son groupe de parenté que Qie Baoer a été amené à présenter sa candidature aux élections alors que lui-même ne souhaitait absolument pas devenir le nouveau chef du comité villageois16. À Qiejiazhuang, les Qie sont divisés en trois branches. Ceux «des cours d’en haut et d’en bas» ne représentent que l’une d’entre elles, et la plus faible sur le plan numérique. Ils ne constituent un groupe dominant que s’ils s’associent avec les deux autres branches. Comme me l’a expliqué un paysan: Si tu mets ensemble les trois groupes Qie, que tu ajoutes leurs parents par le mariage et ceux avec lesquels les liens sont très solides («sont de fer»), tu as les deux tiers des gens du village17.
Cependant, si les Qie des deux autres branches sont plus nombreux, ils n’ont jamais réussi à gouverner les affaires politiques du village. De plus, on ne compte parmi eux aucun des entrepreneurs ou des commerçants locaux les plus influents. L’un d’eux justifie cette situation en disant: «Si tu n’as pas un cadre parmi tes proches, tout devient plus difficile pour lancer ton affaire et prospérer18.» En 2000, alors que les élections s’annonçaient, ces Qie ont cependant décidé que «[leur] tour [était] venu» et qu’il leur fallait absolument «y aller19!» Toutefois, ils ne possédaient pas de candidat pouvant faire valoir des ressources politiques ou une réussite économique particulière, hormis Qie Baoer. Ce dernier avait été soldat pendant cinq ans et il avait intégré le Parti alors qu’il était dans l’armée. Il avait même été brièvement nommé chef du village au milieu des années 1990 mais n’avait pas réussi alors à faire la preuve de compétences 16 17 18 19
Entretien avec Qie le Quatrième, 9 décembre 2001. Entretien avec le Vieux Qie, 19 novembre 2000. Entretien avec Qie Peiling, 20 novembre 2000. Entretien avec Qie le Quatrième, Qiejiazhuang, 9 décembre 2001.
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quelconques; le constat partagé était qu’il n’avait «rien réussi à mettre sur pied20». Il avait d’ailleurs très vite démissionné de ses fonctions, non sans avoir emprunté une somme d’argent importante au village qu’il n’avait toujours pas remboursée en 200021. Pour toutes ces raisons, Qie Baoer n’avait aucune envie de se présenter aux élections et c’est sous la pression des membres de son groupe de parenté qu’il fut contraint de le faire. D’ailleurs, il alla à plusieurs reprises frapper à la porte du Secrétaire Qie pour lui expliquer dans quelles conditions il présentait sa candidature22. Le troisième candidat, Guo Qing, n’était appuyé par aucun groupe de parenté local et avait décidé seul de se présenter. Même son père, un membre du Parti et un proche de l’ancien secrétaire du Parti, le Troisième Oncle Qie, ne le soutenait pas dans cette démarche. L’argument qu’il invoquait était le faible nombre des Guo au village: «Nous, les Guo, à Qiejiazhuang, on n’est rien, on est un peu comme une minorité ethnique. On n’aura jamais la majorité des votes.» Il m’a confié également ce jour-là qu’il savait très bien que le geste de son fils allait susciter l’hostilité des membres de la cellule du Parti et que, pour cette seule raison, cette initiative était vouée à l’échec. «Même s’il avait été élu, ils ne l’auraient pas laissé faire. Il se serait retrouvé paralysé, incapable de décider quoi que ce soit23.» Guo Qing n’était pas de cet avis. Il m’a expliqué par la suite: Le Comité central avait décidé que n’importe quel adulte pouvait se présenter. Ma candidature était donc normale et légitime. Pour moi, un chef de village doit avoir de la culture, une capacité d’organisation, ne pas trop penser à ses propres intérêts et essayer de changer les choses au village.24
Telles étaient donc, de façon implicite, les qualités qu’il pensait détenir. Il est vrai que Guo Qing, qui a ouvert au bourg un commerce de calligraphie et de sceaux, est sans doute aujourd’hui l’homme le plus cultivé du village. En outre, il a voyagé dans différentes régions de Chine, ce qui n’est pas le cas de la plupart des entrepreneurs 20 21 22 23 24
Entretien avec le Secrétaire Qie, Qiejiazhuang, 7 décembre 2001. Entretien avec le Vieux Sun, Qiejiazhuang, 7 décembre 2001; entretien avec le Vieux Liu (catholique), Qiejiazhuang, 8 décembre 2001. Entretien avec le Secrétaire Qie, Qiejiazhuang, 7 décembre 2001. Entretien avec le Vieux Guo, Qiejiazhuang, 19 novembre 2000. Entretien avec Guo Qing, Qiejiazhuang, 25 novembre 2000.
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locaux. Âgé d’une quarantaine d’années au moment des élections, c’était aussi le plus jeune des candidats et son geste a été publiquement soutenu par des villageois appartenant à sa génération ou aux générations inférieures. La seule existence de ces candidatures spontanées a constitué une surprise pour les habitants de Qiejiazhuang, y compris – et surtout – pour le Secrétaire Qie25. D’autant plus que la cellule du Parti rencontrait des difficultés pour dresser sa propre liste de candidats. Après avoir discuté à plusieurs reprises avec les responsables du groupe de parenté formé par les «Qie des cours d’en haut et d’en bas», le Secrétaire Qie avait en effet identifié trois noms susceptibles de figurer sur cette liste: l’Oncle Kui, un membre à la fois de la précédente cellule du Parti et des «Qie de la cour d’en bas» et, qui plus est, exerçait les fonctions de comptable du village; la BelleSœur Yun (l’épouse de Qie le Quatrième de la «cour d’en bas») et la Belle-Sœur Song (belle-fille d’un Qie de la «cour d’en haut», chargée des encaissements et paiements liés au fonds collectif villageois, travaillant également à cette activité dans l’entreprise du Secrétaire Qie et farouche partisane de ce dernier. Ajoutons que son frère aîné n’était autre que le secrétaire-adjoint de la Conférence consultative au niveau du district.). Comme le Secrétaire Qie appartenait luimême aux «Qie de la cour d’en haut», l’équilibre entre les deux composantes était respecté. Un problème a très vite surgi cependant à propos de l’Oncle Kui. Comptable du village, il avait été également embauché comme comptable par le Patron Zhang, et le salaire qu’il touchait dans l’usine de ce dernier constituait sa principale source de revenu. Ses relations avec le Patron Zhang – «avec qui il était assis tous les jours dans le même bureau» – étaient très bonnes. Dès qu’il a eu vent du projet de son patron de se présenter aux élections, l’Oncle Kui a donc annoncé au Secrétaire Qie qu’il retirait sa candidature et qu’en aucun cas il ne participerait au nouveau comité des affaires villageoises. Cela, même si le Patron Zhang n’était pas élu26. Le Secrétaire Qie et les autres dirigeants des «Qie d’en haut et d’en bas» n’avaient pas prévu que l’Oncle Kui aille ainsi à l’encontre 25 26
Entretien avec le Secrétaire Qie, Qiejiazhuang, 8 décembre 2001. Idem.
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d’une décision prise à la fois par la cellule du Parti et par son groupe de parenté. Cette défection a renforcé leur sentiment selon lequel la candidature du Patron Zhang constituait une menace27. Mais, les élections étant toutes proches, ils n’ont pas eu le temps de présenter un autre candidat.
Le déroulement de la campagne Dans le souvenir des habitants, «le village a été très animé pendant toute la durée des élections28». Là où, dans les localités voisines, les candidats avaient disposé de plusieurs mois pour se présenter, annoncer le programme qui serait le leur en cas de victoire, identifier des alliés, convaincre les votants de les soutenir, les différentes parties n’ont eu que quelques jours pour s’organiser, le scrutin devant se dérouler au même moment dans tous les villages de la région. D’où l’intensité particulière de ces quelques jours à Qiejiazhuang. Les principaux protagonistes concernés, et notamment les membres de la cellule du Parti, mais aussi les candidats étrangers à celle-ci, ainsi que leurs plus fervents appuis à Qiejiazhuang, ont alors eu recours à toute sorte de procédés pour influencer le vote des électeurs. De l’avis des paysans qui ont fait le récit de ces événements, les actions menées par les candidats pour solliciter directement les suffrages se sont souvent révélées inefficaces, voire parfois contreproductives. Elles ont néanmoins contribué à l’animation inédite qui a régné dans le village pendant quelques jours: des banderoles ont fleuri sur la route principale; les partisans des candidats se promenaient ensemble dans le village en clamant des slogans dans des haut-parleurs ou en reprenant des chansons populaires locales après en avoir modifié les paroles. Dans les lieux publics du village, là où se déroulaient d’ordinaire les rassemblements et les réunions, des affiches murales ont été apposées, la plupart d’entre elles étant anonymes. 27 28
Entretien avec le Cinquième Oncle Qie, Qiejiazhuang, 8 décembre 2001. Entretien avec le Vieux Guo, Qiejiazhuang, 19 novembre 2000.
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Le Patron Zhang est à l’évidence celui qui a mené la campagne la plus intense. Il avait de l’argent à sa disposition et n’a pas hésité à l’utiliser pour cette occasion, aucun des autres candidats ne pouvant rivaliser avec lui sur ce plan. Qie le Quatrième, un des hommes les plus puissants du village, tournera par la suite en dérision cet investissement: «On peut dire qu’il n’a pas lésiné sur les moyens et qu’il a mis la main à la poche. Pour un petit comité villageois de rien du tout, il a accepté de faire autant de dépenses29!» De fait, la campagne la plus visible était certainement celle du Patron Zhang. Partout on voyait des affiches ou des banderoles qui annonçaient: «Nous soutenons l’élection du chef d’usine Zhang!»; «Avec le chef d’usine Zhang aux commandes, j’ai confiance!». Ses partisans étaient également les plus nombreux et les plus visibles dans le village car il avait mobilisé ses ouvriers et ses employés. Ces derniers avaient accommodé pour l’occasion des chants et des danses traditionnels. L’un de ces chants disait: «Vous, du village, écoutez-nous, de l’eau que nous buvons, remercions le chef d’usine Zhang. Plus de trois cents yuans pour forer un puits, plus de trente mille pour construire une tour d’eau30 […].» Un membre du village nous a cependant expliqué qu’autour de lui les réactions à ce type d’activités, directement emprunté du registre politique officiel, étaient très mélangées. De façon générale, on ne les prenait pas très au sérieux. En effet, les moyens utilisés ressemblaient trop à ceux déclinés pendant des décennies par le Parti communiste pour faire de la propagande politique. Du coup, les mots employés semblaient vides de sens; les visées revendiquées n’apparaissaient pas comme de véritables objectifs. En reprenant trop directement des formes qui, de par leur histoire et les événements auxquels elles étaient associées, avaient perdu de leur efficacité, ce genre de campagne était visiblement impuissant à mobiliser et à convaincre les électeurs. Cela, même si ces formes avaient été adaptées pour l’occasion. Par exemple, il existait localement un slogan politique officiel qui disait: «De l’eau que nous buvons, remercions le Parti communiste!», et pour lequel le nom du candidat avait simplement été substitué à celui du parti au pouvoir depuis 1949. Mais cette proximité même faisait que les propos tenus apparaissaient 29 30
Entretien avec Qie le Quatrième, Qiejiazhuang, 9 décembre 2001. Entretien avec l’Oncle Kui, Qiejiazhuang, 19 novembre 2000.
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trop proches d’affirmations considérées comme relevant de la seule rhétorique. Hormis ces actions publiques, familières mais peu efficaces pour infléchir l’issue du scrutin, les candidats ont été conduits à présenter le programme qui était le leur, un moment jugé important dans les théories portant sur le processus électoral et qui était décrit dans la loi Organique comme une étape à la fois inédite et décisive. Pourtant, d’après les récits des habitants de Qiejiazhuang, ce moment n’a pas fait l’objet d’une attention ou d’une curiosité particulière. Ils en ont parlé comme d’un moment au cours duquel les uns et les autres «ont fait de belles promesses31», utilisant une expression chinoise que l’on pourrait, en certaines circonstances, traduire en français par «promettre la lune». Le mot xuyuan (䁡ᝯ) désigne en effet localement un type de promesse que l’on n’a pas fatalement l’intention de tenir; il n’est pas très éloigné de la notion de tromperie, ou de mensonge. Le Patron Zhang s’est ainsi engagé à utiliser son capital pour réaliser tous les projets collectifs qui avaient été évoqués dans l’histoire récente du village mais jamais accomplis. Les membres de la cellule du Parti ont alors rétorqué que «soit il s’agit de paroles en l’air, soit ce sera le chaos au bout de six mois s’il lance vraiment tous ces projets ensemble32». Leur nouvelle candidate au poste de chef du comité villageois, la Belle-Sœur Yun, a d’ailleurs refusé de présenter son propre programme en disant qu’elle ne voulait pas «faire des promesses comme les autres, des promesses qui ne seraient pas tenues33». Ainsi, en cette période d’élection, un contraste semble avoir régné entre, d’un côté, l’effervescence extraordinaire que connaissait Qiejiazhuang avec ses banderoles, ses dazibao, le bruit des slogans et des chansons criés à tue-tête ou dans des haut-parleurs par les partisans des candidats et, de l’autre, le manque d’intérêt des paysans pour ces manifestations. L’une des raisons d’un tel désintérêt nous a été exprimée par plusieurs d’entre eux: ils savaient que le Parti et ses représentants locaux conserveraient le pouvoir dirigeant au sein du village et que le chef du nouveau comité villageois ne 31 32 33
Entretien avec le Vieux Guo, Qiejiazhuang, 19 novembre 2000. Entretien avec le Secrétaire Qie, Qiejiazhuang, 8 décembre 2000. Idem.
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pourrait décider seul des affaires locales ni agir à sa guise. Les propos tenus par les candidats représentaient donc au mieux l’expression d’un souhait, au pire des engagements qu’ils savaient pertinemment ne pas pouvoir tenir. D’autres pratiques, observées dans des parties du monde chinois où se déroulent régulièrement des élections telles que Taiwan et Hong Kong, ont été également accomplies à Qiejiazhuang. Comme, par exemple, l’action «d’entrer dans les foyers pour solliciter les suffrages» (ruhu lapiao ޕᡦ ⾘). Les paysans la désignent volontiers du terme de chuanmen, qui évoque les visites que l’on se rend mutuellement dans un village ou les invitations à «passer» chez soi. La sœur cadette de Guo Qing et plusieurs de ses amis du même âge sont allés ainsi rendre visite à des proches pour essayer de les convaincre de voter en faveur de leur candidat34. Les membres de la cellule du Parti ont fait de même dans tout le village en faveur de la Belle-Sœur Yun, ainsi que les deux frères et les bellessœurs de cette dernière35. Aux dires de l’un de nos enquêtés, ce procédé «marche quand tu vas dans des familles avec lesquelles tu es déjà lié; il ne marche pas quand tu te rends dans des familles qui ne font pas partie de tes relations au village36». Un autre confirme ce constat: Ceux qui passaient me voir chez moi pour me parler de tout ça alors que d’habitude on ne se parlait pas trop, je leur disais très vite: «C’est bon, c’est bon, tiens, prenons quelques graines de pastèque […].» Et je changeais de sujet. Ceux qui me téléphonaient pour me parler des qualités de celui qu’ils soutenaient, je me contentais de les écouter sans rien dire37 […].
Un autre procédé, proche du précédent, consistait pour le candidat à inviter des électeurs au restaurant. Il semble là aussi que cette technique ait permis de renforcer l’obligation de loyauté entre les foyers qui étaient déjà liés, mais qu’elle ait été impuissante à infléchir la position de ceux qui étaient jusque-là plutôt éloignés des candidats. Qie le Quatrième a reconnu: 34 35 36 37
Entretien avec le Vieux Li, Qiejiazhuang, 8 décembre 2001. Entretien avec l’Oncle Kui, Qiejiazhuang, 19 novembre 2000. Entretien avec notamment l’Oncle Kui, Qiejiazhuang, 9 décembre 2001. Entretien avec le Vieux Liu, Qiejiazhuang, 8 décembre 2001.
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L IU XIAOJING Inviter les gens au restaurant, cela marche avec ceux de ton groupe, tu invites des parents, tu dis alors aux frères, aux belles-sœurs, aux neveux de voter pour Untel. Là c’est bon. Mais sinon, c’est pas évident38 […].
Un ancien membre de la cellule, le chef d’usine Liu, a essayé à plusieurs reprises d’inviter des hommes du village au restaurant. Un autre Liu, membre du groupe particulier formé par les paysans catholiques de Qiejiazhuang, nous a raconté à propos de cette invitation: Il est venu voir mon fils, l’a invité à boire, à manger, a commencé à lui parler de ci et de ça. On est tous des Liu mais on n’est pas les mêmes Liu, et d’habitude on ne se parle pas, alors quand il a vu tout ça, mon fils a très vite compris où il voulait en venir39 […].
De fait, aucun membre de cette famille ne votera pour les candidats de la cellule du Parti. En bref, il semble que des procédés utilisés en d’autres lieux pour convaincre les électeurs se soient révélés à Qiejiazhuang peu productifs. Plus précisément, ils ont été soit inefficaces lorsqu’ils se sont glissés dans des formes devenues à la fois routinières et vides de sens, soit inopérants lorsqu’ils n’ont pas pris appui sur des relations particulières et des obligations mutuelles antérieures aux élections. À l’inverse, ce qui semble avoir véritablement orienté le processus observé, ce sont les distinctions et les appartenances qui préexistaient au sein du village. Cela, malgré les dilemmes qui se sont posés pour certains, contraints de choisir entre différents types de loyauté, ou les coups parfois portés aux affinités ou aux solidarités passées. On a vu d’ailleurs très vite les candidats essayer surtout de mobiliser ceux dont, à des titres divers, ils étaient proches avant le scrutin. C’est ainsi que le Patron Zhang a pris appui à la fois sur les membres de son groupe de parenté, sur ses amis, et sur ses employés et ses ouvriers. Ces derniers formaient un groupe d’une centaine de personnes environ au village. Un paysan devait m’expliquer: «C’est normal, tu votes pour celui qui te donne à manger. Si ton patron est candidat, tu voteras pour lui40.» La possibilité d’être embauché dans 38 39 40
Entretien avec Qie le Quatrième, Qiejiazhuang, 9 décembre 2001. Entretien avec le Vieux Liu, Qiejiazhuang, 10 décembre 2001. Entretien avec le Vieux Guo, Qiejiazhuang, 19 novembre 2000.
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une usine du village présente en effet de nombreux intérêts: il n’est pas nécessaire de quitter son foyer afin de partir travailler au bourg, voire dans une grande ville de la province; on peut donc gagner sa vie sur place et donner un coup de main quand nécessaire à la culture des parcelles familiales. C’est pourquoi plusieurs habitants du village ont exprimé le sentiment qu’ils avaient une dette envers leur patron et que, s’ils ne votaient pas pour lui alors qu’il était candidat aux élections, ils manqueraient au principe moral selon lequel «lorsque l’on a reçu un bienfait il faut essayer de le payer en retour». Le Secrétaire Qie reconnaissait d’ailleurs parfaitement l’existence de ce principe même s’il établissait une hiérarchie entre différentes formes de loyauté: Ceux qui sont embauchés dans une usine, ils mettent d’abord un bulletin pour un membre de leur groupe de parenté, puis un deuxième bulletin pour le patron. De toutes les façons, il y a trois personnes à élire41.
Si la compréhension des relations particulières qui existaient auparavant dans le village semble bien constituer un élément décisif pour saisir le déroulement des élections, si ces relations représentent à Qiejiazhuang le fond sur lequel l’intrigue s’est déployée, il a toutefois été nécessaire pour les candidats de les réactiver et de les réaffirmer dans le contexte inédit que représentait ce scrutin. D’où les visites accomplies chez les uns et les autres ou les invitations au restaurant lancées par certains candidats. Une double reconnaissance semble avoir été ainsi opérée: d’une part, celle du lien particulier qui existait entre deux individus, parfois par la médiation de leurs proches; d’autre part, le fait que ce lien s’incarnait, en cet instant singulier, à travers le vote accompli par l’un en faveur de l’autre. Dans le cas du Patron Zhang, ce processus s’est déroulé, il est vrai, dans le contexte d’une relation asymétrique puisque le candidat aurait dit à ses ouvriers et employés: Le bus viendra vous chercher pour aller voter et vous ramènera chez vous; avant de partir on fera les comptes et je vous paierai ce que je vous dois (une méthode de gestion courante dans ce type d’entreprises privées étant de payer les salaires avec retard) et il y aura un déjeuner de prévu pour tous au bourg42.
41 42
Entretien avec le Secrétaire Qie, Qiejiazhuang, 7 décembre 2001. Entretien avec Qie le Quatrième, Qiejiazhuang, 9 décembre 2001.
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Le Patron Zhang a été aussi le seul à mobiliser avec une telle intensité ceux qu’il employait, les autres essayant plutôt de convaincre leurs parents, leurs amis ou leurs camarades de classe.
Des liens particuliers très diversifiés Parmi les types de liens qui ont été ainsi sollicités à Qiejiazhuang, le plus important est sans conteste le lien de parenté, comme le souligne la remarque du Secrétaire Qie concernant le fait que le premier bulletin va d’ordinaire à un parent. Un autre habitant du village m’a confié: «Les élections, c’est surtout une affaire de familles et de clans43.» Si, par exemple, la candidature de Qie Baoer était sérieuse, c’est parce qu’en dépit du peu d’estime dans lequel cet homme était tenu, il jouissait automatiquement de l’appui de deux branches des Qie dont les membres, rassemblés, représentaient une force numérique non négligeable. Dans notre village, au moment des élections, c’est les relations entre les grandes familles qui sont importantes. Par exemple, tu t’appelles Qie, je m’appelle Sun, si tous les deux on peut décider d’une alliance entre les Qie et les Sun, alors on gagnera les élections44.
Ayant questionné quelques paysans sur cette situation, et notamment sur l’impossibilité qui en découle pour le membre d’un petit groupe de parenté d’être élu, l’un d’eux m’a répondu: C’est vrai que, dans ce cas, l’affaire n’est pas facile, car tu n’as pas grand monde derrière toi. Ou alors il faut t’associer avec un grand groupe. Mais ce grand groupe préférera en général que ce soit l’un des siens qui soit candidat. C’est pourquoi il est si difficile de changer le nom de ceux qui dirigent les affaires d’un village45 […].
43 44 45
Entretien avec le Deuxième Frère Kui, Qiejiazhuang, 12 décembre 2001. Entretien avec le Patron Zhang, Qiejiazhuang, 18 février 2001. Idem.
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Du coup, le Patron Zhang savait que la loyauté devant être manifestée par les habitants envers les membres de son groupe de parenté était un obstacle à la loyauté due également à celui qui vous procure du travail. Étroitement associée à la loyauté due au groupe de parenté localisé, qui réunit en théorie des individus reconnaissant avoir un ancêtre en commun, est celle que l’on doit à une parentèle plus élargie, et notamment aux parents par alliance. Comme le raconte un habitant de Qiejiazhuang: Lors des élections, je regarde d’abord s’il y a quelqu’un de mon groupe. Mais ce n’est pas mon unique choix. Il peut y avoir aussi un parent plus éloigné dans le tas. Par exemple, je m’appelle Qie, il s’appelle Liu. Une de nos filles s’est mariée chez lui, on est parents et j’ai donc le devoir de voter pour lui46.
C’est ainsi par exemple que la sœur cadette de Guo Qing, qui s’était mariée à un Liu, a essayé de convaincre les proches de ce dernier de soutenir son frère. La Belle-Sœur Yun a fait de même auprès des proches parents de ses belles-sœurs. Les liens d’amitié jouent également un rôle important et peuvent orienter les soutiens apportés aux candidats. Par exemple, sans le réseau de ses amis et de ses anciens camarades de classe, Guo Qing, qui appartient à un petit groupe de parenté et possède peu de parents par alliance au village, n’aurait pu recueillir plus de 120 votes lors de l’élection de 2000. Enfin, outre les liens entre employeurs et employés, déjà cités, il nous faut évoquer un autre type de relations, brièvement évoqué plus haut, qui prend appui sur une croyance religieuse partagée, en l’occurrence le catholicisme. En 2000, les catholiques représentaient en effet près d’un dixième de la population de Qiejiazhuang. Aucun des candidats cependant n’était lui-même catholique ou proche de ceux qui partageaient une telle croyance, et tous eurent donc beaucoup de mal à gagner le soutien des membres de ce groupe. Soulignons que les convertis au catholicisme sont, dans cette région du Hebei, considérés par ceux qui n’ont pas embrassé cette religion comme occupant une position sociale inférieure. Lorsque la conversion a eu lieu il y a plusieurs générations, c’est-à-dire avant 1949, 46
Entretien avec la Belle-Sœur Kui, Qiejiazhuang, 9 décembre 2001.
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les ancêtres de ces familles ont été jugés de façon négative, voire calomniés. Volontiers désignés comme des descendants ou des proches d’anciens traîtres à la patrie, les catholiques de Qiejiazhuang ne sont pas crédités par les autres villageois de vertus ou de qualités particulières; ils forment au contraire un groupe à part et sont peu estimés. On les accuse aujourd’hui encore de faire partie d’églises clandestines même si, depuis les réformes de la fin des années 1970, leurs activités se sont développées et surtout sont accomplies dans une transparence nouvelle. Ostracisés car considérés comme relevant d’un groupe distinct et inférieur, les foyers catholiques participent peu souvent aux manifestations collectives, notamment politiques, qui ponctuent la vie du village. En règle générale, ceux qui veulent exercer des fonctions officielles au sein du village ne cherchent donc pas à s’en rapprocher mais donnent au contraire à voir la distance qui les sépare. Pendant les élections de 2000, des candidats ont pourtant essayé de se rallier les catholiques du village. En vain. Le Vieux Liu, lui-même catholique, m’a expliqué: Il y en a au village qui sont venus nous chercher, ils ont essayé de nous convaincre de voter pour tel ou tel candidat. Moi, j’ai refusé toutes leurs propositions. Je leur ai dit que je ne voterai pas. C’était évident que pour eux rien n’avait changé par rapport à nous. Ils venaient seulement pour notre bulletin de vote. Peu importe celui qui allait l’emporter, on ferait toujours partie des «noirs». Ils ne nous voient pas vraiment aujourd’hui et ils continueront à ne pas nous voir47.
Il semble d’ailleurs que, pour les raisons exposées par le Vieux Liu, aucun des catholiques du village n’ait participé aux élections. Cette abstention dont ils n’ont pas fait mystère sera utilisée, on le verra, par la cellule du Parti pour parvenir à ses fins. Qu’ils aient suscité une adhésion aux élections ou qu’ils aient au contraire encouragé le rejet de celle-ci, qu’ils aient orienté les votes vers tel ou tel candidat, les liens particuliers établis avant le scrutin entre les habitants de Qiejiazhuang, liens qui s’inscrivent dans des registres variés et reposent sur des principes également variés, ont donc lourdement pesé sur les choix effectués par les élec47
Entretien avec le Vieux Liu, Qiejiazhuang, 8 décembre 2001.
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teurs. De façon plus précise, ces liens et les principes qui les soutiennent, souvent enchevêtrés, ont été mobilisés, réactivés mais aussi mis à l’épreuve au cours de ce processus inédit.
Les plans d’action des «serviteurs du peuple» Un groupe particulier, doté de ressources singulières pour agir en commun, n’a pas été évoqué plus haut du fait de sa spécificité: il s’agit de celui formé par les membres et les cadres locaux du Parti. Ce groupe, en effet, n’est pas un groupe comme les autres. La réglementation nationale prévoit, on l’a vu, que les élections des comités des affaires villageoises se déroulent sous la direction des cellules locales du Parti. Elle prévoit également que ces dernières orientent et encadrent le travail des comités une fois ceux-ci constitués. À Qiejiazhuang, le Secrétaire Qie, ses adjoints et les autres membres du Parti sont donc dépositaires d’une force et d’une puissance que nul ne peut contester même si elles semblent contradictoires avec l’expression officielle de «serviteurs du peuple» utilisée pour les désigner. Les membres locaux du Parti ont adopté différents plans d’actions pour faire face aux séquences successives qui ont marqué le déroulement des élections, prenant appui eux aussi sur les liens et les appartenances déjà constitués. Ainsi, d’après les dispositions adoptées par les autorités de la province du Hebei, les élections villageoises se font en deux tours: le premier a pour objet d’établir la liste des candidats; le second élit le comité sur la base de cette liste. Ces deux procédures ne sont légitimes que si elles réunissent au moins la moitié des électeurs. Les candidats qui remportent la majorité absolue des votes sont élus. Si aucun candidat ne remporte une telle majorité, un troisième vote doit être organisé. À l’issue de celui-ci, soit un candidat obtient la majorité absolue des voix – auquel cas il est élu chef du comité villageois –; soit aucun candidat n’obtient une telle majorité. Dans ce dernier cas, le candidat arrivé en premier et qui obtient au moins un tiers des suffrages est élu, mais au titre de simple responsable «suppléant» d’un comité des affaires
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villageoises désigné comme provisoire. Comme nous l’avons signalé dans l’introduction, telle est la situation à laquelle les élections organisées à Qiejiazhuang ont abouti. Lors du premier vote, celui qui visait à désigner les candidats, le Secrétaire Qie et les membres locaux du Parti n’ont pas adopté de stratégie particulière, se contentant de faire campagne pour leurs propres candidats et de dénigrer les autres. Ils ont toutefois rencontré une difficulté, signalée plus haut: le refus obstiné de l’Oncle Kui de faire partie des candidats déclarés. Les Qie étaient divisés quant à la réponse à lui apporter. Le Cinquième Oncle Qie, l’une des figures les plus influentes des «Qie de la cour d’en haut», était d’avis qu’il ne fallait pas forcer les choses en demandant avec insistance «que tous les Qie agissent d’une seule voix48.» Cela, pour éviter des tiraillements internes. L’Oncle De, l’un des dirigeants des «Qie de la cour d’en bas», se montrait à l’inverse tout à fait hostile au comportement adopté par l’Oncle Kui et souhaitait que le Secrétaire Qie fasse pression sur lui et lui demande de choisir clairement entre les membres de son groupe et son patron. Le Secrétaire Qie, quant à lui, membre des «Qie de la cour d’en haut», ne voulait pas être «trop dur» avec l’Oncle Kui qui appartenait aux «Qie de la cour d’en bas» afin de ne pas susciter de conflits entre les Qie. Il a préféré attendre, espérant que l’Oncle Kui revienne sur sa décision sous la pression des siens. «J’attendais qu’il se décide. Je souhaitais vraiment qu’il finisse par se présenter49.» Certes, cette attente, et les incertitudes qu’elle a suscité, n’était pas favorable à la cellule du Parti, mais ce premier tour n’apparaissait pas décisif puisqu’il ne s’agissait après tout que de désigner la liste des candidats. Les membres locaux du Parti ont donc préparé ce premier tour en tablant sur un revirement de l’Oncle Kui, qu’ils considéraient comme l’un des leurs, et en accomplissant toute sorte d’actions pour indiquer haut et fort quels étaient leurs candidats et quel était, en conséquence, le vote attendu de la part des villageois. Le rôle dirigeant, publiquement attribué aux représentants du Parti, constituait une ressource décisive pour faire prévaloir leurs choix et assurer la légitimité de leurs candidats, mais ce rôle devait néanmoins s’incar48 49
Entretien avec le Secrétaire Qie, Qiejiazhuang, 7 décembre 2000. Idem.
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ner dans toute une série d’actions concrètes. Les membres du Parti se sont donc dépensés pour rendre visite à leurs proches, leur expliquer la situation, inviter des paysans au restaurant afin de les convaincre de voter pour les candidats de la cellule. Notons que si les trente membres du Parti formaient environ 6 % de la population de Qiejiazhuang en âge de voter (environ cinq cent personnes), ils représentaient 8 % de ceux qui avaient l’intention ou la possibilité de voter (quelque trois cent soixante-dix personnes): certains en effet au village disaient clairement qu’ils ne prendraient pas part au scrutin; d’autres résidaient ailleurs et ne comptaient pas revenir pour participer au vote. Si l’on ajoute à cela que chaque membre du Parti pouvait compter sur le soutien de plusieurs proches (parents, enfants, conjoints, belles-sœurs […]), ce groupe particulier était susceptible de rassembler au moins un tiers des suffrages. Il constituait donc l’un des moyens les plus sûrs, pour le Secrétaire Qie, de «diriger» les élections. Pour lutter contre les autres candidats, les membres de la cellule ont également eu à leur disposition des moyens qui faisaient défaut à leurs adversaires. Par exemple, le Secrétaire Qie et les autres membres de la cellule ont organisé leur travail de telle sorte que l’intégration du Patron Zhang au Parti a été retardée. Les justifications techniques qu’ils ont apportées à ce report étaient telles qu’elles n’ont pas pu être contestées par les cadres du Parti des échelons supérieurs, appelés à la rescousse par le Patron Zhang. Ce report signifiait clairement que la cellule du Parti ne soutenait pas sa candidature spontanée. Or, il était évident qu’en vertu du rôle dirigeant officiellement attribué à la cellule, toute personne qui serait élue au comité sans disposer du soutien de la cellule serait placée dans une situation d’impuissance. Le Patron Zhang m’a confié, bien après ces événements: En fait, à la veille du premier vote, je peux te dire que j’en tremblais de peur. Les choses étaient claires: si jamais j’étais élu, qu’est-ce que j’aurais bien pu faire? Tout serait devenu extrêmement difficile50 […].
Enfin, à la veille du premier tour, des affiches murales anonymes se sont multipliées sur les murs du village. Elles accablaient essentielle50
Entretien avec le Patron Zhang, Qiejiazhuang, 18 février 2001.
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ment ceux qui avaient présenté leur candidature sans l’aval de la cellule du Parti. Ces affiches, elles disaient n’importe quoi. Elles étaient injurieuses et n’y allaient pas de main morte. Elles s’en prenaient au Patron Zhang, elles s’en prenaient à Qie Baoer. Elles étaient affichées pendant la nuit et tu le découvrais au petit matin en te levant. Il était écrit, par exemple, que Qie Baoer était un bon à rien, que son père avait des mœurs douteuses, que sa mère ne s’était pas conduite comme il faut. Des rumeurs avaient circulé sur sa mère quand elle était jeune51 […].
Des affiches s’en prenaient également à Guo Qing52. En revanche, elles épargnaient les candidats de la cellule du Parti53. Du coup, si les paysans soupçonnèrent très vite d’où venaient ces attaques, ils n’osèrent pas trop les critiquer publiquement même si personne ne semble disposer de preuves concernant l’identité de ceux qui rédigeaient et apposaient de telles affiches. La seule certitude était que celles-ci ne visaient pas les candidats du Parti et que, à l’évidence, les membres de la cellule ne cherchaient pas à les censurer ou à les interdire. (Un seul membre du Parti a reconnu ouvertement avoir rédigé une affiche contre le Patron Zhang54.) Or, d’après la loi Organique, de telles attaques calomnieuses auraient dû être empêchées. Le Secrétaire Qie, qui était le seul à pouvoir donner l’ordre d’ôter ces dazibao, étant resté muet, il est donc possible d’affirmer que ce procédé a bénéficié au moins du soutien indirect des membres du Parti. Le résultat du premier vote s’est révélé une surprise: s’il y avait des bulletins blancs ou des bulletins ne comportant qu’un ou deux noms, la candidature des six personnes qui s’étaient présentées était retenue. Sur 370 votes, le Patron Zhang venait en tête avec 180 voix; la Belle-Sœur Yun et l’Oncle Kui (le nom de celui-ci avait été maintenu en dépit de ses réticences) le suivaient avec quelques voix de moins. Aucun de ces trois candidats n’avait la majorité absolue mais 51 52 53
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Entretien avec Qie le Quatrième, Qiejiazhuang, 9 décembre 2001. Entretien avec le Vieux Guo, Qiejiazhuang, 10 novembre 2000. Nous avons recopié un certain nombre de ces affiches et il est vrai qu’elles affirmaient des faits qui apparaissaient infondés, n’ayant fait l’objet d’aucune rumeur au village, encore moins d’un constat partagé. Entretien avec le Vieux Guo, Qiejiazhuang, 10 novembre 2000.
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tous avaient obtenu plus d’un tiers des votes. Les trois autres candidats venaient plus loin derrière mais avaient tous obtenu des voix. La combinaison qui émergeait, avec le Patron Zhang arrivant en premier suivi de deux des candidats de la cellule, n’avait pas du tout été anticipée. Elle a cependant très vite soufflée une idée aux membres du Parti et aux «Qie des cours d’en haut et d’en bas» pour contrer ces premières «élections démocratiques». Le fait qu’aucun des candidats ne paraisse en mesure d’obtenir la majorité absolue lors du prochain vote a appuyé le raisonnement selon lequel il était peut-être possible de faire élire à l’issue de ce processus un comité qui ne serait que «provisoire» et qui aurait à sa tête un responsable qui ne serait que «suppléant» et qui détiendrait, par conséquent, une autorité limitée. Un tel résultat, s’il n’était pas celui escompté à l’origine, était néanmoins favorable au groupe de parenté qui depuis des décennies exerçait une influence dominante sur la gestion des affaires locales en s’appuyant à la fois sur le pouvoir politique détenu au sein de la cellule du Parti et sur le pouvoir économique qui avait pu être développé en conséquence. Dès lors, la stratégie mise en place a été d’obtenir qu’aucun des six candidats ne recueille la majorité absolue au tour suivant. Pour cela, différentes actions ont été entreprises. Tout d’abord, il s’agissait, selon les propres termes du Secrétaire Qie, de consolider la position du «groupe noir», terme qu’il utilisa alors pour désigner les catholiques qui avaient manifesté haut et fort leur intention soit de ne pas participer au vote, soit de déposer un bulletin blanc. L’objectif était d’éviter que ces absents au premier tour de scrutin ne votent au second tour en faveur du Patron Zhang. L’expression «groupe noir» rassemble à Qiejiazhuang ceux que la terminologie officielle actuelle désigne comme les membres des «groupes faibles et vulnérables» (ruoshi qunti ᕡऒ㗔億): les catholiques locaux qui sont en général issus de familles pauvres, mais aussi les membres de petits groupes de parenté. Or, ces paysans avaient manifesté leur désintérêt pour ces élections. Plusieurs d’entre eux avaient même indiqué que celles-ci étaient «inutiles» et n’apporteraient aucun changement à ceux qui étaient situés au bas de la hiérarchie locale. Une forme d’alliance s’était ainsi établie de façon progressive entre ceux qui se reconnaissaient comme relevant, aux yeux d’autrui, du «groupe noir» et qui avaient décidé de ne pas participer au scrutin.
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Des responsables des «Qie des cours d’en haut et d’en bas» ont très vite compris le profit qu’ils pouvaient tirer de l’argumentation selon laquelle «les élections sont inutiles» et, loin de chercher à la combattre, ils ont cherché à la renforcer, voire à l’étendre. En effet, plus cette interprétation serait reconnue comme valide, plus le groupe de votants diminuerait, et plus l’intensité des débats autour des élections s’atténuerait. Les membres du Parti ont ainsi entrepris de prendre la parole pour, s’appuyant sur le rôle dirigeant qui leur avait été confié dans le déroulement des élections, décrire longuement les fonctions du futur comité des affaires villageoises et notamment son statut subordonné par rapport à la cellule du Parti. Ils ont souligné les contraintes qui seraient celles du chef du comité, ramenant son rôle à celui de simple exécutant des décisions prises par le secrétaire du Parti. «Le Parti dirige tout»: tel a été le slogan, tout à fait officiel, qui a dès lors été répété dès que l’occasion s’en présentait et dont les habitants de Qiejiazhuang ont parfaitement saisi le sens. Cet argument, exprimé jusqu’ici par certains pour justifier leur manque d’intérêt pour les élections, est devenu de plus en plus présent entre le premier et le deuxième tour des élections55. Il a été publiquement revendiqué par des habitants de Qiejiazhuang que l’on ne pouvait pas soupçonner d’appartenir au «groupe noir». Du coup, même le Patron Zhang a fini par considérer la situation d’un autre œil et par redouter d’être élu à l’issue de ce second tour. L’autre action alors entreprise par les «Qie des cours d’en haut et d’en bas» a consisté à favoriser un éparpillement des votes. Il s’agissait là d’un changement de stratégie important, la conduite adoptée jusque-là ayant visé à permettre l’élection à la majorité absolue des trois candidats de la cellule et donc la concentration des votes sur ces trois noms. Le Secrétaire Qie a ainsi encouragé l’ensemble des candidats à se rendre dans les foyers du village pour expliquer leurs engagements tout en interdisant soudain que des affiches murales anonymes soient apposées dans le village: on le vit même aller en personne déchirer certains de ces dazibao dont l’auteur était inconnu. En gros, le but alors non avoué était non plus de s’en prendre de façon virulente aux candidats qui s’étaient déclarés de façon spontanée, mais bien au contraire de leur permettre de se 55
Entretien avec le Patron Zhang, Qiejiazhuang, 18 février 2001.
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faire entendre. Les membres de la cellule ont donc accédé à leurs demandes concernant l’usage de lieux ou d’équipements nécessaires pour mener campagne. Cette situation a suscité un revirement de la part de plusieurs proches de Guo Qing, et notamment de son père, membre du Parti, qui a soudain entrevu la possibilité pour son fils d’être élu sans pour autant susciter l’antagonisme des membres de la cellule. Il a commencé à se dépenser pour son fils sans compter, à tel point qu’une chanson s’est mise à circuler dans le village dont les premiers vers étaient: «Le Vieux Guo qui s’ennuyait ferme chez lui à rien faire, voilà qu’on le voit partout à vélo qui s’affaire […].» Le père de Guo Qing a reconnu par la suite: «On n’avait plus rien à perdre. Alors il fallait se bouger, dépenser un peu d’argent si c’était nécessaire56 […].» Les membres de la cellule du Parti ont fait également usage du pouvoir politique qui était le leur. Par exemple, la Belle-Sœur Song avait été en charge pendant des années du travail de contrôle de la natalité. Elle avait autrefois fermé les yeux sur certaines naissances hors-plan, les foyers concernés ayant contracté en retour une dette à son égard. Plusieurs de ses partisans ont donc entrepris d’aller voir ces familles en leur demandant non seulement de manifester leur gratitude en votant pour elle, mais d’encourager leurs proches à faire de même57. Le Secrétaire Qie, enfin, a fait preuve d’une certaine habileté en infléchissant les votes qu’il pouvait directement contrôler. C’est ainsi, par exemple, que des membres du Parti n’ont pas déposé leur bulletin dans l’urne, le but étant de s’assurer que nul candidat n’obtiendrait la majorité absolue58. Le deuxième scrutin s’est déroulé quelques jours après le premier vote qui ne visait qu’à établir la liste des candidats. Le résultat a été celui que les membres de la cellule avaient escompté: aucun des trois premiers candidats n’avait obtenu la majorité absolue des voix. Un troisième vote devait donc être organisé. De façon inattendue cependant, le candidat qui venait en tête était une candidate, la Belle-Sœur Song. Elle avait obtenu 184 voix, soit un peu 56 57 58
Entretien avec le Vieux Guo, Qiejiazhuang, 19 novembre 2000. Entretien avec Qie le Quatrième, Qiejiazhuang, 9 décembre 2001. Carnet de notes numéro 5 de l’auteur, 20 novembre 2000.
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moins que 50 % des votes. Le Patron Zhang venait en deuxième avec 180 voix toujours, suivi de l’Oncle Kui avec un peu plus de 150 voix. Un second groupe venait derrière, composé de la BelleSœur Yun avec 143 voix, de Qie Baoer, 136 voix, et de Guo Qing, 120 voix. Selon la règlementation en vigueur, ce vote supplémentaire devait se dérouler dans les trois mois qui suivaient le précédent, le choix de la date relevant de la seule décision de la cellule du Parti. Comme l’a expliqué le Patron Zhang: Ils ont dit alors qu’il y avait d’autres tâches à accomplir avant le vote et ils ont retardé celui-ci jusqu’au moment le plus intéressant pour eux59.
Les membres de la cellule ont tenu plusieurs réunions confidentielles pour préciser la visée qui était la leur: il fallait aboutir à ce qu’aucun candidat n’obtienne cette fois encore la majorité absolue et orienter la composition du «comité provisoire» que le vote allait constituer. Ils ont ainsi décidé qu’il fallait écarter le Patron Zhang de ce comité et, par la même occasion, l’Oncle Kui qui s’obstinait à demeurer fidèle à son employeur. Les «Qie des cours d’en haut et d’en bas» sont alors convenus de se rabattre sur un Qie, même s’il n’appartenait pas à leur branche: Qie Baoer. Le Secrétaire Qie m’a confié lors d’un entretien: «Si l’Oncle Kui avait entendu raison, même tardivement, on l’aurait retenu tout de suite et on aurait sacrifié Qie Baoer60.» Mais le revirement espéré ne s’est pas produit. Ainsi, l’objectif recherché n’était pas facile à atteindre puisque deux des personnes à évincer figuraient sur la liste des trois candidats ayant remporté le plus grand nombre de voix. Qui plus est, toutes deux n’étaient pas passés très loin de la majorité absolue. Il fallait donc faire en sorte que deux autres candidats les dépassent sans pour autant obtenir plus de la moitié des suffrages. De façon plus précise, le but poursuivi était de favoriser une remontée des voix accordées à Qie Baoer et à la Belle-Sœur Yun et une baisse des voix en faveur du Patron Zhang et de l’Oncle Kui. Une vingtaine de jours après le deuxième vote, le troisième et dernier tour de scrutin a été organisé. La date a été décidée dans la 59 60
Entretien avec le Patron Zhang, Qiejiazhuang, 18 février 2001. Entretien avec le Secrétaire Qie, Qiejiazhuang, 7 décembre 2001.
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précipitation, du jour au lendemain, le Secrétaire Qie estimant soudain que le moment était «venu61». Les résultats ont été les suivants: la Belle-Sœur Song a confirmé son précédent score et est arrivée en premier, suivie de la Belle-Sœur Yun et de Qie Baoer. Aucun de ces trois noms n’avait obtenu la majorité absolue, mais tous avaient réuni plus d’un tiers des suffrages: ils étaient donc habilités à former un comité des affaires villageoises «provisoire». Le Patron Zhang venait en quatrième position avec 150 voix, suivi de l’Oncle Kui, 141 voix. Guo Qing continuait à améliorer son score par rapport aux deux scrutins précédents et obtenait 132 voix. Le résultat était donc clair et sans appel. L’Oncle Kui a très vite manifesté sa colère mais aussi son impuissance face à cette opération. Il m’a expliqué: Ils n’ont laissé aucune chance à personne. Ils se sont démenés, ils n’arrêtaient pas jour et nuit d’aller voir les uns et les autres pour leur dire pour qui ils devaient voter. Ils leur ont dit de ne pas voter pour moi, de ne pas voter pour le Patron Zhang, tout en sachant qu’il y avait un certain nombre de personnes qui, de toute façon, allaient voter pour nous62.
Des échanges et des discussions se sont ensuite déroulés, pendant une vingtaine de jours, entre les membres de la cellule et les trois candidats élus afin de mettre en place le nouveau comité et de définir les modalités de travail entre les deux instances. Un événement inattendu s’est en effet produit dès le lendemain du dernier tour: la Belle-Sœur Yun et la Belle-Sœur Song ont obstinément refusé d’exercer les fonctions de chef du comité. Elles souhaitaient céder cette place à Qie Baoer, qui lui-même n’avait aucunement envie de ce titre. «Je ne voulais pas être chef du comité car je devais trop d’argent au village. Je n’avais pas les moyens d’être chef63.» Le Secrétaire Qie a tout d’abord essayé de le convaincre, mais Qie Baoer s’obstinait dans son refus. De plus, cette décision était contraire aux dispositions de la loi Organique qui prévoyait que le chef du comité provisoire était, de facto, le candidat qui avait remporté le plus grand nombre de voix. Le Secrétaire Qie est donc allé voir les 61 62 63
Idem. Entretien avec l’Oncle Kui, Qiejiazhuang, 10 novembre 2000. Entretien avec Qie Baoer, Qiejiazhuang, 8 novembre 2000.
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autorités du Parti du bourg, les assurant que Qie Baoer «ferait l’affaire» et qu’il prenait la responsabilité personnelle d’une telle décision64. C’est sur son insistance qu’une dérogation à la règle a été accordée et que Qie Baoer a finalement, contre son gré, été nommé chef du comité provisoire. Selon plusieurs habitants du village, si le Secrétaire Qie tenait tellement à Qie Baoer, c’est bien parce que celui-ci n’était pas très malin, pas très compétent, et qu’il ne représentait en aucun cas une menace pour les «Qie des cours d’en haut et d’en bas». Les deux autres membres, les Belles-Sœurs Yun et Song, appartenant à ce groupe de parenté, ce nouveau comité des affaires villageoises ne nuisait en rien aux affaires des Qie. Les élections dites démocratiques organisées à Qiejiazhuang ont donc abouti à la nomination de Qie Baoer – un habitant peu estimé, peu entreprenant, qui n’appartenait pas aux «Qie des cours d’en haut et d’en bas» –, au poste de chef «suppléant» d’un comité «provisoire». En apparence, les instances de pouvoir au village n’étaient pas toutes regroupées entre les mains d’un même groupe de parenté. En réalité, le Secrétaire Qie instaura très vite le principe selon lequel Qie Baoer, du fait de son statut particulier, n’avait pas le droit de signer quelque document que ce soit au nom du village. C’est pourquoi le Patron Zhang a pu avancer que le «comité travaill[ait] en fait pour la cellule; il exécute les ordres de celle-ci, il la seconde mais il n’a aucun pouvoir, même pour traiter des affaires les moins importantes65». Qie Baoer a reconnu de son côté qu’«on ne s’occup[ait] pas de grand-chose au comité, c’est la cellule qui gère le village66». De façon cette fois encore inattendue, ces premières élections semblent avoir frayé la voie à un précédent puisque les élections qui ont été organisées par la suite, en 2003, 2006 et 2009 ont toutes abouti au même type de résultat. Elles ont en effet mis en place un comité des affaires villageoises au périmètre rétréci et incertain puisqu’il n’était que provisoire et obéissait à la division du travail dissymétrique instaurée en 2000 entre le Secrétaire Qie et Qie Baoer.
64 65 66
Entretien avec le Secrétaire Qie, Qiejiazhuang, 12 décembre 2001. Entretien avec le Patron Zhang, Qiejiazhuang, 19 février 2001. Entretien avec Qie Baoer, Qiejiazhuang, 18 décembre 2001.
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Le «fruit» des élections Les élections de 2000 relèvent aujourd’hui du passé. Malgré leur résultat, elles n’ont pas laissé inchangée, à Qiejiazhuang, la position de leurs principaux protagonistes. Pour le Patron Zhang comme pour l’Oncle Kui, cette expérience a laissé un goût amer qui n’est toujours pas effacé. Le premier entretenait autrefois de bonnes relations avec les «Qie des cours d’en haut et d’en bas»; il était considéré comme l’un des leurs et avait prospéré grâce au soutien des membres les plus influents de ce groupe de parenté. Pourtant, l’initiative représentée par sa candidature et la réponse que les Qie lui ont donnée l’ont placé pendant quelque temps en position d’extériorité vis-à-vis de ce groupe. Il est devenu l’une des cibles des attaques de ses membres. Signe manifeste des relations qui prévalaient juste après les élections, le Patron Zhang s’est vu refuser en novembre 2000, par les membres de la cellule du Parti, l’usage d’une parcelle des terres collectives sur laquelle il souhaitait construire une nouvelle habitation. Quant à l’Oncle Kui, pourtant «fils» des «Qie des cours d’en haut et d’en bas», membre du Parti ayant appartenu à la cellule précédente, il a cessé d’être considéré comme l’un des piliers du Parti par ses pairs. Alors qu’il avait pensé que des «liens de fer» l’unissaient aux autres Qie et notamment, parmi ces derniers, aux membres du Parti, il s’est retrouvé exclu des moments de discussion menés entre la cellule et les membres les plus influents des Qie pour décider des affaires villageoises. Afin d’aboutir à une forme de réconciliation et de renouer avec les formes de relation passées, le Patron Zhang a fini par solliciter l’aide de Qie le Quatrième, lui aussi à la tête d’une entreprise et membre important des «Qie des cours d’en haut et d’en bas». Ce dernier raconte: «Le Patron Zhang est venu me voir. Il a été droit au but, disant que nous étions tous frères, que nous étions des parents. Il voulait ainsi nous faire comprendre qu’il se considérait toujours avant tout comme un membre des Qie. Ce jour-là, il m’a apporté un très bon alcool67.» Quelques jours plus tard, Qie le Quatrième a 67
Entretien avec Qie le Quatrième, Qiejiazhuang, 10 décembre 2001.
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organisé, dans l’un des restaurants du bourg, un déjeuner auquel furent conviés Qie Baoer et les responsables des Qie. En 2003, après trois années de mise à l’épreuve, le Patron Zhang a pu finalement intégrer le Parti. Sous l’instance des autorités du bourg, il a même été élu cette année-là membre de la cellule. En 2006, pour éviter qu’il ne reste à ce poste pendant un deuxième mandat, les Qie ont choisi de le faire élire chef suppléant du nouveau comité des affaires villageoises. Six ans après les élections de 2000, les effets des actions entreprises par le Patron Zhang et la façon dont celles-ci avaient été perçues par les Qie n’étaient donc pas entièrement dissipés. Pour ce qui est de l’Oncle Kui, la réconciliation devait être plus rapide. En 2003, il a été élu membre de la cellule avec l’aide des «Qie des cours d’en haut et d’en bas». Depuis, il est devenu l’un des alliés les plus solides du Secrétaire Qie. Conclusion Ainsi, depuis la réforme de 2000, les membres de la cellule et les «Qie des cours d’en haut et d’en bas» ont développé une sorte de recette pour faire face à l’élection, désormais imposée, du comité des affaires villageoises. Cette solution tient en quelques mots qu’ils exposent aujourd’hui volontiers aux observateurs extérieurs: réaffirmer que «le Parti dirige tout»; stabiliser l’abstention des membres du «groupe noir»; favoriser l’émergence de candidats en encourageant leur campagne avec bienveillance; signaler les préférences du Parti, le but étant que les trois candidats arrivant en tête obtiennent plus d’un tiers mais moins de la moitié des suffrages. C’est bien ce qui s’est produit, à chaque fois, jusqu’aux dernières élections qui se sont déroulées en 2009, un tel résultat renforçant à Qiejiazhuang le jugement partagé selon lequel ces élections sont inutiles. Du coup, les élections et les campagnes qui les précèdent semblent s’être largement banalisées, le vote constituant simplement, à bien des égards, un moyen supplémentaire pour manifester la «face» reconnue à quelques membres du village. Pourtant, il serait faux cependant de conclure, comme certains l’ont fait pour d’autres localités chinoises, que le déroulement de ces élections, en apparence contrôlé avec succès par les représentants locaux du Parti, n’a en rien modifié les liens et le paysage
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politiques à Qiejiazhuang. Certes, comme dans bien d’autres régions du monde où des élections sont organisées dans un milieu d’interconnaissance, les relations particulières qui existent entre les individus ont orienté les votes, ces relations étant ici liées à la parenté, aux obligations contractées entre employeurs et employés, mais aussi aux amitiés et aux affinités singulières ou à une appartenance religieuse commune. Ces relations sont, en outre, en Chine, profondément affectées par le pouvoir octroyé aux membres et cadres du Parti sur la gestion des affaires locales tout autant que sur les projets domestiques qui s’inscrivent dans l’espace villageois. Les habitants de Qiejiazhuang sont ainsi pris dans des histoires et des relations particulières qui ne peuvent qu’influencer leur choix dans le cadre d’un processus électoral. Cependant, ce processus même et les formes d’action concertée qu’il a suscitées – lesquelles ont été mises en œuvre par des acteurs variés qui poursuivaient des visées également variées –, ont influencé en retour ces relations particulières. De façon plus précise, en demandant que certains liens privilégiés soient réaffirmés à l’occasion d’un vote, en confrontant différents types de loyauté dans le cadre d’une même situation, les votes organisés de façon régulière à Qiejiazhuang ont rendu manifestes mais ont également questionné ces relations et les liens de dépendance qui les accompagnent. Autrement dit, les obligations qui étaient implicites et qui semblaient relever du sens commun ont perdu de leur caractère d’évidence. Le degré de certitude qui fondait l’existence et la légitimité de ces liens particuliers semble avoir diminué; le caractère quasi mécanique de leur influence sur les conduites et les choix personnels n’est plus. Désormais, la confiance que les Qie avaient dans la loyauté de leurs membres ou que les membres de la cellule du Parti avaient dans l’obéissance de leurs administrés n’est plus totale. Un doute hier inconnu, en raison notamment du fait qu’aucune épreuve publique n’avais permis de tester ces engagements et ces obligations, s’est installé. Il s’agit désormais pour les candidats et leurs proches de solliciter la confiance des uns et des autres par une démarche explicite à laquelle répond une autre démarche explicite: voter ou pas en faveur de tel ou tel candidat. Dix ans après nos premières observations à Qiejiazhuang, les relations entre les foyers semblent ainsi être transformées même si
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la domination des Qie n’a pas été mise en cause: la gestion des affaires communes ne possède plus un caractère aussi dissymétrique qu’auparavant; les lieux de discussion et de négociation se sont multipliés; les «noirs» agitent régulièrement la menace d’une participation effective aux scrutins organisés. Le fait que soit ainsi donné régulièrement à voir lors des élections et selon des configurations multiples ce que certains réclament et ce que d’autres accordent, et les doutes qui pèsent sur les choix accomplis, sur les votes réellement effectués et donc sur l’issue du scrutin, ne sont sans doute pas étrangers à cette évolution. Il en découle que mesurer les effets de ces élections à l’aune de la seule composition des comités villageois mis en place ne serait pas pertinent: les efforts qui ont été déployés par les membres de la cellule du Parti pour orienter le résultat des votes, des efforts qui ont été révisés à chaque étape des élections à la lumière des événements non anticipés ayant surgi, attestent précisément de l’incertitude nouvelle que cette innovation institutionnelle a suscité et du développement éventuel ainsi favorisé d’autres manières d’agir ensemble.
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Décider ensemble du développement local: le cas du musée des Arts et Traditions populaires de Nianpan (Shaanxi) CAROLINE BODOLEC
Le 20 juillet 2004, dans un hameau du district de Yanchuan, dans le nord de la province du Shaanxi, a été inauguré le musée de la Culture populaire du haut plateau de lœss de Nianpan (Nianpan huanghe yuan shengtai minsu wenhua bowuguan ⻮⮄哴⋣⭏ ᘱ≁؇᮷ॆঊ⢙侶). M. Jin Zhilin, professeur à la retraite de l’Institut des Beaux-Arts de Pékin qui est à l’origine de la création de ce musée, reconnaît avoir puisé son inspiration dans le musée des Arts et Traditions populaires de Paris et les écomusées de France1. Il soutient depuis plus de trente ans les artistes-paysans du Shaanbei et connaît parfaitement la culture populaire de la région. En 2002, il a incité sept personnalités de Yanchuan à former l’Association de protection et de développement de la culture du haut plateau du fleuve Jaune (哴⋣儈⭏ᘱ᮷ॆਁኅ؍ᣔॿՊ). Ces hommes au seuil de la retraite étaient tous passionnés à titre personnel par l’un ou l’autre des éléments de leur culture locale. C’est par l’intermédiaire de cette association que Jin Zhilin a mis en œuvre son projet de musée d’arts et traditions populaires, qui a obtenu le soutien financier de la Fondation Ford en 2004. L’originalité de cette entreprise tient à l’implication des populations locales non seulement dans le contenu des salles mais également dans la vie quotidienne du musée. L’État a été volontairement exclu du projet, de sa réalisation et de sa gestion. Les sommes allouées n’ont pas servi à acheter les locaux – un ensemble yaodong du XIXe siècle – mais à offrir une rente mensuelle ou annuelle aux habitants pour les impliquer dans la valorisation d’un patrimoine. Afin de faire connaître ce musée
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Entretien avec Jin Zhilin, 11 novembre 2006, Pékin.
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hors du district, l’association et le professeur Jin Zhilin organisent des manifestations auxquelles participent parfois des personnalités étrangères à la région et même à la Chine. Partant d’une étude des récits et discours des acteurs mêmes de cette initiative, cet article vise à présenter une de ces nouvelles façons de «faire des choses ensemble» dans la société chinoise contemporaine. La façon même de re-construire a postériori des évènements parfois concomitants, parfois divergents, se déroulant sur plusieurs années, montre à quel point le désir que la légitimité de l’action soit reconnue à l’extérieur du village est important pour tous les acteurs. Il a, bien entendu, fallu placer et déplacer les pièces du puzzle dont chacun détenait un fragment mais nous avons volontairement choisi de respecter les récits prononcés. En effet, tout au long de l’enquête, le sentiment d’appartenance à ce groupe qui «a réussi à faire ce qu’on a fait» a été manifeste chez la plupart des acteurs – professeurs, artistes, membres de l’association, paysans. Nous avons donc voulu présenter cette aventure commune comme elle nous fut relatée. Nous insisterons tout d’abord sur la genèse de l’association et sur la réflexion qui l’a accompagnée, puis sur les actions qui ont suivi en concertation de la population villageoise. La deuxième partie présentera le processus chronologique qui a conduit à la situation actuelle et les personnes qui l’ont accompagné. Nous essayerons de faire apparaître les liens, les réseaux et les groupes plus ou moins formels qui se sont constitués au fur et à mesure. Nous terminerons par une analyse des caractéristiques de ce mouvement de valorisation du patrimoine et par les perspectives qui peuvent être envisagées pour les villages et les populations concernés.
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Figure 1: Carte de la province du Shaanxi avec en clair le district de Yanchuan, in Liang Fuzhi (2007), p. 3.
La culture yaodong Le processus que nous étudions est étroitement lié à une particularité à la fois culturelle et matérielle de la région où il se situe. Les maisons yaodong チ⍎ (trou en forme de four) adossées à la falaise de lœss, avec en façade leur treillis de fenêtres ouvragées sur lesquelles des papiers découpés rouges contrastent avec le jaune de la terre environnante, sont en effet la marque distinctive du Shaanbei, c’est-à-dire du nord de la province du Shaanxi. Nul en Chine ne peut s’y tromper et les autorités culturelles et économiques de la région commencent à comprendre l’intérêt de cette spécificité. Depuis la fin des années 1990 et le début des années 2000, une expression révélatrice est utilisée par des artistes-paysans et membres du
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centre culturel de Yanchuan: la culture yaodong (yaodong wenhua チ ⍎ ᮷ ॆ). Cette expression recouvre un certain nombre d’éléments qui tiennent des particularités physiques et climatiques, de la culture matérielle (modes de production, habitat, modes de consommation) ainsi que de l’art populaire, des danses et des chants, etc. Ne pouvant développer ici tous ces éléments, nous nous concentrerons sur deux d’entre eux: la maison yaodong et l’art populaire en papier découpé et en tissus. Ce sont ces éléments qui, depuis les années 1970, ont incité le professeur Jin Zhilin à mettre en place des actions d’éducation et de valorisation. Le climat qui règne au Shaanbei est rude, variant d’aride à semiaride. La température moyenne annuelle est de 9,3 °C dans la région de Yan’an, avec des températures extrêmes observées allant de 39,7 ° C en été à -25,4 C° en l’hiver. Les amplitudes thermiques dans une même journée peuvent être importantes. De plus, il ne tombe annuellement qu’environ 526 mm d’eau dont 55 % entre les mois de juin et d’août, ce qui peut rendre la quantité d’eau disponible très insuffisante par rapport aux besoins agricoles et humains. En dehors des grandes villes, chef-lieu de district ou bourgs intermédiaires, la population vit dans des villages de deux à trois cents habitants, dont l’accès est peu aisé par des routes ou des chemins de terre. La plupart des villageois sont des paysans cultivant du blé de printemps, du millet, un peu de sorgho, ainsi que du sésame, des pommes de terre ou des patates douces sur de petites exploitations. Actuellement, les principales ressources agricoles sont la pomme et le jujube dont la commercialisation est assurée, au niveau national, par des coopératives d’État. La partie septentrionale de la province du Shaanxi, au nordouest de la Chine, est donc caractérisée par des habitats nommés yaodong チ⍎ (trous en forme de four). Constituées d’une voûte plein-cintre creusée à même la falaise de lœss ou construites en pierre ou en brique à partir d’un cintrage de terre crue, ces maisons sont adoptées par des millions de personnes, exclusivement Han (l’ethnie majoritaire). Parfaitement adaptées au climat et à l’environnement, leurs qualités thermiques et phoniques sont non seulement reconnues par les experts mais mises en avant par la population locale pour justifier leur permanence. En effet, alors que dans le reste du pays l’architecture vernaculaire est remplacée par des loge-
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ments en béton, les constructions de type yaodong sont encore florissantes dans la plupart des districts du Shaanxi. Dans les années 1990, 80 à 85 % des nouvelles constructions à usage d’habitation étaient de type yaodong dans le district de Yanchuan. Aujourd’hui encore, bien que ces chiffres aient baissé, faire construire une maison yaodong neuve constitue l’affirmation d’une certaine opulence et un signe de modernité2.
Figure 2: Village de Huiju yuan, district de Yanchuan, Shaanxi © bodolec.
L’architecture chinoise classique fonctionnait sur un système de modules3. Les constructions étaient conçues en nombre de jian 䰤, c’est-à-dire d’espaces contenus entre quatre piliers de bois soute-
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Chiffres donnés oralement par un membre de la commission du logement du district de Yanchuan en novembre 2006. Le nombre d’immeubles en béton augmente nettement dans la ville de Yanchuan, mais ce type de constructions est rarissime dans les villages environnants. Cela est vrai en architecture mais également dans de nombreux domaines techniques traditionnels tels que la production de bronzes, de porcelaine, de laque ou l’imprimerie. Voir Ledderose Lothar, 2000, Ten thousang things: module and mass production in Chinese art. Princeton, Princeton University Press, p. 265.
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nant la charpente4. Dans l’habitation populaire, les nombres les plus fréquents sont trois, cinq ou six jian, c’est-à-dire trois à six cellules (ou pièces) visibles par des fenêtres en façade. Les habitations de type yaodong sont également construites selon ce schéma de cellules. L’unité de base n’est pas nommée jian mais kong ᆄ, littéralement «trou», ou encore yan «œil». La pénétration dans la maison est toujours de type «oblong»: l’espace intérieur se déploie dans le prolongement de la porte d’entrée5. Contrairement à l’usage général en Chine, aucune pièce n’a de fonction définie dans une habitation yaodong. Chaque cellule est équipée d’un lit chauffant appelé kang – que l’on retrouve dans toute la Chine du nord –, d’un fourneau de cuisine et pourrait potentiellement devenir indépendante de sa voisine soit pour l’installation d’un jeune couple, soit pour la location à des membres de la communauté ne pouvant faire construire leur propre logement. Dans la pratique, une des cellules, celle des parents, devient le centre névralgique de la famille nucléaire: chambre, cuisine, lieu de réunion et de réception, remise. Dans une famille souche, les générations sont séparées et dorment dans des cellules différentes. Le passage du creusé au construit n’a pas apporté de modifications au plan de la maison ni à l’occupation de l’espace. Cette pièce unique tout en longueur nécessite un aménagement très particulier qui donne sa spécificité au yaodong. Une porte étroite située à gauche du treillis de fenêtre permet d’entrer; sur la droite se trouve un grand kang qui fait angle avec la fenêtre de façade et qui peut atteindre trois mètres de long et deux mètres cinquante de large. Ce lit est relié au fourneau de cuisine par des rigoles creusées dans la masse de terre qui permettent à la chaleur et à la fumée de s’évacuer vers la cheminée située à l’autre bout. Une grande plaque de pierre ou des briques recouvrent les rigoles. Le lit chauffé est le seul sys4
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Needham Joseph, 1971, Science and civilisation in China: physics and physical technology, Vol. IV-3, civil engineering and nautics. Cambridge, Cambridge University Press, p. 67. Ledderose Lothar, op. cit., p. 111-113. Contrairement à la maison rurale chinoise d’autres provinces, même proches, où la porte d’entrée dessert généralement trois de ces pièces. La pénétration dans la maison est de type «barlong» en ce sens que l’espace se déploie horizontalement de chaque côté de la porte d’entrée. La porte est percée dans la plus grande dimension du bâtiment, la largeur excède rarement trois mètres.
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tème de chauffage de la pièce. La partie arrière du kang est réservée à la préparation et à la conservation des aliments dans des contenants de terre cuite, comme une grande jarre pour l’eau. Quelques ustensiles sont spécifiques à la région, comme la machine à helou, sorte de pâtes longues et fermes. Les meubles de rangement sont placés contre le mur gauche face au kang. Les invités et la famille prennent place sur le lit commun pour discuter et manger ensemble. C’est également sur ce kang près de la fenêtre ouvragée tendue de papier que les femmes réalisaient et réalisent encore des œuvres d’imagination considérées comme l’une des caractéristiques de la «culture yaodong». La confection de papiers découpés rouges pour orner les fenêtres lors des fêtes du Nouvel An ou des cérémonies de mariage est l’exemple le plus connu de l’art populaire du Shaanbei. Réalisées par les femmes durant le repos hivernal, ces œuvres de papier représentent souvent des divinités protectrices, des divinités de la fertilité (baohu shen yu fanyan shen ؍ᣔ ⾎ о 㑱 㹽 ѻ ⾎), des personnages des mythes locaux tels les bébés saisissants le chignon (zhuaji wawa ᣃ儫ဳဳ ). Les divinités, très répandues dans toute la Chine sous des noms différents selon les cultures locales, sont particulièrement présentes dans l’art populaire de la région. Les divinités protectrices sont nombreuses: il s’agit de figures féminines clairement identifiées par leur coiffure (deux touffes séparées, deux nattes, deux peignes oiseaux ou encore une coiffe à pendeloques). Le personnage est représenté debout, de face, le visage rond, les épaules symétriques, les bras levés ou légèrement écartés, les mains et les pieds tournés vers l’extérieur6. Des animaux, parfois des plantes, sont associés à la divinité: le plus souvent un coq ou un poisson, mais aussi un oiseau ou encore un lapin. Les animaux sont souvent tenus dans les mains. Les oiseaux, en particulier le coq, qui 6
Les zhuaji wawa et autres «poupées porte-bonheur» ont été étudiées par Jin Zhilin et décrites succinctement dans une publication bilingue français-anglais en 1989: Jin Zhilin, 1989a, Zhonghua minzu de baohu shen yu fanyan zhi shen zhuaji wawa (Les bébés agrippés au chignon: divinités protectrices et déesses de la fécondité chez les peupels de Chine). Beijing, Zhongguo shehui kexue chubanshe. Jin Zhilin, 1989b, L’esthétique de l’art populaire chinois: La poupée portebonheur. Paris, Librairie You-Feng Musée Kwok On, p. 178.
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annonce le jour, sont liés au principe mâle yang 䱣, alors que le lapin, plutôt nocturne, est lié à la lune et au principe féminin yin 䱤. Les personnages sont souvent fabriqués ou découpés pour les mariages, occasions fastueuses et propitiatoires. Ils évoquent alors franchement la fertilité et l’acte sexuel. L’appellation même de la divinité zhuaji wawa est explicite. Comme le rappelle Jin Zhilin, les jeunes filles nubiles réunissaient autrefois leurs cheveux en chignon (ji 儫) avec une épingle. Ce terme est homophone du caractère bonheur, faste, bénéfice (ji ਹ), comme du caractère désignant le coq (ji 呑). Cet animal, symbole yang 䱣, est signe de chance et peut représenter aussi le sexe masculin. Une autre forme d’expression nommée budui hua ᐳ ึ ⭫ , développée par les femmes pendant les longues heures de l’hiver Shaanbei avec les chutes de la confection des vêtements pour la famille, appartient également à la culture yaodong. Il s’agit d’une technique qui consiste à découper des petits morceaux de tissus de coton ou de lin (bu ᐳ tissu) et à les empiler (dui ึ) pour camper des personnages, des scènes qui forment des tableaux (hua ⭫) en relief. Les tableaux ainsi réalisés sont extrêmement colorés et vivants et laissent une grande part à l’invention et à l’imagination des artistes-paysannes. L’habileté dans le découpage des motifs et le goût dans l’assemblage des couleurs et des thèmes sont valorisés au sein des villages et du district. Certaines de ces femmes sont aujourd’hui reconnues comme de véritables artistes par leurs compatriotes et les membres du centre culturel de Yanchuan. La plupart des budui hua étaient autrefois anonymes, mais depuis les années 1980, un énorme effort est fait par les acteurs de la culture de Yanchuan pour donner aux artistes-paysannes la paternité de leur expression artistique. Les thèmes développés dans les budui hua sont variés: des motifs propitiatoires réalisés pour les mariages et les naissances; des représentations des divinités et autres figures pouvant permettre l’intercession auprès du Ciel, et enfin des motifs de la vie quotidienne chargés de symboles de bonheur et de fertilité7. 7
L’art du budui hua a fait l’objet d’une présentation lors de l’exposition virtuelle des œuvres de Feng Shanyun: (consulté le 10/03/2009).
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Figure 3: Long wangye 嗉⦻⡧ Le Roi-dragon, Liu Honglan ࡈ㓒ޠ.
Jin Zhilin, acteur majeur du mouvement Le processus que nous présentons ici doit sans conteste beaucoup au professeur Jin Zhilin qui fut à l’origine des premières expositions des artistes populaires des villages du Shaanbei, et surtout de l’association et du musée de Nianpan. Il est impossible de rendre compte de son action sans se pencher sur l’histoire de sa vie, ses influences et les événements qui l’ont marqué. Jin Zhilin est né en 1928 dans le village de Huge zhuang, district de Luannan, au Hebei8. En 1944, il entre à l’école normale de 8
Petite biographie publiée en 2006 dans un opuscule intitulé Meishu jia 㖾ᵟᇦ – China Artist, entièrement consacré à ses œuvres en tant que peintre. Une biographie plus complète est visible sur le site de Jin Zhilin lui-même (consulté le 01/03/2009).
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la ville de Pékin pour y étudier la peinture de paysage. En 1947, il continue sa formation à l’École spécialisée des Beaux-arts de Pékin, qui devient en 1949 l’Institut central des Beaux-arts. Il y restera comme enseignant de peinture à l’huile de 1951 à 1961. Il est à l’époque un jeune artiste au talent suffisamment prometteur pour être nommé assistant de Dong Xiwen 㪓 ᐼ ᮷ (1914-1973), auteur du célèbre tableau intitulé Cérémonie solennelle de fondation de l’État en 1953. C’est lui qui fera découvrir à Jin Zhilin l’intérêt et la richesse de l’art populaire lors de stages de dessins dans les campagnes, notamment dans le district de Changli ᰼哾 , au Hebei. Un autre artiste de cette période aura une influence importante dans le parcours intellectuel de Jin Zhilin. Il s’agit de Gu Yuan ਔݳ (1919-1996), qui sera à l’origine de son attirance pour la région de Yan’an, puis plus généralement pour le Shaanbei et sa culture. En effet, en 1949, dans la suite des troupes de l’Armée rouge, arrivent de Yan’an, base révolutionnaire, des artistes avec dans leurs bagages des papiers découpés, des gravures sur bois, des chants populaires etc. C’est en 1959 que Jin Zhilin peut, pour la première fois, aller au Shaanbei, dans le cadre d’une commande d’un tableau historique pour le musée des Affaires militaire; il y retournera en 1961. À son retour à Pékin cette même année, Jin Zhilin est soudainement nommé à l’Institut des arts du Jilin. Il perd son poste durant le «Mouvement d’éducation socialiste»9, en 1963, et devient un membre des «cinq catégories noires noires» (唁ӄ㊫)10. Envoyé à la campagne pour apprendre auprès des masses, il sera d’autant plus stigmatisé par les instances politiques qu’il est porté à sympathiser avec les villageois et à s’intéresser à la vie et à l’art populaire des paysans. Les choses ne vont pas s’arranger avec la Révolution culturelle, qui débute en 1966. Il est critiqué comme «autorité acadé-
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Abréviation de nongcun shehuizhuyi jiaoyu yundong ߌᶁ⽮Պѫѹᮉ㛢䘀ࣘ (1962-1965), mouvement qui précède et prépare la Révolution culturelle. He Yuhuai Henry, 2001, Dictionnary of the political thought of the People’s Republic of China. New York, M. E. Sharpe, p. 705-706. Bergère Marie-Claire, 1989, La République populaire de Chine. Paris, Armand Colin, p. 112-114. C’est-à-dire les propriétaires fonciers di ൠ, les paysans riches fu ᇼ, les contrerévolutionnaires fan ৽ , les mauvais éléments huai ൿ et les droitistes you ਣ .
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mique réactionnaire» fandong xueshu quanwei ৽ࣘᆖᵟᵳေ, et ses séjours à Yan’an le feront même entrer dans la catégorie des «nouveaux éléments contre-révolutionnaires» xianxing fangeming fenzi ⧠㹼৽䶙ભ࠶ᆀ . Victime de critiques de masses, il fut interné pendant près de huit ans dans un camp de réformes par le travail. Il lui faut attendre 1973 pour pouvoir retrouver une activité de peintre et d’acteur de la vie culturelle. Ainsi qu’il l’avait depuis longtemps désiré, il parvient à être nommé au Shaanbei. Au mois d’août 1973, il est donc muté au centre culturel de la région de Yan’an (ᔦᆹൠ४᮷ॆ侶), et commence à développer des activités de recensement des artistes populaires en visitant la plupart des villages et des bourgs des treize districts de la région.
Les premières actions de valorisation de l’art populaire Une première exposition est organisée dès 1974, puis une deuxième l’année suivante qui eut un succès important auprès des instances de la politique culturelle de la région. Ces deux expositions rassemblaient des papiers découpés, des gravures sur bois, ainsi que des peintures murales rassemblées durant des tournées de prospection. Grâce à cette réussite, Jin Zhilin a acquis une marge de manœuvre plus large pour mener à bien son projet de valoriser et de protéger une culture populaire qu’il décrivait à l’époque comme mise à mal par des influences extérieures telles que la Révolution culturelle et les dérives politiciennes des dernières années. À partir de 1978, les actions menées deviennent plus concrètes: dans tous les districts, les responsables culturels sont chargés de répertorier les artistes locaux, et plus particulièrement ceux et celles qui produisent des œuvres en papiers découpés et en broderie. Les résultats sont impressionnants. Par exemple, dans le seul district d’Ansai (ᆹຎ), ce sont près de 20 000 femmes qui disent faire du papier découpé et près de 5000 qui sont qualifiées d’expertes. Une quarantaine d’entre elles est choisie solennellement pour transmettre leur technique et leur art. On les désigne sous le nom d’«artistes paysannes choisies pour être les graines, les semences»
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(ߌ≁㢪ᵟᇦⲴᆀ䘹)11. Elles sont encouragées à mettre en valeur les motifs et les mythes les plus anciens de leurs villages pour les transmettre aux plus jeunes et les présenter lors d’expositions nationales. Parallèlement à cela, Jin Zhilin continue sa propre production de peintures à l’huile ayant pour sujet principal les habitants de la région. Le groupe d’artistes qu’il forme avec les quelques élèves qui le suivent sera bientôt connu sous le nom de «Groupe des artistes des yaodong» (チ⍎⭫⍮)12. À Pékin, en 1980, Jin parvient à organiser une exposition des œuvres en papier découpé de la région de Yan’an au musée des Beauxarts. Cette même année, il rencontre le professeur Jean-Louis Boissière, enseignant aux Arts décoratifs, avec lequel une coopération va s’instaurer. En 1981, Jin Zhilin, accompagné de Li Xiufang, artiste découpeuse de papier, va pendant plus d’un mois présenter l’art populaire du Shaanbei dans sept villes françaises (Paris, Toulouse, Carcassonne, Nice, Saint-Malo, Angoulême et Orléans). En 1984, à l’occasion de rencontres autour des théâtres d’ombres, il fait la connaissance de Jacques Pimpaneau, professeur du département de chinois de l’Institut national des langues et civilisations orientales. À partir de cette époque, il fera de fréquents séjours en France, soit pour accompagner des acteurs du théâtre de marionnettes du Shaanxi, soit pour présenter des expositions d’art populaire, comme celle de 1994. Ces séjours en France sont pour Jin Zhilin l’occasion de découvrir le musée national des Arts et Traditions populaires créé par Georges-Henri Rivière en 1937, et installé depuis 1969 au Jardin d’acclimation, près du bois de Boulogne, à Paris13. Jacques Pimpaneau, avec lequel il s’est lié d’amitié, lui fait également découvrir les éco11 12
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(consulté le 01/11/ 2008), p. 9. Hyer Eric A., Billingsley Dodge, 2005, «Art and politics in Mao’s China», in Bridges Fall, published by the David M. Kennedy Center for International Studies, Brigham Young University, Provo, Utah. [en ligne]. Disponible sur: (consulté le 21/03/ 2009), p. 6. Ce musée est fermé depuis 2005 et va rouvrir à Marseille sous l’appellation de musée des Civilisations de l’Europe et de la Méditerranée. Les collections seront alors fusionnées avec celles de l’Europe du musée de l’Homme et celles d’autres musées d’ethnologie. Voir sur ce sujet Segalen Martine, 2005, Vie d’un musée, 1937-2005. Paris, Stock.
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musées et autres collections ethnologiques françaises. Jin Zhilin explique bien volontiers que son projet de musée dans le village de Xiaocheng a été directement inspiré de ses visites dans les musées français. Nous verrons plus loin combien même la muséographie des collections en est une émanation. En 1986, Jin Zhilin retourne à l’Institut central des Beaux-arts de Pékin pour y prendre la responsabilité de la chaire d’art populaire qu’il se sera battu pour créer. Il est également nommé directeur du Centre de recherche sur l’art populaire (≁䰤㖾ᵟ⹄ウՊ)14. Pendant ces treize années au Shaanbei, Jin Zhilin a acquis une solide connaissance de la culture et des habitudes de la région. Il a également tissé un réseau de correspondants, d’amis et d’artistes extrêmement important. C’est ainsi que, lors de l’un de ses séjours dans les villages, à la fin des années 1970, il fit la connaissance de Feng Shanyun ߟኡӁ (né en 1949), un enseignant d’une école gérée par la population dans le district de Yanchuan. Feng Shanyun, qui réalisait de la gravure sur bois, manifeste un grand intérêt pour les actions organisées par le centre culturel de Yan’an et par Jin Zhilin. C’est lui qui progressivement devient le relais de Jin Zhilin dans la région et qui sera nommé président de l’«Association de protection et de développement de la culture du haut plateau de lœss». (Huanghe gaoyuan shengtai wenhua fazhan baohu xiehui 哴⋣儈⭏ᘱ᮷ॆਁኅ؍ᣔॿՊ).
Emergence et formalisation d’une association locale En 1982, Feng Shanyun obtint le second prix lors de l’exposition d’œuvres artistiques du Shaanxi qui eut lieu à Xi’an, avec sa gravure intitulée Chant de la forêt de jujubiers. En 1984, cette même œuvre est sélectionnée pour participer à la VIe Exposition nationale d’art. Grâce à la reconnaissance de son travail d’artiste, il quitte son village natal en 1986 pour occuper un poste au centre culturel 14
Jin Zhilin, en tant que chercheur, a publié sur l’art des papiers découpés deux ouvrages importants: Jin Zhilin (1989a), et Jin Zhilin (1989b).
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de Yongping ≨ක, ville dépendant de Yanchuan, puis s’installe, à la fin des années 1980, dans le chef-lieu du district Yanchuan ᔦᐍ. Toujours en 1986, il organise la première exposition des œuvres en budui hua du district de Yanchuan au musée des Beaux-arts du Shaanxi. Cette exposition a été ensuite présentée à Pékin, Shanghai, Canton, Hefei et Fuzhou. Le succès de l’exposition de Xi’an en 1982 incita Feng Shanyun à se tourner vers l’art populaire relativement ancien dans la région du budui hua ᐳ ึ ⭫ et en apprendre la technique, à laquelle il va donner une expression singulière et très personnelle. Loin d’imiter les motifs «traditionnels», il reprend les thèmes de ses gravures. Il tire toute son inspiration de la vie dans le monde des yaodong, dans le monde paysan du Shaanbei, au milieu de la terre jaune omniprésente. Ses œuvres sont présentées dans des magazines nationaux et une première exposition personnelle fut organisée en 1995 au musée des Beaux-arts de Pékin. À cette occasion, son tableau intitulé Huanghe 哴⋣ , Fleuve Jaune, long de plus de trois mètres entra dans les collections permanentes du musée [Figure 11].
Figure 2: Feng Shanyun ߟኡӁ , Huanghe 哴⋣ Fleuve Jaune (détail).
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Quand, durant l’hiver 2000, l’idée de créer une association est lancée, Jin Zhilin se tourne vers Feng Shanyun pour la présider. Les autres membres sont à l’époque proches de la retraite et tous ont un lien plus ou moins fort avec la culture: Hei Jianguo 唁ᔪഭ était photographe et, comme Feng Shanyun, rattaché au centre culturel de Yanchuan; Zhang Ruisheng ᕐ⪎⭏ travaille au bureau de l’éducation (jiaoyu xingzheng ᮉ㛢㹼᭯), He Ping օᒣ, officier supérieur dans la police de Yanchuan, est peintre amateur; Li Xiaocun ᵾ ᲃ ᶁ est retraité du Bureau de la construction (chengshi jianshe ᐲᔪ䇮), et Bai Tingmin Ⲯᔧ≁ cadre à la Propagande des affaires culturelles (wenhua shiye xuanchuan ᮷ॆһъᇓՐ), quant à Bai Jiangquan Ⲯ⊏⋹, qui travaille au Bureau de la construction, il est le fils de Gao Fenglian 儈ࠔ㧢 , l’une des artistes de papiers découpés les plus importantes du district. Il est important de noter qu’à aucun moment l’administration locale de la culture n’a été impliquée dans la création de l’association. Durant les congés du Nouvel An 2001, Feng Shanyun présente à Jin Zhilin He Ping, officier de police à Yanchuan et passionné de peinture, de céramique ancienne et surtout de pierres sculptées. Celui-ci accompagne Jin Zhilin près du panorama de la première boucle du fleuve Jaune, au village de Xiaocheng ሿ〻 , dans un yaodong aux pierres de voûte sculptées. Cette date en mentionné par tous comme fondatrice des actions futures. La chronologie qui suit reprend les panneaux de photos accrochés aux murs du centre d’activitées culturelles construit en 2004 et visités par la plupart des touristes. Intrigué, Jin Zhilin fait faire des recherches et proposa de dater la construction de la période Yuan (1279-1368) et d’attribuer l’inspiration des dessins aux Xiongnü सྤ et aux Tang. Une plaque est apposée en 2003 pour expliquer aux visiteurs l’importance patrimoniale du lieu.
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Figure 4: Yaodong historique du village de Xiaocheng © bodolec.
Séduit par le village et ses paysages, il décide de passer trois mois à Xiaocheng, petite bourgade sans électricité et sans confort moderne. Ses longues soirées d’hiver à discuter avec les habitants lui font découvrir un nombre important de femmes ayant des talents indéniables pour le découpage de papier et l’art du budui hua. Les réunions qu’il organise lui permettent d’expliquer aux villageois l’intérêt de ces productions au vu des éléments culturels qu’elles présentent. Ces discussions sont également l’occasion pour les villageois d’exprimer leurs frustrations et leurs attentes vis-à-vis du gouvernement. La demande principale concerne le branchement sur le réseau électrique. Il devient rapidement clair que réussir à faire venir l’électricité au village prouverait aux sceptiques, essentiellement les chefs de famille, que les productions artistiques des femmes peuvent avoir un intérêt concret pour la communauté. Afin de pouvoir porter la voix des artistes populaires auprès des autorités locales, l’association Huanghe gaoyuan shengtai wenhua fazhan baohu xiehui 哴⋣儈⭏ᘱ᮷ॆਁኅ؍ᣔॿՊ «Association de protection et de développement de la culture du haut plateau de Lœss» est alors créée.
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Figure 5: Discussions à la lampe à huile sur la signification des papiers découpés, hiver 2000 (haut Jin Zhilin, bas Feng Shanyun).
Xiaocheng, village culturel Les premières discussions avec les responsables administratifs n’ayant pas porté leurs fruits, Jin Zhilin décide de bousculer un peu les choses, et en septembre 2001, il proclame solennellement Xiaocheng «Village d’art populaire» Minjian yishu cun ≁䰤㢪ᵟᶁ15. Cette décision est prise en concertation avec les villageois et sans implication du gouvernement. Une cérémonie officielle a tout de même lieu en présence de responsables locaux. Les conséquences les plus immédiates sont le branchement du village sur le réseau électrique et la reconnaissance de la population.
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Entretien avec Jin Zhilin, 11 novembre 2006, Pékin.
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Le village de Xiaocheng regroupe environ 260 personnes, mais une vingtaine seulement sont impliquées dans la production artistique. La structure du «village artistique» s’est pourtant dotée d’un «chef de village artistique» yishu cun cunchang 㢪ᵟᶁᶁ䮯 élu par tout le village. Depuis sa création en 2001, Cheng Wen occupe ce poste. Il a été proposé par Jin Zhilin, Feng Shanyun et He Ping, puis élu par les villageois pour une durée indéterminée. Il n’est pas luimême artiste mais se qualifie de «passionné de culture populaire» (ᡁᱟ≁䰤᮷ॆⲴ⡡ྭ㘵 )16. Sa tâche consiste à organiser régulièrement des soirées durant lesquelles les personnes intéressées (artistes et non artistes) se réunissent pour discuter et échanger sur les productions de chacun et chacune, ainsi que sur des idées d’activités communes. Une «équipe artistique» a été formée pour fédérer plus concrètement les femmes qui produisent des œuvres artistiques. La responsable de cette équipe, Hao Xiuzhen, est très impliquée dans le projet. Jusqu’en 2003, les réunions se tenaient au domicile du chef du village artistique, mais, en 2004, l’association parvient à obtenir une bourse de la Fondation Ford pour ses projets de développement local. La somme obtenue est relativement importante: 38 000 US $ et va permettre dans un premier temps de construire un centre d’activités huodong shi ⍫ࣘᇔ à 5 kong de yaodong, qui sera inauguré le 20 septembre 2004. Ce centre contient deux salles d’exposition, une salle de réunion et deux kong qui servent de logement à Jin Zhilin ou aux membres de l’association et leurs invités durant leurs séjours à Xiaocheng. C’est Hao Xiuzhen, la chef de l’équipe artistique, qui s’occupe de l’entretien et de l’ouverture du centre. Pour cela, elle reçoit de l’association une somme annuelle de 1 500 ¥. La plus grande partie de cette somme est pourtant destinée à un autre projet, dont l’incitateur est toujours Jin Zhilin et que les membres de l’association vont avoir à cœur de porter avec lui: la création d’un musée de la culture populaire du Shaanbei et de la «culture yaodong».
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Entretien avec Cheng Wen, 30 avril 2008, Xiaocheng.
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Le musée des Arts et Traditions populaires de Nianpan En effet, comme nous l’avons plusieurs fois rappelé, c’est à l’ensemble des habitudes de vie du Shaanbei que Jin Zhilin s’intéresse. C’est une culture représentée certes par son art mais également par son habitat, ses rites et sa culture matérielle et immatérielle qu’il souhaite valoriser et faire connaitre. Ses voyages en France lui ont montré des exemples de musée présentant au public les objets du quotidien dans une dimension de conservation et d’éducation. C’est ce modèle que Jin Zhilin va présenter et défendre auprès des villageois du hameau de Nianpan, qui fait partie administrativement du village de Xiaocheng. Dans ce hameau, situé à un ou deux kilomètres de Xiaocheng et qui regroupe environ 300 personnes, était à l’abandon un ensemble de 28 yaodong en pierre datant probablement de la fin du XIXe siècle. Comme les habitants s’étaient fait construire de nouveaux yaodong durant les années 1990, les anciens menaçaient de tomber en ruine faute d’entretien. Les porteurs du projet ont donc proposé aux 20 différents propriétaires de leur donner 200 ¥ par an et par yaodong pour y installer le musée. En contrepartie, les propriétaires s’engagaient à entretenir leur bien et à éviter de futures dégradations. Une partie de la somme de la Fondation a été cependant utilisée pour restaurer les cellules les plus dégradées. De longues réunions eurent lieu avec les villageois, qui étaient d’autant plus intéressés qu’ils se sentaient délaissés par rapport à Xiaocheng, village artistique. Les habitants de Nianpan ont été invités à offrir des objets pour constituer la collection du musée17. Étaient privilégiés les ustensiles dont on ne faisait plus usage. C’est Feng Shanyun qui a été responsable du choix, du classement et de l’installation des collections. C’est ainsi que plus de trois mille objets ont été rassemblés et répartis en 14 thématiques principales: histoire (céramiques et ouvrages d’avant 1949); agriculture et labourage; alimentation; filature, tissage; transports; artisanat; batellerie sur le fleuve Jaune; religion; activités artistiques paysannes; calebasses et pipes; cuisine de fête; le mobilier; le mariage; l’éducation (des enfants) 17
Il a été répété plusieurs fois pendant les entretiens avec les habitants de Nianpan qu’aucun objet ne venait de Xiaocheng!
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et une salle très importante pour les villageois: on y trouve différents types de lampes. En effet, sont rangées dans cette pièce toutes les lampes utilisées avant l’arrivée de l’électricité en 2001. Enfin, le 20 juillet 2004, a eu lieu l’inauguration du «musée de la Culture populaire du haut plateau de lœss de Nianpan» (⻮⮄哴 ⋣⭏ᘱ≁؇᮷ॆঊ⢙侶).
Figure 6: Musée de Nianpan, porche d’entrée © bodolec.
Actions locales, visibilité nationale et internationale L’association de Jin Zhilin ne limite pas ses actions au village artistique ou au musée, mais les étend à la région, qu’elle cherche également à animer par des manifestations festives visant à attirer du public et à fédérer la population. C’est ainsi que dès 2001 une fête pour la naissance du village artistique de Xiaocheng a été organisée. Les artistes sont incitées à présenter leurs œuvres au public venant des villages alentours mais surtout de la ville de Yanchuan. À la grande surprise de la plupart d’entre elles, certains papiers découpés ont été achetés pour une centaine de yuans: les maris ont dès permis à leurs épouses de faire du papier découpé en dehors des moments d’inaction, et les filles se sont intéressées aux travaux de leurs mères.
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Figure 7: Rassemblement pour la naissance du village artistique de Xiaocheng, sept 2001.
En 2002 a eu lieu à Yanchuan une session nationale sur le papier découpé comme élément du patrimoine culturel immatériel. En marge de leur participation à certains travaux officiels, les artistes du village de Xiaocheng ont reçu l’autorisation de présenter et de vendre leurs œuvres. En janvier 2004, la Fondation chinoise Long March Foundation s’est installée à Yanchuan pour quelques semaines dans le cadre d’un projet d’art contemporain sur l’anniversaire de la Longue Marche de 1934-1935. Ses membres ont réalisé une enquête auprès des artistes afin de répertorier leur nombre et leur style de production. Le résultat a été qu’à la Ve Biennale de Shanghaï (27 septembre-28 novembre 2004), ce sont des papiers découpés de Xiaocheng et d’autres villages de Yanchuan qui ont formé le tapis sur lequel était posé le pupitre officiel18.
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On peut voir ce «tapis» sur le site de la biennale (consulté le 20/10/2007).
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La dernière grande manifestation a eu lieu du 20 au 22 février 2007 et a réuni des artistes français, chinois et africains dans le cadre d’un atelier du IIe Forum China Europa de la Fondation Charles Léopold Mayer pour le progrès de l’homme. Cette fondation indépendante de droit suisse fondée en 1982 se donne pour but statutaire de «financer, par l’action de dons ou de prêts, des recherches et actions qui concourent, de manière significative et innovante, aux progrès des hommes par la science et le développement social»19. C’est par l’intermédiaire de Jin Zhilin encore une fois que cette manifestation a pu avoir lieu; c’est lui qui a fait se rencontrer François Bossière, peintre français enseignant à l’Institut des Beauxarts de Xi’an et Yu Shuo, anthropologue travaillant pour la Fondation, son épouse et He Ping. Celui-ci leur a fait découvrir Xiaocheng et quelque temps plus tard, la décision a été prise d’organiser un atelier réunissant des artistes populaires de plusieurs nationalités. C’est He Ping qui a été en charge de la négociation avec les autorités du district qui se sont tout de suite enthousiasmées pour le projet. Malgré tout, il a fallu repousser la manifestation d’une année afin de permettre les aménagements routiers nécessaires. En effet, la seule réticence de la Fondation venait de la très mauvaise qualité des voies d’accès à Xiaocheng: routes de terre étroites et dégradées par les pluies d’été. Le district a décidé de débloquer un budget très conséquent de 30 millions de yuans pour élargir la route et la macadamiser20. Ces travaux constituent une amélioration très importante des conditions de vie des villageois et une conséquence presque inattendue du mouvement de protection et de valorisation de l’art populaire. En dehors des trois jours de fête où les discours se sont succédés et où les troupes de Shaanbei yangge, Shaanbei minge ont dansé et chanté, les œuvres produites ont été présentées aux visiteurs. Les artistes interrogées sont très prolixes sur les découvertes faites auprès des vingt-trois occidentaux et des africains présents près de trois semaines sur place.
19 20
Page «Qui sommes-nous?» du site de la fondation (consulté le 13/01/2009). Entretien avec He Ping, Yanchuan, 25 avril 2008.
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Mise à distance du gouvernement Il n’a pas été possible de trouver un statut juridique à l’association ou au musée de Nianpan21. L’association n’est pas inscrite auprès de l’administration des affaires civiles de Yanchuan et Feng Shanyun, son président, a confirmé qu’il n’avait pas fait les démarches d’inscription. De plus, son organisation et son fonctionnement ne correspondent pas au règlement concernant les associations (⽮Պഒփ) promulgué en 1998 – entre autres car avec seulement sept membres, l’association est bien en dessous des 50 membres individuels nécessaires officiellement. Elle n’est pas non plus inscrite comme minban feiqiye danwei ≁࣎䶎Աъঅս «organisme privé à but non lucratif», qui est une autre forme de regroupement permise par l’État22. Cette seconde forme serait pourtant celle qui pourrait le mieux convenir aux activités développées par l’association depuis 2001, puisqu’elle permet d’utiliser de l’argent privé pour des activités sociales à but non lucratif. La création d’un musée entre parfaitement dans le cadre prévu par le règlement, et la majorité des musées privés de Chine sont actuellement adossés à une organisation nongouvernementale. Pour gérer ce type de musées, qui fleurissent de plus en plus en Chine, un règlement spécifique fut promulgué fin 200523. Bien qu’il ne soit entré en vigueur qu’en juin 2006, son effet étant rétroactif (art. 12), il concerne donc bien le musée de Nianpan, inauguré en juillet 2004. Or, les statuts actuels du musée, affichés à l’entrée, ne sont pas tous en conformité avec le règlement officiel. C’est particulièrement le cas de l’article 2, qui dit que «les bénéfices seront 21
22
23
Merci à Wang Li, pour son aide précieuse concernant les textes juridiques sur les associations et les musées privés. Wang Li, doctorante, droit du patrimoine culturel. Université Paris Sud-XI, Cecoji-CNRS. . Règlements n° 250 et n° 251 promulgués par le Premier ministre en 1998. Les deux réglements ayant été promulgués le même jour, il s’agit bien dans l’esprit des législateurs de deux statuts différents. Pour plus de détails, voir le règlement lui-même ঊ⢙侶㇑⨶࣎⌅, ᮷ॆ䜘Ԕㅜ 35 ਧ (Ordonnance n° 35), 2005 ᒤ 12 ᴸ 22 ᰕ. sur le site de la Cour suprême nationale (consulté le 20/03/2009).
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partagés en trois (Association de protection et de développement de la culture du haut plateau du fleuve Jaune, Village de Nianpan, investisseur24) selon les parts de chacun» ਇ⳺ᵳй㓗ᡰᴹ (哴⋣⭏ᘱ᮷ॆ؍ᣔਁኅॿՊ, ⻮⮄ᶁ, ᣅ䍴ᯩ ) ᤹㛑࠶ᡀ . Or, selon le règlement des musées, article 11: «L’investisseur ne doit pas convenir de demander un retour financier» ࠪ䍴Ӫн㾱≲ਆᗇ㓿 ⍾എᣕⲴ㓖ᇊ. L’absence de statut juridique pour l’association pose tout de même un certain nombre de questions concernant la façon dont les fonds de la Fondation Ford ont pu être transférés. En effet, lors de différents entretiens, l’association a maintes fois été désignée comme le maillon ayant permis à la fois de présenter un dossier de candidature et d’utiliser la bourse: elle est mentionnée comme gestionnaire, lors de la construction du centre d’activités notamment. Or, il apparaît dans les statuts que l’argent a transité par le ministère de la Culture (article 5) – mais il ne nous a pas été possible de savoir comment il arriva jusqu’à Yanchuan et l’association. Il est par ailleurs certain que les instances culturelles de Yanchuan n’ont pas été partie prenante du processus. L’hypothèse la plus probable est l’intervention personnelle de Jin Zhilin. Les autres articles précisant les statuts du musée sont assez explicites et ont comme principal objectif d’impliquer la population dans la gestion du musée. Aucun effort n’a été fait depuis la promulgation du règlement pour se rapprocher des instructions officielles nationales.
Implication des habitants Afin que les villageois puissent se sentir impliqués, le choix de ne pas acheter l’ensemble yaodong de Nianpan a été fait très tôt. Les locaux sont donc loués aux propriétaires contre un loyer assez minime. L’entretien des bâtiments a été confié à deux personnes; pour ce travail, elles reçoivent annuellement un salaire de 1500 ¥. He 24
C’est-à-dire la Fondation Ford.
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Cailiang 䍪ᖙ㧢, mère de famille d’une quarantaine d’années, explique que ce travail lui a beaucoup apporté. En plus du ménage des salles, elle est chargée d’ouvrir les portes aux visiteurs. Elle ne résiste guère à commenter et expliquer l’usage des objets à la place des jeunes guides officielles éduquées à la ville. Elle s’est à ce point impliquée dans la gestion du musée qu’en 2006 elle a demandé à Jin Zhilin l’autorisation d’ouvrir une petite boutique pour permettre aux touristes d’acquérir ses œuvres et celles de ses amies. Cellesci sont devenues des bénévoles très précieuses. Une autre façon d’impliquer l’habitant passe par les collections du musée. Tous les objets présentés portent une étiquette sur laquelle le nom du donateur est inscrit ainsi que la date du don. Ces éléments sont particulièrement appréciés des villageois qui y voient une indication supplémentaire de l’appartenance du musée au village de Nianpan. Le règlement du musée, affiché à l’entrée est par ailleurs très explicite sur ce point et l’indique à chaque visiteur dans son premier point: «L’autorité sur le musée des Arts et Traditions populaires de Nianpan appartient à tous les villageois de Nianpan» Nianpan minsu bowuguan suoyou quan shu Nianpan cun quanti cunmin ⻮⮄≁؇ঊ⢙侶ᡰᴹᵳ⻮⮄ޘփᶁ≁. À Xiaocheng, nous l’avons dit, les activités artistiques organisées ne sont pas uniquement réservées aux quelques artistes du village mais ouvertes à tous. Certaines femmes se sont mises à apprendre le découpage ou la technique du budui hua depuis 2001-2002. L’action de Jin Zhilin et Feng Shanyun s’est également étendue aux chants populaires et aux danses des semailles. Des troupes se sont créées pour proposer des spectacles lors des manifestations qui ont eu lieu en 2002, 2004 et 2007. Mais débordant le cadre des représentations et des répétitions, ce sont des enseignements aux plus jeunes qui se sont spontanément organisés. La difficulté est bien entendu de permettre à chacun de trouver son intérêt, et des tensions apparaissent inévitablement entre ceux qui peuvent profiter de la vente de leurs œuvres – Hao Xiuzheng avoue gagner entre 6 et 7 000 ¥ par an – et les autres. D’autres stratégies se sont cependant mises en place, notamment au vu de l’arrivée de touristes sur les sites. En 2008, il était possible de se loger de deux façons à Xiaocheng: soit dans un hôtel financé par le gouvernement du district, soit chez l’habitant. En 2005-2006, pour accueillir l’atelier
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de la Fondation Charles Léopold Mayer, l’État a non seulement investi dans les infrastructures routières, mais également dans la construction d’un hôtel en yaodong. Il est géré par un habitant du village et des emplois ont été créés. Les cellules de yaodong sont équipées d’une salle de bain et conviennent aux rares groupes de voyages organisés. Par ailleurs, pour contenter un tourisme individuel composé de jeunes Chinois ou d’étrangers, au moins deux propriétaires de Xiaocheng ont ouvert des sortes d’auberges au confort plus sommaire mais à l’ambiance conviviale et très bon marché. Il n’a pas été possible d’interroger tous les habitants de Xiaocheng et de Nianpan, mais malgré les disparités, et compte tenu des implications des uns et des autres, il est indéniable que la situation est nettement différente de celle de l’hiver 2001, durant lequel Jin Zhilin est venu peindre le fleuve Jaune. L’électricité, la route et des infrastructures hôtelières ont permis au village de se développer économiquement. Les actions de protection et de valorisation de l’art populaire parfaitement en phase avec les politiques nationales vis-à-vis du patrimoine culturel immatériel attirent un public encore peu nombreux mais en augmentation. Et pourtant, des facteurs extérieurs récents pourraient compromettre cette dynamique et les efforts engagés.
Évolution de la situation sociale et économique En effet, depuis 2006-2007, le nombre d’habitants permanents dans le village a nettement chuté. L’école de Xiaocheng, qui accueillait également ceux de Nianpan, a fermé. Une discussion avec la viceresponsable du district de Yanchuan, Lü Qinfang औ㣣, permet de comprendre que la politique du gouvernement n’est pas de fermer systématiquement les écoles de village mais de ne pas nommer d’enseignants pour y faire classe. Si les villageois parviennent à décider un professeur de s’y installer, son salaire sera pris en charge, sinon l’école sera fermée25. Le résultat reste identique et les élèves sont 25
Entretien avec Lü Qinfang, Sangwa, 21 octobre 2008.
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alors scolarisés au mieux dans le canton de Tugang ൏, et au pire à Yanchuan. Dans tous les cas, les parents doivent déménager pour les accompagner: dans certaines familles, seul un des adultes part et travaille à la ville, l’autre reste sur l’exploitation. Par ailleurs, la quantité de terre cultivable sur le territoire du village ne cesse de diminuer en raison de la politique de reboisement. Les paysans sont alors obligés d’aller chercher du travail en ville. L’impact sur les activités artistiques fut immédiat: les réunions et les répétitions furent suspendues en attendant le retour des familles pour les vacances d’été et de nouvel an.
Récupération par le gouvernement Mais la principale évolution vient de l’implication de plus en plus forte des instances gouvernementales dans le processus. Tenues à l’écart de la création et de la gestion du village artistique et du musée des Arts et Traditions populaires, les autorités culturelles du canton et du district ont pourtant toujours été informées, et d’une certaine façon partenaires, des actions. Ainsi, une certaine bienveillance a toujours prévalu. Les choses évoluent doucement depuis 2005-2006, et le gouvernement du district commence à présenter l’art populaire comme un facteur de développement possible et une vitrine pour promouvoir la région. En 2006, le centre culturel de Yanchuan a ainsi ouvert une galerie regroupant non plus seulement les artistes de Xiaocheng, mais tous les artistes villageois du district, dans un souci de meilleure représentativité locale. Pour l’instant, le lieu n’est ouvert qu’aux invités du gouvernement de Yanchuan et non au grand public. Le nouveau chef de village administratif élu en 2005, Hao Suiyan, 䜍䲿ᖖ, souhaiterait pouvoir être plus impliqué dans les activités artistiques afin d’augmenter le nombre de touristes. L’un de ses projets est notamment de créer un troupe de dix ou vingt danseurs de yangge qui pourrait se produire devant les touristes, non plus lors des fêtes ou manifestations culturelles, mais lors de spectacles payants. Il projette également de mieux organiser les artistes et de faire en
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sorte que la culture puisse rapporter plus d’argent à toute la communauté. Comme il le dit lui-même: «Cela ne pourra se faire qu’avec le soutien du gouvernement» dan bixu zai zhengfu zhichi xia cai neng gaohao նᗵ䴰൘᭯ᓌ᭟ᤱл㜭ᩎྭ 26. Tout cela est très différent de l’esprit avec lequel le projet a été pensé et très différent du futur dont rêvait Jin Zhilin pour les villageois de Xiaocheng et Nianpan. Le souci est qu’aujourd’hui l’association Huanghe gaoyuan shengtai wenhua fazhan baohu xiehui 哴⋣儈⭏ᘱ᮷ॆਁኅ؍ᣔॿՊ a dépensé pratiquement tout l’argent de la Fondation Ford et des autres sources de financement mineures qu’elle avait pu obtenir. Il lui est donc très difficile de proposer de nouveaux projets, voire, à terme, de pouvoir pérenniser les activités en cours comme les salaires et les loyers. Dans l’immédiat, le charisme de Jin Zhilin, son influence et les réseaux qu’il est capable de solliciter sont une barrière à une prise en main trop importante de l’État.
Conclusion Les actions étudiées dans le cadre de ce programme de recherche sont particulièrement intéressantes pour la compréhension du monde rural contemporain chinois. Cet exemple de création d’un village culturel et d’un musée d’arts et traditions populaires illustre bien une façon assez nouvelle de se regrouper pour «faire ensemble». Les villageois et intellectuels de la ville inventent et créent sans faire intervenir les instances gouvernementales dans le processus. Les populations ont été progressivement sollicitées et se sont impliquées pour proposer des idées et des modes d’organisation, même si nous voyons bien la grande influence des membres de l’Association de protection et de développement de la culture du haut plateau du fleuve Jaune et de celle du professeur Jin Zhilin dans les orientations et les prises de décisions. Le gouvernement du district accompagna la réalisation des projets et en permettant leur extension prend part à sa réussite actuelle et aux perspectives avenirs. 26
Entretien avec Hao Suiyan, Xiaocheng, 30 avril 2008.
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Il reste que rien de tout cela n’aurait été possible sans une relative bienveillance du gouvernement local. Le contexte visant à valoriser et promouvoir le nouveau concept de Patrimoine culturel immatériel en Chine a participé à cette bienveillance. Les précocupations de l’association rejoignent celles de l’Unesco concernant la valorisation internationale du patrimoine culturel immatériel27. Sa convention de 2003 présentant les domaines et les notions attenantes fut particulièrement bien accueillie par la République populaire de Chine. Toute une série d’actions commencèrent à être mises en place: inventaires, inscriptions sur des listes représentatives, aides à la transmission du patrimoine immatériel par l’intermédiaire des détenteurs de savoirs (chuancheng Ր) etc., et en octobre 2009 le découpage du papier chinois, avec un belle part faite aux papiers découpés du Shaanbei fut inscrit sur la liste mondiale du patrimoine culturel immatériel28. Les actions menées dans le district de Yanchuan, et en particulier à Xiaocheng et à Nianpan depuis 2004 sont précisés dans l’inscription et sont parfaitement en accord avec les principes du patrimoine culturel immatériel puisque selon l’article 2 de la convention: On entend comme patrimoine culturel immatériel les pratiques, représentations, expressions, connaissances et savoir-faire – ainsi que les instruments, objets, artefacts et espaces culturels qui leur sont associés – que les communautés, les groupes et, le cas échéant, les individus reconnaissent comme faisant partie de leur patrimoine culturel. Ce patrimoine culturel immatériel, transmis de génération en génération, est recréé en permanence par les communautés et groupes en fonction de leur milieu, de leur interaction avec la nature et de leur histoire, et leur procure un sentiment d’identité et de continuité, contribuant ainsi à promouvoir le respect de la diversité culturelle et la créativité humaine.
C’est cette compréhension et adhésion de «la communauté» que Jin Zhilin a cherché à mettre en place. Il se positionne comme celui qui fera comprendre aux populations la valeur de leur patrimoine. C’est dans ce cadre qu’il nous a semblé particulièrement intéressant de coller le plus possible aux discours des différents acteurs afin de 27 28
La convention est présentée intégralement sur le site de l’Unesco: (consulté le 15/03/2009). On peut accéder au dossier de cet élément sur le site de l’Unesco: (consulté le 15/03/2009).
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montrer leur prise de conscience, progressive, de l’originalité de leur entreprise. La façon dont les habitants de Xiaocheng et Nianpan ont re-construit cette histoire en instaurant une chronologie et une logique dans l’enchainement des évènements ainsi qu’en reconstituant une fresque en images à l’intention des publics très variés de cette initiative, nous a semblé particulièrement pertinente à présenter dans cet article. Il s’agit bien ici d’un «faire ensemble» consciemment réalisé.
Bibliographie BERGÈRE , Marie-Claire. 1989. La République populaire de Chine de 1949 à nos jours. Paris, A. Colin. BODOLEC , Caroline. 2005. La voûte dans l’architecture chinoise. Un patrimoine méconnu. Paris, Maisonneuve & Larose. HE, Yuhuai Henry. 2001. Dictionary of the political thought of the People’s Republic of China. New York, M. E. Sharpe. JIN , Zhilin. 1989a. Zhonghua minzu de baohu shen yu fanyan zhi shen zhuaji wawa (Les bébés aggripés au chignon: divinités protectrices et déesses de la fécondité chez les peuples de Chine). Beijing, Zhongguo shehui kexue chubanshe. JIN , Zhilin. 1989b. L’esthétique de l’art populaire chinois: la poupée porte-bonheur. Paris, You-Feng musée Kwok On. LEDDEROSE , Lothar. 2000. Ten thousand things: module and mass production in Chinese art. Princeton, Princeton University Press. LIANG , Fuzhi. 2007. Yanchuan. Huanghe wenhua lüyou zonglan (Yanchuan: Coup d’œil sur la culture du Fleuve jaune). Xi’an, Huaxia wenhua yishu chubanshe. NEEDHAM, Joseph. 1971. Science and civilisation in China: physics and physical technology. Vol. IV-3, civil engineering and nautics. Cambridge, Cambridge University Press. SEGALEN, Martine. 2005. Vie d’un musée 1937-2005. Paris, Stock.
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Agir ensemble à Dongcun, ou le surgissement caché du politique ISABELLE THIREAU
Dongcun, le 6 mai 2008. C’est dans ce village de la banlieue ouest de Pékin que Liu Dongmei, l’une des principales protagonistes de ce récit, vient d’ouvrir un restaurant d’une dizaine de tables pour financer les activités que, depuis deux ans déjà, elle développe en faveur de la population migrante. Le restaurant est situé dans la rue principale du village, après une succession de petits commerces dont le nombre est incompréhensible si l’on ne sait pas que Dongcun compte plus de 2 000 «locaux», c’est-à-dire des personnes qui détiennent des droits de résidence permanents dans le village, et près de 12 000 migrants, c’est-à-dire des personnes officiellement enregistrées ailleurs et donc considérées comme des waidiren (ཆൠӪ), des étrangères au village, quel que soit le nombre de mois ou d’années passé à Dongcun1. La façade du restaurant est recouverte de carreaux de céramique rose et surmontée d’un grand panneau rouge où l’on peut lire: «Restaurant de la communauté de quartier pour un même cœur» (Tongxin shequ canting ਼ᗳ⽮४佀). Puis, juste en dessous: «Centre de service de la lumière du soleil pour la population mobile» (Liudong renkou yangguang fuwuzhan ⍱ ࣘ Ӫ ਓ 䱣 ݹᴽ ࣑ ㄉ). Enfin, plus bas, sous trois photos représentant des ouvriers du bâtiment, sont inscrits les mots «Maison de l’espoir» (Xiwang jiayuan ᐼᵋᇦഝ) entrelacés avec une inscription en anglais: «Female network». Autant de dénominations quelque peu éclectiques et obscures qui, pourtant, 1
Chiffres proposés sur le site électronique du gouvernement de l’arrondissement urbain de Shijingshan: (consulté le 14/01/2009). Dongcun est administré par le comité de résidents de Lanshan, l’un des 18 comités placés sous l’autorité du bureau de quartier de Pingguoyuan. Ce dernier est l’un des dix bureaux de quartier qui constituent l’arrondissement urbain de Shijingshan à Pékin.
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en reliant le restaurant à des sphères d’activités et à des sources de légitimité variées, autorisent sa présence au beau milieu de ce qui était il y a encore une dizaine d’années un village du nord de la Chine tourné vers l’agriculture, éloigné du centre urbain, ne connaissant rien aux bouleversements suscités aujourd’hui par les arrivées et les départs quotidiens de migrants. Ce jour-là, le restaurant est étonnamment calme. Debout devant le comptoir, Liu Dongmei et Xiao Lei, ancien étudiant d’une université de Pékin, aujourd’hui volontaire rémunéré par la branche hongkongaise de l’organisation Oxfam, nous expliquent que l’eau et l’électricité ont été coupées au petit matin sans aucun préavis pour des travaux. Tous les commerces sont paralysés, les réfrigérateurs sont à l’arrêt avec leurs produits qui décongèlent: un coup dur pour le nouveau restaurant qui a besoin d’une recette quotidienne de 450 yuans au moins pour ne pas fonctionner à perte. Cinq clients seulement sont attablés: quatre salariés migrants qui résident au village et, un peu plus loin, un ancien policier de Dongcun qui n’a pas encore abandonné son uniforme, même s’il se trouve depuis plusieurs années déjà à la retraite. Une femme, qui a connu Liu Dongmei dix ans plus tôt alors qu’elle travaillait à la «Maison des jeunes filles migrantes» (Dagongmei zhi jia ᢃᐕѻᇦ) à Pékin, est arrivée quelques minutes avant nous2. Mariée depuis peu à un Pékinois et ayant pu à ce titre faire transférer son certificat de résidence dans la capitale, elle est venue se renseigner sur les activités de Liu Dongmei et les moyens de faire quelque chose de semblable dans le quartier où elle habite. Nous sommes à peine installés que Wang Yong, originaire du Henan, fait irruption dans le restaurant pour demander de l’aide. En effet, depuis plusieurs jours, elle tente avec d’autres de parer à une situation d’urgence. À la suite d’une succession de conflits, un cadre du gouvernement de l’arrondissement urbain (qu ४) qui administre Dongcun a intimé l’ordre à Liu Dongmei de vider «l’entrepôt». Il s’agit d’une grande pièce louée dans une école désaffectée où s’entassent les vêtements donnés par des étudiants de la capitale avant d’être revendus à très bas prix dans le commerce d’occasion 2
Il s’agit là de l’une des plus anciennes organisations créées en Chine pour venir en aide aux femmes migrantes.
Agir ensemble à Dongcun, ou le surgissement caché du politique
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créé à cet effet. Un autre cadre, chargé de la gestion des biens immobiliers possédés par le bureau de quartier (jiedao banshichu 㺇 䚃 ࣎ һ ༴), en a profité pour demander à Liu Dongmei de quitter les principaux locaux de la Maison de l’espoir, c’est-à-dire la maison louée près de l’entrepôt et qui abrite précisément le commerce, baptisé «supermarché», ainsi qu’un centre d’activités pour les femmes et les enfants, une petite bibliothèque et un bureau3. Sur les pas de Wang Yong, nous arrivons devant cette maison où plusieurs dizaines de personnes s’affairent et se croisent. Il y a tout d’abord des femmes, toutes migrantes, qui vont chercher des vêtements à l’entrepôt, les rangent en tas, répondent aux clients et les servent. Il y a celles qui mettent les livres d’enfants du centre d’activités en tas bien ficelés afin qu’ils soient plus faciles à transporter jusqu’au deuxième magasin d’occasion que Liu Dongmei a heureusement ouvert quelques mois plus tôt dans un village voisin et qui va accueillir provisoirement tout ce qui doit être déménagé. Certaines sont des mères qui animent les activités organisées depuis deux ans à la Maison de l’espoir; d’autres sont des femmes qui, parfois avec maris et enfants, ont simplement assisté à ces activités. Il y a aussi les clients, enfants et adultes confondus. Ce jour-là, tous les vêtements sont vendus un yuan la pièce et des migrants sont venus de villages voisins pour faire des achats. Quelques-uns d’entre eux ont proposé leur aide pour transporter livres ou vêtements. Il y a enfin les visiteurs qui surgissent à l’improviste et sont enrôlés sur-le-champ pour prêter main-forte: la directrice d’une école pour jeunes filles musulmanes de la province du Gansu qui, de passage à Pékin, est venue voir Dongcun dont elle a entendu parler; quatre étudiants de la capitale qui soutiennent dans une autre banlieue de la capitale une école privée destinée aux enfants de migrants et qui étaient venus pour discuter. 3
Il existe en Chine deux sortes de municipalités: les municipalités de rang préfectoral et les municipalités ayant rang de district. Toutes ces municipalités comprennent des arrondissements urbains et des districts ruraux. Les arrondissements urbains sont divisés en quartiers administrés par des bureaux de quartier et en communautés de résidents dirigées par des comités de résidents. Ces derniers constituent l’échelon inférieur de gestion politique et administrative des villes chinoises. À Shanghai, les communautés sont formellement situées au niveau des bureaux de quartiers.
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En nous rapprochant ainsi de Dongcun, alors même que nous y venons régulièrement depuis trois ans, les événements qui s’y déroulent semblent être difficiles à saisir car marqués à la fois du sceau du provisoire, de l’incertitude, de l’apparente dispersion des activités mais également de la très grande diversité de ceux qui y font une apparition, se parlent, agissent ensemble selon des configurations très variées. Et, pourtant, à travers ce mouvement incessant, et alors que nul ne semble littéralement savoir de quoi sera fait le lendemain, il est possible de capturer des initiatives et des orientations qui, de façon tout à fait concrète, transforment la société chinoise en apportant des réponses inédites à des questions comme: qui fait quoi – ou plutôt – qui peut faire quoi? Avec qui? Comment? Et surtout, qui s’estime responsable de quoi?
Être d’ici ou être d’ailleurs En août 2007, les autorités chinoises annoncent que, désormais, sur trois personnes résidant à Pékin, il y en a une qui n’y dispose pas de droits de résidence permanents. Parmi les 17 millions de personnes que compte alors la capitale, un peu plus de 5 millions appartiennent en effet à la population dite migrante, une population ainsi désignée non pas tant parce que ses membres sont engagés dans un parcours de mobilité géographique que parce qu’ils résident ailleurs que là où ils sont officiellement enregistrés4. Autrement dit, leur certificat de résidence, ou hukou ( ᡧਓ), est domicilié dans un village, un bourg ou, comme on l’oublie trop souvent, dans 4
Officiellement, le nombre total de personnes résidant en Chine ailleurs que là où elles sont officiellement enregistrées est d’environ 140 millions de personnes. Toutefois, ce groupe n’est pas stable: chaque année voit le retour de migrants dans leur localité d’origine et le départ de nouveaux candidats à une mobilité géographique. Pour les chiffres concernant la population de Pékin, lire par exemple le récit de la conférence de presse réalisée le 20 août 2007 par les principaux responsables du département de la Sécurité publique de la municipalité. (consulté le 10/01/2009).
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une autre ville chinoise5. Cette définition institutionnelle des migrants chinois qui rassemble tous ceux qui sont formellement domiciliés ailleurs que dans la localité où ils séjournent – quelle que soit la durée de ce séjour du moment qu’elle dépasse une durée de six mois – explique que ces derniers soient volontiers agrégés et considérés comme formant un seul bloc. Qui plus est, les glissements opérés entre plusieurs terminologies et notamment entre les expressions «population mobile» (liudong renkou), «individus venus d’ailleurs» (waidiren) et «paysan-ouvriers» (mingong ≁ᐕ ) – une formule qui désigne à l’origine les individus détenant un certificat de résidence agricole embauchés en ville pour des projets de courte durée – conduisent volontiers ceux qui ne partagent pas cette situation à identifier tout migrant comme une personne originaire de la campagne. La très grande coupure instaurée entre monde urbain et monde rural ainsi que les préjugés qui l’accompagnent interviennent alors pour poser les migrants comme des êtres partageant non seulement les mêmes motivations et les mêmes visées, mais le même manque d’éducation, de qualification, voire de civilité. Pourtant, il suffit de se rapprocher des quartiers de la capitale où les migrants s’installent de façon privilégiée – des quartiers vétustes dont la rénovation tarde, d’anciens villages désormais encerclés par la ville mais dont la mutation n’est pas encore achevée, des villages de plus en plus excentrés de la banlieue de Pékin –, pour 5
Il existe une abondante littérature sur la question du hukou, système instauré en 1958, qui distingue les livrets de résidence selon qu’ils sont agricoles ou non agricoles mais aussi selon la localité où ils sont enregistrés: dans chaque localité, ceux qui y sont officiellement enregistrés disposent d’un certain nombre de droits dont sont privés ceux qui y habitent de fait mais qui sont formellement enregistrés ailleurs. On signalera ici quelques études sur ce sujet comme Dorothy Solinger, 1999, Contesting citizenship in urban China: peasant migrants, the State, and the logic of the market. Berkeley, California, California University Press. Hein Mallee, 2003, «Migration, hukou and resistance in reform China», in Elizabeth J. Perry et Mark Selden (eds.), Chinese Society: Change, Conflict and Resistance. London, Routledge-Curzon, 2nd edition, p. 136-157; Wang Fei-ling, 2005, Organizing through division and exclusion: China’s hukou system. Stanford, Stanford University Press; Isabelle Thireau et Hua Linshan, 2010, «Entre le local et le national: migration et citoyenneté après les réformes de Deng Xiaoping», in Citadins et citoyens dans la Chine du XXe Siècle. Paris, Editions de la MSH.
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remarquer non seulement la très grande différence d’un lieu à l’autre dans l’origine et la composition des migrants, mais aussi le caractère extrêmement hétérogène du groupe qu’ils constituent. À Dongcun, dominent ainsi les migrants originaires des provinces du Hebei, du Henan et du Hubei, puis dans une moindre mesure, de l’Anhui et du Sichuan, même si toutes les provinces s’y trouvent représentées. Ces distinctions géographiques sont parfois associées à des distinctions professionnelles très générales: les gens du Hubei travaillent volontiers dans l’aménagement intérieur des bâtiments, ceux du Henan dans la collecte et la vente des déchets, ceux du Hebei dans le petit commerce, ceux de l’Anhui dans le transport routier. Dans bien des cas, l’appartenance à une même province recouvre en fait l’appartenance à un même district: les Sichuanais sont souvent originaires du district de Yilong, les Henanais du district de Xinyang. Mais ces modes d’identification et de classement, qui permettent d’appréhender une réalité marquée du sceau du flou et du provisoire (les migrants sont engagés dans des projets par définition incertains et sans cesse reconfigurés, de nouveaux départs et de nouvelles arrivées se produisant chaque jour), sont impuissants à traduire la complexité de ce groupe particulier. Non seulement l’origine géographique diffère, mais la composition familiale, les métiers exercés, le niveau d’éducation varient d’un migrant à l’autre. Dongcun, éloigné de tout grand projet de construction, où ne se trouvent ni usines ni dortoirs, accueille ainsi une population migrante qui, loin d’être composée essentiellement d’hommes et de femmes venus seuls, est formée pour moitié de familles. Ce sont souvent des couples âgés de trente à cinquante ans, accompagnés en moyenne de deux à trois enfants. Les grandsparents ont parfois fait le voyage. Les activités exercées par les migrants vont des travaux les moins qualifiés à des emplois de techniciens supérieurs; les niveaux d’éducation vont de l’illettrisme à la possession d’un diplôme sanctionnant trois années d’études supérieures. La façon dont se recouvrent ces différents éléments aboutit à la constitution d’une hiérarchie complexe au sein de la population migrante, attribuant à ces familles des ressources très différentes pour faire face aux contraintes qu’elles partagent: des revenus inférieurs par rapport aux foyers locaux possédant les mêmes compétences; des dépenses supérieures dans des domaines tels que l’édu-
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cation, la santé, l’eau ou l’électricité; des droits de résidence provisoires6. Lu Yang, par exemple, a quitté son village du Henan à l’âge de 16 ans, une fois diplômée du collège (chuzhong biye ࡍѝ∅ъ )7. Elle a travaillé pendant dix ans dans des usines de la province du Fujian puis, en 2001, elle est revenue au village épouser un homme originaire du même district. Avec son mari, elle est aussitôt repartie à Pékin, où il exerçait depuis huit ans déjà le métier de cuisinier. Après avoir ouvert un restaurant qui a fait faillite, son époux a repris aujourd’hui son ancien métier pour un salaire de 2 500 yuans. Logé sur place, il rentre une fois par semaine à la maison. Lu Yang s’occupe à Dongcun de leur fille, âgée de quatre ans. Le soir, elle accueille des proches pour une coupe de cheveux à quelques yuans, complétant ainsi le revenu mensuel familial de 300 yuans environ. À la suite de plusieurs déménagements, la famille est arrivée à Dongcun il y a trois ans. Elle dépense chaque mois 700 yuans en moyenne pour les frais courants (dont 280 yuans pour la location d’une pièce de 9 m2, 70 yuans de charbon, 20 yuans de téléphone portable), auxquels viennent s’ajouter les 370 yuans de frais pour le jardin d’enfants de leur fille8. La somme restante est consacrée au remboursement d’une dette de 10 000 yuans, mais également à l’envoi de quelques centaines de yuans aux parents, deux fois dans l’année, ainsi qu’à l’accumulation d’un petit capital9. Ce budget, appa6 7 8 9
À titre d’exemple, en mai 2008, l’unité d’électricité valait 6 maos pour un migrant et 4, 8 maos pour un non-migrant. Entretiens avec Lu Yang, Dongcun, 17 août 2006, 21 mai 2008. En outre, ils ont dû, au départ, verser 2 000 yuans pour que cet établissement local accueille leur fille. L’épargne, quelle qu’en soit la visée, est un poste important du budget des migrants, que cette somme soit destinée aux dépenses dans la localité d’origine – mariages, funérailles, création d’un commerce, construction d’une maison – ou pour faire face au coût de la vie dans la localité d’accueil. Si Lu Yang n’a pas voulu avancer de chiffres, trente migrants qui ont participé à une activité organisée le 21 juillet 2005 par plusieurs associations ont répondu à un questionnaire. On peut, à titre d’exemple, citer leurs réponses. Il s’agissait de vingt hommes et de dix femmes âgés en moyenne de 22,6 ans (le plus âgé avait 34 ans, le plus jeune 15 ans). Ayant perçu en 2004 un salaire moyen de 634 yuans (de 400 à 1 000 yuans), ils avaient épargné en moyenne 4 163 yuans cette année-là.
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remment équilibré, est toutefois menacé au moindre problème de santé10. Si Lu Yang et son époux sont les seuls migrants de Dongcun à avoir fait le choix de placer leur fille dans un jardin d’enfants pékinois (les autres ayant préféré garder les enfants en bas âge à la maison ou les inscrire dans l’un des jardins d’enfants non officiels créés par des migrants), tous deux semblent représentatifs de la couche moyenne qui existe au sein de la population migrante locale. Certains couples possèdent en effet des revenus inférieurs, vivant de ressources aléatoires ou cumulant un revenu mensuel de 1 000 ou 1 500 yuans; d’autres, minoritaires, où l’homme comme la femme ont fait des études supérieures, gagnent entre 5 000 et 6 000 yuans. Il en résulte des conditions de vie très différentes: si la majorité de ces foyers vivent dans une seule pièce, ils habitent dans des parties différentes du village et louent des pièces qui varient beaucoup en taille et en capacité à accueillir cuisine ou équipements électriques. Certaines de ces pièces sont situées dans des habitations traditionnelles de la région et sont disposées autour d’une cour carrée; d’autres, très exiguës et basses de plafond, ont été construites sur un terrain vague à proximité de la déchetterie pour être précisément louées aux migrants. Soulignons que de telles locations constituent l’un des principaux revenus des habitants locaux. En 2003, les autorités municipales ont en effet annoncé aux villageois de Dongcun qu’ils se trouvaient maintenant en ville, qu’ils n’étaient plus des paysans mais bien des résidents urbains, dirigés à ce titre par un comité de résidents, et qu’ils devaient cesser d’exploiter les terres collectives destinées à des projets d’urbanisation. Depuis, chaque personne dont le hukou était alors enregistré à Dongcun touche une compensation mensuelle de 300 yuans, une somme cependant insuffisante pour vivre et qui est complétée par les loyers que versent les migrants11. Ces derniers ne partagent donc ni les mêmes parcours ni les mêmes projets. Il serait vain d’essayer de les agréger en identifiant 10
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«Entre novembre et avril, je fais très attention. J’ai trop peur que l’enfant tombe malade parce que, alors, il deviendra impossible de prévoir les dépenses du mois.» Entretien avec Lu Yang, Dongcun, 21 mai 2008. Un grand nombre de ceux qui possèdent des droits de résidence permanents à Dongcun touchaient également en 2008 un revenu minimum mensuel de 390 yuans versé par les autorités locales.
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des traits intrinsèques ou des marqueurs stables communs. Ce qu’ils partagent, en revanche, ce sont les mêmes obstacles, à la fois institutionnels et sociaux; c’est le même espace relationnel fondé sur une dichotomie et une asymétrie entre locaux et migrants, sur le manque de considération et de confiance que les premiers, y compris ceux qui les administrent, accordent aux seconds. Ainsi, à Dongcun, quelle que soit leur situation matérielle, les migrants rencontrés évoquent souvent une même difficulté: ils ne savent pas «où se tenir debout». Cette expression désigne tout d’abord une contrainte physique. Les migrants disposent de très peu d’espace: ils vivent côte à côte dans des pièces qui, bien souvent, n’étaient pas faites pour accueillir toutes les activités d’un même foyer. De plus, ils résident dans un village (même si la localité a désormais le statut administratif de quartier urbain), avec les contraintes de circulation qu’implique l’enchevêtrement d’espaces divers, allant du plus privé au plus public. Qui plus est, il ne s’agit pas de leur village; en tant qu’étrangers à la communauté, ils ne peuvent donc pas y circuler librement. Au manque d’espaces où aller et venir à sa guise s’ajoutent enfin l’ostracisme et le mépris dont les migrants se sentent victimes de la part des locaux: Dans mon village, j’enfile les ruelles, je passe de maison en maison. Ici, je ne peux pas, il y a plein d’endroits où je ne peux pas aller. C’est trop petit chez moi pour y passer la journée, mais où veux-tu que j’aille? En tant que femme, et une femme qui en plus n’est pas d’ici, je ne suis pas censée circuler partout, m’attarder aux carrefours ou devant les commerces avec mon enfant. Moi, il y en a qui me disent bonjour parce qu’ils savent que j’ai un bon salaire, mais quand tu vas faire des courses c’est difficile: soit tu vas dans les magasins pas chers que des locaux ont ouvert pour les migrants et on te regarde avec mépris; soit tu vas dans les autres magasins qui sont vraiment trop chers et on te regarde aussi avec mépris. Alors, quand je ne travaille pas, je préfère rester à la maison. Les gens d’ici, c’est nous qui les faisons vivre. Ils louent quelques pièces et c’est bon. Si on partait ce serait fini. Il y a des quartiers où, quand les migrants sont partis à cause du Sars, les gens du coin n’avaient même plus de légumes à manger. Mais pourtant, dès qu’on sort de chez nous, ils nous regardent de travers. Du coup, quand tu sors, tu ne sais jamais dans quel coin du village tu vas pouvoir t’arrêter quelques instants12. 12
Dans l’ordre: entretiens à Dongcun avec Wang Dehan, 21 avril 2007; Ma Liuling, 11 septembre 2006; Guo Lei, 3 novembre 2008; Liu Fuyou, 7 janvier 2009.
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L’expérience de Liu Dongmei C’est précisément la concentration de migrants à Dongcun qui a amené Liu Dongmei à s’y installer, en mars 2006, pour tenter d’y développer plusieurs activités destinées à cette population. Soulignons qu’un tel projet, aussi limité soit-il, demeure rare à l’échelle de la Chine. Dans un musée, inauguré en 2007 dans un autre village de la banlieue de Pékin et qui évoque l’expérience de la population migrante depuis le début des réformes économiques entreprises vers la fin des années 1970, la Maison de l’espoir figure parmi les vingt associations citées13. Ces associations ont toutes pris des initiatives dans les domaines de l’entraide, de l’éducation, de la culture, de la santé ou de la formation et de l’aide juridique. Elles sont situées à Pékin, Chongqing, Qingdao, Xiamen ou dans le delta de la rivière des Perles. À l’exception de la plus ancienne, établie en 1996, elles ont vu le jour entre 2000 et 2006. S’il est difficile de connaître les critères ayant abouti à la confection de cette liste; si celle-ci regroupe des collectifs très différents; si elle n’inclut ni les centaines d’écoles créées dans toute la Chine pour les enfants de migrants, ni les organisations dites non gouvernementales chinoises et étrangères dont les activités affectent parfois la population migrante, elle constitue néanmoins un indicateur du nombre de projets de ce type qui ont vu le jour14. Elle souligne en retour le faible nombre de personnes qui ont pu, par des cheminements souvent improbables, créer de tels lieux, interroger les formes d’engagement existantes, susciter de nouveaux modes d’interaction et de coordination. 13 14
Migrant Workers Cultural Museum, Picun, district de Tongzhou (Hebei). L’univers des organisations dites non gouvernementales (fei zhengfu zuzhi 䶎᭯ᓌ㓴㓷 ) ou civiles (minjian ≁䰤 ), en Chine, est particulièrement complexe et rassemble des initiatives très variées. Nous nous contenterons ici de signaler que, selon les données officielles, 380 000 organisations de ce type étaient formellement enregistrées en Chine en novembre 2008, leurs activités s’exerçant principalement dans les domaines de l’environnement, de la philantropie, de l’assistance médicale et de l’aide éducative. Dépêche de l’agence Xinhua. 26 novembre 2008. (consulté le 27/11/2008).
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Comme l’expérience observée à Dongcun aurait été différente sans la trajectoire particulière de sa principale protagoniste et, plus précisément, sans l’interprétation donnée par celle-ci aux événements singuliers rencontrés, il convient de retracer très brièvement sa biographie. Liu Dongmei est arrivée à Pékin en 1982, âgée de 16 ans. Alors qu’elle vient d’achever l’école secondaire selon le système alors en vigueur dans son village de la province du Jiangsu (cinq ans d’école primaire, puis deux ans pour chacun des deux cycles du secondaire), elle décide de partir à Pékin pour y travailler comme employée domestique: Pour nous les filles, c’était le seul moyen de partir: aller travailler comme baomu à Pékin. Tous les autres petits boulots, comme travailler dans les ascenseurs des hôtels, étaient alors réservés aux Pékinois. On se disait toutes qu’on partirait à Pékin comme baomu et qu’on irait voir la place Tian An Men! Mais très peu sont vraiment parties, car on n’arrivait pas à imaginer comment c’était loin du village. On ne savait pas grand-chose. Les hommes n’avaient pas de boulot à l’extérieur et étaient aussi ignorants que nous. À l’époque, il n’y avait pas de routes chez nous. Je n’avais jamais pris l’autobus. Je n’étais d’ailleurs jamais allée plus loin que la ville du district où on allait une fois par an, à Qingming, pour nettoyer les tombes. Comme je ne connaissais personne au bourg pour me faire une lettre de recommandation et que je n’avais pas de parents à Pékin, tout le monde au village a dit que je serais de retour avant trois mois15.
Liu Dongmei part pour la capitale avec pour seule adresse celle de la nièce d’un voisin, qui travaille comme employée domestique chez un haut cadre du Parti. Son premier emploi, trouvé grâce à cette connaissance lointaine, rémunéré dix-huit yuans par mois, s’arrête au bout de deux semaines car elle n’arrive pas à s’occuper de l’enfant de dix mois qu’on lui a confié. Elle trouve un autre travail comme cuisinière, change deux fois de famille, avant d’être embauchée par une dame âgée, membre de la Conférence consultative du peuple16. 15 16
Entretien avec Liu Dongmei, Dongcun, 21 juin 2008. La Conférence consultative politique du peuple chinois est une assemblée consultative. Elle rassemble, depuis 2003, 2 238 députés composés aux deux tiers de non-communistes et notamment de représentants des partis dits démocratiques. Elle constitue une seconde tribune, après l’Assemblée nationale populaire, de discussion des grands problèmes du pays.
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I SABELLE THIREAU Elle est ses amis qui venaient à la maison n’arrêtaient pas de me dire: «Alors, petite, tu es si jeune, qu’est ce que tu vas faire plus tard? Tu ne peux pas rester baomu toute ta vie!» Peu à peu, je me suis dit qu’ils avaient raison. Un jour, dans la rue, j’ai vu sur un poteau électrique une annonce pour des cours d’anglais donnés par une école du soir. C’était le tout début de ces écoles commerciales. Je n’avais pas eu de cours d’anglais à l’école car jamais quelqu’un sachant l’anglais ne serait venu enseigner dans notre village17.
Entre 1984 et 1988, Liu Dongmei prend ainsi des cours d’anglais dans plusieurs institutions puis suit une formation payante d’institutrice à l’Université des minorités ethniques. Si elle arrive à travailler tout en suivant ces études pendant les trois premières années (il lui faut notamment rembourser les dettes contractées pour payer les frais de scolarité annuels de 600 yuans), elle se consacre uniquement à cette formation pendant les derniers mois, soutenue financièrement par sa sœur cadette venue la rejoindre à Pékin. Mais le diplôme obtenu n’est pas reconnu, même dans son bourg natal, et avec un certificat de résidence enregistré dans ce village du Jiangsu, il lui est impossible de trouver à se faire embaucher ailleurs comme institutrice. Liu Dongmei retourne donc travailler comme employée domestique dans la dernière famille qui l’avait employée à Pékin. Quelques mois plus tard, son patron, un ancien secrétaire de Zhou Enlai, lui propose un emploi temporaire aux Éditions du peuple. C’est là qu’elle fait la connaissance de son futur mari, originaire de Pékin. Pendant plusieurs années, les parents de ce dernier s’opposent à leur mariage car le hukou de Liu Dongmei est toujours enregistré dans le Jiangsu: elle ne possède aucun ticket de rationnement local et ne peut même pas acheter huile ou riz à Pékin. Qui plus est, si jamais ils venaient à se marier, les enfants du couple seraient identifiés selon le hukou de leur mère et seraient donc enregistrés dans le Jiangsu comme paysans. Seule solution proposée par son mari pour gagner l’accord de ses parents: s’engager tous deux à ne pas avoir d’enfants. Je n’avais pas pu réaliser mon rêve et devenir institutrice à cause de cette histoire de hukou. Et maintenant, toujours à cause du hukou, je devais, soit quitter celui avec qui je voulais me marier, soit décider de ne pas avoir d’en-
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fants. À l’époque, avec mon hukou agricole du Jiangsu, je ne pouvais même pas travailler comme institutrice dans la banlieue de Pékin ou dans un village du Hebei. J’ai trouvé que c’était vraiment trop injuste. Jusque-là, je n’avais pas trop réfléchi à ce qui était juste ou pas, mais à partir de ce moment-là, le sentiment que les choses n’étaient pas justes est devenu très présent. Pourquoi je devais m’imposer de ne pas avoir d’enfants simplement parce que mon hukou était à la campagne? Pourquoi, pour nous qui avions un tel hukou, il y avait tant de feux rouges à subir, les uns après les autres, alors que pour d’autres les feux étaient toujours verts et ils pouvaient aller de l’avant? C’est alors que j’ai pris la décision de modifier mon hukou, quoi qu’il en coûte. Car mon problème ne tenait à rien d’autre qu’au système qui avait été mis en place. Si j’ai voulu modifier mon hukou, ce n’est pas parce que je n’aime pas la campagne ou que je ne veux pas être considérée comme une paysanne. Mais parce que je ne voulais pas admettre qu’on puisse m’interdire tant de choses simplement parce que d’autres avaient établi une telle barrière. J’ai demandé à mon mari de me laisser deux ans pour trouver une solution […]18.
Le 1er janvier 1991, Liu Dongmei part seule pour Shenzhen, où le système du certificat de résidence est plus souple. Deux ans plus tard, elle parvient à y faire transférer son hukou. Après avoir épousé son mari à la fin de l’année 1992, elle continue à travailler dans cette ville du sud de la Chine jusqu’en 1996. En 2001, elle parvient à faire enregistrer son hukou à Pékin où elle obtient enfin, près de vingt ans après avoir quitté la province du Jiangsu, un droit de résidence permanent. Entre-temps, un autre événement aura suscité à nouveau colère, indignation, sentiment d’injustice. En 1994, Liu Dongmei tombe enceinte et, au bout du cinquième mois de grossesse, revient à Pékin auprès de son mari et de ses beaux-parents pour attendre la naissance. Or, si une directive officielle veut que la municipalité de Shenzhen délivre un permis de naissance à partir du sixième mois de grossesse, ce permis obligatoire est réclamé à Pékin avant même le début de la grossesse. Un soir, on est venu frapper à la porte de mes beaux-parents. C’étaient deux responsables du comité de résidents. Ils avaient vu mon ventre et venaient me demander si j’avais le permis pour accoucher à Pékin. J’ai expliqué que je ne l’avais pas encore puisque j’étais de Shenzhen et que là-bas je devais attendre quelques semaines pour le réclamer. Ils m’ont dit que cela n’allait pas, que
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I SABELLE THIREAU dans ce cas je n’aurais pas le droit d’accoucher à Pékin. J’ai appelé à Shenzhen, ils m’ont dit qu’avant six mois de grossesse ils ne pouvaient rien pour moi. Mais je ne pouvais pas me résigner à cette situation et partir seule accoucher à Shenzhen. Mon mari m’avait acheté un manteau chaud pour l’hiver et je suis partie dans Pékin alors qu’il faisait très froid, il y avait de la neige partout. J’ai d’abord été voir l’Association des femmes chinoises. Elles m’ont dit qu’elles n’avaient rien à voir avec tout ça, que je devais aller voir le service qui représentait les autorités de Shenzhen. Là, ils m’ont dit d’aller voir les autorités du quartier, ou l’Association des femmes à Shenzhen, ou bien le bureau du contrôle de la natalité à Pékin. En tous cas, ça ne les regardait pas. J’ai été aussi à l’hôpital pour leur demander de m’aider. J’ai tellement marché et attendu dans le froid que le bébé est mort quelques jours plus tard. Mon enfant! […] Et c’est là que je me suis dit: mais qui suis-je? Qui sommes-nous? Qui s’occupe de nous (shei guan women) comme on dit dans notre pays? Au village, ils considèrent qu’on est partis; à Pékin, ils pensent qu’on n’est pas Pékinois; ceux de Shenzhen ne s’occupent pas de toi à partir du moment où tu te trouves ailleurs. Où sont ceux vers lesquels nous pouvons nous tourner? Je ne me suis pas seulement sentie seule et impuissante, j’ai eu tout simplement l’impression de ne pas exister. Et c’est à partir de là que j’ai commencé à réfléchir, à me dire qu’il fallait absolument que nous nous occupions nousmêmes de nous19.
En 1996, Liu Dongmei revient à Pékin et donne naissance à une petite fille. Un an plus tard, elle entend parler de la première association créée pour venir en aide aux migrants, Dagongmei zhi jia, inaugurée quelques mois plus tôt dans la capitale. Après avoir participé à certaines de ses activités, elle y est embauchée comme permanente à l’accueil en 1999. En 2001, elle est choisie par une fondation américaine, la Luce Foundation, pour aller séjourner trois mois aux États-Unis et suivre une formation dans le domaine du travail social. Elle effectue alors un stage pratique au sein d’une association d’entraide pour les Chinois établis à New York. À son retour, déçue par le fonctionnement et le manque d’efficacité de Dagongmei zhi jia, elle démissionne et trouve un emploi à l’Université des langues étrangères de Pékin. En 2004, elle est contactée par l’une des associations qui l’avaient accueillie aux États-Unis et qui lui propose d’effectuer un second stage de trois mois à New York, puis de l’aider à développer, en Chine, les actions qu’elle souhaite en faveur des
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migrants. Après avoir hésité pendant plus de six mois, Liu Dongmei accepte, et c’est ainsi qu’elle revient fin 2004 à Pékin, avec 15 000 dollars en poche à dépenser pour les activités qu’elle voudra, du moment qu’elles ne sont pas lucratives.
La Maison de l’espoir Les faits évoqués ci-dessus, aussi impuissants soient-ils à rendre compte d’une biographie particulièrement dense et complexe ainsi que des émotions ou des déceptions éprouvées, permettent de mieux saisir les orientations développées par Liu Dongmei. Les initiatives prises en retour seront toutefois étroitement associées à un processus constant d’identification de ce qui apparaîtra, au fil des événements et notamment des échecs ou des incidents, comme nécessaire, souhaitable ou tout simplement possible. Faute de pouvoir relater ce processus de manière détaillée, contentons-nous de reconstituer les principales étapes qui ont permis de dessiner la scène sur laquelle se meuvent, depuis trois ans, toute une série de personnes et d’institutions. Le 8 mars 2005, quelques mois après son second séjour aux États-Unis, Liu Dongmei enregistre formellement, auprès du bureau de l’Industrie et du Commerce de l’arrondissement de Haidian, à Pékin, une organisation commerciale à but non lucratif appelée la Maison de l’espoir. Ou plutôt, elle remet 1 600 yuans à une société spécialisée dans la réalisation de toutes les démarches nécessaires pour créer commerces et industries privés. Puis elle se met en quête d’un lieu où s’installer, d’un dian (⛩) comme elle dit, utilisant le terme employé par le pouvoir politique chinois pour évoquer les localités choisies afin de mener des expérimentations ou tester de nouvelles mesures politiques. Dans un premier temps, Liu Dongmei choisit de coopérer avec une autre association créée par des migrants, active dans plusieurs villages de la banlieue de Pékin. Pour expliquer ce choix, elle souligne son manque d’assurance mais aussi le fait que de tels projets constituent en Chine une «page blanche» et qu’elle ne savait pas trop comment débuter. Il est vrai que le
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développement, aujourd’hui encore très incertain, de ce type d’initiatives ne peut être compris si l’on oublie que, loin d’être familières et routinières, les associations créées par des salariés migrants sont inédites dans l’histoire non seulement de la République populaire de Chine, mais du XXe siècle. Par exemple, ni le contexte social et politique ni l’identité et les ressources de ceux qui créent de tels lieux n’ont grand-chose à voir avec les associations établies, avant 1949, dans les grandes villes chinoises par des commerçants ou des entrepreneurs partageant une même origine géographique; ou avec les actions charitables ou philanthropes développées alors par certains. Après avoir mis à la disposition de cette association une partie de son budget, coopéré à plusieurs projets, dont la création d’une école pour enfants de migrants, Liu Dongmei, qui a le sentiment d’être progressivement confinée à des tâches qui ne l’intéressent pas, décide de partir. Elle identifie alors un village de la banlieue de Pékin, Dongpizhuang, dans l’arrondissement de Haidian, où se trouve une forte population migrante. Elle y loue une petite pièce pour 260 yuans par mois, installe deux tables et deux chaises et s’emploie à contacter les migrants. Non seulement il lui est difficile d’expliquer ses intentions aux foyers qu’elle rencontre, mais elle se trouve dans l’incapacité de faire la preuve de son identité auprès des membres du comité de résidents local, instance de base du pouvoir politique et administratif: elle n’a pas d’emploi, pas de certificat d’embauche, pas d’unité de travail, et elle n’a apporté pour tout papier qu’une sorte de tract exposant ses objectifs. Pour essayer de vaincre leur méfiance, elle demande au responsable de son ancienne association de venir leur montrer une photo le représentant en compagnie du maire de Pékin. Ce qu’il fera, sans pour autant parvenir à persuader ses interlocuteurs, par ricochet, de la bonne foi et de la crédibilité de Liu Dongmei. Si sa première activité, organisée dans la maison d’une habitante du village – elle a fait venir de Pékin des professeurs à la retraite pour parler de l’éducation des enfants –, attire plusieurs dizaines de personnes, la méfiance dont elle est l’objet l’oblige rapidement à partir. Après avoir visité plusieurs villages dans la banlieue de Pékin, Liu Dongmei identifie Dongcun, qui répond à l’un de ses principaux critères: on y trouve quatre écoles privées pour enfants de
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migrants. Et là où se trouvent de telles écoles, il y a des familles, des hommes, des femmes et des enfants qui pourront éventuellement être «mobilisés» (fadong ਁࣘ) ou «organisés» (zuzhi 㓴㓷 ) selon la terminologie, à l’évidence souvent empruntée du registre politique, utilisée par Liu Dongmei. Forte de son expérience passée, elle décide de gagner la confiance du comité de résidents avant de s’installer. Elle prépare un dossier la concernant, elle et son projet, muni des photocopies des quelques articles de presse qui lui ont été consacrés. Si le dossier est utile, la conjoncture, surtout, lui est favorable: en ce mois de février 2006, pour répondre aux appels lancés par le Premier ministre Wen Jiabao, les bureaux de quartier qui supervisent le travail des comités de résidents ont demandé à ces derniers de considérer comme un objectif prioritaire la gestion de la population migrante de la capitale. Ils leur ont octroyé à cet effet de nouveaux personnels, un administrateur pour tous les mille migrants présents. Toutefois, à Dongcun comme ailleurs, le comité de résidents n’a ni le souhait ni les moyens de s’occuper de la population migrante. La proposition de Liu Dongmei permet donc de pouvoir afficher un engagement dans ce domaine sans y investir véritablement de ressources. C’est pourquoi le chef du comité fait à celle-ci la proposition de louer les anciens locaux du comité (une maison de plain-pied de 150 m2 composée de quatre pièces d’inégales grandeurs et d’une petite cour intérieure couverte) pour 1 200 yuans par mois; d’y apposer la plaque de la Maison de l’espoir et, à côté de celle-ci, une seconde plaque portant les mots «Centre de service de la lumière du soleil pour la population mobile» et signalant que les activités menées en ce lieu sont le fruit d’une coopération officielle entre l’association de Liu Dongmei et le comité de résidents. Le 1er mars 2006, les locaux sont inaugurés. Des activités ponctuelles y sont organisées dans un premier temps: un membre d’un centre de recherche sur les enfants et les adolescents vient parler éducation; un médecin, de santé; un bénévole d’une organisation chinoise, des modes de participation à la vie de quartier. En mai, un étudiant, membre de l’association «Les enfants de paysans» de l’École normale du nord de la Chine, arrive comme volontaire à Dongcun pour seconder Liu Dongmei. Le 10 août, le «Supermarché du cœur aimant» (aixin chaoshi ⡡ᗳ䎵ᐲ), qui revend à très bas prix les vêtements donnés par les étudiants de sept universités
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pékinoises, ouvre ses portes dans l’une des pièces louées20. Il devient vite autonome sur le plan financier, permettant de payer le loyer mais aussi de remettre aux cinq femmes migrantes qui s’en occupent un dédommagement quotidien de 25 yuans. Il dégage même un petit bénéfice utilisé pour soutenir d’autres actions: aider quelques familles à payer les frais de santé de leur enfant malade, organiser des séances gratuites de vaccinations. Le 8 janvier 2007, le «Centre d’activités des femmes et des enfants», qui occupe tout le reste des locaux à l’exception d’une petite pièce réservée à l’administration, est inauguré. Il accueille un jardin d’enfants animé par des migrantes et, le reste du temps, propose des activités aux adultes comme aux enfants (conférences, films, bibliothèque pour les enfants, fêtes). Il abrite également un «réseau d’entraide des femmes venues de l’extérieur» (wailai funü huzhu wangluo ཆᶕྷྣӂࣙ㖁㔌). Enfin, le 8 mars 2008, un restaurant ouvre ses portes, les bénéfices éventuellement dégagés devant permettre à la Maison de l’espoir de ne plus solliciter le soutien de l’organisation Oxfam: celle-ci paie en effet, depuis juillet 2006, les 1 200 yuans de loyer et verse trois salaires répartis entre Liu Dongmei, l’étudiant présent comme volontaire et les femmes qui animent le centre d’activités. Les dénominations ci-dessus évoquent des lieux particuliers – un commerce d’occasion, un centre pour les femmes et les enfants, un réseau d’entraide – et signalent le type d’activités qui se déroulent, au quotidien, dans cette maison située dans la rue principale de Dongcun. Elles prêtent toutefois à confusion car elles semblent désigner des ressources et une division du travail qui ne correspondent pas au paysage observé. Plutôt que de s’interroger d’emblée sur les formes d’organisation et de répartition des tâches, il est sans doute plus pertinent de considérer ce lieu comme une terrasse ou une plate-forme (pingtai ᒣਠ), selon le mot souvent utilisé en chinois par nos interlocuteurs, où des personnes très diverses, en se coordonnant les unes avec les autres, suscitent des formes d’interaction inédites, redéfinissent les manières d’accorder la confiance, brouillent mais aussi redessinent les contours de types d’individus 20
De tels supermarchés, appelés parfois «supermarchés caritatifs» se développent depuis plusieurs années dans toutes les grandes villes chinoises. Ils sont toutefois en général créés et supervisés par les autorités locales.
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ou d’actions jusque-là clairement identifiés. Parmi ces personnes, aussi distantes soient-elles, il y a les représentants des organes locaux du pouvoir administratif et politique: le comité de résidents et, aux échelons supérieurs, le bureau de quartier et le gouvernement de l’arrondissement urbain.
«La tourmente des Jeux olympiques» La mésaventure rencontrée par Liu Dongmei à Dongpingzhuang souligne qu’il est impossible pour ceux qui prennent de telles initiatives de le faire sans l’aval des pouvoirs locaux institués. Il ne s’agit pas d’intégrer ces pouvoirs ou, à l’inverse, de les ignorer, mais bien d’être identifié et reconnu par ceux-ci pour pouvoir agir et éventuellement en déborder les limites. Ne pas autoriser le soupçon et son escalade, prouver que les actions menées ne comportent pas de risques pour ces instances mais peuvent au contraire leur être bénéfiques: telles sont les opérations à entreprendre. Réussies, celles-ci se traduisent volontiers, comme à Dongcun, par l’apposition d’une plaque qui signale que les activités menées sont soutenues et encadrées par les autorités. En temps ordinaires, le droit de regard ainsi exercé s’opère à distance, signalé par l’envoi de quelques représentants lors des moments particuliers. C’est ainsi que des membres du comité de résidents ont assisté aux premières activités organisées par la Maison de l’espoir, leur chef demandant même à Liu Dongmei, à la veille de la première conférence, si elle ne voulait pas qu’il fasse venir «quelques dizaines d’habitants touchant le revenu minimum pour remplir la salle»21. Ce droit de regard entraîne, pour Liu Dongmei et ceux qui l’entourent, l’obligation de répondre aux demandes d’information permettant de faire état des activités accomplies dans la presse locale et sur les sites gouvernementaux; ou de disposer formulaires et règlements administratifs concernant les migrants à
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Entretien avec Liu Dongmei, Dongcun, 19 septembre 2007.
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l’entrée du «supermarché». Il peut les contraindre, comme ce fut le cas à la fin de l’année 2007, à recevoir le chef d’un comité de résidents voisin accompagné de quatre femmes migrantes et venu découvrir le supermarché créé pour le reproduire à l’identique dans sa propre localité. En des temps moins ordinaires, qu’ils soient suscités par des conflits particuliers ou par la conjoncture politique générale, ce droit de regard peut aller tout simplement jusqu’à entraîner l’arrêt brutal des activités menées. Pour illustrer les situations susceptibles de conduire à un tel revirement, évoquons brièvement deux événements observés à Dongcun en 2007 et qui ont provoqué la colère de dirigeants locaux et obligé Liu Dongmei à se réfugier pour un temps dans un village voisin, un épisode appelé «la tourmente des Jeux olympiques» par ceux qui l’ont subi. Le 11 octobre de cette année-là, le chef du bureau des services éducatifs de l’arrondissement urbain de Shijingshan, de passage dans le village pour vérifier qu’une école louée depuis plusieurs années par une institutrice afin d’y accueillir des enfants de migrants avait bien été vidée de ses occupants et pouvait être rénovée, tombe sur une salle de classe remplie de vêtements usagers: l’entrepôt de la Maison de l’espoir où sont entassés, avant d’être lavés et repassés, les vêtements vendus dans le commerce d’occasion. Une scène terrible s’ensuit au cours de laquelle ce chef de bureau intime l’ordre à Liu Dongmei de vider les lieux, celle-ci s’emportant en retour contre ce cadre coupable à ses yeux de s’être entendu avec un promoteur privé pour s’enrichir en transformant l’école en logements pour migrants; coupable également d’avoir précipité le départ de l’école en fermant l’eau, obligeant pendant plusieurs mois sa directrice âgée à transporter chaque jour des dizaines de seaux d’eau jusqu’au bâtiment. Les éclats de voix sont tels que les migrants rassemblés à l’extérieur de la Maison de l’espoir y font irruption en criant: «Il est interdit de lever la main sur les gens!». Face à ces mots, prélude à une empoignade qui aurait été considérée comme relevant de la légitime défense, le cadre concerné quitte précipitamment les lieux22. Quelques jours plus tard, le bureau de l’Industrie et du Commerce de l’arrondissement de Haidian, où la Maison de l’es-
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Observations, Dongcun, 11 octobre 2007.
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poir est enregistrée, procèdera à une enquête suscitée par la réception d’une lettre signée des autorités de l’arrondissement et accusant le commerce d’occasion d’être en réalité une entreprise à but lucratif ne déclarant pas les bénéfices réalisés. L’accusation sera toutefois très vite levée, l’affaire semblant alors s’arrêter là. Deux semaines après ce premier incident, des membres de l’Organisation nationale des femmes chinoises, accompagnées de trois cadres du bureau de quartier – instance de pouvoir intermédiaire entre le gouvernement d’arrondissement et le comité de résidents –, viennent effectuer une visite à Dongcun. De passage à la Maison de l’espoir, tous les visiteurs reçoivent un exemplaire du dernier numéro du bulletin publié de façon irrégulière par l’association. Parcourant un article qui avance «qu’en dépit des contributions de la population migrante au développement de Pékin, nous continuons à subir mépris et discriminations» et qui, plus loin, dénonce «les mauvaises conditions d’hygiène à Dongcun», l’un des trois dirigeants locaux critique ce type de propos, accusant Liu Dongmei «d’organiser les migrants»23. Si cet incident n’aura pas de conséquences immédiates, il ne tombera pas pour autant dans l’oubli comme l’avenir le montrera. Au début du mois de mai 2008, alors que viennent de paraître les directives officielles signalant le contrôle particulier qui doit être exercé pendant la période des Jeux olympiques sur les organisations non gouvernementales ainsi que sur toute initiative sociale susceptible d’être soutenue par des institutions étrangères, les deux responsables ayant eu maille à partir avec Liu Dongmei en octobre 2007 lui intiment l’ordre, l’un, de quitter immédiatement la pièce de l’école toujours utilisée comme entrepôt – les murs de la pièce commençant à être abattus alors que les vêtements s’y trouvaient toujours; l’autre, de quitter le bâtiment de l’ancien comité de résidents loué pour abriter les activités de la Maison de l’espoir. Qui plus est, ces ordres, qui ne s’accompagnent d’aucune justification, doivent être exécutés dans les jours qui suivent. (D’où la scène, placée sous le sceau de l’urgence et de la précipitation, décrite en introduction.) Aux membres du comité de résidents qui essayent de s’opposer à ce 23
Entretiens avec Liu Dongmei mais également Guo Ping, femme migrante originaire du Henan, Dongcun, 29 octobre 2007.
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départ, tous deux tiennent alors le même discours: «Et s’il y a un problème, qui de vous sera responsable?»; «En cas d’incident, êtesvous prêt à en assumer toutes les conséquences?»24 Pendant plusieurs semaines, les activités de la Maison de l’espoir sont donc interrompues, les vêtements et les équipements possédés s’entassant dans le deuxième commerce d’occasion ouvert quelques mois plus tôt dans le village voisin de Wangfu. Des décisions aussi brutales peuvent cependant faire l’objet de revirements tout aussi rapides. Ainsi, en août 2008, la responsable du comité de résidents de Wangfu proposa à Liu Dongmei de louer dans le village une maison de plain-pied pour y installer le centre pour les enfants et les femmes, la bibliothèque et le bureau de l’association. Le «supermarché» ouvert dans ce village put être alors vidé des objets qui l’encombraient et ouvrir ses portes à nouveau, les activités autrefois menées à Dongcun reprenant dans ce nouvel environnement. Elles n’ont cessé depuis de se développer avec la participation de migrants de Wangfu, mais également de Dongcun. En décembre 2008, le cadre chargé de la petite enfance au bureau de quartier qui administre Wangfu – bureau qui n’est pas le même que celui qui gère Dongcun – leur accorda même une légitimité officielle plus grande en offrant à la Maison de l’espoir une plaque dorée signalant à tous que le jardin d’enfants faisait désormais partie des activités organisées par le bureau. En réponse, le chef du comité de résidents de Dongcun proposa le mois suivant à Liu Dongmei de louer à un prix très avantageux la maison qu’elle occupait autrefois dans ce village et dont elle avait été chassée en mai 2008. Il lui offrit d’y entreposer les vêtements d’occasion collectés dans les différentes universités de la capitale à condition d’apposer du papier blanc sur les vitres afin que le dirigeant du bureau de quartier qui l’avait expulsée ne puisse découvrir quel usage était fait de ces locaux. Le même jour, il lui remit une plaque, dorée elle aussi, à placer sur la façade du «supermarché» situé à Wangfu – et donc dans un village voisin –, signalant que celui-ci est, en fait, une activité officielle de Dongcun. Pour ne pas contrarier ceux qui les ont accueillis pendant les semaines difficiles de l’été 2008, les responsables de la Maison de 24
Entretiens à Dongcun avec Liu Dongmei, 5 mai 2008; Wang Jing, responsable des questions féminines au comité de résident, 7 mai 2008.
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l’espoir ont toutefois accroché cette seconde plaque à l’intérieur et non pas à l’extérieur du magasin. Les activités menées par la Maison de l’espoir sont donc désormais revendiquées par deux comités de résidents distincts et par les bureaux de quartier dont ils relèvent. À ce titre, elles font régulièrement l’objet de rapports administratifs ou d’articles dans la presse locale. Le récit ci-dessus, aussi bref soit-il, illustre le spectre très large des actions entreprises par les autorités locales selon l’appréciation qu’elles font, en circonstance, des mérites ou au contraire des risques politiques que peut entraîner le soutien officiel accordé à de telles entreprises. Il révèle également les liens de dépendance mutuelle qui lient ces autorités aux auteurs de tels projets, liens d’autant plus complexes que ceux qui travaillent dans l’administration appartiennent à des échelons différents, ont établi des relations de proximité très variables avec les villages et leurs résidents, sont animés par des sentiments et des enjeux qui ne se recouvrent pas. Un fait demeure certain néanmoins: si l’accord des instances administratives et donc politiques locales est nécessaire pour que de tels lieux existent et se développent, ces dernières ne participent pas de façon effective aux activités qui s’y déroulent. En mars 2008, la personne en charge des questions des femmes au comité de résident de Dongcun expliquait à ce propos: On est neuf au comité, et on a beaucoup de travail. On doit s’occuper à la fois de la population permanente et de la population migrante. On devrait être également au service de cette dernière. Mais on ne peut pas tout faire. Alors, ça nous arrange qu’ils soient là. Et à la Maison de l’espoir ils peuvent faire un travail beaucoup plus concret que nous. Ils travaillent même le samedi! […] Ils ont besoin de nous, car le gouvernement se méfie des ces organisations sociales (shehui zuzhi). Et nous on a besoin d’eux, car on manque de personnel et de ressources. On nous a bien demandé de mettre sur pied un nouveau groupe au sein du comité chargé de la gestion de la société qui ne dépend plus du ministère des Affaires civiles. Mais ce qu’on doit y faire n’est pas clair pour l’instant. Le comité de résidents, officiellement c’est un comité autonome, mais on a plein de travail qui nous est demandé d’en haut, il n’y a pas un jour sans qu’on nous confie une nouvelle tâche administrative. Alors la population migrante, même si en haut on nous demande de nous en occuper, en réalité, on ne peut pas grand-chose pour elle25 […].
25
Entretien avec Wang Jing, Dongcun, 18 mars 2008.
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Des face-à-face inédits Ce mode de coopération avec le comité de résidents ne constitue pas un obstacle à la dimension politique que revêtent les formes d’actions concertées observées. Essayons, pour appuyer ce constat, de rassembler quelques traits qui se détachent d’un fond apparemment chaotique et instable. Pour celui qui essaie de comprendre les actions menées à la Maison de l’espoir et la façon dont plusieurs individus s’organisent pour les accomplir, la première difficulté réside dans la très grande diversité de ceux qui y font une apparition plus ou moins longue. Il y a, bien sûr, un premier noyau constitué de personnes reconnues comme responsables de différentes tâches quotidiennes. Il comprend Liu Dongmei, mais aussi, selon les époques, deux ou trois étudiants présents à des titres divers et une dizaine de femmes migrantes, tous prenant en charge des activités différentes liées au «supermarché», au jardin d’enfants pour les enfants de trois à six ans, à l’organisation de conférences, de réunions ou de simples moments de discussion, à la gestion du restaurant. Il y a également des membres de la population migrante de Dongcun dont l’engagement varie entre, d’un côté, les femmes qui viennent chaque jour avec leur enfant âgé de moins de trois ans participer aux activités leur étant destinées et, de l’autre, des hommes, des femmes ou des enfants qui se joignent de façon très épisodique aux rencontres prévues, avec toute sorte de modes de participation intermédiaires. Il y a enfin ceux que l’on appelle les experts, dépositaires d’un savoir particulier, originaires de Pékin ou d’ailleurs, qui viennent pour des interventions spécifiques; les résidents permanents de Dongcun intéressés par certaines manifestations; les membres du comité de résidents et du bureau de quartier qui font des apparitions ponctuelles; les représentants d’autres associations de migrants ou d’organisations non gouvernementales chinoises installées dans un village voisin, en plein centre de Pékin ou dans une lointaine province; les dirigeants des écoles locales pour enfants de migrants; les étudiants des universités de Pékin originaires de différentes régions de Chine présents à Dongcun comme volontaires, bénévoles, ou simples observateurs; les amis et des connaissances des uns et des autres venus rendre visite.
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Ces personnes sont là de façon exceptionnelle ou régulière; leurs motivations et leurs visées sont variées, parfois contradictoires; leurs centres d’intérêt semblent très divers. Qui plus est, il est souvent malaisé de distinguer entre organisateurs et bénéficiaires des activités menées. Chaque jour propose ainsi une configuration différente de ceux qui vont être mis en présence; chaque jour renouvelle la surprise de croiser dans ce village plutôt pauvre, situé au pied des collines de l’ouest et à deux heures du centre de Pékin, des personnes qui, pour une partie d’entre elles, non seulement ne se connaissaient pas mais se considéraient jusque-là comme distantes, éloignées, ayant peu de chances de se rencontrer un jour. La Maison de l’espoir constitue donc un espace où agissent ensemble, selon des modalités diverses, des personnes qui ne relèvent pas du même milieu d’interconnaissance, qui ne sont pas liées par une origine géographique ou une activité professionnelle commune, qui n’ont pas été dûment mises en relation grâce à des intermédiaires garants de l’identité et de la crédibilité de chacun. Des activités y sont menées de concert avec des personnes autrefois considérées par les migrants comme peu accessibles, que ce soient des résidents permanents de Dongcun ou des étudiants de la capitale. Des face-à-face se déroulent qui modifient la façon dont chacun, quel qu’il soit, perçoit aussi bien ceux dont il n’avait jusque-là qu’une expérience indirecte que ceux dont il pensait être proche et familier. L’importance particulière que revêt cette coprésence dans le temps et dans l’espace, que l’on pourrait décrire en reprenant l’expression d’Alfred Schutz comme le fait de «grandir ensemble26», est reconnue par Liu Dongmei et les siens lorsqu’ils soulignent la nécessité d’un espace physique permettant à ceux qui y circulent non seulement d’avoir «une place où se tenir debout» mais d’échanger des propos, de s’ajuster et de se coordonner. Les principaux instigateurs de la Maison de l’espoir ne cessent en effet d’évoquer au cours de leurs conversations la nécessité de préserver l’espace physique occupé, de l’agrandir, de multiplier les locaux connectés mais distincts, de prévoir des espaces de repli. Ils tirent des enseigne26
Alfred Schutz, 1964, «Making music together: a study in social relationship», Collected papers, 2, Studies in Social Theory. La Haye, Martinus Nijhoff, p. 159-178.
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ments des échecs rencontrés et s’efforcent d’identifier le meilleur emplacement de ces locaux dans un village ou le type d’activité susceptible d’être accepté par les autorités locales. Maintenant, on y voit plus clair, quand on arrive dans un village, il faut commencer par créer un commerce d’occasion. Si tu dis que tu veux faire des activités pour les femmes, ils disent qu’il y a l’Organisation des femmes chinoises pour cela. Si tu parles d’éducation, ils ont peur que tu ouvres une école illégale. Si c’est un commerce, ils se disent que ça va, les gens vont et viennent dans un commerce, ils ne sont pas cent en même temps dans un même lieu27.
Ces considérations ne naissent pas seulement de la fragilité de ces lieux qui peuvent, on l’a vu, disparaître du jour au lendemain, mais du souci de posséder un espace où des actions peuvent être entreprises. C’est en effet l’apparition de certains au sein de cet espace – que cette apparition soit courte ou longue, unique ou répétée – qui relie les individus entre eux et non pas l’appartenance à une association clairement définie. Le terme d’organisme ou d’appareil (jigou ᵪᶴ) est d’ailleurs ici proscrit et il n’existe nulle liste des membres de la Maison de l’espoir, nulle procédure pour s’y inscrire, mais simplement une division du travail pour mener à bien les actions identifiées. La dénomination même de Maison de l’espoir n’est jamais utilisée dans les conversations, migrants et résidents permanents de Dongcun évoquant plutôt les espaces qui la constituent comme le commerce, le restaurant, ou encore le bureau28. Cet espace est considéré par ceux qui y circulent comme un lieu où l’on peut «faire des choses ensemble», «faire des choses que l’on n’avait jamais faites», «apprendre des choses en les faisant», «avoir des idées et essayer de voir si ça marche»29. Il s’agit, en d’autres 27 28
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Entretien avec Wang Yong, femme migrante originaire du Henan, Dongcun, 25 mars 2008. Soulignons que des surnoms sont parfois donnés à ces derniers: deux villageois nous ont désigné en riant le bureau comme étant «la famille natale» (niangjia ၈ᇦ) des migrants, soit un lieu vers lequel ils se tournent (comme les paysannes mariées se tournent vers leur famille d’origine), pour se plaindre des injustices rencontrées. Observation, Dongcun, 2 juin 2007. Observation, Dongcun, Liu Mei, femme originaire de l’Anhui, 3 mars 2008; Guo Ping, femme originaire du Henan, 6 août 2007; Zhou Ling, femme originaire du Henan, 4 mai 2008.
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termes, d’un espace d’initiative et d’action où les prises et les échanges de parole semblent occuper une place dominante, accompagnant la préparation, le déroulement et l’appréciation des tâches menées. Faute de pouvoir proposer une étude détaillée de ces moments de parole, signalons simplement que les activités observées aboutissent rarement à la production de traces écrites. Hormis les sept numéros publiés à ce jour d’une dépêche de huit pages comportant des informations sur Dongcun et la Maison de l’espoir ou des récits, des poèmes et des chansons ayant pour auteurs des migrants; hormis les documents administratifs et financiers remplis chaque année, peu de textes sont rédigés. Quelques «lettres publiques» ont bien été affichées comme celle présente dans le commerce d’occasion qui insiste sur «la chaleur, la joie, l’harmonie, l’union et l’entraide» que l’on souhaite voir régner dans ce lieu et qui encourage chacun à «venir jeter un coup d’œil et discuter, et à repartir s’il le souhaite sans rien acheter30» Toutefois, chartes et réglementations internes sont inexistantes, un tableau blanc permettant simplement de noter l’organisation du travail pour la semaine en cours. La parole est donc essentiellement orale. Elle est prononcée dans des contextes très divers, allant de réunions hebdomadaires à des moments de bavardages; elle concerne aussi bien les activités accomplies ou à venir que des questions privées. Elle fait elle-même l’objet de nombreux commentaires et réflexions concernant ce qu’il est possible de dire, à qui, et comment. Ainsi, des distinctions sont faites, à la lumière des expériences vécues, entre les situations qui conviennent et celles qui ne conviennent pas à de bonnes prises de parole par les principaux membres du groupe31. Par exemple, les prises de parole officielles et les déclarations d’intention concernant les objectifs poursuivis sont évitées, notamment auprès des médias, pour ne pas acquérir trop de visibilité sur la place publique. Les arènes qui imposent un style mal maîtrisé et privent de parole en conséquence les résidents de Dongcun sont 30 31
Observation, Dongcun, 10 août 2007. Nina Eliasoph montre bien comment les paroles prononcées ou échangées sont différentes selon le contexte ou l’interaction dans laquelle les personnes sont prises. Nina Eliasoph, 1998, Avoiding politics. How Americans provide apathy in everyday life. Cambridge, Cambridge University Press.
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également écartées: après plusieurs participations jugées négatives à des assemblées d’étudiants partageant des attentes précises concernant la forme comme le contenu des interventions orales, de telles sollicitations sont désormais examinées avec attention et parfois rejetées. La liste des intervenants appelés à contribuer aux activités menées est souvent remaniée à l’aune d’un critère explicite: leur capacité à prendre la parole sans manifester sentiment de supériorité et condescendance envers autrui et sans utiliser un vocabulaire compliqué, ou étranger et apparemment intraduisible en chinois. (Une longue discussion porte ainsi, le 28 février 2008, sur un exposé fait la veille par trois étudiantes à la Maison de l’espoir, les uns et les autres s’interrogeant sur l’incapacité des intervenantes à expliquer en chinois le terme anglais empowerment prononcé à plusieurs reprises, les réponses aux questions posées pour comprendre la signification de ce terme mobilisant à nouveau un vocabulaire étranger.) Avoir quelqu’un à qui parler est d’ailleurs souvent évoqué dans les conversations comme l’une des motivations de ceux qui animent des activités quotidiennes à la Maison de l’espoir ou y passent de façon régulière: J’étais seule à la maison, sans personne à qui parler. Ici, j’ai l’impression qu’on ne pourrait jamais s’arrêter de discuter. Chez moi, j’étais trop seule. Mon mari a de longues journées de travail et quand il revient on ne se parle pas trop. Dans le village d’où l’on vient, les femmes ne sortent pas trop et du coup ne parlent pas avec des gens qu’elles ne connaissent pas. Ici, je ne suis ni chez moi ni dehors. Je suis dans une maison où je peux parler avec plein de personnes différentes. Mon mari ne comprend pas bien ce que nous faisons, il me dit souvent: «Mais qu’est-ce que vous pouvez vous raconter ainsi toute la journée?». Il me demande de quoi l’on discute, qu’est-ce que l’on s’est dit? En fait, on discute de tout32.
De même, les transformations personnelles jugées positives depuis la fréquentation de la Maison de l’espoir sont volontiers évaluées à l’aune des compétences nouvelles acquises dans le domaine de la parole: 32
Observation, Dongcun, discussion entre Guo Ping, Wang Yong et Zhou Ling, 3 mars 2008.
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Maintenant, parler ne me fait plus peur. Je peux même m’adresser aux hommes sans problème. Ici, je parle à des gens à qui je n’aurais jamais imaginé pouvoir parler un jour. J’ai toujours admiré ceux qui savent parler. Je m’en sentais incapable. Maintenant cela va beaucoup mieux. C’est même devenu plus facile de parler à mon mari. Cela va mieux dans la famille depuis que j’ai à qui parler. Avant, j’étais seule avec mon enfant, tout tournait autour de lui. Il y a des choses que je comprends mieux en discutant avec les autres, je suis moins triste et du coup, chez moi, cela va mieux33.
Il y a enfin les discussions et les échanges quotidiens qui concernent directement le contenu concret des activités menées et les formes de coordination qu’elles imposent. Ces formes sont d’autant plus instables que ces activités ne sont pas organisées selon une dichotomie qui distinguerait, d’un côté, ceux qui les conçoivent et les animent et, de l’autre, le public de ceux qui en bénéficient. Il s’agit bien «d’agir ensemble» (yiqi huodong а䎧⍫ࣘ ), pour reprendre la formule maintes fois entendue, selon des configurations qui ne cessent toutefois de se transformer. Par exemple, il s’agit pour ceux qui s’occupent du commerce d’occasion de contacter régulièrement leurs interlocuteurs dans les sept universités partenaires de la capitale; de les aider à organiser la collecte des vêtements; de partir en tournée pour aller chercher ceux-ci en sollicitant l’aide bénévole de quelques chauffeurs de camions; de les laver, de les repasser et de les entreposer par genre; d’en apporter chaque jour quelques dizaines au magasin et de fixer leurs prix à plusieurs; d’organiser les moments de présence pour accueillir les clients entre 8h30 et 11h00, puis entre 13h30 et 18h30; d’accueillir les enfants de migrants qui ont pris le pli de venir après l’école faire leurs devoirs dans le magasin. Ces actions inédites font l’objet de commentaires incessants de la part de ceux qui les accomplissent concernant ce qu’il faut faire et comment le faire, mais également ce que les uns et les autres pensent être capables de faire ou jugent au contraire impossible d’accomplir; les échecs rencontrés ou, à l’inverse, la réussite commune ou l’aisance personnelle manifestée dans une activité qui semblait hier hors d’atteinte. 33
Idem.
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I SABELLE THIREAU Je peux te le dire maintenant. Au début, je trouvais qu’on se moquait des gens en disant que nous allions animer le jardin d’enfants, je trouvais qu’on les trompait car on leur annonçait quelque chose qu’on ne savait pas faire. Je voulais pas m’en occuper au départ, j’ai pas fait d’études dans ce domaine, j’ai quitté le village à 18 ans, après la fin des études secondaires. Je me disais: pourquoi ne pas confier ce travail à des étudiantes qui voudraient bien nous donner un coup de main quelques heures par semaine? […] Là, maintenant, je suis très à l’aise, je crois qu’on n’arrête pas de s’améliorer toutes les trois, on se réunit souvent, on discute, on réfléchit à ce qui ne va pas. C’est beaucoup mieux que de rester seule à la maison à garder mon enfant et à jouer aux cartes avec les voisines34.
De façon progressive, et même si un certain flou demeure, des attentes sont formulées concernant le type de relation, et donc de communication, qui doivent exister entre ceux qui se croisent à Dongcun. Agir dans le même temps pour soi et pour autrui; interagir sur un pied d’égalité. Ces principes sont évoqués en passant, sans être élaborés plus avant ou articulés en un ensemble très structuré, mais ils irriguent les appréciations faites des individus et des situations: on va dire d’Untel, selon les circonstances, qu’il approuve (renke 䇔ਟ) ou au contraire qu’il ne reconnaît pas (bu rentong н䇔਼), ou ne reconnaît pas encore, ces principes et ces conceptions partagées (women de linian ᡁԜⲴ⨶ᘥ ). Ces attentes se traduisent notamment par l’attention particulière attachée à la transformation des individus qui sont pris dans ces face-à-face et agissent ensemble. L’un des critères utilisés pour juger du bien-fondé des actions entreprises à la Maison de l’espoir et encourager leur poursuite est en effet, pour ceux qui y sont présents de façon régulière, de mettre en avant les changements relevés chez soi comme chez autrui. Il y a ainsi ceux et celles qui ne se transforment pas, c’est-à-dire qui demeurent inchangés, une situation désignée comme négative. Il y a ceux et celles dont on relève les changements au sens où ils semblent prendre la mesure de ce qu’ils peuvent faire, acquièrent de l’assurance, se comportent différemment envers autrui, ou ceux qui relèvent leurs propres changements: J’ai changé, le changement est même très grand. Avant, je restais chez moi toute la journée, je passais mon temps à surveiller mon enfant pour éviter les 34
Entretien avec Wang Yilei, femme originaire du Henan, Dongcun, 30 juin 2009.
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bagarres avec les enfants des voisins. Maintenant, je n’ai plus peur de parler avec des gens que je ne connais pas. […] Je suis fière d’arriver à tenir les comptes pour toutes les activités de la Maison, car c’est une grande responsabilité. Mon mari me regarde autrement, mes voisins aussi, et même les gens de Dongcun, parce qu’ils savent ce qu’on fait et que tout cela signifie qu’on n’est pas venus pour repartir dans quelques mois35.
Il y a enfin ceux qui ont «mal changé»: des migrants par exemple qui, sous prétexte de venir en aide à autrui, ont bâti de véritables petites entreprises et qui règnent sur plusieurs dizaines d’étudiants volontaires bénévoles ou rémunérés par des organisations non gouvernementales.
Agir ensemble dans l’improvisation À l’observateur venu suivre l’organisation et le déroulement des activités menées par les membres de ce groupe s’offre une autre surprise: si la résolution des questions pratiques occupe une grande partie des échanges et des activités, les moments de discussion portant sur des événements passés dominent. De façon plus précise, réunions formelles, conversations et bavardages tournent souvent autour des jugements qui peuvent être portés sur ce qui a été fait à Dongcun ou ailleurs, mais dont on a eu connaissance. Ces jugements rétrospectifs, plus ou moins élaborés, circulent, sont repris de façon incessante, reliés entre eux, évoquant un travail de ravaudage permanent pour stabiliser la réalité sociale et donner sens aux actions présentes36. Ils convoquent à la fois des épisodes lointains 35 36
Entretien avec Guo Ping, Dongcun, 6 juin 2009. Sur l’importance de ces actes de jugement, et notamment de ces actes de jugement rétrospectifs, lire les conférences sur Kant de Hannah Arendt prononcées en 1970, mais aussi l’essai interprétatif de Ronald Beiner qui accompagne l’édition de ces conférences: Hannah Arendt, 1991, Juger. Sur la philosophie politique de Kant. Traduit de l’anglais par Myriam Revault d’Allones et suivi de deux essais interprétatifs par Ronald Beiner et Myriam Revault d’Allones. Paris, Seuil. R. Beiner, 1991, «Hannah Arendt et la faculté de juger» in Hannah Arendt, Juger. Sur la philosophie politique de Kant. p. 131-221.
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de la biographie de chacun et des faits survenus la veille, tout nouvel arrivant étant associé quelle que soit la durée de sa présence à ce travail de définition et de confirmation de ce qui est et de ce qui doit être entrepris par rapport à ce qui a été. Ces jugements aboutissent volontiers à une liste d’actions négatives, soulignant ce qui doit être évité plutôt que convoité. On pourrait ainsi établir, pour chacun des principaux protagonistes, la liste de ce qu’ils jugent nécessaire d’éviter en priorité et observer la façon dont les éléments cités se recouvrent ou, au contraire, se distinguent. On aurait alors pour Liu Dongmei, exemples pris au hasard de quelques conversations, à éviter: de dévoiler ce qui doit être préservé, de se retrouver sans avoir un lieu où se rencontrer, d’attirer l’attention des autorités, de se mettre à mal avec elles, de ne pas tenir ses promesses, de devenir un lieu dont on parle, de se professionnaliser, de faire tourner l’association autour de quelques personnalités, d’être dépendants des organisations non gouvernementales, de prédire aux gens ce qui les attend dans la vie, de changer la nature de l’association, d’accorder trop d’importance au niveau d’éducation possédé. À chaque fois, des moments et des situations spécifiques, qui peuvent être aussi bien une phrase entendue en des circonstances particulières qu’un incident, voire un conflit ayant mis plusieurs jours à se résoudre, sont mobilisés pour préciser, nuancer, réaffirmer ces évaluations. Il semble que ces jugements rétrospectifs, qui vont de paire avec des processus de révision incessants de ce qui est entrepris, permettent de poser le sens des initiatives développées. Par la confrontation permanente avec le réel ainsi opérée, ils limitent le manque de maîtrise éprouvé face à une réalité sociale qui apparaît instable, car située dans un environnement physique, social et politique mouvant; inédite, car les initiatives prises sont nouvelles et les effets qu’elles suscitent difficiles à anticiper; fragile, car toute erreur entraîne des sanctions immédiates. De fait, agir ensemble à la Maison de l’espoir se fait largement dans l’improvisation, et une improvisation d’autant plus grande qu’il s’agit de mener à bien un projet pour lequel il n’existe pas de modèle ou de précédent concernant à la fois les actions entreprises, la façon dont elles peuvent s’articuler et se combiner, l’identité de ceux qui doivent se concerter pour les accomplir. Ces jugements croisés permettent également de réaffir-
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mer les visées partagées ou, du moins, celles qui doivent s’imposer à tous avec quelque force, même si, comme le montrent les activités développées à Dongcun, il est possible d’agir avec autrui sans partager entièrement ses motivations ou ses projets. Autrement dit, ils s’efforcent de doter les événements passés d’une signification commune pour préciser le sens des initiatives présentes et à venir. Ce processus est d’autant plus important que les activités entreprises sont appréciées à la lumière de systèmes d’interprétation et de modes d’orientation envers autrui non seulement distincts mais divergents. L’un d’entre eux, convoqué notamment par les étudiants, est celui de l’assistance à autrui, c’est-à-dire des initiatives qui s’inscrivent dans un domaine sollicitant aujourd’hui pêle-mêle les notions d’aide, de charité, de travail social, de secours aux groupes dits vulnérables ou aux victimes de catastrophes naturelles. Faute de place, il est impossible d’évoquer ici le développement extrêmement important de cette sphère depuis une dizaine d’années en Chine, ni d’analyser comment la traduction de catégories étrangères en chinois a contribué à stabiliser l’usage particulier d’un terme chinois, celui de gongyi ⳺ޜ. Signalons simplement que ce mot polysémique, qui désigne les intérêts partagés mais également l’intérêt général ou le bien commun, tend aujourd’hui à être utilisé pour signifier de façon exclusive l’aide et l’assistance apportées à autrui, l’action d’un groupe ou d’une couche sociale sur une autre plutôt que les manifestations de solidarité ou les gestes d’entraide. Plus précisément, ce terme qui, à l’origine, n’opère pas de distinction tranchée entre l’action envers les membres d’une communauté et l’action envers autrui, signale désormais avant tout des actions hétérocentrées, c’est-à-dire le fait de venir en aide à un autrui différent de soi sous un certain trait. Ce déplacement se produit sous l’influence conjuguée, d’un côté, des organisations dites non gouvernementales étrangères qui orientent leur soutien vers des groupes sociaux particuliers identifiés comme vulnérables et, de l’autre côté, d’un pouvoir politique qui s’oppose à la création par ceux qu’il gouverne de corps intermédiaires ou d’organisations d’entraide. En d’autres termes, par un cheminement complexe, un domaine d’action particulier se trouve aujourd’hui fortement validé: celui de l’assistance apportée à autrui dans le cadre d’une relation d’autant
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plus dissymétrique qu’elle met volontiers en relation des individus jouissant de niveaux d’éducation très différents ou relevant de deux mondes jugés distincts, le monde citadin et le monde paysan. Le terme de gongyi désigne ainsi aujourd’hui à la fois une sphère d’initiatives et une orientation normative. Opposé à la notion d’intérêts individuels ou privés (siren liyi ⿱Ӫ࡙⳺), il est synonyme d’altruisme ou de désintéressement et balise le spectre des opérations non lucratives. Signalant volontiers des projets qui ne relèvent pas directement de la sphère officielle et publique, il est devenu un enjeu politique, le Parti communiste chinois souhaitant maintenir son autorité et son contrôle dans ce domaine particulier37. Prenant appui sur ce terme familier de gongyi, de nouveaux types d’acteurs et de situations sont donc en train d’émerger. Dire aujourd’hui que l’on travaille dans le domaine du gongyi, c’est ainsi identifier les normes pertinentes et celles qui ne le sont pas pour interpréter la situation. Une distinction est faite, par exemple, entre les entreprises commerciales dites gongyi et celles qui ne le sont pas. Ceux qui travaillent dans les premières dévoilent volontiers les initiatives qui prétendent relever de cette sphère alors qu’elles poursuivent en réalité des visées lucratives ou évoquent les difficultés de gérer la coexistence, au sein d’un même espace, d’activités relevant des deux registres. L’échange suivant, relevé entre deux étudiants quelques jours avant l’ouverture du commerce d’occasion à Dongcun, illustre à la fois l’usage fréquent de ce terme pour distinguer différentes formes d’activité et les incertitudes qui l’entourent: Je n’ai pas encore très bien compris, ce commerce, quelle sera sa forme exactement? Est-ce qu’il s’agit de gagner de l’argent? Si c’est le cas, il faut mettre en place un système, trouver le moyen de baisser au maximum les coûts, contrôler les dépenses. Mais si c’est un outil de gongyi, alors moi ce que j’exige avant tout, c’est la transparence des comptes. Il faut savoir, c’est l’un ou l’autre, et surtout ça peut pas être l’un en théorie et l’autre en réalité. – Liu Dongmei pense que cela doit être une plateforme, un endroit pour rencontrer les migrants, pour discuter avec eux. Du coup, il faut qu’on participe à ce travail, qu’on soit là souvent. Il ne s’agit pas seulement d’arriver à
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D’où, par exemple, la volonté officielle, affichée depuis 2006, d’identifier un nouveau domaine d’intervention publique, celui dit du travail social, Shanghai ayant été la ville choisie pour expérimenter ce nouveau dispositif.
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faire tourner la boutique. S’il n’y a que deux femmes migrantes qui y travaillent chaque jour, les gens vont se dire que c’est un commerce, que c’est juste pour gagner de l’argent. Ce que je ne saisis pas bien d’ailleurs c’est ça, jusqu’où est-il important que ce commerce gagne de l’argent? – Déjà, il va aider les migrants qui pourront s’acheter des vêtements très bon marché. – J’ai dit ça à une migrante, hier, pour lui expliquer pourquoi on ouvrait ce commerce. Mais elle m’a dit alors qu’elle n’aimait pas ce nom «le cœur aimant», que s’il s’agissait d’un commerce il s’agissait d’un commerce un point c’est tout, et qu’elle serait une cliente comme les autres. Pas quelqu’un qui a été aidée par d’autres. Alors Liu Dongmei lui a expliqué que ce n’était pas ça, qu’en venant acheter ici, elle aidait d’autres migrants comme elle, parce qu’avec l’argent gagné on pourrait organiser des activités pour tout le monde38.
La fin de ce dialogue révèle les divergences qui existent entre la visée qui est celle de Liu Dongmei et de ses plus proches soutiens et celle manifestée par certaines des institutions ou des étudiants qui, pourtant, l’appuient et la secondent. Les objectifs poursuivis par Liu Dongmei s’inscrivent en effet dans une perspective que l’on peut qualifier d’entraide et de solidarité. S’il n’y a pas véritablement de projet social bien défini, il s’agit, selon ses propres termes, de se prêter «assistance mutuelle», «d’organiser ce groupe», «d’être en mesure de faire état de demandes partagées au niveau du quartier39.» «Que le groupe auquel on prête assistance se prête assistance luimême»: telle est l’une de ses formules préférées pour désigner l’objectif poursuivi à la Maison de l’espoir40. Pareille visée s’inscrit dans une tradition d’autonomie des communautés chinoises tout en la dépassant: le «groupe» (qunti 㗔փ ) ici concerné, c’est en effet d’abord le groupe composé par ceux qui sont affectés par une même situation, c’est-à-dire ceux «venus d’ailleurs», quelle que soit leur localité d’origine ou l’endroit où ils résident, ceux qui ne disposent pas de droits de résidence permanents là où ils vivent et qui sont à ce titre considérés comme inférieurs et discriminés. Saisis à Dongcun,
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Observation, Dongcun, 2 août 2006. Observation, Dongcun, 30 octobre 2007; 21 mai 2008; 5 septembre 2007; 30 mai 2009. Cette expression est utilisée par Liu Dongmei à chaque entretien évoquant les raisons des intitiaves prises à Dongcun, ainsi que lors des réunions informelles qui se déroulent à la Maison de l’espoir.
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ils ne forment nullement une communauté mais bien, par définition, une association temporaire et sans cesse recomposée de personnes ancrées dans plusieurs lieux, allant et venant entre différents espaces, susceptibles qui plus est de transporter ailleurs les expériences menées dans ce village particulier. Mais ce «groupe», c’est aussi celui composé par ceux qui vivent dans un même quartier (shequ ⽮४) et qui partagent un même espace de vie, quels que soient les droits de résidence dont ils disposent. C’est le groupe, enfin, qui comprend ceux qui décident de séjourner pendant un temps à la Maison de l’espoir et de contribuer à ses activités. Les normes testées et encouragées au sein de cet espace physique particulier concernent donc bien un local ouvert, non bordé de l’extérieur. Du coup, un écart existe entre la façon dont les organisations chinoises ou étrangères, les associations universitaires, les étudiants ayant suivi une formation de travailleur social ou désireux de travailler quelque temps dans ce domaine dit du gongyi envisagent leur présence à Dongcun – il s’agit pour eux d’aider autrui, en l’occurrence des migrants identifiés comme fragiles et vulnérables – et la façon dont Liu Dongmei et d’autres à ses côtés considèrent les actions menées. Ce manque de congruence entre les façons d’identifier les fins qu’il s’agit de mener à bien et les orientations envers autrui qui en découlent constitue à la fois l’un des intérêts de cette initiative mais aussi l’une de ses difficultés quotidiennes. Cette difficulté est d’autant plus importante que les activités accomplies peuvent difficilement s’affranchir du soutien et de la légitimité accordés par la sphère du gongyi telle qu’elle est aujourd’hui officiellement désignée. Cette difficulté se traduit notamment par des problèmes de vocabulaire. Par exemple, le terme employé pour désigner les individus engagés dans des actions bénévoles dans le système politique mis en place à partir de 1949, celui de yigong ( ѹᐕ), a été supplanté depuis quelques années par le terme zhiyuanzhe (ᘇᝯ㘵), traduction directe du mot anglais volunteer. Plus ces volontaires engagés dans des actions orientées vers autrui se multiplient, reçoivent des formations, doivent exhiber leur qualification et s’institutionnalisent, moins des individus qui ne s’inscrivent pas dans une telle démarche sont habilités à se prévaloir de cette dénomination.
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Autrement dit, un type particulier de volontaire est en train de voir le jour, des manières typiques d’envisager cette fonction sont aujourd’hui en cours d’élaboration qui en écartent d’autres acteurs. C’est pourquoi, après avoir essayé de s’identifier comme des volontaires puis comme des travailleurs sociaux, les membres de la population migrante qui secondent Liu Dongmei à Dongcun se nomment aujourd’hui «les piliers» (gugan 僘ᒢ), les «grandes sœurs» (dajie བྷက ) ou les «mères paysan-ouvrières» (mingong mama ≁ᐕྸྸ): il leur est impossible d’être identifiées mais également de s’identifier comme volontaires dans le sens que ce mot revêt désormais. Un autre système d’interprétation relève du monde du travail. Pour certaines des migrantes qui organisent les activités de la Maison de l’espoir, il s’agit là également, ou surtout, d’un travail. Des rapprochements sont donc faits avec la question du travail, faisant surgir un vocabulaire, des orientations et des attentes particulières. Comment qualifier, par exemple, les 25 yuans reçus par la dizaine de femmes présentes chaque jour pour accomplir les différentes tâches devant être menées à bien: s’agit-il d’un salaire, d’une compensation, d’une indemnité? Évoquant, dans des circonstances diverses, ce qui les pousse à agir comme elles le font, plusieurs migrantes passent ainsi d’un registre à l’autre ou désignent la pertinence conjointe de plusieurs d’entre eux: Depuis que je travaille, on ne me regarde plus de la même façon à Dongcun. Les voisines me disent: «Tu vas au travail?» Je réponds: «Oui, c’est ça!» Ce n’est pas seulement un travail, je le sais bien, mais ce n’est pas la même chose depuis que je ramène un peu d’argent à la maison. J’ai des voisines qui m’envient: j’ai un travail, je gagne un peu d’argent et en plus je peux emmener mon enfant là où je travaille. Mon idéal, après ce travail, ce serait d’être une ouvrière avec un contrat permanent. Si tu n’as pas un salaire de 1 500 yuans, tu ne peux pas te permettre de faire garder ton enfant ou de le mettre au jardin d’enfants. Du coup, tu ne peux pas travailler. Ici, on n’a aucun proche vers qui se tourner pour garder l’enfant. Ce serait bien si l’on pouvait toucher un peu plus chaque jour même si c’est pas pour ça qu’on est là. Mais c’est déjà ça. Quand mon mari dit qu’il travaille (gan huo), maintenant je lui dis que je travaille aussi. Depuis que je suis ici, il m’aide un peu plus. Avant s’il rentrait et que le dîner n’était pas près, il me bousculait, maintenant il voit que j’ai moins de temps à la maison et me donne un coup de main dès qu’il est là. Il est content que je gagne un peu d’argent de mon côté.
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I SABELLE THIREAU La question économique, c’est important. Sinon j’aurais du mal à faire ce que je fais ici. Pour mon mari, pour mes parents, j’ai trouvé un travail. Voilà comment ils comprennent tout ça. C’est pour ça qu’ils sont d’accord avec ce que je fais41.
Les difficultés qui peuvent résulter des tensions entre monde du travail et monde de l’entraide sont à l’origine de l’une des épreuves traversées par la Maison de l’espoir et désormais évoquée sous le nom de «la tourmente de l’affaire des salaires». Au printemps 2007, l’une des étudiantes présentes à la Maison de l’espoir dans le cadre d’un stage de six mois encourage trois des femmes migrantes qui, du lundi au vendredi matin, accueillent et encadrent les enfants âgés de trois à six ans, à faire la grève. Soulignant que ces femmes travaillent en fait pour Liu Dongmei, elle leur propose de refuser la somme quotidienne de 25 yuans versée à titre de compensation et de réclamer un salaire mensuel de 800 yuans. Cette affaire suscitera pendant plusieurs semaines des tensions ponctuées de discussions pour préciser le statut des migrants engagés à Dongcun dans différentes activités: Tout le monde savait que nous n’avions pas les moyens de verser ces salaires. Mais en fait, ce n’était pas une question de moyens. Ces trois femmes avaient assisté à une formation donnée par Oxfam aux volontaires embauchés par cette organisation. Elles avaient réalisé que ces volontaires étaient payés 700 yuans pour ces quelques jours de stage. Mais nous, ce n’était pas la même chose. Pour nous, il est important d’être présents à ces formations. On montre ainsi qu’on n’est pas une association clandestine ou illégale. Mais on n’était pas là au même titre que les volontaires auxquels cette formation était destinée. Notre situation est très différente. D’abord, nous ne serons jamais reconnues officiellement comme des volontaires et rémunérées par des organisations non gouvernementales. Et le gouvernement fait tout pour fermer aux migrants la porte des emplois qu’il est en train de créer dans le domaine du travail social. Mais surtout, on essaye de mettre en place autre chose qu’un endroit qui repose justement, d’un côté, sur les volontaires et, de l’autre, sur ceux qu’ils viennent aider. Venir ici ne doit pas être considéré comme un travail42. Je ne suis pas un patron. Je ne suis même la responsable d’une organisation qui embaucherait des gens sensibles à certaines situations et qui distribuerait les tâches à accomplir. On discute ensemble de ce qu’il faut faire et des 41 42
Observation, Dongcun, réunion de travail du 30 juin 2009. Entretien avec Guo Ping, Dongcun, 20 novembre 2007.
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moyens de le faire. On donne toutes de notre temps mais on le fait pour nous. Il est même important que l’on fasse des sacrifices pour faire ce que l’on fait43. En tant que migrantes, on ne sera jamais reconnues comme volontaires. Au moment de cette affaire, certaines d’entre nous ont essayé de présenter leur candidature à une formation de travailleur social organisée par le «bureau de quartier» qui gère Dongcun. Mais quand on a voulu remplir les documents, ils nous ont dit qu’on faisait partie de la population mobile, qu’on ne serait jamais acceptées, que cette formation s’adressait uniquement à des gens qui travaillent déjà dans l’administration locale ou à des étudiants. C’est une voie qui est fermée pour nous et c’est ça que nous avons compris à ce moment-là. C’est difficile de voir tous ces gens qui trouvent un travail en disant qu’ils veulent s’occuper de nous. En tous cas, les choses sont plus claires maintenant, pas la peine de rêver qu’on va se spécialiser ou devenir des professionnelles. C’est bien si je rapporte un peu d’argent à la maison mais c’est pas le plus important. Mon mari, il est surtout étonné de ce que nous faisons, des gens que je rencontre44.
Cette affaire se conclura par le départ de l’étudiante concernée et de l’une des femmes migrantes.
Conclusion Nous avons essayé de décrire les actions développées par des migrants à Dongcun, village désormais intégré au territoire urbain de la capitale. Plus précisément, nous avons évoqué un lieu particulier où des interactions se déroulent entre une grande diversité d’individus pour accomplir des activités ouvertes par définition à tous ceux qui y circulent. Ces activités privilégient une population migrante qui, si elle est localisée, ne s’apparente pas cependant à une communauté ou à un groupe d’interconnaissance puisque des arrivées et des départs se produisent régulièrement et que la plupart de ceux qui pénètrent dans les locaux de la Maison de l’espoir étaient des anonymes avant d’en franchir la porte. En outre, ces activités ne sont pas réservées de façon exclusive à cette population mais sont
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Entretien avec Liu Dongmei, Dongcun, 17 novembre 2007. Entretien avec Zhou Ling, Dongcun, 16 novembre 2007.
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accessibles aux membres de nombreux autres groupes sociaux, quelles que soient leurs attentes ou leurs visées. Si l’espace physique considéré est clairement circonscrit, il n’est donc pas privé au sens où il n’accueillerait que les membres d’un groupe clairement identifié au préalable alors que, de façon paradoxale, il est situé dans un quartier urbain qui présente toutes les caractéristiques d’un village et qui maintient à ce titre une distinction claire entre les lieux destinés aux seuls locaux et ceux où les étrangers peuvent circuler. S’appuyant sur le modèle du commerce – le «supermarché» – ouvert par définition à tous et sur celui d’une activité de service – le jardin d’enfants – ouverte également à tous, il ne relève donc pas de la sphère de la gestion et de l’autonomie communautaire, une sphère qui a pourtant une longue histoire en Chine et dans laquelle il semble s’inscrire au premier regard. Cet espace se distingue de l’espace environnant en raison non seulement de l’identité de ceux qui y circulent mais également des initiatives qui peuvent y être prises, lesquelles sont testées et appréciées par ceux qui les accomplissent comme par ceux qui en sont les bénéficiaires ou les témoins, les mêmes individus pouvant passer d’une position à l’autre selon les circonstances. Ces initiatives, qui prennent appui sur des moments de coordination entre des individus ayant des parcours biographiques très variés – moments rendus possibles du fait précisément de leur coprésence dans un même lieu –, sont liées aux activités identifiées comme valides mais elles les débordent, concernant aussi et surtout les modes de communication, les registres d’attention envers autrui, les ajustements nécessaires pour que des individus qui, hier, ne se connaissaient pas, puissent mettre en œuvre un projet inédit et par voie de conséquence incertain. L’absence de précédent, le manque de familiarité avec les activités à entreprendre, la diversité du vocabulaire ou des modes d’expression employés par ceux qui doivent se concerter constituent en effet l’une des caractéristiques de la Maison de l’espoir. Celle-ci est placée, qui plus est, dans un environnement politique instable, obligeant à un style d’action marqué par une improvisation régulière et des échanges quotidiens pour identifier ce qui doit être révisé ou rejeté mais également ce qui fait l’assentiment de tous. Cette diversité est toutefois limitée par les formes d’intelligibilité mobilisées,
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aussi contrastées soient-elles, qui opèrent des rapprochements avec d’autres pans de la vie quotidienne. Des domaines d’action comme le monde de la charité ou le monde du travail, avec les principes qui les guident, sont ainsi convoqués pour donner sens aux situations rencontrées. Un vocabulaire politique partagé est parfois mobilisé pour désigner les membres les plus actifs de l’association et leur visée. Des visiteurs appartenant à des confessions religieuses variées font une apparition et prennent la parole en proposant des termes autres pour décrire des actions ou des intentions, termes qui seront discutés, commentés et éventuellement repris pour rendre compte des situations observées. Derrière l’apparente fragilité du projet mené se constitue ainsi, en dépit des aléas et des incertitudes, tendu entre des jugements rétrospectifs qui redéfinissent sans cesse la frontière entre le présent et le passé et des attentes reconfigurées, un sujet pluriel, un «nous» composé d’individus qui ne sont pas les mêmes d’un jour à l’autre mais qui, pourtant, retravaillent ensemble les formes d’intersubjectivité jugées acceptables, ou préférables, au sein de la société chinoise.
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Unpacking reconciliation: cultural dynamics in a public controversy in Shenzhen LIU CHUN BRENDA
In an unsettled society like China, how do normative linkages between state and society deployed in collective actions vs the state? This chapter approaches this question by tracing the discourses and practices in a public controversy in Shenzhen. With detailed records collected through participatory observation and interviews, I first specify the arguments and organizational arrangements used in creating a collective. Secondly, by detailing the linkages between the collective and diversified publics, I maintain that the boundary between the two is fluid. Finally, I analyze the rationale of the retreat from the collective to a loose front. Political trust is identified in the two strategic and associational changes and it has correlation with the sense of locality. Like their rural counterparts, urban citizens in this controversy distinguish between the higher and lower levels of government. When rightful resistance is at its height, sense of locality is an enabling factor in terms of active citizenship. When their rightful resistance fails, total disillusionment with the Center set in, resulting in cynical reconciliation with the local government and even political radicalism. And sense of locality becomes a constraining factor in terms of active citizenship.
Introduction to the case In a hot summer afternoon in July 2004, I was checking my emails at home in Shenzhen, a southern city in China. An unexpected email caught my attention. It was from a female homeowner from N. District. Because she read my comments on the controversy over
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a public project due to disagreements with the local government, in which I mentioned the role of environmental NGOs in solving similar issues in other places, she was interested to see if I had further ideas about their next move. This was the start of my encounter with this three year long controversy. The issue under study here concerns the Shenzhen Connection (abbreviated below to Connection Project) in the grand ShenzhenHong Kong Western Corridor Project (SWC). SWC links the Shekou district of Shenzhen and the Yuanlang district of Hong Kong and is the largest-scale trans-border highway project so far in China. There are four major parts to this project: the Grand Highway Bridge of Shenzhen Bay, the port, sea-filling project in the port region, and connection projects on both sides. Since the SWC’s commencement on July 1st 2007, it takes only a little more than ten minutes to drive from Shenzhen to Hong Kong via the bridge. The Connection Project is a municipal project that links the Grand Bridge, the Port, and the Guangzhou-Shenzhen Expressway. In 1997, the relevant departments decided that Dongjiaotou of the N. District in Shenzhen should be the Shenzhen end of the Grand Bridge, although its actual route had not yet been decided. Near Dongjiaotou, there is a municipal road named Dongbin Road. At the eastern end of the road is the Bay of Shenzhen, and the place surrounding the bay is traditionally called Rear Sea Division. Starting in about 1996, well-known local real estate developers have developed several fine gated-communities on the land formed by sea-filling at the east end of Dongbin Road, and beginning in 2000, these neighborhoods started to be occupied-by middle-aged or younger white-collar workers and 70 % of them are with a college education or above. At the western end of Dongbin Road there is Mt. Great South and a hundred-year-old litchi forest. Residential community located at the foot of Mt. Great South is named “Litchi Woods Neighborhood” and residents here are mainly business or government employees. Along the road, there are many shops. In August 2003, the municipal government disclosed the final design in an official newspaper. The Connection Project was to be constructed as a highway tunnel underneath Dongbin Road, complemented with a viaduct after passing the Mt. Great South. According to the report, there would be a 361 meter long opening
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near Mt. Great South from which the waste gas produced by more than 50,000/per day of container trucks in the 5.5 kilometer long highway tunnel would be emitted untreated. This news firstly sparked homeowners from T. and N. Garden from Litchi Woods Neighborhood into action. After the homeowners’ tireless letters, visits and threats of a public demonstration to be held on Oct 1st, the National Day1, the government adjusted the design in November 2003 by reducing the gas-emission opening at Litchi Woods Neighborhood from 361 meters to 100 meters, and adding a 200meter half-opening at Rear Sea Division. But the design for the section of the viaduct that passed through Mt. Great South and was only thirty meters from C. Garden, a newly developed gated-community in Front Sea Division, was unchanged. The bone of contention between the homeowners and the government was the accuracy of the governmental-recognized Environmental Assessment Report (EAR) for the connection project. Since the municipal government refused to let a third party carry out an environmental evaluation, two retired engineers living in N. Garden in Litchi Woods Neighborhood sought help from two research fellows in the Department of Environmental Engineering of a leading university in Beijing to review their operation. The two reviewers confirmed the result of the unofficial operation with a seal of their Department on their letter of reply. However, the city government refused to accept these results, saying that the individuals’ review had no binding force in law. In July 2004, upon hearing the news regarding the execution of the Connection Project, representatives of the Rear Sea Division homeowners visited higher authorities repeatedly. They obtained an unabridged copy of the EAR and began a dialogue with related officials. After the dialogue meeting local officials announced that: the current plan is already the best plan, so there is no need to discuss or revise it. They also refused to provide a bulletin or hearing regarding this matter. The disappointed homeowners thus turned 1
Zhu Jiangang and Peter Ho, 2008, in “Not against the State, just protecting the resident’s interests: an urban movement in a Shanghai neighborhood” talk about a petition just before June 4th as a tactic in a Shanghai neighborhood movement.
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to Provincial Bureau of Environmental Protection and wrote to National General Bureau of Environmental Protection. Receiving no concrete respond from both higher authorities, on August 29, about 4,000 residents of Rear Sea Division gathered at the waste land by the side of Dongbin Road to “pray for a green home”. Starting in October 2004, the three Divisions defended their rights as a collective. They tried “administrative reconsideration” but the Provincial Bureau of Environmental Protection decided to uphold the City Bureau’s approval of the EAR. Homeowner activists consequently prepared for “administrative litigation” against the City Bureau and consulted a group of lawyers from Beijing. On the other side, the dispute led to the delay of the execution date of the Connection Project from 2003 to 2005. The local government pressed the homeowner representatives harder. Consequently, homeowners in Rear Sea Division formally delegated the issue to several elected representatives and a local lawyer to talk with the government. By the end of March, the party committee of Shenzhen municipality went through a power transition. On April 1st, the three Divisions initiated a campaign aimed at collecting signatures from 10,000 people. Soon after that, on April 22, the newly city administrative held a “Meeting for Experts to Clear up Doubts”. The relevant government departments subsequently displayed the plan for the connection project in neighborhoods along the highway. They also distributed 20,000 copies of “Legal Opinions” compiled by the office of legal consultants of the city government, declaring that the government and various departments had violated no law or legal procedure during the entire process. After the public display, the Connection Project was executed immediately. With different understanding of these developments, the three Divisions chose different strategies. Through the lawyer, representatives for Rear Sea Division reached an agreement with the local government by adding greenery around their neighborhoods. On the other hand, led by the two senior engineers, Litchi Woods Neighborhood conducted more studies to find flaws in the environmental evaluation report, and finally gained the involvement of the General Bureau of Environment Protection (now Ministry of Environmental Protection). The government finally set up an automatic air quality monitor beside the air vent near their neighborhood, plus a “Har-
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monious Neighborhood Park”. C. Garden in Front Sea Division was disturbed by the viaduct. Through obtaining the opinion of experts from Guangzhou and threatening to go on a hunger strike, C. Garden was eventually able to secure a promise from the government to add a closed sound screen along the viaduct section near their home. On July 1st 2007, SWC welcomed Chairman Hu for its inauguration. Subsequently, in early 2008, the N. District government’s “Harmonious Neighborhood Project”, which features “the Party’s embeddings into society to integrate different interests”, and the establishment of a “liaison office for representatives of People’s Congress to absorb voices of participation into formal institution and calm it down”, won a national award on “governmental innovation”.
Analytical approach and data collection Conventional research on neighborhood collective action either takes an interest-centered approach, in which public justification is reduced to a framework of the instrumental stance, or a culturalist point of view, where values, consciousness, and culture in general are the motor or “switchman” of the trajectory of action. Marxist tradition is the famous example of the interest-determinism approach. It considers that “objective interest” related to production determines conflicts in the residential domain, and the resistance of homeowners is but the extension of class struggle within the factory. Later on, the “theory of housing class” in Max Weber’s tradition considers that not only interest in the relationship of production but also in the relationship of consumption would affect the occurrence of collective interest2. A more recent version of the interest explanation is that localitybased interest determines resistance action at the neighborhood level3. 2 3
Luigi Tomba, 2005, “Residential interests and collective interest formation in Beijing housing disputes”, The China Quarterly, n° 184, p. 934-951. John E. Davies, 1991, Contested ground: collective action and the urban neighborhood. Ithaca, Cornell University Press.
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According to this approach, the “not-in-my backyard” (NIMBY) movement, which has occurred frequently in industrial societies in recent years, are actions residents take in resisting the selection of sites for public facilities in order to protect their locality-based interest and environment. Although the media in China have not used the term NIMBY yet, they also provide the same interest-centered rationales to explain the various rights-defending activities of residents in resisting public facilities (hospitals, cloverleaf bridges, and garbage-disposal factories). The most frequently used juxtapose are “small-self” versus the “big-self” and “private rights” versus “public goods”. Even studies that seek to take culture seriously in explaining collective action, such as the recent works on “frame analysis” tend to take “rhetoric” as an instrumental manipulation of language and arguments to mobilize support, without examining the constrains on this manipulation or its context4. All in all, interest-centered analysis tends to propose that interest motive determines action, and culture is but the cover of ideology that5 should be exposed and criticized. The culturalist point of view, by contrast, assumes that culture shapes action by supplying ultimate ends or values toward which action is directed, thus making values the central element of culture. In Chinese context, this understanding of culture has been lingering in debates on China’s modernization in general and whether China has developed a civil society or public sphere historically or currently in specific. The recent debate about “right consciousness” or “rule consciousness” in grassroots activisms also implies such a notion of culture. In a widely cited paper, sociologist Ann Swidler6 forcefully proposed that the reigning model used to understand culture’s effect 4
5
6
Deborah Davis, 2004, “The Chinese homeowner as citizen consumer”, paper presented at the Abe-SSRC workshop Consumer culture and its discontents. Tokyo, January 15-17. Kevin J. O’Brien and Li Lianjiang, 2006, Rightful resistance in rural China. Cambridege, Cambridege University Press. Elizabeth J. Perry, 2008, “Chinese concept of ‘rights’: from Mencius to Mao – and now”, Perspectives on Politics, vol. 6, n° 1, p. 37-50. Ann Swidler, 1986, “Culture in action: symbols and strategies”, American Sociological Review, vol. 51, n° 2, p. 273-286.
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on action is fundamentally misleading. It assumes that culture shapes action by supplying ultimate ends or values toward which action is directed, thus making values the central element of culture. She maintains that “culture influences action not by providing the ultimate values toward which action is oriented, but by shaping a repertoire or ‘tool kit’ of habits, skills, and styles from which people construct strategies of action7”. An alternative analysis of cultural, according to Swidler, consists of three steps. First, it offers an image of culture as a “tool kit” of symbols, stories, rituals, and worldviews, which people may use in varying configurations to solve different kind of problems. Second, to analyze culture’s causal effects, it focuses on “strategies of action” which are persistent ways of ordering action through time. Third, it sees culture’s causal significance not in defining ends of ordering action, but in providing cultural components that are used to construct strategies of action8. While Swidler offers an important new approach to studying culture by “turning culture inside out”, she does not articulate how to combine the cultural toolkit with strategic action in collective action studies9. Inspired by Actor-Network-Theory10, in this chapter I take a non-determinist point of view to examine the relations between culture, strategic action, and forms of associations in the controversy. I aim to answer a question: how do the normative linkages between state and society deployed in disputants’ strategic actions and associational forms toward the settlement of the dispute? Data in this article consists of four parts. In July 2004, I encountered the controversy through an Internet forum, and subsequently entered the neighborhood for participatory observation. Within two years, I conducted participant observation in home7 8 9
10
Idem. op. cit., p. 273. Idem. op. cit., p. 273. In a footnote of the paper, A. Swidler gives hints of the influence of P. Bourdieu of her understanding of culture: “For him, cultural patterns provide the structure against which individuals can develop particular strategies […]. For me, strategies are the larger ways of trying to organize a life within which particular choices make sense, and for which particular culturally shaped skills and habits (what Bourdieu calls ‘habitus’) are useful.” (Id. p. 276.) Bruno Latour, 2005, Reassembling the social: introduction to actor-network theory. New York, Oxford University Press.
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owner activists’ face-to-face meetings, the homeowners’ conventions, and 30 times of their dialogue meetings with government officials. I also conducted in-depth interviews (lasting an average of 2 to 6 hours) with twenty homeowner leaders. Ethnographic records of these meetings and interviews notes constitute Part I of the materials. Part II contains about sixty letters and documents sent by homeowner representatives to the relevant local government departments and the National Bureau of Environment Protection, as well as 60 official documents targeted at the neighborhoods in dispute as well as at the general public. Part III includes 780 reports from major Chinese newspapers and other publications regarding the grand project of the Western Corridor between January 1998 and January 2006 obtained through Wise News. Part IV includes all the records of discussions in a noted real estate forum affiliated with People’s Daily – “Green Western Corridor” – between July 2004 and August 2005, records of related discussions in a local “Citizens’ Forum” as well as correspondence from the common mailbox of homeowner representatives.
Arguments and organizational arrangements in the making of a coordinated collective An imagined community of victims In Aug 28, 2003, when the official design of the Connection Project was disclosed, the residents of T. Garden, a gated-community which is only thirty meters from the opening were flown into a rage. “Isn’t that a discrimination against our neighborhood? The newspaper even said the air vent is located in a remote area without a lot of people. Aren’t we human beings? We were just so angry!” Mr. L, homeowner from F. Garden said. Driven by this sense of being humiliated and indignation, T. Garden’s homeowners took the lead in taking action. They posted the information about the project and the news reports about the harmful consequence of pollution to health on the walls of the entrance
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of their building. After they had attracted enough concerns, they start to collect signatures. Danwei (অս), or working unit, has been one of the major factors in organizing a socialist urban China and is still one of the key variables in the controversy. Partly because it is government-subsidized housing and most of the residents are from a single group company, T. Garden was quite efficient in fund-raising and data collection. In contrast, homeowners from N. Garden and F. Garden are mainly employees of different local companies. They had difficulty in fund-raising and making connections among themselves: “I go out to work as early as 6:30 in the morning and come back home at 8:00 in the evening. I hardly know any of my neighbors after moving in for two years” said Mr. L. from F. Garden. They relied on their temporary Homeowner Committee (yezhu weiyuanhui ъѫငઈՊ) and Q. and S., two senior residents and retired engineers, to lead their action. Soon after the design of Connection Project was disclosed, T. and N. Garden formed a strong partnership: people from T. Garden visited N. Garden whenever they held a meeting, and even lent the latter facilities such as loudspeakers for better effect. Meanwhile the investigation and measurement of the two retired engineers founded the “theoretical basis” for the later actions. In November 20th, 2003, the government presented a “new plan” which added a 200-meter half-opening at the east end of Dongbin Road, next to a prestigious high school and kindergarten at Rear Sea Division. Like F. Garden in Litchi Woods, the neighborhoods in Rear Sear had been dwelling there for only 2 to 3 years and the new homeowners did not have many interactions when the new plan was released. Therefore, not till July 2004 did homeowners in H. Garden started to know how serious the issue would be through their first homeowner convention. Expectedly, their first reaction was denunciation: “Isn’t the government crazy? How can it make such an awful decision to add a new air vent so close to the schools?” Somewhat contradictory to the interest-centered assumption in NIMBY analysis, these later “victims” did not stir up grievance toward the perpetrators OR more simply those from Litchi Woods Neighborhood. Their explanations demonstrated broader understanding of “interest” and “public goods”: “The pollution is not
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produced by Litchi Woods Neighborhood. They also have the right to defend their rights.” “We are two Divisions of the same whole. Everybody is a victim of pollution, so why should we make such a differentiation? You know air is always flowing! And also there’s power in numbers!” Ms. P. from W. Garden said. Upon this consideration, activists in these “five star neighborhoods” started to learn from their friends. They publicized the issue by collecting signature, mobilized volunteers by posting articles and conducting public addresses, and voiced out their concerns by visiting local governmental departments. After all these actions, people in the Rear Sea Division got a crude and decisive reply from the municipal government: “The current plan is already the best plan, so there is no need to discuss or revise it. Also, there will be no bulletin or hearing11”. Deeply disappointed, younger homeowners become impatient and took more serious action. They mobilized local volunteers by training “chiefs of the building” (lou zhang ᾬ䮯) and “volunteers of environmental protection”. “We need to prepare for further participation such as electing Residential Committee members and representatives for People’s Congress”, one activist explained. At the same time they start to collect funds for the preparation of litigation. They criticized the free riders and mobilize them by posting the following poem on the Internet Forum: When the Nazis came for the communists, I remained silent; I was not a communist. When they locked up the social democrats, I remained silent; I was not a social democrat. When they came for the trade unionists, I did not speak ou; I was not a trade unionist. When they came for the Jews, I did not speak out; I was not a Jew. When they came for me, there was no one left to speak out12. 11 12
“Record of July 28 (2004) Meeting with N. District Government”, W. Garden. “First they came…” by Martin Niemoller (1892-1984), Holocaust Memorial, Boston, US. The poem originally is about the inactivity of German intellectual following the Nazi rise to power and the purging of their chosen targets, group after group. Homeowners in the dispute quoted a Chinese version of this poem.
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This turned out to be one of the most popular posts in months. Once this “imagined community of victims” came into being, the power was far beyond the initiators’ expectation. In early August 2004 homeowner activist Mr. C. from W. Garden posted up an rewritten article “I have a dream” on the Internet Forum from an Internet Cafe in another city. This beautifully written article moved many people into action. More than 10,000 copies of the article were printed, posted and distributed via knocking on doors (sao lou ᢛ ᾬ ). After some preparation, the activists sent cell-phone text massages to a whole list of homeowners, announcing an unusual activity: “pray for our green home” (wei lüse jiayuan qidao Ѫ㔯㢢ᇦഝ⽸⾧ ). There were about 4000 homeowners who participated in this “August 29 Affair”.
Toward a “coordinated collective” “August 29 Affair”certainly brought a lot of pressure to the homeowner activists in Rear Sea Division: the activists were presented in public and therefore targeted by the policemen and Resident Committee (juweihui ትငՊ) soon after. But it empowered their “comrades” in Litchi Woods Neighborhood unexpectedly. Only after August 29 Affair could the two retired engineers living in the Litchi Woods Neighborhood send a petition to Mayor and have “technical dialogues” with the Institute that drafted the EAR. Since mid-2004, the two major Divisions defending their rights hand in hand. Later on, C. Garden, which would be affected by the viaduct design of Connection Project, joined this collective. The three Divisions now shared information, manpower and even donations – they called all of these “resources”; they held regular meeting every week at a coffee shop near by and they tried to make every move on mutual agreement. Ms P, a 44-year-old homeowner of W. Garden and the major organizer of the August 29 Affair justified their links to other neighborhoods like this: “Of course we should be united on the big issues concerning justice. There are so many people in society who collude for illegal aims in whatever
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forms, why shouldn’t we united for just interests? I just don’t believe that!” Mr. Q, a 45-year-old businessman framed his idea of coordination between neighborhoods into a motto: “There is no distance between souls of us good citizens.” Once the three Divisions decided to defend their rights in a collective style, new challenges about cooperation appeared. Not one of the 20 activists could serve in a fulltime and professional style as they all had fulltime jobs in trade, consulting, logistic, education and even government. Even worse, people did not know how to have a joint meeting efficiently at the beginning of their cooperation. Later on, W. and H. Garden of Rear Sea Division started to set up chairpersons and take memos for each meeting. They paid a lot of attention in setting up “institutions” for transparency and accountability. As for inner-neighborhood arrangement, they used surveys to reify their collective will, distributed information through convening the homeowners’ convention and holding “flat meetings”, trained environmental protection volunteers, elected formal representatives through collective signatures and published all operations and documents regarding meetings with higher authorities on internet forums. Collecting donations unofficially is a sensitive issue in China that could lead to government crackdown and inner disputes. With this concern in mind, the homeowners established a set of rigid mechanisms for collecting and saving money, as well as supervising and managing them. For example, the “Regulations on collecting donations” of W. Garden detailed that the donated funds were to be jointly kept by three volunteers in each resident building, using the name of one volunteer to open an account at the bank, letting a second volunteer keep the deposit book and bank card, and letting a third volunteer control the secret code. Funds should only be withdrawn for use by at least two volunteers. The activists also set up regulations for inter-neighborhood relations. In a document of H. Garden titled Uniting thoughts and specifying division of labor, it said: First, the three divisions are a whole family. We should not blame each other, because no matter where the air vent is located, as long as it emits waste gas untreated, it is inhuman! Second, Rear Sea will provide human and financial resource for legal consultation and publicity purposes. The other two Divisions are welcome to
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contribute their technical and information resources. We have to integrate all the resources we have and share among the neighborhoods. What we should never do is overlap tasks and waste time […].
In this way, from August 2004 onward, a “coordinated collective” focus on greening the Connection Project came into being in the peninsular.
The normative and practical linkages between the “coordinated collective” and diversified “publics” From late 1990s on, housing related disputes had been one of the major sources of public dispute and lawsuits. Housing related disputes reached unprecedented height in the year of 2003. In Shenzhen, people witnessed several influential public controversies such as “Feng Ze Hu Affair (Ѡ⌭⒆һԦ)”, “Ding Tai Feng Hua Affair (唾ཚ仾ॾһԦ)” and “Yue Liang Wan Affair (ᴸӞ⒮һԦ)”, and all of these related to controversies between gated-communities and city planning departments. In the highly competitive housing market in most major cities including Shenzhen, each “small neighborhood” (xiaoqu ሿ४) had at least one Internet forum as early as the constructing project started, either launched by the developer, real estate specialized websites or by some gateway news websites. In all of these famous cases, Internet had been the major platform of communication and also the site of confrontation. From the very beginning, the neighborhoods’ forums, City’s Forum, and a public forum affiliated with the “real estate” column of People’s Daily Website were three of the most contested virtual spaces for SWC controversy. The last one – mostly because of its affiliation with the powerful “central media” (zhongyang meiti ѝཞჂփ) – become the “complaint container” of several on-going housing related controversies in Shenzhen. Each of the neighborhoods involved in disputes had their own separate page, e. g. “Green Western Corridor” of SWC controversy. But as it was open to the public and had no registration requirement at all, it became a pub-
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lic space for housing-concerned people from all over the country to seek ideas, opportunities and companion. The “Aug.29 Affair” sparked much sympathy on the Forum. People from the other neighborhoods, engineers, lawyers and anonymous netizen wrote down their strong feelings toward the article “I have a dream” and the demonstration itself. Here are just a few examples: “I am a resident in Rear Sea. I am most supportive of this activity and I will be there with you with my whole family!” “I am moved to tears after reading this! For the realization of the dream, we’ve got to defend our rights till the end!” “We the people from Front Sea hope that all your dreams come true.” For about four months, the number of netizens that simultaneously logged on the “Green Western Corridor Forum” was as high as 4000. According to one editorial, the peninsula had become a “boiling pot” in early 2005, confrontational ideas about private/public good, just/unjust interests and reasonable/unreasonable design were made explicit on Internet Forums, newspapers and people’s everyday conversations. This bring us back to the long-overlooked insight of Walter Lippmann and John Dewey about the making of “public” with the rise of the technology society in the 19th and 20th century America, although their problematic was how to reconcile democratic government with new technologies of manufacture, transportation and communication. According to the two writers, the development of new technologies of manufacture, transportation and communication caused difficulties for the existing institutions and communities to settle many issues. When issues are abandoned by the agencies that should responsible for them, the public steps in as a caretaker of these affairs. “Where the party directly responsible for do not work out an adjustment, public officials intervene. When the officials fail, public opinion is brought to bear on the issue13.” Dewey proposes that the specificity of the public also resides in the special way in which it is implicated in issues: The public consists of all those who are affected by the indirect consequences of transformations, to such an extent that it is deemed necessary to have those
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Walter Lippmann, 2002 [1927], The phantom public. New Brinswick, Transaction Publishers, p. 63.
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consequences systematically cared for. […] Since those who are indirectly affected are not direct participants in the transaction in question, it is necessary that certain persons be set apart to represent them, and see to it that their interest are conserved and protected14.
Although the authors were writing in different time and context, their problematic and insights are highly relevant to today’s China in a networked age15. In the SWC case, mainly through the Green Western Corridor Forum with People’s Daily, a homeowner “public”, who were not directly influenced by the project while highly sensitive to housing and city-planning issues, was formed, and created a friendly and supportive atmosphere of the SWC disputants. In contrast to the relatively free atmosphere of the Green Western Corridor Forum, local “City Forums” discussions under SWC related topics were under strict censorship. This in turn reinforced the sense of indignation and sharpened the tension between government, real estate developers on the one side, and the homeowner public(s) on the other side. Besides “homeowner public”, the collective also sought help from more diversified publics. When I received the first email from “Coco16” a 36 years old woman living in H. Garden, they were planning a nation-wide conference for environmental science experts, scholars, environmental NGOs and “central media” to discuss the “pollution issue” of SWC. Later on, mainly for financial reasons, they downscaled the conference to a local workshop. They found and contacted the Center for Legal Assistance to Pollution Victims (CLAPV) in China University of Political Science and Law through the Internet. Professor W, the director of the Center, agreed 14 15
16
John Dewey 1991[1927], The Public and Its Problems. Columbus, Ohio University Press, p. 15-16. For a discussion about “green public sphere”, cf. Yang Guobin et Craig Calhoun, 2008, “Media, Civil Society, and the Rise of a Green Public Sphere in China”, in Zhang Li and Aihwa Ong (eds.), Privatizing China: Socialism from Afar. Ithaca and London, Cornell University Press. For a discussion about “self in new publics”, cf. Part II of Zhang Li and Aihwa Ong (eds.), 2008, Privatizing China: Socialism from Afar. Ithaca and London, Cornell University Press. Most of the activists in the controversy use either English name or nickname that they use in Internet Chatting Rooms.
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to send two lawyers affiliated with CLAPV and an environmental reporter from Shanghai to the workshop. Meanwhile, on Coco’s request, I brought their materials to my university in Hong Kong to Mrs. W, a famous reporter and environmental activist from Beijing who was then a visitor of the university. Mrs. W. took the documents to Greenpeace (HK). The latter agreed to send a young staff to the workshop, with his friend from Mingpao (᰾ᣕ). Finally the workshop was conducted on October 10, 2004 at a hotel near the site of Connection Project. At the end of 2004, several news reports about the dispute appeared and led to increased awareness of the wider public. This “environmental public” formed by environmental reporters, environmental NGOs and environmental lawyers did not give homeowners any clear direction in this meeting, but the workshop was still a strong emotional support to disputants. In addition, the connections established through this workshop became important resource for the disputants in the later on development. In Nov 2004, the activists managed to meet Mr. P, one of the most liberalminded officers in the 16th Conference of Asia Pacific Forum of Environmental Journalists (AFEJ) in Shenzhen. A Guangzhou-based newspaper published this meeting with vast coverage. It quoted Mr. P. as saying: “Participation is not an act of charity bestowed by the government, it is the right of the public.” These words were soon printed on banners and hung above communal areas. Because the year 2005 featured a “storm of environmental assessment17” and the attitude of the deputy director was so encouraging, the disputants first imagined the central government as a member and even a promoter of “environmental public”. Thus in this stage the resistance features “rightful resistance” – a form of partly institutionalized, partly legitimate contention that entails the innovative use of laws, policies, and other officially promoted val17
In early 2005, General Bureau of Environmental Protection, a department that had been thought of as “vulnerable department”, stopped 30 major ongoing infrastructure projects in China in the name of environmental law and regulations. And the budget concerned was as high as RMB 117.9 billion (about $16.8 billion). This was widely known as “storm of environmental assessment” or “storm of environmental protection”.
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ues to defy “disloyal” political elites18. However, after the two engineers visited the General Bureau later on July 2005, they realize that the highest environmental administration in China has its own problems: lower level officials were indifferent, bureaucratic or simply playing with words. Their confidence toward the Center on environmental protection issues started to fade. The symbolic support of “the Center (zhongyang ѝཞ)” neither changed the practical deadlock, nor stopped the debates about legitimate values in the controversy. From the very beginning, the typical answer of the officials of related departments had been this one: “It is necessary for the minority of the masses to sacrifice for the interest of national development19.” Based on this interpretation of “collective interests”, staff of the Street Bureau (jiedao banshichu 㺇䚃࣎һ༴), Residential Committee, and neighborhood police (pianjing ⡷䆖) frequently went in and out of the residential neighborhoods, asking representatives of the homeowners to give up fighting for their “private interest”. This “theory of sacrifice” was fiercely criticized by the homeowners: The government thinks there is nothing wrong with sacrificing the interest of minorities, but I think this is not consistent with our national policy. You are not in a nation-defense war! It’s unjust to ask us grassroots people to sacrifice in a peaceful era20. How can you have the “big-self” without many “small-selves”? Every big river is due to the convergence of small streams. Without thousands of humble people, how can you officials enjoy luxurious life styles? They are now asking us to pay for their negligence and mistakes at the cost of our health and even life21! What is “big-self” and what is “small-self”? Compared with the environment, everything is “small-self 22”!
By differentiating between different circumstance (“war eras” and “peaceful eras”), and by appealing to legitimate values such as “legal right” and “environmental protection”, the homeowners tried 18 19 20 21 22
K. O’Brien, 1996, “Rightful resistance”; K. O’Brien and Li Lianjiang, op.cit. Record of First Technical Dialogue, Engineer Q, N. Garden. Sep. 28, 2003. Engineer Q. in N. Garden, Oct 25 2004. Mrs. G. in F. Garden, Nov 13 2004. Mrs. W. in W. Garden, Nov 15 2004.
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to break through the moral constraints of the collective ethic in communist tradition and patriarchy ethic in Confucianism tradition – two most often appropriated justifications used by the Chinese government when settling public disputes. Now that the controversy was widely known by the netizens in Shenzhen, a “netizen public” formed and joined in the discussion. Many of them showed sympathy toward the disputants, but some criticized the SWC disputants as selfish: “Should people not responsible for their own decision to buy the house near a highway? Why should we taxpayers in the city pay for you for your own decision?” “Please don’t be so selfish and throw the hot potato to the other people!” In light of this challenge, SWC disputants on the one hand resorted to citizenship, laws, environment protection and the other general principles to justify themselves, on the other hand, they deployed stricter self-censorship on their public discourses. Mr. Q. from W. Garden reflected: “I have always stressed that one should have no selfish motives when putting forward a plan. One should take the general situation into account and take care of the interest of the greater majority.” In the interaction with the wider diversified audience, the collective imposed strict self-constraints on their strategic discourse and action, and adopted universal principles of democratic coordination such as accountability, equality and transparency, thus, a neighborhood-based collective became a Deweian displaced public.
Political trust and the retreat to a “Front of independent neighborhoods” Environmental protection had been one of the most important justifications of the disputants. But along the course, the disputants had fierce debates about whether to uphold it principally or deploy it strategically. On the one hand, many of the activists had been involved in environmental protection activities even before their involvement in the SWC controversy. Mr. R. from W. Garden, for
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example, was an active member of the Shenzhen Division of Friends of Nature. They insisted in having environmental protection as their major appeal in the controversy. As engineer S. maintained, “It’s okay to say that we are defending our rights. But my deep concerns are environmental protection and truth. We have only one global village, and people will lose it for good when it’s polluted.” On the other hand, after the homeowner representatives’ fruitless visit to Beijing, political cynicism pervades the communities. Representatives from Rear Sea Division question the implementation of environmental law in China. “It is exactly what the government wants if we just appeal to environmental protection issues, because they can easily tampers with the (air pollution) data”, said a representative from W. Garden. This different level of political trust and different stances toward versatility explain the later split of the collective. The principle of “rule of law (fazhi ⌅⋫)” was also a powerful justification for the disputants. Having tried soft approaches such as mobilizing the media and visiting higher authorities to no effect, the weary homeowners then tried to mobilize more direct and formal methods: administrative reconsideration and administrative litigation. They tried the first in late 2004 and got a negative result. The three applicants then withdrew from officially engaging the Beijing lawyers for a follow up litigation because of declined political trust and fear: “How can I find a job if my name and face appeared in the news titled ‘citizens suing the government’?” one applicant said. In May 2005, time was very limited for the Shenzhen government to complete the project before the political deadline: July 1st 2007. They started to impose more pressure on the homeowner’s side by sending policeman to the activists’ home at midnight. Homeowner activists from Rear Sea Division show versatility upon this development. They elected three representatives through collective signature, and these representatives officially engaged Mrs. L, a local lawyer, as their legal adviser to “talk with the government and solve the pollution issue of SWC”. Why did they make this sudden turn from litigation to negotiation? Why was Mrs. L. chosen as opposed to a group of lawyers from Beijing? First and foremost, the representatives had low faith upon general conditions of rule of law: “SWC is a national project
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and China has not been a place that everything can be resolved through law justly.” But there is something more: Filing litigation against the government is not difficult in itself: you draft a complaint to the court, and let the court decides. You can certainly appeal after the first court decision comes out, but you should accept whatever the result of second decision is. Then the lawyer has fulfilled her commitment and leaves with the lawyer fee anyway. We need to pay a lawyer fee for whatever results the court delivers. Should we lack a strong sense of accountability toward our neighborhood, we would had already hired a lawyer and file litigation, because even we lost the suit, it’s the fault of the lawyer. As representatives we do not expect to be accused23. To accept the Green Project was my idea, or else the issue may fall into a deadlock again. I feel like it is something that I can tell the neighbors as an ). We older representatives have done whatever we explanation (jiaodai Ӕᖵ could and we want a decent result. As a matter of fact, we little people […] also have a problem of “face (mianzi 䶒ᆀ)”. You see, if we come back to the neighborhood with two empty hands after all these troubles […]. We need to save “face” too, after all24.
Seen in this light, Lawyer L. was indeed a much better choice than the Beijing lawyers, because even though the latter had better experience in dealing with environmental lawsuits, they had much less connection and experience in Shenzhen. In contrast, Lawyer L. was said to have good relations with the city government, and she promised to “maximize the neighborhood’s interest by talking with the government”. However, this versatility to compromise in the best interest of the neighborhood did not convince every resident of Rear Sea Division, even within the activists group: “What do you mean by ‘big interest’? We are asking her (Lawyer L) to fight against the false EAR and wrong administrative decision. Isn’t this reasonable? This is supposed to be our fundamental duty as representatives and the lawyer!” “The idea of the current representatives and the lawyer are totally wrong. How can a lawyer not use the law to fight? There are only interests in her eyes, not legal principles! We should not be afraid of loosing the lawsuit. Even if we failed, we have executed
23 24
Ms H. in Y. Garden. Ms P. in W. Garden.
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our legal rights!” Since they had delegated the rights to the representative, these different voices were marginalized in the final settlement. More versatility had been adopted by C. Garden. Because the Garden would be directly affected by the viaduct, and its real estate prices there were falling at the time of dispute, Ms W. was denounced to be “insincere”, when she tried to mingle her justifications based on property right with environmental protection and the other legitimate values. Also, because she had a different judgment of the whole controversy as a “political issue”, and “political issues should be resolved with political methods: you have to use personal connection (zou guanxi 䎠ޣ㌫), and solve it with more powerful resource”, Ms. W. chose to “fight for the interest of the neighborhood”. This explains the neighborhood’s unique and dangerous move in threatening the government with a hunger strike, which eventually won a sound screen for their neighborhood. As a result of the divergent perception of the linkages between the state and the society, the cooperation style of the three Divisions retreated from a “coordinated collective” to a loose front. As Engineer Q. said, we are now a front of independent neighborhoods. We stopped holding regular meetings with the other two Divisions anymore, and we have separated financial sources and strategies to engage the government, but we still share valuable information. We Litchi Woods Garden now pursue our own “third way”: using the Internet to publicize our opinion, writing complaint letters to the General Bureau, and preparing for later lawsuits.
By insisting in seeking truth, the retired engineers from Litchi Woods Neighborhood had won themselves a lot of respect, support and authority in the controversy.
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Concluding remarks To sum up, as a reaction to a potential threat to their home and the arbitrary decision making process of the government, the disputants develop their right discourse, an “imagined community of victims”, and later, a coordinated collective. They did this by drawing different legitimate resource and through different organizational forms. As the controversy escalated, the homeowner collective and the local government were no longer the only two agencies in the dispute, and both of them had to engage with newly emerged diversified publics. The boundary between the homeowner collective and the publics was fluid and the notions of public/ private, just/ unjust were under redefinition along the interactions. In the final stage, declined political trust toward the central government shaped the homeowners’ evaluation of “political opportunity”, and contributed to their strategic and organizational turns. By appropriating “neighborhood interests”, “face”, and accountability in groups, the collective retreated to a neighborhood-based “front”. The controversy indicates one fact: even in the “rights-defending actions (weiquan xingdong 㔤ᵳ㹼ࣘ)” in the urban neighborhoods in which appeals are relatively definitive, interests are relatively concentrated, and there is considerable power interference, people still can and have to put forward legitimate worth which transcends personal appeals in order to justify themselves. Environmental protection, human rights and rule of law in the SWC case are not merely rhetoric or discourse, but justifications that are anchored on concrete actions and are constrained by the “Zeitgeist” shared by the community. “Even if it is economic activity, it will happen in the social environment that shares a certain world view and common experience25.” By following the actors in the SWC case, we discover the “limitedly plural” justifications and their relations with strategic actions. In contrast, interest-centered approach on community activism, by holding a skeptical view toward culture, fails to explain the plurality of strategic actions in the case. 25
Françoise Mengin et Jean-Louis Rocca (eds.), 2002, Politics in China: moving frontiers. New York, Palgrave Macmillan, p. XVI.
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Sense of locality is an important cultural dynamics in the dispute. Place, territory and locality are not new concepts in China studies. For examples, Isabelle Thireau, Shen Jing and Wang Hansheng, Liu Shiding, among the others, have observed that locality based notions like “face” and “human feeling (renqing Ӫᛵ)” playing a key role in the stabilization of interpersonal interaction in rural lives26. In SWC case, sense of locality is identity with collective interest and status based on locality such as community, district, and city. Gated-communities promote social settings for a new collectivism: The other day Miss W. of C. Garden said to me: “Your W. Garden is a big community, yet you are like a sheet of loose sands – in a state of disunity!” I really did not think her words were fair! I said to Sister P. in my community: “We residents of W. Garden are not inferior to anyone else. Why can we not put forward a united train of thought?” I have gradually moved to the front after that.
This new collectivism can go beyond the gates of a single residential community and develop to a sort of public spirit: I care about and participate in defending green rights, because I love this Garden and love the atmosphere here; because I love Shekou and I do not want to see her polluted, trampled, and change from being the most suitable place for human habitation to being the most unsuitable place for human habitation! As the first generation immigrants to this hot land of Shenzhen to live and to start our undertakings, we must step forward to keep her original beauty and not be unconcerned. Shenzhen is the Shenzhen of people and a place where we struggle and strive. If we are not concerned, then what is the difference between us and the apathetic Chinese under the pen of Lu Xun27?
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I. Thireau, 1991, “From equality to equity: an exploration on changing norms of distribution in rural China”, China Information, V, 4, p. 42-57. Liu Shiding, 2002 “Fairness and human feelings: a sociological study of a village”, News weekly, August 26, 2002. Shen Jing and Wang Hansheng, 2005, “Jiti chanquan zai zhongguo xiangcun shenghuozhong de shijian luoji” (The practical logic of collective property rights in rural China), Shehui yanjiu, 1. Lu Xun (1881-1936) is one of the most influential Chinese writers and critics of the 20th century. A Madman’s Diary is an attempt by Lu Xun to describe the national character of Chinese people and is considered as one of the first and greatest works written in vernacular Chinese.
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Political trust is another important cultural dynamics in the dispute. Political trust is usually defined as citizens’ belief or confidence that the government or political system will work to produce out-comes consistent with their expectations28. In his 2004 article on political trust in rural China, Li Lianjiang identifies three patterns of trust in the Chinese state: It shows that some villagers find that the state is unified and trustworthy, while others deem it unified but untrustworthy. However, the largest group of all sees a layered and divided state and believes that higher levels are more trustworthy than lower levels […]. As long as villagers retain a modicum of confidence in central authorities, they are unlikely to organize activities against the regime. But popular faith in the beneficence of the Center may decline if aggrieved villagers repeatedly fail to get what they hope for from it29.
From a pragmatic standpoint, we identify political trust in the two strategic and organizational changes in the SWC case. With a perception of a divided state, the disputants developed from an “imagined community of victims” to a coordinated collective, primarily to alert the Center and to resolve the issue in concern. This perception radically changed after numerous fruitless letters and visits, especially the visit to General Bureau of Environmental Protection in 2005. The retreat from a coordinated collective to a loose front represents a general decline of political trust in this case. This finding is in accord with Li Lianjiang’s study on rural political trust. Like their rural counterparts, urban citizens in SWC case distinguish between the higher and lower levels of government. When their rightful resistance fails, total disillusionment with the Center set in, resulting in cynical reconciliation with the local government and even political radicalism. The SWC case also implies correlation between political trust and the style of collective actions. When political trust toward the Center is relatively high, the disputants reach out to various publics to transmit their voices upon local issues to the Center. They give public reasons for their strategic actions and conduct a justification 28 29
Li Lianjiang, 2004, “Political trust in rural China”, Modern China, vol. 30, n° 2, p. 228-258, p. 230. Idem op. cit., p. 248.
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process in which “reality test30” is essential. And sense of locality here is an enabling factor in terms of active citizenship. In contrast, when political trust towards the Center declines, the state is seen as one unit, and the disputants turn to local connections (think about the “face” and “neighborhood interests” arguments) and even political radicalism as final resort. And here sense of locality becomes a constraining factor in terms of active citizenship. Although we don’t want to over-generalize a single case, such dramatic changes in contention style of the urban disputants – from “letter and visit” to hunger strike – would be a disconcerting signal for Chinese policy-makers and observers. Still, much has to be done to grasp the changing normative relations between Chinese state and the urban society.
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Appendix: Pictures of the Dispute (I) A diagram of the SWC Project
(II) “Pray for Our Green Home!” (Aug. 29, 2004)
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(III) Homeowners‘ meeting with Lawyer L. in W. Garden (May.29, 2005)
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Canton, il est 21 h dans un restaurant ouighour: une quinzaine de femmes ouighoures d’environ 40 ans dînent ensemble et discutent de leurs affaires. Elles ont toutes un léger foulard. Soudain, le son de la musique monte. Deux couples de femmes se forment, elles esquissent les pas d’une valse. On pourrait se croire dans une fête à Kashgar. Mosquée de la rue Guangda: dans la cour d’entrée, plusieurs Hui, originaires du Qinghai, se font photographier portant fièrement chacun un panneau avec l’inscription proclamant l’ouverture d’un restaurant de pâtes (lamian).
Dans les années 1980-1990, la dynamique migratoire à l’intérieur de la Chine impulsée par les réformes a conduit un nombre non négligeable de migrants des provinces du nord-ouest de la Chine, de la région autonome ouighour du Xinjiang et de la province du Qinghai, vers les provinces côtières et en particulier à Canton. Cette migration peut être saisonnière ou de longue durée, effectuée en famille, en groupe ou individuellement. Au bout de quelques années, à l’instar de ce qui se passe dans le reste de la Chine, certains de ces migrants commencent à s’organiser. Cet article a pour objet d’examiner comment des populations migrantes, minoritaires à double titre, en tant que musulmanes appartenant à une minorité nationale et originaires d’une autre région, réagissent aux situations nouvelles auxquelles elles sont confrontées. De multiples questions se posent: Quelles sont les raisons qui poussent au regroupement? Les migrants vont-ils se regrouper dans un même quartier comme c’est souvent le cas et comme ils l’ont fait à Pékin dans les années 1990? Quels objectifs se donnent-ils? Quelle est la nature de leurs relations avec les autorités locales? Dans le cas de populations musulmanes, la religion est-elle un vecteur d’unité, de renforcement de la solidarité? Les liens avec la population
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musulmane locale sont-ils plus aisés? Cette étude1 portera essentiellement sur la ville de Canton, qui a été choisie pour la longue présence de l’islam dans cette ville2 et la diversité des situations rencontrées. Si la manière de s’organiser est l’objet principal de cette recherche, les questions d’ethnicité, comme on le verra, sont aussi très présentes. L’enjeu ici est de comprendre la vitalité des minorités en Chine, la manière dont des groupes minoritaires deviennent acteurs de leur présent. L’enquête présentée ici fut un moment de questionnement quant au travail de terrain lui-même. Il ne s’agit pas seulement d’une question de réflexivité courante en anthropologie, mais bien de la manière d’aborder un nouvel objet. En effet, la thématique des modes d’organisation d’un groupe, qui est généralement étudiée dans le cadre de la sociologie des organisations, allait être traitée comme une thématique de l’anthropologie urbaine ou de sociologie urbaine 1
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Les enquêtes pour cette recherche ont été effectuées à différents moments, en 2003 et 2004 pour les premières, puis durant de courts séjours entre 2007 et 2009 dans le cadre d’une ANR, «Nouvelles formes d’association et nouvelles figures des liens sociaux», dirigée par Isabelle Thireau. J’en profite pour la remercier d’avoir initié cette recherche et su trouver des modes de réflexion commune entre chercheurs chinois et français. Les sources concernant l’histoire de l’implantation de l’islam à Canton sont nombreuses, nous n’en citerons ici que quelques-unes parmi les plus récentes: Ma Jianzhao et al. (eds.), 2001, «Guandong sheng Huizu wenha jiaoyu ziliao xuanbian» (Choix de matériaux sur l’éducation et la culture des Hui du Guangdong), in DE’ERQI PENGCUO et GUO Songming (eds.), Zhongguo nanfang Huizu wenhua jiaoyu ziliao xuanbian (Choix de matériaux sur l’éducation et la culture des Hui de Chine du Sud). Chengdu, Sichuan minzu chubanshe, p. 201-232. Zhong Yuanxiu et al. (eds.), 2001, Guangzhou yisilan guji yanjiu (Recherches sur les vestiges historiques islamiques de Canton) Yinchuan, Ningxia renmin chubanshe. Guangzhou shi, yisilanjiao xiehui, 2002, Guangzhou shi huizu, yisilanjiao wenshi ziliao xuanji, 1, 2, 3, dingben (Choix de documents littéraires et historiques sur l’islam des Hui de Canton n°1,2,3), édition définitive. Ma Jianzhao et al., 2002, «Guangdong sheng Huizu jingji shangmao ziliao xuanbian» (Choix de matériaux sur les marchands et l’économie des Hui de la province du Guangdong)» ), in DUAN, Jinlu, et YAO , Jide (eds.), Zhongguo nanfang huizu jingji shangmao ziliao xuanbian (choix de matériaux sur les marchands et l’économie des Hui de Chine du Sud). Kunming, Yunnan minzu chubanshe, p. 67-96. Ma Jianzhao et al. (eds.), 2003, Zhongguo nanfang huizu shehui tuanti ziliao xuanbian (Choix de matériaux sur les associations des Hui de Chine du Sud). Chengdu, Sichuan minzu chubanshe.
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qui, pour moi, se rejoignent, en raison même du contexte et de mon propre parcours. Habituée à travailler dans des communautés circonscrites (village ou quartiers délimités) où l’on peut saisir d’un regard toute la vie sociale, c’est-à-dire la vie familiale, économique, religieuse et politique, je pense que la situation dans une ville, et en particulier Canton, est bien différente. En ville, les choses observées sont limitées, la plupart des déterminants sont à l’extérieur et ils échappent à l’observation. Le fait est accentué par l’effet de l’immensité de Canton, et c’est la raison pour laquelle les acteurs euxmêmes doivent se créer des lieux de convergence qui, dans le cas présent, sont des restaurants et des lieux de culte. Ces lieux ont donc été ceux de l’observation, cependant ils ne permettaient pas d’effectuer une observation longue des changements qui s’opèrent chez les principaux acteurs. Les entretiens ont été essentiels dans ce travail. Mais si recueillir la parole des acteurs était un axe majeur, il ne pouvait suffire. Il était nécessaire de le compléter et de le préciser par la confrontation de données orales et écrites, de personnes diverses, mais aussi d’autorités locales, appartenant en particulier à la branche cantonaise de l’Association islamique de Chine (AIC). J’étais confrontée à un autre problème, que je connais bien, celui du moment de la discussion collective qui, dans ce cas, est compliqué car il n’y a ni régularité ni visibilité; il se fait au coup par coup, à un très petit nombre et dans la langue des intéressés (ouighour et hui du Qinghai). L’ensemble de ces conditions imposait de limiter l’étude à un aspect qui est celui de l’émergence des modes d’association, même si certaines, comme on va le voir, n’ont pu aboutir. Les premiers contacts ont été pris grâce à l’intermédiaire de chercheurs de l’Institut d’étude des nationalités de la province dès 2003. D’autres se sont créés au fur et à mesure des rencontres. J’évoquerai tout d’abord à grands traits l’histoire des populations musulmanes migrantes venues travailler à Canton, puis seront étudiés les différents modes d’association observés.
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Qui sont ces migrants? Le développement économique des régions côtières a attiré les migrants Ouighours et Hui des provinces du nord-ouest de la Chine comme ceux d’autres provinces3. Il est bien sûr très difficile d’en évaluer le nombre. Le recensement de 2000 compte officiellement pour la province du Guangdong 25 307 Hui et 3 057 Ouighours4 (pour la seule ville de Canton respectivement 9 168 et 596). Toutefois, les Hui ainsi recensés représentent pour l’essentiel non pas des migrants mais une population musulmane locale, c’est-à-dire les musulmans de langue cantonaise, partie intégrante de la société locale. Les migrants qui travaillent à Canton, et dont il va être question ici, sont Ouighours du Xinjiang et Hui du Qinghai. Si mes observations ont porté uniquement sur cette ville, les migrants de ces deux régions sont aussi présents dans d’autres centres urbains de la province du Guangdong comme Foshan, Shenzhen ou Dongguan, ou encore dans le Fujian (Xiamen) et le Zhejiang (Yiwu). Parmi l’importante littérature sur la question de la migration en Chine, les minorités ont fait l’objet d’une attention bien moindre, toutefois les études qui ont été publiées sont extrêmement stimulantes5. En ce 3
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Ningxia, Gansu, Shaanxi, mais aussi du Yunnan, du Henan, du Shanxi etc. Il y a en particulier de nombreux jeunes gens qui viennent comme traducteurs ou traductrices en langue arabe pour les entreprises d’import-export moyenorientales. Statistiques de l’observatoire de la population de la ville de Canton de 2000. On relève aussi d’autres nationalités musulmanes dans la province, toutefois leur nombre est très faible (quelques dizaines). Ma Jiang, 2006, Liudong de jingshen shequ – renleixue shiyexia de Guangzhou musilin zhemati yanjiu (Communautés de pensée en mouvement – recherche anthropologique sur les jama’at musulmanes de Canton). Beijing, Zhongguo shehui kexue chubanshe, p. 214. Cf. n. 5. Citons les études publiées dans Robyn Iredale et al. (eds.), 2003, China’ Minorities on the Move, China’s minorities on the move. Selected case studies. Armonk, M. E. Sharpe. Et surtout pour ce qui concerne les Ouighours de Pékin, le remarquable travail de Nimrod Baranovitch, 2003, «From the margins to the centre: the Uyghur challenge in Beijing», China Quarterly, n° 175, p. 726-750, et 2007, «Inverted exile: Uyghur writers and artists in Beijing and the political implications of their work», Modern China, vol. 33, n° 4, p. 462-504.
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qui concerne la ville de Canton, je voudrais signaler une étude anthropologique6 novatrice en Chine menée par un jeune chercheur de l’université Sun Yatsen, Ma Jiang7, qui est la seule, à ce jour, à s’être intéressée à l’ensemble des musulmans, c’est-à-dire aux musulmans d’origine locale et des autres provinces de Chine, mais aussi aux convertis Han et aux musulmans venus d’autres régions du monde.
Les Ouighours de Canton Les récits suivants sont révélateurs d’une dynamique de la migration. A., une femme, originaire de Khotan: Je me suis retrouvée veuve avec 3 enfants. Je n’avais pas le choix, je suis partie avec mes enfants à Pékin au début des années 1990. Des amis m’ont aidée à ouvrir une petite gargote près de l’université. [Deux quartiers Ganjiakou et Weigongcun formaient ce qui était connu sous le nom de Villages du Xinjiang, Xinjiangcun8]. Je suis la première femme de Khotan a être partie de cette ville et à avoir ouvert un restaurant dans la capitale. En tout, j’ai réussi à ouvrir deux restaurants, dont l’un était célèbre, les cadres du Xinjiang de passage à Pékin venaient y manger. Mais à la fin des années 1990, le quartier a été transformé et mon restaurant a été détruit pour permettre l’élargissement de la rue. On n’a pratiquement pas été indemnisés, mais on ne pouvait rien faire (meiyou banfa). Alors j’ai vendu le second restaurant et j’ai décidé de partir pour Canton car la ville est plus développée. Je viens juste d’ouvrir ce restaurant depuis un mois (c’était en novembre 2003). Le quartier est bien.
Ses filles s’occupent aussi du restaurant et des amis sont venus l’aider. C’est dans ce restaurant que les femmes ouighoures aimaient à se retrouver.
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Ma Jiang, 2006, op. cit. Le terme de jama’at vient de l’arabe jama’a (assemblée), il est très judicieusement utilisé dans ce travail ainsi que le terme chinois zuqun ᯿㗔 (groupes ethniques) afin de ne pas être prisonnier de la catégorie minzu ≁᯿ (nation, nationalité, national) spécifique de l’organisation politique de la RPC. Il enseigne maintenant à l’Université de Xi’an. À propos du Xinjiangcun voir N. Baranovitch, 2003, op. cit.
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N., un homme, originaire de Sashi: Je suis arrivé à Canton un peu par hasard en 1987, j’avais dix-sept ans. J’ai été élevé par mes grands-parents. Mon grand-père est mort alors que j’avais neuf ans. Pour nous faire vivre ma grand-mère faisait du petit commerce, j’ai alors décidé de travailler pour l’aider. J’ai été engagé comme apprenti pour la fabrication du pain (nan9), et quatre ans plus tard j’ai ouvert mon propre commerce de pain. J’ai appris d’autres spécialités culinaires et j’ai ouvert un petit restaurant. Je n’avais que quinze ans; ça ne marchait pas bien, beaucoup de gens venaient et ne payaient pas, j’avais plein de dettes. J’ai décidé de partir pour Pékin. Je suis donc allé à Urumqi et là, une de mes tantes m’a dit de rester car j’étais trop jeune pour partir si loin. J’ai donc trouvé un petit travail mais je gagnais seulement 80 yuans par mois. Ce n’était pas possible de rembourser mes dettes avec ce salaire. Au bout de six mois j’ai décidé de partir pour Pékin. À la gare, j’ai rencontré un ami de Sashi qui revenait de Canton où il faisait ses études. Il me déconseilla d’aller à Pékin car, disait-il, il y avait trop de problèmes, et me dit d’aller à Canton, qui se développait rapidement. J’ai alors changé mon billet de train et je suis arrivé à Canton en 1987. J’ai tout de suite trouvé un travail dans un restaurant ouighour qui venait d’ouvrir. Seize ans plus tard, j’ai remboursé mes dettes et j’ai ouvert quatre restaurants. Tous avec des membres de ma famille.
Ses restaurants sont tous dans des quartiers différents, les plus grands dans des quartiers d’affaires et deux autres, plus petits, sont l’un, près de la gare et l’autre, devant la plus ancienne mosquée de Canton. Deux endroits clés où passent de nombreux migrants du Xinjiang. Cet homme va jouer un rôle d’intermédiaire important. Au milieu des années 1980, les Ouighours ont commencé à venir faire du commerce à Canton, ce qui favorisa très vite l’installation de restaurants. Puis d’autres sont arrivés, en particulier des vendeurs de rue de raisins secs. Ils sont souvent très jeunes – autour de dix-huit ans parfois plus jeunes – et dans le cas de Canton, ils sont originaires de Khotan. Le raisin est séché au Xinjiang, et lorsqu’il est bien sec, à partir de septembre, ces jeunes hommes sont embauchés pour aller les vendre dans les provinces côtières. Ils viennent en groupe pour quelques mois, de septembre à janvier. Dans le meilleur des cas, le patron loue une chambre ou deux pour le groupe. Ils vendent à la sauvette dans toute la ville. 9
Nan: terme persan qui désigne le pain. Il est utilisé dans toute l’Asie centrale jusqu’au Xinjiang et en Inde pour désigner toute sorte de pains qui sont, en général, de forme arrondie (sorte de galette).
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Une dernière catégorie peu visible existe, il s’agit des fonctionnaires de l’administration ou de la police. Ouighours, Hui ou Han du Xinjiang, hommes et femmes, ils ont été appelés à Canton, certains dans la police, d’autres dans l’administration de la ville ou de la province, certains ont pour fonction de gérer les rapports avec les musulmans et en particulier avec les Ouighours. Il n’est pas rare de ce fait de voir des Han et des Ouighour du Xinjiang se trouver au moment de fêtes comme celle du guerbanjie (sacrifice du mouton). Ainsi, à la grande surprise de beaucoup, on peut entendre des Han parler ouighour10. Pour résumer, il y a trois catégories de population ouighour: une migration saisonnière liée au rythme agricole du Xinjiang, des commerçants (hommes et femmes) qui circulent entre la région autonome et Canton, des hommes et femmes d’affaires (principalement dans la restauration), et enfin des fonctionnaires qui s’installent durablement. L’une des premières difficultés que rencontrent ces migrants est bien sûr celle de la langue. Ils sont très peu nombreux à parler la langue commune (putonghua) en arrivant, et aucun ne comprend le cantonais. Comme le soulignait un Ouighour: «Les relations sont difficiles et dès que les gens ne se comprennent pas, très vite ils passent aux insultes et se battent.» Il est assez courant d’entendre énoncer des préjugés sur les Ouighours. On les accuse d’être violents, d’entraîner les enfants à voler. Il y a de nombreux récits sur les violences entre jeunes vendeurs à la sauvette et les agents de police11. Les autres problèmes sont liés au statut juridique, une autorisation de résidence12 (zanzhuzheng Ჲտ䇱) est délivrée par la police, facilement pour certains et difficilement pour d’autres. Toutefois, ceux qui obtiennent une autorisation de résidence ne sont pas pour autant reconnus comme résidents à part entière car leur hukou (enregistrement de la résidence) reste inscrit dans le district d’origine. Ce qui pose bien sûr des problèmes pour les droits, en particulier pour la 10
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Les situations de la migration permettent de sortir des clichés qui demeurent pourtant vivaces, tels que «les femmes ouighoures sont soumises et cloîtrées» ou «les Han sont incapables de parler la langue ouighoure». Cette situation conflictuelle est abordée dans la deuxième partie. En 2003, cette carte coûtait 120 yuans par an.
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scolarisation des enfants qui, de ce fait, doivent rester au pays, à moins que les parents ne payent un supplément13. Par ailleurs, toute personne voulant un passeport doit retourner au Xinjiang pour l’obtenir ce qui est, semble-t-il, de plus en plus difficile.
Une migration organisée: les Hui du Qinghai Il s’agit d’une migration très récente. Les Hui du Qinghai ouvrent des auberges spécialisées dans les pâtes (lamian 䶒). En 2007, plus de 1000 petits restaurants étaient recensés – il n’y en avait que 580 en 2005. Il s’agit d’une migration provoquée par les autorités du Qinghai. Plusieurs districts autour de Xining, comme celui de Hualong, ont subi de nombreuses années de sécheresse. Dans l’objectif de diminuer le nombre de paysans de cette région, les autorités ont décidé de susciter leur départ «100 000 doivent partir!» (shiwan yao chuqu ॱз㾱ࠪ৫) en leur offrant une formation rapide pour monter un commerce dans les villes côtières, et en leur accordant un prêt allant de 7 000 à 30 000 yuans. Avec un certain humour, cette politique est appelée «l’économie des lamian» (lamian jingji 䶒㓿⍾). Ceux qui se lancent dans cette aventure vendent une grande partie de leurs biens. Pour eux, l’objectif est bien un départ définitif. Dès que les conditions le permettront, toute la famille viendra s’installer dans l’Est. Selon les intéressés, il semble que 70 % des paysans de ces districts soient partis. Cependant, en raison du coût de l’éducation, les enfants restent scolarisés au pays sous la garde des grands-parents. M. B. raconte: Le premier à être parti du village l’a fait en 1987, il est allé à Xiamen car la ville est célèbre pour les musulmans. Il a ouvert une boutique de lamian à côté de la mosquée. Son commerce a bien marché et cela nous a décidés. Pour ma
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Lors d’entretiens en avril 2009, il semble que la ville de Canton permette la scolarisation dans les écoles publiques à partir de cinq ans de résidence des parents dans la ville.
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part, je suis arrivé à Canton avec trois membres de ma famille. Nous sommes allés dans une auberge (zhaodaisuo) et nous avons trouvé à louer un espace à Foshan, puis ensuite nous sommes venus ouvrir un autre restaurant de lamian à Canton. En ce qui nous concerne, nous avons pu avoir très facilement les autorisations de résidence (zanzhuzheng), à raison de 120 yuans par an. Mais il y a aussi d’autres taxes à régler aux bureaux du commerce de la ville et surtout il faut avoir l’attestation qui montre le caractère hallal des produits, c’est-à-dire le panneau Qingzhen (pur et vrai) donné par le bureau des affaires religieuses.
Les modes d’association: informel et formel Les modes d’association sont très diversifiés. Certaines associations restent informelles, d’autres essayent de devenir officielles, et enfin les deux peuvent coexister. Les exemples qui vont suivre se succèdent selon cet ordre: Le premier exemple est celui d’un groupe de femmes ouighoures. Leur forme de regroupement est caractéristique de la société ouighoure et est connue sous le terme de khata jaï14 (faire la queue pour le thé). Ce type de regroupement permet de se constituer un réseau personnel de relations sociales. Soulignons que ces groupes de quinze à trente personnes maximum se sont beaucoup développés depuis l’interdiction des meshrep en 199515 au Xinjiang. Les meshrep représentent un système traditionnel de régulation sociale, ce sont des réunions régulières de type culturel ou de voisinage16. Ces khata jaï sont très divers et souples: ils sont en principe soit féminins, soit masculins, il peut s’agir d’un groupe de gens habitant le même quartier, ayant la même profession ou qui ont fait des études ensemble; les membres sont souvent de la même génération. Dans le cas présent, il s’agit d’un groupe de femmes de quarante ans. 14 15 16
Je remercie ici Mme Palizhati pour m’avoir donné des précisions sur les Khata jaï au Xinjiang. Rémi Castets, 2003, «Le mal-être des Ouïghours du Xinjiang», Perspectives Chinoises, n° 78, p. 34-48, p. 39. À propos des activités des meshrep avant 1949, voir: Ildiko Bellér-Hann, 2008, Community matters in Xinjiang (1880-1949). Leiden, Brill, p. 210-214.
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Elles sont vêtues sur le modèle vestimentaire d’Asie centrale (jupe ou robe à mi-mollet) et portent un foulard discret. Elles travaillent toutes. Certaines ont des liens de parenté, d’autres des liens professionnels; elles sont originaires de différentes villes du Xinjiang. Elles se sont connues à Canton, elles ont en en commun leur âge et le fait de circuler régulièrement entre le Xinjiang et Canton. Elles se réunissent dès qu’elles le peuvent, s’entraident, discutent de leurs problèmes. Elles ne sont pas plus d’une quinzaine. Dans ce cadre restreint, l’amitié et la solidarité s’expriment directement. Leur moyen de communication essentiel est le téléphone et les SMS. L’ouverture d’un restaurant par une Ouighoure a sans doute facilité leur rencontre17. Elles peuvent ainsi disposer d’un espace suffisamment grand pour se retrouver, s’informer mutuellement de leurs affaires et danser. Le moment de la danse, que ce soit de la valse ou des danses ouighoures plus courantes, est un temps fort car il permet de reconstituer un cadre familier; c’est aussi une manière pour elles de mettre en lumière la culture ouighoure. Les plus pratiquantes se retrouvent aussi à la mosquée pour la prière du vendredi, un espace étant aménagé à cet effet18. Cette forme de regroupement ne nécessite ni responsable élu ni espace permanent et n’a donc pas besoin d’être officialisé. Par ailleurs le groupe, tel que je l’ai observé, est centré sur lui-même. Cependant il peut tout à fait avoir vocation à s’ouvrir sur l’extérieur, c’est-à-dire rassembler des fonds dans le but de financer des actions de solidarité auprès des plus démunis (soutien pour l’éducation, la santé etc.). Il s’agit là d’une forme associative informelle qui s’adapte à de nouvelles situations. Le besoin de ne pas rester isolée dans un espace étranger est certainement à la base de la création de ce groupe. Néanmoins ces femmes ne semblent pas rencontrer les mêmes difficultés que les hommes, et en particulier les jeunes. En effet, dans le deuxième type de situation évoqué, ce sont ces difficultés qui sont à l’origine de la volonté de trouver des intermédiaires du côté des autorités et de s’organiser en association du côté ouighour. Les conflits, en particulier entre la police et les jeunes 17 18
Toutefois, le restaurant a fermé en 2008 et sa propriétaire est retournée au Xinjiang. Nous reviendrons sur cet aspect ensuite.
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ouighours, se sont multipliés ces dernières années. Un sentiment fort de discrimination est ressenti par les intéressés comme l’exprime l’un des restaurateurs ouighours de la ville: «Women nandao bushi renlei? ᡁ Ԝ䳮 䚃 нᱟӪ ㊫?» (Ne sommes-nous pas des êtres humains?) Ce cri du cœur repris dans la presse hongkongaise est révélateur du sentiment d’injustice qui s’est installé et qui est pour les Ouighours l’une des raisons principales qui les poussent à vouloir s’organiser. «Nous devons faire connaître notre culture, et nous devons nous défendre contre les abus de toute sorte.» Il n’est pas rare de lire, grâce à la presse de Hong Kong, des articles sur les altercations violentes entre la police et les Ouighours à Canton. Cela concerne souvent des vendeurs de rue, vendeurs de raisins secs ou de brochettes19. L’incident le plus récent s’est déroulé en juin 200620. En cherchant à faire partir un vendeur ouighour du devant d’un immeuble, un agent municipal l’a blessé. Aussitôt ses amis sont venus à la rescousse avec des couteaux et des bâtons. Une sérieuse bagarre s’ensuivit. Des policiers sont entrés brutalement dans un restaurant ouighour. Le patron très en colère a pris un policier en otage et a menacé de faire exploser des bonbonnes de gaz. Déjà en 1996, devant la montée des conflits, les autorités locales avaient demandé aux hommes d’affaires ouighours installés dans la ville de choisir un représentant. Ils désignèrent celui qui parlait le mieux chinois et qui avait le plus de contacts avec les jeunes migrants. Il fut efficace pendant une certaine période, mais il dut limiter ses activités pour des raisons de santé. De leur côté, les autorités embauchèrent des fonctionnaires ouighours au sein de l’administration locale et dans la police pour gérer les problèmes. Cependant, les altercations avec les jeunes ouighours n’ont fait que croître en raison même de leur sentiment d’être toujours la cible des contrôles de la police locale. 19
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En novembre 2004, des hommes de la sécurité se sont affrontés violemment avec des Ouighours venus défendre un vendeur de brochettes. Il y eut plusieurs blessés. Reuter 09/11/2004. South China Morning Post, 08/06/2006. Dans ce même incident, des vendeurs de rue tibétains ont affirmé aux journalistes subir les mêmes discriminations que les Ouighours.
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Plusieurs hommes d’affaires ouighours installés à Canton, pour la plupart restaurateurs, aimeraient créer une association. Leur objectif est bien de faire l’interface avec les autorités et de constituer un réseau d’entraide pour les Ouighours de la ville. Mais malheureusement, depuis 2007, en raison des jeux Olympiques à Pékin, les initiatives de ce type ne sont plus autorisées. Ils sont confrontés en outre à une autre difficulté: leur faible nombre. Une dizaine de restaurateurs seulement, cela rend difficile une véritable reconnaissance. Ils n’arrivent pas à établir un rapport de force suffisant pour faire accepter une telle association au niveau des administrations locales. En 2009, elle n’est toujours pas fondée et c’est l’entraide individuelle qui fonctionne. On peut remarque21 que les Ouighours, en dépit des discriminations qu’ils subissent, disposent d’un espace de protestation possible dans les villes chinoises. Situation quasiment impossible au Xinjiang22. On pourrait reprendre ici la notion de «l’exil inversé23» proposé par l’anthropologue Nimrod Baranovitch. En effet, de la même façon qu’il a pu le remarquer auprès des Ouighours de Pékin, ceux de Canton mettent en avant, librement et avec force, l’expression de leur culture dans le cadre de leur activité professionnelle, et, dans le même temps, repoussent à un futur lointain, en raison de la situation difficile qui y prévaut, le fait de retourner au Xinjiang. Le troisième et dernier exemple associe différentes manières de s’organiser, informelles et formelles. M. Y.: Notre association est une organisation de masse (Women de xiehui shi qunzhongxing tuanti). On peut la considérer comme une organisation informelle (fei zhengshi) car nous n’avons pas d’adresse, pas de local, pas de téléphone mais nous sommes quand même inscrits auprès des services du gouvernement (zai minzheng bumen dengji). L’association rassemble près de 11 000 personnes,
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Ainsi que le soulignait Aminah Mohammad-Arif lors du colloque Figures d’association en Chine contemporaine le 31 mars 2009 à Paris. Comme malheureusement l’a montré la sanglante répression d’une manifestation à Urumqi le 5 juillet 2009. N. Baranovitch, op. cit. L’auteur fait référence au fait que le Xinjiang était sous l’empire Qing une terre de relégation et d’exil pour les Chinois.
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tous nos membres ont constitué des entreprises familiales. Nous sommes principalement de Hualong, mais il y en a d’autres aussi du Qinghai. Nos habitudes au Qinghai ne sont pas les mêmes qu’ici, alors notre association est là pour aider à résoudre les questions administratives et les relations avec les autorités locales. Il faut comprendre, les gens ont peur de se déclarer. Quand il y a un problème sérieux (bagarre ou autre), avec l’aide des ahong de la ville, nous essayons de résoudre le différent.
Envoyé par le district de Hualong (Qinghai) pour ouvrir un bureau administratif à Canton, M. Y. est arrivé en 2003. Il ouvre un bureau mais son district d’origine n’a pas les moyens de continuer à financer ce local. Il rejoint alors l’un des membres de sa famille installé à l’université Sun Yatsen et ouvre un petit commerce qui devient aussi en quelque sorte le bureau du district. Peu à peu, il arrive à prendre contact avec les autres personnes originaires de Hualong, grâce à son statut de représentant officiel, mais aussi par sa présence assidue au moment de la prière du vendredi et des grandes fêtes religieuses à la plus ancienne mosquée de Canton. En décembre, à quelques uns, ils décident de créer une geti laodongzhe xiehui24 (une association de travailleurs d’entreprises individuelles). Cette association rassemble très vite deux cents petits aubergistes de lamian. L’un de ses membres disait: «Nous avons pu créer cette association grâce à M. Y. Nous sommes tous dispersés dans la ville et nous ne nous connaissions pas auparavant.» L’association est composée d’un bureau de cinq membres élus, et M. Y. a été choisi comme son représentant. Le but de l’association est d’aider ses membres à résoudre les problèmes d’ordre administratif liés aux réglementations locales25. À la différence d’autres migrants, ils ont obtenu facilement leur permis de résident ainsi que leur inscription aux bureaux du commerce de la municipalité. Ils se réunissent en assemblée générale une fois par an, dans un restaurant ou simplement à la mosquée. Le bureau pour sa part se réunit une à deux fois par mois, selon les cas, mais généralement ils font le point des informations après la prière du vendredi à la mosquée. Là encore tout se 24 25
Il s’agit de getihu њփᡧ: entreprises privées généralement à base familiale employant moins de huit personnes. Obtention des weishengzheng ⌓⏕孩 , des gongshangyezheng ᕤၟ᷂孩 , des guanlifei ⟶⌮峡 mensuels…
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passe par téléphone et SMS. On peut penser que peu à peu les relations avec le district d’origine se sont distendues. C’est sans doute la raison qui a poussé les autorités de Hualong conjointement avec leurs homologues de Canton, en 2006, à organiser un «nongmin gongye gonghui zuzhi ⅄ Ẹ ᕤ ᷂ ᕤ 乬 乯» (organisation syndicale des industries paysannes) qui a pour but de rassembler dans une même structure patrons et employés originaires de Hualong. Ils ont mis à la tête de cette structure le responsable de l’association créée auparavant. De fait, elle a en charge maintenant trois structures (le bureau, l’association et l’organisation syndicale) sans pour autant avoir de local attribué. Ces structures restent ainsi dans un certain flou. La nouvelle organisation était censée remplacer la première, constituée de manière plus informelle, mais, comme on pouvait s’y attendre, l’«association des travailleurs d’entreprises individuelles» est la seule qui fonctionne en réalité. C’est bien une relation de confiance qui s’est instaurée entre ses membres et le responsable qu’ils ont élu, étant donné ses capacités à les représenter, à être l’intermédiaire dont ils ont besoin, mais aussi en raison de son attachement à sa communauté d’origine.
La mosquée, espace de socialisation Afin de ne pas aborder les questions d’association ou de regroupement à travers le prisme religieux sur lequel je travaille habituellement, j’avais pris soin de mener cette enquête hors de tout cadre cultuel, c’est-à-dire que les contacts que j’ai pu nouer n’ont pas été pris dans le cadre religieux. Cependant, les pratiques observées m’ont conduite à réfléchir à nouveau à celui-ci et au rôle des mosquées dans de nouvelles situations comme celle de la migration. J’avais par le passé relevé le rôle social des mosquées dans le Henan, et en particulier celui des mosquées féminines pour leur capacité à servir de refuge pour les femmes. Ainsi, outre les fonctions religieuses habituelles (lieux de prière, d’enseignement religieux et de célébration des fêtes religieuses), on pouvait observer dans les mosquées d’autres activités: organisation des funérailles, enseignement d’arts
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martiaux, librairies, parfois siège de la branche locale de l’Association islamique de Chine ou encore celui d’activités liées au commerce hallal. Toutefois, ce rôle social était effectif dans la limite de la communauté locale. Dans le cas de Canton, la diversité de la population musulmane présente impose aux mosquées de la ville, et en particulier à la plus ancienne, un rôle plus politique. Comme l’avait déjà remarqué Aminah Mohammad dans le cas des communautés indiennes aux États-Unis26, la mosquée devient l’espace d’une communauté religieuse qui rassemble au-delà des différences de courants et de nationalités. Ainsi sur les trois mosquées de la ville, une en particulier joue un rôle de socialisation vis-à-vis des populations musulmanes venant d’autres provinces chinoises, mais aussi du monde musulman extérieur à la Chine. Il s’agit de la mosquée Huaisheng, la plus ancienne mosquée de la ville et l’une des plus anciennes de Chine. Selon la légende, elle daterait de la présence des marchands arabes et persans sous la dynastie des Tang, cependant sa construction semble bien remonter au milieu du XIVe siècle27. C’est cette ancienneté et la tombe dite d’Abu Waqqas (un oncle du Prophète) qui font de Canton un lieu symbolique fort pour tous les musulmans. La mosquée Huaisheng se distingue par son architecture. En complément de la structure architecturale traditionnelle chinoise, un minaret de forme conique a été érigé, qui rappelle la forme des minarets d’Asie centrale. Elle se différencie aussi des autres mosquées de la ville, dont l’édification plus tardive est toujours liée à une communauté locale précise et restreinte. Son histoire en a fait une vitrine pour les étrangers. Les autorités locales ont reconnu son statut particulier et y ont installé la branche locale de l’Association islamique de Chine. Le vendredi, l’affluence de fidèles du monde entier est grande – de 500 à 1000 personnes et parfois davantage au moment des fêtes religieuses. Les différentes demandes (mariages, enterrements, cérémonies diverses, gestion des conflits ou des problèmes de relations avec les autorités etc.) ont imposé progressivement un 26 27
Aminah Mohammad-Arif, 2000, Salam America. L’islam indien en diaspora. Paris, CNRS, p. 162-210. Une stèle à l’intérieur de la mosquée donne la date de 1350 pour son édification.
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changement dans le travail des ahong 䱯䀷(imam). Ils doivent désormais porter une attention croissante aux affaires profanes. Le prêche du vendredi est un moment privilégié pour aborder les règles du vivre ensemble et tenter d’éviter la violence lors de conflits, par exemple dans les relations de travail ou dans les relations entre commerçants. Les ahong doivent donc être à l’écoute de ce qui se passe dans la ville et intervenir souvent directement. Leurs connaissances linguistiques de l’arabe, et pour l’un d’entre eux de l’ourdou, leur permettent de servir de médiateur, même auprès des fidèles étrangers. Le vendredi est aussi le seul jour où les migrants peuvent se retrouver dans un espace commun qui permette l’échange. La mosquée est enfin le seul lieu où la rencontre à plusieurs est possible, en particulier pour les jeunes Ouighours, car cette rencontre se déroule dans un cadre ouvert – sous une relative surveillance toutefois. De fait, une présence régulière en ces lieux permet de se faire reconnaître par les autorités locales non seulement en tant que fidèle, mais aussi en tant qu’acteur social. C’est ainsi que les responsables de l’Association Islamique de Chine ont demandé à un Ouighour (M. N.), et non à un Hui de la ville, de prendre en charge le restaurant en face de la mosquée. La mosquée Huaisheng semble devenir le lieu privilégié par les migrants pour s’organiser, comme on l’a vu dans les cas des Ouighours ou des Hui du Qinghai. Dans les exemples que nous venons d’analyser, on a d’abord pu constater comment, dans le cas des Khata jaï, des formes populaires s’adaptent à la situation de migration de femmes ouighoures. Dans les deux cas suivants, on a pu observer des formes associatives plus ou moins liées aux autorités politiques. Pour les Hui de Hualong, deux structures, l’une informelle et l’autre formelle, sont mises en place avec la même personne à leur tête, laquelle a aussi un rôle de représentation officielle. Dans la situation plus délicate des Ouighours, le sentiment de discrimination d’un côté et le besoin des autorités d’avoir des intermédiaires de l’autre ont suscité l’idée de l’association. De fait, l’opposition entre formelle et informelle n’est pas ici pertinente, ces deux types de relation progressent conjointement, leur importance relative est fonction de l’évolution de leurs liens avec l’administration.
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Action liante et lien agissant: le «système de responsabilité par objectifs» WANG HANSHENG et WANG YIGE Traduit par VICTOIRE SURIO
Introduction En 2004, à la veille de la Fête du printemps, Yang Weilin, un agriculteur du canton de Xiache, district de Guanyun, municipalité de Lianyungang (Jiangsu), obtint du tribunal et du parquet dudit district le versement d’une indemnité de 21 756,76 yuans1. Pour quelle raison des organes de l’État indemnisaient-ils un simple agriculteur? Avant de répondre à cette question, il est nécessaire de remonter quelques années en arrière. En 1999, après avoir maintes fois exposé aux autorités municipales et provinciales son mécontentement à l’encontre de charges agricoles excessives, s’être entendu répondre qu’il était anormal de prélever trop de taxes, et que les paysans pouvaient ne pas régler les sommes dépassant les dispositions légales, Yang Weilin, à la tête d’un groupe d’agriculteurs, refusa de payer certains impôts agricoles, empêchant cette année-là son village de réaliser toutes les recettes fiscales escomptées. Les cadres du bourg et du village engagèrent alors des pourparlers avec Yang et tentèrent, en vain, de le convaincre de cesser ses pétitions. Le gouvernement cantonal décida donc de porter l’affaire devant le tribunal du district, lequel, en 2001, condamna Yang à deux ans d’emprisonnement pour «résistance violente à la loi». Yang ne baissa pas les bras, fit appel, et sa famille continua à pétitionner. Finalement, l’Assemblée populaire de la municipalité préfectorale s’intéressa à son cas et obtint un 1
Pour davantage de détails sur cette affaire, voir Wu Xiaomin, Xu Jiaping, et Wang Xiaoying: «Nongmin Yang Weilin weiquan ji» (Notes sur la préservation des droits du paysan Yang Weilin), in Xinhua ribao, 21 novembre 2004.
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nouveau jugement du tribunal populaire intermédiaire, lequel rejeta la décision du tribunal du district et Yang fut libéré. Après sa libération, Yang Weilin estima qu’on lui devait encore «justice», et il réclama au tribunal du district réparation des pertes économiques subies du fait de son arrestation et du préjudice corporel et moral. Comme on faisait la sourde oreille, Yang choisit derechef de présenter des pétitions à l’échelon supérieur et il persévéra dans sa démarche trois ans durant. En 2004, l’administration de l’échelon préfectoral intervint à nouveau et chargea le tribunal intermédiaire de statuer sur le cas. Celui-ci soutint que le tribunal du district devait réparer ses torts envers Yang Weilin et lui verser une indemnité basée sur les revenus d’un agent de l’État pendant la même période, soit 21 756,76 yuans. D’autre part, la responsabilité du parquet de Guanyun ayant été démontrée, il devait participer pour moitié au paiement de l’indemnisation. En réalité, le cas de Yang Weilin n’est pas isolé. Dans le district de Guanling (Guizhou), chaque fois qu’un individu pétitionne auprès des autorités supérieures (shangfang к䇯), un cadre du bourg ou du village lui est spécialement affecté pour «garantir que les problèmes seront rapidement réglés localement». Dans le conflit de démolition et d’expropriation qui opposa le gouvernement de l’arrondissement de Chenghua, (Chengdu, Sichuan), à Gu Kui, ce dernier, un «citoyen pas ordinaire», utilisa toute sorte de procédés (pétitions aux instances supérieures, surveillance de l’administration, filatures des hauts fonctionnaires, et même menaces de recourir à la violence) qui firent trembler les autorités, à tel point qu’une dizaine de fois l’annonce de son arrivée dans les bureaux fut, pour le personnel de la sécurité du siège du gouvernement et les fonctionnaires chargés de la régulation globale, comme le signal qu’un incendie éclatait. Finalement, à bout de ressources, le gouvernement de l’arrondissement eut un «geste exceptionnel» envers un «citoyen exceptionnel»: le secrétaire du comité du Parti et le chef de l’arrondissement intervinrent en personne et prièrent Gu Kui de traduire l’État en justice; ce dernier entra en relation avec le tribunal afin que Gu Kui soit dispensé du versement de la somme considérable que représentaient les frais de procédure, et les autorités du quartier lui prêtèrent 100 000 yuans pour les frais d’avocat.
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Dans la Chine actuelle, il est fréquent de lire des comptes-rendus de cadres modèles de l’échelon de base établissant des liens amicaux, et même intimes, avec des familles rompues aux pétitions et auxquelles ils prêtent assistance; mais par ailleurs, un nombre de plus en plus important de cadres de base expriment publiquement leur malaise, et même leur découragement, lorsqu’ils doivent «accueillir» (jiefang ᧕䇯) les pétitionnaires et les «intercepter» (jiefang ᡚ䇯). Ces contradictions nous ont incités à nous demander pourquoi le pouvoir chinois, que l’on qualifie de fort, cède le pas et transige devant des citoyens apparemment «faibles»? Par quelle force est donc mû ce pouvoir qui «montre sa faiblesse»? Il est certain que les changements évoqués ici sont intimement liés aux réformes intervenues depuis les années 1980. La transition vers une économie de marché marquée par la croissance de l’efficacité et une vitalité nouvelle dans les régions et les grands secteurs du pays, exigeait évidemment une transformation de l’État maoïste «tout puissant» et du modèle de mobilisation et de contrôle social par une bureaucratie qui se sclérosait. Il fallait établir une nouvelle unité sociale, réunissant les intérêts particuliers et les secteurs actifs. Mais comment ces nouveaux liens se sont-ils fabriqués, comment ont-ils fonctionné dans l’exercice concret du pouvoir à l’échelon de base? Dans la Chine d’aujourd’hui, tous les comités du Parti et les gouvernements locaux administrent en mettant en pratique un «système de responsabilité de gestion par objectifs» (mubiao guanli zerenzhi ⴞḷ㇑⨶䍓ԫࡦ). Ce système, qui n’a aucune existence officielle dans la ligne politique de l’État ni dans les textes légaux, est pourtant devenu le mode élémentaire de fonctionnement du pouvoir de l’échelon de base et de l’administration de la société au niveau local2. Prenant comme point de départ ce phénomène particulier de 2
L’essentiel du canevas originel du système de responsabilité de gestion par objectifs se trouve dans les systèmes fort répandus aux premiers temps de la réforme dans les «systèmes responsabilité de prise en charge conjointe d’exploitation» (lianchan chengbao jingying zerenzhi 㚄ӗव㓿㩕䍓ԫࡦ) et de «responsabilité du directeur (gérant)» (chang zhang [jingli] fuzezhi ল䮯[㓿⨶]䍏䍓ࡦ ) dans les entreprises. À la fin des années 1980, à la suite des profondes transformations du modèle économique, les défis que devaient relever tous les échelons de l’administration se multiplièrent, les pratiques de gestion se modifièrent,
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la politique locale chinoise, nous tenterons, en examinant son organisation et la pratique de ses acteurs, d’apporter des réponses aux questions suivantes: comment et dans quelle mesure ce système parvient-il à reconstruire l’unité sociale au niveau local? Où réside la logique de cette pratique3?
Un système inséré dans l’organisation du pouvoir Le «système de responsabilité de gestion par objectifs» peut, à grands traits, se définir de la manière suivante: les organisations de l’échelon supérieur établissent des cibles administratives globales, progressivement décomposées et affinées pour constituer un ensemble
3
l’organisation des cadres et du personnel changea, et les questions sur l’efficacité des administrations portées à l’ordre du jour. Le modèle de la «prise en charge» (chengbao व) et en particulier le «système de responsabilité de prise en charge d’exploitation» (chengbao jingying zerenzhi व㓿㩕䍓ԫࡦ ) mis en œuvre pour apporter une solution aux relations entre les autorités et les entreprises sous leur dépendance connut un tel succès que certains commencèrent à prôner l’institution d’un système analogue dans les structures gouvernementales. De nombreux documents attestent qu’à partir du milieu des années 1980, de nombreuses municipalités de l’échelon provincial cherchèrent à appliquer un tel système. Au début, seuls des domaines particuliers, comme l’aménagement de l’environnement au niveau local ou bien la sécurité du travail, furent concernés, mais très rapidement les différents échelons de l’administration étendirent leur champ d’application et lui donnèrent le nom de «système de responsabilité de gestion par objectifs» (mubiao guanli zerenzhi ⴞḷ㇑⨶䍓ԫࡦ). 3 Le système de responsabilité de gestion par objectifs est principalement utilisé par les pouvoirs locaux. Les recherches présentées ici concernent les administrations des échelons de base dans les campagnes, – c’est-à-dire district/ville, canton/bourg et village – et portent principalement sur la pratique de ce système dans les bourgs et les villages. Notre documentation provient pour l’essentiel des enquêtes de terrain effectuées dans le bourg Z. (municipalité de Beijing), le bourg B. (Hebei) et le canton N.Y. (Fujian). Parallèlement, nous avons obtenu un grand nombre de conventions/certificats de responsabilité et des méthodes d’évaluation sur Internet, dans des rapports de recherches et par d’autres canaux.
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d’objectifs, d’après lesquels sont évalués et sanctionnés les gouvernements de tous les échelons et qui font l’objet d’un «contrat» ou d’une «convention de responsabilité» (zeren shu/zeren zhuang 䍓ԫҖ/䍓ԫ⣦) signé entre les niveaux supérieurs et inférieurs de l’administration. Avec en son centre un ensemble de cibles, fondé sur un faisceau de responsabilité et mû par une panoplie d’évaluations, ce système, qui rayonne en un réseau complexe est une méthode de gestion globalisée, qui a pour but d’obtenir la meilleure efficacité de l’administration. Pour la compréhension du contexte de cet article, nous donnerons d’abord un aperçu du système à partir de sa structure et de deux chaînons essentiels de son fonctionnement.
L’armature du système de responsabilité de gestion par objectifs Le système de responsabilité de gestion par objectifs se rapporte par essence à la gestion, avec un programme, une direction, une coordination, une organisation et un contrôle. Il est de ce fait structurellement proche du système de gestion conjointe du Parti et de l’État. Pour le dire autrement, il s’agit d’un système de gestion formé par les liens réciproques d’entités responsables à différents échelons de l’administration et charpenté par les relations de pouvoir entre échelons supérieurs et inférieurs. Le schéma n° 1 (annexe) montre la structure de base de ce système.
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Schéma no 1: Structure générale du système de responsabilité de gestion par objectifs.
En réalité, l’ensemble du système de responsabilité comprend au moins quatre volets: la responsabilité gouvernementale, la responsabilité des départements, la responsabilité des programmes particuliers, et la responsabilité par poste4. 4
Dans son acception générale, le «système de responsabilité de gestion par objectifs» n’inclut que les trois premiers volets, le dernier étant généralement nommé «système de responsabilité d’objectifs par poste». Les premiers opèrent entre les différents échelons des gouvernements, les organes du Parti et les institutions administratives, le deuxième s’applique au sein du travail individuel des employés des institutions gouvernementales. Nous discutons dans cet article des premiers.
Système et action
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Système de responsabilité des gouvernements (zhengfu zerenzhi ᭯ᓌ䍓ԫࡦ) L’entité principale de l’ensemble du système de responsabilité de gestion par objectifs est ce que l’on appelle «le système de responsabilité gouvernementale», lequel opère entre tous les échelons administratifs et irrigue la totalité de l’administration. Quand il fonctionne entre districts et cantons, le système de responsabilité de gestion par objectifs fait appel à quatre strates: –
–
–
–
5
la première correspond à la convention de responsabilité que signent le comité de Parti et le gouvernement du district avec le comité du Parti et le gouvernement de l’échelon supérieur. Les responsables en sont le secrétaire du comité du Parti et le chef du district5; la deuxième correspond à la convention de responsabilité signée par le comité du Parti et le gouvernement des districts avec les comités du Parti et les gouvernements des cantons et avec les différents services administratifs des districts. Les responsables en sont les secrétaires des comités du Parti et les chefs des gouvernements des bourgs ainsi que les directeurs des différents services des districts; la troisième strate engage les cantons et les services publics des cantons avec les villages. Les responsables en sont les dirigeants des services publics, les secrétaires des sections villageoises du Parti et les responsables des comités villageois; enfin tous les responsables des sections des services publics et les numéros un et deux des villages signent des conventions de responsabilité avec les employés de l’administration et les villageois. C’est seulement à ce niveau que la mission de l’administration devient vraiment «effective dans la population» (luoshi dao ren 㩭ᇎࡠӪ). Il faut noter que, bien que dans la présentation du système de responsabilité par objectifs le principal responsable soit le «numéro un» du Parti ou du gouvernement de chaque échelon, c’est en réalité généralement le premier, c’est-àdire le secrétaire de la section du comité du Parti qui en assume la responsabilité, parce qu’à l’échelon du district et du canton, il est d’un demi-grade au-dessus du «numéro un» de l’administration.
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Système de responsabilité des départements (bumen zerenzhi 䜘䰘䍓ԫࡦ) Comme entre les différents échelons du gouvernement, il existe verticalement entre les différents niveaux des départements fonctionnels (zhineng bumen 㙼㜭䜘䰘) un système de responsabilité par objectifs que nous appellerons système de responsabilité des départements fonctionnels, appliqué par exemple dans les départements chargés du contrôle des naissances, de la régulation globale, des affaires civiles, de l’hydraulique, etc. Lorsque le système de responsabilité des départements fonctionnels est appliqué localement, la pratique dite de la «double voie» ou «double ligne» est fréquemment évoquée. Il s’agit, d’une part, des services gouvernementaux des districts et des cantons, et, de l’autre, des départements professionnels des districts, des cantons et des villages6. La responsabilité à double voie implique la signature à chaque niveau gouvernemental d’une double convention: dans le cas de l’échelon canton/bourg par exemple, non seulement les autorités signent une convention de responsabilité avec le gouvernement du district portant sur l’ensemble des tâches, mais elles s’engagent également avec des départements compétents du 6
Le «système de responsabilité par objectifs pour la prévention des maladies des animaux de ferme» de la municipalité de Shuangliao illustre bien le mode de fonctionnement de ce système à «double voie»: «Des conventions de responsabilités sont signées entre les différents échelons des services administratifs du district, des cantons, des villages et par ailleurs entre les échelons des services sectoriels du district, du canton et du village […]. Au début de chaque année, les services professionnels ébauchent des conventions de responsabilité en fonction des travaux-clefs annuels. Puis le gouvernement du district appelle les principaux dirigeants des cantons et des bourgs et ceux des services concernés à la tenue d’une assemblée portant spécialement sur la question du bétail. À l’issue de la réunion, le dirigeant en charge du district, les dirigeants principaux des cantons et des bourgs, le directeur du service du bétail et les dirigeants des services concernés qui en dépendent, les responsables des offices du bétail au niveau des cantons et des bourgs, chacun d’entre eux représentant son échelon administratif, signent une convention de responsabilité par objectifs à double voie, apposent leur sceau et font appliquer les directives pour l’année entière dans les cantons et les bourgs.» (Portail du gouvernement de la municipalité de Shuangliao, 2007.)
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district sur des programmes particuliers (ainsi le travail sur la planification des naissances fait-il l’objet d’une convention signée par le gouvernement du bourg et par celui de l’arrondissement [district]). À l’échelle du village la même chose se produit: le village signera avec le gouvernement du bourg une convention de responsabilité concernant l’ensemble du travail à accomplir, mais aussi des conventions portant sur des programmes particuliers. Ainsi, d’une part, dans un domaine spécialisé, les services sectoriels de l’administration du district sont considérés comme étant au même échelon que les gouvernements des cantons, avec lesquels ils coordonnent leurs actions et coopèrent; et, par ailleurs, les références au chef et au gouvernement du district garantissent que la convention de responsabilité portera l’empreinte du rapport d’autorité entre les échelons supérieurs et inférieurs. Cependant, tous les services administratifs ne signent pas des conventions de responsabilité avec l’échelon gouvernemental inférieur et, en général, ceux pour lesquels s’applique le système de responsabilité à double voie sont des services importants ou bien impliqués temporairement dans un travail capital. Nous allons voir que les départements engagés dans un système de responsabilité à double voie sont en mesure de stimuler pleinement l’initiative des dirigeants administratifs du district, des cantons et des villages, les incitant à se focaliser sur le travail des départements professionnels de chaque échelon et à le soutenir, ce qui, par voie de conséquence, suscite l’enthousiasme de ces mêmes départements. En outre, grâce à des entités responsables centralisées et aux solidarités d’intérêts, s’établissent entre les administrations centrales et régionales (tiaokuai ᶑඇ), ainsi qu’entre les départements, des connections institutionnelles qui, en diminuant les frictions internes, accroissent l’efficacité de l’administration.
Système de responsabilité de programmes particuliers (Zhuanxiang gongzuo zerenzhi у亩ᐕ䍓ԫࡦ) Les systèmes de responsabilité des gouvernements et des départements charpentent le système de responsabilité de gestion par objectifs. Hormis ces deux systèmes, il existe encore de nombreux
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systèmes de responsabilité aux noms les plus divers et portant sur des programmes particuliers7. Les systèmes de responsabilité par objectifs sur des programmes particuliers paraissent similaires aux systèmes de responsabilité des départements, cependant ils ne concernent que des activités ciblées alors que ceux des départements, tout comme d’ailleurs ceux des gouvernements, portent sur des activités globales annuelles. Par ailleurs, il peut arriver que le système de responsabilité d’un département public, par le caractère souvent routinier de sa mission, mais également par le caractère fixe et identifiable de l’entité responsable, s’oppose aux départements professionnels spécialisés; et, même s’ils sont parfois assumés par des départements professionnels conventionnels, les systèmes de responsabilité de programmes spécialisés intègrent la plupart du temps plusieurs départements fonctionnels qui réalisent ensemble des actions coordonnées. La mise sur pied d’un système de responsabilité portant sur une activité spécifique répond à certaines visées: –
dans le cadre de missions imprévues ou exceptionnelles. Les systèmes de responsabilité précédemment cités portent sur des tâches routinières annuelles, s’inscrivant dans la durée, et généralement fixées en début d’année. Cependant quand surviennent des «imprévus» en cours d’année et qu’il faut bien s’atteler à des tâches exceptionnelles, sont alors mis sur pied des systèmes de responsabilité dédiés;
7
Les noms des systèmes de responsabilité portant sur des programmes particuliers sont variés: «système de responsabilité pour les installations génératrices de méthane», «système de responsabilité par objectifs sur les questions d’installation et d’indemnisation des paysans dont les terres ont été réquisitionnées», «système de responsabilité de gestion par objectifs portant sur la préservation des terres cultivées», «système de responsabilité de gestion par objectifs portant sur la diminution des charges pesant sur les agriculteurs», «système de responsabilité de gestion par objectifs pour la construction de villages et de bourg policés et écologiques», «système de responsabilité de gestion par objectifs pour la prévention des maladies infectieuses transmises par les piqûres d’insectes», «système de responsabilité de gestion par objectifs pour réguler la perception désordonnée de frais éducatifs», «système de responsabilité de gestion par objectifs portant sur la question des migrants», etc.
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–
–
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pour promouvoir des actions locales importantes ou difficiles. Afin de renforcer le degré d’implication des cadres des divers échelons et la conscience de leur devoir vis-à-vis de points-clefs (par exemple le recrutement de commerçants ou la recherche d’investisseurs) ou sensibles (tels que l’indemnisation des agriculteurs en compensation des réquisitions de leurs terres), les gouvernements locaux vont souvent mettre en place un système de responsabilité par objectifs en fonction de ces tâches; pour susciter un élan ou fournir des garanties quand sont adoptées de nouvelles mesures ou lors de manifestations importantes. La «convention de responsabilité (des entreprises industrielles ou de services) portant sur la stabilité sociale pendant la période Bonne Chance Beijing des compétitions tests des Jeux olympiques et lors du XVIIe congrès du Parti» mise en œuvre dans le bourg Z. de la municipalité de Beijing en est un bon exemple (voir le cas n° 2).
En résumé, le système de responsabilité de programmes particuliers, concerne toutes les activités; il complète donc les systèmes de responsabilité des gouvernements et des départements. Le pouvoir dispose là d’un procédé puissant, fonctionnant avec souplesse, et d’un formidable outil pour atteindre ses objectifs. Il est en cela une composante indispensable du système global de responsabilité.
Deux chaînons essentiels du fonctionnement du système de responsabilité par objectifs Le système de responsabilité de la gestion par objectifs est caractérisé par une série indissociable de trois maillons qui sont: la signature du contrat de responsabilité, le contrôle et l’évaluation, et l’attribution de sanctions. La mise en place d’un ensemble de cibles et la méthode d’évaluation et de sanctions sont en conséquence deux éléments essentiels de la marche du système.
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Construire un ensemble de cibles Au commencement de l’année, les principales entités responsables de chaque échelon signent avec leurs homologues du niveau inférieur une convention ou un certificat de responsabilité de gestion par objectifs (mubiao guanli zeren shu/zhuangⴞḷ㇑⨶䍓ԫҖ/⣦). L’essentiel de cette convention consiste en un ensemble de cibles, réparties et détaillées, fixées par les gouvernements de chaque échelon en fonction des objectifs administratifs globaux établis par les organisations de l’échelon supérieur. Ces normes servent de point d’appui pour évaluer et sanctionner l’échelon inférieur. Bien que les systèmes de responsabilité par objectifs puissent différer dans leur forme d’un lieu à l’autre, leurs structures de base sont similaires. La convention de responsabilité globale dans le cas n° 1, signée entre le gouvernement du canton et celui du district, est exemplaire. Cas n° 1. Convention de responsabilité par objectifs pour l’année 2005 du canton N.Y. (Fujian). Notation sur 100 points. In Zhang, Bo. 2007.8
Agriculture et villages
Industrie et développement économique Investissements immobiliers
Objectifs à atteindre Augmentation du revenu des familles paysannes: 223 yuans Déplacement de main-d’œuvre agricole: 160 personnes Échange des titres de droits sur les forêts collectives Industrie du bamboo Prophylaxie des maladies animals Construction de 155 réseaux Ouvrage hydraulique Une entreprise de 2 à 5 millions de yuans, avec une valeur de production réelle de 2,7 millions de yuans Transmission de l’information Supérieurs à 5 millions de yuans P
8
i
t
t à l’é h l
Valeur
Total
3 4 3
20
1,5 2 2 4,5 13
15 20
2 5
d
Zhang, Bo. 2007. Zizhuxing yu quanli zaizao – caizhengjiquanxia de difang zhengfu xingwei yanjiu (Regénération de l’autonomie et du pouvoir: recherche sur la conduite des gouvernements locaux sous l’emprise du pouvoir des finances collectives). Mémoire de maîtrise du département de sociologie de l’Université de Pékin. (Manuscrit non encore publié).
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Système et action immobiliers
Programme de construction
Accueil de commerçants et drainage de capitaux
Programme important à l’échelon du district: achever la préparation de plantations d’automne et d’hiver d’eucalyptus ou de magnolia, 100 mu Programme important à l’échelon du canton: réaliser dans l’année 3 millions de yuans d’investissement, 2 nouveaux projets, dont un programme concernant la production agricole industrielle (dans l’un des deux projets plus d’un million de yuans sera investi dans la rénovation technique) Avant-projets et préparatifs: 3 Achèvement de la liaison interne: 200 millions de yuans
Construction de routes entre plusieurs villages Réseaux de télévision hertzienne Édification du Parti, régulation globale, planification des naissances, culture spirituelle, mobilisation pour la défense nationale Revenus financiers Travaux particuliers Autres Services sociaux
3
9
15
3 10
6
10
10
4 5 10 5 5
Comme dans l’exemple numéro 1, dans tous les contrats de responsabilité les tâches annuelles sont non seulement détaillées, mais chacune d’elle est affectée d’un certain nombre de points, d’un «poids» qui servira de norme. En attribuant des poids différents aux cibles à atteindre, le gouvernement de l’échelon supérieur peut, dans une large mesure, transmettre ses vues à l’entité responsable de l’échelon inférieur, ce qui conduit à maintenir une certaine unité entre eux. Hormis le «poids», les gouvernements ou les départements de chaque échelon jouissent d’une relative autonomie portant sur les quantités, les priorités et la dénomination des objectifs. En réalité, le processus de construction de l’ensemble des objectifs par lequel les gouvernements redéfinissent, réordonnent, resélectionnent multiples objectifs flottants auxquels ils sont confrontés, constitue un important procédé qui permet de réaliser les objectifs gouvernementaux. Nous allons maintenant avancer d’un pas dans l’analyse de ce processus.
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Établissement de méthodes d’évaluation et de sanctions À la fin de chaque année, les unités de l’échelon supérieur effectuent des évaluations du travail relevant de la responsabilité des départements des échelons inférieurs, généralement accompagnées de documents dans lesquels sont exposés la méthode d’évaluation utilisée, les procédures et les résultats d’où procèdent les différentes sanctions. Des différences sont perceptibles dans les méthodes d’évaluation et dans le système de récompenses et de pénalités, cependant les manières de faire sont proches et les points suivants y sont développés: Méthode de calcul. Partout, lors de l’évaluation, il est précisé comment et d’après quel critère est notée chaque tâche. Trois aspects, au moins, sont retenus pour la notation: les objectifs pris en charge, l’inventivité, qui vaut des points supplémentaires, les erreurs de mise en œuvre, qui se traduisent par des retenues. Les objectifs sont notés suivant le barème énoncé dans le contrat de responsabilité: les programmes qui ont atteint les exigences voulues obtiennent le maximum de points, et même des points supplémentaires, calculés sur une échelle de 100 %, s’ils les dépassent, alors que des retenues sont appliquées à ceux qui ne les ont pas remplies. Sur des programmes relativement importants qui n’ont pu être réalisés, il arrive que soient appliquées des «doubles retenues», des retenues aggravées ou bien des sanctions encore plus sévères telles que celle du «rejet total»9. 9
La méthode du quartier de Dingcheng dans la municipalité de Changde est exemplaire: «Le travail des services est récompensé ou puni. Les unités auxquelles ont été assignés des tâches économiques ou bien des objectifs particuliers, obtiennent le maximum des points si elles ont accompli pleinement leur tâche, sinon des retenues sont effectuées au prorata du travail qui n’a pas été accompli. Les unités auxquelles n’ont pas été assignées de tâches particulières, en l’absence de manquements, obtiennent le maximum des points; des manquements ou une incidence négative sur l’évaluation des objectifs assignés à l’arrondissement entraînent des retenues calculées cas par cas. Les services qui ont à leur actif un travail exceptionnel sont honorés par l’échelon supérieur et récompensés; ceux dont le travail pénalise les objectifs de l’arrondissement et les unités dont le travail a subi des retenues lors de l’évaluation des comités et du gouvernement de l’arrondissement par le comité de Parti et le gouvernement de la municipalité, subiront une double retenue. Un programme particu-
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Le rejet total, ou veto, signifie que la mission n’a pas été accomplie du tout, et que non seulement elle n’obtient pas de note, mais qu’aucun programme de l’année de cette unité de travail n’a atteint de moyenne acceptable ou a même obtenu zéro. De tels résultats peuvent annuler pour l’année en cours, parfois pour plusieurs années, la possibilité d’être éligible au titre d’«unité d’avant-garde» ou de prétendre à tout autre distinction, mais aussi avoir une incidence négative sur les sanctions ou l’avancement accordé aux principaux dirigeants de l’unité. En réalité, le rejet total porte en général sur des fautes envers la politique de limitations des naissances, sur des pétitionnaires en surnombre dans une juridiction, une grosse faute ou des accidents liés à la sécurité du travail, etc. La décision de la municipalité de Xinxiang au Henan illustre ces cas négatifs: Les faits énoncés ci-dessous sont disqualifiants pour l’attribution du prix d’excellence et de pionniers: Lors du rapport d’évaluation des objectifs à l’échelon supérieur, les chiffres n’étaient pas véritables, ils étaient faux, délibérément inventés ou bien déguisés. À trois reprises au moins, le comité du Parti, l’assemblée populaire, le gouvernement et l’assemblée consultative de la municipalité ont émis des critiques ou lancé des avertissements. Un avertissement a été formulé sur le travail sur la limitation des naissances. Le non-respect des règles de sécurité et de prévention a provoqué de graves accidents du travail (des accidents se sont produits dans des unités de travail directement dépendantes de la municipalité). Un veto a été attribué au travail de régulation globale de la paix sociale dans la circonscription et dans le système général. Le travail sur la construction politique et la ligne du Parti a fait l’objet d’affaires graves et de plusieurs autres affaires. D’autres affaires graves ont eu lieu au cours de l’année. (Bureau du gouvernement de la municipalité de Xinxiang, province du Henan, 2004)
Dans la plupart des méthodes d’évaluation, sont prévus, en certains cas, des points supplémentaires d’encouragement. Les points lier de gestion par objectifs assigné à une unité de l’arrondissement et auquel la municipalité attribue un veto, lui vaut de ne pas être reconnu comme unité conforme par les unités responsables, par les autorités compétentes et les services administratifs» (Portail du gouvernement du quartier de Dingcheng dans la municipalité de Changde).
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supplémentaires sont attribués, en général, parce que les tâches accomplies ont obtenu des encouragements des services de l’échelon supérieur ou bien parce qu’elles ont contribué notoirement au développement économique de la circonscription. Dans la liste ci-dessous, le premier exemple illustre le premier cas et les trois suivants le deuxième: –
–
–
–
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travail approuvé par les dirigeants de départements au-dessus de l’échelon provincial ou bien du niveau provincial: l’échelon national accorde cinq points supplémentaires et l’échelon provincial trois. Si, en même temps, ce travail est donné en exemple, l’échelon national accorde encore dix points et l’échelon provincial six; résultats particulièrement notoires grâce aux fonds de soutien des services nationaux et provinciaux: attribution de points supplémentaires au prorata (sur la base des objectifs atteints durant l’année, pour la partie qui dépasse la moyenne provinciale); développement de l’économie locale avec le soutien des services financiers: chaque nouveau prêt à long ou moyen terme de 100 millions de yuans vaut deux points supplémentaires (sur la base des objectifs du programme réalisés dans l’année). Pas de limitations aux points supplémentaires; Initiatives pour le recrutement de commerçants et la recherche de capitaux; introduction de programmes conformes à la politique d’investissement de la municipalité: 1 point supplémentaire attribué à la municipalité (district) par tranche de 30 millions de yuans au-delà des objectifs fixés; 1 point supplémentaire attribué au bureau du comité global dépendant directement de la municipalité (principale unité de travail de drainage des capitaux) par tranche de 10 millions de yuans au-delà des objectifs fixés; pour les autres unités de travail, augmentation d’1 point par tranche de 5 millions de yuans investis. Pas de limitation dans l’attribution de points supplémentaires, cependant les fonds doivent avoir été réellement versés et les programmes doivent avoir été approuvés10. Portail du gouvernement de l’arrondissement de Dingcheng, municipalité de Changde, 2007.
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Récompenses et pénalités. Les récompenses sont en général de deux sortes: les récompenses (à partir du canton et du bourg) ou rétributions (au niveau du village) de base, appelées communément «fond de garantie» (baodi ؍ᓅ), attribuées quand les objectifs sont atteints ou bien «conformes» (hege ਸṬ), et auxquelles la plupart des organismes peuvent prétendre. Les autres sont des «prix d’excellence» conférés aux unités qui ont réalisé des objectifs exceptionnels; ils sont accompagnés d’une rétribution financière mais également morale – par exemple une unité ou un individu seront décorés, honorés, cités comme modèles dans les journaux, et pourront même obtenir un avancement. Naturellement, il existe aussi des pénalités. Celles-ci sont nombreuses: par exemple, la disqualification ou la suppression des primes accordées aux unités ou aux dirigeants de services principaux ou secondaires (dans le cas des villages ou des comités de quartier, les gratifications de bases seront retenues), ou bien encore les avertissements oraux, les avertissement écrits, les mutations, les rétrogradations, etc.11.
11
Il est ainsi stipulé dans un document émanant du gouvernement du district de Xuan’en dans la province du Hubei: «(5) Encourager les avant-gardes. Récompenser les résultats après évaluation, établir trois niveaux de récompenses d’après la note globale: les deux premiers obtiendront chacun 50 000 yuans, les quatre suivants recevront chacun 40 000 yuans, et les autres chacun 25 000 yuans. Par ailleurs, les six premiers bourgs classés recevront le titre d’unité d’avant-garde décerné par le comité du Parti et le gouvernement de la municipalité XXX pour l’année 2007. (7) Stimuler les arrière-gardes: les bourgs qui auront reçu une appréciation médiocre devront en analyser honnêtement les raisons. Conformément aux règlements sur la question et dans le cas où ils en seraient personnellement à l’origine, la responsabilité des principaux dirigeants du comité du Parti et du gouvernement ainsi que celle des dirigeants des services subalternes seront recherchées. Ils ne pourront alors prétendre au titre d’avant-garde ni obtenir de promotion au cours de l’année. Une appréciation médiocre deux années consécutives impliquera une rectification dans un délai donné et un avertissement. Une appréciation médiocre trois années consécutives entraînera l’obligation de se démettre de sa fonction.» (Site d’informations public du bourg de Zhushan, district de Xuan’en, province du Hubei, 2007.)
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Pratique du système de responsabilité par objectifs et formation de liens institutionnels Dans les paragraphes précédents, nous avons présenté rapidement l’armature des systèmes de responsabilité par objectifs et leurs articulations à partir de leur aspect formel ou de documents. Nous allons maintenant entrer dans la pratique, dans la mise en œuvre des ressources de ces systèmes, et observer comment les liens institutionnels qu’ils confectionnent entre le Parti et l’État, les hiérarchies administratives et les différents services, les cantons et les villages, ainsi qu’entre les autorités locales et les entreprises, permettent de surmonter les difficiles problèmes de régulation auxquels est confronté le pouvoir depuis la réforme. Avant la réforme, des «attaches administratives» maintenaient vigoureusement ensemble le Parti et l’État, les administrations en «rubans et parcelles» (tiao kuai ᶑඇ), les cantons et les villages, ainsi que les pouvoirs locaux et les entreprises. Ces «attaches administratives» s’appuyaient sur des relations autoritaires et trouvaient leur origine dans les liens établis par les organisations officielles du pouvoir politique d’État. Ces attaches avaient permis la fusion du Parti et de l’État, de l’État et des entreprises et la transformation des organisations sociales de base en outils administratifs, et elles étaient devenues des facteurs majeurs de la lenteur avec laquelle progressait la société chinoise et de l’atonie de son économie. En conséquence, la batterie de réformes portant sur la séparation du Parti et de l’État, de l’État et des entreprises, et sur l’autonomie des villages et des citoyens visait à casser ou à affaiblir les «liens administratifs» existant entre ces différentes entités. La rapidité avec laquelle l’administration mit en marche la «séparation entre administrations verticales et territoriales» (tiao kuai fenge ᶑඇ࠶ࢢ) se comprend par le renforcement de plus en plus strict de la décentralisation ainsi que de l’autonomie et de l’indépendance des gouvernements locaux. Autant dire que lorsque furent coupés ou affaiblis les liens qui reliaient le Parti et l’État, les administrations verticales et territoriales, les cantons et les villages, l’État et les entreprises, se posa le problème de construire ou de reconstruire entre
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eux de nouveaux liens institutionnels. Le système de responsabilité de gestion par objectifs apporta justement une solution majeure à ces ruptures ou à ces partitions car il établit pour les quatre types de relations mentionnés ci-dessus un ensemble de liens institutionnels qui ont comme caractéristique principale le rapport devoir/intérêt.
Liens Parti-État: une administration à double voie Dans la Chine contemporaine, le pouvoir politique à l’échelon de base a pour particularité d’opérer en combinant politique et administration, de telle sorte que les processus politiques utiliseront fréquemment des procédés administratifs et inversement les processus administratifs se serviront de procédés politiques. Le système de responsabilité de gestion par objectifs fournit une importante garantie institutionnelle à la marche combinée, sous une forme nouvelle, de ces deux processus. Tout d’abord, dans le contrat de responsabilité d’objectifs (en particulier lorsqu’il s’agit d’une convention de responsabilité globale signée entre deux échelons gouvernementaux), le «premier responsable» désigné est le plus souvent le secrétaire du comité du Parti ou le secrétaire de la section du village. Cela signifie que le secrétaire du Parti est le principal garant et le premier responsable des résultats des évaluations et des sanctions. Les succès et les sanctions du travail des autres sont à l’aune de ceux du secrétaire du Parti. Ainsi, non seulement ce système légitime la participation (l’intrication) du Parti aux affaires administratives, mais il apporte également la preuve de l’utilité de ses dirigeants. En second lieu, dans les contrats globaux de responsabilité, les tâches portant sur les affaires du Parti et celles concernant le gouvernement apparaissent généralement sous des programmes distincts mais dans un même tableau (cas n° 1). Autrement dit, les deux systèmes du Parti et de l’État, par le truchement d’un seul contrat de responsabilité, sont incorporés dans la même entité responsable, et en désignant clairement comme principal responsable le secrétaire du comité du Parti, ce dernier se trouve placé au centre des différentes
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décisions et de leur application. Dans l’exécution des tâches des divers programmes, les cadres de l’appareil des comités locaux du Parti endossent souvent la responsabilité d’un travail conjointement avec les cadres de l’appareil d’État, et les employés des deux appareils agissent souvent de concert. Le cas exemplaire du travail de régulation globale de la paix sociale est une bonne illustration de la manière par laquelle un système de responsabilité connecte le Parti et l’État et leur permet d’agir en combinaison. Une pratique courante du gouvernement et de l’administration, en Chine, est celle de l’instauration (durable ou provisoire) d’organismes globalisateurs afin de promouvoir les travaux importants et difficiles d’un programme ou d’un domaine. Ces organismes portent souvent des titres tels que «groupe dirigeant telle tâche» ou bien «bureau pour telle tâche», à l’exemple du «bureau du groupe dirigeant sur les questions du Falungong», ou du «bureau sur les questions de mise en garde et de traitement à l’encontre des sectes». À la tête de ces bureaux se trouve généralement l’un des dirigeants du comité du Parti ou du gouvernement de l’échelon; plusieurs départements y sont associés, parmi lesquels certains appartiennent à l’appareil local du Parti et d’autres à l’appareil d’État. Ces bureaux globalisateurs sont un soutien organisationnel à la mise en œuvre combinée de la politique et de l’administration. Le «comité de régulation globale de la paix sociale» (shehui zhi’an zonghe zhili weiyuanhui ⽮Պ⋫ᆹ㔬ਸ⋫⨶ငઈՊ) appartient à cette catégorie d’organismes Le 21 mars 1991, pour faire face à l’augmentation des agressions et des crimes – et en particulier de crimes graves ou commis en bandes organisées – due à l’ouverture et aux réformes, le gouvernement décida d’instaurer une commission centrale de régulation globale de la paix sociale, à la suite de laquelle furent créés, dans toutes les localités, à tous les échelons jusqu’à celui du bourg et du quartier, des comités de régulation globale de la paix sociale (CRGPS). Même si les CRGPS peuvent présenter localement des différences dans leur composition, le système de direction est cependant partout le même: Sous la direction unifiée du comité du Parti et de l’État, qui s’en occupe également, les organismes administratifs guident concrètement le travail et assu-
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rent la coordination, chaque département, chaque unité de travail assume ses propres responsabilités12.
En général, un des dirigeants du comité du Parti (il s’agit la plupart du temps du secrétaire du comité des affaires politiques et juridiques, ou bien directement du secrétaire du comité du Parti), est à la tête du CRGPS, assisté dans sa fonction par un membre du gouvernement, tandis que tous les responsables des services compétents en sont membres: ceux du comité politique et juridique du comité du Parti, de la sécurité publique, de la police, de la justice, de la sûreté nationale, de l’administration pénale – lesquels sont tous des organes spécialisés des CRGPS –, mais aussi ceux des services administratifs des travailleurs, des affaires civiles, de l’éducation, de l’hygiène, des corporations marchandes et industrielles, de la construction, des communications, de l’Association des femmes, des Jeunesses communistes, de la police militaire et des milices, au titre de départements associés. En dessous du CRGPS, ont été placés des bureaux de régulation globale (zongheban 㔬ਸ࣎) auxquels est affecté un personnel spécialement formé. Ce sont les services administratifs du CRGPS, responsables du suivi des affaires courantes. Schéma no 2: Composition des comités de régulation globale.
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Province du Shaanxi, district de Nanzheng, 2008.
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D’après les règles locales des «Dispositions sur la régulation globale de la paix sociale», les CRGOS sont des organismes de l’État. Les règles de la municipalité de Beijing stipulent que «le travail de régulation globale de la paix sociale de la municipalité est mis en œuvre par les organisations unifiées du gouvernement populaire de la municipalité. Tous les départements dans tous les domaines s’en occupent conjointement et s’impliquent activement». «Les municipalités, les arrondissements, les districts, les cantons, les bourgs et les quartiers établissent des comités de régulation globale de la paix sociale responsables du travail en ce domaine13». Cependant, comme le comité de régulation globale est placé sous la responsabilité du secrétaire du Parti ou bien du secrétaire du comité des affaires politiques et juridiques, et que parmi ses membres se trouvent également des responsables d’organes du Parti, l’implication directe du Parti dans les activités de régulation de la paix sociale paraît toute légitime. Dans certaines localités, il est admis que le comité des affaires politiques et juridiques du Parti et le bureau de régulation globale aient un bureau unique, avec à sa tête, comme secrétaire, le vice-secrétaire du comité du Parti de l’échelon, dès lors responsable de l’ensemble des affaires politiques et juridiques et de la paix sociale du canton ou du quartier14. Selon les dispositions en ce domaine, la tâche fondamentale de régulation globale de la paix sociale peut être résumée ainsi: sous la direction unifiée des comités du Parti et des gouvernements de tous les échelons, les différents départements agiront de concert, contrôleront conjointement et également, mettront en œuvre toute sorte de moyens pour faire régner la paix sociale; ils s’attaqueront aux crimes et les préviendront, assurant ainsi la stabilité sociale. L’institution d’organes de régulation globale apporte une garantie organisationnelle, tandis que la mise en place d’une «direction unifiée», 13 14
Gouvernement populaire de la municipalité de Beijing, 1992. Quand nous enquêtions à Z., dans la municipalité de Beijing, S., vice-secrétaire du comité du Parti en charge des affaires politiques et juridiques était en même temps président du comité de régulation globale. À ses yeux, «le comité de régulation globale n’est pas dissociable du comité des affaires politiques et juridiques, il s’agit même d’un seul département du gouvernement qui s’occupe du travail concret». (Entretien avec S., secrétaire du comité politique et juridique et président du comité de régulation globale de Z.)
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d’un «contrôle conjoint des départements» ainsi que la «prévention et la régulation par la population tout entière» sont indissociables des différents systèmes de responsabilité: Les principaux dirigeants du Parti et de l’État seront partout présidents et vice-présidents des comités de régulation globale de la paix sociale. À chaque niveau, un contrat de responsabilité sera signé, qui contribuera à former un réseau responsable de la régulation globale allant «verticalement jusqu’au fond, horizontalement jusqu’aux marges, et dans lequel supérieurs et inférieurs agiront solidairement». Ils mobiliseront personnellement les départements et les bureaux et veilleront personnellement à l’exécution des objectifs dans des secteurs déterminés de l’échelon de base. Dans toutes les municipalités, les résultats du travail de régulation globale incombant aux dirigeants du Parti et de l’État compteront dans les évaluations, ils seront liés aux avancements et aux mutations, aux récompenses et aux pénalités; les candidats aux fonctions de dirigeants du Parti ou de l’État solliciteront l’avis du département de régulation globale de l’échelon et cela formera un système15.
Liens entre administrations centrales (en ruban, tiao ᶑ) et régionales (en bloc, kuai ඇ) et entre les départements La création d’organismes globalisateurs tels que les «comités de régulation globale» et les «équipes dirigeantes de régulation globale» fournit au Parti et à l’État le soutien d’organisations au sein desquelles ils peuvent agir ensemble, et résout le problème de la fragmentation des instances «centrales et régionales» et des départements grâce aux forces venues de multiples directions, unies pour résoudre des questions importantes ou difficiles et touchant de nombreux domaines. Les questions de séparation entre les instances centrales et régionales et entre les départements ne sont pas nouvelles. Elles sont 15
Sun Tao, 2006, «Zongzhi lingdao zerenzhi» (Système de responsabilité des dirigeants de la régulation globale). «Zongzhi lingdao zerenzhi» (Système de responsabilité des dirigeants de la régulation globale), in 2006 nian Fujian nianjian (Almanach 2006 du Fujian). [en ligne], disponible sur: (consulté le 18/02/2009).
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le produit du cadre administratif et du modèle de gestion chinois. Le terme «ruban» (tiaotiao ᶑᶑ) s’applique, du gouvernement central jusqu’aux divers échelons gouvernementaux locaux, aux départements fonctionnels se rapportant à un même secteur professionnel; il s’agit d’une administration spécialisée et centralisée16. Le terme «bloc» (kuaikuai ඇඇ) désigne les gouvernements de chaque échelon, constitués de départements aux fonctions différentes; c’est une administration générale et plutôt décentralisée. L’opposition entre administrations «centrales» et «régionales» se traduit, dans les rapports de pouvoir, par la contradiction entre centralisme et unité, dans les relations administratives, par les contradictions entre les différentes mesures politiques, et, dans les finances, par la contradiction entre pouvoir décentralisé et répartitions budgétaires. Dans cette structure en «rubans et blocs», tous les départements fonctionnels relèvent du double contrôle des gouvernements locaux et des ministères et commissions dont ils dépendent, mais avec des points-clefs et des modes variables. Ainsi, certains départements sont sous administration plutôt «centrale», d’autres plutôt «régionale». Par exemple les comités de régulation globale, en tant que départements fonctionnels de régulation de la paix sociale «sont dirigés par le gouvernement populaire du même échelon et guidés par le comité de régulation globale de la paix sociale de l’échelon supérieur17». L’emploi de deux termes différents: «diriger» et «guider», indique qu’il s’agit d’une administration «régionale» supervisée par le comité du Parti et le gouvernement local:
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Il existe deux sortes d’administrations verticales, selon la nature de leurs liens de subordination: dans l’une, chaque département est intégré dans le gouvernement du même échelon, ses effectifs, les liens du personnel aux organisations, etc., sont contrôlés par le gouvernement de cet échelon; le comité de régulation globale appartient à cette catégorie. Dans l’autre, les choses se passent à l’opposé, il s’agit d’un département qui n’appartient pas au même échelon gouvernemental, et dont les effectifs et l’appartenance organisationnelle du personnel sont commandés par un département supérieur. C’est une administration verticale stricto sensu; la justice, l’industrie et le commerce, les impôts, la sécurité publique, les statistiques, etc., appartiennent à cette catégorie. Gouvernement populaire de la municipalité de Tianjin, 2004.
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Le travail de régulation globale de la paix sociale de la municipalité est exécuté par les organisations unifiées du gouvernement populaire de la municipalité, qui appliquent la politique administrative du territoire.18 Tout ce qui survient de l’arrondissement au bourg dépend du gouvernement local, c’est cela qui est du ressort de la régulation globale. Administrations verticales et régionales sont unies sous le contrôle du pouvoir local, ce sont les administrations territoriales qui sont prépondérantes. Les administrations territoriales c’est nous, notre circonscription19.
Donner la primauté à l’administration régionale signifie que les évaluations et les sanctions du comité du Parti et du gouvernement local l’emportent sur celles des départements de l’échelon supérieur, et sont de ce fait davantage contraignantes. Il est intéressant de noter que le travail des comités de régulation globale couvre un très large domaine: Le champ de la régulation globale est très étendu, il comprend de nombreux aspects, et enveloppe en quelque sorte la plupart du travail à accomplir dans les villages, rien n’échappe à la régulation globale. […] L’hygiène, la circulation, la sécurité, la sécurité alimentaire, la sécurité dans le travail, dans la production, sont toutes de sa compétence. L’important est de préserver la stabilité sociale d’une localité, la paix politique, l’essentiel est d’assumer cela20.
Cependant, ces comités sont en quelque sorte des organes «vides»: bien qu’ils possèdent le pouvoir de coordonner et de guider, de surveiller et de contrôler, de donner en exemple et de critiquer, de sanctionner et de conseiller, ils n’ont pas de pouvoirs administratifs, judiciaires, ou coercitifs. Tous les membres de ces comités ont d’autres fonctions, les organismes administratifs qu’ils supervisent – les bureaux de régulation globale – ont très peu de personnel spécialement affecté, et ils n’ont absolument pas les moyens d’accomplir une mission aussi complexe et aussi difficile. Mais alors, comment ces comités, formés à partir de multiples organismes et départements, surmontent-ils la fragmentation des départements et des administrations centrales et régionales, coordonnent-ils les actions conjointes de plusieurs départements, réalisent-ils une régula-
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Ibidem. Entretien avec S., secrétaire du comité politique et juridique de Z. Idem.
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tion «globalisée» de la paix sociale, et pourquoi parviennent-ils ainsi à construire et à préserver un ordre social favorable? La méthode du bourg Z., dans la municipalité de Beijing, peut nous apporter quelques éclaircissements.
La tenue régulière de sessions de comptes-rendus par les unités membres de la régulation globale Afin d’avoir une emprise constante sur l’état de la paix sociale d’une localité, le comité, ou le bureau de régulation globale, tient régulièrement une assemblée des unités participantes au cours de laquelle sont transmises les aspirations des organes de régulation globale de l’échelon supérieur et du comité du Parti, et où sont rapportés conflits et démêlés21 et tous problèmes qui, selon les départements com-
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L’inspection un à un des contradictions et des désaccords (maodun jiufen paicha ⸋㓐㓧ᧂḕ) est un dispositif important de la régulation sociale à l’échelon des villes et des cantons. Il s’agit d’éclaircir les circonstances dans lesquelles sont apparus les conflits dans la circonscription, de dénombrer ceux qui sont survenus précédemment, de définir leur nature, d’identifier les principales familles impliquées, les principaux individus, les affaires les plus importantes, les pistes criminelles découvertes, etc. Les conflits sont répartis en catégories, classifiés selon leur trame, conciliateurs et services concernés sont mis en branle pour prendre les mesures appropriées envers les familles et les individus-clefs afin que les choses soient prises en main de bonne heure, quand elles sont encore anodines, dès qu’elles apparaissent, afin d’empêcher qu’elles ne dégénèrent. Parallèlement, les services concernés sont avertis des conflits qui pourraient survenir et des indices de criminalité afin que soit écarté tout danger latent menaçant de la paix sociale. En général, l’inspection se fait en pénétrant chez les familles, les unes après les autres. Ainsi, à Yichun ont été instituées des «inspections régulières, mensuelles dans la ville, bi-mensuelles dans les districts, et hebdomadaires dans les bourgs ou les quartiers. Le modèle des ‹trois combinaisons› a été mis en avant: inspections par roulement combinées à la méthode du ‹filet de traîne›, inspections générales combinées à celles des points-clefs, inspections fréquentes combinées à un contrôle quotidien. Des systèmes ont été instaurés qui ont amélioré les comptes-rendus de cas graves, les contrôles assortis de solutions rapides, les copies à l’échelon supérieur et les accusés de réception, la prise en charge globale d’une affaire par un seul dirigeant, les tenues d’assemblées conjointes.» (Portail du gouvernement de la municipalité deYichun, 2006, consulté le 20/11/2008.)
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pétents, ont une incidence sur la paix sociale. Il est procédé alors à une analyse et à une estimation d’ensemble, puis l’on décide de solutions pratiques et de la manière de les exécuter. En principe, une question qui touche un département doit être résolue par ce département, mais si elle en concerne plusieurs, elle le sera par la coordination du comité de régulation globale. Le «système des comptes-rendus» est une méthode de travail importante adoptée par presque tous les organismes globalisateurs du type des CRGOS. Une fonction essentielle de ces comptes-rendus est la coordination. Sur la base d’échanges et par le biais de discussions, chaque organisme accède à une connaissance commune des orientations à venir, des missions et des responsabilités de chacun: En général, la coordination se passe ainsi: quand nous avons déterminé les attributions des départements et des organes de masse, en tant que secrétaire du comité en charge des affaires politiques et juridiques, je les réunis pour examiner la stabilité de l’ensemble du bourg, à divers moments et suivant les circonstances. En principe, ces réunions de comptes-rendus se tiennent une fois par mois, et nous nous occupons plus particulièrement des campagnes, de nos vingt-cinq villages. Les points d’appui sont les départements que je viens de mentionner: les «lettres et visites», les affaires judiciaires, la régulation globale, les commissariats, mais aussi la sécurité du travail, qui a une incidence directe sur la stabilité sociale. Et puis maintenant la sécurité sociale et l’inspection du travail ne sont pas de minces affaires, car aujourd’hui les conflits liés au travail portent souvent atteinte à la stabilité sociale22.
Application de systèmes de responsabilité de gestion par objectifs Au commencement de chaque année, partout du haut vers le bas, sont signées des «conventions de responsabilité de gestion par objectifs portant sur la régulation globale de l’ordre public» dans lesquelles sont énoncés en détail quels seront en ce domaine les organisations dirigeantes, les objectifs et les exigences, les devoirs et les responsabilités, les inspections et les contrôles, les méthodes d’évaluation et les sanctions, etc. Une fois signée, cette «convention de responsabilité» a un effet extrêmement contraignant:
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Entretien avec le secrétaire du comité des affaires politiques et juridiques de Z.
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WANG HANSHENG et WANG YIGE Chaque année, trois contrats de responsabilité de régulation globale sont signés, avec le comité du Parti, le gouvernement et le village (en tant qu’unité) puis encore entre le village et le groupe et entre le groupe et la famille, personne n’y échappe, la responsabilité touche chacun, et il se constitue ainsi un processus par lequel le travail de régulation de la paix sociale est de la responsabilité de chacu23. Au début de chaque année, le comité de régulation globale de la municipalité remet aux unités qui le composent des contrats de responsabilité portant sur les devoirs et les missions qui incombent à chacune d’elle, et à la fin de l’année, il examine le travail accompli par les unités de travail; en même temps sont déterminés les secteurs de responsabilité assignés aux unités membres (guadian baopian ᤲ⛩व⡷), les responsabilités solidaires en cas de veto, les personnes à contacter dans les unités de travail de la régulation globale, les procédures de comptes-rendus, etc.24.»
La méthode du bourg Z., de la municipalité de Beijing, diffère en ce qu’elle ne fait pas entrer le travail de chaque département dans une «convention de responsabilité de gestion par objectifs portant sur la régulation de la paix sociale», mais que c’est au nom du comité de régulation globale que le travail annuel de différents départements (attention! il ne s’agit pas ici de département centraux!) fait l’objet d’une convention de responsabilité signée avec les villages25. Hormis le système de responsabilité par objectifs décrit ci-dessus et qui possède des caractères globalisants, il peut être mis en place à certains moments, ou dans le cadre de tâches importantes ou difficiles, des «systèmes de responsabilité de programmes spéciaux» pour «mettre de l’ordre là où il est perturbé». Par exemple, pour contrer la multiplication de graves affaires de spoliations – conduisant parfois à de véritables combats à main armée entre clans – qui se produisent quand fleurissent les jeux d’argent à l’occasion des fêtes paysannes traditionnelles ou bien en certaines saisons, des systèmes de responsabilité spéciaux sont appliqués qui font entrer 23 24 25
Site du bourg de Pingshang, province du Hunan, 2008. Portail du gouvernement de Yichun, 2006. Ainsi, dans le bourg Z., l’application des «méthode d’évaluation de la sécurité dans la production et de la prévention des incendies», «méthode d’évaluation par le CRCPS du bourg Z. du travail de l’association villageoise de sauvegarde de l’ordre», «méthode et critères d’évaluation par le CRCPS du bourg Z. du travail des comités populaires de base de conciliation», «méthode d’évaluation du travail de sécurité routière du bourg Z.», etc.
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dans un contrat de responsabilité des objectifs et des missions d’ordre public assignés aux canton, aux village et aux villageois euxmêmes. Ces systèmes de responsabilité de programmes spéciaux portent toute sorte de noms tels que: «système de responsabilité de gestion, d’aide à l’étude, de création d’entreprise», «système de responsabilité aide/travail», etc. Grâce à la mise sur pied de systèmes de responsabilité d’objectifs et de programmes spéciaux assumés par les départements, le comité de régulation globale connecte les administrations verticales et territoriales et les échelons supérieurs et inférieurs: d’un côté, ces systèmes permettent d’unifier le travail de contrôle des départements – les affaires judiciaires, la sécurité publique, les transports, etc. – qui dépendent d’organes relevant d’une administration verticale, et, de l’autre, ils centralisent le travail correspondant effectué par les villages sous l’autorité des bureaux de régulation globale.
Application des systèmes du «veto» et de la «responsabilité des dirigeants26» Le «système de responsabilité des dirigeants» est celui par lequel les cadres des comités du Parti et de l’État et ceux de tous les départements ont, à chaque échelon, comme devoir et objectifs de se focaliser sur 26
En décembre 1991, la commission de régulation globale du gouvernement central élaborait les «règles sur l’application du droit de veto dans la régulation globale de la paix sociale» et en novembre 1993, la commission de régulation globale, la commission de discipline, le département central des organisations, le département du personnel, le département de surveillance instituaient «certaines règles concernant la responsabilité des dirigeants dans la régulation sociale de l’ordre public», qui demandaient clairement que le travail de régulation globale de la paix sociale et le maintien de la paix dans les circonscriptions soient liés aux objectifs des cadres dirigeants du Parti et de l’État de tous les échelons pendant la durée de leur mandat, à l’évaluation des carrières, aux promotions et aux avancements, et aux sanctions. En août 2008, le comité de régulation globale, le comité de discipline, le département central des organisations, le département du personnel, le département de surveillance publièrent un «communiqué concernant la mise en place localement d’enquêtes sur la responsabilité des dirigeants quand surviennent de graves atteintes à la stabilité sociale».
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la régulation globale de l’ordre public. Les résultats et les évaluations, les promotions, les récompenses et les pénalités en sont directement dépendants, suivant le principe que «la responsabilité incombe à celui qui dirige27.» Le système du «veto» permet aux organismes dirigeants des CRGOS de tous les échelons de noter et d’évaluer les responsables ou les unités de travail et les départements qui ont des devoirs et des missions de régulation globale de la paix sociale à l’intérieur de la même juridiction, et d’apposer un «veto» à l’attribution de récompenses, d’honneur, de promotion, de primes envers les départements, les unités ou les responsables qui auraient failli à leur devoir. En résumé, la mise en œuvre de trois systèmes de responsabilité forme un ensemble complexe: le système de responsabilité des dirigeants a pour principal effet d’apporter une réponse à la responsabilité politique de tous les dirigeants du Parti et de l’État, qui est de maintenir la paix dans leur juridiction. C’est la «tête du dragon» du travail de régulation globale. Le système de responsabilité de gestion par objectifs apporte une réponse au problème de la responsabilité des départements et des unités de travail: il stimule leur initiative et leur zèle dans le travail de régulation globale et garantit une gestion conjointe de la situation. Le système du veto permet d’enquêter sur les responsables, c’est le point tangible des systèmes de responsabilité des dirigeants et de gestion par objectifs, c’est par son intermédiaire que se concrétisent les différentes mesures du travail de régulation globale de la paix sociale.
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Le règlement de la municipalité de Langfang stipule: «Le travail de régulation globale devra être intégré aux objectifs sous la responsabilité des cadres dirigeants et en particulier des principaux cadres des villages pendant leur mandat ainsi qu’aux programmes importants comptant pour l’évaluation de leur carrière; il constituera une condition nécessaire dans l’évaluation des cadres recrutés par les comités du Parti; il sera un élément important dans l’évaluation de la gestion par objectifs en mille points et une condition nécessaire à l’attribution d’honneurs et de félicitations.» (Municipalité de Langfang, district de Xianghe, bourg de Liusong, 2007.)
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Liens entre le pouvoir cantonal et le gouvernement villageois À la suite des transformations socialistes des années 1950, les campagnes chinoises ont vu l’instauration progressive du système des communes populaires avec l’équipe de production comme unité de base, l’unité du Parti et de l’État (dangzheng heyi ފ᭯ਸа), l’unité de l’État et des communes (zhengshe heyi ᭯⽮ਸа), les trois niveaux de propriété (sanji suoyou й㓗ᡰᴹ). La commune populaire par la forme collective de son organisation permettait une corrélation entre le village et l’État, lequel pouvait par ce biais exercer un contrôle sévère sur la société paysanne. À la fin des années 1970, les réformes économiques basées sur le système de responsabilité familiale avec la prise en charge d’une part de la production conduisirent finalement au démantèlement des communes populaires. Le contrôle et la mobilisation des campagnes subirent aussi des transformations, et l’État commença à favoriser de nouvelles formes d’administration sociale (shehui zhili ⽮Պ⋫⨶), fit du canton/bourg (xiangzhen ґ䭷) le premier échelon du pouvoir administratif et instaura l’autonomie dans les villages situés sous cet échelon. Ce modèle, résumé par la formule «le bourg administre et le village gouverne»(xiang zheng cun zhi ґ᭯ᶁ⋫ ), nous est familier. Mais, dans ce schéma, les liens administratifs entre le canton et le village sont coupés, les villages, dont l’autonomie est en prise directe avec le pouvoir cantonal, manquent de garanties institutionnelles et d’appuis organisationnels. Après l’abandon du modèle de mobilisation en vigueur au temps des communes populaires, par quel moyen la nouvelle direction réalisa-t-elle le maintien de l’ordre public et la mobilisation des citoyens voulus par le pouvoir d’État? Autrement dit, comment se tissent les liens entre l’État et le village autonome? Nous nous sommes aperçus que le système de responsabilité par objectifs jouait un rôle important pour reconstruire entre eux des liens institutionnels. D’une part, grâce au système de responsabilité, il se forme entre les comités villageois ou les comités de résidents et les gouvernements locaux une «chaîne de responsabilité» (zeren liandai guanxi 䍓ԫ䘎ᑖޣ㌫) qui intègre chacun dans une communauté de devoirs et d’intérêts. Par ailleurs, la convention de responsabilité, par son caractère contractuel et sa forme écrite, validée par des signatures,
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légitime l’intrusion du gouvernement cantonal dans la direction villageoise, et pousse en même temps les cadres villageois vers un mécanisme d’«adhésion volontaire». C’est particulièrement clair dans les villages et les communautés de quartier, lors de la réforme fiscale des campagnes, et en particulier depuis la suppression des taxes agricoles: Sur un plan économique, les cadres villageois s’éloignent de jour en jour des paysans, ce ne sont plus les villageois qui les nourrissent, leurs ressources viennent principalement des versements effectués par les services financiers de l’administration et des revenus que les organisations villageoises récoltent suivant toute sorte de canaux . Dans ces circonstances, il se forme une corporation professionnelle indépendante et, économiquement, la distance entre les paysans et les cadres villageois se creuse, alors que se resserrent leurs liens avec le gouvernement. À quoi s’ajoutent les avancements ou les rétrogradations sur lesquels l’administration a, de fait, le dernier mot, et non pas les villageois. C’est pourquoi l’adhésion des cadres villageois, que ce soit au statut institutionnel ou au choix des intérêts, est de plus en plus évidente28.
En tout état de cause, les communautés de devoirs/intérêts que fondent le système de responsabilité au sein des campagnes, et son corollaire, «l’adhésion volontaire» des cadres villageois, permettent dans une large mesure à l’administration cantonale de se manifester concrètement au sein de l’autonomie villageoise. En d’autres termes, la domination de l’État et l’autonomie villageoise se combinent de manière organique dans l’interaction des cantons et des villages. D’autre part, même si la chaîne administrative entre les bourgs et les villages présente une coupure institutionnelle, il en est autrement pour les chaînes du Parti qui continuent de fonctionner entre les deux niveaux. Le comité du Parti du bourg conserve vis-à-vis de la cellule villageoise un véritable rôle de guide et possède en réalité une influence déterminante. Comme il a été dit plus haut, par la mise en œuvre des systèmes de responsabilité et la signature à chaque niveau de contrats de responsabilité se forment de fait des liens solides entre les deux systèmes du pouvoir politique des comités du 28
Wu Yi, 2007, Xiaozhen xuanxiao: yige xiangzhen zhengzhi yunzuo de yanyi yu chanshi (Le tapage d’un petit bourg: commentaires et déductions sur le fonctionnement du pouvoir politique dans un canton). Beijing, Sanlian chubanshe, p. 620.
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Parti et de l’administration, dans lesquels est affirmé le statut dirigeant du Parti: «Les secrétaires ou les chefs des comités villageois (ou de résidents) sont les premiers responsables de la régulation globale, ils sont totalement responsables du travail de régulation globale, les responsables du maintien de l’ordre sont les principaux responsables, ils sont soumis avec rigueur à l’examen des responsabilités29.» Ce qui nous conduit à dire que les systèmes de responsabilité, en ayant recours aux chaînes du Parti qui relient les bourgs et les villages et en réaffirmant le rôle conducteur de ces chaînes dans l’ensemble, créent à l’extérieur des canaux administratifs un nouveau canal qui garantit et renforce les liens entre le pouvoir cantonal et l’autonomie villageoise. Dans la création des liens entre l’administration du bourg et le gouvernement villageois, le système des cadres garants d’un village (ganbu baocun zhi ᒢ䜘वᶁࡦ), largement adopté partout, s’avère jouer un rôle important. Man Yong a fait de ce système une vivante description: Les 39 villages administratifs du canton ont été répartis en 8 secteurs de 5 villages avec chacun à leur tête un chef et 4 ou 5 cadres garants. Pratiquement, chaque village est donc pris en charge par un cadre du canton, le responsable de chaque secteur étant généralement aussi membre du comité du Parti du canton ou bien le chef adjoint. Sur les quelque 70 cadres du bourg, à part le secrétaire du Parti et le chef du canton qui doivent superviser l’ensemble de l’activité de la circonscription, et quelques employés permanents, tous les autres cadres sont responsables de village. Ils ont tous par ailleurs des fonctions au sein du bourg, par exemple directeur du bureau des finances, chef de l’office des affaires civiles, directeur du secteur militaire, et la prise en charge des villages devrait donc être une activité annexe et non pas une occupation principale. Or, nous avons noté au cours des entretiens que nous avons pu avoir avec certains d’entre eux que la plupart considéraient la prise en charge d’un village comme une activité principale, et que le travail correspondant à leur fonction passait au second plan. Dans le bourg T., d’habitude, tous les cadres se rendent chaque jour au rapport, fixé à 8 heures du matin au siège du gouvernement, où, lors de la séance des comptes-rendus, le secrétaire du Parti et le chef du canton répartissent les missions à accomplir pour la journée, puis se rendent dans les villages qui sont sous leur responsabilité pour y effectuer des tâches concrètes. Au cours de nos enquêtes, nous avons découvert avec étonnement que la prise en charge de villages par des cadres était générale dans le canton T. tout comme
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Réseau d’information du gouvernement local de Wucheng, municipalité de Yichun, 2005.
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WANG HANSHENG et WANG YIGE dans le district L.; cependant, nous n’avons trouvé aucune disposition écrite concernant ce phénomène, ni auprès des unités compétentes du district ni auprès de celles du canton30.
La prise en charge d’un village par des cadres est également utilisée à certains endroits au sein du système de régulation globale de la paix sociale: Le travail de régulation globale de la paix sociale dans le canton est sous la responsabilité générale du numéro un du Parti ou du gouvernement local, trois vice-secrétaires adjoints se chargent de trois secteurs, 17 dirigeants du bourg coordonnent 19 villages, 168 cadres villageois prennent en charge 256 groupes, et les unités membres de la régulation globale assument les devoirs impartis à chacune d’elle. De cette manière, se forme un système complexe de responsabilité à trois niveaux dans chacun desquels se trouvent des responsables de l’ordre public31. […] Les membres du groupe et du bureau de régulation globale se chargent des villages répartis sur le canton. Si survient une affaire concernant l’ordre public, on interroge d’abord ceux qui ont pris le village en charge, puis selon les circonstances et les cas, on la traite sans délai et l’on fait un rapport32.
Liens entre l’administration et les entreprises Dans un système d’économie planifiée, l’État s’appuie sur l’organisation en «communes populaires» et en «unités de travail» pour exercer un contrôle total sur la société. Les entreprises et les établissements d’utilité publique, comme les autres organisations ou les gouvernements locaux, sont reliés par des chaînes administratives. De30
31 32
Man Yong, 2004, «Cunmin zizhi beiyingxia de baocun ganbu: qu zi wanbei T. xiang de jingyan fenxi» (Les cadres en charge de villages dans le contexte de l’autonomie des populations rurales: analyse à partir de l’expérience du canton T. dans le nord de l’Anhui), in LIU Yawei et ZhAN Chengfu (éds.), Women reng zai lushang – cunmin xuanju yu cunmin zizhi yanjiu lunwen ji (Nous sommes encore en route: élections et autonomie villageoises). Xi’an, Xibei daxue chubanshe. Site du gouvernement populaire du district de Yuli, 2007. Centre d’information du gouvernement du district de Tuerbote, municipalité de Daqing, 2007.
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puis la réforme – avec les séries de mesures adoptées pour «libérer les droits et permettre les profits» (fang quan rang li ᭮ᵳ䇙࡙), «dissocier l’État des entreprises» (zhengqi fenkai ᭯Ա࠶ᔰ), «réformer les entreprises» (qiye gaizhi Աъ᭩ࡦ) – et à la suite du formidable essor des exploitations privées et individuelles, les liens entre l’État et les entreprises se sont peu à peu défaits. Le gouvernement a tenté de les reconstituer grâce aux différents systèmes de responsabilité. L’exemple du bourg Z., de la municipalité de Beijing, garant de la stabilité sociale pendant les Jeux olympiques, illustre bien comment ces liens se constituent. À Z., le comité de régulation globale signa avec tous les villages sous sa juridiction, ainsi qu’avec toutes les entreprises commerciales, de services ou industrielles qui y étaient implantées, un «contrat de responsabilité de la stabilité sociale pendant les compétitions tests des Jeux olympiques Bonne Chance Beijing et le XVIIe congrès du Parti» (voir le cas n° 2): Si on se trouve dans ma circonscription, on est sous ma juridiction, et on doit se conformer à mes directives. Tout le travail de sécurité fait l’objet d’un contrat de responsabilité: les entreprises nationales, collectives, privées, villageoises, toutes doivent signer un contrat de responsabilité avec moi33. Cas n° 2 Contrat de responsabilité de la stabilité sociale (entreprises commerciales, de services, et industrielles) pendant les compétitions tests des Jeux olympiques Bonne Chance Beijing et le XVIIe congrès du Parti (extraits) II. Contenu et critères d’évaluation des entreprises et des services publics Sécurité et Protection. (50 points) 1 - […] ne surviendront pas d’affaires graves concernant la sécurité ni d’affaires criminelles. Les troubles graves seront disqualifiants. (15 points) 2 - […] ne surviendront pas de désordres ou de troubles à l’entrée de la capitale ou dans les lieux olympiques, sur les lieux de résidence des sportifs et sur les principaux axes routiers. Les troubles graves seront disqualifiants. (10 points) 3 - Renforcement dans les entreprises du contrôle du personnel venu de l’extérieur afin que ne surviennent pas d’accidents liés à la sécurité des logements loués ou d’affaires criminelles troublant l’ordre public causés par la population flottante. Les troubles graves seront disqualifiants. (10 points) 33
Entretien avec S., secrétaire du comité des affaires juridiques et responsable du bureau de régulation globale de la paix sociale de Z., (municipalité de Beijing).
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4 - […]. Faire en sorte que ne surviennent pas d’accidents du travail, d’accidents alimentaires, d’incendies, d’accidents de la route. Les troubles graves seront disqualifiants. (10 points) (II) Pétitions. (50 points) […] ne surviendront pas des problèmes liés aux retards de salaires ou autres conflits liés aux relations patrons/ouvriers. (35 points). Présentation de pétition individuelle, retenue de 3 points; présentation de pétition collective, retenue de 6 points. Chaque fois qu’un pétitionnaire individuel se rendra à l’échelon supérieur au bourg (bourg non inclus), retenue de 10 points; les pétitionnaires en groupe d’au moins 2 personnes), retenue de 35 points; un groupe de pétitionnaires (au moins 5 personnes) s’adressant directement à l’échelon supérieur sans avoir été contrôlé une fois et qui perturbera l’arrondissement ou la municipalité sera disqualifiant. Les pétitionnaires les plus combatifs ne devront pas se rendre à proximité des équipements olympiques, des résidences des sportifs, des secteurs de contrôle de la circulation pour y semer des troubles et provoquer des désordres. Des perturbations graves seront disqualifiantes. (15 points) […] ne paraîtront pas des reportages pessimistes et perturbateurs mettant en cause une gestion inadéquate dans une entreprise. (5 points) III. Responsabilité des dirigeants et récompenses (I) Responsabilité des dirigeants Les principes de contrôle de la juridiction seront appliqués, le premier responsable sera le numéro un de l’entreprise ou du service, les responsabilités seront sévèrement recherchées, le veto sera appliqué, lors de faits graves il faudra rechercher les responsabilités du premier responsable. (II) Méthode d’évaluation et récompenses 1 - L’évaluation est calculée sur 100 points, chaque point vaut 10 yuans, la prime est de 1000 yuans. Un nombre total des points inférieur à 70 est disqualifiant. 2 - Le numéro un de l’entreprise ou du service bénéficiera de la récompense. Secrétaire du comité du Parti du bourg responsable de l’entreprise ou du service 1er août 2007 Document du bureau de régulation globale du bourg Z., arrondissement S., municipalité de Beijing.
Le principe du bourg Z. selon lequel «la responsabilité incombe au dirigeant et à l’exploitant» est exemplaire: Tous les organismes, les usines et les mines, les écoles, les entreprises, les collectifs populaires doivent bien contrôler leurs gens, bien garder leur porte, bien régler leurs affaires, renforcer solidement l’éducation idéologique de leur personnel et tous les aspects de la sécurité. Lorsque survient un problème, la responsabilité est à rechercher auprès des dirigeants directs des services et des unités concernés34.
34
Idem.
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Les sanctions incluent la disqualification des districts (municipalité ou arrondissement), des cantons, des quartiers, ainsi que des institutions, des collectivités populaires, des écoles, des entreprises industrielles ou commerciales qui ne pourront prétendre à aucun titre honorifique; de même, ni les dirigeants de ces structures, ou des structures secondaires, ni les responsables de l’ordre public ne pourront recevoir de primes, être promus ou monter en grade. D’une manière générale, le rapport obligation/intérêt imprègne les quatre différentes relations décrites ci-dessus: d’un côté, des entités responsables qui se constituent lors d’un processus de report d’obligations vers l’échelon inférieur et de devoirs communs, de l’autre, des mesures d’évaluation, de surveillance, de sanctions d’un partenaire envers l’autre, qui renforcent davantage les rapports de pouvoir et des relations d’intérêt inégalitaires. Cependant, il ne faut pas négliger le fait que dans ce processus, un participant en position de faiblesse peut aussi cerner et utiliser une «entité responsable» encore plus grande pour influencer un partenaire fort, pour préserver et même mettre en œuvre son «pouvoir» d’opposition.
Action liante et lien agissant Ci-dessus nous avons rapidement montré comment le système de responsabilité de gestion par objectifs établit entre les organes du Parti et de l’État, les organismes centraux et régionaux, les départements, l’administration des cantons et l’autonomie villageoise, et entre l’État et les entreprises un ensemble de liens institutionnels fortement marqués par le rapport obligations/intérêt. Cependant, aucune disposition ni mise en œuvre institutionnelle ne peut être isolée des entités agissantes. C’est justement l’activité réelle de ces entités agissantes qui construisent et façonnent la morphologie véritable et le sens intrinsèque du système. En d’autres termes, le système de responsabilité par objectifs n’est pas une «structure» (jiegou 㔃ᶴ) statique immuable, ni une «catégorie» (fancho 㤳⮤) issue d’un texte politique, il est vivant, puisqu’il se constitue sous l’ac-
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tion de divers éléments objectifs, mais il est aussi la production d’agents qui le construisent «subjectivement» (zhuguan ѫ㿲). Nous allons maintenant envisager le système de responsabilité par objectifs sous l’angle de l’action et voir comment il transforme les entités agissantes que sont les gouvernement locaux et les cadres des cantons ainsi que la manière d’agir des paysans; et à l’inverse, comment les actions des agents ne cessent de reconstruire, de façonner, et de fabriquer à nouveau entre eux des rapports de réciprocité et de nouveaux liens, et finalement modifient le rapport de force au sein d’un système autoritaire.
Division des responsabilités et concentration du pouvoir Nous avons déjà remarqué que tous les échelons des gouvernements ou des départements jouissaient d’une relative autonomie dans la mise en place des objectifs, et que bâtir l’ensemble des objectifs était un procédé majeur pour surveiller l’échelon inférieur et consolider un pouvoir. Quoique les pratiques de chaque gouvernement soient différentes, les formes suivantes se retrouvent quasiment partout:
Affinage et décomposition des cibles Les gouvernements ou les départements des échelons inférieurs vont généralement détailler et décomposer les différentes tâches que leur ont assignées les échelons supérieurs. Ce processus s’accomplit d’ordinaire lors d’assemblées réunies par les départements du Parti ou des administrations35 dans le but de dynamiser l’exécution des obligations. Le bourg Z. de l’arrondissement S. dans la municipalité de
35
Ces assemblées peuvent être des conférences assez solennelles, ou bien des réunions portant sur la mise en œuvre de directives particulières ou de points délicats, des rencontres imprévues entre cadres, etc.
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Beijing a adopté une méthode exemplaire appelée «travaux du cahier36» (gongcheng zhezi ᐕ〻ᣈᆀ): Au commencement de chaque année, le «numéro un» du bourg (le secrétaire du comité du Parti) réunit les principaux adjoints, ainsi que les responsables des différents départements et services et, en fonction des cibles de développement économique et social imposées par l’échelon supérieur (l’arrondissement S.), il élabore et planifie minutieusement avec eux les objectifs annuels de chaque département et de chaque service. Puis, les responsables des départements et des services, sur la base des objectifs et du calendrier impartis à chacun d’eux, donnent aux villages qu’ils supervisent un ensemble d’objectifs détaillés (comptant en général sur cent points) accompagné de «règles précises d’évaluation» (kaohe xize 㘳Ṩ㓶ࡉ) correspondantes. En outre, chaque mois, chaque trimestre et à mi-année, les responsables des services présentent au comité du Parti, dans un rapport d’étape, l’avancement du travail dans les villages et leurs observations. C’est cette procédure d’affinage dans lequel l’horizontal (départementalisation) et le vertical (périodisation) sont réunis que les cadres du bourg appellent «l’opération du cahier».
Il faut remarquer que dans le processus de division des objectifs l’accent est mis sur les principes de «responsabilité d’un seul» (yiren fuze аӪ䍏䍓 ), et de «gestion descendante» (chuizhi guanli ⴤ㇑⨶ ): le travail d’un département est placé sous l’entière responsabilité du dirigeant principal, lequel va à son tour mobiliser quelques gestionnaires sous ses ordres et procéder à un partage des responsabilités. Ainsi, les objectifs et les obligations ont à chaque niveau un responsable désigné, ce qui permet également de surveiller et de stimuler plus commodément l’activité des services et la recherche des responsabilités.
Répartition des cibles Quand les échelons supérieurs répercutent aux départements de l’échelon inférieur des directives détaillées, les principes sur lesquels ils s’appuient ne sont pas toujours les mêmes. Selon nos observations,
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Le «cahier» (zhezi) est le document par lequel les fonctionnaires de l’empire exposaient à l’empereur ou aux organes du pouvoir central les faits importants de leur administration, les mesures qu’ils préconisaient, etc.
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les directives touchant des aspects tels que celui de la préservation de la paix sociale ont des règles uniques et sont répercutées de manière uniforme. Mais quand il s’agit de directives liées au développement économique ou au progrès social, les échelons supérieurs tiennent compte des capacités réelles propres à chaque unité des échelons inférieurs. C’est pourquoi des bourgs ou des villages très peuplés, dotés d’une économie développée, ou bien auxquels les échelons supérieurs apportent un soutien important, auront en général à assumer des objectifs et des quotas plus élevés correspondant à leur situation. Le fait que les principes de répartition des objectifs puissent bouger selon les conventions de responsabilité peut être vu comme une tactique de l’échelon supérieur pour conserver une marge de manœuvre propre, mais il permet également de dégager, si nécessaire, un espace pour la communication ou la recherche d’un accommodement entre les deux échelons.
Augmentation des cibles Les échelons supérieurs choisissent souvent d’augmenter les cibles. Prenons encore l’exemple du bourg Z.: le contrat de responsabilité sur la planification des naissances signé entre le bourg Z. et l’arrondissement S. stipule que «les chiffres de Z. atteindront 98 % de la politique en la matière et les investissements financiers seront en moyenne de 25 yuans au moins par habitant». Cependant, quand un contrat identique est signé entre le bourg Z. et les villages de l’échelon inférieur, les indices changent: «Les chiffres correspondront à 100 % des prévisions et les investissements financiers seront de 30 yuans au moins par habitant du village.» La principale raison pour laquelle les cibles sont uniformément augmentées est la suivante: la répartition des responsabilités vers les échelons inférieurs augmente en retour la dépendance de l’échelon supérieur qui devra compter sur le travail des échelons subordonnés pour réussir. Dans le but d’éviter de subir des désagréments, l’échelon supérieur cherche à surévaluer les prévisions et indique donc des quantités supérieures afin d’être sûr, même si les objectifs ne sont pas réalisés partout aux échelons inférieurs, qu’il peut tout de même atteindre ses propres cibles. Mais, en définitive, les cibles
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sont «souvent absurdement élevées pour l’échelon de base, et sont même impossibles à atteindre tant elle sont éloignées des réalités, quant à les dépasser, inutile d’en parler37». Les augmentations, tout comme les répartitions des cibles, sont des efforts de l’échelon supérieur pour renforcer son pouvoir. Cependant, elles ne peuvent se faire à l’envi, et nécessitent l’examen des capacités réelles des échelons inférieurs. C’est pourquoi, sur qui et quoi elles porteront fera l’objet de tris supplémentaires, et les prévisions seront souvent le résultat d’accords tacites et réciproques. En résumé, par la décomposition successive des cibles, les entités responsables des échelons supérieurs vont répercuter la pression qui pèse sur elles et la disperser vers d’autres à l’échelon inférieur. Celles-ci vont être poussées à faire accomplir leurs obligations par les cadres qui y ont intérêt. Les affinages et les répartitions des objectifs pourraient permettre de clarifier le rapport droits/devoirs des partenaires gouvernementaux des échelons inférieurs et supérieurs qui signent des «contrats de prise encharge» (chengbao hetong ) et conduire les deux parties à des positions plus égaliवਸ਼ taires. Mais en réalité, il n’en est pas ainsi. Les réunions des entités responsables des échelons supérieurs, les responsabilités personnelles, la mise en place d’incitations par la rivalité, les surévaluations successives, etc. sont autant d’efforts pour éviter une relation de dépendance égalitaire avec les échelons inférieurs – qui pourraient construire et élargir leur propre espace de pouvoir –, de sorte à assurer une concentration du pouvoir en haut, en même temps qu’une répartition des responsabilités vers le bas.
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Zhu Xinfeng, 2006, «Xianji mubiao guanli zerenzhi tanyi» (Questions sur le système de responsabilité de gestion par objectifs à l’échelon du district) [en ligne], disponible sur: (consulté le 16/06/2010).
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Contrôle sélectif et action sélective Si nombreux soient les objectifs d’une convention de responsabilité, ils n’ont pas tous la même signification pour les responsables. Les procédés par lesquels les objectifs sont investis de significations différentes sont généralement les suivants:
Attribuer aux cibles un poids différent Dans le cas n° 1 par exemple, les points (le poids) correspondant aux diverses obligations sont différents: les tâches économiques pèsent plus lourd. En conférant des poids différents aux diverses obligations, l’entité responsable de l’échelon supérieur entraîne l’échelon subalterne à agir et exécuter selon ses propres desseins. Ainsi, le travail des cadres de base se fera souvent en fonction d’obligations qui, sur la feuille d’évaluation, ont le coefficient le plus élevé, ou bien qui permettent d’obtenir davantage de primes ou de bénéfices.
Des sanctions modulées selon les différentes obligations Dans les évaluations des systèmes de responsabilité, le poids des récompenses et des pénalités n’est pas le même selon les obligations: certaines concernent seulement l’augmentation ou la diminution des revenus des fonctionnaires, ou bien ont une incidence sur leur promotion ou leur rétrogradation; d’autres touchent un petit nombre de personnes ou bien ont une incidence sur l’ensemble du département. La mise en place de récompenses et de pénalités hétérogènes traduit différents degrés de pression ou de contrôle exercés du niveau supérieur vers le niveau inférieur.
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Extension de la quantification des cibles Dans les contrats de responsabilité, les cibles sont de deux sortes: les cibles quantifiées et les cibles non quantifiées. Les cibles quantifiées sont plus claires et plus précises, mais elles sont plus «rigides» (gangxing ࡊᙗ ). Dans le cas n° 1, on voit bien que les cibles quantifiées occupent des positions dominantes dans le tableau; leurs poids sont les plus élevés et elles sont mises en avant. Les cibles non quantifiées sont placées à la fin et ne pèsent pas lourd. En outre, les cibles quantifiées peuvent être plus facilement détaillées et surévaluées, c’est pourquoi il peut arriver que des cibles qui à l’origine n’étaient pas quantifiées le deviennent quand elles sont distribuées aux échelons inférieurs, conduisant de la sorte à une extension permanente des domaines quantifiés. Manifestement, quantifier les cibles est une façon importante pour tous les échelons de l’administration de mettre en relief les points-clefs de leur travail.
Mise en place d’obligations flexibles et rigides Sur la base de recherches sur le terrain et d’une masse importante de documents relatifs aux systèmes de responsabilité, on peut, grossièrement, distinguer deux sortes d’obligations prévues par les contrats de responsabilité: les tâches flexibles (danxing renwu ᕩᙗԫ࣑ ) et les tâches rigides (gangxing renwu ࡊᙗԫ࣑ ). Les tâches flexibles sont celles dont «suivant les décrets ou les politiques, les gouvernements des bourgs peuvent en déterminer eux-mêmes les quantités à réaliser, le moment de les achever […] leur valeur n’est pas élevée; même s’il est exigé d’atteindre des objectifs chiffrés, au moment de l’inspection, on ne regarde souvent que les documents ou les archives […]. Les résultats n’auront pas d’incidence sur les salaires ou les primes». Quant aux tâches rigides, «elles sont répercutées d’échelon en échelon, en lettres rouges, et leur réalisation ou leur échec sont directement liés à la promotion ou à la mutation des dirigeants, aux salaires et au bien-être de l’ensemble du personnel». C’est pourquoi, en général, les tâches rigides «nécessitent d’être rendues effectives par les gouvernements et dans les villages, et d’utiliser des consignes administratives aussi souvent que nécessaire pour exiger des
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cadres qu’elles soient accomplies. C’est la partie maîtresse de l’administration», comme la collecte des impôts, la planification des naissances etc. Les contraintes des tâches flexibles sont relativement légères; si elles sont bien accomplies, elles peuvent contribuer à augmenter les profits, à témoigner de l’œuvre politique; si les résultats sont mauvais, les incidences sur les actions politiques ou les carrières des principaux dirigeants de l’échelon ne sont pas importantes, et c’est pourquoi les autorités «peuvent s’y consacrer, ou bien les négliger38» Dans ces circonstances, les cadres de l’échelon de base vont généralement «choisir» en priorité de s’occuper des missions rigides. Le travail de régulation globale de la paix sociale exposé plus haut témoigne pleinement de l’exécution des missions de type rigide. Les autorités des échelons supérieurs renforcent donc leur faculté de contrôle sur les administrations de l’échelon inférieur par la mise en œuvre d’ensembles d’objectifs couplés à des sanctions. Cependant, il s’agit d’une sorte de «contrôle sélectif» (xuanzexing kongzhi 䘹ᤙᙗ᧗ࡦ ) (c’est-à-dire un contrôle sur des domaines et des missions-clefs), et non plus, comme avant la réforme, d’un contrôle total. Il se fait au moyen de consignes administratives et de procédés politiques purs déjà en vigueur avant la réforme, mais il est amalgamé à des systèmes de responsabilité quasi contractuels et enveloppés du manteau de la «gestion scientifique» (kexue guanli 、ᆖ㇑⨶). Manifestement, ces nouvelles façons d’exercer un contrôle ont également une incidence sur les actions des fonctionnaires de l’échelon de base qui eux aussi «font les choses sélectivement» (you xuanzedi zuoshi ᴹ䘹ᤙൠڊһ). Mais il ne faut pas croire que le «contrôle sélectif» des échelons supérieurs et «l’action sélective» des échelons inférieurs ont nécessairement une direction et des résultats identiques. En réalité, les 38
Wu Miao, 2003. «Xuanzexing kongzhi: xingzheng shijiaoxia de xiangcun guanxi – dui Hunan sheng H zhen zhengfu dui cun guanxi de ge’an chanshi» (Contrôle sélectif: Les relations canton-village d’un point de vue administratif. Commentaire d’une étude des relations entre le gouvernement du bourg H. au Hunan et les villages de sa juridiction), in XU Yong et XIANG Jiquan (éds), Cunmin zizhi jincheng zhong de xiangcun guanxi (Les relations cantons-villages dans le processus de l’autonomie villageoise). Wuhan, Huazhong Shifan daxue chubanshe.
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«actions sélectives» sont aussi une «relecture» et une «resélection» de l’échelon inférieur envers les consignes de l’échelon supérieur. C’est une manière pour les gouvernements de base de tenter d’accroître l’efficacité de leurs actions et d’élargir leur propre marge de manœuvre dans les rapports de pouvoir. Aussi arrive-t-il parfois que des programmes qui, en apparence, ne sont pas trop «rigides», ou bien sont affectés de valeurs peu élevées, deviennent la tâche centrale des cadres de l’échelon de base. Quand nous avons commencé d’enquêter dans le bourg Z., nous avons découvert que le secrétaire du comité du Parti et de nombreux autres cadres villageois dépensaient beaucoup d’énergie à l’aménagement de l’environnement, mais, pourtant, embellir l’environnement, ou concourir pour le titre du «plus joli bourg» ou du «village le plus fleuri» semblaient n’avoir pour eux que des valeurs honorifiques immatérielles. Mais lorsque nous avons eu une meilleure connaissance des faits, nous nous sommes aperçus que les bons résultats de l’aménagement de l’environnement s’accompagnaient aussi d’avantages bien réels: décrocher un prix d’excellence avait permis à quelques uns des villages placés sous la juridiction de Z. d’obtenir un soutien de la ville et de l’arrondissement sous la forme d’une prime à la construction de 150 000 yuans, et avait aussi pavé la voie au bourg Z. dans son accession aux programmes des quartiers industriels de l’arrondissement de S. Selon les mots d’un cadre du bourg, voilà qui est «faire du plein avec du vide». Par conséquent, si l’on dit que la division des responsabilités et l’augmentation des cibles sont des procédés de l’échelon supérieur pour renforcer son propre pouvoir, alors les «actions sélectives» sont une importante tactique de l’échelon inférieur pour gagner des espaces de pouvoir. Grâce aux «actions sélectives», les cadres de l’échelon de base, peuvent, en collant à leurs situations concrètes, redécouvrir, redéfinir et réaligner les cibles fixées par l’échelon supérieur.
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Une administration «tournée vers l’entreprise» et ses corrélations Le «contrôle sélectif» qui s’exerce dans le système de responsabilité a pour important corollaire de pousser les gouvernements locaux à orienter leurs actions vers «l’événementiel». Ces dernières années, les gouvernements locaux ont pris l’habitude, un peu partout, d’annoncer publiquement, au début de l’année ou pendant les «deux assemblées» du début mars, les «grandes choses» (dashi བྷһ ) à réaliser au cours des douze mois à venir, et de la même façon de rendre compte de leur achèvement en fin d’année. Par exemple, en 2007, la municipalité de Hangzhou (Zhejiang), décida d’un programme pour «accomplir des choses concrètes en faveur de la population» décliné en dix projets, auxquels avaient été en outre attribués des objectifs quantifiés (voir cas n° 3). Ces «choses réelles» ont été concrétisées dans des contrats de responsabilité des gouvernements et des départements des échelons inférieurs, mais ceux-ci n’en ont pas accepté les bornes, et ont intégré les réalités de leur juridiction pour définir les objectifs et les cibles de «grandes choses» qui leur appartiennent en propre. Nous avons pu observer généralement que le nombre de «grandes choses» accomplies par les unités des échelons inférieurs ne saurait être moindre que celui fixé par les échelons supérieurs. Programmes des réalisations établies parle gouvernement municipal devant être accomplies en faveur de la population durant l’année 2007 avec les unités intervenantes (extraits) Programme n° 1: Améliorer l’infrastructure urbaine écologique. Tâches à accomplir: Aménagement en zone urbaine de 60 canaux. Unité intervenante: Comité municipal à la construction. Tâches à accomplir: Achèvement des travaux d’amélioration dans 380 ruelles. Construction d’un système d’assainissement comprenant 50 collecteurs d’eaux usées, de 150 petits quartiers d’habitations, de 100 unités publiques d’interception d’égouts pour une nouvelle capacité de 40 mille tonnes/jour. Rénovation de 40 toilettes publiques et de 5 stations intermédiaires de transfert des déchets. Unité intervenante: Bureau de gestion de la Ville. Tâches à accomplir: Extension de 3 millions de m2 d’espaces verts en zone urbaine. Unité intervenante: (Comité de gestion des paysages et monuments du lac de l’Ouest, de Hangzhou) Bureau municipal des parcs et affaires culturelles.
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Programme n° 2: Renforcer la garantie au logement Tâches à accomplir: Mise en chantier de 1 million de m2 de logements économiquement abordables, démolitions et reconstructions de maisons (incluant la réhabilitation de maisons jugées dangereuses) sur 1 million de m2. Unité intervenante: Comité municipal à la construction. Tâches à accomplir: Réaliser des taux de 95 % dans les attributions de logements et d’allocations aux familles à faibles revenus. Atteindre pratiquement l’objectif de deux pièces par personne. Unité intervenante: Bureau municipal de gestion des logements. Tâches à accomplir: Nouvelle augmentation du fonds d’accumulation public en faveur de 80 000 employés. Unité intervenante: Centre de gestion du fonds d’accumulation public du logement de Hangzhou. Programme n° 3: Promouvoir l’aménagement de villages. Tâches à accomplir: Achever la construction de 25 villages pilotes et les aménagements de 250 villages. Construction de 100 programmes pilotes écologiques (villageois) pour le traitement et l’épuration des eaux usées domestiques, de 50 programmes pilotes écologiques (villageois) de traitement des déchets domestiques. Élever le taux de généralisation et d’usage des puits générateurs de méthane. Unité intervenante: Bureau municipal de l’agriculture. Tâches à accomplir: Accès à l’eau courante dans les campagnes en faveur d’une population supplémentaire de 28 600 personnes pour atteindre un taux de généralisation de 98 %; augmentation de 14 200 sanitaires pour atteindre un taux de généralisation de 94 %. Unité intervenante: Bureau patriotique en faveur de l’hygiène. Programme n° 4: Augmenter et renforcer les services médicaux de base. Tâches à accomplir: Atteindre un taux d’activité supérieur à 95 % dans les nouvelles coopératives médicales agricoles, dont le financement par tête d’habitant ne devra pas être inférieur à 1,3 % du revenu net paysan de l’année précédente. Construction dans les quartiers urbains de 20 antennes sanitaires. S’efforcer de remplacer l’organisation villageoise par des comités de quartiers et construire des antennes sanitaires dans les «villages urbains». Transformation de 80 % des centres de santé des bourgs en organisme de santé de quartier. Attacher de l’importance à la formation en médecine générale et à l’affectation de personnel. Unité intervenante: Bureau de l’hygiène. Programme n° 5: Parfaire un ensemble de services pour l’emploi et la formation. Tâches à accomplir: Appliquer effectivement la politique concernant les allocations pour l’emploi et celle des assurances sociales, s’efforcer d’aider les familles sans aucun emploi et le personnel ayant des difficultés à trouver ou à retrouver un emploi. Aider les gens des villes et des bourgs qui ont perdu leur emploi à retrouver du travail. Former 42 000 personnes pour qu’elles retrouvent un emploi. Mise en chantier d’une base publique de formation générale et d’intérêt commun. Unité intervenante: Bureau municipal du travail et de la sécurité sociale. Document provenant de la direction générale du gouvernement de la municipalité de Hangzhou, 2007.
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De multiples raisons conduisent les autorités locales à administrer en fonction de «grands projets»: l’une d’elles concerne la chronologie car c’est en début d’année, au moment des «deux assemblées» que les gouvernements de tous les échelons choisissent et font connaître publiquement les «grandes choses» à réaliser dans les mois à venir. Il s’agit en réalité d’un temps fort, durant lequel la société exprime ses critiques et ses exigences envers le gouvernement, une période aussi pendant laquelle l’opposition sociale peut se faire plus saillante et s’intensifier. L’annonce publique de «faits réels» vient alors, avec une certaine efficacité, façonner l’image d’une administration qui prend soin du peuple et se rallie largement aux points de vue de la société. Les tensions sociales en sont apaisées et le pouvoir politique y gagne en légitimité. Une autre raison importante est la réforme du système financier de l’État, en particulier depuis la réforme fiscale du monde agricole en 2000, et la mise en place par le gouvernement central de mesures pour permettre les transferts de paiements (zhuanyi zhifu 䖜〫᭟Ԉ) aux pouvoirs locaux39. Ces transferts financiers prennent la forme de capitaux dédiés à des programmes spéciaux clairement identifiés (ayant une affectation précise), «chapeautés» (daimao zhifu ᡤᑭ) – comme disent les pouvoirs locaux, car d’un emploi restreint et sévèrement contrôlé. En même temps, s’ils souhaitent en profiter, les gouvernements locaux doivent «monter spécialement un projet» (zhuanmen sheshi у䰘䇮һ), et les choses qu’ils veulent entreprendre doivent correspondre au «chapeau». C’est ce que l’on appelle: «se mettre à danser au son du pouvoir central» (wen zhongyang zhi sheng er qiwu 䰫ѝཞѻ༠㘼䎧㡎). Une administration «enracinée dans les choses» contraste fortement avec le «modèle idéal» de la théorie bureaucratique courante. Selon Weber, le grand principe de la bureaucratie est que «chaque département a des ‹compétences› précises qui lui viennent de règles (légales ou administratives)». En comparaison, «les em39
Les transferts financiers alloués pour des programmes particuliers ont été créés par le gouvernement central pour qu’il puisse réaliser ses objectifs politiques macroscopiques et dédommager les autorités locales, lesquelles assument certaines fonctions à sa place. Ils sont principalement affectés aux services publics et à la construction d’infrastructures de base.
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plois, – tout au moins les emplois spécialisés, nécessitent au préalable une formation professionnelle approfondie», et «l’exercice d’un métier exige de respecter une catégorie de règles40.» Philip Kuhn a découvert aussi que les fonctionnaires préféraient effectuer des tâches routinières et que, confrontés à un problème épineux, ils avaient tendance à «routiniser» son traitement41. Cependant, nous nous sommes aussi aperçus que la bureaucratie chinoise (en particulier les fonctionnaires de base) doit, actuellement faire face à une multitude de nouveaux objectifs, de nouvelles tâches, à toute sorte de «choses importantes», périodiques ou annuelles, et autres «événements exceptionnels». Et au moment d’organiser ces tâches essentielles, c’est la participation coordonnée de plusieurs départements qui est mise en avant, et non pas la «responsabilité» ou la «compétence» d’un seul, pour faire face à de nouvelles tâches on préférera l’emploi de nouvelles méthodes, et non pas leur intégration dans une routine ancienne, et, pour régler des questions routinières, on choisira la «production de nouveaux gestes», une «audace à innover» et non pas un comportement basé sur une expérience et conduisant à davantage de spécialisation. Naturellement, dans l’exercice d’une administration pour qui «les choses entreprises sont l’essentiel» (yishiweiben ԕһѪᵜ ), la mise en œuvre de système de responsabilité est d’une utilité et d’un effet certains.
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Max Weber, 2004c, Zhibei shehuixue (La sociologie de la domination). Commentaires et traductions chinoises de textes choisis de M. Weber, par Kang Le et Jian Huimei. Guilin, Guangxi Shifandaxue, p. 22-24. Philip A. Kuhn, 1999. Jiao hun: 1768 nian Zhongguo yaoshu da gonghuang (Soulstealers: the Chinese sorcery scare of 1768). Trad. chinoise par Chen Jian et Liu Chang. Shanghai, Sanlian chubanshe.
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«Relations privées» et fonctionnements «officieux» Le monde académique a déjà beaucoup discuté des «relations privées» et des «fonctionnements officieux» qui se manifestent dans la politique locale en Chine42. Nous avons découvert que les phénomènes exposés ci-dessus étaient en fait intimement liés à l’application du système de responsabilité par objectifs, lequel non seulement offre la garantie de liens institutionnels entre l’administration cantonale et l’autonomie villageoise, mais a également une incidence importante sur leur mode de relation, ou autrement dit, sur leur mode d’interaction. Le schéma n° 3 des rapports entre les entités responsables de l’échelon supérieur et inférieur résume les relations qui existent entre 42
Wu Yi, par exemple, a découvert que les deux techniques de pouvoir non officiel typiques que sont le «battage de tambour» (lei ) et l’ «entremise» (mei Ⴢ) jouaient un rôle très important dans les interactions au sein des campagnes. Le battage de tambour désigne les nombreuses ressources humaines non institutionnelles auxquelles l’échelon supérieur doit avoir recours, en plus des directives administratives et de la transmission de circulaires, pour promouvoir un travail. L’entremise est un art particulier du battage de tambour, c’est le mode essentiel des rencontres entre cadres du canton et cadres villageois: «Les cadres du canton, s’appuyant sur les particularismes et les tendances humaines, investissent dans les sentiments et les relations sociales; ils établissent avec les cadres villageois des contacts affectifs et amicaux, puis mettant en avant les sentiments et l’amitié, ils transforment les affaires publiques que le gouvernement veut mettre en application dans le village en affaires privées concernant les cadres du bourg et ceux du village», parce qu’une fois entrée dans la sphère privée, la logique n’est plus la même: «Si un cadre villageois n’agit pas ou n’agit pas bien, il ne donne pas de ‹face› à tel dirigeant du bourg, il manque de reconnaissance envers ce dernier», autrement dit: «L’entremise permet aux cadres du canton de ‹piéger› les cadres villageois et c’est un moyen important pour faire avancer un travail.» (Wu Yi, 2007, op. cit., p. 615). Par ailleurs, des chercheurs tels Ying Xing dans Histoire des pétitions des déplacés de Dahe (YING XING . 2001. Dahe yimin shangfang de gushi: cong tao ge shuofa dao paiping lishun (Histoire des pétitions des déplacés de Dahe). Beijing, Sanlian chubanshe), ou Zhang Jing dans le Pouvoir politique à l’échelon de base Jing. 2007 (Jiceng zhengquan: xiangcun shehui zhu wenti (Le pouvoir politique de l’échelon de base: Questions sur la société rurale). Shanghai, Shanghai renmin chubanshe), ont approfondi ces questions de la tendance au particularisme dans les actions réciproques des cadres des campagnes.
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les entités responsables des échelons supérieur et inférieur; il montre comment le système de responsabilité par objectifs, inséré dans le cadre de l’administration gouvernementale (ou de toute autre administration), à partir d’un socle sur lequel existaient originellement des rapports autoritaires, introduit des solidarités devoirs/ intérêts, qui contribuent à l’apparition, entre les échelons supérieurs et inférieurs, de nombreux «liens privés» (siren guanxi ⿱Ӫޣ㌫) et de «fonctionnements officieux» (fei zhengshi yunzuo 䶎↓ᔿ䘀). Schéma n° 3 des rapports entre les entités responsables de l’échelon supérieur et inférieur.
En réalité, quand un gouvernement de l’échelon supérieur répartit les responsabilités et la pression qui lui incombent aux départements qui sont sous sa dépendance, il «ligote» en fait les deux échelons: car si les administrations de base n’atteignent nulle part les cibles, ou bien si en certains domaines apparaissent des manques considérables, «des ratés» (tong le louzi Ҷဴᆀ), il ne fait aucun doute que l’échelon supérieur ou le département dirigeant compétent en assumeront solidairement la responsabilité; à l’inverse, si les échelons inférieurs sont honorés ou récompensés de façon significative,
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les dirigeants de l’échelon supérieur jouiront eux aussi des «fruits du succès», qui s’ajouteront à leurs bons résultats administratifs. Puisque dans le système de responsabilité par objectifs, l’accent est porté sur le statut des principaux dirigeants «premiers responsables», il est évidemment crucial pour les dirigeants de l’échelon supérieur de pouvoir gagner directement le soutien personnel des principaux dirigeants des départements placés sous leur ordre. Dans la configuration «supérieurs et subordonnés unis dans un seul corps», les cadres du canton se voient imperceptiblement attribuer un espace et une capacité de négociation grâce auxquels ils peuvent engager des «marchandages» avec l’administration de l’échelon supérieur, lequel devra employer toute sorte de moyens, en particulier les liens privés et les relations sociales, qui opèrent à l’extérieur des purs rapports autoritaires, afin que le travail à l’échelon subalterne soit zélé et la mobilisation efficace. Le village J. dans le bourg Z. connaît un essor non négligeable. L’action du secrétaire du Parti de J. est totalement approuvée par le secrétaire du comité du Parti du bourg. Quand nous sommes allés en visite à J., le vice-secrétaire du Parti et le responsable du département de la propagande du bourg se sont successivement déplacés à J. et nous ont accompagnés à table. Le secrétaire du comité du Parti de J. a plus d’une fois insisté sur les «échanges entre les échelons supérieur et inférieur», la «préservation de l’entente entre subordonnés et supérieurs», essentiels pour le développement de J. Par exemple, dit-il, en 2003, si le village a pu participer à un mouvement d’excellence proposé par l’échelon municipal et y récolter des honneurs, ce fut grâce au responsable du département de la propagande qui, six mois avant, l’en avait «informé». J. avait finalement obtenu, à la suite de ce prix, une subvention du gouvernement de l’échelon supérieur pour la modernisation du gouvernement villageois s’élevant à 1 500 000 yuans. Dans la conversation, le secrétaire du Parti nous révéla encore que, lors de la construction d’une voie rapide de niveau provincial passant par le village, un seul coup de fil au chef du bourg avait suffi et, sans qui lui en coûtât un centime, le grand pont autoroutier qui passait près de J. fut nommé «pont de J.» – ce qui popularisa le nom du village et eut évidemment des retombées sur le drainage des capitaux. Le chef du bourg et le secrétaire du comité du Parti de J. entretiennent des relations amicales: lorsque le fils du secrétaire du Parti passa son examen d’entrée à l’université puis chercha du travail, ce fut à chaque fois le chef du bourg qui intervint et permit aux choses d’avancer.
Ce cas montre de manière vivante qu’il suffit que les intérêts du bourg et du village soient identiques pour que les cadres des bourgs
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se mobilisent activement en faveur de travaux qui profitent au village, et lui fournissent des informations, l’aident à entrer en contact avec les échelons supérieurs, prennent l’initiative de le recommander pour l’obtention de capitaux ou pour des programmes, etc. Finalement, galvaniser le travail du village revient dans une large mesure à faire avancer celui du bourg. Cela favorise une communauté d’intérêts et de gains et une unité d’action. Et si les cadres des villages ont à gérer un problème épineux ou bien une tâche difficile, telles les élections villageoises, les cadres du bourg les soutiendront à l’arrière ou bien à visage découvert, et pourront également intervenir personnellement, donnant même des instructions pour que leurs ordres soient exécutés. Comparés aux cadres des villages, les cadres des bourgs subissent plus directement le conditionnement rigide de la structure bureaucratique, et ils ont beaucoup plus peur que ceux-ci des ennuis: que des problèmes surviennent et les cadres du village auront à en supporter les responsabilités, mais les cadres du bourg devront en assumer de plus grandes encore. C’est pourquoi en général les gouvernements des districts et des bourgs adoptent la même attitude: si des problèmes surgissent, il faut empêcher coûte que coûte qu’ils montent à la surface, y mettre le couvercle, car «la crainte est qu’ils atteignent le ciel» et que les autorités de l’échelon supérieur l’apprennent. Bien sûr, tous les villages ne sont pas dans une aussi grande proximité avec les gouvernements des bourgs et leur coopération ne bénéficie pas toute d’une aussi bonne entente. Les cadres des organisations autonomes villageoises sont des cadres à temps partiel, ils sont avant tout agriculteurs. Cet état de fait a trois conséquences: les revenus des cadres villageois viennent des paysans de leur propre village; ils sont dirigeants d’organisations autonomes extérieures au pouvoir politique étatique, de sorte qu’ils n’ont pratiquement aucune possibilité de progression de carrière et ne percevront pas la retraite des cadre de l’État quand ils se retireront, et ils ne sont pas non plus vraiment préparés à obéir ni à se conformer aux ordres administratifs; si les cadres des villages sacrifiaient la face les intérêts élémentaires des villageois à des tâches ponctuelles, à l’heure de la retraite, leurs relations sociales au sein du village deviendraient difficiles. Tout cela pousse les gouvernements à utiliser de plus en plus d’incitations matérielles et de compensations
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dans leurs relations avec les cadres villageois, auxquels ils donnent davantage de marges de manœuvre pour les mettre de leur côté et les amadouer afin de pouvoir mieux les utiliser. Par exemple: Les mesures permettant d’attribuer aux cadres villageois 15%, et parfois davantage, des recettes fiscales agricoles et autres taxes, incitent ceux-ci à ne pas ménager leur peine pour percevoir les impôts des familles paysannes, ils vont même jusqu’à emprunter à des taux élevés afin de remplir jusqu’au bout leur mission de collecteur, parce que la prime leur reviendra, alors que les intérêts de l’emprunt seront payés par le village. Dans certains programmes, le gouvernement augmente progressivement les quotas qui incombent au village, par exemple ceux des matériaux destinés à prévenir les inondations, qui, à l’origine, étaient complètement à la charge du bourg, puis ont été progressivement répartis entre le bourg et les villages dans des proportions de 6 pour 4, et récemment les chiffres ont été inversés tant et si bien qu’à présent les villages prennent en charge 60% des parts contre 40% au bourg; 30% des amendes infligées dans le cadre du contrôle des naissances peuvent provenir des villages et pour le reste des bourgs et du district43.
Par ailleurs, même si le système de responsabilité accorde sur de nombreux aspects la primauté à une gestion chiffrée et standardisée, il n’en reste pas moins que les dirigeants des départements de l’échelon supérieur conservent un avis personnel et un pouvoir d’arbitrage44. Ainsi, les objectifs assignés aux villages par les bourgs sont généralement surévalués à tel point que leur réalisation est extrêmement difficile, pour ne pas dire impossible. Mais d’ordinaire les villages ne négocient pas sur les objectifs avec l’échelon supérieur et, à l’opposé, l’échelon supérieur se soucie de demander si les cadres villageois parviendront à franchir la passe. En réalité, il s’agit de «se donner réciproquement de la face» (huxiang gei mianzi ӂ㔉䶒ᆀ). C’est pourquoi il n’est pas difficile de comprendre pourquoi les cadres des cantons, au moment des évaluations, font souvent des exceptions en fonction du travail effectif des cadres villageois, non seulement en corrigeant les chiffres de base de l’année précédente afin d’«aider» les échelons inférieurs à passer le cap, 43 44
Wu Miao, op. cit. Par exemple, réfléchir pour choisir les régions dans lesquelles les normes peuvent être augmentées, décider quelles sont les régions retardataires, ou bien qui possèdent peu de matières premières, qui ont besoin d’être accompagnées, etc. Il s’agit là de considérations réalistes.
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mais aussi en leur accordant en temps ordinaire des capitaux, du personnel, ou bien des avantages et des aides sous d’autres formes. Ce qui revient à permettre (peut-être même à encourager) des arrangements (qui peuvent aller jusqu’à des infractions) de l’échelon inférieur dans ses tâches quotidiennes. Les pratiques décrites plus haut ont pour but de permettre aux échelons supérieurs et inférieurs de conserver de «relations privées» de qualité, qui s’avèrent souvent très utiles quand les affaires de la sphère publique n’avancent pas bien. Par exemple, si un cadre villageois veut démissionner (liao tiaozi ᪲ᆀ), ou bien protester contre des dispositions qu’il juge injustes, l’un des arguments pour l’en dissuader sera de faire intervenir sa propre «face». Car la question de la face n’est pas une affaire de gains ou de pertes transitoires, il s’agit de préserver des relations sur du long terme45. Et quand les bourgs entreprennent de négocier avec les villages, ce n’est pas simultanément, ni dans les mêmes dimensions que les deux partenaires cèdent du terrain: ils le font l’un après l’autre (dans la durée), ou bien ils procèdent par reculs dans des dimensions différentes, ou encore en se témoignant mutuellement de la sollicitude. Pour le dire simplement, la marche des «affaires publiques» favorise l’établissement de relations privée, perméables aux facteurs affectifs, et elle affermit les soutiens politiques personnels, auxquels se mêlent, dans l’exercice de rapports autoritaires institutionnels et publics, des attentes et des liens protecteurs qui prennent un tour encore plus individuel. En résumé, les «liens privés» et leurs corollaires – les «accommodements» (biantong ਈ䙊) et les «stratagèmes communs» (gongmou ޡ䈻) –, opèrent officieusement pour aider les gouvernements du bourg à «bloquer» les villages, et donnent une impulsion à tous 45
C’est pourquoi quand les cadres du canton et les cadres de villages se rencontrent, leur position mutuelle est de se conformer aux principes selon lesquels on ne «se dispute pas publiquement», on sait «se montrer indulgent» afin de permettre à la partie adverse de «s’en tirer». Le rapport d’échange sympathie/ indulgence en est un bon exemple: «Je comprends que ce n’est pas facile pour toi, mais tu dois aussi te montrer indulgent envers mes difficultés; à l’inverse si tu n’es pas indulgent avec moi, je n’aurai aucune raison de l’être avec toi, et je ne transigerai pas.» Cette attitude est peut-être liée au régime centralisé du gouvernement chinois, qui est l’unique et ultime décideur légitime.
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les échelons gouvernementaux pour que les objectifs deviennent finalement tangibles. C’est en personnalisant les institutions et en institutionnalisant les relations personnelles que les gouvernements des cantons parviennent à contrôler et à mobiliser les villages. Et ces procédés ne sont pas seulement des «moyens de fortune» (quanyi zhi ji ᵳᇌѻ䇑) ou des outils pour atteindre des profits provisoires, mais, en réalité, ils peuvent aussi être considérés comme «l’huile» ou «le catalyseur» dont ont besoin les institutions pour fonctionner sans heurts.
Exploitation et contre-exploitation: la dialectique du contrôle Norbert Elias a montré que l’interdépendance est au cœur du rapport de pouvoir, dans lequel aucune des parties ne peut se séparer de l’autre et obtenir seule la réalisation de sa volonté. Pour mesurer le pouvoir des agents, il suffit d’observer lequel paie le coût le plus élevé lors de la rupture du lien d’interdépendance46. Quant au système de responsabilité par objectifs, il accroît, grâce à la solidarité devoirs/ intérêts, l’interdépendance entre les échelons supérieur et inférieur, mais il abaisse aussi le prix à payer des agents les plus «faibles» se trouvant en bout de la chaîne de responsabilité (arrondissement > district – canton > quartier – village > comité de résidents) quand ils ont besoin de s’opposer aux «forts», et en conséquence augmente de fait leur faculté de négociation et leur espace d’opposition. Pour ce qui est des paysans, même s’ils se situent au plus bas de la chaîne du pouvoir descendant, les mécanismes de division des responsabilités et du transfert de la pression font pareillement baisser le coût de leur opposition envers l’échelon supérieur, car le système de responsabilité leur offre un «terrain d’appui», lequel, pour
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Cf. Norbert Elias, [1998]2005. Lun wenming, quanli yu zhishi: Nuobeite Ailiyasi wenxuan (Norbert Elias on civilization, power, and knowledge: selected writing). Trad. chinoise par Liu Guilin. Nanjing, Nanjing daxue chubanshe.
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le dire simplement, se trouve «au-dessus» d’eux (en fait l’échelon supérieur à l’échelon supérieur). En d’autres termes, les paysans peuvent utiliser la part de pouvoir qu’ils possèdent dans cette chaîne et, par le truchement de pétitions adressées au gouvernement du district ou bien encore plus haut, inciter l’échelon qui se trouve audessus de leur supérieur immédiat (le bourg et le village) à faire pression sur celui-ci. Cette forme d’opposition est en réalité encore plus proche d’un rapport exploitation/contre-exploitation: un groupe qui n’a aucun moyen de reporter en dessous de lui une partie de ses obligations ne peut qu’utiliser à l’inverse la résistance disponible structurellement pour exprimer son point de vue. Les tactiques de résistance des paysans sont diverses: parfois ils utilisent le langage, parfois, saisissant judicieusement l’opportunité d’«événements» ou d’une situation, ils cherchent à rendre les choses «problématiques» (wentihua 䰞仈ॆ). Mais quel que soit le moyen, la logique de l’action des paysans est toujours la même: il s’agit d’utiliser la pression qui se trouve au-dessus de l’échelon supérieur pour pouvoir «peser» sur lui. Par exemple, les pétitions des paysans citent souvent certains «slogans» puisés dans les documents du gouvernement central ou bien parmi les directives les plus récentes. Grâce à la «répétition» du langage employé «en haut», les paysans mettent de leur côté le «gouvernement central» et l’«État» pour accroître la légitimité de leurs actions et en même temps ajoutent une pression informelle et latente sur les gouvernements locaux. Il suffit que les échelons supérieurs ne soient pas directement concernés, et ce genre d’affaire leur est utile pour renforcer leur surveillance sur l’échelon inférieur. C’est la raison pour laquelle certains chercheurs considèrent cet «emploi réciproque» (huxiang liyong ӂ࡙⭘) de ceux d’en haut et de ceux d’en bas pour contraindre pareillement les cadres locaux, comme un «stratagème commun» (gongmou ޡ䈻 ) aux paysans et à l’État. Rendre «problématique» des faits est également une tactique fréquemment adoptée par les paysans, qui ont beaucoup plus de difficultés que les cadres de la bureaucratie à attirer l’attention des autorités de l’échelon supérieur ou des départements compétents. Dans ces circonstances, afin que ceux d’en haut s’intéressent à eux, les paysans entrés en résistance vont souvent «saisir l’occasion»,
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«tirer parti de la situation», et, par exemple, profiter d’une atmosphère politique sensible pour grossir un problème et «leur tomber dessus», car ils jugent que ce n’est qu’en attirant l’attention des autorités d’un échelon encore plus élevé qu’ils parviendront à peser sur le gouvernement local. Dans la pratique, beaucoup de gens voient leurs espérances se concrétiser et obtiennent que le gouvernement règle leurs affaires et les dédommage. Cependant, tandis qu’ils rendent les choses «problématiques», les paysans continuent à faire preuve de «mesure», et «mordent la ligne sans franchir les limites». «Mordre la ligne», cela veut dire s’approcher des limites, là où les choses deviennent des «problèmes» et peuvent atteindre ces fonctionnaires des échelons supérieurs qui ont la possibilité d’agir. Mais mordre la ligne ne signifie pas franchir les limites, c’est-à-dire que les paysans font en sorte que le mode et le cadre de leurs actions ne s’éloignent pas des règles existantes ni ne les heurtent, et rares sont ceux qui cherchent à les changer ou bien à en inventer seuls de nouvelles. Le plus souvent, ils utilisent à fond les règles préétablies pour atteindre leurs objectifs. Par nature, les actes de résistance des paysans sont une sorte «d’exploitation de l’exploitation» ou bien de «contre-exploitation». Grâce à la répétition, l’imitation, l’emprunt, ils tentent d’exploiter les échelons supérieurs, les échelons supérieurs des échelons supérieurs, et même la «voix» ou les «regards» du pouvoir central et de l’État pour préserver leur propre pouvoir. Il faut bien reconnaître que ces répétitions, ces imitations, ou ces emprunts sont des altérations, des déplacements, des détournements, mais en termes de production de paroles, les paysans ne sont pas non plus un groupe doué d’«originalité». À l’inverse, la condition même des paysans, dénués de droits et faibles, confère à leur «emprunt» une portée empreinte d’une totale légitimité. Ainsi, dans un certain sens, les actes de résistance des paysans et leurs tactiques sont également des «actions sélectives» face aux «regards sélectifs» des échelons supérieurs. Le système de responsabilité modèle l’«attention sélective» et oriente les gouvernements locaux vers une «administration axée sur l’entreprise», caractéristiques que les paysans utilisent à leur tour pour effectuer des «percées sélectives» et des «événementialisations» (shijianhua һԦॆ) lorsqu’ils cherchent à briser les chaînes de pouvoir. Ce qui est encore plus
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intéressant, c’est que cette forme de résistance qui vient d’en bas modifie aussi le choix des actions des cadres de base, et pousse les fonctionnaires aussi bien des villages que des cantons ou d’échelons encore plus élevés, à d’abord se demander comment gérer les points sensibles ou cruciaux et les familles indésirables s’ils veulent maintenir l’ordre dans leur circonscription. Ainsi, le système de responsabilité façonne le mode de contrôle de l’échelon supérieur vers l’échelon inférieur, mais il donne également forme aux résistances et aux marchandages – des strates inférieures envers les strates supérieures, des paysans envers le pouvoir, de la société envers l’État – au travers desquels se joue une «dialectique du contrôle».
Le guidage des objectifs: accommodement, compétition et création Nous avons discuté jusqu’ici de la portée du système de responsabilité sur la manière d’agir des échelons supérieur et inférieur (le gouvernement du canton et l’autonomie villageoise) à l’intérieur de relations verticales. Nous allons maintenant parler de relations horizontales et de l’influence de ce même système sur les actions d’entités responsables de même échelon. Globalement, d’un côté le système de responsabilité par objectifs stimule et renforce la compétition entre les gouvernements et les départements de même échelon, mais de l’autre comme il a pour particularité de conditionner durement par les objectifs mais faiblement quant aux procédés, il offre aux administrations un espace propice à toute sorte d’accommodements et par-dessus tout aux innovations. Justement, dans ces deux dimensions, le système de responsabilité par objectifs libère partiellement dans l’échelon de base du gouvernement chinois une créativité générale, et une attitude positive des milieux officiels visà-vis des idées nouvelles. Les raisons pour lesquelles le système de responsabilité par objectifs stimule et renforce la concurrence sur une vaste échelle entre gouvernements d’un même échelon sont les suivantes:
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une gestion normalisée, la délimitation d’«obligations cruciales» (guanjian renwu ޣ䭞Ӫ⢙), la mise en place de comparatifs et de notations favorisent le développement d’une concurrence entre les pouvoirs locaux, les services administratifs, ou les villages de même échelon et, à un certain degré, permettent de résoudre les difficiles questions des mesures et des comparaisons des «résultats» (chengguo ᡀ᷌) de l’action gouvernementale47; la similitude des objectifs de développement, de la valeur des évaluations, de l’environnement institutionnel, et l’uniformité des appréciations accentuent en retour le sentiment de rivalité entre les gouvernements responsables de même échelon; la survie et le développement étant le but recherché par la mise en œuvre des systèmes de responsabilité, ils deviennent les objectifs communs des pouvoirs locaux des échelons supérieur et inférieur. Aujourd’hui, dans «un système bureaucratique où l’on est ‹responsable envers les supérieurs›, quand la concurrence des gouvernements locaux se combine brusquement à des mécanismes de stimulation analogue de la part du gouvernement de l’échelon supérieur, cela produit un écran protecteur organisationnel stable et fort […] la rivalité entre échelons supérieurs et inférieurs est mutuellement renforcé, et un ‹phénomène de résonance› apparaît48»; enfin, comme le système de responsabilité insiste sur l’établissement de rapports verticaux de gestion entre plusieurs départements, ou bien à l’intérieur d’un même département, et applique un système de responsabilité personnelle – c’est-à-dire lie les succès d’un groupe ou d’un département aux résultats personnels des principaux responsables du Parti ou de l’État – il diminue le phénomène des «profiteurs» (da bianche ᩝׯ䖖) et les embarras Sur les questions de mesure et de comparaison des «productions» et des résultats de l’action gouvernementale, cf. la thèse de J. Q. Wilson, 1989, What governement agencies do and why they do it. [1989]2004. Guanliao jigou: zhengfu jigou de zuowei ji qi yuanyin (Bureaucracy: What Government Agencies do and why they do it). Trad. chinoise par Sun Yan et al. Beijing, Sanlian chubanshe. Liu Taihong, 2007, «Wo guo difang zhengfu jingzheng jizhi: yige zhidu jingjixue de fenxi fanshi» (Les mécanismes de compétions des gouvernements locaux chinois: paradigme analytique de l’économie institutionnelle), Renwen zazhi, 4.
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inhérents à «l’action collective», et, permettant que tout le personnel d’un même département agisse ensemble autour d’un objectif commun, il galvanise l’esprit de compétition et les initiatives des unités et des entités responsables. Même si le monde des sciences sociales occidental a beaucoup discuté des rivalités entre les gouvernements et considéré qu’il s’agissait d’un phénomène universel49, il est intéressant de noter que même s’ils participent et répondent à la compétition étatique, les pouvoirs locaux et les cadres de l’échelon de base s’écartent par leurs actions de la logique en œuvre dans la bureaucratie, telle que la théorie classique occidentale l’a résumée. Au contraire, les actions novatrices et surprenantes, «accommodantes» (biantong ਈ䙊) et «transgressives» (weigui 䘍㿴) sont ici répandues partout et, dans le même temps, ce niveau élevé d’idées novatrices est approuvé par l’idéologie dominante. Lors de nos enquêtes de terrain au bourg Z., le zèle novateur d’un cadre de base nous a laissé une forte impression. Z., situé dans l’arrondissement S. dans les faubourgs de Beijing, s’est lancé depuis plusieurs années dans des comparaisons sur l’amélioration de l’environnement entre les bourgs. Quand elle commença à s’occuper de questions d’environnement, l’administration du bourg rencontra de fortes résistances, et comme ses médiocres résultats lors de l’inspection d’évaluation lui valurent d’être classée en queue de liste, le principal dirigeant du bourg fut semoncé par le dirigeant de l’arrondissement. Afin de gagner la confiance de l’échelon
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C. Tiebout, 1956, «A Pure theory of local expenditures», The Journal of Plitical Economy, vol. 64, N° 5, p. 64; R.Tresch, 1981, Public Finance. A Normative Theory. Orlando, Academic Press; A. Breton, 1996, Competitive governments: An economic theory of politics and public finance. New York, Cambridge University Press; Qian Yingyi et B. Weingast 1997, «Federalism as a commitment to preserving market incentives», Journal of Economic Perspectives, vol. 11, N° 4; C.Herrmann-Pullath, 1999, «Regierungswettbewerb als analytisches Paradigma einer Theorie der Transformation großer Länder» (Paradigme analytique de la théorie de transformation des grands États), in Hans G. NUTZINGER , Schriften des Vereins für Socialpolitik, Osterweiterung und Transformationskrisen. Berlin, Duncker & Humblot. 2000. «He Mengbi. Zhengfu jingzheng, daguo tizhi zhuanxing lilun fenxi fanshi», traduction chinoise par Chen Ling. 2001. Unirule Institute of economics working papers 42. [en ligne], disponible sur: (consulté le 05/04/2010).
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WANG HANSHENG et WANG YIGE supérieur et des honneurs pour la collectivité, L., secrétaire du comité du Parti, créa un mécanisme de «jugement réciproque des masses et des cadres». Le point noir de l’amélioration de l’environnement était le maintien de l’hygiène, il aurait fallu y veiller constamment, mais les cadres villageois n’avaient ni du temps ni de l’énergie à dépenser. Afin de résoudre ce problème et de mener à bien cette tâche, le cadre du bourg trouva une bonne méthode: les cadres de tous les villages allaient organiser les masses sous leur autorité pour rendre visite à chacun des autres villages du canton. L’honneur des cadres et de la population fut piqué au vif et l’esprit de compétition grandit chez les uns comme chez les autres. Certains autrefois plutôt dénués d’initiatives devinrent des activistes zélés et d’autres se mirent à leur tour à surveiller les cadres. Cette méthode obtint d’excellents résultats, et la politique environnementale du bourg Z. eut l’honneur d’être citée en exemple plusieurs années de suite et honorée comme pionnière.
Pourquoi, quand il s’agit de déclencher la compétition entre administrations, la pratique inventive de la bureaucratie chinoise et la pratique réglementaire occidentale présentent-elles des différences aussi éclatantes? Nous pensons que cela est intimement lié à l’une des particularités du système de responsabilité par objectifs, c’està-dire la contrainte élevée des objectifs associée à la légèreté de celle des procédés/procès. Selon les théories courantes des études politiques et de gestion, les actions des fonctionnaires de l’administration sont davantage soumises aux contraintes des processus qu’à celles des objectifs50. Mais le «système de responsabilité de gestion par objectifs» est, comme son nom l’indique, centré sur la gestion des objectifs. Les contrats de responsabilité, et les méthodes d’évaluation qui les accompagnent, insistent sur la capacité d’atteindre les objectifs, mais 50
Wilson a avancé qu’en comparaison avec les établissements privés, les départements de l’administration subissaient beaucoup plus de contraintes dans les trois domaines suivants: 1° Celui des revenus et des stimulants matériels: l’administration «n’a pas la possibilité légale de conserver les recettes de l’institution et elle accorde des avantages sociaux à ses employés». 2° Dans l’acquisition et l’utilisation des composants essentiels de la production: elle «n’a pas le droit de les répartir librement». 3° Dans le domaine des devoirs: elle «n’a pas le droit de choisir sa sphère d’activité, elle doit s’acquitter de toutes les tâches prévues pour l’échelon supérieur». C’est pourquoi les inquiétudes des employés des organismes gouvernementaux sur tout un tas de contraintes excédent celles qu’ils peuvent avoir sur leur mission, ils attachent plus d’importance au processus qu’au résultat.
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il n’est quasiment pas fait mention des moyens51. C’est pourquoi, même si les contraintes de processus coexistent avec celles des objectifs dans la mise en œuvre de la politique locale en Chine, les cadres de base agissent surtout sous la contrainte d’objectifs dont la capacité de «guidage» paraît assez grande. Le «guidage par les buts» dans son fonctionnement réel laisse une liberté de décision et de marge de manœuvre relativement importante aux cadres de base dans l’exécution de leurs tâches, et, du reste il se peut que l’échelon inférieur soit en désaccord avec l’échelon supérieur dans la mise en place des objectifs eux-mêmes, leur délimitation ou leur échelonnement. Par exemple, même si, dans ses grands traits, le fonctionnement du système de responsabilité est quasiment le même partout, il existe cependant une grande diversité dans leur mise en place concrète d’un district ou d’un bourg à l’autre, fussent-ils voisins. Par ailleurs, les cadres de base vont souvent fixer, en plus de ceux qui ont été définis et assignés par l’échelon supérieur, des objectifs librement choisis. Ces objectifs se distinguent des «objectifs fonctionnels» ordinaires des administrations, et répondent davantage à des besoins nouveaux, font la promotion de politiques et de slogans, ou mènent à bien des activités originales. Comme la municipalité de Hangzhou qui, en 2007, en dehors des objectifs du système de responsabilité général, s’est assignée dans l’année 1959 objectifs «novateurs et d’excellence» afin d’encourager l’inventivité, ou encore la municipalité de Xinxiang (Henan), qui institua, en 2006, des «objectifs supplémentaires» pour répondre au développement. Si l’on dit que le «guidage sur les buts» confère à l’action des gouvernements locaux chinois une efficacité et une capacité de mobilisation relativement élevées, la faiblesse des procédés offre aux cadres de base une grande marche de manœuvre et, sur une grande 51
D’après ce que nous savons, beaucoup de fonctionnaires locaux chinois quand ils émettent une directive emploient les arguments suivants: «Il faut s’acquitter de la tâche x, c’est vous qui décidez des moyens.» Certains cadres pensent même qu’«il suffit que les cadres de bases possèdent un sens des responsabilités, et ils pourront résoudre les problèmes. Ils vivent quotidiennement sur place et sont les meilleurs connaisseurs de la situation; si eux ne peuvent pas, comment des gens extérieurs ou bien des dirigeants d’en haut qui n’y connaissent rien le pourraient-ils?».
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échelle, rend possible des nouveautés institutionnelles faites d’accommodements et de transgressions. Certes, les transgressions sont en elles-mêmes très dangereuses, cependant, dans la compétition générale et violente à laquelle sont confrontés les gouvernements de base, c’est le profit qui est considéré et non pas la dangerosité des transgressions et des innovations. Dans le cadre de ce système, les cadres de l’échelon de base sont souvent poussés à inventer sans cesse de nouvelles «ruses» (zhao ᤋ) afin de traiter toute sorte de besognes embarrassantes ou instables. Et du moment qu’une nouvelle méthode s’avère efficace, elle sera souvent approuvée par l’échelon supérieur, parfois même érigée en modèle, et fera l’objet d’une large publicité. Les cadres de l’échelon de base eux-mêmes jugent favorablement les «innovations». Au cours de nos enquêtes, nous les avons souvent entendus dire qu’un petit nombre de tâches seulement nécessitaient que l’on s’attachât aux détails (ce qui signifie que l’on ne peut pas transgresser la politique du gouvernement ni les obligations légales), mais que pour la plupart, en particulier dans le cas d’ouvrages importants, il fallait avant tout «voir le résultat». Un cadre villageois a résumé de manière imagée cette pratique: «Se mettre au travail quand la tempête fait rage52.» Son dirigeant à l’échelon supérieur nous a dit qu’un bon cadre était celui qui, lorsqu’il avait achevé les tâches planifiées par l’échelon supérieur, pouvait «passer du temps à réfléchir», «essayer de nouvelles recettes»; il estimait que l’aptitude à se perfectionner reflétait le sens des responsabilités et l’esprit d’initiative d’un cadre53. En résumé, parallèlement à la construction d’un environnement compétitif complet pour les gouvernements de base, le système de responsabilité par objectifs crée un espace autonome d’action pour tous les acteurs qui se trouvent dans la chaîne relationnelle. En particulier, pour des concurrents qui partagent des informations parallèles et extrêmement précises sur une situation, une technique-clef pour gagner la partie sera d’éviter d’agir en suivant un modèle: qui sera capable d’inventer un nouveau tour occupera favorablement le terrain et, s’échappant du peloton, y gagnera autant d’avantages 52 53
Entretien avec le secrétaire de la section du Parti de J. de Z. Idem.
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économiques et politiques. Innover est pour tous les acteurs engagés dans une compétition et une confrontation universelles un moyen important d’accéder à un statut avantageux ou de le préserver. On peut même aller jusqu’à dire que les gros profits ne sont possibles que si l’on sort ses cartes sans se soucier des règles du jeu.
Conclusion: deux sortes de liens – administratifs et de responsabilité Nous avons découvert au cours de cette discussion sur les systèmes de responsabilité par objectifs, qu’il existait en Chine, dans l’exercice des gouvernements de l’échelon de base, deux sortes de liens bien différenciées, qui sont en gros les liens administratifs et les liens de responsabilité. Les liens administratifs sont centrés sur des rapports autoritaires, valorisant le rapport vertical descendant ordre-soumission, tandis que les liens de responsabilité axés sur une solidarité devoirs-intérêts, sont surtout limités par un rapport de dépendance-partage entre l’échelon supérieur et inférieur. Ainsi qu’il a été dit plus haut, l’essence du rapport de pouvoir est l’interdépendance, et les différents types de rapport de pouvoir sont déterminés par des modes concrets d’interactions. En ce sens, l’essence du rapport autoritaire ordre/soumission dans un système de classe se trouve dans la «dépendance unidirectionnelle» de l’échelon inférieur vers le supérieur, lequel jouit d’une indépendance presque totale envers l’échelon inférieur (cette indépendance se traduit fréquemment par l’emprise totale de l’échelon supérieur sur les mesures politiques, le pouvoir financier, et la nomination du personnel). Dans un véritable rapport autoritaire, la distribution du pouvoir n’est absolument pas équilibrée/égalitaire. À l’opposé, dans le rapport solidaire responsabilité/intérêts, la dépendance est bidirectionnelle, et l’échelon supérieur se trouve tout aussi dépendant que le niveau inférieur (la dépendance peut cependant ne pas être équivalente). Cette dépendance bidirectionnelle est justement celle qui pousse la bureaucratie, originellement axée sur des rapports
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autoritaires, à dériver dans son fonctionnement concret vers une coopération et un échange avec les échelons supérieur et inférieur, basés sur un rapport dépendance/partage, et vers la négociation. En résumé, dans un rapport autoritaire, les agents ont à faire face à des restrictions venues principalement d’en haut qui réduisent les possibilités et les lieux d’interactions entre les échelons supérieur et inférieur. Dans cette configuration, les liens entre les agents et l’échelon supérieur sont conditionnés principalement par une «contrainte négative» externe. Mais, dans un rapport solidaire de responsabilité (intérêts), les lieux d’interactions des échelons inférieur et supérieur se développent à la faveur de leur dépendance réciproque. À ce moment-là, les actions réciproques et suffisantes des membres peuvent évoluer en mécanismes de conditionnement interne. Comparés aux conditionnements négatifs externes, les mécanismes de conditionnements internes ouvrent une autre possibilité, permettant d’intégrer les intérêts et les points de vue d’agents venus de tous horizons et ils poussent le rapport droits/devoirs entre les échelons supérieur et inférieur vers plus de rationalité. En ce sens-là, le lien de responsabilité est peut-être un mode de relation plus «positif» que le pur lien administratif54. Ce qui est encore plus remarquable, c’est qu’en Chine l’accent soit mis sur ces initiatives entre les échelons supérieur et inférieur au sein de la bureaucratie, et que ces initiatives influencent également la manière d’agir de tous les membres de la société – tels par exemple les paysans, considérés comme des acteurs particulièrement «faibles», qui ne vont plus seulement adopter le retrait et l’esquive mais se mettre à agir de manière «positive», cherchant à influencer l’État et la bureaucratie, afin d’atteindre leur but. Peut-être cela nous aidera-t-il à comprendre les deux histoires vraies que nous avons évoquées au début de cet article. 54
Les termes «positif» et «négatif» sont employés dans une acception basée sur les les conceptions de la liberté données par Isaiah Berlin: dans le premier cas, c’est en influençant les actions des autres qu’il devient possible de réaliser ses propres objectifs, tandis que dans le second on évitera l’influence des autres, leur ingérence, ou leur interaction. «Positif» et «négatif» ne sont pas ici pris dans le sens général de positif signifiant meilleur, et négatif inférieur à celui-ci. Au contraire, «positif» et «négatif» ne sont que la description objective d’un mode relationnel et d’actions donnés.
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Les auteurs
ALLÈS Elisabeth était directrice de recherche au CNRS. De 2008 à 2011, elle a exercé les fonctions de directrice du Centre d’études sur la Chine moderne et contemporaine ainsi que de directrice-adjointe de l’UMR 8173 Chine, Corée, Japon (EHESS/CNRS), Paris, France. Spécialiste de l’Islam chinois, elle a publié un ouvrage qui a fait date, Musulmans de Chine, une anthropologie des Hui du Henan, paru en 2000 aux éditions de l’EHESS, ainsi que de très nombreux articles renouvelant notre compréhension des multiples enjeux qui traversent l’Islam dans le monde chinois. BODOLEC Caroline est chargée de recherche au CNRS au sein du Centre d’études sur la Chine moderne et contemporaine (UMR 8173 Chine, Corée, Japon), EHESS/CNRS, Paris, France. Ses champs de recherche portent sur le Patrimoine culturel immatériel en Chine et plus particulièrement sur le nord de la province du Shaanxi ainsi que sur l’histoire de la construction et l’anthropologie des techniques dans la Chine impériale et contemporaine. Elle a publié La voûte dans l’architecture chinoise, un patrimoine méconnu, Paris, Maisonneuve & Larose, 2005. Elle est co-auteur d’un documentaire réalisé avec Elodie Brosseau intitulé Yaodong, petit traité de construction, 89’, sélection officielle Festival Jean Rouch 2012. Page personnelle: . CHANG Shu est doctorante, inscrite au département d’anthropologie de l’Université Harvard. Licenciée en sociologie à l’Université de Pékin (Beida), elle a ensuite obtenu un master de sociologie à l’Université Tsinghua à Pékin. Ses principaux centres d’intérêt sont les études chinoises, l’anthropologie politique et l’ethnographie historique. HUA Linshan est chercheur associé au Centre d’études sur la Chine moderne et contemporaine (UMR 8173 Chine, Corée, Japon), Paris. Historien, il a publié notamment Les Années rouges au Seuil en 1987, mais aussi, avec Isabelle Thireau, Enquête sociologique sur la
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Les auteurs
Chine contemporaine, 1911-1949 (Puf, 1996); Disputes au village chinois. Formes du juste et recompositions locales des espaces normatifs (Éditions de la MSH, 2001); Les ruses de la démocratie. Protester en Chine contemporaine (Seuil, 2010). LIU Chun Brenda a étudié la théorie politique à l’Université Sun Yat-Sen puis la politique comparée à l’Université Chinoise de Hong Kong où elle a obtenu son doctorat. Elle est également diplômée de l’Université Johns Hopkins University-Nanjing University Center for Chinese and American Studies (HNC, 2001) et a séjourné comme chercheuse invitée au Harvard-Yenching Institute (2008-2009). Liu est actuellement maître de conférences et responsable du programme de Master de sciences sociales au département Gouvernement et politiques (Grande Chine) à l’Université Chinoise de Hong Kong. Ses thèmes de recherche incluent les relations Etat-société, les théories et pratiques liées à la société civile et l’histoire intellectuelle, avec une attention privilégiée portée au monde chinois. LIU Xiaojing est chercheur à l’Académie des Sciences Sociales de Chine (Institut du développement rural). Ses travaux portent sur les transformations économiques, sociales et politiques des villages chinois pendant et après la collectivisation. Auteur de nombreuses publications en langue chinoise, il a publié en français «L’art de desserrer les nœuds: logique et procédés employés pour élaborer un accord et prévenir un affrontement entre deux clans», in Disputes au village chinois. Formes du juste et recompositions locales des espaces normatifs, sous la direction de Wang Hansheng et Isabelle Thireau (Éditions de la MSH, 2001); «‹Prendre› pour survive durant la Grande famine de 1958-1961», Etudes rurales, 2007/1 (n° 179), p. 79-94. THIREAU Isabelle est sociologue, spécialiste de la société chinoise au xxe siècle. Directrice de recherche au CNRS et directrice d’études à l’EHESS, elle appartient au Centre d’études sur la Chine moderne et contemporaine (UMR 8173 Chine Corée Japon). Elle a publié notamment, avec Hua Linshan, Enquête sociologique sur la Chine contemporaine, 1911-1949 (Puf, 1996); avec Wang Hansheng, Disputes au village chinois. Formes du juste et recompositions locales des espaces normatifs (Éditions de la MSH, 2001); avec Hua Lin-
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shan, Les ruses de la démocratie. Protester en Chine contemporaine (Seuil, 2010). WANG Hansheng est professeur de sociologie à l’Université de Pékin. Ses travaux interrogent les conséquences sociales des réformes lancées en Chine depuis les années 1980. Auteur de nombreux ouvrages en chinois, elle a publié en langue française avec Isabelle Thireau Disputes au village chinois. Formes du juste et recompositions locales des espaces normatifs (Éditions de la MSH, 2001); «Finances publiques et marchés locaux», Etudes rurales 1/2002 (n° 161-162), p. 53-65; avec Shen Jing «La formation des droits de propriété dans les campagnes chinoises», Etudes rurales 1/2007 (n° 179), p. 193212. WANG Yige est doctorante, inscrite au département de sociologie de l’Université des Sciences et Techniques de Hong Kong. Elle a effectué un double master en sociologie dans cette université ainsi qu’au département de Sociologie et d’Anthropologie de l’Université de Pékin (Beida). Ses travaux portent sur les transformations de l’administration chinoise depuis la fin de la dynastie Qing jusqu’à aujourd’hui.
MONDES DE L’EXTRÊME-ORIENT WELTEN OSTASIENS WORLDS OF EAST ASIA Edité par / Herausgegeben von / Edited by WOLFGANG BEHR, DAVID CHIAVACCI, EDUARD KLOPFENSTEIN, ANDREA RIEMENSCHNITTER, PIERRE-FRANÇOIS SOUYRI, RAJI C. STEINECK ET NICOLAS ZUFFEREY La série «Mondes de l’Extrême-Orient» de la Société Suisse-Asie publie des recherches de qualité représentatives de la recherche académique sur les cultures et sociétés de l’Asie orientale. Elle propose des études dans des domaines variés comme l’art, la littérature, et la pensée, anciens ou modernes, ainsi que des traductions et interprétations de sources. Elle publie également des travaux qui traitent de questions plus actuelles ou immédiates, de façon compétente mais abordable, avec le souhait de toucher, au-delà des cercles académiques, le grand public cultivé. L'un des buts de la série est de servir de forum pour les sciences humaines et sociales dans le domaine des études asiatique en Suisse. Les travaux de la communauté scientifique internationale sont cependant les bienvenus. Les langues principales des travaux, collections, ou recueils thématiques sont l’allemand, le français et l’anglais. La série est dirigée par un comité composé de chercheurs actifs dans les diverses disciplines des études extrême-orientales.
Vol. 1
Martin Lehnert Partitur des Lebens. Die Liaofan si xun von Yuan Huang (1533-1606). 2004, 299 pp. ISBN 3-03910-408-X
Vol. 2
Simone Müller Sehnsucht nach Illusion? Klassische japanische Traumlyrik aus literaturhistorischer und geschlechtsspezifischer Perspektive. 2005, 306 pp. ISBN 3-03910-478-0
Vol. 3
Matthias Richter Guan ren. Texte der altchinesischen Literatur zur Charakterkunde und Beamtenrekrutierung. 2005, 504 S. ISBN 3-03910-634-1
Vol. 4
Harald Meyer Die „Taisho-Demokratie“. Begriffsgeschichtliche Studien zur Demokratierezeption in Japan von 1900 bis 1920. 2005, 471 S. ISBN 3-03910-642-2
Vol. 5
Verena Werner Das Verschwinden des Erzählers. Erzähltheoretische Analysen von Erzählungen Tayama Katais aus den Jahren 1902-1908. 2006, 433 S. ISBN 3-03910-667-8
Vol. 6
Ildegarda Scheidegger Bokutotsusô. Studies on the Calligraphy of the Zen Master Musô Soseki (1275–1351). 2005, 207 pp. ISBN 3-03910-692-9 / US-ISBN 0-8204-7563-7
Vol. 7
Samuel Guex Entre nonchalance et désespoir. Les intellectuels japonais sinologues face à la guerre (1930-1950). 2006, 300 p. ISBN 3-03910-829-8
Vol. 8
Satomi Ishikawa Seeking the Self. Individualism and Popular Culture in Japan. 2007, 253 pp. ISBN 3-03910-874-3
Vol. 9
Helmut Brinker Laozi flankt, Konfuzius dribbelt. China scheinbar abseits: Vom Fussball und seiner heimlichen Wiege. 2006, 180 S. ISBN 3-03910-890-5
Vol. 10 Wojciech Jan Simson Die Geschichte der Aussprüche des Konfuzius (Lunyu). 2006, 339 S. ISBN 3-03910-967-7 Vol. 11 Robert H. Gassmann Verwandtschaft und Gesellschaft im alten China. Begriffe, Strukturen und Prozesse. 2006, 593 S. ISBN 3-03911-170-1
Vol. 12 Judith Fröhlich Rulers, Peasants and the Use of the Written Word in Medieval Japan. Ategawa no sho 1004–1304. 2007, 223 pp. ISBN 978-3-03911-194-7 Vol. 13 Wang Hui Translating Chinese Classics in a Colonial Context. James Legge and His Two Versions of the Zhongyong. 2008, 224 pp. ISBN 978-3-03911-631-7 Vol. 14 Martina Wernsdörfer Experiment Tibet. Felder und Akteure auf dem Schachbrett der Bildung 1951-2003. 2008, 547 S. ISBN 978-3-03911-671-3 Vol. 15 Roland Altenburger The Sword or the Needle. The Female Knight-errant (xia) in Traditional Chinese Narrative. 2009, 425 pp. ISBN 978-3-0343-0036-0 Vol. 16 Yiu-wai Chu & Eva Kit-wah Man (eds) Contemporary Asian Modernities. Transnationality, Interculturalitiy, and Hybridity. 2009, 318 pp. ISBN 978-3-0343-0093-3 Vol. 17 Andrea Riemenschnitter Karneval der Götter. Mythologie, Moderne und Nation in Chinas 20. Jahrhundert. 2011, 603 S. ISBN 978-3-0343-0584-6 Vol. 18 Guy Podoler Monuments, Memory, and Identity. Constructing the Colonial Past in South Korea. 2011, 272 pp. ISBN 978-3-0343-0660-7 Vol. 19 Berthold Riese Mexiko und das pazifische Asien in der frühen Kolonialzeit. 2012, 187 S. ISBN 978-3-0343-1181-6 Vol. 20 Isabelle Thireau (éd.) De Proche en proche. Ethnographie des formes d’association en Chine contemporaine. 2012, 317 p. ISBN 978-3-0343-1208-0